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1
D R O I T COMMERCIAL
11
if
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE PREMIER
■‘r.-|
TITRE PREMIER
DES COMMERÇANTS
fLî'i
TITRE SECOND
DES LIVRES DE COMMERCE
tÿ
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d'appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier do la Légion d'Honneur
DEUXIÈME
1
ÉDITION
REVUE , CORRIGÉE ET AUGMENTEE
i
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I BRAI RE
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
2 , RUE PONT-MOREAU, 2
1876
J,Î~A o o
JL30M
��DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE
DES DIVERS TITRES DU CODE DE COMMERCE
COMMENTAIRE DES TITRES 1 ET 2
i■
'
NOTICE
-
.
H ISTO RIQ UE
SOMMAIRE.
o '
1. Nécessité pour le commerce d’une législation spéciale.
2. Différence dans le caractère des principes civils et commer
ciaux.
3. Eléments qu’exigent les besoins du commerce.
4. Justification de ce qui précède par notre propre histoire.
5. Effets des ordonnances de 1673 et 4 681.
6. Appréciations contraires sur les maîtrises et jurandes.
7. Jugement qu’en porte l ’édit de 1776.
8. Nécessités qui les firent si longtemps maintenir.
9. Projet de Turgot de les abolir. Edit de 1776.
10. Ce qui le fit avorter.
1
�2
NOTICE HISTORIQUE.
\ 1. Leur suppression par le décret du 2-17 mars 1791.
12. Position que ce décret faisait à l ’ordonnance de 1673. Néces
sité de la modifier.
13. Nomination par les consuls d ’une commission chargée de
préparer et d’arrêter ces modifications. Mesures subsé
quentes.
14. Division adoptée par la commission. Attaques dont elle fut
l ’objet.
15. Esprit dans lequel a été rédigé le Code de commerce.
16. Utilité du commentaire en cette matière.
1.
— La commission instituée par les consuls pour
préparer le projet du Code de commerce s’écriait avec
juste raison : Depuis que les nations se sont éclairées
sur leurs véritables intérêts, le comrperce a été un des
premiers objets de l’attention des gouvernements. On
a reconnu qu’il était le principal moteur de l’industrie
et le ressort le plus actif de la prospérité publique.
La vérité de cette proposition est depuis longtemps
admise. Ce qu’on sait aussi, c’est que si le commerce
favorise l’industrie manufacturière, il n’est pas moins
utile à l’industrie agricole, dont il fait écouler les pro
duits et qu’il pourvoit de tout ce qui est indispensable
à ses développements.
Ces trois branches de la propriété publique sont donc
liées entre elles par des rapports intimes. Favoriser les
progrès de l’une, c’est faire progresser les deux autres,
c’est assurer l’avenir de la nation et asseoir ses desti
nées sur des bases inébranlables.
Au premier rang des intitutions qu’exige l’intérêt
�NOTICE HISTORIQUE.
3
réel du commerce, figure la nécessité d’une législation
spéciale, destinée à en protéger les opérations, à en
déduire les effets, à en conserver les formes. Quelque
parfaite que puisse être la loi civile, la rigueur de ses
principes ne se prête pas assez aux tempéraments de
transactions dont la multiplicité, et conséquemment la
facilité, devient la condition du progrès vers lequel le
commerce doit tendre sans cesse.
2.
— Cette proposition n’est pas seulement justifiée
par l’expérience des nations les plus commerçantes,
elle est encore invinciblement appuyée sur la nature
même des choses. Les principes de pur droit civil ne
devant exercer leur influence que sur la nation qu’ils
régissent, ne doivent tendre qu'à un seul objet, à savoir :
s’harmoniser avec les mœurs et les habitudes intimes
des régnicoles. Leur but étant de garantir autant que
de conserver, ils offriront par cela même plus de ces
difficultés, plus de ces précautions que les personnes
étrangères à l’observation seront tentées de regarder
comme minutieuses.
Les règles du droit commercial exigent un autre ca
ractère. Destinées à régir des transactions sur une
échelle fort étendue, elles doivent avoir une influence
plus universelle et se placer en harmonie avec les gran
des habitudes commerciales. La garantie qu’elles offrent
doit être égale pour l’étranger comme pour les natio
naux ; car, autant que ceux-ci, l’étranger contribue au
crédit du commerce et aux transactions qui l’entretien
nent et le développent.
�4
NOTICE HISTORIQUE.
En matière civile, c’est ordinairement la chose qu’on
suit ; en matière de commerce, c’est presque toujours
la personne. Conséquemment, les confondre dans une
législation unique, c’est compromettre l’une ou l’autre ;
c’est tout au moins risquer de ne pas leur accorder
une garantie assez efficace pour faire face à leurs besoins
réels.
3.
— Il faut donc au commerce des règles parti
culières et spéciales dont le caractère est nettement in
diqué par le but qu’elles doivent se proposer et attein
dre. Ce qui fait la puissance du commerce, c’est la
promptitude des transactions, la rapidité de la circula
tion, la sûreté du crédit ; les institutions destinées à le
régir doivent donc s’attacher à rendre les transactions
faciles, en déterminant leur forme et leurs effets d’une
manière simple et positive, à donner au crédit une ga
rantie inviolable, à dégager la circulation de tous les
obstacles susceptibles d’en ralentir la marche, à préfé
rer enfin, dans les moyens à adopter, ceux dont l’ap
plication est la plus prompte et la moins dispendieuse.
Le succès du commerce est à ce prix.
4.
— Nous n’avons pas à chercher loin de nous la
preuve de l’influence de la législation sur le commerce
et l’industrie. Notre histoire en est l’enseignement le
plus énergique et le plus décisif.
L’un et l'autre se sont développés fort tard en
; France. 11 est vrai qu’ils commencèrent à se montrer
sous le règne de Charlemagne. Nous voyons en effet ce
�NOTICE HISTORIQUE.
8
monarque entretenir des relations amicales avec le roi
de Perse pour la sûreté du commerce français. De plus,
il accueillit ics Italiens qui portaient leur industrie dans
ses Etats ; il contin! les Danois qui exerçaient la pira
terie la plus horrible sur l’Océan Germanique. Les fabri
ques, qui jusque là n’avaient existé que dans les cloî
tres, se répandirent dans les campagnes.
Mais ces lueurs se dissipèrent à sa mort. La division
de ses vastes Eîats, les dissensions civiles, la faiblesse
de ses successeurs, l’irruption des Normands, l’absence
de la force qui protège ou réprime, anéantirent le peu
d’industrie qui avait commencé à germer sous ce règne
puissant et protecteur. Deux siècles d’agitation et de
ténèbres achevèrent de détruire tout ce que ce grand
roi avait laissé de lumières et d’institutions sociales.1
Aussi, malgré la découverte du nouveau monde, qui
avait rendu si nécessaire la multiplicité des échanges,
malgré les découvertes successives que le seizième siè
cle vit se réaliser et qui accrurent encore la masse des
richesses , la France demeura dans une infériorité
marquée vis-à-vis des autres nations et surtout de la
Hollande , de l’Espagne r de Venise, de l’Italie. Ces
nations’' avaient des comptoirs partout où elles avaient
pu p én étrer ; leurs vaisseaux couvraient de leur
pavillon l’Océan , la Méditerranée et la Mer Noire,
tandis q u e les pirates dévastaient encore les côtes de
France.
I Chaptal, do l’Industrie française, tom . i, pag. xxxv.
�6
NOTICE HISTORIQUE.
Il n’y avait dans la France ni commerce ni industrie.
Comment en aurait-il été autrement dans un pays où
ces deux institutions, véritables artères de la prospérité
publique, étaient non-seulement délaissées par le légis
lateur, mais encore tenues dans une sorte de mépris
qui en écartait la noblesse et les gens riches, jaloux de
la copier.
Cependant, et au commencement du dix-septième
siècle, on s’aperçut des funestes conséquences qu’un
pareil état de choses entraînait. Une tentative de ré
forme fut essayée. Mais, par suite du préjugé, on laissa
à l’écart les gens du métier. C’est aux grands noms qu’on
demanda un projet de législation, et comme en pareille
matière, rien ne saurait suppléer à l’expérience prati
que, cet essai ne produisit rien. Les choses restèrent
ce qu’elles étaient longtemps encore.
Enfin surgirent le règne de Louis XIV et le ministère
de Colbert. Le génie de l’un et de l’autre ne tarda pas
à leur faire comprendre que le commerce peut seul as
surer la prospérité d’une grande nation. Concevoir celte
pensée, c’était comprendre la nécessité d’assurer l’ave
nir commercial de la France.
Voici ce que firent ce grand roi et ce grand ministre :
Les savants les plus célèbres, les manufacturiers les
plus habiles furent attirés dans le royaume. Par ce
moyen, la France fut dotée de Van-Robais, pour la dra
perie fine ; de Hindret, pour la bonneterie ; Huyghens,
pour les mathématiques ; W inslow , pour l’anatomie ;
Cassini, pour l’astronomie : Roëmer, pour la physique.
�NOTICE HISTORIQUE.
7
On appela dans nos ports le commerce étranger que
des vexations de tous genres en avaient exilé; on-ou
vrit des relations avec des pays qui jusque la nous
avaient été presque inconnus ; on créa des compagnies
pour faire pénétrer notre pavillon chez les nations les
plus éloignées.
Que seraient devenues toutes ces précautions, si leur
efficacité n’avait eu pour garantie une législation desti
née, par la consécration de leur principe, à en éterni
ser la durée, à en assurer les effets? C’est ce doute qui
inspira la pensée de placer leur succès sous l’égide de
dispositions appropriées aux besoins qu’elles avaient
pour objet de satisfaire.
Cette pensée conçue, Colbert se garda bien d’imiter
son prédécesseur. Le soin de réglementer la matière
commerciale devait être laissé à la pratique et à l’ex
périence. La commission instituée pour préparer .la
réforme projetée par ce grand ministre compta dans
son sein, à côté de quelques noms illustres, les juris
consultes les plus éminents, les commerçants les plus
notables.
Ce qui résulta de cette réunion, des recherches et
des travaux de tous ces hommes d’élite fut : pour notre
commerce intérieur, l’ordonnance de 1673 ; pour notre
commerce extérieur, celle de 1681.
5.
— L’impulsion que ces deux immortels monu
ments de législation imprimèrent au commerce et à
l’industrie de la France est suffisamment indiquée par
�8
NOTICE H1STOMQUE.
les résultats. Les artistes les plus célèbres de l’Europe,
dit M. Chaptal, apportèrent, de toute part, leur indus
trie, parce qu’ils trouvaient protection et encourage
ment. En moins de vingt années, la France égala l’Es
pagne et la Hollande pour la belle draperie ; le Brabant
pour les dentelles ; l’Italie pour les soieries ; Venise pour
les glaces ; l’Angleterre pour la bonneterie ; l’Allemagne
pour le fer-blanc et les armes blanches ; la Hollande
pour les toiles. 1
Bientôt même nos produits se firent remarquer par
leur perfection. Introduits sur tous les marchés, ils pu
rent braver toute concurrence. Notre marine, portant
notre pavillon et nos marchandises sur tous les points
du globe, le disputa à celle des nations les plus puis
santes. Notre commerce extérieur acquit de proportions
telles, qu’en 1789 encore, la balance de ses opérations
soldait à notre profit par une somme de 60 millions.
Et cependant, que de crises la France n’eut-elle pas
à traverser avant d’arriver à cette dernière et suprême
épreuve. Colbert n’étant plus là, des inspirations fu
nestes prévalurent, et la révocation de l’édit de Nantes
enrichit l’étranger de nos meilleurs ouvriers. Les mal
heurs de la guerre, l’embarras des finances, les dilapi
dations de l’agiotage le plus effréné furent autant de
périls qui auraient probablement submergé notre com
merce, si la force protectrice de la législation ne l’eût
préservé.
1 Pc l'Industrie française, pag. xliij.
�NOTICE HISTORIQUE.
9
6.
— Ce n’étaient pas là cependant les seuls enne
mis que cette législation eût à combattre. Les ordonnan
ces, qui dès leur apparition prirent place dans les Codes
des nations les plus commerçantes et devinrent l’élé
ment essentiel de leur jurisprudence, celle de 1673 no
tamment récélait dans son sein un germe pouvant lui
devenir funeste. Le génie de Colbert était digne de com
prendre et de proclamer que la liberté et la concur
rence sont lam e du commerce. Il ne l’osa pas cepen
dant, soit qu’il pensât que, tout étant à créer, il impor
tait de veiller sur les premiers pas que la nation allait
faire dans la voie qu’il lui traçait, soit que les besoins
du trésor lui parussent trop impérieux pour lui per
mettre de sacrifier une branche considérable de ses res
sources ordinaires. Il consacra donc le maintien des maî
trises et jurandes.
Il n’est pas d’institution qui ait plus que celle-là sus
cité des appréciations diverses et surtout diamétrale
ment opposées. Pour les uns, les maîtrises et jurandes
avaient le tort grave de violer un droit naturel et sacré,
en faisant du commerce un odieux privilège, un injuste
monopole ; de rejeter ainsi forcément et de maintenir
dans la misère une foule de gens dont le tort unique
consistait à ne pas posséder par devers eux les moyens
de se soumettre aux rigueurs d’un long et improductif
apprentissage, ou de subvenir aux frais énormes néces
sités par l’obtention de la maîtrise ; de s’opposer à
toute perfection, à tout progrès, par la rigoureuse et
stricte exécution des règlements de fabrication ; de con-
�10
NOTICE HISTORIQUE.
centrer enfin entre quelques mains privilégiées le sort,
non-seulement des commerçants, mais encore des con
sommateurs, aucune concurrence ne pouvant efficace
ment combattre l’exagération du prix de revente.
Pour le^'autres, au contraire, les maîtrises et jurandes
étaient une institution tellement utile, que la pensée de
les détruire devait être effrayante. C’est par elles qu’on
avait obtenu l’ordre admirable qui régnait dans le com
merce ; elles étaient l’origine des développements im
portants qu’il avait reçus, de la perfection qui recom
mandait si universellement ses produits. Les faire dis
paraître, c’était donc s’exposer à faire évanouir cette
perfection, rendre au commerce cet état languissant
dont Colbert l’avait heureusement tiré, ouvrir la porte
à tous les abus, à toutes les fraudes ; c’était porter un
coup funeste à l’agriculture, car la facilité de se soute
nir dans les grandes villes avec le plus petit commerce
ferait déserter la campagne et considérer les travaux
laborieux de la culture des terres comme une servitude
intolérable, en comparaison de l’oisiveté que le luxe
entretient dans les cités ; c’était enfin compromettre le
trésor public et donner naissance à de nouveaux impôts
pour remplacer les ressources assurées qu’offrait l’orga
nisation des communautés.
7.
— Nous sommes admirablement placés pour ap
précier sainement les objections des uns et les craintes
des autres. L’expérience du régime de liberté absolue,
substitué à celui des maîtrises et jurandes, a définitive-
�NOTICE HISTORIQUE.
11
ment résolu le problème. Et, disons-le tout de suite,
ce n’est pas en faveur de ces dernières. Ce résultat
était inévitable, s’il est vrai que l’institution des maî
trises fut, dans son origine, bien moins dans l’intérêt
général du commerce que dans l’intérêt individuel de
quelques personnes, que dans celui surtout des finances
de l’Etat. Or, la vérité de cette démonstration s’induit
des causes qui la firent naître et maintenir pendant si
longtemps. L’édit de 1776 va nous les révéler.
Lorsque les villes commencèrent à s’affranchir de la
servitude féodale et à se former en communes, la faci
lité de classer les citoyens par le moyen de leur profes
sion introduisit un usage inconnu jusqu’alors. Les diffé
rentes professions devinrent comme autant de commu
nautés particulières dont la communauté générale était
formée. Les confréries religieuses, en resserrant encore ■
les liens qui unissaient les personnes d’une même pro
fession, leur donnèrent des occasions plus fréquentes de
s’assembler et de s’occuper dans ces réunions de l’in
térêt commun des membres de la société particulière,
qu’elles poursuivirent, avec une activité continue, au
préjudice de la société générale. Bientôt chaque com
munauté rédigea ses statuts, et, sous différents prétex
tes du bien public, les fit autoriser par la police.
Les termes de ces statuts ne permettent pas de mé
connaître la pensée qui les dictait. Leur base était
d’abord d’exclure du droit d’exercer le commerce tout
ce qui n’était pas membre de la communauté ; leur es
prit général tendait à restreindre, le plus possible, le
�12
NOTICE HISTORIQUE.
nombre des maîtres, en rendant l’obtention de la maî
trise d’une difficulté presque insurmontable pour tout
autre que les enfants des maîtres actuels. De là la mul
tiplicité des frais des formalités de réception ; les diffi
cultés du chef d’œuvre, toujours jugé arbitrairement;
la longueur et la cherté des apprentissages, la servitude
prolongée du compagnonage, l’un et l’autre n’ayant
d’autre objet que de faire jouir gratuitement les maî
tres, pendant plusieurs années, du travail et des labeurs
- des aspirants.
C’était, on le voit, une féodalité nouvelle se substi
tuant à celle des seigneurs, sur une base d’autant plus
odieuse qu’elle avait les conséquences les plus révol
tantes. Ainsi les citoyens n’ayant d’autre propriété que
leur travail et leur industrie se voyaient privés de la fa* culté, disons mieux, du droit d’y puiser la plus natu
relle, la plus légitime des ressources.
Non content, en effet, des épreuves, des dépenses,
des difficultés imposées aux postulants, certains statuts
rendaient la profession inabordable, même .à çe prix.
Les uns excluaient de la maîtrise tous autres que les
fils des maîtres ou l’époux de la veuve de l’un d’eux ;
d’autres rejetaient tous ceux qu’ils qualifiaient d’étran
gers, par cela seul qu’ils étaient nés dans une autre cité.
Dans un grand nombre de communautés, il suffisait
d’être marié pour qu’on ne pût même être admis à l’ap
prentissage.
Enfin, on avait été jusqu’à exclure les femmes des
métiers les plus convenables à leur sexe. Ainsi, il leur
�NOTICE HISTORIQUE.
13
était interdit de se livrer à la broderie, si ce n’est pour
le compte des maîtres qui les employaient.
Ce n’est pas tout encore.
monopole établi, il était
utile d’en assurer le maintien par la proscription absolue
de toute éventualité de concurrence. De là les règles
les plus dures contre les forains d’abord, contre les
membres mêmes des communautés ensuite. Sous pré
texte de l’avantage qu’il y aurait à bannir du commerce
des marchandises qu’elles supposaient mal fabriquées,
les diverses communautés demandèrent pour elles-mê
mes des règlements d’un nouveau genre , tendant à
prescrire la qualité des matières premières, leur mode
d’emploi et de fabrication. Ces règlements, dont l’exé
cution fut confiée aux officiers des communautés, don
nèrent à ceux-ci une autorité leur conférant la faculté
absolue, non pas seulement d’écarter les forains, mais
encore d’assujettir les maîtres à l’empire des chefs, de
les contraindre, par la menace incessante d’une pour
suite pour des contraventions supposées, à ne jamais
séparer leur intérêt de celui de l’association, et par
conséquent à devenir forcément les complices de tou
tes les manœuvres que l’esprit de monopole inspirait
aux chefs et aux principaux membres de la commu
nauté.
Ainsi celui qui aspirait à devenir commerçant ren
contrait au début la nécessité d’abdiquer toute dignité
et d’accepter le plus absolu, le plus dur seryage. Pen
dant cet apprentissage, dont la durée dépendait de l’uni
que volonté du patron, qui pouvait même le rendre
�14
NOTICE HISTORIQUE.
indéfini en faisant repousser le chef-d’œuvre devant le
terminer, il ne retirait aucun profit, aucun avantage
personnel; parvenait-il à la maîtrise, les ressources qu’il
aurait si utilement consacrées à son établissement se
trouvaient absorbées par les dépenses énormes qu’il
devait subir; pendant la durée de sa profession, il était
enchaîné à la volonté et aux passions des chefs de sa
communauté. A la moindre velléité d’indépendance, on
répondait par la saisie de ses marchandises, par leur
destruction, soit pour prétendu défaut de qualité delà
matière première, ou pour vice de fabrication, ce qui
était dans le cas de déterminer sa ruine immédiate.
En d’autres termes, les maîtrises et jurandes n'étaient
que de vastes coalitions violant, à l’égard de leurs pro
pres membres, toutes les idées d’équité et de justice ;
dangereuses pour le public, en maintenant le prix des
marchandises au taux arbitraire que l’intérêt des coali
sés faisait seul établir.
8.
— Comment se fait-il donc qu’un pareil état de
choses ait pu si longtemps se maintenir? Les règlements
de fabrication avaient d’abord été nécessaires pour éta
blir, généraliser et consolider les bonnes méthodes.
Mais ils ne pouvaient condamner à tout jamais le pro
grès. Ceux que le statu quo favorisait pouvaieut seuls
soutenir le contraire. Mais ils devaient craindre qu’on
s’aperçut enfin de la vérité, et que leur intérêt seul ne
fut pas une raison suffisante pour perpétuer l’erreur qui
leur était si avantageuse.
�NOTICE HISTORIQUE.
15
Ils eurent donc l’adresse non-seulement d ’intéresser
l’Etat, mais encore de le lier par un véritable contrat.
Jusque là, par un abus étrange, le droit au travail avaij
été seigneurial et féodal, ils le supposèrent royal et
domanial, et soutinrent qu’il pouvait être vendu par le
prince, acheté p a rle s sujets. Mettant immédiatement
cet axiome en pratique, les communautés achetèrent la
sanction de leurs règlements ; elles consentirent même
à en payer la confirmation à chaque changement de
règne. Bientôt de nouveaux privilèges devinrent un
nouveau sujet d’impôt, une nouvelle ressource pour
l’Etat. Une fois établi, cet impôt eut le sort de tous les
autres, c’est-à-dire que l’Etat n’oublia rien de ce qui
pouvait en augmenter la consistance et en rendre la
perception plus fructueuse.
On ne se contenta plus du simple droit de confirma
tion. On confirma les corporations déjà établies, on en
créa de nouvelles.
Un édit rendu par Henri III, en décembre 1581,
donna à l’institution des maîtrises et jurandes l’étendue
et la force d’une législation générale, établit les arts et
les métiers en corporations et communautés dans tou
tes les villes et lieux du royaume, assujettit à la maîtrise
tous les artisans. L’édit de 1597 en aggrava les disposi
tions, en imposant à tous les marchands la même loi
qu’aux artisans.
Enfin l’édit de mars 1673, en ordonnant l’exécution
des deux précédents, ajouta, au nombre des commu
nautés déjà existantes , d’autres communautés encore
�16
NOTICE HISTORIQUE.
inconnues, et, en en augmentant le nombre, multiplia la
matière de l’impôt.
En un mot, toutes les fois qu’une dépense trouvait le
trésor dans l’impossibilité d’y pourvoir, on s’en procu
rait le moyen par la création des corporations. C’est ce
qui résulte énergiquement de ce passage des Mémoires
du duc de Saint-Simon : « Le conseil est dans la né« cessilé d’établir des maîtrises nouvelles à cause du
a mariage du roi. o
Lorsque les créations successives eurent épuisé la
matière, et qu’il fut impossible d’en imaginer de nou
velles, le zèle des financiers ne s’arrêta pas ; ils surent
se procurer de nombreuses ressources en créant pour
chaque corporation , et sous diverses dénominations,
des offices destinés à être mis en vente et qu’on obligeait
les corporations à acquérir. Puis, suivant la politique
financière de la vénalité qui a été si longtemps la res
source journalière des contrôleurs généraux, on révo
quait tous ces offices ; on renvoyait à l'arriéré la liqui
dation de l’indemnité due à ceux qui les avaient achetés ;
et le lendemain, on recréait les mêmes charges pour les
vendre soit à d’autres, soit aux mêmes, moyennant une
nouvelle finance.
Les corporations, contentes d’obtenir le privilège
exclusif de leur profession, faisaient face à toutes ces
charges, avec d’autant plus de facilité que, devenant un
des éléments de la détermination du prix de revente,
elles ne pesaient réellement que sur les consommateurs.
Ajoutons qu’on finit même par porter atteinte à ce pri-
�NOTICE HISTORIQUE.
17
vilége exclusif. En effet, en 1767, le roi vendit à tous
ceux qui se présentèrent pour les acheter, étrangers ou
Français, des brevets qui, sans toucher aux maîtrises, en
tenaient lieu.
9.
— Turgot avait donc raison de le dire. C’est
d’une part l’esprit de monopole, de l’autre l’appât de
ces moyens de finance qui a prolongé l’illusion sur le
préjudice immense que l’existence des maîLrises et juran
des causait à l’industrie elle-même, sur l’atteinte qu’elle
portait au droit naturel et à l’intérêt public. C'est en
effet le besoin du trésor qui est principalement invoqué
dans les remontrances que le parlement de Paris adres
sait à l’occasion du décret de février 1776.
Ce monument de législation honore à jamais l’illus
tre ministre qui le proposa et l’infortuné monarque qui
le revêtit de sa signature. Les abus qu’il avait pour
objet de détruire y sont vivement retracés, et la réfuta
tion des objections que ce but soulève y est noblement
et énergiquement exprimée.
Nous avons déjà rappelé qu’on s’efforçait de faire
considérer comme royal et domanial le droit au travail,
pour en déduire que le prince pouvait le vendre et que
les sujets devaient l’acheter.
« Non, répondait l’édit. Dieu, en donnant à l’homme
des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du
travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout
homme, et cette propriété est la première, la plus sa
crée, la plus imprescriptible dé toutes.
2
�18
NOTICE HISTORIQUE.
« Nous regardons donc comme un des premiers de
voirs de notre justice et comme un des actes les plus
dignes de notre bienveillance d’affranchir nos sujets de
toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable de
l’humanité. Nous voulons en conséquence abroger ces
institutions arbitraires qui ne permettent pas à l’indi
gent de vivre de son travail ; qui repoussent un sexe à
qui sa faiblesse a donné plus de besoins et moins de res
sources, et semblent, en le condamnant à une misère
inévitable, seconder la séduction et la débauche ; qui
éloignent l’émulation et l’industrie, et rendent inutiles
les talents de ceux que les circonstances excluent de
l’entrée d’une communauté; qui privent l’Etat et les
arts de toutes les lumières que les étrangers y apporte
raient ; qui retardent le progrès des arts, par les diffi
cultés multipliées que rencontrent les inventeurs aux
quels les différentes communautés disputent le droit
d’exécuter des découvertes qu’elles n’ont pas faites ; qui,
par les frais immenses que les artisans sont obligés de
payer pour acquérir la faculté de travailler, parles exac
tions de toute espèce qu’ils essuyent, par des saisies
multipliées pour de prétendues contraventions, par
les dépenses et dissipations de tout genre, par les pro
cès interminables qu’occasionnent entre toutes ces com
munautés leurs prétentions respectives sur l'étendue
de leurs privilèges respectifs , surchargent l’industrie
d’un impôt énorme, onéreux aux sujets, sans aucun
fruit pour l’Etat ; qui, enfin, par la facilité qu’elles don
nent aux membres de cés communautés de se liguer
�NOTICE HISTORIQUE.
19
entre eux, de forcer les membres les plus pauvres à
subir la loi des plus riches, deviennent un instrument
de monopole et favorisent des manœuvres dont l'effet
est de hausser, au-dessus de leur proportion naturelle,
les denrées mêmes les plus nécessaires à la subsistance
du peuple. »
On ne cessait de se récrier contre un système de
liberté absolue. Rendre le commerce accessible à tous,
ajoutait-on, c’est l’exposer à une prompte décadence
par l’infériorité des productions désordonnées dont on
ne pourra se défendre, et contre laquelle il n’y aura
plus de protection.
« Nous ne serons point arrêté dans cet acte de jus
tice, répondait l’édit, par la crainte qu’une foule d’arti
sans n’usent de la liberté rendue à tous pour exercer
des métiers qu’ils ignorent, et que le public ne soit inon
dé d’ouvrages mal fabriqués. La liberté n’a point pro
duit ces fâcheux effets dans les lieux où elle est établie
depuis longtemps. Les ouvriers des faubourgs et des
autres lieux privilégiés ne travaillaient pas moins bien
que ceux de l’intérieur de Paris. Tout le monde sait
d’ailleurs combien la police des juraudes, quant à ce
qui concerne la perfection des ouvrages, est illusoire, et
que tous les membres des communautés étant portés
par l’esprit de corps à se soutenir les uns les autres, un
particulier qui se plaint se voit presque toujours con
damné, et se lasse de poursuivre, de tribunaux en tri
bunaux, une justice plus dispendieuse que l’objet de
sa plainte. «
�NOTICE HISTOTUQUE.
10.
— Devant une pareille volonté, devant un
pareil but, devant un tel langage, il semble qu’on ne
devait rencontrer partout que des témoignages d’adhé
sion et de reconnaissance. Il n'en fut pas ainsi ce
pendant. La résistance des parlements ne put être
vaincue. L’enregistrement de l’édit ne fut obtenu qu’à
la suite d’un lit de justice reçu à cette occasion en
mars 1776.
Comme toujours, l’opposition de ces grands corps se
dissimula sous le manteau de l’intérêt public et général.
C’était au nom du trésor, au nom du commerce impru
demment menacé et compromis, que l’avocat général
Séguier, dans la séance même du lit de justice, com
battait cet acte éclatant de réparation et d’équité. Mais
c’était ailleurs que gisait le motif réel de cette opposi
tion. Pour combler le vide qu’allait laisser la suppres
sion des maitrises, Turgot avait imaginé l’impôt foncier.
Cet impôt, observait l’avocat général, allait atteindre
le clergé et la noblesse, il s’agissait donc pour l’un et
pour l’autre de se dérober à ses atteintes.
Rendre cet impôt inutile était une manière nouvelle
d’atteindre à ce résultat. Or, comment arriver à le faire
considérer comme tel, plus péremptoirement que par
le maintien de celui qu’il était destiné à remplacer. Il
est donc permis de croire que l’opposition du parle
ment tenait beaucoup plus à son désir d’empêcher l’éta
blissement de l’impôt foncier qu’à sa conviction de
l’utilité du maintien des maîtrises et jurandes.
�NOTICE HISTORIQUE.
21
li.
— Quoiqu’il en soit, il est certain que l’effet
de cette opposition priva la France d’une réforme dont
le bénéfice était ardemment sollicité par tout ce qui
n’était pas intéressé à la conservation d’une institution
surannée et abusive. L’effet du lit de justice se fit à
peine sentir dans la ville de Paris. Cependant la se-rmence jetée par le grand ministre ne demeura pas sans
fruits. Bien que la mesure qu’il avait fait prendre ne
survécût pas à son pouvoir éphémère, quoique à peine
six mois se fussent écoulés que déjà on avait rétabli les
corporations, l'institution, blessée au cœur par les vérités
que Turgot avait publiées, ne put recouvrer son ancien
prestige et son antique force. Les jurandes ne reprirent
qu'une existence passagère, vain simulacre de ce qu'el
les avaient été autrefois. 1
II était réservé à l’Assemblée constituante d’accom
plir la tâche que Turgot s’était vainement proposée. La
loi du 2-17 mars 1791 proclama le grand principe de
la liberté absolue du commerce, en déclarant qu’il était
libre à toute personne de faire tel négoce, ou d’exercer
telle profession, art ou métier qu’elle trouverait bon, à
la condition de se munir d’une patente.
Soixante ans de ce régime n’ont pas manqué de prou
ver toute la justesse des espérances que Turgot avait
conçues et toute la puérilité des craintes qu’affectaient
ses adversaires. Loin de nuire au développement de
notre commerce, au perfectionnement de notre indits1 Dupont do Nemours, Mémoires sur la vie de Turgot, t. j, p. 362t
�22
NOTICE HISTORIQUE.
trie, la liberté leur a imprimé à l’un et à l’autre un plus
puissant, un plus rapide essor. Malgré les bouleverse
ments sociaux qu’elle a dû traverser, malgré les crises
nombreuses et terribles qui l’ont assaillie, la France
s’est placée à la tête des nations manufacturières et
commerçantes.
12. — L’ordonnance de 1673 n’était donc pas par
faite. De plus, elle laissait plusieurs lacunes que l’ex
périence avait signalées. Un projet de modification
avait même été conçu sous le règne de Louis XVI, mais
ce projet, préparé par M. de Miroménil, tomba dans
l’abandon et l’oubli par la retraite de ce ministre.
Mais les institutions dont la révolution avait doté la
France rendaient cette modification inévitable. La légis
lation de 1673 était devenue insuffisante. A chaque pas,
d’ailleurs, son application était entravée par des insti
tutions nouvelles, avec lesquelles elle ne pouvait être
en harmonie.
13. — C’est surtout dans les temps où les tempêtes
et les convulsions politiques ont amené le relâchement
de tous les liens sociaux, où il faut tout raffermir ou
plutôt tout reconstruire, que le commerce éprouve le
besoin d’une législation franche et sévère, capable de
lui rendre ses allures normales et de le maintenir dans
la voie du progrès. Heureusement le génie appelé à
protéger notre patrie avait trop d’intelligence pour ne
pas saisir l’importance de cette mission, trop de puis-
�NOTICE HISTORIQUE.
23
sance réelle pour ne pas la mener à bonne fin. Aussi, à
peine le calme succédait-il à l’orage que, par un décret
du 13 germinal an IX, les consuls instituèrent une com
mission chargée de la refonte de notre législation com
merciale, et de rédiger le projet d’un Code de com
merce. Comme en 1673 , cette commission compta
parmi ses membres , et même en majorité, les plus
notables commerçants de l’époque.
On ne se contenta même pas de l’appel fait à leur
expérience pratique. Le projet de la commission ayant
été présenté au gouvernement, un décret du 14 frimaire
an X en ordonna l’impression et l’envoi à tous les tri
bunaux et chambres de commerce, aux tribunaux d’ap
pel et à celui de cassation.
Les observations des uns et des autres furent soi
gneusement recueillies. Soumises à la commission,
elles firent introduire dans le projet diverses modifi
cations. Le travail de celle-ci, définitivement arrêté,
parvint à la section de l’intérieur, qui le présenta, titre
par titre, à la discussion du conseil d’E tat, sections
rénunies.
Î4 . — La commission avait divisé son projet en
trois parties, comprenant : la première, les lois régis
sant le commerce en général; la seconde, celles rela
tives au commerce maritime en particulier ; la troi
sième, celles concernant les faillites et les tribunaux de
commerce.
Cette division fut attaquée dans le sein du conseil
�24
NOTICE HISTORIQUE.
d’-Etat. On proposa de retrancher du Code de com
merce tout ce qui élait relatif au commerce maritime.
Les règles, soit administratives, soit judiciaires, le con
cernant, disait-on, appartiennent, par leur nature et par
le fait, beaucoup plus au droit des gens. Pourquoi,
donc, en confondre une partie avec les lois du com
merce intérieur? Ne serait-il pas préférable d’imiter le
législateur de 1681, et de les conserver toutes dans un
Code unique ?
On répondait que la proposition pourrait être fon
dée si la commission avait abordé la question politi
que de la compétence des tribunaux maritimes, ou la
question administrative de la police des ports. Mais,
faisait-on observer, elle s’en est soigneusement abste
nue, obéissant en cela à l’esprit des constitutions, divi
sant ce qui est relatif à la justice distributive et en
ce qui concerne l’administration; que la loi de 1790,
restreignant le mandat absolu conféré aux amirautés,
avait rendu aux tribunaux de commerce la partie de
la justice distributive pour le commerce extérieur ;
qu’il y aurait donc plus tard à examiner s’il y avait
lieu de conserver les amirautés ; mais qu’en atten
dant, et pour embrasser toute la matière du Code, il
fallait bien aller jusqu’aux règles du commerce mari
time, sans lequel le commerce de terre est beaucoup
moins étendu.
Ces raisons prévalurent. La proposition fut rejetée,
et la division adoptée par la commission maintenue.
Il est donc vrai de dire que, dans la préparation de
�NOTICE HISTORIQUE.
25
notre législation commerciale, rien de ce qui était sus
ceptible de lui faire atteindre le plus haut degré de
perfection n’a été négligé. Pour les origines, c’est la
commission qui nous l’apprend, on ne s’est pas con
tenté de recourir aux ordonnances de 1673 et 1681,
on a été les puiser dans la législation, dans les usages
qui les avaient précédés, soit en France, soit chez les
nations les plus commerçantes. Pour la détermination
des principes, on a voulu profiter de l’expérience théo
rique en recourant aux lumières des magistrats des
cours d’appel et de la cour de cassation ; de l’expé
rience pratique, en appelant les observations du commerce-tout entier, légalement représenté par les tri
bunaux, chambres et conseils de commerce. Rien donc
n’a été oublié pour rendre les prescriptions de la loi
telles que l’exigent les besoins et les intérêts qu’il fal
lait satisfaire et protéger.
15.
— Quant à son esprit, il est facile d’en juger
par le but que s’est proposé le Code ; par la manière
dont ses auteurs ont entendu leur mission. On ne
peut mieux apprécier ce qu’est le Code de com
merce et la manière dont on doit en diriger l’applica
tion, qu’en se rappelant ce que le législateur a voulu
qu’il fût. Or, à cet égard, nous ne pouvons que nous
borner à rappeler quelques paroles du rapporteur de
ja section de l’intérieur, M. Regnaud de Saint-Jeand’Angély.
Après avoir rappelé qu’à travers les orages que nous
�26
NOTICE HISTORIQUE.
venions de traverser, les moeurs de la nation en géné
ral, les mœurs commerciales en particulier avaient subi
de profondes altérations, qu’elles n’étaient même pas
encore fixées, l’orateur ajoute :
« 1! est d’une haute importance de les saisir dans
ce moment d’oscillation ; de les arrêter dans des ha
bitudes heureuses, honorables; de les diriger, osons
le d ire , de les ramener vers cette loyauté , cette
bonne foi dont nos grandes places de commerce fu
rent l’antique berceau, et dont elles conservent de no
bles modèles.
« Il est d’une haute importance de fondre dans un
système commun les usages et la jurisprudence de la
métropole et des pays réunis ; de faire disparaître l’in
fluence de ces arrêts de règlement émanés des parle
ments, et qui formaient une seconde législation au sein
de la législation primitive ; d’effacer la trace des règles
établies par les coutumes locales, par les lois municipa
les, premier bienfait et dernier inconvénient de notre
législation civile.
« Il est d’une haute importance que les lois commer
ciales de France conviennent également au commerce
de consommation des vastes cités ; au commerce spé
culateur des grands entrepôts ; au commerce indus
triel des grandes fabriques ; à la navigation immense
des grands ports ; au cabotage actif des petites rades ;
aux marchands de toile de Courtrais, de Gand, de Brélagne, de Maine-et-Loire, et aux fabriques de soirie de
Lyon et de Tours ; à ceux qui ont fait tisser la laine à
�NOTICE HISTORIQUE.
27
Elbeuf, à Sédan, à Louviers, à Vervins, et à ceux qui
font tisser le coton à Tarare, à Rouen, à Alençon, à
Paris, à Troyes.
« Il est d’une haute importance que le Code de com
merce soit rédigé dans des principes qui lui préparent
une influence universelle ; dans des principes qui soient
adoptés par toutes les nations commerçantes ; dans des
principes qui soient en harmonie avec les grandes habi
tudes commerciales qui embrassent et soumettent les
deux mondes.1 »
Voilà ce que devrait être le Code de commerce ;
voilà ce que le législateur a voulu qu’il fût. Est-ce là
ce qu’il est réellement? C’est à l’expérience acquise
par son fonctionnement, c’est aux monuments de la
jurisprudence qu’il faut demander la solution de cette
question. Dans tous les cas, ce qu’il importe de re
marquer, c’est que c’est là ce qu’il devrait être. En
conséquence , résoudre dans ce sens les difficultés
d’application que son texte peut soulever, c'est évi
demment se conformer à la véritable pensée du lé
gislateur.
16.
— L’étude de la législation commerciale se re
commande non-seulement aux magistrats et aux juris
consultes, mais encore à tous les commerçants. C’est
en la méditant que chacun d’eux appréciera sainement
i Corps législatif, séance du 1er septembre 1807 ; — Locré, t. xvn,
pag. 57.
�28
NOTICE HISTORIQUE.
l’étendue de ses obligations et de ses droits, et parvien
dra à se tracer une règle de conduite très-honorable
et très-sûre.
C’est par cette étude que les négociants honorés de
la mission d’appliquer la loi et de siéger dans les tribu
naux de commerce se mettront à même d’atteindre à
la hauteur du devoir qu’ils ont à remplir, et de justi
fier la confiance dont ils ont été investis.
Malheureusement, les soins qu’exigent les affaires
commerciales sont trop absorbants pour que ceux qui
y sont voués puissent consacrer à l’étude du droit tout
le temps qu’elle nécessiterait. On doit donc s’efforcer
de simplifier cette étude pour les mettre à même de
profiler utilement des courts instants qui leur sont lais
sés. Ce résultat serait un véritable service pour l’intérêt
général lui-même.
Le moyen, à notre avis, existe dans la méthode si
justement réhabilitée par M. Troplong, et sur laquelle
il a jeté tant de lustre par ses immortels ouvrages.
Un traité général, quelque parfait qu’il soit, et nous en
avons de ce genre sur la matière commerciale , offre
toujours quelque chose d’abstrait, exige des recher
ches plus ou moins longues, parce que la solution
qu’on désire y rencontrer ne résulte que de princi
pes disséminés dans plusieurs titres. Le commentaire,
au contraire, groupe sous un seul article toutes' les
difficultés que son application peut faire naître, con
centre l'attention et permet de saisir d’un seul coup
�I .
NOTICE HISTORIQUE.
•
•29
d’œil l’ensemble des principes et les solutions qu’ils
doivent recevoir.
C’est cette conviction, c’e st'l’espoir de contribuer à
familiariser le commerce avec les règles qui en sont
l’élément le plus essentiel qui nous a fait prendre la
plume et aborder une laborieuse tâche. Puisse l’indul
gence qu’ont rencontrée quelques faibles productions
ne pas manquer à celle-ci. Puissent surtout nos efforts
appeler dans la même voie quelques-uns de ces grands
noms qui ont jeté tant de vives et éclatantes lumières
sur le droit civil en général, et sur quelques titres du
Code de commerce en particulier.
4
��LIVRE PREMIER
OU COMMERCE EN GÉNÉRAL
TITRE Ier
Des
Commerçant»
A r t . 1 er
Sont commerçants ceux qui exercent des
actes de commerce et en font leur profession
habituelle.
SOMMAIRE
17. La nécessité de bien définir la qualité de commerçant résulte
des obligations, des devoirs et droits dont cette qualité est
la source.
18. Motifs du silence que le législateur de 1673 avait gardé à
cet égard.
19. Termes dans lesquels l’article 1" avait été conçu par la com
mission. Motifs qui le firent repousser.
20. Renvoi aux articles 632 et 633 de la nomenclature des actes
de commerce, formant l ’article 2 du projet primitif.
�32
DES COMMERÇANTS.
21. Leur relation intime avec l ’article 1".
22. Ce qui les distingue de celui-ci.
23. Conditions exigées par ce dernier pour être réputé commer
çant. Nature de la première.
24. L’acle de commerce doit avoir été exercé dans un but de
spéculation et de profit.
25. Conséquences pour celui qui se livrerait à cet exercice comme
mode d’administrer sa fortune personnelle.
26. Ou pour celui qui n’achèterait des marchandises que pour
son usage.
27. Cet usage est toujours présumé pour les achats faits par un
non-commerçant. Conséquences quant au billet à ordre
causé valeur en marchandises.
28. Ou pour celui dont la profession exige cet exercice.
29. Caractère de la seconde condition exigeant la profession ha
bituelle.
30. L'habitude résulte de l ’établissement public.
31. Le doute ne pourrait naître que lorsque l’habitude aurait été
contractée sans que rien n ’annonçât publiquement la pro
fession de commerçant.
32. C’est dans ce but que l ’expression p r o f e s s i o n h a b i t u e l l e a
été substituée à celle de p r o f e s s i o n p r i n c i p a l e , qui figu
rait au projet primitif.
33. Effet de l’exercice habituel, même en cas d’incompatibilité
dans la profession acquise.
34. A qui appartient le droit de le constater ? Quels en sont les
éléments ?
53. Effets de la prise ou de l ’absence de la patente.
36. Affinité entre la profession des artisans et celle des commer
çants.
37. À quelles conditions devra-t-on mettre les premiers sur la
même ligne que les derniers ?
38. Différence entre l’ouvrier travaillant é la façon et n ’em
ployant que le secours d’un compagnon ou apprenti et ce
lui qui en occupe un plus ou moins grand nombre.
�ART.
1.
33
39. Faut-il assimiler à celui-ci celui qui, n’ayant pas d’atelier,
fait travailler ses ouvriers dans leur propre domicile ?
40. Résumé.
41. Dans quelle catégorie faut-il placer l’ouvrier qui, travaillant
peu, n'achète la matière première qu'au fur et à mpsure
des commandes qu’il reçoit.
42. Opinion de M. Pardessus le rangeant dans la classe des sim
ples artisans.
43. Réfutation.
44. Les mêmes principes doivent faire résoudre la question à
l ’endroit des artisans revendeurs.
45. Le débitant de tabac peut-il être rangé dans la catégorie des
commerçants ?
46. Q u id du maître de poste ?
47. Applications diverses de la maxime que l ’acte commer
cial en lui-mêm e doit avoir pour but la spéculation.
48. Examen de diverses hypothèses où la qualité de commerçant
a été prise ou acceptée.
49. P r e m i è r e h y p o t h è s e . Prise de qualité dans le contrat dont
l ’exécution est poursuivie. Controverse sous l ’ancien
droit.
*
50. Etat de la doctrine sous l’empire du Code, relativement à la
contrainte par corps.
51. A l'endroit de la compétence consulaire.
52. Conclusion.
53. Arrêt contraire de la Cour de Paris. Opinion de MM. Dalloz
et Coin-Delisle à cet égard.
54. Réfutation de l ’opinion de ce dernier, exigeant que la
preuve d’une autre profession soit toute faite à l ’au
dience.
55. Le titre renfermant la qualification de commerçant doit être
le fait exclusif du débiteur. Conséquences si cette qua
lification n’existe que dans le corps de l ’acte non écrit
par lui.
3
�34
56.
DES COMMERÇANTS
L’exception de non - commercialité de la personne peut
être opposée pour la première fois en appel. Dans quel
cas ?
57. D e u x i è m e h y p o t h è s e . Prise de qualité dans des actes ou
dans des procédures. Opinion de M. Pardessus.
58. Distinction, suivant qu’il s ’agit de tiers ou du débiteur luimême.
59. Effets par rapport aux tiers.
60. Par rapport au débiteur, s’il a pris la qualité par lui-m êm e
ou par son mandataire légal.
61. Q u id si cette qualité lui a été donnée par l ’autre partie.
62. T r o i s i è m e h y p o t h è s e . Qualité reçue en jugement. Ses
effets.
63. Comment on doit agir dans leur application.
64. Caractère que doivent présenter les actes et jugements dont
on veut faire résulter la qualité de commerçant.
65. Admissibilité de la preuve testimoniale dans la recherche de
cette qualité.
66. Exceptions que comporte la liberté illimitée. Incompatibili
tés, droit ancien.
66bis. Droit nouveau, noblesse, clergé, m agistrats, avocats,
avoués, notaires.
66ter. Fonctionnaires, articles 175 et 176 Code Pénal.
66quatuor Agents de change et courtiers, position que fait à ces
derniers la loi de 1866 qui a rendu le courtage libre.
66qumto, LeS personnes qui ne peuvent exercer le commerce à
raison d’incompatibilité, peuvent-elles autoriser leur fem
me à être marchande publique ?
66sexto_ Dans quel cas l ’acte fait contrairement à la loi d’incom
patibilité est-il nul, caractère de la nullité.
66septimo. Controverse sur la question de savoir si dans le cas de
l ’article 176 Code Pénal, la nullité est opposable aux tiers.
Solution négative.
�ART. 1
35
17. — Les obligations générales ou spéciales im
posées aux commerçants, la nature de la juridiction à
laquelle ils sont déférés, le mode d’exécution de leurs
engagements, enfin les règles exceptionnelles auxquelles
est soumise leur déconfiture, faisaient au législateur
commercial un devoir rigoureux de déterminer à quels
caractères on devait reconnaître l’existence de celle
qualité. Accomplir ce devoir, tel a été le but #de l’arti
cle 1" du Code de commerce.
18. — On chercherait vainement une disposition
analogue dans notre ancienne législation. Ce silence de
l’ordonnance de 1673 notamment, s’explique d’une
manière fort naturelle. Sans doute, sous son empire, il
convenait de ne pas confondre le commerçant avec ce
lui qui ne l’était pas, mais aucun doute ne pouvait naî
tre à cet égard. Cette qualité était à cette époque un
privilège s’acquérant au prix de dépenses que nous
avons dit être considérables. Ellé résultait forcément de
l’admission à la maîtrise, et nul autre que les membres
des communautés organisées ne pouvait exercer le
commerce.
La loi n’avait donc pas à définir le commerçant. Elle
acceptait comme tel celui qui en avait acquis la qualité
par son admission dans uue des communautés commer
çantes.
L’abolition des maîtrises et jurandes a fait de l’exer
cice du commerce le droit commun de la France. Cette
innovation commandait de déterminer à quelles condi-
�36
DES COMMERCANTS
' ■
tions on serait censé avoir usé de ce droit ; dans quels
cas on serait soumis à la juridiction consulaire, obligé •
avec contrainte par corps, et au besoin déclaré en état
de faillite.1
Notre article était donc une conséquence naturelle et
forcée du régime de liberté sous lequel la France se
trouvait placée relativement au commerce. Il était sur
tout nécessité par le motif qu’on ne pouvait permettre
à celui qui en avait recherché les avantages d’en répu
dier les charges.
19. — Dans le projet préparé par la commission,
l’article 1er rappelait le principe déjà proclamé par la
loi de 1791, à savoir : qu’il était libre à toutes per
sonnes de se livrer au commerce. L’article 2 donnait
immédiatement la nomenclature des actes réputés com
merciaux.
Dans la discussion au conseil d’Etat, on demanda la
suppression de ce premier article. Les principes sur la
liberté du négoce, faisait-on observer, ne sont à leur
place que dans un Code politique. D’ailleurs, il n’est pas
exactement vrai que toute personne ait, en France, le
droit de faire le commerce, puisqu’il existe encore des
professions incompatibles avec ce droit ; enfin, ajoutait
M. Bégouen, l’article est d’autant moins nécessaire,
qu’il est de principe que tout ce qui n’est pas défendu
par la loi est permis.
2 0. — Quant à la nomenclature des actes commeri On sait qu’une loi spéciale a aboli la contrainte par corps.
�ART.
1
37
ciaux ou réputés tels, on la considéra comme n’étant
pas à sa place dans cette partie du Code. Se référant
principalement à la compétence des tribunaux de com
merce, il parut plus convenable de la renvoyer au titre
régissant cette matière. Elle a été classée sous les arti
cles 632 et 633.
Mais chacun convenait de l’utilité immense qu’il y
avait à fixer, dès le premier pas, ce qui concernait la
qualité de commerçant. Il importait d’éviter toute dif
ficulté pouvant surgir à cet égard. Il fallait surtout que
celui qui se serait livré réellement au commerce ne pût
se soustraire à la législation spéciale , même sous le
prétexte d’incompatibilité de ses fonctions. La disposi
tion actuelle fut donc substituée à celle de la com
mission.
2 | . — Malgré la place assignée à la nomenclature
des actes de commerce, on ne saurait méconnaître la
relation intime qui lie l’article 1er avec les articles 632
et 633 qui la renferment. On peut dire avec vérité que
l’application du premier forcera de recourir à la dis
position de ceux-ci. En effet, la qualité de commer
çant étant le résultat de la profession habituelle d’actes
de commerce, il faudra toujours rechercher si ceux
dont on veut la déduire rentrent ou non dans les actes
réputés tels par la loi.
22. — Ce qui distingue ces trois dispositions, c’est
que la profession habituelle dont s’occupe l’article 1er
�38
DES COMMERÇANTS
ne sera utile que dans les questions de compétence
générale et personnelle; que relativement à la présomp
tion légale édictée par l’article 638, et à l’application
des lois de faillite. Mais la connaissance d’un litige,
à l’occasion d’un fait de commerce, n’en appartient pas
moins au tribunal de commerce. Quel que soit l’auteur,
la condamnation ne sera pas moins prononcée avec
contrainte par corps. Or, c’est pour régler cette com
pétence purement matérielle, que les articles 632 et
633 ont pris place dans le Code.
Cependant l’article t er peut, même à ce point de vue,
avoir un effet important. Il est, en effet, tels actes qui
n’empruntent leur commercialité qu’à la personne ellemême. Ainsi les billets à ordre ne sont réputés actes
de commerce que s’ils sont souscrits par des commer
çants. Il est vrai qu’il suffit qu'ils soient revêtus de la
signature de commerçants, pour que le tribunal consu
laire prononce compétemment entre les signataires qui
ne le sont pas. Mais, dans ce cas même, la profession
habituelle d’actes de commerce pourrait être opposée
avec succès à celui qui se placerait dans celte dernière
catégorie, puisque son existence entraînerait la con
trainte par corps, que le tribunal ne pourrait pas pro
noncer autrement.
Dans,cette hypothèse donc, comme dans celle de
l’article 638, comme dans celle de déconfiture, la qua
lité acquise de commerçant pourra avoir les plus gra
ves conséquences. Sa détermination intéressera nonseulement les parties, mais encore les tiers, la femme
�V
ART.
1
39
dn débiteur elle-même. Cette détermination ne pourra
se faire que par une intelligente et saine application de
l’article que nous examinons.
2 5.
— O r, cet article exige deux conditions :
1° exercice d’actes de commerce; 2° exercice consti
tuant la profession habituelle.
La première de ces conditions n’est pas de nature à
soulever de bien graves difficultés. Les actes exercés
rentrent-ils dans une des catégories des articles 632 et
633? C’est dans cette unique question que semblerait
devoir se concentrer un litige de la nature de celui que
nous supposons.
24. — Mais il importe de remarquer que ce n’est
pas tout de se livrer matériellement à des actes réputés
commerciaux. On doit en outre, pour que cet exercice
puisse conférer la qualité de commerçant, exiger qu’il
ait été réalisé dans un but de spéculation et pour se pro
curer des bénéfices éventuels. L’acte de commerce
exécuté dans l ’administration de ses propres affaires,
sans autre esprit que de réaliser ses revenus ou ses res
sources, ne pourrait donc, quelque répété, quelque
habituel qu’il fût, constituer la qualité de commerçant.
2 5. — Ainsi, un individu ayant des fonds à toucher
à des époques fixes ou indéterminées, sur des places
fort éloignées de son domicile, tire sur ses débiteurs ou
sur le mandataire entre les mains duquel ils ont payés.
11 se procure ainsi sur la localité qu’il habite, et par la
�I
4-0
DES COMMERÇANTS
-voie du change, les ressources qu’il serait obligé d'aller
chercher au loin.
Evidemment la réalité du contrat de change imprime
à chacune de ces opérations le caractère commercial.
Aussi si l’un des mandats, lettre de change ou simple
billet, revient impayé, le tribunal de commerce sera
compétent pour juger la demande en remboursement,
et le tireur pourra être condamné avec contrainte par
corps. Mais la profession habituelle de ces opérations
ne fait pas acquérir la qualité de commerçant, car,
dégagées de toute idée de lucre ou de trafic, ces opé
rations ne peuvent constituer qu’un mode de gestion.
Prises ensemble ou séparément, elles n’ont de com
mercial que la forme. Elles ne sont, au fond, que des
actes d’administration d’une fortune personnelle que
chacun est libre de diriger de la manière la plus con
venable à ses intérêts. Il en serait de même si, au lieu
d’avoir à réaliser, on avait à payer sur d'autres places.
Les opérations de banque réalisées à cet effet, à moins
que la dette à acquitter ne fût contractée à l’occasion
d’une transaction commerciale, n’ont de commercial
que la forme. Il serait par trop étrange qu’on pût de
venir commerçant par cela seul que, débiteur ou man
dataire chargé de recouvrer les revenus d’un tiers,
on le solderait de ce dont on lui est redevable au moyen
d’une opération de banque.1
1 Pardessus, Droit comm., n°5 -12 et 79 ; — Merlin, Rép, v“ Comm.,
n° 9 ; — Oi'illard, Comp. des trib. de comm., n° 144.
�ART.
i
41
26. — L’achat habituel de marchandises pour son
usage personnel ne conférerait pas non plus la qualité
de commerçant. Indépendamment de l’absence de tout
esprit de négoce ou de trafic, il y a dans cette hypo
thèse une raison décisive, à savoir : qu’en la forme
même, cet acte n’a rien de commercial. Aux termes
de la loi, l’achat de marchandises ne revêt ce caractère
que lorsqu’il est contracté en vue de la revente. Consé
quemment, celui qui n’achète que pour ses besoins
personnels ne fait qu’un acte ordinaire de la vie com
mune , qui ne le soumet même pas à la juridiction
consulaire.
27. — Il y a même mieux , le non-commerçant
achetant des marchandises n’est présumé le faire que
pour son usage personnel. Par application de cette
présomption, on a justement décidé que le tribunal de
commerce est incompétent pour connaître d’un billet
à ordre souscrit par un non-commerçant, quoique causé
valeur en marchandises, alors qu’il n’est pas justifié
qu’il ne les a achetées que pour les revendre.1
28. —• Enfin, il est des personnes pour lesquelles
l’exercice habituel d’actes de commerce n’est que la
conséquence des fonctions qu’elles sont appelées à
remplir. Tels sont les payeurs, receveurs, percepteurs
et autres comptables des deniers publics. On comprend
i Wouguier, Lettres de ch., t. i, pag. 513 ; — Angers, 11 juin 1824 ;
Lyon, 26 fév. 1829; Paris, 19 mars 1831,
�r
42
DES COMMERÇANTS
dès lors que tant que cet exercice se renferme dans les
limites qui lui sont tracées, il ne puisse être susceptible
de leur conférer la qualité de commerçant. Mais ils n’en
sont pas moins justiciables du tribunal de commerce
pour chaque fait commercial.
Du jour où sortant de ces limites et dans un but de
trafic, ils multiplieront les actes de commerce, l’immu
nité qu’ils puisent dans l’exercice de leurs fonctions
cessera de les protéger. Devenus, par la multiplication
des actes de commerce extra-légalement accomplis,
de véritables commerçants, ils seront soumis à toutes
les obligations, à tous les devoirs résultant de cette
qualité. Ils pourront conséquemment être déclarés en
état de faillite.
2 9 . — La seconde condition exigée par la loi, à
savoir : l’exercice constituant la profession habituelle,
était indiquée par la raison. Il n’est peut-être pas d’in
dividu qui n’ait, dans le cours de sa vie, participé à un
ou plusieurs actes de commerce, souscrit quelques let
tres de change, opéré quelques négociations avec des
capitalistes ou banquiers. Faire dépendre la qualité de
commerçant de la commercialité de ces actes plus ou
moins nombreux, plus ou moins rapprochés les uns
des autres, c’était s’exposer à n’avoir plus que des com
merçants dans toutes les classes de la société.
30. — D’autre part, il faut bien se garder d’équivoquer sur le sens de l’expression profession habituelle
�ART.
1
43
dont se sert le législateur. On serait tenté, en effet,
de lui reprocher d’avoir employé une locution impro
pre , puisque la profession implique nécessairement
l’habitude. Mais l’intention de la loi n’a pas été de s’oc
cuper de la qualité de commerçant, acquise par un éta
blissement patent et public. Elle n’avait pas même à le
faire, car aucune difficulté ne pouvait être prévue dans
une pareille hypothèse.
Comment, en effet, douter de la qualité de commer
çant de celui qui prendrait enseigne et boutique; ou
vrirait un magasin ; annoncerait, par affiches, circulai
res ou tout autre mode de publicité, qu’il entend
exercer telle profession commerciale , débiter telles
marchandises ; qui obtiendrait de l’administration les
autorisations exigées pour certains genres de commerce,
et paierait les contributions qui s’y rattachent. Peu im
porterait en pareil cas que l’auteur de cet établissement
vendît peu ou beaucoup. Il est prêt à le faire dès que
l’occasion s’en présentera ; il en a pris l’engagement
formel et public. A quoi bon, dès lors, recourir à des
présomptions. La vérité ne résulte-t-elle pas éclatante
d’un pareil ensemble de faits ? La qualité de commerçant
n’est-elle pas suffisamment indiquée?1
31.
Le doute ne pouvait naître que lorsqu’en
l’absence de tout établissement, ou bien en présence
d’une profession étrangère ou incompatible, il s’agirait
1 Pardessus, Droit comm., iococitalo, — Nouguier, n° 143.
�44
DES COMMERÇANTS
de rechercher si le débiteur est ou non devenu com
merçant. C’est principalement cette difficulté que le
législateur a eu en vue, et qu’il a voulu résoudre par la
disposition de l’article 1er.
5 2. — Ce qui le prouve, c’est que l’expression pro
fession habituelle fut substituée à celle de profession
principale dont s’était servi le projet soumis à la dis
cussion. Ce qui fît admettre cette substitution fut pré
cisément la remarque que si on maintenait les termes
du projet, on donnerait lieu aux individus, conciliant
l’habitude des actes de commerce avec une profession
quelconque, de soutenir que celle-ci était leur profes
sion principale, ce qui ne manquerait pas, dans bien de
cas, d’embarrasser les tribunaux.1
35.
— Ainsi, quelle que soit la profession qu’on
exerce, fût-elle même légalement déclarée incompati
ble avec le commerce, l’habitude des actes commerciaux
imprime à celui qui s’y livre la qualité de commer
çant, lui en impose les obligations et les devoirs, lui
rend commune la législation régissant la faillite. C’est
par application de ces principes que non-seulement des
receveurs d’enregistrement, des conservateurs des hy
pothèques, mais encore des avocats, des notaires, des
huissiers se sont vus judiciairement imprimer le carac
tère de faillis.8
1 Locré, Esprit du Cod. de comm., art. 1er, n° %.
2 y.
n o tre C om m . de la lo i des f a i ll i te s , art. 437.
�ART.
1.
45
L’habitude est donc pour tous ce que l’établissement
public est pour le commerçant avéré. Réunissant les
mêmes circonstances,, elle doit produire un effet iden
tique. Mais ce qui n’est pas contestable pour celui-ci,
le devient au contraire très-fort pour celle-là. L’habi‘ tude, en effet, est une de ces abstractions qui ne peu
vent obéir à aucune règle positive et invariable.
51. — Sa constatation est donc forcément laissée à
l’arbitrage du juge dont la décision, en fait, a une au
torité souveraine. Les éléments de son appréciation
peuvent être utilement puisés dans la nature des faits,
leur caractère, leur objél ; dans leur multiplicité, dans
la rapidité et la fréquence de leur succession. Autre
chose seraient, en effet, des actes de commerce réalisés
à des époques voisines les unes des autres, autre chose
ceux séparés entre eux par de longs intervalles. Quel
que nombreux qu’eussent été ces derniers, on pourrait
les considérer comme des actes isolés , sans liaison
nécessaire entre eux et, conséquemment, incapables
de constituer la profession habituelle. Enfin la notoriété
publique, l’opinion générale, dont le fondement repose
sur des notions habituelles, pourraient être utilement
consultées.
35. — La loi assujettissant le commerçant à la pa
tente, il semble qu’on devrait trouver dans l’existence
ou l’absence de celle-ci un élément de décision lors
qu’il s’agit de la qualité de commerçant. Le contraire
�46
DES COMMERÇANTS
est cependant admis, et dès que la certitude de la pro
fession habituelle d’actes de commerce est démontrée
et acquise, le défaut de patente est fort indifférent, et
ne fait nul obstacle à ce que son auteur soit déclaré
commerçant.1
Que la patente puisse être considérée comme un
signe de commercialité lorsqu’elle a été prise, cela se
comprend, car le consentement à la payer indique au
moins l’intention de se livrer au commerce. Mais, mê
me dans cette hypothèse , son existence ne devient
efficace que si elle est accompagnée de l’exercice effec
tif d’actes de commerce. Si l’existence de la patente
suffisait pour conférer la qualité de commerçant, il
faudrait admettre qu’elle déterminerait à elle seule la
commercialité des actes, ce qui est inadmissible. Ainsi,
l’acte non-commercial pour le non-patenté, reste tel
pour le patenté lui-même. C’est ce que la Cour de Metz
a décidé en jugeant, le 24 novembre 1840, que le pro
priétaire d’une ardoisière ne peut être réputé commer
çant, bien qu’il façonne lui-même des ardoises et qu’il
ait pris une patente.2
En résumé donc, la prise de la patente ou son dé
faut ne donne ni n’enlève la qualité de commerçant.
Cette qualité s'acquiert d’abord par la profession pu
blique de marchands, négociants, banquiers, fabricants.
Elle s’acquiert encore par l’exercice habituel d’actes
1 Cass., 24 ju in 1828; — V. Pardessus, n« 84 ; — Orillard, n° 142.
2 J. D. P , t. h, 1841, pag. 512.
�ART.
1.
47
réputés commerciaux par les articles 632 et 633 du
Code de commerce, à la condition toutefois que cet
exercice se réalise dans un esprit de spéculation et de
lucre, qu’on ne puisse le confondre avec le mode d’ad
ministration de ses propres affaires, et qu’il ne soit
pas une conséquence nécessaire des fonctions qu’on
exerce.
36. — U est des professions ayant avec le com
merce de telles affinités, qu’il est assez difficile de dé
cider si ceux qui les exercent doivent être ou non ré
putés commerçants, De ce nombre est celle des arti
sans de tout genre. Occupons-nous d’abord des indus
triels ou ouvriers appelés à confectionner une matière
quelconque.
Le louage d’œuvre et d’industrie ne constitue pas
une profession commerciale. Mais, comme toutes les
autres, elle est dans le cas d’offrir l’occasion de se livrer
à des actes de commerce dont l’exercice habituel doit,
dans toutes les hypothèses, faire acquérir la qualité de
commerçant.
37. — Cette considération signale une observation
d’une utilité incontestable, lorsqu’il s’agit de savoir si
un ouvrier quelconque est ou non commerçant. Ce n’est
pas à proprement parler l’industrie qu’il faudra consi
dérer. Ce qui est essentiel et important, c’est de con
sulter le développement que cette industrie a reçu entre
les mains de l’ouvrier.
�48
DES COMMERCANTS
Pourquoi un fabricant acquiert-il la qualité de com
merçant? Parce qu’il achète la matière première pour la
revendre après l’avoir fabriquée. Il est évident que si
l’artisan remplit de son côté la même condition, il doit
arriver à un résultat identique.
Dès lors l’ouvrier, quel qu’il soit, qui n’a jamais tra
vaillé qu’à la façon, sur des matières qui lui sont four
nies par le maître, n’a jamais acquis la qualité de com
merçant. L’acte qu’il a accompli n’est qu’un simple
louage d’œuvre et d’industrie dont la fréquente répéti
tion, dont l’habitude même ne pouvait produire un ré
sultat contraire, par la raison décisive que cet acte n’a
au fond et par lui-même rien de commercial.
Celui, au contraire, qui fournit la matière sur la
quelle il travaille, a acquis , par l’habitude qu’il en a
contractée, la qualité de commerçant. En effet, il n’a
pu le faire qu’en se mettant en mesure, par des achats
successifs, de remplir les commandes qu’il est dans le
cas de recevoir.
Peu importerait même que dans plusieurs circons
tances il se fût contenté de fournir son industrie en fa
çonnant les matériaux, fournis par celui avec qui il au
rait traité. Quelques fréquentes que fussent ces occa
sions, constituassent-elles une profession, elles ne fe
raient nul obstacle à ce qu’on le considérât comme com
merçant, s’il était convaincu de s’être livré habituelle
ment à des actes de commerce. La loi, en effet, n’exige
pas que leur exercice soit exclusif. Conséquemment,
l’achaL de matière pour la revendre après l’avoir ouvrée
�ART.
49
1.
étant un acte de commerce, l’habitude qu’en aurait
contractée l’artisan le rangerait sous l’empire de l’article
1er que nous examinons.
La preuve, au reste, que chez le fabricant véritable
la qualité de commerçant tient moins à son industrie
qu’aux actes de commerce dont elle est l’occasion ,
nous est fournie par celte règle dont l'application ne
rencontre aucune contradiction, à savoir : que celui qui
se bornerait à fabriquer ses propres produits, pour les
revendre ensuite, ne ferait pas même un acte de com
merce. C’est ce que la Cour de Métz décidait dans l’ar
rêt que nous avons cité, pour le propriétaire d'une
ardoisière. C’est ce que la cour de Douai consacrait, le
21 juillet 1830, en faveur du fabricant de sucre de bet
terave n’exploitant que ses propres récoltes.
On a été plus loin encore. On n’a pas hésité à assimi
ler à ce propriétaire celui qui ne se livre à la prépara
tion des matières, ou à l’achat pour revendre, que pour
satisfaire aux exigences de sa profession. Ainsi, sans
contestation aucune, le pharmacien est considéré com
me commerçant. Eh bien ! il est admis que l’officier de
santé, dans une localité où il n’existe pas de pharma
cien ; que le médecin ou chirurgien de campagne, pré
parant ou achetant, pour les revendre, des médica
ments, ne faisait pas un acte commercial^ s’il se bor
nait à les fournir aux malades près desquels il est ap
pelé.1
i Carré, t. vu, pag. 4 54 ; — Toulouse, 6 mars 4843; — J. D. P
1 .1, 4 835, pag. 334.
4
�60
DES COMMERÇANTS
Il
suit de ce qui précède que le louage d'industrie ne
devient acte de commerce que lorsqu’il s’exerce sur
une échelle assez vaste pour constituer une entreprise
de manufactures ; qu’ainsi l’ouvrier qui n’achète pas la
matière première, mais dont l’industrie consiste à ren
dre confectionnée, moyennant salaire, la matière qu’on
lui confie, doit être considéré comme un simple arti
san n’ayant jamais pu acquérir la qualité de commer
çant.1
3 8.
— Ce résultat ne saurait être empêché par cela
seul que cet artisan se ferait assister dans la confection
par un compagnon ou un apprenti à ses gages. Un pa
reil concours serait insuffisant pour faire perdre à l'acte
son caractère de simple louage d’industrie.2 Devrait-il
considérable, employait habituellement un grand nom
bre d’ouvriers?
Oui sans doute, car dans cette hypothèse l’industrie
de l’ouvrier serait assimilée à une entreprise de manu
factures. Son caractère commercial ressortirait du profit
qu’il retire du travail de ses ouvriers sur lequel il spé
cule. Il devrait donc être considéré comme commer
çant.3
3 9 . — En serait-il de même si les nombreux oui Cass., 2 décembre 1836 ; — J. du P., t. i, 1837; pag. 620.
j
pag. 179; — Vincens, Lég. comm., t. i, pag, 1 4 i; — O rillard, n° 149.
a Pardessus, 1 .1, n° 81.
s Carré,
/
V
,
•
�ART. i .
51
vriers employés par l’artisan travaillaient chacun dans
son domicile? Non, dit M. Coin-Delisle. Il n’y a là que
l’acte d’un ouvrier qui en fait travailler d’autres, et qui
reloue à un prix plus élevé des services qu’on lui a
loués pour un moindre prix, c’est un artisan plus aisé,
si l’on veut, que ceux qu’il emploie, mais ce n’en est
pas moins un simple artisan.1
Mais n’y a-t-il pas une grande différence entre celui
qui loue sa propre industrie, et celui qui ajoute à celleci la location de l’industrie d’autrui ? Que le premier ne
soit qu’un simple artisan, on le conçoit. 11 ne perçoit
que le juste salaire de son travail. Mais le second est un
véritable entrepreneur à la façon, car, à l’aide de ses
ouvriers, il se charge de travaux au-delà de ce qu’il
pourrait faire s’il était réduit à ses propres forces, et
il retire un profit du travail de ceux qu’il emploie.
La loi l’a tellement jugé ainsi que, par des disposi
tions répétées, elle défère, en premier ressort, aux prudhommes et, par appel, aux tribunaux de commerce,
les difficultés s’élevant entre maîtres et ouvriers dans
l'hypothèse môme qui nous occupe.2 Eût-elle fait de
même, si le contrat intervenu entre eux ne lui avait pas
paru un acte essentiellement commercial! Et si cet acte
est légalement considéré comme tel , l’habitude de
son exercice ne doit-elle pas conférer la qualité de
commerçant?
l De la contrainte par corps, pag. 79.
s Loi du 18 m ars 1805; — décret des 11 juin 1809, 3 août 1810,
7 août 1810.
�52
DES COMMERÇANTS
D'autre part, il y a réellement entreprise de manu
factures dans la convention par laquelle l’une des par
ties s’engage à exécuter l’ouvrage qui lui est commandé
par l’autre avec une matière fournie, moyennant une
rétribution stipulée, ou qui, à défaut de la convention,
doit être déterminée par experts. La condition que la
matière soit fournie par celui envers qui l’ouvrier s’en
gage est essentielle ; autrement le contrat serait une
vente de matière travaillée.1 Si cette opinion ne peut,
ainsi que nous l’avons vu, concerner celui qui ne loue
que son propre travail, elle est exacte pour celui qui
spécule sur le travail d’autrui. La convention, dans ce
cas, n’étant plus un simple louage d’industrie, mais bien
l’acte d’un entrepreneur de travaux.
Ainsi, commercial des ouvriers aux maîtres, l’acte
l’est également de celui-ci à celui envers lequel il s’en
gage. La qualité de commerçant doit donc nécessaire
ment en résulter.
40.
— En résumé, dès qu’il s’agit de décider si un
ouvrier, un artisan, à quelque profession qu’il appartienne
d’ailleurs, a ou non acquis la qualité de commerçant, on
doit se référer au mode dans lequel il a exploité son
industrie.
11 est commerçant, s’il a habituellement fourni tout
ou partie de la matière sur laquelle il a travaillé. Les
achats auxquels il a dû se livrer, à cet effet, rentrent
1 V. Pardessus, n° 35.
�ART.
I.
53
dans la catégorie de ceux dont s’occupe l’article 632,
et dont l’exercice habituel confère la qualité de com
merçant.
Celte conséquence ne reçoit qu’une seule exception,
à savoir : lorsque la partie fournie par l’ouvrier est tel
lement minime, tellement accessoire, qu’il serait dérai
sonnable de lui faire produire le moindre effet. C’est
ainsi qu’on ne pourrait, sans une sévérité outrée, con
sidérer comme commerçant le tailleur qui ne fournit
que le fil ou la soie pour la confection des habillements
qu’il fait à la façon ; le menuisier fournissant des clous
pour l’assemblage des meubles.
A plus forte raison ne considèrerait-on pas comme
tel l’ouvrier exclusivement voué à confectionner la ma
tière qui lui est fournie par le propriétaire. Alors, en
effet, le contrat ne constituera qu’un simple louage
d’œuvres et d’industrie qui, n’ayant rien de commercial
en lui-même, ne saurait faire acquérir, quelque habi
tuel qu’il eût été, la qualité de commerçant.
Mais cette règle subit à son tour une exception lors
que l’ouvrier à façon, entrepreneur de confection, em
ploie de nombreux ouvriers sur le travail desquels il
spécule. Son industrie constituant une véritable entre
prise de manufactures, son exercice habituel le consti
tuera commerçant.
41.
— Ces notions simples, claires et positives,
paraissant de nature à prévenir toute sérieuse difficulté,
n’ont pas cependant empêché la controverse de s’établir
�54
DES C0MMERÇ1NTS
sur une question qui, à notre avis, en était peu sus
ceptible.
On s’est demandé s’il fallait les appliquer aux arti
sans qui n’achètent et ne fabriquent la matière première
dont ils ont besoin qu’au fur et à mesure des comman
des qui leur sont faites ; qui ne travaillent que pour
pouvoir subvenir à leurs besoins les plus urgents et à
ceux de leur famille ; si, par suite, il ne conviendrait
pas de ne donner la qualité de commerçant qu’aux
artisans qui, avec les matières achetées et le secours
des ouvriers qu’ils emploient, fabriquent des objets
qu’ils livrent à des débitants, ou qu’ils tiennent expo
sés en magasin ou en boutique, en un mot. qui font
travailler à l’avance pour vendre ou débiter à tout ve
nant, et à ceux qui, sans acheter des matières premières
pour les revendre travaillées, tiennent des ateliers où
Ms emploient, à confectionner celle qu’on leur remet à
cette fin, des ouvriers qu’ils dirigent et salarient, et sur
le travail desquels ils spéculent?
La nécessité d’une distinction entre les uns et les
autres était indiquée, en 1811, par une circulaire du
ministre de la justice. Mais, en supposant celle distinc
tion équitable, est-elle juridique et acceptable en droit?
42.
— M. Pardessus penche pour l'affirmative. 11 y
aurait, dit-il, plus de subtilité que de raison à préten
dre que le plus ou moins ne change rien à la question;
qu’elle doit être la même pour celui qui achète un peu
de matières premières pour les revendre façonnées,
»
�'
ART.
f.
55
comme à l’égard de celui qui en achète de grandes
quantités, et par conséquent fabrique et vend un plus
grand nombre de choses.
43.
— Mais pourquoi la question ne doit^elle pas
être la même? L’unique raison qu’en donne M. Par
dessus, c’est qu’on distingue entre l’artisan travaillant à
façon qui n’emploie qu’un ouvrier, et celui qui en em
ploie plusieurs, et que l’acte, commercial pour celuici, ne,l’est pas pour l’autre. Mais il est évident qu’entre
cette hypothèse et celle sur laquelle nous raisonnons,
il n’y a aucune assimilation fondée.
En effet, l’artisan peut devenir commerçant sous un
double rapport : ou par l’achat et la revente, ou par
une entreprise de manufactures constituée par la spécu
lation sur le travail d’ouvriers loués à cet effet.
Celui qui travaille à façon, qui, par conséquent, se
borne à louer son industrie, n’entre pas dans la pre
mière catégorie. Devra-t-il être compté dans la seconde,
par cela seul qu’il aura à ses côtés un compagnon ou
un apprenti? Non bien certainement, car le concours
de celui-ci ne saurait constituer l’entreprise de manu
factures. Son industrie, purement accessoire, se con
fond avec celle du maître, restant la matière principale
du contrat. A son tour, la spéculation de celui-ci, ré
duite à un seul, n’a ni l’importance ni le caractère que
doit offrir une entreprise commerciale.
Mais la spéculation revêt l’un et l’autre lorsqu'elle a
pour objet un grand nombre d'ouvriers occupés d’une
�56
DES COMMERÇANTS
manière continue et apparente. Leur emploi offre un
bénéfice considérable, indépendamment de celui que le
maître est en droit d’obtenir de son industrie person
nelle. C’est l’obtention de ce bénéfice qui constitue la
spécuîatibn et qui lui donne le caractère éminemment
commercial.
En réalité donc, le premier ne fait pas ce que fait le
second, et l’on comprend dès lors une distinction entre
eux, lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi commerciale.
En est-il de même entre celui qui achète peu et celu*
qui achète beaucoup? Evidemment non, car le premier
ne fait, quoique sur une échelle plus restreinte, que ce
que fait le second, à savoir : des actés de commerce
nombreux et répétés. Ici, la différence porte non plus
sur la qualité de l’acte, mais sur sa quotité. Comment,
dès lors, conférer à l’un la qualité de commerçant et la
refuser à l’autre, à moins de trouver dans la loi une
disposition faisant dépendre la commercialité de l’achat
pour revendre, npn plus du fait lui-même, mais du prix
de ce qui en fait la matière.
Nous comprendrions qu’on opposât le moins lorsque,
s’agissant d’établir la qualité de commerçant, la question
d’habitude professionnelle se présente à résoudre. Que
cette solution soit négative lorsque les actes sont peu
importants, éloignés les uns des autres, soit ! C’est là
une appréciation abandonnée à l’arbitrage souverain du
juge, entièrement libre d’admettre ou de rejeter. Mais
une fois l’habitude professionnelle reconnue, on ne peut
en changer les conséquences à raison du plus ou moins
�ÀRT.
1.
57
d’importance des actes commerciaux, sans s’exposer à
substituer l’arbitraire à la règle précise et formelle, tra
cée par la loi.
Aussi la distinction dont s’agit est-elle repoussée par
la doctrine le plus généralement enseignée. Le plus ou
moins, dit notamment M. Orillard^pe doit rien changer
à l’état de la question. Le marchand qui attend en vain
les acheteurs, qui ne vend pas ses marchandises, n’en
est pas moins commerçant. L’artisan qui ne fabrique
pas ou qui fabrique peu, faute de commandes, ne doit
pas moins être commerçant. Si l’un et l’autre demeurent
oisifs, c’est par une circonstance indépendante de leur
volonté. Tous les deux ont ouvert leur magasin et leur
atelier pour se livrer à des spéculations plus ou moins
heureuses, mais qui ont toutes un caractère commercial.
Concluons donc que l’artisan, dont la profession est de
vendre, après l’avoir travaillée, la matière qu’il achète
dans cette intention, est commerçant dans toute la force
du terme, soit qu’il n’achète qu’au fur et à mesure de
ses besoins, soit qu’il fasse des approvisionnements. La
loi ne distingue pas. Y a -t-il habitude? Voici toute la
question.1
C’est à cette conclusion que nous n’hésitons pas à
nous ranger. Elle a, à nos yeux, le mérite incontestable
de se conformer exactement à la loi, d’interpréter et
d’appliquer sainement les articles 1 et 632 du Code.
i N» 148; — Carré, t. v u , pag. 129 ; — Vincens, Lég , comm., t. î
pag. 126.
�58
DES COMMERÇANTS
Ainsi l’achat pour revendre, soit en nature soit après
confection, celui d’une chose quelconque pour en louer
l’usage, est une circonstance décisive dans l’apprécia
tion de la qualité de l'artisan. Il confère celle de com
merçant dès que son exercice s’élève aux proportions
d'une habitude.
.
4 4 . — C’est également par l’application de cette
règle qu’on devra régir une multitude d’autres profes
sions, pour lesquelles d'ailleurs la difficulté est d'autant
moindre qu’en général l'achat pour revendre ou pour
louer constitue leur caractère principal et essentiel.
Telles sont celles de pharmaciens, boulangers, bou
chers, hôteliers, restaurateurs, cafetiers, etc. La juris
prudence, qu’on peut consulter dans nos recueils, tend
chaque jour à lever tous doutes à cet égard, en ne
voyant que de véritables commerçants dans les uns et
dans les autres.
4 5 . — Mais il est encore des professions dont la dé
termination diversement appréciée a amené des déci
sions diamétralement opposées. Telles sont notamment
la profession de débitant de tabacs et celle de maître de
poste. Déclarées commerciales par les uns , elles ont
paru à d’autres exclusives de ce caractère. Que doit-il
en être en réalité?
En fait, il paraît difficile de voir dans un débitant de
tabacs, exploitant exclusivement le bureau dont il est
titulaire, un commerçant dans l’acceptation que la loi
attache à ce terme. La cour de Colmar fait avec juste
»
�ART.
1.
59
raison remarquer, dans son arrêt du 30 juillet 1814,
que, régis par une législation spéciale, les débitants de
tabacs sont sans cesse qualifiés de simples préposés;
qu'ils sont soumis aux visites et à la surveillance de la
régie ; qu’ils sont astreints à un cautionnement, révoca
bles à volonté, et formellement dispensés de la patente.
Il est vrai que la plupart de ces caractères convien
nent également aux maîtres de poste, que nous verrons
bientôt devoir être réputés commerçants. Il est vrai en
core que pour les maîtres de poste leur salaire est,
comme le prix de la revente des tabacs, fixé par un
tarif. Mais la différence énorme qui, dans ces deux hy
pothèses, existe pour le mode d’achat, ne pouvait être
méconnue, ni rester sans influence sur la solution de
notre question.
Ainsi le débitant de tabacs est, pour l’achat, dans une
dépendance absolue de l’administration. La matière sur
laquelle il opère n’est exposée à aucune des chances
commerciales de hausse ou de baisse ; il ne peut même
opérer un approvisionnement plus ou moins considéra
ble ; c’est au fur et à mesure des besoins de son débit
que, hebdomadairement ou mensuellement, la denrée
lui est fournie, et toujours contre espèce.
Tout cela, dit la cour de Metz, n’empêche pas que
le débit ne soit pour le buraliste un objet de spéculation,
une occasion de profit. Donc il constitue un acte de
commerce.1
l 28 janvier 1847.
�60
DES COMMERÇANTS
Il n’y a en réalité aucune spéculation possible dans
la revente d’une chose dont le prix est, comme celui
d’achat, déterminé d’une manière invariable par la loi.
Or, comme le débitant de tabacs paye la marchandise
au prix qu’il la revend, cette revente ne lui produirait
aucun bénéfice si, dans le but d’écouler ses produits, le
gouvernement ne lui avait assuré une commission et
une remise pour le trait de balance.
Est-ce là, nous le demandons, un profit commercial?
Ce qui constitue ce profit, c’est l’excédant qu’offre la
vente sur le prix de revient de la matière et les frais de
fabrication. Or, cet excédant, seul le gouvernement le
retire, seul il peut le retirer. Seul, en effet, il achète la
matière première, seul il la fabrique, seul il détermine
le prix de la revente. L’aléa de l’opération lui demeure
donc tout exclusif ; exclusivement aussi il en relire le
bénéfice commercial dont l’importance sera plus ou
moins considérable, selon qu’il achètera la matière pre
mière plus ou moins cher.
Ce que retire le débitant n’est donc pas un profit com
mercial. Les commissions et remises qu’il perçoit ne
sont que le juste et légitime salaire des peines et soins
qu’il consacre à la revente. En réalité donc l’engage
ment reste, envers le gouvernement et le public, un
louage d’œuvres et d’industrie, n’ayant aucun caractère
commercial ni dans son origine, ni dans l’exécution.1
Ce résultat n’étant atteint que parce que, dans cette
i Colmar, 30 juillet 1814; — Bruxelles, 6 mars et 5 mai 1813,
�ART. 1 .
61
exécution, le débitant est dans l’impuissance de contrac
ter envers le public un engagement relatif aux matiè
res qu’il revend, il est incontestable qu'il serait tout
autre si, concurremment avec son débit de tabacs, il
exploitait un autre genre d’industrie, un débit de li
queurs, par exemple, ou celui d’articles de mercerie.
L’un et l’autre, en effet, ont un caractère commercial
évident. En faire sa profession habituelle, serait donc
acquérir la qualité de commerçant.
Faut-il, dans ces circonstances, s’arrêter à la nature
des objets vendus? Faut-il dire avec la cour de Bruxel
les, dans un de ses arrêts, que la vente de pipes et de
briquets est un tel accessoire du débit de tabacs qu’elle
ne saurait en altérer la valeur? Cela ne nous paraît pas
acceptable en droit pur. Mais comme des questions de
ce genre offrent sans cesse à résoudre si l’acte est ou
non commercial ; comme, en fait, un acte revêtant ce
caractère pour l’un est susceptible de ne pas le revêtir
pour l’autre ; comme enfin, sur ce point, l’appréciation
du juge est souveraine et sans limite, l’espèce sur la
quelle la cour de Bruxelles a été appelée à statuer peut
bien justifier la solution qu’elle a reçue.
46.
— Le maître de poste est-il commerçant? Non,
a répondu la même cour, par arrêt du 30 avril 1812.
Ce qui le fait ainsi décider, c’est que les maîtres de poste
sont des employés du gouvernement, remplissant leurs
fonctions d’Rprès des règles particulières d’administra
tion, et à raison desquelles ils sont soumis à la surveil-
�62
DES COMMERÇANTS
lance du pouvoir administratif ; qu’ils sont dispensés de
la patente; qu’enfin aucun des actes de commerce énon
cés dans l’article 632 du Code de commerce ne se trouve
en rapport avec la qualité de maître de poste.
Nous venons de le dire, il y a entre les maîtres de
poste et les débitants de tabacs une grande assimilation.
En réalité, les uns et les autres sont des employés du
gouvernement. Nous avons cependant noté une grande
différence dans l’achat de la matière sur laquelle ils
opèrent.
Le gouvernement qui fournit tout aux uns ne fourdit rien aux autres. Le maître de poste demande donc
à la voie ordinaire tout ce qui est nécessaire à son ser
vice en chevaux, harnais, foins, avoines, etc.... Il est,
pour l’achat des uns et des autres, un véritable spécu
lateur à même de profiter des chances commerciales de
hausse ou de baisse. En effet, libre de s’adresser à qui
il lui plaît, il peut choisir le moment qui lui conviendra
le mieux, acheter des quantités considérables, s’appro
visionner en temps favorable, revendre même en cas
de hausse, et rendre ainsi plus importants les bénéfices
qu’il retire du louage dont seul il a le monopole.
Notons bien que tous ses achats n’ont pas d’autre
objet que ce louage même. Est-il donc exact de dire
qu’aucun des actes de l’article 632 n’est en rapport
avec son industrie? Sans doute il n’achète pas habituel
lement pour revendre, mais il achète pour louer. Ce
dernier acte, aux termes de l’article 632 lui-même,
constitue, comme le premier, l’acte de commerce. Cela
�I
ART.
1.
63
est évident pour le voiturier , pour l’entrepreneur des
transports. Pourquoi donc ne l’admettrait-on pas pour
le maître de poste? Sans doute il y a entre eux une dif
férence, mais, à notre avis, la cour d'Orléans l’a nette
ment caractérisée en disant que l’entrepreneur de
transport, que le voiturier était un commerçant ordi
naire, tandis que le maître de poste était un commer
çant privilégié.
Reste la qualité d’employé du gouvernement. Mais
si cette qualité peut être prise en considération dans
plusieurs hypothèses, il ne faudrait pas en conclure
qu elle est décisive dans toutes les circonstances. Ainsi,
dit M. Pardessus, celui qui obtient du gouvernement
l’exercice exclusif de telle espèce d’industrie, que l’uti
lité publique n’a pas permis de laisser à la libre dispo
sition des intérêts individuels, comme est le maître de
poste aux chevaux, ne pourrait prétendre que les achats
de fourrages et autres objets de son exploitation ne sont
pas actes de commerce.1
C’est à cette doctrine que paraît se ranger la juris
prudence. Ainsi la cour d’Orléans, qui avait admis le
contraire le 23 avril 1812, est revenue de son opinion
en consacrant l’opinion de Pardessus, par arrêt du 21
février 1837. C’est dans le même sens que se sont pro
noncées les cours de Bordeaux et de Paris.2
1 T. i, n° 16. Conf., O rillard. n° 295 ; — Carré, t. vu, pag. 147, à la
note.
2 J. du P ., t. n, 1837, pag. 529; Bordeaux, 28 août 1835; P a ris,
22 février 1841 ; J. du P., tom . i, 1841, pag. 313.
�64
DES COMMERCANTS
4 7.
— Nous terminerons à l’endroit de l’exercice
habituel des actes de commerce, en rappelant une règle
dont l’exacte application importe à la saine interpréta
tion des articles 1 et 632 du Code. 11 ne suffit pas que
l’acte habituellement exercé soit compris dans une des
catégories de ce dernier. Ce qui lui imprime le carac
tère de commercialité, c’est moins la nature de l’acte,
que le but de spéculation et de profit qui en est le mo
bile principal.
Conséquemment, si l’exercice n’est que l’accessoire
de la profession ; si, quel qu’il soit, le bénéfice qu’il
produit n’a été qu’une pensée secondaire, l’acte de
meure purement civil, comme celui dont il est le déve
loppement inévitable.
Ainsi l'achat de denrées pour les revendre, contracté
par un aubergiste, un cabaretier, un restaurateur, est
essentiellement commercial. Son exercice, en effet,
constitue la profession principale ou tout au moins ha
bituelle des uns et des autres.
Mais l’instituteur ayant des pensionnaires qu’il nour
rit ne fait pas, par l’achat et la revente des denrées né
cessaires à ses pensionnaires, un acte de commerce.
Ici le but principal est l’éducation des élèves. L’acte de
les nourrir n’est qu’un moyen d’arriver à cette éduca
tion, et non une spéculation commerciale en sa faveur;
il n’a, au fond , rien qui puisse le faire considérer
comme tel.
Ainsi encore, la location d’une maison pour la souslouer en garni ferait acquérir la qualité de commerçant.
�ART.
1.
65
Mais on refuserait avec juste raison cet effet à l’acte de
celui qui, prenant une maison pour l’habiter lui et sa
famille, distrairait, dans un but d’économie, une ou
deux chambres qu’il pourrait se dispenser d’occuper,
pour les sous-lduer en garni.
C’est surtout en regard des œuvres de l’intelligence,
exigeant des fournitures matérielles, que la règle que
nous rappelons est importante. Un peintre célèbre
achète des couleurs qu’il revend en vendant son ta
bleau. D ira-t-on que c’est là un acte commercial? La
raison répugnerait à une pareille qualification, tandis
que personne ne la refusera à l’achat de couleurs con
tracté par un peintre en bâtiments.
Ces exemples suffisent pour bien fixer notre pensée,
pour éclairer la règle que nous proposons, en faire sen
tir l’importance et en recommander l’observation.
48.
— Il résulte de ce qui précède que la qualité
de commerçant s’acquiert explicitement : 1° par la créa
tion d’un établissement public ; 2° par l’exercice d’ac
tes de commerce caractérisant une profession habituelle.
Peut-elle jamais s’acquérir implicitement? Devrait-on
notamment tenir comme commerçant celui qui se se
rait qualifié tel dans le contrat dont on lui demande
l’exécution ? Celui qui aurait pris ou accepté cette qua
lité dans des actes ou des procédures, celui enfin à qui
elle aurait été déférée par des jugements passés en force
de chose jugée?
5
�66
DES COMMERÇANTS
4-9. — La première hypothèse a été, avant et de
puis la promulgation de nos Codes, l’objet d’une con
troverse qui n’est pas môme encore fixée. En l’absence
de toute disposition législative, ce n’était, ce n’est en
core qu’à l’aide de certains principes qu’on peut arriver
à une solution.
Mais notre ancienne jurisprudence avait à invoquer
une analogie qui n’existe plus aujourd’hui. La faveur
due aux foires avait donné naissance à une juridiction
privilégiée qui, sous le nom de conservation, avait com
pétence exclusive pour toutes les transactions surgies
ou devant être exécutées en temps de foire. Or l’or
donnance du 13 février 1578, spéciale à la conservation
de Lyon, renfermait la disposition suivante : Ceux qui
dans des cédules, contrats ou obligations prennent la
qualité de marchands fréquentant les foires de Lyon,
et qui s'obligent ou promettent de payer auxdites foi
res, ne peuvent s'aider de leur c o m m it t im u s pour se
soustraire à la juridiction de ladite conservation, à
peine de nullité des procédures.
Quelques jurisconsultes, appliquant le même principe
d’une manière générale, soutenaient que dès qu’une
personne avait pris dans le contrat la qualité de mar
chand, elle ne pouvait plusse soustraire à la juridiction
commerciale et aux mesures rigoureuses d’exécution
qu’elle entraînait. Telle est notamment l’opinion de
Bouvot, qui cite à l’appui un arrêt du 8 août 1616,
l’ayant ainsi jugé.1
i Recueil i'arrêls, t. n, vis Juge
contul.
�ART.. î .
67
Dans son commentaire de l’ordonnance de 1667 ,
Jousse rappelle l’opinion de Bouvot, et paraît l’adopter
en s’abstenant de toute contradiction.1
Mais Guyot n’est pas de cet avis. « Comme les ci
toyens, dit-il, ne peuvent directement ni indirectement
intervertir l’ordre des juridictions, nous ne pensons pas
qu’ils soient les maîtres de le faire indirectement par
les qualités qu’ils prennent. On ne saurait se prévaloir
de ce qui est dit pour la conservation des foires de
Lyon, parce que les privilèges et la juridiction des con
servateurs sont bien plus étendus que ceux des con
suls ; d’ailleurs, ce n’est pas seulement la qualité prise
de marchand, c’est la stipulation du paiement en temps
de foire qui soumet à la conservation.2 »
Ce qu’on pourrait ajouter, c’est que depuis l’ordon
nance de 1667, la législation anterieure était en quel
que sorte devenue inapplicable à la matière. En effet,
la soumission à la juridiction consulaire, par la prise de
la qualité de commerçant, ne pouvait avoir pour but
que de se soumettre à la contrainte par corps, dans
un cas où elle était prohibée par la loi civile. Or, avant
comme après l’ordonnance de Moulins, cette voie d’exé
cution était de droit commun en France; non-seule
ment on pouvait librement la stipuler en matière civile,
mais elle était de plein droit acquise à défaut de paiel T it. 12, art. ter.
3 Répert., vis Juge consul.
�68
DES COMMERÇANTS
ment.1 Comment, dès lors, le législateur se serait-il
préoccupé d’une fraude n’ayant aucune raison d’être,
puisqu’on pouvait très-légalement arriver par une voie
directe à l’objet qu’on se serait proposé par la simu
lation.
L’ordonnance de 1667, prohibant la contrainte par
corps en matière civile, vint rendre la simulation indis
pensable pour ceux qui voulaient la stipuler au mépris
de sa prohibition. Cette nécessité devenait même un
motif de la présumer plus facilement. Etait-il donc ra
tionnel de demander la solution de cette difficulté toute
nouvelle à une législation qui s’en était si peu préoc
cupée, qu’elle n’avait pas même pu la prévoir ?
50.
— La prohibition de l’ordonnance de 1667
ayant été consacrée par le Code, la qualification de
commerçant prise dans le contrat a dû être considérée
comme destinée à éluder la loi. Aussi l’a-t-on appréciée
non-seulement à l’endroit de la compétence consu
laire, mais encore sous le rapport de la contrainte par
corps.
Relativement à celle-ci, la doctrine est unanime. La
disposition de l’article 2063 commandait en quelque
sorte ce résultat. Dans quels cas, en effet, appliqueraiton cet article, s’il était accordé aux prêteurs d'argent
d’attribuer aux emprunteurs des qualités qu’ils n’ont
pas, afin de les soumettre à la contrainte par corps?
t
1 Voyez notre Traité du Dol et de la Fraude , n° 327.
�\
ART.
1.
69
Etait-il rationnel de livrer ainsi la libertédes citoyens
à la merci des spéculations d’usuriers ?
D’autre part, celui qui s’engage n’est pas libre de
énoncer à un avantage que lui assure une loi d’ordre
public. Si cette renonciation devait s’induire nécessai
rement de la qualité qu’on s’est mensongèrement don
née dans l’acte, on devrait dire également quele mineur
ne pourrait faire rescinder ses engagements, parce qu’il
se serait, dans l’acte, déclaré majeur.1
Sans doute cette doctrine peut favoriser une fraude,
en ce que le créancier a été de très-bonne foi, que nonseulement il a pu croire qu’il avait affaire à un com
merçant, mais encore que la conviction contraire l’au
rait empêché de traiter sans exiger des garanties que la
soumission à la contrainte par corps lui a paru rendre
inutiles ; mais le simple mensonge ne constitue pas le
dol. De plus, comme c’est au créancier de s’assurer de
la véritable condition de celui avec qui il traite, la né
gligence qu’il met à remplir ce devoir le constitue en
état d’imprudence. On ne fait dès-lors que lui imposer
la responsabilité de son propre fait, en lui faisant sup
porter les conséquences d’une confiance trop aveuglé
ment accordée. En principe donc, la solution indiquée
se justifie parfaitement.
51. — La même unanimité de doctrine n’existe
1 Orillard, n° 154; — Merlin, Rép., vis Consul, des march., et tri
v ii , n» 484 ; — Nouguier, pag. 308 et
314; — Sêbire et Cartéret, n°s 247 et 254, Encyclopédie du droit, v»
bunal de commerce ; — Carré, t.
eororo.
�70
DES COMMERÇANTS
plus à l’endroit de la compétence. Mais il est facile de
se convaincre que la différence entre les opinions est
plutôt apparente que réelle.
MM. Merlin, Carré, Orillard se rangent à l’opinion de
Guyot, ne voyant dans la qualité prise dans le contrat
qu’un moyen d’intervertir l’ordre des juridictions, et
repoussent en conséquence la compétence des tribunaux
consulaires.
MM. Nouguier, Sébire et Cartéret admettent au
contraire cette compétence. Mais ils en circonscrivent
tellement les effets, qu’au fond ils arrivent à un résul
tat analogue à celui que Merlin, Carré et Orillard
adoptent
Nous ne dirons pas cependant avec eux qu’en pareille
matière il s’agit d’une exception d’incompétence, ra
tion œ per sonœ, à laquelle on est libre de renoncer, et
nous refusons de trouver cette renonciation dans la prise
de qualité de commerçant, car ils ne le professent ainsi
que parce qu’ils admettent que l’acte est commercial,
qu’il n’y a de faux que la qualité déclarée.
Mais il est évident que s’il en était ainsi, notre ques
tion ne pourrait même se présenter. La commercialité
de l’acte admise, le tribunal est, ratione materiœ, ex
clusivement compétent. Qu’importe dès lors que le
débiteur ait faussement pris la qualité de commerçant?
Admettez qu’il se fût qualifié de propriétaire et qu’il le
fût en effet, il ne serait pas moins soumis à la juridic
tion commerciale.
Les, effets de la fausse déclaration ne peuvent être
�ART.
1.
71
utilement recherchés que dans l’hypothèse contraire, à
savoir : lorsque le titre non-commercial en la forme,
n’ayant pour cause qu’une opération ordinaire, ne pour
rait être apprécié par le tribunal de commerce que s’il
émanait d’un commerçant.
Ce ne peut donc pas être sous prétexte d’une pré
tendue renonciation à une exception d’incompétence
ratione personce, que le tribunal pourra être investi
lorsque le souscripteur aura faussement pris la qualité
de commerçant. Ce qui déterminera cette investiture,
c’est que prendre une qualité, c’est faire présumer qu’elle
existe, et cette présomption ne peut céder que devant
la preuve du contraire.
Nous dirons donc avec MM. Nouguier, Sébire et Cartéret : celui qui, dans le contrat, a pris la qualité de
commerçant, devra être traduit devant le tribunal de
commerce, si des difficultés surgissent dans l’exécution
du titre. Mais il sera toujours recevable à opposer et à
prouver la fausseté de la qualification qu’il s’est donnée ;
et le tribunal, légalement saisi en la forme, ne pourra
retenir la matière au fond que si cette preuve n’est pas
demandée, ou si elle n’est pas fournie. En d’autres
termes, celui qui s’intitule commerçant fait présumer
qu’il l’est réellement, mais cette présomption s’évanouit
par la preuve contraire. Fournir celle-ci, c’est placer
la juridiction exceptionnelle dans la nécessité de se
désinvestir.
Dans ces termes, il n’y a plus réellement de diver
gence sérieuse entre l’opinion des auteurs, En effet,
�72
DES COMMERÇANTS
ceux qui se prononcent pour l’incompétence du tribu
nal de commerce présupposent que la fausseté de la
qualité prise est acquise. Or, ce résultat ne pourra être
atteint que par la faculté donnée au débiteur de faire
cette preuve, faculté qui ne pourra être exercée que
devant le tribunal de commerce, justement investi tant
que l’apparence du titre n’est contestée que par une
pure allégation. C’est ainsi que la cour de cassation a
juridiquement jugé, le 7 avril 1813, que si le débiteur
traduit devant le tribuual de commerce n’excipait pas
de la fausseté de la déclaration, le tribunal ne serait pas
tenu d’en ordonner d’office la preuve, et que, tenant la
qualité comme certaine, il prononcerait légalement sur
le litige.
52. — La prise, dans le contrat, de la qualité de
commerçant, défère donc la connaissance du titre à la
juridiction consulaire, mais le débiteur est toujours re
cevable à fonder le déclinatoire sur la fausseté de cette
qualification. La preuve offerte doit toujours être or
donnée, et si elle est faite, le déclinatoire doit être ac
cueilli. C’est dans ces termes que les cours de Turin et
de Liège l’ont consacré par arrêts des 20 mai 1807 et
28 août 1811.
v» J, '
.
>.
V
i
53. — Le contraire a cependant été admis par arrêt
de la cour de Paris, du 28 juin 1813. Cet arrêt, dont le
caractère juridique serait fort difficile à justifier, a été
diversement apprécié. M. Dalloz aîné l’accuse de ren-
�ART.
i.
73
fermer une pétition de principes, en déclarant l’appe
lant non-recevable, attendu que, dans sa signature ap
posée au billet, il avait pris lui-même la qualité de com
merçant.1 M. Coin-Delisle ne lui fait qu’un seul repro
che, celui d’être incomplet, la cour ayant omis de dire
que l’appelant ne justifiait pas d’une autre profession.
M. Coin-Delisle, en effet, pense que, pour que celui
qui dénie une qualité qu’il a prise et certifiée p>ar sa signa
ture puisse en répudier les circonstances, il doit prou
ver que cette qualité est fausse. Cette preuve, ajoutet-il, doit être toute faite à l’audience, autrement la ju
ridiction commerciale serait sans cesse entravée par des
enquêtes que requéraient les mauvais débiteurs.2
54.
— Cette doctrine nous paraît être repoussée
parla nature des choses, qui doit, ce semble, invinci
blement nécessiter une enquête, même dans le cas où
le débiteur justifierait à l’audience d’une profession dis
tincte de celle de commerçant.
M. Coin-Delisle se demande comment on pourrait
prononcer la contrainte par corps, si le débiteur fait
preuve à l’audience qu’il est médecin, militaire ou em
ployé, etc., et que l’affaire qui a donné naissance au
billet est une affaire civile?
Nous répondons : par la constatation que ce méde
cin, ce militaire, cet employé a fait, des actes de com1 D. A., v° Comm., pag. 710.
2 Contrainte par corps, pag. 90, a rt. 3, n° 2.
�74
DES COMMERÇANTS
merce sa profession habituelle, ce qui placera le billet
sous l’empire de la présomption de l’article 638. Il est
vrai que cette profession habituelle n’est jamais admise
de piano, et que le créancier qui en excipera devra la
prouver. Mais supposez qu’il en allègue l’existence, qu’il 7
offre de la justifier, pourra-t-on écarter son offre, alors
surtout que sa prétention a un point d’appui dans
la qualification prise dans le contrat par le débiteur luimême?
Un pareil système conduirait à une iniquité et à l’iné
vitable violation de la vérité dans cei tains cas. On ne
saurait donc le consacrer, ni en doctrine, ni en droit.
Concluons donc qu’on ne saurait être de l’opinion de
M. Coin-Delisle, que si la profession indiquée comme
exclusive n’est pas contestée. Si le créancier soutient,
malgré cette profession, que le débiteur est devenu
commerçant, une enquête, pouvant seule mettre le juge
à même de prononcer, deviendra inévitable.
D’autre part, on peut n’êlre pas commerçant, bien
qu’on ne soit ni médecin, ni militaire, ni employé. La
profession de bourgeois, de rentier, de cultivateur,
n’exige ni diplôme, ni brevet, ni ordonnance du gou
vernement. Or, comment prouver a priori qu’on est
l’un ou l’autre, et qu’on n’a jamais cessé de l’être?
L’opinion de M. Coin-Delisle leur forait à tous une sim
gulière position, car toute la preuve que chacun d’eux
pourra offrir est sa simple allégation. Que feront donc
les juges entre cette allégation et celle contraire du titre?
Evidemment une seule chose, à savoir : l’admission de
�ART. 1 .
75
l’enquête, dans laquelle chaque partie s’efforcera- (Je
prouver ce qu’elle prétend être la vérité.
Sans doute, l’offre et la demande de cette enquête-,
pourront n’être que des moyens dilatoires, à l’aide des
quels un mauvais débiteur retardera l’exécution de ses
engagements. Mais les principes généraux du droit
préviennent ces inconvénients. L’obligation d’ordonner
l’enquête n’existe pour les tribunaux que si le fait in
terloqué a actuellement un caractère de probabilité et
de vraisemblance ; que si la preuve du contraire ne ré
sulte pas déjà des faits et circonstances du procès. Cette
règle, commune à toutes les juridictions, est une sauve
garde de tous les intérêts.
Il faut donc en revenir à la doctrine consacrée par
les cours de Turin et de Liège. La qualification de
commerçant, prise dans le contrat, fait présumer cette
qualité, mais ne la prouve pas. Le porteur du billet
ainsi souscrit peut donc régulièrement investir le tribu
nal de commerce en cas de non paiement. Mais le
débiteur a toujours la faculté d’exciper de l’absence de
cette qualité qu’il s’est mensongèrement donnée, et il
est recevable à en fournir la preuve tant par titres que
par témoins et par présomptions. Le tribunal de com
merce ne peut prononcer au fond que si le débiteur
n’élève pas cette prétention ; et, dans le cas contraire,
que si la preuve est repoussée comme inutile, ou que
si elle n’est pas rapportée dans le cas où elle a été
admise.
55. — Il importe de remarquer que, pour que 1*
�76
DES COMMERÇANTS
présomption que nous induisons de la qualification
prise dans le contrat soit acquise, il faut qu’elle soit le
fait exclusif et personnel du débiteur. Il ne suffirait pas
de sa signature au bas de l’acte, si la qualité de com
merçant n’était renfermée que dans le corps de l’acte
écrit par un autre que par lui. C’est ce qui résulte ex
pressément d’un arrêt de la cour de cassation, jugeant
que la mention faite dans le billet que le signataire est
commerçant ne suffit pas pour le faire placer dans l’ex
ception portée par le deuxième alinéa de l’article 1326
du Code civil, lorsque le billet n’est pas de son écritu
re.1 A plus forte raison doit-on refuser à cette mention
la possibilité de soumettre le débiteur à la juridiction
exceptionnelle et à la contrainte par corps.
56. — L’exception de non-commercialité de la
personne, lorsque l’acte ne serait de la compétence du
tribunal consulaire que par suite de la qualité de sous
cripteur, constitue une exception d’incompétence ra tione materiœ, elle peut donc être proposée en tout
état de cause, et même, pour la premièrs fois, devant
la cour d’appel.
5 7 . — Que doit-on décider dans la seconde hypo
thèse, à savoir : lorsque la qualité de commerçant a été
prise ou acceptée dans des actes ou des procédures
plus ou moins nombreux ?
1 9 mai 4837,
�AUT.
1.
77
M. Pardessus voit dans un pareil état de choses un
puissant indice de la vérité de la qualité de commerçant.
Remarquons, en effet, que ce qui forme le principal mo
tif de solution dans la première hypothèse, à savoir : la
frauduleuse exigence d’un usurier, tenant à s’assurer la
contrainte par corps, n’est plus ici qu’un danger fort
éloigné et peu probable, alors surtout que les actes sont
les uns souscrits avec des personnes différentes, les au
tres, ceux de procédure par exemple, marqués au coin
d’une incontestable spontanéité.
58.
— On pourrait donc voir dans la multiplicité
et le caractère de ces actes un aveu public et formel
de la qualité de commerçant, aveu qui devrait d ’autant
mieux produire son effet, qu’il a été plus libre dans son
expression.
Au reste, il est évident que , dans l’hypothèse que
nous examinons, l’intérêt du litige ne se concentrera
pas uniquement entre le créancier et le débiteur. La
faillite, conséquence forcée de la déconfiture d’un com
merçant, est dans le cas de modifier et de compromet
tre la position de tiers, exposés à perdre les garanties
sous l’empire desquelles ils ont traité. Il faut donc,
dans l’appréciation de celte hypothèse, considérer la
solution qu’elle doit recevoir, selon qu’il s’agit des tiers
ou du débiteur; et, quant à celui-ci, distinguer les ac
tes faits en son nom, de ceux qui lui ont été tenus à la
requête d’autrui.
59. — A l’endroit des tiers, et lorsque la qualité
�78
DES COMMERÇANTS
de commerçant est de nature à leur occasionner un
préjudice, cette qualité ne saurait résulter contre eux
de la qualification prise par leur débiteur dans des actes
ou des procédures, quelque nombreux qu’ils aient été.
11 n’appartient pas à ce dernier de compromettre des
droits régulièrement acquis, en se plaçant mensongère
ment dans le cas de les faire modifier ou restreindre
par une déclaration de faillite.
Ceux-là donc qui auront intérêt à faire déclarer ou
maintenir la faillite ne devront pas seulement prouver
que le débiteur s’est, à de nombreuses reprises, qualifié
commerçant. Ils auront encore à établir qu’il s’est livré
à des actes de commerce, et qu’il a fait de leur exer
cice sa profession habituelle.1
Il y a plus encore, on ne pourrait faire déclarer nonrecevable à contester la qualité de commerçant le tiers
qui, par erreur ou par une préoccupation née des cir
constances, aurait lui-même, dans un acte quelconque,
donné au débiteur celte qualification. Ainsi, l’arrêt
d’Orléans que nous annotons a jugé que : Bien que dans
l’instance en séparation de biens, la femme eût qualifié
son mari de commerçant, on ne saurait lui opposer
l’article 551 du Code de commerce, lequel restreint son
hypothèque aux immeubles que le mari commerçant
possédait au jour du mariage.
1 Orléans, 16 m ars 1839 ; — J. du P ., 1 . 1, 1839, pag. 648 ; — Conf.
Locré, t. n i, pag. 2 ; — Boulay-Paty, Faillites, 1 . 1, n° 1 0 : — Pardes-
�4
ART.
1.
79
Cette doctrine nous parait fort juridique. Elle a ses
fondements dans un principe d’équité incontestable, à
savoir : que nul ne saurait être tenu des conséquences
d’un fait qu’il n’a pu ni prévoir, ni apprécier. Ceux qui
contractent avec un commerçant ne sauraient se plain
dre, si la faillite, se réalisant plus tard, vient modifier
leurs droits plus ou moins profondément. En consen
tant à contracter avec lui, ils ont volontairement accepté
les chances de celte éventualité. Mais comment supposer
cette acceptation, lorsque, rien n’annonçant celte qua
lité chez le débiteur, on veut la faire résulter d’une qua
lification prise dans une série d’actes qu’il n'a pu venir
dans la pensée des créanciers de se faire représenter.
Ce serait leur occasionner un préjudice injuste, lorsque
cependant ils n’ont manqué à aucune des lois que la
prudence leur prescrivait.
Pour ce qui les concerne donc, rien ne saurait sup
pléer à la notoriété résultant d’un établissement, ou à
celle plus difficilement appréciable de l’exercice habituel
d’actes de commerce. Ils ne pourront, donc subir la loi
commerciale que lorsque la preuve de l'une ou de l’au
tre sera acquise.
60.
— Il n’en est pas de même du débiteur. La
certitude d’actes nombreux, dans lesquels il se serait
déclaré commerçant, pourrait fournir dès à présent la
preuve qu’il l’est réellement, le faire en conséquence
considérer comme non-recevable à décliner la compé
tence du tribunal de commerce, et à se soustraire à la
contrainte par corps.
�80
DES COMMERÇANTS '
Mais même en ce qui le concerne, on doit distinguer
dans les actes, ceux où il a pris lui-même la qualité de
commerçant, de ceux où cette qualité lui aurait été
donnée par l’autre partie. Les premiers produiraient
seuls l’effet que nous venons d’indiquer , alors même
que la qualification serait plutôt l’œuvre de son man
dataire légal que la sienne propre. Ainsi l’huissier, de
vant à peine de nullité déclarer la profession de celui
pour lequel il exploite, a essentiellement qualité pour
faire cette déclaration. Conséquemment, celui qui dans
un acte extrajudiciaire est indiqué comme commerçant,
est censé, à défaut d’un désaveu de l’huissier, avoir pris
personnellement cette qualité.1
61. — Les seconds n’établiraient contre le débiteur
aucun préjugé, La partie adverse ne pouvant changer à
son gré, ni enlever, ni conférer une qualité quelconque,
son allégation ne produirait, en sa faveur, aucun effet,
alors même qu’aucune protestation n’aurait suivi la si-1
gnification. C’est ce qu’avec raison a admis la doctrine,
c’est ce que la cour de cassation a formellement con
sacré.2
t
62. — La même distinction n’est plus possible dans
notre troisième hypothèse, à savoir : lorsque la qualité
de commerçant a été reçue en jugement.
Ainsi il est admis qu’un individu s’étant qualifié
1 Nouguier, n° 3, pag. 3 ig ; — Orillard, n° 155.
s 26 janvier 1814.
�ART.
. i
1.
81
t
commerçant, qui, en cetle qualité, a été assigné devant
.
le tribunal de commerce sans protestation de sa part ;
,
i - i
;i.
qui se voit condamner et laisse le jugement acquérir
l’autorité de la chose jugée, ou qui, s’il en appelle, ne
soumet pas la question aux juges d’appel, ne peut plus
soutenir, après la confirmation du jugement, qn’il n’est
. I ' -S I
tti: >
'■'■'■■■ “ >* •> f i
pas commerçant.1
La différence dans la solution s’explique par celle de
la position du débiteur dans chacune de ces hypothèses.
La loi, dans la première, ne pouvait pas vouloir qu’il fût
tenu de signifier un acte protestalif toutes les fois que
dans un acte extrajudiciaire on l’a qualifié de commer
çant. C’eût été une charge inutile qu’on lui aurait im
posée. Le défaut d’obligation enlève donc au silence
qu’il garde toute signification.
Mais l’appel en jugement change cette position. Le
débiteur doit s’expliquer, parce qu’il est alors en me
sure et en demeure de le faire. La qualification qui lui
est donnée, soit en jugement, soit dans les qualités
auxquelles il ne fait pas opposition, n’est plus consi
dérée comme le fait exclusif de son adversaire, il l’ac....
cepte et se l’approprie formellement par son silence.2
-
• !■
v
i
63.
— En fait, cette règle repose sur l’autorité de la
chose jugée. En droit cependant, cette chose jugée man
que d’un de ses élémentsessentiels, lorsque les jugements
lf«j« > 1 Nouguier, 1 .1, pag. 312.
2 Cass., 7 mars 1821 et 7 août 1827; Bourges, 19 mars 1831 ; G re
noble, 31 mars 1832.
6
�82
DES COMMERÇANTS
et arrêts sont invoqués par tous autres que par ceux
qui les ont obtenus.
D’autre part, il est certain que le débiteur actuelle
ment poursuivi peut avoir été commerçant avant l’obli
gation et cessé de l’être au moment où il la souscrivait,
tout comme il a pu le devenir depuis. Dans l’un et dans
l’autre cas, les jugements et arrêts antérieurs ou posté
rieurs à l’obligation n’auraient aucune signification
utile, puisque pour être passible de la juridiction con
sulaire, à raison d’un engagement non-commercial en
la forme, il faut avoir été commerçant à l’époque de la
souscription.
64.
— Il faut donc, pour que les actes et jugements
invoqués puissent être utiles au demandeur, qu’ils soient
contemporains de l’obligation dont il exige l’exécution.
Vainement voudrait-il, à défaut de cette preuve, exciper d’actes ou jugements antérieurs ou postérieurs. Le
débiteur ne manquera pas de soutenir qu’il n’était pas
encore ou qu’il n’était plus négociant lorsqu’il s’est en
gagé envers le poursuivant, et cette exception devrait
être admise jusqu’à preuve contraire, à moins que l’acte
à l’occasion duquel il est poursuivi ne renfermât la
qualification de commerçant.
Dans cette hypothèse, en effet, les actes et juge
ments, quelle que fût leur date, auraient un effet immé
diat et direct. Leur succession continue, leur relation
avec la qualification prise dans l’acte établiraient une
habitude dont le débiteur ne pourrait récuser les con
séquences.
�Ainsi donc, les jugements définitifs ne créeraient ja
mais, au profit de tiers qui n’y ont pas été parties, l’au
torité de la chose jugée, mais ils deviendraient un élé
ment essentiel dans l’appréciation de l’exercice habituel
d’actes de cqmmerce. Celui qui aurait été considéré
comme commerçant, avant, pendant et après l’engage
ment dont on demande l’exécution, ne devrait pas être
admis à récuser cette qualité.
Il en serait de même si dans son engagement il s’était
qualifié de commerçant. Cette qualification se reliant
aux jugements antérieurs ou postérieurs, lui conférant
la même qualité, la preuve qui en résulterait serait dé
cisive, puisqu’elle établirait une habitude, sans aucune
solution de continuité.
65.
— Dans tous les cas où la preuve, soit affirma
tive, soit négative, est nécessaire, elle peut être faite
par témoins et par présomptions. On comprend que
l’exercice habituel d’actes de commerce ne saurait être
prouvé par écrit, car étrangers, la plupart, à la partie
intéressée, les faits divers dont il résulte lui seront à peu
près inconnus. Sans doute la production des livres serait
d’un grands secours, mais les commerçants seuls sont
obligés d’en tenir. Celui-là donc qui récusé cette qualité
ne manquera pas de soutenir, à l’appui de sa préten
tion, qu’il n'en a rédigé aucun.
Une autre preuve littérale pourrait, si elle n’était in
signifiante, être invoquée pour établir la qualité de
commerçant, à savoir : la patente. Mais nous l’avons
�DES COMMERCANTS
84
déjà dit : tout ce qui résulte de celle-ci, c’est l’intention
de se livrer au commerce, ce qui est encore fort loin
de son exercice réel. Aussi n’est-elle pas plus capable
de faire considérer celui qui la paye, comme commer
çant, que son absence ne l’est pour prouver qu’on ne
doit pas être réputé tel. Il faut cependant reconnaître
que son existence coïncidant avec la qualification prise
dans le contrat, ou en jugement, pourrait déterminer
la décision affirmative.
Dans les cas ordinaires, il faut donc subir les consé
quences de la force des choses; et, puisqu’il s’agit de
faits nombreux à établir, recourir au seul moyen sus
ceptible d’atteindre ce résultat, à une enquête.
66.
— La liberté illimitée du commerce, si ellejne
comportait aucune exception, admettait certains tem
péraments dans la pratique. Des convenances sociales
et, dans certains cas, l’intérêt du commerce lui-même,
exigeaient qu’on en déclarât l'exercice incompatible
avec certaines professions.
Dès l’abord la noblesse s’en était soigneusement abs
tenue. Mais la réaction contre ce préjugé se produisit
d’autant plus vive qu’on appréciait mieux l’heureuse
influence que le développement du commerce exerçait
sur la prospérité de l’Etat.
Aussi dès 1S56, Charles IX avait-il, par des lettres
patentes, permis le commerce à la noblesse de Marseille,
de Normandie et de Bretagne. La carrière ouverte à
�ÀRT. 1.
88
celle-ci ne pouvait pas rester indéfiniment fermée à la
noblesse des autres parties de la France.
En 1604, un édit d’Henri IV invita la noblesse à
prendre part au commerce des Indes orientales. En
1614, les états généraux firent connaître à la noblesse
que rien ne pouvait lui être plus honorable, et en même
temps plus avantageux à l’Etat, que de la voir équiper
des navires, s’exercer dans la marine et faire un grand
trafic.
En 1627, le corps de la noblesse demandait au roi,
dans son cahier particulier, que les gentilhommes pus
sent avoir part et entrer dans le commerce sans déchoir
de leurs privilèges. Conformément à ce vœu, un édit
de Louis XIII de 1629 déclara que les nobles qui feraient
le commerce de mer ou qui y prendraient part ne dé
rogeraient pas.
Les édits par lesquels Louis XIV institue en 1664 les
compagnies des Indes orientales et occidentales, dé
clarent que toutes personnes, de quelque qualité et con
dition qu’elles fussent, pourraient y entrer sans déroger.
Mais on voulait plus que ce commerce spécial. Et en
1669, le législateur voulant effacer entièrement les res
tes d'une opinion qui s’est universellement répandue
que le commerce maritime est incompatible avec la
noblesse, et qu’il en détruit les privilèges, déclare que
tous gentilhommes pourront par eux-mêmes ou par
personne interposée entrer en société et prendre part
dans les vaisseaux marchands denrées et marchandises
�86
DES COMMERÇANTS
d'iceux, sans qu'ils soient censés déroger à la noblesse,
pourvu toutefois qu'ils ne vendent pas au détail.
L’affectation de l’édit au commerce maritime pouvait
et devait inspirer la pensée que le commerce de terre
demeurait interdit, et c’est la conclusion que la noblesse
en avait induit. Elle s’abstenait donc, au grand détri
ment de l’intérêt public lui-même, et cette abstention
motiva l’édit de 1701.
« L’attention que nous avons toujours portée à faire
« fleurir le commerce dans notre royaume, dit le préam« bule, nons ayant fait connaître l’avantage que l’Etat
« retire de l’application de ceux de nos sujets qui se
« sont attachés avec honneur au négoce, nous avons
« toujours regardé le commerce en gros comme une
« profession honorable, et qui n’oblige à rien qui ne
« puisse raisonnablement compatir avec la noblesse,
« ce qui nous a même porté plusieurs fois à accorder
a des lettres d’ennoblissement en faveur de quelques« uns des principaux négociants pour leur témoigner
« l’estime que nous faisons de ceux qui se distinguent
« dans cette profession. Nous avons cependant été in« formés qu’un grand nombre de ceux de nos sujets
« qui sont nobles d’extraction ou qui le deviennent par
« les charges et offices qu’ils acquièrent, ainsi que ceux
« que nous anoblissons par grâce, font difficulté d'en« treprendre, de faire ou de continuer aucun com« merce, même en gros, autre que celui de mer, que
« nous avons déjà déclaré ne point déroger à noblesse,
« par crainte de préjudicier à celle qui leur est acquise,
�« et voulant exciter tous ceux de nos sujets nobles et
« autres qui peuvent avoir de l’inclination ou du talent
« pour le commerce, à s’y adonner, et engager ceux
« qui ont embrassé cette profession à y demeurer et à
« y élever leurs enfants, nous avons cru ne pouvoir
« rien faire de plus convenable que de marquer au pu« blic le cas que nous avons toujours fait des bons né# gociants qui, par leurs soins et leur travail, attirent
« de toutes parts les richesses et maintiennent l’abon« dance dans nos Etats. »
En conséquence, tous les nobles sont autorisés à faire
librement toutes sortes de commerce en gros, tant audedans qu’au-dehors du royaume, pour leur compte ou
par commission, sans déroger à leur noblesse, et en
continuant de jouir des privilèges attribués à leur no
blesse comme ils en jouissaient avant que de faire le
commerce.
Donc, à dater de 1701, l’incompatibilité se réduisait
au simple commerce de détail, et pour éviter toutes les
difficultés qui pouvaient s’élever à ce sujet, l’article 4
de l’édit disposait : « Seront censés et réputés inar« chands et négociants en gros tous ceux qui feront
« leur commerce en magasin, vendant leurs marchan« dises par balles, caisses ou pièces entières et qui
« n’auront point de boutiques ouvertes, ni aucun éta« lage et enseignement à leurs portes et maisons. »
L'incompatibilité entre l’exercice du commerce et les
fonctions cléricales n’admettait ni tempéraments ni res
trictions. Les Pères de l’Eglise prpfessaient cette règle
�88
DES COMMERÇANTS
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que le droit canonique avait converti en loi : Nemo mi1
i
.
litans deo, implicel se negotiis sœcularibus.
Ce n’est pas, dit avec raison Merlin, que l’Eglise eût
considéré le commerce comme une profession avilissante
•
>
ou contraire au christianisme. La prohibition avait sa raison
d’être dans la nécessité délaisser le sacerdoce dansla sphère
élevée où le placent naturellement ses fonctions et en
dehors de laquelle il compromettrait sa dignité et per
drait tout son prestige. Imagine-t-on un prêtre passant
de l’autel au comptoir et forcément amené à sacrifier
ses devoirs spirituels à l’intérêt de son industrie.
Aussi non-seulement l’Eglise elle-même, mais encore
l’Etat, mais encore les cours souveraines s’unissaient-ils
pour faire respecter la règle et prévenir tout ce qui pou
vait devenir le moyen de l’éluder.
Un édit de 1707 défendit à diverses maisons de reli
gieux et de moines, non-seulement de vendre des re
mèdes, mais encore d’en distribuer gratuitement ; dé
fense qui était renouvelée et confirmée par l’arrêt du
conseil du 28 juin 175B.
Le 12 juin 1721, un autre arrêt du conseil interdit à
toutes les communautés séculières et régulières de per
mettre qu’il fût fait en leurs maisons ou couvents, des
magasins de marchandises de quelque nature que ce fut
à peine de saisie de leur temporel et d’être privées de
leurs privilèges.
Bouchet, dans sa Bibliothèque canonique, rappelle
un arrêt du parlement de Normandie qui enjoint à un
carme, muni de plusieurs missives concernant le com -
�ART.
1.
89
merce, de se retirer dans le couvent de la ville de Paris,
pour y continuer l’exercice de sa profession religieuse
sans s’entretenir d’affaires séculières, à peine d’être pro
cédé contre lui suivant les décrets et les constitutions
canoniques.1
Des raisons semblables à celles qui écartaient le clergé
du commerce faisaient un devoir de s’en abstenir à tous
les officiers de judicature, magistrats, avocats, avoués,
etc... Aussi de nombreuses ordonnances vinrent elles,
de 1356 à 1765, prescrire cette abstention, à peine con
tre les contrevenants de la déchéance de toute exemp
tion et de tout privilège. On ne pouvait pas permettre
que les personnes appelées à rendre la justice ou à pré
parer et éclairer ses décisions fussent distraites de leurs
importantes fonctions par le soin de leurs propres affai
res, et surtout que les vicissitudes du commerce leur
créassent des intérêts contraires à l’impartialité dont ils
ne devaient jamais se départir.
— C’est en présence de ces dispositions que
se trouvait le législateur appelé par notre immortelle
Révolution de 1789, à régénérer la France; et l’on de
vine facilement quelle dût être et fût sa conduite. Tou
tes les restrictions imposées à la noblesse, notamment
la prohibition de se livrer au commerce de détail, se
trouvèrent anéanties par la force des choses. La noblesse,
n’ayant plus ni exceptions ni privilèges, ne compromettait
6 g b is ,
1 V. Merlin, Rép., v» commerce, S 4, art. 4.
�90
DES COMMERÇANTS
plus rien par l'exercice d’un commerce quel qu’il fût.
Elle pouvait donc s’y livrer en toute sécurité.
Mais il ne pouvait en être de même du clergé. Le
droit canonique n’a pas varié, et évidemment si l’Etat
avait encore à intervenir dans les mesures disciplinaires
ordonnées par l’Eglise, il ne pourrait que confirmer
celles que ferait encourir l’immixtion dans l’exercice
du commerce.
Seulement il faut reconnaître que l’Eglise elle-même
s’est relâchée de sa rigueur d’autrefois, nous sommes
loin de l’édit de 1707 et des arrêts des conseils de 1721
et 1755. Aujourd’hui, au lieu de ces travaux qui ont
immortalisé les Bénédictins, les plus importantes com
munautés religieuses nous donnent des liqueurs, des
élixirs, excellents je ne dis pas non, mais qui convertis
sent ces communautés en véritables commerçants. Cha
cune d’elle a sa marque de fabrique régulièrement dé
posée au greffe du tribunal de commerce, et l’ardeur
qu’elles mettent à vanter leurs produits dans les circu
laires dont on est inondé, n’a d'égale que celle qu’elles
déploient à poursuivre devant la justice les pauvres dia
bles qui ont contrefait ces produits. Cette manière de
comprendre le sentiment religieux pourrait ne pas être
du goût de tout le monde.
Il n’a été rien innové, rien changé à l’égard de la ma
gistrature. Aujourd’hui comme autrefois il est de sa di
gnité de se consacrer entièrement au noble devoir qui
lui est imposé. L’exercice du commerce ne pourrait que
porter une grave atteinte à sa considération et compro
mettre sa fortune.
�ART. 1 .
91
Quant aux avocats, l’incompatibilité a été de plus fort
confirmée. L’article 18 du décret du 14- décembre 1810,
et l’article 42 de l’ordonnance du 20 novembre 1822,
leur interdisent tout espèce de négoce, et l’o'n sait avec
quelle sollicitude les conseils de l’ordre veillent à l’exacte
observation de cette interdiction.
La môme incompatibilité existe pour les avoués et les
notaires. Il est vrai qu’il n’existe à ce sujet aucune dis
position de loi spéciale, mais la'raison et la nature des
fonctions dévolues aux uns et aux autres amènent for
cément à ce résultat.
6 6 ter. — La qualité de fonctionnaire , l’influence
qu’elle donne et l’abus qu’on pouvait en faire, ont créé
une incompatibilité puisant son fondement dans le dan
ger que ces abus feraient courir à l’ordre public. Ce
danger a de tout temps préoccupé le législateur et lui
avait inspiré des mesures propres à le conjurer. Ainsi,
la loi romaine défendait, à peine de confiscation, aux
proconsuls de faire aucune acquisition, aucune cons
truction dans l’étendue des provinces qu’ils adminis
traient. Quod a prœside seu prncuratore, vel quolibet
alio in eâ provinciâ in quâ adm inistrât, licet per
suppositam personam comparatim est, infirmait) con
tracta vindicatur et œstimatio ejus fisco infertur, nam
et novem in eâdem provinciâ in quâ quis administrât
cedificare prohibelur}
1 L.
46,
f 2.
ff. De ju re fisci.
�92
DES COMMERÇANTS
Une ordonnance de Charles VI du 5 février 1388
prohibe aux sénéchaux, baillis et autres juges d’em
prunter soit directement, soit par personne interposée,
de l’argent ou autres choses des habitants de leur séné
chaussée ou bailliage, d’acquérir ni héritage ni biens im
meubles en leur sénéchaussée, bailliage ou administra
tion, et en cas de contravention déclare le contrat nul,
et telles possessions ainsi acquises nous appartiendront.
L’ordonnance ajoute : El que durant leur administra
tion, ils ne se marieront, ne souffriront leurs enfants,
soit fils ou filles, contraire mariage avec quels aucuns
ou aucunes de leur sénéchaussée; bailliage ou adminis
tration.
C’était pousser la précaution un peu loin, et l’on
pouvait sans aller jusque là atteindre le but qu’on se
proposait. Il suffisait d’élever l’inobservation de l’incom
patibilité à la hauteur-d’un délit. Pourquoi, en effet, ne
se serait-on pas borné à faire pour les fonctionnaires
ce dont on s’était contenté vis-à-vis des agents de change
et courtiers.
C’est dans celte pensée que le Code pénal disposa,
article 175 : « Tout fonctionnaire, tout officier public,
« tout agent du gouvernement qui, soit ouvertement,
« soit par actes simulés, soit par interposition de per« sonnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit
« dans les actes, adjudications, entreprises ou régies
« dont il a ou avait, au temps de l’acte , du tout ou
« en partie l’administration ou la surveillance, sera puni
« d’un emprisonnement de six mois au moins et de
�ART.
1.
93
« deux ans au plus et sera condamné à une amende qui
« ne pourra excéder le quart des restitutions et des in« demnités, ni être au-dessous du douzième.
« Il sera de plus déclaré à jamais incapable d’exercer
« aucune fonction publique.
« La présente disposition est applicable à tout fonc« tionnaire ou agent du gouvernement qui aura pris un
« intérêt quelconque dans une affaire dont il était chargé
« d’ordonner le paiement ou défaire la liquidation. »
Art. 176 : « Tout commandant des divisions militai« res, des départements ou des places ou villes, tout
« préfet ou sous-préfet qui aura, dans l’étendue des
« lieux où il a le droit d’exercer son autorité, fait ou
ït vertement ou par des actes simulés ou par interpo
le sition de personnes le commerce des graines, gre« nailles, farines, substances farineuses, vins ou bois« sons autres que ceux provenant de ses propriétés,
« sera puni d’une amende de 500 fr. au moins, de 10,000
« fr. au plus et de la confiscation des denrées appar« tenant à ce commerce. »
On le voit, le législateur n’a entendu permettra, dans
aucun cas, que les fonctionnaires trouvassent dans leur
qualité et en abusant de l’autorité qu’elle leur donne,
le moyen de s’avantager au détriment des simples par
ticuliers, et de peser sur le prix des denrées de pre
mière nécessité. Il n’est pas douteux que la prohibition
de la loi n’atteigne tous les fonctionnaires sans excep
tion, les plus élevés comme les plus humbles.
« Ainsi, dit M. Ch. Nouguier, le ministre des finan-
�94
DES COMMERÇANTS
« ces ne pourrait réaliser personnellement un emprunt
« qu’il a fait voler par les chambres ; le ministre des
« travaux publics ne pourrait participer aux sociétés
« formées pour l’exploitation des chemins de fer que le
« parlement l’a autorisé à fonder; le ministre de l inlé« rieur, le directeur du télégraphe ne pourraient spé« culer sur les fonds publics, parce que le télégraphe
« leur donnerait trop de moyens d’influer sur le cours
« de la rente ; dans les départements, les préfets qui
« exercent une grande autorité ne pourront com« mercer.1 »
Des considérations de même nature ont fait interdire
le commerce aux consuls, élèves consuls et drogmans,
ainsi qu’aux chanceliers nommés par le chef de l’Etat,
aux intendants et administrateurs de la marine.2
@(3quatuor, — De tout temps, on avait compris la né
cessité d’interdire tout commerce personnel aux agents
de change et courtiers. Si les uns et les autres pouvaient
se livrer à ses opérations, ce n’est qu’en utilisant à leur
profit les renseignements qu’ils reçoivent, les confiden
ces que leur qualité provoque; qu’en trompant ainsi
Tune des parties, peut-être toutes les deux, pour s’en
richir des dépouilles qu’ils leur auraient extorquées.
Plus le public était forcé de recourir à leur ministère,
1 T. 1, p. 270.
2 V. ordonn. 3 mars 1781, tit. i, art. 20 , arrêt du 2 prairial an XI,
art. 22; ordonn. 20 août 1833, art. 34; ordonn. 31 octobre 1734, tit.
14, art. 19; arrêté du 2 prairial an XI, art. 122.
»
�ART. 1.
95
plus on lui devait de le protéger contre l’abus qu’on
pourrait être tenté d’en faire. C’est ce qui explique que
toutes les fois que la législation a eu à s’occuper des uns
et des autres, elle a toujours consacré la défense d’exer
cer un commerce personnel. Cette défense se retrouve
successivement dans l’ordonnance de 1673, dans la dé
claration du 13 juillet 1714, dans l’arrêt du conseil
d’Etat du 30 août 1720, dans ceux des 24 septembre
1724 et 9 août 1785, dans le décret du 4 thermidor
an III, et dans la loi du 24 vendémiaire an IV.
L’article 10 de l’arrêté du 27 prairial an X la déve
loppe en ces termes : « Les agents de change et cour« tiers de commerce ne pourront être associés, teneurs
« de livres et caissiers d’aucun négociant, marchand ou
« banquier; ils ne pourront pareillement faire aucun
« commerce de marchandises, lettres, billets, effets pu« blics ou particulier pour leur compte; ni endosser
« aucuns billets, lettres de change ou effets négociables
« quelconques ; ni avoir entre eux ou avec qui que ce
>< soit aucune société de banque ni en commandite; ni
« prêter leur nom pour une négociation à des citoyens
« non commissionnés, à peine de 3,000 fr. d’amende
« et de destitution. »
Ces dispositions sont renouvelées et consacrées par
les articles 85 et suivants du Code de commerce.
La loi des 18-24 juillet 1866 est venue singulière
ment modifier ces prohibitions en ce qui concerne les
courtiers. La liberté absolue du courtage qu’elle substi
tue au monopole, en laissant aux commerçants le choix
/
�96
DES COMMERÇANTS
de l’intermédiaire qu’ils veulent employer, leur fait un
devoir de se protéger eux-mêmes, et de ne s’adresser
qu’à des personnes incapables d’abuser de leur confiance.
Sans doute la loi admet une catégorie de courtiers
officiels, ceux qui figureront sur la liste dressée parle
tribunal de commerce. Mais l’inscription sur cette liste
est purement facultative et son défaut ne saurait être
un obstacle à l’exercice du courtage. Aussi la loi ne la
prescrit-elle qu’en faveur de ceux qui l’auront sollicitée,
et n’y attache-t-elle d’autres avantages que ceux qu’elle
énumère. Ce que la loi a voulu, c’est, non substituer
un monopole à un autre, mais abolir le monopole que
la législation précédente avait reconnu et consacré.
Cette abolition entraînait forcément l’abrogation de
tout ce qui n’était que la conséquence du monopole,
notamment l’interdiction pour les courtiers de faire le
commerce pour leur compte. Tout le monde peut au
jourd’hui agir comme intermédiaire, commerçants ou
non, inscrits ou non inscrits, sur la liste prescrite par
l’article 2 de la loi. Le législateur l’a si bien reconnu
que l’article 1er abroge les dispositions du Code de com
merce, des lois, décrets, ordonnances et arrêtés en vi
gueur jusque là.
L’unique précaution que le gouvernement avait cru
devoir prendre se trouve dans l’article 6, disposant :
a Le courtier chargé de procéder à une vente publique,
« ou qui aura été requis pour l’estimation de mar« chandises déposées dans un magasin général, ne
« pourra se rendre acquéreur, pour son compte, des
�ART.
1.
97
« marchandises dont la vente ou l’estimation lui aura
« été confiée. »
La commission du corps législatif ne crut pas que ce
fût assez. « Elle pensa qu’au moment ou le projet de
« loi donnait aux intermédiaires, courtiers et repré« sentants les facilités les plus complètes et les plus
« larges, il était indispensable de bien définir leurs droits
« et leurs devoirs. En conséquence, elle voulut qu’une
« peine sévère atteignit celui qui, dans une opération
a de courtage, c’est-à-dire dans une opér ation où il se
« présente comme intermédiaire désintéressé entre deux
« parties contractantes, aurait eu dans la transaction
« un intérêt direct ou indirect inconnu à l’une ou à
« l’autre des parties ou à toutes les deux à la fois.1 »
Elle proposa donc et fit admettre par le conseil d’Etat
la disposition qui est devenue l’article 7 de la loi, et aux
termes de laquelle : » Tout courtier qui sera chargé
o d’une opération de courtage pour une affaire où il
« avait un intérêt personnel, sans en prévenir les par
ce tics auxquelles il aura servi d’intermédiaire, sera pour« suivi devant le tribunal de police correctionnelle et
« puni d’une amende de 500 fr. à 3,000 fr., sans prê
te judice de l’action des parties en dommages-intérêts.
« S’il était inscrit sur la liste des courtiers dressée con« formément à l’article 2, il en sera rayé et ne pourra
« plus y être inscrit de nouveau. »
Ainsi, désormais le courtier p eu t, non-seulement
i V. Rapport,
n° ix.
7
�98
DES COMMERÇANTS
exercer le commerce pour son compte, mais encore être
personnellement intéressé dans l’opération qu’il négo
cie comme intermédiaire. Tout ce qu’on exige de lui,
c’est qu’il fasse connaître cet intérêt aux deux parties
pour que celles-ci soient à même d’apprécier les condi
tions auxquelles elles doivent contracter et d’accepter
ou refuser le marché tel que l’offre le courtier.
06quinto. — Ceux dont les fonctions ou la qualité
sont incompatibles avec le commerce et à qui il est in
terdit de l’exercer directement, ne sauraient indirecte
ment s’y livrer, on doit donc leur refuser le droit d’au
toriser valablement leur femme à devenir marchande
publique. Il serait trop facile par une enseigne trom
peuse d’éluder la loi et d’obtenir par la ruse ce que cel
le-ci leur refuse.
M. Molinier, et avec lui M. Dalloz, pensent qu’il n’y
a nul motif pour appliquer la prohibition à la femme
d’un avocat ou d’un avoué, et que dans le cas où celleci ferait réellement le commerce pour son compte per
sonnel, il n’y aurait lieu d’adresser au mari aucun re
procha.1
Nous sommes d’un avis contraire. Toutes les fois que
les époux ont une habitation commune, il n’est pas
possible d’admettre qu’un avocat puisse autoriser sa
femme à exercer le commerce, sans violer la loi d’in
compatibilité que lui impose sa qualité. Qu’importe qu’au
Rép. g é n v° commerçant, n° ! 22.
�ART.
1.
99
fond la femme agisse pour son propre compte? Est-ce
que le mari ne sera pas amené à lui accorder par la
force des choses l’aide matérielle ou morale qu’elle ré
clamera? A se mêler plus ou moins activement à son
commerce ? Est-ce qu’il ne jouira pas des profits ? Est-ce
que, s’ils sont sous le régime de la communauté, il ne
sera pas tenu des engagements contractés par elle?
On sait très-bien que autoriser sa femme à faire le
commerce est la ressource de ceux qu'une insolvabilité
ou tout autre cause met dans l’impossibilité de l’exercer
eux-mêmes, et nous ne croyons pas qu’il se rencontre
jamais un conseil de discipline qui voulût consacrer la
doctrine de MM. Molinier et Dalloz.
— L’incompatibilité n’est pas l’incapacité.
D’où la conséquence que l’acte fait en contravention de
la loi ne serait pas nul et devrait recevoir son exécution,
sauf les peines disciplinaires qu’auraient encourues l’au
teur de la contravention.
Il en est autrement dans le cas où l’inobservation de
la loi d’incompatibilité constitue un délit, lorsque cette
inobservation est le fait d’un agent de change ou d’une
des personnes désignées dans les articles 175 et 176 du
Code pénal. L’acte qui en a été la conséquence est atteint
d’une nullité absolue en faveur des tiers et contre l’au
teur de la violation de la loi. Il répugnerait à la raison
et au droit que celui-ci pût se faire de son délit un titre
pour contraindre les tiers.
G fisexto,
6 6 septim o.
_
Mais la nullité ne pourrait être opposée
�100
DES COMMERÇANTS
à ceux-ci; ils ont donc incontestablement une action en
justice pour contraindre l’exécution du contrat en ce qui
les concerne. La doctrine est unanime à ce sujet. Elle
n’est divisée que relativement aux opérations faites con
trairement aux prescriptions de l’article 176 du Code
pénal.
MM. Delamarre et Lepoitvin estiment que si ceux qui
ont vendu les denrées ont agi avec connaissance, le con
trat est nul à leur égard. Ils fondent cette opinion sur
ce que l’acte du commandant est un délit, et qu’aux
termes de l’article 60 du Code pénal, sont déclarés com
plices et punissables comme l’auteur, ceux qui l’ont avec
connaissance aidé ou assisté dans les faits qui ont pré
paré ou facilité le délit, ou dans ceux qui l’auront con
sommé.1
Touiller enseigne le contraire. « Il est certain, dit« il, que le commandant qui aurait acheté des denrées
« n’en serait pas moins obligé de les payer sans pou« voir rompre le contrat sous le prétexte que le com« merce lui est interdit, parce que si la loi lui défend
« d’acheter pour commercer, elle ne défendait à per
te sonne de lui vendre, ce n’est point au vendeur à re« chercher l’usage que veut faire l'acheteur des mar« chandises livrées.2 »
M. Molinier se range à l’avis de Touiller relativement
au vendeur, mais il admet une exception pour ceux
. I, 11° 61.
�ART.
1.
101
qui ont été les intermédiaires du commerce illicite.
Ainsi, dit-il, le courtier qui sciemment aurait prêté son
ministère pour un pareil commerce, le commissionnaire
qui en aurait facilité l’exercice avec connaissance de
cause n’auraient pas d’action en justice pour obtenir le
paiement de leurs services, et pourraient être même
poursuivis comme complices du fonctionnaire cou
pable.
M. Dalloz ne se range à l’opinion de M. Molinier que
sur ce dernier point, qui lui paraît condamner le sys
tème de l’auteur relativement au vendeur. Nous ne
voyons pas, dit-il, des motifs suffisants pour ne point
traiter celui qui a vendu sciemment au fonctionnaire
les denrées formant l’objet du commerce prohibé, avec
la même rigueur que ceux qui ont concouru à ce
commerce en qualité de courtiers ou de commission
naires.1
En cela M. Dalloz a parfaitement raison. On ne peut
atteindre ces derniers qu’en vertu de l’article 60 du
Code pénal, or si cet article est applicable dans cette
hypothèse, il doit être appliqué à tous ceux qui ont avec
connaissance aidé ou assisté l’auteur du délit dans les
faits qui l’ont préparé ou facilité ou dans ceux qui l’ont
consommé. Or, comment ne pas ranger dans cette ca
tégorie ceux qui ont vendu les denrées, sachant l’usage
auquel elles étaient destinées ? Est-ce que, sans cette
vente, le délit eût existé ?
i Rép. ffén., v° commerçant, n» 123.
�102
DES COMMERÇANTS
Il y a donc en réalité contradiction dans la doctrine
de M. Molinier. Nous sommes à cet égard de l’avis de
M. Dalloz. Mais là où nous différons, c’est sur la con
clusion à en tirer. Pour nous, en effet, il n’y a pas à
distinguer entre le vendeur et les courtiers ou commis
sionnaires , tous sont à l’abri de tout reproche et de
toute poursuite, c’est-à-dire que nous nous rangeons à
l’opinion de M. Touiller.
Nous repoussons l’application de l’article 60 Code
pénal, parla raison que ce qui caractérise le délit prévu
par l’article 176 même Code, c’est non l’achat, non la
revente, mais la qualité de leur auteur. La conséquence
forcée est qu’à défaut de cette qualité, il ne saurait
exister ni délit"ni contravention. Or, comment invoquer
l’article 60, contre celui qui n’a fait que ce qu’il avait
le droit de faire?
Le délit prévu et puni par l’article 176 Code pénal
est spécial et n’admet pas de complicité. « Tout le délit
« du fonctionnaire, disent MM. Adolphe Chauveau et
« Faustin Hélie, est dans l’abus de ses fonctions; le
« même fait commis par toute autre personne est une
« action parfaitement licite; c’est donc un délit per« sonnel, et qui, de même qne tous les délits qui sup« posent dans leur auteur une qualité spéciale, par
« exemple les délits purement militaires , n'admet pas
« de complice.1 »
La conclusion qu’en tirent nos éminents criminalisi Théorie du C. pén'., 3me éd ., t. 2, p. 6 3 t .
�103
ART. 2.
*
tes, c’est que la personne interposée pour faire le com
merce illicite et qui prête son nom, ne peut être con
sidérée comme complice. A plus forte raison ne peuton reconnaître cette qualité au vendeur, au courtier, au
commissionnaire qui auraient traité avec le fonction
naire coupable.
Ainsi l’acte de ce fonctionnaire n’est nul et de nul
effet qu’en ce qui le concerne et doit être exécuté en
faveur des tiers.
De plus, si les actes sont assez nombreux pour cons
tituer l’habitude, le fonctionnaire serait réputé com
merçant et comme tels soumis aux effets attachés à
cette qualité quant à la compétence et aux conséquen
ces légales de la cessation de paiements édictées au titre
des faillites et banqueroutes.
A côté des personnes qui ne peuvent exercer le com
merce par incompatibilité, se placent celles qui en sont
absolument incapables, et qui n’acquerront jamais la
qualité de commerçant, quelque nombreux, quelque
répétés qu’aient été les actes de commerce auxquels ils
se sont livrés. Parmi ces incapables figurent les mineurs
et les femmes mariées.
Mais en ce qui les concerne, l’incapacité peut être
effacée. Nous allons voir dans quels cas et à quelles
conditions.
A rt.
2.
Tout mineur émancipé, de l’un et de l’autre
sexe, âgé de 18 ans accomplis, qui voudra pro-
�104
DES COMMERÇANTS
fitcr de la faculté que lui accorde l’article 487
du Code civil, de faire le commerce, ne'pourra
en commencer les opérations , ni être réputé
majeur, quant aux engagements par lui contrac
tés pour fait de commerce : 1° s’il n’a été préa
lablement autorisé par son père, ou par sa mère
en cas de décès, interdiction ou absence du
père, ou, à défaut du père et de la mère, par
une délibération du conseil de famille, homo
loguée par le tribunal civil 5 2 ° si, en outre ,
l’acte d’autorisation n’a été enregistré et affiché
au tribunal de commerce du lieu où le mineur
veut établir son domicile.
A ut. 3.
La disposition de l’article précédent est ap
plicable aux mineurs, même non commerçants,
à l’égard de tous les faits qui sont déclarés faits
de commerce par les dispositions des articles
632 et 633.
SOMMAIRE
67. Conséquences des engagements commerciaux. Motifs devant
faire prohiber tout commerce au mineur.
68. Silence gardé â cet égard par l ’ancienne législation. Consé
quences des dispositions de l’ordonnance de 1673.
69. Aggravation du sort des mineurs lors de son abrogation par
la loi de 1791.
�70. Disposition du Code civil.
71. Discussion au conseil d’Etat sur l’opportunité d’une excep
tion en faveur des mineurs.
72. Sur les précautions dont il convenait d’entourer cette ex
ception.
73. Conditions imposées par l’article 2 du Code de commerce.
74. Première condition. — E m a n c i p a t i o n g é n é r a l e . — Pour
quoi elle a été exigée.
75. Réponse à l ’objection qu’elle n’était qu’un double emploi
avec l'autorisation.
76. Distinction entre les effets de l ’une et de l ’autre.
77. Leur cumul était dicté par l ’intérêt du mineur lui-même.
78. Effets du défaut d’émancipation préalable. Devoir en résul
tant pour les tiers.
79. La fausse qualification de mineur émancipé rendrait-elle
l ’autorisation suffisante pour assimiler le mineur au ma
jeur ?
80. Deuxième condition. —■Age. — Motifs qui l’ont fait fixer à
18 ans.
8-1. L ’autorisation donnée avant 18 ans aurait-elle effet sur les
engagements pris par le mineur après cet âge.
82. Troisième condition. — A u t o r i s a t i o n . — C’est à la famille
que s’en est rapporté le législateur. Pouvoir du père, de la
mère, du conseil de famille.
83. Caractère de l ’autorisation. Motifs pour que la famille agisse
avec prudence.
84. Ne peut jamais s ’acquérir implicitement.
85. Conséquences de la règle qu’elle doit être expresse et préa
lable à l ’exercice du commerce.
86. Effets du silence gardé par la loi sur la forme de l ’autorisa
tion donnée par le père ou la mère.
87. Peut-elle être valablement donnée par acte sous seing-privé?
88. La mère n’est apte à autoriser qu’en cas de décès, d ’inter
diction ou d’absence du père. L ’intervention des tribunaux,
dans ce dernier cas, empêche tout abus.
�106
DES COMMERÇANTS
89. L ’autorisation ne doit pas contenir la nature des affaires aux
quelles doit se livrer le mineur. Conséquences.
90. Le mineur peut-i! contracter une société avec son père qui
l’a autorisé?
91. Quatrième condition. — P u b l i c i t é d e l ' a u t o r i s a t i o n . — Ob
jet de cette condition. — Forme tracée par la loi.
92. Effets du défaut ou de l’irrégularité de l’une de ces con
ditions.
93. Effets de leur accomplissement régulier.
94. La rétractation de l ’autorisation n ’est acquise que par le
retrait de l’autorisation.
95. Publicité que doit recevoir celui-ci.
96. Renvoi à l’article 6 pour les conséquentes de l’adminis
tration du mineur com merçant, à l’endroit de ses im
meubles.
97. L’autorisation ne couvre que les engagements qui l’ont sui
vie. Fraude que cette règle peut faire surgir. Ses effets
quant au mineur.
98. Incapacité du mineur à l’endroit des actes de commerce.
99. Le mineur émancipé par le mariage ne peut exercer le com
merce sans autorisation.
67.
— Les engagements que le commerçant con
tracte dans l’exercice de sa profession ont pour résultat
immédiat et direct non-seulement d’engager ses biens,
mais encore de compromettre sa personne, en le pla
çant sous le coup de la contrainte par corps pour leur
exécution. Il importe donc que ces engagements soient
le fruit des plus mûres réflexions, d’une prudence con
sommée. Pouvait-on se promettre ce résultat de la
légèreté inséparable de l’âge de minorité?
Le commerce n’est pas une industrie qu’on puisse
�ART.
2
ET
3,
107
machinalement exercer. Le calcul des chances qui en
font la base, l’appréciation des probabilités devant ren
dre la spéculation heureuse ou malheureuse trompe
souvent l’intelligence la plus consommée, la raison la
plus ferme. Le mineur offre—t—il ces garanties, et lui
permettre le commerce, n’est-ce pas le dévouer à une
ruine presque inévitable ?
68.
— Chose extraordinaire ! notre ancienne légis
lation, qui avait fixé la majorité civile à 25 ans, n’avait
déterminé aucune limite d’âge à l’exercice du com
merce. Cependant l’article 6 de l’ordonnance de 1673
disposait : que tous négociants, marchands en gros ou
en détail, comme aussi les banquiers, seraient réputés
majeurs pour les faits de leur commerce ou banque,
sans qu’ils puissent être restitués sous prétexte de
lésion.
Pour comble d'étrangeté, l’ordonnance de 1673,
s'occupant du commerce officiel, au point de vue des
maîtrises et jurandes, prescrivait que nul ne serait reçu
marchand s’il n’avait 20 ans accomplis et s’il ne rap
portait le brevet et les certificats d’apprentissage et des
services rendus depuis. Mais tout cela n’était exigé, aux
termes de l’article 1er, qu'ez lieux où il y a maîtrise
de marchands.
Ainsi, là où il n’y avait pas de maîtrise, on ne pou
vait pas recevoir la qualité de maître, mais l’exercice
effectif du commerce était, sans restriction, sans condi
tion aucune, laissé à la discrétion de celui qui voulait
�108
DES COMMERÇANTS
s
l’entreprendre, majeur ou mineur, à 15 comme à 20
ans, et le mineur était réputé majeur pour tous les faits
de ce commerce. De manière que moins il y avait de
garantie, plus grande était la liberté laissée au mineur.
On ne lui permettait de devenir commerçant à 20 ans
seulement, que lorsqu’il avait fait un long et laborieux
apprentissage, mais il pouvait l’être à 15 ans, sM n’en
avait fait aucun.
Ajoutons que, même dans les lieux où il existait des
maîtrises, certaines professions demeuraient entière
ment libres, parce qu’elles n’avaient pas été organisées
en corporations. Telles étaient notamment celles de
banquier, de manufacturier et d’armateur. En consé
quence, et même sur les places où le mineur ne pou
vait vendre les objets de la plus minime importance,
sans avoir atteint l’âge de 20 ans et accompli son ap
prentissage, il était libre d’ouvrir, à quelque âge qu'il
le trouvât bon, une maison de banque, de créer une
manufacture ou de devenir armateur.
6 9.
— Cet acte si périlleux pour le mineur fut en
core aggravé par la législation de 1791. L’abolition des
maîtrises et jurandes abrogea le titre 1er de l’ordon
nance de 1673. A dater de ce moment, toutes les bran
ches du commerce furent également accessibles aux
mineurs, sans aucune condition. Le résultat de tout
cela amena des ruines fâcheuses. Un grand nombre de
mineurs de moins de 16 ans, commercialement at
teints , virent leur fortune dissipée et leur personne
compromise.
�ART.
2
ET
3.
109
70. — Les auteurs du Code civil, dont l’attention
fut éveillée par ce grave inconvénient, furent naturelle
ment amenés à rechercher s’il convenait de permettre
aux mineurs de se livrer au commerce. L’affirmative
leur ayant paru nécessaire, ils posèrent une première
barrière à la faculté de l’exercer. Ils ne la consacrèrent
qu’en faveur du mineur émancipé.1
71. — Mais cette question était plus spécialement
du ressort du législateur commercial. Aussi, et malgré
quelle eût été en quelque sorte résolue par le Code ci
vil, reparut-elle dans la discussion du Code de com
merce. Plusieurs orateurs proposèrent même de la ré
soudre négativement.
Pourquoi, disait M. Jaubert, puisque la majorité civile
est fixée à 21 ans, ne pas attendre cette majorité? Pour
quoi livrer un jeune homme à lui-même, dès l’âge de
18 ans, pour les affaires les plus difficiles, les plus ha
sardeuses? Est-il prudent, ajoutait M. Bigot de Préame
neu, est-il utile à la société que, dans un âge aussi
tendre, tout citoyen puisse se livrer au commerce?
Mais, d’une part, le respect pour le Code civil, de
l’autre, la crainte que, dans bien des cas, la prohibition
absolue n’occasionnât un préjudice considérable au mi
neur, firent maintenir l’affirmative. Etait-il raisonnable,
répondait-on, d ’empêcher le mineur de continuer le
commerce dont il hérite de son père ? D’exploiter l’éta1 Art. 487 du Code civil.
�110
DES COMMENÇANTS
blissement commercial, à la tête duquel se trouve placée
ou appelée la femme qu’il épouse ?
\ •
72. — La question d’opportunité ainsi tranchée ,
restait celle des précautions à prendre, soit dans l’inté
rêt du mineur, soit dans celui du public. L’article 2
nous indique comment elle a été, à son tour, résolue.
73. — Il faut donc aujourd'hui, pour que le mi-*
neur puisse légalement se livrer au commerce : Ie qu’il
ait été émancipé; 2° qu’il ait 18 ans révolus; 3° qu’il
soit autorisé par qui de droit; 4° que l’aurisation ait été
enregistrée et publiée au tribunal de commerce du lieu
où il entend fixer son domicile. Examinons chacune de
ces conditions. Nous indiquerons ensuite les effets que
leur accomplissement produit pour ou contre le mineur.
7 4. — 1° Emancipation.
L’émancipation du mineur peut n’être qu’un calcul
de la part du père, se procurant la faculté de disposer
sous son couvert, et dans son intérêt propre, des reve
nus dont il serait comptable, s’il les percevait en qualité
de tuteur ou administrateur. Mais, il faut le reconnaî
tre, cette fraude est fort rare, et les tribunaux ont su
l’atteindre et la réprimer lorsqu’elle a eu l’audace de se
produire.
Le plus ordinairement donc, l’étnancipation suppose,
chez le mineur qui l’obtient, une capacité telle, que le
père de famille, premier et meilleur juge des intérêts
de son fils, a cru devoir s’en remettre aux espérances
�AB T.
»
2
ET
3.
111
qu’elle fait concevoir, et lui confier une gestion que tout
indique devoir être intelligente et avantageuse.
Cette présomption de capacité est une première ga
rantie sur laquelle la loi a voulu pouvoir compter, avant
de confier au mineur une capacité plus ample , par
la faculté d’exercer le commerce. Aussi, est-elle rigou
reusement exigée par le texte de l’article 2 que nous
examinons.
Tout mineur émancipé, porte ce texte, ce qui indi
que que la permission de faire le commerce est Subor
donnée à l’existence préalable de l’émancipation ; ce
qui comporte virtuellement, à l’endroit de cette faculté,
l’exclusion du mineur non émancipé. Ajoutons qu’avant
d’être inscrite dans le Code de commerce , cette exi
gence figurait dans notre droit civil, l’article 487 du
Code civil ne réputant majeur, pour faits de commer
ce, que le mineur émancipé.
75.
— En présence de la disposition de l’article 2,
on a été naturellement amené à se demander si l’éman
cipation, cumulée avec l’autorisation, ne constituait pas
un double emploi superflu et inutile. A quoi bon, en
effet, la première, lorsque, par l’effet de la seconde,
le mineur est en possession d’une capacité bien plus
étendue, puisqu’elle va jusqu’à lui permettre d’aliéner
ses biens? Mais la réponse la plus péremptoire à cet
égard nous est fournie par la discussion au conseil
d’Etat. Cette réponse a le mérite incontestable, nonseulement de fixer l’intention du législateur sur la né-
�112
DES COMMERCANTS
cessité du cumul, mais encore d'en justifier et d’en pré
ciser le sens.
D’une part, en effet, et sur l’observation de quelques
orateurs, M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angely propo
sait de dire que l'autorisation accordée par la famille
vaudra émancipation. Mais cette proposition fut re
poussée sur l’observation de l’archichancelier Camba
cérès, disant que ce serait là s’écarter du Code civil,
qui exige, pour faire le commerce, une émancipation
générale.
76.
— D’autre part, M. Berlier, abordant le fond de
la question, distinguait en ces termes la simple éman
cipation de celle qui est suivie de l’autorisation de faire
le commerce : « L’on sent que l’article du Code civil,
relatif à la réductibilité des engagements du mineur,
même émancipé, selon que leur objet serait plus ou
moins utile, est inapplicable au mineur commerçant
envers ses créanciers, dont les actions ne pourraient
être entravées par un tel examen, sans que tout crédit
devînt impossible.
« Mais, de cette différence entre ces deux actes, il
ne résulte pas que l’émancipation ordinaire ne doive
pas précéder l’autorisation spéciale. On a établi l’utilité
et la nécessité de ce concours; et, outre la déférence
due au texte de la loi, il serait assez bizarre que le mi
neur, habile à faire de grandes opérations commercia
les, ne le fût point à jouir de ses revenus.1 »
i Procès-verbal de la séance du 4 novembre 1806.
�ART.
2
ET
3.
113
Ainsi, l’émancipation donne le droit de jouir des re
venus des biens, mais laisse le mineur dans la position
d’invoquer la réductibilité de ses engagements en cas
d’excès. L’autorisation de faire le commerce fait perdre
ce dernier droit à l’égard des engagements commer
ciaux, mais ne confère pas celui de jouir des revenus
des biens. Le cumul de l'une et de l’autre était donc
indispensable pour faire disparaître l’anomalie signalée
par M. Berlier, d’un mineur apte à contracter les enga
gements les plus importants, et n’ayant pas cependant
la libre disposition de ses revenus, alprs que ses biens
eux-mêmes pouvaient être absorbés par les dettes com
mercialement contractées.
77.
— Quel pouvait être d’ailleurs l’effet de cette
anomalie? Nul autre évidemment que celui de placer le
mineur dans une position fâcheuse à l’égard du public.
En lui accordant l’autorisation, mais en ne l’émancipant
pas, la famille laissait planer sur sa capacité un doute
qui, partagé par les tiers, devait lui faire refuser tout
crédit, ou tout au moins rendre ses relations avec eux
fort difficiles. Fallait-il donc qu’avant même son début
dans la carrière, le mineur rencontrât l’écueil sur lequel
il était condamné à venir se briser ?
Ce n’était pas tout encore. Le mineur commerçant
peut trouver un avantage à jeter ses revenus dans son
commerce. Dans cette faculté d’augmenter son capital,
il puisera des moyens nouveaux d’étendre son crédit,
de faire face à ses engagements. Lui enlever cette res-
8
�114
DES COMMERÇANTS
so.urce, c’était donc le mettre aux prises avec des em
barras pécuniaires, de nature à contrarier et à retarder
le succès et l’essor de son commerce.
Ces considérations militaient toutes en faveur de
l’émancipation préalable. Le mineur qu’on allait lancer
dans le commerce devait recevoir tous les encourage
ments, toutes les facilités susceptibles de l’y faire réus
sir. Avant de réclamer pour lui la confiance du public,
il fallait le montrer investi de toute celle de sa famille.
78.
— Le défaut d’émancipation préalable vicie donc
les pouvoirs que le mineur recevrait d’une autorisation
ultérieure. Irrégulièrement investi de la qualité de com
merçant, il ne serait plus réputé majeur à l’endroit des
opérations qu’il aurait accomplies. Ses engagements se
raient exclusivement régis par les principes ordinaires
applicables au simple mineur.
Cette conséquence indique combien les tiers sont in
téressés à l’exécution rigoureusement littérale de l’arti
cle 2 du Code de commerce. Peut-être aurait-on dû,
pour les protéger efficacement, prescrire, pour l’éman
cipation elle-même, un mode de publicité de nature à
en répandre et à en faciliter la connaissance. En l’ab
sence de toute disposition de ce genre, le devoir que
le droit commun impose de s’assurer de la condition de
celui avec qui on traite devient plus énergique et plus
indispensable j et puisque les formes tracées à l’émanci
pation permettent de la constater d’une manière cer
taine, par l’expédition du procès-verbal dressé par le
�ART.
2
ET
3.
ilB
juge de paix, ceux qui seront appelés à nouer des rela
tions avec le mineur commerçant agiront avec sagesse
et prudence, en exigeant la justification préalable de
l’accomplissement de cette formalité si essentielle.
79.
— Il ne suffirait pas, en effet, que cet accom
plissement fût indiqué dans l’autorisation par la qualifi
cation d’émancipé que le mineur y aurait reçue. La
fausseté de cette qualification aurait pour résultat im
médiat d’enlever au mineur toute capacité commerciale
pour le passé comme pour l’avenir.
L’opinion contraire est cependant enseignée par
M. Pardessus. Comme c’est l’autorisation seule, dit cet
éminent jurisconsulte, qui doit être affichée , si elle
contenait la fausse mention d’une émancipation qui
n’aurait pas eu lieu, le mineur serait engagé valable
ment, puisqu’il y aurait un véritable dol, ou du moins
un quasi-délit de sa part.1
Nous repoussons cette doctrine. Elle ne nous paraît
pas pouvoir se justifier soit au point de vue des princi
pes généraux du droit, soit à celui des principes spé
ciaux.de la matière.
En droit général, une incapacité légale ne peut être
couverte par la déclaration de capacité émanée de l’in
capable lui-même. Cela est surtout vrai lorsque cette
déclaration a pour objet d'éluder une disposition d’or
dre public, ou d’engager sa personne, d’aliéner sa li1 T. i, n° 58.
�116
DES COMMERÇANTS
berté contrairement à la prohibition formelle de la loi.
Déjà, et comme conséquence de ce principe, nous avons
vu que la partie majeure, qui a pris dans le contrat la
qualification de commerçant, n’est pas liée par sa dé
claration ; qu’elle est toujours recevable à alléguer et à
prouver le contraire.
Sous quel prétexte donc enlèverait-on au mineur la
garantie qu’on reconnaît au majeur? Remarquons, en
effet, que ce dernier déclarant dans l’autorisation, et
contrairement à la vérité, qu’il est émancipé, ne fait
que ce que réalise le premier en prenant faussement la
qualité de commerçant. Sans l’émancipation, en effet,
il n’y a pas possibilité pour le mineur d’acquérir cette
qualité. En déclarant que cette émancipation a eu lieu
le mineur ne fait donc que s’attribuer un caractère qui
ne lui appartient pas. Il affirme sa capacité.
Mais n’est-ce pas là précisément ce que fait le mineur
se déclarant majeur dans le contrat qu’il souscrit? Ce
pendant la loi est formelle à cet égard, le mineur est
restitué contre sa déclaration. Comment et pourquoi
n’en serait-il pas ainsi dans l’hypothèse que nous exa
minons, et dans laquelle une solution identique est in
diquée par une supériorité de raisons incontestable.
En effet, dans le premier cas, la déclaration de majo
rité émane directement du mineur. Elle est son fait pro
pre et personnel. Dans le second, au contraire, la quali
fication du mineur émancipé, ce n’est pas lui qui la
prend, c’est l’auteur de l’autorisation qui la lui donne.
Remarquons, à ce propos, que, dans cette autorisation,
�le mineur n’a aucun rôle actif à jouer ; elle peut lui être
conférée sans qu’il soit présent. De telle sorte qu’ex
cusé lorsqu’il a lui-même menti, il serait puni dans ses
biens et même dans sa personne pour un mensonge
auquel il a pu de très-bonne foi rester étranger. Une
pareille anomalie n’est pas admissible.
Il faut donc conclure avec M. Nouguier : qu’il n’y a
que le mineur émancipé qui soit capable de se livrer
au commerce, aux autres conditions exigées par l’arti
cle 2 ; qu’importe, s’il ne l’est pas, la mention contraire
renfermée dans l’autorisation ; cette énonciation men
songère ne lui donne pas la capacité que la loi lui re
fuse, en se fondant sur l’intérêt et la tranquillité des
familles, sur la jeunesse du mineur, sur son défaut de
discernement. Ne pourrait-on pas répondre aux tiers qui
se plaindraient : Ce jeune homme, avec lequel vous
avez traité, peut être coupable, mais il n’a pu apprécier
les conséquences de la déclaration qu’il faisait; c’était
à vous de vous enquérir et de savoir si toutes les for
malités avaient été remplies.1
Cette dernière considération a une grave importance
au point de vue du dol auquel se place M. Pardessus.
Le dol n’existe réellement que lorsque le mensonge a
été accompagné de manœuvres telles, qu’elles ont eu
pour objet et pour résultat de placer celui qui en est
victime dans l’impossibilité de découvrir l'a vérité. Dans
1 T. 1, pag. 245; — Adde, O rillard, n° 162; — Sebire et Carteret,
n° 271.
�118
DES COMMERÇANTS
l’espèce, l'énonciation mensongère renfermée dans Vautorisation, non-seulement n’a pas empêché les investi
gations, mais elle était un motif de plus de s’y livrer
dans une matière où la capacité du mineur dépendait
de l’existence du fait énoncé. Celui qui a failli à ce de
voir, en ajoutant une foi aveugle à la mention de l’au
torisation, ne peut être recevable à se plaindre d'un dol
dont il pouvait si facilement prévenir les effets. Si, du
côté du mineur ou de sa famille, il y a une immoralité,
le tiers, de son côté, est en état flagrant d’imprudence
et de légèreté. II y a donc faute de part et d’autre, et
dès lors impossibilité d’en rendre une des parties ex
clusivement responsable.
Vainement ferait-on appel à la confiance sans laquelle
le commerce n’est plus possible. Vainement dirait-on
que l’éloignement du domicile du mineur n’a pas per
mis de vérifier le plus ou moins d’exactitude des énon
ciations de l’autorisation. Exciper des termes de celleci, c’est prouver qu’on l’a connue et, dès lors, qu’on a
su qu’on traitait avec un mineur. Cette connaissance
acquise, restait le devoir impérieux de s’assurer si les
conditions exigées par la loi avaient été accomplies. Si
ce devoir était difficile à remplir par soi-même, on
pouvait le faire par correspondant. La capacité du mi
neur, d’une part, ne peut tenir au plus ou moins de
bonne foi de ceux qui ont traité avec lui. De l’autre,des
hypothèses exceptionnelles ne comportent plus l’applica
tion des règles ordinaires du commerce, et motivent
suffisamment une trêve à ses habitudes les plus usuelles.
�ART.
2 ET 3.
119
Ainsi le mineur doit être émancipé. Rien, en l’ab
sence de l’émancipation, ne peut lui conférer la capa
cité de faire légalement le commerce. C’est par appli
cation de cette règle, qu’il a été jugé que le mineur pubè
re, qui, en pays de droit écrit, avait la libre administra
tion de ses biens, n’a pu, depuis la survenance du Code
civil, faire un acte de commerce sans être émancipé.1
8 0.
— 2° Âge. — L’émancipation par le père ou
la mère peut être conférée au mineur ayant atteint l’âge
de 15 ans révolus. D’autre part, l’article 487 du Code
civil permet à tout mineur émancipé de faire le com
merce. La conséquence de ce double principe était de
reconnaître au mineur de moins de 16 ans la faculté
de devenir commerçant et de disposer dès lors de sa
personne et de ses biens.
Que dans un âge aussi tendre le mineur puisse ad
ministrer sa fortune, on le comprend, alors d’ailleurs
que la révocation de l’émancipation, en cas d’abus, at
ténue singulièrement le danger d’une pareille adminis
tration ; mais conclure de cette capacité à celle de gérer
des opérations commerciales, de se livrer à une profes
sion aussi délicate, aussi périlleuse, c’est ce qui ne vient
à l’idée de personne.
Aussi, la section de l’intérieur, après avoir admis en
principe qu’il convenait de poser une limite d’âge à la
faculté pour le mineur de faire le commerce, proposait
de la fixer à 18 ans révolus. Cette proposition rencon1 Grenoble, 23 novembre 1816.
�120
DES COMMERÇANTS
tra des contradicteurs dans le sein du conseil d’Etat.
On soutint qu’on ne devait autoriser le mineur qu’en
tant qu’il aurait atteint sa vingtième année.
Cette détermination fut repoussée. On considéra que
l’intérêt du mineur, qui le faisait admettre à la faculté
d’exercer le commerce, pouvait exiger qu’on la lui
conférât avant cet âge ; que la majorité étant fixée à 21
ans , la concession qu’on lui ferait à 20 ans serait
plutôt apparente que réelle; qu’autant valait ne pas
l’accorder du tout, et attendre une majorité si rap
prochée.
On s’arrêta donc à 18 ans. En conséquence, le mi
neur même émancipé ne peut, avant cet âge, obtenir
une autorisation régulièré. Celle qui lui serait accordée
serait radicalement nulle, et ne pourrait le faire réputer
majeur pour les engagements commerciaux dont elle
.
. .
/
serait suivie.
81.
— Si le commerce irrégulier du mineur s’était
prolongé au-delà de sa dix-huitième année, les enga
gements par lui souscrits depuis qu’il l’a atteinte se
raient-ils valables? Devrait-on le réputer majeur quant
à leurs effets?
En équité pure, la réponse affirmative pourrait pa
raître préférable. Mais les principes de droit, toujours
rigoureux en matière de capacité, conduisent au résul
tat contraire.
En effet, l’autorisation donnée contrairement aux
prescriptions de l’article 2 est viciée d’une nullité radi-
�ART. 2 ET 3.
121
cale. Cette nullité l’atteint dans son origine, l’autorisa
tion est censée n’avoir jamais existé.
Comment donc pourrait-on en valider les effets ,
quelque prolongés qu’ils aient été? Sans doute le mi
neur, parvenu à l’âge de 18 ans, est apte à être auto
risé; mais il ne peut l’être avant. En conséquence, si
l’autorisation ne lui a pas été accordée depuis qu’il a
atteint l’âge légal, il sera vrai de dire qu’elle n’a jamais
existé.
Vainement exciperait-on de l’exercice réel du com
merce, au vu et su de la famille et même avec son con
cours. Pour le mineur, ce n’est pas la qualité de la per
sonne qu’on considère. On ne peut s’arrêter qu’au fait
particulier de l’autorisation. De plus, et aux termes de
l’article 2 lui-même, cette autorisation doit précéder
les actes de commerce, être expresse, ce qui exclut
d’une part tout effet rétroactif, de l’autre toute pos
sibilité d’un consentement tacite. L’affirmative sur nos
questions, supposant nécessairement l’un et l’autre, est
donc directement condamnée par le texte de la loi
comme par son esprit.
Ainsi, le mineur irrégulièrement autorisé est comme
s’il ne l’avait jamais été. Le commerce qu’il fait est dès
lors illégalement exercé. Les engagements qui en ont
été la conséquence, souscrits en état de minorité, ne
peuvent échapper au sort commun à tous ceux du mi
neur ordinaire émancipé ou non.
- 82. — 3° Autorisation. — La famille du mineur
�122
DES COMMERÇANTS
est le premier juge de l’intérêt réel que le mineur peut
avoir à exercer le commerce ; de la capacité qu’il est
dans le cas de déployer ; la crainte de voir le mineur
dissiper sa fortune, la honte d’une faillite rejaillir jusque
sur elle est une double garantie de la maturité qu’elle
apportera dans une délibération de cette nature.
C’est donc à elle que le législateur a dû recourir ;
et, dans cet appel, il n’a négligé aucune précaution. Il
a gradué ses exigences sur le degré d’affection, sur le
plus ou moins de sollicitude sur l’avenir du mineur que
pouvait éprouver la personne appelée à l’autoriser.
Le père, et à son défaut la mère, dispose à cet égard
d’une manière souveraine et sans contrôle. Agir autre
ment, c’eût été témoigner une méfiance injurieuse, en
supposant, contre nature, que l’un ou l’autre était ca
pable d’oublier ce qu’il doit à son enfant.
Mais la décision du conseil de famille, à laquelle il
faut recourir à défaut du père et de la mère, n’est exé
cutoire qu’après homologation par le tribunal civil. Le
conseil de famille n’est pas même toujours composé de
parents plus ou moins éloignés; à défaut de ceux-ci,
les amis sont appelés. On pouvait donc raisonnable
ment craindre qu’il n’apportât pas dans sa délibération
toute la prudence, toute la maturité désirable. L’examen
sévère et impartial de la justice était dès lors une ga
rantie qu’on ne devait pas négliger.
83. — Mais la famille, qui déjà a accordé l’éman-
�ART.
2
ET
3.
123
cipation, ne se montrera-t-elle pas par trop facile à ac
corder l’autorisation ? Non, répondait-on dans le sein
du conseil d’Etat, car il y a une tout autre difficulté à
suivre des opérations commerciales, parfois si hasar
deuses, qu’à administrer son patrimoine. Il y a donc
sagesse à demander des garanties plus grandes, lorsqu’il
s’agit de conférer une capacité plus étendue que celle
attribuée par l’émancipation. Il convenait d’exiger une
autorisation spéciale pour une garantie spéciale. Il im
porte donc que la famille n’accorde pas légèrement une
autorisation ; qu’elle se détermine seulement par un
examen sérieux, approfondi de l’intérêt du mineur;
qu’elle soit retenue par la crainte des suites désastreu
ses que pourrait avoir pour lui une autorisation trop
légèrement accordée.1
Cette volonté du législatenr doit non-seulement servir
de règle au père, à la mère, au conseil de famille, mais
encore dicter aux magistrats l’appréciation à laquelle
ils doivent s’arrêter. Elle détermine les conséquences
suivantes :
84.
— D’une p a rt, l’autorisation ne saurait s’ac
quérir d’une manière implicite. Vainement donc exciperait-on d’un consentement tacite du père, de la mère
ou de la famille, consentement qu’on ferait résulter du
silence qu’ils auraient gardé sur des actes de commerce
faits par le mineur sous leurs yeux, ou du concours
i Procès-verbal de la séance du 4 mars 1806.
�124
DUS COMMERÇANTS
qu’ils y auraient donné. On ne pourrait voir là l’auto
risation avec les caractères exigés par la loi.1
8 5 . — D’autre part, cette autorisation devant, pour
rendre le mineur apte à faire le commerce, être ex
presse, on déciderait, avec la cour de Bourges, qu’elle
ne peut résulter d’une délibération ayant pour objet
d’autoriser le mineur à vendrç des immeubles, pour
faire honneur à ses engagements et se livrer avec plus
d’avantages au commerce.5
En troisième lieu enfin, l’autorisation devant précé
der l’exercice du commerce, son obtention ne peut avoir
d'effets pour le passé. Tous les actes de commerce faits
avant n’en seraieut donc nullement validés, et, en ce
qui les concerne, on ne pourrait réputer majeur le mi
neur émancipé qui les auraient souscrits.
86. — La loi n’a prescrit aucun mode, aucune
forme déterminée pour l’autorisation, excepté en ce
qui concerne celle du conseil de famille dont la délibé
ration doit se réaliser en la forme ordinaire. En consé
quence, le père, ou à son défaut la mère, peut valable
ment la consentir, soit par acte authentique, soit par
une déclaration faite devant le juge de paix, ou au greffe
du tribunal de commerce.
87. — D evrait-on déclarer valable l’autorisation
1 Pardessus, n°s 57 et 18; — Nouguier,
2 26 janvier 1828,
t. i, pag. 244.
�ART.
2
ET
3.
125
donnée par acte sous seing-privé ? Rien, dans le texte
de la loi, n’exclut formellement cette forme. L’acte
sous seing-privé devant être enregistré et publié au tri
bunal, reçoit de cette double formalité une date cer
taine vis-à-vis des tiers.
Mais, malgré cette certitude dans la date, l’acte sous
seing-privé ne fait foi de l’écriture et de la signature
qu’en tant que l’une et l’autre sont reconnues ou avé
rées. Or, est-il présumable que la loi ait voulu laisser
planer sur l'autorisation un doute de cette nature ?
L’affirmative ne saurait être admise sans accuser la loi
d’une imprévoyance fort dangereuse pour les tiers. La
fraude, en effet, saurait d’avance se créer une ressource
infaillible, en se ménageant une dénégation d’écriture,
d’un effet d’autant plus certain qu’en réalité, et par
suite d’un coupable concert, l’écriture ne serait réelle
ment pas de celui auquel on l’attribuerait. La crainte
seule d’un pareil résultat motive donc le rejet de la
forme sous seing-privé.
88.
— La loi n’appelle la mère à autoriser son en
fant mineur qu’en cas de décès, d’interdiction ou d’ab
sence du père. La preuve légale des deux premières
hypothèses, toujours facile à produire, ne permet pas
d’entrevoir, à leur occasion, la moindre difficulté. Il
n’en est pas de même de l’absence. On aurait pu crain
dre que par une confusion, que rien ne justifiait d’ail
leurs, la mère ne se crût autorisée à délivrer l’autori
sation par cela seul que le père ne serait pas présent
�126
DES COMMERÇANTS
sur la localité, et, pour prévenir cet abus, exiger que
la faculté qui lui est déférée ne pût être exercée qu’après la déclaration judiciaire de l’absence. Mais l’inanité
de cette crainte doit faire évanouir tout scrupule. L’ar
ticle 863 du Code de procédure civile régit la mère
voulant autoriser son enfant. Elle doit donc, avant de
pouvoir y procéder, se faire autoriser elle-même, et les
magistrats auxquels elle s’adressera ne confondront
pas une absence momentanée avec l’état d’absence
présumée, exigé par le législateur. L’intervention de
la justice est une garantie suffisante contre tout abus.
89.
— L’autorisation donnée au mineur de faire le
commerce, en termes généraux, est suffisante et régu
lière. On ne saurait le décider autrement que si la loi
eût exigé qu’elle mentionnât le genre d’opérations aux
quelles il entend se livrer. Une exigence de ce genre
eût pu constituer un grave danger pour le mineur ,
puisque, lié par son autorisation, il n'aurait pu, sans
autorisation nouvelle, se livrer à un autre commerce
plus lucratif que celui dans lequel il n’aurait éprouvé
que des pertes. D’ailleurs, quelles que soient les opéra
tions qu’il entreprend, le mineur ne fait pas autre chose
que le commerce, et c’est précisément ce à quoi il est
autorisé. De là on a conclu qu’il pouvait même contrac
ter une société commerciale.1
9 1 . — Peut-il contracter cette société avec son
père, lorsque c’est de lui qu’il a reçu l’autorisation?
i Caen, 41 août 4828.
�ART.
2
ET
3.
127
La cour de Douai a décidé la négative par arrêt du
21 juin 1827. Cet arrêt se fonde sur ce que l’autorisa
tion n’étant exigée que dans l’intérêt du mineur, ne
peut légalement émaner d’une personne intéressée et
de la partie même qui traite avec lui ; qu’il est de prin
cipe, en droit, que nul ne peut être auteur dans sa pro
pre cause, d’où il suit que dans l’espèce le père n’a pu
valablement autoriser son fils à contracter avec luimême, puisque, dans la réalité, c’est bien moins celui
qu’on autorise qui contracte, que celui de qui l’autori
sation émane; et qu’un père qui autorise son fils mi
neur n’agit que comme le représentant légal de ce der
nier ; qu’il est vrai de dire que, dans de pareilles cir
constances, le père devrait être regardé, relativement à
l’autorisation, comme n’existant pas, et qu’on devrait
recourir au conseil de famille.
Cette doctrine ne nous paraît pas admissible. Elle
arrive, en effet, par une application erronée d’un prin
cipe incontestable, à méconnaître l’esprit de la loi, à
ajouter à son texte, à consacrer une grave atteinte à la
puissance paternelle, à favoriser, dans tous les cas, une
fraude fort dangereuse pour les tiers.
Sans doute, nul ne peut être auteur dans sa propre
cause. Mais est-il possible d’appliquer cette règle en
matière d’autorisation? Dans l'origine, le père n’a au
cun autre intérêt que celui du mineur lui-même, et s’il
est appelé par la loi à la consentir, c’est que, investi de
de la puissance paternelle, on a compris qu’on ne pou
vait, sans violer le respect que cette puissance com-
�128
DES COMMERÇANTS
mande, soustraire le mineur à ses effets; c’est que l’af
fection si naturelle qu’il porte à son enfant était une
garantie contre toute légèreté, dans une matière pou
vant si déplorablement grever l’avenir de celui-ci.
L’autorisation est donc toute dans l’intérêt de ce
dernier. C’est par elle qu’il acquiert la capacité de faire
le commerce sans restriction aucune, sans condition,
sans autre guide que son intérêt. En d’autres termes,
le mineur autorisé devient un véritable majeur pour
tous les actes se renfermant dans l’exercice de la pro
fession à laquelle il s’est voué.
Il n’est pas douteux qu’en cet état le mineur puisse
contracter une société commerciale ; et ce qui rend
cette faculté incontestable, c’est qu’en agissant ainsi, le
mineur obéit à un intérêt pressant. En effet, quelles
que soient son intelligence et sa capacité personnelle,
il lui importe de profiter de l’expérience de gens depuis
longtemps versés dans la pratique des affaires, et qui
pourront ainsi imprimer à ses premiers pas une habile
et sage direction.
Pourquoi donc ne pourrait-il demander ce secours à
son propre père? La qualité de celui-ci n’est-elle pas
pour lui une garantie de plus ? L’affection du père n’estelle pas exclusive de toute idée de fraude dans la ges
tion qu’un associé ordinaire pourrait être tenté de diri
ger dans son intérêt exclusif? Il semble donc que, pour
consacrer une prohibition de cette nature, il faudrait la
rencontrer formellement écrite dans la loi.
Or, non-seulement le texte est muet, mais ce qui
�ART, Ü JT 3;
129
ressort en outre de l’esprit de la loi, c’est la proposi
tion contraire à celle consacrée, par la cour de Douai. Il
est facile de s’en convaincre en recourant à la discus
sion que l’article 2 subit au conseil d’Etat.
Nous l’avons déjà dit : la faculté, pour le mineur,
d’exercer le commerce, fut contestée en principe. Si
elle fut en définitive consacrée, c’est qu’il pouvait se
présenter des circonstances telles, que cette faculté de
vînt, pour le mineur, du plus grave intérêt. Ces circons
tances, quelles étaient-elles? Celle, disait M. Janet, où
le mineur épouse une femme qui possède un établisse
ment de commerce; celle où il devient /' associé ou l'hé
ritier de son père.
Ainsi, l’association entre le père et son fils a été
formellement prévue. C’est même pour la favoriser
qu’on a permis au mineur de devenir commerçant.
Comment dès lors comprendre que le législateur n’eût
pas indiqué la personne appelée, dans cette hypothèse,
à donner l’autorisation, s’il avait voulu que le père ne
pût la consentir lui^mêpac? Cependant l’article 2 ne
confère ce droit à la mère que dans le cas de décès,
d’interdiction ou d’abspnce du père, et au conseil de
famille qu’à défaut du père et de la mère.
Concluons donc que le législateur n’a nullement en
tendu, dans le cas d’une association entre le père et le
fils, intervertir une règle fondée sur le respect de la
puissance paternelle. Pourquoi l’eût-il fait d’ailleurs?
Devait-il supposer que le père voulût entraîner son en
fant dans l’abîme dans lequel il allait être lui-même pvé9
�130
DES COMMERÇANTS
cipité ? Une pareille crainte eût imprimé à la loi un
caractère d’immoralité qui explique po urquoi elle n’a
dû ni pu s’en préoccuper. La loi ne dispose pas pour les
cas exceptionnels ; or, un père méditant traîtreusement
la perte et la ruine de son enfant est une de ces hon
teuses exceptions qui ne méritent pas d’être prévues.
On ne devait pas surtout en faire le fondement de l’at
teinte qu’on porterait à la puissance paternelle en re
courant à la famille pour l’exercice d’un de ses actes
les plus importants.
En résumé, la loi a non-seulement prévu l’association
entre père et fils, mais encore entendu la favoriser.
Juge unique de l’opportunité et de l’avantage que cette
association doit avoir pour ce dernier, le père ne pou
vait pas ne pas être mis en mesure de la réaliser lors
qu’il l’a résolue. L’autorisation du mineur étant un préa
lable indispensable, le père a qualité et droit pour la
consentir. Le priver de ce droit, ce serait admettre
que la loi voulant la fin en a refusé les moyens, car la
volonté du père pourrait venir échouer devant l’obsti
nation irrationnelle, devant les petites passions, et quel
quefois devant l’intérêt contraire de la famille. On ne
peut donc légalement et juridiquement trancher notre
question dans le sens de l’arrêt de la cour de Douai.
91.
— 4° Publicité de Vautorisation. — Le but
de cette condition est facile à saisir. Elle a surtout pour
objet d’édifier le public, et de le mettre à même de
constater, si besoin en était, la capacité du mineur.
�ART. 2 RT 3.
131
L’autorisation, enregistrée au tribunal de commerce
du domicile du mineur, doit y être affichée. La loi ne
s’expliquant ni sur la forme, ni sur la durée de cette
affiche, il faut, par analogie, s’en référer aux dispositions
des articles 67 du Code de commerce et 872 du Code
de procédure civile. L’affiche se réalisera donc par l’in
sertion de l’autorisation au tableau indiqué par ce der
nier, et devra y être maintenue pendant un an.
Le domicile du mineur est de plein droit celui de son
père ou de son tuteur. Mais celui qui est autorisé à
faire le commerce est dès lors apte à se choisir un do
micile distinct, qui est d’ailleurs, comme pour tous les
commerçants, le lieu où il a son principal établisse
ment. C’est donc au tribunal de commerce, et s’il n’en
existe aucun, au tribunal civil de ce lieu que doivent
se réaliser l’enregistrement et l’affiche.
92.
— Telles sont, dans leur ensemble, les précau
tions au moyen desquelles le législateur a cru devoir
permettre au mineur l’exercice du commerce. Chacune
d’elles est impérieusement exigée. Ce n ’est que par leur
fidèle accomplissement que le mineur acquiert la capa
cité légale. Le défaut de l’une d’elles ou le vice qui l’en
tacherait laisserait le mineur sous le coup de l’incapa
cité dont la loi civile l'a frappé.
Dès lors on ne pourrait, à raison des engagements
qu’il aurait souscrits, ni le traduire devant le tribunal
de commerce, ni obtenir la contrainte par corps. Sa
déconfiture ne le constituerait pas en état de faillite, il
�132.
DES COMMERÇANTS
ne pourrait en conséquence être poursuivi, et moins
encore puni comme banqueroutier, simple ou frau
duleux.1
93. — L’exécution régulière des prescriptions de
l’article 2 a pour effet : 1° De donner au mineur tous
jes droits conférés par le chapitre 3, titre 10 du livre
l*r du Code civil ; 2° de le réputer majeur pour tout ce
qui concerne son commerce; 3° de le soumettre, quant
à ce, à la juridiction consulaire et à la contrainte par
corps; 4° enfin, de lui rendre communes toutes les
obligations imposées aux commerçants, et notamment
toutes les conséquences de l’état de faillite.
Il peut donc, en vertu de l’émancipation générale,
faire tous les actes de pure administration , acheter
même des objets étrangers à son commerce, sauf réductibilité en cas d’excès. En force de l’autorisation de
faire le commerce, il acquiert la capacité de transiger,
d'ester en jugement, de s’obliger, d’acheter et vendre
des marchandises, d’emprunter, de souscrire des let
tres de change ou des billets à ordre, sans pouvoir,
dans aucun cas , se faire restituer contre ses enga-.
gements.
9 4. — Que d’abus peuvent surgir d’une pareille
capacité, chez un jeune homme à peine âgé de 18 ans!
Mais c’est ici que se manifeste la haute prévoyauce de
i Cass., 2 décembre 4825.
�ART.
2 ET 3,
133
la disposition, exigeant cumulativement l’émancipation
générale et l’autorisation.
En droit, cette dernière n’est pas révocable. De telle
sorte que, définitivement enchaînée, une famille dont
les espérances auraient été cruellement déçues par l’in
conduite du mineur, par les excès dans lesquels il se
jetterait, se verrait condamnée à demeurer spectatrice
passive de ses actes insensés ; à le laisser courir à
sa ruine et à la misère, à ne pouvoir enfin prévenir
une faillite dont le déshonneur doit rejaillir jusque
sur elle.
Il fallait, à tout prix, s’opposer à un pareil malheur,
et le moyen, c’est la nécessité de l’émancipation qui le
fournit. Celle-ci, en effet, est essentiellement révoca
ble si le mineur abuse de la concession qui lui en a été
faite. Cette révocation amène ipso facto celle de l’auto
risation. Le mineur n’est plus émancipé, et, dès lors,
une des conditions impérieusement exigées, pour qu'il
puisse exercer le commerce, s’évanouissant, la capacité
dont il a joui jusque là s’efface et disparaît.
95.
— On arrive ainsi, par une voie indirecte, au
résultat qu’on atteindrait par la révocation directe de
l’autorisation. Mais il est évident qu’en pareil cas, on
ne pouvait se contenter du mode tracé par la loi pour
la révocation de l’émancipation. Le public doit être
averti, car, ayant jusque là traité régulièrement avec le
mineur, il pourrait, ignorant son changement de situa
tion,- le faire encore et se trouver ainsi en!présence
�i 34
DES COMMERÇANTS
d’un débiteur qu'il ne pourrait contraindre, ni commer
cialement ni civilement. L’acte de révocation devrait
donc être publié dans la forme prescrite pour l’autori
sation, à savoir par l'enregistrement et l’affiche au tri
bunal du domicile, sauf le droit que les juges appelés à
prononcer cette révocation ont de prescrire tout autre
mode de publicité qu’ils croiront utile.1
96.
— Nous verrons, sous l’article 6 , les consé
quences de l'administration du mineur commerçant, à
l’endroit de ses biens immobiliers. Nous nous bornons
à rappeler ici que, pour tout ce qui est en dehors du
commerce pour lequel il est autorisé, sa position est
celle du mineur émancipé ou non émancipé.
96bis.— « Ainsi, enseigne avec raison M. Louis Nou« guier, pour les actes en dehors de son commerce, ou
« qui lui seraient étrangers, le mineur ne serait plus
« réputé majeur. Comme tout autre mineur, il pour« rait invoquer l’action en nullité ou en rescision. C’est
« ce qu’ont jugé plusieurs arrêts de parlements rappor« tés par Jousse, et ces arrêts doivent aujourd’hui
« même avoir toute autorité, car en cela les principes
« n’ont point varié.8 »
Dans notre ancien droit, on considérait le caution
nement de la dette d’autrui comme étranger au com
merce, et par suite comme interdit au mineur commer1 Pardessus, n° 5 8 ; — Nouguier, pag. 249 ; — Orillard, n° 165.
2 Trib. d. comm., p . 251.
�AHT.
2
ET 8
.
135
çant. « ün m ineur, marchand ou banquier, disait
« Jousse, qui se serait rendu caution ou certificateur
« pour raison d’une dette étrangère à son commerce,
« pourrait se faire restituer contre un pareil engage« ment. Ainsi, par arrêt du mois d’avril 1601, rapporté
* par M. Le Bret, un marchand qui, en minorité, s’é« tait rendu certificateur d’un receveur des tailles, fut
« restitué contre son obligation. Bouvet, en ses ques« tions, rapporte un arrêt du parlement de Dijon du
« 28 juillet 1614, par lequel un marchand mineur qui
« avait cautionné un autre marchand, quoique pour
« marchandises, a été déchargé de son cautionnement,
« parce qu’il ne suffit pas que le mineur s’oblige pour
« marchandises quand elles sont pour le compte d’au« trui; mais il faut qu’il s’oblige pour le fait de son
» commerce.1 »
En ce point encore, les principes n’ont point varié,
et comme autrefois on refuserait aujourd’hui au mineur
commerçant la capacité de cautionner un tiers, la cause
de l’obligation de celui-ci fût-elle essentiellement com
merciale. Le cautionnement en effet n'a pas cessé d’être
un contrat de bienfaisance, et en quelque sorte une
pure libéralité. Comme tel, il est forcément en dehors
de toutes les catégories des actes de commerce. Donc,
l’autorisation d’exercer ceux-ci ne saurait s’étendre à la
faculté de consentir celui-là.
1 Ordonn., 1673, tit. î, art. 6.
�136
DEâ COMMERÇANTS
ggter, aa U ^'existerait donc ni difficulté ni douté.
Si l’obligation énonce comme cause un cautionnement,
elle serait annulable et devrait être annulée, quand bien
même la dette aurait, à l’endroit de celui qui l’a sous
crite, un caractère commercial. Ce caractère ne pour
rait pas faire que l’obligation contractée par le mineur
fût relative à son commerce personnel auquel se res
treint forcément sa capacité.
Qu’arrivera-t-il si l’acte est muet sur la cause de l’en
gagement? Pourra-t-on exciper contré le mineur de
l’article 638 Code de commerce et prétendre que sa
dette est de plein droit présumée contractée pour son
commerce?
« Non, répond M. Pardessus, car pour que le mineur
« soit obligé, il faut non-seulement qu’il soit légale—
« ment commerçant, mais encore que l’engagement
« soit relatif à son commerce. En conséquence, lors« que la cause de l’engagement n’est pas exprimée, on,
« ne doit pas présumer de plein droit que l’engage« ment est commercial, et encore moins supposer qu’il
« est relatif au commerce du mineur.1 »
Le système contraire ouvrirait à la fraude une trop,
large issue. L’autorisation de faire le commerce ser
virait merveilleusement l’intérêt de certains usuriers qui
se garderaient bien d’indiquer dans le titre la cause des
avances ruineuses qu’ils auraient faites au mineur et
peut-être avant qu’il eût obtenu cette autorisation.
1 N» 62.
*
�art .
2 et 3.
137
Eli droit, d’ailleurs, la doctrine de M. Pardessus est
irréprochable. Celui qui poursuit en vertu d’un titre
doit justifier de la validité et de là régularité de ce ti
tre* Or, si ce titre émane d’un mineur autorisé régu
lièrement à faire le commerce, sa validité et son auto
rité sont subordonnées à cette double condition : 1° que
l’engagement a pour cause un acte de commerce;
2° que cet engagement a été contracté pour le com
merce personnel du mineur. Il faudra donc que celui
qui s’en prévaut prouve l’un et l’autre sous peine d’é
chouer. Il ne saurait dans ce cas être question de la
présomption de l’article 638 Code de commerce.
Le principe que le mineur commerçant doit être re
levé du cautionnement qu’il aurait donné à la dette
d’un tiers est incontestable. Mais cette protection que la
loi a entendu lui assurer perd à peu près toute son ef
ficacité par la facilité qu’on a de l’éluder.
En effet, le mineur commerçant est incontestable
ment capable de souscrire et d’endosser les billets à or
dre, les lettres de change et tous autres titres négocia
bles; or, endosser un de ces titres, c’est se rendre cau
tion solidaire du souscripteur et des endosseurs pré
cédents.
Qu’arriverait-il si le mineur, en présence de ces ti
tres, pouvait sé prévaloir des règles relatives au cau
tionnement que nous venons d’indiquer? C’est que per
sonne n’oserait traiter avec lui, c’est qu’il ne jouirait
d’aucun crédit, qu’il ne pourrait traiter qu’au comp-
�------- -
138
DES COMMERÇANTS
tant, et qu’il serait ainsi réduit pour ainsi dire à l’im
possibilité d’exercer le commerce.
L’intérêt même du mineur exigeait donc qu’on fît
exception au principe lorsqu’il s’agit de la négociation
de lettres de change, billets à ordre ou de tous autres
titres transmissibles par endossement. Cette exception
admise par Jousse est également professée par M. Par
dessus. Mais il en résultera évidemment que ceux qui
voudront faire engager le mineur commerçant pour le
cautionnement pur et simple d’un tiers ne manqueront
pas de prendre la forme commerciale. Ils lui feront
souscrire ou endosser des lettres de change, des billets
à ordre causés valeur reçue ou valeur en marchandé,S
ses, et ils arriveront ainsi à tourner l’obstacle que leur
oppose la loi.
Cette simulation laissera le mineur en quelque sorte
désarmé, car en supposant qu’il puisse en exciper con
tre les auteurs, il ne serait ni recevable ni fondé à s’en
prévaloir contre les tiers porteurs de bonne foi, n’avonsnous pas raison de dire que l’exception est dans le cas
de tuer la règle ?
— En est-il de la société comme du cau
tionnement? Celle que le mineur, régulièrement auto
risé à faire le commerce, aurait contractée avec un tiers
devrait-elle être maintenue ou annulée ?
9 6 q u a tu o r.
En examinant la question de savoir si le mineur pou
vait s’associer avec son père dont il tient l’autorisation,
'
,1
�>j
' v ;
ART.
2
ET
3.
139
nous avons admis que sa capacité pour contracter une
société commerciale ne pouvait être méconnue.1
C’est l’opinion contraire que M. Delangle enseigne.
Pour cet honorable jurisconsulte, le droit de contracter
une société ne saurait être la conséquence de l’autorisa
tion de faire le commerce.
« Cette autorisation, dit-il, est un mandat, et, à ce
« titre, elle ne peut être étendue au-delà de ses terif mes. C’est pour faire un commerce déterminé et
« pour le faire seul, que le mineur reçoit de sa famille
« la capacité qui lui manque ; il ne peut pas aller au« delà. Ne comprend-on pas d’ailleurs que lui reconff naître le droit de s’associer à son gré, même pour
« son commerce, c’est le livrer à tous les dangers que
« l’inexpérience entraîne? Rien n’est plus difficile que
« le choix d’un associé. Il faut connaître et peser avec
« scrupule ses antécédents, sa position actuelle, sa sol« vabilité, les ressources de son industrie, sa moralité.
« Un mineur ne suffit pas à cette étude. Ignorant de
« tout et sans défiance, comme on est quand la vie
« commence, il n ’éviterait aucun des pièges tendus à
« sa bonne foi si la famille ne se plaçait près de lui
« pour guider ses pas.
« C’est donc à la famille qu’il appartient de décider
« s’il convient d’ajouter au mandat qu’elle a donné
« précédemment un mandat nouveau. Le mineur éman« cipé n’a pas plus le droit de contracter une société
i
S u p .,
n° 90.
�140
DES COMMERÇANTS
« sans y être spécialement autorisé, que de faire le
« commerce contre la volonté de la famille dont il
« dépend.1 »
96quint°.
Cette dernière proposition ne rencon
trera aucun contradicteur. Tant que le mineur n’est
qu'émancipé, il ne peut contracter une société par l’ex
cellente raison qu’il est encore absolument incapable de
faire le commerce, mais dès qu’une autorisation.régu-,*
lière lui a donné le droit d’exercer celui-ci * il a par
cela même reçu celui de contracter celle-là.
On ne pourrait soutenir le contraire que. si l’autori
sation n’avait été donnée que pour un commerce dé
terminé comme l’admet M. Delangle. Mais ce n’est pas
ce que la pratique a admis. Ordinairement l’autorisation
est donnée au mineur en termes généraux, pour exer
cer le commerce sans restriction et sans limitation.
Dans une espèce où l’autorisation avait été consentie
en ces termes, on soutenait qu’elle était nulle parce
qu’elle ne déterminait pas la branche de commerce
dont le mineur devait s’occuper. Mais la cour de Caen
répond : « Que cette détermination n’est exigée -par,
« aucune loi, et que, dans l’état actuel du commerce où
« le plus souvent des opérations de diverse nature s’en« chaînent les unes aux autres d’une manière tout-à-fait
« imprévue et pourtant nécessaire, il ne serait pas sans
« inconvénients dans beaucoup d’occasions, tant pour
i S o c ., n° 58. Conf. Malepeyre
et
Jourdain, des S o c ., p 12.
�ART.
2
ET
3-
141
« les tiers que pour les mineurs livrés au négoce, que
« la capacité commerciale de ceux-ci fût rènfermée
« dans des limites trop fixes.1 »
N’est-ce pas, en effet, que là détermination d’une
nature d’affaire pourrait devenir la source de difficul
tés, de procès nombreux. Les intéressés ne manque
raient pas de soutenir à chaque occasion que l’acte est
en dehors de l’autorisation, et la crainte de ces diffi
cultés ne créerait-elle pas un obstacle sérieux à toutes
relations avec le mineur? C’est précisément ce danger
qu’on a, voulu éviter et qu’on évite en autorisant le mi
neur à faire le commerce, ce qui ne limite et n’exclut
rien.
*
Maintenant, est-il possible d’admettre que l’autorisa
tion est un mandat. Où est entre l’une et l’autre l’affi
nité qui permettrait de les assimiler ? Le mandat est le
pouvoir d’agir au nom et dans l’intérêt de celui qui le
donne, Aussi, tout cè que fera le mandataire sera censé
fait par le mandant qui est seul tenu, seul obligé.
Or, le mineur autorisé à faire le commerce n’agirat-il pas en son nom et dans son intérêt personnel? Estce qu’il ne s’obligera pas seul et à l’exclusion de ceux
de qui il tient l’autorisation. Ces effets se concilient-ils
avec l’idée d’un mandant et d’un mandataire ?
En réalité, l’autorisation n’ést qu’un certificat attes
tant cette capacité, cette intelligence que l’émancipation
faisait présumer ; et son effet légal étant d’assimiler le
l 11 août 1828.
�142
DES COMMERCANTS
mineur au majeur relativement au commerce, on ne
saurait légalement dénier à l’un le droit et la capacité
de faire tous les actes qu’on permet à l’autre. La capa
cité étant la même, elle doit nécessairement aboutir à
un résultat identique, à moins d’une disposition con
traire expresse.
Lorsque la loi a voulu restreindre cette capacité, elle
s’en est formellement expliquée. Ainsi, l’article 6 Code
de commerce ne permet aux mineurs commerçants de
vendre leurs immeubles que dans les formes prescrites
par les articles 457 et suivants Code civil, pourquoi ne
se serait-elle pas également expliquée si elle avait en
tendu limiter la capacité du mineur, l’étendue de son
commerce, et lui dénier le droit de contracter une so
ciété.
Sans doute, le choix d’un associé est une affaire déli
cate exigeant du tact et de la prudence. Mais nous ne
saurions considérer comme incapable de s’y livrer le mi
neur jugé par sa famille digne d’être émancipé et autorisé
à faire le commerce. Si ce mineur, en effet, est tel que
le représente M. Delangle, si ignorant de tout, il doit
donner tête baissée dans tous les pièges tendus à sa
bonne foi ; s’il est dans le cas de prendre pour associé
le premier venu sans aucune notion, ou s’en s’être ren
seigné sur ses antécédents, sa position actuelle, sa sol
vabilité, les ressources de son industrie, sa moralité, ce
n’est pas l’association seulement, mais encore le com
merce qu’il faudrait lui interdire, et en l’émancipant et
en l’autorisant à exercer celui-ci, la famille aurait agi
�ART.
2
ET
3.
143
avec une légèreté impardonnable. Loin de relâcher les
liens de la tutelle, elle aurait dû les resserrer.
Une pareille légèreté ne se présume pas. On doit
donc considérer la détermination de la famille comme
une garantie de l’intelligence du mineur, et de la pru
dence qu’il apportera dans tous les actes de sa gestion.
D’ailleurs, si l’association a ses inconvénients, elle a
aussi ses avantages; en multipliant les ressources, en
groupant les intelligences et les aptitudes, elle double
les chances de réussite. Elle peut même constituer pour
le mineur commerçant l’élément indispensable du
succès.
Nous convenons qu’en définitive la famille est appe
lée à trancher souverainement la question. Ainsi, elle
peut dans l’autorisation, non-seulement définir le genre
d’affaires dont le mineur devra s’occuper, mais encore
lui imposer la condition d’agir seul. A défaut, assimilé
purement ët simplement au majeur, il a, comme celuici, le droit et la capacité de contracter une société.
96sexto. —r Les seuls monuments de jurisprudence
existant sur la question, consacrent l’opinion que nous
émettons. L’arrêt de Douai du 21 juin 1827, en jugeant
que le mineur ne peut s’associer avec son père dont il
tient l’autorisation, reconnaît implicitement qu’il est
capable de s’associer avec un tiers. Le contraire ad
mis, l’arrêt aurait évidemment fondé la nullité de la so
ciété sur l’incapacité absolue du m ineur, sans se jeter
�144-
DES COMMERÇANTS
dans la théorie fort hasardée de l’irrégularité de l’auto
risation.
: : ' '
Ce que la cour de Douai consacre implicitement, la
cour de Caen l’admet très-explicitement. Elle décide,
en effet, par arrêt du 11 août 1828, que le mineur ré
gulièrement autorisé à faire le commerce peut former
une société commerciale.
On disait aussi à l’appui de la nullité de la société,
que le droit de la consentir ne pouvait résulter que
d’une autorisation spéciale ; qu’il excédait les limites de
celle donnée simplement pour faire le commerce, mais
cette prétention est formellement repoussée.
« Attendu, porte l’arrêt, que du moment que Guil« laurne d’Harembure a été régulièrement autorisé à
« faire le commerce, la société qu’il a contractée avec
« son frère pour spéculer sur les toiles et fils, n’avait
« rien que de très-licite et de très-conforme à ladite
« autorisation. »
97.
— Constatons encore qu’aux termes précis de
l’article 2, l’autorisation régulière ne couvre que les ac
tes de commerce qui l’ont suivie. En conséquence, le
sort de ceux qui l’auraient précédée obéira aux règles
ordinaires du droit civil. Ils seront donc, suivant le cas,
ou annulables ou simplement réductibles.
Cette conséquence nous amène à nous occuper d’une
fraude que le désir de s’y soustraire peut déterminer.
Les porteurs du titre nul ou réductible en obtiendront
le renouvellement à une date postérieure à l’autorisa-
�ART.
2
ET
3.
145
tion. Pourront-ils, en vertu de ce nouveau titre, con
traindre le mineur, sans que celui-ci puisse leur oppo
ser la véritable origine de la créance?
Cette question doit se résoudre par les principes
généraux sur la fraude. Celle qui a pour objet de dissi
muler une incapacité légale est une fraude contre une
loi d’ordre public, pouvant toujours être opposée, mê
me par celui qui en a assumé la complicité.
Le mineur serait donc recevable à er.ciper de celle
dont nous nous occupons, et à la prouver par témoins
et même par présomptions. Cette preuve fournie, et la
date véritable acquise, l’engagement antérieur à l’auto
risation ne serait plus qu’un contrat purement civil,
régi par les règles applicables au mineur émancipé
ou non.,
On pourrait sans doute se prévaloir de l’article 1322,
pour combattre notre solution. Mais nous avons déjà
vu que la présomption que cet article crée n’était ad
mise que jusqu’à preuve contraire, lorsque le souscrip
teur de l’obligation avait depuis peu perdu ou acquis la
capacité de contracter.1
98.
La disposition de l’article 3 du Code de
commerce était une conséquence forcée du principe
consacré par l’article précédent. Le mineur, ne pouvant
exercer le commerce qu’après autorisation, est évidem
ment incapable d’arriver par une voie indirecte au réi Voyez notre Traité du V olet de la Fraude, n« 1276.
40
�146
DES COMMERÇANTS
sultat qu’on voulait atteindre. Quelle que soit donc la
commercialité de l’acte fait par le mineur, il ne pourra
être ni traduit devant le tribunal de commerce, ni être
soumis à la contrainte par corps. Son engagement n’en
sera pas moins nul ou réductible, suivant les circons
tances. Si on avait permis au mineur de faire valable
ment des actes de commerce, l’habitude à laquelle il
se serait livré lui ferait bientôt acquérir cette qualité de
commerçant à laquelle il ne peut atteindre que par une
autorisation préalable.
D’ailleurs, si le mineur avait été capable à l’endroit
des actes de commerce, bientôt tous ses engagements
auraient revêtus ce caractère. La fraude aurait large
ment usé de ce moyen, et serait ainsi parvenue à anni
hiler la protection dont le droit civil a cru devoir
l’entourer.
Il ne pouvait réellement exister à ce sujet deux ma
nières de voir. Aussi la doctrine est-elle unanime, et la
jurisprudence n’a-t-elle jamais varié. La cour d’Aix, la
cour de cassation, la cour de Paris avaient consacré le
principe les 10 novembre 1817, 2 décembre 1826 et
28 novembre 1834.
Plus récemment et le 23 juillet 1859, la cour de
Rouen jugeait que le mineur émancipé n'est justiciable
que du tribunal civil et non du tribunal de commerce,
à raison des obligations ayant le caractère commercial,
qu’il a contractées avant d’avoir reçu l’autorisation qui
lui était nécessaire pour se livrer au commerce. En con
séquence, elle réformait le jugement par lequel le tri-
�ART.
2
ET
3.
147
bunal de commerce d’Evreux s’était déclaré com
pétent.
« Attendu, dit la cour, que Boutigny est né au
« Bourg-Beaudoin le 21 mai 1837 ; qu’il est marié et
* émancipé de plein droit par le mariage, mais qu’il
« n’a pas été autorisé à faire le commerce; qu’il n’est
« pas contesté que les obligations à raison desquelles
« il est poursuivi par Audenet, contractées du 4 juillet
« au 20 octobre 1857, sont postérieures à son érnanci« pation ; mais qu’à défaut de l’autorisation exigée par
« l’article 2 Code de commerce, elles ne peuvent être
« réputées avoir, à son égard, le caractère commercial,
« ladite autorisation devant précéder les opérations;
« que la juridiction consulaire était donc incompétente
« pour connaître de l’action.1 »
Saisie à son tour de la question, la cour d’Amiens la
résolvait dans le même sens et jugeait le 8 février 1862,
que le mineur émancipé qui n’a pas obtenu l’autorisa
tion de faire le commerce, n’était ni justiciable de la
juridiction commerciale, ni passible de la contrainte
par corps à raison des engagements commerciaux con
tractés par lui.3
Enfin, par arrêt du 6 août 1862, la cour de cassa
tion décide que le prêt consenti à un mineur non ha
bilité à faire le commerce n’est pas commercial ; que
dès lors ce mineur actionné en remboursement du prêt,
1 J. du P., 1860, 1059.
a Ibid. 1862, 624.
�148
DES COMMERÇANTS
dans la mesure du profit qu’il en a tiré, n’est soumis
ni à la juridiction commerciale, ni au paiement des in
térêts au taux du commerce, ni à la contrainte par
corps.
Elle déclare en outre que le moyen tiré de ce qu’un
tel prêt ne saurait entraîner aucune des conséquences
d’un prêt commercial étant d'ordre public, peut être
présenté pour la première fois devant la cour de cas
sation.1
99.
— Le mineur marié n’a pas la capacité d’exer
cer le commerce. Il ne remplit, en effet, jusque là,
qu’une des conditions de l’article 2, à savoir l’émanci
pation, conséquence légale du mariage lui-même. Il
faut donc qu’il soit de plus régulièrement autorisé par
son père, par sa mère à défaut de celui-ci, par le con
seil de famille en absence de l’un et de l’autre. L'exer
cice du commerce, sans cette autorisation, ou en force
d’une autorisation incomplète ou irrégulière, ne pour
rait le faire réputer majeur quant aux engagements
qu’il aurait souscrits.
A rt.
4.
La femme ne peut être marchande publique
sans le consentement de son mari.
1 J. du P. 1863, 1096.
�ART.
4
ET
5.
149
A rt. 5 .
La femme, si elle est marchande publique,
peut, sans l’autorisation de son mari, s’obliger
pour ce qui concerne son négoce, et, audit cas,
elle oblige aussi son mari, s’il y a communauté
entre eux.
Elle n’est pas réputée marchande publique
si elle ne fait que détailler les marchandises du
commerce de son mari. Elle n’est réputée telle
que lorsqu’elle fait un commerce séparé.
SOMMAIRE
100. Aptitude et capacité de la femme pour faire le commerce.
Position que le mariage lui fait à cet égard.
101. Responsabilité que le droit ancien faisait peser sur le mari.
Conséquences.
102. Position que l ’article 217 du Code civil fait à h femme,
marchande publique.
103. Le Code civil n ’avait pas à s’occuper des conditions devant
faire acquérir celle qualité. Influence que l ’article 217
a exercé sur le Code de commerce.
104. Dans la discussion de celui-ci, la difficulté s ’offrit sur la
forme qu’il convenait de donner à l ’autorisation.
105. Observations à l’appui des deux systèmes présentés.
106. Adoption de celui présenté par le ministre, sauf rédaction.
107. L ’autorisation peut être tacite. Exemples divers d’applica
tion de cette règle.
108. Conséquences de cette doctrine et de cette jurisprudence.
�150
DES COMMERÇANTS
109. Motif de la différence entre le mineur et la femme mariée,
à l ’endroit de l’autorisation.
110. Autre motif donné par M. Nouguier. Son appréciation.
111. Difficultés que soulèvera la question de savoir si la femme
est ou non marchande publique, à défaut d’un établis
sement public et spécial.
112- La femme, sous quelque régime qu’elle soit mariée, ne
peut être marchande publique sans le consentement du
mari.
113. Peut-elle, au refus de celui-ci, se faire autoriser par jus
tice ?
113bis. Arrêt de la cour de Grenoble en sens contraire, ses
motifs.
113ter. Examen et discussion.
113(iuatuor. Arrêt de la cour de Paris, son caractère.
114. Q u id si après avoir consenti, le mari entend user du droit
de révoquer l’autorisation.
115. Eléments sur lesquels la justice doit, dans ce cas, baser
son appréciation.
115bis. Tempérament admis par M. Pardessus, son caractère.
115ter. Opinion de M. Louis Nouguier. Examen et discussion.
1 1 5 quatuor< Jugement invoqué parM. Nouguier, son caractère.
4 4 gquiato^ Légalité de l’annulation que ce jugement prononce de
la société contractée par la femme sans autorisation spé
ciale.
11 ssexto. Doctrine en ce sens.
115sePtimo. Arrêt de la cour de cassation.
116. Publicité que doit recevoir la rétractation consentie par la
femme ou ordonnée par justice.
117. Résumé.
118. Principes régissant la femme mariée, encore mineure.
119. De qui doit émaner l ’autorisation d’exercer le commerce.
Arrêt juridique de la cour de Toulouse.
120. Arrêt contraire de la cour de Grenoble. Son caractère.
�ART. 4 ET 5.
121.
122.
123.
124.
125.
126.
151
Qui doit autoriser la femme, si le mari est encore mineur.
Quid en cas d’absence ou d’interdiction du mari ?
Capacité de la femme régulièrement autorisée.
Peut-elle cautionner valablement un tiers?
Ou contracter une société commerciale?
Peut-elle acheter une maison pour y établir sa manufacture
ou ses magasins ?
127. Nécessité d’une autorisation spéciale pour ester en justice.
Seseffets.
128. Caractère de la présomption de l ’article 638 du Code de
commerce, à l ’endroit de la femme.
129. Effets des engagements commerciaux de la femme autoririsée, sur sa personne et ses biens.
130. La femme commune ne peut s ’en libérer en renonçant à la
communauté.
131. Fondement de la régie que la femme commune oblige di
rectement son mari.
132. Conséquences qu'en a déduit la doctrine, suivant le régime
sous lequel se sont placés les époux.
133. Le mari est obligé, si l’exclusion de la communauté est
pure et simple.
134. Quid dans l ’hypothèse de l ’article 1525 du Code civil ?
135. Quid dans celle du régime dotal ?
136. Le mari e s t-il, aujourd’hui comme autrefois, contraignable par corps, pour les engagements auxquels il est
tenu ?
137. Dans quels cas la femme, marchande publique, est-elle te
nue des faits de son mari ?
138. La femme, comme le mineur, est recevable à quereller l ’au,
torisation vicieuse ou irrégulière qu ’elle aurait reçue.
139. La femme ne peut être marchande publique, si elle ne fait
que débiter les marchandises de son mari.
140. Véritable acception des expressions de la loi, voulant que
la femme exerce un commerce distinct et séparé.
�152
DES COMMEBÇANTS
141. Conséquences pour la femme qui, exerçant le commerce,
se marierait sous le régime de la communauté, ou avec
un commerçant.
442. Modifications que ces conséquences peuvent subir.
143. Applications diverses du principe posé par les articles 220
du Code civil et 5 du Code de commerce.
144. Les engagements que la femme souscrirait dans ce cas ne
l ’obligent point personnellement.
145. Q u id à l’endroit du mari ?
146. Difficultés qui pourront s’élever sur le consentement du
mari à la gestion de sa femme. Solution.
147. Diverses décisions sur la matière.
148. Examen d'un arrêt de Bruxelles, indiqué comme ayant
décidé dans un autre sens.
149. Nature des questions que les litiges de ce genre offriront
à résoudre. Devoir des tribunaux.
150. Résumé.
151. La femme gérant le commerce de son mari ne peut s ’en
gager personnellement sans une autorisation spéciale.
Conséquences quant à l ’aval qu’elle apposerait l’obli
gation du mari.
452. La femme est-elle censée valablement autorisée par l’ac
ceptation que ferait le mari d’une lettre de change qu’elle
aurait tirée sur lui?
4 53. Q u id , dans l’hypothèse inverse, de l’acceptation par la
femme d’une lettre fournie sur elle par son mari ?
154. Le mari peut-il ratifier seul l ’acte nul pour défaut d’auto
risation ?
à
100.
— L’aptitude de la femme à faire le com
merce ne saurait être méconnue. Aussi a-t-elle été
justement placée, en regard de son exercice, sur la
même ligne que l’homme. Mineure, l’article 2 la sou-
�ART.
4
ET g .
153
met à l’autorisation. Majeure, elle n’a d’autre règle à
suivre que sa propre volonté.
Mais le mariage modifie profondément son état et sa
capacité. Soumise à la puissance maritale, elle doit se
conformer aux exigences de celle-ci. On conçoit donc
que cet état de dépendance relative ne permettait pas
de la laisser indépendante à l’endroit du commerce.
Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que sa capa
cité, comme majeure, lui permettait de faire le com
merce, tant que le mari n’avait pas manifesté une vo
lonté contraire; qu’à raison des opérations auxquelles
elle se livrait, elle était entièrement dégagée de toutes
les règles de la puissance maritale.
C’est ce que nous trouvons inscrit dans les monu
ments les plus anciens de notre législation. Le chapitre
45 des établissements de saint Louis nous en fournit
une preuve irréfragable. Nul famé n'a réponse en cour
laie, puisqu'ele a seigneur, si ce n'est du fat de son
corps. Mais qui l'aurait batue, ou dit folie ou autlre
deloiauté, en tele manière ele a réponse sans son sei
gneur, ou si ele était marchande, ele aurait bien la
réponse des choses qu'ele aurait baillées de sa mar
chandise, auttrement non.
Cette doctrine ne pouvait faire difficulté dans les
pays de droit é crit, puisqu’il y était admis que la
femme pouvait s’engager sans l’autorisation de son
mari.1 Mais l’exigence contraire, consacrée en général
i D enisart, v°
aulor. mar.,
n °s 2 e t su iv
�154
DES COMMERÇANTS
dans les pays coutumiers, n’en avait nullement empê
ché la sanction. La jurisprudence des parlements ne
laisse aucun doute à cet égard : Negociatrix mulier,
vinculis cogitur œs alienum exsolvere, licet in sacris
m ariti constituta sit. Telle était la règle universelle
ment admise.
— Quels devaient être les effets des engage
ments que la femme pouvait commercialement sous
crire sans l’autorisation de son mari ? Devait-on les
réduire à grever exclusivement ses biens personnels?
L’affirmative amenait à cette conséquence : d’une part,
que le mari, ayant incontestablement profité du com
merce de la femme, retiendrait, en cas de revers, les
avantages antérieurements acquis et se trouverait libéré
de toutes les charges, pouvant n’avoir d’autre origine
que ces avantages mêmes; d’autre part, que la décon
fiture déterminant la faillite , les tiers créanciers se
trouveraient en présence d’un actif tellement illusoire
qu’il ne leur offrirait aucune ressource.
Ce qui pouvait résulter de là, c’est que, dans la
crainte de ce résultat, les tiers fussent amenés à n’ac
corder aucun crédit, et qu’ainsi le commerce de la
■jjgj
femme fût d’avance condamné à l’impuissance.
Le remède à cet inconvénient était indiqué par la si
tuation même des choses, rendre le mari responsable
des engagements de la femme. C’est ce remède que
notre ancien droit avait consacré ; qu’il avait même
porté fort loin, puisque non-seulement le mari était
101.
�ART. 4 ET 5.
155
'%
solidairement tenu , mais encore contraignable par
corps.
Mais il était juste, dès lors, que le mari ne pût en
courir, malgré lui et sans son consentement, une pa
reille responsabilité. Aussi, était-on arrivé à conclure
que la femme ne pouvait régulièrement exercer le
commerce qu’avec l’autorisation de son mari. Néan
moins, comme l’existence de cette autorisation pouvait
offrir des difficultés, donner matière à des fraudes de la
part des époux, on la faisait de plein droit résulter de
ce que la femme vendait et trafiquait publiquement, au
vu et au su de son mari, et sans obstacle de sa part.1
102.
— Telle était, sur cette matière, l’état de la
législation, jusqu’au moment où l’attention du conseil
d’Etat fut appelée à poser les fondements et les bases
de la législation nouvelle.
L’article 217 du Code civil a fait une loi générale de
la règle suivie en pays coutumier. La femme, même
non commune ou séparée de biens, ne peut donner,
aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou oné
reux sans le concours du mari dans l’acte, ou son con
sentement par écrit.
' Mais aussitôt, et par exception à ce principe général,
l’article 220 ajoute : La femme, si elle est marchande
publique, peut, sans autorisation de son mari, s’obliger
1 Bornier, sûr l’art. 8, tit. 34, de l’ord. de 1667,
�156
DES COMMERÇANTS
pour ce qui concerne son négoce, et, audit cas, elle
oblige aussi son mari, s’il y a communauté entre eux,
103.
— Remarquons que le Code civil admet en
principe que la femme a acquis la qualité de marchande
publique et raisonne dans cette hypothèse. Il n’avait
pas autre chose à faire. En effet, la détermination des
conditions acquisitives de cette qualité était et devait
être naturellement abandonnée au législateur com
mercial.
Mais, à son tour, celui-ci était en quelque sorte lié
par le principe du Code civil à l’endroit des effets des
engagements contractés par la femme marchande. Ne
voulant ni l’abroger ni le modifier, il admettait a priori
la responsabilité du mari sous le régime de la com
munauté.
Cette responsabilité devait produire, dans le nouveau
droit, une conséquence identique à celle que notre droit
ancien en avait déduit, à savoir la nécessité d’un con
cours quelconque de la part du mari. Comment, en
effet, consacrer, malgré son' refus, une atteinte aux
droits exclusifs qui lui sont conférés sur les biens com
muns? Comment, d’ailleurs, concilier l’indépendance
absolue de la femme avec la puissance maritale que
notre législation a tant renforcée ?
(0 4 . — Aussi, dans la discussion que l'article 4
subit au conseil d’Etat, l’utilité de permettre à la femme
l’exercice du commerce ne fut contestée par personne.
�ART. 4
ET
5.
157
La justice des conséquences attachées à cet exercice
par le Code civil fut universellement reconnue. L’uni
que difficulté à résoudre consistait donc sur la forme
qu’il convenait de donner à l’autorisation.
Deux systèmes fort opposés s’offraient à l’examen du
conseil d’Etat. Le premier, proposé par le ministre, se
formulait dans la disposition suivante : Le mari, dont
la femme fait notoirement le commerce, est responsa
ble des engagements qu’elle contracte pour les faits de
son commerce, si elle n’est séparée de biens avec lui,
et si la séparation n’a été enregistrée, publiée et affi
chée dans les formes voulues.
Le second, émané de la section de l’intérieur, ten
dait, au contraire, à ne permettre à la femme d’être
marchande publique que lorsque le mari aurait donné
son autorisation, et que celle-ci aurait été enregistrée
et affichée, comme pour le mineur.
10 5.
— A l’appui de cette disposition, M. Cretet
faisait remarquer qu’il serait contre la nature des cho
ses et les principes du droit civil, que la femme pût
disposer des biens de la communauté sans l’autorisation
de son mari ; qu’à la vérité, il est rare qu’elle fasse le
commerce sans ce consentement, mais qu’il faut encore
qu’elle ne puisse s’en passer. Autrement il lui suffirait,
pour engager son mari, de souscrire des billets, parce
que, par cet acte, elle se constituerait marchande pu
blique.
Les partisans du premier système répondaient que,
�158
*
DES COMMERÇANTS
si la femme fait notoirement le commerce, il est im
possible que le mari n’en soit pas instruit ; qu’il n’y a
donc pas de précautions à prendre pour empêcher qu’il
ne se trouve engagé malgré lui; que, dès lors, toutes
les formalités proposées par la section devenaient inu
tiles ; que ce système pourrait même être dangereux,
en ce qu’il ménagerait, à un mari de mauvaise fo i, la
ressource d’un désaveu tardif, pour échapper à des en
gagements que cependant il aurait tacitement autorisé
sa femme à contracter.
Dans le droit existant, ajoutait M. Bigot de Préame
neu, il suffit, pour que la femme soit réputée mar
chande publique, et engage à ce titre la communauté,
qu’elle fasse le commerce sous les yenx de son mari. Il
semble plus juste de faire dépendre ses engagements
envers les tiers de ce fait seul, que des formalités éta
blies dans l’article exigé.1
106.
— Cette discussion amena le rejet du système
adopté par la section. On lui préféra celui du ministre,
sans cependant adopter la rédaction qu’il avait présen
tée. On craignit que l’existence de la notoriété ne de
vînt l’origine de difficultés qu’on tenait surtout à éviter
en pareille matière. On se borna donc au texte actuel
qui, éclairé par la doctrine ancienne, par la discussion
elle-même, n’offre aucune prise au doute ou à l’in
certitude. Des tiers au mari, tout dépend de la qualité
l Séance du 23 nov. \ 806.
�ART. k ET
5.
lg9
réelle de la femme, plutôt que d-un fait particuIier à
ce dernier.
107.
— Aussi la doctrine est-elle unanime sur ces
divers points, à savoir : qu’à la différence du mineur,
la femme n’a pas besoin que l’autorisation qui lui serait
donnée soit enregistrée et affichée au tribunal de com
merce, la loi n’exigeant que le consentement du mari ;
qu’il n’est pas nécessaire que ce consentement soit
exprès ni écrit, il peut également n’être que tacite, et
résulter des circonstances ; qu’ainsi, si la femme se
livre à des opérations commerciales, au vu et su de
son mari, celui-ci est de plein droit présumé l’avoir lé
galement autorisée.
Cette doctrine est une déduction juste et logique de
la discussion législative que nous venons de rappeler.
Aussi a-t-elle été universellement consacrée par de
nombreux monuments de jurisprudence.
En effet, il a été jugé : que la femme mariée, qui
tient sous son nom un hôtel garni, est réputée mar
chande publique, et peut valablement s’engager sans
l’autorisation de son m ari;1
Que lorsqu’un mari ne s’oppose pas au commerce
que sa femme fait sous ses yeux, il est réputé consen
tir à ce qu’elle soit marchande publique ;2
Que lorsqu’un mari commun en biens souffre que sa
i Paris, 21 nov. 1812.
s Cass., 14 nov. 1820,
�160
DES COMMERÇANTS
femme fasse, dans le domicile conjugal, un commerce
de détail, distinct de celui qu’il exerce lui-même dans
le même domicile, il est censé l’avoir expressément
autorisée ou constituée sa mandataire ; et les obliga
tions de la femme, à raison de son commerce, engagent
la communauté ; que le mari ne peut exciper du dé
faut d’autorisation expresse lorsque, après avoir mani
festé l’intention d’empêcher sa femme de faire le com
merce, il l’a néanmoins laissée continuer celui qu’elle
avait commencé j1
Qu’à défaut d’un écrit, le consentement exigé par
l’article 4 du Code de commerce, pour que la femme
puisse faire le commerce et soit réputée marchande pu
blique, résulte suffisamment de ce que la femme n’a
fait un commerce séparé qu’au vu et su de son mari,
et sans opposition de sa part ?
Que la femme mariée n’a pas besoin, pour faire le
commerce, d’une autorisation écrite de son mari ; qu’il
suffit de son consentement tacite, lequel peut résulter
notamment de ce que, étant marchande publique avant
son mariage, elle n’a pas cessé de continuer son com
merce.3
108.
— Il résulte de cette doctrine et de cette
jurisprudence que, en définitive, le mari autorise par
i Cass., 1er mars 1826.
s Cass., 27 mars 1832.
3 Cass., 27 avril 1841 ; — J.
du P ., t. il.
1841, pag. 144.
�ART.
4 ET 5.
161
cela seul qu’il n’empêche pas ou qu’il tolère. Les diffi
cultés pouvant naître à cet égard offriront dès lors des.
questions de fait (Jont l’appréciation rentre dans le do
maine de la conscience, et est par conséquent abandon
née à l’arbitrage souverain du juge ; que, comme sous
l’empire du droit ancien, le silence ou l’inaction du
mari équivaut de plein droit à autorisation, lorsque,
sous ses veux et à son vu et su, la femme s’est livrée à
l’exercice du commerce.
109.
— Ce qui ne serait pas suffisant à l’endroit
du mineur, à savoir l’autorisation tacite, suffit donc
pour que la femme soit légalement réputée marchande
publique. La raison de cette différence est facile à sai
sir. L’incapacité du mineur est absolue et générale.
Pour lui, la faculté d’exercer le commerce est une ex
ception ayant pour objet de l’exonérer de son incapa
cité; il était donc rationel, en ce qui le concerne, de
subordonner l’effet à la certitude de la cause, et d’exi
ger, dans son propre intérêt, dans celui du public luimême, que l’exception résultât d'un acte exprès et
formel.
Comme tous les majeurs, la femme, même mariée,
est en possession de toute sa capacité. Seulement des
raisons de haute convenance devaient en subordonner
les effets à l'autorisation du mari. Obligée de suivre la
condition de celui-ci, on ne pouvait lui permettre de se
créer un état et une position indépendants de l’état et
de la position du mari. C’est là uu avantage tout pér
il
�162
DES COMMERÇANTS
sonnel à celui-ci, et auquel, par conséquent, il peut
renoncer. Celte renonciation pouvait et devait s’induire
de la tolérance qu’il met à ce que sa femme exerce, de
fait, le commerce.
MO. - A cette raison légale , M. Nouguier en
ajoute une seconde. La femme, dit-il, est forcée de vi
vre avec son mari ; or, il est impossible que celui-ci
ne soit pas averti du commerce auquel elle peut se
livrer, par le mouvement, la publicité que ce commerce
exige. Par suite, les tiers, qui voient ce commerce se
passer en quelque sorte sous les yeux de l’époux, n’ont
pas besoin d’être officiellement avertis de son concours.
Le mineur peut, au contraire, ne pas habiter avec sa
famille; rien n’indique au public son âge, son aptitude
légale. Il était donc convenable que le législateur or
donnât une salutaire publicité, établit une distinction
fondée sur la situation respective des personnes.1
Cette raison ne nous paraît nullement décisive. Ren
versez en effet l’hypothèse ; supposez que le mineur
exerce le commerce dans le domicile de son père, sous
les yeux de sa famille et même avec son concours ; que
la femme, avant comme après séparation, exploite le
sien dans un domicile autre que celui de son époux,
mais à son vu et su, cala empêchera-t-il que le mineur
ne puisse être réputé majeur que s’il a été régulière
ment autorisé ? Que la femme ne soit censée l’être par
l T. i, pag. 255, n° 2.
�♦
ART. 4- ET 5 .
16â
cela seul que son mari n’a pu ignorer qu’elle se livrait
publiquement au commerce? Nous ne voyons donc,
dans le fait signalé par M. Nouguier, qu’une considéra
tion grave lorsque l’hypothèse qu’il suppose se réalise.
La véritable raison de la distinction entre la femme et
le mineur, c’est que l’incapacité est pour ce dernier le
principe général, tandis que pour la femme elle n’est
qu’une exception tout entière en faveur du mari, qui
est présumé y renoncer par cela seul qu’il tolère au
lieu d ’empêcher.
t i l . — La question de savoir si la femme a été ou
non autorisée étant subordonnée à la notoriété, à la
publicité de son commerce, aucune difficulté ne saurait
être prévue, lorsque la femme, ayant créé un établisse
ment commercial, l’exploite d’une manière perma
nente, soit dans le domicile conjugal, soit dans un au
tre lieu de la localité habitée par son mari. Mais la
femme peut acquérir la qualité de marchande, si elle a
fait sa profession habituelle de l’exercice des actes de
commerce. La prétention de la ranger dans cette caté
gorie offrira donc à apprécier d’abord l’habitude allé
guée, ensuite l’existence du consentement du mari.
Nous avons déjà dit que les éléments de la première
se puisent dans le caractère et la nature des actes,
dans leur multiplicité, dans leur succession plus ou
moins régulière, plus ou moins rapprochée, enfin dans
la notoriété publique..
Cette dernière deviendra dans l’espèce d’autant plus
�164
DES COMMERÇANTS
décisive, qu’elle exercera une influence grave sur la
question de savoir si le mari a ou non consenti. Com
ment admettre, en effet, que ce qui a frappé les yeux
d’une cité tout entière ait échappé aux regards du ma
ri, et qu’il ignore lui ce que tout le monde sait? Le
consentement tacite pourrait donc s’induire de cette
notoriété, indépendamment des autres circonstances
qu’on pourra relever à l’appui.
Au reste, ce sont là des difficultés résidant plutôt
dans le fait que dans le droit. Nous l’avons déjà dit,
leur solution est dès lors souverainement laissée à l’ar
bitrage des tribunaux , dont l’indépendance est ab
solue.
Notons néanmoins que, dans notre hypothèse, la
question de savoir si le consentement du mari existe
est capitale, non-seulemer.t par rapport aux effets que
les engagements de la femme sont susceptibles de pro
duire sur les biens de la communauté, mais encore à
l’endroit de la femme elle-même. Celle-ci ne s’engage
valablement qu’autant qu’elle est marchande publique.
Maig si elle ne l’est pas, elle ne peut souscrire, même
un acte commercial, sans l’autorisation spéciale et par
ticulière à chaque acte. Quelques nombreux que fus
sent donc les engagements de cette nature, ils seraient,
dans leur ensemble et séparément, atteints de la nullité
résultant du défaut d’autorisation, à moins qu’on ne
prouvât le concours ou le consentement même tacite
du mari. Alors, en effet, la femme devient légalement
marchande publique, et l’autorisation générale de faire
4
�ART.
4
ET
5.
165
le commerce lui confère la capacité pour tous les actes
le constituant.
1 1 2 . — L’obligation pour la femme de rapporter
le consentement au moins tacite de son mari existe,
quel que soit le régime sous lequel le mariage ait été
contracté. Il est vrai que la femme dotale ou séparée
de biens n’engage que ses propres. Mais l’article 217
est formel, et ses exigences se justifient sous un dou
ble rapport. L’autorité maritale commandait cet acte
de déférence dont l’intérêt de la famille faisait une loi.
Il importe, en effet, à celle-ci que la fortune de la femme
ne soit pas follement dissipée. Appeler le mari à veil
ler, dans tous les cas, sur le mode de sa disposition
était donc non-seulement un juste hommage à son au
torité, mais encore un devoir imposé par les légitimes
susceptibilités de la famille.
113. — Les articles 218 et 219 du Code civil ap
pellent les tribunaux civils à suppléer non-seulement à
l’impossibilité dans laquelle se trouverait le mari, mais
encore au refus qu’il ferait d’autoriser sa femme. Ce
recours à la justice peut-il être admis pour l’autorisa
tion à l’effet d'exercer le commerce?
Celte question est résolue négativement par M. Par
dessus, enseignant que rien ne peut suppléer au con
sentement du mari qu’exige l’article 4 .1 Cependant
1 T. 1, n° 63; Conf., Bravsrd Veyrières, Manuel du droit comm.,
pag, 17: — Annotateurs de Zachariæ, t. n i, pag. 334, note 44.
�166
DES COMMERÇANTS
M. Locré semble professer l'opinion contraire, en ad
mettant l’intervention de la justice dans tous les cas où
il y a lieu à autorisation par le mari.1
Cette opinion ne nous paraît pas admissible, en pré
sence du texte de la loi, rapproché de l’esprit qui a
présidé à son adoption.
L’article 4 exige, pour que la femme puisse être
marchande publique, le consentement du mari. Ce qui
prouve que ce consentement doit être le fait exclusif
et personnel de celui-ci, c’est qu’il n’est pas nécessaire,
à défaut de concours dans l’acte, qu’il soit donné par
écrit, comme l’exige l’article 217. Il est acquis par cela
seul que le mari laisse sa femme exercer le commerce
à son vu et su, et sans réclamation.
Ce caractère personnel exclut l’idée de toute con
trainte judiciaire. Aussi, non-seulement la loi n’a-t-elle
pas autorisé le recours à la justice, elle l’a de plus im
plicitement exclu. C’est ce que va nous apprendre la
discussion que l’article 4 a soulevée dans le sein du
conseil d’Etat.
Insistant sur la nécessité d’obtenir, pour la femme,
l’assentiment du mari, le prince archichancelier disait
Il est difficile de comprendre comment la femme, qui a
passé sous la puissance maritale, pourrait s’en affran
chir et faire le commerce de sa seule autorité. On doit
donc maintenir la puissance du mari, et ne permettre
1 Eiprit du Code de comm., art. 4.
�.
AKT.
4
ET
5.
l'W
le commerce à la femme que lorsqu’elle a obtenu son
autorisation, soit expresse, soit tacite.
Supposons ensuite que le mari veuille retirer son con
sentement, il est juste de ne pas lui laisser indéfini
ment cette liberté, et de ne pas lui permettre de s’op
poser, par caprice, à ce que la femme améliore la for
tune de leurs enfants communs. Qu’alors le tribunal
intervienne et prononce!1
Point de doute donc sur l’intention de l'orateur. En
pareille matière, l’intervention de la justice n’est ad
missible que lorsqu’il s’agira du retrait d’une autorisa
tion précédemment accordée. Alors le mari devra, s’il
en est requis, expliquer ce retrait et justifier qu’il n’est
pas dicté par un pur caprice ou par un entêtement ridi
cule. Or, cette pensée était si bien celle du conseil
d’Etat, que, dans la même séance, M. Régnault de
Saint-Jean-d’Angély prétendait la faire législativement
formuler par l’adoption de la rédaction suivante : 1° la
femme, sous puissance du mari, peut faire le com
merce, si le mari y a donné son consentement exprès
ou tacite et résultant de faits apparents ; 2° le mari
peut, en tout temps, faire cesser le commerce de sa
femme, sauf à elle à réclamer devant les tribunaux pour
se faire autoriser, s’il y a lieu, à le continuer.
Cette proposition ne fut pas adoptée, mais les motifs
qui la firent repousser n’impliquent en rien la condam
nation de la règle en faisant la base. La crainte de gêi Séanee du 3 janv. 1807:
�168
DES COMMERÇANTS
ner l’indépendance qu’on voulait laisser aux tribunnaux
dans la recherche de l’existence du consentement, de
ses caractères constitutifs fit préférer le laconisme de
l’article 4.
La femme ne peut donc être marchande publique
que du consentement de son mari. Le refus que celuici en ferait serait absolu et définitif. La justice n’est pas
appelée à le contrôler. Elle ne pourrait surtout y sup
pléer sans porter une grave atteinte aux droits et à l’au
torité du mari.
On pourrait objecter que cette atteinte est consacrée
par la loi, lorsqu’il s’agit pour la femme d’ester en ju
gement, ou de passer un acte, puisque, dans l'un et
dans l’autre cas, la justice est appelée à autoriser en
cas de refus de la part du mari. Mais cette objection ne
saurait être accueillie.
L’autorité maritale est une règle que notre législation
actuelle a entendu renforcer, bien loin de prétendre
l’affaiblir. Mais cette régie pouvait, comme toutes les
autres, subir des exceptions. De là cette conséquence
que, pour être admise, l’exception devra être non-seu
lement prévue, mais encore formellement consacrée.
C’est ce qui se réalise pour le cas où le mari refuse
d’autoriser la femme à ester en jugement, ou à passer
un acte.
Que conclure de là? Qu’il faut, par analogie, auto
riser des exceptions nouvelles, non prévues? Non, évi
demment, car, en pareille matière, tout est de droit
étroit. Ce qui doit nécessairement s’induire du silence
�ART. 4 ET 5.
169
du législateur, c’est qu’il a entendu exclure l’hypothèse
sur laquelle il ne s’est pas expliqué. On connaît la
maxime : Qui dicit de uno, de allero negal. Refuse
rait-on de le décider ainsi, dans le cas, par exemple, où
la femme demanderait d’être autorisée à administrer ses
biens, et permettrait-on à la justice de lui accorder
cette autorisation, sur le refus que le mari, ferait de la
consentir ?
Au fond, peut-on assimiler les hypothèses prévues
par les articles 218 et 219 du Code civil, avec l’autori
sation à l'effet d’exercer le commerce ? Ce qui ressort
de ces deux dispositions, c’est que le législateur a en
tendu faire de l’autorisation maritale une mesure de
sage précaution et non un instrument de vexations
injustes. Or, elle pouvait prendre facilement ce carac
tère surtout après la séparation des époux, laissant la
femme dans la nécessité de se pourvoir de l'autori
sation,
D’autre part, la justice n’est autorisée à suppléer au
refus du mari que lorsque l’acte pour lequel le con
cours de celui-ci est requis est réellement avantageux
à la femme. Il faut donc qu’elle soit mise à même de
se convaincre de ce caractère. Cela lui est possible et
facile dans les hypothèses des articles 218 et 219. Les
conséquences que peut avoir le jugement, ou l’acte, à
l’occasion duquel l’autorisation est demandée, peuvent
être actuellement appréciées, et il est juste, s’il s’agit
pour la femme d’un avantage à conserver ou à acqué
rir, qu’elle ne soit pas empêchée d’agir par le mauvais
�m
DES COMMERÇANTS
vouloir, par la haine ou le ressentiment, par une sim
ple erreur d’un mari entêté ou peu éclairé.
Que pourrait faire la justice, investie de la demande
en autorisation d’exercer le commerce? A-t-elle des
éléments d’appréciation de son utilité? Peut-elle en
prévoir les conséquences ou en juger les résultats ? Mal
gré les plus magnifiques apparences , n’a-t-on pas à
craindre de funestes revers, occasionnés par l’adminis
tration de la femme ou par une de ces crises venant si
souvent et si brusquement bouleverser et tromper les
calculs de la plus extrême prudence? C’est donc en
aveugle que la justice serait condamnée à agir; c’est à
l’incertitude et aux hasards qu’elle confierait la fortune
de la femme, contrairement à la volonté du chef de la
famille, et aux risques et périls de celle-ci.
Ce n’est pas tout encore. L’autorisation de la justice
produit les mêmes effets que celle du mari qu’elle rem
place. Les engagements de la femme ainsi autorisée
réfléchiraient sur la communauté. Le mari verrait donc,
non-seulement son autorité méconnue, mais encore sa
fortune propre compromise et dissipée, et tout cela
contre sa volonté et malgré la plus vive opposition.
Un pareil système, conduisant à de telles conséquences,
serait une monstruosité. C’est ce qui explique que
le législateur n'ait pas même conçu la pensée de le
consacrer.
Réduisît-on les engagements de la femme judiciaire
ment autorisée à sa fortune personnelle, qu’on ne cau
serait pas moins un grave préjudice au mari. Suivant le
�ART.
\
ET 5 .
171
régime adopté, les revenus de cette fortune appartien
dront à celui-ci, ou bien ils contribueront, dans une
proportion déterminée, aux charges du ménage. Con
séquemment, exposer les biens de la femme aux chan
ces du commerce, c’est courir le danger de tarir ces
sources, peut-être indispensables au bien-être de la
famille ; c’est en augmenter les charges par l’obligation
de nourrir et d’entretenir la femme après sa ruine,
c’est enfin attenter à l’honneur du mari en lui imposant
une inévitable solidarité dans la honte d’une faillite.
Qu’on tolère de pareilles éventualités lorsque le mari a
volontairement consenti, c’est là ce qu’on pouvait ad
mettre, mais qu’on les lui impose lorsqu’au lieu de
consentir il s’est énergiquement opposé, c’est ce que
la raison et la justice ne permettent pas de consacrer.
1 l 3 bis. — Tous les auteurs embrassent cette opi
nion et enseignent cette doctrine. C’est pourtant la
doctrine contraire que la cour de Grenoble a cru devoir
consacrer. Elle confirmait le 27 janvier 1863 un juge
ment du tribunal de Vienne, décidant que la femme
séparée de corps et de biens peut, au refus du mari,
être autorisée par justice à faire le commerce, et même
à s’associer avec un tiers. Celle confirmation s’étaie des
motifs suivants.
« Attendu, en droit, que la femme séparée de biens
« peut, aux termes de l’article 219 du Code civil, se
« faire autoriser par le tribunal pour passer un acte,
« lorsque le mari a refusé son autorisation ; que l’arti-
�172
DES COMMERÇANTS
« cle 4 du Code de commerce, en posant le principe
« que la femme ne peut être marchande publique sans
« l’autorisation de son mari, n’a pu vouloir créer une
« exception au droit commun ; que le législateur l’au« rait exprimé s’il l’avait voulu, et qu’aucun motif
« n’existe de refuser à la femme qui veut faire acte de
« commerce le recours aux tribunaux, qui la protègent
« contre un refus intéressé ou capricieux du mari ; que
« les dispositions tutélaires écrites au titre du mariage
« dans l’article 219, et qu’on ne saurait restreindre à
< un acte isolé, embrassent tous les actes que la femme
« peut faire dans l’administration de ses biens, et, par
« suite, l’ensemble des actes que comporte le droit de
o se livrer à un commerce ; que c’est ainsi qu'il faut
« interpréter l’article 4 du Code de commerce, qu’il
« faut concilier avec le principe général porté par l’ar« ticle 210 du Code civil; que le tribunal avait donc le
« droit d’autoriser la femme Dorel à gérer un atelier
« de modes à Lyon.1 »
ï l o ter. — Nous avons d’avance et péremptoire
ment réfuté ces considérations en exposant celles qui
militent en faveur de l’opinion contraire à celle qu’em
brasse la cour de Grenoble, et qui excluent absolument
l’applicabilité de l’article 219 du Code civil à l’hypo
thèse d’une demande en autorisation de faire le com
merce. Nous répétons que le silence gardé par l’article
�ART.
4 et 5.
173
4 du Code de commerce sur le recours à la justice en
cas de refus du mari, est l’exclusion formelle de ce re
cours. Ce recours, en effet, loin d’être la règle géné
rale, comme le dit l’arrêt, n’est qu’une exception è l’om
nipotence maritale. Ce qui le prouve, c'est que toutes
les fois qu’il a été dans l’intention du législateur de le
permettre, il s’en est expressément expliqué. Aussi, le
retrouvons-nous écrit dans les articles 1449 et 1555 du
Code civil, ce qui aurait été inutile si les articles 218 et
219 du Code civil avaient édicté un principe général et
absolu.
Le caractère d’exception admis, la conséquence lé
gale et forcée est que le recours à la justice n’est re
cevable que dans Iss cas où il est expressément consa
cré par la loi, on ne saurait donc l’accueillir dans l’hy
pothèse de l’article 4 du Code de commerce, précisé
ment parce que cet article est muet a cet égard.
Ce silence, en effet,’ prouve que le législateur n’a
pas voulu l’autoriser, car s’il avait entendu le contraire,
il n’eût pas manqué d’ajouter à l’article 4 du Code de
commerce : Ou à son défaut par justice, comme il le
le fait notamment dans les articles 1449 et 1555 du
Code civil.
Nous convenons qu’on ne saurait restreindre l’article
219 du Code civil à -un acte unique et isolé, qu’il se
réfère à l’ensemble de ceux que la femme peut être
tentée de faire, mais en ce sens qu’après en avoir ac
compli un, la femme pourra en faire un second, un
troisième. Rien ne saurait l’en empêcher, à la condition
�174
DES COMMERÇANTS
que pour ce second, que pour ce troisième, elle se fera
donner une autorisation spéciale soit par le mari, soit
par la justice. Les termes de l’article 219 sont précis
et formels : Si le mari refuse d’autoriser la femme à
passer u n acte, etc.... Donc, au refus du mari il y aura
lieu de recourir à justice toutes les fois qu’il s’agira
pour la femme de faire UN acte, et il ne pouvait en
être autrement.
En appelant la justice à suppléer au mari, la loi n’a
pas entendu favoriser les écarts dans lesquels voudrait
se jeter la femme, les actes de dissipation auxquels elle
pourrait vouloir se livrer. La mission des tribunaux est
une mission de circonspection et de prudence. Ils ne
doivent autoriser et ils n’autoriseront bien évidemment
que lorsqu’ils seront convaincus que le refus du mari
est injuste, inopportun, ou dicté par la morosité ou le
caprice.
Or, cette conviction où peuvent-ils la puiser, sinon
dans l’examen de l’acte à autoriser, dans l’appréciation
de sa nécessité, des conséquences qu’il peut entraîner.
Cet examen et cette appréciation supposent et exigent
un acte déterminé, dès à présent certain. Ils seraient
impossibles s’il s’agissait d’un ensemble d’opérations,
d’actes devant se succéder à des époques plus ou moins
éloignées.
*'
On ne saurait donc admettre avec la cour de Greno
ble que l’article 219 embrasse tous les actes que la
femme pourra vouloir accomplir dans l’administration
de ses biens. L’article 219 se réfère nécessairement à
�ART. 4 Ex 5.
175
l’article 217, et l’acte pour lequel il ouvre à la femme
le recours à la justice n’est et ne peut être qu’un de ceux
que ce dernier article énumère.
Pourquoi la femme, s’il s’agissait de l’administration
de ses biens, aurait-elle après sa séparation à se pour
voir devant les tribunaux? L'article 1449 la dispense
de l’autorisation maritale, non-seulement pour les actes
d’administration, mais encore pour l’aliénation de son
mobilier. Donc, l’interprétation que l’arrêt fait de l’ar
ticle 219 n’a rien de juridique, et ne saurait être ad
mise.
D’ailleurs, en supposant que l’article 219 a en vue
les actes d’administration, on ne saurait l’étendre à l’en
semble des actes que comporte le droit de se livrer à
un commerce. L’exercice du commerce donne lieu
à une série d’actes, non d’administration, mais de
disposition qui peuvent aboutir à la ruine, au déshon
neur et à la misère.
Et l’on voudrait Contraindre le mari à subir cette ter
rible chance! Et c’est la justice qui l’y condamnerait,
alors qu’elle n’a aucune donnée pour asseoir sa convic
tion, et qu’elle est forcée d’agir et de prononcer en
aveugle ! Une pareille doctrine blesse non-seulement la
justice, mais encore le plus simple bon sens, et nous
nous expliquons que les auteurs soient unanimes pour
enseigner qu’elle n’est ni n’a été dans la pensée du lé
gislateur.
ll3quatuor, — Le Journal du Palais, dans la note
�176
DES COMMERÇANTS
dont il accompagne l’arrêt de Grenoble, cite comme
rendu dans le même sens un arrêt de la cour de Paris
du 24 octobre 1844.1
Mais cet arrêt autorise la femme à continuer le com
merce qu’elle faisait conjointement avec son mari, et
pour lequel elle avait été par conséquent autorisée. 11
n’adtnel donc, en réalité, l'intervention de la justice
que dans le cas où la femme résiste à la rétractation de
l’autorisation qui lui a été donnée, et à ce point de Vue,
ainsi que nous allons le voir, il serait juridique.
Il est vrai que sans paraître se préoccuper de cette
circonstance spéciale du procès , l’arrêt considère :
« Que si, aux termes de l’article 4 du Code de com« merce, la femme mariée ne peut faire le commerce
« qu’avec l’autorisation de son mari, il n’en est pas
« moins vrai qu’elle peut y être autorisée par justice
« en cas d’impossibilité de celui-ci de l’accorder ou en
<f cas de refus reposant sur d’injustes motifs. »
Ainsi, l’arrêt accepte comme démontrée une propo
sition fort contestable et qui a contre elle l’unanimité de
la doctrine.
Aussi s’abstient-il de la discuter et de l’établir, et se
décide-t-il en faveur de la femme en fait et notamment
par le motif que « les époux sont séparés de biens et
« que, sous ce point de vue, aucun préjudice ne peut
« résulter pour le mari des conséquences que pour•i J. -du P. â, 1844., 461.
J
�ART.
4
ET
5,
177
« raient avoir les opérations auxquelles la femme pour« rait se livrer. »
Aucun préjudice ne peut résulter pour le mari des
conséquences des opérations auxquelles la femme pour
rait se livrer ! Mais si la femme a demandé et obtenu
sa séparation de biens, c’est que ses droits étaient en
périls et que le mari ruiné ne présentait plus de garan
ties. Or, si le mari est ruiné, il n’a plus à compter pour
l’entretien du ménage et de la famille que sur les res
sources personnelles de la femme, et si celle-ci en dis
pose, si elle les engloutit dans les chances du commer
ce,, le préjudice pour le mari ne sera-t-il pas au con
traire aussi évident que considérable?
D’ailleurs, nous croyons avec notre excellent confrère
Louis Nouguier, que : « Dans une question qui touche
« d’une manière si intime à la tranquillité du ménage,
« à l’avenir des enfants, il serait imprudent de dire
« que la femme doit être son libre arbitre lorsqu’elle
« n’engage que ses propres capitaux. Ce n’est pas, en
« effet, dans le seul but de mettre le mari à l’abri de la
« réaction des opérations de sa femme que son con« cours est exigé ; c’est aussi dans le but de protéger
« ce principe d’ordre public qui constitue un chef à la
« famille.1 »
Ainsi, l’opinion que nous repoussons ne se justifie
1 Des Irib. de com., Des commerçants
p. 256.
et Des actes de com., t, î,
12
�US
DES COMMERÇANTS
ni en droit ni en fait, on ne saurait donc l’accueillir et
la consacrer.
114. — Nous n’hésitions donc pas à nous ranger à
l’opinion de M. Pardessus : le refus du mari laisse la
femme sans recours possible. Mais nous ne pouvons pas
admettre avec lui qu’il doit en être de même lorsque le
mari, ayant d’abord consenti, prétend revenir et rétrac
ter son autorisation. Nous croyons, au contraire, que,
dans cette hypothèse, la femme a la faculté de repous
ser la prétention de son mari et d’obtenir de la justice
le droit de continuer son commerce.
Nous venons de voir que cette règle, posée par l’ar
chichancelier, ne rencontra aucun contradicteur dans le
sein du conseil d’Etat. On reconnut donc qu'on ne pou
vait permettre au mari de s'opposer, par caprice, à
ce que la femme améliorât la fortune de leurs enfants
communs. Qu'alors, concluait-on, le tribunal inter
vienne et prononce I
Il est évident qu’en principe le mari, étant le chef
et maître de la femme, a toujours le droit de révoquer
le consentement exprès ou tacite, en vertu duquel cel
le-ci exerce le commerce. Il le peut, alors même qu’ayant
épousé une marchande publique, il l’aurait expressé
ment autorisée, dans le contrat de mariage, à conti
nuer son état. La doctrine est unanime sur ce point,
par le motif que l’article 4 ne concerne pas seulement
la femme qui prétend devenir commerçante, qu’il régit
même celle qui veut continuer de l’être. C’est ce qu’in-
�ART.
4
ET
5.
179
cliquent suffisamment les expressions du législateur :
La femme ne peut être.....
D’autre part, il est vrai que les conventions matri
moniales ne peuvent recevoir aucun changement après
la célébration du mariage. Mais, quelque illimitée que
soit la liberté des époux en matière de contrat de ma
riage, leur droit s’arrête devant un commandement ex
près de la loi. Or, d’une part, l’article 1388 défend de
déroger aux règles de la puissance maritale; de l'au
tre, aux termes de l’article 223 , l’autorisation géné
rale n’est valable que quant à l’administration des
biens de la femme. La stipulation par laquelle le mari
s’interdirait d’empêcher à sa femme l’exercice du com
merce serait donc attaquable sous un double rapport.
Elle dérogerait à la puissance maritale, elle excéderait,
en faveur de la femme, les bornes d’une simple admi
nistration. Elle serait donc, sous l’un et l’autre rapport,
frappée d’une nullité légale et absolue.
Le mari pourrait donc toujours révoquer son autori
sation. Mais autre chose est de refuser à la femme la
permission de devenir marchande publique, autre chose
de retirer cette permission. En effet, l’autorisation pré
cédemment donnée suppose que la femme offre, sous
le rapport de l’aptitude et d%,l’intelligence, toutes les
garanties désirables ; elle crée en sa faveur un engage
ment qu’elle continuera son état tant que la réalité ne
viendra pas faire évanouir les espérances conçues sous
ce double rapport; tant que, par son incurie ou son
insuffisance, elle ne mettra pas le mari dans la nécessité
�180
DES COMMERCANTS
de rétracter son autorisation, afin d’empêcher une im
minente catastrophe.
Ainsi, par cela seul qu’il a consenti d’abord, le mari
voulant rétracter son autorisation est obligé de se fon
der sur le désordre des affaires de sa femme, ce que
celle-ci pourra contester. Or, à l’époque où la révoca
tion sera poursuivie, les résultats matériels du com
merce pouvant être constatés, les bénéfices ou pertes
justifiés, la justice aura tous les éléments pour pro
noncer en connaissance de cause.
Conséquemment, l’appeler à prononcer entre les
deux époux n’offre plus les inconvénients que nous
signalions tout à l’heure pour repousser son concours,
en cas de refus de l’autorisation. On doit donc d’autant
moins hésitera s’en référer à sa décision, que le juge
ment, uniquement relatif à l’état, actuel des choses,
laissera les droits du mari intacts pour l’avenir. Déclaré
non-recevable en l’état, celui-ci pourra renouveler sa
demande et la voir accueillie, si des pertes ultérieure
ment éprouvées, si des crises fâcheuses rendent le com
merce dangereux pour la femme ou pour la famille.
115. — Cette solution rentre dans l’esprit général
de la loi, car elle n’a pour but que de protéger la fem
me contre les caprices, la haine ou le ressentiment du
mari, ce qu’il importe de faire dans noire hypothèse
comme dans toutes les autres. Aussi a-t-elle reçu
l’adhésion de nombreux et savants jurisconsultes. MM.
Sébire et Carteret l’adoptent, tout en recommandant
�ART.
4
ET
S.
.
181
aux tribunaux la plus grande circonspection dans
l’exercice de leur mission.
M. Orillard va plus loin. Après avoir rappelé que la
justice ne doit pas permettre trop facilement à la femme
de se créer une position et une existence à part de celle
de son mari, dont elle doit suivre la condition, cet ho
norable auteur continue : Toutes les fois que le mari
peut fournir à tous les besoins de la femme et à ceux
de leurs enfants avec ses propres ressources, les tribu
naux doivent respecter la Volonté maritale. Mais si un
époux ne pouvait, avec ses propres moyens, subvenir
à toutes les dépenses de sa famille, et que la femme
pût, par un commerce lucratif et honorable, faire face
à tous les besoins, ce serait le cas seulement pour les
juges d’accorder une autorisation qu’un mari mal éclairé
refuserait contre ses propres intérêts : Maliliis hominum non est indulgendum.1
A notre avis, le seul élément décisif d’appréciation
est, en pareil cas, l’état actuel du commerce que le
mari veut interrompre. Peut-être même que si la posi
tion de fortune des époux était à considérer, faudrait-il
en tirer une conclusion diamétralement opposée à celle
de M. Orillard. Celui, en effet, qui possède beaucoup
peut risquer quelque chose. Mais comment imposer ce
risque à qui peut à peine fournir à ses besoins? Que
répondrait-on au mari disant : Il vaut mieux v i1 N» 470.
�182
DES COMMERÇANTS
vre avec peu, que de s’exposer à être obligé de vivre
avec rien !
L’état pécuniaire des époux ne peut donc exercer
qu’une influence très-secondaire. Ce qui est à considé
rer, c’est, nous le répétons, l’état actuel du commerce
dont la femme sollicite la continuation. Autant on ac
corderait cette permission si ce commerce n’avait pas
cessé d’être lucratif, autant on devrait se hâter d’in
terrompre celui qui depuis un temps plus ou moins,
long n’aurait offert que des pertes.
Ainsi, en principe, le mari peut rétracter son auto
risation. Mais il importe qne ce retrait ne s’effectue pas
en temps inopportun ou ne soit pas dicté par un pur
caprice, ou par animosité pure. Dans l’un et dans l’au
tre cas, la femme est recevable à le contester et à se
pourvoir devant la justice pour être autorisée à conti
nuer ses opérations. C’est ca que la cour de Paris a for
mellement jugé par arrêt du 24 octobre 1844.1
Hgbis. — Au reste, M. Pardessus reconnaît que sa
doctrine sur la non-recevabilité du recours en justice,
contre la révocation par le mari, comporte exception.
Il enseigne, en conséquence, « que la femme pourrait
« en appeler à la justice, si, après séparation judiciai-'
« re , le mari révoquait le consentement qu’il avait
« donné sans motifs valables. Cette exception, ajoute
« M. Pardessus, semble fondée sur ce que la nécessité
« de demander la séparation à laquelle le mari a, par
i J. du P., t. il, 1844, pag. 461,
�ART.
4
ET
5.
183
« sa faute, réduit sa femme peut rendre suspect aux
« yeux de la justice son changement de volonté.1 »
Ce que M. Pardessus admet dans l’hypothèse d’une
révocation postérieure à une séparation judiciaire, nous
l’admettons dans tous les cas. A notre avis, tout chan
gement de volonté doit être présumé l’effet du caprice,
d’un esprit de vexation, et cette présomption ne le cède
qu’à la preuve qu’il repose sur des raisons sérieuses, sur
des motifs graves.
Il faut donc que le mari explique le mobile qui le dé
termine à revenir sur son consentement. Il faut que le
mérite et la légitimité de cette détermination soient
appréciés et constatés. Qui donc, si ce n’est la justice,
peut et doit être appelé à faire cette appréciation et
cette constatation.
115ter. —• Telle n’est pas l’opinion de M. Louis
Nouguier. Cet honorable jurisconsulte n’admet pas mê
me le tempérament qu’adopte M. Pardessus. Pour lui,
le droit du mari de révoquer son autorisation est absolu
et sans limite.
« Si la femme résiste à la révocation, dit-il, elle ne
« pourra obtenir de la justice le droit de poursuivre
« ses opérations. Sans doute le mari peut, comme sou« vent, abuser de la suprématie dont il est investi, si,
« par exemple, il est judiciairement séparé de corps et
« de biens, le désir de nuire à une femme qui fit ré1 N» 64.
�f 84
DES COMMERÇANTS
a
«
«
«
«
primer ses écarts pourrait être le mobile de sa conduite. Cela sera fâcheux, mais quelques graves que
soient ces motifs, ils ne sauraient infirmer la loi, ni
détruire les motifs d’intérêt général sur lesquels elle
repose.
•
«
•
•
« La loi ! Elle est claire, énergique : le consentement du mari est indispensable à la femme qui veut
être marchande publique; nulle part on ne trouve
l’autorisation de substituer à ce consentement la volonté des magistrats.
« Les motifs de la loi ! Mais nous venons de le dire ;
a la femme même séparée judiciairement est toujours
« en puissance du mari ; le lien conjugal n’est pas rom« pu ; l’ordre public ne saurait permettre le renverse« ment de la prééminence maritale et l’intervention
« des magistrats viendrait ajouter de nouveaux élé■ ments de discorde à ceux qui pourraient déjà
« exister.1 »
Le tort de cette doctrine est de ne tenir aucun compte
de la différence si considérable entre donner l’autorisa
tion et la retirer après l’avoir donnée. C’est la première
hypothèse exclusivement que prévoit et régit l’article 4
du Code de commerce.
Nous admettons avec M. Nouguier que, dans cette
hypothèse, le mari est souverainement libre de donner
ou de refuser son consentement. Rien ne peut le con1 Des Irib. de comm,, 1 .1, p. 257.
�ART.
4 E'f 5.
185
traindre, et nul, pas même la justice, ne saurait subs
tituer sa volonté à la sienne.
La raison en est fort simple. Le refus du mari sera
fondé sur l’incapacité de la femme, sur le danger que
présentent les chances aléatoires du commerce. Ôr
quels moyens aurait la justice de contrôler les dires du
mari, d’afïirmer la capacité de la femme, de déclarer
que son administration neutralise toute chance fâcheuse.
A quoi bon, dès lors, l’appeler à statuer lorsque évi
demment, elle n’est pas en position de le faire en con
naissance parfaite de cause.
Uien de tout cela ne se réalise lorsqu’il s’agit de ré
voquer l’autorisation précédemment accordée. En la
donnant, le mari a reconnu l’idonéité, la capacité de la
femme, l’absence de tout danger sérieux dans l’exercice
du commerce auquel elle veut se livrer.
De plus, au moment où la révocation se produira, la
femme aura fait le commerce pendant un certain temps.
Les résultats qu’elle aura obtenus permettront d’appré
cier son administration, et de puiser dans le passé des
garanties pour l’avenir.
En d’autres termes, l’autorisation a formé filtre le
mari et la femme un contrat qui doit recevoir son en
tière exécution, à moins que trompant toutes les espé
rances, le commerce de la femme soit devenu ou me
nace de devenir désastreux, ou que la femme n’ait dé
ployé dans son exercice qu’une incapacité ou une légè
reté dangereuse. Or, qui sera juge entre le mari affir
mant et la femme soutenant l’injustice et la fausseté de
\
�186
des
com m erçants
ces affirmations? Peut-on admettre que contrairement à
une pratique constante, la loi ait admis dans ce cas que
le mari pouvait être juge dans sa propre cause?
M. Nouguier se trompe. De loi! il n’en existe aucune.
L’article 4 du Code de commerce, non-seulement ne
régit pas le cas de révocation, mais il a, au contraire,
entendu l’exclure. Rappelons-nous la discussion au con
seil d’Etat, refusant tout recours à justice lorsqu’il s’a
git de donner l’autorisation, et l’accordant expressé
ment lorsque le mari prétendra révoquer cette auto
risation.1
— M. Nouguier cite, comme consacrant
son opinion, un jugement du tribunal de commerce de
Paris du 3 novembre 1843. Mais si, en effet, le tribu
nal avait admis cette opinion, il aurait dû se désinvestir purement et simplement et refuser tout recours
contre la décision du mari. Donc, s’il retient l’affaire et
y statue au fond, c’est qu’il reconnaît la recevabilité du
recours, et s’il admet cette recevabilité, il n’est pas de
l’opinion de M. Nouguier.
D’ailleurs, dans l’espèce de ce jugement, il ne s’a
gissait pas de révocation et le mari ne s’opposait pas à
ce que sa femme continuât le commerce. Mais celle-ci
ayant, en vertu de l’autorisation et sans en demander
une nouvelle et spéciale, contracté une société en nom
collectif, le mari demandait la nullité de cette société.
U g q u a rto .
l Sup., n° 113.
�ART. 4 eT 8.
18?
Le jugement n’avait donc pas à se préoccuper de la
question de révocation. Il s’en préoccupe pourtant ,
mais uniquement pour reconnaître qffe le maria le droit
de la prononcer.
« Attendu, dit-il, que le législateur n’a pas voulu
« admettre de distinction en ce qui touche à l’autori« sation entre la femme commune et la femme séparée
« de biens; que si la condition du mari est différente
o dans l’un ou l’autre cas, la condition de la femme est
« la môme quant à la nécessité du consentement ; qu’il
« a été légalement examiné si le consentement du mari
« pourrait être révoqué; qu’il a été reconnu que si ce
« droit ne devait pas être brusquement exercé à raison
« des engagements pris vis-à-vis des tiers, le mari était
« cependant toujours le chef, le maître de la famille et
« ayant le pouvoir d’agir comme tel; que c'est par ce
a motif que l’article 4 du Code de commerce, ne dit pas
« que la femme peut devenir marchande publique,
« mais bien qu’elle ne peut être, ce qui réserve tou« jours au mari le droit de révoquer son autorisation. »
Il n’y a là que l’affirmation du droit de révocation
qui n’a jamais été contesté au mari. Mais le droit est in
dépendant de son exercice, et loin de dire que celui-ci
ne peut faire la matière d’un recours à justice, le juge
ment semble dire le contraire, puisqu'il admet que le
droit ne doit pas être brusquement exercé. Or, suppo
sez qu’il l’ait été dans ces conditions, le mari aura violé
un devoir, et comment refuse^ à la femme le pouvoir
de signaler cette violation, et d’en obtenir réparation.
�188
DES COMMERÇANTS
Ainsi, le jugement laisse au moins dans le doute les
conséquences que l’exercice du droit de révocation est
dans le cas d’entr'Éner; Comment aurait-il pu s’occu
per de celle-ci, alors que le droit n’avait été, n’était pas
exercé.
En effet, ce que le tribunal constate, c’est que :
« Vero ne s’oppose pas à ce que sa femme continue le
« commerce, mais à ce qu’elle forme une société avec
« les sieur et dame Delamarre ; que le fait de s’associer
« n’est pas un des actes qui se trouvent définis dans les
« articles 632 et 633 du Code de commerce ; que c’est
« un contrat par lequel on met quelque chose en com« mun dans le vu de partager le bénéfice qui pourra en
« résulter. »
Or, pour obtenir la nullité de cette société, le mari
ne disait pas : Je révoque l’autorisation que j ’avais don
née à l’effet de la contracter. Il soutenait au contraire
que la femme avait agi sans autorisation celle donnéi^
pour faire le commerce en général se bornant aux opé
rations que le genre de commerce déterminé entraînait,
et ne s’étendait pas, ne pouvait pas s’étendre jusqu’au
droit de contracter une société. C’est en effet ce que le
jugement admet et consacre.
Donc, la prétention de M. Nouguier d’appeler ce ju
gement à l’appui de sa doctrine est dénuée de fon
dement.
1 15<Iuinto. — La difficulté que le tribunal avait à
résoudre se référait à un ordre d’idées bien différent :
�ART. 4 ET 5.
189
il n’avait à décider que cette seule question : la femme
autorisée à faire le commerce avait-elle capacité pour
contracter une société? La négative consacrée par le
jugement constituait une saine appréciation et faisait
une exacte application des principes de la matière,
comme nous le verrons bientôt.1
La doctrine était depuis longtemps fixée sur ce point
que l’autorisation de faire le commerce, consentie en
termes généraux, n’habilite la femme que relativement
aux opérations qu’exige le genre de commerce que ï’autorisation détermine. En dehors de ces opérations, la
femme ne peut faire aucun acte sans s’y faire spéciale
ment autoriser.
Or, cela est surtout vrai pour la société que la femme
pourrait vouloir contracter avec d'autres commerçants,
alors môme que ceux-ci exerceraient le même com
merce que celui pour lequel la femme a été autorisée.
L'importance de cet acte, les dangers qu’il peut faire
courir à la femme, les modifications qu’il fait subir aux
droits du mari commandaient impérieusement cette
solution.
11 Ssext° .— « Il est possible, disaient MM. Malepeyre
« et Jourdain, que la femme ait assez de prudence
« pour diriger sagement les affaires de son négoce, et
« qu’elle manque de l’expérience nécessaire pour se ga1 Inf., n° 425.
�190
«
«
a
«
DES COMMERÇANTS
rantir des pièges qu’on pourrait lui tendre en le cachant sous le voile d’une association. Un pareil acte
peut engager non-seulement sa fortune, mais son
avenir tout entier.1 »
« Un mari, enseignait de son côté M. Delangle, lors« qu’il autorise sa femme à faire le commerce, se déo termine par une appréciation des facultés de celle-ci
« et de l’industrie qu’elle doit exercer. Or, la femme
« en contractant une société détruit les garanties sur la
« foi desquelles était fondée l’autorisation. Elle se sou« met à l’action collective des associés ; son commerce
« s’exploitait sous la surveillance du mari ; l’association
« crée pour elle des rapports dont celui-ci ne peut ap« précier la convenance et la sécurité. Enfln, en éten« dant le cercle de ses opérations, la femme aggrave
« ses dangers et ceux du mari, au-delà de toute pré« vision.
« Ce n’est pas tout, la femme, nonobstant l’autori« sation qui lui est conférée, ne cesse pas d’être sou« mise à la puissance maritale. Le mari peut, si les
« résultats du commerce qu’il a permis ne sont pas fa« vorables, en empêcher la continuation. L’autorisa« tion est essentiellement révocable. Mais si la femme
« peut contracter une société, comme conséquence de
« cette autorisation, c’est un droit perdu pour le mari.
« Sa volonté ne suffit pas pour briser une convention
« dont le terme n’est pas arrivé ; il faut qu’il respecte
i P. 42 et 13.
�ART.
4
ET B.
191
« le droit des tiers. Or, comment admettre que le mari
« puisse, à son insu, malgré lui être ainsi dépossédé
« des prérogatives attachées à sa qualité.1 »
En définitive, comme l’enseignent ces auteurs, le
droit, l'équité, la morale même ne permettent pas que
la femme, même régulièrement autorisée à faire le com
merce, contracte une société sans autorisation spéciale
du mari. L’autorisation générale qu’elle a reçue ne l'ha
bilite pas à cet égard :
1° Parce que la formation d’une société pour l’in
dustrie ou le commerce, qui faisait l’objet de l’autori
sation donnée, détruit la condition même de cette in
dustrie ou de ce commerce en substituant une exploita
tion sociale et ses obligations, à l’exploitation person
nelle qui seule avait été autorisée ;
2° Parce que l’association crée pour la femme des
rapports dont la convenance et la sécurité doivent être
spécialement appréciées;
3° Enfin, parce que l’existence de la société rendrait
irrévocable une autorisation qui, dans les prévisions du
mari et de la justice, est essentiellement révocable.
Il ne paraît pas que la question se fût présentée aux
tribunaux avant 1843. Nous venons de voir que saisi à
cette époque, le tribunal de commerce de Paris s’était
prononcé pour la nullité de la société.
Depuis, la difficulté s’étant présentée au tribunal de
i Soc., n° 56, Conf. Pardessus, 1 . 1, n.® 65. Molinier, Dr. com.,
n<M76.
t. i,
�192
DES COMMERÇANTS
commerce de Rouen, un jugement du 5 mars 1858 s’é
tait prononcé en sens contraire et avait validé la société.
Mais par arrêt du 3 décembre même année, la cour de
Rouen avait infirmé le jugement.
Cet arrêt fut déféré à la cour suprême. On lui re
prochait d’avoir méconnu et violé la loi en décidant
que la femme autorisée à faire le commerce n’avait pu,
sans une autorisation nouvelle et spéciale , contracter
une société avec un tiers pour l’exploitation de ce com
merce.
Ce système n’eut aucun succès devant la cour de
cassation qui rejetait le pourvoi le 9 novembre 1859,
par les motifs suivants :
« Attendu que par jugement du tribunal de Rouen
« en date du 17 août 1831, prononçant la séparation
« de corps et de biens entre le sieur Décaux et sa fem« me, celle-ci a été autorisée à faire le commerce sous
« son nom ; que cette autorisation n’a pu avoir d’autres
« et de plus amples effets que celle du mari qu’elle avait
« pour objet de suppléer ;
« Attendu que le mari ou le tribunal, en autorisant
« la femme à faire le commerce, l’habilite uniquement
a à s’obliger elle et ses biens, par les actes de négoce
# qu’elle fait personnellement et sous la réserve du re« trait de celte autorisation dès que son intérêt le com« mande ; qu’étendre les effets de cette autorisation
« jusqu’à la faculté pour la femme de contracter une
« société en nom collectif avec des tiers, ce serait con« férer à des tiers le pouvoir d’obliger la femme-, et
�ART.
4
ET
5.
193
«
«
«
«
fournir à celle-ci le moyen de paralyser, pendant
toute la durée de cette société, l’exercice du droi,t
réservé au mari ou au tribunal de retirer en tout
temps l’autorisation accordée ;
«
«
«
«
»
«
«
«
« Attendu qu’un pareil résultat porterait atteinte à la
puissance maritale ou à l’action de la justice ; qu’ainsi, en déclarant nulles et de nul effet, à l’égard de la
femme Decaux, la société en nom collectif entre elle
et Bérard père et fils, ensemble les lettres de change
souscrites par Bérard père au nom de ladite société,
l’arrêt attaqué, loin de violer les dispositions légales
invoquées par le pourvoi, en a fait une juste appli—
cation.1 »
116.
—- Le retrait du m ari, non contesté par la
femme ou accueilli par jugement, si elle s'est pourvue
contre, doit recevoir une publicité suffisante pour aver
tir le public. Ce retrait ne peut, dans aucun cas, deve
nir un piège contre les tiers qui, dans l’ignorance où
on les aurait laissés, pourraient continuer de traiter avec
la femme. Cette publicité pourrait être celle dont
nous avons parlé à l’occasion du retrait de l’émancipa
tion. En même temps, la femme devrait cesser effecti
vement le commerce. Le mari qui, après avoir retiré
son consentement,, laisserait sa femme continuer ,1e
commerce, à son vu et su, perdrait le bénéfice de la
1 D. P. 60, l, 87.
13
�19A
DES COMMERÇANTS
rétractation et serait, de plein droit, présumé avoir re
noncé à ses effets.
117.
— En résumé donc, la femme ne peut être
marchande publique qu’avec le consentement de son
mari. Ce consentement n’a pas besoin d’être exprès. Il
peut être tacite et résulter de tous faits impliquant la
connaissance du commerce exercé par la femme. Mais
il importe que ces faits aient une relation directe et
formelle avec la connaissance du commerce. Ceux qui
ne créeraient qu’une analogie plus ou moins sérieuse,
ne seraient pas suffisants pour suppléer au consente
ment. C’est ainsi que, quelque étendu que fût le pou
voir donné à la femme par le mari de gérer et d’admi
nistrer la communauté, on ne saurait y voir l’autorisa
tion de se livrer à des spéculations commerciales.1
Le refus par le mari de consentir à ce que la femme
exerce le commerce est, pour celle-ci, la négation ab
solue de tout commerce. Elle n’est pas recevable à de
mander à la justice de l'y autoriser. Il n’en est pas
ainsi lorsque le mari, après avoir consenti, veut rétrac
ter son autorisation. Comme ce retrait ne doit être
inspiré que par des motifs légitimes, la femme pourra
toujours en contester l’opportunité et le mérite, et ap
peler la justice à prononcer entre elle et son mari.
118. — Tout ce qui précède suppose que la femme
1 Pardessus, n° 63 ; — Nouguier, pag 255.
�ART. 4 ET 5.
1Ô5
mariée a atteint et dépassé l’âge de la majorité légale,
que son mari lui-même est majeur. Si l’un ou l’autre,
ou tous les deux, étaient encore mineurs, il y aurait
lieu à recourir à d'autres principes.
La minorité de la femme mariée voulant exercer le
commerce la place sous le coup de la disposition de
l’article 2. Elle ne pourrait donc se livrer régulièrement
à cet exercice qu’après y avoir été dûment autorisée.
119.
— Mais de qui devrait émaner cette autorisa
tion? Celle donnée par le mari suffirait-elle poyr habi
liter la femme ?
La négative est généralement admise en doctrine.
Le motif qui a paru déterminant, c’est la crainte que
le mari accordant, de sa propre autorité, à sa femme,
le droit d’aliéner ses immeubles avant sa majorité, pût
ainsi se ménager les moyens d’une spoliation fraudu
leuse.1
C’est dans ce sens que s’est prononcée la cour de
Toulouse, par arrêt du 26 mai 1821 : « Attendu, dit
la cour, qu’aux termes de l’article 2 du Code de com
merce, tout mineur, même émancipé, et de l’un ou de
l’autre sexe, qui veut faire le commerce, doit préala
blement être autorisé par son père, à défaut du père,
parla mère ou par le conseil de famille, laquelle auto1 Pardessus, n° 63; — Devincourt, Droit comm., t, il, pag. 7, n° 8 ;
— Duranton, t. u, n° 476, et t. n i, n» 700 ; — Vazeilles, Mar., t. i i ,
n° 330; — Nouguier, t. î, pag. 261 ; — Sebire et Carteret, n° 298 ; —
Orillard, n° 168.
�196
DES COMMERÇANTS
risation doit être enregistrée et affichée au tribunal de
commerce ;
« Attendu que si ces formalités n'ont pas été rem
plies, le mineur n’est point réputé majeur pour ses
engagements ;
« Attendu que l’article 4 du même Code, en exi
geant, q\jant aux femmes mariées, le consentement du
mari, ne déroge point à l’article 2 puisque, malgré
l’existence de ce dernier article, il résulte toujours que
tout mineur émancipé ne peut faire le commerce qu’après y avoir été autorisé par les auteurs de ses jours, ou
par sa famille, et que la femme, quoique mariée, se
trouve comprise dans cette catégorie, le mariage
n’ayant eu d’autre objet que de l’émanciper de plein
droit ;
« Attendu que l’esprit du législateur, en émettant
l’article 2, a été d’éviter la ruine des mineurs ; que ce
but serait manqué s’il dépendait du mari, par une sim
ple autorisation, de mettre sa femme à même d’hypothéquer ou d’aliéner ses immeubles. »
Le caractère juridique de cet arrêt ne saurait être
contesté, il importe, en effet, de constater que l’article
2 ne fait aucune distinction entre le mineur marié et
celui qui ne l’est pas. Sa disposition est absolue, et
l’article 4 n’y introduit aucune dérogation. Celui-ci
suppose évidemment que la femme est majeure, car il
ne s’occupe qu’à régler l’incapacité naissant pour elle
du mariage lui-même, et les effets de la puissance
maritale.
%
�ART. 4, ET 5.
197
4
Il faut donc arriver à cette conclusion que la femme
mariée, si elle est encore mineure, est atteinte d’une
double incapacité : celle comme mineure, celle comme
femme mariée. La première, fondée sur la faiblesse et
l’inexpérience, n’est pas effacée par le mariage, qui la
modifie seulement par l’émancipation qu’il confère.
Elle ne peut donc s’affranchir de ses liens, à l’endroit
du commerce, qu’en remplissant les formalités exigées
par l’article 2. Mais ces formalités accomplies, reste l’in
capacité résultant du mariage, et celle-ci, à son tour,
ne s’efface que par le consentement du mari, confor
mément à l’article 4.
Le système contraire tendrait à ce singulier résultat
que, laissant le mari mineur sous le poids d’une inca
pacité absolue relativement à la disposition de ses
immeubles, le mariage aurait pour la femme un résul
tat tout opposé. Ce qui, formellement condamné par
le droit ancien,1 n’a pas cessé de l’être sous l’empire
du Code.
120.
— L'opinion contraire peut s’étayer d’un ar
rêt de la cour de Grenoble du 17 février 1826, mais
cet arrêt se borne à résoudre la qu e^o n implicitement.
Il ne la discute pas et surtout ne justifie nullement la
solution qu’il consacre.
A l’exception tirée de la minorité d,e la femme, l'ar
rêt répond :
« Considérant qu’il est établi au procès que la dame
i Pothier, de la Puissance maritale, n° 32.
\
�198
DES COMMERÇANTS
« Pommier, femme Jasset, était marchande publique,
« faisant le commerce avec ses propres fonds, du con« sentement de son mari, en conformité de l’article 4
« du Code de commerce, et qu’en conséquence, elle
« doit remplir les obligations par elle contractées en
a cette qualité ; que ladite Pommier, femme Jasset, a
a opposé elle-même de cette qualité et de sa propriété
« de toutes les marchandises existantes dans le maga« sin de chapellerie dont il s’agit, pour faire annuler
« une saisie des mêmes objets à laquelle avaient fait'
« procéder deux des créanciers de son mari qui, d’a« près cette opposition, n’ont donné aucune suite à
« cette saisie ; qu’il suit de là que la femme Jasset n’est
« plus recevable à soutenir que son mari faisait seul le
« commerce pendant qu’il résulte, au contraire, de
« toutes les circonstances de la cause, des actes pro« duits au procès, notamment des conventions de bail
« à loyer intervenues entre la femme Jasset et Curnier,
« et de la patente par elle prise, que le commerce de
« chapellerie était sur sa tête.
« Considérant d’ailleurs que la femme Jasset, quoi<r que mineure, ne pourrait être restituée contre les
« actes contractés pendant sa minorité, qu’autant qu’elle
« aurait été lésée, et que, dans l’espèce, elle ne justifie
« d’aucune lésion ni d’aucun dol pratiqué à son égard
« pour lui faire souscrire les billets dont il s’agit, et
« qu’il paraît même que les marchandises par elle ache« tées ont tourné à son profit.1 »
1 Palloz, R é p . g c n . , v° commerçant, art. 4, S 2, n» 173
�ART.
4 Jst 5 .
199
Qu’importait, en fait, que la femme Jasset eût exer
cé le commerce en son nom. L’unique question du pro
cès était de savoir si elle avait pu valablement et léga
lement s’y livrer, c’est-à-dire si elle avait été régulière
ment autorisée.
Or, l’arrêt ne constate qu’une chose, à savoir le con
sentement du mari d'où résultait son autorisation tacite.
Mais cette autorisation suffisait-elle vu l'état de mino
rité de la femme? C’est sur quoi il importait de s’ex
pliquer, et c’est sur quoi l’arrêt garde le plus complet
silence.
Il est donc impossible de reconnaître à cet arrêt une
autorité doctrinale quelconque relativement à la ques
tion que nous examinons, et de donner à son système
la préférence sur celui de l’arrêt de Toulouse, parfaite
ment justifié en droit et en principe.
Qu’importait encore que les billets dont le paiement
était poursuivi n’eussent pas été surpris par dol, que
la femme Jasset n’en eût éprouvé aucune lésion, que
les marchandises pour lesquelles ils avaient été souscrits
eussent tourné à son profit. Rien de tout cela n’était à
examiner. Il suffisait, en effet, qu’au moment de leur
souscription, la femme ne fût pas autorisée par le mari,
pour que ces billets fussent frappés d’une nullité radi
cale et ne pussent produire aucun effet. Vraie pour la
femme majeure, celte conséquence n’atteignait-elle pas
rigoureusement la femme mineure ?
Le tribunal pense qu’on pourrait appliquer ici la rè
gle de l’article 1312 du Code civil, et son erreur est
�200
UES COMMERÇANTS
démontrée par cette considération notamment que la
nullité étant absolue pour la femme majeure, ne saurait
être conditionnelle pour là femme mineure, on ne sau
rait faire à celle-ci une condition pire que celle qu’on
assure à celle-là.
Aussi, eSt-il de doctrine que la nullité, résultant du
défaut d’aûtorisation maritale, ne saurait être modifiée
par l’application de l'article 1312.
« Le défaut d’autorisation, dit M. Solon, produit la
« nullité de l’engagement de la femme. Peu importe
« que cet engagement lui soit avantageux ou désavan« tageux, car l’autorisation n’est pas requise en sa fa« veur, mais bien en faveur du mari, et pour maintenir
« la puissance qu’il a sur les biens par elle apportés
« dans la communauté conjugale.1 »
« Ceux qui auraient traité avec une femme non au« torisée par son mari ou par la justice, dit de son côté
« M. Pardessus, ne seraient pas fondés à prétendre et
« à prouver que la négociation dont on demande la
« nullité était avantageuse à elle ou à son mari. Cette
« nullité est fondée sur des motifs différents de ceux
« qui ont fait admettre les mineurs à la restitution con« tre leurs engagements.2 »
En résumé, la femme qui exerce en fait le commerce,
mais qui, étant encore mineure, n’a pas été autorisée
par sa famille, n’est pas marchande publique et on ne
1Des nullités,
2 N» 63,
t . 1, p. 62, n° 99:
�ABT. 4
ET 5 .
201
saurait dès lors lui reconnaître la capacité que la loi ac
corde à celle-ci.
Conséquemment, outre l’incapacité qui peut résulter
de son état de minorité, elle ne peut contracter un acte
quelconque sans l’autorisation spéciale du mari ou de
la justice.
L’absence de cette autorisation rend le contrat nul et
*■
de nul effet, et sans qu’on ait à s’enquérir ou à recher
cher s’il a été volontairement souscrit, et s’il a ou non
tourné au profit de la femme.
121.
Si la femme était majeure, pourrait-elle
régulièrement exercer le commerce avec l’autorisation
de son mari, s’il était, de son côté, encore mineur?
La négative ne saurait être douteuse. Le mineur,
même marié* ne peut lui-même devenir commerçant
qu’aprés y avoir été autorisé dans les formes prescrites
par l’article 2. Comment pourrait-il conférer à un autre
la capacité qu’il n’a pas lui-même ?
Cependant il peut être urgent pour la femme de ne
pas attendre la majorité de son mari, comme si elle
était appelée à succéder au commerce de son père ou
de tout autre parent. Par quelle voie lui sera-t-il per
mis d’éviter l’obstacle qu’elle rencontre? A qui deman
dera-t-elle l’autorisation? Elle doit, dit M. Duranton,
s’adresser à la justice,1 et cette opinion est celle qu’en
seigne M. Pardessus.
i T. 1, no 478.
�202
DES COMMERÇANTS
M. Vazeilles pense que l’époux mineur doit, dans
cette hypothèse, recourir à ses parents. De même ,
dit-il, que ceux-ci peuvent, par leur consentement
formel, le rendre capable de faire le commerce et lui
donner, à cet effet, une capacité anticipée, de même,
ils pourront l’habiliter à donnera sa femme l’autorisation
de se faire marchande publique. Appuyée sur celle
de ses parents, qui doit être constatée par écrit, enre
gistrée et publiée au tribunal, l’autorisation du mineur
sera, comme celle du majeur, également efficace, tacite
ou expresse.1
Cette opinion paraît préférable à M. Orillard ; en
effet, dit-il, un ou plusieurs juges, pris dans la famille,
seront toujours mieux à même de décider la question
relative à l’autorisation sollicitée que des magistrats qui
n’ont pas un intérêt aussi direct à la prospérité du jeune
ménage, et qui ne sont pas, comme des parents, initiés
à tous les secrets de la famille.3
D’autres, enfin, ont prétendu déduire, du silence
que la loi garde sur notre hypothèse, l’impossibilité ab
solue pour la femme de devenir marchande publique.
Les incapacités, disent-ils , ne peuvent cesser qu’en
présence d’une disposition légale. Or, la législation n’a
autorisé ni le mari mineur, ni les parents du mari, ni
la justice à donner à la femme le consentement néces
saire à l'exercice du négoce. C’est ce que pensent no-^
i Traité du mariage, t. n , pag. 74, n° 331,
3 N» 167,
�ART.
I
ET
5.
203
tamment MM. Nouguier, Sebire et Carteret. C’est ce
qu’on a également voulu induire d’une noie de MM. Delamarre et Lepoitvin. Mais, en réalité, ces honora
bles jurisconsultes n’examinent et ne résolvent pas no
tre question.3
Cette dernière opinion nous paraît se placer en op
position directe avec l’esprit de la loi, en créant une
hypothèse dans laquelle la femme serait fatalement
empêchée'd’exercer le commerce, quelque grave que
fût l’intérêt qu’elle aurait à agir autrement. Nous avons
vu, en effet, que ce qui avait fait introduire l’exception
en faveur du mineur, était précisément qu’il pouvait se
rencontrer des circonstances telles, que le maintien de
son incapacité lui occasionnerait un grave et notable
préjudice. Ce qui est possible pour le mineur peut égament se rencontrer pour la femme dont le mari n’a pas
encore atteint sa majorité. Par exemple, comme nous
le disions tout à l’heure, si elle était appelée à succéder
à son père ou à tout autre parent dont le commerce,
en voie de prospérité assurée, ne pourrait être aban
donné sans un grave dommage. Pourquoi donc établir
entre cette femme et le mineur une différence si essen
tielle, et comment admettre que le législateur, dans une
position identique, n’ait pas entendu faire pour l’une
ce qu’il a fait pour l’autre?
Il dojt donc y avoir un moyen légal de sortir de la
1 T. i, pag. 262, Encyclop., n° 300.
2 Contrat de comm.,
t, i,
pag. 92,
n° 53.
�204
DES COMMERÇANTS
difficulté offerte par notre hypothèse, et ce moyen,
nous le demanderons aux principes généraux réglant
l’incapacité du mineur.
Non, sans doute, la famille n’a pas reçu de la loi le
pouvoir d’autoriser le mineur à donner à sa femme l’au
torisation d’exercer le commerce. Cette autorisation est
un acte tenant essentiellement à la vie civile et excé
dant, en conséquence, la capacité purement commer
ciale conférée au mineur.
Non, sans doute, et nous venons de le dire nousmême, la justice ne peut, en cas de résistance de l’é
poux, concéder à la femme l’autorisation de se faire
commerçante. Mais ce que la justice a mandat de faire,
c’est d’habiliter le mineur à passer certains actes qu’il
ne pourrait faire seul. N’est-elle pas, en effet, appelée
à sanctionner le plus exorbitant de tous, l’aliénation
des immeubles ?
C’est donc à elle qu’on devra recourir lorsque le
mari, encore mineur, voudra autoriser sa femme à
exercer le commerce. C’est dans la forme admise pour
les aliénations qu’il devra être procédé, c’est-à-dire
que le conseil de famille sera consulté, et que sa déli
bération sera soumise à l’homologation du tribunal, qui
admettra ou repoussera la demande du mineur. Ainsi
les inconvénients signalés par M. Orillard s’évanouissent,
puisque la justice n’est appelée à se prononcer qu’en
second ressort, et qu’elle pourra consulter le témoignage
écrit, authentique des parents sur l’opportunité et l’a
vantage de la mesure réclamée. *
♦
�1 22. — Telle nous paraît la solution rationnelle et
légale que doit recevoir la difficulté dont nous nous
occupons. Cette solution, nous l’admettons également
dans le cas où le mari est dans l’impossibilité, quoique
majeur, de manifester une opinion. L’esprit de la loi
n’admettant aucune impossibilité invincible, ce serait
le méconnaître que d’en faire résulter une de l’interdic
tion ou de l’absence du mari. D’ailleurs, il ne s’agit plus
ici d’autoriser la femme malgré la volonté de son mari,
on doit au contraire supposer qu’il consentirait, s’il
pouvait le faire, à un commerce susceptible de créer
de nouvelles ressources à la famille. Dès lors, la famille
doit être appelée à s’expliquer sur la demande de la
femme, et sa délibération, déférée à la justice, suffit,
si elle est homologuée, pour constituer la femme mar
chande publique.
123. — La femme majeure, régulièrement auto
risée par son mari, jouit, quant au commerce, d’une
capacité générale et absolue. Elle peut, sans autorisa
tion spéciale, faire tous les actes s’y référant. Ainsi elle
est apte à acheter et vendre des marchandises ; à con
sentir des louages d’ouvriers ; à souscrire des lettres de
change ou billets à ordre; à les accepter ou à les trans
mettre par endossement; à faire, en un mot, tout ce
qu’exigent les besoins du commerce auquel elle se livre.
Celte règle, consacrée par l’article 220 du Code civil, était également suivie sous notre ancien droit. Il
était même impossible qu’il en fût autrement. La loi,
�206
DES COMMERÇANTS
permettant à la femme l’exercice du commerce, devait
nécessairement lui en faciliter les moyens. Or, exiger
pour chaque acte distinct une autorisation spéciale et
particulière, c’était semer sur sa route des obstacles tels
que, tout en lui permettant le commerce, on lui en
rendait l’exercice impraticable. La femme, disait Pothier,
n’ayant pas toujours son mari à ses côtés qui puisse
l’autoriser pour ses actes, lesquels ne souffrent pas sou
vent des retardements.1
124.
— Mais les effets de l’autorisation générale
du mari ne protègent que les opérations véritablement
commerciales. La femme marchande publique, si elle
se livrait à une opération de la vie civile ordinaire, se
retrouverait en présence de son incapacité absolue, et
ne pourrait valablement contracter qu’avec l’autorisa
tion spéciale de son mari. De celle règle on a conclu
qu’elle ne pourrait, sans cette autorisation, cautionner
un tiers commerçant.
Le contraire, enseigné par Voët,2 a été admis par
arrêt de la cour de Paris du 7 décembre 1824. Mais ce
qu’il importe de remarquer, c’est que, dans l’espèce, la
femme marchande publique était en outre séparée de
corps et de biens d’avec son mari, qu’elle n’avait donné
qu’un cautionnement mobilier: et que ce cautionne
ment n’était contesté ni par elle, ni par son mari, mais
uniquement par le créancier du débiteur cautionné.
1 De la Puiss. marit., partie <tre, seet. S, S 8.
s Ad Pcndect., lib. 23, tit. 2, n° 4 t.
�ART.
4
ET
5.
207
Quant à l’opinion de Voët, elle paraît trop générale
à Merlin. Elle doit, dit ce célèbre jurisconsulte, se res
treindre au cas où la femme serait associée d’intérêts
avec le commerçant qu’elle cautionnerait. C’est la seule
circonstance où une telle obligation soit relative à son
négoce et où on puisse, par conséquent, adopter l’ex
ception que la faveur du commerce a fait apporter à
l’incapacité des personnes du sexe.1
Ainsi la faculté de cautionner ne résulte pour la
femme de l’autorisation de faire le commerce qu’en
tant que ce cautionnement se réfère aux opérations
pour lesquelles elle a reçu une entière capacité. Tel
serait évidemment celui que la femme aurait consenti
en faveur de son associé commercial, pour qu’il pût
continuer le concours qu’il prête à la société.
12 5.
— L’association a donc pour premier effet
d’agrandir la capacité de la femme. De plus, en la con
tractant, celle-ci aliène une partie de son capital, réduit
ses bénéfices et aggrave sa responsabilité en se sou
mettant à celle que peut entraîner l’administration d’un
tiers. Dans le cas où elle est mariée sous le régime de
la communauté, le mari, également tenu du fait de ce
tiers, se trouve aussi dans une position de nature à lui
occasionner un grave préjudice.
Ces considérations signalaient à l’examen des juris
consultes la question de savoir si la femme marchande
1 Rép., v» auloris. marit. ; — conf. Vazeilles, t. ii , n° 332.
I
�DES COMMERCANTS
208
publique pouvait , sans une autorisation nouvelle et
spéciale, contracter une société commerciale ?
La négative a été adoptée par le tribunal de com
merce de la Seine, et il ne paraît pas que sa décision,
rendue le 3 novembre 1843, ait été déférée au degré
supérieur de juridiction. Cette décision, rapportée par
M. Nouguier,1 est ainsi conçue :
« Attendu que le fait de s’associer n’est pas un des
actes qui se trouvent définis dans les articles 632 et 633
du Code de commerce, que c’est :un contrat par lequel
on met quelque chose en commun dans le vu de parta
ger le bénéfice qui pourra en résulter ;
« Attendu qu’en contractant la société dont s'agit,
la dame Vero a commencé par aliéner, sans le concours
de son mari, partie de son fonds de commerce ; qu’elle
a de plus donné l’autorisation à un tiers de l’obliger
comme si elle s’engageait personnellement ; qu’elle a
encore ainsi aliéné une partie de ses droits ; qu’elle a
en outre pris l’engagement d’exploiter un hôtel garni,
tandis que le consentement donné par son mari est li
mité à l’exploitation d’un fonds de commerce de char
cuterie et de comestibles. »
Ce dernier motif était en lui-mème plus que suffisant
pour déterminer la nullité de la société. Nous l’avons
déjà dit : Il n’en est pas de :1a femme mariée comme
du -mineur. L’autorisation dé faire le commerce,-régu
lièrement conférée à eeluwci, est générale et absolue ;
i T . 1, pag. 2 5 8 ,
�ART.
209
4 ET 5.
elle comprend virtuellement tous les actes de commerce,
et ne souffre d’autre exception que celle tirée du ca
ractère non commercial de l’acte qu’il se serait permis.
La femme au contraire , expressément ou tacitement
autorisée, n’est jamais censée l’être que pour un com
merce déterminé, à savoir celui qu’elle a réellement
entrepris et qu’elle exerce au vu et su de son mari.
Ainsi, dit M. Delvincourt, elle ne serait pas valablement
engagée si faisant, par exemple, le commerce des toiles,
elle contracte, sans autorisation de son mari, des obli
gations pour achat de fers.1
Cela posé, il est évident que lorsque la femme con
tracte une société et que dans l’acte elle prend l’obli
gation d’exploiter une branche de commerce autre que
celle pour laquelle elle a été autorisée, elle ne fait pas
un acte de son commerce ; qu’elle excède donc sa capa
cité, et que son engagement est nul, si elle n’obtient pas
de son mari une autorisation nouvelle et spéciale.
Nous n’admettons pas, avec le tribunal de commerce
de la Seine, que la souscription d’une société de com
merce ne soit pas un acte de commerce. La proposition
contraire nous paraît seule vraie et conséquemment
seule admissible. Mais nous convenons avec lui qu’un
pareil contrat n’est pas un accessoire du commerce de
la femme, tel que le mari ait pu le prévoir ; que celui-ci
est donc recevable et fondé à demander la nullité de
l'association, à prétendre que s’il a consenti à ce que
i D r o it
c o m m e r c ia l,
t. i. pag. t67.
U
�210
DES COMMERCANTS
sa femme devînt marchande publique, c’est qu’il comp
tait sur sa prudence et sur sa capacité, et qu’il eût
certainement refusé son adhésion s’il avait pu croire
qu’elle s’associerait à un tiers ne lui offrant pas les mê
mes garanties; que, d’ailleurs, il n’entend pas subir
les conséquences du développement que l’association
va nécessairement imprimer au commerce.1
Mais, pour que cette réclamation du mari fût accueil
lie, il faudrait qu’il l’eût émise immédiatement après
avoir appris l’existence de la société. Il en est, en effet,
de la société contractée par la femme comme du com
merce lui-même. Le mari serait censé avoir consenti
par cela seul qu’il a toléré. Conséquemment, celui qui
se serait tu d’abord verrait sa réclamation ultérieure re
poussée comme n’étant plus recevable; C’est ainsi que
la cour de cassation a jugé que la femme a pu valable
ment former une société en commandite, et apporter
un de ses immeubles dans cette société, lorsque cette
opération a eu lieu au vu et su de son mari, et sans
opposition de sa part.2
Cet arrêt de la cour de cassation du 27 août 1841,
offre un remarquable exemple d’application de notre
doctrine.
Une dame Eymard avait formé en 1836, avec le sieur
Saint-Paul, une société pour l’exploitation d’une forge.
Son apport social était une somme de 50,000 fr. qui
1 Sup., n°s ngquinto et suiv.
5 27 avril 1841, J. du P ., t. n , 1844, pag. 443,
�ART.
4 ET 5.
21 i
servit à acheter l’immeuble sur lequel devait être éta
blie la forge. Puis cette société en participation ayant
été remplacée en 1837 par une société en commandite,
cet immeuble devint un des apports de la dame Eymard
dans la société nouvelle.
Plus tard, la dame Eymard poursuit judiciairement
la nullité de la société comme ayant été contractée sans
le concours ou l’autorisation de son mari. Mais sa de
mande est repoussée par le tribunal de commerce de
Toulouse.
« Attendu, porte le jugement, que la dame Eymard
« doit être réputée marchande publique à raison des
« actes habituels de commerce auxquels elle s’est Ii« vrée; qu’elle exciperait vainement du défaut de con
te sentement de son mari; qu’elle faisait le commerce
« du vivant de son premier mari, depuis son décès,
« avant et depuis son second mariage ; et qu’ainsi le
« sieur Eymard, qui n’a ignoré ni pu ignorer les actes
« divers de commerce faits par sa femme et qui ne s’y
« est jamais opposé, est censé par cela même lui avoir
« donné son consentement tacite; qu’il suit de là que
« la dame Eymard, en sa qualité de marchande publi—
« que, pouvait, sans autorisation préalable, engager sa
« fortune immobilière pour fait de son commerce, et
« que l’établissement de la forge rentrait dans les spé« culations auxquelles elle se livrait. »
L’autorisation tacite de faire le commerce était in
contestable et le tribunal devait tenir que la femme
Eymard était marchande publique. Mais son jugement,
�212
DES COMMERÇANTS
irréprochable à ce point de vue, laisse à désirer relati
vement aux sociétés contractées par elle. Nous venons
de voir en effet que l’autorisation de faire le commerce
n’habilite pas la femme à se mettre en société sans au
torisation nouvelle et spéciale. 11 est vrai qu’à son tour
rette autorisation peut être tacite, mais si elle avait été
donnée en cette forme, le jugement aurait dû le cons
tater.
Son silence à ce sujet était donc une lacune qui lais
sait planer le doute sur son caractère juridique. Aussi
la cour de Toulouse, saisie par appel, et confirmant le
jugement avec adoption des motifs, ajoute :
« Attendu que l’apport des terrains dans la forge de
« Gand, dans la société de novembre 1837 constitue,
a d’après les actes acquis au procès, une aliénation
« d’immeubles par une femme non autorisée par son
« mari ; que néanmoins, le caractère et la qualification
« de marchande publique attribuées à l’appelante par
« les motifs des premiers juges, se fortifient encore du
« fait acquis au procès que l’établissement de la forge
« de Gand n’avait eu lieu qu’au vu et su , et par un
« consentement tacite du sieur Eymard, son mari, par
« suite de la société commerciale intervenue entre l’ap« pelante et le sieur Saint-Paul. »
Ces considérations complétaient le jugement et ren
daient la solution inattaquable. Aussi, vainement la dame
Eymard se pourvut-elle en cassation. Vainement sou
tenait-elle que la cour de Toulouse avait violé la loi et
méconnu les principes ; son pourvoi n’en fut pas moins
�ART.
4 ET 5.
213
rejeté et devait l’être. Voici les motifs qui déterminent
ce rejet :
«
«
«
a
«
« Attendu, en fait, que l’arrêt a reconnu : 1° que la
dame Eymard était marchande publique à raison des
spéculations de tout genre auxquelles elle se livrait
habituellement; que cette décision, puisée dans les
circonstances de la cause, ne peut tomber sous la
censure de la cour de cassation ;
a
«
«
«
a 2° Que la demanderesse a fait le commerce pendant son premier mariage, depuis la mort de son
premier mari, et avant comme depuis son second
mariage ; qu'ainsi, c’est au vu et su de son mari qu’elle
s’est livrée au commerce ;
a
«
«
«
« Attendu, en droit, que la loi exige du mari, non
une autorisation, mais un consentement, et que ce
consentement peut s’induire toutes les fois que la
femme fait un commerce public sans opposition de
la part de celui-ci ;
« Attendu que la dame Eymard faisant un négoce
a qui embrassait toutes sortes de spéculations, l’éta« blissement d’une forge sur son propre terrain ren« trait dans son négoce général ;
«
«
«
«
a Attendu que l’arrêt, en constatant que la demanderesse a apporté un de ses immeubles dans la société, déclare en même temps que cet immeuble a
été acheté pour y former l’établissement commercial,
et que le mari a formellement approuvé cette opéra-
�214
DK S COMMERÇANTS
a tion, d’où il suit qu’il n’existe aucune violation de
« l’article 217 du Code civil.1 »
126.
— La femme marchande publique, ou auto
risée à l’être , peut-elle , sans autorisation spéciale ,
acheter une maison pour y établir ses magasins, sa fafrique ou manufacture? Non, dit M. Vazeilles, un pareil
acte n’est pas en soi commercial. Il ne peut être fait
sans autorisation particulière. Mais cette solution est
fort contestable. La femme agit réellement pour son
commerce lorsque, autorisée à l’exercer, elle se pro
cure les moyens devant lui permettre de s’y livrer. Il
lui faut une manufacture, une fabrique si son commerce
l’exige, des magasins dans tous les cas; le mari con
sentant au commerce est donc présumé consentir à
ce que la femme se crée et acquière tout ce qui est in
dispensable à sa profession. On ne contesterait pas à
celle-ci la faculté de souscrire des baux, pourquoi lui
contesterait-on celle d’acheter, alors q u e , dans l’un
comme dans l’autre cas, il peut être du plus grand in
térêt de lui épargner les retards que lui ferait éprouver
la nécessité de se pourvoir d’une autorisation, qu’au
refus de son mari elle serait obligée de demander à la
justice ?
127.
— A la différence de ce qui se réalise pour le
mineur, la femme marchande publique du consente1 D. P. 41, 1, 219.
�ART.
4 ET 5.
215
ment de son mari ne peut ester en justice, même pour
les actes de son commerce, sans l’autorisation de celuici. C’est là un hommage rendu à l’autorité maritale, et
une garantie contre la légèreté avec laquelle la femme
pourrait s’engager dans de mauvaises contestations.
Mais cette règle ne pouvait devenir un obstacle contre
les tiers, contre la femme elle-même. A défaut ou au
refus du mari, c’est le tribunal investi du litige, fût-ce
le tribunal de commerce, qui est appelé à autoriser la
femme purement et simplement.
Mais l’incapacité d’ester en jugement sans autorisa
tion du mari ou de la justice ne prive pas la femme de
procéder à toutes les mesures conservatoires que l’in
térêt de son commerce exige. Elle pourrait donc re
quérir les protêts faute d’acceptation ou de paiement,
faire procéder à des saisies-arrêts, donner même des
assignations. Mais elle ne pourrait obtenir jugement
sans avoir été autorisée par son mari, et, à défaut, par
la justice.
128.
— La femme régulièrement constituée mar
chande publique est assimilée à un commerçant ordi
naire. En conséquence, la présomption de l’article 638
lui devient applicable. Les billets et engagements sous
crits par elle sont censés faits pour son commerce, à
moins qu’une autre cause n’y soit énoncée.
Cette présomption à l’endroit des commerçants s’é
tend au cas d’engagements et d’emprunts par acte no
tarié et authentique. Doit-on l’admettre aussi contre
�216
DES COMMERÇANTS
la femme ? M. Delvincourt se prononce pour l’affirma
tive.1 Cette opinion nous|paraît fondée.
Mais il y a, quant à la présomption de l’article 638,
entre la femme marchande publique et un commerçant
ordinaire, cette différence essentielle qu’à l’endroit de
celui-ci, cette présomption est juris et de jure. Il suffit
donc qu’aucune autre cause n’y soit énoncée pour que
le billet ou l’acte soit définitivement considéré comme
fait pour son commerce.
Il n’en est pas ainsi de la femme marchande publi
que. Celle-ci n’a qu’une capacité relative. Elle ne s’en
gage valablement que dans les limites de cette capacité
et qu’en tant que l’objet pour lequel elle s’oblige a réel
lement trait à son commerce. On doit donc, pour ce
qui la concerne, s’arrêter moins à l’apparence qu’au
fond même des choses, Sans cela on arriverait bientôt
à ce résultat qu’en traitant avec elle, même dans un in
térêt purement civil, les tiers, pour échapper à la ri
gueur de la loi et pour assurer la validité de l’obliga
tion, exigeraient soit que l'engagement ne mentionnât
aucune cause, soit qu’il énonçât que la femme agit dans
l’intérêt de son commerce. Dans l’un comme dans l’au
tre cas, l’autorité maritale aurait été méconnue, et tou
tes les garanties prises par la loi seraient violées au dé
triment de la femme.
Cette fraude périlleuse ne pouvait être évitée qu’en
n’acceptant la présomption de l'article 638 que jusqu’à
1 T. î, pag. 168.
�\
AUX. 4 ET 5.
217
preuve contraire. Ainsi, quels que soient les termes de
l’acte, et alors même qu’il exprimerait formellement
qu’il a été fait pour le commerce, la femme est toujours
recevable à soutenir et à prouver le contraire, et cette
preuve faite, l’obligation retombe sous l'empire du
droit civil et en subit l’application. Cette preuve peut
être faite par témoins, non-seulement par la femme
elle-même, mais encore par le mari, dont l’intérêt à cet
égard ne saurait être méconnu.1
129.
— Les engagements commerciaux de la fem
me marchande publique atteignent sa personne et ses
biens. Nous verrons, sous l’article 7, ce qui se rapporte
à ses immeubles. Quant à son mobilier, il est directe
ment affecté, alors même qu’elle serait sous le régime
de dotalité absolue et générale. Il peut donc être frappé
de toutes les exécutions autorisées par la loi et le droit
commun.
La femme marchande publique est contraignable par
corps. Elle est soumise à la juridiction consulaire. Elle
peut être déclarée en état de faillite, et atteinte, suivant
le cas, des peines de la banqueroute simple ou fraudu
leuse. La poursuite contre elle est la même que contre
tout commerçant. On doit donc l’appeler devant le tri
bunal de commerce et demander à ce tribunal de l’au
toriser à ester en jugement, si le mari ne peut ou ne
veut donner cette autorisation.
1 Toullier, t
x ii ,
n° 250, v. infra, n0! 144 etsuiv
�218
DES COMMERÇANTS
130.
— Enfin, la femme commune en biens n’est
pas libérée de ses engagements commerciaux par la
renonciation qu’elle ferait à la communauté. Celte res
source, ouverte par la loi pour exonérer la femme de
toute participation aux dettes contractées par le mari,
en sa qualité de chef et maître de la communauté, n’a
plus aucune raison d’être lorsqu’il s’agit d’obligations
directement et personnellement contractées par la fem
me dans l’exploitation de son commerce. Elle en reste
donc solidairement tenue, qu’elle renonce à la commu
nauté ou non.
131.
— Dans la même hypothèse, la femme n’est
pas seule obligée directement, elle engage aussi soli
dairement son mari qui l’a autorisée à faire le com
merce. Pendant toute la durée du mariage, celui-ci ne
laisse pas que d’être le chef et maître de la commu
nauté. Il en retire les revenus et peut même en aliéner
l’actif. Or, comme c’est dans cet actif que viennent se
fondre les produits du commerce de la femme, il parti
cipe évidemment aux bénéfices dont il est la source.
Il doit donc, par une juste réciprocité, être tenu des
dettes.
La disposition des articles 220 du Code civil et 5 du
Code de commerce puise donc son fondement dans une
règle d’équité et de morale. On ne saurait permettre
au mari de s’enrichir au détriment des créanciers com
merciaux de la femme. Il était même indispensable de
le décider ainsi, pour empêcher une fraude trop facile
�ART. 4 ET 5.
219
pour ne pas être dangereuse. Bientôt, en effet, par une
collusion coupable, l’actif commercial de la femme eût
été successivement réalisé par elle, absorbé par le
mari; et la faillite se réalisant, les créanciers se seraient
trouvés en présence d’un déficit que l’immunité ac
cordée au mari n’aurait pas permis de combler ou de
diminuer. C’est là le résultat que le législateur a en
tendu surtout condamner.
152. — Aussi, se conformant à sa pensée sur ce
point plutôt qu’au texte littéral de la loi, la doctrine
n’a-t-elle pas hésité à enseigner que le mari est tenu
des dettes toutes les fois qu’il a réellement perçu les
bénéfices commerciaux, quel que soit d’ailleurs le régime
adopté par les époux.
Ils peuvent, par exemple, avoir stipulé dans leur
contrat de mariage l’exclusion de la communauté. Il est
évident que si cette clause est accompagnée de celle
de séparation de biens, aucune difficulté ne saurait s’éever. Le mari ne pourrait être tenu des dettes contrac
tées par sa femme.
1 3 3 . — Mais si l’exclusion de la communauté est
pure et simple, les effets de ce régime, réglés par les
articles 1530 et 1531 du Code civil, laissent au mari
l’administration des biens de la femme, la jouissance
des revenus. Seul il perçoit le mobilier qu’elle a ap
porté en mariage et celui qui lui échoit pendant sa du
rée, à la seule condition de le restituer en cas de dis
solution ou de séparation de biens.
�DES COMMERÇANTS
220
En réalité donc, sous l’empire de ce régime, le mari
profiterait exclusivement des bénéfices commerciaux
de la femme. Pourquoi donc l’exonèrerait-on de l’obli
gation de payer les dettes créées par elle à l’occasion de
son industrie? Le seul motif que M. Toullier invoque,
c’est la restitution à laquelle le mari est tenu, et au
moyen de laquelle, dit-il, la femme se trouvera avoir,
en définitive, profité seule des résultats de son com
merce.1
Mais cette restitution ne comprend que les capitaux
apportés en dot ou échus depuis le mariage, tels que le
mari les a lui-même perçus. Les fruits et revenus qu’ils
outpu produire ne sont pas restituables. L’article 1530
du Code civil les attribue au mari d’une manière ab
solue. Or, les gains du commerce successivement re
cueillis, le plus souvent sans constatation aucune, sont
plutôt des revenus qu’un capital. Dès lors le mari en
profite, et, en vertu de la règle que nous rappelions
tout-à-l’heure, il doit, par une juste réciprocité, être
tenu des dettes.3
L’opinion que nous émettons çst adoptée, mais avec
quelques nuances, par MM. Pardessus et Molinier.
« Lorsqu’il n’y a qu’une simple exclusion de com « munauté, dit le premier, on sait que le mari n’ac« quiert pas la propriété du mobilier qui écheoit à sa
1 T. x n , n» 254
2 Orillard,
pag.147.
n° 172 ; — Düvanton, t. n, n» 480 ; —Delvincourt, t.
i
�ART.
«
«
«
»
«
«
«
«
«
«
«
«
4
ET
5.
221
femme pendant le mariage ; qu’il n’a que le droit de
le percevoir pour le rendre quand l’union sera dis—
soute; que les seuls fruits des biens de sa femme
sont censés lui être apportés pour soutenir les charges du ménage. Or, le produit d’un commerce ne
paraît pas devoir être considéré comme fruits de
biens. Cependant, par cela seul que le mari perçoit
tout le mobilier de sa femme, dont le commerce de
celle-ci fait partie, il est obligé envers les créanciers,
sauf règlement particulier des droits respectifs à la
cessation du commerce ou à la dissolution du mariage.1 »
Mais où trouver à ce compte particulier des éléments
sérieux et offrant quelque certitude? La femme pré
tendra-t-elle à une récompense quelconque? Comment
justifiera-t-elle que le mari a reçu plus que ce qu’il est*
obligé de payer au créancier et au-delà de ce qu’il avait
droit de recevoir pour subvenir aux frais du ménage ?
D’ailleurs, ne suffit-il pas, pour interdire toute action
en répétition à la femme, que la loi ait formellement
attribué au mari les fruits des biens de la femme? Si
ces fruits lui sont acquis, on n’a dans aucun cas à lui en
demander compte.
,
Mais, dit M. Pardessus, le produit d’un commerce ne
paraît pas devoir être considéré comme fruits de biens.
Sur quels fondements M. Pardessus établit-il sa propo
sition ? Le commerce se fait avec les capitaux qu’on lui
1 N» 68.
*
�222
j
r
DES COMMERÇANTS
'
■
affecte ; si la femme n’était pas marchande publique,
est-ce que ses capitaux ne seraient pas productifs?
Est-ce que les fruits qui en proviendraient n ’appartiendraient pas au mari ?
Or, que ces fruits proviennent de l’intérêt des capi
taux, ou du résultat des spéculations commerciales aux
quelles ces capitaux ont été consacrés, il ne saurait
exister aucune différence. Dans un cas comme dans
l’autre, ce que le mari touche, ce sont les fruits des
biens de la femme.
Sera-ce le mari qui réclamera une récompense? Com
ment à son tour établira-t-il qu’il paye au-delà de ce
qu’il a reçu? D’ailleurs, dès qu’il a consenti à ce que sa
femme exerçât le commerce dans le but d’en toucher
les bénéfices, il doit en supporter les charges. On pour» rait d’autant moins l’en exonérer qu’en définitive, il
était maître et libre de retirer l’autorisation ou le con
sentement en vertu duquel la femme avait entrepris et
exerçait le commerce; qu’il devait user de cette faculté
N
dès qu’au lieu de bénéfice, le commerce n’offrait que
des pertes ; qu’il est en faute de ne pas l’avoir fait et
qu’il doit subir les conséquences de cette faute.
M. Molinier, lui, pense que le mari ne doit aux créan
ciers que ce qui reste en ses mains des produits du
commerce, prélèvement fait de la partie consacrée aux
besoins du ménage. « L’excédant de ce qui a été con« sacré à ces besoins, dit-il, est un capital dont le
« mari n’a que la jouissance durant le mariage. En con« séquence, les porteurs des obligations commerciales
�ART. 4 ET 5.
«
«
«
«
«
«
«
«
«
223
de la femme ont bien, indépendamment de leur action contre celle-ci, action qu’ils peuvent exercer sur
la pleine propriété de tous ses biens, le droit de
poursuivre le mari qui a perçu les bénéfices du eommerce ou les capitaux de la femme sans en faire authentiquement constater la consistance. Mais s’il est
en possession de faire raison de ces sommes, il ne
peut être recherché que jusqu’à concurrence de ce
qu’il a perçu.1 »
Il est évident que si, comme nous venons de l’éta
blir, les produits du commerce de la femme sont perçus
par le mari à titre de fruits, ils lui appartiennent en to
talité et indépendamment de la destination qu’ils ont
reçue. De même qu’il n’a rien à prétendre dans l'hy
pothèse où ces produits n’ont pas suffi à faire face aux
frais du ménage, de même on ne devrait pas l’admettre
à n’offrir aux créanciers que ce qui a excédé ces frais
pour s’exonérer de la charge que la loi lui a imposée
en échange de l’attribution des produits qu’elle fait en
sa faveur.
Au reste, il est facile de se convaincre que la condi
tion que M. Molinier met à la restriction de la respon
sabilité du mari est irréalisable. En effet, cette restric
tion ne lui sera acquise que s’il a fait constater authen
tiquement la consistance des bénéfices par lui perçus.
On comprend la possibilité de cette constatation dans
les cas prévus par les articles 1510 et 1532 du Code
1 T. î, pag. ISO.
�224
DES COMMERÇANTS
civil, mais comment la concevoir dans notre hypothèse?
Est-ce que les sommes empruntées journellement, heb
domadairement ou mensuellement à la caisse pour sub
venir aux frais du procès sont des bénéfices? Si peu
que peut-être en fin d’année, l’inventaire se soldera par
une perte.
Faudra-t-il donc faire intervenir le notaire chaque
jour ou toutes les fois qu’on prendra une somme quel
conque? Mais bientôt on ne gagnerait pas assez pour
payer les frais d’enregistrement de ces actes multiples
et les honoraires du notaire. Donc, exiger cette cons
tatation authentique, c’est vouloir l’impossible, et lui
subordonner la restriction de l’obligation du mari, c’est
exclure toute celte restriction et laisser, mais indirec
tement, subsister cette obligation dans son entier.
Puis, la conséquence de l’opinion de M. Molinier
serait que si le commerce de la femme n’avait produit
aucun bénéfice, ou que si ce bénéfice n’avait pas suffi
à solder les frais du ménage, le mari ne devrait rien,
malgré que dans l’un et l’autre cas, ces frais eussent été
pris sur le capital. Or, si M. Molinier ne va pas jusque
là, c’est que le système qu’il préconise n’est ni logique
ni juste, qu’il est par conséquent inadmissible.
En dernière analyse, toutes les fois que le mari per
çoit les produits du commerce de la femme, ou a droit
de les percevoir, il est tenu des dettes. C’est une chance
aléatoire qu’il n’a pu ignorer et qu’il a volontairement
acceptée en consentant à ce que sa femme exerçât le
commerce. Il ne saurait donc en récuser les effets.
�ART. 4 RT 5.
225
134. — MM. Duranton et Delvincourt enseignent
qu’il doit en être de même lorsque, aux termes de l’ar
ticle 1525 du Code civil, les époux ont stipulé que la
totalité de la communauté appartiendra au survivant.
D’abord, il n’est pas certain si la femme survivra ou non,
et, dans le cas où elle prédécèderait, le mari, recueil
lant la totalité de la communauté, devrait à fortiori
être tenu des dettes de sa femme marchande publique.
De plus, cette clause n’empêche pas la femme de re
noncer à la communauté, et le mari n’est pas moins au
torisé à disposer de l’actif tant que dure le mariage.1
!3£». — Quant au régime dotal, il faut distinguer.
Si la femme est mariée sous constitution particulière,
elle conserve l’administration et la jouissance de tout
ce qui n’est pas dotal. Elle profite des gains commer
ciaux qu’elle réalise. Elle sera donc, par réciprocité, te
nue exclusivement des dettes qu’elle a contractées.
fl en serait autrement si la constitution dotale était
accompagnée d’une communanté d’acquêts ou si elle
comprenait généralement tous les biens présents et à
venir.
Dans le premier cas, le mari participe aux gains
commerciaux à l’aide desquels pourront se réaliser les
acquêts tombant dans la communauté. II doit donc être
également tenu des dettes.
Dans le second cas, le mari profite de ces gains, m êi Conf., Touiller, t. xn, n° 286
�226
DES COMMERÇANTS
me d’une manière exclusive , puisque la femme ne
pourra jamais obtenir que la restitution delà dot, telle
qu’elle a été constituée, puisque l’administration et les
revenus des biens personnels de la femme lui appar
tiennent. On peut, dans cette hypothèse, dire avec
M. Nouguier que la femme est censée faire, pour l’in
térêt du mari, le commerce dont les produits n’aug
mentent pas ses reprises.1 Il n’y a donc qu’exacte et ri
goureuse justice à lui en faire supporter les dettes.
En dernière analyse, le mari est tenu toutes les fois
qu administrateur des biens de la femme, il jouit des
revenus. Il serait immoral qu’ayant puisé dans le com
merce de la femme les moyens d ’accroître sa fortune,
il pût être affranchi de toute participation aux dettes,
lorsque les créanciers, dépouillés de toutes ressources,
se trouveraient en présence d’une insolvabilité dont il
se serait rendu lui-même l’auteur principal.
136. — Nous avons déjà rappelé que sous l’empire
du droit ancien, le mari, tenu des engagements de sa
femme, était contraignable par corps. En est-il de mê
me depuis notre nouvelle législation ? •
M. Delvincourt soutient l’affirmative, il l’appuie d’a
bord sur les anciens principes enseignés par Pothier,
Valin et Bornier, consacrés par la jurisprudence du par
lement de Paris. Il ajoute ensuite : le mari est réputé
l’associé de sa femme, et, dans les sociétés de comi T. i, pag. 265; — conf. Vazeilles, t. ii, n° 360.
�ART.
4 r;T 5.
227
merce, 1 associé est tenu par corps des engagements
contractes par 1 associe qui a droit de signer pour la
société. Cette opinion est également enseignée par
M. Fournel.1
L’opinion contraire, soutenue par un grand nombre
d’auteurs, nous paraît préférable et faire une plus juste
application des principes de la matière. En effet, les
articles 220 du Code civil et 5 du Code de commerce
déclarent une seule chose, à savoir que la femme mar
chande publique oblige son mari, s’il y a communauté
entre eux. Nous avons vu quel était le fondement légal
de ces dispositions. On n’a pas voulu permettre au mari
de profiter des dépouilles des créanciers.
Ainsi il y a, aux yeux de la loi, si peu société entre
la femme et le mari, que celui-ci n’est obligé que dans
une hypothèse prévue, qu'il ne le sera même pas dans
telle autre. Dans tous les cas, ses biens pourront être
engagés, sa personne jamais. On ne comprendrait pas
que la loi, qui a cru devoir s’expliquer sur les uns, eût
gardé le silence à l’égard de l’autre.
Ce silence est surtout décisif en l’état de la législation
civile, prohibant d’appliquer la contrainte toutes les
fois qu’elle n’est pas autorisée par une loi formelle. Il
est vrai que cette exécution rigoureuse est de droit
commun en matière de commerce. Mais , pourrait-on
soutenir qu’en consentant à ce que-la femme exerce le
commerce, le mari a fait un acte commercial ? Ce conl Ve la contrainte par corps, pag.
�228
DES COMMERÇANTS
sentement ne peut constituer qu’un mode de disposition
de l’autorité maritale, il n’est donc, en réalité, qn’un
acte essentiellement civil.
Comment d’ailleurs cet acte, commercial dans le cas
d’une communauté entre époux, perdra-t-il tout effet
à l’égard du mari, dans le cas où la femme sera séparée
de biens ou soumise à une dotalité particulière. N’est-il
pas singulier de faire résulter la société commerciale,
non pas de la nature et du caractère de l’acte en luimême , mais du régime matrimonial des prétendus
associés ?
L’admission d’une société commerciale entre la fem
me marchande publique et son mari blesse donc la vé
rité des choses. Elle n’irait, dans certains cas, à rien
moins qu’à violer la légalité elle-même. Il est des pro
fessions et des fonctions que la loi déclare incompatibles
avec l’exercice du commerce. Mais cette incompatibilité
se restreint à la personne même de celui qui remplit
ces fonctions ou qui exploite ces professions. Aucune
loi ne défend . à la femme de l’un ou de l’autre de devenir marchande publique.
Or, celui qui ne peut faire le commerce est également
incapable de contracter une société commerciale. Les
inconvénients que la loi a voulu éviter par l’incompa
tibilité, notamment la contrainte par corps, se réalisent
à l’endroit de l’associé comme du commerçant. Donc,
reconnaître au mari la qualité d'associé de sa femme,
c’est éventuellement lui permettre ce que la loi lui pro
hibe expressément de faire.
j
�4
ART.
ET
5.
229
Ainsi, le mari resté étranger au commerce, et qui
s’est borné à consentir expressément ou tacitement à
ce que sa femme s’y livre, n’est pas l’associé de celle-ci.
Il en est la caution solidaire, quant aux biens seule
ment. Cet état de choses n’est pas spécial aux matières
commerciales. En droit civil, les engagements de la
femme commune , contractés avec l’autorisation du
mari, engagent celui-ci.1 Or, l’autorisation générale de
faire le commerce vaut pour la femme autorisation
formelle pour tous les actes se rattachant à son exer
cice. L’article 5 du Code de commerce n’a donc pas
introduit un droit nouveau, il n’a fait que rappeler le
principe posé par l’article 220 du Code civil, qui
n’est lui-même qu’une conséquence des règles géné
rales régissant la communauté. Le caractère du cau
tionnement du mari ainsi établi, il est évident qu’on
ne saurait le déclarer contraignable par corps sans mé
connaître les véritables principes de notre législation
civile et commerciale.2
C’est dans ce sens que la Cour de Lyon s’est pro
noncée par arrêt du 26 juin 1822.
157. — La femme marchande publique n’est nul
lement engagée par les faits de son mari, même dans
le cas où celui-ci, percevant tous les bénéfices du
'
t,
i î 'p -
1 Toullier, t. xn, n» 283 ; — C. civ., art. 1419, 1426.
2 Malleville, t. î, pag. 231 ; _ Toullier, t. n , n» 639 et xn, n° 245;
— Locré, t. m , pag. 539 ; — Vazeilles, t. i i , pag. 10S ; — Sébire et
Carteret, n° 306.
�230
DES COMMERÇANTS
commerce, devrait en supporter toutes les dettes. Ainsi
les obligations contractées par le mari, les achats opé
rés par lui de marchandises identiques à celles dont
s’occupe la femme seraient sans nul effet à son en
contre.
Mais cette règle reçoit exception : 1° si le mari avait
agi comme mandataire de la femme, et en vertu d’une
procuration expresse ou tacite. L’existence de cette
dernière pourrait résulter de la conduite habituelle des
époux et de l’usage où ils seraient d’en agir ainsi ; de
ce que, notamment, la femme aurait toujours reconnu
et payé les engagements souscrits par son mari ; 2° si
la femme avait réellement reçu dans ses magasins la
marchandise achetée par le mari. L’offre de prouver
l’un ou l’autre, même par témoins, ne saurait être re
fusée au tiers qui en alléguerait l’existence.
Mais en dehors de ces exceptions, les dettes contrac
tées par le mari restent étrangères à la femme. Les
créanciers qui peuvent incontestablement, pour arriver
à leur paiement, saisir les biens de la communauté, ne
pourraient porter leurs exécutions sur les marchandises
du commerce de la femme. Le prix de celles-ci serait,
dans tous les cas, dévolu par privilège à ses créanciers
commerciaux.
138.
— Une observation commune à la femme et
au mineur, c’est que l’un et l’autre sont recevables à
exciper personnellement de l’absence, ou de l’irrégula
rité de l’autorisation en vertu de laquelle ils ont fait le
�ART. £ Et 5.
231
commerce. Les prescriptions de la loi à cet égard étant
d’ordre public, leur violation ne saurait créer un lien
quelconque contre le violateur lui-même. Ce droit
passe à leurs héritiers. Il peut, de leur vivant, être
exercé par les père ou mère du mineur ou par son tu
teur; par le mari, surtout dans l’hypothèse où il est
tenu des dettes. La rétractation de la faculté de faire
le commerce, qui serait la conséquence de l’action des
uns ou des autres, devrait être publiée dans les formes
que nous venons d’indiquer.
139.
— L'autorisation régulière, suivie de l’exer
cice effectif du commerce, suffit pour que le mineur
soit constitué commerçant et réputé majeur à l’endroit
des engagements souscrits pour son commerce. Il n’en
est pas de même pour la femme mariée à un commer
çant. Vainement prouverait-on contre elle qu’elle a fait
un grand nombre d’actes de commerce ; vainement exciperait-on de la connaissance qu’en a eue le mari et
de l’absence de toute opposition de sa part. Elle ne se
rait et ne pourrait être marchande publique que si le
commerce exploité par elle était distinct et séparé de
celui exercé par son mari.
Cette condition a été de tout temps exigée. C’est
ainsi notamment que l’article 235 de la Coutume de
Paris déclarait que la femme ne devait pas être réputée
marchande publique si elle se bornait à débiter les mar
chandises dont se mêlait son mari. Elle n’était considé
rée comme telle que lorsqu’elle faisait marchandise sé
parée et autre que celle de son mari.
�232
DES COMMERÇANTS
Cette, manière uniforme d’envisager la position de la
femme ne peut surprendre personne. Les effets, que
l’exercice du commerce produit sur sa personne et sur
% ses biens, sont de telle nature, qu’il ne convenait de les
consacrer que lorsqu’aucun doute ne pouvait s’élever
sur la certitude et la spontanité de sa volonté de s’y
exposer.
Comment admettre l’une et l’autre, lorsque la femme
se borne à aider son mari à exploiter le commerce à la
tête duquel celui-ci se trouve placé? Ce concours n’est
que l’effet de la position de la femme, de l’obligation
où elle se trouve de participer à toutes les mesures
tendant à accroître le bien-être et la prospérité du
ménage. Il n’est donc pour la femme que l’accomplis
sement d’un devoir auquel elle n’était pas libre de se
soustraire. On ne pouvait dès lors en faire résulter un
engagement sérieux pour sa personne et l'aliénation de
ses biens, avec d’autant plus de raison que le mari in
téressé à cette aliénation, dont il profitera, pourrait ne
poursuivre d’autre but dans la participation qu’il saura
bien obtenir de sa femme, ce qui rendrait cette parti
cipation une véritable fraude contre elle ou contre ses
héritiers.
Il importait donc de protéger la femme contre un
pareil danger. Le seul moyen de le faire d’une ma
nière énergique était d’imiter le législateur ancien et
de s’approprier le principe qu’il avait consacré. C’est ce
que font, en effet, les articles 220 du Code civil et 5
du Code de commerce.
�ART.
4
ET
5.
233
140.
— La femme n’est donc marchande publique
que si elle fait un commerce distinct et séparé de celui de
son mari. Mais ces expressions de notre Code ne doi
vent pas recevoir aujourd’hui l’acception et le sens de
celles de la Coutume de Paris : marchandise séparée et
autre que celle du mari. La femme peut exercer le
même commerce que son mari, pourvu qu’elle le fît sé
parément et d’une manière distincte ; par exemple, si
elle avait agi en son propre nom et non en celui de son
mari ou comme sa mandataire; si celui-ci ne pouvait
diriger ses actes, ni les modifier suivant son intérêt
personnel; si la raison sociale du commerce respectif
des époux n’était pas la même ; enfin, si la femme avait
pris une patente particulière, indépendamment de celle
prise par le mari, elle serait et devrait ê tre , dans ce
cas, réputée marchande publique.1 Mais l’absence de
ces caractères placerait la femme, traitant les mêmes
affaires que son mari, sous l’empire de la règle rap
pelée par l’article 5, alors même qu’elle agirait dans
un magasin distinct de celui du mari.
441. — Cette règle est absolue et s’appliquerait à
la femme qui se serait mariée après avoir, pendant plus
ou moins longtemps, exercé le commerce. Ainsi, si les
époux, adoptant le régime de la communauté, n’avaient
rien stipulé pour la continuation du commerce jusque
là propre à la femme, elle cesserait de plein droit d’être
1Nouguier, t. i, pag. 263; — Pardessus, n» 65; — Sebire et Carteret, n» 302,
�234
'
DES COMMERÇANTS
commerçante, parce qu’elle serait présumée avoir ap
porté dans la communauté son industrie, qui devien
drait celle de son mari.1
Quel que fût le régime adopté, si la femme avait
épousé un commerçant exerçant le même genre d’in
dustrie, ou si le mari, depuis le mariage, prenait le
commerce sous son nom et l’exploitait dans son inté
rêt, la femme ne serait plus marchande publique. L’ex
ploitation qu’elle continuerait d’en faire serait de plein
droit considérée comme' réalisée pour le compte ex
clusif de l’époux.
1 4 2 . — Mais cet état de choses peut être modifié
d’abord par le contrat de mariage. Les conjoints sont
libres de stipuler que la femme continuera son com
merce. Dans ce cas, la femme ne cesse pas d’être mar
chande publique, saufle droit de révoquer son autori
sation, que nous avons vu ci-dessus appartenir au mari.
Il peut ensuite être modifié par le fait du mari. Le
non-commerçant épousant une marchande publique et
qui, sans s’immiscer lui-même dans le commerce, laisse
sa femme continuer celui qu’elle exerçait avant le ma
riage, est censé consentir à ce que sa femme demeure
marchande publique. On ne saurait donc lui refuser
cette qualité. Le même effet serait de plein droit acquis
si le m ari, ayant une profession ou remplissant des
fonctions incompatibles avec le commerce, laissait le
i Pardessus; — Nouguier, loc. cil ; — Toullier, t. x n , n° 243.
�ART.
4
235
ET 5 .
commerce de sa femme se continuer depuis le mariage.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il importerait peu
que les époux se fussent ou non expliqués dans leur
contrat. Le mari n’exerçant pas, ou ne pouvant exer
cer le commerce, la femme ne pourrait être placée
dans la catégorie de celles dont parle l’article 5 du Code
de commerce.
Hors ces cas, et toutes les fois que le mari est com
merçant, la femme qui ne s’occupe que du commerce
fait par lui n’acquiert pas la qualité de marchande pu
blique.
143. — Ainsi la femme qui ne ferait qu’exploiter
un fonds de commerce concurremment avec son mari
n’est pas réputée légalement commerçante, et ne peut
conséquemment être déclarée en état de faillite1 alors
même, dit un arrêt de la cour de Paris du 7 février
1835, qu’elle figurerait au bilan qu’elle aurait signé
conjointement avec son mari.
Il en serait de même de la femme qui aurait habi
tuellement fait le commerce, mais sous le nom et en
vertu de la patente de son mari.2
Toutefois, l’existence de la patente sous le nom du
mari n’est qu’une présomption qui n’a rien de décisif,
et qui n’empêcherait pas que la femme fût déclarée
marchande publique, si d’une part le mari avait notoi1 Paris, 19 oct. 4843, J. d u P .,
2 Bruxelles, 4 fév, 4 809.
«
t. xi, 1843,
pag. 697.
�236
DES COMMERÇANTS
rement une industrie ou une profession étrangère au
commerce; si, d’autre part, il était acquis que ce com
merce était exercé par la femme exclusivement.
C’est ce que la cour de Caen jugeait le 8 décembre
1829. Une dame Clément ayant emprunté 1,200 fr. du
sieur Morel, lui avait souscrit un billet en son nom pro
pre et personnel. Ce billet n’ayant pas été payé à l’é
chéance, Morel actionne les époux Clément et demande
qu’ils soient condamnés solidairement.
La dame Clément soutient alors que n’ayant fait qu§
détailler les marchandises de son mari, elle n’a jamais
été marchande publique. Comme preuve que le com
merce est personnel à son mari, elle excipe de la cor
respondance, produit des factures au nom de celui-ci,
et enfin elle se prévaut de la patente qui lui est égale
ment personnelle.
Condamnées par le tribunal de commerce, ces pré
tentions sont renouvelées devant la cour. Mais par arrêt
du 8 décembre 1829, le jugement est confirmé. Voici
sur quelles circonstances de fait s’étaye et se légitime
cette confirmation :
« Considérant qu’aux termes de l’article 220 du Code
k civil, la femme est réputée marchande publique
« quand elle fait un commerce séparé ; qu’encore,
« bien que la paleute, prise pour le commerce de la
« maison, ait été prise sous le nom de Clément, que
« plusieurs factures et pièces de correspondance aient
«. été indiquées comme ayant eu lieu sous le nom de
« Clément, que dans d’autres circonstances Clément
�ART. 4 ET 5.
237
« ait été qualifié de marchand, il est de fait suffisam« ment établi dans les plaidoiries que Clément ne s’oc« cupait nullement de commerce, et qu'il a été souo tenu, au contraire, qu’il n’était personnellement con« sidéré que comme agent d’affaires ;
« Considérant, en effet, que le commerce se faisait
« par la dame Clément seule ; qu’il n’y avait qu’elle
« qui allait dans les foires vendre et débiter les m ar« chandises, de sorte que l’on ne peut pas dire qu’elle
« ne faisait que détailler les marchandises du com« merce de son m ari, puisque tout le commerce se
« faisait par elle et pas du tout par le mari ; que cela
« demeure de la plus grande évidence par l’enseigne
« même mise sur la boutique, enseigne qui n’indique
« que la femme Clément et nullement son m ari, évi« dence qui est plus particulièrement encore démon« trée dans la cause par ce billet même de 1,200 fr.
« dont il s’agit, lequel n’est souscrit que de la femme
« Clément, et dans lequel il n’est désigné d’autre em« ploi que celui de son commerce; qu’à ces faits, il
« faut joindre les observations demeurées constantes
« dans les plaidoiries et dont s’était servie la dame Clé« ment pour engager le baron de Morel à lui prêter
« l’argent qu’elle lui demandait et qui consistaient à
« faire remarquer qu’il y avait sûreté pour lni, quoi« que l’argent fût destiné à être employé dans son
« commerce, ce commerce étant autorisé par son ma« ri, celui-ci se trouvait engagé comme elle ; qu’enfin,
« après avoir fait valoir de tels motifs de sécurité, la
�238
DES COMMERÇANTS
« femme Clément se contredit elle-même en ne vou« lant pas être aujourd’hui regardée comme ayant fait
« un commerce séparé. »
Ce qui frappe dans cette espèce, ce qui était vérita
blement décisif, c’est l’enseigne portant le nom de la
femme. Après une pareille manifestatÎŒ publique, la
prétention de n’être pas personnellemeaPcommerçante
était une témérité qui ne pouvait faire illusion à la
justice.
La femme Clément néanmoins ne se tint pas pour
battue et dénonça l’arrêt de la cour de Caen à la cour
suprême comme violant les articles 217, 220 du Code
civil et les articles 4 et 5 du Code de commerce.
Mais par arrêt du 27 mars 1832, le pourvoi était
rejeté. La cour de cassation considère « qu’en décla« rant que la dame Clément ne pouvait pas être con« sidérée comme n’ayant fait que détailler les marchan« dises du commerce de son mari, et quelle devait au
« contraire être considérée comme ayant fait un com« merce séparé, et, à ce titre, être réputée marchande
« publique, l’arrêt attaqué n’avait fait que se livrer à
« une appréciation d’actes et de faits qui était dans ses
« attributions et ne pouvait donner ouverture à cas
te sation. »
La dame Clément soutenait à l’appui de son pourvoi
qu’elle n’avait jamais été autorisée par son mari. Mais
la cour déclare de nouveau « que l’article 4 du Code
« de commerce n'exige pas une autorisation du mari,
« mais un simple consentement; et que ce consente-
�A RT.
4 ET 5.
239
« ment peut s’induire de ce que la femme fait un com« merce public au su de son mari et sans opposition de
« sa part.1 »
A plus forte raison, la femme qui s’est engagée pour
son commerce doit-elle être déclarée marchande pu
blique si, outre qu’elle gère le commerce, on peut con
sidérer les fonctions remplies par son mari comme in
compatibles avec ce commerce. Quelle apparence par
exemple que la femme d’un huissier tenant un magasin
de modiste, ne fasse que détailler les marchandises du
commerce de son mari ?
C’est cependant ce qu’on soutenait devant la cour de
Rennes. « Une dame Thierrée, marchande de modes,
« avait emprunté 1,500 fr. au sieur Robichon, lui avait
« souscrit un billet à ordre en son nom personnel et
« causé pour mon commerce.
« Sur la poursuite du créancier, le tribunal de com« merce de Nantes condamne la dame Thierrée et par
o corps au paiement du billet et ordonne l’exécution
« provisoire du jugement nonobstant appel et sans
« caution.
« Après divers incidents sur l’exécution provisoire,
« les époux Thierrée émettent appel et, pour la pre« mière fois devant la cour, soutiennent que la femme
« n’a fait qne détailler les marchandises du commerce
« de son mari.
« Cette prétention rencontre l’accueil qu’elle méri1D a llo z ,
R é p . g è n ., v ° c om m erç a nt, a r t. 4 , S 2 ,
n°
4 86.
�240
DES COMMERÇANTS
« tait. Elle est repoussée par arrêt du 26 novembre
« 1834.
« Considérant, dit la cour, que dans le billet qui fait
« l’objet de la contestation, la femme Thierrée recon« naît être marchande publique , puisqu’elle déclare
« que le prêt a eu lieu pour son commerce, et que
u cette déclaration a été ratifiée par le mari, qui, à di
te verses époques, a reconnu la validité du billet ; con
tt sidérant, d’ailleurs, qu’il est peu présumable que le
« sieur Thierrée, huissier au tribunal de Nantes, soit
« lui-même marchand modiste; qu’il n’a pas osé prê
te senter devant le tribunal de son domicile le moyen
« qu’il invoque aujourd’hui, et que, jusqu’à l’appel, il
« a fait porter lui-même sur sa femme la qualité de
« marchande publique en se faisant exempter de toute
« condamnation personnelle.1 »
Il y eut bien pourvoi en cassation contre cet arrêt,
mais ce pourvoi était uniquement fondé sur un tout au
tre grief que celui tiré de l’attribution à la femme de la
qualité de marchande publique.3 On passait donc con
damnation sur ce point. Quel succès pouvait-on espérer
en ne le faisant pas ?
En définitive, la question de Savoir si la femme a
exercé un commerce séparé, ou seulement détaillé les
marchandises du commerce de son mari, peut offrir
quelques difficultés. Mais aux tribunaux appartient le
1 J. du P. à sa date.
2 V. cass., 2 février 1836
�ART.
4 Et 5.
241
droit de les trancher souverainement. Les principaux
éléments qui se recommandent à leur appréciation sont
l’enseigne, les circulaires, les annonces publiquement
distribuées et répandues, les énonciations des livres et
de la correspondance, la désignation de la patente, la
nature même du commerce, et le plus ou moins d’in
térêt que le mari peut y avoir, la profession de celui-ci
ou les fonctions qu’il remplit.
1 4 4 . — Quels seraient, dans les diverses hypothè
ses où la femme ne fait que détailler les marchandises
du commerce de son mari, les effets des engagements
que la femme aurait pu souscrire?
Par rapport à elle, il ne saurait y avoir doute. La
femme gérant le commerce de son mari, avec son con
sentement, ne s’oblige personnellement, ni civilement,
ni commercialement, à l’exécution des obligations qu’elle
a pu contracter en cette qualité.1
145. — Relativement au mari, la doctrine est una
nime. Delvincourt, Toullier, Vazeilles, Duranton, Orillard, Pardessus, Nouguier, Yincens et Favard de Langlade enseignent tous que lorsque la femme est dans
l'usage de signer les factures et les billets, de faire, en
un mot, toutes les opérations commerciales, les obliga
tions qu’elle contracte ne sont pas nulles pour défaut
d’autorisation, elles engagent le mari propter bonam
1 D u ra n to n ,
t. i i , n» 4 84 ; —
Sé b ire et C a rte re t, n ° 3 4 6 .
46
�242
DES COMMERÇANTS
fidem. La femme est considérée comme son facteur ;
elle est quasi ejus institrix.
La difficulté, en pareille matière, ne peut être sé
rieuse lorsque la femme agit en vertu du consentement
formel et non contesté du mari ; le besoin d’autorisa
tion pour la femme n’existe que lorsqu’elle traite in rem
suant. Celle qui ne fait que remplir un mandat qu’elle
a reçu, ne contractant que pour un tiers, ne serait dans
la nécessité de la requérir que si elle se soumettait à une
obligation personnelle, et c’est ce qui ne se réalise ja
mais, tant qu’elle n’agit que dans les limites de son
mandat.
Conséquemment, elle oblige valablement son man
dant, lequel n’aurait nul besoin de l’autorisation mari
tale s’il traitait lui-même; et c’est ce qu’il est censé
faire : Qui mandat ipse feeisse videtur. Si le mandant
est le mari lui-même, il ne saurait se soustraire à cette
application du droit commun.
146.
— En pareille matière, donc, ce qui pourra
devenir l’objet de contestations , c’est l’existence du
consentement du mari, la détermination de la forme
dans laquelle il doit être donné. Or, à cet égard, la
position et la qualité des parties dictent la solution à la
quelle il convient de s’arrêter. Si la femme doit être
considérée comme le facteur, le préposé du mari, il en
résultera qu’en la laissant agir publiquement en cette
qualité, qu’en approuvant et exécutant ses actes dans
de nombreuses circonstances, ce dernier s’est formelle
ment engagé à les exécuter toujours.
�A RT.
4
ET
5.
243
Il en est donc, dans cette occurence, comme lors
qu’il s’agit de rechercher si le mari a ou non autorisé
sa femme à exercer le commerce. Son consentement
n’a pas besoin d’être exprès ou écrit. Il suffirait qu’il
résultât tacitement d’un ensemble de faits certains et
établis. C’est dans ce sens que s’est prononcée la juris
prudence dans de nombreuses circonstances.
147.
— Ainsi, il a été jugé qu’un tribunal de com
merce est compétent pour connaître de l’action en
paiement d’un billet à ordre souscrit par la femme qui,
du consentement de son mari, gérait seule les affaires
du commerce de celifl-ci. Dans ce cas, le billet oblige
le mari lorsque, de son aveu, il lui laissait la gestion
du commerce qu’elle faisait en son nom, lors, surtout,
que le montant du billet se trouve énoncé dans un in
ventaire fait par les époux après leur séparation de ,
corps j1
Que la femme qui gère habituellement et même ex
clusivement le commerce et les affaires de son mari
(qui ne sait ni lire ni signer) oblige celui-ci, par sa si
gnature, au paiement des billets de commerce sous
crits ou endossés par elle au nom et pour compte de
son mari f
Que la femme, dans ces hypothèses, doit être décla
rée agir, non comme marchande publique de son chef,
1 D o u a i, 2 déc. 1 8 1 3 .
2 Angers, 24fév. 1819.
�24*
DES COMMERÇANTS
mais comme mandataire du mari, et le mandat, non
pas tacite, mais formel, peut résulter des aveux et faits
du mari lui-même, notamment de ce qu’il a toujours et
indistinctement ratifié et exécuté les engagements com
merciaux contractés par la femme ;*
Que le commerçant est même tenu par corps des
obligations commerciales contractées par sa femme, lors
qu’il est notoire que celle-ci fait en tout ou en partie le
commerce de son m ari, et que les engagements par
elle souscrits ont toujours été exécutés ;s
Que la femme qui est dans l’habitude de gérer et ad
ministrer le commerce de son mari peut, sans son au
torisation par écrit, vendre en gros les marchandises
de ce commerce ; et bien qu’elle ne s’oblige pas per
sonnellement en contractant ainsi, elle oblige son mari,
dont elle est censée mandataire.3
Ainsi la jurisprudence consacre ce que la doctrine
enseigne, à savoir : que le mari, laissant la direction de
son commerce à sa femme, est tenu des actes de celleci. Son consentement n’a pas même besoin d’être écrit.
Il est suffisamment acquis lorsque les faits et circons
tances, les antécédents, la notoriété publique prouvent
que tel a toujours été l’usage pratiqué par les époux. En
d’autres termes, les mêmes faits faisant induire, de la
part du mari, l’autorisation à ce que la femme exerce
i Cass,, 85 janv. 1821.
s Rennes, 17 m ars 1823; — Cass., 23 avril 1821 et 2 avril 1822.
3 Poitiers, 14 mai 1823.
�a r t.
4
et
5.
245
le commerce, établissent également le mandat de gérer
son propre commerce. C’est ce que la cour de cassation
enseigne d’une manière énergique, dans un arrêt du
1er mars 1826. Dam tous les cas, la tolérance du mari
équivaut à une autorisation expresse.
|4 8 . — On indique, comme ayant décidé le con
traire, un arrêt de la cour de Bruxelles du 27 février
1809. Mais on peut facilement se convaincre que cet
arrêt n’a nullement l’acception qu’on lui donne.
Dans l’espèce, on ne contestait pas seulement l’en
gagement pris par la femme sous le rapport du défaut
d’autorisation. Ce moyen, le mari ne le faisait valoir
que parce qu’il soutenait que cet engagement n’avait
aucun rapport avec le commerce dont sa femme avait
la direction. Il fallait donc juger d’abord la question de
savoir si réellement ou non la lettre de change, dont on
demandait le paiement au mari, avait été créée pour
son commerce.
La cour de Bruxelles décidant la négative, et consé
quemment que l’acte de la femme est nul pour défaut
d’autorisation, ne tranche nullement la question de
savoir si la tolérance du mari équivaut ou non à l’auto
risation. Il résulte même de son arrêt que, si cet acte
avait concerné le commerce du mari, celui-ci eût été
condamné à en supporter les effets.
Attendu, dit en effet la cour, que quand on pourrait
supposer que Claire Stroef fait plus que détailler les
marchandises du commerce de briques et de chaux, et
�246
DKS COMMERÇANTS
en induire quelle a été, au moins tacitement, préposée
à ce commerce par son mari, elle n’aurait pu obliger
celui-ci, en souscrivant des lettres de change, à moins
qu’elle n’y eût été spécialement autorisée, ou que les
lettres de change n'eussent été créées concernant le
négoce de briques et de chaux, ce que l’intimé n’a ni
prouvé, ni offert de prouver.
La cour de Bruxelles reconnaît donc que si les lettres
de change eussent concerné le commerce du mari, son
autorisation spéciale n’eût pas été nécessaire ; qu’il en eût
été tenu par cela seul qu’il avait préposé sa femme à la
gestion de ce commerce. Dès lors, loin de contredire
la doctrine des précédents arrêts, celui qu’elle a rendu
la confirme implicitement. La solution qu’il consacre ne
saurait d’ailleurs être querellée, puisqu’elle n’est que
la conséquence forcée de faits dont l’appréciation sou
veraine appartenait à la cour.
149.
— En effet, les difficultés pouvant s’élever
sur la matière offriront constamment à résoudre d’a
bord si le mari a expressément ou tacitement consenti à
ce que sa femme gérât et administrât son commerce ;
ce point acquis, reste à savoir si l’engagement dont on
poursuit l’exécution contre le mari a été pris dans
l’exercice ou à l’occasion de cette gestion, et dans l’in
térêt de son commerce. Ce serait, en effet, une bien
étrange condition qu’on ferait au mari si, par cela seul
qu’il aurait laissé gérer sa femme, on mettait à sa
charge toutes les obligations qu’il aurait plu à celle-ci
de souscrire, quels qu’en fussent l’objet et la cause.
�ART,
4
RT
5.
247
Dans l’appréciation à laquelle donne lieu la recher
che du consentement du mari et de la spécialité de l’en
gagement qu’on veut lui faire payer, le droit des ma
gistrats est illimité et absolu. En cas de dénégation de
la part du mari, n’oublions que c’est au créancier pour
suivant à fournir la preuve de l’un ou de l’autre, car
ce n’est que par cette preuve qu’il pourra établir la lé
gitimité de son titre.
En conséquence, le tribunal investi, qui, en l’état
de cette dénégation et faute de preuve contraire de la
part du créancier, décharge le mari de la poursuite, ne
fait que remplir le devoir que sa conscience lui dicte.
Il ne méconnaît ni ue viole la règle, il déclare seule
ment que le créancier n’est pas en position d’en reven
diquer le bénéfice. Or, c’est précisément ce que faisait
la cour de Bruxelles dans l’arrêt que nous venons de
rapporter. Comme arrêt d’espèce, le caractère juridi
que de cette décision ne saurait être méconnu.
1 50.
—t- En résumé donc, le principe est certain.
La femme autorisée à gérer le commerce de son mari
est, quant à ce commerce, le mari lui-même. Toutes
les obligations s’y référant sont comme si elles étaient
souscrites par lui et n’engagent que lui.
Le consentement du mari ne doit pas être nécessai
rement exprès ou écrit; il est acquis toutes les fois que
la gestion, se réalisant sous les yeux du mari, n’excite
de sa part aucune réclamation, ne soulève aucune op
position. Sa tolérance lui fait appliquer justement cette
�248
DES COMMERÇANTS
règle de droit : Qui prohibere potest et non prohtbet,
consentire videtur.
151.
— La femme, dans cette hypothèse, ayant le
droit d’engager son mari sans autorisation spéciale,
n’a pas ce droit en ce qui la concerne personnellement.
Ainsi l’obligation qu’elle souscrirait, tant en son nom
que comme gérant le commerce de son mari, serait
nulle à son endroit, si elle n’avait été spécialement au
torisée à agir ainsi.
Sans doute il n’est pas défendu à la femme de cau
tionner son mari, mais elle ne peut le faire valablement
qu’en rapportant dans chaque acte de cette nature une
autorisation spéciale et particulière. La femme mar
chande publique est seule dispensée de celte formalité
au bénéfice de l’autorisation générale qui lui a été ac
cordée de faire le commerce. Or, celle qui ne fait que
gérer le commerce de son mari n’a pas la qualité de
marchande publique. Donc, pour tout ce qui la con
cerne personnellement, elle retombe sous l’empire de
la disposition de l’article 217 du Code civil.
Elle ne peut donc, même quand l’acte serait com
mercial, valablement contracter qu’avec l’autorisation
de son mari, réalisée par son concours à l’acte ou par
un écrit séparé. L’autorisation devant être expresse, il
a été décidé que l’aval apposé par une femme sur une
lettre de change souscrite par le mari est nul, si la
femme n’a pas été régulièrement autorisée par son mari
ou par la justice.1
ï Riom, 2 février 1810 ; Limoges, 24 mai 1821.
�ART.
4
ET
5.
249
Le principe de cette nullité se fonde sur ce que l’aval
étant ou pouvant être donné postérieurement à l’obli
gation du mari, rien n’établit le concours de celui-ci
à l’engagement de la femme qu’il a pu ignorer et qu’il
n’a, dans aucun cas, régulièrement autorisé.
152.
— Une question fortement controversée est
celle de savoir si la femme est valablement engagée
lorsque, ayant tiré sans autorisation une lettre de chan
ge sur son mari, celui-ci donne son acceptation et,
réciproquement, lorsque la femme accepte la lettre de
change fournie sur elle par son mari.
Dans le premier cas, M. Duranton pense que la fem
me n’est pas engagée. En supposant, dit-il, que l’ac
ceptation du mari valût l’autorisation, elle ne saurait rétroagir sur le passé, ni valider un acte radicalement nul
dans son origine. Elle ne pourrait, en effet, empêcher
que la femme n’eût pas été autorisée au moment où
elle s’engageait, et c’est surtout à ce moment que l’au
torisation lui était indispensable.1
L’opinion contraire est enseignée par M. Vazeilles
dans les termes suivants : le mandat de la femme ne
doit-il pas être regardé comme un commencement
d’obligation ou bien une obligation imparfaite subor
donnée, pour sa perfection et sa validité, au consente
ment du mari, auquel l’effet est adressé? L’acceptation
de celui ci, qui le rend caution de sa femme, n’opèrei T. n, n° 548
�250
DES COMMERÇANTS
t—elle pas son concours à l’acte et son consentement à
l’obligation principale ? Cependant, si les lettres de
change tirées parla femme n’avaient pour cause qu’une
affaire du mari, le mandat donné sur lui n’étant, pour
le porteur, que l’indication de son débiteur, et une in
vitation à celui-ci de payer sa propre dette, son accep
tation ne devrait pas être considérée comme consente
ment à une obligation que sa femme aurait prise per
sonnellement. Mais, quand l’affaire regarde la femme,
ou plutôt quand il n’est pas constant qu’elle ne con
cerne que le mari, l’acceptation de ce dernier doit em
porter tout à la fois son consentement à l’obligation de
sa femme et sa propre obligation à payer pour elle la
dette qu’elle a reconnue.1
La doctrine de M. Vazeilles tranche, sans la discuter,
l’importante question signalée par M. Duranton, à sa
voir : si l’obligation de la femme, nulle pour avoir été
contractée sans autorisation, peut être validée par un
acte postérieur du mari. Comme nous sommes à cet
égard de l’avis de M. Duranton , comme nous allons
bientôt le dire,2 nous ne pouvons nous associer à l’opi
nion de M. Vazeilles, se prononçant dans un sens dia
métralement opposé.
Au fond, les considérations qu’il invoque ne nous
paraissent ni graves ni décisives. Lorsque la femme
donne un mandat, même à son mari, sans y être auto1 T. h , n° 336.
2 V, infra, n° 184.
i
'•
�ART.
4
ET
5.
251
risée par lui, le mandat est nul et de nulle valeur. Il ne
peut donc avoir pour effet d’imprimer une autorité
quelconque à un engagement vicié lui-même d’une nul
lité semblable. Il n’est pas possible que la femme soit
et ne soit pas obligée, et il répugnerait à la raison de
permettre au mari, ayant d’abord refusé d’accepter, de
le faire plus tard, alors que, guidé par un sentiment
de haine ou par un esprit de collusion avec le porteur,
il voudrait ainsi ou emoirer
le sort de sa femme ou sa4
tisfaire un vil intérêt.
Tout ce qui pourrait d’ailleurs résulter de la doc
trine de M. Yazeilles serait la nécessité d’apprécier dans
chaque espèce la distinction qu’il signale lui-même, et
de substituer ainsi la difficulté et le doute à la règle
claire, nette et précise, tracée par l’article 217.
Ainsi l’a pensé la cour de Paris, car, saisie de la ques
tion, elle s’est prononcée dans le sens de la nullité.
Attendu, porte l’arrêt, que l’acceptation du mari, qui
n’est pas même datée et n’a de rapport qu’à son propre
engagement, ne peut pas être regardée comme un con
cours dans l’acte ou un consentement écrit par lui,
donné à l’obligation contractée par sa femme.1
Ajoutons que la lettre de change n’a rien d’imparfait
par cela seul qu’elle n’est pas acceptée. L’acceptation
n’est pas de l’essence du contrat, elle ne tend qu’à
créer une obligation nouvelle et à l’ajouter à l’obligation
du tireur. Conséquemment, celle fournie par la femme,
i 2 janvier 1815
�282
DES COMMERÇANTS
indiquant un tiré et renfermant toutes les autres for
malités voulues, ne saurait être une promesse d’obli
gation, elle est un engagement définitif qu’elle ne pou
vait valablement souscrire qu’avec l’autorisation de son
mari.
153.
— La seconde hypothèse est plus délicate. En
effet, on peut dire que l’acceptation que fait la femme
d’une lettre de change fournie sur elle par son mari
n’étant que la conséquence de la prière, ou mieux de
l’ordre de celui-ci, est par cela même autorisée. Dans
ce cas, dit M. Duranton, le consentement écrit du mari
ne saurait être révoqué en doute. C’est également sur
ce motif que la cour de Caen s’est prononcée contre la
femme par arrêt du 2 août 181*, validant une accep
tation de ce genre.
Est-ce interpréter sainement l’opération faite par le
mari, que d’en faire résulter l’autorisation pour la fem
me de s’obliger personnellement ? Non, dit la cour de
Paris, attendu qu’une lettre de change est naturelle
ment tirée de place en place, et que, lorsqu’elle est
acceptée, elle contient deux actes distincts et deux
obligations séparées : celle du tireur et celle de l’accep
teur ; attendu que la lettre de change dont s’agit a été
acceptée par la femme seule ; qu’ainsi cette acceptation,
à laquelle le mari n’a point encouru, n’a pu produire
d'obligation personnelle de la femme; attendu que le
mandat de payer, donné par le mari à la femme, né
cessaire pour l’autoriser à prendre dans la caisse de la
�ART.
4
ET
5.
253
communauté, n’emporte pas le consentement à ce qu’elle
s’oblige personnellement ; qu’ainsi, à défaut du con
cours du mari dans l’acte d’acceptation, et de son
consentement à ce que sa femme s’oblige personnelle
ment et sur ses biens, aux termes de l’article 217 du
Code civil, la lemme, par son acceptation, ne s’est
obligée que comme mandataire de son mari.1
Il nous semble que cette réponse est catégorique et
qu’elle détruit d’une manière péremptoire le principa
motif de l’opinion adverse. La manière dont la cour de
Paris interprète l’ordre donné par le mari fournissant
sur sa femme est décisive. En effet, la conclusion qu’en
tirent M. Duranton et la cour de Caen ne serait admis
sible que si l’acceptation était le corollaire forcé de la
création d’une lettre de change. On pourrait dire alors
que le mari, ne pouvant être présumé vouloir laisser
son oeuvre incomplète, a autorisé sa femme à la com
pléter par son acceptation.
Mais, nous/ l’avons d it, cette acceptation n’ajoute
rien à la validité intrinsèque de la lettre de change, et,
dans le plus grand nombre de cas, non-seulement elle
ne se réalisera pas, mais encore elle n’aura jamais dû se
réaliser. L’indication d’un tiré n’est donc souvent que
l’exécution d’une condition exigée impérieusement
pour que le contrat de change existe. Elle n’est en réa
lité qu’un mandat de payer, si le tireur fait provision
avant l’échéance, que l’indication du lieu du paiement
1 10 avril 1810
�254
DES COMMERÇANTS
et delà personne à laquelle devra s’adresser le porteur.
Pourquoi ce qui est vrai pour les tiers ne le serait-il
pas pour la femme? Pourquoi surtout supposer que le
mari a voulu l’engager personnellement ? Qui prouve
que l’indication du nom de la femme n’est pas due à
la facilité que le tireur trouvera à payer chez elle ou
plutôt chez lui? Dans la vérité des choses, ce caution
nement, qu’on veut faire résulter de plein droit de cette
circonstance, n’a été ni promis par le mari ni exigé
par le créancier, peut-être même eût-il été refusé si
celui-ci l’avait demandé, et qu’il ne l’aura acquis qu’aprèscoup, en s’adressant à la femme isolément et sans
en prévenir le mari.
Le système que nous combattons peut donc, dans
un cas donné, aboutir à un résultat contraire à la vé
rité, au grand préjudice de la femme. Pourquoi, dès
lors, au lieu de placer le juge dans cette perplexité, ne
pas s’en tenir à la règle tracée par la loi? Est-il permis,
en matière d’autorisation maritale, de la faire résulter
d’autres faits que de ceux qui n’ont pas d’autre signifi
cation? E t, comme l’acte que nous examinons ne se
place pas dans cette catégorie, on doit le repousser
comme ne la créant pas.
Au reste, quoiqu’il en soit en thèse ordinaire, il est
évident que, dans le cas où la femme gérerait et admi
nistrerait le commerce du mari, l’acceptation qu’elle
ferait d’une traite de celui-ci ne l’obligerait pas per
sonnellement. C’est bien plutôt à sa mandataire qu’à sa
femme que le mari se serait adressé, et c’est la pre-
�AKT.
4
ET
5.
255
mière qui aurait promis de payer, sur les fonds com
merciaux qu’elle a à sa disposition. L’acceptation ne
serait qu’un acte de la gestion qui lui est confiée, et ne
saurait donc l’obliger personnellement.
154.
— La nullité résultant du défaut d’autorisation
est acquise à la femme par cela seul qu’au moment où
elle a contracté, elle n’y était pas autorisée. L’autorisa
tion ultérieure du mari ferait-elle évanouir cette nulli
té? En d’autres termes, le mari peut-il ratifier l’acte et
le rendre obligatoire pour la femme, sans le concours
de celle-ci ?
L’affirmative était soutenue dans l’ancien droit par
Lebrun;1 et Leprêtre2 cite deux arrêts du parlement le
décidant ainsi. Mais ces deux honorables jurisconsultes
constatent que ces deux arrêts ne font pas remonter
l’effet de la ratification du mari au moment de la con
vention. L’acte vaut non pas ex tune, mais ex nunc,
tanquam ex consensu contrahentium, qui adhuc perseverare intelligitur quamdiu non apparet mutatio voluntatis.
L’opinion contraire est enseignée par Lacombe qui,
rappelant l’autorité de Renusson et de Pontanus sur la
Coutume de Blois, pose en principe que la ratification
postérieure du mari ne rend pas l’acte valable. Le motif,
c’est qu’il en est du mari comme du tuteur : Stalim in
Liv. 2, chap. 1, sect. 4, n° 10.
8 Cent. 2, ehap.
\ 6.
�286
DES COMMERÇANTS
ipso negotio prœsens debet fieri. Post tewpus vero, aut
per epistolam interposita ejus auctoritas, nihil agit.1
C’est pour la première de ces opinions que Pothier
se prononce. Il admet la validité de la ratification du
mari seulement pour l’avenir. Ainsi, dit-il, l’acte ne
peut conférer hypothèque que depuis le moment de la
ratification. Si, avant, une des parties était morte, ou
avait perdu l’usage de la raison, ou avait déclaré un
changement de volonté, l’autorisation du mari, qui serait
depuis interposée, ne pourrait plus rétablir l’acte.2
Cette doctrine, même dans ces termes, ne pourrait
être suivie sous notre Code. Elle nous paraît condam
née d’abord par l’article 1128 du Code civil. Le défaut
d’autorisation est une nullité que la femme seule peut
invoquer. Que deviendrait ce droit si, sans son con
sentement et malgré sa volonté, le mari pouvait effacer
cette nullité?
En second lieu, l’article 217 du même Code déclare
la femme absolument incapable de contracter sans le
concours du mari dans l’acte ou son consentement par
écrit. La première condition explique la nature de la
seconde. Le consentement remplaçant le concours doit
être évidem ment, comme celui-ci, contemporain de
l’acte, à défaut, il n’y a aucun lien légal contre la fem
me. Comment donc ce lien pourrait-il plus tard résul
ter du fait unique et exclusif du mari ?
1 Recueil de jurisprudence, v° autorisation,
2 De la puissance du mari, n° 74.
�ART.
4
ET
5.
257
L’autorisation qu’il donnerait et sa ratification ne
pourraient donc produire aucun effet. Tel n'est pas ce
pendant l’avis de MM. Delvincourt et Vazeilles. L’au
torisation du mari, enseignent-ils, n’étant exigée que
propter reverentiam, on ne voit pas pourquoi elle ne
pourrait être ultérieurement accordée, si elle n’a pas
été donnée au moment de l’acte.
Du mari à la femme, on pourrait admettre le senti
ment indiqué. Mais, pour les tiers, l’autorisation est
une nécessité invincible. Traiter avec la femme seule,
c’est faire présumer qu’on a voulu abuser de son inex
périence et de sa faiblesse. Celte présomption ne serait
pas détruite par la ratification du mari, car, inspirée le
plus souvent par l’animosité et la vengeance, elle n’au
rait pour objet que d’imposer à la femme le préjudice
auquel elle se serait trop légèrement exposée.
C’est par ces considérations que la cour suprême a
décidé notre question. Elle a en conséquence cassé un
arrêt de Paris qui avait validé l’acte nul, sur la seule
autorisation donnée plus tard par le mari.1
A rt. 6.
Les mineurs marchands, autorisés comme il
est dit ci-dessus, peuvent engager et hypothé
quer leurs immeubles.
126 juin 4839, J. du P., t, n, 1839, pag. 12.
�258
DES COMMERÇANTS
Ils peuvent même les aliéner, mais en suivant
les formalités prescrites par les articles 457 et
suivants du Code civil.
SOMMAIRE
455. Capacité du mineur commerçant sous l ’ancienne légis
lation.
456. Effets qu'en avait déduit la doctrine.
457. Discussion du Code de commerce, ses résultats.
458. Sous l ’empire du Code, le mineur commerçant peut vala
blement engager et hypothéquer ses immeubles.
459. Position du mineur à l ’endroit de l’article 638 du Code de
commerce.
160. Effets de la présomption par rapport aux engagements
souscrits en la forme commerciale.
464. Arrêt remarquable d e là cour d’Aix signalant une auto
risation frauduleuse. Conséquences que l ’arrêt en dé
duit.
462. L ’autorisation de faire le commerce ne constitue le mi
neur commerçant que si elle est suivie de son exercice
effectif.
463. Réponse à une objection tirée de l ’article 3.
464. Utilité du caractère extérieur de l ’acte, à l ’endroit du tiersporteur de bonne’foi.
465. Lorsque l ’acte est commercial en la forme, l ’obligation de
prouver qu’il n ’est’pas relatif à son commerce incombe
au mineur.
466. C’est au créancier hypothécaire à prouver que l ’acte au
thentique a eu pour cause le commerce du mineur.
4 67. D ’où s’induit cette preuve, suivant Savary.
467bi*. Controverse sur la question de savoir si l’article 638 du
Code de commerce régit les actes du mineur conférant
hypothèque.
�ART. 6 .
259
468. Effets de l’hypothèque régulièrement consentie.
169. Le mineur commerçant a capacité d’ester en jugement, de
compromettre et de transiger sur les contestations com
merciales.
170. Il peut acheter même des objets étrangers à son commerce,
sauf d’être restitué en cas de lésion.
171. Il ne peut cautionner un tiers pour affaires étrangères &
son commerce.
172. Difficultés que cette règle peut faire naître en cas de sous
cription ou d’endossement d ’une lettre de change. So
lution.
173. Sévérité que les tribunaux doivent déployer en pareille
matière.
174. Le mineur peut aliéner ses biens, mais avec les formalités
prescrites par les articles 457 et suivants du Code civil.
175. Examen critique de cette disposition.
176. Conséquences de la violation de cette prescription.
177. Caractère relatif de la nullité.
178. L ’action du mineur peut être exercée par ses créanciers.
A quels litres ceux-ci pourront agir.
179. Le mineur ayant fait plusieurs opérations avec là même
personne ne peut accepter les unes et répudier les
autres.
180. Par combien de temps se prescrit l ’action du m ineur?
Point de départ de la prescription.
181. Effets de la ratification expresse ou tacite faite depuis la
majorité.
155.
— Nous avons déjà dit que sous l’empire du
droit ancien, fixant la majorité civile à l’âge de vingtcinq ans, le mineur pouvait, dans les lieux où il n’exis
tait pas de maîtrise, exercer le commerce à l’âge de
quinze ans. Qu’il en était de même dans les lieux de
�260
DES COMMERÇANTS
maîtrise pour certaines professions non constituées en
état de corporation.
D’autre part, le mineur commerçant était réputé ma
jeur pour tous les actes de son commerce ; ce qui fai
sait dire à Jousse que, pour les mineurs, la majorité
commençait dès l’instant qu’ils faisaient le commerce
pour leur compte particulier.
156.
— La détermination des effets de la capacité
que les mineurs acquéraient de cette manière, ne pou
vait manquer de préoccuper les jurisconsultes. Cette
capacité allait-elle jusqu’à leur permettre d’aliéner ou
d’hypothéquer leurs immeubles?
L’affirmative résultait de l’absence de toute disposi
tion législative prohibant l’un ou l’autre. Puisque le
mineur était purement et simplement réputé majeur,
puisque cette présomption n’avait reçu aucune restric
tion, sur quoi se serait-on fondé pour invalider des dis
positions auxquelles les nécessités de son commerce
l’avaient fait recourir?
Aussi les exigences de la doctrine ne s’étaient guère
portées que sur les caractères que devaient offrir les
aliénations et les hypothèques. Or ce caractère était
dicté par la certitude que la capacité du mineur se
trouvait restreinte à son commerce. Il fallait donc que
les actes par lui consentis se référassent à celui-ci,
pour qu’on pût les valider.
« Il faut, disait Jousse, s’il s’agit d’une aliénation,
distinguer si cette aliénation n’a été faite par le mineur
�ART. 6
.
201
que sur la simple promesse d’en employer le prix dans
son commerce ; ou si la mineur a cédé ou aliéné cet
immeuble pour demeurer quitte du prix de la marchan
dise dont il se mêle, qu’il pourrait devoir à l’acquéreur,
ou qui lui serait vendue par le même contrat. Dans le
premier c as, il paraît que le mineur pourrait se faire
restituer contre la vente, à moins que l’acquéreur ne
prouvât que le mineur en a employé le prix dans son
commerce, conformément à sa promesse. Mai9, dans le
second cas, l’aliénation serait légitime, parce que le
mineur étant réputé majeur pour le fait de son com
merce, c’est une suite qu’il puisse disposer de son bien
pour son négoce.
« A l’égard des hypothèques, il est constant que si
un mineur marchand emprunte une somme par obliga
tion passée devant notaire, le créancier acquiert une
hypothèque sur les biens de ce mineur, parce que
comme un mineur marchand s’engage sans aucune dé
claration d’emploi par un simple billet valeur reçue
comptant ou en marchandises, il peut aussi s’engager
par-devant notaire en déclarant que les deniers qu’il
emprunte sont pour être employés dans son com
merce. 1»
Ainsi le mineur avait, relativement à son commerce,
toute la capacité du majeur. Il pouvait non-seulement
engager et hypothéquer ses immeubles, mai3 encore
i Sur l’art. 6, tit. i de l'ordonnance de 4673 ;
ticien des juges et consuls, pag. 47.
Bornier, ibid, Pra
�262
DES COMMERÇANTS
les vendre tractativement sans aucune formalité de jus
tice. Rien dans la législation ne lui imposait l’obligation
contraire. Aussi n’est-ce qu’à titre de précaution dictée
par la prudence que Jousse conseille de prendre, en
cas d’aliénation, les mesures dont on use ordinairement
avec les mineurs, en faisant autoriser cette aliénation
par le tuteur, ou dans une assemblée de famille.
■<r
>
•'
157.
— Telles étaient la doctrine et la jurisprudence
en présence desquelles se trouvaient les rédacteurs du
Code de commerce. Faisons tout de suite remarquer
que les inconvénients qu’on pouvait reprocher à l’une
et à l’autre se trouvaient singulièrement modifiés par
le report de la majorité civile à l’âge de vingt-un ans ;
par la nécessité pour le mineur d’avoir atteint sa dixhuitième année pour qu’il pût se livrer au commerce ;
enfin et bien plus énergiquement encore, par l’exigence
d’une émancipation et d’une autorisation préalables de
vant garantir et constater la capacité et l’aptitude du
mineur.
Tout cela, cependant, n’empêcha pas que dans le
sein du conseil d’Etat on ne considérât la liberté d’alié
ner ou d’hypothéquer les immeubles comme offrant de
tels dangers qu’il était prudent de ne pas y exposer
le mineur. On proposait donc de lui en refuser le pou
voir, ou tout au moins de le réduire à la faculté d’hy
pothéquer.
« Mais, répondait M. Béranger, il faut s’en tenir à 1
�a r t.
6.
263
disposition du Code civil, donnant au mineur, relative
ment à son commerce, toutes les capacités du majeur.
« Si l’on s’écarte de là, on tombe dans une alterna
tive fâcheuse.
« Ou il faudra déclarer les immeubles du mineur
négociant absolument inaliénables, et alors il ne pourra
dégager sa personne tant qu'il sera mineur ; tandis
qu’à sa majorité les biens deviendront saisissables, et
qu’ainsi la cause de l’aliénabilité se reportera au
temps de la minorité, sans cependant avoir profité au
débiteur.
« Ou il faudra n’autoriser l’aliénation que quand la
nécessité sera justifiée, et alors le mineur, obligé de
prouver qu’il est obéré, se trouve pour ainsi dire cons
titué en faillite ; il perd son honneur et son crédit.
« 11 convient donc ou de lui interdire le commerce,
ou de lui accorder la disponibilité illimitée de ses biens.
« A l’objection qu’il fallait empêcher que la vente
fût consentie à vil prix, M. Béranger répondait : qu’un
négociant a de l’avantage même à vendre à vil prix, si
les sacrifices qu’il fait l’empêchent de faillir. Ici on met
le mineur dans le cas de faillir, en lui permettant de se
livrer au commerce, et ensuite on lui ôte ses ressour
ces, mieux vaudrait le déclarer incapable de faire le
négoce. »
A la suite de ces observations et sur l’avis du prince
archichancelier, le conseil divisa l’article. La faculté
d’engager et d’hypothéquer les biens fut adoptée, com
me favorable à l’intérêt du mineur.
?
�264
DES COMMERÇANTS
En effet, à quoi bon lui refuser cette faculté, puis
que l’affection hypothécaire était la conséquence forcée
des engagements qu’on ne peut l’empêcher de souscrire
légalement et ■valablement. Le créancier, porteur d’une
lettre de change ou d’un billet à ordre, traduira son
débiteur devant le tribunal de commerce, et le juge
ment qui interviendra lui concédera de plein droit hy
pothèque sur tous ses biens. En conséquence, prohiber
au mineur le droit de consentir cette hypothèque, ce
n’est pas l’en garantir, c’est évidemment la lui rendre
plus onéreuse, en l’obligeant à subir inévitablement les
frais occasionnés p arla poursuite et le jugement. C’est
donc empirer sa situation sous prétexte de la rendre
meilleure.
Des motifs identiques militaient en faveur de l’aliéna
tion tractative, devant donner au mineur le moyen d’é
viter une poursuite en expropriation devant laquelle le
créancier n’eût pas réculé, si elle avait été pour lui
l’unique moyen d’obtenir son paiement. Aussi, en
principe, la nécessité de l’accorder ne fut méconnue
par personne. Fallait-il la déclarer illimitée, ou bien la
soumettre à des restrictions, à des formalités détermi
nées? C’est ce qui devint l’objet exclusif de la discussion.
Les partisans de la liberté illimitée, M. Berlier no
tamment, trouvait bizarre et contradictoire que celui
qui est réputé majeur pour s’engager ne le fût pas pour
se libérer par la vente de ses immeubles, et qu’en ce
cas, il lui fallût recourir à un conseil de famille.
a Ce caractère équivoque, disait-il, répugne à la rai-
�ART. 6 .
265
son, car le même individu ne peut être à la fois majeur
et mineur; et quand le conseil de famille l’a jugé digne
de se livrer à des entreprises qui peuvent indéfiniment
engager sa fortune entière, comment peut-on lui con
tester la faculté bien moins importante de transiger sur
ses immeubles comme le majeur.
a D’ailleurs, en empêchant le mineur d’aliéner, on
ne peut empêcher les créanciers hypothécaires en vertu
d’un jugement de poursuivre l’expropriation des biens.
Cette expropriation, que le mineur arrêterait par une
vente volontaire, il ne pourra la prévenir qu’en recou
rant à des emprunts usuraires ou à d’autres ressources
aussi onéreuses. Loin donc de trouver dans les obstacles
qu’on lui suscite une protection efficace, le mineur n’y
rencontrera qu’une cause de ruine.
« C’est sans doute une résolution fort délicate que
d’autoriser un jeune homme de dix-huit à vingt ans à
faire le commerce. Mais il ne faut pas vouloir retenir
partiellement en tutelle celui qui en a été dégagé dans
de telles vues. »
Le texte de l’article 6 indique que ces considérations
fort graves n’ont point prévalu. On les repoussa, parce
qu’il convenait de ne pas s’en rapporter trop aveugle
ment à l’inexpérience et à la faiblesse, inséparables de
l’âge du mineur : on répondit que l’espèce de majorité
dont jouit le mineur négociant ne lui avait été accordée
que par l’indulgence de la loi ; que le législateur ne se
contredit donc pas quand il ne la rend pas indéfinie ;
qu’il était même de sa sagesse de prendre des précau-
�266
DES C0MMEBÇANT3
tions pour que le mineur n’abuse pas, à son détriment
et au préjudice de ses créanciers, de la faveur que la loi
lui a faite.1
1 5 8 . — Aujourd’hui donc , et sous l’empire du
Code de commerce, le mineur commerçant peut vala
blement engager et hypothéquer ses immeubles sans le
concours de son curateur, sans même être tenu de
consulter sa famille. Mais ce qu’il importe de ne pas
perdre de vue, c’est que c’est là une capacité pure
ment relative au commerce dont on lui a permis l’exer
cice. Engager ou hypothéquer ses biens, c’est faire un
acte de majeur, or le mineur n’est réputé tel que pour
ce qui concerne son commerce. Il faut donc, pour la va
lidité de l’un et de l’autre, établir qu’ils n’ont d'autre
origine qu’un fait purement commercial.
159. — En vertu de l’article 638 du Code de com
merce, cette origine est acquise pour les commerçants
ordinaires toutes les fois qu’une autre cause n’est pas
indiquée par le titre, et cela qu’il s’agisse de lettres de
change , billets ou d’actes authentiques et notariés.
Mais cette présomption ne peut être appliquée au mi
neur. Pour lui, en effet, aucun engagement n’est vala
ble que s’il reste dans les limites de sa capacité, s’il n’a
pour cause les faits de son commerce. Il est donc ra
tionnel d’exiger que la preuve de l’existence de cette
1Séance
du 25 n o v. t8 0 6 .
�art .
6.
267
condition essentielle à la perfection de l’obligation ré
sulte du titre lui-m êm e.1
S’il en était autrement, le patrimoine du mineur se
rait bientôt consommé par des opérations que la loi ne
lui permet pas de réaliser. Le prêteur qui lui consenti
rait des prêts, évidemment en dehors des besoins de
son commerce, n’aurait qu’à passer sous silence la vé
ritable cause de l’engagement, et obtiendrait par ce
moyen fort simple un titre régulier là où le mineur
était incapable d’en souscrire valablement aucun.
— Tout au plus pourrait-on présumer la cause
commerciale lorsqu’il s’agit d’un titre ayant la forme
des engagements de commerce. Ainsi, les sommes em
pruntées par le mineur par lettres de change, billets à
ordre, mandats négociables, comptes courants, etc.,
pourraient être plus facilement considérées comme se
référant à ses affaires commerciales.
Au reste, dans tous ces cas, comme dans celui où
l’acte énonce que l’obligation est contractée pour le
commerce du mineur, rien n’est définitivement acquis
contre celui-ci. Il peut toujours soutenir et prouver
qu’en fait, la cause de l’engagement a un tout autre
objet. C’est ce que la cour d’Aix a formellement con
sacré en jugeant, le 17 janvier 1823, que le mineur
émancipé et autorisé à faire le commerce, auquel un
billet à ordre a été endossé pour valeur reçue en mar160.
1 Sup., 96ter
�268
DES COMMERÇANTS
chandises, et qui l’a endossé pour valeur reçue comp
tant et pour fait de son commerce, est recevable, à
l’égard de celui qui a reçu son endossement, à soute
nir qu’il n’était pas commerçant et qu’il n’a pas fait acte
de commerce, et par suite à former requête civile en
vers le jugement en dernier ressort qui le condamne au
paiement du billet.
161.
— Il importe de retracer l’espèce de cet arrêt,
car elle renferme un exemple remarquable que la frau
de à la loi peut recourir même à simuler une autorisa
tion pour le mineur de faire le commerce.
Le 30 mars 1821, un billet à ordre delà somme de
4,000 fr., causé valeur reçue en marchandises, et paya
ble au 15 août, est souscrit à Marseille par le sieur Mar
celin Clément, commerçant, en faveur du sieur Edouard
Clément fils.
Ce billet est endossé par le sieur Clément fils en fa
veur de la demoiselle Marie-Catherine Clément, et cet
endossement est causé valeur en marchandises.
Le même billet est endossé par la demoiselle Clément
en faveur du sieur Philippe-Laudry Lezac, et cet en
dossement est causé valeur reçue comptant et pour fait
de mon commerce.
Il est à remarquer que la demoiselle Clément était
âgée de plus de dix-huit ans; qu’elle avait été éman
cipée et autorisée à faire le commerce à l’époque où
l’endossement avait été passé en sa faveur, et par elle
cédé au sieur Lezac,
�ART. 6 .
269
Le tribunal et la cour saisis de la demande en re
quête civile constatent en fait que la demoiselle Clément
n’a jamais fait le commerce. Ils en concluent que l’é
mancipation et l’autorisation n’ont eu pour but que
d’éluder la loi, en donnant à cette mineure une appa
rence de capacité en vue de l’engagement qu’on lui
arrachait.
Ce qui se présentait dans cette circonstance peut
également se rencontrer dans d'autres cas. C’est là une
fraude périlleuse pour le mineur, et contre laquelle il
doit être énergiquement protégé. Heureusement qu’on
arrive à ce résultat par la seule application des princi
pes généraux de la matière.
162.
- L 'autorisation de faire le commerce, pré
cédée de l’émancipation, rend le mineur capable de de
venir commerçant, mais ne le constitue pas tel. Il faut,
pour qu’elle devienne acquisitive de cette qualité,
qu’elle soit suivie de l’exercice effectif du commerce.
Conséquemment, si, après s’être fait autoriser, le mi
neur n’en entreprend aucun, il ne peut valablement
s’engager, la condition exigée pour la validité de ses
obligations, à savoir qu’elles aient été souscrites pour le
fait de son commerce, devenant irréalisable.
Ainsi le mineur émancipé et autorisé est, en droit,
capable de faire le commerce. Mais si, en fait, il s’est
abstenu de s’y livrer, il n’a pas la capacité. L’énonciation
que le titre renferme qu’il a été souscrit pour son com
merce n’est plus qu’un mensonge avéré, qu’une fraude
�270
DES COMMERÇANTS
contre la loi. La cour d’Aix a donc tiré de ces prémis
ses une conclusion logique, lorsqu’elle a admis la re
quête civile, le mineur, dans l’espèce, ne s’étant pas
défendu et ne l’ayant pas été valablement.
163.
— Il est vrai qu’en vertu de l’article 3 du Code
de commerce, le mineur régulièrement émancipé et
autorisé peut faire valablement un acte de commerce.
Mais cette objection était justement repoussée dans
l’espèce par la nature du titre. En effet, la négociation
d’un simple billet à ordre ne constitue pas un acte com
mercial. Le contraire se fût-il réalisé, le résultat eût
dû être le même. En effet, dès qu’il est acquis que
l’acte n’est en réalité, de la part du mineur, qu’un cau
tionnement bénévolement donné pour la dette d’un
tiers, sous quelque forme qu’il ait été donné, ce cau
tionnement excède la capacité du mineur commerçant,
et devient un acte purement civil contre lequel il doit
être restitué.1
164.
— Mais la question de forme peut avoir un
grave intérêt pour le tiers porteur. Ainsi, celui qui
accepte un billet à ordre portant la signature d’un mi
neur ne pourra obtenir contre lui une condamnation
que s’il prouve qu’il est commerçant et qu’il n’a signé
que pour les affaires de son commerce.
Le tiers porteur d’une lettre de change, endossée par
l Sup., n» 96bis,
inf., n° 174bia.
�le mineur, n’aura à prouver qu'une chose, à savoir
qu’il était régulièrement autorisé. Cette autorisation
rend le mineur capable de tous les actes de commerce.
La transmission d’une lettre de change étant un fait
commercial, le mineur serait donc valablement engagé.
En conséquence, et si la bonne foi du tiers porteur
était incontestable, le mineur, ne pouvant faire valoir
contre lui aucune exception foncière, devrait être con
damné à le désintéresser, sauf son recours contre celui
avec qui il aurait directement traité.
\
t
1 6 5 . — Ainsi il faut distinguer, dans les engage
ments souscrits par les mineurs, ceux qui l’ont été dans
la forme commerciale, de ceux qui sont constatés en la
forme ordinaire ou par acte authentique.
Les premiers doivent, pour être présumés faits pour
son commerce, en renfermer la mention expresse. Tou
tefois, cette mention n’exclut pas la preuve contraire
que le mineur est toujours recevable à offrir et à faire
tant par témoins que par présomptions. Cette preuve
contraire, pour être utile, doit nécessairement établir
que celui qui a traité avec le mineur a connu le motif
de son obligation et l’emploi que devaient recevoir les
fonds qu’il a reçus en échange.
166. — Les actes authentiques conférant hypothè
que ne sont pas régis par l’article 638. Il n’est pas in
dispensable qu’ils renferment la déclaration que le mi
neur agit pour son commerce, mais il faut de toute
�272
DES COMMERÇANTS
nécessité qu’ils aient réellement cette cause , car ce
n’est qu’à cette condition qu’ils auront été valablement
souscrits.
Donc, que la cause commerçiale y soit ou non ex
primée, il suffit que le mineur la dénie pour que le
créancier soit tenu d’en justifier l’existence et la réalité.
Que la charge de cette preuve incombe au créancier,
c’est ce dont il n’est pas permis de douter après avoir
consulté la discussion législative que le prince archi
chancelier résumait dans cette proposition : Ce sera au
créancier à prouver que les immeubles ont été hypo
théqués pour fait de commerce ; et, certes, le créancier
aura soin de se ménager celle preuve, en prenant les
précautions nécessaires pour établir l’origine de la
créance.1
167.
— Savary indique de quelle nature doivent
être ces précautions. « Le prêteur doit voir si celui qui
« veut emprunter est établi dans quelque boutique ou
« magasin ; lui faire déclarer par le contrat que l’ar« gent est pour l’employer en achat de marchandises
« pour en faire le commerce dans sa boutique ou ma« gasin ; l’obliger d’en rapporter les quittances d e l’em« ploi, de ceux qui lui auront vendu ses marchandises.
« Ainsi ce marchand ne pourra se faire restituer sous
« prétexte de minorité.2 »
1 Séanee du 2b nov. 1806.
1 Parfait négociant, t, î, p. 28b.
ms
'
�..
: c
■ i
273
ART. 6 .
Toutes ces précautions sont sans cloute peu compa
tibles avec la rapidité qu’exigent les opérations com
merciales. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous
sommes en matières exceptionnelles, et que la loi qui,
tout en permettant le commerce au mineur de dix-huit
ans, ne s’est pas dissimulée qu’on ne pouvait attendre
de lui autant de maturité et de sagesse que d’un homme
de trente ans, devait le protéger efficacement contre
sa propre faiblesse, contre l’avidité de ceux qui spécu
leraient sur l’entraînement de son âge. D’ailleurs, un prêt
hypothécaire n’est guère dans les usages du commerce.
On pouvait donc exiger, à son endroit, ce qu’on n’exi
gerait pas dans une opération purement commerciale.
I.67bis. — L’opinion que nous venons d’émettre
sur l’inapplicabilité de l’article 638 du Code de com
merce aux hypothèques conférées par le mineur com
merçant est, en doctrine, l’objet d’une vive contro
verse. M. Delvincourt notamment enseigne l’opinion
contraire et pense que le prêt, en garantie duquel l’hy
pothèque est consentie, doit être présumé avoir pour
cause le commerce du mineur, sauf à celui-ci à prou
ver le contraire.
Nous avons déjà vu1 que M. Pardessus, à l’égard des
mineurs, n’admet la présomption de l’article 638 que
pour les engagements souscrits en la forme commer1 96ter.
18
�274
DES COMMERÇANTS
ciale, ce qui l’exclut formellement pour l’hypothèque
qui ne peut être conférée que par acte authentique.
M. Dalloz, se rangeant à l’opinion de M. Molinier, est
d’avis : a Que la présomption créée par l’article 638
« doit être étendue à tous les engagements des com« merçants, quand la preuve contraire ne résulte point
« de la nature de ces engagements ou des énonciations
« contenues dans les actes qui les constatent ; qu’il y a
« donc lieu de considérer comme ayant une cause com« merciale, non-seulement les simples billets souscrits par
« les commerçants et les engagements qu’ils ont contrac« tés sous une forme commerciale, mais encore les obli—
« gâtions passées devant notaires, qu’elles contiennent
« ou non des constitutions d’hypothèque, et les ventes
a immobilières qu’ils ont consenties, car ces obligations
« et ces ventes ont presque toujours pour but de leur
« procurer les fonds dont ils ont besoin pour leur com« merce, et il est dès lors rationnel d’assigner pré« somptivement aux actes dont il s’agit le caractère
<* commercial qu’ils ont dans la plupart des cas.1 »
Nous ne croyons pas, en ce. qui concerne les mineurs
commerçants, qu’il puisse exister des doutes sérieux
sur la cause des ventes. Les mineurs, en effet, ne peu
vent vendre qu’après une délibération du conseil de
famille homologuée par le tribunal. Or, il est évident
que le conseil de famille n’autorisera et que le tribunal
n’homologuera qu’à bon escient ; qu’après s’être édifié
1 Rép, gén ., v° commerfanl, art. 4, § 2, n° 186
�ABT. 6 .
275
sur la réalité et la sincérité des besoins allégués par
le mineur et vérifié la nécessité et l’urgence de la
mesure.
L’abus n’est donc pas à craindre ni à supposer dans
ces circonstances, et si la délibération et l’homologa
tion assignent une cause à la vente, et lui donnent
pour but la nécessité de pourvoir aux besoins du com
merce, qui oserait contester cette indication et préten
dre le contraire.
Tout ce qu’on peut redouter en pareil cas, c’est que
le prix reçu par le mineur reçoive une destination autre
que celle en vue de laquelle la vente a été autorisée,
mais, ainsi que l’indique M. Dalloz, le conseil de fa
mille, lorsqu’il autorise la vente pour fournir au mi
neur les ressources qui lui sont nécessaires, peut pres
crire des mesures propres à assurer l’emploi du prix ;
il peut, par exemple, ordonner que l’acquéreur se libé
rera aux mains des vendeurs de la marchandise à payer
ou des porteurs des créances à éteindre, or ce que le
conseil de famille aurait omis, le tribunal pourrait en
faire la condition de l’homologation s’il pouvait conce
voir le moindre doute sur l’emploi du prix s’il était
abandonné à la discrétion du mineur.
Donc, en ce qui concerne le mineur, la question
d’applicabilité de l’article 638 ne peut s'agiter qu’à l’oc
casion des actes conférant hypothèque soit pour prêt
actuel, soit en garantie de sommes précédemment re
çues. C’est dans ce dernier cas surtout que l’abus et la
�276
DES COMMERÇANTS
fraude sont à redouter, et l’admission de la présomp
tion, soutenue par MM. Delvincourt, Molinier et Dal
loz, leur ouvrirait la plus large issue.
Ces honorables jurisconsultes ont le tort de ne pas
distinguer entre les mineurs autorisés à faire le com
merce et les commerçants ordinaires, et de méconnaitre ainsi l’esprit de la loi.
Car cette distinction découlait forcément de la nature
des choses. 11 est évident, en effet, que tout autorisé
qu’il soit, le mineur n’est pas un commerçant ordinaire,
et que, quoique réputé majeur, il n’en est pas moins
mineur, et c’est précisément ce dont se préoccupait le
législateur, et ce qui l’amenait à restreindre la capacité
du mineur autorisé dans de certaines limites.
« Il est impossible, disait M. Jaubert, de regarder le
« mineur qui fait le commerce comme jouissant de
« toutes les capacités du majeur. Ce n'est que par
« condescendance qu’on a dérogé, à son égard, au droit
« commun, mais il n’est pas dans la nature des choses
« de supposer que sa raison soit entièrement formée,
« et dès lors on ne peut l’assimiler en tous points au
« majeur. Certainement on ne peut se persuader qu’un
« jeune homme de dix-huit ans conduira ses affaires
« avec autant de sagesse qu’un homme de trente, et
« peut-être même que sa famille, si elle est prudente,
« modifiera par des conditions et par des réserves l’au« torisation qu’elle lui donnera de faire le commerce.
« On exposerait donc beaucoup trop les intérêts du
�ART. 6.
277
« mineur en lui accordant la faculté illimitée d’aliéner
« et d’engager ses immeubles.1 »
Ces considérations pesèrent d’un grand poids dans
les résolutions du conseil d’E tat, et firent refuser au
mineur le droit de vendre les immeubles autrement que
dans les formes prescrites par les articles 457 et sui
vants du Code civil. On lui eût également interdit le
droit de les engager, mais on fit remarquer qu’on ne
pouvait lui contester le droit de souscrire des lettres de
change et des billets à ordre ; que les porteurs non
payés à l’échéance obtiendraient jugement et pren
draient valablement hypothèque sur les biens, et que
puisque le mineur avait indirectement le droit de les
engager, il était inutile et même dangereux pour ses
intérêts de lui refuser le droit de le faire directement.
Mais ce droit, on ne le concéda que pour les besoins
de son commerce, et c’est ce qui faisait dire à l’archi
chancelier résumant la discussion : « On ne peut éten« dre la capacité du mineur au-delà de ses engage« ments de commerce sans contrevenir au Code civil,
« mais il ne s’ensuit pas qu’il soit obligé d’exprimer
« dans le contrat la cause pour laquelle il hypothèque
« ses immeubles. C e sera au créancier a prouver qu ’ils
« l’ont été pour fait de commerce , et certes le créan« cier aura soin de se ménager cette preuve en pre« nant les précautions nécessaires pour établir l’origine
« de sa créance. »
i Discussion au conseil d ’Etat, Locré, t. xvn, p. 139.
�278
DES COMMERÇANTS
Cette interprétation de la loi est d’autant plus remar
quable que l’archichancelier répondait à M. Berlier,
proposant d’ajouter à l’article : Vengagement du mi
neur commerçant est réputé avoir été contracté pour
fait de commerce s'il n’exprime une autre cause. Or,
non-seulement cette proposition est rejetée, mais il est
encore admis que dans le silence du contrat, la cause
commerciale doit être prouvée, et que la charge de
cette preuve incombe au créancier. Donc, lorsque vous
appliquez à l’hypothèque consentie par le mineur com
merçant la présomption de l’article 638, vous vous
placez en contradiction manifeste avec le législateur,
puisque vous exonérez le créancier de l’obligation de
fournir cette preuve qui lui est si expressément impo
sée. Est-ce d’ailleurs que le législateur ne repoussait la
proposition de M. Berlier sous l’article 6 que pour
la consacrer dans l’article 638 ?
La doctrine que nous repoussons est encore en con
tradiction manifeste avec les principes de droit qui
peuvent et doivent régir la matière.
Le mineur autorisé à faire le commerce est placé
dans cette position : capable pour s'engager à raison
de son commerce, il est incapable pour tout ce qni
excède ce commerce ou lui est étranger.
Donc, lorsqu’un créancier revendique contre lui l’ef
fet d’un engagement, il faut de toute nécessité qu’il
établisse que cet engagement a été régulièrement et
valablement contracté, c’est-à-dire qu’il prouve qu’il a
réellement pour cause les exigences du commerce.
�ART. 6.
279
C’est là un principe incontestable. Celui qui se prévaut
d’un titre quelconque est tenu de justifier de la valeur
de ce titre. Or, l’article 638 du Code de commerce a
bien pu présumer cette preuve à l’égard des majeurs
dont la capacité est générale et sans restrictions. Mais
pouvait-il le faire lorsque, s’agissant d’un m ineur, on
avait à rechercher si l’acte excédait ou non sa capacité?
Il n’est pas possible de le supposer, et moins encore
de l’admettre.
Que les emprunts contractés par un commerçant
aient presque toujours pour but de lui procurer les
ressources qu’exigent ses affaires, cela peut être. Qu’on
l’admette donc à l’égard du majeur, on peut le trouver
rationnel. Mais pour le mineur, on ne saurait raisonner
ainsi. En ce qui le concerne, la loi ne se contente pas
d’une possibilité. Elle exige la réalité qui seule peut
faire fléchir la règle de droit commun refusant au mi
neur la faculté de s’engager.
De quoi se plaindrait d’ailleurs le créancier? Ou l’en
gagement a eu réellement pour cause le commerce du
mineur, et il aura eu d’autant plus de facilités pour s’en
ménager la preuve ; ou l’engagement a été contracté
en dehors du commerce et quel grief lui fait-on en le
ramenant à la vérité des choses, et en laissant à sa charge
les conséquences d’un traité fait sciemment avec un
mineur?
Nous persistons donc dans notre opinion, et nous
répétons que si l’acte conférant hypothèque est muet
sur la cause, le créancier n’est ni recevable ni fondé à
�280
DES COMMERÇANTS
se prévaloir de l’article 638, et doit prouver la com
mercialité de la cause ; cette preuve lui incombe, alors
même que l’acte exprimerait cette cause si le mineur la
dénie.1
168. — L’hypothèque légalement et régulièrement
consentie produit contre le mineur commerçant le mê
me effet qu’elle aurait contre le majeur. Le créancier
pourra donc, en cas de non-paiement à l’échéance et
après avoir rempli les formalités voulues par la loi, sai
sir et faire vendre les immeubles affectés à sa créance.
On ne pourrait le contraindre à la discussion préalable
du mobilier. L’article 2206 du Code çivil, qui la pres
crit n’est applicable qu’au mineur émancipé ou non.
Or, le mineur commerçant n’est pas dans cette catégo
rie. Réputé majeur pour le fait de son commerce, il ne
serait pas recevable à revendiquer une faveur à la
quelle le majeur n’a aucun droit.
169. — Le mineur com m erçant, réputé majeur
pour tout ce qui concerne son négoce, n’a besoin d’au
cune autorisation pour ester en justice soit comme de
mandeur soit comme défendeur. Il peut donc directe
ment citer ses débiteurs ou être cité par ses créanciers
devant le tribunal compétent. I! peut également transi
ger et compromettre sur toutes contestations, pourvu
toutefois qu’elles aient le caractère commercial. A l’é
gard des contestations purement civiles, ses droits se
�bornent à ceux du mineur émancipé, dont il doit éga
lement subir les obligations.
170.
— Le mineur commerçant peut acheter mê
me des objets étrangers à son commerce, mais à cet
endroit il agit plutôt comme mineur émancipé qu’en
sa qualité de commerçant. Les conséquences qui s’en
tirent sont que si les achats, même d’objets mobiliers,
lui ont occasionné un préjudice, il peut, non les faire
annuler, mais en demander la réduction.
Conformément à cette règle, il a été jugé que l’achat
fait par un mineur commerçant d’immeubles pour y
établir son industrie est valable, et que la lésion qu’il en
aurait éprouvée donnerait lieu en sa faveur non à la nul
lité de l’acte, mais à la réduction du prix.1
171.
— Du principe que le mineur autorisé à faire
le commerce n’est réputé majeur que pour les actes
relatifs à celui-ci, il résulte que, pour tout ce qui ne s’y
rapporte pas d’une manière immédiate et directe, le
mineur reste grevé de l’incapacité inhérente à sa qua
lité. Dans quelle catégorie doit-on placer le cautionne
ment qu’il aurait consenti en faveur d'un tiers ?
Si ce cautionnement intéressait son commerce com
me, par exemple, s’il avait garanti l’obligation de son
associé, il ne pourrait en être relevé. Il le serait incon
testablement si la dette cautionnée n’avait aucun rapi Colmar, 31 janvier 1826.
�282
DES COMMERÇANTS
port avec ses propres affaires. C’est ce qui avait été ad
mis sous l’empire de l’ordonnance de 1673.1
172.
— Ainsi que nous l’avons déjà dit, la même
solution se déduirait juridiquement de notre législation
actuelle. Mais celte règle , fort simple en matière de
cautionnement ordinaire , peut offrir des difficultés ,
lorsqu’il s’agit d’un cautionnement réalisé en la forme
commerciale. Ces difficultés devraient se résoudre par
les considérations que nous exposions tout à l’heure en
nous occupant de l’arrêt d’Aix, du 17 janvier 1823.
Ainsi, signer ou endosser une lettre de change étant
un acte commercial, oblige ipso facto le mineur régu
lièrement autorisé. On ne saurait dès lors, si l'autori
sation est justifiée, écarter sous aucun prétexte le tiers
porteur de bonne foi, en mains duquel la négociation
ultérieure a fait arriver la lettre de change.
Mais il ne saurait en être ainsi de celui qui a directe
ment traité avec le mineur. A son encontre celui-ci sera
recevable à rendre à l’opération son véritable caractère.
Il obtiendra donc, par la preuve qu’elle n’a été de sa
part qu’un acte de complaisance, qu’un simple caution
nement, soit d’être délié de tout engagement, soit d’ê
tre rem boursé, s’il a lui-même désintéressé le tiers
porteur.
175. — En pareille matière, nous le répétons, on
�ART. 6 .
283
ne saurait agir avec trop de prudence. Les tribunaux
ne doivent jamais perdre de vue que ee n’est en quel
que sorte qu’à regret que la loi a permis aux mineurs
de se livrer au commerce ; elle a senti à combien de
périls leur âge, leur inexpérience et leur faiblesse les
exposaient ; combien l’avidité et la finesse de certains
hommes pourraient facilement abuser d’un entraîne
ment aveugle qu’ils auraient fait naître, et dont ils pro
fiteraient pour ruiner les mineurs dans leur intérêt.
C’est donc s’associer à sa pensée la plus intime que
de veiller à ce que le mineur ne puisse, sous aucun pré
texte, sortir des limites de la capacité spéciale qui lui
est accordée. Or, en cette matière, une ligne imper
ceptible sépare le droit de l’abus; la fraude est trop
facile pour n’êlre pas redoutable. La vigilance des tri
bunaux ne saurait donc être trop excitée. La rigueur
qu’ils mettront à réprimer tout ce qui, sous les dehors
d’une opération commerciale, tendrait à éluder la loi
sur l’incapacité ordinaire du mineur, peut seule assu
rer à celui-ci la protection que la loi n’a pas voulu lui
faire perdre, en l’autorisant à commercer.
174.
— Aujourd’hui encore le mineur commerçant
a la faculté d’aliéner ses biens pour les besoins de son
commerce. Seulement, le silence gardé par l’ancienne
législation a été rompu. L’aliénation ne peut être tractativement consentie. Elle n’est valable que si elle est
faite dans les formes prescrites par les articles 457 et
suivants du Code civil.
�284
DES COMMERÇANTS
175.
— L’assentiment de la famille est donc indis
pensable, mais il ne devra être donné, aux termes de la
loi, que pour cause d’une nécessité absolue ou d’un
avantage évident. Et si cette prescription était négligée
par le conseil de famille, le tribunal chargé de statuer
sur la délibération ne manquerait pas d’y ramener les
parties.
Nous avons vu les attaques dont cette partie de la
disposition de l’article 6 fut l’objet dans le sein du con
seil d’Etat. Nous avouons pour notre part que les mo
tifs qui les firent repousser sont loin de nous paraître
concluants.
Comme mesure de précaution dans l’intérêt du mi
neur, l’obligation qui lui est imposée nous paraît com
plètement inefficace. En effet, elle n’arrivera jamais à
lui conserver les biens dont on a voulu gêner l’aliéna
tion. On ne pouvait arriver à ce résultat qu’en les dé
clarant inaliénables comme lesbiens dotaux de la femme.
Mais on ne pouvait agir ainsi sans rendre tout com
merce impossible pour le mineur. La faculté de les en
gager et de les hypothéquer qu’il a dû recevoir le laisse
donc, quant à leur conservation, sans aucune garantie
réelle.
Que fera, en effet, le conseil de famille en présence
d’un créancier se livrant ou menaçant de se livrer à une
saisie immobilière? P ourrait-il refuser l’autorisation
d’aliéner? Mais il ne le ferait qu’en exposant le mineur
à supporter des frais considérables, à subir les consé
�quences d’une saisie qui lui enlèvera immédiatement
toute ressource et tout crédit.
Voilà donc une hypothèse où la délibération du con
seil de famille sera enchaînée ; et notons bien qu’il peut
se faire qne cet effet ne se produise que parce que le
mineur aura voulu se défaire de ses biens. La conduite
du créancier, ses menaces, ses poursuites même pou
vant n’être que le résultat d’une collusion concertée
dans le but de forcer la volonté de la famille.
Le concours de la famille, à l’endroit de la conser
vation des biens, est donc illusoire. Tout ce qu’il peut
produire est, comme on le faisait si bien remarquer,
de rendre inévitable une ruine et une faillite qu’une
aliénation tractalive aurait pu conjurer.
Sous un autre point de vue, la nécessité de ce con
cours produira ce singulier résultat, d’opposer une bar
rière à l’exercice d’un acte de la puissance paternelle.
C’est au père, en effet, qu’appartient le droit d’auto
riser son fils mineur à exercer le commerce. Cette au
torisation donnée, il faut des fonds pour la faire sortir
à effet. Le moyen le plus simple est donc d’aliéner un
immeuble.
Mais si le conseil de famille ne partage pas l’opinion
du père, s’il ne pense pas que le commerce offre cet
avantage évident qu’exige la loi, s’il refuse l’aliénation,
la volonté du père sera donc annihilée et devra rester
sans exécution?
Non, dira-t-on, car il restera au mineur la ressource
des emprunts. Mais à quoi dès lors se réduit la précau-
�286
DES COMMERÇANTS
tion qu’on veut prendre dans l’intérêt du mineur? Evi
demment à rien autre qu’à empirer sa position. La vente
de son immeuble lui eût permis d’acheter au comptant,
d’obtenir ses marchandises à des meilleurs prix. L’obli
gation d’emprunter au fur et à mesure de ses besoins
lui conservera un immeuble d’un revenu de deux à
trois pour cent, tandis qu’avec les frais de commission
l’argent lui coûtera le sept ou le huit, et une crise ame
nant une mévente, le ver rongeur qu’il a attaché à son
commerce dévorera tous les fruits de son industrie et
le conduira à la ruine et à la faillite.
La disposition de l’article 6, dont nous nous occu
pons, n ’avait donc aucune raison essentielle d’être. Sans
efficacité réelle sur les biens du mineur, elle peut de
venir, dans un cas donné, une source d’embarras et de
dangers.
Vainement a-t-on dit qu’il fallait empêcher le mi
neur d’abuser de la faculté de vendre au détriment de
ses créanciers. Frauder ses créanciers est une pensée
que le mineur pourrait concevoir comme le majeur luimême, mais l’article 1167 a indiqué comment on pou
vait avoir raison des actes que celui-ci pourrait se per
mettre en ce sens. Si cette disposition est efficace con
tre le majeur, elle l'était également contre le mineur;
on n’avait donc qu’à s’en référer aux exigences de l’in
térêt personnel, contre l’abus dont il aurait pu avoir à
se plaindre.
On dira sans doute que dans la pratique, les incon
vénients et les dangers dont nous nous préoccupons ne
�ART. 6 .
287
se sont guère produits. Nous répondrons, en fait, que
ce qui en rend les effets moins saisissables, c’est que le
mineur n’exerce le commerce que depuis trois ans à
peine, qu’il atteint sa majorité; que ce laps de temps
n’est pas assez considérable pour voir se produire les
conséquences fâcheuses que nous relevons.
Mais si le mal n’est pas consommé, il est déjà sou
vent irrémédiable, et s’il était permis de lire dans les
causes vraies de la ruine de certains majeurs ayant com
mencé le commerce en état de minorité, peut-être
trouverait-on que les engagements souscrits pour éviter
de faire à sa propre famille l’aveu du désordre de ses
affaires, pour ne pas le rendre public par la vente judi
ciaire de ses immeubles, y ont la plus grande part.
176. — Quoi qu’il en soit, la loi existe, elle doit
être exécutée. Le mineur commerçant ne peut aliéner
ses immeubles que dans les formes prescrites par les
articles 457 et suivants du Code civil. Toute vente faite
contrairement à cette prescription serait radicalement
nulle et de nul effet.
177. — La poursuite de cette nullité, comme l’ac
tion pour se faire relever des engagements étrangers au
commerce ou irrégulièrement souscrits, peut être in
tentée par le mineur. S’agissant dans tous les cas d’une
nullité relative, les majeurs qui auraient traité avec le
mineur ne seraient pas recevables à revenir contre leur
engagement, par application de l’article 1125 du Code
civil.
�288
DES COMMERÇANTS
178.
- L’action du mineur peut-elle être exercée
par ses créanciers? L’affirmative ne nous paraît pas dou
teuse, mais le motif de la nullité peut être de telle na
ture qu’opposable d’une manière générale, il repousse
rait tous les créanciers.
Ainsi si le mineur a été irrégulièrement autorisé, ou
s’il a agi sans autorisation, il est évident que tous ses
engagements sont infestés du même'vice. Il n’y aurait
dans ce cas d’autres créanciers pouvant agir que ceux
qui l’étaient de l’auteur du mineur, ou qui ont acquis
cette qualité en traitant avec lui sous l’assistance du
tuteur ou du curateur.
Si la nullité provient de ce que la matière de l’enga
gement était étrangère au commerce que le mineur
exerçait régulièrement, ou de ce que les formes vou
lues par la loi pour la vente des immeubles n’ont pas
■été suivies, tous ceux qui ont agi dans les limites de la
capacité du mineur sont des créanciers sérieux et légi
times, ils peuvent donc, soit comme exerçant les droits
de leur débiteur, en vertu de l’article 1166 du Code
civil, soit en leur nom, aux termes de l’article 1167,
poursuivre la nullité que le mineur pourrait faire pro
noncer lui-même.
179.
— M. Pardessus fait, sur les effets de l’action
ouverte au mineur, une observation extrêmement juste,
à savoir que c’est par l’ensemble des opérations, et par
leur résultat général, qu’on doit se prononcer sur le
mérite de ses prétentions. Ainsi, s’il avait fait, avec la
�môme personne, plusieurs opérations dont les unes
auraient été avantageuses, les autres préjudiciables, il
ne pourrait profiter des premières et répudier les au
tres. L’équitable justesse de cette solution n’a pas be
soin d’être établie, elle se justifie en droit par l’indivisi
bilité forcée des opérations quant au résultat à obtenir.
La loi, qui défend au mineur de s’appauvrir, n’a pas
entendu lui donner l’occasion de s’enrichir au détri
ment des majeurs, elle n'entend qu’une seule chose, ré
parer le préjudice qu’il a pu souffrir. Or, dans notre
espèce, le préjudice n’existera qu’autant que, balance
faite de toutes les opérations, il resterait une lésion à la
charge du mineur.
180.
— L’action du mineur se prescrit par dix ans,
mais ce délai ne commence à courir que du jour où il a
atteint sa majorité. Vainement exciperait-on de la ca
pacité relative que lui donne la faculté d’exercer le
commerce. Laisser une prescription s’accomplir n’a
rien en soi de commercial. On ne saurait donc, quant à
ce, réputer majeur le mineur commerçant.
181.
— Nous avons déjà dit,1 que l’obtention d’une
autorisation régulière ne pouvait être pour le mineur
l’occasion de valider les engagements qu’il aurait aupa
ravant irrégulièrement contractés. La capacité résultant
de cette autorisation ne pouvant effacer le vice dont ces
engagements se trouvent entachés.
i Sup., n° 97
49
�290
DES COMMERÇANTS
Mais la majorité arrivée, le mineur acquiert avec
une entière capacité la liberté illimitée de disposer de
ses biens et droits. Il peut aliéner les uns, exercer les
autres, les abandonner même, s’il le croit utile ou con
venable.
Cela est vrai pour le passé, comme pour le présent,
comme pour l'avenir. Ainsi, et relativement aux actes
nuis qu’il a pu faire en état de minorité, il a la faculté
de les faire révoquer. Mais la loi ne lui en fait pas un
devoir, c’est là un bénéfice auquel il peut renoncer,
auquel il est légalement présumé avoir renoncé, si son
inaction s’est prolongée assez pour laisser à la prescrip
tion le temps de s’accomplir.
A plus forte raison se rendrait-il non-recevable a re
venir contre ces actes si, au lieu de réaliser son atta
que, il les avait confirmés ou ratifiés. Or, ce résultat n’a
pas toujours besoin d’être exprès, il peut s’induire d’ac
tes personnels le faisant présumer, notamment de l’exé
cution à laquelle il se serait livré, ou qu’il aurait promis.
Il est évident que le renouvellement du titre en se
rait la confirmation. En effet, on ne régularise pas ce
qu’on ne veut pas exécuter, ce qu’on peut légalement
ne pas exécuter. La loi, conférant au débiteur l’option,
admet définitivement le parti auquel il a plu à celui-ci
de s’arrêter lorsque, ayant atteint sa majorité, il était
capable d’en choisir un.
Ainsi la ratification expresse ou tacite du mineur de
venu majeur est un obstacle invincible à toute attaque
ultérieure contre l’acte soumis à l’action eu nullité ou en
�rescision, cet acte est donc purgé du vice dont l’enta
chait la minorité du souscripteur, et rien ne saurait
plus en arrêter l’exécution.
A rt. 7.
Les femmes marchandes publiques peuvent
également engager, hypothéquer et aliéner leurs
immeubles.
Toutefois leurs biens stipulés dotaux, quand
elles sont mariées sous le régime dotal, ne peu
vent être hypothéqués ni aliénés que dans les
cas déterminés et avec les formes réglées par le
Code civil.
SOMMAIRE
189. La disposition de cet article était une conséquence du pré
cédent. Motif pour accorder à la femme le droit d’a
liéner.
183. Conditions pour la validité de l’aliénation : 1“ majorité
de la femme mariée ;
184. 2* Cause commerciale.
185. Difficultés que peut faire naître celle-ci. A qui incombe la
charge de la prouver.
186. Nature de la preuve contraire que doit faire le poursui
vant.
187. Proposition de la section de l ’intérieur de permettre l ’alié
nation du fond dotal.
188. Discussion au conseil d ’Etat.
189. Raisons qui en légitimèrent le rejet.
�292
des
com m erçants
190. Il n ’y a inaliénabilité que lorsque les époux sont mariés
sous le régime dotal. Conséquences.
191. Q u id si l’aliénabilité a été convenue dans le contrat de ma
riage?
1 92. Les créanciers de la femme ne sauraient en exciper.
193. Conséquences de l’inaliénabilité en cas de faillite de la
femme.
194. Droit des créanciers commerciaux après la dissolution du
mariage.
495. Faculté pour la femme ou ses héritiers de ratifier expres
sément ou tacitement.
182.
— La disposition de l’article 6 amenait forcé
ment celle de l’article 7. Comme le mineur, la femme
mariée étant admise à faire le commerce, devait avoir
le moyen de se procurer les ressources indispensables à
ses opérations, on ne pouvait donc lui refuser ce qu’on
accordait au premier, à savoir la faculté d’engager et
d’hypothéquer ses immeubles, dans cet objet.
On devait même lui concéder à elle ce qu’on avait
refusé à l’incapacité du majeur, le pouvoir d’aliéner ses
biens tractativement et sans aucune formalité de justi
ce. La femme mariée n’a pas perdu la capacité qu’elle
a acquise en atteignant sa majorité. Seulement, et pour
un motif de haute convenance, les effets de cette capa
cité sont subordonnés à l'autorisation maritale. Dans le
cas qui nous occupe, cette autorisation ne pouvait être
un obstacle. Le mari, en consentant à ce que sa fem
me soit marchande publique, est par cela même présu
mé l’avoir formellement autorisée pour toutes les opé-
�a r t.
7.
293
rations ressortissant de son industrie. L’aliénation d’im
meubles amenée par les nécessités et les besoins de
cette industrie, se plaçant dans cette catégorie, est donc
comprise dans cette autorisation générale que la loi
admet exceptionnellement.
J 8 5 . — La vente de ses immeubles, faite par la
femme sans autorisation spéciale, est donc autorisée.
Mais, des considérations qui précèdent, il suit qu’elle
ne pourra valablement et régulièrement user de cette
faculté qu’aux deux conditions suivantes :
i
1° Elle doit avoir atteint sa majorité, il est évident
que si au moment de la vente elle était encore mineure,
elle ne pourrait avoir plus de droit qu’un mineur ordi
naire. L’autorisation du mari ne pourrait avoir pour
résultat de la délier des effets de son incapacité légale.
Rien donc ne la dispenserait de suivre les formes tra
cées pour la vente des biens des mineurs. Marchande
publique, elle y serait notamment obligée par la dispo
sition formelle de l’article 6 que nous venons d’ana
lyser.
184.
— 2° La vente doit avoir pour cause le com
merce qu’elle est autorisée à exercer. En effet, la ca
pacité que confère l’article 7 n’est relative qu’au com
merce lui-même. La femme n’est dispensée de l’auto
risation particulière et spéciale à chacun de ses actes,
qu’au bénéfice de l’autorisation générale embrassant
toutes ses opérations. Exciper de celle-ci pour couvrir
1,'iiiV;
ii
�294-
DES COMMERÇANTS
un aete étranger au négoce serait donc en méconnaître
la nature et le caractère, en outrer les effets et lui don
ner une extension que la loi lui a refusée.
Ainsi, lors de la discussion de l’article 7 au conseil
d’Etat, on avait proposé d’exprimer que le faculté d’en
gager, d’hypothéquer et d’aliéner, conférée aux fem
mes marchandes publiques, était bornée aux faits de
leur commerce. Cette proposition n’eut pas de suite
sur l’observation qu'on ne pouvait se méprendre sur
l’étendue de la disposition, puisqu’elle est placée dans
le Code de commerce, et que, pour le reste, la femme
demeure sous l’empire du Code civil.
185.
— La question de savoir si la femme était ou
non majeure au moment de l’acte ne saurait être ni
difficile ni douteuse. Le rapprochement de la date de
cet acte et de celle de la naissance suffit pour la tran
cher. Mais il n’en est pas ainsi de celle de savoir si la
cause de l’obligation ou de la vente se réfère ou non au
commerce de la femme. La première difficulté qu’elle
soulève est celle de savoir à la charge de qui, du mari
ou de la femme, du créancier ou de l’acquéreur, in
combe la preuve que l’acte a ou n’a pas une cause com
merciale.
En ce qui concerne l’hypothèque, son sort est inva
riablement lié à celui de l’obligation dont elle n’est que
l’accessoire. Sa validité dépend donc exclusivement de
la cause de celle-ci ; valable, si cette cause est commer
ciale, nulle, si elle ne l’est pas. Or, nous avons dit plus
�ART.
7.
295
haut1 qu’en vertu de l’article 638 du Code de com
merce, les engagements que la femme aurait contrac
tés, même sous la forme authentique, sont censés faits
dans l’intérêt de son commerce ; que seulement cette
présomption, en ce qui la concerne, admettait la preuve
contraire, alors même que l’acte renfermerait la décla
ration de la femme qu’elle s’oblige pour le fait de son
commerce.
L’application de cette doctrine à la difficulté que
nous examinons en commande la solution. L’obligation
hypothécaire sera présumée contractée pour fait de
commerce ; mais que l’acte l’exprime ou non, le mari
oq la femme, les représentants qui en poursuivront la
nullité ne pourront l’obtenir qu’en prouvant que la
cause exprimée dans l’acte est simulée, et si l’acte n’en
énonce aucune, que l’opération a été complètement
étrangère au commerce de la femme.
C’est à l’aide des mêmes principes que nous résou
drons ce qui se rapporte à l’aliénation. La femme mar
chande publique est présumée vendre pour son com
merce. Mais cette présomption ne peut avoir dans ce
cas plus de force que dans celui d’une obligation hypo
thécaire. En conséquence, les motifs qui feraient annu
ler l’une feront rétracter l’autre, à savoir, la preuve
qu’en réalité la vente n’a pas eu cet objet.
186. — Dans ce dernier cas, la preuve est tout en-
1 N» \28.
�296
DES COMMERÇANTS
tière dans la destination donnée au prix retiré de la
vente. Il est certain que si ce prix n’a pas été versé dans
le commerce, la vente n’aura oas été faite dans l’intérêt de ce commerce. Mais suffira-t-il à la femme ou
au mari poursuivant la nullité de prouver, en fait, la
non-réalité de cette destination?
L’affirmative conduirait, dans certains cas, à une ré
voltante iniquité. Elle pourrait devenir pour les époux
un trop énergique moyen de fraude, pour qu’on hésite
à la proscrire.
Notons bien que, dans les prévisions de la loi, la fa
culté d’aliéner n’a pas été considérée, comme pour le
mineur, au point de vue d’une nécessité déterminée
par des besoins urgents, par un arriéré à combler. Dans
un cas de ce genre, l’acquéreur pourrait à la rigueur,
et par surcroît de précautions, exiger le paiement ac
tuel des factures ou titres en retard, demander la remise des titres acquittés et se ménager ainsi la preuve
d’une libération acquise au moyen des fonds par lui
versés.
Mais la femme peut aliéner sans besoin urgent, sans
autre motif que celui de donner à son commerce actuel
une plus grande étendue. La loi l’y autorise d’une ma
nière générale et sans restriction ; il n’apparaît pas mê
me de son esprit qu’elle ait entendu en opposer la
moindre. De là, pour les tiers acquéreurs, la nécessité
d’accepter comme vraie la volonté indiquée par elle, et
la destination qu’elle déclare vouloir donner au prix de
la vente.
�ABT.
7.
297
L’exécution de cette volonté, la réalisation de cette
destination sont nécessairement postérieures à la con
sommation de la vente. A cette époque, la femme nan
tie du prix peut en disposer à son gré, et la déclaration
qu’elle aura fait dans l’acte ne sera pas un obstacle à ce
qu’elle le dissipe follement et sans fruit aucun pour les
affaires de son commerce.
La preuve de cette dissipation acquise, devra-t-on
en faire peser sur les tiers la responsabilité, et leur en
lever l’immeuble qu’ils ont acquis et payé? Mais quelle
faute a-t-on à leur reprocher? De n’avoir pas surveillé
l’emploi? Mais la loi leur donne-t-elle qualité pour le
faire? En ont-ils eu les moyens? Comment donc les pu
nirait-on pour n’avoir pas fait ce qu’ils n’avaient ni
l’obligation ni le pouvoir de faire ?
Ce serait là, nous le répétons, une révoltante iniquité
dont la femme ne tarderait pas d’ailleurs à devenir la
victime. Qui oserait traiter avec elle sous la menace
d’une pareille éventualité? Son commerce, bientôt at
teint, périrait infailliblement, car elle serait dans l’im
puissance de se procurer ni ressources ni crédit.
En conséquence, la preuve que l’époux poursuivant
la nullité de l’aliénation est obligé de faire, doit justifier
non-seulement que le prix en a été dissipé sans utilité,
mais encore qu’il n’a jamais dû être versé dans le com
merce de la femme, que la vente a été résolue dans de
tout autres motifs, et que cette résolution a été connue
de l’acheteur qui s’y est sciemment associé ; comme si,
par exemple, obéissant à ses propres convenances, il
�298
DES COMMERÇANTS
avait décidé la femme à vendre par des sollicitations
réitérées, ou si sa mauvaise foi s’induisait de précau
tions suspectes, de la vileté du prix, du mode de paie
ment, ou de toutes autres circonstances de nature à
éveiller la méfiance et à inspirer le soupçon.
En dernière analyse, l’aliénation ne peut être révo
quée que lorsqu’il est certain qu’elle n’est que le résul
tat d’une simulation frauduleuse tendant à éluder la loi
sur la nécessité de l’autorisation maritale. Il faut donc
en ce cas, et par application des principes généraux du
droit, que les tiers poursuivis aient connu la fraude et
y aient participé. Le devoir de prouver cette conni
vence , imposé aux créanciers ordinaires agissant en
vertu de l’article 1167 du Code civil, ne pouvait pas ne
pas être obligatoire, dans l’espèce, pour l’époux pour
suivant la nullité de l’aliénation. La preuve poura être
difficile. Mais recule-t-on devant une difficulté dans l’hy
pothèse à laquelle nous venons de faire allusion? Or
ici, comme là, la bonne foi des tiers est une exception
légale et péremptoire ; ici, comme là, cette bonne foi
est toujours présumée et ne s’efface que devant la preuve
de la mauvaise foi.
Ainsi la preuve contraire que l’époux peut faire, mal
gré la présomption de l’article 638; doit avoir pour ré
sultat d ’établir la complicité de l’acquéreur dans la
fraude que l’aliénation constituerait. Elle ne serait donc
recevable que si les faits cotés présentaient ce caractè
re. La preuve de la dissipation du prix, isolée de cette
complicité laissant le tiers sans reproche, lui assurerait
�ART.
7.
299
le bénéfice de son acquisition. Tout ce que le mari
pourrait prétendre dans ce cas serait de rétracter le
consentement qu’il aurait donné à ce que sa femme fît
le commerce, car elle aurait abusé de la confiance qu'il
lui avait témoignée et trompé ses légitimes prévisions.
— L’incontestable avantage que la femme
marchande publique peut trouver dans l’aliénation de
ses biens, les secours qu’elle y puisera dans l’intérêt de
son commerce avaient déterminé la section de l’inté
rieur à lui permettre l’aliénation de son fonds dotal.
Cette proposition fut repoussée après une vive dis
cussion.
187.
Ici, comme pour les articles précédents, les principes
déjà consacrés par le Code civil, et auxquels on ne
voulait pas déroger, devaient exercer une puissante
influence sur la solution. Aussi la section de l’intérieur
s’empressait-elle de déclarer qu’elle n’entendait nulle
ment méconnaître l’inaliénabilité de la dot ; que sa
proposition n’avait qu’un seul but, à savoir, ajouter un
cas d’aliénabilité à ceux déjà admis par le Code civil.
— * Dans ces termes, disaient les partisans
de ce système, la proposition de la section n’a rien que
de raisonnable ; elle ne fait que simplifier la marche des
choses, car, si la femme ne peut engager ses biens do
taux, on s’assurera de sa personne, et alors ses biens
deviendront aliénables. Pourquoi exiger une formalité
188.
�300
DES COMMERÇANTS
« C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour
décider la question. Il s’agit de savoir si l’on permettra
à la femme d’aliéner ses biens dotaux pour prévenir
son déshonneur et sa ruine, ou si on ne lui donnera
cette faculté qu’après qu’elle sera déshonorée et rui
née ? a
i
On répondait : « Que l’aliénation du fonds dotal im
portait peu au succès du commerce de la femme ;
qu’ainsi en pays de droit écrit, où le commerce était
permis aux femmes, cette inaliénabilité ne les empêchait
pas de trouver un crédit suffisant.
« Cependant on propose non-seulement d’ajouter à
la loi", mais encore de violer les dispositions du contrat
de mariage lui-même. En effet, la femme mariée sous
le régime dotal est constituée dans un état d’incapacité
qui n’est pas seulement légale, elle est encore contrac
tuelle.
« On n’établira qu’elle en peut être relevée, qu’autant qu’on établira qu’elle peut, pendant le mariage,
déroger à son contrat, ou que le mari, auquel il est dé
fendu autant qu’à la femme d’y déroger, peut l’y au
toriser.
e II faut qu’on dise que les conventions matrimo
niales peuvent être changées et altérées dans leur es
sence, si la femme veut négocier ; et alors pourquoi ne
pas lui permettre de les changer pour causes aussi utiles
et moins chanceuses ? »
Enfin, on faisait remarquer qu’il n’y aurait plus de
biens dotaux, s’il était indéfiniment permis au mari et
�■*s
ART. 7.
301
à la femme de les employer au commerce. Ainsi s’éva
nouirait cette ressource suprême que la loi a entendu
réserver à la famille.1
— On n’admit donc pas que le commerce pût
et dût introduire une nouvelle exception au principe de
l’inaliénabilité du fonds dotal. Etait-il bien urgent
qu’il en fût autrement? Ce qui est de nature à faire ré
fléchir à cet endroit, c’est que l’inaliénabilité n’a dans
aucun temps excité la moindre réclamation, la nécessité
de la modifier n’a été indiquée par aucun tribunal, par
aucune chambre de commerce, offrant leurs observa
tions sur le projet du Code de commerce. 11 faudrait
donc induire de ce silence que, dans la pratique, on
avait été fort peu frappé des inconvénients signalés au
conseil d’Etat par les défenseurs du système de la sec
tion de l’intérieur, et par la section elle-même.
Celte pratique, cependant, ne se bornait pas aux
pays de droit écrit. Les coutumes admettant l’inaliénabilité de la dot n’en avaient point fait fléchir le principe
devant les exigences du commerce de la femme. C’est
ainsi notamment que la femme normande , quoique
marchande publique, ne pouvait engager, hypothéquer
ou aliéner ses immeubles dotaux.
189.
En réalité, cette inaliénabilité n’avait rien de trop ab
solu, et les créanciers pouvaient indirectement en cor
riger les effets, La femme marchande publique s’obli1 Séance du 40 janvier 1807.
�302
DES COMMERÇANTS
géant par corps, l’exercice de la contrainte était une
occasion d’obtenir la vente du fonds dotal. Celui-là donc
qui, placé en présence de ce fonds, persistait à vouloir
être payé, n’avait pour y parvenir qu’à faire exécuter
la contrainte par corps. Quelque rigoureux que fût ce
m oyen, il n’en sauvegardait pas moins l’intérêt des
créanciers dans une certaine limite, et cela expliquerait
jusqu’à un certain point l’absence de réclamation dont
nous parlions tout à l’heure.
En dernier résultat, le mari est libre de consentir à
ce que sa femme exerce le commerce. Que l’autorisa
tion tacite en résultant donne à la femme le pouvoir de
faire seule les actes que, dans les cas ordinaires, elle ne
pourrait faire sans le concours du mari ou son consen
tement écrit, il n’y a là rien que de très-naturel, que
de fort logique. Mais on n’hésite pas cependant à re
connaître que cette autorisation se restreint aux actes
du commerce. A plus forte raison devait-on en admet
tre l’impuissance lorsque l’acte est de telle nature, que
le mari était lui-même incapable de le permettre. Or,
l’autorisation formelle du mari serait insuffisante pour
l’aliénation du fonds dotal. Comment donc la faire ré
sulter valablement du consentement donné à l’exercice
du commerce, sans reconnaître à l’autorisation tacite
une force qu’on n’hésite pas à refuser à l’autorisation
spéciale et formelle ?
190.
— La femme marchande publique est donc, à
l’endroit de sa dot immobilière, dans la même position
�*
ART.
7.
303
que la femme ordinaire. Comme celle-ci, elle ne peut
l’engager, l’hypothéquer ou l’aliéner que dans les cas
et aux formes spécialement énoncés par la loi, à la con
dition toutefois qu’elle sera mariée sous le régime dotal.
Ces mots, qui ne figuraient pas dans le projet du
Code, ont été ajoutés pour prévenir tout équivoque sur
l’esprit de la loi et sur le sens de l’inaliénabilité qu’elle
consacre.
Ainsi la constitution de dot n’est pas exclusive au
régime dotal, elle peut se réaliser sous tous les autres
systèmes, et notamment sous celui de la communauté.
Des doutes pouvaient s’élever dans ces hypothèses sur
le caractère de l’immeuble faisant l’objet de la constitui
tion. Etait-il ou non inaliénable vis-à-vis de la femme
marchande publique ?
Ce doute est tranché par l’article 7, il n’y a réelle
ment inaliénabiîité pour celle-ci que si elle est mariée
sous le régime dotal. Conséquemment, si ce régime n’a
pas été choisi, il importe peu que l’immeuble ait été ou
non constitué en dot. La femme pourra l’hypothéquer
ou l’aliéner pour raison de son commerce, comme elle
le pourrait pour ceux qui lui seraient plus tard obvenus
à titre de succession, donation ou autrement. Par une
conséquence immédiate , l’immeuble constitué est ,
comme les autres, soumis aux exécutions des créanciers,
celles-ci ne s’arrêtant qu’en présence de l’inaliénabilité,
empêchant l’acquisition d’un droit quelconque sur les
biens qui en sont frappés.
�304
DKS
C O M M ERÇ A N TS
1 91.
— L’indisponibilité de la dot peut être modi
fiée par les conventions matrimoniales. Les époux, par
exemple, peuvent stipuler que le fonds dotal pourra
être aliéné avec l’autorisation du mari, ou par lui avec
le consentement de sa femme, et avec ou sans remploi.
Dans ces hypothèses, la femme marchande publique
trouverait-elle dans l’autorisation tacite le pouvoir de
vendre valablement l’immeuble déclaré aliénable par
le contrat?
La négative nous paraît devoir être consacrée, tant
sous le rapport du texte de l’article 7, que sous celui
des effets résultant du consentement donné par le mari
à ce que la femme exerce le commerce. Nous l’avons
déjà d it, l’autorisation générale que ce consentement
entraîne, ne s’entend jamais que pour les actes ressor
tissant du commerce de la femme. Les faits purement
civils restent soumis à la règle tracée par l’article 217.
Or, la dot de la femme ne saurait être rangée au
nombre des objets sur lesquels elle est appelée à exercer
son industrie. Sa disposition ne saurait donc jamais re
vêtir un caractère commercial. Loin de l’autoriser, l’ar
ticle 7 la prohibe formellement.
Conséquemment, la femme ne saurait revendiquer le
droit de l’aliéner qu’en vertu de la clause expresse de
son contrat de mariage. Un acte pareil n’a évidemment
rien de commercial, et dès lors l’autorisation tacite du
mari ne saurait le concerner.
En d’autres termes, l’aliénation n’est pas en général
considérée comme une conséquence directe du com-
�merce de la femme, elle ne revêt ce caractère que lors
qu’elle n’est réalisée que dans l’intérêt exclusif de ce
commerce, et pour fournir le moyen de pourvoir à ses
exigences.
Cette éventualité a dû nécessairement être prévue
par le mari, à l’endroit des biens dont la disponibilité
dépend uniquement de son autorisation. Il en a donc
volontairement couru la chance. En consentant à ce que
sa femme fît le commerce, il est de plein droit présumé
lui avoir donné au besoin cette autorisation : qui veut
la fin veut les moyens.
En droit commun, au contraire, le fonds dotal est
inaliénable, même pour la femme marchande publique.
Sa disposition, comme conséquence du commerce, n’a
donc pu entrer dans la prévision de personne. Reste
l’application des clauses du contrat de mariage, mais
l’exercice d’un droit puisé à cette source est un acte
ordinaire de la vie civile pour lequel la femme marchande
publique ne serait pas dispensée de recourir à une au
torisation spéciale, alors même que le contrat de ma
riage ne la prescrirait pas formellement.
194.
—* Ainsi l’aliénation du bien dotal, permise
par le contrat de mariage, n’est valable que dans les
conditions stipulées et qui doivent être rigoureusement
accomplies. Ce n’est là, d’ailleurs, qu’pne faculté ex
clusivement personnelle aux époux, et dont la réalisa
tion ne saurait dans aucun cas leur être imposée. Ainsi
les créanciers commerciaux de la femme ne pourraient
20
�306
D ES
C O M M ERÇ A N TS
exciper contre elle'de cette faculté, ni la contraindre à
la réaliser, il suffit qu’il s’agisse d’un bien dotal, et que
la femme soit mariée sous le régime de la dotalité,
pour que, sans droits sur les biens, ils soient irrece
vables à profiter des modifications stipulées dans le
contrat.
1 9 3 . — L’inaliénabilité du fonds dotal tenant moins
à l’incapacité personnelle des époux qu’à l’indisponibi
lité dont le frappe la loi, il en résulte qu’à l’endroit des
créanciers commerciaux de la femme, les biens le compo
sant ont été réellement placés hors du commerce et
n’ont jamais pu être considérés par eux comme une
ressource sur laquelle il leur fût permis de compter,
même d’une manière éventuelle. Ils ne peuvent dès lors,
dans aucun cas, les rendre l’objet d’une poursuite,
d’une exécution quelconque.
Ce qui est vrai pour chaque créancier personnelle
ment est vrai pour la masse. Ainsi, même après la fail
lite déclarée de la femme, la propriété de ces immeu
bles ne cesse pas de résider sur la tête de celle-ci, elle
en conserverait même l’administration et la jouissance
par la séparation de biens qu’elle aurait précédemment
obtenue, ou qu’elle ferait ultérieurement prononcer, si
le désordre des affaires du mari mettait la dot en péril.
Ce désordre est d’autant plus facile à prévoir que le
mari, responsable dans cette hypothèse des dettes de
sa femme, peut trouver dans la ruine de celle-ci sa pro
pre ruine. Les revenus de la dot appartiennent exclusi-
�ART.
7.
307
vement à la famille. N’ayant jamais traité ni pu traiter
avec elle, les créanciers ne pourraient ni en revendiquer
ni en faire saisir les produits.
La femme marchande publique est donc, même après
la faillite, à l’endroit de ses immeubles dotaux, dans la
même position que si elle n’avait jamais fait le com
merce. Ses créanciers, sans droit ni titre contre le ca
pital de la dot, ne sauraient apporter aucun obstacle à
ce que les revenus conservent la destination que la loi a
entendu exclusivement leur donner.
1 9 4 . — La dissolution du mariage par la mort d’un
des époux enlève aux biens de la femme tout caractère
de dotalité, et les rend, par conséquent, aliénables pour
l’avenir. Les créanciers de la femme antérieurs à son
mariage, comme ceux envers qui elle s’obligerait après
la dissolution, peuvent donc les saisir et les faire vendre
pour se faire payer de ce qui leur est dû.
Cette faculté appartient-elle aux créanciers dont les
droits ont été acquis durant le mariage? L’affirmative
avait été soutenue par MM. Toullier et Delvincourt.
Mais c’était là une erreur évidente q u i, signalée par
tous les auteurs qui ont écrit après eux, a été proscrite
énergiquement par la jurisprudence. On ne pouvait, en
effet, la soutenir qu’en interprétant la pensée du légis
lateur dans un sens diamétralement opposé à celui qu’il
a réellement admis.
L’inaliénabilité de la dot est autant dans l'intérêt de
la famille que dans celui des époux. Or, comment ce
�308
D ES
C O M M ERÇ A N TS
double intérêt pourrait-il être atteint, si, pour de3 obli
gations contractées pendant la durée du mariage, la
femme ou ses héritiers voyaient, aussitôt après la dis
solution, disparaître les biens que la loi avait tant à
cœur de leur conserver?
Vainement exciperait-on de ce que la femme mar
chande publique ayant capacité pour contracter, ses
créanciers doivent être plus favorablement traités que
ceux de la femme ordinaire. Nous avons déjà dit que la
capacité de la femme marchande publique n’existait
que pour ses biens libres ; qu’elle disparaissait complè
tement à l’endroit de son fonds dotal. Elle n’a jamais
pu valablement l’engager ni l’hypothéquer, et ce serait
admettre le contraire que d’autoriser, en cas de disso
lution du mariage, un recours quelconque sur ces biens
en faveur de ses créanciers. Ce recours conduirait à ce
résultat singulier, à savoir que l’hypothèque qui aurait
été consentie, se trouvant nulle de plein droit, ne sau
rait, dans aucun temps, produire le moindre effet, tan
dis qu’on accorderait ces effets à la simple obligation
personnelle non accompagnée d’hypothèque.
Il est évident d’ailleurs qu’il ne pouvait exister d’ina
liénabilité réelle qu’à la condition d’affranchir les biens
dotaux des conséquences des engagements contractés
pendant le mariage. Repousser cette condition, c’était
leurrer la famille d’un espoir trompeur, et se réduire à
une inaliénabilité temporaire. C’était en un mot, tout en
proscrivant la disposition de la dot, en consacrer le prin
cipe et le germe. Or, c’est précisément ce principe et ce
germe que l'article 15ô4 a entendu et voulu condamner.
�ART.
7.
309
La dissolution du mariage rend les biens dotaux à la
circulation pour l’avenir, mais elle ne saurait faire qu’ils
n’aient pas été inaliénables pendant le mariage, ni va
lider ce que la loi déclarait absolument nul. En consé
quence, les créanciers commerciaux de la femme, qui
d’ailleurs n’ont jamais traité avec l’immeuble dotal, sont,
comme les créanciers ordinaires , irrecevables à se li
vrer à des exécutions sur cet immeuble redevenu libre.
Ils sont, quant à ce, sans droit et sans action.
Mais l’incontestable validité des titres dont ils sont
porteurs et leur nature leur assurent la faculté d’éluder
l’application de cette règle. Après la dissolution du ma
riage, comme pendant sa durée, ils ont le droit d’exer
cer contre la femme la contrainte par corps. Cet exer
cice pouvant déterminer l’aliénation du fonds dotal pen
dant qu’il est encore inaliénable, pourrait, à plus forte
raison, la légitimer lorsqu’il a perdu ce caractère. Il
n’est donc pas douteux que la femme, voulant racheter
sa liberté, aurait, si elle était devenue veuve, la capa
cité d'aliéner ses biens, sans être même obligée de re
courir à la justice..
Mais c’est là une faculté dépendant de la volonté ex
clusive de la femme, et dont les créanciers ne pour
raient contraindre l’exercice. Ainsi, si la veuve pour
suivie à raison de son commerce, exécutée par la voie
de la contrainte par corps, faisait déclarer sa faillite, la
position des créanciers, à l’endroit des biens dotaux, ne
cesserait pas d’être telle que nous l’indiquions tout à
l’heure.
�310
D ES
C O M M ERÇ A N TS
Si la dissolution du mariage était amenée par le dé
cès de la femme, la position des créanciers serait pire,
après cette dissolution, que pendant le mariage. L’im
possibilité d'exécuter la contrainte leur enlèverait tout
espoir de déterminer leur paiement par l’aliénation des
biens volontaire ou judiciaire.
195.
— Mais la femme ou ses héritiers ne sont pas
tenus d’user du droit que leur confère la loi. Ils peuvent
sans doute conserver les biens et ne pas payer les det
tes, mais ils sont libres de suivre une marche contraire.
La veuve peut ratifier la dette, la garantir ou l’hypothéquer sur tous ses biens. Ses héritiers ont le même
droit. La reconnaissance réalisée, cette dette serait pur
gée du vice qu’elle puisait dans son origine. L’auteur de
cette reconnaissance perdrait donc tout pouvoir de se
soustraire au paiement.
L’admissibilité de la ratification expresse entraîne
celle de la ratification tacite. L’exécution que la femme
ou ses héritiers auraient donnée, telle que le renouvel
lement du titre depuis la dissolution du mariage, ren
drait ce titre irréprochable dans l’avenir, et les con
traindrait à en opérer le paiement. A plus forte raison
ne pourraient-ils revenir contre le paiement qu’ils en
auraient réalisé.1
i Ne pas o u b lie r que la c o n tra in te p a r c o rp s a été a bo lie .
�TITRE ïï
De» L ivres d e C om m erce
A
rt.
8.
Tout commerçant est tenu d’avoir un livre
journal qui présente, jour par jour, ses dettes
actives et passives, les opérations de son com
merce, ses négociations, acceptations ou en
dossements d’effets , et généralement tout ce
qu’il reçoit et paie, à quelque titre que ce soit ;
et qui énonce, mois par mois, les sommes em
ployées à la dépense de sa maison, le tout in
dépendamment des autres livres usités dans le
commerce, mais qui ne sont pas indispensables.
Il est tenu de mettre en liasse les lettres mis
sives qu’il reçoit, et de copier sur un registre
celles qu’il envoie.
A rt. 9.
Il est tenu de faire tous les ans, sous seingprivé, un inventaire de ses effets mobiliers et
immobiliers, et de ses dettes actives et passives,
et de le copier, année par année, sur un registre
spécial à ce destiné.
�312
D ES
L IV R E S
DE
C O M M ERC E
SOM M AIRE
196. Motif pour lequel le Code a gardé le silence sur l ’obliga
tion de prendre patente,
197. Caractère et but de celle de tenir des livres.
198. L’usage d’avoir des livres a dû nécessairement précéder
l’obligation que la loi en a fait.
199. Pratique chez les Romains.
200. — En France, avant l ’ordonnance de 1673.
201. Motifs qui devaient rendre cet usage obligatoire.
202. Disposition de l'ordonnance de 1673.
203. Modifications introduites par le Code de commerce.
204. Nature des exceptions que comporte l ’obligation de tenir
des livres.
205. Caractères que doit offrir le livre journal. Matière des énon
ciations qu’il doit contenir.
206. Comment on doit interpréter le devoir d’inscrire jour par
jour les sommes payées ou reçues, à l ’endroit des dé
taillants.
207. A quoi se réfère l’obligation d’inscrire chaque mois la dé
pense de la maison.
208. Utilité des prescriptions de la loi relativement à la corres
pondance.
209. Importance de l ’inventaire, obligation d’avoir un livre spé
cial.
210. Ce que l ’inventaire annuel doit comprendre. Devoir du
commerçant.
211. Rigueur de la sanction attachée par l ’ordonnance à l’obli
gation de tenir les livres.
212. Celle consacrée par le Code étant plus humaine, était de
nature à devenir plus efficace.
213. L’obligation de tenir des livres est imposée même aux
commerçants dont la profession est soumise à des rè
glements particuliers.
�àrt .
214.
215.
216.
217.
218.
219.
8 Et 9.
313
Le Code ne prohibe pas la faculté d’avoir d’autres livres
que ceux qu’il prescrit.
Circonstances les rendant nécessaires.
Nomenclature et caractère des livres auxiliaires.
Ces livres peuvent être produits concurremment avec le
journal, mais ils ne peuvent le suppléer.
Exception en cas de perte par force majeure.
La loi n ’a tracé aucune forme pour la tenue dés livres qu’elle
exige. Il suffit qu’ils soient exacts et fidèles,
196. — Après avoir établi ce qu’était le commer
çant et de quelle manière on le devient, le législateur a
dû s’occuper des obligations que l’intérêt général,
comme l’intérêt privé, devait faire imposer à ceux qui
ont revêtu cette qualité. La prem ière, celle qui est
inhérente à la profession, est le paiement de la patente,
imposé par la législation de mai 1791.
Son caractère purement fiscal dispensait le Code de
commerce de s’en occuper. C’est là une affaire particu
lière entre le commerçant et le fisc, et l’on pouvait s’en
rapporter à ses agents pour tout ce qui la concerne. On
ne pouvait donc la confondre avec les règles à prescrire
pour l’exécution du commerce ou de l’industrie. D’ail
leurs la patente, nous l’avons déjà dit, ne constitue pas
le négociant. Des lois spéciales énumèrent les profes
sions qui y sont soumises. Leur exécution se trouve
naturellement recommandée au trésor, qui y est le prin
cipal intéressé.
197. —- La tenue de livres et écritures offrait bien
de son côté un caractère de spécialité pour l’intérêt
�314
D ES
L IV R E S
DE
C O M M ERC E
privé du commerçant qu’elle a pour but de protéger et
de défendre. Mais en veillant au succès de cet intérêt,
on développait les chances de prospérité des maisons
de commerce ; on raffermissait le crédit public. S’occu
per de cette tenue, c’était donc entrer viscéralement
dans le devoir, dans la mission que l’intérêt général
impose au législateur.
C’est ce que notre Code fait dans le titre que nous
abordons. Nous pouvons, avant d’entrer dans les déve
loppements qu’il com porte, en résumer l’économie
dans cette proposition. Les livres sont utiles au négo
ciant à chaque pas qu’il fait dans son commerce, il faut
donc que leur tenue régulière trouve un encourage
ment dans son intérêt personnel ; mais cette tenue n’im
porte pas moins au public, il est donc juste de la con
sacrer par une sanction de nature à en assurer la loyale
exécution.
Ce double caractère, la commission chargée de pré
parer le projet du Code, le faisait énergiquement res
sortir. « La conscience du commerçant, disait-elle, est
écrite dans ses livres ; c’est là qu’il consigne toutes ses
actions ; ils sont pour lui une sorte de garantie ; c’est
par ses livres qu’il se rend compte du résultat de ses
travaux ; lorsqu’il a recours à l’autorité du magistrat,
c’est à sa conscience qu’il s’adresse, c’est à ses livres
qu’il s’en remet. Si la loi admet ce titre en sa faveur,
il faut qu’elle en assure la légitimité ; les précautions
qu’elle prend pour lui donner toute l’authenticité qu’il
peut avoir sont à l’avantage du commerçant.
�<.
V
t
-
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f
y :
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A RT.
8
ET
9.
315
« Les transactions du commerce se succèdent et se
multiplient avec une si grande rapidité, qu’elles ne
laissent souvent aucune trace qui puisse les caractériser.
Lorsqu’il s’élève des contestations, il faut que la cons
cience du juge soit éclairée ; c’est alors que les livres
sont nécessaires, puisqu’ils sont les seuls confidents des
actions du commerçant.
« Lorsque des revers réduisent un commerçant à
implorer la clémence de ses créanciers, c’est par ses
livres qu’il justifie sa conduite ; c’est dans ses livres
qu’ils peuvent trouver les traces de ses malversations
ou les preuves de son innocence. »
198. — La tenue de livres est évidemment une de
ces institutions que le législateur peut réglementer,
mais qu’il ne crée pas. Son utilité, disons mieux, son
indispensable nécessité a dû la rendre usuelle avant
qu’aucune prescription l’imposât comme obligatoire en
certains cas, et dans des positions déterminées. Quel
est le père de famille, jaloux de sc conduire avec ordre
et prudence, qui n’ait cherché dans tous les temps à se
rendre raison de ses affaires au moyen de registres
constatant ses ressources, ses obligations et les résul
tats de son administration ? A plus forte raison est-il
permis de supposer qu’il en était de même des com
merçants pour lesquels la multiplicité d’affaires rend le
secours de l’écriture plus indispensable encore.
1 9 9 . — Il n’est pas de législation qui ne vienne
�316
DES LIVRES DE COMMERCE
confirmer cette induction, car toutes se sont plus ou
moins occupées de l’existence de livres ou registres do
mestiques , de la foi qui devait leur être accordée.
Chez les Romains notamment, leur tenue offrait un ca
ractère commercial. Le père de famille ouvrait à chacun
de ceux avec qui il était en relation un compte cou
rant. mentionnant d’un côté l’actif, acceptum, de l’au
tre le passif, expensum, d’où sans donte la qualification
de nomina, que ces registres avaient reçu.
A côté de celui-ci, qu’on appelait nomina transcriptia, existait le livre de caisse, nomina arcaria. Ce qui
les distinguait, c’est que l’inscription sur le premier
constituait l’obligation, tandis que l’inscription sur le
dernier n’était que la conséquence de l’obligation déjà
existante et résultant de la numération de l’argent.
C’est ce qui faisait dire à Gaïus : Qua de causa recte
dicemus arcara nomina nullam facere obligationem,
sed obligationis facto testimonium prœbere.1
L’avantage que présente le compte courant en a re
commandé la forme même aux simples particuliers dé
sireux de juger d’un seul coup d’œil leur véritable
situation. Nous pourrions citer des propriétaires qui
sont parvenus à introduire un ordre admirable dans
leur fortune, dans l’exploitation de leurs propriétés, en
en personnifiant en quelque sorte les diverses parties
ayant chacune sa comptabilité distincte. Dans leur re
gistre, la bergerie, les vignes, les vergers, les prairies,
l
In s t. com m .
3, § 131.
�les terres à blé viennent inscrire, au débit, les dépen
ses qu’elles occasionnent, au crédit, les produits qu’elles
rendent. Le solde de ces divers comptes établit d’une
manière certaine et naturelle le résultat général de l’o
pération.
200.
— Ce que des simples particuliers pratiquaient
devait également se retrouver, et sur une plus vaste
échelle, chez les commerçants. Aussi est-il bien certain
qu’ils n’ont pas attendu, pour avoir des livres, que la
loi leur en fît une obligation. Avant l’ordonnance, dit
Savary, les négociants, pour tenir bon ordre dans leurs
affaires, ont toujours tenu des livres sur lesquels ils ont
écrit toute leur dépense, non-seulement celle qui re
gardait leur commerce, mais encore celle de leur
maison.1
Ajoutons que ces négociants étaient récompensés de
la régularité avec laquelle ils procédaient. Leurs livres
leur valait de les faire considérer comme de bonne foi,
et faisaient pencher en leur faveur les balances de la
justice. C’est ce que prouve la doctrine et la jurispru
dence.
Si le marchand a accoutumé de faire papier jour
nal, il pourra être creu en plus grande somme que cinq
sols tournois, dedans les six mois de l'ordonnance,
pourveu qu'il soit marchand de bonne réputation, et
que son papier journal soit bien réglé par ordre d'an1 Parfait négociant, liv. 4, ch. îv, p. 294.
�318
DES LIVRES DE COMMERCE
nées, mois et jours, et nombre de feuillets. Ainsi le dé
cide Guidopape, décis. 441.1
Par sentence des juges et consuls, confirmée par ar
rêt du 2 décembre 1657, un marchand passementier,
n’ayant point tenu de livres, fut condamné à payer à un
marchand de soie, qui en rapportait un, la somme de
4000 livres de laquelle il s’était rendu redevable sur le
livre de sa partie, d’où il faut induire cette règle que
lorsqu’un marchand en gros ou en détail n’a point de
livre de raison, et que l’autre partie au contraire en
rapporte un, elle est réputée être dans la bonne foi et
son livre fait foi.3
201.
— L’obligation depuis imposée par le législa
teur n’était donc pas, comme le dit Savary, une chose
nouvelle. Sa prescription était exécutée avant même
qu’il l’eût sanctionnée. Il importait cependant qu’elle
fût prise pour faire cesser un abus que le silence gardé
par la loi rendait inévitable. Le commerçant pouvait
toujours dénier avoir tenu aucun livre, et cette déné
gation devait surtout se réaliser lorsque la partie ad
verse offrant de s’en remettre à leur énonciation, la
production eût amené la condamnation de leur rédac
teur ; ou lorsque tombé en déconfiture, il pouvait crain
dre que ses livres ne fissent découvrir ses malversations
et sa fraude.
1 Coquille, sur la Coutume du Nivernais, art. 1«r, ch. xxix.
2 Bornier, sur l’art. I er, tit. m de l ’ord. de 1673.
�ART. 8 ET-
9.
319
Un pareil état des choses était on danger pour les
commerçants, une atteinte grave au crédit public. Il
sacrifiait inévitablement les créanciers de bonne foi,
assurait le triomphe de la fraude, en rendait toute ré
pression impossible. L’intérêt public, comme l’intérêt
privé, exigeait donc une énergique et radicale modifi
cation. C'est à ce besoin que répondit l’immortel au
teur de l’ordonnance de 1673.
✓
202.
— Le titre 3 fut consacré à réglementer l’o
bligation imposée pour l’avenir, à indiquer les livres
qu’on entendait exiger, à déterminer les formes qu’ils
devaient offrir. Il résulte de ses dispositions : Que les
négociants et marchands, tant en gros qu’en détail, au
ront un livre qui contiendra tout leur négoce, leurs let
tres de change, leurs dettes actives et passives, et les
deniers employés à la dépense de leur maison j1
Que ce livre sera signé sur le premier et dernier
feuillet par l’un des consuls, dans les villes où il y a
juridiction consulaire, et, dans les autres, par le maire
ou l’un des échevins, sans frais ni droits, et les feuillets
paraphés et cotés par premier et dernier de la main de
ceux qui auront été commis par les consul, maire
ou échevin , dont il sera fait mention au premier
feuillet.2
Que ce livre serait écrit d’une même suite par o r-
�320
DES LIVRAS DR COMMERCE
dre de dates, sans aucun blanc, arrêté en chaque
chapitre et à la fin, et ne sera rien écrit aux marges;1
Un arrêt du conseil, du 3 avril 1674, avait ordonné
d’écrire le livre journal sur papier timbré, mais, au té
moignage de Jousse, cette disposition, dont la violation
devait entraîner la nullité du journal et une amende de
mille livres, n’avait pas tardé à tomber en désuétude.
Aux termes des articles 7 et 8 , les commerçants
étaient en outre tenus de mettre en liasse les lettres
missives qu’ils recevaient, et en registre la copie de
celles qu’ils écrivaient ; de renouveler chaque deux ans
l’inventaire de leurs effets mobiliers et immobiliers, de
leurs dettes actives et passives, qu’il leur était prescrit
de rédiger dans les six mois de l’ordonnance.
Tel est l’ensemble des précautions que prit le légis
lateur de 1673 pour maintenir les commerçants dans
la voie de la délicatesse et de la loyaaté qu’exige leur
importante et honorable profession. Sans doute l’inté
rêt général y avait la plus grande part, mais elles n’é
taient pas sans utilité réelle pour l’intérêt privé, car
leur accomplissement était de nature à inspirer des ha
bitudes, d’ordre, d’économie et de prudence. Le com
merçant, dit Savary, dont les livres contiennent toutes
les affaires en aura une plus grande connaissance, et
par conséquent négociera plus prudemment en l’achat
et en la vente de ses marchandises ; il connaîtra ce qu’il
doit, ce qui lui est dû, la dépense qu’il fera chaque an-
�ART.
8 ET 9.
321
née ; et s’il trouve en avoir fait de superflue une année,
il retranchera la suivante.1
2 0 3 . — Le Code de commerce s’est approprié les
errements de l’ordonnance de 1673. L’article 8 pres
crit la tenue du livre journal, l’obligation de mettre en
liasse les lettres missives que le commerçant reçoit, et
de copier sur un registre celles qu’il envoie. L’article 9
exige que, tous les ans, il rédige un inventaire de ses
effets mobiliers et immobiliers, de ses dettes actives
et passives, et le copie année par année sur un re
gistre spécial à ce destiné. Le Code n’a donc innové
sur l’ordonnance qu’en ce qu’il rend obligatoires trois
livres, là où celle-ci n’en exigeait qu’un.
2 0 4 . — L’obligation de tenir des livres est donc
encore strictement imposée à tout commerçant. Toute
fois, comme il n’y a pas de règle sans exception, celleci en souffre quelques-unes, malgré les termes généraux
du Code.
Néanmoins, ces exceptions ne pourraient naître de
considérations personnelles au commerçant, alors mê
me qu’il prouverait avoir été physiquement dans l’im
possibilité de vaquer à ce soin. Nous admettons donc,
avec la cour de Caen, que celui qui ne sait ni lire ni
écrire n’est pas dispensé de tenir des livres.3 La loi, en
1 Ibid., pag. 292.
s 21 février 1820.
21
�322
DES LIVRES DE COMMERCE
effet, n’exige pas que les livres soient écrits de la main
du commerçant. Celui qui est dans l’impossibilité de
les tenir lui-même doit confier ce soin à un employé ou
commis capable de s’en acquitter, alors surtout que
l’importance de ses affaires le comporte et l’exige.
Mais si l’industrie exercée est réduite à des propor
tions telles que l'emploi d’un teneur de livres dût en
absorber les bénéfices , si par sa nature elle exigeait
des déplacements continuels, il ne serait ni rationnel ni
juste de soumettre le commerçant à une obligation évi
demment onéreuse ou même presque impraticable.
Dans ce cas, une exception est légitime et naturelle.
C’est ce que la cour de cassation a consacré en refusant
d’appliquer les peines de la banqueroute pour absence
de livres, notamment à de simples marchands col
porteurs.
Ainsi l’exception ne saurait être accordée que lors
qu’elle se fonde sur des motifs tirés du peu d’importance
réelle du commerce. Mais quelle que soit la position
sociale du négociant, qu’il soit ou non capable de tenir
ses écritures, rien ne saurait le délier de l’obligation
qu’en fait la loi, si le commerce par lui exercé a une
importance réelle et incontestable.
205.
— Les divers objets que s’est proposé le lé
gislateur dans les articles 8 et 9 rendent raison de leurs
dispositions. Le commerçant pourra vouloir exciper de
ses livres pour justifier les demandes qu’il introduira en
justice, ou pour repousser celles qui seront dirigées
�contre lui. En cas de faillite, c’est encore à l’aide de
ses livres qu’il voudra justifier les malheurs et les per
tes dont il excipe et prouver sa bonne foi. Tout cela,
évidemment, exigeait d’abord qu’il eût des livres, en
suite que la manière régulière et loyale dont ils auront
été tenus puisse garantir la véracité et la loyauté de
leurs énonciations. Or, ce caractère ne saurait résulter
que de la franche exécution de la loi.
L’ensemble des écritures d’un commerçant doit donc
offrir toutes les notions à l’aide desquelles on pourra
juger son administration, rendre compte de toutes les
ressources dont il a pu disposer, et de l’emploi qu’il en
a fait. A ce titre, l’article 8 exige que le livre journal
présente, jour par jour, les dettes actives et passives,
les opérations de son commerce, ses négociations, ac
ceptations et endossements d'effets, et généralement
tout ce qu’il reçoit et paye, à quelque titre que ce soit.
La généralité de ces dernières expressions, succédant
a des spécialités qui, dans leur ensemble, constituent à
leur tour une véritable généralité, ne permet pas le doute
sur l’intention de la loi. Ce que doit renfermer le livre
journal, ce n’est pas seulement le détail des opérations
relatives au commerce, c’est le tableau complet de la
position du négociant et la relation de tout ce qui se
réfère à ses ressources pécuniaires, à sa fortune. Ainsi
on ne devrait pas distinguer dans les dettes actives et
passives, elles doivent être inscrites au journal, alors
même qu’elles résulteraient d’actes notariés et de causes
étrangères à son commerce.
�324
DES LIVRES DE COMMERCE
Il en serait de même des recettes. Il ne faut pas que
le commerçant puisse en dissimuler aucune pour s’af
franchir de l’obligation d’en justifier l’emploi. Aussi la
discussion au conseil d’Etat prouve que son obligation
à cet égard comprend la mention de la dot qu’il aurait
reçue de sa femme, et celle de ce qui lui serait obvenu
du chef de celle-ci, ou de son propre chef, par succes
sion, donation ou autrement.
Telle était au reste la doctrine que la jurisprudence
avait induit de l’ordonnance de 1673, malgré que ces
termes fussent moins généraux que ceux du Code, mal
gré qu’elle ne parlât que des lettres de change, ce qui
semblait exclure les simples billets. Savary cite notam
ment un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 22
juillet 1688, jugeant qu’un marchand est obligé de re
présenter ses livres pour justifier la vérité de sa créance,
quoiqu’il ait pour titre une reconnaissance passée de
vant notaire. On n’eût certes pas décidé ainsi si l’obli
gation d’inscrire ces sortes de créances sur le liyre jour
nal n’avait été admise.
La cour de cassation a jugé de plus que l’obligation
imposée par l’article 8 d ’inscrire tout ce que le com
merçant reçoit ou paie, à quelque titre que ce soit,
comprenait les recettes faites pour le compte de tiers
dont il serait mandataire. En conséquence, elle décide
que le silence des livres, relativement au prix de la
vente de marchandises appartenant à un tiers, doit être
regardé comme un défaut absolu de justification, auto
�risant les tribunaux à se décider d’après les documents
qui leur sont fournis par le mandant.1
206.
— L’obligation que fait l’article 8 d’inscrire
toutes les opérations du commerce, tout ce que le né
gociant reçoit et paie chaque jour doit être sainement
entendue et se régler sur la nature et le genre du com
merce. Ainsi le marchand en gros peut bien inscrire
une à une chaque opération qu’il réalise, le banquier
les négociations qu’il opère, mais astreindre le détail
lant à cette forme, ce serait le condamner à l’impossi
ble, et rendre la loi inexécutable.
Pour celui-ci donc il y aura accomplissement de son
obligation légale, si, jour par jour, il porte sur son jour
nal le total de la recette qu’il a opérée dans la journée,
soit au comptant, soit à terme.3
Par une juste application de cette règle, la cour de
Lyon a jugé, le 23 août 1825, que la fabrication des
armes se composant d’objets très-minutieux, confec
tionnés par un très-grand nombre d’ouvriers, il est im
possible que les fabricants tiennent des livres d’entrée
et de sortie de ces objets, de telle sorte qu’on ne peut,
dans une contestation, se prévaloir contre eux de ce
qu’ils sont hors d’état de représenter ces sortes de li
vres. Le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet fut re
poussé parla cour de cassation, le 18 décembre 1827.
1 24 décembre 1835.
2 Pardessus, n° 86.
�326
DES LIVRES DE COMMERCE
Ces premières prescriptions de l'article 8 se réfèrent
autant à l’intérêt privé des commerçants qu'à celui de
leurs créanciers et de la vindicte publique. D’une part,
en effet, elles auront pour résultat d’éclairer la cons
cience du juge sur les litiges qui lui seront soumis ; de
l’autre, de fournir les moyens de contrôler la conduite
du débiteur, quant aux. fraudes dont la faillite pourrait
faire soupçonner l’existence.
207.
— C’est plus particulièrement à ce dernier
point de vue que se rapporte l’obligation d’inscrire
mois par mois, sur le journal, les sommes employées à
la dépense de la maison. Le commerçant, qui opère en
général avec les fonds d’autrui, ne doit pas se livrer à
des dépenses folles ou exagérées. Son premier devoir
est de faire régner dans ses dépenses personnelles, dans
celles de sa famille, cette intelligente économie qui
n’exclut pas le bien-être, tout en se gardant de toute
prodigalité.
L’utilité de la mention mensuelle de la dépense se
révèle surtout à l’endroit d’un abus que la discussion
législative de la loi sur les faillites nous apprend avoir
été exploité sur une vaste échelle. Un commerçant em
barrassé de justifier la perte, souvent imaginaire, qu’il
prétendait avoir éprouvée, portait dans son bilan une
somme fort considérable, qu’il attribuait en bloc à la
dépense de sa maison, ce qui, comme s’en plaignaient
divers tribunaux de commerce, donnait à celle-ci une
proportion annuelle de dix, de quinze et même de vingt
�ART.
8 ET 9.
327
mille francs. Cet abus, l’exécution franche de l’article 8
le fait disparaître, ou tout au moins l’atténue singuliè
rement. L’énonciation mensuelle faite au journal, à une
époque où la failite n’était ni prochaine ni prévue, sera
pure de toute exagération, à moins qu’il ne fût démon
tré ; ou que le commerçant a toujours agi en prévision
de son événement, et pour se ménager le moyen de
s’attribuer une partie de son actif; ou que le livre qu’il
représente a été fabriqué après coup et depuis sa dé
confiture.
D’ailleurs, l’article 586 complète par une énergique
sanction le devoir que l’article 8 a fait relativement à
la dépense du commerçant. Celui dont la dépense aura
été jugée excessive sera poursuivi comme banquerou
tier simple et pourra être déclaré tel. La poursuite est
donc forcée, et sans nul doute les tribunaux ne tolére
raient plus un abus qui a vivement préoccupé le légis
lateur, et avant lui le commerce lui-même.
208.
— Le second paragraphe de l’article 8 pres
crit au commerçant de mettre en liasse les lettres mis
sives qu’il reçoit, et de copier, sur un registre, celles
qu’il envoie. L’importàùce de la correspondance dans
les litiges commerciaux ne saurait être méconnue. C’est
elle bien souvent qui en procurera la solution, en fixant
le caractère réel de l’opération, et les conditions pro
posées et acceptées. Les lettres reçues deviennent le
contrôle le plus décisif des copies de lettres dont on
pourrait exciper; celles-ci, à leur tour, offrent le moyen
�328
DES LIVRES DE COMMERCE
le plus naturel de suppléer au refus que ferait l’une des
parties de produire des lettres que l’autre prétendrait
lui avoir envoyées ; elles servent de plus à rappeler
sans cesse à leur auteur les circonstances de l’opération
dont il ne pourrait guère se souvenir, si un laps de
temps quelconque s’était écoulé depuis.
D’ailleurs, si les livres ordinaires constatent l’opéra
tion, ils sont muets sur le mode d’exécution qui a été
suivi. Cependant ce mode deviendra presque exclusi
vement l’objet du litige. C’est donc à la correspondance
qu’on sera réduit à demander la nature de l’ordre, les
modifications qu’il a subies, l’approbation, plus ou
moins explicite, donnée à son exécution. C’est donc
avec infiniment de raison que la loi exige la conserva
tion des lettres reçues et la copie de celles écrites. C’est
là un moyen de justifier les indications contenues au
journal. C’est là un secours indispensable, surtout en
tre le commissionnaire et son commettant.
L’obligation de garder copie des lettres qu’on écrit
s’applique même à celles que les commerçants d’une
même place s’envoient réciproquement. C’est ce que
la cour de Bordeaux a consacré en jugeant, le 18 mai
1829, qu’à défaut de transcription sur le livre copie de
lettres, les lettres émanées de négociants domiciliés sur
la même place ne peuvent être opposées à des tiers, ni
faire aucune foi à leur égard, quelque général que soit
l’usage des négociants de ne point copier ces lettres.
M. Pardessus rappelle, et loue avec juste raison, l’u
sage pratiqué par plusieurs maisons de commerce de
�ART.
8 ET 9.
329
conserver non-seulement les factures, qui font en quel
que sorte partie de la correspondance, mais encore
tous les billets, lettres de change et mandats qu’elles
acquittent. Cette précaution, dit M. Pardessus, est dans
l’esprit de la loi. Il ne suffît pas toujours, en effet, d’a
voir des livres régulièrement tenus, il faut encore que
les pièces originales en justifient l’exactitude. C’est d’a
près les récépissés, les comptes d’achat et de vente, les
factures, les lettres de change et billets acquittés, etc...,
autant que d’après leur correspondance, que les com
merçants passent écritures.1
209.
— Un des premiers et des plus indispensables
éléments de tout commerce est, pour le négociant, la
connaissance exacte de sa situation. L’ordre dans son
administration est à ce prix, puisque ce n'est qu’à l’aide
de cette connaissance qu’il saura ce qu’il peut se per
mettre, ce qu’il doit éviter.
C’est dans ce but que l’ordonnance de 1673 lui en
imposait le moyen, en prescrivant l’obligation d’un in
ventaire devant être récolé et renouvelé tous les deux
ans. La législation n’était en cela que l’écho d’une doc
trine s’étayant d’une pratique constante chez les com
merçants les plus honorables.
J ’ai vu, dit Savary, des marchands qui faisaient tou
tes les années pour quatre à cinq cent mille livres d’af
faires, qui n’ont jamais manqué de faire leurs inventai-
�330
DES LIVRES DE COMMERCE
res tous les ans. Aussi ont-ils heureusement conduit
leur commerce à bon port et laissé du bien considéra
blement à leurs enfants.
Favorable au développement du commerce, l’inven
taire n’est pas moins utile lorsqu’il faut, au moment de
la faillite, s’éclairer sur la consistance de l’actif déclaré
et sur la bonne ou mauvaise foi du débiteur. C’est par
^e rapprochement des déclarations avec les indications
de l’inventaire qu’on est à même de découvrir sile failli
a ou non détourné une partie de ses ressources.
Aussi le Code, s’associant à la pensée intelligente de
son devancier, l’a non-seulement consacrée, mais en
core notablement améliorée, d’abord en prescrivant un
inventaire annuel, ensuite en en rendant la transcrip
tion sur un registre spécial obligatoire. En effet, per
mettre son existence sur des feuilles détachées que le
commerçant pouvait égarer ou soustraire, c’était livrer
l’exécution de la loi à la libre volonté de celui-ci et se
priver du secours qu’on se promettait en cas de faillite.
Dans l’esprit de la loi, comme dans son texte, cet in
ventaire est dispensé de toutes les formes prescrites à
ces actes, il n’exige pas même le concours d’un homme
de l’art, ou d’un officier ministériel. Le commerçant le
rédige seul et sous seing privé. C’est en effet bien
moins la valeur que la consistance matérielle des ob
jets que la loi recherche, puisque cette valeur est natu
rellement indiquée d’une part par le prix de facture,
de l’autre par le cours actuel de la marchandise.
�ART. 8 Et 9.
331
210.
— Aussi n’est-ce pas à ce qui est relatif à
celle-ci que doit se borner le commerçant. Son inven
taire doit être un résumé exact et complet de son état
de situation. Il doit donc nécessairement comprendre
l’universalité de l’actif et du passif, de ses facultés mo
bilières et immobilières, des revenus et des charges, en
un mot tout ce qui est relatif à sa fortune, sans distinc
tion de ce qui concerne spécialement ou non son com
merce.
L’inventaire ainsi fait a pour premier résultat d’éclai
rer le commerçant sur sa situation, il voit le bénéfice
qu’il a réalisé, les pertes qu’il éprouve, les ressources
qui lui restent. Il est donc à même de juger s’il peut
ou doit continuer le commerce. Si les ressources sont
devenues insuffisantes, si les pertes absorbent ou dé
passent son capital, il doit liquider. La raison le lu ico aseille, la loi l’exige. Le commerce qu’il continuerait en
cet état, et qui le conduit fatalement à la faillite, n’est
plus qu'un abus, souvent même qu’une fraude dont on
pourra lui demander un compte sévère.
Il n’est pas douteux, de plus, que, chargé de l’actif
qu’il aurait lui-même indiqué dans son inventaire, le
commerçant ne dût, dans la même hypothèse, en justi
fier l’emploi, sous peine d’une présomption de soustrac
tion, et conséquemment d’une poursuite en banque
route frauduleuse.
Le livre des inventaires est donc un des éléments les
plus essentiels pour l’appréciation de la conduite du
commerçant, il est même le seul de nature à mettre sur
�332
DES LIVRES DE COMMERCE
la voie de la destination réelle de l’actif, puisque chaque
inventaire postérieur devra rendre raison des constata
tions contenues dans le précédent. Il était donc indis
pensable d’en rendre la tenue obligatoire pour prévenir
toute solution de continuité que la fraude voudrait ex
ploiter après l’avoir occasionnée.
211.
— Prescrire obligatoirement la tenue de tel
ou tel registre, c’était contracter l’obligation d’attacher
une sanction pénale à la violation de la loi. Ce devoir,
le législateur de 1673 l’avait trop énergiquement rem
pli. Aux termes de l’article 11 du titre il de l’ordon
nance, les négociants et marchands, tant en gros qu’en
détail, et les banquiers qui, lors de leur faillite, ne re
présentent pas leurs registres et journaux signés et pa
raphés, comme il est ordonné ci-dessus, pourront être
réputés banqueroutiers frauduleux. Or, la banqueroute
frauduleuse était punie de mort.
On comprend qu’en présence d’un pareil résultat, la
justice ne se montrât pas facile à user de la faculté qui
lui était conférée. Aussi, au dire de Jousse, un négo
ciant qui aurait été assez négligent pour ne pas tenir de
livres, ou du moins qui les aurait tenus sur des feuilles
volantes, ne serait pas réputé banqueroutier frauduleux,
dès qu’il représenterait ces feuilles volantes.
212.
— La sanction pénale du Code de commerce
est plus humaine, et par cela même de nature à offrir
une plus grande efficacité. La soustraction des livres
constitue seule, aujourd’hui, la banqueroute fraudu-
�ART.
8 ET 9.
333
leuse. Mais, aux termes de l’article 586, peuvent être
déclarés banqueroutiers simples ceux qui n’ont pas tenu
de livres et fait exactement leur inventaire ; ou dont
les livres et inventaires sont incomplets ou irrégulière
ment tenus ; ou n’offrent pas leur véritable situation ac
tive ou passive, sans néanmoins qu’il y ait fraude.
Ainsi la violation matérielle des obligations imposées
parles articles 8, 9, 10 et 11, alors même qu’elle ex
clut toute idée de fraude, peut constituer la banque
route simple. Il est dans l’esprit de la loi que la justice
use de la latitude qui lui est laissée, car, d’une part, il
ne faut pas que les prescriptions, à l’endroit des livres,
puissent être impunément violées, et, de l’autre, l’ar.
ticle 463 du Code pénal perm et, dans tous les cas,
de graduer la peine à l’importance de l'infraction. L’im
punité absolue conduirait à ce fâcheux résultat que les
garanties que la loi a voulu assurer à l’intérêt public
s’effaceraient complètement, et que la tenue des livres
deviendrait bientôt ce qu’elle était avant 1673, c’est-àdire purement facultative.
213.
— En résumé, tout commerçant est tenu d’a, voir un livre journal, un registre copie de lettres, un
registre d’inventaire. La destination de chacun d’eux
est nettement indiquée. Le commerçant n’a donc rem
pli son obligation que lorsqu’il a exactement accompli
les prescriptions de la loi sous ce double rapport.
Ces prescriptions sont absolues et s’appliquent à tous
les commerçants indistinctement. Mais elles ne dispen-
�334
DES LIVRES DE COMMERCE
sent pas ceux qui exercent certaines professions de
l’exécution des lois et règlements qui les obligent à avoir
des registres particuliers. Tels sont notamment, d’après
l’article 102 du Code de commerce, les commissionnai
res de transports; d’après l’article 1785 du Code civil,
les entrepreneurs de voitures publiques; d’après l’arti
cle 411 du Code pénal, ceux qui tiennent une maison
de prêts. Réciproquement, la tenue de ces registres spé
ciaux met ces individus en règle pour ce qui concerne
les obligations que les lois ou règlements leur imposent,
mais ne les exempte pas de celles que le Code de com
merce prononce en cas d’infraction aux articles 8 et
suivants.
214.
— Il est de plus évident que le Code de com
merce, en restreignant l’obligation des commerçants au
livre journal, au copie de lettres et au registre d’inven
taire, n’a pas entendu leur prohiber tout autre écriture.
Cela résulte expressément de ces expressions de l’article
8 : Le tout indépendamment des autres livres usités
dans le commerce.
Seulement ces livres ne sont pas indispensables.
Emanations du livre journal, ils n’ont pour objet que de
faciliter la gestion, en présentant le résultat des divers
détails dont celui-ci renferme l’ensemble.
215.
— En effet, pour arriver à connaître sa posi
tion exacte, le commerçant, au lieu de se mettre cha
que fois en opposition, comme créditeur ou débiteur,
�ART.
8 ET 9.
335
avec ceux à qui il paie, ou de qui il reçoit, se fait repré
senter par les divers objets dont sa fortune et son com
merce se composent. Il appelle capital, tout ce qu’il
possède en objets autres qu’argent et titres ; caisse, l’ar
gent effectif qui fait partie de ce capital ; effets à rece
voir, les lettres de change et les valeurs qu’il a dans
son portefeuille ou qu’on lui remet ; effets à payer, les
engagements qu’il a souscrits et qu’il doit acquitter à
leur échéance ; marchandises générales, celles qu’il
possède, qu’il achète ou qu’il vend, et quelquefois il les
subdivise en désignant chacune par son nom ; mobilier,
ses meubles et objets de nature mobilière qui ne peu
vent être considérés comme marchandises; ustensiles
de commerce, les comptoirs et autres objets d’usage ;
biens fonds, ses maisons, terres et autres immeubles ;
frais généraux, les loyers, impositions, e tc ., et tou
tes les dépenses relatives à son commerce ; dépenses de
ménage, ce que lui coûte l’entretien de sa famille ;
profits et pertes, les bénéfices qu’il peut faire, et les
pertes qu’il peut éprouver. Dans cet état de choses, la
balance qu’il établit de chacune des situations où il est
ainsi représenté lui fait connaître tous les détails de sa
position active et passive, et par suite l’ensemble de ses
affaires.
216.
— Pour quelques-uns de ces articles, le com
merçant se borne à ouvrir sur un grand livre un compte
spécial dont le crédit et le débit se balancent. Pour
d’autres, au contraire, il tient des livres particuliers,
�336
DE3 LIVRES DE COMMERCE
ce sont ceux qu’on qualifie d’auxiliaires. Ces livres
sont :
1° Le livre de caisse. La caisse reçoit et paye chaque
jour, elle est débitée de la recette et créditée de la dé
pense. Ce livre n’est dans ses diverses indications que
la répétition du journal, mais son utilité se révèle par
son objet. Il offre d’un seul coup d’œil l’état de la
caisse qu’on ne pourrait connaître, sans lui, qu’après
de nombreuses investigations sur le livre journal.
Cet avantage incontestable avait paru devoir en ren
dre la tenue obligatoire, M. Treillard en fit même la
proposition expresse au conseil d’Etat.
On répondit qu’en général il n’y avait que les gran
des maisons qui aient besoin d’un livre de caisse ; que
les petites n’en tiennent pas.
Que l’obligation de le faire serait, à l’égard des unes
et des autres, dangereuse et inutile.
Dangereuse, parce que la loi réputant banqueroutier
simple tout négociant qui n’a pas tenu les livres que la
loi l’oblige de tenir, ou dont les livres ne sont pas en
règle, le moindre oubli sur le livre de caisse pourrait
lui faire appliquer injustement cette qualification.
Inutile, parce que le livre de caisse n’est qu’un ex
trait du livre bouillard, et que ce dernier contient tous
les paiements et toutes les rentrées faites chaque jour
par le négociant.
M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély poursuivait :
« Le marchand a également d’autres registres renfer
mant le relevé partiel de son livre journal, mais la sec-
�ART.
8 ET 9.
337
tion a pensé qu’il ne fallait faire porter l’obligation que
sur le livre journal, c’est-à-dire sur le livre général,
qui présente l’universalité des opérations, et qui est in
dispensable dans toutes les maisons de commerce. »
Sur ces observations et sur celles présentées dans le
même sens par MM. Cretet et Bégouen, M. Treillard re
tira sa proposition.1
On voit dans la citation qui précède, M. Regnaud de
Saint-Jean-d’Angély qualifier indifféremment le livre
prescrit par l’article 8 de livre brouillard et de livre
journal. C’est une confusion dans laquelle on tombe as
sez souvent et dont on doit se garder. Le brouillard est
en quelque sorte le projet du journal, mais n’est pas
le journal lui-même. C’est un cahier de papier sur le
quel le commerçant jette une à une ses opérations,
pour les transporter ensuite, à tête reposée, sur le
journal. Cela surtout se réalise dans les maisons qui
n’ont leur teneur de livres qu’à de certaines heures. Il
résulte que le brouillard, qui ne saurait jamais rem
placer le journal, peut devenir pour celui-ci un utile
moyen de contrôle.
2° Le grand livre. Ce livre, ordinairement tenu par
ordre alphabétique, ne contient qu’une série de comp
tes courants, ouverts à chacun de ceux avec lesquels
le commerçant est en relation. C’est dans ses colonnes
que prennent place les divers articles dont nous nous
occupions tout à l’heure, et par lesquels le commerçant
1 Séance du U janvier 4807.
22
�338
DES LIVRES DE COMMERCE
représente sa situation. Ce livre, par l’ordre même dans
lequel il est tenu, n’offre aucune garantie sérieuse, il
ne serait rien sans le livre journal, dont il facilite l’u
sage.
3° Le livre des traites et billets. Il sert à l’inscription
de tous les effets négociables entrant ou sortant. Au
moyen de ces indications, il est facile de remonter à
travers les diverses transmissions jusqu’à l’origine du
billet ou de la lettre de change, et de les rétablir en cas
de perte, non-seulement à leur date, mais encore avec
les noms des souscripteurs, accepteurs ou endosseurs.
4° Le livre d’achats et ventes. Ce livre sert à la trans
cription des factures que le commerçant retire lors de
ses achats ou qu’il délivre lui-même lorsqu’il vend. Son
objet spécial est de procurer le moyen de connaître
sans cesse l’importance des unes ou des autres, sans
être obligé de se livrer au dépouillement des liasses de
factures ou à une pénible recherche dans le journal.
5° Le livre d’échéance. C’est celui sur lequel le com
merçant inscrit les sommes à payer et l’époque précise
de chaque paiement. 11 est indispensable pour empêcher
que le retard causé par une erreur, un oubli ou une
négligence n’amène un protêt funeste pour le crédit du
commerçant.
6° Le livre d’entrée et de sortie du magasin. Ce livre
est surtout utile pour les fabricants travaillant soit sur
la matière qu’ils achètent, soit sur celle qui leur est
fournie. La balance de la marchandise entrée et de celle
sortie indique celle restant en magasin, et avertit au
�ART. 8 ET
9.
339
besoin le commerçant de se livrer à de nouveaux achats
ou à suspendre ceux entrepris.
Ce livre est remplacé, dans de certaines industries,
par le livre des numéros, atteignant au même résultat.
Ce dernier consiste à diviser chaque nature ou chaque
espèce de marchandises en fractions recevant un nu
méro spécial, auquel on ouvre un compte distinct. On
débite chaque numéro de la quantité qu’il comporte au
moment de l’achat, on le crédite au fur et à mesure des
ventes des quantités sur lesquelles les ventes portent.
En balançant les unes et les autres, le commerçant con
naît d’une manière certaine ce qui lui reste de chaque
numéro.
7° Le livre des frais généraux. Ce livre se distingue
des autres en ce que, au lieu d’être la copie du journal,
il en est la souche. Les frais généraux peuvent se com
poser d’articles tellement minimes qu’il serait impossi
ble de les porter un à un sur le journal sans multiplier
les écritures au-delà de toutes proportions. En consé
quence, ils sont écrits jour par jour sur un registre, ar
rêtés chaque semaine au plus tard suivant le cas, et le
total inscrit sur le journal.
8° Le livre ou compte de profits et pertes. Les com
merçants ne procèdent pas tous, à cet égard, d’une ma
nière uniforme. Les uns ont un livre spécial, d’autres
se contentent d ’ouvrir un compte sur le grand livre.
Livre ou compte, sa destination exclusive est de ren
fermer d’un côté le bénéfice, de l’autre les pertes, et
�340
DES LIVRES DE COMMERCE
de concourir ainsi à éclairer le négociant sur sa situa
tion, et à le fixer sur les résultats de son commerce.
Comme on le voit, ces livres ne sont que des rameaux
divers partant d’une souche commune, le livre journal.
Ils ne font que séparer des opérations que celui-ci con
fond nécessairement, puisqu’il doit sans distinction les
inscrire par ordre de date et à mesure qu’elles se réali
sent. Ils sont donc utiles par l’ordre qu’ils mettent dans
les écritures et par les facilités qu’ils offrent au com
merçant, mais ils ne sont pas indispensables , le jour
nal les supplée tous, ils ne sauraient le remplacer. En
cas de contradiction dans leurs indications respectives,
c’est le journal qui serait préféré.
2 1 7 . — La loi, en tolérant les livres auxiliaires, a
par cela même autorisé le commerçant à les invoquer,
mais ce recours n’est légal qu’en tant qu’il a pour objet
de renforcer les indications du journal. Evidemment la
production de celui-ci rendrait non-recevable la pré
tention tendant à contraindre la représentation de ceuxlà, mais, à défaut de cette production, le commerçant
ne saurait être admis à la remplacer par celle de ses li
vres auxiliaires, quelques réguliers qu^ils fussent d’ail
leurs.
2 1 8 . — Il est une seule hypothèse où l’on pour
rait admettre le contraire, à savoir, s’il était établi que
le journal a péri par une circonstance majeure indépen
dante de la volonté du commerçant. L’équité comman
derait alors d’admettre à l’appui de sa demande tous
�a rt .
8
et
9.
341
les documents qui auraient survécu au naufrage, et
conséquemment les livres auxiliaires.
219.
— La tenue des écritures commerciales est
un art qu’il n’est pas donné à tout le monde de con
naître et d’exercer. La tenue en parties doubles sur
tout qui, comme l'observe M. Pardessus, est la plus
sûre et la plus exacte, exige des connaissances spécia
les qu’on ne trouve pas même chez des négociants trèshonorables. Mais la loi ne l’exige pas. Pourvu qu’il existe
un livre journal remplissant les conditions ci-dessus ex
posées; pourvu que le livre des inventaires soit fidèle
ment tenu, et que le copie de lettres soit le miroir loyal
de la correspondance, ses exigences, sous ce premier
rapport, sont pleinement exécutées, et le commerçant
est irréprochable s’il a, d ’ailleurs, obéi aux prescriptions
des articles suivants.
On sait que la tenue des livres en parties simples
consiste en ce que les débiteurs et les créanciers sont
énoncés seuls et isolément, sans que les écritures pré
sentent l’opération dans son ensemble. Ainsi on se con
tente d’écrire doit un tel.... avoir un tel.... sans dési
gner quels sont les rapports de la négociation ainsi énon
cée avec les objets qui composent la fortune du
commerçant.
« La tenue des écritures en parties doubles, dit
« M. Pardessus, est plus exacte, parce que, présentant
« tout l’actif et tout le passif dans leurs divisions res« pectives, il ne peut être porté un article à un compte
�342
DES LIVRES DE COMMERCE
« qu’il ne faille en passer un correspondant quelque
« part. Elle offre un tableau complet de chaque opéra« tion, et fait ressortir des rapports et de la comparai« son des divers comptes, qui marchent tous d’un pas
« égal, un solde précédé des preuves de son exactitude.
« En effet, chaque opération commerciale est nécessai« rement composée, et met deux intérêts en quelque
« sorte en présence. La tenue des livres en parties
a doubles, présentant toujours cette opposition d’inté« rêts, est seule complète, elle a seule la faculté d’avoir
« prouvé son exactitude au raisonnement, avant de
« l’avoir démontrée aux yeux, par le calcul ou la vé« rification ultérieure. La base fondamentale de ce
« mode d’écritures et la seule condition qui soit reo quise sont de décrire tout ce qui se fait, et rien que
« ce qui se fait ; de ne passer aucune écriture sans éta« blir le compte des deux agents de l’opération. Par ce
a moyen, celui dont les spéculations portent sur une
« grande quantité de choses ou de négociations diver« ses, est à même de connaître non-seulement sa si« tuation générale, mais encore la situation de chaque
« opération particulière.
« Ainsi, lorsqu’un commerçant reçoit de l’argent, la
« caisse est débitrice, soit envers quelqu’un qui a versé
« la somme, soit envers une chose vendue dont le prix
« est entré dans la caisse ; lorsqu’il en sort, la caisse
« est créancière ou des choses achetées, ou des obliga« tions acquittées.
« S’il entre des marchandises chez un commerçant,
�ART.
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
8
ET
9.
343
elles doivent à la caisse le prix de leur achat î et s’il
en sort, elles sont créancières pour leur p rix , soit
de la caisse si elles ont été payées, soit des effets à
recouvrer si l’acheteur a réglé de cette manière, soit
enfin de cet acheteur s’il a obtenu crédit sans souscrireou fournir des effets. Mais si la vente a excédé
le coût, il reste sur le compte de la marchandise vendue un excédant de valeur qui est le bénéfice, et qui
se solde en le transportant au compte général des
profits. Dans le cas contraire, où, soit la détérioration, soit la dépréciation des marchandises, soit tout
autre cause, aurait occasionné un déficit, il est transporté du côté des pertes.
« S’il entre chez un commerçant des effets qu’il garde
« à sa disposition, leur compte doit ce qu’ils ont coûté
« ou ce qu’ils représentent, soit à la caisse, soit aux
« choses fournies en contre-valeur ; et s’il en sort, ce
« compte est créancier soit de la caisse, s’ils ont été
« vendus au comptant, soit des objets achetés et payés
« avec ces effets, soit des personnes à qui ils ont été
« cédés en compte ou à crédit. En un mot, c’est une
« règle constante de comptabilité commerciale, qu’une
« chose entrée sous une dénomination, doit sortir sous
« la même dénomination, quel que soit l’usage auquel
« on l’applique.
« Tel est ce système des parties doubles dans lequel
« un compte sert de contrôle à l’autre, parce que rien
« n’a pu entrer dans la caisse sans éteindre une créance
« active, sans être le prix d’une valeur aliénée ou sans
�34*
DES LIVRES DE COMMERCE
o
«r
«
«
«
«
«
«
«
«
correspondre à un profit ; réciproquement, il faut
que tout article passé au débit ait son correspondant
dans le crédit d’un compte quelconque, ce qui facilite
la vérification et prévient les erreurs. Par ce moyen,
chaque jour, le commerçant est en état de se rendre
un compte détaillé de sa situation avec chaque correspondant et surtout avec lui-même; chaque jour
il peut voir quelle branche de son commerce donne
du profit ou de la perte, et non-seulement s’il gagne, mais où passent les profits.1 »
Il semble qu’un mode de tenue de livres qui offre de
pareils avantages aurait dû être obligatoirement pres
crit à tous les commerçants. Notre loi commerciale n’a
rien ordonné à ce sujet et avec juste raison, que les
maisons de premier ordre, qui font un commerce con
sidérable y aient intérêt, c’est ce que démontre la pra
tique, car il n’en est pas une peut-être qui ne tienne ses
écritures en parties doubles et cela sans y être con
trainte.
Mais combien de commerçants, pour lesquels les
avantages de ce mode ne compenseraient pas les char
ges qu’il imposerait, par l'obligation d’avoir un teneur
de livres spécial. La tenue des livres en parties simples,
dit M. Dalloz, peut suffire à ceux dont les affaires sont
peu compliquées ; et c’est parce que le législateur l’a
ainsi pensé qu’il a, par son silence, autorisé chacun à
i N® 8 8 .
n* 235.
V. Molinier,
i,
pag.
220.
Dalloz,
R é p . g è n „ v ° com m e rç a nt,
�ART.
10 ET 11.
345
agir suivant ses convenances. Nous le répétons, peu im
porte la manière dont ses prescriptions relativement aux
livres seront remplies. Il suffît qu’elles le soient de ma
nière à réaliser l’objet que ces prescriptions se sont pro
posées.
A rt.
10.
Le livre journal et le livre des inventaires
seront paraphés et visés une fois par année.
Le livre de copie de lettres ne sera pas sou
mis à cette formalité.
Tous seront tenus par ordre de dates, sans
blancs, lacunes, ni transports en marge.
A rt.
11.
Les livres dont la tenue est ordonnée par les
articles 8 et 9 ci-dessus, seront cotés, paraphés
et visés, soit par un des juges des tribunaux de
commerce, soit par le maire ou un adjoint, dans
la forme ordinaire et sans frais. Les commer
çants seront tenus de conserver ces livres pen
dant dix ans.
SOMMAIRE
520. Nécessité et objet des formalités prescrites pour l’authenti
cité des livres. Inexécution dont l ’ordonnance de 1673
avait été suivie à cet endroit.
�346
221.
222.
223.
224.
225.
226.
227.
228.
229.
230.
231.
232.
233.
234.
235.
236.
237.
238.
239.
DES LIVRES DE COMMERCE
Importance de cette circonstance pour faire juger de l'in
tention du nouveau législateur.
Preuve de la volonté de contraindre l ’exécution littérale de
ses dispositions.
Résistance du commerce, son irrationalité, surtout depuis
la loi du 20 juillet 1837.
Objet et caractère de celle-ci.
Les livres obligatoirement prescrits doivent être visés, co
tés et paraphés. Débat que fit surgir l’intervention du
maire ou adjoint. Son caractère.
Objet de ces premières formalités.
Pour quel motif le législateur a soumis au visa annuel le
journal et le livre des inventaires.
Débats au conseil d’Etat pour savoir si on devait rendre
cette formalité commune aux copies de lettres.
Exigences de la loi en ce qui concerne la tenue régulière
des livres. 1° Ordre de dates.
2* Absence de tous blancs et de toute lacune.
3’ Défense de tout transport en marge.
Importance de ces formalités. Devoir que leur exécution im
pose au commercé et aux tribunaux.
Obligation pour les commerçants de conserver leurs livres
pendant dix ans.
Conséquences du silence que l ’ordonnance de 1673 avait
gardé à cet’ égard.
Discussion au conseil d’Etat.
Point de départ de ce délai.
Q u id s’il est certain que les livres ont été conservés et sont
en la possession du commerçant ?
Caractère de l ’exception créée par l ’article 11. Conséquen
ces quant aux causes qui interrompent et suspendent la
la prescription.
Faculté que le commerçant a de la répudier. Impossibilité
�pour tout autre de l’invoquer ou de contraindre celui-ci
à le faire.
220.
— Ce n’était pas tout d’ordonner que les
commerçants auraient des livres ; il fallait, puisque ces
livres étaient dans le cas d’être produits en justice et de
faire foi de leur contenu, veiller à prévenir tout abus,
et pour cela ordonner des mesures propres à en cons
tater l’identité, à en assurer l’exactitude, à en garantir la
sincérité.
Déjà, et dans ce triple objet, l’ordonnance de 1673
avait rendues obligatoires les formalités que le Code de
commerce a à son sour consacrées. Mais il ne paraît
pas que le commerce ait été fort exact à les remplir, et
que la justice se fût montrée fort jalouse d’en assurer
l’exécution. « Aujourd’hui, dit Jousse, toutes ces for
malités ne sont plus guère observées dans l’usage. On
n’y tient pas même la main dans les juridictions consu
laires ; et ce défaut d’observation de la loi a même été
autorisé par des arrêts. Ainsi, un journal qui ne serait
ni signé, ni coté, ni paraphé, n’empêcherait pas un mar
chand de pouvoir demander ce qui lui est dû pour rai
son de son commerce, en vertu de ce journal, si, d’ail
leurs, il est tenu de suite et par ordre de dates, et sans
aucun blanc, et si celui qui forme cette demande est
d’une probité connue et incapable de supposer des arti
cles faux.
« Ce défaut de signature et de paraphe ne fait pas
non plus supposer la fraude dans le cas de faillite d’un
�348
DES LIVRES DE COMMERCE
marchand. On juge qu’il a négligé de se soumettre à la
formalité établie par la loi, et cette négligence est excu
sable quand la bonne foi paraît d’ailleurs.1 »
De son côté, Denizart enseigne que l’usage des con
suls de Paris était d’ajouter foi aux registres des négo
ciants non paraphés ni cotés , pourvu qu’ils fussent
reliés.3
2 2 1 . — Ainsi en 1761, époque à laquelle écrivait
Jousse, et depuis longtemps déjà, les formalités pres
crites par le législateur de 1673 étaient inobservées, et
les tribunaux mêmes s’étaient associés à l’abandon qu’en
avaient fait les commerçants. La constatation de cette
pratique était un fait important. Elle doit servir à dé
terminer le motif que les auteurs du Code ont eu de
les prescrire d’une manière formelle dans les articles
que nous examinons. 11 est évident que si le législa
teur eût entendu s’associer à ce qui se fait et approuver
l’usage commercial et judiciaire en présence duquel il
se trouvait, il se serait bien gardé d’exprimer une vo
lonté contraire. On ne fait pas une loi pour la laisser
impunément méconnaître et violer.
2 2 2 . — Notre législation a donc formellement con
damné la pratique née depuis l’ordonnance, elle a évi
demment voulu l’exécution entière et fidèle des pres-
i Sur l’art. 6, tit. m de l ’ordonnance.
S V. livres et registres n° 7,
�ART.
10
ET
11.
349
criptions qu’elle sanctionnait dans les articles 10 et 11,
et la preuve s’en tire d’abord de la consécration de ces
deux articles.
Cette preuve ressort bien plus explicite de l’esprit
de la loi. Ainsi, dans l’exposé des motifs du projet du
Code, la commission primitive ne séparait pas l’authencité de la forme de l’existence des livres, il nous a paru
important, disait-elle, d’en prescrire sévèrement la te
nue, d’en authentiquer la forme, pour éviter les tenta
tives de fraude et les moyens de falsification.
Elle ajoutait : « Les anciennes lois prescrivaient im
périeusement l’authenticité des livres de commerce. Il
ne faudrait pas conclure de leur inexécution qu’elle
n’était pas nécessaire. Les abus qu'on a tolérés ne ju s
tifient pas les abus, ils ajoutent à la nécessité de les
réprimer.
« La cause qui a peut-être rendu ces abus trop com
muns et l’inexécution des anciennes lois presque géné
rale, c’est qu’en prescrivant ces devoirs, elles n’impo
saient aucune peine à ceux qui les avaient enfreints.
Nous avons senti combien cette garantie était nécessai
re, et nous avons non-seulement prescrit l’inadmissibi
lité des livres non authentiques, mais nous avons dé
claré à ceux qui négligeraient de se conformer au vœu
de la loi, que, dans le cas de faillite, cette contravention
était une présomption de fraude qui autorisait contre
eux une poursuite criminelle. >■
Ces sentiments furent partagés par le conseil d’Etat.
�350
DES LIVRES DE COMMERCE
Ils étaient hautement exprimés au nom des sections
réunies du tribunat.
« Quelque gênantes et minutieuses que puissent pa
raître les formalités prescrites; disait l’orateur, elles
sont devenues indispensables pour mettre un terme
aux désordres qui se sont introduits dans le commerce.
L’obligation de les remplir, en éclairant à chaque ins
tant le commerçant honnête sur sa véritable position,
empêchera qu’il ne puisse s’abuser lui-même sur ses
moyens réels, lorsque le succès de ses spéculations
n’aura pas répondu à son attente ; et elle l’avertira de
s’arrêter à temps pour son honneur, et ne pas entrainer
dans sa ruine ceux qui pourraient avoir confiance en
lui. En cas de faillite, ces formalités mettront à même
de distinguer l’homme honnête et malheureux de l’hom
me inconsidéré et de mauvaise foi qui aura spéculé
sans prudence ni discernement, ou qui aura prémédité
une banqueroute frauduleuse. Dans le même cas, leur
omission sera un motif de prévention contre l’individu
qui s’en sera rendu coupable, et aucun négociant ne
pourra raisonnablement se plaindre d’être astreint à
une obligation qui a pour objet de rétablir l’ordre dans
ses affaires, d’éclairer la justice sur sa conduite et de la
justifier, en cas de besoin, dans l’opinion publique. »
Ainsi le législateur de 1807 a considéré l’inobserva
tion de l’ordonnance de 1673 comme un abus donnant
naissance à de graves désordres. C’est assez dire qu’il
n’a sanctionné les mêmes prescriptions qu’avec la ferme
intention de les faire littéralement exécuter. Mais il n’a
�ART.
10
ET
11.
351
pas mieux réussi que son prédécesseur. Aujourd’hui
encore, les maisons de commerce ayant des livres visés,
cotés et paraphés sont d’honorables, mais fort rares
exceptions.
223.
— On ne comprend pas que le commerce,
qui est la première victime des fraudes si ordinaires
dans les faillites, résiste obstinément à des mesures de
vant avoir pour conséquence forcée d’en'diminuer le
nom bre, d’empêcher les plus considérables. Que la
mauvaise foi cherche à se cramponner aux moyens de
vant la faire réussir, c’est ce qu’on peut, c’est ce qu’on
doit attendre d ’elle, mais que les tribunaux n’opposent
pas à cette tendance une barrière infranchissable, qu’ils
délaissent la faculté que leur donne l’article 586, c’est
ce' qui est fort regrettable dans l’intérêt public et au
point de vue du respect dû à une loi positive.
Jusqu’en 1837, cet état de choses avait un fonde
ment presque plausible dans une exigence évidemment
irrationnelle du législateur. Nous voulons parler de la
disposition de la loi du 13 brumaire an vil, qui nonseulement soumettait au timbre ordinaire les livres de
commerce, mais qui défendait de coter et de parapher
sur papier non timbré.
Dans la discussion au conseil d’Etat, on affranchit de
cette formalité le livre copie des lettres, mais on dé
clara en même temps ne rien innover aux lois des finan
ces. Les autres registres continuèrent donc d’être sou
mis à leur empire.
�352
DES LIVRES DE COMMERCE
/
C’était là une charge énorme, aussi inégale qu’injuste,
à laquelle le commerce ne devait pas volontairement se
soumettre. Aussi plusieurs tribunaux et chambres de
commerce en avaient signalé l’insupportable rigueur,
ils demandaient que, si on le maintenait, cet impôt fût
rabaissé par la création d’un timbre particulier, d’un
prix inférieur au tarif actuel, spécialement applicable
aux registres et livres de commerce.
De son côté, le tribunat attaquait la nécessité du tim
bre, qu’il considérait comme pouvant, par l’exagération
du droit, empêcher l’exécution des formalités prescrites
parles articles 10 et 11, formalités d’autant, plus pré
cieuses, disaient les sections réunies, qu’on pourra en
appliquer les conséquences soit aux faillites, soit aux
diverses circonstances qui exigent la recherche de tous
les indices propres à faire présumer la bonne foi ou la
fraude.
Le tribunat ajoutait : a En rappelant à quel point la
loi de brumaire étend l’usage des livres sur papier tim
bré, on rend évidente l’extrême inégalité de l’impôt qui
frappe le détaillant et l’artisan d’une manière beaucoup
plus rigoureuse que les négociants, ceux-ci faisant avec
bien moins d’écritures des affaires bien plus considéra
bles. S'il est impossible de corriger cette inégalité, n’estil pas à propos d’y appliquer le remède nécessaire
pour tout impôt entaché de ce vice, d’en fendre la
quotité très-faible? Cette mesure n’entraînerait qu’un
sacrifice apparent, puisque la perception actuelle de
�ART.
10
ET
11.
353
l’impôt se trouve restreinte en proportion même de sa
rigueur.
« Les sections réunies se font un devoir de recom
mander la réclamation des chambres de commerce à la
sagesse du gouvernement.1 »
Ces considérations n’amenèrent aucun résultat, et la
loi de l’an vu continua d’être exécutée. Mais son main
tien ne tarda pas à justifier les prévisions du tribunat.
D’année en année, l’exécution des articles 10 et 11 de
vint moins fréquente, ce qui détermina une diminution
progressive dans les produits de l’impôt. En 1837, la
recette atteignait à peine à 87,000 fr., tous les com
merçants avaient déserté l’obligation de tenir leurs li
vres sur timbre.
224.
— Cet état de choses fit ce que les justes ob
servations des chambres de commerce et du tribunat
n’avaient pu déterminer. L’article 20 de la loi des finan
ces du 20 juillet 1837 ordonna qu’à partir du 1er jan
vier 1838, il serait ajouté trois centimes additionnels
au principal de la contribution des patentes, pour tenir
lieu, dans l’intérêt exclusif du trésor, du droit du tim
bre des livres de commerce, qui en seraient alors af
franchis.
Cette disposition était une amélioration incontestable
sous le rapport non-seulement de la quotité de l’impôt,
mais encore de sa proportionnalité, elle fut cependant
1 Locré, t. xvu, p. 293.
23
�354
DES LIVRES DE COMMERCE
attaquée à la chambre des pairs. Comment se fait-il,
disait le marquis Barthélemy, qu’en présence de la
prospérité qu’on nous annonce, l’esprit de fiscalité ait
porté les ministres à venir demander une augmentation
de charges publiques qui se fera vivement sentir dans
les localités où, comme à Lyon par exemple, les centi
mes additionnels sont déjà si nombreux, et où le com
merce est en souffrance? L’impôt qu’il s’agit de rem
placer était tombé en désuétude, et dès lors il devrait
être supprimé.
Je ne crois pas, répondait le ministre des finances,
qu’on doive considérer cette disposition comme une
augmentation de charges. En effet, ceux des négociants
qui obéissaient à la loi, et qui avaient soin de faire tim
brer leurs livres de commerce, supportaient une dé
pense beaucoup plus forte que celle qui résultera pour
eux des trois centimes. Quant aux autres négociants,
ils éludaient l’application de la loi, et on ne peut consi
dérer, à leur égard, la perception nouvelle comme une
augmentation de charges, mais on doit y voir le retour
à une charge qui devait peser sur eux. Le gouverne
ment a pensé que la justice exigeait que l’impôt pesât
également sur tous.
Sans doute l’abolition absolue de l’impôt était préfé
rable. Mais en admettant que les besoins du trésor ne
permissent pas de la consacrer, la loi de 1837 en faisait
une répartition plus exacte, moins onéreuse et par cela
même plus intelligente que celle de la loi de l’an vil.
Dès lors aussi l’absence des formalités prescrites pour
�ART.
10 ET 11.
355
l’authenticité des livres de commerce en devient sans
motifs. L’impôt se trouvant, dans tous les cas, inévita
blement payé, on ne voit pas pourquoi le redevable ne
s’empresserait pas d’acquérir en échange les avantages
qu’il puisera dans la régularité de ses écritures. D’autre
part, les tribunaux, que la nécessité de pourvoir à une
lourde charge avait pu mettre en considération, n’ont
plus aucun prétexte pour ne pas exiger l’accomplissemeint rigoureux des formalités que la loi prescrit ex
pressément.
225.
— L’article 11 exige pour la régularité des
écritures que le livre journal, celui de copie des lettres
et celui des inventaires soient visés, cotés et paraphés
par un des juges des tribunaux de commerce, ou par
le maire ou adjoint, dans la forme ordinaire et sans
frais.
/ L’intervention de l’autorité administrative avait été
combattue d'abord comme appelant l’administration à
s’immiscer dans un acte ressortissant exclusivement de
l’autorité judiciaire ensuite comme exposant à un dan
gereux abus.
Souvent, en effet, les marchands attendront, pour
faire coter et parapher leurs registres, qu’une contesta
tion les oblige de les produire. Alors ils iront trouver
un maire peu \ éclairé, sur la facilité duquel ils auront
compté, et qui, pour prix de sa complaisance, se trou
vera peut-être engagé dans un procès criminel.
On proposait donc de faire substituer le juge com-
�356
DES LITRES DE COMMERCE
mercial soit par un des juges du tribunal civil, soit par
le juge de paix du canton.
Ce qui fit repousser cette proposition et maintenir
l’article, fut d’abord la pratique recommandée par l’or
donnance de 1673, pratique fort sage, puisque dans
toutes les localités il y aura un maire, tandis que le
commerçant éloigné du siège du tribunal de commerce
peut l’être également de celui du tribunal civil et de la
résidence du juge de paix, ce qui pouvait entraîner
des inconvénients et des longueurs qu’il importait d’é
viter.
Remarquons en outre que le Code de commerce a
innové sur l’ordonnance, en ce que celle-ci n’appelait
le maire ou l’adjoint qu’à défaut de juge consulaire,
tandis que le Code admet leur concours dans les locali
tés mêmes où il existe un tribunal de commerce. Si les
membres de ces tribunaux, disaient les sections réu
nies du tribunat, étaient seuls chargés dans les grandes
villes de coter et parapher les livres des commerçants,
ce travail absorberait la presque totalité de leur temps.
D’ailleurs, les maires et adjoints placés dans les grandes
villes sont ceux dont l’intelligence et l’exactitude mé
ritent le plus de confiance. De là, la disparition dans
l’article 11 de la restriction que l’article 3 du titre m
de l’ordonnance de 1673 renfermait.
226.
— Ainsi les livres des commerçants doivent
être visés, cotés et paraphés par un juge consulaire, ou
par le maire ou l’adjoint, sans frais aucun. Le but de
�ART.
10
ET
11.
357
cette formalité est de constater l’identité de ces livres,
d’empêcher en conséquence toute substitution fraudu
leuse, soit à l’occasion d’une instance, soit pour pour
voir aux nécessités d’une faillite, ce qui est bien plus à
redouter.
On comprend, en effet, que plus la spéculation et la
fraude auront de part à la faillite, et moins on pourra
se flatter d’avoir les véritables écritures du failli. Il
faudrait supposer que du jour de son entrée dans le
commerce, le négociant les a tenues dans cette unique
prévision, ce qui est peu admissible, surtout lorsque
son commerce s’est continué pendant plusieurs années.
Mais il arrivera alors que jusqu’au moment où la
certitude de la faillite aura inspiré la pensée de la
fraude, ses livres seront le miroir plus ou moins exact
des opérations, et que leurs énonciations pourraient
opposer un sérieux obstacle au succès de la fraude. On
ne pourra donc pas, on ne voudra pas certainement les
produire. Ce qu’il faudra dans cette hypothèse, ce sont
des livres créés à cause de la faillite et à son occasion,
et ces livres, on les fabriquera ou on les fera fabriquer
après coup.
Cette prévision n’a rien de trop hasardeux. Celui qui
s’est occupé habituellement des faillites est à même de
comprendre et de juger tout ce qu’elle a de sérieux et
de réel. Fabriquer des écritures à l’usage des faillis ou
de ceux qui se préparent à le devenir, constitue dans
les grandes villes une industrie lucrative qui s’exerce
pour ainsi dire ostensiblement.
�358
DES LIVRES DE COMMERCE
Le seul moyeu d’opposer une barrière à cet abus
aussi déplorable que dangereux est l’exécution littérale
des prescriptions de nos articles : qu’on n’accepte com
me sérieux que les livres visés, cotés et paraphés ; qu’on
déclare banqueroutier frauduleux ceux qui, n’en pro
duisant aucun de ce genre, seront présumés les avoir
soustraits pour les remplacer par ceux qu’ils présen
tent ; qu’on leur applique tout au moins les peines
de la banqueroute simple, en conformité de l’article
586, et la justice verra diminuer le nombre de ces
faillites scandaleuses et coupables , aussi profitables
à leurs auteurs que ruineuses pour les malheureuses
victimes.
227.
— Le législateur, il faut le reconnaître, n’a
rien négligé pour qu’on pût arriver à ce résultat, il ne
s’est pas contenté d’exiger que les livres fussent visés,
cotés et paraphés, il veut plus encore, il soumet le li
vre journal et celui des inventaires à être paraphés et
visés une fois l’an. 11 est évident, en effet, que l’exécu
tion de l’article 11 n'empêche pas la fraude d’une ma
niéré absolue, un négociant pouvant, à toutes fins, faire
coter, viser et parapher ses livres à double exemplaire
et en garder un à l’effet de refaire ses écritures le cas
échéant.
Le visa annuel rend cette précaution inefficace, car
on ne pourrait, sans se rendre coupable d’un faux ma
tériel, le transporter sur le livre nouvellement fabriqué,
et son absence fera soupçonner et reconnaitre la fraude.
�A RT.
10
ET 11.
359
Ajoutons que cette formalité, tout en concourant d’une
manière énergique à assurer l’authenticité des registres,
offre une garantie précieuse de l’exécution de l’obliga
tion de faire annuellement un inventaire.
La loi a donc fait tout ce qui était possible pour as
surer la bonne foi dans les transactions commerciales.
Si la fraude ne les vicie encore que trop souvent, c’est
qu’on tolère sa violation. On ne saurait dès lors l’accu
ser des maux en résultant. L’institution est suffisante,
ce sont les hommes qui restent en deçà de leurs obliga
tions et de leurs devoirs.
228.
—- Dans la discussion au conseil d’Etat, on
proposa de soumettre également au visa annuel le livre
copie des lettres. Ce livre, disait-on, mérite une atten
tion particulière, parce que c’est par la correspondance
que la fraude s’exerce.
Mais on répondit que le livre copie des lettres, quoi
que indispensable, ne devait cependant être considéré
que comme un registre auxiliaire. Or, ces sortes de re
gistres sont trop multipliés dans une maison de com
merce pour qu’on les soumette au visa exigé par l’arti
cle 10. On n’interroge au surplus la correspondance
que pour vérifier les détails , les clauses diverses des
conventions qu’un négociant a pu faire avec ses corres
pondants par lettres missives. La situation d’un négo
ciant est tout entière dans son livre journal, qui, conte
nant nécessairement les éléments dont se composent
tous les autres livres, présente l’ensemble de ses opé
rations.
�360
DES LIVRES DE COMMERCE
D’ailleurs, la crainte qu’un négociant enlevât ou in
tercalât un cahier dans son livre copie des lettres est
illusoire, puisque, aux termes de l’article 11, ce livre
doit être visé, coté et paraphé.
Enfin, on a beaucoup moins à craindre la contrefaçon
de la correspondance, puisque les lettres elles-mêmes
sont entre les mains de leur destinataire, et que leur
production ferait prendre la fraude la main dans le sac.
Une lettre s’explique ordinairement par celles qui l’ont
précédée et suivie. Une supposition de lettres intro
duites par fraude dans la correspondance pourrait donc
facilement être reconnue et constatée par l’ensemble
de la correspondance.
Ces considérations firent et devaient faire repousser
la proposition.
229.
— Après s’être ainsi occupé de l’identité des
livres, le législateur prescrit les moyens qui doivent en
constituer la régularité. Il exige qu'ils soient tenus par
ordre de dates, sans blancs, lacunes, ni transports en
marge.
L’ordre des dates est, pour le commerçant, la con
séquence forcée de l’obligation d’inscrire ses opérations
jour par jour et à mesure qu’elles se réalisent. L’exécu
tion de cette obligation est exclusive d’une confusion et
d’une transposition quelconque, puisque les opérations
de la veille s’accomplissent nécessairement avant celles
du lendemain. Il n’y a donc de livres régulièrement te-
�ART.
10
ET
11.
361
nus que ceux qui deviennent, au moyen de cet ordre,
l’image exact et fidèle du commerce.
230.
— Pour qu’on les considère comme réguliers,
les livres doivent en outre être rédigés d’un seul trait
et sans blancs dans l’intervalle d’un article à l’autre.
L’existence de ces blancs est une forte présomption de
fraude. En effet, elle ne peut être expliquée que par
l’intention de se réserver le moyen de modifier l’arti
cle qui les précède ou les suit immédiatement. C’est
ainsi qu’on peut ajouter comme vendues des marchan
dises qui ne l’ont pas été, ou augmenter le chiffre des
sommes prétendues payées.
Il est vrai qu’on pourrait dire que, puisque les blancs
existent encore, la fraude n’aurait pas été consommée.
Mais l’existence de ceux qu’on y trouve effectivement
peuvent facilement faire soupçonner qu’il y en avait
qu’on a remplis. Comment, d’ailleurs, savoir si celui
qu’on voit est tel qu’il a été laissé, si une partie n’en a
pas été déjà employée à constater une énonciation
mensongère et frauduleuse? Tout cela jette sur le re
gistre ainsi tenu un vernis de déloyauté qui exclut toute
confiance.
Le même résultat serait admis si les registres offraient
des lacunes plus ou moins réitérées, plus ou moins im
portantes. Le registre d’un commerçant doit offrir l’en
semble de son administration, il n’a de valeur réelle
que lorsqu’il rend raison de toutes ses opérations.
Conséquemment, si dans diverses circonstances il a
�362
DES LIVRES DE COMMERCE
sciemment omis de porter sur son registre les actes
qu’il a réellement accomplis, on doit présumer qu’il
n’a fait en cela qu’obéir à un intérêt illégitime. Com
ment dès lors ajouter foi à ces mêmes livres, lorsqu’il
voudra en faire résulter un avantage personnel ?
2 3 1 . — Enfin la loi prohibe tout transport en mar
ge. On ne comprend la nécessité de ces transports que
dans l’hypothèse d’une modification arrêtée et convenue
entre les parties, ou d’une découverte d’une omission
ou d’une erreur.
Or, en matière commerciale, modifier une opération,
c’est faire une opération nouvelle devant être portée,
non en marge de la précédente, mais dans le livre jour
nal lui-même, à la date à laquelle elle s’accomplit. Il en
est de même de l’erreur ou de l’omission. On doit en
faire article du journal du jour de leur découverte.
Le simple transport en marge serait donc trop éloigné
des vraies habitudes commerciales pour ne pas être
suspect.
2 3 2 . — Telles sont les formalités que la loi a cru
devoir prescrire, pour imprimer aux livres commerciaux
le caractère de loyauté et de sincérité sans lequel ils
ne sauraient mériter aucune confiance. Ces formalités
sont essentielles dans l’intérêt privé, car le négociant
trouvera dans leur accomplissement le moyen d’établir
sa bonne foi dans les litiges particuliers, et de justifier
sa conduite dans le cas où des revers immérités le ré
duiront à traiter avec ses créanciers.
�ART.
10
ET
11,
363
Elles intéressent l’ordre public, car, en multipliant
les garanties, elles appellent la confiance, raffermissent
et développent le crédit, ces éléments indispensables à
tout commerce et, par voie de conséquence, à la pros
périté de l’Etat.
Les négociants loyaux, trop souvent victimes de
faillites frauduleuses, doivent donc concourir à l’exé
cution de la loi, d’abord par leur exemple en s’y sou
mettant eux-mêmes scrupuleusement, ensuite par leur
conduite en déférant à la justice du pays ceux qui leur
demanderont une remise, un concordat, et dont les li
vres ne rempliraient pas les conditions voulues.
C’est aux tribunaux à veiller, de leur côté, à ce que
la volonté si manifeste de la loi ne soit pas condamnée à
la stérilité et à l’impuissance. Les juges consulaires ont
un moyen énergique d’atteindre ce résultat par le refus
d’homologation du concordat, en faveur du failli dont
les écritures ne seront pas conformes au vœu du légis
lateur. Les tribunaux ordinaires, par l’application ri
goureuse de l’article 586 du Code de commerce. Devant
une telle jurisprudence, le mal que la loi a voulu pré
venir perdra inévitablement de son intensité, les résis
tances s’effaceront, le mauvais vouloir sera vaincu ; alors
surtout que la loi de 1837 a enlevé aux unes et aux au
tres le prétexte qui semblait les légitimer. Aujourd’hui
les livres sont dispensés du timbre, ils sont visés, cotés
et paraphés sans frais; le seul impôt qu’ils supportent
est forcément payé par tous les commerçants. Quelles
�364
DE3 LIVRES DE COMMERCE
raisons pourrait-on donc alléguer, qui puissent faire
pardonner la violation de la loi ?
253.
— L’article 11 fait un devoir aux commer
çants de conserver pendant dix ans les livres déclarés
obligatoires, à savoir : le journal, le copie des lettres,
le livre des inventaires'. Tant que ce laps de temps n’est
pas écoulé, la production de ces livres, légalement ré
clamée en justice, ne saurait être refusée sous aucun
prétexte.
2 3 4 . — Aucune disposition analogue n’existait dans
l’ordonnance de 1673, le législateur s’était borné à or
donner implicitement la conservation du livre des agents
de change ou de banque, auquel les parties pouvaient
recourir en cas de contestations.
Le silence gardé à l’endroit des commerçants les obli
geait donc à conserver indéfiniment leurs livres. Tant
que le droit, n’étant pas prescrit, pouvait donner ma
tière à un litige, le commerçant était en position d’être
obligé de les produire, Aussi a-t-il été jugé que dans
un procès né depuis le Code de commerce, le négociant
à qui on demandait de produire ses livres ne pou
vait exciper du bénéfice de l’article 11 , s’il s’agissait
d’une opération réalisée sous l’empire de l’ordon
nance.1
2 3 5 . — Préoccupés des fraudes nombreuses que
�ART.
10
ET
11.
365
les faillites font surgir, et dans le désir d’en empêcher
le retour, plusieurs conseillers d’Etat demandaient, lors
de la discussion du Code, qu’on obligeât les commer
çants à conserver leurs écritures depuis le premier mo
ment qu’ils sont entrés dans le commerce. On aurait
ainsi, disait notamment M. Treilhard, la facilité, en cas
de faillite, de vérifier quelle somme chacun d’eux a
reçue sur la dot de la femme. Quand le commerce au
rait duré trente ans, c’est tout au plus s’il y aurait
trente registres à conserver; mais il importe que tous
soient représentés, parce que souvent le principe de la
fraude remonte à des époques fort reculées.
Cette proposition, renvoyée à la section, fut par elle
modifiée. L’obligation de conserver les livres fut limitée
à dix ans.
256.
— De quelle époque commence à courir le
délai? Est-ce de la date de l’opération litigieuse ou seu
lement de celle de la dernière opération portée sur le
livre ?
M. Pardessus se prononce dans ce dernier sens et,
selon nous, avec infiniment de raison. L’idée de con
servation, dans le sens de l’article 11, s’applique forcé
ment à un objet devenu sans utilité réelle et actuelle,
dont on pourrait se passer sans inconvénients. De telle
sorte que si cet objet est retenu et conservé, on ne
peut en alléguer d’autre motif que le devoir spécial que
la loi impose d’en agir ainsi. Or, tel n’est pas évidem
ment le livre sur lequel le commerçant continue d’ins
crire ses opérations.
�366
DES LITRES DE COMMERCE
Ce livre ne fait alors que servir à la destination spé
ciale auquel il est affecté. On ne saurait d’autant moins
avoir égard à sa possession, qu’elle est indispensable au
commerçant. Cette possession répond aux exigences de
l’article 8, et non pas à celles de l’article 11. Le com
merçant ne saurait donc compter dans le délai de celuici tout le temps pendant lequel, n’ayant pas d’autre
livre journal, il continue de se servir de celui qui lui
en tient exclusivement lieu. Admettre le contraire, ce
serait méconnaître la loi, puisqu’un registre, commencé
longtemps avant sa clôture, cumulerait le bénéfice de
l’article 8 et celui de l’article 11, ce qui est incon
ciliable.
Ainsi la nécessité de conserver, dans le sens de la loi,
ne peut naître qu’au moment où, définitivement rem
pli, un registre a cessé d’être utile au commerce cou
rant. Supposez un livre ouvert en 1830, mais fini seu
lement le 1er janvier 1834, le délai de l’article 11 ne
commencera à courir que de cette dernière époque, il
ne sera échu que le 1er janvier 1844. Jusque là le com
merçant sera tenu de le produire dans l’hypothèse d’un
litige sur une opération remontant aux années 1830 et
suivantes. Sans doute il se sera écoulé plus de dix ans
depuis cette opération, mais c’est là la conséquence
forcée de la nature des choses et de l’indivisibilité des
livres. La loi, en effet, n'a pas prescrit la conservation
de tel et tel feuillet. Ce qu’elle veut, c’est celle du li
vre dans son ensemble, tel qu’il a été visé, coté et pa
raphé. Or, puisque la nécessité de cette conservation
�ART.
10
ET
11.
367
ne s’est réalisée qu’en 1834 et qu’elle doit continuer
jusqu’en 1844, on ne voit pas pourquoi on n’ordonne
rait pas la production exigée dans l’intervalle, à quel
que date, d’ailleurs, que pût remonter l’opération liti
gieuse.
Le commerçant pourrait d’autant moins s’en plain
dre, qu’il avait le moyen de l’empêcher, si son inten
tion était d’user rigoureusement du bénéfice de l’article
11, à l’endroit de chaque opération. Il avait pour cela
un parti bien simple à prendre, c’était de ne faire durer
son journal qu’un an, et d’en commencer un nouveau
à l’expiration de chaque année. Dans ce cas, on n’eût
pas été recevable à lui demander, en 1843, celui des
années 1830, 1831 ou 1832. Si, dans un intérêt quel
conque, il s’est servi du même pendant trois ou quatre
années consécutives, il ne saurait trouver mauvais qu’on
lui impose une responsabilité résultant de son propre
fait, volontairement et spontanément accompli.
237.
— Notre solution se corrobore de cette règle
généralement admise, à savoir, que l’exception autori
sée par l’article 11, contre la demande en production
des livres, après le délai de dix ans, ne repose que sur
la présomption qu’après ce temps, les registres ne sont
plus en la possession du commerçant. Le législateur n ’a
pas entendu favoriser la fraude. Il n’a édicté l'article 11
que pour venir au secours du commerçant de bonne
foi qui, rassuré par le long terme écoulé, aurait réelle
ment disposé de ses livres, et serait dans l’impossibilité
de les produire.
�368
DES LIVRES DE COMMERCE
Dès lors aussi, si le fait contraire se réalise, la pré
somption cède la place à la réalité, et le commerçant
n’est plus recevable à se retrancher derrière l’article 11.
Ainsi si, même après plus de dix ans, il est prouvé que
les livres existent, qu’ils sont en la possession de son
auteur, leur production non-seulement pourra, mais
devra être ordonnée ; ne pas le faire, ce serait encoura
ger une résistance illégitime, consacrer la mauvaise foi
et la fraude, priver la justice des éléments d’apprécia
tion pouvant lui être indispensables, lui refuser tout
au moins les éclaircissements qu’elle est en droit d'exi
ger et d’obtenir.
« Attendu, disait la cour de Caen à ce sujet, dans
un arrêt du 24 juin 1828, qu’il est vrai qu’aux termes
de l’article 11 du Code de commerce, les commerçants
ne sont tenus de conserver que pendant dix ans les
livres qu’ils sont obligés de tenir; mais que, néanmoins,
quand il est certain qu’ils les ont conservés au-delà de
dix ans, qu’ils les ont entre les mains, et qu’ils sont
nécessaires pour éclairer la justice, rien ne s’oppose à
ce que les commerçants soient également forcés de les
représenter. »
Or, dans l’hypothèse que nous supposons, il est de
toute certitude que le livre existe ; qu’il est en mains
du commerçant, qui sera tenu de justifier à l’aide de
ses énonciations les opérations de la dernière année. Il
devrait donc le produire, dans tous les cas, par applica
tion de la règle consacrée par la cour de Caen.
Nous le répétons donc, le délai de l’article 11 ne
�commence à courir que du jour de la clôture du livre
et de la date de la dernière opération qu’il constate.
Quelle que soit dès lors l’époque à laquelle remonte
l’opération litigieuse, il suffît qu’elle soit constatée dans
ce livre, et que la production de celui-ci soit requise
moins de dix ans depuis sa clôture, pour qu’elle doive
être ordonnée.
2 3 8 . — L’exception autorisée par l’article 11 n’est
pas une prescription dans le sens ordinaire. Tout ce qui
peut en résulter, en effet, c’est la perte d’une voie
d’instruction. Mais elle n’est ni libératoire, ni acquisitive d’un droit sur le fonds du litige, puisque la preuve
de l’obligation ou du paiement pourra toujours être
acquise, soit par d’autres documents, soit par témoins
ou par présomptions.
Il résulte de là que le délai de dix ans ne cesse pas
de courir dès qu’il a commencé; qu’il est ni suspendu
ni interrompu par les causes qui interrompent ou sus
pendent le cours de la prescription.
2 3 9 . — Enfin l’article 11 étant un bénéfice que la
loi a entendu conférer, ne renferme qu’une pure faculté
pour celui que ce bénéfice concerne, nul autre que lui
ne peut l’invoquer, comme personne ne saurait le con
traindre à le revendiquer.
Ainsi, le commerçant ne peut être contraint, après
un délai de dix ans, à produire les livres qu’il soutien24
�370
DES LIVRES DE COMMERCE
drait ne plus avoir en sa possession, sauf le cas où la
preuve du contraire serait établie. Mais, à quelque épo
que que se réalise le litige, il peut non-seulement
obéir à la sommation de les produire qui lui serait faite,
mais encore les produire lui-même spontanément et y
chercher la preuve, dans les cas prévus par l’article 12,
de la justice de ses prétentions. 'C’est ce que la cour
de Rennes a fort judicieusement consacré, en jugeant,
le 10 novembre 1817, qu’il ne saurait résulter de la
disposition de l’article 11 qu’après le délai de dix ans
un commerçant ne puisse pas, en les représentant, faire
usage de ses livres.
A
rt.
12.
Les livres de commerce, régulièrement tenus,
peuvent être admis par le juge pour faire preuve
entre commerçants pour faits de commerce.
A
rt.
13.
Les livres que les individus faisant le com
merce sont obligés de tenir, et pour lesquels ils
n’auront pas observé les formalités ci-dessus
prescrites, ne pourront être représentés ni faire
foi en justice au profit de ceux qui les auront
tenus, sans préjudice de ce qui sera réglé au li
vre des faillites et banqueroutes.
�ART.
12 ET 13.
371
SOM M AIRE
240.
2 4 t.
But de la disposition de ces deux articles. Son caractère.
Quels sont les livres que l ’article 12 déclare pouvoir faire
preuve en faveur du commerçant.
242. Pourquoi la loi n’a rendu cette preuve que facultative et
non forcée.
243. Système de l ’ordonnance de 1673. Encore applicable.
244. Conditions exigées par l ’article 12. 1* Litige entre com
merçants.
245. 2° Fait commercial.
246. La commercialité de l ’acte doit-elle exister à l ’égard des
deux parties? Opinion deM . Delvincourt.
247. Opinion contraire de M. Toullier et de M. Pardessus.
248. Solution.
249. Il n ’est pas nécessaire néanmoins que l ’acte constitue un
fait du commerce respectif des parties.
250. Conséquences de notre solution pour le non-négociant.,
251. Les livres d’un commerçant ne pourraient être opposés
au commis attaqué en restitution d’un excédant de sa
laires.
252. Le commerçant ne pourrait pas non plus exciper de l ’arti
cle 1781 du Code civil.
253. Les livres réguliers ne pourraient, sans la représentation
des quittances, faire preuve d’un paiement fait à un tiers
pour le compte d’un correspondant.
254. Les livres d’un commerçant font-ils, contre un non-négo
ciant, un commencement de preuve par écrit?
255. Opinion de M. Bravard Veyrières.
256. Réfutation.
257. Le commencement de preuve n’existe que pour les four
nitures faites, par le marchand, d’objets de son com
merce. Conséquences pour les prêts d’argent.
�DES livres de commerce
258. Défense d'exciper des livres irréguliers et de les produire
en justice. Motifs de cette défense.
259. Ces livres irréguliers ne peuvent autoriser le juge à déférer
le serment à celui qui les a tenus,
260. Quand les livres sont irréguliers, la défense faite par la loi
doit être exécutée, qu’il s ’agisse d’un acte commercial
ou non, entre négociants ou non-négociants.
261. Cette défense ne concerne que celui qui a tenu les livres.
On peut donc les invoquer contre lui.
262. Discussion de l’article 13 au conseil d’Etat.
263. Motifs qui l’ont fait admettre tel qu’il se trouve dans le
Code.
264. Conséquence par rapport au commerçant.
265. A l ’endroit des tiers-débiteurs ou créanciers.
266. Pour les tribunaux eux-m êm es.
267. Les associés ue peuvent s ’opposer l ’irrégularité des livres
de la société.
268. L ’exception tirée de l’irrégularité des livres n’est que fa
cultative pour les ayant-droit. Conséquences.
269. L ’irrégularité des livres du failli peut-elle être invoquée
parla masse?
270. Conséquences de cette irrégularité pour le failli vis-à-vis
des créanciers et de la justice.
2 4 0 . — Les articles 12 et 13 complètent la pensée
du législateur sur la nécessité des formalités tendant à
assurer l’identité et l’authenticité des livres. Le premier
confère une récompense à celui qui a exécuté les obli
gations que la loi a prescrites, le second punit celui qui les
a violées. L'un et l’autre ont un but unique, favoriser
et encourager l’accomplissement littéral des dispositions
des articles précédents.
�L’ordonnance de 1673 avait omis d’employer ce
double mobile, et cette omission était considérée, nous
l’avons déjà vu, par la commission primitive du Code
de commerce, comme une des causes ayant le plus
contribué à l’inexécution de l’ordonnance. Au reste,
i
l’un et l’autre étaient des conséquences tellement logi"
ques que, dans le silence de la loi, ils avaient été admis
et consacrés par la doctrine et la jurisprudence.
Quoi de plus naturel que de fournir, à celui qui a
fidèlement obéi à la loi, le moyen de trouver dans son
obéissance même la récompense qui lui est due? Quoi
de plus juste que de dénier toute faveur à celui qui a
dédaigné et violé les conseils et les ordres du légis
lateur?
Donc les livres régulièrement tenus peuvent être ad
mis par le juge pour faire preuve entre commerçants
pour faits de commerce.
2 4 î . — Remarquons d’abord la généralité des ex
pressions de l’article 12 : Les livres de commerce. Or,
nous avons vu que si la loi n’en prescrit obligatoire
ment que trois,à savoir: le journal, le copie des lettres, le
livre des inventaires, elle en tolère plusieurs autres ; il
faut donc conclure, de ce qu’elle n’a posé aucune limite,
aucune restriction dans l’article 12, qu’elle n’en exclut
aucun.
Les livres auxiliaires peuvent donc aussi être invo
qués par le commerçant dont les livres obligatoires
sont régulièrement tenus. 11 est vrai que les premiers
�374
DES LIVRES DE COMMERCÉ
ne sont soumis à aucune des formalités garantissant la
loyauté de ces derniers, mais leur régularité est une
conséquence forcée de celle du journal. Elle est donc
incontestable, lorsqu’ils ne font que répéter* et confirmer
les indications de celui-ci.
Ce ^n’est même qu’à cette condition que les livres
auxiliaires ont une valeur quelconque. S’il existait une
différence entre eux et le journal, c’est à celui-ci qu’on
devrait exclusivement ajouter foi. Ce n’est donc pas
tant pour le fait en lui-même que pour les circonstances
qui ont pu l’accompagner et le suivre, qu’on sera tenté
de recourir aux livres auxiliaires. Cependant les com
merçants ne. sont pas infaillibles, leur livre journal pour
rait renfermer des erreurs que les livres auxiliaires
constateraient, et, dans ce cas, ils pourraient valable
ment exciper de ces derniers.
L’utilité de ces mêmes livres est plus évidente encore
lorsqu’il s’agit de rechercher et d’expliquer, par le mode
d’exécution suivi, les conditions et les caractères d’une
opération. Destinés à venir en aide au livre journal, les
livres auxiliaires peuvent renfermer des indications pré
cises, des développements que celui-ci ne comporte
pas. Sous ce point de vue donc, il était sage de ne pas
les exclure, et c’est à ce parti que s’est arrêté le légis
lateur. La généralité des termes de l’article 12 l’établit
d’une manière péremptoire.
Cette interprétation est admise en doctrine, ainsi que
la règle qu’en cas de contradiction entre les énoncia-
�ART.
12
ET
13.
375
tions, la préférence est due au journal.1 Il est donc cer
tain que les livres auxiliaires ne peuvent être invoqués
que concurremment et conjointement avec les livres
obligatoires. Ainsi un commerçant, qui n’aurait ou qui
ne représenterait pas ceux-ci, ne pourrait utilement
recourir à ceux-là, quelque régulièrement tenus qu’ils
parussent. D’ailleurs, leur régularité est nécessairement
subordonnée à celle du journal, que le défaut de pro
duction empêche de reconnaître et de constater. D’autre
part, ils peuvent bien compléter ou expliquer celui-ci,
mais le remplacer, jamais.
242.
— La loi laisse les tribunaux libres d’ajouter
foi aux livres mêmes réguliers ou de les rejeter. La pres
cription de l’article 12 confère une faculté, mais n’im
pose aucune obligation. C’était là la conséquence forcée
de cette observation, si souvent rappelée dans le cours
de la discussion du Code de commerce, à savoir, que
les tribunaux consulaires sont essentiellement des tri
bunaux d’équité, et que dès lors il ne faut pas les lier
par des règles trop absolues.
Au surplus, l’absolu , en pareille matière, pourrait
offrir, comme résultat, une violation de la loi inévitable
et forcée. Supposez, en effet, que dans un litige entre
deux commerçants, pour fait de commerce, des livres
réguliers soient produits de part et d’autre; que les
énonciations des uns soient, tout juste, le contraire de
1 V. Delvincourt, t. n, p. 17; — Favard, Liv. de comm.,
Pardessus, n» 258 ; _ Locré, sur l'a rt. 4 2-
n° 7 ; —
�376
DES LIVRES DE COMMERCE
ce que les autres renferment, comment le juge sortiraitil de la perplexité naissant de l’obligation d’ajouter foi
aux uns et aux autres. Il devrait adopter ou les uns ou
les autres, et alors la loi serait violée à l’encontre de
celui dont on aurait rejeté les prétentions; ou bien, ce
que la force des choses £ t la raison indiquent, les re
pousser les uns et les autres, et la loi se trouverait vio
lée à l’égard des deux parties. On ne pouvait sauver les
embarras d’une pareille situation que par le caractère
facultatif donné à la prescription de l’article 12.
D’un autre côté, ce caractère n’était pas moins com
mandé par la crainte d’être amené, dans le cas contrai
re, à consacrer une iniquité flagrante. Les commer
çants ne sont pas infaillibles, et l’on peut supposer
qu’indépendamment de toute pensée de fraude, ils ont
pu se tromper ou omettre sur leur livre le paiement
qu’ils ont réellement reçu, et qu’ils viennent de bonne
foi redemander. Fallait-il que le juge, que les circons
tances de la cause auraient convaincu de la réalité du
paiement allégué, se trouvât enchaîné par une loi posi
tive, et qu’il condamnât le débiteur à payer une se
conde fois, parce que, par une circonstance malheu
reuse, le premier paiement serait omis sur le livre du
créancier? C’eût été inique et absurde, et, en présence
d’une pareille éventualité, on ne peut qu’applaudir l’ar
ticle 12, le laissant libre-d’obéir aux inspirations de sa
conscience.
2 4 3 . — Ainsi, la production de livres régulière-
�ART.
12 ET 13.
377
ment tenus ne doit pas, dans tous les cas et par elle
seule, faire admettre la demande. Les tribunaux ne de
vront l’accueillir qu’en tant que cette demande se fon
dera sur la vraisemblance, qu’elle ne sera pas surtout
combattue par des présomptions graves nées des cir
constances et des faits du procès. Mais, dans l’appré
ciation à laquelle ils sont appelés à se livrer, ils ne doi
vent pas oublier que la loi entend récompenser celui
qui a fidèlement exécuté ses prescriptions. En consé
quence, dans le doute, ils doivent se prononcer en fa
veur de celui dont les livres sont réguliers, surtout si
son adversaire commerçant ne produisait que des livres
irrégulièrement tenus ou prétendait n’en avoir tenu
aucun.
C’est ce qui se pratiquait spus l’empire de l’ordon
nance de 1673, notamment dans le cas de refus de
représenter les livres. « Si un négociant dit n’avoir
point de livres, il est certain que celui qui s’y veut
rapporter demandera que le sien soit cru, et il le doit
être, parce qu’il est toujours à présumer qu’un mar
chand qui tient ses livres en bonne forme est plus hom
me de bien et plus croyable que celui qui dit n’en
point avoir, et les juges ont sujet de croire qu’il ne
veut pas les représenter pour éviter sa condamnation.1 »
11 en serait de même aujourd’hui. Des motifs iden
tiques amèneraient un résultat semblable. Celui qui se
verrait ainsi condamner ne pourrait justement s’en
1 Savary, Parfait négociant, t. i, p. 375.
�378
DES LIVRES DE COMMERCE
plaindre, car, de deux choses l’une : ou il cache ses li
vres, et la seule conclusion qu’on puisse en tirer, c’est
que ses propres livres déposeraient contre lui; ou il
n'en a réellement tenu aucun, et, dans ce cas, sa né
gligence est si grave qu’on ne doit pas hésiter à l’en
punir, en lui en imposant toutes les conséquences,
quelque rigoureuses qu’elles puissent être.
2 4 4 . — L’article 12 renferme donc en quelque
sorte une exception à cette règle : que nul ne peut se
créer un titre à soi-même. Le désir de voir la loi rece
voir son entière exécution rend suffisamment raison de
l’existence de cette exception, qui ne peut, d’ailleurs,
devenir un danger que pour ceux qui veulent volon
tairement s’y exposer."
moyen de s’y soustraire est
fort simple. Il consiste à opposer des livres réguliers
aux livres réguliers produits par l’adversaires, à rame
ner ainsi forcément le juge dans le droit commun.
C’est cette réciprocité de position qui est devenue le
fondement essentiel de l’exception. Ce qui le prouve,
c’est quetl’article 12 ne confère la faculté d’ajouter foi
aux livres réguliers que dans les contestations de com
merçants à commerçants pour faits de commerce.
2 4 5 . — Dans le projet du Code, communiqué au
tribunat, l’article 12 portait que les livres pourraient
être admis pour faire preuve entre commerçants, e t
pour faits de commerce. Les sections réunies du tribu
nat firent remarquer que cette rédaction induisait à
�ART. 155 ET 13.
379
croire que la preuve par les livres pourrait être oppo
sée : 1° entre négociants pour contestations étrangères
au commerce ; 2° pour faits de commerce à ceux mê
mes qui ne seraient pas négociants. Or, comme les
deux conditions étaient exigées cumulativement, et
qu’il importait dès lors d’empêcher tout équivoque, le
tribunal demanda et obtint le retranchement du mot e t ,
ce qui expliquait parfaitement l’esprit de la loi, en en
rectifiant le texte.
Ainsi l’application de l’article 12 se trouve subor
donnée à cette double circonstance : qualité de com
merçant dans les deux parties ; caractère commercial
dans le fait en litige. En l’absence de l’un ou de l’au
tre, la preuve de l’obligation, comme celle du paiement,
obéirait aux principes du droit commnn.
246.
— Toutefois, et même dans ces termes, une
difficulté sérieuse peut s’offrir. Sufïit-il, dans une opé
ration entre commerçants, que le caractère commercial
existe à l’égard d’une des parties, doit-on l’exiger pour
toutes deux?
M. Delvincourt se prononce dans le dernier sens.
Ainsi, dit-il, un marchand d’étoffes ne pourra pas pré
senter ses livres pour preuve d’une fourniture d’étoffes
à un marchand de vin pour son habillement et celui de
sa famille, et vice versa.1
2 4 7 . — L’opinion contraire est enseignée par M.
1 Inst, du droit com., t. n, p. 18.
�380
DES LIVRES DE COMMERCE
Toullier. Il n’est pas nécessaire, dit-il, que le fait ou
l’engagement de commerce qui forme l’objet de la con
vention appartienne au commerce respectif des deux
contendants.
Ainsi, si un marchand de vins vendait à un banquier
des vins pour sa consommation, la vente, qui n’est un
acte de commerce que de la part du vendeur, est sus
ceptible d’être prouvée par ses livres ; car la loi, pour
les admettre à faire preuve, n’exige pas autre chose,
si ce n’est que les deux parties soient des commerçants
et qu’il s’agisse d’un fait de commerce; elle n’ajoute
pas du commerce respectif des contendants.1
Toullier invoque M. Pardessus à l’appui de sa doc
trine. Mais celui-ci est bien moins positif que lui. Dans
une hypothèse de cette nature, dit en effet M. Pardes
sus, l’acte n’étant commercial que d’un côté, il serait
plus douteux que les livres pussent être admis pour
faire preuve. Néanmoins, comme nous avons vu au nu
méro 86 que les registres d’un négociant devaient con
tenir la mention, même des faits étrangers à son com
merce, cette considération pourrait porter les juges à
exiger, en tout état de cause et même d’office, de l’une
ou de l’autre des parties, ou des deux, l’exhibition de
leurs livres pour s’éclairer sur le fait ou les conditions
de la négociation intervenue entre elles.3
Ainsi M. Pardessus doute et ne se prononce pas. Il
�y a loin, en effet, entre la faculté de consulter les livres
pour y rechercher des éclaircissements, et celle de les
accepter comme preuve. Conséquemment, reconnaître
aux juges la première, ce n’est pas nécessairement leur
conférer la seconde.
248.
— Quant à nous, nous croyons que l’avis de
M. Delvincourt doit seul prévaloir, comme faisant une
plus saine application de la loi. En effet, pour que les
livres puissent faire preuve, l’article 12, nous venons de
le dire, exige cumulativement la qualité de commerçant,
le caractère commercial de l’acte. Il est évident que ce
dernier ne peut s’entendre que relativement à chacune
des deux parties.
Il y a même mieux. C’est surtout contre la partie
poursuivie que ce caractère doit être exigé, car si elle
n’a fait qu’un acte ordinaire de la vie civile, elle s’est
placée par cela même sous l’empire du droit commun,
et les livres de son adversaire ne peuvent pas plus lui
être opposés, qu’ils ne pourraient l’être au non-com
merçant pour un acte isolé de commerce.
Il faut donc, pour qu’un commerçant puisse se pré
valoir de ses livres, que celui à qui il les oppose ait
contracté en sa qualité de commerçant, qu’il ait fait un
acte de commerce. O r, dans l’hypothèse prévue par
M. Delvincourt, le marchand de vins achetant pour sa
propre consommation et pour celle de sa famille agit
bien plutôt comme citoyen que comme commerçant. Il
importe peu qu’au regard du vendeur l’acte soit com-
�382
DES LIVRES DE COMMERCE
mercial. En ce qui le concerne, lui acheteur, le fait
manque complètement de ce caractère. Cela est incon
testable et incontesté.
Dès lors, on ne rencontre dans celte hypothèse au
cune des conditions exigées par la loi. Tout au moins
n’offre-t-elle pas le cumul qu’elle prescrit. La conclu
sion qu’en tire M. Delvincourt est donc la seule légale,
la seule admissible.
Mais, dit-on, le commerçant a des livres sur lesquels
il doit inscrire toutes les opérations même étrangères à
son commerce. Pourquoi donc n’admettrait-on pas le
vendeur à exciper des siens, puisque l’acheteur peut
en annuler les indications en produisant ceux qu’il a
lui-même tenus. Ne rencontre-t-on pas cette réciprocité
sur le fondement de laquelle l’exception qui fait admet
tre les livres se trouve reposer ?
Nous répondons que la même circonstance se réalise
dans toutes les contestations entre commerçants, et
pour quelque cause que ce soit. Supposez, en effet, que
deux négociants aient épousé deux sœurs et que des
difficultés surgissent entre eux sur la quotité de la dot
respectivement touchée. Certes, le litige sera purement
civil et, conséquemment, il ne pourra être résolu par
les livres. Cependant chacune des parties a dû ins
crire sur les siens les sommes qu’il a réellement reçues.
L’existence réciproque des livres n’est donc pas tou
jours une raison péremptoire. L’objection à laquelle
nous répondons n’a dès lors rien de décisif. Il n’y a pas
plus de raison de l’admettre dans notre hypothèse, alors
�qu’elle ne serait même pas proposée dans le cas que
nous supposons.
Cependant il y a, entre celui-ci et la première, cette
différence que le montant de la dot devra figurer sur
les livres à la date de sa réception, tandis que la dé
pense faite pour la consommation de la famille pourra
n’y être inscrite qu’implicitement. En effet, la loi n’o
blige de porter sur le journal la dépense du ménage que
de mois en mois, c’est-à-dire que le commerçant n’y
inscrira que le total. Comment donc pourra-t-il plus
tard prouver que la somme qu’on lui réclame figure
réellement dans celui-ci? En fait, donc, la réciprocité
n’existe pas. Dès lors, indépendamment de ce qu’elle
est loin d’être péremptoire, l’exception n’a aucun fon
dement réel dans notre hypothèse.
Elle n’en trouve pas davantage dans la loi. En effet,
on ne comprendrait pas, si la réciprocité d’écriture de
vait suffire pour que les livres pussent faire foi, que la
loi eût exigé la commercialité de l’acte et la qualité de
négociant. Pouvait-elle oublier l’obligation qu’elle ve
nait d’imposer de porter sur ces livres les opérations
étrangères au commerce? Dès lors, si elle n’avait en
vue que la certitude de cette mention réciproque, elle
pouvait et devait évidemment se contenter de la qualité
de commerçant.
249.
— Est-ce à dire cependant que M. Delvincourt subordonne l’application de l’article 12 à l’hypo
thèse exclusive où l’opération concernerait le commerce
�384
DES LIVRES DE COMMERCE
respectif des parties? La solution affirmative implique
rait la supposition qu’un négociant ne peut faire un acte
de commerce en dehors de sa profession habituelle.
Le contraire est tellement certain, que ce serait faire
injure à cet honorable jurisconsulte que de croire qu’il
a pu le méconnaître ou l’ignorer. On peut d’autant
moins lui reprocher l’un ou l’autre, que son opinion ne
repose que sur cette incontestable vérité.
C’est précisément parce que le commerçant peut
faire des actes de commerce en dehors de ses affaires
habituelles, que la loi n’a pas exigé que le fait litigieux
se rapportât à celles-ci. Quel qu’il soit, il suffit qu’il ait
un caractère commercial à l’endroit des deux parties,
pour que l’application de l’article 12 devienne légale
ment possible.
Ainsi, supposez que le marchand de vins, voulant
faire une spéculation, achète une partie plus ou moins
considérable d’étoffes pour les revendre. La double
condition exigée par le législateur se trouverait réali
sée. Il ne pourrait donc écarter les livres du vendeur,
sous prétexte qu’il n’aurait pas fait un acte de son com
merce habituel. Commerçant, il n’en aurait pas moins
traité avec un commerçant; commercial par rapport à
ce dernier, l’acte ne le serait pas moins à son endroit.
Le cumul de ces deux conditions ne le placerait pas
xf,
moins sous l’empire de l’article 12.
Voilà la véritable portée et le sens réel de la loi. On
comprend dès lors pourquoi elle n’a pas exigé un acte
du commerce respectif des parties, et comment, malgré
�ce silence, M. Delvincourt a pu très-juridiquement con
clure comme il l’a fait.
2 5 0 . — Ainsi le concours simultané de la qualité
de commerçant et du caractère commercial réciproque
de l’acte est indispensable pour que l’article 12 puisse
être appliqué. Cette règle, si explicitement déduite par
le tribunal, justifie l’opinion de M. Delvincourt. Il en
résulte également que le non-commerçant ne serait pas
soumis à sa disposition par cela seul que son obligation
reposerait sur un fait de commerce. Ainsi, si un indi
vidu achetait isolément des marchandises pour les re
vendre, le vendeur ne pourrait lui opposer ses livres.
L’acte aurait bien été commercial vis-à-vis de toutes
les parties, mais comme il ne suffirait pas pour confé
rer à l’acheteur la qualité de négociant, celle-ci man
querait, et son absence ferait sortir les parties du cas
pour lequel l’article 12 est exclusivement édicté.
2 5 1 . — Les livres d’un négociant ne sauraient être
opposés à son commis. En ce qui le concerne person
nellement , celui-ci n’est pas commerçant. Il n’ag it,
dans les actes de commerce qu’il peut faire, que pour
le compte d’autrui. Il n’est pas obligé d’avoir des livres,
sur lesquels il doit porter les sommes qu’il reçoit de son
patron. En conséquence, l’action en répétition des
sommes que celui-ci prétendrait lui avoir payées en
sus de ce qui lui était dû resterait sous l’empire du
droit commun.
25
�386
DES LIVRES DE COMMERCE
252.
— Dès lors le patron demandeur serait obligé
de justifier sa demande. Pourrait-il, dans cet objet, se
prévaloir de l’article 1781 du Code civil, et préten
dre être cru sur son affirmation? Non, car en assimilant
le commis à un domestique, cette exception ne lui se
rait opposable que dans le cas où elle pourrait l’être à
ce dernier, à savoir, lorsque, demandeur contre son
»
maître, il veut le faire condamner au paiement des sa
laires qu’il prétend lui être dus. Telle n’est pas la posi
tion respective des deux parties, lorsque c’est le maître
qui prétend avoir payé plus que ce qu’il devait. Son
affirmation devient alors une prétention ordinaire dont
l’accueil est nécessairement subordonné à la preuve de
sa véracité.
Cette preuve ne pourrait résulter des livres du com
merçant , quelque régulièrement tenus qu’ils fussent
d’ailleurs.1 Il ne s’agirait plus, en effet, d’une contesta
tion entre commerçants pour faits de commerce, l’arti
cle 12 ne saurait donc être invoqué.
2 5 5 . — La foi due aux livres réguliers doit être
restreinte aux opérations directement intervenues entre
commerçants, pour lesquels l’usage invariable est de se
contenter de les porter sur les écritures, soit au débit,
soit au crédit. Elle ne pourrait donc être invoquée si
par sa nature l’opération comportait une justification
spéciale indépendamment de cette mention. Tels sei Rouen, \ 6 novembre 1826
�raient, par exemple, les paiements qu’un commerçant
prétendrait avoir fait à des tiers pour le compte d’un
de ses correspondants. Ces paiements ne pourraient être
prouvés en faveur de celui-ci que par les quittances si
gnées par les créanciers. Comment, en effet, prouve
rait-on que la dette est éteinte? Ce n’est cependant que
si elle l’a été réellement, que le débiteur sera tenu de
rembourser ce qu’on a payé pour lui.1
2 5 4 . — Le principe déjà posé par l’article 1329 du
Code civil, à savoir, que les livres et registres des mar
chands ne font point, contre les personnes non-mar
chandes, preuve des fournitures qui y sont portées,
prouve une éclatante confirmation dans les conditions
que l’article 12 exige pour qu’ils puissent faire foi.
Pourra-t-on du moins en faire résulter contre les
non-commerçants un commencement de preuve par
écrit rendant la preuve orale et celle par présomptions
admissibles ?
Nous avons, ailleurs, résolu affirmativement cette
question. Nous nous sommes fondé sur les usages com
merciaux, qui ne permettent pas aux détaillants surtout
de rapporter une preuve écrite de chacune des fourni
tures qu’ils font; sur la doctrine et la jurisprudence
ancienne ; enfin, sur la faculté que laisse le Code de dé
férer le serment, ce qui, a fortiori, entraîne le pouvoir
1 B o rd e a u x ,
10 août 1 8 3 8 . J . D . P . , n , 38, p. 4 7 4 .
�388
DES LIVRES DE COMMERCE
d’admettre la preuve testimoniale, aux termes de l’arti
cle 1367 du Code civil.1
2 5 5 . — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Bravard Veyrières. Il ne veut pas que dans un cas pareil
on ait recours à la preuve testimoniale. Si le juge, ditil, a confiance dans le demandeur, il doit lui déférer le
serment et non pas recourir à la preuve testimoniale.
S’il n’a pas confiance en lui, il doit déférer le serment
au défendeur ou même le renvoyer purement et sim
plement de la demande, sans recourir à la preuve testi
moniale. Admettre cette preuve, ce serait empirer la
position du défendeur, au mépris du texte et de l’es
prit de la loi.2
2 5 6 . — Il importe de remarquer que M. Bravard
n’enseigne pas que la preuve testimoniale n’est pas
admissible. Seulement, il ne veut pas qu’on l’ordonne,
sans doute elle serait inutile dans les hypothèses où il se
place. Si la conviction du juge est dès à présent for
mée, s’il est en position de formuler un jugement en
faveur ou contre le marchand, il serait illusoire de pro
longer un litige désormais sans objet.
Mais Cette conviction n’est pas toujours facile, les
circonstances du procès peuvent je te r, même sur la
question de savoir à qui doit être déféré le serment,
un doute tel, que le juge éprouve le plus complet em i V. notre Traité du Dolet de la Fraude , n°s 733 et suivants,
s Manuel de droit com.. o. 31.
�ART.
12 ET 13.
389
barras. Pourquoi donc ne pas lui permettre de sortir
de cette perplexité en s’entourant de nouveaux docu
ments, en cherchant des lumières nouvelles dans une
enquête contradictoire . N’est-ce pas pour des cas pa
reils qu’est faite la preuve testimoniale ? Comment
donc le juge qui, dans cette position, userait de la fa
culté discrétionnaire que lui accorde la loi, encourraitil le reproche d’en violer le texte et l’esprit ?
Quant à celui d’empirer par ce moyen la position du
défendeur, il est au moins singulier. M. Bravard, qui
veut Lien que le magistrat rende le marchand juge dans
sa propre cause en lui déférant le serment, ne veut pas
lui permettre, avant d’en venir là, d’interroger des per
sonnes désintéressées, et de soumettre le litige à une
enquête dans laquelle le défendeur pourra discuter les
témoignages produits contre lui et faire entendre ceux
qu’il croira utiles à son exception. Evidemment si quel
que chose devait empirer le sort du défendeur, ce se- .
rait, sans contestation possible, la consécration de l’o
pinion de M. Bravard.
Ce reproche n’est donc pas sérieux. La doctrine
qu’il invoque ne saurait dès lors être admise. On doit
d’autant plus le décider ainsi, qu’au fond cette doctrine
n’est que la négation de la faculté, que la loi aban
donne à la prudence du juge, de recourir à tous les
moyens propres à éclairer sa religion et à rassurer sa
conscience.
Nous résumerons cette discussion en rappelant quel-
�390
DES LIVRES DE COMMERCE
ques considérations fort judicieuses, à l’aide desquelles
le profond Toullier tranche notre question.
« La loi permettant expressément de déférer au
marchand demandeur le serment supplétoire à l’appui
de ses livres, lorsqu’il y a en leur faveur vraisemblance
et présomption de bonne fo i, permet implicitement,
par une raison a fortiori, l’admission de la preuve tes
timoniale; car admettre le témoignage o u ïe serment
du demandeur pour décision dans sa propre cause ,
c’est infiniment plus que de lui permettre d’invoquer
le témoignage de tierces personnes désintéressées, qui
ne lie point les juges, et qui, d’ailleurs, est balancé par
les témoins que le défendeur peut toujours faire en
tendre ; en permettant le plus, la loi est toujours
censée permettre le moins ; c’est une exception à la
règle de l’article 1347, laquelle, au reste, n’est pas li
mitative.1 »
M. Bravard Veyrières pourrait vouloir étayer sa doc
trine sur un arrêt de la cour de cassation du 30 avril
1838. Cet arrêt, en effet, rejette le pourvoi formé con
tre un arrêt de la cour de Paris, refusant de considé
rer comme un commencement de preuve par écrit les
indications des livres d’un commerçant.
Nous avons eu occasion de le répéter bien souvent,
la signification et la valeur des décisions judiciaires ne
peuvent être sainement appréciées qu’eu égard à la ma
tière sur laquelle elles sont intervenues, que secundum
�subjectam materiam, l’oubli de cette règle a pu seul
faire attribuer un caractère doctrinal à des arrêts qui
ne constituent que des arrêts d’espèce.
Que celui rendu par la cour de cassation le 30 avril
1838 se place dans cette dernière catégorie, c’est ce
dont son examen ne permet pas de douter. En effet, les
sieurs André et Cottier, banquiers à Paris, qui avaient
acheté et payé une rente de 6,500 fr. sur l’indemnité
à payer par l’Espagne, en vertu de traités intervenus
avec la France, au propriétaire du navire les Trois Fé
licités, la revendaient à un sieur Dreux par acte public
qui stipulait également le prix à 80,000 fr., et en don
nait quittance.
L’Espagne s’étant exécutée, Dreux fut mis en pos
session de la rente qu’il avait achetée, mais il dut plus
tard s’en dessaisir, les assureurs ayant fait définitive
ment juger contre lui que l’indemnitée due par l’Espa
gne était leur propriété exclusive. A la suite de cette
éviction, il demande à MM. André et Cottier le rem
boursement du prix de 80,000 fr.
Ceux-ci s’y refusent. A l’appui de ce refus, ils allè
guent que l'indication du prix de 80,000 fr. est une
simulation j que ce prix n’a été que de 15,000 fr., ce
qu’ils prétendent établir par les énonciations de leurs
livres de commerce. Appelés devant le tribunal de com
merce , ils soutiennent : 1° que l’acte notarié dont le
sieur Dreux se prévaut est entaché de dol et de fraude ;
2° qu’il leur a été impossible de se procurer une preuve
écrite de la simulation ; 3° qu’on doit voir un com-
�392
DES LIVRES DE COMMERCE
mencement de preuve par écrit soit dans les interroga
toires de Dreux et du notaire qui avait reçu l’acte, soit
dans leurs livres de commerce ; qu’en conséquence, on
doit les admettre à prouver la simulation nonobstant la
prohibition que fait l’article 1341 du Code civil de
prouver outre et contre le contenu aux actes publics.
Le tribunal de commerce d’abord, la cour de Paris
ensuite repoussent ce système et ordonnent la restitu
tion des 80,000 fr. Celle-ci établit d’abord qu’il ne s’a
git en réalité que d’une simulation sans mélange de dol
ni de fraude ; et à ce point de vue elle considère :
« 1° Que dans l’acte passé devant Beauderon-Delamaze,
« notaire à Paris, le 21 novembre 1825, André Cottier
« ont stipulé en leur nom personnel ; qu’ils ont dé« claré transporter à Dreux la créance qui y est énon« cée, et reconnu avoir reçu la somme de 80,000 fr.
«c formant le prix du transport; qu’étant parties dans
« ce transport, ils sont inadmissibles à prouver sa si« mulation ou tout autre allégation outre et contre son
« contenu; 2° qu’au surplus, ils ne présentent aucun
« commencement de preuve par écrit des faits par eux
« allégués ; qu’on ne saurait en effet reconnaître ce ca« ractère à leurs livres de commerce, à la correspon« dance d’Hamelin avec eux, ni à l’interrogatoire sur
« faits et articles de Beaudenon-Delamaze, toutes ces
« pièces n’étant pas émanées de Dreux. »
C’est le pourvoi contre cet arrêt que la cour de cas
sation rejetait le 30 avril 1838. Pouvait-elle, dans les
circonstances du procès, faire autrement sans mécon
naître les principes les plus élémentaires.
�Â.RT.
12
ET
13.
393
L’existence d’un acte authentique plaçait immédia
tement les parties sous l’empire de l’article 1341 du
Code civil. La preuve que cet acte était le résultat du
dol et de la fraude pouvait seule faire disparaître l’obs
tacle qui naissait de cette disposition. Mais si André
Cottier avaient parlé du dol et de la fraude, ils n’avaient
ni articulé les faits dont ils entendaient les faire ré
sulter, ni offert de les justifier, ce que leur reproche
avec raison la cour de cassation.
Tout se réduisait donc à la simple-simulation du prix
de la cession, mais cette simulation avait été nécessai
rement concertée. Elle était donc le fait d’André Cot
tier comme celui de Dreux, ils étaient dès lors irrece
vables à en exciper, en vertu de la règle nemo auditur
turpitudinem suam allegans.1
Il aurait fallu dans tous les cas que pour échapper à
l’article 1341, que André Cottier pussent se placer dans
l’exception soit de l’article 1347, soit de l’article 1348.
Or, pouvaient-ils sérieusement soutenir qu’ils avaient
été dans l’impossibilité de se procurer la preuve écrite.
Outre que l’article 1348 a précisé les cas dans lesquels
cette impossibilité peut être reconnue, et qu’ils ne pou
vaient prétendre s’être trouvé dans aucun d’eux, la vé
rité était, au contraire, que rien ne leur était plus facile
que de se procurer cette preuve. Ils pouvaient exiger
une contre-lettre établissant le prix réel, et subordon
ner à sa souscription leur consentement à l’acte de ces1 V. notre Traité du dol et de la fraude, nO !29
�394
DES LIVRES DE COMMERCE
sion. Ils le devaient d’autant plus qu’il se serait agi de
15,000 fr. au lieu de 80,000. En l’état d’une différence
aussi énorme, l’absence de toute contre-lettre imprimait
à l’allégation un caractère d’invraisemblance qui devait
la faire repousser.
André Cottier ne pouvaient donc se placer sous le
bénéfice de l’article 1348. Etaient-ils mieux à même
d’invoquer l’article 1347? Avaient-ils en mains un
commencement de preuve par écrit? La cour de cas
sation se prononce pour la négative et qui oserait le lui
reprocher? En définitive, les sieurs André Cottier en
étaient réduits à invoquer leurs livres de commerce,
c’est-à-dire leur propre et unique allégation. Est-ce là
le commencement de preuve que définit l’article 1347?
On nous objectera qu’à deux reprises, nous nous
sommes prononcés pour le commencement de preu
ve.1Nous persistons à l’admettre ainsi, et la loi le pense
avec nous, puisqu’elle permet au juge de déférer le ser
ment à l’une dés parties, ce qui, supposant la preuve
testimoniale recevable, considère les livres et registres
comme fournissant un commencement de preuve.
Mais cette dérogation au droit commun ne saurait
être ni générale ni absolue et pour en apprécier saine
ment le caractère et l’étendue, il faut s’en référer aux
motifs qui la recommandent et la légitiment.
La vente à crédit est une des impérieuses nécessités
1 V. notre Traité du dol et de la fraude, n°* 733 et suiv. ; sup ., n°‘
�ART.
12 ET 13.
395
du commerce et il n’est ni dans les usages, ni dans les
possibilités que dans les ventes au détail "surtout, le
commerçant exige une reconnaissance. Comment l’obtiendrait-il de la classe encore trop nombreuse de ceux
qui ne savent ni lire ni écrire ?
En l’état de ces usages et de ces impossibilités, il se
rait inique qu’on laissât la fortune des marchands à la
merci de leurs pratiques et d’accepter une dénégation,
souvent inspirée par la mauvaise foi, comme un obsta
cle invincible à la demande. Est-ce que d’ailleurs l’ar
ticle 1348 ne peut pas être invoqué avec raison ?
C’est aux magistrats à apprécier et c’est dans ce but
que la loi, loin de leur faire un devoir de se prononcer
dans ce sens, leur accorde une simple faculté, faculté
dont ils ne doivent user, disait Dumoulin, qu’à la con
dition que d’autres présomptions militeront en faveur
de la demande ; qu’entre la moralité du marchand et la
régularité de ses écritures, la modicité de la somme
réclamée, la vraisemblance de la fourniture, sa propor
tionnalité avec les besoins réels du débiteur, l’habitude
de celui ci de prendre à crédit feront considérer cette
demande comme n’étant pas totalement dénuée de
preuves.
Voilà dans quel sens nous avons admis que les livres
des commerçants pourront servir de commencement de
preuve par écrit, or, rien de tout cela ne se réalisait
dans l’espèce de la cour de cassation. La nature de l’o
pération tout-à-fait en dehors du commerce, l’impor
tance de la somme, protestaient contre la prétention
■i
�396
DES LIVRES DE COMMERCE
des sieurs André Coltier, loin de la rendre vraisem
blable.
Puis, chose plus grave et plus caractéristique, il n’a
vait existé ni impossibilité matérielle ni impossibilité
morale de se procurer la preuve écrite. Les parties
n’avaient pas traité en la forme commerciale, et puis
qu’elles en avaient appelé au ministère du notaire, cha
cune d’elles avait été en mesure et par conséquent te
nue de faire déterminer le véritable caractère de son
engagement soit dans l’acte même, soit dans une con
tre-lettre. C’est donc avec raison que la cour de cas
sation déclare que : Loin d'être dans l'exception per
mise par l'article 1348, les demandeurs en étaient ex
cluspar le principe que consacre cet article, puisqu'il
leur a été très-possible de se procurer une preuve écrite
de leur allégation.
Nous avons donc raison de le dire, l’arrêt de la cour
de cassation du 30 avril 1838 est un arrêt d’espèce. On
ne saurait dès lors en tirer aucune induction pour la
solution en droit pur de notre question. Nous persis
tons donc dans l’opinion que nous avons émise à ce su
jet. Oui, les tribunaux peuvent considérer les livres ré
gulièrement tenus comme un commencement de preuve
par écrit toutes les fois que s’agissant d’une opération
du commerce ordinaire de celui qui les a tenu, les usa
ges et les nécessités de sa profession ne lui permettaient
pas d’exiger et de se procurer une preuve écrite.
Mais aux termes de l’article 1329 et des articles
1366 et 1367 du Code civil, ce n’est là qu’une simple
�ART.
12 ET 13.
397
faculté, et si par les faits et circonstances du procès,
les juges refusent de donner aux livres ce caractère,
leur décision pourrait bien constituer un mal jugé,
mais ne saurait être querellée comme une violation de
la loi.
257.
— Ainsi les livres réguliers des marchands,
s’ils ne font pas foi contre les non-commerçants, éta
blissent au moins un commencement de preuve par
écrit rendant la preuve orale admissible. Mais cela ne
peut s’entendre qu'à raison des fournitures que le mar
chand aurait fait d’objets de son commerce. L’autorité
que la loi a elle-même attachée aux livres, même à
l’endroit des non-négociants, n’est que la conséquence
de l’impossibilité que nous signalions tout à l’heure, à
savoir, d’exiger de chaque acheteur au détail une
preuve écrite de l’achat. Conséquemment, là où cette
impossibilité n’existerait pas, et où elle ne résulterait
pas des usages commerciaux, on n’aurait aucun motif
raisonnable d’accueillir la présomption sur laquelle est
fondée l’exception à l’article 1347 dont parle Toullier.
Conséquemment, si un négociant répétait contre un
non-commerçant une créance plus ou moins considé
rable provenant d’un prêt en espèces, ses livres ne
pourraient lui être d’aucun secours. 11 ne s’agirait plus,
en effet, d’un acte qui lui était imposé par sa profes
sion, et sans lequel il n’y a pas de commerce de détail
possible. Il aurait fait un traité ordinaire de la vie civile
pour la constatation duquel il restait soumis aux pres-
)
�398
DES LIVRES DE COMMERCE
criptions du droit commun. La responsabilité dont on
lui appliquerait les effets ne serait que la juste consé
quence de la négligence qu’il aurait mise à leur exécu
tion. La production de ses écritures serait écartée par
application de la maxime que nul ne peut se créer un
titre à soi-même.
258.
— Du principe posé par l’article 12, à savoir,
que, pour être admis entre commerçants pour faits de
commerce, les livres devaient être régulièrement tenus,
il résultait nécessairement que leur irrégularité devait
les faire absolument exclure. Quelque puissante que
fût cette induction, le législateur ne s’en est pas contenté
cependant, il a cru devoir la consacrer formellement
dans l’article 13.
Donc les livres que les individus faisant le commerce
sont obligés de tenir, et pour lesquels ils n’auront pas
rempli toutes les formalités requises, ne pourront être
représentés ni faire foi en justice au profit de ceux qui
les auront tenus, sans préjudice de ce qui est réglé au
livre des faillites et banqueroutes.
Ainsi non-seulement les livres irréguliers ne pour
ront faire preuve de ce qu’ils renferment au profit du
commerçant qui les a tenus, mais encore ils ne sont
pas susceptibles d’être produits en justice. Les tribu
naux peuvent d’office, et doivent, lorsqu’ils en sont
requis, les rejeter purement et simplement du procès
dont ils ne peuvent jamais devenir un élément légal de
solution. Cette règle, conséquence immédiate du texte
�d elà loi, est consacrée par la jurisprudence. Nous la
retrouvons notamment proclamée dans un arrêt rendu
par la cour de Bourges, le 22 août 1817.
Il eût été, au reste, difficile d’admettre le contraire
sans méconnaître l’intention de la loi et sans compro
mettre le but qu’elle a voulu atteindre. Le désir de se
créer un titre capable de faire consacrer son droit peut
être pour un commerçant un mobile suffisant pour sou
mettre ses écritures aux formalités qui doivent en ga
rantir l’identité et l’authenticité. S’il peut atteindre au
même but sans y recourir, il ne le fera pas, parce qu’il
n’aura plus d’intérêt à le faire.
259.
— On doit donc tenir la main à ce que les
prescriptions de l’article 13 reçoivent une exécution
sévère et complète. Les livres irréguliers ne doivent
jamais être admis par la justice. Quelles que soient
leurs énonciations, elles ne peuvent ni devenir les ba
ses légales d’une condamnation, ni être invoquées à
titre de présomptions autorisant le juge à déférer le
serment supplétoire. C’est ce que la cour de Rennes a
fort nettement décidé par arrêt du 23 août 1821.
Dans l’espèce de cet arrêt, un sieur Mercier préten
dait avoir rapporté d’un sieur Démolière la cession de
la quote-part d’intérêt que celui-ci avait à prétendre
dans une association relative à l’armement et à l’exploi
tation d’un navire dont il avait le commandement. En
preuve de cette cession, formellement déniée, Mercier
produisait son livre journal, sur lequel il l’avait effectiment inscrite à la date du 20 nivôse an i i i .
�400
DES LIVRES DE COMMERCE
L’affaire ayant été portée devant le tribunal de com
merce de Nantes dès l’an v, et divers jugements étant
toujours restés sans exécution, ce tribunal en prononça
un dernier, le 21 février 1821, par lequel, sans admet
tre que la preuve de la cession dût être considérée
comme résultant du livre irrégulier de Mercier, il trouve
dans ses énonciations une circonstance de nature à en
faire présumer la sincérité. En conséquence, il admet
Mercier à prêter le serment supplétoire qui lui est dé
féré d’office.
Démolière émet appel de ce^ugement. Il discute d'a
bord les présomptions extérieures invoquées par le pre
mier juge, il soutient ensuite que c’est mal à propos
qu’on a cru devoir déférer le serment à son adversaire
sur le fondement de ses livres, puisque leur irrégularité
devait les faire absolument rejeter du procès.
Ce système triompha devant la cour. Les motifs qui
le firent accueillir sont : « Que si aux termes de l’arti—
« cle 12 du Code de commerce, conforme en ce point
« au droit ancien, les livres de commerce régulière« ment tenus peuvent être admis par les juges pour
« faire preuve entre commerçants, pour faits de corn
et merce, le législateur a exigé pour la r4gularité de la
« tenue de ces livres qu’ils aient été paraphés et visés
« une fois l’an, et qu’ils aient été tenus par ordre de
« dates, sans blancs, lacunes ni transports en marge ;
« qu’à défaut de ce, l’article 13, même Code, décide
« que les livres de commerce, pour lesquels les forma« lités ci-dessus prescrites n’auront pas été observées,
�y
«
«
«
«
«
«
«
ne pourront être représentés ni faire foi en justice
au profit de ceux qui les auraient tenus; en fiait,
que les livres de Mercier ne sont ni visés ni paraphés
conformément à la loi, et conséquemment ne peuvent faire foi en justice de leur teneur, ni avoir autorisé les premiers juges à lui déférer d'office le serment supplétoire. »
Ce qu’il importe de retenir de cet arrêt, c’est l'ap
plication du Code de commerce à une opération évi
demment réalisée sous l’empire de l’ordonnance, ce qui
prouve qu’il ne s’agissait pas seulement de l’absence du
visa et du paraphe annuel. Cette formalité, en effet,
n’a été introduite que par le Code, l’ordonnance de
1673 ne l’exigeait pas. Comment donc aurait-il été
possible de considérer comme irrégulier le journal tenu
en l’an tir, c’est-à-dire à une époque où la formalité
dont on relevait le défaut n’était pas encore obliga
toire ?
Il est certain que si ce journal avait été signé, coté et
paraphé comme l’exigeait l’article 3, titre m de l’or
donnance, il eût été régulier et aurait pu faire foi entre
commerçants et pour fait de commerce. L’arrêt de la
cour de Rennes n’est donc, et ne peut être considéré
comme juridique qu’en admettant, indépendamment
du reproche qu’il renferme dans ses motifs, que le
journal n’avait pas été tenu dans les formes exigées
par la législation antérieure au Code. Dans cette hypo
thèse, en effet, malgré le silence qu’elle gardait sur
les effets de sa violation, il n’est pas douteux que la
26
�402
DES LIYRES DE COMMERCE
règle depuis consacrée par le Code ne dût être appli
quée. La doctrine et la jurisprudence l’indiquaient à
l’en v i, comme résultant implicitement du texte de
la loi.
On reprochera peut-être à la cour de Rennes de finir
par faire ce qu’elle blâme chez le premier juge, d'avoir
déféré le serment non plus au demandeur, il est vrai,
mais au défendeur.
Ce reproche serait immérité, ce que la cour critique
chez le premier ju g e, c’est d’avoir induit des livres,
quoique irréguliers, une vraisemblance assez forte pour
autoriser la délation du serment, et d’avoir ainsi jugé
que si ces livres ne justifiaient pas pleinement la de
mande, ils ne la laissaient pas totalement dénuée de
preuves, ainsi que l’exige l’article 1367 du Code civil.
La cour de Rennes repousse les livres d’une manière
absolue, et si elle défère le serment, c’est, dit l’arrêt,
« que les faits respectivement retenus et contestés, et
« la nature des liaisons commerciales qui avaient existé
« entre les parties autorisent la cour, aux termes de
« l’article 1366 du Code civil, à exiger que le sieur
« Demolière affirme, sous la foi du serment, qu’à au« cune époque, il n’a cédé au sieur Mercier la moitié
« de son intérêt, d’un quart dans le navire l’Hydre ou
« le Tyrannicide. »
C’est-à-dire que la cour invoque les présomptions
auxquelles donnaient naissance les faits du procès et la
nature des relations qui avaient eu lieu entre les par
ties. Qu’elle fut en droit de le faire, c’est ce qui ne sau-
�ART. 12 ET 1 3 ,
403
rait être ni méconnu ni contesté, elle jugeait en ma
tière commerciale où la preuve testimoniale étant de
droit commun, la preuve par présomptions était évi
demment admise, admissibilité qui autorisait de son
côté la délation du serment supplétoire.
Je sais qu’on a prétendu induire de ces termes de
l’article 1329 du Code civil : Sauf ce qui y sera dit à
l'égard du serment, la faculté pour le juge d’user du
droit que lui donne l’article 1366 même Code, dans
tous les cas, et dans quelque état que se trouvent les
livres invoqués par le marchand. La réserve est géné
rale, a-t-on dit, sans restriction aucune. On ne pour
rait donc,isans ajouter à la loi, faire une distinction que
le législateur n’eût pas manqué de libeller si elle avait
été dans son intention.
Cette interprétation de l’article 1329 est de tous
points inadmissible. Elle aboutirait à ce résultat qu’on
aurait fait aux non-commerçants, dont cet article s’oc
cupe exclusivement, une position pire que celle qui est
assurée aux commerçants.
En effet, en ce qui concerne ces derniers, les livres
irrégulièrement tenus ne peuvent, aux termes de notre
article 13, être représentés ni faire foi en justice, tandis
que pour les non-commerçants, les livres irréguliers
pourraient non-seulement être représentés, mais encore
devenir le fondement d’une délation de serment.
Une pareille anomalie est trop contraire à la raison
pour qu’on hésite à la condamner. Dans tous les cas,
elle ne pourrait être admise que si la loi l’avait exprès-
�404
DES LIVRES DE COMMERCE
sèment autorisée or cette autorisation n’est ni dans
son texte ni dans son esprit.
L’article 1329 du Code civil suppose de toute certititude que les registres des marchands, pouvant deve
nir pour le juge un motif de recourir au serment, sont
légalement représentés et ont été valablement versés
au procès. 11 est évident, en effet, que s’ils ne peuvent
être produits en justice, il était fort inutile d’exprimer
qu’ils ne feraient pas foi contre les personnes non mar
chandes. Comment, en effet, les juges auraient-ils pu
accueillir des indications qu’ils ne connaissaient pas,
qu’il leur était interdit de connaître ?
Or n’est-ce pas ce qui, aux termes de l’arficle 13 du
Code de commerce, se réalisera si des livres ont été ir
régulièrement tenus, à moins de soutenir que cet arti
cle 18 ne peut être invoqué par les non-commerçants,
ce qui serait, en droit, une véritable hérésie?
Donc, l’article 1329 se place darîs l’hypothèse d’écri
tures régulièrement tenues, et ce n’est que de cette
manière qu’on s’explique la réserve relative au ser
ment. En effet, la demande fondée sur ces écritures,
si elle n’est pas pleinement justifiée, n’est pas totale
ment dénuée de preuves, c’est-à-dire que la double
condition que l’article 1367 met à l’exercice de la fa
culté donnée par l’article 1366 se réalisant, cet exer
cice n’est plus de la part du juge qu’un acte légal et
légitime.
En dernière analyse, les prescriptions de l’article 13
du Code de commerce peuvent être invoquées par les
�ART.
12 ET 13.
405
non-commerçants comme par les commerçants euxmêmes. L’article 1329 du Code civil n’y met aucun
obstacle, il ne dispose que pour le cas où les livres
ayant été régulièrement tenus, peuvent être valable
ment soumis aux juges et appréciés, par eux.
2 6 0 . — L 'irrégularité des livres ne permet pas de
distinguer si le litige s’agite ou non entre commerçants,
s’il a pour cause une opération de commerce ou une
affaire purement civile. Par cela seul que celui qui les
a tenus a omis de se conformer aux formalités prescri
tes parles articles 8 et suivants, les livres ne peuvent
fournir ni preuve, ni présomption ; ils ne sauraient
même être représentés en justice. Ils auraient pu être
fabriqués après coup pour les besoins du procès, du
moins on pourrait le soutenir, et cette supposition,
juste conséquence du mépris de la loi, leur enlève ab
solument toute consistance.
2 6 1 . — Mais cet effet est exclusivement borné au
commerçant qui n’a pas rempli les formalités voulues.
Les livres irréguliers ne pourront être représentés en
justice, ni faire foi de ce qu’ils contiennent en faveur de
veux qui les ont tenus. Si ces termes de l’article 13
avaient besoin d’un commentaire, la discussion législa
tive qu’ils ont subie nous en fournirait un aussi péremp
toire que décisif.
2 6 2 . — Dans le projet primitif du Code, l’article
13 disposait que les livres irréguliers ne feraient aucune
�406
DES LIVRES DE COMMERCE
foi en justice, ni pour ni contre personne ; mais cette
rédaction ne fut pas définitivement admise. On se borna
à décider que ces livres ne produiraient aucun effet en
faveur de ceux qui les auraient tenus. La déduction
logique de cette modification était évidemment qu’en
en prohibant la représentation en leur faveur, on l’ad
mettait implicitement contre eux. Cette conséquence,
résultant du texte même, est encore bien plus claire
ment démontrée par l’esprit de la loi.
263.
— Cet esprit, que nous puisons dans la dis
cussion au conseil d’Etat, se fonde d’abord sur cette
règle de morale et d’équité, que nul ne doit être puni
pour une faute qui lui est étrangère. Or, quelle est la
part que le tiers a prise à la tenue irrégulière des livres?
A -t-il pu influer sur la conduite de leur détenteur?
Pouvait-il le contraindre à agir autrement qu’il n’a fait,
et l’obliger à remplir les formalités prescrites? Non évi
demment. Dès lors, on ne devait raisonnablement pas
le rendre responsable et victime de leur violation dans
une proportion quelconque.
Un autre motif se réunissait à cette inspiration de
haute équité. Il fallait se bien garder de donner le moin
dre encouragement à la violation de la loi. C’en était
un que d’admettre que les livres irréguliers ne pour
raient jamais être invoqués contre celui qui les a tenus.
La certitude de n’avoir jamais à les produire pouvait
paraître, à un commerçant de mauvaise foi, une com
pensation plus que suffisante à l’impossibilité de pou-
�ART.
12 ET 13.
407
voir lui-même y puiser un élément en sa faveur. Lui
accorder cette compensation, c’était le récompenser
de sa désobéissance, favoriser sa mauvaise foi, et se
placer ainsi doublement en opposition à la volonté bien
formelle du législateur.
Enfin il était inique de consacrer qu’un commerçant
pût trouver dans la violation de la loi un titre suffisant
pour se délier d’une obligation dont il pourrait faire
disparaître toute trace, en célant ses propres écritures.
On lui aurait ainsi permis non-seulement de se placer
au-dessus de la volonté du législateur, mais encore de
venir effrontément s’en glorifier devant la justice et en
réclamer le prix. A une prétention de cette nature, il
n’y avait qu’une réponse possible : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans.
La rédaction définitive de l’article 13 se justifie donc
sous le triple rapport de la morale, de la raison et de
la justice. Voici la position exacte qu’elle fait au com
merçant, aux tiers, aux tribunaux.
2 6 4 . — Le premier, coupable de la tenue irrégu
lière des livres, n’est pas recevable à les représenter, à
l'appui des actions qu’il aura judiciairement intentées, il
ne peut y puiser ni preuve, ni présomption à son pro
fit. Pour lui, les livres irréguliers sont comme s’ils n’a
vaient jamais existés. Ils ne sont pas même de nature à
lui faire déférer le serment supplétoire.
2 6 5 . — Pour les tiers débiteurs ou créanciers, la
�408
DES LIVRES DE COMMERCE
loi leur permet de récuser l’autorité des livres irrégu
liers dont on voudrait se prévaloir contre eux. Ils sont
recevables et fondés à en faire prononcer le rejet pur
et simple. Mais c’est là une faculté dont l’exercice est
exclusivement subordonné à leurs convenances person
nelles. Ils peuvent donc, si leur intérêt leur en fait un
devoir, non-seulement ne pas s’opposer à leur produc
tion, mais encore la requérir de leur chef et contre la
volonté du commerçant qui les a tenus. Vainement ce
lui-ci exciperait-il de leur irrégularité. Cette fin de nonrecevoir , exclusivement abandonnée aux tie rs, ne
saurait jamais leur être opposée, surtout par celui qui
se la serait plus ou moins frauduleusement ménagée, en
commençant par violer les obligations qu’il devait
remplir.
266.
— Les tribunaux peuvent même d’office or
donner la production des écritures irrégulières, afin de
se procurer les éclaircissements qu'ils croient indispen
sables à la solution du litige. Mais ils ne sauraient faire
résulter de leurs indications la nécessité d’une solution
favorable à celui qui les a tenues.
Cette faculté a été formellement et expressément
réservée lors de la discussion de l’article 13 dans le
sein du conseil d’Etat. Nous avons déjà vu comment
avait été primitivement conçu l’article, comment et
pourquoi on avait substitué à sa rédaction celle qui
nous régit actuellement. M. Bigot de Préameneu faisait
remarquer à ce sujet qu’il fallait se borner à dire que
�..
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ART. 10 ET 11.
, V..
^
409
les registres qui ne seront pas en règle ne pourraient
faire foi au profit du marchand , parce qu’il con
venait d’autoriser le juge à se les faire représenter,
s’il veut prendre cette précaution pour rassurer sa
conscience.
Ainsi, tous peuvent recourir aux livres irréguliers,
et y trouver des preuves contre leur auteur. Celle rè
gle, qui se déduit du texie même de l’article 13, nous
est de plus fort enseignée par son esprit. Nous venons
de voir les cours de Bourges et de Rennes la consacrer
d’une manière formelle. Une seule personne n’est pas
recevable à s’en prévaloir, c'est le commerçant qui les
a tenus.
267.
— D’autre part, et lorsque les tiers ou la jus
tice ont demandé ou ordonné la production des livres,
il n’y a qu’une personne irrécevable à exciper de leur
irrégularité, et c’est encore le commerçant qui les a
tenus. Cette règle s’applique même entre associés,
par le motif qu’étant également coupables de la viola
tion de la loi, les associés ne peuvent s’opposer l’un à
l’autre l'irrégularité des livres de la société, c’est ce
qu’enseigne la doctrine.1
C’est aussi ce qui résulte de la jurisprudence. En
effet, la Cour de cassation a décidé formellement que
l’irrégularité des livres de commerce ne peut être in1 V. Toullier, t. vin, n°s 387 et suiv. ; — Rolland de Villargues,
v‘> Livre de comm., n° 54 : — Pàrdessus, n»s 258 et 260,
�AlO
DES LIVRES DE COMMERCE
voquée que par les tiers, et non par les parties qui ont
tenu ces livres entre elles.
Dans l’espèce soumise à la cour régulatrice, il s’agis
sait du bail d’un immeuble accepté par un associé en
son nom personnel, mais dont il avait fait jouir la so
ciété. Celle-ci s’étant dissoute avant l’expiration du
bail, des difficultés s’étaient élevées d’abord sur la ques
tion de savoir qui devait rester chargé du bail, ensuite
sur la quotité du prix annuel que la société devait
payer pour la durée de la jouissance. L’associé préten
dait que le taux fût maintenu tel qu’il était porté sur les
livres sociaux.
La cour de Douai, après avoir réglé la jouissance
pour les années à courir, avait fait droit pour le passé
à la prétention de l’associé, et accepté comme prix sé
rieux et sincère celui que les écritures indiquaient
avoir été annuellement payé.
Son arrêt fut déféré à la cour suprême, notamment
pour violation des articles 12 et 13 du Code de com
merce, en ce que les livres à l’aide desquels l’associé
établissait le chiffre de la dépense étant irréguliers
comme non revêtus des formalités prescrites par les
articles 8 et suivants du Code de commerce, l’arrêt n’a
vait pu en faire la base de sa décision.
Mais ce moyen ne fut point accueilli. « Attendu que
la prétendue irrégularité des livres n’a été en aucune
façon démontrée ; attendu d’ailleurs, qu’alors même
que cette irrégularité serait prouvée, elle n’aurait pu
�ART.
12
ET
13 .
411
être alléguée que par les tiers et non par les parties qui
avaient elles-mêmes tenu ces livres.1 »
2 6 8 . —- Ainsi donc, l’exception tirée de l’irrégu
larité des livres est ouverte à tous les ayants-droit.
Elle n’est interdite qu’au commerçant dont ces livres
émanent. Mais cette exception n’est qu’une faculté à
laquelle les tiers peuvent renoncer. Ils sont donc libres
de ne pas les repousser lorsqu’ils sont produits. Ils
peuvent même en exiger la production, ainsi que nous
l’établirons sous les articles suivants.
A cet égard, il n’y a plus à distinguer ni sur la qua
lité des personnes, ni sur le caractère de l’acte. Que le
litige s’agite ou non entre commerçants; que la cause
en soit ou non commerciale, cela importe peu. Nous
aurons seulement à noter les divers effets que le refus
de la production demandée produirait dans ces diverses
hypothèses.2
2 6 9 . — Les créanciers sont, en règle générale, re
présentés par leur débiteur dans tous les actes par les
quels ce dernier croit devoir administrer sa fortune. Ils
doivent donc en subir les effets, tout comme le débi
teur y serait tenu lui-même.
De là cette conséquence que les créanciers d’un
failli seraient liés par les indications des livres que ce-
1 Cass., 7 mars 1837 ; — J. du P ., t. n, 37, pag. 11.
2 V. infra, art. 15 et 16.
�412
DES LIVRES DE COMMERCE
lui-ci aurait irrégulièrement tenus, à moins qu’ils ne
justifiassent que ces indications n’ont été faites qu’en
fraude de leurs droits, par le résultat d’une collision
entre le débiteur et celui qui est appelé à en retirer le
bénéfice.
Ainsi, le souscripteur d’effets de complaisance, qui
en a payé le montant aux tiers-porteurs, peut prouver
le caractère de l’opération par les livres du failli, et se
porter créancier de la faillite pour toutes les sommes
ainsi avancées, ou obtenir la restitution des billets se
trouvant encore dans le portefeuille du failli. La masse
ne serait pas recevable à exciper de l’irrégularité des
livres. Elle ne pourrait même en récuser l’autorité que
si elle établissait que, le souscripteur étant réellement
débiteur, l’indication le constituant simple tireur de
complaisance n’est qu’une fraude pour enlever aux au
tres créanciers cette partie de l’actif. C’est ce que la
cour de Rouèn a très-judicieusement consacré par un
arrêt fort remarquablement motivé.1
270.
— Voilà donc la première et énergique sanc
tion que la loi a donnée à l’obligation de tenir des li
vres, et à celle de les soumettre aux formalités devant
en garantir la sincérité en les authentiquant. Il en est
une autre non moins efficace qui ne s’arrête plus à une
simple blessure pour l’intérêt privé, qui ne va à rien
moins qu’à^compromettre l’honneur et la liberté.
1 23 mai 1825
�ART.
12 ET 13.
413
Pas plus que l'ordonnance de 1673, le Code de com
merce n’a entendu contraindre à l’exécution matérielle
de ses dispositions. Il donne des conseils plutôt que
des ordres. Il dépend des commerçants de les exécuter,
et, s’ils ne le font pas, personne n’a le droit de le trou
ver mauvais. Mais à la condition, comme l’observait
fort judicieusement Savary, que ceux qui ont usé de
cette liberté n’aient jamais aucun différent avec per
sonne pour raison de la vente ou l’achat de leurs mar
chandises; que pour établir leurs demandes ou leur dé
fense en justice, ils n’aient pas besoin de livres; qu’ils
paient toujours bien leurs dettes ; qu’ils soient assurés
de faire toujours bien leurs affaires ; qu’il ne leur arrive
jamais d’éprouver des pertes considérables qui les
mettent hors d ’état de pouvoir payer ce qu’ils doi
vent.1
En effet, si une difficulté surgit sur une vente ou sur
un achat, ils auront à regretter amèrement de n’avoir
pas obéi à la loi. Les livres irréguliers auxquels ils au
raient recours ne pourront jamais faire foi en leur fa
veur, tandis qu’ils prouveront contre eux. S’ils deman
dent le paiement d’une créance dont ils n’auraient
d’autre titre que ces livres mômes, ils ne pourront en
obtenir le paiement, que la régularité de leurs écritures
leur aurait fait« vraisemblablement obtenir.
C’est bien pis encore si des revers inattendus les ré
duisent à recourir à un arrangement ou les font décla1 Parfait négociant, t. i, p. 293.
�414
DES LIVRES DE COMMERCE
rer en état de faillite. Les créanciers, la justice ellemême pourront supposer que les livres irréguliers
qu’ils produisent ont été fabriqués après coup et pour
les besoins de la faillite, que les véritables écritures ont
été par eux soustraites dans l’intention de masquer leur
situation réelle, ce qui les expose à toutes les rigueurs
d’un emprisonnement préventif, aux humiliations et
aux dangers d’une accusation de banqueroute frau
duleuse.
Ce danger évité, reste la banqueroute simple , et
l’article 586 est tellement exprès, que son application
peut résulter de l’omission matérielle des formalités
voulues parla loi. La fraude n’est pas même exigée.
Enfin et en dernière analyse, l’irritation des créan
ciers, les soupçons plus ou moins fondés que l’irrégu
larité des écritures pourra leur faire concevoir peuvent
être un obstacle invincible à tout concordat. Les faillis
ne pourront donc rien acquérir par la suite, sans être
exposés aux poursuites dont la faculté résulte éternelle
ment du contrat d’union.
Ainsi, préjudice pour l’intérêt privé pendant toute la
durée du commerce ; en cas de faillite, emprisonne
ment préventif, humiliation d’un débat criminel ou cor
rectionnel, atteinte éternelle à l’honneur et à la consi
dération naissant d’une condamnation, impossibilité de
revenir à meilleure fortune créée par le contrat d’union ;
voilà les fruits que le mépris des dispositions de la loi
est dans le cas de produire. N’est-ce pas l’occasion de
s’écrier avec Savary : Se trouvera-t-il quelque négo-
�ART.
14.
415
ciant qui puisse, à moins d’avoir perdu la raison, cou
rir de pareilles chances plutôt que de se soumettre à
des formalités dont l’exécution ne doit occasionner au
cun frais !
A
rt.
14.
La communication des livres et inventaires
ne peut être ordonnée en justice que dans les
affaires de succession , communauté , partage
de société, et en cas de faillite.
SOM M AIRE
271.
i 272.
273.
274.
275.
276.
277.
278.
279.
280.
Exception que devait subir le droit de se faire communi
quer toutes les pièces dont excipe l’adversaire,
Respect que le droit romain professait pour les secrets des
affaires d'un citoyen.
Nécessité qu’il en soit ainsi pour les affaires commer
ciales.
Conséquences que pouvait entraîner la communication des
livres.
Sentiment de Casaregis sur ce point.
Inconvénient qu’avait entraîné en France le système con
traire que l ’ordonnance de 1673 proscrivit.
Le Code de commerce a adopté la règle et les exceptions
tracées par celle-ci.
Nature et caractère des exceptions.
Droit de l ’héritier à la communication des livres de son
auteur.
Ce droit est commun aux héritiers légitimes et testamen
taires.
�416
281.
282.
283.
284.
285.
286.
287.
288.
289.
290.
291.
292293.
294.
295.
296.
297.
298.
299.
300.
DES LIVRES DE COMMERCE
Quand les légataires particuliers et les donataires pour
ront-ils réclamer cette communication ?
Comment on peut résumer, sur cette première exception,
l ’intention du législateur.
Fondement de l’exception en faveur du communiste.
Le droit de celui-ci passe à ses héritiers.
Droit de l’associé. Peut-il être exercé avant le partage ?
La communication est due à l ’associé commanditaire.
A l’actionnaire d’une société anonyme.
Utilité spéciale de cette mesure pour les uns et pour les
autres.
Le prêteur qui a stipulé une part dans les bénéfices est un
véritable associé quant à ce. Conséquences.
Arrêt de la cour de Rouen. Espèce sur laquelle il est in
tervenu.
Examen et critique de cet arrêt.
Le commis intéressé, dans les bénéfices a droit à la com
munication des livres.
Réponse de la cour de Lyon à l’objection puisée dans l ’ar
ticle 1781 du Code civil.
Exception en cas de faillite. Véritable sens de l’article 14.
Ne concerne que les créanciers.
Résumé.
L ’article 14 est limitatif. Conséquences.
C’est au juge qui ordonne la communication à en prescrire
la forme.
Arrêts divers de la cour de cassation sur l ’application de
l ’article 14.
Critique de celui rendu le 25 janvier 1843.
271.
— Il est de principe, en matière de contes
tations judiciaires, que les parties ont le droit d’exiger
la communication des pièces dont on excipe contre
�ART.
14.
417
elles. Ce droit existe même à l’égard des pièces signi
fiées et versées au procès. Les faécessités de la défense
sont dans le cas d’exiger la représentation des origi
naux, soit pour s’assurer de là fidélité et de l’exactitude
de la copie, soit pour vérifier certains passages qu’on
pourrait croire tronqués ou supposés.
Ces nécessités comprises par le législateur soiit de
venues la matière de dispositions tendàrtt à lés satis
faire. Le Code de procédure, après les avoir sanction
nées, consacre un paragraphe à en réglementer l’exé
cution.1
Mais ce droit devait s’arrêter dans certaines circons
tances, surtout lorsque, n’ayant pas à s’exercer sur un
titre spécial et déterminé, sa concèssion aurait eu pour
objet de livrer à un tiers le secret des affaires de son
adversaire. On se trouvait, dans ce cas, én présence de
susceptibilités consacrées par des. raisons de hatite
convenance sociale et d’intérêt général, qu’il était ur
gent dès lors de respecter. Le secret de ses propres
| affaires est un patrimoine inviolable sur lequel le légis
lateur a, de tout temps, veillé avec la plus constante
sollicitude. C’est par une juste application du respect
qui lui est dû, que le Code civil a autorisé le retrait
successoral, et écarté de l’inventaire les créanciers op
posants.
2 7 2 . — Cette règle avait été énergiquement proi V. art. 188 et suivants du Code de procédure civile.
27
�418
DES LIVRES DE COMMERCE
clamée par le législateur romain, qui n’avait pas hésité
à sanctionner les précautions les plus capables d’en as
surer le maintien. Ce qu’il fallait conserver avant tout,
même contre les droits spécialement créés par la loi,
c’était le secret de la famille : Quid enim tam durum,
tamque inhumanum est, quam publicatione pompaque
rerum familiarium, et panpertatis detegi vilitatem, et
invidiœ exponere divitias.1
273.
— Si l’immixtion, si la connaissance acquise
par une intervention indiscrète dans les affaires d’au
trui est une chose grave et regrettable en matière or
dinaire, à combien plus forte raison ne saurait-on lui
refuser ce double caractère lorsqu’il s’agit d’affaires de
commerce !
Le secret est pour le négociant l’âme de ses opéra
tions, l’élément le plus essentiel, le plus indispensable
à leur succès. Cacher à ses concurrents, à ses rivaux,
le mode de son exploitation, la connaissance des moyens
qu’il emploie, leur soustraire le nom de ses corres
pondants, la connaissance des lieux ou il,a l’habitude
de s’approvisionner, peut devenir pour lui une ques
tion de vie ou de m ort; le législateur l’a si bien senti,
qu’il a permis au commissionnaire commercial d’agir
efi son propre et privé nom, quoique pour le compte
d’un tiers.
k
1 L. n , Cod. de quando etquibus quarta par», e tc ....
�ART.
14.
419
274.
— Or, permettre la communication des livres
d’un commerçant, c’était non-seulement divulguer le
secret des affaires de famille, puisque toutes les affai
res, môme non commerciales, doivent y figurer, mais
encore livrer à un concurrent, à un rival, à un jaloux,
l’avenir commercial de celui à qui cette communication
était demandée ; révéler le mode de ses opérations, le
nom de ses correspondants, apprendre comment et
dans quels lieux il réalisait ses approvisionnements.
C’était plus encore, une communication de ce genre,
en indiquant les correspondances, enseignait également
leur situation, établissait leur crédit et surtout leur
débit. Elle compromettait dès lors une foule de gens
dont l’existence commerciale pouvait être ruinée ou
profondément atteinte par une indiscrétion même
involontaire, livrant uu public un secret qui devait
rester éternellement enfoui entre le débiteur et le
créancier.
Enfin un dernier et immense inconvénient delà com
munication des livres était le danger ré e l, inévitable
qu’elle pouvait offrir pour le commerçant. On sait que
dans le commerce le crédit supplée au capital, et *
suffit bien souvent pour acquérir celui-ci lorsqu’il n’a
jamais existé, pour le reconquérir lorsqu’il a été perdu.
Mais le crédit ne s’attache qu’à celui qui est présumé
posséder un capital de nature à offrir une garantie. Sup
posez que celui dont on communique le livre ne se
soutienne plus que par la confiance qu’il inspire, estce que la connaissance de sa position réelle n’aura pas
�420
DES LIVRES DE COMMERCE
pour résultat de compromettre cette position, de lui
arracher tout crédit? Il se verra donc contraint de s’ar
rêter et peut-être de recourir à une faillite, tandis que,
sans la communication de ses livres, il eût pu continuer
ses opérations longtemps encore, et arriver à une meil
leure fortune.
2 7 5 . — On comprend dès lors pourquoi la législa
tion des nations commerçantes interdisait la communi
cation des livres. Cette règle était admise en Italie. On
ne tolérait leur production que par une fiction assez in
génieuse. Celui qui traitait avec un marchand, obligé
de transcrire toutes les opérations qu’il réalisait, était
censé lui donner le mandat de porter sur ses livres la
mention de celle qui se passait entre eux, il était donc
présumé, lorsqu’il demandait la production des livres,
agir en qualité de mandant, et pour s’assurer si son
mandat avait été rempli.1 De là cette conséquence que
la production devait se borner à la page sur laquelle se
trouvait inscrite' l’opération litigieuse : Notandum est
quod mercatores, licel teneantur libros exhibere, eos
attamen exhibere non lenentur, nisi in ea parte aut
pagella quœ adest controversia?
2 7 6 . — Il parait qu’en France, avant l’ordonnance
de 1673, on avait méconnu ce principe tutélaire et au
torisé la communication. Ce qui était résulté de cet
1 Casaregis, dise. 102, n° 5.
s Id., dise. 30, n° 79.
�état de choses, c’est que celui à qui cette communica
tion était demandée se refusait souvent à la faire.
Par là il perdait son procès sans doute, mais il évitait
l’inconvénient bien plus grave de rendre un tiers con
fident des secrets de son commerce et de sa véritable
situation.
Savary, qui atteste cette pratique, l’approuve haute
ment. « Il faut remarquer, dit-il, que quand un mar
chand demandait en justice à un autre la représentation
de ses registres, pour prendre droit par iceux, souvent
celui à qui elle était demandée alléguait n’avoir point
de registres, quoiqu’il en eût, afin qu’étant déposés
au greffe, l’on ne pût pas voir ses autres affaires,
parce qu’il en était arrivé plusieurs inconvénients ; et,
en effet, il n’est pas juste qu’un négociant qui demande
à un autre la représentation de ses livres pour justi
fier sa demande ou sa défense, ait connaissance des
autres choses qui sont écrites en iceux et qui ne le re
gardent pas.1 »
L’ordonnance de 1673 fit justement cesser cet état
de choses, et consacra les véritables principes de la ma
tière , en prohibant désormais toute communication
des livres. L’article 9, titre n i, n’admet d’exception à
cette prohibition qu’en cas de succession, communauté,
partage de société ou de faillite.
277. — Le même principe et les mêmes exceptions
i Parfait négociant, 1 .1, p, 295.
�422
DES LIVRES DE COMMERCE
se retrouvent dans notre Code. Les justes motifs aux
quels le législateur de 1673 avait cédé, ne pouvaient
échapper au législateur de 1807. Les inconvénients et
les dangers qu’on avait voulu prévenir à une époque
devaient également l’être à cette dernière. On devait
donc s’arrêter à des résultats analogues.
Aujourd’hui donc, la loi garantit aux commerçants
le secret absolu de leurs affaires, de leurs spéculations,
de leur correspondance. La communication de leurs
livres ne saurait être ordonnée en justice, c’est-à-dire
que nul ne serait recevable à en demander soit le dépôt
au greffe, soit la remise amiable sur récépissé, et les
rendre ainsi l’objet d’une libre et minutieuse investi
gation.
278.
— Le fondement rationnel et juridique de
cette règle faisait assez prévoir les exceptions qu’elle
était susceptible de recevoir. Il ne faut pas que des tiers
surprennent, surtout au prix d’une mauvaise contesta
tion, un secret qui doit leur rester éternellement caché.
Dès lors, lorsque celui qui veut s’y faire initier n’est
pas un étranger; si, ayant un intérêt incontestable à la
communication des livres, il peut étayer cet intérêt sur
un droit non moins incontestable, à quel titre et pour
quoi la lui refuserait-on ?
Or, telle est évidemment la position de l’héritier, du
communiste, de l’associé, de la masse des créanciers
et de chaque créancier dans le cas de faillite. C’est donc
�a r t.
14.
423
avec juste raison que l’article 14 les excepte de la pro
hibition qu’il fait de cette communication.
2 7 9 . — Il n’est pas douteux que si un commerçant
décède en laissant plusieurs héritiers, chacun de ceuxci a un droit égal, nous ne dirons pas à la communica
tion des livres, mais à leur propriété. Il faut cepen
dant faire choix d’un dépositaire, mais la nomination
de celui-ci n’est pas une renonciation à un droit dont
l’utilité se fera surtout sentir lorsqu’il s’agira de déter
miner l’actif de la succession. '
A quelque époque donc que se réalise la demande
en communication de la part de l’héritier, elle doit être
accueillie, il ne fait qu’user d’un droit que lui attribue
sa qualité de copropriétaire, il ne cherche pas à péné
trer dans le secret d’une famille qui lui soit étrangère,
il ne demande que le moyen d’éviter un préjudice dont
on pourrait vouloir le rendre victime.
On ne pourrait non plus lui objecter qu’il n’a pas le
droit de s’immiscer dans les affaires commerciales du
défunt. Il est, en effet, appelé, comme tous les autres
cohéritiers, à continuer le commerce de son auteur,
s’il le juge convenable. Il a dès lors qualité et droit à
en pénétrer tous les mystères, à en connaître les déve
loppements, dans le cas où, ayant conçu ce projet, il
voudrait le réaliser.
2 8 0 . — Le droit que nous reconnaissons aux héri
tiers légitimes appartient aux héritiers testamentaires.
�£24
DES LIVRES DE COMMERCE
Ainsi les légataires universels ou à titre universel peu
vent et doivent être admis à prendre communication
des livres du testateur. Cette communication, en effet,
leur est indispensable pour déterminer la quotité vraie
de l’émolument qu’ils ont à percevoir, et qui, surtout
pour les légataires à titre universel, est nécessairement
subordonnée à la composition de la masse active de la
succession. Or, comment procéder à cette composition
sans le secours indispensable des livres?
281.
— Quant aux légataires à titre particulier, on
ne saurait prévoir qu’ils aient jamais besoin de recourir
à une pareille communication. La délivrance qui leur
est faite des objets qui leur sont légués les désintéresse
complètement et les rend désormais étrangers à la suc
cession. Cependant si cette délivrance leur était totale
ment ou partiellement refusée, soit sous prétexte d’in
suffisance de l’actif par rapport au passif, soit pour
cause d’excès sur la quotité disponible donnant lieu à
une réduction, ils se verraient appelés à établir la con
sistance réelle de la succession, et à se défendre contre
tout abus. Comment pourrait-on dès lors leur contes-r
ter la communication des livres qu’ils réclameraient
dans cet objet?
Il est vrai que le droit romain, en pareil cas, voulait
que le légataire ou portionnaire s’en référât au serment
des héritiers sur la consistance du mobilier. Mais cette
obligation était spécialement imposée à la curie, relati
vement au quart qu’elle était appelée à recevoir dans
�la succession des dédirions. La loi qui avait exigé cette
part, par des motifs que nous n’avons pas à rechercher,
avait bien pu soumettre la curie à cette condition. Ce
qui est certain, c’est que nous ne la trouvons nulle
part répétée à l’endroit des légataires appelés par le
testateur lui-même.1
Dans tous les cas, le Code civil ne consacre rien
de semblable. Quel que soit le titre d’un successeur,
sa qualité résultant du testament lui donne le droit de
recevoir intégralement ce dont il a été gratifié. II peut
donc, lorsque dans l’exécution on lui conteste la quo
tité lui revenant, établir contradictoirement la consis
tance de la succession, et prendre communication de
tous les documents conduisant à ce résultat. De quoi
se plaindraient d’ailleurs les héritiers légitimes ou les
légataires universels? Si cette communication est de
nature à leur occasionner un préjudice , ils ont un
moyen bien simple de l’empêcher, celui de désintéres
ser le légataire particulier. Si, au lieu de le faire, ils lui
disputent son legs, ils ne sauraient échapper à la né
cessité d’une mesure que le droit de défense commande
impérieusement.
Le donataire est également, quant aux choses don
nées, le représentant du donateur. Conséquemment, si
au décès de celui-ci, la donation est attaquée en réduc
tion, sa défense ne pourrait être complète, s’il ne lui
était pas permis de se faire communiquer les livres et
1 Liv. n, Cod. de quando et quibus quarto,pars, etc ...
�426
DES LIVRES DE COMMERCE
écritures. C’est, en effet, par la détermination de la
masse active qu’on pourra juger s’il y a lieu ou non à
réduction. Le donataire devant la supporter est donc
appelé par la force des choses à débattre les éléments
de cette détermination, à y ajouter ceux qui auraient
été omis ou négligés par les héritiers, et à prouver que
la quotité disponible n’a pas été dépassée. Tout cela, il
ne pourrait le faire si on lui cachait les documents les
plus essentiels, c’est-à-dire les livres. Il serait donc re
cevable et fondé à en faire ordonner la communication
par leur dépôt au greffe, ou parleur remise amiable sur
récépissé.
%
282.
—- Ainsi l’intention du législateur peut se
résumer dans cette simple proposition : lorsqu’il s’a
gira de l’exécution d’un traité créant pour chaque par
tie des obligations et des droits ; lorsque le demandeur
n ’aura à invoquer que sa qualité personnelle de con
tractant, la communication des livres n’est et ne doit
pas être autorisée ; lorsque, au contraire, cette com
munication n’est réclamée que comme représentant, en
quelque qualité que ce soit, du commerçant qui les a
tenus, pour conserver ou pour accroître l’avantage
qu’on tient de lui, elle ne saurait être refusée. Alors,
en effet, le litige porte sur la succession, et se place
dès lors sous l’empire de l’article 14.
283.
— Le droit de propriété du communiste ne
saurait être ni méconnu ni contesté. Les livres tenus à
l’occasion de l’administration de la chose commune
�A RT.
14.
427
appartiennent donc, dans une proportion déterminée,
à tous et à chacun des membres de la communauté.
La loi ne pouvait dès lors pas hésiter sur la question de
savoir si ces livres seraient ou non communiqués. Le
communiste demandant la communication ne fait qu’u
ser d’un droit incontestable, attribut inséparable de sa
copropriété. La lui refuser, c’était le livrer à la merci
de ses cointéressés, et le forcer à se contenter de la
part qu'ils voudraient bien lui faire.
Cela eût été d’autant plus injuste, que ceux-ci ne
pourraient invoquer que des titres s’appliquant à tous ;
que les affaires n’ont jamais été traitées que pour le
compte de tous; qu’au moyen des ressources fournies
par eux tous; que conséquemment, les résultats ont
été acquis en faveur de tous et dans les proportions con
venues. Dès lors le communiste réclamant ne demande
qu’à être initié au secret de ses propres affaires. Le re
fus qu’on ferait de la communication des livres ne pour
rait donc plus s’étayer sur aucun des motifs qui l’ont
fait admettre en matière ordinaire. L’autoriser en cet
état eût été méconnaître le droit sacré de propriété et
violer cette maxime d’équité : Cessante causa, cessât
effectus.
284.
— Les héritiers du communiste, appelés à
succéder à ses obligations, succèdent également à ses
droits, dès lors ils peuvent, lors de la liquidation de la
communauté, exiger la communication des livres de la
même manière qu’aurait pu le faire leur auteur. La co- N
�428
DES LIVRES DE COMMERCE
propriété résidant désormais sur leur tête a pour pre
mier effet de leur conférer le droit de percevoir l’inté
gralité de ce qui leur revient. Comment pourraient-ils
l'exercer d’une manière utile, si on ne leur permettait
pas de constater la consistance de la communauté par
les seuls documents capables de l’établir ?
285.
— A son tour, la société n’est autre chose,
qu’une véritable communauté. Le capital social, les
bénéfices résultanlde son exploitation sont la propriété
commune de tous les intéressés. Les considérations
que nous venons d’exposer reçoivent donc leur applica
tion incontestable à l’endroit des associés et de leurs
héritiers.
Cependant l’article 14 semble, en ce qui les concer
ne, subordonner la communication à la liquidation de
la société. En effet, en parlant de celle-ci, elle s'exprime
différemment de ce qu’elle a fait pour les succession et
communauté. Elle précise l’époque où la communica
tion pourra être exigée, en cas de partage de socié
tés. Faut-il conclure de là que cette mesure ne pour
rait être réclamée et ordonnée pendant la durée de la
société?
Le décider affirmativement serait se méprendre
étrangement sur l’intention du législateur et sur la por
tée et le caractère de la locution dont il s’est servi.
Cette locution n’est que la conséquence d’un état de
choses que les auteurs de la loi ne pouvaient se dissi
muler, à savoir? l’inutilité de prescrire une commu-
�art.
14.
429
nication, alors qu’il était impossible d’en prévoir la
nécessité.
Le partage, en effet, réalise les droits de l’associé,
mais ne les crée pas. Ces droits résultent de la société
elle-même qui, établissant une communion, donne par
cela même la copropriété à chaque communiste. C’est
cette copropriété dont le partage a pour objet de régler
les effets et les conséquences.
Tant que l’indivision, que l'administration commune
se continuent, le législateur n ’avait pas à se préoccuper
de la communication des livres et écritures. Elle s’opère
naturellement, nécessairement par les relations liant
les associés entre eux. Chacun d’eux les a en sa posses
sion dans le comptoir social, qu’il est appelé à fréquen
ter habituellement et librement. A quoi bon, dès lors,
réglementer un droit tellement inhérent à la qualité de
la personne, que celle-ci en fait admettre nécessairement
l’exercice ?
La rupture du lien social ne substitue que trop sou
vent l’aigreur et la discorde aux relations bienveillantes
ayant existé jusque là. Alors aussi, avec la nécessité
du partage, peut naître, chez un ou plusieurs des asso
ciés, l’intention de s’avantager au détriment des autres.
Alors aussi, le besoin d’une communication loyale des
livres et registres sociaux pouvait se faire sentir. C’est
dans cette éventualité que s’est placé le législateur, et
c’est pour trancher toutes difficultés qu’il a spéciale
ment consacré le droit incontestable de chaque associé.
Il n’a pas voulu que, sur un prétexte quelconque, celui
�430
DES LIVRES DE COMMERCE
d’entre eux qui aurait conservé les écritures en qualité
de liquidateur pût prétendre les dérober aux investiga
tions de ses anciens associés.
Ainsi, la communication entre associés n’est nommé
ment prévue que dans l’hypothèse du partage de la so
ciété. On a cru prudent de la prescrire au moment où
le besoin devait s’en faire plus particulièrement sentir.
Mais on ne saurait voir dans cette disposition l’exclu
sion de la mesure pendant la durée de la société. Cela
est d’autant moins douteux, que le droit de l’exercer
est inhérent à la qualité d’associé, et que si elle est
maintenue pour le cas de partage, c’est que, en ce qui
la concerne, on a voulu faire survivre cette qualité à la
rupture du lien social.
Conséquemment, si, pendant la durée de ce lien,
des difficultés surgissent entre associés, chacun d’eux a
le droit incontestable d’invoquer les livres sociaux,
d’en demander et d’en obtenir la communication la plus
entière et la plus indéfinie.
286.
— Ce droit n’est pas exclusivement attaché à
la qualité d’associé en nom collectif. Résultant de la
communion d’intérêt à quelque titre qu’elle s’opère, il
suffit que celle-ci existe pour que les ayants-droit puis
sent le revendiquer.
Ainsi les associés commanditaires, quoique qualifiés
par la loi de bailleurs de fonds, n’en sont pas moins de
véritables associés, tout au moins des communistes en
proportion des sommes qu’ils doivent fournir. Par rap-
�A RT.
14.
431
port à eux, en effet, la société constitue un être mo
ral, représentant sinon leur personne, au moins leur
mise, que le gérant engage en s’engageant lui-même.
Ils ne doivent pas moins retirer une quote-part dans
les bénéfices et subir la perte, quoique dans une pro
portion déterminée.
Dès lors, si des difficultés naissent sur le paiement de
la mise, ou sur la quotité des bénéfices à répartir, on
ne saurait leur contester la faculté de se faire commu
niquer les livres pour justifier l’up, ou pour faire recti
fier le compte que le gérant leur aurait présenté.
2 8 7 . — Il en est de même des actionnaires d’une
société anonyme. Ici, les personnes s’effacent, mais les
capitaux restent. Ceux-ci sont seuls l’objet de l’admi
nistration qui porte sur une masse commune apparte
nant aux divers actionnaires.
Chacun d’eux, dès lors, ne saurait se voir refuser la
communication des livres sociaux. On ne pourrait lui
objecter 'qu’il cherche à s’immiscer dans le secret des
affaires d’autrui. C’est celui de ses affaires propres qu’il
veut pénétrer, ce qu’il a incontestablement le droit de
faire, ne fût-ce que pour contrôler les comptes que le
gérant doit périodiquement présenter.
2 8 8 . — Dans l’une et dans l’autre hypothèse, la
communication des livres pourrait d’autant moins être
refusée, qu’indépendamment de tout litige, les com
manditaires et les actionnaires n’ont d’autre moyen de
�432
DES LIVRES DE COMMERCE
contrôler l'administration du gérant. Qu’ils aient le
plus haut intérêt à la connaître, c’est ce qui ne saurait
être contesté. On ne saurait les contraindre à subir
jusqu’au bout les écarts et les excès devant nécessaire
ment aboutir à une faillite. Comment cependant pourrpnt-ils faire remplacer le gérant, ou même poursuivre
la dissolution de la société, si celui-ci peut les tromper
sur la véritable situation des affaires, en leur dérobant
la connaissance des écritures? Dans cette hypothèse,
remarquons-le bien, c’est avant le partage que la com
munication sera demandée, et l’on ne saurait admettre
que les termes de l'article 14 puissent jamais être invo
qués comme créant une fin de non-recevoir.
289.
— La jurisprudence a admis que le capita
liste peut, outre la restitution du capital et des intérêts
légaux, stipuler une part déterminée dans les bénéfi
ces.1 Une pareille clause constitue, qnant à ces béné
fices, une véritable société et confère conséquemment
au bailleur de fonds le droit de se faire communiquer
les livres lorsqu’il s’agira de liquider et partager. Refu
ser cette communication, ce serait reconnaître le prin
cipe et en nier les conséquences. Or, qui veut la fin,
veut les moyens, et puisque l’associé aux bénéfices a
qualité pour se faire intégralement payer la part qui lui
a été promise, il doit avoir la faculté d’en établir la juste
quotité. L’unique moyen de le faire est la communii V. notre Traité du Dol et de la Fraude, n 011070 et suivants.
�A RT.
14.
433
cation des livres. Il est donc recevable et fondé à
l’exiger.
290.
— La cour de Rouen a cependant décidé le
contraire, par arrêt du 7 juillet 1832. Mais cette déci
sion ne saurait créer un précédent contre notre solu
tion, ni acquérir la moindre autorité comme doctrine.
En effet, elle ne fait qu’apprécier l’espèce qui lui était
soumise, et dans laquelle la cour reconnaît l’absence de
toute société. Cette espèce, la voici :
Un sieur Plotel avait prêté au sieur Bachelet, son
beau-frère, pour former un établissement de commerce,
deux sommes : l’une de 12,600 fr., l’autre de 6,000
fr. ; i! devait avoir un tiers dans les bénéfices. BacheIet lui envoya, en effet, un compte de 1819 à 1825, en
lui annonçant qu’il le créditait de 16,800 fr., montant
de sa part des bénéfices. Plotel soutint que sa part de
vait s’élever plus haut, et il demanda la production 4es
livres.
Par jugement du 9 août 1831, le tribunal de com
merce du Havre rejette cette prétention dans les termes
suivants : « Attendu que le tiers des bénéfices accordé
par Bachelet l’était d’une manière bénévole ; que c’était
une libéralité spontanée ; que dès lors il était libre de
fixer l’étendue de son don, et qu’on ne pouvait l’obli
ger à exhiber ses livres. »
Appel, et, 1er mai 1832, arrêt interlocutoire de la
cour de Rouen, ordonnant que Bachelet sera interrogé
sur faits et articles. Dans son interrogatoire, celui-ci
38
e
�434
DES LIVRES DE COMMERCE
déclare que « voulant reconnaître les services que Plotel lui rendait, il lui aurait promis, à titre d’indemnité
et de reconnaissance, un tiers dans les bénéfices nets
de son commerce, sans limiter l’époque, etc... »
L’arrêt définitif, rendu le 7 juillet suivant, confirme
la décision du tribunal. « Attendu, dit la cour, que des
faits de la cause il résulte qu’il n’existait pas entre les
parties de véritable association, mais simplement que
le sieur Bachelet avait voulu faire un don à son beaufrère , et que les renseignements fournis par lui ne
tendaient qu’à prouver sa loyauté et sa bonne foi. »
Ainsi la cour de Rouen constate en fait qu’il n’y a
pas société entre les parties. La conséquence qui dé
coulait de ces prémisses était l’inapplicabilité forcée de
l’article 14, et dés lors le refus de la communication
réclamée. C’est ce que la cour de cassation va ellemême constater.
En effet, Plotel s’étant pourvu en cassation contre
l’arrêt de Rouen, la cour suprême rejette le pourvoi.
« Attendu qu’en l’absence de tout acte, et en présence
des pièces produites, l’arrêt a déclaré en fait qu’il n’a
vait jamais existé de société entre les parties ; qu’ainsi,
loin d’avoir violé l’article 14, l’arrêt s’y est au contraire
conformé.1 »
2 9 t. — Quelle influence ces deux monuments de
jurisprudence peuvent-ils exercer sur la solution à laI Cass.,
% juillet
1833.
�ART.
14.
, 435
quelle nous nous sommes arrêtés. Aucune évidemment.
Remarquons bien qu’ils ne refusent la communication
des livres que parce qu’ils constatent en fait qu’il n’y a
pas société, et cette absence de société ils ne l’indui
sent pas de ce que l’obligation par le commerçant d’a
bandonner à un tiers une quotité de ses bénéfices ne
constituerait pas une association. Ce qui les porte à ex
clure celle-ci, c’est le défaut de titre de la part du
tiers, et ce défaut, que l’arrêt de Rouen faisait présu
mer, est expressément relevé par la cour de cassation.
Conséquemment, si le demandeur avait produit un
titre régulier établissant son droit à la participation des
bénéfices, il n’est pas douteux que la décision eût été
diamétralement contraire, et que la société, dès lors
prouvée, n’eût été admise, et avec elle la nécessité de
communiquer les livres. C’est ce que les arrêts de
Rouen et de la cour de cassation font naturellement
présumer.
Loin donc de contrarier notre doctrine, ces deux ar
rêts la recommandent et l’appuyent. Il est évident que,
ne refusant communication des livres que parce que,
dans l’espèce, il n’y avait pas société, l’un et l’autre dé
cident implicitement que, si cette société avait existé,
la communication eût été ordonnée.
Mais nous allons plus loin encore. La cour de cassa
tion, s’arrêtant devant l’appréciation de fait consacrée
par la cour de Rouen, ne faisait qu’obéir à la loi de son
institution. Mais celle-ci consacrait-elle un principe
bien juridique en décidant que l’abandon à titre gratuit
�436
*
DES LIVRES DE COMMERCE
d’une part dans les bénéfices ne constituait pas une vé
ritable association ? Est-ce qu’une pure libéralité n’en
gage pas le donateur aussi irrévocablement qu’une
obligation ordinaire, et peut-on lui reconnaître le droit
de modifier sa disposition, sans méconnaître la loi?
Poser ces questions, c’est les résoudre. Il dépend tou
jours du donateur de poser à sa libéralité telles limites
qu’il juge convenables, mais lorsque, dans l’origine, il
ne s’est arrêté à aucune, il ne peut plus en revendiquer
dans l’exécution.
Or, dans l’espèce, ce qui avait été promis, c’était le
tiers des bénéfices. Ce qui devait être délivré, c’était
cette quotité. En faire dépendre la détermination de la
volonté exclusive du donateur, c’était, contrairement à
la loi, lui permettre de revenir sur l’engagement qu’il
avait contracté.
Etait-ce vrai, d’ailleurs, que dans l’espèce cette con
cession fût une pure libéralité? Plotel n’avait-il pas
avancé des sommes importantes? Ne courait-il pas la
chance de les perdre, si le commerce projeté ne réussis
sait pas? N’était-ce donc pas en compensation de cette
chance que l’on avait abandonné une portion dans les
bénéfices? Tout cela, il faut en convenir, ne manquait
pas de probabilité, était même plus vraisemblable qu’un
abandon spontané et volontaire d’une portion, dans les
bénéfices, aussi considérable qu’un tiers. Quel est le
commerçant capable de consentir un pareil sacrifice, si
rien ne le contraint à le faire ?
Nous ignorons les circonstances particulières qui ont
�ART.
14.
437
pu déterminer la cour de Rouen à faire pencher la
balance de ce côté, mais ce que nous ne saurions ad
mettre, c’est qu’on puisse, sous le prétexte d’une li
béralité, annuler une convention certaine. Quel qu’en
ait été le mobile, l'abandon d'une part dans les bénéfi
ces constitue un droit indéterminé, dont la liquidation
dépend de la quotité intégrale du bénéfice, et comme
cette liquidation ne peut s’opérer qu’au moyen des
livres, leur communication ne saurait être refusée à ce
portionnaire.
292.
— Le commis intéressé dans les bénéfices
doit être assimilé au prêteur dont nous venons de par
ler. Dès lors, et par identité de raisons, on doit lui re
connaître le droit d’obtenir la communication des li
vres, lorsque, s’agissant de régler la part lui revenant,
il faudra établir la totalité des bénéfices réalisés.
Vainement objecterait-on que le lien existant entre
le commis et son patron ne constitue pas une société
proprement dite, il n’en est pas moins vrai que les bé
néfices sont, quoique dans des proportions différentes,
la chose commune de l’un et de l’autre ; que, pour fixer
la part afférente au commis, il faut d’abord établir le
chiffre total du bénéfice ; que cette détermination ne
peut résulter que de la vérification des livres et écritu
res. Leur communication est donc inévitable et forcée,
à moins de consacrer que le commis est réduit à subir
la loi que le patron voudra bien lui imposer.1
J Lyon, Î1 février 1844, J.
du P., t. u, 1845, pag. 391.
�*38
DES LIVRES DE COMMERCE
293.
— C’est en effet ce qu’on a essayé de faire
prévaloir, en se plaçant sous l’empire de la disposition
de l’article 1781 du Code civil. Le maître, disait-on,
doit être cru sur son affirmation, soit pour la quotité
des gages, soit pour les à-comptes donnés. Pourquoi
donc ne le croirait on pas lorsque la détermination des
bénéfices ne doit avoir pour effet que de fixer le mon
tant des gages à percevoir ?
Parce que, répondait très-judicieusement la cour de
Lyon, les dispositions de l’article 1781 du Code civil
n’embrassent que des intérêts fort bornés, et qui ne
sont ordinairement réglés que verbalement; que dès
lors le législateur, à défaut de tout autre document,
a dû s’en rapporter à l’affirmation de celui qui, par sa
position, lui paraissait le plus digne de confiance ; mais
que cette règle si exorbitante du droit commun ne
saurait, sans de graves inconvénients, sortir de sa spé
cialité;1
Parce que, lors même que l’article 1781 pourrait,
par analogie, s’appliquer aux relations de négociant à
commis, ce ne serait, dans tous les cas, qu’autant que
le commis recevrait un salaire fixe ;
Parce que, lorsque, outre ce salaire fixe, le commis
a droit à une part proportionnelle dans les bénéfices,
l’importance des sommes qui peuvent lui revenir, la
facilité d’en déterminer le montant, sa position d’asso
cié aux bénéfices le font sortir du cas exceptionnelle1 Sup., n® 252
�ÀBT.
439
14.
ment prévu par l’article 1781 pour rentrer dans la rè
gle générale qui renferme la preuve orale dans les plus
étroites limites, et ne veut pas surtout rendre une des
parties maîtresse de sa cause ;
Parce que, d’ailleurs, dans un litige de ce genre, les
parties contestent uniquement sur l’existence et la con
sistance des bénéfices faits par le commerce, et non sur
la quotité du gage, ou sur la question de savoir si des
paiements ont été faits, ou des à-comptes donnés sur
le salaire promis, seuls cas prévus et réglés par l’article
1781, qui, dès lors et sous ce point de vue, est encore
inapplicable ;
Parce que, enfin, le négociant qui s’est engagé à faire
participer son commis aux bénéfices de son commerce
ne peut être admis à demander que ces bénéfices soient
constitués par son serment, alors que les règles qui lui
sont tracées par la loi l’assujettissent à les constater par
des livres régulièrement tenus et par des inventaires
annuels.1
Ainsi, un commis intéressé dans les bénéfices de la
maison ne sera pas associé, dans ce sens que les contes
tations qui pourront surgir entre elle et lui ne devront
pas être déférées à la juridiction arbitrale.2 Mais quel
que soit le juge appelé à statuer, lorsqu’il s’agira de
déterminer la part d’intérêt à laquelle il a droit de pré
tendre, le commis pourra demander non-seulement la
i.
%
.
1 Lyon, 30 mai 1838, J. du P., ibid, p. 390.
' 3 Cass., 31 mai 1831.
�DES LIVRES DE COMMERCE
représentation des livres, ifiais encore leur communica
tion, soit par leur dépôt au greffe, soit par leur remise
sur récépissé.
294.
— Enfin, l’article 14 excepte de la prohibi
tion qu’il consacre le cas de faillite. Cette exception n’é
tait que la conséquence naturelle et immédiate de la
modification que la faillite introduit dans la position du
commerçant qui la subit.
La faillite, en effet, arrête l’exploitation du commer
ce, désinvestit le débiteur de l’administration de ses
biens, lui enlève la disposition de sa fortune mobilière
et immobilière, amène sa liquidation, dont le, soin ap
partient exclusivement aux mandataires légaux de la
masse, aux syndics.
On ne rencontre plus, dès lors, aucun des motifs
dont la juste autorité a fait, dans les cas ordinaires,
proscrire la communication des livres, il n’y a plus de
commerce à protéger, plus de secrets à défendre. La
prohibition n’a plus en conséquence aucune raison
d’exister. Elle devait disparaître avec les causes qui la
motivent.
Cette exception était tellement naturelle, qu’on pour
rait s’étonner de ce que le législateur ait cru devoir la
prescrire. Elle était, en effet, rendue tellement inévita
ble par l’état de faillite, qu’il ne pouvait entrer dans
l’esprit de personne de la méconnaître ou de la contes
ter. Comment séparer le désinvestissement du failli, le
transfert de ses droits et actions sur la tête des syndics,
�ART.
14.
441
de l’idée d’une remise absolue des livres et écritures
entre les mains de ceux-ci?
Comment pourraient-ils poursuivre les droits du failli
ou défendre aux actions dirigées contre lui, s’ils igno
rent l’état réel de ses affaires? Comment procéderontils à la liquidation, s’ils ignorent les noms des débiteurs
et les causes de leurs dettes? Comment protégeront-ils
la masse contre les créanciers supposés, s’ils ne peu
vent vérifier dans les livres la sincérité ou la fausseté
des droits prétendus ?
Comment, enfin, découvriront-ils les fraudes que le
failli aura commises, les soustractions et les détourne
ments dont il se sera rendu coupable? Comment la
justice elle-même pourrait-elle l’en convaincre et l’en
punir?
La communication des livres à l’endroit des syndics
n’avait donc pas besoin d’être prévue. Les prescriptions
consacrées au titre des faillites le prouvent invincible
ment. Ils doivent, en effet, recevoir les livres des mains
du juge de paix, les clore et les arrêter, balancer tous
les comptes courants, vérifier la conformité des créan
ces offertes à l’affirmation, adresser au ministère public
un rapport sur l’état, les causes de la faillite. Pour eux
donc, il ne pouvait s’agir d’une communication, mais
d’une remise pleine et entière des livres et écritures
dont ils deviennent, à partir de la faillite, les seuls dé
tenteurs légitimes.
2 9 5 . — On ne peut donc admettre que l’exception
�442
DES LIVRES DE COMMERCE
que l’article 14 consacre en cas de faillite, au principe
de la non-communication , puisse concerner les syn
dics. Ce que la loi a voulu décider, c’est que chaque
créancier pourra désormais obtenir cette communica
tion que l’absence de faillite lui faisait refuser, la fail
lite faisant disparaître tout motif plausible à la prohibi
tion d’une mesure , ne présentant désormais aucun
des inconvénients et des dangers qui en motivaient
l’exclusion.
Au contraire, les droits du créancier demandeur ou
défendeur peuvent être de telle nature, qu’en l’absence
des explications que le failli eût pu donner , on ne
puisse les établir que par l’étude approfondie de ses
écritures. Persister à lui en refuser le moyen, c’était
aggraver sa position et le rendre victime d’un fait déjà
trop préjudiciable, à savoir, la disparition du failli.
En réalité, cependant, les livres du failli ne lui ap
partiennent plus. De leur côté, les syndics n’en devien
nent les détenteurs qu’au nom et dans l’intérêt de la
masse, de-laquelle ils sont désormais la propriété. Cha
que créancier participe proportionnellement à cette
propriété commune, il ne fait donc qu’user d’un droit
incontestable lorsque, son intérêt l’exigeant, il en de
mande la communication. On ne saurait, dès lors, ad
mettre que cette demande pût être repoussée.1
2 9 6 . — En résumé donc, tant que le commerçant
I
S u p .,
n® 269,
�art.
14.
443
est à la tête de ses affaires, aucun créancier, aucun ad
versaire n’est recevable à demander la communication
des livres tenus par lui. S’il tombe en faillite, ses livres
passent, comme tous ses autres biens, aux mains de ses
créanciers. La divulgation, la publicité donnée à ses
affaires n’est plus à redouter , 'non-seulement il n’y a
plus de secret à garder, mais encore il ne saurait en
exister aucun que les créanciers ne soient en droit de
pénétrer. Ce n’èst qu’en tant qu’ils seront initiés à
la connaissance entière des affaires de leur débiteur
qu’ils pourront convenablement remplir ce qu’exige
leur intérêt dont la loi s’occupe exclusivement. On
ne pouvait donc, sans blesser les plus simples notions
de la raison , leur méconnaître ou leur contester le
droit de se faire communiquer les livres et écritures
pour justifier la demande qu’ils intentent, ou les ex
ceptions qu'ils opposent à celle que les syndics intente
raient contre eux. C’est pour empêcher tout doute à
cet égard que l’article 14 a excepté le cas de faillite de
la règle qu’il établit.
297.
— Il résulte du texte même de l’article 14
que la communication des livres n’est autorisée que
dans les cas exceptionnels qu’il prévoit. Cet article est
donc limitatif et ne comporte ni assimilation, ni une
plus grande étendue. Conséquemment, hors les cas de
succession, communauté, société ou faillite, la commu
nication des livres d’un commerçant doit être sévère
ment prohibée. Personne ne peut l’obtenir, soit par dé-
�444
DES LIVRES DE COMMERCE
pôt au greffe, soit par remise amiable. L’unique droit
que la loi reconnaisse à celui qui plaide contre un com
merçant, est celui de faire représenter ses livres dans
les formes prescrites par les articles 15 et 16 dont bous
allons nous occuper.
Du principe que l’article 14 est limitatif et non énonciatif, on a justement conclu que la communication
des livres ne devait pas être autorisée, en cas de liqui
dation, sans déclaration de faillite. Le négociant qui
s’arrête volontairement ne renonce pas à reprendre
plus tard son commerce, il lui importe donc d’en rete
nir les éléments divers, qui restent sa propriété exclu
sive et incontestable.
C’est ce que la cour d’Aix a consacré, en jugeant
que le débiteur attaqué à raison de la créance préten
due contre lui par le liquidateur judiciaire d’une mai
son de commerce, ne peut exiger la communication
des livres de cette maison pour vérifier les éléments de
son compte avec elle; qu’il n’y a lieu dans ce cas qu’à
ordonner un extrait ou relevé des livres en ce qui con
cerne le différend ; et que si cet extrait ou relevé, dû
ment certifié conforme aux livres, existe déjà au pro
cès, il n’est pas nécessaire d’en ordonner un autre.1
Pour l’intelligence et la saine appréciation de ce der
nier chef de l’arrêt, il est bon d’observer que l’exacti
tude et la conformité de l’extrait des livres versé au
procès n’étaient pas contestées. Si elles l’avaient été, la
1 5 a v r il 1 8 3 2 ,
�ART.
14.
445
cour aurait probablement ordonné la représentation
des livres pour en extraire judiciairement ce qui con
cernait le différend, à moins qu’usant d’un pouvoir que
nous prouverons bientôt lui être réservé par la loi, et
s’appuyant sur la qualité de liquidateur judiciaire qu’a
vait le signataire de l’extrait, elle eût été suffisamment
convaincue de l’exactitude et de la conformité de cet
extrait.
2 9 8 . — Un autre principe, que nous trouvons dans
un arrêt également rendu par la cour d’Aix, nous paraît
incontestable, à savoir, que dans tous les cas où la
communication des livres est commandée par la loi,
c’est au juge appelé à la prononcer qu’il appartient d’en
régler la forme. Il peut prescrire le dépôt au greffe, la
remise à la partie elle-même sur récépissé, ou entre les
mains d’un tiers. Dans l’arrêt auquel nous faisons allu
sion, la cour décide que, dans un arbitrage entre asso
ciés, il est de convenance et d’usage que les livres et
écritures, dont l’une des parties demande la communi
cation hors du siège social, soient déposés chez l’arbitre
le plus âgé, plutôt qu’au greffe du tribunal de commer
ce, ou chez un officier public.1
2 99. — La règle tracée par l’article 14 doit être
d’autant plus sainement entendue qu’elle est absolue et
plus sévère. On doit, dès lors, se bien garder de con1 17 juin 1826
�446
DES LIVRES DE COMMERCE
fondre la communication qu’elle interdit avec des me
sures que leur caractère ne pourrait faire considérer
comme la constituant. La loi favorise tout ce qui tend à
éclairer la justice, à faire triompher le bon droit. Elle
ne s’arrête qu’en présence d’une véritable inquisition
dont nous avons déjà fait ressortir les inconvénients et
les dangers. Dans le doute, on devra donc se prononcer
suivant le résultat que peut offrir l’exécution de la me
sure ordonnée, et valider celles qui n’offriraient aucun
de ces inconvénients et de ces dangers. C’est une
règle que la cour de cassation a invariablement suivie.
Ainsi elle a jugé que, dans une instance en paiement
de salaires réclamés par un ouvrier contre un fabricant,
les juges peuvent donner mission à un tiers de vérifier
dans les livres du fabricant les allégations réciproques
des parties, et de les concilier si faire se peut, sans qu’on
puisse considérer cette mesure comme un ordre de
communiquer les livres de commerce, hors les cas pré
vus par la loi. Dans un tel cas, dit la cour de cassation,
l’arrêt attaqué n’a point ordonné une communication
des livres, mais seulement la vérification des faits arti
culés, ce qui ne peut s’entendre que du différend exis
tant entre les parties.1
La même cour a décidé, le 22 février 1848, que les
juges d’une contestation relative à la négociation de
certains billets peuvent condamner une des parties à
rapporter ses registres de commerce pour en extraire,
1 42 mars 4832.
�ART.
14.
447
non-seulement les articles relatifs à la négociation des
billets litigieux, mais encore ce qui concerne d’autres
négociations pouvant jeter du jour sur le différend, cette
mesure constituant une simple représentation des livres
autorisée par l’article 15 du Code de commerce, et non
une communication que l’article 14 ne permet que
dans les cas qu’il spécifie ; que la vérification ainsi or
donnée peut être confiée à un expert, aussi bien qu’à
un magistrat.1
Enfin, et par arrêt du 25 janvier 1843, la cour régu
latrice a encore admis que l’arrêt ordonnant le dépôt
des livres d’un négociant au greffe d’un tribunal pour
être mis sous les yeux des juges et demeurer à leur dis
position seulement, ne constitue pas la communication
de ces livres, prévue et réglée par l’article 14 du Code
de commerce, et qu’une telle mesure n’est en elle-mê
me que la représentation autorisée par l’article 15 du
même Code.3
300.
— Nous comprenons les deux premiers ar
rêts ; dans l’espèce de l’un et de l’autre, malgré sa gé
néralité, la vérification avait cependant un objet déter
miné. C’était, dans la première, les articles des livres
relatifs aux paiements faits à l’ouvrier ; c’était, dans la
seconde, des négociations secondaires indiquées comme
conséquence de celle des billets litigieux. Donc, les ex1 J. du P., t. î, 1848, pag. 354.
Ibid., t. 1, 1 8 4 3 , pag. 5 1 3 .
â
�448
DES LIVRES DE COMMERCE
traire des livres, ce n’était pas ordonner et moins en
core réaliser une communication, avec d’autant plus de
raison qu’à l’occasion de l'une ou de l’autre, les livres du
commerçant ne sortaient pas de ses mains.
Or, nous le dirons bientôt, ce qui distingue la simple
représentation des livres, c’est que, contrairement à ce
qui se réalise dans la communication, le commerçant
tenu de les produire n’est pas tenu de s’en dessaisir.
L’absence de ce dessaisissement dans les deux espèces
jugées par la cour de cassation venait donc étayer et
corroborer sa décision.
Mais il n’en est pas de même dans la troisième. Ici,
le dessaisissement est ordonné. Rien ne distingue donc
plus la mesure prise de la communication pure et
simple.
Vainement ferait-on observer que le dépôt au greffe
n’est que pour les membres du tribunal, à la disposition
exclusive desquels les livres devront rester. Nous ré
pondrons que la communication qui n’est pas due à la
partie n’est pas due au juge ; et ce qui le prouve, c’est
que la loi, qui permet d’ordonner d’office la simple re
présentation, refuse cette faculté, en se taisant sur la
communication.
Nous répondrons que le commerçant peut justement
trouver un inconvénient grave à laisser, même trois
juges, lire dans le secret de ses affaires de famille et de
son commerce ; que, parmi ces trois juges, il peut s’en
trouver qui excercent la même industrie que lui, et
qu’il leur sera fort difficile, en sortant de leur siège,
�àRT.
15 eT 16.
449
d’oublier ce qu’ils auront appris pendant qu’ils l'oc
cupaient.
Nous répondrons1enfin qcr’iifi greffé est un lieu fort
fréquenté; que plus il est important, et plus la surveil
lance absolue y est difficile!; qu’une indiscrétion est
toujours à redouter, et que sa réalisation pourrait être
pour le commerçant un coup fatal et irrémédiable.
Nous concluons de tout cela que l’arrêt delà cour de
cassation a, involontairement sans doute, méconnu les
véritables principes, qu’il a ajouté à la loi en permet
tant au juge de se faire personnellement communiquer
les livres, ce que n’autorisent ni le texte, ni l'esprit du
Code de commerce.
A rt. 15.
Dans le cours d’une contestation, la repré
sentation des livres peut être ordonnée par le
juge, même d’office, à l’effet d’en extraire ce
qui concerne le différend.
A
rt.
16.
En cas que les livres, dont la représentation
est offerte, requise ou ordonnée, soient dans
des lieux éloignés du tribunal saisi de l’affaire,
les juges peuvent adresser une commission ro
gatoire au tribunal de commerce du lieu, ou
29
�450
DES LIVRES DE COMMERCE
déléguer un juge de paix pour en prendre con
naissance, dresser un procès-verbal du contenu
et l’envoyer au tribunal saisi de l’affaire.
SOMMAIRE
301. But et objet de la disposition de l’article 15,
302. Première modification qu’elle apporte à l’ordonnance de
1673. Faculté pour le juge d’ordonner d’office la repré
sentation des livres.
303. Deuxième modification. Abrogation de l ’obligation d’offrir
d’ajouter foi aux livres dont on voulait la représen
tation .
304. Le juge-commissaire de la faillite a le droit que l ’article 15
confère aux tribunaux.
305. Mais il ne peut statuer lui-m êm e sur le refus de représen
tation.
306. Espèce remarquable jugée par la cour de cassation.
307. Il importe peu que le commerçant déclare ne pas vou
loir se servir de ses livres, la représentation peut en
être ordonnée, quel que soit d ’ailleurs le titre in
voqué.
308. Q u id s ’il s’agissait de l’exécution d’un titre notarié et au
thentique ?
309. Quels sont les livres dont on peut demander la représen
tation ?
310. La représentation des livres n’est pour le juge qu’une sim
ple faculté, et jamais un devoir.
311. Q u id à l’égard du non-commerçant.
312. Elle peut être ordonnée par toutes les voies de droit et
même par contrainte d’une somme d’argent.
313. L’induction établie par l ’article 7 n’est pas un obstacle à ce
�ART.
314.
315.
316.
317.
318.
S19.
320.
321.
322.
323.
324.
325.
326.
327.
328.
329.
15 ET -16.
451
que le juge alloue des dommages-intérêts lorsqu’il le
croit utile.
Le jugement prescrivant la représentation des livres est
interlocutoire. Conséquences.
Excepté si la représentation n’a pas été contestée.
. Q u id si elle est ordonnée d’office ?
Le commerçant ne peut exciper de l’irrégularité de ses li
vres pour en refuser la représentation.
Droit des tiers de faire valoir celte irrégularité, même après
avoir requis leur représentation.
A quel moment doivent-ils proposer cette exception ?
Ils peuvent aussi les accepter, quoique irréguliers, et for
cer à les représenter.
En quoi la communication et la représentation diffèrent
entre elles.
Forme de celle-ci en Italie et sous l’ancien droit.
Q u id sous le Code de commerce.
Celui qui a requis la représentation a le droit d’assister à
l'opération, mais son absence ne l ’annule pas, même
lorsqu’il n’y a pas été appelé.
Celui qui représente ses livres n’est pas tenu de s’en des
saisir.
Quelles sont les exceptions que la forme de la représenta
tion peut subir?
Nature et disposition de l ’article 16.
Ce que doit renfermer le procès-verbal du juge rogatoirement commis.
Où doit se faire l’extrait ou la collation des livres ?
5 0 1 . — Nous venons de voir la loi refuser d’une
manière absolue la communication des livres dans les
litiges ordinaires. Nous avons rappelé les puissantes
considérations légitimant cette prohibition.
�45â
Ï>ES LIVRES DE COMMERCE
On ne pouvait cependant se dissimuler combien les
livres pouvaient aider à éclairer la justice. L’obligation
d’y inscrire toutes les opérations devenait la source de
documents précieux susceptibles de fixer la conscience
des magistrats, d’édifier leur justice sur la décision que
comporte la difficulté dont ils sont investis,. D’ailleurs,
comment empêcher la partie adverse de s’en référer
à ces livres, de les rendre les arbitres de la contesta
tion , d’en appeler à leur témoignage ? Déjà l’arti
cle 133*0 du Code civil avait reconnu cette faculté
au non-commerçant, son exercice amenait donc forcé
ment, à recourir à une mesure.qui, sans constituer une
communication, conciliât toutes les exigences, tous les
intérêts.
Tel est le but que s’est proposé l’article 15 du Code
de commerce, en autorisant la représentation des livres
pour en extraire ce qui concerne le différend.
3 0 2 . — En s’appropriant cette mesure que l’or
donnance de 1673 avait consacrée, notre législateur l’a
heureusement modifiée. D’abord en conférant aux juges
la faculté de l’ordonner d’office. Comme voie d’instruc
tion, la représention dés livres peut être pour les ma
gistrats d’une utilité incontestable. Il n’était donc pas
rationnel de la subordonner au silence plus ou moins
intéressé des parties.
Or, non-seulement l’ordonnance de 1673 s’était tue
sur cette faculté,, mais. elle, l’avait en outre implicite
ment proscrite, en la rendant incompatible avec les
�ART.
15
ET
16.
453
conditions dont elle faisait dépendre la représentation
des livres. Ainsi la partie qui prétendait l’obtenir devait
offrir d’y ajouter foi et s’en rapporter ainsi à leur té
moignage exclusif. Comment le juge aurait-il pu sup
pléer à cette condition et imposer d’office une pareille
obligation à une partie ? Il dépendait donc de la par
tie d’empêcher toute représentation, en refusant d’ac
cepter cette condition. La représentation ordonnée
en cet état eût donc constitué une violation flagrante
de la loi.
Le Code de commerce a fait une application plus in
telligente du principe. Reconnaissant que la représen
tation des livres peut , indépendamment de l’intérêt
personnel des parties contendantes, avoir une puissante
influence sur la manifestation de la vérité, il autorise le
juge à l’ordonner d’office.
3 0 5 . — La seconde modification introduite par le
Code à l’ordonnance de 1673 consiste dans la suppres
sion de la condition imposée à la partie, à savoir, l’of
fre d’ajouter foi aux livres dont elle demande la repré
sentation. Désormais, donc, cette représentation peut
être requise à titre de simple document, et sans aliéner
la faculté d’en contester et d’en débattre le contenu.
En raison et en droit, cette disposition se recommande
par une foule de considérations aussi puissantes que
décisives.
Faire représenter les livres n’est qu’un moyen de
défense, pouvant il est vrai devenir péremptoire, mais
�454
DES LIVRES DE COMMERCE
qui, dans tous les cas , n’a rien d’inconciliable avec
l’existence d'autres et de plus amples moyens. Ainsi un
commerçant est obligé d’inscrire sur ses livres toutes
les opérations auxquelles il se livre. Or, si l’objet liti
gieux ne s’y trouvait point porté, il est évident que
le défaut de mention créerait un préjugé considérable
contre la vérité de ses allégations. Celui qui plaide
contre lui a donc un intérêt évident à vérifier, avant
même toute défense au fond, s’il y a conformité entre
les livres et la demande, mais celte conformité acquise,
on ne saurait lui contester le droit de prouver soit la
sincérité de sa demande, soit le bien fondé de ses ex
ceptions.
Celui qui plaide contre un commerçant a donc le
droit d’exiger que la demande ou la défense de celui-ci
soit appuyée sur les énonciations conformes de ses li
vres ; que l’extrait qui peut en avoir été versé au pro
cès soit la reproduction fidèle de l’original ; qu’il n’existe
sur celui-ci ni renvois, ni ratures, ni surcharges. Il est
recevable dans ces divers objets à requérir la représen
tation des livres.
Les livres produits et la vérification réalisée, il n’en
conserve pas moins la faculté de discuter la demande
contre laquelle il se débat , ou l’exception qu’il re
pousse, et les livres eux-mêmes dont il peut prouver
l’inexactitude et l’infidélité. Cela est beaucoup plus ra
tionnel et beaucoup plus juste que de le contraindre à
se lier définitivement, et d’exiger de lui, comme condi
tion de la vérification qu’il sollicite, de s’en rapporter
�ART.
15 ET 16,
455
indéfiniment à des registres qui peuvent avoir été altérés
depuis qu’il les a vus.
Le décider ainsi était d’ailleurs une conséquence for
cée du principe que les juges peuvent d’office ordonner
la représentation des livres. Pour admettre ce prin
cipe, il fallait que cette mesure n’eût rien de défini
tif, ne créât aucun droit certain. Dans le cas con
traire, les juges, se trouvant liés par la conduite des
parties, n’auraient pu imposer à l’une d’elles des
conditions onéreuses auxquelles elle n’aurait pas con
senti.
La preuve que le juge n’aurait pu d’office ordonner
a représentation que la partie n’aurait pu obtenir qu’en
offrant d’ajouter foi aux livres, se tire de l’article 1330
du Code civil. Là le non-négociant ne peut demander
l’exhibition des livres qu’en les acceptant dans toute
leur étendue et sans pouvoir les diviser. Aussi le
juge n’a pas la faculté d’ordonner cette exhibition d’of
fice, et il est obligé de s’en rapporter exclusivement à
la partie.
Il est donc certain que, pour conférer la faculté d’or
donner d’office la représentation des livres, il fallait la
dégager de toute condition , de tout préjugé défavo
rable aux parties, et c’est ce qu’avec juste raison a fait
l’article 15.
3 0 4 . — Ce que l’article 15 permet aux tribunaux
de commerce, l’article 495, en matière de faillites, l’ac
corde au juge-commissaire. Ce magistrat ayant un pou-
�456
DES LIVRES DE COMMERCE
voir souverain pour tout ce qui tient à la vérification
amiable des créances, on ne pouvait lui interdire un des
moyens les plus énergiques de parvenir à la découverte
de la vérité. Il peut donc, dès qu’il le juge nécessaire et
utile, soit d’office,, soit sur la réquisition des syndics,
ordonner que le créancier se présentant à la vérification
représentera ses livres.
3 0 5 . — Mais le juge-commissaire, n’étant pas ap
pelé à statuer sur le sort de la créance contestée, ne
pourrait ni édicter à l’obligation qu’il imposerait aucune
sanction pénale, ni prendre aucune mesure sur le refus
que le créancier ferait d’y satisfaire. Tout se bornerait
donc pour lui à refuser en l’état l’admission au passif, et
à renvoyer les parties à l’audience pour être ultérieure
ment dit droit sur la contestation.
*Le tribunal ainsi investi peut de son côté ordonner
la production des livres. Le refus que le négociant con
tinuerait d’opposer à l’exécution de sa décision, appelle
rait le tribunal à statuer sur les conséquences de cette
inexécution. Sous l’empire de l’ordonnance de 1673, ces
conséquences n’étaient pas douteuses. Aux termes de
la déclaration du 3 septembre 1739, les créanciers qui
se prétendaient à la faillite et qui, sommés de produire
leurs livres, ne les représentaient pas, étaient déchus
de leurs créances. La cour de cassation a appliqué cette
législation dans une espèce qu’il nous paraît utile de
rappeler.
3 0 6 . — « Les frères Manuel, négociants, avaient
�ART.
15 ET 16.
457
des relations commerciales et étaient en compte-cou
rant avec L erat, celui-ci déposa son bilan le 14 fri
maire an vij et y porta les frères Manuel pour une som
me de 17,000 livres, dont 10,000 avaient éé payées à
compte.
« Lorsqu'il s’agit de la présentation et de l'affirma
tion des créances, les frères Manuel fournirent un
compte d’où ils faisaient résulter en leur faveur un
solde de 188,075 livres en éeus, qu’ils offraient de vé
rifier par les livres d'où ce compte était extràit, et
qu’ils produiraient au besoin.
« Frappés de la différence entre ce résultat et la
déclaration du failli dans le bilan , les syndics des
créanciers pressèrent les frères Manuel de représenter
leurs livres. Alors ceux-ci changèrent de langage, ils
déclarèrent n’avoir jamais eu de livres contenant leurs
négociations avec Lerat ; et dans le cas où l’on refuse
rait d’ajouter foi à ce compte , extrait d’une feuille
informe retrouvée par hasard, ils exhibaient une obli
gation de 60,000 livres, à la date du 8 pluviôse an tv,
souscrite par Lerat, pour solde de tous eortiptes en
tre eux.
« Ces tergiversations firent insister davantage les
créanciers, syndics et directeur sur la nécessité de re
présenter les livres. La contestation élevée à ce sujet
fut soumise au tribunal de commerce de Dijon.
« Ce tribunal, par jugement du 21 thermidor an ix,
ordonna que, dans le délai d’une décade, les livres des
frères Manuel seraient déposés au greffe ; et qu’à défaut
�458
DES LIVRES DE COMMERCE
par eux de faire ce dépôt, ils seraient réputés créan
ciers d’une simple somme de 17,336 livres, sur quoi
imputation serait faite des 10,000 livres qu’ils ont re
çues à compte.
« Ce jugement fut frappé d’appel : de la part des
frères Manuel, parce qu'on ne les a pas reconnus créan
ciers du montant du titre qu’ils ont produit; de la part
des syndics, parce que les frères Manuel n’ont pas été
déclarés sans droits, faute par eux de n’avoir pas repré
senté leurs livres.
« Le 15 pluviôse an x, jugement du tribunal d’appel
de Dijon, par lequel : Considérant que les frères Manuel
sont négociants; que l’article 1", titre ni de l’ordon
nance de 1673, porte : Que les négociants et mar
chands auront un livre qui contiendra tout leur négoce,
lettres de change, dettes actives et passives, e tc ...;
que l’article 6 est impératif, ayant dit qu’ils y seront
tenus ; que, dans le procès-verbal de vérification et
d’affirmation des créances du 28 nivôse an vi, les frères
Manuel ont déclaré être créanciers d’une somme de
188,075 livres; qu’ils ont offert4de vérifier la sincérité
de leur créance par la représentation de leurs livres
dont le compte était fidèlement extrait; que depuis ils
ont changé de plan, en annonçant qu’ils voulaient
baser leur créance uniquement sur l’arrêté de compte
du 28 pluviôse an iy, et en déclarant qu’ils n’avaient
jamais eu des livres constatant leurs négociations avec
Lerat ;
« Considérant que dans toutes les banqueroutes ou-
�ART.
15 ET 16.
459
Vertes, ou qui s’ouvriraient à l’avenir, la déclaration
du 13 septembre 1739 veut : Qu’il ne soit reçu l'affir
mation d’aucune créance sans qu’au préalable les par
ties se soient trouvées devant les juges consuls auxquels
les bilan, titres et pièces seront remis pour être vus et
examinés ; quelle porte de plus, que, faute par les
créanciers et débiteurs de se conformer à ces présen
tes, ainsi qu’aux autres dispositions de l’ordonnance de
1673, les créanciers seront déchus de leur créance ;
« Que, d’après ces deux lois, soit que l’on considère
les frères Manuel comme ayant des livres sur lesquels
ils ont inscrit leurs négociations avec Leral, et qu’ils
refusent de représenter, soit comme n’y ayant porté
rien de relatif à ces négociations, ils ont, dans l’un et
l’autre cas, encouru la peine de déchéance ;
« Qu’il y a d’autant moins à balancer d’user ,à leur
égard de toute la sévérité de la loi, qu’ils ne sont pas
à l’abri de violents soupçons de fraude, pour avoir
constamment varié sur le titre constitutif et le montant
de leur créance, comme sur les éléments dont elle est
composée ;
« Considérant que le billet du 28 pluviôse an iv est
sous écriture privée ; qu’il n’a aucune fixité de date, et
qu’il n’en est fait aucune mention sur les livres de Leral
ni sur son bilan ;
« Considérant, d’ailleurs, que le bilan d’un failli et
les déclarations qui peuvent s'y trouver n’ont pas l’effet
de donner un titre à un créancier qui n’en aurait pas
d’autres ;
�460
DES LIVRES DE COMMERCE
« Considérant, enfin, que l’intérêt général du com
merce commande la sévère exécution des lois créées
pour réprimer les fraudes et corriger les funestes effets
des faillites.
« Par ces motifs, le tribunal d’appel, réformant sur
la demande des syndics, entérine leurs fins et conclu
sions , et déclare les frères Manuel déchus de leur
créance.
a Ceux-ci frappent ce jugement d’un pourvoi, ils le
défèrent à la cour régulatrice comme renfermant un
excès de pouvoir et appliquant faussement l’ordon
nance de 1673 et la déclaration de février 1739. Voici
les raisons invoquées à l’appui du pourvoi :
« L’article 1er, titre m de l’ordonnance, prescrit bien
aux négociants de tenir des registres de leurs affaires de
commerce, mais ne prononce aucune peine contre ceux
qui négligent de s’y conformer. La seule conséquence
qui résulte de cette négligence, c’est qu’en cas de con
testation entre deux marchands, si les livres tenus par
l’un d’eux sont conformes à la loi, ils font foi en justice
contre celui qui n’en a pas tenu ; d’ailleurs, les frères
Manuel ne sont pas dans le cas de l’article 10 de l’or
donnance, qui oblige les négociants à représenter leurs
livres lorsqu’ils veulent s’en servir, puisqu’ils fondent
leur créance sur un autre titre qu’ils représentent, sur
l’obligation du 28 pluviôse an iv.
« A l’égard de la déclaration du 13 septembre 1739,
elle exige seulement que les créanciers d’un failli
remettent leurs titres et pièces pour être examinés,
�ART.
16 RT 16.
461
elle ne parle en aucune manière de la représentation
des livres. Les frères Manuel s’y sont conformés autant
que possible en produisant le billet souscrit à leur
profit par Lerat, qui est un litre régulier dont ils ont
affirmé la sincérité. La déclaration de 1739 prend le
créancier et le failli au moment de la faillite, et prescrit
les formalités à suivre à cette époque. Aussi, dans quel
cas le créancier est-il déchu ? S’il ne se présente pas
en personne, s’il ne produit pas ses titres. Voilà tou
tes les conséquences qu’on peut tirer de la loi. A
l’égard des titres, il faut distinguer : s’ils reposent sur
des registres de commerce, ces registres devront être
produits ; s’ils ne le sont pas, c’est le cas de la dé
chéance; si, au contraire, le créancier déclare ne point
avoir de registres1^ qu’il présente un autre titre, alors
la déchéance n’est point encourue ; il satisfait, par la
présentation de ce titre, au vœu de la loi. Il est donc
évident qu’en déclarant les frères Manuel déchus, les
juges d'appel ont fait la plus fausse application de l’or
donnance de l'673 et de la déclaration de 1739 ; que
leur jugement ne peut se soutenir et doit être cassé. »
Comme on le voit, toute cette défense se réduisait à
ceci : un commerçant ne peut être tenu de représenter
ses livres que lorsque, s’armant lui-même de leur con
tenu, il veut s’en faire un titre contre son adversaire.
Mais lorsque, au lieu de recourir à ses livres, il invo
que un titre émané de son adversaire même, celui-ci
doit être immédiatement condamné par suite de l’auto
rité s'attachant an titre. H ne peut demander la produc-
�462
DES LIVRES DE COMMERCE
tion des livres, car quelles qu’en soient les énonciations,
et alors même qu’ils ne feraient aucune mention du
titre, cela ne pourrait faire que le titre n’existât et qu’il
ne doive sortir à effet.
Ce système était trop en contradiction avec la loi,
avec la doctrine, avec la jurisprudence, nous pourrions
ajouter avec la raison, pour qu’il pût être consacré.
Aussi la cour de cassation ne s’y arrêta-t-elle pas. Le
pourvoi des frères Manuel fut rejeté par les motifs
suivants :
« Considérant que les articles 1er, titre in, et 3, titre
xi de l’ordonnance de 1673 obligent les marchands à
tenir un livre qui contienne tout leur négoce, leurs let
tres de change, leurs dettes actives et passives, et jus
qu’à la dépense de leur maison ; que la déclaration du
13 septembre 1739 veut que, dans toutes les faillites,
il ne soit reçu d’affirmation d’un créancier, sans qu’au
préalable les parties aient remis leurs titres et pièces
sur lesquels elles se fondent, et que, faute par les créan
ciers de remplir cette formalité et de se conformer aux
autres dispositions de l’ordonnance de 1673, il soient
déchus de leurs créances.
« Considérant que dans l’espèce, les frères Manuel
avaient déclaré, devant le tribunal de commerce, être
créanciers de Lerat de la somme de 188,075 livres en
numéraire, ainsi qu’ils le vérifiaient par lë comptecourant de toutes leurs opérations de commerce avec
Lerat, lequel compte ils représentaient, avec offre de
le vérifier par les livres desquels il était fidèlement ex-
�ART.
15 ET 16.
463
trait, et qu’ils offraient de représenter toutes et quantes
fois ils y seraient requis.
« Considérant q u e , cependant, les frères Manuel
n’ont depuis cette époque ni déposé, ni représenté
ces livres, d’où il suit que la peine de déchéance por
tée par la déclaration de 1739 leur a été justement ap
pliquée.
« Considérant encore que, mal à propos, les frères
Manuel ont prétendu devoir échapper à cette applica
tion, sous prétexte que leur créance, indépendamment
de tous livres, était fondée sur une reconnaissance de
Lerat, car leur créance n’ayant pas été d’abord déclarée
fondée sur cette reconnaissance, le tribunal d’appel
a pu légitimement insister sur la représentation de ces
livres, et appliquer au refus de les représenter la
déclaration de 1739, d'autant plus que celte variation
sur le titre de la créance, ainsi que d’autres sur son
montant et sur ses éléments , pouvait présenter une
fraude dont le tribunal d’appel a remarqué et déve
loppé les indices, et qui suffirait seule pour justifier son
jugement.1 »
307.
— Cet arrêt, comme le jugement du tribunal
d’appel de Dijon, invoque avec raison la conduite et les
tergiversations de l’une des parties, et les soupçons de
fraude qu’elles faisaient naître. Ils devaient en effet y
trouver un motif de plus pour insister sur la production
1 Cas* . 12 floréal an x n .
�464
des livres de commerce
des livres, et appliquer la peine réservée au refus de
cette production.
Eût-on décidé autrement si ces tergiversations n’a
vaient pas existé ? Auralt-on refusé d’ordonner l’apport
des livres si les créanciers eussent dans ï’origine invo
qué le titre sur lequel ils se fondaient en dernier lieu ?
La négative nous paraît incontestable. En effet, la doc
trine et la jurisprudence s’étaient depuis longtemps
prononcées dans ce sens, que le marchand tenu d’avoir
des livres était obligé de les représenter à la réquisition
de la partie, alors même que l’objet du litige n’aurait
pas été commercial.
Déjà nous avons rappelé que, par arrêt du 22 juillet
1688, le Parlement de Paris avait appliqué l’obligation
de produire, ses livres au commerçant poursuivant
l’exécution d’un titre authentique et notarié.1 Cette
règle, la cour de cassation l’avait elle-même sanction
née en jugeant, le 25 nivôse an x, qu’un marchand qui
ne représentait pas ses livres pouvait être déclaré nonrecevable à demander le paiement d’un obligation no
tariée, même étrangère à son commerce.
Donc, sous l’empire de l’ordonnance de 1673, aucun
doute n’existait sur l’obligation pour les commerçants
de représenter leurs livres, qu’ils en excipassent euxmêmes ou non. L’article 10, titre m , était formel d’ail
leurs, cette représentation pouvait être ordonnée soit
lorsque le marchand prétendait les invoquer en sa
1 V. sup., n° 205.
�AKT.
15
ET
465
16.
faveur, soit qu’on prétendît s’en servir contre lui. Or,
on comprend que celte dernière circonstance devait se
réaliser le plus ordinairement lorsque le commerçant
négligeait volontairement ou non de s’en prévaloir luimême, son silence permettant de supposer que leur
teneur lui était contraire.
Si quelque chose avait été changé par le Code, ce ne
serait certes pas cette règle. Car, loin de créer des obs
tacles à la représentation des livres, il a entendu la fa
voriser, d’abord en dispensant la partie la requérant de
l’obligation d’y ajouter foi, ensuite en conférant aux ju
ges la faculté de l’ordonner d’office. Cette représenta
tion peut donc aujourd’hui être ordonnée, malgré qu’elle
ne soit ni offerte ni demandée. A plus forte raison donc
doit-on admettre cette possibilité lorsqu’une des par
ties soutiendra qu’elle est indispensable à l’appréciation
de ses intérêts.
Vainement donc le commerçant voulant se soustraire
à l’obligation de représenter ses livres exciperait-il de
la maxime que nul n'est tenu de produire contre soi.
Ce qui a fait admettre cette règle en matières civiles,
c’est que l’existence du titre dont on réclamerait la
production n’est souvent pas même établie, et encore
la rigueur de ce principe reçoit une notable modifica
tion par la faculté laissée à la partie de demander un
compulsoire et de se procurer ainsi les litres que son
adversaire ne veut pas verser au procès.
Mais, en matière de commerce, aucun doute n’est
permis sur l’existence des livres. En droit, leur tenue
30
�466
DES LIVRES DE COMMERCE
est une obligation ; en fait, il est certain qu’il a dû en
exister, réguliers ou non. Or, la destination qui"*leur
a été légalement affectée est de recueillir la preuve de
tous les actes du négociant, commerciaux ou non. Dès
lors, il est justes lorsqu’il s’agit de l’un d’eux, qu’on
puisse vérifier si les livres en établissent la sincérité et
surtout s’ils ne démentent pas la prétention actuelle.
En forcer la représentation, ce n’est donc pas contrain
dre le commerçant à produire contre lui ; c’est le con
traindre à remplir une obligation légale, celle de justi
fier sa demande ou son exception.
Il suffit donc encore aujourd’hui que celui contre qni
on plaide soit commerçant, qu’en cette qualité il ait dû
tenir des livres, pour qu’on soit recevable à lui en de
mander la représentation. Il importe peu que celui qui
la requiert soit lui-même commerçant, l’article 1330
étendant cette faculté au non-commerçant, et la rendant
plus énergique encore par l’obligation de les accepter
indivisiblement ; il n’importe pas davantage que le com
merçant excipe de lui-même ou non de ses livres, que
le droit litigieux soit ou non relatif à son commerce,
qu’il soit établi par un titre positif émané de son ad
versaire. Comme complément de justification , la re
présentation des livres peut toujours être réclamée, et
même ordonnée d’office par les juges.
308.
—- Doit-on, sous l’empire du Code, décider,
comme on le faisait sous l’ordonnance, que cette re
présentation est admissible, même lorsqu’il s’agit de
l’exécution d’un titre notarié et authentique ?
�ART.
15
ET
16.
467
L’affirnçative nous paraît devoir résulter de ce que
nous venons d’établir, à savoir, que le Code n’a en rien
modifié l’état des choses créé par l’ordonnance. Dès
lors, ce qui était juridique sous l’empire de celle-ci n’a
pas cessé de l’être aujourd’hui.
Pourquoi, d’ailleurs, excepterait-on de l’obligation
de représenter les livres, dans le cas où il s’agit de
l’exécution d’un acte notarié? Une pareille distinction,
indépendamment de ce qu’elle n’est pas dans la loi,
pourrait, dans une circonstance donnée, favoriser et
faire réussir l’injustice et la fraude. L’utilité de la pro
duction des livres, et conséquemment sa nécessité, se
justifie, même dans ce c as, d’abord par la possibilité
que le débiteur ait perdu ou égaré la quittance sous
seing-privé dont il s’était contenté dans un but d’éco
nomie. Il serait inique que cette perte pût fournir l’oc
casion de le faire payer une seconde fois, et surtout
d’empêcher de la suppléer par la mention qui doit se
trouver dans les livres. Pourrait-on concevoir le moin
dre doute sur la réalité du paiement, si, à la date indi
quée par le débiteur, ces livres constataient la récep
tion d’une somme identique à celle qu’il devait à cette
époque en capital et intérêts? Si cette réception était
indiquée provenir du débiteur lui-même ? Hésiterait-on
à proscrire la nouvelle demande si le commerçant,
l’ayant débité dans un compte-courant de la somme
par lui prêtée, avait crédité son débiteur d’une somme
égale ? C’est pourtant l’existence d’un de ses faits
que celu i-ci prétendra justifier par la représenta-
�4-68
DES LIVRES DE COMMERCE
tion des livres. Serait-il équitable de l’éconduire sans
examen ?
Il est un autre point de vue sous lequel la représen
tation des livres, même dans le cas d’un acte notarié,
,se justifie parfaitement. Il n’est pas d’usage qu’un com
merçant dispose de ses fonds par cette voie, il lui est
plus utile de les appliquer à son commerce, ce qui lui
offre un intérêt bien plus considérable. Aussi, lorsque
la position critique de son débiteur le force à se procu
rer une garantie hypothécaire, en prorogeant le terme
de l’exigibilité, arrive-t-il souvent qu’indépendamment
de l’acte, il se fait souscrire des effets négociables pour
le montant de ce qui lui est dû.
Ces effets formant double emploi avec l’acte, il est
évident que le créancier est payé de celui-ci lorsque
par leur négociation il en reçoit la valeur, il ne rede
vient créancier que si, à l’échéance, il a lui-même rem
boursé cette valeur et repris les effets.
Aucun doute ne pourrait certes s’élever si le débi
teur, ayant lui-même payé ces effets, pouvait les re
présenter. Cependant, dans ce même cas, l’identité de
la cause peut être contestée et peut rendre le recours
aux livres du négociant indispensable.
A plus forte raison faudrait-il y recourir si le débi
teur était dans l’impossibilité de représenter ces effets.
Ce ne serait plus alors leur cause qui serait contestée,
on pourrait en nier jusqu’à l’existence, et comment
avoir raison de cette dénégation, si le débiteur poursuivi
était absolument empêché de se faire représenter les li~
�ART.
15
ET
16.
469
vres qui en renferment la preuve? On comprend ce
pendant que plus les livres seront précis sur ce point,
et moins le commerçant se prêtera à les produire pour
ne pas divulguer sa mauvaise foi.
Quel danger, d ’ailleurs, peut offrir notre solution ?
Nous allons le dire bientôt , l’article 15 ne confère
qu’une faculté dont il est toujours loisible aux juges de
ne pas user. Ils s’en abstiendraient, certes, si dans
notre hypothèse les vraisemblances, les faits et cir
constances de la cause pouvaient faire supposer que la
demande en représentation des livres n’est qu’un moyen
de gagner du temps à l’effet de reculer l’exécution d’un
titre légitime.
Ainsi la règle déduite, par la jurisprudence, de l’or
donnance de 1673 peut et doit être suivie sous l'empire
du Code. Le commerçant qui poursuit l’exécution d’un
titre authentique, sans se prévaloir de ses livres, peut
être contraint de les représenter, quelle que soit, d’ail
leurs, la cause de l’obligation. Cette représentation
peut être ordonnée soit sur la demande de la partie,
soit d’office par le juge.
309.
— En thèse ordinaire, les livres dont on peut
demander ou ordonner la repésentation se réduisent
aux trois dont la loi a rendu la tenue obligatoire, à sa
voir : le journal, le copie des lettres, le livre des inven
taires. Quant aux livres auxiliaires, il est évident que le
négociant étant libre de les tenir ou non, la déclaration
qu’il ferait de n’en point avoir ne pourrait manquer,
�470
DES LIVRES DE COMMERCE
à défaut de preuve contraire, d’être accueillie. C’est
ce que la cour de Paris a consacré par arrêt du 2
août 1842.1
Mais s’il était prouvé que le commerçant a réelle
ment tenu des livres auxiliaires, et que ces livres sont
encore en sa possession, on pourrait le condamner à
les représenter, de même que les livres -obligatoires.
Remarquons bien que la loi, si elle ajustement reculé
devant une mesure inquisitoriale, vexatoire et dange
reuse pour celui qui en serait devenu l’oj?jet, n’a nul
lement entendu favoriser, ni moins encore encourager
la résistance qu’on opposerait, de mauvaise foi, à ce que
la justice s’entourât de tous les documents susceptibles
de l’édifier sur les droits respectifs des parties. Consé
quemment, s’il est acquis que le livre auxiliaire réclamé
existe réellement entre les mains du négociant, aucun
motif ne saurait raisonnablement être invoqué à l’appui
du refus qu’il ferait de le représenter, refus peu natu
rel, et par cela même devant paraître fort suspect.
D’ailleurs, les livres auxiliaires expliquent le journal
dont ils sont en quelque sorte le développement et le
commentaire. Qu’on ne soit pas forcé de les tenir, c’est
ce qui est incontestable ; mais que, les ayant tenus, on
puisse se dispenser de les représenter, malgré la ré
quisition de la partie, au mépris des ordres formels de
la justice, c’est ce qui ne saurait se comprendre, et
bien moins encore être autorisé.
1 J- du p. t. n, 1843, p. 388.
�ART.
15
ET
16.
471
Dans une espèce soumise à la cour de Caen, la par
tie poursuivie réclamait du demandeur la production
d’un livre d’enregistrement de traites et remises. Le
négociant repoussait cette demande comme non-rece
vable, sur le motif que ce livre n'étant pas obligatoire
ment prescrit par la loi, on ne pouvait le contraindre à
le représenter.
Mais cette exception fut repoussée par la cour, éta
blissant d’abord que la preuve de l’existence du livre
réclamé existait au procès, elle en ordonne la repré
sentation.
« Attendu, porte l’arrêt, qu’on voit par les numéros
d’ordre mis par l’appelant sur les diverses lettres de
change et billets auxquels il prenait part, qu’il tenait
réellement un livre de la nature de celui qui lui est ré
clamé ; qu’encore bien que la loi ne désigne pas nomi
nativement, quant aux livres que doivent tenir les com
merçants, un livre d’enregistrement et de numéros
d’ordre des traites et remises, ces livres sont cependant
implicitement compris dans ceux qui doivent contenir
les négociations, acceptations ou endossements d’ef
fets, et généralement tout ce qui est reçu ou payé ; et
que , d’ailleurs, il est évident que dès qu’il en a été
tenu de cette espèce, leur représentation peut être or
donnée.1 »
Ainsi la seule différence entre les livres obligatoires
et les livres auxiliaires, c’est que l’existence des prei Caen, 24 juin 4 828.
�472
DES LIVRES DE COMMERCE
miers est forcément admise par la loi , alors même
qu’on exciperait n'en avoir tenu aucun. On devait en
tenir, et cela seul suffit pour qu’on soit obligé de les
représenter, sous les peines portées par la loi. On ne
pouvait admettre le contraire sans s’exposer à rencon
trer dans toutes les espèces une exception ne consti
tuant après tout qu’une violation d’un devoir formelle
ment imposé par la loi, et ne méritant dès lors aucune
indulgence.
Les livres auxiliaires, au contraire, ne sont pas pré
sumés exister. Le commerçant peut ou non user de la
faculté que la loi lui laisse à cet égard, et aucun repro
che ne peut lui être adressé, s’il n’en a tenu aucun. La
représentation de ces livres ne peut donc être ordon
née sans qu’au préalable leur existence ait été prouvée,
ou résulte évidemment de l’état et de la nature des do
cuments produits, comme dans l’espèce de l’arrêt de
Caen.
310.
— Au reste, pour les uns comme pour les
autres, la représentation n’est jamais un devoir pour les
juges. L’article 15 ne leur confère qu’une pure faculté
dont l’exercice est exclusivement abandonné à l’inspi
ration de leur conscience. A quoi bon, en effet, une
pareille mesure si, la vérité ressortissant nettement des
faits et circonstances du procès, les juges se trouvent
en l’état suffisamment édifiés et peuvent se prononcer
avec certitude?
Le texte de l’article 15 ne laisse à cet égard aucun
�\
ART.
15
ET
16.
•
473
doute possible. De commerçant à commerçant, la re
présentation des livres n’est jamais forcée. La jurispru
dence est depuis longtemps fixée dans ce sens. Indé
pendamment de l’arrêt d’Aix, du 5 avril 1832, que nous
citions tout à l’heure, ce principe a constamment été
reconnu et proclamé par la cour de cassation.1
3 1 1 . — Mais en est-il de même à l’égard du non\
commerçant agissant en vertu de l’article 1330 du Code
civil? Le juge peut-il encore refuser la représentation
des livres demandée aux conditions-qu'impose cet arti
cle? La raison de douter se tire de l’existence de ces
conditions. Le non-commerçant demandant la produc
tion des livres de son adversaire négociant est obligé de
les admettre tels qu’ils se trouveront, leurs énonciations
mettront fin au litige ; recourir à ce moyen, c’est donc
en réalité déférer le serment décisoire. C’est ce qui
porte MM. Massé et Devilleneuve à enseigner que, dans
ce cas, la demande en représentation des livres ne sau
rait être écartée.®
Il est certain qu’une demande de ce genre ne paraît
pas de nature à soulever de sérieuses difficultés. Le
moyen de solution qu’elle offre est si naturel et si sim
ple, qu’en général la justice, s’empressera de le saisir.
Elle n’aurait même aucun moyen de ne pas s’y arrêter,
1 V. cass., 25 nivôse an x , 20 août 4848, 12 décembre 1827, 4 fé
vrier 1828, 9 juin 1839; — J. du P ., t. i, 1839, p. 4 9 5 ; — conf. Aix,
8 décembre 1820.
3 Dial, du contentieux comm. Y. Livres de com., n<> 14,
�474
DES LIVRES DE COMMERCE
si la représentation des livres était proposée avant toute
défense au fond. Cependant nous répugnons à admettre
une règle absolue en cette matière, qui ne parait pas
en comporter d’autre que la libre appréciation des ma
gistrats. Nous pensons en conséquence qu’il leur est
loisible, même dans ce cas, d’écarter la demande en
production des livres, si des faits du procès, des docu
ments produits, des débats que la cause a déjà subis,
il résulte pour eux la conviction que cette production
serait inutile et frustratoire ; qu'elle n’est sollicitée en
désespoir de cause que pour prolonger un litige ac
tuellement en état de recevoir une solution définitive.
5 1 2 . — La représentation des livres, dans tous les
cas où elle est légalement autorisée, peut être deman
dée et ordonnée par toutes les voies de droit, même
par contrainte d’une somme d’argent. 11 peut se faire
en effet que cette représentation soit d’un tel intérêt
pour celui qui la réclame, qu’évidemment les consé
quences que la loi attache à son refus ne pussent suffi
samment réparer le préjudice qu’éprouverait celui qui
en serait la victime, c’est en effet ce qui se réalisait dans
l’espèce suivante :
Un sieur Blanchard était assigné en restitution d’in
térêts usuraires qu’il avait perçus. Pour établir le chiffre
exact de la restitution, on demandait la production de
ses livres, Blanchard refuse de la faire, mais un juge
ment l’y condamne, sous contrainte, en cas d’inexécu
tion, d’une somme de 3,000 fr.
«
�ART.
15
ET
16.
475
Blanchard émet appel de ce jugement. Devant la
cour, il soutient d’abord que personne ne peut être
obligé de produire des titres dont il n’entend pas se
servir; il prétend ensuite que la production des livres
d’un commerçant, pût-elle être ordonnée, ne pourrait
l’être sous une contrainte, sauf seulement aux juges à
induire du refus telles conséquences qui leur paraî
traient légitimes.
Ce double système fut repoussé. « Attendu que
quand une partie, dans des vues d’intérêt personnel,
se refuse à satisfaire à des décisions rendues par la jus
tice, la justice se trouve dans la nécessité de la con
traindre par toutes les voies de droit qu’elle croit les
plus propres à atteindre le but qu’elle se propose ; que
si elle eût cru devoir se contenter d’autoriser la partie
à induire du défaut de production du registre, elle eût
pu s’en tenir là ; mais que regardant le moyen de la
contrainte comme plus propre à produire l'effet qu’elle
en attend, elle a dû employer cette voie.1 »
3 1 5 . — Il est évident que la loi a pu et dû, dans la
prévision de l’inexécution d’un jugement ordonnant
la représentation des livres, déterminer les conséquen
ces légales et ordinaires de cette inexécution. C’est là
en effet l’objet de l’article 17 du Code de commerce.
C’est là le droit commun applicable toutes les fois que
la partie n’a rien proposé, n’a rien demandé au-delà.
1 Caen, 24 juin !§28,
�476
DES LIVRES DE COMMERCE
Mais on ne doit pas conclure de cette disposition que
le législateur ait refusé la faculté aux parties de sollici
ter, et à la justice de prononcer d’autres dommagesintérêts. En principe général, ceux-ci sont la con
séquence de l’inexécution de toute obligation, et leur
appréciation est laissée à la prudence des juges. Or,
l’obligation de représenter les livres est une obligation
de faire, dont l’exécution ne peut être assurée que par
une allocation pécuniaire; pour échapper à celle-ci,
il faudrait soutenir que l’article 17 du Code de com
merce a d'érogé au principe général en matière d’inexé
cution.
En droit donc, la faculté d’ordonner la représenta
tion des livres sous une contrainte d’une somme d’ar
gent est incontestable. En fait, l’équité de cette sanction
ne l’est pas moins.
Sans doute, l’article 17 peut paraître suffisant lors
que, actionné en paiement d’une dette, un commerçant
est admis à purger par serment la vérité de sa libéra
tion, à défaut par son adversaire de représenter ses li
vres. Mais évidemment cela ne suffit pas lorsque , à
''cette représentation, se trouve subordonnée la détermi
nation des droits de celui qui l’a requise. Ainsi l’exem
ple que nous venons de citer, la quotité restituable des
intérêts usurairement perçus.
Cet inconvénient se réaliserait dans de bien plus for
tes proportions dans le cas de succession, de commu
nauté, de société, puisque, sans les livres, on ne pour
rait déterminer la quotité des droits des parties récla-
�A R T.
15
ET
16.
477
mantes. Aussi, dans ces matières, la communication des
livres est ordinairement demandée et ordonnée, sous
peine d’avoir à payer une certaine somme pour chaque
jour de^retard. Pourquoi donc ce qui est considéré
comme légal dans le cas de communication perdrait-il
ce caractère dans celui de la représentation ? Pour être
moindre, ce dernier droit n’est pas moins certain, moins
utile que le premier. Il importe donc d’en assurer l’exé
cution, sous peine d’avoir à indemniser la partie de
tout le préjudice qu’elle serait dans le cas d’éprouver
de la violation d’une décision judiciaire.
3 1 4 . — Quel est le caractère du jugement prescri
vant la représentation des livres d’un commerçant? Ce
jugement est-il préparatoire ou interlocutoire ? En
d’autres termes, est-il ou non susceptible d’appel divisément du jugement définitif et avant que celui-ci ait
été rendu ?
La question ne paraît pas douteuse, lorsque la re présentation est ordonnée sous contrainte d’une somme
d’argent. La cour de Paris, saisie de cette question, l’a
résolue dans le sens d’un interlocutoire, et décidé con
séquemment que l’appel interjeté avant le jugement
définitif était recevable.1
Pourquoi n’en serait-il pas de même en l’absence de
toute sanction pénale, alors surtout que la représenta
tion des livres a été contestée? A notre avis, on ne
12
ao ût 1 8 4 3 . J . d u P . , t . u , 1 8 4 3 , pag. 3 8 2
�478
DES LIVRES DE COMMERCE
saurait le décider autrement sans se placer en contra
diction avec la nature des choses. C’est ce qui nous
paraît résulter des principes généraux de la matière.
Aux termes de l’article 452, les jugements sont pu
rement préparatoires lorsqu’ils ne sont rendus que pour
l’instruction de la cause, que pour mettre le procès en
état de recevoir une décision définitive.
S’il fallait s’arrêter là, notre question serait évidem
ment tranchée dans un sens contraire à notre opinion,
car le jugement ordonnant la production des livres n’a
pas d’autre objet que d’instruire la cause et de la mettre
en état d’être définitivement jugée. Mais alors aussi il
faudrait dire qu’il n’y a pas de jugements interlocu
toires, car, quelle que soit la mesure ordonnée, il sera
certain qu’elle.se proposera le même objet.
Ce qui distingue ces derniers, c’est qu’indépendamment de ce qu’ils mettent la cause en état de recevoir
jugement, ils préjugent le fond, ce qui ne peut et ne
doit évidemment s’entendre que d’une manière relative
et jamais absolue.
En effet, s’il pouvait en être autrement, il n’y aurait
plus de jugements interlocutoires dans un autre sens
que celui dont nous venons de parler. On se prévau
drait de la maxime licet judici ab interlocutario discedere, et l'on soutiendrait que le jugement n’étant pas
obligatoire ne saurait créer un préjugé. Il faut donc
dire avec MM. Carré et Chauveau, que le jugement in
terlocutoire est celui q u i, sans juger positivement la
question, laisse entrevoir l’opinion qu’en a conçue le
�/
ART.
15 ET 16.
479
juge, et d’après laquelle il la décidera plus tard, non pas
certainement, mais probablement.
Or, n’est-ce pas là ce qui résulte de la décision or
donnant la représentation des livres? Est-ce que ces li
vres, s’ils sont contraires aux prétentions de celui qui
les a tenus, ne les feront pas repousser? Est-ce que
dans tous les cas, il n’y a pas une évidente probabilité
que le juge aura égard à leurs indications et y confor
mera sa sentence? On ne saurait donc refuser à ce juge
ment le caractère d’interlocutoire.
Cela serait surtout incontestable si le commerçant
avait opposé à la demande en représentation de ses li
vres une exception de fin de non-recevoir. Dans ce
cas, statuer et repousser cette fin de non-recevoir, re
fuser même de l’examiner pour ordonner des apure
ments que son admission eût rendus parfaitement inu
tiles, puisqu’elle eût terminé toute contestation, c’est,
dans le premier cas, avoir rendu un jugement définitif
quant à ce ; c’est, dans le second, avoir évidemment
préjugé que cette fin de non-recevoir n’est d’aucune
considération ; que le fond peut être décidé sans qu’il
soit besoin de s’y arrêter.
Comment pourrait-il en être autrem ent, lorsque,
sans avoir opposé une fin de non-recevoir spéciale, le
commerçant s’est borné à soutenir l’inadmissibilité ou
l’inutilité de la représentation. II y aurait dans le juge
ment qui l’aurait ordonnée mieux qu’un préjugé sur l’ad
missibilité de la représentation, il y aurait décision for-
�)
4-RO
DES LIVRES DE COMMERCE
melle, annonçant que le juge se réserve de subordonner
à ses résultats la solution de l’affaire.1
Il importerait donc peu que l’avant-dire-droit réser
vât aux parties tous leurs droits et exceptions. Cela
sans doute laisse intacts tous les moyens se rattachant
au fond, mais nullement ceux relatifs en la forme. Com
ment, en effet, après avoir exécuté le jugement et re
présenté les livres, soutenir que la demande en repré
sentation n’était ni recevable ni admissible? Le juge
ment aurait produit tout son effet, et quels seraient
l’utilité et le profit d’une attaque ultérieure?
5 1 5 . — Il n'est qu’un seul cas où le jugement se
rait simplemeut préparatoire, à savoir, si la représen
tation n’avait pas été contestée, et, dans ce cas encore,
la fin de non-recevoir contre l’appel séparé serait plutôt
la conséquence du contrat d’acquiescement que du ca
ractère propre du jugement.
Il en est donc de la représentation des livres comme
de la preuve testimoniale, ou de tout autre mesure in
terlocutoire. Si aucune contestation n’en a accueilli la
demande, l’appel ne peut être interjeté qu’avec celui
du jugement définitif. Si, au contraire, l’une des parties
a résisté, si elle l’a combattue comme non-recevable ou
inutile, le jugement, qu’il ait prononcé ou sursis à sta
tuer sur le mérite de ces contestations, n’en est pas
moins interlocutoire.
1 Chauveau sur Carré, art. 482, quest. 4616.
*
�ARÎ. 15
ET
16.
481
5 1 6 . — Nous n’hésitons pas à penser qu’il en est de
même dans le cas où la représentation a été ordonnée
d’office par le juge. Sans doute, dans cette hypothèse,
aucune des parties n’a contesté, mais elle n’a jamais été
en mesure de le faire. La preuve que si cette possibi
lité eût existé, celui qui prétend émettre appel aurait
contesté, se tire de l’appel lui-même. II est donc pré
sumé avoir combattu en première instance ce qu’il va
combattre devant le second degré de juridiction.
D’ailleurs, quoique rendu d’office, le jugement n’en
indique pas moins la réserve que se fait le juge de su
bordonner sa décision aux résultats de la mesure qu’il
ordonne. Le préjugé naît donc de ce jugement qui
ne peut dès lors être considéré que comme interlo
cutoire.
3 1 7 . — Le commerçant à qui on demande la pro
duction de ses livres ne saurait se prévaloir de leur
irrégularité pour la refuser. Il est vrai que les livres
irréguliers ne peuvent faire foi en justice, mais en fa
veur de celui qui les a ainsi tenus contrairement au de
voir qui lui était imposé. Mais quels qu’ils soient, ainsi
que nous le disions sous l’article 13, ils font preuve
contre lui.
La conséquence naturelle de cette règle était qu’il ne
pût exeiper de leur irrégularité à l’effet de se dispenser
de les représenter lorsqu’il en est requis soit par son
adversaire, soit par la justice. Il est évident, en effet,
que décider autrement, c’était admettre que ses livres,
�*82
DES LIVRES DE COMMERCE
ne pouvant faire foi en faveur, ne pourraient non plus
“devenir une preuve contre lui, et renverser ainsi la
peine que l’article 13 a entendu faire résulter de l’inob
servation de la loi.
C’était de plus placer celui qui l’aurait violée dans
une position plus avantageuse que celle du commerçant
l’ayant scrupuleusement observée. Celui-ci, en effet,
pouvait dans un cas être condamné sur ses livres, l’au
tre jamais, puisque, maître de les représenter ou de les
refuser, il n’eût pas manqué de s’arrêter à ce dernier
parti toutes les fois qu’il aurait eu à redouter leurs
énonciations.
Un pareil résultat eût été une monstrueuse anomalie
que l’intérêt public, que la raison et le droit condam
naient énergiquement. Le commerçant n’a des livres
irréguliers que parce qu’il a débuté par violer une loi
formelle.il est donc juste qu’il en soit puni. Toutes les
fois dès lors qu’il tentera de se prévaloir de cette viola
tion, il devra être impitoyablement repoussé.
3 1 8 . — Les tiers ayant traité avec un commerçant
n’ont aucune part dans la tenue irrégulière de ses écri
tures. Ils sont donc recevables à en exciper toutes les
fois qu’ils le jugent convenable à leurs intérêts.
Ils ont cette faculté même dans le cas où ils ont euxmêmes demandé la représentation des livres. Ils peu
vent, en effet, soutenir que cette demande supposait
l’existence de livres dignes de foi par la régularité de
leur tenue, mais que la confiance qu’ils auraient témoi-
�ART. 15 ET 16.
483
gnée à ceux-ci, il ia refusent à ceux qu’on prétend pro
duire et dont rien ne garantit la sincérité.
519. — Mais pour être admis, ce refus doit être
fait en temps utile, c’est-à-dire au moment où par la
représentation des livres on a pu connaitre leur irrégu
larité. Si on les avait d’abord acceptés, si on en avait
extrait ce qui concerne le différend, l’exception d’irré
gularité ne serait plus ni proposable, ni admissible.
5 2 0 . —- Ainsi les tiers créanciers ou débiteurs ont
la faculté d’opposer l’irrégularité des livres de leur ad
versaire et les faire rejeter du procès, soit que celui-ci
prétende les leur opposer, soit qu’ayant eux-mêmes
demandé leur production, ils découvrent cette irrégula
rité. Ils ont de plus un autre droit, à savoir, celui d’en
forcer la représentation malgré leur irrégularité. Nous
l’avons déjà dit, celle-ci ne peut être opposée par celui
à-qui elle est exclusivement imputable. Bien entendu
que, dans cette hypothèse, ils ne sauraient eux-mêmes
être admis à exciper plus tard de ce défaut de formes
qui ne les aurait pas empêchés de faire ordonner cette
représentation.1
52 ï . — Ce qui distingue la communication des li
vres de leur représentation, c’est que, dans la première,
le commerçant se dessaisit de ses livres en faveur des
1 V. supra, n°s 261 et sùiv.
�484
DES LIVRES DE COMMERCE
parties intéressées, libres dès lors de les examiner et de
les compulser dans toutes leurs parties. Dans la secon
de, au contraire, le commerçant est autorisé à ne pas
s’en dessaisir, à ne pas les perdre de vue, il n’est tenu
de les représenter seulement pour qu’en sa présence
et avec son concours on puisse en extraire ce qui con
cerne le différend.
C’est là tout ce que peut exiger le demandeur en
production. C’est là tout ce qu’on pouvait lui accorder.
11 n’était pas possible, en effet, qu’après avoir proscrit
la communication pour assurer l’inviolabilité du secret
du commerce et de la famille, on en autorisât la di
vulgation, en la facilitant par un moyen indirect et dé
tourné.
322. — C’est ce qui avait été justement admis par
tous les peuples commerçants. La restriction écrite
dans notre Code avait été expressément consacrée par
l’article 10 du titre m de l’ordonnance de 1673. C’est
ce que nous retrouvons dans la forme même que la ju
risprudence avait tracée. Ainsi en Italie, de droit com
mun, on n’était obligé de représenter que la page sur
laquelle figurait l’opération litigieuse, nisi in ea parte
autpagella qua adest controversia.1
Jason, sur la loi première du Code de edendo, nous
apprend qu’à Florence un marchand n’est pas tenu de
représenter ses livres, journaux et registres, si le de1Casaregis, de com., dise. 30, n° 79.
�ART.
15 ET 16.
488
mandeur ne désigne, par l’extrait du compte du mar
chand , en quel feuillet du livre il est couché. Âdeo
lim ent, dit Mornac sur la même loi, caventque ne
edatur tantillum domus fortunatiumque suarum existimatio.
Mornac ajoute que l’usage du parlement est de faire
rapporter les livres des marchands devant les juges ou
devers deux marchands, et en leur présence d’ouvrir
et de lire tout d’un temps le feuillet auquel le deman
deur indique qu’il est fait mention de la chose en
question. Arcana enim in reliquis partibus retegi,
oculisque alienis, iisque utplurimum maligne curiosis
subjici, iniquum semper visum est nec toleratum
unquam.
3 2 3 . — Voilà les sévères précautions que le respect
du secret d’autrui avait inspirées à nos devanciers.
Voilà aussi les traditions que notre législateur a voulu
s’approprier et suivre. Ainsi, comme l’ordonnance, le
Code de commerce n’autorise la représentation des li
vres que pqur en extraire ce qui concerne le différend,
et cette restriction indique assez quelle est la forme à
laquelle doit obéir cette représentation.
Le marchand n’est donc pas tenu de se dessaisir de
ses livres. C’est en sa présence, sous ses yeux, que le
juge ou l’expert commis doit en faire l’extrait, sans
que son attention puisse se porter sur d’autres opéra
tions que celles sur lesquelles le litige est engagé, ce
que le négociant est toujours maître d’empêcher en
�486
DES LIVRES DE COMMERCE
refusant d’ouvrir les livres aux passages étrangers à ces
opérations.
5 2 4 . — De son côté, celui qui a requis la repré
sentation des livres a droit d’assister à l’extrait qui en
est fait. Mais on n’est pas tenu de l’y appeler, et son
absence occasionnée par ce défaut d’appel n’influe en
rien sur l’opération consommée hors sa présence. Dans
une espèce jugée par la cour de Paris, on prétendait
assimiler la représentation des livres à un compulsoire,
pour en induire la nullité de la vérification faite sans
que le demandeur y eût été appelé.
Mais l’arrêt qui intervint repoussa cette prétention
sur le motif que la vérification des livres, par suite de
leur représentation, n’avait aucun des caractères du
compulsoire, que dès lors elle ne pouvait être soumise
aux formalités tracées pour celui-ci ; que la présence
de la partie étant facultative, on ne saurait l’empêcher
de s’y présenter, mais qu’on n’était pas obligé de l’y
appeler, malgré que le jugement eût ordonné que
l’opération aurait lieu parties présentes ou dûment
appelées.1
525. — Ainsi, en principe, la représentation des
livres ne saurait devenir ni le prétexte ni le moyen de
pénétrer un secret que la loi a voulu rendre impénétra
ble. Elle ne peut donc avoir pour résultat d’amener
1Paris, 28 juillet 1813.
�ART.
15
ET
16.
487
le dessaisissement matériel du commerçant qui est con
damné à les produire, soit par un dépôt au greffe, soit
par une remise entre les mains d’un tiers, et c’est sur
tout à ce point de vue que l’arrêt de la cour de cassa
tion, du 25 janvier 1843, s’est écarté de la saine doc
trine, puisqu’il consacre précisément le contraire, en
ordonnant le dépôt au greffe des livres dont on ne
devait autoriser que la représentation.1
52.6. — Que ce principe puisse subir des excep
tions, on peut l’admettre. Quelle est, en effet, la règle
qui n’en comporté aucune ? Mais encore faut-il que ces
exceptions n’affectent pas un caractère diamétralement
opposé à l’essence du principe lui-même; et ce carac
tère, nous le rencontrerions toutes les fois que la me
sure ordonnée serait dans le cas de permettre de com
pulser librement les livres et de lire dans tout leur
contenu.
/
Nous comprenons que dans une contestation entre
un maître et un ouvrier, sur la détermination des sa
laires de celui-ci, le juge ou l’expert commis puisse
examiner toutes les indications des livres se référant à
ces salaires ; que, lorsqu’il s’agit de la négociation de
certains billets litigieux, on puisse extraire de ces
livres non-seulement ce qui est relatif à la négociation
des billets litigieux, mais encore ce qui concerne d’au
tres négociations pouvant jeter du jour sur le difféi V.
*
sup., n°s 299 et 300.
�488
DES LIVRES DE COMMERCE
rend. Ce sont Jà des objets devenant des spécialités
soit par la nature des indications, soit par la désignation
des négociations accessoires que la partie invoquera,
se référant d’ailleurs essentiellement à l’objet du litige
et rentrant dès lors dans les termes de l’article 15.
Dans les deux cas, au surplus, le commerçant n’est pas
dessaisi de ses livres, et il demeure libre de surveiller
l’opération.
Mais nous ne saurions admettre que, dans une hy
pothèse quelconque, on pût, sous prétexte de repré
sentation, autoriser une mesure ne tendant à rien moins
qu’à arracher les livres à la possession du commerçant
pour un temps plus ou moins long. Car, quel que soit
celui qui sera appelé à y lire, il est certain que le secret
de ce commerçant sera à sa discrétion, et c’est précisé
ment ce que, à toutes les époques, la loi a entendu ab
solument proscrire.
327.
— L’article 16 nous fournit un exemple déci
sif de l’importance que notre Code attache à ce que le
commerçant ne perde pas de vue ses écritures. Les
inconvénients d’une dépossession temporaire l’ont dé
terminé à ne pas même exiger leur déplacement.
Ainsi, lorsque le domicile du commerçant tenu de
représenter ses livres est éloigné du lieu où siège le tri
bunal saisi du litige, ce tribunal peut déléguer le soin
d’en extraire ce qui concerne le différend soit aux juges
du tribunal de commerce de la localité, soit à un juge
de paix. Ce n’est là sans doute qu’une faculté, mais
�à#T. 15 ET 16.
489
il est évident ,que son exercice est complètement dans
l’esprit de la loi. Elle en eût certainement fait un devoir,
si la nature et le caractère de la juridiction commer
ciale ne lui eussent pas paru insusceptibles de règles
absolues.
— La mission du magistrat rogatoirement
commis se borne à dresser procès-verbal de l’opération.
Ce procès-verbal doit renfermer la copie extraite des
livres. Il doit également indiquer l’état matériel du
passage extrait, les ratures, surcharges ou renvois qui
existeraient. Ce procès-verbal transmis au tribunal, ce
lui-ci juge définitivement.
328.
— L’expert ou le juge commis ne peut, dans
aucun cas, exiger que le commerçant transporte ses
livres hors de son domicile ; il doit lui-même se rendre
dans le magasin ou comptoir dans lequel ces livres
sont reposés, et y procéder à l’extrait qu’il doit en
faire.
329.
Ce point n’était susceptible d’aucun doute sérieux
sous l’empire de l’ordonnance de 1673. Celle-ci, en
effet, n’avait en rien dérogé à celle du 18 février 1578,
aux termes de laquelle : Les marchands ne pourront
être dessaisis de leurs livres et papiers de raison, ni
tenus les exhiber et représenter en justice, ni trans
porter hors leurs maisons pour en être fait extrait ; et
que les extraits ne seront faits qu'ès endroits que lesdits
livres feront mention des choses qui se trouveront liti-
�(
490
DES LITRES DE COMMERCE
gieuses et en controverse, et en leurs dites maisons, ou
la collation s'il y échet.
Il est vrai que cette dernière ordonnance était spé
ciale aux privilèges des foires de Lyon, mais le mode
d’extraire des livres ce qui concernait le différend de
vint généralement applicable depuis que l'ordonnance
de 1673, s’appropriant la prohibition et la restriction
de l’édit de 1578, les rendit l’une et l’autre le droit
commun de toute la France.
Dès lors aussi le Code de commerce, n’ayant voulu
permettre que ce que l’ordonnance de 1673 permettait,
n’a pas dû se montrer moins jaloux qu’elle de la forme
qu’il convenait de suivre. Les motifs étant les mêmes,
le résultat devait être identique. De plus, il est évident
que ces motifs, n’étant puisés que dans le désir de ren
dre plus inviolable encore le secret des affaires du com
merçant, se trouvent en harmonie complète avec l’es
prit général de la législation de 1807.
Concluons donc que la forme qu’il convient de don
ner à l’exécution des mesures prescrites par les articles
15 et 16 ne peut être autre que celle que l’ordonnance
de 1673 admettait comme obligatoire.
A rt.
17.
Si la partie, aux livres de laquelle on offre
d’ajouter foi, refuse de les représenter, le juge
peut déférer le serment à l’autre partie.
�ART.
17.
491
SOMMAIRE
330.
331.
332.
333.
334.
335.
336.
337.
338.
339.
340.
341.
342.
343.
344.
345.
Motifs pour lesquels le législateur a attaché une peine à
l’inexécution des obligations qu’il impose.
Nature de l ’article 17. Nécessité de la peine qu’il pro
nonce.
Sa nature résultait de celle de l’obligation dont elle deve
nait la sanction.
Elle avait été admise sous l ’ordonnance de 1 6 73, malgré
qu'elle n ’y fût pas écrite.
Modification que lui a fait subir le Code en l ’introduisant
dans ses dispositions.
Motifs de cette modification.
Position des -syndics d’une faillite en présence de l’obliga
tion de prêter serment.
On ne doit pas le leur imposer.
Q u id, des héritiers et représentants de la partie.
Diverses hypothèses dans lesquelles le serment ne paraît
pas nécessaire.
Rapport entre l’article 17 et l ’article 1367 du Code civil.
La condamnation pure et simple pourrait être prononcée à
titres de dommages-intérêts. Arrêt conforme de la cour
de Paris.
Hypothèses dans lesquelles le serment pourrait être né
cessaire.
Conclusion.
Comment doit s’entendre la faculté conférée par l’article
17 vis-à-vis du commerçant qui refuse la représentation
de ses livres Arrêt de la cour de cassation.
La résistance que le commerçant oppose à la demande de
son adversaire ne constitue pas le refus prévu par l ’ar
ticle 17.
�492
346.
347.
348.
349.
350.
351.
352.
353.
354.
355.
356.
357.
358.
359.
360.
DES LIVRES DE COMMERCE
Le devoir de produire ses livres ne commence qu'après que
la justice en a ordonné la représentation.
Sous l ’empire de l’ordonnance, le refus d’une partie de re
présenter ses livres faisait ajouter foi aux livres de l ’au
tre. — Motifs.
On ne pourrait l ’admettre encore sans violer l ’article 12, si
les livres n'étaient pas réguliers.
L’article 17 doit-il se restreindre au cas où le demandeur
en représentation offre d’ajouter foi aux livres ?
Dans la supposition de l ’affirmative, on arriverait à un ré
sultat identique par application des principes du droit
commun à tout refus de produire après une décision or
donnant la seprésentation.
Arrêt de la cour de Bourges, confirmé par la cour de cassa
tion.
L’inscription de faux n’est pas recevable contre les livres
d’un commerçant. Arrêt de la cour de Rennes.
C’était là la conséquence du caractère des livres et de l ’ad
missibilité de la preuve testimoniale.
Exception que cette admissibilité comporte. Ses effets quant
à l’application de l ’article 1330 du Code civil.
Obligations imposées aux commerçants en ce qui concerne
leurs contrats de mariage. Leur but.
Ces contrats doivent être publiés, même lorsque les époux
ont adopté le régime de communauté.
Dans quelle forme la publicité a-t-elle lieu, indications que
doit contenir l ’extrait. Rejet de la proposition d’y men
tionner l’apport des époux.
Caractère de ce rejet.
Les prescriptions de l’article 67 du Code de commerce doi
vent être appliquées lorsque c ’est la femme qui exerce
le commerce.
Délai dans lequel doit avoir lieu le dépôt de l ’extrait. Où
doit être opéré ce dépôt.
�1
17.
493
Difficultés que les termes de l ’article 872 : S ’il y en a .
ont fait naître. Arrêt de la cour de Paris. Son carac
tère.
C’est au notaire qui a reçu le contrat qu’incombe la charge
de remplir les prescriptions de la loi. Peine qu’il encourt
en cas d’omission.
Il suffit qu’un des époux ait pris la qualité de commerçant
pour que le notaire doive se conformer à ces prescrip
tions. Arrêt de Colmar, son caractère.
Il en est de même si l ’époux est pharmacien. Arrêt con
traire de Montpellier, son caractère.
Par quel délai se prescrit l ’action du ministère public con
tre le notaire. Point de départ de la prescription.
Rejet de la proposition de rendre commune aux époux l ’o
bligation de déposer l ’extrait.
Ceux qui n ’ont embrassé le commerce qu’après leur ma
riage doivent remplir eux-mêmes toutes les formalités.
Sous quelle sanction pénale.
Quel est dans ce cas l'époux qui doit agir. Dans quel cas.
Disposition de la loi à l’égard de la séparation de biens, de
la séparation de corps ou du divorce.
art.
361.
362.
363.
364.
365.
366.
367.
368.
369.
3 30. - Il est du devoir de tout citoyen d’exécu
ter la loi et d’obéir aux décisions de la justice. Il n’y a
de société possible que par l’exécution absolue de ce
devoir. Le jour où l’on pourrait impunément s’en dis
penser ou s’y soustraire verrait la plus odieuse anar
chie atteindre et anéantir bientôt l’ordre social tout
entier.
Une perspective de ce genre dictait au législateur
la conduite qu’il devait tenir. L’intérêt personnel, aux
prises avec une obligation dont il aurait à redouter les
�’
494
DES LIVRES DE COMMERCE
conséquences, pouvait bien faire prévaloir ses inspira
tions et négliger ce devoir. Il fallait donc assurer celuici d’une manière telle que son inexécution entraî
nât le préjudice qu’on se promettait ou qu’on était
présumé se promettre d’éviter par celte inexécution
elle même.
3 5 1 . — C' est ee but que la loi a voulu atteindre
lorsque, à côté de chaque obligation de faire, elle place
une sanction destinée à en rendre l’inexécution inutile
pour son auteur, en lui en faisant perdre tout le bénéce. Les articles 15 et 16 prescrivent la communication
ou la représentation des livres. L’article 17 est destiné
à assurer l’exécution des deux autres.
La nécessité d’une peine était la conséquence du
droit que la loi conférait à la partie intéressée d’exiger,
dans certains cas, la communication des livres ; dans
certains autres, leur représentation; de la faculté don
née aux tribunaux d’ordonner celle-ci d’office. Mais elle
avait un autre but non moins élevé, à savoir, celui de
contraindre les commerçants à revêtir leurs écritures
des formes qni leur étaient prescrites. La représenta
tion des livres ne sera légalement faite qu’autant que
ces livres seront réguliers. Forcer celle-ci, était donc
un moyen d’amener les intéressés à donner à leurs écri
tures le caractère pouvant seul leur faire éviter la peine
résultant du défaut de production.
332. — La nature de la peine qu’il convenait de
sanctionner était indiquée par le caractère de l’acte
�art.
17.
495
qu’il fallait réprimer. Refuser de produire ses livres
sur la demande formelle que la loi confère le droit de
former, la refuser lorsque la justice l’a déclarée indis
pensable, et lorsque la partie a offert d’ajouter foi à
leur contenu, est un acte ne pouvant comporter qu’une
seule explication, à savoir, la certitude, chez celui qui
se le permet, que de cette représentation doit naître
sa propre condamnation. Dès lors sa résistance imprime
à sa demande ou à son exception un tel caractère de
mauvaise foi, qu’on ne saurait désormais y avoir aucun
égard.
Quel autre motif, en effet, pourrait-il raisonnable
ment alléguer pour justifier sa conduite? Dira-t-il qu’il
craint de compromettre ou de hasarder le secret de
ses affaires ? Mais la forme dans laquelle la représenta
tion doit s’opérer, telle que nous venons de la voir
résulter de la loi et des usages, exclut toute crainte de
ce genre; que ses livres sont irréguliers? Mais il ne
pourrait se faire un titre d’une négligence que la loi
n’a nulle part excusée, mais dont l’exception appar
tient exclusivement à son adversaire. Or, si, loin de
s’en prévaloir, celui-ci déclare accepter les livres tels
quels, peut-il continuer à les refuser sans rendre sa
mauvaise foi plus évidente encore ?
Dira-t-il enfin qu’il n’en a tenu aucuns? Mais cette
excuse, inadmissible en droit, est invraisemblable en
fait. Un commerce quelque peu important ne peut se
concilier avec l’idée d’une absence complète d’écritu
res. 11 ne pourrait donc la rendre probable qu’en pro-
�496
DES LIVRES DE COMMERCE
duisant les cahiers informes par lesquels il prétend
avoir remplacé les livres.
Mais, dans ce cas même, rien ne justifiant que ces
cahiers ne sont pas des brouillards destinés à une rédac
tion ultérieure des livres, on ne saurait admettre l'inexis
tence de ceux-ci et l’exonérer du reproche de fraude.
Son refus le placerait donc sous la présomption que
nous venons d’indiquer, et motiverait l’application de
l’article 17. Il est censé vouloir, per fas et nefas, se
soustraire à une condamnation. Cette condamnation de
vient dès lors un devoir pour la justice.
3 3 3 . — Ce résultat est d’une moralité tellement
incontestable, que, quoique non prévu par la loi, il n’en
était pas moins admis sous l’empire de l’ordonnance de
1673. C’est ce que nous enseignent la doctrine et la
jurisprudence.
« Si le marchand n’a point tenu de livres, ou qu’en
ayant tenu, lui ou ses hoirs refusent de les représenter,
bien que sa demande soit fondée sur une promesse
écrite et signée de la main de celui à qui les marchan
dises ont été livrées, en ce cas, le livre journal du dé
biteur doit faire foi pour prouver qu’il a payé, parce
qu’un marchand qui ne tient point de livres en bonne
forme est réputé de mauvaise foi.
« La représentation des livres des marchands peut,
aussi être ordonnée lorsque celui qui la demande s’en
veut servir pour établir sa défense ou ses exceptions ;
comme s’il dit qu’il a payé, et que, pour en justifier, il
�ART.
17.
497
requiert que les livres du demandeur soient représen
tés. En ce cas, si le demandeur refuse de le faire, le
juge d o it déférer le serment au défendeur.1 »
Jousse enseigne la même doctrine : « Si la partie
aux livres de laquelle on offre d’ajouter foi refuse de les
représenter, le juge d o i t alors déférer le serment à l’au
tre partie.* »
5 3 4 . — ILe Code de commerce n’a donc fait que
conformer sa disposition à la pratique que l’ordonnance
de 1673 avait fait naître, pratique d'ailleurs trop natu
rellement indiquée pour qu’elle pût échapper aux re
gards du législateur.
Seulement, en l’élevant à la hauteur d’une disposi
tion législative, les auteurs du Code l’ont quelque peu
modifiée. Ainsi l’article 17 ne dit pas qu’en cas de refus
de représenter les livres, le juge d o i t ; il se contente
de disposer que le juge p e u t déférer le serment à l’au
tre partie, convertissant ainsi en une pure faculté ce que
l’ancienne doctrine considérait comme un devoir.
335.
Nous l’avons déjà dit, notre législateur a
voulu exclure de la matière commerciale toute règle
impérative et absolue. Il lui a paru important de n’op
poser aucune gêne, aucune entrave au développement
de la liberté et de l’indépendance qu’exige la juridici Bornier, sur l’art. 10, tit. n i de l ’ord. de 1673.
3 Ibid.
32
�m
DES LIVRES DE COMMERCE
tion consulaire, à laquelle l’équité convient beaucoup
plus que la rigueur des principes. Il a voulu surtout
qu’elle ne pût jamais se trouver en face d’une hypo
thèse de nature à faire fléchir une règle dont l’applica
tion exacte pouvait devenir impossible ou évidemment
illusoire.
Rendre le serment obligatoire, c’était s’exposera cet
inconvénient, notamment dans les faillites et pour les
contestations relatives à la vérification des créances.
336.
— Des syndics peuvent bien concevoir des
doutes sur la nature de la créance, sur son caractère,
sur son chiffre, mais ils ne peuvent jamais acquérir une
certitude telle que l’exige l’obligation de prêter ser
ment. Leur devoir est de contester la sincérité de la
créance en tout ou en partie, de demander à cet effet
la représentation des livres de celui qui se prétend
créancier, afin d’arriver à un résultat positif par leur
rapprochement avec ceux du failli. 11 est certain que si
cette représentation est refusée , ils seront d’autant
moins en position de jurer que les renseignements à
l’aide desquels ils voulaient s’édifier eux-mêmes leur
manqueront absolument.
Les obliger à prêter serment, c’était donc ou les sou
mettre à une vaine formalité sans force aucune, ou les
mettre dans la nécessité de perdre leur procès, si, dans
l’état d’incertitude où ils sont, ils refusent de lier témé
rairement leur conscience. Ce résultat, absurde dans le
premier cas, serait inique dans le second. Le créan-
�ART.
17.
499
cier contesté n’aurait pas de meilleur moyen que de
céler ses écritures, et il gagnerait un procès que leur
représentation devait peut-être lui faire perdre sûrement.
337.
— Aussi n’hésitons-nous pas à dire qu’en ma
tière de faillite, on peut faire abstraction complète de
l’article 17, et qu'on arrivera à une solution légitime
par l’application d’un principe spécial. Aujourd’hui ,
comme sous l’empire de la déclaration de 1739, aucun
créancier ne peut être admis au passif de la faillite qu'après avoir fait vérifier ses titres. C’est à lui qu’incombe
la charge de provoquér cette vérification, d’en fournir
tous les éléments. Or, si les livres paraissent devoir être
un de ces éléments, et qu’au lieu de les représenter, il
refuse de le faire, on devra décider qu’il n’a pas rempli
son obligation, et sa créance, ne pouvant être vérifiée
par sa faute, doit être purement et simplement repous
sée de la faillite.
358.
— L’inconvénient qu’une règle absolue, quant
au serment, présenterait pour les syndics d’une faillite,
s’offrirait également dans le cas où la représentation
des livres serait exigée par les héritiers de celui qui a
traité avec le commerçant, s i, d’ailleurs, l’exception
qu’ils opposeraient prenait naissance dans un fait per
sonnel à leur auteur. Sur quoi pourrait-on leur déférer
le serment, si leur adversaire refusait de représenter ses
livres? Sur la croyance dans laquelle ils sont de la vé
rité du fait dont ils excipent, et on ne pourrait évidem-
�500
DES LIVRES DE COMMERCE
ment leur demander autre chose. Mais l’indication de
cette croyance n’est-elle pas la conséquence nécessaire
du procès qu’ils intentent ou qu’ils soutiennent? Leur
serment est donc en quelque sorte prêté d’avance. Il
n’ajoutera rien à ce qui ressort déjà de leur conduite.
Est-il dès lors de la dignité de la justice de l’ordonner ?
Le plus sage était donc de s’en référer exclusivement
à la prudence du juge, et de le laisser libre d’agir dans
chaque espèce selon que les circonstances le détermi
neront.
339.
— D’ailleurs, le serment est une mesure trop
solennelle pour qu’on s’expose à le discréditer, en le
prodiguant dans les cas où il n’est pas indispensable.
Ce n’est donc qu’en tant que la solution du litige ne
pourrait naturellement s’induire des principes géné
raux du droit, qu’on doit recourir à cette voie. Or, en
matière de représentation des livres, il sera vrai dans
bien des cas qu’il suffira de se référer à ces principes
pour résoudre sainement la difficulté.
Supposez que le commerçant défendeur ait à répon
dre à une action fondée sur un titre émané de lui. Il ne
peut en contester l’existence et la sincérité, seulement
il soutient que le titre est éteint. Si sa prétention est
fondée, bien certainement on en trouvera la trace dans
ses livres, qui pourront dès lors être utilement consul
tés. Si, au lieu de produire lui-même ces livres, il laisse
à son adversaire le soin d’en requérir la représentation,
si, sur cette demande, il refuse encore de les produire,
�ART. 17.
501
à quoi bon le serment? N’est-il pas évident que la
preuve de sa prétendue libération ne se trouve pas dans
ses livres? Abstraction faite de cette présomption, n’estil pas évident que, sous le rapport du droit commun,
il doit être débouté purement et simplement de son
exception ? Reus excipiendo fit actor. Il était donc tenu
de justifier sa prétention. Or, non-seulement il ne l’a
pas fait, mais il a même refusé le moyen bien simple
de le faire qui lui était offert par son adversaire. L’ab
sence de toute justification suffît pour que cette préten
tion ne puisse être accueillie.
Supposez l’hypothèse contraire , un commerçant
ajourne une personne en paiement d’une somme qu’il
prétend lui être due. Il n'a aucun titre émané de celleci, seulement il soutient lui avoir vendu certaine quan
tité de denrées ou d’effets. Son adversaire avoue la
dette, mais il déclare en même temps qu’il a payé, et
il réclame la représentation des livres sur lesquels il
prétend que le paiement a été inscrit. Le refus de cette
représentation laisse la demande du commerçant sans
aucune justification. Il ne saurait en effet diviser l’aveu,
et s’il l’invoque dans la partie relative à l’existence de
la dette, il doit l’accepter dans celle se rapportant au
paiement. La justice se trouve donc en présence d’une
allégation à laquelle, d’ailleurs, le refus de représenter
les livres enlève toute vraisemblance, toute probabilité.
Que faut-il de plus pour qu’elle la rejette?
Dans l’une et l’autre hypothèse donc, si l’appel fait
aux livres du commerçant n’est pas écouté, s’il n’est
�502
DES IIVRES DE COMMERCE
pas obéi, son adversaire doit être mis purement et sim
plement hors de cause, soit sur la demande, soit sur
l’exception , sans qu’on soit obligé de lui déférer le
serment. La décision trouve sa plus complète justifica
tion dans l’application des principes généraux sur les
obligations imposées à tous les demandeurs, et qui sont
communs à toutes les juridictions. On pourrait d’au
tant moins reprocher au juge de n’avoir pas déféré le
serm ent, qu’indépendamment de ce qu’il n’était pas
obligé de le faire, on pourrait aller jusqu’à dire qu’il
n’était pas en position de le faire légalement.
3 4 0 . — En effet, l’article 17 ne renferme qu’un
cas d’application du principe général posé par l’article
1367 du Code civil, il suppose donc que la demande ou
l’exception , sans être pleinement justifiée, n’est pas
totalement dénuée de preuve. O r , dans nos deux
hypothèses, il est évident que non-seulement la de
mande n’est pas justifiée, mais encore qu’elle est to
talement dénuée de preuve. Le refus de produire les
livres élève même contre l’une ou l’autre un préjugé
décisif ne permettant pas de la considérer comme
sérieuse.
Le refus du serment ne constitue donc, dans ce cas,
que la déduction logique de la véritable pensée de la
loi, que sa saine interprétation. Il peut en outre se jus
tifier sous un autre point de vue non moins incon
testable.
341, — Toute obligation de faire se résout en dom-
�ART.
17.
503
mages-intérêts dont la quotité et la nature sont laissées
à l’arbitrage souverain du juge. Or, le devoir de repré
senter les livres est sous tous les rapports une obliga
tion de faire, et la perte du procès peut n’être, aux
yeux du juge, que la juste indemnité de son inexé
cution.
Pourrait-on contester à l’obligation de représenter
les livres le caractère et les effets que nous lui attri
buons? Mais sur quoi fonderait-on cette dénégation?
Par cela seul qu’un négociant traite avec un tiers, il
contracte l’engagement de représentuer éventuellement
ses livres, sans qu’il soit nécessaire de le stipuler. Cette
obligation est de plein droit consacrée par la loi, parce
qu’elle a compris que celui qui traite avec un com
merçant agira avec d’autant plus de confiance que la
certitude de rencontrer dans ses livres les phases di
verses de l’opération le rendra moins exigeant à s’en
procurer la preuve. Le punir de cette confiance, ce se
rait attenter au crédit lui-même que l’intérêt public
recommande à un si haut point.
L’obligation existe donc, et certes son caractère ne
saurait être méconnu. L’objet qu’elle a pour but est un
pur fait dépendant exclusivement de la volonté du
débiteur que rien ne saurait suppléer. C’est donc véri
tablement une obligation de faire, dans toute l’accep
tion du mot.
Pourquoi donc lui refuserait-on l’effet ordinaire aux
obligations de cette nature? Vaudrait-il mieux laisser
le débiteur libre de se soustraire aux devoirs qui lui
�604
DES LIVRES DE COMMERCE
sont imposés? Personne n’osera le soutenir. Il faut
donc, l’inexécution se réalisant, recourir au remède
indiqué par la loi. Pourrait-on en choisir un plus effica
ce, dans cette circonstance, que la perte du procès
sans condition, et conséquemment l’entérinement pur
et simple de la demande de celui qui a vainement re
couru aux livres de son adversaire?
Cette doctrine n’â rien que de moral et de juste.
Aussi a-t-elle été expressément consacrée par la cour
de Paris, le 29 janvier 1828.
Son arrêt décide que lorsqu’un préposé à une espèce
d’opérations commerciales, assigné en reddition de
com pte, prétend qu’il n’a pas de comptes à rendre
d’tine partie des opérations, parce qu’elles ont été faites
par le commettant lüi-mêmé, il peut exiger que celuici produise 'son livre journal pour y puiser des rensei
gnements à ce sujet ; et, fj'u’en ca's de refus du com
mettant, lë fcompte du préposé peut, à titre de dôrrtmageè-intérêts, êtrè alloué tel qu’il le produit.
542.
Mai», dita-t-oU, à quoi bon dès lors l’ar
ticle 17, et la faculté de déférer le serment? La réponse
est facile. Il peut se présenter telle hypothèse où, mal
gré le refus dfe représenter les livres, il reste encore
des doutés ë'ériéùx dtittS l’eèprit des magistrats, soit que
les explications données par la partie qui l’à réclamée
ne soient pas décisives, Sbit que la cRüré du refus ne
soit pas clairement établie. C’est pôür cette hypothèse
�ART.
17.
505
que la disposition de l’article 17 a été insérée dans
la loi.
Ainsi un commerçant poursuit le paiement d’un
titre émané de celui qu’il attaque. Celui-ci soutient
qu’il a payé et que la preuve se trouve dans les livres
mêmes du demandeur. En conséquence, il en demande
la représentation. Le refus de les représenter qu’oppose
celui-ci ne fait pas qu’il ne soit pas nanti du titre, et
cette circonstance peut laisser quelque doute que le
serment doit faire évanouir. On comprend dès lors son
utilité.
Remarquons de plus que loin de méconnaître le
principe de l’article 1367 du Code civil, notre solution
en fait au contraire la plus exacte application. Le paie
ment allégué n’est pas pleinement justifié, mais il n’est
pas non plus totalement dénué de preuve. La bonne
foi de celui qui l’oppose, prouvée par l’appel qu’il fait
aux livres de son adversaire, le refus que fait celui-ci
de les produire, élèvent en faveur du paiement des pré
somptions considérables, c’est dès lors avec toute rai
son et très-légalement que les juges défèrent le serment
comme garantie suprême d’une vérité qui n’est jusque
là que présumée.
545.
Au reste, cette interprétation rationnelle
de l’article 17 ne loi fait rien perdre de son caractère
purement facultatif. Quelle que soit l’hypothèse qui se
présente, les juges peuvent ou non soumettre le défen
deur au serment. Quelle qu’elle soit, leur décision ne
�506
DES LIVRES DE COMMERCE
pourrait être attaquée sous prétexte de violation ou de
fausse interprétation de la loi.1
54-4.—Il y a même à remarquer que la faculté confé
rée par l’article n’est pas seulement celle de donner gain
de cause au défendeur avec ou sans serment. Elle
comprend également le droit d’apprécier le refus
du commerçant, et, suivant le cas, de n’y avoir aucun
égard.
Dans une espèce soumise à la cour de Caen, un com
merçant, sommé de représenter ses livres, opposait à
cette demande le refus le plus absolu ; entre autres
moyens, il soutenait que la mesure réclamée était frustratoire et inutile ; qu’elle n’avait pour objet que d’éter
niser le litige, qu’il était donc fondé à s’y refuser.
De son côté, l’adversaire, s’emparant de la disposi
tion de l’article 17, en demandait l'application. Mais sa
prétention fut repoussée par la cour. L’arrêt considère
en fait : Que, d’après les circonstances de la cause, l’ap
pel fait aux livres ne tendait qu’à prolonger indéfini
ment des contestations qui duraient depuis longtemps ;
que, depuis la cessation de son commerce, la partie à
laquelle on voulait faire produire ses livres n’en avait
conservé aucun aux époques signalées; enfin, que le
demandeur en représentation avait déjà eu trois fois en
tre les mains les registres de la société, et que le re
nouvellement des délais ne pouvait être utile à la ma
nifestation de la vérité.
Cass., 5 août 1823.
\
�ART.
17.
507
Cet arrêt fut déféré à la cour suprême. Mais le
pourvoi dont il avait été l’objet fut rejeté le 18 jan
vier 1832.
345.
— C’est ici le lieu de faire remarquer que le
refus dont parle l’article 17 ne peut s’entendre de celui
qui se réalise lorsque le commerçant ne fait encore que
contester la demande que formule son adversaire. Nous
avons déjà dit que les juges ne sont pas obligés d’or
donner la représentation des livres toutes les fois qu’elle
est demandée. En conséquence, tant que la justice n’a
pas prononcé, le litige sur la représentation des livres
n’est qu’un incident ordinaire dont on ne peut rien
conclure contre le commerçant. Sa résistance est natu
relle et juste, elle se légitime par l’intérêt évident qu’il
a à faire immédiatement juger le fond.
D’ailleurs, celte résistance peut être fondée, car les
juges peuvent la consacrer. Mais, alors même qu’ils la
condamneraient, la décision ne statue que pour l’ave
nir. On ne saurait donc pas plus exciper de sa conduite
passée, qu’il ne saurait lui-même y persister malgré le
jugement rendu.
Conséquemment si, la représentation ordonnée par
la justice, il continue de refuser la production de ses
livres, ce refus revêtira le cachet de mauvaise foi et de
fraude que nous avons déjà signalé. L’application de
l’article 17 deviendra inévitable, c’est-à-dire qu’il de
vra être condamné sans que les juges soient obligés de
déférer le serment à son adversaire.
�508
DES LIVRES DE COMMERCE
3 4 6 . — Ainsi, le devoir pour le commerçant de
produire ses livres ne commence que du moment où la
justice a décidé qu’il est tenu de le faire. En résistant
jusque là à la demande qui lui en était adressée, il n’a
fait qu’user d’un droit que sa défense légitimait. C’est
là un moyen préjudiciel qui doit être vidé par la justi
ce, et qui, jusqu a décision, ne saurait entraîner contre
lui aucune conséquence, aucun préjugé fâcheux.
En dernière analyse, avant de recourir à la disposi
tion de l’article 17, les tribunaux auront à apprécier
le caractère du refus dont on excipera contre le com
merçant.
Si ce refus s’est borné à soutenir que la représen
tation était inutile, que la demande en était non-rece
vable ou mal fondée, les juges prononceront. Dans le
cas où ils admettraient le contraire, ils détermine
ront le délai pendant lequel devra être faite la repré
sentation.
Si, ce jugement rendu, le commerçant persiste dans
son refus, rien ne saurait le soustraire à l’application de
l’article 17. Il en serait de même si, la représentation
ayant été ordonnée d’office, le commerçant refusait de
l’exécuter.
3 4 7 . — Sous l’empire de l’ordonnance de 1073,
lorsque, le litige existant entre commerçants, l’un d’eux
refusait de représenter ses livres, les livres de l’autre,
s’ils étaient produits, faisaient pleine foi en sa faveur.
La doctrine l’admettait sans difficultés. La jurispru
dence l’avait ainsi consacré.
�A RT.
17.
509
C'était là au reste une conséquence du silence que
l’ordonnance avait gardé sur les effets de la violation
de ses dispositions relatives aux formalités tracées pour
la tenue des écritures. Ce silence, dépouillant ces dis
positions de toute sanction, avait bientôt amené leur
désertion. On en était enfin arrivé à ce point que, quoi
que non cotés nj paraphés, les livres des marchands ne
devaient pas moins être admis en justice et faire foi en
faveur de celui qui les avait tenus, pourvu qu’ils fus
sent écrits tout d’une suite, par ordre de dates et sans
blancs ni lacunes.1
348.
— Ce qui se pratiquait sous l’ordonnance de
1673 ne saurait l’être encore depuis la promulgation
du Code. Le commerçant auquel son adversaire refuse
rait la représentation des livres ne pourrait invoquer
les siens que s’ils étaient régulièrement tenus. Telle
est, en effet, la condition exigée par l’article 12, pour
que des livres quelconques puissent être produits en
justice et faire preuve en faveur de celui qui les a
tenus.
D’autre part, l’article 13 enlève aux écritures irrégu
lières tout caractère probant, il ne permet pas même de
les produire en justice, et surtout de créer un droit
quelconque en faveur de celui qui a dédaigné d’exécu
ter la loi. Cette règle est absolue et ne comporte au
cune exception. Conséquemment s i , dans un litige
i V . iup., n° 8 2 0 .
�510
DES LIVRES DE COMMERCE
quelconque, les juges s’étaient étayés des livres irré
guliers et avaient accepté leurs indications comme élé
ments de leur décision, cette décision devrait être an
nulée pour violation de l’article 13 et fausse application
de l’article 12.
Vainement arguerait-on du refus de l’autre partie de
représenter ses livres, ce qui plaçait les juges dans la
nécessité de s’en remettre à ceux qui étaient produits.
Mais ce refus ne pouvait avoir pour effet certain que le
déboutement pur et simple, ou à charge de serment de
la demande ou de l’exception de son auteur. Ce serait
entendre singulièrement les conséquences d’un pareil
refus que d’en faire ressortir une modification à la règle
de l’article 13, que de lui reconnaître le pouvoir d’au
toriser ce que la loi prohibe expressément.
349.
— L’article 17 semble, dans son texte, limiter
la faculté qu’il confère au cas où la représentation des
livres est sollicitée avec offre d'ajouter foi à leur conte
nu. De là la question de savoir ce qu’il doit en être
lorsque la représentation est demandée sans condition
aucune, notamment lorsqu’elle est ordonnée d’office
par le juge?
Nous ne croyons pas cette question susceptible de
sérieuses difficultés. L’esprit de la loi nous paraît la ré
soudre. On ne peut admettre, en effet, que le législa
teur ait pu créer un droit illusoire, ni autoriser la vio
lation de la chose jugée. C’est ce qui se réaliserait ce
pendant si, ayant consacré : pour la partie, le droit de
�demander la représentation des livres ; pour le juge, la
faculté de l’ordonner d’office, on ne pouvait punir le
refus que le commerçant en ferait.
D’ailleurs, de quelque manière que cette représenta
tion ait été ordonnée, ce qui résulte de la décision, c’est
qu’en l’état la cause n’est pas susceptible de recevoir
jugement au fond, que le juge hésite et doute. Com
ment cet état de choses sera-t-il changé si la partie
en possession de produire les documents destinés à
dissiper cette hésitation et ce doute se refuse obstiné
ment à exécuter la voie d’instruction à laquelle la jus
tice s’est arrêtée. N’est-ce pas précisément pour des
hypothèses de ce genre que l’article 17 a été édicté ?
350.
— Au reste, voulût-on, par respect pour le
texte, ne pas permettre d’y recourir, qu’on serait con
traint d’arriver au même résultat à l’aide des principes
généraux du droit. Nous le disions tout à l’heure, le
premier devoir de la-partie est de prouver sa demande
ou son exception. Faute de cette preuve, la justice
doit repousser l’une ou l’autre.
Mais, en matière commerciale, la preuve testimoniale
étant de droit commun, le serment peut toujours être
déféré non pas seulement dans le cas prévu par l’article
17, mais encore dans toutes les hypothèses réunissant
les conditions exigées par l’article 1367 du Code civil.
Il est vrai qu’aux termes de celui-ci et de la doc
trine qu’il a inspirée, c’est au demandeur que le ser
ment doit être déféré de préférence. Mais remarquons
�512
DES LIVRES DE COMMERCE
que le défendeur devient demandeur à l’égard de l’ex
ception qu’il soutient ; et que, dans bien des cas, c’est
sur cette exception que portera le litige, car, n’étant
pas pleinement justifiée, elle ne sera pas totalement dé
nuée de preuve.
C’est ce qui se réalisera inévitablement dans les espè
ces de la nature de celle que nous examinons. Un com
merçant demande le paiement d’une certaine somme,
le défendeur soutient que ce paiement a eq lieu, qu’il
est constaté sur les livres du commerçant dont il de
mande la représentation. L’unique question qu’un pa
reil litige offre à résoudre, est évidemment celle de
savoir si le paiement a eu lieu ou non. Certes, il n’est
pas encore pleinement justifié, mais il est bien près de
l'être, si le commerçant refuse de représenter ses livres
et d’enlever ainsi tout appui à l’exception qui lui est op
posée. Comment expliquer, en effet, qu’ayant le moyen
de confondre son adversaire, de dissiper tous les dou
tes, d’éclairer la conscience du juge, il ne s’empresse
pas de le saisir?
En l’état, lui déférer le serment supplétoire serait
méconnaître les justes soupçons que sa conduite inspire,
encourager sa résistance et le récompenser de sa mau
vaise foi. D’ailleurs, ce n’est jamais ni sa defnande, ni
son exception, c’est celle de l’autre partie que son refus
de représenter ses livres rend vraisemblable. C’est
donc à cette dernière seule que le serment doit être
déféré, s’il y a lieu.
Ainsi, à quelque titre que la représentation des livres
�ART.
17.
813
ait été demandée, si elle a été ordonnée, il n’y a pas de
distinction possible. Le refus de les représenter rend
l’article 17 applicable.
En supposant que cet article ne dût recevoir d’ap
plication que dans le cas où la partie offre d’y ajouter
foi, il faut reconnaître qu’en l’absence de cette offre, on
arrive à un résultat identique, par la seule force des
principes généraux du droit commun. C’est ce que la
cour de cassation a expressément consacré.
351.
— Un arrêt de la cour de Bourges, du 27 mai
1825, avait jugé que lorsqu’il est constant et reconnu
qu’il a existé un registre servant à constater les paie
ments faits à la société, et que l’un des associés, pour
prouver le versement d’une certaine somme qu’il pré
tend avoir fait entre les mains de son associé, en même
temps caissier et dépositaire de ce registre, en de
mande l’exhibition, le refus que fait ce dernier de le
produire peut, surtout en matière commerciale, être
considéré par le juge comme une présomption suffisante
que la somme a été effectivement versée dans la caisse
sociale et pour déférer le serment d’office à l’associé qui
articule le paiement.
Cet arrêt, on le voit, ne se fondait pas sur l’article
17. Ne considérant la difficulté qu’au point de vue des
principes consacrés par les articles 1341, 1347, 1353,
1366 et 1367 du Code civil, il l’avait résolue sous
leurs inspirations. Aussi, est-ce pour violation et fausse
33
I
�514
DES LIVRES DE COMMERCE
application de ces articles qu’il fut déféré à la cour de
cassation.
L’arrêt qui intervint rejette le pourvoi : « Attendu
que la preuve du récélé d’un registre social (sur lequel
le défendeur éventuel soutenait que se trouvait inscrit
le versement de la somme de 4,464 fr. entre les mains
du demandeur, caissier de la société commerciale, en
tre celui-ci et celui-là), résultant de l’enquête ordonnée
par la cour, a paru à cette cour former une présomp
tion suffisante pour en induire que cette somme avait
été effectivement versée entre les mains du demandeur
qui cachait l’instrument pouvant servir à vérifier le fait
allégué par le défendeur éventuel ;
« Attendu que cette appréciation d’un fait constant
et justifié dans la cause, qu’il appartenait exclusivement
à la cour de qualifier, rendant très-probable le fait at
taqué, elle a pu, d’une part, sans violer la loi, admet
tre, comme un commencement de preuve, une pré
somption grave, d’autant plus admissible qu’il s’agissait
d’un compte entre associés en matière commerciale, et,
d’autre part, ordonner, pour corroborer cette présomp
tion de fait, que le défendeur éventuel affirmerait à ser
ment la vérité de son allégation, laquelle, si elle n’était
pas en soi pleinement, entièrement justifiée, n’était ce
pendant pas dénuée de preuve.1 »
Dans cette espèce, on avait dû d’abord établir l’exis
tence du registre, puisqu’il n’était pas de ceux dont la
3 Cass., 22 janv. 1828,
*
�A RT.
i7 .
515
loi prescrit la tenue. Mais cette preuve serait complè
tement inutile, si le livre réclamé était obligatoire pour
le commerçant. La loi présumant de plein droit son
existence, le refus de le représenter inspirerait la même
présomption et dicterait une décision analogue. Nous
avons donc raison de le dire, indépendamment de l’ar
ticle 17 et en dehors de sa disposition, le refus des li
vres, dans toutes les circonstances, amènerait le résul
tat que celui-ci commande dans l’hypothèse où l’offre
d’y ajouter foi accompagne et motive la demande de
leur représentation.
5 5 2 . — Peut-on s’inscrire en faux contre les livres
d’un commerçant? On a soutenu l’affirmative en s’é
tayant des termes de l’article 147 du Code de procé
dure, punissant le faux en écritures de commerce et de
banque.
Mais c’est là une solution inacceptable. L’esprit de
la loi, le caractère du faux punissable la repousse. En
effet, un des éléments sans lesquels le faux ne saurait
exister est le préjudice devant résulter, pour un tiers,
de l’acte fabriqué ou de l’altération de ses clauses.
Or, ce préjudice ne peut exister lorsque le fait cons
titutif du faux, ne créant aucun titre en faveur de per
sonne et contre qui que ce soit, reste une arme inutile
entre les mains de son auteur. Tel est en réalité le sort
des livres de commerce. Leur altération ne saurait donc
constituer le crime prévu et puni par la loi.
C’est ce qui est fort judicieusement déduit dans un
arrêt de la cour de Rennes, du 29 janvier 1828 :
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DES LIVRES DE COMMERCE
« Considérant qu’il ne peut y avoir lieu à inscription
de faux contre un livre journal représenté par des né
gociants qui l’ont tenu, en quelque temps qu’il ait été
confectionné; que les écritures de commerce ou de
banque, mentionnées dans l’article 147 du Code de
procédure, ne s’entendent que des lettres de change
et billets et de tout titre ayant le caractère de preuve
en justice; que les livres de commerce pouvant être
plus ou moins arriérés, peuvent être par la suite, ou
plus tôt ou plus tard, mis à jour sans qu’il en résulte
une altération portant le caractère du faux; que cette
orme d’instruction extraordinaire ne doit être poursui
vie qu’avec une extrême circonspection ; qu’elle est
surtout inadmissible lorsque les moyens proposés ne
tendent qu’à prouver un ajustement qui ne doit pas se
confondre avec le faux. »
3 5 3 . — L'inscription de faux contre les livres ne
saurait donc être admise. C’est là d’ailleurs une consé
quence de ces deux règles, à savoir; :
1° Que les livres ne font jamais nécessairement foi
de leur contenu que contre le commerçant dont ils
émanent. Ainsi, dans le cas même où, conformément
à l’article 12, il est autorisé à les invoquer comme
preuve en sa faveur, cette prétention peut être re
poussée ;
2° Que la preuve testimoniale et celle par présomp
tions sont toujours admissibles pour détruire leurs
énonciations. Cette double preuve est en effet de droit
�ART.
17.
517
commun en matière commerciale. D’ailleurs la fraude
est ici trop prochaine, trop inévitable, une omission
même involontaire trop possible, pour qu’on pût ad
mettre le contraire.
5 5 4 . — Mais l’admissibilité de l’une ou de l’autre
ne saurait être invoquée, lorsque la représentation des
livres n’est ordonnée que sur l'offre, de la part du de
mandeur, d’ajouter foi à leurs indications. Cette offre
ne permet plus d’élever la moindre réclamation contre
ce qui y est contenu, ils deviennent, dans cette hypo
thèse, la loi suprême et unique des parties. Il en est de
ce cas comme de celui où le serment décisoire a été
déféré. La représentation des livres met fin à tout litige,
comme le ferait la prestation du serment.
De là il suit : que dans un procès entre un négociant
et un non-cpmmerçant, si ce dernier s’en réfère aux
livres de son adversaire, il ne sera pas recevable à les
discuter par la preuve testimoniale. L’article 1330, lui
conférant ce droit ou cette faculté, exige, comme con
dition essentielle, qu’il accepte les livres dont il sollicite
la représentation dans leur entier, et sans pouvoir les
diviser, c’est-à-dire que, libre de s’en rapporter aux
livres, il est non-admissible, lorsqu’il l’a fait, à en dis
cuter les énonciations.
5 5 5 . — A l’obligation imposée aux commerçants
de prendre patente et de tenir des livres, la loi en
ajoute une autre : celle de publier soit leur contrat de
mariage, soit les jugements de séparation de biens.
�518
DES LIVRES DE COMMERCE
Le but de cette formalité se comprend facilement, il
ne faut pas que la confiance publique puisse être trom
pée et induite à croire à des ressources qui n’existe
raient pas. Or, ne le serait-elle pas si un commerçant
ayant épousé une femme plus ou moins riche, les époux
mariés soit sous le régime dotal, soit sous celui delà sé
paration de biens, avaient laissé supposer qu’ils l’étaient
sous le régime de la communauté en célant leur contrat
de mariage? De manière que la déconfiture arrivant,
les tiers créanciers auraient vu disparaître ces biens qui
donnaient au mari l’apparence d’une solvabilité qui les
avait déterminé à traiter avec lui.
« Il s’agit, disait M. Cretet, de détruire le crédit fic« tif que se procure celui qui épouse une fille ou une
« veuve opulente, sans cependant se mettre en com
te munauté de biens avec elle. 11 est plus important
« qu’on ne pense de prévenir ces espèces de fraude,
« car rien de moins rare de voir un homme obtenir des
« fonds sur la présomption qu’il est chef d’une corn
et munauté opulente, et ne déclarer la séparation qu’an près la déconfiture.1 »
r
3 5 6 . — De cet esprit de la loi, on a voulu induire
que l’obligation de publier le contrat de mariage n’existe
pas dans le cas où les époux sont mariés en commu
nauté. Il est certain que dans cette hypothèse, l’intérêt
des tiers ne saurait souffrir du défaut de publicité, puis! Locré, Législ. civ. cl comrn., t. xvix, p. 217.
�A RT.
519
17.
que la réalité leur donnera ce que l’apparence leur pro
mettait. Mais cetle induction se trouve condamnée par
les termes formels de l’article 67 du Code de commerce
exigeant la publication de tout contrat de mariage, et
prescrivant de mentionner dans l’extrait si les époux
sont mariés en communauté.
La publication doit donc avoir lieu dans le cas de
communauté comme dans celui de séparation de biens
ou de dotalilé. Si dans ces deux derniers cas, elle a son
utilité pour les tiers, elle ne laissera pas dans le premier
que d’être avantageuse à l’époux commerçant, car la
certitude d’une communauté est dans le cas de lui atti
rer un crédit plus considérable.
357. — Une autre conséquence de l’esprit de la
loi et du but qu’elle se propose, était de réduire la pu
blication à un extrait du contrat de mariage. Les tiers,
en effet, n’ont rien à voir dans les stipulations qui peu
vent intervenir entre les deux familles, ce qui les inté
resse, c’est le régime adopté et cet intérêt est parfaite
ment satisfait par un extrait du contrat.
Cet extrait doit indiquer les noms, prénoms, profes
sion et demeure des époux. Le silence que garde à ce
sujet l’article 67 du Code de commerce ne saurait être
considéré comme dispensant de cette mention qui dé
coule de la nature des choses. L’article 67 d’ailleurs
renvoie à l’article 872 du Code de procédure civile, et
celui-ci est formel quant aux noms, prénoms, profession
et demeure.
#
�520
DES LIVRES DE COMMERCE
L’extrait doit mentionner le régime adopté par les
époux, s’ils sont mariés en communauté, séparés de
biens, ou sous l’empire de la dotalité. On avait proposé
au conseil d’Etat d’exiger l’indication des apports des
époux. Mais cette proposition fut repoussée sur les ob
servations suivantes des sections réunies du tribunat :
« Outre que la publicité donnée à de tels détails se« rait presque toujours désagréable aux familles, et
« que par là elle deviendrait un obstacle à la facilité
« des mariages, il y a encore une raison prépondérante
« pour ne pas l’exiger : c’est que le montant de ces
« sortes de constitutions est souvent très-peu fixe, et
« peu liquide, et que tantôt il ne paraît pas ce qu'il est
« en effet, et tantôt il devient par la suite fort différent
« de ce qu’il était d’abord. Ces cas arrivent toutes les
« fois qu'une fille se marie avec des droits acquis, mais
« indivis et non encore déterminés ; lorsque après son
« mariage, elle recueille des successions, des donations,
« des legs, des augments de dot, qui n’ont pas fait
« partie de sa constitution dotale primitive, mais qui
« viennent s’y réunir ensuite, non-seulement pour l’ac« croître, mais encore pour y joindre de certaines char« ges. Dans toutes ces circonstances, pour assurer à
« la constitution dotale nne entière et véritable publi« cité, il faudrait, qu’à mesure qu’il survient un acte
« par lequel la qualité de cette constitution se trouve
a modifiée, un tel acte devint aussi public que le con« trat de mariage, et c’est ce qui paraît à peu près im« possible, Se çontentera-t-on alors d ’énoncer simple-
�A RT.
«
«
«
«
«
l i .
621
ment la constitution dotale telle qu’elle est portée
au contrat? Ce sera ne donner à ceux qui traiteront
avec les époux qu’une notion imparfaite capable de
les induire en erreur, qui par cela même pourrait
devenir un piège au lieu d’être un secours.1 »
338.
Nous avouons que ces raisons ne nous pa
raissent nullement démontrer le mérite et la convenance
du système qu’elles prétendent justifier. L’intérêt des
tiers à connaître les apports des époux ne nous paraît
pas moindre que celui de savoir sous quel régime ces
époux ont contracté. N’est-ce pas en effet sur l’impor
tance de ces apports qu’ils calculeront le crédit qu’ils
doivent accorder. Est-ce que si la dot et par consé
quent la reprise de la femme est de 100,000 fr., on
n’agira pas avec beaucoup plus de prudence que si elle
n’est que de 10 ou de 20,000 fr.
Que le chiffre de cette dot puisse varier pendant le
mariage par successions , donations ou legs obvenus
à la femme, en quoi cela peut-il nuire aux tiers et de
venir un piège au lieu d’un secours? Est-ce que cette
éventualité peut rester ignorée d’un seul de ceux qui
ont traité avec le mari, et cette connaissance ne met-elle
pas chacun en mesure et par conséquent en demeure
de se défendre utilement contre les effets qui peuvent
en résulter?
Un danger connu ne Saurait jamais devenir un piège.
1t*ocré, ibid., p. 32S,
�f522
DES LIVRES DE COMMERCE
Si l’incertitude sur le chiffre définitif des droits de la
femme est dans le cas de nuire à quelqu’un, c’est évi
demment au mari dont elle peut faire restreindre le
crédit au-delà d’une juste limite.
D’ailleurs, est-ce que cette incertitude n’existe pas
actuellement et sans que le commerce s’en plaigne trop.
Pourquoi aurait-elle été plus dangereuse, plus domma
geable si elle avait été réduite à ce qui pourra obvenir
à la femme pendant le mariage?
Quoiqu’il en soit, le conseil d’Etat crut devoir accueil
lir les observations du tribunat, et consacrer en consé
quence que l’extrait devait se borner à énoncer le ré
gime adopté par les époux.
359.
— Les prescriptions de l’article 67 du Code
de commerce, obligatoires dans l’hypothèse où le mari
est commerçant, ne le sont pas moins dans celle où le
commerce est personnellement exercé par la femme.
11 y avait même pour le consacrer ainsi une supériorité
de raisons incontestable.
Ainsi que M. Pardessus le fait rem arquer, « ceux
« qui ont vu une personne du sexe , maîtresse de ses
« droits, faire le commerce, ont intérêt à connaître
« non-seulement son changement d’état, mais encore
« les conditions de ce changement, et de savoir si le
« mariage leur donne deux obligés par l’effet de la
« clause qui établirait une communauté ou qui l’exclu« rait simplement, ou si, dans le cas d’une séparation
« de biens, on ne leur laisse que le même débiteur, ou
�\
ART.
17.
523
a enfin si l’on change leurs chances en frappant pour
« l’avenir les biens de la femme de l’inaliénabilité
« dotale.1 »
Cet intérêt existant, il doit y être satisfait dans les
conditions et les limites prescrites par la loi.
360.
— Le terme accordé pour le dépôt de l’extrait
est d’un mois de la date du contrat de mariage. Ce dé
pôt doit être fait suivant les prescriptions de l’article
872 du Code de procéduré civile, auquel l’article 67 du
Code de commerce se réfère.
Ainsi l’extrait doit être déposé aux greffes du tribu
nal civil et du tribunal de commerce du domicile con
jugal, pour être inséré sur un tableau à ce destiné et
exposé pendant un an dans l’auditoire de ces tribunaux ;
s’il n’y a pas de tribunal de commerce dans ce domi
cile, cette exposition a lieu dans la principale salle de
la maison commune.
Pareil extrait doit être inséré sur un tableau exposé
dans les chambres des notaires et des avoués près le
tribunal civil du même domicile, après y avoir été préa
lablement enregistré sur un registre spécial qui doit y
être tenu conformément à la circulaire du ministre de
la justice du 5 mai 1807.
Enfin, si c’est la femme qui exerce le commerce,
et que le siège de ce commerce soit dans un lieu autre
que le domicile du mari, toutes ces formalités doivent
1
No 92.
�524
DES LIVRES DE COMMERCE
être accomplies non-seulement à ce domicile, mais en
core à celui de l'établissement de la femme.
5 6 1 . — Des termes de l’article 872 : Pareil extrait
sera inséré au tableau exposé en la chambre désavoués
et des notaires s ’il y en a ont donné à penser que s’il
n’y a dans la localité ni chambre d’avoués, ni chambre
de notaires, on se trouve par cela même dispensé de
la formalité. C’est ce que la cour de Paris jugeait trèsexpressément en acquittant un notaire poursuivi pour
n’avoir pas déposé un extrait au chef-lieu de l’arrondis
sement.
La régie de l’enregistrement se pourvut en cassation,
et un arrêt souverain du 10 décembre 1822 rejetait le
pourvoi. Mais la cour suprême n’aborde pas même la
question. Elle étaye le rejet sur ce motif unique que la.
poursuite n’appartenant qu’au ministère public, la régie
de l’enregistrement, sans qualité pour l’intenter, n’était
pas recevable à se plaindre de ce que son action avait
été repoussée.
Qu’aurait fait la cour si la poursuite étant régulière,
elle avait été appelée à statuer au fond? Il est probable
qu’elle n’eût pas partagé l’opinion de la cour de Paris.
Sans doute les termes de l’article 872 peuvent prêter
au doute, mais l’esprit de la loi est dans le cas de dissi
per ce doute. En effet, comment concilier le désir de
donner au contrat de mariage la plus grande publicité
avec la dispense de l’insertion au tableau des chambres
des avoués et des notaires, dans toutes les localités fort
nombreuses où il n’en existe point.
�ABT.
f7.
525
D’ailleurs, il est incontestable qu’à défaut de tribunalcivil au domicile conjugal, le dépôt doit être fait au
greffe du tribunal dans l’arrondissement duquel ce do
micile est situé. Pourquoi en serait-il autrement pour
l’insertion au tableau exposé dans les chambres des
avoués et des notaires.
Aussi, dès que l'arrêt de Paris eut signalé la difficulté,
le ministre de la justice et le ministre des finances n’hé
sitèrent pas à intervenir. Par une circulaire du 10 juillet
1823, ils déclarèrent que le dépôt et l’insertion au ta
bleau des chambres des notaires et des avoués étaient
obligatoires dans tous les cas, parce que ces chambres
existent au chef-lieu de chaque arrondissement.
Nous comprenons que l’interprétation doctrinale de
la loi n’appartient ni au ministre des finances, ni au
ministre de la justice, et que leurs circulaires ne lient
pas les tribunaux. Néanmoins, nous conseillerions aux
notaires de ne pas trop compter sur la doctrine de la
cour de Paris, et, ne fût-ce que par prudence, d’agir
comme le prescrit la circulaire.
3 0 2 . — C’est, en effet, le notaire qui a reçu le con
trat de mariage qui est chargé d’accomplir les diverses
formalités exigées par l’article 872 du Code de procé
dure civile. Outre que sa signature authentique l’extrait
et en garantit la sincérité, son action, il faut le recon
naître, pouvait seule donner la certitude de la loyale,
de l’entière exécution de la loi. S’en remettre aux par
ties, c’était s’exposer aux chances d’inexécution que
�526
DES LIVRES DE COMMERCE
faisaient craindre la légèreté, la négligence et le mauvais
vouloir.
C’est donc au notaire qu’incombe le devoir de rédi
ger les extraits et de les transmettre partout où ils doi
vent arriver. On n’a rien à redouter de lui, ni insou
ciance, ni ignorance, ni légèreté. Et cependant la loi a
cru devoir se précautionner non-seuleuie'nt contre l’ou
bli involontaire, mais encore contre l’hypothèse où cet
oubli serait le résultat d’une collusion avec les parties.
Dans le premier cas, elle prononce contre le notaire
une amende qui, primitivement de 100 fr., a été ré
duite à 20 par l’article 10 de la loi du 16 juin 1824.
Dans le second cas, le notaire encourt la destitution
et répond envers les tiers créanciers du préjudice qu’ils
sont dans le cas d’éprouver. Disons à l’honneur du no
tariat que s’il y a eu des poursuites pour simple omis
sion, il n’est pas d’exemple qu’on ait prétendu que
cette omission était due à une collusion frauduleuse.
3 6 3 . — Les notaires ne sauraient agir avec trop
de circonspection, ils n’ont ni la mission ni le droit de
contrôler les déclarations qui leur sont faites. En con
séquence, dès qu’une des parties au contrat de mariage,
l’époux ou l’épouse, a pris la qualité de commerçant,
ils sont tenus d’accomplir les formalités de publication
du contrat. C’est ce que la cour de Colmar jugeait ex
pressément le 4 mai 1829.
« Considérant, dit l’arrêt, que l’allégation du notaire
« qu’aucun des contractants n’était commerçant à l’é-
�ART.
17.
527
« poque de la passation de l’acte est inadmissible,
« puisque un acte public authentique fait foi de son
« contenu ; que les attestations des autorités locales,
« lors même qu’elles seraient produites en forme régu« lière, ne pourraient détruire une pareille mention à
« l’égard des obligations de l'officier public ; qu’à la
a vérité, celui-ci ne peut conférer dans la réalité aux
« parties contractantes une qualité ou un titre qu’elles
« n’ont pas ; mais que dès l’instant qu’il en est fait
« mention dans son acte, la loi lui impose l’obligation
« d’exécuter ce qu’elle prescrit à cet égard. »
L’acte public authentique ne fait foi que des énoncia
tions qui émanent et ne peuvent émaner que du notaire.
Les indications des titres et de la qualité des parties
n’entrent pas dans cette catégorie. A cet égard, l’acte
ne constate et ne fait foi que d’une seule chose, la décla
ration des parties elles-mêmes.
Donc, le motif puisé dans la foi due à l’acte authenti
que n’est ni juridique ni décisif. Ce qui l’est essentiel
lement, c’est que le notaire à qui une des parties dé
clare être commerçant doit tenir le fait comme certain
et agir en conséquence.
3 6 4 . — Le notaire doit-il considérer le pharmacien
comme un commerçant et publier le contrat de mariage
conformément aux articles 67 du Code de commerce et
872 du Code de procédure civile?
r
Un arrêt de Montpellier du 19 février 1836 se pro
nonce pour la négative et déclare qu’en tout cas, le no-
�828
DES
LITRES
DE COMMERCE
taire devrait, en raison de sa bonne foi, n’être pas con
damné à l’amende.
11 est vrai que la question de savoir si un pharmacien
est commerçant a été l’objet d’une vive controverse et
de décisions contradictoires. Mais la jurisprudence la
plus récente, et à notre avis la plus juridique, se pro
nonce dans un sens contraire, et déclare le pharmacien
commerçant.1
Donc, supposez la question devant une des cours
qui le décident ainsi, le notaire, s’il n’a pas rempli le
devoir qui lui est prescrit par l’article 68 du Code de
commerce sera infailliblement condamné.
Vainement exciperait-il de sa bonne foi. L’omission
de ce devoir constitue non un délit exigeant la mauvaise
foi, mais une simple contravention punissable dès qu’elle
est établie, et quelle qu’ait été l’intention de son au
teur. Les notaires agiront donG prudemment en don
nant la publicité requise au contrat de mariage, l’époux
ne fût-il que pharmacien.
5 6 5 . — Nous venons de voir la cour de cassation
décider que la poursuite contre le notaire ne peut être
exercée que par le ministère public. Aux termes de
l’article 14 de la loi du 1 B juin 1824, cette poursuite
doit être exercée dans les deux ans du jour où la Con
travention a été commise. Elle est prescrite par l’expi
ration des deux ans.
1 V. not.
C o m m e n t, de l a j u r i d . c o m m .,
n»s 235 et suiv.
�ART.
17.
529
La loi du 15 juin s’appliquait-elle aux contraventions
antérieures à sa promulgation? Un arrêt de la cour de
Bourges du 13 juin 1856 décide la négative. Nous
croyons cette solution erronée. Mais la question ne pou
vant plus se présenter, il serait oiseux d’entreprendre
de le démontrer.
La loi fixe le point de départ de la prescription bien
nale au jour où la contravention est commise. Or, les
formalités pouvant être remplies pendant un mois à da
ter du contrat de mariage, c’est à l’expiration du mois
que la contravention sera commise, et que commencera
à courir le délai de la prescription.
3 6 6 . — La charge de remplir les formalités pres
crites pour la publicité du contrat de mariage, incom
bant au notaire, leur omission exclusivement imputable
à celui-ci ne pouvait entraîner aucune conséquence
contre les époux. On avait proposé de rendre l’obliga
tion de transmettre l’extrait commun aux parties sous
peine, en cas de faillite, d’être traitées comme banque
routiers frauduleux. Mais cette proposition fut repous
sée comme inutile, la qualité de notaire étant une ga
rantie morale de l’exécution de la loi.
367. — Mais l’intérêt du public à connaître le ré
gime adopté par les époux n’existe pas dans le cas seu
lement où ceux-ci sont commerçants au moment du
du contrat. Il est incontestable dans celui où l’exercice
I
34
�530
DES LIVRES DE COMMERCE
du commerce n’a lieu que plus ou moins longtemps
après le mariage.
Dans cette hypothèse, on ne pouvait imposer au no
taire l’obligation de publier le contrat, car il peut même
ignorer la prise de qualité de commerçant. Aussi est-ce
à l’époux que l’article 69 du Code de commerce im
pose ce devoir. Comme sanction pénale, cet article dé
clarait que faute de le remplir dans le mois du jour où
il aura ouvert son commerce, l’époux serait puni comme
banqueroutier frauduleux, en cas de faillite.
C’était là un excès de sévérité qui ne pouvait qu’as
surer l’impunité, comme dans tous les cas où la peine
est en dehors de toute proportion avec le fait qu’elle a
pour but de réprimer.
Aussi le législateur de 1838 a-t-il modifié profondé
ment cet état des choses, non-seulement il ne considère
plus l’inobservation des articles 67 du Code de commerce
et 872 du Code de procédure comme un cas de ban
queroute frauduleuse, mais il refuse même de la ranger
dans la catégorie des faits constituant de plein droit la
banqueroute simple. P ourra être poursuivi et condamné
comme banqueroutier simple, se contente de dire l’ar
ticle 586.
368.
— La loi se servant du mot époux ne distin
gue pas entre le mari et la femme. L’obligation pres
crite par l’article 69 est imposée à celui des deux qui a
embrassé la profession de commerçant.
De plus, cette obligation n’existe que si les époux
�ABT.
17.
531
sont séparés de biens ou mariés sous le régime dotal.
S’ils ont contracté sous le régime de la communauté,
le défaut de publication du contrat de mariage ne sau
rait nuire ni préjudicier aux tiers. De quoi en effet se
plaindraient ces tiers? De ce qu’ils ont cru qu’il n’exis
tait pas de contrat de mariage, et que par conséquent
les époux étaient en communauté? Mais à quoi bon ces
plaintes, si cette communauté leur est acquise en vertu
du contrat de mariage lui-même? Cependant, si tout en
stipulant la communauté, le contrat de mariage y in
troduisait des modifications pouvant restreindre les
droits des tiers, ce contrat devrait être publié dans les
formes prescrites.
569. — Il est évident que la séparation de biens
intéresse les tiers à un très-haut degré et que par con
séquent ils doivent en être informés, mais le Code de
commerce n’avait à se préoccuper que de la séparation
contractuelle, celle qui pouvait intervenir pendant le
mariage, ayant été prévue et réglée, quant à sa publi
cité, par l’article 872 du Code de procédure civile.
On remarquera en effet que cet article exige l’affiche
du jugement dans l’auditoire du tribunal de commerce
comme du tribunal civil du domicile du mari, même
lorsqu’il ne sera pas négociant. Que pouvait donc or
donner de plus que cet article 872, le Code de com
merce.
Mais l’article 872 est spécial au cas d’une séparation
judiciairement intervenue. Il fallait, donc, pour qu’il
\
�532
DES LIVRES DE COMMERCE
pût recevoir son application à celle stipulée au contrat
de mariage, une disposition expresse et formelle de la
loi, et c’est cette disposition que consacre l’article 67
du Code de commerce.
Quant à la séparation de biens postérieure au maria
ge, après avoir déclaré qu’elle sera poursuivie et jugée
conformément à ce qui est prescrit au Code civil, liv. m ,
tit. vi, chap. il, sect. ni, et au Code de procédure ci
vile, 2me partie, liv. i, tit. vm, le législateur commer
cial ajoute : Le jugement qui prononcera une sépara
tion de corps ou un divorce entre mari et femme, dont
l’un serait commerçant, sera soumis aux formalités
prescrites par l’article 872 du Code de procédure civile,
à défapt de quoi les créanciers seront toujours admis à
s’y opposer pour ce qui touche leurs intérêts, et à con
tredire toute liquidation qui en aurait été la suite.
On le voit, le législateur s’est montré plein de solli
citude pour les intérêts commerciaux et avec beaucoup
de raison. Le commerce en effet est une des principales
artères de la prospérité publique. Ses développements
sont donc du plus grand intérêt. Or, ces développe
ments tiennent à la loyauté de ses opérations, aux sû
retés qu’elles offrent au public. C’est ce que le législa
teur a compris, c’est ce qu’il s’est efforcé d’obtenir par
les obligations et les devoirs que font aux commerçants
les dispositions que nous venons d’examiner.
�T ABLE A L P H A B É T I Q U E
DES
M A T IÈ R E S
Les c h i f f r e s i n d i q u e n t l e s n u m é r o s d ' o r d r e
A
a u t h e n t i q u e . — Peut-on demander l a représentation de ses livres
au commerçant poursuivant l’exécution d’un acte notarié et authenti
que? 308.
A c t e u e c o m m e r c e , voy. Commerçant.
A c t i o n e n n u l l i t é , voyez Femme mariée, Mineur.
A c t i o n n a i r e . — L’actionnaire d’une société anonyme peut réclamer la
' communication des livres sociaux, 286 et suiv. Voy. Communication
A
c te
des livres.
. — Le mineur ne peut exercer le commerce qu’après avoir atteint
sa dix-huitièm e année, motifs de cette règle, 80. — L’autorisation
donnée avant cet âge validerait-elle les engagements commerciaux pos
térieurs à l’époque où il a été atteint? 81.
A r t i s a n . — Affinité entre l’artisan et le commerçant, 36. — Quand
doivent-ils être placés sur la même ligne? 37. Voy. Commerçants,
A
g e
Ouvriers
. — Les^associés ne peuvent s’opposer l’irrégularité des livres
sociaux. 267. — Sont recevables à en demander et fondés à en obte
nir la communication, voy. ce mot.
A
s s o c ié s
A
u t o r is a t io n
d e f a i r e l e c o m m e r c e . — P ar qui peut-elle être donnée
au m ineur? 82. — Ses caractères, devoirs q u Jelle impose à la fa
mille, 83. — Ne peut être im plicitement acquise, 84. — Conséquen
ces de la règle qu’elle doit être préalable à tout commerce, 8ë. —
Effet du silence gardé sur la forme qu’elle doit revêtir, 86. — Peutelle être valablement donnée par acte sous seing privé ? 87. — La mère
n ’est apte à la consentir q u ’en cas de décès, d’absence ou d’inter
diction du père, 88. Il n ’est pas nécessaire que l’autorisation men
tionne le genre de commerce que le mineur veut faire, conséquen
ces", 89. — Publicité que doit recevoir l’autorisation, 91. — La ré
tractation de l’autorisation est la conséquence de celle de l’émanci-
/
�534
TABLE
ALPHABÉTIQUE
pation, 94. — Formes de la publicité qu’on doit lui donner, 95. —
Fraude que peut faire n aître la règle que l’autorisation ne couvre que
les opérations qui lui sont postérieures, 97. Voy. Age, Emanci
pation, Mineur.
A
u t o r is a t io n
m a r it a l e
,
voy. Femme mariée.
B
\
— Effet du b illet à ordre causé valeur reçue en mar
chandises, son influence sur la qualité de commerçant, 27.
B
il l e t
a
o r d r e
.
C
C
C
d e c o m m e r c e . — Mesures ordonnées pour la préparation du projet
du Code de commerce, 41. _ Division adoptée par la commission.
A ttaques dont elle fut l’objet au conseil d’Etat, 14. — Esprit qui a
présidé à la rédaction du Code, 15.
ode
o m m e n t a ir e
.
— Utilité du commentaire pour l’étude du droit commer
cial, 16.
Co
m m e r ç a n t . — Fondement de la nécessité de bien définir la qualité
de commerçant, 17. — M otifs du silence que le législateur de 1673
avait gardé à cet égard, 18. — Termes dans lesquels la commission
avait rédigé l’article 1 « du Code, motifs qui firent rejeter sa ré
daction, 19. — Renvoi aux articles 632 et 633 de la nomenclature
des actes de commerce. Relation de ces deux articles avec l’article
1er actuel, 20 et suiv. — La première condition, pour qu’on soit
réputé commerçant, c’est d’avoir fait des actes de commerce, 23. —
Ne sont présumés tels que ceux qui ont pour objet le trafic et la
spéculation. Conséquence pour les actes qui ne sont* faits que pour
l’administration de sa propre fortune, 24 et suiv. — Pour les achats
de marchandise pour son usage, et pour les actes imposés par les
fondions q u ’on remplit, 26 et suiv. — Caractère de la profession h a
bituelle exigée par la loi, 29. — L’habitude résulte d’un établisse
ment public, 30. — Effet du doute pouvant s’élever en son absence,
31 et suiv. — Conséquences de l’exercice habituel d’actes de com
merce, en cas d’incompatibilité entre cette profession et celle notoi
rement acquise, 33. — A qui appartient le droit de constater cet
exercice, et quels en sont les éléments ? 34 et suiv. Effet de la prise
de qualité de commerçant dans le contrat dont l’exécution est pour
suivie, 48 et suiv. — Quid si cette qualité ne figure que dans le
corps de l’acte non écrit par le signataire? 55. Peut-on exciper pour
la première fois, en appel, de la non-commercialité de la personne?
�DES
MATIÈRES.
535
86. — Effets de la prise de qualité de commerçant dans des actes ou
des procédures, 87 et suiv. — De celle reçue en jugement, 62 et suiv.
— La qualité de commerçant peut toujours être établie par la preuve
testimoniale, 66.
Commerce. — Importance du commerce, nécessité de le régir par une
législation spéciale, 1. — Différence entre les principes qui lui sont
propres et ceux de pur droit civil, conséquences, 3. — E tat du com
merce français avant et depuis les ordonnances de 1673 e t de 1681,
4 et suiv. — Exceptions que comporte la liberté illimitée de faire le
commerce, leur caractère, leurs effets, 66.
Commis. — Le règlement des salaires d’un commis ne peut résulter des
livres de son patron, ni obéir à la disposition de l’article 1781 du Code
civil, 281 et suiv. — Le commis intéressé dans les bénéfices a droit
à la communication des livres, 293 et suiv.
C
d es
l iv r e s .
— Exception, pour les livres de com
merce, à la règle prescrivant de communiquer les pièces dont on
éxcipe, 271. — D roit ancien, 272 et suiv. — Inconvénient du systè
me contraire avant l ’ordonnance de 1673, 276. _ Disposition du
Code, nature des exceptions qu’il consacre, 277 et suiv. — Droit de
l’héritier à la communication des livres de son auteur, 279. — Ce
droit est commun aux héritiers légitimes et testamentaires, 280. —
Q u id du légataire particulier et du donataire? 281. — D roit du
communiste, 283 et suiv. — D roit de l’associé, même avant partage,
288. — La communication des livres est due à l’associé commandi
taire et à l’actionnaire d’une société anonyme, 286 et suiv. — Q u id
du prêteur ayant stipulé une p art dans les bénéfices? 289 et suiv. —
Comment faut-il entendre l’exception en cas de faillite ? 292 et suiv.—
Caractère de l’article 14, conséquences, 297. — C’est au juge ordon
nant la communication à en prescrire la forme, 298. — Arrêts divers
appliquant cet article, 299 et suiv.
o m m u n ic a t io n
Communiste. — A droit à la communication des livres de la commu
nauté, 283 et suiv.
Contrat de mariage. — Obligation de déposer par ex trait le contrat de
mariage des commerçants, 388 et suiv. — Indications que doit ren
fermer l’extrait, 387 et suiv. — Délai dans lequel il doit être déposé.
Lieux dans lesquels ce dépôt doit être opéré, 360 et suiv. — C’est au
notaire qui a reçu l’acte à rem plir les formalités prescrites, 362 e
suiv. — Par quel délai se prescrit l’action du ministère public. Poin
de départ de la prescription, 368 et suiv. — La charge d’exécuter la
loi incombe aux parties qui n’ont embrassé le commerce qu’après leur
mariage, 367 et suiv. — Dispositions de la loi en cas de séparation de
biens, de corps ou de divorce postérieurement au mariage, 369.
Créancier, voy. D o t, F em m e m a rié e , M in e u r.
�536
TABLE ALPHABÉTIQUE
D
t a b a c . — Le débitant de tabac est-il commerçant? 45.
— Comment doit-on interpréter, pour les marchands dé
taillants, l ’obligation d’inscrire jour par jour les sommes reçues ou
payées, et chaque opération consommée? 206. Voy. Livres.
Dot. — Le bien dotal de la femme marchande publique n ’est inaliénable
que si elle est mariée sous le régime dotal, conséquences, 490. — Les
créanciers de la femme peuvent- ils exciper de la faculté d’aliéner, sti
pulée dans le contrat de mariage? 491 et suiv. — Conséquences de
l ’inaliénabilité de la dot en cas de faillite de la femme, 4 93. — Droit
des créanciers commerciaux après la dissolution du mariage, 194. —
Faculté pour la femme ou ses héritiers de ratifier l’aliénation irrégu
lière, 195.
D
é b it a n t
D
é t a il l a n t
d e
.
E
. — Motifs de la nécessité d’une émancipation générale
pour le mineur voulant devenir commerçant, 74. — Effet de l’absence
de cette formalité, 78. — La fausse énonciation que- le mineur est
émancipé validerait-elle l ’autorisation? 79.
E
m a n c ip a t io n
E
x c e p t io n
E
x e b c ic e
. — Caractère et effets des exceptions que comporte la liberté
illimitée de faire le commerce, 66.
h a b it u e l
du
c o m m erce
.
— Ses caractères, ses effets, 33 et
su iv .
F
. — La masse de la faillite peut-elle opposer à un créancier
l ’irrégularité des livres du failli? 269. — La faillite crée pour les
ayants-droit la faculté d’obtenir la communication des livres. V oy.
ces mots.
F
a il l it e
F
em m e
m a r i é e . — Capacité de la femme pour faire le commerce, position
dans laquelle la place le mariage, 400..— Conséquences, par rapport
à elle; de l ’article 217 du Code civil, caractère de cette disposition,
102 et suiv. — Difficultés élevée?, lors de la discussion du Code de
commerce, sur la forme de l’autorisation maritale, double système
présenté, 104 — Adoption de celui qui adm ettait l’autorisation ta
cite, conséquences, 107 et.suiv. — Motif de cette différence entre la
femme et le mineur, 109 et suiv. — La femme qui n ’a pas ouvert
�537
DES MATIERES.
d’établissement peut-elle devenir marchande publique? 111. — Sous
quelque régime qu'elle soit mariée, elle ne peut exercer le commerce
qu’avec le consentement exprès ou tacite de son mari, 442. — En
cas de refus de celui-ci, peut-elle se faire autoriser par la justice? 443.
— Quid si, après avoir consenti, le mari entend révoquer son auto
risation? 444 et suiv. — Publicité que cette révoeation doit rece
voir, 14 6. __Principes régissant la femme mariée encore mineure.
Qui doit l’autoriser dans ce cas? 118 et suiv. — Quid si le m ari est
lui-môme mineur, s’il est absent ou interdit? 421 et suiv. — Capacité
de la femme régulièrement commerçante,' 123. — Peut-elle cautionner
un tiers? Contracter une société, acheter un immeuble pour y établir
sa manufacture ou ses magasins? Ester en justice sans une autorisation
spéciale de son mari ou de la justice? 124 et suiv. __ Caractère, en
ce qui la concerne, de la présomption de l’article 638 du Code de
commerce, 128. — Effets de ses engagements sur sa personne et ses
biens, 4 29. — Peut-elle s’en exonérer en renonçant à la commu
nauté; 130. — Fondement et effets de la régie suivant laquelle la
femme marchande publique engage directement son mari, 431 et suiv.
— Dans quels cas la femme est tenue des faits de son m ari? 437.
— Elle est recevable à exciper du vice ou de l’irrégularité de son
autorisation, 138. — La femme n ’est pas marchande publique si elle
n ’exercé pas un commerce distinct de celui de son m a ri, caractère
de cette règle, 4 39 et suiv — Conséquences pour la femme m ar
chande se m ariant sous le régime de la communauté, ou avec un com
merçant, 444 et suiv. — Effets de la gestion que la femme ferait du
commerce de son mari, 143 et suiv. — Elle ne pourrait s’obliger
personnellement qu ’avec une autorisation spéciale, conséquence quant
à l’aval donné à l’obligation du mari, 454. — Quid de l ’acceptation
par celui-ci d’une lettre de change tirée par la femme? 4 53. — Ca
ractère de l’article 7, à quelles conditions la femme peut-elle vala
blement engager, hypothéquer et même aliéner ses biens, 4 82 et suiv.
— A qui à prouver que la cause de l’engagement est ou n ’est pas
commerciale? — Nature de la preuve à faire par le tiers, 185 et suiv.
— La femme ne peut aliéner sa dot, 187 et suiv. Voy. Dot, Mari,
Mineur.
F raude, voy. Autorisation de faire le commerce.
H
Habitude. — De quels actes résulte l’habitude de faire le commerce,
29 et suiv.
H
, voy. Dot, Femme mariée, Mineur.
la communication des livres, voy. ces mots.
é r it ie r s
—
Ont droit d’obtenir
�538
TABLE ALPHABÉTIQUE
Incompatibilité, voy. Commerçant, Commerce,
Inscbiption de faux . — L’inscription de faux n ’est pas recevable contre
les livres d’un commerçant, 352 et suiv.
Inventaire — Importance de l’inventaire, sa nécessité, voy. Livres.
Jt
J ugement. — Le jugement ordonnant la représentation des livres est-il
interlocutoire ou préparatoire? 34 4 et suiv.
J urandbs, voy. Maîtrises.
L
L ivres. — Caractère et bu t de l’obligation pour les commerçants de
tenir des livres, 497. __ Ancienneté de cet usage, motifs pour le
rendre obligatoire, 4 98 et suiv. — Dispositions de l’ordonrance de
4 673, 202 — Modifications introduites par le Code, 203. — La règle
de la tenue des livres comporte-t-elle une exception? 204. — Ce que
doit renfermer le livre journal, 205. — Q u id du marchand détail
lant? 206. — De la dépense de la maison, 207. — Utilité de la cor
respondance et de l’inventaire, 208 et suiv. — Conséquences du dé
faut de livres sous l’ordonnance et depuis le Code, 24 4 et suiv. —
L’obligation d’en tenir est imposée même à ceux dont la profession
est soumise à des règlements particuliers, 24 3. _ Le Code admet
la tenue de livres autres que ceux qu’il prescrit obligatoirement, no
menclature des livres auxiliaires, leur objet, 214 et suiv. _ Ces li
vres peuvent être produits concurremment avec le journal, mais
ne peuvent jam ais le remplacer, 247 et suiv. — La tenue des écritu
res, quant à la forme, est laissée à l’arbitraire du commerçant, 219__
Nécessité de rem plir les formalités prescrites et indiquées par. les ar
ticles précédents, 220. — Nature de ces formalités pour les livres
obligatoires, 225 et suiv. — On doit conserver ces livres pendant 40
ans, 233. — Effets du silence gardé sur ce point par la législation
précédente, discussion au conseil d’Etat, 234. _ Point de départ de
ce délai, 2 3 6 .— Quid si en fait les livres ont été conservés plus de
dix ans, 237. — Caractère de cette exception, qui peut l’invoquer ?
238 et suiv. — A quelles conditions ces livres réguliers peuvent-ils
faire preuve en faveur de celui qui les a tenus? 240 et suiv. — La
�DES MATIERES.
539
commercialité de l’acte doit-elle exister à l’égard des deux parties?
Controverse entre MM. Delvincourt, Toullier et Pardessus, 246 et
suiv. — Solution, 248 et suiv. — Conséquences vis-à-vis du noncommerçant, 2 5 0 .__Les livres d’un commerçant ne pourraient être
opposés à son commis poursuivi en restitution d’un excédant de sa
laires, 251 et suiv — Les livres réguliers ne pourraient seuls prou
ver un paiement fait à un tiers pour le compte d’un autre, 253. —
Peuvent-ils servir d’un commencement de preuve contre un noncommerçant? 254 et suiv. — A quoi se réduit le commencement de
preuve, Î 5 7 . — Effets de l ’irrégularité des livres, 258 et suiv. —
Discussion au conseil d’E tat de l’article 13, son adoption, 262 et suiv.
Conséquences par rapport aux commerçants, aux tiers, aux tribunaux
eux-mêmes, 264 et suiv. — Les coassociés ne peuvent s’opposer l’ir
régularité des livres sociaux, 267. — L’exception tirée de cette irré
gularité n ’est que facultative, conséquences, 268 — Position que cette
irrégularité fait aux créanciers entre eux, et au failli, 269 et suiv.
Voy. Communication et Représentation des livres.
»I
Maîtrises . — Appréciations diverses que l’institution des maîtrises et
jurandes avait fait naître, 6. — Jugement qu’en porte l'édit de 1776,
7. — Ce qui les fit si longtemps m aintenir, 8. — Projet de Turgot
de les abolir, résistance qu’il rencontra, 9 et ..suiv. — Leur aboli
tion fut prononcée par la loi du 2-17 mars 1791, effet de cette aboli
tion, 11.
Mari . — Responsabilité que la loi ancienne imposait au mari de la
marchande publique, 101. — Le mari est-il, depuis le Code, obligé
par le fait de sa femme exerçant le commerce? 132 et suiv. — Est-il,
comme sous l ’ancienne jurisprudence, contraignable par corps? 136.
Peut-il ratifier seul l’acte nul pour défaut d’autorisation? 154. Voy.
Femme mariée.
— La conséquence des engagements commerciaux devait faire
interdire le commerce au mineur, 67. — E tat des mineurs sous l’or
donnance de 1673, surtout depuis l’abolition des maîtrises, 68 et
suiv. — Dispositions du Code civil, 70. — Discussion au conseil
d’Etat sur la question de savoir s’il fallait ou non perm ettre au mi
neur d’exercer le commerce, conditions exigées par l’article 2 du
Code de commerce, 71 et suiv. — Réponse à l’objection que l’éman
cipation faisait un double emploi avec l’autorisation, motifs pour les
exiger l’une et l’autre, 75 et suiv. — Le mineur peut-il contracter
une société avec son père qui l’a autorisé ? 90. — Effet de l’absence ou
du vice de l’une des conditions exigées, ou de leur accomplissement
MiNEUR.
�540
TABLE ALPHABÉTIQUE
régulier, 92 et suiv. — Incapacité dn mineur non autorisé à l’endroit
des actes isolés de commerce, 98. — Le m ineur émancipé par le ma
riage ne peut faire le commerce sans autorisation, 99. — Capacité du
mineur commerçant sous l’ancienne législation, ses effets, 4 55 et
suiv — Sous le Code, le mineur peut valablement engager et hypo
théquer ses immeubles, 157 et suiv. _ Position du mineur au regard
de l’article 638 du Code de commerce, 159 et suiv. — Fraude signa
lée par un arrêt d’Aix dans une autorisation, conséquences, 161. —
Le mineur autorisé n ’est réputé commerçant que s’il exerce de fait
le commerce, 162 et suiv. — Quid du tiers porteur de bonne foi d’un
billet commercial souscrit par lui ou du créancier hypothécaire?
164 et suiv. — Effet de l’hypothèque régulièrement consentie, 168.—
Le mineur commerçant peut compromettre, transiger et ester en ju s
tice, 169. — Il peut acheter même des objets étrangers à son com
merce, sauf restitution s’il y a lieu, 170. — Il ne peut cautionner un
tiers. Quid du cautionnement par endossement? 171 et suiv. — Le
mineur commerçant peut aliéner ses b iens, mais seulement dans
les formes établies par l’article 457 et suiv. du .Code civil, carac
tère de la nullité résultant de leur violation, 174 et suiv. — L’ac
tion du mineur peut être exercéé par ses créanciers, 178. — Les opé-,
rations irrégulières faites par le mineur sont indivisibles, 179. —
Quels sont la durée et le point de départ de la prescription de l’ac
tion du m ineur? 180. — Effet de la ratification donnée depuis la ma
jorité, 181.
ai
N
. — Ses obligations lorsqu’il reçoit le contrat de mariage de
commerçants, Voy. C o n t r a t d e m a r i a g e .
o t a ir e
4»
. — Effets des ordonnances de 1673 et 1681 sur le commer
ce, 5. — Les institutions nées de la révolution de 1789 en nécessi
taient la refonte, 12.
O u v r i e r s . — Différence entre l’ouvrier travaillant à la façon et n ’em
ployant qu’un seul compagnon ou apprenti, et celui qui en occupe
un plus ou moins grand nombre, 38. — Faut-il assimiler à ce der
nier celui qui, n ’ayant pas d’atelier, fait travailler ses ouvriers dans
leur propre domicile? 39 et suiv. — Dans quelle catégorie faut-il pla
cer l’ouvrier qui, travaillant peu, n’achète la matière première qu’au
fur et à mesure des commandes qu’il reçoit, 41 et suiv. Voyez A r t i
O
rd o n n a n c e
sa n s, C o m m e r ç a n ts ,
�DES MATIÈRES.
541
P
P
, t - Influence de là patente sur la qualité de commerçant, 35.
— Motif du silence que le Code de commerce a gardé sur la paten
te, -196.
a t e n t e
. — Est commerçant, conséquences pour son contrat de ma
riage, 356. Voy. C o n lr a l d e m a r i a g e .
P o s t e s (Maître dej. — Le maître de postes est-il comm erçant? 46.
P
h a r m a c ie n
. — Voy. L i v r e s , M in e u r .
— Le prêteur qui a stipulé une part dens les bénéfices a d roit
à se faire communiquer les livres, 289 et suiv. Voy. C o m m u n ic a tio n
P
r e s c r ip t io n
P
r ê t e u r
P
r eu v e
.
d e s li v r e s .
t e s t im o n ia l e
.
— Est admissible pour établir la qualité de com
merçant, 65.
P
d e q u a l it é
— Effets de la prise de qualité de commerçant dans
l’acte dont l’exécution est poursuivie, 49 et suiv. — Dans des actes
ou des procédures, 57 et suiv. — Effet de cette qualité prise ou
reçue en jugement, 62. — Caractère que doivent offrir les actes et
les jugements dont on veut faire résulter la qualité de commerçant, 63.
r is e
R
R
R
a t if ic a t io n
.
Voy. F e m m e m a r ié e , M a r i , M in e u r .
d e s l i v r e s . — Peut être ordonnée d’office par les ju
ges, 301 et s u i v . E l l e n ’est plus subordonnée à l ’offre d’ajouter foi
à leur contenu, 303. — Droits et devoirs du juge-commissaire de la
faillite, 304 et suiv. — La représentation des livres peut être ordon
née malgré que le commerçant déclare ne pas vouloir s’en servir, 307.
— Q u i d s’il s’agissait de l’exécution d’un acte authentique? 308.
Quels sont les livres dont on peut demander la représentation? 309.
— Cette représentation n ’est qu’une faculté laissée au juge, 310. —
Q u i d à l’égard du non-commerçant? 311. — Mais elle peut être o r
donnée, même sous contrainte d’une somme d’argent, 312 et suiv. —
Caractère d’un jugement rendu à cet effet, 314 et suiv. — Le commer
çant ne peut exciper de l’irrégularité de ses livres pour se refuser de
ies représenter, différence entre la communication et la représentation
des livres, forme de celle-ci, 321 et suiv. — L’absence du requérant
donne-t-elle lieu à la nullité de l’opération, 326. — Nature de la dis
position de l’article 16, 327. — Que doit renfermer le procès-verbal
du juge commis ? 328. — Où doit se faire l’ex trait ou la collation des
livres, 329, — Sanction pénale attachée au refus de représenter les lie p r é s e n t a t io n
�r
542
TABLE ALPHABÉTIQUE.
vres, sa nature, 330 et suiv. — Modification à la doctrine qu’avait
inspirée l’ordonnance de 1673, 333 e t suiv. Yoy. Communication des
livres, Serment.
R
. — Principes devant faire décider si l’artisan revendeur est
ou non commerçant, 44. Voy. Artisan, Commerçant, Ouvrier.
e v e n d e u r
S
S
. — Le serment autorisé par l’article 17 ne saurait être exigé
des syndics d’une faillite, 336 et suiv. — Ni des héritiers ou représen
tants de la partie, 338. — Hypothèses dans lesquelles le serment ne
paraît pas nécessaire, 339 et suiv. — Hypothèses contraires, 342. —
— L’article 17 ne confère aux juges qu’une pure faculté, 343. —
Gomment doit-elle être entendue vis-à-vis de celui qui refuse de repré
senter ses livres? Qui est-ce qui constitue ce refus? 345 et suiv. t Pourrait-on aujourd’h u i, en cas de refus d’une partie, ajouter foi aux
livres de l’autre? 347 et suiv. — L’article 17 doit-il se restreindre au
cas où le demandeur en production des livres offre d’ajouter foi à leu r
contenu? 349 et suiv.
S o c i é t é . — Le mineur peut-il contracter une société avec son père l’ayant
autorisé à faire le commerce? 90. — Quid de la femme mariée. Voy.
ces mots.
e r m e n t
T
T
T
. — Effet, par rapport aux tiers, de la prise de qualité de commer
çant dans des actes ou des procédures, 89. — Devoir des tiers dans le
cas où le mineur n’a pas été généralement émancipé, 78.
i e r s p o r t e u r . — Utilité du caractère extérieur de l’acte à l’endroit du
tiers porteur de bonne foi, 164.
ie r s
V
Vice . — Effet du vice dont peut être entachée une des formalités pres
crites pour la régularité de l’autorisation donnée au mineur de faire le
commerce, 92.
��
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Droit commercial. Commentaire du Code du commerce. Livre premier, titre premier, Des commerçants. Livre premier, titre second, Des livres de commerce
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
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An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-22977
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
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domaine public
public domain
Relation
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Format
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1 vol.
542 p.
21 cm
Language
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fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/325
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
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Des commerçants
Des livres de commerce
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 effectué par l’auteur.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier, poursuit son commentaire du Code de commerce de 1807 en traitant dans ce volume des titres sur les commerçants et les livres de commerce.
L’auteur effectue en premier un rappel historique sur la législation commerciale avant de débuter son commentaire du Code. Il justifie le choix du commentaire du Code plutôt qu’un traité parce que cet exercice permet de mettre davantage en lumière toutes les difficultés d’application des articles. Le Code de commerce de 1807 a eu pour ambition d’unifier la législation nationale, en supprimant les coutumes et la jurisprudence des parlements afin d’établir des règles universelles en la matière. Le Code devait devenir la législation de toutes les nations commerçantes.
2ème édition, revue, corrigée et augmentée
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 relative aux commerçants et aux livres de commerce
Commerçants -- France -- 19e siècle
Commerce -- Législation -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/327/RES-22978_Bedarride_Cheques.pdf
0b339d669d96aa757251ce86740ddde9
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DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE
DE LA LOI DU 14 J UI N 1 8 65
LES CHÈQUES
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
PARIS
AIX
L. L A R O S E , LIBRAIRE
22, nua soufflot, 22
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
2 , RUS
1876
THIERS,
2
��COMMENTAIRE
D E L A L O I D U 1 4 JU IN 1 8 6 5
DES CHÈQUES
*
«
A r t . 1er.
Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un mandat
de paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son
profit ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des
fonds portés au crédit de son compte
* et disponibles.
Il est signé par le tireur et porte la date du jour où il
est tiré.
Il ne peut être tiré qu’à vue.
Il peut être souscrit au porteur, ou au profit d’une
personne dénommée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par
voie d’endossement en blanc.
1
�LOI DU
14 JUIN 1865
SOMMAIRE.
1. Historique de la loi ; son objet.
2. Opposition qu’elle rencontra au Corps législatif ; appré
ciation.
3. Pratique qui avait précédé la loi.
4. Avantage du chèque instrument de paiement pour le pro
priétaire des fonds déposés.
5. Avantages pour les banques de dépôt.
6. Services que le chèque est appelé à rendre comme instru
ment de compensation.
7. Esprit de la loi fixé par l’exposé des motifs.
8. Définition du chèque ; rejet de la forme du récépissé.
9. Motifs donnés par le rapporteur de la commission du
Corps législatif.
0. Appréciation.
t. Caractère du chèque qui depuis la loi aura pris la forme
du récépissé ; opinion de MM. Nouguier et Espinas.
2. Appréciation.
3. La remise du chèque confère par elle seule la propriété de
la provision.
4. Discussion au Corps législatif.
5. Doctrine à ce sujet.
5. Jurisprudence.
7. Mais cet effet est subordonné à la régularité du chèque.
Conséquence.
5. Objet du chèque.
). Comment il faut entendre la disponibilité exigée par
la loi.
). Discussion au Corps législatif.
1. Opinion du commissaire du gouvernement,
i. Du rapporteur de la loi.
5. Conclusion.
i. Le chèque doit être signé.
�DES CHÈQUES.
— ART. 1er
5
25.
26.
27.
28.
29.
Importance de la date.
Le chèque ne peut être tiré qu’à vue.
Proposition d'autoriser une échéance graduée. Ses motifs.
Appréciation.
Le chèque peut être souscrit au profit d’une personne dé
nommée ou au porteur ; il peut être à ordre. Dangers
de ces dispositions.
30. Mais on ne pouvait faire autrement dans l’intérêt de l’ins
titution.
31. Nécessité du chèque au porteur au point de vue de la
compensation.
32. Faculté de transmettre le chèque par un endossement
même en blanc.
1. — Le commerce et l’industrie avaient, dans ces
dernières années, reçu une telle impulsion, que nos éco
nomistes et nos publicistes disaient et répétaient sans
cesse que notre argent et notre crédit, le premier dans
sa quotité, le second dans son organisation, n’étaient plus
que des voies et moyens au-dessous de leur tâche ; et
chacun de proposer un remède pour mettre un terme à
cette situation anormale.
Le Gouvernement finit par s’émouvoir de ces cla
meurs, et sans partager des craintes exagérées, il se pré
occupa de créer des éléments de nature à venir en aide
à notre circulation monétaire. L’exemple de l’Angleterre
pouvait et devait le convaincre de l’efficacité du chèque
pour l’accomplissement de ce but.
En conséquence, il avait inséré dans le budget de
l’année 1865 les dispositions suivantes :
« Art. 6. Est réduit à dix centimes le droit de tim~
�4
LOI DU U JUIN 1865
bre des mandats appelés chèques, non négociables par
voie d’endossement, et payables à présentation soit seu
lement à la personne y dénommée, soit à la personne y
dénommée ou au porteur.
« Art. 7. Pour jouir de la modération de droit éta
blie par l’article ci-dessus, les mandats doivent être
extraits d’un livre à souche, préalablement timbré sur
la souche et sur le talon.
« Art. 8. En cas de contravention aux dispositions
qui précèdent, le souscripteur du mandat, le porteur,
le banquier, l’établissement ou toute personne qui aura
acquitté le mandat, sont passibles, chacun, et sans re
cours, d’une amende de 50 fr. ; et sont solidaires pour
le paiement des amendes et du droit de timbre. »
L’exposé des motifs s’efforçait de justifier ces dispo
sitions qui avaient surtout en vue de sauvegarder l’inté
rêt du Trésor, en empêchant les simulations qui pou
vaient être tentées pour profiter de la modération du
droit. Mais elles suscitèrent, dans le sein du Corps légis
latif notamment, les plus ardentes critiques. On leur
reprochait d’aller précisément contre le but qu’elles se
proposaient, et de restreindre l’usage du chèque au lieu
de le favoriser et de le développer.
On s’éleva surtout contre la disposition qui déclarait
le chèque non négociable. On soutenait que sa négocia
bilité était de son essence. Puisque le chèque devait
jouer le rôle de la monnaie, pourquoi contraindre le
porteur à l’encaisser lui-même, et s’opposer à ce qu’en
le transmettant à son créancier il lui déléguât ce soin ?
�S
Enfin on soutint que le seul moyen de vulgariser et
de populariser ce titre, était de l’exempter de tout droit
de timbre : on rappelait qu’en Angleterre, et pendant
cinquante ans, on avait accordé cette gratuité.
Le Gouvernement ne se montrait pas absolument
opposé à ces mesures. S’il n’y adhérait pas immédiate
ment, c’est qu’il craignait que les facilités accordées au
chèque, non encore défini et non réglementé par la lé
gislation, ne profitassent à d’autres papiers, et particu
lièrement à certains effets de crédit, au préjudice des
droits du Trésor et de l’équilibre du budget.
Il convenait donc de chercher le moyen de concilier
ces exigences avec les nécessités économiques qui for
çaient de recourir au chèque. On ajourna donc la déci
sion sur le projet du Gouvernement à la session de 1865,
afin que, dans l’intervalle, on put étudier la question et
la résoudre sans blesser aucun intérêt.
Une commission spéciale fut, en effet, chargée de ce
soin. Cette commission se livra à une enquête sérieuse;
elle entendit plusieurs banquiers notables, les chefs et
représentants des principales institutions de crédit de
Paris et des départements, le directeur général de l’en
registrement et des domaines ; et, sur les données re
cueillies dans ces divers témoignages, rédigea le projet
de loi que le Gouvernement présentait au Corps législa
tif dans sa session de 1865.
DES CHÈQUES. — ART. 1er
2. — Ce projet rencontra un puissant et illustre ad
versaire : « Vous voulez, disait Berryer, introduire en
�6
LOI DÜ
14 JUIN 1865
» France an usage qui n’existe pas. Je crois que la loi
» crée peu d’usages. La loi, elle, règle quand les faits
». sont entrés dans les habitudes du pays; alors la loi
> peut réglementer les faits et elle les réglemente uti» lement. Mais croire que vous donnerez des habitudes
» par des dispositions qui introduisent un système tout
» nouveau dans les relations commerciales, je ne le
» pense pas. Je crois qu’il en est, en matière de faits,
» d’actes et de règlements d’actes de la vie, comme en
» matière de mœurs : les lois sont parfaitement inutiles
» sans les mœurs L »
Notre grand orateur avait raison. Ce qu’il disait du
caractère des lois est surtout vrai pour les lois commer
ciales ; celles-ci ne doivent intervenir et ne sont réelle
ment utiles que si, provoquées par une pratique géné
ralement suivie, elles ne font que consacrer les usages
dont cette pratique a démontré l’opportunité et la né
cessité.
Or c’est précisément ce qui arrivait pour les chèques.
L’erreur de Berryer était de croire qu’ils étaient incon
nus en France et négligés par nos commerçants. La
vérité était au contraire que, depuis longtemps, leur uti
lité n’était plus un secret pour personne et en avait ré
pandu l’usage sous le nom de mandat, de récépissé ou
simplement de reçu. L’exposé des motifs du projet,
présenté dans la session de 1864, constate et confirme
cette pratique.
j
1 Séance du 23 mai \ 865.
�:
.
.
—
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
■
-
7
M. de Germiny, dans son rapport de la loi au Sénat,
tenait à ce sujet le même langage : « Nous n’avons pas
depuis longtemps le mot, disait il, mais nous avons la
chose. Les mandats rouges et les mandats blancs que
la Banque de France réunit en carnets et met aux mains
des banquiers, des commerçants, de ses créanciers en
compte-courant, ne s’appellent pas des chèques mais
équivalent; ils ne servent pas moins à payer à vue, à
solder des comptes par compensation, que les chèques
dont les Anglais font usage. Or, durant l’exercice de
1864, des affaires à la Banque et de la Banque aux af
faires, ces mandats rouges et blancs ont été les inter
médiaires d’un mouvement dont le total, accusé par les
livres de service, s’élève à 14 ou 15 milliards.
» Le Crédit foncier, le Comptoir d’escompte, le Cré
dit mobilier, la Société générale, le comptoir Donou,
quelques banques de dépôt, presque toutes les maisons
de banque, mettent à la disposition de leurs correspon
dants des reçus reliés aussi en carnets, faciles à détacher
successivement, et qui font à merveille et très-rapide
ment l’office du check anglais. A eux seuls, le Crédit
foncier et le Crédit agricole, qui, on le sait, opèrent sous
les auspices du même conseil d’administration et sous
le même toit, ont satisfait, depuis quinze mois, par le
même procédé, à un mouvement de va-et-vient de dé
pôt qui ne s’est pas élevé à moins de 363 millions ; le
solde disponible de leurs dépôts en compte-courant, est
à l’heure où nous écrivons ces lignes, de 93 millions.
» Il ne faudrait donc pas croire que la loi proposée a
�importé le moyen, puisqu’il nous appartient déjà sous
d’autres dénominations. »
3. — Ce qui avait déterminé cette pratique, ce n’est
pas seulement l’exemple de l’Angleterre, c’était en ou
tre un intérêt aussi réel que considérable, et qui ne
pouvait être ni méconnu ni contesté. En commerce,
l’argent doit être essentiellement productif. Si, stérile,
il attend dans la caisse le moment d’être employé, le
commerçant éprouve une perte qui s’aggrave et s’aug
mente par chaque jour de retard.
Cet intérêt, le secrétaire de la commission d’enquête
le relevait en ces termes :
« S’il est en économie politique un principe élémen
taire, et dans la pratique une règle vulgaire, c’est assu
rément qu’un capital quelconque disponible entre les
mains de celui qui en est propriétaire, ne dégage pour
ainsi dire sa valeur intrinsèque qu’autant qu’on l’appli
que à un emploi productif.
« La thésaurisation est le préjugé d’un peuple arriéré
ou une nécessité imposée à une nation troublée par la
guerre ou inquiétée par l’anarchie. Aussitôt que des
conditions d’ordre, de sécurité, de progrès se manifes
tent, celui qui possède un capital cherche à le faire fruc
tifier en l’immobilisant soit dans des acquisitions terri
toriales, soit en l’engageant dans des entreprises indus
trielles ou commerciales ; plus tard il le place en valeurs
mobilières, ou le confie à des maisons de banque ; en
�9
un mot, au lieu de le conserver inactif, il le livre à la
circulation afin de bénéficier de l’intérêt.
« On sait combien tous ces genres de placement
sont répandus aujourd’hui, mais il est un progrès auquel
on n’est arrivé que récemment.
« Si de tout temps, pour ainsi dire, on avait cherché
à tirer parti des fonds qui pouvaient être engagés pour
une longue durée, on regardait comme une nécessité et
même comme un acte de prudence, de conserver ceux
qui devaient être nécessaires prochainement pour ser
vir de fonds de roulement ou pour payer les dépenses
courantes; dans chaque maison, dans chaque boutique,
on conservait ainsi une certaine somme, moins pour
l’employer immédiatement que parce qu’on voulait être
assuré de l’avoir.
« Toutes ces réserves, dont le chiffre est minime si
l’on considère isolément chaque fraction, énorme si on
les suppose accumulées, restent ainsi stériles. Par une
combinaison ingénieuse on a résolu le problème, qui
consistait à rendre cette masse de numéraire produc
tive : c’est là l’office des banques de dépôt, et particu
lièrement de celles qu’on a appelées en Angleterre
Joint-Stock-Banks. Elles servent un intérêt à l’argent,
un intérêt minime, parfois aussi n’en servent aucun,
mais le rendent à l’instant s’il est demandé. Or le mé
canisme ingénieux qui facilite cette restitution, en mé
nageant le temps et les pas de chacun, c’est le chèque. »
DES CHÈQUES. — ART. 1"
4. — Si l’on veut se faire une idée de la masse de
�numéraire que ces réserves immobilisent et rendent im
productif, qu’on se rappelle qu’en 1864 le ministre
d’Etat l’évaluait à 600 millions, et que d’autres n’hési
tent pas à la porter à trois milliards.
On comprend tous les services qu’un pareil capital
tiré de son oisiveté peut rendre au commerce et à l’in
dustrie, tout en venant en aide à l’intérêt privé. C’est ce
qu’avaient parfaitement compris les commerçants, et
notamment les grandes maisons soit de gros soit de
détail, dont les recettes journalières atteignent à des
proportions considérables. La possession de ces recettes
venant s’accumuler dans leurs caisses et y restant sté
riles en attendant leur emploi, était pour elles non-seu
lement une perte mais encore un embarras, mais encore
un danger.
De là l’habitude de les verser chaque jour dans une
banque qui les restituait au fur et à mesure des dispo
sitions qui devenaient nécessaires.
Qu’importe que l’argent ainsi versé en comptecourant ne produise qu’un intérêt minime ? Cet intérêt
ne fût-il que de deux, de un, de demi pour cent n’en
constitue pas moins un avantage. Que produirait l’ar
gent s’il dormait stérile chez son propriétaire, en atten
dant un emploi qui pourrait se faire attendre plus ou
moins longtemps? Donc, quelque réduit qu’il puisse
être, l’intérêt servi par la caisse de dépôt n’en était pas
moins un profit réel.
N’est-ce donc rien d’ailleurs que de garder la dispo
nibilité de ses fonds en s’exonérant de l'embarras et du
�il
souci que leur possession entraîne, en s’affranchissant des
chances de vol et d’incendie, en se dispensant de la né
cessité de tenir une caisse et de payer un caissier dont
l’infidélité peut entraîner de si graves conséquences ?
Or tout cela s’obtient par le dépôt de l’argent dans une
banque qui s’engage à le restituer sur chèque.
DES CHÈQUES. — ART. 1er
5. — On comprend que les banques qui acceptent
ces dépôts avec obligation de faire face aux retraits
qu’il plaira aux déposants d’effectuer, joueraient le rôle
de dupes, si, n’acquérant sur les sommes versées que
les droits d’un dépositaire, elles étaient tenues de les
conserver en état de disponibilité absolue ; mais il n’en
est pas ainsi : les sommes versées en compte-courant
deviennent la propriété de la banque, qui en dispose
dès lors à ses plaisir et volonté ; c’est en les employant
à ses opérations qu’elle est payée de son concours ;
elle profite en effet de la différence entre l’intérêt de un,
de deux ou de trois pour cent qu’elle paye et celui
qu’elle exige et qui avec la commission de banque s’élève
à sept, huit et neuf pour cent. C’est dans le roulement
de ces opérations qu’elle trouve le moyen de satisfaire
aux retraits qui lui sont demandés. Elle a de plus cet
autre avantage qu’elle ne sera jamais à découvert envers
ses déposants, car rien ne saurait la contraindre à payer
les dispositions que pourrait se permettre celui de ses
déposants qui aurait déjà retiré l’intégralité de ce qu’il
avait versé.
Déposant et dépositaire trouvent donc leur intérêt
�12
LOI DU U JUIN 1865
dans l’opération qu’il convenait dès lors d’encourager et
de favoriser ; or le moyen le plus utile dans ce but était
de faciliter les retraits, et ce moyen, le chèque l’offrait
naturellement.
6. — Si, comme instrument de liquidation et de
paiement, le chèque pourvoyait à l’intérêt privé, il était,
comme instrument de compensation, appelé à servir
non moins utilement l’intérêt public, en permettant
d’effectuer une quantité considérable de paiements sans
déplacement ni emploi matériel du numéraire.
Pour juger de l’importance que peut atteindre ce
mouvement de compensation on n’a qu’à consulter la
discussion de la loi au Corps législatif. Entre autres en
seignements qui en résultent, on y verra qu’en Angle
terre, qui n’a qu’un capital monétaire ne dépassant pas
de beaucoup un milliard, on fait annuellement un chiffre
d’affaire évalué de 75 à 80 milliards de francs, tandis
qu’avec un capital monétaire de quatre à six milliards,
la France fait à peine pour quarante milliards d’affaires.
Cet énorme développement chez nos voisins est dû
aux compensations qui s’établissent entre banquiers, et
c’est le chèque qui en a été et qui en est encore l’ins
trument. On comprend donc que pendant cinquante ans
on l’ait affranchi de tout impôt.
Il n’en était pas ainsi en France, jusqu’à l’apparition
de la loi actuelle, le retrait des sommes versées en
compte-courant s’opérait soit par un récépissé, soit par
un mandat de paiement, et c’est la forme du récépissé
�DES CHÈQUES. — ART. 1er
15
qui avait été généralement adoptée parce qu’il n’était
soumis qu’à un timbre fixe de 50 centimes, tandis que
pour le mandat de paiement, l’impôt était un droit pro
portionnel de 50 centimes par 1000 fr.
Mais, tel quel, l’impôt du timbre ne laissait pas que
d’être un obstacle au développement d’une institution
qui était appelée à rendre des services si considérables,
et c’est cet obstacle qu’on voulait vaincre en assurant
au chèque une immunité absolue au point de vue de
l’impôt. Ce dont on avait à se préoccuper était unique
ment de veiller à ce que en se qualifiant mensongère
ment de chèques, les autres papiers de circulation et de
crédit ne s’attribuassent la faveur faite à celui-ci, au
préjudice des droits du Trésor et de l’équilibre du
budget.
7. — Pour bien saisir l’objet et l’esprit des disposi
tions qui sont venues enfin consacrer le chèque et en
réglementer l’usage, il faut se référer à l’exposé des
motifs qui en précise le sens et en indique l’étendue.
« L’intérêt qui s’attache à l’émission et à la trans
mission des chèques, y est-il dit, s’explique de luimême. Les dépôts des fonds en compte-courant dans
des caisses ouvertes et organisées à cet effet, groupent
une foule de petits capitaux et leur donnent ainsi une
puissance productive qu’ils n’auraient pas s’ils restaient
dans les caisses des particuliers. Le chèque est l’instru
ment de service des comptes-courants, et, par l’action
combinée des comptes-courants et des chèques on ob-
�tient ce triple résultat : de servir aux déposants un
intérêt de leurs fonds tout en les leur maintenant dis
ponibles ; d’effectuer une quantité considérable de paie
ments sans déplacement ni emploi matériel de numé
raire ; enfin d’utiliser pour les besoins de l’industrie et
du commerce des capitaux qui, sans ce moyen, et alors
même qu’ils ne seraient pas livrés à une thésaurisation
stérile, ne serviraient qu’aux échanges journaliers, et
qui se trouvent ainsi concourir au mouvement de la
production et du commerce sans cesser de servir à
l’échange.
» Quant à la nécessité de donner des garanties sé
rieuses au Trésor contre l’extension abusive des faveurs
accordées au chèque, elle n’a pas apparu avec moins
d’évidence. Le chèque, dans son essence, n’est et ne
doit être qu’un instrument de liquidation et de paie
ment ; c’est à ce titre qu’une exception à la loi fiscale
est réclamée en sa faveur. Si des opérations de crédit,
spéculant sur ce que présente d’équivoque la forme ex
térieure du mandat, cherchaient à revêtir l’apparence
du chèque pour se soustraire à l’impôt qu’elles doivent
au Trésor, il pourrait se produire dans les recettes bud
gétaires une diminution d’autant plus fâcheuse qu’elle
ne profiterait pas à la masse des contribuables, mais à
la fraude. »
Ces notions exposent avec une netteté parfaite l’éco
nomie de la loi : encourager le développement des chè
ques, empêcher toute confusion entre eux et les autres
papiers de circulation et de crédit, qui tendrait à éten-
�DES CHÈQUES. — ART. 1er
15
dre à ceux-ci la faveur due et accordée à ceux-là seu
lement. Ce double but exigeait qu’on déterminât d’une
manière spéciale la nature, le caractère des chèques et
les conditions essentielles auxquelles on pourrait le re
connaître.
8. — Aux termes de notre article premier, le chè
que est l’écrit qui, sous forme d’un mandat de paiement,
sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit ou au
profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés au
crédit de son compte chez le tiré, et disponibles.
Cet article émane de la commission du Corps légis
latif. Nous avons déjà indiqué que dans la pratique an
térieure à la loi on avait généralement adopté pour ins
trument de ces retraits les récépissés qui ne devaient
qu’un droit fixe de 50 c. au lieu du droit proportionnel
de 50 c. par 1000 fr., que payaient les mandats de
paiements, mais on n’avait pas négligé ceux-ci, et c’est
à eux qu’on recourait lorsqu’il s’agissait de sommes
importantes.
Le Gouvernement s’inspirant de cette pratique, au
torisait indifféremment les récépissés et les mandats de
paiements ; en les mettant sur la même ligne au point
de vue de l’impôt, le projet de loi avait même enlevé
toute raison d’être à la préférence dont les récépissés
avaient été l’objet.
9. La commission du Corps législatif ne crut pas de
voir suivre cette marche ; elle crut devoir repousser la
coexistence de celte double forme.
�\
16
1
14 JUIN 1865
« L’option laissée entre le mandat et le récépissé,
disait son rapportenr, n’offre aucun avantage et pré
sente divers inconvénients. Le récépissé constitue un
mensonge commercial, puisqu’il est émis non après que
l’encaissement est effectué, mais avant même que le tiré
connaisse l’ordre de paiement : il est énoncé au passé
quand il s’agit d’un fait futur. La coexistence dans les
usages de deux titres si différents amènerait en outre
des complications et créerait bien certainement des
difficultés. La forme du récépissé ne peut d’ailleurs s’ac
corder avec les immunités que le projet de loi accorde
au chèque. Comment peut-on faire entrer le nom du
bénéficiaire dans un récépissé ? Comment appliquer à ce
titre la faculté d’être transmissible par voie d’endosse
ment ? Comment le faire protester en cas de non paie
ment ? »
LOI DU
10. — En conséquence, la commission proposa et fit
admettre pour le chèque la forme du mandat de paie
ment exclusivement ; jamais décision plus regrettable ne
reposa sur de plus futiles motifs.
Nous disions tout à l’heure que les lois, surtout cel
les dont l’influence doit s’étendre sur les matières com
merciales, doivent autant que possible s’inspirer des
usages et de la pratique qui les ont précédés et rendus
nécessaires. Or, en matière de chèques, les usages et
la pratique avaient admis et les mandats et les récépissés.
En quoi l’option laissée aux tireurs était-elle dangereuse?
Où étaient les inconvénients qu’elle était dans le cas
�DES CHEQUES. — ART. /J er
17
d’offrir? Quelles complications, quelles difficultés avaiton à redouter de la coexistence de la double forme?
Sur ces divers points, il y avait quelque chose qui de
vait rassurer la commission : c’était le passé ; et, après
l’avoir interrogé elle aurait pu se demander pourquoi
et comment l’avenir devait offrir ce qu’on cherchait vai
nement dans ce passé.
En admettant d’ailleurs qu’il fallut opter entre le
mandat et le récépissé, il semble que l’esprit et le but
de la loi exigeaient qu’on se prononçât en faveur de
celui-ci.
Comment en effet prévenir cette confusion qui aurait
pour résultat d étendre aux autres papiers de circulation
et de crédit la faveur réservée aux chèques plus éner
giquement et plus efficacement qu’en se prononçant
pour une forme que ces papiers n’ont jamais ni pris ni
pu prendre ?
L’exposé des motifs le reconnaissait lui-même. La
forme extérieure du mandat de paiement prête à l’équi
voque et fait craindre de la voir emprunter par des
opérations de crédit, dans le but de se soustraire au
paiement de l’impôt. Or c’est précisément cette forme
que la commission préfère à celle du récépissé qui ex
cluait cette équivoque et cette crainte ; n’est-on pas
dès lors fondé à lui reprocher d’avoir pris le contre-pied
de ce qu’exigeait le but que la loi voulait atteindre dans
l’intérêt du Trésor ?
Est-ce sérieusement que le rapporteur demandait
comment on pourrait faire entrer le nom du bénéficiaire
2
�18
LOI DU
14 JUIN 1865
dans un récépissé ? Mais de la manière la plus simple
et la plus facile. Ainsi le souscripteur du récépissé le
rédigera dans les termes suivants ; Reçu de M... la
somme de... qu'il a payée pour moi a M... et dont je lui
tiendrai compte; et si les parties veulent rendre le ré
cépissé négociable elles ajouteront : qu’il a payée pour
moi à M... ou à son ordre.
Quelle nécessité d'ailleurs que le nom du bénéficiaire
figure dans le récépissé? On le comprendrait si le chè
que ne pouvait être qu’au profit d’une personne déter
minée, mais il peut être souscrit au porteur, et dans ce
cas le mandat de paiement mentionnerait-il le nom du
bénéficiaire ?
Or le récépissé ne désignant pas celui-ci n’aurait été
qu’un titre au porteur d’une légalité incontestable, à
moins qu’on ne prétendit interdire à la forme du récé
pissé ce qu’on autorisait pour le mandat de paiement.
Le reproche fait au récépissé de ne pouvoir s’accor
der avec les immunités que la loi confère au chèque
n’est pas mieux fondé. La transmissibilité par voie
d’endossement, il dépendait des parties de la lui attri
buer, nous venons de le voir, et comme titre au por
teur il n’était pas même nécessaire d’un endossement.
La propriété en était transmise de la main à la main.
Comment le faire protester en cas de non-paiement ?
Tout simplement en le remettant à un huissier qui, après
en avoir requis paiement, constaterait que sa réquisi
tion n’a produit aucun effet, et protesterait des droits
de son mandant.
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
19
Reste le reproche fait au récépissé de constituer un
mensonge commercial puisqu’il est émis non après
mais avant l’encaissement, et qu’il énonce au passé un
fait qui ne se réalisera qu’au futur. Ce qui est dans le
cas de confondre la raison c’est le reproche en lui-même,
c’est qu’on ait pu sérieusement l’imaginer.
Le récépissé n’a qu’un objet, établir et justifier la
numération par le débiteur de la somme qui y est
mentionnée ; or celte justification il ne la fera que lors
qu’il se trouvera aux mains de ce débiteur, tant qu’il
reste en la possession du créancier, il n’est rien qu’un
chiffon insusceptible de constater quoi que ce soit,
qu’un projet arrêté en vue d’un paiement effectif et
pour l’amener.
Est-il jamais venu à l’idée de personne de traiter de
mensonge commercial l’acquit mis au bas d’une facture
ou d’un effet de commerce, avant de le faire présenter
à celui qui doit payer ? Est-ce qu’il paierait si on ne
lui remettait pas le titre dûment acquitté par son béné
ficiaire ?
Comme le dit fort bien M. Alauzet : « Quel caissier de
maison de banque livrera les espèces sans avoir préala
blement entre les mains le reçu destiné à constater le
fait du paiement qu’il va faire, ou l’acquit parfaitement
en règle de la lettre de change qu’il se propose de sol
der ? Comment le commerçant, qui envoie son garçon
de recette faire des recouvrements ne le munirait-il pas
d’avance d’un récépissé? De tout temps un récépissé a
représenté, suivant les mains dans lesquelles il se trouve,
�20
1.01
du
14
juin
186S
tout aussi bien une somme à percevoir qu’une somme
reçue ; et puisque le chèque, même sous la forme de
mandat, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, n’est
qu’une simple indication de paiement, on ne compren
drait pas comment, sous la forme d’un reçu, il ne rem
plirait pas parfaitement le même effet}. »
Aucun des motifs invoqués à l’appui de l’exclusion
des récépissés ne résiste donc à l’examen. Cette ex
clusion devait d’autant moins être admise que, par sa
forme, le récépissé se distinguait tellement des autres
papiers de circulation et de crédit qu’il devenait un obs
tacle invincible à toute tentative de fraude contre le
Trésor.
Quoi qu’il en soit, en présence des termes si formels
de notre article sur la forme du mandat de paiement,
pourrait-on, devrait-on qualifier de chèque le récépissé
qu’un commerçant aurait délivré à l’effet de retirer les
fonds déposés en compte-courant chez un banquier ?
11. s— Le commerce a aussi sa routine qu’on n’ex
tirpe pas tout d’un coup. L’usage de donner des récé
pissés ne s’effacera donc pas instantanément, et le
commerçant qui procédait par cette voie hier, pourra
très-bien y persister demain.
« Qu’adviendra-t-il donc, se demandent MM. Nouguier et Espinas, si, malgré les termes si précis de la
loi, un banquier, recevant des dépôts en compte1 Commentaire de la loi sur les chèques, n° 4.
�\
DES CHÈQUES. — ART. 1er
21
courant, continuait de délivrer des récépissés à ses
clients? Le récépissé, répondent-ils, restera ce qu’il était
avant la création du chèque ; il sera, nul n’en doute, un
contrat parfaitement valable, mais il sera soumis à tou
tes les conséquences de sa forme particulière : il ne sera
pas un chèque, et il ne jouira pas des immunités atta
chées à ce titre '.
12. — Ces honorables jurisconsultes confondent évi
demment le récépissé donné par le banquier et celui
que délivrait le déposant : le premier avait pour objet
de constater le dépôt, le second d’en opérer le retrait;
le caractère de chèque n’a jamais pu appartenir qu’à
celui-ci, et ne convient et n’a jamais convenu à celui-là,
pas plus avant la loi que depuis.
Aussi n’a-t-il jamais été question de s’opposer à ce
que le banquier qui reçoit des fonds en délivre un ré
cépissé qui en prouve la réception : le récépissé exclu
par la loi est uniquement celui que le déposant donnait
à l’effet de prendre chez le banquier tout ou partie de
ces fonds.
13. — Même à ce point de vue, la validité du récé
pissé entre parties et son efficacité ne sauraient être
douteuses, mais il ne saurait en être ainsi vis-à-vis les
tiers, et celui qui l’aurait accepté comme chèque cour
rait le risque de se trouver dans l’impossibilité d’en
1 Commentaire de la loi sur les chèques, n° 28.
�22
LOI DU 14 JUIN 1865
revendiquer les effets, notamment celui de se faire ad
juger la provision à l’exclusion de tous autres créanciers.
Nous comprenons très-bien la controverse qui s'était
élevée sur ce dernier effet avant la promulgation de la
loi : rien dans la législation ne reconnaissait l’existence
du chèque, et ne permettait de lui attribuer des effets
différents et autres que ceux que la loi attachait aux
titres contenant cession d’une somme quelconque ou
indication de paiement.
La loi nouvelle a mis un terme à cet état de choses.
En organisant le chèque qu’elle venait reconnaître et
consacrer, elle en faisait un titre particulier, spécial, qui
avait naturellement ses effets propres et spéciaux. Le
principal de ces effets est, à notre avis, le transfert de
droit de la propriété de la provision qui fait l’aliment
du chèque, par le fait seul de la remise de clui-ci ;
N’est-ce pas ce qui se réalise pour la lettre de change?
Sa transmission n’emporte-t-elle pas le transfert de la
provision au profit du bénéficiaire? Comment donc con
tester cet effet au chèque? Est-ce que dans la pensée,
dans l’intention du législateur de 1865, ce titre devait
être d’une efficacité moindre que la lettre de change ?
44. — Il est vrai que dans la discussion au Corps
législatif, M. E. Ollivier demandait si l’on ne pouvait
pas écrire dans la loi que la conséquence de l’émission
du chèque serait à l’instant même de transporter la va
leur de la provision à celui à qui on donnait le chèque ;
et qu’il ajoutait qu’à moins d’une disposition expresse,
�DES CHÈQUES. — ART. l ' r
23
à ce sujet, la doctrine qui donnerait au chèque un effet
translatif de propriété, faisant obstacle à toute saisiearrêt de la part des créanciers du tireur, devait être
repoussée. D’où M. Alauzet va conclure que la remise
d’un chèque n’est qu’une simple indication de paiement
et ne peut être un moyen de transmettre la propriété
de la provision h
L’opinion de M. E. Ollivier n’avait et ne pouvait
avoir d’autre fondement que la pratique suivie avant la
loi; or cette pratique ne pouvait survivre après la pro
mulgation de celle-ci qui, consacrant le chèque, lui
donnant désormais une existence légale, devait néces
sairement autoriser tout ce qui était de nature à le ren
dre efficace, à contribuer à son développement qu’elle
voulait favoriser.
« Le chèque, disait M. Pouyer-Quertier, n’est appelé
qu’à avoir une existence éphémère, parce que c’est un
moyen de compensation, parce que c’est de l’argent
comptant, parce que c’est du numéraire immédiatement
disponible 2. » Or si le chèque est tout cela, comment
refuser à sa remise l’effet de transférer la propriété ?
La disposition expresse que réclamait M. E. Ollivier,
si elle n’est pas dans le texte, résulte bien positivement
de l’esprit de la loi. M. Alauzet le reconnaît et l’enseigne
lui-même. Le but qu’elle s’est proposée a été de favori
ser et d’encourager l’usage des comptes-courants et
1 N° 42.
3 Séance du 3 mai 1865.
�24
LOI DU 14 JUIN 186S
l’emploi des chèques ; or ce but serait-il, pourrait-il
être atteint si, refusant au chèque le privilège de trans
férer la propriété de la provision, on n’en faisait pas
même une lettre de change ?
15.
— Comme le disent avec raison MM. Nouguier
et Espinas, que serait, en effet, pour le porteur que la
propriété du chèque, c ’est-à-dire d’un morceau de pa
pier, si elle n’emportait la propriété de la provision,
dont-ce morceau de papier est le signe représentatif? Ce
principe est certain en doctrine et en jurisprudence
quand il s’agit de lettres de change...... il nous semble
donc que ce qu’on juge en matière de lettre de change,
il faudrait le juger en matière de chèques : aucune rai
son sérieuse ne justifierait une distinction entre ces
deux titres qui, de par la loi, jouissent également des
immunités et des privilèges attachés à l’endossement
Nous ajoutons, nous, qu’une distinction méconnaî
trait la loi elle-m êm e qui fait du chèque un titre plutôt
réel que personnel. Nous allons voir, sous l’article 5,
que le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans le délai prescrit perd tout recours nonseulement contre les endosseurs, mais encore contre le
tireur, si la provision a péri après l’expiration de ce
délai, par le fait du tiré. Or à quel titre lui ferait-on
supporter cette perte, si la provision ne lui a jamais
1 N» 67.
�25
appartenu, si son cédant ne lui avait jamais concédé
qu’une simple indication de paiement ?
La disposition de cet article corrobore la doctrine de
MM. Nouguier et Espinas; elle fait pour le chèque ce
que l’art. 170 du Code de commerce fait pour la lettre
de change. L’identité de résultat ne peut s’expliquer que
par l’identité de raison ; et si, pour ce qui concerne la
lettre de change, la disposition de l’art. 170 est unique
ment fondée sur ce que l’endossement a transféré la
propriété de la provision : il est impossible d'admettre
que l’art. 5 de la nouvelle loi a un autre motif.
En réalité donc, le chèque est une espèce de mon
naie dont la valeur est tout entière dans la somme dont
il est le signe représentatif ; 'le tireur, qui se libère dé
finitivement si le chèque est régulier, c’est-à-dire s’il y
a provision, ne saurait donc prétendre qu’il a conservé
un droit quelconque sur cette provision ; ses créanciers
ne le pourront pas plus que lui.
DES CHÈQUES. — ART. 1"
16. — La jurisprudence postérieure à la loi, la seule
qu’il soit utile de consulter, n’a pas hésité à interpréter
la loi dans le sens que nous lui donnons : elle n’a refusé
de donner à l’endossement ou à la remise du chèque
l’effet de transférer la propriété de la provision que
lorsque le titre qualifié chèque ne pouvait être reconnu
et accepté comme tel.
Ainsi, par jugement du 6 juillet 1867, le tribunal de
commerce de Nantes jugeait que l’écrit sous forme de
récépissé, remis à un tiers pour toucher des fonds dis-
�26
LOI DU U JUIN 1865
ponibles au crédit du signataire, ne constitnait pas un
chèque ; que cette qualification n’appartenait qu’à l’écrit
émis sous forme d’un mandai de paiement ; que, par
suite, le récépissé ne transfère pas au porteur, à l'in
stant même de sa remise, comme le ferait un chèque, la
propriété de la somme dont il est destiné à procurer
l'encaissement '.
Dans cette espèce, le porteur du récépissé soutenait
que son titre avait tous les caractères du chèque au
porteur dont il était en réalité le type : « Mais, répond
le jugement, cette allégation n’est fondée ni en droit ni
» en fait ; si le projet de loi sur le chèque laissait la
» faculté de donner aux chèques la forme soit du man» dat de paiement, soit du récépissé, cette faculté,
» d’accord entre le conseil d’Etat et le Corps législatif,
» a été volontairement et expressément repoussée de
» la rédaction définitive; en sorte que la loi, telle
» qu’elle a été votée, loin de laisser l’option entre deux
» formes differentes, n’autorise plus par la définition
» qu’elle donne, que le chèque qui est émis sous la
» forme d’un mandat de paiement. »
Le jugement ajoute : « Le récépissé n’est plus qu’une
» simple quittance, signée à l’avance par le créditeur.
» pour le cas espéré où le débiteur en paierait le mon» tant à celui qu’il charge d’en faire l’encaissement;
» laquelle quittance projetée devient définitive si le
» débiteur paie, et caduque s’il ne paie pas. *
1 J. du P., <867, <244.
�27
Nous trouvons non-seulement la même doctrine mais
encore les mêmes termes dans, un arrêt de la Cour
d’Orléans du 30 août 1871; 'jugeant que l’écrit sous
forme de récépissé remis à un tiers pour toucher à jour
fixe le montant de ce récépissé, chez un négociant dé
biteur du remettant, n’a le caractère ni du chèque ni
de la lettre de change, ni du billet à ordre, ni du billet
au porteur et ne saurait en produire les effets légaux ;
qu’en conséquence, il ne confère au porteur aucun
droit de propriété ou de préférence sur les sommes à
recouvrer.
« Attendu, dit la Cour, qu’aux termes de l’art. 1er de
» la loi du 14 juin 1865, le chèque doit revêtir la for» me d’un mandat de paiement, et que si cet écrit se
» présentait sous celle d’un récépissé, il ne saurait as» sumerle caractère légal du chèque, ni bénéficier des
» mêmes immunités ;
» Attendu que, instrument de paiement et non de
» crédit, le chèque a pour effet de transférer immédiaDES CHÈQUES. — ART. 1"
b
»
o
»
»
»
»
»
TEMENT ET PAR LE SEUL EFFET DE SA REMISE AU RORTEUR,
tandis que le récépissé n’est qu’une simple quittance, signée à l’avance
par le créditeur pour le cas espéré où le débiteur en
paierait le montant aux mains de celui qu'il charge
d’en faire Vencaissement, laquelle quittance projetée devient définitive s'il y a paiement, et caduque
dans le cas contraire h »
le domaine de la chose du tireur ,
1 J du P., 1872, 594.
�28
LOI DU 14 JUIN 1865
On crut devoir dénoncer cet arrêt à la Cour de cas
sation, comme violant la loi du 14- juin 1865; mais
vainement. Par arrêt du-14- mai 1872, le pourvoi était
purement et simplement rejeté l.
17. — Tenons donc pour certain que la remise d’un
chèque transfère au preneur la propriété de la somme
qui en fait la provision, mais cet effet si important, si
utile, dépend entièrement de la régularité du chèque.
Or, depuis la loi nouvelle, il n’y a de régulier et de légal
que celui qui revêt la forme du mandat de paiement :
lui donner celle du récépissé, c’est exposer le preneur
à n’acquérir aucun droit sur la provision, à voir nonseulement les tiers-créanciers mais encore le tiré luimême lui en disputer la propriété, et le faire déclarer
non recevable et mal fondé à réclamer soit cette pro
priété, soit une préférence quelconque 2.
18. — Du texte de la loi et de l’exposé des motifs
lui-même, il semblerait résulter que le chèque a pour
unique destination le retrait de sommes déposées en
compte-courant, et qu’il serait ainsi exclusivement dé
volu aux opérations entre commerçants. Mais cette res
triction a été au contraire formellement répudiée et ex
clue par le législateur. Une seule condition est indis
pensable pour qu’il puisse y avoir lieu à chèque, à sa1 J. du P., 1872, 580.
3 Infrà, n° 43.
�DES CHÈQUES. — ART. '1 "
29
voir que la somme pour laquelle il est tiré soit dispo
nible entre les mains de celui qui doit payer.
Or, en rendant compte des travaux, des impressions
de la commission du Corps législatif, son rapporteur
disait : « Ne peut-il pas se trouver une foule de cas
» où d«B fonds deviennent disponibles sans qu’il y ait
» dépôt préalable ? Le chèque ne doit jamais se subs» tituer aux valeurs de crédit, mais ne peut-il pas ar» river que, par suite d’une opération de change ou
» d’escompte, d’une vente d’immeubles ou d’une re» mise de marchandises, un particulier ait à sa disposi» tion des sommes qu’il peut vouloir transférer immé» diatement à un tiers? Le chèque, en un mot, doit» il être seulement l’instrument des banques de dépôt,
» ou doit-on en généraliser l’usage et l’employer au re» trait de tous les fonds disponibles, quelle qu’en soit
» l’origine?
» Ces diverses questions ont été résolues par votre
» commission dans le sens de l'affirmative ; il lui a paru
» qu’une définition du chèque, réduite aux seules ban» ques de dépôt, serait nn obstacle à ce que l’usage
» s’en répandit rapidement. »
19. — Cette extension du chèque au recouvrement
de toute créance, quelle qu’en soit l’origine, appelait
naturellement l’attention sur le sens à attacher au mot
disponible qui se trouve dans l’article.
Toute somme due en effet n’est pas disponible ac
tuellement et immédiatement, alors même qu’aucune
�30
LOI DU 14 JUIN 18 f) 3
échéance déterminée n’a été convenue. Le chèque, qui
permet au créancier de la recouvrer dès qu’il le juge
utile ou convenable, sert admirablement ses intérêts ;
mais il ne sauvegarde pas au même degré celui du dé
biteur, puisqu’il l’expose à être pris au dépourvu, et
vient exiger de lui un paiement qu’il n’a pu prévoir et
auquel il ne s’est pas préparé.
Ce danger n’est pas à craindre pour les banques de
dépôt qui acceptent des fonds qu elles s’obligent à res
tituer sur chèques, et qui ne supportent qu’un intérêt
calculé sur cette nature d’engagements : elles doivent
toujours être en mesure de payer et auraient fort mau
vaise grâce à refuser de le faire.
Mais le non commerçant qui acquiert des marchandi
ses, le marchand qui fait ses achats, le particulier qui
achète un immeuble, sont bien débiteurs de sommes
déterminées, mais ils ne sont et ne peuvent être tenus
de les payer à première réquisition, à moins d’une con
vention qui les y oblige expressément; on nesauraitdonc,
à défaut de cette convention, les obligera faire honneur
aux chèques qui viendraient inopinément à leur être
présentés, car se serait les réduire à garder leur argent
improductif pour être en mesure de payer à toute épo
que, ou à supporter la honte et les frais d’un compte de
retour et d’une poursuite judiciaire. On avait en con
séquence proposé de soumettre le tirage du chèque à
trois conditions : 1° dépôt de fonds chez le tiré ; 2° dis
ponibilité ; 3° convention préalable.
�31
20. — A la suite de cette proposition, M. Gressier
disait : « Depuis vingt-cinq ans que j’exerce la profes
sion d’avocat, je crois savoir la langue du droit ; or
qu'est-ce dans langue du droit qu’une somme disponi
ble ? C’est une somme qui, due en vertu d’une dette
reconnue, est actuellement exigible.
« Sans doute la loi, il faut bien le reconnaître, n’a
pas été faite uniquement pour la circulation des chèques;
elle n’a pas été faite pour rester dans les conditions
dont on parle aujourd’hui. La pensée qui a dicté la loi
et qui était dans l’esprit de plusieurs membres de la
commission, c’était, j’en suis sûr après avoir vu le rap
port, la création de banques de dépôts ; mais il ne faut
pas permettre que chacun de nous se trouve dans cette
situation de pouvoir être, laissez moi me servir de cette
expression, sous le coup d’un chèque, de manière que,
débiteur d’une somme, je sois obligé de veiller chez
moi pour ne pas être sous le coup d’un protêt. »
On avait d’abord répondu que l’existence d’une con
vention préalable était de droit, et qu’il était inutile de
l’exiger. Cela était incontestablement vrai pour les chè
ques sur les banques de dépôts. Comment en effet ces
banques objecteraient-elles l’absence d’une convention
elles qui sollicitent les dépôts en en offrant le retrait par
chèques, et qui délivrent aux déposants un chéquier
d’où sont détachés les chèques tirés par ces déposants ?
Mais au point de vue de débiteurs accidentels auquel
se plaçait M. Gressier, on ne pouvait admettre l’exis
tence d’une convention de ce genre ; il convenait donc,
DES CHÈQUES. — ART. 1 8r
�32
LOI DU 14 JUIN 1865
si on ne jugeait pas utile d’en faire une des conditions
du chèque, d’expliquer pourquoi on s’en abstenait, pour
que cette abstention et le silence de la loi qui en était la
conséquence ne pusseut être considérés comme une
négation. C’est cette explication que donnaient succes
sivement le commissaire du Gouvernement, et le rap
porteur de la commission.
21. — « M. Gressier, disait le premier, a exprimé cette
idée : que tous nos créanciers, tous nos fournisseurs,
toutes les personnes à qui nous devons des sommes plus
ou moins considérables, à raison des circonstances habi
tuelles de notre vie privée, au lieu de nous présenter
des factures pourraient tirer des chèques sur notre
caisse.
« C’est une erreur qu’exclut de la façon la plus cornpèle la rédaction de l’article 1er que vous avez adopté.
» En effet, autre chose est une créance, même exi
gible et susceptible d’être demandée immédiatement en
justice, autre chose un fonds disponible.
» Quand on parle d’une provision préalable de fonds
portés au compte créditeur du tireur et de fonds dispo
nibles, on fait nécessairement allusion à une conven
tion préalable, en vertu de laquelle le dépositaire s’est
engagé à fènir à la disposition du déposant les sommes
nécessaires pour pa^er ses ordres à présentation : voilà
ce que veut dire le mot d isp o n ib le .
» Je reconnais, ajoutait M. le commissaire du Gou
vernement, qu’il n’est pas nécessaire que cette obliga-
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
35
tion soit contractée par une caisse publique ; il n’est
pas nécessaire qu’elle le soit par un banquier ; il n’est
pas nécessaire non plus que ce soit un commerçant ;
mais il faut que le particulier quelconque, entre les
mains duquel vous voulez constater la disponibilité, se
soit placé volontairement dans une situation telle que la
raison et au besoin la justice puissent reconnaître qu’il
a accepté cette condition de disponibilité. >
22, — Le rapporteur de la loi n’était ni moins précis
ni moins formel : « Les mots qu’on demande d’intro
duire dans la loi sont absolument inutiles.
» Qu'est-ce que dit l’article 1"? il dit qu’il n’y a
chèque que quand les fonds sont disponibles.
» Quand est-ce que les fonds sont disponibles? quand
j’ai été avisé que les fonds sont à ma disposition. Qu’estce que c’est que cet avis? c’est évidemment une con
vention qui s’établit entre le tiré et le tireur.
» Donc ce que demande l’honorable M. Quesné est
dans la loi. Il est évident que, quand il n’y aura pas eu
convention de la part du tiré vis-à-vis du tireur, il n’y
aura pas de disponibilité.
» On craint que s’il n’y a pas dans la loi, sousentendue ou exprimée, cette convention, il n’y ait dan
ger pour certains établissements de crédit. Je répondrai
que non, et que, dans la pratique, les choses ne se
passent pas d’une façon autre que celle que veut
M. Louvet.
» Qu’est-ce qui se passe habituellement ? Les ban3
.
-
■
'
•
�U
LOI DU 14 JUIN 1865
ques de dépôt reçoivent des fonds en compte-courant ;
elles stipulent avec les déposants qu’une partie des/onds
déposés seront à leur disposition, c’est-à-dire qu’on
pourra tirer à vue sur cette partie des fonds, lesquels
sont toujours disponibles ; elles stipulent, d’autre part,
que, pour une portion des fonds déposés, on sera obligé
ou d’aviser à l’avance, ou bien de tirer à plusieurs jours
de vue.
» Je me demande ce que le mot convention viendrait
ajouter à la pratique ordinaire. Je me demande, d’autre
part, si la loi, telle qu’elle est rédigée, empêche ou
interdit ces conventions? elle ne les interdit nullement,
et voici ce qui se passera dans la pratique : toutes les
fois qu’un banquier recevra un dépôt, il ne manquera
jamais, la loi des chèques étant votée, de stipuler que le
déposant ne pourra tirer que pour une somme qu’il au
ra déterminée d’avance *. »
23.
Le rapporteur semble se préoccuper beau
coup plus des banquiers et des banques que des parti
culiers non commerçants que la proposition de M. Quesné, appuyée par MM. Louvet et Gressier, avait surtout
en vue. Mais en déclarant que pour les banques ellesmêmes la disponibilité ne peut résulter que d’une con
vention, il admet qu’il doit en être ainsi à plus forte
raison pour les particuliers.
Il ne suffit donc pas, pour que le créancier puisse se
l Séance du 5 m ai 1865.
�pourvoir par chèque, que la dette soit actuellement
liquide et immédiatement disponible, il faut encore
qu’une convention expresse ait autorisé ce mode de
paiement.
Cette convention doit être formelle entre commer
çants en compte-courant ordinaire, parce que tant que
le compte n’est pas arrêté et réglé il n’y a ni créancier
ni débiteur. Il en serait ainsi pour les banques de dépôt,
si dans les appels qu’elles font au public elles ne s’en
gageaient à payer sur chèque.
Pour le débiteur non commerçant la convention ne
résulte et ne peut résulter que de l’avis donné au cré
ancier qu’il tient les fonds à sa disposition.
Dans tous les cas, la remise du chèque confère par
elle-même et de plein droit, la propriété de la somme
qui y est mentionnée, pourvu que le chèque ait revêtu
la forme du mandat de paiement et réunisse les autres
conditions exigées par la loi.
Le débiteur quel qu’il soit qui n’aurait pas autorisé le
chèque, pourrait se refuser à le payer ; les frais que ce
refus pourrait entraîner resteraient à la charge du tireur
alors même que la dette du tiré et son exigibilité seraient
certaines et acquises.
24. — Le chèque doit être signé et daté.
L’exigence de la signature n’a pas besoin d’être justi
fiée : c’est la signature qui constitue en réalité le titre
quel qu’il soit. Un écrit non signé n’est rien et ne cons
titue ni obligation ni droit.
�Il n’en eût pas été autrement du chèque. Le tiré
n’aurait pas manqué d’exiger queÿcelui qu’on lui pré
sente fût revêtu de la signature du tireur, alors même
que la loi n’eût pas fait de cette signature une condition
essentielle.
Si le législateur a cru cependant devoir s’en expliquer
c’est pour indiquer que le chèque ne peut exister que
par écrit ; qu’en conséquence l’offre de le prouver par
témoins fondée sur un commencement de preuve, de
vrait être repoussée : frustra probatur quod probatum
non relevât.
25. — La date importante dans tous les actes de la
vie, s’imposait plus impérieusement encore en matière
de chèques. Le chèque, en effet, ne doit et ne peut
être tiré qu’à vue ; le paiement doit en être requis dans
les cinq ou les huit jours, y compris celui de la date,
suivant qu’il est ou non tiré d’une place sur une autre.
Or comment apprécier si ces conditions essentielles ont
été ou non remplies, si la date étant omise le porteur
peut lui donner celle qu’il juge utile à son intérêt?
« Si le chèque, disait avec raison l’exposé des motifs,
pouvait être émis sans date, ou post-daté, il serait en
vain déclaré payable à vue dans sa formule, il ne le se
rait point en réalité. L’absence de date ou la post-date
aurait ainsi pour effet de faire disparaître la différence
principale, au point de vue de l’impôt, entre le chèque
et la lettre de change. »
Que vaudrait d’ailleurs l'indication du paiement à vue
�37
si le porteur pouvait indéfiniment retarder la présenta
tion? N’est-ce pas contre cet abus que la loi a prescrit
un délai fatal pour le paiement ? Or omettez la date et
le porteur pourrait garder le chèque en portefeuille
trois mois, six mois, un an, sauf quand il croirait devoir
le présenter à lui donner une date qui le placerait en
apparence dans les conditions édictées, et le mettrait à
l’abri de la déchéance que prononce l’art. 8.
Le chèque qui ne serait ni daté ni signe ne serait pas
un chèque. De plus l’omission de la date ou la fausse
date constitueraient une contravention que l’art. 6 punit
d’une peine dont nous aurons à apprécier le caractère
et l’étendue ; ce que nous devons retenir dès à présent
c’est que l’absence de date ou la fausse date enlèverait
au litre toute sa valeur; que ce titre ne serait ni un
chèque ni une lettre de change; que par conséquent le
porteur ne serait ni recevable ni fondé à prétendre à un
droit de propriété ou de préférence sur la somme qui en
serait la provision.
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
26. — Nous venons de dire que le chèque ne pour
rait être tiré qu’à vue ; c’est là en effet une des condi
tions que prescrit notre article. Cette condition c’est
l’intérêt du Trésor qui l’a dictée, et elle a pour but d’em
pêcher que le chèque, au lieu d’être un instrument de
liquidation et de paiement ne devint un papier de cir
culation et de crédit.
« Si, disait l’exposé des motifs, le chèque négociable
par voie d’endossement, et particulièrement le chèque
�58
LOI DU 14 JUIN 1865
tiré d’un lieu sur un autre, pouvait encore être payable
à une époque plus ou moins éloignée, ou à un certain
nombre de jours de vue, il est évident qu’ils ne différe
rait presque plus de la lettre de change, se substituerait
à elle dans la plupart des cas, et que le produit de l’im
pôt du timbre en souffrirait une diminution notable qui
ne serait entrée ni dans les prévisions, ni dans les vues
du législateur. »
Pourquoi d’ailleurs aurait-on hésité à prescrire et à
exiger le tirage à vue? N’était-il pas imposé par la na
ture même des choses? le chèque ne peut avoir pour
objet qu’une somme non-seulement existant mais en
core disponible entre les mains du tiré. Tirer un chèque
en l’absence de provision est même une contravention
punie d’une amende. Or, dès que la provision existe,
dès qu’elle est disponible actuellement et immédiate
ment, où était le motif d’accorder un délai quelconque
au tiré ? Celui-ci n’a-t-il pas au contraire le plus grand
intérêt à s’exonérer le plutôt possible de la responsabi
lité que lui impose la possession d’un argent qui ne lui
appartient pas ?
27. — Cependant la proposition d’autoriser pour les
chèques une échéance graduée se produisit au Corps
législatif et y fut discutée. « En premier lieu, disait-on
à l’appui, le point capital pour les déposants est de re
tirer de leur argent un intérêt élevé ; or comment y
parvenir si les banques sont placées dans la nécessité
d’accumuler dans leurs caisses des capitaux oisifs et
�59
disponibles ? En deuxième lieu il faut prévenir les effets
qui résulteraient d’une panique, si chacun peut à la fois
se présenter pour retirer ses fonds. »
DES CHÈQUES. — ART. 1 er
28. — Nous l’avons déjà dit : si les banques de dé
pôts étaient obligées de garder dans leurs caisses oisifs
et disponibles les fonds qu’elles reçoivent, elles joue
raient un rôle de dupe, et l'on ne comprendrait pas
qu elles consentissent non-seulement à recevoir dans
ces conditions, mais encore à supporter un intérêt quel
que modique qu’il soit en faveur du déposant; ce serait à
se demander comment de pareils établissements ont pu
se former, et comment on en annonce chaque jour de
nouveaux.
La vérité est que les banques de dépôt utilisent à
leur profit les fonds qui leur sont versés. Dans la pra
tique elle ne les emploient qu’en placements sûrs et à
courte échéance, que pour escompter des valeurs re
vêtues de plusieurs signatures. Par leur roulement ces
opérations créent un va et vient et amènent à chaque
instant des fonds qui servent k payer les chèques. Dans
un cas de besoin d’ailleurs elles s’en procureraient faci
lement en présentant à la banque de France des papiers
ou des titres que celle-ci escompterait, ou sur lesquels
elle avancerait des fonds.
Le bénéfice que ces banques réalisent est la diffé
rence entre l’intérêt accru de la commission de banque
qu’elles perçoivent, et l’intérêt aussi minime que possi
ble qu’elles paient aux déposants. Plus les dépôts sont
S
�40
LOI DU 14 JUIN 1865
nombreux et importants, plus ce bénéfice est considé
rable, ce qui explique ces annonces répétées, ces pros
pectus si libéralement distribués dans lesquels les ban
ques anciennes et modernes sollicitent la confiance du
public.
Sans doute il importe aux commerçants de retirer de
leur argent un intérêt élevé, ce qu’il dépend d’eux de
faire en disposant de leurs fonds de la manière usuelle
et ordinaire ; mais conserver la disponibilité des fonds
qu’on dépose chez un tiers est un avantage tellement
précieux qu’on peut bien l’acheter par un sacrifice sur
les intérêts à percevoir.
D’ailleurs quelque minime que puisse être l’intérêt
servi aux déposants autorisés à tirer des chèques, il n’en
constitue pas moins un profit ; ce que le commerçant
confie à la banque de dépôt c’est, outre le produit des
valeurs venues à échéance, sa recette journalière. Que
deviendraient toutes ces sommes si elles n’étaient pas
versées chez le banquier ? elles resteraient évidemment
improductives dans la caisse du commerçant, attendant
l’occasion qui les en fera sortir : son traité avec la ban
que lui fait donc retirer quelque chose de ce qui ne lui
rendrait rien, et ce quelque chose ne manquera pas de
se chiffrer par une somme qui, au bout de l’année,
aura son importance.
La première objection n’avait donc aucune portée
réelle : on ne fait aux déposants que la condition qu’ils
se sont bien volontairement imposée. Placés entre la
faculté de percevoir un intérêt élevé de leurs fonds en
�41 '
renonçant à leur disponibilité pendant un temps plus ou
moins long, et le droit de se pourvoir par chèques à
leur plaisir et volonté, on ne peut, s’ils optent pour ce
droit, que leur imposer les conséquences qui en décou
lent naturellement, conséquences qui servent leur in
térêt et celui de la banque elle-même.
Quant à prévoir et à prévenir les effets d’une pani
que, c’est l’affaire du banquier ; il est en état et par
conséquent en demeure de juger du danger que pourra
lui faire courir un remboursement exigé par tous ses
clients simultanément ou par la plupart d’entre eux, et
il lui appartient de prendre les précautions qu’une pa
reille éventualité appelle et exige; la loi lui laisse toute
liberté à cet égard, et ne fait aucun obstacle à ce qu’il
stipule qu’il ne sera tenu de rembourser qu’après un
certain nombre de jours de la réquisition, et de se mé
nager ainsi une échéance graduée.
S’il ne croit ni utile ni convenable de le faire, on ne
voit pas pourquoi la loi, plus jalouse de ses intérêts que
lui-même, stipulerait en sa faveur une garantie qu’il n’a
pas cru utile de se ménager ; elle le devrait d’autant
moins que sa conduite n’a été dictée que par son
intérêt.
Il est évident, en effet, que l’intérét que la banque
accordera différera suivant que le retrait de l’argent
pourra se faire à volonté et par chèques, ou seulement
après un délai plus ou moins long. Ainsi en Angletere
on distingue le compte n° 1, auquel on n’attribue au
cun intérêt ou qu’un intérêt minime, et sur lequel on
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
�42
LOI DU 14 JUIN 1865
tire à vue par chèques notamment ; le compte n° 2 pro
duisant un intérêt plus fort et comportant des traites à
dix ou quinze jours ; le compte n° 3, auquel on attribue
un intérêt plus élevé avec le délai d’un mois pour le
recouvrement.
En France il n’y a qu’un type unique, mais ce qu’on
ne manque pas d’observer c’est la gradation des intérêts
qui se réduisent au taux le plus bas si le tirage de chè
que est autorisé.
Voici ce qu’on peut lire dans les prospectus de la
Société industrielle, banque de dépôt :
« intérêts sur les sommes versées en compte-cou
rant :
» Chèques à disponibilité, 3 fr. 65 0|0, soit un cen
time par jour.
» Compte-courant de trente jours à
quatre mois.................................. 4 1|2 0|0
>> Bons à intérês de quatre à huit mois. . 5 OjO
»
de huit mois à un an. . . 6 0|0
La loi n’avait donc pas à intervenir et à se préoccu
per du danger qu’une panique pouvait faire courir au
banquier, danger auquel celui-ci s’était volontairement
exposé dans le but de ne payer qu’un intérêt moindre.
D’ailleurs en protégeant celui-ci le chèque à échéance
graduée exposait le Trésor public à un grave danger,
en vue duquel la commission du Corps législatif repous
sait la proposition. « Tout en favorisant l’intérêt com
mercial, disait le rapporteur, la loi a pour but de pro
téger les iniérêts du Trésor. Les chèques à échéance
�43
graduée se confondraient avec la lettre de change, et la
recette de douze millions que le Trésor retire du tim
bre se trouverait exposée à une forte diminution. »
DES CHÈQUES. — ART. l ,r
29. — Cette confusion si menaçante pour le Trésor
public, que la forme du mandat de paiement facilite, va
être rendue plus imminente encore par la disposition
du dernier paragraphe de notre article : le chèque peut
être souscrit au porteur ou au profit d’une personne
dénommée ; il peut être souscrit à ordre et transmis
même par voie d’endossement en blanc.
Ne pourrait-on pas reprocher à la loi d’avoir multi
plié les chances en faveur de cette confusion qu’elle
s’efforce tant de prévenir ? Où trouver en effet dans ces
conditions organiques la différence qui doit exister entre
les chèques et les autres papiers de circulation et de
crédit ?
L’exposé des motifs n’hésitait pas à reconnaître qu’un
certain nombre de lettres de change, celles qui avant la
loi se tiraient à vue ou à de si courtes échéance qu’il
leur était facile de se transformer en lettres à vue, pour
ront bien emprunter la forme du chèque et se dérober
à l’impôt ; mais, ajoutait ce document, il semble établi
par l’enquête que cette catégorie de lettres de change
est peu nombreuse, et n’a pour objet que des sommes
de faible importance. La perte du Trésor sera donc, il
faut l’espérer, peu considérable.
Cette espérance, il faut en convenir, reposait sur
�H
DU 14. JUIN 1 8 6 5
une base bien fragile ; on ne pouvait en effet calculer
l’avenir sur le passé.
Qu’avant la loi la catégorie des lettres de change à
laquelle l’exposé des motifs fait allusion fut peu nom
breuse et n’eût pour objet que des sommes de faible im
portance, on le comprend. Quel intérêt aurait-on eu à
recourir à la simulation et à revêtir de la forme du chè
que les lettres de change pour sommes importantes?
L’impôt grevait le chèque comme la lettre de change
elle-même et empêchait toute confusion en la rendant
inutile.
Cette confusion a aujourd’hui un intérêt incontesta
ble : l’exemption de tout impôt concédé par la loi au
chèque. Plus la somme à recouvrer sera importante,
plus sera considérable l’avantage à retirer de cette exem
ption, et plus il est à craindre que le désir d’en profiter
n’inspire la pensée de recourir à la simulation.
LOI
50. — Le reproche pourrait donc paraître fondé,
mais on ne saurait se le dissimuler, en permettant pour
le chèque la forme à ordre ou au porteur, le législateur
n’a fait que céder à une nécessité impérieuse.
Si le chèque n’était payable que dans le lieu où il est
tiré, s’il ne devait être qu’un instrument de paiement
réel et effectif, on aurait pu, sans trop d’inconvénient
ne le permettre qu’au profit d’une personne déterminée.
Mais dès que le chèque pouvait être tiré d’une place
sur une autre, il fallait bien lui reconnaître la faculté
d’être souscrit soit à ordre soit au porteur, et ce tirage
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
45
d’une place sur une autre était une nécessité qu’on ne
pouvait méconnaître.
Il arrive souvent, en effet, que les fabricants, que les
marchands de gros, au lieu de fournir sur leurs ache
teurs, leur indiquent un banquier de la localité chez le
quel ils ont à verser les sommes dues pour les marchan
dises expédiées. Ce versement devient naturellement
l’aliment d’un chèque, à moins qu’on ne se décide à faire
voyager l’argent, ce qui occasionne des frais et offre
certains dangers.
Dans ce cas le chèque est forcément tiré d’une place
sur l’autre, et s’il ne pouvait être qu’au profit d'une
personne dénommée, il en résulterait que le paiement
ne pourrait en être requis que par celte personne; il
faudrait donc ou qu’elle se présentât elle-même, ou
qu’elle fît choix d’un mandataire qui, après avoir reçu
les fonds pour son compte, aurait à son tour à les lui
transmettre. On comprend facilement combien le com
merce répugne à cette manière d’opérer qui lui occa
sionnerait tant de longueurs et de frais, et l’on s’explique
l’insistance que ses organes les plus autorisés mettaient,
dans l’enquête, à réclamer la forme à ordre ou au
porteur.
L’usage avait d’ailleurs décidé la question ; tout per
sonnels que fussent les chèques avant la loi, on avait
trouvé le moyen de les rendre négociables à l’aide de
ces signes conventionnels qui constituaient les diverses
sortes de chèques, dénommés chèques barrés.
Le chèque d'ailleurs n’est pas seulement un inslru-
�46
LOI DU 14 JUIN 1865
ment de paiement, ainsi que le relevait M. PouyerQuertier dans la discussion de la loi, il est appelé à de
venir un instrument de compensation : c’est à ce titre
qu’il a rendu, en Angleterre, de si éminents services.
Or s’il ne pouvait être qu’au profit d’une personne dé
nommé, nulle autre que celle-ci ne pourrait avoir à
subir ou à imposer une compensation, et dans un cadre
si rétréci il est fort douteux qu’on pût atteindre à un
mouvement d’affaires dont le chiffre, en Angleterre, est
de 125 milliards, suivant M. Pouyer-Quertier.
On devait donc permettre, et l’on a en effet permis
que le chèque pût être souscrit à ordre, et admis ainsi
le moyen le plus puissant d’en propager l’usage. Ce
principe admis, était-il possible de repousser la forme
au porteur ? Mais rien ne se prête mieux à la négo
ciation, et vouloir rendre les chèques négociables c’était
se mettre dans l’impossibilité d’exclure la forme qui
réalise cette négociation par une simple tradition de la
main à la main.
31. — Comme instrument de compensation, le chè
que au porteur a également une valeur incontestable,
et l’on ne comprend pas que l’honorable M. Nouguier
ait pu le méconnaître et le contester.
« La compensation, dit-il, n’est admissible que lors
que, débiteur d’une somme liquide et exigible, un indi
vidu est, en même temps, créancier de pareille somme
également liquide et exigible. Or quand le chèque est
au porteur, il peut être la propriété de tous et de cha-
i
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
kl
cun, sans que cette propriété puisse être nominative
ment attribuée à l’un plutôt qu’à l’autre. Si je suis dé
biteur certain et nominal, et si le titre que j’ai en mains
ne porte pas mon nom, comment établir un droit à la
compensation l. »
M. Nougier se trompe : le chèque au porteur appar
tient non à tous et à chacun, mais au porteur unique
ment et exclusivement; dès qu’il l’a en mains il en est
le propriétaire nominal, non pas seulement en vertu de
la nature du titre, mais encore en force de la maxime
qu’en fait de meubles la possession vaut titre. Donc si
ce porteur, créancier incontestable du tiré, est en même
temps son débiteur, rien ne pourra faire obstacle à
une compensation soit totale soit partielle. Est-ce que
celle-ci ne produira pas son effet entier, complet, ab
solu, et le chèque remis, acquitté aux mains du tiré,
ou par lui adiré vaudra désormais quelque chose?
N’en déplaise à M. Nouguier, si nous étions appelés
à donner la préférence à l’un des deux titres à ordre ou
au porteur, c’est en faveur de ce dernier que nous nous
prononcerions, car, transmissible de la main à la main,
il constitue une véritable monnaie, et à tous les avan
tages du titre à ordre, il réunit celui de n’exiger ni écri
ture ni signature de ses propriétaires successifs.
Restent l’absence de toute obligation solidaire de la
part de ces propriétaires, la chance de perte ou de vol,
et l’obligation de ne l’expédier que par lettre chargée,
�48
LOI Dü H JUIN 18G5
si l’on veut le faire plus sûrément. Mais tous ces incon
vénients existent pour tous les autres litres au porteur
et n’empêchent pas qu’on ne convertisse journellement
des actions ou des obligations nominatives en titres au
porteur. Pourquoi donc les motifs qui font dans ce cas
préférer cette forme, ne produiraient-ils pas le même
résultat pour les chèques?
32. — Dans l’hypothèse de chèques à ordre, la loi
avait à indiquer et à régler le mode de transmission
dont ils seraient susceptibles, et ce mode ne pouvait être
que l’endossement.
Mais on sait les conditions exigées par la loi pour la
régularité et l’efficacité de l’endossement des lettres de
change et des billets à ordre. Aux termes de l’art. 138
du Code de commerce notamment, l’endossement en
blanc ne vaut que comme simple procuration, devaiton l’admettre ainsi pour les chèques ?
On s’est prononcé pour la négative. L’exposé des mo
tifs faisait remarquer que, même pour les lettres de
change, les dispositions du Code de commerce refusant
à l’endos en blanc les effets de l’endossement régulier,
étaient depuis longtemps discutées ; que, sans examiner
cette question délicate, on devait reconnaître que pour
le chèque il n'y avait pas de raison suffisante pour pros
crire l’endos en blanc, puisque le chèque pouvait indif
féremment être souscrit à une personne dénommée
ou au porteur.
« Quand à l’endossement en blanc, disait de son
�»
1er
49
côté Ië rapporteur, il convient mieux à la nature du
chèque qui doit être, avant tout, un instrument simple
et rapide, et qui ne se propagera qu’à la condition
d’offrir au porteur une sécurité sans réserve.
Exiger un endossement régulier, c’eût été prescrire
d’exprimer la valeur fournie aux termes de l’art. 137
du Code de commerce. Or, il ne pouvait pas être qu’on
se montrât plus difficile pour l'endossetnent que pour
le chèque lui-même, et qu’on fît au premier une condi
tion dont on dispensait le second. On remarquera en
effet que notre article se borne à prescrire que le chè
que soit signé et daté, sans exiger, comme l’article 110
du Code de commerce le fait polar la lettre de change,
l’indication de la valeur fournie en espèces, en marchan
dises, en compte, ou de tout autre manière.
D’ailleurs, en matière de chèques, comment appli
quer les conséquences que la loi déduit de l’endossement
en blanc? Il ne vaut que comme procuration, dit l’artile 138 du Code de commerce : c’est-à-dire que toutes
les exceptions opposables au souscripteur écarteront le
porteur. Or quelles exceptions pourrait avoir à invo
quer contre le tireur celui sur qui le chèque est tiré ?
qu’il n’est pas débiteur? qu’il a compensé ce qu’il de
vait avec ce qui lui était dû ? Mais dans ce cas il n’y
aurait pas provision, et provision disponible, et le chè
que serait frappé d’une nullité radicale, et cette nullité
annihilant le titre, le laisserait sans effets possibles dans
les mains du porteur. Il était donc sans nécessité d’armer
le débiteur du chèque d’une arme qui, inutile dans notre
4
DES CHÈQUES. — ART.
�LOI DU 14 .TUIN 1865
30
hypothèse, le serait bien plus encore dans celle de
l’existence d’une provision actuellement disponible.
Reste donc que l’endossement en blanc est valable ;
qu’il transfère immédiatement et de plein droit la pro
priété de la provision, qui devient, dès ce moment, la
chose du bénéficiaire de l’endossement. En réalité, l’en
dossement en blanc rend le chèque un titre au porteur
et dès que cette forme était admise, il eût été inconsé
quent de lui refuser tout son effet, comme on l’admet
pour le chèque originairement souscrit au porteur.
Il fallait donc ou autoriser l’endossement quel qu’il
fût, ou déclarer le chèque non négociable. Or ce der
nier parti était impossible, il opposait en effet un obs
tacle invincible àu but que le législateur voulait attein
dre, celui de favoriser et d’encourager le développe
ment du chèque, auquel on attachait avec raison une
si grande importance.
Art . 2.
Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; il est payable à présentation.
SOMMAIRE.
33. Caractère de la dispositiou exigeant la provision préalable,
34. Ce qu'il faut entendre par provision préalable.
35. Conséquences s’induisant de le combinaison des art. 1 et 2.
�36.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
43.
44.
46.
DES CHÈQUES. — ART. 2
51
Y a-t-il lieu à chèques, dansj l’hypothèse Jd’un compte
courant ordinaire entre deux commerçants?
Quid dans l’hypothèse de l’ouverture d’un crédit ?
Effets de la faillite du tireur sur la provision ; application
des art. 446 et 447 C. de com. Conséquences.
Comment prouvera-t-on l’existence de la provision préa
lable?
Dénégation de cette existence par le tiré ; droits du
porteur.
Preuve admissible pour la nature du chèque au point de
vue des art. 446 et 447 C. de com.
Effets de la faillite du tiré sur la provision du chèque.
Pour compte de qui est la perle ?
Le chèque est payable à présentation ; motifs.
Résumé.
33. — La disposition de l’article 2 est la conséquence
forcée de l’article 1er, et dérivait naturellement du ca
ractère que celui-ci affecte au chèque. En effet, si le
chèque est l’écrit qui sert à opérer le retrait de fonds
portés au crédit du tireur et disponibles, il est évident
qu’il n’existe ou n’existera légalement qu’autant qu’il y
aura eu des fonds déposés avant sa souscription, c’està-dire provision préalable.
Il n’en est donc pas du chèque comme de la lettre
de change, qui est souvent tirée en l’air, et sur une per
sonne qui n’a jamais eu aucune relation avec le sous
cripteur : il ne peut s’adresser qu’à un tiers ayant en
mains de quoi y faire face, par suite d’opérations réali
sées entre le tireur et lui.
Il n’est pas douteux que ce tiers, malgré qu’il n’ait en
�52
LOI DU 1h JUIN 1865
aucune façon concouru à la création du qhèque, ne soit
tenu de le payer et puisse y être contraint, ce qui ne
serait ni juste ni possible s’il n’avait pas en mains pro
vision suffisante.
34. — Or cette provision pourrait exister au mo
ment de la présentation du chèque ; mais cette éventua
lité, la loi ne s’en est pas contentée, de crainte qu’il
n’en fût bientôt du chèque comme de la lettre de change,
et qu’il ne se substituât à celle-ci pour s’exempter de l’im
pôt du timbre uniquement. En réalité donc, un chèque
souscrit dans ces circonstances serait non le retrait de
sommes dues et disponibles, mais un papier de circu
lation et de crédit avec lequel la loi n’a voulu ni entendu
le confondre.
Voilà pourquoi elle exige une provision préalable, et
le sens précis de ces termes était parfaitement déter
miné par les documents législatifs.
« Il faut, disait l’exposé des motifs, entendre par ces
mots, que la provision doit exister non seulement au
moment où le chèque est présenté, mais encore au
moment où il aura été souscrit. »
« Cette condition disait le rapporteur du Corps lé
gislatif, rigoureuse en apparence, est l’expression même
d’un fait. Le chèque, on ne saurait trop le répéter, est
un moyen de paiement ; l’absence de provision préala
ble en ferait un instrument de crédit et lui ôterait son
caractère ; elle constituerait non-seulement une fraude
vis-à-vis du Trésor mais encore une tromperie vis-ài
�DES CHÈQUES. — ART. 2
55
vis des tiers qui doivent voir dans le chèque l’équivalent
d’un capital existant. »
35. — De la combinaison des articles 1 et 2 résulte
donc cette conséquence, qu’au moment de la circulation
du chèque, la somme pour laquelle il est tiré doit se
trouver entre les mains du tiré, et être non-seulement
liquide et exigible, mais encore à la disposition absolue
du tireur. Nous venons de voir, en effet, que c’est en
ce sens que la loi a entendu et compris la condition de
disponibilité.
Celui-là donc qui tire un chèque sans avoir, au mo
ment où il le souscrit, des fonds disponibles chez le tiré,
crée en réalité une lettre de change ou un billet à or
dre ordinaire , et s’attribue ainsi frauduleusement
l’exemption du timbre concédée au chèque. Nous ver
rons sous l’article 6 la peine édictée contre cette fraude
dans l’intérêt du Trésor. Au point de vue purement
civil, l’irrégularité du chèque l’empêcherait de produire
effet tant en faveur des tiers que vis-à-vis du tiré luimême.
56. — Peut-on légalement user de chèques dans
l’hypothèse d’un compte-courant existant entre deux
commerçants à raison des opérations de leur commerce?
On nous a assuré qu’on le pratiquait ainsi assez géné
ralement; mais à notre avis cette pratique n’est rien
moins qu’une fausse application de la loi, que la réalisa-
�54
LOI DU 14 JUIN 1865
tion de la fraude contre laquelle on a cru devoir multi
plier les précautions.
L’ouverture d’un compte-courant dans les conditions
ordinaires et son existence ne présentent aucune des
conditions auxquelles la loi subordonne la régularité et
la légalité des chèques. Les versements réciproques qui
en constituent l’aliment ne sont pas faits à titre de dé
pôts : ce sont tantôt des avances, tantôt des paiements
dans le but d’équilibrer le compte et d’arriver à un rè
glement.
D’autre part, ce n’est qu’après ce règlement qu’on
arrivera à un résultat certain et appréciable. Jusque là
il n’y a ni créance ni dette, car la compensation natu
relle du crédit avec le débit pourra faire que celui qui
était créditeur le matin sera débiteur le soir. D’ailleurs
tant que le compte n’est ni clos ni arrêté, il n’y a rien
de disponible : les valeurs entrées en compte ne peu
vent en être distraites sous aucun prétexte, ni recevoir
une destination en dehors du compte lui-même.
Il n’y aurait donc provision, dans le sens de la loi,
que lorsque la balance et le règlement du compte of
frent un solde créditeur en faveur de l’une des parties,
et en tant que rompant toute relation ultérieure, ce
solde ne sera pas reporté à nouveau et ne deviendra
pas le premier article d’un autre compte.
Jusque là il peut y avoir lieu de la part des parties à
un tirage réciproque de valeurs. Mais en supposant que
l’une d’elles refuse de payer, il n’y aurait aucun moyen
�— ART. 2
55
de l’y contraindre, et d'autre action contre elle que
l’action en règlement de compte.
Or il n’en est pas ainsi pour le chèque. Le tiré ayant
en mains une provision disponible, est obligé de s’en
libérer vis-à-vis du porteur, qui pourrait l’y contraindre
comme propriétaire de cette provision. Son droit à cet
égard existe si bien que s’il a omis de l’exercer dans les
délais déterminés par la loi, il est déchu de tout re
cours contre les endosseurs, et contre le tireur luimême, si cette provision a péri du fait du tiré.
Donc, pourvoir aux développements du comptecourant ordinaire par des chèques, c’est agir en dehors
des conditions exigées par la loi, en fraude de ses dis
positions, et se rendre passible de la peine édictée par
l’article 6.
DES CHÈQUES.
37. Qu’en est-il de celui à qui l’ouverture d’un
crédit permet de tirer sur le créditant jusqu’à concur
rence d’une somme déterminée? Pourra-t-il le faire au
moyen de chèques ?
Une distinction nous paraît nécessaire. Si le crédit
est ouvert en faveur d’un non-commerçant, il n’y a
qu’un prêt mettant à la disposition de l’emprunteur la
somme convenue, soit immédiatement, soit à des épo
ques déterminées. Rien ne saurait dès lors faire obsta
cle à ce qu’il use de la voie du chèque : il y a en réalité
provision et provision disponible.
Le crédit ouvert par un commerçant à un com
merçant, et devenant entre eux l’origine d’un compte-
�56
loi du 14 juin 1865
courant, n'est autre chose qu’une convention par la
quelle le créditant s’engage à porter son découvert jus
qu’à une somme déterminée. Cette convention n’altère
en rien la nature et le caractère du compte-courant. Le
crédité prend et verse selon sa convenance ; ce qu’il
donne s’impute sur son débit, et ce n’est également
qu’après balance du compte qu’on pourra connaître sa
véritable position et apprécier s’il a ou non épuisé son
crédit.
Où donc trouver cette provisiop préalable et dispo
nible exigée par la loi. Il ne saurait donc être question
de chèques à moins de vouloir en emprunter la forme
uniquement pour s’affranchir de l’impôt du timbre.
38- — L’article 2 est la confirmation de la doctrine
qui attache au fait de la remise du chèque le transfert
de la propriété de la provision. Dans quel but exigeraitil la provision préalable, si ce n’est pour assurer l’effet
de ce transfert en faveur du preneur du chèque, et pour
donner à ce titre une valeur qui en recommande le dé
veloppement?
Ce système pour lequel nous nous sommes pronon
cés l, est-il modifié par l’événement de la faillite soit
du tireur soit du tiré dans l’intervalle entre la création
du chèque et sa présentation ?
La question ne saurait être douteuse : le paiement
du chèque devant être requis dans les cinq ou les huit
Suprà, n°s <13 et suivants.
�DES CHÈQUES. — AKT. 2
57
jours de sa création, cette création, si la faillite du ti
reur éclate après, mais ayant la présentation au tiré, se
placera nécessairement soit à une époque postérieure à
la cessation de paiements, soit dans les dix jours qui
l’anront précédée ; on tombera dès lors sous l’empire
des dispositions des articles 446 et 4-4-7 du Code de
commerce.
On ne comprendrait pas qu’il pût en être autrement.
Si la loi que nous examinons n’a pas fait de la capacité
du tireur une des conditions de la validité du chèque,
c’est qu’à pet égard elle s’en référait au droit commun,
et qu’il n’a été ni dans sa pensée ni dans ses intentions
de déroger à l’article 1108 du Code civil. Comme tous
les autres actes, le chèque ne peut être souscrit que
par une personne jouissant de toute sa capacité.
Or le failli est en dehors de cette catégorie. Malgré
qu’actuelleraent il ne soit désinvesti de ses droits et ac
tions que du jour du jugement déclaratif, on ne pouvait
lui reconnaître et lui maintenir la capacité de disposer
de ses biens lorsque les approches de la faillite faisaient
supposer et craindre qu’il ne cherchât soit à avantager
certains créanciers, soit à s'avantager lui-même. Or le
chèque, soit qu’on le considère comme cession, soit
qu’on l’accepte comme paiement en espèces ou en va
leurs de commerce, n’en consomme pas moins l’aliéna
tion d’que partie de l’actif; on ne saurait donc le sous
traire à l’application des articles 446 et 4-4-7 du Code de
commerce.
En conséquence, si consenti à titre gratuit le chèque
�58
lo i du 14 juin 1865
constitue une libéralité, il est frappé d’une nullité radi
cale et absolue, s’il a été souscrit après la cessation de
paiement ou dans les dix jours qui l’ont précédée. Nonseulement le bénéficiaire n’a aucun droit à la provision,
mais il serait même obligé de la rapporter à la masse
s’il l’avait déjà touchée.
Si le chèque a été donné en paiement d’une dette, la
même nullité produira les mêmes effets en faveur de la
masse, si la dette qu’on a entendu acquitter n’était pas
échue.
Si la dette était échue, le paiement au moyen d’un
chèque rentrerait dans la catégorie des paiements en
valeurs de commerce autorisés par l’article 446. Mais le
créancier qui l’aurait reçu se trouverait régi par l’arti
cle 447, et par conséquent tenu de rapporter à la masse
tout ce qu’il aurait encaissé, si au moment de la remise
du chèque il connaissait la cessation de paiements. De
quelque faveur dont le chèque doive être entouré, on
ne saurait l’excepter de la règle applicable au paiement
en espèces, et que recommande le principe d’égalité
entre tous les créanciers de la même faillite.
Enfin si le preneur du chèque en avait réellement
fourni la contre-valeur au moment de sa création, il ne
saurait être recherché sous aucun rapport. C’est en effet
non un paiement qu’il aurait reçu, non un prêt qu’il
aurait consenti, mais un achat de titre qu’il aurait con
tracté. Or tant que le jugement déclaratif n’est pas venu
opérer le désinvestissement du failli, celui-ci a incon
testablement la capacité d'emprunter, d’escompter, de
_____
�DES CHÈQUES. — ART. 2
59
vendre et aliéner ses facultés mobilières, et si la masse,
revenant sur ces ventes, voulait reprendre la chose, elle
ne le pourrait, en supposant qu’elle le pût, qu’en resti
tuant le prix payé par l’acheteur.
59. — L’article 2 subordonnant la régularité du chè
que à l’existence d’une provision préalable, il est évi
dent que c’est cette existence que contesteront ceux qui
auront intérêt à empêcher que le chèque ne produise
son effet. Comment et par quelles preuves arrivera-t-on
à constater cette existence.
M. Nouguier se livre à ce sujet à des distinctions que
nous ne saurions admettre. De deux choses l’une : ou la
somme pour laquelle le chèque est tiré a été versée
dans une caisse de dépôt, ou elle provient d’une opé
ration d’escompte, d’une remise de marchandises ou de
la vente d’un immeuble.
Dans le premier cas, il est hors de toute probabilité
que le banquier ne délivre pas un récépissé constatant
le versement, et la date de ce récépissé rapprochée de
celle du chèque démontrera d’une manière certaine si
au moment de la souscription de celui-ci il y avait réel
lement provision.
Je sais qu’il est facile d’antidater un récépissé, mais
je sais aussi que cette manœuvre rencontre une chance
d’insuccès dans les écritures de la banque, et qu’un ban
quier qui se respecte se gardera bien de déclarer avoir
reçu hier ce que ses livres constateront n’avoir été reçu
qu’aujourd’hui ; alors surtout qu'il n'a absolument au-
�cun intérêt personnel à déguiser la vérité. Que lui im
porte en effet de payer celui-ci plutôt que celui-là, puis
qu’il ne rendra jamais que ce qu’il a reçu.
D’ailleurs ce serait là une fraude préjudiciable au
banquier lui-même, car, en reculant la date du dépôt,
il devrait payer des intérêts qu’il ne doit pas. Or en
notre matière comme en toutes autres la fraude fait ex
ception aux principes, mais elle ne se présume pas, il
faut qu’elle soit prouvée, et c’est à celui qui l’allègue
qu’incombe la charge de cette preuve.
Dans le second cas, il est impossible de supposer que
l’escompte, la remise des marchandises ou la vente d’un
immeuble n’aient pas laissé des traces de nature à pré
ciser le moment qui les a vus s’accomplir. Ici encore
on pourrait vouloir exciper de la fraude, mais, nous le
répétons, le défaut d’intérêt du débiteur rend cette
fraude invraisemblable, et ce serait à celui qui l’allègue
à la prouver.
Cette preuve, soit qu’elle ait pour objet de justifier
que la provision n’existait pas, soit d'établir la fausseté
de la date du récépissé ou de tout autre document dont
excipe le tireur, peut avoir lieu par témoins ou par pré
somptions, et résulter des livres et écritures des par
ties. On ne saurait l’exiger par écrit, car celui qui l’of
frira ne peut être qu’un tiers complètement étranger à
l’opération, et a été dès lors dans l’impossibilité de se
procurer la preuve littérale, qui ne saurait d’ailleurs
être exigée en matière de fraude.
�%■
DES CHÈQUES. — AKT. 2
Cl
40. — La question de savoir s’il y avait et s’il y a
ou non provision pourra-t-elle naître et s’agiter entre
le porteur du chèque et le tiré? On peut supposer l’af
firmative, mais en reconnaissant qu’elle ne saurait offrir
dans aucun cas, des difficultés sérieuses.
Supposez en effet que le tiré refuse de payer en dé
clarant qu’il n’a ni fonds, ni avis, ni provision; que doit
faire le porteur ? Rien autre que de faire dresser un pro
têt, ensuite recourir contre les endosseurs et le tireur
ensemble ou séparément. Le tiré ne saurait être lié par
un titre sur lequel sa signature n’a jamais figuré, et s’il
peut être actionné par le porteur ce n’est qn’obliquement en vertu de 1’articie 1166 du Code civil.
Supposez maintenant que le tiré ait délivré un récé
pissé et que ce récépissé joint au chèque soit avec celuici aux mains du porteur, le tiré ne pourrait sous aucun
prétexte se refuser de payer. Vainement prétendraitil s’être libéré avec le tireur, vainement offrirait-il de
le prouver, le porteur du chèque lui répondrait avec
raison qu’en payant sans se faire restituer son reçu il
avait commis une imprudence dont personne autre que
lui ne pouvait être victime ; que la vue de ce reçu aux
mains du tireur devait lui donner et lui avait donné la
certitude de l’existence de la provision; que cette erreur
étant la conséquence de sa négligence et de son impru
dence, il était de toute justice de l’obliger à en subir
seul toute la responsabilité.
41. — Il ne saurait s’élever des difficultés sur le
�62
LOI DU
14
JUIN
1865
mode de preuve admissible pour établir que le chèque
constitue une libéralité, ou qu’il a servi à payer une
dette non échue, ou que le preneur l’a reçue connais
sant la cessation de paiements.
Ces questions en effet ne peuvent se présenter que
dans l’hypothèse d’une faillite, car dans la déconfiture
civile, à quelque époque et de quelque manière que les
paiements aient été effectués, il n’existe pas d’actions
en rapport des sommes reçues.
Cette action ne sera donc jamais exercée que parles
syndics agissant au nom de la masse, et dès lors l’ad
missibilité de la preuve orale ne pourrait être contestée
sous un triple rapport :
D’abord la masse a été réellement dans l’impossibi
lité de se procurer une preuve littérale ; ensuite elle
excipe d’un fait exécuté en fraude de ses droits ; enfin
elle agit en matière commerciale, où la preuve orale
est de droit commun.
42. — Si au lieu du tireur c’est le tiré qui est en
faillite au moment de la présentation du chèque, que
devient la provision? Peut-elle être réclamée par le por
teur du chèque et doit-elle lui être attribuée de préfé
rence à la masse de la faillite ? Périt—elle pour le compte
du porteur ou pour celui du tireur?
La faillite du tiré anéantit et fait disparaître la pro
vision, à moins qu’elle ne consistât qu’en une somme
spécialement affectée à servir d’aliment au chèque et
conservée intacte et distincte de l'avoir personnel du
�63
2
dépositaire : c’est en effet une revendication que le
porteur prétendrait exercer ; or on connaît les condi
tions imposées à celle-ci par les articles 574 et suivants
du Code de commerce, et on sait qu’elle est irreceva
ble dès que la chose qui en fait l'objet a été confondue
avec l’actif du failli.
Or cette confusion se sera réalisée toutes les fois que
le chèque a pour but d’opérer le retrait de sommes
versées en compte-courant dans une banque de dépôt.
La faculté de se pourvoir par chèques, l’obligation de
les payer n’empêchent pas que la Banque ne soit deve
nue propriétaire de ces fonds et n'ait acquis le droit de
les faire valoir à son profit. Ce n’est même, nous venons
de le dire, que dans l’exercice de ce droit, qu’elle puise
la juste indemnité de ses peines et soins, et les moyens
de faire face aux retraits qui lui sont demandés.
Donc si elle tombe en faillite, il n’y a plus que des
créanciers ordinaires qui, ayant des droits égaux, doi
vent avoir une part égale dans l’actif de leur débiteur.
Admissible pour l’un, la revendication devrait l’être
pour tous, et l’insuffisance des ressources rendant im
possibles les effets de cette revendication générale, il
faudrait avantager les uns au préjudice des autres, et
sur quels motifs pourrait-on étayer ce résultat ?
Il n’y a donc pour tous que le droit d’arrêter et de
régler leur compte ; d’être admis au passif pour le solde
dont ils seront reconnus créditeurs, et de participer à
la distribution de l’actif dans cette proportion.
DES CHÈQUES. — ART.
�64
LOI DU 14 JUIN 1865
43. — La provision a donc péri aux mains du tiré,
mais cette perte ne concerne et ne peut concerner que
le tireur. Il est vrai qu’en remettant le chèque au pre
neur, il lui a transféré la propriété de la provision, et
l’on pourrait vouloir exciper de la règle : Res périt
domino.
Mais pour que le transfert de la propriété d’une chose
sorte à effet, il faut, de toute nécessité, que cette chose
existe au moment où elle doit être livrée au bénéficiaire
de ce transfert : cela est vrai pour la provision du chè
que comme pour toute antre chose.
Aussi la loi ne l’admet-elle que si elle existe au jour
de la création du chèque, au jour de sa présentation,
et ce n’est qu’à ce dernier moment que le porteur du
chèque pourra en prendre possession. Si elle n’existe
plus, il en résultera que le contrat de cession ou de
vente sera de plein droit résilié par l’impossibilité de
livrer la chose cédée ou vendue.
C’est ce que le législateur a compris et ce qu’il ne
pouvait pas ne pas comprendre ; aussi ne met-il la perte
à la charge du porteur du chèque que si ne l’ayant pas
présenté dans le délai qu’elle détermine, la provision
périt après l’expiration du délai, du fait du tiré.
Donc si, se conformant aux exigences de la loi, le
porteur a requis paiement en temps utile, et n’a pu être
payé parce que la provision n’existait plus, la loi lui ga
rantit son recours non-seulement contre le tireur mais
encore contre les endosseurs, à condition que le refus
de paiement ait été régulièrement constaté,
�DES CHÈQUES. —
ART. 2
65
C’est en définitive le tireur qui supportera dans ce
cas la perte de la provision imputable au tiré, et c’est
justice. Lui seul en effet a choisi et élu celui-ci, et s’il
s’est adressé à un homme infidèle ou insolvable nul
autre que lui ne saurait souffrir dè sa faute, de sa légè
reté, de son imprudence.
44. — La condition du paiement à présentation
qu’édicte l’article n’avait, ce semble, nul besoin d’y être
inscrite; elle était la conséquence forcée, inévitable de
cette disposition de l’article 1er : le chèque ne peut être
tiré qu’à vue. Comprend-on un effet tiré à vue et qui
ne serait pas payé à présentation ; pouvait-on admettre
une échéance graduée pour le paiement, alors qu’on
venait de la prohiber pour la simple indication de ce
paiement?
Donc les raisons qui s’opposaient à l’admission d’une
échéance graduée, et que nous avons déjà exposées !,
militaient en faveur du paiement à présentation et en
rendaient l’exigence indispensable.
Cette conséquence l’exposé des motifs ne se conten
tait pas de l’exposer, il la justifiait : « Il n’échappera à
personne, disait-il, que.cette obligation du paiement à
présentation ne peut avoir rien d’excessif quand il s’agit
d’un chèque ; qu’elle est au contraire tout-à-fait en
harmonie avec la nature de ce papier. Le chèque sup
pose la provision préalable ; les caisses de dépôt, préa1 Suprà n°* 26 et suivants
o
�lablement nanties de fonds, ne doivent les employer
qu’en placements sûrs et à courte échéance. Il nous a
été déclaré à l’enquête qu’il en était toujours ainsi ; par
conséquent le roulement des opérations doit toujours
laisser à la disposition des caisses les ressources suffi
santes pour faire face à leurs engagements sur la pré
sentation du titre. »
Le rapporteur de la commission du Corps législatif
disait à son tour : « Ce n’est pas seulement l’intérêt
fiscal qui a dicté cette condition : c’est encore et sur
tout l’intérêt commercial. Sans doute le chèque payable
à une échéance plus ou moins éloignée ou à un certain
nombre de jours de vue, s’il était tiré d’un lieu sur un
autre, ne différerait presque plus de la lettre de change,
et le produit de l’impôt du timbre souffrirait de cette
substitution une diminution notable. Mais le commerce
serait atteint plus vivement que le Trésor, si le chèque
n’était pas déclaré payable à présentation. Quand un
commerçant donne un chèque, il fait un règlement au
comptant, et c’est pour cette raison que son chèque est
accepté. Mais si le chèque était à date, le règlement au
comptant se transformerait en un règlement à terme ;
peut-être le chèque serait-il encore accepté, mais alors
le tireur serait obligé de tenir compte du retard de
paiement au bénéficiaire, ce qui se traduirait en une
bonification d’intérêts. Comprend-on d’ailleurs le trou
ble que jetterait dans toutes les relations commerciales
ce défaut de disponibilité de tous les capitaux flottants
qui constituent le fond de roulement de l’industrie et
�2
67
du commerce? La somme d’avantages qu’on retire des
dépôts en comptes-courants seraient surpassée par la
masse des inconvénients si les chèques n’étaient pas
toujours payables à présentation : mieux vaudrait alors
avoir sa caisse chez soi et ses fonds constamment sous
sa main, ce qui serait la mort des banques de dépôts. »
DES CHÈQUES. — ART.
45. — En résumé il n’y a de chèque régulier et ca
pable de produire les effets attachés à ce titre, que
l’écrit sous forme de mandat de paiement, signé et daté
par le tireur.
Le chèque peut être souscrit au porteur, au profit
d’une personne dénommée, ou à ordre ; il est négocia
ble par voie d’endossement et régulièrement transmis
par un endossement en blanc.
Il ne peut être tiré qu’à vue et sur un tiers ayant
provision préalable; il doit être payé à présentation.
Il y a provision toutes les fois que le tireur a en mains
du tiré une somme disponible, quelle qu’en soit
l’origine.
Les articles suivants de la loi vont déterminer le ca
ractère légal du chèque, concéder la faculté de le tirer
d’une place sur une autre, et régler les droits et les
devoirs du porteur ; enfin édicter la sanction pénale
sous la garantie de laquelle est placée l’exécution loyale
des conditions exigées par les précédents articles.
�68
LOI Dü 14 JU IN 1865
Art. 3.
Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place.
Art . 4.
L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré d’un
lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un
acte de commerce.
I
Toutefois, les dispositions du Code de commerce re
latives à la garantie solidaire du tireur et des endos
seurs, au protêt et à l’exercice de l’action en garantie,
en matière de lettres de change, sont applicables aux
chèques.
SOMMAIRE.
46. Caractère de l’article 3.
47. Nécessité de permettre le tirage d’un lieu sur un autre.
48. Le chèque ne pouvait devenir un instrument de compen
sation que de cette manière.
49. Son importance à ce point de vue ; opinion de M. Pouyer-Quertier.
50. Approbation que lui donnait la commission du Corps
législatif.
51. L’article 3 ne confère qu’une faculté , contrairement à ce
qui est prescrit pour la lettre de change. Raison de
la différence,
�69
DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
52. Caractère civil du chèque. Motifs.
53. Juridiction appelée à en connaître.
54. Compétence du tribunal de commerce si le chèque porte
des signatures de commerçants et de non commer
çants.
55. Qnid, si le non commerçant était poursuivi seul?
56. Caractère de l’article 4. Sa nécessité.
57. Réponse au reproche de contradiction qu’on lui a adressé.
58. Le second paragraphe de l’art. 4 est limitatif et restrictif.
59. Opinion de MM. Nouguier et Espinas sur la possibilité de
garantir le chèque par des avals.
60. Examen et réfutation.
61. Caractère de la disposition appliquant au chèque l’article
162 C. de com.
62. Modification proposée par la commission du Corps lé
gislatif.
63. Motifs qui la firent repousser.
64. Appréciation.
65. Quel jour pourra et devra être réalisé le protêt ?
66. Le porteur peut-il le requérir avant l'expiration du délai
accordé pour demander paiement?
67. Le chèque comporte-t-il la clause retour sans frais ? Opi
nion de MM. Nouguier et Espinas pour l’affirmative.
68. Examen et réfutation.
69. Quid, de l’indication de tiers chargés de payer au besoin ?
et
46. — Les dispositions de la loi de 1865 ont le mé
rite incontestable de s’enchaîner logiquement les unes
avec les autres, à tel point que celle qui suit semble se
déduire naturellement de celle qui précède. Ainsi nous
venons de voir que la transmissibilité du chèque par la
voie de l’endossement était la conséquence de la faculté
�LOI DU 14 JUIN 1865
70
de le tirer à ordre ; que l’obligation de le payer à pré
sentation était la conséquence de l’exigence d’une pro
vision préalable, et de l’obligation de ne tirer qu’à vue.
Voici maintenant la concession de la faculté de tirer
d’un lieu sur un autre que dictait en quelque sorte la
reconnaissance de la transmissibilité du chèque par voie
d’endossement.
47. — Sans doute l’une n’est pas la conséquence de
l’autre, car on peut négocier un titre sur la place môme
où il doit être payé ; mais ce qui se pratique pour les
papiers à 30, 60 ou 90 jours, n’est ni dans les usages
ni dans les habitudes du commerce à l’égard des valeurs
échues ou à la veille de l’être. Celles-ci le détenteur les
revêt d’un acquit, les présente lui-même ou les fait pré
senter à l’encaissement et économise ainsi les frais d’es
compte et de commission pour une opération qui ue
lui donnerait en définitive que ce qu’il a ou peut avoir.
Or le chèque ne peut être tiré qu’à vue, et doit être
payé à présentation. Cette présentation peut bien être
différée de cinq jours, mais elle peut avoir lieu avant
leur expiration, et n’est-ce pas ce que le porteur fera
de préférence à une négociation qui ne pourrait le plus
souvent se réaliser qu’à titre onéreux ?
D’ailleurs dès que le chèque était autorisé non pas
seulement pour les sommes déposées en comptecourant, mais encore pour toutes celles que le tireur au
rait à sa disposition, même à la suite d’une remise de
marchandises, ou de la vente d’un immeuble, il était
�71
facile de prévoir que le créancier et le débiteur pour
raient ne pas résider sur la même place, et l’on était
ainsi amené à interdire le chèque dans ce cas, ou à lui
permettre d’être tiré d’un lieu sur un autre.
DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
48. — C’est ce dernier parti que .la loi a cru devoir
prendre et avec beaucoup de raison. Borné à la place
même ou il est tiré, le chèque devenait un instrument
de liquidation et de paiement exclusivement : il ne
pouvait devenir un instrument de compensation; car
comment concevoir celle-ci entre le tireur et le tiré,
qui avait et devait avoir en mains une provision à l’en
tière disposition du premier?
49. — Or c’est surtout comme moyen de compen
sation qne le chèque a rendu en Angleterre de si grands
services et permis un mouvement d’affaires de 125
milliards avec un capital monétaire fort réduit.
Aussi M. Pouyer-Quertier, après avoir fait ressortir
l’utilité du chèque et la faveur due aux banques de dé
pôts, ajoutait-il : « Je le déclare, si vous n’arrivez pas
au bureau de compensation, alors vos banques de dé
pôts sont exposées à avoir des sommes considérables à
verser instantanément en échange des chèques qui se
ront tirés sur elles, mais si vous arrivez à ce qu’on ap
pelle la compensation, à ce que les Anglais appellent le
clearing-house, à ce bureau où se présentent toutes
les valeurs tirées sur les banquiers caissiers, et en mê
me temps toutes les valeurs que les banquiers possè
�dent sur Jeurs confrères, de manière que toutes ces
valeurs peuvent être échangées chaque jour en quel
ques heures, il résulte de cette organisation, vous le
savez aussi bien que moi, que, pour des sommes de 50
à 60 millions par jour en débit et en crédit, on ne sort
pas un écu des clearing - houses ni des caisses des
banquiers.
» Cette compensation est heureuse pour tout le
monde ; elle évite des transports de numéraire dans des
proportions considérables, des pertes, des frais, des er
reurs de toutes sortes.
» Aussi bien à Londres qu’à New-York, les clearing-houses opèrent chaque année un mouvement de
plus de 125 milliards de francs L »
Voilà le rôle véritablement important, considérable
que le chèque est appelé à remplir. Or comment sub
viendrait-il à cette haute mission s’il ne pouvait être
tiré d’un lieu sur un autre? En présence d’un aussi im
mense avantage, quel poids pouvait avoir la crainte
d’une fraude faisant perdre quelques cents ou qulques
mille francs au Trésor?
50. — Le législateur n’a pas hésité. La faculté de ti
rer le chèque d’un lieu sur un autre, réclamée dans l’en
quête par les organes les plus autorisés du commerce
et de l’industrie, était reconnue et consacrée par le pro1 Séance du 23 mai 186S.
�DES
CHÈQUES. — ART. 3, 4
,73
jet de loi, et adoptée par le Corps législatif sur ces ob
servations du rapporteur :
« On ne peut qu’applaudir à une disposition qui per
mettra aux virements et aux compensations de s’accom
plir de place en place, et diminuera ainsi les nécessités
des transports de numéraire. On peut se faire une idée
de la monnaie métallique qui voyage par le tribut payé
aux compagnies des chemins de fer pour transport d’es
pèces : ce tribut s’élève à deux millions, ce qui repré
sente un capital de trois milliards. »
On comprend qu’une mesure destinée à affranchir
le commerce de ce tribut fut ardemment désirée et ré
clamée par lui. D’ailleurs par lui-même le tirage de
place en place n’a rien d’antipathique avec le chèque,
et ce qui le prouve c’est qu’en Angleterre on a cru de
voir l’autoriser par une loi spéciale et rompre ainsi le
silence qu’on avait d’abord gardé à ce sujet.
31. — Ce qu’il importe d’ailleurs de remarquer, c’est
que notre article, au point de vue du tirage d’un lieu
sur un autre, concède une faculté et n’impose aucun
devoir. Le chèque peut et non doit être tiré d’un lieu
sur un autre comme cela est prescrit pour la lettre de
change.
Cette différence se comprend : la lettre de change ne
tire sa perfection que par la réalisation du contrat de
change, et celui-ci n'existe et ne peut exister que si
une somme reçue dans un lieu doit être payée dans un
autre ; à défaul, le titre a perdu son caractère, et n’est
�14 juin 1865
plus qu’une simple promesse. On ne comprendrait pas
que sans change il existât une lettre de change.
74
loi du
52. — Or le contrat de change est essentiellement
commercial. le chèque qui le réalisera sera-t-il un titre
commercial ? La solution de cette question était non
moins importante que celle de savoir si l’endossement
en blanc transférait la propriété. Le législateur qui avait
cru devoir s’expliquer sur celle-ci, devait donc se pro
noncer nettement sur celle-là, et c’est la négative qu’il
a consacrée. Il est évident qu’à défaut d’une disposition
à ce sujet on n’eût pas manqué de soutenir le contraire.
Le chèque tiré d’un lieu sur un autre, aurait-on dit,
réalisant le contrat de change, constituait un acte com
mercial puisqu’il offrait la condition qui fait seule la
commercialité de la lettre de change.
Il était d’autant plus urgent de s’expliquer qu’on vou
lait se prononcer pour la non commercialité, et ce qui
déterminait cette intention, c’est que le chèque était
destiné très-souvent et peut-être le plus souvent à li
quider des obligations contractées par des particuliers
non négociants, et qui ne présentent aucun caractère
commercial dans leur cause *. On s’explique ainsi les
termes de l’article 4 : Le chèque ne constitue pas par
sa nature un acte de commerce, même lorsqu'il est tiré
d'un lieu sur un autre.
1 Exposé des motifs.
�— ART. 3, 4
7b
53. — Ce point de vue détermine et précise à quelle
juridiction devront être portées les contestations aux
quelles les chèques pourront donner lieu : ce sera le
tribunal civil ou le tribunal de commerce suivant la
nature de l’opération, ou la qualité du souscripteur ou
des signataires successifs.
En effet la loi nouvelle ne déroge en rien au droit
commun, et ne modifie ni l’article 632 du Code de com
merce, ni l’article 638. Dès lors si le chèque a pour
cause un des faits qualifiés acte de commerce par le
premier, la compétence du tribunal consulaire ne saurait
être mise en question. Or sont déclarées actes de com
merce toutes obligations entre négociants, marchands
et banquiers. De plus, aux termes de l’article 638, les
billets souscrits par un commerçant sont censés faits
pour sa gestion lorsqu’une autre cause n’y est point
énoncée.
L’abolition de la contrainte par corps a de beaucoup
atténué l’inconvénient de la juridiction consulaire, re
doutable précisément parce que cette voie rigoureuse
était attachée à ses décisions. Aujourd’hui les jugements
des tribunaux de commerce n’ont d’autres^ effets que
ceux qu’entraînent les jugements des tribunaux ordinai
res, et comme ils interviennent plus promptement et à
moins de frais, on pourrait considérer comme sans in
térêt réel l’exception d’incompétence.
Mais les formes de la justice civile, quelque minu
tieuses qu’elles soient, n’en sont pas moins une garan
tie pour les justiciables. D’autre part, esclaves de la loi,
DES CHÈQUES.
�les tribunaux ordinaires doivent strictement se confort
mer à ses prescriptions, tandis que les tribunaux de
commerce peuvent se prononcer ex œquo et bono ; en
fin, pour certains débiteurs, les longueurs, quelque con
sidérables qu’elles soient, sont toujours trop courtes.
Toutes ces raisons font qu’à l’avenir, comme par le
passé, on ne manquera pas d’élever le déclinatoire tou
tes les fois qu’on pourra le faire avec quelque apparence
de raison.
Ce déclinatoire devrait être infailliblement accueilli,
si le souscripteur du chèque, poursuivi après protêt,
n’était pas commerçant, ou si, l’étant, il a tiré le chèque
pour une cause étrangère à son commerce ; c’est en
effet ce qui s’induit de l’article 638 du Code de com
merce, sauf la constatation de la cause étrangère qui
offrira ou pourra offrir plus ou moins de difficultés.
54. — Si le chèque souscrit par un non-commerçant
ou pour une cause étrangère au commerce, est tiré sur
un commerçant, et que celui-ci soit poursuivi en paie
ment concurremment avec le tireur, ou si ayant fait
l’objet de négociations successives, il porte la signature
de commerçants et de non-commerçants, le tribunal de
commerce pourra-t-il retenir la cause et prononcer en
tre toutes les parties citées à son audience?
Deux raisons décisives recommandent la solution af
firmative. D’abord notre article 4 appliquant au chè
que les dispositions du Code de commerce relatives à la
garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt
�3, 4
77
et à l’exercice de l’action en garantie en matière de
lettres de change.
Donc si tous les signataires du chèque sont de plein
droit solidairement tenus du paiement, si le porteur
peut les actionner tous, on ne saurait lui contester la
faculté de les traduire tous devant le tribunal du domi
cile de l’un d’eux : il ne ferait là qu’exercer le droit
que lui confère expressément l’article 59 du Code de
procédure civile.
Il est vrai que cet exercice pourrait rencontrer un
obstacle si le tribunal investi étant un tribunal d’excep
tion n’avait qu’une juridiction restreinte. Dans ce cas,
en effet, compétent pour statuer à l’égard des uns, il
pourrait ne pas l’être et ne le serait pas à l’égard de ceux
qui par la nature de l’acte et par leur qualité échappe
raient à sa juridiction.
Mais cet obstacle a été prévu et réglé par l’article
637 du Code de commerce, aux termes duquel lorsque
les lettre de change réputées simples promesses, ou les
billets à ordre porteront en même temps des signatures
d’individus négociants et d’individus non négociants, le
tribunal de commerce prononcera entre tous. Cet arti
cle est évidemment relatif à l’exercice de l’action en ga
rantie ; son applicabilité au chèque est donc formelle
ment et expressément consacrée par l’article k de notre
loi.
Vainement exciperait-on du caractère purement civil
donné au chèque. Nous remarquons en effet que l’arti
cle 637 du Code de commerce ne dispose que pour les
DES CHÈQUES. — ART.
�78
LOI DU
14 JUIN 1865
lettres de change réputées simples promesses, et pour
les billets à ordre qui n’auront pas pour cause une opé
ration de commerce, trafic, banque, change ou courtage,
c’est-à-dire pour des titres qui ont perdu ou qui n’ont
jamais eu le caractère commercial. Or le chèque sera
toujours sur la même ligne que les unes ou les autres, et
se placera dès lors sous l’empire de l’article 637 du Co
de de commerce : c’est d’ailleurs ce que M. Rouher
reconnaissait formellement dans la séance du 23 mai
1865.
SS. — On sait qu’on a prétendu conclure de l’article
637 du Code de commerce, qu’il suffisait qu’en fait il
existât des signatures de commerçants pour que le tri
bunal de commerce fût compétent, et pût prononcer
contre le non-commerçant, alors même qu’il serait
poursuivi seul et isolément des autres signataires.
Dans notre commentaire du livre IV du Code de
commerce sur la juridiction commerciale, nous avons
repoussé cette doctrine, qui ne nous a pas paru pou
voir se justifier ni en raison ni en logique h
Nous persistons de plus fort dans celte manière de
voir en ce qui concerne le chèque. On ne dira pas, en
effet, qu’il a par lui-même quelque chose de commer
cial, en présence de la disposition si formelle de notre
article, il ne peut donc revêtir ce caractère que par la
qualité du signataire, ou par la nature de sa cause.
l N °' 373 e t su iv a n ts.
�DES CHÈQUES. — ART.
5, 4
79
Absolument compétent lorsque celle-ci est commer
ciale, le tribunal de commerce ne l’est et ne peut l’être
ratione personœ que si cette personne est réellement
commerçante.
Que l’existence simultanée de signatures de négo
ciants et de non négociants lui ait fait attribuer juridic
tion même sur ces derniers, on le comprend ; la loi a
voulu et devait vouloir éviter ces nombreuses instances
que les diverses signatures auraient pu occasionner, ce
qui entraînait des frais considérables et pouvait aboutir
à une contrariété de jugement. Mais si elle autorisait
le tribunal de commerce à statuer entre tous, elle ne le
considérait que comme tribunal civil vis-à-vis des nonnégociants contre lesquels-on ne pouvait prononcer la
contrainte par corps.
Ce qui est naturel et légitime lorsque tous les signa
taires, ou du moins plusieurs d’entre eux sont cumulati
vement poursuivis, a perdu toute raison d’être dans
l’hypothèse où le porteur n’ayant plus qu’un seul débi
teur, ne peut actionner que lui : il faut dans ce cas en
revenir au principe que nul ne peut être distrait de son
juge naturel, et il ne saurait être que le non-commer
çant fut traduit devant le tribunal de commerce à rai
son d’une obligation qui n’aurait elle-même rien de
commercial. Une fois les signataires commerçants dés
intéressés et écartés, leurs signatures ont disparu,
n’existent plus, sont censées n’avoir jamais existé, et les
motifs qui ont déterminé l’article 637 du Code de com-
�merce ne pouvant être invoqués, son application serait
véritablement un effet sans cause.
56. — En déclarant que le chèque ne constituait pas
par sa nature un acte de commerce, la loi le plaçait en
dehors des dispositions spéciales qui régissent les lettres
de change et les billets à ordre : dès lors , étant donnée
l’intention de leur en rendre l’application commune, il
devenait indispensable non-seulement de consacrer le
principe mais encore de déterminer et de préciser celles
de ces dispositions auxquelles on s’en référait. C’est
ainsi que l’article 1er appliquait aux chèques la faculté
de les transmettre par la voie de l’endossement.
Obéissant à la même nécessité, l’article 4 vient à son
tour déclarer applicables les dispositions du Code de
commerce relatives à la garantie solidaire du tireur et
des endosseurs, au protêt et à l’exercice de l’action en
garantie en matière de lettre de change.
57. — On a objecté qu’il y avait une contradiction
flagrante entre déclarer le chèque un titre civil de sa
nature et le soumettre aux dispositions du Code.de com
merce relatives à la lettre de change, c’est-à-dire à
l’acte commercial par excellence ; mais ce reproche
n’avait aucun fondement.
Quelque civil qu’il fût par sa nature, le chèque n’en
était pas moins un titre spécial mi generis, et la loi qui
le créait et l’organisait était naturellement appelée à
indiquer non-seulement ses conditions constitutives,
�DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4-
81
le mode de sa présentation et de son paiement, mais
encore les diverses obligations qui viennent accessoire
ment se joindre à celle du tireur, et la procédure à sui
vre en cas de non paiement.
A ce dernier point de vue, le législateur avait un
précédent significatif dans la pratique suivie pour le
billet à ordre ; celui-ci non plus n’est pas par sa nature
commercial, il ne le devient que par le caractère de sa
cause ou par la qualité des signataires, on n’a pas hésité
cependant, quant à la solidarité, au protêt, à la pour
suite de l’action en garantie, à l’assimiler à la lettre de
change. Pourquoi donc aurait-on fait autrement pour
les chèques? N’était-il pas évident que plus encore que
le billet à ordre il prendrait une large part dans les opé
rations commerciales : c’est même dans cette espérance
puisée dans ce qui se pratiquait en Angleterre, que la
loi venait en reconnaître et en sanctionner l’usage.
C’est ce que M. Rouher faisait remarquer dans la
séance du 23 mai 1865 ; c’est surtout contre l’attribu
tion de juridiction au tribunal de commerce qu’on
s’élevait, parce qu’on y voyait l'obligation pour les noncommerçants de comparaître et de plaider devant ce
tribunal.
« Mais, répondait M. Rouher, l’article 4 vous dit que
toutes les fois que le chèque sera protesté, toutes les
fois qu’il y aura dénonciation du protêt, les formalités
seront remplies suivant les prescriptions du Code de
commerce.
6
�82
loi du
14 JUIN 1865
>' C’est ainsi que les choses se passent pour un billet
à ordre souscrit par un simple citoyen. Lorsque, à l’oc
casion d’un billet à ordre, on exerce un recours contre
le souscripteur ou contre les endosseurs, toutes les for
malités prescrites par le Code de commerce sont sui
vies, dans le cas même où ce billet est souscrit et ga
ranti par des individus non commerçants.
» Mais dans cette circonstance, si le souscripteur
n’est pas un commerçant, il peut décliner la juridiction
consulaire, et demander son renvoi devant le tribunal
civil.
» C’est une distinction pareille que la loi établit pour
les chèques. Les procédures auxquelles un chèque peut
donner lieu seront réglées par le code de commerce,
sans que les tribunaux de commerce soient toujours et
nécessairement saisis des contestations. >»
Dans ces limites on ne saurait trouver un antagonis
me quelconque entre le premier et le second paragraphe
de l’article 4. L’appel que celui-ci fait au Code de com
merce ne menace aucun intérêt, ne lèse aucun droit,
car sauf le cas prévu par l’article 637 du Code de com
merce, la juridiction consulaire est absolument incom
pétente, si le chèque n’est commercial ni par sa cause
ni par la qualité des souscripteurs.
58. — Du caractère exceptionnel de notre article 4,
on doit conclure que son second paragraphe est limita
tif et restrictif ; qu’on ne saurait par conséquent recou-
�83
rir aux dispositions du Code de commerce qui ne figu
rent pas nommément dans la nomenclature de celles
que ce paragraphe déclare applicables. Aussi ne rencon
trant dans cette nomenclature rien qui se réfère aux ar
ticles 141 et 142 du Code de commerce, estimonsnous que le chèque ne comporte aucun aval ni sur le
chèque lui-même, ni par acte séparé.
%
59. — MM. Nouguier et Espinas sont d’avis contrai
re : « En règle générale, disent-ils, toutes les conven
tions qui ne sont pas prohibées par la loi, qui ne
heurtent pas le caractère substantiel de l’acte, doivent
être considérées comme permises. Or l’aval, qui n’est
autre chose qu’un cautionnement, n’est en contradic
tion ni avec une loi formelle, ni avec les règles spécia
les du chèque. Au contraire il semblerait rentrer, sinon
dans les prévisions du législateur, au moins dans ses
tendances. On veut favoriser le commerce en facilitant
l’émission et la négociation des chèques ; pour cela il ne
faut pas que le chèque subisse à l’échéance l'affront
d’un refus de paiement. Aussi pour assurer ce paie
ment on prescrit le versement au tiré d’une provision
préalable. N’est-ce pas entrer dans cette voie et accroî
tre la confiance que mériteront les chèques, que d’ac
croître leurs garanties en permettant à un tiers de les
cautionner. D’ailleurs puisque notre article veut que les
solidarités qui garantissent le paiement des lettres de
change appartiennent au chèque, pourquoi refuseraitDES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
�14 JUIN 1865
on à ce dernier acte cette solidarité accessoire que l’on
appelle avalr parce qu’il signifie faire valoir 1? »
84
LOI DU
00- -1- Nos honorables auteurs se trompent. La loi
actuelle attribue au chèque, non pas toutes les solidari
tés qui garantissent le paiement de la lettre de change,
mais* exclusivement et uniquement la solidarité qui existe
entre le tireur et les endosseurs. Or la conséquence,
MM. Nouguier et Espinas l’indiquent eux-mêmes, lors
qu’ils enseignent que même à cet égard, les dispositions
du Code de commerce seraient inapplicables si la loi ne
s’était expressément expliquée. Dès lors, puisqu’elle
garde le silence sur les donneurs d’aval, c’est qu’elle
exclut celui-ci, et que cette garantie accessoire n’est pas
plus dans ses tendances que dans ses prévisions.
Pouvait-il en être autrement , un cautionnement
s’adapte très-bien à un papier de circulation ou de cré
dit ; mais le chèque n’est ni l’un ni l’autre : on a voulu
en faire, on en a fait un instrument de liquidation et
de paiement. Rappelons-nous les paroles de M. PouyerQuertier : Le chèque est appelé à n'avoir qu'une exis
tence éphémère, parce que c’est un moyen de compen
sation, parce que c'est de l'argent comptant, parce
que c'est du numéraire immédiatement disponible. Or
cautionne-t-on l’argent comptant, le numéraire, le paie
ment ?
De quelle utilité pourrait d’ailleurs être ce caution1 N° 99.
�DES CHÈQUES. —
ART.
5, 4
85
nement? Le chèque n’existe légalement que s’il y a
aux mains du tiré provision préalable et disponible. Le
souscrire en l’absence de cette condition c’est com
mettre une contravention passible d’une amende. Or, si
la provision existe, le preneur n’est-il pas suffisam
ment garanti, et de quelle nécessité serait l’aval?
On objecte que cette provision peut ne pas exister.
Mais la loi ne pouvait pas admettre qu’on éluderait ses
ordres, ni surtout permettre que par des obligations
accessoires, que par une garantie qui rendrait cette
désobéissance sans danger, on l’encourageât et on la
favorisât.
L’effet le plus immédiat de l’aval pour le chèque se
rait de faire de celui-ci un véritable papier de circu
lation et de crédit. Bientôt on s’inquiéterait non de sa
voir si la provision existe, mais du nombre des signa
tures et de la solvabilité des signataires. L’effet qualifié
chèque couvrirait une véritable lettre de change qu’on
déguiserait ainsi pour se soustraire à l’impôt, et le pré
judice pour le Trésor qu’on s’est tant appliqué à préve
nir prendrait des proportions considérables. A ce point
de vue il est incontestable que l’aval dénaturant le chè
que, en méconnaît le caractère essentiel, et que dès
lors, au jugement même de MM. Nouguier et Espinas,
on ne saurait le considérer comme permis.
61. — Notre article 4 applique au chèque les dispo
sitions du Code de commerce relatives au protêt. Il
faut donc que le refus de paiement du chèque soit cons-
�talé par un acte du ministère du notaire ou de l'huissier,
Dans quel délai cet acte devra-t il être requis et rédigé ?
On sait que l’article 162 du Code de commerce ne
l’exige qu’au lendemain de l’échéance, fallait-il le con
sacrer ainsi pour le chèque? convenait-il, au contraire
de permettre le protêt immédiatement après le refus
de paiement?
La commission chargée de préparer le projet de loi,
et à son exemple le Gouvernement s’étaient prononcés
dans le premier sens ; ils avaient pensé que, dans des
matières de cette nature il fallait innover le moins pos
sible, créer le moins possible des procédures spéciales ;
et que partout où la spécialité de la matière n’exigeait
pas une spécialité de législation, il valait mieux rester
dans le droit commun et dans les habitudes commer
ciales.
62. — Cette opinion méconnaissait évidemment la
vérité des choses. En faisant du chèque ni une obliga
tion ordinaire, ni une lettre de change, ni un billet à
ordre, on en faisait un titre spécial dont le droit com
mun en matière de commerce pouvait méconnaître les
exigences et contrarier les allures. Aussi la commission
du Corps législatif avait-elle pensé que la procédure
prescrite par l’article 162 du Code de commerce ren
fermait quelques lenteurs s’accordant mal avec la rapi
dité de transmission et du paiement des chèques.
En conséquence, elle proposait d’ajouter à l’article
4- un paragraphe portant ; Cependant le protêt pourra
�DES CHÈQUES. —
ART. 3, 4
87
suivre immédiatement le refus de paiement, et cette
proposition avait été accueillie par le conseil d’Etat.
65. — Mais elle trouva d’ardents adversaires dans le
sein du Corps législatif : « Pourquoi, disait M. Quesné,
cette dérogation au droit commun qui accorde au tiré
jusqu’au lendemain pour s’acquitter? Comment constatera-t-on le refus de paiement? Aujourd’hui il se
constate tout simplement par lui-même, c’est-à-dire
par le défaut de paiement depuis le moment où il est
réclamé jusqu’au lendemain. Comment, dans le cas du
projet de loi, constatera-t-on le refus de paiement?....
La fermeture de la caisse à une heure moins avancée de
la journée que dans d’autres établissements, l’absence
du tiré, le manque d’instructions données par lui à ses
représentants, la demande d’un délai d’une heure pour
examiner son compte avec le tireur, sont-ce là des
circonstances qui pourront être regardées comme cons
tituant des refus de paiement?
» Quand il s’agit d’une lettre de change, ajoutait
M. Quesné, d’un effet de commerce, le tiré, le débi
teur est averti; il sait que tel jour tel paiement lui sera
réclamé. Ici, point : il n’y a point de jour fixe, indiqué ;
le solde est à la disposition du créditeur dès qu’il a été
reconnu disponible. Pendant des jours, des semaines,
des mois, une année, le tiré, le débiteur est sous le
poids du chèque. Un chèque, même d’un chiffre consi
dérable , peut arriver à l’improviste ; pour éviter le
grave danger du protêt, il faudra donc que le débiteur
�'
88
LOI
du
14
JUIN
1865
garde constamment de fortes sommes dans sa caisse.
Mais c’est justement ce que vous voulez éviter, et avec
raison, car vous voulez comme moi la circulation de la
monnaie. Que ce chèque soit présenté au tiré au mo
ment de la fermeture des caisses; le tiré, s’il n’a pas
conservé chez lui la somme nécessaire, ne peut aller
chez son banquier, il ne peut aller chez des amis. Le
protêt est là, menaçant, impitoyable, inévitable, et voilà
un homme dont la signature est, comme vous le dites,
deshonorée. »
64. — C’étaient là des considérations bien plutôt fan
taisistes que juridiques, et il nous semble en effet qu’il
est impossible d’admettre une assimilation quelconque
entre le chèque et la lettre de change.
Sauf en effet celles que peuvent tirer réciproque
ment l’un sur l’autre deux commerçants en relations
par compte-courant, les dix-neuf vingtièmes des lettres
de change souscrites à la suite d’emprunt sont tirées en
l’air, sans compter que pendant que florissait la con
trainte par corps, le désir de s’assurer de cette voie ri
goureuse d’exécution déterminait seul l’indication d’un
tiré, sans laquelle le titre eût perdu le caractère de
lettre de change.
On comprend qu’en cet état non-seulement la provi
sion n’existait pas, mais encore que le tiré ignorât ab
solument l’existence de la lettre de change. Aussi le
délai de vingt-quatre heures, stipulé par l’article 162 du
Code de commerce n’était pas accordé en sa faveur et
�89
4
pour qu’il eût le temps de se remuer, comme on disait,
on avait voulu accorder au tireur le jour entier de
l’échéance dans l’espoir qu’il enverrait enfin cette pro
vision qu’il n’avait pu ou n’avait pas voulu faire jus
que là.
Rien de pareil pour le chèque. La provision existe et
doit exister avant même qu’il soit souscrit. On pe s’est
pas même contenté de cette exigence, on a voulu que
cette provision eût été mise par le détenteur à la dis
position entière du tireur.
Dès lors ce détenteur sera ou un non-commerçant
devenu débiteur par suite d’une transaction quelcon
que, et il n’autorisera le créancier à fournir sur lui que
lorsque nanti de la somme il sera en position de s’en
dessaisir à première réquisition.
Ou bien le tiré aura reçu en dépôt le montant du
chèque au crédit du déposant, et dès qu’il a consenti en
faveur de celui-ci la faculté de se pourvoir par chèques
il s’est engagé par cela même à payer à quelque épo
que que se présente le chèque, et ce paiement, le sim
ple roulement de ses opérations le mettra à même de
l’opérer. Nous l’avons déjà dit : si les banques de dé
pôts étaient obligées, pour faire face aux chèques tirés
par le déposant, de conserver dans leurs caisses les
sommes qu’elles reçoivent, elles feraient un métier de
dupe, qui les conduirait droit à la faillite, et il n’est per
sonne d’assez insensé pour l’entreprendre.
Quant à la crainte que le chèque ne soit présenté
qu’après la fermeture dç la caisse, qu’en l'absence du
DES CHÈQUES. — ART. o ,
�tiré sans qu’il eût laissé ses instructions à ses représen
tants, ou que le créancier néglige de tirer pendant des
jours, des semaines des mois, une année, rien de plus
chimérique, rien de plus contraire à ce qui se passe ha
bituellement.
Le porteur du chèque n’attend pas pour se présenter
la fermeture de la eaisse. Le plus souvent même il se
présentera avant midi si le nombre des valeurs à recou
vrer le lui permet, et il n’est pas nécessaire que le pa
tron soit présent, le caissier le supplée parfaitement en
matière de paiement à faire, et n’a nul besoin d’instruc
tions spéciales.
Quant à supposer qu’un créancier sachant ou averti
que ce qui lui est dû est à sa disposition, néglige de
l’encaisser ou de le faire encaisser non - seulement
pendant des jours, des semaines, mais encore des mois
entiers et même une année, c’est tout bonnement sup
poser à peu près l’impossible. Laisser en mains d’au
trui un argent qu’on peut immédiatement retirer, au
risque de se trouver dans l’impossibilité de le faire plus
tard, c’est ce qu’aucun commerçant, c’est ce que le
plus riche capitaliste ne fera certainement jamais.
On voit ce que valaient les arguments de M. Quesné,
qui firent cependant repousser la proposition de la
commission acceptée par le conseil d’Etat, malgré que la
faculté qu’elle conférait répondît parfaitement au carac
tère du chèqne et fût de son essence :^,on n’agit pas
autrement en Angleterre et le protêt suit immédiatediatement le refus de paiement.
H
�3, A
91
Mais, objectait M. Quesné, comment constater ce
refus? Comment! mais delà manière la plus naturelle
et la plus simple. Le chèque qu’on aurait refusé de
payer aurait été remis à un huissier ou à un notaire qui
l’aurait présenté de nouveau et qui, si le tiré avait
persisté dans son refus de paiement, aurait constaté ce
nouveau refus par un procès-verbal ; en d’autres ter
mes, on aurait fait exactement ce qu’on fait aujourd’hui,
avec cette différence qu’au lieu de ne se présenter que
le lendemain, l’officier ministériel se serait présenté le
jour même.
Dans tous les cas, la nécessité de s’adresser à un of
ficier ministériel, et du transport de celui-ci au domi
cile du tiré, laissait à celui-ci l’heure que M. Quesné
réclamait pour lui, et lui permettait de se retourner
comme on le disait.
DES CHÈQUES. — ART.
\
6 5 .-------Quoi qu’il en soit, le délai de vingt-quatre
heures ayant prévalu, le protêt du chèque ne pourra
être réalisé que le lendemain de l’échéance ; mais voici
l'embarras dont nos législateurs ne paraissent pas avoir
soupçonné l’existence, et qui cependant méritait qu’on
s’en préoccupât.
La prescription de l’article 162 du Code de com
merce est d’une application facile en matière de lettres
de change ordinaires ; qu’elles soient tirées à un ou plu
sieurs mois, à un ou plusieurs jours de date ou de vue,
l’échéance ne saurait être douteuse : il y aura donc possi
bilité d’apprécier avec certitude si le protêt a été fait
�92
LOI DÜ 14 JUIN 1865
avant, pendant ou après le délai de vingt-quatre heures.
Mais quelle est l’échéance du chèque? Le moment
de sa présentation, évidemment ; c’est donc, pour obéir
à l’article 162, vingt-quatre heures après que le por
teur s’est transporté au domicile du tiré et y a éprouvé
un refus de paiement, que le protêt devrait être rédigé,
sous peine de déchéance.
Mais comment établir le fait de la présentation autre
ment que par une déclaration du tiré, ou par un procèsverbal d’huissier ? Dans ce dernier cas, si le ministère
de celui-ci doit être requis, pourquoi l’obliger à reve
nir le lendemain et lui imposer ainsi un double ac
cessit ?
Peut-être qu’une mûre réflexion à ce sujet eût mo
difié les dispositions du Corps législatif, et l'opinion du
Gouvernement lui-même. Sans doute il ne faut pas in
nover à tout propos, mais l’exposé des motifs le recon
naissait lui-même, à une matière spéciale il faut une
législation spéciale. Or peut-on méconnaître ou contes
ter le caractère spécial du chèque, et l’incertitude de
son échéance ne le mettait-il pas en dehors de la dispo
sition de l’article 162 du Code de commerce ?
66. — En l’état nous nous trouvons en présence de la
difficulté que nous avons signalée dans notre commen
taire de l’article 160 du Code de commerce. On sait
que cet article détermine le délai
f dans lequel doivent
être présentées les lettres de change tirées à vue, ou à
un ou plusieurs jours ou mois de vue du continent et
�DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
95
des îles de l'Europe sur les établissements français aux
Echelles du Levant, et aux côtes septentrionales de
l’Afrique.
Nous avons à ce sujet soutenu, contrairement à l’opi
nion de MM. Horson et Nouguier, que l’esprit et le
texte dn Code de commerce aboutissaient à cette con
séquence : le porteur d’une lettre de change dans les
conditions de l’article 160, peut s’abstenir de la pré
senter pendant six, huit mois, un ou deux ans, et par
conséquent l’empêcher d’arriver ainsi à l’échéance.
Son abstention ne saurait motiver ainsi aucune réclama
tion, alors même qu’on offrirait de prouver qu’il a dé
pendu de lui d’agir plus tôt. Mais si renonçant au délai
il a présenté la lettre de change et a ainsi déterminé
l’époque précise de son échéance, il s’est mis dans la
nécessité de faire protester le lendemain de cette éché
ance l.
Ce que nous disions alors pour la lettre de change,
nous le disons aujourd’hui pour le chèque. En déclarant
que le paiement doit en être réclamé dans les cinq ou
dans les huit jours, y compris celui de la date, suivant
qu’il est tiré de la place sur laquelle il est payable, ou
d’un lieu sur un autre, la loi confère au porteur la fa
culté d’épuiser ce délai et de ne présenter le chèque
que le cinquième ou le huitième jour ; on ne saurait
donc lui en faire un grief, et le protêt rédigé le sixième
i Notre commentaire de la lettre de change n° 478.
�94
LOI DO 14 JUIN 1868
ou le neuvième jour serait évidemment régulier et pro
duirait tout son effet légal.
Mais les intéressés à la déchéance ne soutiendront-ils
pas que le chèque n’a été présenté ni le cinquième ni
le huitième jour, et que le protêt fait le lendemain n’a
eu d’autre objet que de masquer cette négligence et
d’échapper à la peine qu’elle faisait encourir? Quel
moyen a le porteur de prévenir ce reproche et d’en éta
blir le mal fondé ?
Puis ne pourront-ils pas prétendre que le chèque
ayant été présenté au tiré un, deux ou trois jours de
sa date, et étant dès lors échu au moment même de la
présentation, le protêt requis seulement le sixième ou le
neuvième jour a été tardif et n’a pu leur retirer le- béné
fice de la déchéance?
La loi nouvelle ne résout rien à cet égard et c’est re
grettable. L’occasion était bonne pour trancher la con
troverse qui existait et couper court à toutes difficultés.
En l’état nous restons dans les termes généraux du Code
de commerce, et il ne nous paraît pas possible de ne
pas placer le chèque sous l’empire des dispositions ré
gissant les lettres de change payables à vue.
En conséquence, et pour nous résumer, nous croyons
que le porteur peut ne présenter le chèque que le der
nier jour du délai accordé par l’article 5, et dans ce cas
le protêt reçu le lendemain ne saurait être querelé.
Que si le chèque a été en réalité présenté dans le cours
du délai, il est par cela même venu à échéance, et c’est
le lendemain qu’il doit être protesté, sous peine de dé-
�5, 4
95
chéance, si le fait de la présentation était acquis ou
établi.
On ne dira pas que nous méconnaissons les motifs
qui ont fait repousser la proposition delà commission ;
nous en tenons compte au contraire, en assurant au tiré
la garantie qu’on a voulu lui assurer. En effet , ce
que demandait M. Quesné, ce que le corps législatif a
entendu, c’est qu’nn délai de vingt-quatre heures sépa
rerait la réquisition de paiement et le protêt afin d’assu
rer au tiré le temps de se retourner. Or ce délai est
strictement observé dans chacune de nos hypothèses?
DES CHÈQUES. — ART.
67. — Le chèque comporte-t-il, comme la lettre
de change ou le billet à ordre, la clause retour sans
frais, qui a pour effet de conserver le recours du por
teur et de l’empêcher de requérir le protêt?
Comporte-t-il l’indication de besoins chez lesquels
on pourra demander le paiement refusé par le tiré ?
MM. Nouguier et Espinas, qui ont déjà admis la va
lidité de l’aval, se prononcent pour l’affirmative, et
voici par quels motifs.
« Quand l’article 4 déclare certaines dispositions du
Code de commerce relatives à la lettre de change ap
plicables au chèque, contient-il une nomenclature limi
tative ? Nous ne le pensons pas : celles de ces dispo
sitions qui sont spécialement indiquées devront être
suivies ; mais il en est d’autres dont l’application sans
être forcée pourra avoir lieu. Toutes les fois que nous
rencontrerons des usages qui, basés sur des conventions
�9fi
LOI DU 14 JUIN 1865
licites des parties contractantes, ne porteront aucune
atteinte.aux principes fondamentaux sur lesquels repo
sent les chèques, nous disons qu’il n’est pas interdit de
les inscrire sur les chèques l. »
68. — Dénier le caractère limitatif et restrictif de
notre article 4, c’est fermer les yeux à l’évidence. In
contestablement le caractère civil assigné au chèque
avait pour résultat immédiat et forcé de le soustraire à
l’empire des dispositions du Code de commerce. On ne
pouvait les lui appliquer que si la loi le déclarait ex
pressément, et MM. Nouguier et Espinas le reconnais
sent eux-mêmes.
Or remarquons que l’article 4 ne se réfère pas au
Code de commerce en termes généraux ; il indique cel
les de ses dispositions qui sont applicables. Qu’était-il
besoin d’une nomenclature si l’article 4 ne devait pas
être limitatif et restrictif? L’existence de celte nomen
clature démontre donc ce caractère : elle est l’exclusion
de tout ce qui ne s’y trouve pas compris, qui dicit de
uno de altero negat.
Nous repoussons donc l’opinion de MM. Nouguier et
Espinas, non seulement à ce point de vue mais encore,
mais surtout parce qu’elle ne va à rien moins qu’à faire
des chèques de véritables effets de circulation et de
crédit, ce qui est de tout point inconciliable avec l’es
prit de la loi et l’intention du législateur. Si en effet le
i N°s 102 et suivants.
�DES CHÈQUES. — ART. 5 , 4
97
chèque comporte l’aval, la clause de retour sans frais,
l'indication de besoins, qu'est-ce qui le distinguera de
la lettre de change.
Que la formule retour sans frais puisse se justifier
au point de vue de l’article 1134 du Code civil, là
n’est pas la question ; ce qu’il faut examiner c’est si elle
est compatible avec le caractère du chèque, si elle ne
constitue pas une atteinte aux principes fondamentaux
sur lesquels il repose.
Or de l’économie générale de la loi il résulte de la
manière la plus formelle que le chèque ne doit avoir
qu’une existence éphémère : voilà pourquoi il ne peut
être tiré qu’à vue, voilà pourquoi il est payable à vue ,
voila pourquoi le paiement doit en être réclamé dans
les cinq ou dans les huit jours sous peine de déchéance.
Que devient cette dernière prescription avec la clause
retour sans frais ? Son effet n’est-il pas de dispenser
le porteur de toutes formalités, de le relever de toute
déchéance ; pourquoi donc réclamerait-il son paiement
dans le délai prescrit? il ne peut prouver sa diligence à
cet effet qu’en faisant protester le lendemain, et c’est ce
protêt qu’il ne peut ni ne doit requérir.
Ce qui en résultera, c’est que le porteur gardera le
chèque en portefeuille pour le négocier ou le présenter
selon ses convenances, et lui assurera ainsi une circu
lation aussi longue qu’il lui plaira. Or, MM. Nouguier et
Espinas vont eux-mêmes nous l’apprendre : « La nature
du chèque ne saurait se prêter à une longue circulation;
il ne faut pas qu’en augmentant le temps de la circu7
�\
98
Loi du 14 juin 1865
lation du chèque, on le transforme en nn instrument
qui se substituerait aux valeurs de crédit \ »
C’est ce que ferait infailliblement la clause retour
sans frais. On ne saurait dès lors l’autoriser sans se
mettre en opposition avec un des principes fondamen
taux qui régissent le chèque.
69. — L’indication d’un tiers chargé au besoin de
payer, ne nous paraît pas non plus convenir au chèque.
Puisqu’il n’y a de chèque régulier que celui qui est tiré
sur un tiers ayant provision préalable, cette existence
de la provision et sa disponibilité ne permettent pas de
douter du paiement et rendent absolument inutile toute
précaution que la crainte du contraire peut inspirer.
L’indication de besoins ne paraîtra-t-elle pas, en cet
état, un doute sur l’existence réelle de la provision, ou
sur la solvabilité du tiré? Ce doute ne nuira-t-il pas à
la négociation du chèque? N’écartera-t-il pas ceux que
la nécessité de recourir à des besoins ne rassurerait pas
sur le sort de l’effet ?
L’indication de besoins, si elle n’est pas, comme la
clause retour sans frais, la violation expresse de la loi,
n’en est pas moins contraire à son esprit. Considéré
comme monnaie le chèque doit se suffire à lui-même,
et c’est le défigurer que de lui attacher les obligations
accessoires, et de le revêtir des conditions que compor
tent les papiers et valeurs de circulation et de crédit.
IN« 447.
�5
99
Certes, l’effet qualifié chèque, auquel auront concouru
les donneurs d’aval, qui portera la mention retour sans
frais, ou l’indication des tiers chargés de payer au besoin
ne sera pas nul ; il devra recevoir son exécution et pro
duire tout son effet ; mais il ne sera pas un chèque, en
conséquence, il ne sera pas régi par la loi quant au ti
rage à vue, quant au paiement à présentation, et à
l’obligation d’en réclamer le paiement dans les cinq
jours. Comme conséquence, il ne participera pas à la
gratuité accordée au chèque, et sera soumis au timbre
comme tous les autres effets de commerce.
DES CHÈQUES. — ART.
Art. K.
Le porteur d'un chèque doit en réclamer le paiement
dans le délai de cinq jours, y compris le jour de la date
si le chèque est tiré de la place sur laquelle il est paya
ble, et dans le délai de huit jours, y compris le jour de
la date, s’il est tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans les délais ci-dessus perd son recours contre
les endosseurs ; il perd aussi son recours contre le tireur,
si la provision a péri par le fait du tiré, après lesdits
délais.
�100
LOI DU 14 JUIN 1865
SOMMAIRE.
70. Caractère et importance de l'article.
7t. Nécessité de fixer un délai dans lequel le paiement du
chèque doit être réclamé.
72. Dérogation à l’art, 160 C. de corn. Ses motifs.
73. Délai adopté par la commission chargée de préparer la
loi. Modification par le conseil d’Etat.
74. La commission du Corps législatif repousse cette modi
fication.
75. Proposition de s’en référer à l’art. 160 C. com. Opinion
contraire de M. Pouyer-Quertier.
76. Son caractère.
77. Raisons qui devaient faire repousser la proposition.
78. Quel était le délai qu’il convenait de fixer?
79. Prohibition du chèque entre la France et l’étranger , ou
les Colonies et réciproquement
80. L’usage du chèque est licite quelle que soit à l’intérieur
la distance entre la place où il est tiré et celle sur
laquelle il est payable.
81. Mais la distance n’influe en rien sur le délai de 5 ou 8
jours accordé par notre article. Son point de départ.
82. Effets de l'inobservation à l’égard des endosseurs.
83. Obligation pour le porteur de notifier le protêt avec ajour
nement , comme le prescrit le Code de commerce ,
art. 165 et 167.
84. Délai du recours des endosseurs les uns contre les autres.
85. Dans quels termes le projet soumis au Corps législatif
statuait à l’égard du tireur.
t jj8Sjiir “tkractère de sa disposition. Ses conséquences.
87. Ej{è supposait que la remise du chèque opérait novation,
ions soulevées au Corps législatif.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
89.
90.
91.
92.
93.
94.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
101.
102.
103.
104.
105.
106.
107.
108.
101
Réponse de M. de Lavenay , commissaire du gouverne
ment.
Le caractère rationnel de cette réponse, exigeait une mo
dification dans la rédaction.
Conditions définitivement exigées pour que le recours
conte le tireur soit perdu.
Quid donc si la provision venait après la déchéance, à
disparaître par suite d’une opposition des créanciers
du tireur? Opinion de M. Millet.
Appréciation.
La rédaction définitive de l’article 5 tranche toute diffi
culté, dissipe tous les doutes.
Applicabilité de l’article 161 C. de comm.
Résumé.
Prétendue contradiction entre les articles 4 et 5 , signa
lée par M. Millet.
Explication donnée par le commissaire du gouverne
ment.
Ne résout pas convenablement la difficulté.
Ce qu’il y avait à répondre.
Devrait-on en cas de perte ou de vol du chèque procéder
comme l'indiquent les art. 150 et suiv. C. de com. ?
Opinion de MM. Nouguier et Espinas. Objections qu’elle
soulève.
Différence dans les délais de la prescription. Ses consé
quences.
Position du tiré à qui celui qui a trouvé ou volé le chè
que viendrait le présenter après le délai.
Quid du tireur?
Conclusion.
Effets du paiement du chèque faux par supposition de
personnes.
Clause portant que le déposant prend à sa charge les con
séquences de ia perte ou du vol. Sa légalité.
�102
109.
110.
111.
112.
113.
114.
115.
116.
117.
118119.
loi du 14 juin 1868
Effets qu’elle doit produire.
Jurisprudence.
Son caractère juridique.
Que devrait-il en être à défaut de cette clause ?
Si le tiré informé du vol ou de la perte refuse de payer,
quelle sera la position du porteur ?
Son obligation, s’il est de bonne foi , de faire protester
en temps utile pour pouvoir recourir contre les
endosseurs.
Arrêt de la Cour de cassation.
Le tiré qui a payé un chèque faux a t-il action contre
celui aux mains de qui il a payé?
Opinion de MM. Nouguier et Espinas pour l’affirmative.
Leurs motifs.
Examen et réfutation.
Si le paiement d’un chèque vrai a eu lieu sur un faux
acquit, qui pourra exercer un recours contre l’auteur
du faux?
70. — Le rapporteur du Corps législatif n’hésitait
pas à considérer cet article comme le plus important du
projet de loi. Il est en effet certain qu’aucune disposi
tion ne spécialise mieux le chèque et le différencie plus
non-seulement des obligations ordinaires mais encore
de la lettre de change.
En droit commun le créancier d’une obligation n’est
pas tenu d’en poursuivre le paiement dans un délai quel
conque : il est libre de ne le faire que suivant ses con
venances, qu’à ses plaisir et volonté. Tant que la pres
cription n’est pas venue l’éteindre, la dette subsiste, et
è
�— ART. Î5
103
avec elle toutes les garanties accessoires qui en recom
mandent et en assurent l’exécution.
DES CHÈQUES.
71. — Un pareil état des choses ne pouvait convenir
au commerce. La mulliplicilé de ses opérations, le rè
glement prompt et rapide qu’elles exigent étaient in
compatibles avec la faculté pour le créancier de retar
der indéfiniment ce règlement. Aussi le Code de com
merce exige-t-il que les lettres de change et les billets
à ordre soient présentés à l’encaissement le jour même
de leur échéance, et, à défaut de paiement, protestés le
lendemain sous peine de déchéance contre les endos
seurs, et dans un cas donné contre le tireur lui-même.
Le caractère civil assigné au chèque, le laissait en
dehors de cette prescription ; elle ne pouvait le régir
qu’en tant que la loi spéciale l’aurait expressément con
sacré ; cette consécration expresse est, nous venons de
le voir, inscrite dans l’article 4.
Mais il ne suffisait pas de s’en être référé à l’article
162 du Code de commerce ; celui-ci, en effet ne dis
pose que pour les valeurs ayant une échéance certaine
et déterminée, quant à celles qui sont tirées à vue, ou
à un certain nombre de jours, de mois ou usances de
vue, c’est l’article 160 du même Code qui les régit.
72. Donc en supposant que l’article 4 en rendit la
disposition commune aux chèques, il en résultait que le
porteur aurait eu, suivant les’distances, six, huit mois,
un ou deux ans pour en réclamer le paiement. Dès lors,
�|
/
104
LOI DU U JUIN 1800
à quoi bon exiger que le chèque ne pût être tiré qu’à
vue et fût payé à présentation ? L’échéance de 15, de
30, de 60 ou de 90 jours eût encore offert une écono
mie de temps qui n’était pas à dédaigner.
Dès qu’il était admis qu’une échéance ainsi graduée
ne convenait ni à la nature ni au caractère du chèque,
il ne pouvait s’élever le moindre doute touchant l’ap
plicabilité de l’article 160. Le délai de six mois au mi
nimum leur était bien plus antipathique encore.
11 fallait donc se prôhoncer et la seule difficulté qui se
présentât était de savoir quel délai on accorderait. En
Angleterre, la loi se contente d’exiger que le chèque
soit réalisé dans un délai raisonnable ; mais la jurispru
dence n’admet comme tel que celui de quarante-huit
heures. La loi française devait-elle se prononcer dans
ce sens ?
73. — La commission chargée de la préparer ne
l’avait pas admis. Tout en reconnaissant que le paiement
du chèque devait être le plus prompt possible, elle s’était
prononcée pour le délai de cinq ou de huit jours, sui
vant que le chèque était tiré de la place sur laquelle il
était payable ou d’un lieu sur un autre.
Le conseil d’Etat, trouvant ce délai trop long, l’avait
réduit à trois et cinq jours, et avait rédigé l’article 5
dans ce sens et l’avait motivé en ces termes :
« Celte disposition a un double objet : en premier
lieu, elle tend à différencier de plus en plus le chèque
de la lettre de change au point de vue de la perception
�5
105
de l’impôt. En second lieu, elle a pour but, au point
de vue des intérêts et des droits privés, d’empêcher
que la négligence du porteur ne prolonge indéfiniment
la garantie des endosseurs et ne compromette la respon
sabilité du tireur lui-même, dans le cas où la provision
par lui faite viendrait à disparaître par la faillite du
banquier dépositaire. La nécessité d'un court délai pour
la réalisation du chèque s’est fait sentir en Angleterre
comme elle nous paraît devoir se produire en France.
En Angleterre, la loi veut que le chèque soit réalisé
dans un délai raisonnable ; la jurisprudence a fixé ce
délai à quarante-huit heures ; la commission spéciale
avait proposé des délais de cinq et de huit jours : le
conseil d’Etat a cru devoir les réduire à trois et à cinq.
Le chèque n’est pas destiné à une longue circulation.
L’intérêt même du porteur est de le réaliser prompte
ment, car tant que le chèque n’est pas réalisé, c’est au
profit du tireur et non au profit du porteur que courent
les intérêts. L’essentiel est de dégager promptement les
endosseurs. Au surplus, le chèque présenté après le dé
lai n’est pas pour cela caduc, le porteur perd seulement
les garanties spécifiées plus haut. »
DES CHÈQUES. — ART.
74. D’accord avec le Gouvernement sur la nécessité
d’imposer au chèque la plus prompte réalisation, la com
mission du Corps législatif n’admettait pas le délai de
trois et de cinq jours : « Ces délais, disait son rappor
teur, ont paru trop rigoureux; il peut se rencontrer des
cas où le fait de nejjpas se présenter au bout de trois
�106
LOI DU 14 JUIN 1865
jours, s’il est émis sur la même place, ne soit pas le ré
sultat d’un oubli ou d’une négligence : tel est le cas où
celui à qui le chèque a été remis en paiement demeure
à quelque distance, ou bien le cas où l’on a été obligé
d’avoir recours à la poste pour le faire parvenir ; tel est
encore celui où plusieurs jours fériés se suivent et où
on ne peut procéder à l’encaissement. S'il s’agit d’un
chèque tiré d’un lieu sur un autre, les cas de ce genre
se multiplient encore, et, pour mieux dire, ils varient
suivant les temps et les lieux. »
En conséquence, adoptant l’avis de la commission
spéciale, elle revenait au délai de cinq et de huit jours.
75. — Quelques membres du Corps législatif, et no
tamment M. Nogent-Saint-Laurent demandaient qu’on
s’en référât purement et simplement à l’article 160 du
Code de commerce, et qu’on déclarât communs aux
chèques les délais qui y sont indiqués.
Celte demande était repoussée notamment par MM.
Em. Ollivier et Pouyer-Quertier.
« Le chèque, disait le premier, m’est délivré pour
que je l’envoie à un banquier, qui le porte à mon com
pte comme il y portera ceux que je délivrerai moimême, de façon à ce qu’il opère d’abord une compen
sation sur moi-même, puis qu’il étende cette compensa
tion à ses divers clients, puis aux maisons de banque de
dépôt. Par suite de cette série d’opérations de pure
comptabilité, sans qu’un centime ait été déplacé, on
arrivera à liquider d’immenses opérations, et à épargner
�407
5
aux commerçants et au pays tout entier, le déplacement
des espèces et la perte du temps. Supposez maintenant,
comme le veut l’honorable M. Nogent-Saint-Laurent,
un chèque pouvant circuler pendant six mois, comment
concevoir la mise en œuvre du mécanisme que je viens
d’indiquer ? »
» Comment voudriez-vous, disait M. Pouyer-Quertier, vous qui paraissez prendre la défense des banques
de dépôts, admettre que ces banques consentent à ce
qu’on tire sur elles des lettres de change à vue pour des
sommes considérables ? Quand se présenteront-elles ces
lettres de change? Le banquier n’en sait rien. Il serait
engagé pour six mois, jusqu’au dernier jour où on a le
droit de présenter ces lettres de change. La commis
sion tout entière a voulu, au contraire, par la création
du chèque, garantir la sécurité des banques de dépôts
car elles ne sont jamais engagées au-delà de cinq jours
si le chèque est tiré de la place sur la place, et au-delà
de huit jours s’il est tiré d’une place sur une autre. Il
en résulte donc que le banquier qui prévoit une crise,
que le commerçant qui aperçoit quelques circonstances
extraordinaires au point de vue financier, peut défendre
à l’instant même à son créancier de tirer de nouveaux
chèques sur sa caisse, il s’entendra avec lui sur la ma
nière dont il remboursera la somme qu’il lui doit, mais
il ne voudra jamais rester exposé à payer des chèques
qui peuvent ne se présenter qu’au bout de deux, trois,
quatre ou six mois. L’échéance de la lettre de change
à vue ou à plusieurs jours de vue est indécise. Le banDES CHÈQUES. — ART.
�108
LOI OU 14' JUIN 1865
quier ne peut savoir à quel moment, à quelle heure elle
se présentera à sa caisse, il ne sait s’il aura alors provi
sion ou non pour payer cette valeur qui aura circulé
pendant plusieurs mois '. »
76. — M. Pouyer-Quertier traite un peu le droit en
grand industriel. Pour un jurisconsulte il n’est pas ad
missible que la banque de dépôt qui a concédé la facul
té de tirer des chèques puisse à un moment quelconque
défendre au déposant d'user de cette faculté. Celte pré
tention n’irait à rien moins qu’à détruire le contrat en
en supprimant la conditiou la plus essentielle sans la
quelle il n’eût pas eu lieu. Or, pour en arriver là, il
faut de toute nécessité le concours des volontés qui
ayant seul déterminé le contrat, peut seul le modifier
ou le détruire.
Tout ce que la banque de dépôt pourrait faire, serait
de restituer intégralement ce qu’elle a reçu, et dans ce
cas quel avantage en retirerait-elle? Ne vaut-il pas
mienx qu’elle n’opère ce remboursement qu’en détail,
au fur et à mesure que les chèques se présenteront.
Nous ne croyons pas qu’on pût faire pour elle autre
chose,J ni surtout revenir contre un engagement évi
demment contracté en parfaite connaissance de cause.
On ne peut pas en effet supposer que la possibilité d’une
crise ait pu échapper aux prévisious du fondateur de la
banque de dépôt, et si cette éventualité ne l’a pas emi Séance du 23 mai 1863.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
109
pêché d’autoriser le retrait des sommes déposées par
chèques, où serait le motif, la crise se réalisant, de le
dispenser de tenir ses engagements ?
Nous croyons que l’initiative des banques de dépôt
doit être encouragée et favorisée. Mais l’autorisation de
fournir des chèques n’est pas concédée à titre gratuit;
elle abaisse singulièrement le taux, de l’intérêt à payer
au déposant, la banque y trouve donc un intérêt, et la
faveur qu’on lui ferait de pouvoir revenir sur ses enga
gements ne sarait-elle pas une criante injustice pour
les déposants ?
77. — Au reste l’obligation de faire face aux chèques
même en temps de crise ne saurait avoir les conséquen
ces que M. Pouyer-Quertier redoutait pour les banques
de dépôt. Tout ce qui en résultera pour elles sera la
nécessité de ralentir leurs opérations et de se résoudre
ainsi à gagner moins. Dans tous les cas, et en supposant
que malgré ce ralentissement elles ne soient pas com
plètement en mesure de payer, elles y suppléeront en
prenant dans le fonds de réserve qu’elles doivent avoir.
Mais même dans ces limites, leur intérêt à ce que les
chèques ne demeurent pas en suspens pendant six mois
est évident. Plus le ralentissement de leurs opérations
devraient se prolonger, plus elles verraient leur juste
et légitime bénéfice s’amoindrir : il leur importe donc
d’être fixées le plutôt possible pour rentrer dans un bref
délai dans le mouvement normal de leurs opérations.
�\
MO
LOI DU 14 JUIN 1865
D’ailleurs, si après avoir donné aux chèques la faculté
d’être à ordre, l’avantage d’être négociable par la voie
de l’endossement, enfin la faculté d'être tirés d’un lieu
sur un autre, on leur accorderait la jouissanse d’une
circulation de six mois, on en faisait en réalité de véri
tables lettres de change réunissant à tous ces avanta
ges celui d’être exempt de l’impôt du timbre, et l’on
arrivait forcément à ce résultat que le chèque fût de
venu la règle ordinaire et la lettre de change l’ex
ception.
78. — Quant au délai à accorder, nous croyons que
celui de cinq et de huit jours est plus que suffisant, ainsi
l’observaient l’exposé des motifs et le rapport lui-même.
L’intérêt de l’argent pendant l’intervalle qui s’écoule
entre la remise du chèque et son paiement court non au
profit du porteur, mais au profit du tireur. Or en com
merce il n’y a rien de petit et l’intérêt d’un jour ne
laisse pas que d’avoir son importance. On peut donc
être certain que le bénéficiaire du chèque n’aura rien de
plus pressé que de le présenter à l’encaissement, et que
l’épuisement du délai légal sera une très-rare exception
Il en eût été de même si le délai de trois et de cinq
jours admis par le conseil d’Etat eût été maintenu.
79. — L’appel fait à l’article 160 du Code de com
merce appelait naturellement l’attention sur les ehèques
tirés de l’étranger ou des colonies, et réciproquement.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
111
Or dans cette hypothèse comment se conformer aux
prescriptions de la loi sur le délai de présentation ?
Il est évident que si, dans les relations avec l’étranger
ou les colonies on pouvait faire usage de chèque, l’ob
servation de la loi était impossible ; mais ce qui résulte
de la discussion au Corps législatif, c’est que cet usage
n’était pas autorisé.
Voici à ce sujet comment s’exprimait le commissaire
du gouvernement, M. de Lavenay, dans la séance du 6
mai 1865.
«< Nous avons admis comme chèques, c’est-à-dire au
bénéfice de l’immunité fiscale, non-seulement les chè
ques tirés sur la même place, mais les chèques tirés
d’une place sur une autre. C’est déjà une extension de
faveur considérable ; car si le chèque tiré d’une place
sur une autre peut être, comme le chèque tiré sur la
même place, un instrument de paiement, de liquida
tion, il contient une opération de change, c’est-à-dire
une remise de fonds de place en place.
» A vrai dire, le chèque tiré d’une place sur une
autre contient virtuellement une opération de change,
et, à ce titre, nous pouvions l’écarter du bénéfice de la
loi. Votre commission et le Gouvernement ont com
pris que le caractère de change s’effaçait ici devant le
caractère supérieur d’instrument de liquidation, et fai
sant prédominer, dans l’intérêt du pays, l’instrument
de liquidation, ils ont étendu au chèque tiré d’une place
sur une autre l’immunité de l’impôt.
» Quant aux chèques tirés de l’étranger ou des co-
�H2
LOI DU 14 juin 1865
lonies, le caractère de déplacement fictif, de remise
d’argent, y est tellement prédominant, tellement impor
tant, qu’il n’était pas possible d’étendre les bénéfices
de la loi jusque-là.
» Je reconnais que c’est l’intérêt du Trésor qui a mis
là une barrière. Le Trésor fait un sacrifice pour les chè
ques tirés de l’intérieur. Il consent à ne pas y voir le
caractère de change, qui cependant s’y trouve, pour
n’envisager qùele caractère d’instrument de liquidation;
mais quand il s’agit de chèques tirés soit de l’étranger,
soit des colonies, le caractère de change devient telle
ment prépondérent que le Trésor ne peut plus ne pas
en tenir compte, et fermer les yeux sur le signe qui les
rend passibles de l’impôt. »
Ainsi quelle que soit la qualification donnée au billet
tiré de France sur l’étranger ou les colonies, ou récipro
quement, il n’en sera pas moins une lettre de change
jouissant des délais accordés par l’article 160 du Code
de commerce,
mais soumis à l’iuipôt du timbre.
.
80.—En résumé, le chèque est exclusivement destiné
à l’usage de l’intérieur, quelle que soit d’ailleurs la dis
tance qui sépare la place où il est payable de celle d'où
il est tiré. Mais cette distance n’influe en rien sur le
délai delà présentation ; ce délai a été limité et devait
l’être dans l’intérêt du Trésor pour bien différencier le
chèque des autres papiers de circulation et de crédit, et
empêcher que sous une apparence trompeuse ceux-ci
ne parvinsent à se soustraire à l’impôt du timbre ; dans
�113
l'intérêt des endosseurs, ce qui les a décidés à concou
rir à la négociation du chèque, c’est la certitude de la
provision, qui en en assurant le paiement, rend ce con
cours absolument sans danger pour eux ; il leur importe
donc que le porteur se saisisse au plutôt de cette pro
vision, et prévienne ainsi une perte qui engagerait leur
responsabilité.
A ce point de vue le tireur n’est pas moins intéressé
que les endosseurs eux-mêmes, plus considérable serait
le délai accordé pour réclamer le paiement du chèque,
plus nombreuses seraient les chances de perte qui l’ex
poserait au recours du porteur et l’obligerait à faire les
fonds une seconde fois.
Enfin les banques de dépôt elles-mêmes sont intéres
sées à cette limitation. En supposant qu’en temps de
crise elles soient obligées de ralentir leurs opérations
pour être en mesure de rembourser, autre chose est de
subir cette nécessité pendant 15, 20 ou 30 jours, autre
chose de se la voir imposer pendant six mois. Or il est
évident qu’après 20 ou 30 jours du commencement de
la crise, tous ceux que cette crise aurait effrayés auront
tiré sur la banque, qu’il n’y aura plus à en redouter de
nouveaux, et que rassurée désormais, celle-ci pourra,
en toute sécurité reprendre le cours normal de ses opé
rations.
DES CHÈQUES. — ART. 3
81. — Toutes ces considérations ont dicté la dispo
sition du premier paragraphe de l’article 5, aux termes
8
�duquel le paiement du chèque doit être réclamé dans
les cinq jours, si le chèque est payable sur la place où
il est souscrit, dans les huit jours s’il est tiré d’un lieu
sur un autre.
Ce qu’il importe de remarquer c’est que dans ces
cinq ou huit jours se trouve compris celui de la date.
Ainsi la loi déroge ici à la règle suivant laquelle le dies
à quo ne compte pas dans le délai, elle n’accorde donc
en réalité que quatre ou sept jours francs suivant le
cas, sans que, dans aucun, on puisse ou on doive tenir
compte du délai de distance.
82. — Comme sanction à l’observation de l’obliga
tion imposée par le paragraphe premier de l’article 5, le
deuxième paragraphe déclare que le porteur qui ne ré
clame pas le paiement du chèque dans Jes cinq ou huit
jours, perd son recours contre les endosseurs, qu’il
perd aussi son recours contre le tireur si la provision a
péri, par le fait du tiré, après lesdits délais.
En ce qui concerne les endosseurs, la disposition de
l’article 5 était à peu près inutile. En déclarant applica
bles au chèque les prescriptions du Code de commerce
relatives au protêt, l’article 4 plaçait le porteur du
chèque sous l’empire de l’article 168, aux termes duquel
la déchéance de tout recours contre les endosseurs est
encourue si le protêt n’était pas requis et réalisé dans
le délai de l’article 162.
Or la preuve que le chèque a été présenté et que le
paiement en a été réclamé en temps utile, ne peut ré-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
H 5
sulter que du protêt constatant le défaut de paiement.
Comme nous venons de le dire, ce protêt doit être fait
le sixième ou le neuvième jour y compris le jour de la
date. Donc tout protêt fait après l’expiration de ce
délai serait tardif et le recours contre les endosseurs
perdu non pas seulement en force de notre article 5,
mais encore en vertu de l’article 168 du Code de com
merce.
83. — De l’applicabilité aux chèques-des dispositions
du Code de commerce relatives à l’exercice de l’action
en garantie, résulte cette autre conséquence que malgré
que le protêt, eût été fait en temps utile, tout recours
contre les endosseurs serait perdu si le porteur ne
s’était pas conformé aux articles 165 et 168 du Code de
commerce.
Ainsi si le porteur agit individuellement contre son
cédant, il doit lui faire notifier le protêt, et à défaut de ,
remboursement le citer en jugement dans les quinze
jours qui suivent la date du protêt, si celui-ci réside
dans la distance de cinq myriamètres. Ce délai s’aug
mente d’un jour par deux myriamètres et demi excé
dant les cinq myriamètres.
Les exigences de la libre défense étaient aussi res
pectables et devaient être aussi respectées en matière
de chèques qu’en matière de lettres de change. Or les
délais prescrits par l’article 165 pour l’ajournement du
défendeur n'ont rien d’exagéré ; ils ne sont de nature ni
�116
LOI DU 14 JUIN 1865
à compromettre aucun droit ni à froisser aucun intérêt.
La loi nouvelle n’avait donc pas à les modifier ; elle
pouvait et devait les accepter tels qu’ils étaient établis.
On sait que dans la pratique la notification du protêt
et la citation en justice se font par un seul et même
acte.
Si le porteur agit collectivement contre tous les en
dosseurs, il jouit contre chacun d’eux du délai déter
miné par l’article 165, nous ne parlons pas de le dis
position de l’article 166, par la raison que nous venons
devoir, qu’il n’y a pas lieu à chèque pour les effets sous
crits en France sur l’étranger ou les colonies et réci
proquement.
84. — A leur tour les endosseurs, soit qu’ils aient
remboursé leur cessionnaire et soient devenus porteurs
du chèque, soit que ne l’ayant pas fait, ils veuillent faire
sortir à effet la garantie que leur doivent les endosseurs
précédents, sont en droit de réaliser leurs recours. Ils
peuvent le faire soit individuellement contre leur cédant
soit collectivement contre ceux-ci et contre le tireur.
Dans tous les cas ils n’ont que le délai accordé par les
articles 165 et 167, seulement ce délai au lieu de cou
rir contre eux de la date du protêt, ne court que du
lendemain de la date de la citation ; c’était évidemment
justice, car ils n’apprendront le plus souvent le refus
de paiement que par cette citation, étonné pouvait les
�— ART. 5
117
frapper de déchéance que du jour où ils ont été en me
sure et par conséquent en demeure d’agir l.
DES CHÈQUES.
85. — En ce qui concerne le tireur, la disposition du
deuxième paragraphe de l’article 5 offrit quelques diffi
cultés, souleva plusieurs objections. Dans le projet sou
mis au Corps législatif, celte disposition était ainsi rédi
gée : si le porteur du chèque n’en réclame pas le paie
ment dans les délais indiqués au paragraphe précédent,
il perd son recours contre les endosseurs et même con
tre le tireur dans le cas où celui-ci aurait fait provision,
sauf les réserves indiquées à l’article 171 du Code de
commerce.
La seule différence entre le tireur et les endosseurs,
au point de vue de la déchéance du porteur était qu’à
l’égard de ceux-ci cette déchéance résultait du fait seul
du retard de la présentation, tandis que pour le tireur
à ce fait devait se joindre la preuve de l’existence de la
provision. Mais à vrai dire, et pour ce qui concerne le
chèque, cette condition n’en était pas une, elle ne pou
vait pas ne pas exister. En effet, 11 n’y a lieu à chèque
que lorsque le tiré a préalablement en mains une pro
vision disponible, et le fait de l’avoir tiré en l’absence de
cette provision est une contravention passible d’une
amende. Donc toutes les fois qu’il s’agira d’un chèque
i V. au surplus notre commentaire des articles <65 et 167 du Code de
commerce.
�’ l»
LOI DU 14 JUIN 1865
régulier, la certitude de la provision ne saurait faire
doute.
86. — Quant à la réserve indiquée à l’article 171 du
Code de commerce, elle concerne aussi bien l’endos
seur que le tireur. Le projet venait donc aboutir à cette
conséquence que plaçant sur la même ligne le tireur et
les endosseurs, la déchéance du porteur absolue pour
ceux-ci, l’était également en faveur de celui-là.
Or c’était là une injustice. Il y a loin en effet de la po
sition du tireur à la position des endosseurs. En retirant
le montant du chèque, chacun de ceux-ci ne fait que
rentrer dans les fonds qu’il avait payés en le prenant.
Que si par le concours qu’il donne à la circulation du
chèque, il doit en garantir solidairement le paiement,
cette responsabilité est assez exorbitante pour qu’on ait
pu et dû la subordonner à des conditions déterminées,
à l’accomplissement de certaines formalités.
Il n’en est pas ainsi du tireur du chèque : lui a reçu
sans avoir rien donné ; il est en quelque sorte le véri
table, le seul débiteur, tant qu’il n’a pas fait provision
aux mains du tiré. La réalisation de cette provision fait
passer la qualité de débiteur sur la tête de celui-ci. Lui
tireur a acquitté sa dette, et s’il en est encore solidai
rement tenu c’est à titre de caution et de la même ma
nière que les endosseurs eux-mêmes.
Il est donc juste qu’il soit à son tour affranchi de
tout recours, mais à la condition qu’il n’ait ni indirec
tement ni directement contribué à la perte de la provi-
�DES CHÈQUES. — ART. 3
119
sion, et qu’ayant pu la retirer il se soit abstenu de le
faire.
87. — En l’état, le silence gardé à ce sujet par le
projet de loi pouvait faire supposer qu’il admettait que
la remise du chèque opérait novation, et éteignait par
conséquent la dette primitive en paiement de laquelle
le chèque avait été donné et reçu. C’est précisément
l’objection que présentaient MM. David Deschamps et
Picard : « La doctrine, disaient-ils, suivant laquelle le
porteur du chèque qui aurait encouru la déchéance
pourrait néanmoins agir en vertu de son titre originaire,
suppose nécessairement que la remise du chèque n’a
pas opéré novation ; or cette supposition semble se con
cilier très-difficilement avec la nature du chèque, puis
que le chèque c’est de la monnaie en papier et par
conséquent un paiement, et que ce paiement entraîne
novation par substitution de créancier. »
88. — Oui ; mais le chèque n’est qu'une monnaie de
convention, qui n’est acceptée que sous la condition du
paiement à l’échéance, et si ce paiement ne peut avoir
lieu par le fait du tireur lui-même, comment lui permettrait-on d’exciper d’une novation qu’il aurait lui
seul empêché de produire son effet? Le débiteur qui
paierait en fausse monnaie pourrait-il se prétendre li
béré? Or le tireur qui remet un chèque pour lequel
il n’a jamais existé de provision, et dont il aurait con
couru à retirer ou à annuler la provision, aurait dans
�120
14 JUIN 1865
tous les cas payé en monnaie fausse, et ne se serait pas
réellement libéré même au profit de la novation.
On voit que même à ce point de vue on arrive au
résultat que nous indiquions tout-à-l’heure, à savoir
que le tireur n'est affranchi et ne peut être affranchi de
tout recours que si la perte de la provision ne lui est
imputable ni directement ni indirectement, et ne se réa
lise que si le porteur a négligé de se présenter en temps
utile.
LOI DU
89. — Appelé à répondre à toutes ces objections,
M. de Lavenay, commissaire du Gouvernement, expli
quait la pensée qui avait dicté le projet de loi et en dé
terminait le sens. Gomme ces explications sont le com
mentaire le plus net, le plus précis de notre article,
nous croyons devoir les reproduire.
« L’honorable M. Picard a bien voulu reconnaître que
l’intérêt des endosseurs lui paraissait respectable, que
si le chèque n’était pas présenté dans un court délai il
y avait lieu de libérer les endosseurs, mais il pense qu’il
n’y a pas les mêmes raisons pour libérer le tireur. Mes
sieurs, il faut distinguer. Que dit notre article? Il dit
que si le chèque n’est pas présenté dans le délai de cinq
ou de huit jours, le recours est perdu contre les endos
seurs et même contre le tireur s’il avait fait provision ;
puis il ajoute : sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. Eh bien ! maintenant voyons
les cas qui peuvent se présenter. Le tireur n’a pas fait
provision, il est évident que tout recours est réservé
�DES CHÈQUES. — ART. 5
121
conlre lui ; le tireur a fait provision : si la provision
existe au moment où le chèque est présenté, et c’est en
ce sens que l’exposé des motifs a dit qu’il n’était pas
caduc, alors même qu’il serait présenté après les cinq
ou les huit jours, le banquier dépositaire de la provivision doit payer le chèque. Ce n’est pas la créance qui
est périmée, c’est l’action en garantie, ce sont les re
cours spéciaux qui sont éteints. Par conséquent si l’on
se présente même après les cinq ou après les huit jours,
et que le banquier soit encore nanti de la provision, il
doit payer.
« Maintenant, je suppose que le banquier n’est plus
nanti de la provision. Pouquoi n’est-il plus nanti? a-t-il
fait faillite ? Oh ! alors dans ce cas tout le monde recon
naîtra qu’il est juste que le tireur soit libéré. La provi
sion a pu être à ses risques pendant un temps raisonna
ble, mais si la négligence du porteur a laissé périr la
provision, il est juste qu’elle périsse pour celui qui a été
négligent et non pas pour celui qui a été victime de la
négligence.
» Eh bien ! maintenant le banquier n’a pas fait faillite
mais il n’a plus la provision ; par conséquent il n’est
pas obligé de payer. Où est donc la provision ? Elle est
quelque part. Si elle a été retirée par le tireur ou par
un des endosseurs, l’article 171 conserve le recours
contre celui qui a retiré la provision. Le porteur du chè
que n’est donc jamais dans une situation inique. S’il y
a eu faillite il perd par sa faute ; s’il n’y a pas eu faillite,
la provision est quelque part, il a le droit de la suivre
�1,01 DU 14 JUIN 186b
122
partout où elle est, entre les mains du banquier, si elle
est entre les mains du banquier ; entre les mains du ti
reur, si le tireur l’a reprise ; entre les mains des endos
seurs, si c’est un endosseur qui en a la possession ; il
ne peut donc pas perdre à moins qu’il n’y ait par un
prodige inouï anéantissement de la provision.
» 11 peut arriver, je le reconnais, que la provision
étant entre les mains du tiré, elle se trouve arrêtée par
une opposition. Alors c’est par le fait indirect du tireur
que la provision n’existe pas. Si le chèque a été pré
senté dans les cinq jours et que dans les cinq jours on
ait rencontré l’opposition, le chèque ayant été présenté
en temps utile, tout les recours sont conservés contre
le tireur. Si on le présente après les cinq jours et que
l’opposition soit postérieure aux cinq jours, alors le por
teur du chèque ne peut imputer qu’à sa propre négli
gence de n’avoir pas touché le chèque.
» Pour trouver une difficulté réelle, il faut supposer
l'hypothèse bien rare ou l’opposition a été faite préci
sément dans les cinq jours, et où le chèque n’est pré
senté qu’après le délai. Cette situation déjà imputable
à la négligence du porteur, présente pourtant encore
son remède. Le porteur du chèque a perdu, il est vrai,
par la présentation tardive de son titre, le bénéfice
du
\
recours en garantie, mais le tireur est-il libéré de sa
dette primitive? je crois que l'honorable M. Picard se
trompe. J’hésite à le dire, il est plus jurisconsulte que
moi, mais je crois qu’il se trompe en voulant confondre
d’une manière absolue l’action qui naît de la dette ori-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
123
ginaire et l’action qui résulte de la délivrance du chèque.
L’action qui naît de la délivrance d’un chèque, d’une
lettre de change, non-seulement comporte la réclama
tion de la créance, mais encore les avantages de la soli
darité et des dommages-intérêts, si celui qui était por
teur de l’effet a eu à souffrir dans ses intérêts en ne le
touchant pas. Ce recours en garantie, qui implique aja
fois la réclamation du montant du titre et la réclama
tion des dommages-intérêts, le tout avec solidarité du
tireur et des endosseurs, si le chèque est présenté après
les cinq jours, est perdu, et perdu par la négligence du
porteur. Mais la créance originelle subsiste et ne serait
définitivement éteinte que si la provision avait péri par
un fait étranger au tireur, pendant qu'elle était à la dis
position du porteur négligent.
» En effet, le chèque n’opère pas novation; la nova
tion ne se présume pas. Il est dit, je crois, dans un ar
ticle du Code civil, que la délégation n’opère pas nova
tion. Celui qui a délivré un chèque, a délivré un ins
trument de paiement ; si le paiement a lieu il est libéré ;
si le paiement n’a pas lieu par le fait du porteur il est
libéré encore ; si le paiement n’a pas lieu par le fait du
débiteur, le débiteur reste tenu non pas de dommagesintérêts, si on a laissé périmer l’action en garantie, mais
il reste tenu pour sa créance originelle.
» Voilà l’explication de l’article 5 r, »
1 Séance du 6 mai 1865.
�124
LO! DU 14 JUIN 1865
90. — L’évidente rationalité de cette explication re
commandait l’adoption de l’article, mais elle dévoilait
l’insuffisance de sa rédaction, et démontrait la nécessité
d’une modification qui ne laissât pas tant de place aux
sous-entendus.
L’article fut donc renvoyé à la commission, et celleci s’inspirant des considérations développées par M. de
Lavenay, adopta, de concert avec le conseil d’Etat, la
rédaction telle qu’elle figure dans l’article 5 de la loi.
91. Le porteur du chèque qui ne l’a pas présenté
dans les cinq ou dans les huit jours, perd son recours
contre le tireur lui-même, mais seulement à la condi
tion 1° que la perte de la provision se soit réalisée après
l’expiration du délai ; 2° que cette perte ait eu lieu par
le fait du tiré.
Ainsi la position respective des parties se trouve ra
menée dans un cercle légal et juridique, et naturelle
ment amenée la solution d’une difficulté soulevée par
M. Millet.
92. — « On s’est demandé, disait cet honorable
député, quel serait le droit du porteur dans le cas où la
provision ayant été faite dans les délais indiqués, et sa
déchéance étant encourue, cette provision viendrait à
disparaître par suite d’une action, d’une opposition exer
cée par les créanciers du tireur, c’est-à-dire par le fait
au moins indirect de celui-ci. L’honorable commissaire
du Gouvernement a répondu que le porteur aurait le
�5
125
droit,de réclamer le paiement de la créance primitive,
de la créance que le chèque avait pour objet de payer ;
que le porteur ainsi déchu du chèque devenu caduc
pourrait faire valoir celte créance.
» Selon moi cette opinion doit être admise lorsque
le porteur du chèque se trouve en même temps le
créancier primitif, ayant conservé en son pouvoir le
chèque destiné à le solder. Mais lorsqu’il en est déssaisi
par endossement et que le porteur du chèque n’est plus
ce premier créancier, quel sera le droit du porteur qui
n’a pas traité directement avec le tireur, qui n’a pas de
créance personnelle à faire valoir contre lui? Comment
et à quel titre pourra-t-il l’actionner? Il me semble qu’il
ne pourrait arriver à réclamer que par la voie de subro
gation dans la créance primitive, et je demande quelle
est la loi où cette subrogation est écrite ? »
DES CHÈQUES. — ART.
95. — M. Emile Ollivier avait raison de répondre
que cette loi était celle qui établissait les diveres obli
gations résultant de la lettre de change, et que l’article
4 de notre loi déclarait applicable aux chèques. Il est
évident qu'en cédant le titre le premier porteur trans
fère à son cessionnaire tous les droits qu’il peut avoir
contre le tireur de quelque nature qu’ils soient et puis
sent être ; toutes les actions résultant soit de la nature
du titre, soit de l’obligation personnelle.
Ces droits et actions, de cession en cession, arrivent
intactes au dernier porteur, qui peut recourir, en cas
de non-paiement, non-seulement contre tous les en-
�dosseurs, mais encore contre le tireur. Or n’est-ce pas
par l’action personnelle que celui-ci peut être tenu en
vers lui ?
D’ailleurs, on ne saurait contester au porteur sa qua
lité de créancier du premier endosseur, de celui qui avait
directement traité avec le tireur. Dès lors, comment lui
dénier le pouvoir d’exercer tous les droits et actions
que son débiteur serait dans le cas de faire valoir ? N'y
est-il pas formellement autorisé par l’article 1166 du
Code civil ?
94. — Au reste, la rédaction définitive de notre ar
ticle 5, enlève à l’objection de M. Millet toute possibi
lité de se produire. Il en résulte en effet qu’en cas de
perte de la provision après les délais de la présentation,
le porteur n’est déchu de son recours contre le tireur
que si cette perte arrive par le fait du tiré. Or si la pro
vision n’est arrêtée aux mains de celui-ci que par une
opposition des créanciers du tireur, c’est par le fait in
direct de ce dernier, M. Millet le reconnaissait luimême, que la provision aura péri, par conséquent la
condition exigée manquant, il ne saurait être question
de la privation du recours contre le tireur.
La raison et la logique l’exigeaient ainsi, car si la né
gligence du porteur ne peut être une occasion de pré
judice pour le tireur, on ne saurait admettre qu’elle
pût jamais devenir pour lui un moyen de s’enrichir. Or
ne serait-ce pas ce qui arriverait infailliblement si dans
�DES CHÈQUES. — ART. 5
127
l’hypolhèse admise par M. Millet, tout recours du por
teur contre le tireur était perdu ?
De deux choses l’une : l’opposition des créanciers sera
ou rejetée ou admise.
Si elle est rejetée, la provision deviendra libre aux
mains du détenteur, et si elle n'est pas remise au por
teur, elle fera nécessairement retour au tireur.
Si l’opposition est admise, la provision sera distribuée
aux créanciers opposants, et profitera au tireur qui sera
libéré à concurrence envers chacun d’eux.
95. Or était-il possible d’admettre qu’il pût ainsi
soit reprendre la provision, soit l’appliquer au paiement
de ses dettes, et qu’il fut néanmoins absolument libéré
envers le porteur du chèque ? N’est-ce pas ce résultat
qu’a entendu proscrire et qu’a proscrit en effet l’article
171 du Code de commerce?
Il est vrai que l’appel que le projet de loi faisait à sa
disposition, ne se trouve plus dans l’article 8. Mais on
se tromperait gravement si de ce silence on concluait à
l’interdiction d’y recourir.
D’une part, en effet, la disposition de l'article 171 du
Code de commerce, étant relative à l'exercice de l’action
en garantie du porteur, est virtuellement déclarée appli
cable au chèque par le deuxième paragraphe de l’ar
ticle 4.
D’autre part, le but unique de la déchéance pronon
cée par la loi contre le porteur qui n’a pas réclamé son
paiement dans le délai légal, est de punir ce porteur de
�sa négligence en laissant à sa charge le préjudice qu’elle
occasionne. Or, où est le préjudice pour le tireur si la
provision arrêtée par une opposition devait soit lui re
venir en définitive, soit servir à désintéresser ses créan
ciers ?
9g. — En dernière analyse, pour que le porteur soit
déchu de son recours contre le tireur, notre article exi
ge deux choses : lu que la provision soit perdue ;
2° qu’elle soit perdue par le fait du tiré. Or la provision
n’est pas perdue, si elle n’est qu’arrêtée par une oppo
sition des créanciers du tireur ; cette opposition n’est de
près ni de loin le fait du tiré, aucune des conditions
auxquelles la déchéance est subordonnée ne se réali
sant, il ne saurait être question de cette déchéance.
Sans doute si l’opposition est postérieure au délai de
présentation, il est évident que si le porteur s’était pré
senté en temps utile il en eût prévenu et empêché l’effet,
et, comme le disait le commissaire du Gouvernement,
il ne peut imputer qu’à sa propre négligence de n’avoir
pas touché le chèque, mais contre cette négligence il
n’y a de juste qu’une seule peine, la privation des in
térêts. Donc quelque long que puisse être le retard de
paiement occasionné par l’opposition, le porteur ne
pourra réclamer et on ne devra lui allouer que le
capital.
97. — Lcr même M. Millet signalait la nécessité de
modifier la rédaction de l’article 5. « L’article 4, dans
�DES CHÈQUES. — ART. b
129
sa seconde partie, disait-il, déclare applicables aux chè
ques toutes les règles du Code de commerce relatives
à la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au
protêt et à l’exercice de l’action en garantie en matière
de lettres de change. L’article 5 réglant dans sa dispo
sition finale la déchéance du porteur, encourue s’il ne
réclame pas le paiement dans le délai fixé, s’exprime
ainsi : le porteur perd son recours contre le tireur si
la provision a péri par le fait du tiré après lesdits dé
lais. Il semble résulter de ces derniers mots que si la
provision a péri par le fait du tiré avant l’expiration des
délais, le porteur devrait conserver son recours nonobs
tant le défaut de présentation et par suite de protêt. Or
cette disposition serait en contradiction avec le Code de
commerce qui, dans son article 163, dit : le porteur
n’est dispensé du protêt ni par la mort ni par la faillite
de celui sur qui la lettre de change est tirée. Et, en effet,
le cas le plus ordinaire où la provision du chèque périra
par le fait du tiré sera le cas de sa faillite ; si donc vous
admettez que la faillite du tiré, survenant avant l’expi
ration des délais, le porteur qui n’aura pas réclamé le
paiement du chèque n’encourt pas déchéance et con
serve son action contre le tireur ; vous aurez dans l’ar
ticle 5 une disposition contraire au Code de commerce,
que l’article 4 déclare applicable. Dans cette situation,
il me semble indispensable de modifier l’un de ces deux
articles pour les faire concorder.
98. — Evidemment M. Millet se trompait sur la por9
�tée de l’article 163 du Code de commerce, et sur les
conséquences de son inobservation quant au tireur. Ce
n’est pas cependant dans ce sens que le commissaire du
Gouvernement va répondre. Abondant dans l’opinion
de M. Millet, M. de Laveny va soutenir avec lui que
sans protêt il n’y a pas de recours possible contre le
tireur.
« Je crois, dit-il, en effet, qu’il est facile de rassurer
l’honorable M. Millet. Lorsque la provision périt dans
les cinq jours, le recours du porteur est conservé dans
tous les cas contre le tireur, parce que le principe, c’est
que le tireur comme les endosseurs garantisse la pro
vision pendant cinq jours : voilà le principe. Mais quand
nous disons que le recours est conservé, nous ne disons
pas qu’il est conservé indépendamment des formalités
accessoires pour constater le refus de paiement. Or,
pour constater que le paiement n’a pas eu lieu, il faut
un protêt ; sans cela la présentation n’étant pas cons
tatée, le refus de paiement ne le serait pas non plus. Il
faut donc distinguer le principe du recours des formes
auxquelles le recours est soumis. Le principe du recours
est conservé quand la provision a péri avant l’expiration
des cinq jours, même par le fait du tiré, mais sous la
condition que les prescriptions légales pour l’exercice de
l’action en garantie, celles qui sont indiquées par l’ar
ticle 4, seront remplies. » .
99. —. Ainsi, selon M. deLavenay, sans protêt point
�DES CHÈQUES. — ART. 5
131
de recours. Or, en ce qui concerne le tireur, cela n’est
vrai ni pour la lettre de change ni pour le chèque.
En effet ce n’est que pour les endosseurs que le dé
faut de protêt entraîne la perte de tout recours, cela
est formellement écrit dans les articles 168 du Code
de commerce et 5 de la loi nouvelle.
Mais pour que le porteur soit déchu de son recours,
il faut autre chose que le défaut de protêt ou sa tardiveté.
L’article 170 du Code de commerce exige en outre que
le tireur prouve qu’il y avait provision à l’échéance, et
l’article 5 de notre loi veut de plus que la perte de la
provision se soit réalisée après le délai de la présenta
tion et par le fait du tiré.
En d’autres termes, la libération du tireur n’est qu’une
application de l’article 1382 du Code civil. La loi dit au
porteur si vous vous étiez présenté dans les délais vous
auriez touché la provision, et la dette eût été éteinte;
votre négligence est une faute qui obligerait le tireur à
payer deux fois, elle lui occasionnerait donc un préju
dice que vous devriez réparer. Dès lors, à quoi bon le
rechercher si en définitive vous devriez, à titre de
dommages-intérêts, l’indemniser de toutes les adjudi
cations que vous obtiendriez contre lui.
Est-ce que ce raisonnement est possible lorsque la
provision a péri pendant et dans le délai de la présen
tation ? A l’exception tirée de la tardiveté ou de l’ab
sence du protêt. Le porteur répondra : qu’aurai-je ob
tenu si je m’étais présenté en temps utile? Rien, évi
demment, puisque avant même que je dusse le faire la
�provision avait péri. Donc ma négligence n’a préjudicié
qu’à moi en m’enlevant tont recours contre les endos
seurs, elle n’a ni modifié ni empiré votre position, ce
paiement que je réclame aujourd’hui vous en auriez
été tenu alors même qu’un protêt aurait été dressé; de
quoi donc vous plaindriez-vous, et où est le préjudice
dont je vous devrais réparation ?
10o. — La force juridique de ces objections est par
trop incontestable pour qu’il soit nécessaire d’insister,
et à la place du commissaire du Gouvernement nous
aurions répondu à M. Millet, oui si la provision a péri
par le fait du tireur avant l’expiration du délai, le por
teur conserve son recours contre le tireur nonobstant
le défaut de présentation et par suite de protêt ; et cela
par la raison toute simple que la présentation et le pro
têt n’auraient eu aucun résultat utile ; que la provision
périe avant l’échéance n’existait plus au moment de
cette échéance, et que c’est à ce moment-là surtout
que cette existence est requise.
Peu importe donc, dans cette hypothèse qu’un pro
têt ait été ou non dressé, tout ce qui résultera pour le
porteur de son défaut, sera l'obligation de prouver que
la provision a péri avant l’expiration du délai de pré
sentation.
En dernier résultat, il faut distinguer : à l’égard des
endosseurs, l’absence ou la tardiveté du procès entraîne
par elle seule leur libération ; que la provision ait péri
�DES CHÈQUES. — ART. 8
135
avant, qu’elle ait péri après l’échéance, tout recours
contre eux n’en est pas moins impossible.
Pour le tireur, sa libération est subordonnée nonseulement à l’absence de protêt mais encore à la condi
tion que la provision a péri par le fait du tiré, après les
délais de la présentation et du protêt ; parce que ce n’est
qu’alors qu’il pourra légalement soutenir que si le por
teur s’était présenté il eût encaissé la provision, et que
si depuis elle a été perdue ce n’est que par le fait de la
non-présentation, et qu’il ne serait ni rationnel ni juste
que les conséquences directes de sa négligence pesassent
sur un autre que sur lui.
Tout ce qu’il peut exiger du porteur alléguant que
la provision a péri avant l’expiration des délais, c’est
qu’il fournisse la preuve de son allégation ; cette preuve
faite, rien ne saurait le soustraire à l’obligation de rem
bourser.
101. — Comme tous les autres titres sous seing privé,
le chèque peut être perdu, volé, adiré, falsifié. Devra-ton, dans ce cas, se conformer aux dispositions des ar
ticles 150 et suivants du Code de commerce et suivre
la procédure qu’ils prescrivent?
102. — MM. Nouguier et Espinas se prononcent
pour l’affirmative 1; mais cette opinion nous paraît sou
lever de graves objections.
1N° 106.
�m
LO! DU 14- JUIN 1 8 6 5
L'article 150 ne saurait recevoir aucune application
en matière de chèque. Il vise, il est vrai la lettre de
change non acceptée et le chèque n’est pas susceptible
de l’être, mais il n’en comporte en aucune manière le
tirage à plusieurs exemplaires, comment dès lors en
poursuivre le paiement sur second, troisième ou quatrième etc...?
C’est encore la supposition d’exemplaires multiples
qu’admettent les articles 151 et 152, ce qui en rend
également l’application impossible au chèque.
D’ailleurs il y a entre la lettre de change même uni
que, même non acceptée et le chèque cette différence
capitale que dans la première le tiré n’est et ne peut être
tenu que s’il a accepté, tandis que le chèque ne pou
vant exister qu’en tant que le tiré a provision, c’est ce
tiré qui est le véritable débiteur et contre qui peut et
doit être dirigée la poursuite en paiement.
Les précautions ordonnées par le Code de commerce
se conçoivent dans les hypothèses pour lesquelles elles
sont prises. Le tiré qui a accepté a le droit d’exiger
qu’on lui remette l’exemplaire sur lequel figure son
acceptation, car si plus tard on lui présentait cet exem
plaire, il serait bien obligé de payer. On comprend
dès lors l’intérêt qu’il a à se prémunir contre ce danger
et combien il est juste de lui en faciliter les moyens.
•
103. — D’ailleurs la lettre de change n’est prescrip
tible que par cinq ans, le chèque au contraire n’a qu’une
durée bien courte, bien éphémère puisqu’elle se réduit
�138
à cinq ou à huit jours ; la précaution si nécessaire dans
un cas ne l’est et ne saurait nullement l’être dans
l’autre.
DES CHÈQUES. — ART. 5
104. — Le tiré à qui on viendra présenter un chèque
après l’expiration du délai légal, répondra qu’il n’a plus
provision, et cette réponse le mettra à l’abri de toute
prétention. En effet si nanti de la provision au moment
de la souscription, il est obligé de la conserver, cette
obligation n’existe que pendant le cours du délai de la
présentation, elle expire avec le délai lui-même. Or il
est évident qu’en matière de chèque perdu, volé ou
adiré, le tiré ne paiera qu’après les cinq ou les huit jours
à partir de la réclamation et après avoir ainsi acquis le
droit de se désinvestir de la provision.
105. — Déchu de ce côté, le porteur actuel du chè
que se retournera-t-il contre le tireur ? Mais quel risque
court celui-ci ? Si ce porteur est celui qui a trouvé ou
volé le chèque, à quel titre viendrait-il en réclamer le
paiement. Le tireur prouverait sans peine que n’ayant
jamais eu de relations avec lui, il n’a pu lui délivrer un
chèque.
Si le porteur a reçu le chèque par endossement, son
cédant sera ou celui qui a trouvé ou volé le titre, ou son
cessionnaire ; dans tous les cas le titre ne sera en ses
mains qu’en vertu d’un faux endossement qui ne lui
conférera que le droit de recourir contre l’auteur ou
contre le bénéficiaire de ce faux endossement.
�156
LOI DU U JUIN 1865
Enfin est-ce celui au profit de qui le chèque a été
souscrit qui l’aura régulièrement transmis au porteur
actuel, et qui depuis, sous prétexte qu’il l’a perdu ou
qu’on le lui a volé, serait venu se le faire payer ? Ce se
rait là une vraie, une coupable escroquerie qui serait
sans doute sévèrement punie, mais qui ne pourrait faire
que le tireur fût à couvert.de tout recours.
Dans ce cas, en effet, les conditions exigées par l’ar
ticle 5 se rencontreraient incontestablement, la provi
sion aurait péri après les délais de présentation et péri
par le fait du tiré. Le tireur dirait avec raison au por
teur : si, obéissant à la loi vous vous étiez présenté dans
les délais qu’elle prescrit, le chèque aurait été payé ;
c’est votre négligence qui seule a permis que la provi
sion fut remise aux mains de votre cédant, adressezvous donc à celui-ci, ainsi que vous y autorise l’article
171 du Code de commerce; quant à moi je ne puis
souffrir de votre faute, ni être tenu des conséquences
de votre négligence.
106. — Nous croyons donc que le tiré peut payer
après les délais de présentation et sur reçu déclarant
que si le chèque n’est pas remis c’est qu’il est adiré,
perdu ou volé. Sbppose-t-on d'ailleurs qu’il suffira de
dire à un banquier j ’ai détruit ou perdu, ou on m’a volé
un chèque, pour que le banquier, ouvrant sa caisse,
s’empresse d'en faire les fonds ? Un pareil laissé aller
n’est ni dans le goût, ni dans les habitudes du commerce.
Il est évident que dans l’hypothèse que nous supposons,
�DES CHÈQUES. — ART.
5
157
le banquier se renseignera sur la position et la moralité
de celui qui se présente pour toucher, qu’il s’informera
auprès du tireur de la sincérité du chèque, sur son mon
tant, sur la date du jour de sa création.
S’il paye après avoir procédé à cette enquête, pris
ces renseignements, recueilli ces informations, il paiera
valablement et libérera tous ceux qui ont concouru au
chèque, endosseurs ou tireur. Mais s’il refuse de le faire,
il ne pourra y être contraint que par la justice, mais
sans qu’il puisse réclamer une caution, parce que
payant d’ordre de celle-ci, il n’a plus rien à craindre
ni dans le présent ni dans l’avenir.
107. — Au reste le véritable danger pour le pro
priétaire du chèque perdu ou volé, réside tout entier
dans la diligence que peut déployer celui qui l’aura
trouvé ou volé. S’il néglige de se présenter dans les
délais, il donnera le temps au propriétaire d’aviser le
tiré et de s'opposer au paiement, tandis que si, profi
tant de ce que le chèque ne peut être tiré qu’à vue et
doit être payé à présentation, il le présente dès qu’il
l’a en mains, il pourra en être payé avant même qu’on
se soit aperçu de la perte et du vol. Or ce paiement ne
.pourra avoir lieu que sur un faux endossement, ou sur
un faux acquit ; on peut dès lors se demander quels en
seront les effets.
Le banquier qui reçoit des dépôts en compte-courant
avec chèques, se fait remettre ordinairement un spéci
men de la signature du déposant, pour pouvoir, chaque
�158
LOI DU
14
JUIN
1865
fois qu’un chèque se présente, vérifier la signature et
en constater l’identité.
Mais cet utile contrôle, efficace quant à la signature
du tireur, comment l’exercer lorsque par suite de né
gociations le chèque a passé dans plusieurs mains avant
d’arriver au porteur actuel? Comment vérifier la sincé
rité des signatures des endosseurs successifs? Comment
s’assurer enfin que celui qui se présente est bien la per
sonne en faveur de laquelle le dernier ordre a été passé,
et du nom de laquelle il va signer l’acquit?
Il est donc certain qu’à moins de circonstances ex
traordinaires le paiement d’un chèque faux soit par la
supposition de la signature du tireur, soit par la sous
cription d’un endossement mensonger, libérerait le tiré
si dans le premier cas l’imitation de la signature était si
réussie qu’il a pu et dû s’y tromper ; si dans le second
rien n’était de nature à exciter sa défiance. Pourquoi en
effet courrait-il la chance d’un protêt si en définitive les
causes de son refus étaient erronées et sans fondement ?
108. — L’imminence des difficultés que peut faire
naître le paiement d’un chèque égaré ou volé, a dû ap
peler l’attention des banques de dépôt, et le désir de
s’y soustraire a fait que par une clause expresse de la
convention on stipule que le déposant supportera toutes
les conséquences de la perte ou de la soustraction, s’il
n’a pas prévenu à temps pour empêcher tout paiement
irrégulier.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
159
La légalité de cette clause ne saurait être contestée
pas plus que son caractère équitable. II est certain en
effet que si on découvre la perte ou le vol assez à temps
pour en aviser le tiré, et prévenir ainsi tout paiement,
la négligence qu’on mettrait à s’acquitter de ce devoir
serait impardonnable, et que si quelqu’un doit en souf
frir ce ne peut et ce ne doit être que son auteur.
109. — Mais si la diligence du voleur ou de celui
qui a trouvé le chèque a déterminé le paiement avant
qu’on ait été en mesure de mettre le tiré en garde, il y
a en quelque sorte force majeure, serait-il juste en
vertu de la clause que nous venons d’indiquer d’en
laisser les conséquences à la charge du perdant ou du
volé, alors même qu'on aurait à reprocher au tiré un
défaut de vigilance ?
C'est la négative que la jurisprudence a consacrée
avec raison. Il n’est permis dans aucun cas de stipuler
l’impunité pour sa faute, ponr son fait personnel, et de
se mettre ainsi au-dessus des lois et des devoirs qu’im
posent la loyauté et la simple prudence. Aussi en ad
mettant la légalité de la clause, en a-t-on subordonné
l’effet à l’absence de toute imprudence, de toute légè
reté de la part du banquier.
HO. Ainsi, par décision du 11 janvier 1870,
le tribunal civil de la Seine jugeait : que les parties peu
vent convenir que le déposant supportera toutes les
conséquences de la perte ou de la soustraction, s’il n’a
�140
LOI DU 14 JUIN 1865
pas prévenu à temps pour empêcher tout paiement ir
régulier ; et cette stipulation a pour effet d’exonérer le
banquier de toute responsabilité quant au paiement des
chèques revêtus d’une fausse signature, encore bien
qu’il ait reçu du déposant un fac-similé de sa signature;
il suffit que celle-ci soit assez bien imitée pour qu’une
personne non prévenue puisse s’y méprendre.
« Attendu, dit le jugement, qu’après la soustraction
des reçus qui lui ont été volés par la femme Frigard, la
dame Mertens n'a rien fait pour empêcher le paiement ;
qu’en l’absence de tout avertissement le comptoir s’est
valablement libéré en payant sur le vu d’une signature
qu’il pouvait croire celle de la veuve Emile Mertens ;
« Que si, à la vérité, il avait exigé d’elle, au moment
du dépôt un fac-similé de sa signature, on ne peut re
tourner contre lui une précaution qui n’a été prise évi
demment, en présence de ses réserves, que dans l’inté
rêt de la déposante, dont il s’est constitué, dans ces
circonstances, le mandataire ;
» Attendu qu’à ce titre le comptoir d’escompe ne
pourrait être obligé qu’à raison d’une faute lourde ;
» Attendu qu’en fait la signature de la dame Emile
Mertens a été suffisamment bien imitée pour qu’une
personne non prévenue puisse s’y tromper; qu’il s’en
suit qu’aucune faute n’est reprochable au comptoir
d’escompte b »
1 J. du P., 1870, 731.
�DES CHÈQUES. — ART. S
141
Le 13 mars 1869, le tribunal de commerce de la Seine
se prononçait dans le même sens. M. Geoffroy deman
dait au tribunal de déclarer que c’était à tort que le
comptoir d’escompte l’avait débité de 6,000 fr. mon
tant d’un chèque en son nom mais qu’il n’avait pas
signé. Le comptoir se prévalant de la clause qui mettait
à la charge du sieur Geoffroy les conséquences de la
soustraction ou de la perte, soutenait la demande nonrecevable et en tout cas mal fondée, parce qu’on n’avait
aucune faute à lui reprocher.
Le tribunal, accueillant ces prétentions, décide que si
la clause d’un compte-courant avec chèque par laquelle
le déposant consent à subir les conséquences de la perte
ou de la soustraction des chèques à lui remis, ne dégage
pas absolument le banquier de l'obligation de s’assurer
de la conformité des signatures apposées aux chèques
qui lui sont présentés avec le spécimen fourni par le
déposant, cette clause a du moins pour effet d’exoné
rer le banquier de toute responsabilité, quant au paie
ment des chèques revêtus d'une fausse signature, si
l’imitation est assez parfaite pour qu’il ait pu s’y mé
prendre.
« Attendu, dit le jugement, que la prétention du
comptoir d’escompte ne saurait être admise d’une façon
absolue ; que la clause dont il excipe, quelque explicite
qu’elle soit dans ses termes, ne peut suffire pour le
couvrir dans tous les cas ; qu’elle ne le dégage pas no
tamment de l’obligation naturelle et nécessaire de s'asi
�surer de l’identité des signatures apposées aux chèques
qui lui sont présentés ;
» Attendu toutefois que, dans l’espèce, il convient
de reconnaître que le titre attaqué offre tous les carac
tères de sincérité ; qu’il émane du carnet délivré au de
mandeur ; qu’il porte son nom en caractères imprimés;
que si la signature figurant au titre n’est pas celle de
Geoffroy, il résulte de la comparaison faite de cette
signature avec celle du spécimen donnée par Geoffroy
que le comptoir a pu s’y méprendre et la croire bonne
à raison surtout des circonstances susvisées ; que, vraie
ou fausse, il y a valablement fait honneur; qu’aucune
faute ne lui est donc imputable, d’où il suit que la de
mande doit être rejetée, »
Geoffroy se pourvut par appel, mais par arrêt du 1er
juillet 1870, la Cour de Paris adopte les motifs des pre
miers juges et confirme le jugement b
l l l . Nous croyons cette doctrine irréprochable en
droit el en équité. Non sans doute personne ne peul
stipuler l’impunité pour ses fautes, car le lui permet
tre serait l’encourager à en commettre. Mais quelle faute
peut-on reprocher au banquier qui paye un chèque qui
lui est présenté.
Il peut d’autant moins supposer la perte ou le vol
qu’il n’a été avisé ni de l’un ni de l’autre, qu’aucune
opposition au payement n’a été réalisée. Lui reproche-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
14-5
ra-t-on d’avoir acceptée comme vraie une signature qui
ne l’était pas? Ce reproche, juste et fondé si la grossiè
reté de l’imitation devait faire soupçonner le faux, n’est
ni l’un ni l’autre lorsque l’imitation est assez parfaite
pour qu’on puisse s’y tromper, à moins d’être un expert
en écriture. Faudrait-il donc que chaque fois qu’on lui
présente un chèque, le banquier appelle cet expert, et
qu’il retarde de payer jusqu’après son rapport?
112.
Aussi estimons-nous que peu importe qu’il
n’existe ni traité, ni clause de la nature de celle sur la
quelle sont intervenus les monuments judiciaires que
nous venons d’indiquer. Or comment rencontrer l’un
ou l’autre lorsque le chèque aura pour objet de recou
vrer une somme disponible à la suite d’une opération
de change et d’escompte, d’une vente d'immeubles ou
d’une remise de marchandises, et nous avons vu que
la loi en autorise l’usage dans ce cas.
Que devra donc faire le tiré ? Exigera-t-on de lui
que, soupçonnant la perte ou le vol, il ne paye qu’après ^voir dissipé ces soupçons et s’être suffisamment
renseigné à ce sujet ? Evidemment ce serait là aller
contre le but que la loi s’est proposée, et retarder le
paiement qu’elle a voulu rendre plus prompt et plus
rapide.
Nous croyons qu’on doit ici admettre encore la doc
trine des tribunaux civil et de commerce, et de la Cour
de Paris. Si le tiré a été réellement trompé par la per
fection de l’imitation, si rien dans la personne qui se
�144
LOI
DU 1 4
JUIN
186b
présentait ni dans les circonstances de la présentation
ne devait éveiller ses soupçons, le paiement est pour
lui libératoire et ne saurait être querelé.
113. — Si le tiré, informé du vol ou de la perte ou
reconnaissant le faux, refuse de payer, quelle sera la
position du porteur actuel.
Evidemment s’il a lui-même trouvé, volé ou falsifié
le chèque, aucune difficulté ne saurait exister, on ne
saurait lui reconnaître et lui accorder un recours contre
qui que se soit : il n’a jamais été le créancier de per
sonne, et s’il détient le chèque c’est à un titre illégi
time et qui l’expose même à une poursuite et à une con
damnation criminelle.
114. — Si le porteur est de bonne foi, il n’est pas
douteux qu’en cas de refus de paiement son recours
contre les endosseurs et le tireur ne rencontreraient
aucun obstacle, mais à la condition qu’il aura fait cons
tater ce refus par un protêt en temps utile, et qu’il exer
cera ce recours dans le délai légal.
S’il omet de faire protester, il est déchu de tout
recours contre les endosseurs précédents, il n’a plus
qu’un droit : celui d’exiger de chacun d’eux le nom de
son cédant dont il doit garantir l’existence et l’identité,
afin d’arriver ainsi à celui qui ayant traité directement
avec le faussaire, a mis en circulation un effet sans
valeur et doit restituer le paiement qui lui a été fait.
�DES
CHÈQUES. —
ART.
3
445
115. — Cette théorie nous l’avons exposée et dé
montrée dans notre commentaire de la lettre de chan
ge !. Nous nous bornerons à rappeler ici que la Cour
régulatrice, cassant, le 17 mars 1829, un arrêt de la
Cour de Lyon, décidait que lors même que le tireur ou
souscripteur d’un effet de commerce est un être imagi
naire, le porteur qui n’a point fait protester en temps
utile, est déchu de tout recours contre les endosseurs, à
l’exception toutefois du premier qui, en pareil cas, doit
être réputé tireur de l’effet ; que pour tous les autres
endosseurs il y a eu réellement créance existante au
moment de la cession, et chacun d’eux peut seulement
être tenu de faire connaître au porteur son cédant im
médiat.
116. — Le tiré qui a payé un chèque faux a-t-il
action contre celui aux mains de qui il a payé, à l’effet
de l’obliger à restituer ce qu’il a reçu ?
117. — MM. Nouguier et Espinas se prononcent
pour l’affirmative. Le motif c’est que le devoir de ne
mettre en circulation qu’un chèque sérieux incombe au
premier endosseur. « Pour cela, disent nos auteurs, il
lui suffisait de connaître la moralité de la personne qui
lui offrait ce chèque ; s’il a été dupe de sa confiance,
nul autre que lui, ou ses ayants-droit, ne doit être vic
time de cette conduite légère. Or qu’est-ce que le tiers
1 N°s 534 et suivants.
10
�porteur présentant le faux titre à l’acquit du tiré? C’est
le représentant du bénéficiaire, de celui qui a commis
la faute. Remarquons en outre qu’il n’y a ni lien de droit
ni contrat, puisque celui de qui il émanerait n’en est pas
l’auteur véritable, et que, dès lors, on ne retrouve pas
le mandat de payer. Malgré cette nullité radicale, le
porteur se présente au domicile indiqué et annonce
qu’un tel, tireur, donne commission de verser à sa
décharge certaine somme entre les mains de lui, por
teur. Sur cette réquisition, le tiré accomplit le mandat
articulé. Qu’arrive-t-il ? C’est que l’ordre n’existe pas,
et que, trompé lui-même, le porteur a trompé le négo
ciant auquel il s’est adressé, celui-ci peut réclamer le
remboursement des sommes indûment perçues, en se
fondant sur les articles 1235 et 1377 du Code civil.
Ajoutons enfin que le chèque est envisagé comme une
sorte de monnaie ; or pour qu’un paiement soit valable,
il faut qu’il ait lieu en espèces de bon aloi, si vous ve
nez me verser des pièces fausses, leur remise ne vous
libère pas, et la seule difficulté que je trouverai dans
leur réception, ce sera de prouver leur identité. Il est
juste de le décider également en matière de chèques :
comme équivalent de l’argent que je paie, vous me don
nez de la fausse monnaie, un chèque faux ; nous ne
pouvons être quittes, et je suis fondé à vous attaquer
en restitution h »
�5
H7
H S . — M. Nouguier persiste ici dans la manière de
voir qu’il a adoptée dans son traité de la lettre de
change l, nous qui avons adopté l’opinion contraire
dans cette matière 2, nous ne pouvons en embrasser une
autre en matière de chèque. Nous repoussons donc la
doctrine de MM. Nouguier et Espinas, d’autant plus
qu’elle ne se soutient que par la plus singulière inter
version des rôles.
Le tiers-porteur n’est ni le représentant ni l’ayantcause du premier endosseur dont il est au contraire le
créancier, ni un débiteur venant acquitter sa dette, puis
qu’il réclame le paiement de sa créance.
Pour ce qui le concerne, cette créance est incontesta
ble ; nous venons de voir la Cour de cassation en con
sacrer expressément l’existence pour tous les endosseurs
autres que le premier, et par conséquent pour le por
teur.
La dette que cette créance suppose ne saurait non
plus être niée. En effet, le tiré qui a provision est réelle
ment débiteur, dès lors il ne saurait y avoir lieu à invo
quer et surtout appliquer l’article 1235 du Code civil.
D’une part, en effet, le porteur n’a reçu que ce qui lui
était dû ; de l’autre, le tiré n’a payé que ce qu’il devait.
A la vérité il a fait ce paiement à un autre qu'à son
créancier : il s’est donc trompé ; tout ce qu’il pourrait
dès lors ce serait de faire appel à l’article 1377 du Code
DES CHÈQUES. — ART.
i T. 4, p. 71.
* Notre commentaire de la lettre de change n° 377.
�148
LOI DU 14 JUIN 1865
civil. Mais loin de consacrer le droit que M. Nouguier
lui attribue, cet article le condamne. Aux termes de sa
disposition finale, celui qui a payé par erreur ne peut
plus se faire restituer dans le cas où le créancier a sup
primé son titre par suite de paiement.
Or, est-ce que le porteur n’a pas détruit son titre en
recevant paiement? Sans doute s’il n’a fait que le re
mettre acquitté, on pourra bien lui restituer matériel
lement le chèque, mais lui rendra-t-on son recours
contre les endosseurs? La Cour de cassation l’a égale
ment consacré. Le porteur même d’un chèque faux ne
conserve ce recours que par un protêt fait en temps
utile : or est-ce qu’on peut songer à faire protester
lorsqu’au lieu d’un refus de paiement on est intégrale
ment payé?
La perte de ce recours pourrait bien occasionner celle
de la créance, et où serait le motif pour exposer le por
teur à cette chance ? qu’a-t-on à lui reprocher ? quelle
faute a-t-il commis? Si quelqu’un a manqué de clair
voyance ce n’est évidemment pas lui, il ne pouvait soup
çonner que le paiement qu’il recevait était le résultat
d’une erreur.
Il n’y a donc pas à hésiter : que le tiré ait agi par
imprudence ou légèreté, qu’il ait été de la meilleure foi
du monde, il n’en a pas moins commis une faute, faute
qui ne peut préjudicier qu’à lui et dont les conséquen
ces dommageables ne sauraient, sans iniquité, être mi
ses à la charge d’un autre.
Le tiré, dans notre hypothèse, n’a qu’un seul droit,
�DES
CHÈQUES. — ART.
5
149
celui d’exiger de chaque endosseur le nom de son cé
dant immédiat pour arriver à celui qui a reçu le chèque
du faussaire, qui, d’après la doctrine de la Cour de cas
sation, doit être considéré comme tireur, et est par
conséquent le véritable débiteur contre lequel l’article
1377 du Code civil lui réserve son recours dans tous
les cas.
119. — Si le tiré a payé non un chèque faux par sup
position de la personne du tireur, mais un chèque vrai
sur un faux acquit, la question de savoir s’il a un re
cours contre l’auteur de ce faux acquit se résout suivant
que le paiement sera irréprochable ou seulement le résutat d’une imprudence, d’une légèreté, d’une inat
tention.
Dans le premier cas, à quoi bon un recours quel
conque, si le paiement par lui fait l’a libéré envers le
tireur ? quel préjudice éprouverait-il, et à quelle répa
ration pourrait-il prétendre ?
Or cette libération est acquise si le tiré, de bonne
foi et sans reproche, a été et dû être trompé par la per
fection de l’imitation de la signature, nous venons de
voir les tribunaux civil et de commerce et la Cour de
Paris le consacrer expressément.
Le seul qui dans ce cas peut éprouver le besoin d’un
recours, est le tireur, est celui dont on a imité la signa
ture. La validité du paiement lui occasionne un préjujudice que l’auteur du faux doit évidemment réparer.
Si le tiré a à se reprocher une faute, une légèreté,
�150
LOI DU 14 JUIN 1865
une imprudence, si un examen attentif lui eût décou
vert le faux, le paiement reste à ses risques et péril, il
ne saurait en exciper contre le tireur. Dès lors aussi
s’ouvre son intérêt à répéter ce qu’il a payé, et de quel
front l’auteur du faux prétendrait-il récuser ce recours,
quelles raisons invoquerait-il?
Art. 6.
Le tireur qui émet un chèque sans date ou qui le
revêt d’une fausse date est passible d’une amende égale
à six pour cent de la somme pour laquelle le chèque est
tiré.
L’émision d’un chèque sans provision préalable est
passible de la même amende, sans préjudice de l’appli
cation des lois pénales, s’il y a lieu.
SOMMAIRE.
120. L’article 6 est la sanction qui garantit l'observation de
la loi ; caractère que lui donnait le projet de loi.
121. Ses motifs.
12*2. Leur caractère.
123. Modifications introduites par la commission du Corps
législatif.
124. Motifs du rejet de l’amende do 6 ,1“ contre le premier
porteur.
�DES CHÈQUES. — ART. 6
151
125. Leur caractère.
126. Suppression de l’article 7 du projet. Rédaction de l’ar
ticle par la commission.
127. Suppression du délit du retrait de la provision après la
délivrance du chèque. Ses motifs.
128. Examen et discussion.
128 bis. Opinion de M. Josseau.
129. En quoi elle pêchait.
J30. Réponse du commissaire du gouvernement.
131. Son opinion sur le retrait de la provision après la dé
livrance du chèque.
132. En quoi elle était erronée.
133. Nouvelles observations de M. Josseau. Leur fondement
rationnel.
134. Opinion de M. Martel relativement à la suppression de
l'article 7 du projet.
135. Renvoi de l’article 6 à la commission. Modifications
apportées à sa rédaction.
136. Réserve d’appliquer la loi pénale s’il y a lieu. Son
caractère.
137. Impunité que la loi assure au retrait de la provision
après la délivrance du chèque. Son caractère.
138. Contraventions prévues par l’article 6. 1* Omission de
la date.
139. 2° Fausseté de la date. N’est plus assimilée au crime
de faux. Motifs.
140. 3° L’émission d’un chèque sans provision préalable.
141. Conséquences du caractère de contravention quant à
l’application de la peine.
142. Quelle est la peine encourue. Appréciations diverses
qu’elle avait suggérées.
143. L’amende est - elle encourue si la provision n’avait été
faite qu'après l’émission du chèque ?
144. Difficulté en fait de saisirla contravention. Conséquences.
�152
LOI DU 14 JUIN 1865
445. Quid, si le chèque a été protesté.
146. Insuffisance du protêt s'il n’y a pas eu jugement.
147. Le porteur est-il recevable à soutenir que le titre n’est
pas un chèque, pour échapper aux déchéances qui
peuvent atteindre celui-ci ?
120. La convenance, disons mieux, la nécessité d’une
clause pénale destinée à garantir l’observation des pres
criptions de la loi relativement à la date, et à l’exis
tence d’une provision préalable, ne pouvait être ni mé
connue ni contestée, la seule difficulté qu’elle pouvait
faire surgir était de savoir quelle devait être cette san
ction.
Le projet de loi avait fait de l’inobservation de la loi
une contravention et un délit, et avait, dans ses articles
6 et 7, édicté une peine en proportion avec le caractère
du fait qui la faisait encourir.
L’article 6 portait : le tireur qui revêt un chèque
d’une fausse date et le premier porteur sont punis cha
cun et sans recours l’on contre l’autre, d’une amende
égale à six pour cent de la somme pour laquelle le chè
que est tiré. La même peine est applicable à l’émission
d’un chèque sans date.
L’article 7 disposait : l’émission d’un chèque sans
provision préalable et le retrait de la provision après la
délivrance du chèque, sont punis, en cas de mauvaise
foi, des peines prononcées par l’article 405 du Code
�153
pénal, sauf, s’il ya lieu, l’application de l’article 463 du
même Code.
DES CHÈQUES. — ART. 6
124. — Ainsi l’absence de date ou une date fausse
n’étaient considérées que comme une contravention fis
cale ; le défaut de provision préalable ou son retrait
après la délivrance du chèque, constituaient un délit.
Les raisons qui devaient le faire admettre ainsi étaient
exposées en ces termes :
« Si le projet ne s'était placé qu’au point de vue du
Trésor, une amende purement fiscale aurait pu suffire
pour sanctionner l’obligation de la provision préalable.
Mais comme l’intérêt des tiers et la foi des transactions
se trouvaient aussi engagés, le projet édicte la peine de
l’article 405 du Code pénal contre l’émission d’un chè
que faite de mauvaise foi sans provision préalable. Les
chèques seront reçus avec d’autant plus de confiance,
et feront d’autant mieux office de monnaie, que les pre
neurs seront mieux garantis contre la mauvaise foi pos
sible de certains tireurs. Il est bien clair que le projet
ne punissant que l’émission faite de mauvaise foi, ne
peut en rien menacer les erreurs de compte par suite
desquelles le montant des chèques émis viendrait à dé
passer accidentellement la provision existante. »
422. — Ces considérations acquéraient un degré de
justesse bien supérieur lorsqu’il s’agissait non plus d’un
défaut de provision préalable mais du retrait de cette
provision après la délivrance du chèque : son existence
�que sans doute on avait fait miroiter aux yeux du pre
neur, n’était plus qu’un piège qui pouvait anéantir la
valeur du titre, et l’exposait à se voir dépouiller d’une
partie plus ou moins forte de sa fortune. Un pareil acte,
en effet, ne pouvait être le fait d’un homme honorable,
d’un commerçant solvable. N’était-il donc pas par luimême une véritable et dangereuse escroquerie.
S’il était bon d’ailleurs de veillera l’intérêt du Trésor,
n’était-il pas aussi convenable de protéger l’intérêt pri
vé menacé de se voir compromis en présence de la
mauvaise foi et de l’insolvabilité ? Or la menace d’une
peine corporelle pouvait réaliser cette protection, et
devenait dès lors d’une utilité incontestable.
125. — Telle ne fut pas l’opinion de la commission
du Corps législatif : elle n’adopta le projet qu’en modi
fiant l’article 6 et qu’en repoussant l’article 7.
D’accord avec le Gouvernement sur les conséquences
de l’omission de la date, ou de la fausse date, et recon
naissant que l’une ou l’autre enlevait au chèque son
caractère essentiel et en faisait un papier de circulation
et de crédit, elle admit la nécessité de les empêcher ou
de les réprimer, et maintint dès lors l’amende de six
pour cent dont les frappait le projet.
Mais elle ne crut pas que cette amende dut frapper
le premier porteur concurremment avec le tireur, ce
qui était cependant fort juste. Outre qu’il est naturel de
supposer que la fraude à la loi sera concertée entre eux,
il arrivera le plus souvent que le preneur qui y aura
�55
seul un intérêt réel aura exigé l’omission de date ou la
fausse date : donc ne punir que le tireur c’était risquer
d’aggraver sa position, et le rendre victime d’exigences
qu’il a dû subir.
La commission ne se le dissimulait pas, aussi n’est-ce
pas devant le principe d’une condamnation commune
qu’elle reculait ; si elle repoussait ce principe, c’était à
cause de la difficulté de son application.
DES CHÈQUES. — ART. 6
i
124. — « Le Gouvernement, disait le rapporteur,
a eu évidemment l’intention d’atteindre la connivence
qui pouvait exister entre le tireur et le premier por
teur. Mais, dans l’application, cette disposition a paru
renfermer des difficultés le plus souvent insurmonta
bles ; comment, en effet, dans la plupart des cas, dé
couvrir le premier porteur ? Quand le chèque est au
porteur cela est impossible puisque le chèque passe de
main en main sans qu’on puisse suivre la filière des
porteurs successifs. Quand le chèque est à ordre, la dé
couverte paraît plus facile, il n’en est rien cependant.
Si le premier endos est en blanc, et si plusieurs porteurs
se succèdent sans endosser, comment s’y prendra-l-on
pour trouver le premier porteur? Il peut arriver qu’un
chèque au porteur soit transformé en chèque à ordre
par l’un de ses porteurs, est-ce celui-ci qui sera dé
claré passible de l’amende ? Il n’y a qu’un cas où la
connivence puisse être atteinte sans peine, c’est celui
où le chèque est à une personne déterminée ; mais si
J’on veut commettre une fraude, on n’ira pas choisir
�156
LOI DU
14
JUIN
1863
justement la forme où la connivence est le plus facile à
découvrir. D’ailleurs, si l’on veut bien y réfléchir, on
verra que le véritable coupable est le tireur, puisque
c’est de lui que part l’idée de revêtir un chèque d’une
fausse date pour se soustraire au timbre qu’il eût dû
payer. »
125. — Ce dernier motif ne se comprend pas. Estce qu’en effet la date vraie ne dispenserait pas du tim
bre ? Ce ne peut donc pas être pour s’exonérer de celuici que le tireur aura eu l’idée de recourir à la fausse.
Le seul qui ait intérêt à celle-ci est le preneur qui s’af
franchit ainsi de l’obligation que lui impose l’article 5,
et dès lors s’il est vrai que is fecit oui prodest, on peut
admettre que c’est lui qui en a eu l’idée, et qui l’a
exigée.
Quant à la difficulté, elle n'existe réellement que dans
un seul cas, celui où le chèque est au porteur. S’il est à
ordre, le corps du chèque énoncera nécessairement le
nom de celui à l’ordre de qui il devra être payé. Com
prend-on un chèque qui se bornerait à dire : payez à
ordre ?
La formule qu’on suit et qu’on suivra en pareille ma
tière est : payez à un tel ou à son ordre. Dès lors le
nom du preneur comme le premier porteur est tout
trouvé : c’est ce preneur. Le premier endos a beau être
en blanc, il ne peut émaner que de lui, et^sa signature,
qui dans ce cas constituera seule l’endos, achèverait de
lever tout doute, si le doute pouvait être permis.
�DES CHÈQUES. — ART. 6
157
D’ailleurs si l’on devait s’arrêter à la difficulté d’appli
cation on eût pu tout aussi bien rayer l’article 6 dans
son entier. Croit-on en effet qu’il sera facile de constater
le défaut de date ou la fausse date ?
Sans doute l’omission est un fait matériel qui résulte
invinciblement du titre lui-même. Mais est-ce que ce
titre passera sous les yeux des préposés du Trésor, lors
que présenté au tiré il sera immédiatement payé par
celui-ci? Il faudra donc pour qu’ils puissent le consulter
que, sur le refus du paiement, il soit intervenu un pro
têt et une citation en justice. Or, croit-on que le por
teur voudra présenter un titre irrégulier, et qu’il n’aura
pas réparé l’omission en lui donnant une date?
Cette date peut être fausse, mais dans ce cas comme
dans tous ceux où on arguera de cette fausseté, com
ment l’établira-t-on, de quel élément la fera-t-on ré
sulter ?
On Je voit, la difficulté d’appliquer la loi est aussi, sé
rieuse ici que là, et si dans un cas elle rendait la dispo
sition inutile, on ne voit pas pourquoi il ne devait pas en
être de même dans l’autre.
126.
Mais tout en supprimant l’article 7 du pro
jet, la commission retenait le fait du défaut de provision
préalable, mais elle lui enlevait le caractère de délit, et
en faisait une simple contravention comme l’omission
de la date, ou la date fausse.
En conséquence elle avait ainsi rédigé l’article 6 : le
tireur qui revêt un chèque d'une fausse date, est pas-
�158
loi du 14 juin 1865
sible d'une amende égale à six pour cent de la somme
pour laquelle le chèque est tiré. La même peine est
applicable à l'émission d'un chèque sans date, ou sans
provision préalable.
1 2 7 .— Ce qui disparaissait complètement, ce dont
il n’était plus question, c’était le fait du retrait de la pro
vision après la délivrance du chèque. On l’acceptait
donc comme licite et on l’encourageait en quelque sorte
en le plaçant en dehors de toute atteinte. Voici en quels
termes le rapporteur de la commission expliquait et jus
tifiait cette grave résolution :
« L’article 7 du projet de loi du conseil d’Etat est
ainsi conçu : l’émission d’un chèque sans provision préa
lable, et le retrait de la provision après la délivrance du
chèque, sont punis, en cas de mauvaise foi, des peines
prononcées par l’article 405 du Code pénal, sauf l’appli
cation de l’article 463 du même Code. Cet article a
paru à la commission dangereux et inutile. En édictant
des peines sévères contre les délits qui pourraient se
commettre par le moyen de chèques, on a pensé qu’on
inspirerait une plus grande confiance au public dans ce
mode de paiement. Le porteur du chèque trouverait en
effet une certaine garantie dans cette législation rigou
reuse. Mais à quels dangers serait alors exposé le tireur !
L’émission d’un chèque sans provision peut être de sa
part le résultat d’une erreur de compte ; le retrait de la
provision après la délivrance du chèque, peut provenir
d’un simple oubli ; un négociant n’aura pas toujours
�159
sur lui son carnet de compte ; s’il crée un chèque dépas
sant la provision destinée à couvrir ce chèque, et cela
parce que sa mémoire l’aura mal servi, sera-t-il l’objet
de poursuites? il le faudra bien, car il y a un fait maté
riel qui a l’apparence d’un délit. Assurément, dans la
plupart des cas, la procédure n’aura pas de suite ; mais
le seul fait pour un négociant d’avoir eu à obéir à un
mandat de comparution ne constituerait-il pas une at
teinte à son honorabilité commerciale ? Les parquets
montreraient en vain de la discrétion dans ces sortes de
recherches, elles n’en constitueraient pas moins des
tracasseries intolérables, et pour y échapper, il est cer
tain qu’un grand nombre de commerçants renonceraient
à faire usage des chèques. La loi aurait donc manqué
son but qui est de développer cet instrument. »
DES CHÈQUES. — ART. 6
128. — Cet instrument est trop utile, trop avanta
geux au commerce pour qu’aucun commerçant soit tenté
de renoncer à s’en servir. Les craintes de la commis
sion étaient donc d’autant plus chimériques que le fait
qui les lui inspirait ne pouvait pas se réaliser.
Evidemment le ministère public ne pouvait être ins
truit de l’émission d’un chèque sans provision préalable,
ou du retrait de la provision, que par le résultat de
l’instance judiciaire qu’aurait nécessité le refus de paie
ment ouvrant l’exercice de l’action en recours du por
teur contre le tireur et les endosseurs. Si le chèque
présenté au tiré était acquitté, qui donc se préoccupe
rait de la question de savoir si la prescription de la loi
�100
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 K
avait été observée, et comment le ministère public se
rait-il à même de le connaître et surtout de l’établir ?
Or le jugement qui constaterait soit l’absence de
provision, soit son retrait après la délivrance du chèque,
en indiquerait nécessairement la cause, et si l’un ou
l’autre était le résultat d’une erreur ou d’un oubli, évi
demment il n’y aurait ni poursuite ni mandat de com
parution, parce que la loi ne les autorise qu’en cas de
mauvaise foi, comme le constate expressément l’exposé
des motifs, et que, ce cas, l’erreur admise par le juge
ment l’exclut formellement.
Les autres motifs donnés par le rapporteur ne sont
ni plus concluants ni mieux fondés. Sans doute la loi ne
pouvait exiger que le commerçant ail constamment sur
lui son carnet de compte. Mais ce carnet doit se trou
ver et se trouvera nécessairement chez lui ; or ce n’est
pas sur la place publique, ce n’est pas en courant que
le commerçant délivrera des chèques : c’est, sauf de
très-rares exceptions, chez lui, dans son comptoir, qu’il
les souscrira, et est-ce trop exiger de lui que de vouloir
qu’il n’agisse qu’après avoir vérifié s’il est en mesure
de le faire. D’ailleurs autre chose est le défaut absolu de
provision, autre chose son insuffisance, et l’erreur pos
sible dans ce dernier cas ne peut guère se présumer
dans le premier.
A plus forte raison ne pouvait-on pas admettre que
le retrait de la provision après la délivrance du chèque
fût un oubli ; un oubli se conçoit lorsque des mois en
tiers se sont écoulés depuis l’émission d’une lettre de
�161
DES CHÈQUES. — ART. 6
change. Mais le chèque n’a qu’une durée maximum de
cinq ou de huit jours, y compris celui de la date. Le
retrait devra donc, s’il est effectué, l’être le lendemain
ou quelques jours seulement après son émission. Or
comment admettre qu’on oublie si vile ce qu’on a fait
la veille ou l’avant-veille ? Ce retrait est de beaucoup le
plus grave des faits que prévoyait l’article 7 : on n’aura
jamais à le reprocher à un homme honorable, à un
commerçant solvable ; c’est cependant celui-là seul que
la commission a cru devoir bannir et affranchir de toute
pénalité.
■" , , V -,
-J. ,
. . ..
128bls. — C’est ce qu’on ne manquait pas de lui re
procher lors de la discussion de la loi.
« C’est quelque chose de très-grave, disait notam
ment M. Josseau, que d’émettre un chèque sans provi
sion préalable, mais est-ce quelque chose de moins grave
que de retirer la provision? Dans le projet du Gouver
nement on faisait un délit de l’émission du chèque sans
provision et du retrait de la provision après la délivrance
du chèque ; on mettait ces deux faits sur la même ligne,
on leur appliquait la même peine ; qu’a fait la commis
sion ? elle a supprimé le délit et je ne l’en blâme pas ;
elle a déclaré passible d’une simple amende le défaut
de provision préalable lors de l'émission d’un chèque,
mais elle a passé sous silence le cas de retrait delà pro
vision après l’émission du chèque ; de telle sorte que
ce cas si grave et souvent même plus grave que le
premier, car la plupart du temps ce sera un acte frau-
11
�duleux, ne sera ni un délit ni une contravention ordi
naire, ni une contravention fiscale ; n’est-il pas évident
qu’il y a là une lacune ? »
129. — Dès que M. Josseau acceptait la conversion
du délit en une contravention, il s’enlevait en quelque
sorte le droit de se plaindre d’un silence qui n’était que
la conséquence directe de cette conversion. 11 était im
possible de faire du retrait de la provision une contra
vention ordinaire, car il n’enfreignait aucune loi ; c’était
un dol, une fraude contre l’intérêt privé qui pouvait
donner lieu à l’obligation de réparer le dommage, mais
jamais à une condamnation pénale quelconque, dès
qu’on refusait de lui reconnaître le caractère de l’escro
querie.
Pouvait-on en faire une contravention fiscale? Evi
demment non encore, parce que ici la contravention ne
pouvait consister que dans le fait de ne s'être pas servi
d’un papier timbré, alors qu’en réalité on ne souscrivait
pas un chèque, soit pour défaut de date, soit pour fausse
date, soit enfin pour absence de provision préalable.
130. — Aussi le commissaire du Gouvernement,
répondant au reproche d’avoir distingué le défaut de
provision préalable et le retrait de cette provision, di
sait-il avec raison : « que lorsqu'il s’agissait d’une
amende de timbre, on ne pouvait les confondre ni les
placer sur la même ligne ; qu’on pouvait bien appliquer
une amende de timbre à un chèque émis alors qu’il
�G
163
n’y avait pas provision, parce qu’au moment où le chè
que était émis, il devait l'être sur papier timbré ; qu’il
y avait donc contravention ; mais que dans l’hypothèse
où la provision a été retirée après le moment où le chè
que a été émis, la provision existait lorsque le chèque
avait été souscrit, et par conséquent existait le droit de
l’inscrire sur un papier non timbré. Voilà pourquoi,
ajoutait M. de Lavenay, du moment où l’on faisait pas
ser les pénalités de la catégorie des délits dans la caté
gorie des contraventions fiscales, on n’a pas cru pou
voir assimiler les deux faits parce que, au point de vue
fiscal, ils ne sont pas semblables. »
DES CHÈQUES. — ART.
131. — C’était fort juste, mais convenait-il d’adop
ter cette substitution qui aboutissait fatalement à laisser
impuni le fait si grave si dolosif du retrait de la provi
sion après la délivrance du chèque? M. de Lavenay en
était rien moins que convaincu, et aimait à se persuader
que cette impunité n’existait pas.
« Ce fait, disait-il, ne constituerait-il pas un délit de
droit commun en dehors de la loi des chèques ? Lors
qu’un homme aura remis à son créancier un chèque,
et qu’il aura retiré frauduleusement la provision, il me
semble, sans être criminaliste, qu’on doit trouver quel
que part, dans le Code pénal, une disposition pour l’at
teindre. »
132. — M. de Lavenay se trompait. Le délit n’avait
pu être prévu ni en 1810, ni en 1832, puisqu’il n’exis-
�164
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 5
tait pas et qu’il n'a été créé que par la loi de 1865, il
n’était donc pas possible qu’il eût été spécialisé, prévu
et puni par le Code pénal.
On aurait pu, il est vrai, excipant des termes géné
raux de l’article 401, prétendre qu’il pouvait être atteint
par sa disposition, mais M. Millet ayant demandé qu’on
le reconnût et qu’on le déclarât applicable, sa proposi
tion était formellement repoussée par la commission.
Il n’y avait donc plus dans tout le Code pénal que
l’article 405 qu’on pût vouloir invoquer, car si le re
trait de la provision après la délivrance du chèque n'était
ni un vol, ni un larcin, ni une filouterie, il pouvait fort
bien passer pour une escroquerie ; mais voilà que la
commission le repousse à son tour, en refusant d’accep
ter l’article 7 du projet qui le déclarait applicable.
Les articles 401 et 405 du Code pénal ainsi mis à
l’écart, où aurait-on trouvé dans ce Code la disposition
qu’appelait le commissaire du Gouvernement?
133.
Elle n’était évidemment nulle part, « et le
Gouvernement, disait avec raison M. Josseau, l’a si
bien compris qu’il avait jugé nécessaire de proposer
l’article 7 du projet, et de déclarer formellement par cet
article que le fait du retrait de la provision après la dé
livrance du chèque, serait un délit puni des peines por
tées par l’article 405 du Code pénal ; puis qu’il jugeait
nécessaire de dire que cet article serait applicable au
fait dont il s’agit, comment voudriez-vous après qu'une
disposition a été présentée par le Gouvernement, après
�165
que l’opinion que je viens d’indiquer a été exprimée
dans un premier projet, et qu’ensuite la disposition
proposée a été purement et simplement retranchée par
la commission, comment voudriez-vous poursuivre un
fait pareil devant les tribunaux ? Les défenseurs des pré
venus ne manqueraient pas de dire à leurs juges : la
preuve que ce fait ne rentre pas dans la disposition de
l’article 405 du Code pénal, c’est qu’on avait proposé
de l’y faire entrer, et que la disposition qui avait cet
objet a été supprimée. »
Et c’est évidemment dans ce sens que les tribunaux
prononceraient. Qu’importe eD effet que le rapport
exprimât que « la commission avait tenu à déclarer
que les faits délictueux dans lesquels les chèques se
raient employés à commettre une escroquerie étaient
punissables ; que les pénalités du droit commun étaient
applicables ; qu’elle avait voulu que cette déclaration
fût consignée dans son rapport, afin qu’en l’absence
d’une disposition spéciale il ne pût y avoir le moindre
doute sur ce point? 'Cela fait-il que la proposition de
considérer le fait du retrait, par lui-même et indépen
damment de toutes autres manœuvres, comme une es
croquerie passible des peines de l’article 405 du Code
pénal, n’avait pas été repoussée par la commission? Cela
empêchait-il que ce rejet eût été motivé non pas sur ce
que le fait rentrait sous l’empire du droit commun, mais
sur ce que le caractère de délit qu’on lui donnerait ef
frayerait les commercants, les exposerait à de* tracasseDES CHÈQUES. — ABT. 6
�166
LOI DU 14 JUIN 1865
ries intolérables, et les ferait s’abstenir de faire usage
des chèques, et qu’ainsi le but de la loi serait manqué.
15-4. — Le rapport ne laisse aucun doute à ce sujet,
et un autre membre delà commission, M. Martel, dans
sa réponse à M. Josseau, est plus explicite encore :
« Plusieurs considérations ont déterminé la commis
sion à supprimer l’article 7 qui établissait une pénalité
fort grave pour le cas où le chèque aurait été délivré
sans provision préalable, et pour le cas où, après la
délivrance du chèque avec provision préalable, cette
provision aurait été retirée, et voici quelles sont ces
considérations :
« L’article 7 disait que l’article 405 du Code pénal
serait applicable à tout individu délivrant un chèque
alors qu’il n’y avait pas provision préalable, ou qui,
après avoir émis le chèque, retirerait la provision qu’il
avait faite. Or l’article 406 c’est l’article qui atteint l'es
croquerie, et votre commission s’est dit : lorsqu’un
homme sera assez indélicat pour émettre un chèque sans
provision préalable, ou pour retirer la provision après
avoir émis le chèque, il arrivera très-souvent que ce
fripon aura exercé des manœuvres, qu’il aura rempli
toutes les conditions prévues par l’article 405 du Code
pénal ; il se sera rendu coupable d’une véritable escro
querie, et, dans ce cas, il n’est pas besoin que, par
une pénalité spéciale, nous venions dire dans la loi qu’il
sera atteint comme si l’article 405 avait été spéciale
ment fait pour lui.
�167
« Nous avons pensé que le Code pénal suffirait le
plus souvent pour atteindre la mauvaise foi, lorsque celci se rencontrerait avec tous les caractères déterminés
par l’article 405. Mais supposez un instant qu’il en soit
autrement, c’est-à-dire supposez que le Code pénal ne
soit pas applicable à ce fait simple et déloyal de déli
vrer un chèque sans provision préalable, ou de retirer
la provision lorsque le chèque a été émis, supposez ce
fait-là : la commission a pensé encore qu’il ne fallait pas
dans ce cas une peine particulière, qu’il ne fallait pas
créer une pénalité spéciale, et voici pourquoi :
Ici M. Martel repète ce que le rapport a déjà dit sur
la possibilité d’un manque de mémoire d’une erreur de
compte, et revient sur la crainte qu’une poursuite obli
gée du ministère public, ne portât les commerçants à
ne pas faire usage des chèques, il ajoute :
« Votre commission a pensé qu’il ne fallait pas dans
une loi de cette nature, qui est une loi de confiance, de
crédit, qui a pour but de faciliter la pratique du chè
que, qu’il ne fallait pas insérer dans cette loi un instru
ment de défiance, quelque chose qui pourrait jeter sur
elle une défaveur, et certainement le commerce hésite
rait à faire des chèques, si un commerçant pouvait être
inquiété lorsqu’il a été de bonne foi en émettant par
erreur un chèque sans provision préalable.
k Voilà la considération principale qui a déterminé
votre commission. Elle s’est dit : le plus souvent l’hom
me de mauvaise foi qui aura émis un chèque sans pro
vision préalable, ou qui aura retiré la provision après
DES CHÈQUES. — ART. 6
�168
LOI DU U JUIN 1865
l’émission, le plus souvent cet homme de mauvaise foi,
aura commis toutes les manœuvres frauduleuses qui
sont prévues par le Code pénal, et le droit commun
l’atteindra.
« Que s’il arrive quelquefois qu’il puisse échapper au
Code pénal, il vaut encore mieux que cela soit que de
voir le commerce inquiet, le commerce embarrassé, le
commerce tourmenté dans l’usage du chèque, n’osant
pas s’eri servir dans la crainte qu’une erreur, qu’une
simple erreur puisse soumettre le négociant qui s’est
trompé à la nécessité de venir devant un magistrat,
devant un juge d’instruction, devant un commissaire
de police, démontrer qu’il a été de bonne foi »
J 55. — A la suite de ces discussions, l’article 6 fut
renvoyé à la commission, mais tout ce que produisit ce
nouvel examen fut la substitution des mots est passible
aux mots est puni. En outre la commission crut devoir
ajouter la disposition qui termine aujourd’hui l’article :
sans préjudice de l’application des lois pénales s’il y a
lieu.
Le sens et l'explication de cette réserve étaient ainsi
expliqués par le rapporteur: «'En soumettant à une
simple amende l’émission d’un chèque sans provision
préalable, la commission n’avait voulu frapper que la
simple contravention fiscale consistant à déguiser, sous
la forme d’un chèque, une véritable valeur de crédit ;
1 Séance du 6 mai 1865.
�DES CHÈQUES. — ART. fi
169
mais elle n’avait pas voulu innocenter le cas où une pa
reille émission serait accompagnée de circonstances qui
lui donneraient le caractère d’un délit. Quoique le rap
port se fût expliqué à cet égard de la façon la plus claire
et la moins équivoque, la commission, prenant en con
sidération les observations qui se sont produites, a in
troduit un changement dans le texte de l’article. »
136. — Ce changement est, nous venons de le voir,
la réserve de l’application des lois pénales s’il y a lieu ;
c’est-à-dire que la loi admet avec M. Martel que lorsque
le tireur aura exercé des manœuvres, rempli toutes les
conditions exigées par l’article 405 du Code pénal, et se
sera ainsi rendu coupable d’une véritable escroquerie,
on le poursuivra criminellement. A ce point de vue
toute réserve était inutile, car nul n’aurait été tenté de
contester la recevabilité, disons mieux la nécessité d’une
répression pénale. L’escroquerie étant certaine qu’im
portait la délivrance d’un chèque ? Cette délivrance n’é
tait que la consommation du délit en amenant la remise
aux mains de l’escroc de la partie de la fortune de la
victime dont il entendait la dépouiller.
Autoriser dans ce cas l’application de l’article 405,
c’était ne rien accorder aux objections qu’avait soule
vée la proposition de supprimer l’article 7 du projet.
Ce que cet article voulait, ce que réclamaient ceux qui
en demandaient le maintien, c’est que le fait de retirer
la provision après la délivrance du chèque fût considéré
et puni comme un délit, abstraction faite de toute autre
�170
LOI DU 14 JUIN 186S
circonstance. C’est qu’on ne laissât pas impuni un fait
aussi grave, aussi compromettant pour la foi publique,
et qui ne comportait que difficilement l’excuse de la
bonne foi.
Or cette impunité la loi l’assure complète entière,
malgré la réserve ajoutée à l’article 6. N’en déplaise à M.
Martel, le fripon qui aura retiré la provision après la dé
livrance du chèque n’aura exercé ni même pu exercer
aucune manœuvre, ni rempli les conditions exigées par
l’article 405 du Code pénal.
Cet article est précis et formel. Les seules manœu
vres punissables sont celles qui ont pour objet de per
suader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir
ou d’un crédit imaginaire. Or ces manœuvres pourront
bien se rencontrer lorsque aucune provision n’étant aux
mains du tiré, le tireur voudra persuader qu’elle existe
et déterminer ainsi le preneur à accepter le chèque.
Mais pour le retrait de la provision après la remise
du chèque, imagine-t-on la possibilité d’une manœuvre
de la nature de celle que l’article 405 prévoit et punit ?
La provision existant réellement au moment de la sous
cription et de la remise du chèque, le tireur ne se sera
pas mis en frais de manœuvres frauduleuses pour en
persuader faussement l’existence. Or quelle est la ma
nœuvre que comporte le fait du retrait ? Tout ce que
fera le tireur, tout ce qu’il aura à faire sera de se pré
senter au tiré, à l’insu du preneur bien entendu, et de
retirer de ses mains les valeurs qui constituaient la pro
vision. Croire que, dans ce but, il se permettra ou se
�171
sera permis des manœuvres autrement frauduleuses,
c’est se berner d’un espoir imaginaire, et se livrer à
des suppositions essentiellement chimériques.
DES CHÈQUES. — ART. 6
157. _ Donc, de toute certitude, en l’état de la loi,
l’article 405 du Code pénal pourra bien atteindre quel
quefois celui qui a émis un chèque sans provision préa
lable, mais il ne pourra jamais être invoqué et appliqué
au retrait de le provision après la délivrance du chèque.
Ainsi le fait le plus grave peut compter sur l’impunité
la plus absolue. L’auteur qui quatre-vingt-dix-neuf fois
sur cent aura agi de mauvaise foi, et se sera impudem
ment joué de ses engagements, en sera quitte pour une
action civile en restitution, contre les conséquences de
laquelle il n’aura pas manqué de se précautionner.
Nous le regrettons d’autant plus que si quelque chose
peut inquiéter, embarrasser le commerce, l’éloigner de
l’usage des chèques, c’est cette scandaleuse impunité.
Mais quelle idée se faisait-on du commerce et des com
merçants, lorsqu’on supposait que la menace d’une
peine contre des hommes que M. Martel lui-même qua
lifiait de fripons, était dans le cas de nuire au succès de
la loi ?
Nous croyons nous, avec l’exposé des motifs de l’arti
cle 7 du projet, que cette menace eût au contraire as
suré ce succès; que les chèques seraient reçus avec
d'autant plus de confiance, et feraient d'autant mieux
office de monnaie que les preneurs seraient mieux ga-
�172
LOI DU
14 JUIPi 1865
rantis contre la mauvaise foi possible de certains
tireurs.
158. — Quoi qu’il en soit, la loi n’a retenu et ne
vise que trois contraventions.
La première consiste dans l’omission de la date. Nous
avons déjà, sous l’article 1er, indiqué la nécessité de la
date et les conséquences qui résulteraient de son omis
sion, vainement aurait-on exigé que le chèque fût tiré
à vue et payé dans les cinq jours de la date, le défaut
de celle-ci ne permettrait pas de vérifier si ces pres
criptions ont été ou non remplies. D’une part, en ffet,
qu’importerait que le chèque fût stipulé payable à vue,
si on pouvait en retarder la présentation ; d’autre part
le point de départ du délai de la présentation manquant,
rien ne serait plus facile que de prolonger même indé
finiment cette présentation et de faire dû chèque un
papier de circulation et de crédit, auquel il serait impos
sible d’appliquer la prescription de cinq ans édictée
contre les lettres de change et les billets à ordre.
459. — La deuxième contravention est la fausse date.
Cette fausse date aurait pour la durée du chèque et sa
mise en circulation les mêmes résultats que l’omission
de la date, quoique dans des proportions restreintes. On
ne pouvait donc pas l’envisager d’un autre œil que
celle-ci, et ne pas édicter contre elle la’même pénalité.
De même que la lettre de change, le chèque fait foi
�DES CHÈQUES. — ART. 6
173
de sa date envers et contre tous ; mais pour la première,
la sincérité de la date est garantie par une sévère et
grave sanction. Aux termes de l’article 139 du Code de
commerce l’antidate d'un ordre constitue le crime de
faux. On sait que l’objet principal de cette manière
d’envisager l’anti-date est d’empêcher qu’une opération
postérieure à la faillite, ou tout au moins contempo
raine de la cessation de paiements, trouvât dans l’anti
date un moyen sûr de produire tout son effet au mépris
des droits de la masse, et. en violation des prescriptions
de la loi à ce sujetl.
L’obligation de réclamer le paiement du chèque dans
les cinq ou les huit jours, y compris celui de la date,
enlevait tout danger et par conséquent toute crainte
d’anti-date. En effet, y recourir ce serait se placer néces
sairement en dehors des délais de la présentation, ou
tout au moins dans les dix jours qui ont précédé la ces
sation de paiements, et s’exposer à tomber sous l’appli
cation des articles 446 et 447 du Code de commerce.
Ce qu’on pouvait redouter c’était une post-date, des
tinée à permettre de présenter le chèque dans le délai
légal malgré qu’il fût en réalité expiré. On n’avait donc
pas à se préoccuper de cette fraude, lorsque son exécu
tion arriverait à une date postérieure à la faillite du
tireur. Dès lors, cessante causa cessât effectus, et rien
ne pouvait faire que cette post-date pût être assimilée au
faux.
i Notre Commentaire de la lettre de change, n»9 336 et suivants.
�174
LOI DU 14 JUIN 1865
Ce qu’elle était en réalité, c’était la tentative de dé
guiser sous l’apparence d’un chèque, un titre ordinaire,
et de s’attribuer ainsi le bénéfice de l’exemption du
timbre, c’était en d’autres termes une fraude à la loi qui
rend ce timbre obligatoire : on ne pouvait donc la con
sidérer autrement que comme une contravention fiscale.
140. — La troisième contravention prévue et punie
par notre article, est le défaut de provision préalable.
L’article 2 fait de cette provision préalable la condi
tion caractéristique du chèque. Donc celui qui en son
absence tire un chèque sur un papier non timbré, com
met à son tour une fraude à la loi, et essaie de s’attri
buer un avantage auquel il n’a et n’avait aucun droit.
Si le tireur s’est livré à des manœuvres dans le but
de persuader faussement de l’existence de la provision,
à la contravention prévue par notre article se joint le
délit puni par l’article 405 du Code pénal, qui devient
applicable ainsi que nous venons de le dire.
141. — Le caractère de contravention assigné aux
trois faits qui précèdent, aboutit à cette conséquence
qu’on n’a ni à rechercher ni à tenir compte de l’inten
tion qui les a inspirés. On sait en effet qu’en matière de
contravention, la bonne ou la mauvaise foi ne saurait
exercer une influence quelconque : la peine est encourue
dès que le fait constitutif de la contravention existe.
A plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’une contraven
tion en matière de timbre. Alors en effet elles existent
�175
dans quelques circonstances que ce soit par cela seul
qu’on a fait usage d’un papier non timbré lorsque le
timbre était obligatoire. Eût-on agi de la meilleure foi
du monde, et même par ignorance, qu’on ne saurait
être affranchi de la peine portée par la loi.
DES CHÈQUES. — ART. 6
142. — Cette peine est pour chacune des contraven
tions prévues une amende de six pour cent de la som
me pour laquelle le chèque est tiré. Tandis que M. Pi
card trouvait cette amende draconnienne, M. Millet la
déclarait insuffisante et proposait de l’élever à 12 pour
cent.
C'était bien à ce taux que le projet était arrivé, mais
en le divisant, en en mettant la moitié à la charge du
tireur et l’autre moitié à la charge du preneur. La
commission affranchissant, par les motifs que nous avons
indiqués, celui-ci, ne crut pas devoir reporter sur le
tireur le six pour cent que le projet exigeait de lui ; elle
réduisait donc l’amende au taux actuel qui fut adopté
par le Corps législatif. Il faut avouer que ce taux de six
pour cent, s’il ne mérite pas le reproche que lui adres
sait M. Picard, était plus que suffisant dans le cas sur
tout où la contravention était évidemment le résultat
d’un oubli ou d’une erreur de compte.
M. Millet proposait encore de déclarer qu’outre l’a
mende de six pour cent le contrevenant devrait payer
le prix du timbre. Cette proposition fut également re
poussée par la commission. <<Le timbre est dû, disait
le rapporteur, toutes les fois que l’amende est encourue
�176
LOI DU 14 JUIN 1 8 65
pour infraction à la loi qui en prescrit l’emploi.C’est là
un fait inutile à énoncer. »
143. — On s’est demandé si le tireur qui, ayant
souscrit un chèque sans provision préalable, ferait plus
tard cette provision, pourrait échapper à l’amende pro
noncée par notre article 6 ?
En droit la négative ne saurait faire l’objet d’un doute.
La provision préalable est la condition sans laquelle il
ne saurait y avoir lieu à chèque. C’est ce qui résulte
énergiquement de la disposition de l’article 2.
Donc celui qui, en l’absence de cette provision préa
lable souscrit un chèque, ne fait en réalité que créer
soit une lettre de change, soit un billet à ordre, soit un
mandat ordinaire ; et s’il se sert d’un papier non tim
bré, il contrevient à la loi qui rend le timbre obliga
toire, et encourt la peine qu’entraîne cette contra
vention.
Qu’importe qu’il ait fait plus tard la provision, cela
ne pourra jamais faire que cette provision ait existé au
moment de l’émission du chèque, et qu’il eût le droit de
s’affranchir du timbre, au moment où il s’en affran
chissait.
144. — En droit donc la contravention est certaine
et la peine encourue ; mais en fait il est impossible qu’il
y ait poursuite et condamnation.
Si la provision quoique tardive est faite assez à temps
�DES CHÈQUES. — ART. 6
\7 7
{four qu’elle existe au moment où le chèque sera pré
senté, le tiré paiera, et le chèque ainsi acquitté viendra
grossir le nombre des effets payés. Qui donc aura à re
chercher et même à s’enquérir si la provision a ou non
existé au moment de l’émission du chèque? Comment
dès lors la contravention, si tant est qu’elle existe,
viendra-t-elle à la connaissance de l’administration ?
Prétendrait-elle le saisir entre les mains du tiré ? elle
n’en serait pas plus avancée, parce que le titre ne peut
indiquer par lui-même si les conditions exigées pour sa
régularité ont été ou non observées. Il n’y a que les écri
tures du tiré qui pourraient éclairer sur le moment
précis où la provision a été faite. Mais à quel titre et de
quel droit l’administration viendrait-elle consulter ces
écritures ou exiger qu’elles lui fussent communiquées ?
Dans la séance du 6 mai 1868, le commissaire du
Gouvernement, M. de Lavenay, reconnaissait lui-même
que « Toutes les fois que des papiers susceptibles soit
d’un timbre fixe soit d’un timbre proportionnel, échap
paient à cette formalité, l’administration ne pouvait pas
les saisir, par voie d’inquisition chez les particuliers
commerçants ou non commerçants ; qu’elle était obligée
d’attendre que les papiers tombassent dans ses mains par
des voies légales, telles qu’un procès, qu’une faillite,
que la mention dans un inventaire, etc. ; qu’alors l’ad
ministration percevait les droits, les doubles droits et
les amendes. »
Or le chèque payé est par cela même annulé, et
n’est plus qu’une pièce justificative à la décharge du
12
�LOI DU U JUIN 1868
178
tiré, et alors même que des débats sur le compte force
raient à le produire, l’administration serait bien forcée
de l’accepter comme chèque dans l’impuissance absolue
où elle se trouverait d’établir qu’on n’avait pas fait la
provision préalable exigée par la loi.
Donc quelque tardive qu’ait pu être en fait la provi
sion, le paiement du chèque excluant tout moyen d’éta
blir cette lardiveté, oppose un obstacle invincible à toute
poursuite.
145. — Qu’en serait-il si le retard avait été tel qu’à
la suite du refus de payer, un protêt eût été dressé?
Il est certain que le protêt mettrait l’administration
sur la voie, puisqu’il nécessiterait l’enregistrement du
chèque, et que l’absence de provision au jour de la
présentation ne permettrait pas de douter de sa nonexistence au moment de l’émission.
Mais le protêt en constatant le refus du paiement
n’en indique pas la cause; ce refus peut tenir à des
prétentions sur les sommes que le tiré a en mains, soit
de sa part, soit de celle de créanciers du tireur. Il n’est
donc pas absolument inconciliable avec l’idée d’une
provision préalable, et dans le doute on ne pouvait pas
autoriser une poursuite et une condamnation contre la
quelle il faudrait peut-être revenir.
C’est ce qu’avait pensé le Gouvernement que la com
mission avait cru devoir consulter. Voici, en effet, sa
réponse, telle que le rapporteur de la commission la
�DES CHÈQUES. —
ART. 6
179
communiquait au Corps législatif dans la séance du 20
mai 1865 :
« En ce qui concerne le timbre, l’administration doit
s’abstenir, en cas de protêt, de percevoir les droits de
timbre, et de soumettre à des amendes tout effet négo
ciable ayant le caractère extérieur du chèque. Ce n’est
que lorsque un jugement sera intervenu, qu’il aura éta
bli qu’un effet ayant emprunté la forme du chèque n’était
pas un véritable chèque; ce n’est en un mot que lors
que le caractère de l’effet aura été juridiquement déter
miné, que l’administration réclamera, lors de l’enregis
trement du jugement, le droit de timbre et les aman
des. *
Déjà M. de Lavenay, parlant au nom du Gouverne
ment, avait dit : « Il y a un principe reconnu, c’est
qu’en matière de timbre exemption vaut paiement. Le
chèque, même protesté, est donc réputé avoir payé le
timbre jusqu’au moment où il sera démontré qu’il n’y
avait pas provision, que ce n’était pas un chèque, qu’il
n’avait pas droit dès lors à l’exemption.
« Or à quel moment se fera la démonstration ? ce ne
sera pas au moment du protêt, car le refus de paiement.
peut venir, soit de ce que le banquier était en faillite,
soit de ce qu’il n’avait pas tenu la provision disponible,
soit de ce qu’il était survenu une saisie-arrêt, soit pour
tout autre motif qui ne dénature pas le chèque.
« A quelle époque donc sera-t-il reconnu qu’il n’y
avait pas provision, ou qu’on avait dissimulé une lettre
de change sous un chèque? Ce sera lorsque le jugement
�sera intervenu et aura donné à l’effet son véritable ca
ractère. A ce moment, l’administration se mettra en
mouvement ; elle réclamera le droit et l’amende, et elle
s’adressera à la partie qui, aux termes du jugement,
aura été déclarée responsable.
« Il n’y a donc aucun inconvénient à craindre en
fait, ajoutait M. de Lavenay. La chambre peut être as
surée que les choses se passeront de la façon la plus
simple et la plus régulière. L’opinion que j’énonce n’est
pas seulement la mienne ; je l’avais déjà exprimée dans
le sein de la commission comme mon opinion person
nelle ; mais je l’ai contrôlée de manière à pouvoir par
ler ici avec plus de certitude, et c’est après avoir con
sulté officiellement l’administration de l’enregistrement
que je la reproduis devant le Corps législatif1. »
146. — Il n’y a donc aucun doute à concevoir : le
protêt n’enlève pas au titre le caractère de chèque que
lui donne l’apparence, alors même que le tiré aurait
répondu n’avoir ni fonds, ni avis, ni provision ; il n’y a,
à ce sujet, certitude que lorsqu’un jugement a reconnu
et constaté la sincérité de la réponse. Alors le défaut
de provision préalable est acqbis, la contravention
existe, et le droit d’en poursuivre la répression ne sau
rait être contesté.
De là cette conséquence : que si après protêt le tiré
paye parce qu’il a reçu la provision, ou que si le chèque
i Séance du 6 tuai 4863.
�181
est retiré par le tireur, il n’y aura et il ne pourra y avoir
lieu à jugement et par conséquent à aucune poursuite,
puisque rien ne sera venu retirer judiciairement au
titre le caractère de chèque qui lui a été donné.
La nécessité d’un jugement, pour que la poursuite
de la contravention puisse avoir lieu, prouve combien
étaient chimériques les craintes exprimées par le rap
porteur et par M. Martel pour justifier le rejet de l’ar
ticle 7 du projet. Comment admettre en effet que cette
nécessité n’eût pas été imposée à la poursuite non plus
d’une simple contravention passible d’une amende, mais
d’un délit puni de peines corporelles ?
Or si le ministère public ne pouvait agir qu’après
jugement, on n’avait pas à craindre que cédant à l’ap
parence il confondit la bonne foi avec la mauvaise et
soumit les commerçants à l’obligation de répondre à
des mandats de comparution, et à fournir des explica
tions. Le jugement, en constatant le fait, en aurait,
comme nous l’avons dit, indiqué les causes, et quel est
le procureur de la République qui eût poursuivi s’il
était déclaré que le défaut de provision préalable ou
son retrait, n’était dû qu’à un oubli, qu’à une erreur de
compte ?
DES CHÈQUES. — ART. 6
147. — Rien dans la loi ne se réfère au droit de pré
tendre que le titre n’est pas un chèque que le porteur
pourrait vouloir exercer, et les documents officiels et la
discussion elle-même sont absolument muets à ce sujet.
Cependant le sort de la créance peut tenir à la solu-
�182
LOI DU 14 JUIN 1865
tion de la question. Supposez en effet un protêt fait
après l’expiration du délai prescrit par l’article 5. Si
chèque, le recours contre les endosseurs est perdu, et
celui contre le tireur peut l’être, c’est-à-dire que le
porteur perdra ou ne perdra pas sa créance suivant le
caraclère qu’on assignera au titre, car tous les recours
subsisteront s’il est déclaré ne pas constituer un chèque.
L’intérêt du porteur à ce qu’on le décide ainsi est donc
aussi incontestable que certain, que considérable.
Or l’intérêt étant la mesure de l’action on ne voit
pas ce qui pourrait faire écarter celle du porteur. On
devrait donc le déclarer recevable à soutenir et à prou
ver que le titre n’est pas un chèque, sauf la preuve
contraire par ceux qui y auraient intérêt.
Si la prétention du porteur était accueillie et consa
crée, le tireur se trouverait convaincu d’avoir mal à
propos usé d’un papier non timbré, et l’enregistre
ment du jugement mettrait l’administration à même de
poursuivre le recouvrement du droit et de l’amende.
Art . 7.
Les chèques sont exempts de tout droit de timbre
pendant dix ans, à dater de la promulgation de la pré
sente loi.
�DES CHÈQUES. —
ART. 7
185
SOMMAIS!.
148. Caractère de l’article 7.
149. L’exemption du timbre devait - elle être perpétuelle ou
temporaire. Opinion du gouvernement?
î50. Durée que lui avait assignée le conseil d’Etat.
151. Durée admise par la commission du Corps législatif.
152. Rejet par le conseil d’Elat des mots au moins, proposés
par la commission. Son caractère.
153. Observations au Sénat de M. de Germiny , rapporteur
de la loi.
154. Appréciation.
155. Reproche adressé par M. Ernest Picard à l’article 7.
156. Réponse de M. Martel.
157. Proposition de M. Garnier de dispenser le chèque de l’en
registrement. Motifs.
158. Réponse du commissaire du gouvernement.
159. Droit dont il est passible.
160. Abrogation de l’art. 7 par la loi du 23-25 août 1871.
448. — L’exemption du timbre, tel est l’avantage
que parut nécessiter le désir d’encourager l’usage des
chèques et d’en favoriser le développement. Il est cer
tain que le moyen adopté était dans le cas d’atteindre et
faisait espérer le résultat qu’on s’en proposait. Profita
ble aux maisons de premier ordre qui remuent annuel
lement des millions, ce moyen ne l’était pas moins pour
les maisons plus modestes, et même pour les petits
commerçants pour lesquels la moindre économie a son
intérêt et ses avantages.
�184
LOI DU 14 JUIN 1865
149. — L’exemption devait-elle être partielle ou
entière et absolue, temporaire ou perpétuelle ? Chaque
opinion avait trouvé des défenseurs, lorsque dans la ses
sion de 1864 il avait été pour la première fois question
des chèques.
C’est pour l’exemption totale mais temporaire que
s’était prononcée la commission chargée de préparer la
loi. Cette opinion, adoptée par le conseil d’Etat, le fut
également par le Gouvernement qui la justifiait en ces
termes dans l’exposé de l’article 8 du projet :
« Une faveur fiscale avait été le point de départ mê
me de la loi présentée l’année dernière ; ce point de
départ fut admis par tout le monde. On ne différait que
sur la question de quotité : les uns proposaient un droit
minime, les autres une exemption absolue. Le droit mi
nime présentait cet inconvénient que, sans procurer une
recette sérieuse au Trésor, il occasionnerait, par sa per
ception , une certaine gêne dans les transactions.
L’exemption absolue, d’un autre côté, avait le tort de
porter une atteinte fâcheuse au principe même de l’impôt
du timbre. D’après la législation sur le timbre, tout pa
pier susceptible de faire foi en justice d’un engagement
ou d’une libération doit être timbré. Les exceptions
strictement limitatives se rapportent toutes à une de
ces trois catégories : actes politiques, actes administra
tifs, actes qui touchent à la bienfaisance ou à l’intérêt
des classes pauvres. Le chèque ne rentrait évidemment
dans aucune de ces catégories ; ainsi le droit réduit avait
des inconvénients pratiques, l’exemption absolue des
�DES CHÈQUES. — ART. 7
18î>
inconvénients de principe. La nature même des incon
vénients que l’on invoquait pour l’exemption totale a
suggéré la solution. On disait : quand l’usage du chèque
n’était pas encore très-répandu en Angleterre, quand il
n’était pas encore complètement entré dans les habitu
des de la population, le chèque ne payait aucun impôt ;
lorsqu’il a été frappé de l’impôt d’un penny, c’est qu’il
était déjà tellement connu, tellement apprécié, qu’il
faisait tellement partie intégrante du mécanisme finan
cier de l’Angleterre, qu’il se reliait tellement aux autres
éléments de la circulation fiduciaire dans ce pays, qu’il
pouvait supporter un léger impôt sans préjudice et
qu’aucune considération ne justifiait plus à son égard
une dérogation au droit commun. En France, ajoutaiton, l’usage des chèques est encore dans l’enfance, il
cherche à entrer dans les habitudes, mais il n’y est pas
entré encore, il n’est pas même pour le droit commun.
Cet ordre d’idées qui est le vrai, s’il appelait comme
conséquence une exemption totale, n’appelait pas une
exemption définitive, et il a paru qu’une exemption to
tale, mais temporaire, ne présenterait ni les inconvé
nients pratiques du droit réduit, ni les inconvénients de
principe de l’exemption absolue. »
ISO. — L’exemption temporaire adoptée en prin
cipe, restait à déterminer quelle durée lui serait as
signée.
La commission chargée de la préparation de la loi
avait proposé dix ans, et ü faut avouer que ce n’était
�186
LOI DU 1-4 JUIN 1865
pas trop. Dix ans n’occupent pas une très-large place
dans la vie d’une nation, les nouveautés ne s’implan
tent guère dans un temps aussi réduit, et l’on pouvait
craindre que le chèque, après dix ans ne fût pas encore
si parfaitement acclimaté, si complétemenl relié à notre
système fiduciaire, qu’on pût et dût lui retirer le béné
fice de l’exemption : qu’on songe qu’en Angleterre il
avait jouit de la gratuité pendant cinquante ans.
Cependant le conseil d'Etat avait trouvé le délai de
dix ans exagéré et l’avait réduit à cinq ans estimant
que ce terme satisferait à tous les besoins actuels, et
permettrait aux pouvoirs législatifs, à son expiration,
de statuer dans toute leur liberté, en présence de la
situation de fait qui se produirait alorsl. »
4SI. — Mais la commission du Corps législatif ne fut
pas de cet avis. Son rapporteur nous apprend qu’elle
avait pensé que le terme de dix ans était nécessaire pour
permettre au système des chèques d’acquérir tout son
développement. Le rapport ajoute : elle n’a pas cru, du
reste, que ce terme de dix ans dût être considéré com
me un maximum qui ne pourrait pas être dépassé, et
elle a proposé d'ajouter à ce chiffre de dix ans les mots
an moins, afin qu’il n’y eût pas d’équivoque a ce sujet.
152. — Le conseil d’Etat accepta la limite de dix ans
mais rejeta les mots au moins. Si ce rejet reposait sur
! Exposé des motifs.
�187
— ART. 7
leur inutilité, le droit du législateur de prolonger de
nouveau l’épreuve si celle qui venait d’avoir lieu ne
paraissait pas suffisante, n’avait pas besoin d’être inscrit
dans la loi, ni d’être expressément réservé; il existait
certain, incontestable, et nul ne pouvait songer à en
dénier l’exercice.
Que si au contraire le rejet puisait sa raison d’être
dans la pensée qu’après dix ans il n’y aurait plus rien
à faire, parce que l’expérience était décisive dans un
sens ou dans l’autre, on pourrait croire que le conseil
d’Etat s’était trompé.
Nous puisons une preuve de la difficulté qui rendait
un pareil espoir en quelque sorte irréalisable, dans les
observations si justes que le rapporteur de la loi sou
mettait au Sénat.
DES CHÈQUES.
155. — Après avoir émis l’espérance que le chèque
survivrait aux nombreuses théories que le développe
ment du crédit faisait surgir, M. le comte de Germiny
dont on ne peut contester la compétence en matière de
finance, continuait : « Seulement jouera-t-il de suite
en France le rôle important qu’il a en Angleterre? En
le souhaitant sincèrement, il nous semble utile de re
marquer pourquoi ce peut être une question. Il faut
tenir compte des habitudes commerciales des deux na
tions, de la différence de richesse métallique des deux
pays ; il faut se souvenir par exemple que la France
possède pour cinq ou six milliards de numéraire, et
qu’elle tient à conserver ce Trésor avec sollicitude. Si
�188
LOI DU
14
JUIN
1865
elle pouvait penser que le chèque serait un moyen de
substituer une valeur en papier au numéraire, elle ne
l’accepterait qu’avec une extrême réserve ; elle aurait le
sentiment que cet instrument de paiement et de com
pensation lui est moins nécessaire qu’à l’Angleterre qui
passe pour n’avoir qu’un milliard cinq cent millions de
métaux précieux.
« Il est aisé de comprendre que le peuple Anglais a
dû s’occuper des formes de crédit suppléant à l’or et à
l’argent : et malgré tout le parti qu’il tire de ces formes,
la question de savoir si elles nous sont aussi nécessai
res, si nous ne devons pas nous estimer heureux d’en
avoir moins de besoin, ne sera pas chez nous résolue
sans réflexion. Elle le sera cependant, nous le croyons
du moins, dans le sens de l’adoption des chèques, car
il y a place pour eux, si nous savons les employer sans
leur permettre de nous faire oublier qu’ils doivent ser
vir d’appoint, rien de plus, à notre circulation métalli
que, toujours digne de nos préférences. »
Plus loin M. de Germiny ajoute encore : « Pourquoi
inclinons-nous à croire qu’en France l’usage du chèque
ne sera pas appliqué sans hésitation? Parce que nous
avons des habitudes dont nous nous départirons diffi
cilement. Ce n’est pas sans raison et sans respect pour
de saines traditions que les populations stipulent, dans
la plupart de leurs baux, l’obligation d’en payer le prix
principal en espèces sonnantes d’or et d’argent et non
autrement ; et comme on dit que l'homme a l’instinct
de sa conservation, on peut dire que le peuple français
�— ART. 7
189
a l’instinct national de la conservation du numéraire.
Ajoutons que depuis qu’il y a plus d’or que d’argent
dans la circulation (autrefois c’était le contraire), on n’a
pas môme pour s’en servir moins le prétexte de l’incom
modité, et souvenons-nous que pour les soldes débi
teurs de nos relations internationales on ne peut se pas
ser d’espèces. »
DES CHÈQUES.
.\
-
' : .
N
154. -— M. de Germiny s’exagère tellement le rôle
du chèque, qu’on serait tenté de croire qu’il n’en a pas
bien saisi le mécanisme. En quoi, en effet, son dévelop
pement pourrait-il empiéter sur notre capital moné
taire, le modifier ou lui nuire ?
Comme moyen de paiement le chèque ne fait qu’ac
tiver la circulation ; il ne dispense pas du paiement en
espèces, seulement au lieu de le faire opérer par le
débiteur direct, il le fait réaliser par le débiteur du dé
biteur, qui devant avoir et ayant provision préalable,
est en mesure d’y pourvoir. Dans ces conditions nous
sommes convaincus que ceux-là même qui ont stipulé
le paiement en espèces sonnantes n’hésiteraient pas à
accepter le chèque qui leur procure ce paiement, mais
par Pierre au lieu de Paul. Or que leur importe de re
cevoir de l’un ou de l’autre pourvu qu’en définitive ils
soient intégralement désintéressés? Le chèque se subs
titue si peu à la monnaie, qu’il n’est libératoire que
lorsqu’il a fait arriver celle-ci aux mains du porteur.
S’il n’est pas payé le preneur conserve tous ses droits
contre le tireur.
�190
LOI DU 14 JUIN 1 8 6 5
Comme instrument de compensation, le chèque n’a
qu’un seul objet, qu’un seul résultat, celui d’éviter un
mouvement de caisse absolument inutile. Si comme
créancier l’un des intéressés a à recevoir, comme débi
teur il a à payer ; il devrait donc restituer immédiate
ment ce qui vient de lui être compté. Or à quoi bon
cette sortie et cette rentrée de caisse? N’est-ce pas son
inutilité qui a déterminé l’adoption du paiement par
compensation ?
Or cette compensation qui a lieu de plein droit dès
qu’on est en même temps créancier et débiteur, quelle
que soit la nature du titre, pourquoi offrirait-elle, en
matière de chèque, un danger pour notre capital mé
tallique? Nous ne saurions, en l’état, concevoir ce dan
ger, et nous n’admettrons jamais que le chèque qui sup
plée en Angleterre au capital monétaire, eût en France
le résultat de compromettre, de diminuer ce capital.
Quoi qu’il en soit ce qui est beaucoup plus réel, ce
sont les obstacles, les difficultés que des habitudes dès
longtemps contractées, c’est-à-dire que la routine op
posera au développement du chèque, en dehors d’un
cercle assez restreint de commerçants qui en faisaient
usage sous un autre nom. Ces obstacles, ces difficultés
auront-il disparu dans dix ans ? Le Gouvernement luimême en doutait, puisqu’il ne voyait dans l’exemption
temporaire qu’un moyen qui permettrait au Corps lé
gislatif, à l’expiration du délai, de statuer en toute liberté
en présence de la situation de fait qui se produirait alors.
11 est vrai qu’il se plaçait dans l’hypothèse d’un terme
�DES CHÈQUES. — ART. 7
491
de cinq ans, mais nous ne croyons pas qu’on puisse
espérer mieux et plus de dix ans. C’est une expérience
qu’on a voulu essayer, et les résultats obtenus appren
dront si le chèque est ou non entré si profondément
dans la pratique, qu’on peut ou non le soumettre au
droit commun en matière d’impôt.
155. — L’article 7 souleva quelques objections. M.
Ernest Picard s’élevait contre l’exemption d’impôt pen
dant dix ans, et déniait au Corps législatif le droit et
le pouvoir de la consacrer.
« Je crois, disait-il, que nous nous exprimons mal
en disant que les chèques seront exempts de tout droit
de timbre pendant dix aus ; je crois que nous n’avons
pas le droit d’engager ainsi l’avenir. Nous devons voter
l’impôt chaque année, et lorsque nous disons que les
chèques seront exemptés de l’impôt pendant dix ans,
nous disons, à mon sens, deux choses qu'il ne nous ap
partient pas de dire ; la première, c’est qu’on n’imposera
pas les chèques pendant dix ans, et la deuxième, c’est
que dans dix ans les chèques seront imposés. En prin
cipe nous pourrions dire que le chèque ne doit pas être
soumis à l’impôt ; s’il doit être un jour soumis à l’impôt
il sera temps d’étudier la question et de la décider ce
jour-là. Quant à ce bail de dix années que nous don
nons soit dans l’intérêt des banques de dépôt, soit au
trement, je le trouve, oserai-je dire le mot, inconsti
tutionnel et contraire aux habitudes qu’une chambre
doit soigneusement garder, Si nous nous servions sou-
�X
192
/
LOI DU 14 JUIN 1 8 6 5
vent de ces locutions, nous aurions des impôts qui fini
raient dans un an, dans deux ans, dans trois ans, si tant
est, par extraordinaire qu’ils dussent jamais finir; d’au
tres qui commenceraient dans cinq, dans dix, dans
quinze années : je crois que nous préparerions ainsi à
nos successeurs de grandes difficultés. »
1 5 6 .— Il est étrange que M. Picard reconnût au
Corps législatif le droit de dire que les chèques ne se
raient pas soumis à l’impôt, c’est-à-dire de leur accor
der une exemption absolue et perpétuelle, et lui con
testât celui d’accorder une exemption seulement tem
poraire. Cependant ce dernier ne s'induisait-il pas ri
goureusement du premier, et depuis quand pouvait-on
ou devait-on refuser la faculté de faire moins à celui à
qui on reconnaissait le pouvoir de faire plus ?
Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que le droit
d’accorder une exemption d’impôt temporaire était
exercé, et son exercice n’avait jamais soulevé de récla
mation, ni créé ces grandes difficultés que redoutait
M. Picard.
Nous nous souvenons qu’en 1848 on avait excepté
de l’impôt pour une période de dix ans, les construc
tions nouvelles. Dans une autre circonstance, une exem
ption de vingt-quatre ans avait été accordée pour les
dessèchements des marais.
C’est ce précédent que M. Martel rappelait en ré
ponse à M. Picard. Pourquoi, ajoutait M. Martel, la loi
avait-elle accordé cette exemption ? Pour encourager le
�DES CHÈQUES. — ART. 7
193
dessèchement des marais. Pourquoi avons-nous, d’ac
cord avec le Gouvernement, exempté de timbre pen
dant dix ans le chèque? C’est afin d’encourager l’usage
des chèques K
157. — Une critique d’un autre genre était dirigée
contre l’article. M. Garnier lui reprochait de n’avoir pas
exonéré les chèques des droits d’enregistrement en
même temps qu’il les exonérait des droits de timbre,
et d’être ainsi en contradiction avec tous les précédents
législatifs, car jamais les lois postérieures à la loi du 13
brumaire an XIII n’ont accordé l'exemption du timbie a
certains actes sans leur accorder en même temps celle
des droits d’enregistrement.
« La perception de ces droits, disait M. Garnier, en
traînera des difficultés très-sérieuses. En effet, lorsqu’un
chèque sera protesté, il affectera nécessairement les
caractères d’un des trois actes suivants : s’il a été en
dossé et qu’il ait été tiré de place en place, ce sera une
lettre de change passible du droit de 25 centimes pour
cent. Si, ayant été endossé, il n’a été tiré que de la
place dans laquelle il doit être payé, ce sera un billet à
ordre ou un effet négociable ordinaire passible de
50 centimes pour cent. Enfin s’il n’est pas endossé, ce
sera une obligation pure et simple passible de 1 pour
cent. Vous voyez donc que le chèque protesté peut
prendre, en présence des droits d’enregistrement, difl Séance du 6 mai 4865.
13
�__ _
194-
loi du
14 j u i n
18 65
férentes physionomies et peut, par conséquent susciter
des difficultés.
M Garnier allait plus loin encore, et admettant que
l’enregistrement du protêt donnerait lieu à la perception
des droits de timbre et de l’amende, il s’élevait contre
l’injustice de cette perception.
« Du moment, disait-il, que la provision est le signe
caractéristique du chèque, il y a présomption que l’acte
protesté n’est pas un chèque, puisqu’il n'y avait pas
provision pour le payer. Donc le receveur est parfaite
ment autorisé à le considérer comme n’étant pas un
chèque, et, par conséquent à percevoir les droits pro
pres à l’acte dont il lui restera à apprécier les caractè
res. Mais alors qui est-ce qui paiera les droits de timbre
et les amendes dont cet acte sera passible ? Et remar
quez que les droits à exiger pourront être très-considé
rables, car l’amende exigible sur un effet non timbré
est de six pour cent contre le tireur, et si l’effet est en
dossé il y a une seconde amende de six pour cent en
core contre le premier endosseur. Qui donc paiera cette
amende et ces droits de timbre pouvant s’élever à une
somme considérable ? Incontestablement, et d’après les
principes établis en matière fiscales, ce sera celui qui
fera faire le protêt, c’est-à-dire le tireur. Or, en bonne
conscience, si le chèque n’a pas été payé par suite de
circonstances étrangères à la volonté du tireur, serait-il
équitable d’exiger de lui le paiement de sommes souvent
fort considérables?
« Je sais bien qu’on me dira : le jugement qui in-
/
�7
198
terviendra plus lard rendra à l’acte protesté son vérita
ble caractère ; mais si dans l'intervalle du protêt au ju
gement, ce qui arrivera très-souvent, l'effet vient à être
payé, les droits qui auront été payés seront définitive
ment acquis au Trésor, parce que, comme il n’y aura
plus d’acte pouvant fournir la preuve légale du vérita
ble caractère de l’acte protesté, les droits seront consi
dérés comme ayant été régulièrement perçus, et, par
suite, non restituables. Mais je vais plus loin, et je dis
qu’alors même qu’un jugement interviendrait et déter
minerait le véritable caractère de l’acte sur lequel au
ront été perçus les droits, et amendes de timbre, alors
même que ce jugement établirait que cet acte était bien
réellement un chèque, il serait peut-être douteux qu’on
put obtenir la restitution des droits perçus, ou tout au
moins la demande de cette restitution pourrait faire
naître des difficultés. En effet, il est un principe fort ri
goureux posé par l’article 60 de la loi du 22 frimaire an
VII, principe qui veut que les droits régulièrement per
çus ne soient pas restitués quels que soient les événe
ments ultérieurs, et je pourrai mettre sous vos yeux une
foule de monuments judiciaires qui établissent que, dans
beaucoup de cas, qui présentent avec le notre une ana
logie parfaite, le jugement qui déterminait le caractère
de l’acte précédemment enregistré, devait être consi
déré comme un événement ultérieur, ne pouvant rétroagir sur la perception faite, et, par conséquent, ne pou
vant autoriser la restitution des droits. »
DES CHÈQUES. — ART.
�158. — Le commissaire du Gouvernement, M. de
Lavenay, répond à M. Garnier :
« En ce qui touche l’enregistrement, je serai trèsbref, et je dirai très-franchement au Corps législatif qu’au
point de vue de l’enregistrement le projet de loi ne fait
absolument rien, il n’entend rien faire. On n’a jamais
demandé au Gouvernement de rien faire pour les chè
ques au point de vue de l’enregistrement, et l’enregis
trement est tout-à-fait étranger au projet de loi. Les
chèques sont, dans ce moment, comme tous les papiers
de même nature, passibles du timbre dans tous les cas
et d’enregistrement quand ils viennent en justice après
protêt. 11 a paru à tout le monde qu’il y aurait grande
utilité publique à les exempter de l’impôt du timbre,
parce que l’impôt pèse sur tous les chèques sans dis
tinction, et grèverait toutes les liquidations, tous les
paiements dans lesquels on en ferait usage ; l’exemption
a ici le caractère d’une mesure d’intérêt général ; quant
à l’enregistrement, il ne pèse que sur les effets protes
tés. Lorsqu’un effet a été protesté soit pour défaut de
provision, soit par suite dqjaillite, soit sur opposition,
il y a toujours quelqu’un en faute ; il n’y a d’ailleurs là
qu’un fait accidentel qui ne saurait motiver une mesure
générale; l’intérêt public n’est pas en cause. »
Quant aux conséquences de l’enregistrement du pro
têt relativement à l’amende, signalées par M. Garnier,
elles n'étaient pas à craindre, dès que la perception de
l’amende ne pouvait avoir lieu après protêt. Or, comme
nous venons de le voir, le Gouvernement officiellement
�7
197
consulté à ce sujet, avait déclaré que cette perception
n’était autorisée qu’après jugement et sur l’enregistre
ment de ce jugement, il n’était dès lors pas à craindre
que l’administration exigeât et l'amende et les droits de
timbre, si le titre était reconnu un chèque, et si l’instan
ce judiciaire et le protêt qui l’avaient précédée n’étaient
dus qu’à des causes n’affectant en rien ce caractère. On
n’avait donc pas à prévoir une perception irrégulière,
ni à se préoccuper des difficultés d’une restitution.
DES CHÈQUES. — ART.
' .■
V
.
159. Restaient les difficultés que pouvait présenter la
détermination du droit à percevoir sur les chèques, sur
lesquelles la commission avait cru devoir également con
sulter le Gouvernement. Voici en quels termes le rap
porteur faisait connaître la réponse :
« Il n’apparaît pas que la perception du droit d’enre
gistrement puisse présenter des difficultés quant à l’ap
plication du tarif.
« Que le chèque soit endossé ou non, il restera tou
jours un effet négociable (art. 1er de la loi), il ne peut
donc pas être soumis au droit de un pour cent, droit des
obligations pures et simples.
Le chèque ne reste donc pas non plus une lettre de
change puisqu’il exige la provis on préalable, et qu’il ne
constitue pas un acte de com m erce. Il ne saurait donc
être soumis au tarif de cette nature d’effets.
« Le droit qui, dans tous les cas, sera dû pour le
chèque protesté ou produit en justice sera donc de cin
quante centimes, établi par l’article 69 § 2 , n° 6 de la
�loi du 22 frimaire an VII, pour tous les effets négo
ciables,
160. — Le législateur ne pouvait supposer que les
chèques ne jouiraient pas même de la période d’exemp
tion que leur accordait l’article 7. Les charges énormes
que la guerre insensée de 1870 a fait peser sur la France
ont rendu indispensable l’extension des impôts existants,
la création de nouveaux impôts.
Cependant le Gouvernement n’avait rien changé au
régime des chèques, mais divers impôts par lui propo
sés étant repoussés ou réduits parla commission de l’As
semblée nationale, il fallut pourvoir aux nécessités du
budget par de nouvelles ressources.
Au nombre de ces ressources nouvelles la commis
sion fit figurer un impôt sur les chèques.qu’elle réduisait
d’ailleurs au chiffre de dix centimes. Cette proposition
ayant été adoptée, a pris place dans l’article 18 delà loi
des 23-25 août 1871, qui dispose :
A partir du 1er décembre 1871 sont soumis à un droit
de timbre de dix centimes :
r.. ..
2° Les chèques, tels qu’ils sont décrits par la loi du
14 juin 1835, dont l’article 7 est et demeure abrogé.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
��Article 6. — Est réduit à dix centimes le droit de timbre des
mandats appelés chèques, non négociables par voie d'endos
sement et payables à présentation, soit seulement à la personne
y dénommée, soit à la personne y dénommée ou au porteur.
Art. 7. — Pour jouir de la modération de droit établie par
l'article ci-dessus, les mandats doivent être extraits d’un livre
à souche préalablement timbré sur la souche et sur le talon.
Art. 8. — En cas de contravention aux dispositions qui pré
cèdent, le souscripteur du mandat, le porteur, le banquier,
l’établissement, ou toute personne qui aura acquitté le mandat,
sont passibles, chacun et sans recours, d’une amende de 50
francs, ils sont solidaires pour le paiement des amendes et du
droit de timbre.
EXPOSÉ DES MOTIFS DU BUDGET DE 1865.
Messieurs, personne n’ignore aujourd’hui la nature et l’ob
jet des billets connus sous le nom de chèques. Un établisse
ment de banque ou de crédit reçoit des fonds en compte cou
rant ; le déposant veut faire un paiement à un tiers quelconque.
V
�202
LO I DÜ
H
ju in
1865
il remet à ce tiers un billet sous forme de mandat ou de récé
pissé, extrait d’un livre à souche que l’établissement lui a dé
livré. Au vu de ce billet, la banque paie, sous la seule condi
tion qu’il y ait provision suffisante au compte créditeur du dé
posant. Le billet ainsi tiré sur l’établissement dépositaire, c’est
le chèque.
L’usage des chèques présente divers avantages. Il tend à ac
croître, au profit des établissements de crédit, l’importance
des sommes mises à leur disposition par les comptes-courants;
il donne aux déposants des facilités qui leur permettent simul
tanément de tirer un intérêt de leurs fonds, d’avoir ces fonds
toujours disponibles, et de faire des paiements sans déplace
ment de numéraire. Lorsque les chèques se multiplient
et que les établissements sur lesquels ils sont tirés sont
en même temps porteurs de chèques tirés sur d’autres établis
sements, les avantages de ce mode de paiement se développent
et beaucoups d’affaires se règlent par de simples virements.
L’Angleterre a de beaucoup dépassé la France sous le rapport
de l’usage, de la circulation et de la multiplication des chèques.
II y a sans doute de ce fait des causes nombreuses et diverses ;
mais il en est une, entre autres, que le Gouvernement a cru
apercevoir et à laquelle il lui a paru possible de rémédier.
La forme du rhèque la plus naturelle, la plus conforme à
l’essence et à l'objet du contrat, la plus sûre pour les parties et
la plus commode dans la pratique, c’est assurément celle qui a
été adoptée en Angleterre, c’est celle d’nn mandat souscr it par
le déposant, soit à une personne dénommée, soit au porteur.
Cette forme n’a pas été adoptée en France. On donne générale
ment au chèque la forme d'un simple reçu de la somme qui en
fait l'objet; le tiers-porteur n’est ni dénommé ni mentionné.
Si le chèque vient à se perdre et qu’il soit trouvé par une per
sonne de mauvaise foi, la banque est exposée à mal payer; des
procès peuvent s’ensuivre au préjudice soit de la banque, soit
du déposant, soit du tiers qui aura reçu le chèque ; il y a, en
�f
203
tout cas un intérêt lésé. Sous la forme de mandat, au con
traire, le chèque peut toujours présenter la garantie d’un titre
nominatif, et lors même qu’il est nominatif ou au porteur, le
souscripteur et la banque ont pour garantie, d’abord la per
sonne dénommée, ensuite l’obligation où se trouve le porteur
de justifier de son identité et de donner sa signature. A un autre
point de vue, on peut ajouter que celui qui a reçu en paiement
un chèque, sous forme de simple reçu, peut difficilement le
transmettre à un tiers qui ne connaît pas le souscripteur. Quand
au contraire, le chèque est à une personne dénommée ou au
porteur, la personne dénommée peut aisément le transmettre
à un porteur dont elle est connue et dont elle a la confiance.
S’il y a lieu à des transmissions ultérieures, elles se trouvent
facilitées par une double garantie.
D’autres supériorités de la forme du mandat sur celle du
reçu pourraient encore être signalées. Pourquoi donc en
France, malgré l'exemple voisin et connu de l’Angleterre,
s’est-on attaché à la forme du reçu? Il a paru au Gouverne
ment que la réponse à cette question se trouvait dans la diffé
rence des deux législations fiscales. En Angleterre, le chèque
même en forme de mandat, n’est assujetti pour le timbre qu’au
droit fixe de 1 penny (10 centimes). En France, au coniraire,
le mandat, même présentant le caractère particulier du chèque,
est sonars à un droit proportionnel représentant à peu près
50 centimes par 1,000 fr. La perception de ce droit est, en
outre, garantie par des amendes proportionnelles et s’élevant
ît 6 0|0 pour chacune des parties, du montant des sommes sous
crites.
C'est probablement pour se soustraire è ces droits, qui de
viennent considérables quand le chèque s’élève à de fortes
sommes, que les établissements de crédit ont répugné à la
forme du mandai et adopté celle du reçu. Ce n’est pas que les
reçus soient légalement affranchis des droits de timbre, car les
quittances de sommes au-dessus de dix francs (sauf les excepDOCUMENTS LÉGISLATIFS
�204
LOI du
14
juin
18 65
tions déterminées par la loi, parmi lesquelles les chèques ne
se trouvent pas), sont assujetties au droit de timbre de dimen
sion, c’est-à-dire à 50 centimes pour le plus petit format. Mais
en fqit et sans doute à cause de l’élévation même de ce droit,
on ne le paie point, et l'on préfère s’exposer à la sanction
pénale, c'est-à-dire à l’amende de cinquante francs qui frppe
les quittances non timbrées, lorsqu’elles arrivent par les voies
légales à la connaissance de l’administration.
La situation est donc celle-ci : pour éviter les droits propor
tionnels élevés et las fortes amendes proportionnelles édictées
par la législation sur les mandats, on prend la forme du reçu ;
puis, pour éviter le droit fixe afférent aux reçus, on s’expose
aux poursuites judiciaires et à l’amende de 50 fr. Le Gouverne
ment a pensé qu’il y avait là une entrave à la création des
chèques et un obstacle à leur multiplication. II vous propose
en conséquence de réduire à 10 centimes le droit sur les chè
ques en forme de mandat. Il est bien entendu que cette faveur
ne peut s’appliquer qu’aux billets ayant bien le caractère de
chèques, c’est-à-direà ceux qui sont extraits d’un livre à souche,
qui ne sont pas susceptibles d’endossement, et qui ne sont
payables que quand il y a dépôt préalable de fonds. Moyennant
le petit droit fixe de dix centimes, les parties auront la faculté
de rédiger les chèques dans la forme la plus sûre et la plus
commode. Les chèques ainsi créés pourront circuler, figurer
dans les actes, être produits en justice sans aucuns frais ni
amendes ; et il est probable qu'en présence de ces avantages,
les intéressés, au moins quand il s’agira de sommes d une cer
taine importance, renonceront peu à peu à la pratique actuelle,
périlleuse à tous les titres et qui n'a été à son origine qu’un
expédient Le caractère des dispositions que nous avons I hon
neur de vous soumettre n’est donc nullement fiscal; c’est une
expérience économique, une tentative au profil de la circula
tion financière, et nous espérons que le Corps législatif y don
nera son approbation.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
3
SECOND
205
°
P R O JE T D E LO I
(Présenté au Corps législatif dans la séance du 46 février 1865J
Art. 1". — Le chèque, soit sous la forme d'un mandat de
paiement, soit sous la forme d’un récépissé, est signé par le
tireur et porte la da!e du jour où il est tiré.
Il ne peut être tiré qu'à vue.
Il p e u t ê tr e s o u s c rit au p o r te u r ou au p ro fit d 'u n e p e rs o n n e
dénom m ée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie d’en
dossement en blanc.
Art. 2. — Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; il est payable à présentation.
Art. 3. — Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place.
Art. 4. — L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré
d’un lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un acte
de commerce.
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garatie, en matière de lettres de chan
ge, sont applicables aux chèques.
Art. 5- — Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le
paiement dans le délai de trois jours, si le chèque est tiré de
la place où il est payable, et dans le délai de cinq jours, s’il est
tiré d’un autre lieu, perd son recours contre les endosseurs
et même contre le tireur si celui-ci avait fait provision.
Art. 6. — Le tireur qui revêt un chèque d’une fausse date
et le premier porteur sont punis chacun, et sans recours
l’un contre l’autre, d'une amende égale à 6 010 de la somme
�206
LOI DU U JUIN 1 8 6 5
pour laquelle le chèque est tiré. La même peine est applicable
à l’émission d’un chèque sans date.
Art. 7 — L’émission d'un chèque sans provision préalable et
le retrait de la provision après la délivrance du chè|ue sont
punis, en cas de mauvaise foi, des peines prononcées par l'ar
ticle 403 du Code pénal, sauf l'application, s’il y a lieu, de
l’article 463 du même Code.
Ait. 8. — Les chèques sont exempts de tout droit de timbre
pend, nt cinq ans à dater de la promulgation de la présente loi,
Ce projet de loi a été délibéré et adopté par le conseil d’Etat
dansses séances des 3 et 4 novembre 1864.
L e m in is tr e , p r é s id a n t le C o n seil d 'E ta t,
A d . Vu itbï .
L e c o n s e ille r d 'E ta t,
s e c r é ta ir e g é n é r a l d u C o n se il d ’E ta t,
De la N oue-B illaULT.
(Supplément du Moniteur du 24 février 1865).
4
EX PO SÉ
°
DES
M O T IF S
(A n n e x é a u p r o c è s - v e r b a l d e la séa n ce d u C o rp s lé g is la tif
d u 16 f é v r ie r 1865)
Exposé des motifs d’un projet de loi concernant les ehèques.
Messieurs, le Corps législatif a déjà été saisi des questions
relatives au timbre des chèques, vers la fin de sa dernière ses
sion. L’exposé des motifs qui fut présentée alors, le rapport de
la commission du budget et surtout la délibération.qui s’en est
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
207
suivie en séance publique, et à laquelle la plupart d’entre vou
se reporleront probablement, nous dispensent de donner aujourd hui de loogs développements aux observations que nous
devons vous soumettre à l'appui du projet de loi par lequel le
Gouvernement vous propose de régler tout ce qui concerne la
législalion des chèques.
Il nous paraît cependant nécessaire de rappeler en quelques
mots les faiis qui se sont passés l’année dernière.
Le Gouvernement préoccupé du désir de propager l’usage
des comptes courants et l’emploi des chèques, pensa qu’il était
opportun de lever l’obstacle que les lois relatives à l'impôt du
timbre pouvaient opposer à cette propagation.
En effet, le chèque est l’écrit qui sert à effectuer et à cons
tater le retrait, soit au profil du déposant, soit au profil d’un
tiers, de tout ou partie des fonds déposés en compte-courant.
Lorsque ce retrait était effectué au moyen d’un récépissé, ce
récépissé de ait, aux termes des lois, être revêtu d’un timbre
fixe de 50 centimes. Si ce même retrait était opéré au moyen
d’un mandat, ce mandat était assujetti à un timbre proportion
nel de 50 centimes en moyenne par 1000 fr. Le Gouvernement
proposa de ne plus assujettir les chèques, sous forme de man dat, qu’il un timbre fixe de 10 centimes.
La commission du budget entra dans les vues du Gouver
nement. elle pensa même qu’il y avait lieu d’aller plus loin et
proposa pour les chèques, sous quelque forme qu’ils fussent
émis, un droit fixe de timbre, réduit à la limite extrême de
5 centimes. Le Gouvernement se rallia à cette proposition. Il
faut ajouter que, dans le projet de la commission, comme dans
le projet primitif du Gouvernement, la faveur du timbre ré
duit n’est accordée au chèque qu’autant qu’il ne serait pas né
gociable par voie d’endossement.
C’est cette mesure qui sonleva une vive discussion dans le
sein du Corps législatif.
Plusieurs honorables députés revendiquèrent énergiquetn ent
3
�208
LOI DU
14
JUIN
1865
pour le chèque le double privilège de la transmission par voie
d'endossement et de l’exemption d’impôt.
Le Gouvernement résista, non qu’il méconnût l’intérêt que
pouvaient présenter, au point de vue économique, les facilités
qui seraient données à l’émission et à la transmission des chè
ques, mais parce qu’il craignait que les faveurs accordées au
chèque, non défini encore et non réglementé par la législation,
ne profitassent à d’autres papiers, et particulièrement à cer
tains effets de crédit, au préjudice des droits du Trésor et de
l’équilibre du budget.
Dans cette situation, un honorable député proposa l’ajour
nement, en vue de permettre au Gouvernement, dans l’inter
valle des deux sessions, d étudier la question dans son ensem
ble et de rechercher les moyens rie concilier l'intérêt écono
mique et les garanties fiscales.
Cet ajournement, auquel le gouvernement ne s’opposa pas,
fut prononcé par le Corps législatif.
En conséquence, dès la clôture rie la cession, le Gouverne
ment institua une commission spéciale chargée de procéder
aux études réclamées par le Corps législatif, et invita plusieurs
des honorables députés qui avaient soulevé le débat ou qui y
étaient intervenus, à faire partie de la comm ssion conjointe
ment avec les représentants du Gouvernement qui avaient
soutenu la discussion 1 ; parmi les membres du Corps législa
tif se trouvaient le président même de ce corps, M. le duc de
1 Cette commission était ainsi composée : S. Exe. M. Rouher, minis
tre d’Etat, président; S. Exc. M. le duc de Morny, président du Corps
législatif; M. le comte de Germiny, sénateur; M. Vuitry, vice-président
du Conseil d’Etat, gouverneur de la Banque de France; MM. Gouin, 01livier, Darimon, Mathieu, députés au Corps législatif; M. de Lavenay,
couseiller d’Etat; M. Deuière, président du tribunal de commerce de la
Seine; M. Bosredon, maître des requêtes au Conseil d’Etat, secrétaire
rapporteur, et MM. de Féligonde, auditeur au Conseil d’Etat, et Chauvy,
attaché au ministère d’Etat, secrétaires adjoints.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
209
Morny; parmi les représentants du Gouvernement, M. Rouher,
ministre d'Etat.
La commission constituée décida qu'avant de délibérer elle
procéderait à une sorte d’enquête. Elle appela dans son sein et
entendit successivement les chefs ou les représentants des
principales institutions de crédit de Paris et de Lyon, plusieurs
banquiers notables de Paris et des départements, et enfin le
directeur général de l’administration de l’enregistrement et
des domaines.
C’est après s’être entouré ainsi des lumières de la pratique et
de l’expériencce que la commission a rédigé et voté à l’unani
mité un projet de loi. Ce projet, adopté par le Gouvernement
et par le conseil d’Etat, est celui que nous avons l’honneur de
proposer à votre approbation, sauf deux modifications légères
introduites par le conseil d'Etat, et que nous aurons l’honneur
de vous signaler à l’occasion des dispositions auxquelles elles
se rattachent.
L’enquête, Messieurs, et l’étude approfondie à laquelle se
sont livrés la commission spéciale, le Gouvernement et le con
seil d’Etat, ont fait ressortir de la manière la plus nette et la
plus évidente les deux points qui, dès le principe, avaient pré
occupé le Corps législatif et le Gouvernement : d'une part,
intérêt de donner à l’émission ou à la transmission des chèques
toutes les facilités et toutes les sûretés possibles ; d’autre part,
nécessité de donner à la perception de l’impôt sur les papiers
antres que le chèque, de sérieuses garanties.
L’intérêt qui s’attache à l’émission et à la transmission des
chèques s’explique de lui-même; il a d’ailleurs été mis parfai
tement en relief, l'année dernière, dans la délibération du Corps
législatif ; les dépôts de fonds en compte-courant dans les cais
ses ouvertes et organisées à cet effet, groupent une foule de
petits capitaux, et leur donnent ainsi une puissance productive
qu’ils n'auraient pas s'ils restaient disséminés dans les caisses
particulières. Le chèque est l’instrument de service des comp14
�tes-courants, et. par l’action combinée des comptes courants
et des chèques, on obtient ce triple résultat de servir aux dé
posants un intérêt do leurs fonds, tout en les leur maintenant
disponibles, d’effectuer une quantité considérable de paiements
sans déplacement ni emploi matériel de numéraire, et enfin
d'utiliser pour les besoins de l’industrie et du commerce des
capitaux qui, sans ce moyen, et alors même qu'ils ne seraient
pas livrés à une stérile thésaurisation, ne serviraient qu’aux
échanges journaliers, et qui se trouvent ainsi concourir au
mouvement de la production et du commerce sans cesser de
servir à l’échange.
Quant à la nécessité de donner des garanties sérieuses au
Trésor contre l’extension abusive des faveurs accordées au
chèque, elle n’a pas apparu avec moins d’évidence. Le chèque,
dans son essence, n’est et ne doit être qu'un instrument de
liquidation et de paiement, c’est à ce titre qu’une exception à
la loi fiscale est réclamée en sa faveur ; si des opérations de
crédit, spéculant sur ce que présente d’équivoque la forme ex
térieure du mandat, cherchaient à revêtir l’apparence du chè
que pour se soustraire à l’impôt qu’elles doivent au Trésor, il
pourrait se produire dans les recettes budgétaires une diminu
tion d’autant plus fâcheuse qu’elle ne profiterait pas à la masse
des contribuables, mais à la fraude.
De ces deux natures de considérations résultait cette consé
quence, que le projet de loi devait se composer de deux ordres
de dispositions : les unes ayant pour objet d’attribuer libéra
lement aux chèques les avantages nécessaires pour favoriser et
développer l’habitude des dépôts en comptes-courants, les au
tres destinées à définir et à délimiter le chèque d’une façon
assez précise pour qu’aucune autre nature de papier de crédit
ou de circulation ne pût aisément se faire confondre avec lui
et en usurper les privilèges.
Suivant ce double ordre d’idées, nous allons énumérer suc
cessivement ; 4* les dispositions du projet de loi tendant à fa-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
211
voriser le chèque ; 2* celles qui ont pour objet de le circons
crire et de le délimiter dans l’intérêt du Trésor ou au point de
vue de la bonne foi.
Peu de mots suffiront pour indiquer la raison de chacune de
ces dispositions ; nous commencerons par celles que nous
avons appelées les dispositions favorables :
1“ Le chèque pourra prendre à volonté la forme de reçu ou
celle de mandat. Sous forme demandât, il pourra être sous
crit au porteur ou à une personne dénommée.
Cette disposition s'explique d’elle-même : la faculté de créer
le chèque sous toutes les formes ne peut manquer d’en facili
ter l'émission, en permettant aux uns de choisir le mode qui
présente le plus de garanties, à d’autres celui qui offre le plus
de célérité ; à d’autres enfin, celui qui permet le moins de faire
circuler leur signature.
2* Les chèques seront exempts de tout droit de timbre pen
dant cinq ans.
Une faveur fiscale avait été le point de départ même de la
loi présentée l’année dernière. Ce point de départ fut admis par
tout le monde. On ne différait que sur la question de quotité.
Les uns proposaient un droit minime, les autres une exemp
tion absolue. Le droit minime présentait cet inconvénient que
sans procurer une recette sérieuse au Trésor, il occasionnait
par sa perception une certaine gêne dans 1er transactions.
L’exemption absolue, d’un autre côté, avait le tort de porter
une atteinte fâcheuses aux principes mêmes de l’impôt du tim
bre. D’après la législation sur le timbre, tout papier susceptible
défaire foi en justice d'un engagement ou d’une libération
doit être timbré. Les exceptions, strictement limitatives, se
rapportent toutes à une de ces trois catégories : actes politiques,
actes administratifs, actes qui touchent à la bienfaisance ou à
l'intérêt des classes pauvres. Le chèque ne rentrait évidem
ment dans aucune de ces catégories. Ainsi le droit réduit avait
des inconvénients pratiques, l’exemption absolue des inconvé-
�212
LOI du 14 JUIN 1 8 65
nients de principes. La nature même des arguments que l’on
invoquait pour l’exemption totale a suggéré la solution. On di
sait : quand l’usage du chèque n’était pas encore très-répandu
en Angleterre, quand il n’était pas encore complètement entré
dans les habitudes de la population, le chèque ne payait aucun
impôt; lorsqu’il a été frappé de l’impôt d’un penny, c’est qu’il
était déjà tellement connu, tellement apprécié, qu’il faisait tel
lement partie intégrante du mécanisme financier de l’Angle
terre, qu’il se reliait tellement aux autres éléments de la circu
lation fiduciaire dans ce pays, qu’il pouvait supporter un léger
impôt sans préjudice, et qu’aucune considération ne justifiait
plus à son égard une dérogation au droit commun. En France,
ajoutait-on, l’usage du chèque est encore dans l’enfance, il
cherche à entrer dans les habitudes, mais il n’y est pas entré
encore, il n’est pas mûr pour le droit commun. Cet ordre
d’idées, qui est le vrai, s’il appelait comme conséquence une
exemption totale, n’appelait pas une exemption définitive, et
il a paru qu’une exemption totale, mais temporaire, ne présen
terait ni les inconvénient pratiques du droit réduit, ni les in
convénients de principes de l’exemption absolue. La commis
sion spéciale avait proposé d’assigner à cette exemption une
durée de dix ans ; mais le Conseil d’Etat a pensé que le terme
de cinq années satisfairait à tous les besoins actuels et permet
trait aux pouvoirs législatifs, à son expiration, de statuer dans
toute leur liberté, en présence de la situation de fait qui se
produirait alors.
3“Le chèque pourra être souscrit à ordre et par conséquent
être négocié par voie d’endossement.
Cette faculté répond au vœu exprimé l’année dernière dans
le sein du Corps législatif. Sans doute des précautions doivent
être prises et sont prises effectivement par le projet, comme
nous le dirons tout à l’heure, pour limiter autant que possible
la perte que cette disposition imposera au Trésor ; mais sous la
réserve de ces précautions, le Gouvernement a pensé, comme
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
215
le Corps législatif, que la faculté d’endossement serait un des
rpoyens les plus puissants de propager l’usage des chèques.
Cette faculté, en effet, semble tellement inhérente à la fonction
de cette espèce de papiers, qu’en Angleterre, avant l’époque où
l’impôt d'un penny l’a procuré au chèque en le faisant rentrer
dans le droit commun, le chèque l’avait pour ainsi dire usurpée
par des moyens indirects et à l’aide de ces signes convention
nels qui constituaient les diverses sortes de chèques connus
sous le nom de chèques barrés.
4’ L’endos du chèque, même en blanc, sera réputé valable.
Les dispositions du Code de commerce, qui, pour la lettre
de change, refusent à l’endos en blanc les effets d’un endosse
ment régulier sont depuis longtemps discutées. Sans examiner
une question, délicate en ce qui concerne la lettre de change,
on reconnaîtra, nous le pensons, que pour le chèque il n’y avait
pas de raison suffisante pour proscrire l'endos en blanc, puisque
le chèque peut indifféremment être souscrit à une personne
dénommée où au porteur.
5‘ Il peut être tiré soit sur la même place, soit d’un lieu sur
un autre, sans êtrepa r sa nature, dans l’un ou l’autre cas, un
acte de commerce. Le projet dit par sa nature, parce que le
chèque doit être considéré comme un acte de commerce ou
comme un acte civil suivant la qualité des parties et les causes
à raison desquelles il a été souscrit. La compétence sera réglée
par les tribunaux suivant les principes du droit commun. La
faveur du projet consiste en ceci : que, même d’un lieu sur
un autre, l’émission d’un chèque ne constituera pas un acte de
commerce comme celle d’une lettre de change -, cette faveur
s’explique par cette considération, qu’en fait, la fonction du
chèque est très-souvent, et peut-être le plus souvent, de liqui
der des obligations contractées par des particuliers non négo
ciants, et qui ne présentent aucun caractère commercial dans
les causes.
Maintenant, Messieurs-, après avoir muni le chèque de toutes
�214
LOI du
14
JUIN
1865
les faveurs et de toutes les garanties qui peuvent en favoriser
l’émission et la transmission, il reste à déterminer les garanties
qui doivent s’opposer à ce qu’il ne devienne pas un instrument
de fraude, soit vis-à-vis du Trésor, soit vis-à-vis des tiers.
1" Le chèque ne pourra être émis qu’avec provision préa
lable.
Il faut entendre par ces mots que la provision doit exister
non-seulement au moment où le chèque sera présenté, mais au
moment même où il aura été souscrit. Cette condition n’a rien
d’exorbitant, le chèque ne doit être qu’un moyen de paiement;
s’il devenait un instrument de crédit, il perdrait son caractère,
il usurperait une immunité fiscale à laquelle il n’aurait plus
droit, et tromperait la confiance des tiers qui doivent y voir
l’équivalent d’une monnaie réelle.
Si le projet ne s’était placé qu’au point de l’intérêt du Tré
sor, une amende purement fiscale aurait pu suffire pour sanc
tionner l’obligation de la provision préalable -, mais comme
l’intérêt des tiers et la foi des transactions se trouvaient aussi
engagés, le projet édicte les peines de l’article 405 du Code pé
nal contre l’émission d’un chèque faite de mauvaise foi sans
provision préalable. Les chèques seront reçus avec d’autant
plus de confiance et feront d’autant mieux office de monnaie
que les preneurs seront mieux garantis contre la mauvaise foi
possible de certains tireurs. Il est bien clair que le projet ne
prévoyant et ne punissant que l'émission faite de mauvaise foi,
ne peut en rien menacer les erreurs de compte, par suite des
quelles le montant des chèques émis viendrait à dépasser acci
dentellement la provision existante.
2° Le chèque ne peut être tiré qu’à vue ; il est payable à pré
sentation.
Cette disposition est essentielle pour sauvegarder les droits
du Trésor. Si le chèque, négociable par voie d’endossement)
et particulièrement le chèque tiré d’un lieu sur un autre, pou
vait encore être payable à une échéance plus ou moins éloi-
�215
gnée, ou à un certain nombre de jours de vue, il est évident
qu’il ne différerait presque plus de la lettre de change, se sub
stituerait à elle dans la plupart des cas, et que le produit de
l’impôt du timbre souffrirait de celte substitution une diminu
tion notable qui ne serait entrée ni dans les prévisions ni dans
les vœux du législateur. Au suplus, Messieurs, il ne vous échap
pera pas que cette obligation du paiement à vue ne peut avoir
rien d’excessif quand il s’agit d’un chèque ; qu’elle est au con
traire tout à fait en harmonie avec la nature de ce papier. Le
chèque suppose la provision préalable ; les caisses de dépôts,
préalablement nanties de fonds, ne doivent les employer qu'en
placements sûrs et à courte échéance. Il nous a été déclaré à
l’enquête qu’il en était toujours ainsi ; par conséquent le rou
lement des opérations doit toujours laisser à la disposition des
caisses dépositaires les ressources suffisantes pour faire face à
leurs engagements sur la présentation du titre. Même avec cette
condition, Messieurs, il ne faut pas se dissimuler qu’un certain
nombre de lettres de change, celles qui dans l'état actuel des
choses, se tirent à vue ou à de si courtes échéances qu’il leur
sera facile de se transformer en lettres à vue, pourront bien
emprunter la forme du chèque et se dérober à l’impôt : mais il
semble établi par l’enquête que cette catégorie de lettres de
change est peu nombreuse et n’a pour objet que des sommes
de faible importance ; la perte du Trésor sera donc, il faut l’es
pérer, peu considérable, et dès lors, l’Etat peut l’accepter dans
un intérêt économique qui paraît actuellement supérieur.
3° Le chèque doit être daté, et daté sincèrement.
Si le chèque pouvait être émis sans date ou post-daté, il
serait en vain déclaré payable à vue dans sa formule, il ne le
serait plus en réalité. L’absence de date ou la post-date ayant
ainsi pour effet de faire disparaître la différence principale au
point de vue de l’impôt entre le chèque et la lettre de change,
la pénalité doit naturellement être celle que la loi prononce
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�«
216
loi du
14
juin
1865
lorsque la lettre de change n’a pas été revêtue du timbre au
quel elle est assujettie.
4° Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans le délai de trois jours ou de cinq jours, suivant que le
chèque est tiré de la place où il est payable ou d’un autre lieu,
perd son recours centre les endosseurs et même contre le ti
reur, si celui-ci avait fait provision.
Cette disposition du projet a un double objet : en premier
lieu elle tend à différencier de plus en plus le chèque de la let
tre de change au point de vue de la perception de l’impôt. En
second lieu elle a pour but, au point de vue des intérêts et des
droits privés, d’empêcher que la négligence du porteur ne pro
longe pas indéfiniment la garantie des endosseurs et ne com
promette la responsabilité du tireur lui-même, dans le cas où
la provision par lui faite viendrait à disparaître par la faillite
du banquier dépositaire. La nécessité d’un court délai pour la
réalisation du chèque s’est fait sentir en Angleterre, comme
elle nous paraît devoir se produire en France. En Angleterre,
la loi veut que le chèque soit réalisé dans un délai raisonnable;
la jurisprudence a fixé ce délai à quarante-huit heures. La
commission spéciale avait proposé des délais de cinq et de huit
jours; le conseil d’Etat a cru devoir les réduire à trois et à cinq.
Le chèque n’est pas destiné à une longue circulation ; l’intérêt
même du porteur est de le réaliser promptement,car tant que le
chèque n’est pas réalisé, c’est au profil du tireur et non au
profit du porteur que courent les intérêts. L’essentiel est de
dégager promptement les endosseurs. Au surplus, le chèque
présenté après le délai n’est pas pour cela caduc, le porteur
perd seulement les garanties spécifiées plus haut.
Tel est, Messieurs, l'ensemble des dispositions par lesquelles
la commission spéciale, le Gouvernement et le conseil d’Etat
ont pensé qu’il serait possible de concilier les faveurs réclamées
au profit des chèques avec les garanties que le Corps législatif
ne voudrait, pas plus que le Gouvernement, enlever au recou-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
217
vrement de l’impôt. Ces dispositions se composent, ainsi que
nous l’avons dit, de facilités accordées et de précautions prises,
de privilèges importants et de mesures non moins importantes
contre l’abus possible des privilèges ; elles sont connexes entre
elles, et vous reconnaîtrez, nous l’espérons, que, destinées à se
faire mutuellement contre-poids, toutes sont nécessaires, au
moins dans ce qu’elles présentent d'essentiel, k l'équilibre du
budget. Maintenant, Messieurs, quel sera, dans la pratique, le
résultat de la loi? Pouvons-nous nous flatter de voir l'usage
des comptes-courants et des chèques prendre immédiatement
en France l’immense développement qu’il a acquis en Angle
terre ? Les dépositions recueillies par l’enquête ont fait connaî
tre qu’au 30 juin 1863 le montant des fonds déposés en com
tes-courants dans six des principales banques d’Angleterre
dépassait le chiffre de quatorze cent millions de francs. En
France, au 31 décembre 1863, nos cinq principaux établisse
ments de crédit ne réunissaient dans leurs caisses qu’un ensem
ble de dépôts représentant un peu plus de cent vingt et un
millions de francs. Arriverons-nous prochainement à faire dis
paraître cet énorme écart? 11 serait peut-être téméraire d'y
trop compter. Indépendamment de toute disposition législa
tive, il y a entre les mœurs anglaises et les nôtres des différen
ces que le temps seul peut effacer. En Angleterre, presque tout
le monde, commerçant eu non commerçant, a son banquier;
il n’y a pour ainsi dire pas de caisses privées.
Il en résulte que tout débiteur, qui veut se libérer, donne un
chèque sur le banquier qui lui sert de caissier ; le créancier,
qui a lui-même un banquier pour caissier, accepte volontiers
le chèque, qu’il envoie tout de suite à ce banquier pour être
porté au crédit de son compte courant ; enfin l'organisation du
Clearing-House permet d’effectuer chaque jour rapidement et
économiquement la liquidation générale des chèques, qui pres
que tous, arrivent pour ainsi dire naturellement entre les mains
des banquiers faisant partie de cette institution. On comprend
�218
LOI DU
U
JUIN 1865
comment la simplicité de ce mécanisme a dû propager l’usage
des chèques ; mais il repose tout entier sur cette habitude es
sentiellement anglaise de ne pas avoir de caisses privées. En
France, chaque particulier, commerçant ou non, a sa caisse ;
les rapports avec le banquier sont accidentels ; on ne dépose
guère en compte courant que l’excédant de ses besoins prévus;
les chèques émis ont plus fréquemment pour objet d’alimenter
la caisse privée que de faire des paiements aux tiers ; lorsque
un chèque est offert en paiement à un tiers, ce tiers, qui n'a
lui-même ni compte courant ni banquier, préférerait du numé
raire. Dans cette situation, on comprend que la propagation
de l’usage du chèque rencontre d’autres difficultés que celles
qui résultent de la loi fiscale. Est-ce une raison pour découra
ger le législateur? Nullement. Il n’appartient pas sans doute
à l’Etat de violenter les habitudes, de contraindre les mœurs,
ni de suppléer par des prescriptions légales à l’activité privée;
mais son devoir, toutes les fois que cela est possible, est de
faire disparaître les obstacles qui s’opposeraient à la sponta
néité de l'initiative individuelle, et surtout les obstacles qui,
nés de la loi fiscale, peuvent être considérés comme de son fait.
Le chiffre de 121 millions de francs que nous signalions toutà-l’heure comme étant celui des dépôts dans cinq établisse
ments français à la fin de 1863, s’il est peu considérable rela
tivement aux termes de comparaison pris en Angleterre, a ce
pendant en lui-même une certaine importance; il annonce
un mouvement dans les habitudes, une tendance qui promet
de se développer avec le temps; en tout cas, il révèle un besoin
à satisfaire, et la satisfaction de ce besoin est le but du projet
de loi ci-joint que nous avons l’honneur de présenter à votre
approbation.
Le conseiller d’Etat rapporteur,
Victor L
.
Les commissaires du Gouvernement soht : MM. de Lavena y
et Riché, conseillers d’Etat.
(Supplément du Moniteur du 24 février 1865).
de
¥
avenay
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
219
5
°
RAPPORT DE M. ALFRED DARIMON
Au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi
concernant les chèques.
Annexé à la séance du 26 avril 1865 1
«
Messieurs, depuis un an que la question des chèques est à
l’ordre du jour, il s’est répandu dans les esprits une foule de
préjugés, tant sur la nature de cet instrument, nouveau chez
nous, ancien chez nos voisins, que sur les services qu'il est ap
pelé à rendre dans les transactions. On semble avoir oublié
peu à peu le rôle que joue le chèque dans les pays où il est d’un
usage général ; on ne voit plus en lui seulement un moyen
commode de liquidation et de paiement ; on voudrait l ’élever
aux honneurs de la circulation et en faire une sorte de sup
pléant du billet de banque. Il est dans notre lâche de ramener
l’opinion à la vérité en rappelant à ceux qui paraissent l’avoir
oublié, quelle est la véritable fonction du chèque et en traçant
les limites dans lesquelles il se meut habituellement. Pour
cela il serait utile de montrer comment les choses se passent
en Angleterre, où le chèque a en quelque sorte pris naissance
et d’où il a tiré son nom. Mais, avant d’aborder cet ordre
d’idées et défaits, il nous a paru nécessaire de retracer, en
peu de mots, les phases diverses qu’a traversées le projet de loi
actuellement soumis à vos délibérations. Celte façon de procé
der offre un double avantage : en premier lieu, elle prépare
i Cette commission est composée de MM. Seydoux, président ; Maurice
Richard, secrétaire ; Darimon, Pouyer-Quertier fils, Magnin, Douesnel,
Martel, Gros, de Montagnac.
�220
LOI DU
JUIN
14
1865
les moyens de dissiper les erreurs que nous venons de signa
ler; en second lieu, elle permet, en montrant les difficultés
en présence desquelles la commission s’est trouvée placée, de
mieux apprécier la valeur des solutions auxquelles elle a cru
devoir s’arrêter.
I
Au cours de la session de 1864, le Gouvernement, mû par
une pensée de progrès qu’on ne saurait trop approuver, pré
senta au Corps législatif, sous la forme des dispositions addi
tionnelles à la loi de finances de 1865, un projet de loi destiné
à répandre l’usage des ordres de paiements connus sous le
nom de chèques, et à favoriser ainsi le développement des ban
ques de dépôt. La forme naturelle de ces ordres de paiement
est celle du mandat ; c’est la seule qui soit admise là où le chè
que est répandu dans les habitudes. Mais, à cause des exigen
ces de nos lois fiscales, les établissements decrédit qui, depuis
quelques années, cherchaient à vulgariser chez nous l'emploi
de cet instrument, avaient été conduits à adopter la forme men
teuse et incommode du reçu. En effet, s’ils s’étaient servis
pour leurs chèques de la forme du mandat, ils se seraient heur
tés à la loi du 5 juin 1850, qui soumet à un droit de timbre
proportionnel, lequel s’élève à 50 centimes pour 1,000 fr. tous
les effets de commerce, quels qu’ils soient. A la vérité, aux
termes de la loi du 13 brumaire an vu, le reçu au-dessus de
10 francs est lui-même imposé au droit fixe de 50 centimes
pour le plus petit format ; mais, dans l’usage et depuis long
temps, ce droit, à cause de son exorbitance, ne se paye plus,
sauf dans le cas où le reçu arrive à la connaissance du fisc à la
suite d’une contestation judiciaire ou par les voies légales.
Celte substitution du reçu au mandat, outre qu’elle habituait
le public à tourner la loi, était la source d’inconvénients nom
breux qu’il fallait se hâter de faire disparaître, si l'on voulait
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
221
inspirer une confiance entière dans le système de paiement par
chèques.
Le projet de loi proposé accordait la faculté de donner au
chèque la forme du mandat et ne l’assujettissait plus qu’à un
timbre fixe de 10 centimes. Mais en même temps il le soumet
tait à des conditions gênantes : ainsi les chèques-mandats de
vaient être extraits d’un livre à souche préalablement timbré
sur la souche et sur le talon ; ils ne pouvaient être payables
qu’à une personne dénommée ou au porteur ; par une disposi
tion formelle, ils étaient déclarés non négociables par voie
d’endossement.
<:
Dans le sein du Corps législatif comme au dehors, tout en
rendant justice aux intentions bienveillantes qui avaient inspiré
le projet on trouva que, tel qu’il était, il allait précisément
contre son but, et qu’au lieu d’étendre l’usage des chèques, il
devait avoir pour résultat de le restreindre. D’une part, on
considérait comme un singulier expédient de soumettre une
pratiqué nouvelle à une perception d’impôts pour la vulgariser;
d’autre part, les commerçants et les banquiers demandaient
pourquoi on refusait au chèque l’avantage dont il jouit en An
gleterre d’être transmissible par voie d’endos. La commission
du budget s’émut de ces réclamations, et chercha à leur don
ner satisfaction dans une certaine mesure. Elle abaissa à un
centime le droit de timbre sur les chèques, elle accorda qu’ils
pourraient être au porteur ; mais elle maintint les autres clau
ses restrictives, et notamment celle qui interdisait la faculté
d’endossement. Sa décision fut motivée sur celte opinion :
« Qu’admettre le chèque à l’endossement ce serait supprimer
« indirectement l’impôt du timbre sur les lettres de change et
« les billets à ordre. » Cette objection prenait d’autant plus
de force aux yeux de la commission du budget, quelle avait
introduit, dans le projet primitif, un amendement tendant à
débarrasser le chèque de l’obligation d’être payable à présen- .
lation. Il est certain que du moment que le chèque est ainsi à
*
�222
loi du
14
juin
1865
échéance plus ou moins éloignée, il est facile de le substituer
aux titres de crédit et d’éluder la législation qui les rend passi
bles d’un timbre proportionnel. Pourtant la commission du
budget ne put s’empêcher de reconnaître les questions com
plexes que soulevait le développement des chèques et d’en re
commander l’étude à l’attention du Gouvernement.
C’est sur le terrain tracé par la commission du budget que
s’engagea la discussion publique au Corps législatif. Dans cette
discussion, à laquelle prit part notre regretté président M. le
duc de Morny, un certain nombre de députés revendiquèrent
avec énergie pour le chèque le double privilège de la trans
missibilité par voie d’endossement et de l’exonération absolue
de l’impôt. C’est alors que là question fiscale, restée jusque-là
dans l’ombre, se posa en termes nets et précis. Le Gouverne
ment, cela résulte de toutes ses déclarations, ne demandait pas
mieux que d’entourer de faveurs le nouvel instrument, et d’ac
corder toutes les facilités nécessaires à son émission et à sa
transmission ; mais il craignait que le chèque prît la place de
certains effets de commerce, qu’il se substituât notamment aux
traites et aux lettres de change à vue, et qu’il n'en résultât un
préjudice pour les recettes du Trésor. Ceux qui combattaient
le projet déclaraient que c’étaient là des craintes mal fondées
ils démontraient qu’il n’y avait point de confusion possible,
entre le chèque et la lettre de change à vue ; ils insistaient
d’ailleurs sur ce point, que les traites à vue avaient presque
complètement disparu, et que le Trésor ne percevant rien de
ce chef n’avait rien à perdre ; comme dernier argument ils fai
saient valoir les avantagesque le commerce et l’industrie reti
reraient du développement qui serait donné à l’usage des dé
pôts en banque, avantages qu’il serait impossible d’obtenir, si
l'on persistait à soumettre le chèque à des restrictions gênantes.
Dans celle occurence, un honorable député fit remarquer
qu’à côté de la question fiscale se posait une question légale,
et qu’il était nécessaire de fixer les conséquences qu’entraînait
5
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
225
après soi la faculté d’endossement, si elle était accordée au
chèque. On s’aperçut alors que, de part et d’aqlre, on n’a
vait pas mûri suffisamment la question, et qu’il était indis
pensable de l’étudier de nouveau dans son ensemble. On pro
posa l’ajournement. Cet ajournement, auquel consentit le Gou
vernement, fut prononcé par le Corps législatif.
Aussitôt après la clôture de la session, un arrêté de M. le
ministre des finances institua une commission spéciale, chargée
de procéder aux éludes relatives au timbre des chèques. Celle
commission spéciale, placée sous la présidence deM. le minis
tre d’Etat et composée en grande partie des députés qui avaient
soulevé le débat et des représentants du Gouvernement qui
avaient soutenu la discussion, soumit la question à un examen
approfondi. Dans le but de s’entourer des lumières de la pra
tique et de l’expérience, elle procéda à une sorte d’enquête
dans laquelle furent entendus successivement les chefs et les
représentants des principales institutions de crédit de Paris et
de Lyon, plusieurs chefs des grandes maisons de Paris et des
départements,et, enfin, le directeur général de l’administration
de l’enregistrement et des domaines.
Le programme de la commission spéciale était renfermé
dans les limites que lui avait tracées la discussion du Corps
législatif ; il lui fallait tout à la fois donner à l’émission et à la
transmission des chèques toutes les sûretés et toutes les faci
lités possibles, et procurer à la perception de l’impôt sur les
effets de commerce de vraies et sérieuses garanties. C’est en se
plaçant à ce point de vue que la commission rédigea un projet
de loi qui fut envoyé au conseil d’état. Ce projet est, sauf deux
modifications peu importantes, celui que le conseil d’Etat a
présenté au Corps législatif, et qui a été renvoyé à l’examen de
votre commission.
Cette revue rapide des antécédents du projet de loi permet
de préciser nettement le caractère de ses dispositions. Comme
le point de départ du projet est une question fiscale, la préoc-
�cupation de sauvegarder les intérêts du Trésor se reproduit
nécessairement dans la plupart de ses articles, et tient la pre
mière place dans le projet. Mais il serait injuste de mécon
naître les efforts sérieux qui ont été faits pour favoriser le chè
que : les questions légales qu’il soulève dans la pratique ont
toutes été résolues de la façon la plus libérale. Pour les modi
fications que la commission a introduites dans le projet, il lui a
suffi de suivre la ligne qui lui avait été tracée, et les améliora
tions qu’elle a proposées n’ont point altéré, comme on le verra
tout-à-l'heure, le plan primitif.
Mais la commission ne s’est pas trouvée seulement en face du
projet de loi, elle a rencontré devant elle des demandes et des
prétentions qui s’étaient fait jour dans le public, et qui ont eu
leur retentissement jusque dans son sein. Toutes ont pour fon
dement une erreur commune ; elles partent de cette idée, que
le chèque peut devenir un instrument de circulation, une sorte
de monnaie courante, tandis qu’il est et ne peut être qu’un mo
de de paiement, ou bien un moyen de faire passer une somme
du compte d’un particulier au compte d'un autre particulier.
Pour avoir raison de celte confusion entre deux choses distin
ctes, il suffit de lui opposer la pratique. Rappelons donc, après
tant d’autres, à quel usage est employé le chèque dans le pays
où il est le plus répandu, quels services on en retire, à quelles
ingénieuse qombinaisons il a donné naissance, et à quelles rè
gles on a été conduit à le soumettre.
11.
Il existe en Angleterre et en Ecosse, depuis plus d’un siècle,
deux usages qui ont contribué bien certainement dans une
large mesure au puissant développement que l’industrie, le
commerce et l’agriculture ont atteint dans ces deux pays. Le
premier est l’habitude que tout particulier, négociant ou non
�DOCUMENTS
........, LÉGISLATIFS
. ..
- î*
225
négociant, a contracté d’avoir un banquier chez lequel il déposo
les valeurs de toute nature qu’il a reçues dans la journée ; es
pèces, bank-notes, traites ou effets arrivés à échéance, ne gar
dant dans sa caisse ou dans sa poche que les petites sommes
nécessaires îi ses besoins journaliers. Celte habitude est telle
ment enracinée qu’elle s’est en quelque sorte identifiée avec les
convenances sociales. Payer en argent au delà du détroit n’est
pas de bon ton. M. Alphonse Esquiros, dans ses curieuses
études sur la vie anglaise, raconte ce trait caractéristique : Un
boutiquier anglais auquel on demandait un jour quelle était la
différence entre un homme et un gentleman, répondit sans hé
siter, : « Un homme est celui qui vient acheter mes marchan
dises et qui paye argent comptant, un gentleman est celui au
quel je fais crédit et qui me règle tous les six mois par un bon
à toucher chez son banquier (chech). » Avoir un banquier est,
en Angleterre, la condition première de la respectabilité.
L’autre usage, non moins répandu, consiste à prendre domi
cile chez les banquiers pour les billets de commerce que l’on
souscrit. De cette façon, le banquier se charge de payer tous
les effets échus, sans qu’on ail à se préoccuper d'autre chose que
de tenir son compte courant à un chiffre suffisant pour faire
face à tous les besoins.
Ces deux usages, dont l’un est la conséquence naturelle de
l’autre, offrent des avanlages qu’il est superflu de faire ressor
tir. En se dispensant de garder sur soi ce que l’on possède en
numéraire ou en billets de banque, on se débarrasse des dan
gers de vol, d’incendie, de perte dans le transport ou d’er
reurs dans les comptes, et, de plus, des ennuis de compter
sans cesse, d’attendre le paiement, de passer des écritures, de
surveiller des commis et des garçons de caisse. En chargeant
un banquier d’opérer les recouvrements et d’effectuer le paie
ment des traites échues, on s’épargne des frais de caisse et de
caissier, et on est dispensé de tenir une comptabilité plus ou
moins compliquée. En outre, toutes les sommes déposées chez
15
�226
LOI DÜ
14.
JUIN
1865
le banquier ou inscrites au compte d’un particulier n’ont pas
besoin d’être constamment disponibles. Une portion est ordi
nairement confiée au banquier qui l'engage dans des opérations
prudentes et à court terme, et qui paye alors un intérêt plus
ou moins élevé. Plus les dépôts sont abondants, plus sont con
sidérables les sommes qu’on peut ainsi tirer de leur disponibi
lité et consacrer à vivifier le commerce et l’industrie. Un ca
pital énorme est de cette façon arraché à l’inaction, et, en mê
me temps qu’il produit un intérêt au déposant, il contribue à
accroître la richesse générale.
Il ne faut pas croire cependant que le premier venu soit ad
mis, en Angleterre, à avoir un compte-courant chez un ban
quier. Le postulant doit être recommandé par des personnes
honorables et pouvoir donner des renseignements certains sur
sa solvabilité, et, de plus, sur sa moralité. Avant l’ouverture du
compte, le nouveau client est tenu de verser, au minimum,
une somme de 2,500 fr., et de s’engager à rester toujours cré
diteur, par conséquent à ne jamais tirer sur son banquier une
somme plus forte que celle qui repose à son avoir. Ces condi
tions sont rigoureuses ; l’omission de l’une d’elles suffirait pour
que le banquier refusât d’ouvrir ou de maintenir le comptecourant.
Quand on s’est rendu compte de ces mœurs commerciales,
on comprend quel est, dans cette habitude générale des dépôts
en banque, le rôle que remplit le chèque. De temps immémo
rial, quand on avait à faire un règlement au comptant, on dis
posait d’une partie de ses fonds au moyen d’un mandat paya
ble à présentation. C’est ce mandat, dont l'analogue existe en
France dans le reçu de caisse, auquel on a donné le nom de
check, dont nous avons fait le mot chèque. Tout déposant reçoit
de son banquier trois carnets ° le slip-book, livre sur lequel il
inscrit les remises faites au banquier; °le check-book, ou livre
des paiements opérés au moyen des chèques; et 3° le passebook, carnet qui va et vient sans cesse, tenu par le banquier et
1
2
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
227
représentant le débit et le crédit du compte ; c’est, à propre
ment parler, le moyen de contrôler les deux autres livrets. Un
particulier effectue-t-il un dépôt chez son banquier, il le fait
inscrire au slip-book. A-t-il un paiement à faire, il détache un
feuillet du chec-book, après avoir pris soin d’inscrire la somme
sur le talon, et le donne à son créancier. Tous les quatre ou
cinq jours, le mouvement des remises et des chèques est noté
sur le pass-book -, de celte façon, le déposant et le banquier sa
vent toujours à quoi s’en tenir sur leur situation respective.
Le chèque est donc, suivant une heureuse expression, la
maîtresse-pièce des banques de dépôts. C’est lui qui permet
d’avoir constamment à sa disposition les sommes dont on s’est
dessaisi au profit du banquier, c’est autour de lui que pivote
cette ingénieuse combinaison au moyen de laquelle les plus
petits capitaux sont réellement productifs. Mais jamais il n’est
entré dans l’esprit d’un commerçant d’oulre-Manche de faire
du chèque un moyen de circulation et de crédit. Le chèque,
pour un Anglais, c’est de l’argent, et comme tout retard ap
porté dans l’encaissement peut non-seulement assurer un ris
que de non-paiement, mais causer une perte d’intérêt, il se
hâte de remettre les chèques qu’il reçoit à son banquier, qui
en opère le recouvrement et qui en inscrit le montant à son
crédit.
Au reste on se fera une idée plus exacte et plus complète
du véritable rôle du chèque quand on connaîtra la jurispru
dence qui s’est établie à son sujet, et qui, étant admise dans
les usages, peut être considérée comme ayant force de loi. Un
exposé rapide de cette jurisprudence ne saurait, à notre sens,
être déplacé dans un rapport sur une nouvelle législation re
lative aux chèques.
Voyons d’abord dans quelle catégorie de valeurs commer
ciales se range habituellement le chèque. La loi anglaise recon naît deux espèces d’effets ayant le caractère commercial et cor
respondant aux nôtres : la lettre de change [b ill o f e x c h a n g e ),
�et le billet à ordre (promissory note). Il y a peu de différence
entre la législation anglaise et la nôtre, en ce qui concerne le
billet à ordre. Mais, contrairement à ce qui a lieu chez nous,
la lettre de change a deux destinations distinctes dans la loi
commerciale de l'Angleterre. Elle a pour objet, soit les opéra
tions limitées au territoire européen du Royaume-Uni, des Iles
de la Manche, de l’tle de Man et des autres îles adjacentes : elle
s’appelle alors inland-bill (lettre de change pour l’intérieur) ;
soit les opérations dont le domaine est le monde entier, et
dans ce cas elle s’appelle foreign-bill (lettre de change pour
l’étranger). La condition d’une remise d'argent d’une place sur
une autre place n’est pas exigible pour Vinland bill ; un négo
ciant de Londres peut tirer une lettre de change sur un mar
chand de cette ville. Les foreign-bill supposent au contraire
nécessairement une remise d’argent de place en place ; on peut
dire que ce sont là les véritables lettres de change, les seules
dont les caractères concordent avec les caractères nettement
déterminés de la loi française. En effet, à la différence de ce
qui a lieu chez nous, la date n’est pas indispensable à la validité
de Vinland-bill ; il n’est nullement nécessaire que ce titre ex
prime la valeur reçue ; enfin la loi anglaise admet Vinlandbill payable à une personne fictive ou à son ordre, et revêtu
d’un endos en blanc. Une dernière remarque importante à faire
c'est que la lettre de change, quelle que soit sa nature, inland
ou foreign, peut être tirée par procuration et pour le compte
du mandant.
Le chèque étant dans son contexte un ordre à un banquier
de payer une somme d’argent au porteur, est considéré comme
une lettre de change à l’intérieur (inland-bill). A cause de cela
il est soumis à tous les règlements qui fixent les droits et les
responsabilités des parties en ce qui concerne la lettre de chan
ge de cette nature. Depuis l’acte du 24 mai 1858, qui a soumis à
un timbre fixe d’un penny toute traite ou ordre sur un ban
quier pour le paiement d’une somme d’argent au porteur sur
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
229
demande (on demand)\ les distinctions qu’il pouvait y avoir
entre la lettre de change payable h présentation et le chèque
ont entièrement disparu. Ainsi, de même qu’il est inlerdit de
créer un billet de moins de vingt shillings, de même il est dé
fendu de faire un chèque qui n'atteindrait pas cette somme :
la personne qui créerait un chèque de cette nature serait frap
pée d’une pénalité. L’assimilation entre les deux titres, au
point de vue de la loi, est aujourd’hui complète.
Ce sont les usages admis dans l’emploi du chèque qui en
font une valeur essentiellement distincte de l'inland-bill. Ces
usages constituent une sorte de jurisprudence dont les tribu
naux s’écartent rarement.
Voici les principaux :
• Un chèque étant habituellement énoncé «payable sur de
mande » (on demandj, est pour celle raison exempté de la for
malité préalable de l’acceptation. Le banquier doit le payer
tout de suite à la personne qui le présente.
* Un banquier n’est obligé de payer les chèques tirés sur lui
par son client qu’autant qu’il a une provision suffisante pour
les couvrir. Le rigorisme anglais va si loin sur ce point, qu’un
banquier serait en droit de refuser le paiement d’un chèque
dont la provision aurait été faite seulement quelques minutes
avant que le chèque lui eût été présenté. On n’admet pas qu’un
chèque puisse être valablement créé si la provision fait défaut
au moment de sa création.
3’ Le chèque doit être présenté au banquier dans un temps
raisonnable (a reasonable times), et on entend par là le jour qui
suit celui où il a été émis. On a, du reste, une raison puissante
pour ne pas dépasser ce délai, c’est que le banquier peut faire
faillite, et que si on met de la négligence à présenter le chèque
dans l’intervalle, le tireur est considéré comme entièrement
déchargé et dégagé de toute responsabilité. Aussi le porteur qui
peut encourir le risque de la faillite du banquier se hâte-t-il
de poursuivre l’encaissement du chèque. Si donc le chèque
1
2
�circule en différentes mains ce n'est que dans un temps trèscourt, et qui ne dépasse guère quarante-huit heures.
V Un chèque est considéré comme un paiement parfait. Une
personne qui a accepté un chèque en acquittement d’une dette
ne peut réclamer le montant de cette dette, à moins que le chè
que ayant été présenté, le banquier en ait refusé le paiement.
En ce cas le chèque est dit déshonoré (dishonored) . Quand une
dette est payée au moyen d’un chèque, la personne à laquelle
on le rembourse est tenue de signer son nom au dos : cette
précaution est prise afin qu’en cas de contestation le banquier
puisse être appelé en témoignage et montrer que le chèque a
bien réellement passé entre les mains du créancier.
5° Quelques commerçants se sont figurés que le chèque étant
la représentation exacte d’une somme d’argent, pouvait comme
le billet de banque servir au paiement des effets de commerce,
et que les garçons de caisse avaient tort de le refuser. En An
gleterre, le chèque est en effet quelquefois employé à cet usage,
mais avec des restrictions que notre législation sur les effets
de commerce rend inapplicables en France. Un commerçant
anglais est parfaitement admis à offrir un chèque en paiement
d’un effet de commerce échu; mais le porteur de l’effet prend
le chèque et garde l’effet ; il ne rend l’effet acquitté que lorsque
le chèque a été payé par le banquier. Si le porteur alors don
nait le billet avant l’annulation du chèque, il serait considéré
comme s’étant fié entièrement à celui-ci, et il serait privé de
tout recours pour son billet, dans le cas oit le chèque serait im
payé ou déshonoré.
° Si un banquier paie un chèque contrefait (forgedj, c’est
lui qui supporte la perle. On considère qu’il ne peut s’en pren
dre à son client que pour de l’argent délivré sur ses propes
chèques, et qu’un chèque contrefait est en réalité le chèque
d’un étranger. Mais le simple fait d’un endossement qui serait
une fraude ne fait pas rejaillir la perte sur le banquier dans le
cas où celui-ci serait dans l’ignorance de la fraude. Si la con6
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
231
trefaçon du chèque n’était que partielle, le banquier encour
rait la même responsabilité. Le seul cas qui pourrait le déchar
ger serait celui où le client, par sa négligence, aurait fourni
en tirant le chèque un prétexte à la fraude ; par exemple s’il
avait négligé de remplir les blancs d’un chèque imprimé.
7° Les chèques étant habituellement payables au porteur sur
sa demande, il était utile, quand on les expédie par la poste ou
par d'autres voies, de prendre des précautions pour qu’ils ne
tombassent pas entre les mains de personnes auxquelles ils ne
sont pas destinés et qui pourraient, en les présentant, en ob
tenir le paiement. Le moyen qu’on a considéré conmme étant
le plus efficace pour atteindre ce but, ça été d’écrire en travers
du chèque le nom d’un banquier, ou entre deux lignes trans
versales les mots et compagnie ou simplement et C‘. C’est ce
qu’on appelle croiser ou barrer un chèque. Le chèque peut être
croisé (crossed) indifféremment par le tireur ou par un des
porteurs. Quand le chèque porte seulemertles mots et compa
gnie ou et C°, celui qui le reçoit peut y insérer le nom d’un
banquier ou de toute autre personne à qui il désire que le chè
que soit payé, et cette formalité a les mêmes effets que si le
chèque avait été croisé par le tireur.
Un chèque croisé ne peut être payé qu’à un banquier. Si un
chèque a été acquitté dans ces conditions, le banquier sur le
quel il a été tiré non-seulement est déchargé de toute respon
sabilité, mais il est exempt de toute action qui pourrait lui être
intentée par son client dans le cas où une personne supposée
aurait touché l’argent.
Depuis l'acte du 24 mai 1858, qui a confondu la lettre de
change à vue avec le chèque, l’usage s’est répandu d'énoncer à
ordre le chèque qui n’avait ôté jusque-là qu’au porteur. Néan
moins le chèque croisé est encore le plus habituellement usité.
Mais il n’est pas inutile de faire remarquer que le croisement
d’un chèque est un véritable endossement.
° La faveur qui a été accordée aux chèques et aux lettres
8
�de change à vue de n'être soumis qu’à un timbre fixe d'un
penny a conduit le législateur à prendre des précautions contre
la fraude. La principale est celle qui transformerait un inlandbill à vue ou un chèque en lettre de change ou en billet à ter
me par une fausse indication de date. Le fait de postdater soit
un chèque soit un inland-bill à vue, est puni d’une amende
de livres prononcée contre le tireur.
9” Enfin, pour couronner toute cette jurisprudence, il a été
admis que le fait d’émettre de mauvaise foi un chèque sur un
banquier qui n’aurait pas de provision peut être, dans certain
cas qui se rapportent au droit commun, assimilé à l’escroque
rie et puni d’une peine qui peut aller jusqu’à la déportation. Il
n’y a point dans la loi de disposition spéciale ; le juge prononce
d’après les circonstances. On rencontre peu d’exemples de
l’application d’une pénalité aussi sévère. Les mœurs commer
ciales suffisent pour empêcher un commerçant anglais de se
laisser aller à un acte aussi déshonorant.
Quand on voit le chèque aussi favorisé par la législation, et
de plus protégé par des coutumes dont on ne saurait s’écarter
sans nuire à son crédit ou sans forfaire à l’honneur, on com
prend mieux comment l’usage des dépôts en banque s’est gé
néralisé en Angleterre et comment c’est une marque d’honora
bilité commerciale que de régler tous ses paiements sur un
banquier. Cette jurisprudence rigoureuse donne la clef de
l’immense développement qu’ont pris dans ce pays les banques
de dépôts connues au-delà du détroit sous le nom de jointstockbanks. C’est avec une certaine vérité qu’on a pu dire qu’en matière decrédit la Banque d'Angleterre ne joue plus aujourd’
hui le plus grand rôle et que celui-ci appartient aux institu
tions qui déversent sur le commerce et l’industrie les capitaux
réunis au moyen des dépôts L Le chiffre de ces dépôts s’accroît
en effet de jour en jour. « En Ecosse, dit M. Victor Bonnet, en
10 0
i L. Woloski, La question des banques, p. 320, Paris, 1864,
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
235
1845 et 1846, T. Wilson, le célèbre fondateur de VEconomist,
estimait à 90 millions de livres sterling, ou à 750 millions de
francs, les dépôts en comptes courants qui pouvaient exister
dans les diverses banques du pays et dont on faisait usage par
des chèques. En 1857, M. Mac Culloch les évaluait à 50 mil
lions de livres sterling ; ils sont au moins aujourd'hui de 60
millions de livres ou 1 milliard 500 millions de francs. En An
gleterre la somme des dépôts qui atteignait, il y a vingt ans,
à peine
millions de livres, était, il y a quelques années, au
dire de M. Mac Culloch, de
millions de livres ; elle est au
jourd’hui certainement de 250 millions de livres, soit plus de
milliards de francs l. Dans un ouvrage récent, M. L. Wolowski évalue à un milliard 700 millions au moins la masse des
capitaux réunis par la voie des dépôts dans la seule ville de
Londres 2.
On a publié dernièrement les résultats obtenus, pour l’exer
cice de 1863, parles six banques principales qui fonctionnent
à Londres à côté de la Banque d'Angleterre. Voici quel est le
montant de leur capital et le chiffre des dépôts :
10 0
200
6
capital souscrit
versé
dépôts
1 0 0 0 ,0 0 0
15,639,095
1. London and
Westminster. 1. s. 5,000,000 ,
. London
joint-stock . .
3,000,000
600,000
3. Union-banc .
3,000,000
720,000
4. City-bank. .
i 800,000
400,000
5. Bank Of London.................
600,000
300,000
. Alliancebank...............
3,000,000
595,745
1. s. 15,400,000 3,615,745
2
6
14,656,731
16,472,279
3,525,975
4,179,294
2,788,093
56,561,457
1 V. Bonnet, Le crédit et les finances, p. 74. Paris, 1865.
2 Ouvrage précité, p. 370.
�Soit, pour les dépôts, un total de 1 milliard 416 millions
286,676 francs.
L’émission des chèques donne des résultats non moins mer
veilleux. On évalue à 75 milliards environ la spéculation an
nuelle du Royaume-IJni. A cette circulation concourent, sui
vant M. J.-A. Rey i :
Les billets de banque pour 11 milliards environ ;
Les espèces métalliques pour 4 112 milliards ;
Le chèque pour 60 milliards.
On serait tenté de croire à l’exagération d’une pareille statis
tique. Cependant elle se trouve confirmée par des faits authen
tiques. M. Courcelle-Seneuil a publié dans le Journal des Eco
nomistes, numéro d’août 1854, un tableau qui peut être coisidérë comme inspirant toute confiance, puisqu'il est emprunté
à l’enquête de 1858. Ce tableau présente les diverses formes
de paiement dans une maison anglaise de premier ordre st
donne les chiffres du mouvement effectif de valeurs qui avait
eu lieu dans cette maison. R en résulte que sur un million ce
livres sterling, il y a eu :
En lettres de change. . 422,948
En chèques . . . . . . 510,694
En banknotes.............. 45,649
En espèces...................... 20,709 »
Dans ce mouvement, qui comprend les paiements et les
recettes, on voit que les effets de commerce et les chèques ont
une importance de 92 pour cent, tandis que les billets de
banque ne comptent que pour 4 1[2 et les espèces pour deux
pour cent seulement.
Ces faits ont unegrande signification ; ils prouvent que les
chèques ont en quelque sorte chassé le numéraire et les billets
de banque. Est-ce en prenant leur place et en devenant à leur
tour monnaie courante, instrument de circulation ? Non, cer1|2
1 Les crises et le crédit, 1 86 2, p .
96.
�DOCUMENTS LEGISLATIFS
tes ; la jurisprudence et les usages plus puissants qu’elle s’op
posent à ce que les chèques remplissent ce rôle. Comment se
fait-il donc que les chèques aient réduit la monnaie métallique
et ses suppléants à n'occuper qu’un rang infime dans le mouve
ment des valeurs. C’est ici que se place dans son ordre logi
que une des conséquences les plus fécondes de l’habitude des
dépôts en banque, dont le chèque est le plus actif auxiliaire.
Vers 1780, les banquiers de Lombard Street reconnurent
qu’il y aurait pour eux économie de temps et de travail, et en
même temps bénéfice d’intérêts, si, au lieu d’envoyer leurs
garçons de caisse les uns chez les autres, ils se bornaient à
échanger journellement les chèques et les acceptations de leurs
clients. A cet effet ils établirent une chambre de liquidation
[Clearing house) qui leur permettait de compenser entre eux
non-seulement les chèques mais tous les effets de commerce
provenant de leurs clients. Tout se réglait par des virements
de compte. Les soldes vérifiés, contrôlés par des inspecteurs
appointés, se paient en un mandat sur la Banque d’Angleterre.
On liquidait insi chaque jour pour des millions d’affaires sans
manier un seul billet de banque, sans compter une pièce de
monnaie.
Le Clearing house est devenu depuis le complément naturel
des banques de dépôts. C’est grâce au Clearing house qu’on a
pu restreindre de plus en plus l’usage du numéraire, générali
ser l’emploi du chèque et permettre aux banques de dépôts de
faire fructifier les capitaux qui leur étaient confiés. On a dit :
sans chèques il n’y a pas de dépôts ; et réciproquement, il n’y
a pas de dépôts sans chèques ; il n’y a pas de chèques sans
Clearing house, et encore moins de Clearing house sans chè
que. Il y a peut-être un peu d’exagération dans cette énoncia
tion ; mais il est certain que tout le système est lié d’une ma
nière indissoluble.
Les banquiers de Lombard Street, qui avaient pris le nom
■y
fj-l!
�Ainsi ils firent attendre pendant vingt ans à la London West
minster Bank son admission aux avantagés du Clearing house,
et ils repousssaierit absolument les joint stock banks, malgré
l’importance qu'elles avaient prise. Mais, le juin 1854, cette
résistance a élé vaincue, et les joint stock banks ont été reçues
au Clearing house. C’est à dater de cette mesure, complétée
par l’usage de liquider les soldes par l’intermédiaire de la Ban
que d’Angleterre, que cet établissement atteint rapidement
tout son développement et a pu rendre les plus grands servi
ces. On calcule que le montant total des sommes compensées
au Clearing house par les commis de trente et une maisons de
banque qui y sont admises s’élève chaque année à 48 milliards
de francs, et que, pour cet énorme mouvement d’affaires, les
transb rts journaliers des banquiers débiteurs aux banquiers
créditeurs n'ont pas dépassé en moyenne 12,623,000 francs.
Depuis, le 19 avril 1864, la Banque d’Angleterre est entrée
dans le système de la chambre de liquidation de Londres. Cela
ne peut manquer de simplifier encore plus le travail de cet
important établissement, et de donner un nouvel élan au mou
vement des banques de dépôts.
Nous ne décrirons pas ici le mécanisme merveilleux du Clea
ring house de Londres. Outre que nous ne pourrions que nous
livrer à des redites, un tel travail dépasserait de beaucoup les
limites du cadre qui nous est imposé. Nous préférons renvoyer
aux auteurs qui ont traité de cette matière, et notamment à
une brochure récente de M. P.-J Coullet, les Chèques et le
Clearing house, où les faits sont expliqués de la manière la plus
saisissante L Disons seulement que c’est à l’aide de ce système
que l’Angleterre, avec un capital métallique de 1 milliard 500
millions, réalise sans peine, annuellement, une somme d’af8
1 Les chèques et le Clearing house, Paris, Furne et Guillaumin,
4864.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
257
faires montant à 80 milliards, tandis que nous, en France,
nous n’arrivons qu’au chiffre de 50 milliards, tout en possé
dant cinq à six milliards de numéraire.
III.
Si nous nous sommes étendus aussi longuement sur les ré
sultats produits chez nos voisins d’outre-Manche par l’usage
des chèques et des dépôts en banque, ce n’est pas pour établir
entre l’Angleterre et la France une comparaison qui ne serait
pas à l’avantage de notre pays. Chaque peuple a son génie pro
pre, et si, au point de vue des institutions de crédit, nous mon
trons parfois un excès de prudence et de timidité, nous avons
dans l’industrie et dans l’agriculture des qualités qui ne le cè
dent à nul autre, et qui constituent notre prépondérance à l’é
tranger. Il n’en est pas moins vrai que, par un esprit de natio
nalisme exclusif, nous aurions tort de ne pas profiter des expé
riences qui se font et des progrès qui s’accomplissent chez les
nations avec lesquelles nous entretenons des relations journa
lières. Il en est des institutions de crédit comme des chemins
de fer ; quand un peuple a adopté ce moyen de transport, il est
impossible aux autres peuples de se passer de cet outillage per
fectionné ; bon gré, mal gré, il faut qu’ils se le donnent, sous
peine de voir leur industrie et leur puissance déchoir. L’Angle
terre est en train de se donner les moyens d’économiser de
plus en plus, dans les transactions intérieures, l’usage du nu
méraire ; il est nécessaire que nous la suivions dans celte voie;
c’est pour nous une condition de succès commercial et indus
triel.
On ne peut point dire cependant qu’avant les essais tentés
depuis quelques années, la France ait été complètement dé
pourvue d’établissements de crédit recevant des dépôts ; sans
compter Ja Banque de France, dont le chiffre des comptes
�courants particuliers a parfois dépassé, depuis douze ans,
millions et est rarement descendu au-dessous de
millions,
il y a chez nous, depuis longtemps, une foule de banques pri
vées qui reçoivent des capitaux en dépôts, et qui payent aux
déposants un intérêt plus ou moins élevé. Le comptoir d’es
compte, dont la fondation remonte à 1848, a introduit dans sa
clientèle l'usage des dépôts en comptes-courants : dans le bilan
du 31 janvier 1865, ils figuraient pour une somme de 26 mil
lions 503,348 fr. Le Crédit foncier et le Crédit mobilier se li
vrent depuis longtemps aux mêmes opérations, et les capitaux
qu’ils rendent ainsi à la circulation et au crédit sont assez con
sidérables ; ils se sont élevés, pour le Crédit foncier, à
millions en 1863.
Le chèque n’était point non plus complètement inconnu en
France, avant que certains établissements de crédit cherchas
sent à le vulgariser. Le mandat rouge, que la Banque de
France délivre à ses clients pour opérer les virements d’un
compte à l'autre, et le mandat blanc qui sert au retrait des
fonds déposés à la banque en compte courant, ne sont rien
autre chose que des chèques. Les bons de caisse délivrés par
les banquiers, sont des chèques sous une forme embryonnaire.
Il en est de même des reçus ou récépissés qui servent è certifier
les dépôts et à les retirer au fur et à mesure des besoins. En
fin, le Crédit foncier, le Crédit mobilier et le Comptoir d’es
compte délivrent depuis longtemps aux clients avec lesquels
ils sont en rapport d’affaire des carnets de reçus, qui sont de
véritables chèques, au moyen desquels ces clients opèrent tous
les mouvements de fonds qui se produisent dans leurs comptes
courants.
Il n'y a pas juqu'au Clearing house qui n’ait en France son
analogue, qu'il suffirait d’étendre et de développer pour lui
faire rendre les plus grands services. La Banque de France
remplit, à l'égard de ses succursales et des maisons de banque
avec lesquelles elle est en relation, l'office de chambre de com200
120
222
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
239
pensation et de liquidation. La banque étant le dépositaire à
peu près exclusf du fonds de roulement des maisons qui on t
un compte courant chez elle, paye pour l'une, reçoit pour l’au
tre, au moyen de ses mandats de virement ; de cette façon des
règlements considérables se réduisent à un seul article d’écri
ture intérieur, et se résument à une mention sur le carnet du
négociant ou du banquier. La Banque de France ne se borne
pas à cette liquidation de compte à compte et de client à client;
elle se charge de toute espèce de valeur à échéance; elle de
vient ainsi, à certaines époques, un liquidateur pour un grand
nombre d’affaires, un compensateur pour une certaine quantité
de paiements. En 1864, la Banque de France a fait pour 14
milliards 19,306,700 fr. de virements ; elle a opéré l’encais
sement de 5 milliards 20,753,200 fr. d’effets ; elle a donc
contribué à liquider pour plus de 19 milliards d’affaires.
Une antre liquidation, qui a lieu également par l’intermé
diaire de la Banque de France, et qui se rapproche beaucoup
plus des procédés du Clearing house anglais, c’est celle qui se
fait au profit des agents de change. Un agent de change peut
avoir à lever des titres pour 7 ou millions, et il ne possède
à son compte courant à la Banque qu’un million. Par contre,
il a à livrer 9 millions de titres; son solde est, en définitive
d’un million à son profit. Pour opérer ces levées et ces livrai
sons, il lui faudrait posséder la somme intégrale des paiements
à faire ou bien ne livrer les titres qu’au fur et à mesure des
encaissements résultant de ses livraisons. Dans ces données
une liquidation exigerait un mouvement considérable de nu
méraire, un temps fort long, des démarches fort nombreuses
et un travail de caisse très-compliqué. Pour écarter tous ces
embarras» la chambre syndicale se livre à un premier travail
de compensation entre les titres à lever et les titres à livrer. Ce
travail s’opère au moyen d’un double bordereau que chaque
agent de change soumet à la chambre syndicale et qui indique
tous les titres qui le concernent. Le solde des comptes a lieu
8
�alors par des mandats blancs sur la Banque de France. Le soir,
chaque agent dépose à la Banque son carnet de comptecourant
sur lequel il a inscrit les sommes émises en mandats; il y joint
les mandais qu’il a reçus. La Banque de France fait la compen
sation des soldes, et la liquidation est accomplie sans qu’on ait
eu besoin de faire appel au numéraire.
Ainsi qu’on le voit, nous ne sommes point aussi étrangers
qu'on pourraitlecroire aux procédés des comptes dedépôts, des
chèques, des virements et des compensations. Tous les éléments
du mécanisme qui agit avec une si grande puissance chez d’au
tres peuples existent chez nous ; il suffit pour leur donner plus
de force et pour leur faire produire des résultats plus considé
rables, d’un mouvement d’élan et d’initiative. Déjà nous com
mençons à entrer dans cette voie : un certain nombre d’éta
blissements de crédit se sont formés depuis quelques années
dans le but exclusif de réunir les capitaux éparpillés dans les
caisses, dans les tiroirs, et, comme le disait l’année dernière
M. de Morny, dans les bas de laine, et de les faire servir à fé
conder notre commerce et notre industrie. De louables efforts
sont tentés pour répandre l’usage du chèque, seul moyen d’ac
croître le chiffre des dépôts. Au 31 décembre 1863, la somme
totale des dépôts dans ces établissements s’élevait à
mil
lions. C'est peu de chose en présence des milliards que comp
tent les jont stock banks. Mais nos banques de dépôts sont tou
tes récentes : la plus ancienne date de 1861. Il n’y a point de
témérité à espérer pour elles les succès et la prospérité des
banques de dépôts anglaises.
La plus grande difficulté que rencontrent chez nous ces uti
les institutions, c’est l’habitude invétérée que l’on a en France
de conserver chez soi des sommes et des valeurs inactives.
Cette habitude existe non-seulement chez les simples particu
liers, mais encore chez tous les commerçants et tous les indus
triels. Chacun a son caissier et sa caisse, malgré les pertes de
temps que cela procure, les dangers de vol et d’incendie que
120
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
241
l'on court, et le risque d’infidélités trop fréquentes. On n’a
que peu ou point de rapports avec le banquier, et seulement
au moment des escomptes ou des échéances. Si l’on a un com
pte courant, on n’y dépose que juste l’excédant de ses besoins
prévus. Quant à ceux qui possèdent un compte-courant à la
Banque et qui paient par voie de virements, ils composent une
sorte de classe privilégiée fort restreinte ; c’est en quelque fa
çon l’aristocratie du commerce et de la Banque.
L’année derniere, M. le ministre d’Etat évaluait à 600 mil
lions la masse énorme de numéraire qui était ainsi frappée
d’inertie. D’autres personnes vont plus loin ; elles croient pou
voir évaluer à plus de trois milliards la somme dormante et
inoccupée répartie dans les mains du public pour les besoins
des 38 millions d’habitants de la France.
Les pertes de temps et d’intérêt qui résultent de ce que cha
cun, au lieu de confier son service de caisse à un banquier,
paye lui-même, à son domicile, tous ses engagements, se tra
duiraient par des chiffres non moins considérables. « A cer« tains jours de chaque mois, disait l’année dernière au Sénat,
« M. le comte deGerminy, les hommes préposés à la recette
« de Paris quittent les bureaux (àe la Banque de France), à la
« première heure, emportent plus de
effets de com« merce, vont les encaisser dans 35 ou 40,000 domiciles et
« rentrent à la fin du jour, rapportant à l’administration cen« traie plus de 100 millions, dont 4 ou 5 millions en numéa raire. Voilà ce que c’est qu'une journée, une seule journée
« de la Banque centrale ; voilà le concours que donnent ses
« billets, c’est-à-dire son crédit aux affaires. » Personne ne
met en doute l’ordre et le zèle que la Banque de France met à
effectuer les services si compliqués des recouvrements ; mais
ce qu’on ne saurait nier c’est que si les
effets de com
merce qu’elle est chargée d’encaisser étaient payables chez les
banquiers, les 40,000 domiciles se trouveraient réduits à quel
ques centaines, ce qui constituerait déjà une grande simplifi1 0 0 ,0 0 0
1 0 0 ,0 0 0
16
�242
LOI DU
14
JUIN
1865
cation ; de plus, les débiteurs se trouvant la plupart du temps
créanciers, il leur serait facile de s’entendre pour liquider par
des compensations, comme le font déjà les agents de change.
Non-seulement un temps précieux se trouverait ainsi épargné,
mais on pourrait rendre à la production des capitaux tenus for
cément dans l’inaction.
Contre ces habitudes le législateur est impuissant. Il n’y a
point de prescriptions légales qui puissent suppléer à l’initia
tive privée. On ne peut point forcer les particuliers à déposer
leurs fonds disponibles dans les banques de dépôts ; ce serait le
plus sûr moyen de leur inspirer une défiance légitime. Le seul
rôle qu’un gouvernement sage et prévoyant ait à remplir, c’est
de faire disparaître tous les obstacles qui peuvent s’opposer au
développement de ces utiles établissements. La loi sur les so
ciétés qui est soumise à votre examen aura pour effet d'ouvrir
un champ en quelque sorte illimité à l’esprit de spontanéité ;
elle permettra en outre aux individus de se grouper suivant
des formes nouvelles et de participer ainsi aux avantages mul
tipliés qui résultent de l’union des forces. Il n’est pas impro
bable que les institutions de crédit destinées à répandre l’usage
des dépôts ne rencontrent là des moyens nouveaux de se pro
duire et de se développer. En attendant, la loi sur les chèques
en même temps qu'elle vient en aide aux établissements exis
tants, prépare le terrain pour les établissements futurs.
Quelques personnes frappées de la lenteur avec laquelle se
répandaient en France les banques de dépôts, ont recherché
les moyens de précipiter le mouvement. A leur avis, ce qui em
pêche les particuliers de déposer leurs fonds disponibles dans
les banques, c’est d'abord parce que, par la nature des opéra
tions auxquelles elles sont tenues de se livrer, elles ne peuvent
fournir un intérêt assez élevé ; c’est ensuite parce que le chèque
inspire une certaine défiance, surtout lorsqu’il émane d’une
personne peu connue. Les banques étant obligées d’avoir des
sommes considérables à leur disposition pour faire face aux
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
245
chèques qu’on tire sur elles, ne peuvent engager les fonds qui
leur sont confiés que dans des opérations fort courtes, et com
me le nombre en est très-restreint, elles ne servent aux som
mes déposées qu'un intérêt pour ainsi dire dérisoire, en pré
sence de celui qu’offrent aux capitaux les autres placements.
En ce qui concerne le chèque, tout le monde n’a pas la notoriété
d'un Rothschild : il peut se faire que, si l’on offre un chèque en
paiement, on se le voie refuser et qu’on soit obligé de rempla
cer le carnet de chèque par une bourse bien garnie.
Le remède à cette situation n’a pas coûté beaucoup de frais
d’imagination à ses auteurs. Il est emprunté aux procédés des
anciennes banques de dépôts. C’est le chèque soumis à un visa
préalable. Les premières banques de dépôts, telles qu’elles fu
rent établies à Genève, à Venise, à Amsterdam et à Hambourg,
ne faisaient point usage des chèques ; établies au seul profit des
négociants, elles exécutaient leurs virements de comptes au
moyen d’un autre instrument. En échange des sommes dépo
sées chez elles en monnaie métallique de toute provenance,
elles remettaient des certificats dans lesquels les sommes
étaient exprimées en une monnaie idéale, qu’on appelait à
cause de cela monnaie de banque. Ces certificats passaient de
main en main, exactement comme les waranls des marchandi
ses déposées de nos jours dans les magasins généraux ; ils
étaient préférés à l’argent, et le plus souvent faisaient prime.
Quant à la banque, son rôle se bornait à recevoir des dépôts,
à émettre des certificats et à opérer le virement des sommes
déposées du compte d’un négociant au compte d’un autre négo
ciant. Le chèque soumis à l’acceptation préalable et, comme on
l’a appelé récemment de son véritable nom, le chèque certifié,
n’est pas autre chose que l’instrument connu autrefois sous le
nom de certificat de dépôt. Voici comment on procéderait à
son émission : avant de déliver un chèque, on irait à la Banque
réclamer un visa constatant que la somme énoncée au chèque
existe réellement ; le chèque ainsi revêtu d’un visa prendrait la
�244
LOI DU
14
JUIN
1865
valeur de la monnaie métallique ; il inspirerait une confiance
entière ; il n’y aurait aucune limite à sa circulation ; il devien
drait bien vite le suppléant commode des billets de banque.
Dès lors, la banque des dépôts n’étant plus menacée d’un rem
boursement immédiat, pourrait placer les capitaux qui lui sont
confiés à des échéances plus longues, l’intérêt servi aux dépo
sants ne tarderait pas à s’élever et la quantité de dépôts par
suite à devenir plus considérable.
Nous soulèverons contre cette combinaison une objection
préjudicielle, c’est qu’elle repose sur une fausse idée que l’on
s’est faite de la banque de dépôts et de la nature d’opérations
auxquelles elle se livre. La banque de dépôts n’est point des
tinée, comme on pourrait le penser, à recevoir les capitaux qui
cherchent un placement et qui vont naturellement là où un
i ntérêt plus fort leur est offert ; elle tend à grouper et réunir
tous les capitaux flottants qui sont momentanément sans em
ploi, et les fonds de roulement que les particuliers gardent
habituellement dans leurs tiroirs et dans leurs caisses. Son but
n’est point de commanditer les entreprises ou d’entrer dans
des opérations aléatoires ; la seule fonction qui lui incombe et
qui puisse cadrer avec le genre de travail qui lui est confié,
c’est d’engager les fonds qui lui sont remis dans des opérations
à courts termes, par exemple l’escompte des valeurs de pre
mier ordre et à échéance très-rapprochée.
La banque des dépôts ne doit jamais oublier qu’elle remplit
avant tout un service de caisse et qu’elle doit à ses clients la
disponibilité de leurs fonds. Le paiement d'un intérêt attribué
aux sommes que les particuliers déposent chez elles est sans
doute un appât qu’il ne faut pas absolument négliger ; c’est le
moyen de stimuler le zèle et de triompher do la négligence;
de plus, c’est une rétribution juste pour l’emploi que la banque
est autorisée à faire des capitaux qu’elle détient en compte
courant. Mais là n’est pas l’unique attrait que doive présenter
la banque des dépôts ; la sécurité qu elle promet aux corn-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
245
merçants, en les dispensant de tous les soucis et de tous les
dangers que leur fait courir le service d’une caisse particulière
et l’économie qu’elle donne en se chargeant des frais de garde,
de comptabilité et de liquidations, sont des vantages qu’il faut
faire entrer en ligne de compte et qui peuvent se chiffrer faci
lement. Aussi, en Angleterre, les capitaux déposés dans les
joint stock banks et dans les banques privées ne sont-ils point
nécessairement productifs d’intérêts ; pour les sommes cons
tamment disponibles, l’usage est de ne point payer d’intérêt
du tout ou du moins de ne payer qu’un intérêt excessivement
minime. S’il en est autrement ailleurs, et notamment en Ecosse,
cela tient à ce que les banques de dépôts sont en même temps
banques d’émissions et banques d’épargnes, et que ce qu'on y
recherche c’est un placement sûr et non une provision per
manente.
La substitution du chèque certifié au chèque ordinaire of
frirait-elle les avantages qu'on en espère ? Nous ne le pensons
pas. Nous ferons remarquer d’abord que le cas où le particu
lier de qui émane le chèque ne serait pas connu de la personne
qui le reçoit sera excessivement rare ; la plupart du temps, le
chèque servira à couronner une opération entre deux person
nes qui sont en relations habituelles d’affaire ; dans ces circon
stances, la précaution du visa préalable ne serait qu’une perte
de temps inutile. Le visa préalable mettra-t-il les commerçants
à l’abri de ce qu’on appelle d’avance le vol au chèque ? Pas le
moins du monde; si un fripon a assez d’audace pour émettre
un chèque sur un banquier chez qui il n’a point de fonds dé
posés, il ne lui en coûtera rien d’imiter le visa du banquier ; ce
ne sera qu’un pas de plus vers un acte criminel. Au lieu de
faciliter l’emploi du chèque, le visa préalable d’acceptation lui
susciterait des entraves gênantes. En effet, du jour où la néces
sité du visa serait admise pour une certaine catégorie de per
sonnes, le visa serait bientôt, au même titre, exigé par tout
négociant recevant un chèque. Que de complications 1 que de
�N
246
loi
DU 14
juin
1865
démarches multipliées 1 L’émission du chèque deviendrait alors
presque impossible.
Si le visa préalable n’offre aucun avantage appréciable, il
présente des inconvénients de plus d'une sorte. En premier
lieu, il tend à dénaturer le chèque ; au lieu de maintenir dans
les limites rationnelles d’un paiement au comptant, il le pousse
à en sortir pour entrer dans le domaine des valeurs de circula'
tion. Le chèque, on l’a répété cent fois, c’est de l’argent; c’est
l’ordre donné à un banquier de payer à un particulier une
somme d’argent qui existe constamment à la disposition du
déposant. A cause de cela il est destiné par sa nature et son
usage à être payé à l’instant, dans le jour même. Les longs dé
lais, en pareille matière ne servent guère qu'à multiplier les
difficultés et à faire naître des procès. Le banquier peut faire
faillite, la provision peut être retirée par une inspiration mau
vaise ou par une erreur de compte. L’intérêt du porteur d'un
chèque est de le recouvrer au plus vite, ne fût-ce que pour
grossir son compte courant. D’ailleurs il ne faut pas qu’il y
ait confusion dans les différentes espèces d’instrument ; autre
chose est le certificat de dépôt constatant qu’une somme d’ar
gent existe chex un banquier, certificat de dépôt qui en se gé
néralisant est devenu le billet de banque, et le chèque don
nant au porteur la faculté de retirer à son profit des fonds dis
ponibles. Il n’y a aucune analogie entre les banques de dépôts
ou joint stock banks actuelles, et les banques de dépôts qui
ont existé du 14* au 18“ siècle; ces dernières étaient des ban
ques de virements plutôt que de véritables banques de dépôts;
les joint stock banks ont un caractère différent et se livrent à
des opérations plus étendues.
Enfin, dans l’intérêt même des banquos de dépôts, il n’est
pas bon d’encourager les moyens de laisser un long intervalle
entre l’émission du chèque et son encaissement ; ce serait leur
inspirer l’idée de sortir de leur rôle et créer un péril dont, en
temps de crise, on ressentirait bientôt les effets. Il ne faut pas
i
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
24-7
que les banques de cette espèce se livrent à des placements à
long terme, et leurs opérations doivent être marquées au coin
d’une excessive prudence. Le visa préalable d’acceptation, en
faisant du chèque un instrument de circulation, leur donne
rait une sécurité trompeuse dont elles ne tarderaient pas à abu
ser. Qu'une crise éclate, et la confiance faisant défaut, les chè
ques certifiés se présenteraient en masse au remboursement;
comme les dépôts seraient engagés à longue échéance, les
banques ne pourraient faire face aux paiements ; les porteurs
de chèque se trouveraient n’avoir plus en main que des chif
fons de papier sans valeur, auxquels il serait impossible de
donner le privilège, accordé parfois au billet de banque, du
cours forcé.
Ce n’est point au moyen de combinaisons factices et plus ou
moins ingénieuses qu’on amènera le public à comprendre les
avantages des dépôts en banque. Il y a là des sentiments mo
raux sur lesquels les règlementations les plus savantes ne peu
vent rien. La nécessité, l’expérience et par dessus tout l’inté
rêt sont, en pareille matière, les incitateurs les plus puissants
et les plus sûrs du progrès. La seule chose utile et ligitime
qu’il y ait à faire, c’est de mettre à la portée des initiatives in
dividuelles les moyens de satisfaire au besoin qui certainement
se développera tôt ou tard. Tel est l’objet du projet de loi dont
il nous reste à vous expliquer les différentes dispositions.
IV
L’Angleterre a, comme la France, soumis les effets de com
merce de toute nature à un droit de timbre proportionnel ;
mais sa législation offre sur la nôtre un avantage, c’est, comme
on l’a vu plus haut, qu’elle établit une distinction entre les
lettres de change de l’intérieur sur l’intérieur et les lettres de
change de l’intérieur sur l’étranger ou de l’étranger sur l'inté-
�rieur. Les inland-bill et les foreign-bill offrent deux catégo
ries de valeurs qui sont soumises à des règles diffl érentes et
qu’il n’est pas possible de confondre.Chez nous, il n’y a qu’une
seule espèce de lettres de change ; le change est la remise de
place en place d’une sonmme d’argent ; quand ce caractère se
rencontre, le litre qui donne lieu à l'opération est une lettre de
chage, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’étranger. A cause
de la distinction qui existe dans la législation anglaise, et aussi
à cause des immunités qu'elle accorde à \'inland-bill, il a été
facile de régler en Angleterre les conditions d’existence du
chèque ; on l’a purement et simplement assimilé à l'inlandbill payable à vue, et pour que cette assimilation fût complète,
quand après cinquante années d’exemption, on a cru devoir
le frapper d’un timbre d’un penny, on a soumis au même droit
la lettre de change à vue. Un stamp commun est affecté aux
deux espèces de valeurs.
En France, il ne nous serait pas possible deprocéder de la
même manière. Pour assimiler le chèque à la lettre de change
à vue, il nous faudrait remanier tout le titre vu du livre 1", et
en partie le titre n du livre IV du Code de commerce. Il avait
paru, l’année dernière, à un certain nombre de personnes, que
c’était là une entreprise facile. Mais, après mûre réflexion, on
s’aperçoit qu’elle est plus compliquée qu’on ne le croit à pre
mière vue, et que d’ailleurs on peut arriver à un résultat utile
et pratique sans avoirs recours à une révision complète de no
tre législation en matière de lettre de change.
Quoique ayant entre eux des caractères communs, on ne
peut point dire en effet que le chèque et la lettre de change à
vue soient absolument une seule et même chose. La lettre de
change crée une obligation, il y a promesse de payer ou de
faire payer par un tiers. Le chèque est un paiement en papier
au lieu de numéraire ; il ne crée rien, il constate seulement
l’existence d’un fonds disponible et indique au dépositaire une
somme à livrer ou un virement de compte à opérer. Il est donc
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
249
facile d’établir les différences qui séparent les deux titres. C’est
là le point auquel la loi s’est plus particulièrement attachée.
Art. 1”'. Pour éviter toute confusion à l’avenir, il a paru utile
à la commission, non-seulement de soumettre le chèque à des
règles particulières, mais encore d’en donner une définition
qui permît aux idées de se fixer. Mais alors plusieurs questions
se sont présentées : le chèque doit-il être uniquement employé
à retirer des sommes déposées en compte-courant ? Ne peut-il
pas se trouver une foule de cas ou des fonds deviennent dis
ponibles, sans qu’il y ait eu un dépôt préalable? le chèque ne
doit jamais se substituer aux valeurs de crédit ; mais ne peutil arriver que, par suite d’une opération de change et d’escom
pte, d’une vente d’immeubles ou d’une remise de marchandi
ses, un particulier ait à sa disposition des sommes qu’il peut
transférer immédiatement à un tiers? Le chèque, en un mot,
doit-il être seulement l’instrument des banques de dépôts, ou
doit-on généraliser son usage et l’employer au retrait de tous
les fonds disponibles, quelle que soit leur origine?
Ces diverses questions ont été résolues par la commission
dans le sens de l’affirmative. Il lui a paru qu’une définition du
chèque restreinte aux seules banques de dépôts serait un obs
tacle à ce que l’usage s’en répandît rapidement. D’ailleurs, les
banques de dépôts elles-mêmes retireront un avantage d’une
définition plus large ; les fonds en compte courant peuvent pro
venir non-seulement des dépôts, mais encore des recouvre
ments et des opérations faites par elles aux lieu et place de
leurs clients.
Le projet de loi laissait la faculté de donner au chèque la
forme, soit du mandat de paiement, soit du récépissé. La com
mission, revenant à l’idée qui avait inspiré le premier projet
de loi soumis au Corps législatif, a cru devoir se borner à la
forme du mandat de paiement. L’option laissée entre le man
dat et le récépissé n’offre, à son avis, aucun avantage et pré
sente divers inconvénients. Le récépissé constitue un mensonge
�250
LOI
DU
14
JUIN
1865
commercial, puisqu’il est émis non après que l’encaissement
est effectué, mais avant même que le tiré connaisse l’ordre de
paiement; il est énoncé au passé quand il s’agit d’un fait futur.
La coexistence dans les usages de deux litres si différents, amè
nerait, en outre, des complications et créerait bien certaine
ment des difficultés. La forme du récépissé ne peut d’ailleurs
s’accorder avec les immunités que le projet de loi accorde au
chèque : comment peut-on faire entrer le nom du bénéficiaire
dans un récépissé? Comment appliquer à ce titre la faculté
d’être transmissible par voie d'endossement? Comment faire
protester en cas de non-paiement ?
Par toutes ces considérations, la commission a cru devoir
s’arrêter à la rédaction suivante :
« Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d'un mandat de
paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit ou
au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés au cré
dit de son compte chez le tiré et disponibles. »
Cette définition, adoptée par le conseil d’Etat, forme le pre
mier paragraphe de l’article 1".
Le chèque ne peut être tiré qu’à vue. C’est là un point sur
lequel on a insisté le plus fortement dans la discussion qu’a
soulevée au sein du Corps législatif le premier projet de loi.
Les honorables orateurs qui attachaient une importance capitale
à cette clause avaient raison de tout point. Si le chèque était à
un ou plusieurs jours de vue, il serait impossible de le distin
guer du mandat ou de la lettre de change, et le Trésor se ver
rait frustré d’une partie de ses recettes. En imposant au chè
que l’obligation d'être à vue, une pareille confusion n’est pas à
craindre. II ne se fait presque plus de lettres de change à vue,
si ce n’est pour de petites sommes. Quand il s’agit de sommes
considérables on a recours aux lettres de crédit ou aux déléga
tions sur une maison de banque. Mais ce ne sont pas seulement
les intérêts du Trésor qui sont sauvegardés par la clause à vue
ce sont ceux du porteur des chèques. Le chèque est un paie-
�DOCUMENTS LEGISLATIFS
ment ; or, quand on veut faire un paiement il ne suffit pas de
]e promettre. Le chèque à date suppose que les fonds dont on
dispose ne sont pas libres au moment où le chèque est émis. II
rentre alors dans la catégorie des titres de crédits, auxquels
s’attache un certain risque. Ainsi que le faisait remarquer
d’ailleurs l’honorable M. Pouyer-Querlier dans la séance du
25 mai 1864, le chèque doit être considéré comme un moyen
de compensation ; or, comment serait-il possible de compenser
entre eux des chèques qui auraient des échéances différentes !
Le chèque doit être à vue, si l'on veut qu’il remplisse son of
fice, le jour où on établira chez nous une chambre de liquida
tion (Clearing-house).
Non-seulement le chèque peut être soucrit au porteur ou à
une personne dénommée, mais encore il peut être souscrit à or
dre et transmis par voie d'endossement. Cette dernière faculté
répond au vœu qui avait été exprimé dans le sein du Corps lé
gislatif ; elle a d’ailleurs été réclamée par la presque unanimi
té des représentants du commerce et de la banque entendus
par la commission spéciale. Il est inutile d’insister longuement
sur les avantages qu’elle doit produire. Quoique le chèque ne
soit pas destiné à avoir une longue existence et à circuler entre
un grand nombre de mains, il se rencontre des cas fréquents
où l’endos est une condition de sécurité.L’endos permet au bé
néficiaire d’un chèque nominatif de remettre le chèque à son
banquier et de se dispenser ainsi des frais et des pertes de
temps, auxquels il serait assujetti s’il était obligé d’aller luimême réclamer le paiement. L’endos est du reste indispensa
ble pour le chèque émis d’un lieu à un autre et transmis par
la poste de l’expéditeur au destinataire.
Il y a lieu de remarquer qu’en France comme en Angleterre
on avait cherché à suppléer à l’absence d’endos par des moyens
indirects. Quelques maisons de banque ont tenté d’introduire
chez nous l’usage du chèque barré, qui est un véritable endos
sement.
�Le tireur d'un chèque est dispensé d'indiquer la valeur four
nie, et de plus l’endossement peut être en blanc. Des doutes
se sont élevés dans beaucoup d’esprits sur l’utilité de la men
tion de la valeur fournie en ce qui concerne la lettre de change;
du reste, elle n’a d’autre but que de constater le caractère
commercial de l’opération, caractère qui n’accompagne pas
toujours l’émission d’un chèque. Quant à l'endossement en
blanc, il convient mieux à la nature du chèque, qui doit être
avant tout un instrument simple et rapide, et qui ne se propa
gera qu'à la condition d’offrir aux porteurs une sécurité sans
réserve.
Art. 2. Cet article stipule deux des conditions principales
par lesquelles le chèque se distingue de la lettre de change ; la
première, c’est de ne pouvoir être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; la seconde c’est d’être toujours payable à
présentation.
En ce qui concerne la provision préalable, l’exposé des mo
tifs dit « qu’il faut entendre par ces mots, que la provision
doit exister non-seulement au moment où le chèque sera pré
senté, mais au moment même où il aura été souscrit. » Cette
déclaration est conforme aux vrais principes, et l’on a vu pré
cédemment qu’une interprétation de ce genre est admise par
la jurisprudence anglaise. Cette condition rigoureuse en appa
rence, est l’expression même d’un fait : le chèque, on ne sau
rai trop le répéter, est un moyen de paiement ; l’absence de
provision préalable en ferait un instrument de crédit et lui
ôterait son caractère. Non-seulement elle constituerait une
fraude vis-à-vis du fisc, mais encore une tromperie vis-à-vis
des tiers, qui doivent voir dans le chèqne l’équivalent d’un ca
pital existant. L'obligation d’une provision préalable résulte,
du reste, de la définition que nous avons donnée du chèque.
Cette définition indique en même temps quelle peut être l’ori
gine de cette provision.
Le chèque est payable à présentation. Ce n’est pas seulement
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
2153
l'intérêt fiscal qui a dicté cette condition, c’est encore et sur
tout l’intérêt commercial. Sans doute, le chèque payable à une
échéance plus ou moins éloignée ou à un certain nombre de
jours de vue, s’il était tiré d’un lieu sur un autre, ne différerait
presque plus de la lettre de change, et le produit de l’impôt
du timbre souffrirait, de cette substitution, une diminution
notable. Mais le commerce serait atteint plus vivement que le
Trésor, si le chèque n’était pas déclaré payable à présentation.
Quand un commerçant donne un chèque, il fait un règlement
au comptant, et c’est pour cette raison que son chèque est ac
cepté. Mais si le chèque était à date, le règlement au comptant
se transformerait en un règlement à terme ; peut-être le chèque
serait-il encore accepté, mais alors le tireur serait obligé de
tenir compte du retard de paiement au bénéficiaire, ce qui se
traduirait en une bonification d’intérêts. Conçoit-on, du reste,
le trouble et la perturbation que jetterait dans toutes les rela
tions commerciales ce défaut de disponibilité de tous les capi
taux flottants qui constituent le fonds de roulement de l’indus
trie et du commerce? La somme d’avantages qu’on retire des
dépôts en comptes courants serait surpassée par la masse des
inconvénients, si les chèques n’étaient pas toujours payables à
présentation. Mieux vaudrait alors avoir sa caisse chez soi et
ses fonds constamment sous sa main. Ce serait la mort des ban
ques de dépôts.
Art. 3. « Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place. »
On ne peut qu’applaudir à cette disposition, qui permettra
aux virements et aux compensations de s’accomplir de place
en place, et qui diminuera ainsi la nécessité des transports de
numéraire. On peut se faire une idée de la monnaie métallique
qui voyage, par le tribut payé aux compagnies de chemin de
fer pour transports d’espèces ; ce tribut s’élève à 2 millions,
ce qui représente un capital de trois milliards.
Art. 4. Deux questions avaient été soulevées Tannée der
�nière dans la discussion sur les chèques : le chèque devait-il
être considéré comme un acte de commerce, et les contesta
tions qui naîtraient à son sujet ressortir toujours des tribunaux
consulaires ? La faculté d’endossement si elle était accordée au
chèque, devait-elle entraîner la solidarité du tireur et des en
dosseurs comme cela a lieu en matière de lettres de change?
Ce sont là des questions délicates sans doute ; mais il ne faut
pas s’en exagérer l’importance, et la solution à laquelle se sont
arrêtés la commission spéciale et le conseil d’Etat nous paraît
devoir résoudre toutes ces difficultés.
Au premier abord il semble que, pour empêcher tout con
flit entre les compétences, il soit nécessaire de stipuler que les
contestations relatives aux chèques dirigées contre le tireur ne
seront du ressort du tribunal de commerce que si celui-ci est
un commerçant, Mais en examinant les choses d’un peu plus
près, on voit bien vite que cette disposition augmenterait les
complications. Que déciderait-on, en effet, dans le cas où le
tireur étant non commerçant, le chèque serait endossé par un
ou plusieurs commerçants ? Les mots par sa nature introduits
dans la rédaction du projet enlèvent toutes les équivoques : ils
indiquent nettement que le chèque sera considéré comme un
acte de commerce ou comme un acte de l'état civil, suivant la
qualité des parties et les causes à raison desquelles il aura été
souscrit. La compétence sera réglée par les tribunaux suivant
les règles ordinaires du droit commun. Mais le projet de loi va
plus loin : quoique le chèque émis d’un lieu sur un autre ait le
cachet extérieur d’une lettre de change, il n’est point néan
moins nécessairement assimilé à cette dernière en ce qui con
cerne la compétence. Il eût été difficile, du reste, de faire une
pareille assimilation ; en fait, le chèque tiré d’un lieu sur un
autre servira le plus souvent à liquider des obligations contrac
tées par des particuliers non-commerçants, obligations qui
n’auront aucun caractère commercial dans leurs causes.
Une assimilation plus naturelle est celle qui est relative à la
�I
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
253
garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie. Ici, on comprend que les dis
positions du Code de commerce en matière de lettres de chan
ge, reçoivent leur application. Au point de vue économique,
une telle solidarité est nécessaire au succès des chèques et à
leur adoption générale. Le porteur du chèque doit avoir une
sécurité complète : la nécessité de la provision lui garantit que
le tireur ne peut abuser de sa bonne foi ; la solidarité des en
dosseurs lui garantit en outre le paiement de son chèque. Si
l’on repoussait cette solidarité, on aboutirait à des conséquen
ces absurdes. Faudrait-il admettre, dans aucune hypothèse, le
recours du porteur du chèque contre celui qui le lui a remis?
mais en considérant le chèque comme une monnaie, on ne
peut arriver à une conclusion aussi radicale, le porteur d’une
pièce fausse ayant parfaitement un recours contre celui de qui
il la tient. La solidarité est indispensable ; elle résulte de la
nature même des choses.
L’article 162 du Code de commerce dit que « le refus de paie
ment doit être constaté le lendemain du jour de l’échéance, et
que le protêt est fait le jour suivant, si le jour de l’échéance
est un jour férié légal. » Cette procédure a paru renfermer
quelques lenteurs. Les tribunaux s’habitueront sans doute à
considérer les contestations relatives aux chèques comme de
vant être résolues dans le plus bref délai et les rangeront par
mi les sommaires. En attendant, il était bon d'accorder au por.
teur du chèque la faculté de faire constater le refus de paie
ment à l’instant même, afin de lui permettre de se mettre en
règle vis-à-vis du tireur. En conséquence, la commission a
proposé d’ajouter à l’article 4 un troisième paragraphe ainsi
conçu :
« Cependant le protêt pourra suivre immédiatement le refus
de paiement. »
Cette modification a reçu l’assentiment du Conseil d’Etat.
Art. 5. Cet article est le plus important du projet. C est celui
�qui détermine le plus complètement la différence qu’on a voulu
mettre entre le chèque et la lettre de change. Aux termes de
l’article 160 du Code de commerce, le porteur d'une lettre de
change doit, suivant les cas indiqués à cet article, en réclamer
le paiement dans les délais de l’échéance, sous peine de per
dre son recours sur les endosseurs et même sur le tireur, si
celui-ci avait fait provision. On n’a jamais pu songer à accor
der au porteur du chèque des délais aussi longs. Outre qu’ils
lui seraient inutiles, ils changeraient complètement la nature
du chèque, qui n’est pas destiné à une longue circulation.
Deux considérations conduisent à abréger les délais le plus
possible pour la réalisation du chèque : en premier lieu il im
porte que la négligence du porteur ne prolonge pas indéfini
ment la garantie des endosseurs et ne compromette pas la res
ponsabilité du tireur lui-même, ce qui arriverait infailliblement
dans le cas où la provision viendrait à disparaître par suite de
la faillite du banquier ; en second lieu, il ne faut pas qu’en
augmentant la circulation du chèque, on en fasse un instrument
qui le substituerait aux valeurs de crédit. L’intérêt du porteur
est d’accord ici avec celui du fisc ; car, tant que le chèque n’est
pas réalisé, c’est au profit du tireur et non du porteur que
courent les intérêts.
Mais quels doivent être les délais pour la présentation du
chèque? La commission spéciale avait proposé de les fixer à
cinq jours pour le chèque tiré sur la même place et à dix jours
pour le chèque tiré sur un autre lieu ; le conseil d’Etat a cru
devoir le réduire à trois jours et à cinq jours. Votre commis
sion a trouvé que ces délais étaient trop rigoureux. Il peut
se rencontrer des cas où le fait de ne pas présenter un chèque
au bout de trois jours, s’il est émis sur la même place, ne soit
pas le résultat d’un oubli ou d’une négligence ; tel est le cas où
celui à qui il a été remis en paiement demeure à quelque dis
tance, ou bien dans le cas où l’on a été obligé d’avoir recours
à la poste pour le faire parvenir ; tel est encore celui où plu-
�257
sieurs jours fériés se suivent et où on ne peut procéder à l'en
caissement. S’il s’agit d’un chèque tiré d’un lieu sur un autre,
les cas de ce genre se multiplient encore, et, pour mieux dire,
ils varient suivant les temps et les lieux. Par ces motifs, la com
mission a proposé de fixer les délais à cinq jours, y compris le
jour de la date, si le chèque est tiré de la place sur laquelle il
est payable, et à huit jours, y compris également le jour de la
date, si le chèque est tiré d’un autre lieu.
Un membre de la commission a proposé d’ajouter à la fin de
l’article 5 ces mots : sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. 11 s’appuyait sur ce que l’article 4 décla
rant que les règles concernant la garantie solidaire du tireur
et des endosseurs en matière de lettre de change sont appli
cables aux chèques, on pouvait croire que l'article 5, en repro
duisant une des déchéances contre le tireur, sans mentionner
les réserves indiquées à l'article 171, avait eu pour but d’écar
ter les dispositions de cet article, ce qui ne serait pas juste. La
commission a adopté cette addition.
Le Conseil d’Etat a consenti aux amendements introduits
dans l’article 5 par la commission.
Art. 0 et 7. Les articles 6 et 7 du projet du Conseil d’Etat
ont trait aux contraventions et aux délits qui peuvent se com
mettre dans l’émission des chèques.
La loi du 5 juin 1850 prononce des amendes contre les per
sonnes qui, en émettant des effets de commerce, cherchent à
se soustraire au paiement du droit de timbre proportionnel.
L’article 6 du projet est l’application des dispositions pénales
de cette loi aux fraudes qui peuvent avoir lieu en matière de
chèques.
Ces fraudes se rangent sous trois chefs distincts :
1* Le chèque est revêtu d'une fausse date ; 2“ le chèque ne
porte point de date ; 3° la provision préalable fait défaut. L’effet
produit par ces fraudes est le même ; elles font disparaîlre la
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
17
�différence qui existe, au point.de vue de l’impôt, entre les ef
fets'de commerce et le chèque.
On a vu que la loi anglaise frappe d’une amende considéra
ble le fait d’avoir postdaté un chèque. Il n’y a pas une grande
distance entre ce fait et celui de l’avoir émis sans date. Dans
les deux cas on commet un véritable mensonge au point
de vue du fisc ; comme le dit, avec une grande force d’expres
sion l’exposé des motifs : « Si le chèque pouvait être émis sans
date ou postdaté, il serait en vain déclaré payable à vue dans
sa formule, il ne le serait pas en réalité. » L’analogie conduit à
appliquer, en ces circonstances, la pénalité que la loi prononce
lorsqu’un effet de commerce n’a pas été revêtu du timbre au
quel il est assujetti.
Le projet de loi déclarait.qu’en cas de fausse date, l’amende
devait frapper solidairement le tireur et le premier porteur.
On avait eu évidemment l’intention d’atteindre la connivence
qui pouvait exister entre ces deux personnes. Mais, dans l’ap
plication, cette disposition parut renfermer des difficultés le
plus souvent insurmontables. Comment, en effet, dans la plu
part des cas, découvrir le premier porteur ? Quand le chèque
est au porteur, cela est impossible, puisque le chèque passe de
main en main sans qu’on puisse suivre la filière des porteurs
successifs.
Quand le chèque est à ordre, la découverte de la fraude pa
raît plus facile ; il n’en est rien cependant ; si le premier endos
est en blanc et si plusieurs porteurs se succèdent, comment s’y
prendra-t-on pour trouver le premier porteur ? 11 peut arriver
qu’un chèque au porteur soit transformé en chèque à ordre
par l’un de ses porteurs : est-ce celui-ci qui sera déclaré passi
ble de l’amende? Il n’y a qu’un cas où la connivence puisse
être atteinte sans peine : c’est le cas où le chèque est à une
personne dénommée ; mais si l’on veut commettre une fraude,
on n’ira pas choisir justement la forme où la connivence est la
plus facile à découvrir. D’ailleurs, si l’on veut bien y réfléchir,
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
259
on verra que le véritable coupable est le tireur, puisque c’est
de lui que part l’idée de revêtir un chèque d’une fausse date,
pour se soustraire au timbre qu’il eût dû payer. La commis
sion, par ces motifs, a cru devoir restreindre le paiement de
l'amende au tireur seulement.
Cette modifiation a été acceptée par le conseil d’Elat.
U n m e m b r e d e la c o m m is s io n a p r o p o s é d ’a jo u te r à l’a r tic le
6 le p a r a g r a p h e s u iv a n t :
« En cas de protêt d’un chèque, le tireur devra payer le
droit de timbre proportionnel et sera puni d’une amende de
6 p. 100. Il aura son recours contre le tiré pour le rembourse
ment des frais de protêt, de timbre et d’amende, s’il prouve
qu’il y avait provision. »
Le b u t d e c e tte m o d ific a tio n é ta i t d ’a s s im ile r le c h è q u e i m
p a y é à u n e v a le u r d e c ré d it. L e s e u l fa it d u re fu s d e p a ie m e n t
c o n s titu a it, a u x y e u x d e s o n a u te u r , u n d é fa u t d e p ro v is io n , e t
tr a n s f o r m a i t f o r c é m e n t le c h è q u e e n l e t t r e d e c h a n g e .
Plusieurs objections se sont élevées contre cette rédaction.
Si elle était admise, ce serait punir le tireur de bonne foi ; ce
serait frapper en outre injustement le tiré, s’il arrivait par ha
sard qu’un tiers eût fait opposition sur les fonds existant entre
ses mains. II y a chèque d’ailleurs jusqu’à ce que la preuve soit
acquise par un jugement qu’il n’y avait pas provision. En ce
cas, comme en tant d’autres, il vaut mieux rester dans le droit
commun.
Le défaut de provision ne constitue pas moins une faute pu
nissable ; sans adopter la forme de l’amendement, la commis
sion en a retenu le principe, et, comme on le verra lout-àl’heure, elle lui a donné une place dans la loi.
L’article 7 du projet de loi du Conseil d’Etat est ainsi conçu :
« L’émission du chèque sans provision préalable et le retrait
delà provision après la délivrance du chèqne sont punis, en
cas de mauvaise foi, des peines prononcées par l’article 405
�du Code pénal, sauf l’application, s’il y a lieu, de l’article 463
du même Code. »
Cet article a paru à la commission dangereux et inutile. En
édictant des pénalités sévères contre les délits qui pourraient se
commettre par le moyen de chèques, on a pensé qu’on inspire
rait une plus grande confiance au public dans ce mode de paie
ment. Le porteur du chèque trouverait en effet une certaine
garantie dans cette législation rigoureuse.
Mais à quels dangers alors serait exposé le tireur 1 l’émission
d’un chèque sans provision préalable peut être de sa part le
résultat d’une erreur de compte. Le retrait de la provision,
après la délivrance du chèque, peut provenir d’un simple ou
bli. Un négociant n'aura pas toujours sur lui son carnet de
compte ; s'il crée un chèque dépassant la provision inscrite à
son crédit, ou s’il retire tout ou partie de la provision destinée
à couvrir un chèque, et cela parce que sa mémoire l’aura mal
servi, sera-t-il l’objet de poursuites? Il le faudra bien, car il y
a un fait matériel qui a l’apparence d’un délit. Assurément,
dans la plupart des cas, la procédure n’aura pas de suites.
Mais le seul fait pour un négociant d’avoir eu à obéir à un man
dat de comparution ne constituerait-il pas une atteinte à son
honorabilité commerciale ? Les parquets montreraient en vain
de la discrétion dans ces sortes de recherches ; elles n’en con
stitueraient pas moins des tracasseries intolérables, et pour y
échapper, il est certain qu’un grand nombre de commerçants
renonceraient à faire usage des chèques. La loi aurait ainsi
manqué son but, qui est de développer cet instrument.
A l’unanimité, moins une voix, la commission s’est pronon cée pour la suppression de cet article.
Un membre, que les raisons précédemment exposées n’a
vaient pu convaincre, a proposé alors la rédaction suivante :
« L’émission d’un chèque sans provision préalable et le re
trait de la provision après la délivrance du chèque sont punis,
en cas de mauvaise foi, d’un emprisonnement de trois mois à
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
261
trois ans, sauf l'application, s’il y a lieu, de l’article 463 du
même Code. »
L’objet de cette modification était de bien indiquer que
l’émission d’un chèque sans provision préalable ou le retrait
de la provision après émission, constitue un fait sui generis
qui n’est prévu ni puni par aucune des dispositions du Code
pénal.
La commission a vu dans cette rédaction les mêmes incon
vénients que dans l’article primitif ; elle a donc cru devoir
l’écarter.
Mais elle a tenu à déclarer que les faits délictueux dans les
quels le chèque serait employé pour commettre une escroque
rie étaient punissables, que les pénalités du droit commun leur
étaient applicables, et elle a voulu que cette déclaration fût
consignée dans son rapport, afin qu’en l’absence d’une dispo
sition spéciale il ne pût y avoir le moindre doute sur ce point.
En proposant la suppression de l’article 7, la commission
n'a pas eu davantage l’intention 'd’innocenter le fait d’avoir
émis un chèque sans provision préalable. Mais elle a pensé que
le plus souvent ce fait rentrerait dans la catégorie des simples
contraventions. En conséquence, elle l’a compris dans les frau
des punies par l’article 6. L’émission d’un chèque sans provi
sion préalable sera, comme l’émission d’un chèque sans date
ou revêtu d’une fausse date, punie d’une amende de 6 0|0 du
montant du chèque.
Le Conseil d’Etat a admis la suppression de l’article 7 et a
donné son assentiment à l’amendement qui consiste à frapper
d’une amende de 6 OjO l’émission d'un chèque sans provision
préalable.
Art. 8. Le point de départ du projet avait été, on s’en sou
vient, une question fiscale. L’article 8 et dernier du projet a
pour but de résoudre cette difficulté. La question s’était posée
l'année dernière entre un droit minime et l’exemption absolue.
On objectait contre l’application d’un droit minime que, pour
�procurer une recette insignifiante au Trésor, on occasionnerait
une grande gêne dans les transactions. A l’exemption absolue,
on opposait les principes qui ont dicté la loi du 13 brumaire
an vu ; d’après cette loi, tout papier susceptible de faire foi en
justice d'un engagement ou d’une libération doit être timbré;
il n’y a d’exceptions que pour les actes politiques, les actes
administratifs ou les actes de bienfaisance , or le chèque ne
rentrait dans aucune de ces catégories, et, par conséquent, on
ne pouvait l’exempter sans toucher à la législation sur le tim
bre. La solution k laquelle on s’est arrêté est une transaction ;
au lieu d’une exemption totale et définitive, on a adopté une
exemption totale mais temporaire. On a considéré que le chè
que était encore dans l’enfance ; qu’il cherchait à entrer dans
les habitudes, et qu’il n’était pas, comme le chèque en Angle
terre mûr pour le droit commun. Chez noS voisins, en effet, le
chèque a circulé pendant près d’un demi-siècle avec une com
plète immunité de droit ; c’est depuis 1858 seulement qu’il a
été soumis à un timbre fixe d’un penny.
La commission spéciale avait proposé d’assigner à l’exemp
tion du timbre une durée de dix ans ; le Conseil d'Etat avait
pensé que le terme de cinq années était suffisant, sauf à en ré
férer aux pouvoirs législatifs dans le cas ou, à l’expiration de
ce délai, la situation réclamerait une prorogation.
La commission n’a pas été de cet avis ; suivant elle, le terme
de dix ans est nécessaire pour permettre au système des chè
ques d’acquérir tout son développement. Elle n’a pas cru, du
reste, que ce terme de dix ans dût être considéré comme un
maximum qui ne pourrait pas être dépassé, et elle a proposé
d’ajouter à ce chiffre de dix ans les mots au moins, afin qu’il
n’y eût pas d’équivoque à cet égard.
Le Conseil d’Etat n’a pas admis les mots au moins, tout en
adoptant l’exemption pendant dix ans. La commission n’insiste
pas, dans l’espérance que si, à l’expiration du terme de dix ans,
de nouveaux délais étaient nécessaires pour permettre au sys-
�263
tème des chèques de prendre tout son développement, le Gou
vernement n’hésiterait pas à les accorder.
Un certain nombre de nos honorables collègues ont saisi la
commission de divers amendements. Nous allons les examiner
successivement :
L’honorable M. Morin (de la Drôme) a proposé l'amendement
suivant :
« Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant provi
sion préalable : il est payable à présentation. — La provision
résultera soit d’un dépôt de fonds en compte-courant chez un
banquier ou autre commerçant, soit d’une créance reconnue
exigible par le débiteur commerçant ou non commerçant. »
Il nous semble que la définition du chèque que nous avons
placée en tête de l’article 1er de la loi donne une complète sa
tisfaction à cet amendement.
L’honorable M. Dalloz a proposé de rédiger ainsi l’article 5 :
« Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans le délai de cinq jours, si le chèque est tiré sur la place sur
laquelle il est payable, et dans le délai de huit jours, s’il est
tiré d’un département sur un autre département, et de quinze
jours, s’il est tiré de l’étranger sur Paris ou les départements,
etc. »
Les délais indiqués dans cet amendement ont été adoptés en
partie par la commission. Elle voit du danger à étendre les
délais pour les chèques tirés des départements sur Paris. Quant
aux chèques tirés de l’étranger, il lui a paru qu’ils rentraient
dans la catégorie des lettres de change.
L’honorable M. Millet a présenté plusieurs amendements.
Le premier amendement est relatif à l'article 4, dont il pro
pose de rédiger ainsi le premier paragraphe.
« L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré d’un lieu
sur un autre, ne constitue pas un acte de commerce et ne sou
met pas le tireur ou endosseur non négociant à la juridiction
consulaire. »
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�264
LOI DU
14 JUIN 1865
M. Millet a voulu éviter les pertes de temps que pouvait cau
ser l’application de l’article 636 du Code de commerce. La com
mission a pensé, au contraire, qu’il y avait là une complication
plus grande. Le texte du projet offre, du reste, cet avantage
qu’il maintient cette règle que, lorsqu’un endosseur est com
merçant, il entraîne l’affaire devant le tribunal de commerce,
quand même les autres seraient non commerçants. En consé
quence, la commission n’a pas admis l’amendement.
Par un second amendement, M. Millet proposait d’ajouter à
l’article 6 un paragraphe ainsi conçu :
» L’émission d’un chèque sans provision préalable est punie
d’une amende de 12 0|0 contre le tireur. »
Sauf le chiffre de l’amende, qu’elle a abaissé à 6 0|0, la com
mission a adopté cet amendement.
Un troisième amendement de M. Millet propose de rédiger
ainsi l’article 7 :
« Le retrait frauduleux de la provision après la délivrance
du chèque est punie des peines prononcées par l’article 401 du
Code pénal, sauf l’application, s’il y a lieu; de l'article 463 du
même Code. »
Les motifs qu’elle a invoqués pour repousser toute pénalité
spéciale et pour en référer au droit commun, ont déterminé la
commission à écarter cet amendement.
M. Millet, par un quatrième amendement, aurait voulu qu’on
stipulât que :
« En cas de protêt, les chèques fussent soumis au même
droit de timbre et d’enregistrement que les lettres de change.»
Il n’y a pas de doute qu’en cas de protêt le chèque ne doive
être soumis à l’enregistrement : il suit la loi de toutes les piè
ces susceptibles d'être produites en justice. Quand au timbre,
il n’y a aucune raison de le lui faire payer, attendu que c’est
un principe juridique que toute exemption de droit vaut paie
ment de droit, sauf toutefois lorsqu’il sera établi que le protêt
�. DOCUMENTS LÉGISLATIFS
265
a eu lieu par suite du défaut de provision ou de reirait de la
provision.
La commission n’a pu admettre l'amendement.
Enfin les honorables MM. Garnier-Pagès, Ernest Picard, Ju
les Favre, vicomte Lanjuinais, Eugène Pelletan, Glaiz-Bizoin,
Hénon, Carnot, Jules Simon, Paul Bethmont, ont proposé la
suppression de l’article 7. La commission avait pris l’initiative
de cette suppression avant que l’amendement lui fût parvenu ;
par conséquent, il est devenu sans objet.
Outre les auteurs des amendements que nous venons d’énu
mérer, la commission a entendu un certain nombre de per
sonnes placées â la tête d’établissements de crédits qui reçoi
vent des dépôts en comptes-courants. Ces honorables ban
quiers trouvent excessivement rigoureuse l’obligation imposée
au chèque d’être énoncé toujours à vue et d’être payable à pré
sentation. Ils auraient voulu que la loi consacrât la faculté
d’émettre ce qu’ils appellent des chèques â échéance graduée,
et que le délai pour la présentation du chèque fût étendu à
quinze jours au moins. Voici les motifs sur lesquels ils se fon
dent pour réclamer ces immunités :
Suivant eux, aux yeux des personnes qui confient leurs
fonds aux banques de dépôts, la faculté de disposer à tout ins
tant de leur argent est secondaire ; le point capital, c’est de
retirer de leurs capitaux un intérêt élevé. Or cet intérêt ne
peut être élevé, si les caisses de dépôts sont tenues d’avoir des
fonds considérables constamment disponibles pour faire face
aux demandes de paiements à vue. Il faut aussi prévoir les ef
fets désastreux qui résulteraient d’une panique, si les banques
de dépôts étaient mises en demeure de rembourser les dépôts
dans un moment de crise ; les chèques a présentation met
traient alors leur existence en péril. Avec les chèques à éché
ance graduée, les établissements de crédit auraient, comme on
dit, le temps de se retourner, ils pourraient liquider peu à peu
�266
LOI DU H JUIN 1 8 6 6
leurs opérations et faire face ainsi aux demandes d’argent dont
ils seraient l’objet.
Malgré la haute compétence des personnes qui font valoir
ces graves considérations, la commission n’a pas pu donner
suite aux demandes qui lui étaient adressées. Elle h’a pas dû
oublier que le projet soumis à son examen avait pour objet de
protéger les recettes du Trésor tout en favorisant l’intérêt com
mercial. Or le chèque à échéance graduée se confondrait avec
la lettre de change, et la recette de 12 millions que le Trésor
retire du timbre proportionnel se trouverait exposée à une
forte diminution.
Suivant elle, on s’exagère le danger que fait courir aux ban
ques de dépôts l’obligation de payer les chèques à présentation.
Si toute émission de chèque se traduisait en un retrait d’argent,
les craintes seraient fondées ; mais le plus souvent le chèque
donne lieu à un simple virement d’un compte à l’autre. Plus
l’usage du chèque se répandra, moins on aura à redouter, pour
les banques de dépôts, les conséquences des crises, puisque la
plupart des opérations se liquideront par voie de compensation.
Du reste, l’expérience a prononcé : il n’y a pas de pays où les
crises soient plus fréquentes qu’en Angleterre, et bien que les
chèques soient à vue, on ne croit pas que cela ait nui au déve
loppement des banques de dépôts, ni qu’elles en aient éprouvé
quelque ébranlement.
On prétend en outre qu’en Angleterre il y a trois espèces de
chèque : le chèque à vue, le chèque à sept jours ou à dix jours
et le chèque à un mois. C’est là une erreur qu’il importe de
rectifier ; il n’y a, au-delà de la Manche, qu’une seule sorte de
chèque, le chèque à vue ; toutes les autres valeurs rentrent dans
la catégorie des traites ordinaires et paient le timbre propor
tionnel. La vérité, c’est que les banques de dépôts reconnais
sent trois espèces de compte .■ 1° le compte n° 1, donnant peu
ou point d’intérêt, et sur lequel on tire à vue ; 2° le compte
n” 2, donnant un intérêt plus fort et.sur lequel on ne peut dis-
�267
poser qu'à dix ou quinze jours, et enfin le compte n° 3, auquel
on attribue un intérêt élevé et qui n’est disponible qu’à un
mois et même davantage. Par des combinaisons analogues il
est facile aux banques de dépôts de parer aux dangers que peu
vent leur faire courir des paniques exagérées ; mais la loi n’a
rien à y voir : ce sont des arrangements à régler entre les ban
ques et leurs clients.
Il en est do même de celte clause imposée par certains éta
blissements decrédit aux déposants de ne tirer à vue sur leur
caisse que pour une somme ne dépassant pas un certain chif
fre, ou tout au moins da’viser la banque trois, six et même
quinze jours avant l’émission d’un chèque d’un chiffre élevé.
Pour le succès de leurs opérations, les banques peuvent, en
effet, avoir besoin de soumettre leurs clients à des règles de ce
genre. Mais, de même qu’elles trouveraient fort mauvais que la
loi empêchât ces conventions d’un caractère purement privé, de
même elles doivent se résigner à voir la loi s’abstenir à leur
égard de toute faveur inutile.
Avant de terminer ce long travail, nous tenons à repousser
une dernière erreur : c’est celle qui voit dans l’usage généralisé
des chèques la fin de toutes les crises monétaires et financières.
Quand même les faits ne seraient pas là pour contredire cette
erreur, les véritables notions économiques suffiraient pour en
faire justice. En Angleterre et en Amérique, où les chèques
sont répandus dans toules les classes de la société, ils n’ont
jamais arrêté une crise. C’est que, si le chèque économise l’em
ploi du numéraire métallique, il ne saurait jamais y suppléer,
et que, dans les crises, ce ne sont point des chèques que l’on
réclame, c’est de l’argent. Il n’est donc pas vrai que le chèque
et les combinaisons auxquelles il donne lieu résolvent la ques
tion si compliquée de la circulation èt du crédit.
Mais si le chèque ne peut empêcher les crises, il peut beau
coup pour en diminuer l’intensité. Son usage rend plus consi
dérable la masse du numéraire disponible, et permet de faire
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�268
LOI DU i k JUIN 1865
servir ce numéraire à satisfaire des besoins urgents. Aussi,
dans les pays où il est répandu, les crises sont-elles moins pro
fondes et sont-elles plus facilement et plus rapidement répa
rées.
Ces considérations, que l’expérience constate, doivent nous
exciter à ne point négliger un progrès qu’il ne tient qu’à nous
d’accomplir. A ce point de vue le projet de loi qui vous est
soumis, s’il ne satisfait pas toutes les exigences, laisse du moins
le champ libre à toute les initiatives. C’est en ce moment tout
ce que nous avons à réclamer.
Par ces motifs, nous vous proposons l’adoption du projet tel
qu’il a été amendé par la commission d’accord avec le Conseil
d’Etat.
(Supplément du JUonitsur des S, 6, 7 et 10 mai 1865).
6°
RAPPORT SUPPLÉMENTAIRE DE M. DARIMON
Annexé à la séance du 20 mai 1865
Messieurs, je viens au nom de la commission dos chèques,
vous présenter les résultats du travail auquel elle s'est livrée
sur les articles 4, 5 et 6, que vous avez renvoyés à son examen.
A r t . 4. Cet article se terminait par un troisième paragraphe
ainsi conçu :
„
« Cependant le protêt pourra suivre immédiatement le refus
du paiement. »
La commmission n’avait dérogé, en cette circonstance, aux
règles du droit commun que pour environner le chèque d'une
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
269
grande faveur et pour lui attribuer la confiance du public, en
l’assimilant plus complètement à l’argent comptant. II lui pa
raissait d’ailleurs que le protêt immédiat était la conséquence
logique de ces deux conditions essentielles du chèque, d’avoir
une provision préalable et d’être payable à présentation.
La commission conserve ses convictions à cet égard ; mais
en présence des craintes manifestées dans la Chambre, la ma
jorité a consenti à la suppression du troisième paragraphe de
l’article 4.
A rt . 5. La discussion qui a eu lieu à propos de cet article
a porté sur certains points relatifs à la rédaction du deuxièm e
paragraphe. Ce deuxième paragraphe était ainsi conçu :
« Si le porteur n’en réclame pas le paiement dans les délais
indiqués au paragraphe précédent, il perd son recours contre
les endosseurs, et même contre le tireur, dans le cas où celui-ci
aurait fait provision, sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. »
Dans l’esprit de la commission, comme du Gouvernement,
de qui cette rédaction émanait en partie, ce paragraphe signi
fiait seulement que, si le porteur d’un chèque laissait passer les
délais, il perdait le recours en garantie qui résultait de son ti
tre. Jamais ni la commission, ni le Conseil d’Etat n’avaiet eu la
pensée que le fait d’avoir négligé de présenter le chèque en
temps utile entraînât pour le porteur une déchéance absolue
et définitive et que celui-ci n’eût plus le droit d’agir par les
voies ordinaires. L’opinion contraire était exprimée en termes
très explicites dans l’exposé des motifs du projet de loi, et si
le rapport de votre commission ne l’avait pas reproduite, c'est
qu’elle jugeait qu’il ne pouvait pas y avoir le moindre doute à
cet égard.
Cependant il a suffi que, dans le Corps législatif, on ait cru
voir que, dans son texte, le paragraphe laissait planer sur ce
point une certaine équivoque pour que la commission se ren
dit aux observations qui étaient présentées et pour qu’elle
�270
LOI
du
14
ju in
18 65
s’associât elle-même â la demande de renvoi. En examinant
avec soin la question, la commission a pensé que le meilleur
moyen de dissiper toutes les obscurités était de se borner à in
diquer le cas où la forclusion absolue était encourue par le por
teur du chèque qui ne l'aurait pas présenté dans les délais lé
gaux. En conséquence, d’accord avec le Conseil d’Etat, elle a
adopté la rédaction suivante :
« Le porteur d'un chèqne qui n’en réclame pas le paiement
dans les délais ci-dessus perd son recours contre les endos
seurs; il perd aussi son recours contre le tireur, si la provision
a péri par le fait du tiré après lesdits délais. »
A r t . 6 . On a fait à cet article différentes critiques portant sur
sa rédaction :
1° Conformément aux observations présentées, la commis
sion a substitué le mot passible au mot puni, qui était dans le
projet du Conseil d’Etat ;
‘S* En soumettant à une amende l’émission d’un chèque sans
provision préalable, la commission n’avait voulu frapper que
la simple contravention fiscale, consistant à déguiser, sous la
forme d’un chèque, une véritable valeur de crédit. Mais il
n’avait pas entendu innocenter le cas où une pareille émission
serait accompagnée de circonstances qui lui donneraient le ca
ractère d’un délit. Quoique le rapport se fût expliqué â cet
égard de la façon la plus claire et la moins équivoque, la com
mission, prenant en considération les observations qui se sont
produites, a introduit un changement dans le texte de l’article.
Voici la nouvelle rédaction qui vous est soumise :
« Le tireur qui émet un chèque sans date ou qui le revêt
d une fausse date est passible d’une amende égale à 6 0|0 de la
somme pour laquelle le chèque est tiré.
a L’émission d’un chèque sans provision préalable est pas
sible de la même amende, sans préjudice de l’application des
lois pénales, s’il y a lieu. »
Plusieurs de nos honorables collègues, usant de la faculté
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
271
que leur confère l’article 66 du décret impérial du 3 février
1861, ont envoyé des amendements à la commission.
L’honorable M. Millet a envoyé trois amendements.
Le premier, portant sur l’article 6, est ainsi conçu :
« L'usage du chèque est subordonné au consentement préa
lable du tiré. Son émission, même d’un lieu sur un autre, ne
constitue pas, par sa nature, un acte de commerce.
« Toutefois, les dispositions du Code commerce, relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie, en matière de lettres de
change, sont applicables au chèque.
« Si le chèque a été indûment émis, le refus motivé de paie
ment, inscrit et signé par le tiré sur le billet au moment de sa
présentation, tiendra lieu de protêt. »
L’idée formulée dans le premier paragraphe de cet amende
ment s’est produite dans le sein du Corps législatif. Un mem
bre a demandé que, si l’on adoptait la faculté de faire suivre
le refus de paiement du chèque d’un protêt immédiat, la loi
déclarât que l’émission d’un chèque serait subordonnée au
consentement préalable du tiré.
La commission a conclu à l’inutilité d’une disposition qui
constituerait un véritable pléonasme légal. La renonciation
que la commission a faite du protêt immédiat en cas de non
paiement du chèque, diminue singulièrement l’importance de
la question ; il y avait entre ces deux choses, la convention
préalable et le protêt immédiat, une parfaite corrélation ; la
seconde condition disparaissant, la première n’a plus de raison
d'être. De plus, l’idée de la convention préalable entre le tireur
et le tiré, qu’on voudrait introduire dans la loi, s’y trouve ex
primée déjà de la façon la plus claire. En effet, aux termes de
l’article 1", le chèque ne peut être tiré que sur des fonds dis
ponibles, et l’article 2 déclare que le chèque doit être exclusi
vement tiré sur un tiers ayant provision préalable. Evidem
ment la disponibilité des fonds ne doit s’entendre que de fonds
�dont on peut disposer, à la suite du consentement du tiré ;
évidemment encore il n’y aurait pas de provision préalable là
où il n'y aurait pas eu de convention préalable.
On a attribué à la commission cette opinion que, par cela
seul qu’une créance serait exigible, on aurait le droit d’en ré
clamer le paiement en tirant un chèque. La commission se doit
à elle-même de repousser une pareille prétention qu’elle n’a
jamais eue, qu’elle n’a jamais pu avoir. A ses yeux, une créance exigible constitue une dette, et non cette provision préalable
qui est le caractère essentiel du chèque. Dans les usages du
commerce, un mandat, une traite, une lettre de change ne peuventêtre valablement lancées qu’autant qu’on a le consentement
du tiré. Si cette condition n’est pas remplie, le tiré a parfaite
ment le droit de refuser de faire honneurs aux valeurs dont on
dispose sur lui, et un refus de paiement, dans ces circonstan
ces, n’enlrafnerait pour lui aucune conséquence fâcheuse. Il
n’en sera pas autrement du chèque. L’émission d’un chèque et
l’absence d’une convention entre le tireur et le tiré sont deux
choses qui s’excluent.
Par ces motifs, la commission n’a pas pu admettre la pre
mière partie de l’amendement de l’honorable M. Millet. Elle a
dû repousser également la seconde partie qui se rattache par
des liens étroits à la première.
Par un second amendement, l’honorable M. Millet a proposé
de rédiger ainsi l’article 5 :
* Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paiement dans
le délai de cinq jours, si le chèque est tiré de la place sur la
quelle il est payable, et dans le délai de huit jours s'il est tiré
d'un autre lieu. Ces délais passés, le porteur perd tout recours
contre les endosseurs. Il le perd aussi contre le tireur, à moins
que celui-ci n’ait pas fait provision, ou qu’il n’ait opéré le re
trait de cette provision, ou qu’il n’en ait indirectement profilé
avant ou après l’expiration des délais.
« Le porteur déchu ne conservera d’action que contre le
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
273
tiré, sauf le cas où il pourrait agir contre les endosseurs dans
les termes de l’article 171 du Code de commerce. »
Sur la première partie de l’amendement, il n’y a entre l’ho
norable M. Millet et la commission, qu’une nuance impercep
tible. Si, en cette circonstance, la commission s'est écartée des
termes usités pour indiquer les délais légaux, c'est parce qu'il
s'agissait d’un instrument nouveau, et qu’elle a pensé qu’à
cause de cela il fallait être aussi clair et aussi précis que pos
sible.
De même sur la seconde partie de l’amendement, la com
mission partage l’avis de l’honorable M. Millet, sur les cas où
le porteur conserve son recours soit contre le tireur, soit con
tre les endosseurs. Seulement elle considère que ces cas ren
trent dans le droit commun, et que l’article 4 du projet en dis
cussion les a prévus, puisqu'il déclare que les dispositions du
Gode de commerce relatives à l’exercice de l’action en garan
tie en matière de lettre de change sont applicables aux
chèques.
Le troisième amendement de M. Millet porte sur l’article 6.
Il est ainsi conçu :
« Est passible d’une amende de 6 0|0 du montant de la va
leur souscrite, en outre du paiement du droit de timbre pour
tous les effets négociables ou de commerce :
« 1° Celui qui émet un chèque sans provision disponible
chez le tiré ou sans le consentement préalable de ce dernier;
« 2* le tireur qui, après l’émission d’un chèque, opère le
retrait de sa provision avant l’expiration des délais fixés pour
le paiement ;
« 3° Le tireur qui émet un chèque sans date ou avec une
fausse date. »
Le timbre est dû toutes les fois que l’amende est encourue
pour infraction aux dispositions de la loi ; c’est là un fait inu
tile à énoncer. Quant aux cas énumérés par l’honorable M. Mil
let, s'il en est qui peuvent être admis, il en est qui doivent
18
�être écartés. On ne saurait toujours ranger parmi les simples
contraventions fiscales le fait d'avoir émis un chèque sans le con
sentement préalable du tiré ou celui qui consisterait à retirer
la provision avant l’expiration des délais. Ces faits constituent
non-seulement une contravention fiscale, mais ils peuvent en
outre donner lieu à des poursuites correctionnelles, suivant les
circonstances dans lesquelles ils se produisent.
Au moment où la commission allait clore ses travaux, elle a
reçu trois autres amendements.
Le premier, émané de l’honorable M. Nogent-Saint-Laurens, est ainsi conçu :
Article unique : a Les chèques sont exempts de timbre. »
Un second amendement, envoyé par M. Berryer, porte :
Article unique : « Les mandats délivrés à ordre ou au por
teur, sous forme de récépissés sur les maisons et établisse
ments de banque et de dépôts, ne seront soumis au timbre que
lorsqu’ils seront produits en justice. »
Sans examiner la question de savoir si le règlement autorise
la discussion sur des amendements qui modifient des articles
déjà votés par la Chambre, la commission repousse ces amen
dements par les raisons suivantes :
Le projet de loi n’a pas seulement pour but d’exonérer le
chèque du droit de timbre ; il tend à créer un nouvel instru
ment de liquidation et de paiement ; il fixe les conditions léga
les de son existence ; il indique, en outre, en quoi cet instru
ment diffère des autres valeurs de crédit, en usage aujourd’hui
dans le commerce sous le nom de mandats, lettres de change,
billets à ordre, récépissés, etc.
L’amendement de l’honorable M. Berryer aurait de plus l’in
convénient d’établir un privilège en faveur des établissements
de banque, et en même temps d’arriver, d’une manière indi
recte, à la suppression du droit de timbre proportionnel sur
les effets de commerce.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
275
Enfin, l’honorable M. Garnier a fait parvenir à la commis
sion l’amendement suivant :
« Remplacer tous les articles en discussion, par la disposi
tion suivante ;
« Les mandats à vue, endossés ou non endossés, sont exempts
de timbre et d’enregistrement.
Ils n’auront droit à celte immunité que lorsqu’ils auront été
présentés au paiement dans le délai de cinq jours, y compris
le jour de la date, si le mandat est tiré de la place sur laquelle
il est payable, et dans le délai de huit jours y compris le jour
de la date, s’il est tiré d’un autre lieu. »
Cet amendement soulève les mêmes difficultés que ceux des
honorables MM. Berryer et Nogent-Saint-Laurent en ce qui
concerne l’application du règlement. Toutefois, la commission
voulant s'éclairer sur la question de l'exemption du droit d’en
registrement, qui est l’objet principal de l’amendement, a prié
le Gouvernement de vouloir bien s’expliquer à cet égard. Voici
la réponse qui nous a été faite :
« En ce qui concerne le timbre, l’administration doit s’abs
tenir, en cas de protêt, de percevoir les droits de timbre et de
soumettre à des amendes tout effet négociable ayant les carac
tères extérieurs du chèque. Ce n’est que lorsqu’un jugement
sera intervenu, qu’il aura établi qu’un effet avait emprunté la
forme du chèque, n’était pas un véritable chèque : ce n'est en
un mot que lorsque le caractère de l’effet aura été juridique
ment déterminé que l’Administration réclamera, lors de l’en
registrement du jugement, le droit de timbre et les amendes.
« Quant au droit d’enregistrement, il n’y a aucun intérêt à ce
que l’immunité en soit prononcée, tandis qu’il est d’utilité pu
blique d’exempter les chèques du droit de timbre. Ce droit, en
effet, pèse sur tous les chèques, tandis que le droit d’enregis
trement n’atteint que les chèques protestés ou produits en
justice.
« Il est vrai que l’exemption d’enregistrement a été habi
�tuellement le corollaire de l'immunité du timbre; mais il n’y
a aucune anomalie à ne qu’il n'en soit pas ainsi. Les deux im
pôts ne procèdent pas des mêmes principes. En matière d’ef
fets négociables, le timbre est un véritable impôt, qui ne con
fère à l’écrit aucun caractère et que les besoins du Trésor seuls
justifient. L'enregistrement, au contraire, ne frappe que les
écrits qui acquièrent baulhenticité par leur annexe à un acte
public ou qui sont produits devant la jus lice. Le droit qui les
atteint peut donc être considéré comme le prix de la protection
de l’Etat et d’un service rendu.
« Il n'apparaît pas d’ailleurs que la perception du droit
d’enregistrement puisse présenter des difficultés quant à l'ap
plication du tarif.
'* Que le chèque soit endessé ou non, il restera toujours un
effet négociable (art. 1" de la loi). Il ne peut donc pas être sou
mis au droit de 1 p. 100 (droit des obligations pures et sim
ples).
« Le chèque ne reste pas non plus une lettre de change,
puisqu’il exige la provision préalable et qu’il ne constitue pas
un acte de commerce. Il ne saurait donc être soumis au tarif
de cetto nature d’effets.
« Le droit qui, dans tous les cas, sera dû pour le chèque pro
testé ou produit en justice sera donc celui de 50 centimes éta
bli par l’article 69, § 2, n° 6 de la loi du 22 frimaire an vu
pour tous les effets négociables. »
(A r t ic le s 4, 5, et 6).
(Nouvelle rédaction adoptée par la Commission et le
Conseil d’Etat J.
A r t . 4. L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré
d’un lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un acte
de commerce.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
277
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie, en matière de lettres de
change, sont applicables aux chèques.
A rt . 5. Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paie
ment dans le délai de cinq jours, y compris le jour de la date,
si le chèque est tiré de la place sur laquelle il est payable, et
dans le délai de huit jours, y compris le jour de la date, s’il
est tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans les délais ci dessus, perd son recours contre les endos
seurs ; il perd aussi son, recours contre
» le, tireur, si la provision
a péri par le fait du tire, après lesdits delais.
A rt . 6. Le tireur qui ém et un chèque sans date, ou qui le
revêt d’une fausse date, est passible d’une am ende égale à 6
pour 100 de la somme pour laquelle le chèque est tiré.
L’émission d’un chèque sans provision préalable est passible
de la même amende, sans préjudice de l’application des lois
pénales s’il y a lieu.
(Supplément du Moniteur du 4 juin 1865)
RAPPORT DE M. LE COMTE DE GERMINY
(Fait au Sénat le 9 juin 1865)
M.
G
, rapporteur. — Messieurs les Sé
nateurs, la loi sur les chèques, que le Corps législatif a votée
dans sa séance du 23 mai dernier, est-elle en quoi que ce soit
contraire à la constitution? Votre commission n’a, au point de
le
com te
de
e r m in y
�vue constitutionnel, aucun reproche à lui faire; il n’y a donc
pas lieu de s’opposer à sa promulgation ; nous vous demande
rons de le déclarer. Mais, en sa qualité de moyen de crédit, si
ce n’est tout à fait nouveau, du moins peu pratiqué en France,
sous le nom de chèque, nous avons pensé qu’il vous convien
drait de ne pas adhérer aux dispositions destinées à en régle
menter l’usage, sans appréciation de l’idée en elle-même et de
ses conséquences possibles. Reconnaissons, dès à présent,
d’une part, que si le chèque peut devenir l’origine de questions
contentieuses, la loi rendra des services et contribuera à fixer
la jurisprudence. D’autre part, apercevons aussi que les rap
ports très-étudiés dont elle a été l’objet ont donné une notorié
té jusqu’alors restée dans l'ombre à l’intéressant procédé qu’il
s’agit de populariser.
On a pu dire que la loi était superflue; que le chèque irait
bien seul et de soi, pourvu qu’il fût exempt de timbre, payable
à vue et valable, comme en Agleterre, pendant quarante-huit
heures seulement. Nous n’avons ni à combattre, ni à partager
cette manière de voir. Ce que nous savons, c’est que, jusqu’à
présent, les chèques ne nous étaient apparus que de loin ; nous
avions entendu vanter leurs avantages, mais il restait assez dif
ficile de juger s’ils seraient pour la France en particulier d’une
utilité réelle.
Le Gouvernement et le Corps législatif nous les présentent
aujourd’hui entourés de renseignements attrayants et précis ;
et le Sénat, quoiqu’il n’ait aucun droit d’amender la loi, peut
encore ajouter au bienfait de ses dispositions, car, lorsque vous
donnez les raisons d’un témoignage favorable, messieurs les
Sénateurs, les populations le remarquent, elles ont foi dans ce
que vous approuvez. Or, si elles apprennent que pour le bien
des affaires vous avez souhaité le développement des institu
tions qui ont ailleurs donné aux chèques le renom qu'ils ont
acquis, elles en adopteront l’usage plus promptement.
Nous allons essayer par des considérations et quelques chif-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
279
fres, non de justifier la loi, qui ne peut être discutée dans cette
enceinte, mais de montrer qu’elle est opportune, et dans quel
les circonstances elle deviendra utile.
Et d'abord, rappelons qu’en peu d’années notre pays a subi
de grandes modifications commerciales, et qu’une activité inu
sitée dans les affaires et les entreprises a produit un mouve
ment extraordinaire, on pourrait dire une immense consom
mation de numéraire et decrédit ; cette vérité a frappé tous les
yeux et a préoccupé bien des intelligences d’élite.
Comment maintenir les instruments de travail, l’argent et le
crédit, au niveau de l’impulsion donnée? Car, malgré des avis
très-sages d’entreprendre un peu moins, l’ardeur n’a pas cessé
d’être vive, et beaucoup de publicistes, les uns dignes par leur
science d’être lus et médités, les autres moins pratiques, ont
donné le jour à de nombreux systèmes.
Que de fois n’a-t-on pas répété que l’or et le crédit, le pre
mier dans sa quotité, le second dans son organisation, n’étaient
plus que des voies et moyens au-dessôus de leur tâche! Que
de fois n’a-t-on pas écrit qu’il était urgent d’imaginer quelque
chose ! Et chacun alors d’inventer et d’avoir qui une idée, qui
un projet. Celui de modérer les entreprises s’est produit sans
doute, nous venons de le dire ; il semble avoir fait quelques
progrès ; mais il a moins de popularité que l’action, et cela se
comprend : l’action a réalisé de si remarquables choses depuis
quatorze ans 1 Les théories ont donc abondé ; en est-il beau
coup qui survivront au jour qui les a vues naître ? Espérons le
contraire, tant il y en a d’étranges.
Quoi qu’il en soit, nous n’hésitons ni à dire, ni à croire, que
le chèque sera, lui, une heureuse exception ; seulement, jouerat-il de suite, en France le rôle important qu’il a en Angle
terre? En le souhaitant sincèrement, il nous semble utile de
remarquer pourquoi ce peut être une question. Il faut tenir
compte des habitudes commerciales des deux nations, de la
différence de richesse métallique des deux pays; il faut se sou-
�280
loi du
14
juin
1868
venir, par exemple, que la France possède pour cinq ou six
milliards de num éraire, et qu’ elle tient à conserver ce trésor
avec sollicitude. Si elle pouvait penser que le chèque serait un
moyen de substituer une valeur en papier au n u m éraire, elle
ne l’accepterait qu’avec une extrêm e réserve : elle anrail le
sentim ent que cet instrum ent de paiement et de com pensation
lui est moins nécessaire qu'à l’A ngleterre, qui passe pour n’a
voir que 1 milliard 500 millions de métaux précieux.
11 est aisé de comprendre que le peuple anglais a dû s’appli
quer à organiser des formes de crédit suppléant à l’or et à l’ar
gent; et malgré tout le parti qu’il tire de ces formes, la ques
tion de savoir si elles nous sont aussi nécessaire, si nous ne de
vons pas nous estimer heureux d’en avoir moins de besoin, ne
sera pas chez nous résoluo sans réflexions. Elle le sera cependant, nous le croyons du moins, dans le sens de l’adoption des
chèques, car il y a place pour eux, si nous savons les employer
sans leur permettre de nous faire oublier qu’ils doivent servir
d’appoint, rien de plus à notre circulation métallique toujours
digne de nos préférences. Ce n'est pas de nos jours seulement
qu’on a l’habitude de rendre hommage au numéraire et de le
tenir en honneur. Un grand génie, il y a quatre siècles de cela,
qui ne regardait pas avec moins de science et de rectitude
d’esprit sur la terre que dans les astres, Copernic, a dit quel
que part, et nous aimons ce propos, que les pays qui ont de la
bonne monnaie fleurissent, tandis que ceux qui n’en ont que
de la mauvaise tombent en décadence et dépérissent; la bonne
monnaie, c’est la nôtre. C’est nos cinq ou six milliards de nu
méraire.
D’ailleurs, en somm es-nous aussi dépourvus qu'on veut bien
le supposer de ces formes exceptionnelles pour faire, à défaut
de métaux précieux, le service de nos affaires!
Nous n’avons pas depuis longtemps le mot, mais nous avons
depuis longtemps la chose. Les mandats rouges et les mandats
blancs que la Banque de France réunit en carnets et met aux
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
281
mains des banquiers, des commerçants, de ses créanciers en
compte-courant, ne s’appellent pas des chèques, mais équiva
lent ; ils ne servent pas moins à payer à vue, à solder des com
ptes par compensation, que des chèques, dont les Anglais font
usage ; or, durant l’exercice de 1864, des affaires à la Banque,
et de la Banque aux affaires, ces mandats rouges et blancs ont
été les intermédiaires d'un mouvement dont le total accusé par
les livres de service s'élève à 14 ou 15 milliards.
Le Crédit foncier, le Comptoir d’escompte, le Crédit indus
triel, le Crédit mobilier, la Société générale, le Comptoir Donon, quelques banques de dépôt, presque toutes les maisons
de banque, mettent à la disposition de leurs correspondants
des reçus reliés aussi en carnet, faciles è détacher successive
ment, et qui font à merveille et très-rapidement l’office du check
anglais. A eux seuls le Crédit foncier et le Crédit agricole, qui
on le sait, opèrent sous les auspices du même conseil d’admi
nistration et sous le même toit, ont satisfait depuis quinze
mois par le même procédé à un mouvement de va-et-vient de
dépôts qui ne s’est pas élevé à moins de 363 millions ; le solde
disponible de leurs dépôts, en compte-courant, est à l’heure où
nous écrivons ces lignes de 93 millions.
Il ne faudrait donc pas croire, messieurs les Sénateurs, que
la loi qui vous est présentée a importé le moyen, puisqu’il
nous appartient déjk sous d’autres dénominations ; mais nos
ingénieux voisins ont une manière de s’en servir, d’en tirer
parti, par les soins d’institutions si puissantes et si actives, qu’à
la condition de ne jamais perdre de vue le sentiment de notre
supériorité en métaux, et de retenir religieusement cette ri
chesse, il est tout simple que nous ayons été nous inspirer de
leur expérience, afin de ne rien négliger de ce qui peut gran
dir la fortune de la France et en faciliter l’emploi.
Nous avions l’honneur de vous dire, à l'instant, que par vo
tre appréciation de la loi et de ses dispositions, vous la popula
riseriez et la feriez goûter du public ; elle est courte, simple-
�)
282
LOI du
U
JUIN
1865
ment rédigée ; permettez-nous de rappeler les termes de son
premier article seulement. Il exprime à lui seul toute l’écono
mie du système :
A rt . 1". Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un man
dat de paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son pro
fit ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés
au crédit de son compte chez le tiré et disponibles.
« il est signé par le tireur et porte la date du jour où il est
tiré.
« Il ne peut être tiré qu’à vue.
« II peut être souscrit au porteur ou au profit d’une person
ne dénommée.
« Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie
d'endossement en blanc. »
Vous le voyez, messieurs les Sénateurs, telles sont les pre
mières et les principales dispositions de cette loi ; vous avez
entendu comment elle définit le chèque : un écrit sous forme
de mandat.
Ajoutons qu’en cette qualité, il est, comme nous l’avons
déjà dit, un instrument de paiement et de liquidation, d’une
extrême simplicité, ce qui n’est pas son moindre mérite.
Mais quel sera l’effet de cet instrument, lorsque nous l’au
rons adapté à nos habitudes autant que le peuple anglais?
Si nous devons prévoir qu’il tirera de leur oisiveté quelques
métaux immobiles ou improductifs, faut-il en conclure que nous
devons avoir moins de souci de l’ardeur des entreprises, que
tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles?
que nous aurons une fortune nouvelle et inépuisable? Cela ne
peut être vrai que jusqu’à un certain point, et sous réserve des
réflexions qui vont suivre. Lorsque un chèque intervient com
me i nstrument de paiement, vous avez vu qu’une provision de
fonds disponibles doit être sans cesse à sa disposition et l’at
tendre ; il a le droit pourjse faire payer, de vouloir des espèces,
car, Dieu merci 1 le cours forcé est loin de nous, alors le nu-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
283
méraire est toujours indispensable ; mais si le chèque agit par
voie de compensation, comme le mandat rouge, dit de vire
ment, de la Banque de France, qui sert à passer une somme
d’un compte à un autre compte, c’est autre chose.
Alors, il devient un moyen de règlement entre le marchand
et le consommateur, entre le manufacturier et l’ouvrier, entre
négociants de toute espèce, et tandis qu’il joue ce rôle, les dé
pôts d’or et d'argent qui sont le point de départ du droit qu’on
a de tirer un chèque, et de compenser par son intervention ces
dépôts, sont prêts dans une certaine mesure, à recevoir une
autre destination ; en observant cela il devient évident qu’ils
peuvent, si ce n’est doubler, il y aurait imprudence alors, mais
accroître les moyens d’entreprendre et de travailler. Voilà ce
qu’elle peut être, cette fortune nouvelle.
C’est ainsi que dans un pays, sinon pauvre, il s’en faut de
beaucoup quand il s’agit de l’Angleterre, mais moins riche que
le nôtre en numéraire, le chèque a un mérite réel et incontesté.
Instrument de paiement, si l’on considère qu’il est remboursa
ble à vue en espèces, il est une valeur analogue au billet de
banque. Instrument de compensation, il prend la place du nu
méraire, et alors le crédit de ceux qui l’emploient doit être
l’objet d’une vigilance constante et spéciale. En Angleterre, le
premier venu n’est pas admissible, avec un chèque à ce comp
toir de compensation. Il faut être le mandataire d’une banque
respectable et présenter des garanties.
Pourquoi encore inclinons-nous à croire qu’en France l’usage
du chèque ne sera pas pratiqué sans hésitation ? Parce que
nous avons des habitudes dont nous nous départirons diffici
lement. Ce n’est pas sans raison et sans respect pour des saines
traditions que les populations stipulent, dans la plupart de
leurs baux, l’obligation d’en payer le prix principal en espè
ces sonnantes d’or et d’argent et non autrement ; et comme on
dit que l’homme a l’instinct de sa conservation, on peut dire
que le peuple français a l’instinct national de la conservation
�284
LOI PÜ
14
JUIN
1865
du numéraire. Ajoutons que, depuis qu'il y a plus d’or que
d’argent dans la circulation ^autrefois c’était le contraire), on
n’a pas même pour s’en servir moins le prétexte de l’incom
modité, et souvenons-nous que pour payer les soldes débiteurs
de nos relalions internationales on ne peut se passer d’es
pèces.
On peut donc croire que les chèques sont pour nous une
question de mesure et de temps. Qu’ils soient les bien-venus,
lorsqu’ils nous arrivent sous les auspices d’une bonne loi et
d’une savanle discussion au Corps législatif.
Nous en usons déjà sous des formes propres à notre nation ;
je l'ai prouvé tout-à-l'heure par des chiffres décisifs.
Maintenant, si le Sénat le permet, et si nous ne nous impo
sons pas trop à son attention, nous lui ferons en peu de mots
faire connaissance avec les institutions anglaises, qui, par
l’emploi des chèques, attirent des capitaux dont l’importance
ne concourrait pas sans elle à l’activité des affaires, et nous
précéderons nos renseignements de quelques réflexions géné
rales, exprimées dans des termes d’autant plus dignes d’être
signalés qu’ils ne sont pas de nous, mais du secrétaire distingué
de la commission d’enquête dans laquelle a été préparée la
loi soumise aujourd’hui à votre sanction.
Les voici ces réflexions, telles que M. le ministre d’E tat qui
présidait la commission les a agréées et en a ordonné la com
munication à son honorable collègue, M. le ministre des
finances.
« S’il est, en économie politique, un principe élémentaire,
et dans la pratique une règle vulgaire, c’est assurément qu’un
capital quelconque, disponible entre les mains de celui qui en
est propriétaire, ne dégage pour ainsi dire sa valeur intrinsè
que qu'autant qu’on l’applique à un emploi productif.
a La thésaurisation est le préjugé d’un peuple arriéré, ou une
nécessité imposée à une nation troublée par la guerre, ou in
quiétée par l’anarchie ; aussitôt que des conditions d’ordre, de
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS .
28S
sécurité, de progrès, se manifestent, celui qui possède un capi
tal cherche à le faire fructifier, en l'immobilisant soit dans des
acquisitions territoriales, soit en l’engageant dans des entre
prises industrielles ou commerciales ; plus tard, il le place en
valeurs mobilières, ou le confie à des maisons de banque ; en
un mot, au lieu de le conserver inactif, il le livre à la circula
tion afin de bénéficier de l’intérêt.
« On sait combien tous ces genres de placements sont répan
dus aujourd'hui ; mais il est un progrès auquel on n'est arrivé
que récemment.
« Si de tout temps, pour ainsi dire, on avait cherché à tirer
parti des fonds qui pouvaient être engagés pour une longue
durée, on regardait comme une nécessité et même comme un
acte de prudence de conserver tous ceux qui devraient être
nécessaires prochainement, pour servir de fond de roulement
ou pour payer les dépenses courantes ; dans chaque maison,
dans chaque boutique, on conservait ainsi une certaine somme,
moins pour l’employer immédiatement que parce que l’on
voulait être assuré de l’avoir.
a Toutes ces réserves, dont le chiffre est minime si l’on con
sidère isolément chaque fraction, énormes si on les suppose
accumulées, restaient ainsi stériles. Par une combinaison ingé
nieuse on a résolu le problème, qui consistait à rendre cette
masse de numéraire productive, sans qu’elle cessât pour cela
de rester disponible. C’est là l’office des banques de dépôts et
particulièrement de celles qu’on a appelées, en Angleterre,
Joint-Stock-Banks. Elles servent un intérêt à l’argent, un in
térêt minime, parfois aussi n’en servent aucun, mais le ren
dent â l’instant s’il est demandé. Qr, le mécanisme ingénieux
qui facilite cette restitution, en ménageant le temps et les pas
de chacun, c’est le chèque, tel que le définit la loi qui vous
occupe. »
Le Sénat comprend de suite ce que peut être la mission
d’une banque de dépôt et son utilité ; mais ne comprend
11
�pas moins quelle doit être la scrupuleuse modération avec la
quelle cette banque doit employer l’argent qu’on lui confie,
car elle en doit le remboursement à vue ; et si, par la force
naturelle des choses qui permet aux versements d’être sans
cesse un peu plus abondants que les retraits, une part de nu
méraire reste disponible, la différence disponible ne doit pas
être immobilisée ou risquée dans des affaires aléatoises. C’est
un dépôt sacré qu'on peut faire valoir, s’il y a sécurité, mais ja
mais compromettre ou engager à trop long terme.
Les devoirs d’une banque de dépôt sont donc aussi impé
rieux que délicats ; il est important de formuler sévèrement les
statuts qu’on lui octroie, et le respect qu’elle doit avoir pour
ces statuts doit grandir avec son crédit.
Il y a un bon conseil à donner en passant à ceux qui, ayant
des capitaux oisifs, iront les déposer à ces banques : ce con
seil, il doit être selon nous, d’accorder la préférence de leur
confiance aux établissements qui servent l’intérêt le moins
élevé, car il tombe sous les sens qu’il est impossible de garder
en caisse, et toujours disponible, un capital qui obligerait à un
lourd sacrifice celui qui le garde, lorsqu’à chaque heure il peut
être redemandé et par conséquent rendu à tout ayant droit.
Les banques de dépôts bien dirigées sont donc utiles à plu
sieurs points de vue : d’une part, par la sécurité qu'elles don
nent, si elles la donnent, aux capitaux qu’on leur confie; de
l’autre, par l’emploi prudent et modéré qu’elles peuvent faire
de la part de numéraire que le roulement de leurs opérations
laisse disponible.
Ce n’est pas tout, messieurs, les Sénateurs : à côté des ban
ques de dépôts, l’Angleterre possède une institution remarqua
ble et que nous ne saurions trop signaler à votre intérêt. Elle
a nom Clearing-house ou chambre de liquidation. Cet établis
sement est le rendez-vous de la plupart des chèques émis par
les banquiers, et, chaque jour, à une certaine heure, les por
teurs de chèque viennent y opérer par compensation.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
287
Nous avons bien aussi à la Banque de France des opérations
analogues ; j’ai eu l’honneur de le dire, et de montrer qu’elles
témoignaient pour 1864 d’un mouvement de 14 milliards ; en
1863, il avait été de 15 milliards; mais qu’cst-ce que cette
somme en comparaison de celle dont le Cléaring-house de
Londres, par exemple, règle le mouvement, et qui est an
nuellement de 50 milliards ? Ainsi, en juillet 1863, six ban
ques anglaises pouvaient justifier d’une somme totale de dépôts
s’élevant à un milliard 899 millions, et un seui clearing-house,
celui de Londre, installé, ce qui est très-commode, dans le
voisinage de la Banque d’Angleterre, déclarait que, sans l’in
tervention d'aucune monnaie métallique ou fiduciaire, il ac
complissait pour 15 milliards de compensation. Or si, par la
pensée, messieurs les Sénateurs, on essaie de juger quel peut
être, chaque jour, aux heures où de tels faits s’accomplissent,
le mouvement d’hommes et de chiffres qui les réalise; si par la
réflexion on tente de comprendre comment des négociants,
des banquiers, le crédit que méritent leur position, leur fortune,
leurs aptitudes, sont assez connus de chacun, pour qu’une
mutuelle confiance permette de régler autant d’intérêts avec
sécurité, que doit-on voir et constater ? qu'il faut, pour en ar
river là, une grande science des hommes et des choses, une
présence d’esprit, un ordre digne d’admiration.
Puis, comme les résultats que nous venons de citer sont d’une
incontestable vérité, on se dit qu’une nation qui, dans un seul
de ses comptoirs, règle pour 50 milliards d’opérations sans
toucher à une pièce d’or ou d’argent, on se dit que cette na
tion possède un instrument de crédit d’une puissance excep
tionnelle, dont on regrette de n’avoir chez soi que des facsimilé en miniature. Il nous semble que, mieux compris, après
l’étude de la loi que nous venons d’apprécier, l’usage du chèque
nous permettra d’avoir autant de succès que nos ingénieux
voisins.
Il fautmieux faire que de l’espérer, il n’en faut pas douter.
�Tel est, messieurs les Sénateurs, le but vers lequel la loi des
chèques va diriger les hommes d’affaires de notre pays. Elle a
donc sa très-intéressante raison d'être. Faisons, en terminant
une dernière remarque. Lorsqu’elle a été discutée au Corps
législatif, on s’est inquiété de savoir si l’avènement du chèque
exempt du timbre pendant dix ans, compromettrait une part
des recettes que perçoit le trésor public sur les lettres de
change et les billets à ordre ; pour qu’il en fût ainsi, il faudrait
que le chèque pût tenir lieu de ces deux natures de valeurs ; or,
à quelques rares exceptions près, telle ne doit pas être sa des
tinée.
Nous avons vu qu’il était un instrument de paiement et de
compensation, qu’il n’avait que cinq jours d’existence, y com
pris le jour où il naît, lorsqu’il est tiré de la place sur laquelle
il est payable ; elle est de huit jours, y compris le jour de la
date, s’il est tiré d’un autre lieu ; la lettre de change et le bil
let à ordre, au contraire, sont des valeurs de crédit qui fonc
tionnent communément pendant 90 jours de place en place,
d’un lieu sur un autre. La lettre de change exprime, par son
nom, sa signification ; elle donne lieu à un bénéfice ou à une
perte au change, suivant que le pays dont elle acquitte la dette
est créancier ou débiteur du lieu vers lequel on la dirige ; par
l’échéance qu’on lui donne, elle ajourne le règlement d’une
opération aussi longtemps qu’il convient aux parties intéressées
de l’ajourner ; elle paye un impôt proportionnel dont la loi
double l’importance, si, en cas de centestation ou de protêt,
elle apparaît devant le juge impayée et sans avoir été timbrée.
Quant au chèque, tel que l’a fait la loi que nous examinons, il
ne ressemblera à la lettie de change que par deux dispositions;
il est endossable et peut être tiré d'une place sur l’autre, mais
sa durée légale est si courte, cinq jours dans un cas, huit dans
l’autre seulement, qu’il ne peut réellement, que dans des cir
constances assez rares, faire l’office de la lettre de change. Oui,
sans doute, lorsqu’il s’agira de régler entre deux villes voisines
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
289
avec le concours des chemins de fer, qui, en quelques heures,
portent une lettre et par conséquent un chèque, il pourra se
faire que le tireur d’un chèque, de connivence avec son cor
respondant, pourra, par l’absence de date, le rendre utilisable
pendant plus de cinq ou huit jours, et ce sera un moyen d’élu
der l’impôt proportionnel dû par la lettre de change ou le bil
let à ordre. Mais que, par une circonstance imprévue, ce dé
faut de date soit révélé, l'article de la loi interviendra, et le
tireur, soit qu’il n’ait pas dalé, soit qu’il ait revêtu son chèque
d'une fausse date, sera puni d’une amende de
de la som
me pour laquelle le chèque aura été tiré. Par cette mesure, les
intérêts du trésor, s’ils ne doivent pas être protégés par la
bonne foi des tireurs, le seront par la loi. Au reste, dans l’état
actuel de leurs relations, lorsque les commerçants règlent à
courte échéance, s’ils le font par voie de lettre de crédit ou de
reçu, alors le titre qui prépare le règlement échappe aussi à
l’impôt. Nous pensons donc que le chèque ajoutera peu au parti
que le commerce retire de ce reçu ou de celte lettre de crédit
non timbrés.
En résumé, que faut-il conclure des explications qui précè
dent, messieurs les Sénateurs ? Une justice de plus à rendre au
gouvernement de l’Empereur qui ne perd pas une occasion de
développer en France les procédés utiles. Il entreprend beau
coup, sans doute, mais reste-t-il sans souci des voies et
moyens? On peut en quelques chiffres compter ce qu’il a dé
pensé de milliards, depuis quatorze ans, mais qui pourrait
dire de quelle somme s’est accrue la fortune mobilière et im
mobilière de la France, pendant la même période? car, pour
être juste, il ne faut jamais parler de la dépense d’une nation,
sans mettre en regard le développement de richesse dont celte
dépense a été la source.
Qui pourrait dire encore le nombre des institutions utiles
dont l’Empire a favorisé la fondation ? Elles naissent sous les
pas de l’Empereur, comme les bonnes œuvres sous ceux de
6
6 0 10
19
�290
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 5
l’Impératrice. En m ettant naguère le pied sur le sol de l’A lgé
rie, l’Em pereur n ’a-t-il pas dit : « J’ai dès à présent la satisfac
tion d’annoncer aux hom m es courageux qui ont apporté dans
cette nouvelle France le progrès et la civilisation, q u ’une puis
sante com pagnie se propose de faire ici de grandes choses, ou
plutôt de continuer les grandes choses qui ont été com m en
cées. » Ainsi donc, encore une institution im périale, M essieurs,
et ce ne sera pas le dernier bienfait d’un grand règne.
Si nos pressentim ents ne nous trom pent pas, nous croyons
apercevoir que bientôt un établissem ent nouveau naîtra près
de ceux qui, dans les affaires, sont réputés pour les plus sgaes
et les plus secourajales ; et cet établissem ent, il ne sera pas
nécessaire, pour le désigner, d’em prunter un nom étranger :
il s'appellera caisse, ou com ptoir, ou cham bre de com pensa
tion ; on y comptera aussi par m illiards.
Le Sénat porte bonheur aux vœ ux raisonnables et qu’inspire
l’amour du progrès. II doit se souvenir que le 30 mai de l’an
dernier, il lui fut parlé des chèques. La voix qui en disait du
bien exprim ait la pensée que l’em ploi dans les banques de dé
pôts, pour régler le prix des transactions du systèm e des ch è
r e s , ne saurait être trop recom m andé, trop encouragé ; et
cette voix, dont la fois était vive et l’est encore, croyait com
prendre que peu de temps s’écoulerait sans l’initiative du Gou
vernem ent pour cette intéressante question. E lle ne. s’est pas
fait attendre .• la loi vient d’ouvrir la carrière, l’intérêt des ca
pitalistes et l’intelligence industrielle feront le reste.
Ne vous opposez donc pas à la prom ulgation de la loi des
chèques, m essieurs les Sénateurs, elle n’a rien de contraire à la
Constitution, et renferm e plusieurs dispositions favorables au
crédit.
Tel est l’avis unanim e de la com m ission qui nous a fait l’hon
neur de nous choisir pour interprète.
P lu s ie u r s S é n a te u r s . Très-bien I très-bien !
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
291
(La délibération a lieu immédiatement).
M. le Sénateur Secrétaire lit le texte de la loi.
M . le Président. Personne ne demande la parole ?...... il va
être procédé au scrutin.
Celte opération a lieu et donne le résultat suivant :
Nombre de votants.................. 97
Bulletins blancs...................... 97
En conséquence, le Sénat ne s’oppose pas à la promulgation
de la loi.
(Supplément du Moniteur du 10 juin 186B).
��TEXTE
DE LA
LOI OU 14 JTUIIV 1865
A rt . er.
1
Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un mandat de
paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit
ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés
au crédit de son compte et disponibles.
Il est signé par le tireur et porte la date du jour où il est
tiré.
Il ne peut être tiré qu’à vue.
Il peut être souscrit au porteur, ou au profit d’une per
sonne dénommée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie
d’endossem ent en blanc.
Art . .
2
Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant pro
vision préalable.
Art . 3.
Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou sur
la même place.
�294
LOI DU 14 JUIN 1805
Art. 4.
L’émission du chèque, même lorsqu’il est tiré d’un lieu
sur un autre, ne constitue pas, p a r sa nature, un acte de
commerce.
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives
à la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au pro
têt et à l’exercice de l’action en garantie, en matière de let
tres de change, sont applicables aux chèques.
Art. 5.
Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paiement
dans les cinq jours, y compris le jour de la date, si le chè
que est tiré de la place sur laquelle il est payable, et dans
le délai de huit jours, y compris le jour de la date, s’il est
tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans les délais ci-dessus, perd son recours contre les
endosseurs ; il perd aussi son recours contre le tireur, si la
provision a péri par le fait du tiré après lesdits délais.
Art . G.
Le tireur qui émet un chèque sans date, ou qui le revêt
d’une fausse date, est passible d’une amende égale à six
pour cent de la somme pour laquelle le chèque est tiré.
L’émission d’un chèque sans provision préalable est pas
sible de la même amende, sans préjudice de l’application
des lois pénales, s’il y a lieu.
Art . 7.
Les chèques sont exempts de tout droit de timbre pen
dant dix ans à dater de la promulgation de la présente loi.
�TABLE
«
COMMENTAIRE DE LA LOI
Article 1".........................................................................page
Article 2. . . . • ...................................................
Aarticles 3 et 4..............................................................
Article 5...........................................................................
Article . . . . . . .
Article 7 .........................................................................
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
Premier projet de loi (1864)..........................................
Exposé des motifs du budget de 1865 .......................
Second projet de loi (1865).............................................
Exposé des motifs.........................
Rapport de M. Alfred D arim on..................................
Rapport supplémentaire de M. Darimon......................
Rapport de M. le comte de Gerininy (au Sénat). . .
201
201
205
206
219
268
277
Texte de la loi du 14 juin 1865
293
6
\
50
68
99
150
182
��DES M ATIÈRES
Action . — Voyez Solidarité.
A mende . — Nature de celle prononcée par l’article 6, 142. — Est-elle
encourue si la provision n’a été faite que postérieurement à l’émis
sion du chèque, 143. — Peut-elle être exigée lors de l’enregistre
ment du protêt, 145 et suiv. — Voyez Contravention, Peine.
Aval. — Le chèque est-il susceptible d’être garanti par des avals, 58 et
suivants.
B anques de dépôt . — Avantages qu’elles retirent du remboursement
sur chèques, 5.
B esoins . — Le chèque comporte-t-il l’indication de tiers chargés de
payer au besoin, 69.
C hèques . — Avantages que le chèque, considéré comme instrument de
payement, offre au propriétaire des fonds déposés, 4. — Avantages
pour les banques de dépôts, 5. — Services qu’il est appelé à rendre
comme instrument de compensation, 6. — Sa définition, 8. — Ca
ractère de celui qui, depuis la loi, aurait pris la forme du récépissé,
�TABLE ALPHABÉTIQUE
41 et suivants. —Sa remise transfère la propriété de la provision, 43
et suivants. — Son objet, 48. — Disponibilité des fonds, son ca
ractère, 19 et suivants. — Doit être signé, 24. — Importance de la
date, effets de l’omission ou de la post-date, 25. — Ne peut être tiré
qu’à vue, 26. — Rejet de la proposition d’autoriser une échéance
graduée, motifs, 27. — Peut être au profit d’une personne dénom
mée, ou au porteur, ou à ordre, 29 et suiv. — Se transmet même
par un endossement en blanc, 32. — Ne peut être tiré que sur un
tiers ayant provision préalable, 33. — Doit être payé à présenta
tion, 44. Voyez Paiement. — Peut être tiré d’un lieu sur un autre,
46 et suiv. — Motifs, 48 et suiv. — La loi à ce égard n’accorde
qu’une simple faculté, contrairement à ce qu’elle prescrit pour la
lettre de change, 51. — A un caractère civil ; conséquences quant à
la juridiction qui doit en connaître, 52 — Est régi par le Code de
commerce quant à la solidarité du tireur et des endosseurs, au pro
têt et à l’exercice de l’action en garantie, 56 et suiv, — Peut-il être
garanti par des avals, 58 et suiv.—Comporte-t-il la clause « retour
sans frais », 67 et suiv., ou l’indication de tiers chaigés de payer
au besoin, 69. — Dens quel délai doit-il être présenté, 70 et suiv.
— Ne peut être tiré de France sur l’étranger et les colonies et réci
proquement, 79 et suiv.
298
Clause . — Le chèque comporte-t-il la clause
« retour sans frais », 67 et
suivants. — Légalité de celle par laquelle le tireur prend à sa
charge toutes les conséquences du vol ou de la perte, ses effets, 107
et suivants.
Code de commerce. — Les dispositions du Code de commerce relatives
à la solidarité du tireur et des endosseurs, au protêt et à l’exercice
de l’action en garantie, sont applicables au chèque, 56 et suiv.
Compensation . — Services que le chèque est appelé à rendre comme
instrument de compensation, 6. — Voyez chèque.
Contravention . —Trois contraventions prévues par l’article 6:1° faus
seté de la date, 138 ; 2° Son omission, 139 ; 3° absence de provision
préàlable, 140. — La peine est encourue par le seul fait de leur
existence, quel qu’en ait été le mobile, 141. — Difficulté que pré
sentera leur constatation, 144. — Quid dans le cas de protêt, 445
et suiv. — Voyez Amende, Peine.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
299
D a te . — Nécessité de la date pour le chèque, 25.— Effets de son omis
sion ou de sa fausseté, voyez Contravention.
D él a i . — Dans quel délai devra et pourra être requis le protêt, 65 et
suiv. — Dans quel délai doit-on réclamer le paiement du chèque,
70 et suiv. — Rejet de la proposition de s’en référer à l’article 160
du Code de commerce, 75 et suiv. — Effet de l’inobservation à
l’égard des endosseurs, 82, vis-a-vis du tireur, 85 et suiv. — Délai
du recours des endosseurs les uns contre les autres, 84.
D ispo n ib ilité . — Quel est le sens que la loi a attachée à la disponibilité
des fonds autorisant le chèque, 19. — Discussion au Corps législa
tif, 20 et suiv.
E chéance . — Le chèque ne peut être tiré qu’à vue, motifs, 26. — Rejet
de la proposition de permettre qu’il fût à échéance graduée, 27.
E ndossement. — L’endossement en blanc transfère la propriété du chè
que, 32.
E ndosseurs. — Sont libérés, faute de présentation du chèque dans le
délai prescrit 82. — Par le défaut de protêt ou de notification avec
citation dans la quinzaine 83. — Délai du recours des uns contre
les autres, 84.
E nregistrement . _Proposition de dispenser le chèque de l’enregistre
ment, rejet, 157 et suiv. — Effet de l’enregistrement du chèque
après protêt, sur la perception de l’amende, 145 et suiv.
F a illite . — Effet de la faillite du tireur sur la provision au point de
vue des articles 446 et 447 du Code de commerce, 38. — Effet de la
faillite du tiré, 42 et suiv.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
F ausseté de la date . — Voyez Contravention.
F aux . — Voyez Paiement.
300
Garantie . — Voyez Solidarité.
J uridiction . — Juridiction appelée à connaître du chèque, 53.
Loi
1865. — Historique, 1. — Reproche que lui adressait Berryer.
Appréciation, 2. — Pratique qui l’avait précédée, 3. _ Son esprit
fixé par l’exposé des motifs, 7.
de
P aiem ent . — Dans quel délai doit-il être réclamé, 70 et suiv. — Effets
du paiement du chèque faux par supposition de personne, 107. —
Le tiré qui a payé un chèque faux a-t-il action contre celui aux
mains de qui il a payé, 116 et suiv. — Si le paiement a eu lieu sur
faux acquit, qui pourra recourir contre l’auteur du faux, 119.
P e in e . — Objet de la peine que prononce l’article 6. — Son caractère,
120 et suiv. — Texte du projet du Gouvernement, modifications
par la commission du Corps législatif, 133 et suiv. — Rejet de l’ar
ticle 7 du projet appliquant la peine de l’article 405 du Code pénal,
aux faits qu’il prévoyait, 126. — Réserve d’appliquer la loi pénale
s’il y a lieu ; son caractère, 135.—Voyez Amende, Contravention.
P er te . — Doit-on en cas de perte ou de vol d’un chèque, procéder com
me le prescrivent les articles 150 et suivants du Code de commerce,
101 et suivants. — Voyez Clause, Paiement. — Position du tiré
si le chèque est présenté par celui qui l’a trouvé ou volé, 104. —
Quid du tireur, 105 et suivant.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
501
P orteur . — Le chèque peut être au porteur ; nécessité de l’admettre
ainsi, 29 et suivants. — Droit du porteur si le tiré déclare n’avoir
pas provision, 40. — Son obligation de faire protester, 61 — Dans
quel délai pourra-t-il et devra-t-il le faire, 65 et suivant. — Doit
notifier le protêt avec ajournement, dans quel délai, 43.— Sa posi
tion, si le tiré informé de la perte ou du vol, refuse de payer, 413
et suivants.
P reuve . — Comment prouvera-t-on l’existence de la provision préalable?
39. — Preuve admissible au point de vue des articles 446 et 447
du Code de commerce, 41. — Voyez Faillite, Provision.
P ro priété . _ La propriété de la provision est-elle transférée par la re
mise du chèque, 43. — Discussion au Corps législatif, 44. — Doc
trine et jurisprudence, 45 et suiv. — Nécessité dans tous les cas de
la régularité du chèque, 47. — La propriété du chèque se trans
met même par un endossement en blanc, 32. — Voyez Chèque,
Endossement, Provision.
P rotêt . — Nécessité du protêt, discussion au Corps législatif, 61 et suiv.
— Quel jour devra-t-il être réalisé, 65 et suiv. — Son omission
libère les endosseurs, 83. — Quid à l’égard du tireur? 85.
P rovision . — Exigence d’une provision préalable disponible ; son carac
tère, 33. — Quand existera-t-elle, 34 et suiv. — Quid dans l’hy
pothèse d’un compte-courant ordinaire entre deux commerçants, 36.
— Dans le cas d’un crédit ouvert, 37, voyez Propriété._Effet de
la faillite du tireur sur la provision, 38. — Comment en prouverat-on l’existence, 39. — Dénégation du tiré, droits du porteur, 40.
— Faillite du tiré, pour compte de qui périt la provison, 42 et suiv.
— Le tireur est libéré si la perte, provenant du fait du tiré, se réa
lise après les délais de la présentation, 85 et suiv. — Quid en cas
d’opposition de la part des créanciers du tireur, 92 et suiv. — Ap
plication de l’article 474 du Code de commerce, 95 et suiv. — Voyez
Contravention.
— Rejet de la forme du récépissé, examen, 8 et suiv. _ Ca
ractère du chèque qui aurait pris cette forme depuis la loi, 4'4 et
suivants.
R écépissé ,
�302
TABLE ALPHABÉTIQUE
R ecours. — Voyez Solidarité.
R etrait . — Le projet du Gouvernement considérait et punissait comme
escroquerie le retrait de la provision après l’émission du chèque,
126. — Débat au Corps législatif, 127 et suiv. ~ N’est plus prévu
ni puni, caractère de cette impunité, 137.
S aisie - opposition . — Son effet par rapport au tireur si ses créanciers
l’ont formée soit avant soit après les délais de la présentation, 92.
Solidarité . — Comment elle se règle entre les divers signataires du
chèque, 56 et suiv.
T ir é . — Sa position en cas de présentation du chèque perdu ou volé,
104. — Voyez Chèques, Faillite, Perte, Provision.
T ireur . — Effet à son égard du défaut de présentation du chèque dans
le délai prescrit, 85 et suiv. — Voyez Chèque, Faillite, Provision.
■w
V ol . — Voyez Paiement, Perle, Tiré.
��
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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Droit commercial. Commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Description
An account of the resource
Commentaire de la loi du 14 juin 1865 qui fixe, notamment, les mentions obligatoires que doivent porter les chèques, mandats de paiement apparus au cours du 19e siècle.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 22978
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
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domaine public
public domain
Relation
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
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1 vol.
302 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/327
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques
Abstract
A summary of the resource.
Cet ouvrage est un commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier réalise dans cet ouvrage un commentaire article par article de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques. Cette loi est la première à réglementer la pratique du chèque en France, introduite au cours du XIXème siècle. Elle n’a pas établi de forme particulière pour le chèque mais elle a imposé des mentions obligatoires sous peine de nullité, notamment la date du jour auquel il est tiré. Avec cette loi, le législateur a également établi une distinction stricte entre le chèque, le billet à ordre et les lettres de change, afin d’éviter que celui-ci ne cause leur disparition. Cet ouvrage contient aussi les documents législatifs relatifs à la loi.
Source : J. Hamel, Banque et opération de banque, tome I, Rousseau et Cie, Editeurs, 1933, p.701.
Résumé de Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Chèques -- Législation -- France -- 19e siècle
Droit commercial -- Législation -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/330/RES-208891_Bedarride_Chemins-fer-1.pdf
1c0a7e8ff956309b82bd881352296d12
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/330/RES-208891_Bedarride_Chemins-fer-2.pdf
092d806282e2e50d61805ea9d75ac815
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Droit commercial. Des chemins de fer au point de vue du transport des voyageurs et des marchandises
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
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An account of the resource
Panorama des législations en matière de chemin de fer, nouveau moyen de transport et moteur de l'industrialisation de la France au cours du 19e siècle
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-20891/1-2
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Durand et Pedone-Lauriel (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
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domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/136700144
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vol.
468-[1], 461 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/330
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Des chemins de fer au point de vue du transport des voyageurs et des marchandises
Abstract
A summary of the resource.
Cet ouvrage dresse un panorama des législations en matière de chemin de fer de 1876.
Suite à l’industrialisation de la France, l’industrie du chemin de fer a connu un essor important. Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence, dresse dans cet ouvrage un tableau de la législation sur les chemins de fer (tarifs, imposition des taxes, transports des voyageurs et marchandises).
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Compagnies de chemin de fer -- France -- 19e siècle
Droit commercial -- France -- 19e siècle
Transports ferroviaires -- Législation -- France -- 19e siècle
Transports ferroviaires -- Marchandises -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/334/RES-22985_Bedarride_Traite-dol-1.pdf
7d73c5c5d32da7d785014aae14e80d4a
PDF Text
Text
TRAITÉ
3
E NT M A T I È R E
C IV IL E
«fe C O M M E R C I A L E
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO|ISXÈM E É D I T I O N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME PREMIER
AIX
PARIS
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
L. LA R O SE , LIBRAIRE
22 , R U E SOURFIOT, 22
1876
2,
R UE PO N T -M O R E A U , 2
�TRAITÉ
DU DOL
ET
DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
PAR
AVOCAT
A
LA
S.
COUR
BÉDARBIUll,
D’ AP P E L
D’ AIX ,
ANCIEN
BATO NNIER.
PARIS ,
COUltCIÉR , LIB R A IR ER U E IIAUTEFEUILLE , 9 ;
DURAND, LIBRAIRE, RUE DES GRÈS ;
VEUVE THOREL, LIBRAIRE , PLACE DU PANTHÉON.
AIX,
AUBIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
■UIl LE CO U R8, 1.
1831.
.J.ÛJ©o 31s<2jO
��T F t^ IT É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIYILE ET COMMERCIALE
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
-m a
SOMMAIRE
\ . Nécessité de la bonne foi dans les conventions.
2. Rôle du dol et de la fraude dans les causes viciant les enga
gements.
3. Causes de leur développement.
4. Motifs de la sévérité mise par le législateur à leur admission.
5. Pourquoi il a exigé que les faits invoqués fussent graves,
précis et concordants.
6 Difficultés de la mission confiée aux tribunaux.
7. Utilité de se bien pénétrer de l’esprit de la loi.
8. La faveur due au titre ne saurait faire repousser , sans ins
truction, les reproches adressés à sa sincérité.
9. L’admissibilité de la preuve orale était une véritable néces
sité.
�2
TRAITÉ DU DOL
40. Inapplicabilité de la maxime odia restringenda à la deman
de en nullité pour dol ou fraude.
11. Eléments d’appréciation pour l'admissibilité de la preuve.
42. Différences entre le dol et la fraude.
4 3. Division.
1. — Les engagements divers que contractent les
citoyens doivent, pour être justes, provenir d’une volonté
spontanée et libre ; la loi; chargée d’en assurer l’exécu
tion, devait donc veiller à la pureté de leur origine, non
moins qu’à la sincérité de cette exécution elle-même.
Il était en effet facile de prévoir que, dans bien des
cas, l’acte, sous une apparence irréprochable, ne serait
qu’une odieuse tentative de spoliation. De là les condi
tions exigées pour la validité du contrat, conditions dont
l’accomplissement devient la garantie et la preuve de la
bonne foi réciproque des parties.
2. — Le dol et la fraude occupent un rang distingué
dans les causes pouvant vicier la convention. Les ténè
bres, dans lesquelles ils s’enveloppent, augmentent leurs
chances de succès , les mille détours à travers lesquels
ils se jouent, parviennent souvent à triompher de la vo
lonté expresse de la loi et à tromper la sagacité de la
justice, réduite à les soupçonner sans pouvoir les attein
dre.
Un pareil résultat ne pouvait échapper aux regards
avides de la mauvaise foi , et ce qui prouve qu’elle ne
l’a pas négligé, c’est le développement considérable que
�3
des litiges journaliers signalent dans les faits de dol et de
fraude.
5. — Nous laisserons au moraliste à apprécier les
causes de ce développement. Peut-être conviendrait-il de
les attribuer à ce culte qu’on a, de nos jours, érigé à l’in
térêt matériel ; à cet agiotage funeste, attaquant chaque
jour les sources du crédit public et frappant au cœur la
morale elle-même ; à la tolérance pour ces prétendues
opérations industrielles dont les actions, semant partout
la misère et la ruine, excitent une avidité effrénée qu’on
s’efforcerait en vain de retenir dans les bornes de la rai
son et de la justice.
Quoi qu’il en soit, un semblable état de choses appelle
un prompt remède, et ce remède est heureusement dans
les mains de %
la justice.
4. — Sans doute la loi pourrait être plus sévère,
mais on ne doit pas perdre de vue la position délicate
dans laquelle se trouvait le législateur. La prudence qu’il
conseille dans l’appréciation du dol et de la fraude est
une conséquence de cette position. Croire facilement au
dol et à la fraude , accueillir favorablement la plainte,
l’admettre avec la même facilité, eût été peut-être un
moyen de les décourager, d’en arrêter le développement
e t, dans tous les cas, d’en assurer la répression en la
rendant plus fréquente. Mais , d’autre part, à combien
d’inconvénients ne s’exposait-on pasl A combien de dan
gers n’abandonnait-on pas les droits les plus légitimes,
les plus sacrés I S’il est vrai qu’il n’existe que trop de gens
ET DE LA FRAUDE.
�4
TRAITÉ DU DOL
disposés à recourir à des moyens illégitimes et à se créer
des ressources aux dépens de leurs dupes, n’est-il pas
également certain qu’il en est en aussi grand nombre qui
crieraient au dol et à la fraude, dès qu’on voudrait les
contraindre à exécuter un engagement ne leur offrant
plus l’avantage qu’ils s’en étaient promis. D’autre part,
s’il existe des créanciers peu scrupuleux, il n’est pas rare
non plus de trouver des débiteurs de mauvaise foi, tâ
chant de se soustraire à une obligation régulièrement
consentie et librement contractée.
Or, s’il importe de veiller à l’intérêt de ceux que la
déloyauté opprime, il convient de protéger également les
droits honorablement acquis et injustement déniés; en
un mot, il ne fallait pas-, pour empêcher la fraude des
créanciers contre les débiteurs, encourager et favoriser
celle des débiteurs contre les créanciers.
5. — C’était le moyen de concilier ces divers intérêts
qu’il convenait d’adopter. Or , ce moyen , les faits ac
complis l’indiquaient naturellement ; l’acte écrit fait sup
poser un consentement régulier, c’était là une présomp
tion légale qu’on ne pouvait mettre de côté. En consé
quence, l’acte devait faire foi de ce qu’il renferme et être
exécuté, tant que le vice dont on le prétend souillé n’est
pas établi. L’allégation de l’existence de ce vice impose
à son auteur le devoir d’en fournir la preuve ; cette preu
ve résultera de titres écits ou de dépositions orales, mais
elle ne sera recevable que si les faits cotés sont graves,
précis et concordants. Elle sera même inutile si des pré-
�ET DE LA FRAUDE.
5
somptions, ayant ce triple caractère, peuvent dès à pré
sent former la conviction du juge.'1
Voilà ce que le législateur a cru devoir faire ; voilà
la ligne de conduite qu’il a trouvée toute tracée dans les
législations précédentes. Sans doute la difficulté de la
preuve assurera, comme ses incertitudes, la réussite du
dol et de la fraude dans quelques hypothèses. Mais le
mal serait-il moindre, si, pour atteindre plus facilement
le dol, on se fut exposé à condamner quelquefois la bon
ne foi elle-même ? Le choix fait par le législateur, entre
ces deux dangers, ne saurait donc lui mériter le repro
che de faiblesse ou d’indulgence.
C’est aux magistrats à féconder, dans l’application, le
germe de répression renfermé dans la loi. L’apprécia
tion laissée à leur prudence et à leurs lumières, la rece
vabilité de la preuve testimoniale, l’admissibilité de celle
par présomptions, sont autant de moyens propres à at
teindre ce but si désirable , si intéressant pour l’ordre
public lui-même.
6. — Nous ne nous dissimulons pas le caractère de
la mission confiée aux tribunaux. Les procès en dol ou
fraude offrent, non une question de droit, mais une pure
question de fait. Les circonstances dont on se plaint exis
tent-elles? sont-elles prouvées? caractérisent-elles le dol
ou la fraude ? Tels sont les points uniques que ces pro1 Dolum exindiciisperspicuisproiari convertit, L. 6, Cod. De dolo
�6
TRAITÉ DU DOL
cès donneront à résoudre. Dans une difficulté de cette
nature, le magistrat n’a de guide assuré que sa cons
cience, d’autre élément de décision que son opinion ellemême. Dès lors, vouloir offrir des règles à leur appré
ciation, c’est paraître tenter une entreprise sans utilité et
sans but. Cependant, il est des notions que le juge ne
doit pas négliger , alors même qu’il obéit aux inspira
tions de sa conscience. Il ne suffit pas qu’une cause soit
équitable , il faut qu’elle soit, de plus , avouée par le
droit. Or, éclairer les principes, les poser nettement, en
déduire les conséquences, c’est encore se rendre utile en
offrant des bases légales à cette appréciation souveraine.
C’est ce que nous venons faire en traitant une matière
trop négligée de nos jours. Le Traité de M. Chardon a
quelque peu vieilli, et nul autre que lui n’a traité le dol
et la fraude d’une manière spéciale. Puissent nos efforts
contribuer à leur répression !
7. — Pour atteindre à cette répression , il faut que
les magistrats se pénètrent bien de l’esprit de la loi. Dans
les procès de ce genre, le défendeur à la nullité fait les
plus pressants appels à l’autorité du titre, surtout lorsque
ce titre est authentique ; à l’entendre , il ne faut, sans
mettre en péril les choses les plus sacrées, lui porter au
cune atteinte ou en amoindrir la puissance.
8. — Oui, il importe que le titre soit respecté. Une
convention légitime ne doit pas rester un vain mot. Mais
tout cela ne peut et ne doit faire repousser, sans instruc-
�7
tion, les reproches d’illégitimité adressés au contrat. La
faveur accordée au titre par le législateur, n’est que la
conséquence de la présomption que ce titre est loyale
ment intervenu et que l’obligation qu’il crée est légale
ment contractée. C’est donc vouloir en méconnaître le
caractère que de prétendre la convertir en une arme pro
tectrice du dol ou de la fraude.
Le législateur y a si peu songé , qu’il n’hésite pas à
anéantir le titre, lorsque le reproche est justifié, et c’est
à la preuve testimoniale qu’il demande les fondements
de ce reproche. L’admissibilité de la preuve orale, con
tre un titre écrit, indique bien le prix qu’il attache à la
répression de tout ce qui altère la pureté et la loyauté
du contrat.
9. t— Au reste, l’admissibilité de la preuve orale était une véritable nécessité. Le dol et la fraude se gar
dent bien de laisser après eux des traces écrites. Vouloir
des titres écrits ou seulement un commencement de preu
ves, c’était renoncer à l’espérance de toute répression.
Celte considération avait paru si décisive à nos anciens
jurisconsultes, qu’elle les avait même porté à se montrer
peu exigeants sur les résultats de la preuve orale.
La fraude, dit Dumoulin, éloigne les témoins au lieu
de les appeler, quare non ila exacte probaliones de jure
exiguunlur. . . Ahoquin facillnsime esset sophislicaUone verborum , seu per verbales actus, quolidie eludere consueludinem.1
ET DE LA FRAUDE.
i
Ancienne coutume de Paris,
§ 23, n°
62 .
�8
TRAITÉ DU DOL
Simulationem probari exindiciis et conjecturis,pro~
bationesque imperfectas, nimisque intégras admitli}
Ce qui était vrai à cette époque, n’a pas cessé de l’ê
tre, ou mieux l’est devenu plus encore aujourd’hui. Tout
a progressé depuis lors, et le dol et la fraude ne sont
certes pas restés en arrière. On pourrait donc enseigner
encore aujourd’hui qu’on doit non seulement admettre
la preuve testimoniale, ce qui ne fait pas doute, mais en
core qu’on ne doit pas trop se montrer sévère sur ses
résultats.
iO. — Cependant, nous avons entendu souvent sou
tenir le contraire. Les'nullités, a-t-on dit, sont odieuses,'
il faut donc se garder de les encourager, odia restringenda. Il n’y a de nullités odieuses que celles s’adres
sant à la forme, sans pouvoir atteindre le fonds du droit.
Qu’importe, en effet, comme le dit un jurisconsulte mo
derne,2 dans le for intérieur, l’irrégularité d’une deman
de dans la forme, si cette demande est juste au fonds?
Mais la nullité d’un acte couvrant sous sa perfection
apparente un traité injuste , arraché par le dol ou sug
géré par la fraude, n’esî qu’une légitime satisfaction à la
bonne foi indignement abusée; loin d’offrir quelque
chose d’odieux, ce résultat n’a rien que de très-moral et
de très-juste.
Ce qui serait véritablement odieux, ce serait d’entou1 Leferon , sur l’art. 15 , Coutume de Bordeaux, lit. du Retrait li
gnager.
2 Solon, des, Nullités, introd. p. vi.
�9
rer d’une sollicitude quelconque l’auteur présumé d’une
fraude coupable, de contribuer, par une sévérité intem
pestive , à rendre la découverte du dol impossible , et
d’assurer ainsi le triomphe d’une spoliation audacieuse
ment exécutée.
L’esprit de la loi repousse et devait repousser un pa
reil résultat. Les efforts des magistrats tendront sans cesse
à en empêcher la réalisation. Ce n'est pas par des con
sidérations pareilles que la demande en preuve doit être
repoussée. Les invoquer, c’est se placer dans une con
tradiction flagrante avec la loi, avec la morale, avec la
vérité.
11. — C’est dans les faits du procès , dans les cir
constances ayant précédé, accompagné et suivi le contrat;
c’est dans la position des parties , dans la nature de la
convention, dans les faits dont on demande la preuve,
que se puiseront les éléments d’appréciation de son ad
missibilité. Ce que les magistrats ne doivent jamais per
dre de vue, c’est que le dol et la fraude sont difficiles à
justifler ; c’est que si la condamnation injuste est à ja
mais regrettable, il importe peu que cette condamnation
doive méconnaître des droits légitimes ou consacrer une
prétention déloyale. C’est donc à concilier tous les inté
rêts qu’ils doivent tendre sans cesse. Ils y aboutiront en
portant dans l’examen des difficultés qu’ils auront à ré
soudre les saines notions de l’équité et du droit.
ET DE LA. FRAUDE.
12. — Les mots dol et fraude sont souvent réunis
et confondus dans les œuvres de nos jurisconsultes.Cette
�40
TRAITÉ DU DOL
confusion , qui n’existait pas dans le droit romain , est
inadmissible. Sans doute, le dol et la fraude ont des ca
ractères communs, subissent dans leur recherche l’em
pire de principes analogues, produisent des effets iden
tiques. Mais il y a entre eux des différences notables dans
leur nature, dans leur origine, souvent même dons leurs
résultats.
Ainsi, le dol ne peut exister sans l’emploi de manœu
vres, imputables à l’une des parties, ou exécutées dans
son intérêt par un tiers.
La fraude, au contraire, ne réside le plus souvent que
dans l’exécution d’une convention licite et juste, elle n’e
xige aucune manœuvre; elle est, dans certain cas, con
certée entre toutes les parties contractantes.
Le dol vicie essentiellement le contrat.
La fraude, même convenue, n’a souvent aucune in
fluence sur la validité et, conséquemment, sur l’exécu
tion à donner à la convention.
Aussi , verrons-nous que la plainte en fraude n’est
pas toujours permise, tandis que celle en dol ne saurait,
dans aucun cas, être refusée à la.partie lésée.
15. — Ces différences tracent naturellement notre
division. Nous devons d’abord examiner le dol, sa défi
nition, ses caractères, la preuve de son existence, ses ef
fets. Nous traiterons ensuite de la fraude, selon qu’elle
a eu pour objet ou de tromper la partie, ou de nuire à
des tiers, ou d’éluder la loi, ce qui comprend le vaste '
champ des simulations.
�14.
-15.
16.
17.
18.
Comment Servius avait défini le dol, vices de cette définition.
Définition donnée parLabeon, admise par les jurisconsultes.
A passé dans notre droit.
Cas dans lesquels le dol dégénère en délit.
Différence de l’action en répression du délit d’avec celle en
réparation du dol.
19. La décision au correctionnel ne crée aucune fin de non-rece
voir contre l’action ultérieure pour dol.
14 . — Le jurisconsulte Servius avait défini le dol
en ces termes : Machinalionem quamdam, alterius decipiendi causa, cum aliud simulatur et aliud acjitur.
Les principes du droit romain sur la matière , ren
daient cette définition inacceptable par sa trop grande
généralité. Nous verrons en effet, tout-à-l’heure, que le
dol n’était pas toujours pris dans la même acception,
�\%
TRAITÉ DU DOL
malgré que dans tous les cas on put relever les carac
tères exigés par Servius.
C’est par celte observation que Labeon contestait la
justesse de la définition donnée par Servius. On peut, di
sait-il , tromper sans dissimulation ; d’autre part, une
dissimulation certaine n’est pas toujours et nécessaire
ment répréhensible, dans le cas, par exemple, où elle n’a
pour but que de protéger son intérêt légitime ou celui
d’un tiers : Posse sine dissimulatione id agi, ut guis
circumvenialur ; posse et sine dolo malo aliud agi, aliud simulctri, sicuti faciunt qui perejus modi dissimulationem deservianl et tuentur vel sua, vel aliéna.
15. — Il fallait donc pour le dol une désignation
qui ne s’appliquât qu’à lui et qui le caractérisât d’une
manière précise et non équivoque. En conséquence, La
beon le définissait : Omnis calliditas, fallacia, machinatio, ad circumvenïendum, fallendum, decipiendum
alterum adhibita.1
Cette définition fut admise par les jurisconsultes ro
mains ; elle répondait parfaitement à l’idée qu’on peut
se faire du dol et des caractères le constituant. En effet,
le concours de manoeuvres déloyales et d’un préjudice
pour la partie contractante , détermine nettement la na
ture du dol et son objet , indique le double fondement
de l’action ouverte à celui qui en a été victime , action
qu’Ulpien explique en ces termes : lie vel illis malitia
sua sit lucrosa, vel istis simplicitas damnosa.
i L. \, Dig., § %, De dolo malo.
�13
16. — Notre droit a recueilli sur ce point les erre
ments du droit romain. Aujourd’hui donc , comme à
cette époque , on doit considérer comme dol punissable
toute espèce de manœuvres, de finesses, d’artifices, em
ployés pour entraîner ou entretenir une personne dans
l’erreur qui la détermine à une convention préjudiciable
à ses intérêts, ou qui la détourne de faire une chose utile.1
17. •— Le dol dégénère en véritable délit, lorsque les
manœuvres qui le constituent atteignent une gravité telle,
que l’ordre public exige autre chose que l’annulation du
contrat, avec dommages-intérêts. En conséquence , le
préjudice provoqué , soit par l’emploi de faux noms ou
de fausses qualités, soit par des manœuvres ayant eu
pour objet de persuader l’existence de fausses entreprises,
d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire , de faire naître
l’espérance ou la crainte d’un succès , d’un accident ou
de tout autre événement chimérique , est une véritable
escroquerie entraînant l’application d’une peine corpo
relle.2
18. *— Notre sujet se restreignant au dol en matière
civile, nous n’avions à indiquer ce qui précède que pour
en déduire cette conséquence. La loi distingue formelle
ment l’escroquerie du simple dol, dès lors le fait insuffi
sant pour constituer le délit puni par l’article 405 du
ET DE LA FRAUDE.
1 Toullier, tom. vi, n° 87.
2 Art. 405, Cod. pén.
�U
TRAITÉ DU DOL
Code pénal, peut créer une action en nullité de la con
vention et en dommages-intérêts. Cette action peut être
intentée soit principalement, soit accessoirement à l’ins
tance correctionnelle. Mais quelle que soit la décision de
celle—çi, aucune fin de non-recevoir ne saurait être op
posée à l’exercice de la première.
En matière de délits, comme en matière de crimes,
l’intention est seule constitutive de la culpabilité. Les ju
ges correctionnels décident donc plutôt une question in
tentionnelle qu’une question de fait. Aussi, l’acquittement
prononcé ne prouve qu’une seule chose : l’absence de
criminalité. Reste donc le fait matériel, dont les consé
quences, plus ou moins nuisibles, peuvent être déférées
à une autre juridiction. Si ce fait est imputable au pré
venu, s’il est le produit de la ruse et du mensonge , ce
prévenu, déchargé de la peine d’un délit non démontré,
resterait passible de la réparation du préjudice naissant
du fait qu’il aurait commis.
Ainsi la loi civile atteindra comme dol ce que la loi
criminelle n’a pu atteindre comme escroquerie. Mais ce
qu’il importe de remarquer, c’est que la compétence des
tribunaux correctionnels est nécessairement subordonnée
à la constatation du délit ; qu’elle disparaît avec celui-ci.
Dès lors, en cas d’acquittement, les juges correctionnels
ne peuvent statuer sur les prétentions de la partie civile,
ni lui adjuger aucuns dommages-intérêts. Ils doivent
donc la déclarer non-recevable et la condamner aux dé
pens.
�ET DE LA. FRAUDE.
15
19. — Mais celte décision De fait nul obstacle à l’in
troduction d’une action en nullité, ou en dommages-in
térêts devant les tribunaux ordinaires. L’action civile pour
dol diffère essentiellement de l’action civile pour escro
querie: chacune de ses actions a ses caractères spéciaux,
obéit à des principes particuliers , reconnaît une com
pétence distincte. Conséquemment, la chose jugée sur la
dernière n’est jamais opposable à l’action postérieure en
dol. Elle ne produit d’autre effet que de rendre à tout
jamais impossible, une poursuite en escroquerie.
Mais le fait motivant celle-ci est de nature à consti
tuer un dol. Il peut donc donner naissance à l’action ou
à l’exception que le dol crée. On pourrait d’autant moins
invoquer la maxime non bis in idem , que le juge cor
rectionnel non seulement n’a pas connu du dol , mais
qu’il ne pouvait en connaître.
Sans doute, c’est le même fait qu’il a eu à apprécier,
mais son appréciation n’a dû et pu porter que sur le ca
ractère de délit attribué à ce fait. N’oublions pas que
l’art. 360 du Code d’instr. crimin. appelle fait, l’accu
sation elle-même , le crime ou le délit qu’elle qualifie,
et non l’acte matériel à raison duquel elle est interve
nue.1 La décision crée la chose jugée sur cette crimina
lité, laquelle disparaissant fait place à un fait purement
civil, sur les conséquences légales duquel rien n’a été
statué, parce qu’elles n’ont jamais été en question.2
1 Legraverend, t. i, pag. 339-340; — Mangin, Be l’action publique,
�16
TRAITÉ DU DOL
SECTION I".
C a ra ctères du Dol.
SOMMAI RE.
»
20. Pourquoi le législateur n’a pas considéré comme moyens de
nullité tout ce qui s’écarte de la stricte bonne foi.
21. A quelles conditions devra-t-on reconnaître le dol ?
22. Première condition : il faut que les manœuvres ou artifices
aient été de nature à faire illusion.
_ 23. Conséquence. Tout mensonge, toute ruse n’équivaut pas au
dol.
24. Opinion de Pothier à cet égard.
23. C'est donc sur la nature et la gravité des moyens employés
que devra se porter l’attention du juge.
26. Faut-il que , comme la violence , le dol ait dû faire impres
sion sur un esprit raisonnable?
* 27. L'état moral de la partie exercera toujours une grande in
fluence.
28. Quid si elle était dans un état presque habituel d’insanité
d’esprit ?
29. De la dépendance dans laquelle une des parties serait à l’é
gard de l’autre?
30. L’appréciation du juge est souveraine.
, 31. Seconde condition : le dol doit avoir déterminé le contrat.
�47
ET DE LA FRAUDE.
,3 2 . La préexistence de l’inlention de contracter exclut donc l'ac
tion en nullité, mais laisse subsister celle en dommagesintérêts.
» 33. Troisième condition : Le dol doit être le fait de la partie. —
Conséquence.
34. Droits de la partie lésée contre l’auteur du dol.
35. Exceptions à la règle du maintien de l’acte: — 1° lorsque
les avantages produits par le dol ne résultent pas d’une
obligation.
36. 2° Lorsque la partie étrangère au dol en a connu l’existence
au moment du contrat.
37. Quatrième condition : le dol doit avoir occasionné un préju
dice.
38. Exigences du droit romain : Consilium fraudis eventus
damni.
39. En quoi ces exigences ont perdu de leur importance en droit
français.
40. Cependant, si le préjudice est dénié, c’est au plaignant à en
justifier l’existence.
41. L’existence d’un préjudice moral ferait-elle annuler le con
trat ?
•
20. — L’équité et la morale exigent que les parties
contractantes agissent, l’une envers l’autre, avec la plus
entière bonne foi. De là cette conséquence, que les trai
tés faits au mépris de cette prescription devraient être
considérés comme incapables de produire un lien légal.
Mais il est, en législation , des nécessités invincibles.
On ne pouvait proscrire tout ce que l’exacte probité ré
prouve, sans exiger des hommes une perfection n’exis
tant nulle part ; sans tomber dans les plus grands in
convénients; sans s’exposer à jeter la plus grande per
turbation dans les transactions de la vie sociale.
-
2
�18
TRAITÉ DU DOL
Aussi n’a-t-on pas fait dépendre le sort des contrats
de l’existence avérée de toute ruse, de tout mensonge. Le
dol seul les annulle , e t, par dol , le législateur entend
les manœuvres et artifices ayant créé l’erreur préjudicia
ble à l’une des parties.
21. — Pour tomber sous le coup de la loi, ces arti
fices et manœuvres doivent offrir dans leur conception,
dans leur emploi, une gravité facilement appréciable.
C’est ainsi que la doctrine et la jurisprudence l’ont de
puis longtemps consacré. Cette gravité résultera de cer
taines conditions sur lesquelles le juge devra tout d’abord
porter son investigation.
22. — La première de ces conditions est que les ma
nœuvres et artifices aient été de nature à faire illusion à
la personne trompée. La peine édictée contre le dol a
surtout pour objet 1* juste réparation due à celui qui en
a été victime. C’est à titre de dédommagement, que la
loi accorde la nullité de l’acte , et , suivant les cas , une
allocation de dommages-intérêts. Or , un dédommage
ment quelconque n’est dû qu’à celui qu’une force ma
jeure a seule entraîné, qui n’a succombé que par l’effet
d’une violence morale qu’il ne pouvait ni prévoir, ni em
pêcher.
Dans le cas contraire, celui qui se plaint a lui-même
à se reprocher la légèreté de sa conduite , la foi qu’il a
imprudemment accordée, lorsque des investigations, que
son intérêt lui prescrivait, l’auraient mis à même de dé-
�19
couvrir la ruse dont il a été victime. Conséquemment,
lui accorder une réparation, serait récompenser son im
prudence. Or, la loi doit bien protéger celui qui n’a pu
se défendre, mais elle n’a aucune obligation envers celui
qui, pouvant se protéger lui-même efficacement, a né
gligé ou dédaigné de le faire.
ET DE LA. FRAUDE.
23. — C’est en ce sens, que nous disions tout à
l’heure , que tout mensonge , que toute ruse ne donne
pas ouverture à l’action en dol ; cependant, le résultat
de l’un peut être identique à celui que l’autre produirait;
c’est-à-dire qu’un préjudice grave a pu être réellement
causé par la ruse ou le mensonge. Mais l’un et l’autre,
ser produisant simplement , pouvaient être reconnus.
L’imprudence de la partie leur a seule donné l’effet qu’ils
ont produit, il n’y a donc plus qu’une dissimulation que
la loi et la morale réprouvent, mais qui ne peut cons
tituer le dol puni par l’art. 1116 du Code civil.
24. — « Dans le for intérieur, dit Pothier, on doit
regarder, comme contraire à la bonne foi , tout ce qui
s’écarte tant soit peu de la sincérité la plus exacte, la plus
scrupuleuse ; la seule dissimulation sur ce qui concerne
la chose faisant l’objet du marché, et que la partie avec
qui je contracte aurait intérêt de savoir , est contraire à
la bonne foi.
» Dans le for extérieur, une partie ne serait pas écoutée à se plaindre de ces légères atteintes que celui,
avec qui elle a contracté, a données à la bonne foi, au-
�20
TRAITÉ DU DOL
trement il y aurait un trop grand nombre de conven
tions qui seraient dans le cas d’être rescindées. Il n’y a
que ce qui blesse ouvertement la bonne foi qui soit, dans
ce for , regardé comme un vrai dol , tel que toutes les
mauvaises manœuvres et tous les mauvais artifices qu’u
ne partie aurait employés pour engager l’autre à con
tracter.1 »
Vainement donc prouverait-on qu’on a été entraîné
par la ruse, déterminé par le mensonge. Si les précau
tions ordinaires pouvaient déjouer la ruse, démasquer le
mensonge, l’acte doit être maintenu. Il n’y a dol punis
sable que lorsque l’erreur inférée s’est produite par des
moyens de nature à convaincre de la vérité de la fausse
allégation , à endormir la vigilance et à rendre vaines
toutes investigations.
25. — Il résulte de là que c’est surtout sur la natu
re des moyens employés, sur leur gravité, que le plai
gnant doit appeler l’attention de la justice. C’est cette ap
préciation qui fournira la solution du litige. Dès lors, la
question soulevée par la poursuite du dol est plutôt une
question de fait, qu’une difficulté de droit. Les manœu
vres et artifices signalés existent-ils ? Ont-ils la gravité
indispensable pour faire résoudre le contrat ? Telles se
ront, en dernière analyse, les seules, les véritables diffi
cultés.
Ce caractère du litige laisse une grande part à Larbi1 Des obligal., n° 30.
�21
trage souverain du juge. Il est cependant quelques prin
cipes de nature sinon à commander, du moins à diriger
l’exercice de ce pouvoir. En voici notamment qu’on ne
doit pas négliger.
26. — L’article 1112 du Code civil , qui punit la
violence, exige pour l’atteindre qu’elle ait été de nature à
faire impression sur un esprit raisonnable ; doit-on exi
ger ce caractère en matière de dol ?
Il y a entre la violence et le dol cette différence : que
la première, s’annonçant par des actes matériels, sera
parfaitement appréciable dans ses divers degrés. Elle pro
cédera d’ailleurs , et presque toujours , par les mêmes
moyens, et l’on comprend que, pour en juger les effets,
on ait exigé que les actes la caractérisant aient pu faire
une grave impression, au moins sur une intelligence éclairée, sur une raison ordinaire.
Le dol, au contraire, confond la raison et se joue de
l’intelligence. Insaisissable dans la pensée qui le conçoit,
protégé par la fraude présidant à son exécution, il sait
faire illusion au plus habile. Chaque espèce devra donc
se résoudre par les moyens qui lui seront propres. On
ne se demandera pas si un esprit raisonnable aurait ou
non succombé, la question posée sera uniquement celleci : le demandeur a-t-il cédé et dù céder aux manœu
vres déployées pour pervertir sa volonté et égarer son
consentement ?
27. — Mais l’état moral de la partie exercera tou
jours une puissante influence sur la décision. La loi pro-
■
ET DE LA FRAUDE.
�22
TRAITÉ DU DOL
tège plus efficacement le mineur, parce qu’elle le suppo
se plus accessible aux suggestions de la mauvaise foi.
Mais il est des majeurs dont la volonté, inerte et faible,
est plus facilement entraînée que ne le serait, dans la
môme occurrence, celle de certains mineurs. La protec
tion due à ceux-ci doit donc les entourer dans de cer
taines limites. Le dol sera d’autant plus à supposer à
leur égard , qu’ils étaient pour lui une proie plus facile
et plus sûre.
28. — Par une supériorité de raisons, le dol serait
plus facilement admis, s’il était argué que la victime se
trouvait dans un état habituel d’insanité d’esprit. Dans
une pareille hypothèse , on ne s’appesantirait pas trop
sur la gravité ordinairement exigée pour les manœuvres
constituant le dol. La simple obsession pourrait suffire,
c’est ce qui a été admis pour la captation.
On sait que , pour annuler une libéralité imputée à la
captation , on exige de celle-ci un caractère frauduleux
et dolosif. Il faut conséquemment qu’elle ait été accom
pagnée de manœuvres tendant à fausser la volonté du
donateur ou du testateur. Mais de simples, démarches,
fréquemment répétées, afin d’obtenir une libéralité, lors
qu’elles s’adressent à un individu dans un état d’imbé
cillité ou de démence presque habituel, ont été jugées
constituer le dol punissable. C’est notamment ce que la
Cour d’Àix a décidé, le 3 juin 1843, par la confirma
tion d’un jugement du Tribunal de Toulon , annulant
une libéralité faite par la dame Pourriac à une de ses
�23
29. — Nous n’hésitons pas non plus à considérer,
comme un élément essentiel d’appréciation , la dépen
dance dans laquelle seraient respectivement les parties
au moment de l’acte , même sous le rapport de l’intérêt
pécuniaire. Des poursuites rigoureuses, exercées par un
créancier contre les biens ou contre la personne de son
débiteur, peuvent placer celui-ci dans une position dont
il a été facile d’abuser, en lui arrachant le sacrifice d’u
ne partie plus ou moins forte de sa fortune. Un acte
ainsi obtenu n’est-il pas réellement le produit d’une vé
ritable violence , et ne devra-t-on pas l’apprécier sévè
rement sur la plainte de la partie intéressée ?
Sans doute les poursuites du créancier sont l’exercice
d’un droit. Mais si elles n’ont pour objet que de forcer
la main au débiteur, si le sacrifice consommé par l’acte
attaqué n’a aucun motif sérieux, s’il est démontré qu’il
n’est évidemment que le résultat recherché de , et par ,
la poursuite, faudra-t-il laisser le créancier possesseur
paisible de ce qu’il aura ainsi frauduleusement obtenu ?
Nous ne le pensons pas : Nemini sua fraus patrocinari
debet.
ET DE LA FRAUDE.
50 . — N’oublions pas, au reste, qu’en cette matière
les tribunaux prononcent comme le ferait un jury. Il
suffit qu’ils soient convaincus de la gravité du dol, pour
qu’ils soient autorisés à en anéantir le produit. Cette
gravité est relative ; elle se détermine tantôt par la finesse
de l’artifice, tantôt par l’âge , le sexe , la condition des
parties. Conséquemment tels et tels faits qui ne sauraient
�24
TRAITÉ DU DOL
constituer le dol à l’endroit de l’un , le constitueront
pour l’autre. Nous le répétons, la loi s’en rapporte en
tièrement à la prudence des tribunaux, et, sans leur de
mander compte des éléments de leur conviction , elle
l’accepte comme l’arbitre souverain du litige.1
31. — La seconde condition, pour que le dol annulle le contrat, est que sans son emploi, il n’eût pas existé
de convention. Qu’il ait été , dès lors , la cause unique
et déterminante du consentement, dans causam contractui.
La nullité résultant du dol est une peine en même
temps qu’une réparation. Celte dernière doit s’étendre à
toutes les conséquences nuisibles, et ce résultat n’est nul
lement inconciliable avec l’existence de l’acte attaqué.
Or, pourquoi anéantir celui-ci lorsque la volonté de le
consentir existait chez toutes les parties. Malgré que cette
volonté chez l’une d’elles ait été plus tard pervertie par
des manœuvres coupables, l’acte n’en est pas moins in
tervenu librement. Il suffît donc, dans cette hypothèse,
que le préjudice résultant du dol exercé dans l’exécution
de cette pensée soit entièrement réparé, à moins que la
circonstance sur laquelle on a été trompé soit de telle
nature que sa connaissance eût fait abandonner toute
idée de traiter.
l Cass., 27 août 1836 ; — 8 décembre 1838, J. D. P., tom. r, 1839,
pag. 263,
�KT DE LA. FRAUDE.
25
52. — Ainsi, la certitude de la volonté de contrac
ter avant et indépendamment de toute manœuvre , est
exclusive de toute poursuite en nullité de l’acte. Le traité
renferme un lien légal qu’il faut respecter , tout en ra
menant son exécution dans les limites légitimes, que la
convention devait avoir dans la pensée commune des
parties.
Mais le maintien de l’acte ne serait ni équitable ni lo
gique , lorsque , sans intention de contracter , la partie
poursuivante n’a été déterminée à le faire que par les
manœuvres dolosives dont elle se plaint. Il importe que
le dol soit poursuivi et atteint dans tous les effets qu’il
a produit; or, dans l’espèce, l’existence de l’acte n’est
elle-même qu’un de ces effets, dès lors elle doit être con
damnée et proscrite.
Il n’y a donc, en général, de nullité forcée que lors
que le contrat a été inspiré par le dol. S’il est certain
que la partie était décidée à traiter, de telle manière
qu’elle l’eût fait, alors même qu’il n’y aurait eu aucun
dol, l’acte est maintenu. Mais on ne doit respecter que
ce qui est indépendant du dol b Conséquemment, tout
ce qui n’est qu’une conséquence directe de celui-ci doit
être corrigé. On doit donc , tout en maintenant l’acte, soit annuler les clauses dues aux manœuvres reprochées,
soit allouer des dommages-intérêts suffisant pour répa
rer intégralement tout préjudice.
i Cass., 19 janvier 1841.
�TRAITÉ DU DOL
53. — La troisième condition pour que le dol soit
punissable, c’est qu’il ait été commis par celui avec qui
on a contracté. Nul ne peut répondre que de son propre
fait, que de sa faute. En conséquence, si la partie atta
quée n’a réellement ni connu le dol, ni coopéré aux ma
nœuvres qui le constituent, sa bonne foi rend le contrat
inattaquable, et en assure l’exécution.
54. — Mais cette conséquence ne fait nul obstacle à
ce que la partie lésée poursuive et obtienne la réparation
du préjudice qu’elle éprouve. L’auteur du dol, quel qu’il
soit, est tenu de cette réparation , alors même qu’il ne
doit retirer aucun avantage personnel du traité déterminé
par ses manœuvres.
55. — Cette règle reçoit cependant des exceptions,
et la partie étrangère au dol perd tous les avantages qu’il
en avait retiré :
1° Lorsque ces avantages, ne résultant pas d’une obligation contractée en sa faveur, ne lui sont acquis que
par sa qualité , ou par une disposition formelle de la
loi. Ainsi la renonciation, annulée comme produite par
le dol, serait censée n’avoir jamais existé, et l’héritier
appelé au profit de cette renonciation perdrait tous ses
droits. 11 serait en conséquence tenu de restituer l’héré
dité qu’il aurait déjà appréhendée, alors même qu’il eût
ignoré l’existence du dol ;
36. — 2° Lorsque la partie contractante, sans être
elle-même l’auteur du dol, en a connu l’existence au
�27
moment du contrat. Connaître un fait réprouvable aux
yeux de la justice, et vouloir en recueillir les fruits, c’est
se rendre complice de ce fait , à la consommation du
quel on se prête sciemment. Il est donc juste de priver
le complice, tout au moins, des gains illicites devant les
quels il n’a pas reculé.
ET DE LA FRAUDE.
37. — Enfin, la quatrième condition pour l’impu
tabilité du dol , c’est qu’un préjudice ait été causé. Le
dol, avons-nous dit, nécessite une peine et une répara
tion. Il n’existe donc que lorsqu’il y a fait illicite chez
l’un, préjudice chez l’autre. L’absence de tout préjudice
enlèverait à la répression du dol son objet le plus essen
tiel, et en rendrait la poursuite évidemment frustratoire.
L’intérêt étant la mesure de l’action, et l’intérêt n’exis
tant qu’autant qu’on est lésé, l’impossibilité de justifier
de l’existence d’un préjudice quelconque , rendrait la
partie plaignante non-recevable dans son action.
38. — Ainsi se retrouve dans notre droit ce double
caractère que le droit romain exigeait pour le dol, à sa
voir : Consilium fraudis, eventus damni. Mais , sous
l’empire de cette législation, cette prescription avait une
portée bien autre que celle qu’elle conserve aujourd’hui.
Le droit romain reconnaissait un dol licite , dolus bo
nus, une fraude nuisible dans ses résultats, mais n’exi
geant pas un Concert préalable, fraus non in consilio
sed in eventu. Et tout cela devait être soigneusement
distingué puisque l’action en dol était infamante.
�------------------— -
28
TRAITÉ DU DOL
59. — Cela n’exisle plus en droit français. Sans
doute nous reconnaissons des simulations licites , mais
ces simulations ne sauraient être qualifiées dol , par la
raison toute simple qu’elles sont ordinairement concer
tées par les deux parties. L’action en dol n’est plus que
ce qu’est l’action en fraude, et n’atteint jamais d’autres
résultats que celle-ci.
Donc, chez nous, le dol n’a qu’une acception impli
quant nécessairement l’existence d’un préjudice. Ce ne
sera jamais dans un but innocent ou inoffensif qu’on
se livrera à des manœuvres, à des artifices destinés à
entretenir une personne dans l'erreur qui la détermine
à une convention préjudiciable à ses intérêts, ou qui la
détourne de faire une chose utile.
D’autre part, comment admettre qu’une partie se plai
gne d’un acte ne lui causant aucun grief. On ne plaide
pas pour le plaisir de plaider, surtout lorsque, sans es
poir de rien gagner , on sait qu’on y perdra toujours
quelque chose.
40. — Quoi qu’il en soit, le dol n’existe que lors
qu’il y a réellement préjudice. Conséquemment, si le
défendeur soutient qu’il n’en a causé aucun, le deman
deur aura l’obligation de prouver celui dont il se plaint.
Mais on ne devra pas exiger que ce préjudice soit né et
actuel : il suffira qu’il y ait crainte fondée pour l’avenir,
probabilité même d’une chance , pour que l’auteur du
dol soit condamné , soit à faire cesser l’état des choses
que ses artifices ont déterminé, soit à fournir toutes les
assurances éventuelles qui lui seront réclamées.
�29
41. —• L’existence d’un préjudice moral légitimerait
l’action du poursuivant. Celui qui a été déterminé, par
artifices , à vendre une propriété qu’il affectionnait , et
dont il ne se serait pas défait sans le dol employé, sera
recevable à demander la nullité de la vente. Vainement
le prix reçu serait-il proportionné à la valeur de la cho
se vendue ; il n’en serait pas moins certain que la vo
lonté du vendeur a été violentée; et si les manœuvres
dont il se plaint ont réellement existé , son consente
ment, surpris par ce moyen, manque d’une de ses qua
lités essentielles, et n’est par conséquent pas susceptible
de créer un lien légal. Il n’y aura dans cette espèce
qu’un préjudice moral ; mais cet intérêt est aussi sacré
qu’un intérêt matériel. Le dol ne peut pas plus léser
l’un, que l’autre.
Il résulte de ce qui précède que le dol n’agit pas tou
jours d’une manière
uniforme. Conséquemment nous
»
avons à le distinguer dans les diverses parties de la
convention qu’il est dans les cas de vicier. Après en avoir recherché la nature , nous en ferons ressortir les
effets.
ET DE LA FRAUDE.
�30
TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
Des d ive rse s espèces de Dol.
SOMMAI RE.
42.
43.
44.
43.
46.
47.
48.
49.
Le droit romain distinguait le dol en bon ou mauvais.
Exemple d’un dol bon, dolus bonus.
Cette distinction n’existe plus sous l’empire du Code.
Elle a été cependant en quelque sorte conservée pour ce qui
concerne la fraude.
Le dol ne peut être que personnel. En élait-il de même en
droit romain ?
Opinion de Merlin et de Toullier sur le dol réel.
Examen de la doctrine d’Ulpien ; ce jurisconsulte a-t-il admis
un dol réel ?
En combien d’espèces se divise le dol ?
42. — Le droit romain appelait dol toute simula
tion , tout artifice à l’aide duquel un acte perdait son
véritable caractère , pour en revêtir un ne lui apparte
nant réellement pas. De là la nécessité de distinguer le
dol en bon et mauvais. Ce qui constituait le premier, était non seulement l’absence de toute intention fraudu
leuse , mais encore, et surtout, le défaut de préjudice.
�31
C’est ce qui se déduit de l’observation de Labeon , rap
pelée par Ulpien : Fosse et sine dolo malo aliud agi, aliud simulari, sicuti faciunt qui per ejusmodi dissimulationem deserviant et luentur vel sua, vel aliéna-1
Ulpien nous enseigne de plus que le dol licite pouvait
exister dans plusieurs circonstances , et que c’est pour
enlever tout doute que l’épithète de mauvais avait été
ajouté au mot dol : Non fuit prœtor contentus dolum
dicere , sed adjicit malum , quoniarn veteres dolum etiam bonum dicebant et pro solertia hoc nomen accipiebant maxime si adversus hostem latronemve quis
machinetur. 3
Dans ces limites, la qualification de bon , donnée au
dol, est irréprochable. Les artifices employés contre les
ennemis ou les voleurs ne pouvaient certes faire encou
rir le moindre blâme. Les uns et les autres auraient eu
assez mauvaise grâce à se plaindre de ce qu’on avait dé
joué leurs projets. Mais il n’en était pas de même rela
tivement à certains actes auxquels on étendait les effets
de cette dénomination. Ainsi , on considéra d’abord
comme licite, le dol exercé sur le prix de vente des cho
ses mobilières ou immobilières : Inpretio emptionis et
venditionis, disait Pomponius, naturaliter licel contrahentibus se circumvenire 3. Mais cette maxime parut
bientôt ce qu’elle était ; par trop compromettante ; aussi
ET DE LA FRAUDE.
1 L. 1, Dig,, § 2, De dolo malo.
2 Ibid., § 3.
3 L, 16, Dig. S 4, De minoribm xxv anrns
�TRAITÉ DU DOL
32
ne tarda-t-on pas à la réduire, dans la pratique, à une
portée plus restreinte. On admit que cette faculté n’al
lait jamais- jusqu’à autoriser une lésion énorme ; qu’elle
ne devait s’entendre que du droit de vendre un peu plus
cher ou d’acheter à un prix moindre que ne valait la
chose, en d’autres termes qu’il était loisible à chacun de
rechercher un honnête avantage, condilionem suam faceremeliorem.
45. — Un exemple ayant le mérite de caractériser le
dolm bonus et de bien tracer en quoi il diffère du dol
mauvais, est l’espèce citée par le jurisconsulte Paul, dans
le § 3 de la loi 19, Dig. De negotiis gestis.
« Chargé de faire mes affaires pendant mon absen
ce , vous avez acquis une propriété que vous ne saviez
pas m’appartenir : vous l’avez depuis prescrite. Je ne
puis en obtenir la restitution par l’action negotiorum
gestorum.
» Mais si après l’achat, et avant l’accomplissement de
la prescription, vous découvrez que la propriété m’ap
partient , vous devez interposer quelqu’un qui vous en
fera la demande en mon nom , et qui , par ce moyen,,
vous fournira celui de conserver mon bien, et de veiller
à vos propres intérêts par l’exercice de l’action en ga
rantie que vous avez contre votre vendeur.
» Cette supposition de personne est ordinairement
une fraude. Mais, dans l’espèce, elle n’aura rien de ré
préhensible : Nec videris dolum malum facere in hac
subjectione, ideo enim hoc facere debes ne aclione ne
gotiorum gestorum tenearis. »
�33
Il y a évidemment dans cette hypothèse défaut de ré
solution frauduleuse, absence de tout préjudice. En ef
fet, l’action n’est intentée que pour se soustraire à la
fraude du vendeur de la chose d’autrui. Le résultat de
cette action sera de faire sortir à effet une garantie im
posée par la loi elle-même. L’interposition de personne,
dans ce double but, est donc on ne peut pas plus légi
time.
Nous avons vu ce qu’était le dolus malus, nous avons
déjà ♦dit que ce qui le caractérisait en droit romain c’était surtout le consilium fraudis et Vevenlus damai.
ET DE IA FRAUDE.
44. — Au reste, cette distinction en bon et mau
vais était complètement inutile sous l’empire de notre lé
gislation. Le mot dol a reçu dans notre langue une ac
ception qui en fixe désormais la nature. Il se prend tou
jours en mauvaise part. Les ruses contre l’ennemi ou
contre les voleurs sont non seulement un droit, mais
encore un devoir, imposé par la légitime défense de sa
personne ou de ses biens. D’autre part, les artifices em
ployés pour déterminer l’exécution d’une obligation par
faite sont également exempts de tout reproche et ne sau
raient motiver une action quelconque.
Il y a plus, le Code distingue le dol, non seulement
de la fraude , mais encore de la surprise , de la super
cherie. Ainsi l’art. 1255 permet de revenir contre l’im
putation faite par surprise, et l’art. 1967 autorise à ré
péter la dette de jeu acquittée par suite de supercherie.
3
i
�34
TRAITÉ DU DOL
45. — Mais ce qui n’a plus aucune portée pour le
dol, en a conservé une véritable en matière de fraudes.
Celles-ci ne sont pas nécessairement illicites. Il en est
dont le législateur assure le maintien et l’exécution. La
distinction en bonnes ou mauvaises pourrait donc leur
convenir, si depuis longtemps on ne les avait qualifiées
de licites ou d’illicites , épithètes que le génie de notre
langue rend préférables.
46. — Le dol ne peut être que personnel, puisqu’il
no résulte que de manœuvres donnnat naissance à l’er
reur et au préjudice. Mais est-il vrai que , par opposi
tion au dol personnel , les Romains eussent admis un
dol réel ? Merlin et après lui Toullier , et d’autres ju
risconsultes recommandables ont admis l'affirmative.
Ils la fondent sur ces paroles d’Ulpien : Et si nullus
dolus intervertit stipulants, sed res ipsa in se dolum
habet}
47. — Cette distinction est fortement contestée par
ces mêmes jurisconsultes : « Le dol , dit notamment
Merlin, vient de la mauvaise foi, et conséquemment tou
jours de la personne ; à la vérité , les choses elles-mê
mes peuvent tromper, ou, pour mieux dire, on peut être trompé à l’occasion des choses ; mais celte erreur est
seulement l’effet de l’ignorance , ou , si c’est l’effet du
dol, ce dol ne se trouve pas dans les choses, mais dans
1 L. 36, Dig. De verb. obligat.
�3S
la mauvaise foi de celui qui les présente à l’effet de
tromper.1
ET DE LA FPAUDE.
48. — L’évidente justesse de ces considérations rend
de la plus complète invraisemblance qu’elles aient échnppé à la sagacité du célèbre jurisconsulte romain.
On ne peut pas surtout admettre qu’elles lui aient échappé au point qu’il ait pu enseigner l’existence d’un
dol réel. Ulpien n’a-t-il pas dit que ce qui constitue le
dol c’est l’emploi, dans le dessein de nuire, delà ruse,
de la finesse, de l’artifice ? Comment aurait-il donc sup
posé qu’une chose pût jamais réaliser cet emploi, et
concevoir celte volonté de tromper , consilium fraudis,
élément essentiel du dol?
A notre avis donc, Ulpien n’a pas dit autre chose que
ce que Merlin dit lui-même, à savoir : qu’on peut être
trompé par les choses, mais que, dans ce cas encore, le
dol n’est et ne peut être que personnel. Ce qui le prou
ve, c’est qu’après les mots que nous venons de rappor
ter, Ulpien ajoute immédiatement : Cum enimquis pe
lât ex ea stipulatione hoc ipse dolo facit quod petit.
Ce qui le prouve mieux encore , c’est ce que ce juris
consulte nous a déjà dit : Et quidern illud annotandum
est quod specialiter exprimendum est de cujus dolo
quis quœratur, non in rem, si in ea re dolo malo fac
tum est, sed si in ea re nihil dolo malo acloris fac
tum est, docere igitur debel is qui ohjicit exceptionem
1
Rép., v° Dol, § 4 ; — voy. Toullier, 6, n° 89.
�TRAITÉ DU DOL
36
dolo malo actoris factum, nec sufjicit ei oslendere in
re esse dolum.1
Ainsi , il ne suffit pas que la chose soit défectueuse
pour que le dol existe, il faut qu’il y ait un acte reprochable à celui qui a livré la chose , ou qui veut sciem
ment abuser de cette défectuosité. Conséquemment, aux
yeux d’Ulpien , le dol est toujours personnel , puisqu’il
n’existe que parle fait d’une des parties, soit que ce fait
vicie le contrat dans son origine, soit qu’il ait pour but
de contraindre à une exécution déloyale et injuste : Cum
enim quis petat ex ea stipulatione hoc ipse dolo facit
quod petit.
Interpréter ainsi la conduite du poursuivant, était fa
cile en droit romain. L’obtention du jugement était né
cessairement précédée de la litisconteslatio qui en de
venait la base. Or celle-ci opérait une véritable novation,
en substituant au droit primitif le droit résultant de la
formule2. Dès l’instant que le créancier poursuivait dé
loyalement l’obtention de celle-ci, il commettait un dol,
et le droit était censé vicié dans son origine, puisque le
dol était en principe la cause de celle obtention.
C’est au reste ce que le § 3 de la loi 2, Dig. De doli
mali et melus exceptione , explique fort bien : Si quis
sine causa ab aliquo fuerit stipulatus,deinde ex ea sti
pulatione experiatur, exceptio utique doli mali ei no1 L. 2, S 1, Dig. De doli mali et melus exceptione
2 Etienne, des Actions, n» c m ,
�37
cebit. Licet enim eo tempore quo stipulabatur nihil dolo malo admiserit, tamen discendum est eum
dolo facere qui persévérât ex ea stipulatione petere.
ET DE LA FRAUDE.
c u m
c o n t e s t a t u r
l it e m
,
49. — Le dol ne peut donc être que personnel,
nous l’avons déjà dit. Mais il ne procède pas toujours de
la même manière e t, conséquemment, ne produit pas
toujours les mêmes effets. Il est substantiel, lorsqu’il at
taque l’acte dans son essence ; accidentel , lorsqu’il ne
vicie qu’une des clauses du contrat. Substantiel ou ac
cidentel , le dol est direct ou indirect, positif ou négatif.
Examinons-le sous ces divers points de vue.
S 1".
D o l S u b s ta n tie l ou A ccid en tel.
SOMMAIRE.
50.
51.
52.
53.
54.
55.
Quand le dol est-il substantiel ?
Effet du dol substantiel.
Obligations de celui qui en allègue l’existence.
Dol dans le consentement; quand existera-t-il ?
Premier exemple.
Deuxième exemple.
�TRAITÉ DU DOL
Troisième exemple.
Dol sur la capacité de la partie.
Effet de l'incapacité, si le capable l’a connue.
Quid si elle a été ignorée.
Quand cette ignorance pourra-t-elle être utilement invoquée.
Dol sur la matière du contrat.
Ce dol peut être négatif. — Exemple.
Autre exemple du dol sur la matière du contrat.
Dol sur la cause du contrat. — Fréquence probable de ce
dol ; le but qu’il se proposera.
Dans toutes les hypothèses, c’est en définitive le consente
ment qui sera vicié.
Dol accidentel. — Ses caractères.
Premier exemple.
Second exemple.
Ce dol, quant aux qualités de la chose, ne saurait en général
être constitué que par des manœuvres.
Il en est de même lorsqu’il affecte le prix.
La vilité du prix ne fait donc pas supposer nécessairement le
dol.
Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol, pour les
ventes mobilières.
Le dol exercé sur le prix n’annulera pas la convention.
Il en est autrement du dol sur les qualités de la chose.
Exemple du dol sur les qualités motivant l’annulation.
Autre exemple.
Effets du dol sur la qualité dans la vente de choses mobiliè
res et dans les ventes commerciales.
50. —• Le dol est substantiel lorsqu’il a pour objet
de tromper sur l’une des conditions essentielles du con
trat, de créer une erreur sans laquelle il est évident que
la partie n’aurait pas traité,1
i Art. 'H t 6 Cod, civil,
�/
39
51. — L’article 1108 énumère ces conditions. C’est
d’abord le consentement de la partie qui s’oblige, sa ca
pacité de contracter, un objet certain qui forme la ma
tière de l’engagement, une cause licite dans l’obligation.
Les manœuvres à l’aide desquelles on est parvenu à égarer le consentement, à déguiser l’incapacité de la par
tie, l’absence de tout objet formant la matière du con
trat ou celle d’une cause licite, constituent donc le dol
substantiel. L’acte ne renferme plus de lien obligatoire :
Colorem habet, substantiam vero nullam.1
Mais quelque vicieuse que soit au fonds une conven
tion ainsi obtenue, la régularité du titre qui la constate
en fait présumer la légalité, en commande même l’exé
cution , tant que la partie lésée garde le silence. « Un
consentement extorqué n’en est pas moins un consente
ment, et, tant qu’il n’est point attaqué, l’obligation sub
siste.2 »
ET DE LA FRAUDE.
52. — C’est donc à celui qui prétend en être af
franchi à prouver devant la justice le vice qu’il lui re
proche ; à lu i, à indiquer en quoi et comment il a été
surpris, à justifier les moyens à l’aide desquels on a
trompé sa volonté, égaré sa vigilance et créé une erreur
sans laquelle il n’eût pas contracté.
1 D’Argentré, art. 269, n° 4
2 Pothier, Oblig., n° 29.
�40
TRAITÉ DU DOU
1° Dol dans le consentement.
53. — Pour être utilement et valablement donné,
le consentement doit procéder d’une volonté éclairée et
libre, c’est ce qu’enseigne l’art. 1109. Cette liberté d’ac
tion et de réflexion n’est jamais appréciée que relative
ment au contrat attaqué et aux circonstances au milieu
desquelles ce contrat s’est réalisé.
Or, si la volonté de traiter a été inspirée par des ma
nœuvres, si ces manœuvres ont le caractère de gravité
que nous indiquions tout à l’heure, on devra reconnaî
tre que le consentement n’a pas d’autres motifs que le
dol ; il n’est pas susceptible dès-lors de créer un lien
quelconque.
54. — Un exemple de ce dol , cité par la doctrine,
est celui-ci : Je possède une maison qui est à votre con
venance et que j’ai refusé de vous céder ; pour me dé
terminer à le faire , vous me persuadez qu’un aligne
ment projeté va la faire disparaître en partie. A l’appui
de cette allégation, vous mettez sous mes yeux un plan
de ce prétendu alignement, dont, dites-vous, votre cré
dit vous a fait avoir la communication.
La vente que cette communication aura déterminée
sera parfaitement régulière, sous le rapport de la capa
cité des parties; elle aura un objet certain , une cause
licite dans l’obligation. Mais il est évident que le con
sentement a été vicié dans son essence. Ce qui l’a ins-
�41
piré , c’est la crainte que la communication du plan,
faussement attribué à l’autorité , a fait naître , c’est la
fausse supposition de la démolition partielle que ce plan
indiquait ; sans celte ruse, j’aurais persisté dans le re
fus que j’avais jusque-là opposé à vos propositions.1
ET DE LA FRAUDE.
55. — Il en est de même dans l’hypothèse suivan
te : nous avons un procès pendant devant un tribunal
éloigné , vous me montrez une lettre d’un de vos amis,
annonçant que vous avez gagné , tandis qu’il n’en est
rien. Feignant ensuite de vouloir éviter les chances d’un
appel, vous me proposez de transiger , et vous obtenez
ainsi de moi des sacrifices que je n’aurais pas faits sans
la fausse persuasion que vous m’avez inspirée.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il y aurait injus
tice à maintenir l’acte, car l’intention de traiter n’a pas
été spontanée et libre. Conséquence de l’artifice et du
mensonge , le consentement doit perdre tous ses effets
par la preuve acquise de l’un et de l’autre.
56. — Les manœuvres employées pour persuader
l’existence d’un danger chimérique , dans le but de se
présenter comme en ayant préservé celui qui en était
menacé, et obtenir de lui la rémunération de ce préten
du service, constitueraient un dol dans le consentement.
L’acte de rémunération n’aurait donc aucune valeur lé
gale , et devrait être anéanti sur la demande du sous
cripteur.
1 Rolland de Villargues, v° Dol, n° 27
�TRAITÉ DU DOL
En résumé , il y a dol sur le consentement toutes les
fois que la volonté de traiter n’a pas précédé le contrat;
qu’elle n’est née qu’au moment même du contrat et à
son occasion ; qu’elle n’est que la conséquence de l’er
reur , résultant des manœuvres frauduleuses employées
pour la faire naître.
2° Dol sur la capacité de la partie.
57. — Il importe à chacun de ne contracter qu’a
vec des personnes capables. L’avenir du contrat, les de
voirs et les obligations qui en naissent réciproquement
tiennent à cette condition, l’incapacité de la partie de
vant amener nécessairement la nullité, en ce qui la con
cerne.
58. — Ainsi les mineurs, les interdits , les femmes
mariées ne peuvent valablement s’engager ; ils seront
déliés du traité qu’ils ont souscrit; alors même que ce
traité aurait déjà reçu son exécution dans la partie qui
leur est avantageuse.
Qu’il puisse en être ainsi pour celui qui a connu l’in
capacité de celui avec qui il contracte, ou le comprend
Volenli non fit injuria. L’incapacité donnait à l’acte un
caractère aléatoire qu’il a plu au créancier de braver.
De quoi se plaindrait-il si, la chance de mauvaise foi se
réalisant, l’incapable faisait prononcer la nullité de son
engagement ? C’est dans ce sens que l’art. 1125 prohibe
aux parties capables le droit d’opposer l’incapacité de
celle avec laquelle ils ont contracté.
�43
59. — Mais la solution doit être tout autre, lorsque
la capacité de la partie a été supposée, et que cette sup
position n’est que la conséquence des manœuvres pra
tiquées par elle. Mais il ne suffirait pas , dans ce cas,
que la partie eût dissimulé son état civil, ou qu’elle se
fût bornée à alléguer sa .prétendue capacité. Chacun doit
s’assurer de la condition de celui avec qui il traite, et ce
devoir est complètement négligé par celui qui , se con
tentant d’une déclaration, ne se met nullement en peine
d’en vérifier la sincérité et l’exactitude.
Dans cette hypothèse, il faudrait dire avec Pothier
que : dans le for extérieur , on ne peut être admis à se
plaindre de ces légères atteintes données à la bonne foi,
il y aurait un trop grand nombre de conventions qui se
raient dans le cas d’être rescindées. D’ailleurs, ici le pré
judice est autant imputable à l’incurie du créancier qu’au
mensonge du débiteur. La lo i, voulant protéger celui
qui est trompé, ne devait aucune faveur à celui qui se
trompe lui-même.
ET DE LA FRAUDE.
60 . — Pour que la dissimulation de l’incapacité
soit utilement invoquée , il faut donc que l’ignorance de
celui qui se plaint soit le résultat d’un véritable dol,
c’est-à-dire de manœuvres ne permettant pas de recher
cher et de découvrir la vérité. C’est ce qui se réaliserait
si l’allégation de la capacité avait été appuyée de docu
ments faux ou altérés, de renseignements supposés, de
pièces fabriquées, sans que celui qui les a acceptées ait
pu soupçonner leur inexactitude.
�44
TRAITÉ DU DOL
3° Dol sur l’objet faisant la matière du contrat.
6 !. — Tout contrat a pour objet une chose qu’une
partie s’oblige à donner , à faire ou à ne pas faire l.
C’est en échange de cette obligation , que l’autre partie
s’engage de son côté à payer ou à donner l’équivalent
de ce qui lui est promis.
Te dol, exercé sur l’objet de la convention, est donc
substantiel , il fait disparaître toute validité. Comment,
en effet, exécuter un acte sans équivalent réel de la part
d’une des parties?
62. — Ajoutons qu’à cet égard, le dol peut être né
gatif et ne consister que dans la dissimulation fraudu
leuse du vice dont la chose est atteinte. Ainsi, un mar
chand possède un animal infecté d’un vice rédhibitoire,
il le sait atteint d’une maladie contagieuse, cependant il
le présente à la vente , et il le vend comme s’il était
sain. Cette conduite est un véritable dol, parce que la
dissimulation de la maladie constitue la violation d’un
devoir formellement imposé par la loi, qui la punit d’u
ne peine correctionnelle.2
63. — Il y aurait dol sur la matière du contrat, et
' ce dol résulterait de manœuvres dans l’hypothèse sui1 Art. 1126 Cod. civ
® Art. 459 Cod. pén.
�45
vante : un propriétaire d’une maison en ruine y fait faire
de ces réparations superficielles qui, sans porter remède
au m al, empêchent de l’apercevoir. Il la vend ensuite
sans avertir l’acquéreur de l’état réel, et, pour un prix
égal h celui qu’elle eût produit, si elle eût été en bon état. Il profite donc de l’illusion qu’il a su créer, car, en
réalité, il n’offre pas l’équivalent de ce qu’il reçoit. L’ac
quéreur est trompé par l’exécution des réparations, véri
tables manœuvres constituant un dol dommageable.
D’autres fois, les manœuvres ont pour objet de trom
per sur l’existence même de la chose promise , de per
suader de la vérité et de la certitude d’un fait n’ayant
jamais rien eu de réel, ou ayant cessé d’exister au mo
ment même où il est affirmé. Dans ce cas, comme dans
les précédents, le dol sera substantiel, puisqu’il privera
le contrat d’une des conditions indispensables à sa vali
dité.
ET DE LA FRAUDE.
4° Dol sur la cause du’contrat.
64. — Un contrat ne saurait exister sans cause ;
aussi l’art. 1131 dispose-t-il que l’obligation sans cau
se , ou sur une cause fausse, ou sur une cause illicite,
ne peut avoir aucun effet.
C’est surtout sur la cause du contrat, que s’exercera
le dol. On ne comprendrait guère , en effet, qu’il fallut
recourir à la ruse et au mensonge, si le traité obtenu avait une cause légitime.
Le but que se proposera le dol, sera donc ou de trom-
�46
TRAITÉ DU DOL
per sur la cause même , ou de déguiser la fausseté ou
l’illégalité de celle sur laquelle repose le contrat. Mais la
preuve de son existence produira , dans l’un et l’autre
cas, un résultat analogue.
65. —• Au reste, il est facile de se convaincre que,
dans chacune des hypothèses que nous venons de par
courir, c’est en définitive le consentement que le dol af
fecte. En effet, que ce consentement ait été lui-même
surpris et arraché , qu’il ait été donné dans l’ignorance
de l’incapacité de la partie, ou dans la croyance inférée
d’une juste cause, ou dans la fausse persuasion de l’exis
tence d’un légitime équivalent, il n’y a pas de consente
ment tel que le désire la loi. Il est certain que, dans tous
ces cas , la vérité connue eût mis obstacle au traité, la
justice en exigeait donc la nullité, et cette nullité, édic
tée par l’art. 1116 du Code civil , sera , dans tous les
cas, la conséquence du dol substantiel.
66. — Le dol accidentel est celui qui s’exerce sur une des conditions accessoires du contrat, c’est-à-dire sur
la qualité de la chose ou sur le prix. Ce dol n’exclut pas
chez la partie la volonté de traiter ; au contraire, il sup
pose nécessairement cette pensée, puisqu’il ne se réalise
que dans l’exécution qu’elle reçoit. Il est donc certain
que le traité eût été consenti indépendamment du dol.
Seulement, sans ce dol, il eût été plus avantageux.1
1 Toullier, t. vi, n° 91.
�47
67. — « Supposez, qu’en me vendant votre maison,
vous m’ayez vendu nommément le puits en dépendant,
sans me dire que ce puits était commun à la maison
voisine. Si je découvre ensuite que j’ai été trompé sur
cet article, ceci n’empêchera pas que la vente de la mai
son ne tienne. Je comptais bien, à la vérité, que le puits
ainsi que la maison m’appartiendraient en entier, mais
je ne peux pas dire que la connaissance qu’on m’eût
donnée du droit, qu’avait le propriétaire de la maison
voisine, de se servir de ce puits, m'eût empêché d’ache
ter la maison.1 »
ET DE LA FRAUDE.
68. — Dans le premier exemple de dol substantiel
que nous avons donné, il n’y aurait plus qu’un dol ac
cidentel , si vous proposant moi-même d’acheter ma
maison , vous n’aviez parlé de l’alignement prétendu,
que pour l’obtenir à un prix inférieur à sa valeur réelle.
69. — C’est surtout pour le dol accidentel qu’il con
vient de se rappeler que le dol n’existe qu’autant qu’il
a été pratiqué des manœuvres dans l’intention de trom
per. Les défectuosités de la chose, ayant fait la matière
du contrat, ne donnent pas, par elles-mêmes, ouverture
à l’action en dol, si celui qui l’a transmise les a igno
rées, ou s’il n’a rien fait pour les dissimuler. Si le ré
ceptionnaire en éprouve un préjudice, il doit obtenir une juste réparation. Mais les limites dans lesquelles cette
i Merlin, Rép , v° Dot, n° 3.
�48
TRAITÉ DU DOL
réparation devra se restreindre seront d’autant plus étroites, que la bonne foi de celui qui la doit sera d’au
tant plus certaine.
70. — Il en est de même , si le dol a porté sur le
prix. La vilité du prix n’est constitutive du dol que si
elle est le produit de manœuvres reprochables à l’acqué
reur, et tendant à abuser le vendeur sur la véritable va
leur de ce qu’il vend. Hors de là, il peut exister une lé
sion plus ou moins forte, et par conséquent application
possible de l’art. 1674 du Code civil, mais toute action
pour dol serait inadmissible.
Cela serait vrai, alors même que l’acheteur eût affir
mé que la chose ne valait pas plus que ce qu’il en a
donné. C’est, pour des affirmations de cette nature, qu’on
peut dire : Licet contrahenlibus se circumvenire, car le
mal a son remède à côté de lui. En effet, la prudence
fait un devoir au vendeur de se méfier des allégations
intéressées de l’acheteur, de ne les apprécier que ce
qu’elles valent, ce qu’il peut faire avec d’autant plus de
facilité, qu’il doit connaître la valeur réelle de la chose
qu’il possède. L’erreur dans laquelle il serait volontai
rement tombé ne saurait lui donner le droit de se plain
dre. Cette erreur ne serait dolosive que si elle s’était
produite par des moyens devant nécessairement l’entraî
ner. Conséquemment, si tout se borne à une prétention
qu’on a pu et dû discuter, la vente ne saurait recevoir
aucune atteinte , sauf l’application de l’art. 1674 , si la
lésion avait atteint les proportions requises.
�49
C’est ainsi que le décidait le droit romain , comme
nous l’apprennent ces paroles d’Ulpien : Si quis adfirmaverit minimam esse hœreditatem, et ita eam ab hœrede emtt, non est de dolo actio cutn ex vendito sufficiat, si aulem mihi persuaseris ut répudiera hœredita
tem quasi minus solvendo sit, vel ut oplem servum qua
si melior eo in familia non s it, dico de dolo dandam
actionem si callide hoc feceris.1
ET DE LA. FRAUDE.
7Ï. — Ainsi, la vilité du prix n’est pas une consé
quence nécessaire du dol , et ne le fait pas supposer.
Son existence doit donc être considérée sous un double
rapport. Dans l’un, elle donne naissance à l’action en
lésion, si elle est le produit d’une simple erreur ; dans
l’autre, elle autorise l’action en dol, si l’erreur a été dé
terminée par des manœuvres ou artifices. Cette dernière
action est plus avantageuse que la première, car celleci exige un préjudice considérable , tandis que celle-là
peut se fonder sur la lésion la plus minime. Cette diffé
rence dans les résultats s’explique par la nature distincte
de chacune de ces actions qu’on ne saurait confondre
sans injustice.
72. — Si la distinction entre la lésion et le dol est
essentielle en matière de vente immobilière , elle l’est à
bien plus forte raison pour les choses mobilières. Pour
ce qui concerne celles-ci, l’action en rescision pour lé-
�TRAITÉ DU DOL
50
sion n’étant pas admise , le préjudice , quel qu’il soit,
restera pour le compte du vendeur , à moins qu’il ne
justifie qu’il est victime d’un dol. Les caractères consti
tutifs de celui-ci acquièrent donc, en celte matière, une
portée d’une plus haute importance.
73. — Le dol exercé sur le prix n’ayant nullement
pesé sur la volonté de traiter , ses effets n’iront jamais
jusqu’à faire prononcer la nullité de l’acte. Le but que
doit se proposer le demandeur , c’est la réparation du
préjudice qu’il éprouve, c’est ce qu’il obtiendra par une
détermination plus juste du prix. Cette réparation remet
chaque partie à sa place naturelle, tout en laissant sub
sister ce qu’il a été dans leur intention formelle d’ac
complir.
74. — Il n’en est pas de même du dol accidentel
sur la qualité-de la chose. Ce dol peut avoir des propor
tions telles qu’on doive l’assimiler au dol substantiel,
en ce sens que, sans son emploi, le traité n’aurait pas
eu lieu.
73. — « Vous me vendez une maison que je croy
ais acheter comme étant une maison sûre , commode ,
bien éclairée , pour le genre de commerce dont je fais
profession. Point du tout; après la vente consommée,
un voisin me fait signifier que vousjui avez tout récem
ment accordé un droit de passage par l’un de vos ap
partements, la faculté d’ouvrir des vues sur votre mai-
�51
son , de masquer vos jours , etc... . Dans ce cas, il est
visible que je suis fondé, non pas simplement à pré
tendre une indemnité pour toutes ces servitudes, mais à
demander que le contrat soit rescindé dans sa totalité ;
qu’en conséquence, vous soyez contraint à me restituer
le prix de la vente que je puis vous avoir payé ; que je
sois déchargé de celui que je vous dois encore ; e t, de
plus , que vous soyez condamné à des dommages-inté
rêts, résultant du tort que vous m’avez causé pour m’a
voir induit en erreur. Car, en achetant votre maison, je
comptais avoir une maison sûre, libre, telle que je l’a
percevais et telle qu’il me la fallait pour mop commer
ce, et non pas une maison chargée de servitudes et no
tamment d’un passage.
ET DE LA FRAUDE.
76. — » Il en serait de même si vous m’aviez ven
du celte maison dans sa totalité, tandis que vous n’étiez
propriétaire que d’une partie. C’était la maison entière
que je voulais acheter et non simplement ce qui vous
en appartenait.1 »
Evidemment, dans ces deux espèces , le dol est acci
dentel par son objet, mais sa gravité est telle, qu’il est
certain que la partie , quelle que fût d’ailleurs son in
tention, n’aurait pas donné suite à son projet, si elle avait connu la vérité. Il est donc juste de lui permettre
de revenir contre son engagement et de briser un acte
qui n’est plus en relation avec ses intentions.
1 Merlin, Rép., v° Dol, n° 3.
�52
TRAITÉ DU DOL
77. — Dans la vente des choses mobilières, le dol
sur la qualité équivaut au dol substantiel et en produit
les effets. Dans les affaires commerciales surtout, c’est la
qualité de la denrée qui forme le plus ordinairement la
matière de la vente, dès lors le dol, portant sur la ma
tière même du contrat, aurait pour conséquence son
annulation.
Si la chose achetée était un objet certain , accepté après avoir été examiné et choisi, l’infériorité de la qua
lité , déguisée à l’aide de manœuvres ou artifices , ne
constituerait plus qu'un dol accidentel.
11 résulte , de ce qui précède , qu’il n’y a véritable
ment dol accidentel qu’aux deux conditions suivantes :
1° que l’erreur créée par les manœuvres frauduleuses
ait porté sur une qualité de la chose ou sur le prix ;
2° que la qualité dissimulée ne soit pas d’une nature
telle que sa connaissance eût infailliblement empêché le
contrat. La première de ces conditions est facilement ap
préciable ; la seconde est abandonnée à l’arbitrage des
tribunaux,
�ET DE LA FRAUDE.
§
Dol
D irect
53
ii.
ou
In direct.
SOMMAIRE.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
Le dol direct est celui imputable à la partie elle-même.
Dans quelle catégorie doit-on placer le dol du mandataire?
Doctrine du droit romain sur le mandataire institué ou légal.
Sous l’empire du Code, le mandant répond même des dom
mages-intérêts dus au plaignant.
Il n’en est pas de même du mineur et autres incapables ;
pour eux tout se borne à la restitution du bénéfice illé
gitime.
Arrêt de la Cour de Grenoble contre un mineur.
Caractères du dol indirect. — Exemples.
La parenté entre l’auteur du dol et la partie en profitant ne
change pas la nature du dol. — Mais elle peut influer
sur la question de complicité par connaissance.
Effets de la complicité, quelle qu'elle soit.
Arrêt notable de.la Cour d’Agen.
Caractère juridique de cet arrêt.
78. — Le dol est direct toutes les fois qu’il est im
putable à la partie contractante, c’est celui que prévoit
l’art. 1116 du Code civil. C’est ce dol que les Romains
appelaient personnel, qualification depuis consacrée par
une doctrine constante.
�54
TRAITÉ DU DOL
Mais le dol , quoique non imputable à la partie per
sonnellement, est quelquefois susceptible de produire les
effets du dol direct. C’est ce qui se réalise lorsque cette
partie, non présente à l’acte, y a stipulé par le ministère
d’un tiers.
79. — On connaît la maxime qui mandat ipse fecisse videlur ; de là celte conséquence que le dol con
sommé par le mandataire est présumé l’œuvre du man
dant, avec d’autant plus de raison que ce dernier pro
fitera seul des avantages en provenant. Admettre qu’il
pùt, dans un cas quelconque, retenir ces avantages, se
rait encourager la fraude et donner naissance aux plus
graves abus. La décision contraire, plus conforme d’ail
leurs à la morale et à la justice, doit être accueillie sans
hésitation.
11
80. — C’est ce qu’avait fait la législation romaine :
Si is procurator sit, cui omnium bonorum administratio concessa de omni dolo ejus excipi posse. Ainsi le dol
du représentant rejaillissait contre le représenté. Il en
était de même de celui de l’esclave contre son maître, de
celui des personnes placées sous sa dépendance contre
celui dont elles dépendaient.'
La rigueur du principe atteignait même le mineur
qu’on déclarait responsable du dol de son tuteur : Dicendum sive quis emeril à tutore rem pupilli, sive coni L. 4, §| <17 et 18, Dig. De doli mali et melits excepl
�55
Iractum sit cum eo in rem pupilli, sive dolo quid tutor fecerit, et ex eo pupillus locupletior factus est, pupillo nocere debet.'
ET DE LA FRAUDE.
81. — Nos lois actuelles ne pouvaient déroger à de
tels principes. Aussi doit-on encore admettre que le dol,
non seulement du mandataire général, mais encore du
mandataire particulier , dans ce qui a fait l’objet du
mandat , ne saurait protjier au mandant. Dès lors on
sera recevable à poursuivre contre celui-ci la réparation
due à celui qui a été trompé.
Cette réparation comprend, outre la nullité de l’acte,
les dommages-intérêts couvrant le préjudice souffert. On
arrive à cette décision, non pas seulement par les prin
cipes relatifs.à la responsabilité du mandant, mais en
core par application de l’art. 4382. Le dol est ici la
conséquence directe du mandat ; or, il y a faute de la
part de celui qui a donné ses pouvoirs à quelqu’un ca
pable de recourir au dol, et cette faute ayant occasionné
un préjudice , l’auteur en doit la réparation , sauf son
recours contre le mandataire.
82. Quant aux mineurs, aux interdits, aux fem
mes mariées , ils ne peuvent non plus profiter du dol
commis par leur représentant légal. Mais, par rapport à
eux, tout doit se réduire à la restitution du bénéfice ac
quis illégitimement, sans qu’ils puissent être jamais pasi L. 4, § 2% Dig. De doli mali cl melus excepl.
�56
TRAITÉ DU DDL
sibles d’aucuns dommages-intérêts. La raison en est
que, par rapport à eux, il s’agit d’un mandat purement
légal dont ils doivent subir les effets, et qu’ils ne peu
vent ni rétracter ni empêcher. Or , s’il est juste de leur
prohiber de s’enrichir par la mauvaise foi de leur repré
sentant , il ne le serait à aucun titre de permettre que
leur patrimoine personnel eût à souffrir des conséquen
ces de cette mauvaise foi.
85. — La Cour d’appel de Grenoble a eu à faire
l’application au mineur des principes ci-dessus , dans
l’espèce que voici :
Un sieur Perrin avait donné un immeuble à son pe
tit-fils. La donation avait été acceptée , pour celui-ci,
par son père, fils du donateur.
Plus de dix ans après la transcription , le donataire
poursuit la radiation des inscriptions grevant l’immeu
ble donné du chef de son aïeul. Celte demande était
fondée sur l’art. 2265 du Code civil.
Le créancier contesté soutient que la donation a été
faite en fraude de ses droits, il en demande en consé
quence la nullité. Le mineur répond qu’il était, lui, in
capable de mauvaise foi au moment de la donation, et
que conséquemment rien ne s’est opposé à la prescrip
tion décennale.
Mais la Cour, convaincue que la donation n’avait eu,
de la part de Perrin , donateur, et de Perrin , père du
donataire, d’autre objet que celui de se soustraire au
paiement d’une dette légitime , a annulé la donation et
maintenu l’hypothèque attaquée.
�57
« Attendu , porte l’arrêt, que l’art. 2265 du Code
civil n’introduit le bénéfice de' la prescription de dix ans
d’un immeuble, en faveur du propriétaire, que lorsqu’il
a été acquis de bonne foi et par juste titre... ; que tou
tes les circonstances donnent lieu de suspecter la bonne
foi du grand-père , donateur , et de son fils , acceptant
pour le petit-fils mineur, d’où l’on peut tirer la consé
quence que cet acte de donation à cette époque parait
avoir eu pour but, de la part du grand-père Perrin et
de son fils, de se soustraire au paiement de leurs det
tes, et que par suite la prescription de dix ans n’a pu
profiler à Perrin , petit-fils , au préjudice d’un légitime
créancier.1 »
Ainsi, il y a dol direct toutes les fois que les manœu
vres sont imputables à la partie, soit qu’elle les ait exé
cutées personnellement , soit que représentée par un
mandataire, celui-ci les ait employées dans l’intérêt du
mandant.
84» — Le dol est indirect lorsque la partie appelée
à en profiter est restée étrangère à sa perpétration. Il se
réalise toutes les fois que, sans contracter avec une per
sonne, on la détermine , par des artifices ou rélicences
frauduleuses, à faire une chose contraire à ses intérêts.3
Ainsi, si vous m’avez persuadé faussement, et par de
mauvaises voies, qu’une succession était insolvable et
que vous m’ayez déterminé à y renoncer.
ET DE LA FRAUDE.
1 2 mars 1825, D. P., 2b, 2, 491.
3 Toullier, tom. ix, n°s 163, 192.
�58
TRAITÉ DU DOL
Ou bien s i, sachant que la fortune d’un autre était
dérangée , vous m’ayez fait croire le contraire , en em
ployant les mêmes voies, dans l’intention de me trom
per.1
85. — Le dol ne cesse pas d’être indirect dès qu’il
n’a pas été employé par la partie ou par son représen
tant , quel que soit d’ailleurs le degré de parenté ou
d’alliance entre cette partie et l’auteur du dol. On com
prend , au reste , que ce degré de parenté ou d’alliance
ne sera pas sans influence sur l’appréciation de la com
plicité reprochée à celui qui profite du dol.
Il importe, en effet, de remarquer qu’il ne suffit pas
à la partie de prouver quelle n’a matériellement coopé
ré en rien aux manœuvres constituant le dol. 11 faut
encore qu’elle n’en ait eu aucune connaissance. Cette
connaissance, au moment du contrat, la rendrait com
plice et convertirait le dol du tiers en dol direct. Or,
cette connaissance sera bien plus facilement présumée
entre proches parents qu’entre personnes étrangères les
unes aux autres.
86. —- La complicité résultant, soit d’une coopéra
tion active, soit d’une collusion, soit de la connaissance
du dol au moment du contrat, étant prouvée , le dol
devient direct et produit tous les effets attachés à celuici. Ainsi , et suivant l’espèce , la convention est résiliée
ou maintenue avec dommages-intérêts. ■
i Rolland de Villargues, v° Dol, n°s AO et 'H.
�59
87. — A l’appui de celle doctrine, nous citerons un
arrêt de la Cour d’Agen, qui nous parait s’être exacte
ment conformé à l’esprit du législateur.
En 1827, Vendrias vend, par acte public, un moulin
à Mercié. Quand celui-ci veut se mettre en possession,
Cassaigne, qui possédait déjà ce moulin comme l’ayant
acheté, exhibe un acte sous seing privé portant une date
antérieure , mais enregistré seulement depuis la vente
faite à Mercié. il ajoute qu’il n’est que le renouvellement
d’un acte antérieur de plusieurs années ; qu’ainsi, la
propriété réside sur sa tête.
Mercié répond que , vis-à-vis de lui , l’acte n’a date
certaine que du jour de l’enregistrement, et que le con
trat public doit l’emporter.
Cassaigne réplique que cette présomption d’antério
rité cesse en cas de dol ; que Mercié connaissait la vente
sous seing privé ; qu’il s’est rendu complice d’un fait
de stellionat ; qu’il ne peut, dès lors , se dire un tiers
dans une œuvre de fraude qui lui est propre et qui,'
bien que non réprimée par la loi pénale , constitue un
délit moral susceptible de preuve ; et qu’il offre de prou
ver , ainsi que la vente sous seing privé , sa possession
et les réparations par lui faites.
Mercié invoque l’art. 1328 du Code civil. Il soutient
qu’on n’est pas admissible à proposer des preuves con
tre la présomption légale de cet article ; que , dès lors,
toutes les preuves offertes, même celle tendant à établir
sa connaissance personnelle de l’acte sous seing privé,
doivent être rejetées.
ET DE LA. FRAUDE.
�y
60
TRAITÉ OU DOL
Mais la Cour, ne s’arrêtant pas à cette fin de nonrecevoir, admit la preuve par les motifs suivants :
« Attendu que le dol et la fraude font exception à
toutes les règles ; que s’il était justifié que , lors de la
vente consentie par Vendrias à Mercié, celui-ci avait une connaissance parfaite d’une vente antérieure faite
par Vendrias à Cassaigne, il aurait existé alors un con
cert frauduleux entre Vendrias et Mercié pour porter
préjudice aux droits acquis par Cassaigne ; que les faits
articulés par celui-ci sont tous de nature à fournir celte
preuve; qu’étant concluants, ils doivent être admis.’»
88. — Sous le rapport juridique , cet arrêt nous
parait inattaquable. Les principes sur le dol et la fraude
sont bien tels que la Cour les vise , et leur application
au fait est naturelle et légale. Qu’importe qu’il s’agisse
du dol d’un tiers, si la partie, s’associant à ce dol, en a
assumé sur sa tête la complicité.
Ajoutons qu’il y a une égale déloyauté à créer soimême le dol ou à se prêter à la consommation de celui
imaginé par un tiers. Dès lors, celui qui, dans un inté
rêt personnel, a aidé à celle-ci, est passible de la même
responsabilité que le tiers lui-même et doit être puni
comme lui.
1 12 mai 1830.
�ET DE TA. FRAUDE.
61
§ III.
Dol
P o sitif
ou
N é g a tif.
SOMMAIRE.
89.
90.
.
92.
93.
9/i.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
Caractèrés du dol posilif.
Il se produit par paroles ou par actions.
Difficulté de l’apprécier dans le premier cas.
Ce qui atténue cette difficulté , c’est que le plus souvent le
mensonge est appuyé sur des manœuvres. — Exemple
tiré d’un dol substantiel.
Appréciation et conséquence du mensonge employé.
Caractères du dol négatif. — Exemple.
Ces caractères avaient été relevés par le droit romain et par
notre droit ancien.
Si le principe est certain , son application est fort délicate.
Exemple fourni par un arrêt de la Cour de Rennes , con
firmé par la Cour de cassation.
Autre exemple fort remarquable jugé par la Cour de Poi
tiers et par la Cour de cassation.
Conséquences à déduire de cette jurisprudence.
Espèces de dol négatif consacrés par l’art. 348 du Code de
commerce.
89. — Le dol est positif lorsqu’à l’aide d’une simu
lation active on persuade l’existence de faits chiméri
ques, à l’effet de déterminer un consentement qui, sans
l’emploi de ce moyen , eût été refusé , ou de parvenir à
�62
TRAITÉ DT', DOL
faire illusion sur la condition des personnes ou sur les
qualités de la chose.
90. — Le dol positif se produit par paroles ou par
actions. Dans le premier cas, il est caractérisé par le
mensonge; dans le second, parles manœuvres, machi
nations, artifices, déguisements employés pour tromper,
induire ou entretenir dans l’erreur celui qu’on veut cir
convenir.1
91. — La première espèce est ordinairement d’une
appréciation fort délicate. Nous avons déjà dit que les
seuls mensonges qui puissent être assimilés au dol, sont
ceux qui s’écartent ouvertement de la bonne foi et qui
en blessent trop évidemment les principes. À quelles
conditions reconnaitra-t-on ces caractères? Lorsqu’il s’a
git de l’allégation d’un fait faux, la partie trompée a pu,
quelque grave qu’ait été le mensonge, en vérifier l’exis
tence , en demander la preuve. Si elle a failli à ce de
voir, elle s’est constituée en état flagrant d’imprudence,
et , on le sait , l’imprudence exclut la possibilité de se
plaindre du dol.
92. — Mais ce qui atténue la difficulté que nous si
gnalons , c’est que le dol dont nous nous occupons se
produit rarement à l'étal de simple et pure allégation ;
presque toujours, en effet , cette allégation s’appuie sur
1 Toullier, tom. ix, n° 470.
�63
des documents qui eu rendent l’existence vraisembla
ble.1
y
i ■
Ainsi, dans l’exemple que nous avons donné du dol
sur le consentement2, il est question d’un dol positif
par paroles , c’est l’annonce d’un alignement prochain
qui détermine la vente. Il y a donc véritablement men
songe, cet alignement n’existant pas même en état de
projet.
On comprend cependant que, quelque blâmable que
soit un pareil moyen, il ne saurait par lui-même cons
tituer un dol punissable. On objecterait avec raison , à
celui qui s’en plaindrait, qu’il devait, avant de s’enga
ger , s’enquérir de la réalité de celui qu’on lui faisait
entrevoir.
Mais lorsqu’à ce mensonge l’acquéreur a joint la pro
duction d’un plan justifiant l’alignement projeté, plan
qu’il disait être l’œuvre de l’autorité et dont celle-ci avait bien voulu lui donner communication, il n’y a plus
à hésiter , car le vendeur a pu croire toute vérification
ultérieure inutile. Il a été fondé à admettre que leur ré
sultat n’aboutirait qu’à celui qui lui était annoncé. On
ne saurait donc lui reprocher de s’en être abstenu.
On ne saurait, en effet, pousser à l’excès l’obligation
pour une partie de vérifier les faits sur lesquels s’appuye
l’autre partie. Celui qui traite de bonne foi peut et doit
admettre chez les autres la même bonne foi. Si l’on
ET DE LA FRAUDE.
�64
TRAITÉ DU DOL
croyait toujours au dol et à la fraude, les transactions
deviendraient extrêmement difficiles.
C’est dans ces idées qu’il faut apprécier la conduite
de celui qui se prétend victime d’un dol ; et, s’il est vrai
que sa volonté n’a été entraînée que par le mensonge et
la ruse, on ne saurait méconnaître ses droits à une juste
réparation.
On voit par cet exemple ce qui caractérise le dol po
sitif par paroles. C’est la réunion du mensonge, rendu
probable par les documents qui l’appuient et le corro
borent. C’est dans ces termes qu’il se produira le plus
souvent.
^ 3 . — Au reste , si le mensonge seul est rarement
dans le cas de constituer le dol, la preuve acquise de
son existence , sa gravité , ses conséquences nécessaires
pourraient, dans certains cas, constituer l’erreur prévue
par la loi, donnant matière à la résiliation du contrat.
9 4. —■ Il y a dol négatif ou par réticence lorsqu’on
lait ou qu’on dissimule un fait dont la connaissance im
porte à l’autre partie et eût empêché la confection du
contrat.
Celui qui vend un animal atteint d’un vice rédhibi
toire, dont il connaît l’existence, sans la déclarer, com
met un véritable dol négatif. Il en est de même de celui
qui vend un immeuble dont il sait que la démolition
est ordonnée par l’autorité , et qui le laisse ignorer à
l’acquéreur.
�V
65
95. — Ce dol est parfaitement admis en droit ro
main : Dolum malum a se abesse vemdilor debet , qui
non tantum in eo est, qui fallendi causa obscure loquitur, sed etiam qui insidiose dissimulât.'
Notre droit ancien avait admis la même doctrine; on
la trouve exposée avec soin dans les ouvrages de l’illus
tre Pothier.2
ET DE LA FRAUDE.
96. — Aujourd’hui le principe en lui-même ne sau
rait souffrir la moindre difficulté ; il n’en est pas de mê
me dans son application. La question de savoir à quels
caractères on reconnaîtra la réticence frauduleuse, sur
tout lorsqu’il s’agira des qualités de la chose, peut pré
senter des doutes sérieux. Il est, en effet, des éclaircis—
cissements qu’aucune loi n’oblige de donner. C’est à ce
lui qui y a intérêt à se les procurer, soit par lui-même,
soit par l’entremise des gens experts dont il doit invo
quer et employer les connaissances.
C’est sans doute pour concilier toutes choses que la
loi a constitué les magistrats appréciateurs souverains
de la nature, de la gravité et des conséquences de la ré
ticence signalée à leur justice. Quelle qu’elle soit, leur
décision sur ce point échappe à toute censure.
97. — C’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour de
cassation, du 5 décembre 1838, rejetant le pourvoi for*
1 L. 43, Dig. De contr. empl.
Voy. notamment Traité de la vente, n03, 234 et suiv.
2
I
S)
�66
TRAITÉ DU DOL
mé contre un arrêt de la Cour d’appel de Rennes, du
29 août 1837.
Or cet arrêt décidait que le silence gardé par un cré
ancier connaissant le mauvais état des affaires d’une suc
cession , lorsqu’en sa présence on annonçait aux héri
tiers que la succession offrait un actif important, décla
ration qui a déterminé ceux-ci à accepter purement et
simplement, a pu constituer un dol au moins par réti
cence, lequel donne aux héritiers le droit de se faire res
tituer contre leur acceptation.'
98. — Déjà la Cour de cassation avait, par un ar
rêt précédent, considéré comme dol négatif la conduite
d’un plaideur qui, par les qualités qu’il prend et le mo
de de défense qu’il adopte, entretient à dessein son ad
versaire dans une erreur qui finit par être funeste, en
opérant une prescription ; qu’on devait en conséquence
déclarer ce plaideur coupable d’un véritable dol et pas
sible des dommages-intérêts résultant de l’erreur qu’il a
entretenue, et dont il a profité.
Voici l’espèce sur laquelle est intervenue cette remar
quable décision :
« En 1762,décès de l’abbé Masson. Il lègue à la dame
Pivert, sa gouvernante, les domaines de la Birotière et
de la Gaillotière. Le testament reste inconnu. Ses héritiers
naturels s’emparent de la succession ; cèdent, rétrocè
dent; bref, en 1785, il se fait un partage par lequel le
1 D. P., 39, \, 40.
�67
domaine de la Birotière échoit à un sieur Masson , et
celui de la Gaillotière à un sieur Chessé.
» Le 14 juillet 1791, les époux Gilbert, représentants
de la dame Pivert, ayant connu le testament, assignè
rent au Tribunal du district des Sables-d’Olonne , les
deux frères Masson, qui seuls paraissaient en possession
de toute l’hérédité :
» 1° Pour voir dire et ordonner que la donation faite
à la dame Pivert sera entérinée aux charges de droit ;
» 2° Pour se voir condamner à délivrer aux requé
rants les choses à eux léguées.
» Le sieur Louis Masson répondit qu’il n’était pas
seul héritier. Pressé de faire connaître ses cohéritiers,
il en indiqua un grand nombre.
» Les Gilbert, par exploits des 18 , 20 et 23 juin
1792, citent en conciliation quinze héritiers qu’on leur
avait indiqués. Les assignés répondent qu’ils ont cédé
leurs droits successifs au sieur Louis Masson, lequel, au
moyen de cette cession, est resté possesseur des domai
nes dépendant de la succession, et s’est obligé formelle
ment, envers les comparants et autres cohéritiers, à les
garantir de tous événements qui pourraient résulter de
cette succession.
» Traduits devant le Tribunal, tous font défaut, à la
réserve néanmoins d’un sieur Masson du Gert et d’une
dame Thérèse Masson, qui, de concert avec Louis Mas
son, et quoique sans intérêt, puisqu’ils avaient cédé leurs
droits successifs , répondirent qu’ils ne pouvaient s’ex
pliquer , tant sur la forme qu’au fonds , sans que tous
ET DE LA FRAUDE.
�s
68
. TRAITÉ DU DOL
les héritiers, dont ils donnent une liste nombreuse, aient
été mis en cause , attendu que leur défense était com
mune.
» Après cela, Louis Masson prétendit que le testateur
n’avait pas la propriété des choses léguées.
» Le sieur Gilbert, après de dispendieuses recherches
des titres, donna satisfaction sur ce point.
» Masson prétendit encore que le testament était nul;
enfin lui et son frère, dont il a depuis hérité, furent con
damnés par forclusion, le 19 avril 1794 , à exécuter le
testament et à délivrer aux mariés Gilbert les métairies
de la Birotière et de la Gaillotière.
Appel. — 23 prairial an xii , arrêt de la Cour d’ap
pel de Poitiers qui entérine le testament, ordonne que
Louis Masson, pour la partie qui le concerne, fera dé
livrance aux Gilbert des métairies de la Birotière et de
la Gaillotière, avec restitution des fruits.
» Sur l’exécution de cet arrêt, nouvelles difficultés de
Louis Masson. L’incident est porté devant la Cour d’ap
pel. Enfin Masson signifie, le 7 frimaire an xiv, un acte
authentique du 1er juin 1783, jusque là tenu secret, du
quel il résulte que Chessé. par suite d’achat de la por
tion de quelques-uns des héritiers, était en possession
du domaine de la Gaillotière.
» Après le règlement de cet incident, Masson restitue
la Birotière. Alors Chessé forme tierce-opposition à l’ar
rêt de l’an xii, au chef qui ordonnait la restitution de
la Gaillotière, il appelle devant la Cour tant les Gilbert
que Louis Masson.
�69
» La tierce-opposition de Chessé était fondée sur la
prescription décennale. L’acquisition de cette prescrip
tion n’était due qu’au silence gardé, pendant l’instan
ce, par Masson , et aux manœuvres auxquelles il avait
eu recours dans sa défense. Aussi les Gilbert, après avoir
repoussé le moyen invoqué par Chessé, demandaient-ils
subsidiairement que Masson fût déclaré coupanle de dol
à leur égard e t, comme tel, tenu de les indemniser du
préjudice qu’ils éprouvaient.
. » La tierce-opposition de Chessé ayant été accueillie,
voici en quels termes la Cour de Poitiers statua et admit
les conclusions subsidiaires des Gilbert :
» Considérant que le sieur Masson a seul soutenu le
procès jugé par l’arrêt du 23 prairial an , et où la
contestation portait sur le domaine de la Gaillotière, en
s’annonçant comme ayant seul, et par cession, les droits
de tous les héritiers, et en ne démentant pas l’assertion
faite par ses cohéritiers qu’il était leur cessionnaire;
qu’il s’est fait considérer comme seul détenteur de la
Gaillotière ; qu’il a ainsi induit en erreur Gilbert ; qu’il
en résulte un dol qui le rend responsable envers celuici de l’impossibilité où il est aujourd’hui de faire dé
laisser ledit domaine.
» Considérant au surplus que, dans le cas où Gilbert
aurait formé en temps utile une action contre Chessé,
celui-ci eût eu une garantie à exercer contre Masson,
résultant de l’éviction dudit domaine ; et que le sieur
Masson profitant de la prescription acquise par le sieur
ET DE LA FRAUDE.
xii
�TRAITÉ DU DOL
70
Chessé, il se trouverait gagner le plus , contre la maxi
me : Nemini sua fraus patrocinari debet. »
C’est avec raison que la Cour de Poitiers relevait ce
caractère dans le dol qu’elle punissait. L’intérêt person
nel que Masson avait à ce que Chessé fût couvert par la
prescription, enlevait à sa conduite toute idée de bonne
foi et établissait ainsi le consilium fraudis, dont la dé
chéance de Gilbert était Yeventus damni. La réunion de
cette double condition constituait donc le dol punissable
et légitimait la répression qui en était faite.
Vainement aussi le sieur Masson se pourvût-il en cas
sation ; vainement excipa-t-il des termes dans lesquels
la loi romaine définit le dol, pour soutenir qu’on ne
pouvait trouver dans sa conduite les manœuvres, les ru
ses , les tromperies exigées pour le caractériser ; vaine
ment enfin faisait-il observer que dans l’instruction du
procès il n’avait fait qu’user d’un droit, la Cour de cas
sation n’en rejeta pas moins son pourvoi par arrêt du S
février 1812, qui dispose en ces termes :
« Considérant que la Cour d’appel a déclaré constant,
non seulement que Masson n’avait pas donné aux héri
tiers Gilbert des éclaircissements que la loi ne l’obligeait
peut-être pas rigoureusement à fournir à ses adversai
res, mais qu’à cette réticence plus ou moins excusable,
joignant l’astuce et la finesse dans la manière dont il avait procédé , dans les qualités qu’il a prises et dans le
genre de défense qu’il a adopté, il est parvenu à donner
aux héritiers Gilbert le change sur les poursuites qu’ils
avaient à faire pour recouvrer la propriété de la métairie
�71
de la Gaillotière, et à laisser ainsi à Chessé le temps
d’acquérir la prescription décennale, dont il devait pro
fiter lui-même, en s’affranchissant du recours en garan
tie que Chessé aurait exercé contre lui en cas d’éviction;
que, d’après ces faits déclarés constants, la Cour d’appel
a pu, comme elle l’a fait, appliquer à Masson les lois
qui définissent le dol : Omnis calliditas et fallacio, ad
decipiendum alterum adhibita.' »
ET DE LA FRAUDE.
99. —• Il résulte de ce monument de jurisprudence
que tous moyens employés pour entretenir une erreur
peuvent devenir un dol, alors que leur emploi est ac
compagné d’une réticence à l’appui de laquelle cet em
ploi est réalisé. Sans doute celui qui, dans une instance,
use des voies dilatoires autorisées par la loi, jouit d’un
droit, mais l’exercice d’un droit ne peut jamais faire to
lérer le préjudice que sciemment on a l’intention de cau
ser. Cela est surtout vrai lorsqu’on a soi-même un inté
rêt à agir ainsi.
Il en résulte encore que les tribunaux sont souverains
dans l’appréciation des circonstances qui constituent le
dol, et que la constatation de l’existence de ces circons
tances, et de leur nature ne saurait donner ouverture à
cassation.
100. — L’art. 348 du Code de commerce contient,
en matière d’assurances, un exemple formel du dol né-
�TRAITÉ DU DOL
72
gatif : « Toute réticence, toute fausse déclaration, toute
différence entre le contrat d’assurance et le connaisse
ment, qui diminueraient l’opinion du risque ou en chan
geraient le sujet, annulent l’assurance. »
L’économie de cette disposition fournit, à notre avis,
un moyen sûr d’apprécier le dol négatif. Ainsi on dé
clarera tel tout mensonge, toute dissimulation dont l’ob
jet a été de mettre une partie dans l’impossibilité de dé
fendre suffisamment ses intérêts, ou de calculer l’éten
due de son obligation relativement à Téquivalent qu’elle
doit recevoir; c’est ainsi que le droit romain punissait
celui qui non solum obscure loquitur , sed qui insidiose
dissimulât.
§ IV.
D o l P o s t é r ie u r
au
C o n tr a t.
SOM MAIRE.
101.
102.
103.
104.
Origine et nature de ce dol.
Ses caractères.
Peut naître à la suite d’une simulation licite.
Exemple emprunté à Toullier.
�73
10Ï. — Dans les cas les plus ordinaires, le dol pré
cède le contrat, qui en devient la consommation. C’est
pourquoi la convention n’ayant pas d’autre base, sa va
lidité est dans le cas d’être contestée, soit au fonds, soit
relativement à quelques-unes de ses conditions.
C’est là évidemment le dol dont parle l’art. 1116 du
Code civil.
Il arrive cependant qu’un contrat pur de toute man
œuvre , consenti et proposé librement , se trouve vicié
dans son exécution. L’une des parties , abusant de la
confiance qui lui a été témoignée, cherche à en profiter
pour s’enrichir aux dépens de celui qui a traité avec elle.
Cette prétention constitue le dol postérieur au contrat,
c’est-à-dire commis à l’occasion et par suite du contrat
même. C’est ce qui se réalise le plus souvent à la suite
d’actes simulés , ayant pour objet de tromper des tiers
ou d’éluder une disposition prohibitive de la loi.
Ainsi un débiteur, pressé par ses engagements et dans
l’intention d’en éviter les conséquences, aliène ses biens
au moins d’une manière ostensible, vend ses immeubles,
dépose ses meubles en mains tierces , concède quittance
à ses propres débiteurs, et cela sans avoir touché ni le
prix, ni la valeur.
S’il existe une déclaration de la part des prétendus ac
quéreurs ou* dépositaires, si les quittances ont été suivies
de contre-lettres en déterminant la nature et le carac
tère, l’auteur de ces actes n’a rien à craindre. Tout ce
qu’il a à redouter, c’est que ses créanciers, connaissant
la véritable signification des traités qu’il. a consentis,
ET DE LA FRAUDE.
�74
TRAITÉ DU DOL
n’obtiennent leur paiement ou le poursuivent sur ses
biens, même entre les mains des détenteurs actuels.
Mais il n’en est pas de même lorsque celui qui a re
cours à la fraude , suivant la foi de ses complices , n’a
pas cru devoir exiger d’eux des contre-lettres. Celui qui
a été assez peu délicat pour se prêter à une pareille com
plicité, peut être tenté de faire tourner la fraude à son
bénéfice. C’est ainsi qu’on a vu des individus, qui étaient
devenus acquéreurs ou créanciers de complaisance, sou
tenir, soit contre l’auteur des actes, soit contre ses héri
tiers , que les ventes sont réelles et les obligations sin
cères.
Dans d’autres circonstances, des personnes instituées
pour transmettre à des individus déclarés incapables par
la loi, ont prétendu retenir personnellement ce qu’elles
n’ont reçu qu’à la charge de rendre, dénaturer ainsi la
volonté de l’instituant, et frustrer les objets de son affec
tion d’un avantage dont il a voulu les gratifier.
102. —• Des actes de cette nature constituent non
seulement un dol, mais encore, comme Toullier le fait
remarquer, un vol véritable, en prenant ce mot dans son
acception la plus étendue. Il y a là, en effet, la machi
nation frauduleuse en même temps qu’un abus de con
fiance et une rétention illicite du bien d’autrui.
Mais évidemment ce dol n’a pas même pu être prévu
au moment du contrat. Dans tous les cas , il est resté
sans influence sur son acceptation. L’engagement a été
volontairement souscrit. Le dol ne rentre donc plus ni
�75
dans les dispositions de l’art. 4116, ni dans la catégorie
du dol accidentel. Cette différence de caractère indique
et justifie une différence dans les conséquences et dans
l’application des principes qui régissent la preuve du
dol en général.'
ET DE LA. FRAUDE.
105. — Le dol postérieur au contrat peut naître à
la suite d’une simulation licite. Ainsi , sur le point de
contracter mariage, deux personnes font rédiger, pardevant notaire, leurs conventions matrimoniales. Le fu
tur reconnaît recevoir à l’instant même la dot de la
future , quoique , dans le fait , cette dot n’ait pas été
comptée, soit qu’on l’ait simplement promise , soit que
la reconnaissance d’une dot ne contienne qu’une vérita
ble libéralité , en vue du mariage , faite à la future par
le futur. Mais il arrive que le mariage ne s’accomplit
pas , soit par le refus , soit par la mort de l’un des fu
turs. Cependant la future on ses héritiers , armés de la
clause du contrat , demandent la restitution de la dot
qu’ils savent bien n’avoir jamais été comptée.
104. — M. Toullier cite un second exemple de dol,
né d’une simulation licite. Paul , célibataire , donne à
Pierre le fonds cornélien, sous la forme d’un contrat de
vente, dont le prix, fixé à 30,000 fr., est dit payé comp
tant; il se marie ensuite , et il a des enfants. Il notifie
leur naissance à Pierre , et demande la révocation du
�76
TRAITÉ DU DOL
contrat, en soutenant qu’il est simulée; que c’est une
donation déguisée sous la forme d’un contrat de vente,
et qui est de plein droit révoquée par la survenance
d’enfants. Mais Pierre a la mauvaise foi de nier ce ca
ractère de l’acte, et soutient que la vente est réelle; que
le pris en a été sérieusement payé.
Dans cet exemple , comme dans ceux qui précèdent,
l’acte attaqué a été, sans contredit, le produit spontané
de la volonté éclairée et libre des deux parties. Le dol
ne naît qu’au moment où, faussant cette intention, l’une
d’elles veut faire produire à l’acte des effets qu’il n’a ja
mais été dans la pensée commune de. lui donner. Cette
espèce de dol peut donc d’autant moins être confondue
avec celles qui précèdent, que celles-ci vicient l’acte, en
totalité ou en partie, dans son origine, tandis que le dol
postérieur au contrat suppose la préexistence d’une con
vention loyalement souscrite.
Ainsi caractérisé, ce dol se reconnaît parfaitement dans
ces paroles d’Ulpien : Cum enim quis pelai ex ea slipulatione, ipse dolo hoc facit, quodpelit.
�ET DE IA FRAUDE.
77
CHAPITRE II.
DIS LA PHEUVE DTJ DDL.
/
SOMMAIRE.
105. L’autorité due au titre ne s’efface que devant la preuve de
son illégitimité.
106 Cette preuve résultera de celle établissant le dol.
107. Le dol ne se présume jamais.
108. Exceptions à cette règle et division du chapitre.
105. — Nous avons déjà dit que le titre régulier, émané de la partie à qui on l’oppose, est présumé ren
fermer l’expression exacte de ses volontés. Celte pré
somption suffît pour en assurer l’exécution, tant qu’une
preuve contraire ne viendra pas l’anéantir et la détruire.
�78
TRAITÉ DU DOL
106. — Cette preuve contraire résultera de la justi
fication du dol. Son existence, en effet, annulera l’acte,
aux termes de l’art. 1116 du Code civil.
Pour la matière qui nous occupe, la loi fait donc dé
pendre la validité de l’acte de l’existence certaine des
manœuvres dont il est la conséquence. Aucun doute ne
saurait s’élever sur ce point ; la seule difficulté qui puisse
surgir porte uniquement sur les conditions, auxquelles
on devra reconnaître cette existence.
107. — À cet égard, l’art. 1116 nous apprend luimême que le dol ne se présume pas, qu’il doit être prou
vé. Cette prescription que nous trouvons dans toutes les
législations, est avouée par la raison et l’équité. Un con
sentement écrit suppose une intention conforme , et ce
n’est pas légèrement que l’on doit renverser les témoi
gnages qui régissent les transactions. C’est donc à celui
qui prétend n’avoir pas donné un consentement libre, à
justifier que celui dont il demande à être relevé lui a été
arraché par des voies déloyales et illégitimes.
108. — Cette obligation de prouver le dol existe—t—
elle dans toutes les circonstances et pour toutes les per
sonnes ? La solution affirmative s’induirait des termes
de l’art. 1116, que nous venons de rappeler ; mais il
importe de reconnaître que, généraliser ces termes d’une
manière trop absolue, serait s’exposer à commettre une
erreur de droit, la vérité étant au contraire qu’ils souf
frent exception dans plusieurs cas.
�79
Ainsi, il est des circonstances où le dol est présumé,
quelquefois même jusqu’à exclure la preuve du contrai
re, il suffit donc alors de prouver le fait auquel cette pré
somption est attachée ; ce fait est tantôt la qualité de la
partie, tantôt la nature de l’acte, tantôt enfin son carac
tère et les circonstances dans lesquelles il s’est accompli.
Nous allons d’abord nous occuper des exceptions ;
nous rechercherons ensuite quel est, dans tous les autres
cas, le mode de preuve admissible en matière de dol.
ET DE LA FRAUDE.
-#æ SECTION r \
Du
Dol
p ré s u m é .
SOMMAI RE.
109. La convention souscrite par un incapable est pre'sume'e do
losive en sa faveur.
110. Personnes incapables de contracter.
111. Les incapacités del'art. 1124, tenant à des principes di
vers, produisent des effets différents.
112. Principe de l’incapacité pour les condamnés.
113. Pour les mineurs, interdits, les femmes mariées.
�80
TRAITÉ DU DOL
114. Application de la règle restituitur minor non tanquam
minor, sed tanquam lœsus.
115. Opinion de l’orateur du Gouvernement.
116. Opinion de l’orateur du Tribunat.
117. Les mineurs français sont donc tous classés dans la catégo
rie des pubères romains.
118. La nullité de leurs engagements réside donc dans la lésion
présumée.
119. Légitimité de cette présomption.
120. Elle résultait du caractère même de l’engagement.
121. Arrêt conforme de la Cour de cassation.
122. Cet arrêt condamne la doctrine de MM. Toullier et Troplong , sur les engagements souscrits par les mineurs,
hors la présence du tuteur.
123. Avantages de la doctrine de l’arrêt.
124. 11 en résulte que les actes faits par le mineur , assisté de
son tuteur, ne peuvent être attaqués que comme le se
raient ceux faits par le majeur.
125. Le mineur ne peut être relevé de son dol.
126. Le dol du mineur contre le majeur n ’est jamais présumé.
127. Le mineur autorisé à faire le commerce est assimilé au ma
jeur, pour tous les actes de ce commerce seulement.
128. L’interdit est assimilé au mineur.
129. Mais les actes postérieurs au jugement d’interdiction ne
peuvent jamais être validés.
130. La nullité de ces actes est purement relative.
131. Les actes antérieurs au jugement d’interdiction sont pré
sumés valables.
132. Dans quel cas admettait-on la présomption contraire?
133. Les engagements souscrits par la femme ,sans l’autorisa
tion de son mari, sont présumés frauduleux.
134. Tout traité intervenu entre le tuteur et le mineur devenu
majeur est nul, comme dolosif, si les formalités de l’art.
472 n’ont pas été remplies.
135. Motifs du législateur.
�ET DE IA FRAUDE.
81
136. Nature des obligations du tuteur.
137. Leur accomplissement doit être prouvé par écrit..
138. La présomption de dol résultant de leur inaccomplissement
' est juris et de jure.
139. Le récépissé à donner par le mineur peut être fourni au
bas du compte, ou par acte séparé. Le délai ne court que
du jour où il a acquis date certaine.
140. L’art. 472 proscrit-il toute espèce de traité ? — S’appliquet-il seulement aux traités intervenus sur la gestion tu
télaire ?
141. L’affirmative, dans le premier sens, est enseigné par Merlin.
142. Réfutation.
143. Le mineur qui attaque le traité n’aura donc qu’à justifier
de l’inaccomplissement des formalités édictées par l’ar
ticle 472.
144. La présomption de dol admet-elle la preuve contraire? —
Arrêt de la Cour de Toulouse qui le décide.
145. Dissentiment et réfutation.
146. Arrêt contraire, de la Cour d’Aix, bien préférable.
147. Solution de la question sur la nature de là présomption.
148. Celle de savoir si la reddition a été complète, doit recevoir
une tout autre solution. — Arrêts en ce sens.
149. La nullité du traité n’étant pas susceptible de ratification,
n’est pas couverte par l ’exécution.
150. Arrêt de la Cour de cassation, mal à propos indiqué comme
jugeant le sens contraire.
151. Conséquences du caractère pureme'nt personnel de la pré
somption.
152. L’action qu’elle autorise passe-t-elle à l’héritier du mineur?
153. Utilité du principe de la personnalité de l’action relative
ment aux donations entre vifs ou testamentaires, faites
par le mineur à son tuteur.
154. Le testament du mineur , fait contrairement aux disposi
tions de l’art. 907, est attaquable par ses héritiers.—Les
donations entre vifs le sont par le mineur lui-même,
i
6
�-1
82
TRAITÉ DU DOL
155. Recevabilité de l’action des héritiers, suivant que la libéra
lité a précédé la reddition du compte , ou suivi la reddi
tion irrégulière.
156. La mort du mineur sans qu’il eût querellé le compte irré
gulier,ou la prescription de l’action en nullité, assurerait
le sort de la libéralité.
157. Arrêt conforme de la Cour d’Aix.
158. Mal fondé du reproche que M. Dalloz fait à cet arrêt, qu’il
déclare être en contradiction avec un autre arrêt de la
Cour de Cassation.
159. Différence entre ces deux espèces.
160. Conclusion.
161. Le dol est encore présumé dans les libéralités dont se pré
occupe l’art. 909 du Code civil.
162. Motifs de cette présomption et de la nullité en résultant.
163. Conditions donnant naissance à l’action.
164. Devoir de celui qui l’intente.
165. L’incapacité se déduit plutôt du fait du traitement que de la
qualité de la personne.—Conséquences pour les person
nes qui se sont immiscées dans l’art de guérir, sans au
cun titre pour le faire.
166. Arrêts divers sur la matière.
167. L’incapacité de l’art. 909 atteint-elle les sage-femmes ?
168. Quid des garde-malades ?
169. Le traitement motivant l’incapacité comment devra-t-il être
constaté ?
170. L’incapacité des médecins, chirurgiens, etc., est étendue
par la loi aur'ministre du culte. — Sagesse de cette dis
position.
171. Nature de celte incapacité—Quelles en sont les conditions.
172. Arrêt de Toulouse pour un prêtre qui n’avait pas confessé
le malade pendant sa dernière maladie.
173. Faut-il dès lors admettre, comme l’a fait la Cour de Greno
ble, que la confession seule crée l’incapacité ?
174. Conséquences et danger de celte doctrine.
�ET DE LA. FRAUDE.
83
175. Ce qu’il faut seulement en conclure, c’est que l’apprécia
tion de la conduite du prêtre, comme des médecins, est
laissée à l’arbitrage du juge.
176. La présomption de dol, créée par l’art. 909, est juris et de
jure.—La disposition est donc nulle, sauf les exceptions
prévues par la loi. Caractères de celles-ci.
177. Une institution générale n’est jamais considérée comme un
acte rémunératoire.
178. Mode d’appréciation de l’institution particulière.
179. L’institution universelle, faite à un parent au quatrième de
gré est valable.
/
180. Les dispositions de l’art. 909 sont irritantes. — Elles ne
reçoivent donc que les exceptions formellement prévues.
181. Doit-on appliquer ces principes aux personnes qui , sans
caractère légal, ont traité le testateur lors de sa dernière
maladie?
182. Arrêt de la Cour de cassation. — Conséquences.
183. Esprit de la disposition exigeant que la libéralité.ait eu lieu
pendant la dernière maladie.
184. La libéralité proscrite par l’art. 909, déguisée sous la forme
d’un contrat onéreux, n’en est pas moins nulle. — Con
séquences.
185. Dol présumé dans la disposition de l’art. 1965.— Différence
entre la dette du jeu et la dette dolosive.
186. Dol présumé en matière d’assurances maritimes.
187. Motifs de la sévérité de la législation.
188. A proprement parler, l’art. 348 n’a fait que convertir en loi
des inductions que la pratique avait tirée de l’ordonnance
de 1681.
189. Conséquences du silence gardé par celle-ci sur les réticen
ces ou fausses déclarations — Controverse entre les au
teurs.
190. Opinion de Valin, d’Emérigon et de Polhier.
191. Le Code de commerce a tranché toute difficulté, en présu
mant le dol et en annulant l’assurance dans les cas qu’il
prévoit.
�84
TRAITÉ DU DOL
192. _ Motifs de cette dérogation au droit commun, en matière de
dol.
193. Le Gode de commerce n’exige même pas que l’assuré ait agi
dans l'intention de frauder. — Il suffit que le fait repro
ché ait influé sur le risque.
194. Décision du Tribunal de commerce de Marseille non attaquée
en appel.
195. L’application de l’art. 348 ne peut offrir de difficultés que
sur la certitude du fait imputé , et sur son influence sur
le risque.— Pouvoirs du juge à cet égard.
196. Mais il est des faits dont l’omission a forcément influé sur
ce risque.
197. L’omission du nom et du domicile de l’assuré n’entre pas
dans cette catégorie.
198. Opinion contraire de M. Bernard : réfutation.
199. En général, l’omission de la qualité de propriétaire ou de
commissionuaire est de peu d’importance.
200. Lorsque la connaissance du véritable propriétaire pouvait
influer sur le risque , les assureurs sont toujours admis
à agiter la question de propriété, malgré les énonciations
de la police.
201. L’assurance faite par un créancier est-elle valable ?
202. Utilité de la déclaration qu’on agit comme mandataire.
203. Cas dans lequel l’omission du nom du mandant constitue
rait une réticence dolosive.
204. La connaissance du navire chargé du risque est un des élé
ments essentiels de l’assurance.
205. Quel est l’effet de l’omission dtf nom et de la désignation ?
206. Quid de la fausse déclaration ?
207. Quelle doit être l’importance de l’inexactitude ou de l’er
reur?
208. Que faut-il entendre par la désignation du navire.
209. Le nom et la désignation du navire ne sont pas requis dans
le cas de l’art. 337 du Code de commerce.
210. La désignation du nom du capitaine peut influer sur le ris
que.
�ET DE LA FRAUDE.
211. Différence entre l’omission et la fausse déclaration.
85
212 Effet du remplacement du capitaine désigné.
213. La clause ou tout autre pour lui détruit-elle l’effet de la
fausse déclaration ?
214. Cas dans lesquels l’omission du lieu où les marchandises
ont été ou doivent être chargées n’annulle pas l’assu
rance.
215. Effet de la fausse déclaration ou de l’inexactitude à cet égard.
216. Tout ce qui touche à la navigation du navire, le port d’où il
doit partir, les ports ou rades dans lesquels il doit char
ger, décharger, entrer, est essentiel à la validité de l’as
surance.
217. Si le navire est en cours de voyage, et que le fait n’ait pas
été déclaré, il y a rélicence dolosive.
218. Arrêt conforme delà Cour d’Aix.
219. Arrêt de la Cour de Bordeaux.
220. Conclusion.
221. Nécessité de la déclaration des ports et rades dans lesquels
le navire doit entrer, charger ou décharger.
222 Exceptions à cette obligation.
223. Effets de l’omission de la désignation du moment où le ris
que commence et où il finit.
224. Obligation pour les assurés de déclarer, sous peine de réti
cence dolosive, toutes les circonslances de la navigation.
225. La présomption de dol admise par l’art. 348 est juris et de
.
.
jure.
226. Elle est exclusivement introduite pour les assureurs.
227. Résumé.
228. La preuve de la réticence est à la charge de l’assureur qui
en excipe. — Mode de preuve admissible.
229. Comment l’assuré pourra-t-il prouver qu’il a fait connaître
le fait qu’on l’accuse d’avoir caché.
230. La police d’assurance n’admet pas la preuve teslimoniale
outre et contre son contenu. — Jurisprudence conforme.
�86
TRAITÉ DU DOL
100. — La convention souscrite par un incapable,
est présumée dolosive en sa faveur.
ISO. — L’art. 1124 du Code civil déclare incapa
bles de contracter les mineurs, les interdits, les femmes
mariées, tous ceux à qui la loi interdit certains contrats.
Dans cette catégorie se rangent les personnes pourvues
d’un conseil judiciaire, celles frappées d’incapacité par
suite de jugements ou arrêts criminels.
S SS. — Ces incapacités rangées sur une même ligne
par l’art. 1124 , ne procédant pas toutes de la même
cause, produisent des effets différents, selon qu’elles sont
plus ou moins absolues.
En thèse générale, les mineurs non émancipés et les
interdits sont absolument incapables; les femmes ma
riées, les personnes placées sous l’assistance d’un conseil
judiciaire ne sont incapables qu’au regard de certains
actes déterminés par la loi. Les incapacités résultant de
condamnations criminelles , notamment de la mort ci
vile, sont générales et absolues.
De là cette conséquence que les actes souscrits par les
mineurs, les interdits , les condamnés , et ceux émanés
des femmes et des personnes soumises à un conseil ju
diciaire, hors les cas où elles sont autorisées à agir, sont
susceptibles d’être annulés sur leur réclamation.
112. — Quel est le principe de celte nullité? Pour
les condamnés, c’est évidemment l’absence de toute ca-
�87
parité ; et ce qui le prouve, c’est que la nullité est ab
solue , qu’elle profite même aux personnes majeures et
capables ; qu’il suffit d’avoir été partie en l’acte , pour
être recevable à la demander.
ET DE LA FRAUDE.
113. — Pour les autres incapables, ce qui détermi
ne la nullité de leur engagement, c’est bien plutôt le dol
présumé que l’incapacité dont ils sont atteints. C’est ce
dont il est facile de se convaincre par le texte et l’esprit
de la loi.
114. — Le droit romain faisait résider le principe
de la restitution du mineur, non- dans la minorité, mais
dans une lésion prétendue : Restituüur rninor non lanquam minor, sed tanquam lœsus. Mais cela n’était vrai
que pour les mineurs devenus pubères et qui n’avaient
pas atteint leur vingt-cinquième année. Cette maxime
restait donc inapplicable aux mineurs de douze et de
quatorze ans ; elle n’avait même été introduite par le
droit prétorien que parce que, parvenu à cet âge, le mi
neur avait acquis la capacité civile, et qu’il était à crain
dre qu’on en abusât contre lui, mal protégé encore par
l’inexpérience et la faiblesse de son âge.
Sans doute la distinction entre les pubères et les im
pubères n’existe plus dans notre droit français. La loi
qui nous régit ne reconnaît plus que le mineur dans la
personne âgée de moins de vingt-un ans. Est-ce à dire
pour cela qu’elle a opté pour l’incapacité absolue des
impubères, de préférence à la condition plus mitigée qui
était faite aux pubères ?
�88
TRAITÉ DU DOL
Laissons la loi elle-même nous expliquer le choix
qu’elle a fait entre ces divers modes , et nous instruire
des raisons qui l’ont déterminée.
115. — « Il faudrait, disait M. Bigot de Préame
neu, dans l’exposé des motifs de l’art. USA, si on vou
lait prononcer, à raison de l’âge, une incapacité absolue
de contracter , fixer une époque de la vie , et comment
discerner celle où on devrait présumer un défaut total
d’intelligence. Ne faudrait-il point distinguer les classes
de la société où il y a le moins d’instruction ? Le résul
tat d’une opération aussi compliquée , aussi arbitraire,
ne serait-il pas de compromettre l’intérêt des impubères
au lieu de le protéger ? Dans leur qualité de mineurs,
la moindre lésion suffit pour qu’ils se fassent restituer :
ils n’ont pas besoin de recevoir de la loi d’autres secours.
» Supposera-t-on qu’une personne, ayant la capacité
de s’obliger , contracte avec un enfant qui n’ait point
encore l’usage de la raison, lorsqu’elle ne pourra en ti
rer aucun avantage ? On n’a point à prévoir dans la loi
ce qui est contre l’ordre naturel, et presque sans exem
ple. »
Ailleurs , et sous l’art. '1305, le même orateur ajou
tait : « Il résulte de l’incapacité du mineur non éman
cipé, qu’il suffit qu’il éprouve une lésion pour que son
action en rescision soit fondée ; s’il n’était pas lésé , il
n’aurait pas intérêt à se pourvoir; et la loi lui serait
même préjudiciable, si, sous prétexte de l’incapacité, un
contrat qui lui est avantageux pouvait être annulé. Le
�89
résultat de son incapacité est de ne pouvoir être lésé, et
non de ne pouvoir contracter :Restiluitur tanquam lœms,
non tanquam minor. »
ET DE LA FRAUDE.
116. — Enfin , dans son rapport au Tribunat, M.
Jaubert se livrait à des observations analogues : « Il est
bien vrai, disait-il, qu’en règle générale un mineur est
déclaré incapable de contracter ; mais un mineur peut
être capable de discernement : le lien de l’équité natu
relle peut se trouver dans un contrat passé par un mi
neur.
» Voilà pourquoi la loi a dû distinguer.
» S’il s’agit d’un mineur non émancipé , la simple
lésion donne lieu à la rescision en sa faveur.
» Il ne sera pas restitué comme mineur , il pourra
1elre comme lésé. »
117. ~ Ces considérations , qui ont présidé à l’a
doption de la loi, sont décisives ; on a donc rangé tous
les mineurs dans la catégorie des pubères romains, l’art.
1125 en fournit d’ailleurs une autre preuve incontes
table.
Si la nullité résultant de la minorité était la consé
quence du défaut de capacité, l’acte que le mineur au
rait souscrit manquerait de sanction et dé lien obliga
toire. L’art. 1134 ne donne aux conventions force de
loi, à l’égard des parties , que lorsque ces conventions
sont légalement formées. Or, celles auxquelles des mi
neurs auraient concouru seraient évidemment privées de
ce caractère.
�90
TRAITÉ DU DDL
En effet, l’art. 1108 du Code civil fait de la capacité
des parties une des conditions substantielles du contrat.
Si cette condition ne se rencontre pas, le contrat est at
teint dans son essence et n’existe réellement pas.
De là, pour toutes les parties, la faculté et le droit de
le faire dissoudre. C’est ce qui se réalise, nous le disions
tout à l’heure , dans l’hypothèse d’une convention con
tractée avec ou par une personne morte civilement. Ce
n’est là d’ailleurs que l’application d’une maxime incon
testable : Qnod nullum est, milium producil effectum.
S i8. — Pourquoi donc l’art. 1125 prive-t-il les
parties majeures du pouvoir de demander la nullité de
l’acte souscrit par un incapable ? Evidemment si le mo
tif de cette nullité était le même dans les deux cas , on
n’eût pas admis une différence si notoire dans les résul
tats ; il faut donc, de ce que cette différence existe, con
clure qu’ainsi que nous le disent les orateurs du gou
vernement , l’invalidité de l’engagement du mineur est
due non pas tant à son incapacité qu’à une pensée de
dommage résultant de cet engagement.
Ü 9 . —- Cela est d’autant plus juste qu’il y a lésion
pour le mineur là où il n’en saurait exister aucune pour
le majeur. L’usage même que le mineur est dans le cas
de faire des sommes qu’il reçoit en minorité est de na
ture à constituer une lésion. C’est ainsi que l’art. 1312
du Code civil dispose que : lorsque les incapables sont
admis à se foire restituer contre leurs engagements , le
�f
IA FRAUDE.
91
remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de
ces engagements, payé pendant la minorité , l’interdic
tion ou le mariage, ne peut être exigé, à moins qu'il ne
soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit.
Le législateur suppose donc que le mineur a pu re
cevoir , sans avantage aucun , l’équivalent de l’engage
ment qu’il a souscrit ; qu’il a pu le dissiper follement et
sans fruit ; que par conséquent cet engagement n’a d’au
tre résultat que d’empirer sa position en l’obligeant de
restituer ce qu’il a consommé sans profit réel. Le ma
jeur qui détermine un pareil état de choses , commet
quelquefois plus qu’un dol. C’est ce qu’enseigne l’art.
406 du Code pénal, en prononçant une peine corporelle
contre celui qui abuse sciemment de la faiblesse , des
besoins ou des passions du mineur.
ET DE
120. — Ainsi, aux yeux du législateur, les obliga
tions du mineur ont ce double caractère. En ce qui le
concerne personnellement, elles sont censées un acte de
' dissipation ; à l’égard du majeur qui les a acceptées,
un acte de spéculation. M. Bigot de Préameneu nous le
disait lui-même : On ne traite pas avec un mineur lors
qu’on n’a pas avantage à le faire, les chances de pertes
que l’on peut entrevoir sont nécessairement compensées
par le bénéfice stipulé. C’est cette considération d’aban
don d’une part, d’indélicatesse de l’autre, qui justifie la
présomption de dol, sous le coup de laquelle ces obliga
tions sont placées.
Cette présomption existe : pour les mineurs non é-
�92
TRAITÉ DU DOL
mancipés, pour tous les actes auxquels ils se sont livrés;
pour les mineurs émancipés , seulement pour les actes
qui sont faits en dehors de la capacité que la loi leur
reconnaît. Elle est simplement juris pour les actes d’ad
ministration ; mais elle devient juris et de jure pour
ceux que la loi a environnés de formes habilitantes. La
nullité qui résulte de la violation de ces formes n’a pas
d’autres motifs que le danger que cette violation fait cou
rir au mineur et le préjudice qu’il est présumé en avoir
éprouvé.
121, — C’est ainsi que vient de le juger la Cour de
cassation, dans une espèce où un mineur avait passé, avec une compagnie de remplacements militaires, un con
trat par lequel celle-ci s’obligeait à le garantir contre
les chances du tirage, moyennant une somme de 650 fr.,
payable un mois après la décision du conseil de révi
sion qui déclarerait, pour une cause quelconque, le sieur
Havel (le mineur) libéré du service militaire. Ravel ob
tint un bon numéro , et le 15 septembre 1839 intervint
la décision qui prononçait sa libération.
Poursuivi en paiement de la somme promise , Ravel
soutint la nullité de son engagement comme ayant été
souscrit en minorité ; on répondait qu’en droit le mi
neur n’était restituable qu’en cas de lésion , qu’en fait,
il n’en existait aucune ; que la valeur de l’engagement
se trouvant parfaitement en rapport avec la position de
l’obligé, devait être maintenue nonobstant l’état de mi
norité de ce dernier.
�93
Ravel, condamné par le Tribunal de S-Dié, se pour
vut en cassation. Son pourvoi , admis par la chambre
des requêtes, fut rejeté par la chambre civile, après une
solennelle discussion et un mûr délibéré dans la cham
bre du conseil ; voici l’arrêt intervenu et qui, comme
décision doctrinale, a une grave importance :
« Attendu que si le mineur a été mis, par l’art. 1124
du Code civil, au rang des personnes déclarées incapa
bles de contracter, l’art. 1125 porte qu’il ne peut atta
quer, pour cause d’incapacité, ses engagements que dans
les cas prévus par la loi ;
» Attendu que l’art. 1305, placé au titre de l’action
en nullité ou en rescision des conventions , déclare que
la simple lésion donne lieu à la rescision en faveur du
mineur non émancipé contre toutes sortes de conven
tions ;
» Attendu que les dispositions de cet article sont ap
plicables aux actes souscrits par le mineur non éman
cipé, sans l’intervention de son tuteur, et à l’égard des
quels des formes spéciales n’ont pas été déterminées par
la loi ;
» Attendu , en effet , que cela résulte, indépendam
ment du sens naturel et clair que présentent les expres
sions dans lesquelles cette première partie de l’article est
conçue, soit de son rapprochement avec la seconde qui,
accordant la même faveur au mineur émancipé contre
toutes les conventions qui excèdent sa capacité, n’est évidemment relative qu’au cas où ce dernier aurait traité
contrairement aux prescriptions de la loi , sans être asET DE LA FRAUDE.
�________________
94
TRAITÉ DU DOL
sisté de son curateur ; soit de la combinaison de cette
première partie avec les articles qui suivent, notamment
avec l’art. 1307, qui veut que la simple déclaration de
majorité, faite par le mineur , ne fasse point obstacle à
sa restitution, ce qui ne peut s’entendre que d’une dé
claration de majorité, faite en l’absence du tuteur ;
» Attendu que l’ensemble de la législation, sur la ca
pacité du mineur non émancipé,, n’est point en opposi
tion avec celte interprétation de l’art. 1305 du Code ci
vil, que tout ce que la loi a voulu dans les dispositions
où elle s’occupe des intérêts du mineur, c’est non pas
qu’il ne pût jamais contracter seul , mais qu’il ne fût
pas lésé en contractant ;
» Attendu que s’il en était autrement, si la qualité de
mineur suffisait, pour faire annuler , sans distinction,
toutes les conventions dans lesquelles le tuteur ne serait
pas intervenu, les dispositions par lesquelles la loi a
cherché à le protéger lui deviendraient préjudiciables, en
interdisant aux tiers la faculté de passer avec lui les
traités mêmes dont il pourrait tirer le plus d’avantages;
qu’en lui conservant, dans tous les cas , le droit de se
faire restituer pour la simple lésion, dont l’appréciation
est abandonnée à la sagesse des tribunaux, la loi a suf
fisamment pourvu à son intérêt.1»
122. — Cet arrêt condamne le système soutenu par
MM. Toullier et Troplong, à savoir : que l’art. 1124 est
1 18 juin 1844, D. P,, 44, \ . 225.
�95
applicable aux engagements souscrits par le mineur seul,
et qui sont dès lors rescindables indépendamment de
toute lésion ; et que l’art. \ 305 régit les engagements
souscrits par le mineur assisté de son tuteur. Ce systè
me, combattu par M. Duranton, n’a pas été admis par
la Cour de cassation, nous osons dire qu’il ne devait pas
l’être; celui de M. Duranton , consacré par l’arrêt qui
précède, est beaucoup plus conforme non seulement au
texte, mais encore à l’esprit de la loi et à l’intérêt véri
table du mineur.
ET DE LA. FRAUDE.
J 23. — Dans celui-ci, en effet, comme le remarque
M. Dalloz, la tutelle n’apparaît plus que comme une ins
titution qui prête au mineur un généreux secours , et
fournit aux tiers un moyen de contracter avec plus de
sécurité. Sans doute, le tuteur représente le mineur dans
les actes de la vie civile , et administre la personne et
les biens de ce dernier , voilà la règle ; mais l’exception
est aussi admise. Si le mineur trouve l’occasion défaire
des contrats utiles, la confiance et la bonne foi de ceux
qui auront traité avec lui, dans certaines limites, ne doit
pas être trompée. Le contr.ôle de la justice sanction
nera le contrat, si , dans son appréciation souveraine,
elle reconnaît que la convention présente le caractère
d’une convention sage , loyale et surtout non onéreuse au mineur. Cette doctrine , ajoute M. Dalloz , relève le
mineur et n’altère pas les principes de la tutelle ; les
droits du tuteur restent intacts, son initiative est toujours
respectée. Seulement dans les cas particuliers, où le mi-
�TRAITÉ DU DOL
96
neur aura personnellement traité, le contrat sera vala
ble , sauf, s’il y a lieu , l’épreuve de l’action en resci
sion.1
124. — Des principes qui précèdent, il résulte que
les actes faits par le mineur assisté de son tuteur, et qui
rentrent dans la catégorie de ceux prévus par l’art. 450
du Code civil , sont réguliers en la forme , valables au
fonds. En conséquence, ils échappent à la présomption
de dol. Le mineur ne peut en être relévé, vis-à-vis des
tiers, que dans les cas et aux conditions tracés pour les
majeurs.
125. — Le mineur peut-il être relevé de son dol?
L’affirmative ne saurait être admise. Le mineur a une
véritable capacité, quant aux conséquences des délits et
quasi-délits dont il se rend coupable; or le dol, tel qu’il
est déterminé par la loi, rentre évidemment dans la ca
tégorie de ces derniers , il oblige par conséquent le mi
neur.
Toutefois , il ne suffirait pas d’un mensonge plus ou
moins adroit, d’une réticence'plus ou moins insidieuse,
pour constituer le mineur en état de dol. En principe, la
déclaration de la majorité ne fait point obstacle à ce que
le mineur, de qui elle émane, soit restitué2. Il n’y au1 Voy. Toullier , t. vi, n°s 103 et suiv.; — Troplong , De la vente,
n°s 166 et suiv ; Hipoth , nos 448 et suiv.; — Duranton. t. x, n»* 278
et suiv.
3 Art. 1307 Cod civ
�97
rait donc aucun dol véritable, si, à celte déclaration, le
mineur n’avait pas ajouté des manœuvres, des artifices
de nature à en persuader la certitude.
Le caractère, l’appréciation des circonstances qui peu
vent constituer ces manœuvres, sont laissés à l’arbitrage
souverain du juge. C’est ainsi qu’il a été jugé que le mi
neur qui, conjointement avec ses frères majeurs, a pro
duit dans un ordre, en se qualifiant de majeur, et qui,
après avoir été isolément colloqué, a touché le montant
de son bordereau, ne peut, après la majorité , se faire
payer une seconde fois par l’acquéreur , sous prétexte
qu’il était incapable de recevoir lors du premier paye
ment.1
ET DE LA FRAUDE.
126. — Au reste , le dol du mineur contre le ma
jeur n’est jamais présumé, c’est donc à celui qui en exciperait, pour faire maintenir l’acte attaqué par le pre
mier, qu’incomberait la preuve de son existence.
127. — Le mineur autorisé, conformément à la loi,
à se livrer à l’exercice du commerce, est réputé majeur
pour tous les actes ressortissant de cette profession. Il
ne saurait en conséquence être relevé de ses engagements
que comme le majeur pourrait l’être lui-même.
Mais le mineur ne saurait trouver dans cet exercice
un moyen d’éluder la loi, qui pourrait être exploité con
tre lui. Aussi est-il de doctrine certaine :
1 Journal du Palais, Colmar,. 22 avril 1836.
I
7
�98
TRAITÉ DU DOU
] " Que cet exercice est restreint. aux actes qui con
cernent son négoce , qu’il ne peut s’étendre à d’autres
qui y seraient étrangers, et par lesquels le mineur s’en
gagerait pour autrui ; '
2” Que la cause commerciale ne se présume pas dans
les engagements du mineur commerçant, comme dans
ceux du majeur.3
Pour tous les actes qui ne rentreraient pas dans l’exer
cice de son commerce, ou qui seraient reconnus en ex
céder les limites, le mineur se trouverait placé sous l’em
pire des principes que nous venons de développer.
128. — L’interdit est assimilé aux mineurs, soumis
aux mêmes règles, participant aux mêmes avantages ; ce
que nous avons dit de celui-ci , relativement à la pré
somption dedol, s’applique donc, par une parité de rai
sons incontestables, aux actes faits par l’interdit.
129. — Cependant il faut remarquer qu’il y a entre
eux cette différence essentielle, à savoir : que le mineur
est dans certains cas susceptible de donner un consen
tement éclairé et obligatoire ; tandis que l’interdit, léga
lement convaincu d’être dans un état habituel d’imbé
cillité, de démence ou de fureur, en est réputé à tout ja
mais incapable.
De là la disposition de l’art. 502, qui considère corni Jousse, sur l’art. 8 de t’ordonn. de 1693; — Pardessus, n° 61.
�ET DE LA FRAUDE.
99
me nuis de droit tous les actes passés postérieurement
au jugement prononçant l’interdiction.
150. — Aux termes de l’art. 1125 du Code civil,
cette nullité , quoique de droit, est purement relative.
Les nullités, on le sait, sont des remèdes, remedium juris, que le législateur donne à celui à qui la convention
peut causer un préjudice. Il s’ensuit que lui seul peut
en réclamer le bénéfice. La prohibition contre les actes
passés depuis l’interdiction étant toute en faveur de l’in
terdit, personne autre que lui ne pourrait s’en préva
loir , même les parties capables qui auraient contracté
avec lui, En effet, en traitant avec un interdit, on s’ex
pose à une chance aléatoire, dont la réalisation dépend
de sa volonté, dont l’événement a été prévu ou a dû l’ê
tre au moment du contrat.
Vainement se plaindrait-on d’avoir ignoré l’interdic
tion, cette circonstance n’aurait aucune influence, au
cune porté, car on ne saurait être relevé de sa faute. Or,
chacun devant s’assurer de la condition de. celui avec
qui il traite , celui qui n’a pas pris les renseignements
suffisants , qui ne s’est pas livré à toutes les investiga
tions qui devaient l’éclairer, a commis une imprudence
dont il ne saurait être admis à récuser les conséquences.
Ainsi, la présomption de dol vicie, dans leur substan
ce, les actes postérieurs à l’interdiction. Il suffit donc,
pour, en déterminer la nullité, de prouver cette postério
rité; cette preuve faite , la présomption est juris et de
jure, c’est-à-dire qu’on ne saurait être admis à préten-
�TRAITÉ DO DOL
100
dre ou à justifier que l’acte a été fait dans un instant
lucide, ni à demander qu’il soit, maintenu sous prétexte
qu’il n’a occasionné aucun préjudice.
131. — Le jugement qui prononce l’interdiction
place donc celui qui en a été l’objet sous la présomption
d’insanité d’esprit et le fait considérer comme incapa
ble de donner un consentement réfléchi et libre. Mais
tant que ce jugement n’a été ni provoqué ni rendu,c’est
la présomption contraire qui est légalement acquise. En
conséquence , les actes faits dans cette période sont ré
putés valables.
132. — Mais cette présomption de validité fait place
à celle de dol : 1° si les causes qui ont motivé l’inter
diction existaient réellement au moment de l’acte ; 2° si
elles existaient notoirement. La preuve de cette existen
ce, de sa notoriété, est à la charge de celui qui attaque
l’acte. Si elle est produite , l’acte pourra être annulé,
c’est-à-dire que le défendeur pourra justifier que l’acte
a été fait dans un intervalle lucide ; qu’il ne renferme et.
ne peut renfermer aucun préjudice pour le demandeur.
Én d’autres termes , la présomption de dol qui naît de
l’existence et de la notoriété de la démence , de l’imbé
cillité ou de la fureur, est une présomption ju ris, ad
mettant la preuve contraire.
133. — La femme mariée ne peut contracter sans
l’autorisation de son mari. Les engagements qu’elle pren-
�et de; la fraude .
101
drait au mépris de cette prescription sont, pour ce qui
la concerne, frappés de nullité.
Le principe de cette nullité est le même que celui qui
fait annuler les actes des mineurs, accomplis en dehors
des formes habilitantes dont la loi les a entourés. En
conséquence, les effets en sont les mêmes, la nullité ré
sulte ipso facto et sans qu’il soit besoin d’examiner s’il
y a ou non préjudice. Ce point, aussi certain en doctri
ne qu’en jurisprudence, nous conduit à cette conséquen
ce : que les actes faits par la femme, hors de la présence
et sans l’autorisation de son mari, sont présumés frau
duleux ; que cette présomption est juris et de jure.
134-. — L’art. 472 du Code civil nous fournit un
remarquable exemple de dol présumé, en prononçant la
nullité de tout traité qui pourra intervenir entre le tuteur
et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé de la
reddition d’un compte détaillé et de la remise des pièces
justificatives, le tout constaté par un récépissé de l’oyantcompte, dix jours au moins avant le traité.
if
Ck.
\
U
H
133. — Cette disposition a, avec juste raison, prévu
un des plus graves dangers que pût courir le mineur
devenu majeur. La crainte , la reconnaissance , l’affec
tion, l’impatience de disposer en liberté d’une fortune
qu’il a à peine entrevue jusque là, pouvait le livrer sans
défense aux ruses d’un tuteur habile , dont l’ascendant
aurait facilement obtenu de son ignorance une décharge
complète de sa gestion , avant même qu’il eût été mis
dans le cas de l’apprécier.
"C
�102
TRAITÉ DU DOL
Il fallait donc faire un devoir au tuteur, comptable de
la gestion , d’exposer fidèlement au mineur toutes les
circonstances dont la connaissance devait le fixer sur sa
position, sur la nature de ses ressources, sur le mode
d’administration suivi jusqu’à ce jour; de là , l’obliga
tion de rendre compte.
Mais vainement celte obligation eût-elle été inscrite
dans la loi, si le défaut de sanction pénale eût laissé sa
transgression impunie. C’est surtout pour les tuteurs de
mauvaise foi que la loi a pris les précautions qu’elle or
donne ; et l’on comprend que plus le tuteur aurait prévariqué , plus il chercherait à déguiser sa conduite , à
tromper l’oyant-compte, à l’effet d’en obtenir sa libéra
tion.
Ces considérations ont dicté la disposition de l’art.
472, qui complète et garantit l’exécution des obligations
faites au tuteur par les art. 469 et suivants. Ainsi, le
tuteur est obligé de rendre compte de sa gestion, de dé
poser ce compte et les pièces justificatives entre les mains
du mineur devenu majeur ; ce n’est que dix jours après
cette remise qu’un traité peut intervenir, et que le tu
teur peut obtenir décharge. Tout traité, fait sans avoir
été précédé de la remise des pièces ou avant l’expiration
du délai de dix jours , est présumé dolosif, et, comme
tel, annulé.
136- — Les obligations imposées au tuteur doivent
être prises au sérieux. La bonne foi, qui doit présider à
toute transaction, doit être plus sévèrement exigée dans
�103
un acte, où l’une des parties peut porter l’influence jus
qu’à déguiser l’état réel des choses, et priver ainsi l’au
tre partie de la connaissance précise de ce qui fait la
matière du contrat. En conséquence, le compte du tu
teur ne doit pas être rédigé en termes généraux, ni s’ar
rêter aux résultats , c’est un détail, autant que faire se
peut, et articles par articles que le mineur doit y rencon
trer. Les pièces probantes sont celles qui établissent les
revenus et justifient de la dépense, pour les chefs du
moins où cette dépense a pu laisser des traces écrites.
ET DE LA FRAUDE.
137. — Le compte et les pièces sont remis au mi
neur devenu majeur, celui-ci examine et vérifie. La re
mise est donc véritablement capitale, car ce n’est qu’après qu’elle a été réalisée que les investigations sont
possibles ; et ce n’est que par ces investigations ellesmêmes que l’oyant-compte pourra donner un consen
tement valable ; on comprend, dès lors, que le législa
teur en ail exigé une preuve certaine et positive.
Or, il résulte de l’art. 472 que cette preuve doit être
littérale ; elle s’induit du récépissé délivré par l’oyantcompte. Nous croyons que ces termes sont restrictifs ;
que l’absence de ce récépissé ne saurait être remplacée
par tout autre genre de preuve , et notamment par la
preuve testimoniale.'
1 Journal du Palais , Toulouse , 6 février 4835 ; — Aix , 40 août
4 809 ; — D. A , tom. xii, pag. 764.
�104
TRAITÉ DU DOL
158. — La présomption de dol, qui naît de la vio
lation de ces formalités, est une présomption juris et de
jure. Si le compte n’a pas été rendu, s’il n’a pas été ac
compagné de la remise des pièces, ou, si cette remise
ayant été faite, elle n’est pas constatée par un récépissé,
le traité intervenu entre l’ancien mineur et son tuteur
est frappé d’une nullité substantielle ; il en serait de mê
me de celui intervenu moins de dix jours de la date du
récépissé.
159. — Ce récépissé peut être fait par acte séparé
ou être mis au bas du compte lui-même. On ne saurait,
dans le silence de la loi, créer une nullité contre la.for
me de l’acte ; cette forme, n’étant nullement réglée par
la loi, doit être laissée à la volonté des parties. Mais il
en est autrement de la date, elle doit être certaine pour
prévenir tout moyen d’éluder la loi. Le récépissé sous
seing privé doit donc être enregistré, le délai de dix jours
court du moment de l’enregistrement.
140. — Les termes de l’art. 472 ont donné nais
sance à une grave difficulté : tout traité, porte cet arti
cle, sera annulé. Faut-il entendre par là les traités qui
interviendraient sur la gestion, ou bien ranger dans une
égale catégorie , même les traités étrangers à cette ges
tion ?
141. — Cette dernière opinion a trouvé des parti
sans dans les sommités de la doctrine ; elle est notam
ment enseignée par Merlin,qui combat l’opinion contrai-
�105
re, comme tendant à établir une exception repoussée par
la généralité des termes de l’art. 472. La loi, dit-il, ne
fait aucune exception ; elle annule tout traité non pré
cédé d’un compte de tutelle ; or, qui dit tout, n’excepte
rien.1
142. — Cette interprétation, fondée sur la lettre du
texte , en fait-elle une juste , une exacte appréciation?
Nous ne saurions l’admettre. Il nous semble que, par la
place qu’elle occupe dans la loi, cette disposition est né
cessairement limitée à ce qui concerne la gestion du tu
teur, et que, l’expliquer comme le fait Merlin, c’est lui
donner une extension que le texte ne comporte pas, que
son esprit repousse d’une manière invincible.
La protection dont la loi entoure le mineur n’est que
la conséquence des dangers auxquels son inexpérience
et la faiblesse de son âge l’exposent : Cum intra omnes
conslel, fragile esse et infirmum hujus modi œtatum
consiliwn, et multis captionibus suppositum, multorum
insidiis expositum, auxiliwn eis prœtor pollicilùs.’
Le mineur devenu majeur n’est plus censé avoir be
soin de cette protection spéciale, il n’a plus aucun droit
à la réclamer. Il est, par rapport à tous, en étal de dé
fendre ses intérêts, de prendre toutes les mesures que sa
position nécessite, et cela est vrai même à l’égard de son
ancien tuteur, sauf sur un seul point, celui relatif à la
gestion que ce tuteur a eue de $es biens.
ET DE LA FRAUDE.
i Questions de droit, § 3, n° 1.
3 L. Dig,, De minoribus.
�106
TRAITÉ DU DOI,
Celte exception résulte naturellement de l’état anté
rieur des choses ; elle était commandée par cet état mê
me. Des deux parties en présence , l’une , l’ancien mi
neur,est dans une ignorance absolue sur le chiffre de sa
fortune, sur l’étendue de ses ressources, sur la manière
dont elles étaient administrées ; l’autre, l’ancien tuteur,
connaît parfaitement toutes choses. Autoriser en cet état
d’inégalité un traité entre elles, c’était permettre au tu
teur d’abuser de l’ignorance légitime dans son origine,
mais que son intérêt le déterminerait à prolonger. On
pouvait donc prévoir que, dans une pareille transaction,
tout l’avantage reslerait au tuteur q ui, selon l’observa
tion de Louet, loin de rendre compte , mettrait sapar, tie en ténèbres et en lieu où lui seul verrait clair.
C’est ce que la loi suppose du tuteur qui n’a pas ren
du compte. La nullité du traité, intervenu avant la red
dition , est donc la conséquence plutôt de la conduite
frauduleuse du tuteur que de l’incapacité de l’ancien mi
neur. Cette prescription ne fait pour celui-ci que ce que
les principes généraux font pour tous les majeurs, elle
a pour but de donner à son consentement ce degré de
réflexion et de liberté sans lequel il n’y a pas de consen
tement valable.
Il est un autre motif qui étaye la prohibition de l’art.
472. L’équité exige que chacune des parties ait une
connaissance exacte de ce qui fait la matière de la con
vention, sa perfectibilité est à ce prix. Or, cette connais
sance , le mineur devenu majeur ne l’acquiert que par
la reddition des comptes , il ne l’a donc pas tant que
�ET DE LA FRAUDE.
107
cette reddition n’a pas été réalisée. Il est conséquemment
privé d’un des éléments essentiels au contrat. Il en est
privé par la faute du tuteur qui viole les devoirs que la
loi lui impose. On comprend dès lors que la loi ait re
fusé sa sanction à un acte qu’elle ne pouvait consacrer
qu’en autorisant le tuteur à exploiter sa position , et à
profiter de sa faute et même de son dol.
Ces considérations sont justes et décisives , lorsqu’il
s’agit d’un traité relatif aux comptes de la gestion. Sa
nullité n’en est qu’une conséquence rationnelle et légi
time ; mais peuvent-elles s’appliquer au traité fait sur
tout autre objet et abstraction faite de la position respec
tive des parties relativement à la gestion tutélaire ?
Par exemple, le mineur devenu majeur est appelé à
recueillir une succession qui s’est ouverte depuis sa ma
jorité. Son ancien tuteur se trouve créancier ou débiteur
de cette succession , il paie ce qu’il devait, ou retire ce
qui lui était dû. Il traite avec l’ancien mineur d’un ob
jet mobilier ou immobilier appartenant à cette succes
sion, il transige sur un procès qu’il avait avec celui qui
l’a délaissée. Faudra-t-il annuler tous ces actes , parce
que le compte de sa gestion n’aura pas encore été ren
du ? Mais quelle influence pouvait exercer à leur endroit
la reddition des comptes ? Le mineur pouvait-il recevoir
de cette formalité des notions plus complètes, plus éten
dues que celles qu’il possédait au moment du contrat?
Evidemment non. Conséquemment, annuler des actes de
cette nature , et sous un pareil prétexte , ce serait agir
d’une manière injuste, illogique, et anéantir sans néces
sité des conventions parfaitement légitimes.
�TRAITÉ DU DOL
108
il est donc impossible d’admettre que l’art. 472 du
Code civil ait voulu parler d’autres traités que de ceux
faits sur la gestion du tuteur. Ce qui le prouve, c’est la
place que cet article occbpe dans le Code , sous la sec
tion intitulée Des comptes de tutelle , précédé et suivi
d’autres dispositions se rapportant exclusivement au mo
de de reddition , d’appurement et de règlement de ces
mêmes comptes.
Ce qui le prouve encore, c’est que l’art. 907 prohibe
au mineur devenu majeur de disposer en faveur de son
tuteur, non seulement par testament, ce qui pourrait ne
pas paraître un traité, mais encore par donations entre
vifs, tant que les comptes de tutelle n’ont pas été régu
lièrement rendus. Si les termes de l’art. 472 n’exceptent
rien , pourquoi a-t-on cru nécessaire de prohiber spé
cialement les donations ? Pouvait-on croire que quel
qu’un serait jamais tenté de contester l’application aux
actes à titre gratuit, des principes régissant les actes à
titre onéreux ?
Ce qui le prouve enfin , c’est la disposition de l’art.
2045 du Code civil, qui permet au mineur devenu ma
jeur de transiger sur toutes les matières , excepté sur la
gestion du tuteur, avant la reddition des comptes de ce
lui-ci. Comment expliquerait-on la faculté de transiger
là où l’art. 472 proscrirait un* simple traité ? La trans
action n’est-elle pas un traité important? On sait qu’elle
comporte, de' la part des parties, des sacrifices mutuels.
Elle est donc , sous ce rapport, bien plus dangereuse
pour l’ancien mineur qu’un traité ordinaire. En consé-
�109
quence, quel aurait pu être le motif qui aurait détermi
né le législateur à prohiber celui-ci et à autoriser l’au
tre ?
Le motif, dit M. Merlin , c’est qu’en général , et aux
termes de l’art. 2052, les transactions ont entre les par
ties l’autorité de la chose jugée; et que, par conséquent,
il en doit être, d’une transaction passée entre le mineur
devenu majeur et son tuteur, comme d’un jugement qui
aurait été rendu entre eux.
Mais cette réponse laisse subsister l’objection qui a
d’autant plus de force que la nature de l’acte est plus
exceptionnelle. Après, comme avant cette réponse, on se
demande comment un traité qui n’acquiert jamais l’au
torité de la chose jugée , qui est rescindable pour cause
de lésion , soit interdit au mineur et qu’on lui permette
de consentir une transaction qui est à l’abri de ces atta
ques? Quelle garantie avait-on de plus pour celle-ci ?
N’est-il pas évident au contraire que si l’absence de red
dition des comptes de tutelle doit influer sur un acte
quelconque, c’est surtout sur une transaction ? Celle-ci
suppose un droit litigieux, contestable. Les titres qui établissent celui du mineur seront le plus souvent entre
les mains du tuteur, et c’est par celui-ci que le premier
apprendra leur caractère et leur portée. En vérité, per
mettre en cet état au mineur de transiger , modifier la
prohibition prétendue générale de l’art. 472 , c’est di
minuer les garanties données au mineur devenu ma
jeur , au moment même où il en a le plus pressant be
soin.
ET DE LA FRAUDE.
�\ 10
TRAITÉ I)U DOL
Nous ne saurions donc admettre la distinction que
fait Merlin, pas plus que l’assimilation de la transaction
au jugement. Les magistrats qui rendent le jugement
sont chargés d’exécuter la loi, de la faire respecter, alors
même que les parties seraient d’accord pour l’éluder ; à
cette première garantie s’en réunit une autre , la pré
sence du ministère public, dont la sollicitude éveillée par
la qualité des parties, saura bien faire valoir les droits
de chacun , défendre le mineur devenu majeur , contre
son ignorance ou sa faiblesse. La transaction présentet-elle quelque chose d’analogue? Qui protégera le mineur
contre les suggestions intéressées de son ancien tuteur ?
Il n’y a donc réellement aucune assimilation possible
entre ces deux actes.
Mais, ajoute Merlin, pourquoi, si l’art. 472 ne signi
fie pas plus que l’art. 2045 , n’a-t-on pas mis dans le
premier, les mots sur les comptes de tutelle, qu’on a in
sérés dans le dernier.
Nous avons déjà dit que cette indication résulte, pour
l’art. 472 , de la place qu’il occupe dans le Code , des
dispositions qui le précèdent et le suivent. Cela suffirait
pour lui donner un caractère de spécialité incontesta
ble. Il est même certain qu’alors même que l’art. 2045
n’aurait pas existé, la transaction sur les comptes de tu
telle se serait trouvée atteinte par cette spécialité et pros
crite par l’art. 472. Mais le législateur a pu craindre
qu’on ne voulût abuser de la nature et du caractère de
la transaction , pour soutenir qu’elle ne pouvait être
comprise dans les traités dont cet article s’occupe. Dès
�ET DE LA FRAUDE.
111
lors , il a cru devoir s’en expliquer formellement pour
bannir toute équivoque. Cette résolution prise, s’exécu
tant sous le titre spécial de la transaction, il fallait net
tement s’expliquer. Là, en effet, rien ne spécialisait plus
la disposition, ni la rubrique de la section, ni les dispo
sitions antécédentes et subséquentes , de telle sorte que
se borner à prohiber la transaction entre le tuteur et le
mineur devenu majeur , c’était la proscrire d’une ma
nière absolue et générale. C’est donc pour préciser sa
pensée qu’on a nominativement restreint cette prohibi
tion à la transaction intervenue sur les comptes de tu
telle, ce qui était revenir à la règle tracée par l’art. 472.
Voilà l’explication de la différence de rédaction si
gnalée entre les art. 472 et 2045 , elle est naturelle et
simple, elle n’a rien d’extraordinairç, ni de choquant ;
tandis qu’avec le système de Merlin, il faut admettre que
la loi a interdit le moins et autorisé le plus, ce qui est
invraisemblable, et conséquemment inadmissible.
Faut-il maintenant rendre raison de ces termes de
l’art. 472, tout traité ? N’est-il pas désormais certain
que l’intention du législateur n’a été d’atteindre que ceux
intervenus sur la gestion du tuteur ; et, dans ce sens, la
locution qu’il a employée n’est pas même vicieuse. S’il
n’y a qu’une manière d’appurer un compte , il y en a
cent pour arriver à ce résultat. Le tuteur pouvait avoir
la pensée de fractionner le compte de sa gestion , d’en
débattre séparément les diverses partiès, et d’obtenir une décharge pour chacune d’elles , opposer ces déchar
ges partielles déjà obtenues aux difficultés qu’un autre
�TRAITÉ DU DOL
412
examen ferait naitre. Voilà réellement ce que proscrit
l’art. 472, voilà ce qu’il a eu en vue, lorsqu’il a annulé
tout traité intervenu avant la reddition des comptes.
Tout ce qui en résulte , est donc cette proposition qui ’
ressort de l’esprit de sa disposition ; que ce n’est qu’après avoir été édifié sur l’ensemble des opérations du tu
teur, que le mineur devenu majeur peut traiter avec ce
lui-ci , lui donner décharge totale ou partielle; et que
tout ce qui aurait été fait à cet égard , avant l’examen
de cet ensemble, devrait être annulé.
D’ailleurs et sans paraître fractionner le compte , on
pourrait consentir des actes qui ayant pour but de dis
penser le tuteur de rendre compte de la matière spéciale
sur laquelle cet acte est intervenu. Ces actes sont nom
breux et divers et il convenait de les atteindre tous.
Comme exemples nous pouvons citer des décisions
judiciaires qui expliquent et font comprendre la géné
ralité de l’expression de l’art. 472.
Ainsi il a ét‘é jugé que la cession qu’un enfant devenu
majeur, fait à son père , son tuteur , de tous ses droits
maternels sans réserve ni exception , comprenant les
meubles et autres effets qui doivent entrer dans le compte
de tutelle dû par le cessionnaire, est nulle si elle n’a été
précédée du compte tutélaire ;1
Que l’acte par lequel une fille cède, le lendemain de
sa majorité, et sans reddition de compte préalable , à
son père qui a été son tuteur , ses droits immobiliers
1 Cass., 14 décembre 4818.
�113
dans la communauté , est n u l, même lorsqu’il a pour
objet de remplir ce dernier de ses gains de survie et des
récompenses qui lui sont dues par la communauté
Que l’approbation que le pupille aurait donnée à des
bordereaux de dépenses depuis sa majorité, mais avant
la reddition de compte, tombe sous la nullité de l’arti
cle m ■;
Qu’il en est de même du traité par lequel le mineur
abandonne à son tuteur la jouissance d’un immeuble
indivis entre eux pour l’indemniser des réparations qu’il
y a faites ;3
Que la reconnaissance d’une contre-lettre qui attri
bue au tuteur la propriété d’un immeuble dépendant du
patrimoine apparent de ses pupilles , ne peut être faite
valablement par ceux-ci, depuis leur majorité, avant la
reddition des comptes de tutelle.4
Comment aurait-on pu atteindre tous ces actes , si
l’art. 472! n’eût pas dit : tout traité ?
Pour nous résumer sur ce point, nous dirons que
l’art. 472 n’atteint que les traités exclusivement interve
nus sur la gestion tutélaire, quel qu’en soit le mode et
sous quelque forme qu’on les ait déguisés.
Ce qui caractérisera ces traités , c’est qu’ils auront
EX DE LA. FRAUDE.
1 Paris, 2 août 1821 ; — Douai, 20 janvier 1844; — J. du P., 2,
1844, p. 12.
2 Paris, 19 avril 1823.
3 Bourges, 7 février 1827.
4 Cass., 1er juin 1847; — J. du P., 1. 1847, 688,
8
�414
TRAITÉ DU DOL
pour effet et pour but de soustraire le tuteur à l’obliga
tion de rendre compte de sa gestion moyennant la som
me ou la chose convenue , encore bien qu’on n’ait pas
traité spécialement sur cette gestion , et qu’il n’ait pas
été stipulé d’une manière expresse que le tuteur en de
meurerait déchargé.
Ceux-là donc qui sont étrangers à cette gestion , sur
lesquels par conséquent la reddition du compte serait
sans influence, sont valablement contractés ; on ne pour
rait conséquemment les annuler que dans les cas et
qu’aux conditions qui rendent ceux souscrits par les ma
jeurs ordinaires rescindables ou annulables.'
143. — 11 résulte de ce qui précède , que l’ancien
mineur, qui attaquera un traité intervenu entre son tu
teur et lui , n’aura à justifier que de ces deux circons
tances , à savoir : 1° que ce traité a pour objet direct
ou indirect la gestion du tuteur ; 2° qu’il a été fait con
trairement aux dispositions de l’art. 472, soit qu’il n’y
ait pas eu reddition de compte , remise de pièces ; soit
qu’il ne se fût pas écoulé un délai de dix jours de cette
remise à la date du traité. Cette preuve faite imprime au
traité une présomption de fraude susceptible d’en en
traîner l’annulation.
i Voy., en ce sens, Chardon , t. i, pag. 445, n° 72 ; — Domat, Lois
civiles, liv n , tit. i, sect. 5, n° 4; — Zachariœ, § 416, note 14; —
Demolombe ,'tom. 8, n» 92; — Nîmes, 18mars 4816; — Cass., 44
octobre 1818; — Paris, 5 janvier 1820. — Voy. aussi Dalloz jeune,
Dict. deJurispr., v° Tutelle , n° 584 ; — et Sirey , t. x, pag. 380 , —
�115
144. — Quelle est la nature de cette présomption ?
Admet-elle la preuve contraire ? Le tuteur pourra-t-il
établir que l’ancien mineur n’a éprouvé aucun préjudi
ce, et faire dès lors maintenir le traité ?
L’affirmative a été jugée par la Cour de Toulouse, le
27 novembre 1841 \ Son arrêt décide : Que quoique,
en principe, le traité intervenu contrairement à l’art. 472
du Code civil soit rigoureusement nul, cependant il peut
être maintenu, si les parties ont traité de bonne foi, et
s’il n’a été causé aucun préjudice au mineur.
ET DE LA FRAUDE.
145. — Cette décision nous paraît s’écarter des vé
ritables principes. Faisons d’abord remarquer la singu
larité de sa conclusion. La Cour reconnaît que le traité
dépourvu des formalités prescrites par l’art. 472, est ri
goureusement nul ; et ces prémisses posées elle arrive à
cette conséquence qu’il faut maintenir le traité, cela ne
paraît guère logique.
Vainement fait-on, pour arriver à ce résultat, appel
à la bonne foi des parties au moment du traité. La loi
ne s’est pas le moins du monde préoccupée de cette cir
constance , elle ne permet donc pas de la prendre en
considération. En effet, l’art. 472 ne dit pas que le traité
fait au mépris de sa disposition pourra être annulé. Une
locution de ce genre eût appelé l’appréciation, l’examen,
et laissé le magistrat maître de maintenir ou d’invali
der. L’exclusion de ce pouvoir résulte des termes de
1 Journal du palais, t 1, \ 842, pag 448.
�TRAITÉ DU DOL
416
l’article : Tout traité sera nul, ce qui implique , de la
part du législateur, la volonté impérative d’anéantir l’ac
te fait contrairement à ce qu’il a prescrit. En conséquen
ce, maintenir ce même acte , c’est se mettre en contra
diction avec cette même volonté ; le maintenir sous pré
texte de la bonne foi des parties, c’est méconnaître l’es
prit qui l’a dictée , qui n’est autre chose qu’une pré
somption de mauvaise foi , par cela seul qu’on n’a pas
exécuté à la lettre les prescriptions de l’art. 472. Nous
avons déjà dit que cette présomption n’admettait pas la
preuve contraire.
La Cour de Toulouse ajoute que le mineur devenu
majeur n’a éprouvé aucun préjudice dans l’espèce. Cette
considération n’est pas plus puissante que celle de la
bonne foi. En e ffe tl’art. 472 ne demande pas s’il y a
ou non préjudice dans sa violation , c’est cette violation
elle-même qui détermine la nullité de l’acte qui la ren
ferme. Ajoutons qu’en se décidant par ce motif, la Cour
a méconnu les dispositions qui règlent le mode de red
dition des comptes de tutelle. En effet, pour arriver à
constater l’absence de tout préjudice, elle a été dans la
nécessité de procéder à l’examen et à l’appurement de
la gestion du tuteur. Or, ces formalités , dont la loi a
prescrit la forme spéciale , échappaient à ses attribu
tions.
146. — C’est ainsi que l’avait pensé la Cour d’Aix,
dans un arrêt du 10 août 1809. Cet arrêt, rendu en au
dience solennelle, consacre l’opinion diamétralement op-
�m
posée à celle adoptée par la Cour de Toulouse; ses mo
tifs nous paraissant renfermer une saine appréciation
de la matière, nous croyons devoir les transcrire ;
« Considérant que l’art. 472 du Code civil frappe de
nullité tout traité qui pourra intervenir entre le tuteur
et le mineur devenu majeur, s’il n’a été précédé d’un
compte détaillé et de la remise des pièces justificatives,
le tout constaté par un récépissé de l’oyant-compte, daté
de dix jours avant le traité ; que ces formalités ont été
ordonnées pour garantir le mineur devenu majeur de
toute surprise, parce que la loi suppose, comme le fait
observer Pothier, que l’autorité morale du tuteur durant
encore, il aura pu en abuser, ou que le pupille peu ex
périmenté et brûlant du désir de jouir enfin de ses
droits, se sera décidé trop facilement à des sacrifices
immodérés ;
» Considérant que le tempérament proposé par le tu
teur , de subordonner la demande en nullité du traité,
au jugement du compte que ce traité renferme, tendrait
à faire dépendre des débats que ce compte entrainerait
la validité d’un acte frappé de nullité par la loi , et à
donner effet à un contrat que la présomption légale pré
sente comme le fruit du dol et de la fraude.' »
Ainsi, la Cour d’Aix ne croit pas non seulement pou
voir examiner elle-même la régularité du compte , -et
conséquemment s’il y a ou non préjudice, mais même
ET DE LA. FRAUDE.
1 Dalloz A., tom xn, pag. 764.
�118
TRAITÉ DU DOL
surseoir à prononcer sur la nullité jusqu’après la red
dition régulière offerte par le tuteur. Ce mode de pro
céder est seul véritablement juridique, puisque, en effet,
un traité n’est régulier que s’il a été précédé de la red
dition de compte et de la remise des pièces depuis au
moins dix jours. Quelle influence peut avoir sur un traité
antérieur une reddition faite postérieurement, soit en
justice, soit par la voie amiable ?
En annulant donc le traité attaqué , la Cour d’Aix a
mieux compris et plus sainement appliqué la loi que la
Cour d’appel de Toulouse.
147. — On peut donc résoudre les questions que
nous nous étions posées, en ce sens : que l’omission des
formalités voulues par l’art. 472 du Code civil entraîne
inévitablement la nullité du traité ; qu’il naît de cette
omission une présomption de dol, laquelle a la force
des présomptions juris et de jure ; qu’en conséquence,
il n’est pas facultatif au juge d’admettre la validité du
traité ou de la faire dépendre soit de la bonne foi des
parties, soit de l’absence de tout préjudice.
— Il en serait autrement s i, l’art. 472 ayant
été exécuté , le litige s’engageait sur la nature de cette
exécution. La question de savoir si elle a été complète
oü insuffisante rentre alors dans l’appréciation des tri
bunaux et est laissée à l’arbitrage du juge.
Ainsi il a été jugé en jurisprudence et admis en doc
trine : qu’il appartient aux Cours de décider si la re1-18.
�119
mise des pièces constatée soit par un récépissé sans date
certaine , soit par une clause expresse du traité , a été
réellement faite en temps utile ;
Si le mode de reddition de compte est tel que le pres
crit la loi ; S’il est suffisamment détaillé pour que le
mineur devenu majeur ait pu le discuter d’une manière
utile ;
Si les pièces dont la remise est constatée, étaient ou
non suffisantes pour appuyer valablement le compte et
éclairer l’oyant-compte sur la nature de ses droits.'
ET DE LA FRAUDE.
149. — La présomption dedol est-elle couverte par
l’exécution donnée au traité ? Cette question est toute
résolue si l’exécution s’est prolongée assez pour laisser
la prescription s’accomplir. Le doute ne peut donc naî
tre que si avant l’acquisition de la prescription, mais après exécution, le mineur demande la nullité du contrat.
A notre avis, la solution de cette question dépend de
la réponse à faire à celle-ci : Le mineur devenu majeur
peut-il ratifier expressément le traité irrégulièrement in
tervenu sur les comptes de tutelle ?
Or, la négative ne nous parait pas pouvoir être con
testée en présence du texte des art. 472 et 2045 du Code
civil. En effet, l’acte de ratification expresse constituerait
ou un traité nouveau ou une transaction.
Dans le premier cas, il serait atteint par la disposi-
�120
TRAITÉ DU DDL
tion prohibitive de l’art. 472, s'il n’avait pas été précé
dé des formalités qui y sont prescrites. Si ces formalités
avaient au contraire été exécutées , le mineur devenu
majeur serait lié non pas par le premier traité , mais
par le second, qui, loin de n’être que la ratification de
l’autre, deviendrait le seul titre que pût invoquer le tu
teur.
Dans le second cas, le caractère de transaction ferait
tomber l’acte so.us le coup de la disposition de l’article
2045, à moins qu’il n’eût été précédé d’une reddition
régulière. E t, dans cette hypothèse , le tuteur ne serait
libéré que par la transaction elle-même et nullement
par le traité sur lequel elle serait intervenue. >
Ainsi, il n’y a pas, à proprement parler, de ratifica
tion expresse possible. Il fallait d’autant plus l’admettre
ainsi , que le système contraire rendait purement illu
soires les précautions prises par le législateur. Le tuteur,
qui a eu assez d’ascendant pour obtenir du mineur de
venu majeur un traité sur la gestion , avant d’en avoir
rendu compte, trouvera dans ce même ascendant la fa
culté d’obtenir aussi un acte de ratification, si le succès,
si le bénéfice de l’irrégularité de sa conduite lui est ac
quis à ce prix. D’autre part, l’ancien mineur qui, par
faiblesse, par ignorance, par attachement, aura consenti
le traité , n’apportera, pas moins de facilité à en donner
la ratification, et bientôt la nullité écrite dans la loi ne
sera plus qu’une vaine menace, qu’une lettre morte.
Le traité fait en violation de l’art. 472 ne peut donc
être ratifié tant qu’il n’a pas été purgé du vice qui Fin-
�m
fecle. Si cela est vrai, juste, légitime pour la ratification
expresse, pourrait-on décider autrement pour celle ré
sultant de l’exécution ? Ce serait faire produire à la ra
tification présumée un effet que la ratification expresse
n’est pas susceptible de produire. On comprendrait le
contraire, car celle-ci ne saurait être douteuse , elle ré
sulte d’un fait certain , elle est le produit d’une volonté
clairement manifestée, tandis que la première n’est que
la conséquence d’une intention présumée, d’une appré
ciation dont les bases peuvent être contraires à la réa
lité des choses.
Il est donc impossible d’admettre une ratification ta
cite là où il ne saurait exister une ratification expresse ;
on ne peut faire indirectement ce qu’il est prohibe de
faire directement. Cette considération , vraie sous toutes
les législations, justifie notre opinion.
Âu reste, cette opinion est celle adoptée par la juris
prudence. C’est ce qu’attestent des monuments nombreux
et décisifs.'
ET DE LA FRAUDE.
150. — Il est vrai que les Dictionnaires et les Re
cueils d’arrêts indiquent, comme consacrant l’opinion
contraire, un arrêt rendu par la Cour de cassation le
27 avril 1836. Mais c’est là une de ces indications erro
nées qui se glissent quelquefois au milieu de tant d’uti
les recherches. Il ne faut, en effet, que lire cet arrêt pour
1 V. notamment Lyon, 31 décembre 1832; — Grenoble, 15 novembre
1837; — J. du P., années 1832 et 1839, tom, n, pag. 288,
�m
TRAITÉ DU DOL
êlre convaincu qu’il n’a nullement la signification qu’on
lui prête. Dans l’espèce qui s’y agitait, la Cour d’appel
avait reconnu que l’exécution s’était prolongée pendant
plus de dix ans après la majorité. Elle avait, en consé
quence , rejeté l’action de l’ancien mineur sous le dou
ble rapport de la ratification et de la prescription. Il est
évident que celle-ci emportait nécessairement l’autre, et
que son existence enlevait, à la question des conséquen
ces légales de l’exécution, toute son importance, sous le
point de vue que nous examinons.
C’est, en effet, ce que pensa la Cour de cassation, qui
ne s’en occupe même pas dans son arrêt. Voici en quels
termes le pourvoi fut rejeté :
« Sur le deuxième moyen pris de la violation de
l’art. 472 du Code civil et de la fausse application de
l’art. 1338 , attendu qu’indépendamment de la ratifi
cation résultant de l’exécution volontaire, l’arrêt attaqué
a opposé le moyen de la prescription à la demande en
nullité du traité intervenu entre les frères puînés Falize
et leur frère aîné ;
» Qu’il a reconnu que, depuis la date des traités res
pectifs, il s’était écoulé plus de dix années ;
» Qu’à la vérité il y a eu à examiner, à l’égard de
Léonard Falize jeune, si le partage opéré en 1828, avant l’expiration des dix années, à partir de son contrat
de mariage, a pu empêcher le cours de la prescription,
mais que ce partage, annulé comme frauduleux, ne peut
être d’aucune considération dans l’instance. ' »
i J. du P., année 1836.
�123
Voilà tout ce que dit l’arrêt de la Cour de cassation.
On voit que les magistrats qui l’ont rendu se bornent à
signaler l’existence du moyen tiré de la ratification, et
que rencontrant celui plus péremptoire de la prescrip
tion, c’est à celui-ci qu’ils s’attachent exclusivement.
Qu’aurait fait la Cour si la question de ratification lui
eût été soumise indépendamment de tout autre moyen?
C’est ce que son arrêt ne laisse pas même soupçonner.
C’est donc à tort qu’on voudrait y puiser un argument
en faveur du système que nous combattons.
ET DE LA FRAUDE.
151. —• La présomption de dol, résultant de l’in
observation de l’art. 472 du Code civil, est uniquement
dans l’intérêt du mineur. En conséquence , les droits
dont cette présomption est l’origine sont attachés à la
personne de celui-ci ; leur exercice lui est exclusivement
réservé.
Il suit de là :
»
1° Que l’ancien tuteur qui prétendrait s’être constitué
à tort reliquataire , ne pourrait demander la nullité du
traité irrégulièrement intervenu ; '
2° Que le traité intervenu entre le tuteur et l’héritier
du mineur , n’est pas soumis aux formalités prescrites
par l’art. 472 du Code civil ; 1
3° Que l’action ouverte au mineur de saurait être ex
ercée par ses créanciers.
1 Montpellier, 20 janvier 1830, D P., 30, 2. 124.
Bourges, 7 avril 1830, D. P., 30, 2, 138.
2
�m
TRAITÉ DU DOL
î 52. — Celte action passe-t-elle à l’héritier du mi
neur ? On pourrait, pour l’affirmative, se fonder sur le
droit de l’héritier à exercer toutes les actions utiles de
son auteur; invoquer même l’art. 907 du Code civil,
qui prohibe toute libéralité du mineur au tuteur jusqu’a
près l’apurement du compte , et soutenir que le silence
gardé par le mineur pendant sa vie et après sa majo
rité renferme une donation déguisée et, conséquemment
la violation de cette disposition.
Cependant, l’arrêt de Bourges du 7 avril 1830 , que
nous venons d’indiquer, parait admettre que l’action que
l’art. 472 donne au mineur devenu majeur lui est ex
clusivement personnelle, qu’elle ne passe pas à ses hé
ritiers. Nous serions disposés à partager cette opinion et
à trouver la preuve de la régularité de la reddition des
comptes du tuteur dans l’exécution donnée par l’oyant
au traité qui en a été le résultat. Il convient, en effet, de
remarquer que, quoique non légalement exprimée, l’ob
servation des formalités prescrites par l’art. 472 peut
s’être réalisée. C’est cetté présomption qui doit naturel
lement s’induire de l’inaction du principal intéressé, du
mineur qui, depuis sa majorité, a traité avec son tuteur,
et qui, pendant qu’il a vécu, n’a jamais réclamé.
Ainsi, le droit conféré par l’art. 472 du Code civil est
purement personnel ; il ne peut être exercé par aucun
des représentants ou ayants-cause du mineur devenu
majeur. Ce que la Cour de Bourges a décidé pour les
premiers , la Cour de Paris l’a admis pour les seconds,
en jugeant que les créanciers ne pouvaient attaquer le
�£T DE LA FRAUDE.
125
traité fait par leur débiteur sans l’observation des règles
tracées par ce même art. 472.'
155. — Ces principes sont importants, surtout pour
l’application de l’art. 907 du Code civil, qui nous four
nit de nouveaux exemples de dol présumé.
Ainsi le mineur , quoique parvenu à l’âge de seize
ans, ne pourra, même par testament, disposer au profit
de son tuteur ; il ne pourra, après sa majorité, dispo
ser soit par donation entre vifs , soit par testament au
profit de celui qui aura été son tuteur, si le compte dé
finitif de la tutelle n’a été préalablement rendu et apuré.
Dans chacune de ces hypothèses, la libéralité est présu
mée le produit des manœuvres du tuteur, le résultat d’u
ne influence illégitime, d’une erreur abusivement entre
tenue, en un mot, d’un véritable dol.
154. — Le testament d’un mineur de plus de seize
ans ne peut, on le comprend, être attaqué que par ses
héritiers. Il suffit, pour le faire annuler , de prouver :
d’un côté, la minorité du testateur ; de l’autre , la qua
lité de tuteur de l’institué.
Le droit d’attaquer la donation entre vifs, faite con
trairement à l’art. 907, appartient incontestablement au
mineur lui-même. Le fait seul qu’elle a été consentie avant la reddition du compte tutélaire en entraîne im
médiatement l’invalidité, alors même que cette reddition
1 J. du P., \S décembre 1830.
�426
TRAITÉ DU DOL
se fût réalisée plus tard. Mais si avant la donation le
mineur devenu majeur avait fait avec son tuteur un
traité de la nature de ceux proscrits par l’art. 472 , la
nullité de la donation ne pourrait être obtenue qu’après
que celle du traité aurait été prononcée. Il est certain
que si ce traité, contenant décharge, n’était pas attaqué
ou que s’il était maintenu, le tuteur aurait, en fait, rendu
compte de sa gestion. Conséquemment, la donation ul
térieurement consentie, serait régulièrement intervenue.
155. — C’est par ces considérations que l’on doit
régir le sort de l’action en nullité soit de la donation,
soit du testament, intentée par les héritiers de l’auteur
de la libéralité contre l’ancien tuteur. On doit donc dis
tinguer le cas où la libéralité aura été faite avant toute
reddition de compte de celui où cette reddition a été opérée, mais sans les formalités exigées par l’art. 472 du
Code civil.
Dans le premier cas, l’action est recevable. L’incapa
cité du légataire ou du donataire est absolue. Tous ceux
qui ont intérêt à le faire peuvent en poursuivre le bé
néfice.
Dans le second cas, au contraire, le tuteur a rendu
compte, irrégulièrement sans doute, mais effectivement.
Son incapacité n’est plus qu’éventuelle ; elle reparaîtra
si le traité qu’il a fait souscrire, en violation de l’article
472 du Code civil, succombe dans une action intentée
par celui qui a qualité pour la poursuivre. Tant que cette
condition ne se réalise pas , la présomption est que le
�-
ET DE LA FRAUDE.
1g7
compte a été régulièrement rendu. Il est jugé tel par la
partie qui aurait intérêt à faire juger le contraire.
156. — Sans doute cette présomption s’efface pour
faire place à celle de dol, si la nullité du traité est pour
suivie. Mais nous venons de voir que celte poursuite,
toujours loisible pour le mineur ( sauf le cas de pres
cription), ne peut appartenir à ses héritiers. Conséquem
ment, si le mineur meurt avant de l’avoir intentée, tout
est consommé; le traité est désormais inattaquable.
Permettre, en cet état, aux héritiers de faire révoquer
les libéralités faites à l’ancien tuteur , serait atteindre à
ce résultat vicieux que le traité sur la gestion tutélaire
serait exécutoire et valable; que partant le tuteur serait
censé s’être acquitté des devoirs que la loi lui impose ;
et que cependant, et par rapport à la libéralité, il conti
nuerait d’être considéré comme ne les ayant pas rem
plies. En d’autres termes, l’incapacité subsisterait lorsque
la cause qui la motive aurait cessé d’exister.
157. — C’est cette conséquence illogique dont la
Cour d’Àix était frappée et qu’elle faisait clairement res
sortir, lorsque , dans son arrêt du 2 février 1841 , elle
maintenait les libéralités testamentaires que les héritiers
de l’ancien mineur contestaient au tuteur, par les mo
tifs que le compte de la tutelle, quoique irrégulier, était
devenu inattaquable ; qu’on ne pouvait plus l’annuler;
qu’en cet état il y aurait inconséquence flagrante à anéantir le testament dont l’invalidité ne pourrait être
�TRAITÉ DU DOL
128
prononcée qu’autant que celle de la reddition des comp
tes l’aurait été.'
158.
— Vainement M. Dalloz, en rapportant cet ar
rêt, fait-il observer que la Cour d’Aix se met en contra
diction avec un arrêt de la Cour de cassation du 14 dé
cembre 1818, jugeant que l’art. 907 n’est qu’une ap
plication de l’art. 472 , et par conséquent que l’inob
servation du délai fixé par la remise préalable des piè
ces entraînait l’incapacité du tuteur. Cette contradiction
n’existe réellement pas. Il n’y a, pour en être convain
cu, qu’à lire ces deux arrêts.
Celui de la Cour d’Aix est intervenu sur la demande
en nullité d’une disposition testamentaire faite après une
reddition de compte, irrégulière il est vrai en ce que les
pièces justificatives n’avaient pas été remises dix jours à
l’avance, mais dont la validité n’avait jamais été contes
tée par l’ancien mineur, et ne l’était pas même devant
la Cour.
Faut-il conclure, comme le fait le sommaire de l’ar
rêt , qu’en maintenant le traité intervenu sur cette red
dition, la Cour d’Aix a jugé que la disposition de l'art.
472, qui prescrit la remise des pièces dix jours au
moins avant le traité, n'est pas exigée sous peine de
nullité, en sorte que le même jour, le tuteur a pu ren
dre compte et recevoir sa décharge de la part de Vo
yant ? Mais l’arrêt, dans son esprit et dans sa lettre,
�129
répugne à cette conclusion. S’il maintient la reddition,
c’est que l’action ouverte par l’art. 472 était éteinte par
la prescription au moment où elle aurait pu être exer
cée ; que d’ailleurs cette action n’était pas même exer
cée ; et qu’en cet état, quelle qu’elle fût , la reddition
devait produire tous ses effets. « Attendu,dit la Cour,que
la demanderesse serait non-recevable à revenir sur l’acte
renfermant reddition du compte de tutelle pour en faire
prononcer la nullité ; que cette nullité d’ailleurs n’a pas
été demandée; et que les juges ne pourraient prendre
en considération le plus ou moins d’irrégularité dont cet
acte serait entaché, sans outre-passer leurs pouvoirs. »
Est-ce là, nous le demandons, décider que la dispo
sition de l’art. 472 n’est pas prescrite à peine de nulli
té ? Dire qu’une partie n’est pas recevable à faire valoir
une nullité quelconque, est-ce déclarer que cette nullité
n’existe pas ?
159. — Dès lors, la Cour d’Aix , ne décidant rien
en doctrine , n’a pu se mettre en contradiction avec la
Cour de Cassation q ui, dans son arrêt du 14 décembre
1818, ne juge qu’une seule chose, à savoir : que la ces
sion qu’un enfant fait à son père, son tuteur, de tous
ses droits maternels en masse, sans réserve ni exception,
comprend les meubles et autres objets qui doivent entrer
dans le compte de tutelle dû par le cessionnaire, qu’en
conséquence cette cession est nulle , si elle n’a été pré
cédée du compte de tutelle.'
•ET DE LA FRAUDE.
i J. du P., année 1848.
�TRAITÉ DU DOL
130
Or , dans cette espèce , il n’y avait eu aucune reddi
tion de compte ; c’était le mineur lui-même qui deman
dait la nullité. Aussi la seule difficulté qui était soule
vée était celle de savoir si la cession constituait ou non
un traité sur la gestion tutélaire tombant sous l’applica
tion de l’art. 472 du Code civil.
Il n’y avait donc entre cette espèce et celle jugée par
la Cour d’Aix, aucune similitude. Il ne pouvait y avoir,
dès lors, contradiction dans la décision. L’une et l’autre
aussi se concilient parfaitement. Dans tous les cas, celle
rendue par la Cour d’Aix fait une application tellement
saine des véritables principes, que si elle eût été déférée
à la Cour suprême , elle en aurait reçu une éclatante
sanction.
160. — Il résulte de ce qui précède, qu’il n’y a ré
ellement nullité dans la seconde hypothèse de l’art. 907,
que lorsque la libéralité par acte entre vifs ou par tes
tament a été faite avant toute redditition de compte. De
quelque manière que la gestion ait été apurée, si elle l’a
été , on ne peut parvenir à faire invalider la libéralité
qu’en demandant d’abord la nullité du traité intervenu
entre le mineur devenu majeur et son tuteur. Tant que
ce traité existe légalement, il y a eu en réalité reddition
de compte. La condition, exigée par l’art. 907, s’est ac
complie, et partant l’incapacité du tuteur disparaît.
Nous avons dit de plus que l’action , pour faire pro
noncer la nullité du traité irrégulier , est toute person
nelle au mineur, qu’elle ne passe pas même à ses héri-
�131
iiers. D’où la conséquence que le droit, que l’art. 907
ouvre à ceux-ci , ne saurait être exercé que lorsqu’il y
a absence complète de reddition du compte tutélaire. Il
est vrai que la Cour d’Aix ne s’est pas expliquée sur la
personnalité de l’action. Mais on comprend que cette
question n’ait pas été agitée dans une espèce où la pres
cription était acquise et aurait repoussé le mineur luimême. Le caractère de l’action aurait sans doute été agité , si cette circonstance ne s’était pas réalisée. Nous
sommes certains que ce que la prescription a fait ad
mettre serait également résulté du défaut d’action. Car,
comme la prescription elle-même, l’absence de réclama
tions de la part de l’oyant-compte est une preuve de la
régularité de la reddition , efface toute présomption de
fraude et laisse le traité sortir à effet. Les comptes sont
dès lors rendus et apurés , et l’incapacité édictée par
l’art. 907 contre l’ancien tuteur, n’ayant plus de cause,
s’efface et disparait.
Au reste, ce n’est pas seulement contre les libéralités
entre mineurs et tuteurs que la loi a cru devoir se pré
cautionner. Elle en agit de même toutes les fois qu’elle
peut craindre que la disposition ne soit en définitive au
tre chose que le résultat d’une affection légitime , d’une
volonté ferme, éclairée et libre.
ET DE LA FRAUDE.
165. — L’art. 909 du Code civil nous en offre un
remarquable exemple. Aux termes de sa disposition, les
docteurs en médecine ou en chirurgie , les officiers de
santé et les pharmaciens qui auront traité une person/
�132
TRAITÉ DU DOL
ne de la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter
des dispositions entre vifs et testamentaires qu’elle avait
faites pendant le cours de sa maladie.
162. — Le motif de cette prohibition est facile à
saisir. La libéralité peut n’avoir été dictée au malade que
par le désir d’être agréable à celui qui est en quelque
sorte l’arbitre de sa santé et même de sa vie ; que dans
l’objet de l’intéresser par la reconnaissance et d’obtenir
ainsi un redoublement de soins et de zèle. Elle peut
aussi avoir été suggérée par le médecin lui-même, dont
l’empire sur l’esprit du malade est d’autant plus fort que
le danger est plus imminent, et que les promesses de
rétablissement sont plus précises. Dans un cas comme
dans l’autre, la disposition n’a aucune cause avouable,
c’est la maladie qui en est l’occasion, c’est la qualité du
donataire qui la détermine, c’est la guérison espérée qui
en est en quelque sorte la condition. C’est surtout à ce
dernier titre qu’elle était énergiquement proscrite par la
loi romaine : Quos etiam eapatimur accipere, quœ sa
lis affermit pro obsequiis, non e a quœ périclitantes pro
salutem promittunt.'
Partant du même point de vue , la loi française a dû
arriver à un résultat identique, elle a donc considéré les
libéralités de ce genre comme les produits d’une violen
ce morale qu’il eût été fâcheux d’encourager. Cette dé
termination est avouée par le bon sens et la justice ; en
i L. 9, Cod.
De professoribus et m ed icis.
�133
effet , si la spontanéité de volonté , si l’existence d’une
cause légitime est désirable dans les actes à titre oné
reux, elle l’est bien plus encore dans les dispositions à
titre gratuit. Cesodernières dépouillent le disposant luimême , une famille appelée par la loi , sans équivalent
aucun , au profit de tiers qui n’ont d’autres droits que
l’élection même dont ils sont l’objet. Il convenait donc
d’empêcher que l’élection fût, dans son principe, enta
chée d’un vice quelconque, et conséquemment, on de
vait lui refuser tous ses effets , lorsqu’elle pouvait n’être
que le résultat de l’entrainement ou le produit de l’ob
session .
Or, n’est-ce pas ce qui se réalise dans les libéralités
dont s’occupe l’art. 909 ? N’ayant le plus souvent d’au
tre cause que la maladie elle-même , faites à un dona
taire dont le seul titre est d’être médecin , c’est-à-dire
présumé capable de déterminer par ses prescriptions ce
retour à la santé si vivement désiré? Certes, la coïnci
dence de cette double condition était de nature à faire
naître le soupçon, à armer la sévérité du législateur , à
le décider enfin à adopter une mesure qui , toute pré
ventive , a le mérite incontestable de retenir dans les
bornes de la probité , celui qui , appelé au chevet d’un
malade, oserait vouloir abuser de son caractère et de
son influence.
ET DE LA FRAUDE.
163. — La véritable pensée du législateur a donc
été de se prémunir contre la faiblesse de l’un , contre
l’abus de l’empire que l’autre doit à sa qualité. Ce qui
�134
TRAITÉ DU DOL
le prouve, c’est que la présomption de dol n’est acquise
que par la réunion des circonstances que nous signa
lions, à savoir : 1° que le malade donateur ait été traité
par le médecin donataire , pendant la maladie dont il
est décédé ; 2° que la libéralité ait été faite pendant le
cours de la maladie. Le défaut d’existence de l’une ou
l’autre de ces conditions laisserait la libéralité sous l’em
pire des principes ordinaires. C’est ce qui a été souve
rainement jugé le 9 avril 1836 , par la Cour de cassa
tion.'
On ne pourrait, au reste, décider le contraire sans se
mettre en contradiction avec l’esprit de la loi. La dispo
sition proscrite par l’art. 909 n’est traitée avec cette sé
vérité que parce qu’elle est envisagée comme un pacte
sur la guérison future. Il faut donc de toute nécessité,
pour que ce pacte existe, que ses divers éléments se ré
alisent simultanément. Si donc la libéralité avait été con
sentie avant la maladie, soit pendant le cours d’une ma
ladie précédente, soit pendant que le disposant jouissait
d’une santé parfaite, on ne pourrait la considérer com
me la condition de soins qui n’étaient ni nécessaires ni
requis. Rien n’empêcherait donc qu’elle sortit à effet.
164. — Ainsi , celui qui attaque une libéralité au
point de vue de l’art. 909, doit nécessairement prouver
l’existence de la double condition que nous venons de
signaler. Mais il n’y a que cela à prouver, car la réu1J- d u P -, année 1836.
�138
nion de ces conditions imprime à la disposition un tel
caractère que son annulation en est une conséquence
forcée.
Or , la plupart des circonstances sur lesquelles ces
conditions reposent sont de nature à être matériellement
constatées. Le commencement de la maladie rapprochée
de la date de la disposition , le fait du décès du dispo
sant, les soins donnés par l’institué, sont des points sur
lesquels il sera facile d’asseoir une opinion.
La date de la donation apprendra par elle-même si
elle est contemporaine de l’état de maladie , surtout s’il
s’agit d’une disposition entre vifs constatée par acte au
thentique. Mais il peut y avoir plus de difficultés s’il s’a
git d’un testament olographe. On sait que ce testament
fait foi de sa date. En réalité cependant rien n’est plus
facile que de l’antidater , et c’est ce que l’on fera sans
doute lorsqu’il s’agira d’éluder la disposition de l’arti
cle 909.
C’est dans ce cas surtout que se décèle l’importance
de la prescription sur la simultanéité des conditions que
nous venons d’indiquer. La date seule du testament
faisant évanouir l’une d’elles, la libéralité est'à l’abri de
toute atteinte, alors même qu’il y a lieu de soupçonner
l’antidate. Cependant, comme cette antidate constitue
une simulation contre une disposition prohibitive de la
loi , les héritiers pourront l’attaquer ; mais leur action
se trouvera, dans ce cas, régie par les principes ordinai
res , aux termes desquels la fraude ne se présume ja
mais. Ils seront donc obligés d’en fournir la preuve.
ET DE LA FRAUDE.
�136
TRAITÉ DU DOL
Quant à la qualité du donataire , ne perdons pas de
vue qu’elle n’est pas par elle seule un indice de dol. Il
faut en outre qu’elle coïncide avec le traitement de la
maladie. C’est donc l’existence de ce traitement qu’il con
vient d’abord d'établir.
Ainsi, par exemple, l’art. 909 place les pharmaciens
au nombre des personnes suspectes. Mais il est certain
que la prohition ne peut les atteindre que lorsque, pre
nant la place du médecin, ils en ont rempli les devoirs
durant le cours de la maladie. Ainsi si , se renfermant
dans leur ministère, les pharmaciens se sont bornés à
préparer et à fournir les remèdes prescrits , "la libéralité
dont ils seront l’objet n’a rien d’illicite ni de suspect.
S65. — Ce point, constant en doctrine et en juris
prudence, en confirmant ce que nous disions, que l’in
capacité est bien plutôt une conséquence du traitement
que de la qualité de la personne, doit servir à résoudre
une difficulté qui s’est quelquefois présentée sur l’ap
plication de l’art. 909, aux personnes qui, sans être re
vêtues d’un caractère légal , ont cependant réellement
traité le malade donateur.
Contre cette application , on a dit qu’en matière de
déchéances ou d’incapacités , la loi doit être entendue
dans un sens restrictif; que l’art. 909 ne pouvait donc
être invoqué que contre les personnes qui y sont nomi
nalement désignées , que l’étendre à d’autres , c’est le
violer et faire une assimilation qu’il ne saurait com
porter.
�137
A ces objections il a été répondu que la présomption
créée par l’art. 909 est fondée sur l’empire que l’on
doit reconnaître au donataire sur l’esprit du donateur;
que cet empire s’acquiert non pas parce qu’on est mé
decin, chirurgien, officier de santé ou pharmacien, mais
bien parce que, appelé auprès du malade , on en rem
plit les fonctions en prescrivant le traitement qui doit
lui faire recouvrer la santé ; que si, sous l’empire de ces
idées, la loi a nominativement désigné certaines profes
sions, c’est que ceux qui les exercent légalement sont le
plus ordinairement choisis ; qu’elle n’a pas dû suppose^
qu’un autre put usurper leurs fonctions et se constituer
ainsi en délit; qu’elle a dû , en tout état des choses,
s’abstenir d’une désignation qui, fondée sur cette possi
bilité, aurait pu paraître un encouragement ; que dans
tous les Cas il serait singulier qu’un individu , agissant
comme médecin et ne l’étant pas, fût traité plus favora
blement que le médecin légalement institué.
D’ailleurs, il est évident que celui qui s’ingère dans
l’art de guérir, qui en exerce les fonctions , devient, en
fait, le médecin de celui qui lui a confié la direction de
sa santé. Il rentre donc , comme tel , dans la catégorie
des personnes nommées dans l’art. 909. 11 y a même,
pour lui faire partager l’incapacité de celles - ci , une
supériorité de raisons incontestables. Les charlatans, les
empiriques sont loin de présenter les garanties de mo
ralité et de délicatesse que l’on trouve chez les person
nes vouées à l’exercice des diverses branches de l’art de
guérir. Etait-ce donc au moment où la fraude acquiert
ET DE LA FRAUDE.
�138
TRAITÉ DU DOL
plus de vraisemblance que le législateur se serait départi
des précautions qu’il a jugées indispensables dans, tous
les cas ?
Non, il ne pouvait ni ne devait le faire. Il ne l’a pas
fait, en réalité, car il les a , sinon explicitement , du
moins implicitement désignés dans sa disposition. C’est
ce qu’enseignent les débats et les explications qui ont
eu lieu dans le sein du conseil d’Etat et à la tribune de
nos chambres législatives. Rappelons-nous ce passage du
rapport que M. Jaubert faisait au Tribunat : Il serait
superflu de faire remarquer que la loi atteindra , par
voie de conséquence nécessaire, tous ceux qui, dépour
vus d'un titre légal, oseraient s'ingérer dans les fonc
tions de l'art de guérir
Ce n’est donc pas ajouter à l’art. 909, que de le ren
dre commun à ceux qui, sans aucun titre, auront traité
un malade et usurpé la qualité de médecin ; c’est au
contraire lui donner sa véritable signification. C’est ainsi
que l’enseignent Merlin, Toullier, Duranton ; c’est aussi
ce qui a été consacré par la jurisprudence,
166. — En effet, la Cour d’appel de Paris a annu
lé, le 9 mai 1820, le legs fait à un individu qui exerçait
la profession de médecin sans titre et qui avait reçu chez
lui le testateur , comme pensionnaire , quelques années
avant son décès.’
1 Locré, tom. n, pag. 442, n» 17.
2 Dalloz A., tom. v, pag. 282.
�139
De son côté , la Cour de Grenoble a jugé , le 9 mai
1830, qu’une femme qui exerce habituellement l’art de
guérir, se trouve comprise dans la prohibition de l’art.
909 ; qu’en conséquence elle ne peut profiter des dispo
sitions testamentaires faites en sa faveur par la person
ne qu’elle a traitée pendant sa dernière maladie.'
ET DE LA FHAUDE.
Î67. — Cette doctrine nous paraît tellement confor
me à l’esprit véritable de la loi, que nous l’appliquons,
sans hésiter , au don ou legs fait en faveur d’une sagefemme. En effet, de deux choses l’une, ou la sage-fem
me a été appelée pour un accouchement, ou elle l’a été
pour une maladie ordinaire.
Dans le premier cas , elle a légalement capacité pour
suivre l’accouchement dans toutes ses phases , pour en
prescrire et en suivre le traitement. Elle est donc, quant
à ce, le véritable chirurgien, l’arbitre de la santé et mê
me de la vie de la malade. Par voie de conséquence, on
doit lui supposer toute l’influence que le médecin pour
rait avoir lui-même.
Dans le second cas, la mission que la sage-femme ac
cepte est en dehors de ses pouvoirs, elle constitue mê
me le délit d’exercice illégal de la médecine. Mais nous
venons de voir que l’art. 909 n’est pas impuissant de
vant une usurpation de ce genre. Dès lors, la sage-fem
me, rentrant dans la classe de médecins sans litre, se
rait atteinte par la prohibition qui leur est commune avec les véritables médecins.
1
J. du P., année '1830.
�____________
440
TRAITÉ DU DOL
168. — On s’est, de plus, demandé si cette prohibi
tion doit s’étendre aux garde-malades qui ont soigné la
personne qui a disposé en leur faveur. Cette question
peut avoir de l’importance , en ce qui concerne les reli
gieuses qui se sont vouées à cette profession. Leur édu
cation et leur position les mettent à même d’exercer et
d’acquérir une influence à laquelle des garde-malades,
prises dans les rangs infimes de la société, ne pourraient
que très-difficilement atteindre.
Quoi qu’il en soit, la négative qui a été généralement
admise nous parait résoudre la question dans un sens
aussi raisonnable que légal. Une garde-malade est une
domestique qu’on peut renvoyer. Il n’y a entre les ser
vices qu’on attend d’elle et ceux que le médecin peut
rendre ni assimilation ni analogie. C’est donc aux inté—
xessés à mettre un terme aux obsessions dont le malade
peut être l’objet de sa part ; à eux encore à poursuivre,
mais par application des principes ordinaires, la nullité
des avantages que ces obsessions auraient déterminés.
169. — En résumé, l’application de l’art. 909 se
détermine bien plutôt par la conduite du donataire à l’é
gard du donateur, que par la qualité dont le premier se
trouve revêtu. Médecin ou non, celui qui a présidé aux
soins reçus par le malade, dicté le traitement, doit être
privé des libéralités qu’il aurait obtenues pendant la du
rée de ce traitement et de ces soins. Nous aurons , ce
pendant , à faire remarquer une différence , quant aux
exceptions autorisées par l’art. 909, entre les personnes
�141
que cet article désigne nommément et celles qui leur
ont emprunté leur qualité1. Mais, quant à l’application
du principe général, nous le répétons, ce qui est essen
tiel à constater, c’est le fait du traitement.
A quels caractères'devra-t-on en reconnaître l’exis
tence ? C’est là une question dont l’appréciation ne pou
vait être ni précisée ni limitée. C’est donc aux magis
trats qu’il appartient de la résoudre souverainement et
selon les inspirations de leur conscience. C’est ce que la
Cour de cassation a consacré par son arrêt du 9 avril
1835, en décidant : que le traitement présente, par l’en
semble des circonstances , la qualité des remèdes et la
nature des soins , un fait complexe dont l’appréciation
est confiée aux lumières et à la conscience des juges.
Ce qui est certain , toutefois , c’est qu’on ne saurait
voir un traitement, tel que l’entend la lo i, dans le fait
d’avoir rendu quelques visites , donné accidentellement
quelques soins ou indiqué quelques-uns de ces remèdes
inoffensifs qui se trouvent dans la bouche de tout le
monde. Ainsi , le médecin appelé en consultation , la
personne qui se serait bornée à indiquer un traitement
sans le suivre, celle qui, se trouvant quelquefois auprès
du malade, aurait aidé à le penser, ne pourrait être con
sidérée comme incapable de recueillir la libéralité dont
elle aurait été l’objet. L’idée que suggère l’exigence d’un
traitement emporte avec elle celle de soins constants,
d’une surveillance assidue , d’une direction exclusive et
ET DE LA FRAUDE.
�142
TRAITÉ DU DOL
journalière des soins à donner au malade. On ne saurait
donc le confondre , soit avec l’appel et le secours acci
dentel d’un habile praticien qui, étranger au traitement
du malade avant la consultation, redevient après celle-ci
ce qu’il était auparavant ; soit avec les marques d’inté
rêt que les amis du malade seraient dans le cas de lui
prodiguer.
170 . — L’incapacité édictée contre les médecins,
chirurgiens , officiers de santé et pharmaciens est éten
due par l’art. 909 aux ministres du culte. Ceux-ci ne
peuvent donc recevoir aucune libéralité , sous quelques
formes que ce soit, du malade dont ils ont dirigé la
conscience. Cette disposition est conforme aux principes
de notre jurisprudence ancienne. Le Code pouvait d’au
tant moins hésiter à la consacrer , qu’au point de vue
où se plaçait le législateur cette consécration devenait
une nécessité impérieuse.
En effet, s’il est vrai que le médecin soit dans le cas
de se créer, par l’exercice de ses fonctions, une influence
grave sur l’esprit de son malade, il convient, néanmoins,
de reconnaître que cette influence ne sera jamais aussi
facile , aussi puissante que celle que le prêtre trouvera
dans l’exercice de son ministère. Ministre de la religion,
dispensateur de ses grâces, son empire sur l’esprit faible
et timoré du mourant sera sans bornes. La foi religieu
se, qui a le plus longtemps sommeillé, se réveille quel
quefois plus ardente et plus vive en présence du terrible
problème qui va se résoudre. Est-il, dans une pareille
�143
circonstance , un sacrifice capable d’arrêler celui qui,
placé sur le seuil de l’éternité et dans une pensée de
salut, croira devoir se concilier la religion et obtenir le
pardon que le prêtre est autorisé à faire descendre sur
sa couche de douleurs et d’agonie ?
L’abus est donc bien plus à craindre du médecin de
l’âme que du médecin du corps. Il y a entre la mission
de l’un et de l’autre toute la distance qui sépare les
profondeurs de la croyance religieuse, de la foi que peu
vent inspirer les promesses si incertaines de la science
humaine. En conséquence , excepter l’une des précau
tions ordonnées contre l’autre , c’était se condamner à
rester désarmé en présence d’un danger plus imminent
et plus réel.
*
Sans doute si les ministres du culte étaient tous ce
qu’ils devraient être, ces précautions eussent été inutiles.
Mais de quoi n’a-t-on pas abusé ? L’histoire de notre
justice, tant civile que criminelle, est là pour nous ap
prendre que partout où il y a des hommes, les passions,
même les plus honteuses, savent se frayer une large et
déplorable voie.
Retenir dans le devoir ceux qui seraient tentés de s’en
écarter, telle doit être la pensée de toute législation. A
ce titre, la disposition dont nous nous occupons est émi
nemment morale et juste.
Les libéralités faites aux ministres du culte sont donc,
comme celles au profit des médecins et chirurgiens, frap
pées d’une présomption de dol. Les unes et les autres ne
sont, aux yeux de la loi, que le produit de sentiments
suggérés, que le résultat d’une influence illégitime.
ET DE LA FRAUDE.
�144
TRAITÉ DU DOL
171. — Mais on donnerait à l’art. 909 une inter
prétation abusive , si l’on voulait en faire ressortir une
incapacité absolue , en ce qui concerne les ministres du
culte. En les plaçant sur la même ligne que les méde
cins , cet article leur rend communes non seulement la
prohibition elle-même, mais encore les conditions aux
quelles elle est encourue. En d’autres termes, la nullité
de la disposition ayant pour cause unique la présomp
tion d’une influence illégitime , elle ne saurait être ni
demandée ni. ordonnée, lorsque les circonstances prou
vent que cette influence n’a pu se réaliser.
Ainsi , pour que le ministre >du culte soit atteint de
l’incapacité édictée par la loi , il faut qu’il ait usé de
son caractère pendant le cours de la maladie , prodigué
au malade les soins spirituels et dirigé sa conscience. A
ces conditions, il ne pourra profiter de la libéralité dont
il aura été l’objet. Par voie de conséquence, si, en fait,
ces conditions ne se sont pas réalisées, ou si sa conduite
auprès du malade est exclusive de toute idée d’influen
ce, la libéralité légalement obvenue devra sortir à effet.
172. — Il a été jugé que le prêtre qui n’a pas con
fessé le malade pendant sa dernière maladie, mais qui,
postérieurement au testament, lui a donné, au moment
où il allait expirer, l’extrême-onction, n’est pas frappé
de l’incapacité de recevoir exprimée dans le dernier ali
néa de l’art. 909.'
i Journal du Palais, Toulouse, 20 novembre 1835
�145
175. — Il semblerait résulter de cette doctrine que
la confession seule établit l’incapacité. Cette opinion, qui
était celle que l’ancienne jurisprudence avait consacrée,
doit-elle encore être suivie sous l’empire du Code?
La Cour de Grenoble l’a tellement pensé ainsi, qu’elle
a décidé, le 14 avril 1806, que le prêtre qui est con
tinuellement resté auprès d’une personne pendant la ma
ladie dans laquelle elle a fait son testament, et dont elle
est morte, qui lui a donné l’extrême-onction, sans l’a
voir cependant confessée, n’est pas incapable de recueil
lir les dispositions faites à son profit dans ce testament.'
ET DE LA FRAUDE.
■ 174. — Si cette solution devait recevoir la consé
cration d’un principe , on arriverait, par une consé
quence directe , à éluder facilement les prescriptions de
l’art. 909, dans les cas précisément où leur application
serait le plus nécessaire. Qu’un prêtre puisse , par sa
présence continuelle, acquérir sur le malade cet ascen
dant que la loi redoute ; que le malade obéisse , dans
ses dispositions de dernière volonté, aux suggestions dont
cet ascendant peut être suivi , c’est ce qui est naturel
d’admettre. Or, c’est précisément contre une hypothèse
de ce genre que la loi s’est armée de sévérité.
Si donc il suffisait au prêtre, qui par ses assiduités,
par des entretiens fréquents, par ses visites journalières
a solidement établi son empire sur le malade, de s’abs
tenir de le confesser pour être capable de recevoir les li1 Dalloz A., tom v, pag. 292.
I
10
�TRAITÉ DU DOL
146
béralités dont il serait l’objet, l’art. 909 ne serait plus
qu’une menace vaine dont on pourrait impunément se
jouer.
Aussi apparait-il, de l’arrêt lui-même, que la Cour de
Grenoble, frappée de ces considérations , n’en a point
méconnu la gravité ; qu’elle a voulu rendre un arrêt
d’espèce plutôt qu’un arrêt de principe. C’est ainsi qu’elle
constate d’abord que la libéralité attaquée doit, par son
peu d’importance, être considérée comme un acte de ré
munération ; que les faits allégués n’étaient pas prouvés;
qu’ils étaient même de toute invraisemblance , d’après
les opinions que le testateur avait manifestées par écrit.
On peut dès lors, dit avec raison M. Dalloz jeune, croi
re que la Cour eût décidé autrement , si les assiduités
du prêtre, même sans confession, avaient été de nature
à captiver l’esprit du malade, par l’influence de son ca
ractère sacerdotal.'
C’est encore ce caractère spécial de l’arrêt qui a dé
terminé le rejet du pourvoi dont il avait été frappé :
« Attendu, dit en effet la Cour suprême, que l’inca
pacité résultant de l’art. 909 , en ce qui concerne les
ministres du culte , n’est point absolue , et qu’elle ne
s’applique qu’à ceux de ces ministres qui ont rempli les
fonctions de leur culte auprès du testateur ; attendu que
l’arrêt attaqué décide en fait que l’abbé Geneys n’a rem
pli aucune fonction de cette espèce auprès du sieur Montlouvier ; d’où il suit qu’il était capable de recevoir de
celui-ci toute espèce de legs. »
�147
175. — Il résulte, selon nous, de cette jurispruden
ce, une seule chose, à savoir : que , de même que le
traitement par le médecin, l’assistance du prêtre est, par
sa nature, par ses circonstances, un fait complexe dont
l’appréciation souveraine est laissée à la prudence et aux
lumières du juge ; que si elle se décèle forcément par la
confession, elle peut aussi exister en l’absence de celleci ; qu’il y a donc incapacité toutes les fois que les faits
relevés tendent à faire considérer la donation ou le legs
comme le produit de l’influence acquise au donataire ou
légataire.
Cette conclusion nous parait d’autant plus rationnelle
que s’il fallait admettre la confession comme la cause
unique de l’incapacité édictée par la loi , il faudrait,
comme le fait Toullier, arriver, par voie de conséquen
ce, à décider que l’art. 909 est inapplicable aux minis
tres des religions qui n’admettent pas la confession. Ce
pendant la volonté du législateur, d’atteindre les minis
tres de tous les cultes, ne saurait être douteuse. Elle ré
sulte invinciblement de l’esprit et des motifs de la loi.
ET DE LA FRAUDE.
176. — La présomption de dol, créée par l’art. 909,
est une présomption juris et de jure. L’institué contre
lequel on aura fait la preuve exigée par la loi, ne pour
ra faire maintenir la disposition attaquée qu’en justifiant
qu’il se trouve dans un des cas d’exception autorisés par
ce même article.
Ces exceptions se rapportent à la nature de la dispo
sition, à la qualité de la personne appelée à en profiter.
�148
TRAITÉ DU DOL
Il était naturel, en effet, de restreindre l’art. 909 dans
des limites raisonnables-, de ne pas le rendre un obstacle
invincible à tout témoignage d’une reconnaissance mé
ritée ou d’une affection légitime. Agir autrement, c’était
éloigner du malade les soins de ses parents, de ses amis
les plus affectueux, les plus dévoués.
« On n’a pas voulu, disait l’orateur du gouvernement
dans l’exposé des motifs, que le malade fût privé de don
ner à ses médecins quelque marque de sa reconnais
sance , eu égard à sa fortune et aux soins qui lui au
raient été rendus ; il eût été aussi injuste d’interdire les
dispositions, celles-mêmes qui seraient universelles, fai
tes par le malade, au profit de ceux qui le traiteraient
et qui seraient de ses parents. S’il y avait des héritiers
en ligne directe, du nombre desquels ils ne seraient pas,
la présomption, qui est la cause de leur incapacité, re
prendrait toute sa force.’ »
Ces considérations enlèvent à l’application de la loi
toute difficulté sérieuse. On sait ce que peut, ce que doit
être un acte de gratitude. Récompenser quelqu’un , ce
n’est pas ordinairement lui donner tout son bien , au
détriment des droits que les relations de famille, que les
liens de parenté supposent et créent.
177. — De là cette conséquence qu’une institution
universelle ne saurait jamais constituer un simple acte
de rémunération. C’est pourquoi la loi commande l’an1 Locré, t. il, pag. 364, n° 8.
�U9
nulalion dans tous les cas, alors même que le disposant,
ne laissant que des collatéraux éloignés , l’eût qualifiée
de rémunération. On ne verrait dans cette qualification
qu’une fraude à l’effet d’éluder la prohibition de la loi.
Ajoutons que la nullité d’une institution de ce genre
est générale et absolue. Elle est également présumée le
produit d’une suggestion illégitime ; et dès lors il est im
possible de l’attribuer en tout ou en partie à la volonté
libre de son auteur. Les tribunaux ne pourraient donc,
procédant par voie de retranchement, la réduire aux
proportions d’un acte rémunératoire. Ce serait valider
en partie une volonté que la loi proclame sans effet.
ET DE LA FRAUDE.
178. - Il n’en est pas de même de l’institution par
ticulière. La loi qui l’autorise ne peut pas admettre
qu’elle soit excessive , car l’abus qu’elle a voulu pros
crire dans l’institution universelle se reproduirait bien
tôt sous la forme d’une disposition à titre rémunératoi
re. Le testateur pourrait s’exagérer la portée, des soins
qu’il reçoit. On pourrait même lui en suggérer la pen
sée. C’est pour éviter que le mal ne fût ainsi déplacé
que le législateur a tracé les éléments qui doivent servir
à l’appréciation de la libéralité. Ces éléments sont : d’un
côté la fortune du disposant, de l’autre la nature des
soins qu’il a reçus. Les1tribunaux doivent donc se ren
fermer dans ces limites et réduire la disposition qui pa
raîtrait s’en écarter.
Le maintien d’une institution rémunératoire peut être
réclamée dans tous les cas et par tous les ayants-droit.
�TRAITÉ DU DOL
150
Peu importerait que cette institution n’eût pas été faite
expressément à ce titre. Il suffirait qu’au fonds elle fût
bien réellement un témoignage de reconnaissance pour
qu’elle dût recevoir sa pleine et entière exécution.
179. — L’institution universelle est autorisée lorsque
celui qui en a été l’objet, quoique appartenant à la ca
tégorie des personnes désignées par l’art. 909 , est pa
rent du testateur au quatrième degré inclusivement, si
celui-ci ne laisse aucun héritier en ligne directe. S’il ex
iste des héritiers directs, et que l’appelé ne soit pas du
nombre, l’institution universelle doit être annulée.
180. — Ces prescriptions de l’art. 909 sont irritan
tes et absolues. Les médecins , chirurgiens , officiers de
santé et pharmaciens ne pourraient, en dehors de ces
conditions, exciper de l’affection du testateur pour faire
maintenir la libéralité. Il y a plus encore. La loi ne
s’expliquant pas sur l’alliance, l’existence de celle-ci,
même à un degré très-rapproché, ne ferait pas dispa
raître l’incapacité. Dans ces matières, la prohibition for
me le droit commun. Elle ne comporte donc d’autres ex
ceptions que celles qui sont formellement autorisées. Le
législateur n’ayant pas mis l’alliance sur la même ligne
que la parenté, a, par cela seul, excepté la première de
la règle tracée pour celle-ci.
181. — Doit-on appliquer les mêmes principes aux
personnes q ui, sans caractère légal, ont traité le testa
teur pendant sa dernière maladie ?
�151
Nous avons vu que ces personnes sont assimilées,
quant à la prohibition , aux médecins , chirurgiens et
pharmaciens , nommément désignés par la loi. On de
vrait donc conclure qu’il est naturel d’exiger pour elles
ce qu’on exige pour ceux-ci.
Mais ne perdons pas de vue que leur incapacité ré
sulte d’une analogie dont on ne saurait contester la jus
tesse. Or , c’est cette analogie qu’il s’agit d’établir , et
cette recherche présente aux juges une appréciation de
fait livrée à leur conscience, mais qui, dans tous les
cas , doit, pour se placer sous le coup de l’art. 909,
constituer véritablement l’abus que cet article a voulu
réprimer. Ainsi l’analogie sera complète , lorsque les
soins donnés sont dus à l’usurpation des fonctions, lors
qu’ils sont une conséquence des connaissances médica
les supposées, et que c’est à ce titre unique que l’insti
tué a été appelé.
Mais il n’y a plus aucune analogie lorsque celui qui
a traité le malade, sans être médecin, n’a agi que sous
l’influence de la pensée d’un devoir. Lorsque d’un côté
les soins , de l’autre l’affection sont justifiés par des re
lations antérieures , non équivoques , dont la continua
tion ne saurait être blâmée sans condamner les plus no
bles des sentiments , l’affection et la reconnaissance.
Dans ce cas, la loi ne se trouve plus en présence d’une
présomption d’abus de la faiblesse d’un moribond ;
elle doit, dès lors, respecter les volontés manifestées par
celui-ci.
ET DE LA FRAUDE.
�152
TRAITÉ DU DOL
182. — C’est ainsi que la Cour de cassation a ju
gé, le 24 juillet 1832 , que la prohibition de l’art. 909
ne s’applique pas à celui qui, sans titre légal, a exercé
la médecine , la chirurgie ou la pharmacie à l’égard du
malade qui a testé en sa faveur , lorsqu’il a été traité
par lui, sa- vie durant, comme son fils.'
Dans cette espèce, le légataire avait été recueilli à l’â
ge de deux ans par le testateur, qui l’avait élevé et en
voyé en dernier lieu étudier la médecine à Paris. A la
nouvelle du péril de son bienfaiteur, l’élève, abandon
nant ses études, était accouru à son chevet, lui consa
crer les connaissances médicales qu’il devait à ses bien
faits. On comprend dès lors que les magistrats, appré
ciant sa conduite , les motifs qui la lui dictaient, aient
refusé d’y voir une assimilation quelconque avec les ac
tes que l’art. 909 prohibe. C’était là une décision mo
rale et juste que la Cour suprême ne pouvait blâmer.
C’est surtout pour de pareilles hypothèses qu’on doit
mettre en pratique celte maxime de la raison écrite:
Laudandus potius quam exhœredandus Itérés.
Il est vrai que les mêmes considérations militeraient
pour le médecin titulaire qui aurait traité un malade
dans une semblable hypothèse. Cependant l’arrêt de la
Cour de cassation semble indiquer qu’on devrait, pour
celui-ci, maintenir la prohibition de l’art. 909. Mais si
le magistrat, usant du pouvoir souverain d’appréciation
que la loi lui confère, est libre, lorsqu’il s’agit de recher1 J. (lu P., année 1832.
�ET DE LA. FRAUDE.
153
cher si l’acte qui lui est dénoncé tombe on non sous le
coup de la prohibition, de n'écouter que les inspirations
de sa conscience ; cette liberté, il ne l’a plus lorsque la
loi s’est nettement et formellement expliquée. Or, c’est
ce qui se réalise à l’égard des personnes nommément
désignées par l’art. 909. Pour elles , il n’y a que deux
exceptions , à savoir : celle tirée de la parenté au qua
trième degré , celle tirée du caractère rémunératoire de
la disposition. On ne pourrait donc en ajouter d’autres,
sans violer la volonté formelle du législateur, sans affai
blir la règle générale qu’il a tracée, sans changer com
plètement la nature et le caractère de sa disposition.
1§J3. — La seconde condition , indispensable pour
qu’on présume le dol, c’est, nous t’avons-déjà dit, que
la libéralité en faveur des personnes suspectes ait été
faite pendant le cours dé la maladie dont le testateur est
mort. Puisque la sévérité de la loi n’est que la consé
quence de la crainte que la- disposition ne soit due en
réalité qu’à l’entrainement et à la faiblesse , il était de
rigueur que les circonstances qui ont pu les déterminer,
l’un et l’autre, se fussent continuées, sans interruption,
du jour de Pacte à celui où il doit sortir à effet. Si,
dans l’intervalle , le disposant a pu détruire, modifier
ou changer les volontés d’abord exprimées , et qu’il se
soit abstenu de le faire , on doit avec raison considérer
sa conduite comme la preuve que c’est avec pleine li
berté d’esprit et de son propre gré qu’il a pris sa déter
mination.
�154
TRAITÉ DU DOL
Vainement donc prouverait-on qu’une institution a
été faite par un malade , pendant le cours de sa mala
die, en faveur du médecin qui l’a traité , ou du prêtre
qui a dirigé sa conscience. Si le malade , revenu à la
santé , a laissé subsister son institution , rien ne s’oppo
serait à son exécution, alors même que, dans la mala
die nouvelle à laquelle il a succombé , le médecin et le
prêtre eussent cotinué à exercer auprès de lui l’exercice
de leur ministère.
Il en serait de même si le testament ou la donation avait été faite en état de santé et avant toute atteinte du
mal dont le testateur ou le donataire est devenu la vic
time.
Mais on ne saurait avoir égard , dans l’appréciation
de ces exceptions, ni à la durée de la maladie, ni à son
caractère. Il importerait peu qu’elle se fût prolongée des
années entières; qu’elle ait offert des intermittences de
santé. Si en définitive elle n’a jamais entièrement cédé,
et si née antérieurement au testament, elle a eu une is
sue funeste, l’art. 909 doit recevoir son application.
La Cour de Toulouse vient de le décider ainsi dans une fort remarquable espèce :
Le %\ novembre 1861, l’illustre père Lacordaire dé
cédait en l’état d’un testament du 17 décembre 1860,
qui instituait pour héritier le père Mourey, sous-direc
teur de l’école de Sorèze, et qui avait été dans ces der
nières années le confesseur du testateur.
L’un des frères de celui-ci attaque le testament et en
demande la nullité , non pas seulement comme conte-
�155
nant un legs déguisé en faveur d’un incapable, mais en
core comme tombant sous l’application de l’art. 909.
Cette demande est accueillie par le Tribunal de Castre.
Appel, et le 121 juin 1864 arrêt de la Cour de Tou
louse qui confirme. Nous transcrivons les motifs de cet
arrêt qui déterminent la véritable portée de l’art. 909 et
ses diverses applications :
« Attendu qu’un premier fait n’a pas été contesté,
c’est que le père Lacordaire, pendant les dernières an
nées de sa vie, a toujours eu pour confesseur le père
Mourey ;
» Qu’un second fait a été également reconnu , c’est
que la santé du Père Lacordaire s’était gravement alté
rée dès le commencement de l’année 1860 ;
» Que la seule question à résoudre est celle de savoir
si, à la date du 17 décembre 1860 , le testateur était
déjà atteint de la maladie à laquelle il a succombé onze
mois plus tard ;
» Attendu que parmi les documents dont il a été fait
usage, il faut distinguer ceux qui émanent du père La
cordaire et du père Mourey ; qu’en rapprochant ces
derniers documents des faits et circonstances de la cau
se, il est facile de se convaincre que le père Lacordaire,
pendant les deux années 1860 et 1861 , n’a eu qu’une
seule maladie, persévérante dans son cours, fatale dans
son issue, dont le point de départ certain se fixe au cou
rant de 1860, époque où le révérend père, saisi à l’au
tel même de violentes douleurs de têtes et de reins , fut
obligé de se retirer précipitamment dans sa chambre ;
ET DE LA FRAUDE.
�156
TRAITÉ DU DDL
qu’à juger cette maladie par les symptômes qui l’ont
manifestée, on conçoit que les hommes de l’art l’aient
appelé une anémie, un appauvrissement du sang affec
tant l’estomac , les entrailles et le cœur ; que du reste,
dans la maison de Sorèze, nul ne savait mieux la vérité
sur ce point que le père Mourey, et c’est lui qui a écrit
ces lignes : la science avait déclaré une anémie et pres
crit le repos ; le cœur , l'estomac , les entrailles, res
sentaient successivement les atteintes du mal ; on en
voyait les traces dans un amaigrissement successif.
» Attendu que le père Lacordaire, instruit de la na
ture de son mal, n’a pas hésité à prendre des mesures
pour alléger le fardeau que faisait peser sur lui l’admi
nistration de son ordre ; qu’il a même adressé à tous
les prieurs des circulaires par lesquelles il leur faisait
connaître l’affaiblissement progressif de ses forces , son
état de faiblesse, sa maladie de langueur ; qu’à la fin de
1860, prévoyant et non découragé, il a écrit son testa
ment du 17 décembre , en même temps qu’il préparait
son discours de réception à l’Académie française ; que
le jour où il a pris possession de son fauteuil, le grand
orateur a pu laisser croire qu’il avait recouvré la santé,
mais qu’il était perdu dès ce jour pour le Corps illustre
qui venait de l’entendre ;
» Attendu qu’au mois d’avril suivant la maladie avait
repris son cours, et, malgré sa répugnance à sortir des
maisons de son ordre, le père Lacordaire avait consenti
à aller respirer un autre air dans le département de la
Somme ; que quelque semaines plus tard , il se retrou-
�*137
vait déjà à Sorèze, entouré de ses élèves, salué par leurs
acclamations, auxquelles il répondait par la promesse
de ne plus se séparer d’eux ; mais que dans ce cas en
core, il était perdu pour ceux qui se montraient si fiers
de le posséder ; qu’on peut même dire que cette fois au
cune illusion ne lui était permise, car il arrivait de Pa
ris, où il avait interrogé le docteur Rayer , et c’est en
core le mot anémie que ce savant médecin avait écrit
dans une consultation désespérée, désespérée comme al
lait le devenir la situation du père Lacordaire, pour qui,
une existence de quelques mois ne pouvait plus être qu’un
martyre d’égale durée ;
» Attendu que ces faits suffisent pour démontrer l’u
nité d’une maladie qui, reconnue une anémie en 1860,
était encore une anémie en 1861, avec cette circonstance
qu’elle s’était compliqué d’une affection intestinale; que
c’est bien la marche continue de celte maladie que le
père Lacordaire a lui-même constatée dans sa corres
pondance avec les religieux de son ordre, lorsqu’il leur
a écrit : en mai 1860, qu'il luttait depuis trois mois
contre un ’affaiblissement progressif ; en septembre
1860, que la congrégation intermédiaire de la pro
vince réunie à Flavignie le 1 er septembre de cette an
née, avait bien voulu prendre en considération l'état
de faiblesse où il était tombé depuis plus de six mois ;
en avril 1861, que la maladie de langueur dont il était
atteint depuis une année, avait paru céder pendant
l’hiver, mais que les fatigues et l’influence de la mau
vaise saison lui avaient rendu son cours ;
ET DE 1.A FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
158
» Attendu que le père Lacordaire n’existait plus quel
ques mois après avoir écrit la dernière de ces lettres où,
parlant de sa maladie à trois époques, il en faisait re
monter le cours à trois mois, à six mois, à une année ;
qu’on peut donc affirmer qu’a dater du mois de mars
1860 , il n’y a pas eu d’époque où le père Lacordaire
n’ait été atteint de la maladie dont il est mort ; que ce
jugement n’est pas plus contredit par le discours qu’il a
prononcé à l’Académie française, que par les pages élo
quentes dont il a été parlé dans les débats, et que son
génie dictait encore à l’approche de son heure suprême;
que tout ce qu’on peut induire des dernières produc
tions de son esprit, c’est que dans celte organisation
exceptionnelle, l’âme triomphait aisément des défaillan
ces du corps, et que sa grande intelligence ne s’est voi
lée que dans les angoisses de sa cruelle agonie ;
» Attendu que la prohibition écrite dans l’art. 909
du Code Napoléon est absolue, tellement absolue qu’il
ne convient pas même d’examiner si le père Lacordaire,
à raison de la supériorité de son esprit, était à l’abri de
la captation que la loi présume et qu’elle a voulu at
teindre par l’application d’une règle inflexible.1 »
Un honorable professeur à la faculté de Toulouse, M.
Bressoles tout en reconnaissant que cet arrêt est inatta
quable ; qu’il est littéralement, et même matériellement
conforme au texte de l’art. 909 ; tout en déclarant qu’il
�159
n’entend pas en faire la critique, n’hésite pas cependant
de lui reprocher de n’avoir résolu que par prétérition la
véritable question qu’un litige de celte nature offrira, à
savoir : si lorsque un testateur est mort à la suite d’une
maladie chronique, le legs fait par lui en faveur de son
confesseur, à toute époque depuis le commencement de
la maladie, est frappé de nullité en vertu de l’art. 909.'
L’auteur se prononce pour la négative, et nous avou
ons que les efforts qu’il fait pour justifier son opinion,
ne nous ont pas convaincu.
Ce que nous reprochons à cette opinion, c’est de mé
connaître le caractère de l’art. 909 , et de vouloir à la
règle absolue, inflexible qu’il trace, substituer une ap
préciation arbitraire , et l’arbitraire est fort à craindre
quelques pures que soient les mains appelées à en dis
poser.
Certes le principe que, dans les maladies chroniques,
l’art. 909 ne doit être appliqué qu'à la période où l'étal
du malade a été définitivement déclaré désespéré , et
où les progrès incessants du mal ont dû bientôt amener
la mort, est fort simple. Mais ce qui l’est beaucoup
moins, c’est son application.
Quelle règle à suivre dans cette application ? A quels
signes reconnaître la période suspecte? Exigera-t-on
que le décès ait eu lieu dans les vingt-quatre heures, ou
bien dans huit, dans quinze, dans les trente jours?
ET DE LA FRAUDE.
�TRA.ITÉ DU DOL
160
On voit quelles incertitudes soulève ce principe, et M.
Bressoles vient les compliquer encore en appelant les
magistrats à substituer leur appréciation à celle de la
science. Il reconnaît en effet que les médecins seront utiles à consulter, mais il n’admet pas que leur avis soit
souverain. De telle sorte que la Faculté disant noir , le
Tribunal ou la Cour pourra dire blanc !
Une pareille anomalie n’a pu entrer dans les prévi
sions du législateur , qui n’a même rien laissé à l’ap
préciation de qui que ce soit. Pour lui, la gravité de la
maladie résulte de son issue funeste, quel que soit l’in
tervalle qui sépare celle-ci de l’invasion de la maladie.
N'est-il pas en effet des maladies qui, une fois décla
rées, ne finissent qu’avec le malade lui-même ? Suppo
sez une phthisie pulmonaire. Qu’importe que des soins
affectueux aient prolongé lâ vie du malade; que ce ma
lade ait vécu trois mois , six mois , un an ; il n’en était
pas moins fatalement dévoué à la mort , dès le jour où
la maladie a éclaté.
Or , il n’existe que trop de ces maladies essentielle
ment mortelles , et dans lesquelles pour fixer l’époque
où le malade a été dans un état désespéré, il faut, pour
être dans le vrai, remonter au début même de la mala
die. Or, refuser dans ce cas d’appliquer l’art. 909, par
l’unique raison que celte maladie a duré plus longtemps,
c’est évidemment se placer en dehors du texte et de l’es
prit de cet article.
Comment admettre d’ailleurs que sa disposition n’ait
en vue que les maladies aiguës ? ha prohibition qu’il
�ET DE LA FRAUDE.
161
consacre n’a d’autre fondement que la supposition de
l’influence qu’exercera, sur le malade, le médecin ou le
confesseur. Or il est évident que si la maladie est aiguë
et se termine dans quelques jours, cette influence n’aura
pas eu le temps de s’établir.
v
Ce temps, la maladie chronique le ménage abondam
ment. Donc le système de M. Bressoles ne va à rien
moins qu’à convaincre le législateur de la plus flagrante
inconséquence, puisqu’il renoncerait à son système de
précautions au moment précisément où le danger plus
imminent rendait ces précautions plus indispensables.
Il n’y a donc pas à équivoquer sur le sens et la por
tée de l’art. 909 , la Cour de Toulouse l’a dit avec rai
son. Dans les litiges que son application soulèvera, l’u
nique question sera de savoir s’il y a concomitance en
tre la date du testament attaqué et l’existence de la ma
ladie mortelle.
C’est-à-dire, comme l’observe très-rationnellement le
savant doyen de la Faculté de Caen , M. Demolombe,
qu’il s’agira en réalité d’une question de fait, médicaleautant que juridique, et sur laquelle les magistrats au
ront souvent à recourir aux lumières des hommes de
l’art.
Or, nous ne saurions ni comprendre ni admettre que
lorsque ces hommes de l’art auront unanimement re
connu qu’il n’a existé qu’une maladie unique, essentiel
lement et nécessairement mortelle ; déclaré que l’état du
malade était aussi désespéré le premier jour que le der\\
i
�162
TRAITÉ DU DOL
nier, les magistrats puissent dire autre chose et refuser
d’appliquer l’art. 909.
184. — Nous avons déjà plusieurs fois rappelé
qu’on ne peut accomplir directement ce que la loi pro
hibe de faire d’une manière directe. Par application de
ce principe à la matière qui nous occupe, on ne devrait
pas hésiter à annuler la libéralité que l’on aurait dégui
sée sous les apparences d’un acte à titre onéreux. L’acte,
dans cette hypothèse, réunirait la fraude au dol. L’ap
plication de l’art. 909 n’en serait que plus urgente, que
mieux justifiée.
Doit-on, dans ce cas, présumer la simulation ? Quel
est le mode de preuves admissible ? C’est ce que nous
aurons à rechercher dans la seconde partie de cet ou
vrage , dans laquelle nous aurons à nous occuper de la
fraude d’une manière spéciale.’
185. — La disposition de l’art. 1965 du Code civil
pourrait nous fournir un nouvel exemple de dol présu
mé. Le refus de toute action pour dettes de jeu n’est, en
principe, fondé que sur l’illégitimité des moyens qui les
ont constituées.
Cependant, il y a entre la dette de jeu et la dette pro
duite par le dol cette différence essentielle : que la pre
mière crée une obligation naturelle reconnue par la loi.
Ainsi l’art. 1969 déclare non sujet à répétition tout ce
1 V infra,
De la fraude,, chap. 1,
sect. i
�163
qui a élé volontairement payé par le perdant. La secon
de , au contraire , n’oblige ni civilement ni naturelle
ment. liés lors, et par application de l’art. 1235 du
Code civil, tout ce qui aurait été payé par le débiteur
doit lui être remboursé.
Nous aurons, d’ailleurs, à nous occuper plus spécia
lement de l’art. 1965 dans nos observations sur la frau
de. Il est certain, en effet, que, par le concours obligé
des deux parties, le jeu constitue plutôt une fraude qu’un
dol véritable. Notons, cependant, qu’en matière d’exé
cution donnée par les joueurs, le législateur a considéré
la simple supercherie comme un véritable dol. Comme
celui-ci, en effet, elle annule le paiement qu’elle aurait
seule déterminé.
ET DE LA FRAUDE.
186. — Le Code de commerce , à son tour , pré
sente de nombreux exemples de fraude et de dol présu
més. C’est de ces derniers que nous avons à nous occu
per exclusivement dans cette partie de notre travail.
Il n’est dans le commerce aucune industrie exposée
à plus de chances et de dangers que l’assurance mariti
me. Son utilité n'est plus cependant une question, cha
cun comprend et répète depuis longtemps qu’il n’est au
cune institution qui ait rendu de si grands services, qui
ait plus efficacement concouru au développement du
commerce , cette source de prospérités pour l’Etat. Les
assurances maritimes , disait M. Corvetto dans l’exposé
des motifs du Code, ont rapproché les quatre parties du
monde.
�TRAITÉ DU DOL
164
187. — Les écueils à travers lesquels le contrat
d’assurance, ce noble produit du génie, ce premier ga
rant du commerce maritime \ est condamné à se frayer
une route, son immense et éclatante utilité traçaient au
législateur un visible devoir. Une protection de tous les
instants , une faveur exceptionnelle était indispensable
pour contre-balancer l’imminence d’une fraude d’au
tant plus à redouter qu’elle s’anéantit avec le navire qui
la recèle dans les abîmes de la mer, et prévenir ainsi la
ruine et le découragement de ceux que l’application du
droit commun ne pouvait suffisamment défendre.
Ce devoir a été compris de tous les temps , à toutes
les époques. Emérigon , l’illustre commentateur, nous
indique dans sa préface les précautions que les différents
peuples commerciaux avaient prises dans l’intérêt de
leur navigation , sous l’empire desquelles vivait encore
la France jusqu’au moment où l’immortelle ordonnance
de 1681 vint leur assurer une efficacité en même temps
qu’une autorité imposante et décisive.
Cette ordonnance, résumé d’une pratique éclairée par
l’expérience, d’une doctrine enseignée par des juriscon
sultes célèbres, par des publicistes tels que Grotius, Puffendorf, Casaregis, Ànsaldus, etc., est un des plus beaux
fleurons du siècle immortel de Louis XIV ; elle est le
Code le plus complet, le plus précis de la matière. Et,
si nous avions besoin de le prouver, nous rappellerions
qu’en 1807, alors que deux siècles environ s’étaient é1 Corvette, Exposé des motifs
�165
coulés, le législateur n’a eu, pour la plus grande partie
de son œuvre, qu’à répéter les dispositions de son pré
décesseur.
ET DE LA FRAUDE.
188. — A proprement parler, le Code de commer
ce n’a eu qu’à convertir en principes quelques induc
tions que la pratique avait tirées de l’ordonnance de
1681. Le fonds des choses n’a pas changé, les disposi
tions essentielles sont reproduites et prises dans cette or
donnance.
C’est d’une de ces additions que nous avons à nous
occuper, celle qui résulte de l’art. 348.
« Toute réticence, porte cet article, toute fausse dé
claration de la part de l’assuré, toute différence entre le
contrat d’assurance et le connaissement , qui diminue
raient l’opinion du risque ou en changeraient le sujet,
annulent l’assurance. »
Contrairement au droit commun , le dol est présumé
dans ces divers cas. Nous verrons bientôt l’effet de cette
présomption. Disons auparavant ce qui a fait introduire
dans la loi cette disposition.
189. — Il n’en existe aucune analogue dans l’or
donnance de 16S1. Cette absence était d’autant plus fâ
cheuse, que le principe qui en fait l’objet était enseigné
par les jurirconsultes, qui en comprenaient la nécessité
et en poursuivaient les conséquences. De là était née une divergence d’opinion qui ne pouvait qu’embarrasser
les tribunaux.
�166
TRAITÉ DU DOL
190. — En effet , Yalin , sous l’art. 7, enseignait
que la déclaration de l’assuré doit être conforme à la
vérité, sous peine de la nullité des assurances, suivant
les circonstances.
A cette première hésitation , née du silence de la loi,
Yalin ajoutait un tempérament qui lui paraissait équi
table. Le moins qu’il en arriverait, dit-il, s’il n’y avait
pas lieu de faire déclarer l’assurance nulle absolument,
à raison de la surprise faite à l’assureur, ce serait d’as
sujettir l’assuré à une augmentation de prime propor
tionnée aux risques qu’il aurait fait courir de plus à
l’assureur en lui diminuant l’objet par la fausse, décla
ration.
Mais Emérigon , qui ne partageait pas l’hésitation de
Valin, combattait vivement ce tempérament.
« C’est ordinairement le sinistre, disait-il, qui donne
lieu à pareilles plaintes. Ce serait donc un triste présent
qu’on ferait aux assureurs, si, en les condamnant à payer
la perte, on leur accordait une augmentation de prime.
» Le juge peut, selon les circonstances du fait, pro
noncer la nullité de l’assurance; mais il rendrait une
sentence évidemment nulle et injuste si, laissant subsis
ter le contrat reconnu vicieux , il se bornait à y appli
quer une modification aussi contraire au pacte stipulé
qu’impuissante à remplir l’intérêt légitime de la partie
lésée. »
Emérigon conclut donc en ces termes : « Si avant
le départ du navire, ou pendant le cours du voyage, l’as~
sureur demandait que l’assurance fût résiliée, sur le
�;
ET DE LA FRAUDE.
467
fondement qu’on lui a dissimulé quelque circonstance
essentielle , on ne pourrait s’empêcher de faire droit à
sa demande. Ce serait tyrannie que de le forcer à se
contenter d’une augmentation de prime. La chose ne
reçoit point de milieu , il faut ou anéantir le contrat ou
le laisser subsister.
» Si le navire périt et que les assureurs prouvent
qu’on leur a dissimulé une circonstance essentielle , le
contrat doit être cassé. Il n’est plus temps après le temps
du risque et que la perte est arrivée, de leur offrir le
prix du risque. 1 »
Enfin , Pothier distinguait la réticence de la fausse
déclaration. La première, à son avis, ne concernait que
le for de la conscience ; la seconde devait entraîner la
nullité des assurances.2
Comme on le voit, la doctrine n’était pas d’accord
sur l’effet de la réticence , sur les conséquences de la
fausse déclaration. C’est l’opinion d’Emérigon qui a, à
bon droit, prévalu. Mais ce choix, ainsi réalisé, ne pou
vait être indiqué que par une disposition expresse. De
là l’introduction, dans notre Code, de l’art. 348.
J 91 - — Toute controverse est donc impossible à l’a
venir. La réticence est placée, quant à ses effets, sur la
même ligne que la fausse déclaration , dont rien ne la
distingue dans les résultats. E t, comme en définitive,
1 Tom. 1, pag. 67, chap. 3, sect. 3.
2 JN° 196.
�168
TRAITÉ DU DOL
c’est l’opinion qu’on s’est créée du risque qui détermine
l’assurance , la différence entre la police et le connais
sement , qui aurait pour objet de dénaturer le risque,
produit les mêmes effets que la réticence, que la fausse
déclaration.
L’identité des conséquences a produit l’uniformité de
législation. Du texte de notre article, il résulte donc qu’il
y a dol présumé : 10 lorsque l’assuré a commis une
réticence ; 2’ lorsqu’il a fait une fausse déclaration ;
3” lorsqu’il existe une différence entre le contrat d’assu. rance et le connaissement.
Pourvu, toutefois, que la réticence, la fausse déclara
tion ou la différence ait eu pour effet de diminuer le
risque ou d’en changer le sujet.
192. — C’est là déroger , d’une manière sensible,
aux principes ordinaires en matière de dol. Nous disions
plus haut que ce qui constitue le dol , c’est l’emploi de
manœuvres artificieuses dans le dessein de tromper ;
qu’ainsi on ne saurait le rencontrer dans le mensonge
isolé, dans une simple ruse. Le contraire se réalise dans
les assurances. Il y a dol , par cela seul que l’un des
faits indiqués par l’art. 348 s’est réalisé dans les condi
tions tracées.
Cette première modification au droit commun s’expli
que par la nature même des choses. Le contrat d’assu
rance est un acte exceptionnel pour l’exécution duquel
on ne pouvait recourir aux obligations imposées aux
parties dans tous les autres contrats. On ne pouvait no-
�169
tamment exiger de l’assureur qu’il se livrât à des inves
tigations, plus ou moins minutieuses, à l’effet de contrô
ler les déclarations qu’il reçoit, de découvrir les circon
stances qu’on lui tait. Le temps qu’une pareille recher
che eût consommé aurait, dans bien des cas, rendu l’as
surance impossible , en amenant l’échéance du risque
qui devait en faire le sujet.
On obéissait donc à une nécessité réelle én l’autorisant
à accepter , comme sincère , la déclaration de l’assuré.
Comme contre-poids à cette confiance obligée, il était in
dispensable de placer celui-ci entre la nécessité de dire
la vérité et toute la vérité , et la perte du bénéfice qu’il
aurait voulu se procurer par un mensonge ou par une
réticence.
ET DE LA FRAUDE.
195. — De là, la présomption de dol, par cela seul
que la vérité a été déguisée ou tue, alors même qu’au
cune manœuvre, dans le sens attaché à ce mot, ne pour
rait être imputée à l’assuré.
L’art. 348 va plus loin encore ; il n’exige même pas
que la réticence, que la fausse déclaration, que la diffé
rence entre le connaissement et la police aient été réa
lisées dans l’intention de tromper. Le dol existe sans le
comilium fraudis, indispensable dans les cas ordinaires.
Il suffit, en effet, que le fait dissimulé ou faussement
déclaré, que la différence signalée ait été de nature à in
fluer sur l’opinion du risque , pour que le contrat soit
frappé d’une nullité absolue. Vainement donc l’assuré
prétendrait-il que c'est de bonne foi qu’il a caché un
�470
TRAITÉ DU DDL
fait qu’il croyait indifférent ; que sa déclaration n’est
fausse que parce qu’il a été lui-même trompé ; que la
différence entre la police et le connaissement s’est réali
sée à son insu. Il n’en subirait pas moins la rigueur de
l’art. 348.
Cette solution était imposée autant par la faveur spé
ciale que l’on voulait conférer aux assurances, que par
une exacte appréciation de leur nature. Il est, en effet,
de l’essence de ce contrat qu’il existe un risque certain,
déterminé, sur l’importance duquel se basent les prévi
sions des assureurs et leurs exigences relativement à la
prime. Or, si les circonstances de ce risque leur sont dis
simulées ou inexactement rapportées; si les marchandi
ses mentionnées dans le contrat ne sont pas celles por
tées sur le connaissement, leur adhésion à ce contrat est
le résultat d’une erreur, et ce vice dans le consentement
enlève à la convention l’une de ses qualités essentielles.
En cet état, qu’importe que l’assuré ait été de bonne
foi. L’erreur existe matériellement , et sa certitude en
traine la nullité de l’acte. Aussi la loi ne s’est-elle nul
lement préoccupée de la réalisation d’un dommage ; la
validité du contrat ne dépend pas de la nocuité de la cir
constance dissimulée ou faussement déclarée. Eût-elle
été sans influence sur la perle de l’objet assuré, la con
vention n’en est pas moins annulable. C’est la disposi
tion expresse de l’art. 348.
Ainsi , en matière d’assurances , la loi modifie com
plètement les principes généraux. Ce n’est plus le consiliutn fraudis et 1’eventus damni qui constituent le dol,
�171
c’est le mensonge, c’est la rélicence, quels qu’en aient
été le motif et la cause. Cette rélicence, ce mensonge, at-il influé sur l’opinion du risque. C’est tout ce que la
loi exige pour prononcer la nullité de l’acte.
ET DE LA FRAUDE.
194. — Ces principes sont nettement consacrés par
la décision suivante, rendue le 1S juin 18221 par le Tri
bunal de commerce de Marseille , et acquiescée par la
partie condamnée.
Le 12 juin 1821, les sieurs Argenti et Cic firent as
surer, pour le compte de Rodocanachi, de Livourne, la
somme de 5,000 fr., valeur de 2,000 florins d’Auguste,
prêtés à la grosse par leur maison de Constantinople, avec affectation sur le corps du navire le Véridique, ca
pitaine Radoconich, autrichien. Celte assurance fut faite
sur les risques d’un voyage de Constantinople à Trieste,
à la prime de 2 p. °|0.
Lors de la signature de la police, le navire était déjà
parti de Constantinople depuis quelque temps ; il avait
relâché à Scio pour cause de fortune de mer ; là il avait
été réparé, et le capitaine avait été obligé d’emprunter à
la grosse ; enfin il avait fait une autre relâche à Corfou,
d’où il était reparti le 30 mai.
Les circonstances du départ de Constantinople et de la
relâche à Scio, bien que connue des assurés, n’avaient
pas été déclarées aux assureurs.
Le 25 juin 1821, le navire le Véridique fit naufrage
dans l’Adriatique , à la suite d’une voie d’eau considé
rable. Le 28, Argenti et Cicfirent abandon aux assureurs,
et les citèrent en paiement de la perte,
�172
TRAITÉ DU DOL
Mais les assureurs demandèrent la nullité de l’assu
rance, pour cause de réticence, fondée sur le silence gar
dé sur le départ du navire et la relâche à Scio. Ces cir
constances, disaient-ils, que la lettre d’ordre prouve avoir été connues des assurés, donnaient au risque pro
posé un caractère de gravité et une étendue plus consi
dérable. C’est donc sciemment que les assurés avaient
voulu faire courir les risques à compter du départ de
Constantinople et faire peser sur les assureurs le résul
tat d’événements antérieurs à l’assurance , événements
connus , qui leur inspiraient des craintes , et qui pou
vaient avoir des suites fâcheuses ; enfin ces faits étaient
de nature à augmenter l’opinion du risque et à détour
ner les assureurs de s’en charger.
Les assurés répondaient entre autres , que la relâche
à Scio était indifférente , puisque les assureurs étaient
francs d’avaries ; que le silence gardé sur le départ de
Constantinople n’avait pu aggraver les risques qui étaient en réalité diminués ; qu’enfin la perle était sur
venue postérieurement aux relâches, et que ces relâches
n’avaient nullement influé sur la perte ; qu’ainsi on ne
saurait se plaindre d’aucune réticence et d’aucune dissi
mulation sur des faits pouvant aggraver le risque.
Mais le Tribunal pensa le contraire et déclara par
conséquent la nullité de l’assurance. Après avoir établi
la réalité des faits dont les assureurs se plaignaient ; après en avoir déterminé le caractère , le jugement re
pousse en ces termes l’exception des assurés :
<n Attendu que vainement les assurés ont-ils excipé de
�173
ce que les faits dissimulés n’ont pas amené directement
le sinistre , et de ce que le prêt à la grosse, qui consti
tuait l’aliment de l’assurance dont il s’agit était affran
chi de toute avarie ;
» Que ces raisons ne sauraient aucunement atténuer
la faute des assurés , puisque la loi prononce la nullité
de l’assurance dans le cas même où la réticence n’au
rait pas influé sur le dommage ou la perte de l’objet
assuré; qu’il suffit qu’elle ait diminué l’opinion du ris
que, pour être de nature à annuler le contrat ;
» Attendu qu’il est de l’essence du contrat d’assurance
que les assureurs soient instruits de tout ce que les as
surés savent, pour être véritablement mis à leur lieu et
place ; que ces derniers, en leur cachant des circonstan
ces graves du risque, n’obtiennent d’eux qu’un consen
tement erroné, et par conséquent nul. ‘ »
ET DE LA FRAUDE.
195. — De ce qui précède , il résulte que , pour
l’application de l’art. 348 et pour la présomption de
dol, la matérialité du fait est décisive. Y a-t-il réticen
ce, fausse déclaration ou différence ? L’objet de l’une ou
de l’autre a-t-il eu pour effet d’influer sur l’opinion du
risque, la police est présumée le résultat du dol, et par
conséquent nulle. Cette présomption est de celles qui
n’admettent pas même la preuve contraire. Ainsi le ju
gement qui, après avoir consacré l’existence du fait et
1 Clariond, Journal dejurisprudence, année 1822, pag. 115.
�TRAITÉ DU DOL
174
son caractère, maintiendrait le contrat, violerait expres
sément le texte et l’esprit de la loi.
Mais l’existence de la réticence, de la fausse déclara
tion de la différence ; ses conséquences par rapport à
l’opinion du risque, pourront souvent présenter des dif
ficultés plus ou moins sérieuses. A cet égard, et comme
pour toutes les questions de fait, la loi s’en remet en
tièrement aux lumières et à la prudence des magis
trats. '
196. — Toutefois , il est des faits dont l’omission
ou l’inexactitude entraîne avec elle une décision affirma
tive sur la question de savoir si le risque a été dimi
nué ou changé. Nous voulons parler de ceux dont la dé
claration est exigée par l’art. 332 du Code de commer
ce. Cependant nous devons faire remarquer que la doc
trine et la jurisprudence ont admis entre eux des nuan
ces qu’il est indispensable de signaler. Tous ne produi
sent plus aujourd’hui le même résultat. Nous verrons,
en les parcourant, que ce n’est pas sans raison qu’on a
ainsi modifié la disposition de l’art. 332.
L’assuré , aux termes de cette disposition , doit dé
clarer :
1 Cass., 25 mars 1835; — J. du P., année 1835
�ET DE LA FRAUDE.
175
1° Son Nom et son Domicile.
197. — Il est de l’essenee de tous les contrats que
les parties qui y figurent soient clairement désignées.
Dans l’assurance, le nom de l’assureur est toujours con
nu. Il est donc naturel que celui qui contracte avec lui
soit nommé dans l’acte, c’est là un corrélatif qui paraît
commandé par la nature des choses.
L’omission de cette formalité devrait-elle être consi
dérée comme ayant influé sur l’opinion du risque et en
traîner conséquemment la nullité de l’assurance ? Une
réponse affirmative eût été bien sévère, d’autant que si
la police est faite sous seing privé , elle portera sur le
double original la signature de l’assuré ; et que cette si
gnature peut être considérée comme l’équivalent de la
mention du nom dans le corps de l’acte, On a donc dû
se prononcer pour la négative. Telle est l’opinion de M.
Pardessus.
198. — Cette opinion, consacrée par la jurispru
dence, a trouvé cependant des contradicteurs. La dési
gnation du nom de l’assuré, a dit M. Bernard, est d’or
dre public ; permettre qu’elle soit omise, c’est se priver
du moyen de constater si l’assurance n’est pas une ga
geure , puisqu’on ne pouvait vérifier si l’assuré est, ou
s’il représente le véritable propriétaire des choses assu
rées. Telle est aussi l’opinion de M. Boulay-Paty.1
�TRAITÉ DU DOL
176
Nous croyons que ces honorables jurisconsultes exa
gèrent les inconvénients que le défaut de mention du
nom de l’assuré peut offrir. Il est évident, comme nous
venons de le dire , que le défaut de mention ne peut
s’entendre que d’une omission dans le corps de l’acte.
Car , s’il était absolu au point de comprendre l’absence
même de la signature, il y aurait évidemment nullité en
la forme , il n’aurait jamais existé de contrat. Mais l’i
dentité du signataire n’est susceptible d’aucune difficul
té. Celui-là connu, on pourra toujours exiger de lui la
preuve qu’il est propriétaire, ou qu’il représente le pro
priétaire de l’objet assuré.
Si de ces inconvénients on passe à l’esprit de la loi,
on se confirme bien plus dans la solution que nous in
diquons. Pourquoi, dans l’hypotbèse de l’art. 348 , la
loi place-t-elle l’assurance sous la présomption d’erreur
d’un côté, sous la présomption de dol de l’autre ? C’est
qu’elle suppose qu’au moment du contrat, l’assureur n’a
eu ni raison de douter de la véracité de l’assuré , ni
moyen de connaître ce qu’on lui taisait. En est-il de
même pour ce qui concerne le nom de l’assuré. Ne
pouvait-il pas, ne devait-il pas le demander ? La faute
résultant de son omission n’est donc pas exclusivement
imputable à l’assuré ; et l’assureur trouverait une ré
compense de sa propre négligence dans la faculté qu’on
lui reconnaîtrait de puiser, dans cette négligence même,
le prétexte de se délier de ses obligations. Ce n’est pas
évidemment pour une pareille hypothèse que l’art. 348
a été sanctionné. Nous aurons occasion de le dire sou-
�177
vent, la loi n’a voulu que rendre justice aux assureurs,
sans prétendre leur sacrifier les droits légitimes des as
surés.
Ce qui est vrai pour l’indication du nom est, à plus
forte raison , vrai pour celle du domicile. Il est un cas
cependant où l’omission de celle-ci entraînerait la nul
lité de l’assurance. Comme si l’assuré était domicilié
dans un pays en état de guerre avec un autf*e. La con
fiscation de la propriété de leurs ennemis respectifs est
un droit pour les nations belligérantes. Appartenir à l’u
ne d’elles , par son domicile , serait donc une circons
tance qui aggraverait singulièrement le risque. Toute
rélicence à cet égard rentrerait sous l’application de l’ar
ticle 348. '
ET DE LA FRAUDE.
2° Sa Qualité de Propriétaire ou de Commissionnaire.
199. — En thèse ordinaire , l’accomplissement de
celte formalité n’est pas d’un grand intérêt pour les as
sureurs. En effet, que le souscripteur de la police soit
propriétaire ou commissionnaire, il n’en est pas moins
personnellement tenu du paiement de la prime. D’autre
part, il suffit, comme l’enseigne Emérigon, que l’ali
ment du risque soit réel, et que le connaissement soit
conforme à la police , pour que l’assurance doive sortir
à effet.
1 Valin, sur l’art. 3 ; — Emérigon, tom i, pag. 53,
12
�178
TRAITÉ DU DOL
200. — Cependant il est des hypothèses où l’omis
sion et l’inexactitude de la déclaration à cet égard peu
vent entraîner la nullité. Aussi devons-nous faire re
marquer que, malgré les énonciations de la police , les
assureurs sont toujours admis à agiter la question de
propriété, lorsque la connaissance du véritable proprié
taire peut ipfluer sur le sort du contrat.1
— L’assurance réalisée par un créancier pri
vilégié ou non , sur les effets de son débiteur , est-elle
valable ?
M. Pardessus enseigne l’affirmative. Il pense que dans
ce cas le créancier est présumé le mandataire du pro
priétaire, son débiteur.
Nous ne saurions admettre cette doctrine. En droit, il
est de principe que le mandataire oblige son mandant
pour tout ce qu’il a fait dans la limite de ses pouvoirs.
Or, cet effet pourrait-il se produire dans l’espèce ? Les
assureurs pourraient-ils faire condamner le propriétaire
de l’objet assuré âu paiement de la prime stipulée par
son créancier ? Celui-ci aura-t-il le droit de la répéter
après l’avoir payée ?
Notre première question n’est pas de pure hypothè
se. Le créancier qui a fait assurer peut, avant le paie
ment de la prime , tomber en déconfiture, devenir in
solvable. Comment, dans ce cas, les assureurs obtien
dront-ils leur paiement?
201 .
i Aix, 7 janvier 1823; J. du P., année 1823.
�179
Diront-ils que le propriétaire adonné un mandat ta
cite? Mais celui-ci répondra avec succès , que s’il n’a
pas lui-même fait assurer, c’est qu’il n’a pas cru qu’u
ne assurance fût nécessaire, ou qu’il a considéré comme
plus avantageux de courir pour son propre compte les
chances de la navigation , et de gagner ainsi lui-même
la prime plus ou moins considérable qu’il aurait fallu
payer aux assureurs. En présence d’une pareille décla
ration, d’une volonté de ce genre suivie d’exécution con
forme, comment présumer un mandat contraire.
Qu’on y prenne garde d’ailleurs. L’admission du
mandat tacite, en matière d’assurances, deviendrait bien
tôt une arme terrible contre les assureurs eux-mêmes :
on sait, par exemple, que le propriétaire qui fait assu- ’
rer, doit au moment de l’assurance faire connaître tou
tes les circonstances de nature à influer sur le risque ;
que celte obligation existe alors même que l’assurance,
ayant été contractée par mandataire, n’exige pas le con
cours personnel de l’assuré; que , dans ce dernier cas,
la dissimulation d’un fait essentiel , connu de celui-ci,
constitue la rélicence dolosive, alors même que le man
dataire ne l’a pas lui-même connu. Or, dans le système
du mandat tacite , à quelle date en placera-t-on l’ori
gine , comment reconnaitra-t-on s’il est antérieur ou
postérieur à l’accomplissement et a la connaissance du
fait constituant la réticence ? Et ce qui est possible lors
qu’il existe une lettre d’ordre, pourra-t-on le faire dans
un cas de mandat tacite ?
La réponse est facile. Il est clair en effet que bien souET DE LA FRAUDE.
�f
180
TR-UTÉ DU DOL
vent on exciperait de la qualité de créancier et consé
quemment du mandat tacite, ne fût-ce que pour se dis
penser de produire la lettre d’ordre, surtout lorsque par
sa date, par son contenu , celle lettre serait de nature à
prouver une réticence et à déterminer ainsi la nullité de
l’assurance.
Le système du mandat présumé ou tacite ouvrirait
donc une large porte à la fraude. On doit dès lors se
hâter de le proscrire , dans l’intérêt des assureurs euxmêmes.
En droit, ce système est insoutenable, soit qu’on l’en
visage sous l’influence du droit commun, soit qu’on le
rapproche des principes spéciaux de la matière.
Invoquerait-on en droit commun la disposition de
l’art. 1 1 6 6 , en faisant remarquer l’intérêt qu’avait le
créancier à ce que l’assurance préservât de tout péril le
gage de sa créance? Mais ce serait méconnaître le véri
table caractère de cette disposition et vouloir lui donner
une extension dont elle n’est pas susceptible.
Il est de principe, en effet, qu’il est des actes exclusi
vement réservés au débiteur , des droits qui sont telle
ment inhérents à sa personne , qu’ils ne peuvent être
exercés que par lui seul. Dans le nombre , se place in
contestablement le droit d’administrer sa fortune dont
l’exercice n’a et ne peut avoir d’autre juge que lui-mê
me. Aucun majeur ne peut être privé de ce droit, si ce
n’est dans les cas prévus par la loi, et notamment dans
ceux d’interdiction pour cause de démence ou par suite
de condamnation criminelle, ou de faillite.
�;
' ~
181
Or , contracter ou non une assurance , n’est-ce pas
administrer sa fortune ? La chance aléatoire qui en fait
la base , permet-elle de juger a priori si le débiteur a
bien ou mal fait de s’en abstenir? Il est sans doute pru
dent de prévoir un sinistre et de chercher à se mettre à
couvert de ses conséquences. Mais si le voyage réussit,
le défaut d’assurance aura été avantageux au débiteur,
en l’affranchissant du paiement d’une prime quelcon
que. L’art. 1166 n’a donc pas été admis pour régir une matière pareille. Ne pas faire assurer, constitue tout
au plus une imprévoyance, et la loi qui défend une in
action évidemment nuisible aux créanciers, n’a pu son
ger à les autoriser à suppléer à l’imprévoyance que leur
débiteur commet dans l’administration de ses biens.
Essayerait-on de l’art. 1167, voudrait-on faire con
sidérer l’inaction du débiteur comme une-fraude contre
ses créanciers ? Ce système serait insoutenable. Courir
soi-même les chances d’un voyage maritime , ne peut
jamais caractériser une fraude , car c’est là une faculté
que la loi n’a jamais interdit à personne. Or, on ne
saurait commettre une fraude lorsqu’on ne fait qu’user
d’un droit qu’il vous est loisible d’exercer.
De quoi d’ailleurs pourrait justement se plaindre un
créancier, fût-il privilégié sur la marchandise à assurer?
De deux choses l’une : ou il a connu au moment de la
vente ou du prêt la destination de l’objet affecté à sa cré
ance, et, s’il le jugeait utile, il devait stipuler l’obliga
tion pour son débiteur de faire l’assurance ou , mieux
encore , obtenir le mandat exprès de la contracter luiET DE LA FRAUDE.
'
�TRAITÉ DU DOL
m
même; ou il a ignoré cette destination, et, dans ce cas,
comme en négligeant dans le premier la précaution dont
nous venons de parler , il a volontairement suivi la foi
de son débiteur, et couru les chances du mode d’admi
nistration qu’il plairait à celui-ci de choisir.
Que si des principes ordinaires nous passons à ceux
régissant spécialement les assurances , nous acquérons
de plus fort la conviction que l’assurance par le créan
cier des facultés appartenant à son débiteur , ne saurait
constituer un de ces actes dont l’art. 1166 confère la fa
culté aux créancier d’un individu. L’assurance,en effet,
affecte la chose qui en fait l’objet. Le paiement de la
prime est privilégié sur les effets assurés '. Consentir la
promesse de ce paiement, c’est donc aliéner une portion
de la chose elle-même. Comment concilier un tel pou
voir avec l’absence de toute idée de propriété. Pour ac
cueillir le système que nous combattons, il faudrait donc
admettre que, par la disposition de l’art. 1166 , la loi
a permis au créancier de disposer des biens de son dé
biteur , sans son concours et sans l’intervention de la
justice.
Il y a plus encore. En cas de sinistre dépassant le
règlement d’avarie, le paiement de l’assurance ne peut
être poursuivi qu’après le délaissement des effets échap
pés au naufrage. Il est de l’essence de ce délaissement
de transférer la propriété de ces effets aux assureurs en
échange du prix qu’ils ont reçus dans le contrat. Les
1 Rouen, 5 décembre 1807 ; — Dalloz A., tom. n, pag. 58.
�183
qualités requises pour consentir ce délaissement sont
donc, chez celui qui est appelé à le faire, d’abord qu’il
ait été partie en l’assurance, ensuite qu’il ait la proprié
té de ce qui en a fait l’objet pour pouvoir la transmet
tre.
Or , dans l’espèce donnée , sera-ce le créancier qui
consentira le délaissement ? Mais il n’a aucun droit d’a
liéner ce qui n’est pas sa propriété. Le transfert qu’il en
aurait fait serait frappé d’une nullité radicale , comme
constituant la vente du fonds d’autrui. Sera-ce le dé
biteur ? Mais à quel titre ? Etranger à l’assurance , se
rait-il recevable à exiger des assureurs ce que ceux-ci
n’ont jamais été obligé de lui donner? On le voit donc,
le délaissement serait impossible et conséquemment l’as
surance ne pourrait jamais sortir à effet. Elle est donc
nulle.
Nous pensons avoir démontré que l’opinion de M.
Pardessus est inadmissible. Il faut donc conclure des ter
mes de l’art. 348 que, pour contracter valablement une
assurance, il faut être ou le propriétaire ou le manda
taire du propriétaire des objets assurés.
ET DE LA FRAUDE.
202. —• Il importe de remarquer que la déclaration
que l’on agit comme mandataire peut avoir son utilité
dans le cas surtout où il s’agit de prouver, par la date
de la lettre d’ordre , que le mandant connaissait avant
l’assurance une circonstance importante qui aurait été
tue aux assureurs. Nous avons dit que cela suffirait pour
constituer le dol présumé , alors même que le manda-
�_____________ ______ -c '
184
TRAITÉ DU DOL
taire eût été dans l’ignorance la plus complète et que
conséquemment la réticence ne pût lui être imputée.
C’est à bon droit cependant qu’on n’a pas fait de celte
déclaration une condition essentielle à la validité de l’ac
te. Les assureurs ayant la faculté d’agiter la question
de propriété, même dans le cas où l’assurance est con
tractée pour le compte de qui il appartiendra arrive
ront facilement à apprécier la qualité en laquelle a agi
le souscripteur de la police ; et s’il n’a joué que le rôle
de commissionnaire , la nécessité de communiquer la
lettre d’ordre, s’il en existe de spéciale, leur assure l’e
xercice de leurs droits contre le réclamant.
"
i
205. — L’art. 348 ne fait pas un devoir au com
missionnaire de faire connaître le nom de son mandant.
Il est cependant un cas où le silence gardé sur ce point
constitue une réticence dolosive. Ainsi , si le proprié
taire de qui l’ordre d’assurer émane appartenait à une
nation belligérante, l’assurance dans laquelle il ne se
rait pas indiqué serait frappée de nullité, comme enta
chée d’une réticence dolosive.1
1 Aix, 7 janvier 1823.
Bordeaux, <18 février 1823; — Aix, 26 juin 1826; — D. A., t. n,
pag“. 67 ; et J. du P., année 1826; — Orléans , 7 janvier 184b; —
J. du P., tom. î, 1845, pag. 171.
2
�ET DE LA FRAUDE.
185
3” Le Nom et la Désignation du Navire.
204. — La connaissance du navire qui doit être
l’objet ou le lieu du risque est un des éléments essentiels
de l’assurance. C’est par elle que les assureurs appré
cieront les chances de l’opération par le plus ou moins
de dangers qu’offrent les qualités du navire , sa cons
truction, son âge. Conséquemment, si l’assuré a inexac
tement signalé le nom du navire, l’assurance qui a été
consentie sur le corps de ce navire est évidemment
nulle. La fausseté de la déclaration , son inexactitude
même , crée une présomption de dol. Dans la même
hypothsse, l’omission du nom enlèverait tout aliment au
risque et annulerait par conséquent l’assurance.
205. — Quel est l’effet de l’omission du nom et de
la désignation du navire, lorsque l’assurance a pour ob
jet des effets ou marchandises ? La première ne doit pas,
au sentiment de M. Pardessus , entraîner la nullité de
l’assurance. L’assureur, dit il, qui accepte la police en
l’état de cette omission , est censé s’en être rapporté à
l’assuré sur le choix du navire1, il devrait en être de
même du défaut de désignation.
Celte solution nous parait renfermer une exacte ap
préciation de l’esprit de la loi. 11 n’y a de réticence pré1 N° 806. — Voy. Boulay-Paty, tom. ni, pag. 320.
�186
TRAITÉ DU DOL
sumée dolosive, que celle qui s’exerce sur un fait ignoré
ou qui a dû nécessairement l’être de l’assureur. Si la
réticence est l’œuvre commune des parties , il y aurait
rigueur extrême à n’en punir qu’une seule. L’assureur
ne doit pas être récompensé de sa propre négligence.
Or , il s’en convaincrait lui-même , si , ayant intérêt à
connaître le nom et la désignation du navire , il a ac
cepté une police sans exiger cette double indication.
206. — Mais on ne saurait décider de même si,
sans omettre le nom du navire, on avait fait à cet égard
une fausse déclaration ou commis une inexactitude.
L’indication entachée de ce vice constituerait une nul
lité radicale sous un double rapport : 1° pour réticence
dolosive, en vertu de l’art. 348 ; 2° en ce que l’assuré
n’ayant aucun risque à bord du navire déclaré, l’assu
rance n’aurait jamais eu d’aliment réel.
207. — Toutefois on doit remarquer que si l’erreur
ou l’inexactitude ne consistait que dans l’omission d’un
des noms du navire, et qu’il fût possible par les circons
tances ou les énonciations de la police d’en établir l’i
dentité , il n’y aurait pas lieu d’annuler l’assurance. Il
ne faut pas, dit Yalin ', pointiller sur le nom du navi
re ; ainsi l’assurance faite sur le Brigantin , le LionHeureux . désignée dans la police sous le nom seule
ment du Brigantin l'Heureux, a été déclarée valable par
i Sous l’article 3-
�187
arrêt d’Àix , du 2 mai 1750. Telle est aussi l’opinion
de Casaregis : Error lamen alicujus nominis navis, non
atlenditur quando aliis conjecturis constat de identitate navis.'
ET DE LA FRAUDE.
208. — La force du navire , son âge , ses qualités
sont tout autant de circonstances essentielles de la navi
gation. Toute fausse déclaration à cet égard influerait
donc sur l’opinion du risque et annulerait l’assurance.
Ainsi désigner le navire comme un trois-mâts, dire qu’il
est nouvellement sorti des chantiers, lorsqu’en réalité il
s’agit d’un brick ou d’un tout autre navire qui navigue
depuis longtemps , c’est placer l’assurance sous le coup
de la disposition de l’art. SAS.”
Plus un navire a un tonnage supérieur , plus l’équi
page est nombreux et capable par conséquent, par la
promptitude de la manœuvre, de parer à un besoin ur
gent. On comprend de même qu’un navire , déjà fati
gué par une longue navigation, opposera une résistance
moins vive que celui qui est encore intact. La prime
exigée ou à exiger se calculera sur ces données , e t, si
celles fournies à l’assureur ne sont pas exactes, celui-ci
aura été placé vis-à-vis de l’assuré dans une position
défavorable, et nous avons vu qu’il ne doit jamais en
être ainsi.
De ces considérations résulte cette conséquence , que
1 Diseurs. 4, n° 459.
2 Valin, sous l’article 3,
�188
TRAITÉ DU DOL
si l’erreur, dans la désignation, est en sens inverse de
celui que nous venons d’indiquer : si, par exemple, un
trois-mâts avait été qualifié de brick; si un vaisseau,
sorti actuellement du chantier, avait été indiqué comme
naviguant depuis un temps plus ou moins long , on
pourrait ne pas voir là la fausse déclaration punie par
l’art. 348 , et décider que l’inexactitude de la désigna
tion n’a ni diminué, ni changé le risque.
L’obligation de désigner le navire comprend celle de
déclarer s’il est armé en course. Celte déclaration a pour
but d’éclairer les assureurs sur le degré du risque à as
surer. Loin de fuir le danger, un navire armé en course
le recherche, les chances de sinistre sont ainsi plus nom
breuses; taire cette circonstance serait donc commettre
une réticence dans le sens de l’art. 348.
Une désignation non moins importante est celle du
pavillon et de la nationalité du navire. Une fausse énon
ciation à ce sujet pourrait entraîner la nullité de l’assu
rance. Si même un navire étranger, acheté par un Fran
çais, n’avait encore obtenu qu’une francisation provi
soire de la part du consul français du lieu où l’achat a
été fait, cette circonstance devrait être déclarée. Ce na
vire pouvant, dit M. Dageville, éprouver des avaries dont
un navire français serait à l’abri'. L’assureur serait fon
dé à s’affranchir des suites de pareils accidents , si le
navire lui avait été désigné purement et simplement
comme français.
1 T. 3, no 59.
�ET DE LA FRAUDE.
189
209. — L’obligation de déclarer le nom et la dési
gnation du navire cesse, lorsqu’il a été impossible à l’as
suré de le connaître. Telle est l’hypothèse prévue par
l’art. 337, d’un chargement fait aux Echelles du Levant,
aux côtes d’Afrique et autres parties du monde , pour
l’Europe. Comme on peut dans ce cas ignorer quel sera
le navire sur lequel le chargement s’opérera, l’assurance
peut être stipulée in quovis ; ce mot, dit Emérigon , est
une espèce de désignation, implicite du navire , laquelle
suffit, attendu la nécessité des circonstances'. L’art. 337
n’en exige pas d’autre.
4°
L e N o m d u C a p ita in e .
2 Ï0 . — L’indication du nom du capitaine est utile
sous un double rapport. En premier lieu, elle complète
la désignation du navire; elle peut, en second lieu, in
fluer sur l’opinion du risque par l’idée favorable que le
commerce a pu concevoir de l’habileté, des talents et du
mérite de celui qui commandera le navire.
2 1 1 .-— Comme pour les désignations qui précèdent,
il faut distinguer , pour ce qui concerne le capitaine,
l’omission de la fausse indication. La première ne fait
pas présumer le dol, elle est d’ailleurs imputable à l’as1 T. i , chap. 2, sect. 7, pag. S4.
�TRAITÉ DU DOL
190
sureur comme à l’assuré. Aussi la doctrine et la juris
prudence ont-elles consacré le principe enseigné par les
anciens jurisconsultes, à savoir : que l’assureur, qui au
rait accepté une police dans laquelle le nom du capitaine
serait omis, ne pourrait plus tard en demander la nul
lité à cause de cette omission.'
Mais il en serait autrement pour l’inexactitude ou la
fausseté de l’indication. Par cela seul qu’une plus gran
de confiance peut s’attacher à tel ou tel nom, l’assureur
se trouverait réellement trompé si, au lieu d’être com
mandé par le capitaine désigné, le navire l’était réelle
ment par un autre. La preuve de l’erreur ou de la faus
seté donnerait donc naissance à la présomption de dol.
212, — Il y a plus encore , si le capitaine désigné
commandait réellement le navire et qu’il eût été rem
placé après l’assurance, l’assuré ne pourrait se soustrai
re à la demande en annulation. Mais ce principe reçoit
exception : 1° dans le cas. où le changement est le fait
des armateurs étrangers à la police d’assurance ; 2° si
la cause du changement provient d’une force majeure,
comme la démission, la maladie , le décès ou l’empri
sonnement du capitaine ; 3° si la police renferme la
clause on tout autre pour lui.
La loi n’a pu vouloir l’impossible , il suffit que l’as
suré réponde de son fait. Aller au delà , c’était exiger
i Pothier, n» 106. Observations de la Cour de cassation.
�191
une iniquité. Les deux premières exceptions sont donc
parfaitement rationnelles. La troisième n’est pas moins
juste, elle n’est que la conséquence de la latitude que
l’assureur lui-même a reconnu à l’assuré.
Toutefois, cette latitude doit se renfermer dans des li
mites équitables et naturelles. Elle ne va pas, par exem
ple, jusqu’à autoriser le choix d’un capitaine , auquel
on n’aurait eu que peu ou point de confiance, s’il avait
été connu. Spécialement le remplacement d’un capitai
ne français par un étranger pourrait motiver l’annula
tion de l’assurance.'
ET DE LA FRAUDE.
215. — La clause ou tout autre pour lui ferait-elle
disparaître l’effet de la fausse déclaration ?
On pourrait dire pour la négative que la faculté de
remplacer le capitaine n’a été considérée que comme une précaution dont l’assureur a pu croire qu’on s’abs
tiendrait ; que conséquemment on l’a trompé , en lui
laissant entrevoir une chose impossible, le capitaine in
diqué ne pouvant continuer de diriger pendant un temps
quelconque un navire qu’il ne commandait pas, qu’il
n’a peut-être jamais commandé. Mais l’idée , que la
connaissance du capitaine a pu influer sur l’opinion du
risque, n’est qu’une présomption devant, comme toutes
les présomptions, s’évanouir en présence de la preuve
contraire. Or il est vrai, que l’admission de la clause ou
tout autre pour lu i, indique, de la part de l’assureur,
1 Casaregis, Diseurs. 63, n° 6 ; — Valin, sur l’article 52.
�r
i
192
TRAITÉ DU DOL
une complète indifférence sur celui aux mains de qui le
navire sera confié. Il ne pourrait donc soutenir avec
quelque fondement que la fausse déclaration qui lui en
a été faite a altéré ou changé le risque.
Le remplacement du capitaine , hors des cas excep
tionnels ci-dessus indiqué, constituerait une présomption
de dol déterminant la nullité de l’assurance. Toutefois
cela n’est absolument vrai que dans l’hypothèse où le
changement a été effectué subrepticement et à l’insu des
assureurs. Aussi doit-on distinguer entre celui qui a été
effectué après le départ du navire, de celui qui a eu lieu
avant. Le premier n’est sans influence sur l’assurance
qu’en cas de nécessité constatée. Le second, au contrai
re, serait de nul effet sur la validité du contrat si, l’ayant
su et connu, les assureurs n’avaient pas réclamé avant
le départ du navire.
L’impossibilité de connaître le navire à bord duquel
se trouvera le risque , dans le cas prévu par l’art. 337
du Code de commerce, entraîne celle de connaître le ca
pitaine. L’assurance faite in quovis est valable, malgré
l’absence de déclaration à cet égard.
5“
L e L i e u o ù le s M a r c h a n d is e s o n t é t é o u d o iv e n t ê t r e
C h a rg ées.
214. — L’omission de cette indication serait de nul
effet si le temps du risque était fixé dans la police. Il
est certain alors que tout le chargement doit être opéré
�193
au moment où ce risque commence. En d’autres ter
mes, si les obligations des assureurs partent à la sortie
d’un port déterminé, il est évident que ce port a dû être
le lieu du chargement, et que tout ce qui aurait été char
gé postérieurement à la sortie du navire ne pourrait être
compris dans l’assurance.
ET DE LA FRAUDE.
215. — Il n’en serait pas de même si l’assuré avait
inexactement déclaré le lieu du chargement. Celte in
exactitude pourrait, si elle était de nature à influer sur
l'opinion du risque , constituer la présomption de dol
pour fausse déclaration.
Ainsi, l’assurance prise sur les facultés chargées ou
à charger à bord d’un navire de sortie d’un port dési
gné, tandis que le chargement avait été embarqué anté
rieurement sur le même navire dans un autre port plus
éloigné, est nulle à l’égard des assureurs, soit pour dé
faut d’identité, soit pour fausse déclaration ou réticence
de la part de l’assuré.1
Il y a, en effet, dans cette hypothèse, plus qu’une omission sur le lieu du chargement; il y a, en outre, le
silence gardé sur un fait accompli, connu de l’assuré, et
qui devait conséquemment être connu des assureurs. Il
n’y a égalité parfaite entre les parties que lorsque toutes
les circonstances, se rapportant à la matière du contrat,
ont pu réciproquement être appréciées.
1 Aix, 22 mai 4836; — Clariond, t. 16, 4, 402.
I
43
�TRAITÉ DU DOL
194
Ainsi s i, au lieu d’omettre seulement le lieu où les
marchandises ont été ou doivent être chargées, on le dé
signe inexactement ou faussement, il y a nullité pour
fausse déclaration ; il y a plus encore en réalité, il n’y a
jamais eu d’assurance. On ne pourrait pas plus, dit M.
Dalloz jeune, appliquer à des cotons, par exemple, char
gés en un lieu, l’assurance faite sur des cotons chargés
en un autre lieu , qu’on ne pourrait appliquer à des
balles de coton marquées A.B, une assurance faite sur
des balles marquées M.C. '
6°
L e P o r t d ’o ù le N a v i r e a d û P a r t i r ;
dans
le s q u e ls i l
d a n s le s q u e ls i l
—
L e s P o r ts ou R ades
d o it C h a r g e r o u D é c h a r g e r ;
d o it E n t r e r ;
—
—
C eux
L es T em ps a u x
q u e ls le s R is q u e s d o iv e n t C o m m e n c e r e t F i n i r .
216. — Ces diverses indications sont essentielles à
la validité de l’assurance. Elles se rapportent, en effet,
à la navigation du navire, c’est-à-dire au point culmi
nant pour l’appréciation de la prime que les assureurs
doivent exiger.
La déclaration du port d’où le navire a dû partir ne
serait pas indispensable si , au moment de l’assurance,
le navire était ancré dans un port déterminé et que le
temps du risque dût commencer à son départ. Mais sou
vent l’assurance est contraçtée lorsque le navire est déjà
i D iction n a ire g én éra l, v° A ssuran ces , n° 88.
�195
en cours de voyage, et la désignation du port d’où il a
dû sortir acquiert un degré d’importance incontestable.
Toute omission à cet égard constituerait une réticence
dolosive entraînant la nullité de l’assurance.
ET DE LA FRAUDE.
217. ~r On ne doit pas entendre, par la déclaration
exigée à cet égard par la loi , l’accomplissement d’un
fait matériel, la désignation du port d’où le navire est
réellement sorti seulement. L’obligation imposée à l’as
suré comprend virtuellement celle dé faire connaître le
jour du départ et toutes les circonstances qui ont depuis
signalé la navigation du navire. C’est ce qu’a décidé le
Tribunal de Marseille dans l’affaire Argenti, et c’est aussi
ce que consacre la jurisprudence des Cours souveraines
218. — Dans une espèce jugée par la Cour d’Aix,
une assurance sur bonnes ou mauvaises nouvelles avait
été contractée sur le corps du navire danois la Rosalie
pour un voyage de,Lisbonne à Trieste. Le risque était
mis à la charge des assureurs à partir des jour et heure
auxquels le navire a ou aura pris charge , ou soit du
moment de son départ de Lisbonne.
Il résultait de la lettre d’ordre, produite après délais
sement , qu’au moment de l’assurance les assurés sa
vaient que le navire était parti de Lisbonne depuis deux
mois et demi ; que le capitaine n’avait plus donné de
puis lors de ses nouvelles. Les assureurs, considérant le
silence gardé sur ces deux points comme une réticence
dolosive, demandent la nullité de l’assurance.
�TKAITÉ DU DOL
196
Cette demande , que les assurés repoussaient par des
moyens de fait et de droit, notamment en se fondant
sur la clause sur bonnes ou mauvaises nouvelles, et sur
ce que le taux de la prime avait été fort élevé, lut ac
cueillie par la Cour dans les termes suivants :
« Considérant que la réticence prévue par l’art. 348
a été commise , puisque les polices d’assurance présen
tent le risque à partir des jour et heure auxquels le na
vire a ou a u r a pris charge, ce qui a laissé les as
sureurs dans l’incertitude si le navire était ou non parti,
tandis que Cazalis et Tutein , qui ont fait assurer , avaient connaissance, par la lettre d’ordre datée de Ham
bourg le 16 août, que le navire était parti depuis le 22
mai et que le capitaine n’avait donné depuis lors aucun
signe de vie ; ce qui ne permet pas de douter que l’opi
nion du risque a été réellement déguisée aux assureurs
» Considérant que la clause sur bonnes ou mauvai
ses nouvelles ne couvre pas la réticence qui a été com
mise ; que le contrat d’assurance n’est valable qu’autant
qu’il y aurait de part et d’autre ignorance de toutes les
circonstances sur l’opinion du risque.'»
Deux arrêts postérieurs de la même Cour sont venus
consacrer les mêmes principes en décidant, le 14 janvier
1826, que l’assurance est nulle pour cause de réticence
si, connaissant l’époque du départ du navire au temps
i Dalloz A., tom. n, pag. 61.
�197
du contrat, l’assuré ne l’a pas déclarée 1; en jugeant,
le 17 juillet 1829 , qu’il y a réticence , et conséquem
ment nullité du contrat de réassurance, lorsque les ré
assurés laissent ignorer aux réassureurs que le navire,
objet de la convention, comptait, à l’époque du premier
contrat, quatre-vingt-trois jours de navigation.2
219. — Même jurisprudence de la part de la Cour
de Bordeaux qui a annulé l’assurance contractée dans
l’espèce suivante :
Le 21 ventôse an vi, Roi et Laguigneux font assurer
la barque le Cerf. Le courtier d’assurance déclare que
cette barque n’a descendu la rivière que depuis quatre
à cinq jours.
Le 23 ventôse, c’est-à-dire deux jours après, les as
surés signifient le délaissement de cette barque , captu
rée par les Anglais dès le 11 du même mois. Mais les
assureurs contestent le délaissement pour réticence et
fausse déclaration sur le jour du départ. Ils concluent,
en conséquence, à la nullité de l’assurance.
C’est, en définitive, ce qui fut consacré, par arrêt du
4 fructidor an v iii , par les motifs suivants :
« Considérant que l’assurance n’a été faite que le 21
ventôse; que le bâtiment était en mer depuis le 10 ;
que non seulement les assureurs n’ont pas été instruits
de cette circonstance déterminante qu’on leur avait dis—
ET DE LA FRAUDE.
1 J. du P., année 1826.
2 D. P., 29, 2, 221.
�198
TRAITÉ DU DOL
simulée, mais qu’on leur a affirmé que ce bâtiment n’é
tait descendu que depuis quatre à cinq jours.' »
Enfin, la même Cour vient de juger qu’il y a vérita
ble réticence de la part de l’assuré qui se borne à dé
clarer simplement que le navire , objet de l’assurance,
est de relâche dans un port, sans annoncer que la relâ
che est forcée par les événements de mer et que le na
vire, encore hors du port, se trouve dans une situation
périlleuse.1
220. — On voit, par ce qui précède, de quelle ma
nière il faut comprendre l’obligation de déclarer le port
d’où le navire a dû partir. Une désignation pure et sim
ple suffit si le navire n’était pas encore parti au mo
ment de l’ordre ou à l’époque de l’assurance. Mais si
celle-ci est contractée pour un navire en cours de voya
ge, c’est le récit exact de sa navigation , le moment de
son départ et les diverses contrariétés qu’il a éprouvées.
Ici l’omission pure et simple équivaut à la réticence
prévue par l’art. 348. On ne saurait, en effet, l’impu
ter aux assureurs que la loi n’oblige à connaître que ce
qui leur est déclaré et qui peuvent être de très-bonne
foi dans l’ignorance absolue concernant le navire qu’ils
assurent.
221. — La seconde obligation imposée à l’assuré
par le paragraphe actuel, est de déclarer les ports ou
1 D. P., 23, 2, 442.
s J du P., 7 avril 1838.
�199
rades dans lesquels il doit charger ou décharger , ceux
dans lesquels il doit entrer.
L’entrée dans les ports ou rades présente toujours
plus ou moins de périls pour les navires. La sortie ellemême n’est pas toujours sans inconvénients ; le séjour
au milieu d’une foule d’autres navires peut quelquefois
déterminer une catastrophe. Ces chances, pour être plus
ou moins éloignées, plus ou moins probables , ne lais
sent pas que d’exister. Elles entrent, comme éléments
essentiels, dans l’appréciation à faire par l’assureur.
C’est à l’assuré à lui fournir ces éléments. Lui seul,
en effet, connaît le secret de ses opérations et l’itiné
raire que doivent suivre ses marchandises ou son navi
re. Il doit d’ailleurs, et lorsque le navire ne lui appar
tient pas, s’informer exactement de la destination qu’il
a reçue.
Conséquemment, s’il déclare assurer pour un voyage
de tel port à tel autre, l’assurance ne sera valable que si
le navire se dirige directement de l’un sur l’autre. S’il
aborde un ou plusieurs ports intermédiaires, s’il dépas
se le poiDt d’arrivée, s’il rétrograde, le silence gardé à
cet égard dans la police constitue une réticence prévue
et réprimée par l’art. 348.
ET DE EA FRAUDE.
222. — Ce principe reçoit exception :
1° Si l’entrée dans les ports intermédiaires, si l’obli
gation de dépasser le point d’arrivée ou de rétrograder
n’est que la conséquence d’une fortune de mer. Il y a
alors force majeure que personne ne pouvait prévoir,
�200
TRAITÉ DU DOL
que l’assuré ne pouvait, dès lors, être tenu de déclarer.
Mais on comprend que l’assuré qui exciperait de cette
force majeure pour repousser la nullité fondée sur la ré
ticence, serait obligé d’en rapporter la preuve.
2" Si l’assurance est contractée pour un temps fixe
et pour tel voyage qu’il plaira à l’assuré d’entreprendre.
L’assureur qui a accepté ces conditions ne pourrait se
plaindre d’une réticence, car puisque à l’époque où l’as
surance est contractée, l’assuré n’est pas lui-même fixé
sur les voyages à entreprendre, on ne saurait raisonna
blement exiger de lui ni le nom du port dont le navire
a dû sortir, ni ceux où il chargera et déchargera , ni,
enfin, ceux où il doit entrer.
Cependant si , au moment du contrat, le navire qui
en fait l’objet était en cours de voyage, l’assuré doit in
diquer le port d’où il est sorti. La connaissance de ce
fait peut être essentielle à l’appréciation du risque. C’est
là, d’ailleurs, un fait accompli dont l’assuré a une con
naissance parfaite. Il peut donc, et il doit le communi
quer à l’assureur , ainsi que toutes les circonstances se
rattachant à la navigation depuis le départ jusqu’à l’é
poque de l’assurance. L’omission de cette formalité cons
tituerait la réticence présumée dolosive.
3° Si l’assuré s’est réservé la faculté de faire échelles.
La conséquence de cette clause de la police est de per
mettre de toucher aux ports situés entre le point du dé
part et celui d’arrivée. Mais cette faculté ne comprend
pas celle de rétrograder ni de dépasser celui-ci. Le si
nistre survenu en exécutant l’un ou l’autre de ces mou-
�ET DE LA FRAUDE.
201
vemenls resterait pour le compte de l’assuré. Il en serait
de même si le navire s’écartait de la ligne directe et en
trait dans un port que celle-ci devait lui faire éviter.
223. — Enfin, le moment à partir duquel le risque
doit être à la charge des assureurs, doit être fixé, ainsi
que le moment où le risque doit finir. Mais ces dési
gnations ne sont pas de rigueur. La loi elle-même a
pourvu à leur omission dans les art. 341 et 328 du Code
de commerce. Ainsi,[àj’égard du navire, des agrès, ap
paraux, armement et victuailles, le risque court du jour
que le navire a fait voile, jusqu’au jour où il est ancré
et amarré au port ou lieu de sa destination. A l’égard
des marchandises , le temps des risques court du jour
qu’elles ont été chargées dans le navire ou dans les gabarres pour les y porter , jusqu’au jour où elles seront
délivrées à terre.
224. — Cette disposition ne modifie en rien les obligations imposées aux assurés. Ils n’en sont pas moins
tenus, sous peine de réticence, de déclarer tout ce qu’ils
ont appris de l’état du navire, depuis le jour de son dé
part jusqu’au moment où ils contractent l’assurance.
Rappelions-nous, en effet, que l’esprit de la loi ne
saurait être plus évident. Pour que l’assurance soit va
lable, il faut que les deux parties soient dans une éga
lité parfaite de position , relativement au risque qui en
fait l’objet. Toutes les fois donc que cet équilibre n’exis
tera pas, la convention sera présumée le résultat du dol,
et, comme telle, frappée de stérilité et d’impuissance.
�TRAITÉ DU DOL
Aussi la jurisprudence n’a-t-elle jamais varié dans
l’application et l’interprétation des art. 332 et 348 du
Code de commerce. Que la loi ait ou non expressément
exigé la déclaration d’un fait, il suffit que ce fait soit.de
nature à influer sur l’opinion du risque, pour que l’as
suré doive le déclarer , sous peine de nullité de l’assu
rance. De nombreux exemples prouvent l’exactitude de
cette proposition.
Ainsi il a été admis et jugé :
1° Que le réassuré qui n’a pas fait connaître aux ré
assureurs les bruits, mêmes vagues, qui couraient sur la
perte du navire assuré à l’époque du contrat, et dont
il avait connaissance , commet une réticence de nature
à entraîner la nullité de l’assurance ; 1
2° Que l’assuré qui sait au moment de l’assurance
que deux navires , partis quatre jours après le sien du
lieu désigné dans la police, sont arrivés depuis deux jours
au même lieu de destination, commet une réticence do
losive, s’il ne déclare pas ce fait aux assureurs, lorsque
d’ailleurs un court trajet sépare le lieu du départ du lieu
de la destination ; *
3° Que la seule dissimulation des inquiétudes que
peut avoir, lors du contrat d’assurance, le consignataire
d’un navire qui connaît le jour du départ, et qui sait
que la durée ordinaire de la traversée est de beaucoup
i Aix, 8 octobre 1813 ; D. A., 2, 63.
s Aix, 9 février 1830 : D. P.. 30, 2, 232.
�203
dépassée sans que le navire soit arrivé à sa destination,
constitue une réticence qui doit faire annuler l’assurance
commise par le consignataire, et faite par son manda
taire ; 1
4° Que l’assuré qui sait que ses marchandises ont
été placées sur le tillac commet une réticence , dans le
sens de l’art. 348 , s’il omet de le déclarer aux assu
reurs. Ce fait exposant les marchandises à un plus grand
danger, soit par rapport aux intempéries des saisons,
soit par rapport au jet à la mer, est de nature à influer
sur l’opinion du risque.1
Nous pourrions multiplier les hypothèses, car la doc
trine et la jurisprudence sont unanimes sur le point que
nous indiquions tout à l’heure , à savoir : que l’assuré
est obligé de déclarer tout ce qu’il sait sur ce qui con
cerne la navigation du navire, objet ou porteur du ris
que ; que sa déclaration doit renfermer l’exacte vérité.
N’oublions pas en effet que la fausse, déclaration est pla
cée sur la même ligne que la réticence , et que l’on ne
doit pas témoigner moins de sévérité pour l’une que
pour l’autre.
Il est évident, en effet, que le résultat pour les assu
reurs est le même , soit que l’erreur dans laquelle on
les a jetés provienne de l’omission, soit qu’elle provien
ne d’une fausse déclaration. Ils ont donc le droit de
ET DE LA. FRAUDE.
1 Rennes, 24 janvier 1844; — J. du P., 44, 1, 406.
Pardessus, n° 814. — Boulay-Paty, tom. ni, pag. 511.
2
�204
TRAITÉ DU DOL
faire prononcer la nullité du contrat, dans l’une comme
dans l’autre hypothèse..
C’est ce qui est prescrit par l’art. 348 , d’où la doc
trine a tiré cette conséquence que l’obligation de faire
une déclaration exacte est absolue ; qu’elle s’étend mê
me au cas où cette déclaration porterait sur un fait que
l’assuré n’était pas obligé de déclarer. Ainsi il n’est pas
d’usage, dans les polices d’assurance, de faire mention
du nombre d’hommes et des canons d’un navire ; ce
pendant l’assuré qui croirait devoir déclarer l’une et
l’autre, verrait annuler l’assurance , s’il l’avait fait in
exactement.1
Nous avons parcouru les obligations imposées par la
loi aux assurés, et dont l’exécution est garantie par une
véritable peine , la présomption de dol, et conséquem
ment la nullité de l’assurance. 11 nous reste à examiner
la nature de cette présomption ; par qui elle peut être
invoquée.
225. — La présomption de dol résultant des cir
constances prévues par l’art. 348 est juris et de jure,
c’est-à-dire qu’elle produit tout son effet par cela seul
que la réticence , la fausse déclaration ou la différence
entre la police et le connaissement existe , elle est donc
indépendante de la bonne ou de la mauvaise foi de l’as
suré. Vainement donc celui-ci se prévaudrait-il de la
1 Delvincourt, tom. n, pag. 394 ; — Pardessus, n° 330 ; — BoulayPaty, tom. ni, pag. 510 et 511.
�205
pureté de son intention, vainement offrirait-il la preuve
qu’il a été lui-même trompé. Cette preuve devrait être
écartée, car l’erreur constatée, la bonne foi certaine n’em
pêcherait point la nullité de l’acte. Sans cette rigueur,
l’art. 348 ne serait plus qu’une source de procès diffi
ciles et ruineux.
ET DE LA FRAUDE.
226. — De plus, cette présomption est exclusive
ment en faveur des assureurs. Eux seuls peuvent donc
l’invoquer. L’assuré ne pourrait, après le voyage opéré,
exciper de sa réticence, de sa fausse déclaration, de la
différence entre le connaissement et la police, soit pour
se soustraire au paiement de la prime,soit pour en pour
suivre le remboursement. S’il en était autrement, com
bien d’assurés qui recourraient à ce moyen, dont la dé
couverte n’est pas toujours facile, pour rendre la posi
tion des assureurs plus intolérable encore.
Il est un seul cas où la nullité de l’assurance peut être indifféremment demandée par l’assureur ou par l’as
suré. C’est lorsque l’assurance est faite après la perte ou
l’arrivée à bon port du navire, au lieu de sa destina
tion. Si l’assuré connaît la perte , si l’assureur connaît
l’arrivée, il n’y a plus d’aliment sérieux au contrat. Son
acceptation, comme sa proposition, n’est plus qu’un acte
de déloyauté et de mauvaise foi qu’on ne saurait tolérer
et moins encore consacrer.1
r .
1 Art. 36S-366 Cod. de comm.
�206
TRAITÉ DU DOL
227. —• En résumé l’assurance, étant un contrat
exceptionnel, ne pouvait se comprendre et se pratiquer
que par le principe de la bonne foi la plus rigoureuse.
Laisser son appréciation sous l’empire du droit commun,
c’était livrer les assureurs aux fraudes et à la déloyauté
des assurés. Ce résultat, tendant à rendre cette branche
d’industrie impossible , était un malheur social par la
restriction forcée qu’il amenait dans les expéditions ma
ritimes. On a donc sagement agi en adoptant un systè
me spécial que l’on peut réduire aux quatre observa
tions que nous empruntons à M. Dalloz aîné : 1
4° L’assuré est toujours dans son tort, toutes les fois
qu’il n’a pas fait connaître quelque circonstance essen
tielle qu’il ne pouvait pas ignorer, que ce soit par frau
de, oubli ou simple négligence ;
2° Lors même que la réticence ou la fausse déclara
tion porterait sur des choses que l’assuré n’était pas obligé de déclarer , il en serait responsable si ces choses
devaient influer sur l’opinion du risque ;
3° C’est à l’assureur seul qu’appartient le droit de de
mander la nullité du contrat pour cause de réticence ou
de fausse déclaration, et, seul aussi, il est chargé d’ad
ministrer la preuve des circonstances qu’il allègue ;
4° Enfin , c’est aux juges à apprécier si les circons
tances non déclarées ont, ou non , influé sur l’opinion
du risque.
�207
228. — La preuve de la réticence est à la charge
de l’assureur qui s’en prévaut. Ce principe ne pouvait
souffrir aucune contradiction ; il est en effet certain que,
soit que la rélicence soit opposée comme exception à
l’action en délaissement, soit qu’elle devienne le fonde
ment d’une demande principale en nullité de l’assuran
ce, l'assureur qui en excipe est réellement, quant à ce,
demandeur, et qu’en cette qualité il doit justifier sa pré
tention.
Cette justification peut être écrite ou orale. En effet, la
preuve testimoniale est dans ce cas complètement ad
missible, même en vertu des principes ordinaires. Il est
certain que l’assureur n’a pu se procurer une preuve
littérale, il est donc placé dans l’une des exceptions au
torisées à la règle tracée par l’art. 1341.
ET DE LA FRAUDE.
229. — Il n’en est pas de même de l’assuré qui
prétendrait avoir dénoncé le fait constituant la réticence.
L’art. 1341 , qui prohibe la preuve par témoins outre
et contre le contenu de l’acte, ou de ce qui aurait été dit
avant, pendant ou après , est parfaitement applicable.
Car il est incontestable que l’assuré a eu le moyen de
se procurer une preuve écrite , qu’il ne se trouve par
conséquent dans aucun des cas d’exception , qu’on ne
pourrait dès lors le récompenser d’avoir failli à un de
voir qui lui était rigoureusement imposé par la loi.
Il est vrai qu’en matière commerciale, l’admissibilité
de la preuve orale est de droit commun. Mais on doit
excepter de celte règle les actes pour lesquels la loi exi-
j
�208
TRAITÉ DU DOL
ge la forme littérale. Ainsi l’existence d’une société com
merciale ne pourrait être faite entre associés par la preu
ve testimoniale ; or, ce que la loi exige pour les sociétés,
elle le prescrit pour les assurances, les unes comme les
autres doivent être constatées par écrit.
250. — De là cette conséquence que la police d’as
surance, comme l’acte de société , fait, contre et en fa
veur des parties, foi pleine et entière. L’omission, dans
la police, de la mention du fait constituant la réticence,
établit donc la preuve certaine de la non-déclaration.
En présence de cette preuve , en présence surtout de la
nécessité d’une déclaration écrite, toute prétention de
prouver le fait par témoins serait inadmissible.
C’est ce qui résulte de la jurisprudence. Les arrêts sont
unanimes sur les divers points suivants, à savoir : que
l’intention des parties ne peut prévaloir sur la lettre ou
l’énonciation écrite de la police ; que, dans le doute mê
me, la convention doit être interprétée contre l’assuré
dans tout ce qui concerne les obligations qui lui sont
imposées ; qu’il est impossible dès lors d’autoriser la
preuve testimoniale.
Cette dernière proposition a été notamment formelle
ment consacrée par l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix, du
1 4 avril 1818, que nous avons transcrit plus haut. Dans
l’espèce , les assurés soutenaient que les assureurs n’a
vaient ignoré aucune des circonstances essentielles ; ils
rapportaient une déclaration du notaire ayant reçu la
police, portant que les assureurs avaient été instruits de
�209
l’époque du départ du navire et de la lettre d’ordre écrite aux assurés ; comme preuve de cette connaissance,
ils excipaient du taux élevé de la prime ; subsidiaire
ment ils demandaient l’admission de la preuve par té
moins.
Mais la Cour, après avoir écarté la déclaration du no
taire et repoussé les autres considérations, refuse la preu
ve demandée , considérant que cette preuve était con
traire au contenu des polices, et par cela même inad
missible.
Ainsi la police devient la loi suprême des parties. En
conséquence, l’assuré qui aura exactement accompli ses
obligations devra mentionner dans cette police la rela
tion des faits qu’il a réellement dénoncés aux assureurs.
Toute négligence sur ce point le rendrait sans recours
possible contre la dénégation , même de mauvaise foi,
des assureurs, et la nullité de l’assurance deviendrait
forcée par la présomption de dol , résultant de la réti
cence apparente, si non réelle.
ET DE Là FRAUDE.
i
14
�TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
Dol non p r é s u m é , m o d e s de p reu ve.
SOMMAIRE.
231. Le titre étant présumé sérieux et sincère, c’est à celui qui
l’attaque à en prouver l’illégitimité.
232. Doutes sur le point de savoir s’il fallait admettre la preuve
testimoniale.
233. Origine de celte preuve.
234. Respect qu’elle inspira aux Grecs et aux Romains.
235. Notre ancienne jurisprudence admit les errements du droit
romain, jusqu’à l’ordonnance de 1566.
236. Motifs de cette ordonnance.
237. Son appréciation par les jurisconsultes de l’époque.
238. Extension qu’elle a successivement reçue par l’ordonnance
de 1669, et enfin par l’art. 1341 du Code civil.
239. Caractère de la prohibition, non applicable au dol.
240. Cette exception se justifie par les principes.
241. Est-elle applicable au dol postérieur au contrat ?
242. Arrêt de la Cour de Cassation établissant la négative.
243. Il en serait autrement s’il existait un commencement de
preuve par écrit.
�ET DE LA FRAUDE.
211
244. Quid si le porteur du litre querellé, avouant la simulation
de la cause, en indique un autre légitime ?
245. Arrêt d’Aix validant le titre en vertu du principe de l’indi
visibilité de l’aveu.
246. Réfutation.
247. Arrêt contraire de la Cour de- Cassation.
248. Conditions pour l’admissibilité de la preuve orale.
249. Première condition. Articulation précise des faits.
250. Deuxième condition. Pertinence des faits; comment elle
s’apprécie.
251. Appréciation de l’enquête.
252. Système du droit romain et de notre ancien droit sur le
nombre des témoins et la qualité de la preuve.
253. Système du Code.
254. La preuve par présomption est recevable dans tous les cas
admettant la preuve testimoniale.
255. Exigence de notre ancien droit sur le nombre des présomp
tions.
256. Opinion de Dumoulin et de Domat, du cardinal de Lucca.
257. Le Code n’exige rien autre que la gravité, la pertinence et
la concordance des présomptions. — Appréciation de
ces caractères.
258. Pourrait-on se décider pour la nullité, s’il n’existait qu’une
seule présomption ?
259. La preuve par présomptions sera plus ou moins concluan
te , selon que les faits dont on les induit seront plus ou
moins certains.
260. C’est par l’ensemble des présomptions que le juge doit se
décider.
231. — Nous venons de dire qu’en principe l’acte
écrit, signé par les parties, est présumé sérieux et sin
cère : qu’il est censé renfermer leurs véritables inten
tions. La preuve du contraire enlève au titre ce triple
�21121
TRAITÉ DU DOL
caractère ; c’est ce qui se réalise notamment lorsqu’il est
justifié que le concours de l’une des parties contrac
tantes est le résultat du dol commis par l’autre.
De là cette conséquence que le porteur du titre n’a
rien à justifier, et que c’est uniquement à celui qui pré
tend le faire anéantir, à fournir la preuve du vice dont
il le prétend atteint. La difficulté ne peut jamais naitre
sur le principe , mais sur son exécution. Et c’est ainsi
qu’on s’est posé en législation la question de savoir si
l’on devait admettre, pour prouver le dol, la preuve tes
timoniale ; en doctrine et en jurisprudence, celle de sa
voir si cette preuve avait été admise.
232. — La raison de douter se puisait dans la dis
position de l’art. 1341 qui , dans l’hypothèse donnée,
prohibe la preuve testimoniale , même lorsqu’il s’agit
d’une somme moindre de 150 fr. Mais le rapproche
ment de cette disposition des motifs qui l’ont détermi
née, devait amener la loi, la doctrine et la jurisprudence
à résoudre la question par l’affirmative.
Pour juger de l’opportunité de cette décision, il con
vient de jeter un coup d’œil rapide sur les législations
antérieures. Leur connaissance, les modifications qu’el
les ont dû successivement introduire dans l’étendue de
la preuve orale, justifieront le principe sur lequel l’article
1341 est fondé , en même temps qu’elles indiqueront
le véritable caractère de l’exception introduite pour le
dol.
�ET DE LA FRAUDE.
213
233. — L’écriture, c’est-à-dire l’art de peindre la
parole et de parler aux yeux , n’a été connue qu’assez
tard et si des signes matériels, tels que l’érection d’un
autel, d’un monceau de pierres, la plantation d’un bois,
un nom relatif à des faits intéressants donné au lieu qui
les avait vus s’accomplir, suffisaient pour transmettre
la mémoire des événements importants et constituer les
fastes d’une nationa ; il ne pouvait en être ainsi pour
les conventions particulières d’individus à individus.
C’était donc presque toujours la présence de témoins
qui solennisait ces conventions. Nous en trouvons de
nombreux exemples dans l’histoire des anciens peuples,
et notamment dans l’Ecriture Sainte.3
La découverte de l’écriture ne pouvait, dès le princi
pe, exercer une bien grande influence sur cet usage. In
dépendamment du préjugé né d’une longue expérience,
les difficultés que durent rencontrer la pratique et la
connaissance de cel art expliquent comment , pendant
longtemps encore, on dut recourir à un mode univer
sellement admis. La preuve testimoniale resta donc ,
même après celle découverte, l’arbitre le plus usuel , le
plus fréquent des transactions particulières.
254. — Les législations grecques et romaines por
tent l’empreinte du respect profond que cette institution,
1 Goguet, De l’origine des lois, chap. 6, pag. 189.
2 ld., ibid.
3 Genèse, chap. 20, * 3 et suiv.
�TRAITÉ DU DOL
214
d’abord si utile , avait inspiré. Parvenus à l’époque de
leur gloire, les Romains regardaient la preuve testimo
niale comme indispensable. Testimoniorum usus, necessarius est, disait le Digeste ', et Justinien n’hésitait pas
à lui accorder une autorité égale à sa rivale , la preuve
écrite: In exercendis litibus, eamdem vim obtinenl lam
fidem instrumentorum quam depositiones lestiumC
Il est vrai qu’à côté de cette prescription s’en rencon
tre une autre qui semble rejeter la preuve testimoniale
en présence d’un titre écrit : Contra testimonium scriptum, testimonium non scriptum non ferlur3. Mais, ain
si que le fait remarquer M. l’avocat-général de Corberon , dans une espèce rapportée par Merlin, si cette loi
se trouve dans un des livres du Code , c’est qu’elle y a
été introduite après la compilation qui en a été faite par
ordre de Justinien. On ne sait, en effet, à quel empe
reur l’attribuer. Cujas, qui l’a tirée des Basiliques, pen
se qu’elle est de l’empereur Antonin. Mais, en l’admet
tant ainsi, ne faudrait-il pas en conclure qu’elle n’a ja
mais eu le caractère de loi dans l’empire d’Occident ?
En effet les Basiliques, recueil des lois des empereurs
d’Orient, n’étaient, au témoignage de Godefroy, souvent
pas obligatoires pour l’Orient même, à plus forte raison
ne pouvaient-elles être considérées comme telles pour
l’empire d’Occident.
1 L. 43, De test.
2 L. 9, Cod. De fide inslr.
3 L. 1, Cod., De lestibus.
�215
Ce qui le démontre, à notre avis, c’est d’abord la loi
que nous avons citée et qui a accordé à la preuve testi
moniale la même autorité qu’à la preuve écrite.
C’est en outre la loi 18, au Code De testibus, qui est
décisive. Elle nous apprend , en effet, que , préoccupé
des inconvénients des témoignages complaisants , per
quos multa veritatis contraria perpetranlur, le législa
teur ne trouve pas d’autre remède que d’exiger un plus
grand nombre de témoins. Ainsi les débiteurs ne pour
raient se prétendre libérés, nisi quinque testes idonei et
summœ atque integrœ opinionis presto fuerint solulioni celebratce, hique cum sacramenti religione deposuerint sub prœsentia sua debilum esse solutum.
C’est enfin la décision de Justinien sur la préférence
que l’on doit accorder à la preuve testimoniale sur le
titre même ', préférence fondée sur ce que celui-ci est
muet, tandis que les témoins parlent et répondent : Bac
potissimum ratione ducli, quod instrumentorum testatio sit muta , et quœ interrogata non respondeat. Testium vero probatio semper loquatur, ratiocinelur et
sœpius interrogata respondeat.*
Il n’est donc pas permis de douter de la haute con
sidération que les Romains ont professé de tout temps
ET DE LA. FRAUDE.
i Si vero taie aliud quale in Armenia factum est, ut aliud qui rem faciat collatio litterarum, aliud vero testimonia, tune nos existimavimus
ea quæ viva voce dicuntur et cum jurejurando, hæe digniora. fide, quam
scripturam ipsam secundum te subsistere. (Novclla const., 73, cap. 3).
3 Boiceau, sur l’art. 84 de l’ordonn. de Moulins,
�216
TRAITÉ DU DOL
pour la preuve testimoniale. Elle était en toute matière
complètement recevable, sauf la modification que nous
venons d’indiquer.
255. — Il en a été longtemps de même en France.
La Novelle de Justinien y avait généralement formé le
droit commun. On connaît cette maxime de notre vieille
jurisprudence : Témoins passent lettres.
Mais cet état des choses fut gravement modifié par
l’ordonnance de 1566. Ce que Justinien avait cru im
possible, Charles IX et son immortel chancelier n’hési
tèrent pas à l’exécuter. Dès ce jour , la preuve testimo
niale reçut une atteinte profonde , sous le coup de la
quelle elle est encore aujourd’hui.
256. — Or il n’est pas sans intérêt, puisque le Code
s’est attribué le principe de cette célèbre ordonnance, de
rappeler les motifs qui déterminèrent celle-ci. Nous ju
gerons par là de ce que le nouveau législateur a réelle
ment voulu. Ces motifs se trouvent ainsi consignés dans
l’art. 54 :
« Voulant obvier à multiplication de faits que l’on a
vu ci devant estre mis en avant en jugements , sujets à
preuve de témoins et reproches d’iceux dont adviennent
plusieurs inconvénients et involutiori de procès. »
Voilà donc l’objet dans lequel il est ordonné que
« doresnavant de toutes choses excédant la somme ou
valeur de cent livres une fois payer, seront passez con
trat pardevant notaires et témoins, par lesquels contrats
�2,17
seulement sera faite et reçue toute preuve esdites matiè
res , sans recevoir aucune preuve par témoins outre le
contenu aux actes , né sur ce qui serait allégué avoir
esté dit et convenu avant icelui, lors et depuis. »
ET DE LA. FRAUDE.
237. — Ces prescriptions rompaient tellement avec
les habitudes des masses , qu’au dire de Boiceau elles
furent considérées par elles comme dures, odieuses, con
traires au droit civil. Mais telle ne fut pas l’apprécia
tion des célèbres jurisconsultes de cette époque. Ils n’hé
sitèrent pas à sanctionner de leur autorité des disposi
tions qu’ils jugèrent les plus recommandables de toutes
celles que ce siècle avait vu naître : Nulla, loto hoc seculo , constitutio aut lexregia , sanclior ac probatior
visa fuit.1
238. — Une longue pratique est venue démontrer
la profondeur de ce jugement et sa remarquable justes
se. Loin de revenir sur la décision qui le motivait, les
législateurs qui se sont succédés en ont corroboré le prin
cipe. C’est ainsi que l’ordonnance de 1667 place sous
son empire les obligations et la constitution des dépôts;
et que l’art. 1341 du Code civil l’a mis au rang des dis
positions légales qui nous régissent.
239. — De cet historique de la législation sur la
preuve testimoniale, il résulte qu’on ne saurait équivo1 Boiceau, sur l’ordonnance de \ 566.
�218
TRAITÉ DU DOL
quer sur le caractère de la prohibition qui forme au
jourd’hui notre droit commun. Ce qu’on a voulu pré
venir , c’est la multiplicité des procès sur la nature des
accords prétendus par chaque partie, sur la détermina
tion exacte de l’intention des parties contractantes ; ce
qu’on a recherché, c’est la fixité des conventions, épar
gnant aux magistrats la perplexité dans laquelle les jet
tent des explications contradictoires. Evidemment aucu
ne de ces considérations n’est dans le cas d’exercer la
moindre influence sur les actions fondées sur le dol. Là,
en effet, il ne s’agit plus de rechercher quelle a été l’in
tention des parties ; c’est l’absence de tout consente
ment légal, c’est l’existence d’un quasi-délit qu’il s’agit
d’établir, et, sous ce double rapport, la prohibition de
la preuve testimoniale serait irrationnelle. En effet , s’il
est bon de prévenir les procès , il est juste d’accorder
une exacte réparation à celui qui est indignement trom
pé, et c’est ce qu’on avait parfaitement admis sous l’or
donnance de 1667.1
Au reste, ce qui n’était à cette époque qu’une déduc
tion logique a acquis aujourd’hui un caractère définitif
et légal. Ainsi l’art. 1348 du Code civil admet la preuve
orale contre l’assertion du litre toutes les fois que la
partie qui la demande a été dans l’impossibilité de se
procurer une preuve écrite. Cette disposition assigne à
celle de l’art. 1341 un caractère évident et certain. L’acte
i Jousse, sous l’art. 4, n» 5.
�219
ne fait foi entière de son contenu que parce qu’il a été
loisible à chacun de ceux qui y ont concouru , de faire
constater dans l’acte même sa volonté et l’intention qui
l’a réellement animé. Il y a donc négligence et impru
dence à ne pas l’avoir fait. À quel titre demanderait-on
à la loi d’être relevé des conséquences de l’une ou de
l’autre ?
Que si au contraire celui qui se plaint n’a été ni im
prévoyant ni téméraire, si l’absence d’une preuve écrite
n’est due qu’à des circonstances qu’il ne lui était pas
donné de prévoir, et moins encore d’empêcher, on ne
pouvait sans iniquité lui enlever les moyens de se sous
traire aux conséquences d’une convention onéreuse au
tant qu’injuste.
Or, c’est précisémet ce qui se réalise lorsque le con
trat est le produit du dol. La victime, si elle eût soup
çonné les manœuvres dont elle a été l’objet, n’aurait
certes pas contracté. Elles les a donc forcément igno
rées ; elle n’a pu conséquemment s’en procurer une
preuve écrite.
ET DE LA. FRAUDE.
240. — L’exception à la prohibition de la preuve
testimoniale, en faveur de l’action en dol, se justifie donc
par les principes ordinaires. Elle est écrite dans l’art.
1348 d’abord, dans l’art. 1363 ensuite. Et l’on ne com
prend pas que la doctrine ait pu un instant équivoquer
sur la pensée si loyale, si évidente de la loi.
241. — Ainsi le dol antérieur ou contemporain de
la convention, qu’il soit substantiel ou accidentel, direct
�220
TRAITÉ DU DOL
ou indirect, positif ou négatif, peut toujours être prouvé
par témoins. En est-il de même pour le dol postérieur
au contrat ?
La question ne serait pas douteuse, s’il fallait la ré
soudre sous l’influence du droit romain. Les textes d’UIpien, que nous avons déjà cités, la trancheraient d’une
manière fort nette. L’acte de celui qui poursuivait l’exé
cution d’une convention sans cause était un véritable
dol : Nam quia petit ex ea stipulatione , ipae dolo facil
quod petit...........Exceptio ulique doli mali , ei nocebit. 1
Cette doctrine était au reste une conséquence des idées
des Romains sur la preuve testimoniale et sur la nature
des exceptions. Produits du droit prétorien , les excep
tions n’avaient été imaginées que pour protéger ce qui
était équitable contre les rigueurs du droit civil : Quod
jure civili debebat ,jure prœlorio non debebat , id est
exceptio. D’ailleurs le porteur du titre devait en deman
der l’exécution, et, dans cette instance, le défendeur pou
vait obtenir Yadjectio formules , laquelle, insérée entre
Vintentio ou la condemnalio , avertit le juge de ne pas
condamner , même si paret, pourvu que le défendeur
fasse la preuve de son allégation \ L’effet de l’exception
n’était donc pas de détruire le droit exercé. Il se bor
nait à en paralyser l’exercice, lorsque la condamnation
du défendeur eût été contraire à l’équité.3
i V. supra cbap. 4. sect. 2, S 4
3 Etienne, Théorie des actions, chap. 2, § 12, pag. 273.
î J i , ibid.
�ET DE LA FRAUDE.
221
Notre loi a repoussé toutes ces formalités , toutes ces
formules. Il n’y à plus qu’un seul droit commun à tous
les citoyens, et ce que ce droit ne prohibe pas est par
faitement légal, alors même que l’équité ne saurait plei
nement l’avouer. D’autre part, la preuve testimoniale
s’est effacée devant le respect commandé pour le titre
écrit et la nécessité d’obtenir une preuve littérale. Ce
double principe ne fléchit que lorsque l’existence du titre
est attaquée dans son principe même , à. cause du vice
imputé au consentement.
En conséquence, si dans son origine le contrat a été
le résultat de la volonté libre et refléchie des parties,
l’engagement existe, le lien légal a toute sa force , et la
présomption est qu’il n’a été créé que pour recevoir son
entière exécution.
Vainement le demandeur en nullité prétendrait-il
qu’il n’a signé l’acte que parce qu’il était convenu qu’il
ne serait jamais exécuté ; et verrait-il un dol dans la
conduite de son adversaire. Pour que ces prétentions
fussent accueillies, il faudrait que la première résultât
du titre ou de tout autre acte séparé. Car c’est pour les
cas de ce genre surtout que l’art. 1341 prescrit la preuve
littérale. En l’absence de cette preuve , on répondrait à
celui qui se plaint : la loi vous faisait un devoir rigou
reux de vous procurer la preuve écrite des faits dont
vous excipez ; cette preuve, vous étiez en possession de
l’obtenir; si vous ne l’avez point, c’est que vous avez
préféré suivre aveuglément la foi de celui qui est aujour
d’hui votre adversaire; subissez donc les effets de cette
�222
TRAITÉ Dü DOL
confiance; il ne nous appartient même pas de recher
cher si elle est ou non trahie.
Ce langage est sévère , il peut même paraître odieux
et injuste. Mais, si l’on réfléchit-aux inconvénients nom
breux que le système contraire entraînerait, on se ré
concilie avec la pensée du législateur. N’est-il pas évi
dent, en effet, qu’autoriser la preuve testimoniale du dol
postérieur au contrat, c’était ouvrir une large porte à
l’invasion de la mauvaise foi, multiplier les procès, com
promettre les droits les plus légitimes, en les soumettant
aux éventualités toujours si incertaines de la preuve orale ? Que d’accusations mal fondées ne se seraient-elles
pas produites, ne fût-ce que pour arrêter momentané
ment l’exécution d’un contrat réel ?
C’était là rétrograder au delà des ordonnances de
1566 et 1667, et revenir aux abus que ces deux législa
tions avaient si heureusement réprimés.
Que, dans ses conséquences, l’application rigoureuse
de l’art. 1341 puisse quelquefois consacrer une injustice
et une fraude, c’est là une malheureuse vérité. Tel n’estil pas d’ailleurs le sort de toutes les institutions humai
nes ! Mais, entre ces malheurs partiels et l’intérêt géné
ral, il n’y a pas à hésiter. C’est ce que le législateur a
sagement pensé. Tout ce qu’il pouvait faire , c’élait de
prévenir avant de frapper , et certes la disposition de
l’art. 1341 prouve qu’il n’a pas failli à cette mission.
Ainsi le dol postérieur au contrat ne saurait être prou
vé autrement que par écrit. Quelque odieuse que soit la
conduite de celui q u i, après avoir concouru à un acte
�223
simulé, en poursuit l’exécution, comme le préjudice qui
en résultera a pu être prévu au moment du contrat et
conjuré par le contrat même ou par tout autre acte sé
paré, la loi a dû se reposer sur l’intérêt des parties. Elle
ne peut protéger celle d’entre elles qui s’est imprudem
ment abandonnée , plus efficacement qu’elle ne l’a fait
elle-même , ni la récompenser de la violation expresse
de sa disposition.
ET DE LA FRAUDE.
242. — Nous trouvons une remarquable application
de ces principes dans un arrêt de la Cour de cassation,
sur l’espèce suivante :
Le 11 germinal an xm, le sieur Chiorando, receveur
particulier des contributions directes à Alexandrie, déli
vra à Visconti, sur Gaudry, percepteur des contributions
dans la même ville , un bon de 7,000 fr., portant la
mention qu’il en sera tenu compte à ce dernier sur son
premier versement. Ce bon a été acquitté. Le 18 du mê
me mois , Chiorando reconnut avoir reçu purement et
simplement de Gaudry 7,000 fr. Celui-ci était resté tout
à la fois porteur du bon et de la quittance. Chiorando
l’a assigné pour le faire condamner à lui restituer le
bon ou à lui en donner quittance, prétendant que celle
du 18 germinal s’y appliquait. Gaudry prétend que le
bon et la quittance font deux titres bien distincts , qui
ont pour objet : le premier, d’établir une créance en sa
faveur ; et le second , de constater le versement par lui
fait d’une sommede 7,000 fr., indépendamment de celle
énoncée dans le bon.
�m
TR.4.ITÉ DU DOL
Chiorando demande alors à prouver par témoins :
1° que le 18 germinal an xm, il délivra une quittance
de 7,000 fr. et qu’il l’envoya par un de ses commis au
bureau du sieur Gaudry, pour la remettre à celui-ci et
retirer en même temps le bon de pareille somme, déli
vré le.11 du même mois au sieur Yisconti ; 2° que la
personne chargée de cette quittance, ne trouvant pas le
sieur Gaudry chez lu i, s’adressa à un de ses commis
qui, ayant déclaré qu’il était instruit de la chose, avait
tâché de retrouver le bon dans le bureau ; 3° qu’après
avoir cherché dans plusieurs endroits sans avoir pu le
retrouver, ce commis dit à celui du sieur Chiorando de
laisser la quittance, en l’assurant que, dans la journée,
il lui rapporterait lui-même le bon , en remplacement
duquel la quittance devait être donnée ; 4° enfin , que
la personne chargée de la quittance la laissa effective
ment entre les mains du commis de Gaudry , mais que
ce dernier n’apporta pas le bon.
Gaudry soutient que la preuve testimoniale n’est pas
admissible , mais cette prétention est repoussée d’abord
par le Tribunal d’Alexandrie, et, sur l’appel, par la Cour
de Gênes.
Sur le pourvoi de Gaudry, l’arrêt de celle-ci fut cassé
par décision du 29 octobre 1810, en ces termes :
« Attendu que l’art. 1341 défend d’admettre aucune
preuve par témoins outre et contre le contenu aux actes,
ni sur ce qui aurait été dit avant, lors ou depuis , en
core qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de
150 fr.; que cet article ne reçoit pas exception, aux ter-
�225
mes des art. 1347 et 1348 , que lorsqu’il n’a pas été
possible de se procurer une preuve par écrit ; attendu
que les parties ne se trouvaient ni dans l’une ni dans
l’autre de ces exceptions, puisque l’arrêt dénoncé n’a
pas déclaré qu’il existât un commencement de preuve
par écrit ; et qu’il avait été impossible au défendeur
de rapporter une preuve écrite des faits par lui articu
lés. 1 »
Or, c’est précisément cette possibilité qui existe pour
le dol postérieur au contrat. Dès lors la doctrine de cet
arrêt devrait régir et faire repousser la demande de la
preuve testimoniale.
ET DE LA FRAUDE.
245. — Mais cette preuve deviendrait admissible,
s’il existait un commencement de preuve par écrit. Nous
aurons occasion, en traitant de la fraude, de rechercher
les caractères constituant ce commencement de preuve.
Nous nous contenterons de remarquer ici que la doctri
ne et la jurisprudence ont singulièrement étendu la dis
position de l’art. 1347, dans l’interprétation de laquelle
les magistrats n’obéissent à d’autres règles qu’à celles
d’un arbitrage souverain.
L’un des éléments les plus usuels, les plus utiles à cet
arbitrage, est sans contredit l’interrogatoire sur faits et
articles. Il n’est pas rare, en effet, de trouver dans les
réponses fournies des indications rendant le fait vraisem1 Dalloz A., tom. x, v» Oblig., ch. 6, sect. 2, art. 2.
l
45
�TRAITÉ DU DOL
blable et constituant par conséquent le commencement
de preuve. Le cas se réalisant, aucune difficulté sérieuse
ne s’opposerait à l’admission de la preuve orale.
244. — Il est une hypothèse qui peut faire surgir
une difficulté grave, c’est lorsque le porteur du titre que
rellé de dol postérieur avoue la simulatian de la cause
énoncée et en indique une autre qui serait légitime.
Faut-il dans cette espèce recourir à la preuve testimo
niale, l’aveu de la simulation créant un commencement
de preuve , ou bien faut-il accepter cet aveu dans les
deux parties et repousser toute preuve orale ?
I
!f e
r! f o l ‘
245. — Dans ce dernier sens on a dit que l’acte
qui exprime une cause fausse n’en est pas moins vala
ble, s’il en existe une réelle et légitime ; que l’aveu que
l’on ne peut scinder, faisant foi de la fausseté de la cau
se exprimée , doit faire foi de celle qui est substituée;
qu’admettre le contraire , ce serait violer le principe de
l’indivisibilité de l’aveu ; qu’on doit donc accepter la dé
claration dans son entier, alors même que des présomp
tions graves, précises et concordantes indiqueraient que
la seconde partie n’est pas conforme à la vérité. C’est
dans ce sens et dans ces termes que la Cour d’Aix l’a,
jugé dans l’affaire Jourdan contre Bizot.
' 246. — Ce système, à notre avis, ne saurait être ac
cueilli. Il n’est que le résultat d’une appréciation exa
gérée de l’art. 1356; il s’écarte, de plus, des principes
consacrés par l’art. 1131.
�' ..........
ET DE LA FRAUDE.
L’arrêt considère d’abord que l’acte produit par le
créancier est inattaquable par la preuve testimoniale aux
termes de l’art. 1341. Cela est rigoureusement exact.
Aussi, tant que le créancier, s’en référant au titre, l’op
pose aux allégations du débiteur , ces allégations , ne
pouvant établir qu’un dol postérieur au contrat, ne peu
vent ni prévaloir sur le titre , ni devenir l’objet d’une
preuve testimoniale en l’absence d’un commencement de
preuve par écrit.
Mais dès que le créancier , désertant le titre , en re
connaît la simulation , l’art. 1341 devient inapplicable
sous un double rapport :
1° L’art. 1134 ne déclare obligatoires que les con
ventions légalement formées. Pour que ce caractère soit
acquis, il faut que l’obligation a’it une cause ; c’est là une des conditions requises par l’art. 1108. Comme con
séquence, l’art. 1131 déclare nulle et de nul effet l’obli
gation sans cause , ou sur une cause fausse ou illicite.
Or, l’obligation , dont la cause exprimée est reconnue
inexacte , est réellement une obligation sans cause. Tout
au moins le litre exprime-t-il une cause fausse et, jus
qu’à preuve contraire, la cause véritable peut être pré
sumée illicite. Dèç lors, ce ne serait plus seulement une
simulation ordinaire , il s’agirait, dans cette hypothèse,
d’une fraude tentée pour éluder l’art. 1131. Or, la frau
de à la loi peut toujours être prouvée par témoins.
Vainement prétendrait-on que le débiteur, ayant co
opéré à cette fraude, ne saurait être admis à s’en préva-
�228
TRAITÉ DU DOL
loir. Il est vrai que cette conclusion a pour point d’ap
pui la maxime nemo auditur lurpitudinem suarn allegans. Mais le droit romain avait-il voulu autoriser le
créancier à profiter de sa déloyauté? N’enseignait-il pas
au contraire que nemini fraus sua pairocinari debel ?
Si donc il n’y avait en présence que le débiteur et le
créancier, les raisons d’admettre ou de rejeter leurs pré
tentions se balanceraient avec une égale autorité ; mais
au dessus de l’une et de l’autre se trouve engagée la loi
elle-même, dont on a voulu méconnaître la volonté, éluder les dispositions ; et la nécessité de rétablir l’une
et de faire exécuter les autres est une réponse plus que
péremptoire au brocard de droit que l’on voudrait invo
quer.
Aussi la doctrine est-elle d’accord pour reconnaître
qu’ériger en principe absolu la maxime nemo auditur
etc___, ce serait consacrer la fraude et ôter aux lois
toute leur force. Dès lors, disent Teulet et Dauvilliers,
dans le résumé de cette doctrine , on doit déclarer que
si cette fin de non-recevoir peut être quelquefois admi
se, c’est lorsque l’influence des faits est telle, qu’en effet
elle offre le moyen de rendre une décision plutôt équi
table que juridique ; mais , en principe , il faut recon
naître que toute partie doit être admise à attaquer com
me nulle toute obligation qu’il soutiendra avoir sous
crite sans cause ou sur une fausse cause , et que pour
arriver à ce résultat elle sera autorisée à fournir tous les
modes dé preuves.1
/
i Cod. civ annoté, art, -1131, n°s 14, 15 et 16,
�229
Cette doctrine est loin de violer l’art. 1341 ; on peut
même dire que dans l’hypothèse où nous raisonnons, il
n’y a pas lieu de l’invoquer. Dès l’instant que la simu
lation de la cause énoncée dans le titre est reconnue, le
titre disparaît. Il n’y a plus qu’une allégation contre
celle du débiteur. D’ailleurs, lorsqu’il y a réellement une cause fausse , ne peut-on pas dire que le débiteur,
protégé par l’art. 1131 , n’a pas dû se mettre fort en
peine de se procurer une preuve qu’il était d’ailleurs
impossible qu’il se procurât ? Lorsqu’il s’agit de faire ce
que la loi défend, lorsqu’on a recours à la simulation,
il est certain qu’on n’ira pas par une déclaration écrite
s’enlever tout le bénéfice de cette simulation. S’il s’agit,
par exemple, de déguiser une dette de jeu , en lui don
nant la forme d’un prêt ordinaire, le perdant qui se ré
signe à souscrire l’acte, songera-t-il à exiger une con
tre-lettre, le gagnant la souscrira-t-il ? Autant vaudrait
ne pas rédiger de titre écrit que de l’annuler d’avance
par cette précaution.
Et cependant si le système que nous combattons était
admis, il en résulterait qu’il suffirait au porteur du titre
d’en reconnaître la simulation, mais d’en indiquer une
cause autre que celle exprimée pour assurer l’exécution
qu’il en sollicite ; le perdant, lié par cette déclaration,
ne pourrait plus prouver par témoins le véritable carac
tère de l’acte. C’est pourtant le contraire qui est ensei
gné par la doctrine et la jurisprudence. '
ET DE LA FRAUDE.
i Merlin,
Rép., v° Jeu, n° 4;
— Favard
, Contrat aléatoire, tom. 1,
�230
TRAITÉ DU DOL
Dira-t-on qu’il s’agit pour les dettes de jeu d’une obligation illicite? Nous répondrons que l’obligation est
si peu illicite, qu’elle lie naturellement le perdant; qu’on
ne peut répéter ce qui a été volontairement payé, tandis
qu’on est recevable à se faire restituer ce qu’on a payé
sans cause ; que fallût-il d’ailleurs reconnaître ce ca
ractère illicite à la dette de jeu, l’art. 1131 ne faisant
aucune distinction entre la cause illicite et le défaut de
cause ou la cause fausse, la preuve testimoniale admise
pour l’une doit l’être également pour les autres.
2° Sous un autre rapport , et en supposant que la
fausseté de la cause ne pût devenir l’objet d’une preu
ve orale sans qu’il existât un commencement de preuve
par écrit, on doit considérer comme tel l’aveu de la si
mulation de la cause indiquée par le titre. Cet aveu, en
effet, altère profondément l’acte, lui enlève son caractère
et constitue une véritable preuve contre lui. Or le com
mencement de preuve n’est-ce pas tout fait émané du
créancier qui rend le système du débiteur vraisembla
ble ? Eh bien ! en convenant d’une fraude en sa faveur,
le premier ne rend-il pas vraisemblable celle dont se
plaint le second ?
Mais , dit-on , l’acte n’est pas nul par cela que l’on
reconnaît que la cause est simulée. 11 peut être mainV
pag. 629 ; — Toullier, tom. 6, n° 381 ; — Chardon, Du dol, nos 860,
561 ; — J. du P : Cass., 21 novembre 1814; — Lyon, 21 décembre
1822; — Grenoble , 6 décembre 1823; — Angers, 13 août 1831 ; —
Paris, 5 septembre 1834.
�231
tenu , s’il est prouvé qu’il en existe une autre légitime
et sérieuse.
Celte objection, loin d’affaiblir notre système, ne tend
qu’à le renforcer. Dans l’hypothèse donnée, l’acte écrit
ne se suffit plus à lui-même. Il a besoin d’un secours
extérieur, celui de la preuve qu’il existe une cause. Cette
preuve, c’est le créancier qui est obligé de la fournir.
Dès l’instant qu’il y a lieu de recourir à une preuve, le
droit de fournir la preuve contraire naît incontestable
ment. Sans ce droit, il y aurait une atteinte flagrante à
la libre défense de celui qui est attaqué, et l’on admet
trait que, si le créancier, au lieu de celte preuve obligée
se borne à une allégation, le débiteur ne pourra prou
ver la fausseté de cette allégation, lui qui aurait la fa
culté de discuter la preuve elle-même, de l’anéantir par
la preuve contraire.
Après un pareil système , il n’y a plus qu’à déchirer
l’art. 1131 et laisser la fraude se parer insolemment des
dépouilles de ses victimes. Dans quel cas sera-t-il pos
sible d’appliquer la prohibition des obligations sur cause
fausse? Le porteur assez indélicat pour poursuivre par
un véritable dol l’exécution d’une obligation simulée,
aura toujours la déloyauté, tout en convenant de la faus
seté de la cause exprimée, d’en désigner une autre telle
quelle. Dans la supposition d’une dette de jeu que nous
faisions tout à l’heure , il suffira au gagnant de dire :
oui, la somme indiquée reçue au moment de l’obliga
tion n’a été en réalité ni reçue ni livrée, mais une som
me égale m’était déjà due en vertu d’avances antérieu
res par moi faites.
ET DE LA FRAUDE.
�TR AITÉ DU DOL
232
Et cet homme sera cru ? et la justice , alors que le
débiteur n’aura pas un commencement de preuve par
écrit de la fausseté de cette allégation , devra abdiquer
tout droit d’examen, condamner impitoyablement ce dé
biteur , alors même que des présomptions graves, pré
cises et concordantes se réuniront pour faire suspecter
la véracité de l’allégation 1 Une pareille jurisprudence
serait un malheur social.
247. — Ainsi l’a pensé la Cour de Cassation , car
elle a admis le contraire en jugeant, le 8 avril 1835,
que lorsque toutes les parties reconnaissent que la cau
se exprimée dans un acte obligatoire est simulée, les tri
bunaux peuvent rechercher, par la preuve testimoniale
et par des présomptions, quelle est la véritable cause, et
décider , d’après les circonstances , que l’obligation est
sans cause et par suite nulle. Il est important de rap
porter l’espèce dans laquelle cet arrêt est intervenu.
En 1825, le sieur Jacques Pascal, souscrivit un billet
de 1,600 fr. en faveur de son frère , qui le céda bien
tôt après au sieur Razaud, gendre de Pascal. A l’éché
ance, Razaud demande paiement à son beau-père, qui
soutient que l’obligation était sans cause, et qui, posté
rieurement, offrit de lapayerpar l'abandon d'un im
meuble. Cette offre n’ayant pas été acceptée, la cause
fut déférée à la justice, voici littéralement le système du
créancier.
La cause exprimée dans l’obligation n’est pas vraie,
mais ce qui lui a donné naissance, c’est que mon père
�avait autrefois avancé une somme de 4,600 fr. au sieur
Jacques Pascal. Celui-ci ne s’en étant pas reconnu dé
biteur, lors de mon mariage avec sa fille, a imaginé de
réparer cet oubli en s’obligeant pour pareille somme
envers son frère, et en lui donnant mandat de me céder
ensuite l’obligation.
Jacques Pascal demande à prouver par témoins la
fausseté de cette assertion. La Cour de Grenoble admet
cette preuve par un premier arrêt, et annule, par un se
cond, l’obligation comme étant sans cause.
Pourvoi en cassation par Razaud, pour, entre autres,
violation des art. 1349, 1341 et 4347 du Code civil,
en ce que la Cour s’était déterminée par de simples pré
somptions , pour annuler l’obligation , quoiqu’il ne fût
articulé ni dol ni fraude, et que les allégations de Pas
cal ne fussent soutenues d’aucun commencement de
preuve par écrit.
A ce système, qui est celui consacré par la Cour d’ap
pel d’Àix, voici la réponse de la Cour de Cassation :
« Attendu que la Cour a constaté en fait dans son
premier motif, qu’il a été convenu par toutes les parties
que l’obligation, dont Razaud entendait se prévaloir, était un acte simulé ; qu’en partant de ce fait ainsi re
connu , il n’y a plus eu pour les juges qu’à rechercher
les causes qui avaient pu donner naissance à cet acte,
et si ces causes avaient pu engendrer une obligation lé
gitime et valable ; que le même arrêt déclare, par ap
préciation des enquêtes , que Razaud n’ayant pas fait
la preuve des faits par lui articulés, il suit de là et des
�234
TRAITÉ DU DOL
autres circonstances de la cause que l’obligation du 27
novembre 1825 n’a point eu pour objet la reconnais
sance d’une dette légitime; qu’en jugeant ainsi, l’arrêt
attaqué, loin d’avoir violé aucune loi , a, au contraire,
sainement appliqué l’art. 1131, qui prononce, en ter
mes exprès, la nullité de l’obligation sans cause, ou sur
une fausse cause, ou sur une cause illicite. ' »
Il résulte bien de cet arrêt que lorsque le créancier
reconnaît la simulation de la cause exprimée au titre, il
est obligé non pas seulement d’indiquer, mais encore de
prouver qu’il en existe une autre valable ; que le débi
teur peut prouver le contraire ; que les tribunaux peu
vent se décider même par des présomptions, et annuler
l’acte , même en l’absence de tout commencement de
preuve par écrit.
En d’autres termes, le titre reconnu simulé par tou
tes les parties n’existe plus. On ne peut plus revendiquer
pour lui l’autorité que les art. 1134 et 1341 confèrent
aux actes réguliers. Il n’y a plus en présence de la jus
tice que deux allégations contradictoires , dont la plus
probable doit être adoptée. Dans l’espèce jugée par la
Cour d’appel d’Aix, des présomptions graves, précises et
concordantes venant faire suspecter le dire du créancier,
l’obligation eût dû être annulée.
Vainement dit-on que rejeter la seconde partie de l’al
légation ce serait porter atteinte à l’indivisibilité de l’a—
1J.
du P ., année 1835.
�233
veu. On vient de voir que la Cour de Grenoble et la
Cour de cassation ne se laissent nullement préoccuper
par cetle considération , dans une espèce cependant où
l’offre faite par le débiteur de payer la dette, au moyen
de la désemparalion d’un immeuble, rendait l’existence
de la dette vraisemblable. Ce n’était là, au reste, qu’u
ne exacte application des véritables principes de la ma
tière.
En effet, il faut bien se garder de donner au principe
de l’art. 1336 une extension qu’il ne saurait comporter.
En l’acceptant d’une manière absolue, on arriverait bien
tôt à cette conséquence que la justice serait enchaînée à
consacrer l’aveu en entier, alors même qu’une partie de
cet aveu lui serait démontrée impossible, invraisembla
ble, mensongère, ce qui serait absurde. Or, dit Merlin,
non seulement on ne doit pas supposer qu’une loi, quel
que générale qu’elle soit, n’excepte pas de sa disposition
les cas où elle dégénérerait en absurdité , mais ce serai
même la violer que de les y comprendre.'
Aussi a-t-il été de tous temps admis que l’indivisibi
lité de l’aveu comportait de nombreuses exceptions, dont
es plus usuelles sont rappelées en ces termes par Merlin
et Toullier :
1° f.orsque la seconde partie de l’aveu est d’une in
vraisemblance choquante, ou qui dégénère en absurdité;
2° Lorsqu’elle est prouvée fausse ou infectée de quel
que mensonge qui en rend la vérité suspecte ;
ET DE LA. FRAUDE.
i
Questions de d ro it , v° C onfession, S 2.
�236
TR A ITÉ DU DOL
3° Lorsqu’elle est combattue par un commencement
de preuve par écrit ;
4° Enfin, lorsque l’aveu porte sur des faits qui, bien
que connexes , ne se réfèrent pas à une seule et même
époque, et ne forment pas ce que les jurisconsultes ap
pellent un acte continu.'
Ces principes, que nous a légués l’ancienne doctrine,
avaient été, avant et depuis le Code , consacrés par la
jurisprudence. Ainsi la Cour de Paris décidait, le 6 avril
1829 , que l’art. 1356 , d’après lequel l’aveu judiciaire
ne peut être divisé, reçoit exception dans le cas où il
résulte des c i r c o n s t a n c e s < I o l a c a u s e
que celui qui l’a fait n’a pas été de bonne foi dans ses
déclarations1. De son côté, la Cour de Cassation jugeait,
le 6 février 1838, que l’aveu n’est indivisible que lors
qu’il porte sur un même fait, passé dans une circons
tance unique, et qui ne peut être attribué qu’à celui qui
a fait cet aveu.3
L’arrêt de la Cour d’Aix n’admet qu’une seule excep
tion à l’indivisibilité de l’aveu, à savoir : lorsqu’il existe
un commencement de preuve par écrit. Cet arrêt se trou
ve donc en contradiction avec la doctrine ancienne, avec celle enseignée par Merlin et Toullier, avec celle con
sacrée par la Cour de Cassation et par les Cours de Grei M erlin, Queutions
x , n«s 336 et suiv.
3
de d ro it, v° Confession, S 2 ; — T o u llie r , tom.
du P., année 1829.
�237
noble et de Paris. A-t-il fait une plus sage application
de la loi ? On ne peut l’admettre, en présence de la con
clusion qui se tire logiquement de sa doctrine et qui se
résume en ces termes : En l’absence d’un commencement
de preuve par écrit de la fausseté d’une partie de l'aveu,
les magistrats seront obligés de l’accepter en entier, alors
même qu’ils seraient certains de celte fausseté, alors mê
me que le fait allégué serait invraisemblable, impossible,
absurde. Une pareille conclusion ne blesse-t-elle pas le
bon sens et la raison ?
Tenons donc pour certain que là ne saurait se trou
ver la vérité , et admettons avec la doctrine ancienne,
avec la jurisprudence , que l’aveu ne doit être accepté
intégralement que lorsque les faits et circonstances ne
lui ont pas d’avance infligé un démenti éclatant; que
la reconnaissance de la simulation d’un acte , rendant
indispensable la recherche de la cause véritable de l’o
bligation, met à la charge du créancier la preuve de son
existence ; que son allégation ne saurait jamais rempla
cer la justification qu’il doit fournir, ni redonner à l’acte
l’autorité que l’aveu de la dissimulation lui a fait per
dre ; que cette allégation , comme la preuve elle-même,
peut être discutée par le débiteur et renversée par la
preuve contraire ; enfin que si les présomptions graves,
précises et concordantes en font suspecter la véracité, en
l’enta*chant d’invraisemblance, la justice non seulement
peut, mais encore doit la rejeter , sans violer le texte et
l’esprit de l’art. 1356.
ET DE LA FRAUDE.
�238
TR AITÉ DU DOL
2 58. — Du principe que la preuve testimoniale est
admissible en matière de dol, il ne s’ensuit pas que les
juges soient obligés de l’admettre dans tous les cas. Il
ne suffit pas , en effet, qu’une preuve soit recevable, il
faut en outre que les faits qu’elle a pour objet d’établir
soient tels, que leur démonstration ait une influence né
cessaire sur le sort de l’acte.
Il faut donc, pour que les magistrats puissent appré
cier, que le demandeur en preuve expose avec précision
et clarté les diverses circonstances desquelles il veut faire
résulter le dol qu’il articule. Celui qui se bornerait à
soutenir que l’acte est dolosif et qui demanderait à en
faire la preuve, devrait être éconduit. La preuve ne peut
être accordée qu’à celui qui expose nettement les faits,
qui spécialise les manœuvres dont il se prétend victime,
qui indique dans quelles circonstances les uns et les au
tres se sont réalisés, et la part que son adversaire a à
s’attribuer dans leur exécution.
Ces obligations étaient imposées en droit romain à
celui qui opposait le dol. La loi avait même réglé l’ar
ticulation qui était à sa charge : Illud enim annolandum est, quod specialiler exprimendum est de cujus do'lo quis quœratur ; non in rem si in ea re dolo malo
factum est , sed sic , in ea re nihil dolo malo actoris
factum est. Docere igilur debel is qui objicit excêptionem dolo malo actoris factum , nec sufficit ei ostendere
in re esse dolum, aut si allerius dicat dolo factum, eo-
�ET DE LA FRAUDE.
239
rum personas specialiter debcbtl ennmerare dummodo
hœ sint quarum dolus noceat.'
Il en était de meme pour celui qui agissait comme
demandeur en nullité, pour cause de dol : Item exigit
prœlor ut comprehendalur quid dolo malo factum sit,
scire enim débet actor inqua re circumscriptus sit, nec
in tanlo crimine vagari.a
Il est vrai que ces exigences trouvaient en droit ro
main un motif plausible dans la nature de l’action en
dol. Nous avons déjà dit qu’elle était considérée comme
infamante , et l’on comprend dès lors les précautions
dont on en avait entouré l’exercice. Aujourd’hui l’action
en dol a perdu ce caractère. La tache qui en résulte est
purement morale. Et cependant on n’a pas dû se dé
partir de la sévérité déployée dans l’admissibilité de la
preuve. Le respect dû au titre écrit , légitime aujour
d’hui çe qui était autrefois la conséquence de la nature
de l’action.
On ne saurait au reste (axer de rigueur ces prescrip
tions légales. II est, il sera éternellement vrai que celui
qui se prétend trompé doit savoir en quoi, comment et
par qui il l’a été. Il est donc naturel que la justice , avant de lui accorder la réparation qu’il sollicite, lui de
mande compte de ses griefs, pour en apprécier l’importance^. En conséquence , s’il se tait ou s’il se renferme
1 U. 2, 3 1, Dig. D e d o li m a li et
3 L . 19, Dig. D e d olo m a lo .
inclus o xcepl.
�TR A ITÉ DU DOL
m
dans des généralités vagues et sans portée , on présu
mera facilement que ses allégations ne sont qu’un pré
texte pour échapper aux conséquences d’une obligation
légitime, ou pour en retarder l’exécution.
249. — La première condition , pour être admis à
la preuve testimoniale , est donc l’articulation précise
des faits qui doivent en faire l’objet. Ces faits énoncés,
le juge examine les conséquences qu’ils doivent entraî
ner, l’influence qu’ils sont dans le cas d’exercer sur ce
qui fait la matière du litige. Il en ordonne la preuve
s’ils sont pertinents, c’est-à-dire si, prouvés qu’ils soient,
ils doivent démontrer l’existence du dol imputé.
'
250. —■ C’est là , en effet, le seul mode rationnel
et décisif d’apprécier la pertinence des faits allégués. On
les suppose prouvés et l’on recherche quel sera , dans
cette supposition , l’effet qu’ils devront produire. Si de
leur existence on peut induire, nous ne dirons pas cer
titude, pourra-t-on jamais en acquérir une par la preu
ve testimoniale I mais une probabilité, forte, puissante
et grave de la vérité de l’accusation , la preuve doit en
être ordonnée. N’arrivera-t-on, au contraire, qu’à des
présomptions sans significations bien précises, ou balan
cées par des présomptions contraires ? La preuve pourra
paraître superflue, et, puisqu’en définitive elle ne devra
produire aucun résultat utile à celui qui l’invoque, on
devra économiser les lenteurs et les frais qu’elle occa
sionnerait : Frustra probatur, quod probatum non re
levât.
�241
Dans tous les cas, et pour ce qui concerne celte ap
préciation, la loi n’a pu que s’en remettre entièrement à
l’arbitrage du juge. Elle ne pouvait dicter une règle quel
conque, lorsqu’il ne s’agit pour le magistrat que d’obéir
à des impressions qui doivent se modifier dans chaque
espèce , suivant la position particulière des parties, la
nature de l’acte et les circonstances dans lesquelles il
s’est réalisé. Ainsi ce qui ne constituerait ici qu’un doute
léger, peut devenir là une véritable démonstration. C’est
donc au juge à puiser dans les éléments de la cause la
conviction qui. lui dictera la décision à laquelle il doit
s’arrêter. C’est à sa conscience seule à décider de la per
tinence des faits.
ET DE LA FRAUDE.
251. — Il en est ainsi pour l’appréciation de la
preuve rapportée. Les enquêtes versées au procès, la
discussion s’établit sur la question de savoir si la preuve
est ou non acquise. On comprend que pour la solution
d’une question pareille, c’est la conscience du juge et ses
impressions personnelles auxquelles on a dû exclusive
ment se rapporter. Il est cependant quelques observa
tions légales qu’il ne faut point négliger.
252. — Jusqu’à la promulgation du Code , on te
nait à peu près pour certain que la déposition d’un seul
témoin ne devait pas faire foi en justice. Ce principe,
sanctionné par le Pentateüque', avait passé dans le droit
1 Encode, ch. 25, t 30 ; — D eutéronom e, ch. 47,
t 6, et ch. 19s ir \ 5.
�TR AITÉ DU DOL
m
romain. Justinien ne s’était pas contenté d’exiger deux
témoins dans tous les cas où la loi ne déterminait pas
un autre nombre. Il avait en outre expressément défen
du aux juges d’admettre un témoignage unique , fût-il
émané d’un membre du Sénat romain : Etiam si prceclarœ curiœ honore fulgeat.'
Ce sont ces errements que notre ancien droit avait
suivi. De là divers systèmes sur les obligations du juge
relativement à la preuve orale. Les anciens interprètes
avaient notamment distingué la preuve complète , de la
demi-preuve, de la preuve légère. Considérant ces deux
dernières comme des fractions de la première,ils établis
saient combien il fallait de demi-preuves ou de preuves
légères pour constituer une preuve entière. Mais, com
me l’enseigne Merlin , ces subtilités avaient été repous
sées par les jurisconsultes les plus éminents. Cujas, en
tre autres, y répondait par ces belles paroles : Ut veri
tas ita probatio scindi non potest ; quce non est plena
veritas est plena falsitas, quce non est plena probatio,
plene nulla probatio est.
253. — Aujourd’hui et sous l’empire de la loi qui
nous régit, le demandeur n’a rempli son obligation que
lorsqu’il a rapporté une preuve satisfaisante des faits in
terloqués. Si les témoins entendus ne sont ni précis ni
décisifs ; si leur déposition laisse subsister des doutes sur
1 L . 12, D ig ., et L . 9, §
\ , De leslib u t
�243
la vérité des reproches dirigés contre l’acte, l’acte est
maintenu : In dubio standum est instrumente).
Mais les magistrats sont libres de trouver la preuve
complète dans les éléments qui leur sont soumis, d’as
seoir leur décision sur la déposition d’un seul témoin
comme sur celle de plusieurs. La loi ne leur fixe plus
aucune limite. C’est comme jurés qu’elle les appelle à
prononcer. Il suffit donc qu’ils soient convaincus pour
qu’ils aient le droit et le devoir de prononcer confor
mément à cette conviction.
ET DE LA FRAUDE.
254. — Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible, la preuve par présomptions l’est égale
ment. L’utilité de cette dernière , dans la matière qui
nous occupe, se justifie d’elle-même. IJ est certain que
sans son secours le dol sortirait presque toujours triom
phant des luttes dont il serait l’objet. La preuve testi
moniale n’est pas toujours possible, car il n’est ni dans
l’intérêt ni dans les habitudes de ceux qui demandent
au dol des moyens de s’enrichir , d’agir de telle sorte
qu’on puisse divulguer leur conduite à l’aide de témoins.
255. — La preuve par présomptions était donc com
mandée par la nécessité de réprimer la mauvaise foi et
de sauvegarder l’intérêt des parties contractantes , celui
des tiers. Aussi son admission n’a-t-elle , en aucun
temps, rencontré le moindre obstacle. Il n’y a eu dis
sentiment que sur la natnre et le nombre des présomp
tions qu’il convient d’exiger pour prouver la nullité des
actes.
�244
TR AITÉ DU DOL
Sur le premier point, les présomptions remplaçant la
preuve testimoniale, on soutenait qu’elles devaient ré
unir les qualités qui étaient requises dans les déposi
tions des témoins. C’est ce qu’enseignait Danty dans son
Traité de la preuve par té-moins. Puisque, disait cet au
teur, on n’est obligé de s’en rapporter à des présomp
tions que lorsque la preuve par témoins et la preuve par
écrit manquent, il s’en suit que la loi considère les pré
somptions comme des témoins , car c’est sur la foi de
cas présomptions qu’elle se détermine, ce qui, par con
séquent, indique qu elles doivent avoir les mêmes qua
lités que celles que la loi requiert dans la déposition des
témoins, pour y ajouter une créance entière.
256. — Mais la loi permettant aux juges de se dé
cider sur la déposition de deux témoins, admettait-elle
la même faculté s’il n’existait que deux présomptions ?
Dumoulin enseignait l’affirmalive et pensait que dans
certains cas deux présomptions devaient paraître suffi
santes' . Coquille, portait le nombre à trois, pourvu qu’el
les fussent conformes entre elleà et essentielles au fait
qu’on voulait établir2. Mais Danty concluait, du silence
que la loi avait gardé sur le nombre des présomptions,
que, n’ayant fixé aucun chiffre, elle s’en était rapportée
entièrement à la prudence du juge.
Telle était aussi l’opinion de Domat. Ce célèbre juris1 T ra ité des fiefs, t it. I , § 38, glos. 2.
2 Coutum e du N ivern a is, art. 40.
�245
consulte , après avoirt expliqué ce qu’on doit entendre
par présomptions, et exposé leurs caractères, conclut en
ces termes : « Sur quoi il ne peut exister de règle pré
cise; mais , en chaque cas , il est de la prudence du
juge de discerner si la présomption se trouve bien fon
dée , et quel effet elle peut avoir pour servir à la preu
ve. ' »
La justesse de cette conclusion peut d’autant moins
être contestée qu’elle ressort forcement de la nature des
choses. Ce que nous disions tout à l’heure pour la per
tinence des faits , est parfaitement applicable aux pré
somptions. Leur véritable signification se juge par la
condition des parties, la nature de l’acte, les circonstan
ces de fait qui sont relevées ; et il est certain que les
mêmes présomptions qui auront été jugées insuffisantes
dans tel cas, entraîneront, dansltel autre, la conviction
du juge. C’est surtout ce caractère relevant qui, de l’avis
des auteurs les plus célèbres , empêchait d’établir une
règle quelconque en pareille matière. Aux opinions de
Domat et de Danty, nous pouvons ajouter celle du car
dinal de Lucca, en tout conforme : « conficlus erat in
præsumptionibus super quibus certa , determinalaque
régula juris dari non potest , curn in conjecturalibus
totum pendeat a prudentis judicis arbitrio ex individuorum casuum circumstantiis insimul unitis regulando dum ut fréquenter liabetur, sœpe contigit ut eadem
ac minoris conjectura) ob personarumjocornmvel tem- i
ET DE LA FRAUDE.
i
Lois c iv ile s, t it. v i, sect. 4.
�246
TR AITÉ DU DOL
porum circumstantias in uno casu abundent, et in al~
tero eadem ac majores non sufficiant. ' »
257. — Notre législateur moderne a eomplètement
partagé ces idées. Il a pensé qu’on ne pouvait, en ma
tière de présomptions, préciser une règle, un mode uni
voque d’appréciation, sans s’exposer à porter atteinte à
cette indépendance d’examen dans laquelle le magistrat
puise les éléments d’une bonne et exacte justice. En con
séquence, l’art. 1353 abandonne les présomptions aux
lumières et à la prudence du juge. Le seul devoir qui
lui soit imposé à cet égard, c’est de ne les admettre que
lorsqu’il les reconnaît graves, précises et concordantes.
La doctrine a depuis longtemps déterminé ce que ces
termes signifient. Les présomptions sont graves et pré
cises lorsqu’elles reposant sur des faits qui ont une con
nexité certaine avec ceux dont la preuve est recherchée;
elles sont concordantes, lorsque sans se démentir elles
se lient les unes aux autres et qu’elles tendent toutes à
un même but. A ces conditions, les présomptions cons
tituent une véritable preuve.
\ '
258. — La loi qui nous régit, admettant la déposi
tion d’un seul témoin, autorise-t-elle le juge à pronon
cer, lorsqu’il n’existe qu’une seule présomption ? L’arti
cle 1353 nous parait proscrire l’affirmative. Ses exigen
ces sur la nature des présomptions font nécessairement
supposer qu’il doit en exister un certain nombre.
■
�<►
247
D’ailleurs, quoique remplaçant la preuve testimonia
le, la preuve par présomptions n’en diffère pas moins
d’une manière essentielle. Les présomptions, dit l’article
1349, sont des conséquences que la loi ou le magistrat
tire d’un fait connu à un fait inconnu ; c’est donc par
induction qu’on conclut dans celte hypothèse , tandis
que la preuve testimoniale porte directement sur le fait
inconnu que l’on recherche. On comprend dès lors que,
si ce fait est attesté par un témoin honorable et désin
téressé qui en affirme l’existence , le juge puisse l’ad
mettre avec quelque sécurité. Au contraire, une induc
tion isolée , quelque grave qu’elle soit, laisse toujours
quelques nuages sur le fait qu’il s’agit d’éclaircir. Elle
peut donc inspirer le plus souvent un doute sérieux, la
conviction jamais.
ET DE LA FRAUDE.
259. — De ce que la preuve par présomptions est
une preuve par induction , il suit qu’elle sera plus ou
moins concluante , selon que le fait dont on argumente
sera plus ou moins certain , et les conséquences qu’on
en tire plus ou moins justes. C’est donc en discutant
chaque présomption qu’on, parviendra à en déterminer
le caractère et la gravité.
260. — Mais à cet égard , il y a une observation
essentielle qu’on ne saurait perdre de vue. La loi n’exi
ge pas que chaque présomption ait un caractère égal de
gravité et de précision , c’est dans leur ensemble , c’est
par leur faisceau qu’il convient de les apprécier. Si de
leur masse résulte la condition que l’art. 1353 exige,
�248
TRAITÉ DU DOL
c’est-à-dire un caractère grave, précis et concordant, on
ne doit pas hésiter à les accueillir, encore bien que cha
cune d’elles, prise séparément, n’aurait pas une signifi
cation bien précise. On sait en effet que des faits peu
importants, isolés les uns des autres, peuvent, par leur
réunion, devenir décisifs, c’est ce qui a toujours-été ad
mis en droit : Quod licet quœ non prosunt singula multajuvant, ita e contra quœ non nocent singula multa
nocent.
C’est ainsi d’ailleurs que l’ont toujours admis les ju
risconsultes les plus éminents. Pothier nous dit lui-mê
me que les présomptions qui ne forment pas par ellesmêmes une preuve , peuvent, par leur réunion , créer
cette preuve, et, à l’appui de ses paroles, Pothier rap
pelle l’exemple donné par Papinien dans la loi 26, Dig.
De probat. Une sœur était chargée envers son frère de
la restitution d’un fidéicommis. Après la mort de ce
frère, il s’agissait de savoir si ce fidéicommis était en
core dû par la sœur à la succession du frère. Papinien
décida qu’on devait présumer que le frère en avait fait
remise à sa sœur ; il tire cette présomption de trois cir
constances : \ ° de l’union entre le frère et la sœur ;
2° de ce que le frère avait vécu longtemps sans deman
der ce fidéicommis ; 2° de ce qu’on rapportait un trèsgrand nombre de comptes faits entre le frère et la sœur,
sur les affaires respectives qu’ils avaient ensemble, dans
aucun desquels il n’y en avait pas la moindre mention.
Chacune de ces circonstances, ajoute Pothier, prise sé
parément n’aurait fourni qu’une présomption simple,
�249
insuffisante pour faire décider que le défunt avait remis
la dette, mais leur réunion a paru à Papinien former
une preuve suffisante de cette remise.'
On ne serait donc pas fondé à conclure au rejet des
présomptions de ce que , à leur examen particulier,
chacune d’elles n’a pas une gravité bien déterminée.
L’art. 1353 n’exige pas que chaque présomption soit
grave, précise et concordante. Il suffit que dans leur
ensemble elles présentent ce caractère pour que les ju
ges , se fondant sur leur existence , déclarent que le dol
reproché a eu effectivement lieu et annulent par consé
quent l’obligation.
Rappelons en terminant que la preuve par présomp
tions n’étant admissible que lorsque la preuve testimo
niale le serait elle-même , les tribunaux ne pourraient
y recourir lorsqu’ils ne pourraient ordonner celle-ci. Il
suit de là que le dol postérieur au contrat, sauf le cas
où la simulation est convenue , ne pourrait être établi
par présomptions.
ET DE LA FRAUDE.
1 Des obligations, n° 880.
�250
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE III.
DES
EFFETS
DU
DOL.
~%l%~
SOMMAIRE.
261. Division.
2 6 1. — Le dol peut se glisser dans tous les actes
de la vie humaine, soit qu’il ait pour objet de tromper
celui avec qui on traite, soit qu’il ait pour but de per
vertir la volonté d’un mourant et de lui arracher ainsi
une spoliation injuste , soit enfin que , s’attachant aux
choses les plus sacrées, il se soit proposé de corrompre
le juge ou de lui soustraire les pièces essentielles qui
doivent l’éclairer , ou de l’égarer par de faux docu
ments.
Mais quelles qu’aient été les manœuvres et leurs ré-
�251
sultats , la loi ne laisse nulle part le dol impuni. Elle
donne les moyens de l’atteindre partout où il a osé se
glisser. Mais ces moyens diffèrent selon la nature de
l’acte et le préjudice qui en est résulté.
Nous allons, pour procéder avec méthode, rechercher
quels sont ces moyens dans les cas les plus usuels, les
plus ordinaires, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de dol dans
les traités. Nous examinerons ensuite , dans autant de
sections séparées , les effets du dol dans les mariages,
dans les testaments, dans les transactions, dans les ju
gements.
ET DE LA FRAUDE.
SECTION I” .
'
Dol d an s le s T ra ité s . — Se» effets.
SOMMAI RE.
262. Matière de la section.
263. L’acte entaché de dol est nul si le dol réunit les conditions
de la loi.
264. Quid lorsque le dol n’est qu’accidentel ?
�252
TRAITÉ DU DOL
265. Effet du dol substantiel indirect.
266. Ainsi le dol dans les traités produit ou l’action en rescision
ou celle en dommages-intérêts.
262. — Nous comprenons sous le nom générique
de traités tous les actes établissant entre parties contrac
tantes des obligations et des droits. Les observations qui
vont suivre s’appliquent donc aux ventes , échanges,
louages , prêts , dépôts, cessions de droits corporels ou
incorporels. L’effet du dol, dans chacun de ces contrats,
est identique; Nous n’avions donc pas à examiner cha
cun d’eux dans sa spécialité, nous devions nous borner
à constater le principe général qui les domine tous , et
dont l’application sera facilement faite à chaque espèce
particulière.
625. — L’acte entâché de dol ne saurait recevoir
aucune exécution. Il est nul aux termes de l’art. 1116
du Code civil àia double condition édictée par cet arti
cle, à savoir : 1° si les manœuvres ont été pratiquées
par l’une des parties ; 2° si elles ont été telles que, sans
ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.
La réunion de ces deux circonstances constituant le
dol substantiel et direct, l’acte qui en a été la consé
quence n’a aucune autorité légitime. De quelque ma
nière qu’il se soit produit, qu’il ait été positif ou né
gatif, ce dol atteint la convention dans son essence, lui
fait perdre une de ses conditions indispensables et don
ne ouverture à une action tendant à l’infirmer. La vie-
�ET DE LA FRAUDE.
253
time a dès lors la faculté d’obtenir de la justice d’être
relevée de ses engagements.
La rescision de l’acte est ici d’autant plus indispen
sable que le dol a été la cause unique du contrat. La
justice veut donc que les parties soient remises au mê
me état qu’avant cet acte qui, comme conséquence iné
vitable, doit dès lors disparaître.
264. — Telle n’est pas la position respective des
parties lorsque le dol n’a atteint qu’une des circons
tances accidentelles du contrat. Il est certain, dans cette
hypothèse, que la pensée du traité ne peut être attribuée
au dol. L’une des parties voulait accepter ce que l’autre
lui proposait. L’une des deux conditions exigées par
l’art. 1116 manque donc réellement.
De là cette conséquence que la loi ne considère plus
l’acte comme nul, non pas certes qu’il faille en induire
que le législateur s’est montré indifférent à l’existence
du dol accidentel. Le triomphe de manœuvres déloyales
eût été immoral , une réparation est due. Mais on a
voulu concilier ce que la partie lésée pouvait réclamer
avec le maintien de l’acte. En conséquence, et tout en
respectant celui-ci , une allocation de dommages-inté
rêts rétablira l’équilibre déloyalement rompu.
Ainsi, règle générale, le dol substantiel crée l’action
en nullité ou rescision de l’acte ; le dol accidentel, celle
en dommages-intérêts. Mais cette règle n’est pas telle
ment absolue qu’on ne puisse jamais l’intervertir. Nous
verrons au contraire que, dans certains cas de dol subs-
�254
TRAITÉ DU DOL
tantiel, l’action en dommages-intérêts est poursuivie ac
cessoirement et cumulativement avec celle en rescision;
que, dans d’autres, elle forme l’objet principal de la de
mande, soit que celui qui a à se plaindre du dol juge
cette réparation suffisante, soit enfin parce que la res
cision de l’acte n’est plus possible, ou qu’elle ne puisse
être prononcée sans de grands inconvénients; que, dans
certaines espèces de dol accidentel , on peut demander
la rescision de l’acte, comme si la qualité sur laquelle
le dol a été exercé est telle qu’on puisse présumer que
la connaissance de la vérité sur ce point eût empêché
l’existence du contrat. Une différence essentielle entre
ces exceptions à la règle générale que nous venons d’in
diquer, c’est que, lorsqu’il s’agit d’un dol substantiel,
les tribunaux ne pourraient pas rejeter la demande de
dommages-intérêts qui serait faite et rescinder d’office
l’acte dont l’annulation ne serait pas réclamée , tandis
que, lorsqu’il s’agit du dol accidentel, ils peuvent tou
jours repousser la nullité proposée et réparer le préju
dice par une allocation de dommages-intérêts.
265. — Le dol indirect , substantiel ou accidentel,
ne donne ordinairement lieu qu’à l’action en domma
ges-intérêts contre son auteur. Personne, en droit, n’est
tenu du fait d’autrui. Dès lors, celui qui m’a été subs
titué dans une opération dont j’ai été écarté par le dol,
ne peut ni être privé du bénéfice de l’opération, ni sup
porter le paiement d’une indemnité quelconque, sauf,
bien entendu , le cas de complicité , dont la preuve est
toujours à la charge du demandeur.
�255
Il y a cependant une exception importante qu’il con
vient de rappeler. Le dol substantiel indirect détermine
la rescision de l’acte , même contre le tiers , si celui-ci
a traité à litre gratuit. Par exemple, vous me persuadez,
par le moyen du dol , qu’une succession à laquelle je
suis appelé est onéreuse, et vous parvenez, par vos ma
nœuvres, a obtenir ma renonciation. En prouvant le dol,
cause de ma détermination, je dois obtenir la nullité de
cette renonciation , et celte nullité aura un effet direct
contre l’héritier appelé à mon défaut, lequel sera tenu
de me restituer l’hérédité et tous les fruits qu’il en aurait
perçu. Il ne serait pas juste, en effet, qu’un autre pro
fitât, même innocemment de ce qui m’a été déloyale
ment extorqué et s’enrichit des dépouilles qui n’ont ja
mais dû lui appartenir. Ce grand principe d’équité était,
écrit dans la loi romaine : Jure naturœ œquwn est neminem cum alterius detrimento et injuria, locupletiorem fieri.'
ET DE LA FRAUDE.
266. — Ainsi le dol produit ou l’action en nullité
ou rescision, ou l’action en dommages-intérêts. Quelle
est l’étendue de l’une et de l’autre ? C’est ce que nous
allons examiner dans les paragraphes suivants.
�236
TRAITÉ DU DOL
S 1er.
De
l ’A c t i o n
en
N u llité
ou
R escision.
SOMMAIRE.
267. Distinction entre la nullité de plein droit et la nullité par
voie d’action. — Différence entre elles.
268. Différence dans leurs effets.
269. L’acte entaché de dol n’est pas nul de plein droit. — Il
donne seulement lieu à l’action en nullité ou rescision.
270. Conséquences quant au maintien de l’acte et à son exécu
tion provisoire.
271. A qui appartient l’action en nullité ou rescision.
272. Principe de l’action. — Conséquence dans le cas où l’acte
dolosif préjudicie à l'auteur du dol.
273. L’action en nullité appartient aux héritiers et même aux
créanciers de la partie autorisée à l’exercer.
274. Pourrait-on exciper contre les créanciers delà ratification
tacite du débiteur ?
275. La preuve du dol donne au poursuivant le droit exclusif de
faire prononcer la résolution ou le maintien avec dom
mages-intérêts.
276. Cas dans lequel la rescision est impossible.
277. Effets de la rescision par rapport aux tiers détenteurs.
�ET DE LA FRAUDE.
257
278. La revendication , justifiée dans son principe , produit des
effets différents, selon qu’il s'agit d’un immeuble ou
d'une chose mobilière.
279. La bonne foi du possesseur dü premier lui fait acquérir les
fruits et revenus jusqu'au jour de la demande.
280. Exception pour le possesseur à titre gratuit par suite d’un
dol indirect.
281. Droit du possesseur de bonne foi à la restitution des dé
penses faites pour la conservation de la chose, et du prix
des améliorations et dépenses utiles.
282. Prescription qu’il peut invoquer.
283. -La revendication de choses mobilières présente plus de dif
fic u lté s.
284. Controverses soulevées par la disposition de l'art. 2279 :
En fait de meubles la possession vaut titre.
285. Doctrine du droit romain et de notre ancien droit sur la
matière.
28G. Innovation faite par le Code civil.
287. La prescription de trois ans, dont parle l’art. 2279, n'est
applicable qu’aux choses volées ou perdues.
288. L’art. 2279 n’a donc rien d’éqflivoque. — La revendica
tion n’est admissible que pour les choses volées ou per
dues.
289. L’assimilation du dol au vol n’a pas été admise. — Arrêt
de la Cour de Paris.
290. Critique que M. Chardon fait de cet arrêt.
291. Justification du système que cet arrêt consacre.
292. LaCourde Cassation a même proscrit la revendication dans
le cas d’escroquerie.
293. Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong, nous paraît
parfaitement juridique.
294. Le droit de revendiquer la chose mobilière contre le déten
teur pourrait être exercé , s'il était prouvé que celui-ci
a agi de mauvaise foi et par fraude.
295. Celte preuve naîtrait de la connaissance que le tiers aurait
eue du dol.
i
17
�258
TRAITÉ DU DOL
296. La revendication des meubles ou droits incorporels n’est pas
régie par l’art. 2279.
297. Conséquence.
298. Exceptions au droit de revendication.
299. Contre qui l’action en nullité ou rescision doit être intentée.
»
267. — Dans son acception la plus usuelle, la nul
lité s’entend d’un vice radical qui atteint l’acte dans son
essence, le frappe dans toutes ses dispositions et l’empèche de produire aucun effet.
Dans le langage du droit, on a toujours distingué la
nullité de plein droit, c’est-à-dire celle que la loi a ex
pressément prononcée et qui résulte d’un vice apparent
et réel ayant empêché l’acte de se former, de la nullité
par voie d’action , c’est-à-dire celle que la loi autorise
le magistrat à prononcer vérification faite des circons
tances dont on prétend la faire résulter. Celte dernière
était appelée : en droit romain, restitution en entier ;
dans notre ancien droit, rescision.
Différentes dans leurs causes, ces nullités étaient, sous
l’une et l’autre de ces deux législations, soumises à un
mode de poursuite bien distinct. En droit romain , la
nullité de plein droit n’avait pas même besoin d’être
prononcée, les parties pouvaient considérer l’acte com
me n’ayant jamais existé , et revendiquer ce qu’elles avaient volontairement payé. La restitution en entier ne
pouvait être poursuivie que sur une autorisation préa
lable du prêteur.
Dans notre ancien droit, on avait consacré le prin-
�ET DE LA FRAUDE.
259
cipe que nul ne pouvait se faire justice à lui-même ; en
conséquence la nullité de plein droit devait être pronon
cée par les tribunaux , mais chacun était libre de la
provoquer directement, tandis qu’on ne pouvait se pour
voir en rescision qu’après l’obtention préalable de lettres
de chancellerie.
Cet usage n’a été aboli que par la loi du 7 septem
bre 4790, qui décida que l’action en rescision serait in
tentée comme l’action en nullité. L’art. 1304 du Code
civil a maintenu cette disposition, tout en élevant à dix
ans les délais de la prescription pour l’une comme pour
l’autre.
268. — Mais si elles ne diffèrent plus , quant à la
forme et à la durée, ces deux actions n’ont pas cessé, à
cause de la divergence de leur origine, de produire des
effets bien distincts.
Ainsi l’acte radicalement nul n’a jamais pu se for
mer, il n’a pas même l’apparence d’un contrat, n’est
susceptible d’aucune exécution, alors même qu’il serait
l’expression la plus sincère de la volonté des parties.
L’acte, simplement sujet à rescision, a toutes les ap
parences d’un contrat régulier , il est présumé sérieux
et sincère jusqu’à la preuve du vice qui doit l’anéantir.
De là, ces conséquences :
1° La démonstration matérielle de la nullité radica
le , ou soit de la violation d’une disposition de loi, soit
quant à la forme, soit quant au fonds, entraîne inévi
tablement la chute de l’acte. Le juge n’a nullement à se
�260
TRAITÉ DU DOL
préoccuper du plus ou moins de justice ou de conve
nance de ses dispositions. 11 ne peut les maintenir, alors même qu’il les reconnaîtrait et qu’elles seraient ré
ellement avantageuses à la partie poursuivant la nullité.
.
Au contraire, l’acte sujet à rescision est toujours sou
mis à l’appréciation des magistrats , et sa nullité peut
être refusée, car on doit, en pareille matière , considé
rer moins le vice en lui-même que ses conséquences par
rapport à l’intérêt des parties, et si, en définitive, le vice
démontré certain ne doit causer aucun préjudice réel à
celui qui se plaint, l’acte doit être maintenu.
2° L’acte radicalement nul ne doit point être exécuté
provisoirement, ce principe est d’une haute importance
toutes les fois qu’il s’agit de statuer sur la possession des
objets en litige pendant la durée du procès.
Les législations précédentes nous offrent sur ce point
de doctrine une unanimité parfaite. Le droit romain ne
reconnaissait aucun caractère à l’acte contre les dispo
sitions duquel la violation de la loi protestait sans cesse,
et décidait nettement qu’on ne devait, dans aucun cas,
lui accorder une exécution quelconque : Ea quce lege '
fieri prohibentur, si facta fuerint, non solum inutilia
sedpro infectis etiam habeanlur.........Certain est' nec
stipulationem hujus modi tenere, nec mandatum ullius
esse momenti, nec sacramentum admitti. ‘
Par application de ces principes , nos anciens juris-
�ET DE LA FRAUDE.
261
consultes enseignaient que l’acte radicalement nul ne
pouvait être considéré que comme un fait incapable de
créer aucun droit, aucune action. C’est ainsi que d’Argenlré le qualifie : Actus meri facti, sine ullo juris ef
fectif,, ne nomine quidem contractus digni. De là cette
règle qu’il valait mieux ne produire aucun titre que d’en
montrer un de ce genre : Melius est non ostendere lilulum quam ostendere vitiosum.
Il n’en est pas de même de l’acte sujet à rescision,
sa légalité'apparente en commande le respect. L’équité
et la justice exigent qu’il produise son effet, tant qu’on
n’a pas justifié le vice dont on le prétend infecté. Il doit
donc être provisoirement exécuté. Lui refuser cette exe
cution pendant procès, ce serait s’exposer à blesser des
droits légitimes que la décision judiciaire consacrera
peut-être ; ce serait, dans tous les cas, créer un préjugé
dangereux que rien ne justifie.
C’est au reste ce que la doctrine et la jurisprudence
ont de tous temps admis. « Tout acte qui n’est pas ra
il dicalement nul, suivant les lois du royaume, clest-à» dire dont la nullité n’est pas prononcée par les lois,
» subsiste , nonobstant l’action rescisoire , jusqu’à ce
» qu’elle soit jugée définitivement et sans appel. La proi> vision est pour le titre , il doit avoir son exécution
i> jusqu’après la sentence définitive. L’équité et le point
» de droit se réunissent au maintien de cette vérité.1 »
1 Duparc-Poullain, Principes du droit, tom. vm , p. 75; — Voy.
aussi d’Argentré , sur l’art. 383 , Ancienne coutume de Bretagne; —
�TRAITÉ DU DOL
262
269- •— Noire sujet se restreignant à la nullité édictée par l’art. 1116 du Code Civil , nous n’avons pas
à pénétrer plus avant dans la théorie des nullités. Nous
devions cependant rappeler les principes généraux qui
précèdent pour apprécier plus sûrement la nature et les
effets immédiats de l’action en rescision pour dol.
La nullité qui en est le mobile et l’objet, ne pouvait
être rangée dans la catégorie des nullités radicales. Po
thier nous l’a dit lui-même: Un consentement, quoique
surpris , ne laisse pas d’être un consentement. D’autre
part, l’acte est régulier en la forme, et cette double ap
parence indiquait quel devait être l’effet de l’attaque di
rigée contre ses dispositions.
On ne pouvait donc qu’attendre le résultat de cette
attaque et l’issue du débat contradictoire qu’elle allait
soulever. La loi défend sans doute le dol, mais elle ne
le prohibe que lorsqu’il lui est démontré qu’il existe ré
ellement, on ne pouvait donc argumenter de l’art. 1116,
pour prétendre à la nullité radicale de l’acte.
Au reste, le législateur n’a voulu laisser aucun dou
te , et l’art. 1119 dispose que la convention contractée
par dol n’est point nulle de plein droit, elle donne seu
lement lieu à une action en nullité ou rescision.
270. — En réalité donc, la nullité résultant du dol
se place dans les rangs des nullités par voie d’action,
dès lors, et en vertu des principes que nous rappelions
tout à l’heure, il faut conclure :
1° Que les tribunaux peuvent maintenir l’acte , alors
�263
même qu’ils reconnaîtraient le dol comme certain , si
d’ailleurs celui qui se plaint ne peut en éprouver aucun
préjudice. En conséquence, celui qui veut obtenir la nul
lité devra prouver autre chose que le dol lui- même, consilivm fraudis, il lui faudra en outre justifier la réalité
du préjudice, eventus damni ;
2° Que l’acte attaqué doit être provisoirement exécuté
sans caution, s’il est authentique; avec ou sans caution,
s’il est sous seing privé. Dans ce dernier cas même, on
doit être fort sobre de l’obligation du cautionnement et
ne l’ordonner que dans de très-rares circonstances. Les
magistrats ne doivent jamais perdre de vue que le titre
se suffit à lui-même , et que tant que l’allégation qui
lui est opposée n’est pas justifiée, elle ne saurait ni pré
valoir sur l’apparence du titre, ni infirmer la foi qui lui
est due.
Cette solution est surtout bonne à retenir lorsqu’un
testament étant argué decaptction, il y a lieu de régler
à qui , du légataire universel ou des héritiers du sang,
on doit confier l’administration des biens meubles ou
immeubles composant la succession. Les principes que
nous venons d’exposer suffisent pour indiquer que leur
possession, et conséquemment leur administration, ap
partient évidemment au légataire, tant que la preuve de
la captation dolosive n’est pas établie.
ET DE LA FRAUDE.
271. — L’action en nullité est ouverte en faveur de
celui qui se plaint d’un dol substantiel. La certitude
que , sans la perpétration du dol, le contrat n’eût pas
t
�264
TRAITÉ DU DOL
existé , entraîne la nécessité d’annuler le contrat, afin
que chaque partie soit remise au même état qu’avant le
dol.
En général , le respect dû à l’acte volontairement
souscrit fait refuser l’action en nullité à celui qui n’a
éprouvé qu’un dol accidentel. Mais si la qualité de la
chose sur laquelle le dol s’est exercé a dû paraître à ce
lui qui se plaint, tellement essentielle qu’on puisse sup
poser qu’en son absence il n’eût pas contracté, il serait
par trop rigoureux de lui refuser cette action. Il est évi
dent, en effet, comme nous l’avons déjà dit', que, dans
cette hypothèse , il s’agit d’un dol ayant déterminé le
contrat, car il est vrai que sans son emploi ce contrat
n’eût pas existé.
272. — Le principe de l’action en nullité ou resci
sion est, d’une part, la réparation de l’atteinte que ce
lui qui en a été l’objet a éprouvée dans sa fortune ; de
l’autre, la peine due à celui qui s’est livré à un acte
immoral et inique. Il suit de ce double caractère que
l’action n’appartient qu’à celui qui a un préjudice à éprouver ou à craindre, et contre qui les manœuvres ont
été dirigées.
Dès lors, si par des circonstances fortuites et impré
vues l’acte entaché de dol, l’acte qui devait, par consé
quent, être nuisible, devient avantageux à la partie res
tée étrangère au dol et cause à l’auteur de ce dol un
J Çhap. i, sect, n, § i, n°s 74 et suiv.
�265
préjudice grave , celui-ci ne pourrait en demander la
rescision. Cette solution reçoit la double consécration des
principes du droit et la morale.
En droit, les nullités relatives ne peuvent être invo
quées que par ceux en faveur de qui elles ont été cré
ées. Or, celle de l’art. 1116 est évidemment dans cette
catégorie , car elle n’a pour objet que la réparation du
préjudice souffert par l’une des parties sans qu’elle ait
pu soupçonner les manœuvres ni s’en défendre.
Que si la partie , dans cette position et après la con
naissance du dol refuse, de s’en prévaloir, l’acte devient
la loi irrévecable pour tous. L’exécution accordée par
celui qui pouvait l’attaquer, ce que nul ne peut le con
traindre à faire , purge à tout jamais la convention du
vice dont elle était entachée.
Aux yeux de la morale, l’idée d’un préjudice soufferj
par l’acte qui devait, qui était destiné à en causer un à
autrui, n’a rien de répugnant. Tout l’intérêt, en pareille
matière, est pour celui qui, déloyalement trompé, a sous
crit un acte des conséquences fâcheuses duquel on doit
le garantir. Mais on ne pouvait songer à protéger celui
qui, ayant cherché dans le dol des ressources coupa
bles, a vu tourner contre lui-même le mal qu’il voulait
faire. Pour lui, d’ailleurs, l’acte a été spontané et libre,
il doit donc l’exécuter tel qu’il l’a voulu , tel qu’il l’a
fait. Sa plainte, fondée sur sa propre turpitude, ne mé
rite pas même d’être écoutée.
ET DE LA FRAUDE.
�266
TRAITÉ DU DOL
275. — Ainsi, l’action en rescision n’appartient
qu’à celle des parties qui a été ou dû être circonvenue
par le dol. Mais elle ne lui est pas téllement person
nelle qu’un autre que lui ne puisse en son nom l’exer
cer et la faire valoir. Elle passe , en conséquence , à ses
héritiers dans le cas de l’utiliser dans les délais de l’ar
ticle 1304. La demande de ces héritiers ne pourrait être
écartée, par le silence gardé par leur auteur , que dans
le cas où on aurait pu l’opposer à cet auteur lui-mê
me , c’est-à-dire si ce silence avait été accompagné de
faits et circonstances de nature à constituer la ratifica
tion tacite ou expresse , telle qu’elle est déterminée par
l’art. 1328 du Code civil.
Du vivant même de la partie, l’action peut être in
tentée par ses créanciers sous un double rapport : d’a
bord comme exerçant les actions de leur débiteur , aux
termes de l’art. 1166 du Code civil, ensuite en vertu du
principe consacré par l’art. 1167. L’inaction du débi
teur , en présence d’un dol certain , pourrait fort bien
n’être que le résultat d’une collusion frauduleuse pour
grever les créanciers des conséquences d’un acte oné
reux et contraire à leurs intérêts.
274. — Pourrait-on exciper contre les créanciers
des actes d’exécution ou de la ratification tacite du dé
biteur ? Il est certain que si les créanciers agissent dans
le cas prévu par l’art. 1167, les actes d’exécution ou la
ratification ne pourraient leur être opposés. On ne ver
rait dans ces divers actes que l’exécution d’une fraude
�267
concertée et dont l’existence a précisément donné ouver
ture à l’action. En effet, que la fraude résulte de l’acte
dolosif, qu’elle résulte du silence gardé par le débiteur,
tout ce qui a été fait pour le maintien de l’acte n’a et ne
peut avoir pour objet que de le faire sortir à effet ; et ce
qu’on ne peut faire directement ne saurait être fait d’u
ne manière indirecte.
Si l’action des créanciers est celle autorisée par l’arti
cle 1166, il est bien évident qu’ils seront passibles des
exceptions qu’on pourrait opposer au débiteur lui-mê
me. En conséquence, la ratification qui lierait celui-ci
les lierait eux-mêmes, à moins qu’ils n’attaquent de leur
chef cette ratification comme faite en fraude de leurs
droits. Mais dans ce cas, comme dans le précédent , la
preuve de la fraude est à leur charge , et faute par eux
de la fournir, tout comme si l’acte constituant la ratifi
cation s’était réalisé de bonne foi et en temps non sus
pect, l’acte attaqué devrait être maintenu.
ET DE LA FRAUDE.
275. — Quel que soit le poursuivant , si la preuve
des faits articulés était rapportée et si ces faits établis
saient le dol, la demande devrait être accueillie. La jus
tice aurait donc soit à rescinder l’acte soit à accorder les
dommages-intérêts réclamés.
Remarquons, en effet, que, même pour le dol subs
tantiel, la partie plaignante est libre de s’en tenir à l’acte
et de réclamer une réparation pécuniaire. Le défendeur
ne serait recevable ni à contester celle-ci, ni à s’en exo
nérer en demandant de son chef la rescision de l’acte.
�268
TRAITÉ DU DOL
La partie lésée ayant seule action est, sans contredit, le
meilleur juge du mode de réparation le plus convenable
à ses intérêts. Elle peut donc choisir celui des deux au
quel elle croit devoir s’arrêter, et ce choix est obligatoire
pour la justice comme pour son adversaire.
Permettre à celui-ci d’imposer de son chef la resci
sion de l’acte , lorsqu’on lui demande des dommagesintérêts , c’était, dans bien des cas , s’exposer à rendre
toute réparation impossible. La rescision peut .être im
praticable dans telle hypothèse, nuisible dans telle au
tre. Or, ce sera précisément dans les unes et les autres
que le défendeur insistera plus vivement sur une resci
sion qui serait pour lui le gain du procès.
Par exemple , des matériaux ont été employés , des
substances ont été mélangées avec d’autres ; on s’aper
çoit ensuite de leur mauvaise qualité , et l’on découvre
la ruse en faveur de laquelle le marchand a su fasciner
les yeux de l’acheteur. Cependant, celui-ci ne pouvant
les représenter en nature, la vente qui lui en a été faite
ne pourrait être résiliée.'
Ou bien, supposez un individu ayant acquis une pro
priété qu’il est venu habiter avec sa famille. Il s’aper
çoit ensuite qu’il a été trompé et découvre comment il
l’a été. Il regrette d’avoir fait une acquisition qu’il n’eût
certainement pas faite s’il avait connu la vérité. Mais il
a quitté son ancienne résidence, pris de nouvelles habi1 Chardon, Du dol, tom. i, n° 24, pag. 41
�ET DE LA FKAUDE.
269
tudes, e t, pour payer le prix , fait dans sa fortune des
revirements sur lesquels il ne peut revenir.'
Evidemment, dans l’un et l’autre cas, la rescision de
l’acte ajouterait un préjudice grave à celui que le dol a
fait éprouver. Il est donc certain qu’on préférera s’en
tenir à une allocation de dommages-intérêts. On com
prend, dès lors, pourquoi la loi a ouvert une double ac
tion et comment elle a cru devoir refuser au débiteur lafaculté d’offrir l’une lorsqu’il se trouve sous le coup de
l’autre.
Le débiteur serait-il fondé à se plaindre de cette dé
termination ? Quel grief réel lui cause-t-on en lui im
posant le mode de réparation poursuivi par celui qu’il
a trompé ? C’est par son fait personnel qu’est née la né
cessité d’une réparation quelconque , et l’on ne saurait
hésiter entre celui qui a trompé et celui qui souffre.
Sans doute la rescision est le remède le plus héroïque,
mais encore faut-il qu’elle entre dans les convenances
de celui qui a le droit de s’en prévaloir ; et si , sur l’o
pinion du contraire, il se borne à demander une répa
ration pécuniaire , l’intérêt opposé de celui qui est tenu
de la fournir n’est, aux yeux de la morale et de la jus
tice, ni une considération , ni un motif de refus. C’est à
celui qui craint ce résultat à s’abstenir de se livrer à
des actes pouvant le déterminer.
�270
TRAITÉ DU DOL
276. — Il est une hypothèse où. la rescision est lé
galement impossible , lorsqu’il s’est agi, par exemple,
d’un transfert de rentes sur l’Etat. La rescision pronon
cée par justice serait insuffisante pour opérer la resti
tution et faire rentrer ces rentes dans la possession du
propriétaire qui en a été spolié. Le décret du 8 nivôse
an vi déclarant irrecevable toute opposition au paiement
du créancier titulaire, la rétrocession ordonnée par jus
tice ne pourrait produire aucun effet, à moins d’être vo
lontairement consentie et réalisée par ce titulaire même.
On devrait donc l’y contraindre par une condamnation
pécuniaire, engageant sa fortune, sa liberté même.
277. — Dans les cas ordinaires, l’effet de la resci
sion du contrat est de faire rentrer celui qui l’a obtenue
dans la propriété et la possession de tous les objets alié
nés par ce contrat. Meubles et immeubles, créances,
droits incorporels lui font retour , et ce retour s’opère
immédiatement si ces objets se trouvent encore dans les
mains de l’auteur du dol. Dans le cas contraire, il a le
droit de les revendiquer contre le tiers-détenteur ; mais
ce droit est soumis à des restrictions , suivant la nature
de la chose qui doit en motiver l’exercice.
En principe, la faculté de revendiquer repose sur celte
vérité incontestable: que nul ne peut être dépouillé de sa
propriété que de son libre consentement. Le respect pour
la propriété est une des colonnes de l’ordre social , et
l’on ne saurait en méconnaître l’importance sans tom
ber dans de graves dangers. Celui-là donc qui, par un
�274
dol, a subi une atteinte dans sa propriété, doit voir cette
atteinte effaçée et sa fortune rétablie dans le même état
qu’auparavant. La rescision n’a pas d’autre but : llestilutio ita facienda est, ut unusquisque integrum smm
jus recipiat.'
Or, cet expédient d’équité et de justice serait souvent
impraticable, si l’auteurdu dol ayant transmis à un tiers
l’objet qu’il a extorqué, la partie lésée ne pouvait le ré
clamer contre ce tiers. Il est facile de prévoir en effet
que celui qui n’a , à la propriété d’une chose , que les
droits acquis par le dol, s’empressera de la réaliser pour
échapper à la nécessité de la rendre , laissant ainsi le
véritable propriétaire en présence d’une insolvabilité cer
taine, et d’un tiers ne pouvant être attaqué.
Le préjudice causé par le dol eût donc été définitive
ment consommé. L’instance même que sa découverte
nécessite eût produit pour résultat unique une aggrava
tion de préjudice. L’admission de la revendication pou
vait seule remédier à d’aussi injustes éventualités.
C’est là sans doute un devoir rigoureux contre le tiers
obligé de restituer une chose qu’il a acquise et payée.
Mais il est facile de se convaincre qu’on n’a fait dans
cette circonstance qu’appliquer des principes élémentai
res , et notamment celui qui régit la vente de la chose
d’autrui.
En effet, que celui qui a perdu sa propriété par un
ET DE LA. FRAUDE.
1 L. 24, Dig. De minoribus.
�TRAITÉ DU DOL
272
dol véritable, ait été injustement dépouillé , c’est ce qui
ne peut être ni contestable, ni contesté ; c’est ce qui ré
sulte d’ailleurs invinciblement du jugement qui constate
le dol et le réprime. Ce jugement purge le demandeur
du reproche d’imprudence. Nous l’avons déjà dit, le dol
ne saurait exister si sa réussite est imputable à l’impru
dence de celui qui s’en plaint. La constatation judiciaire
de l’une est exclusive de l’existence de l’autre.
Les droits du possesseur intermédiaire reposent donc
sur une coupable usurpation, d’où la conséquence qu’en
les transmettant, il ne peut les purger du vice qui les
entache. Le tiers qui les a reçus , ne peut les posséder
que comme son auteur les possédait lui-même. En réa
lité donc , il n’y a chez l’un et chez l’autre ni titre sé
rieux, ni droit légitime.
Malgré son titre apparent, l’auteur du dol vend donc
la chose qui ne lui appartient pas, qu’il sait ne pas lui
appartenir. Celui qui acquiert de lui achète réellement
à non domino. Or, aux termes de l’art. 1599 du Code
civil, une pareille acquisition est incapable de produire
aucun effet.
Cet article , d’ailleurs , n’est pas le seul qui proteste
contre les tiers, en faveur des droits afférants à celui qui
a été injustement dépouillé de sa propriété. L’art. 2125
du Code civil, dispose que ceux qui n’ont sur l’immeu
ble qu’un droit suspendu par une condition, ou résolu
ble à certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent con
sentir qu’une hypothèque soumise aux mêmes condi
tions ou à la même rescision ; à plus forte raison ne
�373
peuvent-ils aliéner sans que la vente par eux consentie
soit soumise aux mêmes éventualités. Le tiers qui achète
ne peut donc se plaindre d’avoir ignoré le péril auquel
il succombe; Le dol, en effet, est une cause de rescision
contre tous les contrats, et lorsque par application de
cette règle , la propriété qu’il avait acquise et payée lui
échappe, il peut bien regretter de n’avoir pas assez vé
rifié l’origine des droits de son vendeur, mais il doit en
définitive subir la rigueur d’un principe écrit dans la
loi, et conséquemment obligatoire pour tous , car il est
en faveur de tous : Spoliatus, ante omnia reslituendus.
ET DE TA FRAUDE.
278. — Ainsi, dans son principe, le droit de reven
dication se justifie parfaitement. Dans ses effets, il con
vient de distinguer la nature de l’objet revendiqué. Us
sont en effet très-différents, selon qu’il s’agit d’un im
meuble ou d’uq meuble.
279. — Aucune difficulté ne saurait exister pour ce
qui concerne les immeubles. Le jugement qui ordonne
la rescision est commun, exécutoire contre tous les tiers
détenteurs, obligés dès lors à restituer, alors même qu’ils
auraient agi de très-bonne foi.
Toutefois, cette bonne foi n’est pas stérile en leur fa
veur. Elle produit des conséquences importantes pour
les fruits et revenus de l’immeuble. L’obligation de les
rendre ne s’applique qu’à ceux perçus depuis la deman
de en rescision. Pour ceux qui l’ont été précédemment,
tel est l’effet de la bonne foi, que le vice du titre dis—
18
i
�274
TRAITÉ DU DOL
paraît, et que le possesseur est censé les avoir légitime
ment recueillis : Bona fides tantumdem prœstat possidenti quantum veritas'. Ce principe est reproduit et
consacré par l’art. 549 de notre Code.
280. — Ce principe reçoit exception dans le cas où,
par suite d’un dol indirect, un individu a recueilli , à
titre gratuit, le bénéfice'd’une disposition légale ou con
ventionnelle. Dans ce cas, comme il n’est pas permis de
s’enrichir ex detrimento et injuria alterius, l’obligation
de restituer comprend tout ce qui a réellement profité
à celui que le dol avait appelé.
281. — Dans tous les cas, le possesseur de bonnè
foi a le droit de réclamer, contre le revendiquant, toutes
les dépenses faites pour la conservation de la chose, et
le prix des améliorations et dépenses utiles. Il doit ob
tenir contre son vendeur, auteur du dol, le rembourse
ment des dépenses voluptuaires et d’agrément. Ce prin
cipe , édicté par l’art. 1635 du Code civil contre celui
qui vend sciemment la chose d’autrui , s’applique évi
demment au vendeur de la chose obtenue par le dol.
282. — Enfin , le possesseur de bonne foi prescrit
contre le véritable propriétaire par le délai de dix ans,
du moment de son acquisition. Conséquemment, si le
dol n’est découvert que postérieurement à ces dix ans,
�27S
ou si ce laps de temps est accompli au moment de la
mise en cause du tiers possesseur , toute revendication
est impossible.
ET DE EA FEAUDE.
283. — La revendication des choses mobilières pré
sente beaucoup plus de difficultés. Le possesseur d’un
meuble corporel n’est pas tenu d’en justifier la proprié
té, ni de rechercher à quel titre son vendeur en a la
possession. L’art. 2279 du Code civil voit dans celte pos
session un litre légitime. L’acquéreur peut donc se pré
valoir de cette disposition , non seulement en ce qui le
concerne, mais encore pour soutenir que celui qui lui a
vendu l’objet revendiqué en était bien le propriétaire.
284. — L’article 2279 parait ne renfermer que des
dispositions fort simples. En réalité , cependant, il est
peu de textes qui aient donné lieu à plus de controver
ses. Mais, sans entrer dans un examen minutieux des
diverses opinions qui se sont produites, il nous parait
facile de déterminer comment on doit l’appliquer à la
matière qui nous occupe.
285. — Il est certain que le droit romain distin
guait la propriété des meubles corporels de leur posses
sion. L’une n’était acquisitive de l’autre que si elle s’é
tait continuée pendant un délai d’un an d’abord, et que
Justinien porta ensuite à trois ans'. Le possesseur frou1 lnsl., lib.
'i,
tit, 6,
De usitcap.
�276
TRAITÉ DU DOL
blé pouvait intenter l’action possessoire. C’est ce que dé
cidait l’interdit utrubi.
Notre ancien droit , tout en refusant l’action posses
soire , s’était conformé au droit romain sur la posses
sion en matière de meubles. En Provence , ainsi que
dans un grand nombre de pays coutumiers , le déten
teur d’un objet mobilier n’en avait acquis la propriété
que s’il l’avait possédé paisiblement et publiquement
pendant l’espace de trois ans.
286. — Or, en rapprochant de ces principes la dis
position de l’art. 2279, il est impossible de se dissimu
ler la différence énorme que celle-ci a introduite dans
cette partie de notre législation. A l’avenir la simple
possession, au moment où le meuble est livré, constitue
pour son détenteur un titre légitime de propriété. Celuilà donc qui l’a reçu de ce possesseur est censé l’avoir
reçu du seul et véritable propriétaire. Celte présomption
n’est nullement affaiblie par celte circonstance que le
vendeur ne l’aurait possédé que depuis un temps plus
ou moins long. L’importance de ce caractère a disparu
avec la législation qui en faisait dépendre la propriété.
C’est ce qui nous est notamment enseigné par l’exposé
des motifs de l’art. 2279.
287. — Il est vrai qu’il est question dans cet article
d’une prescription de trois ans. Mais cette prescription
s’applique uniquement à la revendication des choses vo
lées ou perdues, à l’égard desquelles on admet une ex
ception à la règle qu’en fait de meubles la possession
�277
vaut titre, et cette prescription de l’action est elle-même
une innovation à la précédente législation. Sous son
empire, en effet, ainsi que l’atteste Pothier, la chose vo
lée ou perdue , res furtiva, pouvait toujours être re
vendiquée. Ce droit était considéré comme imprescrip
tible.1
ET DE LA FRAUDE.
288. — On ne saurait donc équivoquer sur le sens
de l’art. 2279. En fait de meubles corporels la posses
sion prouve la propriété , et cette présomption , si elle
peut être modifiée du possesseur actuel à celui qui lui a
remis la chose , par le titre qui justifie le véritable ca
ractère de cette remise, reste, par rapport aux tiers, une
présomption juris *et de jure, n’admettant la preuve
contraire que dans l’une des deux hypothèses, de perte
ou de vol.
N’était-ce pas là d’ailleurs ce que la raison et la jus
tice exigeaient? I.e transfert des meubles corporels s’opè
re sans que la négociation laisse la moindre trace. Dans
la plupart des cas, l’acquéreur reçoit et paie , e t, lors
qu’il revendra à son tour, nul n’aura l’idée de lui de
mander l’exhibition de son titre de propriété. Sans doute
que pour les meubles, comme pour les immeubles, ce
lui qui a été dépouillé par le dol est injustement dépos
sédé , et que lui refuser pour les uns ce qu’on lui ac
corde pour les autres, c’était s’exposer à être taxé d’in
conséquence. Mais l’intérêt public ne permettait pas d’a1 Voy. Troplong, Des Prescript., art. 2279
�278
TRAITÉ DU DOL
gir autrement. On ne pouvait, en effet, laisser, pendant
un temps plus ou moins long, la propriété des meubles
en suspens, sans s’exposer à jeter le plus grand trou
ble dans les transactions les plus usuelles, sans revenir
sur une foule d’opérations, enfin sans encourager, com
me le disait l’orateur du gouvernement, ces procédures
sans nombre et qui le plus souvent excéderaient la va
leur des objets en litige.
Ainsi la revendication d’un meuble corporel ne peut
être exercée que dans les deux cas exceptionnels prévus
par l’art. 2279, à savoir : celui de perte, celui de vol.
289. — On a voulu cependant soutenir qu’on de
vait l’autoriser en cas de dol, en assimilant celui-ci au
vol. Mais ce système d’assimilation, que l’on appliquait
à l’abus de confiance, à la violation du dépôt , n’a pas
été consacré par la jurisprudence. Ainsi la Cour d’appel
de Paris a jugé , le S avril 484 3 , que le propriétaire
d’objets vendus par un dépositaire infidèle n’avait pas
le droit de les revendiquer contre un tiers acquéreur.
290. — M. Chardon critique cet arrêt : « Ainsi,
dit-il, une chose ne pourrait être revendiquée qu’autant
qu’elle aurait été dérobée par un vol qualifié tel par le
Code pénal ; et toutes celles soustraites à leurs maîtres
par de simples larcins, filouteries, escroqueries, abus de
confiance et manœuvres frauduleuses seraient irrévoca
blement perdues pour eux 1 Cela est inadmissible , les
rédacteurs du Code n’envisageant le vol que dans l’inté
rêt des personnes qui l’éprouvent, ont dû se borner à
�m
un terme générique qui comprend toutes les espèces. 11
suffit donc que la chose qui a été vendue soit arrivée
entre les mains du vendeur par un moyen illégitime,
pour qu’il y ait vente de la chose d’autrui, conséquem
ment vente nulle, et droit de revendiquer.’ »
ET DE LA FRAUDE.
291. — Cette opinion de M. Chardon est plutôt équitable que juridique. Elle a d’ailleurs le tort de mé
connaître le motif qui a fait autoriser la revendication
pour les choses volées ou perdues. Ce q u i, dans l’une
et dans l’autre de ces hypothèses, a préoccupé le légis
lateur, c’est que, dans chacune d’elles, la chose est sor
tie de la possession du propriétaire, non seulement sans
son consentement, mais encore à son insu et par une
véritable force majeure qu’il ne lui a été donné ni de
prévoir ni d’empêcher.
Sans doute, il ne faut pas que ce fait soit le résultat
d’un vol qualifié. De quelque manière qu’il se soit réa
lisé, il suffit qu’il présente le caractère que nous venons
d’indiquer pour que la revendication puisse être exer
cée. Le larcin, la filouterie , quoique différents quant à
la pénalité du vol qualifié, ne sont pas moins de véri
tables vols. L’un et l’autre renfermant la contrectatio
fraudulosa de la chose d’autrui, et, à ce titre , ils ren
trent dans le terme générique employé par l’art. 2279.
Mais , peut-on assimiler aux larcins , à la filouterie,
l’abus de confiance, la violation d’un dépôt, l’escroque1 Du dol, tom. i, n° 41, pag. 60.
�280
TRAITÉ DU DOL
rie , le dol ? Non évidemment , car dans les deux pre
miers il y a eu remise spontanée et libre des objets en
tre les mains de celui qui a abusé de la confiance, violé
le dépôt. Il y a donc faute ou tout au moins impru
dence de la part de celui qui a fait un choix aussi dé
plorable, aussi mal justifié.
Il est évident cependant que sans cette imprudente
confiance les objets qui en ont été la matière ne se
raient pas arrivés entre les mains de celui qui les a ven
dus. Si donc quelqu’un doit supporter les conséquences
de l’abus de confiance ou de la violation du dépôt, c’est
celui qui a mal choisi ses représentants , et nullement
le tiers-acquéreur, ayant traité sous la foi d’une posses
sion certaine et dont la loi ne l’obligeait pas de recher
cher la cause ou l’origine. Tout ce qu’il savait, c’est que
la possession vaut titre , e t, s’il a agi de bonne foi et
saris fraude , il ne pourrait sans injustice être dépouillé
de la chose qu’il a acquise et payée.
Le fait de la remise des objets par le propriétaire, en
tre les mains du vendeur est donc capital. Or, c’est ce
qui se réalise dans le cas d’escroquerie ou de dol. Sans
doute, dans ces cas, la volonté du propriétaire est viciée
par des manœuvres coupables, mais le fait matériel exis
te, et cette matérialité devait suffire en regard des tiers.
Supposez, en effet, qu’à l’aide d’une véritable escroque
rie un individu soit parvenu à se faire délivrer une par
tie de marchandises. Cette délivrance est constatée par
une facture régulière. Quel tort pourrait-on inférer à ce
lui qui, sur le vu de cette facture , aurait à son tour a-
�ET DE LA FRAUDE.
281
cheté cette marchandise ? N’est-ce pas là l’histoire du
commerce? Et l’on voudrait cependant l’obliger à resti
tuer alors que, postérieurement à son achat, le premier
propriétaire aurait fait judiciairement constater l’escro
querie? Nous n’hésitoris pas à le dire, il n’y aurait dans
ce système ni équité ni justice.
292. — C’est ce que la Cour suprême a aussi pen
sé. Dans une espèce où l’escroquerie avait été prouvée,
la revendication contre le tiers avait été consacrée par
arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 13 janvier 1834.
Mais cet arrêt étant devenu l’objet d’un pourvoi , la
Cour de Cassation ne crut pas devoir le maintenir. La
cassation en fut donc prononcée par les motifs sui
vants :
« Attendu que l’art. 2279 , après avoir établi qu’en
fait de meubles la possession vaut titre, ajoute seulement
que dans le cas où la chose aura été perdue ou volée,
il y aura lieu à revendication ;
» Attendu que les exceptions sont de droit strict et
que leur application doit être renfermée dans le sens ri
goureux des termes employés par le législateur;
» Attendu que le vol ne peut être confondu avec l’es
croquerie, vu qu’en fait d’escroquerie l’individu a suivi
la foi de celui qui l’a trompé, et qu’il lui a donné, par
la vente qu’il lui a faite , un titre indépendamment de
la possession ; qu’il n’en, est pas de même de la chose
volée à l’égard de laquelle il n’y a eu ni vente , ni re-
�TRAITÉ DU DOL
mise volontaire, et qui, au contraire, a été prise par utie voie de fait quelconque.1 »
293. — Cet arrêt, contraire à l’opinion de M. Troplong1, nous paraît irréprochable en doctrine et renfer
mer une exacte appréciation des motifs qui ont intro
duit l’art. 2279 dans notre législation. D’une p art, la
revendication des meubles était contraire à l’intérêt pu
blic , car elle pouvait entraîner dans les transactions
commerciales une immense confusion ; de l’autre , on
ne pouvait, sans crainte d’encourager le vol, consacrer
la spoliation qui en a été la conséquence.
Placé entre deux dangers de ce genre , le législateur
devait s’arrêter à un moyen terme conciliant les inté
rêts divers qu’il s’agissait de régler. Or , ce moyen ter
me, signalé par le texte même, est bien celui relevé par
la Cour de Cassation. S’agit-il d’une chose enlevée par
une véritable voie de fait , sans la participation et le
concours du propriétaire, on pourra la revendiquer ; au
contraire l’enlèvement dont on se plaint s’est-il réalisé
au vu et au su du propriétaire , avec son autorisation,
toute revendication est impossible, quelque vicieux qu’ait
été le consentement donné.
\
Ce consentement, en effet, dont le tiers n’a pas eu à
1 J. du P.; Cass., 20 mai 1835.
. Par une erreur singulière, le sommaire précédant cet arrêt in
dique une solution diamétralement contraire à celle de l’arrêt.
® Des prescriptions, tom. il, n° 1069.
nota
�283
vérifier les caractères, deviendrait cependant la cause du
préjudice que la revendication lui ferait éprouver. Cela
suffit pour que l’auteur de ce consentement soit non re
cevable à faire supporter les conséquences de sa faute,
de son imprudence, de son malheur même, à celui qui
reste irréprochable à son endroit.
D’ailleurs il est impossible , en matière d’exceptions,
de raisonner par analogie, par assimilation. Dans l’es
pèce où s’arrêterait-on ? Après l’escroquerie viendrait le
dol, après le dol la fraude, car si dans l’escroquerie il
n’y a pas eu consentement sérieux , il n’y en a pas eu
davantage dans le dol et la fraude. Ainsi , d’assimila
tion en assimilation , la règle prescrite par l'art. 2279,
qu’en fait de meubles la possession vaut titre , suc
comberait infailliblement sous de nombreuses excep
tions.
»
294. —• Ainsi, le droit de revendiquer ne naît point
de l’escroquerie. A plus forte raison en est-il ainsi pour
le dol, qui n’est qu’une espèce d’escroquerie moins
grave. Celui qui en a été victime n’a donc action que
contre celui qui l’a trompé pour la restitution de la
chose enlevée , si elle existe encore dans ses mains ;
pour le faire condamner , si elle est revendue, à lui en
payer la valeur, 11 ne pourrait mettre en cause le tiers
que s’il prétendait que la revente a été acceptée par ce
lui-ci de mauvaise foi et par fraude. Mais la charge de
prouver l’une et l’autre lui serait dans tous les cas im
posée.
ET DE LA FRAUDE.
�284
TRAITÉ DU DOL
•29S. — Cette preuve pourrait résulter de la con
naissance que le tiers aurait eu de la manière dont la
chose était parvenue aux mains de son vendeur. Une
pareille connaissance serait exclusive de toute bonne foi,
et permettrait de ne voir dans la vente ainsi acceptée
qu’un concert pour consommer le dol et pour mettre
son auteur à l’abri de la réparation à laquelle il est
tenu.
C’est dans ce sens , et très-légalement à notre avis,
que l’a admis la Cour d’Agen en matière de vente d’ob
jets immobiliers. Elle a, en effet, jugé, le 12 mai 1830,
que la connaissance d’un acte sous seing privé qui a
déjà dépouillé le vendeur de la propriété de l’objet qu’on
acquiert de lui, même par acte authentique, constitue,
de la part de celui qui a cette connaissance, un fait de
dol et de fraude.1
Cette décision est parfaitement applicable à notre espèce. Qu’importe , en effet , que l’on sache que le ven
deur n’est pas propriétaire de la chose qu’il vend , ou
seulement qu’il en est propriétaire à un titre illégitime?
L’acquisition faite nonobstant cette connaissance blesse
également dans les deux cas les sentiments de la pro
bité et de la délicatesse. Elle doit donc être régie par les
mêmes principes.
296. — Il nous reste à examiner la revendication
des meubles incorporels. Cette matière n’est plus régie
1 D. P., 32, 2, 204; — Voy. supra n° 94.
�ET DE LA FRAUDE.
285
par l’art.'2279 du Code civil. Il est, en effet, depuis
longtemps admis en doctrine et en jurisprudence, que la
maxime-, en fait de meubles la possession vaut titre, ne
s’applique qu’aux meubles susceptibles d’une tradition
manuelle. Les droits incorporels , les titres de créance,
les actions n’étant pas évidemment dans cette classe, échappent aux conséquences que cette maxime autorise et
crée.1
Il est certain , en effet, que pour les objets de cette
nature , la possession matérielle du titre constitutif ne
saurait constituer une preuve de propriété. Les arlicles
1689 et suivants règlent les formalités à observer lors
qu’il s’agit de leur transfert. La délivrance du titre doit
être accompagnée, pour que le cessionnaire soit saisi à
l’égard des tiers, d’un transport signifié au débiteur ou
accepté par lui. Or, les effets de ce transport dépendent
nécessairement de la validité du titre en vertu duque
il a été consenti. Si ce titre argué de dol est rescindé
par la justice, cette rescision place la cession dans la ca
tégorie des actes faits à non domino. Le cédant dépouillé
de ses droits n’a pu en transmettre aucuns. Ici revien
nent les maximes : nemo plus juris ad alium tram fer
re potes t , quam ipse habet.........resoluto jure danlis,
resolvitur et jus accipientis.
i Troplong, Desprescripl., tom. u, n° 1065, — Vazeilles, pag. 280.
— Cass., -12 mai 1824, 4 mai 1836, 11 mai 1839, 4 août 1840; —
J. du P., tom. i, 1839, pag. 263 ; tom. n, 1840, pag. 229.
�286
TRAITÉ DU DOL
297 . — Il résulte de là :
10 Que le possesseur dépouillé par le dol d’un meu
ble ou droit incorporel, qui a fait prononcer la résolu
tion de l’aliénation qu’il en avait consentie, a le droit
de suivre la chose et de la revendiquer dans quelques
mains qu’il la trouve.
2° Que celui qui a traité avec l’auteur du dol est te
nu de restituer le titre qu’il en a reçu, encore bien qu’il
en eût payé la valeur , sauf ses droits contre son ven
deur. Il ne pourrait obtenir contre le revendiquant que
le remboursement des dépenses faites pour la conserva
tion de la chose.
3° Que, si la créance cédée était exigible, ou qu’étant
venue à échéance , elle ait été remboursée , le tiers est
obligé de restituer ce qu’il a reçu, avec intérêt, à partir
de la demande en restitution. Les arrérages perçus de
bonne foi jusqu’à cette époque lui appartiennent en
vertu du principe consacré par l’art. 547 du Code civil.
298 . — La faculté'de revendiquer les meubles ou
droits incorporels reçoit exception :
1° Lorsqu’il s’agit de billets ou bons payables au por
teur. Les titres de ce genre sont transmissibles de la
main à la main et sans aucune formalité. Leur posses
sion fait donc considérer le porteur comme le seul pro
priétaire. Ils ne peuvent , dès lors , être revendiqués
que si l’on prouve qu’ils ont été volés ou perdus
i Cass., 2 nivôse an xn; — J. du P., tom. ni, pag. 547.
�287
ou que le porteur actuel ne les a reçus qu’à un titre
précaire.
2° Lorsqu’il s’agit de traites ou effets commerciaux
négociables. L’endossement de ces titres en confère la
propriété. Le porteur, à l’ordre duquel cet endossement
a été régulièrement transcrit , est, aux yeux de la loi,
l’unique propriétaire de la traite. La transmission de
ces titres est d’une trop réelle importance pour qu’on
ait pu avoir la pensée d’apporter aucun obstacle à leur
libre circulation. Le tiers porteur de bonne foi est donc
à l’abri de toutes recherches du chef de son cédant ou
de tous autres précédents propriétaires.
ET DE LA FRAUDE.
299 . — L’action en rescision doit être poursuivie
directement contre les auteurs du dol , alors même que
la chose qui en est l’objet serait passée en d’autres
mains. D’ailleurs la revendication n’est possible qu’après que les droits de celui qui l’a transférée au tiers
ont été infirmés, on comprend dès lors qu’une instance
à laquelle il ne serait pas présent ou appelé manquerait
d’un de ses éléments essentiels. Seul, en effet, le défen
deur principal en dol peut discuter utilement les alléga
tions dirigées contre l’acte, seul il peut fournir, sur les
faits et circonstances du procès , toutes les notions pou
vant éclairer la conscience du juge et contribuer à ren
dre sa décision équitable.
Le tiers-détenteur n’est pas moins intéressé dans le
procès en rescision intenté contre son auteur. Le juge
ment qui interviendra contre celui-ci refluera nécessai-
�rement jusqu’à lui. On ne peut dès lors le faire condam
ner sans l’avoir mis à même de se défendre. Il doit
donc être appelé dans l’instance pour y faire valoir ses
droits, ceux de son cédant lui-même, si ce dernier, colludant avec le demandeur , les désertait pour lui porter
préjudice.
Au reste, l’appel en cause du tiers détenteur n’est pas
seulement dans son intérêt. Il importe également au
poursuivant de le réaliser, car la prescription n’est in
terrompue à son égard que par la poursuite directe dont
il est l ’objet. Le temps consacré à l’instance, exclusive
ment dirigée contre l’auteur du do], pourrait donc, dans
plusieurs cas, permettre à la prescription de s’accomplir,
et créer ainsi un obstacle invincible à toute revendica
tion ultérieure.
Le tiers détenteur qui ne serait pas appelé dans l’ins
tance, soit parce que le poursuivant ignore la transmis
sion qui lui a été consentie , soit que la connaisant il
néglige de le mettre en cause, a toujours le droit d’in
tervenir , s’il craint que ses intérêts soient compromis.
L’intérêt est la mesure de l’action. Or, le tiers en a un
puissant à assister aux débats sur la rescision ; il peut
enfin former tierce-opposition au jugement rendu en
son absence.
�ET DE I,A FRAUDE.
289
S II.
De
l ’A .etio n
en
D o m m a g e s -I n t é r ê ts .
SOMMAIRE.
300. Objet de l’allocation de dommages-intérêts. — A qui ap
partient l ’action.
301. L’étendue et le chiffre de la condamnation sont laissés à la
prudence du juge. — Règle à suivre.
302. Maximum tracé par la loi romaine.
303. Principes à consulter sous le Code.
301. Différence dans l’allocation , selon qu’il s’agit d’une faute,
d’un fait de mauvaise foi ou d’un dol.
305. En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas de
faute.
306 Dans le cas de mauvaise foi.
307. Dans le cas de dol.
308. Comment faut-il entendre ces mots de l’art. 1151 : Ce qui
est une suite immédiate et directe du dol.
309. Opinion de Dumoulin.
310. Exemple emprunté de Pothier.
311. Distinction faite par ce jurisconsulte pour le préjudice ré
sultant des conséquences éloignées du dol.
312. Conclusion.
313. Dommages-intérêts déterminés par la loi elle-même.—In
térêts moratoires.
314. Exceptions que reçoit l’art. 1153.
19
i
�290
TRAITÉ I)U DOL
315. Quid, si le retard provenait d’un dol ?
316. La saisie-arrêt faite malo animo et dans l’intention de nui
re donnerait lieu à des dommages-intérêts, indépendam
ment des intérêts moratoires.
317. Influence du dol sur le point de départ de ces intérêts.
318. Différence entre les intérêts compensatoires et les intérêts
moratoires.— Conséquence.
319. Les dommages-intérêts dus au plaideur injustement atta
qué sont les dépens de l’instance.
320. Ne pourrait-on pas, dans le cas d’une mauvaise foi ou d’un
dol flagrant, accorder des dommages-intérêts outre les
dépens.
•.
321. Remarquable exemple tiré d’un arrêt de la Cour d'Aix.
322. Contre qui doit être poursuivie l’action en dommages-in
térêts.
323. Conséquences de l’action en matière de ventes d’objets mo
biliers.
324. La réparation pécuniaire du dol est prononcée solidaire
ment contre tous ceux qui y sont tenus comme auteurs
ou complices.
325. L’indivisibilité du fait amène forcément la solidarité.
326. C’est en effet par ce principe que la solidarité a été admise
en matière de quasi-délit.
327. Coup d’œil historique sur la contrainte par corps, en ma
tière civile, sous les législations précédentes.
328. Dispositions du Code civil.
329. Faculté conférée par l’art. 126 du Code de procédure civile
de la prononcer pour les dommages-intérêts excédant
300 francs.
330. Modifications que cet article consacre à l’ordonnance de
1667.
331. La contrainte par corps n’étant autorisée que pour les dom
mages-intérêts , peut-on la décerner pour la restitution
de la valeur de la chose ayant fait l’objet du contrat an
nulé.
�* ■
”
ET DE LA FRAUDE.
291
332. Importance de la solidarité pour l’application de l’art. 126
du Code de procédure civile.
333. Exception à la faculté de décerner la contrainte.
334. L’héritier de l’auteur du dol n’est jamais contraignable par
corps.
333. Durée de la contrainte déterminée par la loi de 1832.
500. — L’allocation de dommages-intérêts a pour
objet d’indemniser la partie lésée du préjudice qu’elle a
souffert matériellement ou moralement.
L’existence d’un préjudice autorise donc l’action qui
doit en amener la réparation. A ce titre , et par appli
cation à notre matière , l’action en dommages-intérêts
est ouverte à celui que le dol a égaré , dans les hypo
thèses suivantes :
1° Lorsqu’il s’agit d’un dol accidentel. Ce dol, s’ex
erçant sur une des conditions de la chose qui fait la
matière du contrat, n’est pas en général un motif suffi
sant pour faire prononcer la résiliation de l’acte. L’er
reur en résultant, soit sur la qualité de la chose , soit
sur le prix , soit sur l’existence d’une servitude , trouve
une réparation juste et naturelle dans l’attribution d’une
somme de dommages-intérêts, proportionnée à la nature
du préjudice ;
2° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel , la resci
sion n’est pas demandée, soit parce qu’elle est impossi
ble, soit parce qu’elle nuirait à la partie lésée. Le dé
faut de poursuite en rescision n’amnistie pas le dol, le
préjudice qu’il a causé n’en doit pas moins être réparé,
�292
TRAITÉ DU DOL
et cette réparation consiste dans l’allocation d’une in
demnité pécuniaire ;
3° Lorsque s’agissant d’un dol substantiel, la resci
sion demandée ne suffirait pas pour réparer le préjudice
souffert. La justice veut en effet que celui qui a été vic
time du dol soit intégralement restitué de tout le dom
mage qui lui a été occasionné. La rescision pourrait
laisser subsister une partie de ce dommage , qu'une
condamnation pécuniaire , accessoirement requise , fait
disparaître.
4” Enfin lorsqu’il s’agit d’un dol indirect. L’auteur
de ce dol est responsable des conséquences de son fait.
Il est juste qu’il soit tenu d’indemniser la partie lésée,
alors même que, s’agissant d’une disposition à titre gra
tuit, celui qui l’a recueillie doive être dépossédé au pro
fit de cette partie.
305. — Dans tous les cas, l’étendue et le chiffre de
la condamnation sont laissés à l’arbitrage des juges. Ce
qu’il importe cependant de ne pas perdre de vue, c’est
qu’il est dans l’esprit de la loi de concilier les justes
droits du poursuivant avec l’équité , qui ne permet pas
de pousser jusqu’à des limites trop extrêmes la respon
sabilité encourue par l’auteur du dol.
Sans doute la conduite de celui qui a manqué aux
lois de la probité, de la délicatesse, doit exciter une vive
et énergique réprobation ; mais il est une mesure à gar
der, même dans les sentiments les plus honorables. Plus
le mobile qui fait agir est respectable , et plus on doit
�293
craindre de s’égarer. N’oublions pas les célèbres paro
les de la raison écrite : Summum jus , summa injuria.
Il faut donc, lorsqu’il s’agit d’une réparation pécuniai
re , peser mûrement la gravité des torts reprochés, l’é
tendue des conséquences qui en sont résultées , et mo
dérer à ces conséquences mêmes l’indemnité à accor
der.
ET DE LA FRAUDE.
502. — C’est sans doute par des considérations de
cette nature, que Justinien avait cru devoir fixer un ma
ximum que l’adjudication de dommages-intérêts ne
pouvait franchir. Avant lui, les magistrats avaient toute
latitude dans leur appréciation ; c’est cette latitude que
Justinien trouve dangereuse, et à laquelle il croit devoir
assigner des bornes : Melius est hujus modi prolixitatcm prout possibile est in angustum coarclare '. En
conséquence, et dans aucun cas, les dommages-intérêts
ne pourront dépasser une valeur double de la chose
ayant fait la matière du contrat.
505. — Le Code qui nous régit n’a tracé aucune
limite à l’appréciation des magistrats, mais on se trom
perait étrangement, si l’on considérait le silence qu’il a
gardé sur ce point comme la condamnation de la règle
consacrée par la législation romaine. En parcourant le
système que notre législation a adopté en matière de
dommages-intérêts, on arrive facilement à cette coriclu1 L. unie., Cod. Desenl. qxaepvo eo qtiodinlerest.
�294
TRAITÉ DU DOL
sion que l’intention de se tenir sans cesse dans un mi
lieu raisonnable et juste a été le but qu’elle s’est pro
posée.
304. -T- En principe, les dommages-intérêts sont de
la perte qu’on a faite et du gain dont on a été privé.
Certes, rien de plus élastique qu’un pareil principe, mais
la manière dont la loi prend soin d’en régler l’applica
tion fait disparaître toute espèce de dangers.
Les dommages-intérêts sont réclamés ordinairement
pour une faute, pour un acte de mauvaise foi, pour un
dol.
305. — Lorsque l’inexécution de la convention don
nant lieu à l’action provient d’une simple faute , c’està-dire parce que le débiteur se sera témérairement en
gagé à ce qu’il ne pouvait accomplir, ou parce qu’il s’est
mis depuis dans l’impossibilité de remplir son obliga
tion, les dommages-intérêts sont réglés par l’art. 1150.
Ils comprennent alors la perte éprouvée et le gain dont
on a été privé, tels qu’ils ont été prévus, ou qu’on a pu
les prévoir lors du contrat.
On suppose donc que les dommages-intérêts sont
purement conventionnels. Or, les obligations créées par
les contrats ne pouvant se former que par le consente
ment et la volonté des parties, le débiteur , en s’obli
geant aux dommages-intérêts résultant de l’inexécution
de son obligation , est censé n’avoir entendu et voulu
s’obliger que jusqu’à la somme à laquelle il a pu vrai
semblablement prévoir qu’ils pourraient s’élever.
�295
« Ordinairement, dit Pothier, les parties sont censées
» n’avoir prévu que les dommages-intérêts que le cré» ancier, par l’inexécution de l’obligation, pourrait souf» frir par rapport à la chose même qui en a été l’objet,
» et non ceux que l’inexécution lui a causé d’ailleurs
» sur ses autres biens. C’est pourquoi, dans ce cas, le
» débiteur n’est pas tenu de ceux-ci, mais seulement de
» ceux soufferts par rapport à la chose qui a fait l’ob» jet de l’obligation : Damni et interesse propter ipsarn
» rem non lxabitam.
» Par exemple , si j’ai donné à loyer pour dix-huit
» ans une maison que je croyais m’appartenir, et qu’à» près dix ou douze ans, mon locataire en ait été évin» cé par le propriétaire, je serai tenu des dommages» intérêts de mon locataire, résultant des frais qu’il au» ra été obligé de faire pour son délogement, comme
» aussi de ceux résultant de ce que le prix des loyers
» étant augmenté depuis le bail, il aura été obligé de
» louer une maison plus cher pendant le temps qui res» tait à courir, car ces dommages-intérêts ont un rap» port direct et prochain à la jouissance qui a fait l’ob» jet de mon obligation et sont soufferts par le loca» taire propter rem ipsam non liabitarn.
» Mais si le locataire a depuis le bail établi un com» merce dans la maison que je lui ai louée, et que son
» délogement lui ail fait perdre des pratiques et causé
» un tort dans son commerce, je ne serai pas tenu de
» ce dommage qui est étranger, et qui n’a pas été pré» vu lors du contrat.
ET DE LA FRAUDE.
�296
TR A ITÉ DU DOL
» A plus forte raison, si dans le délogement quelques
» meubles précieux de mon locataire ont été brisés, je
» ne serai pas tenu de ce dommage, car c’est l’impéri» tie des gens dont il s’est servi qui en est la cause, et
» non l’éviction qu’il a soufferte, elle n’en est que l’oc» casion.'»
Cette doctrine a le mérite incontestable de préciser
nettement la portée de l’art. 1150. Il est évident que
dans l’exemple cité, les dommages-intérêts ont pu et dû
entrer dans les prévisions des parties ; qu’ils ne consti
tuent qu’une indemnité raisonnable et telle qu’il serait
injuste de la refuser. La bonne foi du bailleur lui est
utile en ce sens qu’elle détermine une modération dans
la peine qui lui est appliquée. Or, on ne saurait aller
jusqu’à prétendre que cette bonne foi pût l’exonérer de
l’obligation de réparer le préjudice qui en a été la con
séquence.
506. — Par une juste déduction , l’absence de la
bonne foi aggrave les obligations du débiteur. Dans ce
cas , les dommages-intérêts se calculent sur une autre
base. La réparation à sa charge comprend alors non seu
lement le préjudice résultant de la privation de la chose,
mais encore celui dont cette chose a été l’occasion. Nous
en trouvons un exemple décisif dans le rapprochement
des art. 1634 et 1635 du Code civil.
Ainsi, celui qui a vendu de bonne foi la chose d’au1 Des obligations, n° 161.
�297
trui doit rembourser à l’acquéreur évincé toutes les ré
parations et améliorations utiles faites au fonds. I.es dé
penses voluptuaires et d’agrément, n’étant jamais con
sidérées comme utiles, restent donc à la charge de l’ac
quéreur. C’est là une application exacte du principe
posé par l’art. 1130. Le vendeur, en effet, a pu prévoir
les dépenses utiles , il a dû penser qu’en bon père de
famille , l’acquéreur se livrerait immédiatement à tous
les frais que la conservation et l’entretien de la chose
exigeraient. Mais on ne peut admettre une semblable
prévision pour tout ce qui ne constitue qu’un pur agré
ment. Il ne serait donc pas juste de l’obliger à rem
bourser des frais quelquefois en dehors de toute propor
tion avec la valeur même de la chose.
Mais il n’en est plus ainsi pour le vendeur de mau
vaise foi. Celui qui aliène une chose qu’il sait ne pas lui
appartenir s’expose à réparer tout le préjudice que l’ac
quéreur est dans le cas de souffrir. L’acte qu’il s’est
permis ne comporte ni excuse, ni atténuation, aussi l’ar
ticle 1635 met-il à sa charge les dépenses voluptuaires
et d’agrément. Sa mauvaise foi fait présumer la volonté
de réparer toutes les pertes qu’elle sera dans le cas d’oc
casionner.'
On continue donc , dans le cas de mauvaise foi, de
considérer les dommages-intérêts comme convention
nels, seulement on fait porter les prévisions des parties
ET DE LA FRAUDE.
i Domat, liv. 3, tit. 5, sect. 2, n° 8.
�298
TRAITÉ DU DOL
au delà de ce qu’elles restent, lorsqu’on a à prononcer
contre un débiteur de bonne foi.
507. — Ce n’est plus par le même principe que se
règlent les dommages-intérêts dérivant du dol. Il n’y a
plus lieu dans cette hypothèse à rechercher quelle a été
ou pu être la commune intention des parties, si le pré
judice à réparer a été ou non dans leur prévision. L’au
teur du dol s’oblige, velil nolit, à la réparation de tout
le tort qu’il a causé.
Dans ce cas même , aux termes de l’art. 4151 , les
dommages-intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de
la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a
été privé , que ce qui est une suite immédiate et directe
du dol. Mais, dans ces limites mêmes, la détermination
du chiffre n’est pas toujours chose facile.
508. — L’exposé des motifs de l’art. 1151 est loin
de résoudre cette difficulté. « Dans le cas même de dol,
disait l’orateur du Gouvernement , les dommages-inté
rêts n’en ont pas moins leur cause dans l’inexécution de
la convention. Il ne serait donc pas juste de les étendre
à des perles ou à des gains qui ne seraient pas une suite
immédiate et directe de cette inexécution. Ainsi on ne
doit avoir égard qu’au dommage souffert par rapport à
la chose ou au fait qui était l’objet de l’obligation, et non
à ceux que l’inexécution de cette obligation aurait d’ail
leurs occasionné au créancier dans ses autres affaires ou
dans ses autres biens. »
Ces considérations nous paraissent inadmissibles. El-
�299
les ramèneraient, en effet, la règle en matière de dol
aux proportions que nous avons vues devoir régir la
bonne foi ; à ces dommages-intérêts propter rem ipsam
non habitam, prévus par l’art. 1150. Or, il est impos
sible que l’art. 1151, en appliquant les dommages-in
térêts au préjudice causé par les conséquences immé
diates et directes du dol , n’ait voulu que reproduire le
principe déjà écrit dans l’article précédent.
Par la suite immédiate et directe du dol, le législateur
a donc eu forcément en vue le dommage souffert par le
créancier dans ses autres biens , seulement il l’a réduit
au préjudice dont le dol a été l’occasion directe et im
médiate , et non à celui qu’on pouvait rattacher au dol
d’une manière éloignée, lequel est, d’après les paroles
de Dumoulin, sans aucune considération.
ET DE LA FRAUDE.
309. — Ce jurisconsulte , recherchant le préjudice
que doit réparer le locataire qui , par malice , incendie
la maison du propriétaire, décide qu’on doit mettre à sa
charge la perte de la maison, la valeur de tout ce qui y
était renfermé et l’indemnité de la privation de jouis
sance. Non autem , ajoute-t-il, damnumpostea succedens ex novo casu, etiam occasione dictœ combustionis,
sine qua non contigissel ; quia istud est damnum remo
tum, quod non est in consideratione.
310. — Un exemple que nous empruntons au ju
dicieux Pothier précisera mieux encore la différence
d’appréciation résultant des art. 1150 et 1151, et com-
�300
TRAITÉ DU DOL
ment on doit déterminer ce qui doit être considéré com
me une suite immédiate et directe du dol.
Un marchand vend une vache infectée d’une mala
die contagieuse. Mais il ignorait lui-même cette maladie.
Les dommages-intérêts dus à l’acquéreur se compose
ront uniquement du prix de la vache et des dépenses
occasionnées pour la remplacer, alors même que la con
tagion, s’étant communiquée, aurait fait périr ses autres
bestiaux. C’est là le dommage propter ipsam rem non
habitam que doit exclusivement supporter celui qui a
agi avec bonne foi.
Au contraire, la maladie de la vache était connue du
marchand, qui en a dissimulé l’existence. Celte dissimu
lation est un véritable dol qui l’oblige à réparer le pré
judice qui en a été la suite immédiate et directe. Evi
demment la contagion , qui a fait périr les autres bes
tiaux, n’a pas eu d’autre cause déterminante que le dol.
Le coupable doit donc indemniser l'acquéreur non seu
lement du prix de la vache et de la dépense nécessitée
par son remplacement, mais encore de la valeur de tout
le bétail mort des suites de la contagion et les frais ex
posés pour le remplacer.
Mais la perte de ses bestiaux peut avoir pour l’acqué
reur des conséquences plus fâcheuses encore. Ainsi , il
peut soutenir qu’il a été placé par là dans l’impossibi
lité de cultiver ses terres et privé ainsi de toute récolte;
que cette privation l’a mis dans le cas de ne pouvoir sa
tisfaire à ses engagements, et qu’il s’est vu contraint de
laisser exproprier ses biens. Pourrait-il obtenir contre le
marchand la réparation de tout ce préjudice ?
�301
II est certain que, dans le fonds, la prétention ten
dant à faire décider l’affirmative n’est pas sans motifs
plausibles. On comprend, en effet, que la mort des bes
tiaux d’une ferme, arrivée pendant une certaine saison,
peut exercer une influence fâcheuse sur la position du
propriétaire et entraîner même la saisie de ses biens.
Mais on répondra, avec raison, que le défaut de culture
et le non paiement des créanciers n’ont qu’une relation
indirecte et éloignée avec le fait imputable au marchand,
ils n’en étaient même pas les suites nécessaires. Il est
positif, en effet, que le propriétaire pouvait cultiver en
achetant ou en louant d’autres bestiaux, et qu’ayant eu
le tort de ne pas le faire , il a commis personnellement
une faute dont il est responsable. En un m ot, on peut
dire de ces dommages ce que Dumoulin disait pour l’in
cendiaire , ils peuvent bien être attribués à la mort des
bestiaux , sans laquelle ils ne se seraient pas réalisés,
mais ils sont réellement nés ex novo casu, et conséquem
ment on ne peut qu’adopter la conclusion de ce juris
consulte : Istud est damnum remotum , quod non est in
consideratione.
ET DE LA FRAUDE.
5! S. — Cependant Pothier distingue, fort justement
selon nous, entre le dommage résultant du défaut de
culture et celui déterminé par la saisie des propriétés.
Celui-ci, dit-il, ne saurait être en tout ou en partie à la
charge du marchand, il n’est qu’une suite très-éloignée
et très-indirecte du dol. Il n’y a pas même une relation
nécessaire, car, quoique la perte des bestiaux ait influé
�302
TRAITÉ DU DOL
sur le dérangement de la fortune de l’acquéreur, ce dé
rangement peut avoir eu d’aulres causes.
L’autre, au contraire, paraît être une suite moins éloignée du dol, mais il n’en est pas une conséquence
absolument nécessaire. L’acheteur pouvait obvier au
préjudice résultant de la perte de ses bestiaux , en fai
sant cultiver ses terres par d’autres bestiaux qu’il devait
acheter ou louer, ou en affermant ses terres, s’il n’avait
pas le moyen de les faire valoir lui-même. Néanmoins,
comme en recourant à ces expédients il n’aurait pas re
tiré de ses terres autant de profit que s’il les avait fait
valoir lui-même avec les bestiaux qu’il a perdus par le
dol du marchand, il est juste que celui-ci l’indemnise,
en partie au moins, du préjudice causé par le défaut de
cultures.'
312. — Cette doctrine nous parait déterminer la vé
ritable signification de l’art. 1151 du Code civil. C’est
dans les principes enseignés par Dumoulin, Domat, Po
thier , que nous rencontrons l’étendue et la portée de
cette disposition. C’est là que la pensée du législateur se
décèle avec la plus parfaite précision. Nous pouvons
donc avec confiance proposer ces principes comme les
éléments indispensables de toute appréciation en matière
de dommages-intérêts.
Nous n’ajouterons qu’une seule observation, qui nous
paraît commandée par l’équité. Si le préjudice éloigné
1 Des obligations, n° 167.
�303
ne doit pas être mis à la charge de l’auteur du dol, tout
au moins convient-il de le prendre en considération lors
qu’il s’agit de déterminer le chiffre de celui qu’il doit
réparer. On ne saurait, en effet, se dissimuler , d’un
coté, que le dol n’a pas été sans influence sur la réali
sation de ce préjudice; de l’autre , que l’acte de celui
qui s’est permis des manœuvres coupables ne soit extrê
mement blâmable. Celte double considération est donc
de nature à empêcher toute modération dans les dom
mages intérêts que la loi impose aux débiteurs. Ils doi
vent couvrir, dans la mesure qui vient d’être indiquée,
l’intégralité du préjudice souffert.
ET DE LA FRAUDE.
313. — Il est des cas où les dommages-intérêts sont
fixés parla loi elle-même. L’art. 1153 nous en offre
un exemple. Dans les obligations, porte cet article , qui
se bornent au paiement d’une certaine somme, les dom
mages-intérêts ne consistent jamais 'que dans la con
damnation aux intérêts fixés par la loi. Cette disposition
est fondée sur la présomption que la perte essuyée par
le créancier et le bénéfice dont il est privé sont inté
gralement compensés par les intérêts tels que les tribu
naux les adjugent conformément à la loi.'
314. — La règle tracée par cet article reçoit excep
tion :
1° Pour les matières commerciales. Ainsi, le débiteur
i Bigot de Préameneu, Exposé des motifs.
�TRAITÉ DU DOU
304
d’une lettre de change protestée faute de paiement doit
non seulement les intérêts du jour du protêt, mais en
core le remboursement des frais de rechange. De même
le débiteur en compte-courant d’un banquier est obligé
de payer , en sus des intérêts , le droit de commission
déterminé par l’usage.
2° Pour le cautionnement civil. Ainsi, d’après l’arti
cle 2028, la caution qui a payé a son recours contre le
débiteur non seulement pour le capital et les intérêts,
mais encore pour le remboursement de tous les frais
qu’elle a exposés.
Ces deux exceptions, formellement prévues par l’arti
cle 1153 , sont fondées : la première , sur l’intérêt du
commerce dont les usages acquièrent force de loi ; la
seconde, sur l’appréciation exacte de l’obligation du dé
biteur principal vis-à-vis de la caution. Cette obligation
n’est pas , à proprement parler, celle de lui payer telle
ou telle somme, mais bien celle de l’indemniser de tout
le préjudice que le cautionnement lui a occasionné.
Dans tous les autres cas, le retard dans le paiement
d’une somme d’argent ne donne lieu qu’à l’adjudication
des intérêts légaux, alors même que ce retard serait im
putable au dol du débiteur. La stipulation du contrat
qui déterminerait de plus grands dommages-intérêts se
rait censée non écrite, e t, dans tous les cas , annulée
comme renfermant une usure déguisée.
Ce principe et ses conséquences ne régissent que les
dommages-intérêts pour simple retard dans l’exécution
d’une convention expresse stipulant le remboursement
�305
ou le paiement d’une somme convenue. On ne saurait
donc les invoquer lorsque l’obligation de restituer n’a
d'autre origine qu’un acte , qu’un fait illicite , une es
croquerie, un abus de confiance, par exemple.
Il est évident que l’art. 1153 n’a ni prévu, ni enten
du régler ces hypothèses. Dans l’un comme dans l’au
tre cas, en effet, il s’agit moins de la restitution d’une
chose ou de sa valeur , que de la réparation du préju
dice résultant du délit, et rien ne saurait faire que cette
réparation ne s’étendit à toutes les conséquences de ce
lui-ci.
L’escroquerie peut avoir eu pour effet une vente d’ob
jets ou de marchandises et la création de titres en rè
glement du prix. Le porteur de ces titres en poursui
vant le paiement ne demande-t-il pas l’exécution d’une
obligation se bornant au paiement d’une somme, et ne
se place-t-il pas sous l’empire de l’art. 1153 ?
L’affirmative n’est pas douteuse si l’instance est intro
duite et poursuivie devant la juridiction civile. Pour cel
le-ci , les manœuvres qui ont déterminé le traité , ne
constituent qu’un dol , dont l’existence et les effets sont
exclusivement soumis à son appréciation ; elle peut d’au
tant moins ordonner la réparation du préjudice occa
sionné par le délit qu’elle est sans qualité pour recher
cher et constater celui-ci.
Si le procès s’agite au correctionnel, la mission spé
ciale du juge est de juger si le délit existe. En cas d’af
firmative il peut et il doit non seulement ordonner la
restitution de la chose ou de sa valeur, mais encore adET DE LA FRAUDE.
î
20
�TRAITÉ DU DOL
306
juger outre l’intérêt légal tout ce que lui paraîtra exiger
la réparation intégrale du préjudice.
Or, la partie lésée peut toujours investir la juridiction
criminelle , même après avoir demandé et obtenu du
juge civil la restitution de ce qui lui est dû en capital et
intérêt. On n’a jamais contesté cette faculté. Ce qu’on a
soutenu c’est, qu’en s’adressant d’abord à la juridiction
civile , la partie civile avait épuisé son droit quant aux
dommages-intérêts; qu’elle ne pouvait donc plus en
exiger et en obtenir d’autres que ceux que cette juridic
tion lui avait adjugé.
Cette prétention qui dans une espèce se produisait de
vant la Cour de Paris, condamnée par elle le fut éga
lement par la Cour Suprême d’abord par arrêt du 29
mars 1849.
Un second arrêt de la Cour Suprême du 8 juin de la
même année la condamne plus explicitement encore, en
jugeant que la condamnation prononcée par les tribu
naux civils aux intérêts dus pour retard dans une res
titution de sommes confiées à titre de dépôt ne met pas
obstacle à ce que la partie condamnée soit ultérieure
ment déclarée passible de dommages-intérêts sur l’ac
tion formée contre elle pour délit d’abus de confiance ;
qu’ici ne s’appliquait pas l’art. 1153.1
Il résulte bien de cet arrêt que l’action jugée par les
tribunaux civils, n’est ni un obstacle à la poursuite cor-
�307
rectionnelle ni un empêchement à ce que le juge de ré
pression alloue tous les dommages-intérêts qu’exige la
réparation intégrale du préjudice.
Plus tard et le 18 septembre 1862, la Cour de Cas
sation a eu de nouveau l’occasion d’appliquer sa doc
trine. Un mandataire infidèle condamné à 3,000 fr. de
dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’avait
occasionné au mandant le défaut de restitution des som
mes qu’il était chargé de recevoir, s’était pourvu en cas
sation. II reprochait à l’arrêt d’avoir violé non seule
ment l’art. 1153, mais encore l’art. 1996 qui n’astreint
Je mandataire qu’à tenir cempte de l’intérêt légal des
sommes dont il est reconnu réliquataire.
Mais la Cour suprême décide que ces dispositions ohligatoires pour les tribunaux ordinaires ne lient pas le
juge criminel. En conséquence elle rejette le pourvoi, et
juge : que le mandataire infidèle ne peut prétendre au
bénéfice de n’être tenu à d’autres dommages-intérêts
qu’à l’intérêt légal des sommes à restituer ; qu’il peut
être condamné par le juge de répression à la réparation
du préjudice total que le défaut de restitution des som
mes reçues a fait éprouver à la partie lésée.'
Au reste le caractère juridique de ces décisions res
sort du texte et de l’esprit de l’art. 1153. Spécial au re
tard dans l’exécution d’une convention d’une nature dé
terminée, son caractère exceptionnel en fait nécessaire
ment restreindre l’application au cas prévu.
ET DE LA FRAUDE.
�308
TRAITÉ DU DOL
Or, dans les hypothèses que nous venons d’indiquer,
il s’agissait non d’un simple retard d’exécution , mais
d’une atteinte à la fortune d’autrui, d’autant plus odieu
se qu’elle avait sa source dans un acte de confiance
provoqué par la déloyauté , la ruse et le mensonge. On
ne peut donc qu’applaudir à l’exigence d’une réparation
entière en faveur de la partie lésée.
Faut-il conclure du caractère exceptionnel et spécial
de l’art. 1153 , qu’il est inapplicable à la demande en
dommages-intérêts fondée non sur l’inexécution d’une
convention , mais sur la violation d’une obligation de
faire, contractée à l’occasion de cette convention.
La veuve Dumont prêta au sieur Lavaysse une som
me de 85,000 fr. suivant un contrat authentique du 6
mai 1847, où il était dit : les époux Lavaysse s'obli
gent envers Mme Dumont, à faire le paiement de 88,000
fr. restant dus au sieur Layerman (pour prix d’un im
meuble vendu en 1828), avec les deniers à elle em
pruntés, et ce dans le délai de trois mois de ce jour , et
à déclarer, dans la quittance notariée qu’ils en retire
ront , l'origine des deniers , afin que Mme Dumont soit
subrogée dans les droits et privilèges du vendeur , et
dans l’inscription qui en a été prise d’office.
Lavaysse neremplit pas cet engagement et est exproprié
quelque temps après. La dame Dumont dont la créance
est perdue faute de la subrogation promise , l’actionne
alors en dommages-intérêts pour violation de cette obli
gation, et demande contre lui à ce titre 85,000 fr. avec
contrainte par corps.
�309
Cette demande est accueillie par le Tribunal. Mais sur
l’appel la Cour de Paris infirme le jugement et déboule
la dame Dumont de ses fins et conclusions.
Celle-ci se pourvoit en cassation. Elle se plaint de la
fausse application de Part. 1153, en ce que l’arrêt a ju
gé qu’une obligation de faire ne se résout en domma
ges-intérêts que dans le cas où le fait inexécuté est l’ob
jet principal et direct de l’obligation ; que cette distinc
tion est condamnée par les termes absolus de l’art. 11421
du Code Napoléon ; que le principe des dommages-in
térêts admis, leur qualité est réglée par la loi qui veut
qu’ils soient de la perte qu’on a faite' et du gain dont
on a été privé ; que dans l’espèce le défaut de subroga
tion ayant occasionné la perte de la créance , c’était le
chiffre de celle-ci que les dommages-intérêls devaient
représenter ; et qu’accordé à ce titre le paiement devait
en être garanti par la voie de la contrainte par corps.
Mais par arrêt du 9 août 1849, le pourvoi est rejeté.
Non pas cependant parce que la Cour de Paris aurait à
propos appliqué'l’art. 1153, mais parce qu’elle ne l’a
vait pas appliqué du tout.
« Attendu, dit la Cour de Cassation, que l’arrêt at
taqué ne décide pas en principe que la veuve Dumont
ne devait pas obtenir de dommages-intérêts contre La-,
vaysse, à raison de l’inexécution des obligations qu’il avait contractées envers elle, mais que sa demande ten
dait à la condamnation de Lavaysse, à titre de dom
mages-intérêts, et par corps, au paiement de la somme
de 85,000 fr. principal même de l’obligation de ce derET DE LA FRAUDE.
I
�310
TRAITÉ DU DOL
nier ; qu’il n’était pas permis à un créancier de trans
former ainsi le titre de l’obligation primitive dont il est
porteur , pour y rattacher la voie d’exécution par corps
qui n’avait pas été stipulée et qui peut-être n’aurait, pas
pu l’être ; qu’en décidant ainsi , la Cour de Paris n’a
pas violé les dispositions de loi invoquées par la de
manderesse; qu’elle en a au contraire sagement réservé
les effets dans son intérêt pour le cas où l’application
en serait réclamée par elle dans les limites de leur ap
plication légitime.' »
Ainsi si la Cour de Paris eût étayé le rejet de la de
mande en dommages-intérêts sur l’art. 1153, son arrêt
eût provoqué la censure de la Cour de Cassation. D’où
la conséquence que pour celle-ci l’art. 1153 est inap
plicable à l’inexécution des obligations de faire, et c’est
en effet ce qui résulte du texte et de l’esprit de cet ar
ticle.
L’arrêt de la Cour de Paris irréprochable sous ce rap
port, l’était-il également au point de vue du résultat au
quel il aboutit ? Je ne le pense pas.
La demande en dommages-intérêts est , en effet , re
poussée parce que, dit la Cour , l’obligation de faire ne
se résout en dommages-intérêts que lorsqu’elle fait l’ob
jet principal et direct du contrat ; qu’on ne pouvait re
connaître ce caractère à celle qui ne se rapportait qu’à
des garanties à donner pour le paiement ; que l’inexé-
�311
cution de celle-ci était régie par l’art. 1188 et se bornait
à autoriser le créancier à exiger son paiement immédiat;
que c’était là la seule action qui fût ouverte à la veuve
Dumont qui ne pouvait être recevable à l’exercer à un
autre titre, dans le seul but d’obtenir la voie de la con
trainte par corps.
La distinction entre les obligations de faire principales
ou accessoires est purement arbitraire. Loin de l’autori
ser, les termes de l’art. 1142 l’excluent en décidant d’u
ne manière générale et absolue que t o n t e obligation
de faire se résout en dommages et intérêts.
Cette distinction, fût-elle possible, ne pouvait se jus
tifier dans l’espèce. Comment en effet déclarer et admet
tre que l’obligation de faire subroger n’était qu’accessoire ? Il est évident au contraire que sa réalisation était
la condition tellement essentielle , que la prévision de
son défaut eût empêché le contrat de se former.
Dans tous les cas son inexécution tombait - elle sous
le coup de l’art. 1188 ? La lecture de cet article répond
à cette question. Ne pas donner les sûretés promises, ce
n’est pas diminuer les sûretés données. Or c’est ce der
nier cas que l’art. 1188 prévoit et régit exclusivement.
Il n’y avait donc pas lieu de recourir à sa disposi
tion et d’en faire la règle du litige, qui ayant son fon
dement unique dans l’inexécution d’une obligation de
faire, se trouvait naturellement et forcément placé sous
l’empire de l’art. 1142.
Sans doute la dame Dumont aurait pu , se fondant
sur cette inexécution, demander la déchéance du terme
ET DE LA FRAUDE.
�312
TRAITÉ DU DOL
et exiger son paiement immédiat. Mais de ce que le
droit existait, s’en suit-il qu’il dût être exercé à l’exclu
sion d’un autre également acquis. Celui qui a une dou
ble action est l’arbitre unique de celle qu’il doit suivre,
et a la faculté de ne consulter que ses convenances et
son intérêt.
Il est vrai que le chiffre des dommages-intérêts récla
més était exactement celui de la créance. Mais pouvait-il
en être autrement ? L’inexécution de l’obligation avait
occasionné une perte de 83,000 fr., et si l’auteur de
cette inexécution était responsable , c’est l’intégralité de
la perte dont il devait être , dont il était légalement
tenu.'
Nous croyons donc que la Cour de Paris avait mal
apprécié, et nous avouons ne pas nous rendre raison de
l’approbation de la Cour suprême. La condamnation à
la contrainte par corps n’étant que la conséquence de la
nature de l’action, nécessitée d’ailleurs par la position du
condamné. Àvait-il de quoi répondre sur ses biens de la
réparation à laquelle il était condamné .justement ?
N’est-ce pas cette prévision qui a motivé l’art. 126 du
Code de procédure civile ?
513. — L’art. 1153 serait sans application si le re
tard provenait du fait ou du dol d’une tierce personne.
Par rapport à elle , les principes ordinaires repren
draient leur empire, et l’obligation de réparer le préju-
�313
dice lui serait imposée. Par application de cette règle,
la Cour de Bastia a jugé , le 9 juillet 1833 , que celui
qui se croyant propriétaire d’une créance, qu’il pense à
tort lui avoir été cédée, en touche le montant, cause par
ce fait, au véritable propriétaire , un préjudice dont il
est responsable vis-à-vis de lui, et qu’il peut être con
damné à réparer en lui restituant à la fois le montant
de la somme perçue , les intérêts à compter du jour de
la perception et les faux frais par lui faits pour obtenir
paiement.
Vainement cet arrêt fut-il déféré à la Cour de Cassa
tion comme violant l’art. 1153, la Cour suprême n’hé
sita pas à rejeter le pourvoi1, pensant avec raison qu’il
ne s’agissait pas pour le tiers d’un retard dans le paie
ment d’une somme d’argent; qu’il y avait, dans l’acte
qu’il s’était permis, un fait nuisible dans l’acception de
l’art. 1382 , obligeant son auteur à réparer le préjudice
qui en est résulté. A plus forte raison devrait-on le dé
clarer ainsi si l’acte reprochable constituait un dol.
RT DE LA FRAUDE.
516. — On doit donc décider que celui qui malo
animo, et sans aucun droit réel, a fait saisir, arrêter,
entre les mains de mon débiteur , une somme m’ap
partenant, et l’a ainsi empêché de se libérer, devrait être condamné à réparer le préjudice que ce retard m’au
rait occasionné, il ne saurait même dans ce cas s’agir
de l’application de la règle posée par l’art. 1153, car si
�314
TRAITÉ DU DOL
de mon débiteur à moi il n’y a qu’un retard dans le
paiement d’une certaine somme, il y a autre chose dans
la conduite du saisissant à mon égard , il y a un fait
nuisible , un véritable dol. Dès lors il doit réparer le
préjudice qui en est la conséquence , et non seulement
le préjudice matériel , mais encore le préjudice moral
résultant de son inique poursuite. Or, ce dernier pour
rait être important s’il s’agissait surtout d’un commer
çant dont la position et le crédit ont tant à souffrir de
ce qui parait incriminer sa solvabilité.
5 ! 7. Au reste, si du créancier au débiteur le dol
est sans influence sur la nature des dommages-intérêts
pour le retard dans le paiement d’une somme quelcon
que, il n’en est pas de même quant à l’époque à partir
de laquelle les intérêts sont censés courir. La règle tra
cée par l’art. 1153, qui fixe cette époque au jour de la
demande, n’est obligatoire que pour les intérêts mora
toires, elle ne s’applique donc pas aux intérêts compen
satoires.
Le motif qui a fait adopter , pour les premiers , ce
point de départ est facile à saisir. Les intérêts ne cou
rent de plein droit que dans les cas et en faveur des
personnes spécialement désignées par la loi. Dans toutes
les autres hypothèes, le législateur exige la mise en de
meure de la part du créancier ; il suppose que le silence
gardé par celui-ci est le résultat d’une convention avec
le débiteur. La demande de paiement réalisée, cette pré
somption s’évanouit, et il n’existe plus aucune raison
�315
pour refuser ce qui représente la jouissance de la somme
qui par le contrat devrait se retrouver aux mains du
créancier.
Mais si le silence gardé par celui-ci est la conséquen
ce d’un dol pratiqué à son encontre, il est évident qu’on
ne saurait lui en imposer la responsabilité. On ne ver
rait dans un silence de cette nature qu’un acte imposé
par une véritable violence morale , et l’on présumerait
naturellement que le créancier eût fait valoir son droit,
s’il avait été libre de le faire. C’est par application de
celle présomption que la Cour suprême a jugé, le 5 août
1823 , que les juges peuvent faire courir les intérêts à
partir d’une époque antérieure à la demande , s’il est
constaté que le créancier a été mis dans l’impossibilité,
par le fait de son débiteur, de réclamer plus tôt le paie
ment de la somme due.1
ET DE LA FRAUDE.
318. — Les intérêts compensatoires diffèrent des in
térêts moratoires, en ce que ces derniers ne sont que la
conséquence d’une convention et de la peine de son dé
faut d’exécution, tandis que les premiers sont demandés
et accordés à titre de réparation d’un fait dommageable
ou d’un dol. On ne saurait donc les ranger sous la mê
me règle et leur appliquer indistinctement la disposition
de l’art. 1153. Les intérêts compensatoires sont dus du
jour où l’acte qui en motive l’adjudication s’est réalisé.
1 Journal du palais, tom. xvm, pag 93.
�316
TRAITÉ DU DOL
Les juges peuvent donc les faire partir de cette époque.
C’est un principe consacré par la jurisprudence.
Ainsi il a été jugé :
1° Que lorsque les intérêts sont accordés pour répa
ration d’un fait dommageable, notamment pour inexé
cution d’un mandat, ils peuvent être accordés à partir
d’une époque antérieure à la demande formée par le
mandant contre le mandataire ; '
2° Que celui qui fait illégalement procéder à la vente
d’objets possédés par un tiers peut être condamné, à ti
tre de dommages-intérêts , aux intérêts du prix de la
vente, à partir du jour même de cette vente."
Mais la différence que nous venons de signaler, mo
tivant une exception à la règle de l’art. 1153 , en en
traîne une importante dans l’application. Ainsi, les in
térêts moratoires courent de plein droit du jour de la
demande et sont indépendants de la preuve d’un préju
dice quelconque. Les intérêts compensatoires, au con
traire , n’étant qu’une indemnité du préjudice souffert,
c’est à celui qui les réclame a prouver préalablement ce
préjudice , faute par lui de remplir cette obligation , il
ne saurait lui en être alloués aucuns.
511). — L’art. 130 du Code de procédure civile
nous offre un nouvel exemple de dommages-intérêts dé
terminés par la loi. En effet, cet article , en disposant
1 .7. du P.; Cass., 30 janvier 1826.
2 J. du P., Cass., 31 juillet 1832.
�317
que la partie qui succombe supportera les dépens, sem
ble borner à leur paiement la peine du téméraire plai
deur, quel qu’ait été d’ailleurs le mobile de son action.
ET DE LA FRAUDE.
520. — Cependant la jurisprudence paraît se dé
partir de ce que cette règle pourrait avoir d’absolu. Il
est, on le sait, des procès d’une nature si odieuse, d’u-,
ne iniquité si flagrante , qu’on ne peut voir dans leur
poursuite qu’une spéculation sur le scandale d’une in
juste diffamation. Les dépens sont une réparation bien
minime en présence du tort grave que l’issue même fa
vorable n’empêche pas le défendeur de subir. Est-ce donc
là l’unique satisfaction qu’on doive lui accorder ?
Nous considérerions l’affirmative comme un malheur
et un danger. La peine infligée par la loi au plaideur
qui de bonne foi s’est trompé sur l’étendue de ses droits,
est insuffisante pour celui qui sciemment, et dans l’in
tention de nuire , a soutenu un procès sans autre but
que d’obéir à des passions mauvaises. C’est donc à dé
mêler l’intention du demandeur, que la justice doit ap
pliquer sa prudente sagacité, et si cette intention, si les
moyens employés sont vexatoires et odieux, elle doit ap
pliquer une peine plus forte que les dépens de l’instan
ce'. C’est en usant de cette faculté avec un sévère discer
nement qu’on arrivera à prévenir ces contestations qui
aflligent et blessent la justice.
i J. du P., Cass., I'1 janvier 1837; — Voy, arrêt conforme du 'Ier
juin -1844, rapporté par le Droit, 3 juin 1844, n° 131.
�318
TRAITÉ DU DOL
521. — La Cour d’Àix vient d’en faire une remar
quable application. Le comte de Castellanne s’était em
paré des mines de houille que les hoirs Coulomb soute
naient être leur propriété. De là un procès dans lequel
le comte de Castellanne avait employé les moyens les
plus rigoureux et suscité toute espèce de difficultés. Nous
en trouvons le résumé dans l’arrêt qui, reconnaissant la
propriété des hoirs Coulomb et l’injustice des prétentions
de leur adversaire , condamne ce dernier à restituer les
mines et à 50,000 fr. de dommages-intérêts.
« Considédant, dit la Cour, qu’il est irrévocablement
jugé que le comte de Castellanne a usurpé la propriété
des hoirs Coulomb, et qu’il doit une indemnité à raison
de celte usurpation, qu’il est constant que l’indue jouis
sance du comte de Castellanne a duré trente-quatre ans,
de 1809 à 1843;
» Que pour se maintenir dans son usurpation et se
soustraire à la réparation due à ceux qu’il a dépouillés,
il les a poursuivis sans relâche devant toutes les juri
dictions, de telle sorte sorte qu’en y comprenant le pré
sent arrêt, il est intervenu entre eux et lui quarante dé
cisions, tant administratives que judiciaires ;
» Qu’au nombre de ces décisions, il existe onze juge
ments et arrêts rendus en matière correctionnelle;
» Que sur la dénonciation expresse du comte de Cas
tellanne , quatre des hoirs Coulomb furent poursuivis
criminellement, comme inculpés de vol à main armée ;
que Joseph Coulomb , l’un d’eux , fut renvoyé par la
chambre du conseil ; mais que trois autres : Marie De*
�ET DE LA. FRAUDE.
319
leuil veuve de Jean-Joseph Coulomb , Lazare Coulomb
et Joseph Brun furent mis en prévention par ordon
nance du 14 février 1 8 3 3 , qui fut réformée par arrêt
du 2 9 mars suivant; que Joseph Brun fut arrêté le 4
janvier 1 8 3 3 , en vertu d’un mandai d’amener décerné
contre lui , et qu’il fut détenu à Marseille pendant trois
mois, n’ayant été mis en liberté qu’en exécution de l’ar
rêt d’Aix , en date du '2 9 mars; que pendant le même
délai, la veuve Deleuil et Lazare Coulomb , qui avaient
pris la fuite , furent obligés de se tenir cachés pour se
soustraire à l’exécution de semblables mandats décernés
contre eux ;
»
....................................................................................................................................
» Considérant qu’en présence de déclarations aussi
explicites, il est impossible d’admettre que c’est de bon
ne foi que Castellanne a pris possession des mines exis
tantes dans les propriétés des hoirs Coulomb, que c’est
de bonne foi qu’il s’est maintenu durant trente-quatre
ans dans cette indue jouissance , qu’il résiste depuis
trente-six ans aux justes réclamations des hoirs Cou
lomb, et qu’à l’appui de sa résistance il n’a pas craint
d’invoquer contre eux le concours et l'assistance de l’au
torité, de les poursuivre par les voies correctionnelles et
criminelles, de leur faire subir une longue prison pré
ventive, de les traîner soit devant les tribunaux civils,
soit devant les tribunaux administratifs, dans des luttes
incessantes et dispendieuses , qui ont été pour eux une
source de ruine et de misère ;
» Qu’une usurpation si flagrante, si longtemps pro.
�3â0
TRAITÉ DU DDL
longée, soutenue par de si coupables manœuvres, et dont
les fastes judiciaires n’offrent peut-être pas d’exemple,
impose aux magistrats le devoir de déployer une juste
sévérité dans l’adjudication des dommages-intérêts ré
clamés de ce chef. »
522. — L’action en dommages-intérêts ne peut être
intentée et poursuivie que contre l’auteur du dol. Elle
ne saurait, dans aucun cas, atteindre celui qui se serait
substitué dans la possession de la chose ayant fait la
matière du contrat primitif, si ce dernier a traité avec
bonne foi.
Conséquemment , et alors même qu’il s’agirait d’un
objet soumis à revendication , et que le tiers-acquéreur
serait cité en commune exécution du jugement à inter
venir , cette commune exécution ne saurait être requise
au chef qui condamnerait l’auteur du dol à une répara
tion pécuniaire. Il en serait autrement si le tiers déten
teur s’était rendu complice du dol. Nous avons déjà dit
que celte complicité résulterait non seulement de la si
mulation du titre qui lui a transmis l’objet revendiqué,
mais encore de la simple connaissance de l’origine des
droits de son cédant. La preuve de l’une de ces circon
stances obligerait le tiers à restituer la chose revendi
quée , et en outre à payer les dommages-intérêts aux
quels il pourrait-être conjointement condamné.
525. — En matière de vente d’objets mobiliers,
l’auteur du dol peut ne pas être connu, C’est ce qui peut
�ET DE LA FRAUDE.
321
se réaliser lorsqu’un acquéreur trompé revend lui-mê
me de bonne foi à un tiers la chose qui lui a été trans
mise par dol.
Le possesseur ne connaît que celui qui lui a transmis
la chose , il ne peut donc poursuivre la réparation qui
lui est due que contre ce dernier.
Mais cette réparation sera ordonnée d’une manière
bien différente , selon qu’elle est requise contre l’auteur
du dol ou contre le vendeur immédiat. La bonne foi de
celui-ci ne laisse à sa charge que les dommages-inté
rêts résultant de la privation de la chose elle-même :
Propler rem ipsam non habitam , tandis que l’auteur
du dol serait tenu intégralement du préjudice occasion
né directement par son fait.
Il importe donc au possesseur de le connaître. Son
. intérêt lui en fait même un devoir. Il a donc le droit
d’exiger de son vendeur qu’il lui déclare le nom de ce
lui de qui il tenait lui-même la chose, qu’il lui indique
les circonstances pouvant établir ou faire présumer le
dol ; en cas de refus, il a le droit de soutenir et de prou
ver que ce refus n’est pas sincère , qu’il n’a été dicté
que par une connivence coupable avec l’auteur du dol.
Cette preuve peut être orale , car dissimuler sciemment
en pareille matière , c’est se rendre complice du dol.
Cette dissimulation, en effet, ne peut avoir d’autre ob
jet que d’assurer l’impunité au coupable et de concourir
ainsi à la consommation du dol.
Si le vendeur interpellé donne les renseignements dedemandés, le tiers acquéreur pourra actionner directe—
I
21
,{ «■! [
fila
U
�TRAITÉ DU DOL
322
ment le premier possesseur, sans mettre en cause celui
de qui il tient lui-même la chose. Que le premier ven
deur soit tenu envers le tiers, c’est ce qui ne saurait être
contesté. Il suffit qu’un dol ait été commis , pour que
celui qui en a été victime ait le droit de poursuivre,
contre son auteur , la réparation du préjudice qu’il éprouve. Qu’importe que celui qui a traité avec l’auteur
du dol ait évité lui-même tout dommage en revendant
la chose qu’il avait achetée. Celui-ci , comme l’ensei
gnent Dumoulin et Pothier, ne saurait trouver dans cette
revente un moyen de s’exonérer de la responsabilité qui
pèse sur lui. D’autre part, celui qui a revendu a cédé,
avec la chose elle-même, tous les droits qu’il aurait pu
faire valoir à son endroit. Le cessionnaire peut donc les
utiliser comme son cédant aurait pu le faire lui-même.
Mais l’action intentée contre l’auteur du dol libère le
possesseur intermédiaire de toutes les conséquences de
la revente , même de l’obligation de restituer le prix
qu’il a reçu. Sans doute celui qui a souffert du dol a
une double action à exercer : l’une contre son vendeur
immédiat, l’autre contre l’auteur du dol. Mais ces deux
actions s’excluent l’une l’autre , et la poursuite de la
dernière épuise les droits du demandeur. Que pourraitil demander contre celui qui, de bonne foi, a traité avec lui ? La restitution du prix, les dépenses faites pour
opérer le remplacement de la chose qui a péri. Or, tout
cela , il peut l’exiger et doit l’obtenir de celui qu’il a
préféré attaquer. En effet, alors même que celui-ci jus
tifierait de sa bonne foi, il ne serait pas moins tenu du
�323
dommage propter rem ipsam non habitam, e t, nous
l’avons d it, ce dommage comprend les deux articles
que nous venons de rappeler.'
Ainsi le plaignant peut, à son choix, exercer l’une ou
l’autre des deux actions qui lui sont ouvertes. Mais, ce
choix fait, il ne serait plus recevable à revenir contre
celui qu’il aurait d’abord négligé, excepté qu’il s’agit de
l’auteur du dol. À plus forte raison en serait-il ainsi
dans le cas où l’auteur du dol n’était pas connu au mo
ment où le procès contre le vendeur intermédiaire a été
poursuivi. Sa découverte postérieure donnerait contre
lui une action en paiement du solde des dommages que
la bonne foi du défendeur aurait empêché d’allouer au
poursuivant.
ET DE LA FRAUDE.
324. — De la nature du fait motivant la condam
nation en matière de dol, il résulte :
1° Que l’adjudication des dommages-intérêts doit être solidairement prononcée contre tous ceux qui sont
tenus comme auteurs ou complices ;
2° Que son paiement peut être placé sous la garantie
de la contrainte par corps contre chacun de ceux qui y
sont obligés.
52S. — La solidarité est ici la conséquence de l’in
divisibilité de la cause de l’obligation. Il n’y a, en effet,
1 Dumoulin, de eo 'quod interest, n° S3 ; — Pothier, De la vente, nos
2-16, 217.
i
�TRAITÉ DU DOL
324
dans le principe de l’obligation qu’un fait unique, à sa
voir : le dol, c’est-à-dire un ensemble de manœuvres
exécutées dans le dessein de nuire , et ayant occasionné
un préjudice. Il est donc impossible, soit matériellement,
soit intentionnellement, de décomposer ce fait et de dé
terminer les proportions dans lesquelles il sera impu
table à chacun de ceux qui y ont concouru. Telle man
œuvre , reprochée à l’un et à l’autre , n’aurait pas suffi
pour caractériser le dol. Ce qui le constitue, c’est la ré
union de toutes celles qui ont été pratiquées. Le fait de
tous devient donc le fait de chacun, et le fait de chacun
delui de tous. Conséquemment la réparation est due par
tous et par chacun, per totum et totaliter.
Ce caractère créait donc inévitablement la solidarité
qui, du reste, n’a jamais été contestée par personne.
Dumoulin en prend texte pour distinguer le dol de la
simple faute, qui n’oblige ceux qui l’ont commise qu’à
concurrence de la part qui leur est reprochable. Pothier
se contente de l’énoncer comme un principe incontesta
ble.
526. — La question n’a jamais été débattue sous
l’empire du Code civil. Mais dans les débats qui ont
surgi sur celle de savoir si les quasi-délits obligeaient
solidairement, on a excipé précisément de la doctrine
que nous venons d’établir, pour conclure à l’affirmative
lorsque le quasi-délit a une cause indivisible.
Par suite , la Cour d’Aix a jugé , le I er mars 1826,
que lorsque la cause du dommage occasionné à une pro-
�325
priété est indivisible, il y a lieu de prononcer la solida
rité contre les auteurs du dommage ; qu’ainsi dans le
cas où , par la réunion et l’agglomération des vapeurs
ou gaz émanés de plusieurs fabriques , il est causé un
dommage à la propriété du voisin, il peut être pronon
cé, pour les dommages-intérêts adjugés à ce dernier,
une condamnation solidaire contre les propriétaires des
fabriques, et cela encore bien qu’on puisse reconnaître
dans quelle proportion exacte chacun des fabricants a
contribué à l’agglomération des vapeurs.
La Cour ayant vu dans le fait imputé aux fabricants
un quasi-délit, sa décision était attaquée en cassation
sous un double rapport. L’acte reproché, disait-on, était
un quasi-contrat et non un quasi-délit. On ne pouvait
donc lui appliquer les principes qui régissent ces der
niers ; dans tous les cas, ajoutait-on, la cause du pré
judice étant parfaitement divisible , puisque chacun des
fabricants agissait séparément et isolément, la condam
nation solidaire ne pouvait se justifier , d’autant plus
qu’il était facile de vérifier l’importance relative de la
masse des vapeurs provenant de chaque fabrique.
Mais le pourvoi fut rejeté au rapport de M. Lasagni,
qui rappelait les principes devant préparer la solution
de la difficulté. « Il ne faut pas confondre , disait cet
éminent magistrat, la simultanéité avec l’indivisibilité du
fait ; si le fait individuel de chaque fabricant n’était pas
nuisible, la simultanéité de ces faits devenait la cause du
dommage. Or ce ne sont pas les faits individuels et iso
lés de chaque obligé, mais la cause plie-même qui rend
indivisible l’obligation.
'
ET DE LA FRAUDE.
�326
TRAITÉ DU DOL
« De ce que, dans l’espèce, l’obligation résulte d’un
quasi-délit, s’ensuit-il que les juges pouvaient pronon
cer une condamnation solidaire ? Cette question serait
fort douteuse. La jurisprudence l’a admise en cas de
dol et de fraude, il ne s’agit ici que de faute, et elle n’est
assimilée au dol que lorsqu’elle est lourde. Aussi, en
cas de quasi-délit, ne prononçait-on la solidarité que
lorsque le fait imputé était de sa nature indivisible. »
La Cour de Cassation reconnut l’indivisibilité qu’elle
fit résulter, en droit de ce fait qu’à raison des rapports
entre le créancier et le débiteur , la dette n’est point
susceptible d’une répartition proportionnelle et d’une
prestation particulière.'
Ce caractère est surtout propre au dol, il ne faut donc
pas s’étonner que de tous les temps et sous toutes les
législations , on ait admis en principe que l’obligation
qui en résulte est indivisible dans la cause , et que dès
lors l’exécution doit en être solidairement prononcée
contre tous ceux qui en sont tenus.2
327. —• La contrainte par corps, en matière civile,
est loin d’être aujourd’hui ce qu’elle a été sous les pré
cédentes législations.
Ainsi le droit romain avait laissé les citoyens libres de
la stipuler et de s’y soumettre pour toute sorte d’enga1 3 mai 1827, D. P., 27, 1, 228.
3 Cass , 3 juillet 1817 , 21 février 1818 ; Sirey, 18, 1, 339 ; 19,1,
�327
gements. Elle était de plein droit encourue pour cause
de stellionat et de dol ; elle était de plus considérée com
me une voie ordinaire d’exécution des jugements. Le
débiteur condamné , qui n’avait pas satisfait au juge
ment, pouvait, après discussion de ses biens , être con
traint par corps, il n’était libéré de cette contrainte que
par la cession des biens.1
Cet état des choses avait formé pendant longtemps le
droit commun de la France. La seule modification qu’il
eût subi , fut celle introduite par l’art. 48 de l’ordon
nance de Moulins, en vertu de laquelle le jugement de
condamnation ne dut plus ordonner la contrainte par
corps, mais il était loisible au créancier de la faire pro
noncer par un second , si après quatre mois révolus le
débiteur n’avait pas satisfait au premier.
L’ordonnance de 1667 ouvrit une ère nouvelle, l'ar
ticle 4 du trente-quatrième titre abroge formellement
L’art. 48 de la précédente , et fait disparaître la faculté
d’obtenir la contrainte après quatre mois du jugement
de condamnation. Ce droit est seulement conservé:
1° contre les tuteurs pour le reliquat de leur compte tu
télaire ; 2° contre tous autres pour les dépens adjugés,
s’ils montent à 200 liv. et au-dessus ; pour les restitu
tions des fruits et pour les dommages-intérêts au delà
de 200 livres.
Puis l’art. 6 fait défense à tous de passer à l'avenir,
ET DE LA FRAUDE.
i L. 4, Cod. Quis bonis redere possunt.
�328
TRAITÉ DU DOD
aucuns jugements, obligations ou autres conventions
parlant contrainte par corps, à tous greffiers, notaires
et tabellions, de les recevoir, et à tous huissiers et ser
gents de les exécuter. Encore que ces actes aient été
passés hors du royaume , à peine de tous dépens , dom
mages-intérêts.
Dès cette époque, la règle générale devint l’exclusion
de la contrainte par corps en matière civile. Elle ne put
être convenue ou prononcée que dans des cas exception
nels, formellement prévus par la loi. Les art. 4, 5 et 7
de l’ordonnance établissent et énumèrent ces exceptions.
Ainsi disparut cette arme si puissante que l’avidité
savait si largement exploiter. La liberté individuelle fut
garantie contre la faiblesse des uns et les exigences im
modérées des autres. Une règle salutaire et juste fut sub
stituée à l’arbitraire de tous.
328. — Le Code civil a, sur tous les points, con
sacré le système de l’ordonnance de 1667. Ainsi aujour
d’hui, comme alors , la contrainte par corps n’a lieu,
en matière civile , que dans les cas qui sont ou seront
prévus par une loi formelle. En l’absence d’une disposi
tion de ce genre, l’art. 2063 fait défense à tous juges de
la prononcer, à tous notaires et greffiers de recevoir des
actes dans lesquels elle serait stipulée , et à tous Fran
çais de consentir de pareils actes , encore qu’ils eussent
été passés en pays étrangers, le tout à peine de nullité,
dépens et dommages-intérêts.
L’art. 2063 va plus loin encore ; même dans les cas
�329
prévus par la loi , la contrainte par corps ne peut être
prononcée que pour une somme s’élevant à plus de 300
francs.
ET DE LA FRAUDE.
529 . — Remarquons que l’art. 2059 , qui com
mande la contrainte par corps pour le stellionat, se tait
sur les autres espèces de dol. Ce silence aurait suffi, en
l’état de la disposition de l’art. 2063, pour faire refu
ser la contrainte. Mais il a été rompu par l’art. 126 du
Code de procédure civile , qui permet au juge de l’or
donner, lorsque les dommages-intérêts dépassent la som
me de 300 fr.
550 . — Cet article modifie sous un triple rapport
l’art. 2 du titre 34 de l’ordonnance de 1667. D’abord,
quant à la sanction de la contrainte par corps, le juge
ment de condamnation doit aujourd’hui la prononcer,
tandis que l’ordonnance obligeait le créancier à la re
quérir quatre mois après le jugement accordant les dom
mages-intérêts, dans les cas prévus.
Ensuite, quant au chiffre de la condamnation, qui de
200 livr. a été porté à 300 fr.
Enfin, quant aux causes motivant la contrainte. L’or
donnance mettait sur la même ligne.les dommages-in
térêts et les dépens, l a loi actuelle garde sur ceux-ci le
plus complet silence, d’où il faut conclure, en vertu du
principe que la contrainte par corps ne saurait exister
que dans les cas formellement prévus par la loi, qu’on
ne saurait la prononcer en matière de dépens, à quel-
�330
TRAITÉ DU DDL
que chiffre qu’ils s’élèvent d’ailleurs. C’est dans ce sens
que la jurisprudence s’est constamment prononcée.'
La Cour de Toulouse a même jugé , le 20 février
1832, que la prohibition ne cesse pas de subsister alors
même que les dépens auraient été adjugés à titre de
dommages-intérêts. L’arrêt considère que les dépens
prononcés par la loi contre la partie qui succombe ont
un caractère spécial qu’on ne peut confondre avec les
dommages-intérêts ; que conséquemment la faculté ac
cordée en ce qui concerne les dommages ne saurait être
appliquée aux dépens, surtout en matière intéressant la
liberté individuelle ; qu’enfm ce serait violer la disposi
tion prohibitive de la loi, si l’on autorisait la contrainte,
parce qu’on aurait qualifié de dommages-intérêts une
adjudication que la loi commande comme indemnité des
frais exposés pour la poursuite d’une action reconnue
fondée , et qu’elle désigne elle-même sous le nom de
dépens.1
331. - La contrainte par corps n’est donc autori
sée que pour les dommages-intérêts proprement dits, ou
soit pour les sommes allouées pour la réparation du
préjudice éprouvé. Doit-on comprendre sous cette dési
gnation la valeur de la chose dont la restitution est or
donnée ?
1 Voy notamment Cass., 17 janvier 1832 et 30 juillet 1833; D. P.
32, 1, 79, et 33, 1, 330.
2 D. P., 32, 2, 139.
�331
On a soutenu la négative sur le motif que l’expres
sion de dommages-intérêts se prend dans l’acception
restrictive et spéciale de ce qui est accordé indépendam
ment du principal. C’est, dit-on, ce qu’enseigne l’article
1630 du Code civil , qui distingue formellement , dans
les cas d’éviction, la restitution du prix des dommagesintérêts que l’acquéreur évincé a le droit d’obtenir ; de
là , ajoute-t-on , cette conséquence qu’on ne peut con
fondre ce que la loi elle-même n’a pas confondu , et
que la contrainte par corps, ne pouvant être appliquée
qu’au paiement des dommages-intérêts, ne saurait être
prononcée pour ce qui concerce la restitution du prix.
Cette opinion , dont la base unique est la disposition
de l’art. 1630, ne nous parait pas devoir être adoptée.
Elle donne à cette disposition une signification que l’es
prit du législateur repousse. Il est vrai qu’il y est fait
mention séparément des dommages-intérêts et de la res
titution du prix. Mais cet état des choses n’a pas d’autre
but que de déterminer l’étendue de la condamnation, en
fixant d’une manière certaine les éléments qu’elle doit
comprendre.
Cet article, d’ailleurs spécial au cas d’éviction , n’est
en quelque sorte qu’une reproduction de l’art. 1149, avec lequel on doit le combiner. Il ne dit, en effet, mais
en d’autres termes , que ce que ce dernier a prononcé
sur les dommages-intérêts en général.
Or, aux termes de sa disposition , les dommages-in
térêts comprennent non seulement le gain dont on a été
privé, mais encore la perte qu’on a pu faire. Quelle peut
ET DE LA FRAUDE.
�332
TRAITÉ DU DOL
être la perte que peut supporter l’acquéreur, soit qu’un
tiers l’évince , soit qu’il obtienne lui-même la rescision
pour cause de dol ? Evidemment, et en première ligne,
le prix qu’il a payé et dont il doit obtenir la restitution,
et si cette restitution n’est pas effectuée , il n’aura pas
réellement reçu la juste indemnité qui lui est due.
Dès lors , pourquoi distinguerait-on entre cette perte
et les pertes accessoires que peut entraîner l’inexécution
du contrat dolosif? N’a-t-elle pas une cause identique?
Pourquoi donc admettre un mode différent de répara
tion ? C’est cependant ce que l’on consacrerait dans l’o
pinion que nous combattons, ce qui aboutirait à un ré
sultat aussi inique que regrettable. En effet, les pertes
occasionnées par l’inexécution du contrat atteindront ra
rement le degré d’importance de celle qui naîtrait du
défaut de restitution du prix. C’est cependant pour les
premières seules que le législateur aurait déployé toute
sa sollicitude. Il serait allé jusqu’à autoriser la contrain
te par corps, tandis qu’il aurait livré la restitution du
prix à toutes les chances que la mauvaise foi pourra
multiplier, et cela au moment même où cette mauvaise
foi est prise en flagrant délit !
Cela ne serait ni juste ni rationnel. L’art. 1630 ne
peut donc le prescrire. Aussi remarquons que cet arti
cle ne dit pas à quel litre la restitution du prix doit être
ordonnée. Or, il suffit qu’elle le soit à titre de domma
ges-intérêts pour que la faculté créée par l’art. 126 du
Code de procédure civile soit ouverte aux magistrats.
Cette interprétation trouve une grave consécration
�333
dans les législations et la doctrine anciennes. Le droit
romain , comme le droit français , a toujours admis la
contrainte par corps pour la restitution du prix , ainsi
que pour les autres pertes résultant de l’inexécution. Cela
pouvait tenir, sous l’empire du premier, aux idées qu’on
s’était créées sur cette voie d’exécution ; mais en Fran
ce, depuis comme avant l’ordonnance de 1667, on n’a
jamais cessé d’enseigner et de pratiquer la même règle;
et ce qui aux yeux des célèbres jurisconsultes de cette
époque devait le faire admettre ainsi , c’est que : Pre
tium rei, et quod inter est, idem sunt.
Si le Code civil a voulu s’écarter de celte règle , il
s’en sera naturellement expliqué quelque part. Or, nous
venons de le voir, non seulement l’art. 1630 ne fait rien
présumer de semblable , mais encore c’est l’intention
contraire qui résulte de l’art. 1149. Ce que celui-ci exi
ge , c’est que les parties soient , après la rescision du
contrat, remises au même état où elles étaient avant ;
c’est que la personne trompée soit indemnisée intégra
lement de toutes les atteintes que le dol a pu porter à
sa fortune. Or , si c’est là le véritable esprit du législateur , il n’y a plus à hésiter. Il n’est plus possible , en
effet, de diviser les éléments de celte indemnité qui
comprend virtuellement la restitution de tout ce qui a
été payé ; et puisque l’indemnité dans son ensemble est
accordée à titre de dommages-intérêts, la contrainte par
corps, autorisée par l’art. 126 , peut être demandée et
ordonnée.
Il est donc encore vrai que pretium rei et quod inteET DE LA FRAUDE.
i
�334
TRAITÉ DU D01
res, idem sunt, peu importe que dans la pratique on établisse une division en réclamant séparément la resti
tution du prix et des dommages-intérêts. Ce mode vi
cieux d’opérer , que nos anciens auteurs reprochaient
aux praticiens de leur temps, ne saurait exercer aucune
influence sur les véritables principes de la matière. Nous
les résumons dans cette proposition déjà consacrée par
la jurisprudence : l’existence constatée du dol entraîne
la nécessité d’une réparation, dont l’exécution peut être
assurée par la contrainte par corps ; cette réparation se
rait incomplète si elle ne comprenait tout ce que le cré
ancier a déjà payé. Le remboursement du prix est donc
un de ses éléments essentiels et doit forcément concou
rir à déterminer le chiffre des dommages-intérêts dont
il fait essentiellement partie.'
352. — Nous avons déjà vu que l’obligation résul
tant du dol , étant indivisible dans sa cause , emporte
l’exécution solidaire entre tous les débiteurs. Mais cette
solidarité n’est pas de plein droit. Il faut que le créan
cier la réclame , que le juge l’ordonne. Si elle n’a été
ni demandée, ni prononcée , le paiement de la somme,
adjugée à titre de dommages-intérêts, tombe sous l’ap
plication des principes ordinaires, c’est-à-dire que, s’a
gissant d’une somme déterminée , l’obligation se divise
par portions égales entre tous les débiteurs.
Cette observation est importante pour l’application à
1 Colmar, 7 avril 1821 ; Sirey, 21, 2, 239.
�335
faire de l’art. 126 du Code de procédure civile. En effet,
la contrainte facultative qu’il autorise est subordonnée
à une condition essentielle , à savoir : que les domma
ges-intérêts atteignent le chiffre de 300 fr. Or , dans le
cas où le jugement ne prononcerait pas la solidarité, il
ne suffirait pas que ce chiffre fût dépassé pour que la
contrainte par corps pût être décernée contre chacun
des débiteurs; elle ne saurait l’être que si la division de
la somme allouée et sa répartition entre les débiteurs
mettaient au moins 300 fr. à la charge de chacun
d’eux. C’est ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour
de Cassation. Un arrêt du 3 décembre 1827 décide, en
termes formels , que le jugement qui condamne deux
individus à 400 fr. de dommages-intérêts , sans leur
imposer la solidarité , ne peut prononcer la contrainte
par corps, puisque les dommages-intérêts, divisibles en
tre les condamnés par moitié , ne s’élèvent pas pour
chacun d’eux à 300 fr.'
Remarquons, dans tous les cas, que la contrainte par
corps , autorisée par l’art. 126 du Code de procédure
civile, n’est jamais un devoir pour le magistrat. La loi
lui accorde la faculté, et ne lui impose pas l’obligation
de la prononcer. C’est ce qui distingue cette hypothèse
des cas prévus par les art. 2059 et 2060, pour lesquels
la contrainte est rigoureusement prescrite.
ET DE LA FKAUDE.
533. — Au surplus , la faculté créée par l’art. 126
1 J. du P., année 1827.
�336
TRAITÉ DU DOL
n’est pas tellement absolue, qu’elle ne comporte aucune
exception. Il est des cas où cette faculté cesse et où, par
conséquent, la contrainte par corps ne saurait être pro
noncée. Ces exceptions sont déterminées par l’âge, l’é
tat, la qualité du débiteur :
1° A g e . — Les mineurs, avons-nous dit, ne sont
pas relevés de leur dol. Ils doivent donc réparer le pré
judice qui en est résulté. Cependant le législateur n’a
pas cru que cette réparation dût aller jusqu’à compro
mettre leur liberté. Il a cru que, même dans leurs écarts,
on devait tenir compte aux mineurs de la faiblesse de
leur âge, de leur inexpérience et de l’irréflexion qui n’est
que trop souvent le mobile de leur conduite. Il les a,
en conséquence, exempté de la contrainte par corps, mê
me dans le cas de stellionat.
De la disposition de l’art. 2064 du Code civil, on a
conclu que puisque le mineur était affranchi de la con
trainte obligatoire , il devait l’être , à plus forte raison,
de la contrainte facultative. En réalité donc , même en
engageant valablement ses biens, le mineur demeure ab
solument incapable d’engager sa personne. Ce principe
est tellement certain en jurisprudence, qu’on a été jus
qu’à décider que la ratification faite par un individu
devenu majeur d’une condamnation avec contrainte par
corps , prononcée contre lui en minorité , est radicale
ment nulle quant à la contrainte.'
i Rouen, 15 novembre 4825: D. P.. 26, 2, 73.
�337
Ce que la raison commandait de faire pour les mi
neurs, l’humanitéexigeait qu’on le fit pour les vieillards.
La loi a donc assimilé les septuagénaires aux mineurs.
Les dommages-intérêts prononcés contre eux ne don
neront lieu à la contrainte par corps que s’ils sont mo
tivés sur un stellionat.
21° E t a t . — Des raisons à peu près analogues à
celles qui militent pour les mineurs , ont fait assigner
aux femmes et aux filles une position spéciale à l’en
droit de la contrainte par corps.
Comme pour les septuagénaires , elles ne peuvent y
être soumises que dans le cas de stellionat. Cette limite,
nettement tracée par l’art. 2066, exclut la possibilité de
prononcer contre elles cette voie rigoureuse dans aucun
autre cas, et notamment dans celui prévu par l’art. 126
du Code de procédure civile.
Cependant, cet article étant postérieur à l’art. 2066,
on s’est demandé s’il n’^vait pas introduit un droit nou
veau applicable aux femmes et aux filles. Mais on a re
connu que le législateur ayant, dans celui-çi , procédé
par voie d’exclusion, avait, par cela même, exempté les
femmes et les filles de la contraite par corps non seu
lement dans tous les cas actuellement prévus, mais en
core dans tous ceux à prévoir par une loi future, à
moins que cette loi ne les y soumit formellement. L’ar
ticle 126 gardant à cet égard le plus complet silence, sa
disposition ne saurait être appliquée aux femmes et aux
filles que dans les limites de l’art. 2066 lui-même.
ET DE.LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
338
3° Q u a l i t é . — Il est des principes tellement
indiqués par la morale publique qu’on ne peut s’em
pêcher de les observer , alors même que par un oubli
fâcheux le législateur ne les a pas formellement consa
crés. L’idée, par exemple, d’accorder au père la faculté
de faire emprisonner son fils, au fils ou au frère d’exé
cuter la contrainte contre son père ou son frère, répu
gnait à toutes les convenances sociales. Aussi, malgré le
silence que les lois régulatrices de la contrainte par
corps , y compris le Code civil , avaient gardé sur ce
point, la tendance de la jurisprudence vers une exception
aussi juste n'avait-elle jamais manqué de se mani
fester.
La loi du 17 avril 1832 a sanctionné cette exception
et comblé la regrettable lacune que laissaient les précé
dentes législations. L’art. 19 défend à l’avenir de pro
noncer la contrainte par corps contre le débiteur : 10 au
profit de son mari ou de sa femme ; 2° de ses ascen
dants , descendants, frères ou sœurs ou alliés au même
degré.
Cette prohibition est générale , elle comprend les cas
de contrainte obligatoire, comme ceux de contrainte fa
cultative , elle s’applique même aux matières commer
ciales.
334. — L’héritier de l’auteur du dol, tenu du paie
ment des dommages-intérêts, ne saurait être contraignable par corps. Personne ne peut aliéner sa liberté
que par un acte ou un fait émané de sa volonté. La res-
�339
ponsabilité de l’héritier ne va jamais jusqu’à encourir
la peine que son auteur avait méritée. Or, la contrainte
par corps , en matière de dol , est une véritable peine.
I/héritier ne peut pas sans doute profiter du dol de ce
lui qu’il représente , mais , étranger à la faute, il doit
rester étranger à toute autre peine qu’à la simple resti
tution par les voies ordinaires.
ET DE IA FRAUDE.
355. — Avant la loi de 4832, la durée de la con
trainte par corps, en matière civile, était illimitée. Ain
si, tandis que le débiteur commercial était libéré par un
emprisonnement de cinq ans , le débiteur d’une dette
ordinaire était obligé d’attendre dans les prisons sa soixante-dixième année , s’il n’obtenait avant sa liberté
par un des moyens prévus par l’art. 800 du Code de
procédure civile.
Cette anomalie étrange , cette sévérité outrée a fait
place à un régime plus humain et plus juste. L’art. 7
de la loi du 45 avril veut que la durée de la contrainte
civile soit fixée par le jugement qui la prononce. Cette
durée varie d’un à dix ans pour la contrainte obliga
toire, d’un à cinq ans pour la contrainte facultative, ou
lorsqu’il s’agit de fermage des biens ruraux , aux cas
prévus par l’art. 2069 du Code civil.
�340
TRA.ITÉ DU DOL
SECTION II.
Dol d a n s le
M ariage,
SOMMAIRE.
336. ■ L'importance et la grandeur do mariage expliquent la pro
tection spéciale dont la loi Ta entouré.
337. Dol nombreux dont il est l’occasion.
338. Que pouvait, que devait faire ls législateur ?
339. Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage.
340. Age des parties contractantes. — Consentement des pa
rents.
341. Les précautions prises à cet égard et la sanction pénale
qu’elles ont reçues ne pouvaient s’étendre au dol des époux ou de leur famille.
342. Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des avantages
conventionnels ou testamentaires. — Questions qui en
naissent.
343. Solutions qu’elles ont reçues dans un arrêt fort remarqua
ble de la Cour d’Aix.
344. Remarques et observations du directeur du Journal du
P a la is .
345. Elles n’infirment en rien l’autorité de l’arrêt et l’applica
bilité de la doctrine.
�ET DE LA FRAUDE.
341
346. En ce qui concerne les époux, il n’y a pas de mariage lors
qu’il n’y a pas eu de consentement spontané et libre.
347. Faut-il appliquer à ce consentement les règles prescrites
par l’art. 1109.
348. Disposition de l’art. 180 ; n’a-t-il eu en vue que l’erreur
sur la personne physique.
349. Arrêts ayant admis des analogies.
350. Opinion conforme de Toullier.
351. Réfutation.
352. Le dol ayant déterminé le mariage ne peut le faire annuler,
mais il pourrait motiver la séparation de corps.
353. La séparation ne saurait être refusée au conjoint ayant épousé par erreur une personne condamnée à une peine
afflictive et infamante.
354. Quid si la peine a entraîné la mort civile ?
355. Délai de l’action en séparation.
356. Le dol exercé sur les conventions matrimoniales produit les
mêmes effets que dans les contrats ordinaires.
357. Impuissance. — Différence entre l’Eglise romaine et fran
çaise, quant à ses effets.
358. A dater du xnm” siècle , l’Eglise romaine elle-même admit
la nullité en principe. — Mais difficulté sur le mode de
preuve.
359. Utilité de ce coup d’œil historique.
360. Justice de la nullité du mariage célébré par l’impuissant.
361. Motifs qui la firent repousser par les auteurs du Code.
362. En est-il de même pour l’impuissance accidentelle ?
363. Opinion affirmative de Toullier.
364. Réfutation.
365. Résumé de la matière.
336. — Le mariage est un des actes les plus im
portants, les plus solennels de la vie. Son but est nette
ment tracé dans les paroles du Gélèbre Portalis le défi-
�é
342
TRAITÉ DU DOL
nissant : La société de l’homme et de la femme qui s’u
nissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des
secours mutuels à porter le poids de la vie, et pour par
tager leur commune destinée.
La grandeur de ce but explique et justifie suffisam
ment la protection spéciale dont le mariage a été l’objet
de la part des diverses législations qui se sont succé
dées, les formes imposantes qui l’ont sans cesse entou
ré. Mais , il faut le dire avec regret , elle n’a pu le dé
fendre contre les manœuvres déloyales qui servent quel
quefois à le préparer.
357. — Il n’est, en effet, aucune matière où le dol
puisse être, et soit plus largement exploité. Ici la sain
teté du lieu n’a pu empêcher qu’il ne devint l'instrument
d’une vile, d’une odieuse spéculation ; là les promesses
les plus séduisantes, les manœuvres les plus hardies pour
donner le change sur l’état de fortune des futurs ; on a
même vu des personnes qui , pour persuader de leurs
ressources, obtiennent et produisent des baux fictifs à l’ai
de desquels des immeubles, en réalité peu importants,
paraissent produire des revenus considérables.
D’autre part , que d’efforts, que de mensonges pour
déguiser la véritable condition des parties contractantes.
C’est sous les dehors de la plus austère piété, de la vertu
la plus sévère , que se cachent la débauche et l’incon
duite. Des forçats, portant sur leur épaule le signe indé
lébile de leur honte, ont osé souiller de leur contact des
familles honorables, au sein desquelles les ont introduits
les plus infâmes artifices.
�343
Eh puis ! le mariage célébré , le voile tombe, la for
tune s’évanouit ; cette parole, dont le doute eût paru une injure pour la famille dans laquelle on va entrer,
n’a été qu’un piège ; les qualités recherchées ont dispa
ru. Restent la confusion , les regrets , et quelquefois la
honte d’un lien qu’on ne cessera de maudire , heureux
encore si un mariage , sortable sous plus d’un rapport,
n’a pas enchaîné la force et la santé à la maladie ou à
l’impuissance ; le vivant au cadavre.
ET DE LA FRAUDE.
538. — Quel parti devait prendre le législateur con
tre de pareilles éventualités ? S’il eût pu obéir aux ins
pirations qu’elles font naître , il n’eût pas hésité à dis
soudre les liens ainsi formés. Mais la matière était trop
grave pour pouvoir permettre d’obéir à ce sentiment équitable et juste. L’importance du mariage, la position
des époux, les conséquences naissant pour chacun d’eux
de sa célébration, tout commandait une salutaire , une
extrême prudence.
Le mariage touche, en effet, aux intérêts sociaux les
plus élevés. 11 est la source des familles qui, suivant l’ex
pression de M. Portalis, sont la pépinière de l’Etat. Sa
célébration , solennisée par la loi civile , est consacrée
par la religion elle-même. C’est sous la double égide des
préceptes humains et sacrés que se place la nécessité de
sa stabilité ; laisser celle-ci flotter au gré des passions
et des événements produits par la mauvaise foi , c’était
autoriser une atteinte à tout ce que l’homme doit res
pecter et honorer.
�344
TRAITÉ DU DOL
D’ailleurs., que , dans les transactions ordinaires , la
loi prononce la nullité du contrat, il lui est facile de re
mettre les parties au même état qu’auparavant. Pouvaitil en être ainsi pour le mariage ? La cohabitation, qui
en a été une conséquence immédiate, n’aura-t-elle pas
pour l'un des époux les effets les plus déplorables? L’é
pouse trouvera-t-elle un autre établissement, à peine
sortie des bras de celui qui l’a délaissée ? C’est donc un
avenir plein de douleurs et de regrets que lui préparait
l’annulation de son mariage. Et puis, si cette cohabita
tion a laissé des traces , quelle sera la position des en
fants à naître de ce funeste lien ? Seront-ils condamnés
ci gémir d’une faute qui leur a été étrangère , eux, or
phelins avant leur naissance, quoique conçus sous l’é
gide d’un lien autorisé par la loi et béni par la religion?
Ehl ce serait souvent pour un intérêt pécuniaire qu’on
irait braver tant et de si graves inconvénients, alors mê
me que le conjoint serait fort innocent de la déloyauté
de sa famille ! Evidemment ce qui aurait été juste pour
l’un des époux, serait devenu pour l’autre une cruauté
injustifiable. Aussi a-t-on préféré, et l’on devait le fai
re, s’arrêter au principe de l’indissolubilité du mariage,
se reposant, d’un côté, sur les précautions que l’intérêt
de chacun commande de prendre avant de le conclure,
et de l’autre sur l’amour du père de famille. Personne,
en effet, ne peut se le dissimuler , déterminer un ma
riage, à l’aide d’un des moyens que nous avons indiqué,
c’est jouer le sort de son enfant sur un coup de dé. Le
désappointement qui naît de la découverte du dol , le
�345
ressentiment que souvent on en éprouve, compromet le
bonheur des époux et trouble la tranquillité du ména
ge. Peut-être est-ce là qu’il faut trouver la cause d’un
si grand nombre de mariages malheureux.
ET DE LA FRAUDE.
539.
Cependant le principe de l’indissolubilité
du mariage a reçu quelques exceptions. Malgré les con
sidérations qui précèdent, le législateur s’est, dans cer
tains cas, prononcé pour l’annulation du lien. Mais,
en examinant chacune de ces hypothèses , on peut se
convaincre qu’un intérêt général et public exigeait une
pareille détermination. 11 n’y a , en effet, nullité que
lorsque le mariage a été contracté contrairement aux
prescriptions relatives à l’âge des parties, à la publicité
de sa célébration, aux consentements requis , aux em
pêchements de consanguinité. Or , le maintien de ces
prescriptions est inconstestablement d’ordre public.
340. — L’Etat ne saurait voir avec indifférence tout
ce qui tient à la reproduction de sa population. Il lui
appartenait donc de régler l’âge auquel on pourra con
sentir un mariage sans préjudice pour lui, sans danger
pour les époux eux-mêmes. Les formes qui entourent
le mariage deviennent le plus sûr garant de l’exécution
de la volonté du législateur, il ne pouvait donc en lais
ser l’observation au gré des caprices des parties. Enfin,
son devoir le plus impérieux était de veiller à ce que
des unions contractées contre le vœu du père de famille
ne vinssent point fouler au pied les droits de la puis-
�346
TRAITÉ DU DOL
sance paternelle et d’empêcher celles que la nature ré
prouve et que la morale condamne.
Or , comment obtenir ce résultat autrement que par
une sanction pénale énergique contre ceux qui auraient
contrevenu aux dispositions prises à cet effet? La nultéli du mariage a donc été sanctionnée. Mais que de
précautions pour rendre en quelque sorte impossible
cette pénalité ! Qu’on jette un coup d’œil sur les de
voirs imposés à l’officier public , sur les justifications
qu’il doit exiger avant de procéder à la célébration , et
dont la violation ou l’oubli est de nature à être puni
d’une peine corporelle. En faisant de ce fonctionnaire
le complice obligé des contraventions commises par les
époux , la loi a , par cela même, rendu ces contraven
tions fort difficiles. Aussi voyons-nous que si les tribu
naux ont eu quelquefois à les réprimer, c’est qu’il s’a
gissait de mariages célébrés à l’étranger et souvent dans
l’unique but de se soustraire aux exigences de la loi
française.
La loi a donc été conséquente au but que nous avons
indiqué , à savoir : de laisser au mariage ce caractère
d’indissolubilité et de stabilité qui en est l’essence. Si
des raisons graves l’ont déterminée à admettre quelques
exceptions, elle ne l’a fait qu’après avoir confié à ses agents la faculté et le devoir de prévenir la réalisation
des faits qui les constituent, et rendu ainsi sinon tout à
fait impossibles, du moins extrêmement rares les occa
sions d’appliquer la peine réservée à ces exceptions.
�347
345. — Mais contre le dol des époux , de leur fa
mille, la loi ne pouvait prendre aucune précaution. Aussi
n’a-t-elle voulu le punir que dans des limites extrême
ment bornées. C’est ce dont nous allons nous convain
cre en parcourant les diverses hypothèses dans lesquel
les ce dol peut se réaliser.
ET DE LA FRAUDE.
342. — Avant d’entrer dans l’examen des effets du
dol dans la préparation et dans la célébration du ma
riage, nous devons parler d’un cas dans lequel le mari
age n’est qu’un moyen dolosif pour acquérir des avan
tages conventionnels ou testamentaires dépendants de
son existence.
Exemple : Paul a légué à Pierre une somme plus ou
moins importante, à condition qu’il se mariera. Pierre,
désireux de cumuler les douceurs du célibat et les pro
fits du legs, contracte un mariage. Ce mariage a toutes
les formes extérieures requises. Cependant, au fonds, il
n’a rien de réel. Concerté entre les deux prétendus époux , il est aussitôt rompu que formé et ne reçoit au
cune exécution. Cependant Pierre, prétendant' avoir rem
pli la condition exigée , demande la délivrance de son
legs. Cette demande doit-elle être accueillie ?
Cette hypothèse , qui parait purement imaginaire,
s’est cependant présentée, ainsi que nous allons le voir.
Elle offre à décider la question de savoir si des tiers
peuvent quereller de simulation un mariage non attaqué
par les ayant-droit et si, en supposant l’affirmative, les
tiers sont dans l’obligation d’en faire prononcer la nul-
�348
TRAITÉ DU D01
lité pour se refuser â remplir la convention subordon
née à son existence.
543. — La solution de ces deux questions se trou
ve consacrée dans l’espèce suivante , jugée par la Cour
d’Àix, le 4 mars 1813 :
« En 1753, testament de Nicolas-Thomas Ardizzoni,
avocat à Taggio, en Ligurie , par lequel il lègue l’usu
fruit de ses biens à sa femme, en la chargeant de con
stituer à ses filles, non encore mariées, une dot conve
nable et, au surplus, institue pour son héritier Jean Ar
dizzoni, son fils, médecin.
» 11 faut observer que , suivant les lois liguriennes,
la dot, constituée aux filles par testament, ne leur était
acquise que par leur mariage ; à défaut de mariage, el
les n’en avaient que l’usufruit et le fonds demeurait pro
pre aux mâles.
» En 1765, la veuve Ardizzoni fit aussi son testa
ment, par lequel elle institua pour son héritier le même
Jean Ardizzoni , son fils; e t, en vertu des pouvoirs à
elle donnés par son mari , elle constitua à chacune de
ses filles, Jeanne et Brigitte , non encore mariées , une
dot de 5,000 fr., argent de Gênes hors banque , dont,
au cas où elles ne se marieraient pas, elle leur interdit
la disposition au profit de tout autre que leur frère ou
ses héritiers , sauf une somme de 200 fr. pour le salut
de leur âme. Cette disposition fut approuvée le même
jour par Jean Ardizzoni, héritier institué.
» Celui-ci fit aussi son testament en 1768. Il légua
�349
l’usufruit de ses biens à sa femme et à Brigitte, sa
sœur , institua ses trois fils ses héritiers , ordonna que
sa femme et sa sœur demeureraient avec ses enfants, à
peine de déchéance de l’usufruit légué , e t, en cas de
mariage de l’une ou de l’autre, ou de leur séparation
d’une manière quelconque d’avec ses enfants, il les ré
duisit à leur dot respective.
» Jean Ardizzoni a survécu longtemps à son testa
ment. En 1791, il souscrivit une obligation sous seing
privé d’une somme de 300 fr. au profit de Jeanne , sa
sœur, alors veuve d’un sièur Boëri, et celle-ci est morte
après avoir fait un testament par lequel elle avait insti
tué pour son héritière Brigitte, sa sœur.
» Jean Ardizzoni n’est décédé qu’en 1795. Deux ans
après, Brigitte a quitté ses neveux , au moyen de quoi
elle a perdu la portion de l’usufruit qui lui était léguée
et s’est trouvée réduite aux seuls intérêts de la dot, car,
n’étant pas mariée, elle ne pouvait en exiger le fonds.
» Pour vaincre cet obstacle , voici à quel moyen elle
eut recours :
» Le 29 octobre 1798 , il fut célébré ou il parut se
célébrer un mariage entre Brigitte et un nommé LucAdmiranti, mendiant de profession. Cet homme était alors
malade dans un hôpital. Il fut représenté à la célébra
tion par un sieur Carli, prêtre , en vertu d’une procu
ration portant , outre ce pouvoir , une cession de droit'
ainsi conçue : « Et comme ledit Admiranti ne veut pas
se mêler du recouvrement de la dot, droits dotaux et
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DDL
350
legs pieux qui compétent à la future, il cède et trans
porte audit sieur Carli , présent et acceptant , tous les
droits, raisons et actions qui lui compétent ou peuvent
lui compéter, soit à l'égard de ladite dot, soit à l'égard
desdits droits dotaux et legs pieux , en le subrogeant à
sa place en ses droits et en le constituant, par procura
tion, son procureur : u l \ ro t u m e t o u m l i b e r a t a n q u a m u t a l t e r e g o , en sorte
qu'on ne puisse lui opposer le défaut d’aucun pou
voir. »
» Il parait constant que Brigitte n’a jamais vu son
prétendu mari, qui a continué son métier de mendiant
et qui est mort en 1800.
» Les choses sont restées en cet état jusqu’en 1807,
époque à laquelle Brigitte , se disant veuve Admiranti,
fait assigner ses neveux au tribunal de première instan
ce de San-Remo pour se voir condamner à lui payer :
1° la somme de 5,000 fr., monnaie de Gênes, avec in
térêts ; un trousseau ou sa valeur ; 2" la portion de l’u
sufruit à elle léguée par son frère depuis le 7 mars 1795
jusqu’au jour de son mariage ; 3° 1,600 fr. qui res
taient dus sur la dot de sa sœur Jeanne, dont elle était
héritière instituée ; 4° les 300 fr. à elle dus suivant le
billet souscrit à son profit par le défunt Jean Àrdizzoni.
» Ses neveux l’ont soutenue non recevable sur tous
les chefs. Ils ont surtout révoqué en doute le mariage ;
mais elle a rapporté l’acte de sa célébration, ils l’ont alors querellé de simulation et de fraude. Condamnés en
�ET DE LA FRAUDE.
351
première instance , ils émirent appel et reproduisaient
devant la Cour les moyens repoussés par le Tribunal.
» Au système de simulation et de fraude dans le ma
riage , l’intimée répondait : On ne peut contester un
mariage célébré dans les formes prescrites par les lois
du pays où il a été contracté; le soutenir simulé sans
l’arguer de nullité, c’est une contradiction... La coha
bitation des époux n’est pas essentielle au mariage; c’est
un contrat qui se forme par le seul consentement, et le
défaut par les parties d’accomplir les obligations qu’il
impose n’annule ni n’altère le lien qui n’en existe pas
moins. En dernière analyse , le mariage est un acte de
l’état civil qui ne peut être simulé ni querellé comme
tel. Il suffit qu’il existe et qu’il soit prouvé par écrit,
pour réaliser la condition des libéralités faites dans le
cas où il y aurait mariage. »
Ces prétentions , combattues par l’éloquent Manuel,
furent rejetées par la Cour. L’arrêt qui intervint décida,
contrairement à ce qu’avait admis le premier juge,
qu’un mariage peut, sans être annulé, être déclaré frau
duleux et simulé , et, comme tel , incapable de donner
ouverture aux avantages testamentaires ou convention
nels dont il a été la condition. Voici, en droit, les mo
tifs de cet arrêt : ■
« Considérant que dans le statut ligurien les dots des
filles leur tenaient lieu de tous les droits et pouvaient
être grevées de toutes charges par le constituant ; que
celle réclamée par la veuve Àmiranti devenait propre à
�352
TRAITÉ DU DOL
ses neveux dans le cas où elle garderait le célibat, sauf
la réserve de 200 fr. pour le salut de son âme ; que la
partie de l’usufruit léguée à ladite veuve par son frère,
et qui devait cesser dans le cas où elle quitterait ses ne
veux ou se marierait, ne l’a point affranchie de la con
dition qui lui était imposée par la mère commune , ni
pu lui donner la propriété de. sa dot, assurée à ses ne
veux dans le cas où elle ne se marierait pas ; qu’il res
te donc à examiner si cette condition a été remplie.
» Considérant qu’il faut distinguer la validité du
contrat et son efficacité ; que les appelants seraient non
recevables à contester la validité du mariage de leur
tante dès l’instant qu’il est régulier ; mais ils peuvent
avec succès lui refuser l’efficacité quant à la condition
pour laquelle il était nécessaire , lorsqu’on en excipe
contre eux ; que c’est un principe de droit commun
qui était en vigueur dans la ci-devant Ligurie , que
contractus imaginarii juris vinmlum non oblinent , surtout à l’égard des tiers dont ces contrats si
mulés blessent les intérêts ; que bien loin que cette rè
gle soit étrangère aux mariages et aux divorces, elle est
au contraire appuyée sur divers textes des lois romai
nes. La loi 30 , Dig. De rit. nupt., a dit : Simulalœ
nuptice nullius sunt momenli ; la loi Si fliu s, Dig.
De divortiis , porte aussi : lmaginaria répudia et
simulata nullius sunt momenti ; la raison en est don
née par la loi 3 , Dig. De divortiis, c’est qu’il n’y a
pas intention de réaliser une séparation éternelle, tout
comme il n’y a pas réellement mariage , là où les deux
�353
époux n’ont pas eu l’intention de s’unir pour tou
jours.' »
344. — M. Ledru-Rollin se demande, à la suite de
cet arrêt, pourquoi , sous la législation qui nous régit,
un mariage ne pourrait pas, comme tout autre acte, être déclaré dolosif ou frauduleux , si les circonstances
prouvent que les parties n’ont pas eu réellement l’in
tention de s’unir et de vivre ensemble dans la société
conjugale ; si elles établissent que les formes et les cé
rémonies n’ont véritablement été qu’une comédie, qu’u
ne feinte employée pour faire arriver ostensiblement la
condition d’un legs, d’une donation ? N’est-il pas clair,
poursuit ce jurisconsulte, que dans ce cas l’intention du
testateur ou du donateur n’a point été remplie, que le
fait prévu n’est pas réellement arrivé et qu’on n’a eu
d’autre but que de profiter de la libéralité, en trompant,
en éludant la condition ? Pourquoi alors, sans déclarer
le mariage nul , ne pourrait-on pas le priver de l’effet
qu’on a voulu lui faire produire par fraude ?
D’un autre côté , continue 31. Ledru-Rollin , com
ment ne pas être effrayé des dangers que peut présen
ter l’investigation nécessaire à laquelle les juges devront
se livrer de la vie intime des deux époux , des causes
qui auront pu donner naissance au mariage et motiver
ensuite une séparation ? N’est-il pas à craindre qu’à
l’intention présumée des contractants , les juges ne
KT DE LA FRAUDE.
i Journal du palais, tom xi, pag 479.
I
23
�354
TRAITÉ DU DOL
substituent leurs propres passions et même leur opi
nion ?
345. — Quelques puissantes que soient ces derniè
res considérations, elles ne nous para ssent pas de na
ture à faire résoudre la difficulté dans le sens contraire
à celui de l’arrêt que nous venons de transcrire. Cha
cun a le droit de se mettre à couvert du dol de quel
que manière qu’il se manifeste , fût-ce même par un
mariage , et de là naît , pour le magistrat, le devoir et
l’obligation de le réprimer partout où il le découvre.
Dans toutes les hypothèses, en effet, le préjudice est le
même pour celui qui doit en souffrir. Lui refuser, dans
tel ou tel cas, la réparation qui lui est due, ce serait le
punir de l’excès de précaution déployé par son adver
saire et consacrer une injustice flagrante.
Qu’on veuille bien le remarquer d’ailleurs, les consi
dérations qui militent en faveur de l’indissolubilité du
mariage, ne peuvent, dans ce cas, subir aucune attein
te. 11 est, en effet, entendu que non seulement le ma
riage ne sera pas annulé , mais encore que toute atta
que contre sa validité serait irrecevable. Celui-là donc
qui aurait contracté un lien honteux pour acquérir par
des voies illégitimes un avantage quelconque, resterait à
tout jamais sous le joug qu’il se serait forgé. Il suffit
aux tiers intéressés de faire prononcer que cet acte sera
sans effet contre eux pour conserver la possession des
biens qu’on voulait leur arracher.
Le juge ne doit donc pas hésiter, lorsque, à l’aide des
�355
moyens que la loi lui donne, il a acquis la conviction
de la simulation du mariage, à protester énergiquement
contre ce dol ; e t, tout en respectant le mariage, à le
priver de l’effet qu’on a voulu lui faire produire. Telle
est aussi l’opinion de M. Ledru-Rollin , et , ce qui le
prouve , c’est l’adhésion entière qu’il donne à l’arrêt de
la Cour d’appel d’Aix; il ne l’approuverait certes pas s’il
croyait qu’il renferme une violation de la loi qui nous
régit.
Il est vrai que les magistrats qui l’ont rendu invo
quent soit le statut ligurien , soit les textes de la loi ro
maine , mais ils ne cherchent dans le premier que les
principes sous l’influence desquels on devait ranger les
droits de la demanderesse sur sa dot, droits qui s’étaient
ouverts avant la promulgation du Code civil , et dans
un pays alors étranger ; ils ne demandent au second
qu’une règle d’interprétation de la volonté de notre lé
gislateur, lequel, ayant virtuellement consacré le prin
cipe que les contrats simulés ne peuvent produire aucun
effet contre les tiers, s’est par cela même, et quant aux
conséquences de ce principe , approprié les dispositions
du droit romain relativement au mariage.
Nous conviendrons sans peine que , dans l’applica
tion, le système consacré par l’arrêt offrira beaucoup de
difficultés. Indépendamment de celles que présente tou
jours un procès en nullité pour dol, on en rencontrera
bien d’autres lorsqu’il s’agira d’apprécier si un mariage
est ou non simulé , mais la prudence des magistrats
saura dans tous les cas faire bonne et exacte justice. Ils
ET DE LA. FRAUDE.
�356
TRAITÉ DU DOL
ne perdront jamais de vue que la preuve même de la
simulation ne saurait être admise que lorsque son exis
tence est rendue vraisemblable par un ensemble de faits
significatifs comme l’étaient ceux de l’espèce jugée par
la Cour d’Aix. Il ne suffirait donc pas que le mariage
eût été suivi d’une séparation immédiate des deux époux , il faudrait en outre que les antécédents, que la
position des parties vinssent indiquer le véritable carac
tère de cette séparation , et prouver ainsi le concert des
deux époux et conséquemment la simulation du ma
riage.
546. — En ce qui concerne les époux eux-mêmes,
il n’y a de mariage valable que celui qui est librement
consenti par chacun d’eux. L’art. 146 du Code civil as
signe au mariage le caractère que lui reconnaissait la
loi romaine : Nuptias non concubilus, sed consensus
facit.'
Il n’y a donc réellement de mariage s’il n’y a pas,
de la part de chacune des parties, un consentement éclairé, spontané et libre.
547. — Faut-il appliquer au mariage la disposi
tion de l’art. 1109 et décider la nullité lorsque le con
sentement n’a été donné que par erreur, ou lorsqu’il a
été surpris par dol, ou extorqué par violence ?
En droit commun, le consentement vicié par une de
�357
ces circonstances est jugé incapable de créer un lien obligatoire. Si donc il fallait examiner l’art. 146 , sous
l’influence de ce droit, la question que nous avons po
sée devrait se résoudre par l'affirmative.
Mais ici se présentaient les considérations que nous
avons déjà rappelées et qui plaçaient le mariage dans
une catégorie spéciale et exceptionnelle. Nous n’avons
pas à nous occuper de la violence dont l’effet est pour
le mariage le même que pour tous les autres contrats.
Mais pour ce qui concerne l’erreur , soit accidentelle,
soit produite par le dol, nous trouvons l’exception par
faitement établie par l’art. 180 du Code civil. Cet arti
cle, en effet, amène à cette conséquence que le mariage
ne peut être annulé pour cause d’erreur que lorsqu’il
y a eu erreur dans la personne.
La valeur de ces expressions n’était pas douteuse sous
le droit ancien. L’erreur dans la personne ne s’enten
dait que de l’erreur sur la personne physique. Il n’y avait donc nullité que lorsque celle qu’on avait épousée
n’était pas celle que l’on voulait épouser.
Toute autre erreur sur les qualités civiles du conjoint
ne produisait aucun effet. C’est ainsi que des mariages
contractés avec des individus morts civilement avaient
été validés par les Parlements.'
Cette interprétation rendait exactement la pensée du
législateur. Notre ancien droit en effet ( et on lui en a
ET DE LA FRAUDE.
i Pothier, n°« 308, 313.
�358
TRAITÉ DU DOL
fait souvent le reproche) s’était, le plus possible, inspi
ré du droit canonique. Or celui-ci était, sur notre ma
tière, on ne peut plus clair et plus explicite.
Nous lisons en effet dans la compilation de Pirrhing,
lib. iv, tit. i, De sponsalibus et matrimoniis, art.C Lx:
Error circa substantiam personce, jure nalurœ reddit
irritum matrimonium, ut si quis putans se contrahere
cum Anna , contraint cum Barbara. Art. clxii : Error
circa qualitatem personce, et si det causant contractui,
et proveniat ex dolo alterius contrahentis, non irritât
per se matrimonium. Proinde cum non impediat consensum substantialern circa personam , et materiam et
substantiam contractus, non vitiat matrimonium.
5 f8 . — L’art. 180 a-t-il voulu consacrer la même
doctrine ? Le doute naît de la discussion que l’art. 146
subit au Conseil d’Etat. Dans le projet primitivement
présenté , cet article était ainsi conçu : « Il n’y a pas
de mariage sans consentement ; il n’y a pas de consen
tement s’il y a eu violence, s'il y a eu erreur dans la
personne que l'une des parties avait eu l’intention d’é
pouser. Cette rédaction ayant été rejetée, on a voulu en
conclure que l’art. 146 se référait explicitement à l’ar
ticle 1109. On concluait surtout à une dérogation aux
anciens principes, de cette circonstance que la Cour de
Cassation, trouvant l’expression personne beaucoup trop
vague , avait demandé qu’on y substituât celle d'indi
vidu. Or, celte substitution , qui réellement inspirait la
pensée d’une erreur physique, ayant été rejetée, il s’en
�359
suivrait, a-t-on d it, que le législateur n’a pas voulu
borner à celle-ci la nullité du mariage.
Mais les mots retranchés dans l’art. 146 se retrouvent
dans l’art. 180; et , malgré que l’amendement de la
Cour de cassation n’ait pas été consacré , cet article a
été interprété, par l’orateur du Gouvernement, dans
le sens des anciens principes.
« L’erreur dans le mariage, disait Portalis, ne s’en
tend pas d’une simple erreur sur les qualités, la fortune
ou la condition de la personne à laquelle on s’unit,
mais d’une erreur qui aurait pour objet la personne
même. Mon intention déclarée était d’épouser une telle
personne ; on me trompe, ou je suis trompé par un sin
gulier concours de circonstances, et j’en épouse une au
tre qui lui est substituée à mon insu et contre mon gré;
le mariage est nul.' »
Il résulte évidemment de ces explications , que sous
l’empire de l’art. 180 , toutes les fois que la personne
que l’on a épousée est bien celle que l’on a cru et voulu
épouser, le mariage est inattaquable , alors même que
cette volonté eût été déterminée par une erreur née des
circonstances ou inspirée par le dol sur la véritable con
dition , sur les mœurs , la fortune , la qualité de cette
personne. Ainsi celui qui, croyant s’unir à une femme
vertueuse , a épousé une infâme prostituée ; celle qui,
croyant se donner à un homme honorable, aurait épouET DE LA FRAUDE.
i
E xposé des m otifs.
�360
TRAITÉ DU DOL
sé un forçat, ne saurait faire prononcer la nullité du
mariage.'
349. — Telle est, positivement, la rigueur du prin
cipe. Cependant quelques Cours d’appel s’en sont écar
tées. Ainsi, celle de Colmar a jugé, le 6 décembre 1811,
qu’on pouvait considérer qu’il y a erreur dans la per-sonne capable d’emporter la nullité du mariage , lors
qu’une catholique a épousé un ci-devant moine profès
dont la qualité lui a été célée. De son côté , la Cour de
Bourges a décidé, le 6 août 1827, qu’un mariage peut
être déclaré nul, lorsque l’un des contractants, par suite
de faux ou de manœuvres frauduleuses, a pris lin nom
de famille ou des qualités qui ne lui appartenaient pas,
si d’ailleurs cette double circonstance a été pour l’autre
époux la cause déterminante du mariage."
Ce premier de ces arrêts applique au tnariage les
principes généraux en matière de consentement ; le se
cond excipe du rejet de la substitution du mot individu
à celui de personne pour en induire que la loi laisse à
l’appréciation du magistral les circonstances constituant
l’erreur sur la personne ; il admet que cette erreur existe
lorsque les manœuvres qui l’ont déterminée ont été la
cause efficace du mariage ; en d’autres termes, la Cour
de Colmar se décide par l’art. 1109 , celle de Bourges
par l’art. 1116, l’une et l’autre ne voient ainsi dans le
1 Ainsi jugé en 1838 par le Tribunal civil de la Seine.
2 J. du P., années 1811, 1827.
�361
mariage qu’un contrat soumis au droit commun en ma
tière de consentement et de dol.
ET DE LA FRAUDE.
350. — C’est là, à notre avis, une violation mani
feste de l’art. 180. Cependant ces arrêts ont rencontré
des approbateurs. Un de nos plus éminents jurisconsul
tes, M. Toullier, a même érigé leur système en doctri
ne. Prouvons que celte doctrine ne saurait être admise
et nous justifierons par là même les reproches que nous
faisons à ces deux arrêts.
351. — M. Toullier refuse à l’art. 180 le sens que
lui donnait M. Portalis lui-même; il n’y a pas d’exem
ple, dit-il, d’un mariage contracté par erreur sur l’in
dividu ou sur la personne physique , car, lorsqu’on se
présente devant l’officier de l’état civil pour se marier,
on agrée la personne physique qu’on a devant les yeux.
Conséquemment, réduire la règle à l’erreur sur la per
sonne physique ou sur l’individu , ce serait l’anéantir
presque totalement. L’erreur ne peut guère tomber que
sur la personne morale ou sociale , c’est-à-dire sur les
qualités qui la constituent.
Cependant M. Toullier reconnaît que l’erreur sur la
condition ou le rang qu’une personne tient dans la so
ciété , sa fortune , ses mœurs, son caractère, enfin, sur
son état civil, sa-patrie, son nom, sa famille, alors mê
me qu’elle serait le résultat du dol personnel de l’époux,
n’annulerait pas le mariage , car , dit-il, il n’est pas
présumable que les époux aient fait de ces qualités une
condition irritante du mariage.
�362
TRAITÉ DU DOL
« Mais, continue M. Toullier, l’erreur sur la qualité,
sur le nom, sur la famille, peut quelquefois dégénérer
en erreur sur la personne ou, comme disent les auteurs,
renfermer l’erreur sur la seconde ; elle peut aussi être
produite par le dol personnel de l’un des conjoints et
être telle qu’il est évident que sans ces manœuvres le
mariage n’eût point été contracté.
» Ainsi, l’erreur sur la qualité renferme erreur sur
la personne lorsqu’il parait par les circonstances que
c’est la qualité seule qui a déterminé la volonté de l’au
tre époux ; que cette qualité était une condition tacite,
sans laquelle le mariage n’eût pas été contracté, ce qui
nepeutguève arriver qu'à l'égard d’une personne in
connue de l'autre époux avant le temps de la célébra
tion du mariage. »
Ces derniers mots de M. Toullier renferment la réfu
tation de son système , car ils indiquent nettement que
ce qu’il appelle erreur sur la qualité n’est pas autre
chose que Terreur sur la personne , ainsi que nous al
lons le prouver. S’il fallait l’entendre autrement, on de
vrait arriver à une conclusion contraire à celle que M.
Toullier a tirée.
Le vice de cette dernière est de substituer à la règle
invariable, que la loi a tracée dans l’art. 180 , l’appré
ciation nécessairement variable du magistrat ; c’est en
suite de donner à cette appréciation les éléments que
l’art. 1116 impose pour le cas de dol aux contrats or
dinaires.
Or, nous l’avons déjà dit, s’il fallait examiner le ma-
�363
riage sous l’empire absolu de cette disposition, on arri
verait à la nullité dans presque tous les cas d’erreur. Il
est difficile, en effet, que dans cette matière l’erreur n’ait
pas été produite par le dol. Comment persuader que
l’on est riche sans invoquer des titres justificatifs , sans
les produire ? Comment s’attribuer un nom qui ne vous
appartient pas, une position sociale à laquelle on n’a
aucun droit, si des pièces fabriquées ne venaient pas
ostensiblement justifier cette usurpation ? C’est donc par
le faux qu'on arrivera à tromper ; n’y eût-il qu’un
mensonge , qu’on se trouverait encore en présence de
circonstances telles , que le dol serait incontestable. Le
dol n’existe-t il pas lorsqu’on dissimule, dans le dessein
de tromper ? Qui insidiose dissimulât.
Si donc il fallait s’en référer aux principes généraux,
l’erreur n’étant, dans toutes ces hypothèses, que le ré
sultat du dol, le consentement qu’elle aurait déterminé
serait frappé d’incapacité , et le mariage qui en aurait
été la conséquence devrait être annulé. Le contraire est
cependant enseigné par iM. Toullier lui-même. Ne nous
apprend-il pas, en effet , que le lien est indissoluble,
quoiqu’on ait épousé une roturière la croyant noble, une fille pauvre la croyant riche , une prostituée qu’on
croyait vertueuse ? Quoiqu’on ait été trompé , par un
dol personnel, sur le nom, la famille, la patrie du con
joint qu’on s’est donné ?
Quelle sera donc la qualité sur laquelle l’erreur de
viendra erreur sur la personne? Les diverses hypothèses
qui viennent d’être rappelées les comprennent toutes.
ET DE LA FRAUDE.
�364
TRAITÉ DU DOL
Aussi M. Toullier admel-il que ce soit l’une d’elles, mais
à condition que la qualité sur laquelle elle a porté soit
telle que la supposition ait été la cause déterminante du
mariage.
Mais cette condition se rencontre précisément dans
les cas pour lesquels M. Toullier admet l’indissolubilité
du lien. Certes l’époux qui demande la nullité du ma
riage pour cause d’erreur, et à qui Ton reprocherait de
n’avoir pas fait , de l’existence de la qualité supposée,
une clause irritante du mariage, répondrait avec raison
que la preuve du contraire se trouve dans sa demande
même ; que la qualité alléguée Ta tellement déterminé
à conclure , que son absence lui fait demander la rup
ture du lien qu’il a formé dans la fausse persuasion de
son existence. Comment, ajouterait-il, puis-je vous con
vaincre, que la connaissance de la vérité m’eût empêché
de traiter , d’une manière plus énergique qu’en récla
mant d’être exonéré de l’engagement né de Terreur
dans laquelle on m’a jeté ?
Au fonds, cette prétention ne serait pas aussi futile
qu’on pourrait le croire. Il est sans doute des cas où
la vérité , connue avant le mariage , n’aurait peut-être
pas empêché sa célébration. Ainsi on peut admettre que
celui qui a épousé une roturière la croyant noble, une
veuve la croyant fille , n’aurait pas renoncé aux autres
avantages que son union lui p ro m ets’il eût connu la
vérité sur la qualité de sa future. Mais il est d’autres
hypothèses où les plaintes de l’époux auront toute la
force d’une démonstration.
�ET DE Là FRAUDE.
363
Une personne se donne un nom et se présente com
me appartenant à une famille très-honorable et occu
pant une position très-élevée. Déterminé par les avan
tages que je dois trouver dans les relations que le ma
riage va amener entre cette famille et moi , je préfère
cette personne à d’autres partis plus avantageux sous
plusieurs autres rapports. Dira-t-on que , si j’avais su
que mon conjoint était étranger à cette famille, je n’en
eusse pas moins contracté ce mariage ?
Si le mariage n’a été que la conséquence de la for
tune prétendue de l’un des conjoints, devra-t-on présu
mer que celui des deux qui a été trompé ne l’aurait pas
moins contracté , alors que , peu fortuné lui-même , il
serait dans l’impossibilité de faire face aux charges que
ce mariage entraîne ?
Enfin la présomption que l’on n’a pas fait de la qua
lité une condition irritante du mariage , ne sera-t-elle
pas une injuste et amère dérision pour cet époux hono
rable qui s’est uni à une prostituée impure , lorsqu’il
croyait épouser une femme vertueuse ? Pour l’épouse
qui , dans la persuasion d’unir son sort à celui d’un
honnête homme , se sera associé à l’infamie d’un hom
me flétri par la justice et à peine sorti ou échappé du
bagne où l’avaient conduit ses crimes? Peut-il exister,
pour une famille vertueuse, pour un homme d’honneur,
une plus cruelle déception ? N’est-il pas mille fois cer
tain que la connaissance de la vérité eût apporté au ma
riage l’obstacle le plus invincible ? Voilà donc au moins
une hypothèse qui réalise la condition exigée par M.
�366
TRAITÉ DU DOL
Toullier , et cependant lui-même enseigne que dans ce
cas le mariage est indissoluble.
Il y a donc , dans le système que nous combattons,
une véritable contradiction qui en prouve le peu de
justesse. Oui, le dol qui a été la cause déterminante du
contrat est une cause de nullité dans les actes ordinai
res de la vie. Mais ce principe reçoit une exception for
melle pour le mariage, et, ce qui motive celte exception,
c’est la nature exceptionnelle de ce contrat, son impor
tance ; c’est que son indissolubilité est commandée par
l’ordre public, l’intérêt de l’état, par la morale et la re
ligion.
Eh puis ! ce qui devait encourager le législateur à
l’admettre ainsi , c’est que , dans le cas d’erreur dont
nous nous occupons , s’il y a dol d’un côté, il y a de
l’autre une imprévoyance marquée, une légèreté blâma
ble. Pourquoi a-t-on ajouté une confiance aveugle à
des allégations intéressées ? N’est-ce pas au moment de
s’enchaîner pour toujours qu’il convient de pousser jus
qu’à ses dernières -limites cette prudence dont la loi fait
dans tous les cas un devoir? Or , bien souvent, si on
avait pris avant le mariage toutes les peines qu’on se
donne après pour parvenir à le faire annuler , on se
serait mis dans le cas de n’avoir pas à recourir à çe
moyen extrême.
Prenons , pour exemple de la vérité de nos paroles,
l’espèce jugée par la Cour de Bourges. Il s’agissait là
d’un aventurier qui prenait la qualité de baron, qui se
disait issu d’une famille honorable et qui avait été a-
�367
gréé , sur la production des pièces fausses justifiant ses
allégations. Après le mariage , il disparait. Alors on va
aux renseignements , et l’arrêt nous apprend lui-même
le résultat qu’ils avaient amenés.
« Considérant : 1° que l’acte de naissance et celui
de notoriété , desquels le prétendu Joseph Ferry était
porteur, le disaient né à Capoue et fils du baron Fran
çois Ferry et dame Marie Pozzi, mais qu’aucune famille
de ce nom n’a existé et n’existe encore dans cette ville ;
qu’il y est dit baptisé le 10 juin 1785 à Ste-Marie-Majeure de Capoue , mais que les registres baptismaux de
cette paroisse font foi qu’il ne s’y trouve nulle naissan
ce de ce nom et de celte origine; que cet acte de nais
sance , délivré le 5 décembre 1810 , est signé par un
sieur Bozetli, dit curé de St8-Marie-Majeure, mais qu’il
n’y a jamais eu de curé de ce nom , tous lesquels faits
sont attestés par les autorités du lieu dans les formes
légales, etc.......... »
N’est-il pas évident que si les démarches tentée pour
faire prononcer la nullité du mariage avaient été ac
complies avant sa célébration , elles eussent abouti au
même résultat, et que l’aventurier démasqué aurait été
honteusement chassé? 11 y avait donc, dans la confian
ce aveugle qui avait accueilli ses paroles et ses litres,
une imprudence, une légèreté véritablement remarqua
ble. Elle eût été de nature à empêcher d’être relevé d’un
dol ordinaire , à plus forte raison ne devait-elle pas
produire la nullité du mariage. Celui qui avait été épousé était bien celui qu’on avait eu l’intention et la
BT DE LA FRAUDE.
�368
TRAITÉ DU DOL
volonté d’épouser. L’erreur et le dol qui avaient déter
miné cette volonté ne rentraient pas sous la disposition
de l’art. 180.
Ainsi il ne suffît pas que l’erreur ait été la cause dé
terminante du contrat. Celte circonstance se réalise dans
bien des cas. Si elle devait entraîner la nullité du ma
riage, les précautions prises par le législateur, pour en
assurer l’indissolubilité, seraient impuissantes et vaines.
Il eût été dès lors inutile, en l’état de l’art. 146 consa
crant en principe la nécessité du libre consentement,
d’édicter l’art. 180 et de restreindre l’erreur qui vicie
ce consentement à l’erreur dans la personne.
Vainement M. Toullier prétend-il que borner cette
disposition à l’erreur sur la personne physique , c’est
tracer une règle inapplicable. Nous répondrons d’abord
que le peu de fréquence de son application est précisé
ment ce que le législateur a recherché. La stabilité du
mariage intéresse la famille , l’Etat tout entier. On a
donc voulu, avant tout, lui assurer ce caractère , et si
l’on s’est départi de celte règle , ce n’a été que dans le
cas où tous les efforts de la prudence humaine ne pou
vaient empêcher l’un des conjoints de devenir victime
d’une coupable substitution. Or c’est ce qui se réalise
dans l’hypothèse d’une erreur sur la personne physi
que. •
Nous répondrons ensuite que cette erreur est surtout
possible lorsque les époux étaient inconnus l’un de l’au
tre avant la célébration du mariage. Peu importe que
devant l'officier de l’état civil les époux se soient vus, si
�369
d’ailleurs la substitution a été opérée à l’insu de l’un
d’eux. Ainsi j’accepte pour épouse Jeanne , après avoir
recherché et obtenu la main de Marie. Il y a erreur
dans la personne. Sans doute j’ai vu Jeanne devant
l’officier de l’état civil, mais, dans celle qui se présen
tait ainsi à moi, je ne pouvais voir que Marie, celle que
je devais et que je voulais épouser. C’est donc celle-ci
seule que j’ai épousée sous une autre individualité , et
c’est ce qui rend mon mariage nul.
Mais si , connaissant Marie , j’avais épousé Jeanne
qui m’était présentée, le mariage serait valable. J’ai pu,
en effet, connaître et apprécier la substitution e t, en
consentant à m’unir à celle qui était en ma présence
devant l’officier public , j’ai acquiescé moi-même à la
substitution. Je serais dès lors non recevable à m’eri
plaindre.
Au reste, il est facile de se convaincre que c’est à ces
termes mêmes que se résume M. Toullier. En effet, les
exemples qu’il donne de l’erreur sur la qualité ne sont,
à notre avis, que des espèces d’erreur sur la personne.
Les voici :
« Un prince demande la fille aînée d’un autre prin
ce, héritière de sa principauté. Les parents envoient la
fille cadette et le prince l’épouse , croyant épouser l’aî
née.
» Titius , mon ancien ami et mon parent, établi à
Bayonne , a un fils unique que je ne connais point, et
j’ai une fille. Nous formons le projet de les unir, et ce
projet est arrêté. Mais , sur le point de venir à Rennes
ET DE LA FRAUDE.
i
24
�370
TRAITÉ DU DOl,
pour terminer , mon ami m eurt, et cet événement re
tarde le mariage. Six mois après, arrive un jeune hom
me qui se dit le fils de mon ami et qui vient pour cé
lébrer le mariage arrêté. Il est muni des papiers né
cessaires , le mariage est célébré. L’arrivée du fils de
mon ami, de celui à qui ma fille était promise, décou
vre l'erreur. Il se trouve que- le premier venu est un
fils naturel, né avant mariage et d’une autre femme. Il
a, pour nous tromper, falsifié son état de naissance, en
y substituant les mots fils légitime à ceux de fils na
turel,.' »
Evidemment, dans le.premier cas, ce n’est pas l’er
reur sur la qualité d’héritière qui motive' la nullité du
mariage. Ce qui la détermine c’est que le prince n’a
voulu épouser que l’ainée ; qu’en épousant la cadette,
il a cru épouser l’autre , qu’il est donc victime d’une
substitution de personne. On renverserait l’hypothèse
que le mariage n’en serait pas moins n u l, si le prince
ayant demandé la main de la cadette , on lui faisait épouser l’ainée.
Il n’y aurait réellement qu’erreür sur la qualité si le
prince connaissant celle qu’il épouse , l’avait recherchée
dans la fausse persuasion qu’elle était l’héritière de la
principauté de son père. Mais , dans ce cas , la décou
verte ultérieure de son erreur sur ce point n’amènerait
point, de l’avis de M. Toullier, la nullité du mariage.
C’est aussi une véritable substitution de pétfsonne qui
�371
se réalise dans le second exemple. Promise à une per
sonne qu’elle a agréée , la future n’accepte la personne
qui se présente à elle que dans la persuasion qu’elle
est véritablement celle qu’elle devait épouser. C’est donc,
mais sous une autre individualité , cette dernière seule
envers laquelle elle a entendu et voulu s’engager; et
c’est pourquoi il y a réellement erreur sur la personne,
et conséquemment nullité du mariage. I.e résultat se
rait le même si celui qui a pris une individualité qui ne
lui appartenait pas avait été réellement fils légitime. Il
suffirait qu’il se présentât, non en son propre , mais
comme étant celui à qui la future était promise , pour
qu’il y eût substitution. Ce n’est donc pas la qualité
d’enfant naturel qui fera prononcer la nullité du ma
riage, mais bien le fait de la substitution elle-même.
Ainsi, au fonds , ce que M. Toullier qualifie erreur
sur la qualité, n’est que l’erreur sur la personne. Celleci seule est dans le cas de faire dissoudre le mariage.
L’art. 180 du Code civil s’est donc conformé aux an
ciens principes.
Ce n’est pas sérieusement que M. Toullier ajoute qu’en
donnant à l’époux trompé le délai de six mois pour de
mander la nullité du mariage , le Code parait supposer
qu’il s’agît d’une erreur sur la personne civile, l’erreur
sur la personne physique ou sur l’individu ne pouvant
durer aussi longtemps. Mais M.Toullier ne fait pas atten
tion que ce délai de six mois ne court que de la dé
couverte de l’erreur. Ce n’est donc pas une limite que
la loi ait cru devoir tracer à celte découverte. Ce délai
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOT
372
n’a été accordé que dans l’espérance que , la réflexion
dissipant l’humeur inséparable d’une découverte de ce
genre, l’époux pardonne à celui qui l’a trompé, et que
le mariage devienne dès lors irrévocable.
Il résulte de ce qui précède, que l’arrêt de Bourges et
celui de Colmar ont méconnu les véritables principes et
appliqué inexactement la disposition de l’art. 180.
Nous ne nous dissimulons pas tout ce qu’avait de
grave le motif invoqué par le dernier. La liberté de con
science est un bien précieux et sacré, mais nous ne cro
yons pas que le respect qui lui est du puisse jamais al
ler jusqu’à ajouter à la loi , surtout dans une matière
aussi importante que le mariage.
Notre doctrine sur la vraie signification , sur le sens
réel de l’art. 180, a, depuis comme avant, rencontré de
puissants adversaires, MM. Mareadé et Demolombe no
tamment.
Le savant doyen de la faculté de Caen, estime et en
seigne : qu’il faut reconnaître aujourd’hui, en thèse gé
nérale , que l’erreur sur les qualités peut être telle , si
grave, si essentielle, qu’elle soit considérée par les ma
gistrats comme une erreur sur la personne. Ce serait
donc, en dernier résultat, une question de fait. Je con
cevrais donc bien qu’en déclarant nul le mariage con
tracté par erreur avec un forçat libéré, les tribunaux au
raient à considérer toutes les circonstances du fait ; la
position de l’époux trompé , son caractère personnel,
toute la situation, enfin, pour décider , en fait, si cette
�373
erreur a ou n’a pas altéré d’une manière profonde et
essentielle, le consentement.'
C’est-à-dire que l’appréciation purement arbitraire
des magistrats constituerait la règle unique et souverai
ne. Ainsi le législateur n’aurait vu dans le mariage
qu’un contrat ordinaire et en aurait abandonné le sort
aux chances d’une appréciation plus ou moins réfléchie,
plus ou moins spontanée , au risque de multiplier les
attaques dont il pourrait être l’objet, par l’espoir plus
ou moins probable de les voir accueillies et consacrées.
En agissant ainsi, le législateur eût formellement mé
connu le devoir que lui imposaient l’ordre public, la sé
curité des familles. Je crois donc que le système qui a
son fondement dans une pareille supposition , est un
système impossible.
C’est ce que le Tribunal et la Cour de Paris avaient
cru et consacré. On leur demandait la nullité du ma
riage contracté avec un forçat libéré. On soutenait que
l’erreur sur la personne civile, équivalait à l’erreur pré
vue par l’art. 180, et devait comme celle-ci entraîner la
nullité du mariage.
Mais le Tribunal et la Cour refusent d’entrer dans
cette voie , et n’admettent d’autre cause de nullité que
l’erreur sur la personne physique. Ils estiment que l'ad
mission de l'erreur sur les qualités comme cause de
nullité de mariage, ouvrirait la carrière à des inter
prétations périlleuses et troublerait profondément la
ET DE LA. FRAUDE.
1 T. 3, n° 253, p. 405.
�374
TRAITÉ DU DOL
sécurité des familles ; que c’est précisément pour éviter
ce danger que la loi a déterminé d'une manière spè
ciale les causes de nullité de mariage, et n’a pas laissé
cet engagement sous l'empire des règles générales éta
blies pour les autres contrats.'
Contre toute probabilité, cet arrêt dénoncé à la Cour
suprême, encourut sa censure. Un arrêt de la chambre
civile , du 11 février 1860 , en prononce la cassation,
contrairement à l’opinion du rapporteur, et aux conclu
sions remarquables de M. l’avocat général de Raynal.
Mais la Cour d’Orléans , à laquelle la question avait
été déférée, s’étant prononcée dans le même sens que la
Cour de Paris , un nouveau pourvoi vint appeler les
chambres réunies à statuer définitivement.
M. le procureur général Dupin crut devoir, cette fois,
donner à la doctrine des arrêts de Paris et d’Orléans l’ap
pui et l’autorité de sa parole. Son réquisitoire est l’étude
la plus complète de la question , et la réfutation la plus
péremptoire de l’opinion qui veut donner à l’art. 180
une extension que ne comportent ni son texte, ni son
esprit.
M. le procureur général demande celui-ci à la dis
cussion législative qui amena l’adoption de l’art. 180, et
il établit avec évidence que le législateur de 1803 n’a
en rien innové, et que dans cette matière il a accepté et
suivi les errements de notre ancien droit. Or que celuici exigeât, pour prononcer la nullité du mariage , l’er1 4 février 1860; — J. duP., 1860, 341.
�375
reur sur la personne physique, c’est ce qui ne pouvait ■
être ni douteux ni contesté. Pothier est à ce sujet on ne
peut pas plus formel.
Donc, aujourd’hui comme autrefois,,l’erreur en- ma
tière de mariage, comme le disait Portalis , ne s’entend
pas d’une simple erreur sur les qualités, la fortune ou
la condition de la personne à laquelle on s’unit, mais
d’une erreur qui aurait pour objet la personne même.
Mon intention déclarée était d’épouser une telle per
sonne ; on me trompe , ou je suis trompé par les cir
constances , et j’en épouse une autre qui lui est substi
tuée à mon insu et contre mon gré : le mariage est
nul.
« Ici, continue M. Dupin, ma tâche devrait être ter
minée, puisque l’identité de l’époux n’est pas mise en
doute, et que le débat porte seulement sur la condition
de forçat, et les incapacités que la loi y attachées. Mais
c’est là dessus précisément que le pourvoi a entrepris
une théorie nouvelle qu’il faut maintenant aborder et
discuter.
» Il faut, dit le pourvoi, considérer deux choses : la
personne physique et la personne civile. Celle-ci se com
pose de certains droits qui la constituent, qui sont de
son essence; et quand ces droits, dans ce qu’ils ont de
substantiel, viennent à manquer, il y a là véritablement
une personne civile autre que celle qu’on a entendu épouser ; et cette erreur doit annuler le mariage comme
si elle portait sur la personne physique elle-même. Dans
l’un comme dans l’autre cas il n’y a pas d’identité.
ET DE LA FRAUDE.
%
�376
TRAITÉ DU DOL
» Cette fiction est inadmissible. Non , il n’y a pas
deux personnes dans le même individu. Les qualités ci
viles séparées de la personne physique ne font pas une
personne entière. Les qualités sont des abstractions ; el
les n’ont ni corps ni âme, elles n’ont pas de moi, elles
ne constituent pas un être , un second être. Essayez de
photographier la personne civile !.........L’homme phy
sique vit seul avec ou sans telle ou telle qualité.. . .
» En abordant le système des qualités prétendues sub
stantielles, rappelons ce qu’en dit Pothier dans son traité
des Obligations en général ; il distingue avec Cujas les
choses qui sont de l’essence des contrats, ou seulement
de leur nature, ou simplement accidentelles. Les choses
qui sont de l’essence du contrat, dit-il, sont celles sans
lesquelles le contrat ne saurait exister. Ainsi il est de
l’essence de la vente qu’il y ait une chose vendue et un
prix fixé. Et appliquant cette définition au mariage , il
est de l’essence du mariage, dit-il, qu’il y ait un hom
me et une femme qui veulent s’épouser, et il ajoute aus
sitôt , mais il n’est pas de l’essence du mariage que la
personne que je veux épouser ait telle ou telle qualité.
» Et puis quelles seraient ces qualités ? Les qualités
essentielles, dites-vous, sont celles sans lesquelles le mari
ne peut remplir sa mission. Mais alors il ne faudrait pas
seulement appliquer l’erreur aux qualités de la person
ne civile, il faudrait surtout l’appliquer aux qualités de
la personne physique ; et si, par exemple, le mari man
quait des attributs de la virilité, qui, en mariage, sont
bien autrement essentiels que l’incapacité où serait le
�377
mari de remplir une fonction publique, ou d’exercer un
droit civil , il faudrait donc ramener dans notre juris
prudence les questions d’impuissance et la scandaleuse
épreuve du congrès ? »
M. Dupin examine ensuite les autres arguments delà
thèse qu’il combat, et les réfute d’une manière victorieu
se. Il termine par ces paroles :
« On ne saurait trop le redire , les règles qui gou
vernent le mariage ont un caractère tout spécial. Dans
les contrats vulgaires, dans les contrats qui n’ont pour
objet que des intérêts purement matériels, souvent on
annule une convention par cela seul qu’un des contrac
tants a ignoré des circonstances et des désignations que
l’autre était tenu de lui faire connaître. Dans les achats
et ventes d’animaux, lorsqu’il s’agit d’un cheval ou d’un
boeuf, il y a des vices rédhibitoires. Mais il n’en est pas
ainsi en fait de mariage ; la reslilutio in integrum y
est impossible. Cela explique pourquoi, en cette matière,
le législateur s’est appliqué avec tant de soin à restrein
dre les causes de nullité , et à appuyer chacune d’elles
par une restriction ou par une fin de non recevoir à
bref délai, toujours en vue de maintenir le plus qu’il se
pourrait la validité des mariages contre les tentatives
qu’on ferait pour en demander la nullité, Si l’on prenait
pour critérium de la validité des mariages celte consi
dération : Ah ! si j’avais su cela je n’aurais pas épousé;
le caprice, n’en doutez pas, prendrait la place du droit,
et la multiplicité des demandes en nullité croissant avec
la facilité de les admettre, rendrait presque illusoire la
suppression du divorce.
ET DE LA FRAUDE.
�378
TBAITÉ DU DOL
Ce réquisitoire si plein de raison et de logique et qui
empruntait une nouvelle force à la bouche illustre qui
le prononçait, était de nature à faire impression, et pré
sageait le parti que prendrait la Cour régulatrice. Con
tre la doctrine de la chambre civile, le pourvoi est rejeté,
et le mariage maintenu.
Cet arrêt qui fixe la jurisprudence clôt toûte contro
verse sur la question. Il nous a paru dès lors utile d’en
transcrire les motifs :
« Attendu que l'erreur dans la personne dont les
art. 146 et 180 du Code Napoléon ont fait une cause de
nullité de mariage, ne s’entend sous la nouvelle comme
sous l’ancienne législation que d’une erreur portant sur
la personne elle-même ;
» Attendu que si la nullité ainsi établie ne doit pas
être restreinte au cas unique de l’erreur provenant d’u
ne substitution frauduleuse de personne au moment de
la célébration ; si elle peut également recevoir son ap
plication quand l’erreur procède de ce que l'un des époux s’est fait agréer en se présentant comme membre
d’une famille qui n’est pas la sienne, et s’est attribué les
conditions d’origine et la filiation qui appartiennent à
un autre, le texte 'et l’esprit de l’art. 180 écartent vir
tuellement de sa disposition les erreurs d’une autre na
ture, et n’admettent la nullité que pour l’erreur qui porte
sur l’identité de la personne , et par le résultat de la
quelle l’une des parties a épousé une personne autre que
celle à qui elle croyait s’unir ;
» Qu’ainsi la nullité pour erreur dans la personne
�379
reste sans extension possible aux simples erreurs sur des
conditions ou des qualités de la personne , sur des flé
trissures qu’elle aurait subies, et spécialement à l’erreur
de l’époux qui a ignoré la condamnation à des peines
afflictives ou infamantes antérieurement prononcée con
tre son conjoint, et la privation des droits civils et civi
ques qui s’en est suivie ;
» Que la déchéance établie par l’art. 34 C. pén. ne
constitue par elle-même ni un empêchement au maria
ge, ni une cause de nullité de l’union contractée ;
» Qu’elle ne touche non plus en rien à l’identité de
la personne ; qu’elle ne peut donc motiver une action en
nullité du mariage pour erreur dans la personne.' »
Le système contraire faisait du mariage un simple
contrat ordinaire exposé à toute espèce de contestations
dont la solution ne reconnaissait d’autre règle que l’ar
bitraire appréciation des juges ; et dès lors , comme le
dit la Cour de Paris, dans l’arrêt dont nous allons par
ler; il ouvrait la porte à toutes les espérances.
La Cour en avait la preuve dans l’espèce même qui
lui était soumise, et dans laquelle la nullité du mariage
était demandée :
« Attendu que le but et la condition substantielle du
mariage sont la communauté de vie la plus complète
entre les époux, et l’accomplissement des devoirs qui en
sont la conséquence ; que sans celte union des époux
dans une seule chair, le mariage n’a plus aucune raison
ET DE LA FRAUDE.
1 24 avril 1862; — J du P., 1862, 484,
'
�380
TRAITÉ DU DOL
d’élre ni d’existence réelle, et qu’il disparait avec la fa
mille dont il est la source, et qu’il doit perpétuer; que
par suite le consentement au mariage doit être , sous
peine de nullité, le consentement à la consommation du
mariage ; qu’il n’est plus sans cela qu’un acté fraudu
leux et mensonger destiné à dissimuler un mariage dont
les conditions substantielles n’existent pas et qui , par
conséquent n’a qu’une apparence sans réalité. »
Le demandeur prétend ensuite que celle qu’il a épou
sée et qui a déclaré l’accepter pour époux, n’a fait celte
déclaration qu’avec la volonté ferme et arrêtée de ne
pas accomplir l’objet du mariage ; qu’elle a exécuté celte
résolution ; qu’en effet le soir même du mariage toute
intimité lui a été refusée et que, depuis, l’épouse a op
posé une résistance obstinée à toute tentative de conci
liation.
En conséquence , le demandeur soutient que le ma
riage est nul d’abord pour défaut de consentement, l’é
pouse n’ayant jamais consenti qu’à un simulacre devant
produire à l’égard du public des effets matériels, mais
non pas un mariage dont les droits et les devoirs sont
réglés par la nature et la loi ; ensuite et relativement à
lui, pour erreur sur la personne prévue par l’art. 180
G. Nap. Qu’en effet cet article prévoit non pas le cas
d’erreur sur la personne physique où il n’y a pas de
consentement, mais celui d’erreur sur les qualités sub
stantielles de la personne; qu’il ne saurait exister de
qualités plus substantielles , quant au mariage , que la
volonté d’accomplir le devoir conjugal, puisque de cette
qualité dépendent l’objet même et la fin du mariage.
�381
Cette prétention fut successivement condamnée par le
Tribunal et la Cour de Paris , elle devait infailliblement
l’être, incapable qu’elle était de souffrir l’examen en fait
et en droit.
En fait, elle ne pouvait avoir d’autre fondement que
la non consommation du mariage. Supposez cette non
consommation niée par l’époux défendeur, comment en
vérifiera-t-on et en admettra-t-on l’existence?
En droit, il ne s’agissait plus d’étendre la disposition
de Part. 180 au cas d’erreur sur les qualités de l’un des
contractants. Comme le relève fort justement l’arrêt de
Paris, dans les termes de la demande on allait jusqu’il
l’erreur sur ses intentions , sur les dispositions de son
esprit. Etait-il possible dès lors d’admettre que le légis
lateur eût entendu subordonner à une abstraction aussi
insaisissable le sort du mariage intéressant à un si haut
degré les mœurs publiques , l’Etat et le repos des fa
milles ?
Nous croyons avec la Cour de Paris que ce procès ne
s’expliquait que par la diversité récente des décisions sur
l’interprétation de l’art. 180, que par les espérances que
faisait concevoir l’arrêt de la chambre civile du 11 fé
vrier 1861. Ce qui le prouve, c’est que le pourvoi con
tre l’arrêt de Paris n’ayant été appelé devant la Cour de
cassation qu’après l’arrêt des chambres réunies du 24
avril 1862, le demandeur n’osa plus invoquer ses pré
tendus moyens de nullité , et se borna à exciper d’un
vice de forme qui fut rejeté.'
ET DE LA FRAUDE.
i 9 février -1863, D. P., 63, -I, 426.
�382
TR A ITÉ DU DOL
352. — Ainsi le dol de quelque nature qu’il soit, alors même qu’il est devenu la cause déterminante du
mariage, reste sans influence sur la validité du lien, sur
son indissolubilité. Mais il n’en est pas de même, quant
aux conséquences du mariage.
L’une de ces dernières, et la plus immédiate , est la
cohabitation des époux. But du mariage, celte cohabita
tion ne doit cesser que par la dissolution ou par la sé
paration de corps judiciairement prononcée. Le dol ex
ercé sur les qualités du conjoint autorise-t-il cette sé
paration ?
Une distinction nous parait indispensable pour arri
ver à une solution exacte de cette question. Le dol a été
exercé sur la fortune, sur la position sociale de l’époux,
son nom et son rang , ou bien il a eu pour objet de
tromper sur les qualités morales. Dans le premier cas,
nous répondrions par la négative absolue ; dans le se
cond , nous ferions dépendre sa solution de la nature
de l’erreur.
Ainsi, on m’a promis une épouse douce, bonne, bien
élevée, intelligente. Le mariage accompli fait disparaître
toutes ces qualités. La vérité qui m’est alors connue ne
saurait m’autoriser à demander la séparation. La vie
commune, quoique plus ou moins difficile, ne doit point
cesser. D’ailleurs l’habitude de celte vie, les relations,
les devoirs qui naissent du mariage , peuvent modifier
le caractère des époux et inspirer à chacun d’eux la con
duite indispensable à leur bonheur commun.
Mais si l’erreur, source du mariage, est tellement gra-
�I
383
ve que l’époux qui en a profilé doive être pour l’autre
un objet éternel de répugnance et de mépris ; si l’habi
tation commune doit offrir à ce dernier de continuels
tourments , en le plaçant sans cesse entre ses devoirs,
ses préjugés moraux et sa conscience, la loi doit prendre
en pitié celui qu’elle ne peut autrement protéger, et lui
accorder le relâchement du lien qu’elle se refuse de bri
ser.
Ainsi, dans l’espèce jugée par la Cour de Colmar, l’é
poux avait caché sa qualité d’ancien religieux. La dé
couverte de cette qualité avait alarmé la conscience de
l’épouse qui ne voyait plus , dans la consommation du
mariage, qu’un sacrilège ; dans le mariage même, qu’u
ne profanation. On comprend dès lors que la vie com
mune devait lui paraître insupportable; la lui imposer,
c’eût été la soumettre à une violence morale , vexatoire
et inique, On ne devait pas, nous l’avons dit, annuler
le mariage, mais la séparation de corps devenait le mo
yen naturel de concilier sa position avec la rigueur des
principes.
ET DE LA FRAUDE.
553. — La séparation de corps ne saurait être re
fusée à l’époux qui, par erreur , aurait uni son sort à
celui d’un forçat libéré ou évadé. Le préjugé de la con
sidération et de l’honneur ne parlant pas moins haut que
la liberté de conscience, on doit s’arrêter à une décision
égale dans les deux cas.
On a voulu cependant contester cette faculté dans l’hy
pothèse qui nous occupe. L’art. 232 du Code civil, a-
�384
TRAITÉ DU DOL
t-on dit, n’autorise le divorce, et conséquemment la sé
paration de corps, que dans le cas de condamnation de
l’un des deux époux à une peine infamante ; d’où il pa
rait résulter que la loi n’a eu en vue que la condamna
tion prononcée depuis et pendant le mariage. On ne
saurait donc, sans fausser sa pensée, appliquer sa dis
position à celui qui a été condamné avant le mariage.
A notre avis, cette interprétation est repoussée par le
texte et par l’esprit de la loi. Evidemment le mot époux,
dont se sert l’art. 232 , est pris dans le sens générique
et comprend toutes les hypothèses dans lesquelles une
condamnation infamante a pu intervenir.
Qu’a voulu d’ailleurs l’art. 2132 ? Ne pas enchaîner
l’époux honorable à la vie de celui que les lois ont flétri
d’une peine infamante. Un tel lien devait paraître in
supportable , avec d’autant plus de raison que la honte
en rejaillit sur celui qui l’accepte comme sur celui qui l’a
méritée. Il est donc juste que l’époux demeuré honnête
homme repousse cette honte , en se séparant publique
ment de celui qui peut la lui faire encourir.
Les mêmes motifs n’existent-ils pas lorsque la con
damnation a précédé le mariage ? Evidemment oui ; ils
ont même acquis un caractère de gravité plus décisif,
car, à la honte d’une condamnation, se réunit l’infamie
d’une dissimulation sans laquelle le mariage n’eùt pas
été consommé. Admettre le système que nous combattons
serait donc récompenser le dol le plus lâche, le plus odieux. L’immoralité d’un pareil résultat suffit pour le
faire rejeter.
�385
Ainsi, l’application de l’art. 232 à notre hypothèse se
justifie par une supériorité de raisons incontestable.
Fallût-il admettre le contraire, l’admission de la sépa
ration de corps se justifierait par les considérations que
nous invoquions tout à l’heure pour la liberté de con
science. Les prescriptions de l’honneur ne sont ni moins
respectables, ni moins sacrées que celles de la religion.
Et, s’il y a une violence morale dans la détermination
qui enchaînerait deux époux au mépris des sentiments
religieux de l’un d’eux, ne la rencontrerait-on pas éga
lement lorsque l’un des époux ne pourrait subir la vie
commune sans outrager, à chaque instant, les inspira
tions de l’honneur et de la délicatesse.
ET DE LA. FRAUDE.
554. — Si la peine, encourue par l’époux condam
né avant le mariage, avait entraîné la mort civile, pour
rait-on se borner à faire prononcer la séparation de
corps ? Ce qui a fait naître quelques doutes à cet égard,
c’est qu’aux termes de l’art. 25 du Code civil, le mort
civilement est incapable de contracter un mariage vala
ble ; que , conséquemment, l’époux ayant action pour
demander la nullité du lien, n’a pas intérêt à poursuivre
son relâchement.
Mais l’existence d’une action plus utile n’a jamais pu
créer une fin de non-recevoir contre la recherche d’un
droit que la loi reconnaît et assure. C’est à celui qui a
deux actions à exercer, à choisir et à prendre celle qu’il
juge la plus utile , la plus convenable à ses intérêts. Le
mariage n’est pas seulement un lien civil, la religion y
i
2g
�386
TRAITÉ DU DOL
intervient d’une manière solennelle , et souvent ce qui
est susceptible d’être rescindé aux yeux de la loi civile,
reste pour elle indissoluble. Or, si l’époux trompé croit
à celte indissolubilité, si le mariage a eu d’ailleurs des
conséquences telles que la nullité pût devenir un em
barras et entraîner des inconvénients , rien ne s’oppose
à ce que la séparation de corps demandée soit accordée.
Cette action est indépendante de celle en nullité, on peut
donc se réduire à l’exercer de préférence.
La séparation de corps devrait-elle être accordée à
l’époux qui, croyant s’unir à une femme vertueuse, au
rait accepté la main d’une prostituée? Evidemment les
sentiments d’un homme honorable ne seront pas moins
froissés dans celte hypothèse que dans la précédente.
Nous ne pensons pas cependant que la solution de la
question puisse être donnée d’une manière absolue et
abstraclivement des faits et circonstances. C’est donc à
l’arbitrage souverain du magistrat que cette solution doit
être laissée. Son appréciation, basée sur la position des
époux, celle de leur famille, leurs antécédents, leur mo
ralité, conciliera ce qui est dû à l’indissolubilité du ma
riage avec les justes convenances d’une honorable sus
ceptibilité.
355. — Dans tous les cas où l’action en séparation
est admissible, elle doit être introduite dans les six mois
qui ont suivi la découverte de l’erreur, c’est là une né
cessité qu’une analogie incontestable doit faire admettre.
La nullité du mariage doit être demandée dans ce délai.
�387
La loi considère une cohabitation prolongée de plus de
six mois, comme le pardon des loris de l’un des époux
et comme la ratification du mariage lui-même. La mê
me présomption devrait, dans les mêmes circonstances,
faire rejeter la poursuite en séparation de corps. Celui
qui aurait vécu pendant plus de six mois dans l’atmos
phère de honte ou de contrainte dont il se plaindrait,
serait-il bien venu à parler de sa tardive susceptibilité?
Pour que la loi admette celle susceptibilité , il faut
qu’elle se soit décélée par une prompte et éclatante ma
nifestation. L’accueillir après une cohabitation de plus
de six mois après la dépouverle de la vérité serait donc
s’exposer à favoriser un caprice et non le légitime effet
de l’honneur outragé. La demande serait donc non re
cevable.
BT DE LA FRAUDE.
356. — Le dol exercé à l’occasion des conventions
matrimoniales produit un effet analogue à celui qui en
résulte pour tous les contrats. La partie intéressée pour
ra donc faire annuler les avantages qu’il n’aurait con
senti que sous l’influence de ce vice.
S’il est d’ordre public que le mariage reste inattaqua
ble, il n’en est pas de même pour tout ce qui ne louche
qu’à l’intérêt particulier des époux. Les principes ordi
naires reprennent ici leur empire , et conséquemment
toutes les conventions dont le dol a été la cause déter
minante doivent ne produire aucun effet.
Peu importerait même que l’époux contre lequel on
en demanderait la nullité fût resté lui-même étranger
�TRAITÉ DU DOL
388
aux manœuvres ayant constitué le dol. Il n’en subirait
pas moins les conséquences, et cela par un double mo
tif : 1° le dol imputable au père de l’époux serait assi
milé au dol du tuteur ou du mandataire ; %° tous ceux
qui, sans avoir participé au dol, en ont reçu un avan
tage à titre purement gratuit et lucratif, doivent restituer
ce bénéfice illégitime : TSemo debet ex damno alterius
lucrari.'
357. — Nous ne nous sommes occupés jusqu’à pré
sent que du dol qui a eu pour effet de tromper sur les
qualités civiles ou morales du conjoint. Mais il est une
autre déception pouvant résulter d’une dissimulation
coupable, et dont les conséquences sont de nature à en
traîner les plus graves inconvénients. Nous voulons par
ler du défaut de capacité pour la consommation du ma
riage, de l’impuissance de l’un des époux.
Ce vice ne devait pas occuper les législations ayant
admis la rupture du mariage au moyen du divorce. Là,
en effet, le remède était à côté du mal, et le divorce par
consentement mutuel terminait une union mal assortie,
en sauvant à l’époux malheureux ou coupable la honte
qu’une accusation d’impuissance entraîne toujours avec
elle.
La religion chrétienne abolit le divorce , acceptant
dans la rigueur de son acception cette maxime de l’E—
1 Voy. pour les fraudes commises dans les contrats de mariage, infra
chap. 2, sect. I.
�389
vangile : Quos Deus conjunxit, homo non separet. On
dut dès lors prévoir les cas d’impuissance, et régler le
sort des mariages ainsi contractés.
Pendant longtemps il exista à ce sujet une grande dif
férence entre l’Eglise romaine et l’Eglise gallicane.
La première ne considérait pas l’impuissance comme
un motif suffisant pour légitimer une atteinte à l’indis
solubilité du lien , et malgré qu’on reconnût qu’il ne
pouvait exister de sacrement légitime là où l’un des époux était impropre à sa consommation , on préférait
laisser subsister les mariages de celte nature plutôt que
de s’exposer à en dissoudre de réels : Tolerabilius est
aliquos contra staluta horninum dimiltere copulatos,
quant conjunctos légitimé contra staluta domini separare ; et celte décision d’innocent III a , pendant dix
siècles, formé le droit commun des tribunaux romains.
Le corollaire qu’un autre pontife tirait de cette disposi
tion était : que ceux qui ne pouvaient vivre comme époux devaient vivre comme frère et sœur : Ttomana eçelesia consuevit judicare ut quas tanquam mores habere non possunt, habeant ut sorores.
L’Eglise gallicane obéissait à d’autres principes. Les
conciles de Verberie et de Compiègne , tenus dans le
VIIIesiècle, considéraient l’impuissance comme un moyen
de nullité du mariage , mais ils n’admettaient d’autre
preuve de cette impuissance que le serment du mari, ce
qui, comme le faisait observer Merlin , atteignait à peu
près au même résultat que celui consacré par l’Eglise
romaine, c’est-à-dire le maintien du mariage. Juge et
ET DE LA FRAUDE.
�390
TR AITÉ DU DOL
partie dans sa propre cause , le mari avait toujours le
moyen de rendre illusoire la pénalité qu’il ne lui con
venait pas de subir.
358. — Vers le xnmc siècle, l’Eglise romaine dut se
départir de sa rigueur. La femme qui jusques là avait
par ferveur religieuse supporté , comme un sacrifice agréable à Dieu, les privations que lui imposait l’impuis
sance de son mari, avait à celte époque changé de sen
timents et de langage : Volo esse mater, disait-elle, volo
procreare libéras, et ideo maritum accepi; sed virquern
accepi frigides natures est et nonpotesl facereillapropter quas ilium accepi.
A dater de ce moment, la nullité du mariage pour
cause d’impuissance fut admise en principe. Mais le mo
de de preuve à consacrer devint un obstacle difficile à
franchir. On emprunta d’abord à l’Eglise gallicane le
serment du mari. On eut ensuite recours à la conforma
tion de celui-ci, puis à la visite de la femme. Mais tou
tes ces preuves furent bientôt appréciées à leur juste va
leur et successivement abandonnées par l’une et l’autre
Eglise.
Restait donc un principe à peu près inapplicable par
l’extrême difficulté d’arriver à constater le fait qui l’a
vait provoqué. Notons cependant, entre les deux Eglises,
celle autre différence : que l’Eglise romaine refusait au
jugement de rupture tout effet définitif. Ainsi, si les époux séparés, ayant formé d’autres nœuds, avaient des
preuves de leur capacité , ces nœuds étaient annulés et
�391
le premier mariage reprenait son autorité. L’Eglise gal
licane, au contraire, considérait le jugement comme ir
révocable , dès qu’il avait acquis l’autorité de la chose
jugée.
ET DE LA FRAUDE.
359. — Cet aperçu historique n’était pas inutile
pour l’appréciation des dispositions de notre Code civil
et pour l’intelligence des questions qui peuvent encore
s’élever sur celle matière. Ce qui frappe, en l’examinant,
c’est l’existence des efforts tentés, pour atteindre un ré
sultat juste au fonds , mais insaisissable dans sa cause
déterminante.
560. — Nous disons que la nullité du mariage était
juste au fonds, et cela tant sous le rapport religieux que
sous le rapport civil. Evidemment, en effet, concourir à
un sacrement avec la certitude de ne pouvoir le consom
mer , c’est commettre une profanation et un sacrilège.
L’Eglise l’avait ainsi jugé , en prononçant que , pour
l’impuissant, il n’y avait qu’un simulacre de mariage
dont elle n’avait pu éterniser les vœux , et en déclarant
ce mariage nul.
Sous le rapport de la loi civile, le maintien du ma
riage, lorsqu’il y a impuissance de l’un des époux , est
contraire à la justice, dangereux pour la morale, funeste
à l’intérêt de l’Etat. En effet, dit éloquemment Merlin,
on cherche dans le mariage la consolation de la vie et
la sauvegarde de la vertu ; il est destiné à donner des ci
toyens à la patrie , et l’impuissance de l’un des époux
�TRAITÉ DU DOL
392
fait, pour tous les deux, le plus grand tourment de la vie
de ce qui devait en être le charme ; les désirs de la na
ture, irrités vainement par ce qui était destiné à les sa
tisfaire, deviennent, par l’impuissance , l’attrait le plus
terrible du vice et le danger le plus imminent pour la
vertu ; et la patrie perd à la fois, par l’impuissance de
l’un, tous les fruits de la fécondité de l’autre.'
5 6 J. — Ces considérations, aussi puissantes que
vraies , ne pouvaient être méconnues par les éminents
rédacteurs du Code. Mais la sanction des conséquences
logiques qui en naissaient eût placé la loi nouvelle en
présence des embarras les plus inextricables. Fallait-il,
comme la législation précédente, parcourir l’échelle hon
teuses des preuves tour à tour indiquées ? Descendre en
fin jusqu’au hideux congrès condamné par la morale et
l’honneur avant de l’être parla raison et la justice?
Et si rien n’était capable d’éclaircir un mystère im
pénétrable, n’était-il pas rationnel de proscrire le retour
de ces accusations qui ne pouvaient que produire un
scandale inutile. Les auteurs du Code ont été unanimes
pour l’affirmative , et l’impuissance ne figure plus dans
les causes de nullité du mariage.
Il est vrai qu’elle n’en a pas été nommément bannie,
et ce silence a suffi pour qu’on ait été tenté de jeter
quelques doutes sur la pensée du législateur. 11 y a plus,
a-t-on dit, en discutant le titre du divorce , le premier
1 Rép., v° Impuissance, n° \ .
�393
consul faisait remarquer qu’il était convenu que lors
qu’il y a impuissance la matière du mariage manque, à
quoi Portalis ajoutait que l’impuissance, celte cause hon
teuse et difficile à prouver , avait toujours été un prin
cipe de nullité du mariage '. Donc le Code n’a nulle
ment innové aux principes anciens sur cette matière.
Mais c’est ailleurs qu’on doit rechercher quelle a été
la véritable pensée du législateur. Or cette pensée se dé
cèle avec netteté et précision dans la discussion du titre
delà paternité et de la filiation. On n’a pas fait de l’im
puissance, dit M. Tronchet, l’objet d’une action en nul
lité de mariage, et ce silence est fondé en raison, car il
n’y a pas moyen de reconnaître avec exactitude l’im
puissance. En général, il était dans l’esprit du projet
d’anéantir cette cause sous tous les rapports.’
Il est donc certain que sous l’empire du Code l’im
puissance n’est plus un motif pour attaquer le mariage.
Conséquemment l’époux qui aurait été trompé par des
manœuvres dolosives sur la capacité de son conjoint,
ne pourrait trouver, dans l’existence prouvée dudol, le
moyen d’être relevé de son engagement.
ET DE LA. FRAUDE.
362. — Mais cette décision s’applique-t-elle à tous
les cas d’impuissance naturelle ou accidentelle? Doit-on,
au contraire , décider que le mariage doit être annulé
toutes les fois que l’impuissance alléguée sera apparente
et facile à constater ?
1 Procès-verbal du 16 vendémiaire an x.
s ld. du 14 thermidor an x.
�394
TRAITÉ DU DOL
Cette question importante a divisé la doctrine et la
jurisprudence. Elle mérite dès lors un examen particu
lier. De plus, elle intéresse à un puissant degré la ma
tière que nous traitons , car l’erreur sur la capacité de
l’époux pourra n’êlre que la conséquence d’un dol vé
ritable.
Qu’en est-il donc dans l’hypothèse d’une impuissance
accidentelle ?
Nous pouvons, pour résoudre celle question, consul
ter avec fruit les législations précédentes. Or , nous l’a
vons vu , sous leur empire la nullité du mariage , pour
cause d’impuissance, avait paru nécessaire et juste. La
loi naturelle, comme la loi civile, n’avait pas hésité à le
consacrer.
La cause unique des hésitations qui signalèrent les
premiers pas des législateurs, c’est la difficulté d’applica
tion devant laquelle on se trouvait, difficulté telle, que
la constatation du fait déterminant la nullité, était à peu
près impossible. Mais la légitimité du principe n’en était
nullement altérée, et ce qui le prouve, c’est la multipli
cité des efforts tentés pour écarter l’obstacle qui s’oppo
sait à sa consécration.
Ce n’est donc pas ce principe que le nouveau législa
teur pouvait et devait condamner. Nous avons vu qu’il
en avait au contraire formellement reconnu l’autorité et
la justice. Mais ce qui l’a déterminé à l’exclure de ses
dispositions, c’est la conviction puisée dans l’expérience
de ses prédécesseurs de l’inutilité de toute recherche, de
d’inefficacité des moyens tour à tour employés pour pé-
�395
nétrer un mystère demeuré impénétrable; c’est le scan
dale des épreuves immorales auxquelles il fallait recou
rir pour arriver , en définitive , à ce résultat : que des
homme jugés impuissants et dont le mariage avait été
dissous, obtenaient d’un autre mariage une nombreuse
postérité. L’opinion de M. Tronchet, comme celle de plu
sieurs autres orateurs du corps législatif, ne laisse aucun
doute à cet égard.
Ainsi, si l’impuissance ne figure plus au nombre des
causes de nullité du mariage, c’est que son existence est
insaisissable; qu’il était donc inutile d’en admettre la
recherche , alors que toute l’habileté de la science ne
pouvait promettre le moindre résultat. Cette conviction
acquise, il était complètement illusoire de recourir à ses
lumières.
Mais ne faut-il pas conclure de ces considérations que,
placée dans une hypothèse contraire, la loi eût sanction
né une décision différente? Cessante causa, cessai effectus. Or, le motif de la prohibition n’étant que celui que
nous venons d’indiquer, on ne saurait raisonnablement
étendre cette prohibition lorsque l’impuissance produite
par un accident doit, en quelque sorte , être prise sur
le fait ; lorsque visible pour les gens de l’art, il est per
mis d’en fixer la cause, d’en déterminer les effets. 11 faut,
dans ce cas, revenir aux principes généraux du droit et
annuler le contrat pour absence d’une de ses conditions
essentielles, la capacité de la partie.
Celle conclusion, attribuant à l’impuissance acciden
telle un effet qu’on refuse avec raison à l’impuissance
ET DE LA. FRAUDE.
�396
TRAITÉ DU DDL
naturelle, se justifie très-bien par les considérations qui
précèdent. Elle trouve.de plus, un fondement légal dans
la disposition des art. 3 1 2 et 3 1 3 du Code civil.
Aux termes de ce dernier, le mari ne peut, sous pré
texte de son impuissance naturelle . désavouer l’enfant
né du mariage. Celte règle découlait logiquement de celle
admise pour le mariage lui-même. Le même motif qui
empêche d’en prononcer la dissolution était un obstacle
à ce que la paternité pût être mise en doute. Celui à qui
l’on ne saurait arracher la qualité de mari , ne pourra
jamais exciper d’une prétendue impuissance pour répu
dier celle de père.
Il y a donc entre l’action en désaveu et celle en nul
lité du mariage , une corrélation nécessaire et juste. On
peut, dès-lors , conclure de ce que l’une étant refusée,
l’autre l’est également ; que l’admission de celle-ci doit,
par voie de conséquence, rendre celle-là également ad
missible. Or , le désaveu de l’enfant pour impuissance
accidentelle , est formellement autorisé par l’art. 312.
La loi n’exige même pas que cette impuissance ait été
postérieure au mariage, il suffit qu’elle soit réelle. Seraitil donc juste d’imposer perpétuellement comme époux
celui qui pourrait à son gré aliéner la qualité de père ?
Dira-t-on que la loi qui s’est expliquée pour le désa
veu , n’aurait pas manqué de le faire pour le mariage,
si elle eût entendu les ranger tous les deux sur la même
ligne? Mais cette objection tombe devant la nature de
ces deux actes. Le désaveu, matière toute exceptionnelle,
ne pouvait emprunter ses conditions et ses formes que
�j
397
dans des dispositions spéciales qu’il convenait de formu
ler le plus nettement possible. Le mariage, au contraire,
quoique revêtu d’une plus grande solennité, n’en a pas
moins tous les caractères des contrats ordinaires. La loi
pouvait donc, en s’en occupant, s’en référer aux princi
pes généraux applicables aux obligations. Or , la capa
cité des parties, relativement à l’objet du contrat, est une
condition rigoureusement requise. Son absence certaine
pour le cas de mariage devait, par application de ces
principes, en faire prononcer la nullité.
Il est vrai que cette absence se réalise dans l’hypo
thèse d’une impuissance naturelle et que le mariage n’en
subsiste pas moins. Mais ce résultat, nous l’avons dit,
est dû bien plutôt à l’impossibilité de reconnaître celte
absence et de la constater, qu’à une exception à la dis
position de l’art. 1108. D’ailleurs, si le mariage est main
tenu, la paternité à son tour reste à tout jamais impo
sée. Et c’est précisément de l’anomalie qu’on créerait, en
maintenant l’un et en effaçant l’autre , que nous tirons
cette conséquence qu’on ne saurait séparer la nullité du
mariage de l’action en désaveu ; et que l’admission de
celle-ci pour impuissance accidentelle doit, si cette im
puissance a préexisté au mariage , autoriser sa dissolu
tion.
C’est, au reste , ce que la doctrine a universellement
admis. Ainsi, M.Toullier, notamment, n’hésite pas à en
seigner qu’on doit annuler le mariage frauduleusement
contracté par un eunuque.
De cette solution et des considérations qui la légitiET DE LA. FRAUDE.
�398
TRAITÉ DU DOL
m ent, il semblerait résulter qu’on devrait admettre la
nullité du mariage dans le cas d’une impuissance natu
relle mais apparente. Il est évident, en effet, qu’il n’y a
entre celte hypothèse et celle d’une impuissance acciden
telle aucune différence, puisque dans l’une comme dans
l’autre l’infirmité est facilement appréciable dans sa cause
et dans ses effets.
%
365. — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Toullier. Aussi critique—t-il vivement un arrêt que la
Cour de Trêves a été appelée à rendre le I er juillet 1808
dans l’espèce suivante :
« Un individu fait assigner sa femme en nullité du
mariage qu’ils avaient contracté, sur le motif qu’elle est,
par un vice naturel de conformation, incapable de rem
plir le but du mariage.
» La femme ne nie pas le vice de sa conformation.
Elle prétend seulement qu’il n’existait pas avant le ma
riage ; et qu’il provient du fait de son mari ; elle ajoute
qu’il n’y a dans le Code civil aucune disposition d’après
laquelle on puisse fonder une action en nullité du ma
riage sur les défectuosités corporelles de l’un des époux;
que la demande de son mari ne tend à rien moins qu’à
la faire visiter, c’est-à-dire à ressusciter les procès scan
daleux sur l’impuissance que le législateur a voulu écarter pour jamais ; et qu’au surplus , la demande du
mari est non recevable, par cela seul qu’elle n’a été in
tentée qu’après neuf mois de cohabitation.
» Ce système est accueilli par le tribunal de Cousel,
�399
qui décide que le défaut de consentement, tiré de l’igno
rance de l’infirmité d’une des parties, ne rentre pas dans
les cas prévus par l'art. 14(3 ; que l’erreur qui résulte de
celle ignorance n’est pas celle régie par l’art. 180 ; que
dans tous les cas la demande serait non recevable pour
avoir été formée plus de six mois après la découverte
de l’erreur.
» Sur l’appel de ce jugement, un premier arrêt in
tervient le 27 janvier 1807, par lequel la Cour, attendu
que les causes physiques et le défaut de conformation
qui s’opposent au but naturel du mariage, sont des em
pêchements qui l’annulent de plein droit, et que l’ac
tion qui en naît n’est pas susceptible d’être prescrite par
le laps de six mois, ordonne, avant dire droit, que l’in
timée sera visitée par des gens de l’art.
» Le rapport de celle visite ayant été versé au procès,
arrêt définitif qui annule le mariage.' »
ET DE LA FRAUDE.
364. — La critique que M. Toullier fait de ces deux
arrêts nous surprend sous un double rapport :
1° M. Toullier enseigne que le mariage frauduleuse
ment contracté par un eunuque doit être annulé. Nous
comprenons très-bien la différence qui existe entre l’im
puissance accidentelle et celle que rien n’annonce. Mais
entre une mutilation opérée'par Ja main de l’homme et
l’infirmité de ces êtres incomplets , difformes , dans la
production desquels la nature semble s’être jouée de ses
1 J. du P., tom. vi, pag. 467.
�TRAITÉ DU DDL
400
propres lois, nous ne saurions en établir aucune. Le vice
des uns est-il moins appréciable, moins certain que ce
lui des autres ? Pourrait-on, dès lors, sans inconséquen
ce, ne pas les confondre dans une règle unique, quant
à la nullité du mariage par eux contracté ?
2° M. Toullier soutenait tout à l’heure que l’erreur
sur la qualité équivaut à l’erreur sur la personne, si cette
qualité était tellement irritante que les époux en. aient
fait une condition sans laquelle ils n’auraient pas con
senti leur union. Or, dans quelle circonstance cette con
dition se réalisera-t-elle mieux que dans celle qui nous
occupe ?
L’impuissance du conjoint enlève , en effet, au ma
riage son caractère, en dénature les rapports, en rend
le but impossible. Conséquemment, l’époux qui soutien
dra que la connaissance de cette incapacité l’eût empê
ché de contracter, dira une chose aussi juste que cer
taine, à moins qu’on admette qu’il aurait consenti à vi
vre comme frère ou sœur avec celui qu’il ne peut avoir
comme époux.
M. Toullier se met donc doublement en contradiction
avec sa propre doctrine, et ce qui détermine ce résultat,
c’est qu’il confond l’impuissance naturelle apparente avec celle qui demeure éternellement cachée. Ainsi, l’un
des griefs qu’il reproche à l’arrêt de Trêves, c’est de re
nouveler ces procès scandaleux, ces visites indécentes qui
blessent la pudeur, que réprouve la morale.'
�401
Les visites corporelles n’ont ce double caractère que
lorsqu’il est d’avance certain'qu’elles ne produiront au
cun résultat utile. C’est ce que M. Toullier rappelle en
indiquant que le législateur a dû les proscrire parce qu’el
les ne pouvaient fournir aux gens de l'art que des con
jectures trompeuses , souvent démenties par le fait.
Qu’on ne les permette donc plus lorsque le demandeur,
exciparit de l’incapacité de son conjoint, est dans l’im
possibilité d’en assigner la cause , c’est ce que tout le
monde admet ; mais les défendre lorsque la cause de
l’incapacité est visible , saisissable , c’est se jeter dans
l’injustice sans raison plausible, à moins qu’on ne prou
ve que le législateur a entendu se priver d’une manière
absolue de cette voie d’instruction.
Or, le contraire résulte et de la faculté de désavouer
l’enfant, sur le motif d’une impuissance accidentelle , et
de la décision prise contre le mariage contracté en cet état. C’est, en effet , par une visite que la prétention du
père sera vérifiée; c’est aussi par ce moyen qu’on re
cherchera si l’époux est bien réellement l’être dégradé
qu’on indique. Dès lors, et puisque la loi autorise la vi
site corporelle toutes les fois qu’elle doit produire un
résultat utile, il suffit de faire remarquer, pour la jus
tification de la doctrine de l’arrêt de Trêves , que dans
l’espèce l’objet de la visite étant parfaitement déterminé,
on était certain d’arriver à une constatation matérielle et
décisive pour la justice.
C’est ce qui se réalisera toutes les fois que l’impuis
sance résulte d’une difformité , d’un vice de conformaET DE LA FRAUDE.
�402
TRAITÉ DU DOL
lion apparent. Comme une pareille hypothèse ne diffère
en rien de celle d’une impuissance accidentelle, nous ne
voyons aucun inconvénient à ce qu’on arrive par les mê
mes voies à un résultat non contesté pour cette derniè
re, c’est-à-dire à la nullité du mariage.
« Mais, ajoute M. Toullier, si l’époux refuse la visite,
ne s’exposera-t-on pas à casser un mariage sur un con
cert entre les époux qui auront pris ce moyen pour se
débarrasser d’un lien qui les gêne ? •»
Merlin , qui est, sur le fond, d’une opinion contraire
à celle de M. Toullier, s’arrête à cette objection, et croit
que si l’époux refusait la visite , on ne pourrait passer
outre et prononcer la nullité du mariage. J’en demande
pardon à ces illustres maîtres, leur solution ne me pa
rait ni logique ni légale. Si la nullité du mariage est ad
mise en principe , on ne saurait reconnaître à l’un des
époux la faculté et le droit d’en rendre l’application im
possible; ce serait sacrifier la loi elle-même à une obs
tination irrationnelle et injuste. Bientôt l’eunuque frau
duleusement marié refuserait à son tour la visite ordon
née pour constater son état, et l’épouse , au secours de
laquelle le législateur doit, de l’avis de tous, accourir,
victime de cette nouvelle fraude, se verrait pour toujours
enchaînée au sort de celui qui l’a indignement trompée.
Cela , évidemment, ne pourrait se réaliser sans blesser
l’équité, sans introduire dans la loi une véritable anar
chie. Nous pensons donc qu’en l’état du refus que l’é
poux ferait de subir la visite ordonnée, le faiUallégué de-
�403
vrait être tenu pour certain et produire toutes ses con
séquences légales.
Que cette solution puisse dans un cas donné favoriser
une fraude, cela est possible, mais peu probable. On ne
consentira pas facilement à passer aux yeux de ses con
citoyens pour un être incomplet ou dégradé ; à subir les
humiliations et les avanies qu’une idée pareille est dans
le cas d’attirer ; car des procès de ce genre auront du
retentissement, et longtemps encore la malignité publi
que s’exercera aux dépens de celui qu’on lui a signalé.
Ce qui doit, au reste, rassurer contre la fraude que craint
M. Toullier , c’est le peu de fréquence des contestations
de ce genre. Cette fraude n’est donc venue à l’esprit de
personne, même depuis l’arrêt de Trêves. Cependant, de
1808 jusqu’à nous , que de ménages désunis I que de
mariages pour lesquels la lune de miel n’a pas été sans
tempêtes 1
Dans tous les cas , le danger de favoriser une fraude
fût-il sérieux, le mal n’égalerait jamais celui qu’éprou
verait l’ordre social de l’atteinte que la volonté d’un par
ticulier occasionnerait à la loi. On encouragerait la ré
sistance en la récompensant, et l’on affaiblirait ainsi ce
respect pour la justice , qui est la première garantie et
le lien le plus puissant de toute société. Dans cette ma
tière, comme dans toute autre , les magistrats concilie
ront "les convenances avec les lois de la pudeur la plus
délicate. Celui qui prétendra se soustraire à leur décision
n’aura donc aucun motif avouable. On pourra et l’on
ET DE LA FRAUDE.
�404
TRAITÉ DU DOL
devra dès lors considérer sa conduite comme l’aveu de
l’existence de l’infirmité qu’on lui reproche et, consé
quemment, annuler son mariage.
Ainsi, l’impuissance apparente, accidentelle ou natu
relle vicie le mariage. Le contrat n’a jamais pu valable
ment exister, car le, consentement n’a été que le. résultat
d’un dol ayant eu pour effet de tromper sur la capa
cité de la partie. Cette absence de capacité pouvant être
établie, la constatation fait disparaître la matière même
du contrat et , conséquemment, toute possibilité d’un
lien obligatoire et légal.'
365. — En résumé, le dol, même lorsqu’il a été la
cause déterminante du mariage, n’influe en rien sur sa
validité. Mais cette règle reçoit exception : 1° lorsque le
dol a produit l’erreur sur la personne par la substitu
tion de celle qu’on a épousée à celle que l’on voulait et
que l’on croyait épouser ; 2° lorsque le dol a été prati
qué sur la matière même du contrat que l’un des époux
est dans l’incapacité de consommer. Cette dernière ex
ception est elle-même soumise à eette condition , que
l’impuissance qui en fait la base soit apparente et ma
tériellement appréciable. L’impuissance réelle, mais ca
chée , ne saurait, dans aucun cas, autoriser l’action en
nullité.
i Merlin, v° Impuissance ; — Vazeilles, Du mariage, tom. 1, n° 92:
— Chardon, Du dol; — contra : Toullier, lococilato; — Favard.v»
Mariage.
�405
Le mariage lui-même peut n’être qu’une simulation
dans l’objet de rendre exigibles des avantages subordon
nés à sa célébration. Un pareil mariage reste indissolu
ble entre les époux ; seulement il ne produit contre les
tiers aucun des effets qu’on s’en était promis.
Le dol qui ne suffît pas pour rompre le lien, peut en
amener quelquefois le relâchement; mais seulement lors
que l’erreur qu’il a déterminée est telle que la cohabi
tation blesserait la conscience ou violerait les sentiments
d’honneur et la délicatesse de l’un des époux.
Enfin, le dol exercé à l’occasion des stipulations ma
trimoniales tombe sous l’empire des principes ordinai
res. Il entraine donc la nullité de la convention, s’il ré
unit les caractères exigés par l’art. 1116 du Code civil.
Cette nullité atteint l’époux qui profilerait du dol, alors
même qu’il y serait demeuré personnellement étranger,
et cela, par application des principes régissant le dol in
direct.
ET DE LA FRAUDE.
�406
TRAITÉ DU DOL
SECTION III.
'
tu-
Aol d ans le s L ib éralités,
SOMMAIRE.
366.
367.
368.
369.
370.
371.
372.
373.
374.
375.
376.
377.
378.
379.
380.
381.
382.
Importance de la faculté de disposer de ses biens.
Nullité des libéralités entachées de dol.
Cette nullité est de plein droit dans le cas de dol présumé.
Dans le cas où la libéralité serait faite par interposition de
personnes.
Nullité pour insanité d’esprit chez le donateur ou testateur.
Fondements de l'art. 901 du Code civil.
Comment doit-on entendre l’insanité d’esprit à l’endroit des
libéralités ?
Arrêt de la Cnur de cassation.
Anciennes législations conformes aux principes actuels.
L’insanité d’esprit fait présumer la suggestion.
Peut être prouvée par témoins.
Ce n’est pas là déroger à l’art. 1341.
A quelles conditions admettra-t-on cette preuve.
Nécessité de l’articulation des faits. — Son utilité sous un
double rapport.
Comment s’apprécie la pertinence des faits.
Législation ancienne sur les intervalles lucides.
Législation actuelle. — Dissentiment avec Toullier et Gre
nier sur l’application de l’art. 502.
�ET DE LA FRAUDE.
407
383. Opinion de Merlin.
384. Arrêt de la Cour de cassation préjugeant dans le sens de
celle-ci.
385. Conséquences de cette doctrine, quant aux obligations du
légataire.
386. La preuve de la raison du testateur sera assez difficile dans
certains cas. — Ses éléments.
387. Résumé.
388. Effet de la captation non présumée.
389. Doutes, sur ce qui la concerne , soulevés par le silence du
Code.
390. Peut toujours être prouvée par témoins.
391. Caractère de cette preuve.
392. Comment distinguera-t-on la captation licite de celle qui
ne l’est pas.
393. Le concubinage annule-t-il les libéralités comme faisant
présumer la captation ?
394. Comment on apprécie la gravité des faits.
395. L’allégation de faits graves ne fera pas toujours admettre la
preuve.
396. Première condition pour l’admissibilité. — Les faits doivent
tendre à établir que la captation dolosive a été la cause
déterminante de la libéralité.
397. Espèce jugée par la Cour de Dijon.
398. Deuxième condition. — Contrariété entre la volonté expri
mée et celle précédemment manifestée.
399. Opinion de Merlin sur la pertinence.
400. La preuve ordonnée et faite détermine l'annulation du tes
tament ou de la donation, mais on ne peut ni la modifier
ni la réduire.
401. Mais la nullité n’a d’effet que sur la disposition attaquée;
elle ne peut atteindre l’ensemble des dispositions.
402. Le dol indirect produit le même effet que le dol direct.
403. La plainte en captation est-elle recevable contre la donation
entre vifs ?
�408
TRAITÉ DU DOL
404. Etat des législations anciennes sur l'empêchement de tester.
405. Conséquences du système adopté par le Code.
406. Dissentiment avec M. Chardon, quant aux effets à l’endroit
de l’héritier testamentaire.
407. Nature de l’action réservée à celui qui est victime de l ’em
pêchement de tester.
408. Caractère de ce dol. — Pertinence des faits tendant à l’é
tablir.
409. Qui est tenu des dommages-intérêts ?
410. Qui peut en réclamer ?
411. Suppression de testament ; caractères.
412. Admissibilité de la preuve testimoniale.
413. Effet de la suppression sur l’exécution du testament et la
régularité de ses formes.
414. Arrêt de la Cour de'Cassation.
415. Quid, par rapport à la partie profitant du dol sans y avoir
participé.
416. Action, dans ce cas, de l’héritier contre l’auteur du dol.
417. Effet de la suppression par rapport à l’hérédité.
418. Droit des tiers.
366. — La faculté pour l’homme de disposer de ses
biens, soit par donations entre vifs , soit par testament,
est une des plus précieuses prérogatives du droit de pro
priété. Elle est née avec ce droit lui-même ; elle a tou
jours été accueillie par les diverses législations avec la
même faveur.
« Cet assentiment commun des peuples, dit M. Favard , est fondé sur ce que l’intérêt public exige que le
propriétaire puisse, à sa volonté, disposer de tout ou de
partie de son patrimoine , pour reconnaître le zèle et le
dévouement de l’amitié, encourager ceux de ses héritiers
�409
qui se portent au bien, donner des consolations à ceux
qui éprouvent les disgrâces de la nature ou les revers
de la fortune , récompenser les soins d’un serviteur fi
dèle , punir l’abandon ou l’indifférence de parents in
grats.' »
L’importance sociale d’une pareille mission était cer
tes de nature à en faire accueillir le développement avec
la plus haute faveur. Qui mieux que le père de famille
lui-même pouvait prétendre exercer dans de plus justes
proportions ce droit de récompenser et de punir?
ET DE LA. FRAUDE.
367. — L’expression de sa volonté devait donc pré
valoir et a, en effet, prévalu. La loi ne règle l’ordre des
successions que dans le cas où le défunt a négligé ou ré
pudié la faculté qu’on lui en accorde. Mais le respect.du
législateur ne serait plus qu’un véritable abus si la loi
testamentaire avait été surprise par dol ou arrachée à
une pensée inintelligente. La nécessité d’une volonté-éclairée et libre, base essentielle de tous les contrats, se
fait plus particulièrement sentir en matière de libérali
tés. Ces actes, en effet, soulevant tant de désirs, peuvent
déterminer une infinité de manœuvres dont la réussite
présente de grandes facilités; car, ainsi qu’on le faisait
remarquer, ces actes se réalisent souvent dans des cir
constances tellement critiques pour l'intelligence et la
volonté de leur auteur, qu'il serait impossible de rester
convaincu qu’il avait l'entière liberté de son esprit.*
1 Rép., v° Testament.
2 Jaubert, Rapport au Tribunal.
�TRAITÉ DU DOL
410
« Le législateur, dit M. Grenier, n’a pas dû considé
rer les dispositions gratuites du même œil que les autres
actes. La loi redouble de précautions pour prémunir
l’homme contre les pièges de la cupidité, qui peut épier
un instant de faiblesse ou le provoquer afin d’extorquer
une libéralité.' »
Cette prévoyance de la loi se décèle par les soins qu’elle
apporte à proscrire toutes les dispositions qui ne seraient
pas l’expression d’une volonté indépendante et sponta
née. Telle est, en effet, l’économie de notre législation,
que la libéralité qui puiserait son origine dans l’emploi
d'une influence illégitime, ne saurait sortir à effet.
568. — La loi a fait plus encore : elle admet de plein
droit la nullité de la disposition, selon que son auteur a
pu plus facilement être entraîné, selon que ceux en fa
veur de qui elle est 'prise se sont trouvés en position de
l’obtenir plus aisément. C’est ce qui a déterminé les in
capacités créées par les art. 909 et suivants du Code
civil.
Ainsi sont nulles et de nul effet les libéralités faites :
1° Par un mineur à son tuteur, soit pendant la mi
norité, soit depuis la majorité, mais avant l’appurement
du compte tutélaire;
2° Par un malade , pendant le cours de la maladie,
aux médecins , chirurgiens, officiers de santé ou phari Des donations, t. 1, n° 102.
�411
maciens qui lui ont donné leurs soins; au ministre du
culte qui a dirigé sa conscience.
Evidemment ces prescriptions n’ont pas d’autres mo
tifs que la qualité même des personnes, objets de la li
béralité. Il est certain que dans beaucoup de cas cette
qualité a pu être sans influence sur la détermination du
disposant. Mais, en fait, on ne saurait disconvenir de la
facilité que rencontrerait le résultat contraire. On con
naît , notamment, l’empire que le médecin du corps,
l’autorité plus dangereuse encore que le médecin de l’â
me, peut acquérir sur la volonté de celui qui voit dans
l’un l’arbitre de sa santé , dans l’autre l’arbitre de son
salut. L’abus est donc facile, et l’utilité de la précaution
prise pour le prévenir n’est que trop prouvée par les
nombreuses répressions que la justice a eu à consacrer.
Nous n’avons pas à revenir autrement sur les condi
tions et les effets de ces incapacités, nous les avons ex
posés en traitant du dol présumé. Quant aux fraudes
que le désir d’éluder la loi peut déterminer , nous au
rons à les examiner lorsque nous nous occuperons de
la fraude. Bornons-nous à faire remarquer que la pré
somption de dol résultant de l’incapacité est générale et
absolue; qu’aux termes de l’art. 911 , elle annule les
libéralités faites à l’incapable , soit qu’on les ait dégui
sées sous la forme d’un contrat onéreux , soit qu’elles
aient été faites sous le nom d’une personne interposée.
ET DE LA FRAUDE.
569. — Prohiber d’atteindre indirectement au ré
sultat qu’on ne peut obtenir par la voie directe, était u-
�m
TR AITÉ DU DOL
ne mesure indispensable au succès de la prohibition. Il
était facile de prévoir que celui qui ne recule pas devant
l’emploi de moyens illégitimes pour obtenir une libéra
lité, n’hésiterait pas à tenter toutes les fraudes pouvant
faire réussir sa spéculation. Or, en tête de ces fraudes,
figuraient la simulation du titre et l’interposition de per
sonnes.
L’une et l’autre conduisent à un résultat identique, la
nullité de l’acte. Il y a cependant entre elles celle diffé
rence que l’interposition n’a pas besoin , dans certains
cas, d’être prouvée. Ainsi elle est de plein droit présu
mée lorsque la libéralité est faite en faveur des père et
mère, des enfants ou descendants, de l’époux de l’inca
pable. Dans tous les autres cas, elle doit, comme la si
mulation, être prouvée par celui qui l’allègue.
Remarquons, en effet, que la qualité ne détermine
l’incapacité que relativement aux actes à titre gratuit, et
qu’on ne saurait s’en prévaloir lorsqu’il s’agit d’un acte
à titre onéreux. L’on revient pour ceux-ci aux principes
ordinaires, c’est-à-dire que l’acte fait foi de ce qu’il con
tient, et que si la confiance qui lui est due peut être al
térée, ce n’est que par la preuve du vice dont on le pré
tend entaché. L’incapacité de recevoir une libéralité ne
fait pas même présumer la simulation, car le dol et la
fraude ne se présument pas. L’art. 911 ne déroge à ce
principe qu’à l’endroit de l’interposition de personnes,
lorsque celui qui a traité appartient à l’une des catégo
ries qui y sont énumérées.
C’est donc au demandeur à prouver la simulation dont
�413
il se prévaut pour faire annuler l’acte. Il peut puiser cette
preuve dans les circonstances qui lui paraîtront graves
et précises , recourir même à la preuve orale. Mais si
cette justification n’est pas fournie, l’acte.à litre onéreux,
passé avec l’un de ceux que la loi déclare incapables de
recevoir, n’en sortira pas moins son effet.1
RT DE LA FRAUDE.
370. — Les personnes contre lesquelles nous venons
de voir le législateur se prémunir ne sont pas malheu
reusement les seules dont on ait à se méfier. 11 en est
que l’avidité seule introduit dans le sein d’une famille,
et qui, dans l’objet de s’enrichir, abusent de la démen
ce elle-même pour obtenir ce qu’ils n’auraient pas osé
demander à l’affection.
Contre de pareils attentats, il n’existait aucun remède
spécial. Le seul qu’il fût permis de sanctionner est celui
qui résulte de la disposition de l’art. 901 , suivant la
quelle, pour faire une libéralité quelconque, il faut être
sain d’esprit.
La nullité que l’absence de cette condition entraîne
ne procède pas seulement des inspirations réglant le con
sentement en matière ordinaire. Elle est une déduction
essentielle de la pensée que la loi manifeste dans la cré
ation des incapacités que nous venons de rappeler. Celui
qui n’a pas la plénitude de sa raison est, à l’égard de
ceux qui l’approchent, dans une position pire encore
l Montpellier , 19 mai 1813; — Duranton , tom. vu , n° 267 : —
Proudhon, De l'usufruit, tom. îv, n° 2363.
�TRAITÉ DU DOL
414
que celle du malade envers son médecin ou son con
fesseur. Celui-ci peut résister et se soustraire à l’influen
ce dont on veut user, l’autre est, par son infirmité mê
me, dévoué à toutes les inspirations intéressées qui vien
dront l’assaillir. On le déterminera facilement à prendre
une résolution contre laquelle son cœur et sa raison eus
sent également protesté s’il avait pu l’apprécier saine
ment.
La certitude de ce danger devait donc , comme pour
les incapacités, faire admettre la présomption d’une sug
gestion dolosive. Nous arrivons ainsi à nous expliquer
d’une manière rationnelle la disposition de l’art. 901
du Code civil.
371. — En effet, si cet article n’avait eu en vue que
l’incapacité du donateur ou testateur, sa disposition était
complètement inutile. En les rangeant sur la même li
gne que les contrats ordinaires, la donation et le testa
ment en subissaient tous les principes. A quoi bon, dès
lors, exiger , spécialement pour ce qui les concerne , la
sanité d’esprit ? Mais est-ce que, pour consentir un con
trat quelconque , il ne faut pas être sain d’esprit ? Estce que la capacité des parties n’est pas une des condi
tions essentielles à la validité des engagements? Il y a
donc, dans l’art. 901, autre chose que ce qui a motivé
les art. 1108 et suivants du Code civil, et cette autre
chose n’est que la présomption de suggestion que nous
relevions tout à l’heure.
Ce qui le prouve c’est que, dans le cas de l’art. 901,
�415
l’infirmation des libéralités n’est plus soumise aux règles
tracées pour celle des contrats ordinaires. On sait qu’en
droit commun l’insanité d’esprit ne peut résulter que du
jugement qui prononce l’interdiction. Ce n’est qu’à par
tir de ce jugement que l’incapacité est légalement ac
quise. Les actes de celui qui est mort integri status,
sans que son interdiction ait été prononcée au provo
quée , ne peuvent être attaqués pour cause de démence
que si la preuve de la démence résulte de l’acte même
qui est attaqué.1
Quant aux actes antérieurs à l’interdiction, l’art. 503
donne bien la faculté de les annuler, mais dans le cas
seulement où la cause de l’interdiction aurait notoire
ment existé au moment de l’acte.
Mais l’interdiction ne peut être prononcée que si celui
qui doit en être frappé est dans un état habituel d’im
bécillité, de démence ou de fureur. Conséquemment ce
lui qui n’offrira pas cet état habituel, sera légalement
capable de contracter , alors même qu’il éprouvera des
absences d’esprit plus ou moins longues, à des interval
les plus ou moins rapprochés. L’acte qu’il aura souscrit
dans une de ces absences n’en produira pas moins tous
ses effets, s’il ne décèle l’état de démence de son auteur.
Qui ne voit dès lors que l’application de ces règles
aux donations et testaments ouvrait la plus large issue à
de graves inconvénients et multipliait les chances de ré
ussite en faveur du dol et de la fraude. C’est précisément
ET DE LA FRAUDE.
1 Art . S04Cod. civil.
�TRAITÉ DU DOL
416
un de ces moments de faiblesse que l’avidité mettra à
profit, qu’elle s’évertuera à provoquer, afin d’extorquer
des libéralités qu’une saine intelligence n’aurait pas.consenlie.
L’absence d’un jugement d’interdiction plaçait ces li
béralités hors de toute atteinte. Le seul recours possible
était celui autorisé par l’art. 504, dans le cas qu’il pré
voit. Mais ce cas est-il facile à se réaliser? Une dona
tion , un testament authentique sont le fait du notaire,
du moins quant à leur rédaction. D’avance l’on peut être assuré qu’avant de recourir à son ministère toutes
les précautions seront prises pour parvenir à lui faire il
lusion sur l’état mental de celui qui consent l’un ou
l’autre. Le testament olographe lui-même ne sera que
d’un mince secours quant à la preuve de la démence, à
moins de supposer un état tel que son auteur ne puisse
machinalement écrire ce qu’on lui dictera.
S’en référer pour ces deux actes importants aux prin
cipes généraux sur la capacité, c’était donc consentir à
valider des dispositions n’ayant qu’une apparence de rai
son, c’était encourager ces rapines honteuses que la cu
pidité ne multiplie que trop, et sacrifier à un vain scru
pule l’intérêt des familles, le repos et la tranquillité de
leur chef. La transmission des biens, pour être équitable
et juste, doit être dirigée par une volonté éclairée et li
bre. Or l’homme le plus intelligent, le plus habituelle
ment raisonnable, peut subir, par l’effet de la maladie
à laquelle il est en proie, une atteinte grave dans ses
facultés mentales. L’espérance d’une guérison empêchera
�417
toujours la poursuite d’une interdiction que le caractère
accidentel de la démence , son peu de durée rendraient
d’ailleurs impossible à obtenir. Faudra-t-il cependant
maintenir les libéralités que le malade aura pu faire en
cet état ?
C’est ce que l’art. 901 n’a pas voulu consacrer. En
faisant de la sanité d’esprit une condition essentielle, la
loi a permis d’altaquer les donations et les testaments
pour cause de démence, sans se préoccuper si l’interdic
tion a été ou non prononcée, si la cause en existait no
toirement ou non, si l’acte offre ou n’offre pas la preuve
de la démence. En effet, si l’acte pouvait être maintenu
sous le rapport de la capacité de son auteur, il devrait
être annulé sous le rapport de la suggestion présumée.
ET DE LA FRAUDE.
372. — Ainsi les exigences de la loi ayant pour mo
tifs autant la conduite de l’institué que l’incapacité du
disposant, l’insanité d’esprit ne s’entend plus , à l’en
droit des libéralités, d’un état habituel d’imbécillité, de
démence ou de fureur. Elle subsiste toutes les fois qu’il
y a privation même momentanée de la raison ' ; toutes
les fois qu’au moment de la confection de l’acte le dis
posant était en proie à une passion violente qui trouble
son jugement à l’égard des objets qui ont rapport à cette
passion ’ ; toutes les fois, en un mot, que la suggestion
a pu facilement faire triompher ses prétentions et inspi
rer sa volonté.
1 Jaubert, loco citato.
2 Pandectes françaises, art. 901.
I
27
�TRAITÉ DU DOL
418
375. — Le caractère véritable de l’art. 901, tel que
nous venons de le définir , n’est plus aujourd’hui con
testé. Dans l’origine, on avait soutenu que la sanitéd’esprit qu’il exige devait être régie par les principes ordi
naires et subir l’application des art. 503 et 504. Mais
la Cour de cassation, sur le réquisitoire de Merlin, pros
crivit ce système qui, depuis, a été généralement aban
donné. L’arrêt est ainsi motivé :
« Considérant que l’art. 504 du Code civil n’est point
applicable aux donations entre vifs ni aux testaments,
lesquels sont spécialement régis par l’art. 901 du même
Code, qui a été définitivement adopté et promulgué en
ces termes : Pour faire une donation entre vifs ou un
testament, il faut être sain d'esprit ; qu’il résulte de la
généralité de ces expressions que, nonobstant les articles
1341, 1347, 1352 et 1353 dudit Code, il est permis
aux parties d’articuler, et aux tribunaux de les admet
tre à prouver, tous les faits qui sont de nature à établir
que l’auteur d’une donation entre vifs ou d’un testament
n’était pas sain d’esprit au moment de la confection de
ces actes , sans distinguer si ces faits ont ou n’ont pas
constitué un état permanent de démence.1 »
Aucun doute donc ne saurait s’élever sur le sens et
le caractère de l’art. 901. La donation, comme le tes
tament, exige dans son auteur une appréciation raisonnée et intelligente. Cette condition manque si , au mo.
i Cass., 22 novembre \ 810 ; — voy. nombreux arrêts conformes ; —
Dalloz, Dict. gin., vis Disp, entre vifs, n°* 8 et suiv.
�419
ment de l’acte , le souscripteur n’est pas .sain d’esprit.
Cet état, ne fût-il qu’accidentel ou momentané, n’en en
traîne pas moins la nullité de l’acte. Il suffit qu’il ait
existé pour que la disposition soit viscéralement atteinte.
Celui qui n’est pas sain d’esprit ne peut manifester une
volonté , il n’a ni la faculté, ni les moyens de le faire.
En réalité , il ne peut concevoir une pensée ni l’expri
mer. Les dispositions qu’on lui attribue sont présumées
lui avoir été suggérées et être le fait de celui qui est ap
pelé à en profiler.
Eh ! ce qui devait surtout le faire décider ainsi, c’est
que l’homme ne dispose le plus souvent de sa fortune
que dans ses derniers moments. La donation elle-mê
me, consentie quelques minutes avant la mort, n’en con
serve pas moins le caractère qui lui est propre. Alors,
cependant, que de dangers pour le malade ! que de sol
licitations I que d’embûches de la part de ceux qui l’en
tourent ! En vérité, on ne pouvait faire moins, pour con
jurer ces périls, que d’exiger, comme condition essen
tielle de la validité de l’acte, la sanité d’esprit, et d’an
nuler, en conséquence, les dispositions arrachées à une
imagination malade, à une raison obscurcie.
ET DE LA FRAUDE.
574. — Ajoutons que cette conclusion trouvait un
point d’appui dans les législations précédentes. Le droit
romain, entre autres, soumettait le sort des libéralités à
la capacité de fait au moment où elles étaient consenties.'
1 Inst., lib. 2, tit. 12.
�TRAITÉ DU DOL
420
D’où Pothier enseignait avec raison : Que ce n'est pas
tant l'interdiction que la démence même qui rend inca
pable de tester.
375. — La preuve de l’insanité d’esprit du dispo- .
sant est donc péremptoire , elle dispense de celle de la
suggestion ; celle-ci résulte forcément de la première avec laquelle elle se confond d’une manière indivisible.
Or , nous avons vu la Cour de cassation décider , dans
son arrêt du 22 novembre 1810 , que cette preuve est
dans tous les cas recevable, alors même qu’il faut recou
rir à des dépositions orales. Cette décision , dictée par
la raison , se justifie en outre très-bien sous le rapport
des principes régissant la preuve testimoniale.
Considérée comme créant une présomption légale de
captation, l’insanité d’esprit entraîne contre celui qui en
a profité la conviction d’un dol pratiqué non pas seule
ment contre le disposant, mais encore contre ses héri
tiers naturels ; or le dol constitue un véritable quasidélit dont la preuve orale est toujours admissible.
D’autre part, on ne saurait sans injustice exiger, de
celui qui se plaint, une preuve littérale. Celui qui ex
ploite à son profit l’infirmité d’un malade, se garde bien
d’afficher par écrit ses prétentions. La famille qu’il a
spoliée se trouve donc, à son égard, dans la position du
créancier qui n’a pu se procurer la preuve écrite de l’o
bligation, elle trouverait donc, si on pouvait lui opposer
l’art. 1341, le moyen d’en éluder l’application en invo
quant la disposition précise de l’art. 1348.
�421
376. — Mais, en réalité, l’art. 1341 est inapplica
ble aux actions fondées sur l’insanité d’esprit. Ces ac
tions n’ont nullement pour objet de porter atteinte à la
foi due à l’acte , à la véracité de ses énonciations ; ce
qu’elles tendent à établir, c’est l’existence d’un vice af
fectant l’acte dans son essence , lui faisant perdre toute
légalité. Ce n’est pas là, dès lors, prouver outre et hors
le contenu en l’acte, car il faut distinguer l’intérieur de
la disposition de la capacité de celui qui l’a faite. Sans
doute , lorsqu’il ne s’agit que de l’acte , de la vérité de
ce qu’il contient, des formes dont il est revêtu, il est de
règle générale qu’on n’admet pas la preuve par témoins
contre ce qui est écrit, parce qu’il prouve lui-même,et
d’une manière authentique , tout ce qu’on a besoin de
savoir à cet égard. Mais quand il est question de la ca
pacité des parties, l’acte même authentique ne la prouve
pas, il la suppose'. Ce n’est point ici un fait matériel
se réalisant sous les yeux du notaire, et qu’il a mission
de constater , c’est une appréciation que les recherches
que la loi prescrit à cet officier public, à l’effet de s’as
surer de la capacité des parties , lui ont inspiré. Celte
appréciation peut bien créer une présomption conforme
à l’opinion du notaire, mais il suffit qu’il ait pu se trom
per ou être trompé pour que cette opinion ne participe
en rien à l’authenticité que ses fonctions assurent aux
autres énonciations de l’acte.
De là cette conséquence que , si ces énonciations ne
ET DE LA FRAUDE.
1 Merlin, Uép , v° Test , seet. 1, § 1, art. 1.
�TRAITÉ DU DOL
m
peuvent être détruites que par une inscription de faux,
l’erreur, dans l’appréciation de la capacité, peut toujours
faire l’objet d’une preuve testimoniale. Ainsi, et malgré
la déclaration du notaire que le disposant lui a paru, ou
a été sain d’esprit, le contraire peut être établi sans la
voie de l’inscription de faux, c’est ce que la doctrine et
la jurisprudence admettent, c’est ce que décide formel
lement l’arrêt de cassation déjà cité , du 22 novembre
1810.
577. — L’admissibilité de la preuve orale pour l’in
sanité d’esprit n’est donc pas une dérogation à l’article
1341. Alléguer la démence, ce n’est pas contester la ma
térialité de l’acte, la vérité de ses allégations, la régu
larité de ses formes ; c’est soutenir qu’il ne pouvait ex
ister de convention régulière, de consentement valable.
Le respect dû à l’acte écrit intéresse trop l’ordre public,
il est trop profondément implanté dans notre législation
pour qu’on ait voulu le faire céder même devant l’inté
rêt des familles; ce qui le prouve, c’est que nous allons
le retrouver avec toutes ses exigences dans le développe
ment du principe de la recevabilité de la preuve testi
moniale, en matière d’insanité d’esprit.
578 . — Cette preuve, en effet, ne doit être admise
qu’autant que les faits articulés se renfermeraient dans
la violation de l’art. 901 et auraient pour objet la justi
fication de l’état d’imbécillité ou de démence. Les faits
qui seraient de nature à contredire les allégations essen
tielles de l’acte, ou qui renfermeraient la dénégation des
�■
423
circonstances que le notaire a mission de constater, de
vraient être rejetés. La preuve n’en pourrait être reçue
qu’après le préalable de l’inscription de faux.
Ainsi on pourra , sans recourir à cette voie , prouver
par témoins qu’avant , pendant et après l’acte, le dis
posant n’a pas eu la libre jouissance de ses facultés in_tellectuelles ; que même, en présence du notaire, cet état s’est manifesté par des signes plus ou moins carac
téristiques, par des propos extravagants, par des actions
insensées. Mais on ne saurait , sans s’inscrire en faux,
prétendre prouver que l’acte a été reçu dans un lieu au
tre que celui qui y est indiqué, ou qu’au moment de la
réception, le disposant était dans un tel état de prostra
tion physique ou morale qu’il n’a pu ni écrire, ni par
ler, alors que l’acte porte qu’il a dicté et signé ses dis
positions.1
ET DE LA FRAUDE.
579. — Cette règle, dont les tribunaux ne sauraient
s’écarter, détermine, comme conséquence forcée, la né
cessité d’articuler d’une manière nette et précise les faits
dont on prétend faire résulter l’insanité d’esprit. C’est,
en effet, le moyen unique d’apprécier le caractère et la
portée de chacun d’eux, et de reconnaître ceux qu’il faut
admettre, ceux qu’il faut rejeter.
Sous un autre rapport, l’articulation des faits n’est pas
moins indispensable. Il ne suffit pas qu’une preuve soit
1 Cass., 3 décembre 1807 ; 17 juillet 1817 ; — Grenoble, 3 août 1829;
— D. P., 7,1, 181 ; 17, 1, 418'; 30, 2, 251,
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424
TRAITÉ DU DOL
recevable pour qu’elle doive être admise. La condition
essentielle de l’admission est que la plainte soit dès à
présent vraisemblable, ce qu’on apprécie par les circon
stances et les faits du procès. Ainsi le demandeur en nul
lité , qui se contenterait d’offrir la preuve de l’insanité
d’esprit au moment de l’acte, verrait sa demande rejetée
purement et simplement.’
On doit d’autant plus le décider ainsi que , loin de se
relâcher de la sévérité ordinaire à l’endroit de la preuve
testimoniale, la loi conseille une plus grande circonspec
tion lorsqu’il s’agit, par son secours, d’annuler les actes
de dernière volonté, dont l’exécution religieuse est le pre
mier de ses vœux. Cette nullité dès lors ne doit êlre ac
cueillie que si le juge est moralement et légalement con
vaincu de sa nécessité et de sa justice. Les faits à prou
ver doivent donc promettre ce double caractère. Or, com
ment l’apprécier, si ces faits ne sont pas même articu
lés?
L’articulation des failsest donc,sous tous les rapports,
un devoir rigoureux dont l’omission entraîne le rejet de
la preuve.
380. — Il résulte de plus de ce qui précède, que la
pertinence des faits se mesure sur leur plus ou moins
de signification, relativement au point interloqué, à sa
voir : l’insanité d’esprit au moment de la confection de
MM
1 Rouen , 3 mai 1816 ; — Colmar , 17 juin 1812 ; — Besançon, 19
décembre 1810; — Aix, 14 février 1808, — voy. Journal du palais.
�425
l’acte attaqué. A cet égard, ils doivent tendre à l’établir
d’une manière claire , précise et sans équivoque. Ainsi,
ceux qui se rapporteraient à des époques antérieures ou
postérieures devraient être rejetés comme inconcluants,
à moins qu’on ne prétendit justifier d’un état habituel
de démence , d’imbécillité ou de fureur. Dans tous les
cas, les faits doivent être décisifs , la preuve de quelque
bizarrerie dans les idées ou dans le caractère, de quel
ques actes déraisonnables soit avant, soit après la libé
ralité, serait insuffisante pour la faire infirmer '. On ne
saurait, en effet, rien en conclure contre la validité de
l’acte, dont la nullité ne saurait jamais être prononcée
par voie de conséquence. « Les demandes d’annulation,
dit M. Grenier, doivent être appuyées sur des faits pré
cis, nettement articulés. Les tribunaux ne procèdent ja
mais par induction, parce qu’il s’agit d’une incapacité.
Ainsi le grand âge du testateur , l’oubli de sa famille,
l’importance des dispositions qu’il ferait en faveur de ses
domestiques, toutes ces circonstances seraient par ellesmêmes insuffisantes pour constater la démence.’ »
Si la démence était certaine avant et après l’époque
qui a vu la libéralité s’accomplir, devrait-on considérer
cette libéralité comme le résultat de l’insanité d’esprit ?
La solution de cette question est laissée à la prudence
des juges, elle dépend de l’appréciation des circonstanET DE LA. FRAUDE.
1 Paris, 26 mai 1825.
tom. 1 , n° 103 ; — conf. Cass., 18 octobre 1809 ; —
Rouen, 3 mai 1816.
2 Des donat.,
�426
TRAITÉ DU DOL
ces , pouvant établir chez le disposant un état habituel
d’imbécillité, de démence ou de fureur.
N’oublions pas cependant que la validité de l’acte n’est
pas inconciliable soit avec un état de démence antérieu
re et postérieure, soit avec l’état habituel lui-même.
Dans la première hypothèse, l’absence de toute interdic
tion, le défaut de poursuites, fait supposer la capacité ;
dans la seconde , cette présomption est remplacée par
celle de l’existence d’un intervalle lucide. Protégé par
l’une ou par l’autre, l’acte doit être maintenu si la preu
ve rapportée n’est pas de nature à justifier l’incapacité
et à démontrer l’absence de tout intervalle lucide.
381. — La possibilité légale de ces intermissions,
dans l’état de folie, était admise dans notre ancien droit.
On en trouve la preuve dans la doctrine si clairement
résumée dans le plaidoyer de d’Aguesseau, sur le testa
ment de l’abbé d’Orléans.
Il est vrai que cet illustre magistrat semblait n’ad
mettre l’existence des intervalles lucides que chez le fu
rieux. Mais cette opinion n’était pas généralement sui
vie , le testament de l’insensé , celui de l’imbécile était
susceptible d’être validé, comme ayant été fait dans un
intervalle lucide.'
L’absence de toute interdiction faisait même présumer
l’existence de l’intervalle lucide, mais pouvait-on en exciper lorsque l’interdiction avait été prononcée ?
1 Furgole, Des lest., chap. 4, sect. 2, n° 208.
��428
TRAITÉ DU DOL
382. — Quoi qu’il en soit, quelle est de ces deux
solutions celle que le Code actuel a sanctionnée? Quel
serait aujourd’hui le sort d’un testament fait par l’in
terdit postérieurement à son interdiction ?
Ces questions seraient toutes tranchées, s’il fallait les
résoudre sous l’influence de l’art. 502. Tous les actes
passés après l’interdiction sont nuis de plein droit, porte
cet article. D’où MM. Toullier et Grenier concluent que
le testament intervenu dans les mêmes circonstances ne
saurait sortir à effet.
Cette conclusion renferme-t-elle une saine apprécia
tion de l’esprit de notre législation, en matière de tes
taments ? Nous hésitons d’autant plus à le croire qu’elle
suppose à priori l’application de l’art. 502 à ces actes,
tandis que le contraire nous parait démontré.
Remarquons d’abord que le Code s’est exactement ap
proprié la pensée de la loi romaine. Comme celle-ci en
effet, et presque dans les mêmes termes, il n’exige, pour
condition des libéralités, que la capacité de fait au mo
ment de l’acte.
Il est donc certain, aujourd’h u i, que ce qui confère
la capacité de tester, c’est non corporis sanitas, mais
integritas mentis. On sait la conséquence que le droit
romain en avait tirée. Peut-on dès lors raisonnablement
admettre que le Code ait adopté le même point de dé
part pour arriver à une déduction diamétralement op
posée ?
Ce système, à notre avis, blesse évidemment la logigue, mais nous allons plus loin encore, car nous trou-
�m
verons qu’il ne choque pas moins la raison. L’art. 901,
exigeant la sanité d’esprit, est complètement satisfait
lorsque cette condition se réalise , et c’est ce qui arrive
lorsque l’interdit a réellement joui d’un intervalle lu
cide, pendant lequel il a disposé. Or, l’opinion que nous
combattons tend à déclarer l’existence de ces intervalles
impossible après l’interdiction, comme si la décision ju
diciaire qui la prononce pouvait avoir pour effet de pros
crire ce que la nature autorise , ce qu’on admet sans
difficulté pour celui qui n’a pas été interdit, quoique étant réellement dans le cas de l’être.
Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’énormité de
cet effet attaché au jugement d’interdiction; elle est telle
à notre avis, qu’elle n’a pu venir à la pensée du légis
lateur.
La preuve nous en est fournie par l’art. 901, qui crée
pour les libéralités un système spécial , dérogatoire au
droit commun en matière de capacité. C’est ainsi qu’il
est admis que les art. 303 et 504 n’ont aucune appli
cation aux donations entre vifs et aux testaments. Or,
ce qu’on décide pour ceux-ci, on doit le consacrer pour
l’art. 502. En effet, recourir à celui-ci lorsqu’il y a eu
interdiction et repousser l’art. 504 lorsque le disposant
est mort integri status, ce serait admettre que le légis
lateur a prétendu favoriser tout ce qui tend à infirmer
les testaments, réservant toute sa sévérité pour ce qui est
dans le cas d’en assurer le maintien. Or , nous l’avons
déjà dit, l’esprit de la loi a été de consacrer précisément
le contraire.
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
430
Dès lors , si le testament de celui dont tous les actes
sont inattaquables peut être attaqué pour cause de dé
mence, il faut, par réciprocité, admettre que là où tous
les actes ordinaires seraient nuis de droit, le testament
pourra être maintenu si la condition exigée par l’article
901 s’est réalisée. Sans doute l’interdiction judiciaire
ment prononcée crée une présomption de démence, mais
son absence fait présumer la sanité d’esprit. Puisque
dans ce cas cette présomption n’exclut pas la preuve de
la démence , il faut, pour être rationnel , conclure que
dans le premier cas la présomption de la démence ne
peut s’opposer à la preuve de la sanité d’esprit.
385. — En d’autres termes, l’art. 901 dérogeant
aux articles 503 et 504, déroge également, et par parité
de raison , à l’art. 502. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne
Merlin :
« Dès que pour déclarer un furieux ou un homme en
démence incapable de tester, n’importe qu’il soit inter
dit ou non, on est obligé de recourir à l’art. 901, il faut
bien aussi que l’on s’y tienne pour déterminer les limi
tes de cette incapacité. Or, d’une part, cet article ne fait
dépendre la capacité de tester que de la santé de l’es
prit, et de l’autre, il est bien sensible que l’interdiction
ne peut empêcher que l’individu qu’elle frappe n’ait des
intervalles lucides, ni , par conséquent, qu’il soit sain
d’esprit pendant ces intervalles. Elle ne peut donc pas
l’empêcher de tester. Eh ! que ferait-on en jugeant le
contraire? On ajouterait à l’art. 901 une exception qu’il
�431
ne contient pas et l’on appliquerait aux testaments l’ar
ticle 502 , qui y est évidemment étranger, c’est-à-dire
qu’on violerait doublement la loi.' »
ET DE LA FRAUDE.
58 4. — Nous ne connaissons aucun monument de
jurisprudence qui ait eu à résoudre la question qui nous
occupe ; mais un arrêt récent de la Cour de cassation
crée un très-fort préjugé contre la doctrine de MM.Toullier et Grenier. La Cour suprême a, en effet, jugé, le 12
novembre 1844, que l’art. 502 n’était pas applicable au
mariage et à la légitimation des enfants naturels, qu’en
conséquence l’interdit avait pu valablement, après son
interdiction, se marier, reconnaître et légitimer les en
fants nés avant ce mariage. Certes, ces actes exigent.de
la part de ceux qui les contractent, un consentement li
bre et éclairé. Ce n’est donc que par la supposition d’un
intervalle lucide qu’on a pu reconnaître à l’interdit la
faculté d’y procéder. Hésiterait-on à admettre pour la
donation et le testament ce qu’on a admis pour le ma
riage et la légitimation? Il suffit de réfléchir aux effets
nécessaires des uns et des autres pour être certain du
contraire.
385 . — Retenons donc que le testament postérieur
au jugement d’interdiction n’est pas nul de plein droit ;
qu’il doit, au contraire, sortir à effet et être maintenu,
si le légataire institué pouve qu’il a été commencé et fini
pendant la durée d’un intervalle lucide.
�TRAITÉ DU DOL
432
Nous disons : pourvu que le légataire prouve l’inter
valle lucide. Remarquons , en effet, que l’interdiction,
quoique ne s’opposant nullement à la réalisation d’un
de ces intervalles , établit la présomption légale d’insa
nité d’esprit ; que dès lors c’est à celui qui y a intérêt à
prouver la vérité contraire. L’interdiction produit donc
dans cette matière un effet certain ; elle déplace la pré
somption qui s’attache à l’acte et change les obligations
respectives des légataires et des héritiers naturels. Si le
testateur est décédé integri status, le testament est ac
cepté, jusqu’à preuve contraire, comme l’expression d’u
ne pensée saine ; si l’interdiction a été prononcée, le tes
tament est présumé l’ouvrage de la démence. Dans le
premier cas, la preuve de l’insanité d’esprit est à la char
ge des héritiers naturels; dans le second , c’est l’héritier
institué qui doit fournir celle de la raison.
586. — Cette dernière preuve sera assezdifficile dans
bien des cas. Dans tous , l’acte lui-même , la nature de
ses dispositions, leur étendue, la justesse d’esprit qui s’y
fera remarquer en'seront des éléments essentiels.
A cet égard, cependant, la valeur de ces indications se
ra nécessairement relative. L’acte authentique appartient,
quant à la rédaction, bien plutôt au notaire qu’au dis
posant lui-même. Il est donc évident que la lucidité, que
la sagesse de cette rédaction ne fournira qu’un indice
peu grave de la sanité d’esprit du disposant.
Il n’en est pas ainsi du testament olographe; celuici est l’œuvre exclusive du testateur. Il ferait donc faci-
�433
lement admettre son état de raison si, par son étendue
et la clarté de ses dispositions, il parait repousser toute
idée de démence.
Toutefois, le testament peut avoir été machinalement
copié sur un projet fourni ou dicté au testateur par les
personnes intéressées. Ce n’est pas tout d’écrire des dis
positions, il faut en outre être en état d’en comprendre
la nature, d’en apprécier la portée. La preuve de Tune
des circonstances que nous indiquons altérerait donc
gravement la foi due à la sagesse de l’acte.
Au reste, c’est à la prudence du juge à établir le vé
ritable caractère de l’acte attaqué ; c’est par l’examen
attentif des circonstances et des faits que la justice dis
tinguera celui qu’il faut maintenir et celui qu’il convient
de rejeter.
ET DE LA. FRAUDE.
387. — En résumé, le respect que son caractère de
haute utilité assurait à la libre disposition des biens, dic
tait au législateur le devoir d’en assurer la sincérité. Les
influences que la cupidité fait s’agiter autour d’un mou
rant offraient un véritable danger, car elles pouvaient
lui inspirer une volonté contraire à ses propres inten
tions et s’enrichir ainsi par une voie illégitime. C’était
donc ces influences qu’il fallait d’abord proscrire ; de là,
l’incapacité des tuteurs, médecins, pharmaciens, minis
tres des cultes. La crainte d’une suggestion dolosive était
bien mieux fondée lorsque le testateur , privé de sa rai
son , se présentait comme une proie facile à toutes les
manœuvres. Les motifs étant identiques, on devait sanci
28
�TRAITÉ DU DOL
434
lionner un principe commun , et de là la présomption
de suggestion qui, indépendamment de l’incapacité du
disposant, annulle les libéralités arrachées à une pensée
inerte et faible, incapable d’apprécier et de comprendre.
Le besoin d’assurer sur ces deux points la volonté du
législateur, commandait de proclamer la recevabilité de
la preuve testimoniale, dont l’admissibilité est abandon
née aux lumières et à la prudence des magistrats.
,388. — Nous arrivons à la captation ordinaire, qui
se concilie très-bien avec la sanité d’esprit la plus com
plète. La captation, en effet, est de toutes les fraudes la
plus déliée, la plus subtile; elle s’insinue d’abord dans
les bonnes grâces de celui qu’elle veut égarer ; exploite
à son profit ses goûts, son intérêt, ses passions ; elle abuse bientôt de l’ascendant que ses manœuvres ont su
lui conquérir, et parvient même à triompher de la vo
lonté la mieux arrêtée.
Son existence, comme dans les cas précédents , vicie
donc l’acte qui en est entaché. La seule différence c’est
que, présumée pour ceux-ci, elle doit, dans l’hypothèse
qui nous occupe, être prouvée par celui qui l’allègue.
389. — Dès lors, l’offre de fournir cette preuve est
toujours recevable. Un instant le silence gardé par le
Code, sur cette cause de nullité des libéralités, avait fait
contester ce résultat. On avait, en effet, interprété ce si
lence comme une abrogation de l’art. 47 de l’ordonnan
ce de 1735, d’où l’on concluait que la recherche de la
�435
captation était interdite. Mais cette interprétation, que la
discussion législative n’autorisait d’aucune manière , a
été depuis longtemps repoussée par la doctrine et la ju
risprudence.
La captation ou suggestion est donc encore une cause
de nullité des libéralités. Mais en conservant le princi
pe, l’on n’en a point diminué et encore moins fait dis
paraître les difficultés d’application. Les procès de cap
tation soulèvent ordinairement, et souvent sans intérêt
réalisable , les plus scandaleux , les plus affligeants dé
bats. « Qui ne sait, disait naguère devant la Cour de
cassation M. l’avocat-général Delangle; qui ne sait que
le plus souvent les procès de ce genre sont imaginés par
ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’attaquer un tes
tament. Sur cent procès, c’est à peine si un réussit ; aus
si, quoi de plus scandaleux 1Sous les prétextes les plus
frivoles et dans un misérable intérêt d’argent, on exhu
me le testateur et l’on dirige contre sa mémoire d’in
sultantes accusations. Sa vie privée, ses mœurs, ses pen
sées, ses habitudes les plus intimes, rien n’est respecté ;
tout, au contraire , revêt, au gré d’une polémique ar
dente, les plus odieuses couleurs. »
Ces inconvénients, réellement déplorables, avaient déjà
tellement frappé les auteurs du Code , que le premier
projet avait formellement rayé la captation du nombre
des causes de nullité des donations et testaments. La
discussion la fit cependant maintenir. Faut-il le regret
ter ? Il faut convenir qu’on n’a pas le courage de le
faire en présence des motifs qui ont déterminé le légis
lateur.
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOL
436
« La loi, dit M. Bigot de Préameneu, a gardé le si
lence sur le défaut de liberté qui peut résulter de la cap
tation et sur le vice d’une volonté déterminée par la co
lère ou par la haine. Ceux qui ont entrepris de faire
annuler des dispositions par de semblables motifs, n’ont
presque jamais réussi à trouver de preuves suffisantes
pour faire rejeter des titres positifs, et peut-être vaudraitil mieux , dans l’intérêt général , que cette source de
procès ruineux et scandaleux fût tarie, en déclarant que
ces causes de nullité ne seraient pas admises. Mais alors
la fraude et les passions auraient cru voir dans la loi
même un titre d’impunité. Les circonstances peuvent être telles, que la volonté de celui qui a disposé n’ait pas
été libre ou qu’elle ait été entièrement déterminée par
une passion injuste. C’est la sagesse des tribunaux qui
pourra seule apprécier les faits et tenir la balance entre
la foi due à l’acte et l’intérêt des familles ; ils empêche
ront qu’elles ne soient dépouillées par les gens avides
qui subjuguent les mourants, ou par l’effet d’une haine
que la nature ou la raison condamne. »
Ainsi si, dans l’origine du Code, les procès en capta
tion ont pu présenter une question de droit, ils ne sau
raient plus aujourd’hui constituer qu’une pure question
de fait, que la conscience du juge apprécie souveraine
ment. Mais , dans l’intérêt même de cette appréciation,
faisons remarquer que ce n’est, en quelque sorte , qu’à
regret que la captation et ses effets ont été maintenus
dans la législation. Cette considération indique suffisam
ment avec quelle prudente réserve doivent agir les tri
bunaux dans leur admission.
�437
590. — Il en est de la captation ordinaire comme
de la captation présumée, c’est-à-dire que la preuve tes
timoniale est toujours recevable. Le système que cette
recevabilité devait être subordonnée à l’existence d’un
commencement de preuve par écrit, un instant soutenu,
a été abandonné par tout le monde. Conséquemment,
son admissibilité dépend essentiellement delà gravité et
de la pertinence des faits articulés.
ET DE LA FRAUDE.
591. — Or les faits n’ont de la gravité que s’ils ten
dent à établir un ensemble de manœuvres frauduleuses
et dolosives. En effet, la seule captation que la loi a
voulu réprimer, est celle qui , par une espèce de vio
lence morale,est parvenue à substituer à la volonté spon
tanée du disposant une volonté qu’elle a su faire naître
et qu’elle a entretenue par ses artifices : Quod falsœ et
dolosœ suggestiones adhibitœ sint, comme, dit la loi
romaine.
« Ainsi, dit Furgole, les présents, les affections vraies
ou simulées, les services , les complaisances , les caresres, les prières, dans la vue d’attirer les libéralités, n’ont
pas , à la vérité , toute la pureté d’intention et ne sont
pas louables à cause du motif d’intérêt sordide qui en
est le mobile , mais ces voies ne sont pas pourtant dé
clarées illicites, parce qu’elles n’ont pas une liaison né
cessaire avec le dol et la fraude. Ce sera tout au plus ce
qu’on appelle dolus bonus, qui ne doit point nuire à
celui qui le met en usage.',»
�438
TRAITÉ DU DOL
Il est évident , en effet, qu’on ne pouvait réduire le
sort de la captation à un fait intentionnel dont la re
cherche ne saurait dans aucun cas offrir la moindre sé
curité, la plus légère certitude. Les tribunaux n’ont pas
la mission de lire dans les cœurs, parce qu’ils n’en ont
pas le pouvoir. C’est par des faits certains qu’ils peu
vent arriver à des conséquences plus ou moins logi
ques. Et si , nonobstant ces éléments, l’erreur se glisse
quelquefois dans leurs décisions , il en serait bien plus
ainsi si ces décisions étaient réduites à interpréter le vé
ritable caractère des pensées intimes des parties conton
dantes.
Qu’importe d’ailleurs que le disposant ait été la dupe
d’une affection simulée , qu’il ait cru à la sincérité de
l’attachement qu’on lui témoignait. De sa part, au
moins, cet attachement était sincère , et si la libéralité
n’a été que la conséquence de ce sentiment, il y a bien
réellement volonté certaine , et conséquemment impos
sibilité de s’y soustraire : captatorias imtitutiones non
eas senatus improbavit, quæ mutuis affeclionibus judicia provocavenmt.1
De là il suit que si les faits articulés ne tendaient à
établir que des circonstances de la nature de celles re
levées par Furgole, la preuve en serait inadmissible.En
effet, prouvées qu’elles fussent, supposé même qu’on pût
en démontrer le défaut de sincérité, ces circonstances ne
pourraient empêcher l’acte de produire son plein et en
tier effet.
1 L. 70, Dig. De hœred. inst.
�439
592. — Mais à quelles conditions reconnaîtra-t-on
qu’il s’agit d’une captation prohibée? Evidemment lors
que les faits allégués, s’ils étaient certains, rendraient la
libéralité involontaire , en démontrant l’illégitimité des
moyens à l’aide desquels on est parvenu à égarer son
auteur. Bien qu’en pareille matière il ne puisse exister
ni règles absolues, ni précédents obligatoires, il est ce
pendant admis en doctrine et en jurisprudence qu’il est
des faits ayant à cet égard une grave et importante si
gnification.
Ainsi un homme a toujours bien vécu avec sa famil
le. Survient un tiers qui se substitue à celle-ci dans son
affection. Pour assurer son empire , il répand le venin
de la calomnie sur les membres de la famille , les dé
peint comme les ennemis particuliers de celui qu’il trom
pe, et parvient enfin à les faire déshériter.
Dans la meme hypothèse , le tiers ne se contente pas
de semer la haine et la discorde entre le testateur et ses
héritiers naturels. Se méfiant encore des sentiments du
premier , il l’éloigne de tous ses amis, de tous ses pa
rents, auxquels il interdit tout accès.
Evidemment des actes de cette nature ont une portée
énorme. Ils prouvent que la libéralité n’a pas été l’effet
de l’affection. Le testateur, en effet, aurait préféré ses
parents, s’il n’avait été abusé par les calomnies odieuses
dont ils ont été l’objet, calomnies dont la séquestration
devait assurer le triomphe, en apportant un obstacle in
vincible à toute explication.
D’autre part, quel peut être le motif de la séquestra-#
ET DE LA FRAUDE.
�440
TRAITÉ DU' DOL
tion, si ce n’est d’isoler celui qui la subit et de triom
pher ainsi plus facilement de sa volonté. On peut même
dire que l’auteur de cette mesure illégale a , par cela
seul, témoigné combien était faible l’affection dont il se
prévaudra plus tard. C’est parce qu’il a craint que ce
sentiment ne s’effaçât devant la présence seule des pa
rents qu’il les a soigneusement écartés.
Dès lors l’offre de prouver, soit un système de calom
nie contre la famille, soit la séquestration du disposant,
contient des faits d’une nature grave. Ce sont là des
moyens dolosifs réprouvés par la morale et par la loi.
Leur preuve est non seulement recevable , mais encore
admissible , si d’ailleurs on lui reconnaît les caractères
de pertinence dont nous parlerons bientôt.
395. — Le concubinage était autrefois une cause de
nullité des donations ou testaments. Son existence faisait
présumer la captation dolosive. La preuve en était donc
recevable et admissible.'
Il faut convenir que la prohibition de l’ordonnance,
dont la rigueur avait d’ailleurs été modifiée dans la pra
tique, s’étayait, au point de vue juridique et moral, sur
de puissantes considérations. On connaît l’empire que
des relations illégitimes créent, surtout sur des vieillards,
et la certitude de cet empire pouvait facilement détermi
ner la conviction que les libéralités obtenues n’avaient
pas d’autre cause. L’histoire du concubinage est, dans
* 1 Ordonnance de janvier 4629, art. 132.
�•. J
441
une autre signification, le martyrologe de bien de famil
les qui l’ont vu audacieusement exploiter la discorde et
la haine qu’il avait semées dans leur sein.
Cependant le Code civil a nettement répudié sur ce
point les errements du législateur de 1629. Non pas,
certes, qu’on se soit dissimulé la réalité du danger que
celui-ci avait prévu, mais on a considéré qu’il y aurait
un péril plus grave encore , pour la morale publique,
dans la manifestation des désordres et des passions du
testateur; dans le scandale d’actions dirigées quelquefois
sans fondement contre la personne instituée.
Quoi qu’il en soit, il est bien certain qu’aujourd’hui
le concubinage ne détermine aucune incapacité , qu’il
ne peut même être invoqué comme prouvant la capta
tion.
Celui-là donc qui demanderait à le prouver, comme
moyen unique d’établir celle-ci , devrait être repoussé.
La preuve offerte ne serait ni recevable, ni admissible.'
Mais le concubinage rend la captation vraisemblable.
À ce titre , il devient un élément essentiel du dol, un
moyen d’apprécier la gravité des faits signalés. Lors
donc qu’on l’articule à l’effet d’étayer divers autres ma
nœuvres et artifices, la preuve peut et doit en être or
donnée.3 "
ET DE LA FRAUDE.
t Pau, 20 mars 1822; — Grenoble, 15 juin 1822; — Pai'is, 17 juil
let 1826.
2 Cass., 31 janvier 1814; — Aix, 17 avril 1844 ( succession Gastain).
�442
TRAITÉ DU DOL
594. —• À.u reste , une considération qui domine
nécessairement toute notre matière, c’est que la gravité
des faits, au point de vue des résultats à obtenir, est pu
rement relative. On doit l’apprécier dans chaque espèce,
non seulement par l’ensemble des circonstances , mais
encore par la position respective du disposant, de sa fa
mille , de l’institué , par leurs antécédents à tous. C’est
à la prudence du juge à consacrer la solution la plus
rationnelle. Nous l’avons déjà d it, son appréciation est
souveraine. Cependant la loi nous paraît avoir tracé le
mode à suivre dans la création des incapacités. Plus une
personne aura été dans le cas d’influencer la volonté du
disposant, plus on croira à l’exercice de cette influence.
En conséquence, tel fait qui, par rapport à l’un, man
querait de gravité , en acquerrait une positive par rap
port à l’autre. La preuve qui serait repoussée pour ce
lui-là pourra donc être admise pour celui-ci.
595. — La gravité des faits détermine généralement
leur pertinence. Il est rare , en effet, qu’un fait grave
soit jugé non pertinent. Cependant cela peut se réaliser,
lorsqu’il s’agit d’un procès en captation ou suggestion.
On doit , dans ce cas, se montrer beaucoup plus sévère
que lorsqu’il s’agit d’une simple obligation. C’est ce qui
s’induit des principes que nous avons déjà rappelés.
L’exécution littérale des dispositions réglant la trans
mission des biens est le premier vœu du législateur,
parce qu’elle est une nécessité sociale. Or, soumettre au
gré d’un héritier désappointé et, dans tous les cas, cette
�443
exécution aux chances de témoignages complaisants ou
corrompus , c’est non seulement aller contre l’esprit de
la loi , mais encore altérer la foi due aux divers modes
de transmission autorisés.
Que, dans le but d’en assurer la sincérité, on ait per
mis de recourir à la preuve testimoniale , c’est là une
exception dictée par l’intérêt bien entendu des familles,
et non une arme abusive qu’on ait voulu leur confier.
Il convient donc de la renfermer dans les limites d’une
nécessité démontrée. Or, s’il suffisait d’articuler des faits
graves pour obtenir de faire entendre des témoins, l’ex
ception deviendrait bientôt le droit commun.
En effet, le demandeur en preuve saura bien articu
ler des faits assez graves pour que sa demande ne puis
se être refusée. Il parlera de calomnies répandues con
tre les parents, de la séquestration de l’auteur de la li
béralité , e t, suivant qu’il sera possible de le faire , du
concubinage même. Il sait très-bien lui-même qu’il est
dans l’impossibilité de prouver ce qu’il avance , mais
l’intérêt du moment est d’obtenir l’interlocutoire , cela
prolonge d’abord le litige, puis la preuve testimoniale a
tant de chances ! Il peut se faire même que l’adversaire,
effrayé de ses incertitudes, compose en abandonnant une partie de ses droits.
Ce calcul n’est pas toujours une pure hypothèse. Sa
possibilité avait tellement frappé des esprits judicieux,
qu’elle les avait déterminé à subordonner la recevabilité
de la preuve orale de la captation à l’existence d’un
commencement de preuve par écrit. On a, avec raison,
ET DE LA FRAUDE.
�444
TRAITÉ DU DOL
condamné ce système qui, pour éviter un inconvénient,
tombait à plein dans l’inconvénient opposé. Mais l’exis
tence du danger signalé exigeait qu’on s’occupât de le
prévenir. Le moyen qui s’offrait le plus naturellement
était de se montrer exigeant sur ce qui constitue la per
tinence des faits.
On ne reconnaitra donc ce caractère qu’aux faits qui
tendent à prouver :
596. — 1° Que la captation dolosive a été la cause
déterminante de la libéralité.
Cette condition n’est qu’une application exacte de l’ar
ticle 1116 du Code civil. Aux termes de sa disposition,
le dol n’annulle le contrat que si les manœuvres de l’u
ne des parties ont été telles que , sans ces manœuvres,
l’autre partie n’aurait pas contracté. En d’autres termes,
la captation dont on se plaint doit constituer un dol
substantiel , car il n’apparait en rien que le législateur
ait entendu déroger, pour les actes à titre gratuit, à la
règle commune à tous les contrats.
De là cette conséquence que si le défendeur prouvait
que la libéralité a une cause naturelle et légitime, indé
pendante du dol, s’il établissait, par exemple , par des
précédents certains, qu’il a été l’objet d’une affection
constante de sa part , les faits à l’aide desquels on en
tend prouver la captation se trouveraient ou infirmés,
ou condamnés n’avance à ne produire aucun résultat
positif. Sans doute leur existence démontrée ferait pré
sumer le dol, mais la certitude de l’affection du dispo-
�445
sant pour l’institué créerait la présomption contraire.
On ne saurait, dès lors, se prononcer pour l’une ou pour
l’autre sans s’exposer à s’écarter de la vérité. 11 y au
rait, tout au moins , doute sur le mobile qui a fait agir
le disposant, et, dans le doute, on doit se prononcer pour
le maintien de l’acte.
ET DE LA FRAUDE.
397. — La Cour de Dijon a fait une remarquable
application de ce principe dans l’espèce suivante :
« L’abbé Volfius, ancien évêque de Dijon, meurt en
l’état d’un testament par lequel il lègue une maison va-,
lant 6,000 fr. à la demoiselle Edme-Rose Guedeney,
sœur de Marie, sa domestique, et institue celle-ci et le
sieur Silvestre pour ses héritiers universels, chacun par
moitié. Ce testament avait été précédé de donations en
tre vifs en faveur des mêmes individus.
» Les héritiers du sang poursuivent la nullité de ces
donations et testament pour cause de captation et sug
gestion. Après enquête et contre-enquête, arrêt définitif
qui prononce la nullité à l’encontre des deux filles Gue
deney, et maintient les dispositions faites en faveur de
Silvestre. Ce maintien se fonde sur le motif suivant :
» Considérant qu’il ne résulte pas de l’enquête de
preuves positives que Silvestre ait concouru d’une ma
nière active à la captation ou suggestion artificieuse em*
ployée par Marie Guedeney sur l’abbé Volfius ;
» Que si des présomptions graves résultaient contre
lui : de l’époque à laquelle la donation a eu lieu à son
profit; de ce qu’elle aurait eu lieu au même instant
�446
TRAITÉ DU ■ DOL
que celles des filles Guedeney ; des circonstances qui
l’ont suivies, telles que le désistement d’usufruit, la vente
des objets donnés , le non remplacement ostensible de
leur valeur ; d’avoir empêché quelques-uns des témoins
de parler à M. Volfius ; de la circonstance que les faits
de captation ont eu lieu depuis son établissement avec
l’abbé Volfius ; du fait enfin de la spoliation de la suc
cession de la demoiselle Volfius, et de celui d’avoir di
rigé les soupçons sur des personnes étrangères que l’on
voulait éloigner de la maison ; cependant ces présomp
tions sont combattues par d’autres, notamment par celle
résultant de l'affection que lui témoignait M. Volfius,
des soins qu’il avait donné à son éducation , de la né
cessité où était en quelque sorte M. Yolfius de lui faire
des avantages pécuniaires, après l’avoir tiré de la posi
tion peu fortunée dans laquelle il était ; de l’intention
manifestée par le testateur de lui laisser une partie de
sa fortune ; de ce qu’enfm la portion qui lui est attri
buée, qui est une moitié, peut ne pas paraître excessive
dans la situation où était M. Volfius à son égard.
» Que de là il suit qu’il est plus juste et plus natu
rel d’accorder la préférence aux présomptions qui sont
en faveur de l’existence des actes, et que dès lors il n’y
a pas lieu d’accorder la nullité demandée par rapport
aux actes faits au profit de Silvestre.1 »
Certes , les faits dont Silvestre était convaincu étaient
graves et concluants. Ils auraient nécessairement amené
�.( .
“
<..
•
447
l’annulation des libéralités qui lui avaient été faites, s’il
ne s’était trouvé dans une position toute particulière visà-vis de leur auteur. En l’état de cette position , pouvait-on considérer ces faits comme la cause déterminante
du contrat? Certes le doute était permis , et dès lors la
captation manquant d’un de ses éléments essentiels,
l’acte devait être maintenu. En le décidant ainsi, la Cour
de Dijon a sainement appliqué les véritables principes.
Aussi son arrêt reçut-il la sanction de la Cour de cas
sation.
Or il est évident que ce qui , dans l’espèce , résultait
des enquêtes, peut, dans d’autres circonstances, être éta
bli avant ou au moment de l’interlocutoire. Ainsi, il peut
dès lors être certain que l’institué a toujours été dans
l’intimité du disposant ; qu’indépendamment des rela
tions les plus affectueuses, il en a reçu, avant la derniè
re disposition , des libéralités , soit par actes entre vifs,
soit par des testaments précédents. Les preuves qui ré
sulteraient de ces derniers seraient même d’une extrême
importance s i, de leur date à la mort de leur auteur,
il s’était écoulé un long intervalle de temps. Celui qui a
longtemps vécu en l’état de dispositions qu’il pouvait ré
tracter, qui ne les a changées que pour les rendre plus
favorables encore , celui-là , disons-nous , a témoigné
d’une continuité d’affection laissant bien peu de place à
une accusation de captation.
L’invraisemblance de cette captation enlèverait donc
toute pertinence aux faits interloqués. La seule preuve
recevable, en présence de pareils antécédents, serait celle
ET DE LA FRAUDE.
�448
TRAITÉ DU DOL
qui tendrait à prouver que la haine avait succédé à l’af
fection, et que le dol seul avait empêché la première de
se manifester. Les faits côtés à l’appui, s’ils étaient gra
ves , seraient en outre pertinents , car ils auraient, pour
but d’établir que le dol a été la cause unique et déter
minante de la libéralité.
598. — 2° Que la volonté écrite du testateur est
contraire à celle qu’il aurait exprimée, s’il eût été livré
à ses propres inspirations.
La captation n’annullant les libéralités que parce
qu’elle est censée substituer une volonté suggérée à celle
que le testateur aurait spontanément conçue et expri
mée, l’existence de celle ci est indispensable pour qu’on
puisse admettre la captation. Demander à justifier celle
existence, c’est donc offrir une preuve utile dans l’inté
rêt de celui qui l’invoque. Les faits tendant à l’établir
reçoivent de la nature même des choses un caractère
de pertinence incontestable,
11 n’est pas naturel que , sans motifs suffisants, un
homme rompe tout à coup avec les antécédents les mieux
établis , abandonne subitement une intention dès long
temps conçue et déshérite ceux qu’il a jusque-là consi
déré et traité comme ses successeurs. La preuve de ce
changement subit fait donc supposer autre chose qu’un
effet de la mobilité ordinaire du cœur humain , et ce
premier doute, s’il est corroboré par la preuve de ma
nœuvres frauduleuses , imputées à celui qui profite du
changement, est de nature à se convertir en certitude.
�449
C’est la cupidité qui a déterminé la conduite du testa
teur. Cette conduite devient un des éléments de la cap
tation dont le but et la nécessité ainsi démontrés ren
dent, à priori, l’existence probable.
On conçoit en effet que , pour arriver à arracher de
l’esprit du testateur une résolution depuis longtemps ar
rêtée , il ait fallu des efforts persévérants et nombreux,
[/intérêt cupide qui a entrepris cette tâche aura-t-il re
culé devant l’emploi du dol et de la fraude ? Ne faut-il
pas admettre , au contraire , qu’à la déloyauté de l’in
tention s’est réuni l’odieux des moyens? Ce sont là des
questions dont la solution , si elle peut être douteuse,
n’en appelle pas moins une exacte et sévère investiga
tion.
L’indication d’une volonté contraire à celle du testa
ment attaqué est donc indispensable pour la pertinence
des faits articulés. La Cour de Grenoble a même décidé
que son absence devait faire rejeter la preuve de la cap
tation. Elle a en effet jugé, le 16 avril 1806, que cette
preuve n’est admissible que lorsque les faits articulés
tendent à établir l’intention du testateur de manifester
une volonté contraire à celle qui' est exprimée dans le
testament', et l’on doit convenir que l’esprit de la loi
étant, comme nous l’avons fait remarquer , de croire à
la réalité de la captation , par et suivant son plus ou
moins de vraisemblance, justifie la déterminationprisepar
la Cour de Grenoble.
ET DE LA FRAUDE.
1 D. A , tom. v, pag. 292.
i
*
29
�Toutefois il faut se garder d’outrer les conséquences
du devoir imposé au demandeur eu nullité , pour cause
de captation. Ainsi on admettra le changement de vo
lonté alors même que rien, dans la conduite du testa
teur, indiquerait qu’il eût pris aucune disposition rela
tivement à son hérédité, s’il était articulé qu’il avait l’in
tention de décéder ab intestat. On sait les répugnances
que certaines personnes éprouvent à l’endroit de leur
testament. On parviendrait souvent plus facilement à
triompher de l’affection du testateur que de lui faire
vaincre un préjugé fondé sur l'égoïsme et la crainte. La
captation n’aura donc pas été moins puissante dans ce
cas que dans l’autre.
Elle peut donc également se rencontrer dans tous les
deux. Elle présentera dans chacun les mêmes circons
tances, c’est-à-dire l’abandon d’une volonté préconçue,
peu importe que cette volonté ait été ce que nous ap
pellerons positive ou négative. 11 suffit que le testateur
ait réellement fait le contraire de ce qu’il voulait faire,
de ce qu’il aurait fait s’il eût été libre, pour que les faits
tendant à le prouver soient pertinents et admissibles.
L’intention de mourir sans testament peut même ré
sulter des antécédents de celui à qui on l’attribue. Ainsi
un vieillard, parvenu à ün âge avancé sans avoir pris
aucune disposition , semble tout à coup possédé de la
manie contraire. Il multiplie, il entasse les actes de der
nière volonté, et, dans chacun d’eux, c’est la même per
sonne qui reçoit successivement des avantages plus im
portants. Si celte personne est un domestique, si depuis
�431
quelque temps elle entoure le testateur , ne pourra-t-on
trouver dans son intérêt , dans son désir de s’enrichir,
la cause de la conduite nouvelle du testateur? Y auraitil de la témérité à voir, dans l’ensemble de ces circons
tances, la preuve d’une grande faiblesse d’un côté, et de
l’autre l’abus d’une influence illégitime et frauduleuse ?
Ajoutons que , dans l’appréciation de la volonté du
testateur, la qualité du réclamant exercera toujours une
juste, une nécessaire influence. La transmission des
biens est ordinairement réglée par l’affection; celle-ci,
à son tour, se mesure sur les liens de la parenté: C’est
dans ces proportions que la loi a trouvé la base de ses
propres dispositions.
Dès lors on supposera plus facilement une intention
contraire à celle du testament, lorsque celui qui se plaint
est l’enfant ou le descendant du testateur, que lorsqu’il
s’agit d’un collatéral plus ou moins éloigné. On sera
donc pour ces derniers beaucoup plus exigeant qu’on ne
le serait avec les premiers.
Sans doute le collatéral, comme l’enfant, étant appelé
par la loi à défaut de testament, a un litre légitime des
effets duquel il ne peut être dépouillé que par des mo
yens avoués parla loi et la justice. Cela est vrai, même
d’une manière absolue. Aussi ne lui conleste-t-on pas
la faculté d’attaquer le testament pour cause de capta
tion. Mais l’intérêt déçu se fait facilement illusion , et
l’amour-propre , blessé par l’idée de l’indifférence du
testateur, a volontiers recours au prétexte de la capta
tion. Il est évident que la justice ne saurait partager uET DE LA FRAUDE.
�452 ,
TRAITÉ DU DOL
ne préoccupation de ce genre. Avant donc d’annuler
pour cause de captation , elle exigera la preuve de son
existence. Cette preuve elle-même ne sera autorisée que
si les faits rendent le reproche vraisemblable. Or, com
ment atteindre ce caractère, si le demandeur ne justifie
ou n’offre de justifier que le testateur éprouvait pour
lui une affection telle qu’il l’eût nécessairement institué
son héritier si le dol et la fraude n’avaient enchaîné sa
pensée, perverti sa volonté ? Or, c’est là précisément ce
que la loi présume en faveur des enfants ou descen
dants.
399. — En résumé , on ne saurait agir avec trop
de circonspection lorsqu’il s’agit de statuer sur des actes
de dernière volonté. La libre disposition des biens tou
che intimément à l’ordre public, et ce serait risquer de
l’altérer que de prétendre la réglementer au moyen de
témoignages le plus souvent complaisants ou corrom
pus. On ne doit donc recourir à la preuve testimoniale
que dans le cas où, en la supposant rapportée, on arri
verait nécessairement à l’infirmation des dispositions at
taquées.
« Or, les faits articulés, dit Merlin, doivent, pour opérer la nullité des testaments , être d’une nature telle
qu’il en résulte que la volonté écrite du testateur est
contraire à sa propre raison ; qu’il n’a fait telle dispo
sition que parce qu’il y a été entraîné par l’obsession
d'autrui, par une faiblesse marquée et dont les preuves
ont éclaté au dehors ; que cette obsession a été l’unique
�453
cause de ses dispositions ; que si elle n’avait pas eu lieu,
il en aurait fait de toutes contraires; en un mot, il faut
que la volonté exprimée par le testament soit entière
ment opposée à celle que le testateur avait dans le cœur
et que l’une n’ait été substituée h l'autre que par l’effet
du dol, de la fraude, de l’artifice.' »
Si la preuve doit offrir ce caractère, il n’y aura réel
lement de faits pertinents et graves que ceux qui réuni
ront les conditions que nous venons de rappeler. On doit
donc rejeter, comme inadmissibles, tous ceux qui ne se
raient pas dans ce cas.
ET DE LA FRAUDE.
400. — Si la preuve des faits interloqués est rap
portée, si elle est jugée concluante, l’acte démontré être
le produit du dol doit être annulé. Cette nullité affecte
la disposition dans son entier, car la faculté d’anéantir
la libéralité ne contient pas celle de la modifier ou de
la réduire. C’est ce qui résulte d’un arrêt de la Cour de
cassation du 22! janvier 1810.
Dans l’espèce jugée par cet arrêt, la Cour de Renne s
admettant que la captation avait eu pour effet d’arracher
des libéralités exagérées, avait cru devoir réduire celles
que renfermait le testament attaqué. Mais cette décision
fut considérée comme renfermant un excès de pouvoir
et censurée par la Cour de cassation.
Il n’y a donc pas de milieu dans la matière qui nous
occupe ; la captation existe ou n’existe pas, et l’acte doit
1 Rép., v"
S u ggestion , $ 1, n° 2
�454
TRAITÉ DU DOL
être annulé ou maintenu, selon que les reproches dont
il est l’objet sont ou non justifiés.
401. — D’autre part , la Cour de Grenoble a jugé,
le 21 mai 1824 , que l’annulation pour cause de cap
tation ne porte pas seulement sur la disposition faite en
faveur de la personne qui s’est rendue coupable de sug
gestion et de captation, qu’elle doit frapper le testament
tout entier. Ainsi généralisée, cette proposition nous pa
raît peu admissible.
En effet, subordonner l’ensemble d’un testament à
l’invalidité de l’une de ses dispositions, c’est établir en
tre les diverses parties du testament une corrélation et
une indivisibilité qui répugnent à la nature de cet acte.
Le testament, régulier en la forme, renferme, à propre
ment parler , autant de testaments qu’il y a de disposi
tions distinctes. Chacune de ces dispositions est indé
pendante de celle qui la précède ou la suit. Elle se suffit
à elle-même, de telle sorte qu’existât-elle seule, elle n’en
sortirait pas moins à effet, si elle est d’ailleurs l’expres
sion d’une volonté intelligente et libre.
Qu’importe donc qu’à côté d’elle existent d’autres dis
positions introduites par une volonté étrangère au testa
teur. Ne suffit-il pas qu’elle n’ait point participé au vice
infirmant celles-ci pour qu’elle ne puisse être atteinte
par l’annulation qui leur est réservée? L’effet de cette
annulation sera d’ailleurs de faire considérer les dispo
sitions qui en sont l’objet comme non écrites. Or, sup
posez qu’elles ne l’eussent jamais été, cela empêcheraitil celles qui le sont légalement de sortir à effet ?
�455
Cela se concevrait si la loi qui nous régit défendait
encore le cumul des successions testamentaires et ab in
festât , mais les inspirations du droit romain sur ce
point ont été abandonnées. La nullité de l’institution,
comme l’absence complète de toute institution, n’a plus
aucune influence sur les legs valablement faits. Décider
le contraire, ce serait méconnaître et violer la loi.
Lai solution consacrée par la Cour de Grenoble, c’està-dire l’annulation du testament en entier, n’est possi
ble que dans un seul cas , à savoir , lorsque toutes ses
dispositions sont le produit de la captation et de la sug
gestion. Ce fait admis, il importe peu que les légataires
aient ou non participé aux manœuvres employées, qu’ils
en aient ou non connu l’existence. Le testament, même
en ce qui les concerne, n’est plus l’œuvre de la volonté
libre de son auteur. Il manque donc de la condition la
plus essentielle à sa validité. Il ne peut, dès lors, créer
aucun droit en faveur de qui que ce soit.
ET DE LA FRAUDE.
402. — Nous avons déjà rappelé qu’en principe le
dol indirect est une cause de nullité pour les disposi
tions à titre purement gratuit. Ce principe, fondé sur la
maxime qu’il n’est pas juste qu’on puisse s’enrichir au
détriment d’un tiers, reçoit surtout une application ex
acte lorsqu’il s’agit d’une libéralité par acte entre vifs ou
testamentaire.
C’est ce que la Cour de Dijon avait formellement con
sacré dans l’affaire Wolflus , à l’encontre de la sœur de
celle qui avait capté, la fille Guedeney. Cette disposition
�456
TRAITÉ DU DDL
fut déférée à la Cour de cassation. Mais le pourvoi fut
rejeté , « attendu que la libéralité , étant reconnue le
produit de la captation, a dû être annulée, soit que les
moyens frauduleux aient été employés directement par
la demanderesse, soit par l’entremise d’un tiers. »
Celte docrine est d’autant plus irréprochable, que sou
vent l’institution d’un tiers étranger à la captation n’est
qu’un calcul, qu’un moyen adroit de placer les libéra
lités arrachées par la fraude, sous l’égide d’une disposi
tion irréprochable sous le rapport de la personne qui en
est l’objet. On ne pouvait donc , sans autoriser la plus
énorme injustice, laisser au dol une pareille chance de
succès.
Conséquemment, que la captation ait été directe ou
indirecte, il suffit que le testament en soit infecté pour
qu’on se refuse à lui accorder la moindre exécution. Or,
que la volonté ait été forcée dans l’intérêt de l’auteur du
dol ou dans celui de toute autre personne, le résultat est
le même. Il n’y a pas de disposition valable, car il n’y a
ni spontanéité, ni liberté dans l’expression de cette vo
lonté.
405. — On a longtemps agité la question de savoir
si la plainte en captation était recevable .contre une do
nation entre vifs. La négative était fondée sur cette con
sidération que l’influence delà captation, vraisemblable
sur un testateur , cesse de l’être sur un donateur qui se
dépouille lui-même. Mais cette opinion ne pouvait pré
valoir. Le motif à l’appui ne peut produire d’autre effet
�457
que de rendre plus sévère dans l’appréciation du reproche;
mais prétendre y trouver une fin de non recevoir abso
lue contre son admission , ce serait amnistier le dol,
parce qu’il a su se proposer et accomplir une tâche plus
difficile et plus périlleuse.
Les héritiers du donateur pourront donc attaquer la
donation et démontrer qu’elle n’est que le produit de la
captation. L’action est également ouverte en faveur du
donateur lui-méme. Son concours à l’acte ne saurait la
lui faire refuser, le do! faisant exception à tous les prin
cipes.
ET DE LA FRAUDE.
404. — L’empêchement de tester a toujours été con
sidéré comme un dol donnant ouverture à une action
en faveur de celui qui en a souffert. Les diverses légis
lations qui se sont succédées ont seulement varié sur les
effets qu’il devait produire.
Le droit romain voyait l’empêchement de tester dans
le fait de s’être opposé à ce que l’officier public appelé
par le mourant pût parvenir jusqu’à lui ou d’avoir, par
des manœuvres frauduleuses, détourné les témoins re
quis. Cet acte était considéré comme un crime rendant
l’héritier, soit direct, soit institué par un précédent tes
tament, indigne de recueillir la succession, laquelle était
dévolue au fisc.1
1 L. ■!, SH ; L. 1! et 3, Digeste ; L. 2, Cod. Si qnis ciliquem teslari
prohibitif; L. <19, Digeste Q u œ ut indignis ; L. .3, § dernier, Digeste
Ad scnal.-cons. Trebellianum.
�458
TRAITÉ
DU
DOU
En France, le principe de l’indignité avait été admis
universellement. Mais, par une appréciation plus juste
de ses effets, la succession passait au parent du degré le
plus rapproché après l’indigne, ou aux héritiers du sang,
selon qu’il s’agissait d’un hériter naturel ou testamen
taire. Dans les coutumes qui admettaient une réserve en
faveur de certains héritiers, l’indignité n’enlevait jamais
que la portion excédant la réserve légale.
En droit romain , comme en droit français , la perte
de la succession n’exonérait pas l’auteur de l’empêche
ment de l’obligation d’indemniser celui qui en avait été
victime. La question de savoir si celui-ci pouvait reven
diquer la succession ne pouvait même naitre sous l’em
pire du premier. La dévolution de cette succession au
fisc faisait assez connaître l’intention du législateur.
L’abrogation de cette disposition avait naturellement
appelé l’attentiou des jurisconsultes sur celte question.
Sa solution, au témoignage de Furgole, avait été confor
me à celle qui résultait de la loi romaine. On refusait
assez généralement la possession de l’hérédité à celui
qui n’avait d’autre titre que la volonté non réalisée du
testateur.
« Cela, dit Furgole, ne se pratique point dans les
pays de droit écrit et ne parait pas même pouvoir être
observé dans les pays coutumiers , parce que l’art. 1er
de l’ordonnance de 1735 y fait obstacle ; car ce serait
faire valoir une disposition verbale , non constatée par
un acte revêtu des formalités prescrites, et admettre la
preuve testimoniale d’une telle disposition contre la pro
hibition expresse de cette ordonnance.
�ET DE LA FRAUDE.
459
» Lorsqu’un testateur se propose de faire des libéra
lités dans un testament qu’il ne fait pas, à cause qu’il
en est empêché, sa volonté demeure dans les termes d’un
simple projet qui ne peut opérer aucun effet, et les legs,
fidéicommis, ou autres dispositions , ne sont valables
qu’autant qu’ils sont faits par un testament ou un codi
cille revêtu de toutes les formalités de droit.' »
Il est donc certain qu’avant le Code civil , celui qui
souffrait de l’empêchement de tester, n’avait qu’une seule
action , à savoir : celle tendant à obtenir la réparation
du préjudice qui lui avait été causé. Cette réparation con
sistait dans une allocation pécuniaire à la charge.de l’au
teur de l’empêchement. La succession était dans tous les
cas dévolue ab intestat aux parents appelés par la loi.
405. — Le Code civil s’est écarté , quant aux effets
de l’empêchement de tester, des inspirations des législa
tions précédentes. L’art. 727, qui énumère les causes
d’indignité , est complètement muet sur l’empêchement
de tester. Ce silence équivaut au rejet absolu de celte in
capacité jusque là admise.
De là celte conséquence que l’héritier , frustré de la
succession que le testateur lui destinait, pourrait moins
encore aujourd’hui réclamer la délivrance en nature de
ce que le défunt voulait lui laisser. A l’autorité des mo
tifs indiqués par Furgole, se réunit celte circonstance
que l’empêchement de tester ne produisant plus l’indi1 Des testaments, n° 121.
■
�460
TRAITÉ DU DOL
gnité, les biens de la succession ne cessent pas d’appar
tenir à celui qui les a recueillis, fût-il même l’auteur de
l’empêchement.
406. — Ce principe admis par M. Chardon , lors
qu’il s’agit d’un héritier légitime, est contesté par ce ju
risconsulte à l’égard de l’héritier testamentaire. L’indi
gnité, dit-il, prononcée par le droit romain et par notre
ancienne législation, reste, par rapport à ce dernier, dans
toute sa force. La preuve que le testateur a été empêché
de changer de volonté ferait réputer son testament révo
qué , et rendre aux héritiers ab intestat la succession
entière.'
Cette doctrine nous paraît formellement repoussée d’a
bord par l’art. 727 du Code civil. L’indignité est une
peine puisqu’elle est une véritable exhérédation. Or il est
de principe fondamental en droit que les peines ne peu
vent être prononcées que dans les cas expressément dé
terminés par la loi, sans qu’on puisse étendre les dispo
sitions pénales d’un cas à un autre , même pour cause
d’analogie.
Il suffirait donc du silence gardé par l’art. 727 sur
l’empêchement de tester pour qu’on ne pût, dans aucun
cas, en faire résulter une cause d’indignité. Le système
contraire tendrait à constituer les tribunaux les arbitres
discrétionnaires des causes d’indignité. Or, c’est préci
sément pour abolir cet abus de la jurisprudence ancien-
�461
ne, que le Code a voulu expressément les indiquer dans
l’art. 727.1
Mais dit M. Chardon, l’art. 727 ne concerne que les
héritiers légitimes et non ceux qui ne reçoivent cette
qualité que de la volonté de l’homme. Certes M. Char
don n’a pas envisagé les conséquences réelles de la dis
tinction qu’il admet. Elles seraient en effet telles qu’elles
conduiraient au résultat le plus monstrueux.
Les art. 906 et suivants règlent bien la capacité re
quise pour recevoir par testament, mais ce chapitre ne
contient aucune disposition sur l’indignité. Dès lors,
puisque l’indignité est une peine, puisque les peines ne
peuvent être appliquées que dans les cas expressément
prévus, il est certain, si l’art. 727 ne s’applique qu’aux
héritiers légitimes, que l’héritier testamentaire n’encour
ra jamais l’indignité , eût-il volontairement donné la
mort au testateur.
La morale et la justice protestent hautement contre
un pareil résultat, et c’est sur son énormité même qu’on
s’est appuyé pour enseigner l’application de l’art. 727
à l’héritier testamentaire.
Car cette application a été contestée, mais dans le sens
contraire à celui indiqué par M. Chardon. Ainsi l’on
a soutenu que l’héritier testamentaire ne peut, dans au
cun cas, encourir l’indignité.
Le contraire , dit Merlin , élait incontestable en droit
romain, aujourd’hui la question souffrirait quelques difET DE LA FRAUDE.
1 Exposé des molifs par Treilhard.
�m
TRAITÉ DU DOL
Acuités. Cependant la morale et l’identité de raisons
semblent nécessiter l’extension de l’art. 727, qui ne parle
que des héritiers légitimes , aux légataires et aux héri
tiers institués.'
v
Or, s’il est même douteux que l’héritier testamentaire
soit frappé d’indignité dans les cas prévus par l’art. 727,
comment serait-il possible de les déclarer tels , lorsque
l’héritier légitime ne pourrait l’être ?
L’opinion de M. Chardon méconnaît en outre la dis
position de l’art. 1035 du Code civil, aux termes de la
quelle les testaments ne peuvent être révoqués que par
un testament postérieur, ou par un acte devant notaire,
portant déclaration de changement de volonté.
Ainsi l’écriture est de l’essence de la révocation des
testaments. En trouvant cette révocation dans l’empê
chement de tester , M. Chardon ne tient aucun compte
de cette condition exigée par le législateur. Que le testa
teur ait eu la pensée de révoquer ses précédentes dispo
sitions , c’est ce qui peut facilement s’induire du désir
qu’il a manifesté de faire un nouveau testament. Mais,
nous dirons avec Furgole, que tant que ce désir n’a pas
été réalisé, parce que le testateur en a été empêché, sa
volonté n’a été et n’a pu être qu’un simple projet qui
ne peut opérer aucun effet, par cela seul qu’on ne sau
rait admettre légalement l’existenced’une révocation ver
bale, en présence du texte formel de la loi.
1 Rép., v° Indignité, n° 2.
�463
407. — L’absence de révocation valable laisse donc
la succession aux mains de l’héritier testamentaire, com
me le défaut de testament la fait déférer aux héritiers
du sang. La seule action, compétant à celui qui souffre
de l’empêchement de tester, est celle en dommages-in
térêts contre l’auteur de l’empêchement, cette action est
fondée sur le principe général de l’art. 1382 du Code
civil.
ET DE LA FRAUDE.
408. — Toutefois,cette action n’est recevable que si
les moyens employés pour empêcher le testament cons
tituent un dol, c’est-à-dire s’ils présentent un ensemble
de manœuvres et de machinations frauduleuses , ayant
eu pour résultat d’égarer la volonté de celui qui en a
été l’objet. Ce caractère seul peut entraîner l’admissibi
lité de la preuve testimoniale et conséquemment le suc
cès de la demande en réparation.
l)e là l’obligation pour le poursuivant d’articuler les
faits dont il veut faire résulter l’empêchement de tester
qu’il allègue. De là en outre, pour les tribunaux, l’indi
cation du mode à suivre pour apprécier la gravité et la
pertinence des faits cotés.
En effet, pour l’empêchement de tester, comme pour
la captation elle-même , ce n’est pas tant le fait maté
riel que les moyens à l’aide desquels il se produit, que
la loi a voulu punir. Ainsi, empêcher quelqu’un de tes
ter, en lui prodiguant des soins, des caresses, des priè
res, conjurer l’intention certaine de révoquer un précé
dent testament, en regagnant l’affection du testateur par
�464
TRAITÉ DU DOL
des prévenances empressées , c’est commettre un acte
qui ri aura pas toute la pureté d'intention, et ne sera
pas louable à cause du motif d'intérêt sordide qui en
est le mobile. Mais il suffit que le testateur s’en soit
rendu complice, en ajoutant foi aux unes et aux autres
pour qu’on ne puisse y voir un dol reprochable.
C’est ce que le droit romain avait admis, c’est ce que
notre ancienne législation avait consacré , c’est enfin ce
que la Cour de cassation a expressément enseigné sous
l’empire du Code.
La Cour de Turin avait jugé qu’il y avait empêche
ment dolosif de tester, par cela seul qu’un héritier pré- ,
somptif dit à un mourant qui se dispose à faire un tes
tament que cela est inutile , et qu’il s’engage à remplir
ses dernières volontés comme si elles étaient écrites dans
la forme légale. Le pourvoi formé dans l’intérêt des par
ties dut être déclaré non recevable, mais la Cour, sur le
réquisitoire de Merlin, prononça la cassation de l’arrêt,
dans l’intérêt de la loi.1
Personne, en effet, n’est présumé ignorer la loi. Con
séquemment celui qui, s’en référant à la parole de son
héritier , a négligé de donner à ses volontés la forme
que la loi exige, doit être considéré comme n’ayant vou
lu faire qu’un testament verbal dont l’exécution était
subordonnée à la volonté de cet héritier. Le refus que
celui-ci fait plus tard , en violation de ses promesses,
1 18 janvier 181 3.
�<565
constitue un acte de déloyauté et d’indélicatesse, mais
il est impossible d’y voir un dol caractérisé.
De là il résulte que si les faits articulés ne tendaient
à établir qu’un acte de celte nature , la preuve devrait
en être refusée , parce quelle ne serait pas concluante.
Mais si l’on demandait à prouver que le défunt a été
violemment empêché de faire un testament olographe,
si l’on soutenait que le notaire où les témoins ont été
sciemment écartés ou détournés, si l’on articulait enfin
que l’on a faussement persuadé au défunt que celui qu’il
voulait instituer était m ort, les faits seraient pertinents
et graves, car ils constitueraient en réalité des artifices,
des manœuvres frauduleuses caractérisant le dol et don
nant naissance à l’obligation de réparer le préjudice souf
fert.
ET DE LA FRAUDE.
409. — Cette obligation n’incombe jamais qu’à l’au
teur du dol et à ses complices. La question de savoir si
l’acte d’un légataire pouvait ou non nuire à ses coléga
taires ne peut même s’offrir. L’art. 1382 tranche toute
difficulté, et, sous son empire, le principe fratris faclum, fratri non nocet, est surtout vrai. Conséquemment
tous ceux qui sont demeurés étrangers au dol sont for
cément placés en dehors de toute atteinte.
L’étendue de la réparation due à celui qui prouve
l’empêchement de lester à son préjudice, se mesure sur
les intentions manifestées par le défunt. L’allocation pé
cuniaire doit égaler l’avantage qu’il aurait recueilli dans
la succession. Elle doit donc être d’une valeur égale à
i
30
�A6(j
TRAITÉ DU DDL
celle-ci, si l’institution projetée était une institution uni
verselle.
il faut cependant remarquer que si le défunt laisse
des héritiers à réserve, les dommages-intérêts devraient
être réglés sur la quotité disponible seulement. C’est en
effet cette quotité seule dont le testateur pouvait disposer
qui serait obvenue au légataire.
A 10. — L’action en dommages-intérêts appartient
à celui qui a souffert de l’empêchement. Elle appartient
eu outre aux héritiers légitimes , lorsque le testateur a
été empêché de révoquer un testament précédent. 11 y
a même, dans ces deux cas, cette différence très-facile à
comprendre que celui qui prétend avoir été victime d’un
dol de la nature de celui qui nous occupe, doit d’abord
prouver que le défunt voulait l’instituer son héritier. Les
héritiers du sang, au contraire, qui arguent de la révo
cation d’un précédent testament, n’ont à justifier que
l’empêchement apporté à ce que cette révocation s’ac
complit. En effet, leur titre à l’hérédité est écrit dans la
loi qui la leur défère à défaut de testament. Ils ont donc
qualité pour prouver que le testament qui les dépouille
n’a été maintenu que par dol , et que l’on doit les in
demniser du préjudice que ce dol leur a occasionné.
411. — L’ouverture d’une succession peut voir s’ac
complir un fait plus grave encore que ceux dont nous
venons de nous occuper."Ce fait que le droit romain, que
notre ancienne législation réprimait comme un crime,
�467
que le Code pénal actuel punit comme un délit, c’est la
suppression d’un testament.
La pensée qui préside à cet acte est tellement caracté
risée par l’acte lui-même , par les conséquences qu’il
doit entraîner, qu’il eût été absurde d’exiger, pour y
reconnaître un dol punissable, l’existence de manœuvres
quelconques. De quelque manière qu’il se réalise , le
fait matériel indique et prouve une intention essentiel
lement frauduleuse , de même qu’il produit nécessaire
ment un grave préjudice. Il est donc sans justification
comme sans excuse, alors surtout que son auteur est ap
pelé à en recueillir personnellement le bénéfice.
ET DE LA FRAUDE.
412. —L e fait est donc éminemment dolosif, et ce
caractère incontestable entraîne forcément la recevabilité
de la preuve testimoniale. Mais son admissibilité est né
cessairement subordonnée aux faits qu’on prétend éta
blir. Ces faits doivent être extrêmement pertinents et
graves, car il importe de ne pas encourager ces accusa
tions de fraude qu’un vaniteux amour-propre inspire,
et dans lesquelles on aime à voir l’explication de la
blessure que l’intérêt éprouve. C’est à la prudente cir
conspection des tribunaux à concilier les droits de tous.
413. — En général , la preuve de l’existence d’un
testament, perdu par un événement fortuit ou de force
majeure, n’est pas suffisante pour en faire ordonner l’e
xécution. Ce n’est pas tout, en effet, que d’avoir un tes
tament , il faut en outre que ce testament soit régulier
�468
TRAITÉ OU DOL
et légal. Conséquemment celui qui prétend à une suc
cession doit justifier que le titre, qui la lui conférait, a
été revêtu de toutes les formalités exigées. La faculté de
prouver par témoins l’existence et la perte du testament
ne peut faire présumer l’accomplissement de ces forma
lités , elle ne produit pas d’autre effet que de permettre
de l’établir par la preuve testimoniale.
Mais cette doctrine souverainement juste , lorsque la
perte du testament est le résultat du hasard ou de la
force majeure , serait inique lorsque la perte est impu
table au fait personnel de la partie qui excipe du défaut
de formes. La preuve du contraire est souvent très-diffi
cile , à quel titre admettrait-on à profiter d’un tel état
de chose celui qui seul l’a déterminé ?
414. — Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé
que lorsque l’existence d’un testament est prouvée , et
qu’il est établi qu’il a été lacéré et brûlé par le propre
fait des parties intéressées à son anéantissement, cellesci ne sont pas recevables à exiger la preuve de la léga
lité des formes du testament détruit ; il y a dans ce cas
présomption de droit que ce testament était revêtu de
toutes les formes nécessaires à sa validité.'
Cette présomption se justifie non seulement par le
principe que le dol ne peut se créer un titre à lui-mê
me, mais encore par les plus simples notions de la rai
son et du bon sens. Le testament manquant d’une seule
1 Cass., Icr septembre '1813.
�469
des formalités prescrites est radicalement nul , son in
firmation est donc certaine. Comprendrait-on dès lors
que celui qui pouvait obtenir celte infirmation par les
voies légales , ait préféré recourir à un acte sévèrement
qualifié par la loi ?
On n’anéantit pas un acte ne renfermant qu’une me
nace vaine , on ne supprime pas un testament pour le
seul plaisir de le faire disparaître. Conséquemment, en
voyant dans cette suppression l’aveu le plus explicite de
la légalité du testament, on ne fait qu’une appréciation
rationnelle et logique d’un acte que la supposition con
traire rend inexplicable.
Ce qu’on décide dans le cas où le testament a été la
céré et détruit, doit être consacré si, dans le cas de sup
pression, le testament existait encore dans les mains de
celui qui s’en est rendu coupable. A une identité par
faite de raison, se joint la présomption tirée de la dé
tention de la pièce , dont la production lèverait tous les
doutes sur l’invalidité prétendue pour défaut de formes.
Le refus, l’absence de cette production ne sauraient être
attribués qu’à la certitude du mal fondé du reproche.
Il est permis, en effet, de croire qu’on ne continue à céler le testament que parce qu’il n’est que trop régulier.
Il serait d’ailleurs dérisoire d’admettre un individu à
exiger la preuve d’un fait sur lequel il est lui-même
parfaitement en mesure d’édifier la religion des magis
trats.
41 S. — Ainsi et par exception au principe général,
'accomplissement des formalités requises pour la valiET DE LA FRAUDE.
�470
TRAITÉ DU DOL
dité des testaments est présumé lorsque le testament a
été soustrait ou détruit. Mais celte exception ne concerne
que l’auteur de la soustraction.
Remarquons, en effet, que la Cour de cassation n’ad
met la présomption qu’elle consacre que dans le cas où
la suppression du testament est le propre fait des par
ties intéressées à son anéantissement, c’est-à-dire dans
l’hypothèse d’un dol direct. Les conséquences de cette
restriction sont évidemment que la partie qui profiterait
de la suppression sans y avoir participé ' sans l’avoir
connue ou autorisée, serait recevable à exiger la preuve
de la légalité des formes du testament. De lui au récla
mant , il ne peut y avoir qu’un fait de force majeure,
qu’il n’a été donné ni à l’un ni à l’autre de prévenir ou
d’empêcher. Il y aurait donc lieu de revenir à ce qui
se pratique dans cette hypothèse.
416. — Mais par application des règles du dol in
direct , l’héritier dépouillé conserverait un recours utile
contre l’auteur de la suppression, et, s’il ne pouvait ob
tenir la possession de l’hérédité, il conserverait le droit
de se faire indemniser du préjudice qu’il éprouverait.
Il n’y a dans cette décision nulle contradiction avec
la maxime que nous avons rappelée, à savoir que per
sonne ne doit s’enrichir par le résultat du dol d’autrui.
En effet, si le tiers doit perdre ce qu’il a acquis à titre
gratuit par le résultat du dol , cela ne peut se réaliser
que si le réclamant a un titre régulier. Il doit donc jus
tifier de cette régularité lorsque ce titre a été perdu , et
�471
cette justification faite , et alors seulement , la maxime
devient applicable et doit être appliquée.
ET DE LA FRAUDE.
417. — La suppression de testaments a pour effet
de les faire considérer comme existants. Conséquemment
celui qui prouve avoir été l’objet d’une libéralité quel
conque de la part du testateur, doit être réellement mis
en possession de ce qui lui était assigné. Cette différence
entre la suppression d’un testament et l’empêchement
de tester s’explique par cette circonstance qu’on ne peut,
pour celle-ci, dire que la volonté du testateur soit de
meurée à l’état de simple projet. Ce projet a reçu sa
pleine et entière exécution. II ne peut dès lors dépendre
de qui que ce soit d’en rendre l’effet impossible. La loi
testamentaire existe , elle est régulière, et dès lors obli
gatoire pour tous.
Dès lors aussi celui qui, à la faveur de la suppression
du testament, s’est emparé de la succession, doit être con
damné à la restituer à l’héritier institué qui prouve la
suppression de son institution ; aux héritiers du-sang, si
le testament supprimé révoquait un précédent testament;
ceux-ci n’auront à prouver que le fait de la révocation,
car il suffit que le testament qui les dépouillait ait été
légalement anéanti, pour qu’ils recueillent la succession
que leur qualité leur donne le droit d’appréhender.
A notre avis , la preuve de la nature révocatoire doit
résulter , contre l’auteur du dol , de la suppression du
testament. Nous le disions tout à l’heure, un acte pareil
ne s’accomplit qu’en vue d’un intérêt pressant. Or, quel
�472
TRAITÉ DU DOL
intérêt peut avoir le légataire institué par un testament
à supprimer un testament ultérieur , si celui-ci n’était
pas destiné à annuler le premier ?
Sans doute il peut se faire qu’il ne s’agisse dans ce
second testament que de la réduction plus ou moins
considérable des avantages déjà conférés ; mais , dans
celte hypothèse même, la perte entière de ces avantages
n’est que le juste châtiment d’une action coupable. Celui
qui a voulu frauduleusement frustrer les tiers de legs qui
leur étaient légitimement acquis, ne saurait raisonnable
ment se plaindre si , la fraude se tournant contre luimême, il en devient la première victime. Serait-il rece
vable à trouver mauvais , pour ce qui le concerne , ce
qu’il trouvait excellent pour les autres?
La morale, l’équité et la justice recommandent la so
lution que nous adoptons et dont la consécration ne sau
rait avoir d’autre résultat que d’inspirer le respect des
droits de tous et la mise en pratique de cette vérité éter
nelle : que nul ne doit faire à autrui ce qu’il ne voudrait
qu’on lui fit à lui-même.
Par rapport aux légataires restés étrangers à la sup
pression du second testament, ils ne peuvent souffrir du
fait de leurs colégataires. Ainsi, tandis que celui-ci sera
privé de son legs présumé révoqué, eux devront recueil
lir le bénéfice du testament en ce qui les concerne , à
moins qu’on ne prouve contre eux et la révocation et la
légalité de l’acte qui la renferme.
418. — Les tiers, auxquels le testament supprimé
conférait des droits sur les biens du défunt , peuvent les
�473
faire valoir soit contre l’auteur de la suppression du
testament, soit contre les héritiers légitimes qui lui au
raient été substitués. Leur exercice serait poursuivi dans
la mesure que nous avons établie , indépendamment de
l’action en réparation du préjudice qu’ils souffrent, con
tre celui à qui la suppression est imputable et qui en se
rait convaincu.
ET DE LA FRAUDE.
SECTION IV.
Roi d a n s
les
J u g e m e n ts
SOMMAIRE.
419. Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée.
420. Conséquences quant à l’erreur commise en jugemeril.
421. Le dot crée une exception aux principes sur la chose jugée.
Conséquences.
419. — L’immutabilité des jugements a toujours été
considérée comme une nécessité sociale. De là le respect
qui s’attache à la chose jugée , qui en fait prohiber la
révision, alors même qu’il est permis de croire à une er
reur matérielle du juge.
�474
TRAITÉ DU DOL
Aux yeux de la loi, le jugement définitif est la décla
ration de ce qui est juste et vrai sur les points contestés.
Elle s’impose donc aux parties comme la loi unique qu’el
les doivent suivre sans pouvoir en empêcher ou en sus
pendre l’exécution.
Cet effet se produit non pas seulement parce que le
juge qui a prononcé est l’organe de l’autorité publique,
mais encore et essentiellement en force de la convention
présumée existant entre les parties. Lorsque celles-ci
comparaissent devant le juge , ce ne peut être que dans
l’intention d’obtenir de lui la justice qui leur est due;
elles sont donc censées, par ce seul fait, s’engager d’a
vance à exécuter l’acte judiciaire par lequel il fixera les
droits et les obligations de l’une envers l’autre. D’où M.
Poucet conclut, avec raison, que la source première d’où
découle l’action résultant du jugement , se trouve dans
l’engagement que les parties ont contracté, non par une
convention expresse , mais par la convention présumée
naissant de leur comparution en justice , c’est-à-dire
dans le quasi-contrat de comparution.'
Mais cette convention doit se renfermer dans des li
mites naturelles et justes. Aussi, à la différence des quasicontrats ordinaires qui produisent leurs effets légaux sans
condition, et d’une manière absolue, le quasi-contrat de
comparution n’opère son effet contre les parties, qu’à la
condition de se pourvoir s’il y échet, et ainsi que de
droit contre le jugement qui interviendra. Les tribunaux
1 D es ju g em e n ts, t. 1, n° 9.
�475
ne sont pas infaillibles et les parties, en s’engageant à
recevoir comme règle la décision du juge, n’ont évidem
ment entendu se soumettre qu’à une règle de justice.
ET DE LA FRAUDE.
420. — Cela posé, l’on doit conclure que le princi
pe de l’immutabilité des jugements n’est équitable , en
cas d’erreur, que lorsque l’erreur provient uniquement
de l’incertitude et de la faiblesse de l’appréciation hu
maine. Le juge a rempli tous ses devoirs envers la so
ciété, envers les parties elles-mêmes lorsque , interpré
tant le fait ou le droit, il a prononcé dans le sens que
sa conscience lui a indiqué comme le plus probable. La
pureté de ses intentions, l’indépendance de son carac
tère sont les seules garanties que la loi pouvait promet
tre aux justiciables.
Mais si l’erreur a été inspirée par des manœuvres
coupables, si la ruse et le mensonge l’ont rendue inévi
table, sous quel prétexte invoquerait-on encore le prin
cipe de l’immutabilité des jugements? Des jugements !
il n’en existe aucun , car, même en se plaçant au point
de vue du magistrat dont elle émane , la décision n’est
plus la déclaration de ce qui est juste et vrai, elle est le
produit d’une surprise d’autant plus odieuse qu’elle s’est
réalisée dans le sanctuaire de la justice dont elle outra
ge la dignité, en même temps qu’elle foule aux pieds la
convention présumée des parties.
La morale et l’équité ne pouvaient tolérer qu’une pa
reille atteinte aux droits les plus sacrés demeurât impu
nie. Le dol qui an nulle les contrats exprès devait agir
�476
TRAITÉ DU DDL
dans le même sens sur le quasi-contrat judiciaire. Dès
lors son existence a été considérée comme altérant le ju
gement dans son essence et autorisant par suite sa ré
tractation.
421. — Le dol crée donc une exception à la règle
de l’immutabilité des jugements, mais ses conséquences
ne sont pas toujours les mêmes. Elles varient, par rap
port au jugement, selon que le dol est imputable à la
partie ou qu’il provient du fait du juge. Le premier au
torise la requête civile, le second la prise à partie. Nous
allons rechercher les caractères et les effets de ces deux
modes de recours.
s
De
la
R equête
C ivile.
SOMMAIRE .
422. Définition de la requête civile.
423. Premier cas d’application à notre matière. — Dol person
nel. — Ce qui le constitue.
424. Tort de la doctrine exigeant que l'affirmation mensongère
soit accompagnée de manœuvres.
�ET DE LA FRAUDE.
425.
426.
427.
428.
429.
430.
431.
432.
433.
434.
435.
436.
437.
438.
439.
440.
441.
442.
443.
444.
445.
446.
447.
Doctrine contraire du droit romain.
Admise par notre ancienne jurisprudence.
Le Code de procédure n'a point dérogé à ces principes.
Opinion des auteurs qui ont écrit sur la procédure.
Jurisprudence.
Conditions à la recevabilité de la requête civile dans ce cas.
Fausseté de l’allégation acquise.
Le dol doit être le fait personnel de l'auteur de l’alléga
tion.
Le dol doit avoir influé sur la décision.
Dissentiment avecM. Chauveau.
Faits pouvant caractériser le dol personnel.
Subornation des témoins. — Modes de preuves. — Effets.
Corruption des experts. — Son caractère. — Ses effets.
Faux serment.
Différence dans les effets, selon qu’il s’agit d’un serment
déféré ou référé par la partie, ou d’un serment ordonné
d’office par le juge.
.Deuxième cas d’application. — S’il a été jugé sur pièces
depuis reconnues ou déclarées fausses.
Applicabilité à l’usage de pièces fausses fait de bonne foi.
Difficulté réelle du litige fondé sur celte disposition. —
Existence préalable du faux. — N’était pas exigée dans
notre ancien droit.
Doctrine contraire admise par le Code de procédure.
La reconnaissance dont parle l’article ne peut s’entendre
que de l’aveu de la partie.
Résumé. — Opinion arbitraire de Pigeau.
Troisième cas d’application. — Découverte, après le juge
ment, de pièces décisives. — Conditions exigées.
La rétention faite de bonne foi autorise-t-elle la requête
civile ?
Effet de la requête civile quant à l’exécution du juge
ment.
�478
TRAITÉ DU DOL
422. — La requête civile est une voie extraordinaire
pour attaquer les jugements ou arrêts ayant acquis l’au
torité de la chose jugée. Elle est autorisée dans les cas
expressément prévus par l’art. 480 du Codede procédu
re civile.
Les seuls cas qui se rapportent à notre matière sont
ceux indiqués par les n08 1, 9 et 10. C’est à leur exa
men que nous devons nous borner.
La voie de la requête civile est ouverte : 40 s’il y a eu
dol personnel ; 2° s’il a été jugé sur pièces reconnues
ou déclarées fausses après le jugement ; 3° si depuis le
jugement il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait de la partie.
423. — 1° Dol personnel.— Le mot dol s’applique
à toutes les fraudes et surprises mises en usage pour
tromper. En matière ordinaire, la simple attestation d’un
fait faux ne serait point considérée comme caractérisant
suffisamment le dol. Doit-on le décider ainsi pour les
jugements susceptibles d’être attaqués par la requête ci
vile ?
L’affirmative a été enseignée, et cette opinion a puisé
son principal argument dans le n° 10 de l’art. 480.
Dans l’espèce qui y est prévue, a-t-on dit, la loi ne s’est
pas contenté de l’allégation d’un fait faux , elle a exigé
de plus la dissimulation des pièces qui pouvaient faire
découvrir le faux. Cette disposition doit dès lors fixer le
sens du principe général posé par le n° 1er dont elle est
le développement. Il n’y aura donc réellement dol per-
�479
sonnel que lorsque l’attestation fausse aura été précédée,
accompagnée ou suivie de manoeuvres tendant à en per
suader la véracité, et à empêcher la découverte de son
véritable caractère.
Cette doctrine a été consacrée par un arrêt de la Cour
de Besancon, du 10 décembre 1810. Cet arrêt se fonde
précisément sur les termes du n" 10 de l’art. 480, pour
en induire que la législation, en exigeant dans cette dis
position la simultanéité d’une allégation mensongère et
d’un acte imputable à la partie, n’a pas voulu, dans le
§ 1er du même article, que cette même allégation cons
tituât seule une ouverture à la requête civile. 11 décide
en conséquence que le dol personnel n’existe qu’autant
qu’il y a eu fausse attestation accompagnée de manœu
vres frauduleuses ayant placé la partie adverse dans l’im
possibilité d’éclairer le juge sur le point contesté.'
ET DE LA FRAUDE.
424. — Cette doctrine a , à notre avis , le tort de
placer sur une même ligne les jugements et les contrats
ordinaires, sans tenir compte de la différence de la po
sition des parties dans chacun de ces actes.
Sans doute la simple allégation d’un fait faux ne con
stitue pas pour les contrats ordinaires un dol punissa
ble. Il faut en outre que , par des moyens préparés et
combinés à l’appui de cette allégation, la partie lésée ait
été placéedans l’impossibilité de découvrir la vérité qu’elle
avait tant d’intérêt à connaître.
�480
TRAITÉ DU DOU
Mais cela tient surtout à cette circonstance que la par
tie qui va contracter est toujours en position de se livrer
aux recherches qu’exige cette découverte, recherches dont
la loi lui fait un devoir, précisément parce qu’il lui est
loisible de renvoyer l’acceptation du contrat jusqu’au
moment où les ayant accomplies, elle sera en mesure de
traiter avec connaissance de cause.
En est-il de même pour les jugements ? Evidemment
non, car celui qui veut surprendre une décision ne livre
ra pas d’avance les moyens à l’aide desquels cette sur
prise doit s’effectuer. C’est donc pendant la plaidoirie et
en l’absence des parties que ces moyens se produiront,
conséquemment dans un moment très-rapproché du ju
gement , ou du moins assez voisin de celui-ci pour que
des recherches quelconques soient impossibles.
Demandera-t-on le renvoi pour avoir le temps de s’y
livrer ? On répondrq que l’intérêt de la prompte expé
dition de la justice s’y oppose ; et, toute considération de
statistique à part, on doit reconnaître que ce motif aurait
dans l’espèce une gravité réelle. En effet, si toutes les
fois qu’une attestation est produite par l’une des parties,
l’autre pouvait , sous prétexte de mensonge, obtenir le
renvoi de l’affaire afin de se procurer la preuve de ce
mensongue , le cours de la justice se trouverait singuliè
rement entravé par l’abus que la mauvaise foi ne man
querait pas de faire de cette faculté.
La partie n’est donc pas libre de se livrer aux recher
ches que la découverte de la vérité exigerait; les juges
eux-mêmes n’ont aucun moyen d’éclairer leur religion,
�481
en dehors des éléments existant au procès. Dès lors il
serait inique de punir les parties d’un tort qu’elles n’ont
pu avoir, car elles ne font que subir la position que la loi
leur impose ; il serait immoral de récompenser la mau
vaise foi et la fraude de l’audace qu’elles ont mis à bra
ver la justice elle-même.
L’assimilation entre les jugements et les contrats ordi
naires manque donc de justesse et d’exactitude. La dif
férence de position que nous venons de relever doit en
créer une dans le mode d’appréciation descaractères con
stitutifs du dol pour ce qui les concerne respectivement.
Ajoutons que la confiance forcée que les juges sont obligés d’avoir dans les allégations qui se produisent à
leur barre , aggrave singulièrement les torts de celui qui
emploie le mensonge et la ruse. Ce qui ne serait qu’un
acte d’indélicatesse blâmable dans un contrat ordinaire
devient, en matière de jugement, un dol punissable.
HT DE LA FRAUDE.
i2 5 . — C’est ce que les législateurs anciens avaient
parfaitement compris. Nous avons vu quels étaient en
droit romain les caractères du dol annulant les contrats.
Or, pour ce qui concernait les jugemenis, on obéissait à
d’autres principes. La fausse allégation dans l’intention
de tromper suffisait pour qu’elle pût faire rétracter le ju
gement : Si per dolum sciens falso aliqnid allegavit, et
hoc modo conseculum eum , sententia prœtoris liquida
fuerit adprobatum, existimo, notât Marcellus, judicem
debere querelam rei admittere.'
1 L. 73, Dig. Dejudiciis.
�TRAITÉ DU DOL
482
Un des plus habiles commentateurs du Digeste déve
loppait ainsi cette pensée : Ubi falsilas probata fueril
quce, lile pendenle, necjue adversario, neque jndici in
no tuerai, sic uti religio judicis per hujus modi falsitatem circumventa fueril, petito ad id per modum querelœ vel accusationis restitutione ad integrum,ut sen‘ tp.ntia per restitutionem eneroata, perdat deinceps omnem rei judicalœ auctoritatem , ac causa ex intégra
examinetur perinde ac si judicatam non essel.'
On n’exigeait donc aucune manœuvre autre que la
fausseté de l’allégation par laquelle la religion du juge
.avait été surprise ; et la découverte de cette fausseté opé
rait tous les effets du dol, puisqu’elle déterminait la ré
tractation' de la sente ne e
4-26. — Au témoignage de Jousse, cette doctrine avait été consacrée par l’ordonnance de 1667. Le dol per
sonnel , mis au nombre des causes autorisant la requête
civile, était donc constitué, par la fausse attestation, iso
lément de toute autre manœuvre , et cela , dit Rodier,
parce que la raison naturelle ne permet pas que i’on tire
Avantage de son dol.
Remarquons qu’à côté du dol personnel, l’ordonnan
ce plaçait la rétention de pièces décisives comme auto
risant la requête civile. Jamais cependant les commen
tateurs de cette ordonnance n’ont vu dans cette disposi
tion une restriction à celle relative au dol personnel. Ce
i Voët, Sur le Digeste, liv. 42, t. i. S 28
�ET DE LA FRAUDE.
483
lui—ci était considéré comme un moyen très-étendu et
fournissant de bien nombreuses occasions de se pour
voir contre les arrêts. Il n’est pas possible, dit Rodier, de
désigner en détail les cas où l’on peut se servir de ce
moyen, parce que le dol peut se commettre d’une infi
nité de manières. Cela dépend du fait et des circonstan
ces du procédé qui contiennent le dol et la surprise pra
tiquée.'
427. — Notre Code de procédure a-t-il dérogé à
cette doctrine ? L’exposé des motifs de l’article que nous
examinons répond péremptoirement à cette question.
« Il restera positivement établi, disait l’orateur du Gou
vernement , qu’un jugement surpris à la justice par des
attestations fausses et mensongères, est considéré com
me le produit de ce dol qui met toute décision judiciaire
en opposition avec ce qui est juste et vrai, et, par con
séquent, autorise contre elle la requête civile. »
Ainsi, l’allégation fausse et mensongère est assimilée
au dol, elle en produit les effets. Notre droit s’est donc
conformé aux législations qui l’ont précédé. Il était mê
me impossible qu’il en fût autrement. Les temps peu
vent changer, mais la morale ne change pas. Elle est im
muable comme les principes d’équité et de justice qui
en sont la base. Or, pourrait-on concevoir quelque chose
de plus antipathique à ses inspirations que l’impunité
i Questions sur l'ordonnance. — Voy Pothier, Traité de la pro
cédure, chap. 3, sect. 3, S 2.
�484
TRAITÉ DU DOL
assurée à celui qui, se jouant de la justice elle-même,
l’a détournée de ses voies en surprenant, par le plus au
dacieux mensonge, une décision favorable à ses intérêts?
Il n’est donc pas possible d’admettre que le mensonge
ne suffit pas, que le dol personnel exige en outre l’ex
istence de manœuvres quelconques. Le § 10 de l’art. 480
n’est donc pas l’explication du § 1er. Il ne fait que pré
voir un cas spécial, dans lequel, dit Pigeau , le dol ne
sera suffisamment caractérisé qu’autant que les circons
tances prévues se trouveront réunies, ce qui n’empêche
pas que la partie qui s’est rendue coupable d’un vérita
ble dol, par d’autres moyens qu’en retenant les pièces,
ne puisse être toujours attaquée en vertu du n° 1" de
l’art. 480.
428. — C’est par ces considérations que les auteurs
sont à peu près unanimes pour critiquer l’arrêt de la
Cour de Besançon. C’est ce que font notamment Dalloz
jeune, Favard, Thomines, Boitard, Carré, Ad. Chauveau.
« Sans doute, dit ce dernier, il appartient au juge de
déclarer si dans telle espèce le dol existe,s’il résulte suf
fisamment des faits imputés à la partie qu’on prétend
s’en être rendue coupable. Pour cette appréciation la loi
s’en rapporte uniquement à sa conscience. Ainsi, que la
Cour de Besançon eût déclaré, d’après les circonstances
de la cause , que la dénégation du fait, depuis reconnu
vrai, ne constituait pas, de la part de l’auteur de cette
dénégation, un dol personnel, rien de mieux, elle en avait le droit; mais s’autoriser du § 10 de l’art. 480 pour
�48S
dire que la simple allégation d'un fait, depuis prouvé
faux, ne peut jamais constituer un dol, si elle n’est ac
compagné de manoeuvres ayant réduit la partie adverse
et le juge à l’impossibilité de discerner la vérité, c’est res
serrer dans des limites trop étroites l’application du § 1er,
c’est imposerarbilrairement des conditions qu’il n’a point
prescrites. »
ET DE LA FRAUDE.
429. — Cette interprétation de l’art. 480 a prévalu,
et devait effectivement prévaloir en jurisprudence. Ainsi
il a été jugé :
4° Que la requête civile peut être prise contre un ju
gement basé sur un fait que la partie savait être faux,
mais que les juges ont cru vrai parce qu’il était affirmé
par le défenseur de la partie ; 1
2° Que la sjmple dissimulation d’une pièce décisive,
par une partie, peut prendre le caractère d’un dol per
sonnel et donner lieu à requête civile; qu’ainsi lorsque
une partie a attaqué un jugement par voie de cassation;
qu’il y a eu rejet par la section des requêtes; que la mê
me partie a attaqué ensuite le même jugement par voie
d’opposition ou de tierce-opposition, sans révéler l’exis
tence de l’arrêt de rejet inconnu à l’adversaire, arrêt qui
cependant eût été une pièce décisive contre l’une et l’au
tre espèce de recours, il y a ouverture à requête civile
contre le jugement qui admet soit l’opposition , soit la
tierce-opposition ; a
1 Bruxelles, 23 juillet 1810 ; J: du P.
- Cass.. 19 février 1823; J.duP .
�486
TRAITÉ DU DOL
3° Qu’il y a dol personnel de l’une des parties et par
suite ouverture à requête civile , lorsqu’il résulte , des
pièces découvertes après jugement, que le défendeur à la
requête civile n’avait obtenu gain de cause qu’au moyen
de la dénégation mensongère de faits allégués par son
adversaire.'
Tenons donc pour certain que le § 10 de l’art. 480
n’est ni une dérogation, ni une restriction au §1"; qu’en
conséquence le dol personnel peut, indépendamment de
toutes manœuvres , résulter de l’attestation mensongère
sur laquelle le jugement s’est fondé; que la preuve du
mensonge donne dès lors ouverture à la requête civile.
430. — Mais l’exercice de ce recours n’est recevable
que dans les circonstances suivantes :
1° La preuve de la fausseté de l’attestation doit être
acquise.
Le législateur, en autorisant la requête civile, n’a nul
lement entendu fournir l’occasion d’ébranler ou d’altérer
la foi due aux arrêts par des attaques se réduisant à of
frir la preuve du dol allégué. Le Code , disait l’orateur
du Gouvernement, a maintenu les précautions prises par
les anciennes lois, pour que, sous le litre de requête ci
vile , l’on ne présentât pas des moyens non recevables
ou que l’on mettrait en avant sans être en état d’en faire
la preuve.
1 Colmar, 18 mai 1820 ; — Nîmes, 24 décembre 1839, J. du P., t i,
1840, p. 460, — Besançon, 3 décembre 1862, J. du P., 1863, 678.
�487
Ainsi le recours en requêle civile suppose à priori
l’existence certaine et démontrée du fait dont on veut
faire résulter le dol. La loi le veut tellement ainsi , que
l’art. 488 ne fait courir les délais de trois mois pendant
lequel la demande doit être intentée que du jour de la
découverte du dol et exige que la preuve de cette décou
verte soit constatée par écrit et non autrement. Ce qui
indique forcément la préexistence de la reconnaissance
du dol sur toutes les démarches judiciaires que ce dol
est dans le cas de motiver.
Il faut donc, pour que la requête civile soit admissi
ble, qu’au moment où elle a été formulée, on ait acquis
la preuve du fait qui lui sert de fondement ; que ce fait
constitue un dol. La demande qui se bornerait à allé
guer le dol et à en offrir la preuve serait non recevable
et incapable de produire aucun effet.’
ET DE LA FRAUDE.
431. — 2° L’acte qualifié dol doit être personnel
lement imputable à la partie qui a obtenu le jugement
attaqué. C’est ce qu’indique formellement l'art. 480, qui
n’autorise la requête civile que dans l’hypothèse d’un
dol personnel.. Conséquemment, le mensonge et la ruse
qu’un tiers se serait permis, sans connivence, sans com
plicité de la partie , resterait sans effet sur le jugement
et ne pourrait motiver la requête civile.
Mais on ne doit pas ranger dans la catégorie des tiers
l’avocat ou l’avoué de la partie. Choisis par elle, l’un et
i J . du P.; Paris, 11 mars 1836.
�488
TRAITÉ DU DOL
l’autre sont, dans l’exercice de leur mission, ses vérita
bles mandataires chargés de la représenter. A ce titre,
ce qu’ils font est censé fait par la partie elle-même.
Or, en principe, le dol du mandataire ne saurait nui
re, ni moins encore profiter au mandant '. Ce principe
reçoit une application d’autant plus incontestable à no
tre espèce, que l’avocat ou l’avoué n’agit que sous l’in
spiration immédiate du client, et que celui-ci, en reven
diquant le bénéfice du jugement obtenu par le dol de
l’un ou de l’antre, ratifie tout ce qu’ils ont fait en son
nom et s’approprie ainsi le dol lui-même. Il est donc
de toute justice qu’il subisse toutes les conséquences d’un
acte dont il a voulu recueillir les avantages.
Ainsi , le dol de l’avocat ou de l’avoué est considéré
comme le dol personnel de la partie. Sa découverte et sa
reconnaissance autorisent donc contre elle la voie de la
requête civile.1
452. — 3° Que le dol reproché ait influé sur le ju
gement dont on poursuit la rétractation.
Le dol n’est punissable qu’autant qu’il occasionne un
préjudice. Ce préjudice existe, incontestablement lorsque
le do! a été la cause déterminante du contrat. Ainsi, ce
lui qui demande à être relevé de son engagement, doit,
aux termes de l’art. 1116, justifier qu’il ne l’aurait pas
»
1 V. supra chap. 1, sect. 2, S 2
2 Poncet, Des jugements, tom. ii , tit. 2, chap. 3, n° 460; _ Pigeau,
Carré, Chauveau, — Voy. arrêt de Bruxelles, du 23 juillet 1810
�489
contracté sans les manœuvres par lesquelles il a été cir
convenu.
Nous ne saurions comprendre qu’il pût en être autre
ment dans le cas d’une requête civile, à moins de jeter
les parties dans des frais frustratoires et inutiles. Si la
fausse attestation n’a pas déterminé la solution, si le ju
gement, tel qu’il a été rendu, a son fondement réel dans
les autres documents du procès, qu’importe que dans les
moyens soumis au juge il s’en trouve un constituant un
mensonge ? Faites—le disparaître, et la partie qui s’en
plaint n’en aurait pas moins perdu son procès. À quoi
bon, dès lors, accueillir sa demande au rescindant, puis
qu’elle doit succomber au rescisoire.
ET DE LA FRAUDE.
433. — Cette opinion est combattue , en quelque
sorte, par M. Chauveau, qui enseigne que la requête ci
vile, fondée sur un des moyens prévus par la loi, ne peut
être écartée sous prétexte de défaut d’intérêt. Mais cette
doctrine, vraie sous un certain rapport, ne saurait re
cevoir aucune application au cas de dol personnel.
Ainsi, la requête civile fondée sur ce que les formali
tés prescrites a peine de nullité ont été violées, ou sur le
défaut de communication au ministère public, dans les
cas où cette communication est rigoureusement ordon
née, ne pourrait être rejetée sur le motif que le deman
deur n’y aurait aucun intérêt. Dans l’un et dans l’autre
cas, le droit naît du fait matériel lui-même, abstraction
faite des effets qu’il a pu produire sur le jugement. Dès
lors, le tribunal qui, par l’appréciation de ces effets, re-
�490
TRAITÉ DU DOL
fuserait la rétractation du jugement, violerait expressé
ment la loi et s’exposerait à la censure de l’autorité judi
ciaire supérieure.
Mais, dans le cas de dol personnel, la mission du juge
est bien différente. Elle consiste alors, et c’est M. Chau
veau qui nous l’explique, à rechercher si dans telle es
pèce le dol existe, s’il résulte suffisamment des faits al
légués. Or, comment cette recherche pourrait-elle s’opé
rer sans avoir égard à l’existence d’un préjudice ? Le dol
n’est-il pas consilium fraudis et evenlus dam,ni ? Dès
lors, comment déclarer le dol certain si l’on n’établit pas
à priori l’existence de l’un de ses éléments essentiels, la
certitude d’un préjudice? Il est donc évident que le juge,
non seulement peut, mais doit vérifier d’abord le préju
dice souffert par le demandeur en requête civile, et, s’il
pense qu’il n’en existe aucun , il déclarera qu’il n’y a
pas dol, et conséquemment que la requête civile est non
recevable.
Au reste, M. Chauveau n’a pas suffisamment exami
né l’arrêt de la Cour de cassation du 16 août 1808, sur
lequel il fonde sa doctrine. Cet arrêt casse une décision
de la Cour de Besançon, non pas parce que celle-ci avait
déclaré non recevable, pour défaut d’intérêts, la requête
civile des demoiselles Thouverey. Ce qui détermine la
Cour suprême , c’est que bien à tort l’on avait déclaré
celles-ci sans intérêt, tandis qu’«ï était évident qu'elles
en avaient un réel à attaquer les dispositions qu'elles
voulaient faire rétracter, qui pouvaient compromettre
�491
le sort de leur créance, et qu'elles ne pouvaient les at
taquer que par la requête civile.1
Y aurait-il eu également cassation si le défaut d’inté
rêt, allégué par la Cour d’appel, eût réellement existé ?
Ce qui fait supposer le contraire, c’est le soin que met
la Cour régulatrice à établir la proposition contraire. Sa
décision tient donc uniquement à l’erreur commise à cet
égard par la Cour de Besançon, et dans ces limites cet
arrêt ne saurait prêter aucune autorité au système de M.
Chauveau.
Ainsi, si le jugement attaqué par requête civile, sur le
motif de dol personnel, n’en eût pas moins été rendu tel
qu’il l’a été en l’absencedu fait caractérisé dol, si le juge
n’a puisé sa conviction que dans les autres éléments du
procès, la requête civile doit être écartée. Admettre le con
traire, ce serait vouloir perpétuer le litige, encourager la
chicane et exposer des frais évidemment inutiles.
La question de savoir jusqu’à quel point le dol a in
flué sur le jugement, sera facile à apprécier , puisque la
requête civile doit être soumise au juge qui a rendu la
décision querellée. Personne , en effet, ne pouvait mieux
que lui rendre compte de ses impressions au moment de
celte décision , et expliquer les motifs qui l’ont déter
miné.
Aux conditions qui précèdent , la requête civile est
darfaitement admissible. Reste le bien fondé de la de
mande que le tribunal investi doit prononcer sur l’exisET DE LA FRAUDE.
1 Journal du palais
�lenc-e du dol, sa gravité, ses conséquences. À cet égard
son indépendance est absolue et son appréciation souve
raine,sa décision, quelle qu’elle soit, ne saurait être an
nulée par la Cour de cassation."
434. — Au nombre des actes pouvant caractériser
le dol personnel, se placent la subornation des témoins,
la corruption des experts, le faux serment.
435. — La subornation des témoins est plus qu’un
dol. La loi la considère comme un crime qu’elle punit
d’une peine afflictive et infamante. Il n’y a donc aucun
doute à concevoir : le jugement obtenu par l’effet de celte
subornation ne saurait survivre à la certitude de son ex
istence.
Mais celte certitude ne saurait être acquise que par
la preuve résultant d’un jugement de condamnation au
criminel. L’absence de ce jugement rendrait la requête
civile non recevable, alors même que le demandeur of
frirait la preuve par documents ou par témoins.
En conséquence, celui qui se prétend victime de faux
témoignages déterminés parla subornation, doit d’abord
recourir à la voie criminelle. L’instance jugée et le subor
neur convaincu , la requête civile ne pourrait manquer
d’être accueillie et de produire tous ses effets.
Si le prétendu suborneur est acquitté, la requête civile
devient rigoureusement impossible, alors même que les
1 Cass., 42 janvier 1844, — D. P., 41, 1, 180.
�493
témoins sur la foi desquels le jugement a été rendu se
raient reconnus et punis comme faux témoins. Le faux
témoignage est sans doute un dol extrêmement grave,
mais il n’est pas personnel à la partie sans le concours
de laquelle il s’est produit. Or, en vertu de l'art. 480,
il n’y a que le dol personnel qui donne ouverture à la
requête civile.
La partie lésée par le faux témoignage n’aurait donc
qu’une action, à savoir: celle en dommages-intérêts con
tre les auteurs du faux témoignage, pour les contraindre
à réparer le préjudice qui en est résulté.
ET DE LA FItAUDE.
436. — La corruption des experts peut être sans
difficulté assimilée à la subornation des témoins. Elle
est même plus dangereuse et plus grave, car, indépen
damment de son caractère qui l’a fait accepter par la
partie et par le juge, l’expert est appelé le plus souvent
à constater des faits dont la matérialité est sous ses yeux
et doit être facilement reproduite. On ajoutera donc d’au
tant plus de confiance à sa déclaration, d’ailleurs garan
tie par serment, qu’une erreur est beaucoup moins pré
sumable chez lui que chez un témoin déposant d’après
des impressions et des souvenirs plus ou moins fidèles.
L’acte qui a pour objet d’amener l’expert à trahir son
serment et à tromper la confiance que la justice lui a té
moignée est doncun acte qu’on nesaurail trop vivement
flétrir, il peut ne pas rentrer dans la catégorie de ceux
que punit l’art. 179 du Code pénal, mais de toute cer
titude on ne saurait ne pas y rencontrer un véritable
dol.
�TRAITÉ DU DOL
494
L’auteur de celte corruption ne pourrait donc se sous
traire aux effets de la requête civile, ni la soutenir non
recevable, à moins qu’il ne fut certain que le rapport de
l’expert corrompu n’a exercé aucune influence sur la
décision qui l’a suivie.
Cette hypothèse peut ne pas être impossible. En effet,
l’avis de l’expert n’est jamais obligatoire. Les juges peu
vent, à leur gré et suivant leur conviction, le modifier,
le mettre même complètement de côté. Ce dernier casse
réalisant, la preuve que l’expert a été corrompu serait
sans effet, puisque ce serait ailleurs que dans son rap
port que les juges auraient puisé les motifs de leur déci
sion.
Au reste, des difficultés de ce genre sont évidemment
en dehors de toute discussion, le tribunal qui a rendu le
jugement attaqué étant seul compétent pour les appré
cier et les résoudre d’une manière convenable.
La subornation des témoins et la corruption des ex
perts peuvent avoir été pratiquées par argent, par une
récompense quelconque, par des promesses même. Quel
que soit leur mobile, l’effet en est le même par rapport
au jugement qu’elle a déterminé. Nous faisons cette
observation pour prévenir un doute que le droit romain
pourrait faire naître. En effet, le rescrit d’Adrien ne con
sidère la corruption comme caue de la rétractation des
jugements qu’autant qu’elle a été pratiquée à prix d’ar
gent.'
1 L. 33, Dig. De re judicala.
�495
457, — Nous venons de voir qu’une allégation men
songère et fausse constituait, suivant les circonstances,
un dol donnant ouverture à la requête civile; par une
supériorité de raisons incontestable devrait-on admettre
celte doctrine pour ce qui concerne le faux serment qui
réunit le sacrdége au mensonge.
La requête civile serait donc ouverte envers le juge
ment rendu conformément au serment prêté. Ici l’influ
ence du serment sur la décision n’est pas douteuse , le
vice qui entacherait le serment, entacherait donc la dé
cision elle-même.
BT DE LA FIIAUDE.
458. — On doit cependant distinguer, par rapport
à la requête civile, le serment déféré ou référé par la par
tie, du serment ordonné d’office par le juge.
De tout temps le serment décisoire a été considéré com
me terminant à tout jamais le litige. Ce serment, disait
le jurisconsulte Paul, renferme une véritable transaction,
et a conséquemment une autorité plus grande que celle
de la chose jugée. Ajoutons aussi qu’il a une autorité
plus grande que la transaction elle-même , car le dol,
qui relève de celle-ci, ne saurait influer sur ses effets :
Advenus exceptionem jurisjurandi replicalio doit mali
non debet dari, curn prcetor id agere debet, ne de jurejurando quœratur.'
L’art. 1363 du Code civil a consacré ce principe. Le
serment décisoire crée, sous son empire, une présomp1 L. 15, Dig., De except
�496
TRAITÉ DU DOL
tion contre laquelle la preuve du contraire n’est pas ad
missible; et cela, disait l’orateur du Gouvernement, parce
que le serment déféré ou référé par les parties doit ter
miner définitivement toute contestation. C’est la condi
tion sous laquelle la loi donne le droit de l’exiger. Ainsi,
de l’exercice de ce droit, résulte le consentement de se
soumettre à la condition;, et dès lors , celui qui a déféré
le serment ou qui l’a référé n’est plus recevable, lors
qu’il a été fait, a en prouver la fausseté.1
De tout cela il résulte évidemment que la voie de la
requête civile est absolument interdite contre les juge
ments rendus à la suite du serment décisoire, alors mê
me que la preuve de la fausseté serait matériellement ac
quise.
Mais aucun des caractères constitutifs du serment dé
cisoire ne s’applique au serment ordonné d'office par le
juge. On ne peut pas dire, en effet, que la partie ait voulu
s’en remettre à la conscience de son adversaire, puisque,
d’une part, elle n’a pas cru prudent de lui déférer le
serment, et qu’elle a, en outre, résisté autant que possi
ble à ce que le juge le lui déférât. On ne peut, dès lors,
considérer ce serment comme une transaction. Il n’est
plus qu’un moyen de décision invoqué par le juge, et
contre lequel la partie qui a succombé conserve le libre
exercice de tous ses droits, et notamment le recours à la
requête civile, dès qu’elle aura acquis la preuve du pari Locré, Procès-verbaux du conseil d'Elal, séance du 5 pluviôse an
xu, torn. xii, pag. 414.
�497
jure. C’est au reste ce qui a toujours été considéré com
me une règle incontestable.'
ET DE LA FRAUDE.
439. — 2° La requête civile est admissible s’il a été
jugé sur pièces depuis reconnues ou déclarées fausses.
Cette hypothèse touche, sous un rapport, à celle que
nous venons de parcourir. L’usage sciemment fait d’une
pièce fausse constitue un dol au suprême degré, puisqu’il
est considéré et puni comme un crime; le droit à se
pourvoir par requête civile se puiserait donc suffisam
ment dans le n° 1er de l’art. 480.
440. — Mais une disposition spéciale devenait néces
saire, dès l’instant que le législateur n’exigeait pas que
la fausseté des pièces eût été connue par la partie qui les
a invoquées. La question de dol est donc fort indiffé
rente. La bonne foi admise, la requête civile n’en serait
pas moins recevable, pourvu : \ ’ que les pièces produi
tes soient reconnues ou déclarées fausses ; 2° qu’elles
aient servi de bases au jugement attaqué. Telles sont les
conditions uniques exigées par le n° 9 de l’art. 480.
441. — La seule difficulté que cette disposition fait
naître est relative au sens qu’il convient d’attacher à ces
termes : Reconnues ou déclarées fausses. De la solution
de celte difficulté dépend la question desavoir si le juge
1 Voy. L. 31, Dig. De jurejurando ; — Despeisse , tit. 12 , sect. 2 ;
■ Doraat, 2me part., liv. 4, tit. 9 : — Pothier, liv. 12, tit. 2, n° 51.
1
32
�498
TRAITÉ DU DDL
investi de la connaissance delà requête civile peut, par
un même jugement, admettre la fausseté des pièces et
statuer ensuite sur le mérite de la requête civile.
L'affirmative a été soutenue depuis le Code de procé
dure. « L’art. 480, a-t-on dit, n’a voulu qu’une seule
chose, a savoir : que la fausseté des pièces qu’on aurait
connue avant le jugement, en négligeant alors de l’in
voquer , ne pùt servir plus tard d’ouverture à requête
civile, c’est dans ce sens qu’il exige que celte fausseté ait
été déclarée ou reconnue depuis le jugement , il suffit
donc que cette condition soit remplie pour qu’on doive
admettre la requête civile.
» Aucune difficulté ne peut s’élever quant à la décla
ration du faux, mais la reconnaissance, indiquée par le
législateur, ne saurait être l’aveu émané de la partie con
fessant ainsi sa propre turpitude. On doit donc entendre
par là la découverte du faux par le demandeur en requête
civile. Or , rien dans l’art. 480 n’autorise à penser que
l’une ou l’autre doive précéder l’instance en rétractation
du jugement ; exiger cette reconnaissance ou cette décla
ration préalable , c’est donc ajouter à la loi. Dès lors la
preuve du faux peut être valablement faite devant le tri
bunal investi de la demande en requête civile, qui peut
conséquemment prononcer simultanément sur le faux et
sur la requête civile elle-même. »
Tout cela était vrai sous l’empire de l’ordonnance de
1667, c’est ce qu’atteste notamment un arrêt de la Cour
de cassation du 22 pluviôse an ix. Mais la doctrine de
l’ordonnance a été abandonnée par le Code de procédu
re, cela résulte du texte et de l’esprit du Code.
�499
L’art. 34, til. 35 de l’ordonnance autorisait la requête
civile, s’il avait été jugé sur pièces fausses. La généra
lité de ces termes ne répugnait nullement au sens qu’on
leur avait reconnu.Evidemment le législateur n'avait rien
prévu ni quant à l’existence préalable du faux, ni quant
au mode de sa constatation.
Dès celte époque , cependant, une controverse s’était
établie sur l’un et l’autre point, et celte controverse n’a
vait pas laissé que de créer des difficultés assez graves.
Un jugement définitif doit, disait-on, devenir la loi im
muable des parties. Ouvrir contre lui un recours trop fa
cile, c’est s’exposer à en diminuer la juste autorité, c’est
encourager la mauvaise foi et la chicane intéressées à se
soustraire par tous les moyens à une condamnation juste
et méritée. L’intérêt général exige donc qu’il n’y ait rien
d’arbitraire dans les modes d’attaque dont un jugement
peut être l’objet, et , si celle attaque est fondée sur la
fausseté des pièces produites, il convient que cette faus
seté soit prouvée avant qu’on puisse en poursuivre les
effets. Procéder autrement, c’est livrer les parties à des
débats interminables, car la prétention de la découverte
d’un faux qui n’a réellement jamais existé, et qu’on ne
pourra prouver, amènera de fréquents procès.
ET DE LA FRAUDE.
442. — C’est en présence de ces difficultés que se
trouvaient les auteurs du Code de procédure, et le rap
prochement des termes qu’ils ont employés, de la dispo
sition de l’ordonnance, indique de quelle manière ils ont
entendu les trancher. La requête civile n’est admissible
�500
TRAITÉ DU DOL
que si les pièces ont été reconnues ou déclarées fausses,
elle n’est donc possible qu’à partir de la reconnaissance
ou de la déclaration ; dès lors, comment admettre que
l’exercice d’un droit puisse précéder l’ouverture du droit
lui-même ?
Le Code a donc déserté le système suivi par l’ordon
nance de \ 667, et s’il est vrai que sous l’empire de celleci le faux n’avait pas besoin d’être préalablement prou
vé , il est certain que , depuis la promulgation du pre
mier , cette constatation préalable est devenue la condi
tion indispensable de la faculté de se pourvoir par re
quête civile D’où la conséquence que le juge investi de
cette requête ne peut rechercher d’abord le faux et pro
noncer ensuite sur la requête civile.
445. — Quant au sens qu’il faut attacher à la re
connaissance prescrite par notre article, il ne saurait être douteux, il ne peut s’entendre que de l’aveu fait par
l’auteur du faux ou par celui qui a fait usage des pièces
fausses, aveu tout à fait indépendant de la découverte
faite par le demandeur en requête civile et qui ne peut'
jamais être suppléé par elle.
Cela s’induit du rapprochement des art. 448, 488,
480, du texte même de ce dernier.
Ainsi, l’art. 448 proroge les délais de l’appel du ju
gement obtenu sur pièces fausses, en ne les faisant cou
rir que du jour où le faux a été reconnu ou juridique
ment constaté. On convient généralement que dans cette
hypothèse la reconnaissance dont parle la loi, c’est l’a-
�501
veu de la partie, et ce qui le prouve, c’est que cet arti
cle , exigeant une preuve par écrit de la découverte des
pièces décisives , n’aurait pas manqué de la prescrire
pour la découverte du faux, sans quoi les délais d’appel
n’eussent jamais couru. Or, rien n’indiquant une inten
tion contraire, il faut conclure, de l’identité des termes
employés par l’art. 480, à une solution conforme à celle
donnée dans le cas de l’art. 448.
Ainsi encore, l’art. 488, qui fait courir les délais de
la requête civile du jour où soit le faux, soit le dol, aura
été reconnu ou les pièces décisives découvertes, ajoute :
pourvu que dans ces deux derniers cas il y ait preuve
par écrit du jour et non autrement. Le motif qui a fait
restreindre la nécessité de la preuve écrite au dol et à la
découverte des pièces décisives, c’est que le faux ne pou
vant résulter que d’une reconnaissance ou d’un juge
ment, la preuve du jour de l’une ou de l’autre résultera
invinciblement de l’acte qui constate l’une ou l’autre. La
loi n’a donc pas voulu parler de la simple découverte
du faux, car elle eût fait pour celle-ci ce qu’elle a fait
pour celle du dol, pour celle de pièces décisives, à moins
qu’on n’admît que, pour le faux, la loi n’a voulu tra
cer aucune limite à la faculté de se pourvoir par requête
civile. Or, une pareille intention est d’autant moins pré
sumable que l’intérêt public prescrivait de laisser le
moins possible dans l’incertitude l’autorité des jugements
ou arrêts.
Enfin, admettre que la reconnaissance exigée par l’ar
ticle 480 signifie seulement la découverte du faux par
ET DE LA FRAUDE.
�TRAITÉ DU DOU
502
le demandeur en,requête civile, c’est supposer au légis
lateur deux volontés contradictoires dans deux disposi
tions rapprochées à dessein, à cause de leur coïnciden
ce. Ainsi , tandis qu’il aurait exigé d’une part la cons
tatation juridique du faux pour donner ouverture à la
requête civile , de l’autre il se serait contenté qu’il fût
seulement découvert. Une telle contradiction n’est ni pré
sumable ni admissible.
444. — En conséquence il n’y a pas à hésiter. Ce
lui qui veut se pourvoir en requête civile, pour fausseté
des pièces produites, doit se procurer l’aveu de son ad
versaire , et, à défaut, faire constater juridiquement le
faux. Cette reconnaissance ou ce jugement obtenu, la re
quête civile devient recevable et peut dès lors être inten
tée. De là résulte évidemment que le même tribunal ne
saurait être simultanément investi de la connaissance du
faux et de la requête civile, ni prononcer sur le tout par
un même jugement.
C’est au reste dans ce sens que s’est généralement pro
noncée la jurisprudence. De nombreux et graves monu
ments l’attestent.'
Tout en admettant ce principe , Pigeau en restreint
l’application au cas où la pièce arguée est authentique.
Si la pièce est privée, dit-il, les juges peuvent, après l’a1 Voy. au Journal du palais : Grenoble , 29 mai 1834; Paris , 11
mai 1836 ; Cass., 2 mai 1837, et 13 février 1838 ; Aix, 8 février 1839:
�303
voir examinée et reconnue fausse , la déclarer nulle et
admettre la requête civile par le même jugement.
Mais cette opinion a le tort de distinguer là ou la loi
ne distingue pas. De plus, elle transfère au juge le pou
voir de reconnaître la fausseté de la pièce et de commet
tre ainsi une équivoque sur la valeur de ce terme que la
loi a considéré comme l’équivalent de l’aveu de la par
tie. Elle est donc inadmissible. Ainsi , que la pièce soit
privée, qu’elle soit authentique, la nécessité d’une recon
naissance ou d’un jugement préalable n’en existe pas
moins, pour que le droit de se pourvoir par requête ci
vile soit ouvert.
ET DE LA. FRAUDE.
445. — 3° Enfin la requête civile est autorisée si,
depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisi
ves et qui avait été retenues par le fait de la partie.
Trois conditions sont donc indispensables pour cons
tituer celte ouverture spéciale de requête civile.
La première, c’est que les pièces aient été découvertes
depuis le jugement. Conséquemment, si leur existence
avait été connue avant, la partie qui aurait négligé de
les produire ou de s’en prévaloir ne serait plus admise
à se pourvoir contre le jugement. Ce jugement serait
maintenu tel qu’il a été prononcé, alors même que la
décision qu’il consacre eût dû être différente, si les piè
ces non représentées eussent été vérifiées par les juges.
La requête civile n’a nullement été imaginée pour venir
en aide à l’imprudent qui n’a pas su se défendre comme
le voulait son intérêt.
�504
TRAITÉ DU DOL
La détermination de l’époque de la découverte précise
des pièces était de nature à soulever de graves difficul
tés. C’est pour les prévenir que la loi exige que la preu
ve écrite de cette découverte soit produite par le deman
deur en requête civile. Aux termes de l’art. 488, l’ab
sence de cette formalité ne permettrait pas d’accueillir la
demande.
La seconde condition , c’est que les pièces soient dé
cisives. L’exigence de ce caractère implique pour le juge
la nécessité de jeter un coup d’œil sur le fond du pro
cès. Aussi cette faculté, que l’ordonnance de 4667 refu
sait, a-t-elle été explicitement admise lors de la discus
sion législative du Code de procédure civile. Elle est d’ail
leurs indispensable , car comment juger si la pièce est
ou non décisive, autrement qu’en recherchant quelle est
l’influence qu’elle doit exercer sur les prétentions des
parties.
Le juge examinera donc le fond , et s’il résulte de cet
examen, dit Pigeau , que la cause eût été perdue quand
même la partie eût plus tôt produit la pièce , on n’aura
pas à s’occuper de la requête civile r qui devra dès lors
être rejetée.
Il suit de là qu’il n’y a de pièces décisives , dans le
sens de la loi, que celles dont les énonciations devaient
amener une solution opposée à celle que le jugement con
sacre. Telle n’est pas cependant l’opinion de M. Berriat
Saint-Prix. Cet auteur pense que le caractère des pièces
doit être apprécié par rapport au rescindant seulement;
conséquemment il établit comme règle générale que,
�'
a
—
.. '
c
•• • ” v
505
quoique la pièce retenue ou recouvrée doive, en défini
tive , faire rendre un jugement semblable au premier,
quant à ses résultats, il n’en faut pas moins rétracter
celui-ci.
Cette doctrine s’écarte du véritable esprit de la loi ;
elle ne tend qu’à perpétuer les procès , qu’à multiplier
les frais. Elle devait donc être rejetée. Elle l’a effective
ment été par les auteurs et par la jurisprudence. La Cour
de Bruxelles, notamment, a décidé, par arrêt du 9 juil
let 1823, que, si la pièce n’est pas décisive au fond, on
ne peut prétendre qu’il y ait dissimulation dolosive, et
partant ouverture à requête civile.
La troisième condition , c’est que les pièces aient été
retenues par le fait de la partie.
Cette rétention est surtout le fait principal dont le § 10
a voulu s’occuper. Nous verrons bientôt que son exis
tence est constitutive d’une présomption de dol suffisante
pour autoriser la requête civile. A ce titre, on ne pouvait
faire autrement que d’exiger qu’elle fût directement im
putable à la partie, le dol, formel ou présumé, devant
être personnel pour créer une ouverture à requête civile.
De là cette conséquence que, si les pièces avaient été
retenues par un tiers ou si le défaut de leur production
n’était imputable qu’à la négligence de la partie qui avait
intérêt à les représenter, le jugement rendu en leur ab
sence demeurerait inattaquable pour toutes les parties.
On doit, dans cette circonstance, appliquer les princi
pes que nous avons déjà exposés sur le dol direct ou in
direct. Ainsi si la rétention matériellement opérée par
ET DE LA FRAUDE.
�506
TRAITÉ DU DDL
un tiers n’élait due qu’aux inspirations de l’une des par
ties, si la conduite de ce tiers Était le résultat d’une col
lusion frauduleuse, la complicité de la partie la rendrait
directement responsable des conséquences de la rétention
et autoriserait la requête civile. C’est ce qui se réaliserait
dans le cas où la partie, dans l’intention d’éluder la loi,
aurait, avant le procès, remis les pièces entre les moins
d’un tiers, en le chargeant de les celer ; ou si, connais
sant le dépositaire de ces pièces, elle était parvenue, par
dons, promesses ou violences, à le déterminer à ne pas
les produire.
D’autre part , la possession d’une pièce et le silence
gardé sur son existence ne constitueraient pas la réten
tion prévue par la loi, si la minute de cette pièce étant
déposée dans des registres publics ou chez un notaire,
les parties ont pu en requérir une expédition ou une co
pie ; si la pièce étant commune aux deux parties ou si,
son existence étant acquise, on a pu forcer le déposi
taire à la communiquer. Ainsi il a été jugé qu’il n’y avait pas véritable rétention dans le fait de l’associé qui,
constitué gardien d’un document social, ne l’avait pas
produit, tous les associés pouvant le réclamer et le con
sulter en tout temps ' ; que la partie qui n’a pas usé de
la faculté autorisée par l’art. -188 du Code de procédu
re, d’exiger la communication des pièces invoquées par
son adversaire , ou qu’il sait être en sa possession , ne
*
1 Paris, 58 novembre 1810.
�507
peut être admise à se pourvoir par requête civile , sous
prétexte que celui-là les aurait retenues.'
On le déciderait de même dans toutes les hypothèses
où le demandeur en requête civile aurait négligé de fai
re valoir les moyens que la loi lui donne de s’éclairer
sur son droit. Il est certain que, en pareille occurrence,
il a commis une faute qui n’a pas peu contribué au pré
judice dont il se plaint. Or, en principe, le dol n’oblige
à la restitution que lorsque celui qui la réclame n’est
pas lui-même coupable d’imprudence, de légèreté ou
de négligence. Alors, en effet, et alors seulement, le dol
peut être considéré comme la cause déterminante du
contrat.
ET DE LA FRAUDE.
446. — Au reste, les circonstances pouvant ou non
constituer la rétention dans le sens légal ne présentent
que des appréciations de fait que la loi abandonne à la
prudence et aux lumières du juge. Mais une pure ques
tion de droit est celle de savoir si la requête civile est
admissible lorsque celui qui a retenu les pièces a agi de
bonne foi et dans l’ignorance de leur existence entre ses
mains.
Pigeau enseigne l’affirmative. Mais cette solution est
fortement combattue par M. Ad. Chauveau. « Le § 10,
dit ce dernier , prévoit un cas de dol aussi bien que le
§ 1", et, s’il diffère de celui-ci par une précision spé
ciale , comme lui, du moins, il pose, à titre de condi1 Cass., 20 novembre -1832
�308
TRAITÉ DU DOL
tion essentielle , qu’il faut que le dol provienne du fait
de la partie.
» Or il n’y a pas de dol dans l’hypothèse, car le dol
suppose l’intention de nuire , il n’existe même qu’à ce
titre; et ici le contraire est établi.
» Encore moins peut-on dire qu’il se révèle par une
manœuvre coupable de la partie, puisque celle qui, par
pure ignorance, a retenu des pièces qu’elle ne savait
pas en sa possession, n’a pas même encouru le reproche
de négligence; ce n’était pas à elle, en effet, de cher
cher des armes à son adversaire. Il suffit qu’elle n’ait
pas sciemment mis obstacle aux recherches que celui-ci
aurait pu effectuer , pour qu’elle soit exempte de tout
blâme. »
Ainsi des deux hypothèses que l’art. 480 semble pré
voir dans le § 10, à savoir : celle d’une rétention inten
tionnelle , et celle d’une rétention provenant de l’igno
rance , M. Chauveau n’admet que la première comme
donnant ouverture à la requête civile. Nous pensons, au
contraire , que c’est uniquement en vue de la seconde
que le § 10 a été inscrit dans la loi.
Aucun doute, en effet, ne pouvait s'élever dans le cas
de dol. Le § 1" les prévoit tous , et la rétention d’une
pièce décisive, opérée sciemment, étant un véritable dol
personnel, tombait virtuellement sous le coup de celte
disposition.
Il n’en était pas de même de la rétention de bonne
foi. On pouvait précisément invoquer ce caractère pour
combattre la recevabilité de la requête civile. 11 était donc
\
�509
urgent de tracer à cet égard une règle précise , si l’in
tention du législateur était de consacrer la requête civile
dans ce cas.
Or nous croyons que cette intention a été celle de la
loi ; et c’est pour l’exprimer que le § 10 a été adopté.
Ce paragraphe s’appliquerait donc précisément à l’hy
pothèse que M. Chauveau prétend exclure.
Remarquons d’abord que la loi n’exige qu’une seule
chose, à savoir : que les pièces aient été retenues par le
fait de la partie. C’est donc à la matérialité des choses
qu’il convient de se référer. L’absence de toute indica
tion relative à l’intention, en fait un devoir d’autant plus
impérieux que Cette absence n’est qu’une conséquence
d’une appréciation exacte des difficultés graves que les
questions d’intention pouvaient soulever.
L’ignorance de l’existence d une pièce qu’on a en sa
possession est un fait tellement intime, qu’on ne pour
rait rendre la prétention contraire l’objet d’une preuve
quelconque. Cependant le fait de cette possession a cau
sé un grave préjudice, puisqu’une partie , qui ne devait
pas l’être , a été condamnée. Or , comment concevoir
l’impossibilité absolue de toute réparation dans laquelle
cette partie serait placée, par l’impuissance où elle serait
d’établir que la bonne foi de son adversaire n’est qu’un
vain prétexte ?
À côté de cet inconvénient déplorable , s’en trouvait
un autre non moins grave. On ouvrait une large porte
à l’arbitraire, en constituant les tribunaux juges néces
saires de cette intention. C’était, en effet, les placer en
ET DE LA FRAUDE.
�510
TRAITÉ DU DOL
présence de deux allégations dépouillées de tout secours
extérieur, et les exposer ainsi à consacrer dans plusieurs
cas le contraire de la vérité.
Il n’y avait qu’un seul moyen qui pût faire heureu
sement franchir ce double écueil, et ce moyen est celui
que la loi a pris. Le fait de la possession des pièces et
leur rétention est déterminant. Il crée une présomption
légale de dol, suffisante pour donner ouverture à la re
quête civile.
La loi ne pouvait pas hésiter à le décider ainsi , car
le résultat qu’elle atteint est le seul juste, le seul équi
table. Ainsi la partie qui ne doit rien se trouve exoné
rée d’une condamnation imméritée. Son adversaire perd
le bénéfice d’un jugement qui n’a été qu’une surprise à
la religion des juges, et dont l’annulation ne fait que lui
rendre la position dans laquelle il était réellement placé.
Le système contraire a des conséquences iniques, et
grève d’une responsabilité désastreuse la partie qui n’a
absolument rien à se reprocher. En effet, si elle n’a pas
produit les pièces dont son intérêt exigeait la représen
tation, c’est par l’excellente raison qu’elles étaient dans
les mains de son adversaire. On ne saurait donc lui re
procher ni faute, ni imprudence, ni légèreté.
Il n’en est pas de même de ce dernier, s’il pouvait échapper au reproche d’avoir commis une faute grave, il
se trouverait au moins convaincu de négligence. Il a, en
effet, le tort de ne s’être pas assez assuré de l’existence
du droit qu’il allait exercer. Cependant c’est lui qu’on
récompenserait de cette heureuse négligence , c’est lui
�511
qu’on enrichirait des dépouilles injustement arrachées à
son adversaire 1
Est-il vrai cependant qu’il doive en être ainsi et que
la loi n’ait autorisé la requête civile que lorsqu’il s’agit
d’un dol caractérisé ?
La négative s’induit des motifs et du texte de l’art. 480.
La requête civile n’est qu’un moyen de corriger l’erreur
dans laquelle le juge devait fatalement tomber par le fait
ou par la fraude de l’une des parties. C’est ce que prou
ve invinciblement le § 9 de cet art. 480.
L’usage des pièces fausses peut caractériser un dol. Il
peut aussi n’être que le résultat de.la bonne foi et de
l’ignorance. A-l-on hésité , dans cette dernière hypo
thèse, à autoriser la requête civile? Cependant la bonne
foi de la partie est exclusive de toute intention fraudu
leuse, et si la loi exigeait cette intention, il faudrait dé
cider, pour l’usage des pièces fausses, c,e que tM. Chau
veau enseigne pour la rétention des pièces. Le contraire
cependant n’a jamais été contesté par personne.
Mais si la bonne foi n’est point une excuse pour l’u
sage des pièces fausses, pourquoi lui reconnailrait-on ce
caractère, lorsqu’il s’agit de rétention de pièces décisi
ves ? Evidemment il y a dans les motifs de décision, dans
l’un et dans l’autre cas, une telle identité qu’on ne sau
rait justifier ni concevoir une pareille divergence dans
les résultats.
Concluons donc que le sens du § 10 , déterminé par
les motifs qui ont fait admettre la requête civile, justifié
par l’énormité des conséquences que le système de M.
ET DE LA FRAUDE.
�512
TRAITÉ DU DDL
Chauveau entraînerait , est invariablement fixé par son
rapprochement avec le § 9. Le dol est présumé dans le
fait de rétention, au même titre que dans le fait de l’u
sage des pièces fausses. L’un et l’autre se réalisant, le
jugement est essentiellement altéré dans son principal
caractère, et la requête civile est ouverte, quelles qu’aient
été les causes déterminantes de l’un ou de l’autre. La
preuve que le § 10 n’a pas d’autre but que le § 9, c’est
que déjà le 1er punissait le dol personnel , et qu’il est
impossible d’admettre que le législateur ait cru devoir
consacrer deux fois, dans le même article, la même dis
position.
Enfin la justesse de notre conclusion est prouvée par
la jurisprudence que nous avons déjà rappelée. Si, dans
la supposition de mauvaise foi admise par M. Chauveau,
la loi exige la dissimulation et la rétention , la consé
quence nécessaire de sa disposition sera que le dol n’ex
istera que par la réunion de ces deux circonstances, et
que la simple dissimulation , fût-elle le produit de la
fraude la plus insigne, ne saurait, dans aucun cas, auto
riser la requête civile.
Le contraire a été cependant formellement jugé par la
Cour de cassation. Son arrêt, du 19 février 1823, déci
de, en effet, que la dissimulation d’une pièce, sans qu’il
y ait eu rétention , pouvait constituer un dol donnant
ouverture à requête civile. Dans le système de M. Chau
veau , cet arrêt serait une violation flagrante de la loi,
puisqu’il ferait produire à une seule des circonstances
prévues les effets que la loi n’a voulu donner qu’à la ré-
�313
alisation simultanée de l’une et de l’autre. S’il faut qu’il
y ait mauvaise foi, dissimulation et rétention, il est évi
dent que la mauvaise foi qui n’aura produit que la dis
simulation ne pourrait être atteinte, sans méconnaître la
volonté expresse du législateur.
La Cour de cassation n’a pas hésité pourtant, et M.
Chauveau approuve formellement son arrêt. Donc la
Cour a admis expressément que le texte du § 10 de l’ar
ticle 480 a un sens tout spécial, à savoir : que la réu
nion des circonstances qui y sont énumérées crée une
présomption légale de dol, rendant inutile et superflue
l’examen de l’intention qui les a déterminées. Cet exa
men devient , au contraire , indispensable lorsque les
parties se trouvant en présence d’une simple dissimula
tion, il y a lieu de rechercher si cette dissimulation ne
constitue pas un véritable dol, et s’il convient d’appli
quer le § 1er. La bonne ou mauvaise foi , indiffférente
dans la première hypothèse, est donc décisive et consé
quemment nécessaire à établir dans la seconde.
ET DE LA FRAUDE.
447. — Nous aurions maintenant à rechercher quels
sont les jugements qui peuvent être attaqués par la voie
delà requête civile; quels sont les effets de l’introduction
de l’instance, ceux de son admission. Mais les difficul
tés que ces divers points peuvent entraîner appartien
nent à une autre matière que celle qui nous occupe.
Nous devons donc renvoyer aux auteurs qui ont écrit
sur cette partie de notre droit. Rappelons seulement que
l’exécution du jugement attaqué ne saurait être ni susi
33
�S14
TRAITÉ DU DOL
pendue ni arrêtée jusqu’au moment où , par la consé
cration de la requête civile , ce jugement se trouve ré
tracté et les parties remises au même état qu’avant sa
prononciation.
FIN DU TOME I".
�TABLE
DES' CHAPITRES DU TOME I".
PAGES
O b s e r v a t io n s p r é l i m i n a i r e s ...........................................
1
C h a p it r e i .
1 i-
S e c t io n i
16.»
— Définition du d o l .....................................
. — Caractères du d o l ....................................
. — Des diverses espèces de dol .
. . .
i. — Dol substantiel ou accidentel..............................
h . — Dol direct ou indirect..........................................
in. — Dol positif ou négatif...........................................
îv. — Dol postérieur au contrat ...............................
il. — D elà preuve du d o l...............................
. — Du dol présum é...........................................
. — Dol non présumé, modes de preuve.
.
30.
37
§
53
§
61 '
§
72,
§
77
C
79
S
210
S
C
. — Des effets du dol................................. 250»
S
. — Dol dans les traités, ses effets
. . . S5B
| i. — De l’action en nullité ou rescision . . . . 256§ n. — De l’action en dommages-intérêts . . . . 289:
S
. — Dol dans le m a ria g e ............................340
S
. — Dol dans les libéralités...................... 406
S
. — Dol dans les jugem ents......................
473»
§ i. — De la requête civile............................................ 476»
S ec t io n i i
h a p it r e
ectio n
i
ectio n
ii
h a p it r e
iii
ec t io n
i
ectio n
ii
e ct io n
iii
ectio n
iv
-m 1 O
,
.
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PDF Text
Text
TRAITÉ
EIN M A T IE R E
CIVILE «fc COM M ERCIALE
PAR
J.
B ë BARRIDE
Avocat près la Cour d appel d A ix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
Tome 2
T R O |I S I É M B
É D IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME DEUXIEME
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I B R A I R E
ACHILLE MAKAIRE, LIBBAIR
22 , RUE SOUFEiOT, 22
2 , BUE POKT-MOnBiU
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XôSLS
�TRAITÉ
EIN M A T IE R E
CIVILE «fc COM M ERCIALE
PAR
J.
B ë BARRIDE
Avocat près la Cour d appel d A ix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
T R O |I S I É M B
É D IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME DEUXIEME
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I B R A I R E
ACHILLE MAKAIRE, LIBBAIR
22 , RUE SOUFEiOT, 22
2 , BUE POKT-MOnBiU
2
4 876
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XôSLS
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�T R A I T É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
CHAPITRE III.
DES
EFFETS
DU
DOL.
SECTION IV.
Dol d a n s
les
J u gem en ts.
S II.
De la prise
à partie.
SOMMAIRE.
448.
449.
Motifs de la prise à partie.
Inconvénients de l ’admission de cette voie. Dangers pou
vant résulter de sa prohibition.
450. Coup d’œil historique.
ii
\
�TRAITÉ DU DOL
451.
452.
•453.
454.
|5 5 .
456.
457.
458.
459.
460.
461.
462.
463.
464.
465.
Abrogation de l ’ancienne législation par la loi du 3 bru
maire an îv et plus tard par le Code de procédure.
Cas donnant ouverture à l’action.
Différence en cette matière entre le dol et la fraude.
Différence dans leur origine. Conséquences.
Différence dans les faits à prouver.
Leurs effets.
La concussion se place sur la même ligne que le dol.
Conduite que le magistrat doit tenir envers les plaideurs.
Admissibilité de la preuve testimoniale.
Caractère du déni de justice.
Mode de sa constatation,
L’article 505 du Code de procédure civile est essentielle
ment limitatif.
Difficulté relativement à la faute lourde.
Sa solution.
Regret de M. Chauveau sur la doctrine de la Cour de cas
sa tio n .
466. Réponse,
467. Examen de l ’opinion de Toullier.
468. Contre qui peut être dirigée la prise à partie.
469. Est-elle recevable contre les arbitres ?
470. Position que fait au juge l ’admission de la requête. Consé
quence.
**
471. Influence de cette admission sur la décision attaquée.
472. Effets de l ’arrêt admettant la prise à partie par rapport : 1*
au juge ; 2“ à la décision.
473. Quid si la partie a coopéré au dol du juge ?
474. La condamnation contre le juge peut entraîner la contrain
te par corps.
448.
— Si dans le Code, disait l’orateur du gouver
nement , on avait pu se décider par les sentiments de
respect qu’inspirent en France, plus que partout ailleurs,
�ET DE LA FRAUDE.
3
l’impartialité , l’exactitude et l’extrême délicatesse des
magistrats, on n’y aurait pas même prévu qu’il pût s’en
trouver dans le cas d’être pris à partie. Mais ne suffît—il
pas que des exemples, quelque rares qu’ils soient, puis
sent se présenter, pour que la magistrature entière doive
être satisfaite qu’il y ait une loi sévère , sous l’égide de
laquelle les parties lésées peuvent obtenir la réparation
qui leur est due.
449.
— Évidemment l’écueil, en cette matière, ré
sidait dans un parti extrême, soit qu’on abandonnât la
prise à partie au gré des plaideurs malheureux, soit qu’on
la prohibât d’une manière absolue.
Le premier système offrait de graves , de nombreux,
inconvénients. Rien de plus dangereux, pour l’ordre so
cial lui-même , que de livrer le juge aux passions hai
neuses de ceux qu’il a dû condamner. Dès cet instant,
disait un avocat général au parlement de Grenoble, avili
par l’opinion mêmede la loi, le magistrat serait dégradé
dans ses fonctions ; son autorité, liée à la dignité de son
caractère, s’affaiblirait comme elle, et lorsque le juge se
rait sans considération, la loi serait sans force.
La proscription absolue de tout recours n’offrait pas
de moindres périls, quoique dans un autre ordre d’idées.
Dégagé de toute crainte, le magistrat aurait pu se livrer
à ses passions , sous le voile de l’accomplissement d’un
devoir. Or , ajoutait le même m agistrat, le plus grand
crime des administrateurs de la justice serait de la trahir
quand ils paraissent la rendre. Etablir comme une règle
�4
TRAITÉ DU DOL
que dès qu’un homme est décoré du titre de juge, il est
inaccessible à la prévarication , ce serait mal connaitre
la faible humanité, ouvrir la barrière à d’odieux abus et
consacrer quelquefois la plus révoltante iniquité.
450.
— Le besoin de répression contre les magis
trats prévaricateurs était donc impérieusement indiqué.
Cette nécessité a été sentie par tous les peuples. L’his
toire est là pour nous montrer que les peines corporelles
les plus cruelles ont puni de pareils forfaits. Il est donc
vrai de dire que la prise à partie se retrouve dans les plus
anciennes législations, sous des formes empreintes dans
chacune du caractère, du génie et des mœurs de la na
tion. Les Romains l’avaient formellement consacrée. 1
En France, la partie qui avait succombé pouvait, dans
les premiers temps, appeler le juge à défendre, l’épée à
la main, le bien jugé de sa sentence ; plus tard, et lors
que la faculté d’appel fut reconnue , le juge qui avait
prononcé devenait l’intimé principal et devait plaider à
l’appui de son jugement. Cet état de choses soulevant des
plaintes unanimes, une ordonnance de François 1er le fit
cesser, en déclarant que l’appel devait être dirigé contre
la partie. Mais le juge ne dut pas moins être intimé. De
partie principale il devint partie jointe, mais nécessaire.
Le premier édit qui restreignit la faculté illimitée d’ac
tionner le juge est l’ordonnance de 1540. Cette ordon
nance , relative à l’administration de la justice en Nor-
1 L. \ 8, § 'I, et 40, §
Dig. Dejudiciis.
�5
ET DE LA FRAUDE.
mandie, défend de prendre le juge à partie , sinon que
l’on maintienne par relief qu'il y ait dol ou fraude, ou
concussion, ou erreur évidente en fait ou en droit.1
L’ordonnance de Blois, de 1579 , rendit ce principe
commun aux autres provinces, celle de 1667 le confir
ma. La seule modification que cette dernière introduisit
fut de multiplier les cas légaux de prise à partie.
«
4 5 1 . — Ces ordonnances formèrent le droit commun
de la France jusqu’à la loi du 3 brumaire an iv. Plus
tard, le Code de procédure est venu définitivement régler
le principe et les formes de la prise à partie.
4 5 2 . — Aux termes de l’article 505, cette voie d’at
taque contre les juges n’est ouverte que dans l’une des
quatre hypothèses suivantes : 1° s’il y a dol , fraude ou
concussion, qu’on prétendrait avoir été commis soit dans
le cours de l’instruction, soit lors du jugement; 2° si la
prise à partie est expressément prononcée par la loi ; 3°
si la loi déclare le juge personnellement responsable, à
peine de dommages-intérêts ; 4° s’il y a déni de justice.
De ces quatre hypothèses, deux appartiennent plus
particulièrement à la matière que nous examinons , à
savoir : la première et la quatrième. C’est aussi d’elles
seules que nous nous occuperons.
4 5 5 . — Le dol et la fraude, que la pratique confond
i Collection d’Isambert, tom. xii, pag. 709.
�6
TRAITÉ DU DOL
assez habituellement, ont ici une acception spéciale qu’il
ne faut pas perdre de vue. Identiques dans leurs effets ,
ils diffèrent dans les caractères qui les constituent. Ainsi
et par rapport à la prise à partie, le dol consistera dans
les machinations ou les artifices qu’un juge se sera per
mis à l’encontre d’une partie. Il y aura fraude lorsque,
volontairement et dans le dessein de nuire, le juge aura
ouvertement violé la loi qu’il était chargé d’appliquer.
4 5 4 . — Le dol peut se réaliser soit dans le cours de
l’instruction, soit au moment du jugement ; la fraude ne
résulte que du jugement lui-même. Ce n’est qu’alo rs,
en effet, que le préjudice qu’elle a pour but d’occasion
ner se manifeste.
De là celte conséquence que le fait qualifié fraude, et
sur l’existence duquel il ne saurait y avoir doute , peut
n’ètre que le résultat d’une erreur involontaire. Il est
même présumé tel jusqu a preuve contraire. Le dol, au
contraire, emporte par lui - même l’idée d’une intention
évidemment mauvaise.
En effet, les manœuvres , les artifices qui le caracté
risent ne permettent guère d’équivoquer sur l’esprit qui
a dicté les unes ou les autres. Comment le juge pourrat-il intentionnellement se justifier d’avoir , par des mo
yens fallacieux , amené la partie à des aveux ou à des
concessions qu’elle ne devait pas ? D’avoir ajouté ou re
tranché à la déposition des témoins qu’il a entendus ?
Comment le rapporteur d’un procès innocentera-t-il le
fait d’avoir soustrait d’un dossier, ou dissimulé dans son
�v'
ET DE LA FEAUDE.
7
rapport, une pièce décisive pour la partie? D’avoir pré
senté comme certains des faits qu’il sait être faux? Com
ment enfin le président, qui après la prononciation du
jugement en altère la rédaction en y ajoutant ou en di
minuant, pourra-t-il persuader de sa bonne foi? Chacun
de ces faits est trop contraire à la loyauté qu’exigent les
fonctions de magistrat, pour qu’on puisse se méprendre
sur l’intention qui les a dictés.
4 5 5 . — Mais, à la différence de la fraude, ledol ne
résultera jamais du jugem ent, en ce sens que les faits
qui le constituent ne ressortiront jamais du rapproche
ment de celui-ci avec le texte de la loi. Dès lors , s’il est
vrai que la fraude, comme le d o l, doit être prouvée , il
n’est pas moins certain qu’il y aura dans la preuve of
ferte cette distinction importante que celle de la fraude
devra porter sur l’intention du juge, et celle du dol sur
l’existence des faits dont on veut le faire résulter.
4 5 6 . — L’une ou l’autre de ces preuves admise et
rapportée, la prise à partie doit réussir, sans que la ju
ridiction saisie ait à s’enquérir du mobile qui a poussé
le juge. Il importe peu qu’il ait obéi à ses propres ins
pirations ou suivi l’impulsion d’une volonté étrangère.
Il a, dans tous les cas, manqué à ses devoirs, et dès lors
justement encouru la peine prononcée par la loi.
4 5 7 . — La concussion est placée sur la même ligne
que le dol et la fraude. Cela est d’autant plus rationnel
�8
TRAITÉ DU DOL
que ceux-ci ne sont souvent que la conséquence immé
diate de l’autre. Aussi cette dernière est - elle appréciée
beaucoup plus sévèrement par la loi qui la considère et
la punit comme un crime.
Dès lors la preuve de la concussion donnerait lieu nonseulement à la pénalité édictée par la loi criminelle ,
mais encore à la prise à partie, dont les effets entraîne
raient l’obligation, pour le juge, de réparer le préjudice
qu’il aurait causé.
458.
— La corruption tentée contre les juges n’agit
pas toujours ouvertement ; elle sait revêtir des formes
tellement adroites, elle se produit par des moyens en ap
parence si innocents , que le juge se trouve enlacé sans
s’en douter , et comme malgré lu i, dans les filets dont
elle a su l’envelopper. Le magistral jaloux de sa consi
dération ne saurait donc se montrer trop susceptible con
tre l’audace de certains plaideurs. L’objet de la plus mi
nime valeur, le cadeau le plus indifférent, le service le
plus faible doit être impitoyablement refusé. La magis
trature est à l’instar de la femme de César : elle ne doit
pas même être soupçonnée.
459.
— Le dol, la fraude, la concussion peuvent,
dans le sens que nous venons d’indiquer, devenir , en
cas de dénégation, l’objet d’une preuve testimoniale. Il
est facile de comprendre que les faire dépendre d’une
preuve , ou même d’un commencement de"preuve’par
écrit , c’était en rendre la répression impossible. C’est
�ET DE LA. FRAUDE.
9
dans cette prévision que la loi n’exige l’annexe des piè
ces justificatives que s’il en existe. M ais, à défaut, la
requête doit contenir l’articulation précise des faits de
dol, de fraude ou de concussion. Si ces faits sont graves
et pertinents, la preuve ne saurait en être refusée.
4 6 0 . — Le déni de justice constitue une véritable
forfaiture. Institué pour rendre la justice , le magistrat
la doit à tous sans faveur , sans préférence. Il manque
donc au premier de ses devoirs , lorsqu’il refuse de se
prêter aux réclamations de ceux qui recourent à son
ministère.
/
Le déni de justice, sévèrement apprécié par les légis
lations qui se sont succédées, constitue, sous l’empire du
Gode de procédure , un dol présumé. Cette présomption
est de telle nature qu’elle n’admet même pas la preuve
du contraire. Le législateur n’a pas pu supposer la pos
sibilité de la bonne foi chez celui qui, sourd à toutes les
injonctions, a persisté à méconnaître les obligations que
son caractère, que la confiance de la loi lui imposait.
La preuve du déni de justice entraîne donc avec elle
la nécessité d’une répression , aucune excuse ne saurait
prévaloir. On comprend dès lors pourquoi tous les soins
du législateur se sont portés sur la détermination de ce
qui constitue cette preuve.
4 6 1. — Il était dangereux de s’en rapporter, quant
à ce, à la déposition de témoins. La dignité de la ma
gistrature courait le risque d’être altérée par les nom-
�10
TRAITÉ DU DDL
breuses attaques qu’un pareil moyen aurait pu motiver.
En conséquence l’article 507 du Code de procédure a taxativement indiqué le mode de preuve admissible.
Ce n ’estdonc qu’après les deux sommations faites dans
les formes et délais qui y sont indiqués, que le refus du
juge est certain et que le droit de le prendre à partie est
ouvert. Conséquemment la requête qui signale l’exercice
de ce droit doit mentionner l’accomplissement de cette
formalité , et être accompagnée de l’original des deux
sommations , comme pièces justificatives. Le défaut de
production de ces deux actes, et à plus forte raison l’o
mission qui en aurait été faite au mépris de l’article 507,
rendrait la prise à partie non recevable.
462,
— Un principe incontestable , et qui résultait
de la nature des choses, c’est que la disposition de l’ar
ticle 505 est essentiellement limitative. En conséquence,
toute prise à partie , fondée sur un fait autre que ceux
qui y sont formellement prévus , serait absolument non
recevable.
465.
— Une difficulté s’est pourtant présentée, qui,
tout en respectant ce principe , tendrait néanmoins à le
violer. On a dit: La violation involontaire de la loi peut
constituer une faute extrêmement grave. Or, aux termes
de la loi romaine, la faute lourde est assimilée au dol ;
donc, la prise à partie pour une faute de ce genre ren
tre parfaitement dans les termes de la disposition du §
1er de l’article 505.
�ET DE LA FRAUDE.
11
Ce système, qui tend à ajouter la faute lourde au cas
de dol, de fraude ou de concussion , avait été formelle
ment consacré par un arrêt de la Cour de cassation du
23 juillet 1806. Mais un arrêt plus récent, du 17 juillet
1832, a décidé le contraire. Quel est de ces deux monu
ments de jurisprudence , celui qui fait une plus exacte
application de la loi?
4 6 4 . — Pour décider cette question , qui ne laisse
pas de présenter un grave intérêt, il convient de faire un
retour sur ce qui se pratiquait avant le Code de procé
dure. La volonté du législateur , éclairée par la doctrine
et la pratique de ses devanciers , ressortira plus nette et
plus claire. On jugera de ce qu’il a réellement fait par ce
qu’il était en mesure de faire.
Or , l’édit de 1540 plaçait nommément au rang des
causes autorisant la prise à partie, l'erreur évidente du
juge en fait et en droit. Mais quelle que fût l’élasticité
de cette prescription, la pratique, cette pierre de touche
des lois, ne tarda pas à la restreindre. C’est ce qu’attes
tent les jurisconsultes de l’époque.
Ce qui est certain, c’est que la répulsion que l’exécu
tion littérale inspirait était telle , que l’ordonnance de
1579 n’osa pas la méconnaître. L’article 147 se borne à
autoriser la prise à partie , si nos Cours et tribunaux
trouvent qu’il y ait faute manifeste du juge , pour la
quelle il doive être condamné en son nom, et cela indé
pendamment du dol, de la fraude, de la concussion.
Ainsi , l’erreur continua d’être une cause de prise à
�12
TRAITÉ DU DOL
partie. Mais cette erreur dut constituer une faute évi
dente, jugée telle par les tribunaux, et de nature à faire
condamner le juge en son nom ; et encore ce mot faute
avait - il été accepté comme emportant l’idée d’un fait
volontaire qui empêchait de la confondre avec l’erreur
simple. C’est ainsi que de nombreux arrêts avaient jugé
que le magistrat qui avait prononcé contrairement aux
lois et règlements, mais qui l'avait fait sans dol ni frau
de, ne pouvait pas être pris à partie.
L’ordonnance de 1667 , conçue cependant dans un
esprit hostile à la magistrature , que la noble voix de
Lamoignon fut impuissante à protéger, ne dispose, sur
la faute du juge, autre chose que ce que renfermait déjà
l’ordonnance de 1579. La pratique dut donc rester , et
resta en effet, la même. On n’admit comme faute , au
torisant la prise à partie, que la négligence a f f e c t é e et
inexcusable. '
Voilà le droit commun qui s’offrait au législateur au
moment de la loi de brumaire an iv. Dès lo rs , les au
teurs de cette loi étaient parfaitement en mesure d é ju
ger de ce qu’il convenait de faire ; et si d’une part il est
certain que la prise à partie ne peut être autorisée que
dans les cas formellement prévus , ce qui a été admis
sous toutes les législations ; si d’un autre côté la faute
du juge n’a plus été placée au rang des causes qui l’au
torisent , ne faut-il pas reconnaître que le nouveau lé-
i Jousse, sur l’art. 8, tit. 1.
�ET DE LA FRAUDE.
13
gislateur a formellement répudié les errements de son
prédécesseur ?
Ainsi, le silence de la loi, imité plus tard par le Code
de procédure , suffit pour enlever à l’opinion que nous
combattons tout appui dans la lettre de cette loi ; car ce
qui est vrai aujourd’hui, à savoir que la faute lourde est
assimilée au dol, ne l’était pas moins sous les ordonnan
ces. Cette assimilation n’avait pas dès lors été jugée suf
fisante, puisque le législateur avait dû inscrire dans sa
disposition la faute du magistrat. Cette même assimila
tion suffirait-elle aujourd’hui que notre Code n’a plus
reproduit cette cause de prise à partie.
On pourrait le prétendre si cette suppression n’avait
été que la conséquence de l’idée que la faute étant assi
milée au dol, il était inutile de s’occuper de l’une, l’au
tre se trouvant formellement prévu. Mais il s’en faut que
cette pensée ait été le mobile du législateur. On peut ju
ger , par les paroles que nous avons empruntées , en
commençant, à l’exposé des motifs du Code de procé
dure , que l’admission de la prise à partie n’a été con
sacrée qu’avec l’espérance qu’elle resterait comme une
menace vaine, en présence du caractère si honorable de
la magistrature française.
L’arrêt de la section civile , du 1 7 juillet 1 8 3 2 , qui
repousse la prise à partie , pour la faute même gros
sière du magistrat , à qui on ne peut reprocher ni dol
ni fraude , a donc fait une application rigoureuse
ment exacte du texte de l’article 505 du Code de procé
dure.
�14
TRAITÉ DD DOL
4 6 5 . — Cependant M. Chauveau , mettant cet arrêt
en regard de celui de 1806 , regrette ce changement de
jurisprudence. « Sans doute , dit-il, la faute grossière ,
la faute lourde ne devra pas être légèrement admise ;
mais il peut exister des fautes tellement grossières, qu’il
soit impossible de ne pas les considérer comme un vé
ritable dol, et dès lors une réparation devient nécessaire
autant dans l’intérêt de la morale publique que dans ce
lui delà justice : De la morale, parce qu’au lieu de com
promettre la magistrature , cette réparation éclatante
venge son honneur en ne tombant que sur le membre
que son ignorance ou son improbité rend indigne de
siéger dans son sein ; de la justice , parce que la loi
reconnaît elle-même que tout fait de l’homme qui cause
un dommage à au tru i, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé à le réparer.1 »
i
466.
— M. Chauveau a tort, dans la forme, de pla
cer sur la même ligne l’improbité et l’ignorance. Le juge
qui se trompe par improbité, ne commet pas seulement
une faute lourde, il se rend coupable d’une véritable pré
varication. Le principe de sa conduite résidera dans un
sentiment de faveur, d’inimitié ou d’avidité, et, à ce ti
tre, la prise à partie ne constitue plus que le juste châ
timent de sa fraude.
Peut-on assimiler à ce juge le magistrat qui , n ’ayant
pas cessé d’être mu parla pensée du devoir, a eu cepeni Sur Carré, art. 805, Cod. proe.
�ET DE LA FRAUDE.
1S
dant le malheur de se tromper ? L’intelligence la plus
noble, la plus élevée n’a-t-elle pas ses moments d’oubli,
d’entrainement , d’erreur ? Et l’on punira , comme un
malhonnête homme, celui qui a cédé malgré lui à l’in
firmité de la nature humaine ? Nous ne craignons pas
de le dire : un pareil système serait plus qu’une révol
tante iniquité, il serait un véritable malheur social. Quel
homme voudrait, à une pareille condition, aborder les
fonctions de la magistrature ?
Nous l’avons déjà dit, le juge ne peut, ne doit répon
dre que de la droiture de ses intentions, que de la lo
yauté’de sa conduite. Tant que sa volonté est demeurée
pure, il est réellement irréprochable. Son erreur, quel
que lourde qu’elle so it, n’est plus qu’un fait malheu
reux , fort regrettable sans doute , mais qui ne saurait
entraîner la moindre responsabilité.
Au fond, l’appel que fait M. Chauveau à l’article 1382,
n’est pas moins inadmissible. Cet article règle les rap
ports de citoyens à citoyens , comme il réglerait ceux de
citoyens à magistrats, s’il n’existait pour ceux-ci une loi
contraire. Or, cette loi, c’est l’article 505, qui ne soumet
le juge à réparer le préjudice qu’il a causé que dans les
cas spécialement indiqués. Par là se trouve formelle
ment abrogé l’article 1382 , et cette abrogation n’était
qu’un acte de justice. En effet, le citoyen qui subira l’ap
plication du principe qu’il renferme, ne sera tenu qu’à
une réparation pécuniaire; pour le juge , au contraire ,
la prise à partie compromet son état, son honneur mê
me. Lui appliquer l’article 1382, ce serait donc le placer,
�16
TRAITÉ DU DOL
en regard de cette disposition , dans une position bien
plus défavorable que celle d’un simple citoyen.
Ajoutons que l’application de l’article 1382 à la prise
à partie conduirait bientôt à cette conséquence que ,
toutes les fois que le juge aurait prononcé sur un pro
cès, il serait , sous prétexte de faute grave , obligé de
descendre de son siège et de plaider le mérite de sa dé
cision ; et, quelque difficile qu’on fût à admettre la faute
grave, on n’empêcherait pas le mal qui naîtrait du scan
dale de la poursuite.
Or , l’esprit de la loi a été précisément de rendre ces
poursuites difficiles et rares. C ar, comme le rappelle
Carré, « S’il faut que les parties aient l’assurance d’ob
tenir justice, même contre leurs propres juges , l’intérêt
public exige aussi que les ministres de la justice ne soient
pas dépouillés de toute dignité , comme ils le seraient si
les plaideurs , au gré de leur ressentiment et de leurs
diverses passions, avaient le droit de les obliger de des
cendre de leur tribunal pour se justifier de leur condui
te. Ce droit nous replacerait au temps où, par un reste
d’abus encore plus grand de l’ancien régime féodal, les
juges étaient eux - mêmes responsables de leurs juge
ments. »
Carré ajoute : « Entre les magistrats et les plaideurs,
il n’est qu’une seule autorité qui puisse en même temps
convenir à la dignité des uns et à la sécurité des autres:
c’est l’autorité de la loi , q u i, en spécifiant les cas dans
lesquels un plaideur doit être admis à traduire en justice
son propre juge, pose la barrière que le respect dû à la
magistrature doit empêcher de franchir. »
�ET DE LA FRAUDE.
47
C’est ce précepte que la Cour de cassation consacrait
en 4832. Si elle refuse la prise à partie, c’est surtout par
ce que l’article 50S a spécifié les cas dans lesquels elle
doit être admise ; c’est ensuite parce qu’en pareille ma
tière on ne saurait raisonner par analogie ; et que s’il ré
sulte de diverses dispositions du Code civil que celui qui
commet une faute dommageable à autrui est tenu de la
réparer et que la faute oblige en certains cas comme le
dol et la fraude, il ne s’ensuit pas que les juges puissent
être pris à partie pour avoir commis, dans l’exercice de
leurs fonctions , une faute même grossière , mais sans
dol ni fraude prouvés.
Cet arrêt ne mérite donc, sous aucun rapport, la cri
tique qu’en fait M. Chauveau. Admettons , en consé
quence, avec la Cour dont il émane, que la faute même
grossière ne donne pas ouverture à la prise à partie, tant
qu’elle n’est que le résultat d’une erreur involontaire.
Mais le juge qui s’est trompé parce qu’il a bien voulu se
tromper , ne saurait échapper aux conséquences de sa.
conduite. La faute volontaire n’est pas seulement dans
le cas d’être assimilée au d o l, elle est un dol évident.
Ce qui constitue celui-ci, n’est-ce pas l’intention de nui
re? Or , la volonté de se tromper renferme évidemment
cette intention.
467.
— Nous dirons donc , avec Tonifier, 1 qu’une
faute de ce genre autorise la prise à partie , mais nous
i Tom. il, pag. 256
Tl
�18
yn'-'
■>
TRAITÉ DU DOL
ne ferons pas, comme lui, dépendre l’action de la ques
tion de savoir si la partie qui profite de la faute peut ou
non en réparer les conséquences. L’utilité du droit ne
saurait influer sur son principe. Ainsi, dans l’exemple
choisi par ce célèbre jurisconsulte, nous dirons :
Ou l’admission de la caution insolvable a été , de la
part du juge, le résultat d’une appréciation erronée sans
mauvaise foi, sans volonté de se tromper. Dans ce cas,
sa décision n’est qu’un mal jugé, insuffisant pour le faire
prendre à partie, le mal jugé ne produisant cet effet que
lorsque, comme l’enseigne Duparc Poullain, il constitue
un procédé caractérisé par la fraude , l’avarice ou la
prévention la plus inexcusable ;
Ou le juge a fermé les yeux à l’évidence , repoussé la
preuve certaine de l’insolvabilité, foulé aux pieds la no
toriété publique qui lui a été signalée. On admettra alors
qu’il a agi gratia, inimicitia vel sorde , et la prise à
partie l’atteindra dans toutes ses conséquences , car il
aura commis sinon un dol, au moins une véritable frau
de rentrant dans les faits spécifiés par l’article S05.
468.
— La prise à partie peut s’adresser à un seul
juge, comme à une section du tribunal ou d’une Cour ,
comme au tribunal ou à la Cour tout entière. La doc
trine et la jurisprudence sont, à cet égard, depuis long
temps fixées.
Quelques difficultés s’étaient d’abord élevées à l’endroit
des officiers du ministère public. L’article 505 , disaiton, autorise la prise à partie contre le juge taxativement;
�ET DE LA FRAUDE.
19
or, les magistrats du parquet ne sont pas des juges dans
l’acception ordinaire du mot. Ils sont donc en dehors
des atteintes de cette disposition.
On a voulu ensuite considérer ces mêmes magistrats
comme des agents du gouvernement, et, en cette qualité
subordonner la poursuite , à leur égard , à l’obtention
préalable de l’autorisation prescrite par l’article 75 de la
Constitution de l’an vm.
Mais ces prétentions n’ont pas tardé à être universel
lement repoussées. Ainsi, il est aujourd’hui reconnu que
tous les membres de la magistrature sont compris sous
la dénomination générique de juges ; que l’autorisation
du conseil d’Etat ne peut concerner que les fonctionnai
res de l’ordre administratif ; qu’elle ne saurait donc être
requise lorsqu’il s’agit d’un membre du corps judicaire;
qu’en conséquence la prévarication d’un officier du mi
nistère public autorise la prise à partie comme s’il s’a
gissait de tout autre magistrat.
Il résulte, de ce que nous venons de dire, que l’inap
plicabilité de l’article 1382 du Code civil est exclusive
ment attachée à l’exercice des fonctions que la loi con
fère à la magistrature. De là cette conséquence : que l’ab
sence de la qualité de magistrat dans la personne , ou
le défaut d’altribution dans l’acte, rend la prise à partie
parfaitement inutile. On recourt, dans l’un et l’autre cas,
aux principesordinaires en matière de fait dommageable.
4 6 9 . — Cette observation est importante lorsqu’il s’a
git de la poursuite à exercer contre les arbitres.
�20
TRAITÉ nu DOT.
En ce qui les concerne, il faut distinguer s’ils ont agi
comme arbitres forcés ou comme arbitres volontaires.
Les premiers sont institués par la loi ; ils ont même
exclusivement compétence pour décider en premier res
sort les difficultés naissant entre associés. Ils sont donc
de véritables juges, malgré qu’ils soient désignés par les
parties. En effet, cette désignation ne fait que leur con
férer la faculté d’exercer les attributions qu’ils puisent en
entier dans la loi.
Les seconds, au contraire, reçoivent tout des parties,
désignation et attribution. Ils n’ont de pouvoirs que ce
qu’il plaît à celles-ci de leur conférer , et ce caractère ,
essentiellement privé, enlève à leurs fonctions toute assi
milation possible avec celles de magistrat.
Cette différence , dans la constitution des uns et des
autres, entraîne, comme conséquence : que les arbitres
forcés sont assimilés aux juges qu’ils remplacent, et que,
participant aux mêmes devoirs, ils sont protégés par les
mêmes garanties. Dès lors, le d o l, la fraude qu’ils au
raient commis, le refus qu’ils auraient fait de juger doit
être réprimé par la prise à partie , alors même que les
parties leur auraient conféré la qualité d’amiables com
positeurs.' Ce caractère a pour unique résultat de les af
franchir de la rigueur des formes. Il ne leur enlève rien
de leur compétence exclusive et de la nécessité qui a con
traint les parties d’invoquer leur ministère.3
1 Cass., 7 mai A847.
s La suppression de l ’arbitrage forcé rend cette doctrine sans applica
tion possible.
�ET DE LA FKAUDE.
21
La prévarication ou le refus déjuger, de là part d’ar
bitres volontaires , ne pourrait autoriser une procédure
en prise à partie. Le préjudice souffert donnerait lieu à
la poursuite d’une réparation par les voies ordinaires et
par l’application de l’article 1382.
4-70. — L’effet de la prise à partie doit être apprécié
dans chacune des deux périodes qui en signalent la pro
cédure, à savoir : après l’admission delà requête; après
la décision définitive.
L’admission de la requête place le juge dans un étas
de suspicion légale , du moins pour tout ce qui peut di
rectement ou indirectement intéresser le demandeur en
prise à partie. Cette circonstance indique assez que cette
admission doit être non une formalité indifférente , mais
la conséquence d’un examen sévère et consciencieux.
Dès lors le jugement qui la consacre donne au reproche
un caractère de vraisemblance qu’il était du devoir du
législateur de ne pas négliger.
De là la disposition de l’article 514, suivant laquelle
le juge pris à partie doit s’abstenir de la connaissance
du différend et de toutes les causes que la partie, ses pa
rents en ligne directe ou son conjoint pourront avoir
dans son tribunal, à peine de nullité du jugement.
La nature de cette prohibition a été nettement formu
lée dans l’exposé des motifs du Code. Elle est d’ordre
public. Conséquemment , il n’est pas au pouvoir des
parties de la faire disparaître ; et le jugement auquel
le juge pris à partie aurait concouru, du consentement
�TRAITÉ DU DOL
exprès de la partie intéressée, ne devrait pas moins être
annulé.
4 7 1 . — L’admission de la requête reste sans influ
ence sur la décision à l’occasion de laquelle l’action de
prise à partie est invoquée. On ne peut donc en arrêter
ni en suspendre l’exécution.
4 7 2 . — L’arrêt définitif qui consacre le bien fondé
de la prise à partie motive contre le juge une condam
nation pécuniaire, indépendamment des peines discipli
naires dont il peut être atteint. L’allocation accordée au
demandeur doit être le juste équivalent du préjudice qu’il
a été dans le cas d’éprouver.
Mais quelle est l’influence que cet arrêt exerce sur le
jugement qui a motivé la prise à partie?
M. Poncet' enseigne que ce jugement non acquiescé,
ainsi que tous les actes d’instruction argués, sont annu
lés ; Pigeau veut aussi que la décision sur la prise à par
tie rétroagisse sur le jugement et en infirme l’autorité ,
soit parce -que si la partie eût connu le dol du juge ,
elle eût pu le récuser e t , dans ce cas , le jugement eût
été suspendu, ou, s’il eût été rendu, elle aurait pu l’at
taquer par appel pour vice de formes , ou par requête
civile pour violation des formes ; soit parce que le juge,
légalement pris à partie , doit être considéré comme
n’ayant pas pris part au jugement ou à l’arrêt qui peut
i Des ju g em en ts, tom. n , p. 402.
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
23
ainsi ne plus présenter le nombre de juges exigés par
la loi.
Ces solutions ne sont pas admissibles. Le délai d’ap
pel court du jour de la signification , sauf l’exception
prévue par l’article 448 du Code de procédure civile. Or,
ce délai expiré, le jugement est à l’abri de toute attaque
par les voies ordinaires. La prise à partie réussissant à
cette époque, ne pourrait donc donner lieu qu’à la re
quête civile.
Mais nous avons vu que cette voie d’attaque n’est ou
verte dans l’bypothèse de dol que pour le dol personnel
à la partie. Ce principe admis par la loi reçoit inévita
blement son application au dol du juge qui n’est, quant
à ce, qu’un véritable tiers. Dès lors il doit en être com
me pour le dol commis par le tiers , et la partie qui ne
répond nullement du fait de celui-ci, fùt-il son parent,
son ami le plus intim e, ne saurait être tenue du fait de
son juge.
La maxime factum ju d ic is, factum p a r tis , n’a été
faite qu’en vue des conséquences que peut entraîner l’er
reur involontaire du juge dans l’exercice de ses fonctions.
Le dol ne rentrera jamais dans cet exercice, et la partie,
qui n’a pas pu le prévoir ni l’empêcher , ne saurait en
subir les atteintes.
Il est vrai qu’en définitive elle profite d’un avantage
qui ne lui était pas dû. Mais cet avantage, au moyen de
la condamnation prononcée contre le juge prévaricateur,
est pris aux dépens de celui-ci. Or, ce résultat n’a rien de
condamnable aux yeux de la justice , puisque celui qu’il
atteint se trouve la victime de sa propre turpitude.
�24
TRAITÉ DU DOL
475.
— Noire solution suppose que la partie qui pro
fite du jugement n’a aucune part dans le fait du juge.
Elle ne serait donc pas suivie, s’il était prouvé que le dol
de celui-ci a été inspiré, provoqué ou concerté. La com
plicité de la partie ferait considérer le dol comme lui
étant personnel et l’obligeant, dès lors, à en supporter
toutes les conséquences.
Mais , dans ce cas même , la nullité du jugement ne
pourrait être prononcée comme accessoire de la décision
consacrant la prise à partie. L’instruction de celle - ci
n ’appelle devant la justice que le demandeur et le juge;
l’autre partie ne pourrait donc être condamnée, car elle
n’a pas été ni dû être entendue. Le devoir de celui qui
a acquis la preuve de la complicité de son adversaire
dans le dol du juge , serait donc de poursuivre l’appel
s’il était encore dans les délais, ou la requête civile. Cette
poursuite , indépendante de celle de la prise à partie ,
pourrait se réaliser concurremment avec celle-ci ou après
elle, les délais de la requête civile ne courant que du jour
où la preuve de la complicité a été acquise,
Hors le cas de complicité, le jugement profiterait donc
à celui qui l’a obtenu. A l’abri de toute attaque par les
voies ordinaires et extraordinaires, rien ne peut lui faire
perdre l’autorité que le respect de la chose jugée lui
imprime.
4 7 4 . — Le juge condamné sur la prise à partie peut
être tenu au payement des causes de la condamnation ,
même par la voie de la contrainte par corps. L’article
�ET DE LA FRAUDÉ.
25
126 du Code de procédure civile est ici parfaitement ap
plicable; et, loin de trouver dans la qualité de juge un
motif de ne pas user de la faculté qui leur est laissée ,
les magistrats doivent puiser dans cette qualité même la
conviction que cette faculté devient un devoir dans une
pareille circonstance. Il importe , en effet, que la ma
gistrature sévisse avec la plus grande sévérité contre des
actes qui s’attaquent à sa propre dignité et dont il lui
faut soigneusement prévenir le retour. Ajoutons que, s’il
était possible que le dol et la fraude fussent excusables ,
ils ne léseraient jamais dans la personne d’un magistrat
institué pour les réprimer.
SECTION
V.
Dol im p u ta b le a u x Officiers m in is t é r i e ls .
SOMMAIRE.
475. Matière de la section.
476. Responsabilité des notaires.
477. Son principe, son étendue.
478. Faute lourde assimilée au dol.
479. Faute sans influence sur la validité de l ’acte , son caractè
re, ses effets.
480. Quid du notaire agissant comme mandataire de la partie ?
�Faute entraînant la nullité de l ’acte.
Est-elle constituée par l'erreur de droit ?
Arrêt négatif de la Cour d ’Orléans.
Caractère de cet arrêt.
Moralité de la responsabilité dans le cas d’erreur grave sur
le droit.
Dans tous les cas , l'ignorance du notaire n’est excusable
que si la bonne foi est démontrée.
Effets de la faute déterminant la nullité.
Arrêt de la Cour de cassation décidant que les notaires ne
sont pas de plein droit responsables de la nullité
Critique de cet arrêt.
Quelle est la quotité des dommages-intérêts à allouer ?
Le notaire est garant de l’individualité des parties.
Quid de leur capaciié ?
La preuve que le notaire connaissait l ’incapacité le consti
tuerait en état de dol.
Etendue de la responsabilité de l ’avoué.
Principes sur lesquels elle repose.
Aux termes des articles 132 et 1031 du Code de procédure
civile, l ’avoué répond même de la faute légère.
Dans quelles circonstances devra-t-on appliquer cette res
ponsabilité?
L’avoué répond des personnes qu’il s’associe ou qu’il se
substitue dans l’exercice de ses fonctions. Quid de l’huis
sier ?
Dans quelles circonstances et à quelles conditions l ’avoué
peut-il être condamné à des dommages-intérêts ?
Répond-il des conséquences du conseil qu’il a pu donner ?
L ’avoué peut - il être personnellement condamné, soit aux
frais, soit aux dommages-intérêts, sans avoir été mis en
cause ?
L’huissier étant comme l ’avoué le mandataire delà partie ,
le législateur lui a rendu commune l ’application des art.
132 et 1031 du Code de procédure.
�ET DE LA FRAUDE.
503.
504.
505.
506
507.
508.
509.
510.
511.
27
La condamnation de l’huissier aux frais de l ’acte nul est
facultative pour les juges ?
L’huissier n ’est tenu que de son fait personnel. Importance
de ce principe pour les relations des huissiers avec
l ’avoué.
Pigeau et Demiau Crouzilhac enseignent que l’huissier ne
répond pas de l ’acte qu’il signifie mais que l’avoué a ré
digé. La Cour de cassation décide le contraire.
Assentiment de M. Chauveau.
Cas divers d’application de la responsabilité de l ’huissier.
Autre cas dans l’hypothèse des nullités intrinsèques.
L’huissier ne doit pas être condamné sans être entendu.
Durée du mandat de l ’huissier.
Observations communes aux avoués et aux huissiers.
■475. — Nous aurions maintenant à nous occuper
du dol que l’exécution des jugements peut offrir , mais
les principes généraux qui précèdent suffisent pour dé
terminer les obligations et les droits que ce dol impose
rait aux parties.
C’est aussi par les principes généraux, sur la respon
sabilité des officiers ministériels , que nous établirons
quelle serait leur position à l’égard des parties. Cette
tâche serait fort ennuyeuse si nous descendions dans l’e
xamen de toutes les espèces qui se sont présentées. Nous
ne recourrons donc aux spécialités que lorsque leur se
cours nous paraîtra indispensable pour faire comprendre
le principe général que nous aurons à invoquer.
476.
— Avant de parler de ce qui concerne les
avoués et les huissiers, nous devons traiter une question
que des événements à jamais déplorables rendent plus
�TRAITÉ DU DOD
que jamais d’un puissant intérêt. Nous voulons parler de
la responsabilité des notaires. Celte incursion, que nous
ferons hors de la matière spéciale de cette section, nous
sera d’autant plus pardonnée que, indépendamment du
motif d’actualité, son objet tient essentiellement à notre
matière générale. En effet , les notaires sont les instru
ments les plus ordinaires des transactions entre citoyens.
Il n’est donc pas tout à fait hors de propos de recher
cher la part qu’ils peuvent avoir dans les causes qui vi
cient ces conventions, et les conséquences que leur nul
lité doit avoir pour eux.
En principe, le notaire est tenu de son dol. En con
séquence , celui qui par des moyens frauduleux aura
cherché à tromper l’une des parties ou toutes deux , ou
à favoriser l’une au détriment de l’autre, devra être con
damné à réparer le préjudice qu’il aura causé.
L’action en réparation de ce préjudice constitue pour le
notaire une véritable prise à partie ; mais la loi qui trace
les conditions et la forme de celle à diriger contre les
magistrats, se tait sur celle-ci. De ce silence, il faut con
clure qu’elle reste sous l’influence des principes et des
formes ordinaires.
477.
— C’est donc par application des articles 1382
et 1383 que le recours contre le notaire devra être réso
lu , et cette circonstance est importante à noter lorsque
les faits imputés ne constitueront pas un dol caractérisé.
Le dol, en effet, oblige immédiatement et directement
à réparer les conséquences dommageables qu’il a entrai-
�ï< ^
'
'
’ ' ■'
ET DE LA FRAUDE.
29
né. L’application de l’article 1382 ne rencontrera donc
dans ce cas aucune difficulté.
478.
— Mais il n’en est pas ainsi pour l’hypothèse
que nous signalions tout à l’heure, à savoir : celle où les
faits imputés ne constitueraient pas un dol caractérisé.
L’article 1382 n ’exige pas qu’il y ait d o l, pas même
faute grave : il punit la faute pourvu qu’elle ait été dom
mageable. Son application textuelle placerait donc le
notaire dans la position d’être poursuivi même pour sa
faute légère. Il a donc fallu tout d’abord rechercher si
cette application textuelle entrait dans les vœux du légis
lateur.
Or, la doctrine et la jurisprudence sont depuis long
temps fixées. La seule faute imputable au notaire est la
faute lourde, celle qui peut et doit être assimilée au dol.
Nous retrouvons donc ici cette assimilation que nous
repoussions naguère pour la prise à partie du juge. On
trouve facilement le motif de cette différence, lorsqu’on
réfléchit qu’en ce qui concerne le juge , cette assimila
tion était une aggravation de la responsabilité que l’ar
ticle 305 lui impose ; tandis qu’elle agit en sens con
traire à l’égard du notaire, puisque , par rapport à lui ,
elle modifie la rigueur du principe de l’article 1382.
Ainsi , le notaire ne répond que de sa faute lourde.
Cela admis, on’comprend que c’est sur les caractères du
fait qui lui est reproché que devra se porter l’examen
des magistrats.
Or, la faute reprochée au notaire peut porter sur un
�30
TRAITÉ DU DOL
fait indépendant de la validité de l’acte ou sur l'inac
complissement des formalités prescrites pour cette vali
dité. Le préjudice peut donc se réaliser sans que l’acte
soit annulé, ou n’ètre que la conséquence de son annu
lation. La gravité de la faute repose sur des éléments
différents, selon qu’il s’agit de l’un et de l’autre.
4 7 9 . — 1° Faute indépendante de la nullité de l’acte.
Cette faute se réfère soit à la violation des devoirs que
la loi impose aux notaires en leur qualité, soit à la né
gligence que le notaire a mise à remplir les obligations
qu’il a contractées envers la partie.
Ainsi , la loi fait un devoir au notaire de prêter son
ministère lorsqu’il en est légalement requis ; elle l’oblige
de retenir et de conserver la minute de ses actes , d’en
délivrer des expéditions aux parties intéressées. Le no
taire qui refuse son concours , celui qui n’a pas retenu
ou qui a égaré la minute, celui qui refuse mal à propos
une expédition commet une faute lourde, qu’on peut as
similer au dol avec d’autant plus de raison qu’il manque
à un devoir positif. 11 doit donc être condamné à répa
rer le préjudice que le simple retard et , à plus forte
raison, que son refus absolu aurait occasionné.1
Le notaire est tenu d’inscrire le nom des interdits sur
le tableau prescrit par la loi et d’exposer ce tableau dans
son étude. Le but de cette double précaution est de met
tre chacun à même de connaître l’incapacité de celui
1 Riom, 28 février 1825 ; — Bourges, 17 juin 1829.
�ET DE LA FRAUDE.
31
•
avec qui on va contracter. L’omission des noms sur le
tableau ou l’absence de publicité donnée à ce tableau
constituerait également une faute lourde.
En un mot, toutes les fois que le notaire , par négli
gence, par impéritie ou par oubli, a omis d’exécuter les
obligations que la loi lui impose , sa responsabilité se
trouve engagée, sa faute est lourde, elle est assimilée au
dol, elle en produit les conséquences.
480.
— Le notaire ajoute à ses devoirs, lorsqu’il se
constitue le mandataire de la partie, soit dans le place
ment d’une somme quelconque, soit pour la destination
à donner aux sommes empruntées ou provenant d’un
prix de vente. En cette qualité , il est garant de la sol
vabilité de l’emprunteur, de la légitimité des droits des
créanciers qu’il désintéresse. On peut voir dans nos re
cueils de jurisprudence, et notamment dans le Diction
naire de M. Dalloz jeune , au mot responsabilité , -les
espèces nombreuses dans lesquelles ce principe a été
appliqué.
Ce dont on pourra se convaincre, c’est que la sévéri
té des tribunaux semble s’accroître de jour en jour. On
pourra déplorer un tel état des choses; mais ce qui est
vingt fois plus déplorable, c’est que cette sévérité ne soit
que trop méritée par des excès inouïs. Sans doute il est
encore des notaires dont la conduite commande et attire
la considération et le respect, mais combien d’autres qui
ravalent sans pudeur des fonctions que nos pères véné
raient à l’égal d’un sacerdoce. Il faut faire rendre le
�32
TRAITÉ I)U DOL
plus possible à la marchandise qu’on a payée fort cher,
et ce besoin , et ce désir immodéré de faire fortune qui
pousse notre siècle, fait souvent fermer l’oreille aux con
seils de la prudence. Puisse la juste rigueur de la ma
gistrature prévenir les scandaleux désordres qui éclatent
de toute part pour le malheur des populations indignées
et rappeler le notariat dans ces voies de probité, de dé
licatesse et d’honneur qui le signalèrent pendant si long
temps à l’estime et à la vénération publiques.
481.. — 2° Faute entraînant la nullité de l’acte.
La nullité d’un acté peut résulter de l’erreur commise
sur le droit des parties , ou de l’omission d ’une des
formalités essentielles pour sa validité. Dans ,1e premier
cas, la nullité est intrinsèque ; elle est extrinsèque dans
le second.
4 8 2 . — L’erreur sur le droit peut constituer une
faute excusable ou tellement légère qu’il ne serait pas
juste d’en rendre le notaire responsable. Elle sera évi
demment telle lorsque le notaire, appréciant la position
des parties au point de vue légal, a eu des raisons plau
sibles de croire de bonne foi à la réalité du système qu’il
a préféré.
4 8 3 . — La Cour d’Orléans a été plus loin encore :
Elle a jugé que la faute commise par ignorance et de
bonne foi ne pouvait engager la responsabilité du no
taire. Elle a , en conséquence , renvoyé d’instance un
�ET DE LA FRAUDE.
33
notaire poursuivi pour avoir reçu une constitution d’hy
pothèque générale sur les biens d’une femme qui ne
pouvait concéder qu’une hypothèque spéciale.'
484.
— Mais nous ne saurions voir dans cette déci
sion qu’un arrêt d’espèce. Que , s’en référant aux cir
constances de la cause, la Cour d’Orléans n’ait vu dans
le fait du notaire qu’une faute légère non susceptible
d’engager sa responsabilité , c’est ce qu’elle a pu léga
lement faire, puisque la loi abandonnait souverainement
à son appréciation les caractères de la faute imputée.
Elle a pu dès lors , usant de son pouvoir discrétion
naire, juger que l’ignorance du notaire se justifiait par
des raisons plausibles. Sous ce rapport, l’arrêt est irré
prochable.
485.
— Il n’en serait pas de même si , abstraction
faite des faits, la Cour eût proclamé en principe que l’i
gnorance du notaire de bonne foi ne saurait jamais en
gager sa responsabilité. La justice et la raison elle-même
eussent, dans bien des cas, protesté contre ce principe.
En effet , le ministère du notaire est obligé pour les
parties contractantes, comme pour lui-même, lorsqu’il
faut imprimer à la convention un caractère d’authenti
cité. Les citoyens obéissent donc à la nécessité, lorsqu’ils
se présentent devant lui. En revanche, ils sont en droit
d’espérer trouver en lui un secours suffisant pour les
1 26 janvier 1839, D. P., 39, â, 86.
Il
.
:
W:
�34
TRAITÉ DU DOL
diriger, puisque l’institution qu’il a reçue le leur désigne
comme capable. Faudra-t-il donc qu’elles soient exclu
sivement punies d’une impéritie qu’elles ne pouvaient
soupçonner et à laquelle il ne leur a pas été donné de
pouvoir se soustraire ?
L’équité et la raison répugnent à un pareil résultat ;
entre le notaire et la partie , il n’y a pas à hésiter ; car
le premier a au moins le tort grave d’avoir accepté des
fondions dépassant sa capacité et son intelligence. Il
Semble donc qu’on devrait admettre , avec M. Armand
Dalloz , ' qu’un notaire ne peut , sans encourir la res
ponsabilité, agir directement contre la loi ; par exemple,
attribuer, dans une liquidation , à l’une des parties ce
qu’un texte précis , incontesté de la loi, un texte appli
cable, sans aucun doute, à l’affaire dont il s’agit, attri
bue à une autre partie. Dans de telles circonstances,
poursuit ce jurisconsulte , l’ignorance de la loi, en sup
posant qu’il n’y ait point de dol, semblerait, par ellemême , une faute assez lourde pour déterminer l’appli
cation de l’article 1382.
Il est vrai que les parties elles - mêmes sont censées
connaître la loi. Mais cette présomption a bien plus de
poids contre le notaire , dont les obligations consistent
non - seulement à la connaître , mais encore à la faire
exécuter ; cela est vrai surtout lorsqu’il s’agit de per
sonnes ignorant de fait ce qu’elles sont en droit-sup
posées connaître , et qui s’en sont référées au notaire
1 Dictionnaire, v° responsabilité, n» 281.
�ET DE LA FRAUDE.
35
comme à l’arbitre spécial que la loi elle-même leur in
diquait.
L’ignorance assez grave pour faire adopter ce qui était
absolument proscrit par la loi , et déterminer ainsi la
nullité de son acte, est donc, pour le notaire, une faute
inexcusable. Mais ce caractère est susceptible de se mo
difier par les circonstances , par l’exigence des parties
que le notaire a dû subir. Dans tous les cas, c’est au no
taire attaqué à faire la preuve qu’il n’a agi que par des
moyens plausibles ou qu’il a subi une volonté à laquelle
il ne pouvait se soustraire.
486.
— Au reste , dans le système même que nous
combattons , l’ignorance du notaire ne serait excusable
que s’il a agi avec bonne foi. C’est donc à lui qu’il ap
partient de justifier cette bonne foi dont il excipe. Mais
on la présumerait si la question tranchée par le notaire
n’était pas nettement fixée par un texte précis et formel;
si, livrée à la controverse, elle avait été diversement ré
solue par la doctrine et par la jurisprudence. Il est évi
dent qu’en pareille occurrence le notaire ne pouvait que
opter entre deux solutions, et qu’en s’arrêtant à celle qui
lui a paru la plus probable , il n’a pu commettre une
faute engageant sa responsabilité, à moins, cependant,
qu’il n’ait agi de mauvaise foi, ce que le demandeur se
rait tenu de prouver. '
1 Agen, 16 août 1836 ; — Douai, 2 janvier 1836 , D. P. 38, 2, 161.
�36
TRAITÉ DU DOL
4 8 7 . — Les nullités extrinsèques de l’acte, c’est-àdire celles résultant de l’omission ou de l’irrégularité des
formes prescrites, engagent plus immédiatement la responsablité du notaire. Ici, suivant l’expression de la Cour
d’Orléans , l’impéritie lui est directement imputable ,
parce qu’il a manqué à la mission spéciale que la loi
lui a confiée ; parce qu’il y a ignorance de ce que le no
taire doit savoir. D’où la Cour d’Orléans conclut que le
notaire, chargé d ’accomplir les formes extrinsèques des
actes, est nécessairement responsable des erreurs prove
nant de son fa it, qui vicient l’acte dans sa forme et lui
ôtent la force probante qu’il devait lui donner.
4 8 8 . — Cette conclusion toute logique n’est pas con
sacrée par la Cour de cassation. Un arrêt qu’elle a rendu
le 27 nov. 1837 décide en effet : qu’aux termes de l’art.
68 de la loi du 25 ventôse an x i , nullement abrogée par
les art. 1382 et 1383 du Code civil, les notaires ne sont
pas de plein droit et d’une manière absolue responsables
delà nullité pourles omissions ou irrégularités qu’ils com
mettent lors de la rédaction de leurs actes ; que cet article
ne les assujettit à des dommages-intérêts que s'il y a lieu;
d’où il suitquela déclaration de nullité d’un acten’entraine
pas nécessairement la responsabilité du notaire qui a fait
cette nullité; qu’en cette matière, les dommages-intérêts et
leur quotité dépendent de la nature et de la gravité de l’o
mission ou de l'irrégularité* reprochée au notaire et sont
subordonnés à l’appréciation équitable des tribunaux. '
2
D. P., 37, 4, 463,
�ET DE LA FRAUDE.
37
Dans l’espèce de cet arrêt , le notaire ayant omis de
faire approuver les renvois mis à la suite d’un testament,
était cité pour répondre des conséquences de l’annula
tion qui en avait été prononcée. La Cour de Lyon l’a
vait condamné aux dépens pour tous dommages - inté
rêts. C’est le rejet du pourvoi formé contre cet arrêt que
la chambre des requêtes prononçait sur les motifs que
nous rappelons.
489.
— Quelque profond que soit notre respect pour
les hautes lumières de la Cour régulatrice, nous ne crai
gnons pas de le dire : son arrêt est loin de nous paraî
tre irréprochable soit comme principe général, soit com
me application à l’espèce particulière.
Peut-on, en effet, appliquer l’article 68 de la loi de
ventôse à toutes les irrégularités que les notaires peu
vent commettre? C’est ce que cet article lui - même ne
permet pas de décider. Tout acte, porte l’article, fait en
contravention aux dispositions contenues aux articles
6, 8, 9, 1.0, 14, 52, 64, 65, 66 et 67, est nul s'il n'est
pas revêtu de la signature de toutes les parties-, et lors
que l'acte sera revêtu de la signature de toutes les par
ties contractantes , il ne vaudra que comme écrit sous
signature privée, sauf dans les deux cas, s'il y a lieu,
les dommages-intérêts contre le notaire.
Ce texte est trop clair pour donner matière à contro
verse. Aucun des articles qui y sont relatés ne prononce
taxativement sur le sort des actes reçus au mépris de leur
disposition. Ce n’est donc qu’en recourant à l’article 68
�38
iiÆ
TRAITÉ DU DOL
qu’on pourra faire prononcer,qu’ils sont nuis ou qu’ils
ne doivent être considérés que comme écrits sous signa
ture privée. D’où la conséquence que toutes les fois qu’on
sera obligé de faire appel à cet article, pour anéantir ou
affaiblir l’autorité de l’acte , on se trouvera forcément
ré^i par sa disposition, quant aux conséquences de l’at
teinte qu’il inflige au contrat.
Mais lorsque la nullité de l’acte résulte d’une dispo
sition formelle de la lo i, que cette disposition n’est pas
dans la catégorie de celles que l’article 68 énumère ,
n’e s t- c e pas uniquement par cette disposition que les
conséquences de la nullité devront être régies? Mais alors
on ne comprendrait pas si le législateur a voulu faire ,
de la disposition de l’article 68, une mesure générale et
absolue ; qu’au lieu de rappeler quelque texte , il n’ait
pas dit : Dans tous les cas où les actes seront annulés,
le notaire sera condamné, s’il y a lieu, à des dommagesintérêts.
Nous ne devons donc pas perdre de vue le caractère
de spécialité que le législateur a imprimé à sa disposi
tion et qui la rend inapplicable aux cas non prévus. Ainsi
l’article 16, par exemple , défend les surcharges , addi
tions et interlignes, dont il prononce la nullité, indépen
damment d’une somme de 50 fr., ainsi que des dom
mages-intérêts des parties. L’article 18 prescrit l’expo
sition du tableau des interdits sous peine des dommagesintérêts des parties; l’article 23 prohibe de donner ex
pédition ou de laisser prendre connaissance des actes à
d’autres qu’aux personnes intéressées à peine de dom-
�ET DE LA FRAUDE.
39
mages-intérêts. Aucun de ces articles n’ajoute , s’il y a
lieu, et cependant l’article 16 est incontestablement re
latif à la forme matérielle des actes.
L’adjudication des dommages - intérêts n’e s t, dans
aucun de ces cas, une pure faculté. L’absence de toute
restriction indique qu’il y a nécessité de la prononcer ,
par cela seul qu’on viole l’un ou l’autre de ces articles.
L’article 68 ne serait applicable que si ces articles figu
raient dans le nombre de ceux qu’il énumère. Pronon
cer celte application , malgré leur omission , c’est donc
méconnaître leur disposition , c’est ajouter à l’article 68
lui-même ; en d’autres termes , c’est violer doublement
la loi.
En dernière analyse , lorsque l’acte sera annulé ou
que son autorité sera affaiblie par l’application de l’ar
ticle 68, les dommages-intérêts ne seront prononcés que
si la faute du notaire est jugée importante et grave. Mais
lorsque la nullité elles dommages-intérêts seront récla
més en vertu d’une autre disposition, c’est uniquement
sous l’influence de celle-ci que la faute du notaire devra
être appréciée, et, si elle adjuge les dommages sans res
triction, on conclura que la faute est de plein droit con
sidérée comme lourde ; le notaire sera nécessairement
responsable.
Or, dans l’espèce jugée parla Gourde Lyon, il ne s’a
gissait de la violation d’aucun des articles rappelé par
l’article 68. Le notaire avait contrevenu il la disposition
de l’article 15, et avait ainsi déterminé l’annulation des
ren vois non approuvés. L’obligation du notaire était donc
�40
TRAITÉ DU DOL
régie par cet article 15 et par l’article 16. Il semble dès
lors que la Cour de cassation ne devait pas appliquer
l’article 68 , ni convertir en faute légère ce qui est une
faute lourde aux yeux de la loi.
490.
— Dans tous les cas , et alors même que la
Cour de Cassation aurait sainement appliqué la loi, tout
ce qu’il faudrait en conclure, c’est que les tribunaux ont
la faculté de rechercher si, en principe, il est dû ou non
des dommages-intérêts. Mais cette faculté comprend elle,
l’opportunité et la nécessité d’une allocation étant ad
mises , celle de déterminer arbitrairement la quotité à
allouer ?
Nous distinguons entre le préjudice matériel elle pré
judice moral. Celui-ci est essentiellement d’appréciation
et ne reconnaît d’autres éléments que l’opinioon du juge.
Il est dès lors certain que les tribunaux ont le droit ex
clusif d’en déterminer la nature et de fixer la quotité des
dommages intérêts.
Mais il ne saurait en être de même pour le préjudice
matériel , et cela par l’excellente raison que la loi s’en
est formellement expliquée. Les dommages-intérêts , dit
l’article 1149 , sont de la perte que le créancier a faite
et des gains dont il a été privé. Que la quoitité de celuici soit discrétionnairement fixée par le m agistrat, nous
le comprenons sans peine , car le gain demeurera dans
le futur contingent, e t, quelque probable qu’il so it, il
n’existe pas tant qu’il n’est pas acquis.
Mais la perte éprouvée est un fait matériel, certain ,
�ET DE LÀ. FRAUDE.
41
réalisé, dont la preuve résulte même quelquefois de l’acte
annulé , le legs , par exemple , d’une somme de mille
francs qui aurait été fait par un renvoi au testament.
L’annulation de ce renvoi, pour omission d’une appro
bation valable, constitue, pour le légataire, une perte bien
positive de mille francs. La seule réparation indiquée
par la justice sera évidemment celle qui lui fera récupé
rer cette somme.
Q u ’en vertu de leur droit souverain d’appréciation les
tribunaux déclarent que le notaire est excusable, que sa
responsabilité n’est pas engagée , qu’ils n’allouent en
conséquence aucuns dommages-intérêts, on le compren
drait. Mais qu’après avoir constaté la faute et décidé que
le notaire doit une réparation, on n’accorde que les dé
pens de l’instance , ou même qu’une somme moindre
que celle que le demandeur a réellement perdue , c’est
ce qui nous parait inconciliable avec la disposition de
l’article 1149. '
Il est un seul cas dans lequel un pareil système pour
rait être rationnel et légal , à savoir : si la faute étant
commune aux deux parties , le juge a dû déterminer la
part de responsabilité que chacune d’elles doit encourir.
11 ne serait, dans ce cas, ni équitable ni juste de pu
nir l’un et de récompenser l’autre en lui accordant tout
ce qu’il aurait eu si la faute n’avait pas été commise. 11
faut donc que chacun supporte sa part dans les consé
quences de cette faute.
�TRAITÉ DU DOL
Dans une espèce où la vente d’un bien dotal avait été
annulée faute de remploi du prix , l’acquéreur évincé
poursuivait le notaire en responsabilité , et lui deman
dait la restitution intégrale de ce qu’il avait payé, à titre
de dommages-intérêts.
Mais par arrêt du 8 janvier 1861 , la Cour de Lyon
n ’avait condamné le notaire qu’à une restitution partiel
le. « Attendu, porte l’arrêt, que la légèreté et l’inatten
tion apportées par Me C .. . . à la lecture du contrat de
mariage des sieur et dame Drevot, et l’omission qui s’en
est suivie, constituent de la part de ce notaire une faute
grave qui engagent sa responsabilité dans une mesure
qu’il appartient à la Cour de fixer.
« Attendu que pour fixer équitablement l’étendue de
la réparation qui doit être à la charge du notaire, il im
porte de rechercher si Vanel de son côté n’aurait aucune
imprudence à se reprocher.
« Attendu qu’il pouvait prendre personnellement con
naissance du contrat de mariage, soit avant d’aller chez
le notaire, soit dans son étude même, et, après l’avoir
lu sérieusement et en entier, ne conclure aucune acqui
sition de cette importance qu’après s’être complètement
édifié sur la capacité de la dame Drevet, soit par luimême, soit par des lumières étrangères ; qu’il est donc
juste de mettre à sa charge une partie du dommage. »
J ’avoue que le reproche que la Cour fait à l’acqué
reur évincé peut paraître assez difficile à admettre. Il est
en effet naturel qu’en matière d’achat , les pièces étant
remises au notaire pour les examiner, on s’en rapporte
�ET DE LÀ FRAUDE.
43
à son examen qu’on s’abstient d’autant plus de contrô
ler , qu’on craint de paraître ou se méfier du notaire
qu’on a^choisi, ou douter de sa capacité.
Mais l’imprudence de la partie admise en fait , les
conséquences que la Cour de Lyon en tire quant à la
répartition des dommages - intérêts , sont légitimes et
rationnelles , et c’est ce que la Cour de cassation con
sacre.
« Attendu , dit son arrêt , que si l’arrêt attaqué dé
clare que le notaire qui avait accepté le mandat de véri
fier, dans l’intérêt de Vanel, si la femme Drevet avait la
capacité d’aliéner les immeubles qui lui appartenaient ,
avait commis une faute grave. En insérant dans l’acte
de vente, du 18 juillet 1837, que la dame Drevet avait
la faculté d’aliéner, sans indiquer que cette faculté était
soumise à la condition du remploi du prix , faute par
lui d’avoir lu en entier le contrat de mariage de ladite
Drevet, il déclare aussi que Vanel aurait pu prendre
connaissance de ce contrat et s’édifier de la condition à
laquelle la dame Drevet pouvait valablement aliéner ses
immeubles , et qu’il avait commis une imprudence en
faisant l’acquisition d’une maison dont une part appar
tenait à la dame Drevet sans faire cette vérification ;
« Que la faute du notaire et l’imprudence de Vanel ,
ainsi constatées , il appartenait à la Cour impériale de
répartir, suivant une appréciation équitable, la respon
sabilité du préjudice résultant de la nullité de l’acte du
18 juillet 1837 , en ce qui concerne la dame Drevet ,
�44
TRAITÉ DU DOL
entre le notaire et Vanel ou ses héritiers : que le faisant
ainsi, l’arrêt n’a violé aucune loi. 1 »
On le voit, la Cour suprême déduit la légitimité de la
division de la responsabilité, de la co - existence d’une
faute de la part du notaire, d’une imprudence de la part
de celui qui se plaint. Nous comprenons que la certitude
d’une faute commune justifie et explique cette division.
Mais lorsque la faute n’est que d’un seul côté, comme
lorsqu’il s’agit de la nullité totale ou partielle d’un tes
tament , la peine ne saurait en être partagée dans une
proportion quelconque. L’indulgence pour l’un peut de
venir une injustice pour l’autre, et cependant, selon l’ex
pression d’un célèbre m agistrat, il n’y a pas à hésiter
entre celui qui n’a fait même que se tromper et celui
qui souffre.
4 9 1 . — Le notaire est garant de l’individualité des
parties. A défaut de connaissance personnelle suffisante,
il doit faire constater cette individualité par deux témoins
spéciaux. La négligence qu’il aurait mise à l’accomplis
sement de ce devoir constituerait une faute lourde , des
conséquences de laquelle il devrait répondre.
492. — Répond-il également de leur capacité ? On
induit la négative de l’obligation dans laquelle se trouve
le notaire de prêter son ministère lorsqu’il en est léga
lement requis ; du silence gardé par la loi spéciale sur
I 31 mars 1862; — J. du P., 1863, 865.
�ET DE LA FRAUDE.
45
cette capacité ; de ce que, pour les interdits eux-mêmes,
ses devoirs se bornent à porter leurs noms sur le tableau
et à exposer ce tableau dans son étude ; enfin de ce que
l’engagement pris par l’incapable est susceptible de rati
fication, ce qui prouve que la loi n’a pas entendu l’em
pêcher de contracter d’une manière absolue. On ajoute
que chacun doit connaître d’ailleurs la condition de ce
lui avec qui il traite, qu’ainsi la faute commise à cet égard est bien plutôt imputable à la partie qu’au notaire.
Ces considérations nous paraissent décisives. Aussi
n’hésitons - nous pas à admettre l’absence de toute res
ponsabilité toutes les fois que le capable a traité direc
tement avec l’incapable ; les devoirs du notaire ne peu
vent pas être de se livrer à des recherches qu’il doit
supposer avec raison avoir été faites par la partie inté
ressée. L’assentiment de celle-ci a dû prévenir même le
soupçon.
Ainsi l’arrêt de la Cour d’Orléans, du 24 juillet 1856,
décide bien en droit que les notaires ne sont point tenus
de se faire attester par les parties contractantes la posi
tion de celles-ci au point de vue de leur état civil ; que
les articles 11 et 13 de la loi du 25 ventôse an n , qui
les oblige à se faire certifier l’état des parties et à men
tionner leurs qualités, n’ont entendu parler que des dé
signations propres à constater l’individualité des parties,
c’est-à-dire de leur profession, de leur titre ou de leurs
fonctions ; qu’en conséquence le notaire rédacteur d’un
acte de vente -, n’est point responsable de ce que le ven
deur , n’ayant pas été interpellé par lui sur le point de
�46
TRAITÉ DU D0I,
savoir s’il était marié, l’acheteur croyant, à tort, celuici non marié, a payé son prix sans purger les hypothè
ques légales.
Mais on sait l’influence qu’exercent devant les tribu
naux les faits spéciaux aux espèces qui s’offrent à leur
appréciation. Or dans celle qui lui était soumise, la Cour
d’Orléans a le soin de constater que le 121 janvier 1850,
vendeur et acquéreur seuls débattaient et arrêtaient dé
finitivement à Paris les clauses de l’acte de vente dans
lesquelles celle proposée et acceptée d’un payement ac
tuel et comptant ; que dès lors les notaires n’avaient été
choisis que pour donner à des conventions préexistantes
l’authenticité qui leur manquait , et qu’en cet état une
question de responsabilité ne pouvait résulter contre ces
officiers publics d’un défaut d’interpellation sur l’état
civil et sur la situation hypothécaire du vendeur.
Enfin l’arrêt constate que l’acheteur avait eu la fa
culté de ne pas se libérer en profitant des précautions
stipulées dans l’acte même ; qu’en renonçant à s’en pré
valoir, il avait suivi aveuglément la foi de son vendeur,
et avait ainsi seul déterminé le préjudice dont il se plai
gnait. 1
Ces constatations enlèvent dans une certaine mesure,
à l’arrêt, son caractère doctrinal, et lui impriment celui
d’une solution d’espèce. Donc, en pur droit et abstrac
tion faite de toutes circonstances de fait, le notaire pour
rait être responsable , si l’ignorance de la position cil D. P., 87, 2, 17.
�ET DE LA FRAUDE.
A7
vile de la partie, était le résultat de son imprudence ou
de sa légèreté.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement con
sacré, en jugeant le i l août 1857, que le notaire rédac
teur d’un acte dans lequel l’une des parties a dissimulé
son état civil, et notamment sa qualité de femme mariée
pour se soustraire à la nécessité de l’autorisation mari
tale, est responsable de la nullité de cet facte prononcée
à raison de la dissimulation qui y a été faite, s’il a né
gligé par légèreté ou imprudence de s’assurer du vérita
ble état de la partie. '
La Cour suprême ne se croit pas autorisée à contrô
ler la solution de fait admise par la Cour impériale. Elle
accepte donc comme constante et acquise la faute du
notaire, et en déduit les conséquences légales.
Or, ces conséquences sont comme nous le disions tout
à l’heure, la nécessité de réparer la perte. A insi, dans
l’espèce , l’acte déclaré nul était un cautionnement ; et
malgré que ce cautionnement ne fût que de 2886 fr. 75
c., le notaire avait été condamné à payer 9706 fr. 71 c.
Cette condamnation était dénoncée à la Cour régula
trice comme devant motiver la cassation de l’arrêt. L’acte
vicieux, disait le pourvoi, n’avait pour objet qu’un cau
tionnement s'élevant à 2886 fr. 75 c. Dès lors le pré
judice résultant de la perte de ce cautionnement, consé
quence du vice reproché, n ’était que de cette somme et
non de celle de 9706 fr. 71 c., montant des répétitions
�48
TRAITÉ DO DOL
que l’administration pouvait avoir à exercer contre l’ad
judicataire cautionné.
« Mais , répond la Cour suprême , dès qu’il était re
connu qu’il y avait eu de la part du notaire une faute
dont il était responsable, les dommages-intérêts devaient
être du montant de la perte éprouvée ; par conséquent
ils ne devaient pas être fixés à 2886 fr. 75 c., montant
du cautionnement contracté, en vertu de la procuration
nulle, mais à la somme de 9706 fr. 71 c. , à laquelle
s’est élevée le préjudice éprouvé par l’administration. »
Ainsi se trouve justifiée la critique que nous faisions
de l’arrêt du 27 novembre 1837 , qui permet de fixer
arbitrairement le chiffre des dommages - intérêts. Nous
pouvons donc répéter , et cette fois en nous étayant de
l’autorité de la Cour de cassation , que l’existence de la
faute est laissée à l’arbitrage souverain du juge. Mais la
faute reconnue, les dommages-intérêts doivent se com
poser de la totalité de la perte dont elle est l’occasion.
Nous ferons cependant remarquer que la loi ne fait
pas du notaire un instrument passif ; qu’à côté des de
voirs positifs qu’elle lui impose , il est des devoirs mo
raux qui l’assujettissent au même titre. Il manquerait
gravement à ceux-ci si, connaissant l’incapacité de l’une
des parties, il ne faisait pas à l’autre les observations
pouvant lui faire connaître son erreur. Ainsi le silence
qu’il aurait gardé l’obligerait à réparer le préjudice souf
fert par celle - ci , si l’on prouvait que l’incapacité de
l’autre lui était parfaitement connue , s’il n’avait pu
l’ignorer.
�ET DE LA FRAUDE.
49
11 y a même plus, si le notaire acquiert ou a la con
viction qu’une partie n’est pas en état de comprendre
la portée de son engagement et de donner un consente
ment sérieux et éclairé, il doit refuser de prêter son mi
nistère à un acte qui ne peut réellement exister sans ce
consentement.
Ce devoir devient bien plus étroit encore lorsque l’acte
qu’on sollicite de lui est de nature à compromettre des
tiers non présents, comme, par exemple, une procura
tion donnée par l’incapable à l'effet d’aliéner ou d’hypothéquer ses immeubles.
Dans cette hypothèse, celui qui traite directement avec
l’incapable n ’a qu’un seul intérêt, celui de déguiser l’in
capacité. Le notaire doit donc redoubler de vigilance.
Toute négligence acquerrait le caractère de faute lourde.
Le tiers, victime de la procuration, obtiendrait donc un
recours utile contre le notaire, en prouvant, par exem
ple, que celui-ci a pu facilement se convaincre de l’état
mental du constituant.
495.
— La preuve que le notaire connaissait l’inca
pacité, et qu’il a cependant reçu la procuration, consti
tuerait à sa charge un dol réel et certain. L’obligation
de réparer le préjudice en résultant serait de plein droit
admise.
Cette double preuve peut être faite par témoins; elle peut
dès lors résulter aussi d’un ensemble de présomptions
graves, précises et concordantes. L’une et l’autre amène
rait à un résultat identique la responsabilité du notaire.
�50
TRAITÉ DU DOL
C’est ce que la Cour d’Aix a taxativement jugé sur ma
plaidoirie, le 23 avril 1847. '
49-4. — La responsabilité de l’avoué est plus large
que celle du notaire. Officier public comme celui-ci , il
est de plus, et dans tous les cas, mandataire, et manda
taire salarié1 de la partie. La permanence de ce carac
tère produit un effet analogue à celui que nous lui avons
vu produire pour le notaire, lorsque celui-ci l’accepte
incidemment.
Dès lors, comme tout citoyen , l’avoué répond de son
dol ; comme officier public, il répond de sa faute ; com
me mandataire, il répond de la négligence qu’il a mise
dans l’exécution de la mission qui lui est confiée.
4 9 5 . — Cette triple responsabilité résulte non pas
seulement des principes généraux du droit, mais encore
de dispositions spéciales que la loi a cru devoir consa
crer. Prévoyant tous les cas possibles , môme celui où
obéissant à un sentiment d’avidité , heureusement fort
rare, l’avoué se préoccuperait beaucoup plus de ses pro
pres intérêts que de ceux dont il a accepté (la défense,
elle a voulu les atteindre tous d’une manière nette et
précise.
4 9 6 . — De là les articles 132 et 1031 du Code de
i Arrêt d ’Aix, 23 avril 1847, inédit.
* Vid. art. 1992, Cod. civ.
�TRAITÉ DU DOL
S1
procédure civile. E’avoué qui a excédé les bornes de son
ministère, celui qui aura fait des actes ou une procédure
nulle ou frustratoire , ou ayant donné lieu à l’amende ,
devra en supporter personnellement les dépens. Il pourra
en outre , suivant l’exigence des cas , être passible des
dommages-intérêts de la partie , et même être suspendu
de ses fontions.
Ainsi la loi n’admet plus l’excusabiiité pour la faute
légère. Elle est punie par la condamnation aux frais des
actes nuis ou frustratoires. Elle laisse, pour la faute lour
de et pour le dol , une large part à l’appréciation des
magistrats , qui peuvent les punir sévèrement par une
allocation pécuniaire, par une peine de discipline.
497.
— Mais plus une loi est sévère et plus on doit
se montrer jaloux d’en renfermer l’application dans ses
justes limites. Conséquemment la responsabilité de la
faute ne devra être appliquée à l’avoué qu’à la condition
que l’acte imputé ne puisse se justifier par des raisons
plausibles ; que le fait reproché émane directement de
lui.
Or, la première condition n’existerait pas si l’avoué
placé entre deux opinions également probables , s’était
prononcé pour celle qu’il a considérée comme la plus lé
gitime , si cette option s’est réalisée sans dol ni fraude ;
tel serait, par exemple, le cas où la nullité résulterait de
l’inobservation d’une formalité à l’égard de laquelle la
jurisprudence est incertaine et la doctrine divisée.
1 Toulouse, 10 juin 1823.
�52
TRAITÉ DU DOL
D’autre part, l’avoué serait sans reproche si l’acte lui
avait été remis tout rédigé par la partie,' ou que la signi
fication n’en eût été faite que sur la réquisition expresse
de celle-ci ; a dans l’un comme dans l’autre cas , l’acte
n’est plus le fait direct de l’avoué, qui a dû le faire mal
gré son opinion même, car, mandataire du client, il est
forcé d’obéir à la volonté expressément manifestée par
celui-ci.
498.
— L’avoué est responsable, comme de son fait
direct, des personnes qu’il s’associe ou qu’il se substitue
dans l’exercice de ses fonctions. Mais cette responsabi
lité cesse pour tous les actes pour lesquels , n’ayant ni
attribution, ni caractère, il est forcé de s’adresser à d’au
tres qu’à lui-même. C’est ainsi que la nullité d’un ex
ploit confié à un huissier ne saurait être attribuée à l’a
voué qui l’a choisi. L’huissier , en effet, est, pour tous
les actes qu’il fa it, présumé le mandataire direct de la
partie. La faute qu’il commet lui est donc exclusivement
imputable, seul il en supporte les conséquences. La res
ponsabilité de l’avoué se restreint dans les faits rentrant
dans ses attributions et dont il est tenu , alors même
qu’il justifierait que la faute provient d’un tiers auquel
il s’en est rapporté. 3 Cette obligation est la conséquence
de la liberté qu’il avait de ne pas se confier à une per-
1 Caen, 27 mars 1813.
2 Montpellier, 24 juin 1826.
3 Carré, sur .l’article 1031.
�ET DE LA FRAUDE.
53
sonne ignorante ou incapable. Or , cette liberté n’existe
pas lorsque le ministère de l’huissier est indispensable.
Au reste , il est quelquefois difficile de déterminer à
qui, de l’avoué ou de l’huissier, incombe la responsabi
lité d’une faute. Nous aurons bientôt occasion de nous
livrer à cette recherche. Nous nous bornerons en ce mo
ment à rappeler une distinction qui domine la matière :
à l’avoué , la responsabilité de ce qui tient à la direc
tion de la procédure ; à l’huissier , la responsabilité de
ce qui concerne taxativement l’exploit ou l’exécution du
jugement.
499.
— Pour que l’avoué puisse être condamné à
de^ dommages-intérêts, il faut : 1°>qu’il soit convaincu
d’une faute lourde; 2° que cette faute ait occasionné un
préjudice. C’est à cette double éventualité que s’applique
la restriction de l ’article 1031 : suivant l’exigence du
cas. C’est donc au demandeur à prouver l’existence de
la faute, celle du préjudice.
La faute lourde peut être prouvée par l’acte qu’on re
proche à l’avoué d’avoir fait , ou de s’être abstenu de
faire. L’impéritie qui porte l’avoué à faire un acte con
traire à la loi, ou à omettre une formalité indispensable
dans l’intérêt qu’il défend, est susceptible à elle seule de
constituer une faute lourde, donnant lieu à des domma
ges-intérêts.
Ainsi, la Cour d’Aix a jugé , le 17 juin 4828 , qu’il
doit être prononcé des dommages-intérêts contre l’avoué
par la faute duquel un appel aurait été déclaré nul
�54
TRAITÉ DU DOL
comme prématurément réalisé, alors même que le client
lui a laissé l’acte d’appel tout rédigé, mais avec la date
en blanc, et avec l’intention que la signification n’eût lieu
qu’en temps utile, intention résultant de ce que, quoi
que remis dans le mois où le jugement a été rendu ,
l’acte d’appel porterait à la date de ce jugement ces
mots : rendu le... du dernier mois, expression qui au
raient été changées par l’avoué, ou son clerc, en cellesci : du mois courant.'
500.
— On s’est demandé s i , comme officier pu
blic, l’avoué devait répondre des conséquences des con
seils qu’il a pu donner. La négative a été, avec raison,
consacrée, car l’avoué ne saurait être considéré , quant
à ce, que comme le serait une personne ordinaire. C’est
ainsi que la Cour de Caen a décidé , par arrêt du 46
mars 1842, qu’un conservateur des hypothèques n’a au
cun recours contre l’officier ministériel sur les observa
tions duquel il a mal à propos radié une inscription qui
ne devait pas l’être.
L’arrêt ajoute : lorsque ces observations ont été faites
de bonne foi, et cette condition est aussi rationnelle que
juste. Il est sensible,, en effet, que l’avoué doit répon
dre des actes qu’il a obtenus par des moyens que la
morale réprouve. Il répond notamment des frais d’un
procès qu’il a insidieusement et de mauvaise foi fait sou
tenir. Mais, dans ce cas, le jugement qui le condamne
�ET DE LA. FRAUDE.
S5
d o it, à peine de nullité , constater en fait et déclarer
que le conseil a été donné insidieusement et de mauvaise
foi. '
SO I.
— L’avoué peut-il être condamné soit aux frais,
soit aux dommages-intérêts, sans avoir été mis person
nellement en cause ?
La négative ne saurait être contestée à l’endroit des
dommages - intérêts ; ils ne peuvent jamais être alloués
que sur la demande formée par la partie. Or,- comment
supposer une demande contre une personne qui n’est
pas présente, qui n’a pas même été appelée ?
Mais, en ce qui concerne les frais, la jurisprudence de
plusieurs Cours et Tribunaux consacre l’affirmative. Dans
cette pratique , on condamne personnellement l’avoué
aux dépens, par cela seul que la procédure est annulée
par un fait qu’on déclare émaner de lui , ou que l’acte
est reconnu frustratoire.
Nous ne saurions trop nous élever contre une pareille
manière de procéder. Les frais mis à la charge de l’a
voué sont une véritable peine, et l’équité exige qu’il n’en
soit appliqué aucune sans que celui qui en est l’objet ait
été mis à même de se défendre.
La jurisprudence que nous signalons viole donc le
droit sacré de la défense, et cela d’autant plus mal à pro
pos, que celle de l’avoué peut être de nature à l’absoudre
complètement du tort apparent qui lui est imputé.
1 Cass., 13 juillet 1834 ; — Montpellier, 11 mars 1842.
�56
TRAITÉ DU DOL
Nous avons d it, en effet , que l’avoué est excusable
lorsque sa faute avait été déterminée par des raisons
plausibles; qu’il n’avait même aucune faute à se repro
cher lorsque, mandataire, il n’a fait qu’obéir à une in
jonction formelle du mandant, et ces excuses légales, il
ne pourrait pas même les proposer !
Mais, dit-on, s’il en est ainsi, l’avoué aura un recours
utile contre son client, qu’il fera condamner à l’indem
niser. Nous convenons que l’avoué trouverait dans ce
recours le moyen de faire disparaître le préjudice maté
riel. Mais le préjudice moral résultant d’une condam
nation publiquement prononcée, comment l’effacer ? Ne
restera-t-elle pas consignée dans les minutes du greffe ,
cette condamnation qui flétrit l’avoué en le déclarant
improbre ou ignare ? Eloignée de la décision qui la ré
tracte , ne sera-t-elle pas exploitée par ceux qui auront
intérêt à lui donner de la publicité?
N’est-il donc pas plus juste , plus naturel d’attendre ,
pour condamner un officier ministériel, de l’avoir con
tradictoirement convaincu ? Sans doute il ne faut pas que
la faute de l’avoué reste impunie, mais les tribunaux ne
peuvent d’office ordonner la réparation du préjudice ,
alors surtout que personne ne s’en plaint encore. Tout
ce qu’ils peuvent faire, c’est de mettre la partie intéres
sée à même d’obtenir la satisfaction qui lui est due. En
conséquence, et tout en condamnant célle-ci, les magis
trats doivent, s’ils le jugent possible , lui réserver son
recours contre l’avouéjjpour tout ou partie des dépens.
Ainsi mise en [demeure d’exercer son d ro it, la partie
aura à se pourvoir ainsi qu’elle avisera.
�ET DE LA. FRAUDE.
57
M. Chauveau ajoute une considération qui nous pa
rait d’une grande force. La loi a institué les deux dégrés
de juridiction en faveur de tous les justiciables. Personne
ne peut être condamné par une Cour, si déjà la condam
nation n’a été prononcée par le tribunal inférieur. Cela
est vrai pour les actions fondées sur les articles 1382 et
1383 du Code civil, comme pour toutes les autres. O r,
une Cour qui condamne un avoué aux dépens, le prive
du premier degré , car sa décision est souveraine et ne
peut plus être attaquée autrement que par le recours en
cassation, qui n’est jamais suspensif.
Ainsi, violation du principe de la libre défense, vio
lation du principe constitutif des deux degrés de juridic
tion , voilà le principe que nous combattons. M. Chau
veau a raison , ce système n’est admissible que si l’on
admet que, en acceptant ses fonctions, l’avoué s’est placé
hors de la loi commune.
502.
—• Comme l’avoué, l’huissier est le mandataire
de la partie pour laquelle il instrumente. Ses devoirs
prennent leur origine dans des principes identiques , sa
responsabilité est donc la même.
Aussi, la loi les a-t-elle confondus dans la disposi
tion des articles 132 et 1031 du Code de procédure.
Mais déjà, et dans l’article71, la responsabilité de l’huis
sier avait été nettement formulée : L'huissier peut être
condamné aux frais de l'exploit ou de la procédure
annulée , sans préjudice des dommages-intérêts de la
partie, suivant les circonstances.
�58
TRAITÉ DU DOL
505.
— On a cru trouver dans cet article une preuve
que la condamnation del’huissier aux frais n’était qu’une
faculté que le législateur abandonnait à la prudence des
tribunaux, d’où l’on a conclu que l’huissier n’était obli
gatoirement tenu que de la faute lourde.
A notre avis, cette opinion est erronée. L’huissier est
mandataire salarié et, au point de vue de l’article 1992
du Code civil, il doit répondre même de sa négligence.
L’article 71 n’a pu le dispenser d’une obligation impo
sée sur le même motif à l’avoué. La possibilité dont il
s’y agit doit donc être interprétée dans le même sens
qu’on lui donne dans l’articlee 132, et, ce qui le prouve,
c’est que l’article 1031 fait un devoir de laisser à la char
ge des officiers ministériels les frais des actes ou procé
dures nulles ou frustratoires.
Les mots pourront des articles 71 et 132 ne peuvent,
en présence de l’article 1031 , s’entendre que de la fa
culté qu’ont les parties de faire condamner l’huissier.
Ils ne peuvent signifier que la demande faite pourra être
rejetée, car, dans ce sens, ces deux articles auraient été
abrogés par le dernier , qui fait un devoir de ce dont
ceux-ci auraient fait une simple faculté.
L’huissier est donc tenu même de la faute légère, avec
cette seule différence que celle - ci ne l’expose qu’aux
frais des actes nuis , tandis que le dol ou la faute lourde
lui ferait encourir l’obligation de supporter les domma
ges-intérêts.
504. — Il importe de répéter ici ce que nous disions
�ET DE LA FRAUDE.
39
tout à l’heure pour l’avoué. L’huissier ne peut être tenu
que de son fait personnel. Cette considération acquiert
en ce moment une haute portée , car le ministère de
l’huissier a de tels rapports avec celui de l’avoué , qu’il
est quelquefois difficile de distinguer la part que chacun
a réellement prise au fait qualifié faute. C’est ainsi qu’on
a eu à se demander si l’huissier répond de l’acte qu’il a
signifié, mais que l’avoué lui a remis tout rédigé ?
505. — MM. Pigeau et Demiau Crouzilhac soutien
nent la négative. Ils enseignent qu’en pareil cas c’est l’a
voué qui encourt la responsabilité. C’est ce qu’a aussi
décidé la Cour de Caen par arrêt du 27 mars 1813.
Mais la doctrine contraire ayant été consacrée par la
Cour d’appel de Metz, a reçu la sanction de la Cour de
cassation. Celle-ci a pensé que la responsabilité d’un acte
quelconque, quelle que fût la participation qu’un tiers y
eût prise, appartenait exclusivement à l’officier ministé
riel dans les attributions duquel cet acte a été placé , et
dont le ministère était indispensable. 1
506. — Cette solution, à laquelle se sont rangées les
Cours de Besançon et de Grenoble , est approuvée par
M. Chauveau : « La doctrine contraire, dit ce juriscon
sulte, est inacceptable ; autant vaudrait dire que le clerc
rédacteur est responsable vis-à-vis de la partie , et que
l’huissier et l’avoué, qui se sont confiés à lui , n’encou1 Cass., 21 février 1821.
�60
TRAITÉ DU DOL
rent aucune responsabilité. L’huissier est légalement l’au
teur de l’exploit, c’est lui qui doit veiller à ce qu’aucune
des formalités nécessaires n’y soit omise ; il ne peut
donc exciper de ce qu’un autre aurait tenu la plume,
ce qui ne pourrait d’ailleurs se faire que sous sa sur
veillance. 1 »
L’arrêt de la Cour de cassation nous paraît important
surtout par la netteté du principe qu’il consacre, à sa
voir : que la responsabilité de l’acte appartient à celui
qui avait seul attribution et caractère pour l’accomplir.
C’est par son application que se résoudront toutes les dif
ficultés que la matière doit présenter. À l’huissier donc
de répondre de tout ce qui tient taxativement à l’exploit;
à l’avoué la responsabilité de ce qui concerne la direc
tion de la procédure. En d’autres termes, l’on doit faire
pour les actes de procédure ce que nous faisions pour les
actes notariés, distinguer entre les nullités intrinsèques
et les nullités extrinsèques. Celles-ci appartiennent ex
clusivement à l’huissier.
507.
— C’est ainsi qu’on l’a déclaré responsable de
la nullité de l’exploit parce que la copie a été remise
au maire sans aucune mention de la présentation à un
voisin : 1
Parce que la date a été omise ou non suffisamment
indiquée ; 3
1 Chauveau sur Carré, art. 74.
2 Rouen, 4 'r août 1840.
3 Colmar, 28 juillet 1812 ; — Metz, 18 juin 1S19.
�ET DE LA FR A U D E .
61
Parce qu’on aurait omis l’indication du délai de l’as
signation ; 1
Parce que le parlant à a été constaté d’une manière
irrégulière ; *
Parce qu’on aurait omis la signature 3 ou l’indication
du domicile réel du demandeur ; 4
Parce que l’huissier était sans qualité.5
Chacune de ces nullités constitue une violation des de
voirs que la loi impose à l’huissier. Il est donc naturel
qu’il réponde de l’impéritie ou de la négligence qui en
est le fondement. Il en serait de même pour tous les cas
où dans l’exécution d’un jugement ou d’un titre, l’huis
sier n’aurait pas rigoureusement exécuté les formes pres
crites.
Dans ce cas, la condamnation de l’huissier serait in
dépendante de la validité de Pacte. Ainsi, la saisie faite
sans que les garanties voulues par l’article 587 aient été
observées, n ’en est pas moins valable, mais l’huissier qui
a ainsi procédé a commis une faute dont il doit la répa
ration à la partie saisie. C’est ce que la Cour d’Aix a jugé
sur ma plaidoirie dans l’affaire de l’huissier Roux contre
Mlle Saint-Martin.
508. — Quant aux nullités intrinsèques résultant
«
1 Bruxelles, 16 mars 1831.
2 Paris, 22 septembre 1809 ; — Grenoble, 7 août 1822.
3 Poitiers, 13 août 1819.
i Poitiers, 21 mai 1834.
5 Grenoble, 14 avril 1818.
�62
TRAITÉ DU DOL
soit de l’insuffisance de la procédure entamée , soit des
désignations inexactes que l’huissier , sur les faux ren
seignements de l’avoué ou de la partie, a insérées dans
son exploit, elles ne sauraient, sous aucun rapport, lui
être imputées. ' La responsabilité en demeure donc ex
clusivement à la charge de l’avoué ou de la partie.
Par application de ce principe, il a été jugé :
1° Que l’huissier n’est pas responsable delà nullité
d’un appel qu’on l’a chargé de notifier soit avant l’expi
ration delà huitaine, soit après le délai de trois mois;1
2° Qu’il ne répond pas de ce que la notification à des
créanciers inscrits ne comprend pas l’universalité de ces
créanciers ; 3
3° Qu’on ne saurait lui reprocher la nullité d’un em
prisonnement résultant de ce que le créancier lui a remis
une constitution d’avoué, au lieu d’une élection de domi
cile, à énoncer dans le procès-verbal.4
Ces exemples nombreux nous ont paru utiles à rappe
ler, parce qu’ils déterminent la véritable portée du prin
cipe que nous rappelions tout à l’heure. Ils enseignent
en outre à faire la part de l’avoué , de l’huissier , de la
partie elle - même, dans les questions de responsabilité
qui peuvent se présenter.
♦
1 Cass., 28 octob. 1841, 29 août 4832.
2 Aix, 47 juin 4 824.
3 Metz, 34 mars 4 824.
4 Lyon, 9 mai 4828
�ET DE LA FRAUDE.
63
509. — Nous dirons de l’huissier ce que nous disions
tout à l’heure de l’avoué, à savoir qu’il ne doit pas être
condamné sans avoir été entendu. Nous ajoutons qu’il
ne peut être même valablement poursuivi qu’après que
la nullité de l’acte a été prononcée par la justice. Toute
demande contre lui serait non recevable, tant que cette
nullité n ’est pas un fait acquis.
5 1 0 . — Le mandat de l’huissier cesse avec l’acte
qu’il a notifié. Il continue cependant si l’exploit renfer
me élection de domicile dans son cabinet. Entre autres
devoirs , cette élection lui impose l’obligation de trans
mettre fidèlement et en temps opportun toutes les signi
fications qui sont faites pour la partie. Le retard dans
cette transmission, et à plus forte raison son omission
complète, obligerait l’huissier à réparer le préjudice qui
naîtrait de l’un ou de l’autre.
5 1 1 . — Nous terminerons , en ce qui concerne les
officiers ministériels, par deux observations s’appliquant
aux avoués aussi bien qu’aux huissiers :
1° Le désaveu admis en justice rendrait celui qui en
a été l’objet passible de tous les frais que les actes désa
voués auraient entraînés. Il pourrait de plus autoriser
une allocation de dommages - intérêts en faveur de la
partie qui réclamerait d’être indemisée du préjudice
qu’elle prouverait exister ; 1
1 Cass., 7 novembre 1849. — D. P., 49, 1, 288.
�64
ET DE LA FRAUDE.
2° Dans l’hypothèse de faute lourde , de d o l, comme
dans tous les cas où il y a lieu d’accorder des domma
ges-intérêts, leur allocation est subordonnée à la preuve
qu’il existe un préjudice. Les dommages - intérêts ne
peuvent jamais être que l’indemnité d’un dommage et
non l’objet d’un bénéfice pour celui qui les réclame.
C’est donc à celui-ci à prouver ce dommage. A défaut
de cette preuve , la responsabilité des officiers ministé
riels, quel que fût le motif de la prononcer, se bornerait
au payement des frais des actes ou de la procédure
annulée.
Ajoutons que les officiers ministériels engageant leur
responsabilité in commitlendo, ne l’engagent pas moins
in omittendo. Ainsi, celui qui s’est abstenu de faire un
acte que l’intérêt de son mandant exigeait impérieuse
ment , et qu’il avait mission d’accomplir ou de provo
quer, serait passible des conséquences de cette omission
et tenu, dès lors, de réparer le préjudice qui en serait
résulté.
�ET DE LA FRAUDE.
65
CHAPITRE IV.
DES
F IN S
DE
N O N - R E C E V O IR
CO N TRE
L'A C TIO N .
- m
-
SOMM AIRE.
512.
513.
514.
II ne suffit pas qu’une demande soit fondée, il faut en outre
qu’elle soit recevable.
Nature el distinction des fins de non-recevoir.
Nomenclature.
512.
— L’existence d’un droit n’autorise pas tou
jours l’action destinée à le réaliser. Celui - là donc qui
prétend se pourvoir en justice doit se préoccuper nonseulement de la légitimité , mais encore de la recevabi
lité de sa demande. Peu importe, en effet, qu’un dol ait
été pratiqué à son encontre , qu’il en ait éprouvé un no
table préjudice, si, par négligence ou par un acte émané
n
*
5
�66
TRAITÉ DU DOD
de sa volonté, il s’était rendu non-recevable à poursui
vre la réparation qui lui est due.
513
.
— Les moyens tendant à faire déclarer la
non - recevabilité d’une action constituent des fins de
non-recevoir, dont la nature et les effets diffèrent essen
tiellement , suivant qu’elles s’appliquent à la forme ou
au fond.
Les premières, qu’on qualifie plus exactement de fins
de non - procéder, n ’ont pour objet' que la nullité de la
procédure irrégulièrement poursuivie, et que le deman
deur est obligé de recommencer. Elles sont donc pure
ment dilatoires , à moins que l’intervalle consacré à la
formalité irrégulière n’ait complété la prescription du
droit. Cés fins de non-procéder n’ont donc d'avantages
réels que sous ce dernier rapport.
Les autres, au contraire, négligent la forme pour s’at
taquer au droit lui-même, qu’elles ont pour but de faire
déclarer à tout jamais éteint. Leur consécration enlève à
l’action tout principe de vitalité et amène le déboutementde la demande quelque juste, quelque fondée qu’elle
puisse être. Leur existence est donc un fait capital et dé
cisif. C’est aussi d’elles, et d’elles seules, que nous allons
nous occuper.
Suivant M. Poucet, ces fins de non-recevoir consti
tuent des exceptions de pratique ou moyens non tirés du
fond, ayant pour f i n , c'est-à-dire pour but, d'empêcher
que l’action ou la défense de /’adversaire ne soit reçue
ou écoutée, quelque juste qu'elle puisse être au fond .
�ET DE LA FRAUDE.
67
Comme si, par exemple, on oppose que les droits dont
il se prévaut sont prescrits, ou qu'un jugement passé en
force de chose jugée l’en a déboulé , ou qu’il y a for
mellement ou tacitement renoncé. 1
514.
— Les principales fins de non - recevoir sont
donc : la chose jugée, l’acquiescement, la prescription.
Chacune d’elles constitue une exception péremptoire,
puisque son admission entraine forcément le rejet de l’ac
tion contre laquelle on l’invoque. Leur importance exige
que nous en recherchions les éléments, que nous en dé
terminions les conditions essentielles. Cet examen fait la
matière des trois sections suivantes.
SECTION I” .
De la chose jugée.
SOMMAIRE.
515.
516.
517.
Caractère de cette présomption.
Conséquences quant aux difficultés pouvant se présenter,
Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée.
1 Des Acl.', tit. 4, ehap. 2, n° 164.
'
�68
TRAITÉ DU DOL
518. Quels sont les jugements susceptibles de la créer ?
519. Jugements provisionnels.
520. Jugements préparatoires ou interlocutoires.
521. Controverse à l’occasion de ces derniers.
522. Solution.
523. Opinion de Chauveau et jurisprudence qu’il cite.
524. Le jugement interlocutoire sur un point peut être définitif
sur un autre. Conséquences.
525. A quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis l ’au
torité de la chose jugée ?
526. Différence entre les jugements en premier ou en dernier
ressort.
527. Le jugement en premier ressort n ’acquiert l’autorité de la
chose jugée, à défaut d ’appel, qu’à partir de sa, signifi
cation.
528. Effet de la réalisation de l’appel.
529. Jugements rendus en pays étrangers.
530. Le dispositif des jugements-fonde seul la chose jugée.
531. Conditions de la chose jugée.
532. 1° Identité d’objet
533. Changements survenus depuis le premier procès.
534. Il y a identité d’objet s i , après avoir échoué sur le tout, on
redemande la partie.
535. Qu’en est-il dans l’hypothèse inverse ?
536. Le jugement au possessoire n’influe en rien sur l’action
pétitoire.
537. Que faut-il entendre par la partie réclamée ?
538. 2° Identité de cause.
539. Il n’y a pas identité de cause lorsque le droit repose sur des
motifs différents.
540. Exemple : les nullités extrinsèques ou intrinsèques.
541. Hypothèses jugées par la jurisprudence.
542. L’identité de cause ne doit pas être appréciée par les résul
tats que les deux instances doivent présenter.
543. Différence entre la cause et les moyens pouva n t être invoqués.
�ET DE LA FRAUDE.
69
544. La chose jugée sur un moyen l’est pour tous les autres.
545 Arrêt conforme dé la Cour de cassation.
546. C’est surtout pour la nullité d’actes que cette distinction est
utile.
547. Classement à faire pour résoudre la difficulté
548. 3° Identité des parties agissant en la même qualité.
549. Manières diverses d’être partie au procès.
550. 1° Ayant-cause. Les héritiers ou légataires à titre universel
sdnt les ayants-cause du défunt.
551. Les donataires oü légataires à titre particulier le deviennent
quant à l ’objet donné ou légué.
552. Mais les héritiers , légataires ou donataires ne sont pas les
ayants-caUse les uns des autres. Conséquences.
553. L’acquéreur est, quand à l ’objet vendu, l’ayant - cause du
vendeur.
554. Le vendeur n'est jamais l ’ayant-cause de l'acquéreur.
555. Quid des créanciers ?
556. 2° Mandataires conventionnels ou légaux. Identité du man
dant et du mandataire.
557. Cé qui est jugé pour et contre le tuteur l ’est contre lé mi
neur.
558. Il en est de même pour le mari et la femme.
559. Mais ce qui est jugé entre la femme et un tiers ne l ’est pas
contre le mari, soit qu’il l'assiste et l ’autorise, soit qu’il
exerce les actions de celle-ci.
560. Fondement légal de cette doctrine.
561. L’instance suivie pour ou contre les syndics d’une faillite
lie le failli et la massé.
562. Distinction en ce qui concerne les créanciers hypothé
caires.
563. La chose jugée pour ou contre le failli, avant la faillite, est
opposable aux Syndics.
564. Y a-t-il identité de personnes entre le débiteur principal
et la caution ?
565. Quid des débiteurs solidaires ?
�70
566.
567.
568.
569.
TRAITÉ DU DOL
L'identité de personnes réside bien plutôt dans la qualité
en laquelle elles ont agi que dans les conditions phy
siques.
Conséquences.
Quid de l ’instance jugée pour ou contre l’héritier apparent
à l’endroit du véritable héritier ?
Mode d’appréciation de la chose jugée.
515.
— De tous temps la chose jugée a été entourée
du plus profond respect et a joui de la plus grande au
torité. Considérée comme l’expression de la vérité , elle
est devenue la loi irrévocable des parties : Res judicata
pro veritate habetur.
Prise dans un sens absolu , cette présomption consti
tuerait la plus audacieuse fiction qui se puisse imagi
ner. Elle proclamerait, en effet, une infaillibilté qui n’est
pas dans les attributs de la justice humaine, qu’elle pla
cerait ainsi au - dessus des passions qui [l’assiègent et
l’égarent.
Un orgueil aussi insensé ne pouvait pas être professé
par le législaleur. Il ne pouvait ignorer l’infirmité de la
nature humaine, ses faiblesses. Aussi , pouvons-nous le
dire sans crainte , la présomption de vérité , attachée à
la chose jugée , tient à des considérations d’une autre
nature , et cette pensée n’altère en rien le juste respect
qui entoure notre magistrature. Sa dignité n’avait nul
besoin qu’on la proclamât infaillible. Suffisamment dé
fendue par la loyauté de ses intentions, elle peut répu
dier un caractère qui n’appartient qu’à Dieu et recon
naître que ses lumières ne la garantiront pas toujours
d’une erreur.
�ET DE LA FRA UDE.
71
C’est ce que, pour sa part, a admis le législateur ; et,
la possibilité d’une erreur ainsi envisagée , la chose ju
gée n’en doit pas moins être acceptée comme l’expres
sion de la vérité. jUn devoir puissant et sacré lé prescri
vait ainsi. Sans la stabilité des jugements , il n’y avait
pas de société possible; et le jour où l’on pourrait, sous
prétexte d’erreur, remettre en question ce qui vient d’être
solennellement décidé , verrait la confusion et le chaos
se substituer à l’ordre admirable qui régit nos rapports
communs.
516. — Ces considérations, qui fixent le sens et l’im
portance du principe que nous avons rappelé , nous
amènent à cette conséquence : que nul ne sera tenté de
contester le principe lui-même. On ne déniera jamais le
respect dù à la chose jugée. Devant une exception de ce
genre, tous les efforts se résumeront dans la dénégation
des caractères qui la constituent. Avant donc d’appli
quer le principe , les tribunaux auront presque toujours
à rechercher s’il est,réellement applicable à l’espèce qui
leur est soumise. C’est pour les éclairer dans cette re
cherche que l’article 1351 du Code civil a nettement dé
terminé les éléments dont l’ensemble constitue la chose
jugée.
517. — Aux termes de cet article, il n’y a chose ju
gée que si la seconde instance porte sur le même objet
que celui qui était demandé dans la première ; que si la
demande repose sur la même cause ; que si elle a lieu
�entre les mêmes parties. Avant d’examiner chacune de
ces conditions, examinons celle qui les domine toutes, à
savoir : l’existence d’un premier jugement susceptible
d’acquérir ou ayant acquis l’autorité de la chose jugée.
5 1 8 . — Toutes les décisions judiciaires ne sont pas
de nature à fonder l’autorité de la chose jugée : Non vox
omnis judicis, judicati continet auctorilatem.' Pour
revêtir ce caractère , le jugement doit épuiser le litige ,
de manière à ce que le même juge soit désormais sans
attribution pour prononcer entre les parties : Res ju d icata dicitur quœ finem contraversarium pronunciatione judicis açcipit, quod vel condemnatione , vel absolutione contingit. 2
5 1 9 . — A ce titre , les jugements qui se bornent h
statuer sur la provision ne peuvent jamais donner lieu
à l’exception de la chose jugée. Cela est d’autant moins
douteux, que l’effet de ces jugements est nécessairement
subordonné au jugement définitif, d’après lequel , les
sommes reçues à titre de provision devront, dans quel
ques circonstances, être remboursées. Le pouvoir du juge
d’ordonner ce remboursement , comme de rétracter les
autres mesures provisionnelles, n’a jamais été ni pu être
contesté. Celui-là donc qui n’-aurait à exciper que d’un
pareil jugement, à l’appui de son exception de chose ju
gée, ne pourrait être écouté.
1 L. 7, Cod.. De sent, et interl.
2 L. 1, Dig., De rejudicata.
�ET DE LA. FRAUDE.
73
5 2 0 . — Les jugements préparatoires ou interlocu
toires peuvent-ils acquérir l’autorité de la chose jugée ?
Evidemment non, si la définition que nous venons d’em
prunter au droit romain est exacte. En effet, ces juge
ments n’épuisent pas la juridiction du juge dont ils éma
nent ; ils mettent si peu fin au litige , que leur objet
consiste uniquement à mettre ce litige à même de rece
voir une solution définitive,
De là il résulte que , lors même que les jugements
préparatoires ou interlocutoires n’ont pas été exécutés ,
leur existence ne peut être un obstacle à ce que les par
ties puissent revenir devant le juge et lui demander une
décision sur le fond du procès. Elles peuvent soutenir
que l’objet de ce jugement n’était pas indispensable, et
que les faits indiquent suffisamment les droits qu’elles
peuvent respectivement revendiquer. De son côté , le
juge peut déserter les errements jusqu’alors suivis et pro
noncer définitivement, malgré qu’il eût refusé de le faire
d’abord.
5 21. — Cela n ’a jamais été contesté lorsqu’il s’agit
d’un jugement préparatoire, mais le contraire a été sou
tenu dans le cas d’un interlocutoire, il est vrai que ces
jugements diffèrent entre eux en ce sens que les premiers
ne laissent pas même entrevoir quelle sera l’opinion du
juge sur le fond du procès, tandis que les seconds sem
blent indiquer cette opinion. On peut croire , en effet,
que si la preuve ordonnée est faite, la partie qui l’a sol
licitée gagnera son procès. Ainsi, l’interlocutoire crée un
r
�74
TRAITÉ OU DOL
préjugé qui ne saurait naître, dans aucun cas, du juge
ment purement préparatoire.
522.
— Mais tout ce qui résulte de cette différence
nous est positivement indiqué par l’article 451 du Code
de procédure. L’appel du jugement préparatoire ne peut
être reçu qu’avec celui du jugement définitif. Ce n’est ,
en effet, que par le. résultat de celui-ci qu’on peut con
naître celui à qui le jugement préparatoire a été préju
diciable. L’interlocutoire, au contraire, peut être immé
diatement attaqué devant le degré supérieur par celui
qui en redouterait les conséquences ou qui ne voudrait
pas accepter le préjugé qui en résulte.
Le défaut d’appel ne peut donner au jugement un ca
ractère qu’il n’a pas. L’interlocutoire demeure donc sans
effets obligatoires sur le fond du procès. La chose jugée
peut bien résulter d’une décision formelle , mais elle ne
s’attache jamais à un préjugé, quelque certain 'et positif
qu’il soit. Or , l’interlocutoire ne saurait jamais créer
qu’un préjugé.
Dès-lors, celui qui, ayant d’abord contesté l’interlo
cutoire, l’a ensuite exécuté, pourra, après cette exécution
et lors du jugement définitif, soutenir que la mesure ordonnéeétaitinutile, chercher ailleurs que dans les procès
verbaux et les enquêtes les moyens de faire prévaloir ses
prétentions. Ce qui lui est absolument et uniquement
interdit, c’est de plaider la non-recevabilité de la preuve
ou la non-admissibilité des faits articulés. Sur ces deux
points, il y a dans l’interlocutoire une appréciation dont
�\
ET DE LA. FRAUDE.
75
le contraire ne saurait être légalement prononcé que par
le juge supérieur.
Ce que la partie peut faire est également facultatif pour
le juge. Ainsi, le tribunal n’est pas obligé de persister
dans l’opinion qu’il a pu concevoir sur l’importance et
la nécessité de la preuve. Quelle qu’ait été cette opinion
première, il peut la déserter si, mieux éclairée, sa con
science lui en fait un devoir. Il peut donc, après l’inter
locutoire, décider contrairement au préjugé résultant de
sa prononciation , et cela encore bien que les faits arti
culés et admis aient été complètement justifiés.
L'opinion contraire a été cependant soutenue. Mais
ce n’est pas dans son sens que penchent la doctrine et
la jurisprudence. Elle manque, en effet, de fondements
juridiques , tandis que l’autre opinion s’étaye sur des
considérations décisives en raison et en droit. Voici com
ment les résume M. Chauveau , dans son Traité de la
Procédure :
523.
— « Il est impossible qu’un jugement puisse
être définitif sur le droit, lorsqu’il n’est qu’interlocutoire
sur le fait ; d’autant que le point de droit , n’étant que
la raison de décider et non la matière immédiate du ju
gement , n’est pas susceptible d’une décision séparée.
Aussi longtemps que l’objet en litige est en suspens et
soumis à l’éventualité d’un avant-dire droit, le droit luimême demeure indécis, le juge ayant pu adopter men
talement , décéler même une opinion ou un principe ,
mais non les réduire en jugement. Ce n’est cependant
�76
TRAITÉ DU DOL
qu’à partir de ce jugement que l’autorité de la chose
jugée peut être légalement acquise ou commencer à cou
rir, car ce n’est qu’alors que le juge a rempli sa mission
et qu’il est à tout jamais désinvesti de la connaissance du
litige. Mais tant que ce désinvestissement ne s’est pas
réalisé, le juge n’a pas dit son dernier mot sur le procès;
il n’a pas dès lors la faculté , mais il doit ertcore consi
dérer comme un devoir impérieux de juger en définitive
suivant sa conscience et sa conviction , rejetant, si cette
conviction l’exige, le principe que d’abord il avait adop
té , pour revenir aux moyens soit de fa it, soit de droit
qu’il avait primitivement rejetés. ' »
M. Chauveau cite un grand nombre de décisions sou
veraines qui ont consacré cette doctrine , doctrine q u i,
du reste , n’est qu’une saine application de la maxime
adoptée par nos maîtres en législation : Semper judici
ab interlocutorio discedere licet. Il est vrai que nos
Codes n’ont pas renouvelé textuellement ce principe ;
mais qu’ils l’aient virtuellement admis , c’est ce dont il
n’est pas possible de douter.: L’orateur du gouvernement
le proposait comme règle dans l’exposé des motifs de la
loi, de crainte que les magistrats ne se méprissent sur la
nature et la portée de l’interlocutoire. L'interlocutoire,
en effet, sans autre objet que d'éclairer la religion
des juges, pourrait finir par les égarer, dans la faus
se persuasion qu’ils se seraient liés eux-mêmes en le
prononçant.
1 Chauveau sur Carré, art. 431, 4.35.
�ET DE LA FRAUDE.
77
Il est donc vrai, en droit français comme en droit ro
main, que le juge peut revenir de l’interlocutoire. Cela ,
certes, ne saurait signifier qu’un tribunal a la faculté ,
après avoir jugé la preuve recevable et les faits; perti
nents et admissibles , de décider plus tard le contraire.
Le pouvoir de se réformer ainsi n’a jamais appartenu à
une juridiction quelconque. Prise dans ce sens, la ma
xime que nous avons rappelée serait une monstruosité
en droit. Tout ce qu’on doit en induire, c’est que malgré
l’interlocutoire, qu’il ait été ou non exécuté, le juge peut
et doit décider en sens contraire du préjugé que cet in
terlocutoire fait naître, si, mieux éclairée, sa conscience
l’exige ainsi.
Concluons donc, de ce qui précède, que lorsqu’il s’a
git de juger définitivement le procès , le juge reprend
toute son indépendance, toute sa liberté d’action. Il peut
donc négliger les résultats de l’interlocutoire, les repous
ser même complètement et puiser les éléments de sa dé
cision dans, les autres circonstances de la cause et dans
les faits qui lui avaient d’abord paru insuffisants. Il peut
même prononcer au fond sans que les mesures interlo
cutoires aient été remplies. Dès lors un jugement de ce
genre ne p e u t, dans aucun cas , devenir' la base d’une
exception de chose jugée.
52 4 .
— Un jugement interlocutoire sur un*point peut
être définitif sur un ou plusieurs chefs. C'est ce qui ar
rive lorsque, avant d’aborder le fond, le jugea à appré
cier des exceptions, soit en la forme, soit inhérentes au
�78
TRAITÉ DU DOL
droit lui-même. La disposition qui écarte ces exceptions
n’a rien d’interlocutoire ; elle constitue, à cet égard, un
jugement définitif qui, s’il est acquiescé, acquiert l’au
torité de la chose jugée et rend non-recevable à propo
ser plus tard les mêmes exceptions.
5 2 5 . — A quelle époque les jugements définitifs ontils acquis l’autorité de la chose jugée? L’ordonnance de
1667 contenait, à cet égard , une disposition expresse.
L’article 5 du titre 27 disposait en ces termes : Les j u
gements qui doivent passer en force de chose jugée sont
ceux rendus en dernier ressort et dont il n'y a pas
d'appel, ou dont l’appel ne sera pas recevable, soit que
lesparlies y eussent formellement acquiescé, ou qu'elles
n'en eussent interjeté appel dans le temps, ou que l’ap
pel ait été déclaré péri,
5 2 6 . — L’ordonnance mettait donc sur la même li
gne les jugements rendus en dernier ressort et ceux qui,
pouvant être attaqués par l’appel, ne l’avaient pas été.
Notre Code de procédure n’a pas renouvelé cette dispo
sition, mais il ne dit nulle part le contraire. Cette réserve
■absolue n’indique-t-elle pas qu’en cette matière il n’a
entendu rien innover , et que conséquemment c’est par
l’ordonnance elle - même qu’il faut décider la question
que nous avons posée ?
Or , la doclrine qu’elle consacre nous paraît juste et
rationnelle , car les considérations qui recommandaient
la disposition de l’ordonnance , n ’ont pas cessé d’être
�TR AITÉ DU DOL
79
vraies. Celui qui s’abstient d’attaquer un jugement con
traire à ses intérêts est présumé en reconnaître le bien
fondé et le mérite, et cette sanction donnée au jugement
est la plus puissante de toutes. Sans doute , nul n’est
contraint d’agir tant qu’il est dans les délais pour le
faire. Aussi la présomption d’acquiescement cèdera-t-elle
devant la manifestation d’une volonté contraire, volonté
qui sera libre de se produire au moment même où l’on
voudra exciperdela présomption d’acquiescement. Mais
tant que l’appel n’est pas réalisé, c’est cette présomption
qui doit prévaloir. Ainsi , la différence entre ün juge
ment rendu en dernier ressort et celui susceptible d ’appel,
c’est que le premier acquiert de plein droit l’autorité de
la chose jugée , tandis que cette autorité n’est que mo
mentanée pour le second, tant que les délais de l’appel
ne sont pas expirés.
25 7. — Mais, pour l’admettre a in si, il faut que la
partie ait été mise en demeure d’agir par une significa
tion régulière du jugement. Un jugement non signifié
n’est qu’un titre informe , constituant tout au plus une
menace dans un avenir plus ou moins lointain, et contre
laquelle on n ’est pas même tenu de se pourvoir. 11 y a
plus, celui qui abandonne , qui délaisse ainsi son titre ,
après l’avoir obtenu, peut être considéré comme s’il re
nonçait aux avantages qui en résultent, et le silence de
la partie adverse n’a , en cet état, rien que de très-na
turel ; on ne saurait exiger qu’elle le rompe qu’après
qu’une notification est venue lui apprendre qu’on voulait.
profiter du jugement.
�80
ET DE LA. FRAUDE.
5 2 8 . — L’appel réalisé suspend de plein droit l’au
torité du jugement, alors même qu’il aurait été émis hors
les délais ou après un acquiescement. La non-recevabi
lité de l’appel, comme le mal fondé, ne peut être déclaré
que par le degré supérieur. Ce n’est donc que par la dé
cision de celui-ci que le jugement reprend ou perd à tout
jamais l’autorité de la chose jugée.
Nous terminerons nos observations sur ce point en rap
pelant deux faits importants et qu’on ne saurait oublier
dans la matière qui nous occupe.
5 2 9 . — 10 Rendre ta justice est un acte de souve
raineté. En France, elle se rend au nom du peuple fran
çais et par des magistrats choisis et institués par le chef
du pouvoir exécutif. Cette double circonstance , offrant
toutes garanties aux citoyens, leur impose 1;exécution des
jugements comme un devoir rigoureux.
Mais on ne peut exécuter en France que les jugements
émanés des tribunaux français. Dès lors, 1a chose jugée
ne saurait jamais résulter d’un jugement rendu en pays
étranger et par des juges étrangers , à moins que son
exécution n’ait été ordonnée par un tribunal fran
çais. O r , on sait que 1a faculté donnée aux juges fran
çais , à cet égard , ne se borne pas à un enregistrement
pur et simple. La doctrine et la jurisprudence sont d’ac
cord sur ce point. Le juge a le droit de reviser le juge
ment étranger et de ne confirmer les adjudications qu’il
prononce que s’il les trouve nécessaires et justes. Le ju
gement de révision est donc ici le véritable jugem ent,
�ET DE LA FR A U D E .
81
et, comme il émane de l’autorité française, il est, quant
à la chose jugée, à l’instar des autres jugements.
5 3 0 — 2° Quels que soient les termes des motifs d’un
jugement, quelle que soit la solution à laquelle ils puis
sent conduire , il n’y a chose jugée que sur ce qui est
consigné dans le dispositif. Ce n’est que là, en effet, que
la pensée réelle du juge se développe avec précision et
netteté ; que se trouve en quelque sorte le véritable ju
gement. C’est donc aussi et uniquement là qu’il faut
chercher ce que le juge a fait , car on ne trouvera dans
les autres parties du jugement que des indications sur
ce qu’il a voulu faire. Or, la pensée du juge, tant qu’elle
ne s’est pas traduite en jugem ent, ne saurait sortir à
effet et moins encore donner naissance à l’autorité de la
chose jugée.
C’est ce qui a été consacré par de nombreux arrêts de
la Cour de cassation, dont un, notamment, rendu le 9
janvier 1831, décide que, bien' qu’un arrêt ait reconnu
dans ses motifs que le terrain litigieux est vain et vague
et que la commune en doit être réputée propriétaire ,
cependant, s’il ne prononce rien à cet égard dans le dis
positif et se borne à ordonner une expertise , en réser
vant tous les droits des parties , il n ’y a point chose
jugée sur la nature du terrain , ni sur la question de
propriété. 1
1 Dalloz, p. 38, 1, 169 ; — vid . id ., 37. 1, 4S3.
�T R A ITÉ DU ÜOL
5 3 1 . — Ainsi, l’exception de chose jugée ne pourra
prendre naissance que dans l’existence d’un jugement
précédent , rendu sur le fond du droit, ayant épuisé la
juridiction du juge, et dont le dispositif offrira, par rap
port à l’instance nouvelle , les caractères prescrits par
l’article 1351, à savoir : que la chose demandée soit la
même ; que la demande soit fondée sur la même cause;
qu’elle s’agite sur les mêmes parties et en la même qua
lité : Eadem res, eadern ratio petendi , eadem conditio personarum.
5 3 2 . -i- Première condition. Identité d’objet.
Cette identité ne doit pas s’entendre en ce sens qu’il
faille que l’objet réclamé dans les deux instances soit
physiquement et matériellement le même. Il suffit, dans
ce cas, d’une affinité certaine et incontestable.
Ce principe, enseigné par Pothier , conduit à cette
double conséquence.
5 3 3 . — 10 Les changements survenus dans le corps
qui a fait la matière du premier procès n’empêchent pas
qu’il ne soit le même dans le second, si c’est le corps luimême qui est réclamé. C’est en effet le même objet, aug
menté ou diminué, qu’on demande, et le refus qui en a
été fait une première fois crée un obstacle insurmontable
à toute nouvelle prétention : Sipetiero gregem et victus
fiiero , et vel aucto vel minulo numéro gregis iterum
eumdem gregem petam, obstabit mihi exceptio. 1
i L. 21, Dig. de except. r e iju d . — Rennes, 13 mars 1821.
�ET DE LA FRAUDE.
83
534.
— 2° La chose ne cesse pas d’être la même si,
après avoir échoué sur la revendication d’un corps cer
tain, d’une quantité ou d’un droit incorporel, on deman
de plus tard une partie plus ou moins considérable de
ces mêmes objets : Si guis cum totum petiisset, partent
petat, exceptio rei judicatœ ei nocet, nam pars in to
tum e s t , eadem enim res accipitur et si pars petalur
ejus quod totum petitum est, nec interest utruvn in corpore hoc petalur, an in quantitate, vel in ju re . '
Cette règle était tellement absolue en droit romain ,
qu’on appliquait l’exception de chose jugée à la deman
de des fruits non encore existants au moment du pre
mier procès. Tout ce qui était produit par la chose refu
sée était considéré comme cette chose elle-même, et par
conséquent à l’abri de toute demande ultérieure : Sed
ex ea re sunt qua petita est, magisque est u t ista ex
ceptio noceat.
Ces conséquences , admises par notre ancien droit ,
n’ont nullement été abrogées par les lois qui nous régis
sent actuellement. Les décisions du droit romain sont
donc encore parfaitement applicables dans les deux cas
que nous venons de rappeler.1
335. — Si la partie est comprise dans le tout, le tout
n’est pas compris dans la partie. Celui qui a succombé
1 L. 15, Dig., De excepl r e iju d .
1 Merlin, Chose ju g é e ; — Toullier , t. x, n0' 145 et suiv. ; — FaTard, Chose jugée, etc...
�84
TRAITÉ Dl) DOD
sur une demande partielle , pourra-t-il donc demander
plus tard la totalité de l’objet en partie refusé ?
Les jurisconsultes romains n’étaient pas d’accord sur
ce point. La négative était pourtant généralement admi
se, mais elle subissait de nombreuses exceptions.
Le droit français n’a non plus rien disposé à cet égard,
mais la doctrine et la jurisprudence admettent dans plu
sieurs cas l’affirmative. Ainsi , on permet , comme en
droit romain , à celui qui a succombé sur la demande
d’une servitude de passage pour gens à pied, de récla
mer plus tard le passage pour charrettes et bêtes de
somme ; 1 on décide en outre que celui qui a échoué
dansla demande del’usufruit d’un fonds peut, plus tard,
en revendiquer la propriété ; que celui qui a été débouté
delà demande en revendication de la parcelle d’une pro
priété est recevable à réclamer et à se faire adjuger plus
tard la propriété tout entière. *
Il est vrai, comme l’observe Toullier, que dans ce cas
il obtiendra la parcelle qui lui avait été d’abord refusée.
Mais il est à remarquer que le jugement qui rejette la
demande particulière qui en était faite n’en'attribue point
la propriété au défendeur, il rejette seulement cette de
mande particulière, la parcelle m’appartient aujourd’hui
à un autre titre, comme dépendance de la propriété qui
qui m’est attribuée en entier contre vous.3
1 L. 11, D ig., S 6. de except, reijud.
2 Cass., 14 février 1831.
3 Tom. x, n° 55.
�ET DE LA. FRA UDE.
85
556. — C’est par suite d’un effet analogue qu’il est
aujourd’hui souverainement admis que le jugement sur
le possessoire reste sans influence sur l’examen et la dé
cision du pétitoire. Cependant celui qui a été débouté de
sa demande en possession acquiert cette même posses
sion, s’il gagne son procès au pétitoire. Or , il ne peut
atteindre à ce résultat que parce que le premier juge
ment ne peut acquérir l’autorité de la chose jugée que
sur ce qui a fait l’objet du litige, à savoir : la possession
considérée divisement et indépendamment de la pro
priété. Réclamer et obtenir cette possession comme l’at
tribut et la conséquence du droit de nropriété, c’est évi
demment demander une chose sur laquelle il n’a jamais
été statué.
5 5 7 . — Toutefois , on ne saurait raisonnablement
soutenir que la chose jugée sur la partie ne s’opposera
jamais à ce qu’on puisse revendiquer le tout. Ainsi , il
serait absurde de soutenir que celui qui a vainement de
mandé les dix-neuf vingtièmes d’une chose pourra plus
tard être recevable dans sa demande de la totalité de
cette même chose. C’est donc par les circonstances par
ticulières à chaque espèce qu’on devra résoudre la ques
tion que nons avons posée. Seulement, ce qu’il importe
de ne pas perdre de vue , c’est que la chose jugée, étant
une exception rigoureuse , doit être renfermée dans ses
plus étroites limites , et que , dans le doute , la faveur
due à l’action doit l’emporter.
�86
TRA ITÉ DU DOL
5 3 8 . — Deuxième condition. Identité de cause,
La cause est le principe générateur de l’action ratio
petendi. Il faut donc bien se gàrder delà confondre avec
l’action elle-même, car la même cause peut devenir l’o
rigine de plusieurs actions d’un genre différent. Mais la
décision intervenue sur celle qui a été réalisée constitue
la chose jugée contre toutes.
Ainsi l’existence d’un vice rédhibitoire ou d’un défaut
caché donne le droit soit de poursuivre la résiliation de
la vente, avec restitution du prix, soit de garder la chose
en obtenant une réduction ou une remise sur le prix.
J ’ai donc ou l’action en rescision ou l’action en quanti
minoris.
Mais cette double action a une seule et même origine:
l’existence du vice rédhibitoire. Conséquemment, si j’ai
succombé sur l’une d’elles , je serais non - recevable à
intenter l’autre. Toute demande à cet égard serait re
poussée par l’exception de chose jugée.
On remarquera que la différence dans l’objet que ces
deux actions se proposent est plutôt apparente que réel
le. Dans l’une et dans l’autre il s’agit, en effet, de porter
atteinte à la convention des parties. Le degré de gravité
de cette atteinte ne saurait être un motif suffisant pour
exclure l’identité de chose. Et celle-ci concourant avec
l’identité de cause , l’exception de chose jugée serait
inévitable.
539.
— L’identité de chose ne suffirait pas pour au
toriser cette exception, car, comme l’observe Pothier, la
�ET DE LA FRA UDE.
87
même chose peut m’être due en vertu de plusieurs diffé
rentes causes d’obligation , et j’ai autant de créances
différentes et autant d’actions différentes contre mon dé
biteur qu’il y a de différentes causes d’obligations d’où
elles naissent ; lesquelles différentes actions renferment
autant de questions différentes. Le jugement qui a don
né congé de ma demande sur l’une n'a rien statué sur
l’autre. ’
Il est évident, en effet , que la cause n’étant que le
principe générateur de l’action , la décision qui statue
sur celle-ci ne fait qu’une seule chose : elle décide que
ce que je réclamais ne m’appartient pas en vertu du
droit dont j’excipais. Mais de là ne résulte pas directe
ment ou indirectement que je ne puisse obtenir l’objet
même que j ’ai vainement réclamé , en vertu d’un droit,
c’est-à-dire d’une cause différente de celle sous les ins
pirations de laquelle je m’étais primitivement placé.
540.
— Par exemple , les conventions peuvent être
frappées d’impuissance pour violation des formes pres
crites par la loi ou pour absence des conditions essen
tielles à leur validité. Il y a donc incontestablement deux
droits , dont l’un se borne à attaquer l’instrument écrit
de la convention, tandis que l’autre tend à enlever à la
convention elle-même toute possibilité d’existence. Con
séquemment, et malgré que les actions naissant de l'un
et de l’autre arrivent à un résultat identique, à savoir :
1 Des obligations, n» 898.
�88
T R A ITÉ DU DDL
la nullité de la convention, il est évident que ce qui au
rait été prononcé contre le premier n’aurait en rien ,
nous ne dirons pas décidé , mais même préjugé le se
cond , car une convention peut être très-régulièrement
conforme aux prescriptions exigées par la loi pour sa
validité extrinsèque, et cependant se trouver dans le cas
d’être annulée comme manquant d’une des conditions
qui en forment l’essence. C’est ainsi qu’a près avoir suc
combé sur l’instance en nullité d’un testament pour vice
de forme, on est très-recevable à le faire annuler pour
insanité d’esprit, captation ou suggestion.
541.
— Les applications de cette doetrine sont fré
quentes en jurisprudence. Ainsi, il a été jugé notam
ment :
1° Que l’annulation d’un acte de partage, comme con
tenant aliénation d’un fonds dotal par le mari, n’est pas
une violation de la chose jugée par un arrêt précédent
qui a maintenu ce partage sur une demande en nullité
pour cause de lésion ; '
2° Que le jugement qui rejette une demande en nul
lité d’une vente faite à un avocat , sous prétexte que
cette vente aurait pour objet une chose litigieuse , ne
fait point obstacle à la demande subséquente en nullité
du même contrat, comme n’étant pas réellement une
vente, mais comme constituant une antichrèse : 2
1 Cass., 15 ju in 1837. — J. D. P., t. i, p. 160.
2 Cass., 15 juin 1812, D. P. 21, 1, 422.
�ET DE LA FRA UDE.
89
3° Que lorsqu’une partie , ayant succombé dans sa
demande en révocation d’une donation pour survenance
d’enfants, se pourvoit en réduction de cette même dona
tion pour fournir la réserve, on ne peut lui opposer l’ex
ception de la chose jugée résultant de l’arrêt qui a rejeté
sa première demande. On ne peut la lui opposer surtout
si, lors de cet arrêt, elle était défenderesse à la demande
en exécution de la donation , sous prétexte qu’à ce titre
elle devait faire valoir en défense à cette demande toutes
ses exceptions, et par conséquent sa prétention de faire
réduire la donation. 1
5 4 2 . — Peu importe donc que le résultat que pour
ront présenter les deux instances soit le même, si d’ail
leurs la cause de ces deux instances est distincte et dif
férente. On ne peut confondre la cause avec l’objet qu’elle
se propose ,• et de même qu’il y a chose jugée lorsque
l’action, sans déterminer une conséquence parfaitement
identique, est cependant fondée sur la même cause que
la précédente , de même il faut reconnaître que l’ex
ception de chose jugée n’est pas proposable lorsque la
chose demandée étant la même, procède cependant dans
les deux instances d’un droit complètement distinct et
différent.
543. — D’autre part, on doit bien se garder de con
fondre la cause, principe de l’action , avec les moyens
�90
T R A IT É DU DOL
qui n’en sont que le développement. Les moyens ne sont,
en effet, que les raisons de fait et de droit tendant à jus
tifier la cause alléguée , d’où la conséquence que celui
qui prétend se faire reconnaître créancier d’un droit quel
conque, étant tenu de le justifier, doit appeler au secours
de sa prétention tous les moyens qui sont de nature à
le faire admettre. Il serait absurde, en effet, que chaque
moyen devint le motif d’un nouveau procès , car ce se
rait rendre les contestations interminables.
5 4 4 . — La chose jugée sur un de ces moyens est
donc jugée pour tous, et celui qui, voulant réparer l’o
mission qu’il aurait commise, renouvèlerait le litige, se
verrait inévitablement repoussé par l’effet du premier
jugement.
5 4 5 . — C’est ce que la Cour de cassation a formelle
ment décidé dans l’espèce suivante :
« Erhard avait été débouté par un arrêt de la Cour
de Colmar, du 24 décembre 1814 , de la demande par
lui formée en nullité d’un acte du 16 floréal an x , sur
le fondement que l’un des témoins instrumentaires n’é
tait pas majeur.
« Pus tard, Erhard investit le tribunal de Belfort d’une
demande en nullité du même acte, sur le motif que l’un
des témoins instrumentaires n’avait pas la qualité de
Français. Son adversaire lui-oppose la chose jugée, ré
sultant de l’arrêt du 24 décembre 1814.
« Cette fin de non-recevoir est repoussée par le tribu-
�ET DE LA FRAUDE.
91
nal ; mais , sur l’appel le jugement est infirmé et l’ex
ception accueillie en ces termes :
« Attendu que par un précédent arrêt, du 24 décem
bre 1814, la nullité prétendue de l’obligation a été rejeteé, qu’ainsi cette obligation est défendue par l’autorité
de la chose jugée ; que l’intimé n’a pu, sans lui porter
atteinte, remettre en question cette même nullité , sous
prétexte d’un autre vice de forme que celui qu’il avait
d’abord objecté ; que la simple proposition d’un nouveau
moyen ne constitue pas une nouvelle cause de demande
ou d’exception ; que les cas rares où une partie peut ,
par des moyens qu’elle aurait omis de produire., faire
rétracter les jugements ou arrêts en dernier ressort, sont
énoncés parmi les ouvertures de requête civile, voie que
l’intimé n’a tenté ni pu tenter.
« Erhard s’étant pourvu en cassation , la Cour régu
latrice rejeta son pourvoi. A la vérité , dit l’arrêt , lors
du premier arrêt, Erhard fondait la nullité alléguée sur
la minorité d’un témoin, tandis que lors du second il la
fondait sur la qualité d’étranger non naturalisé d’un au
tre témoin. Mais ce n’était pas là une cause différente ,
c’était seulement un moyen nouveau , d’où il suit que
l’une et l’autre action ont eu évidemment le même objet
et la même cause, qui était la nullité de l’obligation pour
vice de formes. 1 »
Depuis lors, de nombreuses décisions sont venues con-
1 Cass. 3 février 4 8'18.
�92
TRAITÉ DU DOL
fîrrner cette doctrine,1fondée elle-même sur cette maxime
de droit : In judicium omne jus deduxisse videtur.
5 4 6 . — C’est surtout en matière de nullité d’actes
que la distinction de la cause et des moyens est impor
tante. [ c i, en effet, l’objet est le même , et la demande
sera inévitablement admissible ou non , suivant qu’elle
procédera d’une nouvelle cause, ou qu’elle ne constituera
qu’un moyen nouveau.
547. — A cet égard, toute difficulté cesse devant un
classement exact des causes pouvant déterminer cette
nullité. Nous avons dit que les moyens du fond consti
tuent une cause différente de celle résultant des moyens
de forme. On doit donc ranger les nullités dans une
double catégorie, à savoir : celles qui naissent de l’irré
gularité de l’acte, celles procédant de son invalidité. Le
jugement rendu sur une de ces catégories n’a aucune
influence sur l’autre.
Mais il comprend virtuellement tous les moyens à l’ai
de desquels les nullités de cette catégorie peuvent être
obtenues. Ainsi l’irrégularité de l’acte peut tenir à la vio
lation d’une formalité essentielle , à l’oubli d’une men
tion exigée par la loi, à l’incapacité du notaire , à une
erreur sur l’âge , la qualité ou la capacité des témoins.
Or, ce ne sont pas là des nullités distinctes. L’ensemble
%
1 Vid. Dalloz jeune, Dictionnaire de jurisprudence et Supplément,
vis Chose jugée, n° 135.
�ET DE l.A F RA U D E.
93
de ces faits ne constitue qu’une seule et même nullité.
Dès lors, si le juge, appréciant l’une de ces exceptions ,
l’a rejetée en déclarant l’actp régulier, cet acte est désor
mais à l’abri de toute attaque sous ce rapport. En d’au
tres termes, il y a chose définitivement jugée sur sa ré
gularité.
On peut encore l’attaquer pour vice intrinsèque, à sa
voir : pour cause de dol, de violence, d’erreur, d’insa
nité d’esprit, mais on déciderait pour ces moyens ce que
nous venons d’établir pour ceux de forme. Ainsi, le ju
gement qui repousserait l’un d’eux créerait la chose ju géecontretous les autres. « Dans les nullités de ce genre,
dit Toullier,' la cause prochaine de l’action est le défaut
de consentement. Le dol, l’erreur, la violence, l’insanité
d’esprit, l’incapacité de la partie, ne sont que des mo
yens de prouver que le consentement n’a pas été ou ne
pouvait pas être donné. » Conséquemment, celui qui ,
pouvant exciper de plusieurs , n’en a fait valoir qu’un
seul à l’appui de sa demande, ne peut, après avoir suc
combé, renouveler le procès et exciper des autres. Le ju
gement qui déclare le consentement sincère et régulier
s’oppose à ce qu’on soutienne plus tard le contraire.
Ainsi, il n’y a qu’une nullité en la forme, qu’une nul
lité au fond. Celui qui en excipe doit l’étayer de tous les
moyens à sa disposition, sous peine d’être non-recevable
à exciper plus tard de ceux qu’il aurait omis. Mais il est
certain que la partie qui n’en aurait fait valoir qu’un
�94
TRAITÉ PU DOL
seul en première instance est recevable à les proposer
tous en cause d’appel , l’article 464 du Code de procé
dure civile , qui prohibe en appel toute demande nou
velle, restant forcément étranger aux moyens nouveaux
à l’appui de la même demande. Or, nous venons de le
dire, chaque grief distinct, soit en la forme, soit au fond,
ne constitue qu’un moyen et non une cause.
548.
— Troisième condition. Identité de parties ,
agissant en la même qualité.
La partie qui n’a pas figuré dans une instance ne sau
rait être liée par le jugement qui l’a terminée. Mais elle
ne peut .à son tour l’invoquer. Res inter altos judicata,
neque emolumentum his qui judicio non interfuerunt,
neque prœjudicium soient irrogare. '
La présomption de vérité résultant de la chose jugée,
alors même que l’erreur en est démontrée , est certes
assez exorbitante pour qu’on doive la restreindre dans
ses bornes naturelles. Or, s’il est rationnel qu’une déci
sion souveraine règle à l’avenir les droits de ceux qui y
ont concouru, , il serait injuste de l’imposer comme loi
à ceux qui n’ont pas même été appelés à user du droit
le plus imprescriptible, celui d’une légitime défense.
A insi, la personne demeurée étrangère au jugement
est toujours recevable à soutenir et à faire prévaloir le
contraire de ce qui a été décidé. La partie condamnée
peut, elle-même, faire admettre contre cette même per1 L. 2, Cod. quibus res f ini, non nocet.
�ET DE LA FR A U D E.
93
sonne le contraire de ce qui a été admis en faveur de ce
lui qui a obtenu le jugement. L’équité, en effet, voulait
que, par cela seul qu’on ne peut être atteint par un ju
gement, on ne fût pas admis à en revendiquer le béné
fice. Cette conséquence n ’était que l’indispensable corol
laire de la première.
Vainement se récrierait-on contre le scandale de ces
décisions contradictoires. Ce scandale est plutôt apparent
que réel, car ce qui peut être vrai pour l’un peut ne pas
être vrai pour l’autre. D’ailleurs, apparent ou vrai , dit
Toullier, ce scandale ne peut être une raison suffisante
pour violer la première règle de justice et pour ine con
damner sans m’entendre, en m’appliquant un jugement
lors duquel je n’ai pu déduire les moyens qui eussent
amené une décision contraire. La disposition de l’article
1351 prouve que telle a été l’opinion du législateur.
L’exigence de l’identité des parties est donc équitable
et juste. Nous allons résumer les divers cas dans les
quels elle doit être admise.
549.
— On est partie dans un jugement, non-seu
lement par soi - même , mais encore par les personnes
qui ont qualité et droit pour nous représenter. Tels sont
les ayants-cause, les mandataires , les administrateurs
légaux.
/ 5 50. — 1° Ayant-cause :
Les héritiers , les légataires universels sont évidem
ment les ayants-cause du défunt. Ils sont censés conti-
�96
T R A IT É DU DOL
nuer son individualité. Ils ne font avec lui qu’une seule
et même personne. Dès lors si j’ai fait juger contre le dé
funt qu’une obligation que j’avais contractée envers lui
est le résultat du dol, ses héritiers ou légataires ne pour
raient plus m’actionner en vertu de la même obligation,
sans être repoussés par l’exception de chose jugée. Par
réciprocité, cette exception me serait applicable si, ayant
succombé dans ma demande contre le défunt, je voulais
la renouveler contre ses héritiers ou légataires.
5 5 1 . — Le donataire, les légataires particuliers sont,
pour tout ce qui concerne l’objet donné ou légué , au
lieu et place du donateur ou du testateur. Ils agissent
réellement, quant a ce, loco hœredum. Les jugements
rendus en faveur ou contre leur auteur conservent donc,
à leur égard, l’autorité de la chose jugée. Ils créent donc
un obstacle invincible à ce qu’ils puissent actionner ou
être actionnés à raison du même objet et pour la même
cause.
5 5 2 . — Mais si l’héritier, les légataires et donataires
sont chacun en droit soi les ayants-cause de leur auteur,
ils ne le sont nullement les uns des autres. Chacun d’eux
agit en une qualité qui lui est propre et ne saurait enga
ger l’autre que s’il en a reçu le mandat formel.
De là il résulte : 10 que la chose jugée contre un héri
tier agissant pour la part à lui obvenue dans la succes
sion, ne saurait nuire ou profiter à son cohéritier, alors
même que celui - ci agirait en vertu du même titre de
créance ayant fait la matière du premier procès.
�97
<L
Ainsi, une créance de 4000 francs est échue par moitié
au lot de Joseph et par moitié à celui de Jacques. Jo
seph actionne le débiteur pour ses 2000 francs. Celui-ci
soudent que la créance n’émane pas de lui ou qu’elle
est le résultat de manœuvres dolosives et frauduleuses.
Celle prétention est accueillie et Joseph débouté de sa
demande par un jugement qui acquiert l’autorité de la
chose jugée.
Plus tard , Jacques demande le payement des 2000
fr. qui lui sont échus. Cette demande a la même cause
que celle de Joseph , à savoir : le titre de 4000 francs
annulé par rapport à celui-ci. Mais l’exception de chose
jugée , que le débiteur voudrait tirer du premier juge
ment, est inadmissible pour deux raisons :
D’abord, parce qu’il n’y aurait pas dans les deux ins
tances identité de parties. Jacques n’est pas l’ayantcause de Joseph. Comme celui ci , il agit en Vertu d ’un
droit propre et personnel, qui n’a jamais pu se confon
dre avec celui de Joseph, et qui, dès lors n’a nullement
été agité lors du premier procès. Le jugement qui a mis
fin à ce procès reste donc pour Jacques res inter ahos
judicata, sans qu’on pût le lui opposer, tout comme il
ne pourrait en exciper lui-même pour empêcher le dé
biteur de renouveler les exceptions dont ce jugement
l’aurait déboulé. 1
De plus , il n’y a pas identité d’objets , car , comme
ET DE LA F R A U D E .
�98
T R A ITÉ DU DOL
l’observe Pothier , et après lui M. Toullier, les 2000 fr.
réclamés par Jacques ne sont pas les 2000 fr. que Jo
seph demandait. Ces deux sommes procèdent bien d’une
origine commune, mais elles se sont divisées en passant
sur la tête des héritiers et sont devenues deux capitaux
distincts , n’ayant rien de commun l’un avec l’autre.
Leur annulation ne saurait donc être prononcée que con
tradictoirement avec chacun de leur propriétaire.
Conséquemment, le débiteur ne pourra se soustraire
à la demande de Jacques qu’en faisant admettre con
tre lui les exceptions qu’il a fait consacrer à l’égard de
Joseph.
2° La chose jugée contre le légataire universel ne sau
rait être opposée aux légataires particuliers, ni leur pro
fiter, alors même qu’il s’agirait de la nullité de l’institu
tion. Ainsi, l'annulation du testament, pour cause de dol,
de captation ou pour vice de forme, serait sans influence
survie sort des légataires particuliers qui seraient demeu
rés étrangers à l’instance.
Le contraire était admis en droit romain. Mais cela
ne tenait nullement aux principes delà chose jugée ; ce
résultat n’était que la conséquence de la maxime partim
testatus,partim intestatus nemo decedere potest. Notre
loi admettant le cumul des successions testamentaires et
légales , la décision du droit romain ne pourrait être
suivie que si l’on admettait que le légataire universel
représente les légataires particuliers , et qu’il y a chose
jugée pour ceux-ci dans le jugement rendu en faveur ou
contre celui-là. Or , cela ne pourrait être consacré que
�ET DE LA F R A U D E .
9Ô
s’il y avait identité de personnes entre eux, et nous ve
nons de voir qu’on ne saurait l’admettre.
5 5 3 . — L’acquéreur est l’ayant-cause du vendeur
relativement à ce qui a fait l’objet de la vente et pour
tous les actes antérieurs au contrat. Personne ne peut
céder à autrui des droits plus étendus que ceux qu’il
possède lui-môme, et la chose grevée en mes mains ne
peut être transmise par moi qu’avec les mêmes charges.
Conséquemment , les jugements rendus contre le ven
deur , ou obtenus par l u i , nuisent ou profitent à l’ac
quéreur , il ne pourrait être attaqué ou attaquer luimême, pour tout ce qui en a fait la matière, sans que la
chose jugée fût opposable.
554. — Mais le vendeur n’est dans aucun cas l’ayant
*
cause de l’acquéreur : Julianus scribit exceptionem rei
judicatæ, a persona autoris ad emplorem transire so~
lere, rétro autem ab emptore ad autorem reverli non
debere. ' Cette décision se justifie très-bien en raison et
en droit. On n’a pas à craindre , en effet , que le pro
priétaire , qui ignore peut - être encore qu’il vendra sa
propriété, veuille laisser grever cette propriété au préju
dice d’un futur acquéreur. On est donc certain qu’iq
fera tous ses efforts pour empêcher la réussite de l’action
dirigée contre lui. D’ailleurs , l’acquéreur , au moment
de la vente , connaît ou doit connaître tout ce qui se
1 L. 9, D ig .,deexcept,
reijud.
�100
T R A ITÉ DU DOL
rattache à la propriété qu’il acquiert. Il se soumet donc,
en l’acceptant, à toutes les obligations du vendeur.
On peut dès lors, et sans injustice, le considérer com
me lié par les jugements rendus contre son vendeur.
Mais ce ne serait pas sans danger pour ses intérêts qu’on
obligerait celui-ci à accepter comme chose jugée ce qui
aurait été décidé entre des tiers et son acquéreur , pen
dant sa possession.
L’acquéreur , en effet, peut avoir intérêt à rompre
son marché, et trouver, dans la réussite des actions des
tiers ou dans l’échec de celle qu’il a lui-même formulée,
un motif de rupture. Il est évident que , en cet é ta t. il
n’apportera pas tous ses soins à assurer l’une et à re
pousser l’autre , et si la décision pouvait être définitivent obligatoire contre le vendeur , celui - ci se trou
verait souvent condamné sans avoir été réellement en
tendu.
Voilà le péril que le législateur a pressenti et qui lui
a commandé de disposer que la chose jugée contre l’ac
quéreur ne pouvait jamais refluer contre le vendeur :
Rétro autem ab emptore ad autorem reverti non potest.
Conséquemment , si la chose aliénée rentre , par la
résolution de la vente , entre les mains du précédent
propriétaire, il la recouvre telle qu’il l’avait lui - même
transmise. Toutes les charges que des tiers seraient par
venus à lui imposer disparaîtraient, sauf à ceux qui les
ont obtenues à en faire judiciairement ordonner le main
tien contre lui.
�ET DE LA F RA U D E.
101
555.
— En thèse ordinaire , les créanciers sont les
ayants-cause du débiteur. Les jugements rendus en fa
veur de ce dernier, ou contre lui, sont donc profitables
ou nuisibles aux premiers. La chose jugée contre le dé
biteur , l’est contre les créanciers. Ce principe est vrai
sans exception pour tous les créanciers postérieurs à la
date du jugement.
Quant aux créanciers antérieurs , il faut distinguer
entre ceux qui sont simplement chirographaires et ceux
dont la créance est garantie par une affectation spéciale
sur les immeubles.
Les premiers ne peuvent se soustraire à l’exception
de chose jugée qu’en soutenant que leur débiteur a agi
en fraude de leurs droits. Cette faculté, que l’article 1167
leur confère, constitue un droit personnel que le débi
teur n’a jamais pu aliéner ni altérer. Mais la fraude ne
se présumant pas , la charge d’en faire la preuve pèse
rait tout entière sur ceux qui l’allégueraient. À défaut
de justification, les jugements rendus contre le débiteur
acquerraient contre les créanciers l’autorité de la chose
jugée.
Les créanciers ayant une affectation spéciale sur les
immeubles du débiteur, c’est-à-dire les hypothécaires ou
les privilégiés, ne peuvent voir leurs droits altérés, mo
difiés ou anéantis par le fait de leur débiteur. Consé
quemment , les jugements intervenus entre celui - ci et
les tiers, relativement aux immeubles affectés, ne peu
vent jamais préjudicier aux créanciers qui n’y ont été ni
parties ni appelés.
�Sans doute , aux termes de l’art. 21215 du Code civil,
ceux qui n’ont sur l’immeuble qu’un droit suspendu par
une condition , ou résoluble dans certains cas , ou sujet
à rescision , ne peuvent consentir qu’une hypothèque
soumise aux mêmes conditions ou à la même rescision.
Aussi, la certitude de l’existence de ces conditions , ou
du principe de la rescision , déterminerait infaillible
ment la perte de tous les droits du créancier. Mais c’est
cette existence au moment de la constitution de l’hypo
thèque qu’il faut établir, et cela contradictoirement avec
le créancier. Le jugement qui a désinvesti le débiteur
prouve bien qu’il n’était pas propriétaire au moment de
la demande, mais il n’établit rien , quant au droit qu’il
pouvait avoir au moment de l’emprunt qui peut être de
beaucoup antérieur. Ce jugement ne peut donc acquérir
l’autorité de la chose jugée sur ce dernier point. Dans
tous les cas , le 'créancier , seul intéressé à justifier du
droit de son débiteur, est d’autant moins représenté par
celui-ci, qu’il peut arriver que ce débiteur trouve dans
sa dépossession un avantage tel que sa résistance n’aura
pas été sérieuse. 1
5 5 6 . — 2° Représentants conventionnels ou légaux.
Le mandataire, agissant en cette qualité, ne constitue
avec son mandant qu’une seule et même personne :
1 L. 29, § 1, Dig. de except. reijud. ; — L. 3, princ., Dig dcpif/n.
cl hypol. Conforme, Pigeau, Obi., n° 905; Toullier, t, x, n° 199; Vid-,
sur les ayants-cause, la discussion de Merlin.
�ET D E LA F R A U D E .
103
Qui mandat ipse fecisse videtur. Dès lors les jugements
rendus sur les poursuites du premier profiteront ou nui
ront au dernier , selon qu’ils auront' été favorables ou
contraires. Le mandant ne pourra 'donc plus être ac
tionné ou actionner lui-même , quant à la chose ayant
fait la matière de l’instance intentée ou suivie par son
mandataire.
Toutefois, cela n’est absolument vrai qu’en tant que
le mandant avait capacité de se faire représenter au mo
ment où l’instance a été introduite et jugée. Aussi , la
Cour de cassation a jugé, le 4 mars 1833, que le juge
ment rendu contre un capitaine de marine, comme re
présentant le propriétaire , mais postérieurement à la
faillite de celui - ci . ne peut être opposé aux syndics
comme ayant acquis l’autorité de la chose jugée , alors
qu’ils n’y ont été ni représentés ni appelés.
55 7. — Ce qui est jugé contre le tuteur , est jugé
contre le mineur : Factum tutoris, factum pupilli. En
conséquence, les personnes que le tuteur aurait fait con
damner ne seraient plus recevables à renouveler le pro
cès contre le mineur devenu majeur. A son tour, celui-ci
ne pourrait se soustraire aux adjudications prononcées
contre le tuteur, sauf le droit de se pourvoir en requête
civile dans le cas de non-suffisante défense.
5 5 8 . — Les actions intentées par le mari, soit com
me chef de la communauté, soit comme administrateur
de la d o t, sont censées jugées contre la femme malgré
�104
T R A IT É DU DOL
qu’elle n’ait pas figuré dans l’instance. Elle ne pourrait
donc plus revenir contre ce qui a été décidé, sans s’ex
poser à être repoussée par l’exception de chose jugée.
En effet , si elle n ’a pas été personnellement en cause ,
elle a été valablement représentée par son mari, autorisé
à agir pour elle et à l’engager.' Mais le mari serait tenu
de l’indemniser des pertes que sa négligence aurait oc
casionnées pour elle.
559.
— Ce qui est jugé entre la femme et un tiers
ne l’est pas entre elle et son mari , présent dans l’ins
tance pour l’assister et l’autoriser , ou comme exerçant
ses actions. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré dans l’espèce suivante :
« Après le décès d’un sieur Rousseau, laissant des en
fants mineurs, un jugement du 18 pluviôse an vin, avait
délaissé à la veuve, en payement de ses reprises , divers
immeubles dépendants de la succession de son mari. La
veuve Rousseau, épousant le sieur Fresnais, se constitua
ces immeubles comme lui étant propres, avec stipulation
expresse de remploi en cas d’aliénation.
« La terre de Varennes, un de ces immeubles , ayant
été vendue par les époux, ils ont acquis les domaines de
Douet et de Redefond, avec déclaration de l’origine des
deniers et de remploi au profit de la femme.
« Plus tard, les mineurs Rousseau, devenus majeurs,
ont fait annuler la liquidation de l’an vm. Cette nullité,
�ET DE LA F R A U D E .
105
prononcée par un jugement de 1820 , a été confirmée
par arrêt de la Cour de Rennes , du 31 mai 1821. La
restitution des immeubles a été faite aux enfants.
« En cet état, les époux Fresnais ayant fait prononcer
leur séparation de corps, il s’est agi de savoir si les do
maines de Douet et de Redefond , acquis en remplace
ment de celui de Varennes, dont la femme a été évincée,
devait appartenir à cette dernière , sans récompense ,
comme elle le soutenait, ou bien si , au contraire , ces
biens devaient être réputés conquêts de communauté ,
comme le prétendait le mari , en excipant de la chose
jugée résultant de l’arrêt du 31 mai 1821.
« C’est dans ce dernier sens que se prononce le tri
bunal d’Angers , par jugement du 2 juillet 1822 , con
firmé par arrêt de la Cour d’appel de la même ville, du
12 mars 1823.
« Mais, sur le pourvoi de la dame Fresnais , l’arrêt
de la Cour d’Angers est cassé par la Cour de cassation ,
pour fausse application des principes relatifs à la chose
jugée.
« Attendu, dit la Cour suprême , que s i , parles ju
gement et arrêt des 22 février 1820 et 31 mai 1821, la
liquidation du 18 pluviôse an vin, formant le titre delà
dame Fresnais, a été révoquée sur la réclamation de ses
enfants, tout ce qui en résulte, c’est que les droits dont
elle a longtemps joui ont été reconnus appartenir à ces
mêmes enfants, comme héritiers de leur père; qu’en exé
cution de ces jugements, pouvait s’élever la question de
savoir si les enfants avaient droit de revendiquer les
�106
T R A ITÉ DU DOL
biens que leur mère avait acquis à titre de rem ploi, ou
seulement ceux qu’elle s’était constitués propres et qu’elle
avait aliénés ; mais que cette question ne pouvait être
agitée qu’entre la mère et les enfants qui, seuls, avaient
figuré dans ces jugements et q u i, seuls, avaient qualité
pour soutenir les débats auxquels ils pouvaient donner
lieu ; mais que le sieur Fresnais, qui n’avait paru dans
l’instance sur la liquidation de l’an vm, personnelle à la
mère, que du chef de sa femme et comme exerçant ses
droits, ne pouvait pas personnellement se faire un titre
de ces jugements de 1820 et 1821 , rendus en faveur
des enfants, sans exciper , contre toute règle , du droit
d’autrui. ' »
La Cour de renvoi s’étant conformée à la doctrine de
la Cour de cassation, Fresnais se pourvut contre l’arrêt,
mais son pourvoi fut rejeté le 23 novembre 1826.
560.
— Le fondement légal et juridique de cette doc
trine est la maxime que la chose jugée avec autrui , ne
saurait profiter ou nuire: Res judicata aliis necnocet,
nec prodest. Or, la prétention du mari de s’enrichir par
l’effet du jugement qui avait dépouillé la mère au profit
des enfants , était insoutenable. Tant que ces derniers
n ’avaient pas revendiqué les biens et que leur mère les
possédait matériellement, ces biens étaient, par rapport
à l’époux, soumis à la loi du contrat de mariage. Les en
faire sortir en faveur d’un jugement ne prononçant au -
�ET DE LA F 1 U U D E .
107
cune adjudication au profit de l’époux, c’était réellement
abuser du principe de la chose jugée, ou tout au moins
en faire la plus étrange application. L’arrêt de la Cour
d’Angers méritait donc la censure dont il fut l’objet.
5 6 1 . — Les syndics d’une faillite sont les adminis
trateurs légaux des biens en dépendant. Ils représentent,
quant à ce, le failli et les créanciers. Les jugements ren
dus contre eux ou obtenus à leur requête constituent donc
la chose jugée en faveur ou contre le failli et les créan
ciers ; et si le premier reprend plus tard l’exercice de ses
actions, s’il est remis à la tête de ses affaires, il n’en de
meure pas moins obligé d’exécuter ces jugements , tout
comme il serait en droit d’en recueillir le bénéfice.
5 6 2 , — Relativement aux créanciers, les syndics ne
les représentent que pour les rapports que chacun d’eux
peut avoir avec la faillite qu’ils administrent. De là cette
conséquence : que les jugements rendus contre les syn
dics n’affectent que les droits que les créanciers ont contre
la masse. C’est ce que la Cour de cassation a explicite
ment consacré en décidant que les jugements qui condam
nent les syndics à satisfaire à une obligation par eux prise
au nom de la masse, n ’ont pas l’autorité de la chose ju
gée contre les créanciers personnellement ; que leur exé
cution ne peut être poursuivie contre ces créanciers que
jusqu’à concurrence des forces de la faillite. 1
) Cass., 47 mars 4840. — J. D. P., t. i, p. 546,
�108
TRAITÉ DU DOL
De là il résulte encore que les droits des créanciers
hypothécaires ou privilégiés, se trouvant placés en dehors
des éventualités de la liquidation, ne peuvent être modi
fiés, altérés ou aliénés que par ces créanciers eux-mêmes.
Conséquemment, les jugements obtenus contre ou par les
syndics , au préjudice de ces droits , ne pourraient être
opposés aux créanciers comme constituant l’autorité de
la chose jugée. '
563- —• Les syndics étant les continuateurs du failli,
tous les jugements antérieurs à la faillite doivent être res
pectés par eux. Ils ne pourraient remettre en question
ce qui en fait l’objet sans être repoussés par l’exception
de chose jugée, sauf les cas de fraude spécialement pré
vus par les lois concernant les faillites.
564.
— Il n’y a réellement aucune identité de per
sonnes entre le débiteur principal et la caution. Il sem
blerait dès lors que la chose jugée avec l’un ne devrait
ni nuire ni profiter à l’autre. Cependant le droit romain
décidait nettement le contraire,2 et cette solution avait été
pleinement admise par notre ancienne jurisprudence.
« La raison , dit Pothier , c’est que : la dépendance
de l’obligation d’une caution de celle du débiteur prin
cipal , à laquelle elle a accédé , fait regarder la caution
comme étant la même partie que le débiteur principal ,
i Cass. 11 mars 1825.
? L. 21, S 4. Dig. de exeepl. reijucl.
�ET DE LÀ FR A U D E.
109
à l’égard de tout ce qui est jugé pour ou contre celui-ci.
C’est pourquoi si le débiteur principal a eu congé de la
demande du créancier, pourvu que ce ne soit pas sur des
moyens personnels à ce débiteur principal, la caution ,
depuis poursuivie, peut opposer au créancier l’exception
rei judicatce.
« Le créancier ne peut, en ce cas, répliquer que c’est
res inter alios judicata. Car, étant de l’essence du cau
tionnement que l’obligation de la caution dépende de
celle du débiteur principal, qu’elle ne puisse devoir
que ce qu’il doit, qu’elle puisse opposer toutes les ex
ception in rem qui peuvent être par lui opposées, il
s’ensuit que tout ce qui est jugé en faveur du débiteur
principal est censé l’être en faveur de la caution, qui
doit à cet égard être censé la même personne que lui.
Vice versa, lorsque le jugement a été rendu contre le
débiteur principal, le créancier peut l’opposer à la cau
tion et demander qu’il soit exécutoire contre elle. »
Les articles 2036 et 2250 du Code civil prouvent que
ces règles sont passées dans le droit qui nous régit. Le
premier autorise la caution à opposer au créancier tou
tes les exceptions appartenant au débiteur principal et
qui sont inhérentes à la dette. Or, de toutes les excep
tions, celle de la chose jugée, ayant anéanti la dette est
la plus importante, la plus décisive. Elle appartient in
contestablement au débiteur principal, on ne saurait dès
lors la refuser à la caution sans violer l’article 2036.
Vainement dirait-on que c’est là une exception per
sonnelle au débiteur, que la loi défend à la caution d’in-
�110
TRAITÉ DU DOL
voquer. Il n’y a d’autres exceptions de ce genre que cel
les exclusivement attachées à la personne et résultant
d’une qualité qu’elle seule peut invoquer. Ainsi l’état de
femme mariée, de mineur, d’interdit, etc......, c’est là
un motif de nullité de l’obligation, mais de nullité rela
tive. La caution pourra d’autant moins s’en prévaloir,
que son engagement tient peut-être à la connaissance
de l’incapacité du débiteur principal et au désir du cré
ancier de se soustraire ainsi au danger qu’il redoute. Si
donc le jugement avait annulé l’obligation du débiteur
principal sur une de ces causes, la caution ne pourrait
l’invoquer. Alors, mais alors seulement, il s’agirait d’une
exception exclusivement personnelle au premier.
D’autre part, l’article 2250 dispose que l’interpella
tion faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance ,
interrompt la prescription contre la caution. « Il résulte
évidemmentde cet article, dit Merlin,' que dans les pour
suites exercées contre le débiteur principal, et dans les
actes qui de sa part, tendent à les prévenir, la caution
est considérée par la loi comme ne formant avec lui
qu’une seule et même personne; comme représentée par
lui; et de là à la conséquence que le jugement rendu
contre le débiteur principal est censé rendu contre la
caution, il n’y a qu’un pas qu’il est impossible de ne
pas franchir. » Telle est aussi l’opinion de Toullier.’
Merlin et Toullier admettent donc que ce qui a été jugé
1 Quest. de droit, v° Chose jugée. S 18.
�;4
v,;> . ;
,■/
•';< ,
ET DE LA FRAUDE.
;
111
par rapport à la dette, contre le débiteur principal, réflé
chit directement contre la caution, et de là ils concluent
avec raison qu’à défaut d’appel de la part de l’un, l’autre
pourra l’émettre de son chef, dans les trois mois de la
signification du jugement qui lui serait faite à personne
ou à domicile. Mais de là aussi résulte l’impossibilité
pour la caution de former tierce-opposition au jugement.
Le contraire, admis par la Cour de Lyon, a été repoussé
par la Cour de cassation.1 Toutefois, et aux termes de
la doctrine de la Cour suprême, cette impossibilité n’e
xiste que pour le cas où la tierce-opposition reposerait
sur des moyens communs avec le débiteur principal,
déjà soumis au juge et appréciés par lui. Si les moyens
étaient purement personnels à la caution, la tierce-op
position serait recevable.
La caution ne représente dans aucun cas le débiteur
principal. Dès-lors les jugements rendus en sa faveur ou
contre elle ne sauraient être opposables ou profiter à
celui-ci. L’identité des parties requise par l’article 1351
n’existerait pas dans les deux instances. Il ne pourrait
donc y avoir chose jugée,
Cette règle ne souffre aucune exception lorsque la cau
tion a été condamnée. Elle en comporte une dans l’hy
pothèse contraire. En effet, si le jugement déclare que la
caution est libérée parce qu’elle a payé la dette, le débi
teur principal pourrait s’en prévaloir par un double mo
tif: 1° parce que le payement a anéanti la dette vis-a-vis
i 27 novembre \ 811,
�412
TRAITÉ DU DOL
du créancier, qui ne saurait prétendre être payé par le
débiteur après l’avoir été par la caution; 2° parce que le
jugement qui constate que celle - ci a payé lui donne le
droit de se faire rembourser par le débiteur. Ce jugement
équivaut donc à une cession de la part du créancier,
car il transfère , à proprement parler, la créance sur la
tète de la caution, qui peut seule, à l’avenir, en deman
der et en poursuivre le payement.
Dans tous les autres cas, la libération obtenue par la
caution reste sans influence sur le sort du débiteur prin
cipal. Le jugement demeure pour celui-ci res inter alios
judicata, et il peut être condamné tandis que la caution
a été renvoyée de l’instance. Il n’y aurait même là rien
de contradictoire, car l’engagement de la caution peut
être irrégulier et nul, et la dette du débiteur exister très
légalement. Il reste donc nécessairement obligé tant
qu’un jugement ne l’a pas personnellement et contradic
toirement délié de ses obligations.
565.
— Les débiteurs solidaires sont les représen
tants les uns des autres. Celui qui paye fait la chose de
tous, agit pour tous , et cette faculté il la puise dans les
principes régissant la solidarité. La dette solidaire n’est
qu’une seule et même dette , ceux qui l’ont contractée
se sont réciproquement donné le mandat d’agir un seul
pour tous. Le jugement rendu en faveur ou contre l’un
d’eux est donc censé rendu en faveur ou contre tous les
autres.
Cette conséquence nous paraît résulter expressément
�ET DE LA FRAUDE.
113
de divers texes de lois. Ainsi l’article 1206 dispose que
les poursuites contre l’un des débiteurs solidaires inter
rompent la prescription à l’égard de tous les autres; l’ar
ticle 2249 ajoute que l’interpellation faite, conformé
ment aux articles ci-dessus, à l’un des débiteurs soli
daires, ou sa reconnaissance, interrompent la prescrip
tion à l’égard de tous les autres. Enfin nous lisons dans
l’article 1365 que le serment déféré à l’un des débiteurs
solidaires profite à tous les autres.
C’est cependant dans cet article qu’on a voulu puiser
un argument en faveur de l’opinion contraire. Le légis
lateur, a-t-on dit, se tait sur l’effet du serment déféré
par l’un des débiteurs solidaires, il n’admet donc pas
qu’il puisse lier les autres codébiteurs. D’où la consé
quence que si le débiteur solidaire peut améliorer la
position des autres débiteurs, il ne peut jamais la ren
dre plus mauvaise ; dès lors, tout en profitant du juge
ment favorable à leur codébiteur, les débiteurs solidai
res ne devraient pas être atteints par le jugement ayant
condamné celui-ci.
Les articles 1206 et 2249 répondent suffisamment à
ce qui fait la force principale de cette objection. L’un et
l’autre, en effet, prouvent que les actes faits avec, par
ou contre le débiteur solidaire, obligent les autres codé
biteurs. Le dernier reconnaît formellement au codébi
teur solidaire la faculté de priver ses codébiteurs du
bénéfice de la prescription et d’empirer ainsi leur posi
tion. On ne saurait donc, sous le prétexte d’un résultat
semblable, décider que le jugement rendu contre l’un
�114
TRAITÉ DU DOL
doit rester étranger à tous les autres. On fait très-lé
galement, par l’intermédiaire de la justice, ce qu’il
est permis de faire spontanément et volontairement.
Tout ce qui résulte de l’article 1365, c'est que la loi
a positivement exclu la délation du serment des actes
que le codébiteur solidaire peut faire au nom et dans
l’intérêt de tous les autres débiteurs. Le fondement de
cette exclusion est très-rationnel, car le mandat qui ré
sulte de la solidarité est celui de se défendre mutuelle
ment par rapport à la dette commune. Or, déférer le
serment, c’est renoncer à toute défense ; c’est, en quel
que sorte, donner sous condition ', et, par conséquent,
agir en dehors des limites du mandat.
Ainsi, l’article 1365 considère la délation du serment
par le débiteur du même œil que la remise consentie
par l’un des créanciers solidaires ; et de même que cette
remise ne comprend que la part de ce créancier5, de
même le serment déféré et accepté n’a d’effets qu’à l’en
contre du débiteur. Mais une exception, résultant d’ail
leurs d’un texte précis, n’a jamais eu pour effet de dé
truire la règle, elle la confirme au contraire, car sans
celle-ci l’autre était complètement inutile. Or, la règle,
en notre matière, étant que le débiteur solidaire agit
pour tous les autres codébiteurs, la conséquence à en
tirer, c’est que le jugement régulièrement obvenu con
tre l’un, produit tous ses effets contre les autres.
i Merlin, loco cilato.
�ET DE LA. FRAUDE.
115
Bien entendu, au reste, que cela ne se produit que
pour les moyens communs et inhérents à la dette, car
les exceptions personnelles à chacun des débiteurs soli
daires ne pouvant,. aux termes de l’article 1208, être
invoquées que par lui, échappent forcément à l’autorité
du jugement, dans lequel celui qui est au cas de les faire
valoir n’a pas personnellement figuré. Il serait donc
toujours recevable à en exciper. Il pourrait même,
dans cet objet, former tierce-opposition au jugement'.
566.
— L’identité de parties exigée par la loi s’en
tend moins de leur condition physique que de la qua
lité en laquelle elles ont agi. Celui qui a figuré au pro
cès par le ministère d’un tiers a été réellement la seule
partie intéressée. Il serait donc non-recevable à intenter
plus tard la même demande aussi bien que s’il avait
nommément et personnellement agi. Par une juste et
nécessaire réciprocité, celui qui n ’a soutenu le litige que
comme mandataire d’un autre, pourra ultérieurement
demander, en son nom propre , l’objet qui faisait la
matière du procès déjà jugé. Il est évident, en effet,
qu’exercer un droit au nom et dans l’intérêt exclusif
d’un tiers, ce n’est renoncer ni directement, ni indirec
tement au droit analogue qui peut vous appartenir per
sonnellement et sur lequel d’ailleurs le juge n’a pu ni
dû prononcer.
i Conforme, Merlin, loco cilato ; — Toullier, tom. x, n° 202 ; —
Pothier, n» 909.
�116
TRAITÉ DU DOL
La même personne peut avoir deux droits qu’elle
nlest pas toujours obligée de cumuler lorsqu’elle pré
tend les exercer. Or, chacun de ces droits peut puiser
sa source dans une qualité différente. L’existence de
ces qualités autorise donc autant d’instances dis
tinctes.
567.
— Ainsi je revendique un immeuble en vertu
d’un droit personnel. Je succombe. Plus tard, j’hérite
d’un tiers ayant sur cet immeuble un droit analogue à
celui que j’ai vainement réclamé. Je réalise de nouveau
l’action en revendication. Dans cette instance, comme
dans la première, la chose demandée sera la même, la
cause pourra être identique. Les parties seront physi
quement les mêmes; cependant l’exception de chose
jugée ne sera pas recevable, parce que j’agis dans la se
conde en une qualité différente de celle que j’avais
dans la première. Le droit que j’y exerce ne m’appar
tenait pas dans l’origine, il reposait sur la tête de la
personne que j’ai été appelé à représenter. Elle pouvait
l’exercer sans craindre qu'on pût lui opposer le résultat
de la demande que j’avais intentée et à laquelle elle était
demeurée étrangère. Or, ce qu’on ne pouvait faire con
tre elle, on ne le pourrait contre m o i, lorsque, ap
pelé à lui succéder, je fais valoir l’action qui lui appar
tient.
C’est par application de ce principe que l’ayant-cause
peut quelquefois revenir sur la chose jugée avec son
auteur. C’est ce que la Cour de Toulouse a justement
�ET DE LA FRAUDE.
117
admis en jugeant, le 16 juin 1836, que lorsqu’un indi
vidu a été déclaré non-recevable à attaquer, pour cause
de simulation, un acte de vente par lui consenti, ses
enfants peuvent néanmoins, sans qu’on puisse leur op
poser l’autorité de la chose jugée sur l’action intentée
par leur auteur, attaquer ce même acte de vente comme
contenant une donation déguisée dont ils demandent la
réduction. En effet, les enfants ont, pour tout ce qui
concerne leur réserve, un droit propre et personnel,
dont le père n’a jamais eu la disposition et qu’il n’a pu
ni altérer ni détruire. Ils ne peuvent, dès lors, être
considérés, quant à ce, comme les ayant-cause de leur
père, et, en cette qualité, liés par l’événement de l’ins
tance qu’il a soutenue.
En thèse ordinaire donc, chacun peut renouveler au
tant de fois l’action qu’il a de droits distincts, il peut,
après avoir succombé en son propre, agir comme re
présentant celui-ci, revenir ensuite comme l’ayantcause de celui-là. Il y a, en effet, autant de droits dif
férents qu’il y a de personnes distinctes, et chacun de
ces droits fournit une cause prochaine à l’action. Mais
nous supposons, dans cette hypothèse, que ces divers
droits ne se sont ouverts que successivement. Il en serait
autrement si, avant l’introduction de la première ins
tance, ils reposaient tous sur la tête du poursuivant.
La confusion qui en serait résultée substitue aux droits
particuliers un droit unique, un patrimoine exclusif,
personnel à l’héritier, et à raison duquel il ne saurait
intervenir qu’un seul jugement, par la raison qu’il ne
�118
TRAITÉ DU DOL
pourrait jamais exister qu’une seule action : Non enim
potest amplius duas separatim movere, illœ enim ac~
tiones non sunt amplius separatœ, cum in eadem per sonna concurranl 1.
La confusion de deux héritages amène donc celles
des qualités. Il n’y a plus de droit particulier au père,
à la mère dont on a hérité, et de droit personnel à l’hé
ritier. Celui-ci ‘existe désormais seul et comprend de
plein droit tous les autres. D’où la conséquence que le
jugement intervenu sur une action intentée postérieu
rement à la confusion rend toute action ultérieure nonrecevable, alors même qu’on prétendrait l’exercer en
qualité d’héritier de tel ou tel. Le successeur, dit Toullier, doit et peut appeler au secours de son action tous
les moyens capables d’en assurer le triomphe, mais il
ne peut pas plus séparer les qualités d’héritier de son
père, de sa mère, qu’il ne pourrait séparer celles d’hé
ritier de son aïeul, de son aïeule, d’un oncle, d’un
frère, etc..., car si l’on admettait de pareilles sépara
tions fictives, quel serait le terme du procès2?
Cet effet particulier de h f confusion cesserait si celleci ne s’est pas opérée. Or, on sait que l’acceptation bé
néficiaire empêche toute confusion. Dès lors, l’héritier
qui aurait réalisé cette acceptation serait à l’instar de ce
lui qui n ’a recueilli les diverses successions que succes-
1 Pothier, Panel., liv. 46, t. 3, § I; — vid. L. 10, Di g., de act.
empt.
2 T. x, n» 214.
�ET DE LA FRAUDE.
119
sivement. Il pourrait donc exercer autant d’actions qu’il
y a de droits différents, sans qu’on pût lui opposer l’ex
ception de chose jugée sur l’une d’elles.
568.
— Telles sont les conditions exigées par l’ar
ticle 1351, conditions impérieuses et dont la réunion
peut seule constituer l’autorité de la chose jugée. Ces
conditions doivent être rigoureusement observées, car
l’action est de droit commun, et, dans le doute, c’est
en sa faveur qu’on doit se prononcer.
Cependant la jurisprudence a introduit une exception
quant à l’identité de parties. Elle a admis que l’ins
tance, suivie de bonne foi et sans collusion avec l’héri
tier apparent, créait la chose jugée en faveur et contre
l’héritier réel. Cette exception est juste en équité et en
raison. L’héritier apparent exerce valablement les ac
tions de la succession, on est obligé de s’adresser à lui,
comme de répondre à son attaque ; et, puisque cette
obligation n ’est que la conséquence de la négligence de
l’héritier réel, il ne serait pas rationnel de punir les tiers
en les rendant victimes de cette négligence.
La Cour d’appel de Pau a admis le principe à l’en
droit du propriétaire apparent. Elle a en effet décidé
que les jugements rendus sans collusion contre le pos
sesseur jouissant de tous les droits attachés à la pro
priété ontl’autorité de la chose jugée contre le véritable
propriétaire qui ne s’est fait connaître qu’après la déci
sion du procès, qu’en conséquence celui-ci n’est pas re
cevable à les attaquer parla voie de la tierce-opposition.
�V, \
120
.
TRA ITÉ DU DOL
Voici les motifs puissants à l’aide desquels la Cour ar
rive à cette solution :
« Attendu qu’il est de principe que le possesseur est
de droit réputé propriétaire de la chose possédée ; tant
que le propriétaire ne se présente pas ; que puisque le
possesseur jouit de tous les droits attachés à la pro
priété, il en résulte du moins que les actes qu’on est
contraint de faire avec lui ou contre lui, relativement à
la chose possédée, doivent être valables ; qu’ainsi l’ar
ticle 1240 du Code civil, en renouvelant les dispositions
du droit romain, a déclaré que le paiement fait de
bonne foi à celui qui est en possession de la créance
est valable, encore que ce possesseur en soit plus tard
évincé ; que par la même raison ceux qui ont des droits
à exercer, relativement à la chose possédée, doivent
pouvoir s’adresser au propriétaire apparent, tant que le
véritable propriétaire reste inconnu. Que, s’il en était
autrement, et que l’on fût obligé de recommencer avec
les propriétaires qui étaient restés cachés, les procès
jugés contradictoirement avec les propriétaires appa
rents, le litige pourrait devenir interminable au moyen
de mutations successives et secrètes; enfin, les deman
deurs pourraient se. trouver exposés à voir s’écouler,
pendant le cours des procédures vaines, un temps assez
grand pour éteindre leur action ou faire disparaître
leurs preuves ; qu’un tel système, qui porterait le trou
ble dans la société, est reprouvé par la justice, par la
jurisprudence et par l’opinion commune des auteurs »
/, i 4 juillet 4823.
�ET DE LA FRAUDE.
121
569.
— Eu résumé, la chose jugée, n’étant qu’une
exception, doit être sévèrement appréciée. Elle ne p e u t
être admise que dans les conditions que nous venons
d’examiner. Si ces conditions se rencontrent, toute nou
velle action est impossible, la première sentence ayant
complètement épuisé le litige et enlevé au magistrat son
caractère de juge : Judex postea quam semel sententiam
dixit, postea judex esse desinit '. Cet effet ne se réalise
pas seulement à l’égard des juges qui ont rendu la sen
tence, il régit tous les tribunaux français. Quel que fût
donc le juge investi de la connaissance du second litige,
il ne pourrait passer outre à l’examen et au jugement,
en présence de l’exception de chose jugée , soulevée par
une des parties.
Cette exception ne constitue dans tous les cas qu’un
avantage que la partie peut répudier. Le juge n’est donc
pas tenu de la consacrer d’office et de suppléer au si
lence de la partie. Il n’en est pas de même en matière
criminelle, la règle non bis in idem doit être toujours
rigoureusement appliquée. Le jugement qui l’aurait vio
lée, alors même qu’aucune des parties ne l’a invoquée,
n’échapperait pas à la censure du degré supérieur ou à
celle de la Cour de cassation.
1 L. 55 et 62, de rejud.
�m
TRAITÉ DU DOL
SECTION II.
De la ratification.
S O M M A IR E .
O
I
570.
571.
572.
573.
574.
575.
576.
577.
578.
579.
580.
581.
582.
583.
584.
585.
586.
Définition de la ratification faisant la matière de la sec
tion.
Fondement juridique de cette fin de non-recevoir.
Principes généraux qui la régissent.
'
1*r principe. Capacité de la partie.
2"“ principe. Vice purement relatif à l ’intérêt privé.
3“” principe. Acte nul ou sujet à rescision.
Doit-on placer dans cette catégorie l ’acte non signé par
toutes les parties ? Controverse entre Merlin et Toullier
d’une part, et ZacchariædeFautre.
Jurisprudence.
4"° principe. Effet rétroactif de la ratification.
5"“ principe. Liberté dans le consentement.
Conditions de la validité de la ratification expresse.
1° Elle doit rappeler la substance de la convention.
2“ L’existence du vice.
Conséquences de cette condition à l’endroit des vices au
tres que celui mentionné. Opinion de M. Favard deLanglade.
Réfutation.
La ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur de
violence.
Mais non pour le reproche de dol.
�ET DE LA FRAUDE.
123
587.
Quid, si la ratification émanait de l’héritier de celui qui a
été violenté ou trompé ?
588. 3° Elle doit rappeler l ’intention de corriger le vice.
589. L ’acte de ratification n ’est soumis à aucune forme détermi
née.
590. Exception lorsque l ’acte à ratifier exige la forme authen
tique.
591. La ratification imparfaite peut être complétée.
592.
Mais l’acte imparfait ne peut servir de commencement
de preuves par écrit, ni autoriser la preuve testimo
niale.
593. La ratification résultant de l ’exécution est assimilée à la ra
tification expresse.
594. Caractères de cette exécution.
595. 1« Actes devant la constituer.
596.
597.
598.
599.
600.
601.
602.
603.
604.
605.
606
607.
608.
L ’existence des faits d’exécution est laissée à la prudence
du juge.
L’acte d’exécution doit être personnel.
Positif et non équivoque.
Des offres de paiement non acceptées ne contiendraient pas
ratification.
Il en serait de même d’une mesure conservatoire réalisée
avant la demande en nullité.
L’exécution partielle suffit pour qu’il y ait ratification.
2° L’exécution doit être volontaire.
Effet de l’erreur de droit, quant à la ratification.
Opinion de Toullier sur la ratification obtenue sous l ’in
fluence de la menace d’une contrainte ou d’un procès.
Vices de cette doctrine.
3° Epoque à laquelle l ’exécution volontaire entraîne ratifi
cation.
Questions que soulèvera ordinairement le litige.
A qui incombe la charge de prouvèr que la ratification a été
utilement donnée?
�124
TRAITÉ DU DOL
609.
L’exécution volontaire, après la connaissance du vice dont
cet acte est entaché, emporte l’intention de purger ce
vice.
610. Quid, si l’exécution découle de la nature de l ’acte ?
611. Le paiement intégral ou partiel d’une lettre de change ou
de tout autre effet négociable, entre les mains du tiersporteur, n ’est point une ratification.
612. Les principes applicables aux obligations s’appliquent aux
libéralités.
5 7 0 . — En droit, la ratification obéit à des princi
pes différents, selon qu’elle s’applique à un acte vala
blement fait au nom et dans l’intérêt d’un tiers, ou à
une convention que les parties contractantes peuvent
faire rescinder ou annuler. La première est régie par
l’article 1998 du Code civil, la seconde par l’article
1338. C’est de cette dernière que nous nous occupons
exclusivement.
Dans le sens de l’article 1338, ratifier un traité, c’est
en reconnaître la légitimité ; c’est consentir à ce qu’il
soit exécuté dans un temps plus ou moins prochain.
Toute prétention ultérieure, tendant à contester l’une ou
à empêcher l’autre, serait donc essentiellement contraire
à l’acte de ratification. Cette contradiction rendrait l’ac
tion non-recevable.
5 7 1 . —■ Cette fin de non-recevoir a son fondement
juridique dans ce principe : qu’il est loisible à chacun
de renoncer à un droit existant à son profit. Or celui
qui, pouvant faire annuler ou rescinder une obligation,
�ET DE LA FRAUDE.
125
consent à en resserrer le lien ou, mieux encore, à l’exé
cuter, ne saurait prouver plus énergiquement qu’il en
tend répudier la faculté de décliner les conséquences de
son engagement.
Aussi le législateur a-t-il placé sur la même ligne la.
ratification expresse, résultant de l’acte de reconnais
sance ou de confirmation de l’obligation nulle ou res
cindable, et la ratification tacite que l’exécution entraîne
par elle-même, c’est ce que consacre textuellement l’ar
ticle 1338, en indiquant les caractères et les conditions
de chacune d’elles.
572.
— Avant d’entrer dans l’examen de ces condi
tions, il n’est pas sans intérêt de rappeler quelques
principes généraux qui doivent les régir, nous arrive
rons ensuite aux caractères constitutifs, particuliers à
chaque espèce de ratification.
5 7 5 .— Premier principe. La ratification renfermant
l’aliénaion d’un droit, il faut, pour être capable de ra
tifier, avoir la capacité d’aliéner. Ainsi le mineur, l’in
terdit, la femme mariée, dans les cas prévus par la loi,
ne peuventlégalement ratifier tant qu’ils sont dans les
liens de la minorité, de l’interdiction, du maraige.
■.«ïji®
.
5 7 4 .— Deuxième principe. Le vice dont on entend
purger le contrat doit être uniquement relatif à l’intérêt
privé des parties. La ratification s’appliquant à une
nullité d’ordre public" serait complètement inefficace.
-A
I1
1
�126
TRAITÉ DU DOL
Atteinte du même vice que l’obligation primordiale,
elle n’échapperait pas au sort que la loi réservait à
celle-ci
Il ne dépend pas, en effet, des parties de modifier les
dispositions sanctionnées dans un intérêt général et pu
blic. Tout ce qu’elles feraient à cet égard ne créerait
aucun lien entre elles. Il leur serait donc toujours loi
sible d’en faire prononcer l’infirmation. L’obligation
illicite ou contraire aux bonnes mœurs, nulle en prin
cipe, ne saurait être validée par l’effet de la confirmation
émanant de la même volonté qui eût été impuissante à
la consentir ad initio. Or, ce que la volonté clairement
exprimée ne pourrait faire, la volonté présumée ne sau
rait l’accomplir. L’impossibilité de ratifier expressément
entraîne de plein droit celle de ratifier tacitement. Aussi
l’exécution jusque là donnée, soit à la convention nulle
aux yeux de Tordre public, soit à des conventions de
même nature, ne pourrait empêcher la consécration de
la nullité, dès qu’elle serait demandée, Ces divers points
de doctrine, consacrés par les auteurs, résultent d’une
jurisprudence imposante.
Ainsi il a été jugé que la ratification faite par un in
dividu devenu majeur, d’une condamnation avec con
trainte par corps, prononcée contre lui en minorité, est
radicalement nulle quant à la contrainte par corps'.
Qu’on ne peut admettre, comme une raison de vali
der un marché à terme illicite, l’exécution volontaire et
«
1 Rouen, 18 novembre 1825,
�BT DE LA FRAUDE.
127
de bonne foi donnée précédemment à des conventions
de même nature
Que l’exécution, novation ou ratification d’acte ayant
une cause illicite, telle que l’usure, ne couvre pas la nul
lité de ces actes’ .
Il est évident, en effet, que, dès que la tentative de
frauder la loi ne saurait produire aucun effet, on ne pou
vait, sans inconséquence, valider les moyens à l’aide des
quels les parties ont voulu pallier, dénaturer ou con
sommer la fraude. La prohibition de la loi qui proteste
contre la contravention, proteste aussi formellement
contre son exécution. Quelle que soit donc celle qu’elle a
reçue, et, en supposant même que ce qui aurait été payé
ne fût pas répétible, la demande en nullité pour l’avenir
ne devrait pas moins être consacrée.
Ainsi, le débiteur ayant exécuté partiellement, sera
recevable à répudier la partie de ses engagements qui
reste encore à accomplir, à une condition cependant, à
savoir: que le motif d’ordre public déterminant la nullité
ait continué d’exister. Si ce motif n’était que temporaire,
et s’il avait cessé d’exister au moment où la conven
tion a été exécutée en tout ou en partie, cette exécution
pourrait constituer une ratification valable et créer une
fin de non-recevoir contre l’action en nullité ultérieure
ment intentée.
La loi prohibe tout pacte sur succession future, toute
. 1 Lyon', 31 décembre 1832.
2 Cass., 31 décembre 1833.
�•Tft»
128
TRAITÉ DU DOL
renonciation à la succession d’un homme encore vivant.
Cette prohibition est d’ordre public; mais elle n’est aussi
que temporaire. La succession venant à s’ouvrir, ceux
qui sont appelés à la recueillir sont libres d’en disposer
à leur volonté. Jusque là le pacte ou la renonciation
illicite n’a pu être ratifiée ni confirmée, mais elle peut
l’être dès ce moment, puisque le droit de l’attaquer
peut utilement être exercé. Conséquemment s i , au lieu
d’user de ce droit, la partie intéressée ratifie le pacte
confirme la renonciation; si elle exécute les obligations
qui résultent de l’un ou l’autre, elle ne saurait revenir
contre cette ratification. Vainement exciperait-elle du
caractère primitif de l’acte. On lui répondrait, avec
raison, qu’après l’ouverture de la succession, l’ordre
public n’avait plus rien à démêler avec les stipulations
dont cette succession pouvait être l’objet; que libres
de traiter, les parties ont pu maintenir ce qu’elles
avaient déjà fait; qu’il suffit donc que le pacte réprouvé
dans l’origine ait été exécuté depuis le moment où la
prohibition d’ordre public s’est effacée pour qu’il doive
produire tous ses effets
5 7 5 . — Troisième principe. On ne peut ratifier
qu’un acte nul ou sujet à rescision. La ratification sup
pose donc l’existence d’une obligation reconnue par le
droit positif. D’où Zacchariæ 'tire cette conséquence ;
1 Rouen, 30 décembre 1823; — Cass., 11 août 1825; — Grenoble,
25 mars 1831 ; — in fr à 648, 1365 et suiv.
-
�ET DE LA FRAUDE.
129
qu’on ne peut ratifier une obligation naturelle ou une
obligation inexistante.
576.
— Doit-on ranger dans cette dernière catégorie
l’obligation non revêtue de la signature de toutes les
parties? L’affirmative, soutenue par Merlin,.dans un ré
quisitoire du 27 août 1812 ', a été consacrée par quel
ques arrêts. Elle s’étaye sur ce qu’un acte non signé par
les parties, faussement qualifié de contrat, ne crée aucune
action en justice; qu’il n’est donc pas susceptible de
ratification; car on ne peut confirmer que ce qui a une
existence réelle aux yeux de la loi, indépendamment du
vice qu’il s’agit de faire disparaître.
La négative est vivement soutenue par Toullier1. Pour
ce jurisconsulte, l’absence de signature n’est qu’une nul
lité d’intérêt privé. Or, il n’existe aucune nullité de ce
genre qui ne puisse être ratifiée. Ainsi, le titre non
signé ne fait pas preuve de l’obligation, les parties sont
présumées ne pas l’avoir consentie. Mais cette présom
ption ne disparait-elle pas lorsque celui qui pouvait s’en
prévaloir, et obtenir l’anéantissement de l’acte, l’a vo
lontairement exécuté ou a consenti à ce qu’il le fût
plus tard? C’est ce que Merlin a pensé lui-même en
abandonnantl’opinion qu’il avait d’abord soutenue pour
adopter celle de Toullier \
1 Rep., v° r a lif., n° 9.
2 T. vin, p. 749, n° 547.
3 Quest. de droit, v° ra lif., n° 3.
il
9
:,
�430
TRAITÉ DU DOL
L’accord de ces deux maîtres n’a pas convaincu Zacchariæ. Il ne peut, dit-il, adopter les motifs sur lesquels
ils se fondent, ni admettre que les obligations réellement
inexistantes soient susceptibles de ratification.
Il est certain qu’en raisonnant dans l’hypothèse ad
mise par Zacchariæ, à savoir: celle où, au moment de
conclure une convention, l’une des parties refuse de siguer l’acte qui doit en constater l’existence, il faut dire
comme lui, que ce refus de signature équivaut à un re
fus de contracter, qu’il n’y a donc pas eu réellement de
convention.
Mais le défaut de signature à l’acte peut tenir à de
tous autres motifs; il peut être le résultat d’une omis
sion involontaire, d’une négligence. Il est évident, dans
çette hypothèse, que l’obligation existe, malgré l’imper
fection du titre qui la constate.
Or, il est un moyen certain, positif de reconnaître
dans quelle catégorie on doit ranger l’obligation querellée
pour défaut de signature; ce moyen, c’est la conduite
des parties qui le fournit. Évidemment, si le refus de
signature tient au refus de contracter, on peut facilement
prévoir qu’il ne viendra à l’esprit d’aucune d’elles de
confirmer ce qu’elle n’a pas voulu faire et moins encore
de donner à l’acte aucune exécution. Si donc l’acte a
été confirmé, s’il a été exécuté, il faudra nécessairement
admettre que, sous un titre irrégulier, existait une obli
gation certaine, positive, conséquemment susceptible
de ratification.
L’auteur de cette ratification essaierait donc vaine
ment d’en répudier les effets. C’est parce qu’on ne ra -
�ET DE LA FRAUDE.
131
tifie pas ce qui n’a jamais existé, qu’on verrait dans
sa conduite la preuve de l’existence de l’obligation; que
le titre primordial n’eût pas de force probante, que cet
état des choses dût faire prononcer la nullité de l’obli
gation, c’est ce qui est incontestable, mais c’est ce qui
se réalise dans tous les cas de nullité. La ratification
n’a pas d’autre objet que de remédier à cet inconvé
nient. Dès-lors, celui qui, placé dans cette alternative
ou de faire annuler la convention ou de la ratifier, a
opté pour ce dernier parti, a suffisamment prouvé la
sincérité de l’obligation qu’il exécute ou qu’il consent à
exécuter.
On ne doit donc pas confondre l’obligation réellement
inexistante avec celle résultant d’un titre imparfait. Il
n’esf plus permis surtout de s’y tromper, lorsque celui
qui est seul intéressé à la ruine du titre a formellement
ou tacitement déclaré renoncer à s’en prévaloir. A dater
de cette renonciation, il ne lui est plus permis de pré
tendre que son obligation n’existait pas.
577.
— C’est dans ce sens que s’est prononcée la
jurisprudence. Ainsi, la Cour d’Amiens a jugé, le 24
prairial an x iii , que la nullité, résultant de l’absence de
signature de l’une des parties, est couverte par la de
mande d’excution de la partie signataire etque le défaut
de signature d’un acte synallagmatique peut être réparé
par une accession postérieure et par le consentement don
né avant la demande en nullité
1 Dalloz A., t. x, p. 712.
�132
TRAITÉ DU DOL
Ce principe a été, plus virtuellement encore, consacré
par la Cour de cassation dans une espèce fort remarqua
ble. La Cour de Poitiers avait décidé que l’exécution
donnée à une transaction non signée par les parties ren
fermait une ratification valable. Cette décision était dé
férée à la Cour de cassation, comme ayant faussement
appliqué l’article 1338 du Code civil.
Cet article, disait le demandeur en cassation, n’est ap
plicable que lorsque la nullité provient d’un défaut de
capacité ou de consentement et non d’un vice de forme.
En effet, si l’on admettait qu’un contrat qui, comme la
transaction, doit être nécessairement prouvé par écrit,
put se prouver par l’exécution, quand l’acte n’a point
reçu son complément, l’obligation d’une preuve écrite
deviendrait illusoire, puisque les faits d’exécution étant
de nature à s’établir par témoins, il serait toujours pos
sible de suppléer la preuve écrite à l’aide de la preuve
testimoniale.
Comme on voit, la question était nettement posée
devant la Cour de cassation. Voici comment elle a été
tranchée: Attendu que l’exécution donnée par toutes les
parties à l’acte 4 du août 1807 s’opposait à ce qu’il pût
être proposé aucune nullité, s’il y en avait à proposer
contre cet acte, la Cour rejette le pourvoi'.
»
Il est vrai que la même Cour a jugé, le 6 juillet 1836,
qu’un acte de partage radicalement nul, faute d’avoir
été signé par les parties, ne pouvait pas être ratifié par
1 19 novembre 1820.
�ET DE LA FRAUDE.
133
l’exécution, parce qu’il n’avait jamais existé. Mais il est
à remarquer que dans cette espèce les parties avaient
fait constater par le notaire leur refus de signer; dèslors, l’exécution donnée aux dispositions projetées ne
pouvait être que la conséquence de la qualité des par
ties et ne constituait qu’un partage provisionnel. Ajoutons
que le copartageant qui avait refusé de signer était une
femme mariée et que l’exéeution faite par le mari ne
pouvait, dans aucun cas, être considérée comme une
ratification par la femme.
La Cour de cassation aurait-elle décidé de même si
le partage était intervenu entre majeurs et capables? Si
l ’acte n’eût pas constaté le refus designer de la part de
la partie? Si l’exécution avait été strictement conforme
à ses dispositions? Il est permis d’en douter. L’arrêt que
nous venons de rapporter prouve que ce doute n’est pas
sans fondement.
Au reste, on comprend qu’en matière de partage il
est difficile de décider si l’exécution donnée à l’acte nul
a été la conséquence de cet acte ou si elle n ’est que le
résultat d’un accord tacite entre les copartageants. Mais
cette difficulté n’existe plus lorsqu’il s’agit d’obligations
en général. Siérait-il, par exemple, à un vendeur de
constester la sincérité de l’acte non signé si depuis cet
acte et en force de ses stipulations, il avait reçu le prix et
délivré la chose ?
L’arrêt de 1836 est un arrêt d’espèce plutôt que de
principe. 11 n’affaiblit donc en rien l’autorité de celui
de 1820, à la doctrine duquel se sont rangés un grand
�134
TRAITÉ DU DOL
nombre de Cours et tribunaux La Cour d’Aix, notam
ment, a jugé, le 216 janvier 1847, sur ma plaidoirie,
que l’acte d’atfermoiement exécuté par toutes les parties
ne pouvait plus être querellé pour défaut de signature,
soit du débiteur, soit de quelques créanciers.
. Ainsi, l’absence de signature à l’acte fait présumer
l’inexistence de l’obligation, mais elle n’en est pas
une preuve péremptoire. La ratification postérieurement
donnée justifie le contraire; elle est donc valable, car il
y a réellement dans ce cas une obligation nulle aux
yeux de la loi et, dès-lors, susceptible d’être confirmée.
On ne peut distinguer là où le législateur n’a pas dis
tingué lui-même. Conséquemment; que la nullité pro
vienne de l’incapacité de la partie, d’un vice de consen
tement ou d’un vice de forme; qu’elle altère le carac
tère essentiel de l’acte ou sa force probante, la ratifica
tion la fait également disparaître; en d’autres termes, ’
l’acte existe malgré la nullité, et il n’est pas, comme
l’enseigne Toullier, de nullité fondée sur l’intérêt privé
qui ne puisse être réparée par la ratification expresse
ou tacite
578.
— Quatrième principe. La ratification a un
effet rétroactif. L’acte valablement ratifié est présumé
se suffire ab initia .11 produit donc, en faveur du créan
cier, tous les effets dont il est susceptible à partir de sa
date.
1 Pau, 17 décembre 4 824 ; — Cass., 2 novembre 4 825 ; — Toulouse,
48 janvier 4828 ; — Çass., 4ermars 483Q.,
�ET DE LA. FRAUDE.
135
Toutefois, tes droits acquis à des tiers, dans l’inter
valle de l’acte à la ratification, ne peuvent recevoir de
celle-ci ni modification ni altération. Comme l’intérêt
public lui-même, le droit des tiers est au-dessus et en
dehors des stipulations des parties. Or, la ratification
peut bien nuire à son auteur, mais elle ne saurait rétroagir contre ceux qui ont traité avant sa réalisation'.
L’effet rétroactif de la ratification est donc purement
personnel aux parties. C’est ce qui a déterminé la Cour
de cassation à décider que la ratification du mari, sans
le concours de la femme, est impuissante pour effacer
les vices d’une obligation contractée par celle-ci, sans
son consentement et sans son autorisation \
579. — Cinquième principe . La ratification doit
émaner d’une volonté éclairée et libre. C’est ce prin
cipe qui a dicté les conditions que l’article 1338 impose
à la ratification.
5 8 0 . — Aux termes de sa disposition, l’acte de ra
tification expresse n’est valable que s’il renferme la sub
stance du titre primordial, la mention du motif de l’ac
tion en rescision, l’intention de réparer le vicç sur lequel
elle est fondée.
581. — 1" Substance de la convention, Toullier
1 Cass., 16 janvier 1837; — Paris, 25 juillet 1838; _
juin 1838 ; — D, P , 37, I, 62, 39, 2, 8, 40, 2, 33.
Douai, 20
s 26 juin 1839; — D. P ., 39, i, 249; — Conf., Cass , 1 2 février 1828.
�136
TRAITÉ DU DOL
f
enseigne qu’il faut entendre par là la relation de ce
qui est essentiel à l’exis'tencede l’obligation. On n’a donc
pas besoin de transcrire l’acte en son entier, il suffit de
rappeler les clauses constitutives de l’engagement qu’on
s’était proposé de souscrire et qu’on veut confirmer. La
substance de l’obligation est valablement indiquée tou
tes les fois qu’il est impossible de se méprendre sur la
nature de cet engagement.
582.
— 2° Mention du vice autorisant l’action en
rescision. L’article 1338 s’occupe d elà ratification de
la convention et non de celle de l’acte nul pour vice de
forme. Pour celle-ci, en effet, elle est plus facilement
admissible, parce qu’elle doit plus facilement se présu
mer. Les nullités de forme sont odieuses. Aussi n’a-t-on
pas hésité à considérer, comme entraînant l’intention
d’en répudier le bénéfice, le silence que la partie garde
rait d’abord sur leur existence, la défense qu’elle présen
terait au fond. Cependant, ce point de doctrine n’est pas
unanimement admis, mais il est évident que dans tous
les cas la nullité extrinsèque de l’acte pourrait être rati
fiée comme l’action en rescision elle-même.
Pour le vice de rescision spécialement, la loi veut
qu’il soit clairement indiqué. L’aliénation résultant de
la ratification, portant sur un droit utile, sur une ex
ception péremptoire, ne se présume pas ; elle doit clai
rement s’induire des termes de l’acte de ratification.
L’effet de cet acte se concentrera donc sur le vice qui y
est mentionné.
�ET DE LA FRAUDE.
137
583.
— De là cette conséquence que la renoncia
tion à se pourvoir contre une convention pour la vio
lence qui lui aurait donné naissance, n’empêchera pas
de faire valoir ultérieurement la lésion qu’elle renfer
merait et sur laquelle les parties ne se sont pas expli
quées. Cette doctrine, évidemment calquée sur la lettre
et l’esprit de la loi, a cependant trouvé des contradic
teurs; pour la soutenir, dit Favard, il faut penser que la
partie qui a renoncé à l’un des moyens de rescision a
pu vouloir ne pas renoncer à l’autre ; et dès lors la ra
tification n’est-elle pas un piège tendu à la bonne foi
de l’autre partie? Supposer l’tntention de réserver les
moyens de faire annuler l’acte qu’on vient de confir
mer, c’est supposer une fraude qu’on ne doit pas favo
riser.
3 8 4 . — Ces reproches ne prouvent qu’une seule
chose, à savoir : que M. Favard n’a pas suffisamment
tenu compte de l’esprit qui a dicté la disposition de l’ar
ticle 1338. La ratification n’est utilement consentie que
si elle procède d’un consentement éclairé. Or, ce carac
tère ne peut résulter que de la preuve que le débiteur
connaissait, au moment où il ratifiait, le vice dont l’acte
était entaché.
À. cette condition essentielle, le législateur en ajoute
une seconde ; il veut que cette preuve résulte de l’acte
de ratification. Or, cette preuve est complète, lorsque
l’acte énonce le motif de l’action en rescision.
Cette exigence du législateur est-elle injuste ? La ré-
�138
TRAITÉ DU DOL
ponse est facile. La volonté de bannir toute appréciation
humaine dans des questions de cette nature ne peut
qu’être hautement approuvée. Permettre d’arriver, à
l’aide d’inductions, de présomptions, de la preuve tes
timoniale elle-même, à constater une ratification, c’était
tomber dans les inconvénients inséparables de ces mo
des de constatation et arriver souvent à consacrer le con
traire de la vérité.
La loi a donc sagement agi en exigeant une preuve
que le consentement a été donné en connaissance de
cause, et en n’acceptant comme telle que l’indication
renfermée dans l’acte de ratification. Mais si c’est là la
pensée et le but de la loi, évidemment on ne pourra
considérer comme couvert que le vice mentionné par les
parties.
Comment dire, en présence du texte de l’article
1338, que cette conclusion n’est qu’un piège, qu’une
fraude qu’on ne doit pas favoriser? Un piège pour le
créancier? Mais ne sait-il pas que la ratification ne lui
sera utile qu’en tant que le motif de l’action en resci
sion s’y trouvera relaté? Pourquoi donc, si la conven
tion est rescindable par deux motifs, s’il a été dans son
intention et dans celle du débiteur de les purger l’un et
l’autre, pourquoi, disons-nous, ne les a-t-il pas men
tionnés tous les deux ? Ce n’est qu’à ce prix que la loi
lui promet pleine sécurité pour l’avenir. Lui siéraitil donc de se prétendre trompé, lui qui a commencé
par dédaigner les prescriptions de cette loi qu’il ac-
�ET DE LA FRAUDE.
139
M. Favard se préoccupe beaucoup trop des intérêts
du créancier, car, pour le défendre, il va jusqu’à com
promettre celui du débiteur. Cependant, si une fraude
était à redouter, c’est contre ce dernier qu’on pouvait en
craindre la réalisation. En effet, si le système que nous
combattons était admis, il serait facile, en faisant rati
fier la convention sous un prétexte quelconque, de se
débarrasser de tout péril à l’endroit du vice réel qu’elle
pourrait renfermer. Celte éventualité seule suffirait pour
prouver combien sage est la précaution dont le législa
teur a usé.
De plus, on ne peut renoncer à un droit dont on n’a
aucune connaissance. Le silence que les parties garde
raient dans l’acte de ratification, sur tel ou tel moyen
de rescision, prouverait qu’elles ne l’ont pas connu.
Admettre cette connaissance, ce serait donner à ce si
lence une portée bien plus significative. On ne pourrait
en effet l’interpréter que par le refus de ratifier, car,
dans le cas contraire^ en présence de l’article 1338,1e
créancier n’aurait pas manqué de requérir la mention
indispensable pour qu’il jouît du bénéfice de la renon
ciation.
Ainsi, que le silence de l’acte tienne à l’ignorance ou
au refus de ratifier, la conséquence est identique. Dans
le premier cas, il ne peut exister de ratification ; dans le
second, il n’en existe aucune. Dès lors, repousser sous
ce prétexte la demande ultérieurement formée par le
débiteur, c’est se placer en contradiction manifeste avec
la loi, avec la justice.
�140
TRAITÉ DU DOL
En principe donc, ratifier une convention à l’endroit
d’un vice pouvant la faire rescinder, ce n’est pas renon
cer à se pourvoir contre ses dispositions pour un tout
autre motif, à moins cependant que l’existence de ce
nouveau moyen fût inconciliable avec la ratification..
Reconnaître qu’un acte n’est pas le fruit de la violence,
ce n’est pas reconnaître nécessairement qu’il est pur de
toute lésion ; mais avouer que celle-ci n’existe pas et se
prohiber toute recherche à son occasion, c’est convenir
que la convention n’est pas le résultat de la violence, car
l’acte qui n’est pas lésif existe légitimement ; l’accepter
comme tel, c’est dire qu’il a été librement et volontai
rement souscrit, qu’il renferme un lien quelconque,
toutes choses qui sont incompatibles avec l’idée de la
violence.
Quel pourrait être, dans ce cas, le motif de la rati
fication? À quoi bon songer à la lésion si, le consen
tement manquant de son caractère essentiel, il n'a ja
mais existé de convention ? Le bébiteur pourrait-il sou
tenir avoir ignoré la violence dont il se prétendrait plus
tard victime? Evidemment cette ignorance ne serait
même pas proposable. La violence a, en effet, nécessai
rement précédé la convention, la ratification elle-même.
On ne peut donc voir dans celle-ci, quel qu’en soit
l’objet, qu’un fait donnant d’avance le démenti le plus
complet à tout reproche s’attaquant à l’essence de l’acte.
585.
— La renonciation à se pourvoir pour lésion
entraîne donc la non recevabilité de toute action ulté-
�ET DE LA FRAUDE.
\i\
rieure fondée sur la violence. Ce n’est pas ici une induc
tion, une présomption plus ou moins probable. L’in
compatibilité profonde entre la ratification et l’existence
d’une violence dans le consentement à la convention ra
tifiée, est une preuve décisive contre celle-ci. Le débi
teur ne pourrait donc être relevé des effets de la ratifi
cation qu’en prouvant qu’elle lui a été surprise par dol
ou arrachée par violence
5 86.
— Le dol agit dans le contrat delà même ma
nière que la violence. Comme celle-ci, il vicie le contrat
dans son essence, en enlevant au consentement tout ca
ractère de liberté. Il semblerait donc que le reproche
de dol, proposé après une ratification pour cause de lé
sion, devrait subir le même sort que le reproche de vio
lence.
Mais il existe entre ces moyens de rescision une
nuance essentielle à retenir. La violence a nécessaire
ment précédé la ratification, tandis que le dol peut n’être découvert qu’après. En cet état, faire de la dé. chéance un principe absolu contre le dol, ce serait con
sacrer, dans un cas donné, une injustice, et admettre
qu’on a pu renoncer à un droit dont on ne soupçon
nait même pas l’existence.
L’équité veut donc que celui qui a été victime d’un
dol, ne perde pas, sans le savoir, le droit de se faire in
demniser. Son ignorance, au temps delà ratification,
enlèverait à celle-ci toute son efficacité. Tout ce qui en
résulterait, c’est que malgré le silence de l’acte, et con-
�442
TRAITÉ DU DOL
trairement à ce que la loi admet dans les cas ordinaires,
l’ignorance ne serait pas présumée. C’est donc à celui
qui l’allègue, pour se soustraire aux effets de la ratifica
tion, à en fournir la preuve. Cette preuve pouvant
être faite par témoins, peut résulter des présomp
tions.
5 8 7 . — Si la violence ou le dol s’était exercé contre
l’auteur de celui qui ratifie à l’endroit de la lésion, les
principes ordinaires reprendraient leur empire. L’héri
tier peut ignorer des faits qui ne lui sont pas person
nels, et cette ignorance serait présumée par cela seul
que l’acte de ratification garderait le silence sur l’un ou
sur l’autre. . Mais le porteur du titre ratifié pourrait
prouver soit par témoins, soit par présomptions, que
le vice ultérieurement invoqué était parfaitement connu
au moment de la ratification ; et, cette preuve faite, l’ef
fet de celle-ci lui serait définitivement acquis.
En général donc, et sauf le cas d’incompatibilité, la
ratification n’éteint que le vice qui s’y trouve mentionné.
C’est donc aux parties intéressées à veiller à ce que
l’acte relate exactement toute la pensée des parties et
les divers moyens dont on entend abandonner le béné
fice.
5 8 8 . — 3° Intention de réparer le vice. C’est dans
l’accomplissement de cette condition que réside la véri
table autorité de la ratification. A quoi bon, en effet,
rappeler la substance de l’acte, indiquer les motifs de
�ET DE LA FRAUDE.
143
rescision, si les parties ne manifestent pas l’intention et
le dessein de renoncer à s’en prévaloir.
L’expression de cette volonté est donc de rigueur.
Mais la loi ne lui a tracé aucune formule sacramentelle.
Elle s’en réfère à la conscience et aux lumières du juge
appelé a décider si elle résulte suffisamment du titre in
voqué. Ce qui doit être observé et retenu, c’est que
cette volonté ne doit pas être facilement présumée, et
que dans le doute c’est contre la fin de non-recevoir
qu’on doit se prononcer.
C’est par application de ce principe qu’il a été jugé
par la Cour de Rouen, et ensuite par la Cour de cassa
tion, que des actes contenant affectation d’hypothèque à
une obligation entachée de dol ne peuvent être consi
dérés comme une confirmation, ni comme exécution
volontaire, alors que ces actes sont muets sur l’inten
tion de ratifier '.
Que la renonciation à l’exercice de l’action en resci
sion pour cause de lésion, en matière de vente, ne peut
s’induire d’actes postérieurs intervenus entre le vendeur
et l’acquéreur qu’autantque ces actes contiendraient une
stipulation expresse et une intention formelle de renon
cer à cette actiona.
Maisla Cour de Poitiers a jugé, le 7 juillet 1825, que
ces seuls mots : je ratifie le présent billet, apposés par
un majeur sur un billet constatant qu’il a été souscrit en
1 20 décem. 1832 ; — D. P., 33, I, 113.
3 Rennes, 30 janv. 1834; — D. P., 34, 2, 211 .
�444
TRAITÉ DU DOL
minorité, remplissent toutes les conditions voulues par
l’article 1338 pour la validité de la ratification. Au be
soin, dit cet arrêt, l’approbation signée en majorité cons
tituerait un nouvel et valable engagement.
Quoi qu’il en soit, ces exemples suffisent pour déter
miner la nature de la mission que la loi confie aux ma
gistrats. D’autre part, la disposition de l’article 1338
imprime à leur appréciation une direction assurée. Les
conditions imposées à la validité de la ratification sontelles ou non remplies? L’intention de purger l’acte du
vice dont il est entaché est-elle suffisamment exprimée?
Telles seront les questions qui se présenteront à résou
dre dans les limites que nous venons de retracer.
589.
— L’acte de ratification n’a pas de forme spé
cialement déterminée. Il peut être fait par-devant no
taire ou sous seing-privé. Dans ce dernier cas, il n’est
pas nécessaire de le rédiger en autant d’originaux qu’il
y a de parties. La ratification pure et simple est un con
trat essentiellement unilatéral qui ne renferme aucune
obligation de la part de celui qui l’a obtenue. Il se
peut cependant que le débiteur, en échange de son
consentement, ail exigé quelques faveurs ou obtenu un
sacrifice de la part du créancier. L’engagement de ce
lui-ci pourrait être constaté soit par l’acte de ratifica
tion, soit par un écrit séparé. Mais cette circonstance ne
changerait rien à la nature de la ratification et aux effets
qu’elle doit obtenir.
La ratification n’a pas besoin d’être acceptée par le
�ET DE LA FRAUDE.
145
porteur du titre vicié. Elle peut être faite hors sa pré
sence et sans sonconcours. Elle peut résulter d’une let
tre missive ou de tout autre écrit émanant de celui qui a
qualité pour la consentir.
590. — Cependant si l’acte qu’on veut ratifier est
du nombre de ceux qui exigent la forme authentique,
c’est dans cette forme que la ratification doit être don
née. Telle serait par exemple la ratification d’une cons
titution d’hypothèque. Bien entendu que cela n’est in
dispensable que par rapport aux effets de l’acte contre
les tiers. Du débiteur au créancier, l’obligation ne ces
serait pas d’être inattaquable, quand même la ratifica
tion manquerait d’authenticité.
591. — L’acte de ratification imparfait, pour n’être
pas conforme aux prescriptions de l’article 1338, ne
produirait aucun effet. Mais on pourrait le compléter à
'T’aide d’écrits émanés du débiteur, si, réunis à l’acte,
ces écrits fournissaient la preuve de la ratification .
C’est là une conséquence de ce que nous venons de
dire. On peut ratifier par un acte, par un écrit quel
conque. On peut à plus forte raison suppléer, à l’aide
de ceux-ci, à ce que l’acte présenterait d’obscur ou
d’incomplet.
5 9 2 . — Mais nous n’admettons pas que l’acte resté
imparfait pût servir de commencement de preuve par
écrit et autoriser l’admission de la preuve testimoniale.
�146
TRAITÉ DU DOL
La volonté d’exclure cette preuve d’une manière abso
lue, à l’endroit de la ratification, nous parait résulter
formellement de l’article 1338. La loi n’a pas voulu re
courir à ce mode de preuve dont elle pouvait facilement
apprécier l’insuffisance dans une question intention
nelle sur laquelle les témoins ne pourraient jeter un très
grand jour, à moins qu’on ne les interrogeât sur des
faits d’exécution, et alors on tomberait dans la ratifica
tion tacite qui nous reste à examiner.
595- — L’article 1338 assimile à la ratification ex
presse celle résultant de l’exécution de la convention
nulle ou rescindable. On devait d’autant plus le décider
ainsi, que l’exécution est le dernier mot du débiteur;
qu’elle lui impose des sacrifices onéreux, ce que ne fait
pas ordinairement la ratification expresse; que dès-lors
elle ne peut être considérée que comme l’expression hau
tement manifestée de la légitimité et de la sincérité de
la convention.
594.
— Cet effet de l’exécution exigeait, dans la
détermination des actes qui la constituent, qu’on se rap
prochât autant que possible des conditions tracées à la
ratification expresse. C’est ce que n’a pas manqué de
faire le législateur, L’article 1338 n’admet la ratifica
tion tacite que si la convention a été exécutée ; que si
cette exécution a été volontaire ; que si elle s’est réali
sée après l’époque à laquelle l’acte pouvait être valable
ment confirmé ou ratifié
�ET DE LA FRAUDE.
147
59S.
— 1° Exécution. L’article 1304 assigne une
durée de dix ans à la faculté d’intenter l’action en res
cision. Le législateur suppose donc que la convention
nulle ou rescindable peut être exécutée pendant ces
dix ans. Mais si cette exécution, que nous appelerons
passive, pouvait être considérée comme une ratification
tacite, l’article 1304 ne serait plus qu’un piège, condui
sant, infailliblement à la déchéance celui qui, ayant foi
en sa disposition, n’aurait pas immédiatement réalisé
l’action en rescision.
Le maintien de l’état des choses créé par la conven
tion ne peut donc constituer l’exécution à l’effet de
ratifier, Il n’est un obstacle à l’action en rescision que
s’il s’est prolongé au-delà de dix ans. L’article 1338 n’a
donc réellement en vue, et ne qualifie exécution, que les
actes postérieurs émanés de la partie ayant intérêt de
contester et qui décèlent l’intention d’accepter irrévoca
blement l’effet de la convention, tels seraient, par ex
emple, le fait d’avoir disposé de tout ou de partie des
biens reçus ou transmis par la convention nulle ou res
cindable; celui d’avoir retiré, après la majorité ou après
là découverte du dol, le prix de la vente fait en minorité
ou obtenue dolosivement.
Ainsi on ne peut considérer comme exécution, dans le
sens de l’article 1338, que les actes destinés à confirmer
l’état des choses créé par la convention, à en développer
les conséquences. L’exécution qui ne consisterait que
dans le silence ou le défaut de réclamation contre cet
état des choses ne saurait constituer une ratification
�148
TRAITÉ DU DOL
quelconque, à moins qu’elle ne se fut prolongée audelà de dix ans.
5 9 6 . — L’existence des faits d’exécution est ordinai
rement laissée à l’appréciation des deux degrés de juri
diction. Leur décision échappe même à la censure de
la Cour de cassation. Mais, pour ce qui concerne la ra
tification, le caractère du fait d’exécution constitue une
question de droit, et la Cour de cassation a la faculté et
le devoir d’en apprécier souverainement les conséquen
ces. C’est ce que, après quelques hésitations, a formel
lement consacré la cour régulatrice '.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il importe de retenir de cette
jurisprudence c’est l’assimilation rigoureuse qu’elle fait
de la ratification tacite à la ratification expresse. Iden
tiques dans les effets, ces deux modes doivent, autant
que possible, offrir dans leurs éléments constitutifs les
mêmes caractères, reposer sur les mêmes conditions.
5 9 7 . — De là il suit que l’acte d’exécution doit être
personnel à celui qui pouvait ratifier. Qu’importe, en
effet, que la convention ait été exécutée par ceux qui
n’avaient aucun droit à la faire rescinder? Que cette
exécution ait été connue, tolérée même? Chacun ne
peut être lié que par son propre fait. Ce principe est
surtout rigoureux lorsqu’il s’agit de l’établissement
1 8 janvier 1838, 12 juin 1839 ; — D. P. 38, 1, 306, 39, i, 244.
�ET DE LA. FRAUDE.
149
d’une déchéance entraînant l’aliénation d’un droit per
sonnel.
5 9 8 . — Une seconde conséquence non moins juste,
c’est que les actes d’exécution doivent être positifs et
non équivoques, c’est-à-dire que, postérieurs à la dé
couverte du vice, ils doivent comporter l’intention de
renoncer à s’en prévaloir. Tout doute sérieux à cet
égard s’opposerait à ce qu’on pût en faire découler une
ratification utile.
Nous venons de voir la Cour de cassation, les Cours
de Rouen et de Rennes le décider formellement ainsi
pour la ratification expresse. Concevrait-on qu’il en fût
autrement lorsque l’intention des parties, ne se décélant
que par l’exécution prétendue, ne peut être appréciée
que par les présomptions résultant de celle-ci. Or, l’alié
nation d’un droit n’est pas facilement présumée. Vrai
lorsqu’il s’agit d’une ratification expresse, ce principe ne
saurait être repoussé dans l’appréciation d’une ratifica
tion tacite. C’est au reste ce qui est consacré par une
imposante jurisprudence.
599. —- La Cour de cassation a jugé, le 8 avril 1835,
que des offres de payement d’une obligation, qui n ’ont
pas été acceptées, ne peuvent être considérées comme
une exécution qui rende celui qui les a faites non-rece
vable à demander ensuite la nullité de l’obligation. Le
même jour, la Cour Rennes décidait que la simple de
mande d’un délai pour le payement d’une obligation
�150
TRAITÉ DU DOL
n ’empêchait pas le débiteur d’en poursuivre plus tard la
rescision pour dol ou fraude.
600.
— Ce qui a été admis pour les actes anonçant
l’intention d’exécuter, l’a été également pour les mesu
res conservatoires prises dans l’intervalle de la conven
tion à la demande en nullité ou en rescision. Ainsi l’ho
mologation en justice d’un acte sous seing-privé, pour
lequel la loi exige la forme authentique, ne rend pas
non-recevable à en demander la nullité la partie qui a
obtenu cette homologation '. Ainsi encore, l’inscrip
tion prise en vertu d’un acte postérieurement jugé si
mulé, même en la supposant connue de l’auteur de
cet acte vicieux, n’est point par elle même une ratifica
tion ou confirmation5.
Nous pourrions multiplier les exemples, car ils abon
dent dans nos recueils de jurisprudence, mais ceux
que nous venons de rappeler suffisent pour fixer la
nature et la portée de notre doctrine. Elle se résume
dans ces propositions fort simples: l’article 1338 ne
considère comme efficace que les fait constituant une
exécution réelle et effective ; cette execution ne se
rencontre ni dans le silence qui ne s’est pas prolongé
au-delà de dix ans, ni dans l’intention plus ou moins
prochaine d’ exécuter, ni moins encore dans les mesu
res purement conservatoires. Les actes d’administra1 Turin, 26 novembre 1806.
2 Cass., 24 janvier 1833,
�ET DE LA. FRAUDE.
151
tion se plaçant dans la catégorie de celles-ci il en ré
sulte qu’administrer plus ou moins longtemps la chose
possédée en vertu d’un titre vicié, ce n’est pas se ren
dre non-recevable à faire plus tard prononcer l’annula
tion de ce titre.
6 0 1 . — L’exécution n’a pas besoin d’être complète
pour servir à déterminer la ratification. L’acte d’exécu
tion partielle arriverait à ce résultat, car, comme l’exé
cution totale, il ne pourrait être attribué qu’à la recon
naissance de la sincérité et de la légitimité de l’obliga
tion. En effet, exécuter partiellement une convention,
c’est avouer qu’on n’a ni le moyen ni le droit de la faire
rescinder. Un pareil aveu, quel qu’en soit le mobile,
impuissance ou abandon, n’en constitue pas moins la
ratification. Celle-ci résulte donc d’un commencement
d’exécution, pourvu qu’il se fût réalisé dans les circons
tances que nous avons à examiner.
6 0 2 . — 2° Exécution volontaire. Les vices qui altè
rent le consentement lui enlèvent tout caractère de
spontanéité. L’exécution imposée par violence, ou sur
prise par dol, ne créerait donc ni ratification ni con
firmation.
Il n’y a pas non plus de consentement valable lorsque
celui qui a été donné ne l’a été que par erreur. L’er
reur sur le caractère de l’acte qu’on exécute s’oppose
rait donc à ce que cette exécution fût considérée comme
une ratification. Non-seulement elle ne serait pas volon-
�152
TRAITÉ DU DOL
taire, mais elle ne se serait pas réalisée en temps utile,
ce qui suffirait, ainsi que nous allons le voir, pour en
anéantir les effets légaux.
605.
— L'erreur sur les conséquences légales d’un
fait connu pourrait-elle être alléguée pour être relevé de
la ratification tacite ? En d’autre termes, l’erreur de
droit produit-elle, quant à la ratification, les effets de
l'erreur de fait?
La doctrine et la jurisprudence deviennent chaque
jour plus affirmatives sur l’assimilation qu’il convient
de faire entre l’une et l’autre. Mais nous avouons que,
tout en adoptant le principe, nous en refuserions l’ap
plication à la matière des ratifications, et cela par les
motifs suivants: il est très difficile d’admettre une er
reur de droit en matière de rescision. Il n’est personne
qui ne sache que l’obligation imposée par la violence
ou surprise par le dol ne crée aucun lien. L’obligé ne
doit rien, n’a jamais rien dû, et il est impossible qu’il
puisse croire en cet état devoir quelque chose. Autant
nous admettons l’ignorance touchant les manœuvres
employées, autant nous nous refusons à admettre que,
leur existence une fois connue, on ait pu se tromper sur
les conséquences qu’elle doit nécessairement entraîner.
Qui pourrait se persuader que la loi oblige à exécuter
une obligation qu’on sait mieux que personne n ’avoir
jamais existé?
Permettre d’attaquer une ratification sous prétexte
d’erreur de droit, c’est donc ouvrir la porte à de nom-
�ET DE LA FRAUDE.
153
breux procès dont la solution, dans un sens comme dans
l’autre, aura cet étrange caractère qu’elle ne reposera
que sur cette allégation impossible à vérifier, impossi
ble à débattre. Comment, en effet, le demandeur prouvera-t-il avoir ignoré le droit? Comment le défendeur
justifiera—t—il le peu de fondement de cette ignorance?
Il faudra donc que les tribunaux refusent ou admettent
de confiance, au risque de ne consacrer souvent qu’une
véritable injustice.
La loi n’a pu vouloir placer les magistrats dans cette
cruelle perplexité. Nous en avons la preuve dans le soin
qu’elle prend de ne rien laisser à l’induction, en matière
de ratification. L’impossibilité absolue de son applica
tion doit donc faire rejeter la doctrine que nous com
battons.
Il est d’ailleurs un autre motif qui devrait le faire
décider ainsi. Au dire de tous, l’erreur de droit n’annule
le contrat que lorsqu’elle en a été la cause déterminante
et exclusive. Dans la ratification tacite, l’exécution re
connaît une cause indépendante de l’erreur, à savoir:
l’intention de purger l’acte du vice qui l'entache. C’est
là, nous l’avons dit; une condition essentielle sans la
quelle il ne saurait exister de ratification.
Dès-lors, si l’exécution n’a pas ce caractèi'e, il de
vient inutile de recourir aux principes régissant l’erreur
de droit. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de ratification.
Mais si le juge, appréciant l’exécution, reconnaît et
constate l’intention constitutive de la ratification , cette
exécution a dès-lors une cause naturelle et légitime.
�154
TRAITÉ DU DOL
L’erreur de droit n’en a plus été le seul mobile , on ne
pourrait plus s’en prévaloir. La prétention d’avoir erré
sur les conséquences légales d’un vice serait même in
soutenable lorsque le vice étant connu en fait, on a eu
l’intention et la volonté d’en répudier le bénéfice. Or ,
renonce-t-on à un droit qu’on ne sait même pas vous
appartenir?
La difficulté née d’une erreur de droit peut donc être
soulevée lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère de
l’exécution. Mais on ne saurait admettre que cette dif
ficulté une fois tranchée et la ratification , c’est-à-dire
l’intention de purger l’acte, admise, on puisse s’en faire
relever sous prétexte d’erreur de droit.
6 0 i . — Toullier pense que l’exécution n’est volon
taire que si elle est entièrement dégagée de l’influence
que peut avoir sur l’esprit de celui qui exécute la frayeur
d’une contrainte ou d’un procès. Il adm et, en consé
quence, que celle faite sous cette influence serait ineffi
cace pour créer une ratification.
6 0 5 . — Il nous paraît bien rigoureux d’assimiler à
la violence l’exercice d’un droit puisé dans la loi et au
quel on est contraint de recourir. Le refus du débiteur
place en effet le créancier dans la nécessité soit de le
traduire en justice, soit d’user des moyens coercitifs que
le litre lui confère. Il serait étrange, dès lors, que l’exé
cution déterminée par l’une ou par l’autre de ces mesures
dût plus tard être invalidée.
�ET DE LA FRAUDE.
155
Cette doctrine encouragerait singulièrement la résis
tance des débiteurs, et, à ce titre seul, nous hésiterions
à l'admettre. Nous sommes bien plus engagé à ne pas
le faire lorsque, poussant plus loin notre examen, nous
arrivons forcément à une conclusion diamétralement
opposée à celle de Toullier. En effet, ou l’exécution
donnée devant la menace d’une contrainte ou la crainte
d’un procès a précédé la découverte du vice de l’acte,
ou elle a suivi cette découverte. Dans le premier cas,
elle est évidemment insuffisante pour créer une ratifica
tion, en force des principes spéciaux à celle-ci; dans le
second, elle doit d’autant plus produire ses effets que
l’action en rescision était le moyen le plus péremptoire
pour éviter le procès, pour s’affranchir de toute con
trainte, et qu’ainsi mis en demeure de la réaliser, le
débiteur, en s’abstenant de le faire, a prouvé qu’il ne
croyait pas devoir ou pouvoir utilement l’intenter. Dans
l’une comme dans l’autre de ces hypothèses, il y a réel
lement ratification obligatoire et définitive.
Bien loin donc que les poursuites du créancier soient
un motif pour relever le débiteur de l’exécution qu’elles
ont déterminée, la vérité est que leur existence donne à
cette exécution un caractère plus grave, plus décisif.
Qu’un debiteur s’abstienne de faire valoir sesdroits con
tre sa dette lorsqu’il n’est ni inquiété ni poursuivi, cela
se conçoit; mais que, traduit en justice ou menacé
d’une contrainte, il continue de garderie silence; que,
mieux encore, il exécute la convention dont il connaît
le vice et qu’il dépend de lui de faire anéantir, c’est ce
�156
TRAITÉ DU DOL
qu’on ne comprend plus. Une pareille abnégation ne
peut provenir que du sentiment de la légitimité de la
poursuite, et c’est dans ce sentiment même que repose
le fondement essentiel de la ratification.
Au reste, cette règle n’est pas plus que toutes les au
tres à l’abri d’une exception. Certes, la violence morale,
qui fait quelquefois annuler une obligation, pourra,
dans tel cas donné, être invoquée contre la ratification ;
et si les tribunaux investis, appréciant la nature des
moyens employés pour déterminer l’exécution, l’étendue
de la contrainte qui en est résultée, pensent que le débi
teur n’a pas joui de la plénitude de liberté sans laquelle
il n’existe pas de consentement valable, ils décideront
que l’exécution n ’a pas été volontaire. Mais une pareille
éventualité ne suffit pas pour qu’on puisse se croire
autorisé à faire de la règle l’exception, et de l’exception
la règle.
606.
—• 3° Epoque à laquelle l’exécution volontaire
est susceptible de créer la ratification. L’article 1338
fixe cette époque au moment où l’obligation pouvait être
valablement confirmée ou ratifiée. C’est là la consé
quence du principe qu’on ne peut faire indirectement
ce qu’il n’est pas permis de faire directement. Or, la ra
tification expresse suppose, chez celui qui la donne, la
capacité de contracter, la connaissance du vice dont
l’acte est entaché. Conséquemment l’exécution n’équi
vaudra à ratification que si elle réunit ce double carac
tère,
�ET DE LA FRAUDE.
157
Dès lors les mineurs, les interdits, les femmes mariées
ne sauraient, tant que leur état n’a point changé, alié
ner, par l’exécution, le droit de faire annuler l’engage
ment qu’ils ont souscrit. Cette faculté, ils ne l’acquiè
rent qu’après qu’ils sont sortis des liens de la minorité,
de l’interdiction, du mariage. Pouvant, à cette époque,
ratifier expressément, ils peuvent le faire tacitement par
l’exécution qu’ils donnent à l'obligation.
Mais le capable ne peut ratifier que s’il connaît le
vice de la convention. Cette connaissance est de l’es
sence de la ratification, car, ainsi que nous l’avons déjà
dit, celle-ci puise son autorité dans l’intention de re
noncer à se pourvoir contre le vice dont la convention
est entachée. Or, comment pourrait-on être présumé
avoir renoncé à un droit qu’on ne connaissait pas? Dès
lors, la ratification tacite opérant les "mêmes effets que
la ratification expresse, l’exécution qui la constitue doit
nécessairement être postérieure à la connaissance du
vice.
607.
— Ce point de doctrine ne saurait faire aucune
difficulté ; mais il en sera autrement de la détermina
tion du fait en lui-même. A quelle époque remonte la
découverte du dol ? Est-elle antérieure ou postérieure
à l’exécution ? Est-ce au débiteur à prouver qu’il igno
rait le vice de l’acte ou au créancier à justifier que l’exé
cution a été faite en connaissance de cause? Telles seront
les questions sur lesquelles l’attention des magistrats
sera principalement appelée.
�158
TRAITÉ DU DOL
Les premières ne peuvent jamais offrir qu’une ap
préciation de fait du domaine exclusif de la conscienceElles sont donc laissées à l’arbitrage souverain du juge.
La dernière présente une difficulté en droit qui a par
tagé la doctrine et la jurisprudence.
(>08. — Zacchariæ se prononce contre le créancier.
Sans doute, dit-il, celui qui invoque une exception dont
le fondement repose sur l’erreur, doit prouver cette er
reur en vertu de la règle actori incumbit onus probandi. Mais telle n’est pas la position du débiteur au
quel on oppose l’exécution de l’obligation contre laquelle
il se pourvoit en nullité ou en rescision. Il n’a plus rien
à prouver une fois qu’il a justifié sa demande. C’est au
créancier qui veut tirer de l’exécution une fin de non
recevoir contre l’action en nullité ou en rescision, à
établir, suivant la règle reus excipiendo fit actor, l’exis
tence des conditions moyennant le concours desquelles
l’exécution volontaire équipolle à confirmation, et à
démontrer, par conséquent, que l’exécution a eu lieu en
connaissance du vice dont l’obligation est entachée et
dans l’intention de l’effacer'. Telle était aussi l’opinion
d’abord enseignée par Merlin.
Mais il est facile de se convaincre quela position sup
posée des parties, surlaquelle cette opinion s’étaie, n ’est
pas réellement celle qu’elles occuperont respectivement.
Le demandeur en rescision sera arrêté in limine lilis
�ET DE LA FRAUDE.
159
par la fin de non recevoir tirée delà ratification. Il ne
pourra donc établir l’irrégularité de l’acte qu’après avoir
fait disparaître cette fin de non recevoir.
Le fondement de celle-ci se trouvant dans l’exécu
tion, c’est à celui qui l’oppose à prouver cette exécu
tion. Cette preuve faite, le demandeur doit être écon
duit, à moins qu’il ne prouve à son tour que cette
exécution ne réunit pas les caractères constitutifs de
la ratification. C’est là son exception pour laquelle il
devient réellement demandeur, et qu’il est tenu de jus
tifier.
Vainement, objecte-t-on que l’exécution n’équivalant
à ratification qu’à certaines conditions, celui qui excipe
de l’une doit prouver qu’elle est conforme au désir de
la loi. L’exécution se suffit à elle-même. Elle est légale
ment présumée exempte de tout vice. Certes, l’exécution
déterminée par le dol ne produirait aucun effet. Ira-t-on
jusqu’à prétendre que celui qui oppose la ratification
tacite sera obligé de prouver que l’exécution dont il se
prévaut n’est pas le résultat du dol ? Ce qu’on ne ferait
pas pour le dol, on ne saurait le faire pour l’erreur.
Celle-ci n’est pas plus présumée que le dol lui-même, et
si celui qui allègue l’un est tenu de le prouver, il n’y a
aucun motif pour dispenser de la même obligation celui
qui se prévaut de l’autre.
Ajoutons avec la Cour de cassation ', que cette obli
gation doit être imposée au débiteur : 1° parce que les
1 23 juillet \ 82b.
y
�160
ÏRA1TÉ DU DOL
faits d’où l’erreur peut résulter lui sont personnels ;
2° parce que ces faits constituent une exception établie
pour son utilité ; 3° parce qu’il tendent à enlever au
créancier lé bénéfice de la ratification. Le système con
traire n’a donc aucun fondement réel. Non-seulement
il fait abstraction complète du fait d’exécution, mais il
méconnaît en outre les conséquences légales que cette
exécution doit entraîner.
C’est la démonstration de ce double to rt, clairement
établie par Toullier, qui a amené la rétractation de
Merlin. En voici les termes : « Toullier a raison de dire
que je ne m’étais pas exprimé avec mon exactitude or
dinaire. Tout bien réfléchi, je crois mes arguments plus
spécieux que solides, et en voici deux auxquels ils me
paraissent devoir céder :
« 1° On n’exécute un acte que parce qu’on le connaît
bien, car il n’y a qu’un insensé qui puisse exécuter un
acte qu’il ne connaît pas ou qu’il ne connaît qu’imparfaitement, et la démence ne se présnme pas. Exécuter
un acte, c’est agir comme si l’on en avait une parfaite
connaissance; c’est donc avouer qu’on le connaît
dans toutes ses parties. Or, si l’aveu d’un fait ne
prive pas celui duquel il est émané du droit de le re
tracter pour cause d’erreur, il le place du moins dans
la nécessité de prouver que c’est par erreur qu’il lui est
échappé. L’article 1356 du Code civil est formel, et il
n’est point de principe plus constant dans toute la juris
prudence ;
« 2° Sans doute l’exécution d’un acte nul ne peut
�ET DE LA. FRAUDE.
161
être réputée volontaire qu’autant qu’elle n’est pas le fait
de l’erreur: mais elle ne peut aussi être réputée telle
qu’autant qu’elle n’est pas l’effet de la violence et du dul.
Or, quand un acte nul a été exécuté par une partie qui
avait le droit de le faire annuler, et qu’elle vient ensuite
en demander l’annulation, lui siérait-il bien , pour re
pousser la fin de non-recevoir que lui opposerait le dé
fendeur, de dire à celui-ci : L’exécution dont vous excipez a été l’effet de la violence et du dol ; elle n’a donc
pas été volontaire de ma part, et comme c’est à vous à
prouver qu’elle a été l’ouvrage de ma volonté, c’est né
cessairement aussi à vous à prouver que je n’y ai été
induit ni par violence ni par dol? Non certes, et le dé
fendeur lui répondrait victorieusement : Par cela seul
que vous avez exécuté l’acte, vous êtes censé l’avoir ex
écuté spontanément et en pleine liberté ; ni le dol, ni la
violence ne se présument; l’exécution que vous avez don
née à l’acte sera donc réputée volontaire tant que vous
ne prouverez pas qu’elle vous a été arrachée par violen
ce ou surprise par dol. Eh bien ! point de différence
entre l’erreur et la violence ou le d o l. L’une ne se
présume pas plus que les autres. La simple allégation
de l’erreur ne peut donc pas avoir plus d’effet que la
simple allégation du dol ou de la violence, elle ne peut
donc pas faire retomber sur le défendeur le fardeau de
la preuve que l’exécution n’a pas été déterminée par
l’ignorance du vice de l’acte'. »
�Cette démonstration nous parait sans réplique. Nous
admettons donc que l’exécution fait présumer par ellemême la connaissance du vice de l’obligation ; que
cette présomption doit céder devant la preuve du con
traire : que cette preuve est à la charge exclusive du
débiteur prétendant se faire relever des effets de l’obli
gation.
609.
— Ce caractère de l’exécution produit en outre
cette conséquence, qu’elle emporte virtuellement l’inten
tion de purger le vice de l’obligation. Exécuter volon
tairement un acte qu’on sait être nul ou rescindable ,
c’est indiquer aussi positivement que possible qu’on re
nonce à l’attaquer désormais. Cela est si évident, que les
réserves qui accompagneraient l’exécution n ’en atténue
raient aucunement l’importance et n’apporteraient aucun
obstacle à la fin de non-recevoir qu’elle crée.
Cette décision est parfaitement juridique. Que peuvent
signifier des protestations , des réserves, à côté d’un fait
diamétralement contraire, volontairement accompli. La
seule protestation efficace, c’est de ne pas faire ce qu’on
sait n’être pas obligé défaire. Qu’y a-t-il de plus incon
ciliable avec la faculté de demander la nullité d’une
obligation, que l’exécution préalable de cette obligation?
Le fait a beaucoup plus de puissance que la parole. Toute
manifestation d’une volonté contraire à l’acte qu’on
exécute reste sans efficacité possible '.
�ET DE LA FRAUDE.
463
6 1 0 . — Il en serait autrement si l’exécution était
forcée, si elle n’était que la conséquence inévitable et
nécessaire du caractère ou de la nature de l’obligation
nulle ou rescindable. Dans l’un comme dans l’autre
cas, l’exécution cesserait d’être volontaire. Elle ne
suffirait donc pas pour créer la ratification , alors
même qu’on aurait exécuté sans réserves ni protesta
tions.
L’exécution est une conséquence de l’acte, lorsque le
fait qui la constitue découle naturellement de l’engage
ment contracté irrégulièrement. Tel est le cas rappelé
par la loi 3, paragraphe 2, Dig. de minoribus. Un mi
neur a imprudemment accepté une succession. Devenu
majeur, il a payé quelques dettes échues et urgentes de
cette même succession. Ce paiement ne saurait équiva
loir à ratification, parce qu’il n ’est qu’une conséquence
inévitable et directe de l’acceptation \
6 1 1 . — Le paiement intégral ou partiel d’une lettre
de change ou de tout autre effet négociable, entre les
mains d’un tiers-porteur, dans quelque hypothèse qu’il
ait été réalisé, ne saurait empêcher le souscripteur de
faire prononcer plus tard la nullité de l’effet contre le
premier porteur. La raison en est que la nullité du titre
n’est pas même opposable aux tiers porteurs de bonne
foi, et que l’obligation de les désintéresser demeurerait
entière, quand même le débiteur aurait obtenu judi—
1
Duranton, t. xm, n° 283,
�164
TRAITÉ DU DOL
ciairement cette nullité. Il peut donc faire avant ce
qu’il serait tenu de faire après. Un pareil paiement ne
saurait d’ailleurs jamais être considéré comme fait dans
l’intention de renoncer au recours que l’existence du dol
créerait.
Mais hors ces rares exceptions, l’exécution volontai
rement réalisée, après la découverte du vice de l’acte,
entraînerait la ratification. L’effet de celle-ci, comme
celui de la ratification expresse, assure l’existence de la
convention, la purge du vice dont elle pouvait être enta
chée, et devient une fin de non recevoir insurmontable
contre toute recherche ultérieure.
612.
— Les principes que nous venons d’exposer
pour les obligations s’appliquent aux libéralités. Re
marquons en effet que la prohibition de l’article 1339
ne concerne que les nullités de forme dont la donation
entre vifs peut être entachée. Cette restriction, person
nelle d’ailleurs au donateur, prouve suffisamment que
la donation entachée d’un vice intrinsèque-peut devenir
l’objet d’une ratification soit expresse, soit tacite. La do
nation nulle en la forme, et qui serait exécutée par les
héritiers du donateur ne pourrait plus tard être querel
lée de nullité par eux.
Les héritiers sont, par rapport aux donations consen
ties par leur auteur, placés sur la même ligne qu’à l’en
droit des dispositions testamentaires. Conséquemment
l’exécution sciemment donnée aux unes et aux autres
les purge des vices dont elles pourraient être entachées
�ET DE LA. FRAUDE.
165
tant en la forme qu’au fond; elle crée donc une fin
de non recevoir insurmontable contre toute action ulté
rieure.
SECTION II.
De la p r e s c r ip t io n .
SOMMAIRE.
613.
614.
615.
616.
617.
618.
619.
620.
621.
622.
623.
624.
Justice de la prescription contre l’action en nullité. Sa né
cessité.
Esprit delà loi à cet égard.
Fondement philosophique de la prescription, d’après
M. Troplong
Justesse de cette doctrine, lorsque l’acte a été exécuté.
Quid, lorsque cet acte n ’a reçu aucune exécution ?
Conclusion : pour prescrire, il faut que l'acte ait été exé
cuté.
Quels caractères doit réunir l ’exécution décennale. Capa
cité.
Epoque de son point de départ.
A la charge de qui est la preuve de la découverte du
dol.
Nature de la preuve admissible.
Les principes généraux sur l ’interruption de la prescription
régissent celle édictée par l’art. 1304.
En est-il de même des causes de suspension.
�166
625.
626.
627.
628.
629.
630.
631.
632.
633.
634.
635.
636.
637.
638.
639.
TRAITÉ DU DOL
L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle conformé
ment, à l’art. 1304?
Toute action serait-elle éteinte après 30 ans, si la dé
couverte du dol ne s’était réalisée que depuis moins de
10 ans.
Importance de l ’article 1304 pour la répétition de ce qui a
été payé sans être dû.
Ce n ’est que l ’action que l ’art. 1304 atteint, même dans le
cas de non exécution.
Conséquences quant à l’exception.
Origine de la règle quce temporalia adagendumperpétua
suntad excipiendum.
Motifs du silence gardé par l’article 1304 sur l’exception.
Application de la règle en matière de dol.
Condition de cette application.
L ’exception perpétuelle n’est donc que la défense à la de
mande.
La possession est le fait dominant du litige.
Conséquence dans le cas de ratification exprese ou ta
cite.
L’exception n ’est admissible que lorsqu’elle tend à conser
ver un état de chose depuis longtemps existant.
Ce caractère dicte la solution des difficultés que la question
peut faire naître. Application.
Résumé.
613.
— Si la prescription, comme moyen d’acqué
rir, a pu paraître odieuse, c’est incontestablement lors
que, invoquée par la mauvaise foi, elle vient au secours
de la violence ou du dol. Cependant les diverses légis
lations qui se sont succédées n’ont pas hésité à l’admet
tre, et cet assentiment commun que cette institution a
�ET DE LA FRAUDE.
167
rencontré à tontes les époques est un témoignage irré
cusable de sa nécessité.
Cette nécessité est d’ailleurs attestée par les considé
rations sur lesquelles est fondée la prescription. Les
transactions entre citoyens sont la base la plus usuelle
du droit de propriété. Laisser ces transactions éternelle
ment en suspend, c’était atteindre la propriété ellemême et blesser au cœur toute société. En présence
d’un pareil danger, on s’explique facilement comment,
au milieu des difficultés soulevées par son application,
l’admission de la prescription, comme principe, a été
unanimement adoptée.
Le Code civil n’a donc fait qu’accepter le legs que lui
avaient fait les précédentes législations. L’article 1304
n’a introduit qu’une seule modification, à savoir : la
détermination du délai de dix ans pour la prescription
des actions en nullité comme pour celles en rescision.
De cette manière, la controverse, qui avait si vivement
jusque là préoccupé la doctrine et la jurisprudence sur
le caractère de l’action, s’est trouvée désormais complè
tement sans objet.
614.
— Avant d’examiner le texte de cet article, il
importe de bien préciser son esprit. Nous pourrons ainsi
déterminer la nature de la prescription qu’il consacre,
et cette détermination nous servira à résoudre quelques
difficultés sur lesquelles la doctrine n’est pas encore dé
finitivement fixée.
615. — Un des jurisconsultes les plus éminents de
�168
TRAITÉ DU DOL
noire époque, M. Troplong, recherchant quels sont les
fondements philosophiques de la prescription, arrive à
cette conclusion : que les droits, considérés dans leur
idéal, ne peuvent recevoir du temps aucune modifica
tion, que ce n’est donc pas sur lui qu’est directement
fondée la prescription, qu’elle a sa base dans la posses
sion de celui qui acquiert, et dans une présomption de
renonciation chez celui qui néglige sa propriété, et que
le temps n’y intervient que comme mesure des éléments
sur lesquels elle repose.
61 G. — Cette conclusion, en ce qui concerne la dé
chéance consacrée par l’article 1304, sera d’une incon
testable justesse, s’il est vrai que le principe de cette
déchéance réside dans l’exécution que l’acte nul ou
rescindable a reçue. Cette exécution, conférant à l’un
la possession, constitue l’autre en négligence et fi
nit par faire admettre sa renonciation si, pendant dix
ans, il n’a pas revendiqué contre un pareil état de
choses.
Or, que tel soit le fondement de la prescription auto
risée par l’article 1304, c’est ce dont il n’est pas per
mis de douter. La perte d’un droit quelconque, par le
seul effet du temps, n’était pas admissible en principe,
car le temps n’intervient dans la prescription que comme
mesure des éléments sur lesquels elle repose. Le légis
lateur ne pouvait consacrer une injustice aussi fla
grante. La consécration delà prescription suppose donc
la possession d’une part, la négligence de l’autre. C’est
�ET DE LA FRAUDE.
169
le froissement d’intérêt qui en résulte, c’est le préjudice
permanent, éprouvé par celui contre qui on prescrit,
qui proteste perpétuellement contre son silence. Légale
ment mis en demeure de faire valoir ses droits, il con
somme lui-même la spoliation dont il se prétendrait
victime, si son inaction s’est prolongée jusqu’au terme
fixé pour la prescription. Or tout cela ne peut se réali
ser que par l’exécution dont l’acte nul ou rescindable a
été l’objet.
617.
— A défaut d’exécution , en effet, le débiteur
n’éprouve aucune atteinte ni dans sa fortune, ni dans
ses droits. Il ne peut être accusé de négligence, car son
intérêt ne le sollicite pas d’agir. L’existence de l’acte nul
ou rescindable constitue tout au plus une menace dans
l’avenir, menace d’autant plus vaine, que l’inaction du
créancier peut être considérée comme un aveu de l’in
validité de son titre, comme une renonciation à s’en
prévaloir. Apparente ou réelle, cette présomption excuse
le silence gardé par le débiteur, qui doit d’autant moins
s’adresser à la justice qu’il ne pourrait en obtenir que
ce qu’il possède déjà.
La prescription atteignant en cet état le débiteur se
rait un fait injuste, d’autant plus anormal que le créan
cier aurait prescrit sans avoir possédé. Or, de toutes les
conditions, la possession est la plus indispensable pour
pouvoir prescrire. Conséquemment, nul ne peut pré
tendre avoir prescrit une action, ou, ce qui est la même
chose, s’en être libéré par le laps de temps dans lequel
�170
TRAITÉ DU DOL
son exercice est circonscrit, s’il n’en a possédé l’objet
pendant tout ce temps. L’exécution de l’acte nul ou res
cindable pouvant seule donner cette possession, il faut
en conclure que, dans l’esprit de la loi , pour que la
prescription de l’article 1304 soit applicable, il faut que
l’acte ait été exécuté pendant dix ans.
Cette intention nous la rencontrons dans le texte
d’une manière bien plus formelle encore. Dans tous les
cas où l ’a c t io n en nullité ou en rescision n’est pas li
mitée à un moindre temps, par une loi particulière,
c e t t e a c t io n dure dix ans.
C’est donc l’action seule qui est déclarée susceptible
d’être atteinte par la prescription. Or, l’action n’étant
que le droit de poursuivre en justice ce qui nous est dû
ou ce qui nous appartient, la nécessité de l’intenter
suppose que celui à qui elle est imposée n’a pas ou n’a
plus ce qu’il devrait avoir, en d’autres termes, que la
convention nulle ou rescindable l’a privé d’une partie
de ce qu’il avait à recevoir ou l’a dépouillé d’une chose
qu’il avait toujours possédée et qu’il est en droit de re
demander.
Alors, mais alors seulement, l’inaction qu’il s’impose
en présence d’un préjudice flagrant, parfaitement connu,
donne à sa conduite le caractère d’abandon qui, rap
proché de la possession décennale de son adversaire,
détermine et doit déterminer la prescription.
618.
— Le texte de la loi est donc parfaitement
d’accord avec son esprit. La première condition, essen-
�I
ET DE LA FRAUDE.
171
tielle à l’application de l’article 1304, est que l’acte nul
ou rescindable ait reçu son exécution ; que celte exé
cution ail duré dix ans sans réclamation. C’est l’action
résultant de cette exécution qui prescrit par le laps
de dix ans. Ce qui le prouve encore mieux, c’est la
perpétuité de l’exception dont nous aurons à nous oc
cuper.
La prescription de l’article 1304 n’est donc qu’un
mode de ratification tacite. Seulement, l’effet que pro
duit dans celle-ci le fait postérieur d’exécution, est ici la
conséquence du silence obstiné du débiteur. Ce carac
tère de la prescription explique les conditions que la loi
a tracées dans le point de départ du délai qui la cons
titue.
619.
— L’exécution décennale n’est utilement invo
quée que lorsqu’elle émane d’une personne capable,
d’un consentement éclairé sur le vice de la convention :
Contra non valenlem agere, non curritprescriptio. Or,
la loi considère comme suffisamment empêché d’agir,
non-seulement celui qui est incapable de contracter,
mais encore celui qui ignore l’existence du droit que la
prescription doit lui ravir. C’est ce qui résulte explicite
ment de l’article 1304.
« Le délai de dix ans ne court, pour les actes faits
par un interdit, que du jour de la levée de l’interdic
tion ; pour les actes faits par un mineur, que du jour
de la majorité; pour ceux faits par la femme mariée non
autorisée, que du jour de la dissolution du mariage;
�m
TRAITÉ DU DOL
dans le cas de violence, que du jour où elle a cessé ;
dans les cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont
été découverts. »
On le voit, la loi présume dans la prescription l’effet
que la ratification produit, à savoir : la renonciation à se
pourvoir contre le vice de l’acte. Il fallait donc que dans
l’une comme dans l’autre, le débiteur pût valablement
aliéner.
6 2 0 . — Or, cette faculté n’a jamais appartenu au
mineur, à l’interdit, à la femme mariée; elle ne saurait
être exercée par celui qui ignore la nature vicieuse de
l’engagement qu’il a souscrit. Cette ignorance du vice
est présumée la cause unique de l’exécution , laquelle ,
se trouvant entachée d’erreur, ne saurait créer aucun
lien obligatoire. C’est ce qui se réalise pour la ratifi
cation ; c’est aussi ce que la loi admet pour la pres
cription.
Dès-lors le moment de la découverte du dol sera
d’une importance décisive dans les procès où s’agite la
question de prescription. L’action, en effet, se trouvera
éteinte on non, suivant la détermination que recevra ce
point de départ de la prescription. A la charge de qui
doit-on imposer le fardeau de la preuve ?
621. — Il semblerait résulter de l’article 1304 que
c’est à celui qui excipe de la prescription qu’incombe
ce devoir. Il n’y a prescription que si l’exécution s’est
réalisée dans les conditions voulues par la loi. Celui-là
�ET DE LÀ FRÀUDE.
173
donc qui invoque cette exécution devrait en justifier le
caractère, pour pouvoir utilement s’en prévaloir.
Mais les considérations que nous avons invoquées pour
la solution de cette question, à l’endroit delà ratification,
doivent recevoir, dans cette circonstance, une entière
application et conduire à une conséquence identique.
L’exécution n’est jamais présumée le résultat de l’erreur.
C’est la présomption contraire qui est seule admissible,
La partie qui l’invoque n’a donc à prouver que son exis
tence et sa durée.
Cette preuve fournie, la prescription est acquise, à
moins que le débiteur n’allègue et ne prouve que le point
de départ assigné n’est pas celui qui doit être adopté, en
d’autres termes, que la découverte du dol ne remonte
pas à dix ans. Cette allégation le constitue demandeur
en exception. La preuve est donc à sa charge, et cela
par les motifs que nous avons déjà rappelés, à savoir :
qu’elle ne peut résulter que de faits qui lui sont person
nels, que ces faits constituent nne exception établie pour
son utilité, qu’ils tendent à enlever au créancier le béné
fice de la prescription1.
622.
— Mais il n’en est pas de cette preuve comme,
de celle de l’hypothèse prévue par l’article 448 du
Code de procédure civile, elle ne doit pas être néces
sairement une preuve écrite. C’est par les documents
1 Cass.. 23 juin 1825 ; — Grenoble, 4 " mars 1827 ; — D. P., 25, î,
400; 27. 2, 95.
�474
TRAITÉ DU DOL
du procès, p arles renseignements fournis par les té
moins, c’est enfin par les présomptions qu’elle peut être
acquise.
6 2 3 . — Les principes généraux du droit sur l’inter
ruption de la prescription reçoivent une application in
contestée à celle édictée par l’article 4304, Tout acte
constitutif d’une interruption, soit naturelle, soit civile,
produirait donc .dans les conditions exigées par la loi tous
les effets dont il est susceptible.
6 2 4 . — Qu’en est-il des causes qui suspendent la
prescription? Le délai de dix ans, qui aurait commencé
de courir contre un majeur, serait-il suspendu par la
minorité ou l’interdiction de son héritier?
L’affirmative n’était pas douteuse en droit romain.
Le mineur, comme l’enseigne Ulpien, était considéré
comme lésé, en cela même qu’il n’avait pas formé en
temps utile l’action que son auteur lui avait transmise :
Hoc enim ipso deceptus videtur, quod cum posset restitui intra lempus statutam ex persona defuncti, hoc non
fçciV. On lui accordait donc, pour intenter l’action
après la majorité, le même temps qui restait au défunt
au moment de sa mort : Tempus quod habuit is cui
hœres extitit. La prescription restait donc suspendue
depuis le décès du majeur jusqu’à la majorité de son
héritier. Ce temps d’arrêt n’était que la conséquence de
1 L. 19, Dig. de m in o rib m
�ET DE LA FRAUDE.
175
la règle contra non valentem agere, non currit prescriptio.
Le fondement de cette doctrine, consacrée par notre
ancien droit, a été admis par le Code civil. L’article
2252, à la section des causes qui interrompent la pres
cription, dispose que la prescription ne court pas contre
les mineurs et les interdits. Conséquemment notre
question serait toute tranchée, si l’on déclarait cette dis
position applicable à la prescription de l’article 1304.
C’est cette applicabilité que nie Toullier. « Le Code ,
« dit cet éminent jurisconsulte , a obéi quant à ce à
« d’autres principes que le droit romain, afin de ne pas
« prolonger l’incertitude des transactions. Ce n’est qu’à
« l’égard des actes faits par les mineurs et les interdits,
« et non à l’égard des actes faits par ceux auxquels
« ils succèdent , que l’article 1304 ordonne que le
« temps ne courra que du jour de la majorité ou de la
« levée de l’interdiction. De plus, l’article 1676 porte
« expressément que le délai donné pour la rescision de
« la vente pour lésion des sept douzièmes court contre
« les absents, les interdits et les minenrs venant du chef
d’un majeur
»
Nous pourrions dire de Toullier ce que lui-même di
sait tout à l’heure de Merlin : il ne s’est pas exprimé avec
son exactitude ordinaire. Il est, en effet facile de recon
naître que des deux arguments qu il invoque, le premier
est insignifiant, le second se retorque contre son opinion
d’une manière victorieuse.
�176
TRAITÉ DU DOL
L’article 1304 n’avait qu’un objet spécial : le sort de
l’acte nul pour avoir été souscrit en minorité, en état
d’interdiction, ou rescindable pour cause d’erreur ou de
dol. Dans chacun de ces cas, il détermine le point de
départ de la prescription de l’action qui en résulte.
Mais l’article 1304 ne s’explique ni sur le cas où les
personnes, à qui appartient l’action meurent sans l’avoir
exercée et avant que le délai, dans lequel l’exercice
en est circonscrit, ait commencé de courir ni sur le
cas où elles meurent pendant le cours de ce délai , ni
sur le cas où ce sont des mineurs qui leur succèdent.
Que conclure de ce silence, sinon que, s’en référant aux
principes généraux en matière de prescription, le légis
lateur a laissé sous leur empire la solution que chacun
d’eux doit recevoir.
Ainsi dit Merlin, le législaleur est censé dire que,
dans le premier cas, l’héritier entre dans tous les droits
du défunt, et que par suite il jouit, pour intenter l’ac
tion en nullité ou en rescision, de tout le délai qui était
encore entier à la mort de celui-ci ; il est censé dire, par
la même raison, que, dans le second cas, l’héritier a pour
intenter l’action tout le temps qui restait encore au dé
funt ; il faut donc bien aussi qu’il soit censé dire que ,
dans le troisième cas, le temps qui restait au défunt ne
commencera à courir contre l’héritier que du jour où
celui-ci aura atteint sa majorité '.
Cela est d’autant plus évident, qu’on ne pourrait dé1 Question de droit, v®, rescision, § S.
�ET DE LA. FRAUDE.
177
cider le contraire sans violer formellement la disposition
de l’article 22552!. Sans doute la règle qu’elle renferme
est susceptible de quelques exceptions, mais à condition
que ces exceptions soient textuellement établies par une
disposition expresse, c’est ainsi que l’exige l’article 2252
lui-même.
Or cette exception, dans le cas de l’article 1676,
n’est qu’une conséquence du principe posé par l’article
2252. La prescription de l’action biennale court contre
le mineur et l’interdit parce que l’article 1676, confor
mément à ce principe, le décide formellement. Toullier
ne pourrait donc invoquer l’analogie qui le détermine
que si l’article 1304 s’expliquait comme l’article 1676.
Nous avons donc raison de dire que, loin d’être favo
rable à son système, cet article le repousse; il est évi
dent en effet que si l’article 1676 ne s’en était pas for
mellement expliqué, la prescription biennale de l’action
en rescision eût été suspendue par la minorité et l’in
terdiction. Donc l’article 1304 gardant le silence, il est
impossible de ne pas admettre, dans l’hypothèse qu’il
prévoit, ce qu’on aurait admis dans le cas de l’article
1676, si, à son tour, celui-ci s’était tu,
Mais, dit Toullier, il y a non-seulement identité de rai
son, mais une raison de plus pour appliquer la disposition
de l’article 1676 aux autres actions en rescision dont la
la durée est de dix ans. Les considérations qui précèdent
repoussent suffisamment cette observation, que les prin
cipes d’ailleurs condamnent. Lorsqu’il s’agit d’une exce
ption pour laquelle la loi exige un texte formel, l’exis-
�178
TRAITÉ DU DOL
tence de ce texte, pour un cas déterminé, ne saurait
autoriser son application à un autre cas non spécifié. Ce
qui en résulterait plutôt, c’est que ce dernier a été for
mellement exclu: Qui dicit de uno, de altero negat. Il
suffit donc que l’article 1676 soit une exception au prin
cipe général pour qu’il faille le restreindre au cas spé
cial qu’il prévoit, soit en vertu du principe que nous
venons de rappeler, soit parce que les exceptions étant de
droit étroit, on ne peut les étendre d’uja cas à l’autre sous
prétexte d’analogie, de parité ou de supériorité de rai
son.
Nous ne croyons donc pas que l’opinion de Toullier
puisse être suivie. L’avis contraire est seul conforme
aux véritables principes, c’est ce qu’attestent la doctrine
et la juriprudence '. On doit donc décider que dans le
cas de l’article 1304,-comme dans la prescription en
général, le délai est suspendu par la minorité et par l’in
terdiction de l’héritier du majeur, contre lequel il a com
mencé de courir.
625 — Nous avons vu plus haut que le dol engen
dre, outre et indépendamment de l’action en rescision,
l’action en dommages-intérêts , et que le plaignant
est en droit d’exercer celle-ci, soit qu’il ne veuille ou
qu’il ne puisse intenter l’autre. Cette action , comme
i Merlin, loco citato ; — Domat, L. civ„ liv. 2, tit. de la restitution,
sect, 1. n° 15 ; — Solon, des N ullités, t. n, p. 464, n° 493 ; — Limo
ges, 26 mai 1338; — D. P., 38, 2, 203.
�.‘
1.
■
X
ET DE LA FRAUDE.
179
celle en rescision, est-elle atteinte par la prescription de
dix ans?
La négative est enseignée par M. Chardon en ces
termes: « Si l’action ne tendait qu’aux dommages-in« térêts résultant du dol, elle pourrait être utilement
« exercée après les dix ans de la découverte. La règle
« générale pour les prescriptions est celle que contient
« l’article 2262 du Code civil, qui fixe à trente ans la
« durée de toutes les actions réelles ou personnelles.
« Toutes les prescriptions acquises par un laps de temps
« moins considérable ne sont que des exceptions à cette
« règle, et, comme toutes les exceptions, elles doivent
« être restreintes aux cas pour lesquels elles sont éta—
« blies. Or l’article 1304 n ’établit la prescription de dix
« ans qu’à l’égard de l’action en nullité ’.
Parfaitement d’accord avec M. Chardon sur le prin
cipe, nous ne pouvons en contester la conséquence. Mais
ce que nous ne pouvons admettre, c’est l’application
qu’il en fait à l’article 1304, lequel nous parait établir
formellement une exception à l’article 2262.
Il est vrai que cet article ne parle nommément que
de l’action en nullité ou rescision, mais l’extinction ne
porte pas seulement sur l’action ; ce que la prescrip
tion atteint, c’est principalement sa cause, or si l’ac
tion en dommages-intérêts n’a pas d’autre cause que
cellede l’action en rescision, et si, pour ce qui concerne
cette dernière, cette cause est désormais éteinte, coml T. i, p. 81, n° S4.
�180
TRAITÉ DU DOL
ment la première pourrait-elle survivre à son principe
générateur?
L’identité de la cause, dans l’action en rescision et
dans celle en dommages-intérêts, ne saurait être con
testée. Le dolseul qui motive l’une, motive l’autre. Mais
si l’acte ne peut même plus être querellé sous ce rapport,
il est évident qu’il n’y aurait aucun fondement à la de
mande en dommages-intérêts, et que celte demande ne
pourrait être justifiée.
C’est ce qui se réalise chaque jour pour la rescision, pour
vices rédhibitoires. L’existence de l’un de ces vices en
gendre deux actions: l’une en rescision, l’autres en quanti
minoris, c’est-à-dire en dommages-intérêts. Celui qui
ayant intenté l’une a succombé serait-il recevable à inten
ter plus tard la seconde? Évidemment non, car en don
nant congé sur la première, le jugement a légalement
prononcé sur toutes les deux.
Cette doctrine, que nous avons dit être celle du judi
cieux Pothier
a conduit à cette conséquence ration
nelle , que celui, qui a laissé expirer les délais de la
rédhibition, ne peut plus recourir à l’action en dom
mages-intérêts , c’est ce que la Cour d’appel d’Àix, no
tamment, a jugé dans l’affaire Agard contre Gilles, sur
le motif entre autres que le recours en dommagesintérêts, après la déchéance de l’action en nullité ou
rescision de la vente, accuserait l’inutilité de cette dé-
1 Vid. su p ra , n“ 338.
�.
ET DE LA. FRAUDE.
481
chéance en la remplaçant avantageusement par l’action
en dommages-intérêts 1.
Le même effet se produirait exactement dans le cas
de l’article 1304, si l’opinion de M. Chardon pouvait
être admise. Quel serait le bénéfice de la prescription,
si son accomplissement laisse subsister; d’une part, le
droit d’obtenir une réparation intégrale; de l’autre, l’obli
gation de faire disparaître tout préjudice occasionné parle
dol? Qu’aurait donc gagné celui qui a prescrit? Quelle
serait la peine de la négligence de celui q u ia laissé
prescrire? Le maintien de l’acte ! Mais ce maintien n’a
plus de prix réel, lorsque l’inégalité qu’il crée doit être
rachetée à prix d’argent.
Le système de M. Chardon enlève donc toute sanction
réelle à l’article 1304. L’action en dommages-intérêts ne
pourrait survivre à l’action en rescision sans briser toute
l’économie de cette disposition législative’, sans mécon
naître ouvertement l’esprit qui l’a dictée.
Nous venons de le dire, la prescription n’est, à vrai
dire, qu’un mode de ratification tacite, car elle ne ré
sulte que d’une exécution donnée en pleine connais
sance du vice dont l’obligation est entachée. Dix ans
entiers de cette exécution font consacrer qu’il a été
dans l’intention des parties de purger ce vice, lequel
se trouve dès lors complètement effacé. Or, comment
concilier cette conséquence avec le système de M. Char
don? L’action en dommages-intérêts survivrait-elle à la
1 23 décembre 1843 ; — Ju risp . de la Cour d 'M x , 1844, p. 129.
�m
TRAITÉ DU DOL
ratification expresse ou tacite? Evidemment non. Mais
alors comment pourrait-elle survivre à la ratification
légale résultant de l’exécution décennale? L’obstacle
que nous rencontrons dans le premier cas, à savoir :
l’extinction du principe générateur de l’action se rencon
tre d’une manière non moins énergique, non moins pé
remptoire. Il y a dès lors une invincible impossibilité à
décider pour l’un le contraire de ce qu’on déciderait pour
l’autre.
En résumé, si le dol crée deux actions, ces deux ac
tions , différentes quant aux résultats, n’ont qu’une
seule cause. La prescription effaçant le dol, empêchant
qu’on puisse plus tard en alléguer l ’existence, atteint
également tous les droits que celui-ci est dans le cas
de créer. Permettre de demander des dommages-in
térêts lorsqu’on s’est rendu non-recevable à 'poursui
vre la rescision de l’acte , c’est véritablement abuser
de la différence des mots et reconnaître un effetqui n’a
pas de cause.
626.
:— Nous ne pouvons donc partager l’opinion de
M. Chardon, pas plus en ce point que lorsqu’il ensei
gne qu’après trente ans, lors même que le dol n’aurait
été découvert que récemment, toute action serait prescrite.
On ne saurait se placer plus formellement en contradic
tion avec le texte de la loi, qui ne fait courir le délai de
dix ans que du jour de cette découverte. Cette décou
verte est donc un des éléments constitutifs de la pres
cription, elle en forme l’unique point de départ, à quel-
�ET DE LA FRAUDE.
183
que époque qu’elle se réalise. Conséquemment, dire
que l’exécution qui a précédé cette découverte pourra
concourir dans une proportion quelconque à l’acquisi
tion de la prescription ou la déterminer, c’est se placer
en révolte ouverte contre la volonté expresse du législa
teur, c’est consacrer une injustice en dépouillant celui
qui n’a jamais pu agir parce qu’il a toujours ignoré
qu’il eût un droit à exercer ; c’est enfin méconnaître
cette maxime si équitable ; Contra non valentem agere,
non currit prescriptio.
La prescription ne peut se justifier que par l’incon
cevable négligence apportée à la réclamation d’un droit
qu’on sait vous appartenir, qu’on est en étàt de reven
diquer. C’est ce que consacre l’article 1304, en n’ou
vrant le délai de la prescription qu’au moment de la
découverte du dol. Assigner un temps quelconque à
cette découverte, était une chose impossible. C’est donc
ajouter à la loi que de la circonscrire même dans le délai
de trente ans.
627.
— La déchéance prononcée par l’article 1304
est absolue ; il est bon de ne pas le perdre de vue, en
présence des principes concernant la répétition de l’indu.
On sait qu’aux termes de l’article 1235, ce qui a été
payé sans être dû est sujet a répétition, on sait auss
que l’action en répétition dure trente ans. Or, celui qui
a soldé une obligation entachée de dol pourrait pré
tendre avoir payé ce qu’il ne devait pas , et consé
quemment vouloir se placer sons le patronage de la
prescription trentenaire.
�184
TRAITÉ DU DOL
Il est certain que le dol n’oblige ni naturellement ni
civilement. Celui qui a payé une dette qui en est viciée
a donc réellement payé ce qu’il ne devait pas. Mais si on
pouvait, en pareille matière, invoquer les principes de
la répétition, on arriverait à cette singulière antinomie
qu’un droit, éteint en vertu de l’article 1304, survivrait
pendant vingt ans encore à cette extinction. Cet article
ne serait donc plus qu’une menace inutile et vaine.
Un pareil résultat est la condamnation la plus éner' gique du système qui le verrait se produire. Nous pou
vons donc, par l’effet seul, juger que le législateur n’a pu
admettre la cause. C’est au reste à quoi aboutit l’appré
ciation des véritables principes en matière de répétition
. de la chose non due.
Il n’y a payement non du que lorsque la dette n’exis
tait pas ou n ’existait plus au moment où elle a été payée;
et que cette circonstance, ignorée au moins par le débi
teur, a seule déterminé le payement. L’erreur sur la qua
lité respective de créancier et de débiteur est tellement es
sentielle que celui qui paye, sachant qu’il ne doit pas, se
rend non-recevable à répéter : Sed si sciens se non debere, indebilum solvit, cessât repetilio... Enim veto
indebilum solutum sciens, non recte repetit'.
Cette doctrine n’est que la conséquence de cette idée
fort juste ; qu’on ne paye pas uniquement pour se pro
curer le plaisir de redemander judiciairement ce qu’on
n’était pas obligé de payer. Conséquemment, celui qui
,1
1 L. 1, Dig. et L: 9, Cod. de condict. indebili.
' *7
�ET DE LA FRAUDE.
185
paie sciemment une dette qu’on lui réclame, qui ne peut
en conséquence exciper d’une erreur quelconque, prouve
suffisamment que cette dette constituait au moins pour
lui une obligation naturelle, et ce motif suffit pour ren
dre l’action en répétition non-recevable.
Ainsi l’exercice de la répétition suppose le paiement
par erreur d’une dette qui n'existait pas, soit que le pré
tendu débiteur ne se fût jamais engagé, soit que la dette
existant dans le principe eût déjà été payée par lui, soit
enfin qu’il ne fût pas le débiteur véritable.
Or, celui qui paie une dette, en vertu d’un engage
ment qu’il a souscrit, ne se place dans aucune de ces
hypothèses. Que la dette ait été contractée par le résul
tat de la violence, de l’erreur ou du d o l, qu’elle soit
sans cause ou sur une cause fausse ou illicite, elle n’en
existe pas moins, elle n'en est pas moins le fait du dé
biteur, qui demeure obligé tant qu’il n’a pas fait pro
noncer en justice la nullité de son engagement. Un con
sentement extorqué, dit Pothier, n’en est pas moins
obligatoire tant que le lien n’en a pas été régulière
ment rompu. Donc l’exécution de l’obligation, le paie
ment qu’elle a déterminé, n’est qu’une conséquence
naturelle de l’existence de l’obligation elle - même.
Donc la dette payée était due aux yeux de la loi posi
tive.
Comment donc pourrait-elle être répétée lorsque le
débiteur, pouvant la faire annuler , l’a au contraire ac
ceptée et payée. Car il faut nécessairement admettre que
le paiement a été réalisé en pleine connaissance dq
�186
TRAITÉ DU DOL
vice de l’obligation. En effet, si le dol n’était pas dé
couvert lors du paiement, il est inutile de recourir aux
principes de la répétition. L’action en nullité est ou
verte du moment où le dol apparaît, et cette action
suffit pour déterminer la restitution de ce qui a été
payé.
Que si le paiement a été fait avant la découverte du
vice et que, celle-ci se réalisant, le débiteur ait gardé le
silence pendant dix ans, ce silence équivaut à ratifica
tion. L’acte ainsi confirmé est désormais inattaquable.
O r, la dette existant dès lors légalement, le paiement
qui l’a éteinte ne saurait devenir l’objet d’une action en
répétition.
Ainsi tant que l’action en nullité n’est pas prescrite,
elle sauvegarde suffisamment les intérêts du débiteur,
elle est pour lui à l’instar de la répétiton, puisqu’elle
amène le remboursement de ce qu’il a injustement
payé. Après l’extinction de cette action , il existe réelle
ment une dette obligatoire puisant ce caractère dans la
ratification dont elle a été l’objet, soit expressément, soit
tacitement, soit par l’effet de la prescription. Il ne peut
donc y avoir lieu à répétition, par la meilleure de toutes
les raisons, à savoir : parce que le paiement s’applique
à une dette due.
Les considérations qui précèdent nous paraissent de
nature à applanir les difficultés que pourrait faire naître
la distinction entre les cas où l’on pourrait être appelé
à exercer soit l’action en rescision, soit l’action en ré
pétition. Le paiement a-t-il été la conséquence de l’er-
x
�ET DE LA FRAUDE.
187
reur sur l’existence actuelle de la dette, sur la qualité
respective de créancier et de débiteur? C’est l’action en
répétition qui est ouverte. Toutes les fois, au contraire,
que l’erreur a porté sur les caractères extérieurs ou es
sentiels de l’obligation, sur sa validité, l’action est dé
terminée par l’objet qu’elle se propose. Or, dans cette
hypothèse, la restitution ne sera que la conséquence de
la constatation du vice de l’obligation, de la nullité qui
en résulte. C’est donc cette nullité qu’on doit établir a
priori, et dès lors l’action rentre nécessairement sous
l’application de l’art. 1304.
6 2 8 . — Nous avons raisonné jusqu’ici dans l’hypo
thèse de l’action intentée après l’exécution de l’acte, et
nous avons dit que la prescription n’était elle-même
que la conséquence de cette exécution. Il est cependant
certain que, même dans le cas où l’acte n ’a pas été
exécuté, l’action du débiteur se prescrirait par dix ans,
en ce sens qu’après ce délai il ne pourrait plus directe
ment faire prononcer la rescision de l’obligation.
6 2 9 . — Mais, loin d’affaiblir notre système, ce point
de vue vient lui donner une éclatante confirmation. En
effet, le créancier, dans cette hypothèse, ne gagne à la
prescription que d’être affranchi de la nécessité de se dé
fendre en justice contre la demande en rescision, ses
droits, quant à la chose ayant fait l’objet de l’obligation
demeurent ce qu’ils ont été jusque-lè, une menace d’au
tant plus vaine que, le jour où il voudra les réaliser, le
�188
TRAITÉ DU DOL
débiteur aura la faculté de faire prononcer par voie
d’exception la rescision qu’il ne peut requérir par voie
d’action. Ici, en effet, s’applique la maxime : Quœ
temporalia sunt ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum.
6 5 0 . — Il n ’est peut-être pas de règle qui soit plus
souvent invoquée au palais que celle que nous rappe
lons, ii s’en faut pourtant qu’elle le soit toujours à pro
pos. Cette circonstance, et l’importance d’ailleurs qu’elle
a pour les droits qu’elle est dans le cas de protéger, nous
font un devoir d’en rechercher le sens, d’en préciser
l’étendue. Nous déterminerons ainsi les cas dans les
quels elle doit être appliquée.
Que cette règle puise son origine dans certains textes
du droit romain, c’est ce dont il est permis de douter.
À notre avis, Merlin ' prouve le contraire avec autant
de supériorité de raison que de clarté.
Ce qui est certain, c’est qu’elle avait été consacrée en
principe par notre ancien droit. Mais , d’accord sur ce
principe, les docteurs étaient loin de s’entendre sur son
application. Quelques-uns mêmes allaient jusqu’à l’ex
clure, lorsque ce qui faisait l’objet de l’exception avait
pu être proposé par voie d’action.
Cette doctrine, comme l’observe Merlin, dénaturait
complètement le principe. La faculté d’agir perpétuelle
ment par exception, lorsque l’action n ’est que tempo1 Répert.,
prescription, sect. 2, S25.
�ET DE LA FRAUDE.
189
raire, implique forcément le concours de l’action et de
l’exception. Prohiber celle-ci, lorsque l’autre n’avait pas
été exercée, c’était donc refuser d’appliquer la règle au
cas pour lequel elle a été précisément faite et qu’elle
paraissait devoir exclusivement régir.
C’est cependant cette erreur grave que les rédacteurs
de l’ordonnance de 1539 avaient consacrée, en inscri
vant dans l’article 134 : qu'après l’âge de 35 ans par
faits et accomplis ne se pourrait, pour le regard du
privilège ou faveur de minorité, plus déduire ou pour
suivre la cassation des contrats, e n d e m a n d a n t ou e n
DÉFENDANT.
Ainsi la prescription atteignait, sous l’empire de cette
ordonnance, non-seulement l’action, mais encore l’ex
ception. Mais cette disposition avait été, à l’endroit de
celle-ci, sévèrement appréciée par la doctrine. In hoc
iniqua est constitutio, s’écriait Dumoulin, et cette opi
nion si grave avait suffi pour que dans la pratique le
texte rigoureux de l’ordonnance ne fût appliqué que
lorsque, sous le rôle apparent de défendeur, le mineur
venait, comme véritable demandeur, après dix ans de
la majorité, exciper de la lésion soufferte en mi
norité.
Les termes de l’article 1304, en regard de ceux de
l’ordonnance de 1539, prouvent que le législateur nou
veau a formellement proscrit le système de celle-ci. La
réprobation qui avait d’ailleurs accueilli ce système lui
en faisait un devoir. Cependant M. Duranton voit, dans
le silence gardé sur l’exception, l’intention ne suivre au-
�190
TRAITÉ DU DOL
jourd’hui encore l’opinion des rédacteurs de l’ordon
nance. Mais cette doctrine nous parait insoutenable en
présence du texte, mieux encore de l’esprit de la loi.
6 3 1 . — L’article 1304 n’a pas dit que l’exception
serait prescrite, parce que l’exception à l’aide de laquelle
on veut se maintenir en possession suppose, chez celui
qui en excipe, la possession actuelle et ancienne de ce
qui fait l’objet du litige. Celui qui veut le dépouiller n ’a
donc pas cette possession, et, en cet état, comment con
cevoir la possibilité d’une prescription ? On ne peut
prescrire qu’autant qu’on a possédé, que ce qu’on a
possédé : Tantum prescriptum quantum possessum. Il
suffit donc que celui qui revendique n’ait rien possédé,
pour qu’il n’ait pas, nous ne dirons pas prescrit, mais
pu prescrire. Si quelque chose avait pu être atteint par
la prescription, ce serait le droit qu’on cherche à faire
valoir après un silence et une inaction de plus de dix
ans. Ainsi, l’absence de toute possession ne permettait
pas de placer l’exception sur la même ligne que l’action
dans l’hypothèse contraire, et voilà pourquoi l’article
1304 se borne à soumettre celle-ci à la prescription
qu’il édicte. Le silence qu’il garde sur l’exception ne
peut donc être interprété comme le fait M. Duranton.
On ne comprendrait pas d’ailleurs ce silence si le Code
n ’avait voulu que ce que voulait l’ordonnance. La
chose méritait certes bien qu’il s’en expliquât nette
ment.
6 3 2 . — L’esprit de la loi ainsi fixé, nous arrivons à
�ET DE LA FRAUDE.
191
cette conséquence que l’exception perpétuelle suppose
l’existence d’une action actuellement prescrite. C’est évi
demment ce qui se réalisera dans le cas de dol, lors
que la prescription décennale aura fait disparaître l’ac
tion. Dès lors, la recevabilité de la maxime quœ temporalia, etc., ne peut être contestée. Nous ne connaissons
guère que M. Duranton qui l’ait combattue '. Mais il
suffit de lire ce qu’il a écrit à ce sujet pour s’étonner
qu’un jurisconsulte aussi distingué n’ait pas jugé par
l’embarras de ses développements et par la gravité des
doutes qu’il signale qu’il n’était pas dans la voie des vé
ritables principes.
Son opinion, indépendamment de ce qu’elle est à peu
près isolée, est combattue par une nombreuse et imposantejurisprudence, couronnée par un arrêt de la Cour
de cassation du 1er décembre 1846 \
633.
— Cette arrêt nous fournit l’occasion natu
relle de passer de ces considérations générales aux con
ditions que le juge doit exiger pour appliquer la règle
que nous examinons. Or, la première et la plus indis
pensable de ces conditions, c’est que l’obligation nulle
ou rescindable n’ait encore reçu aucune exécution. Ainsi,
la Cour, de cassation pose en principe que l’exception ne
peut être utilement invoquée qu’autant que celui qui
s’en prévaut est constamment resté en possession d el’ob-
1 T. il, n° 549.
- Journal du Palais, 1 .i, p. 16, 1847.
�192
TRAITÉ DU DOL
jet ayant fait la matière de cette obligation. Alors, en
effet, le créancier n’a pu prescrire, ainsi que nous ve
nons de le dire, et, de son côté, le débiteur n’ayant ja
mais éprouvé de préjudice, ne peut être présumé avoir
renoncé au droit que l’existence du dol lui conférait.
L’exception n’est en conséquence qu’un moyen de se dé
fendre contre une injuste spoliation qu’il ne dépendait
pas du créancier de faire réussir en retardant à dessein
le moment de la poursuivre. L’attaque se réalisant, la
défense a le droit de se produire, car, comme l’observe
Merlin, rien n’est plus conforme à l’équité que de faire
durer le droit de se défendre aussi longtemps que
dure le droit d’attaquer, et de ne jamais considérer
comme trop lente la défense qui est aussi prompte que
l’attaque.
> ’ •
: 6 5 4 . — L’exception perpétuelle doit donc offrir ce
caractère qu’elle n’est que la défense à la demande. Dès
lors elle suppose que l’acte rescindable n’a encore reçu
aucune exécution ; dans le cas contraire, le débiteur
ne possédant plus ne pourrait plus en invoquer le bé
néfice.
Ainsi, je suis induit, par dol, à vendre tout ou partie
de ce que je possède. Découvrant le dol, je refuse de li
vrer l’objet vendu qne je continue de posséder. Dix ans
après, l’acquéreur me poursuit, en exécution de la
vente, j ’ai le droit d’en faire prononcer la résiliation.
Vainement opposerait-on la prescription, cette prescrip
tion m’a enlevé la faculté de faire prononcer la res-
�193
cision par voie d’aclion, mais l’absence d’exécution , la
continuité de la possession, enfin ma qualité de défen
deur m’autorisent à me prévaloir de la maxime quœ
temporalia, etc.
ET DE LA FRAUDE.
6 3 5 . — La possession est donc réellement le fait do„
minant du litige. De là, cette conséquence que le débi
teur qui l’aurait perdue ou qui ne l’exercerait pas;wre
suo, ne pourrait, après la prescription de l’action, de
mander la rescision de l’acte par voie d’exception. La
possession, pour conserver, doit offrir les caractères exi
gés pour celle qui fait acquérir, c’est-à-dire qu’elle doit
être paisible, publique et exercée animo domini. Une
possession matérielle, contraire à un titre régulier ou
entachée de précarité ne suffirait donc pas.
656. — Dès lors, celui qui aurait ratifié l’obliga
tion rescindable , soit expressément, soit tacitement, et
qui aurait ainsi aliéné le droit de l’attaquer par action,
ne serait plus recevable à en demander l’annulation par
voie d’exception. La possession de fait dont ilexciperait
ne pourrait prévaloir contre le titre régulier et légitime
de son adversaire, à moins q u e , s’étant prolongée au
delà de trente ans, elle fût sanctionnée par la prescrip
tion. La même fin de non recevoir écarterait la préten
tion à faire rescinder l’acte par exception, lorsque le dé
fendeur n’a conservé les biens qu’il détient qu’à titre de
locataire ou de fermier.
�194
TRAITÉ DU DOL
6 5 7 . — En dernière analyse, l’exception n’est proposable que lorsqu’elle a pour objet de maintenir un fait
existant au moyen de l’annulation d’un titre contraire.
C’est ce qui se réalise lorsque celui qui est actionné en
revendication excipe de sa possession constante et de
mande la rescision du titre en vertu duquel on veut l’en
dépouiller.
Mais lorsque dépouillé, soit de fait, soit en vertu d’un
titre dont il a reconnu la validité, il veut reconquérir ce
qu’il a perdu, sa prétention ne peut plus constituer une
exception. De quelque manière qu’elle se produise, elle
n ’en constituera pas moins une action tombant sous
l’application des articles 1304 et 1338. Ainsi, la maxime
quœ temporalia, etc., n’est applicable que lorsqu’il s’a
git de conserver ce que l’on possède. Elle ne peut jamais
être appelée au secours d’une prétentionvtendant à se
faire restituer ce qu’on a perdu. La possession de l’ob
jet en litige est donc une condition sans laquelle on ne
saurait même l’invoquer. Cette conclusion de la Cour de
cassation n’est que la consécration des principes anciens
sur la matière
'.
'S
638.
— C’est dans ce caractère essentiel de l’ex
ception que se trouve la solution des difficultés que son
applicabilité peut créer dans certains cas. La loi 9, § 4,
Dig., de jurejurando, nous offre une hypothèse qui
i Vid. I,. 31, Dig. guibus causis m ajores, etc ; président Favre, Rationalia in pandectas, su r la L . 9, S 4, de ju r e ju ra n d o .
�ET DE LÀ FKAUDE.
195
peut fréquemment se présenter encore : un individu,
déchu de l’action en rescision, intente purement et sim
plement l’action en revendication de l’objet qu’il pré
tend lui appartenir, sans indiquer le titre qui l’en a dé
pouillé. Lorsque ce titre lui est opposé, il en demande à
son tour la rescision, répondant au reproche de prescrip
tion par la maxime quœ temporalia, etc.
Evidemment l’application.de cette maxime est ici in
voquée par voie d’exception , mais elle n’en doit pas
moins être refusée. Son objet n’est plus de conserver, il
tend à faire acquérir un droit définitivement aliéné. Dès
lors celui qui l’invoque n’est pas dans les conditions
voulues par la loi. Qu’importe, en effet, qu’en formulant
sa demande première, il n’ait fait aucune mention du
titre qu’il savait exister? Ce silence ne peut changer l’é
tat des choses, ni surtout empêcher que la revendica
tion exercée ne puisse être accueillie tant que le titre
restera debout. Sa rescision est donc l’objet principal
du litige, le but réel de l’action principalement in
tentée, dès lors si, p a rla prescription encourue , cette
rescision n’est plus admissible, cette demande doit être
rejetée.
S’il suffisait du détour que nous venons de signaler
pour échapper à l’article 1304, sa disposition ne serait
bientôt plus qu’une lettre morte sans efficacité, sans ap
plication. On évitera ce fâcheux résultat en appréciant
la prétention dont on investit la justice plutôt par ses
effets que par la circonstance dans laquelle elle se pro
duit. L’exception est-elle invoquée à l’appui et pour le
�196
TRAITÉ DU DOL
maintien d’un état des choses actuel? Elle est perpé
tuelle, la règle quce temporalia , etc., est applicable.
A-t-elle pour objet de faire acquérir un droit perdu, la
possession d’une chose dont on s’est dépouillé? Elle
constitue une véritable demande principale régie par la
disposition de l’article 1304. L’invocation de la maxime
quœ temporalia, etc., n ’est qu’un abus.
Il en est de même lorsque cette Invocation est faite
pour échapper à la prescription qu’on oppose contre une
demande qui, sans être une défense contre l’action à
laquelle on défend, tend cependant à la modifier ou à
en atténuer les résultats. Telles sont les demandes re
conventionnelles ou en compensation.
Henrys estime que ces demandes constituent des ac
tions plutôt que des exceptions. Ce sont, dit-il, des de
mandes réciproques accumulées, et le défendeur, par
ces exceptions, tend plutôt à une compensation qu’à dé
truire la demande principale. Par exemple : Titius fait
demande à un journalier, à un laboureur , du paie
ment d’une obligation, le défendeur excipe de quelques
journées ou labourages qu’il prétend avoir fait pour
lui. Cette exception n’est pas inhérente à l’action
principale, c’est plutôt une nouvelle action qu’une ex
ception '.
De là Henrys conclut, avec raison, que, si cette ex
ception était à son tour repoussée par celle de prescrip
tion, celui qui l’oppose ne pourrait se prétendre relevé
�ET DE LA FRAUDE.
197
de celle-ci par l’action principale à laquelle il défend.
L’action, en effet, ne produit ce résultat qu’à l’endroit
de l’exception qui lui est viscérale et connexe, qui pro
cède, conséquemment, de l’action elle-même qu’elle a
pour but d’anéantir : Quœ périrait actionem. Or , tel
n’est pas, évidemment, le caractère de l’exception com
pensatoire ou reconventionnelle. Elle ne peut être ad
mise que si elle est fondée en fait et en droit ^au mo
ment où on l’oppose. Dès lors, si elle se trouve frappée
de prescription, les conditions de la raison et de la loi
ne se rencontrent plus, et le rejet qui l’accueille n’est
qu’un devoir rigoureux pour le magistrat.
L’absence de connexité entre les deux droits les rend
tellement indépendants l’un de l’autre, que les diligen
ces faites par le créancier de l’un ne sauraient même
suspendre la prescription à l’égard de l’autre. Ainsi, il
suffirait que la prescription non accomplie au moment
de l’introduction de l’instance, le fût au moment où
l’exception se produit, pour que cette exception dût être
rejetée. C’est ce que la Cour de cassation a formellement
décidé par arrêt du 30 mars 1808.
Ainsi, la nature de la demande reconventionnelle ou
en compensation n’est nullement modifiée parce qu’au
lieu d’être introduite par action principale, elle est oppo
sée par exception à une instance pendante. Elle ne peut
triompher dans ce cas que si elle eût dû être accueillie
dans le premier. Donc, la prétention d’échapper à la
prescription qui l’eût repoussée dans celui-ci, par ap
plication de la maxime quœ temporalia sunt ad agen-
�198
TRAITÉ DU DOL
dum, sunt perpétua, ad excipiendum, n’est ni admis
sible ni fondée; elle tend à confondre deux choses
essentiellement distinctes et à poursuivre abusivement
un avantage que la raison et la loi repoussent égale
ment.
639.
—• En résumé, la perpétuité de l’exception est
admise par notre législation. Mais ce caractère n’appar
tient qu’à celle qui est viscérale et connexe à l’action
elle-même et dont le but est d’obtenir par le rejet de
cette action le maintien et la conservation de l’état des
choses qu’elle met en question. Réclamer un droit dont
on s’est dépouillé en se ménageant la faculté de le faire
par voie d’exception, opposer à une demande une pré
tention qui, sans la détruire, doit en modifier ou en
atténuer les effets, c’est former une demande principale
plutôt qu’opposer une exception, dans quelque circons
tance qu’on se trouve placé. Dès lors, la prescription qui
a éteint le droit est un obstacle invincible à ce qu’il
puisse être revendiqué. Décider le contraire par appli
cation de la maxime quœ temporalia sunt adagendum,
sunt perpétua ad excipiendum, ce serait méconnaître
son véritable caractère
et lui accorder une étendue dont
•»
elle n’est pas susceptible.
�ET DE LA FRAUDE. '
199
DE LA FRAUDE.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
SOMMAIRE.
640. Nature de la fraude.
641. Ses caractères.
642. Diverses espèces de fraude.
640.
— La fraude , plus subtile encore que le dol,
n’en est que plus redoutable. Laissant moins de traces
de son passage, parce qu’elle exige moins de calcul dans
sa perpétration, elle n’en est que plus difficile à saisir,
sans cependant que l’intérêt s’attachant à sa répression
soit moindre aux yeux du législateur, aux yeux de la
morale.
C’est donc servir celle-ci que de s’occuper des moyens
pouvant amener cette répression. Sans doute il est im
possible de suivre la fraude dans tous ses développe
ments, de la signaler avec certitude dans tous les con
trats qu’elle vicie. Mais en désigner les principaux ca-
�200
TRAITÉ DU DOL
ractères, dire quelles en sont les allures ordinaires, c’est
faciliter les recherches confiées aux tribunaux, préparer
la solution que les litiges doivent recevoir, et concourir
ainsi à rendre plus facile et plus sûre la mission que le
juge a à remplir.
641.
— Heureusement qu’en matière de fraude la
conscience du magistrat a, dans les résultats du fait, un
auxiliaire puissant. L’existence certaine d’un préjudice
crée, indépendamment de toute fraude, le droit d’obte
nir une réparation. La constatation de ce préjudice est
donc un grand pas dans l’appréciation de l’intention im
putée à son auteur.
Rappelons, en effet, que l’existence d’un préjudice
est le caractère essentiel de la fraude. Que ce préjudice
ait été préparé au moment du contrat, qu’il en ait été la
cause déterminante ou bien qu’il ne soit que la consé
quence d’une pensée que l’exécution du traité aura fai'
surgir, peu importe. La fraude peut exister sans avoir
été préméditée ; elle se réalise par cela seul qu’il y a
préjudice : Fraus non in consilio, sed in eventu.
Admettre le contraire, c’était confondre le dol et la
fraude, c’était s’exposer à rendre la répression de celleci impossible en présence même du préjudice le plus
considérable. Rarement, en effet, trouvera-t-on la fraude
dans l’origine des contrats; c’est dans l’exécution qu’elle
se manifestera le plus habituellement ; et le plus ordi
nairement aussi, c’est par le résultat lésif qu’elle don
nera à cette exécution qu’elle décèlera son existence.
�ET DE LA FRAUDE.
201
Conséquemment, la saisir dans ce résultat, pour lui en
enlever le bénéfice, devient le contre-poids indispensable
de la facilité qu’elle a à se produire.
642.
— Nos anciens jurisconsultes avaient d’abord
admis onze espèces de fraude. Bientôt une classification
plus exacte les réduisit à trois, savoir : la fraude con
sommée par une partie au détriment et à l’insu de l’au
tre partie, c’était la fraude de re ad rem; celle concer
tée par les parties pour tromper les tiers étrangers à
l’acte, on l’appelait de persona ad personam ; enfin, la
fraude de contracta in contractum, consistant à dissi
muler, sous la forme de l’acte’, le contrat réel que les
parties avaient voulu faire '.
Cette distinction embrasse aujourd’hui toute la ma
tière. Sous l’empire de notre législation, en effet, la
fraude est restée l’art perfide de braver les lois avec
l’apparence de la soumission, de violer les traités en
paraissant les exécuter, et de trom per, par l’extérieur
des actes et des faits, sinon ceux qu’on dépouille, du
moins les tribunaux dont ils pourraient invoquer la
puissance \
Il y a donc trois espèces de fraude, ayant chacune ses
règles particulières, ses principes spéciaux, ses effets
distincts. Cette distinction trace la division que nous
avons à suivre. Mais avant d’examiner ce qui se rapporte
1 Dànty, de la P reuve test., p. 478, n° 30.
2 Chardon,, de la Fraude, t. n , p. 1
�m
TRAITÉ DU DOL
à chaque espèce, nous devons exposer ce qui con
cerne la fraude en général et le mode adopté pour sa
constatation.
CHAPITRE Ier.
DR L A P R E U V E D E L A F R A U D E .
SOMMÀIRE.
643.
644.
Caractère que doit avoir la preuve.
Comment et par quels moyens on peut la fournir.
643.
— L’existence certaine de la fraude dont on se
plaint est la première et la plus indispensable condition
de la réparation réclamée. C’est donc à celui qui pour
suit cette réparation qu’incombe la charge de prouver
l’existence de la fraude.
Cette preuve, pour être utile, doit tendre à établir d’a
bord un préjudice certain et incontestable ; en second
lieu, que le fait dont il résulte est un fait illégal ou illé
gitime ; enfin, que ce fait émane de celui à qui on l’im
pute.
�ET DE LA FRAUDE.
203
Qu’importe, en effet, qu’on ait révélé l’existence d’un
fait même nuisible, si l’auteur de ce fait peut se retran
cher dans le droit qu’il avait de l’exécuter. Ce que la loi
considère comme une fraude punissable, n’a jamais été
ni pu être l’exercice d’un d ro it, quelque dommageable
qu’il puisse être pour des tiers. C’est uniquement le pré
judice résultant d’une pensée méchante que rien ne sau
rait justifier ou faire admettre, n’ayant d’autre but que
de s’enrichir au détriment d’autrui.
Celui-là donc qui, sur le reproche d’un fait domma
geable, pourra répondre jure feci, ne saurait encourir
aucune responsabilité, ni être tenu à aucune réparation.
Mais l’exercice d’un droit ne serait pas une excuse suf
fisante pour l’abus en signalant l’exécution. Conséquem
ment, le magistrat a toujours , dans l’appréciation du
droit, à rechercher si son exercice s’est ou non renfermé
dans de justes limites.
644.
— Par quels moyens la preuve de la fraude
peut-elle être fournie? En général, il en est de la fraude
comme du dol, elle ne se présume pas. Cependant cette
règle reçoit des exceptions, il est des cas où la fraude
est tellement imminente, tellement prochaine, que la loi
l’a admise de plein droit. Il en est d’autres où la fraude
résulte invinciblement du fait lui-même. Dans toutes ces
hypothèses, pas de difficultés possibles, la fraude est lé
galement prouvée.
Mais hors ces exceptions, la preuve doit être fournie
par écrit dans certains cas, par témoins dans d’autres,
�204
TRAITÉ DU DOL
ainsi que nous allons le voir, après avoir établi ce qui
concerne la présomption de fraude.
SECTION I".
De la fra u d e p résu m ée .
SOMMAIRE.
645.
646.
647.
648.
649.
650.
651.
652.
653.
654.
Caractère et motif de la présomption.
La renonciation à une succession non ouverte est présumée
frauduleuse.
Quelle est la législation applicable au pacte sur succession
future, antérieur au Code, lorsque la succession ne s'est
ouverte que depuis sa promulgation? •
Le pacte est-il susceptible de ratification après l ’ouverture
de la succession ?
La renonciation pour un seul prix à deux successions,
l ’une ouverte et l ’autre non échue, est nulle pour le
tout.
Examen de deux arrêts invoqués à l ’appui de la divisibi
lité.
La libéralité faite à un incapable est présumée fraudu
leuse.
Moyens employés pour se soustraire à celte présomption.
Conséquences.
Motifs et fondement de la présomption.
Son caractère.
�ET DE LA FRAUDE.
655.
205
La société universelle entre personnes incapables de se don
ner ou de recevoir est présumée frauduleuse.
656. Débats que l’article 1840 du Code civil a soulevés dans la
séance du conseil d’Etat.
657. Caractère de cette disposition. Ses conséquences par rap
port aux hypothèses prévues par l’art. 911.
658. Effets de la présomption de fraude.
659. La société universelle entre un père et son enfant est-elle
nulle intégralement ou seulement réductible ?
659 [bis). Société de commerce avec un successible.
660. La dette de jeu est présumée frauduleuse.
661. Difficultés que présente cette présomption dans son appli
cation aux paris sur la hausse ou la baisse des effets
publics.
662. A quels caractères doit-on reconnaître le pari illicite ?
663. Avantages de l ’article 422 du Code pénal sur la législation
précédente. Nature et origine de celle-ci.
664. Inconvénient du système actuel.
665. L’appréciation de la légalité des jeux de bourse est aban
donnée à l ’arbitrage souverain du juge.
666. Application des principes précédents au jeu sur marchan
dises.
667. Caractères spéciaux devant frapper l ’attention du juge. Ab
sence de sommation de prendre ou de livrer les objets
vendus.
668. Antécédents, moralité des parties, importance des ventes.
669. Il n’y a réellement opération illicite que lorsque le jeu a été
consenti par les deux parties Conséquences.
670. La dette de jeu doit être annulée, sous quelques formes
qu’elle ait été déguisée Jurisprudence conforme.
671. Résumé.
672. Exceptions à la règle générale de l’article 1965 du Code
civil.
673. Caractère de ces exceptions.
�206
674.
TRAITÉ DU DOL
La faculté d ejejeter la demande n ’emporte pas celle de la
réduire.
675. Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive ou frau
duleuse. Conséquences quant à la répétition de ce qui a
été payé.
676. Nature du paiement dont parle l ’article 1967 du Code civil.
677. Le tiers qui a payé la dette du perdant a-t-il contre celuici l ’action en répétition ?
678. Quid, si le tiers a été le mandataire de la partie dans l ’opé
ration illicite.
679. Il y a présomption de fraude pour les actes constituant le
stellionat.
680. Nature de la présomption dans le cas de vente ou d’hypo
thèque de la chose d’autrui.
681. Dans le cas où l’on présente comme libres des immeubles
grevés, ou qu’on déclare des hypothèques moindres que
celles existant.
682. Le silence gardé dans l ’acte sur l ’existence ou la quantité
des hypothèques ne constitue pas le stellionat.
683. Il n'en est pas de même pour les maris et les tuteurs ; pour
eux, l ’omission équivaut à la fausse déclaration.
684. Peut-on, dans ce c a s, prendre en considération la bonne
foi des uns ou des autres ?
685. En quoi consiste la bonne foi dans cette hypothèse?
686. Il n ’y a stellionat dans le cas de fausse déclaration que de
la part de l ’auteur de cette déclaration. Conséquence à
l ’égard de la femme qui s’est solidairement engagée.
687. Le stellionat n ’est punissable qu’autant qu’il existe un pré
judice possible.
688. L’acquéreur de la chose d’autrui peut faire condamner le
vendeur stellionataire, avant même d’être troublé dans
sa possession.
689. Peine du stellionat.
690. La vente entre époux est présumée frauduleuse. Motifs de
cette disposition.
�ET DE LA FRAUDE.
691.
692.
693.
694.
693.
696.
697.
698.
699.
700.
701.
702.
703.
704.
705.
706.
707.
708.
709.
710.
711.
712
207
Inconvénients du système contraire. Différence entre le
droit romain et le droit coutumier.
C’est ce dernier droit que le Code a consacré.
Exceptions à la règle générale.
Caractère de la première exception.
De la seconde, son étendue.
De la troisième.
Résumé.
Conditions pour pouvoir se placer dans l’exception.
La vente entre époux, au mépris de la lo i, est nulle par
rapport aux tiers.
Quid vis-à-vis des héritiers ?
Quel est le sort des acquisitions que la femme prétend
avoir faites pendant la durée du mariage?
Prohibition que l'article 1396 du Code civil fait à certaines
personnes de se rendre adjudicataires. Ses motifs.
Cette prohibition est-elle applicable au subrogé-tuteur?
L’article 711 du Code de procédure civile complète la caté
gorie des incapables créés par l’article 1596 du Code
civil.
Par qui peut être invoquée la nullité de l’adjudication rap
portée contrairement à ces deux dispositions.
Motifs de la prohibition pour les juges, etc., de se rendre
cessionnaires de procès, droits ou actions litigieux ?
Que faut-il entendre par procès, droits ou actions liti
gieux ?
Qui est recevable à poursuivre la nullité de la cession ?
L’interposition de personnes dans les deux cas précédents
obéirait-elle à la règle tracée par l ’article 911 ?
Nature de la prohibition faite aux courtiers’ou agents de
change par les articles 85 et 86 du Code de com
merce.
Peine encourue par la violation.
La loi ne prononce pas la nullité de l ’opération illicite,
ar quels motifs.
�208
713.
714.
715.
716.
717.
718.
719.
720.
721.
722.
723.
724.
TRAITÉ DU DOL
Mais on ne saurait, dans tous [les ca s, refuser de la pro
noncer sur la demande de l’autre partie. Distinction pro
posée.
La nullité opposable au courtier peut être opposée à la
personne que celui-ci se serait frauduleusement substi
tuée.
Le courtier qui, moyennant un dü-croire, garantit la sol
vabilité de l ’acheteur, contrevient-il à l ’art. 86 du Gode
de commerce ?
Par quel terme se prescrit le délit ou la contravention ré
sultant de la violation des articles 85 et 86.
L’absence de publication des actes de société soumis à cette
formalité constitue une fraude présumée.
Ses effets par rapport aux associés.
Par rapport aux créanciers sociaux.
Par rapport aux créanciers particuliers de chaque as
socié.
La loi sur les faillites offre de nombreux exemples de fraude
présumée.
Nature de la présomption, suivant qu’il s’agit d’actes pos
térieurs ou antérieurs au jugement déclaratif.
Distinction pour ces derniers entre ceux qui ont précédé de
plus de dix jours la cessation réelle de paiement et ceux
qui ont été faits depuis ou dans les dix jours la précé
dant.
Effets pour les uns et les autres de la présomption de
fraude.
6 4 5 .->-Le législateur, déterminé par des idées de mo
rale et d’intérêt général, a dû proscrire certains actes,
admettre certaines incapacités. Ces dispositions ne pou
vaient être efficaces que par le soin qu’on mettrait à en
surveiller la stricte exéçution ; vouloir s’y soustraire soit
�209
ET DE LA FRAUDE.
directement, soit indirectement; tenter de les éluder par
l’apparence donnée au contrat, c’est se révolter contre la
loi, et, conséquemment, c’est faire un acte insuscepti
ble de créer aucun lien obligatoire.
Ce qu’on peut admettre, c’est qu’on se gardera bien
de se constituer en état de rébéllion aux ordres du légis
lateur d’une manière flagrante et certaine. C’est tou
jours sous des dehors licites qu’on aura soin de dis
simuler la violation de la loi. Mais le véritable carac
tère de l ’acte constaté, la loi méconnue reprendra son
empire et la convention illégale sera annulée par les tri
bunaux.
La fraude à la loi est indépendante de tout préjudice
à l’endroit des parties, il suffit qu’on ait voulu accom
plir ce que la loi défend, pour que les auteurs mêmes
de la fraude soient admis à en poursuivre la répres
sion.
646.
— L’article 791 du Code civil nous en offre nn
exemple, il défend de renoncer, même par contrat de
mariage, à la succession d’un homme vivant, et d’aliéner
les droits éventuels qu’on peut avoir à cette succession.
Or, sur la poursuite de la nullité d’un pacte contraire à
celte disposition, il est bien évident qu’il ne peut s’agir
de la question d’un préjudice quelconque. Tout ce qu’il
y a à considérer, c’est la nature de l’acte ; constitue-t-il
le pacte sur succession future, il n’y a pas à hésiter, son
annulation doit être prononcée, alors même que le de
mandeur devrait en recuillir un dommage certain. Rien
il
44
9
�210
TRAITÉ DU DOL
ne saurait légitimer ce qui blesse ouvertement une pro
hibition légale.
6 4 7 . — Les pactes sur succession future n'étaient
pas considérés, par notre ancien droit, comme contrai
res aux mœurs. Us furent donc autorisés jusqu’au mo
ment où notre législation intermédiaire proclama la rè
gle contraire, depuis consacrée par le Code civil. Cette
différence de principes a soulevé une question qui ne
manquait pas d’intérêt, à l’origine du Code, à savoir:
quel doit être le sort du pacte valablement consenti, lors
que la succession qui en a fait l’objet ne s’est ouverte
que depuis la promulgation du Code?
Après quelques hésitations, l’opinion que ce pacte de
vait être régi par la législation nouvelle a prévalu. Les
motifs, sur lesquels celte solution se fonde, sont : que
les lois des 5 brumaire et 17 nivôse an ii , que celle du
28 pluviôse an v, et l’article 791 du Code civil ont vir
tuellement annulé toute renonciation n’ayant pas encore
produitson effet; que, jusqu’à leur ouverture, les succes
sions sont dans le domaine du législateur qui peut, à son
gré, en modifier le sort
6 4 8 . —■La renonciation à une succession future estelle susceptible de ratification après l’ouverture de la
succession? On a dit pour la négative qu’un acte vicié
d’une nullité radicale, déclaré contraire aux bonnes
i Bastia, 14 avril 1834 : — Cass., 23 mai 1828.
�ET DE LA. FRAUDE.
211
mœurs et à l’ordre public, n ’a que l’apparence d’un
contrat; qu’il n’existe pas; que, conséquemment, il
n’est sujet ni à ratification, ni à rescision.
Nous avons déjà distingué les nullités d’ordre public
permanentes et éternelles, et celles dont les motifs pure
ment temporaires s’effacent avec la cause qui les pro
duisait. La renonciation à une succession future se place
naturellement dans cette dernière catégorie ; en effet, la
succession venant à s’ouvrir , chaque appelé a le droit
incontestable d’en récuser le bénéfice, de traiter de ses
droits avec qui il lui plait et de la manière qu’il juge
convenable. A quel titre donc lui refuserait-on de rati
fier la convention précédemment souscrite et qu’il tient
à exécuter, puisqu’il n’en poursuit pas la nullité. Le
motif d’ordre public ne saurait être invoqué depuis l’ou
verture de la succession, le sort de l’acte est entièrement
laissé à l’intérêt privé, seul apte à juger de ce qui est
dans son utilité et dans ses convenances'.
649.
— Une difficulté plus sérieuse est celle de sa
voir si l’acte portant pour un prix unique renonciation
à deux successions, l’une ouverte, l’autre à échoir,
est nul pour le tout ou seulement pour ce qui concerne
celle-ci?
La divisibilité de l’acte serait peut-être plus équitable,
mais son indivisibilité est plus juridique. Il est incon
testable que, dans sa détermination, le prix a subi l’in -
�212
TUATTÉ DU DOU
fluence des droits afférents au renonçant dans les deux
successions. Mais dans quelles proportions ? C’est ce que
la justice est dans l’impossibilité de décider en l’état du
silence gardé par les parties. De telle sorte qu’une ven
tilation quelconque serait de nature à s’écarter de la
vérité réelle ; d’ailleurs, cette ventilation constituerait
un nouveau contrat substitué à l’ancien. Or, si les tri
bunaux ont le droit d’interpréter les contrats, ils n’ont
jamais celui d’en créer un nouveau. Conséquem
ment, le contrat étant indivisible dans le fait et dans
l’intention des parties, la nullité l’atteindrait dans son
ensemble.
0 5 0 . — On cite, comme ayant admis la divisibilité,
deux arrêts : l’un de la Cour de cassation, du 17 jan
vier 1837; l’autre de la Cour de Lyon, du 19 mai
1840'. Mais il est facile, en les consultant, de se con
vaincre qu’ils ne comportent pas la signification qu’on
veut leur donner. Dans l’un et dans l’autre, en effet, le
défendeur appliquait le prix total à la renonciation à la
succession ouverte au moment du contrat, sans enten
dre exciper de celle à la succession lors à échoir. II ne
s’agissait donc plus de diviser le prix entre les deux suc
cessions. La question unique était celle de savoir si la
restriction du contrat, dans des limites légales, ne lais
sait pas sans intérêts une nullité que le contrat, ainsi
réduit, ne comportait plus.
�ET DE LA FRAUDE.
213
Cela sigaifie—t-il que la Cour de cassation, que celle
de Lyon, maintenant l’acte dans de pareilles circons
tances, l’eût également maintenu s’il se fût agi de divi
ser le prix, d’en affecter une partie à la succession
échue et une partie à la succession à échoir? Evidem
ment, non. Car, ce n’est qu’en considérant comme non
écrit ce qui se rapportait à la succession à échoir qu’on
a pu faire maintenir le contrat. Il semble dès lors que
la décision eût été diamétralement contraire, si le main
tien de l’acte, quant à ce, eût été réclamé.
Ainsi, l’indivisibilité de l’acte doit prévaloir, et son
effet doit être la nullité entière, toutes les fois que le
prix unique stipulé devra se répartir entre les deux
successions. L’offre d’appliquer l’intégralité de ce prix
à la succession lors échue pourra faire maintenir le
contrat, le poursuivant n’éprouvant dès lors aucun
dommage, puisqu’il retient tout ce qui, dans sa pensée,
était l’équivalent de ses droits dans les deux succes
sions, et, par le fait, il se trouve n’avoir traité que pour
une.
651. — Il est des personnes incapables de recevoir
une libéralité de la part de certaines autres. La loi
n’ayant proclamé ces incapacités que dans une pensée
de morale, que dans un but d’intérêt public, il importe
que sa disposition reçoive une pleine et entière exécu
tion.
6 5 2 . — Or, on pourra vouloir se soustraire à cette
�214
TRAITÉ DU DOL
exécution, et cette pensée amènera ou à une simulation
dans le caractère de l’acte, ou à une simulation de
parties.
La première existe lorsque la libéralité a été déguisée
sous l’apparence d’un acte à titre onéreux. Elle ne con
stitue qu’une fraude ordinaire que la loi ne pouvait ni
ne devait présumer de plein droit. Les ayants-droit
pourront donc la dénoncer et en poursuivre la répres
sion, mais ils auront la charge de la prouver. Cette
preuve sera plus facilement accueillie que dans les cas
ordinaires, la qualité des parties et l’incapacité de l’une
d’elles à l’endroit des libéralités donnant à la simulation
une grande vraisemblance. Pour peu donc que d’autres
présomptions viennent se réunir à celle-ci, la fraude sera
considérée comme certaine.
La seconde existe lorsque la libéralité faite à l’inca
pable, l’a été par une interposition de personnes. L’exis
tence du fidéicommis peut, dans tous les cas, être allé
guée et prouvée. Mais elle est présumée de plein droit
lorsque l’appelé est le père ou la mère, l’enfant ou des
cendant, le conjoint de l’incapable.
653.
— Le fondement de cette présomption est la
facilité de la fraude qu’elle tend à prévenir et la néces
sité d'une simulation de ce genre, en supposant la pen
sée d ’éluder la loi sur les incapacités. Nous l’avons dit
bien souvent, lorsqu’on veut violer la loi, on ne le fait
pas ouvertement et sans déguisement aucun. Il serait
trop facile d’avoir raison de celte violation, si rien ne la
�ET DE LA FRAUDE.
215
cachait aux yeux investigateurs de l’intérêt privé. Il
faut donc demander des chances de réussite à des
moyens capables de faire illusion et de créer l’erreur.
Or, après la simulation dans le caractère de l’acte, s’of
fre l’interposition des personnes, conduisant, sous une
autre apparence, à des résultats identiques.
C’est cette imminence de la fraude qui l’a fait admet
tre de plein droit, lorsqu’à l’affection du donateur pour
l’incapable se joint la parenté entre celui-ci et le béné
ficiaire de la libéralité. Ce n’est pas le père, la mère,
l’enfant, le conjoint de l’incapable qu’on a vonlu grati
fier, c’est l’incapable lui-même. Dès lors, comme on ne
peut faire indirectement ce qu’il est prohibé de faire di
rectement, la libéralité doit être annulée.
6 54. — Le principe de la présomption en indique
le véritable caractère. Elle n’admet pas la preuve
contraire aux termes de l’article 1352 du Code civil.
Dès lors le demandeur n’a qu’à établir l’incapacité
d’une part, de l’autre, la qualité de parent de l’incapa
ble au degré que nous venons de rappeler, pour que
l’acte soit inévitablement condamné comme fîdéicommis
prohibé'.
655. — L’article 1840 du Code civil nous fournit
un nouvel exemple de fraude présumée. Nulle société
universelle, dit cet article, ne peut avoir lieu qu’entre
1 Toullier, t. x, p. 6b, n° 52
Cass., 13 juil. 1813 et 10 nov 1834.
�216
TRAITÉ DU DOL
personnes respectivement capables de se donner et de
recevoir l’une de l’autre, et auxquelles il n’est pas dé
fendu de s’avantager au préjudice d’autres personnes.
Toute société universelle, contractée au mépris de cette
disposition, devrait donc être annulée. La loi la réputé
de plein droit frauduleuse, et la considère comme une
libéralité déguisée en faveur de l’incapable.
6 5 6 . — Cet esprit de l’article 1840 nous est nette
ment indiqué par les débats que sa disposition subit au
conseil d’Etat. Le projet du Code prohibait toute société
de biens présents et n’admettait que celles de gains. Les
premières étaient repoussées comme des donations dé
guisées qu’on ferait ainsi au mépris de la loi contre les
incapables.
657. — Cependant, les sociétés universelles de biens,
réclamées par quelques tribunaux, furent admises non,
comme le dit M. Troplong , sans un sentiment de mé
fiance extrêmement marqué. C’est ce sentiment qui in
spira la disposition de l’article 1840.
Il suit de là que la société étant considérée comme
une donation déguisée, les règles applicables à celles-ci
s’appliquent également à celles-là. Dès lors l’association
faite par personne interposée pourra être querellée de
simulation et de fraude, et cette interposition sera léga
lement présumée dans les hypothèses prévues par l’ar
ticle 911. Il suit encore que nulle preuve contraire ne
saurait prévaloir contre la présomption admise par l’ar
ticle 1840.
�ET DE LA. FRAUDE.
217
658.
— La nullité de la société universelle, par
application de cette disposition, remonterait nécessaire
ment à l’origine de la société. Cependant cette société,
ayant existé de fait, donnerait lieu, pour le passé, à un
règlement entre les prétendus associés. Il est évident
que si ce règlement se faisait conformément aux stipu
lations du pacte social, l’incapable retirerait de la libé
ralité déguisée tout le profit qu’on a voulu lui conférer.
N’est-il pas, en effet, certain qu’une société contractée
pour éluder la loi sur les incapacités, offrira pour celuici des avantages plus ou moins importants? Il est facile
de prévoir que sa mise sera inférieure à celle de son
associé et que, cependant , on lui assigne un droit égal
ù la masse. Peut-être aura-t-on stipulé qu’il participera
par moitié dans les bénéfices, et dans une proportion
moindre pour les dettes ; peut-être même aura-t-on
convenu d’un prélèvement en sa faveur pour les
peines et soins qu’il promet de donner à la société.
Nous avons raison de le dire, un règlement opéré sur
ces bases donnerait à l’incapable l’avantage que la loi
lui refuse.
Ces bases sont donc inadmissibles. Le règlement à
faire consistera donc à déterminer l’apport de chaque
partie; cette opération faite, les bénéfices ou les pertes
seront répartis proportionnellement à l’apport, et l’in
demnité pour peines et soins, s’il y a lieu, fixée par le
juge arbitrio boni viri. Nous ajoutons que les termes
du pacte, quant à l’apport de l’incapable, peuvent n’être qu’un mensonge, en ce sens que cet apport peut
�218
TRAITÉ DU DOL
avoir été fourni directement ou indirectement par celui
qui a voulu l’avantager. La loi ne présume rien à cet
égard, mais'elle laisse aux ayants-droit la faculté d’exciper de cette fraude nouvelle, et, la preuve faite, le droit
de faire annuler ce nouvel avantage prohibé.
6H9. — L’article 1840 a fait naître la question
de savoir si la société universelle, contractée par
le père avec un de ses enfants, est nulle à l’égard des
autres enfants, ou si elle n’est seulement que réduc
tible?
La nullité absolue est soutenue par MM. Delvincourt
et Duvergier. L’opinion contraire est enseignée par
M. Troplong. Nous sommes de l’avis de celui-ci. Ce qui
nous parait décisif, c’est qu’en résultat, quelques rigou
reux que soient les termes de l’article 1840, la nullité
de la société, n’est que la conséquence de l’incapacité de
donner, de recevoir ou de s’avantager. Or, comme l’ob
serve M. Troplong, l’existence d’héritiers à réserve ne
crée pas une incapacité, elle pose seulement à la faculté
de donner une restriction en de-çà de laquelle le droit
de donner et de recevoir est incontestable. Conséquem
ment le père pouvant directement aliéner et le fds re
cevoir jusqu’à concurrence de la quotité disponible, rien
n’empêche d’arriver à ce résultat au moyen d’une as
sociation universelle, c’est-à-dire d’une manière indi
recte. Les droits des héritiers à réserve ne seraient mé
connus que si leur légitime était atteinte. C’est ce qu’on
empêchera en réduisant les avantages conférés par l’as-
�ET DE LA. FRAUDE.
219
sociation dans les limites de la quotité disponible
6 6 0 . — La dette provenant d’un jeu ou d’un pari
est aux yeux de la loi une dette frauduleuse. Cette pré
somption a déterminé le législateur à refuser toute ac
tion tendant à en obtenir paiement.
Nous n’avons pas à déterminer ce qui constitue le jeu
ou le pari, il y a peu de difficultés possibles à propos
des jeux ou paris ordinaires, d’ailleurs les questions s’é
levant à cet égard seraient facilement résolues.
6 6 1 . — Il n’en est pas de même pour les paris sur
la hausse ou la baisse des effets publics ou marchandi
ses. Ces opérations ont atteint, au moment où nous
parlons, des développements immenses, signalés à cha
que instant par des catastrophes portant dans les popu
lations l’épouvante et la ruine, et menaçant, si on n’y
prend garde, de tarir le commerce jusque dans ses
sources.
Le remède à employer immédiatement, c’est l’appli
cation intelligente et sévère de l’article 1965. Si la jus
tice parvient enfin à décourager les joueurs, en favori
sant et consacrant la résistance du perdant à payer la
différence, elle aura rendu à la société le service le plus
éclatant et le plus utile.
Certes, la mission des tribunaux n’est pas toujours fa-
1 Delvincourt, t. n i, p. 223, n o tes;—Duvergier, des Sociétés, nM lO ;
— Troplong, sur l’art. 1840, n °s '307 et suiv.
�TRAITÉ DU DOL
cile. Le jeu ne se présente jamais à eux dans toute sa
nudité. C’est à travers les voiles épais derrière lesquels
il se cache qu’il faut aller le saisir. D’autre part, il ne
faut pas qu’un débiteur de mauvaise foi puisse se sous
traire à des obligations légitimes, en alléguant le jeu.
Mais l’existence de ce jeu prouvée, rien ne doit mitiger le
sort que la loi impose à ses conséquences.
662.
— A quels caractères reconnaîtra-t-on celte
existence? Cette question, simple lorsqu’il s’agit d’un
jeu ou d’un pari ordinaire, est plus délicate en matière
d’effets publics ou de marchandises.
Pour les premiers, la loi pénale a indiqué des élé
ments qu’une poursuite civile peut invoquer avec suc
cès. En effet, l’article 422 du Code pénal réputé jeu de
bourse toute convention de vendre ou de livrer des effets
publics qui ne seront pas prouvés parle vendeur avoir
existé à sa disposition au temps de la convention ou
avoir dû s’y trouver au temps de la livraison.
Remarquons bien que le législateur n’a pas proscrit
les marchés à terme. C’eût été priver le commerce d’un
de ses éléments essentiels. Ainsi, il suffira que le ven
deur prouve qu’au moment delà livraison il était en po
sition de livrer tout ce qu’il a promis, pour que le mar
ché soit maintenu. Qu’importe, en effet, qu’au moment
de la vente la marchandise ne fût pas à la disposition du
vendeur, si, devant s’y trouver au terme convenu pour
la livraison, celle-ci pourra se réaliser. Nous le répé
tons, la loi n’a voulu prohiber que les marchés fictifs,
�ET DE LA FRAUDE.
destinés d’avance à ne recevoir d’autre exécution que le
paiement de la différence entre le prix convenu et celui
que la chose vaut au moment désigné comme celui de
la livraison. Tel est, aux yeux de la loi, lemarché dans
lequel l’objet vendu n’était pas en la possession du ven
deur au moment de la vente et ne devait pas s’y trou
ver à l’époque de la livraison.
6 65.
— L’article 4221 a donc évité le grave incon
vénient qu’on reprochait avec raison à l’ancienne légis
lation, à savoir : de priver le commerce des ressources
immenses qu’il puise dans les marchés à terme. L’arrêt
du conseil, publié le 24 septembre 1724, rendait en ef
fet ces marchés impossibles par les conditions qu’il im
posait à la vente d’effets publics, et notamment en exi
geant la livraison effective au moment du traité. Cet ar
rêt portait l’empreinte des circonstances qui l’avaient
inspiré. Le fameux système de Law venait de s’écrouler
semant après lui le discrédit, la ruine et la misère. On
voulait donc proscrire l’agiotage pour empêcher le re
tour de ces calamités, mais, ainsi que cela arrive pres
que toujours, le but était dépassé. La spéculation à la
baisse était désormais impossible, mais la liberté des
transactions avait, de son côté, subi une grave at
teinte.
L’agiotage reprit bientôt ses franches allures, et des
plaintes nombreuses se firent de nouveau entendre. Un
second arrêt du conseil, du 7 août 1785, proscrivit une
seconde fois les marchés à terme et sans livraison. Ce-
�TRAITÉ DU DOD
pendant on pouvait suppléer à celte livraison [par le
dépôt réel des effets, constaté par acte dûment contrôlé
au moment même de l’engagement. Plus tard, et par
une disposition du 2 octobre suivant, ce dépôt put être,
à son tour, suppléé par celui fait entre les mains du no
taire, des pièces probantes établissant la libre propriété
des effets vendus. Enfin un dernier arrêt, du 22 sep
tembre 1786, annule tous les marchés dans lesquels le
délai de la livraison dépasserait deux mois.
Comme on le voit, cette législation ne se préoccupait
que d’une seule chose, la propriété matérielle des ef
fets, au moment où le traité prenait naissance. Sans
doute, on acquérait ainsi une preuve certaine de la sin
cérité de la vente, mais n’était-ce pas borner le com
merce dans ses opérations, l’entraver dans ses dévelop
pement, que d’empêcher le vendeur de demander à ces
développements mêmes le moyen de faire face au traité
par lui souscrit ?
Qu’un commerçant vende journellement ce qu’il n’a
pas en sa possession actuelle, c’est ce qui est, nous ne
dirons pas seulement dans les usages, mais encore dans
les nécessités du commerce. Otez cet aliment essentiel
de la spéculation, et, sur-le-champ, vous blessez pro
fondément une industrie dont les entreprises hasardeu
ses font la richesse de l’Étal. Donc, qu’un terme plus ou
moins long soit stipulé, et que, l’échéance de ce terme se
réalisant, la marchandise vendue se trouve à la disposi
tion du vendeur, c’est tout ce qu’on peut raisonnable
ment exiger. Ce qui est rationnel pour la marchandise
�ET DE LA FRAUDE.
l’est au même titre pour les effets publics. Ceux-ci ne
constituent en effet qu’une marchandise livrée à la spé
culation.
L’article 422 du Code pénal a donc fait une plus
exacte appréciation des besoins réels du commerce, il a
plus sainement agi en ne pas exigeant qu’on possédât
réellement, au moment de la vente, les effets qu’on s’en
gageait à livrer, et, en admettant, comme équivalent, la
preuve que le vendeur serait, à l’échéance du terme, en
mesure de remplir toutes ses obligations.
Aujourd’hui donc, il n’y a marché fictif qu’en tant
qu’il est justifié que le vendeur a été au moment du
traité et sera, lors de la livraison, hors d’état de remplir
ses engagements. A cette double condition, la loi ne voit
dans l’opération qu’un pari sur la hausse ou sur la baisse
devant se résoudre par le paiement d’une différence, et
dès lors incapable de créer ni obligation, ni action.
664. — Ce système, nous venons de le dire, est plus
rationnel que celui de l’ancienne législation, mais il n’est
pas, à son tour, exempt d’inconvénients. Il en est un
surtout qui se recommande à toute l’attention de la jus
tice. Le joueur, poursuivant l’exécution d’un marché fic
tif, est dans le cas d’exciper de marchés par lui con
tractés pour prétendre s’être mis en mesure de livrer à
l’époque convenue. Or ces marchés, où il figure comme
acquéreur, peuvent n ’êlre eux-mêmes que des marchés
fictifs, et il ne faudrait pas qu’il pût trouver a in si, dans
le jeu lui-même, la justification de celui sur lequel la
justice est appelée à statuer.
�224
TRAITÉ DU DOL
Sur ce point, la loi n’a pu que s’en référer à la pru
dence des magistrats. Il suffit de signaler l’existence de
ce danger pour que la sollicitude des tribunaux, mise en
demeure, rende une prétention de ce genre l’ojet des in
vestigations les plus minutieuses, du contrôle le plus ac
tif. Il n’est pas toujours difficile de distinguer l’opération
fictive, de l’opération sérieuse. Le nombre et l’impor
tance des traités, relativement à la position des parties ou
de l’une d’elles seulement, leurs habitudes, leurs anté
cédents, sont de nature à fournir des renseignements
précieux et à déterminer même quelquefois le véritable
caractère du marché.
6 6 5 . — Au reste, il en est des jeux de bourses com
me de toutes les questions de fait et d’intention. Les ma
gistrats sont des jurés et prononcent comme tels; il n ’y
a donc aucun élément pouvant forcer leur conviction.
Cette conviction, ils la puisent partout sans qu’ils aient
à en rendre compte, si ce n’est à leur propre con
science. Satisfaite que soit celle-ci, ils n’ont plus qu’à
appliquer la loi. Les termes de l’article 1965 sont trop
clairs et trop précis pour qu’il s’élève la moindre diffi
culté. En effet, depuis le fameux arrêt Perdonnet contre de
Forbin Janson, la jurisprudence n’a pas un instant varié.
Ainsi un marché sur les effets publics ne doit pas être
annulé par cela seul qu’il y a terme pour sa livraison.
Il ne le serait pas non plus par la certitude acquise
qu’au moment de la vente le vendeur n’avait pas en sa
possesion les effets qu’il promet, mais ce vendeur est,
dans cette hypothèse, tenu de prouver qu’ils devaient se
�m
ET DE LA FRAUDE.
trouver entre ses mains à l’époque fixée pour la livrai
son. En l’absence de cette preuve , comme dans l’hypo
thèse de la preuve contraire, l’opération n’est plus qu’un
marché fictif, tombant sous le coup de l’article 1965, et
ne donnant conséquemment aucune action.
666.
— Nous appliquons sans hésiter, à l’apprécia
tion des marchés sur marchandises, les éléments que la
loi adopte pour les effets publics. Sans doute l’art. 422
du Code pénal est muet sur ce point. La cause de ce
silence n’est pas difficile à pénétrer. En 1810, le jeu
sur les marchandises n’avait pas encore appelé la solli
citude du législateur. Il était loin et bien loin des pro
portions qu’il a depuis acquis et qu’il était impossible de
.prévoir. Si les circonstances avaient été alors ce qu’elles
sont aujourd’hui, nous n’en doutons pas, le projet pré
senté par le gouvernement eût été adopté, et le marché
sur marchandises eût été dès lors inscrit au rang des
délits, comme le marché sur les effets publics.
Ce qui doit à plus juste titre étonner, c’est qu’en
1832, lors de la révision du Code p é n al, on n’ait pas
songé à se précautionner contre le fléau que nous si
gnalons. Mais tel qu’il se trouve, notre Code pénal
renferme encore assez de lacunes, assez d’imperfections 1
i
Entre autres nous signalerons celle-ci, l’art. 34 4 punit les coups et
blessures volontaires d’un emprisonnement et d’une amende, ou de l’une
de ces deux peines seulement'. L’art. 34 9 punit les coups et blessures in
volontaires de la prison et de l’amende. Ainsi, le cumul des deux peines
est forcé, lorsque les coups sont involontaires; facultatif, lorsqu’ils sont
volontaires N’est-ce pas le contraire q u ’il fallait consacrer?
Il
45
�226
TRAITÉ DU DOD
pour qu’on ne trouve pas trop extraordinaire l’omission
que nous signalons.
Quoi qu’il en soit, le marché sur marchandises,
même dans les conditions de l’article 422 , ne consti
tuera pas un délit punissable. Mais la nullité civilement
poursuivie est toujours indépendante de la question de
délit, même , pour les marchés sur effets publics qu’on
peut annuler comme fictifs dans tous les cas. O r, pour
l’appréciation de cette nullité, les conditions de l’article
422 sont à consulter, en ce sens : que, s’il est prouvé
que le vendeur de la marchandise n’avait pas et ne de
vait jamais avoir en sa possession celle qu’il a promis de
livrer, le marché devrait forcément être considéré
comme un véritable pari.
667.
— Mais il est d’autres circonstances dans les
quelles le juge peut trouver le véritable caractère du
marché. Ainsi on pourra facilement admettre qu’il 'n’y
a qu’un pari sur la différence, lorsque les parties au
ront fait, du paiement de cette différence, la clause pé
nale de l’inexécution ; lorsque, l’époque de la livraison
arrivée, il n’y a eu aucune sommation de réaliser ou de
recevoir cette livraison. On sait combien le commerce
exige de ponctualité dans les opérations sérieuses, un re
tard n’est jamais toléré par l’acheteur , et cela , parce
que ce retard l’expose soit à ne recevoir qu’après une
baisse, soit à manquer lui-même aux engagements pris
envers des tiers.
D’autre part, le vendeur n ’est pas moins intéressé à
�ET DE LA FRAUDE.
227
livrer au temps convenu. Il reçoit par là le paiement du
prix ou son règlement en valeurs négociables. Il s’exo
nère ainsi de la responsabilité des détériorations ou
perte de la marchandise, responsabilité qui legrèvejusqu’à la livraison, ou tout au moins jusqu’à la mise en
demeure de l’acheteur.
Donc, en présence de cet intérêt réciproque, l’absence
de toute sommation est caractéristique, on peut y voir
la preuve du défaut de sincérité de l’opération. Il en se
rait surtout ainsi, si le vendeur ou l’acheteur, poursui
vant en justice, se bornait à demander le paiement de
la différence sans offrir d’effectuer ou d’accepter la li
vraison
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que
l’existence de la sommation d’effectuer ou d’accepter la
livraison dût faire nécessairement considérer le marché
comme sérieux. S’il en était ainsi, cette sommation se
rencontrerait dans toutes les circonstances, malgré qu’on
fût réellement dans l’impossibilité soit de recevoir,
soit de livrer. Les actes apparents peuvent sans doute
être consultés, mais ils n’ont pas une influence décisive
dans les questions intentionnelles, ce n ’est donc pas
par leur apparence seule que le magistrat doit se déci
der. Ce dont il a surtout à tenir compte, c’est de leur
sincérité.
6 6 8 . — Les antécédents, la moralité des parties,
1 Lyon, 34 décembre 4 832; — Bordeaux, 4 6 juillet 4840; — J. D.
P., t. ii, 4840, p. 363.
�m
TRAITÉ DU DOL
leur position commerciale, l’importance des ventes, eu
égard à cette position, sont autant de circonstances pou
vant éclairer la question de sincérité. Comment admet
trait-on, par exemple, qu’un fabricant ait pu réelle
ment s’engager à livrer, le plus souvent dans quelques
mois, plus de marchandises qu’il ne pourrait en fabri
quer pendant des années entières.
Tous ces faits sont de nature à fixer la conviction du
juge, que la correspondance des parties peut aussi dé
terminer.
669.
— Le jeu n’existe réellement que lorsque l’o
pération le constituant a été concertée entre les parties.
Celui-là donc qui allègue le jeu doit non-seulement
prouver qu’il n’a lui-même voulu faire qu’un pari sur
■la différence, mais encore que cette intention et cette
volonté ont été également celles de son adversaire.
Dans le cas contraire, sa prétention devrait être re
poussée.
L’opération sérieuse, d’un côté, assure à la partie le
droit de contraindre à l’exécution d’un marché qu’elle
est en mesure d’exécuter en ce qui la concerne. Il im
porte pep que l’autre partie n’ait jamais eu l’intention
de l’exécuter autrement qu’en soldant une différence, on
ne saurait punir d’une fraude celui qui n’a donné aucun
concours au fait d’où elle résulterait. Nous allons plus
loin, agir autrement serait ouvrir la plus large issue à
la mauvaise foi, dès que pour se soustraire aux consé
quences d’une spéculation offrant une perte, il suffirait
�ET DE LA FRAUDE.
229
de venir devant la justice confesser impudemment sa
propre turpitude, et s’accuser d’une fraude à laquelle on
n’aurait pas songé si, au lieu d’une perte à subir, l’opé
ration avait présenté un bénéfice.
670.
— De quelque manière que se déguise la dette
de jeu, la loi a voulu l’atteindre etl’effacer. On pouvait,
dans cette matière, et en présence de l’article 1965,
prévoir qu’on irait chercher dans la simulation le moyen
de tromper et d’éluder la prohibition que cet article
contient. Mais les tribunaux ne se sont pas laissés dé
tourner du but, et partout où ils ont rencontré le jeu, ils
ont su le réprimer , quelque enveloppe qu’eussent re
vêtue ses conséquences.
Ainsi il a été jugé :
1° Qu’un billet à ordre, quelle que soit la valeur
dont il porte l’énonciation, doit être annulé , s’il a été
souscrit par le perdant après une partie de jeu ' ;
2° Que l’acte de vente qui a pour cause une dette de
jeu est nul, encore bien que l’acte remonte à une épo
que antérieure au Code civil2;
3° Qu’on peut être admis à prouver par témoins
qu’une obligation consentie, même par acte authenti
que, a pour.cause réelle une dette de je u 3;
4° Que les billets souscrits pour dette de jeu sont
1 Grenoble, 8 octobre 1823.
2 Paris, 27 novembre 1811.
3 Limoges, 2 juin 1819 ; — Lyon, 21 décembre 1822.
�230
TRAITÉ DU DOL
nuis, encore bien qu’ils aient été causés valeur reçue
comptant '.
Cette jurisprudence a obtenu l’assentiment de la doc
trine. Les principes qu’elle consacre sont enseignés
par Merlin, Toullier, Troplong, Rolland de Villargues,
Chardon.
67 ! . — En résumé, le jeu est proscrit par la loi
d’une manière absolue, en ce sens qu’elle n’accorde au
cune action pour contraindre à l’exécution de ses ré
sultats, quelle que soit d’ailleurs la matière sur laquelle
il s’est exercé. Pour la vente d’effets publics, le jeu est
légalement présumé dans les cas prévus par l’article
422, et ce jeu constitue alors un délit. Mais l’existence
de ce délit est indépendante de l’action civile. Celle-ci,
ayant pour objet la nullité du traité, peut toujours être
accueillie, alors même que tout délit aurait disparu par
la réunion des caractères exigés par la loi ; quant aux
marchés sur marchandises, la loi ne le présume jamais,
mais, par une parité de raison incontestable, l’absence
des conditions de l’article 422 du Code pénal le ferait
admettre. Dans tous les cas, c’est à la prudence des juges
à se déterminer par les faits et circonstances sur le ca
ractère du contrat. L’existence du jeu admise, la dette,
qui en est la conséquence, n’est pas légalement due, elle
doit donc être annulée quelle que soit la forme qu’on lui
ait donnée.
i Cass., 29 décembre '1814; — Angers, -U août 1834.
�ET DE LA FRAUDE.
231
6 72. — La règle générale de l’article 1965 ne com
porte d’autres exceptions que celles exprimées par l’ar
ticle 1966. Il est des jeux que la loi ri’a pas entendu
prohiber, parce qu’ils sont utiles, tels sont ceux qui
contribuent non - seulement à exercer et à former
l’homme, mais encore à procurer un délassement agréa
ble à ses fatigues et à ses travaux. La loi place dans
cette catégorie notamment les jeux propres à exercer au
fait des armes, les courses à pied et à cheval, les courses
de chariots, le jeu de pomme, en un mot, tous les jeux
tenant à l’adresse et à l’exercice du corps.
675.
— La véritable pensée du législateur, à l’en
droit de ces exceptions, nous est nettement dévoilée par
la dernière disposition de l’article 1966. La loi entend
que le jeu, même licite, soit un délassement et non un
métier. Aussi, tout en permettant de l’intéresser, elle
veut le maintenir dans des limites étroites. De là, la fa
culté laissée aux tribunaux de rejeter la demande si elle
paraît excessive.
6 7 4 . — Il importe de remarquer que l’article qui
permet le réjet ne- laisse pas l’alternative entre ce rejet
et la réduction. Il faut en conclure que cette réduction
est dans tous les cas impossible. Cette conclusion se jus
tifie par un double motif. Le je u , sortant des limites
modérées voulues par la loi, devient un jeu prohibé,
comme tel, il ne saurait produire un effet quelconque;
de plus, réduire l’enjeu convenu, c’est modifier la con-
�232
TRAITÉ DU DDL
vention des parties, en changer les bases, faire en un
mot un nouveau traité. Or, s’il est permis au juge
d’interpréter un contrat valable, il ne lui est jamais
loisible de suppléer au contrat nul par des dispositions
valables.
6 7 5 . — La fraude entachant le jeu a un caractère
spécial que l’article 1967 consacre. En général, il en
est de la dette frauduleuse comme de la dette dolosiveNon-seulement le débiteur n’est pas tenu de la payer,
mais il peut encore la redemander après l’avoir payée et
s’en faire rembourser. Cettè règle reçoit exception en
matière de jeu. La loi proscrit toute répétition. Est-ce
par respect pour ce préjugé que la dette de jeu est une
dette d'honneur? Est-ce parce que le jeu ne saurait dans
aucun cas créer une action en justice? C’est ce qu’il
n’est pas facile de décider. Quoi qu’il en soit, ce qui est
certain, c’est que celui qui a payé est censé avoir
soldé une obligation naturelle excluant toute possibilité
de recours.
6 7 6 . — Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que le
paiement ait été effectif, réel, définitif; qu’il émane
d’une volonté spontanée et libre. Nous venons de voir
que. le paiement par le règlement en valeurs ne serait
pas celui que la loi exige, puisque l’acte, soit authen
tique, soit sous-seing privé, renfermant ce règlement,
devrait être annulé. Il n’y aurait donc pas paiement par
la souscription d’une valeur quelconque ;’ il y^aurait,
�.
'
ET DE IA FRAUDE.
233
tout au plus, reconnaissance de la dette ou ratification,
et la loi proscrit également l’une et l’autre.
Il n’y aurait pas non. plus paiement légal, si le paie
ment réellement fait est la conséquence de la super
cherie, du dol ou de l’escroquerie. L’exécution d’une
obligation naturelle, précisément parce qu’elle n’est pas
ordonnée par la loi, ne peut être que le fruit d’une vo
lonté intelligente et libre. Si cette volonté a été pervertie
par des manœuvres, elle n’existe pas, et conséquemment
il n’y a pas eu exécution. On ne donne pas volontaire
ment ce qu’on n’aurait pas donné sans la ruse et le
mensonge auxquels on a cédé. Les conditions exigées
par la raison et par la loi ne se rencontrant point, les
parties doivent être remises dans l’état 'où elles se trou
vaient avant l’emploi du dol, de la supercherie, de l’es
croquerie.
677.
— Ces notions indiquent nettement ce qu’il
faut considérer comme un paiement dans le sens de la
loi. Aussi est-il permis de croire qu’aucune difficulté sé
rieuse n ’arrêtera le juge, lorsqu’il aura à statuer entre
le perdant et le gagnant. Mais il n’en est pas de même
lorsque ce dernier ayant été désintéressé par un tiers,
ce tiers actionne le perdant en remboursement de ses
avances.
Cette action tombe-t-elle sous le coup de' l’article
1965? Ici se présente une alternative offrant à ces deux
termes un inconvénient grave ; d’abord, d’une part, ce
lui de laisser la perte à la charge d’un tiers étranger au
�“234
TRAITÉ DU DOL
jeu et ne méritant aucun reproche ; d’autre part, celui
de laisser l’article 1965 sans exécution. S’il suffit, en ef
fet, pour l’éluder d’introduire un tiers dans l’exécution
du traité, on ne manquera pas de le faire dans chaque
espèce.
Il faut donc se soustraire à ce double écueil et, pour
cela, ne pas s’écarter du système que la doctrine ensei
gne et que plusieurs monuments de jurisprudence ont
déjà consacré. Les droits du tiers doivent être subordon
nés à la preuve de sa bonne foi. Or, on juge de celle-ci
par le plus ou moins de connaissance qu’il a eu de la
nature de l’opération qu’il a soldée.
S’il a ignoré qu’il s’agissait d’une dette de jeu, le paie
ment qu’il en a fait, sur l’ordre formel du perdant, le
constitue créancier légitime de celui-ci jusqu’à concur
rence des sommes qu’il a déboursées. C’est une avance
ordinaire entre commerçant, dont la destination ne sau
rait, en ce qui le concerne, changer le caractère, dont
on ne saurait, conséquemment, lui refuser la resti
tution.
S’il a connu la véritable origine de la dette et qu’il
ne l’ait payée que sur un ordre exprès, l’action en rem
boursement ne s’aurait lui être refusée. Une dette de
jeu peut être l’objet d’un paiement valable. Or, ce que
le perdant peut faire lui-même, il peut le faire par man
dataire. Donc, celui-ci ne fait, en prêtant son minis
tère, que coopérer à un acte autorisé par la loi, c’est le
fait d’un ami prêtant à son ami de quoi satisfaire aux
conséquences d’un jeu dont il a pu connaître l’existence,
�ET DE LA FRAUDE.
235
mais auquel il reste étranger. On ne saurait, dès lors,
lui refuser l’action en répétition. C’est ce qui avait été
admis par l’ancienne jurisprudence, c’est ce que la
nouvelle consacre.
Mais si le tiers, connaissant le jeu , a spontanément
payé la dette, avant et sans en avoir reçu l’ordre du per
dant, celui-ci sera fondé à lui en refuser le rembour
sement. Dans cette hypothèse, le tiers ne sera plus que
le gagnant lui-même, auquel il lui a plu de se subro
ger, et, comme tel, il sera passible de toutes les excep
tions opposables à celui-ci, notamment celle résultant
de l’article 1965. Sans doute le perdant pouvait payer,
mais il avait aussi la faculté de ne pas le faire, et
cette faculté n’a pu lui être enlevée avant et sans
qu’il eut manifesté l’intention formelle d’y renoncer.
678.
— A plus forte raison devrait-on éconduire
l’action en remboursement du tiers, si, mandataire du
perdant, il l’avait représenté dans le jeu et exécuté le
pari pour son compte. Le mandat doit, pour engendrer
une action contre le mandant, reposer sur une cause
licite ; or, c’est ce qui ne se réalise pas dans le mandat
de jouer. Vainement le mandataire exciperait-il de sa
qualité, des ordres qu’il a reçus, de la faculté de payer
qui lui a été expressément conférée. Conséquence natu
relle du jeu lui-même, cette faculté participerait du vice
entachant le mandat primitif et son exécution ne crée
rait aucun droit. C’est ce que la Cour de cassation dé
cida dans l’affaire de Forbin-Janson ; c’est ce qu’elle
�m
TRAITÉ DU DOL
vient de décider plus expressément encore dans une es
pèce dans laquelle la Cour d’Aix avait admis l’action en
remboursement du mandataire.
Un sieur Coste, commissionnaire à Marseille, avait
reçu du sieur Creps, de Pertuis, l’ordre de faire diver
ses spéculations sur les eaux-de-vie. La dernière opéra
tion d’achat et de revente solda par une différence de
37,000 fr., que Coste prétendit avoir réglée sur l’ordre
exprès qu’il en avait reçu et dont il poursuivit judiciai
rement le remboursement.
Devant le tribunal de commerce de Marseille, l’ex
ception invoquée par Creps, et fondée sur l’article 1965
du Code civil, fut repoussée; mais sur l’appel, la Cour
admit que les opérations faites par Coste pour le compte
de Creps n’étaient qu’un jeu dont l’existence ne pouvait
être ignorée, surtout par Coste, qui l’avait seul exécuté.
Mais séduite par l’habile défense de notre honorable
confrère Me Perrin, la Cour ordonna que Creps rem
bourserait les 57,000 fr. Les motifs de cette solution
étaient que le paiement d’une dette de jeu valable»
quand il était directement opéré, pouvait valablement se
faire par mandataire; que, dans l’espèce, ce paiement
ayant été exécuté sur l’ordre exprès de Creps, celui-ci
n’était pas plus fondé à contester le remboursement,
qu’il ne le serait à répéter ce qu’il aurait payé lui-même.
Cet arrêt, ayant été déféré à la Cour suprême, a été
cassé, le 26 février 1845, sur les motifs suivants :
« Attendu que la loi n’accorde aucune action pour le
paiement d’un pari ; que tous les jeux ou paris sur la
�ET DE LA FRAUDE.
237
hausse ou sur la baisse des marchandises dont les prix
sont côtés à la Bourse, sont compris dans cette prohibi
tion; que cette prohibition a pour objet de tracer une
ligne de démarcation salutaire entre la loyale négocia
tion des fruits du travail et de l’industrie, les spécula
tions sérieuses du commerce et les marchés fictifs, ces
transactions immorales et ruineuses où sont seulement
engagées les sommes représentant la différence de va
leurs ou de capitaux imaginaires ;
« Attendu que si l’action que la loi refuse au joueur
qui gagne contre le joueur qui perd pouvait être exer
cée contre le joueur qui a perdu parle mandataire qui
lui a servi d’intermédiaire dans le jeu ou dans le pari
que le législateur a voulu décourager ; que si le man
dataire était admis à se faire rembourser par le perdant,
en cas de chance défavorable, le montant de ses pertes,
sous le prétexte de paiements qu’il prétendrait avoir ef
fectués à la décharge et en l’acquit de son commettant,
la prohibition delà loi serait éludée ou pourrait toujours
l’être ;
« Attendu que', pour apprécier justement les droits
d’un mandataire, il ne faut perdre de vue ni la nature
du mandat, ni la nature de la transaction pour laquelle
le mandat est intervenu;
« Attendu que, dans l’espèce, il est constaté , par
l’arrêt attaqué, que le défendeur était l’agent du deman
deur, dans les opérations auxquelles celui-ci se livrait
alternativement sur la hausse et la baisse des marchan
dises dites 3|6, et qu’il était personnellement intéressé
�238
TRAITÉ DU DOL
au jeu dont il se refuse à supporter les pertes ; d’où, il
suit que le mandat avait pour but une transaction désa
vouée par la loi; qu’en l’acceptant, le défendeur s’était
associé, à ses risque, péril et fortune, aux chances du
pari; que le mandat spécial, en vertu duquel le paie
ment aurait eu lieu, est entaché du même vice que le
précédent, dont il n'était que la conséquence ; qu’il
est, dès lors, non recevable à répéter les sommes par
lui payées ;
« Attendu que c’est vainement que le défendeur invo
que les dispositions de l’article 1967 du Code civil, qui
refuse au perdant l’action en répétition de ce qu’il a vo
lontairement payé, puisqu’il s’agit dans l’espèce non
d’une action de ce genre, mais, au contraire, d’une ac
tion dirigée contre le perdant qui n’a point payé et pour
le contraindre à payer »
On le voit, la Cour de cassation pose nettement le
principe de la responsabilité de l’intermédiaire ayant pré"
sidé au jeu. C’est avec toute raison que la Cour fait ob
server que le principe contraire annulerait la prohibition
de l’article 1965. On comprend, en effet, que si le con
cours d’un tiers pouvait donner l’action que cet article
refuse au joueur, ce concours se réaliserait dans toutes
les espèces et deviendrait bientôt une des conditions de
tous les traités de ce genre.
Ajoutons que dans bien de cas le pari ne se serait
pas réalisé sans la complaisance coupable du manda-
�ET DE LA FRAUDE.
239
taire intéressé qui a prêté son nom. Il est donc juste
d’admettre qu’en se livrant au jeu pour le compte du
mandant, qu’en se chargeant des opérations consti
tuant la spéculation illicite, il fait plus que partager la
culpabilité des deux joueurs, qu’il l’assume tout entière
sur sa tête ; qu’il doit, dès lors en supporter seul les con
séquences. Puisse cette doctrine effrayer les tiers et
enlever au jeu cet élément qu’il puise dans leur con
cours, et qui en favorise tant les déplorables développe
ments.
Concluons donc que la doctrine de la Cour de cassa
tion est non-seulement juridique, mais qu’elle est en
core hautement avouée par la morale. Son exacte appli
cation laissant à la charge du tiers les conséquences du
jeu qu’il a favorisé et auquel peut-être il a même ex
cité, ne fait qu’appliquer une peine justement encourue.
Celui qui voudra s’en exonérer n’aura qu’à refuser son
ministère, et le martyrologe de la bourse comptera,
nous en sommes certains, quelques noms de moins1.
6 7 9 . — L’article 2059 du Code civil offre plusieurs
exemples de fraudes présumées, entraînant ou pouvant
entraîner non-seulement la nullité de l’acte, mais encore
la contrainte par corps pour le payement des restitutions
et des.dommages-intérêts adjugés. Nous voulons parler
des actes caractérisant le stellionat.
6 8 0 . — Or, il y a stellionat : 40 lorsqu’on vend ou
Conforme, Troplong, sur l’art. '1965.
�240
TRAITÉ DU DOL
qu’on hypothèque la chose d’autrui. Ce stellionat ne ré
side pas autant dans le fait lui-même que dans l’inten
tion de son auteur. On peut, en effet, errer sur la na
ture de son droit ; on peut, de bonne foi, croire à une
propriété qui n’existe pas. La preuve des circonstances
pouvant justifier l’erreur alléguée serait de nature à af
franchir le défendeur, non pas certes de la nullité de
l’acte, mais de la peine de la contrainte par corps.
Cela s’induit naturellement des termes de la loi qui
fait résider le stellionat dans la connaissance chez le
vendeur on l’emprunteur que la chose vendue ou hypo
théquée ne leur appartient pas, dont on sait n'êlre pas
propriétaire. Celui-là donc qui ne sait pas, on qui a
juste motif de ne pas savoir qu’il n’est pas propriétaire,
ne commet pas un stellionat même en vendant ou hypo
théquant la chose d’autrui.
La présomption légale de fraude attachée au stellio
nat ne permet pas toujours d’admettre la preuve con
traire. Dans l’hypothèse que nous examinons, la bonne
foi peut être discutée dans le sens que nous venons
d’indiquer, et pour faire disparaître le stellionat; mais
la question de savoir si le défendeur a su ou non que la
chose hypothéquée ou vendue ne lui appartenait pas,
résolue dans le premier sens, les juges ne peuvent plus
se dispenser de prononcer la contrainte par corps, et
décider qu’il n’y a pas eu fraude chez le vendeur ou
l’emprunteur.
6 8 1 . — 2° Lorsqu’on présente comme libres des biens
�ET DE LA FRAUDE.
241
hypothéqués ou qu’on déclare des hypothèques moin
dres que celles dont les biens sont grevés. Remarquons
que dans ces hypothèses la loi n’exige plus qu’on ait agi
sciemment. Le fait ici emporte avec lui-même la preuve
de ce caractère. On peut, en effet, errer sur l’origine, sur
la nature d'un droit, mais on ne peut jamais ignorerles
hypothèques qu’on a consenties.
Il semblerait, dès lors, que le question de bonne foi
ne saurait être ni proposée, ni admise, cependant le con
traire a été consacré quelquefois.
Ainsi la Cour de Toulouse a jugé, le dix janvier 1829,
que bien que dans une vente un individu ait déclaré li
bre un immeuble qui se trouvait grevé d’une hypo
thèque, il peut être, en raison de sa bonne foi, affranchi
des peines portées contre les stellionataires, et notam
ment de la contrainte par corps, s’il a fourni à l’acqué
reur tous les moyens de connaître l’existence de l’hypo
thèque, et s’il résulte des circonstances que celui-ci ne l’a
pas ignorée1,
Nous ne pouvons admettre une doctrine de cette na
ture, en ce qu’elle paraîtrait mettre en question la fraude
légalement présumée par la loi. Aux termes de l’article
1352, la présomption légale exclut la preuve contraire.
'En conséquence, si la Cour de Toulouse avait admis, nonseulement cette preuve contraire, mais encore l’inexis
tence de la fraude, elle eût violé cet article 1352 et mé
connu le caractère de l’article 2059.
�242
TRAITÉ DU DOL
Mais, en se référant à l’arrêt, il est facile de se con
vaincre que la Cour n’a fait réellement ni l’un, ni l’au
tre, et que si elle n’a pas appliqué la peine du stellionat,
c’est que les circonstances ne lui ont pas paru consti
tuer un stellionat quelconque. Ainsi elle constate d’a
bord que la clause dont on voulait faire ressortir le
stellionat devait être considérée plutôt comme une clause
de style que comme une déclaration formelle d’absence
de toute hypothèque; elle relève ensuite cette circonstance
que le titre constitutif de l’hypothèque avait été remis à
l’acquéreur, et que celui-ci pouvait d’autant moins igno
rer l’existence de la dette qu’il aurait été, avant la vente,
chargé, en sa qualité de notaire, de solder au créancier
lesinlérêts de ce qui lui était dû.
En réalité donc, l’arrêt est loin de dénier au stellional ses conséquences légales, et surtout de l’excuser, mais
usant du pouvoir d’interpréter que lui confère la loi, la
Cour arrive à conclure qu’il n’y a pas stellionat. L’arrêt
est donc un arrêt d’espèce et non un arrêt de doctrine
dont on puisse inférer une contradiction avec l’article
2059 du Code civil. Il ne faut pas sans doute tromper
l’acquéreur ou le prêteur, mais il ne faut pas non plus
que la liberté du vendeur ou de l’acquéreur soit compro
mise, parce qu’il a plù au notaire d’obéir à un protocole
qui lui est habituel, sans que le prétendu auteur de la
déclaration ait pu apprécier l’importance et les suites de
ce qu’on lui fait ainsi dire. Il ne faut pas surtout que la
mauvaise foi de l’acquéreur, ayant été à même de tout sa
voir, puisse trouver dans la loi le moyen d’abuser d’une
erreur n’ayant jamais existé.
�ET DE LA FRAUDE.
243
682.
— L’article 2059 exige, pour qu’il y ait slellionat, quele vendeur ou l’emprunteur ait déclaré les biens
libres ou des hypothèques moindres que celles dont l’im
meuble est grevé. De là, il résulte que si l’acte ne ren
ferme aucune déclaration, il ne saurait exister de stellionat. Vainement exciperait-on, après l’acte, de l’existence
de nombreuses hypothèques. Le vendeur ou l’emprunteur
a pu les taire sans encourir aucune responsabilité. La loi,
en effet, ne lui a pas ordonné de les faire connaître, tout
ce qu’elle exige de lui c’est de se conformer à l’exacte vé
rité dans le cas où il serait appelé à faire, dans l’acte une
déclaration à cet égard.
685.
— Il n’en est pas de même pour les maris et4
les tuteurs. L’article 2136 du Code civil veut qu’ils soient
traités comme stellionataires lorsque, ayant manqué de
requérir l’inscription de l’hypothèque légale afférente aux
mineurs ou à la femme, ils ont consenti on laissé pren
dre des privilèges ou hypothèques sur leurs immeubles,
sans déclarer expressément que ces immeubles étaient af
fectés à ces hypothèques légales.
Ici l’obligation de déclarer existe- Elle est absolue et
ne peut comporter aucun équipollent. Cette doctrine, en
seignée par MM. Persil, Dalloz, Troplong, a été, à diver
ses reprises, consacrée par la jurisprudence'. L’omission
est donc assimilée à la fausse déclaration et en entraîne
toutes les conséquences.
1 V. Limoges, 18 avril 1828 ; — D. P ., 29, 2, 93.
�6 8 4 . — Les mêmes auteurs, M. Troplong notam
ment, enseignent que la question de bonne foi doit cepen
dant être examinée, et peut être prise en considération.
Mais, et c’est là l’observation de M. Troplong, il n’y aura
bonne foi que lorsque le mari a pu croire l’immeuble li
bre, et cette croyance ne pourra se présenter comme ad
missible que dans des cas fort rares.
Telle est l’espèce jugée, le 21 février 1827 , par la
Cour de cassation. Cet arrêt décide : que bien que le
vendeur d’un immeuble grevé d’hypothèque légale ait
déclaré que cet immeuble était franc et quitte , il peut
être affranchi des peines du stellionat, s’il résulte des
circonstances qui ont accompagné la vente qu’il a été de
bonne foi dans sa déclaration, comme si, par exemple,
la femme mineure du vendeur, du chef de laquelle pro
venait l’hypothèque, a, lors de la vente, renoncé à son
hypothèque, renonciation déclarée nulle, à cause de son
état de minorité, lequel d’ailleurs à dû être connu de l’ac
quéreur '.
De son côté, la Cour de Bordeaux à jugé, le 9 juillet
1830, qu’un mari qui vend un fonds comme libre d’hy
pothèque, peut, soit à raison de sa qualité de villageois,
soit en raison de ce que sa femme était présente à l’acte,
être, malgré le principe que nul n’est censé ignorer la loi,
déclaré n’avoir point su que le fonds vendu était grevé
de l’hypothèque légale de sa femme, et, par suite, être
affranchi des peines du stellionat1.
�ET DE LA FRAUDE.
245
6 8 5 . — Ainsi, la seule excuse constituant en cette
matière la bonne foi du mari, est l’ignorance de l’exis
tence de l’hypothèque légale de la femme ou la fausse
croyance qu’elle a cessé d’exister. Il importe de retenir
cette observation, car elle peut seule expliquer la con
tradiction qu’on pourrait reprocher à la jurisprudence.
En effet, la Cour de cassation a jugé le 20 novembre
1826, après un délibéré en la chambre du Conseil, que
par cela seul que le mari vendant l’immeuble grevé de
l’hypothèque légale non inscrite de la femme le déclare
franc de toute hypothèque, il doit être réputé stellionataire, et, comme tel, contraignable par corps, sans qu’il
puisse être affranchi de cette contrainte sous le prétexte
qu’il a été de bonne foi dans sa déclaration'. Il est vrai
que, dans cette espèce, la Cour de Toulouse, dont l’arrêt
est cassé, avait invoqué la possibilité en fait que le ven
deur eût ignoré, la dot ayant été reçue par son père, que
sa femme eût hypothèquesur ses propres biens. Mais, in
dépendamment de ce que l’arrêt ne constatait pas en fait
cette ignorance, il invoquait d’autres circonstances et no
tamment la connaissance que l’acheteur avait de la qua
lité d’homme marié du vendeur, et faisait résulter de là
la bonne foi de celui-ci.
Il y a donc, entre cet arrêt et ceux précédemment
cités, cette nuance que les premiers constatent l’ignorance
ou la fausse croyance dont nous parlions, tandis que le
dernier admet la bonne foi ordinaire puisée dans d’au -
�m
TRAITÉ DU DOL
très éléments. Il n’y a donc pas entre eux l’antinomie
qu’on pourrait être tenté de leur reprocher. Tout s’expli
que par celte observation déjà faite, que la seule bonne
foi excluant le stellionat est constituée par l’erreur sur
l’existence ou la continuation du droit. Erreur qu’il ne
suffit pas d’alléguer, mais qui doit être admise par le
juge.
6 8 6 . — Ainsi, pour tout le monde, il y a stellionat
dès qu’on a présenté comme libres des biens qui ne
l’étaient pas ou qu’on a dissimulé l’existence de quelquesunes des hypothèques dont ils sont grevés. Il existe de
plus pour les tuteurs et les maris par l’omission de la
déclaration de l’hypothèque légale. Mais le stellionat,
dans le premier cas, n’est punissable que lorsque le
mensonge ou l’inexactitude est le fait personnel et direct
de celui à qui on le reproche. Nul ne peut indirecte
ment engager sa liberté, quelle que soit d’ailleurs le con
cours donné à l’acte. Dès lors, la caution ne saurait être
tenue des conséquences du stellionat commis par le débi
teur principal.
Par suite de ce principe, la femme commune qui s’est
engagée solidairement avec son m a ri, n ’étant censée
qu’une caution, ne peut être garante du stellionat que
l'acte renferme, c’est au reste ce que décide formelle
ment l’article 2066 du Code civil.
6 8 7 . — Le stellionat'n’est punissable qu’autant qu’il
occasione un préjudice. Ainsi, si les hypothèques non
�ET DE LA FRAUDE.
24-7
déclarées ont été plus tard éteintes ou radiées, rien ne
s’opposant à ce que les promesses de l’acte soient fidè
lement remplies, la poursuite en stellionat serait sans
utilité et conséquemment irrécevable. Mais il en serait
autrement dans les cas où la radiation des hypothèques
non déclarées serait faite après l’ouverture de l’action en
stellionat ou après la vente de l’immeuble hypothéqué,
et lorsque le créancier aurait perdu le droit d’enchérir
ou de surenchérir. Dans cette hypothèse, comme dans la
précédente, l’action en stellionat suivrait son cours et pro
duirait tous ses effets
■
(Sr
'■
i-
688.
— L’aliénation de la chose d’autrui étant radi
calement nulle, l’acquéreur peut, même avant d’être
troublé, poursuivre le vendeur et le faire condamner
comme stellionataire. La demande, à cet effet, ne saurait
être arrêtée par la ratification du véritable propriétaire
qu’autant que l’acquéreur voudrait l’accepter. Dans le
cas contraire, l’existence certaine du stellionat l’auloriserait à faire annuler la vente et ordonner la restitution
de ce qu’il a payé parla voie de la contrainte par corps.
Nous verrons plus bas que la vente de la chose com
mune est assimilée à la vente de la chose d’autrui. Le
communiste, qui l’a consentie en son seul nom, a donc
commis un stelliona'. S’il ne s’agit que d’un hypothèque,
et que, parle résultat du partage, la chose affectée tombe
dans le lot du constituant, l’hypothèque devient valable
�..........
248
TRAITÉ DU DOL
sans que celui-ci puisse être plus tard poursuivi comme
stellionataire.
6 8 9 . — La peine du stellionat est, indépendamment
de la contrainte par corps, la nullité de l’acte, s’il s’agit
d’une vente ; la déchéance du terme, s’il s’agit d’une
obligation. De plus, la loi prive le stellionataire de la fa
culté d’être admis à la cession des biens; elle l’exclut,
lorsqu’il est commerçant, du bénéfice de l’excusabilité
en cas de faillite, elle ne lui permet pas même la réha
bilitation.
»
6 9 0 . — Le livre trois du titre six du Code civil ren
ferme plusieurs hypothèses pour lesquelles la loi a ad
mis la présomption de fraude. C’est d’abord l’article
1595 prohibant la vente entre époux, sauf les exceptions
indiquées.
Les motifs de celte prohibition sont clairement indi
qués par les débats au corps législatif. Sans cette pro
hibition, disait-on, rien n’eût été plus facile que d’éluder
la restriction mise par la loi au droit qu’ont les époux
de s’avantager au-delà de certaines limites; de rendre
irrévocables des dons que la loi soumet à une condition
perpétuelle de révocabilité. D’ailleurs le mari, maître
et administrateur de la communauté, chargé d’assister
et d’autoriser sa femme , ne pouvait concilier l’intérêt
exclusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur *.
1 Portalis, E xposé des M otifs.
�ET DE LA FRAUDE.
249
Le législateur a donc posé comme présomption lé
gale, excluant la preuve contraire, qu’entre personnes
si intimement unies, dominées par des influences mu
tuelles, la vente masque une donation ou une fraude
contre les tiers.
691.
— Les inconvénients du système contraire
avaient été depuis longtemps appréciés. En effet, on sait
que le droit romain n’admettait pas la présomption de
simulation. La vente entre époux était valable en tant
qu’elle n’était pas prouvée renfermer un avantage indi
rect, et, dans ce cas, on se contentait de condamner la
femme à tenir compte dé ce dont elle avait été gratifiée
seulement: Quatenus facta est locupletior Bien plus,
les jurisconsultes romains conseillaient de ne pas traiter
trop sévèrement de pareils actes : Et sane non amare,
nec tanquam inter infcstos jus prohibilœ donationis
tractandum est, sed ut inter conjunctos maximo affectu, et solam inopiam timentes \
Les difficultés que soulevait l’application avaient
éclairé notre législateur. Le droit coutumier français
avait répudié les errements du droit romain et admis la
présomption de simulation. La vente entre époux n’était
considérée que comme un avantage indirect et frappée
conséquemment de nullité. C’est ce qu’enseignent les
coutumes de Normandie, de Nivernais ; c’est, au témoi1 L. 5, Dig., S 5, de D onal. inter, v ir . et nxor.
2 L. 28, S 2, de D o n a l. in ter v ir. et wxor.
�250
TRAITÉ DU DOL
gnage de Pothier, ce qui était admis par les coutumes
qui ne s’en étaient pas formellement expliquées ; c’est
enfin ce que nous apprend Dumoulin, sur l’article 256
de la coutume de Paris , et ce qu’il résume dans cette
proposition : Nullum contractant etiam reciprocum,
facere possmt (les époux), nu i ex necessitate. Aussi,
ajoute-t-il, consulté sur la question de savoir : An possit marilus justo pretio vendere uxori, quod domus
propria viri erit commùnis ? Respondi : Non.
692.
— Cette doctrine est devenue celle du Code.
Aujourd’hui, la règle générale est l’incapacité récipro
que des époux pour les ventes mutuellement censenlies,
et cette incapacité prend sa source dans la présomption
que ces ventes ne sont qu’un moyen d’éluder la loi ou
de frauder les tiers. Mais cette règle reçoit exception, et
cela devait être. En effet, le but du législateur a été de
proscrire toutes les ruses qu’un mari adroit et cupide
serait tenté d’employer pour spolier sa femme ; d’empê
cher que celle-ci abuse de l’affection qu’elle a su faire
naître et entretenir pour se faire avantager outre me
sure; d’assurer enfin la sincérité des transactions entre
époux. Or, lorsque par sa nature l’acte n’offre plus
qu’une opération légitime, naturelle et ne permet pas
même le soupçon, il eût été irrationnel et injuste de
fermer les yeux à l’évidence et, sacrifiant la vérité à la
fiction, de prononcer une nullité sans utilité et sans but
réels.
«
6 9 3 . — Tel est évidemment le caractère des excep-
�ET DE LA FRAUDE.
251
tions consacrées par l’article 1595. La première se réa
lise lorsque, après la séparation, l’un des époux, cède des
biens à l’autre en paiement de ses droits; la seconde,
lorsque la cession que le mari fait à sa femme, même
non séparée, a une cause légitime, telle que le remploi
de ses immeubles aliénés ou de deniers à elle apparte
nant, si ces immeubles ou ces deniers ne tombent pas
en communauté. La troisième exception est relative à la
cession faite par la femme au mari, en paiement d’une
somme qu’elle lui aurait promise en dot, lorsque les
époux ont exclu la communauté.
6 9 4 . — Dans le premier cas, la femme doit rece
voir sa dot et le montant de ses reprises. Le mari, obligé
à ce paiement, devant dans tous les cas le réaliser, il im
porte fort peu qu’il vende ses immeubles à un tiers pour
en compter le prix à sa femme, ou qu’il vende directe
ment à celle-ci. Ce dernier parti est même plus conve
nable et plus utile. Ce n’est pas, à proprement parler,
une vente, c’est une dation en paiem ent, que la loi
n’avait aucun motif de proscrire.
D’autre part la liquidation, et la reprise par la femme
de son immeuble dotal, peut constituer le mari créan
cier pour réparations et améliorations à l’immeuble.
Quel inconvénienty avait-il à autoriser la femme à payer
ce qu’elle doit par la désemparation d’immeubles d’é
gale valeur?
Sans doute, dans l’une et l’autre hypothèse, l’acte peut
renfermer un avantage illicite, en ce sens que, dans la
�252
TRAITÉ DU D0L
première, l’immeuble donné par le mari le sera à un
prix fort au-dessous de sa valeur ; que, dans la seconde,
l’immeuble de la femme sera évalué à un prix exagéré,
ou vice versa. Mais la loi a pourvu à cette fraude, en
réservant aux héritiers réservataires et aux créanciers
le droit de faire restituer à l’immeuble sa véritable va
leur.
695.
— La seconde exception emporte aussi plutôt
la dation en paiement qu’une vente. Le mari est débi
teur envers sa femme du prix de ses propres aliénés
ainsi que des deniers qui lui sont échus pendant le ma
riage, et cela est surtout vrai lorsque les époux sont sous
un régime exclusif de la communauté ; il a donc inté
rêt à opérer le remploi du prix et, pouvant acheter des
immeubles, il doit pouvoir acheter de lui-même en ven
dant à sa femme ceux qui lui appartiennent. Il en est
de même pour les deniers perçus par lui; comme il sera
toujours obligé de les restituer, il peut devancer cette
obligation et l’exécuter par la cession de ses immeubles.
Il ne change rien ni à sa position, ni à celle de sa
femme, il ne fait qu’éteindre sa dette, la vente a donc
une cause légitime.
L’exemple cité par l’article 1595 est démonstratif et
non limitatif. Toutes les fois qu’il y aura cause légitime,
la vente entre époux pourra être maintenue. La légitimité
de la cause est abandonnée à l’appréciation du juge.
Mais il faut remarquer que le Code ne parle, dans 'cette
seconde exception, que des ventes faites parle mari à la
�ET DE LA FRAUDE.
253
femme, faut-il en conclure que celle que la femme con
sentirait au mari, se plaçant en dehors des termes pré
cis de l’article, devrait être annulée quelque légitime
qu’en fût la cause ?
C’est ce qu’enseigne M. Troplong ', en décidant néga
tivement la question de savoir si la femme pourrait ven
dre ses immeubles à son mari pour le rembourser du
paiement de ses dettes antérieures au mariage. La cause
de cette vente, dit cet éminent magistrat, est certes aussi
légitime que dans aucune autre espèce. Mais la loi n’é
tablissant pas la réciprocité, on ne saurait, sans la vio
ler, maintenir le contrat. Mais, ainsi que l’observe M.
Duvergier, la discussion au conseil d’Etat ne permet pas
d’admettre que tel ait [été l’esprit dé la loi. Il est vrai
que, sur l’observation de Regnauld de St.-Jean d’Angely, il avait été convenu que l’article 1595 s’explique
rait sur la réciprocité des ventes entre époux, ce que
la rédaction définitive n ’a pas fait. Cette omission, en
présence de l’adoption certaine de la proposition de
M. Regnauld, adoption dont rien ne prouve la rétracta
tion ultérieure, peut s’expliquer ou par une négligence
ou par la pensée que, l’ensemble de l’article remplissant
implicitement le but qu’on voulait atteindre , il n’était
pas nécessaire de l’exprimer explicitement. Ce qui est
certain, c’est que la loi n ’a voulu que défendre la fraude,
qu’empêcher la violation de la prohibition faite aux époux
de s’avantager au delà de certaines limites, or payer
1 Sur l’article 1595.
�254
TRAITÉ DU DOL
une dette certaine, c’est ne faire ni l’un ni l’autre.
Cela, admis du mari à la femme, doit être nécessaire
ment vrai de la femme au mari : Ubi eadern ralio, ibi
idem jus.
v>
6 9 6 . — Enfin le troisième cas excepté de la prohi
bition est la vente d’un immeuble en paiement de la dot
mobilière que la femme est dans l’impossibilité de réa
liser. Cette substitution ne renferme aucun avantage pour
le mari; si l’immeuble est accepté pour sa juste valeur,
elle n’est que l’accomplissement d’une obligation légiti
mement contractée. Toutefois, cela n’est incontestable
que sous l’empire d’un régime exclusif de communauté,
dans le cas contraire, remplacer une somme peut-être
irrécouvrable, entrée en communauté, par un immeuble
qui n’y entre pas de droit, serait consentir un avantage
et non une vente.
6 9 7 . — En résumé, la vente entre époux est présu
mée frauduleuse. Telle est la règle, mais cette règle re
çoit exception, lorsqu’il apparait d’une cause légitime ;
cette cause légitime existe de plein droit dans les trois cas
spécifiés dans l’article 1595, sauf le droit des héritiers
à réserve et celui des tiers sur la simulation du prix fixé
dans l’acte; dans tous les autres cas où l’existence d’une
cause légitime serait alléguée, la loi s’en réfère à la pru
dence des tribunaux qu’elle en constitue les arbitres
souverains.
6 9 8 . — Mais, pour pouvoir utilement se placer dans
�^
;........ ......................■
ET DE LA FRAUDE.
235
l’exception prévue, il ne suffit pas de motiver la vente
sur un des faits qui constituent cette exception, il faut en
outre que la position des parties explique et justifie la
vente. Ainsi il a été jugé que la créance que la femme
dotale a sur son mari pour sa dot n’est pas, tant qu’elle
n’a pas été rendue exigible par la séparation de biens,
une cause légitime dans le sens de l’article 1593 du
Code civil, autorisant la cession des biens du mari; c’est
là une reprise dans le sens du numéro premier de cet
article et l’on objecte en vain qu’il suffit, aux termes du
numéro deux, que la créance ne tombe pas en commu
nauté ' ;
Que sous le régime dotal, les reprises delà femme ne
pouvant être exigées* qu’après la dissolution du mariage
et le mari n’étant pas soumis, sauf clauses contraires, à
faire emploi jusqu’à cette époque, l’existence de ces re
prises n’est point une cause légitime donnant droit au
mari.de vendre à la femme un de ses immeubles’ ;
Enfin que la vente d’un immeuble faite par le mari
au profit de sa femme, à litre de remploi de diverses
aliénations, est nulle, nonobstant l’énonciation de rem
ploi, s’il résulte de circonstances graves que cette vente
a été faite dans le but de soustraire l’immeuble à l’action
des créanciers du mari 3.
Il en serait de même si la créance paraphernale, pour
1 Cass., 12 juin 1839 ; = D. P. 40, 1 ,1 5 .
s Grenoble, 10 juillet 1841 ; — D. P. 42, 2, 45.
3 Bordeaux, 15 janvier 1839; — D. P. 39, 2, 132
�256
T R A IT É DU DOL
le paiement de laquelle il y a eu vente entre époux,
était déclarée avoir une trop faible importance, en pro
portion des biens cédés
6 9 9 . — Quel est le sort de la vente entre époux tom
bant sous le coup delà prohibition de l’article 1595? Par
rapport aux tiers intéressés, la question ne saurait être
douteuse, la nullité est absolue. Les choses rentrent dans
la possession du précédent propriétaire et restent affec
tées aux droits et aux exécutions que chacun d’eux peut
prétendre ou exercer.
700. — Par rapport aux héritiers réservataires, la
vente n’est pas nulle, en ce sens qu’elle ne doive produire
aucun effet. Considérée comme un avantage indirect,
elle doit se réduire jusqu’à concurrence de la quotité
disponible. Cette opinion, enseignée par Toullier \ nous
parait incontestable. L’un des motifs du législateur, en
proscrivant la vente entre époux, a été d’empêcher la
disposition d’outrepasser les bornes tracées aux avanta
ges qu’ils peuvent réciproquement se conférer. Donc,
renfermer dans tous les cas celte disposition dans les li
mites delà quotité disponible, c’est lui affecter un carac
tère légal. Comment empêcherait-on de faire indi
rectement ce qu’il est permis de faire d’une manière
directe.
1 Cass., 24 juin 1839 ; — D. P 40, 1, 15.
2 T . x n , p. 64.
�257
ET DE LA FRAUDE.
70 1. — Il n’est certes pas défendu à la femme d’a
cheter soit des immeubles, soit des meubles pendant la
durée du mariage. Mais ces achats peuvent masquer une fraude, soit contre les créanciers, soit contre les hé
ritiers à réserve, lorsque le paiement du prix, censé fait
par la femme, l’a été réellement par le mari et de ses
propres deniers. La facilité d’exécuter cette fraude a, de
tous temps, éveillé la'sollicitude du législateur. De là,
la présomption que ce qui est acheté par la femme l’a
été des deniers du mari. Mais cette présomption n’est
pas exclusive de la preuve contraire ; elle oblige seule
ment la femme à justifier des ressources qu’elle a em
ployées : Unde habuerit.'
702. — L’article 1596 prohibe la faculté de devenir
adjudicataire :
Au tuteur, des biens de ceux dont il a la tutelle ;
Aux mandataires, des biens qu’ils sont chargés de
vendre ;
Aux administrateurs, des biens des communes ou des
établissements publics confiés à leurs soins;
Aux officiers publics, des biens nationaux d ont les ven
tes se font par leur ministère.
Les adjudications rapportées au mépris de cette dis
position sont considérées comme frauduleuses et annu
lées de plein droit, sans q u ’on puisse avoir égard à la
bonne foi alléguée.
1 L. 51, Dig. De donai. inter vir. et uxor.
Il
47
�258
TRAITÉ DU DOL
Les raisons de sûreté et d’honnêteté publiques qui mo
tivent cette disposition sont,dit M. Portalis', trop éviden
tes pour qu’il soit nécessaire de les développer. Chacun
sent, en effet, que l’autorisation de devenir adjudicataire
amènerait bientôt les personnes désignées à mettre ,
pour écarter toute concurrence, le soin que le législateur
exige de leur part pour la multiplier. C’est aussi ce qu’a
vaient pensé les législations précédentes que le Code n’a
fait que copier.
703.
— En règle générale, les incapacités sont de
droit étroit sans qu’on puisse les étendre. Delà, quel
ques auteurs, et notamment M /Duranton % ont conclu
que l’article 1596 du Code civil ne concernerait pas le
subrogé-tuteur. Nous admettrons cette solution lorsque,
par la nature de la vente, le subrogé-tuteur y demeure
étranger, n’ayant aucune missiorfdela surveiller, com
me, par exemple, en cas d’aliénation par suite d’expro
priation. Au contraire, si la vente est volontaire, le su
brogé-tuteur doit, aux termes de l’article 459 du Code
civil, être présent dans l’instance, et celte présence n’a
d’autre but que de surveiller et de protéger les intérêts
du mineur. Or, cette mission est inconciliable avec la
faculté de se rendre adjudicataire, puisque, dans ce cas
l’intérêt du subrogé-tuteur serait opposé à celui du mi
neur. Il ne faut donc pas que dans cette position ce der-
i E xposé des m otifs, corps législatif, 27 février 1804.
�ET DE LA FRAUDE.
259
nier intérêt puisse être sacrifié. Nous dirons du subro
gé-tuteur, dans cette circonstance, ce que Portalis disait
tout à l’heure du mari : Il ne peut concilier l’intérêt ex
clusif et personnel d’un contractant avec la sage vigi
lance d’un protecteur. D’ailleurs, chargé de partager les
devoirs du tuteur, il doit subir les prohibitions faites à
ce dernier. La même distinction doit régir le curateur
du mineur non émancipé et le conseil judiciaire donné
à un prodigue.'
704. — L’article 711 du Code de procédure civile
complète la série des incapacités en partie établies par
l’art. 1596. Les membres du tribunal devant lequel la
vente se poursuit pourraient abuser de l’influence s’atta
chant à leur qualité pour écarter les enchérisseurs. La
connaissance qu’un d’eux se présente comme acqué
reur suffirait seule, et indépendamment de toute démar
che personnelle, pour déterminer ce résultat. La loi a
donc sagement et prudemment agi en ne leur permet
tant pas de se mettre sur les rangs des acquéreurs.
705. — La nullité de l’adjudication faite en faveur
d’un incapable peut être poursuivie par tous les ayants
droit. Il n’y a à cette règle générale qu’une exception, à
savoir : l’incapable lui-même. Autoriser celui-ci à se
soustraire aux charges résultant de l’adjudication, c’était
lui permettre de se prévaloir de sa propre turpitude. La
1 Troplong, art. 1596, n° 187
�260
TBAJTÉ DU DDL
loi ne doit aucune protection à celui qui ne s’est mis
dans le cas de l’implorer qu’en la violant ouvertement.
706.
— Les juges, leurs suppléants, les magistrats
remplissant le ministère public, les greffiers, huissiers,
avoués, défenseurs officieux et notaires, ne peuvent, aux
termes de l’art. 1597, devenir cessionnaires des procès,
droits et actions litigieux qui sont de la compétence du
tribunal dans le ressort duquel ils exercent leurs fonc
tions.
Un juge, disait Portalis, dans l’Exposé des motifs, est
établi pour terminer les contestations des parties et non
pour en trafiquer. Il ne peut et ne doit intervenir entre
les citoyens que comme ministre des lois et non comme
l’agent des intérêts, de la haine et des passions de l’hom
me. S’il descend honteusement de son tribunal, s’il a bandonne le sacerdoce auguste qu’il exerce pour échan
ger sa qualité d’officier de justice contre celle d’acheteur
d’action, il avilit le caractère honorable dont il est re
vêtu , il menace, par le scandale de ses procédés hosti
les, les familles qu’il ne doit que rassurer par ses lumiè
res et ses vertus. Il cesse d’être magistrat, il n’est plus
qu’oppresseur.
Il serait à craindre, ajoutait l’orateur du Tribunat,
que les différentes personnes énumérées dans l’article
n’inquiétassent les plaideurs par leur influence ou tous
autres moyens, et qu’armés de leur titre d’acquisition, el
les ne les forçassent à faire en leur faveur des sacrifices
considérables pour se débarrasser d’adversaires dange
reux.
�ET DE LA FRAUDE.
261
La loi a donc suivi,en cette circonstance, la voie que
nous avons déjà signalée en traitant du dol présumé.
Plus la fraude est prochaine et facile, plus elle redouble
de précautions et plus elle en suppose aisément l’exis
tence. Or , on pouvait prévoir , sans trop de témérité,
que les personnes dont parle l’art. 1597, voulant se
faire céder des droits litigieux , feraient nécessairement
valoir leur position , leur influence , sauraient adroite
ment semer des craintes sur le résultat. Consacrer de pa
reilles manœuvres, c’était encourager une fraude d’au
tant plus dangereuse, que celui qui en est l’objet a moins
de moyens de s’y soustraire. C’est pour obvier à cet in
convénient que la loi a consacré la prohibition absolue
que nous trouvons dans l’art. 1597.
7 07. — Cet article place sur la même ligne les pro
cès et les droits et actions litigieux. Cette locution ne se
rait qu’un pléonasme s’il fallait, dans l’occurrence, ap
pliquer l’art. 1700 du Code civil, suivant lequel on doit
considérercomme litigieux le droit sur lequel il y a pro
cès ou contestation. Cette considération a amené la doc
trine à conclure que l’art. 1597 n’exige pas que le pro
cès soit commencé. Il y a droit douteux, et partant in
cessible, toutes les fois que le droit à céder est non re
connu, incertain, sujet à contestation et de nature à ap
peler les parties devant les tribunaux.'
708. — Il en est de la nullitérésultantde l’art.1597,
1 Duranton, t. xvi, n° 145 ; — Troplong, art. 1597, n° 200.
�TRAITÉ DU DOL
comme de celle prononcée par l’art. 1596. Le cession
naire seul est non recevable à s’en prévaloir. Le cédant
le peut, quoi qu’en dise M. Duranton, car la loi présu
mant la fraude le suppose trompé , admet qu’il a cédé
devant une influence irrésistible ou obéi à des conseils
intéressés et pernicieux. On se placerait donc en contra
diction flagrante avec l’esprit de la loi, si, punissant le
cédant de la fraude dont il est victime , on prétendait
l’empêcher d’en poursuivre la réparation sous prétexte
d’une complicité dans la violation de la loi.'
La partie engagée dans le litige peut avoir un grand
intérêt à se trouver en face de son véritable compétiteur.
Elle se débarrasse d’abord d’un adversaire redoutable par
sa position de fortune et son influence ; elle se ménagé,
dans tous les cas, les moyens d’obtenir de l’intéressé di
rect des déclarations et des aveux dont elle pourra se
prévaloir dans l’instance. A ce double litre, son droit de
demander la nullité de la cession est incontestable.
709.
— Dans chacune des hypothèses des articles
que nous venons d’examiner, la nullité des ventes, adju
dications ou cessions ne serait pas éludée par les précau
tions prises pour masquer la violation de la loi , et no
tamment par l’interposition d’un prétendu acquéreur,
adjudicataire ou cessionnaire. Cette interposition peut
être prouvée dans tous les eas. Serait-elle de plein droit
admise pour les personnes indiquées par l’art. 911 du
Code civil ?
1 Troplong, art. 1397, n° 194.
�ET DE LA FRAUDE.
263
L’identité de solution semble devoir être la conséquen
ce de l’identité des motifs. Il s’agit dans nos trois articles^
comme dans l’art. 911 , d’incapables ayant intérêt à
masquer la fraude par une simulation offrant quelques
chances de réussite. Or la loi, qui tient à réprimer cel
les-ci, n’attache pas un moindre prix à la répression de
celles-là, pourquoi donc prendrait-elle des moyens dif
férents en présence de circonstances identiques.
, Cependant l’application absolue de l’art. 911 condui
rait dans l’espèce à des résultats absurdes. Il faut donc
adopter comme règle certaine que l’interposition de per
sonne viciant l’acte dont la nullité est réclamée, ce moyen
peut toujours être allégué et prouvé ; que son existence
légalement acquise, lorsque l'avantage conféré à l’inca
pable doit lui arriver sous le couvert de ses père , mère,
enfants ou descendants, ou de son conjoint, peut être
détruite dans l’espèce par la preuve contaire.’
710.
—• Le Code de commerce a suivi, quant à la
fraude , les errements du Code civil ; à son tour , il en
présume l’existence , dans les cas où la facilité pour la
commettre la rend imminente et prochaine.
Tel est le caractère de la prohibition que les art. 83
et 86 renferment contre les agents de change et courtiers,
de faire le commerce pour leur propre compte ou de
s’immiscer dans les opérations dont ils sont les intermé
diaires légaux. Ce caractère ressort des motifs sur les
quels reposent ces deux dispositions.
�264
BAITTÉ DU DOL
« Il ne peut y avoir sûreté pour le commerçant, si
'>l’intermédiaire ne conserve pas un caractère de neutra
lité absolue entre les contractants qui l’emploient. Dès
que son intérêt peut être attaché directement ou indirec
tement à la négociation à laquelle il s’entremet, il trompe
nécessairement une des parties et peut-être toutes deux.
Un agent intermédiaire, qui fait pour son compte des opérations de commerce, viole tous les principes qui con
stituent sa profession, il trahit à la fois la confiance pu
blique et la confiance du commerce , ce n’est le plus
souvent qu’un rival trompeur qui usurpe des droits illé
gitimes en prenant un caractère qui ne lui appartient pas;
qu’un concurrent d’autant plus dangereux qu’il opère
connaissant parfaitement les intentions de ses commet
tants, trompés par son titre officiel. »
711 .
— Il y a donc, dans le fait du courtier ou de
l’agent de change violant les prohibitions de la lo i, un
véritable abus de confiance. C’est plus qu’une fraude,
c’est un délit que l’art. 87 du Code de commerce punit
de la destitution et d’une amende, dont le maximum est
fixé à 3,000 fr. L’existence du fait est à tel point cons
titutive du délit, que les tribunaux ne peuvent apprécier
la question intentionnelle , et moins encore refuser de
prononcer la peine , sous prétexte de bonne foi. Mais le
fait d’immixtion rentre dans leur examen , en ce sens
que l’acte reproché peut être déclaré ne pas constituer le
délit caractérisé par la loi, comme s’il s’agissait de quel-
�ET DE LA FRAUDE.
265
ques opérations isolées, accidentelles, expliquées par des
motifsjdégitimes.'
7 1 2 . — Les art. 85 et 86 ne prononcent pas la nul
lité des opérations faites au mépris de leur disposition.
Cette pénalité ne pouvait être édictée sans s’exposer à
apporter un grand trouble dans les opérations commer
ciales, sans affecter des droits légitimement acquis par
des tiers. En commerce, en effet, on n’achète guère que
pour revendre , on ne prend des valeurs que pour les
transmettre soit à titre de négociation , soit à titre de
paiement. La nullité de l’opération première eût donc
amené une cascade de nullités et une véritable pertur
bation dans la marche naturelle du commerce. On de
vait donc se taire sur la nullité laissant, à chaque es
pèce particulière, à amener la décision juridique qu’elle
comportera.
Quelle est la conséquence de ce silence faut-il l’in
terpréter dans le sens de la validité absolue de l’opéra
tion ? L’affirmative n’est pas douteuse quant au courtier
ou à l’agent de change lui-même. Il ne pourrait en effet
tenter de se soustraire à ses engagements qu’en excipant
de son propre délit , ce qui doit lui être interdit de la
manière la plus absolue.2
713. — La Cour de cassation a jugé, le 15 mars
1810, que celui qui a traité avec un courtier ne peut,
1 Pardessus, tom. 4, n° 76.
2 Bordeaux, 23 novembre 4828.
�excipant de l’art. 85 , se refuser de faire face à ses en
gagements. La doctrine a inféré de cet arrêt que la nul
lité ne pouvait, dans aucun cas, être prononcée; nous
ne pouvons partager cette opinion, en tant qu’elle tend
à empêcher la nullité d’être prononcée dans tous les cas
et d’une manière absolue.
Nous distinguerons d’abord entreune négociation d’ef
fets commerciaux et une vente de marchandises. Si l’a
gent de change, réalisant la première, a reçu les valeurs
et compté les espèces, il n’y a plus moyen de prononcer
la nullité. Le souscripteur des effets ou l’endosseur qui
les a transmis à l’agent de change ne saurait prétendre
qu’on doit les lui restituer sans qu’il soit tenu de rem
bourser lui-même l’argent qu’il a reçu en échange.Tout
ce qu’il peut prétendre, c’est la réparation du préjudice
que la déloyauté de l’agent de change lui a occasionné;
or cette réparation n’exige pas la nullité de l’opération,
elle se réalise par une allocation de dommages-intérêts.
Dans l’espèce jugée par la Cour de cassation , le de
mandeur en nullité était le souscripteur des effets que
l’agent de change, à qui ils avaient été cédés par le por
teur , poursuivait en paiement. Or il est évident que la
nullité n’était, pas même sérieusement opposable. En ef
fet, débiteur certain des sommes réclamées, le souscrip
teur ne pouvait se soustraire au paiement, parce que son
créancier direct avait traité avec un agent de~change.
Tout ce qu’il pouvait soutenir, c’est que la négociation
illicite n’avait pu transférer la propriété , que , consé
quemment , l’agent de change ne devait pas être consi-
�'
ET DE LA FRAUDE.
267
déré comme tiers-porteur sérieux et de bonne foi , et
que toutes les objections opposables à son cédant pou
vaient lui être opposées. Mais prétendre ne pas payer,
parce qu’il avait plu au porteur de traiter avec un agent
de change , c’était poursuivre un but irrationnel autant
qu’inique ; le proscrire était donc un devoir pour les
tribunaux.
A plus forte raison devrait-on le décider ainsi toutes
les fois qu’après avoir pris personnellement des valeurs,
l’agent de change les a endossées à des tiers qui en de
mandent paiement. Cette demande ne comporterait au
cune exception de la nature de celle que nous exami
nons , à moins qu’on ne prouvât que le porteur n’est
qu’un prête nom , et , dans ce cas , nous venons de le
dire, tout ce que pourrait exiger le souscripteur ce serait
la réparation du préjudice qu’il éprouve.
On doit appliquer la même règle à l’achat de mar
chandises. Si le vendeur a livré, il ne serait pas receva
ble à redemander la marchandise, si elle est encore en
tre les mains du courtier ayant traité pour son compte.
A plus forte raison, si le courtier l’avait revendue à des
tiers. Ce que la loi autorise dans ce cas, c’est l’action en
indemnité si un préjudice quelconque a été souffert.
Mais, s’il ne s’agit que d’une promesse de négociation
ou d’une vente à terme , nous croyons que l’agent de
change ou le courtier ne serait pas recevable à deman
der l’exécution de la promesse et la livraison effective
soit des billets, soit des marchandises. Le traité sur le
quel cette demande s’appuierait étant un délit, l’obliga-
5®
'if
i É
t
:
�268
TRAITÉ DU D0L
tion aurait une cause illicite ne créant aucun droit et
conséquemment aucune action. D’ailleurs, pourquoi for
cerait-on l’exécution, lorsqu’on reconnaît que cette exé
cution engage l’agent de change ou le courtier à réparer
le dommage ? N’est-il pas naturel de prévenir plutôt que
de réparer, et, puisque les choses sont en l’état, de ra
mener les parties au respect de la loi que l’une d’elles a
complètement oublié.
Nous croyons cette doctrine juridique. Ce qui le prou
ve , c’est qu’il est admis en principe que les courtiers
sont sans qualité pour exercer en leur propre nom les
actions en paiement ou en livraison des marchandises
vendues par leur entremise '. Pourraient-ils donc faire
pour leur propre compte ce qui leur est interdit de faire
pour le compte d’autrui ? La réponse ne saurait être
douteuse , avec d’autant plus de raison que l’esprit de
l’arrêt que nous rappelons amène à cette conséquence
qu’on ne prohibe l’action pour compte du tiers que parce
que le courtier y trouverait le moyen d’éluder la prohi
bition, et qu’on a craint qu’il figurât réellement lui-mê
me sous le manteau de celui dont il a emprunté le nom.
Ainsi l’opération faite contrairement aux prescriptions
de la loi, et qui n’a pas reçu immédiatement son en
tière exécution , peut être annulée. Mais l’agent ou le
courtier contrevenant ne peut, dans aucun cas, deman
der cette nullité. Pour lui, il n’y a pas de distinction à
faire, il est, dans tous les cas, obligé d’exécuter ses en
gagements.
i Cass., 2 brumaire an 13.
�71 4. — Il suit de ce qui précède que la nullité étant opposable à l’agent de change ou au courtier , on
pourrait également l’opposer au tiers poursuivant pour
contraindre soit à accepter, soit à effectuer la livraison,
si ce tiers n’était que le prête nom de l’un ou de l’au
tre. Mais cette simulation n’est jamais présumée. C’est à
celui qui l’allègue à en fournir la preuve. A défaut de
cette preuve, le tiers est considéré comme de bonne foi
et conséquemment maintenu dans le bénéfice de l’opé
ration.1
715. — Quelle est la véritable portée de la défense
faite par l’art. 86 aux agents de change ou courtiers, de
garantir l’exécution des marchés faits par leur entremi
se ? Le courtier de commerce q u i, moyennant un du
croire, garantit la solvabilité de l’acheteur qu’il propose,
contrevient-il à cette prohibition ?
Nous avions dans notre précédente édition résolu né
gativement celte question, mais l’étude plus approfondie
de la matière que notre Commentaire du titre des bour
ses de commerce, agents de change et courtiers a né
cessitée, nous a convaincu que^nous nous étions trompé.
L’art. 86 défend au courtier de se rendre garant du
marché dans lequel il s’entremet. Or que fait celui qui,
moyennant un droit de commission, répond de la solva
bilité de l’acheteur, si ce n’est garantir l’exécution du
marché , et pourrait-il être que le courtier à qui celte
i Cass., 48 décembre 4828.
�270
TRAITÉ DU DOL
garantie est interdite pùt la donner valablement, parce
que au lieu de le faire gratuitement il en retirerait un
salaire.
L’avantage que cette garantie offrait au petit com
merce, la facilité qu’elle assurait aux transactions nous
avait séduit et égaré. Mais la réflexion nous a démontré
que ces avantages étaient loin de compenser les dangers
et les abus dont l’immixtion du courtier dans les affai
res qu’il traite pourrait devenir l’occasion.
D’ailleurs recevoir un ducroire et garantir la solvabi
lité de l’acheteur, sont actes de commissionnaire. Donc
les permettre au courtier serait autoriser une usurpation
contre laquelle protestent la raison et le droit.
716,
—■ Quel est le caractère de la violation des ar
ticles 85 et 86 du Code de commerce? l’acte du courtier
constitue-t-il une infraction disciplinaire? est-il un délit
spécial ? C’est surtout au point de vue de la prescription
que la solution de cette difficulté est utile.
Dans une affaire portée à la chambre du conseil de
Toulon, on a prétendu que l’acte du courtier était sur
tout une infraction disciplinaire passible même des pei
nes de l’art. 87 ; qu’en conséquence sa découverte au
torisait les poursuites, quelle que fût l’époque à laquelle
l’acte remonterait.
Cette doctrine nous parait inadmissible. Elle est en
contradiction avec les termes de l’art. 87 lui-même.
La discipline, dit le Dictionnaire général de Dalloz,
est un pouvoir de police intérieure et de surveillance, é-
�ET DE LA FRAUDE.
271
tabli pour maintenir dans les corps ou compagnies l’ex
acte observation des devoirs que leur imposent les lois
de leur institution. :I1 y aura donc fait purement disci
plinaire toutes les fois qu’il y aura eu infraction à cette
police intérieure, et lorsqu’il s’agira d’une atteinte portée
à la dignité du corps ou de la compagnie.
Mais le fait disciplinaire peut revêtir des proportions
plus amples, il peut blesser les droits des tiers ou violer
des prescriptions d’ordre public. Dans eu cas , l’action
disciplinaire qui , d’après M. Dalloz , s’exerce souvent
sur des faits non définis à l’avance, mais dont l’appré
ciation est laissée à un pouvoir discrétionnaire , est in
dépendante de l’action publique et de celle de la partie
lésée.
Ainsi le même fait peut donner naissance à trois ac
tions : l’action disciplinaire , l’action du ministère pu
blic, l’action civile, en réparation du dommage. Chacune
de ces actions a une juridiction qui lui est propre. En
général, l’action purement disciplinaire , surtout en ce
qui concerne les officiers ministériels ou publics, est dé
férée aux tribunaux civils.
Or l’art. 87 confie la répression des actes indiqués
par les deux articles précédents aux tribunaux correc
tionnels. Cette première dérogation au droit commun,
en matière disciplinaire, établit déjà qu’il s’agit d’autres
choses que d’un fait purement disciplinaire.
Ce qui le prouve mieux encore, c’est la pénalité. La
destitution est le dernier échelon des mesures discipli
naires lorsqu’elle est prononcée par le pouvoir ordinal-
�2721
TRAITÉ DU DÜL
rement investi. Ici elle n’est plus qu’une peine , puis
qu’elle est à ce titre prononcée par les tribunaux correc
tionnels. De plus l’amende que M. Pardessus appelle à
juste titre correctionnelle' et qui doit être simultané
ment prononcée , achève de fixer le véritable caractère
de l’acte que la compétence de la justice correctionnelle
ferait à elle seule supposer.
Ainsi la violation des art. 85 et 86 constitue un véri
table d é lit, c’est ce qu’enseigne notamment M. Mollot,
en parlant des actions pénales pour usurpation ou con
travention.
« Les unes sont dirigées, dans l’intérêt des agents de
change , contre ceux qui s’immiscent dans leurs fonc
tions ; les autres le sont contre les agents de change euxmêmes pour violation des lois et règlements, toutes sont
portées devant le tribunal correctionnel , parce qu’elles
ont pour objet la répression d’un délit.1 »
Le fait ainsi qualifié, il en résulte qu’aux termes de
l’art. 637 du Code d’instruction criminelle, la poursuite
du ministère public se prescrit par trois ans. L’action
ultérieurement intentée devrait donc être déclarée irre
cevable.
7 l7 .
— L'art. 42 du Code de commerce prescrit la
publication des actes de société. L’absence de cette for
malité est considérée comme une fraude dont les résul-
1 Tom. i, n® 74.
3 Des bourses de commerce, chap. iv, tit. u, n° 469.
�ET DE LA F R A U D E .
273
tats diffèrent selon qu’il s’agit des associés entre eux,
des créanciers sociaux ou des créanciers particuliers de
chaque associé.
718. — Par rapport aux associés, l’absence de pu
blication annule la société. Cette nullité peut être deman
dée à toutes les époques, mais ses effets ne concernent
que l’avenir, les affaires traitées jusque là sont liquidées
et la répartition des bénéfices ou pertes opérée dans les
proportions indiquées par le pacte social, liant les asso
ciés jusqu’au moment où la nullité est acquise.
7 1 9 . — Par rapport aux créanciers sociaux, le dé
faut de publication ne saurait leur être opposé. La rai
son en est simple, la loi ne pouvait rendre les tiers res
ponsables pour n’avoir pas fait ce qu’ils ont été dans
l’impuissance de faire. L’omission, justement reprochable aux parties signataires de l’acte, ne saurait, dans au
cun cas , atteindre ceux qui , demeurés étrangers à cet
acte , restaient nécessairement étrangers aux formalités
qui devaient le suivre. '
Cette position des tiers amène à celte conséquence :
que les stipulations de l’acte non publié ne peuvent leur
être opposées. Ainsi, la solidarité étant de droit com
mun entre associés en nom collectif, chaque associé se
rait tenu sur tous ses biens de l’intégralité de la dette,
quelles que fussent les dérogations renfermées au pacte
social. En effet , les associés peuvent stipuler des déro
gations au droit commun , mais la loi ne consacre ces
stipulations que lorsque les tiers ont été mis en demeure
îi
48
�274
T R A ITÉ DU DOL
de les connaître par la publicité qu’elles reçoivent de
l’accomplissement des formalités prescrites par l’art. 42
du Code de commerce ; à défaut de cet accomplissement,
ces dérogations ne sont plus considérées que comme une
fraude contre les tiers et absolument nulles par rapport
à eux.
Une seconde conséquence du défaut de publicité, c’est
de conférer aux tiers le droit de prouver, même par té
moins, l’existence de la société avec laquelle ils ont traité.
L’exigence d’une preuve écrite ne concerne que les as
sociés , car seuls ils sont dans le cas de se la procurer.
Dès l’instant qu’une société s’annonce au public par des
actes formels, par l’emploi d’une raison sociale, les tiers
ne sont pas même obligés d’en demander la preuve ou
de s’informer si elle a été ou non régulièrement établie.
Ils agiraient sans doute beaucoup plus prudemment s’ils
prenaient ces informations, qui ne sont pas, d’ailleurs,
toujours faciles. Mais le seul danger auquel ils s’expo
sent en ne les prenant pas , c’est la chance de ne pas
prouver la société. Les déclarer non recevables à faire
cette preuve, ce serait porter une atteinte grave à la bon
ne foi et à la confiance, sans lesquelles il n’y a pas de
commerce possible; donner une prime à la cupidité et
à la fraude , puisque les associés pourraient, en célant
leur acte social, se soustraire à leurs engagements. Une
pareille immoralité ne pouvait trouver place dans la loi.
Ainsi, la position des créanciers vis-à-vis des asso
ciés est aussi nette que possible. Il suffit que la société
ait existé de fait, pour qu’ils soient en droit d’en reven-
�ET D E LA F RA U D E.
• 275
diquer contre ces derniers les effets tels qu’ils résultent
du droit commun. Ils peuvent, de plus , en cas de dé
négation de l’existence de la société, la prouver par té
moins et, dès lors, par des présomptions graves, préci
ses et concordantes.
720.
— Mais il n’en est pas de même des créanciers
sociaux à l’endroit des créanciers particuliers de chaque
associé. On sait que l’actif social est affecté par privilège
aux premiers , et que les seconds ne sont payés qu’en
cas d’excédant et seulement sur la part et portion de leur
débiteur. Celui-là donc qui , débiteur actuel, contracte
une société, en nom collectif surtout, enlève à ses cré
anciers le gage de leur créance,qu’il affecte par privilège
à ceux qui traiteront plus tard avec la société.
Un pareil résultat serait une monstruosité s’il pouvait
être atteint sans que ceux qu’il tend à dépouiller eus
sent été mis à même de l’empêcher. Or , cette mise en
demeure ne peut résulter que de la publication de la
société. Ainsi avertis du danger qui les menace, les cré
anciers personnels des associés futurs pourront faire
procéder à la liquidation et prendre toutes les mesures
qu’ils croiront nécessaires à la conservation de leurs
droits.
Conséquemment, si l’acte de société n’a reçu aucune
publicité, si aucune des formalités voulues par la loi n’a
été remplie , la société est nulle comme étant faite en
fraude des créanciers , et l’effet de celte nullité est dé
laisser intacts les droits que la société avait pour but de
détruire.
�276
T R A IT É DU DOL
Cela n’a jamais été douteux des créanciers personnels
aux associés. Le défaut de publication, imputable à cha
cun de ces associés, les rend non recevables à en repous
ser les conséquences. Mais on s’est fait plus de difficul
tés lorsque les créanciers personnels se trouvent en pré
sence des créanciers sociaux.
On a dit, dans l’intérêt de ceux-ci, que la nullité ne
produit pas d’effet rétroactif, qu’elle n’efface pas le passé
pendant lequel ont pu être faits des actes de bonne foi;
que la disposition de l’art. 42 du Code de commerce a
été dictée par cette considération que la foi publique ne
pouvait point être trompée et qu’on ne pouvait point
enlever aux tiers , qui s’étaient confiés en l’apparence,
les garanties qu’ils avaient espérées ; qu’admettre que si
le défaut de publicité ne peut être opposé par les asso
ciés, il le peut être par leurs créanciers personnels, c’est
retirer d’une main ce qu’on a donné de l’autre. C’est,
contre le texte même de l’art. 42, faire prévaloir la for
me sur le fond , l'écrit et les formalités de publication
sur le contrat dont ils ne sont que l’accessoire.
Sans doute entre associés la nullité n’affecte que l’a
venir , surtout par cette considération que l’associé , en
ne réclamant p a s , a légalement consenti à tout ce qui
s’est fait. Conséquemment, et lorsque plus tard il chan
ge d’avis et poursuit la nullité, ce changement ne prouve
pas qu’il n’ait pas volontairement accepté le passé. Tout
ce qui s’en in d u it, c’est qu’il ne consent plus pour l’a
venir ; il est donc rationnel de ne pas confondre ce pas
sé et cet avenir ; de laisser le premier produire tous ses
�ET DE LA FRAUDE.
277
effets sous l’empire de ce consentement dont l’existence
tacite est au moins incontestable.
Il y a donc e u , dans cette hypothèse , une société de
fait, dont la liquidation profite ou nuit à toutes les par
ties intéressées, surtout à celles qui ont toléré et encou
ragé ce qu’elles pouvaient empêcher.
Or telle n’est pas incontestablement la position des
créanciers personnels de l’associé ; étrangers à l’acte de
société, ils n’ont pu s’opposer à ce qu’il fût consenti, ni
surtout veiller à leurs intérêts. Us sont légalement pré
sumés en ignorer l’existence , ils ne peuvent être tenus
de l’attaquer qu’à l’instant où, en le leur opposant, on
prétend en profiter à leur détriment. Mais quelle serait
l’importance de ce droit qu’on ne leur conteste pas , si
la nullité, qu’ils ont la faculté de demander, laissait le
passé en dehors de toute atteinte , c’est à dire consom
mait, la spoliation ?
Par la force des choses mêmes, la nullité que le cré
ancier personnel fait prononcer remonte donc à l’origine
de l’acte de société. Ce n’est que de cette manière que
son action aura pour lui des effets utiles. Si le passé était maintenu, si le privilège des créanciers sociaux de
meurait acquis par le fait de l’association, on arriverait
à ce résultat que l’action du créancier, ne pouvant être
exercée qu’après la société, s’ouvrirait juste au moment
où le mal, qu’elle a pour objet d’empêcher, serait con
sommé.
D’ailleurs entre les créanciers sociaux et les créanciers
personnels, qui sont les uns et les autres de véritables
�m
T R A ITÉ DU DOL
tiers, il n’y a pas à hésiter. Les premiers ont pu vérifier
la condition légale de leur débiteur, et s’ils s’en sont fiés
à l’apparence , ils ont imprudemment agi. Que cette
imprudence ne soit jamais un titre pour les associés, on
le comprend, mais les tiers ont le droit de s’en prévaloir.
Les seconds, au contraire, sont au dessus de tout re
proche, ils ne pouvaient en effet ni prévoir, ni empêcher
que leur débiteur contractât une société. Il est donc juste
que, par rapport à eux, cette société devant les dépouil
ler soit revêtue de toutes les formes prescrites par la loi.
En effet, la publicité donnée à celle-ci eût suffi pour
éveiller leur attention et les mettre à même de parer à
la spoliation les menaçant. Consommer cette spoliation,
lorsqu’ils n’ont pas même été avertis, ce serait consacrer
une iniquité et encourager la fraude.
Nul doute en effet qu’une société clandestine ne doive
être considérée comme faite en fraude des créanciers per
sonnels des associés. Le droit de ces créanciers â la faire
annuler se puise donc dans l’art. 1167. Il n’est donc pas
exact de dire que, consacrer ce droit, c’est retirer d’une
main ce qu’on a donné de l’autre; dans son exercice,
les créanciers n’étant nullement les ayants cause de leur
débiteur.
L’évidentejusticedela solution que nous indiquons l’a
faite consacrer par la doctrine et la jurisprudence'. Elle
est aujourd’hui hors de toute contestation.
1 Merlin, Questions de droit, v» Société, S 2 ; —Troplong, art. 1862,
n°s 857 st suiv.; — Delangle, Sur l’art. 42, n° 547; — Cass., 13 février
1821, et autres arrêts cités par ces auteurs.
�ET DE LA FRAUDE.
279
7 2 0 bis. — L’art. 854 du Code Napoléon dispense du
rapport pour les associations faites sans fraude entre
le défunt et l’un de ses héritiers, lorsque les conditions
en ont été réglées par un acte authentique. Donc le lé
gislateur considère comme entachées de fraude les asso
ciations pour lesquelles cette condition n ’a pas été rem
plie.
En effet, ainsi que nous l’avons démontré ailleurs',
l’exigence de l’art. 854 a pour objet non pas précisément
la certitude de la date, mais la sincérité de l’acte, et la
constatation de la liberté du consentement du père. Le
défaut d’acte authentique fait craindre un abus de la part
du fils, et c’est cette crainte qui a éveillé la sollicitude
du législateur , et l’a déterminé à faire de l’authenticité
de l’acte la condition de sa validité.
Donc les auteurs qui ont soutenu que l’art. 854 com
portait des équipollents, et que la condition qu’il exige
était suppléée par l’enregistrement de l’acte sous seing
privé et son dépôt au greffe du tribunal de commerce
se sont trompés et ont méconnu le véritable caractère de
l’article. C’est ce que la Cour de cassation avait expres
sément jugé le 20 janvier 18 4 2 /
Depuis, la Cour suprême loin de déserter celte juris
prudence , comme on le supposait, l’a au contraire de
nouveau formellement consacré. Ainsi elle jugeait,le 29
décembre 1858, que les bénéfices qu’un héritier a reti-
i Notre Commentaire des sociétés, n° 3 5 0 bis.
8 Journal du Palais, 1 . 1 , p. 113, 1842.
�280
T R A IT É DU DDL
rés d’une société par lui formée, même sans fraude, a vec le défunt, doivent être rapportés à la succession par
cela seul que l’existence de cette société n’est pas éta
blie dans la forme authentique.
C’est ce que la Cour d’Aix avait jugé, et son arrêt était déféré à la Cour de cassation comme violant les art.
853 et 854 du Code Napoléon. Il est v ra i, disait-on,
que les conditions de la société n’avaient pas été réglées
par acte authentique. Mais l’acte sous seing privé ayant
été enregistré, publié et déposé au greffe du tribunal de
commerce, ces formalités lui avaient imprimé le carac-,
tère authentique.
Mais la Cour régulatrice rejette le pourvoi, « attendu
que la condition de la dispense du rapport au cas d’une
société qui aurait été formée entre le défunt et le suc
cessible , est la production d’un acte authentique éta
blissant l’existence de cette société ; d’où il suit que faute
de production d’un pareil acte , toute société attaquée
doit être considérée comme n’ayant pas existé à l’égard
du partage des bénéfices sociaux que l’héritier avantagé
voudrait opposer comme exception à la demande de rap
port.' »
Cette doctrine que nous avions adoptée à l’exemple
de MM. Delvincourt et Delangle, a obtenu l’assentiment
de M. Demolombe. « Peu importe, dit cet éminent ju
risconsulte, que l’acte sous seing privé ait été enregistré,
car il ne s’agit pas seulement ici de lui procurer une
1 Journal du palais, 1859, 901,
�ET DE LA FR A U D E .
281
date certaine, il s’agit d’en prévenir la suppression (dan
ger contre lequel l’enregistrement n’est pas une garantie)
et de permettre aux intéressés d’en demander la repré
sentation afin d’examiner et d’étudier dans l’acte même
les clauses souvent compliquées de l’association.
» Peu importe aussi que l’acte social sous seing privé
ait été publié et affiché conformément aux art. 43 et 44
du Code de commerce , car ce n’est qu’un extrait de
l’acte qui est affiché. Or les énonciations que l’extrai*
doit contenir seraient certainement insuffisantes pour
permettre aux intéressés de découvrir si les clauses et
les combinaisons adoptées dans l’acte social en ce qui
concerne la répartition des profits et pertes , n’ont pas
eu pour but ut pour résultat de procurer un avantage
indirect au successible aux dépens de son auteur.1 »
Les motifs de la condition que l’art. 854 met à la
dispense du rapport ne peuvent être ni le danger de la
disparition de l’acte sous seing privé, ni la crainte que
l’extrait publié et affiché ne suffise pas pour éclairer les
intéressés, car dans tous les cas le successible qui se pré
tendra associé sera bien obligé de justifier sa prétention
par la production du litre qui lui confère cette qualité.
Donc l’exigence de l’art. 854 n’a pas d’autre cause que
celle que nous indiquons , à savoir la garantie par le
concours de l’officier public ou du fonctionnaire que le
père a agi en pleine liberté et connaissance de cause, en
d’autres termes la présomption qu’il n’en a pas été ainsi
lorsque ce concours n’a pas été requis.
i Succession, tom. 4, n° 368 et suiv.
�282
TRAITÉ DU DOL
De l’arrêt de la Cour de cassation il résulterait que
cette présomption est ju ris et de jure , et n’admettrait
pas la preuve contraire. Cependant, dans cette espèce, la
Cour d’Aix avait admis que tout en ordonnant le rapport
on peut accorder au successible une indemnité à raison
de ses peines et soins pendant la durée de la société.
Ce principe ne va à rien moins qu’à retirer aux ayants
droit le bénéfice de l’art. 854, parce que l’indemnité à
allouer sera dans certains cas l’équivalent de la part de
bénéfices que le successible pourrait réclamer et qui lui
sera ainsi exclusivement attribuée malgré la disposition
de l’art. 854.
Cette supposition n’est pas aussi hasardée qu’elle peut
le paraitre. Une fois l’arbitraire substitué à la règle si
précise de la loi, où s’en arrêtera l’effet ? Bientôt on at
tribuera comme indemnité la totalité du bénéfice à rap
porter. C’est ce que faisait en effet la Cour de Poitiers
jugeant, le 2 juin 1863, que bien qu’en principe le suc
cessible soit tenu au rapport des bénéfices acquis dans
une société formée entre lui et le défunt, lorsque les
conditions n’en ont pas été réglées par acte authenti
que, les juges peuvent le dispenser de ce rapport s’ils
reconnaissent en fait que les sommes représentant ces
bénéfices ne sont que la juste indemnité, soit de son con
cours aux affaires sociales, soit des risques commerciaux
courus par ses capitaux.
Cette doctrine n’est en réalité qu’une abrogation for
melle de l’art. 854, puisque dans tous les cas le succes
sible aura donné son concours à la société, et qu’il dé-
�ET DE LA FRAUDE.
283
pendra souverainement du juge de l’en récompenser en
le dispensant du rapport.
Qu’importe qu’à ce concours soit réunie une avance
de fonds, où est la garantie que ces fonds n’ont pas été
donnés par le défunt lui-même. D’ailleurs la nullité de
la société ne détruit et ne modifie en rien le compte par
ticulier du successible, et en lui tenant compte de l’in
térêt au 6 °|0 des fonds par lui avancés , ce compte lui
accorde la seule indemnité à laquelle il puisse légitime
ment prétendre.
Cependant la Cour de cassation, par arrêt du 17 août
1864, rejette le pourvoi dont l’arrêt de la Cour de Poi
tiers avait été l’objet : « Attendu que les produits d’u » ne association entre les successibles et l’auteur com» mun ne sont sujets à rapport aux termes de l’art. 854
» du Code Napoléon , qu’autant qu’ils .constituent des
» libéralités, et que l’arrêt attaqué a nettement déclaré
» dans l’espèce qu’ils n’avaient pas ce caractère et n’é» taient qu’une juste indemnité soit du concours donné
» au commerce , soit des risques que pouvaient courir
» les capitaux du successible.' »
La Cour suprême se considère comme liée par cette
interprétation de fait. Nous la considérons, nous, com
me la violation la plus expresse de l’art. 854. En effet,
que ce soit à litre de libéralité, que ce soit à tout autre
titre, cet article impose le rapport par cela seul que la
condition qu’il exige [n’a pas été remplie , et cette dis-
�284
TRAITÉ DU DOL
position impérieuse est insusceptible de tempéraments et
n’en comporte aucun. En conséquence, dispenser du
rapport sous un prétexte quelconque en l’absence d’un
acte authentique , c’est autoriser ce que la loi prohibe
formellement.
On objecte qu’il serait souverainement injuste de pri
ver le successible de la rémunération due à son travail
et au concours qu’il a donné à la société, et qu’il ne
profitât pas des avantages que celle-ci a retiré des fonds
par lui versés, au risque de les perdre en totalité ou en
partie.
Mais l’injustice est le fait unique du successible qui
l’allègue. La loi lui donnait le moyen de la prévenir, et
il l’aurait efficacement prévenue en remplissant le de
voir qui lui était imposé. Il ne peut donc être admis à
se plaindre du résultat de sa négligence à obéir aux pres
criptions de la loi.
En résumé l’absence de l’acte authentique prouve aux
yeux de la loi le caractère frauduleux de l’association.
Elle n’accepte comme garantie de la sincérité de la con
vention que le concours de l’officier ou du fonctionnaire
public. Donc dispenser du rapport en l’absence de ce
concours c’est méconnaître l’esprit et le texte de l’article
854.
N’est-ce pas ce que la Cour de cassation déclarait ellemême dans son arrêt du 29 décembre 1858 ? Et s’il est
vrai que le principe du rapport a été posé par la loi
comme m e conséquence du principe de l'égalité dans
les partages des successions; s’il est vrai que la loi a
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ET DE LA FRA UDE
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285
pris soin de déterminer les cas où le rapport devait avoir lieu, et les cas où les héritiers en étaient dispen
sé, et que la condition de la dispense du rapport au
cas d’une société qui aurait été formée entre le défunt
et le successible, est la production d’un acte authenti
que établissant l'existence de cette société , la seule
conclusion logique et juridique est qu’à défaut de cet
acte, la dispense du rapport ne saurait être accordée sous
aucun prétexte.
La société avec un successible dont les conditions ont
été réglées par acte authentique est présumée sérieuse
et sincère. Mais elle peut être attaquée comme fraudu
leuse. Dans ce cas, c’est à ceux qui allèguent la fraude
à en prouver l’existence, ce qu’ils peuvent faire par té
moins et par présomptions.
721.
— De nombreux exemples de fraude présu
mée nous sont offerts par la loi sur les faillites. Evéne
ment capital dans la vie commerciale, la faillite place le
négociant dans une position exceptionnelle, et l’expose à
toutes les exigences soit de son propre intérêt, soit de
celui de certains créanciers désireux de se soustraire au
naufrage.
Cette position appelait l’intervention énergique de la
loi. Il importait dans tous les cas d’assurer la déposses
sion entière du failli, l’égalité absolue entre les créan
ciers. Tout acte, tendant à éluder l’une ou l’autre, con
stitue donc une fraude punissable tantôt par la voie cor
rectionnelle ou criminelle, tantôt par la juridiction civile
seulement.
�286
TRAITÉ DU DOL
Nous n’avons pas à nous occuper de la banqueroute;
nous nous bornerons donc à dire quelques mots de la
fraude purement civile.
C’est surtout aux approches de la faillite que cette
fraude surgit. Les actes faits depuis la cessation des paie
ments ou dans un temps voisin en fourniront quelque
fois de nombreux exemples.
722.
— D’après notre Code de commerce ancien, le
désinvestissement du failli remontant de plein droit au
jour de la cessation des paiements , tous les actes faits
depuis cette cessation ou dans les dix jours qui l’avaient
précédée étaient présumés frauduleux. Mais celle pré
somption n’allait pas jusqu’à exclure la preuve con
traire.
La loi de 1838 a déserté ce système. Le désinvestis
sement du failli ne date plus que du jour du jugement
déclaratif; jusque là donc le failli a joui de tous ses
droits , pu exercer ses actions et continué légalement
l’administration de ses affaires. Mais celte capacité n’est
respectée qu’autant que ses effets auront tourné à l’in
térêt général des ayants droit; qu’autant surtout que le
failli n’en aura pas abusé, soit dans son intérêt ou ce
lui de ses proches, soit en faveur de quelques créanciers
au détriment de la masse.
De là une première distinction. Les actes faits par le
failli seront antérieurs ou postérieurs au jugement dé
claratif. Ces derniers sont de plein droit présumés frau
duleux et comme tels annulés, quelle que soit la bonne
foi de ceux qui ont contracté avec lui.
�ET DE LA FRAUDE.
287
723. — On distingue ensuite , pour les actes anté
rieurs, ceux qui ont précédé de plus de dix jours la ces
sation réelle de paiements , de ceux qui ont été faits
depuis ou dans les dix jours. Les premiers sont présu
més sérieux et sincères , ils doivent, en conséquence,
produire tous leurs effets, sauf la faculté pour les cré
anciers de les attaquer comme ayant été faits en fraude
de leurs droits , ce qu’ils sont tenus de prouver en la
forme ordinaire.
724. — Les actes faits dans les dix jours de la ces
sation ou depuis sont présumés frauduleux. Mais l’effet
de celte présomption se renferme-dans les hypothèses
formellement énoncées dans l’art. 446 du Code de com
merce.
Ainsi sont de plein droit présumés frauduleux , tous
actes translatifs de propriété mobilièrè ou immobilière à
titre gratuit;
Tous paiements , soit en espèces , soit par transport,
vente, compensation ou autrem ent, pour dettes non échues ; et, pour dettes échues, tous paiements faits au
trement qu’en espèces ou effets de commerce ;
Toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire , et
tous droits d’antichrèse ou de nantissement sur les biens
du débiteur, pour dettes antérieurement contractées.
La nature de ces actes en indique suffisamment le
caractère. Elle prouve chez le failli la volonté de dimi
nuer ou d’anéantir son actif au préjudice de la masse,
tout au moins le désir de blesser l’égalité devant régner
�J
f -
^
288
'
TRAITÉ. DU DOL
entre les créanciers ; chez ceux qui ont traité avec lui,
la volonté de se soustraire à un danger dont ils connais
sent et apprécient l’imminence. C’est du moins ainsi que
le législateur l’a admis , puisqu’il prononce la nullité
absolue de tous ces actes.
Il y a également fraude présumée dans le fait du cré
ancier qui, ayant obtenu une hypothèque valable, n’en
a requis l’inscription que plus de quinze jours après la
date de l’acte constitutif. La discussion législative de l’ar
ticle 448 nous apprend qu’on a voulu atteindre par sa
disposition un abus contre lequel le commerce n’avait
pas cessé de réclamer. Un commerçant, obligé de con
férer des hypothèques sur ses biens et voulant ne subir
aucune atteinte dans son crédit, obtenait que l’hypothè
que ne fût pas publiée, puis la déconfiture arrivant, des
inscriptions nombreuses faisaient évanouir cet actif, sur
l’apparence duquel cependant le public avait traité.C’est
ce calcul que le législateur a voulu détruire en n’accor
dant qu’un delai fort court pour réaliser l’inscription
des hypothèques valablement conférées , c’est son exis
tence qu’il présume dès que ce délai n’a pas été mis à
profit.
Mais cette présomption n’exclut pas la preuve con
traire. Le défaut d’inscription peut tenir à des obstacles
réels, sérieux, à une force majeure que le créancier n’a
pu ni prévoir ni empêcher. Dans chacune de ces hypo
thèses , il y aurait injustice à punir le créancier d’une
faute qui n’est pas son fait. Dès lors la preuve acquise
de l’une d’elles ferait fléchir la rigueur de la loi. C’est
�ET DE LA FRAUDE.
289
dans ce sens que l’art. 448 se borne à dire que l’inscrip
tion prise après la quinzaine , augmentée du délai des
distances, pourra être annulée.1
SECTION II.
P r eu ve de la f r a u d e non présu m ée ,
SOMMAI RE.
725.
726.
Excellence de la preuve liltéralc.
Par cjnels éléments doit-on décider la question de la rece
vabilité de la preuve testimoniale.
727. Exceptions au principe de l ’art. 1341 du Code civil.
728. La partie qui n'a pas connu la fraude dont elle est victime
n’a pu se procurer une preuve écrite.
729. Il n’en est pas de même pour la fraude concertée.— Effets
de celle-ci à l’endroit des tiers et des parties elles-mêmes.
730. Dans tous les cas la preuve orale devient admissible, s’il
existe un commencement de preuve par écrit.
731. Définition du commencement de preuve : par l ’ancienne
doctrine; par le Code civil.
1 V. an surplus notre Commentaire sur la loi des faillites , art. 446
et suiv.
�290
732.
733.
734.
735.
736.
737.
738.
739.
740.
741.
742.
743.
744.
745.
746.
747.
748.
749.
TRAITÉ DU DOL
Nature de la règle posée par l’art. 1347 du Code civil. —
Exceptions dont elle est susceptible,
Droit ancien relativement aux livres et registres des mar
chands.
Confirméjaar le Code.
Les copies des titres peuvent créer un commencement de
preuve par écrit. — Motif de cette exception.
Du principe que l'art. 1347 n ’est que démonstratif, la ju-r
risprudence a tiré de nombreuses exceptions à la rigueur
de ses termes.
1” exception. Interrogatoire des parties.
2”' exception. Aveu de la partie.
3“' exception. Déclarations contradictoirement fournies à
l ’audience.
Peut-on diviser les aveux et déclarations lorsqu’il ne s’agit
que de la vraisemblance du fait allégué ?
Mais la règle de l’indivisibilité de l'aveu reprend son empire
lorsqu’il s’agit de dépôt excédant 150 fr.
4” exception. Refus de comparaître ou de répondre. —
Obscurité calculée des réponses.
Les aveux et déclarations faits en j ustice de paix produisent
les mêmes effets que ceux donnés devant les tribunaux
ordinaires.
La loi exige seulement que les écrits émanent de la partie.
Conséquences quant à la forme.
L’écrit non reconnu ne peut créer un commencement de
preuve qu'après sa vérification.
Diverses catégories dans lesquelles se placera nécessaire
ment l ’écrit dont il sera exçipé.
Dans celle des écrits rédigés mais non signés par la partie,
se placent les livres et registres des marchands.
La règle tracée par l’art. 1330 est-elle applicable lorsqu’il
s’agit de rechercher le commencement de preuve?
Dans la seconde catégorie se placent les écrits non confor
mes aux dispositions des art. 1325 et 1326 du Code civil.
�ET DE LA FIUUDE.
750.
291
Sévérité de l ’ancienne jurisprudence à l’endroit des pre
miers. — Critique et blâme dont elle avait été l ’objet.
751. Décision du Code civil ; son véritable caractère.
752. L’acte non fa it, ou ne mentionnant pas qu’il a été fait en
autant d’originaux qu’il y a de parties intéressées, peut
créer le commencement de preuve par écrit.
753. Opinion contraire de M. D uranton.— Réfutation.
754. La règle applicable dans le cas de l’art. 1325 doit être éga
lement appliquée à celui de l’art. 1326.
755. Quid si l ’obligation écrite par le débiteur ne porte pas sa
signature?
756. L ’acte authentique, nul pour incompétence de l ’officier qui
l ’a reçu ou pour violation des formes, vaut comme sous
seing privé.
757. Il peut dès lors servir de commencement de preuve, s’il
est signé par les parties.
758. Le commencement de preuve peut résulter d ’une lettre
missive. — Exemples.
759. L ’écrit émané de l’auteur de la partie'produit contre elle le
même effet que celui dont elle sérait l ’auteur.
760. L’écrit émané du mandataire oblige le mandant dont il est
censé émaner.
76t. Arrêt de la Cour de Toulouse faisant résulter le commen
cement de preuve des registres d’un notaire.
762. Résumé.
763. La preuve par témoins n’est pas admissible lorsque la frau
de de contractu in contractum cache une simulation
licite.
764. Exception lorsqu’il s'agit de la révocation légale ou de la
réduction d’une donation sous forme d’un contrat à titre
onéreux.
765. La preuve orale est admissible lorsque la fraude déguise une convention illicite.
766. Exemples fournis par la jurisprudence.
�292
767.
768.
769.
TRAITÉ DU DOT,
L’admissibilité de la preuve par témoins rend admissible la
preuve par présomptions.
Définition des présomptions. — Conséquences.
Existe-t-il, en matière de simulation, des faits devant plus
particulièrement en décéler l ’existence?
7 2 5 . — Hors les cas exceptionnels que nous ve
nons de parcourir, la fraude n’est jamais présumée. Son
existence doit être prouvée par celui qui l’allègue.
La preuve littérale est certainement la plus efficace, la
plus décisive de toutes les preuves. Mais, il faut bien le
reconnaître, elle n’existera que dans des cas exception
nels el fort rares. Telle n’est pas, en effet, l’allure habi
tuelle de la fraude; elle se garde bien de laisser après
elle des traces rendant sa découverte évidente et sa ré
pression certaine.
7 2 6 . — Le plus souvent donc c’est à la preuve tes
timoniale qu’on sera obligé de demander et cette exis
tence et celte répression. Il convient, dès lors , de re
chercher dans quels cas et à quell.es conditions ce mode
de preuve pourra et devra être admis.
Cette recherche reconnaît pour bases essentielles les
dispositions combinées des art. 1341, 1347 et 1348 du
Code civil. Le premier renferme la prohibition formelle
de la preuve orale lorsqu’il s’agit d’un intérêt supérieur
à 150 fr. Nous avons déjà donné l’historique de cette
disposition ; nous n’avons donc, quant à ce, qu’à nous
en référer à nos précédentes observations.'
l V oy
f
s u p r a n ns 2 3 9 e t s u iv .
�ET DE LÀ FRAUDE.
293
7 2 7 . — Mais cette prohibition reçoit exception, no
tamment lorsqu’il existe un commencement de preuve
par écrit ou lorsque le poursuivant a été dans l’impos
sibilité de se procurer une preuve écrite.
728. — Dans cette dernière catégorie se placent na
turellement ceux qui se prétendent victimes d’une fraude
acconfplie contre eux sans leur participation et sans leur
concours. Une fraude de ce genre est un véritable dol.
La preuve testimoniale, toujours admissible pour celuici, le sera également pour celle-là, que nous avons déjà
dit s’appeler fraude de re ad rem.' Il est, en effet, évi
dent que celui qui n’a connu la fraude que par le pré
judice qu’il en éprouve, a été dans l’impossibilité de s’en
procurer une preuve écrite, et se place conséquemment
dans l’exception consacrée par l’art. 1348.
729. - Il n’en est pas de même de la fraude de
persona ad personam , c’est-à-dire de la simulation
concertée entre les parties à l’effet de nuire et de préju
dicier aux droits des tiers. Ici il faut distinguer entre ces
tiers et les parties elles-mêmes.
L’art. 1167 tranche la question à l’égard des pre
miers en les autorisant à attaquer directement l’acte
frauduleux. La conséquence de cette action directe est
l’admissibilité de la preuve testimoniale , sans laquelle
cette action ne sauraitaboutir,et dont le refus serait absurde.
i Vid. supra, n° 642.
�294
T R A IT É
DU
DOL
En effet, qui veut la fin veut les moyens ; refuser ceuxci serait d’autant plus injuste dans la circonstance, qu’é
trangers à l’acte, les tiers exposés à le subir ne pouvaient
même le prévoir ; qu’on ne saurait donc équitablement
leur reprocher l’absence d’une preuve écrite qu’ils n’ont
jamais été dans le cas de se procurer.
Mais telle n’est pas évidemment la position des con
tractants. Leur présence forcée à l’acte , leur toncert
frauduleux les a mis à même de se procurer la preuve
écrite du véritable caractère de leurs accords. Sans doute
l’intention d’assurer le succès de la fraude est exclusive
de l’idée d’insérer dans l’acte la constatation de cette
fraude; mais ce qui ne pouvait s’accomplir de cette ma
nière, pouvait l’être par une contre-lettre séparée et dis
tincte. Ce devoir, imposé par la lo i, était conseillé par
la prudence. La partie qui a négligé de le remplir a
d’autant plus de tort, qu’il lui était facile de prévoir que
celui qui ne recule pas devant l’indélicatesse de s’asso
cier à une fraude contre un tiers , pourrait être assez
déloyal pour tenter de s’en appliquer personnellement
le bénéfice.
Donc, le complice de la fraude ne pourra invoquer la
preuve testimoniale non seulement contre les tiers, mais
encore contre son complice. Sa prétention, à cet égard,
serait invinciblement repoussée en force de la maxime
nemo auditur, etc.. . . Mais, comme nous l’avons déjà
dit,' cette solution n’est rationnellement admissible que
l V.
su pra,
n° 251.
�ET DE LÀ FRAUDE.
295
dans l’hypothèse où le porteur du titre , se retranchant
derrière sa teneur, en soutient la complète sincérité. Si,
désertant ses énonciations , il est obligé de puiser les
preuves de la réalité de l’obligation ailleurs que dans le
titre même, le demandeur devrait être admis à discuter
ces preuves et à les détruire même par la preuve orale.
L’aveu de l'insuffisance du titre , rendant la simulation
vraisemblable, serait justement invoqué comme un com
mencement de preuve par écrit, constituant, aux termes
de l’art. 4349 , une exception à la prohibition de la
preuve testimoniale.
750. — De tous temps , en effet, le commencement
de preuve a produit ce résultat. C’est ce qu’avaient for
mellement reconnu les ordonnances de 4566 et 4667.
Il est vrai que la première ne désignait pas nommément
le commencement de preuve , mais , à défaut du nom,
elle renfermait évidemment la chose dans cette disposi—
sion : N'entendant exclure les preuves des conventions
particulières et autres qui seraient faites par les par
ties sous leurs seings, sceaux et écritures privées.
731. — Aucune de ces ordonnances n’avait toute
fois défini le commencement de preuve. La doctrine,
suppléant à ce silence, le faisait résulter de tout acte ou
écrit, d'où il ressort quelque preuve, quoique non suf
fisante : Ex qua nonnulla probalio elici potest.1 L’ap-
i Boiceau, 1. 2, eh. 1, nos 3 et 4 ; — Jousse, sur l’art. 8, Ut. 20; —
Ord. de 1667.
�296
TRAITÉ DU DOL
prédation de l’un et de l’autre , de leurs caractères, de
leurs conséquences, était souverainement laissée à l’ar
bitrage des juges.'
Le Code civil a comblé la lacune de la législation pré
cédente. L’art. 1347, en déclarant le commencement de
preuve exception à la prohibition de la preuve testimo
niale , le définit : Tout écrit émané de la partie à qui
on l’oppose ou de celui qu’elle représente , et qui rend
vraisemblable le fait allégué. L’appréciation des tribu
naux se trouve donc circonscrite aujourd’hui dans ces
limites, en ce sens qu’après avoir déclaré que l’écrit émane de la partie ou de son auteur , qu’il rend le re
proche vraisemblable, ils ne pourraient le récuser com
me commencement de preuve.
752. — Mais l’art. 1347 ne défend pas d’admettre
tout autre document, c’est-à-dire que la règle qu’il po
se est susceptible de recevoir des exceptions. Ces excep
tions sont consacrées les unes par la loi , les autres par
la jurisprudence.
7 5 5 . — La première exception légale concerne les
registres et livres des marchands. En règle ordinaire, ces
livres ne peuvent faire foi contre les tiers ; était-il juste
cependant de leur refuser toute autorité , même celle de
créer un commencement de preuve.
En présence des termes formels de l’art. 1347, cette
question n’en était pas une. Evidemment les livres du
1 Cass., 9 février 1801, 16 août 1831.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
297
marchand ne sont pas émanés de la partie à qui ce mar
chand les oppose. Ils manquent donc d’une des condi
tions essentielles exigées par notre article.
Mais le commerce vit de crédit, et il n’est pas dans
ses usages, surtout pour les ventes à ja consommation,
d’exiger une reconnaissance, dont la souscription d’ail
leurs serait dans bien de cas impossible, tous les con
sommateurs ne sachant pas lire ou écrire. La fortune du
marchand serait donc à la merci de ses pratiques , s’il
suffisait d’une dénégation pour être à tout jamais libéré.
Ce résultat inique avait touché notre ancien droit et
l’avait déterminé à se relâcher de la rigueur du principe
suivant lequel nul ne peut se créer un titre à soi-mê
me. En conséquence, adoptant la règle tracée parla Loi
6, Cod. De probatione, à l’endroit des registres domes
tiques, nos anciens jurisconsultes, et notamment l’illus
tre Dumoulin, admettaient que les livres des marchands
ne pouvaient suffire seuls pour faire condamner les tiers,
mais qu’appuyés par d’autres présomptions, ils devaient
être considérés comme un commencement de preuve,
autorisant le juge à déférer le serment supplétoire.
734.
— Cette doctrine , recommandable sous tous
les rapports, a été consacrée par le Code. La faculté de
déférer le serment supplétoire est formellement inscrite
dans l’art. 1329. Or, aux termes de l’art. 1367, cette fa
culté n’existe qu’aux conditions suivantes : 1° que la
demande ne soit pas pleinement justifiée ; 2° qu’elle ne
soit pas entièrement dénuée de preuve,
�§98
T R A IT É
DU
DOL
De la combinaison de ces deux articles, il résulte qu’à
son tour la législation qui nous régit n’admet pas que
les livres soient considérés comme un titre suffisant et
légitime : Solas sufficere non posse. Mais elle voit dans
leur existence une présomption assez grave pour faire
naître le doute , créer une vraisemblance qu’il convient
de creuser, et rendre admissible la preuve testimoniale.
Notons bien, en effet, que le serment supplétoire ne peut
être ordonné que dans les cas où la preuve testimoniale
est recevable'. Dire qu’on peut déférer celui-ci, c’est par
cela même déclarer qu’on peut recourir à celle-là. Au
trement il serait vrai que , pouvant le p lu s , le juge ne
pourrait pas le moins.
Donc les livres des marchands peuvent créer en leur
faveur un commencement de preuve, à condition toute
fois, comme le disait Dumoulin, que d’autres présomp
tions viendront en corroborer l’autorité. Ces autres pré
somptions exigées par Dumoulin étaient en première li
gne : la moralité du marchand et la régularité de ses
livres ; ensuite la modicité de la somme, la vraisemblan
ce de la fourniture, sa proportionnalité avec la fortune
et la dépense accoutumée du débiteur, l’habitude de ce
lui-ci de prendre à crédit, etc.. . . Ce sont là en effet au
tant d’éléments qu’on ne pourrait refuser d’apprécier.
Notons cependant que déférer le serment supplétoire
ou ordonner une preuve orale n’est jamais pour le juge
qu’une pure faculté , dont il peut user ou non , suivant
�ET
DE
LA
FRAUDE.
299
qu’il le juge utile ou convenable. Conséquemment le re
fus, qu’il en ferait dans telle ou telle circonstance, pour
rait bien être réformé comme un mal jugé par la juri
diction du second degré, mais il ne saurait dans aucun
cas constituer une violation de la loi susceptible d’être
censurée par la Cour de cassation.
735.
— Voilà donc une hypothèse ou le commence
ment de preuve se puise dans un écrit n’émanant ni de
la partie , ni de son auteur. Nous allons en rencontrer
d’autres dans les art. 1335 et 1336 du Code civil.
Le premier s’occupe des copies des titres ; celles qui
ont été tirées par l’autorité des magistrats, parties pré
sentes ou dûment appelées, ou qui l’ont été en présence
des parties et de leur consentement réciproque, font foi
entière de leur contenu.
Celles tirées sans l’autorité du m agistrat, ou sans le
consentement des parties, sur la minute de l’acte par le .
notaire qui l’a reçu ou par un de ses successeurs,ou par
officiers publics dépositaires des minutes, peuvent faire
foi quand elles sont anciennes, c’est-à-dire quand leur
délivrance remonte au delà de trente ans.
Si elles ont moins de trente ans, elles ne peuvent ser
vir que de commencement de preuve par écrit.
Enfin les copies tirées, sur la minute de l’acte, par
tous autres que le notaire, ses successeurs, ou l’officier
public dépositairede la minute, ne pourront servir, quelle
que soit leur ancienneté, que de commencement de preu
ve par écrit.
�300
T R A IT É
DU
DOL
D’autre part, l’art. 1336 dispose que la transcription
d’un acte sur les registres publics ne pourra servir que
comme un commencement de preuve par écrit, pourvu
cependant qu’elle réunisse les conditions exigées.
En réalité, l’acte public procède plutôt de son rédac
teur que de la partie elle-même. Cependant l’acte, por
tant la signature de celle-ci ou la mention qu’elle n’a pu
ou su signer, fait pleine foi en sa faveur ou contre elle;
or une copie rendant l’existence de l'acte probable, mal
gré qu’on ne puisse plus le représenter, il n’élait pas juste
de s’arrêter à l’imperfection de la copie, et de repousser
toute investigation ultérieure. Le législateur a donc jus
tement agi en refusant à la copie toute l’autorité que le
titre offrirait, mais en lui faisant toutefois produire l’effet d’un commencement de preuve.
Dans leur exécution, les prescriptions des art. 1335
et 1336 présentent les mêmes caractères que celles de
l’art. 1329. Ainsi, en ce qui la concerne, l’indépendance
du juge reste entière et il peut toujours, si la vraisem
blance créée par la copie lui parait dès maintenant dé
truite par des vraisemblances contraires, refuser de pro
longer un litige pouvant immédiatement recevoir une so
lution définitive.
736.
— Ainsi la loi assimile, dans les art. 1335 et
1336, à l’écrit émané de la partie , l’acte susceptible de
faire foi contre elle. Ce principe, fondé sur la règle que
l’art. 1347 n’est que démonstratif, a reçu en jurispru
dence de notables développements.
�ÊT
DE
LA
FRAUDE.
301
On a fait résulter le commencement de preuve par écrit : 1° de l’interrogatoire sur faits et articles ; 2° des
aveux judiciaires ou extrajudiciaires; 3" des déclarations
contradictoires fournies à l’audience; 4° du refus de
comparaître et de l’obscurité calculée des réponses.
737. — 1° Interrogatoire sur faits et articles.
En la forme, l’interrogatoire est un acte public et au
thentique. Il est reçu par un magistrat, signé par la par
tie ou mentionnant qu’elle n’a su , n’a pu ou n’a pas
voulu signer. Il est donc à l’instar d’un acte notarié et
il doit conséquemment faire foi de ce qu’il contient. On
n’hésiterait certes pas à le reconnaître si l’interrogé con
venait formellement du reproche allégué par son adver
saire, pourquoi en serait-il autrement si, tout en le con
testant, le premier laisse échapper des déclarations ren
dant ce reproche vraisemblable ? La seule différence pos
sible c’est que , dansle premier cas , il y aurait lieu à
condamnation, et que, dans le second, cette condamna
tion sera subordonnée à la preuve que la vraisemblance
du reproche fera admettre.'
C’est au reste dans ce sens que la doctrine et la juris
prudence paraissent se fixer. La controverse qui s’était
d’abord prononcée s’efface et disparait devant la doctrine
définitivement admise parla Cour de cassation.
758. — 2° Aveu de la partie.
Si l’interrogatoire sur faits et articles , si les déclara
tions faites à l’audience prennent le caractère d’un com
mencement de preuve par écrit , c’est en force des aveux
ih,1l.;1
1
•i•)'il'JIh!{■
ir ?'
i :
�302
T R A IT É
DU
DOL
qui y sont constatés. Dès lors on ne saurait refuser à l’a
veu émané spontanément de la partie l’effet attribué à
l’aveu provoqué par une de ces mesures.
Conséquemment, de quelque manière que l’aveu se
produise, il y aura lieu, savoir : à condamnation , s’il
porte sur le fond même du droit ; à la recevabilité de la
preuve testimoniale, si, portant sur des circonstances ac
cessoires, il rend vraisemblable le fait allégué.
Il n’est pas même nécessaire que l’aveu se soit pro
duit dans l’instance engagée. On pourrait, dans l’un de
ces objets, invoquer utilement celui que le défendeur
actuel aurait fait dans une instance précédente.'
739.
— 3° Déclarations contradictoirement four
nies à l’audience.
Ces déclarations constituent de véritables aveux. Com
me tels, elles doivent être considérées comme constituant
le commencement de preuve , si elles rendent vraisem
blable le reproche allégué1. Mais ce qu’il importe de re
tenir, c’est que ces explications, purement verbales, pour
raient être facilement déniées soit à une audience sub
séquente , soit devant le degré supérieur de juridiction ;
conséquemment, la partie intéressée à les invoquer plus
tard doit les faire constater en requérant immédiatement
acte des termes dans lesquels elles se sont produites.
L’absence de cette formalité ne permettrait pas au tribu—
1 Cass.. 27 avril 1840; — D. P., 40, 1, 212.
s Cass., 10 juillet 1838 ; - D. P , 38, 1, 348.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
303
nal qui les a reçues de les admettre comme commence
ment de preuve; dans tous les cas, l’autorité supérieure
ne pourrait les accepter comme telles , alors même que
les qualités du jugement, non frappées d’opposition, les
mentionneraient par demandes et par réponses.’
740. — Une observation commune à tous les gen
res d’aveux , de quelque manière qu’ils se soient pro
duits , c’est q u e , dans la recherche de la vraisemblance
devant autoriser l’admissibilité de la preuve orale, l’ap
préciation du juge n ’obéit à aucune loi, ne reconnaît au
cune limite. De là il suit qu’on ne saurait l’astreindre à
obéir à l’indivisibilité que la loi a, dans les cas ordinai
res, imprimée à l’aveu2. Il suffit, en effet, que sa cons
cience trouve dans l’aveu la probabilité voulue par la
loi, pour qu’il ait la faculté, disons mieux, le devoir d’en
déclarer l’existence et d ’en déduire les effets.
741, — La divisibilité de l’aveu est donc livrée à la
prudence du juge. Mais cette règle reçoit une exception
formelle lorsqu’il s’agit de l’existence d ’un dépôt excé
dant ISOfr. et dont il n ’existe aucune preuve écrite.
Les motifs de cette exception se puisent dans cette con
sidération : qu'en cette matière, la loi ne se borne pas à
s’en référer au principe général de l’indivisibilité de l’a-
1 Montpellier, 5 juin 1839; — D. P ., 40, 2, 66.
2 Cass., 6 avril 1836; 2 juin 1837; 19 juin 1839; 18 mai 1848 ; —
Toulouse, 16 janvier 1841 ; — J. d. P . , 1840, t. i, p. 500 , t. ii, p
�ir
1
I I
304
Il S
veu ; l’art. 1924 en spécialise de plus les effets en dé
clarant que dans ce cas le dépositaire doit en être cru
soit sur le fait du dépôt, soit sur la chose qui en fait
l’objet, soit sur le fait de la restitution. Dès lors isoler le
fait du dépôt des déclarations relatives à sa quotité ou à
la restitution, et puiser dans l’aveu ainsi isolé un com
mencement de preuve pour arriver à permettre la preuve
par témoins soit de son importance , soit du défaut de
restitution, c’est violer ouvertement les prescriptions de
l’art. 1924.
Il y a plus , l’aveu de n’avoir reçu que tels objets ne
rend nullement vraisemblable le fait allégué que le dé
pôt comprendrait des objets plus considérables. La Cour
de Bordeaux, dans une espèce où il s’agissait d’un dé
pôt de titres, faisait, avec raison, remarquer qu’il était
peu logique de conclure qu’un officier ministériel avait
reçu dix-sept titres de créance , parce qu’il avouait de
bonne foi en avoir reçu cinq. Une pareille argumenta
tion, dit l’arrêt, pourrait avoir des conséquences effray
antes.
La Cour réforme donc le jugement qui avait admis le
contraire, et son arrêt, déféré à la Cour de cassation, fut
maintenu par décision du 6 novembre 1838.'
Déjà la Cour régulatrice s’était prononcée pour l’indi
visibilité par arrêt du 26 septembre 1823. On peut donc
considérer , comme un principe désormais acquis , que
l’aveu du dépôt excédant 150 fr. ne peut être isolé et
1i
I
-li-’M [h
S iî i
I
RAITTÉ DU DOL
1 J. dn P ., 1828, tom. il, pag. 608.
1’N ïil
�fonder un commencement de preuve autorisant la preuve
orale de la fausseté de la déclaration soit sur la quojité
des objets déposés, soit sur le fait de la restitution.
742.
— 4° Refus de comparaître, refus de répon
dre, obscurité volontaire des réponses.
Les ordres de la justice doivent être respectés et obéis.
Celui qui prétend ne faire ni l’un ni l’autre mérite toute
la sévérité des tribunaux.
L’art. 330 du Code de procédure édicte la peine ap
plicable en pareil cas. Le refus de comparaître ou celui
de répondre peut non seulement être un commencement
de preuve, mais encore faire accepter les faits comme avérés et motiver une condamnation immédiate. La Cour
de Montpellier a fait de ce principe une application sé
vère en décidant que, sur l’appel du jugement tenant les
faits pour avérés , le second degré de juridiction n ’est
pas tenu d’obtempérer à l’offre que fait l’appelant de su_
bir l’interrogatoire qu’il a refusé de subir en première
instance , et qu’il peut confirmer purement et simple
ment le jugement.1
Ce que l’art. 330 dit du refus d’exécution du juge
ment ordonnant l’interrogatoire, s’applique au refus de
comparaître à l’audience. Les motifs étant les mêmes, la
solution doit être semblable.
Enfin, l’exécution voulue par la loi doit être une ex
écution franche, loyale et sincère. En conséquence, il est
24 novembre '18-18.
�306
TRAITÉ DU DOL
admis que l’ambiguïté, que l’obscurité volontaire et cal
culée dans les réponses, équivaut au refus de répondre,
non pas qu’on puisse tenir les faits pour avérés , mais
en ce sens que les juges peuvent en faire résulter le com
mencement de preuve.’
Il résulte de ce qui précède que, quels que soient les
termes de l’art. 1347, sa disposition n’a rien de restric
tif. Le législateur a, sous le nom d’écrits , compris tous
les actes émanés de la partie et pouvant fournir contre
elle la preuve des conventions en litige. « En effet, dit
Toullier, l’art. 1347 ne dit pas qu’on ne pourra consi
dérer comme un commencement de preuve par écrit
l’acte qui ne serait pas émané de celui à qui on l’op
pose ou de son auteur ; il dit seulement que les écrits
émanés de l’un ou de l’autre sont des commencements
de preuve, ce qui est bien différent.1 »
745.
— Rappelons, en terminant sur ce point, que
ce que nous avons dit des aveux et déclarations recueil
lis devant les tribunaux reçoit son application aux ins
tances ouvertes ou poursuivies devant les justices de paix.
Les dires constatés soit dans un jugement, soit dans des
procès-verbaux de constatations ou de recherches, de
conciliation ou de non conciliation pourraient être ulté
rieurement invoqués à titre de commencement de preuve.
744.
Nous passons maintenant aux écrits de la
i Cass.,-11 janvier 1827, 19 ju in 1 8 3 9 ; D. P., 39, 1, 287.
�ET DE LA FKAUDE.
307
partie ou de son auteur. Ce qu’il faut d’abord retenir
en ce qui les concerne, c’est que l’art. 1347 se contente
d’exiger qu’ils soient émanés de l’une ou de l’autre.
Cette expression indique que le législateur ne s’est nul
lement préoccupé de la perfectibilité de l’acte dont on
excipera. Il est même certain qu’il n’a en vue que ceux
ne pouvant par eux-mêmes créer un titre régulier. Dans
le cas contraire, en effet, le titre se suffisant à lui-mê
me , il ne pouvait s’agir de la question de savoir s’il
pouvait constituer ou non le commencement de preuve.
745. — Il faut ensuite remarquer qu’il n’y a réel
lement d’écrits émanés de qui que ce s o it, que lorsque
l’écriture ou la signature est reconnue par celui qu’on
en soutient l’auteur. En cas de dénégation, on ne sau
rait rien inférer tant que la vérification demandée ou
ordonnée n’aurait pas détruit cette dénégation.
74 6. — L’écrit reconnu se placera nécessairement
dans une des catégories suivantes :
10 Ecrits non signés par la partie ou qui n ’étaient pas
destinés à l’être ;
2° Ecrits irréguliers comme ne remplissant pas les
conditions exigées pour leur validité ;
3° Ecrits nuis pour incompétence du fonctionnaire
qui les a reçus ou pour vices de forme ;
4° Ecrits ne constituant pas un titre par eux-mêmes,
mais rendant vraisemblable le fait allégué.
747. — Dans la première catégorie , se placent les
�308
TRAITÉ DU DOL
livres des marchands, les registres ou papiers domesti
ques de la partie ou de son auteur ; les uns et les autres
sont, en effet, l’œuvre de celui qui les a tenus , quand
bien même un tiers les eût écrits sous leur direction , ce
qui se réalise souvent pour les livres de commerce.
La vraisemblance du fait allégué, puisée dans ces do
cuments, doit donc constituer le commencement de preu
ve, tel qu’il est exigé par l’art. 1347 contre leur auteur
ou ses représentants.
748.
— Ici se présente une difficulté. L’art. 1330
défend de diviser les mentions des livres qu’on invoque.
Celui qui prétend en tirer avantage doit les accepter dans
leur entier, sans pouvoir répudier ce qu’ils ont de con
traire à sa prétention. Par une parité de raisons incon
testables, on doit admettre la même doctrine à l’endroit
des registres et papiers domestiques. Cette indivisibilité
devra-t-elle s’entendre d’une manière tellement absolue,
qu’elle ne permet pas , en cas d’allégations contradic
toires, de tirer des uns et des autres un commencement
de preuve par écrit ?
Nous venons de voir la Cour de cassation proclamer
la divisibilité de l’aveu, malgré le texte formel de l’arti
cle 1356. Or, l’art. 1330.ne fait que répéter pour les
livres la règle que l’art. 1356 appliquera plus tard à l’a
veu. Dès lors, si celui-ci est inapplicable, lorsqu’il s’a
git de la recherche d’un commencement de preuve, quel
motif aurait-on de décider le contraire pour celui-là ?
Nous admettons donc, à l’égard des livres, la distinc-
�ET DE LA FRAUDE.
309
lion que la Cour de cassation fait en matière d’aveu.
Lorsque le demandeur sera dans l’impuissance de justi
fier sa prétention par une preuve quelconque , qu’il
n’aura recours qu’aux livres seuls de son adversaire , il
sera obligé de les accepter dans son ensemble. Si ces li
vres, mentionnant l’obligation , en mentionnent égale
ment l’extinction, sa demande sera repoussée. D’abord,
parce que , tenu de la justifier, il n’a pas suffisamment
rempli son devoir dès qu’il ne peut offrir à la justice
qu’un document qui se contredit et qui laisse au moins
la vérité dans le plus grand doute; ensuite , qu’en de
mandant foi et créance pour les livres , en ce qui con
cerne les allégations qui lui sont avantageuses , il leur
confère une autorité morale rejaillissant sur l’ensemble
et qui doit nécessairement empêcher le juge de se pro
noncer pour les unes plutôt que pour les autres.
Mais lorsque, armé d’une preuve décisive, le deman
deur ne s’en réfère aux livres que pour y puiser la vrai
semblance rendant sa preuve admissible, c’est nécessai
rement à d’autres idées qu’il faut recourir. Alors, en ef
fet, il ne faut qu’un écrit émané de la partie, et le livre
invoqué offre évidemment ce caractère. Alors , le juge
n’a plus à prendre un parti définitif, il a seulement à
rechercher le plus ou moins de vraisemblance des deux
allégations. Or, la loi ne traçant à cette recherche aucun
mode obligatoire , ne lui imposant aucun élément, le
juge est parfaitement libre de se créer une conviction
dont il ne doit même aucun compte. Comment, au sur
plus , oublierait-il que l’obligation est convenue par le
�310
TRAITÉ DU DOL
débiteur lui-même, taudis que son extinction, contestée
par le créancier, ne résulte que d’un fait personnel au
débiteur et que le premier n’a jamais pu empêcher.
La preuve testimoniale peut donc être ordonnée à l’ef
fet de dissiper le doute que les livres font naître. Mais
si cette preuve n’a rien de décisif, si le vague des dépositions vient replacer le juge en présence des énoncia
tions contradictoires des livres, le principe de leur indi
visibilité reprendra son empire et la demande sera re
poussée.
7 4 9 . —- La seconde catégorie comprend essentielle
ment les titres faits contrairement aux dispositions des
art. 1325 et 1326, c’est-à-dire l’acte non fait ou ne
mentionnant pas qu’il a été fait en autant d’originaux
qu’il y a d’intérêts distincts , et l’acte non écrit de la
main du débiteur, ou dont la signature n’est pas précé
dée d’un bon ou approuvé écrit par lui.
7 5 0 . — L’ancienne jurisprudence était fort sévère à
l ’endroit des premiers. Le Parlement de Paris leur refu
sait tout effet quelconque.il considérait leur nullité com
me tellement absolue, qu’il n’hésitait pas à la consacrer
même dans le cas où l’acte avait reçu son exécution.
Cette doctrine était formellement blâmée par les juris
consultes les plus éminents , comme confondant deux
choses devant rester éternellement distinctes , à savoir :
ce qui est de l ’essence du contrat, ce qui forme le vinculum obligationis, et ce qui est relatif à la preuve du
�ET DE LA FRAUDE.
311
contrat. « Dès l’instant , dit Merlin', que deux parties
ont donné leur consentement, l’obligation est formée ;
e t, soit que l’on puisse la prouver ou non , elle n’en a
pas moins la vertu intrinsèque de lier les contractants.
En bonne logique, le défaut de preuve d’un acte, ne peut
en emporter la nullité ; il n’en peut résulter qu’un em
pêchement de fait à son exécution , et si on parvient à
réparer ce défaut, à lever cet empêchement par des preu
ves tirées d’ailleurs, pourquoi l’acte ne serait-il pas plei
nement exécuté ? »
751. — C’était donc en présence des dispositions
sévères de la jurisprudence , et les observations graves
de la doctrine que se trouvait placé le législateur du
Code. L’art. 1321$ nous indique son choix. En effet, cet
article ne déclare pas l’acte nul, il se borne à le consi
dérer comme non valable. Or, dire qu’un acte n’est pas
valable , ce n’est pas reconnaître qu’il n’existe aucune
obligation, c’est seulement proclamer que cette obliga
tion n’est pas suffisamment prouvée. C’est ce que Toullier établit d’une manière victorieuse et sans réplique.2
752. — Donc l’acte n’est pas nul ; il est seulement
insuffisant pour faire pleine preuve, pleine foi de la con
vention qu’il renferme. Cela posé, comment lui refuse
rait-on le caractère d’un commencement de preuve ? Il
est signé de la partie, il émane donc de celui à qui on
i Répert., v s Double écrit, n° 7.
�312
TRAITÉ DU DOL
l’oppose ou de son auleur. 11 rend l’obligation très vrai
semblable, car on ne signe pas quand on n’est obligé à
rien. Or, l’art. 1347 n’exige rien autre chose pour trou
ver le commencement de preuve.
753.
— Cependant , l’opinion que l’acte non fait
double peut constituer un commencement de preuve,
n’est pas unanimement adoptée. Quelques auteurs, et
parmi eux M. Duranton', soutiennent la négative. Ils ne
méconnaissent nullement les considérations que nous
venons d’exposer; mais, disent-ils, le Code exige l’éga
lité de position et de moyens de preuve dans ceux qui
forment des conventions obligatoires de part et d’autre,
ce qui n’existe pas évidemment pour la partie qui n’a
pas eu d’acte , ou qui est censée n’en avoir pas eu , si
celui qui est produit par l’autre partie ne contient pas
la mention du nombre d’originaux qui ont dù être faits.
Cette opinion méconnaît ouvertement le texte et l’es
prit de l’art. 1325 , et ajoute à sa disposition une pé
nalité que le législateur a formellement repoussée. Nous
venons de le dire, l’art. 1325 ne dit qu’une seule chose,
à savoir : que le titre fait contrairement à ses prescrip
tions n’est pas valable, c’est-à-dire qu’il ne fait pas par
lui-même pleine foi de ce qu’il renferme. Il n’exclut
donc pas la possibilité de le compléter par la preuve
même testimoniale, ce _qui le démontre, c’est que la nul
lité prononcée par l’ancienne jurisprudence n’a pas été
�ET DE LA FRAUDE.
313
adoptée. C’est pourtant à cette nullité absolue et radicale
qu’on arrive dans l’opinion que nous combattons.
Le reproche de blesser l’égalité voulue par la loi nous
touche peu. Nul ne peut se créer un titre de sa propre
faute , et celui-là commet évidemment une faute grave
qui , malgré la disposition de l’art. 1325 , traite sans
donner à la convention synallagmatique les formes qu’elle
doit recevoir. Cette faute doit d’autant plus être prise en
considération, que l’omission qui la constitue peut n’être que le résultat d’un calcul frauduleux. S’il est vrai,
en effet, que la partie retenant la minute unique de
l’acte a pu vouloir se ménager la faculté de demander
l’exécution de la convention ou de la refuser , il peut se
faire aussi que l’existence de cette minute unique ou le
défaut de mention du nombre des originaux ne soit,
de la part de l’autre partie , qu’un moyen calculé pour
se soustraire à ses engagements s’ils venaient à être trop
onéreux pour elle.
Cette perspective indique qu’il n’y a de réellement équitable que le parti adopté par le législateur. De cette
manière chacune des parties supporte la peine de la faute
qu’elle a commise ; la première, par la nécessité où elle
est placée de compléter le titre et de fournir une preuve
qui ne sera pas toujours possible , et sans laquelle ce
pendant le titre ne pourra sortir à effet ; la seconde, par
la nécessité de subir cette preuve et de se soumettre à
ses résultats.
En résumé, l’acte non fait double, ou ne mentionnant
pas qu’il l’a été, réunit les conditions de l’art. 1347. Il
�V
314
TRAITÉ DU DOL
émane de la partie à qui on l’oppose ; il rend le fait vrai
semblable. D’autre p a r t, l’art. 1323 n’a pas prononcé
la nullité du titre, il n’a donc nullement dérogé à la rè
gle générale tracée par l’art. 1347. Le juge peut donc
admettre cet acte comme un commencement de preuve
par écrit, et recevoir le porteur à prouver par témoins,
soit que , contrairement à ce qui résulte du titre luimême , on a réellement fait autant d’originaux qu’il y
avait d’intérêts distincts , soit l’existence de l’obligation
elle-même.'
La Cour de cassation récemment saisie de la ques
tion, l’a résolue dans le sens que nous enseignons.
Le tribunal de Saverne et la Cour de Colmar ayant
décidé que l’acte nul pour contravention à l’art. 1325
pouvait servir de commencement de preuve, on sollici
tait de la Cour suprême une décision de censure. L’ar
rêt, disait-on, a violé l’art. 1325 du Code Napoléon qui,
en déclarant non valables les actes non conformes à ses
prescriptions, ne permet pas que ses actes puissent ser
vir de commencement de preuve par écrit ; qui ne les
considère que comme un simple projet dont la réalisa
tion suppose un acte fait en double entre les parties qui
s’engagent respectivement. Dès lors il n’a dû accorder
aucun effet à l’acte dépourvu de cette formalité du dou
ble, alors que celui qui s’en est emparé, et qui serait le
maître de l’anéantir, veut s’en prévaloir pour contrain-
i Merlin , R ép., Double é crit, n° 8 ; — Toullier , t. îx , n» 8 4 ; —
Troplong, De la vente, n° 33.
�ET DE LA FRAUDE.
315
dre l’autre partie qui n’aurait , elle , aucun moyen de
forcer le détenteur du prétendu titre à l’exécuter, s’il eût
convenu à ce détenteur de le supprimer ou de ne pas le
produire.
Mais , par arrêt du 24 novembre 1864 , la chambre
civile rejette le pourvoi après, toutefois, un délibéré en
la chambre du conseil :
« Attendu que l’acte sous seing privé non fait dou
ble , quoique contenant des engagements réciproques,
est susceptible de présenter les caractères du commen
cement de preuve par écrit tel qu’il est défini par l’ar
ticle 1347 du Code Napoléon ; que, d’une part, l’acte émane de la partie à qui on l’oppose , laquelle y figure
tant pour s’obliger que pour accepter l’engagement pris
envers elle , e t , d’autre p a r t, il peut rendre au moins
vraisemblable la convention synallagmatique qu’il énon
ce et a pour objet de constater ;
» Qu’en rentrant ainsi dans les termes de l’art. 1347
un tel acte peut servir de commencement de preuve à
l’effet de rendre admissible la preuve testimoniale;
» Que l’art. 1325 du Code Napoléon n’y saurait faire
obstacle; qu’à la vérité l’acte sous seing privé conte
nant des conventions synallagmatiques n’est valable, aux
termes de cet article , qu’autanl qu’il est fait en autant
d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct;
que sans doute il résulte de là que l’acte est nul comme
titre, mais que la nullité de forme qui l’affecte sous ce
rapport, ne l’atteint pas dans son existence matérielle ;
qu’il existe comme écrit, et que la loi n’en demande pas
�316
TRAITÉ DU DOL
davantage pour autoriser la preuve testimoniale , si,
d’ailleurs, l’écrit émane de la partie, et si le juge y trou
ve des indices ou des présomptions susceptibles de ren
dre vraisemblable la convention ou le fait allégué.' »
754.
— Ce qu’on décide dans le cas de l’art. 1325
doit être décidé dans l’hypothèse de l’art. 1326. Ainsi
l’obligation non écrite par le souscripteur, qui ne ren
fermera pas le bon ou approuvé en toutes lettres de la
somme ou des clauses y énoncées, ne fera pas par ellemême titre suffisant. Mais les tribunaux sont autorisés à
l ’admettre comme un commencement de preuve par écrit.
Celte solution , s’induisant comme la précédente des
termes dont s’est servi le législateur, acquiert ici un nou
veau degré d’évidence par la comparaison de l’art. 1326
avec la législation précédente. On sait, en effet, que la
déclaration de 1733 frappait d’une nullité radicale et
absolue les billets qui ne seraient pas écrits ou du moins
dont la somme ne serait pas approuvée en toutes lettres
de la main de celui qui les avait souscrits, lequel, né
anmoins, était tenu d’affirmer sous serment qu’il n’en
avait pas reçu la valeur. Etaient exceptés de cette règle
les billets faits par les banquiers, négociants, marchands,
manufacturiers, artisans, fermiers , laboureurs et autres
de pareille qualité.
Cette loi admettait donc la présomption de surprise,
1 Journal du palais, <1865, S
�BT DE LA FRAUDE,
317
devenant une présomption ju ris et de jure par le ser
ment du débiteur. Mais, comme le remarque Toullier,
elle avait entre autres inconvénients graves, celui de ne
protéger que la classe des citoyens instruits et non la
classe la plus nombreuse de la société , la plus facile à
surprendre. Aussi, et malgré la précision de ses termes,
la doctrine enseigna-t-elle qu’elle pouvait être modifiée
par les circonstances. Cette opinion fut sanctionnée par
la jurisprudence. Les parlements n’hésitaient pas à valider l’obligation, lorsque la présomption de surprise leur
paraissait repoussée par les faits de la cause.
Une pareille contradiction entre la lo i, la doctrine et
la jurisprudence, signalait trop les vices de la première
et devenait un enseignement utile pour le nouveau lé
gislateur. Ce qui prouve qu’il en a profité, c’est que le
Code ne dit plus que l’acte, fait contrairement aux dis
positions de l’art. 1326, sera nul et de nul effet et va
leur. Comment, dès lors, atteindre à un résultat iden
tique à celui que prescrivait la loi de 1733 ?
La différence dans les termes doit en déterminer une
dans les conséquences, et celte dernière ne peut être que
celle que nous indiquons, à savoir : que sous l’empire
du Code l’acte n’étant plus radicalement nul peut servir
de commencement de preuve. Ce résultat se légitime par
faitement, d’abord parce que la signature, quoique iso
lée, n’en émane pas moins de la partie , ensuite parce
que cette signature apposée au bas d’une obligation la
rend évidemment vraisemblable.
Sans doute l’art. 1326 ayant consacré une exception
♦
�318
TRAITÉ DU DOL
pour les billets ou actes émanés de marchands, artisans,
laboureurs, vignerons, gens de journée et de service, on
pourrait être tenté de lui reprocher de n’avoir pas assez
protégé la classe la plus nombreuse , la plus facile à
surprendre, celle, par conséquent, qui avait le plus be
soin de protection. Mais le législateur ne pouvait pas
méconnaître un fait évident, à savoir : que dans ces
classes il est une infinité de gens sachant à peine signer
et pour lesquels la préleiÿion de les soumettre aux for
malités de l’art. 1326 eût été une interdiction absolue
de contracter sous seing privé, ce qui les exposait, dans
tous les cas, aux frais d’un acte authentique. Il a donc
eu raison de reculer devant une pareille charge.
D’ailleurs , l’admission de l’acte irrégulier comme un
commencement de preuve contre tous les citoyens, atté
nuerait singulièrement l’inégalité qu’on reprochait à la
déclaration de 1733. Par ce moyen , en effet, l’acte
pourra sortir à effet, alors même que la signature non
précédée du bon ou approuvée appartiendra à une au
tre catégorie qu’à une de celles nominalement rappelées
dans l’art. 1326.
Ainsi, le titre ne réunissant pas les conditions voulues
par l’art. 1326 pourra servir de commencement de preu
ve'. La signature apposée à une obligation en rend l’ex
istence et la réalité vraisemblables à un très-haut de
gré. Aucune difficulté sérieuse ne saurait donc s’élever
lorsque l’irrégularité du titre n’est due qu’à l’absence
du bon ou approuvé.
1 Toullier, t. îx, n°« 84 et suiv.; — D uranton, t. iv, n°8 4282-88
�ET DE LA FRAUDE.
34 9
7 55.
— Il n’en est pas de même lorsque le litre ne
portant pas de signature est cependant écrit en entier de
la main de celui à qui on l’oppose. Sans doute , et en
d ro it, ce titre remplit la première condition exigée par
l’art. 1347. Nous avons déjà dit que cet article n ’exige
pas que l’écrit soit signé. Il suffit qu’il soit le fait de la
partie ou de son auteur. C’est ce qui se réalise dans le
cas que nous supposons.
Mais l’existence d ’un pareil écrit rend-elle l’obligation
vraisemblable ? En logique rigoureuse, l’écrit non signé
ne prouve qu’une seule chose , à savoir : que des négo
ciations ont existé , qu’un projet a été préparé et com
muniqué, mais que les parties n ’ont pu se mettre d’ac
cord. On ne peut admettre, en effet, que non seulement
le débiteur a oublié de signer, mais encore que le cré
ancier ne se soit pas aperçu de cette omission , en ac
ceptant un pareil titre.
D’autre p a rt, il n’est pas probable non plus que le
débiteur n’ait pas demandé la restitution du projet écrit
par lui et se soit ainsi exposé à voir le créancier en abu
ser à son détriment. Il y a donc motif de douter et, dès
lors, nécessité de procéder à une instruction qui ne peut
être que l’audition des témoins fournis de part et d’au
tre. C’est ce que la Cour de cassation a consacré en dé
cidant que l’écrit non signé par son auteur peut servir
contre lui de commencement de preuve.1
1 4 février 1829, 6 février 1839; — J . du P ., 1839, 1 . 1, p. 274.
�320
TRAITÉ DU DOL
7 5 6 . — L’acte authentique fait foi contre tous des
stipulations qu’il renferme. Mais un acte n’est authenti
que que si l’officier public qui l’a reçu avait qualité pour
le recevoir ; que si les formes voulues par la loi ont été
remplies. L’incompétence du premier, la violation des
secondes frappent l’acte de nullité.
Mais il importe de remarquer que cette nullité atteint
plutôt l’instrument prouvant l’obligation que l’obligation
elle-même. Nous avons déjà vu, en effet, que le lien lé
gal , que le vinculum obliqationis est indépendant de
la forme par laquelle les parties l’ont constaté ; que l’ef
fet de celui-ci disparaissant, celui-là n’en existe pas
moins, sauf le mode de preuve qu’il est loisible aux con
tractants de produire.
L’acte authentique, nul pour incompétence de l’offi
cier qui l’a reçu ou pour violation des formes , perd
l’authenticité devant en assurer l’exécution, mais le con
sentement des parties reste. L’acte vaut comme sous seing
privé et doit être apprécié comme tel.
757. — Dès lors , c’est par les considérations que
nous avons présentées en traitant la seconde catégorie
qu’on doit résoudre la difficulté. Ainsi , de deux choses
l’une , ou l’acte annulé sera revêtu de la signature des
parties ou il mentionnera qu’elles n’ont su ou pu signer.
Dans ce second cas, la nullité de l’acte entraînera celle
de la convention , car il n’y aura aucun moyen de la
prouver. En effet, l’acte valant comme sous seing privé,
n’étant ni écrit ni signé par les parties , n’émane , évi
demment, ni de l’une ni de l’autre..
�ET DE LA F RA U D E.
321
Mais si chacune d’elles a signé, l’acte vaudra comme
commencement de preuve et permettra d’établir l’obli
gation par la preuve testimoniale.*
758.
— Nous nous sommes occupés jusqu’à présent
d’écrits constituant un titre dont la régularité dispense
rait de toute autre justification. Il est d’autres écrits qui,
sans constituer jamais un titre définitif, peuvent faire
présumer un engagement quelconque et autorisent à en
prouver par témoins l’existence. Dans cette catégorie se
place notamment la correspondance.
La doctrine et la jurisprudence offrent de nombreux
exemples de lettres missives jugées suffisantes pour ren
dre admissible la preuve de l’obligation alléguée ; nous
nous contenterons d’en citer quelques-uns :
1° Un particulier prétend avoir confié à un autre une somme d’argent, et il n’en produit d’autre preuve
qu’une lettre dans laquelle ce dernier écrit : Je vous sa
tisferai sur ce que vous savez. Cette mention rend vrai
semblable le fait du dépôt et la lettre forme un com
mencement de preuve permettant de l’établir par té
moins.
2° Vous m’avez écrit une lettre pour me prier de
compter à votre fils, qui en est porteur, 300 fr. dont il
a besoin pour ses études , j’ai compté la somme , mais
sans en prendre un reçu. La lettre que je représente
1 Liège, 9 juillet 4812 ; — conf. Pothier, Toullier, Duranton, Dalloz,
�322
TRAITÉ DU DOL
constitue un commencement de preuve et autorise à éta
blir la remise alléguée.
3° La Cour de cassation a jugé que la lettre missive
reconnaissant l’existence d’une dette , sans toutefois en
déterminer le quantum, , créait un commencement de
preuve suffisant pour être recevable à justifier par té
moins que cette dette est supérieure à 150 fr.' Dès lors
la lettre par laquelle le débiteur écrit qu’il ne peut rem
bourser l’argent qu’on lui a prêté, et promet de vendre
une partie de maison pour s’acquitter, peut être utile
ment invoquée comme constituant un commencement de
preuve, et rendre admissible la preuve testimoniale d’une
obligation de 2,400 fr., alors même que l’auteur de la
lettre prétendrait que la somme réellement prêtée est de
beaucoup inférieure.
4° Enfin la lettre , annonçant qu’on a reçu en prêt
une somme de c e n t.. . , peut servir à prouver soit l’ex
istence d’une dette de cent et une fraction, comme 120,
150, etc., soit une dette de cent écus, de cent louis, etc.
En résumé, tout ce qui tend à faire supposer une obligation rend vraisemblable l’allégation de son existen
ce ; la preuve testimoniale peut dès lors être invoquée à
l’effet de compléter une justification encore incomplète.
Elle peut donc être ordonnée, si d’ailleurs des faits re
connus constants ne créent pas une vraisemblance con
traire plus puissante et plus décisive.
1 29 prairial an x m ; — Pothier, n°» 470 et suiv.; — Toullier, t. 8,
n°s 322 et suiv., t. 9, n os 408 et suiv.;—Dalloz, Dict. a lp h ., vis Preuve
testimoniale, n°8 177 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
323
759. — L’écrit émané de l’auteur de la partie a con
tre cette partie la même autorité que s’il émanait d’elle.
Il ne faut pas, pour qu’il en soit ainsi, que cet auteur
soit celui auquel on se trouve avoir succédé in universum jus, il suffit qu’on soit, à un titre quelconque, de
venu son représentant. Ainsi l’acquéreur, le donataire
ou le légataire est l’ayant cause du vendeur, du donateur
ou testateur. Mais cette qualité se restreignant à l’objet
faisant la matière de la vente, de la donation ou du legs,
ce n’est que par rapport à cette chose même que l’écrit
émané de l’un pourrait être invoqué contre l’autre.
76 0. — Le mandataire n’est pas l’auteur du man
dant, il est mieux encore, il est le mandant lui-même ;
conséquemment l’écrit émané du premier et se référant
à l’objet de sa mission réunira les conditions exigées par
l’art. 1347 du Code civil, et pourra fonder contre le se
cond le commencement de preuve par écrit.
C’est ce que la Cour de cassation a consacré, en ju
geant, le 7 mars 1831, que la déclaration faite et signée
au bureau de paix par le mandataire d’une partie a pu
être considérée comme un commencement de preuve par
écrit, suffisant pour faire admettre des présomptions gra
ves, précises et concordantes, et pour décider qu’un billet
de plus de 150 fr. a été payé.
Ce qui a été admis pour le mandat exprès, l’a été également pour le mandat tacite. Ainsi la Cour de Metz a
vu un commencement de preuve contre la belle-mère,
dans l’acte émané du gendre, alors qu’il est certain que
�324
TRAITÉ I)U DOL
le gendre était dans l’usage de faire les affaires de celleci.1
7 6 1 . — Enfin la Cour de Toulouse a jugé , le 25
novembre 1831, que le commencement de preuve de la
libération d’un débiteur peut résulter des registres d’un
notaire, dépositaire de sommes appartenant à ce débi
teur, constatant des emplois, tels que prêts ou acquisi
tions faits par le créancier, de partie de sommes dépo
sées, versées entre ses mains par le notaire,,à l’acquit du
débiteur. Cet arrêt se fonde d’abord sur ce que le dépôt
étant réalisé dans l’intérêt du créancier, le notaire de
vient son mandataire pour les sommes par lui reçues ;
ensuite sur ce que les actes constatant l’emploi étant si
gnés par le créancier, l’énonciation des registres se trouve
ainsi confirmée par un écrit émané personnellement du
créancier lui-même.’
7 6 2 . — En résumé , les simulations concertées par
les parties ne peuvent nuire aux tiers, ceux-ci sont tou
jours recevables à en faire la preuve par témoins. Ils
sont placés, en regard de la prohibition de l’art. 1341,
dans l’exception de l’art. 1348, ils n’ont jamais été en
position de se procurer une preuve écrite.
Il n ’en est pas ainsi des parties, chacune d’elle a pu
et dû se procurer cette preuve. L’absence de celle-ci ne
leur permet donc pas d’invoquer la preuve testimoniale,
�ET DE LA FRAUDE.
325
à moins qu’il n ’existe un commencement de preuve par
écrit.
L’aveu, alors même qu’il ne porte que sur la simu
lation de la cause exprimée , la déclaration judiciaire
constatée , l’écrit émané de la partie ou de son auteur,
peut fonder le commencement de preuve, s’il rend le fait
allégué vraisemblable. L’appréciation de ce caractère ap
partient souverainement au tribunal investi.
765. — La fraude de contractu in contractura
consiste, avons-nous dit, à dissimuler, sous l’apparene
d’une convention licite, l’existence d’un contrat nul com
me contraire à la lo i, aux bonnes mœurs ou à l’ordre
public. Sa perpétration exige donc le concours des par
ties, de là la question de savoir si l’une d’elles sera re
cevable à prouver par témoins le véritable caractère de
l’acte.
La solution de cette question est sans intérêt, lors
qu’il s’agit d’une simulation licite , c’est-à-dire lorsque
les parties, ayant réellement contracté et ayant pu le faire
valablement, ont cependant donné à leur convention une autre forme que celle qu’elle devait recevoir. Telle se
rait l’hypothèse d’une libéralité déguisée sous l’apparen
ce d’un contrat à titre onéreux ; d’une vente déguisée
sous la forme d’un échange, ou réciproquement.
i quoi bon en effet recourir à une preuve, si le fait à
prouver étant adm is, il n’en doit pas moins rester un
droit d’un côté , une obligation de l’autre. Or, tel sera
inévitablement le résultat de la preuve que l’acte qualifié
�326
TRAITÉ DU DOD
vente n’est qu’un échange ou qu’une libéralité, si d’ail
leurs la partie poursuivante était capable de donner ou
d’échanger : Frustra probatur, quod probatum non re
levât.
764. — Il est cependant une exception à l’irreceva
bilité de la preuve, à savoir : lorsque s’agissant d’une
donation déguisée sous la forme d’un contrat onéreux,
l’auteur de cette donation aurait un intérêt à en faire
déterminer le véritable caractère. On sait que la dona
tion est révocable pour cause d’ingratitude ou par sur
venance d’enfants. Cette double éventualité crée donc un
droit certain et d’un grand intérêt pour le donateur II
devrait donc, sur sa demande, être reçu à prouver que
l’acte, quelles que soient les apparences, n ’est en réalité
qu’une donation.
765.
Ainsi le véritable motif de la prohibition
de la preuve testimoniale contre ceux qui ont concouru
à une simulation licite, est l’absence de tout intérêt. La
proposition contraire, c’est-à-dire l’existence d’un inté
rêt se réalisant, cette prohibition tombe et fait place au
droit de faire restituer à l’acte son véritable caractère.
Mais au dessus de l’intérêt personnel se place l’inté
rêt public ; celui-ci ne pouvait tolérer qu’on pût impu
nément violer la lo i, blesser la morale ou outrager les
mœurs. Conséquemment la simulation, ayant pour ob
jet de masquer l’un de ces trois b u ts, est frappée d’une
nullité radicale que les parties elles-mêmes peuvent in
voquer.
�ET DE LA FRAUDE.
327
De là il suit qu’elles sont recevables à prouver par té
moins toutes les circonstances constitutives du fait pro
hibé ou illicite. On ne saurait admettre le contraire sans
consacrer ce singulier résultat : que la loi qui veut la fin
aurait refusé les moyens.
Vainement donc voudrait-on exciper de ce brocard
que nous avons si souvent rappelé : Nemo auditur. Per
sonne ne peut offenser directement la lo i, ni faire ce
qu’elle prohibe. Personne surtout n’est autorisé à rete
nir les avantages qui n’ont d’autre origine que le mépris
d’une prescription d’ordre public.
766.
— C’est ce que la jurisprudence n’a pas cessé
de consacrer dans toutes les hypothèses. Ainsi la loi re
fusant toute action pour dette de jeu, le joueur, poursui
vi en vertu d’une obligation même authentique, est ad
mis, nous l’avons déjà d i t , à prouver par témoins que
le titre en vertu duquel on le poursuit n’a été créé que
pour dissimuler un dette de jeu, et à se réfugier dans le
bénéfice de l’art. 1965.
Ainsi encore la loi exige dans un intérêt social que la
cession d’un office ne puisse comporter un prix plus éle
vé que celui indiqué dans le traité soumis à l’approba
tion du gouvernement. Le supplément de prix, consenti
au mépris de cette prohibition, quelque précaution qu’on
ait mis à le déguiser, ne peut donc être exigé, il peut de
plus être répété après paiement. Dès lors le souscripteur,
débiteur de ce supplément, est toujours autorisé à prou
ver par témoins le véritable caractère soit du titre en
�328
TRAITÉ DU DOL
vertu duquel on le poursuit, soit du paiement dont il de
mande la restitution ou l’imputation sur le prix patent.
Ainsi, enfin, l’obligation consentie en faveur de l’in
capable pourra toujours être attaquée par le souscripteur
lui-même , et il suffira qu’il soit justifié qu’elle n ’avait
pas d’autre objet que celui de violer la lo i, pour qu’elle
soit frappée d’impuissance et déclarée nulle. On ne peut
donner indirectement lorsqu’on n’a pas le droit de ie
faire d’une manière directe, et ce principe deviendrait
bientôt d’une application impossible si celui qui a tenté
de l’éluder ne pouvait plus tard revenir de sa première
résolution.
La fraude contre la prohibition expresse de la loi,
lorsqu’elle a pour objet de méconnaître l’intérêt public,
les bonnes mœurs , peut donc toujours être prouvée par
témoins. On peut renoncer à un droit personnel, à un
intérêt privé, on ne renonce jamais à ce qui intéresse la
société toute entière. Les prohibitions fondées sur l’ordre
public ont essentiellement ce caractère.
767.
— Dans tous les cas où la preuve testimoniale
est admissible , celle par présomptions l’est également,
de telle sorte que , sans recourir à la première , le ma
gistrat peut définitivement prononcer, si les circonstan
ces du procès lui paraissent le comporter.
, 7 6 8 . — Les présomptions sont définies par la loi :
des conséquences qui se tirent d’un fait connu à un fait
inconnu. Il suit de cette règle :
10 Que la présomption diffère de la preuve , en ce
�ET DE LA FRAUDE.
329
que celle-ci fait foi directement et par elle-même d’un
fait, tandis que la présomption en fait foi par une con
séquence tirée d’un autre fait ; *
2° Que la présomption a avec la preuve une source
commune , une même origine quant à leur certitude ;
car leur force consiste dans la conséquence certaine
qu’on peut tirer de quelque vérité connue pour en con
clure la vérité dont on cherche l’existence ; 2
3° Que la présomption offre plus ou moins de certi
tude, suivant que la liaison existant entre la vérité con
nue est plus ou moins nécessaire.3
Ainsi, si la conséquence tirée du fait certain est né
cessaire, s’il est impossible que, ce fait acquis, le second
soit douteux, la présomption devient preuve. J ’étais, dit
Domat, à cent lieues de mon domicile le jour où l’on
prétend que j ’y ai signé un acte ; ce fait constant, il en
résulte la conséquence forcée que la date donnée à l’acte
est fausse.
S’il n ’y a pas de conséquence absolument nécessaire
entre le fait connu et celui qu’il s’agit d’établir, les pré
somptions ne sont plus que des conjectures, des proba
bilités que le juge peut repousser ou admettre selon qu’il
les juge graves, précises et concordantes.
7 69. — Nous avons déjà expliqué la valeur de ces
1 Pothier, n° 806.
2 Toullier, t. x, n° t .
�330
TRAITÉ DU DOL
mots et les obligations que leur appréciation impose au
demandeur en preuve'. Nous terminerons donc notre
sujet par la question de^avoir s’il existe, en matière de
simulation, des faits devant plus particulièrement influer
sur la reconnaissance.
Résoudre cette question par une affirmative absolue,
serait méconnaître le caractère du pouvoir confié aux
tribunaux. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la
doctrine a de tous temps appelé l’attention des magis
trats sur des circonstances pouvant plus facilement faire
admettre la fraude. Telles sont, au dire de notre savant
confrère Dubreuil : « la qualité des parties , la réten
tion de possession entre personnes suspectes, la vilité du
prix , le pacte de réméré , la rélocation , le défaut de
moyens de l’acquéreur ou du prêteur, l’aisance du ven
deur ou emprunteur ; l’acte privé ; le défaut de réelle
numération dans l’acteauthentique; le secret; le temps;
le lieu ; les précautions suspectes ; les actes antécédents
ou subséquents, etc.. . . »
Chacune de ces présomptions, comme l’observe M.
Dubreuil lui-m êm e, n ’a par elle-même rien de décisif,
mais on comprend que la réunion de plusieurs d’entre
elles peut déterminer la conviction du juge. Nous l’avons
déjà d it, c’est surtout pour les présomptions qu’a été
dictée la règle : Quod sicut quœ non prosunt singula
mulla juvant, ita e contra quœ non nocent singula
i Voy su p ra n0> 255 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
331
multa nocent. Il est évident que si on exigeait une cer
titude parfaitement démontrée, il était inutile de per
mettre de recourir soit à la preuve testimoniale , soit
surtout à celles par présomptions. Celles-ci ne sont que
des conjectures , des probabilités. La faculté de les ac
cueillir indique le pouvoir du juge. On ne pouvait, dans
l’exercice de ce pouvoir , que s’en référer au juge luimême qui se prononcera dans tous les cas en faveur du
parti que sa conviction lui indiquera comme le plus
probable.
�332
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE II.
FRA UD E
CONTRE
LA
P A R T IE
CONTRACTANTE.
-<gl£-
SOMMAI RE.
770.
771.
772.
773.
Définition.
Rapport et différence entre cette fraude et le dol.
La fraude poussée jusqu’à de certaines limites constitue des
délits ou des crimes atteints par la loi pénale.
La fraude contre la partie, étant assimilée au dol, est régie,
quant à sa poursuite, par les principes tracés pour celuici.
770.
— Cette fraude dite de re ad rem est celle qui
est employée par un des contractants au détriment et à
l’insu de l’autre. Elle peut être définie, toute tromperie,
toute action de mauvasse fo i, exécutée dans le dessein
de se proeurer un avantage illicite au préjudice et aux
dépens de celui avec qui on traite.
�ET DE
LA
FRAUDE.
333
77 1. — Cette fraude a donc , dans ses effets, un
point de contact intime avec le dol, mais elle en diffère
essentiellement dans ses conditions constitutives. Ce qui
caractérise celui-ci, c’est, nous l’avons déjà dit, la ré
solution de tromper et l’existence d’un préjudice, consilium et eventus. La fraude, au contraire, git tout en
tière dans le résultat poursuivi et obtenu à l’aide de
moyens illégitimes, fraus non in consilio sed in eventu.
Ainsi, un acte sérieux et légitime dans son origine , un
jugement légalement poursuivi et justement prononcé,
peut devenir, par le mode de son exécution , l’occasion
d’une fraude préjudiciable. Dès lors celui qui en de
mande la répression n’a pas à justifier d’une pensée
préexistante dont l’acte lui-même n’aurait été que l’exécution. Il lui suffit de prouver le préjudice dont il se
plaint et l’illégitimité du fait dont il découle, pour qu’il
obtienne immédiatement la réparation qui lui est due.
1
: ''
•
,
772. — La fraude poussée jusqu’à de certaines li
mites constitue des délits ou des crimes atteints par la
loi pénale. C’est ainsi que les vols, les filouteries, l’abus
de confiance, la violation du dépôt, la tromperie sur la
nature de la marchandise , ne sont que des fraudes vé
ritables , singulièrement aggravées par les circonstances
qui les ont vu se produire. Ces matières restant étran
gères au cadre que nous nous sommes tracés, nous nous
bornerons à faire remarquer que l’action en répression,
au point de vue de l’intérêt public, reste sans influence
sur la réparation due à la partie lésée. Cette réparation
�334
TRAITÉ DU DOL
peut être poursuivie concurremment avec l’action crimi
nelle , ou devenir l’objet d’une demande particulière et
indépendante. Il y a plus, le fait qualifié crime ou délit
pourrait disparaître sans que la fraude eût par cela mê
me cessé d’exister. La décision du juge crim inel, tant
sur la poursuite du ministère public, que sur l’action ci
vile elle-même , ne s’appliquant qu’à la culpabilité du
prévenu, ne créerait, en cas d’acquittement, aucune fin
de non recevoir contre l’action en répression de la frau
de.’
773.
— Les règles applicables à la poursuite du dol
sont parfaitement applicables à celle de la fraude con
sommée à l’insu et au détriment de la partie. La preuve
testimoniale, admissible pour l’un, ne saurait être refu
sée pour l’autre. Cette fraude, en effet, ressemble telle
ment au d o l, qu’il est d’usage dans la pratique de les
réunir et de les confondre.
Comme le dol lui-même , la fraude contre la partie
est souvent présumée. C’est ce que nous venons d’établir,
c’est ce que nous allons plus directement démontrer en
recherchant les divers effets qu’elle entraîne , selon le
contrat dans lequel elle s’est produite.
1 Vid. supra, n° 19.
�ET DE LA FRAUDE.
335
SECTION I~.
F rau d e d a n s le s m a ria ge» .
SOMMAI RE.
774.
Division.
774.
— Nous avons déjà parlé du dol ayant pour
objet de tromper sur la personne du conjoint, sur ses
qualités civiles ou morales, sur sa fortune, il nous faut
maintenant aborder les fraudes qui peuvent se commet
tre dans les stipulations qui précèdent le mariage, suivre
les époux dans la vie commune, assister à la dissolution
de l’union. Le mariage, en effet, déterminant la confu
sion des intérêts et des biens des époux, offre à la mau
vaise foi des occasions nombreuses et faciles à exploiter.
La fraude peut donc s’exercer au point de départ du ma
riage , se continuer pendant sa durée au préjudice de
l’époux, de la famille elle-même ; survivre même à la
cause qui en a entraîné la dissolution. Il faut donc l’ex
aminer dans chacune de ces trois périodes.
�336
TRAITÉ DU DOL
S 4«r .
F raude
dans les
Stipulations
M atrim oniales.
SOMMAI RE .
775.
776.
777.
778.
779.
780.
781.
782.
783.
784.
785.
786.
Caractère des conventions matrimoniales. — Conse'quences
de la fraude.
Facilité pour celle-ci de se produire. — Moyen de la pré
venir.
Irrévocabilité des conventions matrimoniales. — Elles ne
peuvent être modifiées après la célébration.
Conditions pour la validité des modifications consenties avant la célébration. — Authenticité de l ’acte les renfer
mant.
Présence et consentement de toutes les parties.
Le consentement doit être donné dans l ’acte modificatif. —
Tout consentement ultérieur resterait sans effets.
Obligation de rédiger les modifications à la suite delà mi
nute de l’acte primitif. — Responsabilité du notaire.
Après la célébration, les conventions matrimoniales ne peu
vent subir aucune modification. — Nullité absolue de
celles qui auraient été consenties.
Les difficultés que ce droit fera naître seront donc de pures
questions de fait.
Mode d ’appréciation.
Exemples de modifications ou contre-lettres déclarées sans
effets.
La règle d’après laquelle le droit ancien n ’annulait que les
changements détériorant le sort de la dot ne peut plus être suivie.
�337
ET DE LA FRAUDE.
787.
788.
789.
790.
791.
792.
793.
794.
795.
796.
797.
798.
799.
800.
Mais on doit encore aujourd’hui distinguer la contre-lettre
ou le changement des modifications pouvant résulter de
l ’exécution naturelle de l ’obligation contractée.
Application de ce principe à l ’acte par lequel le père , la
mère ou tous les deux renoncent, au profit de leur en
fant, à un avantage résultant de leur contrat de mariage;
à la dation d'une hypothèque non stipulée.
Les principes régissant les époux et leurs parents s’appli
quent aux tiers qui ont été parties au contrat de ma
riage.
La demande en nullité des changements ou contre-lettres
illicites peut être exercée par la partie elle-même.
L ’exécution donnée pendant la durée du mariage ne crée
aucune fin de non-recevoir contre la demande.
Conséquemment l ’action est imprescriptible lant que le
mariage n ’a pas été dissous.
Les conventions et les avantages obtenus par dol ou fraude
peuvent être révoqués sur la demandede l ’époux trompé.
Fraudes dont la constitution de dot est susceptible.
Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de la dot.
— Sa responsabilité.
La quittance d’une dot non reçue constitue une libéralité
que les réservataires peuvent faire réduire; que les cré
anciers peuvent faire annuler.
La reconnaissance d’une dot non réellement faite peut, si
le mariage n ’a pas été célébré, être annulée sur la preuve
écrite de sa simulation.
La quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter
d’une moindre somme, oblige à restituer la somme por
tée dans le contrat de mariage, le pacte secret étant une
contre-letire nulle.
La quittance donnée spe futurœ numerationis oblige éga
lement à restituer les sommes censées reçues.
La contre-lettre fixant la véritable signification de la quit
tance ne pourrait être opposée à la femme.
ii
22
�338
801.
802.
TKAITÉ D I DOL
Quid si au lieu d’une contre-lettre le mari avait reçu des
effets pour le montant de la dot ?
La quittance, par le père de l’époux, de la dot touchée par
celui-ci pourrait être attaqué comme constituant une li
béralité.
775.
— Le contrat de mariage règle les conditions
sous l’empire desquelles la famille des époux et les époux eux-mêmes ont entendu contracter. Les stipula—
lations de ce contrat ont ce double caractère : qu’elles
sont dans l’intérêt des deux époux, dans celui des en
fants à naître du mariage ; qu’elles sont essentiellement
corrélatives, en ce sens que les avantages faits à l’un ne
sont que l’équivalent de ceux rapportés par l’autre.
L’acte qui atténuerait ou anéantirait les uns serait donc
une véritable fraude nuisible même aux époux , préju
diciable aux enfants, puisqu’il diminuerait d’autant les
ressources destinées au soutien des charges du mariage.
Il violerait de plus, et d’une manière viscérale, le carac
tère de réciprocité qui faisait la loi du contrat.
Les conséquences de cette fraude pour l’avenir de l’u
nion , la paix du mariage, l’influence funeste qu’elle
peut exercer sur les relations des époux, sur le sort des
enfants à naître du mariage, devaient appeler toute l’a—
tention du législateur dont les efforts devaient tendre non
seulement à la réprimer, mais même à la prévenir.
776.
— Or, les moyens à l’aide desquels cette fraude
devait se réaliser sont extrêmement faciles: Clandestinis
ac domesticis fraudibus facile quidvis pro negocii op-
�RT DE LA FRAUDE.
389
portunitate confingi potest , vel quod vere gestum est,
aboleri'. Il n’y avait donc pas à hésiter sur la marche
à adopter. Assurer l’inviolabilité des stipulations matri
moniales, les imposer obligatoirement aux époux, à leurs
familles, telles qu’elles avaient été stipulées, telles étaient
les mesures que la prudence conseillait et que notre loi
a sanctionnées.
777. — En principe donc, les conventions matri
moniales sont irrévocables. Toutes dérogations sont de
plein droit présumées frauduleuses et, comme telles, frap
pées d’une nullité radicale. Mais cette irrévocabilité n’est
acquise qu’à partir de la célébration du mariage. La rai
son indiquait qu’on ne pouvait gêner la liberté des tran
sactions , tant que cette célébration n’est qu’un événe
ment conditionnel et futur qu’il s’agit de préparer.
778. — Les modifications sont donc permises avant
le mariage. Mais ces modifications ne sont valables que
sous certaines conditions. Ainsi il faut :
1° Que les changements au contrat primitif soient
constatés par acte passé dans les mêmes formes que le
contrat lui-même. Cette exigence se justifie non seule
ment par l’intérêt des époux , mais encore par celui des
tiers obligés de subir la loi du contrat , sans y avoir en
rien participé. Un acte sous seing privé , alors même
qu’il eût acquis date certaine par l’enregistrement, pou-
i L. 27, Cod. De donal.
�340
TRAITÉ DU DDL
'
vait être facilement soustrait à la connaissance des par
ties intéressées. Déposé entre les mains de l'époux , il
pouvait être caché ou produit suivant les besoins. Des
difficultés nombreuses pouvaient surgir d’un pareil état
des choses, il était donc sage de les prévenir.
D’ailleurs, après les changements, il n’y a pas d’au
tre contrat de mariage que celui qui ressort des modifi
cations faites au premier. L’acte qui contient ces modi
fications est donc le véritable, le seul contrat, et puisque
celui-ci ne peut être qu’authentique, on ne pouvait, sans
inconséquence , dispenser de l’authenticité les accords
substitués aux conventions primitives.
779.
— 2° Que les changements soient faits en pré
sence et du consentement simultané de tous ceux qui ont
été parties au contrat. La loi ne considère pas comme
parties au contrat les nombreux parents qui assistent les
époux dans cette solennité. Elle ne reconnaît cette qua
lité qu’à ceux qui, parents ou étrangers, sont intervenus
activement au contrat soit en constituant l’apport des époux , soit en ajoutant par des libéralités quelconques
aux avantages concédés par la famille. Ceux-là seuls doi
vent donc concouvrir aux modifications nouvellement
.convenues, et les approuver. Le motif nous l’avons déjà
indiqué. Les stipulations du contrat de mariage sont
corrélatives , tel ne donne à l’un des époux que parce
que tel autre en agit de même envers le conjoint. Con
séquemment, annuler une libéralité c’est enlever à l’au
tre le motif qui cependant l’a déterminée , et c’est ce
�ET DE LA F R A U D E .
341
qu’admet la loi, tant que l’auteur de celle-ci n’a pas dé
claré le contraire en souscrivant lui-même au change
ment projeté.
780.
— Notons que ce consentement doit être don
né au moment même de l’acte modificatif et conster de
cet acte même. L’assentiment rapporté à une époque
postérieure ne couvrirait donc pas la nullité radicale
dont l’absence de la partie intéressée a frappé les mo
difications faites aux conventions premières.
Ce n’est pas seulement en faveur de ces parties que
la loi a cru devoir les appeler , cette précaution a aussi
pour but l’intérêt bien entendu des époux que l’on a
voulu protéger contre l’excès de leur affection, contre les
pièges qu’une famille adroite et intéressée peut semer
sur leurs pas. Trop souvent, dit M. Plasman , les fêtes
de l’hymen cachent dans les époux, et surtout dans ceux
qui les entourent, des projets d’ambition ou des senti
ments de cupidité contre lesquels il était prudent d’ac
cumuler tous les obstacles possibles'. Or, c’était déserter
ce devoir que de permettre aux époux de modifier la
loi de leur contrat à leur volonté , hors la présence de
ceux q u i, par leur qualité ou leurs bienfaits , doivent
s’intéresser à leur sort et les défendre contre un aveu
gle entrainement. Leur éloignement fait donc présumer
la fraude que tout d’ailleurs favorise. Ainsi , ajoute M.
Plasman , les relations que l’approche du mariage au -
1 Des contre-lettres, p. 72.
�342
T B A IT É
DU
DOL
torise offriront mille prétextes à l’époux pour, sous les
apparences trompeuses d’une tendresse affectée , déter
miner une jeune fille sans expérience à changer telles
ou telles dispositions du contrat; à une belle-mère avi
de, la facilité d’enlrainer un jeune homme passionné à
consentir des stipulations dangereuses dans leurs effets
et dont il ne pourrait, dans son aveuglement, prévoir à
l’instant même les conséquences.
L’imminence du danger a paru telle au législateur,
qu’il n’a pas hésité à considérer comme le résultat de
l’irréflexion et de l’entraînement les modifications arrê
tées hors la présence et sans le consentement de tous
ceux qui ont été parties au contrat. C’est d’ailleurs dans
le même sens que c’était prononcé notre ancien droit.
Sous son empire , la clandestinité des stipulations nou
velles créait contre elles une présomption de fraude con
tre laquelle nulle preuve contraire n’était admise. « Ces
modifications, dit Pothier, peuvent ne pas être vicieu
ses , néanmoins, l’affectation des conjoints de cacher à
leurs parents et au public leurs conventions, en les fai
sant à part et par un acte séparé de leur contrat de ma
riage, fait regarder ces conventions comme des conven
tions dont les époux ont eu honte et qui doivent pour
cela être présumées avoir été dictées plutôt par la pas
sion que par de justes motifs.' »
Ainsi, d’une part, forme authentique; de l’autre, pré
sence et concours simultané de tous ceux qui ont figuré
i Introduction à la com munauté, n» 13.
�ET DE LA FRAUDE.
343
au contrat, telles sont les conditions imposées à la vali
dité des changements apportés au contrat de mariage avant sa célébration. L’inexécution d’une de ces condi
tions, comme la violation de toutes deux, rend l’acte mo
dificatif une contre-lettre vaine et sans portée, frappée,
■ même à l’égard des souscripteurs, d’une nullité radicale
et absolue.
7 8 1 . — A ces précautions prises dans l’intérêt des
époux et des tiers parties au contrat de mariage, la loi
en ajoute une autre en faveur des tiers absents du con
trat. En effet, l’art. 1397 dispose que tous changements
ou contre-lettres , même revêtues des formes que nous
venons de rappeler, seront sans effet à l’égard de ceuxci, s’ils n’ont été rédigés à la suite de la minute du con
trat de mariage. Les tiers ne peuvent subir les stipula
tions matrimoniales qu’ils n ’auraient pas connues et
qu’ils ne peuvent connaître que par l’expédition du con
trat à la suite de laquelle le notaire doit , à peine des
dommages-intérêts des parties, transcrire tous les chan
gements rédigés à la suite de la minute.
782. — Après la célébration du mariage, les con
ventions matrimoniales ne peuvent recevoir ni modifica
tions, ni changements, sous quelque forme que ce soif.
Il n’est plus au pouvoir des époux, des parents, des tiers
parties au contrat de les altérer ou de les remplacer par
d’autres. En conséquence, tout ce qui aurait été fait
contrairement à cette prohibition, alors même que toutes
les parties y auraient concouru et consenti, est, de plein
�?
344
TRAITÉ DU DOL
droit et d’une manière absolue , considéré comme non
avenu et nul.
Il importe, en effet, que les stipulations matrimonia
les procèdent d’un consentement indépendant et libre.
Or, le mariage consommé, il n’y a plus, pour un des époux du moins, ni indépendance, ni liberté. Ce qui, a vantla célébration , peut n’être que le résultat de l’en
traînement et de l’affection, pourrait n’être,après,.qu’un
calcul odieux, que le produit de la menace ou de la vi
olence. On comprend d’ailleurs très-bien que certaines
exigences auxquelles on se fût refusé même au prix de
la rupture d’une union projetée , deviennent forcément
acceptables sous la menace de voir se dissoudre l’union
consommée. Contre une pareille éventualité, il n’y avait
qu’un seul remède efficace, celui édicté par les art. 1395
et 1396 , à savoir : l’invalidité absolue , inévitable de
tout ce qui aurait été fait. La fraude était si prochaine,
si facile, si dangereuse, que le législateur l’a admise com
me la cause unique de toutes les modifications apportées
après le mariage aux stipulations du contrat.
En présence de dispositions si formelles , la question
de droit ne saurait souffrir ou présenter la moindre dif
ficulté. Il n’en sera pas de même de l’existence en fait
de la modification ou du changement ; on peut facile
ment prévoir que la fraude n’abordera jamais de front
la barrière infranchissable que la loi lui a opposée; c’est
par des moyens détournés , c’est sous l’apparence de
l’acte le plus inoffensif qu’elle s’efforcera d’atteindre le
but qu’elle s’est proposée.
�ET DE LA FRAUDE.
345
785.
— Les procès que l’application des art. 1395,
1396 fera naître offriront donc exclusivement des ques
tions d’appréciation du véritable caractère de l’acte si
gnalé comme constituant une modification prohibée. Or,
les éléments essentiels de cette appréciation résident tout
entiers dans la véritable entente de la pensée du législa
teur.
7 8 4 . — Cette pensée est indiquée par le texte mê
me. Le terme changement employé par l’art. 1396, ceux
de tous changements ou contre-lettres dont se sert
l’art. 1397, embrassent, tant d’après leur sens naturel
que d’après l’esprit de la loi, toutes conventions ou dis
positions nouvelles , soit qu’elles modifient directement
ou indirectement les clauses du contrat de mariage, soit
qu’elles ne les modifient que d’une manière détournée
en altérant ou neutralisant les effets que ces clauses de
vraient produire.1
C’est donc en scrutant la pensée des parties , le but
réel de l’acte, que les tribunaux parviendront à résoudre
sainement le litige soumis à leur décision. Quelle que
soit l’apparence donnée à la convention, si ses effets doi
vent agir sur une des clauses du contrat de mariage; si,
sous prétexte même d’interprétation, elle donne à ses dis
positions un sens incompatible avec celui qu’elles offrent
naturellement, l’acte doit être considéré comme fraudu
leux et annulé sur la poursuite de toute partie intéres
sée.
1 Cass., 31 janvier 1837; — J. du P., t. 1, 1837, p. 636
�346
TRAITÉ DU DOL
7 8 5 . — Par application de ces principes , il a été
jugé :
1° Que l’acte par lequel le mari consent à ce que la
donation à lui faite par la femme soit réduite à l’usufruit
de l’objet donné, est une contre-lettre qui n’a pu vala
blement être consentie après la célébration du mariage;1
2° Qu’on doit annuler comme contre-lettre prohibée
la reconnaissance faite par le mari postérieurement au
mariage que, dans l’intention des parties contractantes,
la dot constituée avec terme ne devait pas produire in
térêt ; 1
3° Qu’il doit en être de même de la déclaration qu’u
ne somme , stipulée payable à une époque déterminée,
ne sera exigible qu’au décès du constituant;3
ftfl;
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4° Que lorsqu’une rente a été constituée en dot dans
le contrat de mariage, il y a changement prohibé dans
l’acte par lequel on détermine, après le mariage, le ca
pital de cette rente, on le déclare exigible à volonté, avec hypothèque pour la sûreté du paiement.4
786. — Cet arrêt est surtout remarquable en ce
qu’il s’écarte d’une règle admise par notre ancien droit,
à savoir : qu’il n’y avait nullité absolue que lorsque les
changements grevaient la position des époux : Quando
I flll
i Cass., 9 novembre 1824; — Rennes, -16 mai 1823.
3 Pau, 9 janvier 1838 ; — J. du P., 1839, t n, p. S48.
3 Aix, 7 mai 1847
4 Dijon, 17 juillet 1816.
•
�ET DE LA FRAUDE.
347
nempe fit deterior conditio dotis. Mais l’espèce dans la
quelle il est intervenu rendait, dans tous les cas, ce tem
pérament inadmissible , puisque la nullité de l’acte était poursuivie par les créanciers du constituant, en f o r
ce des dispositions de l’art. 1167. Il ne peut dès lors
être d’un grand secours, quant au principe considéré in
abstracto et eu égard aux parties contractantes ellesmêmes.
Toutefois , nous devons dire que , même dans celle
hypothèse , la doctrine de l’arrêt serait très-juridique.
Le Code civil proscrit tous changements postérieurs au
mariage, sans distinguer ceux qui améliorent la position
des époux de ceux qui la rendraient pire. La nullité est
absolue , et dès lors elle peut être invoquée même par
ceux qui ont traité avec les époux. Toute la différence
qu’il y aura donc entre ces deux cas, c’est que, dans l’un,
la nullité sera poursuivie par les époux ou l’un d’eux, et
que, dans l’autre, l’action sera intentée par l’autre par
tie.
Toute distinction de ce genre eût d’ailleurs offert le
grave inconvénient de substituer à une règle positive
l’appréciation incertaine des véritables conséquences de
l’acte querellé, pouvant, sous l’apparence d’un avantage
actuel, receler un grave danger pour l’avenir des époux.
Il était donc prudent de bannir la nécessité de cette ap
préciation en s’en référant au principe général consacré
par la loi.
787.
— .Mais ce principe ne doit pas être poussé
jusqu’à des limites trop extrêmes. On ne doit pas con-
�liil I
i f f •' ' ^ Æ
T .f c j " 'f l '
IIP '
fondre l’exécution naturelle d’une obligation pouvant la
modifier, avec les changements ou contre-lettres prohi
bés. Conséquemment, si l’acte souscrit après le mariage
n’a pour objet que d’assurer aux stipulations matrimo
niales le légitime développement qu’elles comportent, cet
acte doit être maintenu. Ainsi la Cour de cassation a
jugé, le 19 janvier 1836, que la réserve du droit de re
tour autorisé par l’art. 951, stipulée dans un contrat de
mariage, avait été légalement anéantie par le partage
que les ascendants ont fait plus lard de leurs biens en
tre tous les enfants, partage dans lequel chacun des en
fants a rapporté soit fictivement, soit en nature, les biens
qui lui avaient été donnés. Ce partage, dit la Cour régu
latrice, loin de porter atteinte à la donation faite dans le
contrat de mariage, en réalise au contraire les effets par
un rapport suivi de l’attribution définitive d’une part
plus étendue dans l’hoirie elle-même. C’est donc uni
quement par ce partage que se réalise la possession ul
térieure et non plus en vertu du contrat de mariage. Dès
lors la réserve que celui-ci renferme ne saurait conti
nuer de subsister.
788.
— La même Cour avait décidé , le 18 avril
1812, que la convention par laquelle des pères ou mè
res renoncent à quelqu’un des avantages résultant de
leur contrat de mariage, au profit d’un de leurs enfants,
ne peut être annulée comme contenant une dérogation
au contrat de mariage, qu’elle n’en est plutôt que la juste
exécution.
�ET DE LA FRAUDE.
'
349
Enfin il est généralement admis en doctrine et en ju
risprudence que l’hypothèque donnée après le mariage,
à la sûreté des sommes promises dans le contrat, était
valablement consentie, quoiqu’elle n’eût pas été primi
tivement stipulée.
On voit par ces exemples comment il faut entendre et
appliquer le principe de l’irrévocabilité des conventions
matrimoniales. C’est par le mobile qui a dirigé les par
ties qu’on doit apprécier les caractères de l’acte préten
du modificatif, abstraction faite de l’influence que cet
acte est destiné à exercer sur le sort des époux. L’avan
tage qu’ils pourraient retirer d’une véritable contre-lettre
ne ferait pas plus maintenir celle-ci que le préjudice,
résultant pour eux de ce qui ne serait que l’exécution
du contrat, n’amènerait la nullité de l’acte ayant cet ob
jet. Mais la convention, destinée à agir sur les clauses du
contrat soit directement, soit indirectement , soit d’une
manière détournée et lointaine, est de plein droit nulle
comme présumée frauduleuse
789.
— Les principes régissant les époux et leurs
parents s’appliquent aux tiers qui ont été parties au con
trat de mariage. Les promesses faites par eux , les do
nations qu’ils ont consenties devraient être littéralement
exécutées, nonobstant toutes déclarations ou tous enga
gements contraires émanés de l’époux donataire. Confor
mément à cette doctrine , il a été jugé , et selon nous
très-juridiquement, que le créancier d’une rente, qui a
déclaré dans le contrat de mariage qu’il ne lui était plus
�■ '•■
1
;• ■■ ■
350
TRAITÉ DU DDL
rien d û , ne pourrait ultérieurement réclamer le paie
ment de la rente , en se fondant sur une contre-lettre
infirmant la déclaration portée au contrat. L’existence
de cette contre-lettre et sa dissimulation constituent une
fraude punie par les art. 1396 et 1397, et comme le
créancier a directement et personnellement concouru à
la fraude , il ne pourrait se faire un titre de sa propre
turpitude. Ce ne serait pas d’ailleurs le contrat de ma
riage qui pourrait rester sans effet, ce qui, dans un cas
semblable, est frappé de nullité radicale, c’est exclusive
ment et uniquement la contre-lettre.
790.
— On a prétendu un instant que l’action en
nullité de l’époux signataire de la contre-lettre devait être déclarée non-recevable par application de la maxime
Nevio auditur, etc., mais le contraire n ’a pas cessé d’ê
tre admis par la doctrine et par la jurisprudence. La
nullité, édictée par les art. 1396 et 1397, n’est pas seu
lement fondée sur l’intérêt privé des parties , elle est
aussi d’ordre public comme étant favorable aux bonnes
mœurs, à la paix des familles et des unions conjugales.
Dès lors non seulement l’époux signataire est recevable
à l’invoquer, mais la renonciation directe ou indirecte à
s’en prévaloir ne pourrait l’empêcher de le faire.1
79 ï . — Dès lors, la demande ne saurait être écar
tée par l’exécution que la contre-lettre aurait antérieu-
1 Cass., 29 juillet 1848.
�ET DE LA FRAUDE.
331
rement reçue', pourvu toutefois que cette exécution eût
été réalisée pendant la durée du mariage. Celle qui sui
vrait la dissolution constituerait une ratification expresse
contre laquelle nul ne serait admis à revenir. A celte
époque , en effet, le règlement respectif des intérêts est
laissé à la libre volonté des ayants droit. L’ordre public
n’a rien à voir aux sacrifices qu’il plairait à chaque par
tie de s’imposer, en tant que chacune d’elles à la ca
pacité pour les consentir; à ce titre , la renonciation à
se pourvoir contre la contre-lettre frauduleuse pourrait
valablement être stipulée. Dès lors , au ssi, elle pourrait
tacitement résulter de la conduite et des actes de la par
tie.
7 9 2 . — Il suit de ce qui précède , que l’action en
nullité, fondée sur la violation des art. 1396, 1397, est
imprescriptible tant que dure le mariage, mais cette im
prescriptibilité cesse avec le mariage lui-même. La dis
solution se réalisant, le délai de dix ans donné par l’ar
ticle 1304' commence de courir; conséquemment le si
lence, qui se serait prolongé au-delà de dix ans depuis
cette dissolution, éteindrait complètement l’action indé
pendamment de toute autre ratification expresse ou ta
cite.
793. — Nous avons dit plus haut que les conven
tions matrimoniales arrachées par le dol d’un des con
joints sont dans le cas d’être rétractées sur la poursuite
1 Nîmes, 23 janvier 1843; — J du P., -1843, t. 1, p, 297.
�352
TRA.TÉ DU DOL
de l’autre. Il en serait de même des avantages obtenus
par la fraude. La source des uns n’est pas plus pure,
plus légitime que celle des autres. L’époux , qui aurait
eu recours à la fraude , ne saurait se plaindre de ce
qu’on lui arrache ce qu’il a tenté de s’approprier par
d’aussi odieux moyens, Nemini sua fraus patrocinari
debet.
794. — La constitution de la dot peut donner ma
tière à de nombreuses fraudes , soit que le constituant
ait promis plus que ce qu’il pouvait ou voulait faire, soit
que le mari ait reconnu une dot qui ne lui a pas été
comptée ou pour avantager sa femme , ou pour l’hon
neur du contrat, sous un pacte secret de se contenter
d’une somme moindre, dos ventosa, ou enfin dans l’es
pérance de recevoir bientôt les deniers, spe futures, n u mer ationis.
,r
■
795. — Les obligations du constituant sont souve
rainement réglées par les termes du contrat de mariage.
Il ne peut être délié de celle de compter la somme pro
mise que par l’impuissance constatée sur les poursuites
du mari. L’effet de cette fraude , de la part du consti
tuant, n’exerce aucune influence sur le mariage ; la lé
gèreté avec laquelle l’époux a cru à des promesses dont
il pouvait et devait même vérifier la sincérité le consti
tue en état d’imprudence , et ne lui laisse d’autre droit
que celui de ne pas restituer ce qu’il n’a pas reçu , si,
dans les délais voulus par la loi, il a rempli les diligen
ces prescrites.
�796. — La quittance que le mari donne de la dot
qu’il n’a pas reçue , dans l’intention d’avantager celle
qu’il va épouser, n’est qu’une véritàble libéralité. Cette
quittance l’engage en ce sens que , le mariage consom
mé, l’obligation de restituer la d o t, le cas échéant, est
irrévocablement encourue. Toute prétention contraire à
la déclaration contenue au contrat, fût-elle expressément
justifiée par é crit, ne serait pas même recevable de la
part du mari.
Mais les héritiers à réserve , dont les droits se trou
veraient atteints par l’excès de la libéralité , les créan
ciers, en fraude desquels cette libéralité aurait été faite,
peuvent exciper du défaut de sincérité de la déclaration
faite dans le contrat. Les uns et les autres peuvent at
taquer de simulation la quittance de la dot et prouver
cette simulation , même à l’aide de la preuve testimo
niale et des présomptions. La seule différence entre les
créanciers et les héritiers à réserve, c’est que les uns
peuvent faire annuler l’avantage concédé à la femme,
tandis que les autres ne peuvent en demander que la
réduction à concurrence de la quotité'disponible.'
797. — Ces reconnaissances de dot, pour avantager
la femme , offrent un autre avantage contre lequel un
mari prudent doit se précautionner. Dans l’intention de
toutes les parties, la libéralité est essentiellement condi
tionnelle ; elle ne doit sortir à effet que si le mariage
1 V. infra n° -1660.
u
23
S- î1
353
ET DE LA FRAUDE.
�354
TRAITÉ DU DOL
s’accomplit. Celte condition manquant, la libéralité n’à
plus de cause et se trouve par cela même révoquée.
Mais, dans ce cas même , les termes du contrat impo
seraient l’obligation de restituer la dot déclarée reçue,
sans que l’époux ou ses héritiers fussent admis à prou
ver outre et contre les énonciations de l’acte, à moins
qu’ils ne rapportassent une preuve écrite. La contrelettre , émanée de la future ou de ses parents qui pa
raîtraient avoir constitué la dot , fournirait légalement
cette preuve. La contre-lettre , en effet, n’est annulée
que par la célébration du mariage ; tant que cette célé
bration n’est pas réalisée , les accords projetés restent
sous l’empire du droit commun , il ne peut y avoir de
véritable contrat de mariage, là où il n’y a pas de ma
riage. Conséquemment, la réception prétendue de ce qui
devait former la dot de l’épouse , ne constituant plus
*
qu’un engagement ordinaire , peut être anéantie par la
preuve écrite qu’elle n ’a jamais été qu’une simulation
nien vue du mariage futur.
798.
— Dans la seconde hypothèse, celle d’une dot
quittancée sous un pacte secret de se contenter d’une
moindre somme , l’obligation du mari ou de ses héri
tiers , le cas de restitution arrivant , est uniquement ré
glée par les énonciations du contrat de mariage. Le
pacte secret ne saurait même être invoqué contre ces énonciations que la loi reconnaît comme seules obliga
toires.
799. — Enfin , la charge de restituer la d o t, telle
�ET DE LA FRAUDE.
355
•
qu’elle a été reçue dans le contrat, est imposée au mari,
alors même que la quittance qu’il en aurait donnée
n’aurait été consentie que spe fulurce numerationis.
Cette hypothèse est de nature à se réaliser plus souvent
que les précédentes. Si les parties tiennent quelquefois à
honneur de grossir le chiffre de la d o t, l’une d’elles au
moins considère comme un honneur plus grand d’obte
nir dans le contrat la quittance de ce qu’il n’est pas ce
pendant dans le cas de payer actuellement.
Le droit romain rendait commune au contrat de ma
riage l’exception de non numerata pecunia'. Le Code
civil a abrogé cette règle. La quittance définitive de la
dot donnée par le mari l'oblige à en restituer le mon
tant, alors même qu’il ne l’aurait jamais touché. Le
mari commet une insigne imprudence en faisant une
fausse déclaration dont il connaît d ’avance toute la por
tée. Celte imprudence suffit pour le faire déclarer nonrecevable à se plaindre de la fraude dont il aurait été
la victime.
8 00.
— La contre-lettre qui fixerait la signification
réelle de la quittance et déterminerait les obligations du
constituant serait nulle à l’encontre de la femme. C’est
ainsi qu’on a décidé qu’elle ne pourrait lui être oppo
sée , même à concurrence de sa portion virile dans la
succession de son père.
1 L. 3, Cod. De dolc caula cl non num erata.
�356
TRAITÉ DU DOL
8 0 f . — Que si, au lieu d’une contre-lettre, le mari
a reçu des obligations souscrites par le constituant, ces
obligations deviennent propres au mari qui ne peut
contraindre sa femme à les recevoir en compensation de
la dot stipulée. Mais ces obligations constituant une
dette légitime de la succession du souscripteur, la fem
me*, héritière de celui-ci, serait personnellement tenue
de sa part et portion. Le mari pourrait donc la com
penser jusqu’à due concurrence avec les sommes qu’il a
à restituer.
802.
— Enfin , la dot réellement touchée par le
mari peut avoir été quittancée par son père, qui en de
meure responsable , le cas de restitution arrivant. Celte
déclaration peut être attaquée par tous les ayants droit,
c’est-à-dire par les créanciers, par les autres enfants.
La justification de la fraude alléguée par les créanciers,
agissant en vertu de l’art. 1167, déterminerait la nullité
complète de l’avantage ainsi concédé par le père. Les
autres enfants ne pourraient que le faire réduire à la
quotité disponible.
�ET DE LA FRAUDE.
357
s II.
F raudes pendant le Mariage.
SOMMAIRE.
803.
804.
805.
806.
807.
808.
809.
810.
811.
812.
813.
814.
La confusion d’intérêts et de biens résultant du mariage
rend la fraude facile pour les époux.
La femme peut la commettre par le détournement d’effets
mobiliers. — Conséquences de ce détournement pour
elle et pour ses complices.
Par l ’aliénation d’un objet quelconque sans le consente
ment et le concours de son mari.
Le consentement tacite suffirait. — Comment et par qui
peut-il être prouvé ?
Par la simulation de dettes. — Nullité de celles contractées
depuis le mariage.
Celles résultant des nécessités du ménage se placent dans
une catégorie spéciale. — Comment elles étaient envi
sagées sous le droit ancien.
Système actuel.
La disposition de l ’art. 1410 rend impossible toute antidate
dans l ’objet de faire considérer la dette comme antérieu
re au mariage.
Lafraudeest bien plus à craindrede la part du mari. —
Précautions de la loi.
Révocabilité des donations entre époux pendant le mariage.
Refus de récompense pour prétendu paiement de dettes an
térieures au mariage.
Le paiement de la dette sans date certaine est présumé frau
duleux.
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825.
826.
827.
828.
829.
830.
831.
Le paiement après condamnation obtenue par ie créancier
donnerait-il lieu à récompense en faveur du mari?
Le mari , chef de la communaulé, ne peut aliéner à litre
gratuit l’universalité ou une quotité du mobilier.
Motifs de cette prohibition.
Ses conséquences.
Simulation qu’elle peut inspirer.— Admission de la preuve
orale et de celle par présomptions.
La qualité des parties fournirait une présomption grave de
la simulation.
Autres circonstances pouvant conduire au même résultat.
Le rejet de la simulation et le maintien de la vente attaquée
n’empêcheraient pas la femme de demander et d’obtenir
récompense.
La vente de l ’universalité ou d’une quotité du mobilier, qui
ne serait qu’une donation déguisée, pourrait être annu
lée sur la demande de la femme ou de ses héritiers.
Comment doit être entendue la faculté accordée au mari de
donner à toutes personnes, et à titre particulier, le mo
bilier de la communauté.
Eléments à consulter pour juger du caractère de la dona
tion.
La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait de plein droit
présumer la fraude, quand même elle n'eût pas été ex
primée.
Les donations autorisées par l'art. 1422 peuvent-elles être
valablement faites aux personnes présumées interposées.
Fraudes que le mari peut commettre, en sa qualité d’admi
nistrateur des biens de sa femme.
Précautions pour empêcher la dissimulation totale ou par
tielle du mobilier échu à celle-ci.
Les avantages personnels que le mari se procurerait dans
les ventes ou échanges des biens de la femme,constituent,
une fraude ordinaire que celle-ci doit prouver.
La femme tenue de son dol l ’est également de sa fraude.—
�ET
832.
833.
*
834.
833.
836.
837.
838.
839.
840.
841.
842.
843.
844.
845.
846.
847.
DE
LA
FRAUDE.
359
Application de ce principe à la fraude concertée entre les
époux pour la vente du fonds dotal.
Exceptions lorsque l’aliénation est accordée hors des cas
prévus par la loi.
Lorsque la vente n ’est pas faite dans les formes voulues
par l’art. 1558 du Code civil.
À quelle époque peut être exercée l ’action soit du mari,
soit de la femme ?
L’adultère est, de toutes les fraudes,la plus importante par
l ’influence qu’elle exerce sur le sort des époux, sur l ’a
venir de la famille.
Est une cause de séparation de corps. — Différence, quant
à cé, entre l ’adultère du mari et celui de la femme.
Il n’est'pas nécessaire que la preuve de l ’adultère existe au
moment de la demande en séparation.
La séparation de corps relâchant les liens du mariage, l ’é
poux qui l’a encourue serait tenu d ’indemniser l ’auire
des besoins nouveaux qu’il est dans le cas d’éprouver.
La séparation de corps entraîne la révocation des avantages
faits à l ’époux dans le contrat de mariage.
Dans quels cas le mari peut-il désavouer l’enfant.
Naissance précoce. — L’enfant né moins de cent quatrevingt jours depuis le mariage peut être désavoué par le
mari.
Effet du désaveu par rapport à l ’enfant.
Mais l’enfant peut opposer les fins de non-recevoir contre
la demande.
Gravité de la connaissance de la grossesse avant le mariage.
Sous l ’ancien droit, on admettait, la fréquentation de fait
comme équipollentde la connaissance de la grossesse.—
Le Code civil ne s’arrête qu’à celle-ci.
L’assistance du père à l ’acte de naissance de l ’enfant pro
duit un effet analogue.
Il n’est pas nécessaire qne l ’acte de naissance désigne l’en
fant comme fils du mari. — 11 suffit que la mère y soit
désignée comme femme mariée.
!i
�360
848.
849.
850.
T R A IT É
DU
DOL
En cas d ’absence du mari à l ’acte de naissance, pourra-t-on,
en justifiant de l ’empêchement, prouver qu’il a connu
la naissance et avoué la légitimité de l’enfant ?
La non viabilité de l'enfant rend le désaveu non-rece^able.
La légitimité de l’enfant, né plus de trois cents jours après
la dissolution du mariage, pourra être contestée. — Ca
ractère de cette action.
851. Ancienne jurisprudence. — Droit romain.
852. Incertitude de la science.
853. Système du Code civil.
854. Conséquence qu’il faut en tirer.
855. A qui appartient l’action en contestation de la légitimité.
856. Différence entre le désaveu et la contestation de légitimité
par rapport à l ’enfant.
857. A quelles conditions le mari peut-il désavouer l ’enfant
conçu et né pendant le mariage ?
858. Caractère de l ’éloignement du mari.
859. Impossibilité physique pendant le temps indiqué par l ’arti
cle 312. — Caractère.
860.
861.
Faut-il prendre en considération l’impossibilité morale ?—
Débats que cette question a soulevés.
Proposition de considérer comme motif de désaveu la sépa
ration de corps réunie à l’adultère. — Rejetée.
862.
Le silence gardé par la loi de 1816, abolitivedu divorce,
laisse lés choses dans l ’état où les avait placées le Code
civil.
863. L ’adultère de la femme n ’é ta it, pas plus que la séparation
de corps, un motif de désaveu.
864. Il en est autrement si la femme adultère a recélé la nais
sance de l ’enfant.
865. Cette double circonstance rend le désaveu recevable et au
torise la preuve de son bien fondé.
866. Que faut-il entendre par le recélé de la naissance ?—Fautil que la femme ait dissimulé sa grossesse , célé son ac
couchement et fait une fausse déclaration ? — Suffit-il
d’une ou de plusieurs de ces circonstances ?•
�ET
DE
LA
FRAUDE.
361
867.
Il ne suffirait pas, pour que le désaveu fût irrecevable, que
la femme eût fini par déclarer une grossesse qu’elle
avait d’abord dissimulée.
868. Observation de M. le conseiller-rapporteur Mesnard, et ar
rêt conforme de la Cour de cassation.
869. Conclusion.
870. Quels que soient les termes de l ’art. 313 du Code civil , la
demande en désaveu est recevable avant même qu’il y
ait chose jugée sur l ’adultère.
871. Mais nous ne pouvons admettre, avec un arrêt de la Cour
de cassation, que l ’adultère est la conséquence naturelle
du recélé de la naissance.
872. L'art. 313 exige la preuve préalable de l ’adultère , c’est ce
que prouve la discussion au Conseil d’Etat.
873. Procédure que doit suivre le mari.
874. L ’action en désaveu est personnelle au mari.
873. L'action ne passe aux héritiers que si le mari meurt avant
l'expiration du délai accordé pour son exercice.
876. Quels sont les héritiers dont parle l ’art. 317 ?
877. Tant que le mari est vivant, nul autre que lui ne peut dés
avouer l ’enfant ; conséquemment l ’héritier présomptif
de l’absent ne serait pas recevable à intenter l ’action.
878. Opinion contraire de Merlin.
879. Réfutation.
880. Quid du tuteur de l ’interdit ?
881. Arrêt de Colmar, refusant l ’action, cassé par la Cour su
prême.
Observations contre la doctrine de celle-ci.
Les fins de non-recevoir opposables au mari peuvent être
opposées à ses héritiers.
L’héritier qui aurait personnellement reconnu la légitimité
de l ’enfant ne pourrait plus le désavouer.
Délai accordé au père pour intenter l ’action en désaveu.
Délai accordé à l ’héritier.
iii
■; f # f
�362
888.
889.
890.
891.
892.
T R A IT É
DU
DOL
Déchéance encourue si le mari ou l ’héritier, après avoir no
tifié le désaveu en temps ntile, n ’intente pas l’action en
justice dans le mois de cette notification.
Quelles personnes doivent être appelées dans l ’action.en
désaveu.
Fraudes dont la naissance d ’un enfant peut être l ’occasion.
Différence entre la suppression et la supposition de part.
L’enfant à qui on a enlevé sa filiation est admis à la récla
mer, s’il a une preuve littérale ou un commencement de
preuve par écrit.
893.
894.
Que faut-il entendre par le commencement de preuve en
cette matière ?
A qui appartient l’action en suppression ou en supposition
de part.
895.
Motifs qui ont fait accorder celle-ci aux parents et autres
ayants droit.
896.
Par quels principes est régie l ’action des parents et ayants
897.
droit, quant à la preuve?
La prohibition de toute poursuite d’office par le ministère
public s’applique au cas de suppression ou de substitu
tion comme à celui de supposition.
898.
Conséquence possible de l ’action de l ’enfant.
8 0 3 . — Quel que soit le régime adopté par les époux , il naît de leur union une telle confusion d’inté
rêts et de biens , que la femme , que le mari surtout,
trouve des occasions nombreuses et faciles pour se livrer
à la fraude. La fraude existe toutes les fois que la pro
priété commune est abusivement appliquée au profit
personnel de l’un des époux.
8 0 4 . — En tête des moyens que la femme peut em
ployer pour arriver à ce résultat, se place le détourne-
�ET DE LA FRAUDE.
363
ment d’effets mobiliers commis à l’insu et au préjudice
du mari. Au point de vue moral, ce détournement con
stitue un véritable vol que la loi devrait punir , mais
l’honnêteté publique répugnait à l’idée d’une femme
traînée sur la sellette de l’infamie à la requête de son époux, du père de ses enfants. De là , la disposition de
l’art. 380 du Code p én al, aux termes duquel les sous
tractions des époux , au préjudice l’un de l’autre , ne
donnent lieu qu’à une action civile en réparation. Les
dommages-intérêts accordés au demandeur sur les biens
du coupable entraînaient autrefois la contrainte par
corps. La loi de 1832 est venue mettre un terme à cet
état des choses, en proscrivant cette voie rigoureuse en
tre les époux.
Les complices de l’époux ne profitent ni de l’immu
nité quant à la peine , ni de la prohibition de la con
trainte par corps. Remarquons que la seule complicité
punissable de peines corporelles est celle qui se trouve
définie par le Code pénal et qui réunit les caractères ex
pressément déterminés. L’absence de ces caractères en
traînerait donc l’acquittement du prétendu complice.
Cet acquittement enlevant au fait son caractère de
délit , mettrait donc les tribunaux correctionnels dans
l’impossibilité d’allouer des dommages-intérêts. Mais
leur décision à cet égard n’exercerait aucune influence
sur l’action en répression de la fraude dont les tribu
naux civils pourraient être investis, répression qui peut
être prononcée tant contre l’époux lui-même quecbnlre
les tiers qui l’ont assisté. L’allocation des dommages-
�364
TRAITÉ DU DOL
intérêts pourrait être prononcée avec contrainte par corps
contre ces derniers.
8 0 5 . — La femme qui ne p e u t, pendant mariage,
rien détourner , ne peut non plus disposer de rien sans
le concours et l’assistance de son mari. L’aliénation d’un
objet quelconque , même par la femme commune en
biens, constituerait donc une fraude dont le mari serait
autorisé à poursuivre la réparation tant contre la fem
me que contre le tiers acquéreur. Pour ce qui concerne
celui-ci, la fraude est présumée par cela seul que, con
naissant la qualité de la femme , il a consenti à traiter
avec elle sans s’être assuré de l’assentiment et du con
cours du mari. Mais cette présomption n ’exclut pas la
preuve contraire que le tiers, que la femme elle-même,
est toujours recevable à offrir.
8 0 6 . — Les éléments de cette preuve contraire ré
sident : d’une p a r t, dans la connaissance que le mari
aurait eu de la conduite de sa femme ; de l’autre, dans
la ratification expresse ou tacite qu’il aurait donnée à
l’acte dont il se plaint ; comme s i , le fait connu par le
mari n’avait amené aucune réclamation de sa part, s’il
avait reçu le prix de l’objet aliéné , ou s i , à son vu et
su , ce prix avait été consacré au profit et à l’avantage
du ménage. Le législateur, en voulant protéger les époux contre leurs fraudes réciproques , n’a , de près ni
de loin, entendu rendre les tiers victimes de leur collu
sion. Le mari d’ailleurs pourrait très-bien laisser sa fem
me agir seule et prétendre ensuite avoir été spolié pour
�ET DE LA FRAUDE.
365
obtenir ainsi un bénéfice injuste. Ce projet serait facile
ment supposé, s’il paraissait que le mari a connu et to
léré la conduite de sa femme , qu’il l’a encouragée par
son silence.
La femme elle-même peut en fournir la preuve et ob
tenir ainsi le rejet de l’action intentée par son mari. Le
tiers peut mieux encore, car il est exposé à n’êlre pour
suivi que par le résultat d’un concert frauduleux entre
les époux. On admet donc qu’alors même que la fraude
de la femme serait établie, s’il est prouvé que ceux qui
ont traité avec elle ont été de bonne foi , et que, par la
nature des relations des époux entre eux, ils ont eu juste
motif de croire à l’assentiment du m a ri, le recours de
celui-ci doit être rejeté en ce qui les concerne. C’est à
lui, en effet, plutôt qu’aux tiers à répondre des consé
quences que sa trop grande confiance en sa femme a pu
entraîner. Il suffit que cette confiance ait existé, qu’elle
ait été notoirement connue, qu’elle soit devenue la cause
déterminante de la conduite des tiers pour qu’ils soient
à l’abri de tous reproches sérieux.
C’est donc sur les antécédents des époux que l’atten
tion des magistrats doit particulièrement se fixer. La to
lérance habituelle du m a ri, pour des actes de la nature
de celui dont il se p la in t, pourrait devenir , contre sa
demande, une fin de non-recevoir péremptoire. A dé
faut, sa ratification expresse ou tacite produirait le mê
me résultat.
8 0 7 . — La femme pourrait trouver une occasion
�366
TKAITÉ DU DOL
de fraude dans la facilité qu’elle a de simuler des dettes
qu’elle prétendrait faire payer par son mari. Mais, com
me dans toutes les hypothèses où la fraude est prochai
ne, la loi n’a pas manqué aux précautions que celle-ci
réclamait. Or , de deux choses l’une , ou les dettes se
rapporteront par leur date à une époque postérieure au
mariage, ou elles paraîtront l’avoir précédé.
Dans le premier cas, la femme, incapable de contrac
ter sans l’assistance et l’autorisation de son mari, n’a pu
ni engager valablement celui-ci, ni s’engager elle-même.
La dette réelle ou simulée est donc sans portée , sans
conséquence aucune, le tiers qui a traité avec la femme
reste personnellement tenu de la nullité que la femme
elle-même pourra lui opposer.
808.
— Il est cependant des dettes qui échappent à
la rigoureuse application de ce principe. La femme est
ordinairement chargée de pourvoir aux dépenses de nour
riture et d’entretien. Dans cet objet, elle traite avec les
fournisseurs , sans l’autorisation spéciale du mari dont
elle est, quant à ce, réputée le mandataire. Elle pourrait
donc , dans l’exécution de ce mandat et de concert avec
ces fournisseurs, exécuter la. fraude. Quels seraient, dans
cette hypothèse, les droits du mari ?
Notre ancien droit avait admis, pour les dettes de celle
nature, une exception au principe de l’autorisation. En
conséquence , le mari ne pouvait arguer du défaut de
cette autorisation pour se dispenser de les payer. Mais
il fallait pour cela que les achats n ’eussent pas été trop
�ET DE LA FRAUDE.
367
fréquents et trop considérables , pour que le fournisseur
ne fût pas lui-même suspect de fraude ou coupable d’im
prudence.'
8 0 9 . — Les principes consacrés par le Code n’ont
rien qui répugne à cette solution. Ils reconnaissent, en
effet, la possibilité d’un mandat verbal , et certes on ne
saurait jamais l’admettre plus justement qu’en faveur de
la femme pour tout ce qui concerne les besoins du mé
nage. Le mari serait donc tenu de l’acquittement des dé
penses faites à cette intention, quoiqu’il ne les eût pas
actuellement et spécialement autorisées, à moins cepen
dant que l’abus d’un côté, la complaisance, la fraude ou
l’imprudence de l’autre, eût poussé ces dépenses au delà
des limites naturelles et justes.
810. — Quant aux dettes se rapportant à une épo
que antérieure au mariage , le mari a, contre la fraude
résultant de l’antidate, un remède assuré dans la dispo
sition de l’art. 1410 du Code civil. On sait que cet arti
cle n’admet, comme dettes obligatoires , que celles qui
ont date certaine avant la célébration du mariage. L’ab
sence de cette condition faisant présumer la fraude, laisse
le créancier entièrement désarmé vis-à-vis du mari.
Par rapport à lui, en effet, la présomption de fraude
est absolue , n’admettant aucune preuve contraire. Le
Code a formellement dérogé sur ce point à notre ancien
1 Parlement de Dijon, 8 janvier 1693 ; — Nouveau denisart, v° aulorisation.
�368
TRAITÉ DU DOL
droit, sous lequel le créancier était admis à faire preu
ve de la sincérité de la dette. Mais il en est autrement
de la part de la femme signataire. L’absence d’une date
certaine, l’incapacité résultant du mariage a pu faire sus
pendre l’application , à son encontre , du principe que
l’acte fait foi de sa date contre la partie, mais non le mé
connaître d’une manière définitive. En conséquence , le
créancier pourra détruire la présomption de fraude que
ces circonstances élèvent contre son titre , en prouvant
qu’il a été réellement souscrit avant le mariage. Cette
preuve acquise fera condamner la femme au paiement
de la dette. Mais pendant la durée du mariage, l’exécu
tion de cette condamnation ne pourra être poursuivie
que sur la nue-propriété des immeubles personnels à la
femme.'
811
.
— Nous venons de voir quelles sont les frau
des que la femme peut tenter et les précautions que la
loi a cru devoir prendre en faveur du mari. Hâtonsnous de le dire cependant, celui des deux époux qui a
le plus besoin de protection n’est pas le mari, car, non
seulement il a, en sa qualité, des moyens suffisants pour
se défendre efficacement, mais encore de beaucoup plus
grandes facilités à consommer la fraude au détriment de
sa femme. L’autorité du sexe , l’influence que son titre
lui assure, la qualité de chef de la communauté, d’ad
ministrateur des biens personnels de sa femme, tout, en
�ET DE LA FRAUDE.
369
un mot, lui offre les plus grandes facilités pour prépa
rer et consommer la fraude, dont le désir de réunir sur
sa tète la fortune de sa femme lui inspirera l’idée.
8 S2 . — Déjà, la crainte qu’il ne voulût arriver à ce
résultat au moyen des libéralités qu’il se ferait consentir
a fait admettre le principe de la révocabilité des dona
tions entre époux, faites pendant la durée du mariage.
Ce n’était pas assez. On pouvait vouloir déguiser la li
béralité sous la forme d’emprunts contractés solidaire
ment par la femme et le m a ri, et l’art. 1341 a décidé
que , dans ce c a s , l’obligation de la femme n’est qu’un
simple cautionnement à l’égard du mari qui est tenu de
la récompenser.
Nous pourrions multiplier les exemples. Nous résu
mons l’esprit de la loi à cet égard dans ces quelques
mots : La femme , pendant le mariage , est présumée,
pour tous les actes qu’elle fait en faveur de son mari?
céder à une influence qu’elle ne peut ni combattre ni
vaincre. En conséquence, elle peut toujours révoquer les
libéralités directes qu’elle a faites. Quant aux libéralités
indirectes, quelle que soit la forme dont elles ont été re
vêtues , et malgré son concours direct à l’acte , elle est
toujours recevable à quereller l’acte de simulation et à
en établir le véritable caractère même par la preuve tes
timoniale.
815.
— La loi va plus loin encore. Elle admet dans
certains cas la simulation comme une vérité démontrée,
u
24
�370
TRAITÉ DU DOL
ne permettant même pas la preuve contraire. Nous en
trouvons uu exemple remarquable dans cet art. 1410
dont nous nous occupions tout à l’heure.
Les dettes antérieures au mariage ne sont obligatoi
res pour le mari que si elles ont date certaine avant la
célébration. Le mari qui, nonobstant le défaut de date,
acquitte ces dettes, n’a aucune récompense à demander
à raison de ce paiement. Le motif de cette prescription,
qui peut dans certain cas consacrer une injustice , est
facile à saisir : c’est que le mari trouvait dans la suppo
sition de dettes de ce genre , et dans le paiement fictif
qu’il paraîtrait en avoir fait, un moyen de s’attribuer la
fortune de sa femme en échappant à la révocabilité des
donations. On l’encourageait ainsi à se faire consentir
des libéralités sous cette forme, ce qui était d’une exécu
tion facile , puisqu’on n’avait qu’à antidater les obliga
tions dont on simulerait l’existence.
8L4. — Conséquent dans la règle dont il ne s’est
jamais départi et que nous avons eu bien de fois l’occa
sion de rappeler, à savoir : que plus la fraude est fa
cile et plus on doit non seulement la réprimer, mais en
core la prévenir , le législateur n’a pas hésité dans cette
circonstance. Le paiement de la dette sans date certaine
est présumé frauduleux, on ne paie pas ce,qu’on sait ne
pas devoir. Conséquemment , si le mari a réellement
payé, ou il a reconnu que la dette était celle de la com
munauté , ou , la sachant personnelle à sa femme , il a
voulu faire à celle-ci une libéralité qu’il pouvait croire
�ET DE LA FRAUDE.
371
méritée; dans l’un comme dans l’autre cas, il ne lui élait dû aucune récompense; à plus forte raison si le
paiement et la dette elle-même n’étaient que le résultat
d’une simulation.
81 5. — Si, sur le refus du mari, le créancier de la
femme l’a poursuivie et a obtenu contre elle une con
damnation , faudrait-il encore refuser toute récompense
au mari qui aurait plus tard désintéressé le créancier ?
L’affirmative a été soutenue sur le fondement que la
fraude , qui a présidé dans la supposition de la dette,
pourra bien se continuer devant la justice qu’on saura
bien mettre dans l’impossibilité de ne pas condamner ;
qu’on court donc la chance de faire réussir une simula
tion par une nouvelle simulation plus audacieuse et plus
coupable encore.
Cette doctrine condamnerait le mari à ne jamais ve
nir au secours de sa femme, alors même que le créan
cier aurait commencé l’expropriation de la nue propriété
des biens personnels à celle-ci. Ainsi, ce qu’un tiers se
rait libre de faire, le mari ne pourrait l’accomplir, alors
même qu’un évident intérêt rendrait cet acte d’un im
mense avantage pour la femme : d’abord, en empêchant
la vente à vil prix de ses propres, ensuite en renvoyant
h la dissolution du mariage le remboursement des som
mes avancées. Nous ne saurions croire que telle ait été
l’intention du législateur.
Sans doute une fraude est possible et le danger si
gnalé ne manque pas de gravité. Mais une présomption
�372
TRAITÉ DD DOL
de fraude , attachée à un jugement rendu sur les con
clusions du ministère public, serait un fait trop anormal
pour qu’on doive l’ériger en principe. La condamna
tion judiciaire de la femme fera donc supposer la dette
sincère et le paiement légitime , sauf le droit de la fem
me de justifier la simulation de l’un et de l’autre.
Ainsi, avant toute poursuite, le paiement d’une dette
supposée antérieure au mariage , mais n’ayant pas date
certaine, reste pour le compte exclusif du m ari, ou soit
de la communauté. Le paiement qui a suivi la condam
nation de la femme oblige celle-ci à en récompenser le
mari, à moins qu’elle ne prouve, soit par litres, soit par
témoins ou par présomption, que le jugement lui-même
n’a été obtenu que par un concert frauduleux qui lui a
été commandé par celui-ci.
816
.
—■ Comme chef de la communauté, le mari a
la libre disposition des biens dont elle se compose. L’ex
ercice de cette faculté pouvait entraîner de graves abus,
de nombreuses fraudes contre la femme. C’est dans cette
prévision que la loi a d’abord songé à en réglementer
l’exercice, eu égard aux libéralités que le mari pourrait
vouloir consentir.
L’art. 1422 lui prohibe le droit de disposer entre vifs
et à titre gratuit des immeubles, de l’universalité ou d’u
ne quotité du mobilier , si ce n’est pour l’établissement
des enfants communs ; de retenir l’usufruit des effets mo
biliers qu’il lui est permis de donner à titre particulier à
toutes personnes.
�ET DE LA FRAUDE.
373
817. — Le législateur, en assurant au mari la libre
disposition des biens communs, a entendu que l’exercice
de cette faculté fût marqué au coin de la loyauté et de
la justice; qu’elle ne dépassât jamais les limites que la
copropriété impose aux intéressés. Tout ce qui s’écarte
de ce caractère, tout ce qui tendrait à enrichir exclusi
vement le mari ou à dépouiller la femme en faveur de
tiers par lui élus, doit être sévèrement proscrit. C’est, au
reste, ce qui est formellement rappelé dans l’art. 1437.
8 1 8 . — Les actes faits contrairement aux prescrip
tions de l’art. 1422 sont présumés, de plein droit, ap
partenir à l’une de ces deux hypothèses. Ils so n t, en
conséquence, frappés d’une nullité radicale comme faits
en fraude de droit de la femme.
8 1 9 . — Ce que cette volonté ferme de la loi à cet
égard peut faire naturellement présumer , c’est que le
mari aura recours à la simulation pourdéguiser la frau
de. C’est sous l’aspect d’un acte à titre onéreux qu’il ca
chera les libéralités qu’il ne peut faire d’une manière di
recte. Mais la femme est toujours recevable à contester
le caractère de l’acte , à demander, soit aux présomp
tions, soit à la preuve orale, la justification de la simu
lation et de la fraude.
8 2 0 . — Au nombre et au premier rang des présomp
tions pouvant fournir cette preuve, se place celle tirée de
la qualité de la partie qui a traité avec le mari, comme
si elle était son héritier présomptif ou si celui-ci se trou-
�374
TRAITÉ DU DOL
vait être le sien. L’identité d’intérêt naissant de cette cir
constance a toujours été signalée comme un grave indice
de fraude , alors même que la législation permettait au
mari de donner les immeubles de la communauté'. La
vente consentie à une pareille personne é tait, par cela
même, considérée comme une donation faite à un inca
pable, c’est-à-dire au mari lui-même.
Sous l’empire de notre droit actuel , il n’y a fraude
acquise que lorsque l’acte , sous l’apparence d’un litre
onéreux, est reconnu ne renfermer qu’une libéralité pu
re. Il faut donc a priori établir l’existence de la simu
lation. L’indentité d’intérêt entre l’héritier présomptif
d’un individu et cet individu lui-même pourrait ne pas
paraître suffisante dans telle ou telle hypothèse pour
qu’on admit cette simulation, mais, à coup sûr, elle se
rait dans toutes d’un poids très-grave ; e t , pour peu
qu’elle se trouvât étayée par quelques autres circons
tances, elle serait de nature à entraîner et à lier la con
viction du juge.
821.
— Les circonstances qui peuvent, indépendam
ment de la qualité des parties , indiquer et prouver la
simulation sont : l’époque de la vente, si elle a été faite
pendant la maladie de l’un des époux ou depuis l’ins
tance en séparation ; le défaut de prix ou sa vileté ; la
position de fortune du prétendu acquéreur; ses relations
d’intimité avec le mari ; l’absence chez celui-ci de tout
i Pothier,
D e l a co m m u n a u té,
n°s 480 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
375
besoin de vendre , ou la continuation après la vente de
l’état de gêne dans lequel il se trouvait avant ; la réten
tion de la propriété sous prétexte de relocation ; le paie
ment des contributions ; les réparations faites à l’im
meuble postérieurement à la vente ; enfin, tous les actes
dont l’existence ne pourrait se concilier avec l’idée d’un
désinvestissement sérieux et réel ; l’aveu échappé au
mari sur le véritable caractère de la prétendue vente.
8 2 2 . — Le rejet de la prétention touchant la simu
lation et le maintien de la vente comme sincère ne s’op
poseraient nullement à ce que la femme demandât et
obtint une récompense, si le mari, s’appropriant le prix
de l’aliénation, en avait frustré la communauté.
823. — Les principes applicables aux ventes d’im
meubles régissent l’aliénation de l’universalité ou d’une
quotité du mobilier. Celle qui ne serait, en réalité, qu’u
ne donation déguisée devrait être annulée sur la pour
suite de la femme ou de ses héritiers. Les meubles ayant
fait l’objet de cette donation pourraient même être re
vendiqués contre le tiers jusqu’à concurrence de la ré
compense due à la femme , si les biens restant libres à
la communauté ne pouvaient y suffire. Les droits du
possesseur en matière de meubles méritent sans doute la
plus grande considération, mais la simulation de la ven
te admise, il n’y a plus qu’une donation prohibée ayant
pour conséquence inévitable d’anéantir le titre en vertu
duquel le tiers est en possession. On ne saurait, dans
aucun cas , préférer le donataire au créancier, au co-
�376
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TRAITÉ DU DOL
propriétaire de l’objet douné sans son consentement et
contre ses intérêts.
8 2 4 . — Le mari a la faculté de donner à toutes
personnes, à titre particulier, le mobilier de la commu
nauté, mais cette faculté doit être entendue et appliquée
sans abus. Bientôt, en effet, la multiplicité des disposi
tions particulières , leur importance , absorberaient les
facultés de la communauté en fraude des droits de la
femme et rendraient illusoire la prohibition de l’article
4422. Il fa u t, en effet, reconnaître que cette faculté
prête singulièrement à l’abus et qu’il paraît quelque peu
contradictoire qu’en prohibant au mari de donner une
quotité du mobilier valant quelques centaines de francs,
on lui permette de donner, à titre particulier, un ca
pital ou une somme de dix, de vingt mille francs. Cette
apparente anomalie indique quelle a été la véritable
pensée du législateur, pensée dont il importe de se bien
pénétrer pour ne pas donner à son expression plus d’é
tendue qu’elle n ’en comporte.
8 2 5 . — On doit d’abord rechercher le véritable ca
ractère de la donation à titre particulier dans l’époque
qui l’a vue se produire. « Ainsi, dit M. Chardon, si le
mari, pendant une instance en séparation, avait distri
bué gratuitement une partie importante de son mobilier
à diverses personnes et à titre particulier, l’intention de
nuire à la femme plutôt que de sè livrer à des actes de
pure bienfaisance étant certaine, il serait difficile de re
jeter les plaintes de la femme.
�ET DE LA FRAUDE.
377
» Que , prêt à succomber à une maladie grave, un
mari fasse des dons particuliers d’effets mobiliers, on ne
pourrait voir, dans ces générosités tardives, que des in
fractions à l’art. 1422, et, dans le mode employé, qu’un
détour frauduleux pour échapper à sa prohibition. Il
faudrait donc réputer ces dons testamentaires, et, com
me tels , les imputer sur la part du mari dans la com
munauté.
» La même sévérité serait justement inspirée par des
dons de meubles que ferait un mari pendant la maladie
qui se terminerait par la mort de sa femme. C’est le
sentiment de Lebrun , de Pothier , de Merlin. Il serait
d’autant plus juste de le suivre, que quand même on ne
serait pas convaincu que le mari a agi dans un esprit
de fraude , au moins est-il constant qu’il a commis un
abus intolérable d’autorité en abandonnant ainsi des ob
jets dont il savait que bientôt il n’aurait plus le droit de
disposer.' »
Dans quelques circonstances que se soit réalisée la do
nation à titre particulier , si elle a été précédée ou sui
vie d’autres actes de même nature , si son imporlance
est telle qu’on puisse supposer que le but principal de
son auteur a été de priver sa femme de la part que la
loi lui assurait, on ne doit pas hésiter à en anéantir les
effets à l’égard de celle-ci. Ce que la loi a voulu en sanc
tionnant le droit de donner à titre particulier, c’est que
le mari ou ses héritiers ne fussent pas injustement tour1 T. n, p. 173
�378
TRAITÉ DU DOL
mentés pour quelques minces largesses faites de bonne
foi et sans fraude. Tout ce qui s’écartera de ce caractère
essentiel devra facilement être considéré comme fraudu
leux.
826.
— La fraude est de plein droit présumée par
la réserve de l’usufruit de la chose donnée , stipulée en
faveur du donateur. Dans ce cas , en effet, le mari dé
pouille sa femme sans se dépouiller lui-même. La do
nation devient bien plutôt une disposition testamentaire
qu’une véritable donation. Sous l’un comme sous l’au
tre aspect, il y a lieu soit d’indemniser la femme , soit
d’imputer la valeur des objets donnés sur la part du
mari dans la communauté.
La réserve d’usufruit peut n’être pas stipulée à l’effet
d’éluder la disposition de l’art. 1422, mais son existence
est de nature à être prouvée par témoins. Elle peut éga
lement résulter de présomptions et d’indices dont l’ap
préciation est abandonnée aux lumières et à la pru
dence des juges. L’exécution , en ce sens que la dona
tion aurait reçue , dispenserait de toute autre preuve.
C’est ce que le Parlement de Paris décida le 7 septembre
1717'. C’est ce qui a été depuis maintes fois consacré
par la jurisprudence moderne.’
Il serait impossible de prévoir tous les développements
que le mari peut imprimer à la fraude dans l’exécution
1 Merlin, R ép., v° Indices, n° 2.
2 Bruxelles, 13 août 1813; — Orléans, 29 juillet 1822.
�ET DE LA FRAUDE.
379
du pouvoir qui lui est conféré sur les biens de la com
munauté. Mais les principes qui précèdent suffiront, par
leur application, à résoudre toutes les hypothèses qui se
présenteront.
8 2 7 . — Nous terminerons sur ce point en exami
nant une difficulté que les termes de l’art. 1422 ont fait
nailre relativement aux donations à titre particulier. La
loi permet au mari de les faire à toutes personnes, d’où
l’on a voulu conclure qu’elle avait dérogé aux règles ap
plicables soit à l’interposition de personnes présumées,
soit à celle qui doit être prouvée. Mais on a répondu
que s’il existe un principe certain, c’est que le mari n’a
pas le pouvoir de se donner à lui-même. Ce principe
n’avait pas besoin d’être expressément rappelé, il résulte
de la force des choses, il ressort d’ailleurs de la dispo
sition de l’art. 1437. Or, le mari qui donne à une per
sonne interposée en sa faveur se donne réellement a luimême, il fait donc ce qu’il ne peut pas faire, ce qui ne
saurait, dès lors, produire le moindre effet. L’interposi
tion de personne serait , dès lors, un moyen de nullité
de la donation que rien n’empêche les parties intéres
sées de faire valoir. Légalement présumée dans les hy
pothèses prévues par l’art. 911, elle pourra, dans tous
les autres cas , être prouvée tant par témoins que par
présomptions.
828. — Comme administrateur des biens de sa
femme, le mari a la facilité de commettre des fraudes,
soit en dissimulant tout ou partie du mobilier échu à la
�380
TRAITÉ DU DOL
femme , soit en stipulant des avantages secrets dans les
partages, ventes ou échanges des immeubles personnels
à celle-ci.
829.
— En prévision de la première hypothèse , la
loi oblige le mari à faire dresser inventaire des facultés
mobilières que la femme est appelée à recueillir. Faute
par lui d’y procéder , comme en cas d’infidélité dans
l’accomplissement de cette mission, la femme ou ses hé
ritiers seront admis à prouver la consistance de ces fa
cultés tant par témoins que par commune renommée.
850,
— Le second cas constitue une fraude ordinai
re , comme lorsque , chef de la communauté , le mari
crée des dettes fictives, s’applique les sommes emprun
tées ou le prix provenant de l’aliénation des biens com
muns. La répression de cette fraude est donc laissée aux
règles ordinaires. C’est à la femme qui l’allègue à la
prouver par toutes les preuves autorisées par la loi. Le
mari ne serait pas recevable è contester l’admissibilité
de la preuve orale sous prétexte que la femme aurait si
gné la vente, le partage ou l’échange Le concours qu’elle
a donné à l’acte ne peut s’entendre que des stipulations
apparentes que cet acte renferme , et jamais de celles
que le mari aurait exigées à son insu et contre ses inté
rêts.
8 3 1 . — La femme tenue de son dol, l’est également
de sa fraude. Conséquemment, les simulations concer
tées par elle et son mari ne sauraient nuire aux tiers qui
�ET DE LA FRAUDE.
381
ont contracté avec eux dans l’ignorance de ces simula
tions. Ainsi, lorsque les époux, se plaçant frauduleuse
ment dans un des cas prévus par l’art. 1558, ont obte
nu de la justice l’autorisation de vendre le fonds dotal,
l’effet de cette vente est irrévocablement acquis en faveur
des tiers restés étrangers à l’acte des époux et qui se
sont rendus acquéreurs de bonne foi.’
Sans doute la femme peut n'avoir obéi qu’à l’influ
ence irrésistible dont nous parlions tout à l’heure. Aussi
ne devrait-on pas lui refuser son recours contre le mari.
Mais ce motif n’a aucune autorité réelle contre l’acqué
reur, devant d’autant moins suspecter le caractère de la
vente, que son opportunité avait été, après examen, con
sacrée par la justice.
852. — Mais l’aliénation du fonds dotal ne pouvant
être réalisée qu’aux formes et dans les cas nommément
prévus par la loi, il en résulte que si par fraude les époux ont demandé l’autorisation d’aliéner hors ces cas,
la vente est nulle contre le tiers de bonne foi, alors mê
me qu’elle n ’eût été faite qu’en vertu d’un jugement. La
justice elle-même n’a pas le pouvoir de violer la loi ;
l’erreur ou la surprise à laquelle les juges auraient obéi
ne peut donc créer un titre régulier. Personne n’est cen
sé ignorer la loi. L’acquéreur d’un fonds dotal doit s’as
surer d’abord si le cas pour lequel l’aliénation est au -
i Caen, 12 juin 1842;
Devilleneuve, 42, 2, 462 ; — Cass., 17 mars
�382
traté
du
dol
torisée rentre dans ceux prévus par les art. 1553 et sui
vants. S’il néglige ce devoir, il s’associe, autant qu’il est
en lui, à la violation de la loi, et cette imprudence gra
ve l’expose au recours de la femme ou de ses héritiers.
Il n’y a , à cet égard , aucun doute à concevoir. La
prohibition d’aliéner le fonds dotal est impérative et ab
solue. Elle n’admet d’autres exceptions que celles for
mellement prévues ; à tel point qu’il est aujourd’hui con
sacré que la vente pour empêcher le mari d'êtrè mis en
prison est nulle, la loi ne la permettant que pour l’en
tirer. '
C’est ce même principe que la Cour d’Àix vient d’ap
pliquer dans l’espèce suivante :
Les époux d’Heureux, voulant créer un établissement
de bains sur un immeuble dotal et ayant fait de nom
breuses dépenses, s’adressèrent au tribunal de Marseille,
e t , sous prétexte de l’amélioration du fonds dotal , lui
demandèrent l’autorisation de l’hypothèquer jusqu’à con
currence des dépenses nécessaires. 31 mars 1841, juge
ment qui accorde cette autorisation.
En vertu de ce jugement et par actes des 16 avril et
22 mai suivants, les époux d’Heureux empruntent une
somme de 10,000 fr. de la dame Thérèse Leouffre, veu
ve Mottet. Il est formellement énoncé dans ces actes que
cette somme de 10,000 fr. est destinée à payer à un
marchand de meubles les objets mobiliers par lui four
nis et à un chaudronnier-plombier les travaux en chau1 Cass., 26 avril 1842 ;. _ D. P., 42, 1, 250.
�ET DE LA FRAUDE.
383
dronnerie, plomberies et pompes par lui faits pour l’é
tablissement des bains. Ce double emploi est effective
ment réalisé. Une hypothèque est consentie sur le bien
dotal et sur celui du mari solidairement.
Par acte du 26 mai 1845, la dame Leouffre, veuve
Mollet, cède sa créance à la caisse hypothécaire. Celleci ayant poursuivi l’expropriation des biens hypothéqués,
la dame d’Heureux demande la radiation de cette sai
sie en tant qu’elle porte sur ses biens dotaux. Les mo
tifs par elle invoqués sont : 1° que la loi qui autorise
l’aliénation du bien dotal ne permet pas de l’hypothéquer; 2° parce que , dans tous les cas , le tribunal de
Marseille ayant autorisé l’aliénation hors des cas voulus
par la loi, tout ce qui avait été fait en vertu de cette au
torisation était radicalement nul.
Ce système est repoussé par le tribunal de Marseille.
Mais, sur l’appel, le jugement est infirmé le 5 août
1850. L’arrêt, remarquablement rédigé par l’éminent
président, M. Lerouge, après avoir établi que la faculté
d’aliéner entraine celle d’hypothéquer, considère sur la
question qui nous occupe :
« Que la femme mariée sous le régime dotal conser
ve, en général, lorsqu’il ne s’agit point de sa dot, la ca
pacité de contracter que lui attribue le droit commun ;
qu’elle peut ainsi vendre , hypothéquer ses biens paraphernaux avec l’autorisation de son mari ou de là jus
tice;
» Que la prohibition d’aliéner , d’hypothéquer ses
biens dotaux émane uniquement de la loi qui les met
il!?
il
h®
�384
TRAITÉ DU DOL
hors du commerce, par des raisons d’intérêl public, dans
une pensée d’ordre et de conservation ; que cette loi d’i
naliénabilité ne tient donc pas à l’incapacité des per
sonnes, mais à la faveur de certains biens, et c’est par
ce motif qu’elle est rangée dans la classe des statuts
réels ;
» Qu’il suit de là, en premier lieu, que l’intervention
de la justice, appelée à autoriser l’aliénation ou l’hypothèque de l’immeuble dotal, n’a pas pour objet de rele
ver soit le mari, soit la femme d’une incapacité person
nelle de contracter, mais de lever la prohibition d’alié
ner ou d’hypothéquer les immeubles dotaux dans les cas
d’exceptions déterminées par la loi ;
» En deuxième lieu , que , hors de ces cas d’excep
tions, l’autorité judiciaire est impuissante à conférer aux
époux la faculté d’aliéner ou d’hypothéquer valablement
le fonds dotal, car elle a mission d’appliquer et de faire
exécuter la loi et non de la violer en créant des exceptions
à la prohibition d’ordre public qui interdit l’aliénation
ou l’hypothèque des biens dotaux en dehors des cas dé
terminés par la loi. »
8 3 3 . — L’art. 1558 du Code civil en permettant la
vente du fonds dotal, en a en même temps prescrit la
forme. Elle doit avoir lieu aux enchères et après trois
affiches. Ce mode est de rigueur et ne peut être modifié.
Sa violation ferait présumer la fraude, ne pouvant être
expliquée que par le désir de restreindre la publicité et
d’écarter les concurrents. La femme ou ses héritiers
�ET DE LA. FRAUDE.
385
pourraient donc poursuivre plus tard la nullité , sans
qu’on pût, comme dans le cas précédent, tirer du juge
ment d’autorisation une fin de non-recevoir contre leur
demande.
Ces principes ne doivent point être négligés. Celui qui
se rendra acquéreur ou à qui on s’adressera pour hypo
théquer le fonds dotal, doit, avant tout, se faire repré
senter le jugement autorisant l’une ou l’autre. Il ne de
vra acheter on prêter que dans l’hypothèseoù le fait mo
tivant l’autorisation rentre expressément dans la classe
de ceux auxquels la loi applique ce caractère. En cas de
vente , il ne devra en accepter aucune , si ce n ’est aux
enchères et en se faisant justifier des trois publications.
A ces conditions seulement , il sera à l’abri de tout re
cours, alors même que les époux auraient frauduleuse
ment supposé un fait qui n’existait pas.
83Æ. — L’action du mari pour les fraudes de la fem
me est recevable en tout temps ; celle de la femme pour
les fraudes du mari n’est admissible qu’à la dissolution
du mariage. En effet, tant que le mariage existe, la fem
me n’a sur les biens de la communauté qu’un droit
d’expectative qui ne devient définitif qu’au moment où,
l’association arrivée à son terme,le partage de l’actif amène la liquidation de la portion qu’elle doit recueillir.
Jusque là elle est même sans intérêt pour agir, car elle
ignore si le mari ne lui fera pas un compte exact et ne
lui attribuera pas volontairement l’indemnité qu’elle a
droit de réclamer.
�386
TRAITÉ DU DOL
Cette règle n’est pas cependant tellement absolue qu’el
le ne puisse comporter une exception. Ainsi, la femme
qui a à faire réprimer une fraude commise dans la dis
position de ses biens personnels, pourra poursuivre cette
répression avant la dissolution du mariage. On devrait
également l’admettre à le faire dans tous les cas, s’il y
avait justes motifs de craindre la disparition des preuves
qu’elle est dans le cas d’invoquer. Il ne faudrait pas,
par un scrupule qui a son origine dans un sentiment
très-respectable, exposer la femme à subir un préjudice
dont on lui aurait fait perdre les moyens de prouver
l’existence.
835.
— De toutes les fraudes que le mariage peut
amener, la plus importante, sans contredit, par ses conséquencee sur le mariage lui-même , sur l’état des en
fants, sur l’avenir de la famille, c’est l’adultère. Ce n’est
plus , en effet, seulement un intérêt pécuniaire mis en
p é ril, c’est la vie commune rendue intolérable , c’est
l’honneur des époux compromis , c’est la famille ellemême grevée d’une funeste, d’une déplorable responsa
bilité.
L’antiquité considérait l’adultère comme un crime et
le punissait du dernier supplice. Notre civilisation mo
derne l’a fait descendre au rang des simples délits. L’a
dultère n’a même plus aujourd’hui le caractère d’un dé
lit social. Toute initiative est formellement interdite au
ministère public. Seul autorisé à le dénoncer ou à le
poursuivre, le mari a de plus la faculté de faire tomber
�ET DE LA FRAUDE.
387
les effets de la condamnation, que son pardon rend com
me non avenue.
La constatation, la poursuite et la répression de l’a
dultère n’appartiennent pas aux matières que nous a vons à examiner. Nous devons donc nous borner à nous
en occuper quant aux effets qu’il produit relativement
à la personne et aux biens, à l’influence qu’il peut ex
ercer sur l’état de la famille. Ces effets forts graves sont:
d’une p a rt, la séparation de corps ; de l’autre, le dés
aveu.
836.
— L’adultère est une cause de séparation de
corps. L’époux coupable a tellement forfait à ses obliga
tions , violé tous ses devoirs , qu’il n’a plus le droit de
contraindre son conjoint à remplir les engagements qu’il
avait de son côté contractés.
La loi ne distingue p a s, à l’endroit de la séparation,
l’adultère du mari de l’adultère de la femme. Mais la
force des choses l’amenait à une différence essentielle
dans l’application de ce principe. Les conséquences de
l’acte de la femme sont indépendantes des circonstances
de temps et de lieux qui l’ont vu s’accomplir. Le préju
dice grave qui peut en résulter pour l’époux est de na
ture à se réaliser à toutes les époques , dans tous les
lieux.
L’adultère du mari, au contraire, est plutôt une in
jure pour la femme qu’une cause de préjudice réel. L’i
gnorance de celle-ci , sur ce qui se passe loin de ses
yeux, enlève au fait toute son importance qui ne saurait
dans aucun cas atteindre à un certain degré de gravité.
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388
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II
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TRAITÉ DU DOL
*
Il était impossible d’omettre ces considérations dans
l’appréciation juridique du tort des époux. Leur influen
ce devait être et a été en effet décisive. L’adultère de la
femme autorise, par le .fait seul de sa perpétration, l’ad
mission de la séparation de corps demandée. Peu im
porte qu’il ait été commis dans ou hors le domicile con
jugal; qu’il ait été ou non actuellement conhu du mari.
Il suffit que la preuve en soit administrée au moment
de la poursuite en séparation , pour que cette poursuite
soit recevable et fondée.
La femme ne peut obtenir sa séparation , pour cause
d’adultère du mari, que si cet adultère a été consommé
dans la maison commune. L’introduction d’une concu
bine dans le domicile conjugal dénote un tel mépris
pour l’épouse légitime, la place dans une position telle
ment délicate, qu’on ne pouvait lui imposer la vie com
mune , rendue insupportable par le voisinage d’une in
solente, d’une odieuse rivale.
837.
— Il n’est pas nécessaire que la preuve de
l’adultère soit acquise au moment où la séparation est
demandée, ni qu’elle résulte d’un jugement ayant con
damné l’époux coupable. L’articulation du fait dans la
requête en séparation motive une enquête dans laquelle
l’époux demandeur aura la faculté de fournir les preu
ves sur lesquelles le tribunal investi appuiera sa déci
sion.
838.
— L’adultère était autrefois une cause de di
vorce. L’abolition de celui-ci ne permet plus aux époux
�ET DE LA F RA U D E.
389
que la séparation de corps. Celle-ci ne laisse pas que
d’être pour les époux un événement capital. Car, si elle
ne brise pas les liens matrimoniaux, elle les relâche d’u
ne manière sensible. L’époux qui l’a encourue devrait
être tenu d’indemniser l’autre des inconvénients qu’il est
dans le cas d’en éprouver,des besoins nouveaux qui peu
vent en surgir.
839.
— On a longtemps agité la question de savoir
si la séparation de corps entraînait la révocation des avantages consentis à l’époux dans le contrat de maria
ge. Celle question , fortement controversée en doctrine,
était devenue l’occasion d’une profonde dissidence entre
la majorité des Cours d’appel et la Cour de cassation.
Celle-ci tenait pour la négative, qu’elle fondait d’a
bord sur le silence gardé par le législateur. Il fa u t, en
effet, remarquer que, pour ce qui concernait le divorce,
la loi s’était formellement expliqué dans l’art. 299, tan
dis qu’elle se tait à l’endroit de la séparation de corps.
Fallait-il appliquer à celle-ci la disposition sanctionnée
pour le divorce? Mais les choses ne sont pas égales pour
l’un et pour l’autre. Le divorce, en effet, rompt le ma
riage, rend les époux étrangers l’un à l’autre, leur pro
hibe même de se réunir. La séparation de corps , au
contraire, laisse subsister le mariage dont les liens re
prennent toute leur force par la réconciliation des époux.
Cette réconciliation, que la loi appelle de ses vœux, elle
a voulu la favoriser en laissant exister entre les époux
des points de contact, des relations obligées dont la fré-
�390
TRAITÉ DU DOL
quence peut triompher des sentiments qui les avaient
portés à se séparer. On ne peut donc raisonnablement
conclure du divorce à la séparation.
D’autre p a rt, disait la Cour de cassation , l’art. 959
déclare que les donations faites en faveur du mariage ne
seront pas révocables pour cause d’ingratitude. Or, les
donations qne les époux se font respectivement dans leur
contrat sont réellement consenties en faveur du mariage,
car elles ont pu déterminer le consentement. L’adultère
même n’est qu’une odieuse , qu’une révoltante ingrati
tude ; on violerait donc l’art. 959 si on lui reconnaissait
pour effet de révoquer les avantages portés au contrat,
alors même qu’il a déterminé la séparation.
Celte doctrine de la Cour de cassation, à diverses re
prises consacrée par elle, avait ramené quelques Cours
d’appel. Mais le plus grand nombre n’avaient pas cessé
de professer l’opinion contraire. Cette persistance a fini
par triompher. La Cour de cassation est revenue de sa
jurisprudence et a décidé enfin que la séparation de
corps entraîne la révocation des avantages faits à l’époux
dans le contrat de mariage. Nous transcrivons les mo
tifs de cet arrêt parce qu’ils résument les raisons sur
lesquelles s’étayaient ceux qui soutenaient l’opinion que
l’arrêt consacre :
« Attendu que dans notre ancienne législation,et lors
que la séparation de corps était seule admise , l’époux
qui l’obtenait avait le droit de faire prononcer la révo
cation des donations qu’il avait faites à son conjoint;
que le Code civ il, en instituant le divorce, en même
�ET DE LA FRAUDE.
391
temps qu’il maintenait la séparation de corps, s’est ap
proprié cette règle, et y a même ajouté en déclarant par
son art. 299 que l'époux contre lequel le divorce serait
prononcé perdrait de plein droit tous les avantages que
l’autre époux lui avait fait ; que si cette disposition n’a
pas été répétée dans le chapitre spécial relatif à la sépa
ration de corps , ce chapitre fait partie du titre du di
vorce et suit immédiatement le chapitre qui règle les ef
fets du divorce, dont les dispositions, en tant qu’elles ne
sont pas inconciliables avec la séparation de corps, en
doivent aussi régler les effets ; que c’est ainsi que les tri
bunaux appliquent journellement les dispositions des ar
ticles 301, 302 et 303 , dans le cas de séparation ; que
la disposition de l’art. 299, loin d’être inconciliable avec
la séparation, n’est que la reproduction, sous une autre
forme, du principe consacré par l’ancienne législation;
que la déchéance des avantages stipulés soit dans le con
trat de mariage, soit pendant le mariage, encourue par
l’époux contre lequel la séparation ou le divorce a été
admis, est la conséquence des torts de l’époux avanta
gé, d’où naît une cause d’indignité qui ne peut être ef
facée par le choix que l’époux a fa it, entre la voie du
divorce et celle de la séparation ; que cette cause doit
produire les mêmes effets dans l’un et l’autre cas, puis
que l’art. 306 déclare que la demande en séparation
peut être formée pour les mêmes faits qui donnent lieu
à la demande en divorce ;
» Que les dispositions de l’art. 1518 ne démontrent
pas moins l’intention du législateur de faire, de la dé•
�.
392
T R A IT É DU DOL
chéance des avantages stipulés entre époux, une consé
quence de la séparation de corps aussi bien que du di
vorce , puisqu’il fait résulter également de l’une et de
l’autre la déchéance du préciput conventionnel ; que
l’assimilation légale de la séparation au divorce, surtout
depuis la loi du 8 mai 1SI 6 , résulte d’ailleurs expres
sément de l’art. 2 de celte loi, qui convertit en instances
en séparation de corps toutes les demandes en instan
ces en divorce alors pendantes devant les tribunaux ;
» Attendu qu’en cet état de la législation , les ques
tions qui peuvent s’élever sur la déchéance des avanta
ges que se sont faits les époux, soit par contrat de ma
riage, soit pendant le mariage, doivent être décidées par
les dispositions contenues au titre du divorce, sans qu’il
y ait lieu de recourir au titre des donations ; que l’ar
ticle 959 qui déclare non révocables pour cause d’in
gratitude les donations en faveur du mariage , ne peut
dès lors, quelle que puisse être Uétendue de ses termes,
être invoqué lorsqu’il s’agit de déterminer l’effet de la
séparation de corps sur les avantages stipulés entre époux.' »
Ainsi , le nouveau législateur n’a voulu innover en
rien sur ce qui était admis par la législation précédente.
Il a seulement renforcé le principe de la déchéance des
avantages matrimoniaux , lorsque de la séparation de
corps il en a transporté l’application au divorce. De là
l’art. 299 qui ne déclare qu’une seule chose, à savoir :
1 Cass., 23 mai 1845; — J . d u P .,1 . 1, 1845, p. 625
�ET DE LA. FRA UDE.
393
qu’en cas de divorce cette déchéance s’opère de plein
droit, sans qu’il soit besoin de la demander. Ainsi fixé,
le sens de l’art. 299 n’autorise nullement à refuser,dans
le cas de séparation, un droit que rien n’est venu pros
crire et qui, préexistant au Code civil, a dû nécessaire
ment se continuer à défaut d’une disposition contraire.
Tout ce qu’on peut conclure , c’est donc que la sépara
tion de corps ne jouit pas d’un privilège exclusif au di
vorce : la déchéance de plein droit. Mais l’époux qui la
demandera doit l'obtenir, parce qu’il ne serait ni moral
ni juste de maintenir le bienfait sur la tête de celui qui
s’en est rendu indigne. Telle est du moins la doctrine
qui s’infère de l’arrêt que nous venons de rapporter.
Cet arrêt rendu par les chambres réunies, après deux
jours de délibération et contrairement aux conclusions
de M. le procureur-général Dupin , nous parait devoir
fixer la jurisprudence. Aura-t-il pour effet de clore la
discussion que la question a fait naître ? C’est ce que
l’avenir nous apprendra. Quoi qu’il en soit, la Cour de
cassation, en réformant sa propre jurisprudence, a don
né un nouvel et éclatant témoignage de sa haute sagesse,
de son mépris pour ce sentiment d’amour-propre qui
fait persévérer dans l’erreur qu’on a pu commettre. De
pareils exemples, venus de si haut, sont toujours bons à
proposer, car ils sont excellents à suivre.
Ainsi, l’adultère motivant la séparation de corps, au
torise la révocation des avantages faits à l’époux convain
cu. Cet effet est commun à l’adultère de la femme et à
celui que le mari a commis dans le domicile conjugal.
�394
TRAITÉ DU DOL
L’effet étant le même , la même peine était une consé
quence inévitable.
840.
— Nous arrivons à l’une des matières les plus
délicates de notre droit : le désaveu de la paternité. L’en
fant conçu pendant le mariage a pour père le mari, ce
lui dont la naissance se rattache au mariage est égale
ment présumé appartenir aux époux. Dans l’un comme
dans l’autre cas, l’enfant a la possession d’enfant légiti
me et jouit en conséquence des avantages et des préro
gatives attachés à cette filiation.
En réalité, cependant, cette filiation peut n’être qu'un
audacieux mensonge, soit qu’abusé indignement, le mari
ait épousé une femme portant dans son sein le triste
fruit de son inconduite ; soit que, infidèle depuis le ma
riage , l’épouse ait rencontré dans des relations illégiti
mes cette maternité qu’elle ne devait demander qu’à son
époux.
Dans ces circonstances, l’introduction de l’enfant dans
la famille légitime est un véritable vol au préjudice de
celle-ci, au préjudice du mari lui-même, auquel on ne
pouvait imposer la paternité sans blesser les plus simples
notions de l’équité et de la justice, sans pousser le res
pect pour la fiction jusqu’à la plus absurde idolâtrie. De
là , la faculté de désaveu dont la consécration dépouille
l’enfant de la femme du nom et de la position que celleci n’a pas craint de lui donner.
La consécration du désaveu est donc le renversement
de la règle Pater isest quem justœ nuptiœ demonstrant.
�ET DE LA FRAUDE.
395
Or, le mari ou ses héritiers ne peuvent arriver à ce ré
sultat qu’en prouvant : ou que l’enfant, qu’on dit issu
du mariage, n’a été conçu que depuis la dissolution ou
avant sa célébration ; ou que , conçu et né pendant le
mariage , il n’a pu avoir pour père le mari. Le désaveu
se rapportera donc nécessairement à l’une de ces hypo
thèses : naissance précoce, naissance tardive , impossi
bilité de cohabitation entre les époux.
841,
— L’appréciation des deux premières amenait
comme conséquence forcée la détermination d’une règle
devant en diriger l’exercice. L’intérêt public est trop in
téressé à la fixation de l’état des familles pour qu’on pût
abandonner au caprice et à l’humeur d’un époux plus
ou moins offensé l’emploi discrétionnaire d’une arme
aussi redoutable, aussi terrible dans ses résultats. Péné
tré de cette idée, le législateur, après de nombreuses et
savantes recherches physiologiques, après avoir interro
gé les sources de la science les plus élevées, les plus pu
res, a arrêté le délai de six mois et de dix mois comme
le terme de la plus courte et de la plus longue gestation.
En conséquence , l’enfant né moins de cent quatrevingt jours depuis la célébration du mariage pourra être
désavoué par le mari. Remarquons les termes de la loi:
pourra être désavoué. Cependant l’enfant ainsi mis au
monde est nécessairement conçu avant le mariage et dès
lors illégitime. Mais l’époque de sa naissance, la faveur
qui résulte du mariage, l’application, même dans ce cas,
de la maxime Pater is e st, etc... . attachent à celte
�396
TRAITÉ DU DOL
naissance une présomption de légitimité suffisante pour
lui assurer la possession d’état d’enfant légitime, tant
que le désaveu n’est pas venu la lui arracher. Ce dés
aveu n’est lui-m êm e qu’une faculté laissée au mari,
dont le silence équivaut à la reconnaissance formelle de
la paternité.
812
.
— Mais le désaveu fondé sur la naissance pré
coce doit nécessairement réussir. Ce n’est plus alors qu’u
ne affaire de date. Si réellement conçu avant mariage,
l’enfant ne peut réclamer le bénéfice de la maxime Pater
n est qui présuppose l’existence du mariage, il ne peut
non plus prouver qu’il est le fils de l’homme qui a épousé sa m ère, car la recherche de la paternité n’est
pas autorisée. Il doit dès lors fatalement succomber sous
la réalisation de l’instance en désaveu.
845.
— Toutefois cette instance n’est pas elle-même
recevable dans tous les cas, et l’enfant qui n’aurait rien
à dire au fond, peut toujours opposer des fins de nonrecevoir à l’admission de la demande. Ces fins de nonrecevoir , pour être utilement invoquées , doivent avoir
pour objet d’établir que le désavouant avait d’abord ac
cepté la paternité. Cet effet, la loi le fait résulter : 1u de
la connaissance de la grossesse avant le mariage ; 2° de
l’assistance et de la signature à l’acte de naissance de
l’enfant.
L’importance que la loi attache à chacune de ces cir
constances n’a pas besoin d’être justifiée. S’il est vrai,
comme le disait un ancien et illustre magistrat, que ce
�ET DE LA FR A U D E.
397
qui décide de la naissance de l’homme, de sa filiation,
n’est pas le degré de certitude , mais le degré de vrai
semblance; s’il est vrai qu’en cette matière l’impossibi
lité de preuves certaines , véritables et authentiques,
force de recourir à des conjectures, à des présomptions,
à des probabilités', pouvait-on en appeler de plus per
tinentes , de plus décisives à l’appui du fait à prouver,
l’aveu de la paternité;
844.
La connaissance de la grossesse de celle
qu’on épouse peut-elle être interprétée autrement que
comme la .preuve qu’on en est soi-même l’auteur? Et
si celte explication se présente d’abord â l’esprit, si elle
est la seule raisonnable, la seule plausible, on ne pou
vait lui refuser les conséquences qui en découlent forcé
ment à l’endroit de la paternité. L*e désaveu qu’en fait
ultérieurement le mari est d’avance frappé d’invraisem
blance , on ne peut plus le considérer que comme une
odieuse, une infâme spéculation, qu’il importait d’arrê
ter dès le début.
On n’épouse pas là femme qu’on sait enceinte des
œuvres d’autrui. Conséquemment, si la connaissance de
la grossesse de la future n’a pas empêché le mariage de
s’accomplir, c’est que le futur s’est formellement recon
nu le seul auteur de cette grossesse e t , par une déduc
tion logique , le père de l’enfant qui doit en naître. Le
bénéfice de cet aveu est dfinitivement acquis à celui-ci,
1 D’Aguesseau, 34e P., t m , p. 120.
o
�398
TRAITÉ DU DOL
et sa légitimité est à l’abri de toute contestation ultéri
eure de la part de son père.
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8 4 5 . — Notre ancienne jurisprudence allait plus
loin encore. Le principal fondement de la maxime Pater
is e st. . . , disaient les docteurs, est la fréquentation lé
gale que le mariage entraîne entre les époux. Donc, si
cette fréquentation a existé de fait avant le mariage, elle
fera présumer la paternité, et cette présomption recevra
du mariage qui a suivi un degré de force , d’évidence,
d’autorité à laquelle il paraît presque impossible de ré
sister1. On admettait donc la preuve de la fréquentation
comme suppléant et faisant présumer celle de la con
naissance de la grossesse.
Le Code civil a repoussé cette doctrine. Le législateur
a compris qu’une fréquentation telle que celle qui naît
des approches du mariage , que les actes de familiarité
qui en sont les conséquences n’excluaient pas l’ignoran
ce d’une grossesse qu’on aurait un vif intérêt à dissi
muler. Il ne s’arrête donc qu’au seul fait significatif ; la
connaissance de la grossesse. Tout ce qui tendrait à faire
présumer cette connaissance , sans l’établir d’une ma
nière directe, serait donc inutile et frustratoire. Au reste,
et comme dans toutes les appréciations de fait, la perti
nence des moyens tendant à établir la connaissance de
la grossesse est souverainement abandonnée à la pru
dence du juge.
1 D’Aguesseau, 34* P., t, m, p.
\W
�ET
DE
LA
FRAUDE.
399
8 4 6 . — L’assistance à l’acte de naissance de l’en
fant est un motif plus puissant encore que la connais
sance de la grossesse, pour refuser au mari la faculté de
le désavouer plus tard. Cette assistance doit résulter de
l’acte même, soit par la signature du mari, soit par la
déclaration qu’il ne sait ou ne peut signer. On ne peut
donc pas équivoquer sur ce que la loi entend par l’as
sistance du mari. C’est un concours actif à l’accomplis
sement des formalités constatant la naissance.
8 4 7 . — Mais il n’est pas nécessaire que l’acte de
naissance auquel le mari a concouru le désigne comme
le père de l’enfant. Il suffît que le nom de la mère et sa
qualité de femme mariée y soient mentionnés. Le père
de l’enfant né d’une femme mariée n’est jamais incon
nu. Il est indiqué par la loi elle-même en la personne
du mari. Dès lors celui qui assiste et signe l’acte de nais
sance de l’enfant de sa femme assiste et signe réellement
l’acte de naissance de son propre enfant. Il en accepte
la paternité et se rend à tout jamais non-recevable à le
désavouer plus tard.
8 4 8 . — Le concours du mari à l’acte de naissance
de l’enfant peut avoir été empêché par une circonstance
fortuite et indépendante de sa volonté. Par exemple, une
absence ou une maladie. Pourra-t-on, dans ce cas, sup
pléer au défaut de comparution devant l’officier de l’état
civil par la preuve que le mari a connu la naissance et
avoué la légitimité de l’enfant ?
�400
T R A IT É
DU
DOL
Proudhon' lient pour l'affirmative et avec juste raison
selon nous. Ce dont la loi se préoccupe dans la conduite
du mari, c’est moins l’acte qui lui est imputé, que l’in
tention que cet acte décèle et comporte. De quelque ma
nière donc que ce soit manifesté l’aveu de la paternité,
il n’en doit pas moins produire tous ses effets.
Supposez, en effet, que le mari se-soit empressé d’an
noncer lui-même à ses parents l’accouchement de sa
femme; ou bien qu’absent de chez lui, il ait répondu à
la nouvelle de l’accouchement par des paroles affectueu
ses pour la mère et pour l’enfant; est-ce que de tels
actes ne sont pas aussi décisifs, aussi énergiques que le
concours à l’acte de naissance ? Autoriser plus lard le
désaveu , serait donc méconnaître l’intention évidente de
ces premières démarches et violer ouvertement l’esprit
de la loi.
Il est de toute équité, en effet, que le désaveu ne soit
reçu que lorsque son auteur n’a, dans aucune circons
tance, manifesté une opinion contraire à celle qui le fait
agir. « Pour que le désaveu du père soit admis, di
saient les orateurs du gouvernement, il faut que le mari
n’ait laissé échapper, soit au moment du mariage, soit
au moment de la naissance de l’enfant, aucun acte, au
cun signe, aucun aveu volontaire exprès ou tacite de sa
paternité. S’il avait toujours cru que l’enfant lui fût étranger, aucun acte ne démentirait une opinion qui, de
puis la naissance de l’enfant, a dû déchirer son àme.
1
De l'étal des person n .,
t . n , p .. 1 4 ,
�ET
DE
LA
401
FRAUDE.
S’il a varié dans cette opinion , il n’est plus recevable à
refuser à l’enfant l’état qu’il ne lui a pas toujours con
testé.' »
Ainsi le fait capital c’est l’aveu de la paternité. Or,
cet aveu peut aussi bien résulter d’actes formels du mari,
de la correspondance que de la connaissance de la gros
sesse, que du concours à l’acte de naissance. Il n’y a donc
aucune distinction à faire dans les effets qu’il doit né
cessairement déterminer.
Vainement objecterait-on qu’aux termes de l’art. 334
du Code civil, l’enfant ne peut être valablement reconnu
que par un acte sous forme authentique. Cet article ne
concerne que les enfants naturels nés hors mariage , et
auxquels il s’agit de donner une filiation que leur acte
de naissance ne leur confère pas. Telle n’est pas la po
sition de l’enfant né moins de cent quatre-vingt jours
après la célébration du mariage. Celui-ci, en effet, a une
filiation certaine, il est réputé appartenir aux deux époux
et présumé légitime tant que l’admission du désaveu ne
sera pas venu lui arracher l’un et l’autre. On ne peut
donc assimiler les moyens à l’aide desquels il prétend
repousser ce désaveu , avec ceux dont l’enfant naturel
peut se prévaloir pour établir sa filiation. Il s’agit, dans
un cas, de conserver une position assurée par la loi ;
dans l’autre , d’acquérir une possession d’enfant. Cette
différence dans les effets justifie surabondamment celle
que nous admettons dans les éléments à consulter.
1 V. Exposé des motifs et Rapport au Tribunal.
U
26
�m
TRAITÉ DU DOL
Ainsi, la connaissance de la grossesse, le concours à
l’acte de naissance, peut être suppléé par des actes d’où
l’on peut inférer une reconnaissance de paternité. La fin
de non-recevoir existant pour les uns existe également
pour les autres, et tout désaveu est désormais impossi
ble. Un intérêt purement privé ne pouvait prévaloir sur
les raisons d’ordre public qui militent en faveur de la
fixité de l’état des familles. Le père peut, sans doute, être trompé ; mais s’il s’est trompé lui-même , s’il a pu
croire un instant à la légitimité de l’enfant, c’est que l’il
légitimité est au moins douteuse, et, dans le doute, c’est
en faveur de l’enfant que la loi a souverainement pro
noncé.
849.
— La non-viabilité de l’enfant rend l’action
en désaveu non-recevable. Il y avait pour l’admettre
ainsi deux motifs décisifs. En premier lieu , l’action en
désaveu a pour effet d’empêcher l’enfant de se mêler à
une famille à laquelle il est étranger et de recueillir des
biens auxquels il n’a aucun droit. L’enfant qui n’est pas
né viable ne compte pas dans la famille. Il est matériel
lement incapable de succéder, sa naissance ne peut donc
jamais occasionner un préjudice à qui que ce soit. Le
désaveu, en cet état, ne serait plus qu’un scandale gra
tuit qu’il était de la dignité du législateur de proscrire.
En second lieu , le défaut de viabilité peut n’être que
la conséquence d’un accident ayant interrompu les rè
gles ordinaires de la gestation et déterminé l’accouche
ment avant son terme naturel. Qu’importe, dans ce cas,
�que cet accouchement se soit réalisé avant le cent qua
tre-vingtième jour. C’est là un événement imprévu dont
la responsabilité n’appartient à personne , car il n’était
donné à personne de le prévoir ou de le prévenir. D’ail
leurs, comment déterminer, d’une manière précise, l’é
poque de la conception, lorsque le défaut de viabilité de
l’enfant n’existe que parce que l’accouchement s’est opéré contrairement aux lois ordinaires de la nature ?
8 5 0 . — Nous avons déjà vu que le terme de la plus
longue gestation a été fixé à dix mois De là, la consé
quence que l’enfant né le dernier jour de ces dix mois
après la dissolution du mariage est présumé avoir pour
père le mari, et qu’il ne peut être désavoué que dans les
formes et aux conditions prescrites pour le désaveu des
enfants conçus et nés pendant le mariage.
Par une conséquence contraire,on aurait dû, ce sem
ble, déclarer de plein droit illégitime l’enfant né plus de
trois cents jours après la dissolution du mariage. Ce
pendant l’art. 315 se borne à dire que sa légitimité
pourra être contestée. Doit on induire de ces termes que,
la contestation se réalisant, l’enfant doit nécessairement,
et par le fait de sa naissance tardive , perdre la qualité
d’enfant légitime , ou bien que les tribunaux ont la fa
culté de repousser la prétention des ayants droit et main
tenir la légitimité de l’enfant par l’appréciation des faits
et circonstances ?
8 5 1 . — C’est dans ce dernier sens que jugeait notre
ancienne jurisprudence. Mais il faut remarquer qu’à
1
m
1st! i
�404
TRAITÉ DU DOL
cette époque la législation n’avait arrêté aucune règle
applicable à cette matière, et que le recours au droit ro
main , si souvent utile , n’offrait, à cet égard , qu’une
ressoure illusoire par les contradictions dans lesquelles
ce droit s’était jeté.
En effet , la loi des Douze Tables était plus explicite
encore que ne l’a été, depuis, notre Code civil. Elle dé
clarait formellement illégitime l’enfant né plus de dix
mois après la dissolution du mariage. Mais un édit d’A
drien avait porté à onze mois le terme de la gestation,
et cela d’après l’avis des médecins, et des philosophes an
ciens : In hoc decreto Adrianus se statuere d ic it, requisitis veterum philosophorum et medicorum sententiis.'
Justinien paraissait avoir condamné cet avis, d’abord
en n’insérant pas dans sa Compilation l’édit d’Adrien,
ensuite en formulant dans le Digeste le principe consa
cré par la loi des Douze Tables5. Mais il paraît plus tard
revenir sur ce principe. En effet, dans la Novelle 39, il
déclare illégitime un enfant né dans le douzième mois
de la dissolution du mariage : Nondum enirn compléta
anno, undecimo mense perfecto peperit, ut non esset
possihile dicere quia de defuncto fuissel parlus ; neque
enirn in tantum tempus conceptionis extensum est. Ce
qui parait indiquer que la solution eût été différente,
si la naissance se fût réalisée avant l’expiration du on
zième mois.
1 Aulugelle, N u its attiques, liv. 3, chap 46
2 L . 3, § H , De suis et legilim is hœ redibus.
�ET
DE
DA
FRAUDE.
405
852.
— À ces incertitudes, puisées dans le droit ro
main, venaient se joindre les incertitudes bien plus gran
des encore de la science. Ainsi, un traité spécial, publié
en 1766 par un docteur régent de la Faculté de Paris,
citait des gestations qui s’étaient naturellement conti
nuées treize, quatorze et même seize mois.
On comprend , dès lors , qu’en l’absence d’une règle
législative, qu’au milieu du doute de la législation pré
cédente , des perplexités que les hommes de l’art affi
chaient , les tribunaux se laissassent aller à une appré
ciation qu’ils croyaient indispensable. Le résultat de cette
conduite avait été celui-ci : tel enfant né dix mois et
quelques jours après la dissolution du mariage était dé
claré illégitime; tandis que tel autre, dont la naissance
avait eu lieu treize, quatorze et même seize mois après
cette dissolution , était reconnu appartenir au mari et,
comme tel, devoir jouir des prérogatives de la légitimité.
855.
— Le Gode civil nous parait avoir voulu mettre
un terme à cette anomalie, en déterminant une règle fi
xe, invariable, applicable à tous les cas et les régissant
tous d’une manière absolue. A ce point de vue, il serait
évident que l’art. 315 a fait cesser le pouvoir d’appré
ciation que les tribunaux exerçaient avant sa promulga
tion. De là cette conséquence qu'aujourd’hui la nais
sance, après plus de trois cents jours du mariage dissous,
imprime à l’enfant le sceau de l’illégitimité. Cette consé
quence peut être injuste dans certains cas ; mais il faut
aussi avouer que ces cas seront on ne peut pas plus ra-
�406
TRAITÉ DU DOL
res ; et qu’en les négligeant, le législateur a obéi à l’un
de ses principaux devoirs : Quod semel aut bis extitit
prœtereunt legislatores.'
Evidemment les termes de l’art. 315 peuvent prêter
au doute , mais ce doute disparaît devant l’explication
qu’en donne le législateur lui-même : « Les naissances
» tardives, dit M. Duveyrier au nom du Tribunat, n’ex» igent aucune disposition conditionnelle. Il est clair
» que la légitimité d’un enfant pourra être contestée,
» s’il naît dans le onzième mois après la dissolution du
» mariage ou , pour mieux dire , au moins trois cents
» jours après le mariage dissout , parce qu’il ne peut
» plus placer dans le mariage ni sa conception, ni, par
» conséquent, la présomption légale de sa légitimité.
» Pourquoi n’est-il pas de droit illégitime et mis au
» nombre des enfants naturels ? Parce que tout intérêt
» particulier ne peut être Combattu que par un intérêt
» contraire. La loi n’est point appelée à réformer ce
» qu’elle ignore; et si l’état de l’enfant n’est point atta» qué, il reste à l’abri du silence que personne n’est in» téressé à rompre. »
8 5 4 . — Ainsi, aux yeux du législateur, l’enfant né
plus de trois cents jours après la dissolution du maria
ge est illégitime , car il ne peut placer sous l’égide du
mariage ni la conception, ni, conséquemment, la pré
somption de sa légitimité. Mais la loi a compris qu’il y
l L. 6, Dig., De legibus; — L. 3, 4 et 5, ibid
�ET DE LA FRAUDE.
407
aurait une rigueur injuste à chasser de la famille celui
que la famille consentirait elle-même à recevoir, parce
qu’elle ne verrait dans l’accouchement tardif de la mère
qu’un événement accidentel sans mélange de fraude. Elle
a donc voulu consacrer un principe dont elle abandon
ne la poursuite à la conscience intéressée des parents.
Elle accepte la décision de ce tribunal et admet la légi
timité, si cette légitimité est acceptée. Mais s i , rompant
le silence , la famille conteste cette légitimité, tout est
d it, les tribunaux n ’ont plus qu’à appliquer la règle
comme le législateur l’a lui-même appliquée dans cer
tains cas.
Ainsi, nous voyons les art. 2218 et 296 permettre à la
veuve de se remarier dix mois après la mort du mari.
Dans l’art. 312, le législateur permet d’accueillir, ordon
ne même de consacrer le désaveu si le mari prouve qu’il
a été , pendant les trois cents jours qui ont précédé la
naissance, dans l’impossibilité physique de cohabiter a vec sa femme ; toutes choses inconciliables avec l’idée de
la légitimité de l’enfant né plus de trois cents jours a près la dissolution. En effet, si la gestation peut se pro
longer au delà de dix mois , la confusion des familles
n’est pas dans le premier cas évitée, le désaveu devient
un mensonge dans le second, puisque l’impossibilité de
cohabitation pendant ces trois cents jours n’est plus un
obstacle à la paternité du mari.
Ajoutons que, dans l’hypothèse de l’art. 312 et sauf
les fins de non-recevoir , le désaveu est la conséquence
forcée de la preuve de l’impossibilité de cohabitation.
�408
TRAITÉ DU DOL
Pourquoi donc l’enfant perdrait-il forcément sa légiti
mité dans ce cas, et ne la perdrait-il pas également dans
celui de la naissance tardive? Est-ce que dans ce der
nier la mort du m a ri, arrivée trois cents jours avant la
naissance, n’établit pas suffisamment celte impossibilité
de cohabitation dont parle l’art. 312? Il est évident,
dès lors, qu’on ne pourrait, sans inconséquence, consi
dérer la règle des trois cents jours comme fatale dans
un cas, tandis qu’elle ne serait que facultative dans l’au
tre.
,
Concluons donc que tout ce que fait l’art. 31 S, c’est
d’abandonner le sort de l’enfant à la volonté, à la cons
cience de la famille. Garde-t-elle le silence, l’enfant con
serve sa légitimité; conleste-t-elle cette légitimité, il n’y
a plus qu’une question de date dont les termes extrêmes
sont, d’une part, l’acte de naissance , de l’autre, l’acte
de dissolution du mariage.
Cette opinion, défendue par des auteurs graves', a été
sanctionnée par'les Cours de Grenoble et d’Aix. Il est
vrai que les arrêts de l’une et de l’autre examinent les
circonstances défait dont il était excipé. Mais cette ap
préciation surabondante n’enlève rien à la solution du
droit qui y est si nettement formulée.1
1 Toullier, tom. n , p. 135; — Duranton, tom. ni, n°s 56 et suiv,;—
Chabot, Svccess . sur l’art. 725; — Proudhon, Cours de droit, tom. n,
p. 28; — Zachariæ, tom. m , p. 633 ; — Dalloz, Ju risp . générale, v°
F ilia tio n , p 55, n° 14.
2 12 avril 1809 ; — 8 janvier 1812.
�ET DE LA FRAUDE.
409
8 5 5 . — L’action en désaveu est, comme nous lç di
rons bientôt, personnelle au père ; celle en contestation
de légitimité appartient à tout ayant droit. Les héritiers
mêmes de la mère , qui ne peuvent jamais exercer la
première, peuvent exercer l’autre. Quelque similitude
qu’il y ait dans les résultats, ces deux actions diffèrent
sur plusieurs points essentiels dont le principal est, sans
contredit, celui qui concerne la paternité. Ainsi, le dés
aveu n’a pas d’autres bases que l’absence de cette pa
ternité , dont l’acceptation par le mari assure la légiti
mité à l’enfant. La contestation de légitimité fait abs
traction de cette paternité ; la reconnaissance du mari
n’éteint pas le droit, car un homme peut donner la fi
liation , mais la légitimité jamais. Ainsi, le père d’un
enfant né dans les cent quatre-vingts jours qui ont sui
vi le mariage peut reconnaître l’enfant comme lui ap
partenant, il peut en être réellement le père, et tout cela
n’empêchera pas que, sur la poursuite de la partie in
téressée , cet enfant ne soit déclaré adultérin , si le mo
ment de sa conception remonte à une époque où ses pa
rents , ou l’un d’eux seulement, engagés dans les liens
d’un précédent mariage, ne pouvaient procréer que des
enfants adultérins. « Ainsi, dit Toullier, inutilement le
mari divorcé reconnaîtrait un enfant né trois cents jours
après la prononciation du divorce et lui prodiguerait les
soins d’un père : ses héritiers, ses parents, les héritiers
mêmes de la mère n’en seraient pas moins recevables
à contester la légitimité de l’enfant, parce que le mari
ne peut, par cette reconnaissance, détruire la présomp-
�410
TRAITÉ DU DOL
tion légale et reporter la conception de l’enfant au temps
du mariage pour lui donner les droits de famille.' »
8 5 6 . — Les naissances précoces ou tardives peuvent
donc devenir le germe de deux actions : l’une , en dés
aveu de la part du père ou de ses héritiers; l’autre , en
contestation de légitimité, de la part de tout ayant droit.
Ces deux actions, indépendantes l’une de l’autre, obéis
sent à des principes différents quoique arrivant à un
résultat à peu près identique. Ajoutons que l’effet du
désaveu est absolu et décisif. L’enfant justement désa
voué perd sa légitimité envers et contre tous. Le juge
ment qui statue sur la contestation de légitimité ne lie
que les parties contendantes, il reste pour tous ceux qui
n’y ont pris aucune part, res inter alios acta.
8 5 7 . — L’enfant conçu et né pendant le mariage
est de plein droit légitime. Energiquement protégé par
la maxime Pater is est, il ne peut perdre cette légitimité
que par le désaveu, lequel n’est lui-même recevable que
dans les cas limitativement prévus par la loi.
L’art. 312 permet le désaveu au mari, s’il prouve que
pendant le temps qui a couru depuis le trois centième
jusqu’au cent quatre-vingt troisième jour avant la nais
sance de l’enfant, il était, soit pour cause d’éloignement,
soit par l’effet de quelque accident, dans l’impossibilité
physique de cohabiter avec sa femme.
�4H
ET DE LA FRAUDE.
8 5 8 . — Nous n’avons nullement à insister sur les
doctrines plus ou moins ingénieuses que la théorie de
l’éloignement a engendrées. Les jurisconsultes anciens,
imités en cela par quelques docteurs modernes , se sont
livrés à des développements que le Code ne comporte
pas ou qu’il ne comporte plus. Tout se réduit désormais
à cette idée unique : a-t-il existé une impossibilité phy
sique de cohabitation ; et celte question de fait est sou
verainement appréciée par le magistrat, soit que l’im
possibilité alléguée résulte d’une absence au delà des
mers ou sur le continent, d’une détention dans une pri
son ou dans un bagne. Il est évident qu’une pareille
appréciation ne saurait reconnaître des limites précises,
ni obéir à des règles absolues. C’est par la nature du
fait, la position des parties et les circonstances spéciales
que chaque espèce devra recevoir la solution qui lui
convient.
8 5 9 . — A côté de l’éloignement et sur une ligne
parallèle, se place l’impossibilité physique résultant d’un
accident survenu à l’époux. Nous retrouvons ici l’im
puissance accidentelle dont nous nous sommes occupés
en traitant de la nullité du mariage. Elle est une cause
de désaveu, tandis que l’impuissance congéniale, même
visible , ne saurait l’autoriser. Nous avons déjà exposé
les motifs de cette différence ; nous nous bornons à nous
en référer à nos précédentes observations.’
»
i Y. T. i, chap. 3, sect. 2, n°» 360 et suiv.
i
. '
'
,'V
�m
TRAITÉ DU DOL
Une maladie grave, à l’époque déterminée par l’arti
cle 312, serait un motif valable de désaveu. En effet, il
ne faut pas que l’impuissance accidentelle se produise
d’une manière permanente et continue. Il suffit qu’elle
ait existé réellement au moment de la conception. Cette
existence peut provenir d’une maladie comme d’une
mutilation. On devrait donc décider dans un cas comme
on déciderait dans l’autre ; toutefois, la nature des cho
ses indique avec quelle prudence devrait ici procéder le
magistrat. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue , c’est
q u e , dans le doute , la faveur due à la légitimité doit
l’emporter.
L’impossibilité physique de cohabitation reconnue et
admise, il y a certitude que le mari n’est pas le père de
l’enfant. Celui-ci se trouve dès lors rejeté dans la classe
des enfants naturels, et privé de tout droit dans la suc
cession du désavouant. De plus , la qualité de femme
mariée, que la mère ne saurait répudier, imprime à sa
naissance le sceau de l’adultérinilé et le réduit, quant à
la succession de celle-ci, au droit d’obtenir des ali
ments.
860.
— On s’est longtemps préoccupé de la ques
tion de savoir si l’impossibilité morale de cohabitation
ne devait pas autoriser le désaveu. Cette question parait
résolue négativement par les art. 312 et 313 du Code.
L’impossibilité morale est une abstraction dont le légis
lateur n’a voulu se préoccuper que dans une circons
tance unique, celle de l’art. 313. C’est ce qui résulte
�ET DE LA FRAUDE.
413
d’ailleurs de l’esprit de la loi et des discussions prépatoires qu’elle a subies.
861.
— Ainsi, on avait proposé au Conseil d’Etat
de considérer comme un motif de désaveu la séparation
des époux , réunie à l’adultère de la femme. Mais cette
proposition , d’abord admise par la section de législa
tion , n’a plus figuré dans le projet définitivement a dopté. “Cette prétérition prouve qu’on a en définitive re
poussé la proposition,et que la séparation de corps lais
se les époux sous l’empire du droit commun à l’endroit
des enfants nés depuis qu’elle a été prononcée. Cela est
profondément regrettable, car la séparation faisant ces
ser la fréquentation légale que le mariage produit, fait
disparaître le principal fondement de la maxime Pater
h est. . . L’adultère survenu dans ces circonstances a joute à l’importance de ce premier effet et crée une forte
présomption contre la paternité du mari. Cependant ce
lui-ci ne pourra pas même être admis à désavouer l’en
fant , si la femme a pris la précaution effrontée de lui
annoncer la naissance, éludant ainsi l’application de
l’art. 313. N’est-ee pas là, s’écrie M. Valette', un ré
sultat déraisonnable ?
862.
— Peut-être que si le législateur de 1804 a vait prévu l’abolition du divorce, la proposition eût-elle
rencontré plus de sympathies. Le divorce, en effet, était
1 Sur Proudhon, t. n , p. 25.
3s?,
�414
TRAITÉ DU DOL
un remède héroïque contre le mal que nous signalons,
puisque, après sa prononciation, la femme, devenantétrangère à son mari , ne peut lui imposer la paternité
des enfants auxquels elle donnerait le jour. Quoi qu’il
en soit, le silence gardé par la loi du 28 mai 1816, lais
se subsister l’effet de la séparation de corps tel que le
Code l’avait admis. La paternité des enfants nés après
est de plein droit imposée au mari. Il ne peut la récuser
que s’il prouve l’impossibilité physique de cohabitation
aux époques fixées par l’art. 312.'
8 6 3 . — Ce qu’on décidait pour le cas de séparation
de corps, on devait le décider pour celui d’adultère. L’a
dultère de la femme n’exclut pas la paternité du mari,
surtout si l’on admet la continuité ou la possibilité de
relations entre lui et sa femme. L’enfant peut aussi bien
être le fruit de ces relations que le résultat du crime de
la mère : Cum possit et ilia (uxorj adultéra esse, et
imputer defunctum patrem habuisse\ Or, ces relations,
la loi les présume dès qu’elles sont physiquement pos
sibles. Elle ne pouvait donc autoriser un désaveu dont
on ne pouvait même établir les fondements d’une ma
nière certaine.
8 6 4 . — Mais si l’adultère est accompagné de l’aveu
tacite de la femme sur ses conséquences, le désaveu de
vient recevable. La loi trouve cet aveu dans le recèle1 Ces conséquences ont été modifiées par la loi du 6 décembre 1880
2 L . 2,S 9, Dig. Ad legem Juliam de adult.
�ET DE LA FRAUDE.
415
ment de la naissance de l’enfant. Ce fait, personnel à la
femme, fournit contre la paternité du mari une prés
omption d’une gravité incontestable. La naissance d’un
enfant est, pour une femme vertueuse, un sujet d’orgueil
et de juste fierté. Cette naissance peut, dans certains cas,
exercer une bienfaisante influence sur le sort des époux,
contribuer à resserrer le lien qui les unit et dissiper les
nuages qui obscurcissaient la vie commune. Dès lors,
la conduite de l’épouse déjà adultère qui, loin de décla
rer la naissance de son enfant, l’entoure d’un profond
mystère, la dérobe au regard de son mari, ne décèlet-elle pas les replis les plus secrets de son cœur ? N’estce pas le cri d’une conscience convaincue et la recon
naissance formelle de l’illégitimité dè l’enfant? N’élèvet-elle pas en un mot, contre celui-ci , un préjugé assez
fort pour balancer la présomption fondée sur le mari
age ? '
865.
— Mais balancer une présomption ce n’est
pas la détruire. Aussi le mari qui a prouvé l’adultère
de sa femme et le recèlement de la naissance de l’en
fant, n’a pas encore rendu le désaveu inévitable. Il y a
probabilité, aveu tacite de la mère, si un autre motif ne
vient pas expliquer sa conduite. Or, en matière de légi
timité , ce n’est pas sur des probabilités , ce n’est pas
même sur les déclarations de la mère qu’on décide du
sort de l’enfant.
i Toullier, tom. n, p. 126, n° 814.
�416
TRAITÉ DU DOL
Jusque-là donc , il y a seulement doute grave qu’il
convient d’approfondir. Le désaveu est recevable. Mais
il ne sera fondé que si le mari complète la démonstra
tion qu’il doit faire de l’illégitimité de l’enfant. Consé
quemment et par une exception aux règles ordinaires,
la loi lui permet d’articuler et de prouver tous les faits
propres à justifier qu’il n’est pas le père de l’enfant.
En dernière analyse, pour que le désaveu d’un en
fant conçu et né pendant le mariage soit recevable , il
faut que la femme convaincue d’adultère, le soit égale
ment d’avoir recélé la naissance; pour qu’il soit fondé,
il faut que le mari prouve qu’il n’est pas le père de l’en
fant, bien entendu qu’il ne s’agit plus ici d’une impos
sibilité physique, comme tout à l’heure. L’impossibilité
morale suffit, et l’on peut la faire résulter de tous faits,
de toutes présomptions de nature à corroborer l’induc
tion tirée de l’adultère et du recèlemenl de la naissance.
866.
— Mais que faut-il entendre par le recélé de
la naissance? Cette naissance est un fait complexe im
pliquant le concours nécessaire de trois caractères : la
conception , la grossesse, l’accouchement. De plus, elle
ne se manifeste que par la déclaration exigée par l’arti
cle 55 du Code civil. Cela étant, l’art. 313 entend-il que
le recélé porte sur l’ensemble de ces circonstances ? En
d’autres termes , faut-il que la femme ait tout à la fois
dissimulé, nous ne dirons pas la conception , l’époque
en est nécessairement inconnue, mais sa grossesse, célé
son accouchement et fait une fausse déclaration ? Suffi-
�417
ET DE LA FRAUDE.
ra-t-il, au contraire, d’une ou de deux de ces circons
tances ? Quelle sera l’importance de chacune d’elles ?
Pour résoudre ces questions, il faut se pénétrer de
l’esprit de l’art. 3 1 3 , tel qu’il résulte des discussions
dont cet article a été l’objet dans le sein du Conseil
d’Etat.
Nous l’avons déjà dit, l’intention du législateur a été
de proscrire le désaveu fondé sur l’impossibilité pure
ment morale. Cependant ce principe a dû fléchir lors
que, comme le disait le consul Cambacérès, il fallait se
rendre à l’évidence des faits et ne pas placer les juges
entre un texte trop rigoureux et le cri de leur cons
cience.
Mais comment arriver à cette évidence , si les prés
omptions les plus décisives ne parvenaient pas à en au
toriser la recherche ? Sans doute l’état des enfants ne
pouvait être abandonné à la déclaration plus ou moins
intéressée , plus ou moins sincère de la mère. Mais ce
qu’une déclaration ne pouvait faire , le mystère dont la
femme s’enveloppe dans une circonstance telle que la
naissance d’un enfant était de nature à l’opérer. « Si
la femme adultère, disait l’orateur du Gouvernement, a
caché à son mari sa grossesse , son accouchement, la
naissance de l’enfant, le sentiment qui lui a dicté ce
mystère et imposé les soins et les embarras qu’il exige,
est d’une telle prépondérance, qu’il serait injuste de ne
pas l’appeler en témoignage sur la question de la véri
table paternité. Une femme , en ce cas , ne dit rien , ne
déclare rien ; au contraire, elle se tait, elle se cache, c’est
n
*
27
�418
TRAITÉ DU DOL
son cœur lui-même qui, malgré elle, développe ses re
plis les plus cachés, c’est sa conscience qui laisse échap
per son plus mystérieux jugement. »
Ainsi, le silence de la femme est l’aveu tacite le plus
énergique de l’illégitimité de l’enfant. Conséquemment,
que ce silence porte sur le fait matériel de la naissance,
sur l’accouchement ou sur la grossesse , il n’existe pas
moins, il n’en doit pas moins produire tous ses effets.
867.
— Cependant, le silence d’abord gardé sur la
grossesse peut être rompu avant l’accouchement, à une
époque plus ou moins rapprochée de celui-ci. La con
naissance qui en résultera pour le mari lui enlèvera-telle la faculté \ de désavouer l’enfant ?
Admettre l’affirmative , c’est rendre la femme arbitre
souveraine du désaveu. Elle pourrait, en effet, le rendre
dans tous les cas irrecevable en décélant sa grossesse
quelques jours avant l’accouchement, après l’avoir dis
simulée pendant longtemps. Un pareil résultat serait une iniquité avec d’autant plus de raison, que la conduite
de la femme peut n’être dictée que par esprit de bravade
et de défi pour placer son mari en dehors des conditions
prescrites par la loi pour l’exercice du droit du désaveu.
Ainsi, le crime lèverait insolemment la tête, et l’enfant,
étranger au m a ri, se verrait assurer , sans retour , un
rang, un titre, un privilège auquel il n’a jamais eu au
cun droit.
Une pareille immoralité ne pouvait entrer dans les
prévisions du législateur. C’est ce que la Cour de cassa
tion vient de décider par son arrêt du 7 janvier 1850.
�ET DE LA FRAUDE.
419
868.
— Le savant rapporteur, M. Mesnard , après
avoir examiné la légalité, présentait à la Cour suprême
les observations suivantes : « Que conclure de tout cela?
Une chose bien simple, c’est qu’il n ’y a rien d’absolu
dans les termes de l’art. 313 ; que tout dépend des cir
constances , et qu’en cette matière une grande latitude
est nécessairement laissée aux tribunaux.. . . En pareil
cas, ce à quoi il faut s’attacher, ce n’est pas à ce que le
mari a pu savoir ou ignorer, c’est à ce que la femme a
voulu cacher. La loi ne prend pas garde à ce qui a pu
venir à la connaissance du mari sur les faits relatifs à
la naissance; elle ne s’occupe que de la conduite et de
la dissimulation de la femme; elle n’exige pas que le
mari ait ignoré la naissance, car il doit la connaître
pour pouvoir désavouer ; elle veut seulement qu’on la
lui ait cachée. Que la femme réussisse complètement ou
non dans son œuvre de mystère , jusqu’à un certain
point, il importe peu. Les tribunaux auront à apprécier
sa conduite; ils auront à vérifier si le secret qu’elle a
fait à son mari des signes ou des preuves de la mater
nité contient ou non cet aveu tacite et spontané que les
auteurs de la loi rattachent au recel de la naissance. »
Sur ces observations, la Cour de cassation a consacré
les solutions suivantes :
« Attendu, en droit, que le législateur, en admettant
que la présomption consacrée par l’art. 312 du Code
civil, après avoir fléchi devant l’impossibilité physique
de cohabitation , pourrait également fléchir devant la
preuve de l’impossibilité morale de celte cohabitation, a
�420
TRAITÉ Dl! DOL
entendu assujettir cette preuve à une condition qui ser
vit de garantie contre les appréciations variables et arbi
traires des tribunaux; que c’est ainsi qu’il a exigé dans
l’art. 313, pour la recevabilité du désaveu fondé sur la
preuve de cette impossibilité morale, que la femme eût
caché au mari la naissance de l’enfant, trouvant dans
ce recel ou cette dissimulation, de la part de la femme,
l’aveu tacite de sa faute et un secret jugement de sa con
science contre la légitimité de l’enfant ;
» Attendu que , devant cette pensée incontestable de
l’art. 313, il est impossible d’admettre que le recel de
la grossesse soit un fait insignifiant et que le recel de
l’accouchement ait été l’objet exclusif de l’attention du
législateur ;
» Attendu que la naissance implique, tout à la fois,
la grossesse et l’accouchement, et que le recel de l’un ou
de l’autre de ces deux faits élémentaires et constitutifs
de la naissance peut devenir , selon les circonstances,
plus ou moins significatif et tenir lieu de cet aveu tacite
que la loi fait résulter du silence de la femme ;
» Attendu qu’en pareil cas, il y a beaucoup moins à
rechercher ce que le mari a pu savoir ou ignorer, que
ce que la femme a voulu lui cacher, puisqu’il s’agit uniquement de déterminer la signification morale et in
tentionnelle du secret dont elle a voulu entourer sa ma
ternité ;
» Attendu que si la femme qui dissimule sa grosses
se à son mari encourt le juste soupçon de la loi, en
commençant ainsi un système de recel, incompatible a-
�ET DE LA FRAUDE.
424
vec le sentiment de ses devoirs, il ne s’ensuit pas toujours
que cette dissimulation doive suffire pour constituer le
recel de la naissance; qu’ainsi les conséquences de cettet
dissimulation peuvent être écartées lorsque la femme,
par une révélation loyale et sincère de son état, faite en
temps opportun au mari, efface les soupçons et les dou
tes qui s’attachaient à son silence; mais qu’il en est au
trement lorsqu’à la place d’une révélation sincère et
spontanée, se produit un aveu intéressé, calculé, déloyal,
et q u i, au lieu d’être une protestation contre le passé,
devient, au contraire, la continuation , la confirmation
du recel de la grossesse et met encore plus à nu la pen
sée coupable qui y a présidé.' »
869.
— Il résulte de cette doctrine que le recel de
la grossesse équivaut, quant au désaveu, au recel de la
naissance. Mais, ainsi qu’on le faisait observer dans l’es
pèce jugée par la Cour de cassation , la grossesse est,
pendant longtemps , pour la plupart des femmes , un
fait incertain et ignoré. Aussi n’admet-on pas qu’il y ait
nécessairement fraude , par cela seul qu’elle n’a pas été
déclarée. La femme sera toujours admise à expliquer, à
justifier les causes de son silence, et sa dissimulation ne
' motivera le désaveu que lorsque les tribunaux seront
convaincus de la déloyauté qui y a présidé. Cette délo
yauté admise dans l’origine, il ne dépendra plus de la
femme d’empêcher le désaveu et de consacrer, au gré de
1 D. P. 1850, 4, 5.
�m
TRAITÉ DU DOL
son caprice, la légitimité de l’enfant dont elle a d’abord
tacitement reconnu l’illégitimité.
8 7 0 . — Les termes de l’art. 313 conduisant à cette
conséquence que l’articulation des faits n’est exigée qu’après la décision affirmative sur l’adultère suivi du recèlem ent, faut-il en conclure que l’action en désaveu ne
sera recevable qu’autant qu’il y aura à cet égard chose
jugée ?
L’affirmative absolue a été soutenue sur le motif que
la loi n’admet la faculté de désavouer qu’en supposant
a priori l’existence de l’adultère et le recèlement de la
naissance. Cette existence est donc la condition indispen
sable de l’action en désaveu ; conséquemment, tant
qu’elle n’est pas acquise, le désaveu n’est pas recevable.
On invoque à l’appui de cette doctrine les paroles de M.
Duveyrier exprimant le voeu du Tribunat : On ne pou
vait refuser au mari, qui a d é jà , prouvé le crime
de sa femme et le mystère dont elle a enveloppé le fruit
de son crime, la faculté d'offrir à la justice les autres
preuves qui peuvent compléter la démonstration.
8 7 1 . — La Cour de cassation a cependant jugé, et
selon nous avec raison , que la recevabilité du désaveu
ne saurait être subordonnée au jugement préalable de
j ’adultère. Mais cet a rrê t, rendu le 8 juillet 1812 , va
plus loin encore, il considère l’adultère comme la con
séquence naturelle du recèlement de la naissance, soit de
l’admission du désaveu. Il consacre donc que la seule
�ET DE LA FRAUDE.
423
chose à prouver par le m a ri, c’est le recèlement de la
naissance.
Cette doctrine nous paraît inconciliable avec le texte
de l’art. 313. Evidemment ce texte clair, précis et formel
ne s’occupe du recèlement de la naissance que dans le
cas d’adultère acquis , ce n ’est qu’alors que cette cir
constance devient significative. En d’autres term es, ce
texte se résume dans celte proposition : pour que le re
cèlement de la naissance signifie que l’enfant est le pro
duit d’un crim e, il faut avant tout qu’on prouve qu’un
crime a existé.
872.
— Cette interprétation découle logiquement
des discussions législatives dont l’art. 313 a été l’objet.
« L’accouchement d’une femme , dit M. Rœderer , et
» l’éducation de son enfant à l’insu de son mari ou loin
» de ses yeux, ne peuvent être une preuve , pas même
» un commencement de preuve que le mari n’est pas
» le père de l’enfant. Un mari violent, qui soupçonnera
» un commerce clandestin entre sa femme et un amant,
» pourra la menacer des plus redoutables traitements,
» si elle devient grosse dans le temps sur lequel porte
» ses soupçons, cependant elle est grosse au moment de
» ces menaces; son mari s’absente pour services pu» blics ou pour affaires particulières , elle , intimidée,
» cache son accouchement, le dérobe à la connaissance
» de son mari, quoique l’enfant puisse être de lui com» me de l’amant, ou de lui seul, la jalousie seule ayant
» vu un amant dans l’homme qui n’était qu’un ami. »
�424
TRAITÉ DU DOL
A cette supposition M. Rœderer en ajoute une se
conde , celle où le mari se croyant trompé , ou sachant
l’être , dirait à sa femme : l’enfant dont tu es enceinte
n ’est pas de m o i, il faut que tu te gardes de le laisser
jamais paraître à .mes yeux ; et, comme on s’armait de
l’autorité de Cochin pour contester une pareille suppo
sition , M. Rœderer répondait par ces paroles de d’A
guesseau : Un père peut très-bien désavouer son propre
enfant, et vouloir venger sur le fils l’affront qu’il a
reçu de la mère.
Ces considérations ont-elles été sans influence sur la
rédaction de l’art. 313 ? Il serait permis de le croire, si
les termes dans lesquels cet article est conçu ne don
naient pas la preuve du contraire ; si, après ces discus
sions, on n’avait pas insisté sur la nécessité de la preu
ve préalable de l’adultère. Nous avons déjà rappelé les
paroles de l’orateur du Tribunat. Voici maintenant cel
les de Rigot de Préameneu , exposant les motifs de la
loi: Comment repousser un mari qui, a y a n t f a i t
d é c l a r e r s a f e m m e a d u l t è r e , rnjant
ignoré qu'elle eût un enfant , verrait après coup , et
peut-être après la mort de sa femme, cet enfant se pré
senter comme étant né de son mariage. '
Ainsi, partout la même explication, la même exigen
ce : l’adultère de la femme suivi du recèlement de la
naissance. Loin donc que ce recèlement implique com
me conséquence la certitude de l’adultère, il faut avouer
qu’aux yeux du législateur cette circonstance tire son
principal caractère de l’adultère même, Celui-ci prouvé,
�ET DE LA FRAUDE.
425
il y a entre le recèlement et lui une liaison intime , di
recte, significative. On peut alors dire avec juste raison:
Post hoc ergo propter hoc. Le recèlement sans la preu
ve de l’adultère n’est plus qu’un fait grave sans doute,
mais qui n ’a pas une signification bien précise. Il peut
tenir à l’une des causes indiquées par M. Rœderer, il
peut encore n’être que le produit d’une coupable affec
tion , q u i, pour ne pas diminuer la fortune des enfants
déjà nés, n’aura pas reculé devant une odieuse suppres
sion de part.
Tout cela peut paraître difficile à admettre , mais il
suffisait d’une probabilité pour que le législateur dût
s’entourer des plus, rassurantes précautions. Or, la pre
mière et la plus simple de toutes, était d’exiger la preu
ve de l’adultère, avant d’assigner celte cause à la pater
nité de l’enfant. Il n’est pas exact de dire que la preuve
de l’adultère peut résulter et résulte même nécessaire
ment du recèlement de la naissance. Cette preuve doit
toujours être produite'. Que la justice soit moins diffi
cile sur les éléments qui doivent la constituer, alors que
le recèlement de la naissance en fournit déjà une prés
omption, cela se comprend, mais proclamer toute autre
preuve inutile en présence de ce recèlement, c’est mé
connaître, à notre avis, le texte et l’esprit de la loi.
873.
— Si nous nous écartons en ce point de l’ar
rêt de la Cour de cassation , nous nous réunissons en-
l Merlin, v° L égitim ité, sect. 2, § 2, n° S ; — Toullier, t. il, n° 812
�426
TRAITÉ DU DOL
tièrement à sa doctrine , quant à l’effet de la constata
tion judiciaire de l’adultère, sur la recevabilité du dés
aveu. En effet, faire dépendre cette recevabilité de la
chose jugée sur l’adultère, serait ne tendre à rien moins
qu’à rendre souvent tout désaveu impossible.
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Le mari peut n’être mis sur la voie de l’adultère que
par la découverte de l’enfant. Son désaveu doit être for
mulé dans les deux mois de cette découverte , à peine
de déchéance. Comment donc pourrait-il échapper à
cette déchéance, s’il est obligé de faire d’abord judici
airement constater l’adultère ? Cette constatation verra
s’écouler les deux mois que la loi lui accorde, de telle
sorte qu’au moment où il lui serait permis d’a g ir, il ne
pourra plus le faire. Ainsi interprétée, la loi serait évi
demment absurde et injuste.
Tout commande donc au mari qui s’y croit fondé
d’introduire l’action en désaveu immédiatement après
la découverte de l’enfant. Cette action intentée, il doit :
ou, comme le veut M. Valette', prouver d’abord l’adul
tère et le recèlement de la naissance, et faire ensuite sta
tuer sur le désaveu ; ou, comme l’enseignent divers ar
rêts, et notamment celui rendu par la Cour de cassation
le 25 janvier 1831, faire marcher de front la preuve de
l’adultère , celle du recèlement et celle des faits propres
à établir qu’il n’est pas le père de l’enfant. Quoique le
mode indiqué par M. Valette nous paraisse plus juridi-
�ET DE LA FRAUDE.
427
que , plus conforme au texte et à l’esprit de l’art. 313,
nous ne voyons dans le second aucun inconvénient de
nature à en commander le rejet.
8 7 4 . — L’action en désaveu est personnelle au ma
ri, de telle sorte que, lui vivant, personne autre n’est re
cevable à rompre le silence qu’il s’imposerait lui-même.
Arbitre suprême de la conduite de sa femme, l’approba
tion même tacite qu’il lui donne met celle-ci à l’abri de
toute attaque : Probatam enim a merito uxorem , et
quiescens matrimonium, nemo débet alius turbare a tque inquietare'. C’est dans ce sens que le droit accordé
au mari ne constitue qu’une simple faculté dont il lui
est toujours loisible de ne pas user. Seul et unique juge
des intérêts, des besoins et de l’honneur de la famille, il
prononce souverainement à l’encontre de tous, il peut
connaître la faute , mais il peut vouloir l’ignorer et la
cacher, à lui donc le droit de punir, le droit de se ven
ger, mais à une condition : c’est de n’être pas privé du
droit de pardonner1 ; le pardon qu’il accorderait assu
rerait la légitimité de l’enfant.
8 7 5 . — Le silence gardé par le mari suppose dans
tous les cas ce pardon. Conséquemment il éteint l’action
que nul ne peut plus intenter à l’avenir , mais , pour
produire cet effet, ce silence doit s’être prolongé au delà
du délai accordé par la loi pour l’exercice du désaveu.
1 L. 26, D ig., A d legem J u lia m de adult.
2 M artin de Strasbourg, Mémoire p o u r l ’affaire H erm ann.
�428
TRAITÉ DU DOL
Tant que ce délai n’est pas expiré , le silence peut être
rompu et, si le mari meurt en cet état, l’action en dés
aveu est au nombre de celles que ses héritiers sont ap
pelés à recueillir et qu’ils ont dès lors qualité pour pour
suivre. C'est ce qui est textuellement édicté par l’art. 317
du Code civil.
La personnalité de l’action ne cesse donc que dans le
cas de mort avant l’épuisement du délai que la loi don
ne au mari pour réaliser le désaveu. Le mari n ’a pas
définitivement pardonné tant qu’il peut encore réclamer;
en cet état, ses héritiers deviennent à leur tour les arbi
tres de l’opportunité d’une action à laquelle ils peuvent
avoir un immense intérêt.
876.
— Les héritiers dont parle l’art. 317 sont aussi
bien les héritiers testamentaires que les héritiers légiti
mes. Les uns et les autres sont également les représen
tants du défunt, jouissant des mêmes prérogatives. Sou
mis aux mêmes •obligations, ils sont donc également ad
missibles à poursuivre le désaveu. Cette faculté n’étant
attachée qu’à la qualité d’héritier, il est certain que ce
lui qui , appelé à la succession , y aurait renoncé , ne
pourrait plus prétendre à l’exercer.
Il résulte encore des termes de l’art. 317 que l’action
en désaveu appartient exclusivement aux héritiers du
mari. En effet la femme, quelqu’intérêt qu’elle eût d’ail
leurs à le faire, ne saurait être admise à désavouer l’en
fant qu’elle aurait elle-même frauduleusement introduit
dans la famille : Nemo auditur lurpitudinem suam al-
�ET DE LA FRAUDE.
429
legans. Ses héritiers ne pourraient donc trouver dans sa
succession une action qui n’a jamais existé. À cette rai
son légale s’ajouterait un motif d’honnêteté publique.
Comment concéder à l’héritier de la femme une faculté
dont l’exercice déshonorerait celle dont il tient ses droits
et ajouterait ainsi le scandale à l’immoralité ?
8 7 7 . — Ainsi les héritiers du mari ont seuls qualité
pour désavouer l’enfant se prétendant issu du mariage
entre sa mère et leur auteur. Ce droit est subordonné à
la mort de celui-ci avant l’expiration des délais pendant
lesquels il peut réaliser lui-même l’action. La mort sur
venue après l’expiration de ces délais a éteint l’action
qui n’a pu ainsi se transmettre aux héritiers. La légiti
mité de l’enfant est donc inattaquable. Tant que le mari
est vivant, nul autre que lui ne peut désavouer l’enfant,
l’action lui étant exclusivement personnelle, puisque seul
il peut en apprécier exactement l’opportunité et la jus
tice.
C’est par application de ce principe qu’on doit résou
dre deux questions fort importantes en matière de dés
aveu. L’héritier présomptif envoyé en possession provi
soire des biens de l’absent, le tuteur du mari interdit,
pourra-t-il désavouer l’enfant qui se prétend issu du
mariage.
8 7 8 . — Merlin , qui ne voit aucun doute possible
sur le droit du tuteur de l’interdit, enseigne également
l'affirmative sur la première question. Le jugement, ditil , qui envoie l’héritier présomptif en possession des
il
Ml
�430
TRAITÉ DU DOL
biens de l’absent, lui en transfère de plein droit l’admi
nistration ; et qu’entendent les art. 120 et 125 par biens?
Ce ne sont pas seulement les objets corporels dont se
compose la fortune de l’absent, ce sont aussi tous les
droits incorporels ; ce sont par conséquent aussi toutes
les actions qu’il pourrait exercer lui-même s’il était pré
sent , e t , par une conséquence ultérieure , c’est aussi
l'action par laquelle, s’il était présent, il pourrait désa
vouer l’enfant conçu par sa femme à une époque où,
par son éloignement, il était dans l’impossibilité physi
que de cohabiter avec elle.
Qu’importe, continue Merlin, que l’envoyé en posses
sion provisoire des biens de l’absent ne soit ni physi
quement le même que l u i , ni son héritier ? L’absence
de cette qualité ne lui enlève aucuns des droits qui y
sont attachés (moins celui d’aliéner ou d’hypothéquer),
comme il en supporte aussi toutes les charges , comme
il est obligé, aux termes de l’art. 134 du Code civil, de
défendre à toutes les actions intentées contre lui. Ce n’est
pas tout, par cela seul qu’il est saisi de la possession de
tous les biens de l’absent, il a nécessairement qualité
pour repousser toutes les prétentions qui tendraient à
l’en dépouiller par une autre voie que celle indiquée
par l’art. 131, c’est-à-dire par la preuve de l’existence
de l’absent.
Répondant à l’argument tiré des art. 312 et 317,
qui ne désignent comme capables de désavouer que le
mari on ses héritiers , Merlin soutient que cela ne peut
s’entendre que de l’enfant né pendant le mariage. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
431
on ne pourrait considérer comme te l, celui qui est né
trois cents jours après la disparition ou les dernières
nouvelles de l’absent, à moins qu’il ne prouvât l’exis
tence du mari au moment de la conception. En effet,
l’absent n’étant, lors de l’envoi en possession provisoi
re, réputé ni mort ni vivant, c’est à ceux qui réclament
des droits sur le fondement de son existence à rappor
ter la preuve de l’une ou de l’autre.'
879.
— Malgré la juste autorité depuis longtemps
acquise au célèbre jurisconsulte dont nous venons d’a
nalyser l’opinion , il nous est impossible d’admettre sa
doctrine dans toute son étendue. A nos yeux , l’envoyé
en possession provisoire n’est qu’un mandataire qui se
ra peut-être définitivement exclu de la succession de
l’absent. Il n’est momentanément appelé que dans la
supposition que celui-ci est réellement mort au moment
de la disparition ou des dernières nouvelles, liais cette
supposition n’est pas consacrée par la loi comme l’ex
pression de la vérité, d’où la conséquence, en vertu du
principe même consacré par M. Merlin , que toutes les
fois que le droit que veut exercer l’envoyé en possession
provisoire suppose la mort réelle de l’absent, il devra
justifier cette mort qui seule lui en rendra l’exercice
possible.
Jusqu’à cette preuve , la qualité de l’envoyé en pos
session provisoire reste problématique et incertaine, on
1 Q u estio n
de d r o it,
v°
L é g itim ité ,
§ 3.
�432
TRAITÉ DU DOL
ne sait pas même s’il sera ou non héritier. Comment,
dès lors, l’autoriser à intenter l’action en désaveu sans
oublier les considérations si puissantes qui ont fait con
centrer cette action sur la tête du mari , tant qu’il est
vivant ? Il est évident, en effet, que l’héritier présomp
tif n’aura pas les mêmes motifs pour agir, dans la pour
suite du désaveu , avec la prudente circonspection que
le mari y apportera. 11 sacrifiera tout à son intérêt du
moment, sans se préoccuper de l’honneur de la femme,
des droits de l’enfant, que le mari, que les héritiers dé
finitivement appelés n’auraient peut-être jamais atta
qués.
Il est vrai, comme le remarque Merlin, que le juge
ment qui aura admis le désaveu ne sera pas obligatoire,
en ce sens que le mari à son retour, que les héritiers à
l’époque de son décès pourront en répudier le bénéfice.
Mais le scandale n’en aura pas moins été p roduit, la
femme et l’enfant n’en resteront pas moins flétris aux
yeux du public , et cela parce qu’un parent avide aura
été momentanément chargé de la gestion de biens aux
quels il doit, en dernier résultat, demeurer étranger.
Il n’a donc pu être dans la pensée de la loi d’armer
le provisoire de la faculté de prendre des mesures ayant
un tel caractère de perpétuité contre les personnes. La
preuve la plus décisive , c’est qu’elle refuse tout ce qui
aurait ce caractère à l’endroit des biens. Elle en confie
l’administration, mais à la charge de faire inventaire,
de donner caution , de rendre compte ; mais elle pro
hibe toute aliénation par vente ou hypothèque; enfin,
�433
ET DE LA FRAUDE.
et quant aux actions actives , elle ne permet pas à l’hé
ritier présomptif d’intenter les actions immobilières et
de transiger sur les actions mobilières , sans en avoir
obtenu préalablement l’autorisation.'
Le véritable caractère d’une pareille administration
est facile à déterminer, c’est un dépôt accompagné d’un
mandat légal. Sans doute, et contrairement à ce qui se
réalise dans l’un et dans l’autre contrat, l’envoyé en
possession provisoire fait sien une partie des fruits des
biens qu’il administre. Mais cette dérogation , d’ailleurs
formellement écrite dans la loi , est toute dans l’intérêt
de l’absent. Qui aurait osé obtenir l’envoi en possession,
si dix ou vingt ans après, l'absent reparaissant, on eût
été obligé de lui restituer avec le capital, la totalité ag
glomérée des revenus consommés année par année et
quelquefois sans trop d’avantages et de profits?
L’héritier présomptif n’a donc en réalité qu’un man
dat salarié et restreint. Il administre les biens qu’il re
çoit en dépôt, en attendant l’événement du décès de l’ab
sent. Il n’est donc pas cet héritier dont parle l’art. 317,
et qui, à la tète de l’hérédité, en dispose à sa libre vo
lonté , sans restrictions et sans contrainte. Celui-ci est,
pour tous les droits afférant au défunt, ce qu’était le dé
funt lui-même. On ne peut donc accorder au premier
une faculté limitativement réservée au second.
Mais, dit Merlin, l’art. 317 ne concerne que l’enfant
1 De Plasman et Moly, Des absents ; — Proudhon et Toullier, même
titre.
u
28
�434
TR A IT É DD DDL
né pendant le mariage ; or, on ne pourrait considérer
comme tel celui qui est né trois cents jours après la dis
parition ou les dernières nouvelles. Merlin a raison. Mais
la question qui nous occupe ne pourra jamais naître à
l’occasion d’un enfant né dans cette dernière hypothèse.
En effet, l’art. 1210 appelle à la possession provisoire
des biens de l’absent l’héritier présomptif au jour de la
disparition ou des dernières nouvelles. Cela posé , de
deux choses l’une : l’acte de naissance de l’enfant place
sa conception à une époque antérieure ou postérieure au
jour de la disparition ou des dernières nouvelles.
Dans le premier cas, l’enfant est le seul héritier pré
somptif pouvant et devant obtenir l’envoi en possession.
Or, comme il est reconnu qu’en cette matière les juge
ments n’acquièrent jamais force de chose jugée contre
les parents plus rapprochés que celui qui les a obtenus,
il suit que , dans notre hypothèse , l’enfant obtiendrait
l’envoi en possession sans être obligé d’attaquer et de
faire rétracter la décision déjà rendue et conférant cette
possession à un parent collatéral. Celui-ci ne pourrait
empêcher ce résultat qu’en désavouant l’enfant. Mais
cette action de sa part suppose le décès du père sur le
quel elle est uniquement fondée. Dès lors il doit, pour
être recevable, prouver ce décès en vertu du principe ad
mis par Merlin, que, lors de l’envoi en possession pro
visoire, l’absent n’étant réputé ni mort ni vivant, c’est à
celui qui réclame un droit sur le fondement de sa mort
ou de son existence à prouver l’une ou l’autre.
Dans le second cas, l’enfant non encore conçu au jour
�E T DE LA. FR A U D E .
435
de la disparition ou des dernières nouvelles, n’était pas
à cette époque l’héritier présomptif. Il ne peut donc pas
obtenir l’envoi en possession provisoire. Le collatéral
qui a requis cet envoi qui lui a été accordé, ou qui le
demande en sa qualité d’héritier présomptif, doit être
préféré à l’enfant, sans qu’il ait besoin de le désavouer."
Celui-ci ne pourrait empêcher cette préférence qu’en
justifiant de l’existence de l’absent au moment de sa
conception; et, comme sa prétention repose uniquement
sur cette existence, il serait dans la nécessité d’en four
nir la preuve préalable, en vertu du principe que nous
rappelions tout à l’heure.
La nécessité pour le collatéral de désavouer l’enfant
ne naîtrait qu’après que cette preuve aurait été fournie.
Mais alors aussi naîtrait pour lui l’obligation de prouver
le décès, puisque c’est par l’événement de celui-ci que
le désaveu deviendrait recevable.
Voilà les conséquences seules vraies, seules logiques,
que la règle invoquée par Merlin puisse et doive entraî
ner. Ainsi appliquée , cette règle concilie parfaitement
les droits de chacun avec le caractère essentiellement per
sonnel de l’action en désaveu. Dès lors tombent les ob
jections que ce jurisconsulte éminent fait contre les con
séquences de cette personnalité , et, avec ces objections
l’opinion qu’elles avaient pour objet défaire prévaloir.
8 8 0 . — L’envoyé en possession provisoire ne peut
[gu Cass., 3 décembre 1834.
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TRAITÉ DU ÛOL
donc pas désavouer l’enfant tant qu’il n’a pas prouvé
la mort de l’absent. Le droit que nous contestons à cet
héritier, nous le refusons également au tuteur de l’inter
dit. La doctrine contraire, admise par Merlin, sans dé
veloppements, sans discussion, nous parait devoir, dans
son principe et dans ses conséquences , conduire à des
résultats véritablement monstrueux.
En effet, reconnaître au tuteur de l’interdit la faculté
de désavouer l’enfant né pendant le mariage de celui-ci,
c’est étendre singulièrement les pouvoirs que la loi lui
confie, c’est méconnaître le véritale caractère de l’action
en désaveu.
Vainement, dit-on, que l’art. 450 investit le tuteur de
la faculté d’exercer tous les droits que le pupille pourrait
exercer lui-même. Cela ne peut s’entendre que des droits
qui peuvent être légalement accomplis par un représen
tant, et qui ne se placent pas dans la catégorie de ceux
que l’interdit pourrait seul exercer. Aussi personne ne
s’avisera de soutenir que le tuteur peut se marier pour
le pupille, tester pour lui, faire une donation, adopter.,
reconnaître un enfant naturel, ni être tuteur ou membre
d’un conseil de famille auquel le pupille serait appelé.
Or, tout cela, celui-ci le pourrait s’il était integri sta
tus. Donc, il ne suffit pas que l’interdit ait le droit de
faire un acte quelconque pour que le tuteur puisse l’ex
ercer en son nom. L’argument tiré de l’art. 450 ne ré
sout donc pas la question , cette disposition ne s’appli
quant, de près ni de loin, aux actes tellement attachés à
la personne, que cette personne est seule capable de les
�ET DE LA ER A UDE.
437
exécuter. Tout ce qui tient à l’état de la famille rentre
nécessairement dans cette catégorie. Or, le désaveu inté
resse essentiellement celle-ci. Donc le pupille peut seul
l’exercer comme il pourrait seul adopter, reconnaître un
enfant naturel, se m arier, poursuivre la séparation de
corps ou le divorce.
Dans ses conséquences, le désaveu de la part du tu
teur amènerait à des résultats quelquefois iniques. Re
marquons d’abord, que la chose jugée contre le tuteur
ou en sa faveur, nuit ou profite au pupille, de telle sorte
que l’enfant déclaré illégitime, sur la poursuite du pre
mier, serait à tout jamais rejeté de la famille. Il ne se
rait donc pas permis au père , revenu à la raison , de
réclamer comme sien l’enfant qui lui appartiendrait ré
ellement, et dont il avouerait la paternité; l’enfant qui,
dans ses moments lucides, avait peut-être été sa joie, sa
consolation, et l’on ne reculerait pas devant une pareille
éventualité ? Et l’on encouragerait ainsi un intérêt sor
dide à se substituer à des droits légitimes en exploitant
avec habileté le mystère de la naissance de l’enfant, ren
du plus impénétrable par l’infirmité du père? Ainsi,
cette infirmité même sera un péril pour l’enfant, car il
ne pourra interroger des souvenirs et des impressions
q u i, s’ils se fussent produits , auraient été pour lui la
plus utile défense.
Ce serait donc contrairement à la justice, à l’équité, à
l’intérêt même de l’interdit qu’on confierait à son tu
teur le droit de désavouer l’enfant. Le père pourrait voir,
malgré sa volonté, son propre fils injustement dépouillé
�438
T R A IT É
DU
DOL
de son droit, sa fortune passer à un avide collatéral, son
honneur compromis , celui de sa femme perdu et tout
cela lorsque la loi lui confie la mission de pouvoir se
taire, le droit sacré de pardonner, lorsque seul il est en
état d’apprécier non seulement la convenance et l’op
portunité, mais encore la portée morale du désaveu.
Nous n’hésitons pas, quant à nous, à refuser cette ac
tion au tuteur ; nous ne pensons pas qu’on puisse sub
stituer à la juste appréciation du mari une appréciation
manquant de bases et souvent trop intéressée. La raison
légale qui nous détermine et qui vient à l’appui des
considérations morales qui précèdent, c’est que l’action
en désaveu est une faculté plutôt qu’un véritable droit,
et que si le tuteur peut faire valoir ceux-ci, il n’a au
cune qualité en présence d’une faculté exclusivement at
tachée à la personne du pupille.'.
8 8 1 . — Cette doctrine n ’a pas cependant prévalu
devant la Cour de cassation. Un arrêt de la Cour de Col
m ar, la consacrant, a été cassé le 24 juillet 1844.1
Nous avons mûrement examiné les motifs de la Cour de
cassation et, nous osons le dire, ils ne nous paraissent
pas de nature à infirmer les hautes et puissantes consi
dérations sur lesquelles la Cour de Colmar étayait sa
décision.
8 8 2 . — Ce qui semble préoccuper la Cour suprê1 Colmar, 21 janvier 1841 ; — Zacchariæ, t. ni, p. 645.
2 Journal du palais, t. n, 1844, p. 365.
�ET D E
LA FRAUDE.
439
me, c’est la disparition de la preuve dans le temps que
dure l’interdiction. C’est là , sans doute , un inconvé
nient qu’il faut bien subir , s i , en définitive, la loi ne
permet pas de l’éviter. Or, cette prohibition résulte de la
nature de l'action qui n’a été donnée au mari lui-mê
me qu’à regret; elle résulte de la force des choses, si la
position seule du mari ne lui permet pas d’agir avant
la levée de l’interdiction. Cet inconvénient a d’ailleurs
excité l’attention du législateur , c’est M. de Malleville
qui nous l’enseigne1 ; et s i , l’ayant aperçu , il n’a rien
fait pour y remédier, c’est évidemment qu’il ne l’a pas
jugé suffisant pour autoriser une exception à la néces
sité de rendre l’action personnelle au mari. Admettre
cette exception, c’est donc aller au delà de sa volonté.
De quel poids d’ailleurs peut paraître cet inconvé
nient, à côté de ceux bien autrement graves qu’il y au
rait à conférer l’action en désaveu à un tiers étranger
aux détails intimes de la vie de famille ? « L’époux seul,
dit la Cour de Colmar, peut faire connaître au juge la
pensée qui lui est propre , les graves et impérieux mo
tifs (motifs qui ne peuvent être qu’exclusivement per
sonnels) du juste ressentiment qui a déterminé son ac
tion ; de même aussi que c’est à lui seul que peuvent
s’adresser utilement et fructueusement, de la part de
l’épouse et de l’enfant, des appels à ses souvenirs, à sa
mémoire, à sa conscience, aussi bien qu’à des affections
ou des sentiments qui n’abandonnent jamais entièrei A nalyse (lu Code civil, art. 216.
�440
TRAITÉ DU DOL
ment le mari qui se croit outragé, alors encore qu’il sol
licite les sévérités de la justice; appels qui, s’ils étaient
entendus , mettraient à l’instant un terme à une lutte
toujours douloureuse, tandis que, adressés à un tiers étranger à la vie intime des époux, à l’intérieur de la fa
mille, guidé souvent par des influences qui peuvent ne
pas être désintéressées , ils ne sauraient produire aucun
résultat, celui-ci ne pouvant pas même y répondre. »
Ainsi, la femme sera fatalement déshonorée , l’enfant
sera inévitablement adultérin, parce qu’ils n’auront pu
faire un appel à la mémoire, au souvenir, â la conscien
ce de leur époux et père; parce qu’au lieu d’un contra
dicteur pouvant reconnaître son erreur ou recourir à
l’indulgence, la loi leur aura donné pour adversaire un
tiers qui ne pourrait, alors qu’il serait porté à le vou
loir, reconnaître l’exactitude, la sincérité des faits au té
moignage desquels ils en appelleront ; et c’est à cela
qu’aboutiront, en définitive , les précautions dont la loi
a cru devoir entourer l’exercice de l’action par le mari
lui-même ? Nous ne saurions l’admettre.
Mais, dit la Cour de cassation, l’action n’est pas ex
clusivement personnelle au mari , puisque ses héritiers
pourront l’exercer. Mais , pour qu’il en fût a in si, il a
fallu que l’art. 317 s’en expliquât formellement, ce qui
prouve la personnalité de l’action , puisque, si elle n’a
vait pas eu ce caractère , le droit des héritiers n’aurait
pas eu besoin d’être inscrit dans la loi d’une manière
spéciale. Les principes généraux suffisaient. Nul ne con
testera jamais la faculté pour l’héritier d’exercer les ac
tions appartenant à son auteur.
�ET DE LÀ FRAUDE.
441
L’art. 317 conduit donc à cette conséquence que le
principe général était sans application au désaveu, et,
par là , à la reconnaissance formelle de la personnalité
de l’action. C’est par une pure exception à cette per
sonnalité que ce même article confère, dans certains cas,
aux héritiers l’exercice de cette action, et ce caractère ex
ceptionnel de celte disposition suffit pour qu’on la res
treigne dans ses limites naturelles. La loi , n’appelant
que les héritiers , refuse , par cela même , celte faculté
aux représentants du mari autres que ces héritiers euxmêmes. Loin donc de voir dans l’art. 317 la preuve que
le tuteur a le droit de désavouer, on doit y voir le refus
formel en ce qui le concerne r Qui dicil de uno, de al
téra negat.
Nous ne pouvons donc pas considérer l’arrêt du 24
juillet comme le dernier mol de la Cour de cassation.
La Cour de Colmar avait, elle aussi, débuté par recon
naître le droit du tuteur qu’elle avait sanctionné par ar
rêt du 17 février 1832. Mais elle est depuis revenue de
celte jurisprudence. La Cour de cassation suivra-t-elle
cet exemple? C’est une question qu’il n’appartient qu’à
ses propres lumières et sa haute indépendance de ré
soudre.
885.
— I,es fins de non-recevoir que l’enfant pour
rait opposer au mari sont opposables aux héritiers. Ain
si, l’aveu de la paternité, la connaissance de la grosses
se avant le mariage , l’assistance à l'acte de naissance,
ferait repousser l’action des héritiers comme celle du
�'
^ '
442
«‘
\ ^ y, y? ]
TRAITÉ DU DOL
mari lui-même. Bien entendu que tous ces faits , que
la connaissance de la naissance de l’enfant ne sauraient
utilement être invoqués que si on pouvait les attribuer
au père. Tout ce qui ne ferait qu’indiquer implicitement
la paternité, notamment la connaissance de la grossesse,
celle de la naissance, qu’on imputerait à l’héritier, serait
complètement indifférent.
8 8 4 . — Mais il en serait autrement des circonstan
ces personnellement imputables à celui-ci, et d’où résul
terait de sa part la reconnaissance de la qualité d’enfant
légitime. Cette reconnaissance créerait une fin de nonrecevoir contre tout désaveu ultérieur. C’est dans ce sens
que la Cour de Montpellier a repoussé l’action de colla
téraux qui, ayant concouru à un conseil de famille as
semblé dans l’intérêt de l’enfant, avaient ensuite voulu
le désavouer.'
8 8 5 . — L’action en désaveu par le père doit être in
tentée dans le mois de la naissance , s’il est présent sur
les lieux ; dans les deux mois du retour, s’il était absent
lors de l’accouchement. Par l’absence , la loi entend ici
la non présence du mari sur les lieux, quel qu’en ait été
le motif, tout comme le retour, faisant courir le délai de
deux mois, est la rentrée du mari aux lieux habités par
la femme et non pas la réintégration du territoire de la
France après un séjour en pays étranger.’
i 4 février 1824.
3 Paris, 9 avril 1831.
i■
�ET DE LA FRAUDE.
443
C’est aussi un délai de deux mois qu’on accorde au
mari dans le cas de recèlement de la naissance, et ce dé
lai ne commence à courir que du jour de la découverte
de la naissance frauduleuse et de l’existence de l’enfant.
La détermination de ce point de départ n’est que la
juste conséquence de la règle Contra non valentem a gere, non currit prescriptio. Quelque faveur que mé
rite la fixité de l’état de famille, on ne pouvait consacrer
en faveur de l’enfant la faculté de prescrire contre le
mari un droit dont celui-ci ne pouvait même soupçon
ner l’existence. Il était facile de prévoir que dans tous
les cas on s’arrangerait de manière à ce qu’il ne le con
nût qu’après l’époque où il aurait pu l’exercer; et c’est
ce qu’il importait de prévenir.
De là celte autre circonstance , que l’interdiction du
mari le plaçant dans une impossibilité légale d’agir, le
délai de deux mois ne commencera à courir contre lui
qu’à partir du jour de la levée de l’interdiction.
8 8 6 . — La mort du mari avant l’expiration du dé
lai qui lui est accordé confère à ses héritiers le droit de
désavouer l’enfant. Ces héritiers ne jouissent pas seule
ment du temps qui restait à courir lors de la mort de
leur auteur ; ils ont un délai qui leur est propre et per
sonnel, et dont la durée est de deux mois.
8 8 7 . — Mais le point de départ de ce délai varie
selon qu’à la mort du mari l’enfant a pris ou non pos
session de l’hérédité. Dans le premier cas, les héritiers,
�■
444
TRAITÉ DU DOL
empêchés d’user de leur d ro it, sont en demeure de le
faire valoir immédiatement. Les deux mois courent donc
du jour de la mise en possession.
Ils courent du jour de la réclamation de l’enfant, si
les héritiers en possession de l’hérédité sont troublés
dans cette possession par cette réclamation. Le silence
qu’ils ont gardé jusqu’à ce moment peut n ’être que le
résultat de l’ignorance de l’existence de l’enfant, dont ils
ne sont d’ailleurs jamais tenus de provoquer l’action.
Mais le trouble se réalisant, et l’enfant ayant manifesté
ses prétentions , le silence n’est plus permis. Il y a inté
rêt et dès lors devoir à agir. La méconnaissance de ce
devoir pendant plus de deux mois rend non recevable
toute action ultérieure.
Notons que par trouble à la possession, la loi entend
non une prétention verbale plus ou moins publiquement
affichée, mais tout acte sérieux par lequel l’enfant, sans
réaliser encore son action , annonce l’intention formelle
de l’intenter. Ainsi, le délai de deux mois aurait un point
de départ incontestable non seulement dans l’assignation
donnée à la requête de l’enfant afin de restitution de
l’hérédité , mais encore dans l’acte extrajudiciaire par
lequel il signifie qu’il va se pourvoir.1
888.
— Les exigences de la loi relativement au dé
lai sont pleinement satisfaites, lorsque, dans la durée de
1 Cjss., 21 mai 1817 , et 31 décembre 1834 ; — Orléans , 6 février
d818 ; — Agen, 28 mai 1821.
�ET DE LA FRAUDE.
445
celui qui leur est imparti , le mari ou ses héritiers ont
notifié le désaveu par acte extrajudiciaire. Mais, aux
termes de l’art. 518, cet acte doit être suivi, à peine de
nullité et de déchéance , d’une action en justice intentée
dans le mois de sa date. L’omission de cette formalité
assurerait la légitimité de l’enfant et rendrait le désaveu
comme non avenu. Toutefois, le délai accordé par l’arti
cle 518 ne peut jamais restreindre celui accordé par les
articles précédents. Il n’est, à proprement parler, qu’un
délai supplémentaire. Conséquemment, son expiration
n’entraîne réellement la déchéance que si elle coïncide
avec celle des délais prescrits par les art. 516 et 517.
Tant que ceux-ci ne sont pas écoulés, le désaveu peut être porté en justice malgré qu’il ait été annoncé par un
acte extrajudiciaire signifié depuis plus d’un mois.*
889.
— L’enfant est le défendeur principal au dés
aveu ; c’est donc contre lui que l’action doit être inten
tée et poursuivie. D’autre p a r t, la mère est aussi une
partie essentielle sans la présence de laquelle il serait
impossible de poursuivre le désaveu. Seule, elle pourra
fournir tous les renseignements tendant à fixer l’appré
ciation des magistrats. Elle doit donc être appelée dans
l’instance , oh elle a d’ailleurs un intérêt précieux à dé
fendre, celui de sa réputation, de son honneur. La mè
re, agissant en son nom personnel, n’a pas qualité pour
1 Cass., 5 avril 1837; — Rouen, 8 août 1841 ; — J. du P., tom.
1
�446
TRAITÉ DU DOL
représenter l’enfant, auquel, s’il est mineur, il est donné
un tuteur spécial. C’est au poursuivant qu’incombe la
charge de faire procéder à la désignation de ce tuteur.
8 9 0 . — La naissance d’un enfant peut devenir une
occasion de fraude contre l’enfant lui-même. C’est ce
qui se réalise dans la suppression ou la substitution de
part. Elle peut n’avoir rien de réel et couvrir une odieu
se spéculation. Telle est la fraude résultant d’une sup
position de part.
8 9 1 . — L’art. 545 du Code pénal considère chacun
de ces faits comme un crime et le punit d’une peine af
flictive et infamante. La peine est donc la même, mais
il y a, dans les caractères constitutifs du crime, une dif
férence qu’il importe de noter par rapport aux époux.
Ainsi la substitution d’un enfant peut être opérée, à
l’insu des parents , par des tiers avides et intéressés ; la
suppression de part se réalisera rarement sans la partici
pation du père ou de la mère ; la supposition implique
forcément cette participation. Celle-ci renferme de plus
la suppression d’état de l’enfant que Ton enlève à sa fa
mille pour l’introduire dans celle qui lui est étrangère.
8 9 2 . — L’enfant, à qui l’un de ces crimes a fait
perdre sa véritable filiation, est admissible à redemander
l’état qu’on a tenté de lui enlever. Son action, à cet ef
fet, était certes éminemment favorable. Cependant sa re
cevabilité a été subordonnée à l’existence d’une preuve
littérale, ou tout au moins d’un commencement de preu-
�ET DE LA FRAUDE.
447
ve par écrit. La crainte d’encourager les spéculations sur
le scandale de pareils procès a déterminé l’adoption de
cette règle rigoureuse.
895.
— À côté du principe sur le commencement
de preuve, le législateur a posé la mesure dans laquelle
il entendait le restreindre. Ainsi, ce commencement de
preuve ne peut résulter que des registres ou papiers du
père ou de la mère ; des actes publics ou privés émanés
d’une partie engagée dans la contestation, ou qui y au
rait intérêt, si elle était vivante. Les magistrats ne sau
raient donc chercher ailleurs les éléments du commen
cement de preuve. Mais ils ont nn pouvoir discrétion
naire pour apprécier si le document invoqué appartient
réellement à l’une des catégories indiquées par la loi.
Ainsi, on a pu juger qu’un simple acte par lequel un
mari s’oblige à payer une somme à un enfant, peut être
regardé comme un commencement de preuve par écrit.'
Les énonciations de l’acte de naissance de l’enfant peu
vent aussi être offertes comme remplissant cet objet.
Mais, à cet égard," la jurisprudence a toujours procédé
avec beaucoup de réserve et de circonspection.5
Au reste, la disposition de l’art. 323 n’est qu’une dé
rogation au principe de l’art. 1348, dérogation comman
dée par un pressant besoin social, mais dont le législa
teur ne s’est nullement dissimulé l’extrême rigueur.
1 Paris, 10 mars 1810.
2 Dalloz jeune, D iction, général, v° F ilia tio n , n°M 82 et suiv.
�448
TRAITÉ DU DOL
N’est-il pas, en effet, exorbitant d’exiger d’un enfant, à
qui on a volé son état, la preuve écrite du crime dont
il est victime. Il convient donc , dans la pratique , de
concilier la rigueur du droit avec l’intérêt qui naît de
cette considération, et de mitiger autant que possible la
sévérité de la règle. C’est dans ce but que la loi a per
mis d’admettre la preuve orale, même eu l’absence d’un
commencement de preuve par écrit, lorsque les présomp
tions et indices résultant des faits dès lors constants sont
assez graves pour l’autoriser. C’est au tribunal investi
qu’appartient le droit d’apprécier souverainement la gra
vité de ces indices et présomptions.
8 9 4 . — L’action en suppression ou en substitution
de part est personnelle à l’enfant. Celle en supposition
peut être intentée par les parents et par les tiers qui y ont
intérêt : De partu supposito soli accusant parentes aut
hi ad quos ea res pertinent'. L’économie de nos lois n’a
rien qui répugne à celle règle, confirmée par la consé
cration constante de cette maxime : Que l’intérêt est la
mesure de l’action.
8 9 5 . — La réserve faite en faveur des parents ou des
tiers a d’ailleurs une autre signification. Malgré que le
fait soit un crime aux yeux de la loi pénale, elle exclut
la poursuite d’office de la part du ministère public. Ain
si, en l’absence de réclamation de la part des parties in-
1 L. 40, S 'I Dig., De lege Cornelia de falsis.
�ET DE LA FRAUDE.
449
léressées, la supposition de part, même prouvée, ne sau
rait devenir la matière d’une poursuite criminelle. Vai
nement a-t-on fait remarquer que cette doctrine assu
rait l’impunité du coupable, puisque les parents n’ay
ant qualité qu’au moment où s’ouvre la succession
que l’enfant supposé est appelé à recueillir, l’action pu
blique se trouvait nécessairement éteinte par la mort de
l’auteur de la supposition. La Cour de cassation n’en a
pas moins été inébranlable dans un principe clairement
écrit dans le droit romain, et qui s’induit forcément du
texte de l’art. 327.
Au reste, quant aux parents eux-mêmes, ce reproche
est loin de pouvoir être appliqué dans toutes les hypo
thèses. Il suppose en effet que l’auteur de la supposi
tion est celui dont la succession est ouverte, tandis qu’il
peut se faire qu’il soit resté étranger à cette supposi
tion , malgré qu’elle n’ait été! réalisée qu’en vue de sa
succession. Il est certain que, dans cette dernière hypo
thèse , les coupables pourraient être encore atteints par
la justice , mais cela se réalisera bien plus facilement
par rapport aux tiers. Une personne se marie après a voir donné tous ses biens ; désireuse de faire rétracter
cette donation, et, n’ayant point d’enfant de son maria
ge, elle suppose qu’il lui en est né un qu’elle fait ins
crire comme sien et poursuit ultérieurement la révoca
tion de la donation. Mais le donataire prouve la suppo
sition. Le jugement qui la consacre permettra au mi
nistère public d’agir dans l’intérêt de la vindicte publi
que et d’atteindre le coupable,
n
29
�450
TRAITÉ DU DOI.
8 9 6 . — L’action des parents ou des tiers intéressés
est régie, quant à la preuve, par la disposition de l’arti
cle 323. Leur demande n’est donc recevable que s’ils
rapportent soit la preuve littérale de la supposition, soit
un commencement de preuve par écrit. Ils ne peuvent
pas se- prétendre plus étrangers à la supposition que
l’enfant à la suppression ou à la substitution, ils ne sau
raient donc trouver mauvais qu’on les soumette à des
exigences que l’enfant doit lui-même subir.
8 9 7 . — La prohibition de toute poursuite d’office,
de la part du ministère public , s’applique au cas de
suppression ou de substitution, comme à celui de la sup
position. Dans tous les c a s, les tribunaux criminels ne
peuvent être directement saisis, même par les person
nes intéressées , tant que la justice ordinaire n’a point
prononcé sur l’existence du fait. Le motif de cette dis
position est facile à saisir ; en matière criminelle , la
preuve testimoniale est de droit commun , et ceux qui
n’auraient pu satisfaire aux prescriptions de l’art. 323
n’auraient pas manqué de recourir à la juridiction cri
minelle. Permettre cette voie , c’était donc autoriser la
violation de l’art. 323, en ce qui concerne le commen
cement de preuve par écrit; de là, l’attribution exclusi
ve de compétence en faveur des tribunaux ordinaires,
consacrée par l’art. 327. Toutefois l’incompétence de la
justice criminelle n’est que temporaire , elle ne doit
donc pas se désinvestir d’une manière absolue , il suffit
qu’elle surseoit à statuer jusqu’après la décision des
�ET DE LA FRAUDE.
451
tribunaux civils devant lesquels elle doit renvoyer les
parties.
898.
— Ajoutons que l’action de l’enfant peut avoir
pour résultat de lui donner non seulement une filiation,
mais encore la qualité de fils légitime ; ainsi , s’il prou
ve qu’il est né d’une femme mariée , la maxime Pater
i s e s t . . . . lui assigne en même temps pour père le
mari ; cependant il est loisible à celui-ci , et sans qu’il
doive recourir au désaveu , de soutenir qu’il n’est pas
le père, et de demander à le prouver. La preuve peut,
aux termes de l’articles 325 , être faite par tous les
moyens propres à établir le fait qu’elle a pour objet de
justifier.
s
F raudes
III.
à la dissolution
du
M ariage.
Ili
i
SOMMAIRE.
899.
900.
901.
Fraudes que la dissolution du mariage peut faire naître.
Caractère du divertissement et du recèle d’objets mobiliers.
Différence entre l ’un et l’autre et l ’omission de déclaration
à l ’inventaire.
902. Tentative de l'un ou de l’autre. — Caractère.
Il
�903.
Dans tous les ca s, le juge est appréciateur souverain des
faits constitutifs.
904. Effets du recèle ou du divertissement.
905. Effet spécial contre la femme.
900 Peut-on appliquer la peine du recélé. si les effets détournés
depuis avaient été portés dans l’inventaire ?
907 Autre effet spécial contre la femme.
90S. La poursuite de ce doublé effet appartient exclusivement
au mari ou à ses héritiers.
909. La découverte du divertissement ou du recélé donne le droit
à la femme ou à ses héritiers de faire rétracter la rcuon. ciation qu’ils avaient faite à la communauté.
910. L’époux ayant encouru la peine du recélé perdrait-il le
droit qu’il aurait sur les effets recélés comme donataire
de son conjoint ?
911. Le divertissement ou recélé, qui ne peut être correctionnel
lement .poursuivi contre l ’époux , peut l’être contre le
complice.
899.
— La dissolution du mariage , soit par le dé
cès d’un des époux, soit par leur séparation, amène for
cément la liquidation de leurs droits respectifs et le par
tage de la communauté. Alors aussi peut naître chez l’un
d’eux la pensée de s’avantager au détriment de l’autre.
L’exécution de ce dessein constitue une fraude punissa
ble, c’est à ce titre que la loi s’est occupée du détourne
ment et du recélé des effets de la communauté.
L’un et l’autre constituent un véritable vol faisant, en
droit commun, encourir à leur auteur une peine corpo
relle ; mais des considérations puissantes ne permet
taient pas qu’il en fût ainsi pour l’époux convaincu. La
décence publique, disait le tribun Duveyrier, .le souve-
�ET DE LA FRAUDE.
453
nir du lien auguste qui vient de se rompre ou la dignité
du mariage q u i, quelquefois , subsiste encore, ne per
mettaient pas d’apporter ici ni l’idée, ni le nom, ni la
poursuite d’un délit.
Conséquemment, et pour l’un des époux , divertir ou
recéler les effets de la communauté, c’est commettre une
simple fraude. Quels en sont les caractères constitutifs,
qu’elle est la peine qu’on doit lui appliquer? C’est ce
que nous allons exposer.
9QO. — H y a divertissement des effets communs,
lorsque directement ou indirectement l’époux a dissipé
ou consommé une portion quelconque de l’actif de la
communauté ; il y a recélé, lorsque sciemment on a omis de les faire porter à l’inventaire ou qu’on les a fait
disparaître du domicile dans lequel ils devaient se trou
ver.
Dans l’un et l’autre cas , la condition essentielle c’est
l’intention de frauder le conjoint de la part lui revenant.
Ainsi le fait matériel ne constitue pas à lui seul la fraude
punissable, celle-ci n ’existe qu’autant que ce fait est dic
té par la mauvaise foi et par une volonté arrêtée de pro
fiter exclusivement des effets détournés et recélés. La
preuve de cette double circonstance est donc indispensa
ble pour obtenir la réparation prescrite par la loi.
9 0 5 . — Toutefois, et au point de vue de la mora
lité de l’action, il existe une notable différence entre la
simple omission à l’inventaire et les autres caractères
constitutifs du divertissement ou du recélé. L’époux qui
�454
TRAITÉ DU DOL
omet peut avoir agi de très-bonne foi et même dans
J’ignorance la plus complète de l’existence des objets sur
lesquels porte l’omission. Mais cette bonne foi et cette
ignorance sont plus difficiles à supposer et à admettre
chez celui qui a dissipé, consommé ou enlevé les effets
qu’on réclame de lui, Des actes de ce genre ne peuvent
raisonnablement, alors surtout que leur auteur connaît
l ’origine des effets, comporter d’autre idée que celle d’u
ne fraude au préjudice du conjoint ou de ses héritiers.
Quoi qu’il en soit , l’intention frauduleuse doit être
prouvée , seule elle imprime à l’acte le degré de gravité
indispensable pour sa répression.*
C'est ce que la Cour d’Agen jugeait le 6 janvier 1851,
en décidant que pour qu’il y ait lieu à déclarer , après
la dissolution de la communauté , la veuve commune
malgré sa renonciation, il faut que les faits révèlent u ne intention frauduleuse dans le détournement; que la
preuve en soit bien établie; qu’ils soient enfin person
nels à la veuve, ou du moins qu’ils renferment les ca
ractères de la complicité criminelle.
« Attendu , dit l’a rrê t, qu’il s’agit dans la cause de
rechercher si la dame veuve Muret s’est rendue coupa
ble de détournements ou de soustractions au préjudice
de la communauté stipulée dans son contrat de maria
ge , et, par suite, au préjudice des créanciers de la fail
lite de son mari ;
�ET DE LA FRAUDE.
455
» Attendu que des faits de ce genre s’élevant à la gra
vité d’un d élit, et devant entraîner des conséquences
assorties à cette gravité, il importe de reconnaître en
principe que pour qu’il y ait lieu à l’application de la
peine prononcée par l’art. 1460 du Code Napoléon , il
est nécessaire que les faits allégués révèlent une inten
tion frauduleuse ; que la preuve en soit bien établie ;
que ces faits soient personnels à la veuve Murat , et
qu’on ne puisse du moins lui imputer les faits d’autrui
qu’autant qu’elle y aurait prêté une participation ou une assistance offrant les caractères de la complicité ;
» Qu’il faut même décider q u e , dans le cas où, re
lativement à certains objets, il existerait quelques motifs
de croire à une pensée première de détournement ou de
latitation, la peine portée par la loi ne serait pas encou
rue si ces objets avaient été spontanément remis ou dé
clarés avant toute poursuite.' »
9 0 2 . — De là il résulte que le divertissement ou le
recélé perdant le caractère de délit, dans ses conséquen
ces à l’endroit des époux , conserve ce caractère dans
ses conditions constitutives. C’est la culpabilité de l’acte
et non la matérialité à laquelle il faut s’arrêter. Dès lors
on a pu très-juridiquement juger que l’époux qui, après
la dissolution de la communauté, a fait volontairement
des déclarations desquelles il est résulté qu’il présentait
comme lui étant propres des biens qui devaient être
�456
T R A ITÉ DU DOL
compris dans la communauté, peut être déclaré coupa
ble de recel ' ; et que la tentative de divertissement, lors
qu’elle n’a manqué son effet que par des circonstances
fortuites et indépendantes de la volonté de son auteur,
suffit pour emporter la déchéance.’
La tentative de détournement ou de recélé est donc
punissable comme le fait lui-même , mais à la condi
tion que, persistant dans le projet conçu, l’auteur n’ait
vu ce projet échouer que par un fait indépendant de sa
volonté. Si l’abandon du projet était volontaire, si mê
me après avoir consommé le détournement, l’époux a vait spontanément, et avant toute poursuite, restitué ce
qu’il a enlevé ou offert d’en tenir compte à la commu
nauté , la peine prononcée par l’art. 1477 deviendrait
inapplicable, et il en serait à plus forte raison ainsi pour
l’héritier qui restituerait librement les objets que son au
teur aurait détourné de la communauté.3
9 0 5 . — Au reste , pour le divertissement comme
pour le recélé, les tribunaux sont les arbitres souverains
des faits pouvant les constituer4. La culpabilité de l’é
poux poursuivi est donc laissée à leur consciencieuse ap
préciation, il suffit d’ailleurs que l’acte reproché ait été
1 Bordeaux, 5 janvier 1826 , et 18 janvier 1838 ; — J . d u P ., 1840,
t. 2, p. 553.
2 Bordeaux, 18 janvier 1838, loco c ila to ; — Paris, 22 juin 1828.
3 Paris, 5 août 1839 ; — J. du P ., 1839, t. 1, p. 485; — Cass., 18
décembre 1835.
4 Cass., 12 août 1828, et 18 janvier 1834-
�ET DE LA FRAUDE.
457
commis sciemment, qu’il doive entraîner pour résultat
une lésion pour le conjoint, un avantage pour son au
teur. C’est ainsi que la Cour de cassation a vu le recélé
prohibé dans la vente simulée faite par le mari d’effets
mobiliers de la communauté dans le but de se les ap
proprier.'
Le divertissement puni par la loi existe malgré que
le fait dont il résulte ait été accompli pendant le maria
ge et avant sa dissolution. Ce principe , admis en doc
trine, a été consacré par la jurisprudence. Il ne pouvait
en être autrement. C’est surtout durant le mariage que
les époux auront la facilité de se livrer à des actes qui
leur paraissent une garantie contre l’éventualité d’une
dissolution qui déterminera un partage avec les ayants
droit.
D’ailleurs , quelle que soit l’intention qui détermine
pendant le mariage le détournement d’effets communs,
le silence gardé à ce sujet à la dissolution consomme la
fraude et constitue le recel que la loi place avec raison
sur la même ligne que le détournement.
Donc, l’époque de celui-ci est fort indifférente. Qu’il
ait été commis avant ou après la dissolution du maria
ge, l’effet est le même pour l’époux lésé ou ses héritiers,"
si, persistant dans la voie où il s’est engagé , l’autre époux a,depuis, gardé le silence sur l’existence des effets
qu’il s’est ainsi approprié.
�I'I,I
458
T R A IT É
DU
DOL
Àiijsi, dans l’exemple cité par M. Troplong, une fem
me est assez portée à faire, pendant le mariage, des ré
serves qu’elle tient secrètes. Mais cette conduite peut
n ’être que l’effet d’une sage prévoyance, et ces épargnes
qu’elle réalise à l’insu du mari, elle en fera jouir le mé
nage, les jours difficiles arrivant.
La dissolution du mariage va mettre à nu l’intention
qui a présidé à ces réserves ; et il est évident que si elle
continue à les tenir secrètes, si elle ne les restitue pas à
la masse des biens communs, la veuve se rend coupable
d’une fraude et encourt la peine prononcée par la loi.1
La Cour de Rennes était donc dans le vrai lorsque, le
6 février 1862 , elle jugeait que la veuve q u i, à l’insu
de son m a ri, a placé sous son nom de fille entre les
mains d’un tiers une somme d’argent provenant d’éco
nomies faites dans son ménage, se rend coupable de recélé si, au décès de son mari lors de l’inventaire et du
partage, elle garde sur cette créance un silence absolu.”
Dans cette espèce , la veuve soutenait d’abord que le
recélé ne pouvait exister lorsque les détournements avaient eu lieu, avant la dissolution du mariage; en se
cond lieu , qu’à la mort de son mari la créance avait
disparu puisque pendant la durée du mariage elle avait
été obligée de la vèlidre et l’avait en effet vendue à un
tiers, et que le prix avait été affecté aux besoins du mé
nage.
i Troplong, D u c o n t. de m ariage, n°s 1683 et suiv
P ., 63, 2, 61.
a D.
■
�ET DE LA. FRAUDE.
459
Le premier moyen ne pouvait être accueilli. Comme
nous'venons de le dire, ce qui constitue lerecélé punis
sable c’est non seulement le détournement qui le prépa
re, mais encore, mais surtout le silence gardé au moment
de l’inventaire et du partage qui le consomme. Quel se
rait en effet le préjudice qui résulterait du premier si
le second ne se réalisait pas ? C’est donc celui-ci qui est
en réalité le fait nuisible, et il sera toujours postérieur
à la dissolution.
Le second moyen aurait pu et dû être pris en consi
dération , mais à la condition qu’il serait prouvé et ac
quis que le prix de la cession avait été appliqué aux
besoins du ménage et lui avait réellement profité.
Or loin de l’admettre ainsi , la Cour de Rennes exa
minant les circonstances de la cause et la position des
parties, en induisait que tout excluait l’idée de celte ap
plication ; et que rien ne tendait à rendre vraisemblable
que les sommes que la femme avait reçues du cession
naire à l’insu de son mari n’eussent pas été employées
par elle seule et à son profit personnel, et ne fussent pas
en sa possession au moment du décès de son mari.
Rien ne pouvait donc excuser le silence qu’on repro
chait à la veuve, et qui devait en droit entraîner forcé
ment les conséquences consacrées par la Cour de Ren
nes.
Lorsque le fait antérieur à la dissolution du mariage,
et dont on veut faire résulter le recélé, est reproché au
m a ri, il y a plus de difficultés. Le mari en effet est le
chef de la communauté, et il peut dans de certaines
�460
TRAITÉ JDU DOL
limites disposer des effets qui eu constituent l’actif ;
les vendre, aliéner, et même les donner dans certains
cas.
Il faut donc avant tout examiner si l’acte qu’on lui
reproche constitue un acte de disposition n’excédant pas
les pouvoirs dont il est revêtu ou même l’exercice abu
sif de ces pouvoirs ; et on ne peut le déclarer coupable
de recélé que s’il est établi que cet acte avait pour objet
de dépouiller frauduleusement la communauté des va
leurs qui en dépendent.
Les ventes simulées peuvent-elles offrir ce dernier ca
ractère e t , par conséquent, faire encourir au mari la
peine du recélé ?
La Cour de Paris s’était prononcée pour l’affirmative,
le 14 janvier 1831. Devant la Cour de cassation , et à
l’appui du pourvoi dont cet arrêt avait été frappé , on
disait : la peine prononcée par l’art. 1477 ne peut s’en
tendre que du cas où l’un des époux aurait voulu ca
cher l’existence de certains objets dépendant de la com
munauté , au cas où il existerait une soustraction oc
culte et un véritable délit; au cas enfin où l’époux se
serait rendu coupable d’un vol ; or il est impossible de
voir ces caractères dans une disposition patente que
son auteur a faite aux yeux de tous, dans des ventes
que, dans l’espèce, le sieur Germond s’était empressé de
faire connaître à l’époque de l’inventaire; sur lesquelles
il a par conséquent répandu la plus grande publicité et
provoqué l’attention et les critiques des intéressés. Si de
semblables ventes paraissent simulées, les tribunaux doi-
�ET DE LA FRAUDE.
461
vent sans doute les annuler, mais ces ventes frauduleu
ses constituent seulement un abus de pouvoir de la part
du m a ri, et cet abus de pouvoir ne peut évidemment
être assimilé à la soustraction manuelle qu’un époux
ferait de certains objets de la communauté. À l’appui du
sens prêté aux mots divertissement , rec e l, on invo
quait les définitions qu’en donnent dans leur Traité de
la communauté, Lebrun, p. 463, nu 18, et Pothier, n°
688. D’après ces auteurs, le divertissement ou le recel
n’existerait que lorsqu’un des époux a cherché à déro
ber aux héritiers du prédécédé la connaissance de quel
ques effets corporels ou de quelques litres de la com
munauté ; on ajoutait que le Code Napoléon l’avait ainsi
entendu, ce que l’on induisait des art. 792,801 et 1460
où les mots divertissement et recel se trouvent em
ployés comme dans l’art. 1477.
Toutes ces considérations vinrent échouer devant la
constatation en fait de l’intention qui avait présidé aux
ventes. En effet la Cour suprême , par arrêt du 5 avril
1832, rejette le pourvoi : Attendu que la Cour de Paris
ne se borne pas à déclarer que les ventes des deux ac
tions du journal Le constitutionnel étaient simulées;
qu’elle ajoute que par ces ventes Gsrmond a voulu s’ap
proprier des effets de la communauté , sur lesquels il
n'avait qu'un droit proportionnel , en simulant de$
ventes au préjudice de sa petite-fille et du sieur Ga
rât; que dès lors elle n’a vu et n’a pu voir dans ces
ventes des actes d’administration , mais des aliénations
�462
■ Il
lip
i
4W
K S iii
TRAITÉ DU DOL
qui, hors de l’intérêt de la communauté, tendaient à la
dépouiller.1
Un arrêt de la Cour de Paris, du 7 août 1858, dé
clare coupable de recélé le mari qui , ayant acheté et
payé des immeubles pendant que la communauté exis
tait, tente de les détourner à son profit en donnant aux
paiements une date postérieure à sa dissolution; qu’en
conséquence il doit être privé de toute participation à la
propriété des immeubles qui doivent être exclusivement
attribués aux héritiers de la femme.3
Ce qui est vrai dans l’hypothèse d’une postdate dans
le paiement d’immeubles achetés pendant la durée du
mariage , pourrait être admis dans le cas de détourne
ment du prix d’une vente d’immeubles de la commu
nauté opérée avant la dissolution de celle-ci.
Ainsi la Cour de Paris avait déclaré qu’en cas de
vente d’immeubles ,de la communauté, faite par le mari
à l’un de ses enfants, à une époque voisine du décès de
sa femme , et moyennant un prix qui n’a pas été re
trouvé après ce décès , sans qu’il soit justifié d’aucune
perte ni emploi quelconque, la disparition de cette som
me a dû être considérée comme constituant, de la part
du mari et de son enfant, un recel ou détournement au
préjudice de la communauté, et donner lieu contre eux
à l’application des art. 792 et 1477 du Code Napoléon.
Cette espèce offre cette particularité q u e , devant le
1 D. P., 32, t , 160,
2 D. P ., 58, 2, \ 88.
�ET DE LA FRAUDE.
463
tribunal et devant la Cour , les adversaires du mari et
de l’enfant concluaient au principal à la nullité de la
vente comme constituant une donation déguisée; ce n’é
tait que subsidiairement qu’ils soutenaient que le prix
en avait été détourné à leur préjudice.
Comme de raison, le mari et l’enfant soutenaient que
la vente était sincère et sérieuse, et c’est ce que décident
successivement le tribunal et la Cour.
Mais déclarés coupables de recel , le mari et l’enfant
se pourvoient en cassation, et à l’appui de leur préten
tion ils soutiennent, contrairement à ce qu’ils avaient
fait jusque là, que ce que la Cour de Paris avait quali
fié de détournement du prix, n’était qu’une donation
déguisée simplement réductible.
Le pourvoi avait été admis par la Chambre des re
quêtes. Mais par arrêt du 27 novembre 1861, la Cham
bre civile le rejette sur les conclusions conformes de M.
de Raynal :
« Attendu que la Cour dans l’arrêt attaqué a d’abord
reconnu, par l’appréciation des faits de la cause, que la
vente de l’immeuble dont il s’a g it, faite à Billiolte fils
par ses père et mère le 14 septembre 1857, ne présente
pas les caractères d’une donation déguisée , et qu’elle
devait être considérée comme sérieuse et licite , en tant
qu’elle avait pour objet d’assurer à Billiotte fils la trans
mission, moyennant un juste prix d’un conquet de leur
communauté ; qu’elle a ensuite établi que les sommes
de 10,000 fr. et de 21,000 fr. prix de cette vente, non
plus qu’une somme de 325 fr. payée par Billiotte fils à
�\
464
TRAITÉ DU DOL
' |
Billiotte père pour loyer, la veille de la mort de sa mè
re , ne se sont pas retrouvées après ce décès ; que dans
cet état des faits, la Cour de Paris a considéré la dispa
rition de ces sommes comme tendant à établir un di
vertissement concerté entre Billiotte père et Billiotte fils
..................; que de la combinaison de ces faits dont il
lui appartenait de rechercher et d’admettre la preuve,
la Cour impériale de Paris a pu tirer la conséquence que
les sommes dont il s’agit avaient été diverties au préju
dice de la communauté et de la succession, et par suite
appliquer à ce divertissement les dispositions des articles
792 et 1477 du Code Napoléon.1 »
En réalité donc l’existence du recélé puni par la loi
est laissée à l’arbitrage souverain des deux degrés de ju
ridiction. Seulement les magistrats ne doivent pas ou
blier combien sa qualité donne au mari de facilités pour
frauder soit la femme soit ses héritiers. Ils doivent donc
apporter dans cette appréciation une certaine sévérité, et
veiller ainsi à l’intérêt qui n’a pu utilement se défendre
et se protéger lui-même.
904.
— Les effets du divertissement ou du recélé
des biens communs sont réglés par les art. 1460 et 1477
du Code civil. La femme, comme le mari, perd la por
tion qui lui serait obvenue dans les effets divertis et recélés. Ces effets, restitués à la communauté , n’entrent
plus en partage, quelque considérables qu’ils soient, ils
1 D. P., 62, 4, 74.
1
�ET DE LA FRAUDE.
sont intégralement dévolus à celui des époux auquel on
a voulu les soustraire. Ainsi , dit M. Dalloz , l’époux
coupable ne partagera pas la valeur des effets contenus
dans un riche portefeuille qu’il aurait recélé , et même
les acquêts dont il aurait voulu dérober la connaissance
en soustrayant les titres. C’e s t, on le voit, la peine du
talion dans toute son énergie.
905.
— La peine de l’art. 1477 s’applique au mari
et à la femme indifféremment. En ce qui concerne celleci , le détournement produit d’autres effets non moins
importants; ainsi , aux termes de l’art. 1460, elle doit
être déclarée commune nonobstant sa renonciation.
La femme perd donc par le recélé l'option qui lui est
laissée d’accepter ou de renoncer à la communauté. En
recélant, elle a fait acte d’immixtion qui fixe désormais
sa position et la rend déchue de la faculté de renoncer.
Il résulterait de là cette conséquence que le recélé prévu
par l’art. 1460 est celui qui se réalise avant la renon
ciation.
Donc , si la femme avait d’abord renoncé et qu’elle
se fût plus tard emparée de quelques effets de la com
munauté , on ne pourrait la faire déclarer commune.
Cette doctrine puisée dans le droit romain avait été con
sacrée par notre ancienne jurisprudence. Nous pensons
avec Toullier1 qu’on doit la suivre encore. En effet, après la renonciation de la femme, il n’y a plus de com-
f
�466
TRAITÉ DU DOL
munauté, l’actif porté à l’inventaire est devenu le patri
moine du mari ou de ses héritiers. Les soustractions
dont cet actif est l’objet constituent donc des vols contre
le mari, contre ses héritiers, dont la réparation ne pou
vait être poursuivie, en droit romain , que par l’action
rerum amotarum ; qui donneraient aujourd’hui ouver
ture à une poursuite criminelle , si les considérations
que nous avons rappelées, si l’art. 380 du Code pénal
permettaient autre chose qu’une action civile en domma
ges-intérêts.
906.
— L’époux encourrait-il la peine du recélé,
si les effets détournés avaient été compris dans l’inven
taire ? L’affirmative enseignée par Toullier ne nous pa
raît pas admissible. Evidemment, ce que la loi a voulu
prévenir et réprimer ce sont les soustractions réalisées
à l’insu des intéressés, et qui rencontrent dans cette igno
rance même des chances de réussite. Or les effets inven
toriés sont par cela même connus de tous, de telle sorte
que chacun se trouve en position d’en demander comp
te. La disposition que fait l’un des copartageants , de
quelques-uns de ces effets, est donc plutôt une attribu
tion anticipée qu’une véritable soustraction. Les cohé
ritiers ont d’ailleurs le moyen de prévenir tout préjudice
soit en les faisant rapporter à la masse, soit en les im
putant sur la portion de celui qui s’en est emparé , et
cette faculté , faisant disparaître toute possibilité d’un
dommage quelconque , enlève à la fraude son caractère
essentiel. En effet, il n’y a fraude que s’il y a un préju-
�ET DE LA FRAUDE.
467
dice; on ne saurait dès lors appliquer ni l’art. 1460, ni
l’art. 1477.'
907.
— Indépendamment de la faculté de renon
cer, le recélé fait perdre à la femme le bénéfice que lui
confère l’art. 1483 de n’être tenue des dettes que jus
qu’à concurrence de son émolument. En effet, une des
conditions essentielles de ce privilège , c’est qu’il ait été
rédigé un bon et fidèle inventaire. L’existence avérée
d’un détournement ou d’un recélé est exclusif de toute
idée d’accomplissement de celte condition. La perte du
privilège est donc la juste conséquence de cet état des
choses.
Ainsi, pour les époux indifféremment, avoir diverti ou
recélé les effets de la communauté , c’est avoir perdu
tout droit au partage de ces effets. Cette conséquence est
absolue. L’offre que l’époux poursuivi ferait de tenir
compte à la communauté de la valeur de ces effets, ou
même de les restituer en nature, ne pourrait suspendre
ni empêcher l’effet de la peine qu’il a encourue.”
908.
— Pour la femme spécialement, le recélé a
pour résultat de la priver du droit de renoncer , de la
faire déclarer commune , et de plus tenue ultra vires
des dettes de la communauté. Jfiais cette peine est toute
dans l’intérêt soit du mari ou de ses héritiers , soit des
créanciers ; dès lors la faculté de la faire prononcer leur
1 Paris, 5 nivôse an xin.
2 Colmar, 6 avril 1813; — Sirey, 15, 2, 66.
�—
. i.
468
TRAITÉ DU DOL
appartient exclusivement; ils peuvent se borner à pour
suivre la restitution des effets détournés ou de leurvaleur, le mari ou ses héritiers surtout pouvant être inté
ressés au maintien de la renonciation réalisée après le
recélé.
909.
— De leur côté, la femme ou ses héritiers qui,
trompés sur la consistance de l’actif, auraient renoncé
à la-communauté, peuvent, après la découverte des sou
stractions opérées par le mari , se faire relever de leur
renonciation. La renonciation n’aurait été, dans ce cas,
que le résultat de l’erreur ; et cette erreur n’étant impu
table qu’à la fraude du mari , le consentement donné
par la femme ou par ses héritiers se trouverait vicié dans
son essence et insuffisant pour créer un lien obligatoire
quelconque. On ne pourrait le décider autrement sans
admettre que le mari pût se faire un titre de sa propre
turpitude.
D’ailleurs la fraude , comme le d o l, fait exception à
tous les principes; la renonciation , qu’elle aurait seule
déterminée , ne saurait être valable. Il y a entre elle et
l’acceptation dont parle l’art. 783 du Code civil une analogie frappante, on devrait donc appliquer à l’une la
règle tracée pour l’autre.
910.
— Une question controversée en jurispruden
ce est celle de savoir si l’époux survivant qui a fraudu
leusement détourné des effets dépendant de la commu
nauté est privé non seulement de la part qui lui appar-
�ET DE LA FRA UDE.
469
tiendrait dans ces effets, en sa qualité de commun en
biens , mais encore de celle à laquelle il aurait droit
comme donataire de son conjoint, soit par institution
contractuelle, soit par donation entre vifs ou par testa
ment ?
Sous l’empire de notre ancien droit, la jurispruden
ce avait consacré l’affirmative. Toullier cite notamment
un arrêt du 15 mai 1656, jugeant : que, quand le sur
vivant, qui a commis le recélé ou le détournement, est
donataire en usufruit de la part du prédécédé, il doit être privé de cet usufruit dans les choses recelées. Toul
lier ajoute que cet arrêt est conforme au principe. En
effet, le droit romain assimilait le légataire à l’héritier
et le privait de tous droits aux choses recélées.'
Doit-il en être de même depuis la promulgation du
Code civil ? La raison de douter se tire de ces termes de
l’art. 1477 : Est privé c l e s a p o r t i o n dans lesdits effets. D’où l’on tire la conséquence que la dispo
sition générale ne porte que sur la portion afférente à
celui qui a commis le recélé ; que , par cela même , on
ne peut l’étendre au droit donné ou légué sur la portion
du prédécédé; que ce droit, résultant non de la loi mais
de la volonté du donateur ou testateur, n’est subordon
né à aucune condition ; qu’il est dès lors indépendant
du fait du recélé à l’égard duquel on ne peut qu’appli
quer limitativement , et non étendre la peine prononcée
par la loi.
\
1 L. 48, Dig.
A d sen . con s. T re b e llia n u m .
�470
TRAITÉ DU DOL
Il est facile de répondre à ces considérations. L’époux
commun en biens, qui se trouve en même temps dona
taire ou légataire d’une quote-part de l’hérédité, ne peut
isoler ces deux qualités dans les fraudes qu’il lui plait de
tenter. Lors donc qu’il recèle, il le fait : comme époux,
contre la communauté; comme donataire ou légataire,
contre la succession. Il est évident , en effet, qu’en di
minuant l’actif de la communauté, il amoindrit la suc
cession. On ne fait donc qu’un acte d’équité et de justice
en lui appliquant : comme époux, l’art. 1477 ; comme
légataire ou donataire, l’art. 792.
Il est vrai que celui-ci ne parle que des héritiers,
mais ce terme comprend évidemment le mari donataire
ou légataire d’une quote-part , comme tout autre léga
taire universel ou à titre universel. Qu’on ne voie pas
un héritier dans le légataire d’un corps certain ou d’u
ne somme déterminé, cela se comprend ; mais le léga
taire , dont la part se règle sur la consistance de l’actif
de la succession, est un véritable héritier, il en a les obligations comme les droits.
Cela est surtout vrai à l’égard du conjoint survivant.
L’esprit de l’art. 792 le démontre d’une manière victo
rieuse. Cet article ne parle que des héritiers , parce que
ceux-ci, ayant en général le maniement de l’hérédité,
sont par leur position à même de vouloir en dérober une part quelconque et en position de faire réussir la
fraude. Cette position n’est-elle pas celle de l’époux sur
vivant ? n’est-il pas à la tête de la communauté au mo
ment d elà dissolution du mariage? ne l’administrera-
�ET DE LA FRAUDE.
471
t-il pas au moins un moment ? Il est dès lors évident
que les fraudes exécutées par lui contre ses cohéritiers
doivent avoir les mêmes conséquences que celles dont
ceux-ci pourraient se rendre coupables à son encontre.
D’ailleurs le recélé tenté dans ces circonstances ne
manque pas d’affecter les ayants droit, soit comme com
munistes , soit comme cohéritiers. Le préjudice les at
teignant de ces deux côtés , il est juste que la répara
tion leur soit accordée à ce double titre. Si c’est là de la
sévérité, il faut avouer qu’elle est très-bien placée, puis
que l’époux qui voudra s’y soustraire n’aura qu’à rester
fidèle aux lois de là probité et de la délicatesse.
Il faut se garder d’encourager les recélés qu’on a tant
de facilité à commettre. Or la punition ne serait pas suf
fisante pour les prévenir, si le coupable pouvait, à un
titre quelconque, participer comme propriétaire ou usu
fruitier aux choses qu’il a voulu soustraire. C’est dans
ce sens que parait devoir se fixer la jurisprudence.'
911.
— Le détournement commis par l’époux ne
pouvant constituer un délit, il en résulte qu’on ne sau
rait en poursuivre la répression devant la juridiction
correctionnelle ou criminelle. Le juge civil est seul com
pétent pour l’apprécier et pour prononcer soit sur la res-
1 Pour : Cass., 5 avril 1831 : 16 janvier 1834; 10 décembre 1885;
— Paris , 28 juin 1828 ; — Bordeaux , 18 janvier 1838; — Bourges,
lOfévrier 1840 ; — Biom, 6 août 1840 ; — ,7. du P ., 1840, t. u , p.
553 et 612 ; 1841 , 1 . 1, p. 303 ; — Paris , 7 août 1858 ; 26 mars 1862 ;
— D. P., 58, 2, 188; 62, 2, 198. = Contre : Colmar, 29 mai 1823;
— Poitiers, 30 novembre 1830.
�472
TRAITÉ DU DOL
tilution, soit sur les dommages-intérêts. Il en résulte
encore que l’allocation de ces dommages-intérêts ne
saurait entraîner la contrainte par corps.
Mais il n’en est pas de même pour les complices. Ce
lui qui aurait assisté l’époux dans les détournements,
ou recélé les effets soustraits , serait passible de la peine
du vol. Il pourrait donc être criminellement poursuivi
et condamné non seulement aux dommages-intérêts,
mais encore à une peine corporelle, sauf cependant les
exceptions prévues par l’art. 380 du Code pénal.
s
SECTION II.
Fraude daa>® les Partages
S O M M Al R E.
912.
913.
914.
L’égalité entre les copartageants est la règle absolue de
tout partage. — Nature des atteintes que celte règle
peut recevoir.
La lésion accidentelle n ’est une cause de rescision que si
elle est du quart.
Caractère de celle exigence de la loi.
�ET
DE LA. FRAUDE.
473
Elle reçoit exception lorsque la lésion est le résultât de In
fraude.
Ou lorsque la lésion coïncide avec le prélèvement de la
quotité disponible.
L’action en lésion se prescrit par dix ans.
Point de départ de cette prescription pour le; partages or
dinaires.
919.
11 ne commence à courir, dans le partage de présuccession,
que du jour du décès de l ’ascendant.
Système contraire.
Système conforme.
Appréciation.
Arrêt remarquable de la Cour d’Aix.
Arrêt conforme de la Cour de cassation.
Effets du divertissement d ’objets mobiliers par les coparta
geants.
926.
927.
Position du recéleur dans le partage deees objets.
Le divertissement ou le recelé exclut la bonne foi. — Son
caractère.
928.
L ’absence d ’une de ces conditions fait disparaître la fraude
' et ses conséquences.
Tempérament à apporter à cette règle.
Dans quels cas la détention d’effets portés à l'inventaire
pourrait-elle constituer le recélé punissable.
L ’indication spontanée d ’une valeur de la succession par
l ’héritier qui la détient n’est, pas le recélé, à moins que
cette indication n ’ait pas été faite en temps utile.
Le recélé exercé du vivant de l ’auteur est atteint comme
celui qui se serait réalisé après sa mort.
L ’exagération du passif constitue un recélé punissable.
Peine contre le recélé, peut être autre que la privation d’u
ne part quelconque sur les effets recélés.
Renvoi pour les effets du recélé par rapport aux tiers.
929.
930.
931.
932.
933.
934.
935.
936.
Q u id .
si l ’héritier qui a recélé est encore mineur ?
§i
�474
TRAITÉ DU DOL
9 1 2 . — Nous venons de voir que la communauté
entre époux était de nature à inspirer, au moment de
la dissolution du mariage , des fraudes sur lesquelles le
législateur a dû veiller. Ce qui est à redouter dans cefte
circonstance peut également se réaliser dans tous les cas
où une communion d’intérêt amène la nécessité d’une
liquidation et d’un partage ; et, par exemple, dans une
succession.
La condition essentielle de tout partage est l’égalité la
plus absolue entre les divers intéressés , chacun d’eux
doit recevoir l’intégralité de ce qui lui revient. Toute at
teinte à cette règle d’équité et de justice , devenant un
préjudice pour l’un , un avantage illicite pour l’autre,
constitue en résultat une fraude manifeste, si elle n’est
déterminée par l’erreur commune.
Cette atteinte peut être occasionée par des causes dif
férentes Elle se produit par une composition vicieuse
des lots, ou par une fausse estimation des objets à par
tager; par la dissimulation d’une part plus ou moins
importante de l’actif ou par l’exagération du chiffre du
passif. L’existence des premières donne ouverture à l’ac
tion en lésion, celle des secondes à l’action en recélé.
9 1 3 . — La lésion purement accidentelle n’e s t, aux
termes de l’art. 887 du Code civil, une cause de resci
sion du partage que si le préjudice en résultant équivaut
au quart de ce que le copartageant devait recevoir. Con
séquemment la partie poursuivante ne peut réussir dans
sa demande en annulation que s’il justifie qu’il n’a re-
�ET DE LA FBAUDE.
475
çu que les trois quarts de ce qui lui revenait. Cette jus
tification faite, le partage est annulé; mais la jurispru
dence a admis qu’on peut dans ce cas se borner à con
damner les défendeurs à compléter la part du deman
deur et à faire ainsi disparaître le préjudice souffert par
celui-ci.
914.
L’exigence de la lo i, quant à l’importance
de la lésion , pourrait paraître extraordinaire. En effet,
quelle que soit la lésion, l’égalité n’est pas moins blessée
dès que l’un a reçu plus et l’autre moins. Il semblerait
donc que la plainte devrait par cela seul être permise.
Mais des considérations puissantes justifient la doctri
ne consacrée par la loi. L’intérêt public exige pour le
droit de propriété la plus grande stabilité Permettre de
revenir sans cesse, et pour la moindre lésion, contre un*
acte de partage , c’était méconnaître ce grand principe,
c’était placer la propriété sous le coup d’une menace
perpétuelle et en gêner la disposition pendant la durée
du temps nécessaire à la prescription de l’action ; c’était
enfin compromettre les droits que des tiers avaient lé
galement acquis sur la foi d’un acte régulier et authen
tique , tout cela d’ailleurs en faveur d’un intérêt privé
coupable au moins d'une évidente négligence.
En effet, chaque copartageant est tenu, avant de pro
céder au partage , de s’assurer de la valeur réelle des
objets à partager, et de veiller ainsi à l’égalité des lots.
Celui qui a mis de la négligence à remplir ce devoir a
commis une faute dont on pouvait justement lui laisser
la responsabilité et lui imposer les conséquences.
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476
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TRAITÉ DU DOL
Ces divers motifs avaient même para suffisants pour
faire repousser l’action en rescision, alors même que la
lésion aurait dépassé le quart. Le copartageant, disaiton au Conseil d’Etat, doit être assimilé au vendeur. On
ne doit lui accorder la faculté de revenir que dans le cas
où cette faculté est reconnue à celui-ci, c’est-à-dire
lorsque la lésion est de sept douzièmes.
Mais cette opinion fut repoussée parce que , disait le
rapporteur du Tribunat, l’égalité qui doit être observée
dans les partages exige que la rescision soit admise pour
cause de lésion , et même pour une lésion moindre que
celle qui est nécessaire en ventes ordinaires. Dans ces
ventes, il se fait une espèce de négoce, de trafic , n’exi
geant pas une égalité aussi rigoureuse que dans les par
tages où rien n’est à commercer, ni à négocier.
La limite posée par l’art. 887 fut donc adoptée, mais
comme une faveur et à litre d’indulgence pour le co
partageant. On le relève ainsi de sa trop aveugle confi
ance dans une limite ne pouvant dès lors être accusée
de sévérité. Il importait de signaler ce caractère de l’ar
ticle 887 du Code civil , les tribunaux peuvent y trouver
une règle de nature à les diriger dans l’application qu’ils
seront appelés à en faire.
915.
— Cette règle à suivre lorsque la lésion résul
te d’une erreur commune reçoit exception en cas de
fraude. Nous l’avons déjà dit, la fraude fait et a dû fai
re une exception à tous les principes : conséquemment
si le préjudice dont le copartageant se plaint a pour u -
�ET DE LA FRAUDE.
477
nique cause la fraude ; s’il n ’est dû qu’à la déloyauté, il
devra être réparé, alors même que son importance n’at
teindrait pas au quart de la portion lui revenant ; à plus
forte raison en serait—il ainsi si l’emploi de manœuvres
frauduleuses venait donner à l’acte dont on se plaint le
caractère du dol.
916. — Une seconde exception à l’art. 887 doit être
admise dans le cas où l’existence du préjudice coïncide
avec le prélèvement de la quotité disponible. Dans ce
cas, en effet, la lésion entamerait la réserve légale , et
l’on sait qu’un pareil résultat est sévèrement proscrit.
Cette réserve doit, dans tous les cas, arriver intacte en
tre les mains des ayants droit. Il y aurait donc lieu dans
ce cas : soit d’ordonner un nouveau partage, st it d’ac
corder un supplément pour faire disparaître la lésion
quelle qu’elle fût.
917. — Aucune loi spéciale ne réglant la durée de
l’action en rescision du partage, il y a lieu de recourir
au principe général de l’art. 1304 du Code civil. En
conséquence le droit de l’intenter se prescrit par dix
ans.
918. — Le point de départ de ces dix années ne
saurait faire la matière d’un doute pour les partages or
dinaires. C’est du jour de l’acte que la prescription
commence de courir. Néanmoins, si la lésion est le pro
duit du dol et de la fraude , le délai de cette prescrip
tion ne date que du jour de la découverte de l’un ou
de l’autre.
�1
478
T R A ITÉ DU DDL
9 1 9 . — 11 n’en est pas ainsi pour les partages de
présuccession faits par l’ascendant. Une grave contro
verse s’est établie sur le point de savoir si le délai devait
être compté du jour de l’acte, ou seulement de celui du
décès de l’ascendant, auteur du partage.
9 2 0 . — A l’appui de la première opinion on a dit:
Sous l’empire des lois anciennes, les actes de partage
effectués par les ascendants n’étaient jamais que des ac
tes d’une nature mixte , participant à la fois et presque
au même degré du testament et de la donation ; ils ne
se trouvaient régis par aucune disposition qui fixât leurs
formes et précisât leurs effets. Dans la doctrine, comme
dans la jurisprudence , il ne régnait que controverse et
incertitude sur le caractère de ces actes.
Le législateur moderne , enseigné par l’expérience,
n’eut garde de négliger une matière si importante. L’ar
ticle 1 0 7 6 porte : Les partages pourront être faits par
actes entre vifs ou testamentaires , avec les formalités,
conditions et règles prescrites pour les donations entre
vifs et testaments. Les partages faits par actes entre Vifs
ne pourront avoir pour objet que les biens présents.
Ainsi, aujourd’hui, l’acte par lequel un ascendant pro
cède à un partage entre vifs est soumis à toutes les con
ditions et règles prescrites pour les donations.
Or, la donation est un contrat, une convention, et à
ce titre elle tombe inévitablement sous le coup de l’arti
cle 1 3 0 4 du Code civil, qui limite à dix ans , à partir
du jour de l’acte , la durée de l’action en rescision. La
�479
conséquence est donc qu’un partage entre vifs , effectué
par un ascendant, ne saurait être attaqué pour cause de
lésion que dans les dix ans du jour de son acceptation.
Cette conclusion, tiréedes principes généraux,se trou
ve confirmée par les dispositions spéciales à la matière.
Les art. 1073, 1076 et 1079 du Code civil gardent le
silence le plus absolu sur l’exception qu’on prétend in
troduire, et qui consisterait à ne faire courir le délai de
dix ans qu’à compter du décès de l’ascendant. Cepen
dant une telle exception aurait besoin d’une consécra
tion d’autant plus expresse, qu’elle toucherait à la fois à
la stabilité des propriétés et aux principes qui protègent,
après un laps de dix ans sans réclamations , les droits
acquis en vertu des contrats.
Mais ce n’est pas par son silence seulement, c’est
aussi par ses termes que la loi résiste à l’idée qu’il ait
jamais été dans l’intention du législateur de ne faire cou
rir le délai de dix ans qu’à compter du décès de l’as
cendant, et non du jour du partage dont il est l’auteur.
De toutes, les difficultés communes aux partages après
décès, et aux partages anticipés, il n’en est pas une qui,
déjà prévue au chapitre 6 du titre Des successions , ait
été on ne dira pas de nouveau et spécialement réglée,
mais simplement rappelée dans le chapitre 7 du titre
Des donations et testaments. Ne faut-il pas en conclure
que les règles du partage après décès ont été manifeste
ment, dans la pensée du législateur, le complément né
cessaire de celles, d’ailleurs fort insuffisantes, qu’il a tra
cées au chapitre Des partages d'ascendants, qui ne ren
ferme eu tout que six articles.
ET DE LA FRAUDE.
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TRAITÉ DU DDL
Cette vérité semble ressortir de l’art. 1079 du Code
civil, ainsi conçu : le partage fait par l’ascendant pour
ra être attaqué pour cause de lésion de plus d’un quart.
On voit que le législateur , après avoir exprimé que
l’action en rescision sera admise, n’ajoute rien pour en
fixer la durée. N’est-ce pas dire qu’il entend s’en réfé
rer à la règle générale, qui ne permet de l’exercer que
dans les dix ans du partage ? Ce langage devient posi
tif si , du texte , on rapproche les motifs qn’en a donné
l’orateur du Gouvernement. Des explications de M. Bi
got de Préameneu , il résulte, en effet, qu’en réservant
aux ascendants la faculté de présider à la répartition de
leurs biens , le législateur s’est proposé, d’abord, d’as
surer au père le pouvoir de régler le sort de la famille,
en fixant à jamais les droits de ses enfants , et ensuite
d’apporter un remède aux graves inconvénientsqui nais
saient, dans l’ancienne législation, de la résolution des
droits attribués par les partages anticipés. Cette double
intention resterait sans effet dans le système contraire.
Cette doctrine , développée dans une consultation de
M. Dalloz ainé , consacrée par plusieurs cours , a été
sanctionnée par la Cour de cassation.'
921.
— Le système contraire, que plusieurs cours
ont adopté , se fonde sur les considérations suivants :
Bien qu’il résulte implicitement de l’art. 1304 du Code
civil que la prescription de toute action rescisoire com-
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1 13 jjiillet 4 836 ; 4 février 1844; — D. P., 36, 1,
�ET DE LA FRAUDE.
481
raence du jour de l’acte attaqué , ou ne peut toutefois
raisonnablement supposer que le législateur ait entendu
soustraire cette nature d’action aux règles régissant la
prescription en général. Il est de principe que la pres
cription ne peut commencer de courir que du jour où
celui qui veut attaquer un acte est complètement fixé
sur l’étendue des droits que cet acte lui confère; que
s’il résulte, soit de l’acte lui-même, soit des dispositions
de la loi, que ces droits ne seront entièrement détermi
nés que par un événement postérieur à l’acte, il est évi
dent que ce n’est qu’à la survenance de cet événement
que l’action en rescision peut être exercée, puisque jus
qu’alors le droit , à raison duquel peut naître l’action,
reste indéterminé. Il suit de là que si la part héréditai
re de l’enfant ou descendant qui a concouru à un par
tage anticipé ne peut être connue définitivement qu’à
l’époque du décès de l’ascendant auteur du partage , ce
ne sera également qu’à cette époque qu’il faudra se
pourvoir contre le partage , puisqu’alors seulement il
connaîtra s’il est ou non lésé.
Les enfants ou descendants ne sont aptes soit à atta
quer les dispositions prises par leur auteur, soit à reve
nir sur les partages faits par lui , que dans les cas dé
terminés par la loi. Ils ne peuvent notamment réclamer
une part héréditaire plus forte que celle qui leur a été
attribuée , que lorsque celle-ci est inférieure à leur ré
serve légale.
Or, la succession d’un individu ne s’ouvre que par sa
mort naturelle ou civile. Cette succession se compose de
ii
31
�482
TRAITÉ DU DOL
l’universalité des biens, soit qu’il en possède encore au
jour de son décès, soit qu’il en ait pendant sa vie dis
posé à titre gratuit. C’est par la liquidation de celte uni
versalité que s’établira nettement la réserve légale affé
rente à chacun des enfants ou descendants. Dès lors, et
jusqu’à cette liquidation, il ne peut exister de lésion et
conséquemment d’action en réparation.
Les art. 4085 et suivants ne dérogent en rien à ces
principes. Ils confèrent bien à l’ascendant la faculté de
faire lui-même le partage entre ses descendants, parta
ge que ceux-ci pourront attaquer s’il y a lésion ou in
suffisance dans l’attribution faite à chacun d’eux. Ils ad
mettent que les biens non partagés, que l’ascendant dé
laissera à son décès, seront divisés aux formes de droit.
Mais ils n’établissent ni expressément, ni tacitement
que , pour évaluer la quotité disponible et la lésion , il
ne faut avoir égard qu’aux seuls biens ayant fait la ma
tière du partage et nullement à ceux existant encore
dans la succession. De ce silence du législateur , il fout
conclure qu’il n’a voulu porter aucune atteinte aux prin
cipes d’après lesquels il prescrit qu’il sera procédé à cette
évaluation aux titres Des successions et donations.
Il résulterait du système contraire qu’il y aurait, pour
les biens délaissés par le même individu, deux succes
sions distinctes et entièrement indépendantes l’une de
l’autre : la première , réglée de son vivant, l’effet du
partage anticipé; la seconde, à régler après son décès ;
il existerait donc deux réserves légales , deux quotités
disponibles, conséquenee bizarre et cependant forcée, à
'
I
�ET DE LA FRAUDE.
483
laquelle on ne peut raisonnablement supposer que le
législateur ait voulu arriver.'
Ainsi , il ne peut y avoir lésion appréciable qu’après
le décès de l’ascendant et au moment où il sera procédé
à la constitution générale et définitive de la masse active
de la succession. Jusque là, il ne saurait en exister ré
ellement aucune, puisque l’inégalité offerte par le parta
ge anticipé pourra disparaître par une attribution spé
ciale sur les biens encore libres. Ce ne serait donc que
dans l’hypothèse où il n’en existerait aucun de ce gen
re au décès de l’ascendant, que toute affectation supplé
mentaire devenant impossible , naît la certitude d’une
lésion et que s’ouvre conséquemment l’action en resci
sion. Dès ce moment aussi, l’action devenant recevable,
le délai de la prescription , suspendu jusque là , com
mence de courir.
922.
— Cette doctrine nous parait plus équitable,
plus conforme aux véritables principes. Aux considéra
tions décisives qui précèdent, on peut en joindre d’au
tres qui ne sont ni moins puissantes , ni moins juridi
ques. Ainsi, et en première ligne , l’exercice de l’action
en lésion suppose chez celui qui s’y livre le droit de
contraindre à un nouveau partage plus équitable.
Le descendant n ’a pas ce droit. Il est pendant toute
la vie de son auteur sans qualité , car cette qualité est
une conséquence du droit de copropriété sur la masse
l Nîmes, 17 mars 1841 ; — J. du P., 1841, tom. u, p. 52.
�484
TRAITÉ DU DOL
des biens à partager, droit qui ne saurait exister tant
que la succession n’est pas effectivement ouverte.
Dans l’opinion que nous combattons , on veut faire
résulter l’acquisition de ce droit en faveur du descen
dant, de la nature même de l’acte ; et c’est ainsi qu’on
soutient que le partage anticipé participe du contrat et
de la donation.
Cette qualification est une hérésie en droit ; elle inter
vertit la nature et le caractère du contrat ; elle en mé
connaît la portée véritable.
L’ascendant ne s’est jamais désinvesti de la généralité
de ses biens. Il les divise lui-même à ses plaisir et vo
lonté. Le désaisissement est successif et spécial, chaque
descendant n’a jamais eu la propriété de ce qui est entré
dans le lot des autres, car les biens ne sortent de la pos
session de l’ascendant que pour passer immédiatement
dans celle de chacun d’eux. Leur rôle à tous n’est donc
qu'une acceptation de la donation particulière qu’ils re
çoivent, dont la régularité et l’existence actuelle n’a nul
besoin de leur concours, ni de leur consentement.
En réalité donc , il n’intervient et ne peut intervenir
de contrat de descendant à descendant. Le partage anti
cipé n’est qu’une donation qui se renouvelle autant de
fois qu’il y a de parts à faire, et dont l’intérêt pour cha
cune d’elles se concentre entre celui qui reçoit et celui
qui donne. Mais les donataires entre eux n’ont jamais
été dans l’indivision que le contrat supposé aurait eu
pour objet de faire cesser.
Ce principe vient d’étre formellement consacré par la
�ET DE LA FRAUDE.
485
Cour de cassation. Dans une espèce qui lui était soumi
se, la Cour d’Amiens avait vu dans le partage fait par
l’ascendant, d’abord la donation créant une indivisibilité
entre les ascendants, ensuite un contrat particulier à
ceux-ci, ayant pour objet de faire cesser l’indivision.
Mais, sur le pourvoi dont il a été l’objet, l’arrêt d’A
miens a été cassé par la Cour suprême, le 4 juin 1849:
Attendu qu'on ne saurait voir dans cet acte, comme l'a
fait la Cour d’Amiens, deux contrats distincts,indépen
dants, dont l'un, donation du père aux enfants, aurait
saisi immédiatement ceux-ci de la propriété indivise
des biens donnés, dont l'autre étranger au donateur,
exclusivement personnel aux donataires , aurait eu
pour objet le partage de ces biens ; qu'on ne peut bri
ser de la sorte l'unité d'un contrat dont toutes les sti
pulations concourent au but que le père de famille dé
clare s'être imposé, sans dénaturer le caractère de
l’acte.'
Cet arrêt est d’autant plus remarquable que , dans
l’espèce, le père de famille avait donné tous ses biens à
ses enfants qu’il avait ensuite dirigés dans le partage
consenti par eux. On ne devrait donc pas résister lors
que c’est le père lui-même q u i, procédant au partage,
a formé les parts , et que les enfants ne sont intervenus
que pour accepter celle qui lui est attribuée.
Chacun des descendants n’est donc qu’un donataire.
Comment donc lui reconnaître le droit et lui faire un
�486
TRAITÉ DU DOL
devoir de se plaindre de la lésion relativement à d’au
tres donations qu’il n’a pu ni régler , ni empêcher ?
Dans un moment surtout où il n’existe pas même enco
re une lésion appréciable, ainsi que nous venons de l’é
tablir.
Sous un autre rapport, la demande en rescision serait
plus irrecevable encore. L’ascendant, tant qu’il vit, est
l’arbitre souverain de sa fortune et de la disposition à
laquelle il lui convient de recourir. Il peut donner tout
à l’u n , rie donner rien à l’autre , investir même un étranger de l’universalité de ses biens, sans que les héri
tiers futurs, même légitimes , puissent l’en empêcher ni
s’en plaindre. Incontestablement, la faculté de donner
le tout implique celle de créer des portions inégales, sauf
les réclamations que la mort du donateur soulèvera et
pourra faire consacrer, quant à ce, si celte inégalité va
jusqu’à entamer la réserve légale, ou constitue pour un
des portionnaires un préjudice de plus d’un quart.
Mais si d’une p a rt, et pendant la vie de l’ascendant,
le descendant n’est que donataire; si d’autre part le pre
mier n’a, dans les libéralités qu’il concède, d’autre règle
à suivre que sa volonté ou ses caprices, la conséquence
rigoureuse n’est-elle pas que l’enfant ou descendant ne
pourra être admis à se plaindre ? Il pouvait ne rien re
cevoir, et, parce qu’il a reçu quelque chose, on l’admet
trait à quereller la détermination du père de famille,
qu’on l’eût forcé de respecter dans le premier cas ?
Admettez que la demande de l’enfant fût recevable,
quelle sera la conséquence de l’action accueillie par la
�ET DE LA FRAUDE.
487
justice? La rescision de l’acte et, par une déduction lo
gique , la reprise de possession par l’ascendant de la
masse partagée et le refus absolu de procéder à un nou
veau partage. Ce qui arrivera, peut-être, c’est que, pour
punir celui qui a fait annuler son œuvre , l’ascendant
délaissera l’intégralité de sa fortune à ses autres enfants,
heureux encore si, pour punir ce qu’il considérera com
me un acte de désobéissance et de rébellion, il ne cher
che pas à dénaturer sa fortune pour avantager , par la
fraude, celui qu’il avait voulu favoriser. Obliger l’enfant
à attaquer du vivant de l’ascendant, c’est donc le con
traindre à agir contre son propre intérêt; c’est l’exposer
à perdre plus encore que ce que la réussite de son ac
tion serait dans le cas de lui faire gagner.
L’art. 1079, dit-on, fait obstacle à ce résultat. Il con
sacre en effet le désinvestissement de l’ascendant dès que
le partage est par lui régulièrement consommé. Dès cet
instant cesse aussi la liberté illimitée qu’il avait de dis
poser de ses biens, il n ’y a plus qu’une question d’éga
lité intéressant les descendants et les concernant dès lors
exclusivement.
Erreur évidente et certaine. Il est bien vrai que l’acte
de partage désinveslit l’ascendant, et cela par la raison
toute simple que ce partage constitue celte disposition
qu’il était libre de réaliser ou non. En conséquence, tant
que ce partage existe , le désinvestissement est incontes
table, mais la rescision qui viendrait l’atteindre en ferait
cesser tous les effets et autant en ce gui concerne l’asI» 1
Cendant, que par rapport aux descendants eux-mêmes.
�'
488
-
TRAITÉ DU DOL
Les droits du premier revivraient donc en leur entier, avec d’autant plus de raison.et de certitude que seul il a
des droits sur la masse totale, chaque copartagé n ’ayant
jamais pu posséder que la part que lui attribuait le par
tage.
Ne perdons donc pas de vue, d’ailleurs, que l’ascen
dant ferait justement observer que son désinvestissement
n ’avait été par lui consenti qu’à condition que sa volonté
ne rencontrerait aucun obstacle. Or, la rescision , dé
truisant l’édifice par lui organisé , fait disparaître cette
condition; il reprend la propriété dont il s’était dé
pouillé et il rentre dans la faculté de retenir ses biens
ou de les abandonner de nouveau.
Pour que l’art. 1079 pût avoir pour effet .de faire sur
vivre le désinvestissement de l’ascendant aux conditions
l’ayant déterminé, il faudrait que le législateur eût fait
un devoir d’attaquer le partage de son vivant. Mais l’ar
ticle 1079 est muet à cet égard, et ce n’est que par une
induction fort hasardée qu’on prétend établir le contraire.
En effet, dit-on , de toutes les difficultés communes
aux partages après décès et aux partages anticipés , il
n’en est pas une qui, déjà prévue au chapitre 6 du titre
Des successions, ait été , on ne dira pas de nouveau et
spécialement réglée , mais simplement rappelée dans le
chapitre 7 du titre Des donations et testaments ;■ne
faut-il pas en conclure que le rappel dans l’art. 1079,
d’une faculté écrite dans l’art. 887, est la preuve que
le législateur a voulu faire partir le délai de dix ans du
jour de l’acte ?
�ET
DE
LA
FRAUDE.
489
Non certes, telle n’est pas la conclusion à tirer du
rapprochement des art. 887 et 1079. Si ce dernier est
explicite sur la faculté d’attaquer le partage anticipé pour
cause de lésion de plus du quart, c’est que le législateur,
introduisant un droit nouveau, ne pouvait pas ne pas
s’en expliquer.
Dans notre ancien droit, en effet, l’action en lésion,
ouverte contre les partages après décès, n’était pas ad
mise contre le partage fait par l’ascendant lui-même.
Fidèles aux inspirations du droit romain, on considérait
ce partage comme l’exercice d’un acte de la puissance
paternelle qu’il fallait respecter , alors même qu’il por
tait atteinte à la légitime que chaque enfant aurait dû
rigoureusement recevoir.1
C’est ce droit que le législateur voulait abroger, et cette
abrogation ne pouvait résulter de l’art. 887, uniquement
relatif aux partages après décès. Il fallait donc, puisqu’on
affectait une section du Code aux partages faits par l’as
cendant , y inscrire la pensée de la nouvelle doctrine,
sans quoi on n’eût pas manqué d’induire, du silence du
législateur, que ces partages restaient inattaquables com
me sous l’ancien droit. Voilà le motif unique du rappel,
dans l’art. 1079, de la faculté déjà inscrite dans l’article
887 pour les partages après décès. Ce rappel, ainsi mo
tivé, il est impossible d’en conclure ni que le législateur
ait voulu déroger en rien à la faculté qu’a l’ascendant
de disposer pendant sa vie à ses plaisir et volonté, ni
1 F u r g o l e , Des leslam .,
ch.
8, sect. l r', n°« 149 et suiv.
�'
4 9 0
T R A IT É
DU
DOL
surtout que les enfants ou descendants puissent, avant
d’avoir acquis la qualité d’héritier, quereller cette dispo
sition, ni moins encore qu’ils doivent l’attaquer pendant
la vie du donateur.
923.
— La conséquence logique que nous tirons de
ces prémisses, c’est que la prescription du droit ne court
que du jour du décès. C’est ce que la Cour d’Aix a jugé
le 7 juillet 1842. Son arrêt, rédigé par le savant ma
gistrat M.. le président Lerouge , résume puissamment
les raisons de décider que cette opinion peut invoquer.
A ce titre, il clorra notre discussion beaucoup plus con
venablement que ne le feraient nos propres observations:
« Considérant que l’ascendant qui fait, par un acte
entre vifs , un partage entre ses descendants , ne donne
et n’entend donner, à chacun d’eux, que les biens com
pris dans le lot qu’il lui attribue individuellement; que
dès lors ce partage rend, il est v ra i, chaque copartagé
propriétaire de son lot, mais ne lui confère aucuns droits
sur les biens compris dans les lots des autres descen
dants , et par conséquent ne confère aux différents copartagés aucun droit de propriété sur la masse des biens
faisant l’objet du partage; et comme il est d’ailleurs in
contestable qu’avant le partage entre vifs les descendants
n’avaient aucun droit acquis sur les biens de l’ascendant
donateur, on doit en conclure : qu’après, comme avant
le partage entre vifs fait par un ascendant, les descen
dants n’o n t, durant sa vie , aucun droit de copropriété
sur la masse des biens compris dans le partage;
�ET DE LA FRAUDJT.
491
» Considérant qu’à la mort de l’ascendant, ses des
cendants, appelés à recueillir sa succession, sont, de plein
d ro it, saisis de l’universalité de ses biens ; que , dès ce
moment, ils ont un droit de copropriété tant sur tous les
biens existants au jour du décès, que sur ceux qu’on y
réunit fictivement pour former la masse , sur laquelle
doivent être calculées la quotité disponible et la réserve
légale ; mais qu’ils tiennent ce droit de copropriété, non
de la volonté de leur auteur, mais de celle de la loi, en
un mot, de la qualité d’héritier, qui ne leur est acquise
que du jour du décès de l’ascendant donateur ;
» Considérant que celui qui attaque le partage entre
vifs, fait par l’ascendant, a pour but : d’obtenir un nou
veau partage des biens compris dans l’acte dont il de
mande la rescision ; d’où il suit que l’action en rescision
ne peut être intentée que par celui qui aurait qualité
pour demander un nouveau partage;
» Considérant que pour former une demande en par
tage, il faut avoir un droit actuel de copropriété sur la
chose à partager , soit que ce droit dérive de la qualité
d’héritier, soit qu’il dérive d’un titre, tel que l’acquisi
tion en commun, ou la donation faite à plusieurs d’une
chose indivise ;
» Considérant que, du vivant du donateur, le copartagé qui attaque, pour cause de lésion, le partage entre
vifs fait par l’ascendant, et qui par suite demande un
autre partage, n’a d’autre titre que le partage lui-même,
acte lui conférant seulement la propriété de son lot, et
non la copropriété de la masse des biens ayant fait l’ob-
�m
TRAITÉ DU DOL
jet dü partage ; que le droit de copropriété sur la masse
ne peut dériver pour lui que de la qualité d’héritier, la
quelle ne lui est acquise que du jour du décès de l’as
cendant donateur ; d’où la conséquence que le copartagé n’a ni qualité, ni titre pour attaquer, durant la vie
de l’ascendant donateur , le partage entre vifs faits par
celui-ci entre ses descendants ;
» Considérant qu’on objecterait vainement que le ti
tre du copartagé réside dans l’art. 1079 du Code civil,
suivant lequel le partage fait par l’ascendant peut être
attaqué pour cause de lésion de plus du quart ;
» Considérant que ni dans le passage invoqué, ni ail
leurs , il n’est dit que le copartagé pourra attaquer du
vivant de l’ascendant; qu’on est donc obligé de suppo- '
ser, pour un cas unique , l’existence d’une faculté toute
spéciale qui ne se trouve nulle part écrite dans la loi et
qu’il eût été nécessaire de formuler en termes explicites;
qu’une telle faculté serait, ainsi qu’on l’a précédemment
établi, en contradiction manifeste avec ce principe in
contestable : que l’action en partage n’appartient qu’à
celui qui a un droit actuel de copropriété sur la chose à
partager ;
» Que non seulement l’art. 1079 ne dit pas que le co
partagé aura le droit d’attaquer le partage entre vifs du
rant la vie du donateur, mais qu’il suppose le contraire;
qu’en effet cet article permet d’attaquer le partage dans
trois cas : 1u s’il est fait par acte entre vifs; 2° s’il est
fait par acte testamentaire ; 3° s’il résulte du partage et
des dispositions faites par préciput que l’un des coparta-
�ET DE LA FRAUDE.
493
gés aurait un avantage plus grand que la loi ne le per
met ;
» Que , dans les deux derniers cas , le copartagé ne
peut, évidemment, attaquer le partage que lors de l’ou
verture de la succession, p’est-à-dire après le décès de
l’ascendant donateur; que, pour ces deux cas, l’art. 1079
décide donc implicitement que le partage ne pourra être
attaqué du vivant du donateur; que , dès lors, il n’est
pas permis de supposer que le législateur, sans le dire
et contrairement à tous les principes, a voulu créer, pour
le premier cas, un droit exorbitant qui autoriserait le co
partagé à attaquer le partage entre vifs, non pas seule
ment après le décès, mais encore durant la vie de l’as
cendant donateur ;
» Considérant, sous un autre point de vue, que l’as
cendant peut, durant sa vie, disposer de sa fortune de la
manière la plus absolue, suivant sa volonté et même ses
caprices ; que si, s’abandonnant à des passions mauvai
ses, il avait recours à de coupables manœuvres pour en
richir les complices de ses égarements au préjudice des
héritiers du sang , seÿ actes , quelques dommageables
qu’ils fussent, ne pourraient être attaqués qu’après sa
mort ; qu’il en serait de même, à plus forte raison, si,
par acte entre vifs , l’ascendant disposait de sa fortune
entière en faveur de l’un de ses descendants ; qu’il n’est
donc pas possible de comprendre comment le législa
teur, qui interdit aux descendants d’attaquer, du vivant
de leur auteur , les actes par lesquels il dispose , à leur
préjudice, de l’universalité de ses biens, les autoriserait,
�494
TRAITÉ DU DOL
par une exception toute spéciale et non écrite , à atta
quer , avant le décès de l’ascendant, un partage entre
vifs, sous prétexte que les biens ne sont pas également
distribués entre eux ; qu’en permettant à l’un des copartagés d’attaquer , pour cause de lésion de plus d’un
quart, le partage entre vifs fait par son auteur, la loi a
voulu non pas apporter des restrictions et des entraves
au pouvoir absolu de l’ascendant sur sa fortune pendant
sa vie, mais empêcher que, sous prétexte de faire entre
ses descendants la distribution de ses biens, il ne bles
sât trop ouvertement le principe d’égalité qui doit pré
sider aux partages ou même qu’il portât atteinte à la ré
serve légale de ses descendants; et comme la qualité
d’héritier peut seule donner à ceux-ci le droit de deman
der le partage ou de réclamer la réserve légale , il en
résulte que l’exercice de l’action qui leur compèle à cet
égard, aux termes de l’art. 1079 , se trouve suspendu
jusqu’au décès de l’ascendant, puisque c’est à celte épo
que seulement que la qualité d’héritier leur sera acqui
se. »
924.
— Il est certes difficile de déduire avec plus
de force, avec plus de certitude, les raisons déterminan
tes d’une opinion. Ces motifs, avoués par la raison et le
droit, devaient faire maintenir l’arrêt, si la partie l’avait
déféré à la Cour suprême. Celle-ci n’eût fait, d'ailleurs,
que hâter la décision qu’elle a rendue plus tard. En ef
fet, revenant sur sa propre jurisprudence , la Cour su
prême a adopté la doctrine qu’elle avait plusieurs fois
repoussée et cassé , en conséquence , un arrêt de Tou-
�ET DE LA FRAUDE.
495
louse fixant au jour de l’acte le point de départ de la
prescription.'
On peut donc considérer la controverse comme ten
dant à s’effacer. L’avenir du système qui fait courir la
prescription du jour du décès de l’ascendant donateur
nous parait désormais assuré.
9 2 5 . — Le partage après décès sera nécessairement
inégal, si l’un des cohéritiers a diverti l’actif de la suc
cession ou exagéré le passif à son profit personnel. Il
importe peu, dans ce cas, que la lésion atteigne ou non
les proportions exigées par l’art. 887. Il ne s’agit plus,
en effet, défaire rescinder le partage, mais de le com
pléter en opérant la division des choses qu’il ne pouvait
pas comprendre. Aussi, l’art. 792 qualifie-t-il lui-mê
me de demande de partage supplémentaire le droit qu’il
accorde.
9 2 6 . — Dans ce nouveau partage, la position du
recéleur est nettement dessinée par le législateur. Il ne
peut, à aucun titre, prétendre aucune part dans les ob
jets qu’il est condamné à restituer à la succession. Nous
l’avons déjà d it, en pareille matière la loi applique la
peine du talion dans toute sa rigueur. L’auteur du recélé
voulait frustrer ses cohéritiers de la part leur revenant,
il sera privé de la sienne.
Les juges ne sauraient , dans la poursuite de ce but,
déployer une trop grande sévérité. Les choses, en effet,
1 2 août 1848 ; — D. P,, 48, -I -174.
�496
TRAITÉ DU DOL
ne sont pas égales. Les réclamants ont le devoir de prou
ver la soustraction , ce qui est difficile, et, ce qui l’est
bien davantage, le chiffre exact auquel elle s’élève. Nanti
fruduleusement de ce qui ne lui appartient pas, le recéleur a pour lui d’abord la chance de n’être pas con
vaincu , ensuite l’incertitude qui régnera forcément sur
le montant de ce qu’il devra restituer. De telle sorte que,
même après condamnation, il pourra lui rester une in
demnité plus que suffisante des effets de cette condam
nation. C’est à la justice des tribunaux à compenser et à
faire disparaître cette inégalité , dût sa décision aller au
delà de la vérité. L’équité n’en serait nullement blessée.
Obliger un voleur à rendre plus qu’il n’a pris ne saurait
être envisagé comme un malheur trop regrettable, car le
préjudice qui en résulterait ne serait qu’une conséquence
de son improbité même.
Il n’y a donc pas à hésiter. Le recélé étant constant,
on ne doit pas craindre d’élever le chiffre de la condam
nation autant que le permettra la plus stricte vraisem
blance.
927.
— Le caractère du détournement ressort suffi
samment du fait lui-même. Celui qui s’empare de ce
qu’il sait ne pas lui appartenir, qui s’efforce de le rete
nir à son avantage exclusif, serait mal venu à prétendre
avoir agi de bonne foi. Sa conduite est en contradiction
flagrante avec son allégation. On ne pourrait donc ac
cueillir celle-ci que si, appuyée de faits décisifs, elle se
trouvait justifiée par des considérations de nature à dé
truire la présomption que la première fait naitre.
�ET DE LA FRAUDE.
497
On reconnaîtra donc le recélé punissable, à la réunion
de ces deux conditions : 1° la possession illégitime d’un
objet appartenant à la succession réalisée à l’insu des
intéressés ; 2° l’intention de s’en appliquer exclusive
ment le profit. À ce titre, le fait d’avoir détourné des ti
tres de créance au nom du défunt et d’en avoir obtenu
le renouvellement en son nom constituerait évidemment
la fraude punie par l’art. 792 du Code civil.
9 2 8 . — L’absence d’une de ces conditions fait dis
paraître toute culpabilité en rendant tout préjudice im
possible. Ainsi ,fla possession étayée d’une prétention
même injuste ou non admissible ne caractériserait pas la
fraude. C’est par ce principe qu’on a admis que le cohé
ritier, avouant la détention de la chose prétendue com
mune, mais qui déclarerait l’avoir reçue en don du dé
funt lui-même, n’encourrait pas la peine du recélé, alors
même que , succombant dans ses prétentions, il serait
condamné à rapporter la chose à la masse commune.1
9 2 9 . - Il ne faudrait pas cependant donner à celte
solution une extension trop grande. On s’exposerait au
trement à annuler une peine dont le maintien est une
sauve garde essentielle au principe de l’égalité dans les
partages. Forcé dans ses derniers retranchements, le recéleur ne manquerait pas de se rejeter, en désespoir de
cause, sur une excuse devenue bientôt banale en matière
de recélé. Il faut qüe cette excuse repose sur une évi—
1 Caen, 6 novembre 1827.
�498
TRAITÉ DU DOL
dente bonne foi, et celle-ci, à son tour, doit résulter de
la conduite que le détenteur a suivie depuis le décès de
l’auteur commun. S’il n’a jamais mis dans ses actions le
moindre mystère, s’il n’a jamais caché la possession, s’il
en a lui-même révélé l’existence en indiquant le titre en
faveur duquel il la détenait, on croira à sa bonne foi,
qu’une conduite contraire ferait inévitablement repous
ser. Celui qui ne cache rien prouve suffisamment qu’il
n’a rien à cacher, ce qui ne se réalise jamais dans le cas
de fraude. Dès lors, le titre invoqué, même annulé par
les tribunaux , ne laisse pas de légitimer la possession
jusqu’au moment de la sentence.
9 5 0 . — Il n’y aurait pas non plus divertissement
prohibé dans la détention d’effets déjà portés dans l’in
ventaire. L’art. 8921 ne punit que la soustraction que le
cohéritier n’a ni connue,ni pu connaître, et rencontrant
dans cette ignorance même les plus grandes chances de
réussite. Or, la mention insérée dans l’inventaire dissipe
toute idée d’ignorance et sauvegarde l’intérêt commun,
chaque cohéritier pouvant, dès lors , facilement exiger
qu’il soit fait raison de ces effets. L’omission de cette ré
clamation est alors considérée plutôt comme le résultat
d’un accord tacite, que celui d’une fraude du défendeur.
Si cependant celui-ci laisse le partage s’accomplir sans
recombler les effets communs et sans tenir compte de
leur valeur, on pourrait le considérer comme ayant vé
ritablement recélé, surtout si l’absence de réclamations
de la part des copartageants n’est que la conséquence de
�ET DE LÀ FRAUDE.
499
la persuasion que les objets ont péri, faussement inspi
rée par celui-là même qui les détient.
931. — Il résulte, en outre, de ce qui précède, qu’on
ne pourrait appliquer la peine de l’art. 792 au cohéri
tier q u i, détenant à l’insu des autres des valeurs de la
succession, en a u ra it, de lui-même et avant toute ré
clamation des intéressés, indiqué et signalé l’existence.
La bonne foi d’une telle démarche ressort avec une telle
évidence, qu’elle effacerait le vice de la possession, alors
même qu’elle n’aurait pas pour résultat de rendre tout
préjudice impossible.
Mais il importe que l’indication, pour qu’elle produise
cet effet, soit le fait d’une volonté spontanée et libre de
la part de celui qui la donne. Celle faite après la deman
de de restitution manquerait de ce caractère ; elle ne se
rait plus qu’un aveu arraché par l’évidente justice de
cette demande , par la crainte d’une condamnation dès
lors imminente et le désir d’en éluder les effets. Elle res
terait donc sans influence à l’endroit de cette condam
nation et des conséquences devant en résulter. Il serait
immoral de laisser indemne celui qui a persisté dans sa
déloyauté tant qu’il a pu se flatter qu’elle resterait ina
perçue, et qui, se voyant découvert, n’a plus qu’un in
térêt , à savoir : retenir sa part des objets qu’il projetait
de s’appliquer intégralement. Conséquemment, présumée
faite dans cette intention , la reconnaissance qu’il ferait
resterait sans effet, à moins que par le peu d’importance
des objets recélés on ne dût admettre que sa tardiveté
est due à un oubli présumable.
�500
TRAITÉ DU DOL
A insi, il y a recélé punissable toutes les fois qu’une
chose a été distraite de la masse frauduleusement et à
l’insu des communistes ; et que l’intention d’en profiter
à leur détriment n’a pas été abandonnée spontanément
et avant toute réclamation de ceux-ci.
9 5 2 . — Dans l’application de la peine édictée par
l’art. 792, on n’a pas à se préoccuper de l’époque à la
quelle remonte le divertissement reproché. Celui consom
mé avant la mort de l'auteur commun se trouve atteint
aussi bien que celui qui l’aurait accompagné ou suivi.
Dans le premier c a s , seulement, la présomption d’une
libéralité acquerrait une plus ou moins grande impor
tance, suivant que la vie de l’auteur se serait depuis plus
ou moins prolongée.
9 3 5 . — Ce que la loi a voulu prévenir par l’art. 792,
c’est l’inégalité dans les parts , alors que les droits sont
égaux; c’est le préjudice résultant pour une partie de
l’atteinte à cette grande règle. Or, cette atteinte existera
soit qu’on fasse disparaître l’actif directement par une
soustraction, soit indirectement en exagérant sciemment
le passif.
Conséquemment, l’héritier qui par collusion avec un
tiers ou qui, après avoir simulé des dettes, prétendra les
avoir payées et donnera ainsi lieu à des prélèvements
devant tourner à son avantage , se rendra coupable de
recélé et encourra justement la peine prononcée par la
loi. Les tiers, complices de la fraude, pourront être so
lidairement poursuivis et condamnés à la restitution du
montant de ces prélèvements.
�ET DE LA FRAUDE.
501
9 3 4 . — La privation de toute part sur les valeurs
recélées est prononcée par la lo i, comme indemité du
préjudice éprouvé par les intéressés. Il semble dès lors
‘que les parties ne pourraient demander et les juges pro
noncer d’autres dommages-intérêts. Cependant, s’il é—
tait prouvé qu’un préjudice, autre et plus important
que celui résultant de la privation momentanée de la
chose, a été réellement souffert par les cohéritiers ou par
l’un d’eux, les juges pourraient en ordonner la répara
tion. N’oublions pas que la fraude du recéleur est assi
milable au dol, et qu’en cette dernière matière, les dom
mages-intérêts doivent s’étendre aux conséquences im
médiates et directes de l’acte.
9 3 5 . — Le recélé étant de nature à léser d’autres in
térêts que ceux des cohéritiers, la loi en a réglé les con
séquences par rapport aux tiers. Nous en parlerons en
traitant des droits des créanciers contre les fraudes de
leurs débiteurs.
9 3 6 . — Nous terminerons ce qui est relatif aux co
héritiers par cette observation que la minorité du recé
leur ne serait pas un obstacle à l’application de la peine,
en ce qui concerne la privation de toute part dans les
objets recélés. Que le mineur ne puisse pas être héritier
pur et simple , c’est un privilège que la loi a formelle
ment garanti, mais, tenu de son dol, il doit l’être de sa
fraude,surtout lorsque cette fraude est, comme nous ve
nons de le rappeler, assimilable au dol ; rien n’empêche
donc de le punir comme le serait le majeur, c’est-à-dire
�m
TRAITÉ DU DOL
qu’ayant volontairement voulu priver ses cohéritiers d’u
ne partie de ses droits , il est juste qn’il perde les siens
dans une proportion légale.
Bien entendu que le mineur ne peut être responsable
que de son fait personnel : ainsi, si le recélé était l’œu
vre de son tuteur, on ne saurait, sous aucun prétexte,
en exciper contre lui, seulement il serait tenu de resti
tuer le profit illégitime qui lui en serait revenu.
FIN
DU
TOME
II.
�TABLE
DES CHAPITRES DU TOME II.
Chapitre m . S ection iv. § h .—De la prise à partie.
S ection
v.
Chapitre
I
— Dol imputable aux officiers ministériels
25
— Des fins de non-recevoir contre l ’action
65
iv.
S e c t io n i .
PAGKS
— De la chose j u g é e .................................. 67
S e c t io n i i .
— De la r a tif ic a tio n ..................................122
S ection m . — Delà p rescrip tio n ......................................... 165
De la Fraude.
Observations
C h a p it r e i .
S ection
i.
S e c t io n
ii
C h a p it r e
S e c t io n
— De la f r a u d e ............................................ 202
— De la fraude présum ée..............................
— Preuve de la fraude non présumée .
.
ii
i
générales ........................................................199
.
.
— Fraudes contre la partie contractante.
— Fraudes dans les mariages
.
204.
. . . .
§ i. — Fraudes dans les stipulations matrimoniales .
§ h . — Fraudes pendant le m ariage............................
§ m . — Fraudes à la dissolution du mariage . . .
S e c t io n
ii
.
289 332 „
335
336
357 /
451 /
— Fraudes dans les partages.......................472
-m -
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/334/RES-22985_Bedarride_Traite-dol-3.pdf
7c3eb8045bd501d543de5c5d8ed0836e
PDF Text
Text
TRAITÉ
E N M A T IÈ R E
C IV ILE & COM M ERCIALE
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
Tome 3
tro isièm e
édition
PARIS
AIX
L. LA.ROSE , HBR|AIR|E
ACHILLE MAKAIRE, L1BRAIR
2 2 , RUE SOÜFFLOT, 2 2
2 , nUE PONT-MOREAU, 2
1876
�TRAITÉ
E N M A T IÈ R E
C IV ILE & COM M ERCIALE
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
tro isièm e
édition
PARIS
AIX
L. LA.ROSE , HBR|AIR|E
ACHILLE MAKAIRE, L1BRAIR
2 2 , RUE SOÜFFLOT, 2 2
2 , nUE PONT-MOREAU, 2
1876
��T R A IT É
DU DOL ET DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
DE LA FRAUDE.
'
-€ » -
CHAPITRE II.
FBAUDB
CO N TRE
LA
P A R T IE
CONTRACTANTE.
SECTION III.
F r a u d e d a n s la V e n te e t l'E c h a n g e .
SOMMAIRE.
937.
938.
639.
La vente peut devenir un moyen ou une cause de fraude.
Elle peut servir à déguiser le prêt usuraire.
Ce que c’est que le contrat mohatra.
in
\
�2
940.
941.
942.
943.
944.
945.
946.
947.
948.
949.
950.
951.
952.
953.
954.
955.
956.
957.
958.
959.
960.
TRAITÉ DU DOL
Fraude évidente qu’il renferme ; absence de l ’intention d’a
cheter.
Mais cette circonstance doit être connue de l ’autre partie.
Rachat par le vendeur ou par une autre personne, exclut
l’intention sérieuse de vendre.
L’action en fraude de la partie elle-même ne pourrait être
repoussée.
Contrat pignoratif déguisé sous la forme d’une vente.
Appréciation de ses caractères sous l ’empire du droit an
cien.
Appréciation sous le Code.
L’acte nul, comme contrat pignoratif, vaudra comme obli
gation .
L’appréciation de la nature de l ’acte est abandonnée à la
prudence du juge.
Fraude dans la délivrance de la chose vendue. — Abus de
la jouissance.
Facilité de justifier cet abus, selon que la fraude a été com
mise in committendo ou in omittendo.
Retard dans la livraison, comme Fabsence complète de toute
livraison, peut constituer une fraude. — Actions qui en
naissent.
L’art. 1610 ne distingue pas la faute de la fraude.—Motifs.
Faculté d’accorder un délai, atténue la rigueur de la règle.
Autre atténuation dans l ’allocation des dommages-intérêts.
La faculté de proroger le terme de la livraison doit-elle être
appliquée aux ventes commerciales.
Toute modification, faite à la chose vendue depuis la vente,
constitue une fraude.
Conséquence quant aux meubles incorporés et aux capitaux
attachés à l'exploitation.
Quant aux récoltes pendantes par racines et aux arbres radiqués.
La tromperie sur la nature de l ’objet vendu est un délit.
La contrefaçon des marques de fabrique-, l ’usurpation du
�ET DE LA FRAUDE.
3
nom du fabricant, la fausse indication du lieu delà pro
duction, est assimilée à la tromperie sur la nature.
961. Caractère de la tromperie sur la qualité. — Conséquences.
962. Cas dans lequel la différence de la qualité entraînerait, mê
me après la livraison, la résiliation de la vente.
963. La livraison d’une chose qu’on sait impropre à sa destina
tion est une fraude. — Obligation qui en naît.
964. Nature de la tromperie sur la quantité.
965. Vente de la chose d’autrui. — Ses effets diffèrent selon
que le vendeur a agi avec bonne ou mauvaise foi.
966. Effet de la fraude consistant à vendre deux fois le même
objet.
967. Le second acquéreur pourra-t-il soutenir que la première
vente est simulée ?
968. Distinction à faire pour la solution de cette question.
969. Fraudes de l ’acquéreur. — Refus ou retard de prendre li
vraison. — Effets de l ’un ou de l’autre.
970. Effet du retard dans le paiement.
971. La fraude des experts chargés de déterminer le prix de la
vente peut-elle nuire ou profiter aux parties ?
972. La négative était enseignée en droit romain.
973. Dans notre ancien droit, Pothier enseigne la nullité de la
vente. — Mais la validité en est soutenue par Despeisses.
974. C’est à l ’opinion de celui-ci que s’est rangé M. Troplong.
975. Réfutation.
976. A quels caractères reconnaîtra-t-on la fraude ?
977. Toutes dégradations volontaires, tant que le prix n ’a pas
été payé, constituent une fraude. — Droit qu’elles ou
vriraient au vendeur.
978. Le vendeur non payé a le droit d’attaquer la revente opérée
par son vendeur, comme faite en fraude de ses droits.
979. Les principes applicables à la vente s'appliquent également
à l’échange.
980. La découverte que la chose donnée par le copermutant ne
�4
TRAITÉ DU DOL
lui appartient pas, autorise l ’autre à refuser la livraison
de la chose promise, si elle est encore entre ses mains.
981. Si l ’échange a reçu sa complète exécutioi^lors de cette dé
couverte , l ’échangiste pourra-t-il poursuivre la résolu
tion avant même d’être troublé dans la possession de la
chose par lui reçue ?
982. Quels seraient, dans ce cas , les effets légaux de la resci
sion ?
983. La revendication serait-elle permise contre le tiers acqué
reur?
984. La ratification du propriétaire n ’empêcherait pas la resci
sion.
985. Mais elle influerait sur la détermination des dommages-in
térêts.
986. Peut-on cumuler les dommages-intérêts et la reprise de la
chose ?
987. L’appréciation de ceux-ci obéit aux dispositions des articles
1634, 1635 et 1641 du Code civil.
988. En quoi doit consister le dédommagement, si l ’échangiste
opte pour une allocation pécuniaire, de préférence à la
reprise en nature?
989. Motifs qui ont fait admettre l’exclusion de l’action en lésion
contre l ’échange ?
990. Cette règle reçoit exception en matière de fraude.
991. Elle en reçoit une autre dans le cas. ou l ’échange déguise
une vente à vil prix.
992. A quels caractères reconnaîtra-t-on qu’il y a vente et non
échange ?
993. Distinction à observer dans l ’appréciation de la soulte.
9 3 7 . — La vente ne peut réellement exister qu’autant qu’il y a eu chez les parties intention d’acheter et
de vendre, consentement sur la chose et sur le prix.
L’absence d’uue de ces conditions ne permettrait pas de
�ET DE LA FRAUDE.
5
reconnaître une vente, quelle que fût l’apparence don
née par les parties au contrat. Alors, en effet, la quali
fication que l’acte a reçue n ’est qu’un mensonge cou
vrant une simulation destinée à tromper des tiers ou à
éluder une loi prohibitive.
D’autres fois c’est bien une vente que les parties ont
consentie, mais la fraude, excitée par un intérêt ultéri
eurement éveillé , se glisse dans l’exécution et en déna
ture les caractères et les conséquences.
La vente peut donc devenir un moyen ou une cause
de fraude. C’est sous ce double aperçu que nous allons
l’examiner.
9 5 8 . — Comme moyen , soit de tromper les tiers,
soit d’éluder la loi, la vente constitue une pure simula
tion. Nous aurons à l’examiner en nous occupant plus
tard de celle-ci. La fraude dont nous nous occupons
exclusivement dans ce moment étant celle d ’une partie
contre l’autre.
À ce dernier titre, la vente peut servir à déguiser une
des fraudes les plus dangereuses , le prêt usuraire. Un
prêteur avide ne pouvant stipuler des intérêts en dehors
du taux légal, paraît vendre ou acheter, soit des objets
mobiliers, soit un immeuble. Il ne fait en réalité , dans
le premier cas , que l’acte que l’ancienne jurisprudence
qualifiait de contrat mohatra ; dans le second , qu’un
contrat pignoratif.
9 5 9 . — Ce qui constitue le contrat m ohatra, c’est
la livraison d’objets mobiliers immédiatement revendus
�6
TRAITÉ DU DOL
par l’acquéreur à un prix inférieur à celui qu’il parait
en avoir donné, soit à son vendeur lui-même, soit à une
personne interposée. Ce qui résulte de cette opération,
c’est que l’achat étant contracté à crédit, l’acheteur reste
débiteur du prix ; qu’il ne reçoit cependant que les som
mes provenant de la revente au comptant, et qu’ainsi,
pour une valeur de 100 fr., il se trouve avoir souscrit
une obligation de 500 fr.
940.
— Il est évident dans ces circonstances que
le désir de se procurer quelques fonds a été le seul mo
bile de l’acheteur. La simultanéité de l’achat et de là
revente prouve suffisamment qu’il n ’a jamais eu l’inten
tion de se rendre sérieusement acquéreur ; e t, ce qui le
démontre mieux encore, c’est que souvent la prétendue
vente porte sur des objets sans valeur réelle pour celui
qui est censé les recevoir. C’est un fils de famille étran
ger au commerce à qui on vend une pacotille de vieilles
marchandises, une batterie de cuisine, un chameau mê
me, car les usuriers, dans les grandes villes , disposent
un peu de tout.
Ainsi, de la part de l’acheteur, l’intention d’acquérir
n’a jamais existé. Il n’y a même le plus souvent, par
rapport à lui, aucun objet pouvant faire sérieusement la
matière du contrat. Il ne peut donc, pour l u i , exister
un lien de la nature de celui qu’on a voulu lui imposer.
C’est un prêt et non une vente qu’il a évidemment si
gné.
L’exécution donnée à l’acte l’indiquerait au besoin
�ET DE LA FRAUDE.
7
suffisamment. On ne p e u t, en effet, admettre qu’il y a
eu achat sérieux, lorsqu’on voit l’acheteur revendre im
médiatement ce qu’il vient d’acquérir sans aucune né
cessité , sans nul besoin. Voilà pourquoi la revente est
de l’essence du contrat que nous examinons. Car si l’a
cheteur , ayant pris livraison réelle et effective , a gardé
les objets en sa possession pendant un temps plus ou
moins long , la revente à perte qu’il en aurait réalisée
plus tard, ne se liant plus intimément à l’achat, ne pour
rait seule faire suspecter le caractère de celui-ci.
9 4 1 . — Mais ce n’est pas tout que l’absence de l’in
tention d’acheter chez une des parties , il faut encore
que l’autre ait connu cette circonstance au moment où
elle traitait. Or, cette connaissance résulterait, contre le
vendeur, de ce qu’il aurait coopéré à la revente, en ra
chetant lui-même ou en faisant racheter dans son inté
rêt par une personne interposée. Cette conduite ferait
donc de plein droit admettre la fraude avec toutes ses
conséquences.
9 4 2 . — Le rachat par le prétendu vendeur est sans
doute une circonstance considérable. Cependant l’absen
ce de cette condition ne serait pas de nature à exclure
toute idée de fraude de sa p a rt, si d’ailleurs il est dé
montré qu’il n’a pu ignorer que la revente était la con
séquence forcée de l’achat. S’il suffisait, en effet, pour
que le titre fût, par rapport à lui, considéré comme lé
gitime, qu’il fût resté étranger à cette reventé, l’usure la
plus effrénée prendrait bientôt sa place dans un grand
�8
TRAITÉ DU DOL
nombre de transactions, certaine qu’elle serait de sortir
triomphante des plaintes qu’elle pourrait exciter.
Il importerait donc peu que le vendeur n’eût pas ra
cheté lui-même personnellement ou par personne inter
posée. Dès que de lui au prétendu acquéreur il s’est agi
d’un prêt ; que ce n’est qu’en vue de ce prêt que des
objets mobiliers ont été livrés, il n’a pu ignorer qu’il ne
pouvait s’agir de la possession de ces objets; que ce n ’est
que pour les revendre à tout prix que l’acheteur les a
acceptés ; il s’est donc, en traitant dans ces conditions,
rendu coupable d’une fraude que la prétendue vente a
pour objet de déguiser, la peine qu’il a dès lors encou
rue doit être appliquée sans hésitation. L’acte doit être
en conséquence ramené à ses véritables termes. C’est un
prêt, et tout ce qui doit être restitué, c’est la valeur ré
ellement reçue par l’emprunteur, augmentée des intérêts
légaux.
Au reste , dans une appréciation de cette nature , les
antécédents et la position respective des parties sont de
nature à exercer la plus grave influence. Ainsi l’habitude
de l’usure d’une part, de l’autre une éducation éloignant
toute idée de trafic , étrangère à toute opération com
merciale, fixerait la portée d’une vente dont la légitimité
exigerait l’usage de l’un ou de l’autre.
943.
— Contre une pareille vente , le reproche de
fraude est toujours admissible même par la partie qui y
a concouru. Vainement voudrait-on exciper de la règle
JSemo audilur turpitudinem suam allegans. L’usure est
�ET DE LA FBAUDE.
9
prohibée par la loi. Sa répression intéresse l’ordre pu
blic. On ne peut donc renoncer, et moins encore se ren
dre non-recevable à s’en prévaloir. Comme conséquence
de ce principe, celui qui se plaint d’en avoir été victime
est autorisé à le prouver non seulement par témoins,
mais encore par de simples présomptions.
L’appréciation de la pertinence de la preuve , ses
conséquences par rapport à l’acte attaqué, sont laissées
à l’arbitrage souverain des magistrats. La décision par
laquelle il est déclaré en fait qu’une vente d’effets mobiîiers constitue un prêt usuraire déguisé, échappe à la
censure de la Cour de cassation.1
La vente d’objets mobiliers imposée comme condition
du prêt d’une somme d’argent n’est pas en réalité une
vente et doit être annulée. La Cour de Paris l’a ainsi
jugé dans l’hypothèse suivante :
« Par acte sous seing privé du 18 octobre 1833, dé
posé plus tard aux écritures de M® flfaréchal, notaire à
Paris, la princesse de La Paix s’était reconnue débitrice
envers le sieur Gaumont, commis et prête-nom du sieur
Darroc , ancien tapissier, d’une somme de 410,000 fr.
dont la cause n’était pas exprimée audit acte, et qu’elle
s’était obligée d’acquitter en six paiements, les cinq pre
miers de 20,000 fr. et le dernier de 10,000 fr., avec
stipulation qu’elle souscrirait à l’ordre de Gaumont six
billets à ordre pour ladite somme de 110,000 fr., en
�TRAITÉ DU DOL
nantissement de laquelle elle avait donné une galerie de
tableaux dont l’état avait été annexé audit acte.
» Les six billets à ordre avaient été souscrits par la
princesse de La Paix , et elle avait acquitté le premier.
Mais elle s’était refusée à payer les autres , sur le motif
qu’il ne lui avait été prêté que 30,000 fr. En sorte
qu’elle ne devait plus que 10,000 fr. qu’elle offrait de
payer.
» Jugement qui accueille sa prétention. Appel , et le
7 février 1835 arrêt de la Cour qui statue en ces ter
mes :
» Considérant qu’il résulte des faits et circonstances
de la cause et des documents du procès , que sur les
110.000 fr. montant de l’obligation souscrite par la
princesse de la Paix , cette dernière n’a reçu réellement
qu’une somme de 30,000 fr.; que le surplus desdits
110.000 fr. se compose du prix donné par le prêteur
lui-même à une quantité de meubles restés dans ses
magasins et mis à la disposition de la princesse de La
Paix, laquelle devait lès faire vendre à ses risques et pé
rils, pour le prix en être remis à Gaumont en déduction
de sa créance; que cette obligation imposée à la princesse de La Paix était la condition expresse du prêt de
30.000 fr.; que ce n’était donc point une vente sérieuse
et à prix débattu , mais seulement un moyen d’obtenir
et de dissimuler les intérêts usuraires que Gaumont vou
lait tirer des 30,000 fr. précités. »
En conséquence la Cour réduit la créance à 30,000
francs avec intérêts légaux , annulle les billets souscrits
�ET DE LA FRAUDE.
11
et en ordonne la restitution , annulle également toutes
conventions intervenues entre les parties relativement
aux meubles en question.'
944.
La vente des choses mobilières n’a pas seu
le le privilège de déguiser un contrat de prêt usuraire.
L’aliénation d’un immeuble peut n ’avoir que cet objet.
La vente prétendue n’est alors qu’un contrat pignoratif
que l’existence de l’usure peut faire annuler.3
Donner en gage un immeuble soit par antichrèse,
soit sous la forme d’une vente, n’a rien en soi d'illicite,
lorsque , fidèles à la pensée qui a dicté le contrat, les
parties se conforment dans l’exécution à son véritable
caractère.
Mais l’anlichrèse se prête peu à déguiser l’usure. Les
loyers perçus , rapprochés des sommes à payer , indi
quent d’une manière précise le taux auquel les intérêts
ont été exigés^ Il n ’en est pas de même du contrat pig
noratif; par l’apparence du contrat, le prêteur est en
possession des immeubles, et si, le délai du réméré ex
piré, il prétend se les approprier définitivement, il peut
ainsi consommer l’usure la plus effrénée.
L’attention des magistrats ne doit donc point se lais
ser distraire par la couleur donnée à l’acte , elle doit se
porter avec soin sur la véritable intention des parties, et
saisir les véritables caractères de la convention.
1 J. du P., à sa date; — V. Paris, 27 novembre 1844;—J. du P.,
�\%
TRAITÉ DU DOL
9 4 3 . — Les éléments de cette appréciation avaient
été déterminés par la jurisprudence ancienne, alors que
la nature réelle de l’acte avait, sur sa validité, la plus
haute, la plus décisive influence. À cette époque, en ef
fet, la législation civile, se conformant au précepte du
droit canonique , prohibait, d’une manière absolue, le
prêt à intérêt sans aliénation du capital, et la connais
sance des cas d’usure était abandonnée aux tribunaux
ecclésiastiques. Cette prohibition, plus conforme au mys
ticisme religieux qu’aux franches notions de l’équité et
de la justice , n’avait abouti qu’à produire des efforts
successivement tentés pour l’éluder. C’est à ce titre qu’on
avait d’abord recouru à l’antichrèse, bientôt déclarée il
légitime.
•l.'
Les créanciers , n’osant plus accepter des immeubles
en gage avec pacte d’en percevoir les fruits pour leurs
intérêts, imaginèrent de les acheter avec faculté pour les
vendeurs de les reprendre dans un délai déterminé, et,
comme aux termes du droit romain', la chose donnée
en gage pouvait être louée par le créancier à son débi
teur, ils relouèrent à leurs vendeurs les fonds que ceuxci leur avaient vendus. Ces contrats furent nommés
pignoratifs, parce que la vente qui y était stipulée n’é
tait véritablement qu’une impignoration ou engage
ment.3
1 L. 37, Dig De adqu. et amit. poss.; — L. 37, Dig. De pignoralitia acliane,
- Lecamus, Traité des intérêts, p. 348.
�ET DE LA FRAUDE.
13
L’effet de ce contrat ne fut pas de transférer la pro
priété sur la tête de l’acquéreur ; celui-ci, à l’expiration
du délai fixé pour le rachat, prorogeait la faculté de l’o
pérer et la relocation. Dans le cas contraire , il faisait
saisir et vendre les immeubles, après commandement de
payer le capital et les arrérages qualifiés de loyers.
Mais c’était là un nouveau moyen d’éluder la prohi
bition de la loi, à l’égard du prêt à intérêt, et de reti
rer de son capital un profit que l’aliénation seule de ce
capital pouvait autoriser. En conséquence , un arrêt du
Parlement de Paris, du 29 juillet 1572, déclara ces con
trats nuis et usuraires , défendant d’en passer aucun à
l’avenir, sous peine de confiscation et d’amende.
Cette jurisprudence ne servit qu’à aggraver la position
des débiteurs. Le contrat pignoratif ne cessa pas d’être
pratiqué, seulement, dans le but d’éviter la peine qui les
menaçait, les acquéreurs soutinrent que le contrat ren
fermait une vente sérieuse et réelle, en force de laquelle
ils conservaient la possession définitive de l’immeuble,
faute par le débiteur d’avoir usé de la faculté de rache
ter dans le délai stipulé.
De là, de nombreux litiges sur le véritable caractère
de l’acte. En effet, si le créancier avait intérêt à le faire
considérer comme une vente, le débiteur n ’avait pas un
i
intérêt moindre à le faire déclarer un contrat pignora
tif , car, maintenu dans le premier c a s , il était annulé
dans le second. On s’appliqua dès lors à la recherche
des caractères auxquels on devait reconnaître le contrat
pignoratif, et à préparer ainsi les éléments de la solution
�14
TRAITÉ DU DOL
que la difficulté devait recevoir. Ces caractères furent :
10 la vileté du prix ; 2° la faculté de rachat ; 3° la re
location au vendeur.
Prise isolément, chacune de ces circonstance ne pou
vait paraître exclusive d’une vente réelle, mais leur ré
union avait été considérée comme constitutive de l’im pignoration. Cette doctrine , professée par tous les au
teurs, avait été formellement consacrée par la jurispru
dence.
Le décret du 2 octobre 1798 ayant permis le prêt à
intérêt avec ou sans aliénation du capital, le contrat pig
noratif devint parfaitement licite , à la charge toutefois
de ne pas favoriser une spoliation usuraire. Cotte der
nière condition cessa même de devenir un obstacle lors
que la loi du 11 avril 1793, proclamant l’argent mar
chandise, chacun put stipuler l’intérêt qu’il lui plaisait
exiger.
Il est vrai que l’effet de cette loi fut d’abord suspen
du par des lois subséquentes et plus tard anéanti par le
Code civil. Mais ce n’est que par la loi de septembre
1807 que le taux de l’intérêt, soit conventionnel soit lé
gal, a été fixé.
946.
— L’admission par le Code civil du prêt à in
térêt autorise aujourd’hui l’antichrèse et le contrat pig
noratif. Mais le désir d’éluder la loi de 1807 peut ren
dre ce dernier un instrument d’usure ; dans ce cas, mais
dans ce cas seulement, la.loi a dû le proscrire. La dif
ficulté réside donc tout entière encore dans la détermi-
�ET DE LA FRAUDE.
15
nation du caractère de l’acte, lorsque les parties ont a dopté la forme de la vente; ce caractère posé , la ques
tion de savoir s’il y a usure ne constitue plus qu’une opération arithmétique.
La difficulté est donc, quoique sous un aperçu diffé
rent, ce qu’elle était sous l’empire de notre ancienne lé
gislation. La règle alors suivie devient conséquemment
parfaitement applicable. On reconnaîtra le contrat pig
noratif si la prétendue vente renferme les trois caractè
res ci-dessus indiqués, à savoir : la vileté du prix, la fa
culté de rachat, la relocation.'
9 4 7 . — L’acte déclaré contrat pignoratif sera nul
comme vente, valable comme obligation jusqu’à concur
rence du capital prêté et des intérêts légaux. Toute usu
re disparaîtra dès lors au moyen de l’imputation des
sommes reçues sur ces intérêts , et subsidiairement sur
le capital, dont le solde sera ainsi parfaitement déter
miné.
9 4 8 . — C’est aux tribunaux qu’il appartient d’ap
précier souverainement l’exception proposée par le dé
biteur et les moyens que le créancier fait valoir. Aux éléments matériels qui précèdent, vient se joindre un élé
ment moral que l’ancienne jurisprudence n ’avait pas
négligé, à savoir : les antécédents de ce créancier. L’ha
bitude d’usure, consuetudo fœ nerandi, établie contre
1 V. infra sect. 6, n°* -H74 et suiv,
I
�46
TRAITÉ DU DOD
lui ferait facilement présumer la vérité du reproche qui
lui serait adressé dans cette circonstance.1
Ce droit des tribunaux a été contesté. L’acte authen
tique , a-t-on d it, fait foi par lui-même ; on ne peut
donc le modifier, à l’aide de présomptions plus ou moins
significatives, sans violer l’art. 4341 du Code Napoléon
qui défend de prouver outre et hors le contenu en l’acte
écrit.
D’ailleurs, ajoutait-on, si la vente est entachée d’u
sure , tout ce que peuvent les magistrats c’est, non de
l’annuler, mais seulement d’ordonner la restitution de
ce qui aurait été indûment retenu.
Ces prétentions n’avaient aucun fondement. L’acte
querelé de simulation et revêtant de la forme d’une vente
un prêt usuraire, consomme une fraude contre une loi
d’ordre public. En pareille matière , la preuve testimo
niale étant de droit entraîne la recevabilité de celle par
présomptions.
Cette preuve acquise, l’acte, quelle qu’en soit la for
me, ne saurait être maintenu. Colorera habet substantiam vero nullam. Il n ’est plus que l’instrument de la
fraude, que l’élément de l’usure : il doit donc disparaî
tre.
C’est dès lors fort juridiquement que la Cour de Riom
jugeait, le 20 mars 1822, que la question de savoir si
un contrat de vente est simulé , et si en réalité c’est un
prêt usuraire déguisé, est une question d’intention sou1 V. infra ch. 2, sect. 6,
�mise à la conscience des juges , d’après l’art. 1154 du
Code Napoléon ; que ce n’est point le cas d’appliquer les
articles du Code qui assurent tout effet aux actes écrits,
et défendent d'admettre des présomptions contraires.1
949.
— L’exécution d ’une vente sincère et légitime
dans son principe peut devenir une occasion de fraude.
C’est ce qui se réalise, lorsqu’une des parties tente de se
soustraire aux obligations qu’elle s’est imposée soit pour
la délivrance, soit pour l’acceptationet le paiement du
prix.
Le devoir, pour le vendeur, de délivrer la chose ven
due implique nécessairement celui de veiller jusque là
à sa conservation. Conséquemment , s’il abuse de la
jouissance qui lui a été laissée, si, loin d’y apporter les
soins et la vigilance d’un bon père de famille, il la dé
laisse et l’abandonne , il se rend coupable d’une fraude
l’obligeant à réparer le préjudice en résultant.
950.
— Les torts du vendeur sont facilement appré
ciables , lorsque la fraude résulte d’un fait positif, in
committendo. Un individu vend un cheval ou un im
meuble livrable à une époque déterminée ; dans l’inter
valle de la vente à la livraison , il soumet ce cheval à
un travail forcé ou lui refuse la nourriture nécessaire ;
il dégrade volontairement l’immeuble, laisse des tiers abattredes murailles, enlève ou permet d’enlever les por-
1 J. du P., à sa date
111
�18
TRAITÉ DU DOL
tes ou les fenêtres. On n’hésitera pas à le rendre res
ponsable de tous ces faits qui pourront, suivant les cir
constances , se résoudre en des dommages-intérêts ou
même autoriser la résiliation de la vente. La preuve des
faits matériels est par elle-même démonstrative de la
fraude , et cette fraude équivalant au d o l, l’étendue des
dommages-intérêts se détermine par les règles que nous
avons exposées en traitant de celui-ci.1
Il y aurait plus de difficultés dans fp cas où le repro
che de fraude est fondé sur un fait négatif, in omittendo. L’appréciation ne porte plus alors sur les consé
quences d'un fait matériel convenu ou établi, c’est l’exis
tence de ce fait, c’est le degré d’imputabilité qu’il s’agit
de déterminer. A cet égard , il importe de rappeler que
les tribunaux sont appréciateurs souverains de l’un et
de l’autre. Ce qu’ils ne doivent jamais perdre de vue,
c’est que la négligence, poussée jusqu’à de certaines li
mites, atteint aux proportions du dol, qu’elle en produit
tous les effets , qu’elle doit aussi en produire les consé
quences : Dissoluta negligentia prope dolum est.
951.
— Ce n ’est pas tout de conserver la chose , il
faut encore la livrer au terme convenu. Le retard ou
l’impossibilité d’opérer cette livraison constitue une frau
de, si l’un ou l’autre n’est que la conséquence d’un fait
volontairement réalisé par le vendeur. Le défaut de li
vraison, le retard même donne ouverture à l’action en
i V. supra n°« 307 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
19
délivrance ou en résiliation avec dommages-intérêts, s’il
est résulté un préjudice de l’un ou de l’autre.
952.
— L’art. 1610 du Code civil , quant à cette
double action , ne distingue même pas entre la fraude
et la simple faute. Il suffit que l’inexécution se soit ré
alisée ; qu’elle ait déterminé pour l’acheteur un préju
dice quelconque pour que le droit qu’il consacre soit
ouvert. On ne saurait qu’approuver le parti auquel s’est
arrêté le législateur, car toute distinction à cet égard ne
pouvait que créer une multitude de difficultés et entra
ver la justice elle-même. D’ailleurs, en pareille matière
on peut répéter, avec le droit romain : Fraus non in
consilio, sed in eventu. Qu’importe, en effet, la bonne
foi du vendeur, si, en définitive, en ne s’exécutant pas,
il a causé à l’acheteur un préjudice exactement sembla
ble à celui que la mauvaise foi aurait pu causer.
Ajoutons que la nuance qui sépare la bonne foi de la
fraude est souvent imperceptible , surtout en matière
commerciale. La hausse ou la baisse survenue depuis le
marché joue trop souvent le plus grand rôle dans les
difficultés que la délivrance fait éclore. Il était donc pru
dent de les prévenir en ne s’arrêtant qu’au fait matériel
du défaut de livraison au terme convenu.
955.
— Au reste, le législateur a fait la part de l’é
quité en permettant aux juges d’accorder un délai pour
opérer la livraison'. Cette faculté, ils pourront en user
�20
TRAITÉ DÉ DOL
lorsque la bonne foi du vendeur sera établie. Ils ne croi
ront jamais devoir y recourir lorsque la fraude aura
seule déterminé le retard. Cette latitude , laissée à leur
justice, atténue donc singulièrement la sévérité du prin
cipe de l’art. 1610.
9 5 4 . — Nous retrouvons une atténuation non moins
importante dans la fixation du chiffre des dommagesintérêts. Là encore la bonne foi se distingue de la frau
de, car, dans le premier cas, les seuls dommages qu’on
puisse accorder sont ceux prévus au moment du contrat
et propter rem ipsam non habitam. La fraude , au
contraire, mettrait à la charge du vendeur tout le pré
judice directement imputable à l’inexécution.
A insi, la distinction que la loi n’admet pas en prin
cipe entre la simple faute et la fraude, se retrouve dans
les conséquences que chacune d’elles doit entraîner. La
faute commise de bonne foi fait ce que la fraude exclut
positivement, à savoir : proroger le délai de la livrai
son, modérer dans tous les cas les dommages-intérêts.
9 5 5 . — La doctrine et la jurisprudence ont admis
l’application de l’art. 1184 du Code civil aux ventes
commerciales. Mais c’est surtout dans cette matière qu’on
doit se prescrire une extrême prudence dans l’usage de
la faculté de proroger le délai de la livraison. L’esprit
du législateur ne nous parait pas comporter , quant à
ce, l’ombre du doute. Cet usage n’est réellement admis
sible que lorsque la prorogation du délai est démontrée
ne pouvoir entraîner aucun inconvénient réel pour l’a
cheteur.
�ET DE LA FRAUDE.
Il
Cela se rencontrera fréquemment dans les ventes or
dinaires de meubles destinés à être jouis par celui qui
les achète. Le retard que cette jouissance peut éprouver
n’aura pas, à tout prendre, de bien graves inconvénients.
On comprend, dès lors, que la bonne foi du vendeur en
retard de livrer prévale sur la rigueur du droit.
Mais il en est autrement dans les transactions com
merciales. Celui qui n’achète que pour revendre , qui
souvent même a revendu immédiatement après avoir achelé, a le plus grand intérêt à recevoir les marchandi
ses au jour indiqué, soit pour profiter du cours avanta
geux à celte époque, soit pour livrer lui-même à son acheleur. Tout retard peut devenir un véritable danger,
car une marchandise admirablement tenue aujourd’hui
peut subir dans les vingt-quatre heures une telle fluc
tuation , qu’au lieu du gain assuré que l’acheteur eû
réalisé, s’il eût reçu la veille, c’est une perte sur le prix
d’achat que la réception opérée le lendemain lui impo
sera. Dans de pareilles circonstances, il est évident que
toute faveur pour l’un deviendrait une iniquité pour
l’autre, et cela suffit et au delà pour que les tribunaux
s’abstiennent d’user de la faculté que la loi leur laisse.
9 5 6 . — C’est la chose vendue telle qu’elle existait
au moment du contrat, telle qu’elle a été promise, qui
doit être livrée. Toute modification, toute tromperie sur
la nature, la qualité ou la quantité constitue une fraude
pouvant servir de fondement à l’action de l’acheteur.
9 5 7 . — Ainsi, la vente d’un immeuble comprend
�22
TRAITÉ Dü DOL
virtuellement les meubles incorporés, les capitaux atta
chés à l’exploitation. Le vendeur ne peut donc, à moins
de réserves expresses , enlever les uns ou les autres. Il
importerait peu que cet enlèvement eût été réalisé avant
la rédaction de l’acte , s’il l’avait été depuis la conclu
sion du marché ou même depuis la visite des lieux, l’ex
istence de ces meubles et capitaux , connue de l’acqué
reur, entre dans les éléments sur lesquels il établit le
prix qu’il doit offrir. On ne pourrait donc , sans altérer
son appréciation, les enlever à son insu et sans son ad
hésion.
Le vendeur ne p o u rrait, pour justifier l’enlèvement,
exciper du silence de l’acte. L’acquisition de l’immeuble
entraîne celle de tout ce qui s’y est uni ou incorporé.
On n ’a nul besoin d’énoncer un fait que le droit com
mun crée et admet ; on n’a à s’occuper des meubles in
corporés et des capitaux que si les parties ont voulu les
distraire de la vente.
Cette intention ne se présume jamais.Conséquemment,
si l’acte est muet, l’enlèvement qui l’a précédé, accom
pagné ou suivi est nécessairement frauduleux. Le ven
deur serait donc contraint de les rétablir ou d’en payer
la valeur. Vainement prétendrait-il qu’il a été autorisé
à en disposer. C’est là un fait qu’il ne saurait prouver
autrement que par écrit, car il tend à affaiblir l’autorité
d’un titre contre lequel l’art. 1341 proscrit toute preuve
testimoniale.
Mais si l’acquéreur se plaint de l’enlèvement, s’il de
mande et obtient de l’établir par témoins, ce qui est tou-
�ET DE LA FRAUDE.
23
jours admissible , la preuve contraire étant de droit, le
vendeur pourra, par la même voie, justifier que, consé
quence d’une réserve formellement convenue , l’enlève
ment a été fait au vu et su de l’acquéreur et sans oppo
sition de sa part. Cette preuve rendrait la réclamation
ultérieure de celui-ci non-recevable et mal fondée.
9 5 8 . — Les récoltes pendantes par racines, les ar
bres radiqués sur la propriété au moment de la vente
rentrent dans la catégorie des meubles et capitaux incor
porés. Les règles applicables à ceux-ci doivent donc les
régir. L’enlèvement des unes, la coupe des autres, sou
mises aux mêmes principes, produirait les mêmes con
séquences.
9 5 9 . — La tromperie sur la nature de l’objet ven
du constitue plus qu’une simple fraude , c’est un véri
table délit prévu et puni correctionnellement par la loi.1
Ainsi, celui qui a vendu de l’or ou de l’argent, et qui
livre du cuivre ou de l’étain est non seulement passible
de l’action en résolution de l’acheteur , mais encore de
la poursuite du ministère public. Il en est de même de
celui qui, vendant une marchandise d’une nature déter
minée, en livre réellement une autre. Par exemple, une
liqueur fabriquée pour du vin, de l’huile de graine pour
de l’huile d’olive, du seigle pour du blé, etc...........
9 6 0 . — Aux termes de la loi du 28 juillet 1824, la
1 Art. 423 du Code pénal.
�24
TRAITÉ DU DOL
contrefaçon des marques de fabriques , l’usurpation du
nom du fabricant, la fausse indication du lieu de la pro
duction, est assimilée à la tromperie sur la nature de la
marchandise. La découverte par l’acheteur de la fraude
pratiquée à son encontre l’autoriserait soit à refuser la
livraison qui lui serait offerte, soit à demander, après la
livraison , la résiliation de la vente et la restitution du
prix. Cette demande serait compétemment déférée au
tribunal correctionnel saisi de l’action en répression.
961.
— La tromperie sur la qualité est sans doute
blâmable aux yeux de la morale , mais elle n’est pas
considérée communément comme un moyen de revenir
contre la vente. C’est principalement dans la vente des
choses mobilières qu’on peut dire , avec le jurisconsulte
romain : Naturaliter licet contrahenlibus se circumvenire. Le vendeur, à l’en croire, vend toujours ce qu’il
y a de meilleur au monde, chacun sait cela. Mais on ne
doit l’admettre qu’après s’en être assuré. L’acheteur qui
ne prend aucune précaution, qui ajoute une foi trop aveugle à des allégations intéressées se trompe lui-même
autant q u ’il est trompé. La faute étant commune , la
responsabilité ne peut appartenir à un,seul.
Cependant la tromperiesur la qualité peut, dans main
tes circonstances, entraîner la résiliation de la vente a vec dommages-intérêts. Nul, en effet, ne peut être con
traint d’accepter une marchandises d’une qualité autre
que celle qu’il a entendu acheter, qu’on a entendu lui
vendre. Ainsi, si j’achète des amandes de l’année ou des
�ET DE LA FRAUDE.
25
grains du pays , on ne pourrait me livrer des amandes
vieilles ou des grains d’une provenance étrangère. Le
refus que je ferais de les accepter serait sanctionné par
les tribunaux. Dès lors, le vendeur, n’ayant pas rempli
ses obligations, devrait réparer le préjudice résultant de
l’inexécution.
Mais l’exception de non conformité doit être opposée
avant l’acceptation. La livraison réalisée , tout est con
sommé et la différence de qualité ne serait plus proposable.
962.
— Il est cependant une hypothèse où la diffé
rence de la qualité entraînerait la résiliation même après
livraison, mais cela ne pourrait avoir lieu qu’aux deux
conditions suivantes :
1° La qualité, sur laquelle on a été trompé, doit a voir été la cause déterminante du contrat, à tel point
que, sans l’engagement du vendeur à cet égard, l’achat
n’aurait point été contracté. Dans ce cas, la fraude atta
que le contrat dans son essence , vicie le consentement
lui-même, il n’existe plus aucun lien obligatoire ;
2° L’acceptation par l’acquéreur de l’objet livré ne
doit avoir été déterminée que par la garantie formelle
donnée par le vendeur de l’existence de la qualité requi
se. Cette garantie est décisive , car elle a pour effet na
turel d’empêcher les investigations qu’une simple alléga
tion commanderait. Dès lors, si le fait garanti n’existe
pas, l’obligation résultant de la garantie doit sortir à ef
fet, et cet effet ne peut être que la résiliation de la vente,
avec dommages-intérêts s’il y a lieu.
�26
TRAITÉ DU DOL
C’est surtout pour les objets d’art, dont la valeur dé
pend bien souvent du maître auquel on les attribue, que
la tromperie sur la qualité peut offrir les conditions que
nous venons d’énoncer et entraîner la résolution du
contrat. Ainsi , il a été jugé que l’erreur de l’acheteur
d’un tableau sur le nom de l’auteur, emporte la résolu
tion de la vente, lorsqu’il est établi, d’une part, que le
vendeur a surpris le consentement de l’acheteur en lui
garantissant faussement la sincérité de l’origine attribuée
au tableau vendu, et que, d’autre part, c’est en consi
dération de celle origine que l’acquisition a eu lieu.'
965.
— Le vendeur, qui livre une chose qu’il sait
impropre à sa destination , commet une fraude qui l’o
blige à réparer le préjudice souffert par l’acheteur. Nous
avons déjà dit que si le vice caché était ignoré du ven
deur , sa garantie n’est engagée que pour le dommage
éprouvé quant à la chose elle-même; s’il connaissait ce
vice et qu’il l’ait dissimulé, c’est le dommage souffert
par l’acheteur sur ses autres biens qu’il est tenu de sup
porter.3
9 6 4 . — La tromperie sur la quantité est un délit,
lorsqu’elle résulte de l’usage de faux poids ou de fausses
mesures. Délit ou simplement erreur, l’acheteur qui en
est victime a le droit d’exiger le complément qui lui est
dû ou de ne payer que ce qu’il a réellement reçu.
1 Douai, 27 mai 1846; — D. P., 46, 1, 509,
2 V. supra n° 307.
�ET DE LA FRAUDE.
27
9 6 5 . — À l’obligation de livrer que prend le ven
deur, se joint celle de faire jouir l’acquéreur de la cho
se vendue, après lui en avoir transféré la propriété. Ce
lui qui vend la chose d’autrui s’expose à ne pouvoir
remplir ni l’une ni l’autre de ces obligations.
Les conséquences d’un acte de ce genre diffèrent se
lon que le vendeur a été de bonne ou de mauvaise foi.
Dans le premier cas, il n’est obligé que dans les propor
tions déterminées par l’art. 1634 du Code civil.
Mais celui qui vend sciemment la chose d’autrui com
met une fraude tant à l’égard du véritable propriétaire,
qu’à l’égard de l’acquéreur, il doit donc être tenu de les
indemniser l’un et l’autre. Cette indemnité doit, pour le
propriétaire, consister au remboursement de tous les
frais que l’acte a pu lui occasionner, celle due à l’ac
quéreur est réglée par l’art. 1635. Toute indulgence,
en pareille matière, serait contraire à l’esprit de la loi ;
il faut bien se garder, en effet, de paraître encourager
des entreprises aussi condamnables , aussi dangereuses
pour l’ordre social.
9 6 6 . — Il est une fraude plus condamnable encore,
si c’est possible, c’est celle consistant à vendre deux fois
la même chose. C’est là, en effet, un véritable vol contre
l’un des deux acquéreurs, puisqu’il est impossible qu’ils
reçoivent tous les deux l’objet qui leur a été cependant
vendu.
Nous n’avons pas à rechercher les causes de préfé
rence d’une vente sur l’autre , le rang d’antériorité qui
�28
TRAITÉ DU DOL
doit leur être assigné soit qu’il s’agisse d’un meuble, soit
qu’il s’agisse d’une chose immobilière. Ces questions ap
partiennent à une matière autre que celle dont nous de
vons exclusivement nous occuper. Ce que nous devons
rechercher, c’est l’effet que la double vente produit visà-vis des acquéreurs soit contre le vendeur, soit contre
chacun d’eux.
D’abord, et par rapport au vendeur, aucun doute ne
saurait jamais s’élever. L’acte qu’il s’est permis est une
fraude insigne contre les deux acquéreurs. Ils ont donc
l’un et l’autre le droit incontestable de poursuivre la ré
paration du préjudice que cette fraude est dans le cas
de leur occasionner.
967.
— La seconde vente n’est en général suscepti
ble de sortir à effet que si le vendeur n’avait pas anté
rieurement aliéné ce qui en fait la matière. Le second
acquéreur a le plus grand intérêt à ce qu’il en soit ainsi.
Pourra-t-il dès lors soutenir que la première vente n’est
qu’apparente et ne constitue qu’une simulation ; que
conséquemment le vendeur ayant conservé la propriété
de la chose a pu valablement la lui transmettre ?
Cette faculté a été contestée. La prétention du second
acquéreur, a-t-on dit, ne tend à rien moins qu’à faire
considérer la première vente comme faite en fraude de
ses droits. Or , pour qu’on puisse recourir au remède
prescrit par l’art. 1167, il faut, de toute nécessité, que
le droit, qu’on prétend frauduleusement éludé, ait pré
existé à la consommation de la fraude. Dans l’hypothè-
�ET DE LA FRAUDE.
29
se, cette condition est impossible, puisque le droit du
second acquéreur n’a été acquis que postérieurement à
l’acte attaqué. Comment donc admettre que cet acte n’ait
été réaÿsé qu’en fraude d’un droit qui n’était pas mê
me né.
968.
— Nous ne pouvons admettre cette doctrine
dans le sens absolu qu’on lui prête. A notre avis , une
distinction est essentielle pour l’exacte appréciation de
la question que nous examinons.
Si le vendeur avait été laissé en possession lors de la
première vente, et que cette possession ait été transmise
au second acquéreur, celui-ci sera nécessairement dé
fendeur dans l’instance en revendication que le précé
dent acquéreur sera dans le cas d’intenter ; comme tel,
il sera autorisé à discuter la légitimité du titre qu’on lui
oppose et qui ne pourra sortir à effet que s’il est déclaré
sérieux et sincère. Cette discussion comporte nécessai
rement l’exception de simulation et de fraude avec d’au
tant plus de raison que le fait lui-même vient lui assu
rer un appui incontestable.
Il n’est pas, en effet, naturel que celui qui a,réelle
ment acquis ne se mette pas en possession des choses
qui lui ont été aliénées. Ce défaut de prise de possession
rend suspect le caractère de l’acte, il constitue dans tous
les cas une faute grave, ayant favorisé la fraude dont le
second acquéreur est victime, et facilité le piège tendu
à sa bonne foi. Il est donc équitable de permettre à ce
lui-ci de prouver que l’acte qu’on lui oppose n’a rien
�30
TRAITÉ DU DOL
de réel, et que la demande à laquelle il résiste n’est ellemême qu’une fraude entée sur une simulation.
Le fait de la possession par le vendeur, au moment
de la seconde vente , est donc décisif. Mais il le serait
beaucoup moins, s’il était expliqué par la première ven
te de manière à exclure toute idée de faute de la part
de l’acquéreur, par exemple , si la remise de cette pos
session avait été fixée à un terme convenu ; si l’acte por
tait relocation en faveur du vendeur. Dans l’un comme
dans l’autre cas , l’exception de fraude n ’en serait pas
moins recevable , mais elle serait très-difficilement ad
missible.
Si le second acquéreur est demandeur en délaisse
ment contre le premier , la position est toute différente.
Les règles à suivre ne peuvent être identiques. Assuré
par l’exécution qu’il a reçue, le titre du premier acqué
reur se suffit à lui-même, et son droit ne peut être al
téré que si ce titre vient à périr. Or le second acqué
reur, dont les droits ne sont nés que postérieurement,
n ’a pas qualité pour agir directement en vertu de l’ar
ticle 1167. Il ne peut donc attaquer le titre qui lui est
opposé qu’en exerçant les actions de son vendeur, et,
dans les cas seulement où celui-ci pourrait l’attaquer
lui-même. Or , nous verrons plus bas que le complice
de la simulation, lorsqu’il a pu s’en procurer une preu
ve écrite, est non-recevable à prétendre la prouver par
témoins. Cette fin de non-recevoir, écartant le vendeur,
écarterait le second acquéreur qui n ’est que son ayant
cause, à moins qu’il ne s’agît d’une simulation illicite
�31
que les parties elles-mêmes peuvent toujours prouver
tant par témoins que par présomptions.
Admettre le contraire , ce serait éluder la prohibition
de la loi et permettre au vendeur de faire indirectement
ce qu’il ne pourrait faire d’une manière directe. Celuici , en effet, n’aurait qu’à simuler une seconde vente,
puisqu’il pourrait, par ce moyen et à l’aide d’une inter
position de personne, faire admettre un genre de preuve
formellement interdit par l’art. 1341.
Les facilités que cette fraude rencontrerait ont dû dé
terminer le législateur à la considérer comme certaine
lorsqu’une partie prétend avoir acheté un objet dont le
vendeur n ’avait plus la possession Cette circonstance
mérite, dans tous les cas, d’être approfondie. Elle doit,
en effet, conduire nécessairement l’acquéreur à la con
naissance d’une vente antérieure. En conséquence, celui
qui, sans s’en préoccuper, a contracté avec le prétendu
propriétaire d’une chose possédée par un autre , est au
moins coupable d’imprudence. Il ne peut accuser qui
que ce soit de l’avoir trompé, puisqu’il s’est prêté à se
tromper lui-même.
On est censé connaîlre dès qu’on a pu connaître. Or,
pour le second acquéreur, la connaissance d’une vente
précédente le constitue tellement en mauvaise foi, qu’il
ne pourrait faire prévaloir son titre, même authentique,
sur celui du premier acquéreur n’ayant qu’un sous seing
privé. Il y a même plus, la seconde vente n’étant qu’u
ne fraude au préjudice de la première, celui qui, éclairé
sur l’existence de celle-ci, a accepté le bénéfice de l’au -
ss fe â
ET DE IA FRAUDE.
�32
TRAITÉ DU DOL
tre, s’est, par cela même, rendu complice de la fraude.
Il pourrait, dès lors, être poursuivi et condamné solidai
rement à réparer le préjudice que cette fraude a occa
sionné,
969.
— La vente impose à l’acquéreur l’obligation
de recevoir livraison au terme convenu, L’inexécution
de cette obligation autorise le vendeur à en poursuivre
l’accomplissement ou à demander la résolution de la
vente. Il peut, de plus, exiger dans l’un et l’autre cas des
dommages-intérêts si le retard mis à prendre livraison
lui a causé un préjudice.
Ce retard fait d’ailleurs cesser l’obligation imposée au
vendeur de conserver la chose vendue , en ce sens que
la perte de cette chose ou les détériorations qu’elle vien
drait à subir restent à la charge de l’acquéreur légale
ment en demeure. Mais la cessation de la responsabilité
du vendeur ne peut s’entendre de telle manière qu’elle
pût autoriser un délaissement complet de cette chose.
Tant que le vendeur est en possession, il répond de son
dol ou de sa frande : Quum moram emptor adhibere
cœperit, jam non culpam, sed dolum tantum prœstandum venditori.'
Aux termes de l’art. 1657 du Code civil, la vente de
denrées et effets mobiliers est résiliée de plein droit et
sans sommation au profit du vendeur après l’expiration
du terme convenu pour le relirement. Mais c’est là une
1 L.17, Dig. Depericul. et comrn. rei vend.
�ET DE LA. FRAUDE.
33
simple faculté dont le vendeur peut ou non user, dont il
n’usera que très-rarement dans le cas où le défaut de
retirement sera le résultat de la fraude. Il est évident,
en effet, que l’inexécution par l’acheteur suppose que le
marché lui est devenu onéreux, et, par cela même, un
intérêt contraire chez le vendeur, puisque la perte à su
bir resterait pour son compte. Il est donc certain qu’au
lieu de considérer le marché comme résilié, il préférera
contraindre l’acheteur à l’exécuter en prenant livraison
ou à l’indemniser du préjudice que le refus de celle-ci
entraînerait. Les dommages - intérêts doivent toujours
comprendre dans ce cas la différence entre le prix ac
tuel de l’objet vendu et celui fixé dans le contrat.
9 7 0 . — L’acquéreur est obligé de payer le prix sti
pulé. Le retard dans ce paiement entraîne des domma
ges-intérêts consistant dans tous les cas au paiement des
intérêts, mais qui peuvent, dans le cas de fraude, com
prendre le préjudice qui en serait une conséquence di
recte.
9 7 1 . — Les parties peuvent s’en remettre , pour la
détermination du prix , à l’arbitrage d’un ou de plu
sieurs experts. La fraude des experts pourra-1—elle nui
re ou profiter aux parties ?
9 7 2 . — La négative était enseignée sous l’empire
du droit romain par de célèbres commentateurs ; Quod
si iniquum arbiter interposuerit arbitrium, ad ipsum
bonœ fidci judicio, id est judicis officio secundum na-
�34
TRAITÉ DU DOL
turam negotiorum bonœ fidei, ex bono et œquo corrigendum est. Cette opinion de Voet-' est aussi celle de
Cujas et des jurisconsultes de son école.
973.
— Dans notre ancien d ro it, Pothier n’hésite
pas à tenir qu’en pareille circonstance la vente doit être
annulée : « Si le tiers, dont les contractants sont con» venus, a fait une estimation, mais qui soit manifes» tement inique, il n’y aura pareillement point de ven» te, et c’est la même chose que s’il n’avait point fait
» d’estimation, car les contractants, en s’en rapportant
» à son estimation , ont entendu non une estimation
» purement arbitraire , mais une estimation tanquam
» boni viri, une estimation juste.2 »
Mais Despeisses enseigne l’opinion contraire. Se fon
dant sur ces expressions de la loi dernière au Code De
cont. emp.: « Ut si quidem ipse qui nominatus est pre
tium definiret,omni modo secundum ejus eslimationem
et pretia persolvi et venditionem ad effectum pervenire, » il refuse tout recours aux parties, même en pré
sence d’une estimation de l’iniquité la plus révoltante.3
974.
— Quelques jurisconsultes modernes, notam
ment M. Troplong , se sont rangés à l’opinion de Des
peisses. De l’avis du savant m agistrat, le texte invoqué
est décisif. En conséquence, tout en refusant à la déci—
1 Ad pand.. de contrah. emptione, n° 23
s De la vente, n° 24.
�ET DE LA FRAUDE.
35
sion de l’expert le caractère d’uri jugement arbitral, M.
Troplong la considère comme inattaquable , même pour
cause de lésion de plus des sept douzièmes.'
975.
— Quelque considérable que soit cette autori
té , nous ne saurions l’accepter en principe. L’opinion
de Voet, de Cujas , de Pothier , nous parait préférable
non seulement sous le rapport de l’équité, mais encore
au point de vue de la légalité.
Sans doute, en règle ordinaire, chacun doit exécuter
l’obligation qu’il a légalement et librement consentie,
dût cette exécution entraîner quelques inconvénients.
Mais, nous l’avons bien de fois répété, la fraude fait en
tout et partout exception au droit commun.
Or, une évaluation évidemment inique est une fraude
à l’encontre de celui qui doit en supporter les consé
quences. Cette proposition , incontestable lorsque l’ex
pert a ou agi malicieusement ou cédé à la corruption,
pourrait-elle être contestée lorsque, sans données posi
tives sur l’intention, on se trouve en présence d’un ré
sultat violant ouvertement toute idée d’équité et de jus
tice ? Nous le comprendrions si la fraude ne pouvait
subsister que par le concours du fait et de l'intention,
consilium et eventus, mais tel n’est pas son caractère.
Ce qui la constitue , c’est la certitude d’un préjudice
fraus non in consilio, sed in eventu ; et ce qui fait le
mérite de cette décision, c’est qu’il ne saurait exister un
i De la vente, tom, î, n° <158.
�36
TRAITÉ DU DOL
fait nuisible sans qu’il naisse en même temps la certi
tude d’une volonté mauvaise ou d’un devoir violé. Or,
la faute, lorsqu’elle atteint à de certaines limites , l’im
prudence, la négligence même, acquiert les proportions
du dol, prope dolum est.
Dès lors l’estimation , jusqu’à un certain point exa
gérée, pourra être acceptée comme le résultat d’une sim
ple faute, d’une négligence ordinaire , et ne pourra vi
cier conséquemment la convention. Mais l’évaluation,
notoirement, positivement inique, suppose, à défaut d’u
ne volonté perverse, une faute tellement grave, une né
gligence tellement lourde, qu’il serait injuste de la to
lérer. Parfaitement assimilable au dol, elle doit en pro
duire tous les effets, car elle en entraînerait les résul
tats.
Cela admis, la décision de Voet, de Cujas, de Pothier,
se trouve légalement justifiée, puisque le texte invoqué
à l’appui de la solution contraire ne peut recevoir au
cune application à l’hypothèse d’un dol ou d’une frau
de. Vainement dirait-on que, dans tous les cas, s’agis
sant du fait d’un tiers, ce dol et cette fraude ne peuvent
être opposés à la partie. L’expert, en acceptant la mis
sion qui lui est confiée, devient le mandataire des par
ties et procède en cette qualité. Dès lors, la fraude qu’il
commet est opposable au mandant ou par le mandant,
car elle ne peut pas plus lui nuire qu’elle ne pourrait
lui profiter.
Nous admettons donc en principe que l’estimation ini
que ne crée aucun lien obligatoire , mais le développe-
�ET DE LA FRAUDE.
37
ment de ce principe peut créer de sérieuses difficultés.
A quelles conditions reconnaitra-t-on l’existence de ce
caractère ? Ici toute règle précise devient impossible à
formuler. Il n ’y a plus qu’une appréciation de faits et
circonstances spéciaux à chaque espèce, c’est au juge in
vesti à rechercher dans le mode suivi par l’expert les éléments de sa conviction.
97 6.
— Il est évident que toute exagération ne con
stituerait pas l’estimation inique. L’appréciation de la
valeur vénale d’un objet quelconque n’est pas ce qu’on
demande exclusivement à l’expert. Il est une valeur mo
rale , des considérations de convenance ou d’agrément
qui doivent aussi être consultées. Cette valeur morale est
susceptible d’être différemment appréciée. Tout dépend
de l’opinion personnelle qu’on s’en fa it, du point de
vue auquel on se place. Une erreur même grave, résul
tant de données exagérées à cet endroit, ne serait pas
l’évaluation inique dont oh pourrait se plaindre. Il en
serait autrement si , toutes choses poussées à l’extrême,
on se trouvait encore en présence d’une estimation évi
demment exagérée.
Aussi ne dirons-nous pas qu’on doit considérer com
me limite extrême une lésion même des sept douzièmes.
Souvent, en effet, cette lésion ne subsistera que parce
que le vendeur s’exagère à lui-même la valeur maté
rielle ou morale de sa propriété, ou parce que l’acqué
reur méconnaît par trop Tune et l’autre. C’est aux ma
gistrats qu’il est réservé de dire droit sur chaque espè-
�38
TRAITÉ DU DOL
ce. Leur prudence et leurs lumières garantissent suffi
samment qu’ils sauront, sans les confondre , distinguer
l’erreur excusable de celle qui ne pourrait l’être, et con
cilier ainsi ce que l’équité et le respect des conventions
exigent réciproquement.
977. — Tant que le prix n’est pas payé, l’acquéreur
n’est , en quelque sorte , que le dépositaire de la chose
vendue, lés dégradations qu’il lui ferait volontairement
subir seraient autant de fraudes tendant à diminuer la
valeur du gage au préjudice du vendeur, pouvant per
dre ainsi les garanties de ce qui lui est dû. Celui-ci
pourrait dès lors demander soit le paiement immédiat
du prix, soit la résiliation delà vente, avec dommagesintérêts.
9 7 8 . — Le vendeur non payé a le droit d’attaquer,
pour cause de fraude et comme faite à son préjudice, la
revente opérée par l’acquéreur , alors même qu’il au
rait formé une surenchère sur le prix de cette revente.'
La surenchère est une mesure conservatoire , ne pou
vant empêcher l’exercice ultérieur de l’action en résolu
tion pour fraude.
Cette fraude du second vendeur résulterait suffisam
ment de l’époque rapprochée de la seconde vente avec
la première, de la vilité du prix, des termes très-courts
accordés pour le paiement, et de l’engagement pris par
1 Çass., 3 juillet 1817.
�ET DE LA. FRAUDE.
l ’acquéreur, avant la vente, de garantir son vendeur de
toutes les poursuites qui pourraient être faites contre lui
par le premier vendeur'. L’existence d’un pareil enga
gement prouve la complicité de l’acquéreur dans la frau
de du vendeur, complicité sans laquelle, nous le verrons
plus tard, l’acte onéreux ne pourrait être annulé.
979.
— L’échange n’esl, à vrai dire, qu’une vente
mutuelle et réciproque. Le prix de la chose donnée par
l’un consiste dans la chose donnée par l’autre, chacune
des parties , étant également acquéreur et vendeur , se
trouve donc soumise aux obligations de l’un et de l’au
tre, comme elle en a les droits.
Dès lors, ce que nous avons dit de la fraude, à l’en
droit de la vente , reçoit une application directe dans
l’hypothèse d’un échange. Conséquemment, c’est par les
principes que. nous venons d’exposer que les difficultés
offertes par ce dernier contrat devront se résoudre.
980.
— L’échange de la chose d’autrui est nul com
me le serait la vente. L’art. 1904 s’occupe du cas où la
découverte du défaut de propriété du copermutant est
postérieure à la réception de la chose, et antérieure à la
livraison de celle promise en contre-échange. Il auto
rise le refus de toute livraison ultérieure. Cette solution
est avouée par la raison et la justice. Comment exécuter
une convention ayant pour résultat probable d’enlever
1 Cass., 3 juillet 1817.
�40
TRAITÉ DU DOL
à l’un l’équivalent de ce qu’il donne lui-même. Tout ce
qu’on peut exiger , c’est la restitution de la chose déjà
livrée, sauf les dommages-intérêts pouvant être dus à la
partie qui restitue.
981.
— Si l’échange a reçu sa complète exécution,
s’il y a eu livraison réciproque , l’échangiste ayant reçu
la chose d’autrui doit-il être admis , dès la découverte
qu’il en fait, à poursuivre la résolution du contrat?
Des difficultés ont été soulevées à cet égard , non que
la nullité de l’échange ait été révoquée en doute , mais
par la raison que l’art. 1704 ne s’appliquant que dans
l’hypothèse d’un échange encore im parfait, il faut en
conclure que son exécution entière ne rend l’action du
copermutant recevable qu’au moment où le trouble se
réalise par la réclamation du véritable propriétaire. C’est
ce que la Cour de cassation a elle-même décidé le 11
décembre 1815.
Mais on a fait remarquer, et selon nous avec raison,
que , puisque la découverte du vice suffit pour arrêter
l’exécution de l’acte, il est logique de donner à la même
circonstance l’effet de faire révoquer celle qu’il a reçue
et qui n’est que le résultat de l’erreur d’une part, de la
fraude de l’autre. C’est ce qu’on admet d’ailleurs pour
la vente, dont les règles s’appliquent à l’échange. Com
ment donc le refuser pour celui-ci? Parce que l’art. 1704
ne parle que d’un cas spécial ? Mais cet article a bien
plutôt voulu créer une exception à la règle Pendente
lite lenet conlractus, en vertu de laquelle le défendeur
�ET DE LA FRAUDE.
41
aurait pu demander l’exécution préalable de l’acte, qu’à
établir une exception au droit absolu de demander la
résiliation, exception qui ne saurait, dans aucun cas,ré
sulter suffisamment de l’argument à contrario, tirée de
l’art. 1704.'
1lest vrai que l’arrêt de la Cour de cassation, du 11
décembre 1815, se fonde sur ce que l’art. 1704 ne parle
que du refus de livraison, sans s’occuper de la revendi
cation. Mais il est évident que la Cour , préoccupée de
l’espèce sur laquelle était intervenue la décision atta
quée, n’a pas dû s’appesantir beaucoup sur la question
qu’elle paraît résoudre. Il s’agissait, en effet, de l’échan
ge contre un bien dont la dotalité avait été déclarée et
qui était dès lors parfaitement connue. On opposait donc
avec raison au demandeur le caractère relatif de la nul
lité, et la disposition de l’art. 1125 du Code civil ; c’est
sans doute au silence gardé par la femme que les motifs
de l’arrêt font allusion. Le rejet de la réclamation était
donc, dans cette espèce, commandé par ce même arti
cle 1125.
La Cour régulatrice aurait-elle décidé de même , s’il
se fût agi d’un échange du bien d’autrui ? Nous en dou
tons avec d’autant plus de raisons qu’elle a jugé en sens
inverse, en décidant le 16 janvier 1810 :
1° Que l’art. 1599 , qui déclare nulle la vente du
bien d’autrui, est applicable en matière d’échange ;
1 Duvergier, Vente , tom. n , n° 43 ; — Favard, v» Echange, n» 2 ;
— Rolland de Villargues, v° Echange, not 28 et 29.
�42
TRAITÉ DU DOL
2° Que l’échange d’une chose indivise, entre l’échan
giste et un tiers, peut, sur la demande du coéchangiste
qui a ignoré cette indivision, être annulée comme étant
une aliénation de la chose d’autrui ;
3° Enfin , que la nullité doit être prononcée , bien
même que l’indivision ait cessé d’exister, si d’ailleurs la
demande en nullité est antérieure à la poursuite en par
tage.
Dans celte espèce, on le voit, l’échangiste était si peu
recherché, que toutes les recherches étaient impossibles.
En effet, et avant la fin du litige , le coéchangiste était
devenu, par l’effet du partage, propriétaire unique de la
chose par lui donnée, cependant la Cour n’hésite pas à
admettre la demande.
Il y a donc entre ces deux décisions une anomalie
qui serait inexplicable si la différence des faits ne nous
en donnait le mot. Dans celle de 1810, l’échangiste igno
rait le vice de la chose. Il était donc victime d’une frau
de. Dans celle de 1815, cette ignorance n’existait pas,
la dotalité ayant été déclarée, dès lors point de fraude,
point de préjudice. Aussi trouvons-nous le résultat de
cet arrêt très-juridique et nous opposerions hardiment
la fin de non-recevoir qu’il consacre à tout échangiste
ayant sciemment accepté la chose d’autrui. Seulement
nous motiverions notre solution sur la maxime volenli
non fit inju ria .'
1 V. Poitiers, 16 avril 1822.
�ET DE LA FRAUDE.
Ainsi, la découverte que la chose reçue n’appartenait
pas à celui qui l’a donnée, autorise la demande en ré
siliation. La preuve qu’il en est ainsi la ferait inévita
blement accueillir.
9 8 2 . — Quels seront les effets légaux de la résilia
tion ?
D’abord , la faculté pour l’échangiste de revendiquer
la chose par lui livrée. Cela ne souffre aucune difficul
té, lorsque la chose se trouve encore entre les mains du
coéchangiste. N’ayant, rien donné en échange, il n’a au
cun droit à la chose par lui reçue. Le continuer dans sa
possession ne saurait donc se concevoir en présence d’u
ne revendication formelle de la partie contractante.
9 8 3 . — La question de revendication devient plus
délicate lorsque le défendeur ayant aliéné la chose qu’il
avait reçue , c’est contre le tiers détenteur que cette re
vendication doit être intentée et poursuivie.
Le droit romain la refusait positivement : Contra
emptorem quidem nullam te habere actionem perspicis, cum ab eo susceperit dominium cui te tradidisse
titulo permutationis non negas.1 Cette décision formait
le droit commun avant le Code civil , et c’est sous son
empire que la Cour de cassation a jugé , le 46 prairial
an x ii , que la revendication contre le tiers détenteur était interdite.
1 L 4, Cod. De rerum permut.
�44
TRAITÉ DU DOL
Le Code civil a -t-il abrogé cette législation? Non, dit
Favard \ L’art. 1704 , en décidant que le copermutant
reprendra la chose, ne s’explique pas en ce qui concer
ne le tiers détenteur. Donc , au regard de celui-ci , il
faut s’en tenir aux principes du droit romain et notam
ment à la solution de la loi 4 au Code De rerum permutatione.
Mais indépendamment de l’art. 1704 , le législateur
français a édicté l’art. 1707, aux termes duquel toutes
les autres règles prescrites pour la vente s’appliquent à
l’échange. Or, personne ne conteste au vendeur non payé
de revendiquer contre le tiers détenteur. Cette règle se
rait-elle en dehors de toutes les autres que l’art. 1707
déclare comme communes à l’échange ?
Remarquons que l’assimilation entre l’échange et la
vente n’avait pas été méconnue par le droit romain. La
loi 4 au Code n’avait fait que l’appliquer justement en
prohibant pour l’échange ce qui était déjà prohibé pour
la vente. On sait, en effet, que le vendeur, ayant suivi
la foi de l’acquéreur, n’avait plus contre celui-ci qu’une
action personnelle en paiement du prix.
La théorie du Code n’est plus celle sur laquelle était
fondé le droit romain. N’est-il donc pas logique de dire
aujourd’hui que par cela seul que l’action contre le tiers
est ouverte en cas de vente, elle l’est également pour l’é
change. L’identité dans le contrat doit déterminer l’iden
tité des conséquences.
1 V° Echange,
�On cherche à expliquer la différence par ce fait que
le vendeur a un privilège que la loi le force d ’inscrire,
tandis que le copermutant n’en a aucun.
»
Mais, dit Merlin', ce qui répond victorieusement à
cela, c’est qu’il doit en être de l’aliénation par l’acheteur
qui n’a pas payé son prix, comme de l’hypothèque qu’il
aurait constituée sur le fonds dont il doit le prix à son
vendeur ; qu’aux termes de l’art. 2025 , l’hypothèque
prise sur l’acquéreur qui n’a point payé le prix, s’éva
nouit lorsque le vendeur , à défaut de paiem ent, a fait
prononcer la résolution de la vente; qu’ainsi l’aliénation
que l’acquéreur a faite avant qu’à défaut du paiement
du prix, la vente ait été résolue, doit également être con
sidérée comme non avenue; et qu’enfin le défaut d’in
scription du privilège du vendeur ne prive celui-ci ni de
la faculté de faire résoudre le contrat de vente , ni du
droit de faire valoir cette faculté soit contre les créan
ciers hypothécaires , soit contre les aliénataires de l’a
cheteur.
Merlin pense donc que l’art. 1707 s’en référant pour
l’échange aux règles de la vente, le législateur a formel
lement abrogé la loi 4 au Code De rerum permutatione ;
qu’on doit donc tenir comme certain qu’aujourd’hui
l ’échangiste évincé ou menacé de l’être peut revendiquer
la chose par lui livrée contre le tiers détenteur. C’est
aussi ce qu’enseignent d’autres graves jurisconsultes.”
�46
TRAITÉ DU DOL
Ainsi , la revendication peut être utilement exercée
contre le tiers acquéreur. L’échangiste ayant perdu ou
se trouvant exposé à perdre la chose en échange de la
quelle il a livré la sienne, est, par rapport à celle-ci, un
véritable vendeur non payé. Conséquemment, l’ache
teur direct du copermutant , comme tous les acheteurs
successifs, subira l’application de la règle Resoluto jure
dantis, resolvitur et jus accipientis. Par un à fortiori
incontestable, les hypothèques et privilèges conférés de
puis l’échange s’effacent et disparaissent. Les droits du
copermutant étant conditionnels et résolubles , tout ce
qui émane de lui revêt ce double caractère ; donc la ré
solution prononcée et la condition se réalisant, la chose
rentre franche et libre aux mains de son ancien propri
étaire.'
*
984.
— Le vice résultant du défaut de propriété
chez le copermutant est radical et absolu, à tel point que
la ratification du véritable propriétaire ne saurait cou
vrir la nullité qui en résulte. C’est ce qui s’induit de
l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 1810 , que
nous avons ci-dessus cité. On comprend assez que le fait
d’un tiers ne puisse faire maintenir un contrat viscéra
lement sans effet par le défaut de capacité des parties
contractantes au moment de sa confection. C’est la ra
tification qui constituerait le véritable échange , e t , dès
lors, on ne saurait l’imposer à la partie contre son gré,
si elle refusait d’y consentir.
1 Aix, 25 mai 4813; — D. A., tom. xn, pag. 939.
�ET DE LA FRAUDE.
47
9 8 5 . — Mais si la ratification est sans résultat sur
l’existence de l’acte, elle peut exercer une grande influ
ence sur l’appréciation des dommages-intérêts réclamés,
car la résiliation crée pour la partie qui l’obtient le droit
à obtenir un dédommagement, même dans le cas où
elle réclame la restitution de ce qu’elle a donné.
9 8 6 . — Il est vrai que ce droit a été contesté. L’ar
ticle 1705, a-t-on dit, autorise la reprise de la chose ou
des dommages-intérêts. En s’en tenant à cette alterna
tive le législateur a donc proscrit le cumul.
C’est là interpréter l’art. 1705 d’une manière fort in
exacte et en méconnaître ouvertement le sens. Cette dis
position ne dit qu’une seule chose, à savoir : que la re
prise de la chose ne constitue, en cas de résiliation,
qu’une faculté et non une obligation. Le demandeur a
donc le choix de réclamer, en cas de résiliation , ou la
restitution de ce qu’il a donné , ou l’allocation d’une
somme en représentant la valeur. La possession de la
chose peut être onéreuse , la preuve que le propriétaire
ne voulait pas la conserver, c’est qu’il l’avait aliénée, et
le même intérêt peut exister après comme avant la ré
siliation. Ces exigences que le législateur a comprises et
que les tribunaux pouvaient méconnaître, l’ont décidé à
ne faire de la reprise de la chose qu’une-faculté au
choix de celui qui a obtenu la résiliation.
Indépendamment du droit d’obtenir ou la chose ou
son équivalent en argent, ce qui ne saurait être raison
nablement contesté, l’échangiste évincé peut essuyer un
�48
TRAITÉ DU DOL
préjudice plus ou moins considérable par la résiliation
de l’échange. Les dépenses qu’il a réalisées sur la chose
qui lui est enlevée, la perte des avantages que sa posses
sion lui promettait, les frais frustrés du procès qu’il a à
soutenir, tout cela exige un dédommagement que l’ar
ticle 1705 n ’a jamais eu pour objet d’empêcher.
La reprise de la chose ne laisse pas quelquefois que
d’exiger un dédommagement. La jouissance d’un coé
changiste a pu s’exercer au gré de sa volonté et même
de ses caprices. Il a pu changer les lieux , ajouter des
constructions nouvelles parfaitement inutiles au proprié
taire réintégré, introduire un nouveau mode de culture
onéreux pour celui-ci , enfin dégrader la chose. Or, si
les parties , par la résiliation , doivent se retrouver au
même état qu’auparavant, n’est-il pas juste que ce ré
sultat s’obtienne aux dépens de celui qui a occàsioné
la résiliation ?
Le droit d’obtenir des dommages-intérêts, même dans
le cas de réintégration, dans la propriété de la chose échangée, nous paraît commandé par ces considérations.
Il est, de plus, consacré par les principes généraux du
droit, par les principes spéciaux de la vente'.Nous avons
déjà dit qu’on doit, en matière d’échange , s’en référer
aux uns et aux autres.
987.
— Les dommages-intérêts sont donc dus dans
tous les cas. Leur appréciation est livrée à la prudence
IV art. W 84, 4 599, \ 610 et \ 62G du Code civil.
�ET DE LA FRAUDE.
49
et à la sagesse des tribunaux. Les règles prescrites par
les art. 1634, 1635 et 1646 sont applicables à l’échan
ge et fournissent un mode de liquidation qu’il convient
de suivre. Les dommages-intérêts résultant de la dépos
session devraient être refusés s’il dépendait du deman
deur d’éviter cette dépossession, dans le cas, par exem
ple , où il n ’aurait pas voulu accepter la ratification du
véritable propriétaire.
9 8 8 . — Si la partie préfère un dédommagement en
argent à la restitution en nature , ce dédommagement
doit consister dans le prix actuel de la chose. L’augmen
tation de valeur qu’elle aurait subie, même par le seul
bénéfice du temps, devrait profiter à celui qui,dépouillé
de la chose par lui reçue , est censé avoir toujours pos
sédé celle qu’il avait donnée. Fixer la valeur restituable
à celle qu’avait la chose au moment de l’échange, ce se
rait éluder la faculté laissée par l’art. 4705 et forcer à
demander, dans tous les cas, la restitution en nature.
989. — L’art. 1706 prohibe l’action en lésion pour
le contrat d’échange. Cette solution , admise dans l’an
cien droit contre l’opinion de Godefroi, Cujas, Dumou
lin et Pothier, reposait sur ce fondement qu’il n’était
pas facile de distinguer entre les parties : Uter venditor,
uler emptor.
Dans le fait, chaque partie réunit sur sa tête la dou
ble qualité d’acheteur et de vendeur. Il était donc logi
que de refuser à l’un et à l’autre ce que la loi dans la
vente prohibe à l’acheteur, Les motifs sont les mêmes
�50
TRAITÉ DU DOL
dans l’un et l’autre cas. La convenance , l’avantage de
l’échange pour une des parties a pu être tel qu’il aura
volontairement fermé les yeux sur l’exagération évidente
des prétentions et du prix qu’il a sciemment accepté.
Il ne saurait alors exister aucun préjudice , aucune
lésion : Volenti non fit injuria.
9 9 0 . — Mais il est évident que si la valeur réelle
de l’objet échangé a été dissimulé à l’aide de manœuvres
caractérisant le dol ou la fraude , il y aura lieu à re
cours, même pour lésion, en vertu du principe que nous
avons si souvent déjà rappelé : que le dol et la fraude
font exception à toutes les règles. C’est ce que la Cour
de Colmar a consacré dans une espèce où l’échange dé
guisait une opération usuraire'. L’art. 1706 reçoit donc
une exception lorsque l’inégalité de la valeur a été le
résultat d’un déguisement frauduleux.
9 9 1 . — Une autre exception doit être admise lors
que la forme de l’échange n’a été empruntée que pour
déguiser une vente faite à vil prix et pour priver le ven
deur d’exciper de la lésion qui lui est imposée. Le carac
tère juridique de cette exception ne saurait être mécon
nu. Toute la difficulté gît dans son application.
Eh ! d’abord la simulation étant le fait des deux par
ties, la preuve testimoniale que l’une d’elles demande
rait à produire ne serait pas reçue. On sait que la juris-
25 mars 4825; — D. P „ 26, 2, 473,
�ET DE LA FRAUDE.
51
prudence s’est prononcée pour la règle Nemo auditur
turpitudinem suam allegans. Il faut donc une preuve
écrite résultant soit de documents justifiant la fraude,
soit de l’acte môme ; et celle-ci, on le comprend , sera
dans tous les cas la plus décisive.
992.
— Mais à quel caractère reconnaîtra-t-on
qu’il y a vente et non échange? A l’existence de la soulte ? Mais cette soulte peut n’être que la conséquence lé
gitime de l’échange, que son exécution naturelle. Les
choses échangées ne sont pas toujours d’une valeur égale, et le paiement d’une soulte n ’est, dans ce cas, que
la voie unique d’atteindre à cette égalité qui est l’essence
du contrat. Loin donc de dénaturer l’échange, la soulte
le constitue souvent. Son existence ne pourrait, par elle
seule, prouver la simulation.
995.
— Cependant la soulte établit jusqu’à concur
rence le contrat de vente. Partant de ce principe , voici
les distinctions à l’aide desquelles nos anciens juriscon
sultes essayaient de résoudre la difficulté que nous exa
minons.
Lorsque la soulte excède la valeur de la chose donnée
en échange, dans l’hypothèse par exemple de la dation
d’une chose de 5,000 fr. pour une de 20,000 fr., il y
aura vente. Le paiement d’une partie du prix en nature
ne saurait assigner à l’acte le caractère d’un échange.
Lorsque la soulte est égale à la valeur de la chose.
Exemple , on échange une chose de 10,000 fr. contre
une de 5,000 fr., on doit se prononcer pour le contrat
�52
TRAITÉ DU DOL
le plus noble, c’est-à-dire pour la vente : Venditio dignior est quce in dubio prceferenda.
Lorsque la soulte est inférieure à la valeur de la cho
se. Exemple, l’échange d’une chose de 20,000 fr. con
tre une de 15,000 fr., on se prononcera pour l’échan
ge, la soulte n’étant ici qu’un accessoire naturel et légi
time.1
Ces distinctions, admises par M. Troplong3, paraissent
fournir une base d’appréciation raisonnable. Nous ne
pensons pas, cependant, qu’elles soient tellement abso
lues qu’on ne puisse s’en écarter. Nous dirons de leur
ensemble , ce que cet éminent magistrat dit de la se
conde, à savoir : que c’est surtout par les circonstances
de l’acte et par l’intention des parties que les jugés doi
vent se prononcer.
Sans doute aussi , la dénomination donnée à l’acte
doit être prise en considération, mais ne perdons pas de
vue que cette dénomination peut n’être que la consé
quence de la fraude. L’acheteur qui n’a pas voulu pa
raître tel pour se soustraire à une action en lésion, veil
lera à ce que la forme extrinsèque de l’acte soit confor
me à ses projets. Nous croyons donc que ce n’est qu’en
l’absence de tout reproche de dissimulation que la dé
nomination de l’acte pourra être utilement consultée.
Nous ne dirons donc pas pour la décision du litige, ce
que M. Championnière dit pour l’enregistrement, à say
i Bruneman, sur la loi 4, Dig., n»s 1, 2 et 3, De rerum permul.
�ET DE LA FRAUDE.
53
voir : que [a qualification donnée au contrat est la première, la pius sfir e des directions.'
SECTION IV.
F raude
dans
le
L ouage.
SOMMAIRE.
994.
La fraude peut vicier le louage dans son origine, ou naître
dans son exe'cution.
995. Le but essentiel du louage est tantôt la jouissance tempo
raire d’un objet déterminé, tantôt un salaire.
996. La principale obligation du bailleur est donc de livrer l ’un
ou l ’autre. —■ Conséquences.
997. La location de la chose d’autrui est nulle, comme le serait
la vente ou l ’échange.
998. La menace d’éviction produit-elle un effet également iden
tique ?
999. Droit du preneur de la chose d’autrui, s’il a consenti des
anticipations sur les loyers.
1000.
Dangers auxquels s’expose le communiste qui loue seul la
chose commune.
i Des droits d'enregistrement, tom. 1, n° 86.
�54
1001.
TRAITÉ DU DOL
L’usufruitier, le mari ou le tuteur qui donnent à bail les
biens dont ils ont la jouissance ou l ’administration
commettent une fraude s’ils cèlent leur qualité.
1002. Conséquences, suivant que le bail est consenti pour moins
ou pour plus de neuf ans.
1002 bis. Droit de l’adjudicataire dépossédé par folle-enchère.
1008. Fraude évidente du bailleur qui loue deux fois la même
chose ou qui, après avoir loué, vend sans faire de l’en
tretien du bail une condition de la vente.— Effet dans
le premier cas.
1004. Effet dans le second.
'
1005. Obligations qui naissent du devoir d’assurer la jouissance
au preneur.
1006. Obligation imposée par l ’art. 1720 de délivrer la chose en
bon état de réparations.
1007. Effet de la dissimulation frauduleuse du mauvais état de
réparations.
1008. La visite préalable des lieux ne serait pas un obstacle à la
rescision.
1009. A défaut de délivrance, le bail peut être résilié, mais cette
résiliation ne peut jamais être demandée par le bail
leur.
1010. Elle ne pourrait être prononcée malgré le preneur.
1011. A la charge de qui sont les réparations d’entretien ?
1012. Quid de celles pour conserver à la chose la destination
qui lui a été affectée ?
1013. Durée fixée pour les réparations.
1014. Le propriétaire est responsable des vices cachés de la cho
se louée.
1015. Effets de cette responsabilité : 1" Résiliation du bail.
1016. 2° Dommages-intérêts en faveur du locataire, si le loca
teur connaissait le vice.
1017. 3* Réparation dans tous les cas de la perte matériellement
éprouvée.
1018. Dissentiment avec M. Troplong sur les obligations du lo
cateur ayant ignoré le vice.
�ET DE LA FRAUDE.
55
1019. Réfutation de sa doctrine.
1020. Etendue de la jouissance conférée au preneur.
1021. Le preneur a le droit de sous-louer,à moins d’interdiction
contraire.
1022. Quid , en cas de prohibition , du bail consenti en fraude
du contrat?
1023. Droit du sous-locataire évincé, selon qu’il a ignoré ou con
nu la clause prohibitive.
1024. Mais le preneur peut toujours se faire représenter par des
personnes de confiance et à ses gages.
1023. La clause prohibitive de sous - location n ’est pas violée >
lorsque la sous - location n ’est que l ’accessoire d’une
obligation légitimement contractée, la vente du fond
du commerce, par exemple.
1026. Opinion contraire de M. Duvergier.
1027. Réfutation.
1028. Obligation du preneur de conserver les lieux dans l ’état
où ils se trouvent au moment de la délivrance.— Son
étendue.
1029. Impossibilité d’en changer la destination.
1030. Le locataire d’un établissement industriel doit l’exploiter
jusqu’à la fin du bail.
1031. Faut-il, pour que la plainte en changement de destination
soit recevable, que l ’interdiction soit expressément
contenue dans le bail ?
1032. La profession du locataire doit être prise en considération
pour juger les intentions des parties.
1033. La dissimulation de cette profession pourrait faire résilier
le bail.
1034. Le développement qu’un fait même imprévu imprime à
l’exploitation d’une carrière constitue-t-il un change
ment de destination capable de faire résilier le bail ?
1035. La prohibition de changer la destination des lieux s’ap
plique aux baux des biens ruraux.
1036. L’obligation , pour le preneur d’un bien rural, d’adminis-
�56
1037.
1038.
1039.
1040.
1041.
1042.
1043.
1044.
1045.
1046.
1047.
1048.
1049.
1050.
1051.
1052.
1053.
1054.
1055.
1056.
TRAITÉ DU DOL
trer en bon père de famille est pins étroite encore que
celle du locataire ordinaire.
Devoir que le premier a de veiller à la conservation de
l’intégralité de la propriété. — Conséquence quant
aux usurpations qui pourraient être commises.
Délai dans lequel l ’avertissement doit être donné. — Ses
formes.
Peine attachée au défaut d'avertissement.
Cas dans lesquels la fraude du fermier revêt les caractères
d’un délit.
Effets de l’enlèvement ou de l ’absence des capitaux morts
ou vivants.
Fondemens de l’action en résiliation.
Fondement de celle en restitution et en dommages-inté
rêts.
L’expiration du bail amène le règlement des malfaçons
reprochables au fermier.
Faculté pour le juge de décerner la contrainte par corps
pour garantie de la restitution des capitaux.
Obligation pour le preneur de payer le prix.—Conséquen
ces.
Obligation de garnir de meubles les lieux loués.
Etendue de cette obligation pour le preneur d’un bien ru
ral.
Principes régissant le louage d ’œuvres et d’industrie.
L’action ex conducto n’est pas admise dans cette matière.
Le locateur répond des vices de construction et des maté
riaux qu’il fournit.
Difficultés que l ’action du conducteur rencontrera si elle
est exercée après la réception et le paiement.
Caractères et effets de la réception.
Distinction entre les vices apparents et les vices cachés.
Quid si le locateur n ’a fourni que la façon ?
La réception reste sans effet à l ’égard des personnes que
le Code civil déclare responsables pendant dix ans.
�ET DE LA FRAUDE.
57
9 9 4 . — Le contrat de louage peut être entaché de
fraude soit dans son origine , soit dans l’exécution qui
lui est donnée. L’effet est le même dans l’un et l'autre
cas, c’est-à-dire que le contrat est résilié suivant la gra
vité du préjudice occasionné, et que des dommages-in
térêts peuvent être prononcés contre son auteur.
La fraude sera imputable soit au bailleur , soit au
preneur , selon qu’il s’agira de la violation d’un devoir
imposé à l’un ou à l’autre. Voyons donc les obligations
qu’ils doivent réciproquement remplir. Nous indiquerons
les conséquences de leur violation.
9 9 5 . — Le but essentiel du louage e st, de la part
du preneur, de se procurer la jouissance temporaire d’un
objet certain et déterminé. Dans le louage d’ouvrages,
c’est tantôt l’industrie d’un individu qui est mise à con
tribution moyennant un salaire convenu, tantôt un ou
vrage qui doit être confectionné et livré par un entre
preneur ou ouvrier. Nous allons nous occuper d’abord
du louage des choses.
9 9 6 . — Le but de ce contrat, tel que nous venons
de le déterminer , indique que la principale et la pre
mière obligation du bailleur est de faire jouir.de preneur
des objets faisant la matière de la location. Tout ce qui
est de nature à empêcher ou à troubler cette jouissance
est une fraude dont il est dù réparation.
De là il suit :
1° Que la location de la chose d’autrui est de nature
à empêcher le bail de sortir à effet ;
�—
—
58
TRAITÉ DU DOL
2° Que le propriétaire qui loue successivement la mê
me chose à diverses personnes,
Ou qui, après avoir loué verbalement ou par acte sans
date certaine, vend la chose louée sans faire de l’entre
tien du bail une des conditions de la vente,
Commet tout autant de fraudes engageant sa respon
sabilité et ouvrant contre lui l’action du preneur.
997.
— On ne peut pas plus louer la chose d’autrui
que la vendre ou l’échanger. Le bail à loyer n’est pas
aulrechoseque le transfert pour un temps plus ou moins
long d’un des attributs de la propriété , la jouissance.
Ceci suppose donc , chez le bailleur, la qualité de pro
priétaire. Si cette qualité ne lui appartient pas, comment
pourra-t-il assurer au preneur la jouissance pour la
quelle ils ont traité ?
La nullité prononcée contre la vente ou l’échange de
la chose d’autrui doit donc être appliquée au louage. Le
preneur, évincé ou menacé de l’être par le véritable pro
priétaire, aura donc le droit de demander la résiliation
du contrat et la réparation pécuniaire du préjudice ré
sultant de cette résiliation.
998.
— Faut-il donner à la menace d’éviction les
mêmes effets que ceux qu’elle entraîne dans la vente ou
l’échange? La découverte que la chose louée n’appar
tient pas au bailleur, ouvrira-t-elle immédiatement l’ac
tion du preneur ? Non ; à notre avis , l’action du pre
neur serait irrecevable tant que le trouble à sa jouissan
ce ne serait pas réalisé.
�ET DE LA FBAUDE.
59
Cette solution est contraire à celle que nous avons in
diquée dans le cas de vente ou d’échange. Mais cette
contradiction s’explique naturellement par la nature des
choses et par la différence majeure existant dans l’inté
rêt engagé dans ces diverses hypothèses.
Le vendeur et l’échangiste, ayant le premier payé le
prix, le second livré la chose, ont le plus grand intérêt
à agir le plus promptement possible. Les soumettre à
attendre que le véritable propriétaire rompit le silence,
c’était, dans bien de cas, les condamner à perdre, par
l’insolvabilité de la partie contractante , le recours que
l’action du propriétaire leur ouvre.
D’ailleurs, le résultat du vice, entachant la vente ou
l’échange, étant d’enlever à l’échangiste ou à l’acquéreur
la chose reçue, la connaissance de ce vice les met, l’un
et l’autre , dans une position singulière. Oseront-ils se
livrer à des dépenses dont un tiers profitera ? Pourrontils, suivant que la nécessité de leurs affaires l’exigerait,
aliéner ou réaliser une chose qu’ils savent ne pas leur
appartenir et s’exposer ainsi aux dommages - intérêts
qu’une résiliation imminente leur permet d’entrevoir, et
qui seront d’autant plus élevés , qu’ils auront sciem
ment disposé de la chose d’autrui ? Donc, le possesseur
de la chose d’autrui par vente ou échange n’a qu’une
propriété flottante, incertaine, indisponible, ce qu’il con
vient de faire cesser au plus tôt.
Le louage n’offre aucun de ces inconvénients. Dans
ce contrat, ce qui est de l’essence de la convention, est
moins le droit en lui-même que la jouissance matérielle
�60
TRAITÉ DU DOL
des lieux. Si donc ce fait se réalise sans trouble aucun,
le preneur a tout ce qu’il peut raisonnablement exiger.
Il suffit de lui réserver le droit de se plaindre dès que le
trouble viendra à s’effectuer.
Le bail, étant d’ailleurs temporaire, peut parfaitement
s’accomplir sans que le véritable propriétaire réclame.
Que ce silence soit spontané, qu’il ne soit que le résultat
d’un accord avec le locateur , peu importe , celui-ci a
rempli ses engagements en faisant jouir le preneur, qui
n’a, dès lors, aucune raison plausible pour demander à
être exonéré.
De plus, le prix du bail n’est payable qu’à des termes
ordinairement échelonnés. Ce prix n’étant que la repré
sentation de la jouissance , le paiement en serait sus
pendu par le trouble apporté à celle-ci. Quant aux loyers
précédemment payés , le véritable propriétaire n’aurait
pas le droit de les exiger une seconde fois, le paiement
fait de bonne foi au propriétaire apparent ayant complè
tement et légalement libéré le locataire.
Dès lors, ce dernier ne court aucun risque sérieux. Il
ne peut donc se plaindre de ce qu’on ajourne la receva
bilité de sa demande jusqu’à la réalisation du trouble.
999.
— Cependant , si le preneur avait en entrant
payé par anticipation tout ou partie des loyers que le
bail doit rendre exigibles , la connaissance que la chose
louée n ’appartient pas au bailleur lui conférerait le droit
d’exiger de lui soit le remboursement de tout ce qui ne
serait pas actuellement échu, soit un cautionnement pour
�ET DE LA FRAUDE.
61
un remboursement futur. De plus , et pour éviter toute
contestation ultérieure sur les paiements de loyer posté
rieurs à la connaissance du vice,il conviendrait au pre
neur de ne faire ces paiements qu’après avoir mis le vé
ritable propriétaire en demeure de faire valoir ses droits.
1000.
— Le communiste, louant en son nom seul
la chose indivise , excède les droits lui appartenant et
s’expose à un double danger :
10 À une poursuite en résiliation de la part de ses
copropriétaires. Remarquons , toutefois , que , juste en
principe , cette prétention pourrait être repoussée dans
l’application, si le bail stipulait un prix sincère et légi
time, si le bailleur résidait sur la localité, tandis que ses
cointéressés habitent des lieux plus ou moins éloignés,
et si de baux antérieurs, consentis de la même ma
nière , n’avaient pas été attaqués. Tout cela indiquerait
que le bailleur, agissant ne fût-ce que comme le negotiorum gestor de ses coïntéressés, n ’a fait qu’un acte de
sage administration auquel il était au moins tacitement
autorisé. La demande en résiliation pourrait, dès lors,
être écartée.
Mais il en serait autrement si le bailleur avait dissi
mulé le véritable prix du bail ou s’il avait stipulé secrè
tement tout autre avantage exclusivement personnel. La
fraude, évidente dans cette hypothèse , entraînerait non
seulement la résiliation du|bail, mais encore l’allocation
de dommages-intérêts pouvant excéder, mais non rester
en dessous des avantages indûment perçus. Comme dans
�TRAITÉ DU DOL
tous les cas de fraude , la preuve incomberait aux de
mandeurs;
21° A la demande en résiliation de la part du preneur.
La poursuite et les effets de cette demande seraient dé
terminés par les règles que nous venons de tracer pour
le louage de la chose d’autrui.
.
1005 — Les art. 595, 1429 et 1718 du Code ci
vil donnent à l’usufruitier, au m a ri, au tuteur , la fa
culté de louer les biens dont ils ont la jouissance ou
l’administration. Quelle que soit la durée des baux qu’ils
ont consenti en cette qualité, le preneur n’a aucun droit
à exercer, pas même celui de se faire cautionner les an
ticipations qu’il aurait consenties.
La dissimulation de la qualité constitue une véritable
fraude. Mais, comme elle n’est pas dans tous les cas né
cessairement préjudiciable , il y a lieu d’établir la dis
tinction suivante :
1002. — Si le bail n’a qu’une durée de neuf ans
ou au-dessous, le locataire n’a aucun motif de se plain
dre; ce qu’il a voulu, c’est la jouissance des objets loués
pendant toute la durée de son bail. Or, cette jouissance
lui est assurée, puisque le bail n’excède pas le droit con
féré par la loi à celui qui l’a consenti. Donc, le nu-pro
priétaire , la femme ou l’ancien mineur sera obligé de
l’exécuter pour toute sa durée, à moins qu’il ne prouve
que le bail est frauduleux et lésif.
Mais on ne peut admettre l’existence d’un bail frau
duleux et lésif sans admettre, en même temps, la com-
�ET DE LA FKAUDE.
63
plicité du preneur. N’est-ce pas , en effet , en faveur de
celui-ci que le bailleur méconnaîtra les devoirs que sa
qualité lui impose? Conséquemment, le preneur, ayant
participé à la fraude et déterminé, par son fait, la cause
de la nullité du b a il, ne saurait être ni recevable , ni
fondé à se plaindre de cette nullité.
Toutefois , si le preneur a fait des anticipations sur
les loyers à venir , l’ignorance de la qualité du bailleur
lui donnera le droit d’exiger soit le remboursement des
avances, soit un cautionnement.
Si le bail est consenti pour une période de plus de
neuf ans ou renouvelé contrairement à l’art. 1430 du
Code civil, la dissimulation de la qualité du bailleur pour
rait être pour le preneur un motif de demander la rési
liation du contrat. Il peut se faire, en effet, que la du
rée du terme stipulé ait été la cause déterminante, sans
laquelle le preneur n ’aurait pas consenti à accepter cette
qualité ; que cette même durée ait élé stipulée en com
pensation de l’état des biens loués, des dépenses et frais
à exposer pendant les premières années. Or , cette es
pérance peut ne pas se réaliser, car l’exécution complète
de l’acte tient à une éventualité dont le preneur peut
ne pas vouloir courir les chances et dont on lui a frau
duleusement dissimulé l’existence.
La faculté conférée à l’usufruitier, au mari de con
sentir des baux de neuf ans n ’a rien d’extraordinaire.
L’incertitude sur l’époque de l’extinction de l’usufruit,
ou de la dissolution du mariage déterminait naturelle
ment ce résultat.
�64
TRAITÉ DU DOL
Il n’en est pas de même du tuteur. On peut connaî
tre le moment précis qui mettra fin à son administration.
On aurait donc pu trouver exagérée la faculté d’enga
ger le mineur à la veille de devenir majeur pour une
période de neuf ans.
Cependant l’art. 1718 ne fait aucune distinction ; et
il est certain que le bail de neuf ans consenti par le tu
teur à quelque époque que ce soit doit être respecté com
me celui fait par l’usufruitier ou le mari, à moins qu’on
ne prétende qu’il est le résultat de la fraude. Or cette
fraude n’est jamais présumée. La charge de la prouver
incombe à celui qui l’allègue.
On a voulu faire résulter la fraude pour l’usufruitier
du concours d’un renouvellement anticipé et de la vileté
du prix.
Il est évident que lorsque cette condition est acquise
il y a un préjudice certain pour le propriétaire. Or si
la fraude réside non in consilio sed in eventu , l’exis
tence de ce préjudice a pu paraître la constituer.
Mais en matière de location d’immeubles, il est sou
vent impossible d’obtenir le prix que devrait produire la
chose. Les circonstances, l’état des immeubles, la diffi
culté de louer ou leur situation , la pénurie de preneurs
peuvent forcer d’accepter un canon inférieur à la valeur
réelle, sans qu’on pût suspecter la bonne foi de l’usu
fruitier, du mari ou du tuteur.
Dans ces circonstances, la vileté du prix ne constitue
rait qu’une lésion, et le bail ne saurait être attaqué sans
ce prétexte.
�'
ET DE LA FRAUDE.
65
Ainsi et pour ce qui concerne le mineur , la Cour de
cassation a implicitement jugé le 11 août 1818, que les
baux consentis par le tuteur ne peuvent être annulés
que dans le cas d’un concert frauduleux entre lui et les
preneurs et préjudiciable aux mineurs.
Le 11 mars 1824, la même Cour jugeait que le bail
consenti par l’usufruitier ne peut être attaqué pour cause
de lésion résultant de la vileté du prix ; que la fraude,
en pareil cas, doit être prouvée, et que l’anticipation et
la vileté du prix ne suffisent pas pour la faire présu
mer.
Dans cette espèce , une dame Delsauz, usufruitière
d’un domaine appartenant au sieur Marmin pour la nue
propriété , avait en 1812 affirmé ce domaine au sieur
Delsauz, son fils, pour le terme de neuf ans, au prix de
800 fr. l’an. Elle décède en 1820.
En 1821 , Marmin ayant réuni l’usufruit à la nue
propriété , veut entrer en jouissance de son domaine.
Delsauz fils lui oppose un nouveau bail consenti à son
profit par sa mère quelque temps avant sa mort. Mar
min soutient que ce bail par anticipation est évidem
ment fait en fraude de ses droits; il allègue que le prix
est de plus de moitié inférieur à la valeur réelle du fer
mage. Une expertise judiciairement ordonnée constate
une différence en moins d’un tiers.
14 décembre 1821 jugement du tribunal civil de Bou
logne qui annulle le bail ; considérant que l’art. 601
impose à l’usufruitier l’obligation de jouir en bon père
de famille ; que l’usufruitier qui loue à vil prix n’agit
ni
5
�66
TRAITÉ DU DOL
pas en bon père de famille ; qu’il abuse du droit que
la loi lui accorde, ce qui rend le bail qu’il passe sus
ceptible d’être résilié à la fin de l’usufruit ; que s’il en
était autrement il s’en suivrait que l’usufruitier qui, par
affection pour le locataire, donnerait à bail pour 1,000
francs un immeuble qui en vaudrait 5 ou 6,000 de
loyer , obligerait le propriétaire à l’entretien de ce bail
après la cessation de l’usufruit, ce qui serait contraire
à toutes le règles de justice.
Mais sur l’appel ce jugement est réformé. La Cour de
Douai considère qu’en principe un bail, soit qu’il ait
étévconsenti par le propriétaire , soit qu’il ait été passé
par l’usufruitier , n’est pas attaquable du chef de lésion
pure et simple ; que s’il peut être attaqué du chef de
dol et de fraude , cette fraude ne se présume pas , et
n ’est pas même alléguée par l'intéressé ; qu’au contrai
re tout bail passé par l’usufruitier lui-même est réputé
passé de bonne foi , puisque personne ne peut vouloir
se faire un tort personnel et volontaire.
Vainement Marmin se pourvut-il contre l’arrêt. La
Cour régulatrice rejette son pourvoi sur le motif que la
Cour de Douai constate en fait que la fraude n’a pas
même été alléguée.
La Cour de cassation se considère donc comme liée
par cette constatation de fait.Cependant elle a maintes fois
jugé qu’elle peut et doit contrôler cette constatation, et
n ’en tenir aucun cas lorsque le contraire résulte des faits
et documents du procès.
Or en fait dans l’espèce , comment admettre que la
�ET DE LA FRAUDE.
67
fraude n’avait pas même été alléguée, lorsque la de
mande en nullité alléguait que le bail avait été fait en
fraude du nu propriétaire?
Il est vrai que cette allégation ne s’étayait que sur la
vileté du prix. Mais celte circonstance qui, dans un cas
ordinaire , ne constituerait qu’un reproche de lésion,
acquérait dans l’espèce une énorme gravité de la qua
lité des parties en l’acte de bail.
Lorsque le preneur est étranger au bailleur , le seul
fait de la vileté du prix ne saurait faire présumer la
fraude, parce que ce dernier serait le premier à en souf
frir, et que personne ne peut vouloir se faire à soi-mê
me un tort plus ou moins considérable.
Mais est-ce que la mère qui loue à son fils a à soufrir de l’avantage qu’elle fait à celui-ci ? Le fils ne trou
verait-il pas dans la succession le juste prix que sa mè
re aurait exigé de lui ?
En réalité donc, la vileté de ce prix n’est qu’un avan
cement d'hoirie, qu’un avantage indirect qui, peut-être,
dispense la mère de venir directement, et sur son pa
trimoine personne], au secours de son fils.
Obliger le nu propriétaire à continuer cet état de cho
ses après la cessation de l’usufruit, alors surtout que le
renouvellement anticipé du bail démontre l’intention
d’en faire survivre l’effet à l’usufruit , c’e s t, comme le
disait le tribunal, blesser toutes les règles de l’équité et
de la justice.
Que le père ou la mère veuille favoriser son fils, fûtce au dépens du nu propriétaire qui lui est étranger,
�68
TRAITÉ DU DOL
c’est ce qu’il est facile et naturel de supposer. Quant à
nous nous n’hésiterions pas à accepter comme réalisant
cette intention le concours de l’anticipation et de la vileté du prix.
Nous allons plus loin encore, et nous déclarerions nul
et de nul effet le bail consenti au profit du fils sous le
nom d’une personne interposée. La preuve de cette in
terposition établirait la fraude d’une manière péremp
toire et sans réplique.
4002 bis. — Les principes applicables aux maris,
tuteurs et usufruitiers , régissent les baux faits par ceux
qui ne possèdent les biens que sous condition résolutoi
re. La légitimité du droit dans l’intervalle de sa consti
tution à l’évènement qui le révoque, assure le maintien
de son exercice. Quœ semel u tililer constituta sunl du
rent, licet ille casus extiterit,a quo initium capere non
potuerunl.'
Ainsi les baux consentis par un grevé de substitution;
ceux consentis par le légataire conditionnel, ceux de
biens qui rentreront en la possession du donateur en
vertu du droit de retour , devront être respectés. Ils ne
seraient annulés que par la preuve de la fraude , et la
charge de cette preuve incombe à celui qui poursuit
cette nullité.
En est-il de même pour les baux consentis par l’ad
judicataire d’un immeuble qui en a été dépossédé par
folle enchère ?
l L, 85, ff. Dereq. juris,
�ET DE LA FRAUDE.
69
On ne voit pas le motif qui ferait résoudre négative
ment cette question. Les baux, en effet, ne sont que des
actes d’administration , et la capacité de consentir ces
actes ne saurait être contestée à celui qui au moment de
leur accomplissement est en possession légale des im
meubles qu’il afferme. Or que l’adjudicataire ait cette
possession à partir du jugement qui lui confère les biens
par lui enchéris, c’est ce qui ne saurait être sérieuse
ment contesté.
Sans doute la folle enchère qu’il subira plus tard fera
qu’il n’aura jamais été propriétaire. Mais ce résultat qui
entraînerait la révocation des aliénations, ne saurait in
fluer sur l’administration qui n’a jamais pu être sus
pendue.
La Cour de Bourges avait méconnu ces principes et
jugé, le 24 mai 1823, que l’acquéreur sur folle enchère
n’est pas tenu d’exécuter les baux faits par le précédent
adjudicataire au profit d’un tiers de bonne foi.
Mais cet arrêt, ayant été dénoncé à la Cour de cassa
tion, était cassé le 16 janvier 1827. Ce que la Cour ré
gulatrice induit de l’art. 1183 du Code Napoléon, c’est
que par sa première disposition il annulle les actes de
disposition , mais qu’il valide par la seconde les actes
d’administration qui étaient la conséquence du droit
soumis à la condition résolutoire. Que ce qui se réalise
pour les baux consentis par le mari, le tuteur ou l’usu
fruitier doit être admis pour ceux faits par l’adjudica
taire qui, lui aussi, est propriétaire apparent, possesseur
de bonne foi, et administrateur nécessaire des biens qu’il
a acquis.
�70
TRAITÉ DU DOL
Cette doctrine d’une exactitude juridique incontesta
ble est celle à laquelle se sont ralliés les auteurs et la
jurisprudence.'
Ainsi la Cour de Paris , par application du principe,
jugeait , le 19 mai 1835 , que les baux faits de bonne
foi et sans fraude par l’adjudicataire d’un immeuble,
doivent, quelle que soit leur durée (quinze ans dans
l’espèce), recevoir leur exécution, nonobstant la résolu
tion du droit de cet adjudicataire, opérée par la revente
sur folle enchère.
La Cour dé Paris a persisté dans sa jurisprudence.
Elle décidait une fois encore , le 11 mai 1839 , qu’on
devait, malgré la folle enchère , maintenir un bail de
quinze ans fait par l’adjudicataire primitif de bonne foi
et sans fraude. A l’argument que puisque cet adjudica
taire est assimilé au mari, au tuteur, à l’usufruitier, on
devait limiter son droit quant aux baux à neuf ans, com
me on le fait pour ceux-ci. L’arrêt répond qu’on ne sau
rait imposer au premier la limite tracée à ces derniers
qui doivent savoir qu’ils n ’ont qu’une administration
temporaire, tandis que l’adjudicataire lui doit se croire
propriétaire pour toujours.”
Le même arrêt décide qu’il suffit, pour que le bail
soit respecté et maintenu, que le preneur ait été de bon
ne foi. Vainement donc prouverait - on la fraude de la
1 Duvergier, Louage, nos 84, 88 et suiv.: —■ Bioche et Goujet, Dict.
deprocéd., vs Folle enchère ; — Troplong, Louage, n° 100.
2 J. du P., 4, 4839, 885
�ET DE LA FRAUDE.
71
part de l’adjudicataire, si on n’établissait en même temps
la complicité du preneur. Celui-ci ne saurait dans au
cun cas être puni d’un fait auquel il serait étranger.
Cette distinction est essentielle. Ainsi il y a fraude de
la part de l’adjudicataire qui consent le bail dans l’in
tervalle de la poursuite en folle enchère au jugement;
mais l’ignorance du preneur à ce sujet ferait maintenir
le bail en ce qui le concerne.
Le principe applicable en cas de dépossession par
folle enchère, régit à plus forte raison celui de déposses
sion par surenchère.1
Dans tous les cas , l’existence de la fraude et de son
imputabilité aux deux parties est laissée à l’arbitrage
souverain du juge. Elle peut être établie par témoins et
par présomptions.
1003.
— La fraude du propriétaire qui loue suc
cessivement la même chose à deux personnes , ou qui,
ayant loué verbalement ou par acte sans date certaine,
vend sans faire de l’entretien du bail une des conditions
de la vente , n’est pas douteuse. Dans la première hy
pothèse, l’un des preneurs se verra dans l’impossibilité
de jouir de la chose. Il est évident qu’on ne saurait lui
refuser la résiliation du bail et l’allocation de domma
ges-intérêts. Le juge serait d’autant plus sévère , que
cette allocation aurait pour cause la mauvaise foi la plus
évidente.
1 Duvergier, loco cüalo.
�n
TRAITÉ DU DOD
Dans la seconde hypothèse , la fraude n’existerait et
ne serait préjudiciable que si, au moment de la vente,
le bail avait encore plusieurs années à courir. Il est évi
dent que, s’il s’agissait d’un bail annuel dont l’exécution
a précédé la vente , l’acquéreur ne pourrait évincer le
fermier actuel qu’à la fin de l’année et conformément
aux usages de la localité.
1004. — Si la vente est réalisée avant l’entrée en
jouissance du preneur , le silence gardé par le vendeur
sur l’existence du bail dispenserait l’acheteur de l’obli
gation de l’exécuter. Le refus de celui-ci anéantirait le
bail, mais laisserait à la charge de l’ancien propriétaire
les dommages-intérêts que la résiliation forcée du con
trat ferait naître. Il en serait de même si l’acquéreur
» congédiait le fermier dont le bail devait se prolonger au
delà de l’année. Vainement le bailleur exciperait-il de
sa bonne foi. Il dépendait de lui de rendre le bail obli
gatoire dons l’un et l’autre cas, en en faisant un devoir
pour l’acquéreur. Le silence gardé envers celui-ci ne
peut être que volontaire. Il est donc exclusif de toute
bonne foi.
1 0 0 5 . — L’obligation d’assurer au preneur la jou
issance de la chose louée entraîne, comme conséquen
ce , celle de délivrer la chose au temps convenu ; celle
de l’entretenir de manière que la jouissance en soit pos
sible ; celle, enfin, de garantir les vices qui la rendraient
impropre à sa destination.
La délivrance est en matière de louage ce qu’elle est
�ET DE LA FRAUDE.
73
dans la vente sous une destination différente. Conséquem
ment, nous nous en référons aux règles que nous avons
exposées pour celle-ci.
1006. — L’art. 1720 , spécial pour le louage , fait
une obligation au bailleur de délivrer la chose en bon
état de réparations de toute espèce , ce qui comprend
les réparations locatives demeurant , après la livraison
et pendant la durée du bail, à la charge du preneur. 11
est évident, en effet, qu’on ne pouvait imposer à celuici des réparations dont la cause lui est étrangère , dès
que leur nécessité a préexisté à sa jouissance de la
chose.
1007. — De là il résulte que si le mauvais état d’en
tretien a été dissimulé à l’aide de quelques réparations
superficielles destinées à masquer plutôt qu’à améliorer
l ’état des lieux, le preneur pourrait contraindre à l’exé
cution franche et entière des prescriptions de l’art. 1720
et, à défaut, obtenir la résiliation du bail.
Cette résiliation s’explique par l’intérêt du preneur.
Les réparations locatives non réalisées au moment de
l’entrée en jouissance seraient plus tard à sa charge.
D’ailleurs, plus la chose est en état, et moins il y aura
d’occasions de la réparer. Donc, sous ce double rapport,
l’intérêt du preneur est évident.
3 0 0 8 . — Vainement le bailleur, pour se soustraire
à l’art. 1720, prétendrait-il que la chose ayant été vi
sitée avant de traiter, le preneur a accepté l’état descho-
�74
TRAITÉ DU DOL
ses dont il se plaint ; qu’il a eu , d’ailleurs , lui-même
tort de la louer telle qu’elle se trouve. On lui répondrait,
avec raison , que la fraude ne pouvait se prévoir; que
la chose paraissait en bon état d’entretien au moment
de la visite et que cette apparence devait suffire ; que le
preneur avait d’autant moins le devoir de l’approfondir,
que l’art. 1720 1a lui garantissait en quelque sorte;
qu’ainsi, loin de renoncer au bénéfice de cet article , il
se l’est d’autant plus réservé , qu’il n ’a traité que parce
qu’il l’a cru acquis.
Ainsi, aucune fin de non-recevoir ne saurait résulter
de la visite de la chose louée. La demande du preneur,
en exécution de l’art. 1720, devrait être accueillie si elle
était fondée , à plus forte raison le serait-elle si les ré
parations dolosives étaient postérieures à la visite.
En cas d’inexécution, le bail pourrait être résilié,mais
il peut se faire que cette résiliation n’entre pas dans les
convenances du preneur. Ce cas se réalisant, celui-ci se
fera autoriser à faire lui-même les réparations, dont la
nécessité sera constatée , aux frais du bailleur ; le rem
boursement de la dépense pourra être immédiatement
exigible ou être compensé avec les loyers à écheoir, au
gré du preneur.
La Cour de Rennes a même jugé , le 22 décembre
1824, que , lorsque le bailleur n’a pas délivré la chose
en état de réparations de toute espèce, et que pendant le
cours du bail il ne les a pas fait faire, le preneur a le
droit de lui demander des dommages-intérêts à l’expi
ration du bail , sans que le bailleur puisse lui objecter
�ET DE LA FRAUDE.
75
qu’il n’a pas été mis en demeure de faire les répara
tions qui étaient nécessaires, la mise en demeure résul
tant suffisamment de l’art. 1720 du Code Napoléon.
Il est possible que les faits particuliers de l’espèce,
que le Journal du palais ne fait pas connaître, autori
sassent cette solution , qui en thèse se justifie difficile
ment à notre avis.
L’art. 1720 impose une obligation au bailleur, con
fère un droit au preneur. Mais le bénéficiaire d'un droit
est toujours libre de renoncer à l’exercer , et il n’a pas
besoin de le faire expressément. Sa renonciation peut être tacite.
Or, comment ne pas voir cette renonciation tacite dans
le silence gardé pendant toute la durée du bai!. L’obli
gation imposée au bailleur par l’art. 1720 est de faire
jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant
toute la durée du bail ; de l’entretenir en état de servir
à l’usage auquel elle est destinée et pour lequel elle a été
louée. Evidemment donc la loi suppose que l’exécution
en sera réclamée soit au moment de l’entrée en jouis
sance, soit pendant la durée. Conséquemment attendre
l’expiration du bail pour réclamer cette exécution, c’est
s’y prendre un peu tard , et agir précisément au mo
ment où on n’a plus aucun intérêt à le faire.
Les dommages-intérêts ne sont que la peine du re
tard ou du refus du bailleur à remplir le devoir qui lui
est imposé. Donc si le preneur n’a plus d’intérêt et par
conséquent de qualité pour en contraindre l’accomplis
sement , il n’y a plus possibilité de retard ou de refus,
et partant lieu à aucuns dommages-intérêts.
�76
TRAITÉ DU DOL
À la plainte du preneur que sa jouissance n’a pas été
ce qu’elle devait être, on répondra qu’il l’a acceptée telle
quelle ; que son silence pendant toute la durée du bail
prouve qu’en supposant que les réparations fussent né
cessaires , elles n’étaient pas indispensables ; qu’enün
leur défaut était si peu de nature à diminuer sa jouis
sance, qu’en fait cette jouissance s’est continuée sans ré
clamation de sa part. En matière de baux comme en
toutes autres, Volenli non fit injuria.
Nous ne comprendrions donc le système de la Cour
de Rennes, que si le silence du locataire était le résultat
d’engagements successifs, de promesses fallacieuses et
jamais tenues.
1 0 0 9 . — Le défaut de délivrance de la chose louée
peut entraîner là résiliation du bail ; cette possibilité ne
saurait être invoquée par le bailleur , qui manquant à
un devoir essentiel, ne pourrait se soustraire à la rési
liation que le preneur demanderait.
1 0 1 0 . —• Mais ce dernier ne saurait jamais être
contraint à subir malgré lui la résiliation. La demander
est pour lui une faculté et non une obligation ; s’il croit
la délivrance de la chose possible, si elle convient mieux
à ses intérêts, il a le droit de forcer le bailleur à la ré
aliser, et, le jugement obtenu, il peut se faire mettre en
possession etiam manu m ilitari. Telle est la nature de
l’action qui lui est ouverte et que le droit romain qua
lifiait d'actio conducti, ou ex conducto, et dont les ef-
�ET DE LA FRAUDE.
77
fets se sont continués sous l’empire du droit qui nous
régit.1
1 0 H . — La délivrance opérée et le preneur entré
en jouissance , toutes les réparations locatives restent à
sa charge. Ces réparations sont présumées la conséquen
ce de la jouissance et nécessitées par sa faute ou par
celle de sa famille."
1012.
—• Mais il n’en est pas de même des répa
rations nécessaires pour conserver à la chose la destina
tion qui lui a été affectée. Le propriétaire , retirant les
fruits civils de la chose, est naturellement tenu de main
tenir celle-ci en état d’être jouie par le preneur.Tout ce
qui porte atteinte à cette jouissance , tout ce qui s’op
pose à ce qu’elle s’exerce librement et d’une manière
complète , est une violation de l’obligation imposée au
bailleur. Il appartient donc uniquement à celui-ci d’y
remédier, et cela pendant toute la durée du bail.
Le propriétaire est donc tenu de faire cesser le trou
ble, dès qu’il est mis en demeure de le faire. Il est res
ponsable du refus ou du retard qu’il mettrait à faire
cesser un état des choses préjudiciable au preneur, qui
pourrait dès lors le faire condamner non seulement à
faire les réparations, mais encore à des dommages-in
térêts pour le préjudice éprouvé depuis la mise en de
meure.
1 V. Troplong , n»a 171, 172, 473 et suiv.
2 Pothier, n» 107.
�78
TRAITÉ DU DOL
1013. — Dans sa sollicitude pour les droits de cha
cun, le législateur a cru devoir régler le mode et la du
rée des réparations. S’il était raisonable que le preneur
dût souffrir la privation de jouissance résultant de la né
cessité d’une réparation plus ou moins importante , il
ne fallait pas que le bailleur p û t, au gré de ses capri
ces , prolonger la durée des travaux et aggraver par sa
négligence la position du bailleur. De là la disposition
de l’art. '1724 réglant souverainement les droits et les
devoirs de chacun.
1014. — L’existence d’un vice caché , rendant la
chose impropre à sa destination, engage la responsabi
lité du bailleur tenu à la garantie. Il résulte des termes
de l’art. 1721 que cette garantie ne s’entend que des
vices empêchant la jouissance. Conséquemment, si le
preneur n’excipait que d’une incommodité , l’art. 1721
serait inapplicable, il ne pourrait en invoquer le béné
fice.
1015. — Les effets de la garantie édictée contre le
bailleur sont :
En première ligne, la résiliation du bail ; l’ignoran
ce absolue et complète de l’existence du vice ne saurait,
aux termes de l’art. 1721, empêcher ce résultat. Il est
évident, en effet, que dès que la chose ne peut, par une
cause quelconque, recevoir la destination que le pre
neur lui affectait au vu et su du bailleur , le bail doit
cesser d’exister , on ne saurait équitablement exiger le
prix d’une jouissance ne pouvant se réaliser.
�ET DE LA FRAUDE.
79
1016,
—• En deuxième ligne, l’allocation de dom
mages-intérêts en faveur du locataire , si le locateur a
counu avant le bail le vice dont la chose était affectée.
La dissimulation du bailleur est plus qu’une fraude, elle
constitue un dol véritable. L’appréciation de la répara
tion due au preneur se ferait donc sur les bases édictées
par l’art. 1131 du Code civil.
!O l7 . — En troisième ligne, et dans tous les cas,
la réparation de la perte matériellement éprouvée par le
preneur.
Cette solution, que le sens littéral des termes de l'ar
ticle 1721 renferme évidemment, nous parait dictée par
la plus saine équité. En effet , si le propriétaire et le
locataire se sont trompés et qu’ils aient l’ùn et l’autre
ignoré le vice de la chose , il ne faut punir ni l’un ni
l’autre; mais si ce vice a occasionné un préjudice, com
ment condamnera-t-on le preneur à le subir? Où est
la faute qu’il a commise ? Devait-il connaître ce que le
propriétaire ignorait? Mais cette faute n’est-elle pas celle
de ce propriétaire ? N’est-elle même pas plus grave chez
lui que chez le preneur , puisqu’en sa qualité il avait
bien d’autres moyens que celui-ci de connaître la vé
rité ?
En l’état donc , mettre à la charge de ce propriétaire
la perle que le vice de la chose a déterminée, c’est faire
à chacun la part qui lui est due, rappelons-nous cet adage de notre ancien droit : Il n ’y a pas à hésiter entre
celui qui s’est trompé, et celui qui souffre. Or.évidem-
�80
TRAITÉ DU DOL
ment celui qui s’est trompé dans l’espèce, c’est le pro
priétaire; celui qui souffre, c’est le locataire.
1 0 1 8 . — Telle n’est pas cependant la solution à ti
rer de l’art. 1721 , d’après M. Troplong. Cet éminent
jurisconsulte pense que le bailleur ignorant du vice ne
doit supporter ni dommages-intérêts, ni pertes quelcon
que, il enseigne que la perte doit rester pour compte du
preneur.
M. Troplong invoque d’abord le principe développé
par Ulpien, dans la loi 10, § i, Dig., De locat. conduct.
Se fondant ensuite sur l’affinité incontestable entre la
vente et le louage, il fait application à celui-ci de l’arti
cle 1646, et il conclut que le bailleur ayant ignoré le
vice n’est tenu de restituer que ce qu’il a reçu et à sup
porter les frais de louage.
1 0 1 9 . — Quelque profond que soit notre respect
pour1 le savant auteur dont nous rappelons l’opinion,
quelque considérable que soit son autorité, nous devons
le dire , les motifs sur lesquels il fonde sa doctrine ne
nous ont pas convaincus, sa doctrine elle-même nous a
paru méconnaître l’esprit et la lettre de l’art. 1721.
Nous repoussons le recours au droit romain par un
double motif : d’abord parce que la décision d’Ulpien
ne nous parait pas aussi décisive que le soutient M.Troplong ; ensuite, parce qu’en la supposant telle, elle devrait
rester aujourd’hui sans autorité , le Code civil ayant a dopté une doctrine contraire.
Nous nous bornerons , sur le premier point, à faire
�ET DE LA FRAUDE.
81
remarquer qu’Ulpien refuse d’une part les dommagesintérêts, et de l’autre le droit d’exiger les loyers : Aliter
atque ei saltum pascuum locasti, in quo Ixerlba
mala nascebatur. Hic enirn si pecora vel demortua
sunt, vel etiam détériora facta, quod interest preslabitur si scisti, si ignorasti pensionem non
petes.
Ainsi, pas de doute , le preneur ne pourra exiger des
dommages-intérêts , ni le bailleur exiger le prix de la
location. Cela exclut nécessairement la faculté pour le
premier d ’exiger le remboursement de la perte qu’il a
essuyée ?
On pourrait admettre le contraire. En droit romain,
les dommages-intérêts s’entendaient d’un double élé
ment : la perte éprouvée, le gain dont on était privé,
damnum emergens, lucrum cessons. Proscrire l’ensem
ble, ce n’est pas exclure nécessairement le droit d’exiger
séparément l’un de ces deux éléments. Conséquemment
être placé dans l’impossibilité d’exiger des dommagesintérêts , n’entraîne pas l’interdiction de poursuivre la
réparation de la perte.
Nous le croyons avec d’autant plus de fondements que,
pour décider le contraire , il faut admettre que le pre
neur a fait faute, et c’est ce que lui reproche M. Troplong. Le preneur, d it- il, a à s’imputer d’avoir ignoré
la nature de la chose qu’il loue. Mais un pareil repro
che peut-il être fondé lorsqu’il s’agit d’un vice tellement
caché , que ce n’est que par la jouissance elle-même
qu’il doit se décéler ; que le propriétaire a pu ignorer ,
�82
TRAITÉ DU DOL
lui qui possède la chose depuis longues années peutêtre ! lui qui doit aussi connaître la chose dont il dis
pose, car si le preneur doit savoir qu’elle est la chose
qu’il reçoit, il est juste que le bailleur sache qu’elle est
la chose qu’il rdonne ; si l’erreur est concevable chez
l’un , elle est concevable chez l’autre , il faut donc les
placer l’un et l’autre dans la position qu’ils avaient avant le bail, et dés lors obliger le propriétaire à indem
niser de la perte, tout en imposant au locataire la pri
vation du bénéfice qu’il eût pu réaliser.
Quoi qu’il en soit, en droit romain, de la justesse de
cette doctrine, tout doute disparaît sous l’empire du Co
de, en présence de l’art. 1721 : « Il est dû garantie au
preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée
qui en empêchent l ’usage, quand même le bailleur ne
les aurait pas connus lors du bail. » Voilà le principe
nettement et formellement posé. Remarquons tout de
suite combien il s’éloigne de celui formulé par Ulpien :
Si ignorasti, pensionem non petes. Il serait singulier
qu’à travers une opposition si tranchée dans les textes,
les deux législations dusssent arriver au même résultat.
Donc le bailleur doit garantie, même lorsqu’il a igno
ré les vices ou défauts de la chose ; quels seront les ef
fets de cette garantie? L’art. 1721 nous l’enseigne im
médiatement : s’il résulte de ces vices ou défauts quel
que perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’in
demniser. Or cette disposition n ’est évidemment édictée
que dans l’hypothèse de l’ignorance du bailleur , car,
s’il avait connu le vice , ce n’est pas l’indemnité de la
�ET DE LA FRAUDE.
83
perte qu’il devrait. La dissimulation dont il aurait usé,
constituant un dol , l’obligerait à des dommages-inté
rêts, c’est-à-dire à supporter la perte dans les propor
tions de l’art. 1151 et à tenir compte , sur les mêmes
bases, du gain dont le preneur aurait été privé.
M. Troplong reconnaît lui même l’évidence du sens
littéral de l’art. 1721, mais il soutient que l’aperçu qui
en dérive est trompeur. Pourquoi ? Parce qu’il existe une grande affinité de principes entre le louage et la ven
te. Or, pour celle-ci , l’art. 1646 borne l’obligation du
vendeur au remboursement du prix et des frais de la
vente. Pourquoi en serait-il autrement pour le louage,
alors que le droit romain est précis à cet égard ?
Nous sommes loin de méconnaître l'affinité réelle ex
istant entre le louage et la vente. Mais toute la conclu
sion que nous en tirons , c’est que , dans le silence du
Code, c’est par les principes applicables à la vente qu’on
doit résoudre les difficultés offertes par le louage. Dès
lors, c’est à l’art. 1646 que nous demanderions les de
voirs à remplir par le bailleur ignorant les vices de la
chose, si la législation spéciale au louage ne s’était pas
formellement expliquée. Or l’art. 1721 fournit à notre
avis cette explication , et il la donne autre que celle de
l’art. 1646. Dès lors on ne peut, sous prétexte d’affini
té, se soustraire à un texte clair, précis et positif.
Pourquoi la loi a-t-elle voulu pour le louage le con
traire de ce qu’elle a prescrit pour la vente ? Nous n’a
vons pas à scruter la pensée du législateur, il suffit que
sa volonté soit expressément énoncée , pour que tout
�84
TRAITÉ DU DOL
s’empresse de courber la tête. Qu’on tente de la faire
corriger , si on la croit mauvaise , c’est un droit dont
l’exercice n’a rien que de très-légitime; quant à nous,
nous l’avons déjà dit, la prescription de l’art. 1721 nous
parait dictée par les plus saines notions d’une exacte
justice. Nous croyons d’ailleurs que l’obligation du ven
deur, de s’assurer de la qualité et de la nature de ce qu’il
achète , est beaucoup plus grave que celle du locataire
à l’endroit de la chose qu’il loue; que, d’autre part, le
locateur e st, bien plus que le vendeur, tenu de connaî
tre la chose qui fait la matière de la location ou de la
vente , c’est ce que Zacchariæ exprime en ces termes :
La raison en est que celui qui loue une chose pour un
usage convenu doit savoir si elle y est propre et garantir
non seulement cet usage, mais encore les conséquences
qui peuvent en résulter.’
Ainsi le bailleur doit garantie des vices ou défauts ca
chés , quand même il les eût ignorés ; cette garantie a
pour effet non pas de le soumettre à des dommages-in
térêts, mais de l’obliger à indemniser le preneur de la
perte que les vices cachés ont entraîné. L’art. 1646 est
sans application au louage, l’art. 1721 ayant édicté
pour celui-ci une règle spéciale.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement dé
cidé le 30 mai 18373. C’est ce qu’enseignent plusieurs
auteurs recommandables.3
1 Tom. ni, pag. 8.
s D. P., 37, 1,409.
3 Zacchanæ, loco cilalo ; — Delvmcourt, t. ni, pag. 494, notes.
�ET DE LA FRAUDE.
85
1020. — Le bail confère au preneur le droit de
jouir de la chose louée pendant la durée du terme con
venu , il en retire par conséquent tous les fruits , tant
naturels qu'industriels ou civils. Il est à l’instar du pro
priétaire lui-même, il peut donc faire, à raison de cette
jouissance, tout ce qu’il trouve utile ou convenable à ses
intérêts.
Toutefois, cette faculté ne s’applique qu’à l’usage com
mun , qu’à la jouissance accoutumée des produits ordi
naires de la chose. Tout ce qui sort de cette catégorie ,
tout ce qui ne peut être recueilli sans porter atteinte à
la substance de la chose demeure personnel au proprié
taire, qui seul a le droit d’en disposer. Ainsi les mines
et carrières existant sur la propriété, ouvertes ou non au
moment du b a il, ne pourraient être exploitées par le
preneur que si la convention lui en conférait expressé
ment la faculté. L’exploitation, en l’absence d’une clause
d’autorisation, serait un abus et une fraude que le pro
priétaire aurait le droit d’interdire pour l’avenir , avec
dommages-intérêts pour le passé.
1021. — Le droit de louer est un des attributs de
la jouissance. Il passe conséquemment au preneur pou
vant toujours sous-louer, à moins que le contrat le lui
interdise.
Ce principe, consacré par l’art. 1717 du Code civil,
a été méconnu par un arrêt de la Cour de Paris, du 28
juillet 1825, jugeant : que la concession du droit d’ex
ploiter une mine de plâtre ne peut , dans le silence du
�86
TRAITÉ DU DOL
contrat sur le droit de sous - louer , être valablement
transmise à un tiers par le concessionnaire'. Les mo
tifs de cet arrêt se fondent sur les lois spéciales aux car
rières et mines, sur la responsabilité qu’elles font peser
sur le propriétaire. De là on conclut que celui-ci , en
concédant la faculté d’exploiter, ne l’a fait qu’en consi
dération de la capacité et de l’aptitude du preneur;
qu’en conséquence le bail est personnel et que la cession
qui en est faite, constituant l’abandon de l’exploitation,
il y a lieu de résilier le contrat.
Cette doctrine ne tend à rien moins qu’à créer une
distinction que la loi proscrit. Toute jouissance est dans
le cas d’être cédée, surtout lorsqu’elle est purement in
dustrielle , car , dans cette hypothèse, le preneur a pu
ne vouloir faire qu’une spéculation en sous-louant plus
cher qu’il n’a lui-même loué. D’ailleurs, l’art. 1717 est
général et absolu, c’est donc le violer que de lui refuser
ce caractère. L’objection que le bailleur n’a eu en vue
que la capacité et l’aptitude du preneur, est détruite par
le contrat lui-même, car, si telle avait été la cause déerminante du bail, on en trouverait la preuve dans l’in
terdiction de sous-louer que la loi permet de stipuler.
Le silence des parties sur ce point exclut toute idée de
personnalité dans le bail.
Qu’importe, d’ailleurs, la responsabilité que les lois
spéciales font peser sur le propriétaire des mines ou car
rières. En aliénant l’exploitation en faveur d’un tiers,
1 Dalloz, 25, il, 218.
�ET DE LA FRAUDE.
87
ce propriétaire a assumé la responsabilité des actes de
celui-ci, mais il a contre lui un recours qui lui a paru
suffisant. Ce recours n’est nullement affaibli par la souslocation, puisque le preneur primitif reste garant envers
le bailleur des faits de celui qu’il s’est substitué. Dès lors
il n’y a rien de changé par la sous-location , il n’y a
qu’une garantie de plus pour le propriétaire. On ne sau
rait dès lors punir le preneur qui a usé d’une faculté
légale et résilier un bail qui n’a pas cessé d’exister tel
qu’il a été consenti.
Que si le mode de jouissance adopté par le sous-pre
neur est abusif et nuisible pour le propriétaire, celui-ci
a le droit soit de faire cesser les abus, soit de poursuivre
la résiliation. Vainement le preneur primitif prétendraitil que les actes dont on se plaint ne sont pas de son
fait ; on lui répondrait victorieusement qu’il est censé
avoir fait lui-même ce que son représentant a accom
pli, qu’il doit, dès lors, être condamné, sauf son recours
contre le sous-locataire.
Ainsi, en principe, la faculté de sous-louer est inhé
rente au contrat de louage. Mais la loi permet d’y déro
ger. L’absence d’une clause formelle dans l’acte de bail,
laisse dans tous les cas au preneur le droit d’user de
cette faculté.
■1022. —■ Mais si le bail a prohibé cette faculté , le
preneur ne pourra, sous aucun prétexte, se soustraire à
la prohibition, il sera tenu d’exploiter lui-même la chose
louée ; la sous-location qu’il en ferait serait considérée
�m
TRAITÉ DU DOL
comme un abandon illégal et frauduleux de la jouissan
ce , et entraînerait dès lors la résiliation du bail avec
dommages-intérêts.
1023.
— Le sous-locataire , évincé par l’effet de la
résiliation, pourrait-il exiger des dommages-intérêts de
la part de son bailleur? À cet égard une distinction nous
parait indispensable : ou le locataire a été trompé, ou
il a été imprudent. Dans le premier cas, il lui est dû des
dommages-intérêts , qui lui seraient refusés dans le se
cond.
Le sous-locataire a été trompé, lorsque l’existence du
bail primitif lui a été dissimulée. Nous n’entendons pas
par là qu’il faille que le sous-locateur se soit faussement
attribué la qualité de propriétaire , il suffirait que tout
en prenant la qualité de locataire, il eût placé la partie
avec laquelle il traite dans l’impossibilité de vérifier la
sincérité du droit qu’il exerce, c’est ce qui se réaliserait
s’il avait caché l’existence d’un bail écrit, prétendant
qu’il était locataire verbal. On comprend dans ce cas
qu’aucun reproche fondé ne pourrait être adressé au
sous-locataire, un bail verbal est exclusif de toute clause
prohibitive d’une sous-location.
Si la sous-location a été faite par écrit, la dissimu
lation dont nous parlons sera de nature à être prouvée
par l’acte même. Il est vrai que la qualité de locataire
verbal peut avoir été prise pour éviter des droits éven
tuels d’enregistrement, mais le sous-locateur a le plus
grand intérêt à se soustraire aux conséquences de celte
�ET DE LA FRAUDE.
89
dénomination. Il doit donc rapporter la preuve écrite
que le sous-locataire n’a rien ignoré. Cette preuve ré
sulterait de la remise de la convention primitive cons
tatée par,un récépissé signé du sous-locataire,ou de tout
autre document écrit, émané de celui-ci.
Si la sous-location a été verbalement consentie, celui
qui l’a acceptée pourra toujours alléguer et prouver qu’on
lui a caché l’existence d’un bail écrit. Cette preuve pour
ra être fournie oralement, puisqu’il s’agit d’une dissi
mulation frauduleuse.
Le sous-locataire, qui a connu ou pu connaître la po
sition réelle de son locateur , n ’a droit à aucune allo
cation en cas d’éviction. Dans le premier cas, ou il s’est
rendu complice de la fraude consommée par celui-ci, ou
il a pris sur lui de courir les chances résultant de là
prohibition de sous-louer; dans le second, il n’a pas
fait ce qu’il devait faire. Dans l’une comme dans l’autre
hypothèse , il serait non-recevable à se plaindre d’une
dépossession pouvant être facilement prévue au moment
où il a traité.
Il en est de même s i , sans avoir formellement con
naissance de la prohibition de sous-louer, il a pu facile
ment la connaître , comme si le sous-bail mentionnait
que le bailleur tenait les lieux en vertu d’un bail écrit.
Cette énonciation impose au sous-locataire le devoir de
se faire représenter le bail pour en connaître les condi
tions. S’il manque à ce devoir , il se rend coupable de
négligence et accepte imprudemment un fait dont il lui
a été donné de soupçonner au moins la sincérité.
�90
TRAITÉ DU DOL
Imprudence ou négligence, la sous-location reste à ses
périls et risques. A toutes ses réclamations on répondrait
qu’il devait s’assurer de la condition de celui avec qui
il contractait ; qu’en ne le faisant pas, il a commis une
faute dont il doit subir les conséquences, quelles qu’elles
soient.
La prohibition de sous-louer est absolue et de rigueur,
sa violation entraîne et doit faire prononcer la résiliation
du bail. Il est évident dès lors que la convention a vou
lu conférer au preneur une jouissance purement per
sonnelle. La sous-location faisant cesser cette jouissance,
étant la violation la plus formelle des accords convenus,
il y a lieu de les rétracter.
Il ne dépend donc plus du locataire d’empêcher cette
résiliation, même en offrant d’indemniser, par des dom
mages-intérêts, du préjudice que la sous-location peut
occasionner. Si l’on admettait une pareille offre, on vio
lerait l’art. 1717, on donnerait à une seule partie le
droit de faire au contrat des modifications ne pouvant
se réaliser que par l’effet d’un consentement mutuel.'
1024.
— Cependant la nécessité de l’habitation ,
lorsqu’il s’agit d’une maison ou d’une ferme, n’est pas
tellement personnelle , que le preneur ne puisse pas se
faire représenter par des personnes de confiance et à ses
gages. On possède par son préposé comme par soi-mê
me , et consentir à la prohibition de sous-louer , n ’est
i Cass., 26 janvier 1812.
�ET DE LA FRAUDE.
91
pas aliéner la faculté de se choisir un représentant
Mais , comme la fraude est ici fort voisine du droit, le
bailleur a toujours le droit de prouver que la qualité
conférée au tiers n’est qu’une ruse à l’effet d’éluder la
prohibition.
1025.
— La clause prohibitive de sous - location
n ’est pas violée lorsque cette sous - location n’est que
l’accessoire d’une obligation légitimement contractée par
le preneur. Ainsi, la vente d’un fonds de commerce est
bien souvent inséparable de la cession du bail des lieux
dans lesquels ce commerce est exploité. Dans cette hy
pothèse, la cession est forcée , car , sans elle , la vente
du fonds ne se réaliserait pas. Vouloir l’empêcher se
rait placer le commerçant dans l’impossibilité de cesser
des affaires qui peuvent être fort onéreuses pour lui et
le condamner à continuer une profession que ses con
venances , son intérêt et sa position lui font un devoir
d’abandonner.
Induire de l’acceptation de la prohibition de souslouer la renonciation à la faculté de vendre, c’est don
ner à la clause du bail une extension que ne compor
tent ni la raison, ni la justice. Pourra-t-on jamais sup
poser, en effet, que dans l’unique but de se soustraire
à cette prohibition, le locataire ira vendre son fonds, abandonner son industrie et renoncer ainsi aux occupa
tions de toute sa vie. Concluons donc que la vente d’un
1 Bordeaux, 14 juin 4826.
�I
92
TRAITÉ DU DOL
fonds de commerce peut autoriser , malgré le b a il, la
cession de la location sans laquelle la vente serait ou
impossible ou extrêmement onéreuse.
1 026. — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Duvergier. Rien, dit ce jurisconsulte, ne doit faire flé
chir le principe de l’art. 1717, la faculté de céder le
bail n’est pas intimement liée à celle devendre le fonds.
Le fût-elle , on n’en devrait pas moins obéir à la dé
fense expresse de céder le b a il, fallût - il en induire la
prohibition de vendre le fonds.'
1 0 2 7 . — Quelque rigoureuse que soit la prohibition
de l’art. 1717, elle ne nous paraît pas autoriser une
pareille conséquence. Dans l’esprit du législateur, cette
disposition n’a de portée que pour les cas ordinaires et
qui se réalisent le plus souvent. Tant que le preneur
restera ce qu’il était au moment du bail, et qu’il s’agira
de lui substituer un tiers, ce qui lui permettrait d’aller
faire ailleurs ce qu’il faisait dans les lieux loués , le
bailleur sera fondé à s’opposer à la substitution , alors
même qu’elle lui serait avantageuse. L’art. 1717 n’ad
met plus qu’on exige un intérêt de la part du bailleur,
il suffit que la prohibition ait été consentie pour qu’il
puisse en réclamer le bénéfice et profiter de ses consé
quences.
Conclure de là que le preneur s’est interdit la faculté
i
Du louage,
to m , i, n° 365
�ET DE LA FRAUDE.
93
de vendre son fonds de commerce , qu’il s’est privé de
la faculté de sous-louer même dans l’éventualité de cette
vente , c’est supposer que les parties ont eu en vue un
événement fort éloigné de leur pensée actuelle et qui n’a
dû frapper ni l’une ni l’autre; et, dans tous les cas, si
le bailleur y a songé, il eût dû s’en expliquer formelle
ment. Son silence à l’acte prouverait qu’il n’a pas vou
lu, dans ses prévisions, aller au-delà de celles pour les
quelles l’art. 1717 a été exclusivement édicté. C’est dans
ce sens que s’est prononcée la Cour de Paris.'
1028.
— La jouissance conférée au locataire diffère
de celle du propriétaire, pouvant non seulement user,
mais encore abuser de sa chose. Elle do it, dès lors , se
restreindre dans des limites raisonnables et justes. C’est
ce que la loi a exigé, en exprimant que l’administration
du locataire devait être celle d’un bon père de famille.
Cette obligation entraîne, comme conséquence d’abord,
de maintenir les lieux dans l’état où ils se trouvaient au
moment de leur délivrance.
Ce n’est pas que le preneur ne puisse jouir autrement
que le propriétaire et opérer dans ce sens des change
ments à la localité. L’obligation de rendre , à la sortie,
les lieux dans l’état qu’ils étaient à l’entrée , rend l’ex
ercice de cette faculté sans inconvénients pour le bail
leur. Il ne pourrait donc réclamer, à moins d’excès de
vant occasionner un préjudice permanent et durable.
1 H6 février \ 822.
�94
TRAITÉ DU DOL
1029.
— Mais la faculté de modifier les lieux ne
va pas jusqu’à permettre d’en changer la destination.
Toute substitution dans ce sens , accomplie sans l’aveu
et l’autorisation du bailleur, est une fraude donnant ou
verture à l’action en résiliation, alors surtout que la des
tination nouvelle est dans le cas de déprécier les lieux,
soit sous le rapport matériel, soit sous le rapport moral.
Ainsi on ne peut, dans une maison bourgeoise, éta
blir un café ou cercle , moins encore un cabaret ou un
lieu de prostitution ; convertir la maison en auberge ou
l’auberge en maison, introduire une maison de jeux, ap
peler enfin une profession bruyante ou incommode dans
les lieux destinés à un débit de marchandises.
1050.
— Le locataire d’un établissement industriel
quelconque est de plus obligé de l’exploiter activement
jusqu’à la fin du bail. L’interruption occasionnée , soit
par la cessation de commerce , soit par le transfert de
ce commerce dans une autre localité, donnerait lieu à la
résiliation du bail et à des dommages-intérêts. L’allo
cation serait beaucoup plus sévèrement calculée dans le
second cas que dans le premier. En effet, la cessation
du commerce peut tenir à des circonstances n’entachant
en rien la bonne foi du preneur. Le second , au con
traire, sera le plus souvent une spéculation sur la clien
tèle qu’on voudra contraindre de venir dans le nouvel
établissement, la fermeture du premier les mettant dans
l’impossibilité de continuer à s’y faire servir. On ne doit
donc pas hésiter à réparer largement le préjudice qui en
sera résulté pour le propriétaire des lieux abandonnés.
�ET DE LA FRAUDE.
95
1051. — F a u t-il, pour que la plainte en change
ment soit recevable , que la destination des lieux ait été
spécialement indiquée dans l’acte de bail ? Nous ne le
pensons pas. Le mode de jouissance précédemment em
ployé détermine ordinairement la destination ultérieure.
C’est donc par les antécédents que doit se résoudre la
difficulté. C’est aussi par la nature et la situation des
lieux, car dans beaucoup de circonstances elles aideront
puissamment à fixer la destination qu’on prétendra avoir été changée.
1052. — La profession du locataire peut fournir
un moyen puissant d’appréciation. Celui qui a pris dans
l’acte la profession de négociant, qui a toujours exercé
son commerce dans le lieu de son habitation, sera faci
lement présumé n’avoir loué que pour continuer son in
dustrie. Le bailleur ne pourrait donc plus tard s’opposer
aux changements à faire aux lieux loués pour les mettre
en état de servir à leur nouvelle destination. Son silen
ce dans l’acte de bail, en présence de la double circons
tance que nous venons d’établir, ferait admettre qu’il a
consenti à ces changements.
Mais il en serait autrement si l’industriel avait tou
jours exploité son commerce dans un lieu autre que ce
lui qu’il habitait; peu importerait, dans cette hypothè
se, que le preneur eût pris dans l’acte la qualité que son
industrie lui donne. D’une p a r t, la certitude qu’il ex
ploitait son commerce séparément de son habitation ; de
l’autre, la destination antérieure des lieux, constamment
�96
TRAITÉ DU DOL
affectés à l’habitation, ferait considérer comme un chan
gement frauduleux l’introduction dans ces lieux de l’ex
ercice de sa profession.
1 035. — La dissimulation par le preneur de sa vé
ritable qualité ferait résilier le bail, lorsqu’il est certain
que la connaissance de cette qualité aurait empêché le
propriétaire de le consentir. Ainsi il a été jugé que le
preneur qui s’annonce comme négociant fait une décla
ration mensongère devant entraîner l’annulation du bail,
s’il dissimule qu’il est cabaretier et logeur.'
1034. — Le développement qu’un fait même im
prévu imprime à l’exploitation d’une carrière, constituet-il un changement de destination devant autoriser le
bailleur à faire résilier le bail ?
La négative ne saurait être douteuse. L’exploitation
n’est que la conséquence naturelle et légitime du bail.
Elle doit nécessairement se placer au niveau des besoins
du preneur. Elle suit donc la chance plus ou moins heu
reuse du commerce entrepris par lui. En conséquence
elle ne saurait être gênée, alors qu’aucune limite n’a été
stipulée dans l’acte.
C’est ce que la Cour de Grenoble a en quelque sorte
reconnu par arrêt du 5 mars \ 835 , repoussant le pré
tendu changement de destination allégué par le bailleur.
Mais le même arrêt condamne le preneur à des dom-
1 Bordeaux, 4 mars 4828.
�97
ET DE LA FRAUDE.
mages-intérêts à l’égard du bailleur , pour indemniser
celui-ci du développement que l’exploitation avait reçue.
Nous pensons avec M. Duvergier que cette solution ne
se justifie en droit par aucun motif plausible.
. Dans l’espèce de cet arrêt , une carrière de pierres
moellons avait été donnée à bail. Longtemps avant le
contrat, le projet d’agrandir la ville de Grenoble et d’en
reculer les fortifications avait été conçu. Des plans a vaient été dressés et le tout était soumis à l’approbation
du Gouvernement.
Postérieurement au bail, ce projet fut mis à exécution,
et dès lors des fournitures considérables furent faites par
les fermiers de la carrière.
En cet é ta t, réclamation du propriétaire. Il soutient
que la réalisation de l’agrandissement de la ville est un
fait imprévu, que l’exploitation à laquelle il donne lieu
menace d’épuiser sa mine. Il demande qu’en vertu des
art. 1769 et 1770, il soit indemnisé parles preneurs;
que dans tous les cas, et à défaut de stipulation expres
se, ceux-ci ne devaient jouir de la carrière que suivant
la destination qu’elle a reçue ; que cette destination de
vait être entendue des produits proportionnels au prix
du bail; qu’en conséquence , extraire des produits plus
considérables, c’était changer cette destination , puisque
le preneur pourrait tout à coup appauvrir, sinon épuiser
une carrière ayant devant elle de longues années d’ex
ploitation.
On répondait que les art. 1769 et 1770 ne concer
naient que le preneur; que la réciprocité invoquée n’am
7
�400
TRAITÉ DU DOL
tend à lui interdire , condamnant ainsi l’industrie du
preneur à une immobilité qui n’est ni dans la nature,
ni dans l’essence du commerce.
Cette doctrine a, de plus, comme tout ce qui est ar
bitraire , le tort grave de ne comporter ni mode fixe
d’applications, ni limites certaines. A quel point naîtra
ou s’arrêtera l’obligation d’indemniser le propriétaire ?
Comment, d’ailleurs, calculer l’existence de l’augmen
tation dans l’exploitation ; s’il est vrai que tel qui ne ve
nait pas à l’usine y vient, il peut se faire que tel autre
qui en tirait ses fournitures ait cessé d’en agir ainsi ?
C’est donc une masse de difficultés, de chicanes plus ou
moins insolubles, substituée à la règle simple et posi
tive tracée par la loi.
D’ailleurs, si le preneur ne peut aller au delà de l’ex
ploitation actuelle, ne s’en suivra-t-il pas que le bail
leur devra garantir ces limites ? N’est-il pas juste que le
premier, s’il ne peut s’enrichir, ne puisse pas au moins
s’appauvrir. On lui permettra donc , toutes les fois que
l’exploitation sera moindre , de solliciter soit une dimi
nution proportionnelle sur le prix du bail, soit une in
demnité. Comme on le voit, dans le système que nous
combattons, l’aléa de l’opération commerciale retombera sur le locateur et non sur le locataire.
Mais , dit-on , il n’est pas rationnel de permettre au
preneur d’appauvrir , sinon d’épuiser une mine ayant
encore plusieurs années d’exploitation devant elle. Cette
objection ne serait juste que si le fait ne pouvait êtreempêché par le preneur, et c’est ce qui n’existe pas. La loi
�ET DE LA FRAUDE.
101
permet au propriétaire de déterminer des limites à l’exploitatior., dont il confère le droit à un tiers. Ainsi,
l’acte de bail peut renfermer ces limites, empêcherqu’elles puissent être dépassées ou fixer une augmentation
proportionnelle du prix du bail, augmentation qu’il se
ra facile d’établir par le cubage de la carrière. De quoi
se plaindrait donc le bailleur, s’il a uniquement dépen
du de lui d’éviter l’injustice contre laquelle il réclame.
E s t-il bien juste aussi de faire perdre à un individu
une somme de 10,000 fr., parce qu’il a négligé de se
procurer une preuve écrite soit du p rê t, soit du dépôt
qu’il en aurait fait ? Et cependant on n ’hésiterait pas à
repousser toutes ses réclamations. Pourquoi, lui diraiton, ne vous êtes-vous pas procuré la seule preuve pou
vant vous faire rentrer dans vos fonds. Or , ce qu’on
objecterait avec raison au déposant ou prêteur, on peut,
on doit l’objecter au locateur, car, comme eux, il a dé
pendu de lui de créer la preuve d’une prétendue inten
tion sur laquelle cependant il est resté muet au moment
du contrat.
Ainsi, l’injustice du résultat qui décide M. Troplong
à adhérer à la solution de la Cour de Grenoble, ne nous
parait nullement démontrée. Dans tous les cas, elle est
due non à la fraude du preneur , mais à la négligence
du bailleur : Volenti non fit injuria.
Nous ajoutons que, dans l’espèce de l’arrêt de Greno
ble, il y avait d’autant plus lieu pour le preneur de s’ex
pliquer au moment du contrat, que l’agrandissement de
la ville et l’établissement de nouvelles fortifications é-
�102
TRAITÉ DU DOL
taient connus de tous. Il est vrai que la Cour rappelle
que es projet datait d’un siècle. Mais il s’exécutait en
1832, et le bail avait été consenti en 1829. Or, les for
malités indispensables à cet accomplissement avaient dû,
dès 1829, être poussées à un point tel que la réalisa
tion du projet devait paraître imminente. Le silence du
bailleur constituait donc une faute d’autant plus lourde.
1035. — La prohibition de changer la destination
des lieux s’applique aux biens ruraux comme aux mai
sons de ville. Ainsi, le fermier ne peut, sans s’exposer
à des dommages-intérêts et même à la résiliation du
bail , dessoler les terres, les surcharger, détruire les étangs, arracher les vignes , convertir les terres à blé ou
les prairies en vignobles, changer les vignobles en terres
labourables, substituer, enfin, une autre culture à celle
antérieurement et usuellement pratiquée.
1036. — L’obligation pour le fermier d’administrer
en bon père de famille est plus étroite encore que celle
du locataire. Les fraudes qu’il pourrait commettre sont,
en effet, de nature à altérer, au moins temporairement,
la propriété elle-même. Ainsi, le défaut de culture, l’en
lèvement des pailles ou engrais, la taille défectueuse de
la vigne ou autres arbres, etc., sont dans le cas de sur
vivre dans leurs effets au bail lui-même , conséquem
ment d’occasionner un préjudice au propriétaire , soit
en diminuant les produits s’il les perçoit lui-même, soit
en empêchant d’obtenir , d’un autre fermier , le prix
�ET DE LA FRAUDE.
103
qu’il aurait obtenu, si la propriété avait été en bon état.
Tous actes tendant à ce résultat doivent donc être sévè
rement réprimés.
1 0 5 7 . — Un devoir spécialement imposé au fer
mier d’un bien rural, est celui de veiller à la conserva
tion de l’intégralité de la propriété confiée à ses soins;
d’empêcher tout empiètement. La possession, si précieu
se dans un procès, l’éloignement du propriétaire, pou
vant ne se rendre que très-rarement sur son domaine,
ont fait édicter l’art. 1768 , d’après lequel le fermier
doit avertir le propriétaire des usurpations qui peuvent
être commises sur le fonds , à peine de tous dépends,
dommages et intérêts.
1 0 3 8 . — Le délai dans lequel cet avertissement
doit être donné est celui des ajournements. Inutilement
aurait on chargé le fermier d’avertir le propriétaire si
on avait laissé le délai à son choix ou à ses caprices.
Bientôt même la négligence s’en m êlant, l’avis arrive
rait après que, par l’expiration de l’année, la possession
serait acquise à l’usurpateur, ce qui pourrait entraîner
la perte de la propriété, si le propriétaire n’avait pas de
titres.ou s’il avait perdu ceux qu’il pourrait invoquer.
Cette conséquence fait sentir toute l’importance de l’o
bligation imposée au fermier.
La loi ne trace aucune forme à l’accomplissement de
cette obligation. L’usurpation peut être dénoncée au pro
priétaire soit par acte extrajudiciaire , soit par lettre,
soit même oralement. Mais la prudence exige que, dans
�404
TRAITÉ DU DOL
ces deux derniers cas , le fermier se procure la preuve
écrite de sa diligence. Cette preuve résulterait de la dé
claration signée par le propriétaire et constatant l’aver
tissement reçu.
1 059. — A défaut de ces précautions ou faute d’a
voir exécuté les prescriptions de l’art. 4768 , le fermier
devrait être condamné à des dommages-intérêts. Evi
demment , l’allocation de ces dommages devrait com
prendre l’intégralité du préjudice occasionné par l ’usur
pation. Elle serait d’ailleurs plus sévère, suivant que le
fermier aurait agi de bonne foi et par pure négligence
ou que son silence ne serait que le résultat de la collu
sion et de la connivence avec l’usurpateur.
1 040.
— Les fraudes du fermier revêtent quelque
fois le caractère de délits. Ainsi , l’abatage des arbres
sans autorisation et contre le gré du propriétaire peut
être poursuivi correctionnellement et puni des peines
portés par l’art. 446 du Code pénal.'
Le fermier qui enlèverait sur le fonds affermé des
barrières ou partie de la clôture commet le délit de bris
de clôture , s’il a agi frauduleusement ou de mauvaise
foi. Dans le cas contraire, il ne pourrait être poursuivi
criminellement, mais il pourrait l’être par la voie civi
le, à la requête du propriétaire fondé à exiger des dom
mages-intérêts.
1 Carnot, sur l’art. 446; — Legraverentl, tom. n , pag. 380, not. 8;
— Metz, 1er août 4819; — Cass., 10 août 1333.
�ET DE LA FRAUDE.
105
L’enlèvement des capitaux morts ou vivants constitue,
dans l’acception ordinaire du mot, un véritable vol,
puisque l’auteur de cet enlèvement s’attribue sciemment
et volontairement une chose qu’il sait appartenir à au
trui. Cette soustraction, au mépris des droits du proprié
taire , ne constitue pas cependant , aux yeux de la loi,
un délit quelconque, soit parce que les capitaux confiés
au fermier deviennent, en quelque sorte , sa propriété
sous l’obligation d’en restituer, à la fin du bail, en mê
me quantité, qualité et valeur; soit parce que la dispa
rition de certains d’entre eux peut n’être que le résultat
d’un fait indépendant du fermier, dont tout le tort con
siste à ne pas avoir pourvu à leur remplacement. Dans
ce dernier cas, il n’y a, à la charge du fermier, qu’une
dette purement civile dont il répond sur toutes ses fa
cultés.
1 0 4 1 . — Quoi qu’il en soit, l’enlèvement ou l’ab
sence des capitaux morts ou vivants, dégarnissant la
ferme dés moyens indispensables à son exploitation, en
traîne , en faveur du propriétaire contre le fermier,
d’abord, l’action en résiliation du bail, ensuite, celle en
restitution et en dommages-intérêts pour le préjudice
résultant de l’absence plus ou moins prolongée des ca
pitaux.
1 0 4 2 . — La première de ces actions a sa base dans
la violation de l’obligation imposée au fermier de tenir
la ferme garnie de tous les moyens utiles à son exploi
tation. L’enlèvement des capitaux ou l’impossibilité de
�lira
106
gg&R
■ B l
TRAITÉ DU DOÏi
les remplacer est ordinairement le précurseur d’un a bandon de la culture. Il fait tout au moins prévoir une
exploitation insuffisante.
Cela seul suffit pour justifier la demande en résilia
tion , indépendamment du caractère odieux d’un enlè
vement. La demande du propriétaire ne saurait donc être repoussée.
1043. — L’action en restitution et en réparation du
préjudice n’est que la conséquence de la résiliation.Celleci, entraînant la fin du bail , amène nécessairement les
effets que l’expiration du terme stipulé fait naître. Au
nombre de ces effets, se place naturellement le rembour
sement de tout ce qui avait été livré par le propriétaire
comme accessoire de la ferme.
1044.
La fin du bail détermine également le
règlement de toutes les malfaçons reprochées au fermier
et la réparation du préjudice en résultant. Cette répara
tion étant accordée à titre de dommages-intérêts, la con
trainte par corps est facultative dans les limites et aux
termes de l’art. 126 du Code de procédure civile.
1 045. — La même faculté est accordée au juge par
l’art. 2062, à l’égard de la restitution des capitaux man
quants , à moins que le fermier ou le colon partiaire
ne prouve que la perte ou le déficit ne procède point
de son fait. Cette preuve est à la charge de l’un ou de
l’autre. Pour le propriétaire, l’absence des capitaux fait
présumer la fraude. Mais cette présomption cède devant
�ET DE LAFRAUDE.
107
la preuve du contraire, et cette preuve faite, il est pro
cédé au règlement conformément aux règles tracées par
les art. 1810 et 1827. A défaut de cette preuve, la con
trainte par corps peut être prononcée, c’est-à-direqu’elle
est une faculté et non un devoir. La loi s’en réfère donc
à l’appréciation souveraine du juge.
1046. — La principale obligation du preneur est
de payer le prix stipulé. Nous nous en rapportons, quant
à ce paiem ent, aux règles que nous avons tracées en
parlant de la vente , règles parfaitement applicables au
paiement des loyers. Nous dirons seulement que le sim
ple retard d’un terme n’autorise pas l’action en résilia
tion. Après beaucoup d’hésitations et de contradictions,
la doctrine et la jurisprudence se sont réunies pour exi
ger que le retard soit au moins de deux termes.
1047. — Le privilège que le vendeur conserve sur
la chose , repose pour le locateur sur les facultés mobi
lières du locataire. Pour que ce privilège puisse sortir à
effet, il faut que les facultés qu’il grève se trouvent dans
les lieux loués. De là l’obligation imposée par la loi au
locataire de garnir la maison d’une manière convena
ble, proportionnée à sa fortune et à sa position. Toute
fraude pour éluder cette obligation, le défaut de son ac
complissement, motiverait la résiliation du bail.
1048. — L’exécution de cette obligation par le fer
mier d’un bien rural serait dans bien de cas insuffisante
à couvrir l’intérêt du propriétaire. On sait d’une part
�A08
TRAITÉ DU DOL
quel est d’ordinaire le mobilier d’un cultivateur , et de
l’autre que le prix de la ferme se règle par l’étendue de
l’exploitation. Exiger que le premier pût valablement
cautionner le second, c’eût été bien souvent rendre tout
bail impossible.
Le fermier a donc rempli son obligation en transfé
rant, dans la ferme, son mobilier quelque modeste qu’il
soit. Mais là ne s’arrête pas le devoir qu’il doit remplir.
Ainsi, avec le mobilier, il doit de plus garnir la ferme
des instruments et ustensiles nécessaires à son exploita
tion, il doit de plus y engranger tous les fruits et récol
tes recueillis sur la propriété.
Tout cela devient le gage du propriétaire. Celui-ci
peut donc contraindre à sa réalisation, empêcher toute
fraude, sous peine de dommages-intérêts ; e t , à défaut
de paiement de ceux-ci, demander et obtenir la résilia
tion du bail.
1049 . — Le louage d’œuvres et d’industrie rentre
dans les obligations de faire, soumises aux règles géné
rales du droit. Conséquemment c’est par l'es principes
généraux que nous avons exposés que doit être appré
ciée la fraude reprochée à l’une des parties. La fraude
existe dès qu’il y a d’une part refus d’exécuter le mar
ché. Le droit d’obtenir la résiliation serait une consé
quence de ce refus.
1050 . — Nous avons vu que l’action ex conducto,
ouverte en faveur du locataire , avait pour résultat de
lui permettre d’obtenir la mise en possession, etiam via-
�ET DE LA FRAUDE.
>109
m m ilitari. Cela ne saurait être dans le louage d’œu
vres et d’industrie. Comme la matière du contrat est u n
fait purement personnel à l’ouvrier, la résolution ne peut
entraîner qu’une adjudication de dommages - intérêts.
On connaît la maxime JSemo potest cogi ad factum. Ces
dommages-intérêts seraient dans ce cas calculés de ma
nière à indemniser du préjudice éprouvé par le retard
de livraison de l’ouvrage commandé, et à mettre la par
tie poursuivant la résiliation à même de se procurer ail
leurs ce que l’autre partie ne veut plus accomplir.
Celle-ci devrait de plus restituer tout ce qu’elle a reçu
en avances sur le prix des travaux qu’elle se refuse d’ex
écuter, ainsi que tous les matériaux qui lui auraient été
confiés. La restitution de ceux-ci peut être exigée en na
ture, e t, à défaut, le conducteur ' autorisé à s’en rem
placer aux frais du locateur.
1 051. — Le locateur répond des vices de construc
tion, de ceux des matériaux qu’il fournit et des malfa
çons reprochées à son œuvre. Ce principe juste en luimême ne saurait donner lieu à la moindre difficulté de
droit, la certitude du fait en amènerait l’application im
médiate.
1 052. — Mais ce qui sera souvent contesté , c’est
la recevabilité de l’action du conducteur, surtout si elle
1 Nous adoptons entièrement la solution que M. Troplong tire des dé
bats législatifs que la matière a subi. Nous appelons donc locateur, l’ou
vrier, et conducteur, celui qui le paie. (V. Troplong, art. '1710, n° 64).
�410
TRAITÉ DU DOL
est intentée après l’acceptation et le paiement total ou
partiel ; le locateur soutiendra que les ouvrages ayant
été ou pu être vérifiés avant l’acceptation , celle-ci l’a
complètement déchargé de toute responsabilité, en pla
çant l’ouvrage à la charge exclusive du conducteur.
1053.
— La question de savoir quand il y a eu
réception, et quels en sont les effets, offre donc un vé
ritable intérêt. Il est évident que l’époque de la récep
tion est et doit être fixé au moment de la livraison sui
vie soit du paiement, soit du règlement du prix. L’arti
cle 1791 l’indique en décidant que la vérification est
censée faite lorsque l’ouvrage , fait en plusieurs pièces
ou à la mesure , peut être vérifié par les parties, pour
toutes les parties payées, si le maître paie en proportion
de l’ouvrage fait. Remarquons qu’on ne doit pas con
fondre les à-comptes donnés à diverses reprises avec le
paiement partiel dont parle l’art. 1791. Celui-ci n’existe
que lorsque la convention le stipule , ou bien lorsque
les à-comptes payés, concordant avec une livraison par
tielle, représentent la valeur juste et réelle des objets li
vrés. Cette coïncidence serait mieux que la preuve de la
convention, elle en serait l’exécution.
Voilà donc les caractères déterminant l’époque de l’ac
ceptation. Quel est maintenant l’effet de celle-ci ?
M. Troplong’ pense qu’elle dégage l’ouvrier, non
seulement de la force majeure, mais encore de tout re-
1 Du louage, art. 1794, n°s 988, 994
�ET DE LA FRAUDE.
111
cours pour malfaçons , le Code civil ayant abrogé la
prescription d’abord de trois ans , réduite plus tard à
un an, que l’ancien droit avait créée en faveur du con
ducteur.
Mais, et M. Troplong l’enseigne lui-même, ce prin
cipe n’est pas et ne pouvait pas être absolu ; il ne peut
être sérieusement invoqué que par l’ouvrier ayant em
ployé les matériaux que le conducteur a fournis. Dans
l’hypothèse contraire, le locateur répond des matériaux
qu’il a livrés , et des vices détruisant ou dégradant la
chose livrée, même après la livraison.
C’était justice de le décider ainsi. L’ouvrage sortant
des mains de l’ouvrier a toujours une apparence par
faite ; on a su dissimuler avec art les défauts de la ma
tière, masquer les défectuosités qu’un usage va plus ou
moins prochainement mettre à nu. Repousser les récla
mations que cette découverte suscite, ne serait pas autre
chose que décerner une prime d’encouragement au dol
et à la fraude.
I0 5 4 .
— Dès lors on doit conclure que l’ouvrier est
déchargé par l’acceptation de la responsabilité pour tous
les vices et défauts apparents , pouvant être facilement
reconnus et constatés. Quant aux vices cachés, l’accep
tation ne saurait influer sur les droits du conducteur
parce qu’elle a précédé leur découverte, parce qu’elle a
été dès lors le résultat de l’erreur ; et que cette erreur a
été inspirée par la fausse apparence que l’ouvrier a su
donner à la chose. On ne manquera pas d’observer cette
�TRAITÉ DU DOL
distinction toutes les fois qu’il s’agira d’un travail dont
l’ouvrier a fourni la façon et la matière.
1055. — Si l’ouvrier n ’a fourni que la façon , les
vices de la matière ne peuvent lui être imputés , et ses
conséquences restent pour le compte du conducteur.
Mais les malfaçons imputables à l’ouvrier doivent être
appréciées suivant la distinction que nous venons d’é
tablir.
1056. — L’acceptation et le paiement ne pourraient
être une fin de non-recevoir pour les architectes, entre
preneurs et autres ouvriers dont parlent les art. 1792 et
1799 du Code civil. Pour eux, la loi ayant limité la du
rée de la garantie , leur responsabilité ne cesse qu’avec
l’expiration du délai que la loi fixe à dix ans.'
Mais relativement à l’application de l’art. 2270 , il y
a également lieu à distinguer si les malfaçons ou les vi
ces sont apparents ou non. Dans le premier cas, la ré
ception créerait une fin de non-recevoir péremptoire
contre toute réclamation ultérieure quoique faite dans
l’intervalle des dix ans.
« Attendu, disait la Cour de Lyon, qu’il est constant
que les lézardes et inclinaisons dont se plaint Dumas,
existaient et étaient apparentes dès avant l’entier achè
vement des travaux; que néanmoins Dumas ne s’est pas
1 Aix, 18 janvier 1841 ; — Bourges, 13 août 1841 ; — Besançon, 30
novembre 1843; — Poitiers, 1er mars 1844; — J. du P., 41, 2, 65 ;
42, 1, 187; 44, 2, 70 et 186.
�113
ET DE LA FRAUDE.
plaint, qu’il a continué à faire des paiements à compte;
que dans son système il aurait même payé à Chavanne
au delà de ce qu’il lui devait et toujours sans élever au
cune réclamation ni prétendre à une indemnité ; qu’il a
suffisamment reconnu par là que les vices de construc
tion ne provenaient pas de la faute de Chavanne , qu’il
faut tout au moins en induire qu’il a agréé les construc
tions telles qu'elles étaient.' »
Cette doctrine est juridique, et l’arrêt qui la consacre
a recueilli l’assentiment de M. Troplong.3
SECTION V.
F rau d es
dans
le s
S o c ié té s
SOMMAIRE.
1057.
1058.
La société crée entre ses divers membres une espèce de
communauté.
Le partage du bénéfice est le but de la société. — Consé
quences.
1 18 juin 1838.
2 Louage, n° 1003. — Conforme, Duvergier, Louage, t.
m
11
8
n° 364.
�4U
1059.
1060.
1061.
1062.
1065.
1064.
1065.
1066.
1067.
1068.
1069.
1070.
1071.
1072.
1073.
1074.
1075.
1076.
1077.
1078.
1079.
TRAITÉ DU DOL
Toute infraction aux règles qui en découlent peut consti
tuer une fraude.
Consentement extorqué. — Ses effets.
Comment se règle l’association de fait qui a existé jusqu’à
l’annulation, à l'égard des associés.
A l’égard des tiers.
Quid, en cas de faux ?
Peut-on assimiler au faux l ’abus d’un blanc seing ?
La convention qui donnerait à l’un des associés la totalité
des bénéfices, ou qui l’affranchirait de toute contribu
tion aux pertes est de plein droit réputée frauduleuse.
La nullité en résultant embrasse l ’acte de société et non
pas seulement la clause illicite.
Comment devrait s’opérer le règlement des opérations fai
tes jusqu’à l’annulation.
L’égalité entre associés obéit à d’autres principes que ceux
régissant les cohéritiers.
C’est la mise matérielle que la loi défend de soustraire à
la contribution aux pertes.—Conséquences pour l ’as
socié purement industriel.
Autre exception à la prohibition de n ’être pas tenu de sa
part dans les dettes.
Dans quels cas la participation aux bénéfices, réservée par
le créancier, constituera-t-elle une usure déguisée.
Arrêt de la Cour de cassation.
Prétendue anomalie entre l ’assurance du bénéfice permise
entre associés et prohibée aux créanciers.— Motifs de
la différence.
L’assurance du bénéfice entre associé n ’est valable que si
elle est sérieuse et sincère.
Obligations pour chaque associé de verser sa mise.
Effets du refus ou du retard.
Nature et étendue de l ’obligation de l’associé industriel.
Effets du refus ou du retard.
L’industrie promise à la société devient, du jour de la
�ET DE LA. FRAUDE.
1080.
1081.
1082.
1083.
1084.
1085.
1086.
1087.
1088.
1089.
1090.
1091.
1092.
1093.
1094.
1095.
1096.
1097.
1098.
1099.
115
constitution de celle-ci, la chose commune.— Consé
quences.
Chaque associé est tenu envers la société des dommages
qu’il lui a causés par sa faute.
Discussion au Conseil d’Etat sur ce qu’on doit entendre
par faute.
Conséquence à déduire de cette discussion.
Effet de la fraude.—En quoi elle consiste.
Quand devra-t-on l’admettre ?
La responsabilité,en cas de fraude ou de faute,s’apprécie,
non pas sur l’ensemble des opérations, mais relative
ment à chacune d’elles.
Effet respectif de l ’une et de l ’autre sur la durée de la so
ciété.
La faute motiverait suffisamment le retrait du mandat
conféré à son auteur.
En droit, l’associé ne peut poursuivre la dissolution de la
société, avant son ierme, à moins d ’un vice en déter
minant la nécessité.
Exception autorisé par l ’art. 1865 , mais dans les condi
tions qui y sont indiquées.
1* Il faut que l ’acte social n’ait üxé aucun terme à la du
rée de la société.
2° Que la renonciation soit faite de bonne foi.
Comment reconnaîtra-t-on que la renonciation n ’est pas
de bonne foi ?
Exemple emprunté à Pothier.
Cette appréciation est laissée à l’arbitrage du juge.
3° Que la renonciation ne soit pas faite à contre-temps.
Quel est l ’effet de la renonciation frauduleuse ou inoppor
tune ?
Caractère de la nullité dont elle est frappée.
Dans lessociétésà terme, la dissolution ne peut être pour
suivie qu’après l’expiration du terme.
Causes pouvant introduire une exception. — Caractère de
l’art. 1871 du Code civil.
�4- -
116
■H00.
1101.
1 102.
1103.
1109.
1110.
TRAITÉ DU DOL
Le refus péremptoire de l'associé industriel, de ne plus
continuer la société , devrait-il en faire prononcer la
dissolution , malgré les autres associés, sauf indem
nité ?
Affirmative jugée par la Cour de Lyon.
Réfutation.—Moyen légal de contraindre à l’exécution.
La dissolution légale ou conventionnelle fait cesser tous
rapports entre les associés.— Ses effets immédiats.
Nature du compte à rendre par le gérant.
Effets de la négligence dans'la tenue des écritures.
Obligation de remettre les livres et papiers.
Effet de la soustraction totale ou partielle des livres.
Les objections opposables au gérant doivent être opposées
avant le règlement.
Toute action en révision est formellement prohibée par la
loi.
Action en redressement.—Ses caractères.
1057.
— La société est définie par la loi : un con
trat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent
de mettre quelque chose en commun , dans la vue de
partager le bénéfice qui pourra en résulter.1
La société crée donc, entre ses divers membres, une
véritable communauté. Ce qui la distingue des précé
dentes, c’est qu’elle résulte d’un pur consentement ; c’est
qu’elle suppose une réciprocité de besoin et de confian
ce ; c’est qu’elle est limitée dans sa d u rée, et qu’on ne
peut devancer le terme de sa dissolution.
1 Art. 1832 Cod civ
�ET DE LA FRAUDE.
117
1 0 58. — Le partage du bénéfice étant le but essen
tiel de la société, c’est à en acquérir le plus possible que
doivent tendre les efforts communs. Il en résulte que
l’administration de la chose commune doit être marquée
au coin de la plus scrupuleuse, de la plus fidèle exacti
tude,et exclure toute idée de profit exclusif et personnel;
que dans le partage les proportions légalement stipulées
doivent être religieusement observées.
1059. — Toute infraction à ces règles est suscepti
ble de constituer une fraude. Or, l’existence de cette in
fraction peut être remarquée : à l’origine même de la
société dont elle vicie le titre; dans l’administration qu’on
détournera de son objet essentiel à l’effet de la rendre
pour l’un la source d’un bénéfice illégitime, pour l’au
tre, une cause de ruine; enfin dans la répartition après
dissolution.
Ces diverses éventualités tracent le cercle de nos ob
servations. Leur objet doit être de constater dans cha
cune de ces périodes les caractères constitutifs de la frau
de et ses effets.
1060.
— Le contrat de société est essentiellement
consensuel. Il faut donc , pour qu’il soit valablement
souscrit, que la partie ait agi dans la plénitude de son
intelligence ; que sa volonté ait été spontanée et libre.
En conséquence, si le consentement dont on se prévaut
émane d’un incapable , s’il a été surpris par le dol ou
la fraude , s’il a été arraché par la violence , le contrat
�118
TRAITÉ DU DOL
manque d’une des conditions essentielles : Colorem habet, substantiam vero nullam.
On doit donc l’annuler sur la poursuite de la partie
intéressée. Mais cette poursuite peut n’être exercée qu’après la mise en mouvement de la société , lorsque le
vice n’aura été découvert qu’après cette époque. Dans ce
cas, la nullité peut n’ètre qu’un remède inefficace , car
son existence, tout en rendant la société impossible dans
l’avenir , n’empêchera pas qu’elle n’ait existé pour le
passé; et cette société de fait déterminera inévitablement
la nécessité de procéder au règlement des opérations ac
complies jusqu’à sa dissolution.
1061. — Relativement à l’associé , les bases de ce
règlement sont fort simples. L’auteur du dol, de la frau
de ou de la violence n’a aucun recours à exercer contre
sa victime. Par rapport à lui, toutes les affaires lui de
meurent personnelles, il doit en subir les effets, en sup
porter les pertes. Pour lui, en un mot, la nullité rétroagit jusqu’à l’origine même de la société.
Par une déduction logique de cette règle, il devrait en
outre restituer la mise de fonds versée par le demandeur
en nullité, ou l’indemniser jusqu’à due concurrence. Il
serait encore condamné à le relever et garantir des re
cherches que les tiers seraient dans le cas d’exercer.
1 0 6 2 . — A l’endroit de ceux-ci, en effet, le deman
deur en nullité ne saurait décliner la responsabilité ré
sultant des traités qu’ils auraient faits avec la société ap-
�ET DE LA FRAUDE.
parente. Il suffît qu’une société de fait ait existé, et qu’un
engagement ait été souscrit du nom social, pour que le
porteur ait qualité et droit de recourir contre chacun des
associés désignés par le pacte social. Rappelons-nous
cette proposition de Pothier : Un consentement, quoique
surpris, n'en est pas moins un consentement obligatoi
re, tant qu’il n’est pas rétracté. Comment, en effet, exi
ger que les tiers fussent plus clairvoyants que la partie
et qu’ils soupçonnassent une fraude qu’elle a elle-même
ignorée ? C’est cependant ce qu’on leur demanderait si
on leur refusait de faire valoir toutes les garanties sous
la foi desquelles ils ont traité.
Sans doute celui que le dol ou la fraude a égaré est
malheureux ; mais il n’en a pas moins coopéré à don, ner à l’acte cette apparence que les tiers pouvaient et de
vaient seule consulter , il a le tort de s’être laissé cir
convenir. Que, sur sa réclamation, ce tort n’apporte au
cun obstacle à la nullité de ses engagements, c’est justi
ce , mais ce qui ne serait pas juste, c’est qu’il autorisât
la perte des droits loyalement acquis par des tiers qui y
sont demeurés complètement étrangers.
1065.
— Ainsi le principe de la responsabilité, en
faveur des tiers, réside dans le concours purement ma
tériel, donné à l’acte par celui qui sè prétend trompé.
De là cette conséquence que si en fait ce concours ne
s’est pas réalisé, le prétendu associé n’est tenu de rien,
même à l’égard des tiers. Telle serait la position de cejui dont la signature apposée à l’acte ne serait que le
produit d’un faux matériel.
�120
TRAITÉ DU DOL
1 064. — Devrait-on assimiler au faux l’abus d’un
blanc seing, au-dessus duquel on aurait inscrit un con
trat de société ? Alors surtout que le blanc seing aurait
été confié dans un objet déterminé ?
L’affirmative a été adoptée par la Cour de Paris, le 7
février 1824. Mais cet arrêt, que l’espèce sur laquelle il
est intervenu peut jusqu’à un certain point justifier, nous
parait, en pur droit, s’écarter des véritables principes.
Pourquoi, dans l’hypothèse d’un faux matériel, refuse-t-on tout recours au tiers ? D’abord , parce qu’en
fait, la signature n’émane réellement pas de celui à qui
on l’attribue; secondement, parce que la contrefaçon de
la signature est un fait de force majeure que la partie
intéressée n’a pu ni prévoir, ni surtout empêcher. Une
responsabilité quelconque serait donc, en ce qui la con
cerne, un effet sans cause, c’esUà-dire une énorme in
justice.
Est-ce là la position de celui qui livreun blanc seing?
Evidemment non , car la remise qu’il en fait est toute
volontaire de sa part, et prouve la confiance illimitée ac
cordée à celui qui la reçoit. Conséquemment, si ce der
nier n’en est pas digne, ou mieux s’il en abuse déloya
lement, c’est sans doute un malheur, mais il pouvait être prévu et empêché. Le déposant s'est donc trompé,
mais le tiers n’a pu avoir la prescience de l’abus dont
il a à se plaindre, et, s’il souffre lui-même de cet abus,
il doit être recevable à obtenir l’indemnité qui lui est
due, même de celui dont l’imprudence a seule rendu un
préjudice possible.
« il
�ET DE LA FRAUDE.
121
On connaît la belle expression d’un de nos anciens
jurisconsultes : II n’y a pas à hésiter entre celui qui se
trompe et celui qui souffre. O r, évidemment, le dépo
sant s’est trompé , en accordant sa confiance à qui ne
la méritait pas. Le tiers, au contraire, n’a fait foi qu’à
ce qui commandait sa confiance, à la sincérité de la si
gnature. Comment donc repousser la réparation qu’il
solliciterait ?
Il est une analogie qui nous paraît justifier notre opinion. L’art. 2277 permet de revendiquer les meubles
volés ; de là la question de savoir si l’abus de confiance,
la violation de dépôt, l’escroquerie étaient, par rapport
à la revendication , assimilables au vol ? La négative a
été consacrée par la Cour de cassation , dans l’arrêt
que nous avons déjà cité.'
Ce qui crée, aux yeux de la Cour suprême, une dif
férence entre le vol et ces derniers délits, c’est que, dans
le premier, il y a nécessairement soustraction opérée à
l’insu du propriétaire, tandis que, dans les autres, il y
a remise volontaire, et que cette remise, quel qu’en soit
le titre, donne au réceptionnaire la possibilité de dispo
ser ultérieurement de ce qui en fait la matière. La mê
me différence, se remarquant dans notre hypothèse, mo
tive la solution que nous indiquons. Le faux n’entraîne
aucune responsabilité , parce qu’il est le produit d’une
voie de fait étrangère, inconnue à celui dont on a con
trefait ta signature ou l’écriture ; parce qu’en fait l’ai—
1 V. supra n» 292.
�m
TRAITÉ DU DOL
tération de l’une ou de l’autre ne peut faire que celuici ait jamais concouru à l’acte : l’abus de blanc seing
oblige envers les tiers , parce que l’existence apparente
d’une société régulière est la conséquence d’un acte
spontané et volontaire ; parce que si quelqu’un doit ré
pondre des effets d’une confiance imméritée, c’est uni
quement celui qui l’a imprudemment accordée.
1 0 6 5 . — La loi considère comme frauduleuse la
convention qui donnerait à l’un des associés la totalité
des bénéfices, ou qui affranchirait, de toute contribution
aux pertes, les sommes ou effets mis dans le fonds de
la société par un ou plusieurs associés. L’acte social, vi
cié par une de ces stipulations, devrait être annulé aux
termes de l’art. 1855 du Code civil.
Une clause de ce genre ferait perdre à la société son
caractère essentiel. Une réciprocité d’obligation appelle
une réciprocité de droits. Grever l’un au bénéfice de l’au
tre , c’est méconnaître les sentiments et les devoirs im
posés par l’association.*
Sans doute dans celle-ci, comme dans tous les autres
contrats, chaque partie do it, avant to u t, surveiller ses
propres intérêts; mais il est juste, comme l’observe M.
Troplong, que cet intérêt ait un modérateur dans l’éga
lité, faisant le principe de toute communion, et sans la
quelle la société elle-même ne serait plus qu’un mono-
l Cum societasjus quodammodo fraternitalis in se habeat. L.6;D .
Prô socio.
�ET DE LA FRAUDE.
123
pôle au profit du plus fort ou du plus audacieux, et con
stituerait cette combinaison que toutes les législations
ont flétrie du nom de pacte léonien et sévèrement con
damnée.
Il n’y a donc pas société dans le contrat renfermant
une des clauses prohibées par l’art. 1853; Conséquem
ment, la partie intéressée pourrait toujours en faire pro
noncer la nullité.
1066.
— On a agité la question de savoir si cette
nullité ne s’applique qu’à la clause illicite ou si elle at
teindrait la société elle-même. M. Delvincourt professe
le premier avis. La société, dit-il, serait valable, seule
ment, le contrat ne renfermant alors aucune stipulation
relative au règlement des parts dans les bénéfices et les
pertes, les parties devraient se conformer, à cet égard, à
l’art. 1853.
Mais cette opinion nous parait difficile à justifier en
droit. La loi pouvait suppléer au silence gardé par les
parties sur le mode de répartition des bénéfices ou per
tes , et c’est dans ce but qu’elle a édicté l’art. 1853.
Mais lorsque ce mode a été déterminé, comment admet
tre que le législateur puisse en imposer un tout différent.
De deux choses l’une : ou les parties ont légalement usé d’un droit, et leur convention doit être validée, ou
la convention est illégale , et viole l’essence du contrat
de société, et alors il est vrai de dire qu’il n’y a pas de
contrat. C’est ce qu’exprimait ce texte d’Ulpien : Socielatem coiri nonpôsse , et nos consentimus talem socie-
�m
TRAITÉ DU DOL
tatem nullam esse '. Cette opinion est celle le plus géné
ralement adoptée par la doctrine.1
1067. — La nullité affecterait donc la société en lui
enlevant toute existence future. Elle l’affecterait de plus
dans son passé en ce sens que les bénéfices ou pertes
déjà réalisés ne pourraient être répartis conformément
aux accords illégaux des parties. Il y aurait donc lieu
de recourir au mode prescrit par l’art. 1853. Qu’on ne
dise pas que nous reconnaissons au législateur la faculté
que nous lui contestions tout à l’heure; il n’y a aucune
similitude entre grever l’avenir et régler le passé. Ce
q u i, dans celte dernière hypothèse , justifie l’interven
tion du législateur, c’est, d’une part, la violation de sa
volonté devant laquelle on n ’a pas reculé; c’e s t, en
suite, qu’annuler la convention comme illicite et en per
mettre l’exécution, c’eût été tomber dans la plus absur
de contradiction : Quod nullum, e s t, nullum producü
effectum. Donc, puisque, par le fait, il y a des opéra
tions à régler, puisque les dispositions arrêtées à cet ef
fet sont illégales et nulles, les parties sont comme si el-'
les n’avaient rien fait à cet égard, et l’art. 1853 devient
l’arbitre nécessaire de leur intérêt respectif.
\
1068. — Au reste, l’égalité que la loi exige en ma-
1 L. 29, § 2, Dig.
Pro socio.
2 V. Dalloz A., v° Société , p 92 , n° 10 ; — Duranton, tom. xvn,
n°42?l; — Duvergier, nos 103 et 277 ; —• Troplong , tom. u , p. 139,
�tière de société obéit à de tous autres principes que celle
prescrite entre cohéritiers ou entre époux. Ce qui est
prohibé, c’est qu’un associé gagne ou perde tout, et l’au
tre rien. Mais, hors de là, rien ne s’oppose à ce que les
bénéfices ou les pertes soient inégalement répartis.
Cette inégalité est le plus souvent une conséquence
soit de la différence de l’apport, soit du plus ou moins
d’utilité que la société doit retirer du concours person
nel de tel associé. Il est juste que celui qui s’expose à
perdre plus ou qui assurera à la société une plus gran
de somme de bénéfices soit plus largement récompen
sé. La loi s’en réfère, sur ce point, à l’intérêt contradic
toire des parties , elle consacre les proportions qu’elles
jugent utiles de créer , pourvu que leur règlement ne
soit pas le résultat du dol ou de la fraude, pourvu sur
tout qu’il n’atteigne pas indirectement le but que l ’arti
cle 1855 a voulu proscrire.
1069.
— C’est la mise matérielle que la loi défend
de soustraire à la proportionalité dans les pertes. Cela
s’induit du texte formel de l’art. 1855. Il résulte de là
que , sans violer cet article , l’associé , n’ayant d’autre
mise que son industrie, peut être dispensé de toute con
tribution aux pertes. L’associé de ce genre ne retire ja
mais de la société d’autre avantage que sa part des bé
néfices représentant le salaire de son industrie. Consé
quemment, les pertes, qui diminuent ou absorbent ce bé
néfice sont réellement à sa charge. Il est évident que,
ne retirant rien ou qu’en ne recevant qu’une part moin-
? :
�m
T R A IT É
(
DU
DOL
y ,
‘
•.
>
dre, il perd le fruit de son industrie en tout ou en par
tie.
Cette perte a paru suffire aux yeux du législateur, et
voilà pourquoi on a admis que cet associé pourrait être
dispensé de contribuer aux pertes d’une manière plus
effective. Ce résultat ne ressemble en rien à celui que la
loi annule. Il y a, en effet, une différence immense en
tre celui qui perd au moins les fruits de son industrie
et l’associé, dont la mise consistant en une somme d’ar
gent , aurait stipulé la reprise intégrale de cette mise,
quelles que soient les pertes éprouvées.
Sous un autre point de vue , la position de l’associé
n’apportant que son industrie se justifie parfaitement.
On considère comme licite la clause par laquelle l’asso
cié bailleur de fonds stipule qu’il ne sera pas tenu des
pertes au delà de sa mise. Or , dans l’hypothèse que
nous examinons , l’associé pour l’industrie ne fait pas
autre chose. Sa mise n ’étant que les produits de son tra
vail, il peut, au même titre, stipuler qu’il ne perdra ja
mais au delà de sa mise.
1070.
— Il est une seconde hypothèse dans la
quelle un associé est de plein droit affranchi de toute
contribution aux pertes. Un capitaliste avance des fonds
à une société, et, en représentation des intérêts auxquels
il aurait d ro it, il stipule une part quelconque dans les
bénéfices. Cette clause constitue , quant à ces derniers,
une véritable société, dans laquelle l’unique chance pour
le capitaliste est de ne recevoir aucun bénéfice, s’il n’en
a pas été réalisé.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
La perte excédant des opérations lui demeurerait étrangère. La seule pour laquelle il contribuerait réelle
ment serait celle des intérêts que son capital aurait pro
duit, s’il n’avait pas souscrit la société et stipulé une
part dans les bénéfices.
1071.
— Mais une pareille stipulation peut n ’être
qu’une fraude déguisée, qu’un moyen de masquer une
usure, surtout si, indépendamment d’une part dans les
bénéfices, le capitaliste avait stipulé l’intérêt de son ar
gent au taux légal. Il importe donc de rechercher à
quelles conditions on pourra reconnaître l’existence de
la fraude.
En principe, le bailleur de fonds peut cumuler l’in
térêt des sommes qu’il verse et une part déterminée dans
les bénéfices. C’est même là le leurre habilement offert
aux capitalistes, qui devraient cependant savoir, comme
le leur conseille M.Troplong, que leurs capitaux ne sont
nullement garantis et que, bien souvent aussi , ce sont
ces mêmes capitaux qui sont frauduleusement employés
à servir les intérêts promis.'
Quoi qu’il en soit , la légalité de ce cumul n’est pas
même contestée. Les chances auxquelles le capital est
abandonné , l’incertitude des bénéfices compensent et
excusent ce qui, dans la réception des intérêts et des bé
néfices, excéderait le taux légal des premiers.
Il faut donc de toute nécessité , quant aux bénéfices
m
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c:t:!Sa4
�128
T R A IT É
DU
DOL
surtout, que leur perception suive le sort des opérations
commerciales auxquelles le préteur consent à s’associer.
Si la participation aux bénéfices est soustraite à cette
chance , si elle consiste dans une somme déterminée au
moment de l’acte, quels que soient les événements u l
térieurs, il n’y aurait plus qu’un simple prêt, et le cu
mul des intérêts et des prétendus bénéfices constituerait
une usure frauduleuse.'
Ainsi , la condition essentielle à fixer est le plus ou
moins de certitude, pour le prêteur , dans les bénéfices
dont il stipule une part. Cette part déterminée , si les
parties en font dépendre le chiffre des événements aléa
toires du commerce, il y a société et, conséquemment,
légalité du cumul. Si , au contraire , après avoir arrêté
la quotité du bénéfice accordée, les parties la traduisent
immédiatement en un chiffre dès lors invariable, il y a
prêt et prêt usuraire. La stipulation relativement aux bébéfices n’est plus que le moyen de se soustraire aux pro
hibitions de dépasser le taux d’intérêt voulu par la loi.
1072.
— C’est ce mode d’appréciation auquel s’est
arrêtée la Cour de cassation. Un sieur de Massilian prê
tait , en 1825 , une somme de 60,000 fr. à la société
Àrdaillon, Bessy et Cio, qui devait les appliquer à la
création de hauts fourneaux. Il fut stipulé que les inté
rêts au taux de six pour cent seraient payables de six en
six mois; on convint, en outre, qu’à partir du 1er jan-
i M alepeyre e t Jo u rd a in ,
Des sociétés,
c h . 3, p a g
20.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
129
vier 1827, époque à laquelle les hauts fourneaux pour
raient être mis en activité, le prêteur aurait droit à une
portion des bénéfices sociaux , qui fut presque aussitôt
fixée à 21,600 fr., pour lesquels des billets furent sou
scrits.
Plus tard , et sur les poursuites du créancier, la so
ciété soutint que les billets contenaient une usure dégui
sée sous le couvert d’une association. Elle en demande,
en conséquence, la nullité.
Un arrêt de la Cour de Paris repoussa cette demande
et maintint la créance : « Considérant, dit cet arrêt,
qu’il résulte des pièces du procès, des faits et circons
tances de la cause, que les six billets de 3,600 fr. cha
cun présentaient la part accordée au créancier dans les
bénéfices que devaient procurer les hauts}fourneaux,
construits avec les fonds fournis par lui , laquelle part
avait été réglée à forfait entre les parties ;
» Considérant que la stipulation librement faite de
cette part des bénéfices , indépendamment de l’intérêt
légal de la somme prêtée, n’a rien que de licite, surtout
dans le commerce, et qu’on ne saurait y voir le prêt usuraire prohibé par la loi. »
Mais cet arrêt, déféré à la Cour suprême, a été cassé
le 17 avril 1837. La Cour décide, en principe, que la
stipulation d’un règlement à forfait de la part des béné
fices ne saurait constituer une association; que, dès
lors, se rattachant à un acte de prêt, pour lequel les in
térêts légaux sont convenus, elle ne constitue qu’une
�130
T R A IT É
DU
DOL
usure déguisée , dont les tribunaux doivent annuler les
effets.'
1075.
— On pourrait objecter que la détermination
à forfait d’une somme représentant la quotité du béné
fice alloué n’a en elle-même rien d’illicite. Elle ne con
stitue, en effet, que la vente d’un gain futur et espéré ;
et cette vente , que les théologiens qualifiaient à’Assu
rance du bénéfice, est incontestablement permise à l’as
socié 2. Pourquoi donc la prohiberait-on dans l’associa
tion bornée aux bénéfices ?
La réponse à celte objection et la raison de la diffé
rence réelle qu’elle signale se puisent dans la position
respective de l’associé ordinaire et du bailleur de fonds.
Pour l’associé, le pacte n’est valable qu’en tant que
l’assurance ne porte que sur le bénéfice et laisse com
plètement en dehors le capital par lui versé dans la so
ciété. Conséquemment le contrat peut bien , en ce qui
le concerne , diminuer la perte , mais ne l’exonère ja
mais en totalité de la proportion à laquelle il est tenu,
puisque son capital contribuera toujours à celte perte.
La qualité d’associé , qui se puise dans la nécessité de
cette contribution, continue donc d’exister, quel que soit
le mode convenu de sa participation au bénéfice. La
vente qu’il fait de sa p a r t, moyennant une somme dé
terminée, n’est donc qu’un contrat aléatoire, qu’un cal-
1 D . P ., 37,
- T roplong,
303.
t o m . n , p a g . -105, n ° 6 3 8 .
�ET
DE
LA
FRAUDE.
431
cul des probabilités que l’acheteur a de sou côté consul
tées. Elle ne viole donc aucun des principes, aucune des
règles essentielles de la société. On pourrait d’autant
moins la considérer comme un pacte léonin , que si le
vendeur est dans le cas de gagner, il est également ex
posé à y perdre. En effet, les opérations commerciales
peuvent produire des bénéfices tels que la somme qu’il
a stipulée soit en dessous de celle qu’il aurait réellement
touchée.
Le prêteur, au contraire, qui exige le remboursement
intégral des avances qu’il fait et le paiement annuel des
intérêts, ne se donne certes pas la qualité d’associé. Non
seulement il ne contribuera pas aux pertes, mais encore
il retire de son capital tout le produit qu’il doit ordi
nairement produire.
Cependant cette qualité d’associé il peut la prendre,
puisque , par une faveur bien entendue , on lui permet
de stipuler , outre les intérêts , une part convenue dans
les bénéfices. Mais celte qualité ne lui sera acquise que
si les droits qu’elle lui confère restent soumis aux chan
ces commerciales ; qu’autant qu’il demeure tenu des
pertes, en ce sens que, celle-ci se réalisant, il ne tou
chera aucun bénéfice , ou qu’il n’aura qu’une part ré
duite.
Dès lors, s’il ne veut pas même se soumettre à cet aléa ; si le bénéfice lui est alloué , quoi qu’il arrive, il
n’a jamais eu la qualité d’associé. Le contrat, quant à
la part dans les bénéfices, ne peut être considéré que
comme une conséquence, que comme une condition du
�132
T R A IT É
DU
DOL
prêt lui-même , e t , conséquemment, que comme une
usure déguisée. Dans tous les cas, il ne pourrait produi
re aucun effet , car il constituerait tout au moins la so
ciété léonine proscrite par la loi.
Au reste, en cette matière, la fraude est très-facile, et
cette facilité avait longtemps fait hésiter la jurisprudence
ancienne sur la légalité de l’assurance du bénéfice. Po
thier ne l’admettait qu’à la condition que le contrat n’in
terviendrait pas dans un temps voisin de la constitution
de la société, afin qu’on ne pût soupçonnner qu’il était
la conséquence d’un pacte secret apposé à la conven
tion, pour arriver au prêt à intérêt.’
Ce motif a perdu son autorité depuis que le prêt à
intérêt a trouvé place dans la législation qui nous régit.
Conséquemment l’associé peut consentir l’abonnement à
forfait de sa part du bénéfice dans l’acte social lui-mê
me. Mais cet abonnement n’est licite qu’autant qu’il y
a société, c’est-à-dire qu’autant que le capital reste ex
posé aux chances de pertes. Le prêteur qui exigerait le
remboursement du capital et le paiement des intérêts ne
pourrait donc l’obtenir sans se livrer à une usure que
les tribunaux réprimeraient.
1 0 7 4 . — Pour l’associé lui-même, la légitimité du
pacte que nous examinons est subordonnée à sa sincé
rité. Ce que la loi autorise, c’est un contrat sérieux, of
frant aux parties une chance aléatoire qui en fait l’élé-
�RT
DE
LA
FRAUDE.
133
ment essentiel. L’absence de cet élément vicierait donc
le contrat.
C’est ce qui se réaliserait si le vendeur, n ’ayant d’au
tre but que d’éluder la prohibition de l’art. 1835, avait
fait souscrire à son associé une convention lui assurant
la totalité du bénéfice ; l’appréciation de cette fraude est
laissée à la prudence du juge. Mais on n’hésiterait pas
à l’admettre si la somme stipulée pour prix de l’abon
nement était telle qu’en la rapprochant de la nature et
de l ’importance de la société , il serait évident qu’elle
comprend , ou à peu de choses près , l’universalité du
bénéfice que les parties ont pu raisonnablement prévoir
et espérer.
1 0 7 5 . — La société régulièrement constituée impose
à chaque associé des devoirs qu’il ne pourrait enfrein
dre sans exposer sa responsabilité. Le premier de ces
devoirs consiste dans le versement de sa mise au temps
convenu dans le contrat.
1 076. — Le refus de ce versement motiverait la
dissolution de la société , avec obligation de réparer le
préjudice pouvant en résulter. Nous rentrons ici dans
l’application des principes généraux sur l’inexécution des
contrats. Dans l’espèce, les dommages-intérêts seraient
plus ou moins importants , suivant que le refus aurait
pour cause l’impuissance ou la mauvaise foi , c’est-àdire la faute ou le dol.
Le retard dans le versement fait de plein droit courir
les intérêts. Cette dérogation au droit commun se justi-
�134
T R A IT É
DU
DOL
fie par les principes spéciaux des sociétés. L’associé,
profitant, jusqu’à concurrence de son émolument, des
opérations faites avec les fonds versés par ses coassociés,
ne pouvait être autorisé à retenir exclusivement les in
térêts des sommes dont ilesf lui-même débiteur au fonds
capital et qu’il détient au mépris d’un engagement for
mel. Il y a donc équité à le contraindre à rapporter ces
intérêts à la masse commune.
Mais là ne se borne pas la peine du retard. Le but
de la société étant de se livrer à des opérations dans
l’intérêt de tous , chaque associé s’oblige à concourir à
ce but et demeure garant du préjudice que son manque
de foi a entraîné. Conséquemment, si le retard qu’il a
mis à s’exécuter a privé la société de la possibilité de
faire une opération avantageuse, il pourra être condam
né à l’indemniser d’une perte dont il est seul l’auteur.
.
1077 — L’associé qui n ’a d’autre mise de fonds
que son industrie, doit consacrer cette industrie aux af
faires sociales. C’est là son apport, en échange duquel
il doit recevoir une part dans les bénéfices. Il doit donc
le réaliser au même titre que les autres associés.
1078. — Les conséquences du refus ou du retard
qu’il mettrait à s’exécuter seraient celles que nous venons
d’exposer pour l’associé devant verser un capital quel
conque. Elles pourraient même être plus sévèrement ap
préciées. En effet, son concours peut être tellement in
dispensable, que sans lui l’opération ne puisse être ré
alisée. On peut suppléer par le crédit à un besoin d’ar-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
135
gent ; on ne supplée jamais aux connaissances spécia
les dont l’exploitation est devenue la matière de la so
ciété.
Dans un cas comme dans l’autre, une réparation pé
cuniaire devrait accompagner la résolution du contrat,
à moins, toutefois, que le refus ou le retard ne pût être
imputé à la volonté de son auteur. C’est ce qui se réali
serait dans le cas, par exemple, où l’associé n ’aurait été
empêché que par un état de maladie légalement cons
taté. Nul n’étant tenu de la force majeure, la résolution,
si elle était demandée , pourrait être prononcée , mais
sans aucuns dommages-intérêts.
1079.
— L’industrie promise à la société devient,
à partir de sa constitution définitive, la chose commu
ne à tous les associés. C’est ce qu’exprime formellement
l’art. 1847, en disposant que tous les gains que cette
industrie a produits doivent être rapportés à la masse
commune.
Il résulte de là que l’associé s’est, par le fait seul de
l’association , interdit d’exploiter soit pour autrui , soit
pour son compte personnel, l’industrie qu’il s’est enga
gé de consacrer à la société. Cette prohibition n’est que
l’effet naturel et juste de l’association. Tant qu’elle exis
te , la disposition de tout l’a p p o rt, et notamment celle
de l’industrie qui en fait l’objet, n’appartient plus à tel
ou à tel associé; elle est exclusivement attribuée au corps
m o ral, à la société elle-même. Elle ne peut donc plus
être exploitée que dans son intérêt. L’obligation de lui
�136
TR A IT É
DU
DOL
tenir compte des gains même d’une exploitation illicite
assure l’effet de la prohibition , en rendant la première
sans intérêt pour celui qui oserait se la permettre.
Mais l’effet de cette prohibition se concentre sur l’in
dustrie promise à la société. Conséquemment, si l’asso
cié en avait une seconde, il pourrait continuer de l’ex
ploiter pour son profit personnel. Cette faculté est ce
pendant subordonnée à cette condition, que son exerci
ce n’occasionnerait aucune atteinte à ses devoirs sociaux.
Il ne faudrait pas, en effet, que l’une fit oublier ou né
gliger l’autre. Une conduite de ce genre constituerait une fraude dont il serait dû réparation.
1080. — L’administration du fonds commun doit
être dirigée dans l’intérêt exclusif de la société. C’est dans
ce sens que l’art. 1850 déclare chaque associé tenu, en
vers l’être moral qui les personnifie, des dommages qu’il
lui a causés par sa faute.
1081. — Dans la discussion au Conseil d’E ta t, M.
Lacuée fit remarquer que le mot faute était trop vague.
On pourrait, disait-il, en abuser pour rendre l’associé
responsable des événements qui auraient trompé des
combinaisons exactes dans leur principe.
MM. Treilhard et Berlier répondirent : que les tribu
naux sauraient faire la distinction que réclame la jus
tice ; que la loi ne pouvait que s’en rapporter à eux ;
vainement elle entreprendrait de spécifier tous les cas de
responsabilité ; des spéculations raisonnables qui tour
nent mal sont un malheur et non une faute ; tout cela
�ET
DE
LA
FRAUDE.
137
doit être décidé ex aequo et bono ; l’expression employée
n’y fait pas obstacle, et il est d’ailleurs impossible de la
remplacer par aucune autre qui ait un sens tout à la
fois plus précis et moins dangereux.'
1 0 8 2 . — Il importait de rappeler cette discussion,
car elle a le mérile de bien définir la pensée du législa
teur et de déterminer le sens précis des termes qui la
manifestent. La volonté de la loi se résume dans cette
doctrine de Pothier : Chaque associé n’est tenu que de
la faute ordinaire et non de la faute la plus légère. On
ne peut exiger de lui que le soin dont il est capable et
qu’il apporte à ses propres affaires, s’il n’a pas la mê
me prévoyance qu’ont, dans leurs affaires, les plus ha
biles pères de famille, ses associés ne doivent pas lui im
puter ce défaut, mais plutôt s’imputer à eux-mêmes de
s’être associés avec lui.’
Ainsi, les obligations d’un associé vis-à-vis la société
sont celles d’un bon père de famille, ce qui signifie qu’il
est responsable non pas de la faute lourde seulement,
mais encore de la faute légère. Il n’y a que la faute
très-légère pour laquelle on ne saurait le rechercher.3
1 0 8 3 . — En présence de ce résultat, il semblerait
inutile de se préoccuper de la fraude. Celle-ci n’est, en
effet, que la faute portée à son plus haut degré de gra-
1 P r o c è s - v e r b a l d u 5 ja n v ie r 4 8 0 4 , n ° 4 8.
2
Contrat de Société,
n° 24.
3 T ro p lo n g , a rt. 4 850, n° 576.
�138
TR A IT É
DU
DOL
vité. II y a donc un à fortiori incontestable pour la
responsabilité de celui qui est tenu de la faute légère ;
mais si la fraude n’a que peh d’influence quant au
principe de l’obligation , elle en exerce une puissante
sur son application. Les dommages-intérêts prononcés
à son occasion se calculent autrement que ceux encou
rus pour une simple faute. Il convient donc de recher
cher ce qui la caractérise.
La fraude, comme la faute, réside dans un fait ayant
occasionné un préjudice. Mais celle-ci peut être involonlontaire , la fraude jamais. Sans doute elle n’exige pas
que l’intention mauvaise ait été préméditée ; il suffit, il
faut même que cette intention ait existé au moment de
la consommation de l’acte préjudiciable , car si l’acte a
été accompli de bonne foi, il peut constituer une faute,
mais bien évidemment on ne pourrait y rencontrer une
fraude.
Cette distinction est utile et sert à résoudre les diffi
cultés que la qualification du fait peut faire naître. Il y
aura faute , si ce fait est involontaire ; il y aura fraude,
s’il n’est que le produit d’une volonté évidente et cer
taine.
■1084. — Or cette volonté est légalement présumée
lorsque le fait est de telle nature qu’on ne peut lui prê
ter un autre mobile. Ainsi , qu’un administrateur ou
qu’un gérant omette de faire une opération qui eût pro
curé de grands bénéfices , ce peut être une faute assez
grave pour engager sa responsabilité , mais celte omis-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
139
sion n’entraîne pas nécessairement l’idée de fraude. Les
motifs allégués pour la justifier peuvent même en ex
clure tout soupçon.
Mais si l’administrateur, si le gérant, ne s’est pas con
tenté de s’abstenir; si cette opération qu’il a omis de
faire pour le compte de la société, il l’a directement ou
indirectement réalisée à son profit, il n’y a plus seule
ment faute , il y a fraude. Le motif de l’abstention se
place alors naturellement dans une intention de s’avan
tager au préjudice de ses coassociés dont il devait, avant
tout, protéger les intérêts. Cette intention est précisément
ce qui constitue la fraude. On présumera donc celle-ci
jusqu’à preuve contraire.
Il en serait de même du cas où l’administrateur ou le
gérant aurait appliqué à son profit personnel les ressour
ces sociales ou réglé ses propres dettes par l’emploi de la
signature sociale. Des faits de celte nature , en regard
des devoirs que sa position lui impose, sont exclusifs de
toute idée de bonne foi. Or ce n’est que l’existence de
celle-ci qui peut enlever à un fait le caractère de fraude _
et lui faire revêtir celui d’une faute plus ou moins lé
gère.
1085.
— La responsabilité , en cas de fraude ou de
faute, s’apprécie relativement à chaque opération et non
sur l’ensemble de la gestion. L’associé qui procure un
gain à la société n’accomplit qu’un devoir dont il ne
pourrait se prévaloir pour se soustraire à la juste in
demnité que sa faute ou sa fraude lui fait encourir. C’est
�140
T R A IT É
DU
DOL
dans ce sens que l’art. 1850 prohibe toute compensa
tion entre la perte résultant de la faute et le profit réa
lisé dans d’autres affaires.
1 0 86.
— La distinction entre la faute et la fraude
est encore utile pour l’appréciation du droit de deman
der, à toutes les époques, la dissolution de la société.
La fraude confère incontestablement ce droit à tous
et à chacun de ceux qui en sont les victimes. Celui qui
a trompé ses associés, qui a cherché à s’avantager à leur
préjudice, s’est rendu indigne non seulement du mandat
qui lui aurait été confié, mais encore de la qualité d’as
socié. Il a , en effet, ouvertement violé cette fraternité
sur laquelle la société repose , substitué une juste mé
fiance à cette confiance réciproque qui en fait la base.
Son passé enlève à l’avenir toutes garanties et rend con
séquemment inévitable la rupture de toutes relations.
La faute, au contraire, ne donne pas nécessairement
lieu à la dissolution. La bonne foi de celui qui l’a com
mise ne fait sans doute nul obstacle à ce qu’il soit tenu
de la réparation du préjudice, mais elle doit puissam
ment influer sur la question de savoir s’il y a, ou non,
lieu de résoudre le lien social. Il n’y a aucune assimi
lation possible entre celui qui, par un défaut de prévo
yance ou de capacité, a involontairement causé un dom
mage qu’il supporte d’ailleurs lui-même proportionnel
lement, et celui qui, dans un but de cupidité, a déloya
lement cherché à s’avantager au préjudice de ceux qui
lui avaient confié leurs intérêts. On ne peut donc appli-
�quer les règles de la fraude à la faute, à moins que, par
sa gravité, elle donne lieu de suspecter la bonne foi de
son auteur.
1087. — Mais la faute suffit pour autoriser le re
trait du mandat conféré par l’acte social. Aux termes de
l’art. 1856, le pouvoir donné dans cet acte ne peut être
révoqué pendant la durée de la société , à moins d’une
cause légitime. Or la faute reprochée à l’administrateur
ou au gérant constituerait cette cause légitime. Les as
sociés ne députent l’un d’entre eux que parce qu’ils lui
supposent l’aptitude et la capacité exigées par les fonc
tions qu’ils lui confient. Sa gestion les forçant à modi
fier leur opinion, il est juste de leur permettre de reve
nir sur un choix que rien ne justifie plus, et à révoquer
des fonctions qui pourraient offrir des fautes nouvelles,
si elles restaient dans les mêmes mains.
1088. — En thèse ordinaire, le sort d’une société,
I
valablement et légalement constituée, ne saurait dépen
dre du caprice et de la légèreté d’un associé. En consé
quence , la dissolution , uniquement fondée sur la vo
lonté de l’un d’eux, devrait être repoussée. Il en serait
autrement si la dissolution n’était que la conséquence
d’un vice, soit intrinsèque , soit extrinsèque , détermi
nant la nullité de la société , comme s i , par exemple,
l’acte d’une société commerciale n’avait pas reçu la pu
blicité voulue par la loi. Chaque associé , pouvant faire
valoir cette nullité , pourrait, par une déduction natu
relle, faire ordonner la dissolution.
.
�m
T R A IT É
DU
DOD
1089. — Le législateur a cependant admis une ex
ception à l’interdiction de demander isolément la disso
lution. L’art. 1865 dispose, en effet, que la société finit
par la volonté qu’un seul ou plusieurs associés expri
ment de ne plus en faire partie. Mais , cette exception
pouvant devenir un instrument redoutable de fraude, on
n’est recevable à en revendiquer le bénéfice qu’aux con
ditions suivantes :
.
°
1090 —• 1 Que l’acte de société n’ait fixé aucun
terme à sa durée'. Le législateur ne s’est pas dissimulé
la gravité de l’atteinte que l’art. 1865 porte au droit
commun ; il n ’a pas perdu de vue celte maxime d’équité
et de raison : Contractus sunt ab iniiio voluntalis, ex
post facto necessitatis\ 11 ne s’est donc décidé à la
consacrer que dans des hypothèses recommandées et
légitimées par des motifs considérables.
Ces motifs, il les a trouvés dans la perpétuité de la
société que l’acte laisse illimitée. En effet, indépendam
ment de la répugnance , à diverses reprises manifestées
par la lo i, pour les engagements enchaînant la vie en
tière, et pouvant par cela même compromettre la liberté
de celui qui les a souscrits , une pareille société serait,
dans bien de c as, destinée à survivre aux éléments qui
en formaient la base. La confiance réciproque , l’esprit
d’union et de fraternité peut ne pas se continuer perpé-
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
143
tuellement. Maintenir la société alors que l’une et l’autre
auraient disparu, par le seul effet du temps, c’était ren
dre la société une véritable chaîne odieuse, insupporta
ble , contraire même aux intérêts de toutes les parties.
Le désir d’éviter un pareil écueil justifie complètement
la décision sanctionnée par le législateur, dans laquelle
M. Troplong ne voit, avec raison , qu’une loi de pru
dence'. Or , puisqu’on n’a à le redouter que dans les
sociétés perpétuelles , la condition de cette perpétuité,
exigée par l’art. 1869 , se trouve parfaitement justifiéeDe cette condition résulte donc que l’exception la plus
péremptoire à la dissolution poursuivie par un des as
sociés, réside dans la preuve qu’un terme a été convenu
dans le pacte social. Or, à ce sujet, il n’est pas hors de
propos de rappeler que le terme n’a pas besoin souvent
d’être expressément stipulé; qu’il est naturellement in
diqué soit par l’objet de la société même , soit par sa
nature. C’est donc par la détermination de l’une et de
l’autre qu’on résoudra si la société est ou non perpé
tuelle. L’existence d’un terme implicite ou explicite, fai
sant évanouir ce caractère, soumet la demande en dis
solution aux règles tracées par l’art. 1871.
1091.
— 2° Que la renonciation de l’associé soit
faite de bonne foi.
Le législateur , mu par les considérations que nous
venons d’exposer, n’a pas voulu consacrer des liens é-
�,
144
T R A IT É
DU
DOL
ternels, mais il n’a pas entendu que la faculté de les dis
soudre pût, dans aucun cas, couvrir une fraude préju
diciable. C’est donc à celui qui prétend user de cette fa
culté à prouver qu’il remplit la condition que nous exa
minons , c’est-à-dire qu’il agît de bonne fo i, sauf la
preuve contraire, réservée de plein droit à ses associés.
1092. — Aux termes de l’art. 1870 , la renoncia
tion n’est pas de bonne foi lorsque l’associé renonce pour
s’approprier à lui seul les profits que les coassociés s’é
taient proposés de retirer en commun. Cette intention
est de plein droit présumée lorsque, après avoir renon
cé, l’associé fait pour son compte personnel une opéra
tion que la société devait faire avec sa participation et
son concours. Si societatem ineam us, dit le juriscon
sulte Paul, ad aliquam rem emendam, deinde solus volueris eam emere,ideoque renunciasli societali ut solus
emeres, tenebis quanti inter est mea.'
.
1093 — Pothier offre cet autre exemple d’une re
nonciation frauduleuse : Durant le cours d’une société
de tous biens que j’ai contractée avec vous , un de mes
amis, étant au lit de la mort, m’avertit qu’il m’a insti
tué son héritier ; je vais vite vous notifier que je n’en
tends plus être en société avec vous. Cette renonciation
étant faite dans la vue de m’approprier la succession de
mon ami,qui aurait dû tomber dans la société, est nulle,
1 L . 6 5, § 4. D ig .
aro Socio.
�'.
ET
DE
LA
,'".v 1
è,
145
FRAUDE.
comme faite de mauvaise fo i, et n’empêchera pas que
cette succession n’y tombe, s’il y a du bénéfice.1
1094. — Au reste, comme toutes les questions de
fa it, celle de savoir si la renonciation est ou non frau
duleuse est abandonnée à la prudence et aux lumières
des magistrats. La loi s’est contentée de poser le prin
cipe constitutif de la fraude. De quelque manière que le
juge arrive à la conclusion , il lui suffit d’établir que,
dans sa conviction , la renonciation a pour objet l’ac
quisition exclusive du bénéfice devant tomber dans la
masse commune, pour qu’il doive ne pas s’y arrêter.
1095. — 3° Que la renonciation ne soit pas faite à
contre-temps.
La loi s’expliquant elle-même sur ce caractère de la
renonciation , la déclare à contre-temps lorsqu’elle est
faite dans un moment où les choses ne sont plus entiè
res, et où il importe à la société que sa dissolution soit
différée.1
Il est, en effet, des circonstances qui rendraient une
dissolution immédiate désastreuse pour tous les associés.
Ainsi une société de commerce a fait des achats impor
tants. Une baisse considérable des denrées qui en ont
fait l’objet lui imposerait une perte certaine , si la dis
solution la contraignait de revendre actuellement. Il lui
convient donc d’attendre, et cette convenance chaque as1
Des sociétés,
n ° 150.
1 A rt. 1870.
III
10
�146
T R A IT É
DU
DOI.
socié doit en subir les effets. Elle ferait donc repousser
la demande en dissolution.
Vainement l’associé renonçant voudrait-il démontrer
qu’il a, lui, un intérêt pressant à une dissolution immé
diate. Dans l’appréciation de l’à-propos d’une renoncia
tion , on doit exclusivement se placer au point de vue
de l’intérêt social, sans tenir aucun compte de l’intérêt
privé des associés. C’est ce qu’enseignait le droit romain:
Hoc ita si societalis interest non dirim i socielatem ;
semper enim non id quod privatim interest unius ex
sociis servari solet, sed quod societati expedit.'
1 006. — Quel est l’effet de la renonciation fraudu
leuse ou inopportune ? C’est de lui enlever toute vali
dité et partant toute efficacité. Ainsi, nonobstant la re
nonciation inopportune , la société continue d’exister.
L’associé renonçant n’en reste pas moins soumis aux
obligations et aux devoirs que sa qualité lui impose.
La renonciation frauduleuse oblige son auteur à rap
porter à la masse , non seulement le gain illicite qu’il
se proposait, mais encore celui qu’il n’a pu prévoir au
moment de sa renonciation et qui lui est échu depuis,
pourvu cependant qu’il dût tomber en société. En effet,
la nullité de la renonciation , à quelque époque qu’elle
soit prononcée, remonte au jour de sa date. Conséquem
ment la société n ’a pas cessé d’exister et d’acquérir tout
ce qui devait lui appartenir.
1 L . 6 b, § 5, D ig .
Pro socio.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
147
De là il suit encore que les perles éprouvées par la
société , depuis la renoncialion , ne laisseront pas que
d’élre proportionnellement à la charge du renonçant et,
enfin, que la société pourra le faire condamner à répa
rer, par des dommages-intérêts , le préjudice qu’elle a
éprouvé de son défaut de concours, si ce concours, ayant
paru indispensable ou utile, avait été stipulé dans l’acte
social.
1097.
— Au demeurant, il importe de remarquer,
avec M. Troplong, que la nullité de la renoncialion est
purement relative! Tous les associés , excepté le renon
çant , sont admis à la faire valoir. De là il suit que si
l’opération, en vue de laquelle la renonciation a été no
tifiée, s’est soldée par une perte au lieu d’offrir le béné
fice espéré, cette perte peut rester étrangère à la socié
té ; que les bénéfices que la société a réalisés après la
renonciation peuvent lui être exclusivement acquis. Ce
double résultat serait la conséquence forcée de l’accepta
tion que les associés feraient de la renonciation , que
seuls ils peuvent quereller.
En définitive donc, celui qui renonce frauduleusement
agit plutôt contre son propre intérêt que contre celui de
ses coassociés. 11 s’expose , en effet, à voir ceux-ci soit
lui demander compte du gain qu’il a illégitimement re
cherché et le faire contribuer aux perles essuyées depuis
la renonciation ; soit lui laisser exclusivement la perte
faite sur l’opération frauduleuse et lui refuser sa part
dans les bénéfices par eux réalisés. On peut donc dire
�148
T R A IT É
DU
DOL
de lui ce que le jurisconsulte Paul dit de l’associé renon
çant avant l’expiration du terme convenu: Socium a se,
non se a socio libérât.'
1 0 9 8 . — Dans les sociétés dont le terme a été sti
pulé soit explicitement, soit implicitement, l’exécution
littérale n’offre plus l’inconvénient attaché à un engage
ment perpétuel. Le législateur revient donc purement à
la règle que nous avons déjà indiquée : Contractas sunt
ab initio voluntatis, expost facto necessitalis. En con
séquence , la dissolution de la société ne peut être de
mandée par un des associés , avant le terme convenu,
qu’autant qu’il y en a de justes motifs1. L’associé qui
renoncerait contrairement à cette disposition, ferait donc
un acte sans aucune efficacité ; il serait à l’instar de
celui qui renonce frauduleusement ou en temps impor
tun, et s’exposerait aux mêmes résultats.
1 099. — Les motifs pouvant légitimer la demande
en dissolution sont indiqués, mais non limités par l’ar
ticle 1871. C’est ce qui s’induit non seulement de la gé
néralité de ses termes, mais encore de l’appel qu’il fait
à l’arbitrage du juge pour l’appréciation des causes qu’il
n’énumère pas spécialement. Il suffirait donc que celles
invoquées par l’associé fussent jugées graves pour qu’on
admit la dissolution. Nous avons déjà dit que la fraude
dans l’administration ferait inévitablement dissoudre la
société.
i L . 6 5, § 6, D ig .
Pro socio.
�ET
I
DE
LA
FRAUDE.
•1100. — Si les prétentions de l’associé sont repous
sées, la société continue d’exister jusqu’à son expiration.
Mais ici peut s’offrir une importante difficulté. Suppo
sez que l’associé réclamant soit précisément celui qui est
le gérant indispensable de la société, celle-ci ne consis
tant que dans l’exploitation de l’industrie par lui appor
tée ; supposez encore qu’après le jugement qui refuse la
dissolution, il persiste dans son projet de retraite.Com
ment assurer l’exécution de ce jugement ? Comment re
fuser la dissolution , si la volonté d’abandonner la ges
tion est nettement indiquée au juge avant qu’il ait pro
noncé ?
1 1 0 1 . — Placée dans une position de ce genre, la
Cour de Lyon a cru pouvoir admettre une exception à
l’art. 187,1. Dominée par cette pensée que les obliga
tions de faire se résolvent en dommages-intérêts, elle a
pensé que la dissolution était forcée, sauf le paiement de
ces dommages, et c’est ce qu’elle ordonne par son arrêt
du 18 mai 1823.
1 1 0 2 . — Cet arrêt n’a pas seulement le tort de créer
à l’art. 1871 une exception que repousse la généralité
de ses termes, il viole, en outre, ce principe écrit dans
les règles générales en matière d’inexécution : que la
partie, envers laquelle l’engagement n ’a pas été exécu
té, a le droit de demander le maintien de l’obligation.
Il est vrai que si l’exécution en est impossible, on doit
la remplacer par une allocation de dommages-intérêts,
mais l’impossibilité est ici laissée à l’appréciation de la
■i itjM
�Il § !
15U
TRAITE DU DOL
partie intéressée, seule juge des moyens à l’aide desquels
elle espère la faire disparaître.
Sans doute ces moyens ne peuvent aller jusqu’à faire
appréhender le débiteur au corps pour l’obliger manu
m ilitari à faire ce qu’il refuse de faire. C’est ce que
l’art. 1174 a pour objet d’empêcher. Mais ce que la loi
a pu et dû permettre, c’est de vaincre la mauvaise vo
lonté du débiteur en rendant l’exécution d’un tel intérêt
pour lui, qu’il ne puisse longtemps s’y soustraire. A cet
effet, l’allocation d’une somme déterminée par chaque
jour de retard se recommande à l’attention du créan
cier, à celle de la justice»
Ainsi , quelle que soit la partie qui se refuse à rem
plir son engagement, elle ne saurait, se prévalant de sa
propre faute , obtenir la dissolution contre l’opposition
de l’autre partie. En demandant l’exécution du contrat,
celle-ci ne fait qu’user d’un droit que la loi lui donne,
et sur la conservation duquel la justice doit veiller. On
doit donc , sur ses réclamations , maintenir le contrat,
en ordonner l’exécution sous peine de payer une som
me déterminée par chaque jour de retard. Admettre la
résiliation serait non seulement violer la lo i, mais en
core donner une prime à l’impudence. Comment, en
effet, qualifier autrement le langage de celui qui vien
drait dire à ses juges : Je ne veux pas remplir mon obli
gation, et cette volonté je vous défie de ne pas la pren
dre en considération. Condamnez - moi à des domma
ges-intérêts , mais déliez-moi de mes engagements. Un
pareil langage, s’il pouvait être efficace, décèlerait dans
��1 5 2
T R A IT É
DU
DOL
rifier l’exactitude , d’en prouver l'infidélité. L’intérêt,
que le gérant a incontestablement à ce triple résultat,
doit commander une extrême circonspection dans l’ap
préciation de sa conduite. Une allocation de dommagesintérêts, plus ou moins élevée, pourrait être la peine de
la négligence, à plus forte raison d’une irrégularité fla
grante.
1106. — Le gérant est obligé de restituer non seu
lement les livres, mais encore tous les papiers sociaux.
Le défaut de livres ou leur insuffisance est une faute ex
trêmement grave. En effet, elle a nécessairement les ré
sultats que nous venons d’indiquer et à un degré encore
plus prononcé de nocuité pour les associés, d’avantages
pour lui. Comment avec des écritures insuffisantes juger
sainement des opérations remontant à plusieurs années?
Comment reconnaître une omission, justifier une éléva
tion dans les recettes, une exagération dans la dépense?
L’absence ou l’insuffisance des livres substitue donc
le doute et l’obscurité à l’exactitude et à la précision si
désirables en cette matière. La fraude peut en cet état
être facilement supposée, et cette facilité, éveillant la juste
susceptibilité de la justice, ferait non seulement accueil
lir les modifications appuyées sur des présomptions grayes , mais encore condamner l’associé chargé des écri
tures à des dommages-intérêts.
H Q 7.
La soustraction totale ou partielle des li
vres ou écrjtures est une fraude caractérisée. U’intention
dont elle e?.t l’exécution ne peut être douteuse, et mérite
�ET
DE
LA
FRAUDE.
153
toute la sévérité de la justice. Les associés peuvent dans
ce cas demander la production matérielle avec peine
d’une somme déterminée par chaque jour de retard, ou
se borner à réclamer des dommages-intérêts suffisants
pour les indemniser de tout le préjudice.
Dans l’un et dans l’autre cas, la demande est suscep
tible d’être différemment appréciée, selon qu’il s’agit d’u
ne soustraction totale ou d’une soustraction partielle.
Rien ne saurait justifier la première, mais la seconde
peut être plus ou moins nuisible, selon le caractère des
livres en faisant la matière. Si ces livres ne sont pas in
dispensables pour arriver à un règlement équitable ; si
le contrôle réservé aux associés peut utilement être four
ni par les écritures produites, l’excuse de bonne foi pour
rait être accueillie. L’intention qui a fait disparaître un
livre auxiliaire suppléé par les livres principaux , n’est
pas nécessairement frauduleuse, le préjudice peut en ré
alité ne pas exister ou du moins n’exister que dans des
proportions minimes. Or, comme c’est surtout pour ré
parer celui-ci que des dommages-intérêts sont dus, on
pourrait soit les refuser, soit les réduire dans les mêmes
proportions.
Mais si la soustraction porte sur les livres principaux,
on n’aurait pas à la distinguer de la soustraction totale.
L’effet étant le même, la peine serait identique.
1 1 0 8 . — Au reste, il importe aux assodiés d’oppo
ser au gérant toutes les objections leur compétant, avant
le règlement matériel du compte ; après ce règlement,
4
�454
T R A IT É
DU
DOL
le compte est définitif. Toute réclamation ultérieure vien
drait échouer devant l’art. 541 du Code de procédure
civile.
H 0 9 . — Cet article prohibe tou te révision des comp
tes, et son applicabilité, en matière de société civile ou
commerciale, ne saurait faire l’objet d’un doute sérieux.
Les motifs qui l’ont dicté ne manquent pas de gravité,
le législateur a compris que le comptable régulièrement
déchargé de sa gestion , par un arrêté de compte , n’a
plus le même intérêt dans la conservation des pièces en
formant les éléments ; qu’en cet é ta t, le soumettre de
nouveau à rendre son compte serait le placer dans la
nécessité de faire ce qu’il n’est plus réellement en posi
tion d’accomplir.
La prohibition de l’art. 541 ne reçoit exception que
dans un seul cas, à savoir : lorsque l’arrêté de compte
a été surpris par dol , extorqué par fraude ou ravi par
violence. La preuve de l’un ou de l’autre entraînerait la
nullité du contrat, et ferait remettre les parties dans le
même état qu’avant. Cette exception, loin de détruire la
règle, ne fait que la confirmer; ce ne serait pas en effet
une révision de compte dont il s’agirait dans cette hy
pothèse. Le règlement frauduleux ou dolosif est censé
n’avoir jamais existé, ce serait donc ce règlement qu’il
s’agirait d’accomplir.
Si l’arrêté de compte n’est pas attaqué sous ce rap
port, ou si, reproché à ce point de vue , il a été main-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
135
tenu, l’art. 341 reprend tout son empire, toute révision
est écartée de plein droit.
11IO. — Reste l’action en redressement pour er
reurs, omissions, faux ou doubles emplois, que l’article
541 réserve lui-même. Ea nature de celte demande se
détermine par la disposition entière de cet article. Evi
demment l’action en redressement est autre chose que
l’action en révision , sinon il faudrait reconnaître que
le législateur a permis à la fin de l’article ce qu’il pros
crit formellement au commencement.
Ce qu’il faut en conclure, c’est que par la défense de
réviser le compte, la loi n’a pas voulu empêcher des ré
clamations, dont l’existence ultérieure ne se réalise tar
divement que parce que les griefs qu’elles révèlent n’ont
été découverts qu’après l’arrêté du compte. Des erreurs,
des omissions, des faux, des doubles emplois, ne doivent
profiter ou nuire à personne , on doit les réparer en
maintenant toutefois les effets généraux du règlement
des comptes.
De là il suit que, pour être recevable, l’action en re
dressement doit être nettement déterminée dans son ob
jet. On ne doit pas se borner à prétendre en termes gé
néraux et vagues qu’on a à signaler des erreurs, omis
sions, faux ou doubles emplois, il faut relever les arti
cles du compte renfermant le vice reproché, fournir les
pièces établissant l’erreur ou l’omission. Celui-là donc
qui, sans offrir ce détail, se contenterait de soutenir qu’il
est victime , qui même , sur le fondement de certaines
�156
T R A IT É
DU
DOL
pièces, se bornerait à prétendre que le reliquat du compte
est erroné, devrait être déclaré non-recevable et succom
ber dans ses prétentions."
En d’autres termes, l’action en redressement laisse à
l’arrêté du compte toute son autorité, il y a lieu seule
ment d’ajouter ou de retrancher jusqu’à concurrence
des sommes omises ou portées en plus. Il faut donc
nécessairement signaler les articles querellés dans l’un
ou l’autre sens. Se renfermer dans des généralités , ce
n ’est pas vouloir faire redresser le compte , c’est en de
mander un second ou tout au moins réviser le pre
mier, c’est, dans l’un ou l’autre cas, exiger ce que pros
crit l’art. 541.
i C hauveau
sur C arré,
g e s , 21 a o û t 1 8 3 1 .
art.
541 ; —
C ass., 2 m a r s 1831 ; —
B our
�ET
DE
LA
FRAUDE.
157
SECTION VI.
F raudes
dans
le s
P rêts.
SOMMAIRE.
1411. Diverses espèces de prêt.
1112. Nature du commodat.
1113. Nature du prêt de consommation.
1114. Prêt à intérêt.— Historique.
1115. En quoi consiste l’usure.
1116. Critiques du droit que se réserve le législateur de déter
miner un maximum d’intérêt.—Opinion des scolasti
ques, de Turgot, de J. Bentham.
1117. Réfutation quant à l ’utilité de ce droit.
1118. Réfutation quant à la convenance.
4119. Réformes dont la loi de 1807 serait susceptible.
1120. Défaut de proportions entre les intérêts qu’il consacre et
le revenu foncier.
4121. Véritable valeur de l’argent en matière commerciale.
1122. Abus du taux commercial appliqué aux lettres de change
souscrites par des non commerçants.
1123. Ou aux prêts commerciaux faits par nantissement ou par
crédit hypothéqué.
1124. Résumé.
�158
1125.
1126.
1127.
1128.
1129.
1130.
1131.
1132.
1133.
1134.
1135.
1136.
1137.
1138.
1139.
1140.
1141.
1142.
1143.
1144.
T R A IT É
DU
DOL
L ’usure ne peut exister que dans le prêt. — Simulations
nombreuses qui résultent de cette condition.
Les questions d’usure présenteront donc plu lot des diffi
cultés sur l ’intention des parties que des difficultés de
droit.
Exemple d’usure dans un contrat de mariage.
Erreur dans laquelle est tombée M. Dalloz sur la portée
véritable de l ’arrêt de la Cour de Riom.
La doctrine de cet arrêt ne pourrait être admise sous l’em
pire de la loi de 1807.
Difficultés sur les droits que l’usage attribue aux ban
quiers, en sus de l’intérêt légal.
Nature de la commission.
Nature de l ’escompte.
Nature du change.
Légalité de ces droits contestée par plusieurs auteurs, MM.
Chardon, Duvergier, Fremery, notamment.
Réfutation.
L’escompte ne saurait être considéré comme un intérêt
conventionnel.— Opinion conforme de M. Troplong.
Nature véritable du change.
Facilité que ces divers droits donnent pour déguiser l’u
sure.— Conséquences.
On reconnaîtra la vérité de l ’escompte d’abord au taux au
quel il a été établi.
A la nature réelle de l ’opération. — Quid, s'il s’agit d’un
billet directement souscrit par le cédant lui-même ?
La même difficulté peut se présenter pour le change. —
Solution.
Quid, s’il existe une supposition de lieu ?
Jugement du tribunal de commerce de Marseille , confir
mé par arrêt d’Aix, dans une espèce où la supposilion
de lieu n’avait pas fait obstacle à l ’existence du con
trat de change.
Le droit de commission peut-il être prélevé en l ’absence
d’un crédit ouvert par le banquier ?
�ET
1145.
1146.
1147.
1148.
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1150.
1151.
1152.
1153.
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1158.
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1161.
1162.
1163.
1164.
1165.
DE
LA
FRAUDE.
159
Exception au principe admis par l’art. 1154 , en matière
d’anatocisme.
La commission du banquier peut-elle être prélevée sur le
solde reporté à nouveau ?
Pour que la capitalisation trimestrielle des intérêts puisse
être effectuée , il faut que le compte existe entre né
gociants, et que le compte ait été réellement arrêté.
Le banquier peut-il prélever une commission sur chaque
renouvellement des billets souscrits par un non com
merçant ?
Usure consistant à fondre les intérêts avec le capital.
Première objection que la preuve testimoniale fera surgir.
Deuxième objection.
La preuve de l ’usure acquise, quel sera le sort de l’acte ?
La rétention des intérêts au momerft de l ’acte constitue
une usure.
Peut-on stipuler que les intérêts d’un capital fourni en
argent seront payés en denrées ?
Quid, si le prêt a été fait en denrées ?
La loi de 1807 ne régit pas le prêt qui offre une chance
aléatoire—Application de cette règle à la caisse hypo
thécaire.
Application au contrat à la grosse.
Supposition de l ’existence d ’un contrat à la grosse pour
déguiser l ’usure.
Application de la règle concernant la chance aléatoire à
la cession.
Au contrat de rente en viager.
Exemple d’usure déguisée sous l ’apparence d’une rente
viagère.
Exemple d’usure déguisée sous la forme d'une donation.
— Gomment elle s’apprécie.
Doctrine de Pothier.
Arrêt conforme de Bordeaux et de la Cour de Pau.
Exception que celte doctrine comporte.
�460
1166.
1167.
T R A IT É
DU
DOL
Q u id , delà donation faite après paiement ?
Usure peut résulter de l’exigence de services personnels
appréciables en argent.
1168. ^Comment et par quel mode reconnaît-on qu'un service
est ou non appréciable en argent.
1169. Usure peut se déguiser sous le contrat de société.
1170. Elle se dissimule facilement sous l’apparence d’une vente
d’objets'mobiliers.
1171. Dans quels cas peut-on quereller d'usure une vente de
marchandises faite par un commerçant?
1172. La vente pure et simple d’un immeuble peut ne déguiser
qu’un prêt usuraire. — Espèce jugée par la Cour de
Paris.
1173. Reproche adressé à l ’arrêt.
1174. Nature de la vente à réméré.— Répulsion qu'elle a inspi
rée au législateur.
1175. Raisons qui l ’ont fait maintenir dans le Code.
•1176. Circonstances devant la faire considérer comme un con
trat pignoratif.
1177. La réunion de ces circonstances est-elle indispensable.
1178. Nécessité de l ’existence du pacte de rachat.
1179. Effet de la vilité du prix et du pacte de rachat.
1180. Effet du concours de celui-ci avec la relocation.
1181. Conséquences de la déclaration que la vente n’est qu’un
contrat pignoratif.
1182. Usure déguisée sous la forme du contrat d’échange.
1183. Devoir que cette facilité pour l’usure , à se déguiser, im
pose aux tribunaux.
1184. L’usure ne devient un délit que par l'habitude. — Mais
chaque fait spécial donne ouverture à une action en
faveur de la partie lésée.
1185. Objection tirée de l’art. 1341, opposée à la preuve testi
moniale du délit d’habitude d’usure repoussée par la
Cour de cassation.
1186. La même objection , appliquée à la poursuite de l ’action
�ET
1187.
1188.
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1190.
1191.
1192.
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1194.
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1200.
1201.
1202.
1203.
1204.
DE
LA
FRAUDE.
- J G 1!
de la partie lésée , consacrée par la Cour de P au , et
admise par M. Sirey.
Le système contraire a triomphé en doctrine et en juris
prudence.
Consacré par le simple bon sens.
Faculté pour les juges d ’admettre les présomptions gra
ves et précises.
Ou de déférer le serment supplétoire.
Extrême prudence avec laquelle ils doivent procéder.
Faut-il, comme l ’enseigne M. Chardon, ne le déférer qu’au
débiteur ?
Conséquences de l ’usure reconnue sur l ’exécution du con
trat.
L'action ouverteau débiteur passe à ses héritiers et ayants
cause.—Elle peut être exercée par ses créanciers.
Cette action ne peut être jointe avec celle du ministère
public en répression du délit.
Ce qui est jugé sur celle-ci ne peut influer en aucun sens
sur l ’instance au civil.
La fin de non-recevoir tirée de la chose jugée ne peut ré
sulter que du jugement consacrant définitivement la
légitimité de la créance.
Mais l’exception d’usure peut être proposée pour la pre
mière fois en appel.
L’exception de chose jugée résulterait-elle d ’un jugement
validant une saisie faite en vertu du titre.
L ’usure ne pouvant être couverte, l ’action ne saurait être
écartée sous prétexte de ratification ou de transaction,
à moins que l ’une ou l ’autre se fût réalisée après la
libération.
De quel moment commence à courir la prescription ?
Par quel délai est-elle acquise pour l ’usure ordinaire ?
Quel est le délai pour l'usure palliée "?
Durée de l ’exception.
m
11
�162
T R A IT É
DU
DOL
1 1 1 1 . -— La loi distingue trois sortes de prêts :
10 celui des choses dont on peut user sans les détrui
re , c’est le prêt à usage ou commodat ; 2" celui des
choses se consommant par l’usage, soit le prêt de con
sommation ; 3° enfin le prêt à intérêt.
La gratuité qui est de l’essence de chacun d’eux, ne
permet guère de prévoir une fraude, de la part du prê
teur surtout. Cependant, comme il en résulte pour cha
que partie des obligations et des droits, la fraude con
sommée dans l’exécution des premières, ou qui tendrait
à annihiler les autres, donnerait lieu à une adjudica
tion de dommages-intérêts.
1113.
— A vrai dire, le commodat est une véri
table cession de jouissance , une location , en quelque
sorte. Dès lors, c’est par les règles que nous avons ex
posées dans notre section iv que se résoudront les dif
ficultés soulevées sur l’exécution des obligations soit du
bailleur, soit du preneur.
1 1 1 3 . — D’autre part, le prêt de consommation
peut être assimilé à la vente. Ce qui en fait la matière,
c’est la chose prêtée , qui devient la propriété de l’em
prunteur et dont il peut disposer à son gré. Ce qui re
présente le prix, c’est l’obligation de restituer une chose
de même quantité et qualité. L’exécution du prêt, c’està-dire la délivrance , la garantie des vices cachés , l’o
bligation de restituer au terme convenu, les fraudes que
peuvent se permettre les parties, se trouvent donc natu
rellement régies par les principes que nous avons déjà
�ET
DE
LA
FRAUDE.
163
exposés en parlant de la vente , et auxquels nous nous
contentons de nous référer.
1114.
— Nous arrivons au prêt à intérêt, qui se
recommande si hautement à l’attention des magistrats
et des jurisconsultes par la facilité avec laquelle il de
vient un instrument de fraude. Notre ancienne législa
tion ne le tolérait qu’avec aliénation du capital et pros
crivait sévèrement tout profit autre que la rente au taux
légal et convenu.
Ces dispositions de la loi civile étaient conformes aux
prescriptions enseignées par la théologie. Armée de
quelques passages de l’Ecriture, l’Eglise s’était formel
lement prononcée contre le prêt à intérêt sans aliénation
du capital.
Notre intention n ’est pas de discuter la vérité de celte
prohibition , de rappeler les diverses phases du prêt à
intérêt, les attaques qu’il a subies , la défense dont il a
été l’objet ; on ne saurait, sur tous ces points, dire plus
et surtout dire mieux que ne l’a fait M. Troplong dans
sa préface du Commentaire sur le prêt. Nous renvoyons
donc ceux qui voudraient être complètement édifiés sur
les vicissitudes que le prêt à intérêt a traversées, au ta
bleau si complet, si lucide qu’en a tracé cet habile et éminent magistrat.
Quant à nous, il nous suffit de trouver ce contrat in
scrit dans notre Code pour que nous ayons à l’exami
ner sous le rapport de notre matière et à nous occuper
des fraudes dont il peut devenir l’occasion. La princi-
�164
T R A IT É
DU
DOL
pale de celles que le prêteur peut se permettre est, sans
contredit, l’usure.
1115.
— En droit romain, l’usure signifiait l’inté
rêt que l’argent pouvait produire ; en France, et à tou
tes les époques, l’usure n’a pas été prise dans cette ac
ception , elle a toujours désigné le gain illicite que des
prêteurs avides ont tenté de sé procurer, soit par la vio
lation expresse de la loi prohibitive, soit en stipulant des
intérêts au dessus du taux légal.
Il importe, en effet, de remarquer que toutes les lé
gislations, en admettant le prêt à intérêt, se sont réser
vé le droit d’en déterminer le taux. C’est spécialement
ce qu’a fait le Code civil. Ainsi , après avoir permis de
stipuler des intérêts pour simple prêt soit d'argent, soit
de denrées, le législateur ajoute immédiatement : L’in
térêt est légal ou conventionnel. L’intérêt légal est fixé
par la loi ; l’intérêt conventionnel peut excéder celui de
la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas.1
Le législateur se réserve donc la faculté de restreindre
la volonté des parties et d’établir un maximum d ’inté
rêt au delà duquel la convention ne créera aucun lien
obligatoire. Ce droit du législateur semble au dessus de
toute contestation. Il est évident, en effet, que, puisqu’il
a le pouvoir de prohiber le prêt à intérêt, il a par cela
même, en le consacrant, le droit de lui imposer telles
limites qu’il croit indispensables à la sécurité de l’Etat
i A rt, 1 9 0 7 d u Code civil,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
165
et à l’ordre public. Cependant ce droit a été méconnu
tant sous le rapport de son existence que sous celui de
la convenance de son exercice.
1116,
—• Les scolastiques, d’une part, l’ont con
testé en niant a ‘p riori la faculté de permettre un inté
rêt quelconque. Retirer un intérêt alors qu’on n ’aliène
pas le capital, c’est, à leurs yeux, contrevenir à l’esprit
de la religion et violer le principe de la gratuité du prêt:
Mutuum date , nihil inde sperantes. Celte objection a
été repoussée par une plus saine interprétation des pas
sages sur lesquels elle se fonde; on a prouvé qu’ils ren
ferment des principes de charité sublime, plutôt que des
préceptes de justice rigoureuse.'
Turgot ne s’est pas contenté de réfuter l’opinion des
canonistes, il va plus loin, et après avoir recherché l’o
rigine et les caractères du prêt à intérêt, il soutient que
ce prêt dérive du droit naturel bien supérieur à toutes
les législations ; qu’en conséquence la faculté d’exiger un
intérêt de son argent n ’étant que la conséquence du droit
de propriété , ne peut être refusée par le législateur ; il
lui conteste donc le pouvoir de la réglementer, la déter
mination du taux de l’intérêt devant être abandonnée
à ses éléments naturels , c’est-à-dire aux chances du
commerce lui-même.
D’autres publicistes éminents s’expriment plus énergi
quement encore. L’un d’eux ne voit dans l’usure même
i T u rg o t,
Mémoire sur les prêts d’argent,
§§ 23 e t su iv .
�166
T R A IT É
DU
DDL
que la liberté pour les individus de faire leur condi
tion comme ils le jugent convenable. Il se résume , en
conséquence , dans cette proposition : Que nul homme
parvenu à l’âge de raison , jouissant d'un esprit sain,
agissant librement et en connaissance de cause, ne doit
être empêché, même par des considérations tirées de
son avantage , de faire comme il l'entend tel marché
que ce soit dans le but de se procurer de l’argent, et
que, par conséquent, personne ne peut être empêché de
lui donner ce qu'il demande aux conditions qu’il veut
bien accepter.'
Pour Bentham , le grand critérium de la sagesse et
de la convenance des lois est leur utilité. Cette qualité
s’apprécie dans chaque disposition légale par la propor
tion des plaisirs et des peines en résultant , et par la
supériorité de ceux-ci sur celles-là’. Soumettant ensuite
à cette double recherche les lois répressives de l’usure,
il arrive à conclure qu’elles sont sans efficacité, sans avantages aucuns pour ceux-mèmes qu'elles ont pour but
de protéger ; qu’au contraire elles engendrent, au point
de vue commercial, des inconvénients nombreux et gra
ves ; qu’elles corrompent les m œ urs, puisqu’elles pro
voquent à la délation, à la trahison, à l’ingratitude, en
offrant à l’emprunteur une récompense pour l’encoura
ger à violer ses engagements et à déchirer la main secourable qui lui a été tendue ; que, dès lors, les incon-
1 Jérém ie B entham ,
2
Id.
Défense de l'usure, l e t t r e
Traité de législation.
p re m iè re .
�ET
DE
LA
FRAUDE.
167
vénients dépassant de beaucoup les avantages , ces lois
ne sont ni convenables , ni sages. L’opinion contraire,
ajoute-t-il, n ’est due qu’à des préjugés que le mot usu
re nourrit et entretient depuis longtemps.
1 1 1 7 '. — N’en déplaise à l’auteur , le concert de
malédictions et de plaintes que l’usure a, de tous temps,
soulevé, est un terrible argument contre sa thèse- L’o
pinion publique se trompe quelquefois, mais, quelle que
soit la durée de son erreur , elle n’est jamais éternelle.
La vérité finit par se faire jour et par triompher des té
nèbres en obscurcissant l’éclat. C’est ainsi qu’on a vu et
que nous voyons chaque jour des préjugés plus ou moins
enracinés s’affaiblir, s’effacer et disparaître. Il faut donc
induire , de ce que celui contre l’usure a traversé une
succession de siècles sans avoir rien perdu de sa force,
que, au fond, ce qui l’avait fait naître n’a rien que de
très-réel. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il ait survé
cu. Est-ce que les plaies de l’usure ne sont pas aussi
hideuses, aussi saignantes qu’elles l’étaient dans les siè
cles précédents ?
Nous le reconnaissons sans peine, au point de vue où
se placent Turgot et Bentham, leur opinion ne manque
pas d’une certaine gravité, et nous comprenons ce der
nier s’écriant : Pourquoi m’empêcheriez-vous de deman
der le d ix , le vingt pour cent d’un argent q u i, par la
spéculation , va en procurer quarante ou cinquante à
mon emprunteur ? Il est évident que , dans les hautes
opérations de finance, de commerce ou d’industrie l’u -
�168
T R A IT É
DU
DOL
sure est moins redoutable que dans les affaires ordinai
res. Sa répression peut même conduire à l’anomalie si
gnalée, mais le remède conduirait, lui aussi, à de singu
liers résultats. Si on a pu, en effet, à l’origine de l’opé
ration, stipuler un intérêt de dix ou de vingt pour cent,
cet intérêt sera payable , alors même que la prévision
sur laquelle il a été calculé ne se réaliserait pas et que
l’emprunteur, loin de faire un bénéfice quelconque, ne
retirerait qu’une perte même considérable. Serait-ce là
de la justice ?
La liberté illimitée réclamée par Bentham n’est donc
pas dans le cas d’établir la proportion équitable entre le
prêteur et l’emprunteur. Le moyen de le faire , notre
droit l’a trouvé et admis. Nous avons vu, en traitant de
la société, que le bailleur de fonds pouvait, outre et in
dépendamment de l’intérêt légal, stipuler une part dé
terminée par les bénéfices; et ce moyen, admis par l’é
quité , est avoué par la plus stricte justice. En effet , le
prêteur ne sera pas réduit à n’avoir que le six pourcent
là où l’emprunteur en touchera vingt ou trente. D’au
tre part, la participation au bénéfice ne se réalisera que
lorsqu’il y aura un bénéfice , et ainsi l’emprunteur ne
paiera, en cas de perte, que l’intérêt légitimement acquis
au prêteur.
On le voit, l’anomalie signalé par Bentham s’évanouit
et tombe sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’abro
gation des lois prohibitives de l’usure.
Au reste, l’inconvénient fût-il réel et irréparable, son
existence pourrait-elle prévaloir contre les conséquences
�.
ET
DE
LA
FRAUDE.
169
de l’usure , au point de vue dont le législateur devait
surtout se préoccuper ? En effet, à, côté de ceux que
Bentham appelle les gens à projet et dans l’intérêt des
quels il réclame la liberté illimitée de l’intérêt, existent
le modeste commerçant, les travailleurs, les petits pro
priétaires. Osera-t-on soutenir, par rapport à eux, l’in
nocuité de l’usure ? Mais une longue et triste expérience
est là pour démontrer que ses exactions ont pour résul
tat leur ruine tellement inévitable, qu’on pourrait pré
dire avec certitude le moment où elle se réalisera. En
présence d’un pareil état des choses faut-il justifier le
législateur et discuter les raisons qu’on oppose à l’exer
cice du droit de déterminer un maximum d’intérêt?
Nous ne pouvons d’abord admettre que celui qui s’a
bandonne en proie à l’usure agisse librement et en con
naissance de cause. Personne n’accepte volontairement
pour sa famille et pour lui la perspective presque assu
rée de la ruine et de la misère. Celui qui en court la
chance ne le fait donc que vaincu par une nécessité.in
vincible , que dominé par des besoins urgents , qu’en
traîné par une passion funeste. Le contraire fût-il vrai,
quel motif y aurait-il pour permettre à qui que ce soit
de profiter d’une volonté évidemment pervertie ? La loi
ne peut empêcher matériellement le suicide ; elle n’a pas
même cru pouvoir en consacrer la prohibition ; mais
elle n’hésite pas à punir celui à qui on aurait eu recours
pour l’accomplir et qui se serait prêté à sa consomma
tion. Pourqui donc n’aurait-elle pas fait pour le suicide
moral ce qu’elle fait pour le suicide physique ?
\
�170
T R A IT É
DU
DOL
Sans doute il n’appartenait pas au législateur d’im
poser, comme règles obligatoires, ces préceptes d’incommensurable charité qu’enseigne la loi divine ; mais ce
qu’il pouvait, ce qu’il devait faire, c’était de punir celui
q u i, voyant son prochain se jeter aveuglément au de
vant du précipice , au lieu de le retenir, l’y plonge de
sa propre main pour satisfaire une odieuse, une infâme
avidité.
La répression de l’usure est donc hautement approu
vée par la morale. Le droit que s’est réservé le législa
teur est donc parfaitement juste. Nous ajoutons qu’en
le répudiant, il eût méconnu formellement la mission
qu’il a à remplir.
Que l’usure touche à l’état politique des peuples, c’est
ce qui ne saurait être nié sans faillir à la vérité la plus
éclatante. L’influence qu’elle exerce sur le bien-être des
citoyens, sur le paiement des impôts, sur la tranquillité
publique , la rend une question éminemment sociale et
la recommande à l’attention spéciale de l’homme d’Etat.
N’est-ce pas l’usure qui f u t, à Rom e, la cause de ces
séditions qui menacèrent l’existence même de la Ré
publique naissante ? N’est-elle pas également indiquée
par tous les historiens comme un des fléaux qui préci
pitèrent la ruine du Bas-Empire et le livrèrent en proie
à l’invasion des Barbares ?
O u i, l’usure ne peut être considérée comme un mal
heur privé. Laissez-lui ses coudées franches, et vous la
verrez s’attacher bientôt à tout ce qui fait la prospérité
des Etats et en dessécher les sources. L’agriculture sera
�ET
DE
LA
FRAUDE.
171
désertée, car elle ne produira pas de quoi satisfaire aux
exigences d’un créancier avide ; accablé sous un joug
de fer, le cultivateur cessera bientôt d’exploiter son mo
deste héritage, lorsque les sueurs dont il l’inonde tour
neront au profit exclusif du prêteur, qui ne tardera pas,
d’ailleurs , à l’en chasser. Le commerce lui-même , au
nom duquel on réclame la liberté illimitée, ne pourra
bientôt plus suffire à ce ver rongeur, et ne pourra que
languir et s’éteindre , et l’on contesterait au législateur
le droit d’intervenir 1 Mais comment conçoit-on la mis
sion que l’économie politique lui impose et quelle idée
se fait-on de l’intérêt public?
Qu’on ne traite pas nos prévisions de craintes puéri
les , d’exagérations chimériques ; nous ne faisons mal
heureusement que de l’histoire , dont le langage a sou
vent toute l’autorité d’un chiffre. Sans remonter même
à des temps déjà éloignés , reportons-nous à ces temps
d’entraînements qui virent proclamer la liberté absolue
dans, la stipulation des intérêts , et vojci ce que nous
trouverons : « On vit porter les intérêts à un taux ex» cessif, vingt, trente, quarante, cinquante et même soi» xante pour cent. La France compta par milliers les
» ruines et les fortunes scandaleuses. L’usure, qu’aucun
» frein ne retenait plus , fit irruption dans la société,
» elle s’y implanta et y jeta des racines tellement pro» fondes, que la sévérité des lois et des magistrats n’est
» pas encore parvenue à les extirper entièrement. L’or» dre social eut tant à souffrir des ravages de l’usure,
» qu’on sentit le besoin de la proscrire de nouveau, et
�172
T R A IT É
DU
DOi
» c’est alors que fut rendue la loi du 3 septembre
» 1807.- »
Ainsi, dix-huit ans de liberté absolue , de 1789 à
1807, avaient non seulement rendu le mal présent dan
gereux et intolérable, mais encore grevé déplorablement
l’avenir. Où en serions-nous arrivés s i , aux réclama
tions incessantes des populations désolées , le législateur
eût répondu qu’il n’avait pas le droit d’intervenir ?
Ainsi Vutilité, d’une loi répressive, ce grand crité
rium qu’exige Bentham est parfaitement démontrée.
Vainement fait-on observer que cette loi n’a pas mis fin
à l’usure. Le législateur n’a pas pu être arrêté un ins
tant par la pensée qu’on éluderait sa volonté. Tout ce
qu’il devait faire d’ailleurs , c’était d’éditer une peine
dans cette prévision, et c’est un devoir auquel la loi de
1807 n’a pas failli. Sans doute le mal n ’est pas extir
pé, mais un premier effet est obtenu. L’usure ne se ma
nifeste plus le front haut et la démarche assurée, elle se
cache , elle s’enveloppe dans le mystère et l’ombre au
milieu desquels la sagacité de la justice sait et peut quel
quefois l’atteindre et la punir.
1118.
— La question d’utilité tranche celle de la
convenance. Cependant les raisons qui ont fait contes
ter cette dernière exigent un examen sérieux. Nous avouons même qu’en pareille matière une loi fixe , im
muable n’est pas dans la nature des choses; qu’elle est
�ET
DE
LA
FRAUDE.
173
dans le cas de substituer le mensonge à la vérité, et de
se placer en contradiction avec les intérêts qu’elle a pour
objet de garantir.
Qu’est-ce, en effet, que l’intérêt ? Les économistes ont
beaucoup écrit sur la matière, sans cependant prendre
à tâche de réduire la question dans les limites les plus
nettes , dans les termes les plus simples. M. Say voit
dans l’intérêt le profit du capital ainsi que celui du fonds
de terre , et il le définit : Le prix d’un service qui n ’est
pas un travail humain, mais qui est néanmoins un ser
vice productif, lequel concourt à la production des ri
chesses, de concert avec le travail humain.'
A travers ces expressions, qui ne pèchent pas par un
excès de clarté, M. Say a sans doute voulu dire que le
prêt n ’exige aucun travail de la part du prêteur, qui
acquiert, par la disposition qu’il fait temporairement de
son capital, le droit de participer au bénéfice que le tra
vail de l’emprunteur doit faire produire à ce capital. En
d’autres termes, le capital est une propriété dont la jou
issance, cédée à un tiers, est susceptible de produit en
faveur du propriétaire. Le prêt n ’est donc, en définiti
ve, qu’un louage dont l’intérêt est le prix. Telle est aus
si, nous l’avons dit, l’opinion de Turgot.
Cela posé, il semblerait en résulter que le taux de ce
loyer doit être abandonné à la libre disposition des par
ties , ou du moins n’obéir qu’aux fluctuations que fe-
i
Traité d'économie politique,
c h a p . 8, 1. 2 .
�174
T R A IT É
DU
DOL
ront surgir les causes de nature à exercer sur son cours
une influence nécessaire.
Or ces causes sont :
1° L’abondance ou la rareté de l’argent. Chacun con
vient , en effet, que c’est là un des éléments essentiels
pour la fixation de l’intérêt, dont la détermination se
règle sur la quantité des capitaux disponibles et prêtâ
mes ; qu’ainsi le taux est naturellement bas dans les
pays riches, élevé dans les pays pauvres.
Mais pour que l’abondance ou la rareté du numérai
re ait une influence réelle sur- le cours des intérêts, il
faut que l’une ou l’autre trouve sa cause dans un fait
purement commercial, à savoir : la diminution ou l’aug
mentation des besoins des travailleurs. Donc, l’accrois
sement des richesses, entre les mains de ceux-ci, devra
nécessairement être considéré comme le second terme
de la proposition. En effet, le loyer de l’argent , consi
déré comme instrument de travail, sera moindre, sui
vant que l’argent sera plus offert que demandé. Or ce
résultat ne sera pas toujours la conséquence uniquement
de l’abondance du numéraire entre les mains des capi
talistes, il sera surtout déterminé par la diminution des
besoins chez l’emprunteur. Supposez, en effet, que les
besoins soient les mêmes , l’abondance d’argent chez le
disposeur ne sera pas pour lui un motif d’en abaisser
le prix. Elle deviendra bien plutôt l’occasion de réaliser
de plus gros bénéfices , soit en travaillant sur une plus
grande échelle, soit en ne satisfaisant que les besoins de
la place, à l’effet de maintenir un taux favorable à ses
intérêts.
�ET
DE
U.
LA
-V
FRAUDE.
175
Ce qui donc influera réellement sur le prix de l’ar
gent, c’est la position et les besoins des travailleurs.Tant
que celle-ci sera précaire , tant que ceux-là seront u r
gents, ils seront forcés de subir le joug des disposeurs,
seuls en mesure de leur fournir l’instrument capable de
les faire vivre eux et leur famille.
Que si, au contraire, leur position s’est améliorée, si
le besoin de recourir à autrui se fait moins sentir, parce
que , dans une certaine mesure , ils ont acquis ce qui
leur est nécessaire , ils pourront à leur tour n’accepter
ce qui manque au développement de leur industrie qu’à
des conditions que celui qui le leur offre sera forcé d’ac
cepter, sous peine de garder son argent improductif, ce
à quoi les capitalistes se résignent difficilement.
Ainsi, c’est surtout dans les besoins des travailleurs
qu’il faut trouver les causes influençant le prix du loyer
de l’argent. On ne doit pas cependant en exclure l’abon
dance de celui-ci entre les mains des capitalistes. Quel
ques réduits, en effet, que fussent les besoins, si les ca
pitaux disponibles et prêtables étaient insuffisants pour
les couvrir, toute baisse dans l’intérêt serait impossible.
2° Le développement de la confiance générale , re
présentée dans l’industrie par le développement et l’or
ganisation du crédit. C’est encore à ce point de vue que
la position des travailleurs influera puissamment sur le
taux de l’intérêt. Commercialement parlant, ce taux ne
représente pas seulement la valeur réelle du prix de
l’argent, il doit de plus offrir une prime d’assurance
pour les risques que court le prêteur, soit en raison des
�176
TR A IT É
DU
DOL
circonstances générales politiques ou industrielles, soit à
raison des qualités et de la situation personnelle de l’em
prunteur. C’est ainsi que les crises politiques ou finan
cières exercent un contre-coup inévitable sur le prix de
l’argent ; c’est ainsi que, dans des circonstances égales,
les maisons de premier crédit obtiendront l'argent à de
bien meilleures conditions que les maisons d’un crédit
moindre.
L’accroissement des richesses entre les mains des tra
vailleurs, en affermissant leur crédit, fera évanouir d’au
tant les chances de perte , et amènera nécessairement
l’affaiblissement de la prime que ces chances font per
cevoir confondue dans l’intérêt.
En résumé, le taux de l’intérêt se calcule sur le plus
ou moins d’abondance de l’argent, coïncidant avec une
diminution ou avec une augmentation des besoins; sur
le développement du crédit devant rendre moins forte la
prime d’assurance contre les dangers que court ou que
croit courir le prêteur. Chacun de ces éléments est es
sentiellement variable, et c’est ce caractère incontestable
qui est invoqué contre la convenance d’une loi qui lui
substitue une règle fixe et invariable. En effet, une pa
reille règle ne peut que favoriser le capitaliste, au détri
ment de la classe des travailleurs. Car , de deux choses
l’une, ou la loi a été rendue dans un moment critique
ou dans une époque de prospérité commerciale.
Dans la première hypothèse, le taux de l’intérêt admis
par la loi se ressentira des circonstances au milieu des
quelles elle aura été promulguée, et sera nécessairement
�ET
DE
IA
FRAUDE.
177
dans de hautes proportions. Mais la crise cessant pour
faire place à un état prospère , le taux de l’intérêt ne
sera plus en rapport avec la vérité des choses , et il ne
cessera cependant pas d’être exigé ou adjugé par les tri
bunaux.
Dans la seconde hypothèse, le taux légal sera néces
sairement bas , et une crise survenant lui fera perdre
toute proportion avec le prix réel de l’argent. Mais qu’ar
rivera-t-il ? Ce que voici : les disposeurs ne se conten
teront pas de cet intérêt, et ils exigeront des avantages
occultes qu’on ne pourra leur refuser sans renoncer à
leurs fonds , au moment précisément où le besoin s’en
fera le plus vivement sentir.
C’est donc, dans tous les cas, les travailleurs qui se
ront lésés par l’effet d’une loi régulatrice. Cet inconvé
nient ne se produirait pas avec la liberté des transac
tions. Si cette liberté, en effet, permettait, dans la secon
de hypothèse, aux capitalistes d’exiger plus, elle laisse
rait , dans la première , aux travailleurs la faculté de
donner moins. On ne pourrait plus leur dire : Je ne
vous demande que ce que la loi m’accorde.
Ces considérations incontestables accusent un mal réel
et le remède indiqué serait décisif, si le législateur n’a
vait dû prendre en considération que ce qui intéresse le
commerce dans l’acception légale et probe qu’il com
porte. Oui, nous croyons que dans l’exercice honorable
de cette honorable profession, la liberté serait plus favo
rable à l’équité et surtout plus conforme à la réalité des
choses. Mais il est dans le commerce de très-fâcheuses
ui
12
�178
TR A IT É
DU
DOL
exceptions, et bientôt, sous l’apparence d’une industrie
qu’on exploiterait comme pour se couvrir d’un masque,
l’usure s’ouvrirait une large voie et porterait ses ravages
dans tous les rangs de la société.
D’ailleurs, à côté du commerce assez bien placé pour
discuter les prétentions des usuriers et pour se passer
d’eux au besoin, existe, ainsi que nous l’avons déjà dit,
le commerce en petit, la classe des laboureurs, la petite
propriété. Pour ceux-ci, il n ’y a jamais des motifs pour
la fluctuation des intérêts , car l’argent qu’on leur prête
a pour garantie un modeste patrimoine que l’usure a
bientôt englouti. Qu’importe à un riche négociant, à qui
l’argent emprunté produit le vingt ou le trente, de payer
dix à douze pour cent. L’opération est assez fructueuse
pour qu’il consente à s’en contenter. M ais, comment
voulez-vous appliquer une règle uniforme à ce négociant
et à celui à qui un travail de tous les jours suffit à pei
ne pour subvenir à ses besoins personnels et à ceux de
sa famille ; à celui qui n’a d’autre ressource que le re
venu chétif d’un modeste patrimoine dont l’entretien a
été souvent l’unique cause de l’emprunt.
Or ceux-ci, remarquez-le bien, sont les plus nom
breux. C’était donc justice , dans l’examen de la ques
tion de convenance, de se décider pour le parti qui de
vait surtout leur profiter , et c’est ce qu’avec raison a
fait le législateur.
Maintenant, qu’on compare l’état de la France avant
la loi de 1807 , avec ce qui s’est réalisé depuis. Sans
doute le mal n’est pas extirpé, mais, en définitive, il a
�ET
DE
LA
FRAUDE.
179
cessé de progresser, il a même incontestablement dimi
nué , sans qu’il en ait trop coûté au commerce. Quelle
preuve plus décisive de la convenance parfaite de la loi.
Ainsi, à l’utilité, la législation réunit la convenance.
Elle mérite donc l’approbation de tous. Aussi, lorsqu’en
1836 la Chambre des députés fut saisie de la proposi
tion de l’abroger pour en revenir à la liberté des trans
actions, n’hésita-t-elle pas à repousser cette proposition
que personne n’a renouvelée depuis.
Vraie et exacte en 1851, cette observation a cessé de
l’être en 1865. En effet et depuis quelque temps on re
demande l’abrogation de la loi de 1807, comme l’abo
lition de la contrainte par corps.
Un projet de loi consacrant celle-ci a même été pré
senté au Corps législatif qui n’a pu le discuter dans sa
session de 1865. Quant à l’abrogation de la loi de 1807,
une enquête a été faite sur son opportunité, et il paraît
que le résultat n ’a pas permis de la consacrer en l’état.
Quant à nous, nous le répétons, celte abrogation en
ce qui concerne les opérations commerciales peut pa
raître une nécessité , mais pour les propriétaires , pour
les agriculteurs on fera bien d’y regarder à deux fois, si
ou ne veut pas voir renaître les déplorables abus qui
nécessitaient la promulgation de la loi de 1807.
1119.
— Ce n ’est pas au reste que nous considé
rions cette loi comme le dernier mot sur la matière
qu’elle régit. Elle a pu rendre service au moment de sa
promulgation et à d’autres époques critiques qu’elle a
�.....
4 8 0
T R A IT É
DU
DOL
eu à traverser dans ses quarante années d’existence,mais
elle porte avec elle le cachet de son origine.
En 4807, la France était heureusement sortie des cataclismes effrayants qu’elle venait de traverser, mais les
affaires étaient encore bien loin de la prospérité qu’el
les ont acquis depuis.
Aussi, des hommes de bonne foi, des financiers émi
nents , n’hésitent pas à considérer le taux de l’intérêt
comme actuellement trop élevé. L’un d’eux, devant qui
on parlait de l’intérêt légal, s’écriait, dites donc l’usu
re légale.'
1 1 20.
— Quelle proportion y a-t-il, en effet, entre
le revenu de l’argent à cinq pour cent et le revenu de
la propriété foncière ? Cependant leur corrélation intime
intéresse , à un très-haut degré , l’agriculture, dont la
désertion est aujourd’hui le sujet de tant de réclamations,
de regrets et de plaintes. Comment veut-on que les fonds
se dirigent vers elle tant que l’argent pourra rendre ail
leurs le cinq ou le six pour cent ? Qui voudra abandon
ner ce produit assuré , n’exigeant aucun travail , pour
chercher , après bien de dépenses, de peines et de fati
gues, un revenu de deux, deux et demi, trois pour cent
tout au plus.
Ajoutons que l’un des éléments que nous avons vu
concourir à la détermination du taux des intérêts, ne se
rencontre pas dans les prêts civils. En général, ces prêts
i M. M .G oudchaux, m in istre des fm anees sous la R é p u b liq u e de 1 8 4 8 ,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
181
se font sous toute garantie. Il n ’y a donc pas lieu d’ac
corder une prime d’assurance contre un danger qui
n’existe que dans des proportions indéfinissables. Le
cinq pour cent représente donc uniquement la valeur de
l’argent, e t , comme te l, il est exagéré. Comment est-il
possible que le propriétaire puisse , avec un revenu de
trois pour cent, payer cet intérêt, auquel viennent s’a
jouter les frais d’enregistrement, ceux de timbre , ceux
d’hypothèque , les honoraires du notaire , du courtier,
etc., etc........
1 1 21.
— L’exagération que nous reprochons au
cinq pour cent en matière civile , nous la retrouvons
dans le six pour cent en matière commerciale. La preu
ve de cette dernière nous est fournie par les faits se ré
alisant journellement au vu de tous. Le banquier qui
ferait le six pour cent à ses disposeurs passerait pour un
homme ruiné. Aussi ce qu’il paye c’est : en temps de
crise, le cinq pour cent ; en temps ordinaire, le trois et
demi ou le quatre ; en temps de prospérité , à peine le
trois. Cependant, à quelque époque qu’il prête lui-mê
me, il exige le six.
On tenterait en vain d’expliquer cette différence par
des raisons tirées de la position particulière des ban
quiers. Nous convenons que l’argent qu’ils reçoivent
peut demeurer improductif dans leur caisse pendant' un
temps plus ou moins long ; qu’ils orif à payer des frais
considérables, des corilmüs, des ports de lettre; une pa
tente, etc.. . . Nous avouons que pour tout cela il leur
�182
T R A IT É
DU
DOL
est dû une légitime indemnité. Mais, celte indemnité, ils
la reçoivent par la faculté qu’ils ont d’exiger un droit
de commission, d’escompte ou de change, de capitaliser
trimestriellement les intérêts. Ils ne peuvent donc, sans
vouloir se la faire payer deux fois, l’obtenir en outre sur
la différence de l’intérêt.
Certes nul ne peut être incriminé de ce qu’il a le
moyen de prendre au trois ou au quatre, ce qu’il don
ne au six. Tout ce que nous voulons induire de notre
observation , c’est que la valeur réelle de l’argent n’est
pas le six pourcent. Pour avoir celle-ci, il faudrait s’ar
rêter à ce que payent les maisons de premier crédit. Si
elles donnent le trois ou le quatre pour cent, c’est que
l’argent vaut à peine ce taux. Remarquons, en effet, que
la prime d’assurance comprise dans le six pour cent, les
maisons de premier crédit la supportent également,quoi
que sur des proportions moindres.
1122.
— Un autre reproche à faire à la loi de
1807, nous est inspiré par l’exécution qui lui a été don
née, à savoir : d’autoriser la perception de l’intérêt com
mercial entre personnes non commerçantes et pour une
opération qui n’a au fond rien de commercial. Il suffit,
en effet, qu’un propriétaire, qu’un cultivateur souscrive
une lettre de change, pour qu’il doive payer le six pour
cent.
Ce résultat est surtout remarquable en ce sens que le
prêteur , s’il portait son argent chez le banquier, rece
vrait le quatre pour cent. Mais, prêtant à un cultivateur,
�ET DE LAFRAUDE.
183
il reçoit le six. Ainsi, s’il consentait à un prêt réelle
ment commercial, il ne retirerait pas même l’intérêt ci
vil; il fait un prêt civil, il perçoit l’intérêt commercial.
Singulière et étrange anomalie !
Ce qu’on objecte pour la justifier , c’est que la sous
cription d’une lettre de change est un acte commercial.
Mais cette objection a le tort de s’arrêter à la surface et
de sacrifier le fond à la forme , la réalité à la fiction.
Ce qui fait que la loi donne à l’intérêt commercial un
taux plus élevé qu’à l’intérêt civil, c’est qu’elle suppose
que la somme empruntée est immédiatement versée dans
le tourbillon des affaires'. A cette présomption se ratta
chent deux idées qui justifient l’élévation de l’intérêt :
10 une idée d’un bénéfice considérable pour l’emprun
teur ; 2° une idée d’un danger pour le prêteur dans la
chance de perte que court le capital ainsi exposé.
Rien de pareil ne se réalise dans l’emprunt contracté
par un propriétaire ou par un cultivateur. L’un et l’au
tre ne sont réduits à le faire que par des besoins qui
n’ont rien de commercial, et c’est à satisfaire exclusive
ment à ces besoins que seront affectées les sommes em
pruntées. Les condamner à en supporter l’intérêt au
taux commercial, c’est aggraver leur position sans né
cessité, c’est leur imposer une charge sans qu’ils aient
été jamais dans le cas de jouir de la chance favorable
dans laquelle le commerçant peut trouver une compen
sation à l’obligation qu’il assume.
1 A rt. 638 d u Code de c o m m erce,
�184
T R A IT É
DU
DOL
On fait donc produire à la forme de l’acte un résul
tat que la loi semble avoir attaché à la qualité de la
partie, cela est d’autant plus injuste, qu’en signant une
lettre de change, le débiteur n’aura fait que céder à des
exigences qu’il n’était pas maître de repousser. Le cré
ancier imposera cette forme d’abord pour avoir six au
lieu de cinq , ensuite pour obtenir la faculté d’agir par
voie de contrainte par corps , ce qui est une garantie
d’autant plus énergique que sa mise à exécution entraî
ne l’aliénation du bien dotal lui-même. On conçoit dès
lorsque le créancier tienne à ce mode d’obligation,qu’il
en fasse la condition du prêt , et qu’il se procure ainsi
un surcroît d’intérêt avec un surcroît de garantie.
L’intérêt commercial est donc injuste, lorsqu’en réa
lité l’argent prêté ne doit point devenir le sujet d’opé
rations de commerce, c’est-à-dire lorsqu’il est impossi
ble de rencontrer d’une part le danger de perte, de l’au
tre la chance d’un bénéfice considérable, éléments que
la loi a pris en considération dans la détermination du
taux de l’intérêt. Leur absence laisse donc l’intérêt com
mercial sans aucun motif plausible et devrait en consé
quence en entraîner le refus.
I l 25.
— Nous en dirons autant du cas où le prêt
fait à un commerçant est entouré de garanties telles qu’on
se met à couvert des chances de pertes, en regard des
quelles l’intérêt a été porté à un taux plus élevé. C’est
ce qui se réalise dans le prêt fait sur nantissement , et
dans celui qui ne se consomme que sur un crédit hypo-
�ET
DE
LA
FRAUDE.
185
thécaire. Il n’y a pas, dans l’un et dans l’autre cas, ces
chances aléatoires que l’idée du commerce entraîne,quelle
que soit la condition future de l’emprunteur. Qu’elle se
termine par une faillite , le prêteur rentrera dans ses
fonds, il percevra même l’intérêt au six pour c e n t, il a
donc un avantage sans avoir couru les dangers que la
loi considère comme une juste compensation.
1 1 2 4 . — En résumé, nous avons prouvé que le lé
gislateur a le droit d’intervenir dans la détermination
du taux des intérêts ; que l’exercice de ce droit, sans dé
raciner le mal, l’atténue en réalité et en ralentit les pro
grès ; qu’à ce double point de vue, cet exercice est utile
et conséquemment convenable ; enfin que la loi de 1807
n’est plus aujourd’hui dans des justes rapports avec la
vérité des choses , et que l’intérêt qu’elle consacre est
trop élevé ; que, dans l’exécution qu’elle reçoit, on ar
rive à des anomalies qu’il importerait de faire disparaî
tre. Puisse la juste réforme que nous signalons frapper
enfin l’attention du législateur et lui suggérer des dispo
sitions dont l’urgence ne saurait, à notre avis, être mé
connue !
Mais, en attendant , la tâche du jurisconsulte étant
d’accepter les lois telles qu’elles existent , nous allons
nous livrer à la recherche de l’usure dans les nombreux
et divers déguisements dont elle a soin de s’envelopper.
1 1 25. — L’usure consistant à s’attribuer un béné
fice excédant le’revenu légal de l’argent , il est évident
qu’elle ne saurait exister que dans le prêt. Mais cette
�186
T R A IT É
DU
DOL
condition essentielle n’aboutit fatalement qu’à ce résul
tat, à savoir : que les usuriers s’efforceront de déguiser
leur opération sous l’apparence d’un autre contrat. Com
ment, en effet, se promettre un succès quelconque s’ils
contractaient un prêt pur et simple ? La quotité de l’in
térêt, rapprochée du capital, trancherait immédiatement
la question de la légalité du premier et amènerait sûre
ment la répression de l’usure. Les dangers de cette fran
chise en font concevoir l’impossibilité. L’usure veut ré
ussir, et, pour cela, il lui faut tout d’abord faire illusion
sur l’acte même qui la cache.
1 1 2 6 . — Les questions d’usure seront donc des
questions d’interprétation de l’intention des parties , il
faudra presque toujours délaisser le texte de la conven
tion pour en rechercher l’esprit. Quels seront les élé
ments de cette recherche ? C’est ce que nous allons ap
précier suivant la nature apparente du contrat ; ce que
nous devons dire tout d’abord, c’est que l’usure, avec une adresse infernale, sait se glisser partout, elle a même
osé s’en prendre au contrat de mariage , c’est ce que
nous apprend une espèce jugée, le 12 mars 1832, par
la Cour de Riom.
1 1 2 7 . — En 1806 , contrat de mariage du sieur
Cheminât avec la demoiselle Mosnier. On constitue à la
future une dot de 5,000 fr. payables dans un an avec
intérêt au cinq pour cent jusqu’à cette époque , et avec
intérêt au dix pour cent passé cette époque, la dot étant
alors considérée comme un prêt d’argent.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
187
En 1827, commandement du sieur Cheminât au sieur
Mosnier pour avoir à payer, outre les 5,000 fr.,
9,250 fr. pour les intérêts courus jusqu’alors, à raison
de dix pour cent. Opposition fondée sur ce que les in
térêts courus depuis la loi de 1807 ne sont dus qu’à
raison de cinq pour cent. Jugement qui le décide ainsi.
Mais, sur l’appel, ce jugement est réformé, et les in
térêts adjugés au taux du contrat de mariage.'
1128.
— M. Dalloz , dans le sommaire dont il fait
précéder l’arrêt, le résume dans cette proposition : On
peut, sans qu’il y ait usure, stipuler dans un contrat de
mariage des intérêts au dessus du taux légal. Dans la
note dont il l’accompagne, il lui reproche d’être, tout à
la fois, contraire à la loi, à la lettre du contrat et à l’es
prit des conventions matrimoniales.
Nous serions complètement de cet avis, si nous pou
vions admettre que la Cour de Riom a réellement dé
cidé en principe que la loi de 1807 doit rester sans ap
plication aux conventions matrimoniales.
Il est vrai que son premier motif paraît tendre à ce
but, mais il est impossible d’isoler ce motif de l’espèce
sur laquelle il est intervenu , et qui en explique nette
ment la portée.
Le contrat de mariage , soumis à l’examen des .ma
gistrats, portail la date de 1806. Or, à cette époque, on
�188
T R A IT É
DU
DOL
pouvait, dans un contrat de mariage, stipuler des inté
rêts au dessus du taux légal , par l’excellente raison
qu’on le pouvait dans tout autre acte. D’une part , en
effet, la loi de 1807 n’avait pas encore été promulguée;
de l’autre, l’art. 1907 du Code civil permettait à l’inté
rêt conventionnel de dépasser l’intérêt légal toutes les
fois que la loi ne le défendait pas , et aucune défense
n’avaii été faite avant la loi de 1807. Conséquemment
l’appréciation de la Cour, au point de vue de la législa
tion régissant le contrat , était parfaitement juridique,
une solution contraire à celle par elle adoptée eût été in
failliblement censurée par la Cour de cassation.
Donc cette décision devait non seulement valider la
stipulation , mais encore en ordonner l’exécution non
obstant la loi de 1807. Indépendamment du principe
de la non rétroactivité des lois , le législateur de 1807
déclare expressément : Qu'il ri est rien innové aux sti
pulations d'intérêts par contrats ou autres actes faits
jusqu'au jo u r de la publication de la présente loi.
Aussi a-t-il été admis en jurisprudence que , quel que
fût le taux de l’intérêt, la convention des parties anté
rieure au 3 septembre 1807, devait recevoir son entier
effet, après comme avant la loi de cette époque.
La seule modification admise consiste à restreindre la
validité de la clause aux intérêts réglés par le contrat.
A défaut de stipulation, ou si les intérêts n ’ont été con
venus que jusqu’à l’échéance, les intérêts courus depuis,
sous l’empire de la loi de 1807, ne peuvent être exigés
�ET
DE
LA
189
FRAUDE.
qu’au taux déterminé par celle-ci ' . O r il est à remar
quer que, dans l’espèce jugée par la Cour de Riom, les
intérêts avaient été stipulés jusqu’à paiement effectif,
l’époque de ce paiement étant laissée à la volonté exclu
sive du débiteur, sous ce rapport encore sa décision était irréprochable.
1129.
— Pourrait-on décider de même dans une
espèce postérieure à la loi de 1807 ? Non évidemment.
La liberté des stipulations matrimoniales est l’objet d’un
profond respect de la part du législateur , mais elle a
des bornes , et ces bornes sont naturellement marquées
par les convenances de l’intérêt public et des bonnes
mœurs. A cet égard , l’art. 1387 du Code civil s’en ex
plique de la manière la plus expresse.
Or stipuler un intérêt supérieur au taux légal , c’est
violer une loi formelle, c’est préparer les éléments d’un
délit puni correctionnellement, c’est, en un mot, offen
ser la morale et l’ordre publics. Une pareille stipula
tion se trouverait donc dépourvue de tout lien légal et
ne saurait conséquemment produire aucun effet.
Le caractère d’illégalité ne saurait être purgé que si
la loi de 1807 eût formellement excepté le contrat de
mariage de l’application de ses dispositions. Or , non
seulement cette exception ne s’y rencontre pas, mais elle
1 P o itie rs , 8 fé v rie r 1 8 2 5 ;
1837; —
1829.
J. du P.,
—
C ass., 1 3 j u i l l e t
to m . î , 1 837 , pag . 3 0 7 ;
—
1829
et
16 ja n v ie r
B ordeaux,
13
août
�190
TRAITÉ DU DOL
est encore repoussée par la généralité de ses termes. De
p lu s, une pareille exception eût été quelque chose de
monstrueux aux yeux de la morale. Conçoit-on quelque
chose de plus odieux que l’autorisation donnée à un
fils d’usurer son père et de le conduire ainsi à une rui
ne complète ? Remarquons en effet que, la barrière le
vée , il n’y a pas de raison pour qu’on ne stipule pas
le vingt, le trente, le cinquante pour cent. En effet, les
mêmes motifs, justifiant le chiffre le moins élevé, justi
fieraient le taux , quel qu’il f û t , et le cinquante pour
c en t, là où l’on admettrait comme tel le sept ou le dix
pour cent, deviendrait très-licite.
Eh l tout cela de père à fils l Tandis qu’on ne saurait
exiger d’un étranger une obole de plus que le taux lé
gal, on puiserait dans les liens sacrés de la nature et du
sang la faculté de dévorer la substance de sa propre fa
mille et de ruiner son avenir î Non, une pareille mon
struosité ne pouvait être consacrée , elle ne se discute
même pas.
Tenons donc pour certain que la prohibition de la
loi de 1807 concerne le contrat de mariage comme tous
les autres contrats. La stipulation d’un intérêt supérieur
au taux légal qu’il renfermerait resterait non seulement
sans efficacité pour l’avenir, mais encore pour le passé
et pour le présent. Ce q u i, dans les paiements opérés,
dépasserait le taux légal serait sujet à répétition ou à
imputation.
1150. — Une difficulté beaucoup plus sérieuse est
�ET DE LA FRAUDE.
191
née à l’occasion des droits que l’usage autorise les ban
quiers à prélever dans les négociations constituant leur
industrie. Ces droits sont :
1° La commission ; 2° l’escompte; 3° le change.
1131. — La commission est le salaire dû au ban
quier pour prix de ses peines et soins, pour l’indemnité
de l’obligation dans laquelle il est d’avoir toujours en
caisse des sommes suffisantes pour pourvoir aux besoins
même imprévus du commerce. Le banquier n ’est pas
seulement un capitaliste disposant de ses fonds , il doit
se procurer ailleurs ce qui est nécessaire pour l’exploi
tation de son industrie. Il a dans cet objet un comp
toir dont il doit payer le loyer , des commis qu’il sala
rie , une patente à supporter , des frais de correspon
dance et autres à satisfaire. Tout cela, dit M. Troplong,
explique la légalité du salaire qu’il exige en sus de l’in
térêt légal.'
1 1 5 2 . — L’escompte est la somme prélevée par le
banquier lorsqu’il fournit de l’argent comptant contre
une créance à terme. Ce prélèvement se règle propor
tionnellement à la perte que le papier éprouve et au dé
lai à courir jusqu’à l’échéance du titre négocié.
1133. — Enfin le change est l’indemnité exigée
pour l’achat au comptant d’une créance à recouvrer sur
�492
TRAITÉ DU DOL
une autre place : Emptio venditio pecuniœ absentis,
pecunia pressenti'. Le taux de cette indemnité se cal
cule ordinairement sur la position de la place où la né
gociation s’opère , relativement à celle où le paiement
doit être effectué.
H 34. — Les plus simples notions de l’équité , les
nécessités réelles du commerce semblent placer la léga
lité de ces droits au dessus de tout reproche. Il est évi
dent en effet que celui qui se livre au commerce de la
banque, qui en brave les périls, qui en supporte les dé
penses , doit rencontrer dans son exploitation non seu
lement l’intérêt intégral de son arg en t, mais encore le
remboursement de ses frais , mais enfin le revenu des
peines et soins qu’il prend personnellement, et in summa , dit l’auteur italien que nous venons de citer , non
convenit ut mercator, qui dat pecuniam prœsentem pro
pecunia absenti, ponat operarn et sudorem ad aliorum
utilitatem .
Cependant des auteurs graves, tout en admettant leur
existence, en ont contesté la légitimité, en tant que leur
taux dépasserait celui de l’intérêt légal. La commission,
l’escompte, le change, ont-ils dit, ne sont qu’un intérêt
conventionnel, ils ne peuvent donc, dans aucun cas, at
teindre à des proportions autres que celles fixées par la
loi de 4807 ; en tolérer d’autres, c’est autoriser l’usure.1
1 Scaccia, § 1, Quest. 4, n° 21.
2 Chardon , ton. m , n° 489; — Duvergier, n° 293 ; — Fremery,
Etudes sur le droit comm., pag. 80
�ET DE LA FRAUDE.
193
H 3 5 . — Il ne faut pas que la haine de l’usure
fasse méconnaître ce que la justice exige. Or la défini
tion que nous venons de donner des droits alternative
ment perçus par les banquiers, en justifiant leur légiti
mité , repousse également l’objection faisant le fonde
ment du reproche que nous combattons. Non, la com
mission , l’escompte et le change ne peuvent être assi
milés à l’intérêt. Celui-ci , nous venons de le dire , est
le loyer de l’argent. Il est dû par cela seul qu’il y a
p rêt, quels que soient le caractère et la profession de
celui qui le consent. C’est ainsi que le simple capita
liste, prêtant sous la forme commerciale, retirera le taux
de l’intérêt commercial, c’est-à-dire le six pour cent.
Mais , nous venons de le dire , le banquier n’est pas
seulement un capitaliste, il exerce en outre le commer
ce dans toute l’acception de ce mot. Son industrie est
d’acheter et de vendre de l’argent ou des valeurs. Cette
industrie consomme d’abord tous ses moments, lui im
pose des frais considérables, une correspondance fort étendue, l’expose à de nombreux sinistres.
En fait, encore, l’exercice de cette industrie est d’une
utilité incontestable pour le commerce. C’est chez lui
que toutes les branches d’industrie trouvent les ressour
ces nécessaires, dans tous les temps, à toutes les épo
ques, alors même que les capitalistes, effrayés par les
crises commerciales ou politiques, s’empressent de reti
rer et de resserrer leurs fonds.
Il faut donc, pour cet auxiliaire aussi puissant qu’in
dispensable, l’éventualité d’un bénéfice de nature à l’enm
<3
�194
TRAITÉ DU DOL
courager dans l’exercice de sa délicate profession. Serace dans l’intérêt général qu’il la rencontrera ? Mais, cet
intérêt, il le percevra par le simple placement de ses
fonds, pour lesquels il pourra de plus exiger des garan
ties que la rapidité des opérations commerciales ne lui
permet pas de demander, et, si on veut le réduire à cet
intérêt seul, il se hâtera de prendre la place qu’on lui
fait réellement.
Car, chose remarquable dans l’opinion que nous com
battons , c’est qu’en mettant le banquier sur la même
ligne que le capitaliste, on lui fait une position pire que
celle du simple prêteur. Celui-ci, en effet, profitera in
tégralement du six pour cent qu’il est autorisé à exiger.
Le banquier , au contraire , sera obligé d’en distraire,
d’abord l’indemnité de ses frais de loyer, de bureau, de
patente , de correspondance , le salaire de ses commis.
En réalité donc, il ne profitera pas de ce six pour cent
auquel on veut, dans tous les cas, le réduire.
Que résultera-t-il de cet état d’infériorité marquée ?
C’est que le commerce de la banque sera déserté ; que
celui qui pourrait s’y livrer préférera demeurer simple
capitaliste et s’exonérera ainsi des tracas et du danger
des affaires, de la nécessité d’y consacrer son industrie
dont le produit augmentera l’intérêt intégral qu’il reti
rera de son argent ; des chances nombreuses que pré
sente le chapitre des faillites.
Cette désertion porterait un coup funeste au commer
ce et à l’industrie, et c’est pour la prévenir, autant que
pour obéir à une idée de justice, que de tous les temps
�ET DE LA FRAUDE.
195
on a autorisé le banquier à percevoir une légitime in
demnité au-delà de l’intérêt légal. Ainsi, sous notre an
cienne législation, alors que le prêt à intérêt n’était per
mis qu’avec l’aliénation du capital, on ne contestait en
aucune manière la commission qu’exigeaient les ban
quiers. Depuis le Code, ce droit n’a cessé d’être procla
mé par la jurisprudence.
Ce qui est vrai pour la commission , ne saurait ne
pas l’être pour l’escompte et pour le change. On ne sau
rait voir dans le premier un intérêt conventionnel, car,
pour qu’il y ait intérêt, il faut qu’il existe un prêt. Or
l’escompte, ainsi que l’enseigne la doctrine, est plutôt un
achat qu’un prêt.
Dans le prêt ordinaire , en effet, le prêteur n ’a pas
pour objet de se procurer un titre qu’il revendra luimême quelques jours après. S’il donne son argent, c’est
pour en retirer l’intérêt, c’est pour attendre l’époque de
l’exigibilité qui le fera rentrer dans la possession de son
capital. Le banquier, au contraire, n’escompte le titre
que pour le revendre , et il court la chance soit de ne
pouvoir le faire, soit d’être obligé de le faire d'une ma
nière onéreuse.
•
De plus, et dans la première hypothèse, qui sait si, à
l’époque du paiem ent, le capital qu’il recevra vaudra
pour lui le capital qu’il donne au moment de l’opéra
tion ? Il peut se faire, en effet, qu’au moment du rem
boursement, les affaires éprouvent de la stagnation ; qu’il
y ait peu d’escompte à faire et qu’il soit conséquem
ment obligé de garder oisifs dans sa caisse des fonds
�196
TRAITÉ DU DOL
qu’il aurait, huit jours plus tôt, placés à des conditions
avantageuses. Ce sont là des chances qu’un banquier
prudent ne doit pas négliger et dont il est juste de lui
tenir compte.
1156. — On ne peut donc voir dans l’escompte un
intérêt conventionnel. Il n’est en réalité qu’un achat de
titres , achat soumis à de telles chances aléatoires qu’il
suffirait de ce caractère pour l’affranchir de l’applica
tion de la loi de 1807. Ces chances consistent dans l’é
poque de l’échéance encore plus ou moins éloignée, dans
la difficulté de la revente , dans les dangers que court
l’acheteur ; dans l’incertitude de l’état des affaires au
jour du paiement. Ainsi, observe M. Troplong, l’éché
ance qui précède une foire est plus avantageuse que
celle qui arrive après que la foire est fermée. Gardonsnous donc de méconnaître toutes les circonstances aléa
toires d’où naît une chance appréciable , distincte de
l’intérêt et susceptible de vente. '
1157. — Le change , à son tour , n’est à propre
ment parler qu’uni escompte, à. cette différence : que le
titçe faisant l’objet de celui-ci peut être payable sur
place , tandis que le change ne peut exister qu’en tant
que la valeur négociée est payable dans un autre lieu
que celui où s’opère la négocation. Dès lors, les motifs
qui justifient l’escompte justifient le change dans lequel
non plus on ne saurait voir un intérêt conventionnel.
i Du prêt, n» 37b,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
197
Une raison spéciale au change, c’est que le paiement
devant nécessairement s’opérer dans un lieu plus ou
moins éloigné du domicile du banquier , celui-ci doit
être autorisé à percevoir une indemnité suffisante pour
les peines et soins , pour les dépenses qu’occasionnera
l’obligation d’aller chercher ce paiement sur une autre
place , et le danger que présente le voyage que l’argent
doit faire du lieu du paiement au domicile du banquier,
quia emens monetam absentem, debet majora onera et
pericula subire, in eam conducendo.'
Un autre élément essentiel du change est la cherté du
papier , résultant des opérations commerciales et de la
position respective de la place où s’opère la négociation
et de celle où doit s’effectuer le paiement. Supposez que
des négociants de Lyon aient à payer de fortes sommes
à Paris ou à Marseille* le papier sur ces dernières pla
ces sera fort recherché, car les débiteurs préféreront en
voyer des valeurs plutôt que d’expédier des espèces, ce
qui coûte beaucoup plus et offre plus de dangers. Dans
le cas contraire, si les Lyonnais ont à recevoir de Mar
seille ou de Paris, le papier sur ces deux places sera né
cessairement délaissée. Dans le premier cas , le change
sera moins élevé que dans le second, car le défaut d’em
ploi rendra celui-ci onéreux pour celui à qui on offrira
de négocier. Dans l’un et dans l’autre cas, il est évident
que l’opération n’affecte en rien les formes d’un intérêt
conventionnel.
l Scaccia. Quest., tom. 1, ri» 424.
�498
TRAITÉ DU DOL
Il est vrai que dans l’escompte comme dans le chan
ge , le cédant reste ordinairement garant du paiement
par l’endossement qu’il souscrit en faveur du cession
naire. C’est le cumul de celte garantie et de celle des di
vers signataires qu’on met en avant pour refuser toute
indemnité au-delà de l’intérêt légal. A cette objection
de M. Fremery, M.Troplong répond : que ces garanties
accumulées ne sauraient prévaloir sur les raisons déci
sives qui militent en faveur de l’indemnité. Les garan
ties peuvent échapper , et l’on voit tous les jours les
meilleures signatures devenir mauvaises. Ces fréquentes
non-valeurs , auxquelles est exposé le commerce de la
banque, ne sont-elles pas une preuve qu’un doute rai
sonnable peut peser sur la chose jusqu’au paiement, et
que, dès lors, le banquier a droit d’en être indemnisé?
Ajoutez que le banquier doit faire les diligences pour le
recouvrement ; qu’il est responsable d’une complaisan
ce, d’un retard, d’une omission.1
1138.
— Ainsi se trouve légalement justifiée, dans
son origine , la perception des droits de commission,
d’escompte et de change. Mais, il faut le reconnaître, ces
diverses opérations se prêtent merveilleusement à favo
riser l’usure. Il convient donc que l’attention des tribu
naux , constamment excitée , ne cesse de veiller à leur
sincérité, et de proscrire avec sévérité tout ce qui ne fe-
i Du prêt, n° 375.
�ET DE LA FRAUDE.
199
rait qu’emprunter leur forme pour déguiser une opéra
tion usuraire.
1 1 3 9 . — L’appréciation de la vérité , en matière
d’escompte, reconnaît un élément essentiel dans le taux
auquel il a été opéré. Nous venons de voir que celui
du change dépend des circonstances pouvant être véri
fiées, et il en est à peu près ainsi de celui de l’escomp
te. L’abondance ou la rareté des espèces , la date plus
ou moins reculée de l’exigibilité exercent une grande in
fluence sur la détermination, et c’est donc au cours du
moment qu’il convient de s’en référer. Celui qui n’au
rait retiré que ce que l’usage commercial lui permettait,
se placerait, à l’endroit de son opération, à un point de
vue favorable.
1 1 4 0 . — Une seconde opération non moins essen
tielle, c’est qu’il s’agisse d’une opération réellement sus
ceptible d’escompte, c’est-à-dire d’une cession d’un ti
tre. Cette condition est difficile à saisir , lorsque la va
leur escomptée émane directement de celui qui la pré
sente à l’escompte. Rien ne sépare plus ce contrat d’un
prêt ordinaire , et l’opération de banque n’est guère
présumable lorsque la partie ayant besoin d’argent va
trouver l’autre, et, en échange des sommes qu’il en re
çoit, lui remet un titre qu’elle souscrit.
Aussi, dans plusieurs circonstances, n’a-t-o n vu dans
cette opération qu’un simple prêt excluant toute idée
d’un escompte sérieux, et ne pouvant, sous peine d’u -
�200
TRAITÉ DU DOL
sure , produire autre chose que l’intérêt légal , et cette
appréciation a reçu la sanction de la Cour de cassation."
Une appréciation contraire a été adoptée par la Cour
de Paris, le 18 janvier 1835, et par la Cour de cassa
tion, le 10 avril 1840’. Ce qui explique la contradic
tion entre ce dernier arrêt et celui de 1830 , c’est que
les questions de cette nature donnent lieu à des arrêts,
non de doctrine, mais d’espèces. En effet, tout s’y résout
dans une difficulté de fa it, pour la solution de laquelle
les tribunaux et les cours ont une latitude souveraine.
C’est ce qui résulte de l’arrêt de la Cour de cassation,
du 19 février 1830 , rejetant le. pourvoi : « Attendu
» qu’il suit des faits constatés par les juges du fond, à
» qui l’appréciation en appartenait exclusivement,
» qu’il a été fait une juste application de la loi du 3
» septembre 1807. »
Le fait présente bien moins de doute, lorsque les va
leurs négociées , étant souscrites à l’ordre de celui qui
les offre à l’escompte, sont par lui endossées au banquier
qui les accepte. L’opération est alors certaine et le droit
d’escompte légalement prélevé. On pourrait, dans ce cas,
en obtenir la réduction s’il avait été stipulé au-delà du
taux de la place, mais jamais le faire intégralement sup
primer sous prétexte d’usure.3
1 19 février 1830; — D. P , 30,1, 130.
SD. P., 40, 1, 411.
3 Cass., 8 et 26 août 1826 ; 1 6 août 1828.
�ET DE LA FRAUDE.
201
1 141.
— La difficulté que nous signalons pour l’es
compte s’offre également pour le change, lorsque la let
tre de change est tirée par celui qui la négocie. Mais,
dans cette hypothèse , il se présente un élément de na
ture à exercer sur la solution une grave influence, à sa
voir : si le tiré est réellement débiteur au moment de la
création du titre. L’affirmative fixe la vérité des choses
en établissant la réalité du contrat de change. Il im
porte fort peu, en effet, pour sa perfection, que la lettre
de change soit souscrite ou non par le débiteur, il suf
fit que la somme pour laquelle elle est tirée soit due et
payable dans un autre lieu que celui de la négociation.
Or, c’est ce qui se réalise lorsque le tiré est réellement
débiteur du tireur.
Si, au contraire, le tiré ne doit rien , s’il n’a jamais
rien dû , son nom ne figure que pour la perfection du
titre, et rien ne distingue plus cette opération d’un sim
ple prêt sous forme d’une lettre de change. Les juges
peuvent ne voir dans la prétendue négociation qu’une
simulation employée pour couvrir une usure déguisée et
réduire , conséquemment, les droits du créancier à la
perception de l’intérêt légal. Mais ce résultat ne saurait
être obtenu que si l’absence d’un tiré sérieux avait été
connue du banquier. L’ignorance réelle dans laquelle
on l’aurait laissé à cet égard le constituerait en état de
bonne foi et légitimerait son opération.
1142.
— Ce qui constitue la lettre de change, c’est
l’existence du contrat de change consistant à recevoir
�202
TRAITÉ DU DOL
dans un lieu une somme d’argent qu’on s’engage à
payer ou à faire payer dans un autre lieu. La suppo
sition de place faisant disparaître ce caractère essentiel,
la lettre de change qui en est viciée n’est plus qu’une obligation ordinaire, ne pouvant donner lieu au droit de
change.
Il en serait autrement si la supposition de lieu n’a
vait pas empêché le contrat de change. Ainsi, un négo
ciant de Marseille , en relation avec un négociant de
Lyon, lui adresse des lettres payables sur Marseille mê
me. Il est évident que ces lettres , quoique datées de
Lyon, ont été réellement tirées de Marseille, et qu’étant
payables à Marseille même, il n’y a pas, en réalité, de
contrat de change.
Mais si les lettres de change n’ont été envoyées à Lyon
que pour y être négociées et qu’elles l’y aient été réelle
ment, il importe fort peu qu’elles contiennent supposi
tion de lieu , car l’argent aura été retiré à Lyon pour
être payé à Marseille. Le contrat de change existe donc
d’une manière certaine. Le droit de change sera, consé
quemment, acquis par leur négociation.
1 143.
— C’est ce que la Cour d’Aix à jugé dans
l’espèce suivante : De 1817 à 1820 , Paraize , d’Avi
gnon, avait fourni plusieurs lettres de change datées de
Marseille sur Blavet, d’Avignon , et à l’ordre de Roussier , de Marseille , à qui Paraize adressait ces effets.
Lors du règlement, Paraize prétendit que Roussier avait
�ET DE LA FRAUDE.
203
exigé, pour la négociation des traites, un intérêt excé
dant le six pour cent, intérêt qu’il déguisait sous le nom
de frais de change et de rechange, bien qu’il ne fût fait
aucune opération semblable , en ce que les traites ne
contenaient réellement aucune remise de place en place;
qu’elles avaient été tirées d’Avignon et non de Marseille,
et que Blavet, tiré, n’avait servi qu’à masquer une opé
ration usuraire. En conséquence, Paraize forme une de
mande en répétition d’une somme de 3,335 fr., mon
tant de ce qu’il a payé en sus de l’intérêt légal.
21 juin 1821, cette demande est repoussée par le tri
bunal de commerce de Marseille , sur les motifs sui
vants :
Considérant qu’à la vérité il y a eu supposition de
lieu dans les traites fournies par Paraize, qui les datait
de Marseille tandis qu’il demeurait à Avignon ; mais
que ces effets étaient par lui envoyés à Marseille, où ils
devaient être négociés par Roussier; qu’ainsi ces effets,
à cause de la supposition de lieu, dégénéraient en man
dat dont la négociation donnait également lieu à la per
ception du change; qu’il suffit, en règle générale, que
la négociation de l’effet soit faite sur place tierce et qu’il
y ait remise de place en place pour que le contrat de
change subsiste; qu’il y ait , par conséquent , lieu à
change.
Appel ayant été émis de ce jugement, la Cour d’Aix
le confirme purement et simplement, avec adoption des
motifs, par arrêt du 6 mai 1834. Cet arrêt ayant été
�TRAITÉ DU DOL
déféré à la Cour suprême, le pourvoi fut rejeté par elle
le 8 novembre 1825.'
1144.
— A son tour, le droit de commission a sou
levé bien de difficultés. Nous avons dit que ce droit
puisait ses éléments dans les peines et soins que se
donnait le banquier et dans son obligation d’avoir tou
jours en caisse des fonds disponibles. De là , on avait
conclu que cette obligation n’existant réellement qu’à la
suite d’un crédit ouvert obligatoire, le droit de commis
sion ne devait être accordé qu’en tant que l’avance faite
n ’était que l’exécution de ce crédit ; qu’on devait le re
fuser conséquemment lorsqu’il s’agissait d’un prêt pu
rement éventuel.
Cette conclusion n’était ni exacte, ni juste. Sans dou
te , l’ouverture d’un crédit justifie le droit de commis
sion , car , à quelque époque que la demande de fonds
par le crédité se réalise, le banquier est tenu d’y satis
faire. Il doit, de plus, recevoir toutes les fois qu’il plait
au crédité de rembourser , et l’on peut facilement com
prendre que, prenant lorsque l’argent est cher, le cré
dité s’empressera de rendre lorsqu’il sera bon marché,
ce qui, indépendamment de l’obligation d’être sans cesse
en mesure de satisfaire aux demandes, grève le banquier
d’une charge résultant soit d’un défaut de remploi im
médiat des fonds rendus, soit de la nécessité de les pla-
i J. du P ., année 1825.
�ET DE LA FRAUDE.
205
cer à un bénéfice moindre que celui qu’il trouve chez le
crédité.
Mais, de ce que la commission est parfaitement jus
tifiée dans cette hypothèse, s’§nsuit-il qu’on doive la
refuser partout ailleurs , alors même que des raisons
tout aussi décisives viennent militer en sa faveur ? Nous
ne le pensons pas , et cette opinion est celle qui a , en
définitive, prévalu et qui devait justement prévaloir.
Or , les raisons qui doivent, dans les cas ordinaires,
faire admettre le droit de commission sont celles que
nous avons exposées en recherchant la légalité et la lé
gitimité de ce droit. C’est la position du banquier, voué
à la vente et à l’achat de l’arg en t, obligé de consacrer
à cette branche du commerce tout son temps, toute son
industrie, qu’on ne saurait, sans injustice, condamner
à demeurer improductive ; ce sont ces nombreuses et
considérables dépenses, la grave responsabilité qu’il en
court, les dangers auxquels il s’expose.
Le réduire à la position d’un simple capitaliste, c’est,
avons-nous dit, le placer, par rapport à celui-ci, dans
un état d’infériorité marquée. Indépendamment de ce
que le capitaliste n ’a ni bureaux, ni commis, ni patente,
ni correspondance obligée , les prêts qu’il consent ne
sont que des actes plus ou moins rares, ne faisant au
cun obstacle à ce qu’il applique son industrie à d’autres
objets et qu’il profite des émoluments qui s’ajouteront
à l’intérêt intégral de ses fonds. Enfin , il peut choisir
son moment et son homme , et il est certain qu’il ne
prêtera qu’à celui qui lui offrira une incontestable sol
vabilité.
�T 'IllU
206
TRAITÉ DU DOL
Il n'en est pas de même du banquier. Sans doute, il
n’est pas obligé de prêter à tout venant ; mais ce dont
il doit se contenter, c’est de la solvabilité commerciale.
Exiger autre chose , agir avec la même circonspection,
avec la même prudence que le capitaliste , ce serait se
condamner à périr bientôt par le trop plein de caisse. Il
doit donc s’en rapporter à l’apparence, en courir les ha
sards,et l’on sait combien ils sont chanceux.
En cet état donc, le réduire à ne pas trouver dans le
droit de commission une juste compensation, ne lui ac
corder que ce qu’on accorde à un capitaliste , ce n’est
pas agir avec cette rigoureuse justice qu’on doit égale
ment à tous.
On reproche aux banquiers les bénéfices que certains
d’entre eux réalisent. Mais combien d’autres que la per
ception du droit de commission, d’escompte et de chan
ge n’a pas préservés d’une ruine complète 1 D’ailleurs,
il en est du banquier comme de tout autre négociant,
on ne peut exiger de lui , suivant l’expression de
Scaccia : Ponat operam et sudorem ad aliorum u tilitalem. il ne travaille que pour son propre avanta
ge, que pour se procurer un honnête et légitime béné
fice.
Toutes les fois donc que le banquier fait un acte de
son commerce , il d o it, dans de justes lim ites, perce
voir l’émolument dont cet acte est susceptible. Or, com
me ce commerce consiste à livrer des fonds aux em
prunteurs commerçants ou non , la commission est
�ET
DE
LA
FRAUDE.
207
due par cela seul qu’il y a eu des fonds versés par
lui.'
Nous avons dit nous-mêmes qu’en l’état de notre lé
gislation, les charges des travailleurs obligés d’emprun
ter sont trop onéreuses. Mais nous avons indiqué la
manière dont on pourrait user pour les amoindrir; qu’on
diminue l’intérêt de l’argent, on le peut, on le doit, car
cet intérêt n’est plus aujourd’hui dans des proportions
vraies avec le prix de l’argent. Mais , puisqu’on recule
devant ce moyen , il ne nous paraît pas possible qu’on
lui en substitue un autre qui ne consacrerait, en défi
nitive , qu’une évidente injustice et qui compromettrait
l’existence du commerce lui-même, en rendant impra
ticable la profession de banquier.
1145. — Les usages commerciaux ont introduit u ne notable exception au principe consacré par l’article
H 54 du Code civil. 4ux termes de cette disposition, les
intérêts ne peuvent être capitalisés qu’après l’année ré
volue. Dans le commerce, cette capitalisation résulte du
règlement des comptes, et ce règlement est tantôt semes
triel, tantôt il s’opère chaque trois mois.
1 1 46. — Les effets de l’anatocisme sont certains.
Les intérêts capitalisés produisent, à leur tour, des in -
1
Nous ne pourripns citer tous les arrêts qui l'ont ainsi décidé et
qu’on peut d’ailleurs consulter dans les recueils de jurisprudence. On
pourra se convaincre, en les vérifiant, que c’est à notre solution que la
jurisprudence paraît se fixer.
�ry ^ù.
208
TRAITÉ DU DOL
térêts, cela n’a jamais été douteux. Mais la commission,
prise sur chaque avance partielle , est-elle due pour le
reliquat du compte dont le banquier reste créditeur et
qu’il reporte à nouveau sur le compte ultérieur ?
Pour l'affirmative , on a dit : La balance du compte
en rend le reliquat immédiatement exigible, de là, pour
le banquier , le droit d’en exiger paiem ent, et pour le
débiteur l’obligation de le réaliser. Or , si ce paiement
était effectué, les sommes que le banquier fournirait après, et le jour même de ce paiement, donneraient droit
à la commission. Pourquoi donc la convention, par la
quelle ce paiement et l’avance nouvelle se réalisent fic
tivement, ferait-elle obstacle à sa perception ?
Ce qui peut résulter du refu s, c’est que le créditeur
exige le paiement réel et restreigne ainsi l’existence du
compte-courant au grand détriment du commerce. Il
aura intérêt à en agir ainsi, car les sommes qu’il rece
vra, confiées à d’autres, au débiteur lui-même, lui pro
cureront cette commission que la prolongation du
compte lui enlève.
Ainsi, le créditeur pour solde contraindra le débiteur
à le payer, ce qui pourra avoir pour celui-ci les incon
vénients les plus graves, car il peut avoir, lui, un inté
rêt évident à la continuation du compte. En l’état de
cet intérêt opposé, il est facile de prévoir ce qui se réa
lisera : les parties simuleront un paiement effectif, et,
quelques jours après, un nouveau compte s’ouvrira , et
la somme prétendue payée en composera les premiers
articles, non plus à titre de report, mais comme avance
�ET DE LA ïrjîAUDE.
209
nouvelle sur laquelle le prélèvement du droit de com
mission sera incontestable.
On arrivera donc, par un moyen détourné, au résul
tat qu’on ne permet pas d’atteindre d’une manière di
recte, et cela, au détriment de la vérité et de la dignité
du commerce. En fait, cependant, celui qui n’exige pas
une dette actuellement exigible , qui en proroge l’éché
ance, consent un véritable prêt et livre la somme aux
chances éventuelles de la solvabilité du débiteur. Dès
lors, la commission qu’on ne conteste pas à celui qui
livre réellement des fonds, devrait-on la contester à ce
lui qui laisse en mains de son débiteur ceux qu’il pour
rait le contraindre à lui restituer ? Est-ce que le com
merçant ne trouve pas dans la prorogation le secours
qu’il demanderait à l’emprunt ?
M. Pardessus paraît ne pas admettre que la question
soit douteuse. En effet, après avoir enseigné que le rè
glement du compte en capital et intérêt fait produire au
solde des intérêts nouveaux , cet éminent jurisconsulte
ajoute : On peut, outre cet intérêt, percevoir un salaire
pour commission , sans que cela soit considéré comme
intérêt usuraire'. Telle est aussi l’opinion de MM. Devilleneuve et Massé.’
La Cour de cassation avait décidé , le 19 décembre
18217, conformément à cette doctrine, en validant une
commission de trois quarts pour cent portant sur les
1 Cours de droit commercial, n° 475.
2 B ici, du contentieux comm., v° Compte courant, n° 15.
ni
44
�210
TRAITÉ DU DOL
soldes des comptes partiels'. Un autre arrêt du 1 1 a vril 1840 admet plus formellement encore la faculté de
faire porter la commission sur les soldes.’
Mais le contraire a été décidé par plusieurs Cours
d ’appel et notamment par celle de Grenoble, le 31 août
1839, et par celle de Douai, le 20 février 1841. L’ar
rêt de la première juge que la commission ne doit être
perçue qu’une seule fois pour chaque négociation ; l’ar
rêt de la seconde n’admet ce droit qu’en tant qu’il y a
eu décaissement de fonds de la part du banquier, ce
qui, dit la Cour, ne se réalise pas dans le report à nou
veau du solde du compte ou dans le renouvellement des
billets à leur échéance.3
La Cour de cassation elle-même parait être revenue
sur sa jurisprudence , en décidant , le 2 juillet 1845,
que le droit de commission, appliqué par les banquiers
aux avances qu’ils font, ne doit être perçu qu’une seule
fois sur chaque somme ; que, par suite, il ne peut être
établi ni sur les intérêts capitalisés produits par ces avances, ni sur chaque reliquat des comptes arrêtés tri
mestriellement, et qui serait composé des avances anté
rieurement frappées du droit de commission/*
Notons que cet arrêt, émanant de la chambre civile,
est diamétralement opposé à ceux rendus par la cham-
1 D.
2 D.
3 D.
4 D.
P..
P.,
P.,
P.,
28,
40,
40,
45,
1,
4,
2,
1.
64.
411.
221 ; — J. du P., 1841, t. u, p. 497.
314.
�ET DE LÀ FRAUDE.
211
bre criminelle les 19 décembre 1827 et 11 avril 1840;
notons encore que ses motifs sont purement en droit.
En effet, la Cour considère : « Que l’arrêt attaqué dé» eide que le droit de commission , qui avait été relevé
» sur la somme entière faisant le reliquat du compte,
» ne doit porter ni sur les intérêts capitalisés qui ont
» été compris dans ce reliquat, ni sur les avances de
» fonds qui, déjà, avaient figuré dans un compte anté» rieur, mais que ce droit, qui ne peut être perçu qu’u» ne seule fois sur la même somme , ne saurait , par
» conséquent, s’appliquer qu’aux sommes fournies de» puis le compte précédent ; que , sans la distinction
» admise par l’arrêt, il serait impossible d’atteindre l’u» sure déguisée sous l’apparence du droit de commis» sion, en telle sorte qu’en matière d’avances de fonds
» ou de prêts qui seraient successivement reportés dans
» plusieurs arrêtés de compte se liant les uns aux au» très, le prix de l’argent ne recevrait d’autres limites
» que celles que les parties consentiraient à lui donner,
» ce qui serait évidemment la subversion de la loi du
» 3 septembre 1807. »
Voilà qui est clair, net et positif. Cependant, la même
chambre civile a, le 23 juillet 1849, validé un droit de
commission portant sur les soldes du compte, c’est-àdire et sur les capitaux précédemment fournis et sur les
intérêts capitalisés. Voici l’espèce de cet arrêt :
Des relations commerciales avaient existé, pendant de
longues années , entre la maison Crémieu , Milhaud et
baroque, et M. Reynaud, marchand quincaillier, à Àix.
�212
TRAITÉ DU DOL
Le compte-courant, arrêté annuellement, était au six
pour cent réciproque. Une commission, conventionnel
lement stipulée en faveur de la première, avait été fixée
à un sixième sur les nombres.
Après paiement définitif, M. Reynaud, étant décédé,
ses héritiers reviennent contre les divers règlements et
demandent la restitution de la commission perçue sur
les soldes. Un jugement du tribunal de commerce ad
met cette prétention : « Attendu que le droit de com» mission ne peut être perçu qu’une seule fois sur cha» que somme, et qu’en la prenant sur le solde de chaque
» règlement du compte porté à nouveau , la maison
» Crémieu, Milhaud et Laroque a non seulement, perçu
» une double commission sur le solde du compte porté
» à nouveau, mais encore un droit de commission sur
» les commissions déjà payées. »
Appel par la maison Crémieu , e t , 15 janvier 1844,
arrêt de la Cour d’Aix qui réforme par les motifs sui
vants :
« Considérant que l’ouverture d’un crédit donne né
cessairement lieu , entre le banquier qui l’accorde et le
commerçant qui l’obtient, à de fréquentes opérations de
banque et change ; que ces opérations autorisent à elles
seules le banquier à percevoir, indépendamment de l’in
térêt légal, un droit de commission ; mais que ce droit
de commission représente encore la juste indemnité due
au banquier : 1° à raison des chances auxquelles il est '
assujetti pour le paiement ou l’acceptation des traites et
effets qu’il acquitte à la décharge de son débiteur ; 2° à
�ET DE LA FRAUDE.
213
raison de l’obligation à laquelle il s’est soumis de tenir
constamment des fonds à la disposition du crédité, tant
que dure le crédit ;
» Qu’il est donc évident que le droit de commission
dérive de la nature des choses ; que c’est par ce motif
qu’il est généralement admis dans les usages du com
merce, et qu’il est, en outre , confirmé par la doctrine
des auteurs , consacré par la jurisprudence et reconnu
par les héritiers Reynaud eux-mêmes dans les écrits
qu’ils ont publiés au procès ;
» Considérant que la loi de 1807, n ’ayant pour ob
jet que de régler le taux de l’intérêt de l’argent, n ’est
point applicable au droit de commission ; que la quotité
de ce droit n ’est déterminée par aucun texte de la loi ;
qu’elle est réglée d’après les usages et la convention des
parties, et qu’elle ne saurait être considérée comme con
stituant une perception usuraire, qu’autant qu’elle se
rait excessive ou que les opérations qui auraient donné
lieu à la perception du droit de commission seraient fic
tives et couvriraient un intérêt excédant le taux légal ;
» Considérant que la sincérité des opérations qui,
dans la cause, ont donné lieu à la perception des droits
de commission, n ’est pas contestée ; qu’il s’agit donc uniquement de rechercher si la perception elle-même n’a
rien d’exagéré et si elle représente la juste indemnité
due au banquier, sans qu’il soit besoin d’examiner le
mode de perception qui a été suivi ;
» Considérant, en lait, qu’il est établi, par les com
ptes remis chaque armée au crédité, qu’indépendamment
�214
TRAITÉ DU DOL
des sommes prises ou versées , une foule de remises et
valeurs commerciales ont été respectivement données
pour être encaissées ou reçues dans les diverses places,
ce qui constitue de véritables opérations de banque et
de change donnant lieu au droit de commission ;
» Que du relevé des opérations pendant les dix-sept
années de durée du compte-courant , il résulte que le
mouvement général du compte a été. de 416,000 fr., et
le chiffre total de la commission perçue de 2,999 fr.;
que ce c h iffree u égard au mouvement moyen et an
nuel de 24,500 fr., réduit la commission perçue à une
moyenne de soixante-deux centimes pour cent francs ;
» Considérant qu’une pareille commission , en pré
sence des usages reçus, ne peut être taxée d’exagération;
qu’en effet, au lieu du règlement trimestriel générale
ment pratiqué , les comptes n’ont été balancés qu’une
fois l’an ; que , de plus , la maison de banque débitait
Reynaud, valeur de l’échéance des traites qu’elle .aurait
pu négocier à trente jours au pair, et que, pour les va
leurs fournies sur ses correspondants, elle payait ellemême un droit de commission sans répétition contre
Reynaud;
» Considérant que, accueillir en l’état de ces faits les
réductions demandées par les héritiers Reynaud, ce se
rait refuser, à la maison de banque, la juste indemnité
que les usages du commerce , consacrés par une juris
prudence constante, l’autorisaient à percevoir.' »
1 D. P., 44, 2, 498.
�ET DE LA FRAUDE.
215
Certes, l’infirmation du jugement, en l’état des motifs
l’ayant déterminé , et que nous avons trancrits , place
l’arrêt de la Cour d’Àix en contradiction flagrante avec
l’arrêt rendu, le 2 juillet 1845 , par la Cour de cassa
tion. Aussi, les héritiers Reynaud le frappèrent-ils d’un
pourvoi, bientôt admis par la chambre des requêtes.
Mais , comme nous l’avons dit , et par arrêt du 23
juillet 1849, ce pourvoi fut rejeté par la chambre civile,
qui, dès lors, contrairement à son arrêt de 1845, admit
que le droit de commission pouvait légalement porter
sur les soldes de compte.1
Comment expliquer cette contradiction ? Par cette rai
son unique , à savoir : qu’en pareille m atière, il n’y a
pas, à proprement parler, de question de droit, tout se
réduit à une appréciation de faits, pour laquelle , ainsi
que la' Cour de cassation le disait tout-à-l’h eu re, les
juges du fond ont un pouvoir souverain. La Cour su
prême , reconnaissant cette souveraineté , y obéit ellemême. Elle admet ou rejette les pourvois, selon que l’u
sure a été ou non reconnue.
Une pareille règle est on ne peut pas plus juridique.
On doit incontestablement dire, avec la Cour d’Àix, que
la loi du 3 septembre 1807 ne régit que le taux de l’in
térêt; qu’elle n’est nullement applicable à la commis
sion reconnue licite par tout le monde. Le taux de ce
droit est donc laissé aux usages de la place ou à l’ap-
1 Conf. Nancy, 8 juillet 1859 ; — Cass., 35 mai 1864 ; — D. P., 58
3, 185; — J. du P., 1864, 1054.
�216
T R A IT É
DU
DOL
préciation des parties elles-mêmes. Mais celle faculté ne
saurait comporter une liberté illimitée, et de même que
la vente, l’échange, la société, auxquelles la loi de 1807
est bien évidemment étrangère, peuvent cependant être
entachées d’usure et annulées , de même l’usure peut
prendre le manteau licite du droit de commission, et,
dans ce cas , on ne doit pas hésiter à la réprimer. Dès
lors, et quel qu’en soit le mode de perception, la com
mission prélevée s’est-elle renfermée dans des limites
justes et raisonnables, elle doit être confirmée ; a-t-elle
été, au contraire, exagérée au-delà des usages commer
ciaux, elle n’est plus qu’une usure déguisée, et, comme
telle, on doit la réduire'. Or, une pareille appréciation
ne peut appartenir qu’aux deux premiers degrés de ju
ridiction.
En résumé , les questions relatives au droit de com
mission ne peuvent recevoir, en droit pur, une solution
absolue. Sa perception déguise-t-elle ou non une usure?
Telle est la véritable, la seule difficulté à apprécier. C’est
ce qui fait que le mode suivi dans telle espèce sera ré
primé , tandis que le même mode ne le sera pas dans
telle autre. C’est ce qui rend également raison de la divergeance que nous signalions tout à l’heure dans la
jurisprudence de la Cour de cassation elle-même.
il4 7 .
— Nous venons de voir que , dans le com
merce, on pouvait régler le compte-courant et, consé-
1 C ass.,
21 juin 1847; —
D.
P,, 47, 1, 312.
�ET DE LA FRAUDE.
217
quemment , capitaliser les intérêts chaque trois mois.
Cette faculté a été formellement reconnue par la Cour
de cassation'. Mais pour qu’elle puisse être exercée , il
faut : 1° que le compte existe de négociant à négociant.
Les relations entre un commerçant et un non commer
çant , quoique constatées par un compte-courant, ne
peuvent être considérées comme commerciales, surtout
è l’endroit de ce dernier. Elles restent donc régies,quant
à l’anatocisme, par la disposition de l’art. 1154 du Code
civila ; — 2° que le compte ait été réellement arrêté
aux époques convenues. En l’absence du règlement tri
mestriel, on ne pourrait, lors d’un règlement ultérieur,
arrêter le compte autrement que d’année en année. En
effet , la capitalisation des intérêts n’est que la consé
quence de leur exigibilité. Celle-ci ne peut résulter que
de l’arrêté du compte aux époques convenues. Si le
compte n ’a pas été arrêté , il n ’y a eu aucuns intérêts
exigibles et partant susceptibles d’être capitalisés. On ne
pourrait se prévaloir de la capitalisation se réalisant à
chaque fin d’année par la seule force de la loi. Rien ne
peut même remplacer le règlement trimestriel, quant à
l’exception à l’art. 1154. Ainsi , il importerait peu que
les relations eussent continué sur le même pied entre les
parties, le compte deviendrait purement civil depuis le
dernier règlement trimestriel. C’est ce que la Cour de
1 10 novembre 1818.
Bourges, 5 juin et 48 décembre 1839 ; 14 février 1854: — D. P.,
40, 2, 196; 55, 2, 271.
2
�218
TRAITÉ DU DOL
cassation vient de décider en cassant un arrêt de la Cour
de Paris, qui avait jugé le contraire.'
1 148.
— Au reste , il est rare qu’un compte-cou
rant existe entre un banquier et un non commerçant ;
dans de pareilles relations , les avances du premier et
la dette du second sont constatées par des effets à terme
fixe. Si, à l’échéance, les parties se bornent à renouve
ler le titre , le banquier peut - il prélever un droit de
commission sur ce renouvellement ?
Il y a entre le renouvellement d’un billet et le règle
ment du compte une telle assimilation , que les arrêts
que nous venons de rappeler les confondent bien sou
vent. Conséquemment, il semble que, par une parité de
raison , les règles tracées pour l’arrêté du compte doi
vent s’appliquer au renouvellement.
Cependant il y a, à notre avis, cette énorme différen
ce que le banquier , qui fait un prêt à un non négo
ciant , ne fait pas un acte de commerce. Que cepen
dant, à cause de sa profession et pour le couvrir de ses
frais, on lui alloue une commission à l’origine du prêt,
on le comprend , mais qu’on lui permette de répéter
cette commission à chaque renouvellement, c’est placer
le non commerçant dans une position pire que le com
merçant lui-même ; car le compte-courant ne peut être
réglé tout au plus que quatre fois l’an , et le solde peut
en être réduit à des proportions minimes par les som-
�ET DE LA FRAUDE.
219
mes qui auront été remboursées pendant le trimestre,
tandis que le non commerçant devra, à chaque renou
vellement, l’intégralité du billet qui, pouvant être à l’é
chéance d’un mois , pourra ainsi donner lieu à douze
droits de commission par année,
Cet étrange et inique résultat doit nécessairement a mener une autre appréciation que celle que nous venons
d’exposer pour les relations de commerçant à commer
çant , et nous allons voir que cette nécessité se justifie
par des raisons décisives.
Le banquier qui traite avec un non commerçant fait
plutôt l’acte d’un capitaliste que celui d’un banquier. Il
doit donc, quant à l’exécution à donner au prêt, occu
per une position analogue à celle qui est faite à celui-ci.
On nous objectera sans doute ce que nous rappelions
nous-même relativement au solde du compte-courant.
Lè banquier qui renouvelle, au lieu de se faire payer à
l’échéance, consent un véritable prêt, car s’il exigeait
son argent , et qu’il le plaçât ailleurs , il retirerait de
nouveau le droit de commission. Mais cet argument
perd de sa force lorsque , au lieu d’une dette commer
ciale , il s’agit d’une dette civile. En effet, le commerce
vil de ponctualité et d’exactitude , à tel point que le
moindre retard dans les paiements constituerait un mo
tif pour faire déclarer la faillite. Celui-là donc qui traite
avec un commerçant a le droit de compter sur un paie
ment réel et effectif au jour et à l’heure convenus , il
peut même, dans cette prévision, avoir pris des mesures
pour un nouveau placement des sommes qu’il recevra.
�m
TRAITÉ DU DOL
Mais cette ponctualité n’est pas aussi rigoureusement
exigée dans la vie civile ; celui qui prête à un non com
merçant peut facilement prévoir que les embarras qui
motivent l’emprunt pourront exister encore au moment
de l’échéance et mettront son débiteur dans la nécessité
de demander un nouveau délai. Cette chance que le
banquier a volontairement bravée , qui ne l’a pas em
pêché de distraire de son commerce la somme qu’il a
prêtée, il doit en subir les effets.
D’ailleurs, les éléments du droit de commission ne se
concentrent pas tous dans la personne et le caractère
du banquier. Si les usages l’ont consacré , c’est égale
ment sous le rapport de l’avantage que le commerçant
trouve dans le crédit qui lui est fait. Le bénéfice qu’il
est dans le cas d’en retirer allège, s’il ne la fait pas dis
paraître , la charge que le droit de commission lui im
pose. C’est dans ce sens que Scaccia enseigne que l’ar
gent du commerçant vaut plus que celui du non com
merçant : Plus valet pecunia mercatoris quarn pecunia
non mercatoris.
Cet élément essentiel du droit de commission manque
absolument dans le prêt fait à un non commerçant. Il
y aurait donc injustice à le placer sur la même ligne,
quant aux charges, lorsqu’il ne l’est certainement pas
quant aux avantages.
À notre avis donc, le banquier peut , en livrant des
fonds à un non négociant, prélever un droit de commis
sion outre l’intérêt légal. Mais ce prélèvement opéré, les
obligations de l’emprunteur, quant à l’échéance, se ré-
�ET DE LA FRAUDE.
231
glant par des considérations autres qu’en matière decréance commerciale, tout ce qui est dû, en cas de re
tard, c’est l’intérêt légal. Le créancier ne peut donc exi
ger au-delà, sans se rendre coupable d’une véritable usure.
114 9 .
— Dans les nombreux déguisements que re
vêt l’usure, il en est un fort difficile à saisir et, par cela
même, très-redoutable, c’est celui consistant à fondre la
stipulation des intérêts avec le capital. Ainsi, un indivi
du consent à prêter un capital de 210,000 fr., mais il
exige le dix pour cent. Si une telle stipulation était ins
crite ouvertement dans le contrat, son sort ne serait pas
douteux , il faut donc la dissimuler. L’acte , en consé
quence, mentionne ou que le capital prêté est de 22,000
fr. sans intérêts jusqu’à l’échéance d’une année, ou seu
lement de 21,000 fr. avec intérêts. On suit la même
proportion selon que l’échéance est d’une ou de plusieurs
années.
1150 ,
— Dans 1’un comme dans l’autre cas, la frau
de est flagrante. Cependant comment la saisir sans re
courir à une preuve testimoniale ? Mais la demande qui
en sera faite soulèvera immédiatement une double ex
ception.
On se prévaudra d’abord de la disposition de l’article
1341, qui prohibe cette preuve outre et hors le contenu
aux actes ; on ajoutera ensuite : si l’acte est frauduleux,
la fraude étant le fait commun des deux parties , l’une
d’elles ne peut être admise à la prouver.
�2221
T R A IT É
DU
DOL
Mais l’usure , constituant une fraude contre une loi
d’ordre public, déroge forcément aux principes ordinai
res , et cette dérogation entraîne cette double consé
quence : 1° l’inapplicabilité de l’art. 1341 ; 2 “ celle
de la maxime Nemo auditur turpitudinem suam allegans.'
1 1 5 1 . — La seconde exception peut être tirée de
la force de l’acte authentique, comme si cet acte consta
tait la réelle numération de l’intégralité de la somme
portée dans l’acte. Cette indication de l’acte, dira-t-on,
doit être crue jusqu’à inscription de faux, et ce prélimi
naire non réalisé, la preuve testimoniale est inadmissi
ble.
Cette exception devrait être accueillie si les faits à
prouver, coarctés par la partie, étaient inconciliables avec les faits que le notaire aurait compétemment consta
tés, car l’usure elle-même ne saurait porter aucune at
teinte à la foi due à l’acte authentique. Mais si, au con
traire, les faits avancés ne contrarient nullement les in
dications de l’acte, s’ils tendent à prouver une simula
tion dont le notaire lui-même a pu être la dupe, en un
m o t, s’ils peuvent être vrais sans que ceux exprimés
dans le contrat soient faux , la preuve testimoniale doit
en être ordonnée, sans qu’on se soit préalablement ins
crit en faux. C’est ce que la Cour de cassation a jugé
dans une espèce où le contrat authentique, constatant la
�EX
DE
LA
FRAUDE.
réelle numération, le débiteur articulait n ’avoir rien em
porté des sommes numérées.1
Ainsi, c’est par la preuve orale , c’e s t, conséquem
ment , par les présomptions qu’on pourra , dans notre
hypothèse , prouver l’existence de l’usure. On ne serait
tenu de s’inscrire en faux contre l’acte authentique que
si on soutenait la fausseté de ses indications, par exem
ple, si on voulait prouver qu’il n’est pas vrai, comme
le notaire l’indique , que les sommes aient été déposées
sur le bureau et numérées au moment de l’acte.
H 52. — La preuve de l’usure acquise, quelle en
sera la conséquence par rapport à l’acte ? La Cour d’A
gen , par un arrêt du 17 août 1809 , avait décidé que
cet acte devait être annulé , d’abord pour violation de
l’art. 1907, en ce qu’il ne portait pas le taux auquel
les intérêts avaient été stipulés, puisque ces intérêts cu
mulés avec le capital ne formaient avec lui qu’un seul
tout ; ensuite, comme reposant sur une cause fausse, ré
sultant de ce qu’il renfermait un intérêt non exprimé et
à un taux non fixé.
Mais cet arrêt a été cassé , le 29 février 1812 , pour
avoir mal à propos appliqué la loi de 1807, la conven
tion étant antérieure à sa promulgation, et ne pouvant,
dès lors, être régie, quant au taux de l’intérêt, que par
l’art. 1907 du Code civil.
La Cour suprême devait s’arrêter à ce moyen pérem-
1 Chardon, Du dol et de la fraude , tom. ni, pag. 269 et suiv
�T R A IT É
DU
DOL
ptoire. Mais n’eût-il pas existé, que l’arrêt d’Agen n’en
aurait pas moins été infailliblement cassé sous un autre
rapport. Rien , en effet, dans la loi n’autorisait la
nullité de l’acte reconnu usuraire. Tout ce qui pouvait
légalement résulter de ce vice était ou la restitution, ou
l’imputation des sommes illégalement perçues, ou la ré
réduction de celles irrégulièrement prétendues. Les par
ties devant, dans le cas d’usure, être ramenées à la vé
rité des choses, il n’y a de possible que les moyens que
nous indiquons et qui font suffisamment disparaître le
préjudice dont se plaint le débiteur. Cette solution , ap
puyée par la raison, admise en doctrine et en jurispru
dence, est d’ailleurs formellement écrite dans l’art. 3 de
la loi du 3 septembre elle-même.
1153.
— Un autre mode employé pour déguiser
l’usure consiste soit à retenir , au moment du p rê t, les
intérêts convenus ', soit à les stipuler payables en den
rées.
La retenue des intérêts, payés même au taux légal,
constitue une usure. Elle tend à conférer au créancier
un bénéfice au-delà de l’intérêt, puisqu’elle lui procure
la jouissance d’une somme qui ne peut lui appartenir
légitimement qu’au jour où l’intérêt étant échu, elle de
vient sa propriété ; elle porte un préjudice au débiteur,
car l’intérêt, étant le prix de la jouissance du capital,
n’est que la conséquence de cette jouissance devant por
ter sur ce capital intégral. Or, la retenue fait disparaî
tre une partie de ce capital, qui n’est pas dès lors réel-
�m
ET DE LA FRAUDE.
lement prêté en totalité, tandis que c’est sur cette tota
lité que l’intérêt est établi. En conséquence , le créan
cier perçoit un intérêt qui ne lui est pas dû, et le débi
teur paye réellement au-delà du taux légal, il y a donc
usure.'
1154.
— L’exigence d’un intérêt en denrées re
monte au seizième siècle. La prévision que le numéraire
envoyé par le Nouveau Monde ne manquerait pas de
faire hausser le prix des blés, vins, huiles et autres den
rées, fit que quelques spéculateurs convertirent leurs
rentes en rente à blés, et cette prévision ne fut pas trom
pée1. Depuis, cet intérêt, que Dumoulin qualifie de pé
rilleux pour les débiteurs, n’a pas manqué d’être ex
ploité par ceux qui, voulant se procurer, malgré la loi,
un avantage illégitime , s’ingénient à s’en procurer les
moyens.
En conséquence , on stipule une quantité déterminée
de denrées à livrer en échange du paiement des intérêts
d’un capital quelconque. L’usurier a le soin de calculer
cette quantité sur un prix tellement bas qu’il a d’avan
ce la certitude que la denrée ne descendra jamais jus
que là , et il s’assure ainsi un intérêt pouvant atteindre
à des proportions énormes par la cherté de la denrée,
au moment de l’échéance.
Ainsi la chance aléatoire, que cette opération parait
1 Rolland de Villargues. Prêt à intérêt, n° 20.
2 Troplong ,
m
Du prêt, n° 393.
tô
�226
T R A IT É
DU
DOL
offrir, est d’avance fixée contre le débiteur, et ses résul
tats seraient aujourd’hui ce qu’ils furent autrefois, c’està-dire tellement désastreux qu’une ordonnance de Char
les IX, de 1565 , convertit à prix d’argent, et au taux
légal du denier douze , toutes les rentes en blés. Cette
ordonnance est-elle exécutoire encore en ce sens qu’on
doive aujourd’hui convertir en argent et au denier vingt,
tous les intérêts stipulés en denrées ?
L’affirmative est soutenue par M. Chardon. L’édit de
1565, dit cet auteur, avait été abrogé par le décret du
5 thermidor an iv, mais celui-ci a été à son tour abro
gé par la loi de 1807. D’autre part, les motifs qui exis
taient en 1565 existent encore, il y a donc nécessité de
revenir à cette disposition '. Cette opinion s’étaye sur un
arrêt de la Cour de Paris du 2 mai 1823.
Nous dirons, avec M. Troplong2, que cette doctrine
repose sur une erreur de droit manifeste. La loi de 1807
n’exige qu’une seule chose, à savoir: que l’intérêt d’un
capital prêté en argent ne s’élève pas à plus du cinq ou
du six pour cent, selon que le prêt est civil ou commer
cial , mais elle ne prescrit aucun mode spécial pour le
service de cet intérêt. Il dépend donc des parties d’en
régler le paiement selon leur convenance, à la seule obligation de ne pas franchir les limites de la loi ellemême. Conséquemment la stipulation que l’intérêt sera
payé en denrées n’a rien d’illicite, rien de prohibé.
1
Du dol el de lu fraude,
2
Loco citato.
n° 478.
�ET DE LA FRAUDE.
227
Ce gui est réellement prohibé , c’est de se servir de
cette stipulation pour pallier l’usure. M ais, à cet égard,
la loi a pourvu à tous les intérêts, en permettant au dé
biteur de répéter ce qu’il a indûment payé, et son ap
préciation est facile. Les mercuriales fixant le prix des
denrées, le rapprochement de la quantité annuellement
fournie indiquera nettement si le taux légal a été dépas
sé , et déterminera d’une manière précise le chiffre des
restitutions.
Ainsi la stipulation d’un intérêt en denrées est léga
le, seulement on ne peut avec son secours dépasser le
taux de la. loi, tout ce qui aura été payé en delà serait
répétible.
Il en est de même pour le remboursement du capi
tal , on peut le stipuler payable en denrées. Mais la
quantité de celles-ci ne pourrait, dans aucun cas , dé
passer le capital, on saurait bien sans cela en exiger
une telle que le débiteur rendrait toujours plus qu’il n’a
reçu.
O
1155.
— Mais si le prêt a été fait en denrées, celui
qui l’a consenti pourra stipuler que celui à qui il don
ne cent mesures lui en rendra cent dix ou cent vingt.
Le prix des denrées étant essentiellement variable, le dé
biteur profite de la chance de la diminution, comme le
créancier de celle de l’augmentation, et il peut se faire
que le prêt s’opérant dans un moment de cherté , et la
restitution dans un temps contraire , l’intégralité de ee
qui est rendq , quoique supérieur en quantité , soit en
�TRAITÉ DU DOL
réalité encore inférieur à la valeur de ce qui a été em
prunté. D’ailleurs, la loi de 1807, ne réglant que l’in
térêt de l’argent, ne saurait avoir aucune influence sur
les prêts de denrées.
Toutefois il y a là un aliment pour la fraude et un
péril pour les emprunteurs. Les usuriers simuleront un
prêt en denrées pour éluder l’application de la loi et
assurer ainsi les exactions qu’ils commettront; mais cette
simulation,comme toutes les autres, pourra être atteinte
par les tribunaux. Réalisée pour pallier l’usure, elle se
ra susceptible d’être prouvée par témoins et même par
présomptions, et les tribunaux, à qui une pareille opé
ration sera dénoncée, ne valideront que celle qui a ré
ellement offert, par son véritable caractère, cette chance
aléatoire dont nous parlions tout à l’heure.
1156.
— Partout, en effet, où l’événement est atta
ché à une condition aléatoire, la loi de 1807 est inap
plicable. C’est par application de cette règle qu’on a va
lidé les prétentions de la caisse hypothécaire et consacré
les intérêts et les droits qu’elle exige. Nous lisons dans
l’arrêt de la Cour de cassation, du 21 mai 1834 : « Que
» l’escompte et les primes au moyen desquels cette cais» se, d’après ses statuts approuvés par le gouvernement,
» exécute ses opérations, impriment au traité qui inter» vient entre les parties prenantes et elle , le caractère
» d’un contrat aléatoire. » Voilà pourqoi elle écarte
l’application de la loi de 1807.
La conséquence qu’il faut en déduire , c’est que la
'
/
�ET DE LA FRAUDE.
229
caisse hypothécaire ne peut jouir de l’immunité , quant
à la loi de 1807, qu’en tant qu’elle se renferme dans la
lettre de ses statuts Toute indemnité qu’elle stipulerait
sans en trouver le droit dans ces statuts, à quelque au
tre titre que ce fût , devrait lui être refusée comme un
intérêt usuraire , c’est ce qui a été formellement décidé
dans une espèce où prévoyant le cas de l’expropriation
de l’emprunteur, avant le terme des obligations, elle s’é
tait fait concéder deux annuités non encore échues pour
le dédommagement de ses frais et faux frais. Le paie
ment de ces deux annuités ayant été réclamé après ex
propriation, fut contesté. Un arrêt de la Cour de Greno
ble le consacra. Mais cet a rrê t, dénoncé à la Cour su
prême, fut cassé pour contravention notamment à la loi
du 3 septembre 1607. Voici les raisons à l’appui de cette
cassation :
« Attendu que les statuts d’une société anonyme lé
galement autorisée sont la loi des parties qui traitent avec cette société; que les statuts de la caisse hypothécai
re n’autorisent point à percevoir au-delà des règles tra
cées sur les conditions des emprunts qui lui sont faits ;
qu’en autorisant la perception de deux annuités en sus
de celles souscrites pour le remboursement de l’emprunt,
à titre d’indemnité du retard et des faux frais causés
par l’expropriation forcée, la Cour d’appel de Grenoble
a accordé une indemnité excédant la mesure fixée par
l'art. 1153 du Code civil ; qu’en outre elle a accordé
des intérêts excédant le taux légal, et qu’en cela elle a
expressément contrevenu tant audit art. 1153 qu’aux
�230
T R A IT É
DU
DOL
propres statuts de la société , et à la loi du 3 septembre
1807.' »
1157.
— La condition aléatoire qui a fait admettre
l’exécution des statuts de la caisse hypothécaire a fait ex
clure , de l’application de la loi de 1807, le prêt à la
grosse, la cession, la rente viagère.
Dans le prêt à la grosse aventure, le prêteur est ex
posé à perdre non seulement tout ou partie des intérêts,
mais encore le capital qu’il fournit. Vouloir , en l’état
d’une pareille chance , le soumettre à ne retirer de son
argent que l’intérêt ordinaire , c’était rendre impossible
un prêt qui fournit au commerce maritime tant et de si
précieuses ressources.
C’est ce qu’a compris le législateur, et il a sagement
évité le danger en dégageant le prêt à la grosse de toute
entrave, et en laissant à la libre convention des parties
le profit maritime à stipuler3. Tout ce qui, dans cet in
térêt, excède le taux légal, n’est considéré que comme
une juste compensation du péril que brave le prêteur.
De là il suit que l’existence de ce péril est un des éléments essentiels de ce prêt. Le prêteur qui n ’a réelle
ment couru aucune des chances d’une navigation réelle
et effective ne pourrait prétendre à un intérêt exclusive
ment attaché à ces chances.
1 Cass., 30 juillet 1834.
2 Art- 311 du Code de commerce
�ET DE LA FRAUDE.
231
1158.
— Supposer qu’on puisse simuler un contrat
à la grosse uniquement pour pallier l’usure , c’est pa
raître supposer une chose impossible. Mais une espèce
rapportée par la Gazette des tribunaux, du 9 septem
bre 1827, prouve que celte supposition n’a rien de chi
mérique, et que l’ardeur insensée d’une incroyable avi
dité peut aller jusque là.
Un sieur Paoli, d’Ajaccio, faisait de nombreux prêts
usuraires. Croyant se placer à l’abri de toutes poursui
tes , il avait fait du contrat à la grosse le type exclusif
de toutes ses opérations. L’avocat, le prêtre, l’aubergis
te, le propriétaire , qui recourait à l u i , se transformait
immédiatement en patron de navire, était obligé de sou
scrire un contrat à la grosse aventure, avec des intérêts
non moins gros, bien entendu.
Poursuivi cependant comme coupable d’habitude d’u
sure , Paoli est condamné par le tribunal correctionnel
à une amende de 8,000 fr. Il émet appel du jugement,
et il soutient devant la Cour : qu’un prêt à la grosse ne
pouvait, dans aucun cas, donner lieu à une poursuite en
usure ; qu’il ignorait ou pouvait ignorer quelle destina
tion les emprunteurs devaient donner à cet argent; et
que les contrats qu’il avait faits ne pouvaient changer
de nature , parce que les emprunteurs n’avaient pas
voulu faite une spéculation maritime;
Il était impossible qu’une pareille défense pût réus
sir. Aussi la Cour confirma-t-elle le jugement.
La morale de cet a rrê t, c’est qu’il ne suffit pas de
qualifier un acte de contrat à la grosse pour acquérir
�232
TRAITÉ DU DDL
le droit de s’en faire payer les intérêts. Il n’y a lieu à
tolérer cet intérêt que lorsqu’en fait le capital prêté a
subi les chances qui l’ont fait laisser à la libre stipula
tion des parties. Hors de la, il n ’y a plus qu’une usure
déguisée sous des dehors trompeurs, et qu’il est du de
voir de la justice de réprimer sévèrement.
1 1 59.
— Il est incontestable que la cession se prête
admirablement à déguiser l’usure et à favoriser un in
térêt excessif. Cependant si le contrat de cession est sin
cère , et c’est aux tribunaux qu’il appartient de le déci
der, l’usure ne saurait exister, quelque importante que
soit la prime accordée au cessionnaire.
La raison en e s t, que la cession est au civil ce que
l’escompte est au commerce. Les motifs qui légitiment
celui-ci justifient celle-là. L’une et l’autre constituent
plutôt un achat qu’un prêt proprement dit ; et, en ma
tière d’achat et de vente , la fixation du prix est laissée
à la libre volonté des parties.
Conséquemment, si l’acte qualifié de cession en ren
ferme les éléments, si on y retrouve ces conditions sub
stantielles : res, pretium et consensus, il ne peut être
querellé d’usure rt doit être exécuté dans toutes ses dis
positions. C’est ce que la Cour de cassation a décidé
d’une manière formelle, au rapport de M. Troplong.1
Si, au contraire, les parties n’ont pris la forme de la
cession que pour se livrer impunément à l’usure ; s’il
1 8 mai 1844; — D. P., 44, 1, 241,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
233
n’y a un qu’un prêt simulé sous les apparences d’un
autre contrat, tout ce qui excède l’intérêt légal n’est pas
dû. On peut dès lors non seulement ne pas le payer,
mais même le répéter, si déjà on l’a fait. Nous rappel
lerons à cet égard que l’appréciation du véritable carac
tère de l’acte est abandonnée à l’arbitrage souverain du
juge, et que sa décision, d’après les faits et circonstan
ces de la cause, d’après l’intention des parties, est à l’a
bri de toute censure.
Il y a plus encore, une cession réelle peut ne pas être
pure d'usure. Tel serait le cas de la cession qu’un dé
biteur ferait de ses revenus eu paiement des intérêts
qu’il doit à son créancier. Il est évident qu’il y a là un
transport sérieux , mais pour qu’il y ait juste prix , il
faut que les revenus cédés ne soient pas d’un chiffre su
périeur à celui des intérêts légaux ; s’ils les dépassent,
l’exécution de la cession consacrerait l’usure. Le cédant
serait donc recevable à demander que l’excédant lui soit
restitué, ou tout au moins successivement imputé sur le
capital.
1160- — Le prêt à rente viagère peut être stipulé
au taux qu’il plaît aux parties d’arrêter. Telle est la dis
position expresse de l’art. 1976 du Code civil. La loi de
1807 n’ayant rien statué à cet égard, elle reste sans ap
plication à la rente viagère.
Ce silence de la loi s’explique fort bien par la nature
essentiellement aléatoire de ce contrat. D’une p a rt, le
capital est aliéné sans retour, et dès lors la rente, n’é-.,
i
�234
TRAITÉ DU DOL
tant plus la représentation de la jouissance temporaire
de ce capital, ne peut plus être qualifiée d’intérêt pro
prement dit ; d’autre p a r t, la mort du crédi-rentier a mènera, ipso facto, la suppression de la rente, et celte
mort étant essentiellement incertaine , le débiteur, s’il
est exposé à payer beaucoup , peut également ne payer
que fort peu. On le vo it, le législateur ne pouvait que
s’en référer à ce qui serait convenu par les parties. Il
devait consacrer les engagements qu’une pareille éven
tualité est dans le cas de déterminer.
1 1 6 1 . — La nature et le caractère de ce contrat
paraissaient devoir l’empêcher de devenir un instrument
d’usure. Il n’en a rien été , et , sous ses formes , s’est
quelquefois glissé une avide et déloyale prétention. En
voici un exemple :
En 1807, le sieur Capey se constitua débiteur envers
le sieur Havas , banquier , moyennant une somme de
10,000 fr., d’une rente viagère de 1,500 fr., rachetable après quatre ans. Depuis , le sieur Havas se rend
cessionnaire d’une autre rente viagère de 800 fr. due
par Capey.
Plus tard, en 1824, ces deux rentes sont converties,
par Capey et les héritiers Havas , en une rente perpé
tuelle de 1,400 fr. sur un capital de 28,000 fr., que
les héritiers Havas prétendent avoir été touché par
Capey, ainsi qu’ils se proposent de l’établir par leur
compte.
A l’échéance du premier terme , poursuites en paie-
�ET DE LA FRAUDE.
235
ment de la part des héritiers Havas. Ils prétendent que
Capey a reçu le capital de 28,000 fr., tant par les som
mes prêtées que par les arrérages qu’il doit.
Pour arrêter ces poursuites , Capey forme lui-même
une demande tendant à faire déclarer que, depuis 1817,
il avait été convenu que la rente de 2,300 f.. serait ré
duite à 1,400 fr.; que celte convention ayant été exac
tement remplie, lui, Capey, n’était redevable d’aucuns
arrérages de l’ancienne rente ; que, dès lors, il ne devait
payer la rente perpétuelle de 1,400 fr. qu’autant qu’on
compléterait le capital de 28,000 fr.
Jugement qui rejette cette prétention. Appel.
Devant la Cour , Capey soutient que non seulement
il ne restait redevable d’aucuns intérêts arréragés* mais
que la majeure partie de ceux qu’il avait payés n’était
pas due ; qu’on devait la lui restituer ou lui en tenir
compte; qu’en effet , les arrérages n’étant produits que
par un prêt déguisé sous l’apparence d’un contrat de
rente viagère, devaient être réduits au taux légal du cinq
pour cent, et que les sommes réduites devant se com
penser avec celles qu’il avait reçues, rendaient d’autant
moins fondée la prétention du service actuel de la rente
perpétuelle de 1,400 fr.
Les intimés, voyant dans cette prétention une deman
de nouvelle, la soutinrent non-recevable en cause d’ap
pel. Au fond, excipant de l’art. 1976, ils contestaient le
droit de quereller d’usure la rente viagère; ils soute
naient d’ailleurs que le contrat ayant été exécuté plus
de dix ans , l’action serait éteinte par la prescription,
�236
TRAITÉ DU DDL
indépendamment de la novation qu’ils faisaient résulter
de l’acte de 1824.
Mais la Cour de Caen, sans s’arrêter à toutes ces fins
de non-recevoir, annule le prétendu contrat à rente vi
agère de 1807, sur les motifs : en droit, qu’il n’était
pas permis de créer un contrat de ce genre pour mas
quer, sous des apparences trompeuses, un contrat usuraire , et que les tribunaux sont investis dans ce cas,
comme dans tout autre, du pouvoir de réprimer la frau
de; en fait, parce que le contrat de 1807 était fraudu
leux et simulé , ce que la Cour déduit des faits et cir
constances , et notamment de la faculté au débiteur de
se racheter dans quatre ans , de la constitution de la
rente sur trois têtes, des habitudes usuraires de Havas,
qui n’avait jamais établi des rentes de ce genre avant la
loi de 1807, enfin de la conversion, en 1824, de la rente
viagère en rente perpétuelle.
Cet arrêt, rendu le 26 mai 1839, fut déféré à la Cour
de cassation , et par celle-ci confirmé dans toutes ses
dispositions. Voici en quels termes la Cour régulatrice
repousse le moyen tiré de la violation de l’art. 1976 :
« Attendu que l’arrêt ne porte aucune atteinte à la
liberté des stipulations sur les rentes viagères ; qu’il juge
seulement que , dans l’espèce , un contrat de prêt a été
déguisé sous l’apparence d’un contrat de rente viagère,
dans l’objet d’éluder la loi qui prohibe toute stipulation
d’intérêt usuraire ; qu’il était dans les attributions de la
Cour de rechercher ce qui s’était réellement passé entre
les parties, et qu’après avoir reconnu que leur conven-
�ET DE LA FRAUDE.
237
tion était un prêt à intérêt, elle devait réduire , comme
elle l’a fait, l’intérêt au taux légal.' »
Comme on le voit, l’usure se glisse partout, essaye
toutes les chances de se dissimuler et emprunte la for
me du contrat qui lui parait le plus favorable. Tout cela
prouve la sagesse de la jurisprudence qui, par l’admis
sion de la preuve testimoniale et par celle des présom
ptions, facilite les moyens de la démasquer et de lui faire
perdre le bénéfice illégitime qu’elle s’était proposée.
1 162. — Il n’est pas de contrat que l’usure n’ait
tenté de vicier. La donation elle-même n’a pas été à
l’abri de ses efforts. Ainsi un prêt est consenti à l’inté
rêt légal , mais le prêteur exige et obtient, soit avant
soit après le contrat , une donation d’une somme plus
ou moins forte , laquelle , dans l’intention des parties,
n’est pas autre chose qu’un supplément d’intérêt.
M. Petit’ pense que, dans la question d’appréciation
de la validité d’une pareille donation, les faits et les cir
constances sont d’une grande importance , cette ques
tion ne pouvant être résolue , en d ro it, d’une manière
absolue. M. Petit se trompe en droit, et cela le plus ab
solument possible. La donation renfermant une usure
palliée est nulle et sans effets possibles , le droit n’est
pas douteux. Ce qui peut offrir une difficulté , c’est la
question de savoir si l’usure existe ou non, et nous com-
1 31 décembre 1833; — D. P , 34, 1, 140.
s Traité de l'usure, liv. 1, pag. 61.
�238
TRAITÉ DU DOL
prenons que la solution de cette difficulté dépendra des
faits et circonstances. Il est cependant une considération
qui domine la matière et qui semble devoir faire ad
mettre le caractère usuraire de l’acte , à savoir : l’exis
tence d’une donation par le débiteur au créancier. N’estil pas, en effet, extraordinaire que , d’une p a rt, celui
qui se trouve réduit à emprunter, ou qui ne peut se li
bérer de ce qu’il doit, aliène ses biens à titre gratuit en
faveur de son créancier, tout en restant grevé de la det
te ? Que, d’autre part, le créancier ait le courage d’ac
cepter les dons d’un débiteur qui ne peut pas se libérer,
et qu’il ne lui concède pas en échange la décharge de
la dette ? '
Que faut-il donc conclure de cette étrangeté ? Pas au
tre chose sinon que la donation n’est que la condition
et la conséquence du prêt, soit qu’elle ait été consentie
pour le déterminer , soit qu’elle ait servi à obtenir une
prorogation du terme de l’exigibilité. Dans l’un comme
dans l’autre cas, elle n ’a qu’une cause illicite et ne peut
être considérée comme l’effet d’une volonté libre. Quel
ques termes qu’on emploie , elle est en réalité imposée
par un homme en position de dicter la loi, debitor servus est fœneratoris. Il y manque le nullo ju re cogente,
qui est de l’essence de la donation, car egestas excludit
volunlarium
1 Chardon, Bol et fraude, n° 51 B.
2 Troplong, Du prêt, n° 367.
�ET DE LA FRAUDE.
239
1165.
— C’est ainsi que l’avait admis l’ancienne
jurisprudence, c’est ce qu’enseignaient notamment d’Argentré, Dumoulin et Pothier.
Pour que le présent, dit ce dernier, que le prêteur a
reçu de l’emprunteur soit réputé lui avoir été fait libre
ment, et ne soit pas en conséquence infesté du vice d’u
sure , il faut que l’emprunteur ne l’ait fait que dans le
temps qu’il a rendu la somme prêtée, ou après. S’il l’a
vait fait auparavant, il serait présumé ne l’avoir fait
que pour que le prêteur ne le pressât pas pour le paie
ment , e t , par conséquent, ne l’avoir pas fait avec li
berté entière, ce qui suffit pour que ce présent , que le
préteur a reçu, soit regardé, en quelque façon, comme
exigé, et, par conséquent, comme infesté du vice d’u
sure.'
i l 64. — La question s’étant présentée depuis la loi
de 1807, a été résolue par la Cour de Pau conformé
ment à cette doctrine. Son arrêt ayant été cassé , l’af
faire fut renvoyée devant la Cour de Bordeaux qui,
comme celle de Pau, annula la donation.1
Hâtons-nous d’observer que l’arrêt de Pau , quant
aux principes, ne fut nullement improuvé par la Cour
de cassation. Ce qui détermina l’annulation de l’arrêt
ne fut que l’admission d’un moyen de forme. Aussi, et
malgré que la Cour de renvoi ait jugé plutôt en fait
i De l'usure, n° 99.
�240
T R A IT É
DU
DDL
qu’en d roit, n’hésitons-nous pas à faire comme MM.
Chardon et Dalloz, c’est-à-dire à adopter pleinement la
doctrine enseignée par la Cour de P au.
1 1 65. — Sans doute cette doctrine souffre des ex
ceptions. Ainsi si la donation faite au créancier se trou
ve parfaitement expliquée par les liens de parenté, d’al
liance ou de vieille affection ; si des services signalés,
rendus depuis le prêt, et indépendamment de son exis
tence, la motivent et la justifient, il y aurait injustice à
l’anéantir. La qualité de créancier et de débiteur de
vient , dans ce cas , indifférente. Nul ne doit être privé
d’un émolument légitimement ou naturellement acquis,
par cela seul que, dans une circonstance plus ou moins
critique, il serait venu au secours d’un parent ou d’un
ami, en lui ouvrant sa bourse.
Que l’appréciation du juge soit appelée sur l’existen
ce , sur la réalité des moyens justificatifs de la dona
tion , rien de plus équitable et de plus simple. Mais
nous persistons à croire que , lorsque le donataire en
sera réduit à invoquer sa qualité de créancier, à ne par
ler que de l’avantage , que sa condescendance à le de
venir, a procuré au débiteur, la donation doit être con
sidérée comme la condition du prêt ; comme ne faisant
avec lui qu’un tout indivisible, inséparable , qu’on doit
conséquemment l’annuler parce qu’elle n’a jamais été,
selon l’expression de Dumoulin, liberalis et vere spontanea.
�•ET
DE
LA
%h\
FRAUDE.
1166. — Il n’en est pas ainsi de la donation que
le débiteur ferait à son créancier, après l’avoir intégra
lement remboursé. Délivré, par le paiement, de la con
trainte morale à laquelle il est censé céder avant, le dé
biteur a repris sa liberté , rien ne le soumet plus à obéir à des exigences illégitimes, et s’il donne, c’est qu’il
en a librement conçu et exécuté la pensée.
Cependant 31. Troplong pense que , même dans ce
cas, le juge doit consulter et vérifier les circonstances
ayant présidé à l’accomplissement de l’acte. Elles seu
les , dit cet illustre jurisconsulte , peuvent le mettre à
même de décider si la rémunération du débiteur a été
réellement le fruit d’une pensée spontanée et libre.
1167. — La prohibition de recevoir au-delà de l’in
térêt légal comprend non seulement le profit que se pro
curerait le prêteur en exigeant réellement quelque chose
en sus des intérêts qu’il doit percevoir, mais encore ce
lui résultant pour lui des services personnels auxquels
l’emprunteur se serait soumis, outre les intérêts conve
nus à un taux légal.
Toutefois l’usure n’existe réellement qu’en tant que le
profit exigé par le prêteur est une charge imposée à
l’emprunteur. Conséquemment elle n’existerait dans
l’espèce que si les services personnels étaient apprécia
bles en argent.
1168. — Pour décider s’il en est ou non ainsi , il
faut non seulement considérer la nature du service, mais
Ht
t6
�f
242
TRAITÉ DU DOL
encore son caractère relativement à la qualité et à la
profession decelui qui se l’est imposé. Souvent, en ef
fet, ce qui aggraverait la position de l’u n , sera sans la
moindre influence sur celle de l’autre.
Par sa nature, le service sera appréciable en argent,
si celui qui doit le rendre ne peut le faire sans s’impo
ser un sacrifice ou sans se priver d’un profit. Ainsi, dit
Pothier, si je prête à un jardinier à la charge , outre
l’intérêt légal, de me tailler mes arbres, le service sera
appréciable en argent. Ce que je donnerais à l’ouvrier,
qui serait chargé de faire mon travail, ce que perd mon
débiteur en consacrant gratuitement à mon service les
journées qu’il utiliserait chez lui ou ailleurs , sont le
double élément de cette appréciation. Il y a évidemment
usure, car je réalise un profit et mon débiteur s’impose
une perte.
Mais ce qui est une charge pour le jardinier n’en est
pas une pour celui qui, instruit dans l’art de tailler les
arbres , ne fait pas de son exercice une profession , ou
n’en retire aucun profit. Si donc je prête à celui-ci à la
même condition qu’au jardinier , le service que je lui
impose n’est plus appréciable en argent. Il est vrai que,
pour moi, ce service est une économie, mais il est, de
la part du débiteur , plutôt un acte d’obligeance qu’il
n’aura pas c ru , si l’on v e u t, pouvoir me refuser , mais
qui n’est jamais dans le cas de lui imposer un sacrifice
quelconque, ni aucune perle appréciable.
On voit , par cet exemple , comment on doit appli
quer la condition que les services soient appréciables en
�|
ET DE LA FRAUDE.
243
argent, et dans quels cas on devrait admettre ou re
pousser la demande en restitution, fondée sur des servi
ces personnels, exécutés outre et indépendamment du
paiement des intérêts.
1169.
— L’usure peut se glisser dans le contrat de
société. Ce que nous avons dit précédemment nous dis
pense d’insister à ce sujet. Nous nous en référons à nos
précéden tes observa lions.1
1
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I f l if L
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1 170.
— La vente est favorable à la dissimulation
de l’usure. La liberté que ce contrat laisse aux parties
de fixer le prix , soit en capital, soit en intérêts, devait
fixer l’attention et exciter la convoitise de ces hommes
dont l’unique but est de se soustraire aux exigences de
la loi de 1807.
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« : :
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; 3 '
Nous avons déjà dit que la délivrance d’une certaine
quantité d’objets mobiliers était bien souvent pratiquée
par les usuriers pour ajouter encore à l’énormité des in
térêts qu’ils exigent. Nous avons dit aussi qu’il n ’y a
pas réellement vente dans ce cas ; qu’on ne peut voir,
dans cette délivrance, qu’un prêt, qu’une usure criarde
qu’il est du devoir des magistrats de réprimer sévère
ment.3
11
1171.
— Peut-on quereller d’usure la vente de
marchandises faite par un commerçant? Non, évidem-
1 V.
s V.
s u p ra
s u p ra
n° 1071.
ch. 2, sect. 3, n»» 939 et suiv.
4M
il
�V
244
TRAITÉ DU DOL
ment, si la vente est réelle, si le vendeur n’a fait qu’un
<*
de ces actes dont la répétition et la fréquence constituent
l’industrie à laquelle il est voué. Il importerait peu que
le prix de la marchandise eût été porté à un taux plus
élevé que le cours du moment. C’est surtout en matière
de commerce qu’on peut d ire, avec le jurisconsulte ro
main : In prelio emptionis et venditionis, naturaliter
licet contrahentibus se circumvenire '. D’autre part, la
qualité de l’acheteur peut être telle, que la cherté du
prix soit dans des justes proportions avec le danger de
non paiement que court le vendeur.
Cependant cette cherté , poussée jusqu’à de certaines
limites, pourrait constituer la fraude, surtout s i , par sa
position, son âge, son peu d’intelligence, l’acheteur n ’a
vait pas été à même de défendre suffisamment ses in
térêts , ou si elle était le résultat de manoeuvres illégiti
mes.
Hors de ces hypothèses , la vente de marchandises,
quel qu’en soit le prix, ne pourra être légalement que
rellée d’usure. D’abord , parce que l’acheteur a pu dé
battre le prix ; ensuite , parce qu’en matière de vente
mobilière, il n’existe pas d’action en lésion,et c’est cette
action qu’on prétendrait se procurer par l’articulation
d’une usure.
Mais si, sous prétexte de vendre, le commerçant n’a
vait, en réalité, consenti qu’un p rê t, l’action en usure
1 L, 16, § 4. Dig.
De m in o rib u s
xxv
a n n is .
�serait recevable. El
merçant et qu’on parait ne fairé que des actes de com
merce , on ne saurait impunérnent se livrer à l’usure.
Les magistrats ont donc le devoir d’apprécier l’opéra
tion querellée, e t , s’ils sont convaincus qu’il s’est agi
non d’une vente, mais d’un prêt à un intérêt supérieur
au taux légal, ils doivent appliquer, sans hésitation, la
loi de 1807.'
- ,
^
Ainsi, la question que nous avons posée est plutôt en
fait qu’en droit. Elle e s t, dès lors , livrée à l’arbitrage
souverain du juge.
1172.
— La vente d’un immeuble peut également
ne constituer qu’un prêt usuraire simulé. Une espèce
remarquable, jugée par la Cour de Paris , le 2 mai
1823, indique les caractères auxquels on doit reconnaî
tre cette fraude.
« Par acte sous seing privé, du 1er avril 1809, Bau
dot vendit au sieur Cordier plusieurs immeubles moyen
nant 1,000 fr., qu’il reconnut avoir reçus comptant.
» Par acte notarié , du 12 du même mois , Cordier
revendit les mêmes immeubles à B audot, moyennant
une redevance annuelle de six hectolitres deux décalitres
huit décilitres ( seize bichets ancienne mesure d’Auver
gne) de blé froment, payable le 1er avril de chaque an
née et rachelable par une quantité de blé égale à vingt
prestations annuelles.
1 Cass.,. 21 août 1829; — D. P„ 29, 1, 343.
il
�m
TRAITÉ DU DOL
» Après la mort de Baudot, qui avait toujours exac
tement servi cette rente, ses héritiers déclarèrent vouloir
la racheter, et firent au sieur Cordier une offre réelle de
la somme de 1,000 fr., pour éteindre et amortir la ren
te créée par leur auteur.
» Cette offre ayant été refusée, les héritiers Baudot
en poursuivirent judiciairement la validité. A cet effet,
ils prétendirent que les actes d’acquisition et de revente
des 1er et 12 avril 1809 étaient simulés; qu’ils avaient
été faits le même jour, et qu’ils n ’avaient eu pour objet
que de dissimuler un prêt usuraire.
» Indépendamment d’une exception de prescription
décennale, Cordier soutenait au fond : que les actes at
taqués étaient sérieux et sincères ; qu’ils faisaient pleine
foi de leur contenu contre Baudot et ses ayants cause;
qu’ainsi, la redevance avait été stipulée non pas pour
une somme de 1,000 fr., mais pour le prix des biens
par lui vendus au sieur Baudot par le contrat du 12 avril 1809 , et qu’il n’y avait rien d’usuraire dans une
pareille stipulation ; qu’alors même qu’on supposerait,
contre la teneur des actes et contre la vérité des faits,
que la rente eût été constituée moyennant un capital de
1,000 fr., il n’y aurait encore lieu de modifier une
convention qui ferait la loi des parties ; que la qualité
et le prix des grains étant nécessairement variables , ce
serait un pacte aléatoire, dans lequel il serait impossible
de voir le caractère de l’usure.
» Ce système échoue devant le tribunal d’Auxerre,
qui, rejetant la prescription, statue au fond par les mo
tifs suivants :
�ET DE LA FRAUDE.
247
» Considérant que le sieur Cordier, entendu en per
sonne, avoue avoir acheté de l’auteur des héritiers Bau
dot , moyennant 1,000 fr., le 1or avril 1809 , par acte
privé, les héritages qu’il lui a revendus le 12 du même
mois , par acte authentique , moyennant une rente en
grains, remboursable en valeur de grains; qu’ainsi , il
est évident que la vente du 12 avril 1809 n’est qu’une
voie indirecte imaginée par le défendeur à l’effet d’ob
tenir, à son profit, une rente en grains en ne fournis
sant que de l’argent pour capital ; que, par cela seul, la
rente devrait être convertie en argent; qu’en effet, l’édit
de 1565 défend de constituer une rente de grains pour
un capital en argent, à peine par les constituants d’être
poursuivis comme usuriers; que cette prohibition est
renouvelée implicitement, il est vrai , mais nécessaire
ment par la loi de 1807, qui interdit toute autre stipu
lation d’intérêt conventionnel qu’au taux du cinq pour
cent du capital , ce qui suppose un revenu fixe et en
numéraire et inconciliable avec un intérêt consistant en
denrées, dont le prix varie sans cesse ;
» Considérant, en outre, qu’indépendamment de cette
première violation delà loi,le contrat du 12 avril 1809
a créé une énorme usure, le capital fourni par Cordier
n’étant que de 1,000 fr. et devant lui produire, au lieu
de 50 fr., seize bichets de blé à raison , en tout temps,
de 6 fr. 12 cent, le bichet, indépendamment de ce que
le capital à rembourser est lui-même fixé en grains,
en sorte qu’il y a double usure.
y> Cordier ayant émis appel de ce jugement, la Cour
�248
TRAITÉ DU DDL
de Paris le confirme purement et simplement par adoption des motifs. »
ï 17 3 . — A notre avis , ces documents judiciaires
ne méritent qu’un seul reproche , à savoir : d’induire
de la loi de 1807 la confirmation implicite des princi
pes consacrés par l’ordonnance de 1365 sur la stipu
lation d’un intérêt en denrées. Ainsi que nous venons
de le dire , cette stipulation est aujourd’hui incontesta
blement licite, à condition que l’intérêt en denrées n’excèdera pas le cinq pour cent, quelle que soit la quantité
promise. Au fond , et quant à la réduction , la décision
du tribunal est non seulement équitable, mais encore au
plus haut point juridique. Elle ressortait, invincible
ment , des circonstances du fait. Il est évident que les
seize bichets de blé n’étaient que l’intérêt des 1,000 fr.
prêtés , et que les deux ventes des 1er et 12 avril n’é
taient qu’un moyen détourné pour déguiser ce qu’un
pareil intérêt avait d’illégal. Cette simulation était telle
ment transparente, que les héritiers Baudot avaient rai
son lorsqu’ils l’appelaient une fiction maladroite. Elle
n’était, en effet, pas autre chose que le contrat mohatra,
appliqué à une vente d’immeubles.
1 1 74.
— Cette évidence , susceptible d’être acquise
dans toute autre espèce , explique pourquoi les tribu
naux seront rarement appelés à statuer sur des hypo
thèses de cette nature. Il faut à l’usure des chances
plus sûres , et la vente à réméré semble faite pour les
lui offrir.
�ET DE LA FRAUDE.
249
Dans l’opinion de M. Chardon , ce contrat ne parait
pas avoir d’autre objet que d’aider l’usure dans ses
perfides spéculations'. Cette appréciation , la doctrine
ancienne l’avait déjà faite : Via aperta ad illïcitum
fœnus exercendum, disait Dumoulin % en parlant de la
vente à réméré. C’est ce qui explique les répugnances
qu’il fallut vaincre lorsqu’il fut question de l’inscrire
dans le Code.
Ceux-là mêmes qui en votèrent le maintien, ne se
dissimulaient pas les graves inconvénients qu’elle est
dans le cas d’entraîner. Celui qui se réserve de repren
dre ce qu’il aliène, n’a pas', évidemment, l’intention de
vendre > e t , s’il le fa it, c’est qu’il ne peut autrement
pourvoir aux besoins qu’il a actuellement à satisfaire.
Il ne vendrait donc pas si son crédit pouvait lui procu
rer les sommes qui lui sont indispensables.
1175.
— La vente à réméré offre donc plutôt l’idée
d’un prêt que celle d’une vente. Mais, dans ces termes
mêmes, il a paru convenable de la maintenir. En effet,
le répit qu’elle offrira au débiteur peut lui fournir le
moyen de vaincre les embarras pécuniaires le forçant à
y recourir. Elle p eu t, dès lors , lui conserver un patri
moine qu’il eût été forcé , sans son secours , d’aliéner
d’une manière définitive et à un prix inférieur à sa va
leur réelle.. Il ne manque pas, en effet , de gens capa-
�250
TRAITÉ DU DOL
blés de spéculer sur le besoin que le vendeur a de se
défaire de ses biens , besoin qu’ils exploitent, qu’ils ne
demandent pas mieux que d’exploiter.
D’autre p a rt, la vente à réméré n’offrira jamais un
prix proportionné à la valeur réelle, et plus l’acquéreur
aura en vue un avantage usuraire , plus il réduira la
somme pour rendre cet avantage plus considérable en
cas de non exercice du rachat. De plus , si l’immeuble
est réellement livré, l’acquéreur en retirera les revenus,
qui devront excéder l’intérêt légal. Ainsi, usure dans la
perception de cet intérêt , usure sur le remboursement
du capital, si la propriété n’est pas rachetée, telle est la
double face que présente ce dangereux contrat.
Il suit de là que la justice a le plus rigoureux devoir
à éclairer l’opération qui lui est dénoncée, à la rétablir
dans son véritable caractère, à lui restituer ses effets na
turels. Elle empêchera ainsi la consommation d’une
fraude trop facile pour ne pas être très-souvent tentée.
1 176.
— Nous nous sommes déjà occupés de la
recherche des circonstances de fait pouvant donner à
la vente à réméré le caractère d’un contrat pignoratif.
Ces circonstances sont, avons-nous dit : 1° la vilité du
prix, 2° lë pacte de rachat, 3 “ la relocation ; leur ré
union , avons-nous ajouté , peut suffire pour faire ad
mettre l’absence d’une vente.1
i V.
n ip ra
chap. 2, sect. 3, n» 946.
�ET DE LA FRAUDE.
251
1177. — Peut-on arriver au même résultat, si ces
trois circonstances n’existaient pas simultanément ? A
cet égard une distinction nous paraît indispensable.
1178. — Ce qui est surtout dans le cas de changer
la nature apparente du contrat, c’est le fait de la trans
mission conditionnelle et temporaire de la propriété de
la chose vendue. Evidemment si ce transport est fait de
manière définitive et irrévocable au moment du contrat
et par le contrat même , il serait difficile de voir dans
ce contrat autre chose qu’une véritable vente à des con
ditions plus ou moins avantageuses , mais ne pouvant,
dans aucun cas, autoriser une autre action que celle en
lésion.
Dès lors la stipulation de rachat est indispensable,
son absence enlèverait tout moyen de soutenir que la
vente n’est qu’un contrat pignoratif. Vainement, en cet
é ta t, arguerait-on de la vilité du prix et de la reloca
tion. La première ne serait a considérer que si elle oc
casionnait une lésion atteignant les proportions établies
par l’art. 1674. La seconde ne constituerait plus que
l’exercice licite d’un droit exclusivement dévolu au pro
priétaire.
Mais le pacte de rachat stipulé dans l’acte, la réunion
des deux autres circonstances est en quelque sorte la
preuve qu’il s’agit d’un contrat pignoratif. L’absence de
l’une d’elles affaiblit cette preuve, mais ne la fait pas
disparaître complètement, en ce sens que la présomp
tion que l’existence de l’autre fait naître est de nature à
�. 252
TRAITÉ DU DOL
déterminer la conviction que les autres faits du procès
peuvent confirmer.
1179.
— Ainsi la vilité du prix coïncidant avec le
pacte de rachat, confirme ce que celui-ci fait présumer,
à savoir : l’absence chez le vendeur de toute intention
de vendre. La faculté de racheter est incompatible avec
l’idée d’aliéner ; que sera-ce donc si à cette faculté se
joint un prix évidemment en dessous de la juste valeur.
Il n ’y a plus alors qu’une seule explication admissible,
c’est que le prétendu vendeur a accepté comme prêt la
somme qu’il n ’eût jamais acceptée comme l’équivalent
de ses biens. La prétendue aliénation qu’il en fait n’est
donc plus que la garantie de ce prêt. On ne saurait dé
cider le contraire sans se placer en contradiction avec
la vérité , sans consacrer la spoliation que l’usure s’est
ménagée.
M. Chardon , qui professe cette doctrine , s’étaye sur
cet exemple : Jacques , voulant emprunter 6,000 fr.,
vend à Jean, moyennant cette somme, un domaine af
fermé 600 fr. et l’acquit des contributions , avec la fa
culté de racheter ce domaine dans cinq ans , en ren
dant les 6,000 fr. Qui refuserait, dit cet auteur, de voir,
dans ce traité, un prêt à dix pour cent, offrant en outre
la perspective pour le prêteur d’obtenir le double de son
capital', si l’emprunteur ne profite pas du délai pour se
libérer ? Pour tolérer une pareille exaction , il faudrait
méconnaître et l’art. 2088 du Code et la loi de 1807.'
i Du dol el de la fraude. n° 5-151.
�ET DE LA FRAUDE.
253
La vilité du prix, qui ne serait pas par elle seule un
indice de fraude, la fait fortement présumer lorsqu’elle
se réunit au pacte de rachat.
H 8 0. — La relocation ne produit pas , dans les
mêmes circonstances, un effet moins décisif. D’une part,
le pacte de rachat, disions-nous, exclut toute intention
de vendre.; de l’autre , la relocation fait supposer que
l’acheteur n’a pas voulu sérieusement acheter. Celui qui
acquiert réellement une chose ne le fait que pour la
posséder et en jouir. Comment donc interpréter la con
duite de cet acquéreur, dont le premier acte est de lais
ser la jouissance et la possession aux mains du ven
deur.
Vainement exciperait-on de l’existence d’un bail pour
justifier la précarité de la possession du vendeur, l’exis
tence de ce bail serait sans influence aucune, parce que
la réussite de la simulation dont il est argué l’amenait
forcément. Elle n’est qu’une conséquence de l’apparen
ce donnée à l’acte. Vouloir donc justifier celle-ci par
celle-là, c’est appeler la fraude au secours de la fraude.
D’ailleurs, s’il n’y a pas vente, il y a prêt , et dès lors
nécessité de stipuler un intérêt quelconque. C’est cet in
térêt que la nécessité de la stipulation a fait qualifier
prix d’un bail, qualification qui devait tomber devant
la certitude qu’il n ’existe pas de vente sérieuse.
La faculté de rachat et surtout la rétention de la pos
session excluent toute idée de vendre chez le prétendu
vendeur. Le consentement donné à cette rétention, mê-
�)
254
TRAITÉ DU DOL
me par un bail formel, exclut chez l’acquéreur l’inten
tion d’acheter. La coïncidence de ces deux présomptions
doit être considérée comme établissant sans réplique le
véritable caractère de l’acte.
Ainsi donc la réunion des trois circonstances que
nous avons énumérées n’est pas nécessaire. Il suffit
qu’au pacte de rachat vienne se joindre ou la vilité du
prix ou la relocation. Si elles existaient toutes tro is, la
démonstration de la fraude n’en serait que plus éviden
te. Au reste, nous dirons à cet égard ce que nous avons
déjà dit et ce que nous serons amené à répéter encore :
en celte matière , comme dans toutes les appréciations
de fa it, la solution est livrée à l’arbitrage souverain du
juge. Elle peut constituer un bien ou mal jugé , jamais
une violation de la loi susceptible de censure de la part
de la Cour de cassation. '
1181. — L’acte de vente déclaré contrat pignoratif
est nul comme vente, il n’a donc jamais pu en produi
re les effets. Ainsi la propriété n’a pas cessé de résider
sur la tête du débiteur. Elle est donc soumise aux droits
que les créanciers de celui- ci auraient acquis avant la
résolution du contrat, comme elle est affranchie de tou
tes les charges dont le prétendu acquéreur l’aurait gre vée. Par rapport à lui, l’acte ne lui confère qu’un sim
ple droit d’obligation l’autorisant à se faire rembourser
du capital et des intérêts légaux.
1 Cass., 3 mars 1823; — D. P., 23, 1, 177.
�ET DE LA FRAUDE.
255
Ce résultat est indépendant d’une usure quelconque.
Le contrat pignoratif ne peut dans aucun cas, aux ter
mes de l’art. 2088, transférer au créancier la propriété,
il ne lui donne que le d ro it, à défaut de paiement au
terme convenu , de poursuivre l’expropriation des biens
qui lui ont été donnés en antichrèse. En conséquence,
le contrat de vente, reconnu n’être qu’un contrat pigno
ratif , ne saurait produire d’autres effets , alors même
qu’il ne renfermerait aucune usure.
Si l’usure existe, il est pourvu à l’intérêt du débiteur
par l’imputation de ce qu’il a indûment payé , d’abord
sur les intérêts et ensuite sur le capital.
1 1 8 2 . — L’usure , qui a abusé du contrat de ma
riage, de la donation, du contrat à la grosse, de la ven
te, a aussi tenté de se déguiser derrière l’échange. C’est
ce que pratiquait un usurier d’Alsace. Il achetait habi
tuellement de petits héritages , et lorsqu’on venait lui
emprunter de l’arg en t, il obligeait l’emprunteur à en
prendre un à titre d’échange pour le prix qu’il y met
tait. De cette manière il ne figurait que comme créan
cier d’une soulte et jamais comme prêteur. Il espérait
ainsi jouir impunément du fruit de ses rapines , car il
s’assurait par ce moyen un intérêt quelquefois de cin
quante et de quatre-vingt pour cent.
Mais son attente fut déçue, un de ces prétendus échanges ayant été déféré à la justice, la Cour de Colmar
refusa de reconnaître les caractères de ce contrat, le dé
clara un simple prêt usuraire et l’annula , délaissant
�256
TRAITÉ DU DOL
les parties à se régler pour ce qui avait été réellement
prêté, compensation faite avec ce qui était déjà payé.'
IL83. — Nous pourrions multiplier les exemples
e t, parcourant tour à tour les autres contrats,, démon
trer qu’ils peuvent aussi, quelle que soit leur spécialité,
recéler l’usure sous des apparences de légalité irrépro
chable. Nous en avons dit assez pour prouver que l’u
sure est douée d’une subtilité qui ne le cède qu’à son
audace. Il faut donc , pour la combattre et la vaincre,
une perspicacité rare, une patience à toute épreuve, une
persévérance obstinée. La loi, en conférant la répression
aux tribunaux, leur a conféré le pouvoir que celte mis
sion exigeait, en les armant du droit d’apprécier souve
rainement les faits et les actes, et de s’arrêter plutôt à
l’intention des parties qu’à la lettre, même expresse, de
leur contrat. Que les magistrats veillent donc avec une
sévère exactitude , mais que l’horreur de l’usure ne les
entraîne jamais à porter atteinte à des conventions lé
gitimes , injustement attaquées. Impitoyables pour la
fraude, ils doivent, avec la même rigueur, proscrire les
attaques que dicterait l’imprudence ou la déloyauté.
1184.
— L’usure ne devient un délit que par la
répétition et la fréquence des actes qui la constituent. La
loi correctionnelle n’atteint, en effet, que l’habitude,
mais chaque fait usuraire ouvre une action à la partie
�ET DE LA FRAUDE.
257
lésée. Dans l’un et dans l’autre cas , l’usure se dégui
sant à l’aide de titres écrits qu’il faut anéantir , on a
prétendu que soit l’action au civil, soit celle du minis
tère public au crim inel, ne pouvait être admise que si
elle s’étayait d’une preuve écrite.
1185. — L’art. 1341-, a-t-on d it, proscrit toute
preuve testimoniale outre et contre le contenu de l’acte.
Par application de ce principe, on doit reconnaître que
l’habitude d’usure, quoique constituant un délit, ne peut
être établie par la preuve testimoniale. Il e s t, en effet,
des délits qui n’admettent pas ce genre de preuve, telle
est notamment la violation de dépôt, lorsqu’il s’agit
d’objet valant plus de 250 fr.
Mais ce système proscrit par la Cour de cassation, le
2 décembre 1 8 1 3 , a été, depuis, complètement aban
donnée.
1186. — Battue sur ce terrain, l’objection s’est re
jetée sur l’action de la partie qu’elle a voulu repousser
par la même fin de non-recevoir. Ce système , consacré
par un arrêt de la Cour de Pau, est celui qu’adopte M.
Sirey.'
1187. — Mais le système contraire, soutenu par de
nombreux et graves auteurs *, a prévalu en jurispru147 mars 4821 ; — Sirey, 25. i. 48 et 46.
2 Toullier , tom. ix, n» 493 ; — Chardon , n° 520; — Troplong , n°
405 ; — Duranton, tom. xm, n° 332; — Garnier, De l'usure, p. 4 40;
— Zacchariæ, tom. ni, 3 98, not. 20; — Duvergier, n° 307; — Dal
loz, tom. xii, pag. 724.
�258
TRAITÉ DU DOL
dence'. Il faut bien le reconnaître, sans cette solution,
les lois répressives de l’usure n’étaient plus qu’une lettre
morte sans application possible.
On ne viole pas une loi formelle sans prendre toutes
les précautions susceptibles d’assurer la réussite du pro
jet ayant déterminé cette violation. Comment se flatter
de voir l’usure laisser sur son passage des traces écrites,
elle q u i, pour mieux se déguisser, emprunte toutes les
formes, déploie toutes les ruses les plus subtiles , et sait
ainsi se soustraire parfois à toute poursuite ? Mettre sa
répression au prix d’une preuve écrite , autant valait la
proclamer inviolable.
Est-il vrai, d’ailleurs, que l’art. 1341 puisse régir la
matière ? Cet article ne concerne que l’intérêt particu
lier, dont elle prévoit et punit la légèreté et l’impruden
ce. Chaque partie peut renoncer à un avantage person
nel, et cette renonciation, la loi la fait résulter de l’ab
sence d’une preuve écrite. Mais nul ne peut renoncer à
une prescription d’ordre public, répudier le commande
ment d’une prohibition dans un intérêt général. Or l’u
sure intéresse l’un et l’autre, et, à ce double titre, son
inefficacité est absolue, radicale et n’admet pas même
de convention contraire. Serait-il donc possible de faire,
par un défaut de preuve littérale , ce que ne ferait pas
l’engagement le plus positif ?
�ET
DE
LA
FRAUDE.
259
1188.
— M. Troplong a raison. Le simple bon sens
indique que telle n’a pas été la pensée du législateur.
Car, pour décider le contraire , il faudrait aller jusqu’à
admettre que la foi a eu pour objet d’assurer l’impunité
à l’usure qu’elle semblait proscrire, et de donner aux
usuriers une égide et un encouragement pour ne laisser
aucune trace apparente de leurs pratiques abusives, pour
envelopper les desseins de leur cupidité sous les couleurs
trompeuses d’un acte licite.
D’ailleurs, si le délit d’usure ne résulte que de l’ha
bitude, il est certain que cette habitude n ’est elle-même
que la conséquence naturelle des faits divers la consti
tuant. Dès lors chacun de ces faits est un élément essen
tiel du d é lit, sans être le délit lui-même. La loi qui
réprime celui ci ne saurait tolérer des actes qui aboutis
sent à le caractériser.
Enfin la participation du débiteur au contrat n ’est
d’aucune considération. D’abord parce qu’il n’appar
tient à personne de violer l’ordre public ou l’intérêt gé
néral '. La nullité résultant de cette violation étant ab
solue, peut être invoquée par tous. Ensuite, parce qu’en
matière d’usure le débiteur est censé céder à une vio
lence morale à laquelle il ne peut résister.
1189.
— La preuve testimoniale est donc admissi
ble pour le fait spécial d’usure comme pour le délit luimême. De là cette conséquence que, sans y recourir, les
1 Limoges, 28 février 4 839; — D. P , 39, 2, 267
�'— N
260
TRAITÉ DU DOL
juges peuvent déclarer la convention usuraire , si des
présomptions graves, précises et concordantes viennent
leur en donner la conviction.
1190. — Dans l’hypothèse même où ces présomp
tions, où la preuve testimoniale ne paraîtraient pas dé
cisives, les juges pourraient, en vertu des art. 1366 et
1367, déférer le serment supplétoire. Cette faculté, que
M. Chardon s’efforce de justifier , n’est contestée par
personne. Oui, les juges le peuvent. Le doivent-ils, c’est
ce qui est plus délicat et plus grave.
Il est peu d’exemple d’un individu reculant devant la
nécessité d’affirmer sous serment l’allégation qu’il a ju
diciairement produite et soutenue. Déférer à une partie
la décision de son procès, c’est s’exposer à ne pas tou
jours consacrer la vérité.
M. Chardon, cependant, enseigne non seulement que
les juges ne doivent pas hésiter à déférer le serment,
mais encore qu’il convient de le déférer au débiteur al
léguant l’usüre. Mais, en pareille matière, l’absolu offre
d’inévitables dangers.
1191. — Nous tenons donc que la plus extrême
prudence doit diriger l’exercice de cette faculté ; que le
serment ne doit être déféré que lorsque , par la gravité
des présomptions relevées, cette formalité est en réalité
une précaution pour vaincre un dernier scrupule de la
conscience. Si le juge n’est pas convaincu , si les pré
somptions ne lui paraissent pas recevables, un serment
�ET DE LA FRAUDE.
261
prêté après un tel débat rassurera-t-il et sa raison et sa
conscience ?
1192. — Quant à celui à qui le serment doit être
déféré , nous ne voyons pas de moyen de le désigner
sans empiéter sur la conscience du juge. La loi l’auto
rise à le déférer à l’une des parties ; c’est donc à sa
sagesse et à sa prudence qu’elle s’en rapporte. Il est
d’ailleurs seul en état d’apprécier les antécédents et la
moralité des plaideurs, et s’il est vrai qu’une précédente
condamnation pour usure dût rendre le créancier sus
pect , il peut se faire aussi que la conduite passée du
débiteur ait été telle qu’il y aurait danger à s’en rap
porter à lui. Il faut donc s’en tenir à l’avis de la loi
elle-même, et laisser le magistrat arbitre souverain d’un
choix qui lui appartient exclusivement.
1193. — L’existence de l’usure prouvée, le contrat
qui en est vicié doit être ramené à des proportions lé
gales. Le débiteur est dès lors autorisé à se faire resti
tuer , soit directement soit par imputation sur ce qui
reste dû , toutes les sommes qu’il a indûment payées.
L’action quant à ce, formellement édictée par l’art. 3 de
la loi du 3 septembre, n’a jamais rencontré de contra
diction, ni soulevé de difficultés.
1194. — Cette action est ouverte en faveur du dé
biteur, ses héritiers ou ayants cause, y compris ses cré
anciers. Ces derniers ont un intérêt évident à tout ce
qui est de nature à grossir l’actif de leur débiteur. On
�m
TRAITÉ DU DOL
ne saurait donc les évincer de l’instance que , dans le
silence de celui-ci, ils auraient eux-mêmes introduite,
soit pour constater l’usure, soit pour en revendiquer les
conséquences. Cette instance trouverait sa recevabilité
dans la disposition des articles 1 1 66 et 1167 du Code
civil.
1 195.
— L’action en réduction ou en compensation
est toujours une action principale que le débiteur ou
ses ayants cause doivent directement exercer. Elle ne
peut jamais être jointe à l’action en répression du délit
ppursuivi par le ministère public.
Nous l’avons déjà dit : ce qui constitue le délit d’u
sure, c’est l’habitude ; sans doute chaque fait spécial est
un des éléments du délit, mais n’est pas le délit luimême. Dès lors l’action civile se poursuivant concur
remment avec l’action criminelle , ne pouvant résulter
que d’un délit, n’appartient à aucun des débiteurs lésés
par le fait spécial.
De là il suit que, quels que soient les termes de l’ar
ticle 3 de la loi du 3 septembre 1807, on ne doit con
fondre ni le principe ni les effets des deux actions qu’il
autorise. Ainsi le tribunal correctionnel, compétent pour
juger le délit d’habitude, a sans doute la faculté, pour
la détermination de l’amende , de relever et d’indiquer
nominalement les créances qu’il trouve usuraires , mais
cette indication faite épuise sa compétence , en ce sens
qu’il ne peut prononcer ni résiliation ni compensation.
L’une ou l’autre ne peuvent être que la conséquence
�ET DE LA FRAUDE.
263
d’une action dont la connaissance est exclusivement dé
férée aux tribunaux civils.
H 9 6 . — De plus , et en vertu du principe de la
séparation du criminel et du civil, la chose jugée par
le tribunal correctionnel n’a aucune influence nécessai
re dans l’instance civile. Ainsi, quoique la créance, dont
la réduction fait l’objet de celle-ci, se trouve nommé
ment parmi celles déclarées usuraires et ait concouru à
la détermination de l’amende, le tribunal civil peut or
donner une instruction nouvelle et écarter la prétention
d’usure, si son existence ne lui paraît pas suffisamment
démontrée. On comprend , en effet, que le prévenu
d’habitude d’usure , se débattant contre une masse de
faits, n’ait pu faire pour chacun d’eux des justifications
qu’une attaque, concentrant la difficulté sur un seul
point, lui permettra d’offrir.
Par la même raison, la créance, que le tribunal cor
rectionnel n’aurait pas rangée dans la classe des faits
usuraires, pourra être considérée comme telle par le tri
bunal civil, l’instruction ordonnée sur l’action du débi
teur étant de nature à confirmer une prétention qui ne
s’appuyait, dans la poursuite criminelle, que sur le dire
personnel du débiteur lui-même.
1197. — Ainsi l’exception péremptoire de chose
jugée ne peut résulter ni en faveur , ni au détriment du
créancier, de la décision intervenue sur la poursuite du
ministère public. Cette exception, le jugement qui aurait
�264
TRAITÉ DU DOL
prononcé la légitimité de la créance contradictoirement
entre le créancier et le débiteur, pourrait seul l’établir ;
ainsi le débiteur poursuivi en paiem ent, et condamné
définitivement, ne pourra plus soutenir que la dette était entachée d’usure ; c’était là une exception de natu
re à mettre obstacle à la condamnation, tout au moins
à la faire modifier. Il devait donc l’opposer et le silence
qu’il a gardé avant celte condamnation , il n’est plus
recevable à le rompre après , il ne peut en être relevé
que si le jugement peut encore être attaqué par les voies
ordinaires.
H 98. — En effet, l’exception d’usure étant un
moyen et non une nouvelle demande, peut être propo
sée pour la première fois devant la Cour d’appel, c’est
ce que la Cour de cassation a formellement consacré
par arrêt du 31 décembre 1833.'
1199. — M. Chardon pense qu’un jugement in
tervenu sur l’exécution du titre, spécialement sur la va
lidité d’une saisie mobilière , ne constituerait pas la
chose jugée sur la légitimité du titre’. Nous ne saurions
être de son avis , surtout après avoir consulté l’espèce
qu’il emprunte à Dumoulin, et sur laquelle il étaye son
opinion. Dans cette espèce, en effet, c’était un créancier
disputant un droit de priorité dans une instance en dis-
�ET DE LA FRAUDE.
265
tribution du prix d’une maison saisie. Conformément à
la loi de l’époque, tous les créanciers avaient été admis
à la saisie, et c’est dans cette admission purement con
servatoire que le créancier contesté voulait trouver une
fin de non-recevoir contre l’usure qui lui était repro
chée. Cette fin de non-recevoir fut repoussée, car l’ad
mission pouvait bien au pis aller conférer la qualité de
créancier , mais non déterminer le chiffre exact de la
créance, ni encore moins la purger du vice d’usure qui,
comme l’observe Dumoulin lui-même, n’avait pas mê
me été articulé : ln quo de usura non fuerat disputatnm.
Tout cela n’a rien de commun avec la décision ren
due sur la validité de l’exécution d’un titre entre créan
cier et débiteur. Le sort de la saisie dépend évidem
ment de celui de la créance, surtout en matière d’usu
re. Son existence reconnue amène la nécessité d’un rè
glement pour établir le chiffre de la restitution ou de
l’imputation. Elle enlève donc à la créance toute liqui
dité. Or, on ne peut saisir que pour une somme liquide
et exigible. La validité de la saisie , reconnaissant ce
double caractère aux sommes exigées, établit donc ex
plicitement la légitimité de la créance.
L’opinion de M. Chardon ne nous paraît donc pas
admissible, tout au moins faudrait-il en réduire l’ap
plication au cas où la saisie n’aurait été contestée que
sous le rapport de la forme. Dans cette hypothèse , en
effet, on ne saurait opposer au débiteur qu’une recon
naissance implicite de la validité du titre , résultant de
�266
TRAITÉ DU DOL
ce qu’il n’aurait contesté la saisie qu'en la forme. Mais,
à ce reproche, le débiteur pourrait répondre que le vice
d’usure ne pouvant être ratifié, sa reconnaissance im
plicite ne saurait sortir à effet.
1200. — Le fondement de cette réponse est parfai
tement juridique ; en effet, l’usure et sa répression inté
ressant l’ordre public, le vice que son existence crée n’est
pas susceptible d’être expressément, et moins encore ta
citement ratifié.
Le motif de cette prohibition est puisé dans la consi
dération que nous rappelions tout-à-l’heure, à savoir :
que le débiteur est censé céder à une violence morale.
Or, ce défaut de liberté, existant à l’endroit du titre con
stitutif de l’usure , existerait également à l’endroit de
l’acte de ratification ; ce qui vicie le premier , vicierait
donc infailliblement le second.
Mais de là cette conséquence que la ratification,don
née expressément ou tacitement après la libération, ren
drait toute recherche ultérieure non-recevable. Le débi
teur quifa payé reprend toute sa liberté, il n’a plus rien
à redouter des exigences de son créancier. L’action en
répétition qui lui reste , est une faveur de la loi à la
quelle il lui est loisible de renoncer; cette renonciation
s’induit de la ratification ; dès lors l’existence de celleci rendrait à l’avenir toute réclamation non-recevable, à
moins que l’acte de ratification ne fut que le résultat du
dol ou de la fraude.
Il en est de la transaction comme de la ratification,
�ET DE LA FRAUDE.
267
celle qui serait consentie pendant l’existence de la dette
serait sans effet et ne ferait nul obstacle à la restitution
intégrale du débiteur usuré ; au contraire , celle inter
venue après paiement sortirait définitivement à exécu
tion, et les sommes abandonnées ne pourraient plusêtre répétées. Celui qui peut valablement renoncer au
tout, peut incontestablement renoncer à la partie, donc
celui qui a la faculté de ratifier purement et simplement,
peut, à plus forte raison, transiger.
1 2 0 ! . — Une autre fin de non-recevoir pourrait
être opposée par le créancier à la demande en restitu
tion , à savoir : celle tirée de la prescription. La ques
tion de savoir si le fait usuraire est susceptible de pres
cription a été controversée dans l’ancien droit , elle ne
l’est plus aujourd’hui. L’affirmative, que soutenait Du
moulin ', est admise en doctrine et en jurisprudence.
A quel moment convient-il de fixer le point de dé
part de cette prescription ? Evidemment au jour où l’o
pération s’étant liquidée , les parties sont devenues étrangères l’une à l’autre. En effet, tant que le débiteur
ne s’est pas libéré , l’usure se continue et se poursuit ;
elle se renouvelle à chaque perception. Conséquemment,
si pendant cette période la prescription pouvait courir,
il arriverait un moment où , par son accomplissement,
la fraude aurait acquis une existence certaine en com
mandant l’exécution , c’est-à-dire qu’on acquerrait le
�268
TRAITÉ DU DOL
droit de violer la loi, par cela seul qu’on l’aurait violée
pendant un temps fort long.
D’autre p a r t, le débiteur menacé de poursuites, ou
poursuivi à chaque nouvelle échéance, ne peut, par son
silence antérieur , avoir aliéné le droit de se défendre,
et ce droit renaît avec les prétentions qu’il a pour objet
de combattre. Il peut donc être exercé tant que le cré
ancier vient par ses demandes en provoquer l’exercice,
sans avoir égard au temps plus ou moins long qui sé
pare les demandes de l’origine de la créance : Quœ temporalia sunt ad agendum, s m t perpétua ad excipiendum. Voulût - on considérer les paiements antérieurs
comme une reconnaissance du droit, qu’on n’arriverait
à aucun résultat utile, puisque, ainsi que nous venons
de le voir, l’usure n’est pas susceptible d’être reconnue
ou ratifiée tant que le débiteur est asservi à ses liens.
La prescription ne peut donc courir contre le débi
teur qu’à partir de sa libération. Alors, en effet, le droit
de réclamer l’indemnité du préjudice est acquis, et avec
son ouverture commence contre le débiteur une vérita
ble mise en demeure de l’exercer. Son silence a une si
gnification d’autant plus expresse qu’il est en position
d’abandonner formellement l’avantage que la loi lui as
sure, et c’est dans le sens de cet abandon qu’il doit être interprété. Jusque là, en effet, tout ce qu’il a fait
n’est considéré que comme le résultat de la contrainte
morale qu’il subissait, mais cette contrainte cessant, ne
pourrait plus ni expliquer ni excuser son inaction.
�ET DE LA FRAUDE.
269
1202. — Par quel laps de temps le créancier aurat-il prescrit conte le débiteur ?
En thèse ordinaire, l’action pour usure ne se propo
se qu’un seul b u t, celui de faire ordonner la restitution
de ce qui a été injustement perçu d’une part, indûment
payé de l’autre. Elle est donc une véritable action en
répétition , et, comme telle, elle ne se prescrit que par
trente ans.
Vainement a-t-on excipé des termes de l’art. 1304
pour soutenir que la prescription décennale était appli
cable ; cet article ne régit que les actions en nullité ou
en rescision. Or, l’acte entaché d’usure n’est ni nul, ni
rescindable , il est seulement réductible. Ainsi l’usure
admise, reste un engagement licite pour tout ce que le
débiteur a réellement reçu, et dont rien ne peut empê
cher la stricte exécution dans les proportions réduites.
C’est ce qui faisait dire à Dumoulin ', quia condicens
indebitum non dicitur venire contra facta et conventa, nec petere ilia rescindi.
Si donc l’action n’est pas celle de l’art. 1304, il de
vient évident que sa durée ne saurait être régie par lui.
Elle reste donc soumise soit au principe général, soit au
principe spécial à la répétition de l’indu.
1203. — Toutefois cette règle n’est applicable qu’à
l’usure ressortissant d’un acte d’obligation pur et sim
ple. L’usure palliée sous l’apparence d’un autre contrat
i
Quest.
49, n° 200.
�270
TRAITÉ DU DOL
obéit à d’autres principes. L’action , en ce c a s, prend
tous les caractères de celles dont il est question en l’ar
ticle 1304. Il ne s’agit plus, en effet, d’une action sim
ple en répétition, mais bien en nullité de la vente, de la
donation recélant l’usure. Cette nullité prononcée, l’acte
est anéanti dans tous ses effets. L’action est donc, dans
ce cas, réellement contra pacta et conventa,elie a pour
objet principal leur rescision , petit ilia rescindi , elle
doit conséquemment être intentée dans les dix ans.
1204.
— Mais , ainsi que nous l’avons fait obser
ver ailleurs ', ce délai s’applique à l’action directe du
débiteur. Si l’usure palliée avait créé un contrat dont le
créancier demanderait l’exécution , la prescription lui
serait en tout temps opposable , en force de la maxime
que nous rappelions tout à l’heure: Quœ lemporalia sunt
ad agendum, sunt perpétua ad excipiendum.
�ET DE LA FRAUDE.
271
SECTION VII.
Fraud es
dans
les
Mandats.
SOMMAIRE.
1205.
1206.
1207,.
1208.
1209v
1210.
1211.
1212.
1213.
1214.
1215.
1216.
1217.
1218.
1219.
Caractère et importance du contrat de mandat.
Facilités qu’il offre à la fraude.
Conséquences.
Le mandataire répond de sa faute.
Obligations que crée l'acceptation du mandat.
Forme de l ’acceptation. — Peut-elle résulter du silence
gardé sur la proposition ?
Quid, pour les notaires, avoués, commissionnaires ?
Obligations imposées en cas de refus.
Conséquences de l ’acceptation.
Obligation d’accomplir le mandat jusqu’à révocation.
„ Première exception à cette règle.— Devoirs du mandatai
re placé dans l ’impossibilité de remplir le mandat.
Seconde exception.—Force majeure.
Devoir du mandataire de se conformer strictement à son
mandat, quant à la quantité et à la qualité des choses
demandées.
Quant au prix.
La chose achetée au-delà de ce prix doit-elle rester pour
le compte du mandant, si le mandataire prend l ’ex
cédant à sa charge ?
�272
TRAITÉ DU DOL
1220. La limitation du prix ne fait pas disparaître l ’obligation
d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité.
1221. Devoir du mandataire de rectifier l ’erreur évidenie du
mandant.
1222. Le mandataire est tenu d’administrer en bon père de fa
mille.
1223. Délits caractérisés par l’infidélité du mandataire.— Diffé
rence entre l’abus d’un blanc seing et les détourne
ments.
1224. Peine contre l’application, à l ’usage personnel du manda
taire, des fonds provenant du mandat.
1225. Nécessité d’entreprendre , dès l’acceptation , l’opération
faisant la matière du mandat.
1226. De tenir le mandant au courant de l’affaire.
1227. Administration du mandataire. — Ce qu’on doit attendre
de lui.
1228. Il commet une faute grave s’il divulge le secret de l’opé
ration.
1229. S’il accepte comme bonnes des marchandises de qualité
inférieure ou mauvaise.
1230. S’il traite avec des individus notoirement insolvables.
1231. S’il substitue ses pouvoirs sans y être autorisé, et, en cas
d’autorisation , s’il choisit une personne incapable ou
insolvable.
- 1232. Responsabilité du mandataire vis-à-vis des tiers.
1233. Obligation du mandataire de rendre compte. — Etendue
de cette obligation.
1234. Elle comprend les profits, même illégitimes, réalisés à
l ’occasion, mais non ceux opérés par l ’abus, du man
dat.
1235. Mais le mandataire ne peut s’attribuer au-delà du salaire
convenu.
1236. Obligations du mandant par rapport au mandataire.
1237. Conditions exigées pour que les tiers puissent recourir
contre le mandant.
�273
ET DE LA FRAUDE.
<238.
1239.
1240.
1241.
1242.
1243.
1244.
1245.
1240.
1247.
_1248.
1249.
J 250.
-.1251.
1252.
1253.
1254.
1255.
1256.
Première condition : Se réalise le plus ordinairement en
matière civile et dans le commerce pour les affaires
traitées par commis-voyageurs.
Nature des pouvoirs de ceux-ci. — Importance de sa dé
termination.
Règles s’induisant de l ’autorisation donnée au mandatai
re commercial d’agir en son propre et privé nom.
Exceptions à la première règle
1° Lorsque le manda
taire est légalement le représentant du mandant.
2" Lorsque celui-ci, étant notoirement connu, c’est à lui
que les tiers sont présumés avoir fait confiance.
Controverse à ce sujet.—Opinion de Pothier, de MM. Delamarre et Lepoitvin, de M. Troplong.
Conclusion.
Exception à la seconde règle en matière d'assurances. —
Premier motif : Empêcher que l’assurance ne soit
qu’un jeu.
Deuxième motif : Responsabilité du mandant quant aux
prescriptions de l ’art. 348 du Code de commerce.
Responsabilité mutuelle du mandant et du mandataire.
Celle du dernier ne s’étend pas au dol du mandant..
Conséquences légales de la désignation du mandant.
Deuxième condition : Que le mandataire n ’ait pas excédé
ses pouvoirs.
Effets de l’excès, relativement au mandataire.
Relativement aux tiers.
Exceptions à la règle qu’en cas d’excès le mandant n'en
est pas tenu.—Première : Obscurité ou ambiguïté du
mandat.
Deuxième : Excès fondé sur la procuration elle-même.—
Devoirs du mandant pour la restitution de celte-ci.
Troisième : Modifications du mandat par acte séparé.
Quatrième : Ratification.—Ses caractères.—Ses effets.
ni
18
�274
TRAITÉ DU DOL
1 2 05. — Le mandat est un des contrats les plus
importants, les plus utiles, en matière commerciale sur
tout. Grâce à son utile secours , chacun peut agir dans
les localités les plus éloignées et étendre ses relations
sans être exposé de recourir à des préposés spéciaux
dont le moindre inconvénient était la dépense considé
rable qu’ils entraînaient. Aussi est-ce avec toute raison
que Savary a pu dire qu’il n’y a rien qui maintienne
tant le commerce que les commissionnaires ou corres
pondants. Car, par leur moyen, les marchands et ban
quiers peuvent négocier dans tout le monde, sans sortir
de leurs magasins ou comptoirs.'
Les services que le mandat est appelé à rendre au
commerce se réalisent également, quoique dans de
moindres proportions , dans les affaires civiles. C’est en
usant de ce contrat que les citoyens peuvent agir dans
les lieux les plus éloignés de leur domicile, sans se don
ner le souci, les fatigues et les dépenses d’un long voy
age.
1206. — Mais par cela même que ce contrat exige,
d’une p a rt, le plus complet abandon , la plus entière
confiance; d’autre part, la bonne foi la plus loyale,son
exécution peut offrir beaucoup de dangers par la facilité
qu’elle offre pour toute sorte de fraude. C’est cette con
viction qui faisait Savary s’écrier : Qui fa it ses affaires
1 P a r f a it
pag. 234.
né go cian t,
hv. 3. chap. \ , —
Des co m m isio n n a ire s,
1 . 1,
�ET DE LA. FRAUDE.
/
275
par commission , va à l'hôpital en personne. Cepen
dant , nous venons de le voir rappeler tout ce qu’un
pareil contrat a d’avantageux pour le commerce. « Mais,
dit-il, si un commissionnaire est très-affectionné à con
server les intérêts du commettant, il est certain qu’il est
capable de le ruiner. Il y en a un nombre infini d’ex
emples , et je puis parler comme savant, pour y avoir
été plusieurs fois trompé, et je l’ai aussi vu en plusieurs
arbitrages, dont j’ai été sur des différents qu’il y avait
entre des commettants et des commissionnaires, où j’ai
vu des tromperies effroyables.' »
Le commerce n’a pas exclusivement le triste privilège
des hommes capables de ces effroyables tromperies. Le
mandat civil offre des chances identiques. Nous pour
rions aussi citer de nombreux exemples de mandataires
infidèles , qu’une coupable avidité à porté à ne voir,
dans le m andat, qu’une spéculation à leur profit, et
dont la fortune s’est scandaleusement créée sur les dé
bris de celle dont la gestion leur était confiée.
1207.
— Un pareil danger, quelque grave qu’il
soit , ne pouvait pas faire disparaître de nos codes le
mandat civil ou commercial , mais il exigeait un sur
croît de précaution ; et dans l’examen de leur accom
plissement , une sévérité d’appréciation capable de dé
jouer et de décourager la fraude. Plus encore que dans
la vente, l’échange ou le louage, il fallait donner le ca-
�276
TRAITÉ Dll DOL
ractère frauduleux à l’infraction d’une obligation ou
d’un devoir, abstraction faite de l’intention qui en a étd;
le mobile. C’est en pareille matière surtout qu’on doit
dire, avec le législateur romain : Fraus non in consilio,
sed in eventu.
1 208.
— C’est ce que le législateur de notre Code a
admis. En effet, l’art. 1992 déclare le mandataire respon
sable non seulement de son dol, mais encore de sa fau
te, alors même que le mandat est gratuit. Dans ce der
nier cas, seulement, la faute est moins sévèrement ap
préciée, ce qui était naturellement indiqué par la raison
et la justice.
Telle était aussi l’opinion de cette école italienne qui
a versé tant de lumières sur la matière commerciale.
Et par faute , on entendait même l’erreur échappée au
mandataire et communiquée au m andant, si cette er
reur était de nature à causer à celui-ci un dommage
quelconque : Si rccipiens litteras cam bii, per errorem
scripserit eas acceptatas fuisse, tenetur de omni damno erga remittentem ', car , error excusât errantem,
quando agitur de evitando proprio damno, secus si a geretur de damno alterius
Ainsi, en matière de m andat, la faute même légère
équivaut à la fraude et en produit tous les effets. Cela
posé , nous avons à examiner les obligations respectives
1 Casaregis, De com. dise., n° 54.
�ET DE LA FRAUDE.
277
du mandataire et du mandant, dont la violation ou l’in
exécution constitue la faute punissable.
1 2 09. — En principe , l’acceptation du mandat
crée, pour le mandataire, trois obligations principales :
1° Celle d’accomplir la mission dont il est chargé,
tant que le mandat n’est pas révoqué, et même, après
révocation, de terminer ce qui ne pourrait être suspen
du sans préjudice pour le mandant ;
2° Celle d’accomplir le mandat en bon père de fa
mille ;
3° Celle de rendre compte de la gestion.
1210. — Occupons-nous d’abord de l’acceptation,
car sans elle point de contrat e t , par conséquent, point
d’obligation. Or, cette acceptation est, dans tous les cas,
au libre arbitre de celui à qui le mandat est proposé.
Nul, en effet, ne saurait être contraint à accepter la di
rection des affaires d’autrui. Le mandat qu’on offrirait
dans cet objet peut donc toujours être refusé.
L’acceptation n’a pas besoin, dans tous les cas, d’être
expressse ; elle peut se réaliser tacitement. C’est ce qu’on
devrait induire de l’exécution que le mandataire aurait
donnée au mandat.
Peut-elle résulter du silence gardé sur l’offre du man
dat ? En principe de droit, la négative ne saurait souf
frir de difficultés ; personne, en effet, n’étant tenu d’un
acte de ce genre, la volonté de l’accepteur doit être cer
taine. Cette certitude peut bien s’induire du commence-
�278
TRAITÉ DU DDL
ment d’exécution, mais on ne saurait la rencontrer dans
le silence qu’accompagne l’abstention la plus absolue.
Dans une pareille occurrence, se taire, ce n’est pas con
sentir, c’est bien plutôt refuser.
1211.
— Mais on admettrait le contraire si la pro
position du mandat s’adresse à un de ceux dont l’état,
comme l’observe Pothier, est de gérer les affaires d’au
trui. Tels sont les avoués, les notaires, les commission
naires commerciaux. Celui à qui on s’est adressé pour
une affaire de son ministère d o it, s’il ne peut ou ne
veut s’en charger , écrire immédiatement son refus. A
défaut, il serait présumé avoir accepté le mandat, et il
deviendrait, dès lors, responsable de la négligence qu’il
aurait mise à le rem plir, et tenu , par conséquent, du
préjudice que cette négligence pourrait occasionner. La
raison en e s t, dit M. Troplong, que l’office des uns et
des autres est acquis de droit à quiconque le leur de
mande. Ils sont censés provoquer , solliciter les clients
par leur exercice public ; accepter, par conséquent, ceux
qui se présentent. Pour faire tomber la preuve mani
feste qui ressort de cet état de choses, il faut qu’ils s’ex
pliquent en donnant un refus formel.'
C’est surtout pour le commissionnaire commercial
que cette obligation est plus impérieuse et plus étroite.
Le temps e s t, en commerce , un élément extrêmement
précieux qu’il convient de ménager, car le moindre re-
1 Art. 1991, n» 344.
�ET DE LA FRAUDE.
279
tard , pouvant substituer une chance contraire à une
chance avantageuse , est dans le cas d’occasionner un
préjudice considérable. Celui-là donc qui refuse le man
dat qui lui est adressé , doit, par le retour du courrier
et sous le plus bref délai, aviser le mandant de l’impos
sibilité où il est d’accéder à ses désirs : Quinimo si ille
nullatenus posset omnia explere , teneretur sub onere
solvendi de proprio, s t a t i m nunciare mandati ejus
impotentiam vel impedimentum, ut, si velit, alterius
opéra u tatur.'
C’est là , sans doute , une dérogation au droit com
mun , mais l’intérêt des affaires en général, celui du
commerce en particulier , exigeait qu’il en fût ainsi.
Qu’en principe, et stricto jure, disent des auteurs mo
dernes, le commissionnaire ne soit lié en rien , ni tenu
à rien que par son acceptation, c’est une vérité déjà dé
montrée ; mais une singularité de la commission , c’est
de pouvoir devenir , pour celui-là même qui la refuse,
l’occasion d’engagements qu’aucune loi écrite ne lui im
pose et , par suite , d’une responsabilité attachée à l’o
mission de certaines choses qu’il n’avait pas non plus
promis de faire. En droit commercial, cette omission
est un quasi-délit. Au premier rang de ces obligations,
se place , naturellement, celle de donner avis du refus
par le premier courrier ou par la plus prochaine occa
sion.’
i Casaregis, Disc. 84, n» 31.
* Delamarre et Lepoitvin, tom. u, n» 27.
�2S0
TRAITÉ DU DOL
Le commissionnaire commercial est donc lié par son
silence. Il est censé avoir accepté le m andat, par cela
seul qu’il o ’a pas immédiatement manifesté la volonté
contraire. Conséquemment, et en ce qui le concerne, la
règle qui tacet consentire videtur reprend son empire
et produit tous ses effets. Nous allons bientôt voir les
conséquences de cette acceptation tacite,
1212.
— Il y a plus, le refus fait par le commis
sionnaire et régulièrement dénoncé, ne le dégage pas de
toute obligation, de toute responsabilité. Ainsi, il doit,
en attendant qu’il soit pourvu à son remplacement,
prendre toutes les mesures conservatoires que la nature
du mandat est dans le cas d’exiger. Si , par exemple,
des marchandises lui ont été expédiées avec avis qu’on
a tiré sur lui par anticipation , il pourra bien refuser
l’acceptation des traites, mais non de donner à la mar
chandise les soins que sa conservation ou son entretien
réclame. Il doit donc, à son arrivée, la retirer dans ses
magasins ou en faire ordonner le dépôt chez un tiers
consignataire , si , dans le délai suffisant , l’expéditeur
n’a pas désigné un nouveau mandataire aux mains de
qui il poisse la remettre contre remboursement de ses
avances.'
Le négociant qui reçoit, de son correspqpdant, une
traite à faire protester, ne peut se dispenser de remplir
i ld., ibid.; — Pardessus, tom. u, n° üi>8 ; -r- Dalloz, v° Commis.,
pag. 742 ; __Vincent, tom il pag. 4 28
�ET DE LA FRAUDE.
281
le mandat, quelque répugnance qu’il eût à le faire, si la
date de l’échéance était trop rapprochée pour qu’il eût
le temps d’avertir utilement son mandant. S i, malgré
l’ordre qu’il en a reçu ; si, malgré la proximité de l’é
poque fixée pour le protêt, il s’est abstenu , se conten
tant de faire connaître son refus, il devient responsable
des conséquences du défaut de protêt. Ce qu’il ne vou
lait pas faire lui-même, il pouvait, il devait même char
ger un tiers de le réaliser. L’inaction dans laquelle il
s’est renfermé constitue donc une faute dont il doit su
bir les effets. Il en serait de même pour tout mandatai
re commercial. La non acceptation lui laisse l’obliga
tion d’agir dans tous les cas où il y a lieu de prévenir
une déchéance, d’empêcher une prescription ou de pré
server le commettant de tout autre préjudice immi
nent.
Ce n’est là, au reste, qu’une modification à un prin
cipe que l’école italienne avait généralement admis , à
savoir : qu un commissionnaire ne pouvait refuser la
commission dont on le chargeait '. On reconnaissait
qu’une telle obligation était contraire au droit civil, mais
on pensait que toutes les lois devaient se taire devant
l’intérêt général du commerce.
Cette conséquence rigoureuse n’avait pas été adoptée
par le droit français. La commission, comme tout autre
m andat, pouvait être refusée , mais à la condition , en
1 Çasaregis, Disc. 90, n° g.
�282
TRAITÉ DU DOL
cas de refus , de veiller à la conservation des droits du
commettant, en attendant qu’il se fût adressé ailleurs.
C’est ce qui se doit pratiquer encore aujourd’hui.
L’obligation imposée au commissionnaire est commune
aux avoués, aux notaires, aux huissiers. Eux aussi peu
vent ne pas accepter le mandat qui leur est proposé,
mais ce refus d’acceptation ne les dégage pas de l’obli
gation de veiller à la conservation des droits du man
dant, jusqu’à ce qu’il les ait remplacés. Us seraient donc
également responsables des déchéances, des prescrip
tions , du préjudice que l’inobservation de ce devoir
pourrait déterminer, comme si recevant un appel à si
gnifier , une hypothèque à renouveler , un effet à faire
protester, et n’ayant pas le temps de faire connaître leur
refus utilement, ils négligeaient cependant de faire l’un
ou l’autre.
Nous ne pensons pas qu’ils pussent se soustraire à
cette responsabilité, sous le prétexte que le mandant
n’aurait pas consigné les frais pour le coût de l’acte. Ce
coût n’étant pas en général fort im portant, son rem
boursement ne doit, dans aucun cas, autoriser des crain
tes tellement sérieuses qu’on dût s’arrêter à une telle
excuse. Mais il en serait autrement si l’acte devait en
traîner un déboursé considérable, par exemple, si l’effet
à protester, étant sur papier libre, devait donner lieu à
une forte amende. Il est certain alors que l’officier mi
nistériel, que même le négociant à qui on se serait a dressé , ne pourrait être tenu de s’en rapporter , pour
son remboursement, à un homme qu’il doit d’autant
�ET DE LA FRAUDE.
283
plus supposer dans ltmpossibilité de l’opérer , qu’il a
négligé de nantir son mandataire. Or le devoir de celuici n’est pas de faire des avances à des insolvables, et
si , dans l’hypothèse , il y a faute de la part de quel
qu’un, c’est exclusivement chez le mandant, ayant omis
de fournir le moyen d’exécuter le mandat qu’il don
nait.
Mais hors ce c a s , et lorsque tout se réduit aux dé
boursés ordinaires, le devoir de l’officier ministériel est
de conserver les droits qui lui sont confiés , sauf à ré
cuser la suite du mandat qu’il ne croit pas devoir ac
cepter. Ainsi , dit M. Troplong , un client adresse à un
avocat à la Cour de cassation un dossier pour se pour
voir. Les pièces n’arrivent à celui - ci que la veille de
l’expiration du délai fatal ; de telle sorte que le client ne
peut être averti en temps utile de confier sa cause à un
autre. Le devoir de cet avocat est de former le pourvoi,
sauf à répondre plus tard au mandant qu’il ne veut
pas se charger de l’affaire.'
1 213. — Si , au lieu de refuser , le mandataire
choisi accepte expressément ou tacitement, le contrat est
parfait. Dès cet instant, les parties sont également liées
l’une envers l’autre, et le mandataire est en demeure de
se livrer à l’exécution de la mission qui lui est confiée.
1 214. — La première de ses obligations , avons-
1 Art. 1991, n° 346.
�284
TRAITÉ DU DOL
nous dit, est de procéder à l’acciftiplissement de l’opé
ration jusqu’à révocation ; et, en cas qu’il soit révoqué,
de continuer ses soins, jusqu’à son remplacement effec
tif, à tout ce qui ne saurait être suspendu sans préjudi
ce pour le mandant.
Cette obligation a toujours été considérée comme une
règle de législation. Sicut autem, disait le droit romain,
liberum est mandatum non suscipere, ita suscriptum
consummari opportet.'
L’art. 1991 du Code civil n ’est pas moins explicite :
il est vrai que ses termes sont moins précis que ceux
que nous venons de rappeler , il ne déclare le manda
taire tenu d’accomplir le mandat, que tant qu’il en de
meure chargé. Mais on aurait tort de voir dans cette lo
cution autre chose qu’une allusion à la faculté que le
mandant conserve de révoquer le mandat. Il ne fau
drait pas y voir surtout une possibilité pour le manda
taire de se soustraire, en récusant à son gré le mandat,
aux devoirs et aux obligations que son acceptation lui
impose.
Il ne pourrait être délié de celle-ci que par le con
sentement formel du mandant, toujours libre de ne pas
le donner ; et s i , malgré le refus qu’il ferait de sa dé
mission offerte . le mandataire s’abstenait d’exécuter le
mandat, cette abstention équivaudrait à la fraude enga
geant sa responsabilité , il serait donc évidemment tenu
i L. 22, Dig. Mandaii,
�ET DE LA FRAUDE.
285
de réparer le préjudice qui en serait résulté pour le
mandant.
Il ne faudrait pas cependant pousser cette règle jus
qu’à l’injustice. C’est ce qui arriverait si, après l’accep
tation, on prétendait contraindre le mandataire à l’exé
cution du m andat, alors même que cette exécution se
rait devenue impossible ou trop onéreuse pour lui. Une
pareille rigueur est incompatible avec la nature même
du contrat, avec les conséquences qu’il doit produire.
S’il importe que les intérêts du mandant ne soient pas
désertés, il importe également de couvrir ceux du man
dataire d’une utile protection , surtout si le mandat est
gratuit.
1215.
— Notre règle reçoit donc des exceptions. La
première a lieu lorsque, après avoir accepté, le man
dataire ne tarde pas à se convaincre que l’entreprise
dont il s’est chargé n’est pas en son pouvoir *. A l’im
possible nul n’étant tenu, le mandataire devrait être re
levé des effets de son acceptation , dans l’intérêt même
du m andant, condamné à voir l’entreprise, faisant la
matière du m andat, échouer fatalement et nécessaire
ment. Il ne doit donc pas être privé de la faculté de la
conférer à un autre se trouvant dans le cas de la faire
réussir.
Mais la conviction de l’impossibilité acquise, le man
dataire doit immédiatement en informer le mandant,
Troplong, art. 1991. n° 338.
�286
TRAITÉ DU DOL
pour que sans perdre un temps, peut-être précieux, ce
lui-ci avise au mieux de ses intérêts ; que s i, loin d’a
gir de la sorte , le mandataire laisse traîner les choses
en longueur ; s’il ne donne avis de sa position qu’à une
époque trop rapprochée de celle où le mandat doit être
exécuté pour que le mandant soit dans l’impossibilité
de le remplacer ; si même , l’avertissement étant donné
en temps utile , il n’a pas continué ses soins à l’opéra
tion , en attendant qu’il fût remplacé , il sera de plein
droit et très-justement tenu des conséquences d’une pa
reille conduite, et obligé de réparer le préjudice qui en
sera résulté.
1216,
— La force majeure venant s’opposer à l’ex
écution du m an d at, constituerait une seconde et nou
velle exception à la règle de l’art. 1991. Ainsi une ma
ladie, un emprisonnement, serait une excuse valable et
libératoire. Empêché d’agir par une circonstance qu’il
n ’était donné à personne de prévoir ou de prévenir , le
mandataire n’encourrait aucune responsabilité de l’in
terruption de sa gestion.
L’intérêt du mandant à connaître l’empêchement est
aussi évident dans cette hypothèse que dans l’autre. Le
devoir de l’en instruire existe donc au même titre. Mais
l’appréciation de la manière dont il a été rempli doit obéir à d’autres inspirations. Les préoccupations, les sui
tes d’un emprisonnement, les effets d’une maladie gra
ve , feraient excuser un retard que rien ne justifierait
dans la première hypothèse, ils pourraient même faire
�ET DE LA FRAUDE.
287
excuser l’absence complète de tout avertissement par
l’impossibilité , dans laquelle le mandataire aurait été
placé, d’en donner aucun. Cette impossibilité constatée,
celui-ci ne pourrait encourir aucune responsabilité, ni
être tenu de réparer le préjudice, c’est là la conséquen
ce naturelle et l’effet légitime de la force majeure ; il
en serait à plus forte raison ainsi si l’événement de for
ce majeure se réalisait dans un temps tellement voisin
de celui où devait s’exécuter le mandat, que la nouvelle
ne pouvait pas en être utilement transmise.
1217.
— L’art. 1991 indique comment doit être
accompli le mandat régulièrement accepté. La faute oblige comme le dol, comme la fraude. Il faut donc que
le mandataire s’abstienne de tout ce qui pourrait la con
stituer. Pour cela il n ’a qu’à suivre fidèlement les or
dres qu’il reçoit, et n’aller jamais au-delà de ce qui lui
est prescrit. N’oublions pas que le mandataire agit pour
le compte d’autrui, qu’il est par conséquent obligé d’ex
écuter , en quelque sorte passivement, les volontés de
celui qui supportera les conséquences de ses actes. II ne
peut surtout substituer son appréciation à celle du man
dant , sans exposer sa responsabilité. La prudence lui
en fait un devoir, alors même qu’il croirait par là ser
vir l’intérêt de ce dernier, car, comme l’observe M. Troplong, s’il échoue, il est coupable , et s’il réussit, on lui
saura peu de gré d’avoir voulu être plus sage qu’il ne
fallait.'
1 Art. 1989, n» 287.
/
�288
TRAITÉ DU DOL
Ainsi si le mandat est impératif, soit quant à l’opé
ration elle-même , soit quant au mode d’exécution , il
n’a qu’à s’y conformer scrupuleusement et fidèlement ;
il ne doit jamais oublier cette maxime fondamentale en
cette matière : Non est in facullate m andatarii addere
vel demere ordini sibi dato. Tout ce qu’il ferait en sens
contraire constituerait une fraude , ou , tout au moins
une faute entraînant la nécessité d’une réparation.
Ainsi l’ordre ne serait pas valablement exécuté , si,
commettant une certaine quantité de marchandises, cette
quantité n’était pas atteinte ou était dépassée , le man
dant ne pourrait, dans un cas comme dans l’autre, être
contraint de prendre l’opération pour son compte. Dans
le premier, il y aurait inexécution pouvant donner lieu
à des dommages - intérêts ; dans le second , l’excédant
resterait pour le compte du mandataire.
Si je vous commets des blés étrangers, et que vous achetiez des blés français ; si je vous demande des den
rées d’une provenance déterminée , et que vous m’en
envoyiez d’une autre localité, il y a violation du man
dat. Vainement prétendrez-vous que ce que vous m’of
frez vaut mieux que ce que j’avais demandé , vous ne
pouvez vous constituer juge de mes convenances. Mon
mandat n’a pas été exécuté comme je voulais qu’il le
f û t, et cela suffit pour m’autoriser à ne pas en ratifier
l’exécution qu’il vous a plu de lui donner.
C’est ce que la Cour de cassation a décidé expressé
ment par arrêt du 6 avril 1831. Dans cette espèce , le
mandant avait commissionné des trois-six du marché
�289
ET DE LA FRAUDE.
de Béziers ; le mandataire en ayant acheté sur un autre
marché , le refus fait par le premier de prendre livrai
son , fondé sur la différence de provenance , fut sanc
tionné par la Cour de Montpellier d’abord , e t , sur le
pourvoi, par la Cour suprême.'
1 2 1 8 . — Le mandataire , lié par les termes du
mandat à l’endroit de la quantité et de la qualité , ne
l’est pas moins quant au prix. Tout ce qu’il ferait audelà de celui fixé par le mandant, lui resterait propre et
personnel.
1219. — On a agité la question de savoir si le
mandataire, supportant l’excédant du prix et se bornant
à exiger le remboursement de celui porté au mandat,
pourrait contraindre le mandant à prendre l’opération
pour son compte. M. Troplong , après avoir indiqué le
dissentiment que cette question avait fait naître entre les
Sabiniens et les Proculéiens , enseigne que l’opinion de
ces derniers, à savoir : l’affirmative, avait prévalu com
me plus humaine et plus raisonnable, mais il rappelle
immédiatement cette observation de Donneau : qu’il en
serait autrement dans le cas où l’excès dans l’exécution
du mandat ne pourrait être réparé et causerait au man
dant un préjudice pour le total de l’opération.’
Or, cette dernière hypothèse se réalisera le plus sou-
1D. P. 31, 1, 118.
2 Art. 1989, n01 270 et suiv.
il
19
�290
TRAITÉ DU DOL
vent en matière commerciale. Une baisse plus ou moins
forte, survenue dans l’intervalle de l’achat à la livraison
au mandant, mettrait celui-ci dans la nécessité de su
bir une perte relativement même au prix qu’il avait coté,
ce n’est même que dans cette hypothèse que des difficul
tés pourront surgir. Quel intérêt, en effet, pourrait avoir
'e mandant de refuser la marchandise qu’il a commise,
et que son mandataire lui expédierait au prix offert, si
la marchandise n’a depuis souffert aucune variation ?
Mais l’intérêt est évident lorsqu’au moment où le
mandataire expédie, la marchandise ne peut être reven
due qu’à un prix inférieur à celui côté pour l’achat.
Avec cet intérêt, naît le droit de demander compte de
l’exécution que le mandat a reçue , et de dire au man
dataire : si vous vous étiez renfermé dans les limites que
je vous avais trcées, vous n ’auriez pas acheté; la mar
chandise n’est donc en votre possession que parce qu’il
vous a plu d’outre-passer le mandat, dès lors, si quel
qu’un doit supporter les conséquences de cette violation,
c’est vous, et vous seul.
Cette objection serait d’autant plus puissante que, pour
se justifier d’avoir outre-passé ses ordres, le mandataire
soutiendrait qu’il ne lui a pas été possible d’acheter au
prix indiqué. Mais il est évident que s’il se fût abstenu,
la circonstance devenait fort indifférente et même heu
reuse pour le mandant. Le mandataire a donc en réa
lité pris sur lui d’aller au-delà de ce qui lui était or
donné , il doit en conséquence supporter seul le préju
dice qui a été directement occasionné par son fait.
�ET DE LA FRAUDE.
291
Il est un autre motif rationnel de le décider ainsi. Sup
posez qu’au lieu d’une baisse, la marchandise ait aug
menté de valeur , est - ce que le mandataire sera tenu
d’expédier celle qu’il a acquise au-delà du prix du man
dat ? Non évidemment, car, pour étayer sa résistance,
il lui suffirait de dire au mandant : la preuve que cette
marchandise ne vous était pas destinée, c’est que je l’ai
payée à un prix supérieur à celui que vous m’aviez fixé.
Donc le mandant exposé à subir les effets de la baisse
ne serait jamais appelé à profiter de la hausse , ce qui
le placerait dans une position intolérable et injuste.
Il ne peut pas être que le mandataire puisse spéculer
aux dépens de son commettant ; qu’il puisse, en cas de
hausse, s’appliquer l’intégralité du bénéfice , et, en cas
de baisse , réduire sa perte à la différence entre le prix
qu’il a payé et celui qui lui était indiqué, et se déchar
ger du reste sur la personne de son mandant ; admet
tre le contraire, ce ne serait plus obéir à ces idées d’é
quité recommandant la solution des Proculéiens, ce se
rait au contraire consacrer la plus flagrante, la plus odieuse injustice.
Nous croyons donc que cette solution doit se restrein
dre au cas où, les choses étant au moment du litige ce
qu’elles étaient au moment de l’ach at, la difficulté ne
s’agite que sur la différence du prix. L’offre que ferait
le mandataire de rester personnellement chargé de celte
différence désintéresserait complètement le mandant et
devrait le contraindre à accepter l’achat fait pour son
compte.
�292
TRAITÉ DU DOL
Que si, au contraire, une baisse survenue depuis rend
cet achat préjudiciable par la perte certaine que la re
vente occasionnera, il n’est pas juste que l’auteur de cet
achat, en faute pour avoir excédé ses pouvoirs , puisse
faire supporter à autrui les conséquences de ses procé
dés irréguliers. La justice d’ailleurs exige que celui qui
devait seul profiter des bénéfices que l’opération pou
vait offrir , en supporte seul la perte. C’est en ce sens
que le décide Donneau , et cette décision est approuvée
par M. Troplong.
Au reste, cette solution de principe peut être modi
fiée par les circonstances de fait. Si le mandataire a te
nu son mandant au courant de l’opération ; si, en l’in
struisant de la difficulté de la remplir au prix convenu,
il lui a fait connaître l’obligation de payer quelque cho
se en sus , sans que le mandant lui ait écrit de n’en
rien faire; ou s i , après avoir acheté à un plus haut
prix , il en a instruit son m an d an t, sans que celui-ci
ait réclamé , l’opération ne pourra plus être contestée
plus tard. La ratification qui résulterait de ces circons
tances créerait une fin de non-recevoir péremptoire con
tre toutes réclamations ultérieures.
On doit d’autant plus le décider a in si, que , dans
l’hypothèse d’une hausse dont nous parlions tout à
l’heure, le mandataire ne pourrait plus s’appliquer per
sonnellement l’opération, le mandant pourrait le forcer
de lui en tenir compte, et les circonstances qui l’oblige
raient envers le mandataire, obligeraient celui-ci envers
lui. Il y aurait donc cette juste et naturelle réciprocité
excluant toute possibilité de fraude.
�ET DE LA FRAUDE.
293
1220.
— Au reste, le mandat impératif, quant au
prix, détermine une limite au-delà de laquelle le man
dataire ne saurait aller. Mais il pourrait rester en-deçà,
il le devrait même si la détermination du prix était le
résultat de l’ignorance ou de l’erreur, ou si, au moment
de l’arrivée de l’ordre, elle n’était plus en rapport avec
le cours de la place. Il suffirait donc au mandant de
prouver que le mandataire a pu acheter meilleur mar
ché ou vendre plus cher pour le faire condamner à lui
tenir compte de l’avantage qu’il eût retiré dans l’un et
l’autre cas.
Cette règle doit être sévèrement appliquée , car , par
la nécessité même des choses , le mandant est obligé de
suivre aveuglément la foi du mandataire. D’autre part,
les variations commerciales sont souvent tellement brus
ques qu’un ordre expédié à de certaines distances n’est
plus, à son arrivée , ce qu’il était à son d ép art, à sa
voir , dans une juste proportion avec la valeur réelle
des choses. Son exécution littérale serait donc un abus
d’autant plus odieux que le mandataire l’exploiterait à
son bénéfice , ce qui est très-facile dans le commerce.
On sait, en effet, qu’il est peu de commissionnaires qui
ne se livrent à des achats, soit dans la prévision de com
missions futures , soit pour tenter des spéculations sur
la chance de hausse ou de baisse. Ce qui se réaliserait
dans cetté circonstance , c’est que l’ordre arriv an t, le
commissionnaire le remplirait immédiatement, à l’aide
de ses marchandises qu’il vendrait ainsi au-dessus du
cous. Un pareil acte n’est pas seulement une indélica-
�294
TRAITÉ DU DOL
tesse, il constitue une véritable fraude, un abus de con
fiance incontestable , dont le mandant ne devrait pas
être victime. Sur sa demande donc , et malgré les ter
mes de son ordre, il ne devrait être tenu de rembourser
que ce que les marchandises valaient réellement au mo
ment où cet ordre a été exécuté.
L’abus que cette solution tend à prévenir serait for t
voisin de celui dont la loi s’est préoccupée lorsqu’elle a
interdit aux agents de change et aux courtiers de faire
pour leur compte personnel un commerce quelconque.
Dépositaire des intentions des parties , ayant le dernier
mot de chacune d’elles, le confident trouverait trop fa
cilement l’intention de s’enrichir à leur détriment. Sans
doute le commerce n’est pas interdit aux commission
naires, ils peuvent acheter pour revendre ensuite et pro
fiter de la hausse que le cours a naturellement amenée,
mais là s’arrêtent leurs droits. La consécration de l’a
vantage qu’ils prétendraient s’arroger, en vendant plus
cher que ce cours, ne serait qu’une immoralité, car cet
avantage, ils ne le devraient qu’à une confiance dont ils
abuseraient au détriment de celui qui ne devait trouver
auprès d’eux qu’une protection efficace.
1221.
— Il en serait de même du mandataire qui
abuserait de l’erreur évidente dans laquelle serait tom
bé le mandant. Dans un pareil cas, la loyauté exige que
l’erreur soit signalée , et surtout qu’on n’en abuse pas
au préjudice de la confiance que le mandant témoigne.
Celui qui agirait autrement commettrait une fraude pu-
�ET DE LA FRAUDE.
295
nissable, obligeant à réparation. Un arrêt de la Cour de
Paris , du 25 septembre 1812 , nous offre une remar
quable application de cette règle.
La dame Busch, de Pondichéry, venue à Paris, avait
chargé un joaillier delà vente de plusieurs bijoux.Prête
à s’embarquer à Marseille pour retourner à Pondiché
ry, elle lui adressa un collier de perles avec commission
de le vendre, et, en en fixant le prix, elle écrivit 1,200
fr., au lieu de 12,000 fr. Peu de jours après, le joail
lier lui répondit qu’il avait été assez heureux pour ven
dre son collier au prix indiqué de 1,200 fr. La dame
Busch, voyant la déloyauté de son mandataire, chargea
une tierce personne de l’amener à de meilleurs senti
ments, mais il se renferma dans le texte de son man
dat, prétendant que, l’ayant rempli, on n’avait rien de
plus à lui demander.
Traduit en justice , il fui établi qu’il n’avait réelle
ment vendu que quelques perles, s’étant appliqué les au
tres pour monter plusieurs objets de son commerce.
Le jugement qui intervint le condamna à payer le
prix du collier, fixé à 4,800 francs, attendu que, bijou
tier exercé dans son é ta t, il n’avait pu se méprendre
sur la valeur des perles ; qu’il devait instruire la dame
Busch de l’erreur évidente qu’elle avait commise , et
d’autant plus qu’à raison des relations antérieures qu’il
avait eu avec elle, il était investi de sa confiance ; que ,
chargé de vendre un collier composé d’un certain nom
bre de perles, il n’a pas dû le décomposer et encore
moins s’en appliquer une partie ; en quoi il est man
dataire infidèle.
�296
TRAITÉ DU DOL
Sur l’appel du joaillier, ce jugement fut confirmé par
la Cour et devait nécessairement l’être. En droit et en
fait, la conduite de ce joaillier était inexcusable. Elle au
rait pu motiver une condamnation plus sévère.
C’est surtout dans l’ypothèse d’un mandat facultatif
que les devoirs du mandataire sont plus étroitement,
plus impérieusement imposés. Il y a , en effet, de la
part du m andant, une confiance tellement absolue , un
abandon tellement entier, que la moindre infraction re
vêt le caractère du plus odieux abus.
1222.
— La seconde obligation principale du
mandataire est celle d’administrer en bon père de fa
mille.
Cette obligation s’induit naturellement de la règle con
sacrée par l’art. 1992, suivant laquelle le mandataire
répond non seulement de son d o l, mais encore de sa
faute. Nous n’avons nullement à nous jeter dans l’exa
men théorique des fautes, tout ce que nous devons rap
peler, c’est que, de l’avis de tous, le mandataire répond
de sa faute, même légère. On a été même plus loin, on
a voulu lui infliger la responsabilité de la faute très-lé
gère, mais cette doctrine a trouvé des contradicteurs, elle
est combattue par M. Troplong notamment. Nous ne
croyons pas à l’utilité d’approfondir cette difficulté dans
une matière où l’arbitrage souverain du juge est V ultitna ratio de la solution , et où l’existence certaine d’un
préjudice semble , par elle seule, amener la nécessité
d’une réparation.
�ET DE LA FRAUDE.
297
1225.
— Au premier plan des fautes reprochables
au mandataire , se place incontestablement l’infidélité
dont il se serait rendu coupable dans l’exécution du
mandat. Cette faute est plus qu’une fraude, elle consti
tue un délit que les art. 407 et 408 du Code pénal
punissent d’un emprisonnement et d’une amende.
Il y a, entre l’abus de blanc seing et le détournement
m atériel, cette différence essentielle que le premier est
punissable, quel que soit le caractère du m andat, tan
dis que le second ne devient réellement un délit que s’il
a été commis par un mandataire salarié '. Mais , dans
tous les cas , l’un et l’autre donnent incontestablement
ouverture à l’action civile en réparation du préjudice
qui en est résulté. La poursuite et les effets de cette ac
tion se régiraient par les principes que nous avons ex
posés en matière d’escroqueries.’
1 2 2 4 . — On est mandataire infidèle non seulement
lorsqu’on détourne une partie quelconque des deniers
ou valeurs confiés, mais encore lorsqu’on applique à
son propre usage les fonds perçus en cette qualité. Aux
termes de l’art. 1996 , ce dernier abus oblige le man
dataire à payer l’intérêt des fonds , à dater du jour de
l’emploi.
Mais cet article n’a rien de limitatif et ne fait nul
obstacle à ce que le mandataire soit condamné à la ré-
1 Cass., 20 mai 1814; — Sirey, 14, î. 149.
1 V. supra nos 18 et 19.
�298
TRAITÉ DU DOL
paration intégrale du préjudice qu’il a occasionné. Or,
plusieurs hypothèses peuvent s’offrir , dans lesquelles
l’usage fait par le mandataire des fonds provenant du
mandat en aura déterminé un te l, que le paiement des
intérêts serait loin de le couvrir.
Ainsi, débiteur d’une somme envers Pierre , je re
mets cette somme à P au l, avec mandat d’éteindre ma
dette. Au lieu de réaliser ce paiement, Paul applique à
son usage personnel les fonds qui étaient destinés à en
faire l’aliment. Cependant Pierre , non payé de ce qui
lui est dû , dirige contre moi des poursuites , et je me
vois obligé de payer moi-même non seulement le capi
tal et les intérêts , mais encore des frais plus ou moins
considérables.
En cet état, se borner à condamner Paul à me rem
bourser le capital avec les intérêts, ne serait évidemment
pas une indemnité suffisante pour le préjudice que sa
mauvaise foi m’a fait éprouver. La justice exige donc
qu’en pareilles circonstances une allocation de domma
ges-intérêts complète la satisfaction qui m’est due.
Ainsi encore, sachant que mon mandataire a touché
des fonds m’appartenant, je contracte de mon côté des
engagements auxquels j’espère faire face au moyen de
ces fonds. Mais il se trouve que ces fonds ont été em
ployés à l’usage personnel du mandataire , et que son
impuissance à me les rembourser me place dans l’im
possibilité de faire face à mes engagements dont on fait
prononcer la résiliation. Il ne serait pas juste que, dans
une pareille hypothèse, on me privât du droit de de-
�ET DE LA FRAUDE.
299
mander contre mon mandataire des dommages-intérêts
dont la liquidation devrait comprendre non seulement
les frais que j’ai subi , mais encore l’indemnité du gain
que la résiliation m’a fait perdre.
Vainement le mandataire voudrait-il se prévaloir de
la disposition de l’art. 1153. En réalité, son obligation
n’a jamais été celle de payer une somme quelconque,
le droit du mandant ne peut donc être régi par les
principes concernant cette obligation. Tenu d’exécuter
fidèlement son mandat, le mandataire est soumis à une
obligation de faire, dont l’inexécution entraîne la néces
sité d’un dédommagement, dans les limites tracées par
l’art. 1149.
1 2 2 5 . — Le mandataire civil ou commercial doit
mettre la plus active diligence dans l’exécution de la
mission qui lui est confiée. Toute infraction à ce devoir
constituerait une faute grave obligeant sa responsabilité.
Ainsi il doit, dès qu’il a accepté, entreprendre l’opé
ration confiée en ses mains. En commerce , surtout, le
temps est précieux, car le moindre retard, pouvant voir
se réaliser une variation sensible dans le cours des mar
chandises , est dans le cas de rendre l’achat plus oné
reux ou la vente moins lucrative. Tout délai dans l’exé
cution, non justifié, peut donc causer un préjudice que
le mandataire serait condamné à réparer.
1 2 2 6 . — Un des devoirs les plus pressants du man
dataire est d’informer son mandant de la marche de
l’opération, des variations survenant dans les cours, des
�300
TRAITÉ DU DOL
obstacles qui s’opposent à l’accomplissement de sa mis
sion , enfin des chances plus ou moins favorables qu’il
est permis d’entrevoir : Mercator tenetur prius correspondentem advertere de eo quod inopinate evenit, vel
de impedimento ex cujus causa nequit mandatum exsequi in forma prœscripta, atque expectare ulteriora
mandata.'
C’est qu’en effet une affaire commerciale est de na
ture à subir des phases diverses, pouvant dans bien de
cas modifier les intentions du mandant, et môme le fai
re changer d’avis. Il faut donc qu’il puisse, avec le plus
de certitude possible , examiner ce qui lui convient ; et
comment le pourrait-il, si son mandataire s’abstient de
toute communication ? Un pareil silence, tendant à sub
stituer l’appréciation du mandataire à celle du man
dant , constituerait une violation du mandat et pourrait
autoriser le dernier à laisser l’opération pour compte du
premier.
Ce n’est pas seulement pendant le cours de l’opéra
tion que le mandataire doit ses conseils et ses avis, c’est
surtout à l’origine et au moment de la réception de l’or
dre qu’il est tenu de fournir les uns et les autres. Con
naissant la place où doit se traiter l’opération , il peut
juger de l’opportunité de l’ordre , de sa juste relation
avec les prix du jour , en apprécier même les consé
quences plus ou moins probables. Si, contre l’évidence,
1 Casaregis, Disc. 125, n° 22,
�ET DE LA FRAUDE.
301
il se prêtait à l’exécution d’un mandat onéreux pour son
auteur, il serait tenu du préjudice qu’il aurait volontai
rement occasionné.
1227.
— Nous n’avons pas la prétention d’énumé
rer une à une les nombreuse fraudes que le mandataire
peut commettre. Nous les résumons dans l’obligation
qui lui est imposée d’administrer en bon père de fa
mille. En conséquence , tout ce qui s’écarte des soins,
du zèle, de la vigilance qu’on rencontre dans celui-ci,
est une faute grave engageant sa responsabilité,
Ajoutons que la gestion des affaires d’autrui exige, de
la part de celui qui en est chargé, une circonspection et
une retenue qu’on n’est pas obligé d’apporter à ses pro
pres affaires. Les spéculations , les hasards qu’on peut
entreprendre et braver dans ce qui nous concerne, on
ne peut s’y livrer pour le compte d’autrui , à moins
d’ordres exprès et formels. Celui qui agirait sans atten
dre ces ordres , s’exposerait à garder pour son propre
compte les chances fâcheuses que l’opération subirait.
Enfin il en est des commissionnaires commerciaux
comme des notaires , des avoués, etc. Ils promettent à
leurs commettants peritiam et industriam. Il y a , a joute M. Troplong, dans la pratique de la commission,
une expérience de la qualité et du cours de la marchan
dise, une connaissance des bonnes maisons, une habi
leté à traiter les affaires qui font le commissionnaire in
telligent et donnent au commettant toute sécurité.'
1 Art. <1992,110 405.
�304
TRAITÉ DU DOL
de ses pouvoirs, sans y être autorisé , constituerait une
faute grave. Les conséquences seraient pour lui la né
cessité et l’obligation de répondre des faits de celui qu’il
s’est irrégulièrement substitué. Il en serait de même si,
autorisé à déléguer ses pouvoirs, il les avait remis à un
homme insolvable ou im m oral, à moins que ce choix
ne lui eût été nominalement imposé par le mandant.
Toutefois, la responsabilité d’une substitution non au
torisée reçoit exception , lorsque , par une circonstance
imprévue, le mandataire, empêché d’agir dans un mo
ment où l’affaire ne pouvait plus être arrêtée ou sus
pendue , charge quelqu’un de faire ce qu’il ferait luimême , s’il le pouvait. Dans une pareille circonstance,
la substitution est tout entière dans l'intérêt du man
dant ; elle est dans l’esprit, sinon dans la lettre du con
trat. On ne saurait , en effet, admettre que l’intention
du mandant n’a pas été de l’autoriser dans une position
aussi critique pour ses intérêts.
Il suffirait donc que l’empêchement et l’urgence ex
istant, le mandataire eût momentanément confié la di
rection de l’affaire à un homme d’une solvabilité cer
taine , d’une moralité irréprochable , pour que sa res
ponsabilité fût complètement dégagée, alors même que,
mentant à ses antécédents, le mandataire substitué eût
abusé de la confiance qui lui a été témoignée. Cette so
lution, admise par l’école italienne, a été consacrée par
la doctrine française.’
1 Delamarre et Lepoitvin , tom. n , n°» 36 et sniv.; — Troplong , art.
�ET DE LA FRAUDE.
305
1 2 32. — A côté de la responsabilité du mandataire
vis-à-vis du mandant, existe celle qu’il peut assumer à
l’égard des tiers. Mais cette dernière , résultant ordinai
rement des termes dans lesquels l’engagement a été pris,
sort de notre matière. Il est une seule hypothèse où elle
peut provenir de la faute, à savoir, lorsque le manda
taire a excédé les limites de son mandat.
Il faut donc , pour qu’elle se réalise, que le manda
taire ait agi en cette qualité , et pour compte du man
dant ; qu’il n’ait pas donné connaissance suffisante de
ses pouvoirs ; qu’il les ait excédé : à ces conditions, et,
quels que soient les termes de l’engagement, le man
dataire a engagé sa responsabilité et répond person
nellement des obligations contractées en dehors de ses
pouvoirs.
12 3 3 . — La troisième obligation imposée au man
dataire est celle de rendre compte.
Cette obligation n’étant que la conséquence de la qua
lité de comptable , est régie par les principes généraux
applicables aux redditions de compte. Le mandataire est
soumis aux mêmes devoirs que tout autre comptable :
devoirs que nous avons retracés notamment en traitant
de l’associé gérant. Nous n’avons donc à rappeler ici
que quelques règles spéciales au mandat.
La première est celle tracée par l’art. 1993 du C. civ.,
à savoir : que le mandataire est tenu de faire raison de
tout ce qu’il a reçu à l’occasion du mandat, quand même
ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
ni
20
�306
TRAITÉ DU DOL
Ces expressions comprennent tout ce qui a été pro
duit directement ou indirectement par le mandat. Cette
règle est puisée dans le droit romain : Ex mand ato apud
eum qui mandatum suscepit nihil remanere opportet,
debere eum prœstare quantumcumque emolumentum
sensit. ' La raison commandait ce résultat, tout ce qui
est produit par la chose confiée à titre de mandat aug
mente naturellement cette chose et appartient dès - lors
à son propriétaire. Le mandataire ne peut réclamer que
le salaire convenu, tout ce qu’il retiendrait au-delà , il
le garderait sans droit ni titre. La dissimulation qu’il en
ferait constituerait une infidélité engageant profondément
sa responsabilité.
1254.
— L’obligation de tout restituer s’applique
même aux profits illégitimes que le mandataire se serait
procuré, par exemple , aux intérêts usuraires qu’il au
rait perçu. Cette doctrine, professée par nos anciens ju
risconsultes et notamment par le président Favre, doit,
de l’avis de M. Troplong, être suivie sous l’empire du
Code.*
Cependant son application doit se restreindre au cas
où le profit illicite a été perçu dans le développement
naturel du mandat. Ainsi, lorsque celui - ci a consisté
dans la remise d’une somme d’argent pour la faire va
loir pour le compte du m an d an t, quel qu’en ait été
1 L. 10 § 3 et L. 20 Dig., mandati.
'■>Art. 1993, n°* 422 et suiv.
�et de la fraude .
307
l’emploi , il est censé fait dans l’intérêt de celui - ci et
doit conséquemment lui profiter intégralement et exclu
sivement.
Si le mandat n’assignait aucune destination aux fonds,
l’emploi que le mandataire en fait n’est qu’un ab u s, et
le mandant n’est pas autorisé à en revendiquer le béné
fice. Contrairement à ses devoirs , le mandataire a illé
galement appliqué à son usage personnel les fonds qu’il
devait tenir à la disposition du mandant, Or, les consé
quences de cette fraude ayant été prévues par l’art. 1996,
ce dernier ne saurait exiger que l’intérêt légal de ces
sommes et, suivant les cas, des dommages-intérêts pour
la réparation du préjudice qu’il en a éprouvé.
Ainsi , tous les profits réalisés , à l’occasion et par
l’exécution du mandat, appartiennent exclusivement au
mandant et doivent lui être remboursés ; ceux prove
nant de l’abus ne sont pas restituables, sauf la respon
sabilité que cet abus fait peser sur le mandataire.
1235.
— Ce dernier ne peut de plus rien retenir audelà du salaire convenu pour ses peines et soins, vaine
ment voudrait - il s’étayer de prétendus usages pour se
faire allouer quelque chose en sus. Un arrêt de la Cour
de Lyon, du 23 août 1831,' a fait bonne justice de pré
tentions de ce genre. Il parait que, sur cette place im
portante , les commissionnaires avaient pris l’habitude
de coter les prix d’achat à leurs commettants plus cher
�308
TRAITÉ HU DOL
qu’ils ne les avaient payés eux - mêmes , par cette ma
nière, ils joignaient à leurs droits de commission le bé
néfice résultant de la différence dans les prix. Actionné
en restitution de cette différence, un de ces commission
naires voulait justifier son refus par l’usage qu’il soute
nait être conforme à ses prétentions. Mais l’usage , ré
pondit l’arrêt, ne peut, dans aucun cas, légitimer une
fraude trop coupable pour que la justice ne s’empresse
pas de la frapper de toute sa réprobation.
Aux termes de l’art. 1996, le reliquat du compte por
te intérêt du jour de la mise en demeure.
1236.
— Les obligations du mandant se réfèrent
aux droits du mandataire , à ceux des tiers ayant traité
avec ce dernier.
A l’endroit du mandataire, il est juste que le mandat
ne puisse jamais devenir pour lui une occasion de perte.
Cette règle d’équité explique la disposition des articles
2000 et suivants du Code civil.
L’obligation d’indemniser le mandataire est indépen
dante de l’issue de l’opération. Celui-ci n’a, dans aucun
cas, garanti le succès de sa mission ; ce à quoi il s’est
engagé , ça été de consacrer tous ses efforts, tous ses
soins à le déterminer ; que s’il échoue, et qu’on n’ait à
lui reprocher ni imprudence, ni négligence, ni faute, il
a rempli la tâche qui lui était confiée et l’obligation de
le rendre indemne ne saurait être récusée.
La loi veut de plus que les avances qu’il a faites, dans
l’intérêt du mandant, produisent intérêt du jour où elles
�ET DE LA FRAUDE.
309
sont régulièrement constatées. Personne ne doit et ne
peut s’enrichir aux dépens d’aulrni. Or , telle serait la
position du mandant si, profitant des avances faites par
le mandataire , il était dispensé de lui payer les intérêts
qu’il aurait infailliblement supporté en faveur de tout
autre prêteur. Il ne serait pas juste, d’autre part, que le
mandataire fût privé, par l’effet du mandat, du revenu
qu’il aurait retiré de ses fonds, s’il les eût appliqués à ses
propres affaires.
Enfin, lorsque le mandataire a fidèlement rempli sa
mission , on ne peut pas réduire le montant de ses avan
ces et frais , sous prétexte qu’ils auraient pu être moin
dres. Chacun doit subir les conséquences de l’adminis
tration à laquelle il a spontanément recouru. Il suffit
donc que les avances et frais soient certains pour que le
mandant soit tenu de les solder intégralement, sauf l’hy
pothèse d’une exagération évidente et frauduleuse.
Outre les avances et les frais, le mandant doit payer
le salaire convenu, la gratuité du mandat n’existant qu’à
défaut d’engagement contraire, et cet engagement étant
toujours présumé en matière commerciale.
Ici encore la fraude fait exception à la règle. Si elle
a seule déterminé le mandat , la nullité de celui-ci lui
enlèverait tout effet possible et atteindrait naturellement
la clause qui en aurait fixé le salaire.
Cette nullité prononcée et acquise , le mandant nonseulement n’aurait rien à payer, mais serait de plus au
torisé à exiger le remboursement de tout ce qui l’aurait
été à ce titre ; c’est ce que la Cour de Limoges consacrait
expressément le 16 juin 1836.
�310
TRAITÉ DU DOL
A l’appui du pourvoi dont la décision avait été l’ob
jet, on soutenait qu’elle violait l’art. 1926 C. Nap. L’an
nulation du mandat, disait-on, ne pouvait ni ne devait
empêcher qu’on ne leur dût le salaire des peines qu’ils
avaient prises pour faire réussir le mandat qu’ils avaient
mené à bonne fin. salaire qui leur était acquis au moins
comme negotiorum gestores.
Mais par arrêt du 7 août 1837, la Cour suprême re
jette le pourvoi, attendu que les procurations étant an
nulées , la convention d’un salaire tombe avec les actes
qui la renfermaient, et qu’il ne reste plus à l’égard des
prétendus mandataires que le fait de s’être immiscés dans
les affaires d’autrui, fait déclaré frauduleux et accompli,
non dans l’intérêt des mandants, mais pour le profit per
sonnel des mandataires, ce qui exclut absolument toute
idée de salaire et d’honoraire.'
Gérer volontairement et sans ordre les affaires d’au
trui est un acte purement gracieux et par conséquent
essentiellement gratuit, on ne saurait le concilier avec
l’idée d’un salaire qui n’est dû que s’il est expressément
stipulé. Tout ce que le gesteur peut réclamer raisonna
blement c’est le remboursement de ses déboursés, et c’est
ce que la Cour de Limoges accordait.
A plus forte raison doit - il en être ain si, lorsque le
mandat ayant été frauduleusement obtenu , le gesteur
n ’a réellement agi que dans son intérêt propre et per
sonnel.
1 J. du P., 2, 1837, 374.
�ET DE LA FRAUDE.
311
1237. — Relativement aux tiers , le mandant est
obligé d’exécuter les engagements contractés parle man
dataire. Ce principe n’a jamais fait ni pu faire l’objet
d’un doute, qui mandat ipse fecisse videtur. Mais, pour
que cette règle puisse être invoquée par les tiers , il faut
.que le mandataire ait contracté ,en sa qualité et pour
compte du mandant; qu’il ait agi dans la limite des pou
voirs qui lui ont été conférés.
1 2 3 8 . — La première condition se réalise assez or
dinairement dans les affaires civiles, sauf quelques rares
exceptions , le mandataire n’est pas même autorisé à
agir en son nom. Pareille chose peut également être re
marquée en matière commerciale, où cependant, le plus
souvent, le mandataire agit en son propre et privé nom.
C’est notamment ce qui est de droit commun pour les
affaires traitées par le ministère des commis-voyageurs.
1239. — Cependant les traités ainsi souscrits sont
de nature à donner naissance à la fraude. Il n’est pas
rare, en effet, de voir une maison de commerce préten
dre que son commis-voyageur n’a la faculté de l’enga
ger que sauf ratification de sa part. Cette ratification
qu’elle donne , en cas de stagnation ou de baisse de
l’article , elle prétend la refuser dans le cas de hausse
survenue depuis le traité et avant son exécution. Ainsi,
l’acheteur seul serait lié, sans qu’il pût revendiquer aucnne réciprocité de la part du vendeur.
Cette difficulté que nous signalons est d’autant plus
grave que sa solution partage la jurisprudence. Ainsi ,
�312
TRAITÉ DU DOL
la Cour de Paris a jugé, le 2 janvier 1828, que le com
mis-voyageur d’un négociant est, par ce seul titre, re
vêtu aux yeux des tiers d’un mandat général d’agir au
nom de son commettant : que celui-ci ne peut donc se
refuser à exécuter les ventes faites par le commis-voya geur, alors même que le mandat de celui-ci se trouve
rait restreint par des conventions particulières. '
Mais le contraire résulte d’un arrêt de la Cour de
Montpellier, du 27 décembre 1826, jugeant que les com
missions données à un commis-voyageur , et acceptées
par lui au nom de sa maison , ne sont réputées que de
simples commandes ou propositions de vente, si ce com
mis-voyageur n’a un pouvoir exprès de lier définitive
ment la maison qui l’envoie. ’
Celle divergence est regrettable, car elle laisse indécise
une question que l’intérêt général du commerce vou
drait voir résoudre en termes simples et nets. Quant à
nous, nous n’hésitons pas à nous ranger au premier sys
tème, qui nous parait plus rationnel et prêter beaucoup
moins à la fraude que nous venons de signaler ; à notre
avis donc, le commis-voyageur est, par ce seul titre, le
mandataire légal de celui qui l’accrédite , et qu’il a dès
lors la faculté d’engager , à moins qu’une publicité for-
1 D. P 28. 2. 2; — v, Metz, 4 juin 1825; — Paris, 8 novembre 1836;
— Douai, 29 août 1844; — Rouen. 7 janvier 1845 : — J. D. P., t. î ,
1845, p. 27 et t. u, p. 329.
2 D. P., 27 , 2, 198 ; — v. cass. , 19 décembre 1821 ; — Rennes . 8
juillet 1839 ; — Montpellier, 24 décembre1841 ; — J. D P., t. il, 1839,
�ET DE LA FRAUDE.
313
nielle , ou que la correspondance directement adressée
aux commerçants, que le commis visitera , n’ait fixé en
sens contraire les pouvoirs qui lui sont confiés.
Les circonstances de fait, la position de la maison ,
la nature de son commerce, seront des éléments utiles
à consulter pour la solution de notre difficulté. Ainsi le
mandat de vendre sera plus facilement'présumé lorsque
le commis-voyageur représentera un fabricant, un pro
ducteur cherchant à écouler ses produits , ainsi qu’il le
pratique habituellement.
Il pourrait en être autrement pour le commis-voyageur
attaché à une maison de commission. Mais comme les
commissionnaires ont très-souvent des marchandises leur
appartenant, le commis-voyageur, député pour prendre
des commissions , l’est également pour la vente de ces
marchandises. Dans cette hypothèse , le sort du litige
devrait tenir à la nature du contrat souscrit par le com
mis-voyageur et la qualification donnée à l’opération ,
la correspondance pourrait également être consultée avec
fruit.
Que si l’engagement pris par le voyageur porte vendu
à tel... et non commis par tel, le contrat sera une vente
et non une commission. Vainement la maison prétendrat-elle qu’elle n’avait pas donné mission de vendre , la
présomption est que le commis- voyageur exécute litté
ralement son mandat. D’ailleurs , l’abus qu’il ferait de
ses pouvoirs serait imputable au commettant, ayant dans
tous les cas le tort d’avoir investi de sa confiance une
personne qui n’en était pas digne. Il serait donc juste de
�314
TRAITÉ DU DOL
lui en laisser la responsabilité, à moins qu’il ne prouvât
que le tiers a connu le véritable caractère du mandat et
s’est associé à sa violation.
En droit commun , la connaissance du mandat est
présumée chez celui qui traite avec un mandataire, mais
les usages du commerce et la foi qui s’attache ordinai
rement aux commis - voyageurs motivent justement une
dérogation à cette règle. D’ailleurs , les pouvoirs de ces
commis résultent plus souvent de la notoriété publique,
de la remise des cartes et échantillons, que du mandat
écrit et formel. Aussi n’est-on pas habitué dans le com
merce à se faire exhiber les pouvoirs des commis - vo
yageurs.
1 2 4 0 . — Le plus ordinairement, les mandataires
commerciaux agissent en leur propre et privé nom. C’est
là, avons-nous dit, une conséquence de l’avantage que
trouve le commerçant à dérober à ses concurrents la con
naissance des places sur lesquelles il opère. De là cette
double règle :
1° Le mandant n’ayant aucune action contre les tiers,
ne peut être actionné par eux ;
2" Le commissionnaire n’est, dans aucun cas, tenu
de divulguer le nom de son commettant.
1241. — La première règle reçoit exception : 10lors
que le mandataire est déclaré , par une disposition ex
presse de la loi, la personnification du mandant. De telle
sorte que l’emploi de la qualité à laquelle cet effet se
�ET DE LA FRAUDE.
315
rattache suffit pour rendre ce dernier personnellement
tenu. Ainsi le capitaine de navire est le représentant na
turel et légal de l’armateur. Conséquemment celui qui
traite avec lui, quoiqu’en son propre et privé nom, trai
te réellement avec l’armateur lui-même qu’il a pour obligé, malgré qu’il ne le connaisse pas même de nom.
Cette exception doit être renfermée dans de justes li
mites, on ne l’admettra donc que dans le cas où l’enga
gement du capitaine se réfère à la navigation du navire
dont la direction lui est confiée ; tout ce qu’il ferait en
dehors de cet intérêt serait étranger à son armateur, qu’on
ne pourrait dès lors rechercher sous aucun prétexte.
1242.
— 2° Lorsque, de notoriété publique, l’affaire
se traite pour le compte d’un mandant parfaitement con
nu et au crédit duquel les tiers ont fait exclusivement
confiance.
Cette exception est susceptible d’acquérir une grande
importance dans les pays de production et relativement
aux commerçants de la localité. Ainsi , chaque maison
de commerce a dans les villages environnants des per
sonnes habituellement chargées d’acheter pour son com
pte les vins, les huiles, les amandes, les laines, les soies,
en un mot les diverses productions du pays. Ces per
sonnes , quoique traitant en leur nom personnel , sont
cependant notoirement connues comme les fondés de
pouvoirs de la maison qui les prépose, c’est à celte mai
son que les vendeurs font fo i, car assez habituellement
encore les mandataires n’offrent aucune solvabilité réel
le, eu égard à l’importance des achats qu’ils réalisent.
�316
TRAITÉ DU DOL
Admettre en cet état que la maison, pour compte de
laquelle se font ces achats, est à l’abri de tous recours
de la part des vendeurs, ce serait s’exposer à consacrer
la plus abominable de toutes les fraudes, la plus odieuse
spéculation. En effet, par une collusion facile entre le
commettant et le commissionnaire, le premier profiterait
des marchandises qu’il paraîtrait avoir payées à celui-ci,
contre lequel les vendeurs seraient réduits à se pourvoir.
Recours illusoire pour eux, peu onéreux pour le com
missionnaire qui trouverait dans son insolvabilité le mo
yen d’en éluder les effets.
Il est impossible que le législateur ait pu jamais vou
loir consacrer un pareil résultat, ni permettre que la fa
culté pour le commissionnaire d’agir en son nom, intro
duite dans l’intérêt du commerce, fût susceptible de mas
quer une fraude aussi déloyale.
1243.
- C’est la pensée de Pothier, qui n’hésite pas
dès-lors à résoudre la difficulté dans le sens seul équi
table. Le mandataire, dit-il, est obligé principal, puis
qu’il a donné son nom, mais il oblige conjointement avec
lui son mandant, pour l’affaire duquel il parait que le
contrat s’est fait. Le mandant, en ce cas, est censé accé
der à toutes les obligations que le mandataire contracte
pour son affaire, et de cette obligation accessoire du
mandant naît une action qu’on appelle utilis institoria, qu’ont, contre le mandant, ceux avec lesquels le
mandataire a contracté pour l’affaire du mandant : Si
guis pecuniœ fosnerandœ, agro colendo, condcndis ven-
�ET DE LA FRAUDE.
317
dendisque frugibus propositus est, ex eo nomine quod
curn illo contractum est, in solidum fundi dominus obligavitur. '
L’opinion contraire est enseignée par MM. Delamarre
et Lepoitvin : ou le commerçant qui agit pour autrui, di
sent-ils, fait connaître son mandat à l’autre contractant,
et alors il ne s’oblige pas, celui-là seul est obligé au nom
duquel il contracte ; ou il traite en son propre nom sans
exprimer son mandat, sans agir nomine a lte riu s, e t,
dans ce cas, lui seul est obligé, et nullement celui pour
lequel il a entendu réellement contracter et dont il a reçu
mandat. 1
Telle est en effet la doctrine de deux maîtres célèbres,
Ansaldus et Casaregis, invoqués par nos auteurs. Telle
est, ajouterons-nons, la règle ordinaire devant régir le
plus usuellement les opérations commerciales. Mais estce à dire que cette règle soit tellement inflexible qu’elle
ne comporte aucune exception ? Elle serait, si cela était,
l’unique en son genre.
Quant à nous, nous n ’hésitons pas à tenir que, comme
toutes les autres, la règle est ici susceptible d’une ex
ception. Cette exception est naturellement indiquée par
l’exacte appréciation des bases sur lesquelles se fonde la
règle.
Ces bases sont : d’une part, la solvabilité du commis
sionnaire; de l’autre, le secret que le commettant a voulu
1 Du M a n d a i, n° 88.
2 T. il p. 504, n° 267.
�318
TRAITÉ DU DOL
garder. Celui qui traite avec un commerçant solvable ne
peut et ne doit supposer personne derrière celui avec qui
il contracte. Il n’a compté et pu compter pour son paye
ment que sur l’efficacité de la promesse personnelle qui
lui en est faite; il n’aurait certainement pas traité, s’il
eût considéré cette promesse comme insuffisante. On ne
lui fait donc aucun grief en lui refusant un cautionne
ment qu’il n’a pas même exigé. Pourrait-il d’ailleurs
raisonnablement prétendre avoir compté sur la solvabi
lité du mandant demeuré dans le secret le plus absolu,
et qu’aucun indice ne désignait ni directement, ni indi
rectement.
Peut-on en dire autant de celui qui traite avec une
personne notoirement en-dessous de la solvabilité qu’exi
gerait l’importance de l’opération? Mais un négociant
qui agirait ainsi, le propriétaire qui userait d’une telle
confiance seraient des insensés qu’il serait urgent de
faire interdire dans leur propre intérêt,
Un fait aussi anormal suppose donc qu’on a su qu’à
côté de l’acheteur et derrière lui, existait quelqu’undont
la solvabilité certaine commandait cette confiance qu’on
lui a indirectement faite. Il n’est donc plus possible de
dire avec Casaregis : Quia apparet mercatorem personam tantum contrahentis, in suo contractu comtemplasse, nullumque ad personam mandantis respeclum
habuisse. Ainsi s’efface cette première et essentielle base
de la règle invoquée.
Lorsqu’à ce premier fait, vient se joindre cette autre
circonstance, à savoir ; l’existence notoire et certaine
�ET DE LA FRAUDE.
319
d’un mandat en faveur de celui qui a contracté ; lors
que l’auteur de ce mandat est publiquement nommé ;
lorsqu’enün lui-même a concouru à former cette noto
riété soit en transmettant publiquement des ordres à
son mandataire, soit en le désignant comme tel, soit en
faisant enlever lui-même la marchandise achetée par
lui, est-ce qu’on pourra seulement hésiter? Qu’importe
que le mandataire ait traité en son nom personnel, n’estil pas évident que c’est avec le mandataire de la maison
désignée qu’on a entendu contracter, qu’on a réellement
contracté? Userait doncabsurbe de vouloir, encetétat,
appliquer une règle qui n’a plus de fondements et qui
devient dès-lors raisonablement, équitablement inappli
cable.
M. Troplong, en traitant notre question, rappelle ce
qu’il a dit en matière de société, à savoir : lorsqu’un
associé contracte seul, en son propre et privé nom, il
n’oblige que lui ; les tiers qui ont suivi sa foi n’ont pas
d’action contre la société, et cela quand même celle-ci
aurait profité du contrat. Mais lorsque la société n ’existe
que de fait, que cette existence est notoire, et qu’il est
reconnu que les tiers en ont suivi la foi, il importe peu
que la société n’ait pas été formellement nommée dans
les actes passés avec le tiers, les circonstances de fait la
font considérer comme obligée.
Pourquoi en serait-il autrement dans notre hypothè
se, se demande le profond magistrat, l’habile juriscon
sulte? Le mandataire est comme l’associé, il n’oblige
son mandant envers les tiers que lorsqu’il a pris la
�320
TRAITÉ DU DOL
qualité de son mandataire. Mais pour que celte qua
lité lui soit imprimée dans ses rapports avec les tiers ,
il n’est pas absolument nécessaire qu’elle ressorte des
mots. Le judaïsme n’est pas plus de mise ici que dans
la société. Le nom du mandant peut s’attacher à l’acte
par des circonstances de fait, par une certaine publi
cité de position que les tribunaux doivent apprécier avec
équité. 1
M. Troplong approuve conséquemment les arrêts de
la Cour de Rennes , que MM. Delamarre et Lepoitvin
frappent de réprobation. Il les corrobore par un arrêt
de la Cour de cassation, du 20 août 1844, rendu à son
rapport.
1244.
— En définitive, la question doit se résoudre
sous l’empire de la règle tracée par Asaldus : Ea semper
persona remanet obligata , cajm intuitu ac respectu,
contraclus reperitur celebratus. ' Cette personne est de
plein droit celle du m andant, dans le cas où le contrat,
est fait sous son nom et pour son compte ; c’est celle du
mandataire, lorsque c’est sous nom propre et privé qu’il
a agi. Mais, dans ce dernier cas, le mandant peut éga
lement se trouver obligé, si les circonstances établissent
que, notoirement connu, le crédit dont il jouissait a été
la cause déterminante du contrat. Il faut dire avec M.
Troplong que, s’il en était autrement, la fraude s’ernpa-
1 Art. 1997, n»» 540 et suiv.
2 Disc. 12. nu 7.
�ET DE LA FRAUDE.
321
rerait de ce moyen de droit pour tromper les tiers, on
mettrait les mots au-dessus des choses, les apparences
concertées au-dessus de la réalité.
1245.
— A son tour, le principe que le mandataire
n’est pas tenu défaire connaître son mandant, reçoit ex
ception en matière d’assurances, les fondements de cette
exception résident dans la nature même de ce contrat.
L’assurance ne peut exister sans un risque certain et
déterminé. Elle ne peut jamais devenir l’objet d’un jeu
sur les chances de la navigation.
D’autre part, il n’est peut-être pas de contrat qui exi
ge plus l’emploi d’un intermédiaire , l’assurance se fai
sant à des distances telles que l’obligation pour l’assuré
de la souscrire en personne, équivaudrait souvent à une
interdiction absolue de la faculté d’y recourir.
Enfin, et comme dans toutes les matières commercia
les, le secret, sur la propriété de choses assurées , peut
être indispensable au succès de l’opération. De là , un
grave intérêt pour le véritable assuré à dissimuler son
nom et sa qualité.
Ces considérations ont été de tous les temps appré
ciées , elles ont déterminé l’autorisation de contracter
l’assurance par commissionnaire agissant pour compte
de qui il appartiendra, ou pour compte de qui que ce soit.
Mais s i , le sinistre se réalisant , le commissionnaire
pouvait continuer de taire le nom de son commettant ,
l’assurance dégénérerait bientôt en une gageure sur les
fortunes de mer. En effet, un négociant, sachant qu’un
m
2t
�322
TRAITÉ DU DOL
navire part ou est parti pour un voyage déterminé, ferait
assurer pour compte de qui il appartiendra une somme
plus ou moins importante soit sur le navire lui-m êm e,
soit sur la cargaison. Si le voyage réussissait, il en serait
quitte moyennant le payement de la prime ; si le navire
venait à se perdre , il réaliserait un bénéfice sans avoir
jamais eu un risque quelconque à son bord.
La nécessité d’empêcher ce jeu, de veiller à la sincé
rité de l’assurance, exigeait donc que le sinistre se réa
lisant , et sur la première réquisition des assureurs , le
commissionnaire fût tenu de nommer la personne pour
le compte de laquelle il a agi ; et comme nul ne peut
être assuré contre son gré et sans son consentement , le
commissionnaire serait tenu, en nommant l’assuré réel,
de produire soit la lettre d’ordre , soit la ratification de
l’assurance, si celle-ci était son fait spontané.
En effet, un commissionnaire , chargé d’expédier des
marchandises à un commettant quelconque, peut, dans
l’intérêt de celui-ci, les faire assurer sans en avoir reçu,
sans même en attendre l’ordre. C’est là un acte de bonne,
de prévoyante administration. Mais, en cas de sinistre ,
l’assurance ne vaut qu’en tant que cet acte a été approuvé
et ratifié par le propriétaire des objets assurés, le défaut
de ratification, comme celle qui serait postérieure au si
nistre, annulerait l’assurance. Il importe, en effet, pour
que la ratification puisse produire un effet utile, qu’elle
soit donnée à une époque où le risque étant encore en
suspens, l'aléa inséparable d’une assurance soit réelle
ment couru. C’est encore là une règle que nous a léguée
�ET DE LA FRAUDE.
323
l’école italienne : E docendo la ratificazione seguire re
integra, cioe, avanti il sinistro, in tempo e stato di cose, nel quale l’atto ratificato potesse validamente fa r si.' Or, après le sinistre, l’assurance est impossible, dès
lors la ratification l'est également.
Sous ce rapport donc, la dérogation à la règle que le
commissionnaire n’est pas obligé de faire connaître son
commettant, est parfaitement justifiée. Il est une autre
considération qui ne la commandait pas moins impé
rieusement.
1246.
— Aux termes de l’art. 348 du Code de com
merce, toute réticence, toute fausse déclaration qui di
minuerait l’opinion du risque, ou qui en changerait le
sujet, annule l’assurance. Le contrat n’est valable qu’autant que les assureurs ont été instruits de tout ce que
l’assuré savait lui-même sur la navigation du navire, su
jet du risque ou porteur de ce risque.
Or l’obligation de tout déclarer ne s’applique pas seu
lement au commissionnaire, souscrivant la police, mais
encore et essentiellement à l’assuré dans l’intérêt de qui
celte police est souscrite. Quelle qu’ait été la bonne ou
la mauvaisefoidu premier, l’assurance ne doit pas moins
succomber , si le second est convaincu de réticence ou
de fausse déclaration.
Il importait donc aux assureurs d’obtenir la produc
tion de la lettre d’ordre et de connaître ainsi le véritable
1 Casaregis, Disc. 173, n» 31.
�324
TRAITÉ DU DOL
intéressé. Car de deux choses l’une : ou le commission
naire n’a pas indiqué toutes les circonstances que l’or
dre renfermait, et l’assurance est nulle par le fait du
commissionnaire, seul responsable de sa faute envers son
commettant ; ou les indications de la lettre d’ordre au
ront été fidèlement exécutées , et les assureurs pourront
toujours faire tomber le contrat, en prouvant que l’au
teur de cette lettre a volontairement omis d’y consigner
des circonstances qu’il connaissait et qui étaient de na
ture à influer sur l’opinion du risque : Scienha domini
sibi prœjudicat, licet ejus procurator in conlrahendo,
illarn non habuerit. '
C’est donc la conduite du mandant que les assureurs
auront à explorer dans le plus grand nombre des cas ,
Or, comment au raien t-ils pu user de ce droit d’un si
haut intérêt pour eux, si, après comme avant le sinistre,
le commissionnaire avait pu leur taire le nom du véri
table intéressé.
1247.
— Ainsi l’assuré répond de la faute et de la
fraude du commissionnaire qu’il s’est choisi et avec le
quel il s’identifie , à plus forte raison , doit-il répondre
de sa propre faute. Il ne serait pas juste de lui permettre
d’en tirer avantage, par cela seul qu’il aurait confié à un
tiers le soin de souscrire une assurance, en lui cachant
des circonstances que les assureurs avaient le plus grand
intérêt à connaître. Cette évidente injustice ne pouvait
i Casaregis, Di»c. 9, n° 19
�ET DE LA FHAUDE.
325
être évitée que par l’obligation faite au mandataire de
faire connaître son mandant et de produire la lettre d’or
dre. Celui-ci connu aura à repondre de sa réticence, de
sa fausse déclaration , il aura de plus à prouver qu’il
était réellement propriétaire des choses assurées.
Nous retrouvons l’identification du mandataire et du
commettant dans les conséquences à tirer de l’art. 365
du Code de commerce. Aux termes de sa disposition, il
ne peut exister d’assurance valable si avant la signature
de la police l’assuré a pu être informé de la perte , ou
l’assureur de l’heureuse arrivée. Or, pour l’application
de cette règle , il importe peu que la perte ignorée du
mandant soit connue du commissionnaire, ou récipro
quement ; il suffit qu’elle le soit de l’un d’eux pour que
le contrat ne puisse sortir à effet.
Ainsi , dit Emérigon , si , lors de la signature de la
police , le commissionnaire , qui fait l’assurance pour
compte d’autrui, est instruit du sinistre, l’assurance est
nulle, quoique le commettant l’ait ignorée.
Elle est également nulle, si ce dernier était instruit du
sinistre , lorsqu’il a donné ordre de faire assurer, quoi
que le commissionnaire ait été de bonne foi.
Il en est de même si le commettant, instruit à temps
pour révoquer l’ordre, a omis de le révoquer. ’
1248.
— La dissimulation, que le commettant ferait
à son commissionnaire de la connaissance du sinistre ,
i Des Assurances, chap. 15, sect. 8
�326
TRAITÉ DU DOL
constituerait de sa part un véritable dol. Or, quelle que
soit l’identification que nous venons de voir se réaliser
entre eux, elle ne peut jamais aller jusqu’à rendre celuici responsable d’un dol personnel au commettant et au
quel il serait resté étranger. C’est ce que la Cour de cas
sation a formellement consacré par arrêt du 8 mai 1844.'
Dès lors, la double prime que cette dissimulation entraî
nerait, aux termes de l’art. 368, ne pourrait être mise à
la charge du commissionnaire de bonne foi.
1 249.
— Ce résultat est d’ailleurs une conséquence
logique de la déclaration du nom de celui pour compte
de qui l’assurance a été prise. Cette indication n’a certes
pas pour effet d’effacer les obligations personnellement
contractées jusque là parle commissionnaire. Il faut donc
dire avec Casaregis : Facta nominalionc , stipulator
non exit e contracta, gui erat in eo radicatusab in itio, sed persona nominata accumulatur ipsi contrac
tai. 1 Le commissionnaire restera donc débiteur de la
prime convenue, et de toutes les obligations contractées
par la police.
Mais cette nomination réalisée, les assureurs se trou
vent désormais en présence de leur véritable adversai
re, Us peuvent scruter sa conduite, et tout ce qui ressort
de cet axamen amiable ou judiciaire ne peut plus con-
1 D. P., 44, 1. 233.
2 Disc. 5, n° 26 ; — Asaldus, Disc. 42 ; — Valin, t. n, p. 33, 34 ;—
Troplong, art. 1997, n° 564.
�'
ET DE Là FRAUDE.
327
cerner que l’assuré. Le commissionnaire n’a pas même
qualité pour se prétendre intéressé au procès ; à quel
titre donc lui ferait-on supporter la peine que le dol ou
la fraude de son commettant pourra faire prononcer ?
1 2 5 0 . — La seconde condition pour que le mandant
soit tenu envers les tiers, c’est que le mandataire ait agi
dans la limite du mandat. S’il a excédé ses pouvoirs et
que les tiers les aient suffisamment connus, le mandant
n’est pas tenu : Non essendo ademptita la forma del
mandata , non e tenuto il mandate a osservare e ra tificare chio che vien fato del mandatario. '
1 2 5 1 . — L’abus du mandat crée donc une excep
tion en faveur du mandant, mais ses effets diffèrent sui
vant que cette exception est opposée au mandataire ou
aux tiers avec lesquels il a traité.
Le mandataire qui a sciemment outre-passé son man
dat , a commis une faute dont il doit répondre. Il ne
peut, conséquemment, contraindre le mandant à le re
lever des engagements qu’il a personnellement contrac
tés , ni le forcer à lui rembourser les avances et frais
exposés. Cette règle a un fondement rationnel et équi
table : nul ne peut être engagé au-delà de sa volonté et
contre ses ordres exprès. Or, si l’étendue de cette volonté
peut quelquefois être contestable, tout doute est impos
sible lorsqu’elle résulte expressément et formellement du
Casaregis, Disc., 119, n° 9.
^
�328
TRAITÉ DU DOt,
mandat écrit. D’ailleurs , celui qui ne se conforme pas
aux ordres qu’il a reçus, ne peut agir, en réalité, à titre
de mandataire. C’est personnellement qu’il contracte ,
c’est donc aussi lui seul qui s’oblige.
En conséquence, pour ce qui concerne le mandataire,
la règle prescrite par l’art. 1998 est générale et absolue.
Le mandant n’est jamais engagé par ce qui a été fait
au-delà de ses ordres et contrairement à ses intentions.
Tout ce qui a été fait dans ce sens lui demeure étranger,
il n’a pas même besoin d’en faire prononcer la nullité.
Cette nullité est de plein droit et résulte de l’excès du
mandat.
Mais l’existence de l’abus peut être contestée, et ce
n’est qu’en tant qu’il est certain que les effets que nous
venons de rappeler se réalisent. Le doute qui s’élèverait
à cet égard offrirait une question d'interprétation que les
tribunaux décideraient souverainement et en fait.
Or, le doute peut naître des termes obscurs et am
bigus employés par le mandant. Mais, à cet égard, il
importe de remarquer que le mandataire, toutes les fois
qu’il se crée des doutes sur l’étendue de son mandat,
doit provoquer des explications et conformer sa conduite
à celles qui lui sont données. Il ne pourrait donc se pré
valoir de l’obscurité on de l’ambiguïté du mandat, s’il a
eu tout le temps nécessaire pour demander et obtenir ces
explications. Mais il ne serait pas juste de le rendre vic
time de l’erreur qu’il a pu commettre de bonne foi, si
l’accomplissement du mandat devant se réaliserdans un
temps voisin de sa réception, le mandant n’a pu être con-
�ET DE LA FRAUDE.
sulté, ni répondre en temps utile. Dans cette hypothèse,
la faute de ne s’être pas suffisamment expliqué devrait re
tomber sur lui.
1 2 5 2 . — La certitude de l’excès, suffisante contre
le mandataire, ne suffit plus contre les tiers. Il faut, de
plus, que ceux-ci aient pu apprécier l’excès; qu’ils aient,
conséquemment, connu les pouvoirs de celui avec qui ils
ont contracté. Cette connaissance est, dans tous les cas,
présumée. Il est naturel, en effet, que celui qui traite avec
une personne se disant mandataire d’un tiers, lui fasse
exhiber ses pouvoirs. Mais cette présomption peut être
détruite par la preuve contraire que le tiers est toujours
recevable à produire.'
1 2 5 3 . — Par rapport aux tiers, la règle que le man
dant n’est pas tenu de tout ce qui excède le mandat est
susceptible de quelques autres exceptions. Ainsi le tiers
ne pourrait être éconduit que si la production du man
dat et sa connaissance ne lui permettaient pas de se trom
per de bonne foi sur son étendue. L’ambiguïté, l’obscu
rité des termes serait donc pour lui une excuse légitime.
On ne pourrait consacrer le contraire sans s’exposer à de
graves injustices. Bientôt l’une ou l’autre ne serait plus
que l’effet du calcul pour se ménager, dans tous les cas,
une porte de sortie et rendre ai nsi les tiers victimeg d’une
fraude manifeste.
Voy. cependant
su p rà ,
n» 1239.
�330
TRAITÉ DU DOL
1254.
— Une autre exception se réaliserait incon
testablement dans l’hypothèse ou l’excès consisterait
dans l’emploi de la procuration, alors que l’objet pour
lequel elle a été consentie aurait reçu son accomplisse
ment. Je charge un mandataire d’emprunter pour moi
une somme de 1,000 fr. Cet emprunt est effectivement
réalisé et le mandat a produit tout son effet. Mais j’o
mets de retirer la procuration, et celui qui en est por
teur contracte un second, un troisième emprunt. Il y a
là évidemment, un coupable excès de pouvoirs ; mais le
second et le troisième prêteur ne sauraient être privés
de leur recours , que s i , connaissant le premier em
prunt, ils se sont associés à l’infidélité du mandataire.
Si cette preuve n’est pas fournie, il leur suffit d’avoir
suivi la foi de la procuration pour que le mandant soit
obligé envers eux : S i quidem publicæ répugnai œquit a t i , civilique commercio, quod quis sincera fide
contrahens cum aliquo qui manibus habente publicurn instrumentera mandati, debeat sub ista bona fide
decipi.'
M. Troplong, qui approuve cette doctrine, fait très
bien remarquer que le mandant peut facilement échap
per à la possibilité de cet abus en précisant, dans le man
dat, la personne auprès de laquelle l’emprunt devra être
contracté ou bien en retirant la procuration des mains
du mandataire, dès la réalisation de l’emprunt.*
1 Ansaldus, Dig. 30 n° 4.
2 Art. 1998, n» 605 ; — Vid. Delamarre et Lepoitvin, t
h,
n° 354.
�ET DE LA FRAUDE.
331
Le premier moyen est péremptoire autant que facile,
mais il n’en est pas de même du second. Comment, en
effet, obtenir matériellement la restitution d’un titre ,
lorsque le dépositaire ne voudra pas l’opérer ? Ce refus
laissera-t-il le mandant pour toujours responsable des
engagements qu’il plaira au mandataire infidèle de sous
crire ?
Il n’est certes pas possible de l’admettre ainsi. La loi
eût été injuste si elle n’avait pas fourni le moyen de
conjurer un pareil danger. Dans un cas de cette nature,
le mandant ne doit pas se borner à révoquer de fait la
procuration, il doit donner à cette révocation la plus gran
de, la plus éclatante publicité, soit par des circulaires im
primées, soit par l’insertion dans les journaux de la lo
calité. Cette publicité, ayant pour objet de prévenir les
tiers, leur enlèverait, au besoin, toute excuse de bonne
foi et exonérerait le mandant de toute responsabilité des
engagements qu’ils auraient pu contracter avec l’ancien
mandataire.
A défaut de ces précautions, comme dans tous les cas
d’infidélité ou de fraude de la part du mandataire, la
responsabilité appartient au mandant. Les tiers n’ont
nullement à se reprocher d’avoir traité avec celui qui
avait réellement la qualité qu’il prenait, tandis que le
mandant a fait faute en investissant de sa confiance une
personne capable d’en abuser. Il n ’y a donc pas à hé
siter : Vnde quidquid sit in aliis materiis extra commercium, vel inter procuralorcm et dominum, certum
undequaque videtur, quod tertius innocens ac fidem ipsi
�332
TRAITÉ DU DDL
constituenti, non debet ullo modo clandestines actus
procuratoris defraudari eodem modo, quo si procurator asserat récépissé pecunias in eam causam de qua
cantal mandatum , illasque in alios usus concertât,
adhuc ipse constituens qui credidit suo procuratori ,
et non tertius qui credidit ipsi constituenti damnificalur.'
1 2 5 5 . — Le mandant ne saurait récuser la respon
sabilité des actes de son mandataire, si l’excès de pou
voirs dont il excipe résultait non du mandat lui-même,
mais de modifications consenties soit verbalement, soit
par acte séparé. Cependant la connaissance de ces modi
fications par les tiers les placerait sous le coup de l’ar
ticle 1998; mais cette connaissance n’est plus présumée,
comme nous Iedisions tout à l’heure pour celle du man
dat ; celui qui l’alléguerait dans son intérêt devrait la
prouver.
1 2 56. — Enfin, une dernière exception, et celle-ci
commune aux tiers et au mandataire lui-même, résul
terait de la ratification expresse ou tacite que le man
dant aurait faite de l’opération réalisée au-delà du man
dat. Lui seul , en effet, a qualité pour se plaindre de
l’excès de pouvoirs ; mais il n’est pas forcé de le faire.
Rien même ne saurait l’empêcher de s’en appliquer les
effets.
3 Ansaldus, Disc. 30. n° 5.
�ET DE I,A FRAUDE.
333
C’est ce qu’il est, de plein droit, présumé faire lors
qu’il a approuvé formellement l’opération, ou lorsque,
sans donner cette approbation formelle, il s’est contenté
de la ratifier tacitement.
Un principe incontestable en matière de mandat, c’est
que la ratification n’est plus celle exigée par l’article
1338. On ne saurait donc exciper de l’absence, dans
l’acte de ratification, des conditions prescrites par cet
article. La ratification s’induit, définitivement, de tout
acte duquel résulterait une approbation quelconque de
l’opération après que le mandant en a eu connaissance ;
elle s’induira également du silence gardé par lui, com
me s’il s’abstenait de répondre à la lettre par laquelle le
mandataire lui annonce la manière dont il a exécuté ses
ordres. A plus forte raison, si, dans la réponse à cette
lettre, il n’a fait ni protestation, ni réserves.
En matière commerciale, les exemples d’approbation,
tirée du défaut de réponse à une lettre, sont nombreux.
Or, les motifs qui militaient dans ce cas justifiaient l’ap
plication de la règ’e en matière de mandat. Il ne serait
pas juste, en effet, que le mandant pût, à son gré, s’ap
pliquer l’opération si elle est avantageuse, la répudier si
les résultats étaient onéreux, c’est ce qui arriverait cepen
dant, s’il pouvait suspendre sa décision pendant un temps
plus ou moins long. Donc, libre de l’accepter ou de la
répudier, il faut qu’il s’explique dès qu’il en connaît
l’existence et les circonstances essentielles. Son choix est
présumé pour l’acceptation s’il ne se prononce pas pour
le rejet. C’est ceque décidait formellement l’école italien-
�334
TRAITÉ DU DOL
ne : Mandatorem habentem certam scientiam de excessu sui mandati, eique, neque fa d o , neque verbis contradicenlem, haberi pro approbante dummodo cum scientia concurrat aliquis adus, ut receplio litterarum et
taciturnitas ; et fortins responsio sive dissensu vel reprobatione.'
Ces principes étaient marqués au coin d’une trop ex
acte équité, pour qu’ils ne fussent pas suivis sous l’em
pire de notre législation. Aussi le sont-ils à peu près sans
contradiction.1
1 Casaregis, Disc. 30, n°! 60 et 61.
2 Pardessus, t 1, n° 253 ; — Toullier, n° 490 ; — Duranton, t. xm
n» 2 6 5 ;_Troplong, art. 1998, n° 612.
�ET DE LA FRAUDE.
335
DE LA SIMULATION.
OBSERVATIONS GENERALES.
SOMMAIRE.
1257.
D é fin itio n d e la s im u la t io n . E n q u o i e lle d iffère d u d o l ou
1258.
E l le e s t a b s o lu e o u r e la t iv e .
1259.
O b je ts q u ’e ll e s e p r o p o s e .
d e la fr a u d e .
1257.
— La simulation n’est pas autre chose qu’une
fraude. Ce qui la distingue de celle que nous venons
d ’examiner et du dol lui-même , c’est que ceux-ci sont
ordinairement le fait exclusif d’une des parties , exécuté
et conçu pour causer un préjudice à l’autre, tandis que
la simulation ne peut exister sans le concours et le con
sentement de toutes les parties.
Une autre différence non moins essentielle, c’est que
la fraude et le dol sont nécessairement frauduleux et que
leur effet est d’annuler infailliblement le contrat qui en
est vicié. La simulation , au contraire , n’est pas tou
jours illicite, elle est même, dans certains cas, incapable
�336
TRAITÉ DU DOL
d’empêcher la convention de recevoir son exécution plei
ne et entière.
Depuis longtemps la doctrine a défini la simulation.
Elle est le déguisement de la vérité ; on appelle simulé ,
l’acte qui n’est pas l’expression sincère de l’intention
réelle des parties : Cum aliud agitur , aliud similatur
vel scribitur.
s
1258. — La simulation est absolue ou relative. Ab
solue, quand les parties n’ont pas eu l’intention de con
tracter un véritable engagement ; lorsque le contrat est
purement fictif; lorsqu’on suppose des aliénations pour
mettre ses biens à couvert contre les poursuites de la loi
ou de ses créanciers.
Elle est relative, lorsque les parties ont formé un en
gagement réel sous l’apparence d’un autre contrat, une
donation sous la forme d’une vente, une vente sous celle
d’un échange, etc...
1259. — Ce double caractère indique suffisamment
les divers buts que peut se proposer la simulation. C’est
le déguisement pur et simple du contrat, ou un prétexte
pour éluder la l o i, ou un moyen de tromper les tiers.
Nous allons la suivre dans chacune de ses phases, et en
rechercher les effets.
�337
ET DE LA FRAUDE.
CHAPITRE I".
S IM U L A T IO N P U R E E T S I M P L E DU C O N T R A T ,
SOM MAIRE.
1260.
C a r a ctè r es d e la s im u la t io n l ic i t e .
1261.
L é g is la t io n r o m a in e .
1262.
L é g is la tio n a c t u e ll e .
1 263.
D iffé r e n c e e n t r e l'a c t e a t t e in t d ’u n e s im u la tio n r e la tiv e e t
1264.
V a lid ité d e la d o n a tio n d é g u i s é e . D é b a t s q u ’e ll e a v a it s o u
c e lu i v ic ié p ar u n e s im u la t io n a b s o lu e .
le v é s d a n s le s e in d e la C o u r d e c a s s a t io n .
1265.
C e r é s u l t a t , j u r id iq u e m e n t i n é v i t a b l e , p a r a ît c o n tr a ir e à
1266.
L a d o n a tio n d é g u i s é e , a ffr a n c h ie d e la r é v o c a tio n
la r a is o n .
pour
c a u s e d ’in g r a t it u d e , e s t - e lle r é v o q u é e p o u r s u r v e
n a n c e d ’e r if a n t s ?
1267.
P r e u v e a d m is s ib le p o u r é t a b lir le v é r ita b le c a r a c tè r e d e
l ’a c t e , e n c a s d ’a c tio n e n r é v o c a tio n
p o u r su rv en a n ce
d 'e n f a n t s .
ii î
22
�338
4268.
TRAITÉ DU DOL
D u r é e d e l ’a c tio n .
1269.
S e s c o n s é q u e n c e s à l ’e n d r o it d e s t ie r s d é t e n t e u r s .
1270.
L a v e n te p e u t ê tr e v a la b le m e n t c o n s e n t ie s o u s fo r m e d ’u n
é c h a n g e e t r é c ip r o q u e m e n t .
1271.
Im p o r ta n c e d u v é r ita b le c a r a c tè r e d e l'a c te p o u r la p la in te
1272.
La p r e u v e t e s t im o n ia le e s t - e l l e a d m is s ib le p o u r é ta b lir
e n lé s io n .
la
sim u la tio n ?
c /1 2 7 3 .
S im u la t io n d a n s la d a te d e l ’a c te s o u s s e i n g - p r i v é . S e s e f
1274.
Q u id, e n c a s d e d é n é g a tio n d e l'é c r it u r e o u d e la s ig n a
1275.
L a r e c o n n a is s a n c e d e l ’a c te e s t f o r m e lle o u ta c it e .
1276.
P o u r q u e l ’a c te p u is s e fa ire foi d e sa d a t e , i l fa u t q u e le
fe ts e n tr e l e s p a r tie s .
tu r e ?
s o u s c r ip te u r à q u i o n l ’o p p o s e n ’a it p a s a c q u is d e p u is
p e u , o u n ’a it p a s p e r d u , d a n s l ’i n t e r v a lle , la c a p a c ité
d e c o n tr a c te r .
1277.
A p p lic a tio n d e c e t t e r è g le au m in e u r o u à l ’in t e r d it .
1278.
A la fe m m e m a r ié e .
1279.
A c e lu i fr a p p é d ’u n e c o n d a m n a tio n c r im in e lle .
1280.
L e s t e r m e s d e l ’a r t. 1 3 2 2 , a y a n t- c a u s e , s ’a p p l iq u e n t - i ls
1281.
O p in io n d e T o u llie r . .
a u x s u c c e s s e u r s à t it r e p a r tic u lie r ?
1282.
O p in io n c o n tr a ir e d e C h a rd o n .
1283.
E xam en de c e lle - c i.
1284.
E x c e p t io n à la r è g le d e l ’a r t. 4 3 2 2 , e n m a tiè r e d e le t t r e s
1285.
M otifs d e c e t t e e x c e p t io n .
1286.
R ésu m é.
de change.
1260.
— La simulation simple, lorsquelle n’a pas
pour objet de déguiser une incapacité légale ou de don
ner une apparence licite à un contrat prohibé, lorsque,
enfin, elle ne renferme aucune intention de frauder la
�ET DE LA FRAUDE.
339
loi ou de nuire à des tiers, n’est prohibée en aucune ma
nière. Son existence ne pourrait donc nuire à la validité
de l’acte, ni occasionner la nullité du contrat, dont il a
plu aux parties d’emprunter les formes.
Ces paroles, d’un arrêt de la Cour de cassation, du 34
octobre 1809, dominent notre matière. La règle en ré
sultant estla validité de l’acte, ramené à l’intention vraie
des parties.
Il est certain, en effet, que dès que les parties sont
respectivement capables de contracter; que dès que le
contrat a une cause licite et réelle, les conditions exi
gées pour la validité des conventions se trouvent réali
sées, et dès- lors, quelles que soient les formes adop
tées, le contrat tombe sous l’application de l’art. 1134,
donnant un lien obligatoire aux conventions légalement
intervenues.
Nous disons quelles que soient les formes adoptées.
En effet, il importe peu que les parties aient donné au
contrat une qualification et une apparence distinctes
de celles qu’il devait naturellement offrir. Dans l’appré
ciation des conventions, c’est l’intention qu’il faut re
chercher plutôt que de s’arrêter servilement aux termes
dans lesquels elle se manifeste, et si l’exécution de l’in
tention vraie ne doit rencontrer aucun obstacle ni dans
la loi, ni dans l’ordre public, ni dans les droits des tiers,
elle doit non-seulement être tolérée, mais encore or
donnée.
1 2 6 1 . — Cette règle n’avait pas été méconnue par le
�«
340
TRAITÉ DU DOL
droit romain, qui admettait la validité de l’acte simulé:
S i quis donationis causa venditionis conlraclus simulalus est, emptio in sua déficit substanlia, sane in
possessionem rei sub specie traditionis causa donatio
nis, ut te aleret induxisti : sicut perfecta donatio fa
cile rescindi non potest, ita legi, quam tuis rebus donans, dixisti, parère convenit.'
Dans son Commentaire de cette loi, Bruneman en
résume ainsi la substance : Simulatam emptionem licet non valeat ilia ut emptio, valere tamen u t alium
contractum qui révéra intenditur, quia conlraclus
simulatus a licito ad licitum ju re non est irritus.
Godefroy de son côté, enseigne, à cette occasion : Et
ita si non valet quod ago ut ago, valet ut valerepotest,
non valet ut venditio, valet ut donatio. Inspicitur voluntas contrahentium quibus animus fu it donare, ita
utverus contractus donationis prœvaleal simulatœ venditioni.
Cette doctrine, confirmée par d'autres lois, ’ ne pouvait
laisser aucun doute sur le sort de l’acte, il ne paraît pas
qu’elle ait soulevé la moindre difficulté sous notre ancien
droit.
1262.
— Le Code civil ne s’est pas exprimé avec la
netteté et la précision du législateur romain, mais, en
l’absence de toute disposition contraire, la rationalitéde
la solution que nous venons d’indiquer devait la Caire adi L. 3, Cod. de Çontrah. de empt.
3 L. 9. Cod. eodem Ulula -, — L. ull. Dig. pra donato.
�ET DE LA FRAUDE.
mettre. Toutefois il y a mieux qu’uu simple silence, et,
de quelques dispositions de notre loi, on peut tirer celte
conséquence que la doctrine du droit romain a reçu une
approbation explicite.
1263.
— L’acte, atteint d’une simulation relative,
ne saurait être assimilé à celui que vicie une simulation
absolue. On a pu dire de ce dernier : Colorem habet,
substantiam vero m llam . Tout ce qu’on pourrait dire
du premier, c’est que colorem habet, substantiam vero
alteram. La cause énoncée n’est pas exacte, mais, au
fond, il en existe une réelle et sincère.
Ce caractère, parfaitement saisi par la loi romaine,
avait dicté ses dispositions. Eh bien ! ce caractère et ses
conséquences nous les retrouvons dans le Code civil ; il est
vrai que l’art. 1132 assimile la fausse cause à la cause il
licite, immorable, à l’absence de toute cause, mais l’art.
1133 ajoute immédiatement que la convention n’est pas
moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée,
d’où on a conclu que l’obligation est valable quoique la
cause exprimée soit fausse, pourvu qu’il existe réelle
ment une cause légitime.
C’est précisément ce qu’il se réalise dans la simulation
relative. Ainsi l’acte qualifié vente ou échange, n’est ni
une vente, ni une échange, mais il est un donation dans
le premier cas, une vente dans le second. Si la cause
énoncée est fausse, il en existe donc une réelle, et cela
suffit pour la validité delà convention.
Ce qui n’est qu’une induction, puissante il est vrai,en
*■
�342
TRAITÉ DU DOL
regard de l’art. 1133, devient une certitude si l’on recourt
à l’art. 911. Dans celui-ci, le législateur s’occupe de la
simulation dans le caractère du contrat et annule la do
nation déguisée sous la forme d’un acte à titre onéreux,
mais le motif déterminant de cette nullité ne se puise
pas dans le déguisement de la convention, mais unique
ment dans le défaut de capacité du donataire. D’où il ré
sulte que là où ce défaut de capacité n’existe pas, la li
béralité est bien obvenue, qu’elle que soit d’ailleurs la
forme sous laquelle elle ait été déguisée.
1264.
*— Nous arrivons donc à ce résultat que, loin
de déroger au droit romain, le Code civil en a consacré
la doctrine, et ce qui le prouve d’une manière péremp
toire, c’est l’abandon aujourd’hui consommé d’une dis
sidence que la validité de la donation déguisée avait
soulevé dans le sein de la Cour de cassation elle-même;
ainsi, tandis que l’affirmative était professée par la cham
bre civile, la chambre des requêtes se prononçait pour la
négative.
Un arrêt rendu parcelle-ci le 8 frimaire an xm, nous
parait utile à recueillir comme une constatation des repro
ches pouvant être adressés au système qui a définitive
ment prévalu.
Attendu, porte cet arrêt, que les lois du 17 nivôse an
n, et 4 germinal an vin, en introduisant un droit nou
veau relativement à la quotité des biens disponibles, n’ont
rien statué à l’égard de la forme des actes par lesquels il
serait permis de disposer à titre gratuit ; d’où il résulte
�ET DE LA FRAUDE.
343
que les lois antérieures à ce sujet ont dû continuer de re
cevoir leur exécution ;
Attendu, que d’après la disposition de ces lois, etnotamment de l’ordonnance de 1731, il n’existait que deux
manières de disposer à titre gratuit, savoir : par dona
tions entre-vifs ou par testament, chacune desquelles
était assujétie à des formes particulières dont l’inobser
vation entraînait la peine de nullité; d’où il suit que
lorsqu’un acte ne contient pas la mention expresse, de
la part de l’une des parties, de disposer en faveur de
l’autre à titre gratuit, et que, sans être revêtu des formes
particulières à ce genre de disposition.il ne contient que
la simple énonciation d’un contrat commutatif à titre
onéreux, il ne peut être regardé comme donation par cela
seul qu’il ne peut valoir comme contrat commutatif, car
autrement ce serait tromper la sage prévoyance du lé
gislateur qui en exigeant l’énonciation expresse de l’in
tention de disposer à titre gratuit, et le soumettant t)
l’accomplissement de certaines formalités , n’a évidem
ment eu d’autre objet que de garantir les donateurs des
surprises qu’on pourrait leur faire en déguisant , sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux , une véritable
libéralité qui n’était point dans leur intention, et de dis
penser par ce moyen le donataire des obligations résul
tant d’une donation expresse , telles que la nécessité de
l’insinuation, la révocation pour cause d’ingratitude, de
survenance d’enfants et autres cas semblables.
Comme on le voit, le principal argument invoqué par
la chambre des requêtes était celui-ci : Des lois spéciales
�344
TRAITÉ DU DOL
ayant ordonné des formalités obligatoires pour les dona
tions, il ne saurait être qu’on pût s’en dispenser en dé
guisant la libéralité sous l’apparence d’un acte à titre
onéreux, il ne peut exister de donation valable que celle
qui réunit les formalités voulues par la loi. Nous allons
trouver la réponse à cet argument dans un arrêt de la
chambre civile, rendu le 5 janvier 1814, précédé et suivi
de beaucoup d’autres, tous dans le même sens.
Yu les lois 36 et 38, Digeste de contrahenda emptione ; la loi 6, Digeste pro donato , et la loi 3 eodem
titulo.
Et attendu que les donations tacites sont permises par
les lois ci-dessus citées ; que le statut delphinal et l’or
donnance de 1731 ne les ont pas formellement abro
gées ; que les dispositions de ces lois, relatives aux for
mes qu’elles prescrivent, comme indispensables pour la
validité des donations , ne se rapportent qu’aux dona
tions proprement dites, et non aux libéralités tacites ,
faites sous les formes d’un autre contrat, lorsqu’il y a
capacité de donner et de recevoir sans blesser le vœu
de la loi ; que la simulation n’est prohibée que lorsqu’elle
a pour objet d’éluder une disposition de loi ou de nuire
aux droits des tiers ; que le principe , contenu à cet égard dans les lois romaines, se trouve reproduit et con
sacré par l’art. 911 du Code civil.
Cette jurisprudence n ’a plus aujourd’hui de contra
dicteur, la chambre des requêtes ayant fini par s’y ral
lier. Il en résulte qu’en droit la donation, déguisée sous
l’apparence d’une vente , doit sortir à effet lorsqu’à la
�ET DE LA FRAUDE.
345
capacité des parties contractantes se joint l’absence de
toute intention de nuire aux tiers. Nous reconnaissons
même qu’en présence des dispositions du Code , il était
difficile d’arriver légalement à un autre résultat.
1 265.
—* Mais ce résultat contraire aurait dû être
accueilli et consacré par le législateur. Nous n’hésitons
pas à le dire , la validité de la donation , déguisée sous
la forme d’un contrat à titre onéreux, est un abus qu’on
eût bien fait de proscrire. Les inconvénients signalés par
la chambre des requêtes sont graves autant qu’évidents,
et nous ne comprenons pas que le législateur de 1843
n’ait pas eu le courage de consacrer une mesure qui n’é
tait que la conséquence rigoureusement logique de la
réforme qu’il introduisait dans la législation.
La différence d’une libéralité à un acte ordinaire ne
lui avait pas pourtant échappé. L’exception consacrée
par l’art. 2 de la loi du 24 juin, à l’endroit des pretniè^
res, le prouve péremptoirement.
Ce qui le prouve mieux encore, ce Sont les motifs qui
ont fait admettre cette exception. « Il est une classe
d’actes, disait le rapporteur, M. Philippe Dupin, que les
auteurs de la loi ont cru devoir soumettre à des formes
plus rigoureuses , et pour lesquelles on hotfs propose
d’exiger le concours effectif, la présence réelle du notai
re en second et des témoins, ce sont les donations de
toute nature....
« Quelques esprits se sont étonnés de cette distinction.
Ils ont demandé si une vente ou un échange de trois
�346
TRAITÉ DU DOL
cent raille francs n’était pas plus important qu’une do
nation de cent francs.
« Mais on n’a pas fait attention que la différence pro
posée était fondée sur la nature des actes , et non sur
l’importance de l’intérêt.
« En effet, les actes ordinaires donnent presque tou
jours lieu à des faits d’exécution immédiate ou du moins
à des faits qui s’accomplissent du vivant des parties con
tractantes. Cette exécution sert de contrôle, de certifica
tion, et, en cas de débats, les intéressés sont là pour ex
pliquer leurs propres intentions , et combattre les frau
des de toute nature. Les donations, au contraire, presque
toujours accompagnées d’une réserve d’usufruit, ne
viennent à exécution qu’après la mort de ceux qui les
ont faites; elles sommeillent jusque là, et, lorsque le jour
de l’exécution est arrivé, le donateur ne peut plus éle
ver la voix pour protester contre les surprises, et pour
déjouer les fraudes.
« Autre différence plus importante encore : Les do
nations sont trop souvent arrachées à la faiblesse ou à la
maladie par des influences diverses et par des manœu
vres captatoires, il n’en est pas de même des autres ac
tes. On a donc pensé que la liberté des donateurs doit
être plus spécialement protégée par la présence de deux
notaires, ou d’un notaire et de deux témoins. Cette pré
caution est prise, bien moins contre le notaire que contre
l’entourage du donateur. »
Ces considérations prévalurent , et les garanties pro
posées furent admises. On reconnut donc qu’il était ur-
�ET DE LA FRAUDE.
gent de protéger le donateur contre sa propre faiblesse ,
contre l’avidité de son entourage. Le moyen adopté estil , peut - il être efficace , tant qu’une donation pourra
valablement se déguiser sous la forme d’un contrat oné
reux ? La loi de 1843 ne répond donc nullement à la
pensée du législateur. La garantie qu’elle exige n ’est
qu’apparente , et, loin de protéger les intérêts qu’elle a
voulu couvrir, elle les compromet plutôt. En effet, plus
la volonté du donateur sera incertaine, plus il aura fallu
recourir à la surprise et à la fraude, et plus on reculera
devant la nécessité imposée par la loi, lorsque, pour l’é
luder et pour faire triompher des manœuvres coupables,
il suffira de recourir à la simulation et de rédiger un
acte de vente sous seing-privé.
Le corollaire indispensable delà loi de 1843 était
donc une disposition annulant la donation déguisée sous
la forme d’un acte onéreux. A cette condition seulement
il était possible d’empêcher la fraude qu’elle a voulu
prévenir.
Comment l’empêcherait-elle en l’absence de cette pro
hibition ? Le donataire a le plus grand intérêt à simu
ler un acte à titre onéreux. Cet acte a tous les avantages
de la donation, sans aucune de ses charges ; il n’est sou
mis h aucune forme, à aucune authenticité ; il est plus
irrévocable encore que la donation elle-même. En effet,
l’ingratitude du donataire peut faire révoquer celle-ci ,
mais elle ne révoque pas l’acte simulé. Le prétendu ac
quéreur pourra payer son bienfaiteur de la plus noire
ingratitude : le chasser, l’expulser de chez lui, lui refuser
�348
TRAITÉ DU DOl
les aliments, en un mot, le réduire à recourir à la cha
rité publique, e t, pendant ce temps, il jouira insolem
ment d’une fortune que la fraude , aidée d’une simula
tion, lui permettra de retenir.
Tout cela, dit-on, c’est le donateur qui l’a voulu luimême, puisque, pour mieux assurer son bienfait, il s’est
lié plus irrévocablement que par une donation franche.
Mais, peut-on raisonnablement croire que le donateur a
pu faire autrement et qu’il a parfaitement apprécié les
conséquences de l’acte qu’il souscrivait ? Il faudrait ,
pour cela, admettre qu’il a préféré l’intérêt du donataire
au sien propre. Cet intérêt exigeait qu’il se précaution
nât contre une ingratitude qu’il devait prévoir, et, s’il a
failli à ce qu’exigeait cette prévision , c’est qu’il n’a pas
été maître de faire autrement qu’il n ’a fait.
Cela se conçoit. Le donataire a , l u i , le plus grand
intérêt à se garantir contre la chance d’une révocation,
dans une hypothèse dont il s’est peut - être déjà rendu
intentionnellement coupable. On ne hasarde donc rien
en le supposant l’auteur d’une simulation qui l’affran
chit du devoir de la reconnaissance et qui consolide plus
fortement entre ses mains cette fortune qu’il convoite.
7s fecit scelus cm prodest, dit la raison criminelle , et
cette maxime d o it, dans notre hypothèse , résoudre la
difficulté. Ajoutons que celui que l’idée d’une donation
alarmerait, n’est pas aussi effrayé de l’idée d’une fausse
vente , qu’on lui présente comme sans efficacité , sans
portée réelle , ne devant sortir à effet que s’il ne la ré
tracte pas , en un mot comme révocable au même titre
que le testament lui-même.
�ET DE LA FRAUDE.
349
Notre pratique personnelle nous a convaincu de l’au
dace avec laquelle les avides coureurs d’héritage s’effor
cent de persuader et persuadent quelquefois de choses
incroyables. Il est vrai qu’ils ont le soin de s’adresser à
d’autres qu’à des intelligences saines et fortes. Mais c’est
surtout la vieillesse et la décrépitude qui ont besoin d’ê
tre protégées.
Dira-t-on que ce sont là des manœuvres frauduleuses
de nature à vicier l’acte ? Mais plus l’idée suggérée est
extraordinaire, et plus on répugne à l’admettre. On ne
voit, dans la plainte, qu’un moyen de rétracter une li
béralité qu’on regrette, et comme , en définitive , il n’y
a aucune preuve écrite , et qu’il faudrait recourir à la
preuve testimoniale , on vous écarte parce qu’on s’est
rendu complice de la fraude alléguée : Nemo auditur
allegans propriam turpitudinem.
Nous avons donc raison de le dire, tant qu’on n’aura
pas admis la nullité de toute donation qui ne réunira
pas les formes que la loi impose pour les actes de cette
nature, on n’aura pas garanti efficacement le donateur
contre les fraudes de son entourage. Tout ce qu’on ten
tera dans ce sens ne produira d’autre résultat que d’en
courager la fraude à se réfugier dans la large voie qu’on
lui laisse.
1266.
— Ainsi que nous venons de l’indiquer , la
donation déguisée n ’est point soumise à la révocation
pour cause d’ingratitude. Est-elle également affranchie
de la révocation pour survenance d’enfants ?
�350
TRAITÉ DU DOL
La révocation pour survenance d’enfants, quelque équitable qu’elle so it, n’a pas toujours été admise sans
contestation. Les docteurs étaient partagés, même depuis
la loi si unquam, ' car ceux qui tenaient pour la néga
tive soutenaient que cette loi n’était applicable qu’aux
donations faites par un patron à son affranchi. Cepen
dant son application aux donations en général avait fini
par être admise.
L’ordonnance de 1731 aurait, dans tous les cas, rendu
tout litige impossible. Aux termes de l’art. 39 , les do
nations, quelles qu’elles soient, à quelque titre qu’elles
aient été faites,1 de quelque valeur qu’elles puissent être,
sont révoquées par la survenance d’enfants. Les difficul
tés qui s’étaient élevées sur les dons mutuels , sur la
faculté pour le donateur de s’interdire d’user de cette
révocation, ou de la ratifier après la naissance des en
fants ont été également tranchées par l’ordonnance.
Le Code civil s’est approprié les dispositions du légis
lateur de 1731. Les articles 960 et suivants sont formels
et explicites à cet égard. La survenance d’enfants annule
toute donation précédente. La loi suppose que leur exis
tence , au temps de la donation , l’eût empêchée de se
réaliser; elle présume, en outre, dans celle faite par un
homme sans enfants, l’existence d’une clause tacite et
implicite de révocation, en cas qu’il lui en survienne.
I L 8, Cod, de Rev. donat.
s Sont cependant exceptées: 1° les donations faites, dans le contrat de
mariage, aux conjoints par leurs ascendants; 2° celles que les conjoints
se font l’un à l’autre.
�ET DE LA FRAUDE.
351
Notons que le motif de cette révocation est plutôt dans
l’intérêt des enfants que dans celui du donateur. On ne
pouvait admettre qu’une famille dût , avant même de
naître, être dépouillée d’une fortune que sa qualité seule
devait lui assurer de préférence à tous.
Cela admis, nous n’hésitons pas à résoudre négative
ment la question que nous nous sommes posée, et à te
nir que la donation, déguisée sous la forme d’un contrat
à titre onéreux, est révoquée par la survenance d’enfants
au donateur.
Qu’on ne puisse pas la faire révoquer pour cause d’in
gratitude , on le comprend. Cette révocation est dans
l’intérêt personnel et exclusif du donateur. En droit ,
chacun peut déroger à une loi faite en sa faveur, or cette
dérogation à tout avantage personnel s’induit contre le
donateur. Par cela seul qu’il a dissimulé la libéralité, il
l’a rendue ainsi à tout jamais irrévocable ; il n’y a donc
que justice à lui faire supporter les effets d’une irrévo
cabilité qu’il a pu et n’a pas voulu empêcher.
Mais la maxime qu’on peut déroger à une loi faite en
sa faveur n’a plus aucune portée, lorsque la révocation
est demandée pour survenance d’enfants, par deux rai
sons : 1° parce que, dans ce cas, la révocation est plutôt
dans l’intérêt des enfants que du donateur lui-même ;
2° parce que, comme l’enseignent Ricard et Pothier, la
dérogation peut s’entendre avec cette limitation , pourvu
que son auteur soit dans le même état et dans la même
position qu’il se trouvera lorsqu’il aura droit de se ser
vir de la loi à laquelle il a dérogé, et non pas lorsqu’il
�332
TRAITÉ DU DOL
est encore dans l’état en considération duquel la loi a
voulu lui subvenir. Ainsi, un mineur ne peut pas re
noncer à la loi qui lui accorde la restitution , pendant
qu’il est encore en minorité. Par la même raison, la loi
pour la révocation des donations au cas de survenance
d’enfants ayant été faite pour subvenir au défaut de pré
voyance des gens qui n’ont pas d’enfants et se persua
dent trop facilement qu’ils ne changeront pas de volonté
et qu’ils n’en auront pas, il ne leur est pas permis, pen
dant qu’ils n’ont pas encore d’enfants , pendant qu’ils
sont dans l’erreur contre laquelle la loi a voulu sub
venir, de renoncer au droit que la loi a établi en. leur
faveur.’
Il est un autre motif plus péremptoire encore , c’est
celui qui se tire de la disposition de l’art. 965 du Code
civil. Toute clause ou convention par laquelle le dona
teur aurait renoncé à la révocation de la donation pour
survenance d’enfants, sera regardée comme nulle, et ne
pourra produire aucun effet. Ainsi la renonciation for
melle est défendue, comment dès lors en admettre une
tacite, c’est-à-dire qu’on pourrait, par une voie indirecte,
arriver à faire ce qu’il est prohibé de faire indirectement.
Ce simple aperçu suffirait pour juger la question. En
admettant que la simulation de l’acte valût renonciation
à le faire révoquer pour survenance d’enfants, cette re
nonciation ne pourrait valoir plus qu’une convention
1 Ricard , des Donat., n0! 575 et suiv. ; — Pothier, sect. 3 , art. 2 ,
�ET DE LA. FRAUDE.
353
expresse, elle serait donc frappée , comme celle-ci , par
la disposition de l’art. 965.
1 267.
— Il est vrai que le donataire menacé de la
révocation pourrait vouloir soutenir la sincérité du ca
ractère onéreux donné à l’acte, mais il résulte forcément
de ce qui précède qu’on pourrait prouver le contraire.
La maxime nemo audilur.... deviendrait inapplicable ,
d’abord parce que les enfants , dans l’intérêt desquels
surtout a été édicté l’art. 965 , étant censés, les princi
paux demandeurs , n’ont et ne peuvent avoir participé
à une fraude commise avant qu’ils fussent nés ; ensuite
parce que le père serait censé avoir voulu éluder la dis
position de l’art. 965 et faire tacitement une renoncia
tion formellement prohibée. Dès lors il s’agirait d’une
fraude non-seulement à une loi prohibitive, mais encore
préjudiciable à des tiers ; dès lors aussi la preuve testi
moniale, et, par voie de conséquence, celle par présomp
tions , pourrait être invoquée par le complice , dans le
premier cas ; dans l’intérêt des enfants, dans le second.
Ainsi , en cas de résistance à la révocation de la part
du donataire , le véritable caractère de l’acte pourrait
être établi par témoins ou par présomptions. Prouvé qu’il
fût qu’il ne constitue qu’une libéralité, elle se trouverait
révoquée, alors même, dit l’art. 962 du Code civil, que
le donataire serait entré en possession des biens don
nés, et qu’il y aurait été laissé par le donateur depuis
la survenance d’enfants. La révocation s’opère de plein
droit. Elle est absolue en ce sens que l’intégralité des
lu
23
�354
TRAITÉ DU DOL
biens donnés fait retour au donateur ou à ses enfants,
sans que le donataire soit autorisé à retenir la quotité
disponible, lorsque la révocation est poursuivie par ceuxci après la mort de leur père, la réduction à concurrence
de cette quotité ne pouvant se réaliser que dans le cas
de donations faites après la naissance des enfants.
1268.
— L’action en révocation pour survenance
d’enfants dure trente ans qui ne commencent à courir ,
aux termes de l’art. 966 , que du jour de la naissance
du dernier enfant, même posthume , du donateur. Le
donataire, ses héritiers ou ayans-cause ne pourront donc
se maintenir en possession des objets donnés que s’ils
prouvent en avoir joui plus de trente a n s, à partir de
cette époque. Remarquons que cette prescription est sou
mise par l’art. 966 à toutes les interruptions telles que
de droit. Ainsi, les causes qui empêchent ou interrom
pent légalement le cours de la prescription en matière
ordinaire produiront dans notre hypothèse tout leur ef
fet. Il ne suffira donc pas d’une possession de fait plus
que trentenaire , il faudra de p lu s, qu’au regard de la
paTtie intéressée , cette possession ait pu faire acquérir
la prescription.
Cette exception est la seule opposable à la demande
en révocation. Toute reconnaissance , toute ratification
faite par le donateur après la survenance d’enfants n’au
rait aucun effet. Ce qui n’existe pas ne peut être ni re
connu, ni ratifié ; or la donation se trouve de plein droit
révoquée par la survenance d’enfants , elle tombe d’une
�ET DE LA FRAUDE.
355
manière tellement absolue, que la mort postérieure des
enfants, dont la naissance l’a fait révoquer, est impuis
sante à la faire revivre. Toute donation nouvelle, qui
serait consentie après la naissance des enfants , ne se
rait valable que jusqu’à concurrence de la quotité dis
ponible.
1269.
— L’art. 966 m et, quant à l’obligation de
restituer les biens , sur une même ligne , le donataire ,
ses héritiers ou ayans-causeet tous autres détenteurs. Il
résulte de ces termes que les tiers - acquéreurs ne pour
raient se prévaloir de la prescription décennale établie
en leur faveur par l’art. 2265 du Code civil.
Ce résultat n’a rien de trop rigoureux , lorsque la li
béralité ayant été consentie sous la forme d’une dona
tion, le tiers n’a pu ignorer qu’il traitait avec un dona
taire. Il a dès lors pu apprécier les dangers que courait
le titre de son cédant, dangers qu’il a assumés sur sa tête,
en consentant à traiter avec lui.
Mais il n’en est pas ainsi lorsque la donation se dé
guisant sous la forme d’un contrat à litre onéreux, l’ac
quéreur a pu croire à l’irrévocabilité du titre de son ven
deur. Il semble en effet qu’on ne peut exiger de lui qu’il
crût à une simulation que rien ne devait et ne pouvait
lui indiquer. Sa bonne foi ne saurait donc être suspec
tée, et n’est-ce pas se montrer injuste envers lui que de
le dépouiller de ce qu’il a légitimement acquis.
Cette objection est grave et sérieuse , on ne s’en est
pas dissimulé la portée. Mais les droits des enfants ont
�356
TRAITÉ DU DOL
prévalu et devaient en effet prévaloir. On comprend le
danger que couraient ces droits , si les tiers-acquéreurs
pouvaient échapper à l’obligation de rendre par la simple
prescription décennale. Le donataire, qui, par la simu
lation de l’acte, s’est mis à couvert de la révocation pour
cause d’ingratitude, n’aurait rien de plus pressé que d’a
liéner les objets donnés pour se soustraire au danger
dont le menace celle pour survenance d’enfants. De telle
sorte que celle-ci se réalisant, le donateur et ses enfants
se trouveraient en présence d’une insolvabilité réelle ou
feinte , et dans l’impossibilité de reconquérir cette for
tune que la loi entend leur assurer.
Les inconvénients que présenterait un tel état de cho
ses, l’atteinte que l’intérêt général pourrait subir de cette
fatale spoliation d’une famille innocente de la faiblesse
ou de l’imprévoyance de son auteur, a paru exiger une
dérogation à l’intérêt particulier des tiers - acquéreurs.
La lo i, voulant la fin , devait vouloir les moyens ; s’ar
rêter devant la bonne foi des tiers - acquéreurs, c’était
précisément, comme nous le disons, en aliéner le plus
décisif.
La loi a donc appliqué à l’hypothèse qui nous occupe
une règle sevère , mais nécessaire pour l’efficacité des
mesures qu’elle sanctionnait. Ainsi, de quelque manière
qu’elle se soit réalisée, la donation se trouvant révoquée,
tous les biens qui en faisaient l’objet reviennent francs
et libres entre les mains du donateur ou de ses héritiers;
les tiers-acquéreurs aux-mêmes sont soumis à restituer,
à moins qu’ils ne puissent opposer la prescription de
trente ans.
�ET DE LA FRAUDE.
357
Il suit de là que ces tiers ont un intérêt évident dans
l’instance en révocation. Ils devront donc, s’ils sont con
nus, y être appelés pour surveiller leurs droits et s’op
poser à toute collusion entre les prétendus donateur et
donataire. Ils peuvent, s’ils n’ont pas été appelés, inter
venir ; ils o n t, dans tous les cas , le droit de former
tierce - opposition au jugement de révocation, lorsque,
actionnés en délaissement, on prétendra le leur opposer.
1270. — La vente peut être déguisée sous la forme
de l’échange , et cette simulation n’a rien que de trèslicite , lorsque, d’ailleurs, l’acte en résultant offre tous
les éléments de validité exigés par la loi.
Mais cette simulation peut n’être qu’une fraude. Nous
avons vu que soit la vente, soit l’échange peut, sous des
apparences légales, pallier l’usure. Nous avons aussi
établi les conséquences en résultant en faveur et contre
les parties.
Nous n’avons ici à nous occuper que de la simulation
licite, et à rechercher le mode par lequel on pourra l’é
tablir, et les effets dont elle est susceptible.
En thèse , la question de savoir si un échange dissi
mule une vente est assez indifférente. Valable dans l’un
et l’autre cas, l’acte n’en doit pas moins produire tous
ses effets.
1271. — Mais il est une hypothèse dans laquelle
cette question acquiert une haute importance, à savoir :
lorsque le contrat est querellé pour cause de lésion. On
�358
TRAITÉ DU BOL
sait, en effet, qu’une lésion, de plus des sept douzièmes
fait rescinder la vente, tandis que l’échange ne comporte
pas même l’action en lésion. Il est dès lors certain que,
la lésion existant, le caractère réel de l’acte est décisif,
puisqu’il sera rescindé ou maintenu , selon qu’il sera
déclaré vente ou échange.
La‘justice se trouvera donc nécessairement en présen
ce d’allégations contradictoires de la part des parties.
Chacune d’elle soutiendra celle qui servira le mieux son
intérêt. Que fera la justice ?
Son rôle serait facile si le demandeur en rescision
pour lésion rapportait la preuve littérale de la réalité de
la vente dont il excipe, ou si du moins il invoquait un
commencement de preuve par écrit. Mais , en l’absence
de l’un ou de l’autre, on maintiendra l’acte tel qu’il se
présente, sans vouloir recourir à la preuve orale, ni s’ar
rêter aux présomptions plus ou moins graves dont le
demandeur excipera.
En effet, par respect pour la liberté des conventions,
la loi accepte et doit accepter la forme dans laquelle il
a plu aux parties de les constater. Il suffit que le con
trat apparent soit revêtu des formalités exigées pour sa va
lidité, pour que son exécution soit ordonnée. Il est pré
sumé sincère par cela seul qu’il est l’œuvre commune des
parties.
Il est vrai que la vérité doit être substituée à la fiction.
Mais encore faut-il que cette vérité apparaisse d’une ma
nière régulière, et cette régularité ne peut résulter que
d’une preuve écrite. Vouloir établir qu’il s’est agi d’a u -
�ET DE LA FRAUDE.
359
tre chose que de ce qui ressort de l’acte même, c’est vou
loir prouver outre et hors le contenu en celui-ci, c’est
demander à établir ce qui aurait été dit avant, lors ou
depuis, choses pour lesquelles l’art. 1341 proscrit for
mellement la preuve par témoins. On violerait donc la
disposition de cet article, si on admettait cette preuve,
car la partie qui l’invoque a pu se procurer la preuve écri
te ; qu’elle est, dès-lors, hors des cas d’exceptions prévus,
et qu’elle ne peut non plus exciper d’une prétendue fraude,
puisqu’elle s’en est volontairement constituée le co-auteur.
Le système contraire favoriserait les prétentions les plus
déloyales, et déterminerait une foule de procès injustes,
inconvénients qui, nous l’avons vu, ont fait introduire
dans notre législation le principe consacré depuis par l’ar
ticle 1341.
C’est donc à celui qui, tout en consentant une simu
lation, a cependant intérêt à conserver à l’acte son vé
ritable caractère, à se procurer, à côté du litre apparent,
une reconnaissance formelle de ses véritables intentions
et de celles de l’autre partie. Cela lui est facile, car il est
partie au contrat qu’il peut ne consentir qu’à cette con
dition. S’il néglige de le faire, l’absence de la preuve
écrite est son fait personnel, et il ne saurait se faire un
titre de sa propre négligence. C’est ce que la Cour de cas
sation n’a pas cessé d’admettre, c’est ce qu’elle a consa
cré le 4 janvier 1817, en termes formels : « Attendu que
les parties contractantes ayant respectivement voulu et
consenti la simulation, sont non-recevables à la prouver
par témoins, et doivent s’imputer de ne pas s’en êtreas-
�360
TRAITÉ DU DOL
suréla preuve écrite, comme il était en leur pouvoir de
le faire. »
Ainsi la vente déguisée sous la forme d’un échange
est régie par le principe de celui-ci. Elle est donc irré
vocable, quelle que soit la lésion soufferte. Mais la
preuve de la simulation restituant au contrat son véri
table caractère, le range sous l’empire des règles particu
lières à la vente, et le rend conséquemment rescindable
pour lésion de plus des sept douzièmes. Cette preuve
doit être écrite et résultera d’une contre-déclaration ex
presse.
1 2 7 2 . — A défaut de cette contre-déclaration, la
preuve testimoniale et celle par présomptions ne seraient
recevables que s’il existait un commencement de preuve
par écrit. L’appréciation de présomptions, si elles étaient
déclarées recevables, pourrait obéir aux règles que nous
avons déjà retracées.’
1 2 7 3 . — La simulation ne s’exerce pas toujours sur
le caractère de l’acte. Elle peut porter sur la date, sur
certaines conditions stipulées au contrat, sur la personne
des contractants, sur le prix, lorsqu’il s’agit d’une vente,
sur la libération elle-même.
La sincérité de la date ne saurait être douteuse dans
l’acte authentique. Le concours de l’officier public pré
posé par la loi donne, à celle indiquée, une certitude
1 v. su p rà , n°« 992, 993
�ET DE LA FRAUDE.
361
telle que le contraire ne pourrait être établi que par une
inscription de faux. Il n’en pourrait être de même pour
l’acte sous seing privé. La facilité que les parties ont de
choisir celle qui favorise le mieux leur dessein, devait,
pour toute autre que pour elles, en faire suspecter la foi.
En ce qui les concerne, l’art. 1322 assimile l’acte sous
seing privé à l’acte authentique lui-même. Il fait consé
quemment foi de sa date.
Il résulte de cette disposition que la partie qui la
prétend simulée ne peut être admise à le prouver au
trement que par écrit. Toute preuve testimoniale est re
poussée et par l’art. 1341 et par l’art. 1322 lui-mê
me. Mais l’admissibilité de la preuve littérale rendant
applicable l’art. 1347, le commencement de preuve sup
pléerait à celle-ci et rendrait la preuve testimoniale re
cevable.
1 2 7 4 . — La foi due à l’acte sous seing privé, parles
parties contractantes, est subordonnée par la loi à la con
dition que l’acte sera reconnu par celui auquel on l’op
pose, ou judiciairement tenu pour tel. Il est évident que
la dénégation de l’écriture est une exception des plus pé
remptoires, elle tend à rendre l’acte étranger, et consé
quemment sans effet possible contre celui qui se défend
de l’avoir souscrit.
1 2 7 5 . — La reconnaissance de l’acte est formelle ou
tacite.
Elle est expresse, lorsque, sur la sommation de re-
�362
TRAITÉ DU DOL
connaître ou de dénier, la partie déclare avouer la pièce
et reconnaitre son écriture. Cette déclaration fixe le sort
de l’acte et le rend ultérieurement inattaquable sous ce
rapport.
Elle est tacite, lorsque la partie, pouvant méconnaître
la pièce, non-seulement ne la conteste pas, mais agit de
manière à indiquer qu’il ne veut ou ne peut la con
tester. C’est ce qui se réaliserait soit lorsque le débiteur
ne répond rien à la signification du titre et à la som
mation de le méconnaître, soit lorsque appelé en justice,
il soutient au fond que la demande n’est pas fondée, ou
oppose un payement ou une compensation.
1276 . — Il faut en outre, pour que l’acte fasse plei
ne foi de sa date, que celui à qui on l’aurait fait sous
crire n’ait pas acquisdepuis peu, oun’aitpas perdu, dans
l’intervalle, la capacité de contracter. Une incapacité, sur
venue entre le moment de la date prétendue de l’acte
et celle delà demande, pourrait faire supposer l’antidate;
et, comme il s’agirait alors d’une fraude à une loi d’or
dre public, on pourrait prouver l’antidate par la preuve
testimoniale.
1277 . — Ainsi, et par application de cette règle, le
mineur, devenu majeur, peut soutenir que l’obligation
dont on lui demande payement remonte à une époque
où il était encore dans les liens de la minorité. Ainsi
encore le majeur pourvu, depuis la date de l’acte, d’un
conseil judiciaire, est recevable à prouver que çette
�ET DE LA FRAUDE.
363
date , réellement postérieure à son interdiction ; a été
reportée après coup à une époque antérieure, à l’effet
d’en éluder les effets. Dans l’un comme dans l’autre cas,
la question n’est plus de savoir si, en fait, la date appa
rente est ou non postérieure à la majorité ou antérieure
à l’interdiction , mais si réellement l’acte a été ou non
fait à la date indiquée , c’est-à-dire alors que le sous
cripteur jouissait déjà, ou encore, de la capacité de con
tracter.’
Dans ces hypothèses, la présomption de l’art. 1322
reçoit exception, et le débiteur ne pourrait être con
damné par cela seul que la date apparente se réfère à
un temps de capacité. Il ne le sera que si la capacité
existait réellement. L’acte ayant été véritablement sous
crit au temps indiqué,1la condamnation n’est donc plus
la conséquence de la foi due à l’acte, mais uniquement
celle du défaut de preuve de l’absence de sincérité allé
guée.
Ainsi l’incapacité pouvant résulter soit de la mino
rité, soit de l’interdiction, arguée par la partie, amène
une exception à la règle de l’art. 1322. L’acte ne fait
plus pleine foi, et sa date n’est admise que jusqu’à
preuve contraire. Cette preuve est elle-même admissi
ble par toutes les voies : par témoins et même par pré
somptions.
1 Cass., 4 fév 1835; — D. P., 35. 1 33.
2 Cass., 17 mai 1831 ; — D. P., 35, 1, 32.
�364
TRAITÉ DU DOL
1 278. — II en serait de même pour la femme ma
riée poursuivant la nullité de son obligation pour défaut
d’autorisation maritale. Il importerait peu que, par la
date apparente, cette obligation remontât à une époque
antérieure au mariage, l’antidate alléguée par la femme
rendrait la preuve testimoniale admissible, s’agissant d’u
ne fraude à une loi d’ordre public. Le titre ne pourrait
donc être validé que faute par la femme d’avoir légale
ment justifié ses prétentions.
Dans tous ces cas, le but de la loi est facile à saisir.
Laisser toute sa force à la présomption de l’art. 1322,
c’était retirer, d’une main, au mineur, à l’interdit,, à la
femme mariée, cette protection qu’elle paraissait leur ac
corder de l’autre; c’était leur permettre de se ruiner in
failliblement. Il est facile, en effet, de prévoir que l’a
vidité de ceux qui ont le courage de les exploiter recom
manderait à leur attention le choix de la date, qu’ils fe
raient toujours de manière à s’assurer le succès de leurs
ténébreuses et déloyales machinations.
1 2 7 9 . — Qu’en est-il de l’incapacité résultant d’une
condamnation au criminel? Que le condamné à une pei
ne afflictive et infamante soit, pendant la durée de sa
peine, incapable de contracter, c’est ce qui ne peut faire
évidemment l’objet d’un doute. L’article 29 du Code pé
nal le déclare en état d’interdiction légale et veut que ses
biens soient gérés et administrés par un curateur nom
mé dans les formes prescrites pour la nomination d’un
tuteur aux interdits. Or, aux termes de l’art. 1124 du
�ET DE LA FRAUDE.
365
Codecivil, les incapables de contracter sont : les mineurs,
les interdits, les femmes mariées dans les cas déterminés,
et généralement tous ceux à qui la loi a interdit certains
contrats.
N’est-ce pas être interdit que d’être placé dans un état
d’interdiction légale? Et si on m’objecte qu’au lieu d’un
tuteur que reçoit le premier, le condamné n’a qu’un cu
rateur, je répondrais que la loi a voulu distinguer le
malheur du crime ; que la protection qu’elle assure à
celui à qui une maladie funeste enlève toute capacité,
provient d’un sentiment de bienveillante pitié, tandis que
la privation de cette capacité est une peine que la mo
rale, que l’honnêteté publique exigeait. Pouvait-il se
faire, en effet, que l’être dégradé et infect, que le bagne
récèle, pût encore demeurer, pendant le cours de sa
peine, à l’instar des autres citoyens et traiter avec eux
d’égal à égal. Mais, quelque inégalité qu’on relève dans
le mode d’interdiction et dans ses conséquences, quant
à la personne, l’incapacité est la même. Ajoutons que,
dans l’interdiction ordinaire, la loi exige un tuteur, parce
qu’elle lui confie la personne et les biens de l’interdit ;
dans celle résultant d’une condamnation criminelle, un
curateur suffit, parce qu’il ne s’agit et ne peut plus s’a
gir que des biens, la personne demeurant sous le coupde
la justice.
Si on ne veut pas considérer le condamné comme un
interdit, du moins faudra-t-il le placer dans la catégorie
de ceux auxquels la loi a interdit certains actes. La dé
fense de gérer et d’administrer leurs biens n’est-elle
�!
pasla prohibition de tous les contrats ayant ce double ca
ractère ?
Nous croyons donc que, sous l’un comme sous l’autre
rapport, le condamné à une peine afflictive et infàmante
est réellement incapable de contracter. Cette opinion est
celle que professent des savants et profonds criminalis
tes. ' MM. Chauveau Adolphe et Faustin Hélie voient
dans celte interdiction la conséquence presque néces
saire de la peine. Il ne faut pas, disent-ils, qu’un con
damné puisse disposer de ses revenus et de ses biens ,
quand il subit un châtiment sévère ; il ne faut pas qu’il
ait le moyen d’acheter à prix d’or une évasion, ou que,
par des profusions scandaleuses , il fasse , d’un séjour
d’humiliation et de deuil, un théâtre de joie et de scan
dale. 1
L’incapacité absolue de gérer et d’administrer ainsi
admise, il s’ensuit que, comme pour les autres incapa
bles, l’acte ne sera valable que s’il a été réellement sous
crit avant l’incapacité. 3 L’arrêt que nous annotons ,
rendu sur les conclusions conformes de M. Troplong ,
alors avocat général, semble même exiger que l’acte ait
acquis date certaine pour qu’on puisse l’exécuter. Mais,
aller jusque-là , ce serait placer le condamné dans une
position plus avantageuse que le mineur , que l’interdit
1 Carnot, art 29, n» 5.
2 Théorie du Code pénal, 1 . 1 , p. 166; — V. Cass., 25 janvier 1825;
-S irey , 25, 1, 345.
a Nancy, 5 juin 1828 ; — D. P. 29,2, 114.
�ET DE LA FRAUDE.
367
ou la femme mariée. Nous ne croyons donc pas cette
exigence admissible.
Pour le condamné, comme pour tous les autres inca
pables, la loi n’admet qu’une seule chose, à savoir : la
faculté de prouver que la date apparente est fausse , et
que l’acte a été consenti dans un moment d’incapacité.
A défaut de cette preuve, cette date est acceptée comme
vraie, et l’acte, tenu pour sincère, doit être exécuté. '
dans le doute même , il faudrait arriver à ce résultat :
In dubio standum est instrumenta.
1 2 8 0 . — L’art. 1322 déclare que l’acte fait foi nonseulement contre la partie, mais encore contre ses héri
tiers et ayans-cause ; faut-il appliquer ce dernier terme
aux successeurs à titre universel seulement, ou bien l’é
tendre aux successeurs à titre particulier ?
1 2 8 1 . — C’est dans ce dernier sens que Toullier in
terprète. l’art. 1322. A insi, d it- il, les donataires, les
acquéreurs sont les ayans-cause du donateur ou du ven
deur, pour ce qui concerne la chose donnée ou vendue.
Dès lo rs, l’acquéreur , par acte authentique, peut être
évincé par une vente sous seing-privé antérieure faisant
foi contre son vendeur et, par conséquent contre lui.1
1 2 8 2 . — M. Chardon proteste contre cette doctrine,
1 Colmar, 30 juillet 1831 ; — D. P., 32, 2. 138.
i T. vin, n°* 245 et suiv.
�368
TRAITÉ DU DOL
il lui reproche d’entraîner à des conséquences iniques.
Ainsi, dit-il, celui qui a donné ou vendu par acte au
thentique pourra , à son gré , révoquer la donation et
annuler la vente. Il lui suffira de simuler une aliénation
sous seing-privé et de lui donner une date antérieure à
l’acte public.'
1283.
— Ce résultat, fût-il inévitable, ne pourrait ,
en aucune manière , détruire l’évidence. Or, l’évidence,
dans l’hypothèse qui nous occupe, est que celui à qui
une chose a été transmise par legs, donation, vente ou
échange, etc...., est, quant à cette chose, l’ayant-cause
du précédent propriétaire.
Cette doctrine amène-t-elle fatalement aux conséquen
ces qui alarment tant M. Chardon? Non, évidemment,
et cela , par cette raison bien simple, que la transmis
sion régulièrement opérée , le nouveau possesseur n’est
plus un ayant-cause, et que celui de qui il tient la chose
n’a pu, de ce m om ent, rien faire qui puisse l’engager
valablement. Ainsi, ayant-cause pour le passé, le dona
taire , l’acquéreur ou l’échangiste ne peuvent voir leur
propriété se modifier ou s’effacer que par un fait qui
leur soit personnel.
Or , ce que le précédent propriétaire ne peut faire
directement , il lui est prohibé de le faire par une voie
indirecte. L’acte sous seing-privé qui paraîtrait posté
rieurement à la transmission publique et qui porterait
�369
ET DE LA FRAUDE.
une date antérieure, ne pourrait donc être opposé sans
que le donateur, l’acquéreur ou l’échangiste n’eût la
faculté de le quereller comme faiten fraude de ses droits.
Nous admettons donc la doctrine de Toullier avec
cette juste restriction : que le donateur, l’acquéreur ou
l’échangiste est l’ayant-cause de son auteur, mais à la
façon des créanciers, et pouvant, comme ceux-ci, exercer
un droit propre et personnel dans l’hypothèse prévue par
l’art. 1167.
Dira-t-on que l’obligation de prouver la fraude et la
collusion leur sera onéreuse, difficile à remplir dans
certains cas? Mais, comme nous l’avons fait observer
a ille u rs,'la possession au moment de la donation ou
de la vente dont ils se prévalent jouera un rôle souvent
décisif et fournira de puissants enseignements; nous ré
pondrons ensuite que si les porteurs d’un acte authen
tique ont droit à être protégés, ce droit ne peut aller
jusqu’à destituer de toute protection celui qui s’est con
tenté de ce dont la loi lui permettait de se contenter, à
savoir : d’un titre sous seing privé. Pourquoi ne voir
jamais la fraude que dans celui-ci ? Est-ce que l’acte au
thentique ne peut pas, dans un cas donné, n’êlre luimême qu’une fraude de nature à enlever des droits sé
rieux, légitimement acquis? C’est ce qui ne manquera
pas, d’ailleurs, d’être allégué. Que pouvait donc faire la
loi dans la perplexité où la plaçait cette double éven
tualité? Uniquement ceci : permettre la recherche de la
1 Vide suprà, n» 967.
24
�370
TRAITÉ DU DOL
vérité par toutes les voies possibles, autoriser la partie
réduite à alléguer la fraude, à la prouver par témoins et
par présomptions, et s’en rapporter, pour l’appréciation
des uns des autres, à la prudence et à la sagesse du
jnge.
1284.
— Une autre exception à la règle tracée par
l’art. 1322 et sur l’inadmissibilité de la partie à prou
ver par témoins la simulation dont elle excipe , se réa
lise lorsque, par sa nature et par ses conséquences, la
simulation constituerait la violation d’une loi prohibi
tive. Ainsi, la lettre de change n’est parfaite que par la
réalisation du contrat de change, c’est-à-dire qu’elle a
pour but de faire retirer dans une place la somme reçue
dans une autre. Cette condition étant indispensable
pourque le souscripteur puisse être contraint par corps,
il arrive que ceux qui ne traitent qu’en vue d’acquérir
cette puissante garantie , ont soin d’exiger une lettre
qu’ils rendent parfaite en simulant la remise de place en
place.
Cette simulation, la loi ne saurait la tolérer. Aussi, et
malgré la complicité qu’en a assumée le souscripteur, il
est non-seulement admis à s’en plaindre, mais encore
recevable à la prouver par témoins et par présomptions.
Des arrêts l’ont même fait résulter de ce que le tireur
n’est pas négociant et de ce qu’il a son domicile ailleurs
qu’au lieu d’où la lettre a été tirée.1
i Bruxelles, 28 juin ISI 0
�ET DE LA FRAUDE.
371
Le tireur pouvant prouver, par témoins et par pré
somptions , le défaut de remise de place en place , est
également recevable à établir, par les mêmes modes, tou
tes les autres suppositions dont la lettre de change est
susceptible. C’est ce qui a été maintes fois décidé pour la
supposition soit de nom, soit de domicile, soit de qualité,
soit de cause, malgré que l’art. 112du Code commercial
se taise sur celle-ci.'
1285.
— Cette exception à la règle de la foi due à
l’acte et de l’inadmissibilité de la preuve orale contre
le titre écrit en faveur de la partie, tient à un double
motif:
1° En matière commerciale, la preuve orale est de
droit commun. Ce motif, qui pourrait paraître péremp
toire , ne rend pas suffisamment raison de l’exception
admise. En effet, on peut reconnaître qu’on puisse, de
vant la juridiction commerciale, prouver par témoins
l’existence d’une opération contestée, d’une obligation,
d’un payement, sans qu’il doive en résulter, comme con
séquence forcée, la faculté de prouver contre le litre et
d’exciper d’une simulation à laquelle on a soi-même
participé. Ce qui re n d , en matière commerciale, la
preuve testimoniale admissible , c’est que la rapidité ,
indispensable dans les opérations, ne rend pas tou
jours possible une preuve littérale. Mais lorsque celle—
1 Cass., 25 juillet <1815, 22 juin 1825, 20 juin 1810 ; — Limoges, 10
mars 1808 ; — Bruxelles, 3 juillet 1812.
�372
TRAITÉ DU DOL
ci existe, lorsqu’une obligation a été écrite et signée ,
le souscripteur ne saurait raisonnablement prétendre
n’avoir pas eu le moyen de constater la simulation dont
il se plaint. On pourrait donc, lui opposant son propre
fait, le soutenir légalement non-recevable à prouver
contre ce qu’il a écrit et signé lui-même. La règle nemo
auditur etc.... n’est pas exclue de la matière commer
ciale ;
2° La lettre de change entraîne la contrainte par
corps, et personne ne peut se soumettre à cette voie
rigoureuse , hors des cas où elle est formellement au
torisée par la loi. Toute convention contraire, quelque
expresse qu’ellefùt, resterait sans force et sans effets pos
sibles .
Or, signer une lettre de change, c’est accepter la con
trainte; la signer lorsqu’il n’y a pas remise de place en
place, c’est consacrer une simulation dans l’objet d’é
luder cette prohibition , que le législateur considère
comme d’ordre public. Dans ce cas, la recevabilité de
la preuve testimoniale en faveur de la partie elle-même,
n’est plus que la conséquence de cette règle : Qu’en ma
tière de fraude à une loi d’intérêt général, tout ce qui
a été fait, l’a été illégalement; et qu’une nullité absolue
peut toujours être invoquée, quelle que soit la part qu’on
ait prise à l’acte qui en est atteint, n’étant donné à per
sonne de méconnaître et de violer une prescription d’or
dre public.
Ce caractère appartient essentiellement à tout ce qui
se rapporte à la contrainte par corps. Conséquemment,
�ET DE LA FRAUDE.
373
celui qui s’y est volontairement soumis, hors des cas
prévus, peut toujours se faire relever d’un engagement
qui ne pouvant être expressément stipulé, ne saurait
être validé, par cela seul qu’il aurait été pris par une voie
détournée.
Ainsi, et alors même que le premier motif devrait être
écarté, le second rend suffisamment raison d’une solution
n’ayant jamais souffert aucune difficulté ni en doctrine,
ni en jurisprudence.
1286.
— En résumé donc, la simulation dans les
caractères de l’acte ou sur ses conditions lie irrévo
cablement les parties. Le titre, tel qu’il résulte de leur
volonté simultanée , est valable et fait entre elles la loi
irrévocable qu’on ne peut détruire que par une preuve
écrite.
Mais ce principe reçoit exception lorsque, soit sous
le rapport de la capacité de parties, soit sous celui des
conséquences de l’acte même, la simulation dégénère en
une fraude contre une règle d’ordre public ou d’intérêt
général. Dans ce cas, la partie elle-même peut pour
suivre la nullité de son engagement et établir ses préten
tions par la preuve testimoniale, par les présomptions
même.
�374
TRAITÉ DU DOL
CHAPITRE II.
FRA UD E
CONCERTÉE
CONTRE
LA
LOI-
SOM MAIRE.
4287.
E ffe ts d e la fr a u d e c o n tr e la lo i.
1288.
N a tu r e d e la s e u l e d iffic u lté q u ’e lle fa it s u r g ir .
1289.
O b je c tio n s s o u le v é e s c o n tr e l ’a d m is s io n d e la p r e u v e o r a le
e n tr e p a r tie s .
1290.
D is tin c tio n q u ’o n d o it s u iv r e e n c e t t e m a tiè r e .
1291.
F o n d é e s u r la d iffé r e n c e d e s m o t if s d e la p r o h ib itio n .
1292.
La p r o h ib itio n , d a n s u n in t é r ê t p r iv é , e s t u n e fa v e u r à la
1293.
Il n ’en e s t p a s d e m ê m e d e c e l l e fo n d é e s u r l ’in t é r ê t g é
1294.
C o n séq u en ces.
1295.
Im p o r ta n c e d e c e t t e d is t in c t io n
q u e lle la p a r tie p e u t r e n o n c e r .
n é r a l.
p o u r l ’a s s im ila tio n q u e
l ’a r t. 1 1 3 1 fa it d u d é fa u t d e c a u s e on d e la c a u s e fa u s s e
a v e c la c a u s e illic it e ou im m o r a le . C o n s é q u e n c e s .
1296.
La c o n t r e - le t t r e é t a b lis s a n t la p r e u v e d e la fr a u d e à la lo i,
c e lle n o ta m m e n t q u i d i s s i m u l e l e p r ix r é e l d ’u n e v e n
t e , e s t - e l l e n u lle e n t r e l e s p a r t ie s ?
�ET DE LA
1297.
FRAUDE.
375
O p in io n d e M . P la s m a u p o u r l ’a ffir m a tiv e .
1298.
R é f u t a t io n .
1999.
E t a t d e la ju r is p r u d e n c e .
1300.
C o n c lu s io n .
1301.
C o n t r e - le t t r e s e n m a tiè r e d e c e s s io n d ’o ffic e .
1302.
S o lu tio n s c o n s a c r é e s p ar la j u r is p r u d e n c e .
1303.
C r itiq u e d ’u n a r r ê t d e la C ou r d e c a s s a t io n , in t e r v e n u e n
1304.
L a r é p é titio n d e c e q u i a é t é p a y é e n v e r tu d ’u n e c o n t r e -
tr e u n p è r e s t so n fils , p a r M . D a llo z . R é f u t a t io n .
l e t t r e é t a it u n e c o n s é q u e n c e i n é v it a b le d e la ju r is
prud en ce.
1305.
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e c e t t e r é p é titio n .
1306.
R é p o n s e à u n e o b je tio n t ir é e d u s ile n c e d e la lo i d e 1 8 1 6 .
1307.
U n e a u tr e c o n s é q u e n c e d e l à n u l li t é d e la c o n t r e - l e t t r e ,
e s t q u e l e t r a ité s e c r e t n e p e u t ê t r e r a tifié n i e x p r e s
s é m e n t n i t a c it e m e n t .
1308.
L ’a c tio n e n n u llit é e t c e lle e n
r e s tit u tio n p e u v e n t ê t r e
e x e r c é e s p ar la c a u tio n .
1309.
L e c e s s io n n a ir e d e l ’o ffice p o u v a n t o p p o se r la n u l li t é au
c é d a n t , p e u t - i l s 'e n p r é v a lo ir c o n tr e l e s tie r s a y a n t
p a y é à sa d é c h a r g e e t s e d is p e n s e r d e l e s r e m b o u r s e r .
1310.
A d m is s ib ilit é d e la p r e u v e t e s t im o n ia le p o u r é ta b lir l ’e x i s
1311.
P a r q u e l d é la i s e p r e s c r iv e n t l ’a c tio n e n n u llit é e t c e lle en
1312.
O r ig in e e t e ffe t d e l’in a lié n a b ilité d e la d o t.
1313.
C a r a ctè r e d e la p r o h ib itio n .
1314.
N a tu r e d e la n u llit é r é s u lt a n t d e sa v io la tio n .
1315.
C o n s é q u e n c e s , p a r r a p p o r t a u x t ie r s - a c q u é r e u r s d u fo n d s
1316.
L e u r s d r o its , s u iv a n t q u ’ils o n t c o n n u o u ig n o r é l e ca ra c
1317.
A r r ê t d e la C o u r d e c a s s a tio n q u i le u r r e f u s e le d r o it de
t e n c e d u tr a ité s e c r e t.
r é p é t it io n ?
d o ta l.
tè r e d e d o t a lit é .
p o u r s u iv r e la n u l l i t é , m ê m e d a n s l e c a s d ’ig n o r a n c e .
D is s e n t im e n t .
�376
1318.
TRAITÉ DU DOL
Q uid, si la v e n te e s t le r é s u lta t rie m a n œ u v r e s fr a u d u le u
s e s d e la p art d e s é p o u x ? L e s ile n c e s u r l e c a r a c tè r e
d e la d o t a lilé c o n s t i t u e - t - i l u n e m a n œ u v r e fr a u d u
le u s e ?
1319.
L ’a r t. 1 5 6 0 c o n fè r e le d r o it d e fa ire a n n u le r la
v e n t e du
b ie n d o ta l, au m a r i, à la f e m m e e t à s e s h é r it ie r s .
1320.
P e n d a n t le m a r a ia g e , et a v a n t t o u te s é p a r a tio n , la p o u r
1321.
L e m a r i, h é r it ie r d e sa f e m m e , p o u r r a - t - il, e n c e t t e q u a
s u it e a p p a r tie n t au m a r i s e u l .
l i t é , p o u r s u iv r e la n u llit é d e la v e n te d u fo n d s d o t a l ,
q u 'il a c o n s e n t ie p e n d a n t le m a r ia g e ?
1322.
D is tin c tio n fa ite p a r M . B e llo t ; c r itiq u e q u ’e n fa it M .
1323.
R é f u t a t io n .
1324.
La
D a llo z .
b o n n e o u la m a u v a is e foi d e l ’a c q u é r e u r e s t d o n c u n e
c ir c o n s ta n c e d é c is iv e p o u r la s o lu tio n d e n o tr e q u e s
tio n .
1325.
L e m a r i, d a n s le s ile n c e d e l ’a c t e , p o u r r a - t - il p r o u v e r q u e
1326.
O b lig a tio n p o u r le m a r i d e r e s tit u e r le p r ix , m ê m e lo r s
1327.
E t e n d u e d e c e t t e o b lig a tio n p o u r la f e m m e
1328.
E x c e p t io n q u e l e m a r i p e u t in v o q u e r c o n tr e la r e s tit u tio n
1329.
F o n d e m e n t d e l ’a c tio n
1330.
E p o q u e à la q u e lle e ll e e s t r e c e v a b le à l ’in t e n t e r .
1331.
L e d r o it d e la fe m m e p a s s e à s e s h é r it ie r s .
1332.
L ’a c q u é r e u r é v in c é n ’a , d a n s a u c u n c a s , le d r o it d e r é te n
1333.
La v e n te du fo n d s d otal p e u t - e l l e d e v e n ir la m a tiè r e d ’u n
1334.
O p in io n d e M er lin . A p p e l e r r o n é q u ’il fa it à c e lle s d e
l ’a c q u é r e u r a c o n n u la d o ta lité ?
q u ’il n ’e s t p a s te n u d ’in d e m n is e r l ’a c q u é r e u r .
ayant vendu
s e u le .
du p r ix .
en
r e v e n d ic a tio n
c o n fé r é e à la
fe m m e .
tio n j u s q u ’a p r è s p a ie m e n t.
c a u tio n n e m e n t v a la b le ?
S e r r e s e t d e D u p e r ie r .
�ET DE LA FRAUDE.
377
1335.
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e l ’a ffir m a tiv e .
1336.
R é fu ta tio n d e s c o n s id é r a tio n s in v o q u é e s p a r M e r lin .
1337.
D is c u s s io n a u c o n s e il d ’E t a t .
1338.
J u r is p r u d e n c e .
1339.
L a f e m m e , p e u t - e l l e c a u tio n n e r e lle - m ê m e la v e n t e du
1340.
A r r ê t n o ta b le d e la C ou r d 'A ix .
1341.
L e s é p o u x v e n d a n t , c o m m e b ie n lib r e , l e fo n d s d o t a l, p e u
1342.
L e s c r é a n c ie r s d u m a r i ou d e la fe m m e p e u v e n t - i l s p o u r
fo n d s d o t a l?
v e n t - i l s ê t r e c o n s id é r é s c o m m e s t e llio n a t a ir e s ?
s u iv r e l ’a c tio n e n r é v o c a tio n a p p a r te n a n t à l ’u n ou à
l ’a u tr e ?
1343.
Q u id d e s c r é a n c ie r s d e s h é r it ie r s d e la f e m m e ?
1344.
E x c e p t io n s q u e le d r o it d e c e u x - c i c o m p o r te .
1345.
A u t r e e x c e p t io n t ir é e d e la r a tific a tio n .
1346.
C a r a ctè r e q u e d o it o ffrir la r a tific a tio n t a c ite .
1347.
I n d é p e n d a m m e n t d e la ra tifica tio n é m a n é e d e la fe m m e
e l l e - m ê m e , s e s h é r it ie r s p o u r r o n t ê t r e r e p o u s s é s p ar
la r a tific a tio n q u i le u r s e r a it p e r s o n n e lle .
1348.
A u t r e e x c e p t io n t ir é e d e la p r e s c r ip tio n .
Son
p o in t d e
1349.
P a r q u e l d é la i e s t - e l l e a c q u is e ?
1350.
L a fr a u d e a y a n t p o u r o b je t u n e a t t e in t e à la lib e r t é i n d i
d é p a r t.
v id u e lle , o u la d is s im u la tio n d ’u n e in c a p a c ité , e s t u n e
fr a u d e c o n tr e u n e lo i d 'o rd re p u b lic .
1351.
D if f ic u lt é s q u e p o u rr a
s o u le v e r l e t it r e
s im u lé .
M ode
d ’a p p r é c ia tio n .
1352.
L ’in e x é c u t io n d ’u n e p r o m e s s e d e m a r ia g e d o n n e - 1 - e lle
1353.
L ’i llé g a lit é d e c e t t e p r o m e s s e e n tr a în e la n u l li t é d u d é d it
1354.
Q uid d u d é d it d is s im u lé s o u s l ’a p p a r e n c e d ’u n e o b lig a
1355.
A d m is s ib ilit é d e la p r e u v e t e s t im o n ia le .
1356.
J u r is p r u d e n c e .
lie u à d e s d o m m a g e s - in t é r ê t s ?
s t ip u lé .
tio n p u r e e t s im p le .
�378
1357.
TRAITÉ DU DOL
C a r a ctè r e d e la r e n o n c ia tio n à u n e s u c c e s s io n f u t u r e , d a n s
l e d r o it r o m a in e t s o u s l ’a n c ie n d r o it fr a n ç a is .
1358.
S o u s l ’e m p ir e d u C o d e, la p r o h ib itio n e s t d ’o r d r e p u b lic .
1359.
C o n s é q u e n c e s , q u a n t à la n u l li t é d e la
r e n o n c ia tio n
d i
r e c te ou in d ir e c t e .
1360.
L a s im u la tio n se r a p lu s o u m o in s f a c ile m e n t a p p r é c ia b le ,
s u iv a n t q u ’il s ’a g ira d ’u n tr a ité d e c o h é r itie r à c o h é r i
tie r s o u d ’u n tr a ité e n t r e u n e p e r s o n n e e t u n
t ie r s ,
so n h é r it ie r p r é s o m p tif o u n o n .
1361.
T o u te fo is la v é r ita b le in t e n t io n d e s p a r tie s p e u t r é s u lte r
d e la n a tu r e m ê m e d e la c h o s e fa is a n t la m a tiè r e du
tr a ité .
1362.
C a r a c tè r e s d e la v e n t e d u m o b ilie r q u ’o n d é la is s e r a à so n
1363.
L a n u l li t é d o n t u n p a r e il tr a ité e s t v ic ié e s t in d iv is ib le ;
d écès.
e ll e s ’a p p liq u e r a it d o n c m ê m e a u x
im m e u b le s
pour
le s q u e ls i l y a u r a it e u d é s in v e s t is s e m e n t a c t u e l.
1364.
C e q u i e s t a p p lic a b le à l ’u n iv e r s a lité d 'u n e s u c c e s s io n s ’ap
p liq u e r a it s o it à n n e q u o tité , so it à u n c o r p s c e r ta in
e t d é te r m in é .
1365.
L e p a c te s u r s u c c e s s io n fu tu r e p e u t ê tr e r a tifié a p r è s l ’o u
1366.
C o n s é q u e n c e s p ar r a p p o r t à la p r e s c r ip tio n .
1367.
A r r ê t d ’A i x . e x ig e a n t la p r e s c r ip tio n t r e n te n a ir e . R é f u
1368.
O p in io n d e Z a c h a r iæ , d e T o u llie r e t d e R o lla n d d e V illa r -
1369.
P o s itio n d e s e n f a n t s ^ n a tu r els , s o u s l ’e m p ir e
v e r t u r e d e la s u c c e s s io n .
t a t io n .
g u es.
d u d r o it
r o m a in .
1370.
D is p o s itio n s d e l ’a n c ie n d r o it, a b r o g é e s p a r l e s lo is i n t e r
1371.
D is p o s itio n s du C od e c iv il. D r o it d e s e n f a n t s a d u lté r in s
1372.
P r o h ib itio n d e le s r e c o n n a îtr e . S o n o r ig in e , s e s m o t if s .
1373.
D é f e n s e d e r e c h e r c h e r la m a te r n ité , lo r s q u e l e
m é d ia ir e s .
ou in c e s t u e u x .
d o it ê t r e l ’a d u ltè r e o u l ’in c e s t e .
r é s u lt a t
�379
ET DE LA FRAUDE.
1374.
U t i l it é , t o u t e f o is , d e l ’a r t . 7 6 2 .
1375.
L a r e c o n n a is s a n c e illé g a le m e n t f a it e c o n f è r e - t - e l l e à l ’e n
fa n t l e d r o it d ’e x ig e r d e s a l im e n t s ? P e u t - o n e n e x c i p e r c o n tr e lu i p o u r fa ire r é d u ir e l e s d o n a tio n s q u ’il a
reçues ?
1376.
O p in io n d e M erlin p o u r l ’a ffir m a tiv e .
1377.
I d e m d e T o u llie r .
1378.
L ’o p in io n c o n tr a ir e , s o u t e n u e p a r M . C h a b o t , p a r a ît p lu s
c o n fo r m e à la l o i.
1379.
S o l u t i o n s , d a n s c e s e n s , d e la C ou r d e c a s s a tio n .
1380.
C r itiq u e q u ’e n fo n t M M . T e u le t e t D a u v illie r s . R é f u t a t io n .
1381.
O p in io n d e M . C h a rd o n .
1382.
R é p o n s e p a r M M . M arcad é e t l e s a n n o ta te u r s d e Z a c c h a r iæ , à d e u x o b je c tio n s s u r l e s q u e l le s s e fo n d e la d o c
tr in e c o n tr a ir e .
1383.
C o n c lu s io n .
1384.
D a n s l e c a s d ’u n e d é c o u v e r te a c c id e n t e lle d e la q u a lit é
d ’a d u lté r in ou d ’in c e s t u e u x , t o u t e s
d o n a tio n s fa ite s
p ar l e p è r e s o n t e s s e n t i e ll e m e n t r é d u c t ib le s .
1385.
D r o its d e l'e n f a n t n a tu r e l s im p le .
1386.
F a c u lt é p o u r l e s p a r e n ts d e l e r e c o n n a îtr e . C o m m e n t e ll e
1387.
L a f e m m e m a r ié e p e u t fa ir e c e t t e r e c o n n a is s a n c e sa n s
1388.
P r é c a u t io n s p r is e s p a r la lo i p o u r l e s r e c o n n a is s a n c e s fa i
1389.
E x c e p t io n à la r è g le d e l ’a r t. 3 3 7 .
1390.
L a r e c o n n a is s a n c e r é g u liè r e m e n t fa ite e s t ir r é v o c a b le , s a u f
1391.
L ’e n f a n t e s t lib r e d ’e n r é c u s e r le b é n é fic e e t d e l à
p e u t ê tr e e x e r c é e .
l ’a u to r isa lio n d e so n m a r i.
t e s p e n d a n t le m a r ia g e .
le c a s d e d o l. d e fr a u d e e t d e v io le n c e .
con
tester.
1392.
M o tifs d e c e t t e d is p o s itio n .
1393.
L ’e n f a n t c o n t e s t a n t d o it - il p r o u v e r la f a u s s e t é d e la d é c la
1394.
D is t in c t io n a d m is e p a r u n a r r ê t d e la C ou r d e M o n tp e llie r .
ra tio n ?
�380
1395.
TRAITÉ DI) DOL
C a r a ctè r e ju r id iq u e d e c e t t e d is t in c t io n .
1396.
E ffet d e la r e c o n n a is s a n c e d é f in iliv e m e n t a c q u is e .
1397.
C o n s é q u e n c e s d e l'in c a p a c ité d e l ’e n f a n t n a t u r e l d e rien
1398.
D r o it d e s h é r itie r s d e fa ir e p r o n o n c e r la r é d u c tio n d e t o u s
1399.
L e p è r e p o u r r a - t - i l p o u r s u iv r e la n u llit é d e s a c te s q u ’il
1400.
Quid, d u lé g a t a ir e u n iv e r s e l ?
1401.
C o m m e n t f a u d r a it - t - il r é s o u d r e c e s q u e s t io n s , s ’il s ’a g i s
r e c e v o ir a u - d e l à d e la r é s e r v e d e l ’a r t. 7 5 7 .
a v a n ta g e s in d ir e c t s .
a u r a it s im u lé p o u r a v a n ta g e r le f ils n a tu r e l ?
s a it d e s in c a p a b le s d o n t p a r le l ’a r t . 9 0 9 ?
1287.
—
L a lo i d o it r e c e v o ir sa p le in e , fr a n c h e et
lo y a le e x é c u tio n . Ce p r in c ip e , q u i e st la p re m iè r e e t la
p lu s p u issa n te sa u v e g a r d e d e to u te so c ié té , n ’est co n te sté
p ar p e r so n n e , m a is l ’in térêt p riv é, a u x p rises a v ec l ’in
térêt g é n é r a l, le fera so u v e n t m é c o n n a îtr e et v io le r .
Cette v io la tio n n e sera p r e sq u e ja m a is e x p lic ite et fo r
m e lle .
L’in c o n te sta b le sort q u i lu i est réserv é a m è n e r a
fa ta le m e n t à cette c o n sé q u e n c e : q u e la d é so b é issa n c e à
la lo i em p ru n tera les d e h o r s le s p lu s lé g itim e s , l ’a p p a
r e n ce la p lu s in o ffe n siv e . L’e sse n tie l, en effet, est d e p a
raître se c o n fo r m e r à la lo i, tout e n la v io la n t.
M ais , q u e l q u e so it le d é g u is e m e n t a u q u e l o n a u r a
r e c o u r s, q u e lle q u ’e n so it la lé g a lité a p p a r e n te , la fr a u d e ,
d é p o u illé e d es o r ip e a u x q u i la couvrent^ sera c o n d a m n é e
à la p lu s r ig o u r e u se im p u is s a n c e . La p reu v e d e so n e x is
ten ce en lèv era à la c o n v e n tio n tou te force lé g a le , to u t lie n
o b lig a to ir e ; e lle sera c e n sé e n ’a v o ir ja m a is e x isté .
1288.
— Cet effet in c o n te sta b le d e la fra u d e à la lo i
�ET DE LA FRAUDE.
381
n’a jamais pû être, n’a jamais été contesté par personne;
aussi , l’unique difficulté que cette matière à pu soule
ver , se rapporte exclusivement au mode d’après lequel
la fraude est susceptible d’être constatée.
Cette difficulté même se concentre dans ce qui concer
ne les parties ; elle n’a jamais pu sérieusement s’élever
à l’endroit des tiers. Ceux - c i , en effet, ont toujours le
droit d’échapper au préjudice dont ils sont menacés , et
ce droit leur confère nécessairement le pouvoir d’établir
et de prouver la fraude concertée à leur détriment. Leur
refuser , dans une pareille occurence , le secours de la
preuve testimoniale , c’était d’avance condamner leurs
efforts à l’impuissance la plus absolue, méconnaître, à
leur encontre, les principes d’une justice exacte , violer
expressément la loi elle-même. En effet, l’art. 1348 con
fère la faculté de prouver par témoins à celui qui n’a pu
se procurer la preuve littérale. Or, qui mieux que les tiers
s’est jamais trouvé dans une pareille impuissance ?
1 289.
— L’unique difficulté à cet égard ne pouvait
donc se présenter que relativement aux parties contrac
tantes. Fallait-il les admettre à prouver par témoins con
tre leur propre fait? La négative a été soutenue ; on a dit
que rien ne les contraignait à souscrire à une violation
de la loi pouvant léser leurs intérêts ; qu’elles ont été à
même de se procurer la preuve écrite ; qu’il n’y avait
rien d’immoral à maintenir le préjudice qu’elles se sont
volontairement occasionnées par leur désobéissance for
melle à la loi ; que ce qui était véritablement im m oral,
�TRAITÉ DU DOL
c’était de faciliter l’accès de la justice à celui qui n’avait
d’autre titre à invoquer que sa propre turpitude.
1290. — Une pareille doctrine ne nous paraît pas
admissible dans le sens absolu et rigoureux qu’on veut
lui donner. Parfaitement juridique dans une certaine
mesure , elle serait fausse et dangereuse au-delà ; elle
comporte donc un tempérament équitable , de nature
à concilier , dans de justes proportions , les sentiments
qu’excite la conduite de la partie avec le respect dû à
la loi.
Nous admettons donc la prohibition absolue , contre
la partie, de toute preuve testimoniale, dans le cas d’une
simulation dans la nature du contrat. Nous nous som
mes expliqués , à cet égard , dans la précédente sec
tion. Quant à la fraude à la loi , nous distinguons sui
vant que le but que se sont proposé les parties est pro
hibé dans un intérêt privé , ou dans un intérêt général
ou d’ordre public.
1 2 9 1 . — En effet, toutes les prohibitions, toutes les
prescriptions légales n’ont pas été sanctionnées au même
titre. 11 en est dont l’exécution est réclamée par l’inté
rêt social, parce que leur violation aurait des conséquen
ces funestes pour toute une classe de citoyens ou pour
tous les citoyens. Le principe qui a dicté les autres n’est
que la conséquence de la protection que, dans un intérêt
relatif, le législateur a voulu assurer, dans de certaines
limites, à tel ou tel droit privé dont il a cru devoir sur
veiller l’exercice.
�ET DE LA FRAUDE.
383
1 2 9 2 . — Ces dernières constituent une faveur à la
quelle peut renoncer celui que la loi appelle à en jouir.
Dès lors, si la fraude est dirigée contre l’une d’elles, la
partie n’est pas recevable à la prouver par témoins. Cette
fraude n’est qu’une renonciation tacite à un bénéfice
qu’on pourrait expressément répudier, et rien ne défend
de faire d’une manière indirecte , ce qu’on a la faculté
de faire directement.
Ainsi, nous avons vu que l’acte onéreux, déguisan,
une libéralité, était maintenu, malgré qu’il n’offre pas,
dans sa confection, les formes prescrites pour la dona
tion. Cependant, pour celle-ci, l’exécution de ces formes
est ordonnée à peine de nullité. Mais cette nullité est
surtout dans l’intérêt privé du donateur, il a donc pu y
renoncer, et c’est ce qu’il a fait en choisissant un autre
mode de disposition. A quel titre prétendrait-il, tardive
ment et après coup revendiquer un bénéfice qu’il a vo
lontairement répudié? Il n’a pas voulu suivre le conseil
que la loi lui donnait, il n’a plus qu’à subir les consé
quences de ce qu’il a librement et volontairement exécuté:
Invitonon datur beneficium.
1293. — Mais la même indifférence n’est plus pos
sible, lorsque la prohibition éludée est d’ordre public.
Son caractère général, non moins que les conséquences
de son inexécution, protestent sans cesse contre sa vio
lation. Qu’arriverait-il si on tolérait qu’un débiteur pût
éluder la prohibition de se soumettre à la contrainte par
corps, hors des cas déterminés; si lesbiens arrachés par
�384
TRAITÉ DU DOL
le médecin ou le confesseur, par des donations sous for
me de contrat à titre onéreux, devaient leur appartenir
irrévocablement, ou bien encore si, à l’aide d’un dégui
sement, le père de famille pouvait impunément et sans
retour subir les conséquences d’une spoliation qu’il a
réalisée dans un moment d’entrainement et de colère?
Il y aurait là, sans doute, des intérêts privés fortement
compromis, mais l’intérêt général ne serait pas moins
froissé, et la plaie qui lui est faite doit autoriser un re
cours que celle subie par les premiers ne justifierait pas
suffisamment.
1 2 9 4 . — Ainsi, la fraude à une loi d’intérêt privé
est obligatoire pour celui qui a concouru à sa réalisa
tion. Il ne pourra en être relevé que par la preuve
écrite qu’il s’en sera procurée. La fraude contre une
loi d’ordre public peut toujours être prouvée par té
moins, et cette preuve, la partie elle-même peut l’invo
quer,
1 295. — C’est à l’aide ce cette distinction que doit
se résoudre une difficulté résultant des termes de l’art.
1131 du Code civil. Cet article, a-t-on dit, met sur la mê
me ligne le défaut de cause, la cause fausse et la causeillicile. Dès lors la partie, admise a prouver par témoins
l’existence de celle-ci, doit l’être à justifier, par le même
mode, celle des deux autres.
C’estjà prêter à l’art. 1131 une intention qui n’a ja
mais été dans la pensée du législateur. L’article 1131 ne
�ET DE LA I-’RALDE.
385
fait qu’une seule chose, il proclame, quant au résultat ,
une parfaite identité entre la cause illicite et la fausse
cause et l’absence de cause , c’est-à-dire que l’obliga
tion, nulle dans la première hypothèse , l’est également
dans les deux autres.
Mais, comment établira-t-on qu’il n’y a pas de cause,
ou que la cause énoncée n’est pas vraie ? La cause n’a
pas même besoin d’être exprimée , c’est ce qui résulte
de la disposition de l’art. 4132. Il faut donc admettre
que l’absence de cause dont s’occupe l’article précédent,
ne s’entend que du cas où le titre, énonçant une cause,
n’en a réellement aucune , parce que celle indiquée est
fausse et qu’il n’en existe pas d’autre comme, par exem
ple, dans la simulation absolue.
Mais , dans cette hypothèse , on se trouvera en pré
sence des articles 1319 et 1322. La foi due à l’acte ne
pourra être ébranlée tant que le créancier se retranchera
derrière ses expressions. Les allégations du débiteur se
ront donc évidemment sans objet, à moins qu’appuyées
sur une preuve littérale, elles ne justifient soit la faus
seté de la cause, soit l’absence de toute cause. Dans l’un
et l’autre cas , la preuve testimoniale est inadmissible
par application de l’art. 1341. S’il en était autrement,
il faudrait admettre qu’une vente, simulée en fraude des
droits des créanciers , pourrait être déclarée telle sur la
demande de l’auteur principal de la simulation , qui
pourrait la prouver par témoins. Or , le contraire est
universellement admis.
A in si,
en
m
p r in c ip e , la n u llité résu lta n t d e la fa u sse
�386
TRAITÉ DU DOL
cause ou du défaut de cause est toute dans l’intérêt privé
des parties. Cela admis, la simulation de la cause ren
dant le contrat régulier , fait disparaître le motif de la
nullité. L’auteur de cette simulation pouvait en éviter les
conséquences soit en ne pas la consentant, soit en se
faisant délivrer la preuve écrite de son existence. S’il a
manqué à ce devoir , il doit supporter les conséquences
de son imprudence et de sa légèreté. Suffisamment pré
venu de ces effets, il ne peut demander à la loi une pro
tection que l’exécution de Lses prescriptions lui aurait
assurée.
Il n’en est pas de même de la cause illicite. La loi ne
peut admettre que ce qui a pour objet d’éluder les pré
ceptes de la morale, l’exigence des bonnes mœurs ou les
dispositions d’ordre public, puisse jamais produire au
cun effet. La volonté contraire des parties ne pouvait,
dans aucun de ces cas, prévaloir contre ses prohibitions,
sur lesquelles nul n’a pu transiger. Tout ce qui a été fait
en sens contraire doit donc s’effacer et disparaître.
Or, comment atteindre à ce résultat si les parties ellesmêmes ne peuvent , se prévalant de ce caractère de la
fraude , en prouver l’existence même par témoins ? Ne
suffit-il pas, pour faire admettre le contraire, de consi
dérer que le résultat de cette doctrine conduirait infail
liblement à mettre la loi dans l’impuissance de réprimer
ce qu’elle condamne d’une manière formelle.
Ainsi, il y a identité dans les résultats, dans la cause
illicite, dans la fausse cause et dans le défaut de cause,
mais l’allégation de la première rend la preuve leslimo-
�ET DE LA FRAUDE.
387
niale admissible pour les parties elles - mêmes. L’exis
tence des deux dernières ne peut être établie que par la
preuve écrite , sauf les droits des tiers qui n’y ont pas
concouru.
1296.
— La preuve littérale résulterait , dans tous
les cas, de la contre-lettre souscrite par les parties. Mais
son existence ayant pour objet de favoriser la violation
de la loi, on a prétendu , dans certains cas , l’annuler
même à l’endroit des parties entre elles. C’est notamment
ce qu’on a prétendu pour les contre - lettres établissant
un supplément de prix dans les cas de vente.
C’est, en effet, ce qui résultait de la loi du 22 frimaire
an vu, dont l’art. 30 déclarait nulle et de nul effet, mê
me à l’égard des parties contractantes, toute contre-let
tre ayant pour objet urîfc augmentation du prix porté dans
un contrat de vente. Par application de cette disposition,
la Cour de cassation décidait, par arrêt du 10 janvier
1809, que la demande en supplément de prix, formée
par le vendeur et fondée sur une contre-lettre devait être
repoussée. Ainsi, on arrivait à ce singulier résultat que
la responsabilité de la fraude retombait tout entière sur
celui qui n’y avait aucun intérêt. En effet, la dissimulation
du prix ne pouvait avoir pour résultat que d’éluder le
droit d’enregistrement sur la partie non déclarée. Or, ce
droit étant à la charge de l’acquéreur, on peut sup
poser que la dissimulation était son fait plutôt que celui
du vendeur, et cependant on faisait perdre à celui-ci une
partie du juste prix, tandis que l’acquéreur, qui y avait
�trouvé d’abord l’avantage de ne payer aucun droit d’en
registrement, y trouvait encore celui de s’exonérer de la
dette légitime qu’il s’était imposée, et obtenait ainsi la
chose sans en payer le prix.
Ce résultat était inique et parut tel au rédacteur du
Code. Aussi a-t-il voulu le proscrire lorsque, s’occupant
des contres-lettres, il a édicté l’art. 1321. Aux termes de
sa disposition, les contre-lettres ne peuvent avoir effet
qu’entre les parties contractantes; elles n’en ont aucun
contre les tiers, seconde régie non moins juste, non moins
équitable que la première.
1297.
— Il semble qu’une disposition de ce genre
était de nature à empêcher, à l’avenir, toute controverse
sur l’applicabilité delà loi de frimaire an vu, il n’en a
rien été cependant. L’affirmative a été soutenue contrai
rement à l’opinion de MM. Delvincourt, Toullier, Duranton et Chardon, notamment par M. de Plasman,auteur
d’un traité spécial sur les contre-lettres.'
Cet auteur pense donc que les contre-lettres en ma
tière de vente sont encore régies par la loi de l’an v i i ,
que le Code civil n’a pas formellement abrogée. En l’état
du silence gardé à cet égard, cette loi spéciale, et toute
dans l’intérêt de l’État, n’a pas été atteinte. L’article 1321
ne règle que l’effet des contre-lettres en général, tandis
que l’art. 40 de la loi ne s'occupe que des contre-lettres
in specie, de celles qui ont pour objet d’augmenter le
�ET
DE
LA
FRAUDE.
389
prix contenu dans l’acte de vente. Or, dans le concours
d’une loi générale, et d’une autre spéciale, celle-ci doit
être préférée en vertu de la régie : Et illud potissimun
habelur quod ad speciem direclum est.
Il est donc impossible, continue M. de Plasman, de
soutenir, en principe strict de droit, que l’art. 1321
abroge une disposition avec laquelle il n’a pas un rap
port direct. Le principe qu’il consacre n’existait pas
sous l’ancienne jurisprudence. Alors, les contre-lettres
avaient effet, même à l’égard des tiers. Dès-lors, le lé
gislateur n ’a eu pour but, dans la loi nouvelle, que de
consacrer le principe que les contre-lettres ne doivent
produire effet qu’entre les parties contractantes seulement,
sans s’occuper, en aucune manière, des lois créées dans
l’intérêt du fisc, sans vouloir ni les approuver, ni les dé
truire.
1298.
— En fait, comme en droit, ces raisons man
quent de justesse et de portée.
En principe, les lois nouvelles détruisent les ancien
nes, en tout ce qu’elles ont d’inconciliable et de contrai
re. Ce principe admis, il faut rechercher quel était l’é
tat des choses au moment où le Code civil allait être pro
mulgué. Or, cet état des choses, M. de Plasman nous
l’indique lui-même, c’était: d’une part, la jurisprudence
ancienne permettant d’opposer aux tiers l’effet d’une
contre-lettre ; de l’autre, la loi de l’an vii déclarant cer
taines d’elles non-seulement non opposables aux tiers ,
mais encore sans effets entre les parties. Le Code a donc
�390
TRAITÉ DU DOL
trouvé les contre-lettres divisées en deux catégories bien
tranchées.
Supposez qu’il n’ait pas voulu admettre cette division
et qu’entendant les ranger toutes dans une même caté
gorie, il ait entendu leur faire produire à toutes le mê
me effet, comment aura-t-il procédé ? Évidemment pas
autrement que de les comprendre toutes, sans excep
tion, dans une disposition unique. Or c’est précisément
ce qu’a fait l’art. 1321 ; peut-on dès-lors douter de
ses intentions et des effets s’y rattachant? M. de Plasman avouera que sa seconde disposition, celle relative
aux tiers, s’applique aux contre-lettres en matière de
vente comme à toutes les autres. Pourquoi donc seraientelles exceptées de la règle tracée par la première dispo
sition ? Où s’arrêtera d’ailleurs cette exception purement
arbitraire? Après les contre-lettres en matière de vente,
viendront celles pour échange, pour donation, etc... Et,
d’exception en exception, la règle générale ne régira plus
rien.
Que dans le concours d’une loi générale avec une loi
spéciale, il faille recourir à celle-ci, nous l’admettons ,
mais peut-on contester à la première le droit d’abro
ger la seconde qui lui est antérieure. Or l’abrogation n’a
pas toujours besoin d’être formellement exprimée, elle
résulte énergiquement du caractère inconciliable des
deux dispositions. Or ce caractère fût-il jamais plus
énergique qu’entre le texte du Code et celui de la loi de
l’an vu.
11 suffirait donc de ce texte pour repousser l’opinion
�ET DE LA FRAUDE.
391
de M. de Plasraan. Que sera-ce donc lorsque, s’en réfé
rant à la discussion législative, on arrivera à ce résultat
que c’est surtout la loi de l’an vu que l’art. 1321 a voulu
atteindre. On va juger si notre proposition est le moins
du monde hasardée.
Le premier projet du code ne disait rien sur les contrelettres, et ce silence avait été imité par la commission.
Ce qui les signala à l’attention du législateur fut uneproposition de M. Duchàtel, demandant qu’on les proscrivit
d’une manière absolue. I/usage des contre-lettres, di
sait-il, tendant à déguiser les conventions, il en résulte
des fraudes contre les particuliers, et toujours contre le
trésor public.
« M. Régnault de St-Jean d’Angely dit qu’un juge
ment vient d’annuler une contre-lettre ajoutant au prix
d’une vente.
« M. Bignot de Préameneu soutient que les contre-let
tres ne doivent être annulées que lorsqu’elles sont frau
duleuses.
« M Berlier dit que la proposition de M. Duchàtel
lui paraît, dans sa généralité, propre à produire un mal
plus grand que celui qu’on a voulu éviter.
« Il a été, ajoute-t-il, au titre du mariage, pourvu au
sort des contre - lettres qui pouvaient y être relatives ,
et c’est en celte matière qu’il importait le plus de parer
aux abus , parce que c’est là qu’ils sont les plus fré
quents, principalement ceux qui touchent à la substance
du pacte.
�392
TRAITÉ DU D ot
« Mais, dans une foule d’autres contrais qui ont eu
lieu entre les hommes , ne serait-il pas souvent injuste
de ne considérer comme valable que l’acte authentique ,
en rejetant les modifications contenues dans la contrelettre? Ne serait-ce pas dénaturer les conventions ? Et le
législateur le doit-il, lors surtout qu’il peut y avoir des
contre-lettres qui n’aient point eu pour objet de déguiser
la convention primitive, mais d’en fixer le sens, ou d’en
réparer les omissions ?
« À la vérité , les contre-lettres ont souvent lieu pour
éluder ou pour affaiblir les droits dus au trésor public ;
mais c’est par des amendes, et non par la peine de nul
lité, que cette espèce de fraude peut être atteinte et pu
nie , dans aucun cas , le législateur ne peut mettre sa
volonté à la place de celle des parties pour augmenter
ou diminuer les obligations respectives qu’elles se sont
imposées.
« Le consul Cambacérès dit qu’il existe déjà une dis
position législative contre l’usage des contre-lettres Joi
du 7 frimaire an vu), mais elle ne lui semble pas juste,
ces actes doivent avoir tout leur effet entre les parties, il
suffit, pour en prévenir l’abus, de les soumettre au droit
d’enregistrement, lorsqu’ils sont produits.
« Tronchet observe qu’il faut en effet distinguer : une
contre-lettre doit être valable entre les parties , et nulle
«contre les tiers. O r , la régie de l’enregistrement est un
tiers par rapport à l’acte.' »
1 Procès-verbaux, séance du 2 frimaire an
h.
�ET DE LA FRAUDE.
393
Après quelques observations de M. Defermou, dans le
même sens, la proposition fut renvoyée à la section qui
proposa et fit adopter l’art. 1321 , tel qu’il est inscrit
dans le Code.
Eh bien I nous le demandons, peut-il exister le moin
dre doute sur la portée de ce texte et sur l’intention du
législateur. Est-il possible surtout de prétendre qu’il ait
voulu maintenir une législation que le consul Camba
cérès flétrissait comme injuste , et dont personne n’osa
prendre la défense ; nous pensons donc qu’il est inutile
d’insister, et que nous pouvons conclure avec toute cer
titude. L’art. 1321 a voulu surtout abroger la loi de fri
maire an v ii , et l’a formellement abrogée.
M. de Plasman trouve mauvais que M. Toullier ait
fait ressortir énergiquement l’immoralité du résultat con
sacré par une législation que Cambacérès appelait injus
te. Il reconnaît cependant qu’il est odieux qu’un acqué
reur, se jouant des promesses les plus solennelles, puisse
retenir la propriété sans en payer le prix réel et conve
nu. Mais ce qui est non moins immoral , ajoute-t-il ,
c’est de voir le vendeur et l’acquéreur s’entendre pour
tromper la loi et frauder le trésor public.
C’est donc surtout dans l’intérêt de celui-ci que M. de
Plasman se prononce pour la nullité absolue. Or, qu’on
nous permette de le dire, s’il y a un système qui puisse
préjudicier aux droits du fisc , c’est incontestablement
celui que soutient M. de Plasman. Quelles seront , en
effet , les conséquences de la nullité absolue ? Qu’on ne
fera plus de contre-lettres. C’est possible ! Mais la fraude»
�394
TRAITÉ DU DOL
qu’avec raison blâme M. de Plasma», se perpétuera tant
que les acquéreurs auront intérêt à payer le moindre
droit d’enregistrement possible , seulement on prendra
d’autres mesures pour assurer la fraude, telle par exem
ple, que le dépôt ou le payement comptant de la partie
du prix qu’on voudrait dissimuler ; e t , de tout cela , il
arrivera que le fisc n’entendra jamais parler de ce sup
plément et ne pourra jamais le soumettre à aucuns droits.
Combien Cambacérès entendait mieux les intérêts du
trésor public 1 Valider la contre-lettre , c’e st, en cas de
difficulté, en favoriser la production ; c’est même for
cer cette production en cas de contestation. La connais
sance acquise par cette production , le fisc pourra se
faire payer avec usure des droits dont on a voulu le
frustrer.
Ainsi, indépendamment de ce qu’il est contraire à la
loi, le système de M. de Plasman a le défaut de se placer
en opposition directe avec l’intérêt qu’il prétend proté
ger. Il est donc, sous l’un et l’autre rapport, complète
ment inadmissible.
1299.
— Cependant il a été consacré par deux a r
rêts de la Cour de cassation, des 13 fructidor an ii et 10
janvier 1809. Nous ne dirons rien du premier, car an
térieur à la promulgation de l’art. 1321, il demeure for
cément sans influence sur une question qui n ’a pu naî
tre que depuis cette promulgation.
Quant au second, rendu sous l’empire du Code, il a
jugé plutôt une question de non - rétroactivité qu’une
�ET DE LA FRAUDE.
395
difficulté se référant à son influence sur la législation
précédente. Il suffit , en effet, de faire remarquer que
l’arrêt dénoncé à sa censure avait statué sur une contrelettre antérieure au Code civil, qu’il avait pourtant va
lidée par application de l’art. 1321.
Aussi le pourvoi se fondait-il sur la violation de l’art.
40 de la loi de l’an vu , et pour fausse application de
l’art. 1321. Il est vrai qu’à l’appui de ce dernier mo
yen, le demandeur soutenait que la règle générale de l’art.
1321 n’avait pu abroger la loi spéciale à la matière.
Mais ce second moyen n’est pas même abordé par la
Cour de cassation , elle se borne à viser dans son arrêt
l’art. 40 de la loi de l’an vu, dont elle fait application.
Ce n’est que dans le sommaire de l’arrêtiste qu’on lit ces
mots : il n'a pas été dérogé àcette loipar l'art. 1321,
mais c’est là un principe que l’arrêt ne juge pas , par
l’excellente raison qu’il n’avait pas à le décider ; la seule
législation applicable était la loi de l’an yii , sous l’em
pire de laquelle la contre-lettre avait été créée.
Ce que la Cour n’a pas jugé en 1809, elle l’a décidé,
mais en sens contraire , le 10 janvier 1819 , et depuis
elle a persisté dans la jurisprudence dans laquelle la plu
part des Cours d’appel l’ont suivie.
Il existe encore un arrêt dont se prévaut M. de Plasman, c’est celui rendu par la Cour de Metz, le 17 fé
vrier 1819. Mais cet arrêt , qui n’est peut-être dû qu’à
la fausse interprétation donnée à celui de la Cour de cas
sation , du 10 janvier 1809 , ne saurait prévaloir, en
aucun cas, sur les raisons que nous avons exposées sur
�396
THAITÉ DU DOL
la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation , sur
celle que plusieurs autres Cours ont adoptée.'
1300.
— Ainsi, et en force de l’art. 4321, les conire—lettres étant obligatoires entre les parties, deviennent
la preuve littérale et décisive de la convention. C’est donc
conformément aux clauses qu’elles renferment que le
traité doit recevoir son exécution. Mais nous allons re
trouver ici les principes que nous rencontrions tout à
l’heure. La dérogation contenue dans la contre - lettre
n ’est valable qu’à la condition qu’elle n’aurait trait qu’à
un intérêt particulier et privé. Dans le cas où la contrelettre dérogerait à une loi d’ordre public ou d’intérêt gé
néral, son inefficacité serait absolue, même pour les par
ties entre elles.
1 5 0 !. — On sait que la loi de 1846 a permis aux
titulaires des offices de présenter un successeur à l’agré
ment de l’autorité, et de transmettre leur charge à titre
onéreux. Mais cette autorisation est subordonnée à l’ap
probation que doit recevoir le traité réglant les condi
tions et le prix de la transmission. Le but de cette ré
serve, que s’est faite le gouvernement, est de veiller à la
sincérité du traité et d’empêcher, dans un intérêt public,
toute exagération légèrement consentie , dont les suites
pouvaient être funestes en grevant trop fortement l’ave
nir du nouveau titulaire.
1
Dijon, 9 juillet 1818 ; — Aix, 21 févr. 1832 ; Cass , 15 déc. 183 2 ;
— Dalioz jeune, Dict. général, v° Enregistr., n° 2229.
�ET DE LA FRAUDE.
397
Cette disposition, dont la haute utilité , dont la pro
fonde sagesse n’a pas besoin d’être démontrée , né doit
pas être éludée, il importe que l’autorisation ne soit pas
une pure formalité, un vain enregistrement. Il fallait
donc prévoir les manœuvres auxquelles elle peut donner
lieu, et les réprimer sévèrement.
L’autorisation pouvant seule régulariser la cession, il
n’en fallait pas douter, on se mettra à même de l’obtenir
en évaluant dans le traité , l’office vendu , à son juste
prix, peut - être même un peu en - deçà. Mais l’intérêt
privé saura bien faire sa part, et un traité secret, stipu
lant un supplément de prix , offrira tous les inconvé
nients que l’on a voulu éviter par la communication for
cée du traité.
Voilà , nous ne dirons pas ce qui pourra se réaliser ,
mais ce qui s’est effectivement réalisé , ce qui se réalise
chaque jour, et les ruines éclatantes et scandaleuses qui
se sont succédées sont venues témoigner bien hautement
de l'incontestable utilité des précautions du législateur.
1 3 0 2.
— En présence de ces catastrophes, la juris
prudence a compris le devoir qu’elle avait à remplir.
Ramener les parties à la vérité, en proscrivant avec une
rigoureuse sévérité tout ce qui s’en écarte, tel est le but
qu’elle s’est proposée et vers lequel elle marche avec une
louable et noble persévérance.
Ainsi elle a annulé tous les traités secrets, en se fon
dant sur ce grand principe : que les conventions par les
quelles un supplément de prix est stipulé entre le ven-
�398
TRAITÉ DU DOl
deur el l’acheteur d’un office, en dehors du traité osten
sible soumis à l’approbation du ministre, sont essentiel
lement illicites et contraires à l’ordre public , comme
ayant pour objet de faire fraude aux. dispositions légis
latives réglant, dans un intérêt général , le mode et la
condition de la transmission des offices ; que , dès-lors,
de telles conventions ne peuvent engendrer aucune obli
gation ni civile ni naturelle.'
Ainsi, dans une cession d’office , il ne peut y avoir
d’autre prix que celui porté au traité soumis à l’appro
bation du gouvernement. De quelque manière qu’un
supplément de prix ait été stipulé , la convention est
nulle et sans effet.
Par application de cette règle, il a été jugé :
Que la contre - lettre qui attribue les débets au ven
deur, sans diminution du prix de l’office, tandis que le
traité ostensible comprend les débets, avec ou sans ven
tilation , dans le prix de l’office , est radicalement nul
le ; qu’en conséquence , dans le cas où le vendeur au
rait perçu les débets , il est tenu d’en rendre compte à
l’acheteur ; ’
Que la contre-lettre qui fixe au jour de la cession l’en
trée en jouissance, que le traité indique pour le jour de
la prestation du serment, est également nulle ; 3
Qu’il en est de même de la convention secrète portant
1 Cass., 16 mars 1849 ; — D. P., 49, 1, 294.
2 Cass., 8 janv 1 8 4 9 ;— D. P , 19, 1 12.
3 Cass., même jour,
�ET DE LA FRAUDE.
399
que la cession d’un office faite par un père à son fils ,
sous forme de démission pure et simple, a lieu, en réa
lité, à titre onéreux, moyennant un prix qui sera ulté
rieurement fixé. '
1303.
— M. Dalloz critique cet arrêt comme enle
vant la propriété aux pactes de famille, et accuse la Cour
de cassation d’avoir, par une sévérité outrée , dépassé
le but. Nous croyons, au contraire, que, quelque rigou
reuse qu’elle paraisse , cette décision est parfaitement
juridique, dictée qu’elle était par une déduction logique
du principe présidant à la transmission des offices. Ainsi
que le fait remarquer la Cour de cassation, la propriété
d’un office n’est pas une propriété ordinaire dont le ti
tulaire ait la libre disposition. La loi de 1816 ne lui
confère que la faculté de présenter un successeur, que le
gouvernement a toujours le droit de refuser ou d’admetIre. Or, l’exercice rationnel de ce droit est impossible si,
indépendamment de ce qui est relatif à la capacité et à
la moralité du nouveau titulaire , toutes les conditions
du traité ne sont pas fidèlement mises sous les yeux du
ministre.
La plus essentielle de toutes ces conditions , est évi
demment celle concernant le prix. Il importe que ce
prix soit dans de justes proportions avec la valeur réelle
de la charge ; que l’obligation de le payer soit de telle
nature que le débiteur puisse la remplir et faire face aux
�intérêts en résultant par les seules ressources de la char
ge elle-même et par les revenus légitimes dont elle est
susceptible. Il faut , en un mot , que l’engagement ne
soit pas tellement onéreux que la ruine et la déconfi
ture du nouveau titulaire puissent être entrevues dans
un temps plus ou moins prochain. Comment le gouver
nement veillera-t-il à tout cela , si le prix de la cession
n’est pas même fixé au moment où son approbation est
demandée ?
Il est d’ailleurs incontestable que, dans les traités or
dinaires , la clause que le prix sera ultérieurement fixé
ferait que l’agrément de l’autorité serait refusée, et ce
refus ne serait blâmé par personne. Pourquoi en seraitil autrement , lorsque c’est le père qui cède à son fils ?
Est - ce que, dans ce cas, la détermination du prix ne
peut pas être exagérée et hors de toute vérité ? Est - ce
que, ce cas se réalisant, le titulaire ne se trouvera-t-il
pas grevé d’une charge à laquelle les revenus légaux de
l’office pourront à peine suffire ? Sera-t-il moins tenté
qu’un autre de se procurer, par des moyens extra légaux,
les ressources dont il manquera ? Est-ce qu’enfin, et sui
vant l’intérêt du m om ent, la détermination du prix ne
sera pas le résultat de la collusion dans le but de priver
les créanciers , que le titulaire peut avoir, d’une partie
de l’actif sur la foi duquel ils ont traité? Si tout cela est
réellement à redouter, pourquoi se départir d’une sur
veillance nécessaire pour obvier à tous ces inconvénients?
On ne saurait en donner une raison plausible, et la va
lidité d’une contre-lettre, dans ce cas, ne serait qu’une
faveur accordée au mensonge et â la ruse.
�■jET DE LA FRAUDE.
Que le père et le fils aient trompé le gouvernement, c’est
incontestable. L’apparence d’une démission pure et sim
ple, devant en quelque sorte être suivie de l’approbation
évite ainsi tout contrôle efficace. Faudrait-il les récom
penser de la simulation qu’ils se sont permise? Le pacte
de famille ne saurait être pour le gouvernement une
raison d’aliéner sa mission d’ordre public et d’intérêt
général. En quoi, d’ailleurs, l’existence de ce pacte ré
pugne-t-il à la détermination actuelle d’un prix. C’est
surtout ce prix qu’il importe à la famille elle-même de
connaître, et, puisqu’on doit le fixer ultérieurement, on
ne peut expliquer le défaut de fixation actuelle que par
l’intention bien arrêtée de se soustraire au-contrôle de
qui de droit. Favoriser cette intention , 'ce ne serait pas
autre chose que récompenser et encourager la fraude.
En la proscrivant, l’arrêt de la Cour de cassation n’a
donc fait qu’un acte de morale et de justice.
Ainsi toute contre-lettre, quels qu’en soient les signa
taires, fût-elle de père à fils , reste frappée d ’une nullité
radicale, dès qu’elle modifie ou abroge, dans une partie
quelconque , le traité soumis d’office à la chancellerie.
Cette règle ne comporte aucune exception, mais elle se
rait évidemment non applicable à la contre-lettre expli
quant le sens et la portée des clauses du traité public ,
sans les modifier. Ainsi , il a été jugé que , lorsque les
conditions de la vente d’un office ont été arrêtées avant
que le cessionnaire eût l’âge requis, au moyen d’un traité
demeuré secret, mais qui ne diffère du traité soumis plus
tard à la chancellerie que par des clauses transitaires
ni
26
!
■i i »
' T
�402
TRAITÉ DU DOL
devenues sans objet, ce traité est suffisant pour confé
rer au cédant le privilège du vendeur et à l’autoriser à
en transmettre le bénéfice par voie de subrogation , en
vertu de cet acte , au tiers qui l’a payé après la nomi
nation du cessionnaire.'
1304.
— La jurisprudence qui proscrit toute déro
gation au traité public , jurisprudence dans laquelle la
Cour de cassation persiste avec une inflexible fermeté ,
amenait, comme conséquence inévitable, à consacrer le
droit de répéter les sommes payées à titre de supplé
ment de prix, soit au moment du contrat, soit avant,
soit après. En effet , considérer ces payements comme
légitimement acquis, c’était rendre complètement illu
soire la nullité des contre - lettres , qu’on eût dès - lors
délaissées, en prenant un moyen plus sûr pour faire
réussir les desseins que ces contre-lettres faisaient vai
nement entrevoir. Ce moyen était naturellement indiqué.
On aurait exigé le payement actuel et comptant du sup
plément du prix , ou la remise de valeurs négociables ,
jusqu’à due concurrence.
La seule précaution efficace contre cette fraude si fa
cile , était de considérer comme nuis ces payements ou
remises , et cette précaution était indispensable pour as
surer le but qu’on se proposait d’atteindre par la nullité
absolue des contre-lettres. En effet, chassée d’un côté, la
fraude serait largement revenue de l’autre, et les incon1 Orléans, 31 janvier 1846 ; — D. P., 47, 2, 101.
�KT DE LA FRAUDE.
403
vénients prévus, loin de s’affaiblir, ne pouvaient manquer
de s’aggraver. C’est ce que la jurisprudence a compris ,
c’est ce qu’elle a voulu prévenir par la nullité de la
contre-lettre verbale, comme de la contre-lettre écrite, et
par l’admission du droit de répétition de ce qui a été
payé en vertu de l’une ou de l’autre.
I30!>. — La sagesse de cette solution a été mécon
nue et son caractère juridique contesté. Mais l’une et
l’autre peuvent facilement être justifiés. Sans doute il est
des obligations que la loi permet de faire annuler, et qui
sont cependant dans le cas de créer un lien naturel.
Mais il faut distinguer ce que la loi permet de ce qu’elle
ordonne , parce que de la diversité de ce caractère dé
coulent des conséquences bien différentes.
Ainsi les obligations annulables ou rescindables ont
une existence légale tant que leur nullité ou leur resci
sion n’a été ni demandée ni obtenue. Le droit de la faire
consacrer est reconnu par la loi , mais elle n’en prescrit
aucunement l’exercice , qu’elle laisse au libre arbitrage
de la partie lésée.
Dès lors l’exécution à laquelle se livre cette partie, au
moment même où elle pouvait poursuivre la nullité, est
un acte spontané et libre qui non - seulement engendre
une obligation naturelle , mais qui , pouvant constituer
une ratification, est susceptible de donner au contrat le
lien légal et obligatoire dont il manquait jusque-lù.
Il ne saurait en être de même pour l’obligation illi
cite. Sa nullité n’a pas besoin d’être ordonnée, elle existe
�404
TRAITÉ DU DOL
de plein d ro it, il n’y a jamais eu d’obligation , aucune
possibilité de l’exécuter , et moins encore de lui donner
aucune valeur légale par une ratification, fùt-elle expres
sément consentie. Il y a même p lu s, personne ne pou
vant faire ce que la loi prohibe formellement , l’exécu
tion d’une obligation contractée contre cette prohibition
est elle-même illégale et nulle, et dès-lors incapable de
produire aucun effet.
Ainsi les pactes sur succession future, les sociétés de
délits, les contrats usuraires, les stipulations illégales de
contrainte par corps, en un m ot, tout ce qui est de na
ture à porter atteinte à une prohibition formelle, édictée
dans l’intérêt des mœurs, de l’ordre public, de la sécu
rité de l’Etat, n ’a jamais eu une existence réelle, suscep
tible de créer un lien moral quelconque. La violation de
la lo i, qui proteste contre le pacte, proteste contre son
exécution qu’on ne pourrait dès lors tolérer , et moins
encore indirectement valider , sans méconnaître la vo
lonté expresse du législateur.
La différence entre la nullité radicale et de plein droit
et celle que la loi n’a consacrée que par des considéra
tions particulières ne pouvait être méconnue. Aussi n’estce pas sur celle-ci qu’on a insisté. Mais il existe une
nullité d’ordre public à laquelle la.loi a attaché une obli
gation naturelle : ainsi les dettes de jeu librement et
spontanément payées ne sont pas répétibles. S’emparant
de cet exemple , on s’est écrié : vous voyez donc bien
qu’une obligation naturelle peut être produite par les
nullités radicales elles-mêmes.
�KT DE LA FRAUDE.
405
Mais ce qui enlève à cette objection toute force et toute
portée, c’est précisément la disposition de l’art. 1967.
Le législateur ne s’est pas dissimulé qu’en principe le
jeu ne pouvait engendrer même une obligation naturel
le ; qu’en conséquence, le payement de ce qui avait été
perdu ouvrait l’action en répétition. Mais par des consi
dérations que nous n’avons pas à apprécier, pour rendre
hommage à nos mœurs peut-être, il n’a pas cru devoir
autoriser cette répétition. Il s’en est donc formellement
et spécialement expliqué. Ainsi, si la dette de jeu, volon
tairement payée, n’est pas répétible, c’est par exception
au principe général ; si cette exception est admise, c’est
qu’elle est écrite en toutes lettres dans la loi. Qu’on nous
montre donc qu’il en est de même pour le supplément
de prix d’un office, et nous nous avouerons immédiate
ment vaincu.
Ainsi l’objection tirée de l’art. 1967 , loin d’atténuer
la rigueur du principe , ne fait que le confirmer. Pour
que la nullité radicale et d’ordre public crée une obli
gation naturelle, il faut une exception formellement pré
vue. Cette exception n’existant pas, le principe continue
à exercer tout son empire.
Maintenant, dans quelle catégorie faut-il placer la nul
lité de la contre-lettre, en matière de cession d’office ?
Cette question ne peut être douteuse. Cette nullité ne re
connaît d’autre motif que l’intérêt général et public. Elle
est donc radicale, absolue ; elle ne peut dès - lors pro
duire une obligation, même morale.
�406
TRAITÉ DU DOL
1306. — Mais, a t-on dit, la loi do 1816 n’a nulle
part proscrit les contre lettres , on ajoute donc à la loi
lorsque non-seulement on les annule, mais surtout lors
qu’on permet de répéter ce qui a été payé à ce titre.
Sans doute le législateur de 1816 n’a pas employé
cette locution : toute contre-lettre est défendue, mais une
pensée conforme s’induit clairement de la loi.
La cession de l’office n’est qu’une faculté qui ne peut
être exercée que sous la condition formelle de l’appro
bation du gouvernement. Cette approbation, qu’un inté
rêt général a fait prescrire, ne peut être que le résultat
d’une appréciation éclairée et loyale des conditions du
marché. Elle ne sera accordée que si le ministre est con
vaincu : 1° que la charge sera honnêtement exercée ; 2J
que l’acheteur ne s’impose pas de charges trop lourdes ;
3* que, renfermé dans son état, il y trouvera, en en res
pectant les limites , en en pratiquant les devoirs, une
suffisante existence. Pour que cette conviction se forme,
il faut de toute nécessité que le traité qui en forme les
éléments essentiels soit sincère , surtout en ce qui con
cerne le prix. Q’importe, en effet, la capacité , du suc
cesseur désigné si , d’avance , l’énormité des engage
ments qu’on lui a fait secrètement consentir le réduit
à trouver un complément de ressources dans l’agiotage,
dans la spéculation, elle destine fatalement, en quelque
sorte, à finir dans l’abime où il plongera de nombreu
ses victimes.
Si le but indiqué est bien celui que s’est proposé le
législateur de 1816, est-il possible de nier qu’il ait en-
�ET DE LA FRAUDE.
407
tendu proscrire tout ce qui tendrait à lui enlever son
véritable caractère et son utilité. La contre-lettre dissi
mulant une partie du prix , ne peut que déterminer ce
résultat. Elle se trouve donc nécessairement atteinte par
cette proscription.
Ainsi, pour se conformer à l’intention du législateur
de 1816, la jurisprudence devait nécessairement aboutir
à ces deux termes : d’une part, nullité radicale de toute
contre-lettre ayant pour objet de modifier ou de déro
ger aux clauses et conditions du traité public communi
qué à la chancellerie ; de l’autre, faculté de répéter tout
ce qui aurait été payé ou donné à titre de supplément
de p rix , au moment du traité, avant ou depuis. C’est
ainsi, au reste, que les Cours et Tribunaux l’admettent
aujourd’hui.
1307. — De cette jurisprudence il suit : que le traité
secret ne pouvant être ratifié ni expressément ni tacite
ment , l’exécution qui lui aurait été donnée ne créerait
aucune fin de non-recevoir, soit contre l’action en nul
lité , soit contre celle en restitution ou imputation des
sommes illégalement perçues en vertu du traité secret. Il
en serait de même de la transaction dont ce traité secret
aurait été l’objet, si, tout en réduisant le supplément du
prix secrètement stipulé, elle l’avait cependant consacré
en partie. Il ne saurait y avoirde transaction valable que
celle qui ramènerait les parties à l’exécution pure et sim
ple du traité public. Tout ce qui irait au-delà serait at
teint de la nullité viciant le traité secret lui-même, et, en
�TRAITÉ DU DOl
conséquence, resterait non seulement sans effet, mais ne
saurait même échapper à l’action en restitution.
1 508. — L’action en nullité et celle en restitution
( i n
conféréeau débiteur principal appartiennent à la caution.
En principe, ce qui est nul comme illicite ne saurait de
venir la matière d’un cautionnement légal et obligatoire.
Celui qui l’aurait fourni serait donc recevable à en faire
prononcer l’invalidité.
Pourrait-il, après avoir payé, demander la restitution
ou tout au moins l’imputation jusqu’à concurrence sur
le prix du. traité primitif qu’il aurait également cautionné? L’affirmative n’est pas douteuse et résulte du droit
de répétition reconnu au débiteur. Ce qui vicie l’engage
ment de celui-ci vicie également celui de la caution. Les
conséquences de ce vice ne pourraient donc varier dans
leur application à l’un ou à l’autre.
1 509. — Le cessionnaire de l’office, fondé à oppo
ser au cédant la nullité du traité secret , pourrait-il
également l’opposer pour se dispenser de rembour
ser le supplément du prix qu’un tiers aurait payé pour
lui?
Il nous semble que cette question doit se résoudre
par le principe admis par la Cour de cassation en ma
tière de jeu.‘.Si le tiers a connu le traité secret, s’il y a
coopéHê comme intermédiaire ou mandataire, il a as-
�ET DE LA FRAUDE.
409
sumé volontairement les chances de la subrogation aux
droits du vendeur; résultant du payement, ce droit res
te en ses mains ce qu’il était entre celles du cédant
lui-même. Les objections opposables à celui-ci pour
ront d.onc lui être opposées, alors même que le titu
laire de l’office eût consenti au payement et à la subro
gation.
»
Si le tiers a payé de bonne foi, s’il s’est borné à prê
ter son argent, le droit d’en obtenir son remboursement
ne saurait être sérieusement contesté parle débiteur, ac
quéreur de l’office. La destination qu’il aurait donnée à
la somme empruntée ne saurait être opposée au prêteur,
qui n’avait pas même à s’en occuper, et encore moins à
s’en enquérir.
1310. — Une autre conséquence de la jurispruden
ce que nous avons indiquée, est de rendre la preuve tes
timoniale admissible pour établir soit qu’une somme
quelconque a été payée au moment et en dehors du
traité, à titre de supplément de prix, soit que les valeurs
dont on réclame le payement n’ont pas d’autre cause.
Sans la preuve testimoniale, la répétition autorisée ne
saurait avoir lieu, car, en l’état de ce danger, le ven
deur se gardera bien de donner une preuve écrite du
payement et de ses causes, non plus que de celle des
effets qu’il a fait souscrire. Cette admissibilité, d’ailleurs,
se justifie parfaitement par les principes ordinaires. Ain
si que nous venons de le voir, la fraude contre une loi
d’ordre public peut toujours être invoquée par la partie
�410
TRAITÉ DU DOT
prouvée par témoins. Or, tel est évidemment^ caractè
re de celle ayant pour objet de percevoir un supplément
de prix dans la vente d’un office.
Pt
1 3 1 1 . — L’action en nullité du traité secret et celle
en restitution ne se prescrivent que par trente ans, cela
n ’a pas cependant laissé que de soulever des difficultés.
Dans un cas comme dans l’autre, a-t-o n dit, l’objet
principal du litige, c’est la nullité de la contre-lettre.
Dès-lors, et en vertu de l’art. 1304, il faut admettre que
le silence prolongé pendant plus de dix ans, ayant éteint
l’action en nullité, a également anéanti la faculté derépéter ce qui a été indûment payé.'
Cette doctrine a le tort d’appliquer aux actes nuis de
plein droit une règle seulement applicable aux contrats
annulables ou rescindables. L’article 1304 ne s’occupe
que de ces derniers, et la prescription qu’il consacre
n’est que la conséquence de leur caractère. Nous l’a
vons déjà d it, ces actes ne sont qu’infestés d’un vice
purement relatif, que la loi permet à la partie intéressée
de couvrir par une ratification expresse ou tacite. Elle
considère le silence de plus de dix ans comme consti
tuant cettedernière étayant par conséquent donné à l’ac
te toute légalité. Aussi en ordonne-t-elle l’exécution pour
l’avenir.
Rien, au contraire, ne peut valider l’acte nul comme
contraire à la loi, à l’ordre public, à l’intérêt général.
1 Toullier, tom vu, n° 599 ;— Delvincourt, tom 11, n° 598.
�ET DE LA FRAUDE.
On n’acquierl pas le droit de violer la loi par cela seul
qu’on l’a violée plus ou moins longtemps. L’acte qui ne
peut être expressément ratifié , ne peut l’être tacite
ment, fût-ce même par un silence s’étant prolongé audelà de dix ans. La seule prescription qui puisse , non
pas en faire admettre l’exécution , mais lui acquérir le
pardon du passé, est celle qui ne permet pas de l’atta
quer, parce qu’elle anéantit toutes les actions, tant réel
les que personnelles, c’est-à-dire la prescription trentenaire.
Ce système, qui a l’adhésion d’une foule d’auteurs
graves,' consacré par un arrêt de Bordeaux, du 20 août
1828, a été depuis sanctionné par la Cour de Paris, le
5 décembre 1846, et par le Cour de cassation, le 3 jan
vier 1849.’
1 5 1 2 . — L’inaliénabilité du fonds dotal date déjà
de fort loin. Dans l’origine, le mari, maître de la dot,
pouvait en disposer et l’aliéner, même sans le con
cours de la femme. La loi Julia de adultérin vint meltre
un terme à cette faculté ; elle défendit toute aliénation
invita uxore.
Cette prohibition, faite au mari, fut étendue à la fem
me par Justinien. Désormais le fonds dotal devint ina-
1 Merlin, H ep ., v° r a tif ic a tio n ; — Duranton , tom. xn , n» 823 ; —
Troplong, de l a v e n t e , n» 249 ; — Marcadé , E lé m e n ts d u d r o i t c i v i l ,
art. 1304 ; — Zacchariæ, tom. il, p. 440,
2 D. P., 32, 2, 377; 47, 2, 4; 49, 1, 139.
�412
TRAITÉ DU DDL
liénable , aucun des époux ne pouvant en disposer
pendant le mariage , soit conjoinctement, soit séparé
ment.
Cette prohibition a-t-elle créé ce meilleur état des
choses que se promettait Justinien? Est-elle une amé
lioration ou un inconvénient? Nous ne voulons pas en
trer dans cette vieille querelle entre le droit coutumier
et le droit écrit , ce qui nous entraînerait au-delà de
notre sujet. Disons seulement que cette inaliénabilité
absolue a créé et crée encore de biens graves embarras
et de bien nombreux obstacles au développement de
la prospérité de certaines familles , et que s i , sous le
point de vue personnel à la femme , elle a des avanta
ges, ces avantages nesoritsouvent acquis que par des mo
yens souverainement iniques, au point de vue purement
moral.
Quoi qu’il en soit, cette inaliénabilité se trouvant con
sacrée parle Code civil, il nous faut l’examiner au re
gard des fraudes que la loi peut inspirer, en rechercher
le caractère, en détruire les effets par rapport aux tiers ,
par rapport aux époux eux-mêmes.
1315. — Les lois réglant l’inaliénabilité du fonds
dotal constituent un statut réel. Les époux sont pendant
le mariage même, capables de disposer, seulement le fonds
dota! demeure indisponible en leurs mains. La prétention
contraire a été soutenue, et ceux qui voyaient dans ces
lois un statut personnel ontinvoqué la place que Justinien
à donnée à la prohibition. C'est dans ses Inslitules, et
�RT DE LA. FRAUDE.
précisément sous le titre intitulé : Quibus alienare licet,
vel non, qu’il l’a placée. Donc, la prohibition crée, ellemême, une incapacité personnelle. C’est là une erreur
que nous démontrerons en nous occupant de la question
de savoir si la vente du fonds dotal peut être ou non
valablement cautionnée.
Donc. la prohibition d’aliéner la dot s’applique aux
biens et non à la personne, et ses fondements étaient,
en droit romain, considérés comme d’intérêt général, la
conservation de la dot devant rendre un second mariage
plus facile et contribuer ainsi à augmenter la population:
Interest Reipublicœ mulierum dotes salvas esse, quibus
nubere possunt.
Le droit français s’est beaucoup moins préoccupé
des secondes noces que de l’intérêt de la femme et de
celui des enfants. La dot est un minimun de fortune que
la loi a voulu leur conserver malgré le naufrage au mi
lieu duquel peuvent périr toutes les autres ressources
du ménage. Mais cette manière d’entendre le droit ne
lui enlève rien de son caractère public, l’intérêt général
des familles ne cesse pas de se recommander à la faveur
de la loi
1 3 1 4 . — Il importe cependant de remarquer que,
quoique d’ordre public, quoique existant ipso jure, c’està-dire qu’on doive l’obtenir indépendamment de toute
obligation de prouver soit une lésion, soit un préjudice,
la nullité de l’aliénation du fonds dotal n ’est pas abso
lue. Cela tient à cequel’ordre public n’y est que subsi-
�414
TRAITÉ DU DDL
diairement intéressé. L’intérêt principal est celui de la
femme et des enfants: Primano spécial utilitatem privatam, et secundario publicam. Ce sont, dit Dunod, les
particuliers qui profitent de l’interdit, et sa prohibition
produit une nullitéqu’on appelle respective, parcequ’elle
n’est censée intéresser que celui en faveur de qui elle est
prononcée.'
Ces observations fixent le caractère de la nullité elles
conséquences de la fraude. La nullité est légale, c’est-àdire qu’elle est formellement prononcée par la loi. Mais,
tout en l’admettant, le législateur ne fait pas un devoir
de la faire prononcer, il s’en rapporte à la partie inté
ressée qui peut non-seulement ne pas la poursuivre, mais
encore la couvrir en ratifiant l’acte lorsque l’empêche
ment qui le fait prohiber a disparu. En d’autres termes,
la loi n’autorise pas, mais elle n’empêche pas non plus :
Nonassistit nec corroborât quod est autem respecta ejus
in cujus (avorem prohibitio facta est ; sed non resislit
absolute et semper
Ce caractère spécial de la nullité de la vente du fonds
dotal était admis par l’ancien droit;3 doit-on l’admettre
aujourd’hui encore?
L’affirmative vous parait résulter de la jurisprudence,
qui repousse l’action de l’acquéreur ayant sciemment
traité avec les époux ou l’un d’eux. Cette jurisprudence
1 D es P r e s c r ip tio n s , p. 48.
Dunod, i b id .
3 Dupérier, Questions notables, quest. 9, t. i, p. 56.
i
�ET JDE LA FRAUDE.
415
serait illogique si la nullité est absolue, car il est de l’es
sence de celle-ci de pouvoir être opposée par toutes les
parties. Si, dans l’espèce, on le décide autrement, si la
demande en nullité de l’acquéreur est repoussée par ap
plication de l’art. 1125, c’est qu’on admet qu’il ne s’a
git que d’une nullité relative.
L’affirmative résulte encore de la possibilité d’une ra
tification même tacite, dont l’effet est de donner à l’acte
toute la validité qu’il aurait eue s’il n’avait contrevenu
dans l’origine à une prescription légale et d’en assurer
l’exécution dans l’avenir. Or, nous l’avons déjà dit, la
nullité absolue, contre laquelle la loi résiste sans cesse ,
ne peut jamais sortir à effet, ne peut être ratifiée ni ex
pressément ni tacitement : l’action dont elle est la source
ne se prescrit que par trente ans. Conséquemment, s’il
en est autrement pour la nullité du fonds dotal, c’est que
cette nullité, reconnaissant une autre origine, obéit à des
principes différents.
Nous croyons donc que la nullité est aujourd’hui
ce qu’elle était autrefois , c’est-à-dire radicale et abso
lue pour ce qui concerne les époux et la famille ; pu
rement relative quant aux tiers ayant traité avec l’un
d’eux.
1 5 1 5 . — Il résulte de là que ces tiers ne peuvent
de leur chef l’invoquer ni la faire valoir, s’ils ont connu
la qualité de celui avec qui ils ont contracté. Nous dis
tinguerons cependant suivant qu’ils ont acheté du mari
ou de la fe m m e .
�416
TRAITÉ DU
DOL
Celui qui achète un bien déclaré appartenir à une
femme mariée, est mis immédiatement eu demeure de
prendre toutes les précautions possibles pour s’assurer
si le bien qu’il achète est ou non grevé de dotalité. S’il
néglige de le faire, le contrat devient irrévocable pour lui
sans qu’il puisse prétendre avoir été dans l’ignorance
sur le vice de l’objet vendu. Nous le répétons, ce vice,
la qualité de la femme mariée devait le lui faire pré
sumer, et s’il n’en a pas vérifié l’existence, il a commis
une faute des conséquences de laquelle il ne saurait être
relevé.
Si la vente a été consentie par le mari seu l, agissant
en son propre et privé n o m , comme propriétaire de ce
qu’il vend, l’acheteur n’a pas dû se douter même de la
dotalité dont cette chose est atteinte. Sans doute, il eût
dû exiger que le mari justifiât la propriété qu’il allé
guait, mais la bonne foi, qui est de l’essence de la vente,
empêche d’attacher une importance majeure à cette né
gligence , et l’acquéreur , en vertu même de cette bonne
foi , devrait être admis à poursuivre la nullité de la
vente lorsqu’il découvre la dotalité qu’il avait complète
ment ignorée.
Mais il n’en serait plus ainsi si le mari avait procédé
comme tel dans la vente, s’il avait pris la qualité d’admiiiislrateur de la dot ou celle de mandataire de sa fem
me. Dans ce cas, la propriété de la femme est suffisam
ment indiquée , et cette indication suffit pour soumettre
l’acquéreur à toutes les obligations de celui qui traite
directement avec une femme mariée. Il devait donc se
�ET DE LA FHAUDE.
faire représenter le contrat de mariage. La faute grave
qu’il a commise , en ne pas l’exigeant, le laisse sans
droits contre l’engagement qui en a été la conséquence.
A plus forte raison en serait-il ainsi si la vente avait été
faite par le mari et la femme conjointement.'
1 3 1 6 , — Ainsi l’acquéreur qui a , au moment de
l’achat, ignoré la dotalité de l’immeuble, est recevable,
après la découverte qu’il en fait plus tard , à poursuivre
la nullité du contrat, mais il ne peut exciper de cette
ignorance toutes les fois que la propriété lui a été dési
gnée comme appartenant à la femme. Cette indication ,
de plein droit existant, lorsque c’est la femme elle-même
quia vendu, résulte suffisamment soit de la qualité d’ad
ministrateur ou de mandataire prise par le m ari, soit
du concours donné par la femme au contrat.
1 3 1 7 . — Cependant la Cour de cassation a jugé , le
11 décembre 1815, que, même lorsque le mari a traité
seul et comme propriétaire de ce qu’il aliène , l’acqué
reur ne peut être admis à poursuivre la nullité du con
trat, et cela par application de l’art. 1125 du Code civil.’
Nous ne pouvons adopter la doctrine par trop sévère
de cet arrêt, et nous contestons la justesse de l’applica
tion de l’art. 1125. Que celui qui traite avec un inca
pable ne puisse se prévaloir plus tard de cette incapacité,
1 Duranton, t. xv, n° 528.
2 Sirey, 16,1, 161.
ni
�418
TRAITÉ DU DOL
cela se comprend ; mais celui qui a contracté avec un
capable, et qui a été trompé par lui sur la disponibilité
de la chose qu’il prétend lui appartenir , ne s’est pas
placé sous le coup de cet article, dont l’application doit
lui rester étrangère. Qu’on exige la représentation du con
trat de mariage, lorsqu’on dénonce l’existence des droits
de la femme, soit ; mais lorsque celui qui a vendu n’a
pas même indiqué sa qualité d’homme marié, l’exigen
ce n’est plus que souverainement déraisonnable. Au
fond , le mari , qui vend comme lui appartenant la
chose de sa femme, abuse étrangement des droits qui lui
sont conférés sur la dot et commet, en quelque sorte ,
une véritable fraude contre l’acheteur. Sous tous ces rap
ports, la Cour de cassation parait s’être écartée dans son
arrêt des véritables principes autant que des notions de
l’équité et de la justice.
C’est cependant la doctrine de l’arrêt de 1815 que le
répertoire du Journal du Palais préconise, et il indique
comme l’ayant de nouveau proclamée un arrêt du 24
décembre 1828, rendu par la Cour de Grenoble, et un
autre du 25 avril 1831, de la Cour de cassation.
La Cour de Grenoble décide bien en effet que l’ache
teur est non recevable à demander la nullité de la vente,
alors même qu’il a ignoré la dotalité de l’objet acquis ;
mais dans la note dont il fait suivre l’a rrê t, le Journal
du Palais lui reproche de consacrer une doctrine trop
générale , et enseigne qu’il faut distinguer , et que si la
fin de non-recevoir est juste lorsque l’acquéreur a connu
la dotalité, elle ne saurait être admise lorsqu’il a été in
duit en erreur et qu’il a ignoré cette dotalité.
�ET DE LA FRAUDE.
419
D’ailleurs ce qui a déterminé la Cour de Grenoble ,
c’est que le vendeur offrait de cautionner hypothécaire
ment le prix de la vente. C’est ce qu’explique ce motif
de l’arrêt :
« Attendu que le général D onna, en offrant caution
et hypothèque pour sûreté de la vente , a fait tout ce
que l’acquéreur du fonds dotal avait le droit d’exiger ,
dans le cas où il aurait ignoré la dotalité, puisque cette
espèce de vente n’étant pas d’une nullité absolue , l’ac
quéreur ne peut avoir qu’un juste sujet de craindre d’ê
tre évincé, et qu’aux termes de l’art. 1653, l’acquéreur
qui se trouve dans cette position ne peut se refuser à
payer le prix si le vendeur lui donne sûretés convena
bles. »
Qu’aurait fait la Cour si le vendeur n’avait voulu ni
pu donner ces sûretés ? Ne peut-on pas croire que l’ig
norance de la dotalité lui étant démontrée, elle eût an
nulé la vente ?
Quant à l’arrêt de la Cour de cassation , du 25 avril
1831, on ne peut le considérer camme ayant la signi
fication que l’arrêtiste lui donne. Dans l’espèce, l’igno
rance de la dotalité ne pouvait être et n’était pas même
alléguée.
En effet, les époux de la Blanche, mariés sous cons
titution générale de d o t, mais avec faculté d’aliéner les
immeubles dotaux, avaient conjointement et en vertu de
cette faculté , vendu au sieur de Meuloz divers immeu
bles qu’ils avaient acquis par suite d’un échange contre
des biens dotaux.
�420
TRAITÉ DU DDL
L’acquéreur demande la nullité de la vente, non pas
qu’il eût ignoré la dotalité , mais sur le motif que les
biens par lui acquis provenaient d’un échange. Or, di
sait-il, les époux de Blanche se sont bien réservés , par
leur contrat de mariage , la faculté d’aliéner les biens
dotaux , mais non pas celle de les échanger. Donc l’é
change est dans le cas d’être annulé, et cette nullité en
traînerait celle de la vente.
L’espèce offrait encore cette circonstance que les biens
donnés en dot dans le contrat de mariage , ne l’avaient
été qu’à la condition que la dame de la Blanche renon
cerait à la succession de sa mère. Or , ajoutait le de
mandeur, si cette condition venait à défaillir , les biens
rentreraient dans la succession de la donatrice.
Le Tribunal et la Cour de Lyon d’abord , la Cour de
cassation ensuite , répondent que la faculté d’aliéner
comprend, à fortiori, celle d’échanger ; que par con
séquent la légalité de l’échange mettait la vente des biens
en provenant à l’abri de toute attaque.
Que si la condition de renoncer à la succession venait
à défaillir, et qu’ainsi la constitution faite à la dame de
Blanche par sa mère se trouvait révoquée, cette révoca
tion ne pourrait, dans aucun c a s , amener l’éviction de
l’acheteur , parce que l’avantage fait dans le contrat de
mariage constituerait en réalité une donation en avan
cement d’hoirie ; que la vente de l’objet donné ayant eu
lieu , si des contestations s’élevaient à l’ouverture de la
succession de la donatrice, la dame de la Blanche ne se
rait tenue que de rapporter fictivement en moins prenant.
�ET DE LA FRAUDE.
421
Il n’y avait donc dans l’espèce ni ignorance de la dotalité, ni crainte d’éviction en présence de l’art. 860 G.
Nap ,pas même nullité delà vente, puisque le contratde
mariage l’autorisait. A quel titre donc l’eut-on annulée ?
Nous persistons à croire que la vente faite par le mari
seul et en son nom , et se taisant sur le caractère dotal
de l’immeuble aliéné, doit être annulée, et que cette nul
lité peut être invoquée par l’acheteur qui découvre le
vice dont son acquisition est entachée ; qu’enfin l’art.
1125 ne peut être invoqué que dans le cas d’acquisition
sciemment faite d’un bien dotal.
1318.
— Nous ajoutons que la vente faite par la fem
me, par le mari, ou par tous les deux conjointement,
qui ne serait que le résultat des manœuvres frauduleuses
auxquelles ils se seraient livrés, serait nulle, et quecetle
nullité serait opposable par l’acquéreur. Mais on ne sau
rait considérer comme manœuvre frauduleuse le défaut
de déclaration sur la dotalité du bien vendu,' les con
séquences du silence gardé à cet égard ne pouvant, dans
aucun cas, être autres que celles formellement indiquées
par l’art. 1560 du Code civil.
1 3 19 — Cet article dispose que l’aliénation du fonds
dotal pourra être révoquée sur la demande delà femme
ou de ses héritiers, après la dissolution du mariage ou
la séparation de biens, et pendant la durée du mariage
sur la demande du mari lui-même. Ainsi le législateur
1 Paris, 25 février 1833
�422
TRAITÉ DU DOL
ne s’arrête pas à la part plus ou moins grande que les
époux ont pris à la fraude qu’il s’agit de réprimer. Le
mari est recevable à l’attaquer , alors même que, trai
tant en son propre et privé nom , il a aliéné , comme
lui appartenant , le bien qu’il vient revendiquer com
me dotal ; ce droit exorbitant n’est que la conséquen
ce de ce que l’aliénation du fonds dotal, contra legum
inter dicta , crée au regard des époux et de la famille,
une nullité absolue que chacun d’eux peut dès-lors in
voquer.
1320. — Le mari peut donc poursuivre lui-même
la révocation de l’aliénation par lui consentie. Pendant
le mariage, c’est le mari qui a toutes les actions; lui seul
peut donc les exercer soit dans son intérêt propre, com
me devant percevoir les fruits de la dot, soit dans l’inté
rêt que la femme et les enfants ont à la conservation du
bien dotal.
L’exercice dece droit est-il dans le cas de venir échouer
devant des fins de non-recevoir puisées dans les actes
ou la conduite du mari ?
Le répertoire du Journal du Palais tient pour l’affir
mative et indique comme l’ayant consacrée trois arrêts :
l’un du 20 juin 1809, de la Cour de Nismes ; le second
du 17 décembre 1818, de la Cour de Toulouse; le troi
sième, du 27 juillet 1829, de la Cour de cassation."
Ces arrêts ont-ils en effet jugé que le mari était non-
1 V° Dol, nos 870 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
423
recevable à poursuivre l’annulation de l’aliénation du
fonds dotal lorsqu’il a personnellement et solidairement
garanti sa validité ? Si oui , il est certain qu’ils auraient
singulièrement méconnu le texte et l’esprit de la loi.
La faculté pour le mari de faire annuler lui-même la
vente du fonds dotal qu’il a consentie, soit isolément ,
soit concurremment, souleva de vives objections dans le
sein du conseil d’Etat. Ce qui la fit inscrire dans la lo i,
c’est qu’en l’exerçant le mari agit non dans son propre
intérêt, mais dans celui de la femme et des enfants issus
du mariage. Est-il dès-lors possible d’admettre que l’en
gagement de garantir les effets de la vente que le mari
aurait contracté, pût faire maintenir cette vente pendant
la durée du mariage au grand préjudice de la famille ,
qu’on punirait ainsi des précautions exigées et prises
pour assurer le succès de la fraude dont elle est victime,
et qui devrait ainsi souffrir le préjudice dont la loi a
si expressément entendu la garantir ?
Il parait difficile de supposer que les Cours de Nîmes
et de Toulouse, que la Cour de cassation elle-même aient
pu si formellement se tromper sur le caractère et la
portée de l’art. 1560 C- Nap.
En fait elles ne méritent pas ce reproche, et l’examen
des arrêts qu’elles ont rendus, établit sans réplique
quelles n’ont voulu ni pu consacrer la doctrine qu’on
leur prête.
Dans chacune des espèces qu’elles ont successivement
appréciées, l’action était intentée non par le mari, mais
par ses héritiers qui agissaient en outre comme repré
sentant leur mère également défunte.
�424
TRAITÉ DU DOL
La Cour de Nîmes déclare l’action non-recevable, d’a
bord parce qu’en fait elle constate que le prix de la
vente avait servi à éteindre les dettes dont le fonds dotal
était légitimement grevé, ensuite parce que les deman
deurs, héritiers de leur père comme de leur mère, étaient
tenus de faire sortir à effet la garantie formellement pro
mise par celui-ci , et ne pouvaient dès lors poursuivre
une éviction qui devait nécessairement refluer contre
eux.
C’est dans la même hypothèse et également par appli
cation de la maxime : quem de evictione tenet actio ,
eumdem agentem repellit exceptio, que la Cour de Tou
louse refuse d’accueillir l’action en nullité d’enfants hé
ritiers de la mère et du père, et obligés en cette dernière
qualité à faire valoir la garantie donnée par ce dernier
à la vente du bien dotal.
Il y avait mieux encore dans l’espèce de l’arrêt de
la Cour de cassation , non-seulement le mari avait per
sonnellement garanti l’aliénation du bien d o ta l, mais
après la mort de la femme , il s’était réglé avec ses en
fants, et ceux-ci s'étaient obligés à le garantir de toutes
actions en recours qui pourraient être dirigées contre lui
à raison de ses engagements à faire valoir la vente du
bien dotal. En cet é ta t, la Cour de Metz avait déclaré
l’action non-recevable non-seulemen en vertu de la ma
xime quem de evictione..., mais encore parce que l’acte
intervenu entre le père et ses enfants était de la part de
ceux-ci une ratification de la vente du fonds dotal, ra
tification que la Cour de Metz induisait en outre des
�ET DE LA FRAUDE.
425
commandements de payer le prix , faits aux acquéreurs
par ces mêmes enfants héritiers de leur mère.
Cet arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation comme
violant les art. 1560 et 1338 C. Nap. ; mais la Cour su
prême, et avec juste raison, rejette le pourvoi, attendu
sur la prétendue violation de l’art. 1560 , que les de
mandeurs étaient héritiers de leur père, lequel avait ga
ranti personnellement et solidairement les actes consen
tis par leur mère ; que l’arrêt attaqué a donc pu, sous
ce rapport, les déclarer non recevables dans leur action.
Toutes ces décisions sont inattaquables en droit ; mais
en conclure que de son vivant e t , constante m atrim onio , le mari qui a garanti l’aliénation du fonds dotal
est non-recevable à demander la nullité de celte aliéna
tion, c’est leur donner une signification qu’elles ne com
portent pas.
Nous ajoutons que dans chacune de ces espèces on
aurait pu opposer une autre fin de non-recevoir plus pé
remptoire encore. L’action que l’art. 1560 donne au
mari lui est exclusivement personnelle et s’éteint avec
lui. A. sa mort, en effet, nul autre que la femme ou ses
héritiers ne peut attaquer la vente du fonds dotal. Donc
les enfants issus du mariage, agissant en qualité d’héri
tiers de leur père , n’ont rien à demander du chef de
celui - ci. Ils ne peuvent quereller la vente que du chef
de leur mère , et comme en succédant à celle-ci ils ont
en même temps succédé aux obligations que leur père a
contracté à raison de cette vente , leur action en nullité
est réellement sans intérêtpour eux, puisque c’estsureux
que réjailliraient les conséquences de celte nullité.
�426
TRAITÉ DU DOL
Ainsi, tant que le mariage subsiste le droit du mari
est absolu ; il est recevable et fondé à l’exercer alors
même qu’il aurait personnellement et solidairement ga
ranti la vente. L’effet unique de cette garantie est de
l’obliger à des dommages-intérêts en faveur de l'ache
teur évincé.
L’acheteur peut-il prescrire contre le mari, tant que
dure le mariage ?
Un arrêt de la Cour de Toulouse du 28 juin 1819 a
jugé l’affirmative, il décide que le mari a perdu le droit
de poursuivre la nullité de la vente du fonds dotal, s’il
laisse écouler trente ans, depuis l’acte d’aliénation.
« Attendu, dit l’arrêt, que si la loi donne au mari le
droit de faire révoquer même pendant le mariage, l’a
liénation qu’il a faite du fonds dotal, elle n’a pas dé
claré cette action imprescriptible pendant la durée du
mariage; qu’il est même impossible de concevoir que
l’action du mari, à cet égard, ne soit pas sujette à pres
cription, puisque pouvant agir au gré de sa volonté, et
ayant le libre et entier exercice des actions dotales, il ne
peut pas comme la femme invoquer la maxime, contra
non voluntem agere non ouvrit prescriptio. »
Que la négligence, que la longue inaction du mari
nuise à son intérêt et anéantisse les droits qui lui sont
personnels, c’est ce qui ne saurait être contesté. Mais
l’action du mari en nullité du fonds dotal ne lui est en
rien personnelle; elle n’a sa cause sa raison d’être que
dans l’intérêt de la femme dans celui des enfants.
Comprendrait-on que cet intérêt put souffrir de la né-
�ET DE LA FRAUDE.
427
gligence volontaire ou involontaire du mari ? C’est cepen
dant cet intérêt qui serait atteint par la prescription si
celle-ci pouvait être admise.
Cependant qu’a-t-on à reprocher à la femme et aux
enfants ? Est-ce qu’ils ont pu agir pendant le mariage ;
ce sont eux cependant qu’on punirait, en prolongeant
leur détresse pendant un temps indéterminé? Le pourrait-on raisonablement si la négligence du mari était
concertée et intéressée, si elle était le résultat du mau
vais vouloir et de la haine ?
Ce que nous reprochons en outre à l’arrêt de Tou
louse, c’est d’admettre le mari à faire indirectement, ce
qu’il ne peut faire directement. Quoi le mari vend le
fonds dotal, il s’oblige à faire valoir la vente, et ces en
gagements formels et directs ne l’empêcheront pas de re
venir sur ce qu’il a fait? Est-ce dès-lors possibleque cet em
pêchement résulte de sa tolérance de son inaction quel
que prolongée qu’on la suppose.
Est-il vrai d’ailleurs que la loi n’ait pas déclaré l’ac
tion du mari imprescriptible, pendant la durée du ma
riage? Mais l’art. 1560 consacre formellement cette im
prescriptibilité ; il est vrai que sa disposition à ce sujet
ne parle que de la femme ou de ses héritiers, mais elle
reconnaît immédiatement le droit du mari, et il est évi
dent que l’action qu’elle lui accorde étant la même que
celle donnée à la femme, ou à ses héritiers, participe de
la nature et du caractère de celle-ci. Elle est donc né
cessairement imprescriptible comme elle.
Nous persistons donc dans la conclusion que nous in-
�428
TRAITÉ DO D O l
diquions tout-à-l’heure : pendant la durée du mariage
le droit du mari est absolu, et son exercice ne saurait
rencontrer de fin de non-recevoir d’aucun genre.
Le mariage dissous, le mari est obligé de restituer la
dot dont la prospérité est transférée aux héritiers de la
femme; toute action l’intéressant ne peut donc plus ap
partenir qu’aux héritiers eux-mêmes : le mari n’aurait
conséquemment plus aucune qualité pour révoquer l’a
liénation du bien dotal que les héritiers respecteront peutêtre. La séparation de bien prononcée produit sur la re
cevabilité de l’action du mari le même effet que la disso
lution. La femme recevant l’administration et la jouissance
de la dot, a désormais seule qualité pour toutes les actions
s’y référant.
1321. — Le mari, héritier de sa femme, pourra-t-il,
en cette qualité, demander après le mariage, la révoca
tion de l’aliénation du bien dotal qu’il a consentie pen
dant sa durée ?
1322. — M. Bellot1 distingue le cas où l’acqué
reur a ignoré la dotalité, et celui où il en a eu con
naissance. Il pense que, repoussée dans le premier, la de
mande du mari héritier devrait être accueillie dans le
second.
Cette distinction et ses conséquences sont critiquées
par M. Dalloz. La bonne ou la mauvaise foi de l’acqué-
�ET DE LA FRAUDE.
reur, dit ce jurisconsulte, doit être vérifiée pour savoir
si, en cas de revendication, le mari doit ou non être
condamné à des dommages-intérêts, mais cette circons
tance est indifférente pour la décision de la question de
savoir si, dans l’espèce, le mari peut revendiquer. Or,
il n’a pas lui-même le droit de demander l’annulation
de la vente du fonds dotal après la dissolution du ma
riage ; il est vrai que, dans l’espèce le mari a succédé
aux droits de la femme qui aurait pu faire prononcer la
nullité ; mais cette qualité d’héritier ne peut effacer en
lui sa qualité de vendeur. On doit donc , dans tous les
c a s, lui appliquer la règle quem de evictione tenet actio eumdem agentem repellit exceplio.'
1323.
- L'erreur de M. Dalloz se dissimule à peine
derrière l’évidente faiblesse des raisons qu’il invoque.
Sans doute le mari ne peut plus, après le mariage dis
sous , poursuivre la révocation de l’aliénation du bien
dotal, nous en avons donné le motif, c’est qu’il est dé
sormais étranger à tout ce qui concerne la dot ; mais de
ce qu’il ne peut agir comme mari , s’ensuit-il qu’il ne
puisse le faire en une autre qualité? Pourrait-on , par
exemple, le déclarer non-recevable s’il poursuivait celte
révocation en qualité de tuteur de ses enfants, héritiers
de leur mère ? Pourquoi donc ne le serait - il pas lors
que, héritier lui-même, il exerce les droits personnels à
celle qu’il représente ?
�430
TRAITÉ DU DOL
Parce que, dit M. Dalloz, la qualité d’héritier ne peut
effacer celle de vendeur. Mais est-ce que cette dernière
est un obstacle même pour le mari? Il n’y a à cet égard
qu’à lire l’art. 1560 pour être convaincu du contraire.
La qualité de vendeur ne suffit même pas pour qu’on
soit tenu de l’éviction ; pour que cette obligation pût être
imposée au m a ri, il faudrait de toute nécessité que le
caractère de dotalité eût été caché à l’acquéreur. Alors,
en effet , et seulement alors , le mari est passible de
dommages - intérêts , c’est ce que porte textuellement
l’art. 1560.
Si la dotalité a été déclarée, si par la qualité des par
ties au contrat elle a été connue de l’acquéreur, le mari
ne doit ni garantie, ni dommages-intérêts. On ne pour
rait donc lui opposer, sous aucun prétexte, la maxime
invoquée par M. Dalloz : Quem de eviclione tenet actio, eumdem agentem repellit exceptio. On ne pour
rait en exciper que si des dommages-intérêts étaient dus
par lui.
Il faut donc en revenir à la distinction conseillée par
M. Bellot : Si la dotalité a été dissimulée , le mari est
responsable, tenu d’indemniser l’acheteur. S’il vient, en
l’état de cette obligation, faire révoquer l’acte en qualité
d’héritier de sa femme, on lui opposera avec succès que
sa demande n’est pas recevable. L’action pouvant l’at
teindre, l’exception devient péremptoire.
Si l’acquéreur a connu la dotalité , il s’est constitué
en état de mauvaise foi, il n’a dès-lors aucune garantie
à exercer contre personne , pas même contre le mari ;
�ET DE LA FRAUDE.
431
comment dès-lors, privé de l’action , pourrait-il élever
une exception contre l’héritier de la femme, lorsqu’il ne
pourrait l’opposer au mari agissant personnellement en
cette qualité.
L’opinion de M. Dalloz est d’autant plus extraordi
naire que , quelques lignes plus bas , il soutient que le
cautionnement formel, donné par le mari à l’aliénation
du fonds d o ta l, ne saurait produire aucun effet contre
lui, ni l’obliger à garantir. ' Comment donc peut - il ici
faire résulter cette garantie du simple concours du mari
à l’acte d’aliénation ou du fait même de la vente. Ainsi,
le mari serait tenu s’il n’a rien dit , non tenu s’il avait
expressément cautionné ? Telle est cependant la contra
diction étrange à laquelle arrive M. Dalloz.
1324.
— Concluons donc que la bonne ou la mau
vaise foi de l’acquéreur est une circonstance décisive ,
même lorsque le mari provoquera , en qualité d’héritier
de la femme, la révocation de l’aliénation du fonds dotal,
car, recevable, dans le premier cas, à exiger du mari des
dommages-intérêts et à lui opposer la règle : quem de
evictione tenet, etc...., le tiers acquéreur ne pourra ,
dans le second cas, faire ni l’un ni l’autre.
1 3 2 3 . — La question de bonne ou de mauvaise foi
acquiert donc dans tous les cas une importance réelle.
La dernière résulte du contrat, lorsque le mari vendant
�m
TRAITlï DU DOL
seul a déclaré le caractère de dotalité, ou lorsqu’il a agi
comme administrateur de la dot ou mandataire de la
femme, enfin lorsque la vente a été consentie par celleci soit personnellement et isolément, soit conjointement
avec son mari. En l’absence de ces circonstances, le mari
pourra - 1 - il prouver que la dotalité non déclarée a été
parfaitement connue par l’acquéreur.
Il importe, pour l’appréciation de cette question , de
rappeler que le projet de Code civil contenait une dispo
sition ainsi conçue : Le mari lui - même pourra faire
révoquer l’aliénation pendant le mariage, en demeurant
néanmoins sujet aux dommages-intérêts de l’acheteur ,
pourvu que celui-ci ait ignoré le vice de l'achat.
Celte rédaction communiquée au tribunat, il fut ob
jecté : Que ces expressions donneraient lieu à des diffi
cultés , comme l’expérience l’a appris. Comment savoir
si l’acquéreur serait ou non en état d’ignorance ? Cette
preuve ne pouvant se puiser ailleurs que dans l’acte d’ac
quisition , il a paru préférable de la faire dépendre du
contrat même. C’est encore un moyen de détourner le
mari du dessein de vendre le bien dotal.
Sur cet avis du tribunat, l’art. 1560 fut rédigé tel qu’il
se trouve aujourd’hui dans le Code.
De là, on a conclu que la seule preuve de la mauvaise
foi de l’acquéreur admissible était celle qui se puiserait
dans le contrat lui-même, et que, dans le silence absolu
de celui-ci, le mari serait non - recevable à prétendre
l’établir autrement.'
i Dalloz, i b i d . ,n ° 35;—Tessier, de la Dot, note698; Benoit, t. i,n° 267.
�433
ET DE LA FRAUDE.
L’induction parait en effet plausible. Cependant on
doit la repousser , si l’on veut rester fidèle à l’esprit de
la loi.
L’acquéreur du fonds dotal n ’a pas été vu d’un œil
favorable, et l’on s’est montré très-peu jaloux de le fa
voriser. « Il ne mérite aucun intérêt, disait Portalis ,
« c’est par sa légèreté qu’il se trouve trompé ; il doit
« s’imputer de n’avoir pas pris des renseignements suf« lisants. D’ailleurs il est difficile d’admettre qu’il n’ait
« pas profité de la nécessité ou de la prodigalité du mari,
« car celui-ci n ’a pu faire qu’une mauvaise affaire. »
Ainsi , l’achat de l’immeuble dotal peut n’être , chez
celui qui le contracte, qu’une spéculation, qu’une occa
sion de conclure un excellent marché, comment donc la
loi aurait-elle consenti à s’en rendre, en quelque sorte,
complice, en laissant l’acquéreur arbitre souverain d’en
assurer le sort ?
Il est permis , en effet, d’admettre que plus le tiers
acquéreur aura connu le danger, et plus il ambitionnera
paraître l’avoir ignoré. D’autre part, plus la détresse du
mari et la nécessité de vendre seront pressantes , plus il
se montrera facile pour la condition gui lui serait faite
de garder le silence dans le contrat syr la dolalijé de
l’objet vendu. Il est bon sans doute de détourner le mari
de vendre le bien dotal, mais
il est aussi du plus •haut
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intérêt d’en empêcher l’achat; arriverait-on à ce résultat
en accordant des dommages-intérêts, devant en définitive
rejaillir contre la famille, par cela seul que le mari aurait
subi la loi du silence qu’on lui aurait imposée ?
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�434
TRAITÉ DU DOL
A notre avis , ce dont la loi se préoccupe , c’est du
fond et non de la forme. Si l’acte met sur la voie de la
dotalité, par l’un des moyens déjà indiqués , la preuve
de la mauvaise foi est inébranlablement acquise. Dans
le silence de l’acte, la bonne foi est présumée, mais cette
présomption n’exclut pas la preuve contraire.
Le contraire ne saurait suffisamment résulter d’une
discussion législative. Quelque respectable que soit un
pareil document, il ne saurait avoir qu’une autorité doc
trinale, comme l’observe M. Troplong, et, sous ce rap
port, elle ne supporte pas l’examen.
« Le texte , continue ce savant m agistrat, donnerait
lieu à une difficulté sérieuse, s’il était explicite, mais le
tribunat a heureusement traduit sa pensée par une for
mule qui n’est pas exclusive et absolument limitative.
« Elle n’est pas limitative. Comparons, en effet, l’art.
1560 à l’art. 1626. Ce dernier article dit que le ven
deur est tenu de droit de garantir l’acheteur de toutes les
charges prétendues sur l’immeuble et non déclarées lors
de la vente. Notez ce mot : non déclarées ; n’est pas là
une formule pareille à celle de l’art. 1560 ? L’expression
n’est - elle pas identique ? Eh bien 1 comment la juris
prudence a-t-elle interprété l’art. 1626? A-t-elle re
poussé la connaissance extrinsèque ? A - 1- elle exigé ,
comme condition sine qua non de l’absence de garantie,
la déclaration du vendeur? Pas le moins du monde.
Quelle que soit la voie qui a conduit l’acheteur à con
naître, lors de la vente, le péril de la chose qu’il a ache
tée, cette connaissance suffit, on n’en demande pas da-
�ET DE LA FRAUDE.
435
vantage. On repousse les exigences formalistes et les ob
servations sacramentelles, et l’on dit avec Cicéron : Ubi
judicium emptoris , ibi fraus vendiloris quœ polest
esse.
« Si telle est la jurisprudence incontestable, quand
il s’agit de l’art. 1626, pourquoi suivrait-on une autre
route quand on est en face de l’art. 1560 ? Pourquoi le
mot déclarer serait-il plus sacramentel dans celui-ci que
dans celui-là? Pourquoi ne rentrerait-on pas dans le
vrai ? Pourquoi enfin adjugerait-on des dommages-inté
rêts à un acheteur de bien dotal qui , sachant ce qu’il
faisait, n’a pas éprouvé de préjudice? E st-c e que cet
acheteur est si favorable ? A-t-on oublié les paroles sé
vères de M. Portalis sur son compte? Ne se rappelle-t-on
pas qu’il ne mérite aucun intérêt ? 1 »
Ainsi, et malgré le silence du contrat, nous pensons
que le vendeur serait recevable à faire la preuve de la
mauvaise foi de l’acheteur, mais nous admettons , avec
M. Delvincourt, que cette preuve doit être littérale. En
effet, les principes généraux, en matière de preuve, re
çoivent ici leur entière application. Sans doute le litre
ne dit rien, il est simplement muet ; mais ce silence, dont
la loi fait présumer la présomption de bonne foi, est un
titre pour l’acquéreur, lequel ne saurait céder que devant
la preuve écrite du contraire. D’ailleurs, l’intérêt seul du
litige amènerait à cette conséquence.
l Troplong, art. 1560. n» 3535; — Fi de Delvincourt, t. in, p. 113;
Bellot, t. iv, p. 190.
�436
TRAITÉ DU DOT.
Mais , comme dans tous les cas et en vertu de l’art.
1347, le commencement de preuve suppléerait à la preuve
écrite, en rendant la preuve testimoniale admissible.
1526. — De ce que le mari n’est pas tenu de ga
rantir l’acquéreur de mauvaise fo i, il ne s’ensuit pas
qu’il puisse être dispensé de rendre le prix qu’il aurait
reçu. L’inaliénabilité de la dot n’a pas été imaginée pour
enrichir le mari , dont l’action n’est reçue pendant le
mariage que parce qu’on la suppose dirigée dans l’in
térêt de la femme et des enfants : Non in mum , sed
tantum in uxoris commodum , contra mum veniens
factum.'
L’obligation pour le mari est absolue , elle résulte de
sa seule présence à l’acte. Il importe donc peu qu’il ait
vendu seul ou conjointement avec sa femme. Le fait seul
de n’avoir paru au contrat que pour assister sa femme,
déterminerait le même résultat. On suppose, dans ce cas,
que la conduite de la femme n’a été que la conséquence
de l’autorité du m ari, et que celui-ci a y an t, ut potentior, déterminé le consentement, a réellement touché le
prix d’une vente uniquement faite dans son propre in
térêt : Pretium rei dotalis alienatœ prcesumitur ad
virum pervenisse. ' A plus forte raison en serait-il ainsi
dans l’hypothèse prévue par l’auteur , à savoir : si le
mari et la femme déclaraient avoir reçu conjointement :
1
2
Voët, 1. 6 .1. 1 , n° 19, de r e i v e n d ic a t.
De Luca, d e E m p t . , dise. 22, n° 6.
�ET DE LA FRAUDE.
437
Quamvis in instrumenta venditionis ambo confitercntur recipere pretium.
1327. — La femme qui seule a vendu, qui seule a
reçu le prix, n’est tenue de restituer que ce dont son pa
trimoine s’est réellement augmenté. C’est ce qui résulte
très expressément de la disposition de l’art. 1312 du Co
de civil. C’est à celui qui allègue le profit à le prouver,
et, à cet égard, il est bon de constater que la preuve que
le prix réclamé a été versé dans le ménage ou a servi à
payer des dettes personnelles à la femme , ne suffirait
pas pour autoriser la restitution. Dans le premier cas ,
en effet, la femme n’a retiré aucun profit distinct et ap
préciable ; dans le second cas, on ne verrait q u ’une
aliénation indirecte de la dot pour un motif que la loi
n’a pas inscrit au nombre de ceux pour lesquels elle
l’autorise quelquefois ; il faudrait, pour que la preuve
fût utile, qu’on établît que le prix est devenu l’objet d'un
placement fait au nom de la femme, en percevant en
core les revenus ; de l’achat d’un immeuble ou de rente
encore en sa possession. Dans l’un comme dans l’autre
cas, la femme, ne pouvant retenir et le bien dotal et sa
valeur, serait tenue , en reprenant celui-ci, de restituer
celle-là, le but de la loi étant la conservation de la dot, et
non d’enrichir, même la femme, au détriment de l’équité
et de la justice.
✓
1 3 2 8 . — L’obligation pour le mari de restituer le
prix reçoit exception lorsqu’en déclarant la dotalité, ou
�438
TRAITÉ DU DOL
n ’assistant au contrat que pour autoriser sa femme, le
mari a formellement stipulé qu’il est affranchi de tout
recours, de toute garantie. Mais cette exception est ellemême soumise à une condition, à savoir : que le mari
ne poursuivra pas lui-même la révocation de l’aliéna
tion. Ainsi, dit M. Delvincourt, la clause de non ga
rantie sortirait à effet, si la rescision de la vente était
poursuivie par la femme. Si le mari avait lui-même in
tenté l’action , on devrait l’obliger à restitution, comme
tenu de ses faits.1Cette distinction , on le v o it, trouve
son fondement dans les articles 1628 et 1629 du Code
civil.
1329.
— Onconnait le motif donné par Justinien à
la prohibition d’aliéner le fonds dotal : Ne sexus muliebris fragilitas in pernicien substantiœ earum converterelur. Ainsi ce que la femme accomplit pendant le
mariage est censé le résultat de l’obsession du m a ri, et
de sa propre faiblesse. C’est ce qui explique parfaite
ment le recours que la loi lui donne contre ses propres
actes.
La faculté de provoquer la révocation delà vente qu’elle
a faite du fonds dotal lui est nommément conférée par
l’art. 1560 Mais cette faculté, elle nepeut l’exercer pen
dant le mariage. Le mari maître de la dot, a seul toutes
les actions s’y rapportant.
1 T. m, p. 114, note.
�ET DE LA FRAUDE.
439
1330.
— La dissolution du mariage rend à la femme
toute sa liberté, et avec elle toutes les actions dont l’exer
cice peut être indispensable pour assurer la restitution de
la dot. Au nombre de ces actions, et au premier ra n g ,
se place celle de la révocation de l’aliénation du fonds
dotal. La femme peut donc alors librement la poursuivre
sauf les exceptions que nous verrons plus tard lui être
opposables.
La séparation de biens, sans dissoudre le mariage ,
met un terme à ses effets immédiats sur la dot. La fem
me en reprend la libre possession et jouissance et, dèslors, elle acquiert le droit d’exercer les actions s’y réfé
rant, et de poursuivre les tiers qui en seraient les déten
teurs. La séparation de biens produit, quant à ce, un ef
fet analogue à celui résultant de la dissolution.
1331.
— Le droit de la femme passe à ses héritiers,
mais, comme la femme elle-même, ceux-ci peuvent être
déclarés déchus de la faculté de l’exercer. Les exceptions
opposables à la femme peuvent être opposées à ses héri
tiers.
1 3 5 2 . — Quel que soit le demandeur en révocation,
que l’acquéreur ait ou non le droit d’exiger la restitution
du prix, la rétention préalable de l’immeuble ne saurait
être ordonnée. Le bien dotal n’est pas susceptible d’être
vendu, il est placé par la loi hors du commerce pendant
le mariage. Il suffit donc qu’il soit revendiqué, pour
qu’il doive immédiatement rentrer dans les mains de son
�440
TRAITÉ DU DOL
propriétaire légitime. Cette volonté expresse de la loi est
inconciliable avec la faculté de le retenir jusqu’à restitu
tion du prix, car la conséquence de cette faculté consa
crerait, dans bien de cas, son aliénation définitive par
l’impuissance dans laquelle les époux se trouveraient
d’opérer cette restitution. De plus, ce serait affecter le
fonds dotal au payement des dettes soit du mari, soit de
la femme, ce qui est également prohibé par la loi. Ce
double motif a fait, avec raison, refuser la faculté de
retenir l’immeuble dotal, même jusqu’à ce que les amé
liorations qui doivent être restituées aient été définitive
ment fixées.'
1335.
— La vente du fonds dotal peut-elle devenir
la matière d’un cautionnement valable? Cette question a
soulevé une vive controverse et profondément divisé les
auteurs.
1334. — À la tête de ceux qui soutiennent la néga
tive , nous rencontrons le nom si recommandable de
Merlin, étayant son opinion sur l’autorité de Serres et
de Dupérier dans l’ancien droit. Et celte indication a
été depuis acceptée par tous, comme conforme à la vé
rité. Seulement ceux qui soutiennent l’avis contraire se
sont contentés de reprocher à ces deux jurisconsultes
célèbres d’avoir manqué , dans cette circonstance, de
1 Caçs., 12 mai 1840: — Limoges, 10 février 1844 . — D. P. 40, 1 ,
�RT DE LA FRAUDE.
441
l’esprit judicieux qui les distingue dans toutes les occa
sions.
Mais Serres et Dupérier ne méritent pas ce reproche.
Aucun d’eux n’a soutenu l’opinion que leur prête Merlin,
ce dont il nous a été facile de nous convaincre en recou
rant à leurs œuvres.
Serres n’examine pas même notre question. Il est vrai
qu’il enseigne que le mari peut pendant le mariage, faire
révoquer l’aliénation du bien dotal qu’il aurait lui-mê
me consentie. Mais il y a loin de cette faculté à la nullité
du cautionnement formellement donné par lui ou par
tout autre, et l’existence de la première n’est certaine
ment pas inconciliable avec la validité de celui-ci. Accor
der l’une ne peut donc être considéré comme l’exclusion
* de l’autre, sur laquelle d’ailleurs, nous le répétons, Ser
res est complètement muet.
Il y a plus ; tout fait présumer que si Serres eût exa
miné la question, il l’eût résolue dans un sens contraire
à celui que lui prête Merlin. Serres écrivait dans le res
sort du parlement de Toulouse. Or, comme l’enseigne
Catelan, la jurisprudence de ce parlement admettait la
garantie du mari, lorsque cette garantie avait été expres
sément stipulée.
Il n’en était pas de même du parlement d’Aix, et,
quoique un arrêt du 27 juin 1631 eût prononcé dans le
sens de la jurisprudence de Toulouse, l’opinion contrai
re avait prévalu. C’est ce que Dupérier atteste lui-même.
Est-ce à dire qu’il approuvât cette doctrine? Mais, pour
l’admettre ainsi, il faut fermer les yeux à l’évidence. Il
�442
TRAITÉ DU DOL
faut surtout ne pas lire le jugement qu’il en porte lors
qu’il écrit : C'est une jurisprudence qui m'a toujours
paru fort étrange, et de laquelle on ne peut alléguer
de raison solide, quoique le sieur de Saint-Jean en ait
dit, car il n'y a point d'exemple, dans tout le droit, qui
décharge, des domages-intérêls de l'éviction, celui qui
l'apromise, bien que l'acheteur sçut le vice du contrat;
comme en la vente d'un bien substitué, ou en celle d'un
bien appartenant à autrui, ou d’un fonds d’un pupille ,
quand le tuteur s'est obligé lui-même aux dommagesintérêts en son propre nom; il en serait de même de l’a
cheteur d’une chose dérobée, encore qu'il l'eût sçu, si le
vendeur lui en avait promis les dommages-intérêts en
cas d’éviction.'
Voilà l’opinion de Dupérier, et certes elle qualifie as
sez durement la nullité du cautionnement, pour qu’il n’y
ait aucun doute sur la manière dont il l’envisageait. C’est
donc par une évidente erreur que Merlin l’a mis au rang
des adversaires de sa validité. Il ne pouvait d’ailleurs
en être ainsi sans placer ce jurisconsulte dans une con
tradiction flagrante avec lui-même. Ne vient-il pas de
dire, en effet, que la prohibition d’aliéner le bien dotal,
primario spectat utilitatem privatam, seeundario publicam, qu'en conséquence sa nullité était purement
respective. Or ce caractère relatif exerce sur la question
une influence décisive.
1 Dupérier,
M a x im e s de d r o it,
liv. 5, 1 . 1, p. 525.
�ET DE LA FRAUDE.
443
1335. — En effet, qu’une nullité radicale, absolue,
uniquement dictée par l’intérêt public, par la m orale,
par les bonnes mœurs, ne puisse devenir la matière d’un
cautionnement, cela se conçoit sans peine. En pareille
circonstance, le fait lui-même étant illicite, ne pouvant
former la matière d’un engagement principal, ne sau
rait devenir celle d’un engagement accessoire. La l o i ,
protestant contre le premier, ne cesse pas de protester
également contre le second, sa validité ne pouvant ame
ner pour résultat unique que la consécration d’un fait
prohibé parla loi. Il est donc évident que ce qui fait pros
crire l’obligation doit faire également proscrire le cau
tionnement.
Il ne saurait en être de même pour la nullité relative.
Le fait qui la motive n’est pas absolument incompatible
avec l’intérêt public, avec la morale ou les bonnes mœurs.
Sa prohibition a sa principale origine dans la position
particulière d’une des parties, qui demeure l’arbitre sou
verain du sort futur de la convention. Le silence qu’elle
s’imposera est un fait licite, dès-lors aussi la garantie
qu’on promet n’est plus que l’obligation de faire garder
ce silence. Elle a donc pour objet un fait si peu condamné
parla loi, qu’elle le consacre elle-même, en permettant
que la vente du bien dotal soit ratifiée expressément ou
tacitement. Cautionner cette vente, c’est promettre cette
ratification et conséquemment souscrire une obligation
que rien ne défend.
Ces conséquences du caractère de la nullité devaient
saisir les éminents jurisconsultes qui nous ont devancé
�444
TRAITÉ DU DOL
et qui sont restés nos maîtres. Elles devaient les con
duire à proclamer la validité du cautionnement donné à
la vente du bien dotal. Ce que la loi voulait, c’était la
conservation de la dot ; mais le principe admis, son ap
plication était laissée à l’arbitrage de la partie en faveur
de laquelle la prohibition était plus particulièrement
édictée. Le cautionnement ne faisait aucun obstacle à ce
que le bien dotal fût intégralement restitué; qu’importait
donc à l’ordre public que, le cas de restitution arrivant,
des tiers qui s’y étaient volontairement et librement
soumis fussent tenus à des dommages-intérêts? Du tiers
à l’acheteur il n’existe aucun empêchement, ni quant à
la capacité des personnes, ni quant à la disponibilité des
biens.1
1336.
— Sous l’empire du Code civil, l’aliénation du
fonds dotal n’ayant pas cessé d’être, dans ses causes et
dans ses effets, ce qu’elle était sous l’ancien droit, on ne
saurait consacrer, pour ce qui concerne le cautionnement,
une doctrine différente de celle que nous venons d’expo
ser. Les raisons que Merlin donne pour établir le contrai
re sont loin d’être concluantes.
Merlin, en effet, les puise exclusivement dans la dis
cussion législative que l’article 1560, et notamment la
1 V. Lebrun, de l a C o m m u n a u té , 1. 2, ch 3, sect. 4, n® 29 ; — Catelan, 1. 5 , ch. 7 . t. n , p. 233 ; — Dupin sur Ferron, Let. E , n® 52 ; _
Lavignerie, v® G a r a n tie , art. 3 ; — deux arrêts du parlement de Bor
deaux , des années 1725 et 1727 ; — du parlement de Toulouse, du 20
�ET DE LA
FRAUDE.
445
faculté pour le mari de faire révoquer lui-même la vente
du bien dotal, suscita dans le sein du conseil d’Etat. Il
rappelle que cette faculté fut surtout déterminée par l’ob
servation de M. Malleville que la vente , étant radicale
ment nulle, ne pouvait être opposée à personne.
Remarquons cependant que le doute ne s’élevait pas
sur la question de savoir si cette faculté devait ou non
être conférée au mari. La principale difficulté avait trait
aux effets légaux de la révocation. Le mari devait-il être
condamné à des dommages-intérêts, dans le cas même
où l’acheteur avait connu la dotalité ? Ainsi le voulait
M. Pelet, car, d is a it-il, le tiers peut acheter dans la
persuasion que la vente se réduirait pour lui en des dom
mages-intérêts. Mais l’art. 1560 nous apprend que cette
opinion fut repoussée.
Il résulte de là que la vente du fonds dotal n’entraine
légalement aucune garantie , lorsque le contrat prouve
que l’acheteur a connu ou pu connaître le vice de la
chose. Mais, de cette absence de garantie légale , faut-il
conclure à la nullité de celle conventionnellement sti
pulée ? C’est là ce que les débats législatifs n’autorisent
pas de faire , car ils sont complètement muets sur
celle-ci.
Nous avouons cependant que cette conclusion serait
rationnelle et forcée, si la nullité de la vente était radi
cale et absolue. Mais c’est ce que nous contestons avec
la raison et la loi elle-même.
La prohibition de l’aliénation du fonds dotal est un
statut purement réel, il résulte de là que les époux, con-
�446
TRAITÉ DU DOL
sentant cette aliénation , n’excèdent pas leur capacité.
Ainsi, dit M. Troplong, considérée en soi, la femme ma
riée sous le régime dotal , n’est pas plus incapable de
vendre son immeuble que la femme mariée sous le ré
gime de la communauté.
Ce qui fait que l’aliénation ne vaut pas , non valet ,
c’est que l’immeuble est temporairement frappé d’indis
ponibilité, non pas certes en vertu du droit naturel, mais
par suite d’une loi purement arbitraire , dont le fonde
ment est d’abord l’intérêt de la femme et des enfants ;
l’intérêt public n ’est que le second plan ; il n’existe, en
effet, que lorsque l’intérêt privé, passant de l’individu à
la famille, acquiert les proportions d’un intérêt général.
Mais la faveur que la loi accorde à un point de vue
général, n’en reste pas moins , au point de vue de cha
que personnalité, une faveur purement privée, à laquelle
chacun peut renoncer, au gré de ses convenances ou de
son utilité. Renfermée dans ces limites , cette renoncia
tion ne met en péril ni l’intérêt général, ni l’ordre public.
Il est vrai que, même dans ces termes, la loi ne la con
sacre pas, mais elle la tolère tant qu’il plaît à la partie
intéressée de la respecter. Elle fait plus encore, elle en
impose l’exécution dans certains cas , preuve évidente
qu’au fond même de l’aliénation du bien dotal, il y a une
obligation naturelle dont il faut tenir compte.
N’est-ce pas cette obligation naturelle qui permet à la
femme ou à ses héritiers de ratifier expressément en temps
licite? N’est-ce pas elle qui fait déduire cette ratification
de l’exécution donnée à la vente après la dissolution du
�ET DE LA FRAUDE.
447
mariage? N’est-ce pas elle, enfin qui rend la vente inat
taquable par dix ans d’inaction et de silence à partir de
cette dissolution ? Tout cela est-il conciliable avec l’idée
d’une nullité radicale et absolue? Supposez une obliga
tion illicite ou immorale, par exemple un contrat usuraire ou une association de délits, est - ce qu’on pour
ra la ratifier expressément ou tacitement ? Est-ce qu’el
le pourra jamais acquérir un lien obligatoire par le
silence ou l’exécution plus ou moins prolongée? Si tout
cela se réalise pour la vente du bien d o ta l, c’est donc
que cette vente n’est ni immorale , ni illicite , et q u e ,
dès-lors, la nullité, quoique de droit, n’est ni radicale ni
absolue.
1337.
— Notre conclusion est plutôt renforcée que
détruite par la discussion au conseil d’Etat. En effet, l’art.
1560 avait été primitivement rédigé en ces termes : Si,
hors les cas d’exception qui viennent d’être expliqués, la
femme ou le mari, ou tous les deux conjointement aliè
nent le fonds dotal, l’aliénation sera radicalement nulle.
C’est précisément ce qui faisait dire à M. de Malleville
qu’une vente, ainsi qualifiée, ne pouvait être opposée à
personne, car elle n’existait pas.
Mais celte rédaction communiquée au Tribunat, ce
lui-ci demanda et obtint la suppression de ces mots : sera
radicalement nulle. Il fit observer qu’ils n’ajoutaient
rien à la nullité légale, et que des difficultés pourraient
naître sur son interprétation; l’effet de la nullité estassez
�déterminé dans la rédaction proposée par la faculté de
révoquer l’aliénation.’
Or, il s’en faut que la faculté donnée au mari par
l’art. 1560 exige que la nullité soit considérée com
me radicale et absolue. A côté de la qualité de vendeur,
existe pour le mari celle d’époux , celle de père. L’ac
tion qu’on eût dû refuser à la première, était impérieuse
ment commandée par les deux dernières, et c’est en l’une
d’elles que le mari est censé agir dans l’action en re
vendication du bien dotal. Rappelons-nous ce que Yoët
nous disait naguère à ce sujet : Non in suum, sed tantum
in uxoris commodun, contra suum veniens factum.
Ainsi, la nullité est purement relative, et de là nous
lirons celte conséquence : que la vente du fonds d o tal,
renfermant une obligation morale, un lien naturel, est
susceptible d’être valablement cautionnée. Ce n’est qu’en
lui donnant un caractère absolu et radical qu’on a
soutenu que la nullité de l’aliénation entraînait celle
de toutes les obligations accessoires. Zacchariæ seul ad
met cette dernière , tout en reconnaissant le caractère
relatif de l’a u tre ,1 mais cette opinion manque évidem
ment de logique. Elle est , de plus, formellement con
tredite par l’auteur lui - même , adm ettant, quelques
pages plus bas , la validité du cautionnement de la
femme.3
t Fenet, t. xm, p. 649
2 Tom. iii , p. 679.
3 Voyez pour la validité du cautionnement , Duranton , tom. xv , n“
�ET DE LA FRAUDE.
449
1 3 3 8 . — La jurisprudence se prononce pour le cau
tionnement, soit en déclarant en principe que la nullité
est relative, soit en validant les engagements pris à cet
effet. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation, du 3 août
1825 , a déclaré que le cautionnement, donné à l’alié
nation du bien dotal par les enfants de la venderesse ,
devait sortir à effet. C’est ce qu’avait jugé la Cour de Bor
deaux; c’est ce que juge la Cour suprême, en rejetant le
pourvoi.
Ce qui a été jugé dans cette espèce contre les enfants,
a été décidé contre le mari par arrêt de la Cour de Gre
noble, du 16 février 1847.'
1 3 3 9 . — Ce qui est admis contre le mari et les en
fants, le serait inévitablement contre les tiers. Devrait-il
l’être également contre la femme ?
Ici encore le caractère relatif de la nullité doit exercer
l’influence la plus décisive. La vente n’est certainement
annulable qu’à cause de l’indisponibilité de l’immeuble
aliéné. Supposez que cette indisponibilité n’existât pas ,
la vente sortirait à effet, si d’ailleurs elle était irrépro
chable sous le rapport de la capacité personnelle despar-
525 ; —Duport Lavilette, quest. D. D., tom. m, p . 63 ; — Tessier, tom
il, notes 639, 691 ; — Rodière et Pont, tom. n, p. 437, nos 588 et 592;
— Troplong, C o n t r a t de m a r i a g e , art. 1554 et 1569 , et d u C a u tio n
n em en t, n° 87 ; — Ponsot, C a u tio n n em en t, n° 55 ; — Bellot, tom. iv ,
p. 200
1 Sirey , 48, 2, 55. — V id e Cass., 11 mars 1807 et 3 août 1825. —
Riom, 31 janvier 1828 .
Iil
29
�450
TRAITÉ DU DOL
ties. Or, c’est ce qui arrive lorsque la femme dûment au
torisée, traite de ses paraphernaux.
En conséqunce si la vente du bien dotal peut être
valablement cautionnée, si les paraphernaux, pouvant être
aliénés, peuvent être engagés, on ne voit pas le motifs qui
porteraient à faire annuler le cautionnement donné par
la femme.
En effet, dit M. Duranton, si une femme dûment au
torisée s’était portée fort de faire avoir à Paul la maison
de Jean, elle serait bien tenue d’après l’art. 1120, au
cas où Jean , ne voudrait pas ratifier son engagement,
et cependant elle ne pouvait pas plus disposer de la chose
d’autrui que de son immeuble dotal. Nous avons vu plus
haut que la vente du fonds dotal est bien nulle sous le
rapport de l’aliénation, mais non pas en ce sens que
cette vente ne puisse être la matière d’un cautionnement.
La loi n’avait aucune raison de le vouloir ainsi; pourquoi
donc la femme ne pourrait-elle se cautionner en quelque
sorte elle-même à cet égard par une promesse de garan
tie ? Elle n’aliènera pas, encore une fois, son immeuble
dotal ; elle s’obligera seulement sur ses paraphernaux, et
le Code ne le défend pas, loin d e là .'
Cette opinion a été consacrée par la Cour de cassa
tion le 5 mai 1818, par la Cour de Grenoble le 16 jan
vier 1828. L’un et l’autre de ces arrêts constatent que la
1 Tom. xv, n° 530; — V. Rodièreet Pont, tom. H, n° 492; — Toullier, tom. v. p. 335 ; — Tessier, tom. n ,p .6 e tsu iv .— Zacchariæ, tom.
�ET DE LA FRAUDE.
promesse de garantie, formellement stipulée par la fem
me, n’empêche pas de poursuivre la révocation de l’alié
nation du bien dotal, mais qu’elle oblige la femme sur
ses biens paraphernaux.
L’opinion contraire a cependant été, depuis, consacrée
par un arrêt de la Cour de Limoges, du 10 février
1844;’mais ce qui enlève à cel arrêt toute autorité juri
dique, c’est qu’il considère, comme radicale et absolue,
la nullité de la vente du fonds dotal, et qu’il n’admet
celle du cautionnement que comme une conséquence de
ce caractère. Or, nous avons prouvé que c’est là une er
reur évidente qui, seule, doit faire proscrire le système
dont elle est l’unique fondement.
1340.
— Nous compléterons notre démonstration
sur ce point en transcrivant un arrêt de la Cour d’Aix
encore inédit, et qui nous parait avoir fait une saine et
remarquable appréciation des véritables principes. Cet
arrêt rendu le 9 juillet 1849, s’exprime en ces termes :
« Considérant que, si, aux termes de l’art. 1554 du
Code civil, la vente du bien dotal est nulle, cette vente
n’est ni immorale, ni contraire à l’ordre public, ni d’un
objet placé hors du commerce ;
« Que, d’après l’art. 1560 du même Code, la femme a
seulement la faculté de faire révoquer celte aliénation ;
qu’elle peut, après la séparation de biens ou la dissolu
tion du mariage, renoncer à cette faculté, soit expressé-
1 D. P., 45. 2, t50.
�452
TRAITÉ DU DOL
mmt, en ratifiant; soit tacitement, en éxécutant d’une
manière complète le contrat ;
« Que même son droit peut être atteint par la pres
cription, si elle ne réalise pas son action dans le délaide
la loi ;
« Que, d’autre part, les tiers qui ont contracté avec
elle, ne peuvent invoquer la nullité de la vente;
« D’où il suit qu’il ne s’agit là que d’une nullité rela
tive, susceptible d’être valablement garantie, exemple l’art.
2012 du Code civil ;
« Qu’on peut dire qu’il y a, dans le contrat, deux
obligations distinctes : l’une principale, susceptible d’être
annulée ; l’autre secondaire, parfaitement valable et de
vant sortir à effet ;
\
« Que ces principes ne sont plus aujourd’hui sérieu
sement contestables; que leur conséquence immédiate est
de repousser l’application des articles 1131 et 1133 du
Code civil ;
« Considérant que si la vente d’un immeuble dotal
peut être valablement garantie par les tiers, par le mari
lui-même ; que si d’autre part, la femme peut aussi va
lablement garantir, sur ses paraphernaux, l’obligation
annulable d’un tiers ou de son mari, on ne comprend pas
comment elle ne pourrait pas garantir, sur ces mêmes
biens, son obligation personnelle et naturelle;
« Qu’il est certain que la femme mariée, même dotalement, n’est pas incapable et p e u t, avec l’autorisa
tion de son mari, contracter toute espèce d’obligation ;
qu’elle a aussi la libre disposition de ses paraphernaux.
�ET DE LA FRAUDE.
453
Si donc elle peut en disposer d’une manière directe et
même en abuser, il ne peut lui être prohibé d’en dis
poser d’une manière indirecte, en les soumettant à
l’exécution d’une obligation annulable , par elle con
tractée ;
« Qu’aucun texte de loi ne prohibe une pareille sti
pulation ;
« Considérant que par sa promesse de garantie , la
femme ne confirme pas, d’une manière définitive, son
aliénation ; qu’elle ne renonce pas à son droit de révo
cation ; que, par conséquent, elle ne rend pas illusoires
les dispositions des articles \ 554 et \ 560 du Code civil,
puisque, malgré cette garantie, elle peut toujours re
prendre son bien dotal; seulement, prévoyant le cas où
elle usera de ce droit , elle s’oblige à garantie sur ses
paraphernaux, dont elle a la libre disposition; le princi
pe de la conservation de la dot est donc parfaitement res
pecté ;
« Considérant qu’on a soutenu à tort que l’obligation
sur les paraphernaux, pouvant réfléchir contre la dot,
devait être annulée ; car une action ne réfléchit contre
une personne ou une chose, que lorsque cette chose ou
cette personne se trouve par là obligée; or, dans l’espèce,
la dot n’a jamais été obligée ni engagée; elle rentre, au
contraire, dans les mains de la femme ou de ses héritiers
entière, franche et libre de toute charge ;
« Qu’on soutient, plus vainement encore, que la fem
me qui vend son bien dotal sans en faire connaître la na
ture, n’étant pas tenue de la garantie légale de tout ven-
�454
TRAITÉ DU DOL
deur, ne peut, par voie de conséquence, se soumettre à
la garantie conventionnelle;
Ce principe, qu’on veut faire découler, par un argu
ment a contrario, du paragraphe de l’art. 1560, estfort
contestable en lui-même, et la conclusion qu’on en tire
n ’est ni logique, ni exacte;
« Pourquoi la garantie expresse et formelle delà fem
me ne sortirait-elle pas à effet ? C’est, dit-on, parce qu’on
suppose la femme subjugée par la puissance maritale ;
mais alors il faudrait annuler, par le même motif , tous
les engagements contractés par elle, même sur ses paraphernaux, puisque, dans un cas comme dans l’autre,
il y aurait abus de pouvoir, et le consentement serait vi
cié par défaut de liberté; or, cela n’existe pas au pro
cès actuel ;
« S’il était vrai que la femme ne dût pas, de plein
droit, de dommages-intérêts à son acquéreur, ce serait
uniquement pour punir la faute de celui - c i, q u i, en
traitant avec une femme mariée de la vente d’un im
meuble, a négligé de se faire représenter le contrat de
mariage ou de rechercher l’origine et la nature du bien
vendu ; dans ce cas , on lui reprocherait, à bon droit
sans doute , de n’avoir pas exigé des garanties ; il doit
donc en être autrement quant la dotalité a été connue ,
et qu’à cause du danger d’éviction, l’acquéreur a ré
clamé et obtenu de la femme une garantie sur ses biens
libres. »
1341. — On a agité la question de savoir si les époux
�ET DE LA FRAUDE.
455
vendant, comme libres, le bien dotal, peuvent être con
sidérés et punis comme stellionataires. La négative nous
paraît résulter de la disposition de l’art. 1670 du Code
civil.
Cet article forme une législation spéciale, quant à la
vente du bien dotal. Il la soustrait donc aux principes
généraux en matière de vente ou d’hypothèque du bien
d’autrui, et cela avec d’autant plus de raison, qu’il y a
une antinomie parfaite entre ses dispositions et ces mê
mes principes généraux.
Ainsi, comment soutenir que la femme, ayant dissi
mulé la dotalité du fonds aliéné ou hypothéqué, pourra,
comme stellionataire, être condamnée à des dommagesintérêts, avec contrainte par corps, elle que l’art. 1560
déclare, dans ce même cas, n’étre passible d’aucuns dom
mages-intérêts?
Sans doute il n’en est pas de même du mari ; il est
tenu à des dommages-intérêts, s’il a laissé ignorer la do
talité ; mais c’est là l’unique peine qu’il encourt. On ne
saurait donc lui en appliquer une autre, et cela avec
d’autant plus de raison, que l’acte qu’il commet, en ven
dant comme sien le bien dotal, ne constitue pas, à pro
prement parler, un véritable stellionat.
En effet, observe Troplong, le mari est le maître de la
dot, dominus dotis ; il a, sur les biens la composant, un
droit d’administration tellement absolu, qu’on peut l’as
similer à une copropriété. N’est - ce pas en vue de cette
�456
TRAITÉ DU DOL
copropriété qu’il est admis à revendiquer seul pendant le
mariage ? qu’il perçoit les fruits à son profit ? '
La disposition qu’il en fait n’est donc pas, à propre
ment parler, la disposition de la chose d’autrui, et, quel
que puissante que soit l’assimilation , il ne peut en être
admis aucune en matière de stellionat. Une peine ne peut
être encourue que dans les limites strictes, déterminées
par la loi.
D’ailleurs, prononcer la contrainte par corps en ma
tière de vente ou d’hypothèque du bien dotal , ce serait
aller contre l’intention formelle du législateur et créer
des engagements qui réfléchiraient contre la dot. En ef
fet, celle - ci est aliénable pour tirer l’époux de prison,
conséquemment, si son aliénation par celui - ci faisait
prononcer l’emprisonnement, l’exécution du jugement
nécessiterait une aliénation légale. De cette manière , la
dot se trouverait indirectement atteinte par un acte au
quel l’art. 1560 a voulu refuser tout effet légal.
Ainsi, l’unique réparation due à l’acquéreur trompé
sur la nature de la chose vendue, est celle édictée par
l’art. 1560. C’est ce que la Cour de Toulouse a expressé
ment décidé le 22 décembre 1834.
1 542. — L’action en révocation de la vente de l’im
meuble dotal ne p e u t, durant le mariage , être exercée
que pat* le mari ; elle n’appartient à la femme que du
jour de sa dissolution ou de la séparation de biens. Les
�ET DE LA FRAUDE.
457
créanciers de l’un ou de l’autre sont - ils recevables à la
faire valoir ?
Aucun doute ne peut s’élever à l’égard des créanciers
du mari. C’est comme chef du ménage qu’il est surtout
autorisé à agir, et cette qualité, éminemment personnel
le, ne peut être, dans aucun cas, revendiquée par qui
que ce soit.
Il n’en est pas de même des créanciers de la femme.
Aussi a-t-on soutenu, d’une part, qu’à défaut de pour
suites de sa p a rt, ses créanciers sont recevables à faire
révoquer l’aliénation dans tous les cas , en tant cepen
dant que leurs droits seraient de nature à être exercés
sur la dot ; ' d’autre part, on a distingué et enseigné que
la prétention des créanciers devrait être admise ou re
poussée , selon que la femme paraît ou non obligée en
conscience à respecter l'aliénation."
S’il fallait opter entre ces deux opinions , nous n’hé
siterions pas à adopter cette dernière. Mais il en est une
autre qui nous parait préférable , c’est celle qui refuse
aux créanciers le droit d’intenter l’action.
Il suffît, à nos yeux, que l’aliénation du bien dotal
crée une obligation naturelle, un lien moral, pour qu’on
doive reconnaître à la femme seule le droit d’en me
surer la portée et de la respecter dès qu’elle s’y croit
obligée. Ce droit nous paraît, d’ailleurs, la conséquence
directe de la faculté de ratifier , qui ne lui a jamais été
contestée.
1 Zacchariæ, tom. ni, p. 579, nste 12.
3 Rodière et Pont, tom, h , p. 435, n° 585.
�458
TRAITÉ DU DOL
L’obligation naturelle existe surtout lorsque la femme
a retiré un profit quelconque du prix du bien dotal. Ce
profit a pu se réaliser dans le cas de vente par le mari
seul si le prix qu’il en a retiré, réellement versé dans le
ménage, en a défrayé les besoins et assuré le bien-être.
Sans doute ce profit n’est pas celui que la loi entend
pour mettre la restitution du prix à la charge de la fem
me, mais, dans le for intérieur, la femme est obligée.
Doit-on, lorsque, obéissant à un sentiment de justice ,
elle veut conformer ses actions aux inspirations de sa
conscience, lui faire un devoir d’en agir autrement?
De quoi, d’ailleurs, peuvent se plaindre les créanciers?
S’ils ont acquis cette qualité durant le mariage, le bien
dotal ne leur a jamais été affecté; on ne leur permettra
pas même de l’exécuter après la dissolution. Que leur im
porte donc l’inaction de la femme ?
S’ils ont traité avec la femme depuis sa viduité, la
prétendue libéralité qu’ils verraient dans l’abandon de
l’action en révocation ne leur préjudicie nullement, en
ce sens qu’ils n’ont pu raisonnablement compter sur un
bien que leur débitrice ne possédait pas au moment
où elle prenait cette qualité. Ils seraient, de plus, nonrecevables à prétendre qu’elle a été faite en fraude de
leurs droits, On peut donc, sans crainte les maintenir
dans un état de choses qu’ils ont volontairement ac
cepté.
Singulière moralité d’un système qui ne permettrait
pas à une femme pieuse, dévouée à la mémoire de son
mari, de l’honorer encore après sa mort en cachant la
�ET DE LA FRAUDE.
459
fraude qu’il a commise ! Qui lui ferait, au contraire,
un devoir de publier sa turpitude et de souiller sa tom
be parle scandale d’un pareil procès! D’imposer, en
fin, à des héritiers qui peuvent être ses propres en
fants , et une flétrissure morale et la charge de restituer
un prix dont elle a partagé le bénéfice et dont, en cou science , elle se considère comme codébitrice ! Non , la
loi n’a pu autoriser, ni moins encore commander une
pareille conduite , et voilà pourquoi, reculant devant
son immoralité, nous ne reconnaissons pas aux créan
ciers le droit de la contraindre, sons peine d’intervenir
eux-mêmes.
D’ailleurs, la femme qui se tait, se reconnaît liée par
un devoir de conscienc. Est-ce tqu’en matière pareille
elle n’est pas le juge seul compétent pour le décider? Sa
décision doit donc être acceptée par tous ; nul ne peut
être autorisé à rompre le silence qu’un sentiment d’hon
neur, de pitié, de justice lui fait garder.
1345.
— L’action de la femme passe à ses héritiers,
et ce que nous refusons aux créanciers de la femme, nous
l’accordons aux créanciers de ceux-ci. Ils pourront donc
exercer l’action que les héritiers négligeraient de faire
valoir. Alors, en effet, il n’y a plus de biens indisponi
bles au regard de certains créanciers; quels qu’ils aient
été, ces biens, arrivant entre les mains de l’héritier, de
viennent, indistinctement, le gage des créanciers, alors
même que leurs titres seraient antérieurs au décès de la
femme. L’éventualitéd’un héritage profite aux créanciers
�460
TRAITÉ DU DOL
qui ont pu l’entrevoir et y compter, car c’était là une
chance qui devait se réaliser sans que l’héritier eût per
sonnellement à la déterminer.
1 3 4 4 . — Cependant cette règle reçoit exception, no
tamment : \ 0 Si les héritiers de la femme avaient euxmêmes acquis le bien dotal. Il est évident qu’on ne sau
rait leur imposer l’obligation de se faire un procès à euxmêmes, et surtout qu’enne le faisant pas, ils ne se ren
dent pas coupables d’une fraude contre les droits de leurs
créanciers. Ceux-ci ne trouveraient à étayer leur deman
de ni sur l’art. \ 166, ni sur l’art. \ 167 ; ils seraient donc
non-recevables à l’intenter.
2° Si les héritiers de la femme étaient également les
héritiers du mari. Mais cette exception est subordonnée
à la condition que le mari serait tenu à garantie. En
effet, l’existence de cette obligation ferait surgir contre
les héritiers l’application de la maxime : Quem de evictione tenet actio , eumdem agentem repellit exceptio.
Dans ce cas encore, les créanciers, ne pouvant agir que
comme les ayants-cause de leurs débiteurs, subiraient,
comme ceux-ci, l’effet de cette fin de non-recevoir pé
remptoire.
Indépendamment de ces exceptions personnelles aux
héritiers, ceux - ci ou leurs créanciers pourraient être
écartés par celles opposables à la femme elle-même.
Celles-ci sont, on le sait : la ratification et la prescrip
tion.
�ET DE LA FRAUDE.
461
1 3 4 5 . — La ratification, pour être utilement oppo
sable, doit avoir été donnée à une époque où le fait, dé
terminant le vice de l’acte, a complètement disparu et
où, par conséquent, les parties seraient toutes libres de
contracter. Or, cette époque pour le vice de dotalité ne
peut être que celle de la dissolution du mariage ; elle
seule, en effet fait disparaître l’indisponibilité du bien
qui en est affecté. La séparation de biens change le ré
gime matrimonial, quant à la jouissance des biens do
taux qu’elle confère à la femme , mais elle n’affecte en
rien le caractère des biens. Ce qui était inaliénable avant
la séparation, reste inaliénable après. Toute disposi
tion qui en serait faite continue donc d’être interdite.
A ce titre, la ratification expresse ou tacite resterait sans
effet.
La ratification, donnée en temps opportum, ne serait
susceptible d’aucune difficulté, si elle était expresse.
L’art. 1338, qui en détermine les conditions, en règle
les effets.
1346.
— Il n’en est pas de même de la ratification
tacite : elle résulte de l’exécution donnée à l’acte, et la
nature de cette exécution est dans le cas de soulever des
doutes sérieux, On s’est, entre autre, demandé si la ré
ception par la femme, depuis la dissolution du mariage,
desintérêts échus du prix de l’aliénation, constituerait une
ratification valable.
Nous avons dit ailleurs que, dans les actes constitutifs
de la ratification tacite , on devait exiger la réunion ,
�462
TRAITÉ DU DOL
autant que possible, des caractères prescrits à la ratifi
cation expresse, à savoir : qu’ils impliquassent la con
naissance du vice et l’intention de le purger.’ C’est par
application de cette règle que nous résoudrons la diffi
culté proposée.
Nous distinguerons donc le cas où l’aliénation a été
consentie par la femme, soit séparément, soit conjoin
tement avec son mari, du cas où l’aliénation procède du
mari seul.
Dans le premier, la femme n’a pu ignorer ni la na
ture , ni la cause du payement qui lui est offert. Son
droit de refuser est incontestable, puisque la dissolution
lui a conféré l’action en nullité de l’aliénation , et ce
droit, elle l’exercera si son intention est de poursuivre
cette nullité. À quoi bon, en effet, exécuter un contrat
dont elle entend se délier, qu’elle doit considérer com
me n’existant plus et ne devant produire aucun effet?
Si, au lieu de refuser , elle accepte , on ne peut voir là
qu’une exécution volontairement et librement donnée
à un contrat dont elle connaît parfaitement le vice ,
dont cette exécution le purge suffisamment. D irait-elle
qu’elle n’a cru recevoir que les revenus de l’immeuble?
Mais une pareille excuse ne serait pas acceptable de la
part de celle qui connaît la vente dont cet immeuble a
été l’objet et à laquelle elle a participé, si elle ne l’a pas
consentie seule.
Dans la seconde hypothèse , la femme a pu ignorer
1 X.sup. , n° &95.
�ET DE LA FRAUDE.
463
la vente faite par le mari seul. Le fait unique d’avoir
accepté l’intérêt du prix spontanément offert par l’ac
quéreur, pourrait ne pas paraître une ratification va
lable. Les faits et circonstances au milieu desquels ce
payement a été effectué, son époque plus ou moins rap
prochée du décès du mari, peuvent être utilement con
sultés et devenir des éléments essentiels de l’apprécia
tion que la loi laisse à la prudence et aux lumières des
juges.
Mais, la ratification résulterait infailliblement des
payements géminés, successivement reçus par la veuve.
L’erreur, possible lors d’un premier, ne saurait être ad
mise pour un second, pour un troisième, car l’intervalle
qui s’est écoulé entre l’un et l’autre a laissé à la femme
le temps nécessaire pour s’instruire de ce qu’est deve
nue sa dot et de connaître, par conséquent, la disposi
tion illicite qu’en avait faite le mari. Dès lors , aussi,
reviennent les considérations exposées dans la première
hypothèse. Le payement accepté en connaissance du
vice, ne peut être considéré que comme la volonté for
melle de purger celui-ci.
Il en serait, à plus forte raison a in si, même dans le
cas d’un payement unique , si ce payement n’avait été
effectué qu’à la suite de poursuites exercées pour le dé
terminer. L’existence de ces poursuites enlève toute équivoque sur l’intention de la partie qui les a dirigées.
On mentirait à l’évidence si on ne les considérait pas
comme une exécution volontaire et formelle du titre ,
e t, par conséqueut, comme constituant une ratification
incontestable.
�464
TRAITÉ DU DOL
1347.
— Les actes de ratification , personnels à la
femme, sont opposables à ses héritiers. De plus, et com
me la femme elle - même, ceux - ci pouvant ratifier de
leur chef, leur poursuite peut être écartée par les actes
d’exécution auxquels ils se seraient livrés depuis la mort
de leur auteur , tout comme par la ratification expresse
qu’ils auraient consentie.
1 5 4 8 . — La prescription constitue une autre fin de
non-recevoir opposable à la femme et à ses héritiers ,
mais elle ne peut courir pendant la durée du mariage.
Cette règle n’est pas seulement la conséquence de l’ina
liénabilité du fonds do tal, elle tient surtout à cette cir
constance que , pendant que le mariage existe , la fem
me est dans l’impuissance d’exercer les actions concer
nant la dot. Cette impuissance a dû lui faire appliquer
la maxime : contra non valentem agere non currit
prescriptio.
Cette impuissance venant à disparaître, entraîne avec
elle l’imprescriptibilité. C’est ainsi que l’art. 1561 dé
clare que les biens dotaux sont prescriptibles après la
séparation de biens. Par cette séparation, la femme ac
quiert l’exercice de ses actions. Elle peut donc agir, et,
si elle ne le fait , elle se constitue en état de négligence
susceptible d’éteindre son action, si elle se prolonge assez
pour que la prescription soit acquise.
Toutefois l’art. 1561 ne doit point être isolé de l’art.
2256. La loi n’oblige la femme à agir que lorsqu’elle
le peut matériellement et moralement. Cette liberté mo-
�ET DE LA FKAUDE.
465
raie n’existe pas lorsque l’action de la femme doit avoir
pour résultat un recours contre le mari. Conséquem
ment , le législateur dispense , dans ce dernier cas , la
femme d’agir, et celte dispense empêche la prescription
de courir.
Or, aux termes de l’art. 1560 , le mari est tenu des
dommages-intérêts lorsque le caractère de dotalité a été
dissimulé à l’acquéreur. Conséquemment la femme sé
parée de biens n’est tenue de demander la révocation
qu’en tant que l’acquéreur a connu le vice du contrat.
Dans ce cas, la prescription court à partir de la sépara
tion ; dans tous les autres cas , du jour de la dissolution
du mariage seulement.
1 5 4 9 . — Ce point de départ ainsi posé, quelle est la
durée du temps requis pour prescrire? Ici encore il faut
distinguer si l’aliénation est le fait unique du m ari, ou
si elle a été consentie par la femme, conjointement ou
séparément.
La vente à laquelle la femme a participé constitue un
acte annulable. Elle est donc régie, quant à la prescrip
tion , par l’art. 1304 du Code civil. L’action est donc
éteinte par le laps de dix ans , à partir du moment où
l’obligation d’agir a été imposée à la femme, suivant les
règles que nous venons de tracer.
La vente consentie par le mari a été faite sans droit
réel à la propriété. Il s’agit donc, pour l’acquéreur, d’ac
quérir cette propriété, et, on le sait, la durée de la pres
cription, à cet effet, est ordinairement de trente ans.
m
30
�466
TRAITÉ DU DOL
Donc, l’acquéreur, traitant avec le mari seul, ne pres
crira que par trente ans, en supposant, toutefois, qu’il
ait connu le vice de la chose. En effet, si le mari a vendu
l’immeuble dotal comme sien , si l’acquéreur a été de
bonne foi , l’existence de celle-ci et du juste titre per
mettra au tiers d’invoquer la prescription de dix ou de
vingt ans.'
13 5 0 . — La fraude ayant pour objet de porter at
teinte à la liberté individuelle ou de dissimuler une in
capacité, est une fraude à une loi d’ordre public et d’in
térêt général ; elle ne saurait, 'dès-lors, produire aucun
effet. Quelle que soit la cause apparente du contrat, son
annulation est une conséquence inévitable de la constata
tion du caractère illégal ou illicite de sa véritable cause.
1 3 5 1 . — C’est là un principe qui n’est pas contes
table , qui n’a jamais été contesté; mais son application
suscitera des difficultés. Le demandeur, s’il a été partie
en l’acte , se trouvera en présence de diverses fins de
non-recevoir. On lui opposera notamment la foi due à
l’acte régulier , la prohibition de toute preuve testimo
niale outre et contre son contenu, prohibition bien plus
étroite contre celui qui, complice de la fraude qu’il dé
nonce, vient en définitive exciper de sa propre turpitude.
Mais, nous l’avons déjà dit, ces difficultés sont de na
ture à être tranchées par le caractère de la fraude qu’il
1 Tessier, t. n, p. <10 et 111 ;— Troplong, art. 1561, n°* 3583, 3584.
�ET DE LA FRAUDE.
467
s’agit de réprimer. Il est permis à chacun de renoncer
à un avantage personnel résultant d’une loi positive ,
mais personne ne peut se placer au-dessus d’une loi pro
hibitive , en suspendre ou en détruire les effets , ni se
soustraire à des prescriptions sanctionnées dans un inté
rêt général , ou par des motifs commandés par l’ordre
public, la morale et les bonnes mœurs. Toute tentative
dans ce but est condamnée à une impuissance absolue,
et le contrat la renfermant ne contient aucun lien légal,
même à l’endroit des parties l’ayant consenti. Nous en
avons déjà offert quelques exemples en parlant des con
trats usuraires, de ceux ayant pour objet de se soumettre
à la contrainte par corps hors des cas expressément pré
vus par la loi. Nous pourrions en citer beaucoup d’au
tres, nous nous contenterons d’en rappeler quelques-uns,
parce que les hypothèses les constituant peuvent plus
souvent s’offrir à l’appréciation des tribunaux.
1352.
— La promesse de mariage , en tant qu’elle
a pour objet de contraindre à sa célébration, est réprou
vée par la loi d’une manière absolue. Son inexécution
pure et simple ne saurait donc devenir la matière même
d’une action en dommages-intérêts. Cette doctrine n’est
pas universellement admise, et de nombreux arrêts ont
décidé le contraire. ' liais ces arrêts ne me paraissent
pas juridiques. En principe, l’exécution d’une promesse
de mariage ne pouvant être exigée , celui qui la refuse
i V. Dalloz,
D ic l. g é n .r
v° p ro m e sse
de m a r ia g e ,
n°* 15 et suiv.
�468
TRAITÉ DU DOL
ne fait qu’user d’un droit que la loi lui reconnaît for
mellement. Comment donc trouver dans l’exercice d’un
droit la matière d’une adjudication de dommages-inté
rêts ?
Nous n’accorderions ces dommages-intérêts que lors
que la rupture de l’engagement a réellement causé un
préjudice matériel ou moral à la partie délaissée ; par
exemple, s’il s’est écoulé un temps considérable dans les
préparatifs du mariage ; si les fréquentations ont amené
une grossesse; si les causes delà rupture publiquement
dévoilées sont injurieuses ou diffamatoires, ou de nature
à mettre obstacle à un novel établissement ; si des frais
en préparatifs de noces, en contrats de mariage, ont eu
lieu. Il est évident, dans tous ces cas , qu’une indem
nité est due. Mais l’origine de cette obligation réside
alors légalement dans le préjudice volontairement causé,
et dont la réparation est commandée par l’art. 1382 du
Code civil.
L ’e x c e p tio n feci sed jure feci lé g itim e b ie n le re fu s
d e c é lé b re r le m a r ia g e , m a is e lle n e p o u r r a i t d is p e n s e r
d e l ’o b lig a tio n d e r é p a r e r le p r é ju d ic e q u i e û t é té é p a r
g n é si la v o lo n té d u r e f u s a n t se f û t m a n if e s té e e n
te m p s
o p p o r tu n , et s u r to u t a v a n t q u e d e s fa its g r a v e s , c o m m e
u n e g ro sse sse , p u s s e n t lu i ê tr e r e p r o c h é s .
I3N 5. ~ L’illégalité de la promesse de mariage en
traîne de plein droit celle de toutes les clauses accessoi
res , destinées à en forcer l’exécution , notamment la
clause pénale par laquelle on s’est engagé, à défaut du
�ET DE LA FRAUDE.
469
mariage promis, de payer une somme d’argent plus ou
moins importante.
Les dédits, en cas de rupture, sont entachés d’immo
ralité ; indépendamment du lien qui en résulterait et qui
créerait un obstacle à la liberté individuelle , ils pour
raient faciliter de honteuses spéculations contre l’hon
neur ou la fortune de celui qui se laisserait aller à les
consentir. Il ne manque pas d’ititrigants adroits, de co
quettes habiles qui exploiteraient une passion qu’ils sa
vent adroitement faire naître et entretenir , une fièvre
qu’ils excitent ; et plus leur position leur paraîtrait, eu
égard à la famille de leur dupe , être un obstacle au
mariage, et plus ils songeraient à grossir la somme du
dédit.
D’autre part, n’est-il pas évident qu’on ne saurait to
lérer ces engagements que d’avance des pères de famille
prennent à l’égard de leurs enfants ? Ce qui peut , en
effet, en résulter, c’est que différents de goût, de carac
tère, les futurs époux, ne se convenant d’aucune maniè
re , ne soient condamnés à s’unir que pour cimenter
leur malheur commun. Il importait donc de les prému
nir contre une mutuelle antipathie.
Mais ce qui importait surtout, c’était d’assurer la li
berté des mariages : Libéra esse matrimonia antiquitas
placuit; ideoque pacta non liceret divertere non valere.' C’est cette antique règle que notre Code a consacrée,
qu’il ne pouvait pas ne pas consacrer sans méconnaître
1 L. 2, Cod,
de l n u t , s tip u l.
�470
TRAITÉ DU DOU
la mission sociale qu’il avait à remplir. Le mariage ,
source de la famille, touche immédiatement à l’Etat. Le
dégager de toute entrave , c’était agir dans l’intérêt de
celui-ci. Aujourd’hui donc, comme toujours, tout ce qui
porte atteinte à sa libertée illimitée est considérée com
me contraire à la morale, aux bonnes mœurs, à l’ordre
public, e t , conséquemment, incapable de produire le
moindre effet.
1354. — La nullité d’un dédit de mariage n’est pas
même contestée, mais ce principe n’a pas fait disparaître
l’abus. Ceux qui persistent à vouloir en profiter ne trou
vent dans cette nullité qu’un motif de plus pour donner
à la convention une apparence de sincérité , en l’affu
blant d’une forme dont les dehors paraissent irrépro
chables. Ainsi, au lieu d’un dédit, ils se font souscrire
une obligation pure et simple , causée pour prêt d’ar
gent. Puis le mariage ne s’accomplissant pas , soit par
le refus du souscripteur, soit sur leur refus personnel ,
ils poursuivent le payement de l’obligation dont ils sont
porteurs.
Devant les tribunaux , naissent alors les diverses fins
de non-recevoir déjà indiquées, le défendeur excipe-t—il
du véritable caractère de l’acte? On ne manque pas de
lui opposer les énonciations de l'acte, l’irrecevabilité de
la preuve par témoins, tant en vertu de l’art. 1341, que
de la maxime nemo auditur..., etc.
Ce qui domine et doit nécessairement dominer l’ap
préciation d’un pareil litige, c’est une considération que
�ET DE LA FRAUDE.
47 1
nous trouvons développée dans une consultation de M.
Dalloz sur un procès de cette nature. Les prohibitions
que le législateur établit dans l’intérêt des mœurs et de
l’ordre public , ne tirent leur sanction et leur efficacité
que de la difficulté de les enfreindre , et de recueillir le
fruit de leur infraction. En vain, le législateur aura dé
claré illicite toute obligation fondée sur une promesse
de mariage ; en vain il aura frappé de réprobation tout
contrat qui aura pour objet une immoralité ou un crime.
Ses dispositions seront impuissantes s’il est permis de
déguiser le caractère du contrat, si l’on peut impuné
ment cacher la cause honteuse de la convention sous le
voile apparent d’une stipulation légitime, ou, ce qui est
la même chose , si l’on interdit la preuve testimoniale
qui, seule, en pareil cas, peut démasquer la fraude à la
loi et venger l’offense à l’ordre public et à la morale.
1 5 5 5 . — M. Dalloz avait parfaitement raison, lors
qu’il ajoutait qu’il est des choses que la loi n’a pas be
soin d’exprimer formellement, tant elles s’induisent de
son esprit. Dans cette catégorie , se place évidemment
l’exception à la prohibition de l’art. 1341 du Code civil,
lorsqu’il s’ag it, non plus d’une simulation licite , mais
de la violation formelle d’une loi d’ordre public. On ne
saurait soutenir le contraire sans accuser le législateur
de n’avoir pas eu le courage de son opinion , puisque
voulant la fin, il aurait proscrit les moyens.
Quant à l’allégation invoquée, que la simulation du
contrat ne peut être invoquée testimonialement que par
�472
TRAITÉ DU DOL
les fiers, elle est vraie, lorsqu’il s’agit d’une de ces simu
lations incapables d’imprimer à l’acte un caractère d’in
validité quelconque. Ainsi, on refusera à la partie de
prouver que le contrat, qualifié vente, est une donation.
Pourquoi ? parce que la personne , capable de vendre
et de donner , n’a , à cette preuve , aucun intérêt réel.
En effet, la vente, n’existant plus comme vente , vaudra
comme donation, et devra, comme telle , sortir à effet.
La preuve testimoniale du véritable caractère de l’acte
serait donc complètement inutile : Frustra probatur
quod, probalum, non relçvat.
On refusera la preuve testimoniale à la partie l’invo
quant, lorsqu’à son aide, elle voudra établir que la vente
qu’elle a consentie , ou l’obligation qu’elle a souscrite ,
n’a aucune cause réelle. Cette absence de cause , elle a
pu et dù la faire constater au moment du contrat par
une contre-déclaration sans l’existence de laquellel’acte,
n’ayarit rien de contraire à la lo i, est accepté par elle
comme l’expression de la vérité et devient la règle uni
que des parties.
Osera-t-on dire qu’il doit en être de même de la
preuve que l’acte déguise une illégalité , qu’il n’a été
fait que pour éluder une prohibition d’ordre public ?
Est-ce que, d’une part, la preuve acquise ne ferait pas
immédiatement tomber l’acte ? Est-ce que, d’autre part,
l’absence d’une contre - déclaration n’est pas le consé
quence nécessaire , forcée du véritable but des parties ?
Comment exiger que ceux q u i, voulant violer la loi ,
éprouvent le besoin de dissimuler , aillent précisément
donner la preuve écrite de la véritable nature du traité?
�ET I)E LA FRAUDE.
Donc la preuve n’est plus illusoire, et comment l’acqué
rir jamais, si la partie elle-même est et doit être déclarée
non recevable à l’administrer ?
En d’autres termes, il ne faut pas confondre les simu
lations licites ou ne concernant que l’intérêt privé avec
celles dont l’unique objet est de violer une loi d’ordre
public ou d’intérêt général. Si la partie qui y a volon
tairement concouru , ne peut prouver par témoins les
deux premières, l’intérêt de la loi exige impérieusement
qu’on l’admette à le faire pour cette dernière ; décider
le contraire ce serait méconnaître l’intention du législa
teur , tolérer et même encourager la violation des pres
criptions les plus sacrées
Or, on distinguera facilement la simulation licite de
celle qui ne l’est pas. On n’a qu’à se demander si les
parties pouvaient faire directement, ce qu’elles ont fait
indirectement; si o u i, la simulation est indifférente.
Tout ce qu’on en induira, c’est qu’entre plusieurs ma
nières de faire un acte, les parties ont choisi celle qu’elles
ont jugé la plus convenable ; en cela, elles ont usé de leur
droit, et n’out fait que ce que la loi ne leur défendait
pas de faire.
Dans le cas contraire, la prohibition d’agir directe
ment atteint la voie indirectement choisie; l’acte est nul
aux yeux de la loi, et non-seulement la partie sera re
cevable àexciper de cette nullité, mais elle pourra en
core l’établir par témoins. C’est ce qu’on admet sans
difficulté pour la dette de jeu, pour l’usure , pourquoi
ne l’admeltrail-on pas pour le dédit de mariage? La loi,
__
�474
TRAITÉ DU DOL
qui prohibe ce dernier, ne procède-t-elle pas de motifs
identiques à ceux qui lui font proscrire l’usure et le jeu?
Conséquemment, si la preuve testimoniale est admissible
dans un cas, elle doit l’être également dans l’autre, le
contraire avait cependant été admis par la Cour suprê
me, le 29 mai 1827.'
1356.
— En conséquence, elle avait cassé un arrêt
delà Cour de Riom, qui avait admis le souscripteur d’une
obligation, à prouver par {témoins que la cause réel
le de cette obligation était une promesse de mariage.
La Cour de Lyon, investie par le renvoi, jugea comme
la Cour de Riom, et son arrêt devint l’objet d’un nou
veau pourvoi soumis aux chambres réunies.
Le résultat de ce second examen fut l’abandon com
plet d elà jurisprudence de 1827. En effet, l’arrêt qui
intervint consacra les deux propositions suivantes, dans
lesquelles se résume toute notre doctrine, à savoir :
1° Qu’une promesse de mariage, à laquelle celui qui
l’a faite a attaché, pour le cas d’inexécution, une clause
pénale, consistant dans l’obligation de payer unesomme
d’argent, est nulle comme contraire à la liberté des ma
riages et illicite, ainsi que la clause pénale qui n’en est
que l’accessoire ;
2 “ Que le souscripteur lui-même d’un billet causé pour
prêt est admissible à prouver par témoins que cette cause
est simulée, et que la cause réelle est illicite comme con-
i D. P. 27. 1. 253.
�ET DE LA FRAUDE.
475
sistant, par exemple, en une promesse de mariage avec
clause pénale.’
1357. — Les traités sur succession future étaient
prohibés en droit romain ; on les considérait comme
renfermant volurn alicujns mortis et offensant ainsi la
morale. Une exception était cependant admise en faveur
des traités que celui de la succession duquel il s’agis
sait avait consenti et qu’il n’avait pas rétracté avant de
m ourir.’ Cette exception s’était introduite dans la plu
part des pays de droit écrit et dans un grand nombre de
coutumes.
Mais la faculté de renoncer à la succession, môme dans
ces conditions, avait été restreinte au contrat de mariage
et moyennant une dot constituée à la renonçante, cequi
ne l’empêchait pas, d’ailleurs, d’hériter si au décès du
constituant, il n’existait pas d’autres héritiers, ou si les
héritiers males, au profit desquels la renonciation étai t
censée faite, prédécédaient les père et mère. Elle conser
vait, dans tous les cas, le droit de réclamer un supplé
ment de légitime, si la dot constituée ne remplissait pas
en entier celle lui revenant.3
1 3 58. — Cette législation fut abrogée par les lois ,
1 Cass., 7 mai 1836 ; — D. P., 36, 1, 161.
2 L. 4, Cod. de l n u t . s l i p u l . , L. 30, Dig. de P a r t .
3 Serres, I n s t . , p 257 ; — Ferrières, quest 192 ; — Catelan, liv 2,
chap- 20.
�476
TRAITÉ DU DOL
intermédiaires et notamment par celle du 22 ventôse an
il et plus tard par l’art. 971 du Code civil. Certes, les
termes de sa disposition sont assez clairs, assez positifs,
mais, pour éviter toute difficulté possible, le législateur
a cru devoir, dans l’art. 1130, revenir sur le principe,
en ajoutant cette fois que la nullité d’un pacte sur suc
cession future ne saurait être corrigée par le concours et
le consentement donné par celui-là même de la succes
sion duquel il s’est agi.
Le motif de cette prohibition est d’ordre public. Nos
mœurs ne permettaient pas de pactiser sur la succession
d’un homme vivant sans outrager les lois de la morale et
de l’honnêteté publique. On en est donc revenu à la lé
gislation romaine sur cette matière ; tout acte de ce genre,
renfermant votum alicujus mortis, a été sévèrement et
absolument proscrit.
1339.
— Violer cette prohibition, c’est méconnaître
une loi d’ordre public. Conséquemment, la nullité en
courue est absolue et radicale; l’acte qui en est vicié n’a
jamais eu que l’apparence d’un contrat incapable de
créer un lien quelconque.
Ce caractère de la nullité amène à cette autre consé
quence ; que le traité sur succession future, déguisé sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux, ne saurait, com
me le traité direct, produire le moindre effet, et que la
partie elle-même est recevable à [trouver la simulation ,
fut-ce même par témoins. Il importe peu que l’acte si
mulé soit intervenu de cohéritier à cohéritier, ou de co-
�ET DE LA FRAUDE'
4-77
héritier au propriétaire ; il suffit qu’il constitue un pacte
sur succession future, pour que les conséquences que nous
venons d’indiquer se réalisent immédiatement.
1 3 60. — L’existence delà simulation sera facilement
appréciable, lorsque le traité émanera de cohéritier A co
héritier, ou de celui-ci à un tiers. Il est, en effet, difficile
d’admettre qu’on stipule, comme actuel l’effet d’uri con
trat ne pouvant recevoir aucune exécution avant la mort
du propriétaire de la chose qui en fait l’objet. Peut-être
même que le prétendu débiteur stipulera ne devoir payer
qu’avec et sur ce qui lui reviendra dans la succession.
C’est ce qui se réalisait dans une espèce jugée par la Cour
de Rennes le 2 décembre 1837, et dans laquelle il fut
décidé qu’un acte de cautionnement déguisait un traité
sur succession future dont la partie pouvait poursuivre la
nullité.'
Mais il y aura plus de difficultés lorsque le traité
interviendra entre le propriétaire et un tiers, héritier
présomptif ou non. L’acte, en effet, peut contenir des
clauses telles, qu’il soit difficile d’en apprécier le vérita
ble caractère. Le propriétaire peut disposer de ses biens
comme il l’entend, et nul doute que si l’acte renfermait
un désinvestissement actuel et irrévocable , il devrait
infailliblement «ortir à effet , car , en le supposant nul
comme vente, il n’en vaudrait pas moins comme dona
tion déguisée.
1 J. D. P., tom. ï, 1839, p. 320.
�478
TRAITÉ DU DOL
1561. — Cependant il n’est pas probable que si
l’intention réelle des parties a été de traiter sur succes
sion future , ce caractère de l’acte simulé ne se décèle
pas dans quelques-unes de ses clauses. En effet , celte
intention ne comporte pas un désinvestissement actuel
et irrévocable. Celui qui ne veut donner qu’à sa mort ,
s’en explique plus ou moins expressément. C’est donc
dans les clauses mêmes de l’acte qu’il conviendra d’en
rechercher la portée réelle ; c’est surtout dans ce qui se
rapporte au mobilier que cette recherche a des chances
de succès.
On comprend , en effet, qu’un individu transmette
ses immeubles actuellement, même lorsque la penséë de
cette transmission se réfère à une donation pour cause
de mort. Dans ce cas , la réserve de l’usufruit ou le
payement d’une rente viagère concilie très-bien le véri
table caractère de l’acte avec l’apparence qui lui a été
donnée.
Mais il n’en est pas de même du mobilier. Il n’est pas
dans la nature des choses que celui qui ne veut le trans
mettre qu’à sa mort, s’en dépouille actuellement. Con
séquemment, la vente dissimulant le pacte sur succession
future, en réglera le sort d’une manière qui suffira pour
permettre de saisir la véritable intention des parties con
tractantes.
156*2. — Par exemple, vendre le mobilier qu’on dé
laissera à son décès , n’est pas autre chose que disposer
de son hérédité, et, conséquemment, se placer en con-
�ET DE LA FRAUDE.
479
tradiction avec les principes consacrés par les articles
971, 1130 et 1G00 du Code civil. De quelque manière
donc que ce fait soit dissimulé dans le contrat , son
existence certaine ne laisserait aucun doute sur l’objet
qu’on s’est réellement proposé , et la nullité de l’acte
en serait la conséquence forcée. Or , ce fait se réalise
rait, si, en aliénant son mobilier actuel , le vendeur se
réservait la faculté d’en disposer comme bon lui sem
blerait , avec stipulation que l’acquéreur , en rempla
cement de ce qui aurait été aliéné par le vendeur, pren
dra celui qui se trouvera dans sa succession au jour de
son décès.
Un pareil acte, on le comprend , n’est pas une vente.
La propriété du mobilier, qui parait en faire la matière,
n’est pas transférée ; elle ne cesse pas d’appartenir au
vendeur, puisque seul, il en exercera les attributs, et que
seul, il pourra ultérieurement en disposer.
On ne pourrait, par les mêmes motifs, y voir une do
nation. Donner et retenir ne vaut, et cela se réalise tou
tes les fois que la condition essentielle de toute donation,
à savoir : le désinvestissement actuel et irrévocable ne
se rencontre pas. Sans doute, il importe peu que ce désin
vestissement s’applique cumulativement à la possession
et à la jouissance , ou qu’il n’ait trait qu’à l’une ou à
l’autre. Mais , dans l’espèce, il n’y en a aucun avant la
réalisation du décès. Dès lors aussi, la donation qu’on
voudrait rencontrer n’est, en réalité, ouverte et certaine
qu’à l’époque du décès. Elle ne porte que sur ce que le
donateur prétendu délaissera à sa mort.
�480
TRAITÉ DU DOL
Ainsi réduite, cette donation est nulle sous un double
rapport ; elle constitue, en premier lieu , un pacte sur
succession future, le propriétaire n’aliène qu’une seule
chose, la faculté de disposer ultérieurement de son mo
bilier à titre gratuit. Elle ne saurait, dès-lors, échapper
à la prohibition légale des articles 1130 et 1600 du
Code civil.
Vainement, invoquant la simulation du contrat qui
donne à la donation l’apparence d’un vente, voudraiton soutenir qu’on a pu vendre et acheter une chose fu
ture. L’art. 1600 n’a pas consenti à regarder comme
telle un hérédité non ouverte. Ce qui était de doctrine
incontestable sous l’empire du droit romain : Quum hcerediialem aliquis vendidit, esse debet hcereditas ut sil
emptio. Nec enim aléa emilur ut in vendilione et similibus, sed res, quœ si non est, non contrahitur emplïo, et ideo pretium condicetur.'
Ainsi, la loi ne considère pas l’hérédité comme cons
tituant la chose future susceptible d’être achetée ou ven
due. L’hérédité existe ou non, suivant qu’elle est ou non
ouverte ; et cette doctrine n’est que la conséquence de
l’immoralité et de l’indécence qu’il y a à spéculer sur la
mort de celui dont on achète à l’avance les dépouilles.
l)e plus, la vente manquerait, dans tous les cas, par
l’absence d’un corps certain et déterminé , devant en
faire l’objet. En effet, vendre un mobilier tel qu’il exis
tera au décès du vendeur, c’est ne rien vendre, pas même
i L. 7, Dig.
de H œ r e d . v e l a v l . v e n d i l a ■
�RT DE LA FRAUDE.
4 81
une chose future. Le vendeur pourra toujours faire qu’il
n ’en existe aucun , et cette faculté constituerait la con
dition potestative, susceptible à elle seule d’annuler le
contrat.
En second lieu, la donation constituerait une dispo
sition à cause de mort, laquelle, dénuée des formes spé
cialement tracées par la lo i, ne pourrait produire au
cun effet. Vainement exciperait-on de la jurisprudence
en matière de donations déguisées. Les seules donations
valables sont celles qui sont faites entre vifs , et, d’ail
leurs, tester n’est pas donner. Or, vendre ou donner ce
qu’on délaissera après son décès , c’est faire un testa
ment , qui est nul s’il n’est pas rédigé dans les formes
qui lui sont imposées. Remplacer le testament par une
vente ne peut donc avoir pour objet que d’enlever au
premier la révocabilité, qui est de son essence , et en
chaîner la volonté du testateur ; c’est, en un mot, faire
ce que la loi ne permet pas.
Ainsi, la vente des biens qu’on délaissera à son décès
est frappée de nullité. En tant que vente, elle constitue
un pacte sur succession future; en tant que donation,
elle déguise , sous la forme d’un contrat, à litre oné
reux, une disposition à cause de mort, à laquelle la loi
a dicté une forme spéciale à peine de nullité. Cette si
mulation constitue donc une fraude ii la loi, et comme
cette loi 'est d’ordre public , la partie elle-même serait
recevable à la prouver , comme le sont les tiers et les
héritiers. C’est ce que les Cours d’Orléans et de Rennes
ont formellement décidé. Le pourvoi formé contre l’arrêt
m
31
�482
TRAITÉ DU DOL
de celle-ci a été rejeté par la Cour de cassation le 28
novembre 1843.'
Dans l’une et dans l’autre de ces espèces , on soute
nait que la prohibition de traiter sur succession future
ne concernait que les héritiers ; qu’elle ne pouvait évi
demment s’étendre au propriétaire lui-même, par la rai
son que chacun a le droit de disposer de ses biens com
me il l’endend. Mais cette prétention a été écartée, et
devait l’être, en présence des termes formels de l’article
1130 du Code civil.
1363. — Ces deux arrêts ont également jugé qu’en
pareille matière l’opération était indivisible ; qu’en con
séquence , et quoique, pour les immeubles, il y eût, en
réalité , désinvestissement actuel, l’existence d’un prix
unique et le véritable caractère du contrat ne permet
taient pas d’en scinder les dispositions qui se trouvaient,
dès lo rs, intégralement atteintes par la nullité de celle
relative au mobilier.
1364. — Notons, enfin, que ce qui est décidé pour
l’universalité d’une succession, doit l’être également pour
une quotité quelconque et même pour l’aliénation d’un
corps certain et déterminé. La prohibition de pactiser
sur succession future s’applique à chaque partie, comme
à l’universalité de la succession. Il suffirait donc que
l’aliénation partielle constituât le traité sur succession
1 D. P., 44, 1. 38, — Orléans, 24 mai 1849; —
1849, pag, 78.
J. du P .,
tom.n,
�ET DE LA FRAUDE.
483
future ou déguisât une donation à cause de m o rt, sous
l’apparence d’un contrat à titre onéreux, pour qu’elle ne
p â t, sous l’un ou l’autre rapport, échapper à la nul
lité.'
1565. — La question de savoir si la convention sur
succession future peut ou non être ratifiée après l’ou
verture de la succession, est vivement controversée. Déjà
nous nous sommes expliqués sur ce point, et nous ran
geant à l’avis de Toullier et de Zacchariæ , nous avons
admis l’affirmative1. Nous avons d’autant moins hésité
à le faire, qu’il est certain que l’acte de ratification dé
clarera qu’au besoin les parties renouvellent la conven
tion, ce qui constituerait un nouveau traité dont la lé
galité, ne pouvant être contestée, puisqu’il serait posté
rieur à l’ouverture de la succession, commanderait l’ex
écution.3
Si la ratification expresse est licite, on ne saurait écarter la ratification tacite résultant de l’exécution. Com
ment, en effet, ne pas voir une ratification, par exem
ple, si le règlement de la succession, si le partage même,
s’était, du consentement de tous, opéré sur les bases fi
xées dans le traité primitif ?
1366. — Toutefois, et au point de vue de la pres
cription, cette doctrine est vivement contestée. Sa consé•
1 Cass., 11 novembre 1845; — J . d u P . , tom. n, 1845, p. 627
s V. s u p r a n° 648.
3 Cass., 11 août 1825; — Grenoble, 25 mars 1831 ; — Rouen, 30
décembre 1823.
�484
TRAITÉ DU DOU
cration, en effet, a pour résultat immédiat l’application
de l’art. 1304 à l’action en nullité du traité sur succes
sion future. Ceux-là donc qui pensent que cette action ne
se prescrit que par trente a n s , contestent à 'priori la
faculté de ratifier môme expressément.
Au nombre des partisans de la prescription trentenaire, se range M. Troplong1. Mais ce savant juriscon
sulte n’examine la question qu’au point de vue de la
nullité absolue et radicale , et ne se préoccupe que de
l’erreur qu’il reproche , avec raison, à Toullier, ensei
gnant que C3tte même nulité rentre sous la règle géné
rale de l’art. 1304.
Ainsi, dit M. Troplong, s’il fallait en croire M. Toul
lier , il faudrait aller jusqu’à dire que le propriétaire,
dont la succession a été l’objet d’une vente illicite et qui
y a donné son consentement, n’a que dix ans pour échapper à cette convention ! Nous sommes de l’avis de
M. Troplong, et nous admettons, sans hésiter, que tant
que la nullité est absolue et radicale , c’est la prescrip
tion trentenaire qui, seule, en régit le sort. Or, elle est
évidemment telle, tant que la succession sur laquelle on
a traité n’est pas ouverte.
Mais l’ouverture de la succession ne modifie-t-elle
pas ce caractère de la nullité ? A partir de ce moment,
tout ce qui la compose devient réellement disponible, et
la capacité d’y renoncer, celle d’aliéner, par vente , échange ou cession , est acquise à tous ceux que la loi
i
D e l a ven te,
n° 246.
�ET DE LA FRAUDE.
485
appelle à la recueillir. La loi ne proteste donc plus au
nom de la morale, de l’honnêteté publique, contre l’ex
ercice direct de ce droit. La nullité devient donc pure
ment relative ; et comment ceux qui peuvent aliéner di
rectement, seraient-ils empêchés de le faire indirectement
par la ratification du traité nul jusque-là d’une nullité
absolue ?
C’est cette question que M. Troplong n’a pas cru de
voir examiner, et cependant, c’est la seule qui doive être traitée. En effet, ceux qui soutiennent l’application
de l’art. 1304 à la nullité résultant du pacte sur succes
sion future, ne le font que parce que, à leur avis, cette
nullité perd son caractère absolu et radical par l’ouver
ture de la succession. Le traité, nul de plein droit jus
que-là, n’est plus, à partir de cette ouverture, qu’un acte
annulable ou rescindable , e t , de l’avis de M. Troplong
lui-même , c’est pour les actes de ce genre que dispose
l’art. 1304.
Nous avons donc raison de dire que l’imposante auto
rité de son nom ne pèse pas sur notre discussion ac
tuelle. Nous soutenons si peu l’application de l’art. 1304
aux nullités radicales et absolues , que nous n’admet
tons son applicabilité à la nullité du pacte sur succes
sion future, que parce que, à notre avis, l’ouverture et
la disponibilité de la succession rendent cette nullité pu
rement relative pour l'avenir.
Un pareil effet est-il légalement possible ? L’affirma
tive ne nous parait pas susceptible de difficultés. Elle
résulte du caractère et de la nature de la prohibition. En
�486
TRAITÉ DU DOL
principe , toutes les nullités d’ordre public ne se com
portent pas de la même manière. Elles ne peuvent pro
duire des effets identiques , parce qu’elles ne procèdent
pas toutes de la même cause. Sans doute , elles intéres
sent toutes l’ordre public, mais c’est à des titres divers.
Il n’y a donc que celles qui se déduisent du fait même
qui est devenu la matière du contrat, qui protestent éter
nellement et tant qu’existe ce contrat.
« On ne peut disconvenir, dit Merlin , que , dans la
classe des nullités absolues, il s’en trouve quelques-unes
qu’un particulier ne pourrait plus alléguer après avoir
consenti à l’exécution de l’acte qui en est infecté.' » Or,
dans quelles circonstances ce caractère se rencontrerat-il plus puissamment que dans la nullité résultant d’un
pacte sur succession future? La vente, la cession, la re
nonciation même faisant la matière de ce pacte, n’a en
elle-même rien d’illicite ou d’illégal. Ce qui lui imprime
ce caractère , c’est uniquement le moment qui la voit
s’accomplir , la circonstance que la succession sur la
quelle elle intervient n’est pas ouverte, et qu’il serait in
décent d’autoriser la faculté de trafiquer de la succes
sion d’un homme vivant. Du moment que cet homme
a cessé de vivre, le motif n’existe plus, et cessante causa,
cessât cffectus.
À dater de ce moment, en effet, les parties intéressées
acquièrent la plus entière liberté de traiter de tout ce
qui constitue la succession. Qu’importe à la loi que celte
1 R é p ., v» N u llité , § 3, n° \ .
�ET DE
LA FRAUDE.
487
disposition se réalise par un nouveau traité ou par la
confirmation de l’ancien ! Elle ne répugne plus à ses ef
fets , elle se contente de prononcer l’annulation , si elle
est poursuivie ; mais si celui que cette faveur concerne
veut y renoncer, si, au lieu d’en poursuivre le bénéfice,
il le déserte et l’abandonne, faudra-t-il, plus tard, ané
antir l’effet de cet abandon purement spontané et vo
lontaire? En effet, l’affirmative paraît insoutenable, car
la raison et le droit s’unissent pour proclamer que celui
qui pourrait agir directement ne saurait pas ne pas être
valablement lié, parce qu’il lui a plu d’arriver à un ré
sultat identique par une voie indirecte. L’héritier saisi
peut aliéner. La ratification est une véritable aliénation;
à ce titre donc, elle devrait être maintenue comme le se
rait l’aliénation elle-même.
1 3 6 7 . — La Cour d’Aix, dans un arrêt du 2 juin
1840 ', refuse cependant de le faire. La nullité du pacte
sur succession future , dit-elle , est telle que l’ouverture
même de la succession reste sans influence sur la con
vention dont le vice originaire garde toujours la même
nature, sans qu’il puisse être couvert.
Sans influence nécessaire sur la convention ! Cepen
dant, à dater de cette ouverture , il n’y a plus de suc
cession future, et les biens délaissés deviennent suscep
tibles de toute espèce de transactions. Sans doute, cette
ouverture ne fait pas disparaître, ipso facto, la nullité
1J.
du p . ,
t. h , 1840, pag. 337.
�m
TRAITÉ DU DOL
du pacte dont la succession a été l’objet avant le décès
du propriétaire, et celui qui l’a souscrit n’est pas obligé
de l’exéeuter. Il lui suffit de vouloir pour que ce pacte
soit anéanti, mais s’il vient à l’exécuter , si son intérêt
lui en fait un devoir, n’est-il pas le maître de le faire ?
Oui , dit la Cour, mais par un acte nouveau , non par
une ratification , parce que cette ratification serait une
nouvelle insulte à la loi.
Vraim ent, la Cour d’Aix fait la loi bien susceptible.
Pourquoi se trouverait-elle insultée? Parce que la rati
fication s’appliquant à une nullité radicale et absolue,
serait-elle même atteinte par cette nullité? Mais après le
décès, celte nullité n’existe plus. S’il en était autrement,
tout acte nouveau serait également impossible. La vali
dité de celui-ci entraîne forcément celle de la ratifica
tion. Celle-ci, en effet ne fait ni plus ni moins que l’acte
nouveau ne ferait lui-même. Conséquemment, l’aliéna
tion autorisée par le moyen de celui-ci, ne saurait être
prohibée sous la forme de la ratification.
Mais, dit l’arrêt, il y a entre l’acte nouveau et la ra
tification cette différence, que le premier rend hommage
h la loi en supposant non seulement la nullité , mais
encore l'inexistence de l’acte précédent; et d’ailleurs, ne
recevant l’être que du jour de sa date, il porte sur une
succession ouverte; la ratification, au contraire, se rat
tache à Pacte primitif qu’elle a pour objet de maintenir
aussi bien dans sa date que dans ses effets; s’unissant
et s’incorporant à cet acte , elle reçoit le vice dont il est
infecté au lieu de l’effacer; elle est enfin , avec lui et
�ET DE LA FRAUDE.
comme lui, une stipulation sur la succession d’une per
sonne vivante , à moins qu’on ne veuille la considérer
isolément, et elle n’est rien.
Ceci n’est plus seulement une contradiction , c’est la
négation absolue de la nature du pacte sur succession
future, du caractère, des effets de la ratification.
Le pacte sur succession future , en tant que vente,
cession, renonciation même, n’a rien d’illicite au point
de vue du droit en lui-même. Sa nullité ne résulte pas
de ce qu’on a vendu, cédé ou renoncé. Elle n’est que la
conséquence de l’indisponibilité des objets ou des droits
au moment où ils sont aliénés ; dès lors , leur disponi
bilité acquise, tous ces actes deviennent liciles, cela n’est
pas contesté.
L’ouverture de la succession fait donc disparaître la
prohibition et entraîne , avec elle, la disparition de la
nullité en résultant. Mais cet effet ne rétroagit pas en ce
sens que l’acte souscrit avant est un acte sans lien for
cé , sans exécution possible , s’il plaît à la partie de lui
refuser l’un et l’autre.
Voilà donc celle-ci capable désormais d’aliéner et en
même temps mise en demeure de se prononcer sur le
sort futur du traité qu’elle a souscrit. Quel peut être, en
cet état, l’effet de la ratification qu’il en fait ?
Est-ce de faire disparaître la nullité originaire dont le
traité était atteint ? Non , évidemment, car cette nullité
est un fait consommé qu’il n’est plus au pouvoir des
parties d’empêcher. L’unique but de la ratification, c’est
de purger l’acte pour l’avenir, par la confirmation qui
�490
TRAITÉ DU DDL
en est faite dans un moment de capacité absolue. L’acte
n’a donc une existence légale que du jour de la ratifi
cation, et comme ce jour-là la succession est ouverte,
c’est se livrer à la plus incroyable de toutes les fictions,
que de dire que la ratification n’est elle-même qu’un
traité sur la succession d’un homme vivant.
Si le système de la Cour d’Aix était v ra i, il faudrait
rayer la ratification de nos Codes. Vainement, le majeur
aurait-il ratifié l’engagement souscrit en minorité. Vai
nement, la femme mariée , devenue veuve , aurait-elle
confirmé l’aliénation de sa dot faite pendant le mariage;
on ne manquerait pas de dire que la ratification s’unis
sant et s’incorporant à la convention primitive, est com
me celle-ci censée faite pendant la minorité ou le ma
riage, et qu’un acte nouveau pouvait seul la purger du
vice que la ratification partage.
Qu’on réfléchisse , d’ailleurs , aux conditions exigées
par l’art. 1338. Pour être valable, l’acte de ratification
doit mentionner le vice du traité originaire , et énoncer
l’intention de le purger. Dans l’espèce donc , les parties
déclareront que l’acte par elles souscrit, était nul comme
intervenu sur succession non ouverte, mais que leur vo
lonté étant aujourd’hui la même qu’alors , elles confir
ment leurs accords qu’elles renouvellent même en tant
que de besoin serait. Or, à cette époque, riotous-le bien,
la nullité d’ordre public a cessé de protester contre la
disposition de la succession.
La ratification est donc comme l’acte nouveau un
acte d’obéissance à la loi. Elle est une véritable amende
�ET DE UA FRAUDE.
491
honorable de la part de ceux q u i, l’ayant transgressée,
viennent lui demander pour l’avenir le lien obligatoire
quelles reconnaissent avoir été dans l’impossibilité de
donner à leur contrat.
Il n’y a donc aucune raison sérieuse à objecter contre
la validité de la ratification expresse ; il ne saurait con
séquemment en exister aucune contre la ratification ta
cite résultant de l’exécution. Or, cette ratification tacite,
la loi la fait résulter du silence prolongé pendant plus
de dix ans. L’action introduite après ce délai se trouve
rait atteinte parla prescription de l'art. 1304-, à moins
qu’on ne vint , à cette époque , forcer l’exécution que
l’acte n’aurait pas encore reçu. Dans ce cas, en effet, la
prescription opposable à l’action ne pourrait être oppo
sée à l’exception, en vertu de la règle quæ temporalia
surit ad agendum, fiunt perpétua ad excipiendum.
Î3 6 8 . — L’applicabilité de l’art. 1304 , enseignée
par Toullier, Zacchariæ et Rolland de Villargues, a été
admise par un grand nombre de Cours d’appel, et par
la Cour de Cassation elle-même, le 28 mai 1828, mais
celle-ci vient, par un arrêt du 11 novembre 1845,'
d’abandonner cette jurisprudence pour adopter la pres
cription Irentenaire. Ce qui fonde ce changement, c’est
le caractère de la nullité. La Cour admet donc qu’après
comme avant le décès, cette nullité est d’ordre public et
d’intérêt général, dans cette hypothèse, son arrêt serait
en tout point juridique.
�m
TRAITÉ DU DOL
Mais nous l’avons dit : la raison et le droit indiquent
que le caractère de la nullité est profondément modifié
par le décès de celui sur la succession duquel on a trai
té ; et cette modification nous paraît devoir faire préfé
rer l’arrêt de 1828 à celui de 1845.'
1 5 6 9 . — La morale publique que nous venons de
voir proscrire les pactes sur succession future, était bien
plus directement intéressée à tout ce qui se rapportait
aux enfants naturels. Les législateurs de tous les temps
ont mis et dù mettre une grande différence entre eux et
les enfants issus d’un mariage légitime.
Chez les Romains, la loi n’accordait aux enfants na
turels que des aliments , si leur père délaissait des en
fants ou une épouse légitime ; à leur défaut, ils ne re
cueillaient que le sixième de la succesion dans laquelle
la mère survivante prenait encore une portion virile.
L’excédant était dévolu aux parents éloignés ou au fisc.
Toutefois, ils pouvaient recevoir par donation testamen
taire au delà de ce que leur attribuait la loi. Us pou
vaient être institués pour la totalité des biens , si leur
père ne laissait ni descendants, ni femme, ni ascendants
légitimes ; pour la totalité, moins la légitime due à l’as
cendant, si l’ascendant se trouvait le plus proche héri
tier ; pour un douzième seulement, s’il restait des en-
i V. pour les arrêts , dans l’un et l’autre sens . Dalloz , D i c t. g é n é r .,
v» S u c c e s s io n , et R é p a rt. d u J o u r n a l d u P a la i s , v« S u ccession fu tu r e
et R a tif ic a tio n ,
�ET DE 1.A FRAUDE.
493
fants légitimes,, encore ce douzième se divisait-il par tête
entre les enfants naturels et leur mère.'
Les enfants naturels ne succédaient point aux ascen
dants, si ce n’est par représentation de leur mère, mais
l’aïeul paternel ou maternel pouvait, s’il n’avait pas
d’enfants légitimes, transmettre tous ses biens au petitfils naturel \ La loi fondait, en outre, certaines distinc
tions sur la qualité de la mère. Si elle appartenait à une
famille illustre, l’enfant naturel n’avait rien à réclamer
pas même des aliments3. Si elle était une femme pu
blique, l’enfant suivait alors entièrement la condition de
sa mère, lui succédait comme les autres enfants natu
rels, mais il n’avait aucune espèce de droit à la succes
sion paternelle.4
1370.
— Sous notre ancien d roit, l’enfant naturel
n’était appelé à succéder ni à son père, ni à sa mère ;
il avait seulement, et sauf quelques exceptions, une ac
tion en aliment.
Mais cet état de choses fut bien changé par les lois
intermédiaires. Un premier décret du 4 juin 1793, ap
pela les enfants nés hors mariage à succéder à leur père
et mère , dans la forme qui f u t, plus tard , déterminée
par la loi du 12 brumaire an ii
Nous n’avons pas à suivre , dans ses effets , cette loi,
1 Nov. 18, ch. 5, et 89, ch 12.
a L. U l t . c o d . d e n a l u r . lib .
3 L. 5, C o d . a d sen. con s. o r f i c ia n .
-1 L 8, Dig. Un de c o g n â t .
�494
TRAITÉ DU DOL
devant, dans l’intention de ses auteurs, n’êtreque trans
itoire. On croyait alors à la prompte promulgation du
Code civil, auquel l’art. 10 se référait pour régler les
droits des enfants naturels dont les auteurs seraient en
core existants.
1 371.
— C’est en cet é ta t, et sauf diverses modifi
cations qu’avait successivement subie la législation de
l’an n, que le Code civil trouva la matière.
La classe des enfants naturels a , de tous les temps,
compris deux catégories bien distinctes : Les enfants na
turels simples ; les enfants incestueux ou adultérins.
Leur position ne pouvait être identique , aussi des lois
particulières réglaient - elles le sort de ces derniers qui
n ’étaient pas compris dans celles concernant en général
les enfants naturels.
Sous l’empire du Code, les enfants adultérins ou in
cestueux sont incapables de recevoir de leur père ou
mère autre chose que des aliments. Ce principe est tex
tuellement écrit dans l’art. 762. Son application, quant
à la quotité de ces aliments, est régie par l’art. 763.
Ce principe se fonde sur un motif d’ordre public et
d’intérêt général. L’adultère et l’inceste sont plus qu’une
infraction aux préceptes de la morale, ils constituent de
véritables crimes sociaux. Que leurs tristes fruits ne
soient pas entièrement délaissés ; qu’on ne les condam
ne pas à mourir de faim , c’est ce qu’un sentiment de
pitié commandait impérieusement. Le législateur a cédé
à ces inspirations, mais, il faut le dire, il ne l’a fait qu’à
�ET DE LA FRAUDE.
regret, et que lorsque la connaissance du caractère a dultérin ou incestueux n’était que le résultat d’un évé
nement imprévu et de force majeure.
1372.
— C’est ce que prouve l’art. 335, prohibant,
d’une manière formelle , toute reconnaissance d’un en
fant adultérin ou incestueux. Pour bien apprécier le ca
ractère de cette importante disposition, pour en appli
quer sainement les effets, il faut nécessairement remon
ter à son origine.
Le projet primitif du Code ne contenait aucune dispo
sition de ce genre. La Cour de Lyon, dans ses observa
tions, signala cette regrettable lacune, et demanda qu’elle
fût comblée.
« Serait-il possible, s’écriait-elle, que la loi autorisât
la déclaration publique et authentique de l’adultère et
de l’inceste ?
» Ce ne sont pas précisément les actions immorales
qui anéantissent les mœurs lorsqu’elles demeurent ense
velies sous le voile d’un mystère impénétrable ; le mys
tère lui-même est un hommage aux mœurs; ce n’est
pas même leur publicité , si l’opinion publique les flé
trit, si elle voue au mépris les êtres immoraux. Mais si
l’opinion publique, si la loi elle-même les tolère, si elle
n’en proscrit pas les fruits, l’immoralité triomphe , la
vertu est dédaignée, bientôt, par une contagion funeste,
il n’y a plus de mœurs, plus de vertu, et qu’est-ce qu’u
ne nation sans vertu et sans mœurs ?
» Il est donc impossible que la loi autorise une mè-
�r e , une sœ u r, à consigner authentiquement dans des
registres publics leur turpitude incestueuse ; un père, un
frère, à faire constater par l’officier de l’état civil qu’il
est le frère de son fils, le père de son neveu ; un liber
tin à publier légalement et impunément qu’il est cou
pable d’adultère. La loi peut tolérer une faiblesse ,
elle ne peut supposer un crime , s’il existe , elle doit le
punir. »
Ces idées devinrent celles du pouvoir législatif et do
minèrent la discussion :
« La reconnaissance, disait le tribun Duveyrier, sera
impossible, l’officier public ne la recevra pas; e t, si,
malgré lui, l’acte contient le vice qui l’infecte, cette re
connaissance nulle ne pourra profiler à l’enfant. On écarte par là ces chances pernicieuses d’infamie, ces ré
vélations mortelles à la pudeur sociale. On ne déchirera
plus pour des passions individuelles et des intérêts par
ticuliers , le voile épais dont l’intérêt public couvre ces
scandaleux écarts. »
1 3 7 5 . — De plus , l’art. 342 défend la recherche
même de la maternité admise en général, lorsqu’elle doit
avoir pour résultat d’arriver à la conviction d’un adul
tère ou d’un inceste. En vérité, on dirait que la loi s’est
appropriée cette opinion du tribun Lohary , à savoir :
Que la naissance d’un enfant, fruit d’un inceste ou d’un
adultère, est une vraie calamité pour les mœurs; que
loin de conserver aucune trace de son existence.il serait
à désirer qu’on pût en éteindre jusq'u’au souvenir.
�497
ET DE LA FRAUDE.
1 5 7 4 . — En présence de pareilles dispositions, on
s’est d’abord demandé si l’art. 762 n’était pas une su
perfétation , une véritable lettre morte. Comment ren
contrer des enfants adultérins ou incestueux auquels on
puisse l’appliquer si leur reconnaissance est impossible,
si celle qui serait volontairement faite ne peut jamais
imposer cette qualité , ni produire aucun effet? A cette
objection , qui se produisit au conseil d’E ta t, il fut ré
pondu, que la qualité d’enfant incestueux ou adultérin
pourrait résulter d’autres faits que d’une reconnaissance
spontanée du père ou de la mère. Elle peut être acquise
par la recherche de la maternité tentée dans le but d’é
tablir une filiation naturelle, par le résultat d’une pour
suite criminelle en adultère , ou d’une action en désa
veu , ou de l’annulation d’un mariage contracté à un
degré prohibé. Dans tous ces cas, la filiation adultérine
ou incestueuse n’est qu’une conséquence dir jugement,
elle est dès lors certaine, publique, notoire. Le scandale
que la loi veut éviter s’étant fatalement et légalement
produit, il devenait nécessaire de s’occuper de ceux qui
en sont les tristes victimes. De là l’art. 762.
1 3 75. — La nullité des reconnaissances faites en
violation de l’art. 335 est radicale et absolue. Son effet
en droit ne serait dès lors pas douteux , cependant et
dans l’application , elle a donné matière à une contro
verse sur les questions desavoir : 1" si la reconnaissan
ce illégalement faite confère à l’enfant le droit d’exiger
des aliments ; 2° si on peut en exciper contre lui à l’efîii
32
�498
TRAITÉ Dli DOL
fet de faire réduire les donations ou legs consentis en sa
faveur par l’auteur de cette reconnaissance.
1576. — L’affirmative sur l’une et sur l’autre est
soutenue par Merlin. L’art. 762, dit cet éminent juris
consulte, a été adopté dans cette prévision. Sans doute
les hypothèses où la reconnaissance résulte d’un juge
ment, ont préoccupé le législateur. Mais on trouve dans
les débats législatifs que cette préoccupation n’a pas été
exclusive, qu’elle s’est notamment étendue aux recon
naissances illégales
« Ainsi , M. Siméon , parlant au nom du Tribunal,
disait au Corps législatif :
» Quoique les enfants adultérins ou incestueux ne
» puissent être légalement reconnus , leur existence est
» un fait qui peut quelquefois être évident. Un enfant
» aura été désavoué par le m ari, il aura été le fruit de
» l’adultère de la femme. Le crime de sa mère ne sau» rait la dispenser de lui donner des aliments ; un hom» me aura signé , comme père , un acte de naissance,
» sans faire connaître qu’il est marié à une autre fem» me que la mère de l’enfant nouveau-né , ou que la
» mère est sa sœur; il aura voulu faire fraude à-la loi;
» l’enfant, ignorant le vice de sa naissance, se présen» tera dans sa succession pour y exercer ses droits d’en» faut naturel ; on le repoussera par la preuve qu’il est
» né d’un père qui ne pouvait pas l’avouer ; mais l’a—
» veu de fait, écrit dans son acte de naissance, lui res» tera et lui procurera des aliments. Cette disposition
�ET DE LA FRAUDE.
»
»
»
»
»
499
est conforme à l’ancien droit, il était nécessaire de la
conserver ; car enfin, les enfants adultérins ou incestueux ne sont pas moins des hommes, et tout homme
a droit à recevoir au moins des aliments de ceux qui
lui ont donné le jour.' »
« Ainsi encore , dans son rapport au Tribunat sur ce
titre des donations et testaments, M. Jaubert disait éga
lement :
» Les enfants naturels ne peuvent jamais recevoir au
» delà de ce qui leur est accordé au titre des succes» sions. Quant aux adultérins ou incestueux, dans les
cas rares et extraordinaires où il pourra s’en trouver
» par suite ou de la nullité du mariage, ou d’un désa» veu de la paternité, ou d’une reconnaissance illégale,
» ils ne pourront recevoir que des aliments. »
» Donc , dans l’opinion de ces deux législateurs, la
nullité de la reconnaissance n’empêche pas l’enfant de
s’en prévaloir à l’effet d’obtenir des aliments. Cette con
clusion est loin d’être inconciliable avec le texte de l’ar
ticle 335; sans doute, la reconnaissance qu’elle proscrit
sera incapable pour conférer au père la puissance pa
ternelle, la faculté d’hériter de celui qu’il a illégalement
reconnu, pour imposer à celui-ci les devoirs et les obli
gations d’un fils, mais elle est susceptible de donner ou
verture contre son auteur à une action en aliments. La
reconnaissance d’un enfant renferme essentiellement,
quoique d’une manière implicite, l’obligation de lui four-
i Séance du Corps législatif, du 29 germinal an xi.
�500
TRAITÉ
DU DOL
nir des aliments , qu’elle soit nulle sous le rapport des
droits et devoirs respectifs de père et d’enfant, à la bonne
heure. Mais cela n’empèche pas que l’obligation impli
cite qu’elle renferme de fournir des aliments ne doive
recevoir son exécution.' »
1.577. — M. Toullier s’est rangé à l’opinion de
Merlin, il enseigne, en effet : qu’en disant qu’un enfant
adultérin ou incestueux ne peut être reconnu par acte
authentique, l’art. 335 a eu pour objet d’empêcher que
cette reconnaissauce ne lui confère les droits de succes
sions irrégulières que les art. 757 et 758 assurent aux
enfants naturels légalement reconnus , mais il n’entend
point par là dispenser ceux qui ont reconnu un enfant
de l’obligation naturelle de le nourrir. Ainsi la recon
naissance d’un enfant adultérin ou incestueux ne peut
lui conférer des droits de successions irrégulières, mais
elle peut fonder une action en aliments.1
1378. — Mais l’opinion contraire est fortement sou
tenue par un jurisconsulte, non moins recommandable,
M. Chabot, de l’Ailier3. Nous devons le dire , si l’opi
nion de Merlin et de Toullier est plus humaine, celle de
M. Chabot a l’incontestable avantage d’être plus confor
me à la loi.
Il faut le reconnaître, l’objet de l’art. 335, quoiqu’en
1 R é p . , v° F i l i a t i o n , n° 22.
2 Tom. il, n» 968.
3 Des Successions, art. 762.
*
�ET DE LA
FRAUDE.
501
dise M. Toullier, n’a pas été de priver l’enfant adultérin
ou incestueux des droits de succession irrégulière , ce
résultat était suffisamment atteint par l’art. 762 , le ré
duisant , dans tous les cas , à un simple droit aux ali
ments.
L’art. 335 a donc voulu autre chose , et cette autre
chose nous est indiquée par les motifs qui l’ont fait ad
mettre. Rappelons-nous de quelle manière la Cour de
Lyon en légitimait la demande; les considérations sur
lesquelles elle l’appuyait. Il est vrai que le législateur
n’a pas consacré tout ce que la Cour de Lyon deman
dait , notamment la peine d’emprisonnement contre les
auteurs de la reconnaissance illégale, mais si l’on con
sacrait la prohibition , c’est que la naissance d’un en
fant, fruit de l’adultère et de l'inceste, était une ca
lamité pour les mœurs, que loin de conserver les traces
de son existence, il serait à désirer qu'on pût en étein
dre le souvenir.
Voilà le but de l’art. 335 , éteindre le souvenir de
l'adultère ou de l'inceste, singulière manièrede l’attein
dre que d’admettre que la désobéissance à la loi pût fon
der une action quelconque , et notamment une obliga
tion naturelle que M. Toulier veut rendre légalement ex
écutoire au profit de l’enfant.
Au profit de l’enfant adultérin ou incestueux ! Mais
l’art. 335 dit positivement le contraire. Cette reconnais
sance ne pourra avoir lieu a n p r o f i t des enfants
nés d'un commerce incestueux ou adultérin. Or, quel
est le summum de profit que l’enfant né d’un pareil com-
�502
TRAITÉ DU DOL
merce pourra jamais retirer de la constatation légale de
son état? L’art. 762 a d’avance répondu. Le droit uni
que d’exiger des aliments, mais si vous faites résulter ce
droit de la reconnaissance illégale, que devient la pro
hibition de l’art. 335, comment concilierez-vous la dou
ble proposition qui surgit fatalement de votre système ?
La reconnaissance ne pourra avoir lieu au profit de
l’enfant, si malgré cette prohibition, cette reconnaissan
ce se réalise , l’enfant en retirera tout le profit que lui
procurerait la reconnaissance légalement faite.
Un système, conduisant à de telles contradictions, est
jugé , il est en opposition manifeste avec le texte de la
loi, il l’est, de plus, avec son esprit.
Nous venons de le dire, le législateur ne veut consa
crer aucune trace de l’adultère ou de l’inceste ; il prohi
be donc toute reconnaissance, mais il ne pouvait se dis
simuler que sa volonté, quoique clairement manifestée,
pourrait être transgressée et méconnue. Quel était le re
mède possible ? Evidemment, le seul indiqué était de
refuser toute autorité à l’acte réalisant celte prévision,de
le considérer comme n’existant pas, comme n’ayant ja
mais existé. Or, dans le système que nous combattons,
la loi aurait bien voulu sévir contre la transgression,
mais, respectant la transgression accomplie, elle lui au
rait reconnu et fait produire des effets obligatoires, c’està-dire que loin de tenir la main à l’exécution de sa vo
lonté, elle en aurait toléré, et par cela même encouragé
la violation; peut-on , nous ne dirons pas l’admettre,
mais même le supposer?
�ET DE LA FRAUDE.
503
Mais, dit Merlin, vous prétendez donc que l’acte par
lequel un individu s’obligerait à fournir des aliments à
un enfant qu’il reconnaîtrait pour le sien, et qui serait,
par le fait de celte reconnaissance, adultérin ou inces
tueux , fut nul pour le tout. Nous sommes bien loin de
soutenir la nullité intégrale, nous qui soutiendrons tout
A l’heure contre M. Merlin lui-même que la donation
ou le legs, mélangé de reconnaissance adultérine ou in
cestueuse, ne saurait être réduit. Il y a dans l’acte dont
parle M. Merlin deux choses distinctes: la reconnais
sance qui doit être effacée , l’obligation qui subsiste in
dépendamment de la reconnaissance ; celle ci n’est pas
nécessairement la cause de l’obligation de fournir des aliments. A défaut de toute autre cause apparente, l’in
tention de faire une libéralité la légitimerait et la ren
drait même irrévocable. Dans cette hypothèse, d’ailleurs,
l’action de l’enfant reposerait, non sur la reconnaissan
ce , mais sur la libéralité déguisée sous la forme d’une
obligation.
Ce que nous soutenons , c’est qu’une reconnaissance
pure et simple ne serait qu’un acte insusceptible de créer
un droit quelconque en faveur de personne, et que no
tamment l’enfant adultérin ne pourrait prétendre y trou
ver l’origine d’une obligation de lui fournir des ali
ments.
Ce système qui découle du texte et de l’esprit de la loi
pourrait encore s’étayer des principes sur les fraudes à
une loi d’ordre public. Tout ce qui est fait dans ce sens
est frappé d’une nullité radicale et absolue, et demeure,
�504
TRAITÉ DU DOL
par conséquent, incapable de créer aucun lien , aucun
droit. Or, la reconnaissance faite au mépris de l’art. 335
viole une loi d’ordre public, elle ne saurait donc léga
lement fonder une action quelconque. Mais, dit Merlin,
l’obligation de fournir des aliments n’est pas attachée à
la reconnaissance , elle résulte de la paternité même.
Nqus admettons volontiers qu’il en est ainsi, avant mê
me la reconnaissance , le père est naturellement obligé
à donner des aliments à celui qu’il sait être son fils ;
mais si l’obligation naturelle crée un lien dans le for in
térieur pour celui qui la doit, elle n’en crée aucune en
faveur de celui à qui elle est due. Nul ne peut être con
traint judiciairement à exécuter une obligation naturelle
tant qu’elle ne s’est pas manifestée par un fait légal lui
imprimant pour l’avenir un lien civil. Dans notre espè
ce , la paternité oblige naturellement ; sa manifestation
lui donne seule le lien civil, permettant d’en contraindre
l’exécution. Or, la loi , proscrivant celle-ci en matière
d’adultère et d’inceste , refuse absolument de convertir
l’obligation naturelle en obligation civile. Cette obliga
tion reste donc renfermée dans la conscience du père, et
le fils ne peut même en exciper, car, aux yeux de la loi,
il est ce’ sé ne pouvoir connaître cette paternité que la
loi condamne à un secret perpétuel.
1 579. — Au reste , la Cour de cassation qui , déjà
du temps que M. Chabot écrivait, s’était, dans l’affaire
tanchère, prononcée contre le système de Merlin, a de
puis, et malgré ses observations, persisté dans cette ju-
�ET DE LA FRAUDE.
505
risprudence , et ses nouveaux arrêts ne présentent plus
l’équivoque et le doute que Merlin reproche à ce pre
mier arrêt. Voici en effet, comment, dans ses arrêts les
plus récents, la Cour de cassation établit le principe :
« Attendu, dit un arrêt du 8 février 1836, que, d’a
près la prohibition expresse de l’art. 335 , qui a pour
objet de prévenir des révélations scandaleuses, la nullité
de la reconnaissance n’en laisse subsister aucun effet ni
contre les enfants, ni en leur faveur. »
Ailleurs, et dans un arrêt du 4 décembre 1837', la
Cour considère que la reconnaissance des enfants, nés
d’un commerce adultérin ou incestueux , est interdite,
d’une manière absolue, par l’art. 335 :
« Attendu , continue-t-elle , que lorsque , au mépris
de cette prohibition d’ordre public , la reconnaissance
volontaire d’un enfant adultérin est faite par acte au
thentique ou sous seing privé, elle est radicalement nulle
et ne peut produire aucun effet, soit contre l’enfant pour
faire réduire à de simples aliments les donations faites
en sa faveur , soit à son profit pour faire condamner
l’auteur de cette reconnaissance à lui fournir des ali
ments ;
» Attendu que l’art. 762, qui déclare que la loi n’ac
corde que des aliments aux enfants adultérins , ne dé
truit pas la prohibition de l’art. 335 et ne peut recevoir
son application que lorsque la preuve de la paternité est
indépendante de toute reconnaissance volontaire et ré1J.
du P-,
tom. u, 1837, p. 365.
�TKAJTÉ DU DOL
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•Il 1 li 3
1 * 1
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suite seulement d’actes de poursuites et de jugements
qui n’ont pas pour objet la recherche de cette paternité
interdite, dans tous les cas, par l’art. 342 du Code ci
vil. »
Plus tard, la Cour de Lyon réduit une donation faite
à un enfant adultérin , par celui qui l’avait reconnu,
sur le motif que ces enfants sont incapables de succéder
et n’ont droit qu’à des aliments ; que la filiation adul
térine résulte suffisamment de la reconnaissance authen
tique lorsqu’elle n’est pas contredite par l’acte de nais
sance. Mais cet arrêt, étant devenu l’objet d’un pourvoi,
est cassé par la Cour suprême, le 3 février -t 841.
« Attendu, porte ce nouvel arrêt, que, sous l’empire
du Code civil, la recherche de la paternité est interdite;
que l’art. 335 défend , en termes exprès et absolus , la
reconnaissance des enfants adultérins ou incestueux;
» Qu’il suit, de là, que l’art. 762, en leur accordant
des aliments, ne s’applique qu’aux seuls cas où la preuve
de la filiation adultérine ou incestueuse est acquise en
justice par la force des choses et non au cas où, comme
dans l’espèce , la preuve de celte filiation ne résulterait
que d’une simple reconnaissance que la loi prohibe ex
pressément.1 »
Enfin, et le 18 mars 1846% un dernier arrêt, rendu
au rapport de M. le conseiller Mesnard, vient de pro
clamer encore les mêmes principes.
1 ./. du P., loin, i, 1841, pag. 369
2 D. P., 46, 1, 345.
�Vs :
ET DE LA FRAUDE.
On le v o it, la Cour de cassation n’a jamais varié
dans l’acception qu’elle donne aux art. 335 et 762. Le
motif de cette jurisprudence nous est dévoilé par le rap
porteur du dernier arrêt, le savant M. Mesnard : « Du
moment où , par l’effet d’une reconnaissance effrontée
d’une paternité adultérine, un droit quelconque, au pro
fit ou au préjudice de l’enfant adultérin ou incestueux,
pourrait être exercé, l’exercice de ce droit serait un scan
dale public. » Il faut bien le reconnaître, c’est bien là,
en effet, ce que la loi a admis, ce qu’elle a voulu, à tout
prix, empêcher. Cela nous parait si évident „ que nous
n’hésitons pas à croire que les Cours qui, contrairement
à la jurisprudence de la Cour de cassation , font pro
duire un effet à la reconnaissance volontaire, soit pour
réduire à de simples aliments les libéralités faites à l’en
fant par l’auteur de la reconnaissance , soit pour per
mettre à l’enfant d’obtenir des aliments, s’écartent de la
loi et cèdent à une prétendue équité contre laquelle le
texte et l’esprit de notre législation ne cessent de pro
tester.
Le système de M. Chabot doit donc prévaloir sur celui
de Merlin et Toullier. Cette pensée est celle de la majo
rité des auteurs. Il en résulte que l’enfant ne saurait ê
tre admis à fonder une action en aliments sur la recon
naissance volontaire des auteurs de ses jours.
Cette solution préjuge forcément celle que doit rece
voir la seconde question. Il est certain , en effet, que
puisque la reconnaissance volontaire ne crée aucun droit
à l’enfant, elle ne saurait en créer aucun contre lui. On
�508
TRAITÉ DU DOL
ne saurait admettre que ce qui est nul en sa faveur pût
être valablement invoqué et produire des effets ù son
préjudice. Et puisque , comme le dit la Cour de cassa
tion, dans son arrêt du 8 février 1836 , nonobstant la
reconnaissance , l’état des enfants n’en est pas moins
resté incertain, et qu’ils sont demeurés étrangers à leur
auteur , la demande en réduction des libéralités qu’ils
peuvent en avoir reçues, soit par acte entre vifs, soit par
testament, ne saurait s’appuyer sur aucune base. Son
admission violerait donc expressément l’effet de la pro
hibition de l’art. 335.
1 5 8 0 . — En rigueur de principes, disent MM.Teulet et Dauvilliers , cela est incontestable. La reconnais
sance, censée non écrite contre la demande de l’enfant,
ne peut être envisagée autrement lorsqu’il y a une ac
tion dirigée contre ses intérêts. Mais , si l’on passe aux
conséquences, on est vraiment effrayé de ce qui va sui
vre. Si l’enfant eût été simplement naturel , s’il fût né
de deux personnes entièrement libres, la reconnaissance
eût été valable et les droits de l’enfant se fussent trouvés
réduits à une part déterminée dans la succession. Au
contraire , si la reconnaissance suppose un commerce
incestueux ou adultérin, elle est nulle. iMais l’enfant, qui
reste alors sans état de famille, n’est plus restreint, soit
à de simples aliments, soit à une réserve délimitée ; mais
il acquiert la pleine et entière capacité dans toute son
étendue , en sorte que rien n’empêche qu’il soit admis
en concours avec des enfants légitimes pour leur enlever
la totalité de la quotité disponible.
�ET DE LA FRAUDE.
Ces auteurs ajoutent que la raison de diverses Cours
d’appel s’est révoltée contre un pareil résultat, et en an
nulant la reconnaissance faite au profit de l’enfant, elles
en ont tourné contre lui les effets pour réduire l’insti
tution à de simples aliments. Si le premier système est
plus conforme aux principes de la loi, le second convient
mieux aux règles de la morale.'
Il n’y a , en matière de législation . d’autre règle de
morale, pour les tribunaux surtout, que celle qui se ré
sume dans l’application stricte de la lo i, dans son ob
servance religieuse. Ne pas se conformer à celle règle,
c’est se jeter dans l’arbitraire, c’est se placer au-dessus
de la loi, ce que rien ne saurait jamais justifier.
Serait-il vrai d’ailleurs , que la loi aurait méconnu
la m orale, que le système de la Cour de cassation en
violât les règles. Nous avons d’abord laissé parler le lé
gislateur , qui nous a appris que ses dispositions n’ont
été sanctionnées que par respect pour la morale. Ecou
tons maintenant la Cour de cassation nous indiquer ses
motifs par l’organe d’un de ses membres les plus dis
tingués.
Lors de l’arrêt de 1846 , M. le rapporteur Mesnard
disait à la Cour : dans l’interprétation que vous avez
donné à l’art. 335, et dans l’application rigoureuse que
vous faites de la nullité qu’il prononce , vous avez été
guidés par un intérêt encore plus élevé que celui de la
famille , vous avez senti que cet art. 335 contenait une
i Codes annotés, art. 335, nM 91 et suiv
�règle de haute moralité, un principe d’honnêteté publi
que , qui ne devait transiger qu’avec la force majeure.
Vous avez compris que, du moment où, par l’effet d’u
ne reconnaissance effrontée d’une paternité adultérine,
un droit quelconque, au profit ou au préjudice de l’en
fant adultérin, pourrait être exercé,l’exercice de ce droit
serait un scandale public. Pénétrant dans l’intention du
législateur, qui avait essentiellement en vue de mettre
la sainteté du mariage à l’abri de cette profanation,
vous avez décidé qu’en aucun cas la reconnaissance d’un
enfant adultérin ne pourrait produire d’effet, soit contre
l’enfant pour faire réduire à de simples aliments les
donations faites en sa faveur, soit à son profit pour faire
condamner l’auteur de cette reconnaissance à lui fournir
des aliments.
N’en déplaise à MM. Teulet et Dauvilliers, c’est là
aussi de la morale , et celle-ci a du moins sur l’autre
l’incontestable avantage de se conformer aux principes
et d’obéir à la loi.
Comment ces auteurs peuvent-ils approuver ce qu’ils
déclarent eux-mêmes être contraire aux principes ? Ils
savent cependant que les tribunaux n’ont d’autre mis
sion que de les appliquer. S’ils leur paraissent blesser
l’équité et la morale, ils peuvent les signaler à la solli
citude du législateur , en solliciter la réforme. Mais en
attendant que le législateur ait avisé, refuser d’y sous
crire, c’est usurper un pouvoir qui n’appartient pas à
la justice, et sortir des limites dans lesquelles se restreint
sa juridiction.
�ET DE LA FRAUDE.
511
1 3 8 1. — Certes, personne ne se montre plus ef
frayé de la doctrine de la Cour de cassation que M.
Chardon ; nul ne la juge aussi sévèrement. Pour M. Char
don, en effet, cette doctrine arrive à un immense scan
dale; elle doit, dans un temps prochain, amener la rui
ne du mariage , le mépris de la religion , l’anéantisse
ment de la civilisation ' ; et de tout cela que va-t-il
conclure, qu’il faut désobéir à la loi , à laquelle il re
connaît que cette doctrine se conforme ? Non certes, ce
qu’il se contente de faire , c’est d’émettre le vœu d’une
réforme. Cette conclusion aurait dû être celle de tous
ceux qui partagent ces craintes fort heureusement chi
mériques, celle surtout de ceux qui ont mission d’appli
quer la loi.
1 3 8 2 . — Quoi qu’il en soit, les auteurs de la juris
prudence que nous combattons cherchent à la justifier
à l’aide d’arguments plus ou moins spécieux. Les deux
plus importants, invoqués à cet effet, consistent à pré
tendre : 1° que la donation fondée sur une paternité
adultérine ou incestueuse, a une cause illicite et doit être
annulée par application de l’art. 1131 du Code civil;
2° que cette donation est indivisible de la reconnais
sance de la paternité ; que par conséquent la nullité de
celle-ci détermine forcément la nullité de l’autre.
M. Marcadé’ répond au premier: que la qualité
i D u dol et de la fraude, t. m , p. 33 et suiv.
s E lé m e n ts d u d r o it civil, art. 762.
�512
TRAITÉ DU DDL
d’enfant n’est pas la cause immédiate de la libéralité ;
que cette cause réside exclusivement dans la volonté de
donner ; et qu’à l’égard du motif qui détermine la vo
lonté de donner, et qui forme ainsi la cause médiale de
la libéralité, il est et doit être sans influence sur la va
lidité de la disposition.
Les annotateurs de Zacchariæ' répondent au second:
que cette prétendue indivisibilité n’est qu’un pur sophis
me , car il s’agit ici de deux actes juridiques , distincts
l’un de l’autre, et qui n’ont rien de commun, si ce n’est
de se trouver dans un même acte instrumentaire. Ainsi,
rien n’empêche d’écarter la reconnaissance comme en
tachée de nullité , et de maintenir la disposition dans
son intégrité , comme faite en faveur d’une personne
dont l’incapacité ne se trouve pas légalement justifiée.
En vain , essaierait-on de se soustraire à cette consé
quence , en invoquant l’art. 1131 , et en attaquant la
disposition comme étant fondée sur une cause illicite,
comme étant dépourvue de cause. En effet, la reconnais
sance une fois écartée comme illégale , il n’existe plus,
aux yeux de la loi , de preuve de filiation. On ne peut
donc présenter la disposition comme fondée sur une
cause illicite, pour ce qui excède les aliments dont il est
permis de disposer en faveur des enfants adultérins ou
incestueux. D’un autre côté, on ne peut l’attaquer com
me dépourvue de cause , parce que une disposition , à
�ET DE LA FRAUDE.
titre gratuit, ne requiert d’autre cause que la volonté de
gratifier celui au profit duquel elle est faite.
1383.
— Ces réponses nous paraissent décisives au
tant que péremptoires , elles dissipent les voiles dont
s’enveloppe le refus d’appliquer la loi. Nous n’hésitons
donc pas à conclure que la seule doctrine légale sur la
portée réelle des art. 335 et 762, est celle à laquelle la
Cour de cassation s’est dès longtemps arrêtée, à savoir:
que la prohibition consacrée par le premier est d’ordre
public , qu’en conséquence , toute reconnaissance d’un
enfant adultérin ou incestueux est frappée d’une nullité
radicale et absolue; qu’elle est censée n’avoir jamais ex
isté, et ne peut dès lors créer un droit quelconque pour
ou contre l’enfant.
Que l’art. 762 n’est applicable qu’aux enfants adulté
rins ou incestueux , reconnus tels par le résultat d’une
poursuite ou d’un jugement n’ayant pas eu pour objet
la recherche de l’adultère ou de l’inceste sévèrement in
terdite par l’art. 342.
Doit-on considérer comme adultérin l’enfant que son
acte de naissance indique comme né d’une femme ma
riée et d’un individu autre que le mari ?
L’affirmative semble repoussée par l’art. 312. L’en
fant conçu pendant mariage a pour père le mari , et
celte présomption ne le cède qu’au désaveu que celuici peut réaliser et poursuivre dans les formes et aux
conditions tracées par la loi.
Donc , dès que la maternité de la femme mariée est
tu
33
�514
TRAITÉ DU DOL
certaine, et que la date de la naissance place la con
ception depuis et pendant le mariage , la paternité du
mari est acquise sauf l’action en désaveu qui peut seule
établir le contraire.
L’intérêt de l’enfant l’exigeait ainsi, il n’était pas pos
sible de faire dépendre sa légitimité de l’erreur du dé
clarant sur le nom du père, ou de la fraude qui aurait
présidé à la fausse indication.
C’est ce que la Cour de Paris jugeait Irès-juridiquement dans l’espèce suivante :
L... est né à Nice le 14 octobre 1829 ; son acte de
naissance le déclare fils de la dame R ..., femme légiti
me du sieur D..., tandis qu’en réalité elle était épouse
du sieur Henry G...; il avait été élevé loin des époux
G... et sous le nom de J ....
Le 6 mars 1862 il demande contre les époux G... la
rectification de son acte de naissance , c’est-à-dire le
rétablissement du nom du véritable mari de la dame
R ..., sa mère.
La maternité de celle-ci n’est pas contestée , mais le
sieur G... soutenant que la demande constitue une ré
clamation d’état dans les termes de l’art. 323 du Code
Napoléon , il est, aux termes de l’art. 325, recivable à
établir par tous les genres de preuve qu’il n’est pas le
père du réclamant.
Celui-ci répond qu’en d ro it, les art. 323 et suivants
ne sont applicables que lorsque à défaut d’indication
dans l’acte de naissance l’enfant établit le fait de la ma
ternité par témoins ou par présomptions ; qu’en consé-
�ET DE LA FRAUDE.
515
quence lorsque l’acte de naissance indique pour mère
une femme mariée, la présomption de l’art. 312 reprend
son em pire, et ne peut être détruite que par le dés
aveu ;
Que dans tous les cas et en fa it, les circonstances de
la cause n’établissant pas même une impossibilité mo
rale de paternité , rien ne vient contredire et par con
séquent affaiblir l’effet de la présomption légale qui ne
pourrait être écartée que par la certitude de celte im
possibilité.
Ce système, repoussé en première instance, est ac
cueilli par la Cour de Paris qui le consacre par arrêt
du 11 janvier 1865.
La Cour déclare d’abord que les art. 325 et suivants
ne peuvent être ni invoqués ni appliqués dans l’espèce ;
que le mari n’avait que l’action en désaveu qui n’a ja
mais été réalisée et ne pouvait d’ailleurs pas l’être.
Elle ajoute : « Considérant d’autre part et en fait,
qu’au moment où se place la conception de l’enfant, né
le 14 octobre 1829 , les époux G... vivaient ensemble,
sans qu’il soit apporté aucune preuve de mésintelligence
existante entre eux ; que la femme G... n’a quitté le do
micile conjugal que vers le huitième mois de sa gros
sesse; que dans une telle situation rien ne démontre
l’impossibilité de rapprochement entre les époux; que
si les faits d’adultère et l’éclat dont ils ont été entourés
ont conduit G... à repousser de sa famille un enfant né
dans ces circonstances ; que si la femme G... et son
complice ont eux-mêmes regardé cet enfant comme né
�516
TRAITÉ DU DOL
de leurs relations, ces sentiments, qui s’expliquent par
diverses passions, ne peuvent servir de règle à la justice
qui n’écarte la présomption légale que lorsqu’une véri
table impossibilité morale se présente pour la combat
tre; que cette impossibilité ne peut être admise quand
les époux vivent sous le même to it, et sans dissenti
ments apparents ; qu’ainsi lors même qu’on placerait la
cause sous l’empire des art. 323 et suivants, G... ne fe
rait pas la preuve exigée par l’art. 325, et que dès lors
ses conclusions doivent être rejetées sans qu’il soit be
soin de recourir à la preuve offerte par l’appelant. »
Les époux G... s’étant pourvus en cassation, échouè
rent devant la Cour suprême , mais l’arrêt de celle-ci,
du 13 juin 1865, ne tranche pas la question d’applica
bilité ou de non applicabilité des art. 323 et suivants, il
s’appuye uniquement sur les constatations de faits rele
vées par la Cour de Paris, qui avait un pouvoir souve
rain à ce sujet, dont l’exercice est légal et inattaquable.1
Cependant cette question de droit offre un intérêt in
contestable, et il nous paraît difficile de la résoudre au
trement que ne l’a fait la Cour de Paris.
En effet l’art. 325 n’admet que la preuve contraire à
celle que l’art. 323 autorise l’enfant à faire. Or la fa
culté pour l’enfant de prouver n’existe que dans les cas
formellement prévus, c’est-à-dire lorsqu’il n’a ni acte de
naissance ni possession d’état, ou qu’il a été inscrit soit
1 Moniteur des tribunaux, du 13 juillet 1865.
�ET DE LA FRAUDE.
517
sous de faux nom s, soit comme né de père et mère in
connus.
Or aucune de ces conditions n’existe lorsque l’acte de
naissance donne pour mère une femme mariée. Alors
en effet le titre se suffit à lui-même, le nom du père est
inutile et son omission indifférente. La loi l’a elle-même
donné dans l'art. 312: et sa désignation est obligatoire
et ne le cède qu’au désaveu.
Pourrait-on dès lors attacher à la fausse indication
un effet qu’on refuserait à l’omission ? Mais la première
ne saurait lier l’enfant, car elle peut n’êlre qu’une frau
de contre lui, ou que le résultat de l’erreur du déclarant.
Donc lorsque l’enfant en demande la correction, il agit
non en réclamation d’état, car cet état son acte de nais
sance combiné avec l’art. 312 le lui donne, mais en
rectification de son acte de naissance. On ne saurait dès
lors placer son action sous l’empire de l’art. 325.
Vainement dirait-on qu’on impose ainsi au mari une
paternité qu’il n’a pu discuter. Les art. 312 et 316 re
poussent péremptoirement cette objection. En effet à
quelque époque que se réalise l’action de l’enfant, il
pourra le désavouer si la naissance lui a été cachée , et
il aura deux mois depuis la découverte de la fraude pour
réaliser ce désaveu.
À quel titre se plaindrait-il si connaissant la naissan
ce il a gardé le silence? Or comment prétendra-t-il qu’il
n’a pas eu cette connaissance, s’il a su la grossesse de
sa femme? Est-ce que la naissance n’en était pas la
conséquence forcée, et n’était-il pas dès lors en mesure
�et en demeure de la connaître. En cet état n’est-il pas
rationnel et juste de dire avec la Cour de Paris et la
Cour de cassation que le silence du mari malgré la cer
titude de la grossesse de sa femme est un aveu implicite
de la paternité qui s’oppose non seulement au désaveu,
mais encore à la faculté concédée par l’art. 325.
Nous ajoutons qu’en revendiquant celle-ci, et qu’en
s’abstenant de l’action en désaveu le mari reconnaît par
cela même qu’il n’est pas recevable à intenter celle-ci,
c’est-à-dire qu’il n’a pas été à l’époque de la concep
tion dans l’impossibilité physique de cohabiter avec sa
femme , et que même dans le cas d’adultère la nais
sance de l’enfant ne lui a pas été cachée. Il ne saurait
donc être admis désormais à contester une paternité qu’il
a tacitement acceptée.
Nous croyons donc qu’en droit, lorsqu’un enfant a
été inscrit sur les registres de l’état civil comme né d’u
ne femme mariée, et d’un tiers indiqué faussement com
me étant le mari de la mère, cet enfant a, en sa faveur,
la présomption de légitimité établie par l’art. 312 contre
le véritable mari de la femme , et que celte présomp
tion ne peut être détruite que par la consécration du
désaveu ; qu’en conséquence, si celui-ci n’a pas été ex
ercé ou ne peut plus l’être , la légitimité de l’enfant lui
est irrévocablement acquise, si la maternité de la fem
me est acquise et non contestée.
1 3 8 4 . — Dans les cas o ù , sans l’avoir recherchée,
on arrive à constater une filiation adultérine ou inces-
�ET DE LÀ FRAUDE.
519
tueuse , le père est absolument incapable de donner, et
le fils de recevoir au delà des aliments dont l’art. 763
règle les proportions. Conséquemment, toute donation à
l’effet d’éluder, sur ce point, l’intention formelle du lé
gislateur, serait de plein droit réductible.
Il importerait peu que cette donation se fût déguisée
sous la forme d’un contrat à titre onéreux. La simula
tion ne peut jamais servir à triompher d’une prohibition
d’ordre public. Elle est nulle comme léserait l’acte qu’elle
a pour but de masquer, s’il avait été fait directement.
Cette nullité pourrait être prouvée par témoins , même
par la partie ayant coopéré à la simulation.
1585.
— La loi s’est montrée moins sévère pour
les enfants naturels simples. L’état de liberté du père et
de la mère atténue leur faute aux yeux même de la mo
rale, et la loi permet d’en effacer toutes les conséquen
ces en autorisant la légitimation par mariage subsé
quent.
Cette légitimation , la loi l’appelle de tous ses vœux,
mais prévoyant le cas où elle ne se réaliserait pas , le
législateur a dû s’occuper de fixer le sort des enfants
naturels.
Le respect dû au mariage, l’importance de la famille
qui en n a ît, ne permettait pas d’assimiler les enfants
naturels aux enfants légitimes. Les fruits d’une union
consacrée par la loi et par la religion , devaient être
largement préférés. Voici comment le législateur y a
pourvu.
�520
TRAITÉ DU DOL
1 5 8 6 . — L’art. 334 permet aux parents de recon
naître l’enfant naturel. Celle reconnaissance purement
facultative peut se réaliser alors même que son auteur
est engagé dans les liens du mariage avec un autre que
le père ou la mère de l’enfant. Il suffit qu’à l’époque
de la naissance ou de la conception de l’enfant ainsi
reconnu, il fut libre de pareils engagements.
Celle reconnaissance faite au moment de la naissance
de l’enfant , peut résulter de l’acte civil qui la constate,
à défaut, elle peut être faite par tout autre acte, pourvu
que l’acte ait été reçu en la forme authentique. Remar
quons , en effet, qu’en présence des termes exprès de
l’art. 334, la reconnaissance sous seing privé , quelque
certaine qu’en fût la date, ne saurait produire le moin
dre effet.
1 5 8 7 . — Nous venons de dire que l’époux peut,
pendant le mariage, reconnaître un enfant naturel qu’il
aurait en , avant le mariage , d’un autre que de son
conjoint. Cette faculté la femme peut l’exercer sans avoir
besoin de l’autorisation de son mari.
1 5 8 8 . — Quelque grave que soit un acte de cette
nature, quelque compromettantes qu’en puissent être les
conséquences, la loi a été amenée à en suspecter la sin
cérité. Elle s’est donc préoccupée du cas où la recon
naissance ne serait due qu’à une idée de vengeance et
de haine contre l’autre époux ou contre les enfants nés
du mariage , l’art. 337 répond à cette prévision. Il dé
cide que la reconnaissance, que fait l’un des époux peu-
�ET DE LA FRAUDE.
521
dant le mariage , ne saurait nuire ni à l’époux, ni à
l’enfant; ainsi l’enfant nuturel, qui en a été l’objet, ne
pourra rien prétendre sur la succession de l’époux mê
me dont elle émane. La question de savoir s’il peut au
moins demander des aliments est même diversement ré
solue1. M. Loiseau enseigne que le père devrait ces a liments même sur les biens de la communauté, parce
que, chef de cette communauté jusqu’à la dissolution du
mariage, il a le droit d’en aliéner ou d’hypolhéquer les
biens, mais il refuse à l’enfant le droit d’en obtenir après la mort de son père, parce qu’alors, et contraire
ment à l’art. 337, la reconnaissance nuirait aux enfants
légitimes, s’ils pouvaient être contraints à satisfaire aux
aliments.’
1589.
— La disposition de l’art. 337, ayant uni
quement pour objet de prévenir une fraude, devient in
applicable lorsque , par la manière dont elle s’est pro
duite , la reconnaissance exclut formellement toute idée
de fraude. Cette évidence est acquise lorsque la mater
nité résulte d’un jugement contradictoirement rendu
contre l’épouse à la requête du mari.de ses héritiers,de
l’enfant lui-même..
En effet, le mari peut désavouer l’enfant pour nais
sance précoce, ses héritiers peuvent en contester la légi
timité, pour cause de naissance tardive ; la réussite de
1 Cass., 27 août 1811 ; — Toulouse, 6 mai 1826.
2 D e s e n f a n t s n a t u r e l s , p. 435.
�522
TRAITÉ DU DOL
l’une ou de l’autre de ces actions confère à l’enfant la
qualité d’enfant naturel simple, puisque, dans toutes les
deux , l’époque de la conception se place hors du ma
riage, et la maternité de l’épouse est indubitable. Toute
idée de fraude disparaît également, car la filiation im
posée à l’enfant est bien loin d’être pour lui un avanta
ge, elle lui enlève les droits de la légitimité et le réduit
à la qualité d’enfant naturel.
D’autre part, la recherche de la maternité étant admi
se, l’enfant p e u t, dans les formes et conditions voulues
par la loi, faire constater celle qu’il impute à une fem
me mariée depuis. Il est évident, dans cette hypothèse,
que l’existence du mariage ne peut être un obstacle à ce
qu’il jouisse des droite que le gain de son procès lui con
fère.
En conséquence, dans l’un comme dans l’autre cas,
l’art. 337 reste sans application. Cet article ne prévoit
que la reconnaissance purement volontaire, et non celle
qui résulterait de la force des choses, et comme consé
quence d’un jugement contradictoirement obvenu.'
1 390. — La reconnaissance régulièrement faite est
irrévocable, son bénéfice est désormais assuré, mais elle
pourrait être annulée s’il était prétendu et prouvé qu’elle
a été le fruit de la violence , de la fraude ou du dol. Il
importe, en effet, qu’un acte aussi important soit le fruit
1 Toullier , t. u , n» 985 ; — Duranton , t. ni , n° 255 ; — Rouen,
29 mai 1829 , et 20 mai 1809 ; — Rennes , 22 mars 1810; — Cass.,
24 novembre 1830.
�ET DE LA FRAUDE.
d’une volonté spontanée et libre. Les principes géné
raux, en matière de contrats, lui sont incontestablement
applicables. Conséquemment les vices du consentement,
annulant ceux-ci, feraient rétracter la reconnaissance.'
Que l’auteur d’une reconnaissance dolosive ou frau
duleuse soit recevable et fondé à l’attaquer et à la faire
annuler , c’est ce dont il n’est pas permis de douter.
Tout ce qu’on exigera de lui en pareil cas , ce sera la
preuve des manœuvres qui ont égaré et perverti son
consentement.
Doit-on décider de même pour celui qui entraîné par
une passion effrénée n’aurait consenti à reconnaître
l’enfant que pour posséder la mère et satisfaire ainsi sa
passion ?
La solution ne saurait être douteuse si celte passion
excitée par une séduction habile n’était en définitive
que le résultat des manœuvres plus ou moins adroites
qui devaient infailliblement faire tomber celui qui en
était l’objet dans le piège qui lui était tendu.
Mais alors même qu’aucune séduction n’aurait pro
voqué et entretenu la passion qui a seule déterminé la
reconnaissance. La nullité de celle-ci devrait à notre avis être la conséquence de sa fausseté.
Nous reconnaissons que dans ce cas l’auteur de la
reconnaissance ne pourrait alléguer l’erreur qui l’aurait
amené à reconnaître pour son enfant une personne qui
�324
TRAITÉ DU DOL
ne l’était pas. II savait très-bien, en effet, au moment
où il agissait, que celte personne ne lui était rien , et
et c’était bien sciemment qu’il proclamait une paternité
évidemment mensongère. L’erreur aurait donc été vo
lontaire, et ne pourrait invoquer le bénéfice des pres
criptions qui protègent l’erreur involontaire.
Mais ce qui serait admissible pour un contrat ordi
naire , ne saurait l’être lorsqu’il s’agit de la reconnais
sance d’un enfant. Il n’est en effet aucune matière qui
intéresse plus directement l’ordre public. Le mensonge
que cette reconnaissance consacrerait aurait pour résul
tat de troubler l’ordre des familles, d’altérer le principe
des successions, de substituer aux droits qui procèdent
de la nature et de la loi, l’usurpation et le scandale. De
telle sorte que la reconnaissance au lieu d’être une lé
gitime et juste réparation, ne serait plus qu’un manteau
sous lequel viendraient s’abriter le mensonge et la ruse
C’est là évidemment un scandale et un abus que le
législateur ne pouvait ni autoriser ni permettre. Donc
celui qui , obéissant à un sentiment quelconque, tente
de le réaliser, se met en rébellion ouverte contre sa vo
lonté, s’insurge contreun principe d’ordre public et d’in
térêt général, et à ce double titre ne se lie par aucun
lien qu’on puisse plus tard invoquer contre lui.
Ce caractère de la reconnaissance erronée ou men
songère est tellement évident et ses conséquences telle
ment certaines que nous ne comprenons pas que des ju
risconsultes éminents tels que MM. Demolombe , Demante, Massé et Vergé aient pu les méconnaître, et re-
�ET DE LA FRAUDE.
525
fuser à l’auteur de celte reconnaissance le droit de la
faire annuler.
La Cour de Paris s’est prononcée dans ce sens le 22
janvier 1855, mais dans l’espèce on n’articulait ni dol,
ni fraude, ni violence d’aucun genre. Tout se résumait
dans l’allégation du demandeur qu’il n’était pas le père
de l’enfant, ce qu’il offrait de prouver. Or l’arrêt dé
clare que les faits articulés , lors même qu’ils seraient
prouvés, n’établiraient pas le défaut de paternité.'
Cette appréciation de fait enlève à l’arrêt tout mérite
doctrinal. Il ne saurait donc contrebalancer l’autorité
d’autres décisions qui, avant et après lui, ont consacré
l’opinion contraire. Ces décisions sont un arrêt de la
Cour d’Aix du 22 décembre 1852, rendu sur une espèce
fort remarquable; un arrêt de Paris du 23 juillet 1853,
enfin un arrêt de Lyon du 13 mars 1856.’
Ce dernier arrêt se fonde sur les trois moyens que
faisait valoir contre la reconnaissance celui-là même de
qui elle émanait : à savoir le mensonge de la reconnais
sance , l’immoralité de sa cause , le dol et la fraude.
Voici sur le premier moyen , et indépendamment des
deux autres, les motifs de l’arrêt :
« Attendu que la paternité et les devoirs qui en ré
sultent doivent être le fondement unique la seule cause
de la reconnaissance d’un enfant naturel; qu’aulrement
la tolérance de la loi ne serait plus qu’une source de
1 J.
a J.
du P .,
du P .,
1 . 1 , 4855, pag. 28.
tom. a, 4883, pag. 481 et 437 ; — 4857, p. 345.
�526
TRAITÉ DU DOL
trouble pour les familles, et de scandale pour la société;
que cette vérité ressort clairement des termes et de la
combinaison des a rt.334 et suivantsdu Code Napoléon.
» Attendu d’ailleurs que l’état des personnes si inti—
mément lié à l’ordre public ne saurait être livré à des
caprices passagers, moins encore à de honteux trafics...;
que le mensonge d’une reconnaissance d’enfant naturel
est toujours une fraude à la lo i, une atteinte à l’ordre
social. »
Nous croyons à la justesse juridique de ces considé
rations , dès lors à l’impossibilité de considérer la part
prise à la fraude par l’auteur de la reconnaissance, com
me une fin de non-recevoir contre sa demande ulté
rieure en nullité.
Au reste et quelle que soit l’opinion qu’on se forme
à ce su jet, la fin de non-recevoir serait dans tous les
cas purement personnelle, et ne pourrait être opposée à
aucun autre membre de la famille.
Le droit de celle-ci est écrit dans l’art. 339 disposant
que la reconnaissance pourra être contestée par tous
ceux qui y auront intérêt. Or la famille tout entière est
dans cette position. Son intérêt à veiller à ce qu’aucun
étranger ne vienne s’introduire dans son sein et en us
urpe les droits, à veiller à ce qu’on ne puisse prendre le
nom qui lui appartient, ne saurait être ni méconnu ni
contesté.
Aussi remarquons-nous que l’art. 339 n’exige plus
comme le font les art. 187 et 191 que l’intérêt soit né
et actuel. C’est qu’en effet, en matière de reconnais-
�ET DE LA FRAUDE.
527
sance d’enfants, il y a outre un intérêt pécuniaire plus
ou h,oins prochain, un intérêt moral qui subsiste à toute
époque, et qui se trouve plus ou moins compromis par
la tentative d’introduire dans la famille une personne
qui n’a pas le droit d’en faire partie.
Cela est surtout vrai pour le chef de la famille , pour
le père, la mère. L’ascendant de celui qui a reconnu
l’enfant et q u i, comme le disait la Cour de Lyon dans
un arrêt du 13 mars 1856, a droit et qualité : 1° pour
l’honneur de son nom que pourrait porter l’enfant re
connu ; 2° à raison de la transmission éventuelle à cet
enfant d’une partie de sa fortune; 3° en vue de l’obli
gation de fournir à son fils des aliments qui s’augmen
teraient dans la proportion des besoins de celui-ci.'
Ce principe sur lequel il n’existe aucune controverse
dans la doctrine a été de nouveau consacré par la Cour
de Lyon le 22 mai 1862, et par la Cour de Paris le 19 .
juillet IS ôi."
Dans cette dernière espèce, l’auteur de la reconnais
sance était intervenu dans l’instance en nullité intro
duite par son père, et déclarait s’en rapporter à justice.
Mais son intervention avait été contestée sous prétexte
qu’il n’était pas recevable à revenir contre son propre
fait.
Le tribunal de Paris avait carrément repoussé cette fin
de non-recevoir. Il déclarait que l’intérêt auquel l’arti-
1J.
2 J.
du P .,
i 857, p. 343
862, p. 836 ; — \ 863, p. 108.
du P ., \
�528
TRAITÉ DU DOL
cle 339 subordonnait l’action pouvait se rencontrer chez
la partie qui a concouru à l’acte , et spécialement chez
celle qui y est désignée comme faisant la reconnaissan
ce; qu’en effet on ne peut méconnaître l’intérêt de l’hom
me entraîné par une force morale devenue irrésistible,
ou par une erreur facile dans le paroxisme de la pas
sion, à revenir contre des constatations destinées à monumenter la vérité, et qui ne consacrent que le men
songe.
La Cour est moins précise ; elle se contente de décla
rer que l’auteur de la reconnaissance était , comme la
mère de l’enfant, partie nécessaire dans l’instance; qu’il
était d’autant plus recevable à y intervenir qu’il aurait
dû y être appelé.
Lorsque la reconnaissance est attaquée non par son
auteur mais par son père , celui-ci n’a rien à prouver
si ce n’est le caractère mensonger de cette reconnais
sance. Exiger de lui qu’il articulât les faits de dol et
qu’il en fournît la preuve, serait le mettre das l’impos
sibilité de réussir s’il avait à agir contre son fils, et ren
dre celui-ci l’arbitre suprême de l’instance.
Or ce caractère résultera nécessairement de l’impossi
bilité de cohabiter dans laquelle le prétendu père se se
rait trouvé au moment de la conception ; on arriverait
au même résultat en établissant que l’auteur de la re
connaissance n’a connu la mère que beaucoup plus
tard.
Au reste, comme toutes les questions de fait, celle-ci
est laissée à l’appréciation du juge. 11 ne faut pas donner
�ET DE LA FRAUDE.
effet à une reconnaissance mensongère, mais il ne fau
drait pas non plus en annuler une réelle et sérieuse.
Les magistrats ne doivent donc rien négliger de ce qui
est dans le cas d’éclairer leur religion et de rassurer
leur conscience.
1 3 9 1. — Mais l’enfant n’est pas forcé de subir la
reconnaissance dont il est l’objet, il lui appartient de la
contester et de la faire repousser. Il peut, en effet, a voir un intérêt sérieux à ne pas avoir pour père l’auteur
de cette reconnaissance, et c’est dans ce sens que le droit
romain exigeait son consentement pour la validité de la
reconnaissance : Inviti filii naluralcs non redigunlur
m patriam potestatcm.'
1592.
— En droit français, la nécessité de ce con
sentement a été appuyée sur le motif qu’en matière de
reconnaissance, la plus exacte réciprocité devrait régner
entre le père et le fils. Le premier ne pouvant jamais
être contraint à reconnaître, on ne devrait pas forcer le
second à être reconnu, avec d’autant plus de raison que
cette reconnaissance tardive peut n’être que l’effet d’un
calcul difficile à déjouer.
Cependant cette solution répugne à notre législation.
La reconnaissance peut avoir lieu dans l’acte de nais
sance même. Comment, dans ce cas, se préoccuper du
consentement de l’enfant ? Comment exiger de lui un
i L. 12, Dig.
ni
D e h is g u i m i v e l a l i e n i j u r i s su nt.
34
�530
TRAITÉ DU DOL
refus ou une opposition ? Renvoyer cette reconnaissance
jusqu’à l’époque où il sera capable de l’un ou de l’au
tre, c’était, dans bien de cas, nuire gravement à l’en
fant , et lui enlever le bénéfice de la naturalité par le
prédécès de ses père et mère. Cependant cette mesure
devenait indispensable si on avait admis la nécessité de
son consentement. En conséquence, la faculté de recon
naître dans l’acte de naissance, indique que le Code n’a
pas voulu se conformer à la législation romaine.
La réciprocité en faisant la base , quelque équitable
qu’elle paraisse, n’était pas possible en fait, car la posi
tion des parties est fort loin d’être égale. Il n’y a de cer
titude possible sur le fait de la paternité que par l’aveu
qu’en fait son auteur. Jusqu’à cet aveu on peut se livrer
à telles ou telles conjectures , mais arriver à la vérité
sincère et réelle est à peu près impossible. Donc, la dé
claration du père est indispensable. Telle n’est p a s , à
beaucoup près, la position du fils , le fait qu’il s’agit de
rechercher a nécessairement précédé sa naissance. Sur
quelles données s’appuyera-t-il donc pour l’établir ou
le contester ? Cette inégalité forcée dans les moyens de
vait en amener une dans le pouvoir de constater le fait,
c’est ce qui a fait admettre d’une part la reconnaissance
du père dès qu’elle se manifeste ; repousser de l’autre
toute recherche et conséquemment toute action du fils
en déclaration de la paternité. Dans l’un comme dans
l’autre c a s , l’enfant ne pouvait être que l’écho de sa
mère, et l’on en revenait à cette règle odieuse et injuste;
Creditur virgini paternitatem afferenti.
�ET
DE LA
FRAUDE.
S31
Mais, est-ce à dire par là que l’enfant est condamné
à se courber sous une reconnaissance pouvant n’être
que l’effet d’un calcul et non l’expression de la vérité ?
Non, évidemment, l’art. 339 laisse la faculté de contes
ter la reconnaissance à toutes les parties intéressées , et
de plein droit l’enfant se place à la tête de celles-ci. II
est donc recevable à la discuter et à justifier que sa dé
claration est une fausseté devant disparaître'. Il le se
rait surtout si, déjà en possession de la qualité d’enfant
naturel simple, la reconnaissance du père devait avoir
pour effet de lui imprimer le caractère d’enfant adulté
rin ou incestueux. Dans ce cas, la reconnaissance serait
nulle de plein droit.
1593.
— Mais une difficulté sérieuse, que fait sur
gir l’application de cette règle, est celle de savoir si la
charge de prouver la fausseté de la déclaration incombe
à l’enfant. Toullier se prononce pour l’affirmative. Puis
que, dit-il, la reconnaissance n’exige ni le concours, ni
le consentement de l’enfant, la contestation qui en est
faite est une demande principale, ordinaire, que son au
teur est tenu de justifier. On ne peut faire fléchir ce prin
cipe en faveur de l’enfant.
La Cour de Rouen, saisie de la question, ne l’a pas
résolue. Un arrêt, qu’elle a rendu le 15 mars 1826,
décide seulement qu’en cas de contestation , l’acte de
1 Rouen , 15 mars 1829 ; — Nîmes , 2 mai 1837 ; — J o u r n a l
tom n, 1837, p. 28S ; — Toullier, ton), il, n° 260.
P a la is,
du
�532
TRAITÉ DU DOL
reconnaissance n ’établit, sur la paternité, qu’une prés
omption qui peut être détruite par d’autres présomptions
de même nature. En ce cas , la preuve de la paternité,
ou de la non paternité ne doit pas être mise à la charge
exclusive de l’une ou de l’autre des parties , les juges
doivent se déterminer d’après les circonstances de la
cause.
1 5 9 4 . — Mais la Cour de Montpellier a formelle
ment abordé la question , et T a nettement tranchée à
l’aide de la distinction suivante : Lorsque la reconnais
sance de l’enfant est contenue dans l’acte de naissance,
ses effets ne peuvent être détruits que par la preuve de
sa fausseté, et cette preuve incombe à l’enfant ; il en est
autrement lorsque la reconnaissance est postérieure à
l’acte de naissance. Dans ce cas, cette reconnaissance,
si elle est contestée, doit être appuyée de preuves venant
attester la sincérité du fait qu’elle contient.1
1595. — Cette distinction nous parait juridique et
sage. Elle se conforme à l’esprit général de notre légis
lation, en matière de fraude. En effet, nous l’avons fait
remarquer déjà, plus la fraude acquiert de facilités, plus
elle est possible , et plus la méfiance de la loi et sa sol
licitude augmentent. Or, la reconnaissance sera contes
tée comme n’étant que l’effet d’un calcul odieux , d’un
intérêt sordide. Mais, de pareils reproches se conçoivent
�ET DE LA FRAUDE.
533
peu , lorsque cette reconnaissance se trouve dans l’acte
de naissance. L’avenir incertain de l’enfant, l’impossi
bilité de savoir si la reconnaissance sera un bénéfice et
non une charge , lui imprime un caractère de véracité
te l, qu’elle ne le perdra que par la preuve contraire,
que l’enfant est admissible? à fournir.
Mais il n’en est plus de même lorsque la reconnais
sance s’éloigne du moment de la naissance. On doit se
montrer d’autant plus difficile à l’admettre, que la po
sition de l’enfant sera plus ou moins fixée , qu’il sera
plus facile de prévoir son avenir. Alors les reproches de
calcul et de^spéculation deviennent plus ou moins vrai
semblables et une juste méfiance doit remplacer la fa
veur que mérite la première hypothèse. Alors au ssi, le
père prétendu a à justifier son long silence, son chan
gement de conduite , à apporter, enfin, à l’appui de sa
déclamation, des faits la corroborant et de nature à en
appuyer la véracité. Nous le répétons donc, la solution
de la Cour de Montpellier est frappée au coin de la lé
galité et de la raison.
1396.
— La reconnaissance définitivement acquise
a pour effet de soumettre, dans les limites tracées par
la loi, la personne et les biens de l’enfant à la puissan
ce paternelle. Elle oblige le père ou la mère à fournir
des aliments , même après la majorité de l’enfant, s’il
est dans le besoin ; enfin , elle donne à ce dernier le
droit de se présenter à la succession et d’y recueillir la
quote-part qui lui est formellement réservée.
�534
TRAITÉ DU DOL
Il suit de la détermination que la loi a faite de cette
réserve, que l’enfant naturel ne peut rien recevoir au
delà. C’est ce que, d’ailleurs, le législateur a cru devoir
rappeler expressément dans l’art. 908. C’est là une vé
ritable incapacité que le désir de multiplier les maria
ges, en en favorisant les fruits légitimes, a dû faire con
sacrer.
1397. — Les effets de cette incapacité ne sont pas
la nullité absolue des dispositions faites en faveur de
l’enfant naturel. Ils se bornent à la réduction jusqu’à
due concurrence de la réserve à laquelle il a droit de
prétendre.
1 3 9 8 . — Cet effet, quoique restreint, suffira quel
quefois pour inspirer la pensée de recourir à une simu
lation pour en éluder l’application, mais rappelons-nous
qu’il n’est pas permis de faire indirectement ce que la
loi prohibe d’accomplir directement. Ainsi, la libéralité,
déguisée sous la forme d’un contrat, à titre onéreux,
n’échappera pas à la réduction, à la nullité complète
s i , indépendamment et en dehors de cet acte , l’enfant
naturel est couvert de sa réserve.
y i;a
1 5 9 9 . — L’une et l’autre pourront incontestable
ment être poursuivies par les héritiers. Mais le père
pou rrait-il, de son chef, demander la rétractation de
l’acte simulé ?
La négative nous paraît devoir être adm ise, non pas
toutefois au point de vue de la complicité de la fraude,
�ET DE LA FRAUDE.
et par application de la maxime Nemo auditur, etc. En
effet, la fraude, dans cette circonstance, aurait pour effet
de violer une loi d’ordre public , ce q u i, comme nous
l’avons d it, autorise la partie à en faire prononcer la
nullité , après en avoir établi l’existence par la preuve
testimoniale.
Mais ce qui rend la demande du père irrecevable,
c’est, d’une part, que, pendant la vie, il est maître ab
solu de ses biens ; qu’il peut en disposer ainsi qu’il l’en
tend , sans que ses héritiers, même légitimes et directs,
aient à s’immiscer dans le mode d’administration qu’il
lui plaît choisir, ni à redire contre les actes qu’il sous
crit. Pouvant donc donner tout à un étranger , il peut
également le donner à l’enfant naturel, sauf le droit de
ses héritiers dans l’un et l’autre cas. Dès lors le père,
n’étant pas incapable de disposer directement, a sans
contredit valablement pu le faire par la voie indirecte.
D’autre p a rt, l’enfant naturel n’est atteint d’aucune
incapacité relativement aux biens de son père, tant que
celui-ci existe. Jusqu’au décès , il possède ces biens en
vertu d’une délégation régulière que le père pouvait ne
pas consentir, mais qui, l’ayant été, devient obligatoire
pour lui comme pour tous, à un titre incontestable.
Comment, en effet, du vivant du père, établir que la
libéralité excède ou non la réserve de l’enfant naturel,
et dans quelles proportions ? Mais cette réserve ne sera
déterminée qu’au décès et par la qualité des héritiers
appelés à recueillir la succession. Les héritiers présomp
tifs , au moment de la simulation et de la libéralité,
�536
TRAITÉ DU DOL
pourront prédécéder de telle sorte, que par l’absence de
tous représentants au degré voulu, l’enfant naturel verra
sa réserve se composer de l’intégralité de l’hérédité.
Comment donc comprendre, en l’état de cette incertitu
de, que quelqu’un pût demander la réduction d’une li
béralité que l’événement peut rendre inattaquable ?
Ainsi la question de savoir s’il y a lieu ou non à ré
duction, et sur quelles bases il faut l’opérer, est néces
sairement subordonnée au décès du père naturel et à la
qualité des héritiers existant à cette époque. Aussi la loi
ne déclare l’enfant naturel incapable qu’au respect de
cette succession. Tout ce qui est fait avant est régulier
et valable. Le père ne pourrait donc, sous aucun pré
texte s’en faire relever.
1 4 0 0 . — Le légalaire universel du père pourrait-il,
après la mort de celui-ci, faire réduire les libéralités di
rectes ou indirectes faites au fils naturel ? Non, dit Loi
seau', attendu que le défunt a pu imposer à la libéra
lité telle condition qu’il a trouvée convenable ; que la
première obligation des légataires est de respecter la vo
lonté du défunt; qu’en attaquant le legs destiné à l’en
fant naturel, en en demandant la réduction, ils outra
gent la mémoire de leur bienfaiteur ; qu’une disposition
de dernière volonté est une et indivisible ; qu’il faut la
suivre ou la rejeter tout entière ; que le légataire uni
versel ne peut donc se dispenser d’acquittter la charge
i Des enfants naturels, n° 674.
�ET DE LA FRAUDE.
et les legs dont il est grevé, s’il veut lui-même recueil
lir le montant de son institution.
Ces raisons sont loin de nous paraître concluantes.
L’obligation , pour le légataire ou l’héritier institué , de
respecter la volonté du testateur, est une obligation pu
rement morale , ne créant un lien civil obligatoire que
lorsque cette volonté est elle-même conforme à la loi.
D’autre part, l’indivisibilité du testament est une fiction
inadmissible ; il y a autant de testaments distincts qu’il
existe de dispositions différentes, et la validité ou la nul
lité de l’une d’elles ne saurait ni profiter, ni nuire aux
autres.
Nous sommes, cependant, de l’avis de M. Loiseau,
parce qu’avec lui nous dirons que la prohibition de l’ar
ticle 908 n’est pas absolue; qu’elle n’existe qu’en faveur
des héritiers du sang ; parce qu’eux seuls ont à souffrir
de la disposition excessive du testateur ; qu’elle leur en
lève la succession du père naturel, qui leur était légale
ment promise , tandis que la loi ne promettait rien au
légataire , tenant tout de la volonté unique du défunt.
En d’autres termes , les légataires ne succèdent qu’aux
droits et actions qui se trouvent dans la succession Or,
celle en réduction des avantages faits à l’enfant naturel,
n’a jamais appartenu au père. Elle ne peut donc se trou
ver dans la succession. D’ailleurs, si les héritiers légi
times renoncent, la portion de l’enfant naturel augmente
à chaque degré; même, à défaut absolu d’héritiers légi
times , la disponibilité du père est de l’intégralité de la
35
�538
TRAITÉ DD DOL
succession. Sous tous ces rapports, les légataires univer- '
sels ou autres n’ont aucune réduction à rechercher , ni
aucune demande en nullité à former, quand l’héritier du
sang garde le silence.
1401. - Il n’en serait pas de même pour les in
capables dont parle l’art. 909. Le fondement de la nul
lité est tout autre. Le père naturel cherche à éluder la
loi par un sentiment d’affection que la loi condamne,
non en ce qui le concerne lui-m êm e, mais seulement
à l’endroit de ses héritiers légitimes. La libéralité faite
aux incapables de l’art. 909, est censée le produit d’une
influence dolosive, e t , si cet article prévoit la mort de
son auteur, c’est moins pour priver celui-ci du pouvoir
de réclamer que pour préciser la condition de l’existence
de la présomption de fraude qu’elle autorise.
Ainsi, la libéralité dolosive est, par rapport à son au
teur, ce qu’elle est à l’égard de ses héritiers. Revenu à
la santé , le premier pourra, comme ses héritiers le fe
raient, s’il venait à mourir, en poursuivre la nullité.
Nous n’avons pas à nous occuper du cas où la libé
ralité a été consentie sous la forme testamentaire. La fa
culté de refaire le testament est exclusive de toute obli
gation de s’adresser à la justice.
iMais s’il s’agit d’une donation entre vifs , directe ou
déguisée, sous la forme d’un contrat à titre onéreux, rien
ne pourrait l’empêcher d’en poursuivre la nullité , et il
lui suffirait, pour l’obtenir, de prouver que le prétendu
�ET DE LA FRAUDE.
539
contrat onéreux n’est qu’une libéralité; que cette libéra
lité a été faite pendant la maladie, et, comme telle, lé
galement présumée dolosive et frauduleuse.
L’auteur de la libéralité pouvant en poursuivre la nul
lité, l’action existe dans sa succession et peut être exer
cée par tous légataires ou héritiers, comme par les hé
ritiers du sang.
�T A B L E
DES
C H A P IT R E S
DU
TOM E
III
De la F r a u d e .
Chapitre
h.
PA
G
ES
S ection ni. — F r a u d e s d a n s la \ e n t e
e t l ' é c h a n g e ...................................................
1
S ection
iv .
—
S ection
v.
— F r a u d e s d a n s l e s s o c i é t é s ..............................113
F r a u d e s d a n s le l o u a g e .
.
.
.
53
.
S ection v i . — F r a u d e s d a n s le s p r ê t s ..............................1 5 7
S ection vu. — F r a u d e s d a n s l e m a n d a t ..............................271
•
D e la S im u la tio n .
Observations
générales.......................................................
Chapitre
i. —
Chapitre
ii. —
335_
S im u la tio n p u r e e t s im p le d u c o n t r a t .
F r a u d e c o n c e r t é e c o n t r e la lo i
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Text
TRAITÉ
EÏNT M A T IE R E
C IV IL E «Sc COM M ERCIALE
PAR J. B É D Â R R I D E
Tome 4
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO ISIÈM E
ÉD IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME QUATRIÈME
PARIS
L. L A R O S E , LIBRfAIRE
22,',
EUE SOUFFIOT,
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
22
2,
RUE PONT-MOREAU,
2
1876
Xao
�TRAITÉ
EÏNT M A T IE R E
C IV IL E «Sc COM M ERCIALE
PAR J. B É D Â R R I D E
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
TRO ISIÈM E
ÉD IT IO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
TOME QUATRIÈME
PARIS
L. L A R O S E , LIBRfAIRE
22,',
EUE SOUFFIOT,
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIR
22
2,
RUE PONT-MOREAU,
2
1876
Xao
��T R A IT E
DU DOL ET DE LÀ FRAUDE
EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE
DE
LA
FRAUDE.
—34*-
CHAPITRE
FRA U D ES
III.
CONTRE
LES
T IE R S
,
SOMMAIRE.
1402.
1403.
Matière du chapitre.
Quelles sont les personnes désignées sous la dénomination
de tiers ?
1404. Division.
1402.
— Nous avons vu jusqu’à présent la loi,
mue par des idées d’équité et de justice , venir au seiv
1
�2
TRAITÉ DU DOL
cours des parties contractantes et autoriser celle que la
fraude a voulu léser, non seulement à se faire indemni
ser du préjudice qu’elle a souffert, mais encore à de
mander d’être relevée de ses propres engagements.
S’occupant ensuite de l’inviolabilité des prescriptions
que l’ordre public ou l’intérêt général lui a dictées, nous
l’avons vu proscrire d’une manière absolue toutes les
simulations à l’aide desquelles on tenterait de les éluder,
et, pour pouvoir plus sûrement les atteindre, permettre
aux parties de lui en signaler l’existence, de la prouver
même par témoins, malgré que chacune d’elle ait assu
mé sa part de responsabilité dans la violation de ses
volontés.
Mais ee n'était pas tout que de veiller à ce double et
puissant intérêt. Il en existait un troisième qui se re
commandait à toute sa sollicitude, parce qu’il était en
core plus incessamment menacé. Nulle part, en effet, la
fraude n’était plus facile, plus prochaine que dans l’hy
pothèse qui nous reste à examiner, nous voulons parler
de la simulation pour tromper les tiers.
1 4 0 3.
— Les tiers sont non seulement les créan
ciers , mais encore , et dans certaines circonstances, la
femme, les enfants, les parents successibles de l’auteur
de la fraude. Les premiers ont le droit de compter, pour
le paiement de ce qui leur est d û , sur l’universalité de
la fortune de leur débiteur que la loi a expressément af
fectée à cette destination. Gela s’entend non seulement
des biens présents, mais encore de tous ceux que le dé-
�ET DE LA FRAUDE.
3
biteur sera appelé à recueillir plus tard. Tenter de di
minuer, d’altérer ce gage, refuser de l’augmenter, c’est
attenter à des intérêts légitimes et compromettre des
droits d’autant plus sacrés qu’ils n’ont été contractés
que sous la foi des garanties formelles que leur promet
tait la loi.
D’autre part, la femme a droit soit à la restitution de
ses dot et reprises , soit à une part égale dans la com
munauté. Les enfants sont appelés à prendre dans la
succession de leurs parents une part déterminée par la
loi. Enfin , les successibles eux-mêmes sont préférés à
certaines incapacités. En conséquence, tout ce qui tend
à léser ces divers droits est de nature à violer non seu
lement la loi, mais encore à occasionner un grave pré
judice. C’est ce double but que se propose ordinaire
ment la simulation.
1404.
— Comment assurer cependant l’exéculion
de la loi , si les personnes menacées par la fraude ne
pouvaient de leur chef se plaindre de la simulation
et la faire annuler? Le législateur, placé en présence de
cette difficulté, 11e pouvait la résoudre logiquement qu’en
accordant l’action que ce double but rendrait indispen
sable. C’est cette action que nous allons examiner dans
son origine, dans sa nature et dans son caractère ; dans
les conditions imposées à son exercice ; dans le mode
de preuves qu’elle exige; enfin , dans ses effets suivant
le contrat qui est argué de simulation.
�Origine, Nature et Caractère de l'action.
SOMMAIRE.
1405.
1406
1407
1408.
1409.
1410.
1411.
1412.
1413.
Fondement équitable de l’action.
N’existait pas dans l ’ancien droit romain qui affectait à la
dette la personne plutôt que les biens du débiteur.
Première modification introduite : faculté pour les créan
ciers de se faire mettre en possession des biens de leur
débiteur.
L’insuffisance de ce palliatif amena enfin le préteur Paul
à créer l’action révocatoire, qui a gardé son nom.
Véritable caractère de cette action; son étendue restreinte
aux actes d'aliénation.
Caractère de l ’action.Considérée par les Pandectes comme
personnelle in factum, elle est qualifiée de réelle dans
les Institutes.
Délai de quatre ans substitué par Justinien au délai pri
mitif de deux ans.
Cette action était bien plus utile en droit romain qu’en
droit français. — Pourquoi?
Elle fut néanmoins admise par celui-ci, qui assimila le
refus d’acquérir à l’aliénation.
�ET DE LA FRAUDE.
1414.
1415.
5
Motif et développement de cette modification.
Le Code civil a définitivement consacré la doctrine de no
tre ancien droit.
1405.
— L’action des tie rs, contre la fraude dont
ils sont victimes , est une conséquence de la protection
due à tous les intérêts légitimes , une émanation de ce
devoir de haute moralité et de saine justice, se résumant
dans ce sublime précepte suum cuique tribuilo. Elle
n’a , en effet, d’autre objet que de prévenir et d’empê
cher ces entreprises odieuses qui , tout en foulant aux
pieds les prescriptions de la loi , causent à autrui un
préjudice injuste et déloyal. Qu’un débiteur ait à se
plaindre d’un créancier, sa plainte doit être déférée à la
justice , et pleine satisfaction lui sera accordée , si elle
repose sur des griefs fondés. Mais que sous ce prétexte,
s’érigeant lui-même en juge souverain, il réduise par de
coupables manœuvres ses créanciers à perdre tout ou
une notable partie de ce qui leur est dû; que mû , le
plus souvent , par le seul désir de ne pas payer, il se
constitue dans un état apparent d’insolvabilité, à l’aide
de contrats simulés et frauduleux , c’est ce qui ne pou
vait être souffert sans une monstrueuse iniquité.
Pouvait-on mieux tolérer que, dans le but de s’enri
chir personnellement, un mari disposât du patrimoine
de sa femme ? Qu’égaré par des sentiments de haine ou
d’affection, un père de famille fit passer sut une tête étrangère ce qui doit appartenir à tous ses enfants, ou
réunit sur l’un d’eux la plus grande partie du patrimoi-
�6
TRAITÉ DU DOL
ne commun ? Qu’obéissant à une tendresse illégitime, il
outrepassât, au détriment de ses héritiers naturels, les
bornes que la loi lui a formellement assignées ?
Aucune de ces questions ne pouvait être douteuse pour
le législateur, et c’est dans la solution qu’il leur a don
née, que se trouve l’origine de l’action autorisée aujour
d’hui par l’art. 1167.
14 0 6 .
— Cette action n’existait pas dans le droit ro
main primitif. Ce n’est pas cependant que le premier lé
gislateur de Rome eût méconnu les notions d’équité qui
en font la base; son silence était la conséquence unique
de la manière dont il avait considéré les effets des obli
gations. Les débiteurs répondaient de leur dette, non sur
leurs biens , mais sur leur personne. De telle sorte que
l’impossibilité de rembourser les rendait esclaves de leur
créancier.
A leur mort, leurs héritiers nécessaires étaient soumis
à la même condition , comme sustinens personam defuncti, mais ils pouvaient obtenir du préteur la faculté
de ne pas s’immiscer dans la succcession. L’hérédité se
trouvait alors déférée aux héritiers étrangers, mais ceuxci, ne voulant pas être tenus ultra vires, n’acceptaient
qu’en tant qu’une transaction par laquelle les créanciers,
voulant empêcher une répudiation qui leur eût tout en
levé, consentaient à abandonner une partie plus ou moins
forte de ce qui leur était dû.
1407.
— Cet état de choses, et les réclamations qu’il
excitait, conduisirent à penser que le patrimoine ne de-
�ET DE LA FRAUDE.
7
vajt pas être séparé de la personne, et, qu’après tout, il
convenait mieux que les débiteurs payassent de leurs
biens plutôt que de leur personne. On considéra dés lors
les premiers comme tacitement engagés. Cette impor
tante modification dans le caractère de l’obligation en amena une dans l’exécution. A la mort du débiteur, les
créanciers eurent la faculté de se faire mettre en posses
sion des biens, faculté qu’un édit du préteur Publius Rutilius permit bientôt d’exercer du vivant même du débi
teur. Cette mise en possession prononcée , un curateur
était nommé , qui exerçait les actions et liquidait dans
l’intérêt des créanciers.
1408.
— Mais ce ne fut là qu’un palliatif insuffi
sant, la mise en possession ne portait que sur les biens
réellement existant au moment où elle était prononcée.
Tout ce qui avait été aliéné jusque là était définitive
ment perdu pour les créanciers. Or, on comprend que
ce danger d’expropriation planant sans cesse sur le dé
biteur , celui qui voulait frauder ses créanciers mettait
le temps à profit, et que de nombreuses et importantes
aliénations avaient singulièrement réduit le gage, lors
qu’il arrivait dans la possession des créanciers.
On voulut d’abord, dans leur intérêt, appliquer à ces
aliénations l’interdit restitutoire. Mais cet interdit ne
pouvait avoir lieu qu’en matière de vente et qu’en tant
que la mauvaise foi de l’acheteur était établie. La marge
restait donc encore assez belle pour la fraude , et elle
savait l’exploiter.
�8
TRAITÉ DU DOL
C’est alors enfin que le préteur Paul imagina l’action
qui a gardé son nom , et suivant laquelle le curateur
aux biens, ou les créanciers eux-mêmes purent attaquer
tous les actes faits en fraude de leurs droits. Voici les
termes de cet édit, tels que le Digeste nous les a trans
mis : Quœ fraudationis causa gesta e ru n t, cum eo gui
fraudem non ignoraverit, de his curaîori bonorum, vel
ei qui de ea re actionem dare opportebit, intra annum
quo experiundi potestas fu erit, actionem dabo ; idque
eliam adversus ipsum qui fraudem fecit servabo.'
1409,
— Ulpien explique ainsi la portée de cette
loi : Ait prœtor quœ fraudationis causa gesta erunt.
Hœc verba generalia sunt et continent in se omnem
omnino in fraudem factum , vel alienationem , vel
quemcumque contractum. Quodcumque igitur fraudis
causa factum est, videtur his verbis revocari qualemcumque fuerit, nam late ipsa verba patent. Sive ergo
rem a lie n a v it, sive acceptilationem , vel pacto , a liquem liberaverit.
Il est à remarquer que cet édit ne n’appliquait qu^aux
actes d’aliénation proprement d it, ayant pour effet de
diminuer le patrimoine acquis du débiteur. Le refus de
l’augmenter , et conséquemment la répudiation d’une
succession, d’un legs, d’une légitime, etc., n’ayant pas
ce caractère, ne pouvait devenir la matière d’une action:
1L
Dig. Quœ m fraudem crédit.
�ET DE LA FRAUDE.
9
Nec propria alienari intelliguntur, qui dumtaxat omittunt possessionem.'
Sans doute, dit Voët, il y a fraude contre les créan
ciers par l’omission d’acquérir. Cependant on ne saurait
assimiler le refus fait d’augmenter son patrimoine à l’a
liénation qu’on en fait pour le diminuer et le faire dis
paraître, et la loi ne prévoit que celle-ci.1
Ainsi, en droit romain, la fraude, donnant ouverture
à l’action Paulienne, ne consistait que dans la disposi
tion des biens ou droits actuellement et réellement pos
sédés par le débiteur. Il importait peu que cette dispo
sition eût été activement ou passivement soufferte. Il
suffisait que les biens et les droits eussent été volontai
rement diminués ou perdus pour qu’on fût recevable à
se pourvoir. En conséquence, on assimilait à une alié
nation la désertion d’une instance, soit que, défendeur,
on ne se fût pas présenté, soit que, demandeur, on eût
laissé acquérir la péremption et la prescription de l’ac
tion ; le non usage d’une servitude ou d’un usufruit,
l’obligation ou la libération d’un débiteur consentie par
fraude, l’exception accordée, ou la délation du serment
litisdécisoire ; en un mot, tous les actes entraînant com
me conséquence , que, le débiteur n’aura plus après ce
qu’il avait avant.3
1 4 1 0 . — Dans les Pandectes, l’action Paulienne est
1 L. 149, Dig. D ereg. juris.
2 Ad Pandectas, 1. 42, t. vm, n° 16.
3 L. 3 et 4, Dig. Quai in fraud. crédit.
�S'i\
TRAITÉ DU DOL
qualifiée d’action personnelle et in factum. Ce qui la
produit, en effet, c’est la fraude que le débiteur a com
mise et dont les créanciers demandent la réparation. Il
est vrai qu’à ce titre on parvient à faire rentrer dans la
possession du débiteur les biens qu’il avait aliénés , et
cette conséquence a été signalée comme pouvant donner
à l’action un caractère de réalité, mais cette opinion est
énergiquement réfutée par Voët: Falluntur quibus placuit eam actionibm in rem accenseri opportere , cum
non nascatur ex aliquo ju re in re, longe minus ex ju re
dominii. Quippe quoi crediloribus fraudatis ne posl
missionem quidem in possessionem quœritur, sed tan
tum ex aliquo facto improbo, nempe fraude non modo
alienantis , sed vel. prœcipue ejus , in quem alienatio
facta fuit.
C’est cependant cette erreur que Justinien aurait luimême commise. Nous trouvons, en effet, dans les Institutes ', placée au nombre des actions réelles, celle ac
cordée aux créanciers pour faire rentrer, sous:1a posssession de leur débiteur, les choses qui en sont sorties
en fraude de leurs droits. C’est ce qui fait dire à Perezius que l’action , personnelle par rapport aux créan
ciers , peut être considérée comme réelle eu égard aux
droits de propriété que le débiteur avait sur les biens aliénés et, en quelque sorte, revendiqués par les créan
ciers.’
1 De act., S 6.
2 ln codice, liv. 7, tit. 7S, n°
r
rv
vr
�ET DE LA FRAUDE.
1'1
141 î . — Quoi qu’il en so it, ce qu’il importe de
remarquer, c’est que Justinien porta à quatre années le
délai de l’action, qui n’était d’abord que d’un an.
1 4 1 2 . — Il n’est pas douteux , comme l’observe
Domat', que l’action Paulienne ne fut en droit romain
d’une bien plus haute utilité que sous l’empire du droit
français. Dans le droit romain, en effet, on contractait
souvent sans écrit, et l’hypothèque elle-même pouvait
s’acquérir par une convention, verbale1. Les fraudes étaient donc plus faciles et devaient être plus nombreuses
que sous une législation exigeant qu’il lut passé un acte
écrit pour toute obligation excédant 150 fr. et ne re
connaissant plus d’hypothèques verbales.
1415.
— Néanmoins, l’action fut admise non seu
lement dans les pays de droit é crit, mais encore dans
tous les pays coutumiers, dont la coutume n’avait rien
stalué à cet égard; et loin d’y apporter aucune restric
tion, le droit français l’étendit, en plaçant dans la caté
gorie des actes susceptibles de l’engendrer, ceux par les
quels le débiteur refusait d’augmenter son patrimoine.
1 4 1 4 . — Celte modification puisait sa source dans
ce double principe : 1" les créanciers ont dû compter,
pour le remboursement de ce qu’ils prêtent, non seule
ment sur les biens présents du débiteur, mais encore sur
1 Lois civ., liv. 2, tit. 10.
>L. 4, Dig. De pign
ü»
�12
TRAITÉ DU DOL
ceux qu’il serait appelé à recueillir dans l’avenir; 2° par
l’effet de la saisine, les biens de l’hérédité appartiennent
réellement à l’héritier. Conséquemment, on considéra la
renonciation de celui-ci comme diminuant, en fait, son
patrimoine et comme trompant les justes prévisions de
ses créanciers.
La jurisprudence n ’en resta pas là, et bientôt ce qu’elle
décidait pour une succession , elle l’admit pour la re
nonciation à un legs , à une légitime , à une substitu
tion, à une communauté, enfin à celle à un usufruit lé
gal ou conventionnel, au droit d’opposer une prescrip
tion acquise.1
1 4 1 5 . — Tel était l’état de la législation lorsque pa
rut le Code civil. D’une p a r t, le droit romain proscri
vant toute faculté de diminuer ou d’aliéner le patrimoi
ne actuel par quelque moyen que ce fût ; d’autre part,
le droit français s’appropriant cette prohibition et y a joutant, en considérant le refus d’acquérir comme une
véritable aliénation. Le nouveau législateur s’est pro
noncé dans ce dernier sens, et a, conséquemment, main
tenu tout ce qu’avait fait son prédécesseur immédiat.
Telle est la conclusion logique à tirer des art. 1166 et
1167.
Le premier accorde aux créanciers le pouvoir de veil
ler eux-mêmes et de prendre toutes les mesures nécesi Pothier, Succès., çh 3, sect. 3, S 2 , et Comm., § 533 ; — Ordon.
de 1747, art. 38 et 42; — Boutaric, liv. 4, tit. 6, § 6, et liv. 2, tit. 9;
— Dunod, 1” part., chap. 14, pag 116.
�ET DE LA FRAUDE.
13
saires pour la conservation des droits que l’inaction de
leur débiteur mettrait en péril. Il les autorise , dans ce
double objet, à se subroger à tous ses droits et actions.
Ils peuvent même , aux termes de l’art. 778 du Code
de procédure civile requérir l’inscription pour la con
servation de l’hypothèque appartenant à leur débiteur.
Si leur vigilance a été trompée , si la fraude à leur
préjudice a été consommée, l’art. 1167 leur permet de
poursuivre la réparation du préjudice qu’ils sont dans
le cas d’en souffrir. Il importe peu qu’il s’agisse de l ’a
liénation de l’actif actuel ou du refus de l’augmenter en
s’abstenant d’acquérir, l’action des créanciers est ouverte
dans l’un et l’autre cas.1
i V. art. 271, 622, 788, 882, 10B3, 1447, 1464 et 2225 du Code
civil; — art. 474 et 875 du Code de proc. civ.; — art. 447 et 449
du Code decomm.
�SECTION II.
C o n d itio n d e l'a c tio n .
SOM M AIRE.
1416.
L’exercice de la faculté donnée par l’art. 1166 n’exige que
la qualité de créancier. — Etendue de celte faculté.
1417. La première condition pour l ’exercice de l ’action Paulienne est également la qualité de créancier.
1418. Droit du tiers attaqué de la discuter.
1419. Cette qualité doit-elle avoir été acquise avant l’acte que
rellé de fraude ?
1420. Quid, si cet acte est une obligation frauduleusement con
tractée ?
1421. Arrêt de la Cour de cassation et remarquable rapport de
M. le conseiller Tripier.
1422. Conséquences quant au mode de constatation de la cré
ance.
1423. L’acte sous seing privé d’une date antérieure serait-il op
posable au donataire ou à l ’héritier ?
1424. Droit de l ’un ou de l ’autre d’en établir la simulation.
1425. La seconde condition pour l ’exercice de l ’action est la
preuve de l ’insolvabilité du débiteur.
1426. La demande serait donc repoussée soit par la justification
de la solvabilité , soit par l ’offre de désintéresser le
poursuivant.
�ET DE LA FRAUDE.
1427.
1428.
1429.
1430.
1431.
1432.
1433.
1434.
1435.
1436.
45
Exception que cette condition comporte en faveur de la
femme séparée agissant dans l ’hypothèse de l ’art. 271.
Troisième condition : Preuve de la fraude de la part du
débiteur.
Serait facilement présumée pour tous les actes passés en
état d’insolvabilité complète.
Distinction nécessaire entre les aliénations à titre onéreux
et celles à titre gratuit.
La donation directe ou indirecte ferait présumer la fraude,
non seulement contre le donateur, mais encore contre
le donataire.
Quatrième condition : Preuve de la fraude de celui qui a
traité avec le débiteur.
Fondement juridique du principe consacré par Part. 1167.
Objet et nature de l’action qu’il autorise.
L’action appartient à tous les créanciers, sans distinction
entre les hypothécaires et les chirographaires.
Contre qui doit-elle être intentée ?
1 4 16.
— Sous l’empire du Code, nous venons de
le dire, les créanciers ont le droit de prévenir la fraude
de leur débiteur ou d’en poursuivre la répression. L’ex
ercice de ce droit entraîne donc , dans chacune de ces
hypothèses, l’existence d’une action.
Dans la première , la seule condition exigée est la
qualité de créancier. Cette qualité non contestée ou re
connue après contestation, le droit de celui qui se pré
sente pour exercer les droits et actions de son débiteur,
ne saurait être l’objet d’un doute.
L’unique exception que ce principe comporte , con
cerne les droits exclusivement attachés à la personne et
que nul autre qu’elle ne saurait exercer. On reconnaît
�16
TRAITÉ DU DOL
comme tels , ceux qui ne passent poi ît aux héritiers ou
q u i, étant de nature à s’éteindre avec la personne , ne
peuvent être, par elle, cédés de son vivant.'
1 417. — La condition nécessaire pour pouvoir in
tenter l’action de l’art. 1166 est également indispensa
ble pour celle prévue et autorisée par l’art. 1167. Il
faut donc, pour être recevable à l’intenter, que celui qui
prétend l’exercer prouve d’abord qu’il est réellement et
sérieusement créancier. Cette condition est d’autant plus
rigoureuse dans cette circonstance , que la révocation à
laquelle cette action aboutit pourrait n’être poursuivie
que par l’effet d’une collusion entre le prétendu créan
cier et son débiteur. Celui-ci, éprouvant des regrets d’a
voir consenti l’acte auquel il a figuré comme partie, et
ne pouvant, en cette qualité, en demander la rescision,
pourrait fort bien tenter d’arriver au but de ses désirs
en simulant l’existence d’un créancier qui poursuivrait
cette résiliation, sous prétexte que l’acte n’a été fait qu’en
fraude de ses droits.
1 4 1 8 . — Incontestablement, le tiers attaqué, soup
çonnant cette collusion, serait recevable à en exciper et
à la prouver. Ce n’est qu’après règlement préalable de
ce litige, que le fond pourrait être examiné. Il est plus
qu’évident que, pour qu’un contrat ait été fait en fraude
d’un droit quelconque, il faut que ce droit existe. Dans
1
Favard, v° Nullité, § 3, n° 3.
�ET DE LA FRAUDE.
17
notre hypothèse , l’examen de l’action révocatoire serait
donc subordonné à la preuve que celui qui prétend l’ex
ercer est un créancier sérieux et légitime.
1419.
— Toute difficulté de ce genre serait impos
sible si la créance était authentique ou si, résultant d’un
titre sous seing privé, elle avait acquis date certaine a vant l’acte dont la révocation est poursuivie. C’est aussi
pourquoi on a soutenu que, pour que l’action fût rece
vable, il fallait que la qualité de créancier eût nécessai
rement préexisté à l’acte qui la motivé. C’est ce qu’en
seigne notamment M. Toullier.'
Cette opinion se fonde sur les prescriptions de la loi
10, § 1, Digeste Quœ in frandem creditorum. dans la
quelle Ulpien enseigne que les créanciers postérieurs à
l’acte ne sont admis à l’attaquer que si les deniers, par
eux prêtés, ont servi à désintéresser les créanciers anté
rieurs, auxquels ils se trouvent ainsi subrogés.
Mais ce qu’il importe de remarquer , c’est que celte
loi ne parle que d’une aliénation qui a été faite en frau
de des créanciers du débiteur ; si ce dernier les désin
téresse et contracte des dettes nouvelles, ces nouveaux
créanciers ne pourront intenter l’action révocatoire , à
moins qu’ils ne soient subrogés aux anciens. Par rap
port à eux, la fraude, qui revêt dans ce cas le caractère
du dol, n’offrirait pas ses deux caractères essentiels, à
savoir : Consilium et eventus.
1 Tom. vi, pag. 354.
/.
�I
18
TRAITÉ DU DOL
C’est dans ce sens que Domat interprète la loi lors
qu’il dit : « Si le dessein de frauder n’est pas suivi de
l’événement et de la perte effective des créanciers, et que,
par exemple , pendant qu’ils exercent leur action ou
qu’ils veulent l’exercer , le débiteur les satisfasse par la
vente de ses biens ou autrement, l’aliénation qui avait
été faite à leur préjudice aura son effet ; et s i , dans la
suite, il vient à emprunter , les nouveaux créanciers ne
pourront faire révoquer celte première aliénation , qui
n’avait pas été faite à leur préjudice. Mais s’ils avaient
prêté pour payer les premiers, et que les deniers eussent
été employés à ce paiement, ils pourraient révoquer l’a
liénation faite avant leur créance.'
Ainsi interprétée, la loi n’a rien que de très-sage et
de très - raisonnable. Comment, en effet, admettre un
créancier à signaler,comme faite en fraude de ses droits,
une vente réalisée bien avant que ces droits fussent nés?
avant même qu’on pût en prévoir l’existence ?
Ce que nous disons de la vente, nous l’admettrions,
sans hésiter, pour la donation , pour la renonciation à
une succession, à un legs, etc.... Ce qui, dans ces diver
ses hypothèses, nous paraît déterminant, c’est que, l’a
liénation étant accomplie au moment du nouvel em
prunt , les biens qui en font l’objet n’étaient plus en la
possession de l’emprunteur. La confiance du prêteur a
été exclusivement faite aux seuls biens qu’il possédait
encore.
i Lois civiles, liv. 2, tit. 10, sect.
n° 6.
�ET DE LA FRAUDE.
19
Vainement le prêteur prétendrait-il avoir ignoré les
aliénations qu’il attaque; chacun doit connaître la po
sition de celui avec qui il traite et surtout sa solvabilité.
Avant de prêter, on s’assure de celle-ci , et, dans notre
hypothèse, les biens aliénés n’ont pas dû figurer sur l’é
tat de fortune communiqué par le débiteur. Dans tous
les cas, la transcription de la vente ou de la donation,
la publicité de la répudiation ont mis le prêteur légale
ment à même de les connaître. On ne lui cause donc
aucun tort en le laissant en présence des seuls biens aux
quels il a pu faire foi.
1420.
— Peut-on en dire autant des obligations
qu’un débiteur crée frauduleusement et sans en recevoir
la valeur? Non, évidemment, car on s’exposerait préci
sément à tomber dans l’inconvénient qu’on a voulu éviter, Quel peut être le but de la création de ces obliga
tions simulées, si ce n’est de préparer et de consommer
la fraude contre les prêteurs, auxquels on aura recours
plus tard. Cela ne résulte-t-il pas de l’absence de tout
motif de recourir à la simulation au moment où elle se
réalise ?
Donc, appliquer aux obligations la règle qu’on appli
que aux aliénations, c’est vouloir donner au mensonge
la force de la vérité , créer une créance sans cause et
sans valeur fournie ; arriver, en un mot, à ce singulier
résultat de reconnaître l ’existence d’une action , mais
d’en refuser l’exercice au moment même où les créan
ciers ont le plus grand intérêt à en exciper.
�TRAITÉ DU DOL
En effet, le besoin pour les créanciers de faire pro
noncer la nullité d’une obligation comme souscrite en
fraude de leurs droits, naît précisément lorsque le por
teur de cette obligation vient réclamer sur eux le droit
de priorité et de préférence. De quoi auraient-ils à se
préoccuper, et quel préjudice auraient-ils à souffrir d’u
ne créance qui ne pourrait jamais être payée qu’en tant
et qu’après qu’ils l’auraient été eux-mêmes? Consé
quemment, exiger que leur titre soit antérieur à la cré
ance qu’ils contestent, pour leur permettre d’agir en
vertu de l’art. 1467, c’est leur donner une action qu’ils
seront non-recevables à exercer pour défaut d’intérêt.
D’autre p a rt, le préjudice dont peuvent se plaindre
les créanciers ne résulte pas de la création d’une obli
gation ; qu’importe, en effet, cette circonstance , si le
porteur, se rendant lui-même justice, refuse d’en pour
suivre le paiement. C’est donc, au moment de la liqui
dation et lorsque ce paiement est réclamé que le préju
dice se manifeste, que la fraude se consomme, et com
ment, en cet état, imposer aux créanciers d’assister, im
passibles, à cette consommation, et leur prohiber de se
défendre du péril qui les menace ?
Une pareille doctrine serait par trop irrationnelle et
on ne saurait la consacrer sans méconnaître l’esprit de
la loi et les notions de la plus saine équité. Il faut donc,
de toute nécessité , distinguer la nature de l’acte dont
l’annulation est poursuivie par les créanciers.
S’il s’agit d’une aliénation, à titre onéreux ou gratuit,
ceux dont le titre sera postérieur ne pourront l’attaquer.
�ET DE LA FRAUDE.
21
Il n’est pas possible de supposer une fraude contre des
droits qui n’existaient pas au moment où la prétendue
fraude se consommait.
Cette règle reçoit néanmoins deux exceptions. La pre
mière nous est indiquée par le Digeste, à savoir : Si les
deniers , nouvellement empruntés , ont servi à éteindre
des créances antérieures auxquelles les prêteurs ont été
subrogés. La seconde , si l’aliénation n’est elle-même
qu’une précaution frauduleusement ménagée contre les
créanciers futurs : Si aliénations subsit frans futuris
créditons '. On le présumerait ainsi si le débiteur, resté
ostensiblement en possession et jouissance des objets pré
tendus aliénés, avait pu ainsi tromper les prêteurs ; ou
si, loin de les instruire, il avait présenté ces objets com
me composant réellement son actif et garantissant l’exé
cution de ses engagements.
S’il s’a g it, au contraire, d’une obligation simulée,
comme cette simulation ne produira son effet que lors
de la liquidation et du paiement, nous reconnaîtrons à
tous les créanciers antérieurs ou postérieurs en date,
sans distinction entre les hypothécaires et les chirogra
phaires, le droit d’en poursuivre la nullité comme faite
en fraude de leurs droits.
1421.
— C’est, au reste, ce que la Cour de Bourges
avait formellement décidé. Le pourvoi dirigé contre son
arrêt a été rejeté par la Cour de cassation, par arrêt du
i Perezius, in Cod., liv. 7, tit. 75, n°7.
�22
TRAITÉ DU DOL
20 mars 1832, rendu sur le rapport de M. le conseiller
Tripier.'
Dans son remarquable rapport, ce savant magistrat
se demande si l’art. 1167 doit être limité aux actes pos
térieurs, aux litres des créanciers qui se plaignent de la
fraude ? Si ce n’est pas au contraire parce que ces actes
priment les titres des légitimes créanciers, que ces der
niers ont qualité et intérêt pour contester soit l’hypo
thèque, soit la sincérité de ces créances apparentes?
Après avoir discuté l’opinion de Toullier, que les de
mandeurs en cassation invoquaient, M. Tripier conclut
en ces termes : On peut bien admettre qu’une aliéna
tion consommée, même à vil prix , ne sera pas consi
dérée comme faite en fraude des créanciers qui n’exis
taient pas à l’époque de la vente. Elle ne réunira pas
comilium et eventus. Mais une obligation souscrite sans
valeur fournie , qui est jugée le fruit du dol et de la
simulation, ne peut-elle pas préparer et consommer la
fraude , même au préjudice des créanciers qui ont ac
cepté des titres postérieurs à cette obligation simulée?
Saisie à son tour de la question, la Cour de Bordeaux
l’a énergiquement décidée dans le même sens. Nous
croyons utile de transcrire quelques-uns des motifs qui
fondent cette décision :
<i Attendu, sur la fin de non-recevoir, que l’excep
tion manque de solidité et doit être rejetée; qu’en effet,
quoique la sentence arbitrale, qui déclare Lasserve cré-
�ET DE LÀ FRAUDE.
23
ancier de Boucherie, soit du 18 août 1845, et, par con
séquent postérieure au contrat par lequel Boucherie a
reconnu devoir à Clarac une somme de 3,000 fr., cette
circonstance ne s’oppose pas à l’application de l’art. 1167,
article destiné à protéger tous les droits dont le dol et la
fraude chercheraient à priver des créanciers légitimes ;
» Attendu,d’abord, que l’antériorité d’un acte simulé
et frauduleux ne saurait arrêter l’action des créanciers
sérieux et réels, parce que des contrats simulés ne sont
pas proprement des contrats; ils n’en ont que l’appa
rence, colorent habent,nullam vero subslantiam; par
ce que la doctrine qu’on a plaidée , tendant à donner
au mensonge la force de la vérité, blesse beaucoup trop
toutes les idées de justice pour pouvoir être admise.' »
1422.
— Il suit de ce qui précède qu’en matière de
vente , l’antériorité du titre de créance étant indispen
sable , il ne suffirait pas que le titre , s’il est sous seing
privé , portât une date en apparence antérieure. Il de
vrait avoir acquis une date certaine avant la vente. En
effet, si le titre sous seing privé fait foi, ce n’est qu’entre
parties, on sait à quelles conditions l'art. 1328 permet
de l’opposer aux tiers. Ces conditions sont justes et peu
vent seules prévenir l’abus si facile de l’antidate. En
conséquence , leur absence laisserait les créanciers sans
action contre l’acquéreur , en enlevant à leur titre toute
son autorité.
1 20 juillet 1848 ; — D. P., 49, 2, 148; — V. infra n° 1741
�24
TRAITÉ DU DOL
Mais la date apposée au sous seing privé servirait au
besoin de commencement de preuve autorisant la rece
vabilité de la preuve orale , si cette recevabilité n’était
pas , d’ailleurs , de droit commun dans la matière qui
nous occupe. Le porleurdece titre pourrait donc établir
par témoins et par présomptions la sincérité de la date,
prouver que l’acquéreur en avait connaissance avant de
traiter avec le débiteur. L’une ou l’autre de ces circons
tances étant acquise, l’action Paulienne deviendrait in
admissible à l’égard de toutes les parties.
1425.
— L’acte sous seing privé se suffirait à luimême , si l’action avait pour objet la révocation d’une
libéralité. Le donataire, en effet, n’est que l’ayant-cause
du donateur, et l’acte faisant foi contre celui-ci produi
rait le même effet à son égard.'
Il en serait de même contre celui qui serait appelé à
recueillir la succession ou le legs répudié par le débiteur
en fraude de ses créanciers; nous avons déjà dit que le
tiers, non complice de la fraude dont il profite, ne sau
rait en retenir le bénéfice que s’il l’a acquis par un con
trat ; qu’il doit le restituer s’il ne le possède qu’en vertu
de sa qualité ou d’une disposition formelle de la loi.1
Ce serait là, d’ailleurs, une donation déguisée qu’il se
rait injuste de maintenir, car la position des créanciers
est bien plus intéressante que celle d’un donataire direct
1 Cass., 39 janvier 1828; — D. P., 28, 1, 114.
3 V. supra n° 35.
�ET DE LA FRAUDE.
25
ou indirect : Et licet fraudis ignarus fu e r it, tamen
credilorum causa favorabilior est, qui de damno disceptanl.'
1 4 2 4 . — Mais l’appelé à profiter de la succession
ou du legs, comme le donataire lui-même, peut soute
nir que la créance prétendue est antidatée, et que l’ob
jet de cette simulation est de révoquer , d’une manière
indirecte, ce que le renonçant ou le donateur ne pour
rait directement révoquer. Tout ce qui résulte de leur
qualité d’ayant-cause , c’est que l’acte sous seing privé
fait contre eux la même foi que contre leur auteur. Mais
cette présomption admet la preuve contraire, et, comme
le fait allégué constituerait une fraude contre les droits
légalement conférés par la répudiation ou par la libé
ralité, cette preuve contraire serait incontestablement re
cevable.
1 4 2 5 . — La seule condition imposée au créancier
exerçant l’action révocatoire, est de prouver l’insolvabi
lité du débiteur. Cette action est essentiellement subsi
diaire. Elle ne peut être exercée que pour amener le
paiement que les biens restants s o n t, par leur insuffi
sance, dans l’impossibilité d’effectuer. Il faut donc pré
alablement établir cette insuffisance.
Cette condition se justifie avec autorité par cet autre
principe que, pour intenter une action, il ne suffit pas
i Perezius, loco citato, n° 6.
�26
TRAITÉ DU DOL
d’avoir qualité , qu’il faut surtout y avoir intérêt. Or,
dans celle autorisée par l’art. 1167, l’intérêt des créan
ciers n’existe que si le paiement qui leur est dû, ne peut
se réaliser que par la révocation poursuivie. Si ce paie
ment peut être fait au moyen des ressources dont le dé
biteur dispose encore , ils n’ont pas à s’immiscer dans
ce qu’il a plu à ce débiteur de faire avec des tiers.
1426.
— Conséquemment, le débiteur pourra faire
repousser l’action en justifiant qu’il est en position de
rembourser le créancier qui l’exerce. De son côté, le tiers
également attaqué opposera avec succès la solvabilité du
premier, dont il pourra exiger la discussion préalable,
sans être tenu de pourvoir aux frais ni d’indiquer la
nature et la situation des biens sur lesquels cette dis
cussion doit porter. L’unique exception que cette règle
reçoive naît de l’état de faillite du débiteur commerçant,
le jugement déclaratif faisant par lui-même la preuve
la plus significative de l’in«olvabilité.
Une offre plus péremptoire encore serait celle de dé
sintéresser le créancier poursuivant. Réalisée qu’elle fût,
cette offre le laisserait sans intérêt aucun à poursuivre
désormais un litige complètement sans objet.
On s’est demandé si l’insolvabilité du débiteur devait
être absolue, ou s’il suffirait qu’elle fut relative ?
Nous ne voyons pas ce qui ferait consacrer la pre
mière proposition. Qu’importe en effet que le débiteur
soit en position de payer tel ou tel créancier, si en fait
l’aliénation querellée de fraude le met dans l’impossibi-
�ET DE LA FRAUDE.
27
lité de payer celui qui en poursuit la nullité en vertu de
l’art. 1167?
Celui-ci n’a donc à prouver l’insolvabilité qu’en ce
qui le concerne , et cette preuve acquise , sa demande
doit être accueillie, car l’imminence du préjudice qui a
fait accorder l’action serait incontestable , et ne trouve
rait aucun correctif dans celte circonstance que le débi
teur posséderait d ’autres biens, si ceux-ci se trouvaient
grevés de privilèges ou hypothèques les absorbant en
tout ou en grande partie.
Ce demandeur en nullité n ’a donc à prouver qu’une
seule chose : que le maintien de l’acte, qu’il soutient fait
en fraude de ses droits, compromet sa créance et en rend
le payement impossible ou plus difficile. C’est dans ce
dernier sens que la Cour de Montpellier et la Cour de
cassation décident qu’un créancier est recevable à atta
quer une vente consentie par son débiteur, comme faite
en fraude de ces droits, alors même que celui-ci possède
en pays étranger des biens suffisants pour satisfaire ce
créancier'. On le déciderait de même si les biens encore
possédés en France étaient litigieux ou grevés de char
ges rendant plus ou moins problématique le paiement
du poursuivant.
Faut-il que l’insolvabilité résulte de l’acte même at
taqué , sans qu’on puisse prendre en considération les
actes postérieurs d’où naîtrait cette insolvabilité.
22 juillet '1835
�V
28
TRAITÉ DU DOL
On ne saurait, à notre avis, adopter à ce sujet une
doctrine absolue, et nous ne voyons pas pourquoi lors
que l’insolvabilité résulte d’un ensemble d’aliénations,
on ne pourrait attaquer la première en date, plutôt que
la dernière.
Sans doute le choix pourrait léser celui-ci plutôt que
celui-là. Mais où est le péril ? Dans les aliénations à
titre onéreux le poursuivant doit prouver la complicité
de l’acheteur, et cette preuve sera d’autant plus difficile
à réaliser que l’acte attaqué se reportera à une époque
où le vendeur avait encore en sa possession des ressour
ces suffisantes.
Mais si la preuve est faite , quel serait le motif qui
pourrait affranchir le tiers des conséquences légales qui
en découlent, si d'ailleurs il ne peut se retrancher der
rière la prescription.
Quant aux actes à titre gratuit, la fraude, nous l’avons
dit, résulte de leur caractère même. On ne donne pas,
quand on a des dettes à acquitter, et qu’on ne sait e n
core si on aura de quoi les payer.
Pourquoi ne révoquerait-on pas la donation antérieure
à tout acte de disposition , si plus tard des besoins sont
venus commander des aliénations inattaquables ; parce
que les tiers qui les ont acceptées ont agi de bonne foi
et sans fraude ? Faudrait-il donc préférer le donataire
aux créanciers, et lui permettre de s’enrichir à leur dé
pens.
Un pareil résultat serait immoral et inique, et ce n’est
pas notre législateur à qui on pourrait reprocher de l’a-
�ET DE LA FRAUDE.
29
voir consacré. L’art. 1167 a eu précisément pour but
de le prévenir et de le condamner.
La jurisprudence , à son tour , s’inspirant du même
sentiment, n’a pas hésité à le proscrire. En consé
quence et par arrêt du 9 janvier 1863, la Cour de cas
sation décide qu’un créancier est recevable à attaquer
un acte de son débiteur (spécialement un acte de dona
tion) comme fait en fraude de ses droits , lorsque cet
acte a pour effet immédiat de diminuer le gage du cré
ancier , en faisant disparaître du patrimoine du débi
teur , un objet d’une valeur relativement considérable,
alors d’ailleurs que l’existence de la fraude apparaissant
déjà à l’époque de ce même acte, ressort encore d’actes
postérieurs par lesquels le débiteur s’est dépouillé de
' tout ce qui lui restait.'
Dans cette espèce on faisait valoir entre autres moyens
qu’après la donation , le débiteur restait en possession
d’une fortune de 70,000 fr., bien plus que suffisante
pour payer les 7,000 fr. dus au poursuivant, et le tri
bunal avait sur ce motif déclaré celui-ci non-recevable
dans sa demande.
Mais la Cour de Bourges, réformant le jugement, dé
clare : qu’on objecte vainement que la donation ne ren
dait pas le débiteur insolvable, et qu’il avait encore
d’autres immeubles qui pouvaient garantir le paiement
de ses dettes ; qu’il n’est pas nécessaire que l’acte dont
se plaignent les créanciers ait pour résultat de produire
�30
TRAITÉ DU DOL
l’insolvabilité complète du débiteur ; qu’il suffit qu’il ait
rendu le recouvrement de leurs créances plus problé
matique et plus difficile.
C’est ce que nous venons aussi d’établir , et la Cour
de cassation l’admet comme une appréciation juridique.
En résumé , ce n’est pas par la date de l’acte qu’on
peut ou non appliquer l’art. 1167. Si au moment de
l’action il y a insolvabilité du débiteur , les juges peu
vent et doivent annuler tout ce qui a pu contribuer à
ce résultat. Cette solution n ’offre aucun péril pour le
bénéficiaire d’un acte à titre onéreux, qui ne peut être
atteint que s’il a connu la fraude et concouru à sa con
sommation.
Elle n’a rien de trop rigoureux pour les donataires,
parce qu’elle n’est en définitive que l’application de cette
maxime de raison et de justice : Nemo liberalis n u i
liberatus.
1427.
— La condition de prouver l’insolvabilité
n’est pas nécessaire, lorsque la femme, qui a obtenu la
séparation de corps, demande, par application de l’ar
ticle 271 du Code civil, la nulliié des obligations à la
charge de la communauté, ou des aliénations des objets
qui en dépendent, contractées par le mari postérieure
ment à la date de l’ordonnance dont il est fait mention
en l’art. 238. Dans ce cas, les obligations et aliénations
sont suspectes de fraude , et la femme n’a à prouver
qu’une seule chose, à savoir : le préjudice qui résulte
rait pour elle des unes ou des autres.
�ET DE LA FRAUDE.
31
Dans tous les autres cas, et lorsqu’il s’agit d’un acte
querellé de fraude contre les droits des créanciers, l’ac
tion n ’est recevable qu’aux deux conditions que nous
venons d’indiquer : 1° la preuve de la qualité de cré
ancier; 2lu celle de l’insolvabilité du débiteur.
1428. — Deux autres conditions sont exigées pour
que la demande puisse être accueillie. La première est
la preuve de la fraude du débiteur. En effet, tant qu’u
ne expropriation n’est pas venue lui enlever ses biens,
le débiteur , quelle que soit d’ailleurs son insolvabilité
réelle, en conserve l’administration et même la disposi
tion. Une vente, par lui consentie en cet é ta t, pourrai^
n’être que l’exercice légitime de ce d roit, sans qu’il s’y
mêlât aucune pensée de fraude.
1 4 2 9 . — Cependant tout ce que le débiteur ferait
en état d’insolvabilité réelle, quoique non encore notoi
re, serait facilement présumé frauduleux, surtout si l’ac
tif, dont il aurait disposé, était en tout ou en partie sous
trait à ses créanciers, soit qu’une portion du prix eût
été dissimulée, soit que ce prix ne fût pas dans des pro
portions justes avec la valeur de l’objet aliéné. Dans
l’un ou l’autre cas, le préjudice occasionné aux créan
ciers serait incontestable. Le dessein de nuire naîtrait de
la position du débiteur , l’obligeant à dissimuler pour
s’efforcer de sauver , à son profit, quelques débris du
naufrage. La seule existence de cette cause de simula
tion , en rendant la fraude probable , en déterminerait
facilement l’admission : Ubi accedit causa simulandi,
�32
TRAITÉ DU DOL
receplum est ut adminiculative imperfecta probatio
suffi, ciat.'
Le même auteur ajoute : Cessante causa simula,ndi
ad illam probandara requiruntur probationes certce et
expresses. Or , cette cause disparaîtrait évidemment si,
l’aliénation faite , le débiteur possédait encore un actif
suffisant pour subvenir au paiement de toutes ses det
tes. Quel serait donc le sort d’une aliénation consentie
dans de pareilles circonstances ? Faudra-t-il la mainte
nir et la considérer comme à l’abri de toute attaque de
la part des créanciers ?
1 4 30.
— La solution nous parait devoir être diffé
rente, suivant que l’aliénation aura été faite à titre oné
reux ou seulement à titre gratuit.
Vendre , échanger une partie de ce qu’on possède,
lorsqu’on est à la tête d’un avoir supérieur à ce qu’on
doit, n’est pas un acte assez extraordinaire pour qu’il
faille en suspecter la sincérité, alors même que le pro
duit n ’en a pas servi à éteindre les dettes. Sans doute,
il eût été plus prudent et plus sage de le faire, mais des
besoins légitimes, des projets, depuis exécutés, peuvent
excuser la destination que le produit de l’aliénation a
reçu. En général, donc , on ne verra dans la conduite
du débiteur qu’un de ces actes usuels de la vie , qu’au
cun soupçon de fraude ne peut raisonnablement enta
cher.
i De Luca, De cred., discours 77, n° 6.
�33
ET DE LA FRAUDE.
Il faudrait , pour décider le contraire, ces preuves
certaines et expresses dont parle le cardinal de Luca, et
ce serait aux créanciers, demandant la révocation, à les
établir. Toutefois, cette règle est de nature à recevoir une profonde modification de la conduite du débiteur, et
la fraude serait facilement présumable si des actes suc
cessifs et répétés étaient venu anéantir complètement le
gage des créanciers. On verrait dans cet ensemble un
calcul à l’effet de se rendre insolvable, e t , remontant
au premier anneau de cette chaîne, on n’hésiterait pas
à le briser, si l’intérêt des créanciers l’exigeait.
Mais si l’aliénation a été faite à titre g ra tu it, il im
porterait peu que les ressources, restant encore à l’au
teur de la libéralité fussent ou non suffisantes pour l’ex
tinction de ses dettes. Personne ne peut et ne doit don
ner son bien avant de s’être libéré de ce qu’il doit. Ce
n’est pas to u t, en effet, d’avoir de quoi payer , il faut
payer réellement, e t, à défaut de ce paiem ent, se bien
garder de s’exposer à ne plus pouvoir le faire, en don
nant à autrui ce qui appartient avant tout aux créan
ciers. Celui qui agit autrement commet une faute telle
ment lourde, que, pour les créanciers, elle équivaut au
dol. Aussi, ne se demande-t-on plus s’il y a eu ou non
résolution de les tromper , mais s’ils éprouvent oui ou
non un préjudice. La certitude de celui-ci amène et
motive la révocation de la libéralité.
1451.
— La donation directe ou indirecte fait donc
présumer la fraude non seulement contre le donateur,
ir
3
�34
TRAITÉ DU DOL
mais encore contre le donataire. Celui-ci n’a d’ailleurs,
et dans aucun cas, aucuns droits légitimes sur les biens
qu’il a gratuitement reçus et qu’il ne pourrait garder
sans occasionner un préjudice grave aux créanciers de
celui dont il les tient. Son insistance à les retenir le ren
drait , en quelque sorte , le complice de la fraude. On
pourrait justement dire de lui ce qu’Ulpien dit de celui
qui excipe d’un acte qu’il sait être sans valeur : Nam
quis petit ex ea stipulatione , ipse dolum facit quod
petit.
Il n’y a donc pas à hésiter entre lui et les créanciers
du donateur , alors même que sa bonne foi aurait été
entière. Aux yeux de la loi, de la raison et de la justice,
les droits de celui qui veut se soustraire à une perte sont
plus précieux que les droits de celui qui cherche à re
tenir un gain illégitime. Or, telle est la position respec
tive des créanciers et du donataire. At ubi , dit Voët,
aller de damno vitando a g it, aller vero de lucro captando, quod est in eo qui ex causa lucrativa, utcumque bona fide , rem nactus est a debitore fraudulenter
aliénante , rectius visum fu it lucrum extorqueri cum
aliéna factura lucrum captandi, quam in damno relinqui eum qui fraudulosa débitons alienatione in ju riam passas est.'
1452.
— La seconde condition, pour le bien fondé
de l’action révocatoire, est la preuve de la fraude de ce-
1 Ad Pandectas, liv. 42, tit. 8, n° S.
�ET DE LA FRAUDE.
35
lui qui a traité avec le débiteur. Mais cette condition
n’est exigée que lorsque le tiers a traité à titre onéreux,
car, nous venons de le voir, le donataire est tenu de res
tituer , quelle qu’ait été d’ailleurs son ignorance ou sa
bonne foi.,
L’acquéreur à titre onéreux mérite les mêmes égards
que les créanciers eux-mêmes; comme eux, en effet, il
a un intérêt sérieux à la contestation, et s’il la soutient,
c’est qu’il cherche à se garantir d’une perte de damno
vitando. La position étant égale , on devait en revenir
au droit commun, suivant lequel nul ne peut répondre
que de son propre fait, suivant lequel, encore, la fraude
ne se présume pas , et c’est à celui qui l’allègue à la
prouver.
Vainement donc , la fraude du débiteur serait - elle
prouvée et acquise, l’acte à titre onéreux n ’en serait pas
moins maintenu si l’autre partie a été de bonne foi.
Celle-ci est présumée jusqu’à preuve contraire , mais
cette preuve peut être faite par témoins et par présomp
tions. Elle résulterait suffisamment de tout ce qui ten
drait à établir que le tiers a connu la fraude de celui
avec qui il a traité. Connaître une fraude et accepter une participation dans l’acte destiné à la consommer, c’est
en accepter la complicité.
Ainsi , l’action révocatoire n’est recevable que par la
double preuve de la qualité de créancier et de l’insolva
bilité du débiteur. Elle n ’est fondée que par celle de la
fraude de celui-ci et des tiers qui ont traité avec lui.
Cette dernière preuve n’est exigée que dans le cas d’un
�36
TRAITÉ DU DOL
traité à titre onéreux. La libéralité cède à la seule mau
vaise foi de son auteur.
1433.
— Le principe de l’action autorisée par l’ar
ticle \ \ 67 ne réside ni dans un droit réel accordé aux
créanciers, ni dans l’incapacité du débiteur, ni dans un
vice quelconque de l’acte attaqué. Il existe dans un en
gagement formé sans convention , par lequel les tiers ,
qui ont contracté avec le débiteur , sont liés envers les
créanciers de celui-ci. Les tiers, qui se sont rendus les
complices de la fraude , ont, par cela même, concouru
à la consommation du préjudice en résultant, et doi
vent, dès lors, le réparer. L’annulation de l’acte, à leurs
risques, périls et fortune, était la réparation la plus na
turelle. Quant aux donataires , nous avons déjà dit que
leur persistance à retenir ce qui leur a été remis au mé
pris de l’équité et de la justice, constituerait de leur part
un véritable dol.
1 434.
— L’action révocatoire est purement person
nelle et dérive d’un quasi-délit ; son but est la répara
tion d’un préjudice volontairement et sciemment occa
sionné. Ce caractère est important à retenir pour la so
lution de la question que nous aurons à examiner , à
savoir : si le tiers qui a acheté ou traité avec celui qui
tenait la chose du débiteur, peut être , comme celui-ci,
poursuivi par l’action Paulienne.'
i V. infra n° 1764.
�ET DE LA FRAUDE.
37
1435.
— Cette action appartient à tous les créan
ciers sans distinction des hypothécaires et des simples
chirographaires. Elle est même beaucoup plus utile à ces
derniers , car il résulte des conditions que nous venons
d’énumérer , que les créanciers hypothécaires pourront
souvent être sans intérêt et sans droit à l’exercer. C’est
ce qui se réaliserait notamment si, par le rang de leur
inscription, ils doivent être payés sur les biens non alié
nés ; ou si ceux qui l’ont été se trouvent spécialement
affectés à leur hypothèque. Dans ce dernier cas, l’action
hypothécaire, suffisant à toutes les exigences, ils seraient
sans intérêt et conséquemment sans droit pour se pour
voir par l’action révocatoire.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut de toute néces
sité que l’action hypothécaire puisse être utilement exer
cée. Si son résultat devait être négatif, le créancier qui
s’y serait d’abord livré dans l’espérance du contraire,
pourrait revenir sur ses pas et demander la révocation
de la vente , qu’il prouverait avoir été le résultat de la
collusion et de la fraude.
Il importerait peu qu’il n ’eût pas surenchéri en temps
utile. Un créancier peut ne pas trouver dans sa position
financière le moyen de réaliser une surenchère exigeant
une somme parfois très-considérable. Serait-il juste de
le punir de cette impossibilité par la perte de sa créan
ce, et faudrait-il que pour la conserver il se plaçât sous
le coup d’obligations devant entraîner sa ruine com
plète ?
C’est ce qu’on n’a pas cru devoir exiger, et cette doc-
�38
TKAIÏÏÏ jDU DOL
trine, déjà consacrée par de nombreux arrêts, vient de
l’être de nouveau par la Cour de cassation. Son arrêt du
17 août ] 848 décide que : le créancier inscrit, qui fait
saisie-arrêt ou requiert collocation sur le prix de l’im
meuble hypothéqué, n’est pas censé reconnaître la sin
cérité de la vente, et ne se rend pas non-recevable à
l’attaquer pour cause de dol et de fraude, et que le dé
faut de surenchère ne le rend pas non plus non-receva
ble à attaquer, pour les mêmes causes, la vente con
sentie à vil prix par le débiteur.'
1 4 36.
— L’action révocatoire doit être intentée con
tre le débiteur et contre celui ou ceux qui ont traité a vec lui. L’intérêt de ceux-ci, ne fussent-ils que des do
nataires purs et simples, à assister à l’instance est aussi
évident qu’incontestable. La demande de révocation dont
ils doivent subir les conséquences , pouvant n ’être que
le résultat d’une collusion entre celui qui l’intente et le
défendeur principal, ils doivent être mis en mesure d’em
pêcher cette fraude et de veiller utilement au maintien
de leurs droits. Comment, d’ailleurs, prouver que l’ac
quéreur à titre onéreux s’est rendu complice de la frau
de, si on ne commençait pas par le mettre en cause ?
Il suit de là que le tiers non appelé serait recevable et
fondé à attaquer le jugement par la voie de la tierce op
position .
i D. P., 49, 4, 61.
�ET DE LA. FRAUDE.
39
SECTION III.
De la
P re u v e .
S O MMA I R E .
1437.
L’admission de la preuve testimoniale était la conséquence
forcée du principe admis par l’art. 1167.
1438. La fraude contre les tiers est même présumée contre le
débiteur, lorsqu’il dispose de ses biens au détriment
de ses créanciers, alors qu’il est en pleine déconfiture.
1439. La notoriété incontestable de la déconfiture ferait facile
ment présumer la fraude contre celui qui a traité avec
le débiteur.
1440. La fraude est également présumée contre le débiteur alié
nant , à titre g ra tu it, ou refusant les ressources qu’il
est appelé à recueillir.
1441. Quid, des paiements faits par l ’insolvable.
1442. Actes présumés frauduleux chez le commerçant en état
de déconfiture.
1443. Effets de cette présomption.
1444 Dans tous les cas de fraude présumée, il suffit de prouver
le fait auquel s’attache la présomption.
1445. Hors ces ça s, les parties rentrent dans le droit commun
et doivent prouver la fraude, soit par témoins, soit par
présomptions.
�40
1446.
1447.
1448.
1449.
1450.
1451.
1452.
1453.
1454.
1455.
1456.
1457.
1458.
TRAITÉ DU DOL
Présomptions qui doivent exercer une puissante influence
sur le litige.
10 Aliénations de tous les biens. — Son caractère en droit
romain.
Cette présomption acquerrait une bien plus grande gra
vité si le débiteur ne justifiait pas de l'emploi du prix.
Il importe peu que l ’aliénation générale se soit réalisée
par un seul acte ou par des actes successifs et répétés.
2” Qualité des parties fait facilement présumer la fraude.
3° Rétention de la possession.
Comment elle se réalisera le plus souvent.
Dans quels cas devra-t-on l ’admettre ?
4° Exécution occulte et clandestine.
Suffirait-il d ’une seule de ces présomptions pour faire ad
mettre la fraude ?
Autres présomptions dont l’existence peut servir à recon
naître la fraude ?
Effet de la vilité du prix.
La pertinence des présomptions est laissée à la prudence
du juge.
1437,
— La conséquence forcée du principe consa
cré par l’art. 1167 était l’admission de la preuve testi
moniale en faveur des tiers qui l’invoquent, et qui sont
forcés d’en poursuivre l’exécution. L’existence d’un acte
même authentique est bien opposable à tous, mais il ne
prouve qu’une seule chose contre ceux qui n’y ont pas
été parties, à savoir : qu’il a été passé. Il ne peut suf
fire pour établir sa sincérité.
Ainsi dénué de toute autorité , le titre ne rentre plus
dans la catégorie de ceux contre lesquels la preuve tes
timoniale n’est pas admissible. D’Argentré qualifiait mê-
�ET DE LA FRAUDE.
il
me d’insensée l’opinion de ceux q u i , se fondant sur
l’art. 54 de l’ordonnance de Moulins, en soutenaient
l’application à l’action des tiers.
Sous l’empire du Code civil, la recevabilité de la preu
ve testimoniale n’a jamais été contestée aux tiers pour
suivant la révocation d’un contrat qu’ils soutiennent avoir été fait en fraude de leurs droits. Nous n’avons
donc pas besoin d’insister sur un principe universelle
ment admis et si conforme , d’ailleurs , aux véritables
notions d’une exacte justice.
1 458. — La preuve n’est même pas toujours né
cessaire , car, fidèle au système de se montrer d’autant
plus sévère que la fraude est plus facile et plus proba
ble, la loi en a présumé l’existence dans divers cas.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre le
débiteur lorsqu’il dispose de ses biens au détriment de
ses créanciers , dans un moment où il a lui-même la
conviction de son insolvabilité.
Il est certain que celui qui, se sachant obéré, se hâte
de faire disparaître son actif, soit par des donations,
soit par des aliénations à titre onéreux , ne peut avoir
qu’un seul b u t, celui de nuire à ses créanciers. Il ne
saurait donc se targuer de sa prétendue bonne fo i, car
la bonne foi pour l’homme insolvable est d’abandonner
la disposition ultérieure de ses biens aux seuls intéres
sés, c’est-à-dire à ses créanciers ; de ne rien faire sans
avoir appelé leur concours et leur contrôle. Celui qui
n ’invoque ni l’un ni l’autre, a intérêt à les écarter, et
�42
TRAITÉ DU DOL
c’est avec juste raison que la loi présume que cet inté
rêt est celui de la fraude.
Toutefois cette présomption ne concerne que le débi
teur. Celui qui a traité avec lui peut avoir ignoré l’état
réel de ses affaires. N’ayant, d’ailleurs, aucun devoir à
remplir envers les créanciers, la connaissance qu’il au
rait eu qu’il en existait un ou plusieurs , ne ferait pas
admettre sa complicité dans la fraude de celui avec qui
il a traité.1
1
II
!ll'iN
'1
1439.
— Mais, si l’insolvabilité était notoire, si des
actes significatifs , si des poursuite.? judiciaires l’avaient
signalée , la fraude du tiers , quoique non présumé de
droit, serait facilement admissible. Pour peu que cet in
dice fût accompagnée d’autres circonstances suspectes,
on ne devrait pas hésiter à la consacrer. C’est ce que la
Cour de cassation a décidé en jugeant, le 4 2 janvier
4 8 4 9 , que l’acte par lequel un débiteur en état d’in
solvabilité vend ou hypothèque ses immeubles à l’un
de ses créanciers qui connaissait cette insolvabilité, a pu
être annulé comme fait en fraude des autres créanciers,
s’il a été consenti durant les poursuites exercées par ces
derniers, et, par exemple, dans l’intervalle d’une remise
de cause.3
L’arrêt, contre lequel le pourvoi était rejeté , n’avait
pas fondé la nullité de l’acte uniquement sur l’état réel
1 L. 2, Dig. S 4, Quce in fraud. crédit.
2 D. P., 49, 1, 127.
�ET DE LA FRAUDE.
43
et connu du débiteur , c’eût été appliquer à la déconfi
ture civile des règles spécialement réservées pour les fail
lites. Mais, admettant que cette circonstance rendait sus
pecte la bonne foi du tiers , il s’appuie sur elle et sur
quelques autres faits corroborant cette suspicion, il ad
met la complicité de la fraude.
Ces autres faits étaient, dans l’espèce, la qualité du
créancier , et la nature de la créance. C’était le propre
fils du débiteur qui obtenait une hypothèque, la créance
qu’on voulait garantir était une donation contractuelle
faite dans le contrat de mariage de ce fils ; et l’on com
prend que tout cela se réalisant lorsque le père , étant
activement poursuivi par ses créanciers, était à la veille
de se voir exproprié de ses biens, il y avait certes, dans
un pareil ensemble , une preuve plus que suffisante de
l’intention frauduleuse de toutes les parties.
Ce qui se rencontrait là pourrait s’offrir ailleurs et
résulter des faits sinon identiques, peut-être aussi signi
ficatifs. Dans tous les cas, l’insolvabilité du débiteur reste
la causa simulandi , dont les effets nous étaient tout à
l’heure enseignés par le judicieux De Luca.
Ainsi le prêt prétendu fait à un homme notoirement
insolvable paraîtrait justement suspect. Ce premier doute
acquerrait une plus forte gravité si l’acte constatant le
prêt ne constatait pas la réelle et actuelle numération
des espèces, sans qu’on indiquât aucune trace plausible
de versements ni de créances antérieurs. Enfin, la po
sition du prétendu créancier pourrait, à son tour, mili
ter contre la sincérité de la créance pouvant et devant
�44
TRAITÉ DU DOL
dès lors être considérée comme une fraude contre les
créanciers légitimes.
II en serait de même pour la vente faite par l’insol
vable. L’acquéreur, connaissant celte insolvabilité, pour
rait être soupçonné avoir spéculé sur cet état et s’être,
dès lors, prêté à une fraude dont il recueillait ainsi un
bénéfice. Ce soupçon pourrait devenir une certitude si
l’acte renfermait des clauses extraordinaires et insolites,
surtout si les objets, faisant la matière de la vente , lui
avaient été cédés à vil prix.
Ainsi, l’insolvabilité fait légalement présumer la frau
de contre le débiteur. Quant aux tiers qui ont traité a vec lui , la connaissance de cette insolvabilité ne suffit
pas pour les constituer en mauvaise foi. Mais elle crée
une telle prévention que l’admission de cette mauvaise
foi serait la conséquence de quelques autres circonstan
ces suspectes venant l’étayer et l’aggraver.
1440.
— La fraude est encore légalement présumée
contre le débiteur aliénant à titre gratuit ou refusant de
réunir à son actif les ressources qu’il serait appelé à
recueillir.
Nous l’avons déjà dit, donner ses biens sans avoir au
préalable payé ses créanciers, est un acte trop anormal
pour ne pas lui supposer une arrière pensée. Cette ar
rière pensée ne peut être que celle de nuire à ces créan
ciers, si, par le fait, l’aliénation est dans le cas de leur
causer un préjudice.
Cela est plus évident encore, lorsque l’aliénation ré -
�ET DE LA FRAUDE.
45
suite d’une répudiation , surtout lorsque l’objet répudié
n’offrait que des avantages sans inconvénients. Refuser
d’accepter ce que tant d’autres recherchent avec la plus
vive ardeur, ne peut être interprété dans un autre sens
que celui de la fraude. C’est qu’on se sera entendu avec
celui qu’on se substitue, et qu’au moyen d’une collusion
facile on recueillera le bénéfice sans risquer de le com
muniquer à ses créanciers.
Au reste, le refus d’accepter, fût-il pur de tout calcul
de ce genre, ne se serait-il réalisé qu’en haine des cré
anciers et pour ne pas accroître leur gage, que ce des
sein, suivi d’exécution, n’en constituerait pas moins la
fraude. Or, comme la répudiation ne peut avoir que l’un
ou l’autre de ces motifs , c’est avec raison que la loi la
présume de plein droit frauduleuse.
1441,
— Les paiements faits par l’insolvable ne peu
vent être, à moins de circonstances extraordinaires, con
sidérés comme frauduleux. D’une part, en effet, la dé
confiture civile laisse le débiteur dans la plénitude de
ses droits , ne lui enlève aucune de ses actions. En cet
état, éteindre une dette échue et dont le paiement est de
mandé, n’est qu’un acte d’administration. D’autre part,
payer régulièrement et en espèces n’a en lui-même rien
de suspect, surtout lorsque la loi n ’a pas imposé le de
voir de s’en abstenir. Conséquemment, le débiteur qui
s’y est livré ne saurait, par cela m êm e, avoir fait une
fraude.
Quant au créancier ayant reçu son paiem ent, il est
�46
TRAITÉ DU DOL
évident qu’on ne pourrait lui en faire un reproche. La
loi permet à chacuîi de veiller à ses propres intérêts,
d’exiger le paiement de ce qui lui est dû. Dès lors, com
ment blâmer celui qui a vu sa vigilance et ses efforts
couronnés de succès. Il importe peu qu’il ait ou non
connu l’état d’insolvabilité. Dans tous les cas, il n ’a re
çu que ce qu’il avait le droit de recevoir , et un pareil
fait ne saurait jamais constituer une fraude. Il y a plus,
le paiement anticipé qu’il aurait accepté ne donnerait
aux autres créanciers que le droit de faire rembourser
les intérêts courus depuis le jour du paiement jusqu’à
celui de l’échéance, s’ils n’avaient pas été escomptés déjà
par le débiteur.'
1442.
— Mais il n’en est pas de même de la décon
fiture commerciale. Celle-ci constitue l’état de faillite
créant de nombreuses présomptions de fraude.
Ainsi, la fraude est légalement présumée contre tou
tes les parties :
1° Pour les paiements faits depuis la cessation ou
dans les dix jours qui l’ont précédée , de dettes non échues ou pour dettes échues , autrement qu’en espèces
ou effets de commerce ;
2° Pour tous les actes , même à titre onéreux , faits
dans la même période ;
3° Pour les hypothèques, droits de nantissement ou
de gage conférés pour dettes antérieurement contrac
tées ;
1 L 10, S 12; — L. 47, § 2
L 24, Dig. Qi«e vu fraudent crédit.
�ET DE LA FRAUDE.
47
4° Pour l’hypothèque, quoique légalement conférée,
si l’inscription n’en a été requise qu’après plus de quin
ze jours delà date du litre constitutif;
5° Enfin , pour les paiements de dettes échues, faits
en espèces ou effets de commerce , si le créancier payé
connaissait l’état de faillite.
1443. — Toutes ces présomptions n’agissent pas
d’une manière identique. Les unes n’admettent pas la
preuve contraire, les autres la permettent. C’est ce que
nous avons établi dans notre Commentaire sur les fa il
lites, auquel nous nous bornons à renvoyer.1
1 4 44. —- Dans tous les cas où la fraude est présu
mée par la loi, le demandeur n’a qu’à justifier le fait
auquel la présomption est attachée. Son existence suffit
pour faire admettre la fraude ou pour obliger le défen
deur à fournir la preuve contraire , suivant que cette
preuve est ou non admissible.
1 4 4 5 . — Partout où cette présomption ne résulte
pas d’une disposition de loi ou d’un fait, les parties ren
trent dans le droit commun. C’est à celui dont le droit
se fonde sur la fraude alléguée , à fournir la preuve de
son existence. Nous avons dit que cette preuve peut être
faite par témoins.
Mais toutes les fois que la preuve orale est admissi
ble, celle par présomptions le devient également. Dans
�48
TRAITÉ DU DOL
la matière qui nous occupe , il est même évident que
c’est à cette dernière qu’on sera le plus habituellement
forcé de recourir. Le fait m atériel, à savoir : l’aliéna
tion ou l’obligation souscrite, ne pourra jamais être con
testé, puisque c’est son existence même qui sert de base
à l’action. La difficulté se rencontrera donc dans l’in
tention respective des parties, et comment espérer éclai
rer cette intention par la déposition de témoins. Est-ce
que ceux qui se disposent à frauder sont dans l’habi
tude de faire des confidences ou de publier leurs projets?
Il faudra donc demander la solution du litige aux
déductions logiques , aux faits du procès , aux circons
tances ayant précédé , accompagné ou suivi le contrat,
en un mot, aux présomptions.
1446.
— Les auteurs anciens ont beaucoup écrit sur
la nature, la qualité, le nombre des présomptions qu’on
devait exiger. Les plus judicieux arrivaient cependant à
cette conclusion, qu’en pareille circonstance, il ne sau
rait exister de règles certaines ou absolues. Que chaque
espèce avait ses caractères particuliers, ses exigences spé
ciales, et qu’ainsi, telles ou telles présomptions , jugées
suffisantes dans un cas, pourraient ne pas le paraître
dans un autre; que c’était donc à la conscience du juge
à se prononcer, selon les inspirations qu’elle puiserait
dans un mûr examen de chaque cause. Ces principes
sont encore aujourd’ui les seuls vrais, les seuls admis
sibles.
Mais, et sans empiéter sur les fonctions de la magis-
�49
ET DE LA FRAUDE.
trature , on peut reconnaître qu’il est certains faits qui
auront nécessairement une importante influence sur le
sort du litige. Dans cette catégorie se placent l’aliénation
de tous les biens, la qualité des parties, la rétention de
la possession des choses prétendues aliénées, le mystère
et la clandestinité de l’opération.'
1 4 47. — 1° Aliénation de tous les biens.
Cette circonstance avait pris, dans le Digeste, le ca
ractère d’une présomption légale, à tel point qu’elle
dispensait de rechercher qu’elle avait été l’intention du
débiteur : Quamvis non proponatur consilium fra u dendi habuisse, tamen qui creditores habere se scil,
et universa bona sua alienavit, intelligendus est fraudandorum creditorum consilium habuisse/
Comment, en effet, interpréter autrement une pa
reille conduite? Qu’un homme puisse, par convenance,
par calcul et quelquefois même par besoin, se défaire
de quelques-uns de ses immeubles, on le comprend.
Mais aliéner tout ce qu’on possède, pour se trouver en
suite en présence d’une masse de créanciers non payés,
c’est évidemment n ’avoir agi que pour se soustraire à
des exécutions, en dénaturant sa fortune et en la fai
sant disparaître.
1 4 48. — La présomption tirée de l’aliénation de
1 Perezius, ibid., titre 75, livre 7, n° 4 0.
L. 47, § 4, Dig. Quœ in fraud. crédit.
2
IV
4
�50
TRAITÉ DU DOL
tout ou de la plus grande partie de ce qu’on possède,
acquerrait une autorité encore plus imposante si, inter
pellé d’indiquer l’emploi des ressources en provenant,
le débiteur était dans l’impossibilité d’en rendre un
compte satisfaisant. Si l’aliénation inspire la pensée
d’une fraude, cette impossibilité en justifierait l’existen
ce; en démontrant le détournement du prix, elle assi
gnerait un but à la conduite du débiteur, et ce b u t,
n’étant que le détournement lui-m êm e, serait la dé
monstration la plus palpable de la fraude opérée contre
les créanciers.
Ceux-ci étant recevables à demander compte de l’em
ploi du prix, sont également recevables à soutenir que
les créances prétendues payées par le débiteur n’étaient
ni sérieuses, ni sincères, La preuve de leur simulation
ne permettrait plus de concevoir un doute sur la certi
tude de la fraude reprochée.
14 4 9 .
— Remarquons que la présomption , se ti
rant de l’aliénation de tous les biens, peut également
naître d’une aliénation partielle plusieurs fois répétée.
Ainsi, l’ensemble de la conduite du débiteur peut don
ner des indices qui ne sont pas à dédaigner. Si, après
avoir vendu un premier immeuble sans nécessité bien
démontrée, il en vendait un second, un troisième, etc.,
on pourrait voir dans la fréquence et le nombre de ces
aliénations, une présomption qui, quoique moindre que
celle résultant d’une aliénation totale, ne manquerait
cependant ni de gravité, ni de valeur.
�ET DE LA FRAUDE.
Si
Ajoutons que la nature des aliénations est une cir
constance décisive. Si elles avaient été réalisées à titre
gratuit, la fraude, nous l’avons déjà dit, serait de plein
droit admise en faveur des créanciers.
1 4 5 0 . — 2° Qualité des parties.
Cette présomption se mesure, quant à ses effets, sur
le degré de parenté ou d’alliance existant entre les par
ties contractantes. La proximité fait présumer facilement
la fraude, et ce principe du droit romain, notre loi se
l’est appliquée lorsque, s’agissant de la simulation par
interposition de personnes, elle considère de plein droit
comme personne interposée l’ascendant, le descendant,
l’époux de l’incapable ou ses alliés au même degré.
C’est aussi que l’intérêt de l’un est en quelque sorte
l’intérêt de l’autre; qu’indépendamment du lien intime
qui les unit, ils ont, en outre, la faculté de frauder,
au moyen de ces pactes de famille qui permettent toute
sorte d’abus , clandestinis et domeslicis fraudibus ,
quibus quidvis facile confingi potest.1 Alors, en effet,
il est facile de faire revivre des droits sérieux dans l’ori
gine, mais qui avaient été légalement éteints, de déchi
rer des quittances , de dissimuler des traités. C’est ce
qui se réalisait dans l’hypothèse de l’arrêt de la Cour
de cassation du 12 février 1849, plus haut cité. L’hy
pothèque annulée ayant été accordée au fils pour la ga-
1 Perczius, loco cilato, ri0 4 0.
�521
TRAITÉ DU DOL
rantie d’une donation contractuelle que tout faisait pré
sumer avoir été depuis longtemps réalisée.
Or , ce que les parents les plus rapprochés sont ca
pables de faire par affection et intérêt, des parents plus
éloignés peuvent le faire par affection ou seulement par
complaisance. Le désir de venir au secours d’un parent
fait fermer les yeux sur la nature du moyen employé
et sur la gravité du préjudice qu’on va occasionner à
des intérêts légitimes.
Il est donc impossible d’accepter comme l’expression
de la vérité pure un acte intervenu entre de telles par
ties, alors surtout que par le fait cet acte constitue un
préjudice, en dépouillant des créanciers du gage sur le
quel ils'devaient compter.
1451.
— 3° Rétention de la possession par le pré
tendu vendeur.
La conséquence la plus directe, la plus immédiate de
toute aliénation est, sans contredit, le transfert de la
propriété de la chose aliénée, avec ses attributs natu
rels, et notamment la jouissance qui en est le principal.
On n’achète pas pour ne pas jouir, pas plus qu’on
ne vend pour retenir la chose ; conséquemment, d’une
part, l’abandon de cette jouissance, de l’autre la réten
tion de la possession constituent une double et inces
sante protestation contre la sincéritéIde l’opération.
Un pareil fait n’a qu’une signification logique. Ce
qu’on a voulu réellement c’est, par le déplacement no
minal et apparent de la propriété, en assurer le béné-
�ET DE LA FRAUDE.
53
fice au prétendu vendeur en l’exonérant de toutes les
charges. Ici encore, l’évènement, à savoir : le préjudice
que les créanciers sont dans le cas d’en éprouver, vient
résoudre avec la plus évidente certitude le doute que
l’existence de l’acte peut créer.
1452.
— Cela est tellement certain pour les parties
elles-mêmes, qu’elles se garderont bien de faire de cette
rétention une des conditions apparentes du contrat, ou
de l’insérer dans ses stipulations. Ce sera tacitement,
par une contre-lettre secrète, ou par une prétendue
convention de bail que cette importante modification
de la vente sera arrêtée.
Mais qu’elle que soit la forme employée, ce qui sera
décisif, c’est le fait en lui-même : Plus valet quod agitur quam quod simulate concipitur. Il suffira donc de
la matérialité convenue ou prouvée, pour que l’atten
tion de la justice soit vivement excitée , et que l’inten
tion réelle des parties soit l’objet des plus sévères inves
tigations.
1455.
— La rétention de la possession se réalise,
soit que le vendeur ait continué d’exploiter les biens
vendus par lui-même ou par un fermier choisi par lui,
et agissant sous son autorité ou par son ordre, soit que
paraissant retirer lui-même les fruits, l'acheteur en ait
fait annuellement compte à son prétendu vendeur. Cha
cun de ces faits peut être l’objet d’une preuve testimo-
�54
TIÎAJTÉ DU DDL
niale dont la recevabilité, en faveur des créanciers, ne
pourrait être contestée.
Dans plusieurs circonstances, et pour mieux colorer
la fraude, la rétention de la possession se couvrira du
prétexte d’un bail consenti par l’acheteur lui-même ou
par un intermédiaire qu’on aura interposé pour accré
diter d’autant la sincérité de l’opération. Mais le sousbail, comme le bail lui-même, est repoussé par un mo
tif qui, n ’ayant rien de légal, est cependant fondé sur
la nature des choses. En général, on n’aime pas à se
voir, à titre de mercenaire, sur une propriété qu’on
possédait à titre de propriétaire, et dont la vue inces
sante augmente et entretient le souvenir des contrariétés
et des malheurs qui l’ont fait sortir de vos mains. La
conduite contraire indique une dose de philosophie qu’il
n’est pas donné à tout le monde de posséder.
Tout ce qui n’est pas naturel n’est pas vraisemblable.
Aussi l’existence du bail, en pareilles circonstances,
le rendra suspect de n’êlre que le complément néces
saire de la fraude. Il est même une hypothèse où ce
soupçon deviendrait une certitude, à savoir : celle où le
prétendu preneur, simple propriétaire ou industriel, se
rait obligé, pour exécuter le bail, de recourir à un souspreneur.
1 4 54. — 4° L’exécution occulte et clandestine.
Les parties qui donnent à leur convention une exé
cution occulte et clandestine prouvent, par cela même,
par leur propre témoignage, le peu de sincérité de cette
�ET DE LA FRAUDE.
55
convention. Si elles se cachent, c’est qu’elles craignent,
c’est qu’elles ont recours au mensonge et à la ruse ,
c’est, enfin, qu’elles veuleut tromper ceux qu’elles pré
tendent laisser dans l’ignorance la plus complète sur
un fait qu’il leur importerait de connaître. La vérité
loyale et franche n’a pas besoin de mystère, elle peut se
présenter et dédaigner toutes précautions de ce genre.
Ce n’est donc pas elle que les parties ont voulu sous
traire à tous les regards ; comment, d’ailleurs, ne pas
faire soupçonner la fraude, lorsqu’on en emprunte les
allures et la forme ?
4 455. — Chacune de ces présomptions générales a
par elle-même une valeur réelle et incontestable. Suffi
rait - elle pour faire admettre l’action des créanciers ?
C’est là une question que la conscience du juge peut
seule résoudre, si jamais elle pouvait s’élever. En effet,
il est peu présumable que cette présomption s’offre dans
une circonstance sans qu’elle soit accompagnée d’autres
faits qui, venant à son appui, détermineront la convic
tion qu’elle tend à établir.
1456.
— En effet, à côté de ces présomptions gé
nérales, il en existe une foule d’autres que chaque es
pèce est dans le cas de faire surgir. Ainsi, l’acte sous
seing-privé, les clauses extraordinaires qu’il peut renfer
mer, le défaut de mention de la réelle numération dans
l’acte public, l’insolvabilité notoire d’une des parties, la
�56
TRAITÉ DU D0L
déconfiture, la position de fortune du prétendu acqué
reur ou prêteur, enfin la vileté du prix.
1457.
— Sans doute, on pourrait dire avec M.Troplong1, que le prix conventionnel, quoique modique,
n’en est pas moins sérieux dès que l’intention de l’exi
ger est certaine ; qu’ain si, il ne suffit pas que le prix
ne soit pas en proportion avec la valeur réelle de la
chose, pour qu’on soit autorisé à conclure à la fraude.
Si cela peut être admis , c’est évidemment lorsque le
vendeur , libre de toute obligation envers des tiers , a
l’entière disposition de sa fortune. La partie du prix
qu’il consent à ne pas exiger est acquise à l’acquéreur
à titre, pour ainsi dire, de libéralité. Or,celui qui pour
rait donner to u t, p e u t, incontestablement, donner une
part quelconque. On conçoit donc qu’il ne pourrait ob
tenir la résiliation de la vente sur le prétexte de la vi
leté du prix.
Mais il ne saurait en être de même dans l’hypothèse
nous occupant. Celui qui a des créanciers doit tout d’a
bord les satisfaire. Si, avant de remplir ce devoir, il dis
trait ou détourne une partie de son actif, il commet,
par cela seul , une fraude dont les créanciers sont au
torisés à lui demander compte.
Or, ce détournement s’opère par une vente à vil prix
comme par une soustraction matérielle. Cette vente est
considérée dès lors comme faite en fraude de ceux-ci.
III
tu.
■
A
1 De la vente, art. 4592, n° 450,
\
.
�ET DE LA FRAUDE.
57
Elle doit d’autant plus l’être que cette vileté du prix
peut n’être qu’apparente , e t, conséquemment, que le
résultat d’un concert entre les parties pour s’avantager
mutuellement au détriment des tiers.
Dès lors la vente à vil prix crée une présomption de
fraude contre le débiteur. Ce qu’il a consenti à ne pas
exiger de la valeur réelle , est un abandon volontaire,
une véritable donation qu’il ne devait pas, qu’il ne pou
vait pas consentir avant de s’être libéré de ses dettes.
On doit d’autant mieux le décider a in si, que la vente,
à l’effet de soustraire ce qui en fait l’objet aux poursui
tes des créanciers, est essentiellement frauduleuse; que
la vileté du prix ne sera que la conséquence de la né
cessité de vendre à tout prix , pour sauver au moins ce
que l’acheteur consentira de donner.
Relativement à ce dernier , la vileté du prix qu’il
donne perdrait de son importance, si la différence en
tre le prix stipulé et la valeur réelle est de peu d’impor
tance. Chacun veut acheter au plus bas prix possible, et
l’exercice de ce droit ne peut jamais constituer une
fraude.
Mais si la différence est considérable, si elle est cer
taine, visible, palpable, rien ne peut justifier l’acheteur.
S’il l’a exigée , c’est qu’il a connu la position du ven
deur, la nécessité dans laquelle il s’est trouvé de vendre
et le but qu’il s’est proposé. S’il s’est borné à accepter
l’offre que lui aurait faite ce dernier, cette offre aurait
dû alarmer sa loyauté et lui faire soupçonner la fraude.
�58
TRAITÉ DD DOL
II a donc volontairement consenti à profiter de cette
fraude, s’il ne l’a pas exploitée à son profit, e t , dans
l’un et l’autre cas, la révocation est la juste récompense
de sa conduite.
Enfin, les antécédents et la moralité des parties four
nissent un utile contingent à l’appréciation des actes in
tervenus entre elles.
Nous n’avons pas épuisé la série des présomptions
relevées par les auteurs tant anciens que modernes.
Nous avons dû nous borner à rappeler celles qui seront
le plus habituellement invoquées devant les tribunaux.
1458.
— Ce que nous devons ajouter, sans revenir
autrement sur ce que nous avons déjà dit ', c’est que
la pertinence des présomptions est souverainement ap
préciée par le juge. Appelé à prononcer comme juré, le
magistrat ne doit compte qu’à sa conscience de la con
viction qu’il puise dans l’ensemble des faits et circons
tances du procès.
1 V. supra n°s 254 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
59
'
SECTION IV.
A quels actes s’applique l’actiofs.
S O MMA I R E .
1459.
1460.
Tous les contrats peuvent être attaqués par l ’action Paulienne; à quelles conditions ?
Division.
1 4 5 9 . — Tous les contrats peuvent être attaqués par
l’action Paulienne, à ces deux conditions néanmoins :
1° qu’ils soient de nature à causer un préjudice aux
créanciers : 2° qu’ils aient été souscrits dans cette in
tention, En d’autres termes, nous retrouvons ici les exi
gences requises en matière de dol : Comilium et eventus.
Toutefois, le premier de ces caractères peut résulter
de la nature du contrat. Ainsi, les libéralités à titre gra
tuit le font admettre de plein droit. Telle était la doc
trine du droit romain que nous avons déjà eu l’occasion
de rappeler, telle est celle que notre droit ancien a lé
gué à notre Code actuel.
�60
TRAITÉ DU DOL
ï 4 6 0 . — Pour procéder avec plus de méthode et
de clarté, nous allons, dans des articles spéciaux, trai
ter des principaux contrats pouvant être attaqués par
l’action Paulienne , et examiner pour chacun d’eux les
effets qu’elle est dans le cas de produire, et sa durée.
§ i.
Du
M ariage.
SOMMAIRE.
1461.
La loi n’a pas compris la simulation au nombre des moy
ens admis pour attaquer le mariage ; pourquoi ?
1462. Etranges conséquences que la doctrine contraire créerait.
1463. Mais pourra-t-on soutenir que le mariage n ’a été qu’un
moyen pour acquérir frauduleusement des avantages
attachés à sa célébration ?
1464. Espèce dans laquelle l ’affirmative a été jugée.
1465. Le mariage de la malade avec le médecin qui l’a soignée
dans la maladie dont elle est morte, fait-il disparaître
l ’incapacité dont le médecin est frappé ?
1466. La ratification expresse ou tacite de la part des héritiers
couvrirait l ’invalidité du mariage. — Conséquence
quant à la prescription.
�RT DE LA FRAUDE.
1467.
61
La constitution dotale consentie par le père peut être at
taquée par les tiers, comme faite en fraude de leurs
droits.
1468. Système du droit romain ; distinction entre la fille et le
gendre, quant aux effets de la fraude.
1469. Ce système devint celui de notre ancien droit.
1470. Le Code ne contient à cet égard aucune disposition ex
presse.—Jurisprudence jusqu’en 1847.
1471. Arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1847, statuant
que, pour la fille elle-même, la constitution dotale est
faite à titre onéreux.
1472. Critique que M. Dalloz fait de cet arrêt.
1473. Réfutation.
1474. Persistance de la Cour de cassation dans la jurisprudence
de l ’arrêt de juin 1847.
1475. Conclusion.
1476. Conditions indispensables pour que la donation soit con
sidérée comme faite en vue du mariage.
1477. Les créanciers du mari peuvent-ils attaquer la reconnais
sance et la quitlance frauduleuse de la dot contenue
dans le contrat de mariage ?
1478. Quid, de la quittance de la dot consentie pendant la durée
du mariage ?
1479. Le droit qu’ont les créanciers peut-il être exercé par les
héritiers du mari ?
1480. Opinion des auteurs anciens.
1481. Solution que les dispositions du Code , sur les donations
entre époux, font consacrer.
1482. Droit des héritiers de demander la réduction en cas d’ex
cès.
1483. Dangers que la séparation de biens fait çourir aux créan
ciers.
1484. A la femme elle-même.
1485. Faculté accordée à celle-ci de pendre toutes mesures con
seil atoires.— Etendue de cette faculté.
�6Ü5
1486.
TRAITÉ DU DOL
Celle faculté comprend-elle le droit de faire apposer les
scellés sur les effets de la communauté ?— A quelles
conditions le mari pourra-t-il en obtenir la levée ?
1487. La gravité de ces mesures en a fait soumettre l ’exécution
à l ’autorisation préalable du président du tribunal
civil.
1488. Mais la requête aux fins de cette autorisation n ’a pas be
soin d’être communiquée au mari.
1489. Caractère de l ’autorisation.
1490. Toutes les mesures autorisées en cas de demande en sé
paration de biens, peuvent être réalisés par la femme
demanderesse en séparation de corps.
1491. La séparation de biens, qui n’est que la conséquence de
la séparation de corps , n ’est pas soumise, quant à la
demande, à la publicité exigée pour la poursuite de la
première.
1492. Abus qu’on a fait de la séparation de biens.
1493. Précautions que cet abus avait suggérées au législateur.
1494. 1° Publicité de la demande.—Son objet.
1493. Le créancier intervenant a le droit de contester la demande
et de la faire rejeter.
1496. Effet du défaut de publicité.
1497. 2° Conditions d'admissibilité de la demande.—Epoque du
jugement.
1498. Le délai exigé par l’art. 869 du Code de procédure civile
est prescrit à peine de nullité.
1499. Obligation pour la femme de prouver le désordre des af
faires de son mari. — Sévérité que les tribunaux doi
vent apporter dans son accomplissement.
1500. Faits tendant à établir cette preuve.—Preuve orale.
1301. Peut être ordonnée d ’office par le juge.
1502. 3° Publicité du jugement.—Son objet.
1503. Elle est prescrite à peine de nullité.
1504. 4“ Exécution du jugement. — Présomption résultant de
son absence.—Délai dans lequel elle doit s’accomplir.
�ET DE LA FRAUDE.
4505.
1506.
1507.
1508.
1509.
1510.
4511.
1512.
1513.
1514.
1515.
1516.
1517.
1518.
1519.
1520.
4521.
63
Motifs pour lesquels la loi assimile la poursuite à l'exécu
tion.
Controverse que la nécessité d’agir dans la quinzaine a
fait naître.—Dans quel sens elle a été tranchée.
Constatation que doit recevoir l ’exécution volontaire.
Si l’exécution consiste dans le paiement, ce paiement doit
être réel et intégral, au moins jusqu’à concurrence
des biens du mari.
A défaut de paiement, la poursuite doit être commencé^
dans la quinzaine et continuée sans interruption.
Exception que cette règle comporte.
Caractère du jugement régulièrement rendu entre les époux et entre les tiers.—Faculté pour ceux-ci de l’at
taquer pendant un an.
Effet du silence gardé par les créanciers pendant ce délai.
Les créanciers postérieurs à la séparation ne peuvent se
plaindre de l’exécution tardive qu’elle aurait reçue, à
moins que cette exécution n ’eùt été postérieure à la
date de leur créance.
Les créanciers qui ont laissé expirer l ’année sans récla
mer sont-ils recevables à attaquer la séparation com
me faite en fraude de leurs droits ?
Conclusion.
L’effet rétroactif du jugement de séparation au jour de la
demande, est-il opposable aux tiers comme au mari?
Distinction à l ’aide de laquelle cette question doit être ré
solue.
La dissolution du mariage par la mort d’un des époux peut
devenir une occasion de fraude.
Le détournement de l’actif est la fraude la plus redouta
ble.
Caractère de ce délournement pour la femme dotale ou
commune en biens.
Droits que la loi reconnaît à la femme relativement à la
communauté.
�64
TRAITÉ DU DOL
1522. Effets produits , quant à c e , par le recelé dont elle se
rend coupable.
1523. Effets du recélé commis par le mari ou ses héritiers.
1524. Les peines édictées par la loi doivent-elles seules être ap
pliquées, et devrait-on refuser les dommages-intérêts
réclamés.
1525. La femme renonçante ne pourrait exciper de son recélé
pour se faire restituer contre la renonciation.
1526. Les héritiers du mari peuvent ne pas faire prononcer la
nullité de la renonciation.
1527. Mais dans tous les cas , et par rapport aux créanciers , la
femme est commune par cela seul qu’elle a recélé.
1528. La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la renon
ciation qu’ils n’auraient faite que par une conséquen
ce des recélés commis par le mari.
1529. Doit-on placer sur la même ligne le recélé et la fausse
supposition de créances à la charge de la succession?
1530. Droit des créanciers de la femme de faire annuler la re
nonciation qu’elle aurait faite en fraude de leurs
droits.
1531. Comment s’établirait la preuve de celte fraude?
1532. Les créanciers personnels de l’héritier de la femme ont le
même droit contre la renonciation émanée de celui-ci.
1533. Les créanciers de la femme ou de son héritier peuvent-ils
quereller l ’acceptation faite par l’un ou par l’autre?
1534. Effet de la révocation obtenue par les créanciers.
1535. L’action en révocation de la renonciation ou de l’accepta
tion se prescrit par dix ans— Doutes sur le point de
départ de ce délai.
1536. Le détournement commis avant la dissolution du mariage
est assimilé au recélé.
1537. Caractère que doit avoir celui-ci.
1538. L’action d’un époux, pour la répression des fraudes com
mises à son préjudice par|son conjoint pendant la du
rée du mariage, passe à l’héritier.
�ET DE LA FRAUDE.
1539.
65
La femme peut-elle obtenir contre les tiers la nullité des
baux de ses biens paraphernaux consentis par le
mari?
1461.
— Le mariage était un acte trop important,
trop solennel, pour qu’on l’abandonnât aux règles tra
cées par le Code pour les contrats ordinaires. Indisso
luble par essence, recevant la double sanction de la loi
et de la religion, destiné à devenir la source de la fa
mille , il touchait de trop près à l’intérêt social, pour
qu’il ne dût pas être rangé, quant à ses conditions et
ses formes, dans une catégorie spéciale.
C’est ce que le législateur a parfaitement compris ,
aussi le voyons-nous, dans un titre particulier du Co
de, régler tout ce qui lui est relatif, circonscrire les
moyens de nullité dans un cercle très étro it, dire par
qui, quand et comment ils pourraient être opposés.
La simulation n’a nullement été placée au nombre
de ces moyens de nullité. Ce silence suffirait donc pour
faire écarter la demande à laquelle elle servirait de ba
se. Indépendamment de son caractère légal et juridique,
cette conclusion découlait invinciblement de la nature
des choses et de la raison la plus évidente.
En effet, on ne peut se faire une idée d’un mariage
simulé dans l’acception ordinaire de ce mot. La sim u
lation suppose que l’acte que les parties ont fait en ap
parence est tout autre que celui qu’elles ont voulu et
entendu faire en réalité : Cum aliud agitur, aliud simulatur ; il faut donc, pour qu’on puisse en admettre
�66
TRAITÉ DU DOL
l’existence, qu’à côté du contrat apparent puisse se pla
cer la possibilité d’un autre qu’on devra préférer. Or,
que pouvaient vouloir ceux q u i, après l’accomplisse
ment des formalités espéciales, ont procédé à la célébra
tion civile et religieuse de leur mariage, sinon se marier?
1 4 62. - A ce point de vue donc, on ne compren
drait pas le reproche d’une simulation. On le comprend
bien moins encore en présence des conséquences véri
tablement étranges auxquelles la doctrine contraire ar
riverait infailliblement.
Ainsi, et par cela seul que le mariage est célébré, ses
effets légaux se produisent en faveur et contre tous. Les
époux ne peuvent contracter un nouveau lien sans en
courir la peine de la bigamie; la femme est de plein
droit placée sous l’autorité maritale ; les enfants nés de
ce mariage sont par cela seuls légitimes ; ceux que l’é
poux aurait d’une autre personne que de son conjoint
seraient adultérins. Tout cela serait cependant un men
songe I On viendrait soutenir que le mariage est simu
lé; que les parties n’ont pas eu l’intention de s’unir ;
qu’elles ne se sont pas réellement et sérieusement épou
sées ; que leur consentement n’a été qu’une comédie,
c’est-à-dire qu’on aboutirait à la plus monstrueuse ab
surdité.
Le maintien absolu du mariage et la prohibition de
l’attaquer par simulation sont donc justifiés par la sim
ple raison et commandés par le bon sens.
1463. — Mais si le mariage ne peut être querellé,
�ET DE LA FRAUDE.
67
pourra-t-il l’être comme moyen de simulation ? Est-on
recevable à soutenir qu’il n’a été consenti que pour ac
quérir des avantages soumis à cette condition ou pour
éluder une incapacité légale ?
1 464.
— Déjà nous avons cité une espèce dans la
quelle la Cour d’Aix, par arrêt du 4 mars 1813, sans
s’expliquer sur le mariage en lui-même, refusa de lui
faire produire les effets en vue desquels elle le déclara
frauduleusement consenti.1
1 4 6 6 . — L’incapacité édictée par l’article 909 a
fourni de nombreux exemples de la seconde hypothèse.
Un médecin, voulant échapper à cette disposition et re
cueillir les biens de sa malade , l’épouse dans la durée
de la dernière maladie. Ce mariage fait-il disparaître
l’incapacité et rend-il le médecin apte à recueillir les li
béralités qu’il obtient par ce moyen ?
La question ne saurait être douteuse pour les libéra
lités antérieures au mariage. En supposant même que
le mariage fit disparaître l’incapacité, cet effet ne se
réaliserait que pour l’avenir, à dater de sa célébration,
mais il ne ferait pas disparaître cette incapacité pour
le passé. Tout ce qui aurait été fait avant le mariage
et pendant la maladie serait donc frappé de nullité, si
cette maladie s’était terminée par la mort.
Mais l’annulation de tout ce qui aurait suivi le ma-
i V. supra, n°s 342 et suiv.
�68
TRAITÉ DU DOL
riage fait naître beaucoup plus de difficultés. L’art. 909,
a-t-on dit, et cela est vrai, ne concerne pas le mari mé
decin donnant les secours de son art à sa femme ma
lade. C’est là non-seulement exercer un droit, mais en
core remplir un devoir que sa tendresse d’époux auto
rise , que la morale sanctionne. On ne saurait donc ,
sans une révoltante injustice, condamner, comme une
odieuse spéculation, ce qui n’est que la conséquence
d’une affection légitime.
Mais peut - on assimiler à ce mari le médecin qui
n’est mandé que pour donner des soins à une malade,
qui, incapable à ce titre de recevoir une libéralité quel
que peu importante, devient son mari pour pouvoir recuellir une fortune dont la possession a seule motivé sa
démarche en excitant sa convoitise, et qui la recueille
effectivement peu de temps après, la malade n’ayant pas
survécu à la maladie ? Un pareil mariage, alors surtout
que l’homme de l’art n’a pu se dissimuler le caractère
essentiellement mortel de la maladie et la certitude d’u
ne issue fatale, n’in spire-t-il pas l’idée d’une fraude
pour échapper à l’article 909 ? Est-il dès lors rationnel
et juste de tolérer une aussi odieuse, une aussi déloyale
spéculation ?
C’est cependant pour l’affirmative que s’est depuis
longtemps prononcée la Cour de cassation, elle a, par
arrêt du 30 août 1808, déclaré capable, comme mari,
le médecin qui n’a épousé sa malade que pendant le
cours de sa dernière maladie.
Mais quelque respect que nous inspire la haute science
�ET DE LA FRAUDE.
69
de la Cour régulatrice, sa décision, nous osons le dire,
ne satisfait ni à la raison , ni à la justice. Ainsi elle
consacre la possibilité d’éluder la prohibition de l’art.
909 et l’abus d’influence qui en fait le fondement, par
cet abus même poussé jusqu’à ses dernières limites.
Peut-on en effet supposer que, rongée par le mal qui la
dévore, une femme puisse dans son agonie concevoir et
exécuter spontanément un projet de mariage ? C’est à
l’aide de mensonges, de promesses de guérison, dont le
mariage sera lui-même offert comme un gage de sincé
rité, qu’on l’y déterminera, et c’est à cette chimérique
espérance qu’on devra ce consentemeat à une union des
tinée à ne pas être consommée.
Une pareille conséquence, et elle se réalisera généra
lement dans ce cas, est plus qu’un mensonge, c’est une
profanation, et nous dirons sans hésiter, avec M. Duranton : Il ne faut pas que la sainteté du mariage soit
un moyen de couvrir une fraude à la loi. Un homme
qui ne le contracte qu’avec la mort, pour ainsi dire, en
vue de s’approprier une fortune qu’il est incapable de
recueillir en sa qualité de médecin du disposant, réunit
en sa personne l’indignité et l’incapacité, et l’une ne
saurait couvrir l’autre.'
Qu’on ne touche donc pas au lien honteux qu’il a eu
le triste courage de former, mais qu’on lui arrache la
fortune en vue de laquelle il a entrepris et exécuté cette
�70
TRAITÉ DU DOL
indigne, cette odieuse comédie. Mieux vaudrait, plutôt
que de décider le contraire, effacer l’art. 909 de nos
Codes. L’influence médicale y gagnerait sans doute, elle
pourrait se faire une large part des dépouilles des per
sonnes qu’elle n’a pu sauver, mais du moins on ne ver
rait plus un cadavre traîné à la mairie et à l’autel pour
y célébrer un mariage que viendra fatalement interrom
pre le glas de la mort.
Ces idées, que la plus saine morale avoue, sont des
tinées à prévaloir; déjà la Cour de cassation a introduit
dans sa jurisprudence de 1808 une modification qui en
fait présager, une dernière , mais décisive, dans le sens
que nous indiquons. Elle a, le 11 janvier 1820, rejeté
un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour de Paris
décidant que le mariage pendant la dernière maladie,
n’ayant eu pour objet que d’éluder l'article 909, n’en
faisait pas disparaître la prohibition.
Il est vrai que la Cour de cassation semble ne pas ad
mettre ce principe, et n ’autoriser la nullité que lorsqu’il
est prouvé que les libéralités, au lieu d’avoir été déter
minées par l’affection conjugale , n ’ont d’autre cause
que l’empire que le médecin avait sur sa malade, et les
manœuvres du donataire dans les derniers moments de
la vie de la donatrice.
Mais si le mariage lui-même n’a été que la consé
quence de l’empire exercé par le médecin sur l’esprit
de la malade, n’est-il pas évident que tout ce qui aura
suivi procédera de la même source et participera du
même vice. La doctrine de la Cour de Paris nous parait
�UT DE LA FRAUDE.
71
donc plus logique, lorsqu’elle va chercher la nullité de
l’effet dans la nullité de la cause elle-même.
C’est à cette doctrine que se range M. Marcadé, mal
gré que, sur le principe de la capacité, il pense comme
la Cour de cassation. Mais ce principe, dit-il doit flé
chir, s’il était prouvé par les héritiers du disposant que
le mariage n’a été contracté que dans le but d’échap
per à la prohibition de l’art. 909. Dans ce cas, les libé
ralités n’en seraient pas moins annulées par la mort
de la malade, car la conduite infâme d’un homme, qui
n’a formé le plus saint des contrats que comme un
moyen de réaliser ses honteux calculs, ne saurait le re
lever de l’incapacité qui frappait sur lui.1
La question réduite à ces termes, comment pourraiton prouver plus énergiquement le calcul infâme du mé
decin, autrement que par le fait du mariage lui-même ?
Quel pouvait être le but de sa célébration, chez le mé
decin Sachant que la malade est inévitablement vouée
à la mort, et pouvant, en quelque sorte, mesurer avec
certitude le peu de jours pendant lesquels elle peut sur
vivre encore ? A - t - il espéré cette association intime ,
cette mutualité de plaisirs et de peines qui fait le char
me de la vie ? A-t-il été bercé du doux espoir de ren
contrer, dans une heureuse paternité, des objets nou
veaux à chérir ? Enfin a -t-il cédé au désir de posséder
celle qui excite ses passions? Mais aucune de ces illu
sions ne lui a été permise, pas même la dernière, car
1 T. ni, art. 909, n» 3,
�72
TRAITÉ DU DOL
celle qu’il épouse cependant, touchant déjà aux portes
de la mort, n’est plus peut-être qu’un objet de pitié et
de dégoût. Qu’a-t-il donc cherché dans ce mariage, si
non cette fortune si ardemment convoitée, et qui devait,
dans sa pensée, en être le prix.
La fraude est donc prouvée par le fait seul du ma
riage. Dès lors, et au nom des sentiments exprimés par
M. Marcadé, la justice doit maintenir une prohibition
si nécessaire au repos des familles 1
Nous ne saurions au reste mieux résumer les motifs
de cette opinion qu’en transcrivant un jugement du tri
bunal civil de la Seine, qui les déduit avec une remar
quable précision :
« Attendu que la prohibition prononcée par l’article
909 a pour motif unique la présomption légale de l’em
pire que celui qui pratique l’art de guérir exerce sur
l’esprit du malade auquel il administre les secours de
son art pendant la dernière maladie; que lorsque le
motif de cette loi reçoit son application, on ne peut en
éluder les dispositions par des moyens indirects, parce
qu’on ne peut faire indirectement ce que la loi défend de
faire directement ;
« Qu’un mariage contracté entre le médecin et sa
malade, pendant le cours de sa dernière maladie, lors
qu’elle est de nature à ne laisser à l’homme de l’art au
cune vraisemblance de guérison, ne présente ni avan
tage légitime pour les parties contractantes, ni intérêt
pour la société; qu’il n’est qu’un moyen d’échapper à
�ET DE LA FRAUDE.
73
l’incapacité, et une forte et nouvelle preuve de cet em
pire, véritable motif de la prohibition ;
« Que l’on doit distinguer le cas où la qualité de mé
decin est modifiée par des circonstances naturelles et non
suspectes, telles que celles prévues par l’art. 909, d’avec
ceux où ces circonstances ne sont que le résulat de cal
culs et l’effet de l’art employé par la personne prohibée,
qui s’est efforcée de se placer elle-même dans un des
cas d’exception. »
Ce jugement fut déféré à la Cour d’appel de P a ris,
mais, par arrêt du 24 février 1817, celle-ci le confirme
sur ce chef, considérant que le mariage du médecin avec
sa malade, pendant la durée de la dernière maladie
dont elle est m orte, ne couvre pas l’incapacité établie
par l’art. 909.
Plus tard, la Cour de Paris a été de nouveau appe
lée à se prononcer sur la question, et son arrêt du 26
janvier 1819 consacre de nouveau la solution donnée
par celui de 1817. « Considérant, en fait, que les libé
ralités attaquées ont été faites durant la maladie dont
la donatrice est morte ; et que le bénéficiaire était son
médecin ordinaire; en droit, considérant que l’incapa
cité que cette qualité lui infligeait, aux termes de l’ar
ticle 909, n’a pu être effacée par un mariage unique
ment contracté pour échapper à la prohibition de la
loi. »
C’est le pourvoi formé contre cet arrêt que la Cour
de cassation rejette par sa décision du 11 janvier 1820,
dont nous avons déjà parlé. Ce qui, dès lors, semblerait
�74
TRAITÉ DU DOL
résulter de ce rejet, en présence de la solution de la
Cour de Paris, c’est que la preuve exigée par la Cour
de cassation, que les libéralités ne sont pas l’effet de l’af
fection conjugale, s’induit de cela seul que le mariage
n ’a été lui-même qu’un calcul à l’effet d’éluder la pro
hibition de l’art. 909.
Réduite à ces termes, que nous considérons comme
très juridiques, il est évident que les héritiers poursui
vant la nullité de libéralités de ce genre n’a u ro n t, en
aucune manière, à quereller de simulation la célébra
tion du mariage , ils ne devront soutenir qu’une seule
chose, à savoir : que le mariage a été imposé par l’in
fluence que la qualité de médecin donnait au mari sur
l’esprit affaibli de sa malade, et, conséquemment le ré
sultat de manœuvres et non de l’affection ; à notre avis,
Celte preuve résulte du mariage lui - même. Ce serait
donc au mari à prouver l’affection à laquelle il attri
buerait la conduite de la malade. Au reste, comme pour
toutes les appréciations de fa it, les juges sont, dans
cette hypothèse, les arbitres souverains de la question,
dont ils puiseront la solution dans la position des par
ties, leur qualité, la nature de la maladie, son incura
bilité , enfin la distance qui a séparé le mariage de la
mort.
1466.
— Il convient de faire remarquer que, mal
gré que l’art. 909 dispose dans un motif d’intérêt gé
néral, la vérité est qu’il a surtout en vue l’avantage de
la famille déshéritée par l’abus de l’influence qu’il con-
�ET DE LA FRAUDE.
75
damne : Primario spectat utilitatem privatam, et secundario publicam. La nullité qui résulte de sa viola
tion n’est donc pas absolue. Elle est purement respecti
ve , comme l’aurait appelée notre ancienne jurispru
dence.
Il suit de là que l’acte fait contrairement à l’art. 909
est susceptible d’être ratifié expressément ou tacitement
par la partie qui en est lésée. Le silence gardé pendant
plus de dix ans faisant présumer cette dernière, l’action
qui n’aurait pas été intentée avant l’expiration du dé
lai, serait éteinte par la prescription. C’est ce qu’on de
vrait décider sous l’empire du Code.'
1 467. — Le contrat de mariage, réglant les con
ventions matrimoniales, peut devenir l’occasion de frau
des, non-seulement de partie à partie, ainsi que nous
l’avons déjà vu, mais des parties contre les tiers. En pre
mier lieu, une dot plus ou moins considérable peut être
constituée par un homme en état d’insolvabilité, et le
sachant lui-même. Si cet homme est le père, la consti
tution de la dot sera-t-elle attaquable par les créan
ciers? Devra-t-elle être annulée par le principe applica
ble aux libéralités pures et simples, et qu’elle que soit
la bonne foi des époux ?
1 4 6 8 . — Le droit romain admettait l’action des
créanciers, mais il distinguait, quant à ses effets, entre
le gendre et la fille.
�76
TRAITÉ DU DOL
A l’égard du premier, la dot était censée reçue à ti
tre onéreux. Elle était, par rapport à lu i, considérée
comme la condition essentielle de l’union aux charges
de laquelle elle devait contribuer : Mariti etenim in tuitu onerosis ewn titulis adnumerari oportere ju risconsultus asserit, quia dos datur ad sustinenda onera
matrimonii, et probabiliter maritus indotatam non
fuissetducturus.1 Aussi n’était il soumis à l’effet de l’ac
tion révocatoire des créanciers que s’il s’était associé à
la fraude du constituant : Si a socero fraudatore, sciens
gener accepit dolent, tenebitur hac actioned
Il n’en était pas de même de l’épouse. Malgré qu’elle
eût, depuis la loi Julia et la constitution de l’empereur
Antonin, le droit de contraindre ses parents à la doter,3
tout ce qu’elle recevait à ce titre était considéré comme
une donation. Elle était donc tenue de le restituer à la
dissolution du mariage, qu’elle que fût d’ailleurs sa
bonne foi. Il suffisait aux créanciers de prouver la fraude
du père pour que leur action révocatoire dût sortir à
effet.
1469.
— Cette législation est ses conséquences de
vinrent le droit commun de la France, non-seulement
pour les pays de droit écrit, mais encore pour tous ceux
dont les coutumes étaient muettes sur l’action révoca-
i Voët, ad Pandectas, 1. 42, t. vin, n° 6.
3 L. 26, Dig. Quce infraud. crédit.
3 L. 19, Dig. Deritu nupl. ■— 1. unica, Cod. De dot. promis.
�ET DE LA FRAUDE.
77
toire. On continua donc d’observer la distinction en
tre les gendres et les filles / ainsi que les effets en ré
sultant.
La révocation, dit Furgole, a lieu pour toutes sortes
de choses : immeubles, meubles, droits et actions don
nés non - seulement par les donations simples, mais
encore par les constitutions de dot. Mais si le mari a
reçu la dot, on distingue s’il a connu la fraude ou non.
Au second cas, les créanciers ne peuvent agir contre
lui, parce qu’il est considéré comme créancier ou ache
teur; mais, au premier, la révocation a lieu; que, s’il
s’agit de l’intérêt de la femme à laquelle la dot a été
constituée, on n’examine pas si elle a eu connaissance
de la fraude, parce que, à son égard, c’est une libéra
lité à titre lucratif.1
1470.
— Le Code civil n ’a pas suivi l’exemple du
législateur romain, en ce sens qu’il ne renferme aucune
disposition sur les effets de l’action révocatoire de la
dot, soit à égard de la femme, soit à l’égard du mari.
Mais, en ce qui concerne ce dernier , la jurisprudence
a toujours marché sur les traces que les législations pré
cédentes avaient pratiquées, et, considérant la dot comme
reçue à titre onéreux, elle n ’a admis la révocation qu’en
tant que la preuve qu’il s’était associé à la fraude du
constituant était administrée.
i Des Test., tom. iv, pag. 230, chap. -14, sect. 4, n° 20 ; — voy. Desdeisses, v» dot, part. 4, sect. 4 ; — Domat, Lois cîv., tit. 9, sect. 2,
n° 4.
�78
TRAITÉ DU DOT
Jusqu’en 1847, la jurisprudence n’avait eu à traiter
ce qui concerne la femme que d’une façon en quelque
sorte subsidiaire, et à propos des conséquences que pou
vait entraîner contre elle la solution que recevait la de
mande dirigée contre le mari. C’est ainsi notamment
que, dans son arrêt du 6 juin 1844 , la Cour suprême
s’arrêtant au fait, qu’un apport, que le contrat de ma
in ariage constatait avoir été fait par le gendre, n ’avait
pas été réalisé, en concluait que la dot, prétendue cons
tituée en échange, n’était qu’une pure libéralité, tant
au profit de la fille qu’au profit du gendre, et dès lors
susceptible de révocation, par suite de la faillite du cons
tituant.1
Mais cet arrêt, ainsi que l’observe M. Dalloz luimême, se renfermant dans les limites de l’appréciation
qui le motive, ne résout qu’une espèce. Il ne décide,
en droit, ni que la dot a pris sous le Code civil, qui ne
la considère plus comme obligatoire pour les parents, le
caractère d’un acte de pure libéralité, susceptible de
tomber sous l’action révocatoire des créanciers, malgré
la bonne foi de celle qui l’a reçue, ni que ce caractère
de disposition gratuite serait imprimé à la dot par cela
seul que les apports annoncés par le mari ne se véri
fieraient pas. Sur l’une comme sur l’autre question ,
l’arrêt ne lie nullement l’indépendance absolue de la
Cour suprême.
�ET DE LA FRAUDE.
79
1471. — C’est ce qu’elle a pensé elle-m êm e. Aussi
appelée à se prononcer, et cette fois directement, sur
l’action des créanciers contre la femme, à raison de la
dot, elle a jugé, le 213 juin 1847, que la constitution
de dot, faite par un père au profit de sa fille, a le ca
ractère d’un contrat à titre onéreux non-seulement visà-vis du gendre, mais encore à l’égard de la fille do
tée; que, par suite, les créanciers du constituant ne peu
vent demander la révocation de cette constitution dota
le, comme faite en fraude de leurs droits, qu’autant que
l’un et l’autre des époux ont concouru à la fraude.
1 4 7 2 . — M. Dalloz, en rapportant cet arrêt' l’accompage d’une critique longuement»exposée. Les fon
dements de cette critique reposent sur ces idées princi
pales :
« En droit romain, aux termes de la loi Julia et de
la constitution de l’empereur Antonin, la dot était obli
gatoire pour les parents. Les enfants avaient droit de
l’exiger. Cependant, malgré ce caractère elle ne cessait
pas de paraître une pure libéralité, que la fraude seule
du constituant permettait aux créanciers de faire révo
quer, sans égard pour la bonne foi de l’enfant doté.
« Comment pourrait - il en être autrement aujour
d’hui que l’article 204, abrogeant la loi Julia et la cons
titution de l’empereur Antonin, a converti en loi cette
maxime du droit coutumier : ne dote qui ne veut ; ne
�80
TRAITÉ DU DOL
faut-il pas en conclure que le caractère de pure libéra
lité de la dot ressort bien plus évident encore de ce
qu’elle n’est plus obligatoire ?
« Dès lors si la dot n’est qu’une véritable donation,
elle doit, comme celle-ci, être révoquée malgré la bonne
foi du donataire, et par la seule fraude du donateur.
La Cour de cassation a donc , en décidant le maintien
de la dot, sons prétexte de la bonne foi de l’épouse, mé
connu un principe qu’elle avait elle-même sanctionné,
et abandonné sa propre jurisprudence. »
1473.
— Ce dernier reproche n’aurait pu être
adressé à la Cour que si, ayant admis pour la dot le ca
ractère d’acte à tittfe gratuit, elle l’avait soustraite à l’ac
tion révocatoire, en se fondant sur la bonne foi de la
fille dotée. Mais, loin de là, si la dot est maintenue jus
qu’à preuve de complicité dans la fraude du constituant,
c’est que, par rapport aux époux, il est déclaré qu’elle
est reçue à titre onéreux. En conséquence, en la soumet
tant aux règles régissant ces contrats, l’arrêt n’a voulu
ni pu méconnaître les principes applicables aux libé
ralités.
Se trompe-t-il, en donnant ce caractère à la consti
tution de dot? C’est ce qu’il fallait prouver, et c’est ce
que M. Dalloz ne fait pas, lorsqu’il se borne à s’en ré
férer d’une part au droit rom ain, de l’autre à l’arti
cle 204.
Le droit romain? Nous reconnaissons que l’arrêt s’en
écarte, mais cela tient à une circonstance qui mérite
�ET DE LA FRAUDE.
81
d’être relevée. Il était difficile, sous l’empire de ce droit,
qu’on n’appliquât pas la règle rappelée par M. Dalloz,
et cela par cette raison fort simple, le cas avait été lé
gislativement prévu et décidé. L’action des créanciers
avait été formellement donnée contre la fille dotée, alors
même qu’elle avait ignoré la fraude de son père, la
constitution dotale étant considérée par rapport à elle
comme provenant en quelque sorte d’une pure libéra
lité : Quia intelligitur quasi ex do na tio n e , aliquid
ad eam pervenire,'
Mais notre Code ne renfermant aucune disposition de
ce genre, on peut décider le contraire sans violer aucun
texte.
Ce texte existerait-il dans l’article 204, faut-il con
clure que, par cela seul qu’il a laissé aux parents la fa
culté de donner une dot ou de la refuser, il a entendu
faire de celle-ci une pure libéralité ? Une telle conclu
sion, non justifiée d’ailleurs par le texte, serait contraire
à l’esprit qui l’a fait adopter. Ce que le législateur a
voulu par l’art. 204, c’est protéger plus efficacement,
c’est renforcer la puissance paternelle que la loi Julia
avait voulu énerver, parce qu’elle portait ombrage aux
empereurs; c’est rendre impossible ces inquisitions aux
quelles était livrée la fortune privée, lorsqu’il s’agissait
de fixer la quotité de la dot réclamée; c’est enfin d’em
pêcher ces mariages contractés contre la volonté et mal-
1 L 25, S 1, Dig. Quoi m fraudem crédit.
�82
TRAITÉ DU DDL
gré la résistance des parents, auxquels la certitude de
recevoir, dans tous les cas, une dot, était un si puissant
encouragement.
Voilà le but élevé et moral que l’art. 204 a voulu at
teindre. C’est donc le méconnaître, ou tout au moins le
rabaisser singulièrement, que de le réduire aux propor
tions d’une simple question de savoir si la dot est cons
tituée à titre onéreux ou à titre gratuit.
Au surplus, tout ce qui s’induit, à cet égard, de l’ar
ticle 204, c’est que la nécessité de doter n’est plus pour
les parents une obligation civile produisant une action
pour en contraindre l’obligation. Mais cela suffirait—il
pour déterminer ce caractère purement gratuit dont
parle M. Dalloz? Nous ne le pensons pas, car celui qui
accomplit en donnant une obligation naturelle, remplit
un véritable devoir et ne peut être considéré comme uni
quement libéral. Or, que pour les parents, la constitu
tion de dot soit une obligation naturelle, c’est ce que
tout le monde reconnaît; M. Troplong n’hésite pas mê
me à enseigner que la dot tient plus de la vente que de
la donation.'
Dans tous les cas, l’art. 204 n’arriverait jamais qu’à
cette conséquence, à savoir : que le constituant, la dot
n’étant pas obligatoire, fait en la donnant une libéra
lité ; mais pour que la libéralité soit atteinte par la
fraude de son auteur exclusivement, il faut que celui
1 Contrat de mariage, art 1389, n° 130
�ET DE LA FRAUDE.
83
qui l’a reçue l’ait acceptée à titre purement lucratif. S i,
par rapport à celui-ci, la libéralité prend un caractère
onéreux, elle ne pourra être révoquée que par la preuve
de sa complicité dans la fraude du constituant.
Cette divisibilité d’aspect de la dot, dans ses rapports
avec les différentes parties concourant au contrat, n’est
contestée par personne. Elle a toujours été consacrée
par la législation. C’est même ce qui est aujourd’hui en
core pratiqué vis-à-vis du gendre. L’art. 204, qui l’au
torise pour celui-ci, l’a - t - i l prohibé à l'égard de la
fille? Telle était l’unique difficulté qui s’offrit à la Cour
de cassation, et que cette Cour a résolu par la négative,
sur les motifs suivants :
« Attendu que le principe écrit dans l’art. 1467, qui
permet aux créanciers d’attaquer les actes faits en fraude
de leurs droits, ne reçoit une saine application qu’au
moyen de la distinction entre les contrats à titre oné
reux et les contrats de pure libéralité; que c’est ainsi
que les contrats de la première espèce ne sont nuis,
pour cause de fraude, qu’à l’égard des parties qui ont
pratiqué la fraude ou qui y ont participé ; que l’arti
cle 4540 du Code civil déclare que, quel que soit le ré
gime adopté par les époux, la dot a pour destination
essentielle de pourvoir aux charges de l’union conju
gale; qu’ainsi l’acte qui constitue la dot n’est pas de
pure bienfaisance, mais participe des contrats onéreux
à l’égard de chacun des époux ; que sous ce rapport,
il y a un caractère particulier qui doit même le faire
distinguer de tous les actes de libéralité contenant des
�84
TRAITÉ DU DOU
conditions onéreuses; qu’en effet, le contrat de mariage
est un pacte de famille immuable de sa nature, conclu
en vue d’assurer les moyens d’existence de la famille
nouvelle et l’accomplissement de toutes les obligations
qui pèsent sur l’un et l’autre des époux. »
Pourquoi ces considérations, reconnues justes et dé
cisives lorsqu’elles sont invoquées en faveur du gendre,
n’auraient-elles pas ce caractère au vis-à-vis de la fille ?
Parce que l’obligation de restituer ne sera imposée à
cette dernière qu’à la dissolution du mariage ? Mais estce que cette dissolution entraînera avec elle toutes les
charges du mariage ? Est-ce que notamment la veuve ne
sera pas obligée de nourrir sa famille, obligation que
la mort du mari, loin de l’alléger, aggravera singulière
ment en privant le ménage des ressources que son in
dustrie lui assurait ?
En vérité, rien ne justifie la différence que le droit
romain avait consacrée, et qu’on veut, sous l’égide de
ses dispositions, perpétuer dans notre législation entre
le gendre et la fille. Si la dot est reçue à titre onéreux
par l’un, il ne saurait en être autrement pour l’autre,
avec d’autant plus de raisons que les parents, en. la
constituant, se rachettent de l’obligation de nourrir,
d’entretenir leur fille, de pourvoir à tous ses besoins*
1474.
— Au reste, la Cour de cassation ne s’est pas
laissée détourner de la voie toute juridique dans laquelle
elle est entrée. Elle a persisté dans sa jurisprudence tou-
�ET DE LA FRAUDE.
85
tes les fois que l’occasion s’en est offerteE lle a de plus
jugé , le 14 mars 1848 , que la donation en faveur du
mariage, telle que celle que reçoit de son père le fils
qui se marie, est assimilée à la dot, et constitue un con
trat à titre onéreux qui ne peut tomber sous l’action des
créanciers du donateur, en fraude desquels la donation
a été consentie, qu’autant que les deux époux ont par
ticipé à cette fraude.3
Cette opinion de la Cour régulatrice, en appelant l’at
tention sur une question que les auteurs ont jusqu’ici
résolue plutôt que discutée, doit amener l’abandon des
principes que l’application de la loi romaine avait fait
généralement adopter , et dont la rigueur envers la fille
conduit à des conséquences irrationnelles.
1475.
— En résumé , la donation faite en vue du
mariage a toujours, vis-à-vis des deux époux, un ca
ractère onéreux. Elle est, par rapport à eux, indivisible
en ce sens que, pour la faire révoquer comme faite en
fraude de leurs droits, les créanciers doivent prouver la
mauvaise foi de l’un et de l’autre. La bonne foi de l’un
des deux suffit pour faire repousser la demande, et fait
irrévocablement maintenir la destination affectée à la
d o t, à savoir : le support des charges du mariage,
l’entretien des époux, celui des enfants nés et à naître.
1 Cass., 2 mars 1847; — 24 mai 1848 — D. P., 47, 1, 129; — 48, 1,
172. — V. Riom, 27’ mars 1849. — J, D P. 1, 1880, p. 886.
2 D. P., 48, 1, 66 -, V. infra, n° 1476.
�86
TRAITÉ DU DOL
1476.
— Mais pour que la donation soit réellement
faite en vue du mariage, il faut d’abord qu’elle résulte
du contrat même. Celle faite en dehors du contrat ne
pourrait revendiquer aucune des immunités assurées à
la première.
Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la donation
faite en vue du mariage, mais en dehors du contrat de
mariage, et sous l’apparence d’actes à titre onéreux, tels
que des billets à ordre souscrits par le donateur, ne peut
être protégée par les principes régissant les constitutions
dotales, et, par conséquent, doit être annulée nonobs
tant la bonne foi du donataire , si elle a été faite en
fraude des droits des créancierr du donateur.'
Il faut de plus que les objets donnés l’aient été par le
donateur au moment même du mariage. S’ils avaient
été donnés ou recueillis avant le mariage, et que le do
nataire se les fût plus tard constitués en d o t, la dona
tion reçue avant, à titre gratuit , ne changerait pas de
caractère, et la bonne foi du donataire ne ferait aucun
obstacle à la révocation des créanciers , en fraude des
droits desquels la donation a été réalisée.
C’est encore ce que la Cour de cassation a formelle
ment con«acré, en jugeant, le 6 juin 1849, que la fille
qui aurait reçu ou recueilli des biens dans la succession
de ses père et mère, ne saurait soustraire ces biens aux
créanciers de ceux-ci, en se les constituant ultérieurei Cass., 3 mars 1847; — D. P., 47, 1, 130.
�ET DE LA FRAUDE.
87
ment en dot ; qu’en conséquence, les biens ainsi donnés
ou recueillis restent soumis à l’action révocatoire.1
Le même arrêt décide cependant que la révocation
n’atteint que les biens demeurés libres entre les mains
de la donataire. Quant à ceux faisant l’objet de la cons
titution de dot, comme la jouissance en a été transférée
au mari, la bonne foi de celui-ci les place hors de toute
atteinte pendant toute la durée de cette jouissance. Mais
celle-ci trouvant son terme naturel dans la dissolution
du mariage, les droits des créanciers, suspendus jusque
là, reprennent à cette époque toute leur force, et la ré
vocation exercée sur les biens non constitués peut attein
dre désormais ceux qui l’avaient été.
1477.
— A son tour le mari peut trouver dans les
stipulations du contrat de mariage le moyen de frauder
ses propres créanciers. Ce moyen consiste soit à recon
naître à sa femme une dot qu’elle n’a pas fournie, soit
à quittancer, comme reçue, celle que l’épouse a promi
se, mais qu’elle n’a pas réellement payée.
Dans l’un comme dans l’autre cas , le mari consent
une véritable libéralité. Il crée un privilège en faveur de
la femme, non pas tant contre les créanciers inscrits au
moment du mariage, que contre les créanciers chirogra
phaires et ceux qui pourront plus tard s’inscrire. Ce qui
est certain, c’est que les uns et les autres pourront de-
1 D. P., 49 , 4 , 325; — Conf. cass., 9 janvier 186S; — J. du P.,
ms. 126.
�88
TRAITÉ DU DOL
mander la révocation de la quittance, comme faite en
fraude de leurs droits.
Leur action est recevable, quelles que soient les ex
pressions du contrat de mariage, et alors même qu’il
mentionnerait la réelle numération. Le contraire peut
être prouvé par témoins et par présomptions, dont l’ef
ficacité est dans ce cas, comme dans tous les autres,
laissée à l’appréciation souveraine du juge. Il est néan
moins certain que la condition de l’épouse , sa position
de fortune, celle de ses parents, le chiffre de sa dot,
etc., seront de nature à exercer une grave influence sur
la décision du litige.
1478.
— La quittance de la dot que le mari donne
pendant le mariage peut être également attaquée comme
faite en fraude des droits des tiers. Cette fraude a même
contre les créanciers un effet plus énergique que la quit
tance donnée dans le contrat. L’hypothèque delà femme,
remontant à la date de celui-ci, la reconnaissance frau
duleuse du paiement de la dot, ferait préférer cette hy
pothèque à toutes celles des créanciers ayant réellement
prêté dans l’intervalle du contrat au prétendu paiement.
Ils sont donc recevables à en poursuivre l’annulation,
et ils devront dans certains cas l’obtenir facilement. La
quittance frauduleusement donnée par le mari consti
tue une libéralité qui lui profite à lui-même, du moins
tant que dure le mariage. Pour peu donc qu’il fût obé
ré, menacé ou poursuivi par les créanciers au moment
où il la concède, on serait porté à admettre son défaut
de sincérité et à la considérer comme une fraude, dans
�ET DE LA FRAUDE.
89.
le but de se soustraire au paiement de ce qui est dû
légitimement aux créanciers.
1 4 7 9 . — En serait-il de même des héritiers du ma
ri? Pourraient-ils demander la nullité de la quittance
de la dot sous prétexte de simulation , et s’exonérer
ainsi de l’obligation de la restituer ?
Certes, cette prétention ne manque pas de la condi
tion essentielle à toute action juridique, à savoir : l’in
térêt. Celui des héritiers poursuivis en restitution de la
dot serait incontestable. Sous ce rapport donc rien ne
s’opposerait à la recevabilité de leur exception.
Mais il en serait tout autrement sous le rapport de
la qualité. En thèse ordinaire , les héritiers sont les
ayants-cause de leurs auteurs,et ne peuvent intenter que
les actions que celui-ci aurait pu intenter lui - même.
Or le mari, auteur de la quittance simulée, ne pouvait
exciper de cette simulation, ni se faire relever des enga
gements en résultant, ses héritiers personnels ne le
pourront pas davantage.
1480. — Ce point de doctrine était incontestable
sous notre ancien droit. La Touloubre, sur Duperier,'
enseigne que : « Ces sortes de reconnaissance passées
a par le mari en faveur de sa femme ne peuvent être
« débattues ni par lui, ni par ses héritiers, comme l’ob« serve le président Faber, Cod. de dot, caut. n o n n u « merat. À l’égard des héritiers, elle doit valoir saltern
« jure donationis, morte conûrmatœ. »
�90
TRAITÉ DU DDL
Dunod professe la même opinion, après avoir rap
pelé que les quittances de la dot doivent être reçues
par un notaire, en présence de deux témoins, et qu’il
doit en être gardé minute, sous peine de dommages-in
térêts et d’amende arbitraire, il ajoute ;
« Cette règle a été faite pour éviter les fraudes qui
« pourraient se commettre de cette manière, en suppo« sant des paiements qui n’auraient pas été faits, mais
« il n’y a que les tiers intéressés qui soient en droit de
« se prévaloir de sa disposition. Des quittances sous
« signature privée prouveraient pour la femme, ses
« héritiers, ses père et mère ou autres débiteurs de la
« dot, contre le mari qui les aurait faites et contre ses
« héritiers.' »
1 4 8 i.
— Ce principe n’a pu être douteux que sous
l’empire de législations prohibant les donations entre
époux. Partout au contraire où ces donations étaient
admises, il fallait bien reconnaître qu’elles pouvaient
être, même indirectement, réalisées, et tel est le carac
tère qu’on ne pouvait refuser d’assigner à ces recon
naissances ou quittances de dot.
Mais la conséquence de ce caractère amenait forcé
ment une dérogation au principe que nous venons d’in
diquer , lorsqu’il était évident que le mari n’avait pas
voulu faire une libéralité. Puisque c’est comme dona
tion, non révoquée du vivant de son auteur, que la
quittance simulée de la dot est maintenue, faut-il bien
i Des Prescriptions, § 2, ch. 8, pag. 180.
�ET DE LA FRAUDE.
91
au moins que l’intention du mari d’agir dans ce sens
soit au préalable incontestablement acquise. C’est ce
qu’on ne pourrait admettre dans le cas où la quittance,
nécessitée par des arrangements de famille, n’a été con
cédée par le mari qu’à la condition que les sommes
qui en font l’objet lui seraient ultérieurement payées,
sub spe futurœ numeralionis. Il est alors certain que
le mari n’a pas entendu donner, et ses héritiers pour
raient faire annuler la quittance, parce qu’il aurait pu
le faire lui-même.
Mais la preuve, dans cette hypothèse, ne peut être
faite que par écrit, et notamment par la représentation
de la contre-lettre donnant à la quittance le caractère
indiqué. L’absence de cette contre-lettre ou de toute au
tre preuve écrite laissant la quittance en présence d’une
contradiction purement verbale, on ne pourrait lui faire
perdre ce caractère de libéralité s’attachant à son exis
tence même.
1 4 8 2.
— Il est une autre exception plus péremp
toire, lorsque, par exemple, la reconnaissance ou la
quittance simulée de la dot constituerait une donation
excédant la quotité disponible. Jusqu’à concurrence de
leur réserve, les héritiers légitimes ne sont plus les ayantscause de leur au teu r, ils agissent en vertu d’un droit
propre et personnel, et l’exercice de ce droit ne saurait
être modifié ou gêné par aucune disposition contraire.
Conséquemment, ce qu’ils pourraient faire contre les
libéralités directes ne sauraient leur être refusé dans le
�921
TRAITÉ BU DOL
cas d’une libéralité indirecte. Ils seront donc recevables,
dans notre hypothèse, à prouver, même par témoins,
que la reconnaissance ou que la quittance de la dot
n’est en réalité qu’une donation déguisée.
Cette preuve rapportée, cette donation n’est pas nulle,
elle est seulement réductible à la quotité disponible ;
pour tout ce qui excède celle-ci, les réservataires n’é
tant que les ayants-cause du donateur. La nullité inté
grale pourrait cependant être prononcée, si des libérali
tés précédentes avaient déjà absorbé tout ce dont il était
permis de disposer, ou bien encore si les parties se
trouvaient dans le cas de l’art. 1099 du Code civil.
1483.
— Les fraudes que le mariage peut offrir
dans son origine ne sont rien auprès de celles que la dis
solution peut entraîner, soit que cette dissolution s’opère
par la séparation de biens, soit qu’elle résulte de la
mort de l’un des époux.
La séparation de biens se réalise toujours dans un
moment critique pour les tiers. Sa condition la plus es
sentielle , c’est l’imminence de la déconfiture et de la
ruine du mari. C’est donc au moment où pressé par
ses créanciers, et ne pouvant satisfaire à ses engage
ments, il peut entrevoir la misère qui l’attend, qu’il est
chargé de régler avec sa femme de la restitution de ce
qui lui est dû. Comment pourrait-on supposer que ce
règlement ne se ressentira pas de cette position, et que
le débiteur ne cherchera pas à s’avantager lui-même en
favorisant celle qui va désormais fournir à leurs besoins
communs ?
�ET DE LA FRAUDE.
93
Les créanciers ont donc à redouter une double frau
de. L’admission de créances et de droits imaginaires en
faveur de la femme ; l’évaluation frauduleuse des biens
qui vont lui être donnés en paiement. Aujoutons qu’il
est une autre fraude pouvant également se réaliser, à
savoir : la simulation d’une insolvabilité dans le but de
faire prononcer la séparation et de diminuer le gage des
créanciers, en transférant à la femme des biens jusque
là soumis à leurs exécutions.
1484. — D’autres fois, la séparation de biens of
frira des dangers réels pour la femme elle-même. Irrité
de sa démarche et obéissant h un esprit de vengeance
et de haine, le mari s’empressera de faire disparaître les
ressources qui lui restent, soit par des aliénations, soit
par des obligations contractées en fraude de ses droits.
L’imminence du péril, dans un sens comme dans l’au
tre , a fait dans tous les cas autoriser les moyens les
plus énergiques pour prévenir la fraude ou pour la ré
primer.
1485. — Ainsi, et relativement à la femme, l’arti
cle 869 du Code de procédure civile lui permet de se
livrer à tous les actes conservatoires qu’elle juge utile à
ses intérêts. Sous cette dénomination générique, cet ar
ticle comprend toutes mesures tendant à lui conserver
les droits dont elle entrera en jouissance après le juge
ment, et qui lui seront acquis par le fait seul de la de
mande. On sait effectivement que, quelle que soit l’é-
�94
TRAITÉ DU DOL
poque de sa prononciation, les effets du jugement re
montent de plein droit au jour de la demande elle-même.
La femme pourra donc, sans attendre cette prononcia
tion , saisir-arrêter, entre les mains des débiteurs, les
sommes dues au mari; saisir-gager les meubles gar
nissant la maison conjugale; arrêter même les effets déjà
aliénés par le mari, et dont l’acheteur ne serait pas en
core en possession.1
Ce sont là tout autant de droits dont l’exercice exige
l’exigibilité de la dette pour la sûreté de laquelle il est
poursuivi. Or la femme ne peut avoir de créance exi
gible qu’en tant qu’elle fera prononcer la séparation de
biens. Mais, nous venons de le dire, l’effet du jugement
remonte au jour de la demande, il sera donc vrai que,
lorsque les saisies seront faites, la femme avait qualité
pour les opérer. Il était donc juste de subordonner leur
validité à l’événement de la séparation.
Par l’effet de la séparation, la femme commune en
biens reprendra l’administration et la jouissance de ses
propres, dont les revenus ont été jusque là acquis à la
communauté. Elle peut donc, pour assurer ce résultat,
saisir-arrêter les fermages avant que la séparation ait
été prononcée. Cette saisie-arrêt doit être maintenue si
elle paraît fondée sur des moyens sérieux et plausibles,
comme si le mari n’offre aucune solvabilité. Mais la
femme, même après la séparation, étant obligée de con
tribuer aux dépenses du mariage, la saisie-arrêt pourrait
1 Toultier, tom. xm, n°s 58 et suir. ; — Limoges, 7 mars î 823.
�ET DE LA FRAUDE.
95
n’être maintenue que pour la quote-part excédant sa
contribution.*
1 4 86.
— Du texte de l’art. 869 ainsi interprété, il
semble, dit M. Adolphe Chauveau*, qu’on doit conclure
a fortiori que la femme a le droit de faire apposer les
scellés sur les effets de la communauté. C’est ce qui a
d’ailleurs été consacré par un arrêt de la Cour de Ren
nes, du 22 juillet 1814.
C’est aussi ce que Toullier admet, mais il ajoute que
le mari peut obtenir la levée des scellés , en consentant
à faire faire inventaire avec prisée , contradictoirement
avec sa femme , à la charge par lui de représenter les
choses inventoriées ou de répondre de leur valeur com
me gardien judiciaire.
Cette règle prescrite dans le cas de divorce, par l’ar
ticle 270 du Code civil, pouvait souvent dans cette hy
pothèse être suivie sans danger, car le divorce n’exigeait
pas l’insolvabilité du mari, et sa responsabilité se trou
vant engagée était de nature à assurer les droits de sa
femme. On pourrait donc la suivre encore dans le cas
de séparation de corps. Mais elle nous paraît devoir su
bir une modification dans l’hypothese d’une simple sé
paration de biens. La déconfiture du m ari, qui en est
la condition essentielle , ne permet pas de reconnaître
une valeur quelconque à sa responsabilité , et lui con-
1 Caen, 16 mars 182S.
2 Sur Carré, art. 869, quest. 2939.
�96
TRAITÉ DU DOL
fier, sans autre garantie , les effets de la communauté,
serait bien souvent lui permettre de les dissiper au pré
judice de sa femme.
Il nous semble donc que dans ce cas le mari devrait
être soumis à donner caution jusqu’à concurrence au
moins de la portion afférant à la femme. L’obligation
de donner caution a été, nous le savons, contestée. Le
mari, à-t-on dit, reste pendant l’instance maître et ad
ministrateur de la communauté. Mais les motifs qui font
maintenir les saisies-arrêts ou gageries repoussent cette
objection. La séparation obtenue , le mari n’est plus le
maître de la communauté à partir de la demande. On
peut donc , en attendant la solution définitive , exiger
une caution pour la sûreté des droits éventuels de la
femme. Dans tous les cas, la femme pourrait suppléer
au cautionnement qu’on lui refuserait par une saisie
conservatoire.
1487.
— Tous ces droits que la femme est admise
à exercer, sont, il ne faut pas se le dissimuler, des ac
tes extrêmement graves à l’encontre du mari pouvant
en éprouver un notable préjudice. Ils pourront, en ef
fet, par les gênes qu’ils susciteront à son administration
convertir en ruine complète des embarras qui lui eus
sent été, sans cela, possible de surmonter. Il était donc
sage , en vertu de cette prévision, de ne pas s’en rap
porter exclusivement à la femme, et de soumettre son
initiative à une autorisation préalable.
C’est au président du tribunal civil à qui cette auto-
�97
KT DE TA FRAUDE.
risation doit être demandée. Seul chargé d’autoriser la
poursuite en séparation de biens, il est seul chargé de
juger l’opportunité des mesures conservatoires sollicitées
par la femme. Mais il y a entre ces deux actes du pré
sident cette différence essentielle que, ne pouvant seul
apprécier le mérite foncier de la demande en séparation
de biens, ce magistrat ne peut se refuser à donner l’au
torisation d’en poursuivre l’obtention.1 11 n’en est pas
ainsi pour l’exercice des mesures conservatoires ; il peut
toujours refuser d’y faire droit; il le doit même si l’in
solvabilité du mari n’étant pas notoire et en quelque
sorte dès à présent acquise, le danger signalé par la
femme n’existe réellement pas.
1 488.
— Mais la requête de la femme, à ce sujet,
n’a pas besoin d’être communiquée au mari. Aucune loi
n’impose à la femme la nécessité de faire prononcer sur
l’urgence des mesures qu’elle réclame, contradictoire
ment avec son mari.’ Le contraire eût été irrationnel.
En effet, les actes dont parle l’art. 869, étant par leur
nature même hostiles au mari, ne peuvent avoir d’effi
cacité qu’autant qu’ils interviennent à son insu, et avant
qu’il soit averti. L’obligation de les lui dénoncer et de
l’appeler pour en discuter l’utilité ne pouvait avoir
qu’un seul résultat, à savoir : de l’engager à mettre le
temps à profit en réalisant, avant toute décision , les
fraudes que ces actes ont pour but de prévenir.
1 Lyon, 22 mars 1836.
2 Rennes, 22 juil. ISIS.
IV
7
�98
TRAITÉ DU DOL
1 4 89. — Par une juste réciprocité, l’autorisation
du président n’a rien de définitif pour le mari. Il peut
toujours, avant le jugement de la séparation, se pour
voir devant le tribunal, à l’effet d’obtenir soit la main
levée des oppositions qui gêneraient, sans nécessité, l’ad
ministration et la gestion de ses biens, soit leur réduc
tion à concurrence des droits devant revenir à la femme.
1490. — La séparation de corps entraîne forcé
ment la séparation de biens. Demander l’une c’est de
mander l’autre, et dès lors acquérir la faculté de requé
rir toutes les mesures conservatoires autorisées par l’ar
ticle 869 du Code de procédure civile.
On avait d’abord soutenu que la femme, demande
resse en séparation de corps , était exclusivement régie
par la disposition de l’art. 270 du Code civil; qu’elle
n ’avait dès lors que la faculté de faire apposer les scel
lés sur les meubles et effets de la communauté. Mais
cette restriction a été abandonnée et devait l’être. Il est
évident, en effet, qu’on ne pouvait se relâcher des pré
cautions autorisées, au moment même où le danger
qu’elles ont pour but de prévenir est plus réel et plus
imminent. O r, c’est ce qui se réalise dans le cas de
poursuite en séparation de corps, très propre à susciter
l’irritation et la haine dans le cœur du mari. De ces
sentiments à l’idée d’une vengeance par l'aliénation frau
duleuse de l’actif, il n’y a pas bien loin.
C’est ce que la loi a compris lorsqu’elle déclare, dans
l’art. 271 du Code civil, que toute obligation contrac-
�ET DE LA. FRAUDE.
99
tée par le mari à la charge de la communauté, toute
aliénation par lui faite des immeubles en dépendant,
postérieurement à la date de l’ordonnance dont il est
fait mention en l’art. 238, sera déclarée nulle, s’il est
prouvé d’ailleurs qu’elle ait été faite ou contractée en
fraude des droits de la femme.
Ainsi, dès que la poursuite en séparation de corps a
réellement commencé, tout ce que fait le mari est sus
pect, et la fraude est présumée contre lui dès qu'il peut
en résulter un préjudice pour la femme. Nous devons
remarquer, en effet, que si la preuve de la fraude est
exigée par l’art. 241, cette exigence ne concerne que les
tiers ayant traité avec le mari. Ceux-ci pouvant être de
très bonne foi, il eût été injuste d’annuler l’acte à leur
égard. Mais, par rapport au mari, nous le répétons,
l ’acte est légalement réputé frauduleux , par cela seul
qu’il est postérieur à l’ordonnance dont parle l’art. 238.
Cependant cette présomption n’exclut pas la preuve
contraire.
1491.
— La séparation de biens n’est pas soumi
se, lorsqu’elle n’est qu’un accessoire de la séparation de
corps, à la publicité rigoureussment prescrite pour la
séparation de biens pure et simple. Ce qui justifie cette
différence , c’est que l’une prête moins au soupçon de
fraude que la dernière. Elle ne peut d’ailleurs être pro
noncée que sur la preuve des sévices, injures et violen
ces, preuve que les tribunaux exigeront alors même que
le mari ne se défendrait pas. Or, il n’est pas probable
�100
TRAITÉ DU DOL
que ces excès aient été simulés à l’effet d’arriver à une
séparation de biens, à travers une séparation de corps
laissant toujours des traces fâcheuses contre l’un des
époux.
Mais cette différence n’existe que dans et pour la
poursuite, car le jugement rendu, prononçant la sépa
ration de biens, doit avoir la même publicité. Néanmoins
il ne serait pas nul s’il n’avait pas été exécuté dans la
quinzaine.'
1 4 9 2 . — L’action de la femme en séparation de
biens, très favorable sans doute lorsque la nécessité de
sauver son patrimoine et de se conserver quelques res
sources pour elle et pour sa famille en est le seul, le vé
ritable motif, est une de celles dont on a le plus abusé,
et que la fraude a exploitée jusqu’au scandale. Nous
en trouvons la preuve dans les débats législatif qui s’é
levèrent à son occasion ; dans les efforts qu’on fit pour
rémédier à un mal que l’expérience venait si énergique
ment signaler.
1 493. — On avait d’adord songé, dans l’intérêt des
créanciers, à les rendre parties dans l’instance, en obli
geant la femme à les appeler tous, ou tout au moins
ceux qui s’étaient livrés à des poursuites. Le premier de
ces moyens fut repoussé non pas seulement à cause de
l’impossibilité où pouvait être la femme de connaître
i Bordeaux, 4 fév. 181 <1 ; — Delvincourt, t. 2, p. 3.
�ET DE LA FRAUDE.
401
tous les créanciers, mais encore par la multiplicité des
incidents qui pouvaient en naître, et des frais immenses
qu’il occasionnerait.
Le second ne remédie à rien , disait M. Treilhard.
On veut prévenir le concert des deux époux ? Mais si ce
concert existe , ils ne manqueront pas d’avoir à leur
disposition quelques créanciers supposés , par lesquels
ils feront entamer des poursuites, afin que la femme en
les appelant paraisse remplir la condition imposée à la
séparation , et elle alléguera ensuite qu’elle n’a pas
connu les autres créanciers qui seront les seuls véri
tables.'
On convint donc qu’il fallait recourir à d’autres mo
yens pour sauvegarder les intérêts des créanciers , tout
en les conciliant avec ce que la position de la femme
exigeait. Ce qu’il fallait, c’était une instance publique
dans toutes ses phases, dans laquelle les créanciers, sans
qu’il fût besoin de les appeler, pussent intervenir pour
la conservation de leurs droits, indépendamment du
droit d’attaquer le jugement rendu sans leur concours.
C’est ce résultat qu’on a voulu consacrer en prescrivant:
1° la publicité de la demande; 2“ les conditions pour
son admission et l’époque à laquelle il pourrait y être
statué ; 3° la publicité du jugement ; 4° son exécution
dans un délai déterminé.
1 4 9 4 . — 10 Publicité de la demande.
i Procès-verbal du 13 vendémiaire an xu; — Locré, t. xm, p. 200
�102
TRAITÉ DU DOL
La demande en séparation de biens doit être intentée
contre le mari seul. Nous venons de voir que l’obliga
tion d’y appeler les créanciers fut repoussée. Cette obli
gation n’existe que dans le cas de faillite. Mais, dans
cette hypothèse même , les syndics sont appelés plutôt
comme exerçant les actions du mari que comme les re
présentants des créanciers.
Les art. 866, 867, 868 du Code de procédure civile
règlent les formalités à suivre pour donner à la demande
le plus de notoriété possible. Cette publicité a pour but
de mettre tous les créanciers à même de surveiller leurs
droits, d’intervenir même dans l’instance pour empêcher
toute collusion dommageable pour eux.
1495.
— On avait eu un instant la pensée de sou
tenir que les créanciers intervenant ne pouvaient con
tester la séparation, que leur droit se bornait à assurer
l’exactitude de la liquidation. Mais cette opinion est universellement abandonnée. La séparation préjudicie
aux créanciers en ce sens qu’elle enlève à leurs exécu
tions la partie de l’actif qui sera transférée à la femme.
La nécessité de ce transfert résulte de l’admission de la
séparation en principe. On ne saurait donc contester aux
créanciers la faculté de s’opposer à celle-ci , dès qu’ils
ont intérêt à en récuser les conséquences.
D’ailleurs, la publicité ordonnée a surtout pour objet
d’éclairer la justice sur l’opportunité de la séparation et
la réalité de ses griefs. Cette séparation pourrait n’êlre
�ET DE LA FRAUDE.
103
que le résultat d’un concert frauduleux entre les époux ;
l’insolvabilité du] mari pourrait n’être qu’une simula
tion. C’est précisément contre cette éventualité que la loi
a entendu se prémunir. Réduire les créanciers à l’im
puissance de prouver l’une et l’autre , c’était donc
méconnaître la pensée et l’intention formelle du lé
gislateur.
Cette pensée et cette intention se manifestent d’ail
leurs nettement dans la disposition de l’art. 871. Les
créanciers peuvent, jusqu’au jugement définitif, requérir
communication de la demande en séparation et des pièces
justificatives. Les pièces justificatives de la demande en
séparation ne peuvent être que les documents établissant
l’insolvabilité du mari. Conséquemment, si la loi entend
les soumettre à l’examen des créanciers , c’est qu’elle
leur reconnaît le droit de les débattre, d’en contester la
sincérité et d’empêcher la séparation en les faisant re
jeter du procès.
1496. — Les formalités exigées par les art. 866,
867, 868, le sont à peine de nullité. Leur violation est,
aux yeux de la loi , la preuve de la collusion et de la
fraude , et cette présomption n ’admet aucune preuve
contraire. Cette nullité peut être invoquée par les cré
anciers , par le mari lui-même. Il n’y a que la femme
qui ne puisse jamais s’en prévaloir.
1 4 9 7 . — 2° Conditions pour l’admission de la de
mande, époque du jugement.
�104
TRAITÉ DU DOL
La publicité prescrite eût été une vaine garantie, si
la femme avait pu requérir jugement immédiatement a près l’accomplissement des formalités exigées. Puisqu’on
appelait en quelque sorte les créanciers à intervenir, il
fallait bien leur accorder le temps moral pour réaliser
leur intervention. C’est dans ce sens que l’art. 869 dis
pose que le jugement sur la séparation ne pourra être
rendu qu’un mois après l’accomplissement des formali
tés prescrites par les articles précédents. Mais ce délai
est uniforme pour tous les créanciers , sans avoir
égard à la distance de leur domicile respectif. Agir au
trement , c’était perpétuer l’instance et mettre la femme
dans l’impossibilité d’user utilement de son droit. Ne
connaissant pas tous les créanciers, elle n’aurait pu ap
précier avec certitude le moment où il lui serait enfin
permis de requérir jugement.
D’ailleurs les créanciers ne sont pas parties nécessai
res. Ils peuvent intervenir; e t , quel que soit leur éloi
gnement , un mois est un délai suffisant, surtout après
la publicité que reçoit la demande , pour les mettre à
même de réaliser leur intervention.
1498.
— Le délai exigé par l’art. 869 est
peine de nullité. Ainsi le jugement rendu avant
ration du mois est frappé d’une nullité radicale.
fet est surtout dans l’intérêt des créanciers et du
prescrit à
l’expi
Cet ef
m ari.1
1 Thomine Desmazure, t. n, pag. 474; — Chaureau, sur Carré,
�ET DE LA FRAUDE.
105
Eux seuls sont donc recevables à s’en prévaloir. La fem
me ne serait pas admise à l’invoquer. Outre qu’elle exciperait de sa propre faute, ce serait l’autoriser à se mé
nager le moyen d’annuler la séparation, en enfreignant
à dessein les formes qu’elle doit religieusement obser
ver.
1 499. — Les conditions mises par la loi au juge
ment de séparation se résument toutes dans l’obligation
pour la femme de prouver que sa demande est fondée,
c’est-à-dire que sa dot est réellement en p é ril, et que
le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre
que ses biens ne soient pas suffisants pour remplir les
droits et reprises de la femme.'
Cette obligation est rigoureusement prescrite , et les
tribunaux doivent veiller à ce qu’elle soit strictement ac
complie. La volonté du législateur se manifeste à cet égard avec le plus vif éclat par l’art. 870 du Code de
procédure civile, aux termes duquel, en l’absence même
de tout créancier , l’aveu du mari ne fera pas preuve
des faits allégués par la femme. Cet aveu pourrait et de
vrait , dans ce cas , être considéré, soit comme une si
mulation déguisant une séparation volontaire proscrite
par la loi, soit comme une voie détournée pour avanta
ger la femme au préjudice des enfants ou héritiers qu’on
tenterait ainsi de dépouiller.
1 5 00. — La femme est donc tenue , dans tous les
1 Art. 1443 du Code civ.
I
�• >•
■./V A /!'/
106
■
'
TRAITÉ DU DOL
cas, de prouver les faits servant de fondements à la sé
paration de biens. Cette preuve résulterait de celle de
l’existence de dettes considérables à la charge du mari,
des actes d’exécution mobilière ou immobilière qui en
seraient résultés ; de l’impossibilité où se trouverait le
mari de pourvoir aux besoins du ménage, comme si ses
revenus avaient été saisis , ou que des aliénations suc
cessivement consenties en eussent tari les sources, enfin
de la preuve testimoniale que la femme est toujours re
cevable à fournir.
1 5 0 L — Il ne saurait même exister aucun doute
sur le droit des tribunaux d’ordonner d’office cette der
nière, toutes les fois que les éléments soumis à leur ap
préciation ne sont pas suffisants pour former leur con
viction. Il est de la prudence et de la sagesse des ma
gistrats, avant de sanctionner une mesure définitive, dans
un sens ou dans l’autre, d’épuiser tous les moyens sus
ceptibles d’éclairer leur religion et de donner à leur dé
cision le plus de certitude possible. Seulement le juge
ment qu’ils rendraient dans cette hypothèse devrait co
ter les faits sur lesquels ils entendent faire porter l’en
quête.'
Le mois étant expiré et la preuve étant fournie, la
séparation peut et doit être prononcée.
1 502. — 3° Publicité du jugement.
i Nancy, 24 mai 1827.
�ET DE LA FRAUDE.
107
Lesformalités parcourues jusqu’ici ont pour objet d’a
mener l’intervention des créanciers. Ce droit est évidem
ment perdu, dès que la demande est consacrée par un
jugement. Reste la faculté pour les créanciers de former
tierce-opposition au jugement. Non moins jaloux de
favoriser celle-ci que l’intervention elle-même, le légis
lateur a voulu que l’existence du jugement fût rendue
notoire et publique de la même manière que celle qu’il
prescrivait naguère pour la publicité de la demande.
1503.
— Les formes de la publicité du jugement
sont réglées par l’art. 872 du Code de procédure civile,
dont les prescriptions doivent être rigoureusement exé
cutées sous peine de nullité.
Ce qui a pu rendre l’admission de cette peine douteu
se, c’est le silence gardé à cet égard par l’art. 872. On
a pu, dès lors, dire que les nullités ne se suppléant pas,
on ne saurait accueillir, dans notre hypothèse, celle sur
laquelle le législateur garde le silence. Mais le doute est
complètement dissipé , en ce qui concerne l’art. 872,
par l’art. 1445 du Code civil ; celui-ci en effet dispose :
Que toute séparation de biens doit être rendue publique
avant son exécution, à peine de nullité. Il est vrai que
le mode de publicité, exigé par l’art. 1445, est moins
étendu que celui ordonné par l’art. 872. Mais ce mode
n’a rien de limitatif, il est purement énonciatif, et si le
législateur n ’a pas achevé sa pensée , c’est que , ainsi
que cela résulte de la discussion , il a voulu se borner,
dans le Code civil, à poser les principes dont il renvoit
les développements au Code de procédure.
�108
TRAITÉ DU DOL
L’art. 872 n’est que la conséquence et la réalisation
de cette intention. Il y a donc entre lui et l’art. 1445
la relation intime existant entre un principe et ses dé
ductions. Toutes ces dispositions se relient donc néces
sairement à celle de cet article, et se placent naturelle
ment sous l’empire de la sanction pénale qui y est édic
tée. C’est ainsi que l’a admis la jurisprudence.1
C’est d’ailleurs ce que prouvent ces derniers mots de
l’art. 872 : La femme ne pourra commencer l’exécution
du jugement que du jour où les formalités ci-dessus au
ront été remplies. Or s i , d’une part , le jugement doit
être exécuté dans la quinzaine, sous peine de nullité ;
si, d’autre part, cette exécution n’est régulièrement com
mencée qu’après l’accomplissement des formalités, il est
évident que, ne pas se livrer à cet accomplissement, c’est
déterminer l’annulation du jugement.
1 5 0 4 . — 4° Exécution du jugement.
La séparation de biens ne doit pas être une simple
précaution, qu’on se réserve d’exécuter dans une occa
sion favorable et qu’on puisse aussi opposer ou non aux
créanciers. Si les affaires du m ari, dit M. Delvincourt,
sont réellement en désordre , la femme doit se hâter de
faire exécuter le jugem ent, autrement le désordre n’est
qu’apparent.2
1 V. les nombreux arrêts cités par M. Chauveau, sur Carré, art. 872,
quest. 2946 bis.
s T. ni, pag. 410, note 6.
�ET DE LA FRAUDE.
109
Il importe d’ailleurs que la division d’intérêts , qui
doit en résulter, soit au plus tôt exécutée. Il ne faudrait
pas que le mari pût tromper ceux avec qui il pourra
ultérieurement traiter, par la possession et la jouissance
d’un patrimoine qui n’auraient que l’apparence, et qu’il
pourrait, de concert avec sa femme , faire bientôt éva
nouir.
L’absence d’exécution du jugement est donc une pré
somption de collusion, entre les deux époux , de fraude
contre les tiers. A ce double.titre , on ne pouvait que
tourner l’une et l’autre contre les auteurs , en annulant
le jugement dont ils ont voulu ainsi abuser.
De là la disposition de l’art. 1444, suivant laquelle
la séparation de biens, quoique prononcée en justice, est
nulle, si elle n’a pas été exécutée par le paiement réel
des droits et reprises de la femme, effectué par acte au
thentique jusqu’à concurrence des biens du mari, ou au
moins par des poursuites commencées dans la quinzai
ne qui a suivi le jugement et non interrompues depuis.
1 5 0 5 . — Ainsi le délai de rigueur pour l’exécution
est de quinzaine. Dans cet intervalle, la femme doit être
payée, cependant comme la résistance du m ari, ou des
circonstances nées de sa position elle-même, peuvent
rendre ce paiement impossible, la loi consent à consi
dérer comme équipollent les poursuites commencées par
la femme avant l’expiration de ce délai, à la seule con
dition qu’elles n ’aient pas été interrompues,?
1506. — La nécessité d’agir dans la quinzaine,
�110
TRAITÉ DU DOL
ainsi que le veut l’art. 1444 du Code civil, a été d’abord
controversée. On a soutenu que l'art. 872 du Code de
procédure civile avait abrogé le premier et l’on faisait
résulter cette abrogation de ces termes : Sans que néan
moins il fût nécessaire d'attendre l'expiration du dé
lai d’un an. Or de cela que l’exécution peut être faite
avant la fin de l’année , il n’en résulte pas , disait-on,
qu’elle dût avoir lieu dans tel autre délai déterminé. Il
semble au contraire qu’il faut en induire qu’on pourra
ne la réaliser qu’après son expiration.
Mais le contraire a été depuis universellement admis
par la doctrine et la jurisprudence. Cette admission rend
toute discussion oiseuse , nous nous contenterons donc
de nous en référer aux motifs des arrêts rendus par la
Cour de cassation et à l’opinion des auteurs qui ont é~
crit sur le Code de procédure.'
Ainsi l’exécution par le paiement réel, ou parle com
mencement des poursuites, doit avoir lieu dans la quin
zaine du jugement, ce délai court du jour de la pronon
ciation. Il est visible que si on l’avait fait dépendre de
la signification , la femme pourrait le prolonger à son
gré, en retardant cette signification tant qu’elle le juge
rait utile à ses intérêts et à ceux de son mari. On retom
bait donc dans l’inconvénient que la prompte exécution
a pour objet de prévenir.
1 5 0 7 . — Par une conséquence de cette règle, on a
i V. Chauveau, sur Carré, art. 872.
�ET DE LA FRAUDE.
\\\
exigé que l’exécution , même volontaire , fût constatée
par acte authentique. Cependant cet acte pourrait être
utilement remplacé par tout autre acte ayant date cer
taine. Le but de la loi étant d’enlever toute incertitude
sur le moment de l’exécution , toute chance de fraude
dans la date , est aussi bien rempli par le second que
par le premier.
1 5 0 8 . — Si l’exécution consiste dans le paiement,
elle n’est valable que par un paiement réel et intégral.
Comme la loi ne pouvait d’ailleurs vouloir l’impossible,
elle considère comme paiement intégral celui qui, quoi
que partiel, absorberait toutes les ressources du mari.
Or, on ne considère comme tel que celui qui se réalise
jusqu'à concurrence des biens du mari, sans distinction
de meubles ou d’immeubles. A insi, la femme qui , sa
chant que le mari possède des immeubles, aurait négli
gé de se faire payer, et se serait contentée de la cession
de tout le mobilier, ne serait pas censée s’être conformée
au vœu de la lo i, si ce mobilier n ’éteignait pas l'inté
gralité de sa créance. Le jugement de séparation serait
nul pour défaut d’exécution.*
1 5 0 9 . — A défaut de paiement ré e l, l’exécution
doit être poursuivie contre le mari, et la poursuite com
mencée dans le délai de quinzaine doit être poursuivie
sans interruption. Ainsi, il a été décidé que l’exécution
i Colmar, 30 novembre 1838.
�112
TRAITÉ
nu
DOL
volontaire ou forcée commencée régulièrement, puis
renvoyée d’un commun accord à une époque ultérieure,
devait être considérée comme nulle et motiver consé
quemment l’annulation du jugement.
Au reste, il n ’entre pas dans notre matière de recher
cher quels sont les actes constituant l’exécution, c’est
là d’ailleurs une question que la loi confère à l’arbitrage
souverain du juge. Tout ce que nous répéterons, c’est
que cette exécution doit être accomplie ou tout au moins
commencée dans la quinzaine, et que ce délai est tel
lement rigoureux que l’exécution , donnée le seizième
jour, entraînerait la nullité du jugement.'
1510.
—• Cette règle ne comporte qu’une seule ex
ception , à savoir : lorsque la femme a été empêchée
d’agir par des obstacles de force majeure, indépendants
de sa volonté. Cette circonstance est laissée à l’apprécia
tion des juges, mais elle serait facilement admise, s i ,
après le jugement, le mari avait été déclaré en état de
faillite. Il est évident que dans celte hypothèse le paie
ment réel est impossible, qu’on ne peut en exiger au
cun, si ce n’est aux conditions et aux formes voulues;
que les poursuites contre les syndics n’aboutiraient à
aucun résultat utile. Il serait donc frustatoire d’imposer
à la femme l’obligation d’en réaliser aucune. D’ailleurs,
la crainte de la fraude, que l’exécution a pour but de
1 Rouen, 27 avril '1816 ; — Cass., 11 juin 1818; — Toullier, t. xii,
�ET DE LA FRAUDE.
113
rendre impossible, ne peut plus exister, dès qu’il y a
faillite déclarée. En conséquence, la remise de ses titres,
faite par la femme entre les mains des syndics, consti
tuerait une exécution valable.
1 5 1 1 . — Le jugement, précédé et suivi des forma
lités que nous venons de rappeler, est parfaitement ré
gulier, il devient définitif entre époux, dès qu’il a été
légalement exécuté, mais il ne l’est pas encore contre
les tiers. L’art. 1147 du Code civil pose en principe que
les créanciers ont la faculté de l’attaquer encore et de
le faire réformer, s’il a été rendu en fraude de leurs
droits. Cette action a été depuis limitée à la durée d’un
an par l’art. 873 du Code de procédure civile.
1 5 1 2 . — L’expiration de l’année rendrait donc le
jugement inattaquable , à une condition cependant, à
savoir : en ta n t, ainsi que le prescrit l’art. 873 luimême, que toutes les formalités exigées par les art. pré
cédents ont été remplies. L’attaque en nullité du juge
ment, pour violation de ces formalités, est donc laissée
en dehors de la prescription annale. Cette conséquence,
signalée par Merlin, a été admise en doctrine et en ju
risprudence.1
Ainsi l’action en nullité, pour défaut de publicité de
la demande ou du jugement, celle fondée sur l’absence
d’exécution dans la quinzaine, ne se prescrit pas par le
1 Chauveau, sur Carré, art. 875, quest. 2958.
�114
TRAITÉ DU DDL
silence gardé plus d’un an. Mais elle se modifie dans
l’application qui en serait poursuivie par les créanciers
postérieurs. 11 convient, par rapport à ceux-ci, de dis
tinguer la nullité fondée sur le défaut de publicité de
celle résultant d’une exécution tardive.
Ils peuvent exciper de la première par deux raisons :
d’abord, parce que le défaut de publicité de la demande
les a empêchés de connaître le projet de séparation ; le
défaut de publicité du jugement a pu leur faire croire
qu’après avoir été tentée, cette séparation a été aban
donnée. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’erreur,
dans laquelle ils ont pu être de bonne foi, leur a causé
un préjudice, car elle a été la cause unique du traité
qu’ils n’auraient pas consenti s’ils eussent connu la sé
paration. On doit donc les en relever en leur permettant
de demander la nullité de la demande ou du jugement.
La seconde raison est que le mari lui-même étant re
cevable à exciper du défaut de publicité, ses créanciers,
exerçant ses droits aux termes de l’art. 1166, peuvent,
sans contredit, agir dans ce sens comme il aurait pu
le faire lui-même.
1515.
Mais les créanciers postérieurs ne peuvent
se prévaloir de la nullité fondée sur l’exécution tardive
du jugement de séparation, que si cette exécution ne
s’est elle-même réalisée que postérieurement à leurs
créances. Dans ce cas, cette exécution constituerait une
atteinte à leurs droits et ils seraient fondés à en deman
der la nullité comme faite en fraude de ces droits. Mais
�ET DE LA FRAUDE.
115
ils ne pourraient prétendre qu’il en fut ainsi, si l’exé
cution, quoique tardive, avait cependant précédé le traité
par suite duquel ils sont devenus créanciers. Comment
pourraient-ils soutenir que leur débiteur a agi pour
nuire sciemment à des droits qui n’existaient même
pas ? Ils ne pourraient donc attaquer l’exécution que
comme ayant-cause de leur débiteur et qu’en tant que
celui-ci serait recevable à le faire. Or le mari, qui a
tardivement exécuté, ne peut revenir contre son propre
fait, ni se faire relever de sa faute.
1 5 1 4 . — Le rapprochement des art. 1447 du Code
civil et 873 du Code de procédure civile a fait naître
une difficulté sérieuse. Le premier permet d’attaquer la
séparation faite en fraude des droits des tiers, l’art. 873
admet la tierce-opposition , par cela seul qu’il y a eu
séparation de biens, et en limite la durée. Le délai d’un
an est-il applicable seulement à ce droit ? S’étend-il en
outre à celui de fraude , alors même que la découverte
de celle-ci n’aurait eu lieu qu’après son expiration ?
MM. Pigeau et Favard de Langlade enseignent l’affir
mative. Ils soutiennent que le délai de l’art. 873 est fa
tal et s’applique à tous les cas'. Mais le contraire est
professé par MM. Demiau Crousilhacet Chauveau. Ceuxci pensent que la fraude faisant exception à tous les
principes, l’action des créanciers pour sa répression doit
1 T. il, p. 576 ; — t. v, p. 406, n° 42.
�116
TRAITÉ DU DOL
durer dix ans, suivant le premier ; trente a n s , d’après
le second.'
Nous résoudrons à notre tour la difficulté par une
distinction entre la séparation en principe, et les consé
quences qu’elle est dans le cas d’entraîner.
En principe, la séparation de biens doit être pronon
cée, dès que l’insolvabilité du mari met en péril les droits
de la femme. En pareille occurrence donc , la fraude
consistera dans les moyens pris pour simuler cette in
solvabilité; pour rendre ce péril apparent, sinon réel.
Or , une fraude de cette nature est dans le cas d’être
bientôt découverte , surtout lorsque les créanciers sont
nécessairement mis sur la voie par les communications
qu’ils peuvent exiger en vertu de l’art. 871 du Code de
procédure civile.
Dans tous les cas , le législateur a pensé qu’un déla
d’un an suffirait pour cette découverte, et s’il a fixé un
terme aussi court, c’est que la séparation modifiant l’é
tat des époux et les droits d’administration du m a ri, il
importait de ne pas laisser ses effets indéfiniment en
suspens.
Nous estimons donc qu’après l’expiration de l’année,
sans que le jugement ait été attaqué , la séparation est
définitivement acquise en principe. Il n’appartient plus
à personne de la faire révoquer, même sous prétexte de
fraude ultérieurement découverte. Il y a eu négligence à
1 P. 547, sur Carré, art. 873, quest. 2959
�ET DE LA FRAUDE.
117
ne pas la découvrir plus tôt. Elle est désormais irrévo
cable.
Mais il n’en est pas de même quant à ses conséquen
ces. La plus immédiate est sans contredit la liquidation
dans l’exécution de laquelle pourront se réaliser les frau
des les plus préjudiciables aux créanciers. Ces fraudes,
résultant d’actes préparés peut-être de longue main, ne
seront pas toujours faciles à découvrir, et on ne parvien
dra à en démontrer l’existence que par le bénéfice du
temps et à l’aide d’événements imprévus.
En conséquence , assigner à cette décduverte le sim
ple délai d’un an , c’était la restreindre dans un cadre
évidemment trop étroit; encourager et favoriser la frau
de; consacrer une convention inique pat laquelle, sous
prétexte d’acquitter une dette, le mari donne réellement
une portion de son patrimoine au préjudice et en fraude
des droits de ses créanciers ; c’é tait, en un m o t, faire
courir une prescription contre ceux que le dol a mis
dans l’impossibilité d’agir , et consacrer l’extinction de
l’action avant qu’elle ait pu être exercée. Un pareil ré
sultat a -t-il pu entrer dans les prévisions du législateur?
Pourrait-on le concilier avec tant et de si minutieuses
précautions pour prévenir la fraude ?
L’évidence du contraire a fait admettre par tout le
monde la distinction que nous indiquons. On a compris
qu’autre chose était la séparation, autre chose la liqui
dation, qu’on pouvait, qu’on devait même les considé
rer distinctement au point de vue de la prescription.
Toutefois, on a en même temps soumis l’application de
�118
TRAITÉ DU DOL
cette règle à la manière dont la liquidation a été pro
noncée. Le délai de l’art. 873, a-t-on d it, sera appli
cable à la liquidation, si le jugement statuant sur la sé
paration statue en même temps sur la liquidation,celleci n’est plus dans ce cas que l’accessoire de l’autre, et
le principal devenu inattaquable , l’accessoire ne pour
rait plus l’être. Mais le contraire doit être admis si la
liquidation n’a été prononcée que par un jugement pos
térieur et distinctif. Ce qui doit le faire décider ainsi,
c’est la publicité que la liquidation acquiert dans le pre
mier cas par la publication du jugement de séparation.
Nous n’admettons pas un pareil système, car il est
dénué de tout fondement juridique. Si la liquidation n’est
qu’un accessoire lié au sort du principal, il importe peu
qu’il y ait été statué par le même jugement ou par un
jugement distinct. L’existence de ce dernier ne peut lui
faire perdre ce caractère. Un fait est nécessairement in
dépendant du mode de sa constatation. Il existe ou il
n ’existe pas; conséquemment si la liquidation n’est qu’un
accessoire de la séparation dans le cas d’un seul juge
ment, il le demeure forcément dans celui de deux juge
ments.
En fait et en droit, la liquidation est la conséquence
immédiate, et non l’accessoire de la séparation. Le droit
d’attaquer l’une ou l’autre reste distinct et obéit à des
principes différents. On doit donc le distinguer sans
cesse et dans tous les cas. Quant à l’argument tiré de
la publicité du jugement de séparation , nous n’avons à
faire remarquer que cette circonstance , à savoir : que
�ET DE LA FRAUDE.
119
cette publicité ne concerne que la séparation en ellemême ; que c’est à son occasion qu’elle est exclusivement
prescrite; que dès lors les créanciers ne peuvent être obligés d’y voir autre chose.
Nous n’admettons pas non plus qu’on puisse soumet
tre à l’art. 1304 la prescription de l’action en révocation
de la liquidation comme faite en fraude des droits des
créanciers. Cet article ne régit que la nullité ou la res
cision des conventions ; il ne peut donc s’appliquer à
la rétractation d’un jugement. La demande de celle-ci
reste soumise , quant à sa durée, au droit commun en
matière d’action , et ce droit commun n’est pas autre
chose que la prescription trentenaire.
Ainsi, il y a deux choses parfaitement distinctes dans
la poursuite en séparation : la séparation elle-même, la
liquidation. L’une et l’autre pouvant recéler la fraude,
le droit des créanciers à se pourvoir contre chacune d’el
les ne saurait être contesté. Le droit est distinct, car il
s’agit d’un fait différent, la fraude faite dans la liqui
dation n’étant pas de la même nature que celle ayant
présidé à la séparation. Dans un intérêt public,en quel
que sorte, la faculté d’attaquer la séparation a été limi
tée à la durée d’un an. Rien de pareil ne militant pour
la liquidation, l’action pour la faire révoquer dure trente
ans.
C’est au reste dans ce sens que la Cour de cassation
s’est enfin prononcée. Par arrêt du 4 décembre 1815,
elle avait consacré le système que nous combattons, mais
la résistance que ce système rencontrait dans la plupart
9
�120
TRAITÉ DU DOL
des Cours' l’a fait proscrire par la Cour suprême Voici
dans quels termes elle a, le 11 novembre 1835 , sanc
tionné celui que nous venons d’indiquer :
« Considérant que l’action en séparation de biens et
l’action en liquidation des reprises de la femme sont es
sentiellement distinctes ; que si elles peuvent être for
mées et jugées simultanément à raison de leur connexi
té, elles ne cessent pas d’être différentes par leur nature
et leur objet ; que la demande en séparation a pour ob
jet de modifier l’état des époux et les droits d’adminis
tration appartenant au mari, il importe de ne pas pro
longer l’incertitude sur cette demande , et de fixer un
bref délai dans lequel les créanciers du mari sont tenus
d’attaquer le jugement qui a prononcé la séparation ;
que tel est le motif qui a déterminé la disposition ex
ceptionnelle insérée dans l’art. 873 du Code de procé
dure civile;
» Considérant que ce motif ne peut être allégué à la
liquidation des reprises de la femme, qu’elle soit opérée
par le jugement même de séparation ou par un juge
ment séparé; que dans les deux hypothèses, la disposi
tion qui statue sur la liquidation est de la même nature
et soumise au droit commun ;
» Que le principe général accorde aux créanciers le
délai de trente ans pour former tierce-opposition aux
jugements qui préjudicient à leurs droits ; que l’excep
tion à cette règle, admise par l’art. 873, est limitée à la
J V.’Palloz, Dicl. gèn. sép. de biens.
�ET DE LA FRAUDE.
séparation de biens ; qu’aucune disposition n’a dérogé
à ce principe à l’égard des condamnations prononcées
par le jugement de séparation ;
» Qu’il résulte des art. 865 et suivants du Code de
procédure civile, \ 444 et 1445 du Code civil combinés,
que les formalités prescrites par leurs dispositions ont
pour objet et pour résultat de donner de la publicité à
la séparation, mais n’en donnent pas à la liquidation ;
qu’on ne pourrait appliquer le délai d’un an aux con
damnations prononcées par le jugement, sans exposer
les créanciers du mari à perdre leur droit de tierce-op
position avant d’avoir pu l’exercer.1 »
1515.
— En résumé, la loi, désireuse d’assurer la
conservation des droits des créanciers et d’empêcher, en
ce qui les concerne , les effets d’une séparation fraudu
leuse, leur confère la faculté :
1° De poursuivre la nullité du jugement pour défaut
de publicité de la demande ou du jugement lui-même,
ou pour violation des formes prescrites à l’une et à l’au
tre. Quelle que soit la cause de nullité, l’effet en résul
tant est de frapper non seulement le jugement, mais en
core la procédure qui a été suivie, de telle sorte que la
demande en séparation ultérieurement formée devrait
nécessairement être instruite aux formes de droit. La
faculté de faire prononcer la nullité du jugement ne se
prescrit que par trente ans ;
1 D. P-, 35, 1, 441 ; — V. 36, 1, 98; — Zacchariæ, t. m, p. 474
�m
TRAITÉ DU DOT
2° De former tierce-opposition contre le jugement de
séparation régulièrement poursuivi , obtenu et exécuté.
La séparation de biens étant toujours préjudiciable aux
créanciers par la division d’intérêts qu’elle crée entre le
mari et la femme , il est juste de leur reconnaître le
droit d’en contester l’opportunité et la nécessité. L’exer
cice de ce droit doit être réalisé dans l’année du juge
ment, sous peine d’en être définitivement déchu ;
3° Enfin, de demander la révocation de la liquida
tion, comme faite en fraude de leurs droits. Il importe
peu que cette liquidation ait été prononcée par le juge
ment de séparation ou par un jugement distinct et sé
paré, il suffit qu’elle soit frauduleuse, injuste et men
songère pour qu’elle puisse être attaquée. L’action des
créanciers n ’est éteinte que par la prescription de trente
ans.
1516.
— Nous avons déjà dit que, relativement au
mari et à ses créanciers, l’effet de la séparation , quelle
que soit l’époque de la prononciation , remonte au jour
de la demande. Cet effet rétroactif est applicable aux tiers
qui, dans l’intervalle de l’une à l’autre, ont traité avec
le mari ?
Une grande controverse s’est élevée sur ce point, et la
doctrine est fort divisée. Pigea" enseigne la négative. Il
pense qu’on ne saurait recourir contre les tiers de bonne
foi, qu’on ne pourrait soumettre à subir l’effet rétroac
tif de l’art. 1445 du Code civil qu’en tant qu’on prou
verait leur collusion et leur fraude."
1 T. il, pag. 844
�ET DE LA FRAUDE.
m
D’autres auteurs veulent au contraire que cet effet at
teigne les tiers, indépendamment de leur bonne ou mau
vaise foi, et par cela seul qu’ils ont traité avec le mari
durant l’instance en séparation. Lex non dislinguit, di
sent les annotateurs de Zacchariæ'. La généralité des
termes du second alinéa de l’art. 1445 est d’autant plus
décisive que l’ensemble de cet article ne peut laisser au
cun doute sur le véritable esprit de la loi. En effet, a près avoir prescrit, dans l’intérêt des tiers, les formali
tés nécessaires pour donner la plus grande publicité aux.
séparations de bietis, le législateur s’est hâté de poser,
dans un second alinéa, le principe de la rétroactivité des
jugements de séparation, comme s’il avait craint qu’on
n’induisit de sa première disposition la fausse consé
quence que l’effet de pareils jugements est retardé, à l’é
gard des tie rs, jusqu’après l’accomplissement des for
malités mentionnées dans cette disposition. D’ailleurs
les art. 866 et 869 du Code de procédure civile suppo
sent bien évidemment le principe dont s’agit, puisque la
publication qu’ils prescrivent ne peut avoir d’autre ob
jet que de mettre les tiers en position de se prémunir
contre les effets de la rétroactivité du jugement qui pro
noncera la séparation de biens. Enfin, il faut bien le re
connaître, sans cette rétroactivité, il dépendrait du mari
de rendre absolument inefficace ou illusoire le remède
de la séparation.
1 T. m , pag. 478, note 34 ; — Conf. Toullier, tom. xm, n°s 101 et
suiv.; — Dalloz àiné. tom. x, pag 245, n° 47.
�m
TRAITÉ DU DOL
Le défaut de cette opinion est d’être absolue, et de se
placer ainsi en contradiction avec un principe aussi cer
tain qu’incontestable. Pendant procès, le mari conserve
l’administration, même des biens personnels de la fem
me. Or comment concilier ce droit d’administrer avec la
nullité complète, à l’égard des tiers eux-mêmes, de tous
les actes que cette administration nécessitera ?
Il est vrai que cette administration peut devenir , de
la part du mari, la source de graves abus, mais le légis
lateur a entrevu cette éventualité et s’est bien gardé de
laisser la femme dans l’impossibilité de les prévenir.
C’est précisément contre cette éventualité que l’art. 869
a été édicté. Ainsi la femme pourra saisir-arrêter les
sommes dues au mari, les fermages de ses biens person
nels, les récoltes pendantes, faire enfin apposer les scel
lés sur le mobilier de la communauté. A quoi bon tou
tes ces mesures conservatoires , si la demande en sépa
ration conserve par elle-même les droits de la femme, à
tel point que tout ce que le mari fera après la publica
tion restera frappé de nullité même à l’égard des tiers
de bonne foi ?
Si telle avait été la pensée du législateur , il y avait
un moyen fort simple de la réaliser, c’était de suspen
dre le droit du mari pendant la litispendance. Ce moyen
eût été également plus économique pour les époux et
plus juste envers les tiers, dont les intérêts auraient été
ainsi sauvegardés. Mais laisser l’administration au ma
ri , et puis annuler tous ses actes , c’est sacrifier ceuxci et leur préférer ceux de la femme , c’est accorder le
�ET DE LA FRAUDE.
125
principe en en prohibant les conséquences. Il n’est pas
possible d’admettre que le législateur ait voulu l’une et
l’autre.
En conséquence, et sauf l’obstacle que la femme peut
y apporter par la réalisation des mesures conservatoi
res autorisées par l’art. 869, le mari, continuant après
la demande d’administrer les biens , les oblige valable
ment vis-à-vis des tiers. Est-ce à dire cependant qu’il
pourra profiter de cette administration et multiplier la
fraude impunément ? Non évidemment, car si la sépa
ration de biens ne fait pas cesser l’administration du
mari, elle ne cesse pas de la modifier profondément. A
partir de la publication de la demande , pour les tiers
eux-mêmes , ce droit n ’est plus en quelque sorte que
provisoire, ne se réalise plus que pour les actes urgents,
indispensables à la conservation ou à la gestion ordinai
re des biens, rien ne les empêche donc de traiter dans
ces limites, mais la fraude serait plus ou moins présu
mée contre eux , selon que l’acte qu’ils ont contracté
s’éloignerait plus ou moins de ce caractère.
1 5 17.
— Nous croyons donc que la solution de no
tre question doit obéir à une distinction inévitable. Ainsi
le mari continuant d’administrer la communauté, il im
porte, dans l’intérêt même de la femme, qu’il puisse
faire tout ce qui est indispensable pour prévenir un dé
périssement ou des non valeurs. Il pourra donc, comme
il l’a toujours fait, recueillir et vendre les récoltes, con
tinuer les baux à renouveler, retirer les capitaux échus.
�126
TRAITÉ DU DDL
D’ailleurs, on doit d’autant mieux le décider ainsi que,
par cela seul que le mari est obéré, il y a certitude que
la femme renoncera à la commuuauté, et que dès lors
tout obstacle à l’administration aurait été en pure per
te. A quoi bon, dès lors, un système tendant à gendre
cette administration impossible ? A quoi bon encore, di
rons nous, même dans l’hypothèse d’une acceptation,
lorsque la femme a le droit de saisir-gager les fruits,
d’arrêter les capitaux aux mains des débiteurs, de pro
voquer l’apposition des scellés sur le mobilier commun?
En conséquence les tiers qui, postérieurement à la de
mande en séparation , mais en l’absence de tout acte
conservatoire de la part de la femme, ont traité avec le
mari dans les limites de son administration, ne peuvent
être recherchés que s’ils ont agi de mauvaise foi ; que si
l’acte qu’ils ont souscrit a été fait sciemment par eux
en fraude des droits de la femme. Leur bonne foi rend
cet acte inattaquable, car la femme, en s’abstenant de
prendre les mesures conservatoires qu’elle peut requé
rir, aurait tendu un piège dont les tiers ne peuvent être
les victimes. Sans doute la publicité de la demande en
séparation de biens les avertit du danger menaçant l’ad
ministration du mari. Mais ils savent également que
pendant procès cette administration se continue; ils sa
vent aussi que la femme a la faculté de conjurer les pé
rils auxquels elle est exposée: et si celle - ci s’est tue,
pourquoi exigerait - on de leur part une susceptibilité
plus ombrageuse que celle de la partie la plus directe
ment intéressée? Us ont donc pu , en cet état, traiter
�ET DE LA FRAUDE.
127
légalement avec le mari, et ils ne doivent être recherchés
que s’ils ont sciemment fraudé les droits de la femme.
Il n’en serait pas de même pour les actes d’aliénation
résultant soit d’obligations, soit de ventes contractées
par le mari. Ces actes ne sont plus de pure administra
tion, et la femme ne pouvait prendre aucune mesure
propre à les prévenir ou à les empêcher. Dès lors aussi
la publicité donnée à la demande en séparation doit
être considérée comme suffisante pour empêcher les tiers
de consentir de pareils actes. Celui-là donc qui malgré
cet avertissement, qui, malgré la certitude de la modi
fication qu’a subi le droit ordinaire du mari, lui a prêté
de l’argent ou a acquis de lui un objet mobilier ou im
mobilier, ne peut se soustraire à l’effet rétroactif de l’ar
ticle 1445. Une pareille conduite fait présumer la fraude
et légitime l’application de la peine à laquelle le tiers
s’est bien volontairement exposé.
Cette présomption de fraude est au surplus avouée
par la raison et le bon sens. Un emprunt, une vente
doit paraître extraordinaire dès l’instant qu’il existe une
demande en séparation régulièrement publiée. On ne
prête pas, on n’achète pas de celui qu’on sait devoir être
bientôt dépouillé de la propriété des choses qu’il affecte
ou qu'il aliène. Le tiers qui agit autrement ne peut y
être déterminé que par l’intention de faire une bonne af
faire et de s’approprier les avantages que la position
du mari lui commandera d’offrir ou d’accepter. Cette
pensée, si d’ailleurs le profit espéré s’est réalisé, est ex
clusive de bonne foi. N’y e û t- il d’ailleurs qu’impru-
�128
TRAITÉ DU DOL
dence, que le tiers ne pourrait se plaindre de ce qu’on
lui en fit supporter les conséquences, volenti non fit in
ju ria . Or telle est la position de celui qui prête ou
achète après avoir été mis à même de connaître l’exis
tence de la demande en séparation de biens.
Vainement prétendrait-il l’avoir ignorée. La publicité
prescrite par la loi, et régulièrement accomplie, ne per
mettrait pas d’accueillir une pareille excuse. Ce qu’il a
pu personnellement ignorer, des renseignements que la
loi prescrit de prendre pour s’assurer de la condition de
celui avec qui on va traiter le lui auraient appris. S’il
a manqué à ce devoir, il a commis une faute. Or on ne
saurait excuser une imprudence par une imprudence
plus grande encore.
Ce que nous disons de la communauté s’applique,
par une supériorité de raisons incontestables, aux biens
personnels de la femme dont le mari a l’administra
tion. Pour ceux-ci , il ne s’aurait s’agir d’une aliéna
tion ou d’une affectation par hypothèque, l’une ou l’au
tre ne pouvant valablement s’accomplir sans le concours
ou le consentement de la femme , à moins que le con
trat de mariage n’ait stipulé le contraire. Si la faculté
de vendre ou d’engager sans le consentement de la fem
me avait été concédé au m a ri, son exercice serait de
plein droit suspendu par la demande en séparation. Le
tiers qui, malgré la publicité de celte demande , aurait
traité avec le mari, serait donc régi, quant à la validité
de l’acte, par les règles que nous venons de tracer.
Allais, comme les biens de la communauté, les biens
�ET DE LA FRAUDE.
429
personnels de la femme doivent être administrés pen
dant la litispendance , et cette administration ne cesse
pas d’être dévolue au mari. Conséquemment , tout ce
que les tiers feront avec lui dans les limites d’une ad
ministration intelligente et sage, sera de plein droit ex
écutoire pour la femme elle-même.
C’est surtout à l’endroit de ces biens que l’adminis
tration du m a ri, pendant procès , doit se réduire aux
mesures que le présent rend indispensable, et ne jamais
engager l’avenir. Ainsi qu’un b a il, venant à expirer,
soit continué par la tacite réconduction, c’est ce qu’exi
ge l’intérêt de la femme ; mais que le m a ri, malgré la
litispendance, consente un bail pour un terme beaucoup
plus long, pour neuf ans surtout, c’est ce que nous ne
pourrions admettre. Nous consacrerions donc, en faveur
de la femme, la faculté d’en faire prononcer la résilia
tion. Le tiers, ayant accepté un pareil bail , ne saurait
exciper d’une bonne foi que la publicité de la demande
en séparation ne permettrait pas d’accueillir. Il suffirait
donc qu’il se fût prêté au fait que le mari accomplissait
sans nécessité réelle , et que ce fait causât un préjudice
à la femme , pour qu’il fût considéré comme complice
de la fraude , et privé du bénéfice qu’il s’en était pro
mis.
Ainsi encore , et quelle que fût la durée du b a il, le
tiers q u i, malgré la publication de la demande en sé
paration, aurait consenti des anticipations au mari, ne
pourrait exciper contre la femme des paiements qu’il
prétendrait avoir fait, alors même que celle-ci consenti-
�130
TRAITÉ DU DOL
rait à exécuter le bail. Le m a ri, en exigeant un paie
ment non exigible, ne fait plus un acte d’administra
tion, alors surtout qu’il est à la veille de perdre cette
administration elle - même , il commet une véritable
fraude contre les droits de la femme qui, vu son état
d’insolvabilité, ne pourra se faire rembourser ce qui,
depuis la demande en séparation, lui appartenait exclu
sivement.
D’autre part, le tiers, connaissant cette demande, ne
pouvait ignorer l’effet que le jugement devait produire.
En consentant une anticipation, il a contribué à rendre
cet effet impossible et occasionné ainsi un préjudice à
la femme ; il est donc tenu de le réparer en faisant
compte des loyers, à partir du jour de la demande, sauf
son recours contre le mari.
En dernière analyse, l’administration du mari, ne
cessant pas par la demande en séparation de biens,
doit pouvoir s’exercer, ce qui ne serait pas si les tiers,
ayant traité de bonne foi avec lui, dans les limites de
celte administration, pouvaient être recherchés et voir
leurs conventions annulées. Mais il est juste d’exiger
qu’à partir de la demande le droit du mari’ se restreigne
aux actes de gestion purs et simples, de nature à satis
faire aux besoins du moment présent, sans gréver inu
tilement et abusivement l’avenir. Tout ce qui s’écarte
rait de ce caractère devrait être et serait suspect. A l’é
gard du mari, car on supposerait facilement que, pro
fitant des derniers moments de son administration, il a
voulu se créer des ressources illégitimes au détriment
�ET DE LA FRAUDE.
131
de sa femme; à l’égard des tiers, parce que la publicité
de la demande les avertit suffisamment de la véritable
position du mari ; s’ils se prêtent cependant aux actes
de dissipation que celui-là accomplit, c’est qu’ils y trou
vent eux-mêmes un intérêt quelconque. Cette présomp
tion, naissant de l’acte lui-même, est légalement admi
se, et comme elle exclut toute idée de bonne foi, sa con
séquence doit être l’annulation de l’acte attaqué.
1 5 1 8 . — La dissolution du mariage, p a rla mort
d’un des époux, offre pareillement de nombreuses oc
casions de fraude contre les héritiers ou les créanciers
du défunt, contre les créanciers du survivant.
1 5 1 9 . —- La plus redoutable de ces fraudes est,
sans contredit, les détournements opérés par l’époux
survivant. Ces actes, ayant pour objet la spoliation de
la succession, sont dans le cas d’occasionner aux créan
ciers et aux héritiers du défunt, un grave préjudice. Ils
sont, par rapport à leur auteur , essentiellement frau
duleux, car ils entraînent non seulement un dommage
certain , mais encore, et de plein droit, l’intention de
nuire.
1 520. — La spoliation de la succession est possi
ble , quel que soit le régime sous lequel ont vécu les
époux, elle constitue, sous celui de la communauté, le
recélé prévu par l’art. 1477.
Les soustractions, que la femme dotale ou non com
mune opérerait dans la succession de son mari, ne pour-
�132
TRAITÉ DU DUL
raient être punies des peines du recélé. Mais comme,
efn définitive, elles ne sont pas moins dommageables
que celui-ci, les héritiers ou les créanciers ont une ac
tion en repression pour obtenir soit la restitution des
effets détournés, soit une indemnité pécuniaire, suffi
sante pour couvrir intégralement le préjudice qu’ils sont
dans le cas d’en éprouver.
1521.
— La femme commune en biens a le droit
de renoncer à la communauté. L’art. 1453 frappe de
nullité toute convention dérogeant à cette faculté d’or
dre public, ou par laquelle la femme s’en interdirait
l’exercice. Par l’effet de cette renonciation, la femme est
libérée de toutes les dettes grevant la communauté, elle
a de plus le droit de reprendre les linges et hardes à
son usage ; les immeubles lui appartenant lorsqu’ils
existent en nature, ou l’immeuble acquis en remploi;
le prix de ses immeubles aliénés , dont le remploi n’a
pas été fait et accepté conformément à la loi ; enfin
toutes les indemnités qui peuvent lui être dues par la
communauté.
C’est là, il faut en convenir, un droit d’un immense
avantage pour la femme. Elle y trouve le moyen de ne
pas contribuer au paiement de sommes consommées par
la communauté et dont elle a conséquemment profité
en partie. La loi n’a pas cependant hésité à le consa
crer, eu égard à la position de la femme, forcée de su
bir l’administration du mari. C elui-ci étant le maître
absolu de la communauté, il fallait dit M. de Mallevil-
�ET DE LA FRAUDE
133
le, donner à la femme la faculté de s’en délier pour
qu’elle ne fût pas exposée à perdre son bien, par suite
de conventions qu’elle n ’a pas pu empêcher. De là, la
faculté de renoncer et les effets qui s’y rattachent.
A ce droit, le législateur en a ajouté un autre non
moins utile. Alors même que la femme accepterait, elle
n’est, aux termes de l’art. 1483, obligée aux dettes que
jusqu’à concurrence de son émolument, c’est-à-dire que
sa part dans la communauté pourra bien être absorbée,
mais qu’elle ne sera jamais obligée au delà et sur ses
propres biens.
Ces dérogations au droit commun ont un caractère
spécial qu’il ne faut pas oublier. Le législateur a en
tendu protéger la femme contre les abus que sa posi
tion, dans la communauté, faisait craindre. Il n ’a pas
voulu lui conférer un avantage, quoi qu’il arrivât. Le
droit des créanciers, celui des héritiers, est aussi sacré
que le sien, on ne pouvait donc le modifier qu’à de cer
taines conditions.
1522.
— La première et la plus essentielle est que
la femme, qui renonce, ne puisse rien retenir des bieps
de la communauté. Cette condition serait violée si, avant
la renonciation, elle s’était emparée d’une part quel
conque de ces mêmes biens ; si elle tentait de les sous
traire à la connaissance des héritiers du mari ou des
créanciers; en un mot, si elle recélait ou détournait
les effets appartenant à la communauté.
Dès lors, la femme ne saurait revendiquer un privi-
�134
TRAITÉ DU DOL
lége dont sa propre fraude l’a rendue indigne, sa con
duite a donc justement préoccupé le législateur qui en
déduit les conséquences suivantes :
En premier lieu, la femme est déchue de la faculté
de renoncer, le recélé, par elle commis, est considéré
comme une acceptation formelle. L’acceptation en ef
fet n’a pas toujours besoin d’être expresse. Les art. 1454
et 1455 la font résulter de l’immixtion de la femme
dans les biens de la communauté, ou seulement de ce
qu’elle a pris dans un acte la qualité de commune. Com
ment donc ne pas attacher au recélé les effets de l’une
ou de l’autre ;
En deuxième lieu, elle perd le privilège de ne pas
être tenue par son acceptation au delà de la portion
qu’elle prend dans la communauté. La loi a mis à cet
effet une condition essentielle, à savoir : que préalable
ment il ait "été fait un bon et fidèle inventaire. On ne
pourrait évidemment reconnaître ce caractère à celui
qui ne ferait aucune mention des effets recélés ou dé
tournés ;
En troisième lieu enfin, elle est privée dans le partage
de la communauté de la part qui lui serait revenue dans
les valeurs recélées. Elle supporte ainsi le préjudice
qu’elle a voulu occasionner à autrui, c’est là une juste,
une équitable réparation.
J 52 3 . — Le recélé commis par le mari ou ses hé
ritiers ferait encourir à son auteur la peine portée par
l’art. 1477. Il est évident, en effet, que le recélé ne perd
�KT DE LA FRAUDE.
135
aucun de ses caractères, quel que soit celui qui l’exé
cute , dès lors il doit produire contre tous des effets
analogues.
1524.
— La loi, qui a formellement édicté ces ef
fets, entend-elle borner là les conséquences du recélé ?
S’oppose-t-elle à ce qu’on accorde en outre une alloca
tion de dommages-intérêts ? Ces questions nous parais
sent devoir être négativement résolues. La réparation
du préjudice causé par le recélé pourrait demeurer im
parfaite, si elle se bornait à la restitution des objets pour
lesquels il a été possible de fournir la preuve. Mais
d’autres peuvent aussi avoir été soustraits, et des indi
ces graves, quoique insuffisants pour déterminer une
preuve, peuvent exister à la charge de celui contre qui
une preuve partielle est déjà faite. Or qu’on ne puisse
en cet état et sur ces indices prononcer une condamna
tion en restitution, on le comprend, mais comme il
importe que le préjudice soit intégralement réparé,
comme il ne serait pas juste de rendre les plaignants
victimes des précautions prises pour les tromper , ou
de l’ignorance dans laquelle ils peuvent être de la vé
ritable consistance des biens de la communauté, on doit
reconnaître aux juges la latitude de compenser, par
une allocation pécuniaire , le dommage réellement dé
montré. Le recélé, se réalisant sous l’inviolabilité du
domicile commun, peut avoir laissé des traces plus ou
moins difficiles à saisir. Le soupçon contre celui qui est
déjà convaincu, les considérations naissant de cette con-
�136
TRAITÉ DU DOL
viction elle-même le signaleraient assez énergiquement
pour qu’on pût prononcer contre lui une condamna
tion en dommages-intérêts, à titre même de supplément
de réparation.
Ainsi, et dans le cas où la restitution des objets, qu’on
prouverait avoir été soustraits, ne ferait pas disparaître
tout le préjudice, les juges peuvent, suivant les circons
tances, ne pas s’arrêter aux peines édictées par les art.
1460 et 1477, et condamner en outre l’auteur du recélé à une indemnité que leur conscience arbitrerait.
1 5 2 5 . — La femme, devenue commune, pour avoir
recélé, subit une peine véritable. La conséquence de
celte règle est facile à déduire. La femme, qui aurait
renoncé au préjudice de ses intérêts, ne pourrait exciper
du recélé qu’elle aurait commis pour être exonérée de sa
renonciation et se faire déclarer commune en biens.
1 5 2 6 . — Les héritiers du mari eux-mêmes ne sont
pas forcés de demander qu’elle devienne telle; ils ont le
droit, après l’avoir convaincue de recélé, de se borner
purement et simplement à la contraindre à restitution,
et la laisser ainsi sous le poids de sa renonciation.
1 5 2 7 . — Mais, quelle qu’ait été sur ce point la con
duite des héritiers, elle ne pourrait influer sur le sort
des tiers. Pour ces derniers, la femme est commune, par
cela seul qu’elle a recélé. Elle est donc tenue aux dettes
non seulement à concurrence de son émolument, mais
encore ultra vires. Les créanciers ne sauraient, en con
�ET DE LA FRAUDE.
137
séquence , être empêchés de poursuivre contre elle le
remboursement intégral de leur créance.
1528.
— Ce que la fraude de la femme ne peut
faire est naturellement attaché à celle du mari ou de ses
héritiers. Ainsi la femme ou ses héritiers, qui ont re
noncé à la communauté, sont recevables à se faire re
lever des effets de leur renonciation, si le mari ou ses
héritiers sont plus lard convaincus de détournement ou
de recélé.
La faculté de renoncer est un secours donné par la
loi à la femme ou à ses héritiers contre une administra
tion qu’ils ont dû subir. Elle ne peut donc se tourner
en sacrifice pour eux ; il importe, dès lors , que son
exercice soit réfléchi, que l’appréciation de son oppor
tunité repose sur des éléments sincères et vrais. Voilà
pourquoi la loi exige un bon et loyal inventaire ; voilà
pourquoi elle accorde à la femme, comme à ses héri
tiers, un délai de trois mois pour délibérer.
Si le renonçant se trompe sur ce qu’exigent sa con
venance et ses intérêts, la loi le laisse sous le coup des
engagements qu’il contracte. Mais il n’en saurait être
ainsi si l’erreur a été inférée par la fraude du mari ou
de ses héritiers, fraude dont le résultat devait amener
la renonciation, en diminuant l’actif ou en grossissant
le passif de la communauté.
Le premier but est atteint par le détournement ou
par le recélé. Ignorant l’un et l’autre, le renonçant s’est
trouvé placé en présence d’une communauté dont l’ac-
�138
TRAITÉ DU DO.L
ceptation n’était pour lui d’aucun avantage possible. Il
a donc renoncé, ce qu’il n’aurait certainement pas fait
si la vérité, connue par lui , lui eût permis de juger
sainement sa position.
La perpétuité d’une renonciation, opérée dans de tel
les circonstances, n’eût été qu’une iniquité contre son
au teu r, qu’un encouragement à la fraude. En effet ,
plus la communauté se serait trouvée dans un état pros
père , plus le mari ou ses héritiers auraient eu intérêt
à amener une renonciation. Or, comme celle-ci devait
être la conséquence d’une apparence contraire, rien
n ’aurait été épargné pour la déterminer. En d’autres
termes, plus il y aurait eu de ressources, et plus les dé
tournements se seraient multipliés.
D’ailleurs, la fraude ne saurait, dans aucun cas, de
venir le fondement utile d’une convention quelconque.
L’erreur qu’elle inspire vicie le consentement, condition
substantielle de tous les contrats. Sa découverte doit donc
faire évanouir le titre qu’elle avait su inspirer.
1529.
— Pothier met sur la même ligne le recélé
et la fausse supposition de créanciers*. Il n’y a , en ef
fet, entre ces deux actes aucune différence dans les ré
sultats , car l’un et l’autre se proposent le même objet,
à savoir : tromper sur la position réelle de la commu
nauté. Dans l’un comme dans l’au tre, le mari cherche
à s’avantager, car s’il profite réellement des objets sous-
1 Delà Comm., a0 532.
�KT DE LA FRAUDE.
139
traits , il ne profitera pas moins des paiements que les
créanciers simulés ne recevront que pour les lui trans
mettre. Le consentement du renonçant, vicié par l’er
reur sur le recélé, ne le sera pas moins par l’ignorance
de la simulation. La nullité , conséquence de la pre
mière , devra donc nécessairement s’induire de la se
conde.
Ainsi, et de quelque manière que la renonciation se
soit produite, la découverte de la fraude du mari ou de
ses héritiers en motive la rétractation. Son auteur re
couvre donc le droit de partager la communauté et de
se faire attribuer exclusivement tout ce qu’on a tenté de
lui enlever.1
1 550. — L’art. 1464 prévoit une fraude à laquelle
la dissolution du mariage peut donner lieu non plus
contre les créanciers de la communauté, mais contre les
créanciers personnels de la femme; nous voulons parler
de la renonciation frauduleuse qu’elle ferait à la com
munauté.
Cette renonciation pourrait être annulée à la demande
des créanciers. Tout ce qu’exige le législateur à l’endroit
de cette annulation, c’est que la femme ait agi en fraude
de ses créanciers. Comment et à quelles conditions ad
mettra-t-on ce caractère ?
1 5 5 1 , — À notre avis, le fait est ici tout-puissant.
1 V. supra, n°s 901 et suiv
�140
TRAITÉ D(J DOL
Car justifié que soit l’état prospère de la communauté,
la renonciation de la femme n’a plus qu’une significa
tion possible , le désir et la volonté de frauder ses cré
anciers, de leur faire perdre les ressources qu’ils devaient
rencontrer dans les facultés qui seraient obvenues à leur
débitrice dans le partage de la communauté.
En effet, le refus de s’enrichir quand on le peut léga
lement est un fait tellement anormal, tellement extraor
dinaire, qu’il suppose nécessairement une arrière-pen
sée , laquelle est parfaitement expliquée par l’existence
de créanciers et par l’obligation de les désintéresser.C’est
réellement aux créanciers que les nouvelles ressources
devaient profiter, c’est donc à eux qu’on a voulu les en
lever, et cette intention sera d’autant plus frauduleuse,
que l’actif de leur débitrice sera plus insuffisant pour
leur paiement intégral.
Il suffira donc de prouver cette insuffisance et, con
séquemment , l’existence d’un préjudice , pour que la
fraude soit acquise et pour que la renonciation doive être annulée. Ce résultat serait surtout acquis si, compa
raison faite de l’actif et du passif de la communauté, au
cun doute ne pouvait naître sur l’avantage que la fem
me avait à accepter.
M. Delvincourt, après avoir enseigné que la fraude est
présumée toutes les fois que la femme a renoncé à une
communauté évidemment avantageuse, ajoute : « Mais,
pour peu que l’état de la communauté présentât quelque
doute lors de la renonciation , je ne pense pas qu’elle
�ET DE T.A FRAUDE.
141
puisse être annulée, quand même, par l’événement, elle
ne se trouverait pas désavantageuse.1 »
La seule conséquence possible de cette restriction
nous parait devoir être de multiplier les difficultés et de
substituer une appréciation arbitraire à celle si simple
naissant de la proposition contraire, à savoir : qu’il suf
fît que la renonciation occasionne un préjudice aux cré
anciers pour qu’ils puissent la faire annuler. Nous nous
rallions donc à celle-ci avec d’autant plus de raison,
qu’il ne sera pas difficile de faire naître un doute mo
mentané sur les résultats d’une liquidation future, qu’on
serait donc exposé à consacrer la fraude parce que, par
une collusion entre les parties intéressées,on serait par
venu à en dissimuler l’existence à l’aide d’une autre
fraude.’
A insi, les créanciers lésés par la renonciation à la
communauté peuvent, par cela seul qu’ils éprouvent un
préjudice , en poursuivre l’annulation comme faite en
fraude de leurs droits; ils peuvent, de plus , dans tous
les cas où la femme serait recevable à se faire relever de
sa renonciation, exercer eux-mêmes cette action en vertu
de l’art. 1166, notamment dans le cas où la renoncia
tion de la femme n ’aurait été déterminée que par les dé
tournements frauduleux du mari ou de ses héritiers.
1 T. il, not. 3, pag. 115.
s Dalloz, Communauté, n° 26 ; — Toulliër, tom. xni, n° 202 ; .—
Bellot, tom. n, pag. 341 ; — Battur. n° 670 ; — Duranton, tom. xiv,
�4421
TRAITÉ DU DOL
1552.
— Si la renonciation à la communauté éma
ne de l’héritier de la femme , ses créanciers personnels
au ro n t, contre cette renonciation , tous les droits que
nous venons de reconnaître aux créanciers de la femme
renonçante.
1555. — Les créanciers de la femme ou de son hé
ritier peuvent-ils attaquer l’acceptation de la commu
nauté et en demander l’annulation comme faite en frau
de de leurs droits ? Il peut se faire, en effet, que l’ac
ceptation soit préjudiciable aux créanciers, dans l’hypo
thèse suivante par exemple :
La femme a stipulé la reprise de son apport franc et
quitte. Voulant décharger les héritiers de son mari de
l’obligation d’en opérer la restitution, elle accepte la com
munauté, contrairement à tous ses intérêts.
Nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher les cré
anciers de se pourvoir contre une pareille acceptation.
Evidemment, elle ne serait, envers les héritiers du ma
ri, qu'une libéralité pure, qu’une fraude palpable à l’en
droit des créanciers de la femme que la reprise de son
apport devait mettre à même de les satisfaire. Or, une
fraude ne saurait exister sans donner immédiatement
ouverture à une action en faveur de celui à qui elle pré
judicie. On doit donc décider notre question par l’affir
mative.
Mais la restriction que nous repoussions lout à l’heu
re, nous l’admettons ici sans difficulté. La fraude exis
tera si la communauté, étant évidemment désavantageu-
�ET DE LA FRAUDE.
143
se , la femme l’a cependant acceptée. Si , au contraire,
lors de l’acceptation les ressources apparentes de cette
communauté étaient telles que leur partage dut paraître
plus favorable que la reprise de l’ap p o rt, l’acceptation
doit être maintenue , à moins qu’il ne fût prouvé que
l’inventaire a été sciemment et frauduleusement grossi.
Il ne faudrait p a s , en effet, sous prétexte d’une fraude
qui n’existe pas, permettre à la femme de revenir , par
une voie indirecte , contre une acceptation faite dans le
désir de s’enrichir. L’existence certaine de celui-ci ex
clut toute intention de préjudicier aux droits des créan
ciers.
1 5 3 4 . — La révocation de la renonciation ou de
l’acceptation ne peut être poursuivie par les créanciers
que dans la mesure de leurs droits. Ses effets ne peuvent
profiter qu’à eux, jamais à la femme ou à ses héritiers.
Ainsi, il appartient au mari ou à ses héritiers d’em
pêcher qu’il soit donné suite à la demande en désinté
ressant les créanciers. En supposant qu’ils ne le fassent
pas, l’admission de la révocation n’aurait, pour résultat
possible , que ce désintéressement. Tout ce qui resterait
après paiement serait acquis non à la femme ou à ses
héritiers, mais au mari ou à ses ayants cause. En d’au
tres termes , la renonciation n’est jamais annulée que
dans l’intérêt exclusif des créanciers. Elle continue de
valoir contre la partie qui l’a réalisée , les créanciers
n’ayant ni intérêt, ni qualité à faire décider le con
traire.
�144
TRAITÉ DU DOL
1 5 5 5 . — L’action des créanciers en révocation de
la renonciation ou de l’acceptation n’a jamais suscité
aucun doute, quant à sa durée. Elle se prescrit par dix
ans. Mais quelques difficultés se sont élevées sur la
question de savoir quel est le point de départ de ces dix
ans.
M. Battur pense que c’est du jour de la renonciation
que commence la prescription. Mais cette opinion,com
battue d’ailleurs par M. Bellot. ne nous parait pas de
voir être suivie. Nul n’est tenu d’agir avant d’y être au
torisé par son intérêt. Ce n’est d’ailleurs que lorsque cet
intérêt se manifeste qu’il est recevable à le faire. Con
séquemment on ne comprendrait pas que, sous prétexte
de négligence, on pût perdre un droit, tant qu’on n’est
pas en demeure de l’exercer.
Or l’action révocatoire des créanciers n’est recevable,
nous l’avons déjà dit, qu’à condition que les autres biens
du débiteur se trouveront insuffisants pour le paiement
de ce qui leur est dû , et cette insuffisance ne peut être
démontrée que par la discussion préalable de ces biens.
Ce n ’est donc qu’après cette discussion, et par la preuve
de l’insolvabilité en résultant, que les créanciers verront
s’ouvrir le droit qu’ils ont d’attaquer toute disposition
faite pour leur préjudicier ; qu’ils seront conséquemment
en mesure et en demeure d’agir. Il est donc rationnel
et logique de placer à ce même moment le point de dé
part de la prescription. Décider le contraire, c’est ad
mettre qu’on peut être puni comme négligent, alors que,
le voulût-on, on ne saurait être négligent et méconnaî-
�145
ET DE LA FRAUDE.
tre cette règle d’équité et de droit : Contra non valèntem agere, non currit prescriptio.
1 5 3 6 . — Le détournement commis avant la disso
lution du mariage produit les mêmes effets que celui
qui ne s’exécute qu’après. L’un et l’autre produisant
des conséquences identiques doivent entraîner les mêmes
résultats. Ainsi l’époux qui consent une vente simulée
d’effets mobiliers de la communauté , dans le but de se
les approprier , se rend coupable du recélé prévu par
l’art. 1477 et en encourt la peine'. Il en serait de mê
me du recélé d’une créance de la communauté. L’époux
qui en serait convaincu devrait en rapporter le capital
et les arrérages , sans pouvoir réclamer aucun droit ni
sur l’un ni sur les autres, alors même qu’il prétendrait
que ces derniers sont prescrits.’
1537. — Mais ce qui, dans tous les cas, constitue
le détournement punissable, c’est le caractère occulte et
clandestin de l’acte. Il n’y a donc pas recélé dans le sens
de la loi, toutes les fois que la rétention reprochée à l’é
poux ou à ses héritiers est patente et publique; qu’elle
s’étaye sur une prétention plus ou moins fondée. Ainsi
nous sommes loin d’approuver un arrêt rendu par la
Cour de Bordeaux, le 5 janvier 18Ü6, déclarant que l’é
poux qui, après la dissolution de la communauté a fait
1 Cass., 5 avril 1832.
s Cass., 10 décembre 1835.
IV
10
�—
146
TRAITÉ DU DOL
volontairement des déclarations, desquelles il est résulté
qu’il présentait comme lui étant propres des biens qui
devaient être compris dans la communauté, pouvait être
déclaré coupable de recélé.
Nous n’ignorons pas qu’en pareille matière les Cours
ont un pouvoir discrétionnaire et souverain. Mais nous
ne saurions admettre qu’elles pussent étendre ce pouvoir
jusqu’à reconnaître l’existence du détournement et du
recel dans des faits ne constituant évidemment ni l’un
ni l’autre.
Quel est, en effet, le préjudice pouvant résulter de la
fausse délaration du mari ? Est-ce que les héritiers de
la femme sont tenus de l’admettre? Est-ce qu’ils n’ont
pas le droit d’exiger la justification du fait qu’il indique?
Si cette justification n’est pas fournie , le mari est dé
bouté de ses prétentions qu’il a pu émettre de bonne foi,
et les biens restent dans la communauté, de laquelle ils
n ’ont jamais été distraits.
Le fait d’avoir fait à cet égard une fausse déclara
tion ne peut donc , dans aucun c a s, constituer le re
célé. Mais si cette déclaration s’appuyait sur des titres
fabriqués à son ap p u i, si le mari invoquait des actes
simulés, capables de tromper les héritiers de la femme,
nous trouverions fort juste la décision qui le déclarerait
coupable de recélé. L’intention manifestement fraudu
leuse que ces actes décèlent, la confiance qu’ils peuvent
inspirer exclut toute bonne f o i, rend un préjudice im
minent et mérite conséquemment toute la sévérité de la
justice.
�ET DE LA FRAUDE.
147
Mais nous ne considérerions comme frauduleux que
les actes émanant du mari exclusivement, et fait sans le
concours de la femme. Ainsi la déclaration faite par les
époux dans un acte auquel ils ont l’un et l’autre con
couru, tendant à faire considérer comme propre à l’un
d’eux un acquêt de la communauté, ne pourrait fonder
une accusation de recel. Elle ne prouverait qu’une seule
chose, à savoir : que les époux ont voulu indirectement
s’avantager , mais elle ne pourrait constituer un préju
dice quelconque, alors même qu’elle devrait être annu
lée comme illégale, puisque les héritiers pourraient tou
jours, et malgré la reconnaissance de leur auteur, exiger
la preuve du caractère donné à l’immeuble.
1538.
— Nous nous sommes déjà occupés des frau
des que les époux peuvent commettre pendant mariage
au préjudice l’un de l’autre1. Nous ne les rappelons ici
que pour constater que l’action en répression ouverte à
celui qui en a été la victime passe à ses héritiers. Mais,
dans cette hypothèse , ceux - c i , n’étant que les ayants
cause de leur auteur, peuvent être écartés par les excep
tions opposables à celui-ci.
Il peut se faire cependant que la fraude exécutée pen
dant le mariage soit plutôt tentée contre les tiers que
contre le conjoint. C’est ce qui se réalise toutes les fois
qu’il s’agit de la disposition des biens dotaux ou per
sonnels à la femme.
1 V. supra n°s 803 et suiv.
�148
TRAITÉ DU DDL
Ainsi la vente des premiers , nous l’avons déjà dit,
peut être annulée sur la demande du mari lui-même,
de la femme , de ses héritiers. Le préjudice reste donc
tout entier contre les acheteurs, car, alors même qu’ils
seront dans le cas d’obtenir une garantie contre le ma
ri , son insolvabilité pourra rendre cette garantie pure
ment illusoire.
1539.
— L’administration des biens personnels de
la femme commune, celle des biens dotaux appartenant
au mari , les baux qu’il en aurait consenti doivent re
cevoir leur exécution dans la mesure déterminée par la
loi. L’intérêt des tiers est donc sur ce point parfaitement
sauvegardé.
Mais il n ’en est pas de même des biens paraphernaux, leur location peut devenir une occasion de fraude
contre les preneurs. Par exemple, le mari la consentira
sans déclarer la nature des biens. P u is , une occasion
plus favorable s’offrant, la femme , s’étayant de son
droit, demandera la nullité du bail sur la foi duquel le
preneur se sera livré à des dépenses d’appropriation
plus ou moins considérables.
Cette demande en nullité devrait-elle être accueillie?
Nous n’hésitons pas à soutenir la négative. Elle nous
paraît résulter de l’économie de notre Code civil.
Qu’en principe la femme ait l’administration et la
jouissance de ses biens paraphernaux , c’est ce qu’il est
impossible de contester , en présence de l’art. 1576 du
Code civil. Qu’elle puisse vouloir exercer par elle-même
�ET DE LA FRAUDE.
149
l’une et l’autre, c’est ce qui est évident. L’a-t-elle vou
lu ? C’est ce que la loi n’admet pas facilement.
Aussi voyons-nous le législateur tracer , immédiate
ment après l’art. 1576, les règles applicables à l’admi
nistration qui aurait été laissée au m a ri, et les consé
quences de cette administration par rapport à la fem
me. Celle-ci n’acquiert les revenus que si elle a expres
sément stipulé , dans la procuration formelle qu’elle a
donnée , que le mari serait tenu de rendre compte ; ou
bien que si le mari a administré et joui au mépris de
l’opposition formelle de la femme.
A insi, aux yeux de la l o i, il s’agit bien moins pour
la femme d’une administration matérielle, que du droit
aux revenus. C’est d’ailleurs au mari qu’elle devra en
demander compte exclusivement. Les tiers auxquels l’op
position n’aurait pas été légalement dénoncée se libére
rait valablement entre les mains du mari.
A défaut de mandat formel , la loi suppose et admet
le mandat tacite. Le mari, dans ce cas, a non seulement
l’administration, mais encore la jouissance effective, car
il ne devra compte que des fruits existant au moment
de la dissolution, ou au jour de l’opposition par laquelle
la femme a toujours la faculté de révoquer le mandat
tacite.
Ainsi, en droit, l’administration et la jouissance des
biens paraphernaux appartiennent à la femme. En fait,
la loi présume qu’elles ont été confiées au mari, et cette
présomption ne cède qu’à la preuve certaine d’une vo
lonté contraire , résultant de la révocation du mandat
�150
TRAITÉ DU DOL
ou d’une opposition formelle extrajudiciairement signi
fiées.
C’était d’ailleurs ce que la raison indiquait. La posi
tion respective des époux rend toute naturelle la confi
ance de la femme envers son mari. Elle a pu livrer ses
biens à celui à qui elle livre sa personne , ét cela avec
d’autant plus de raison qu’elle est toujours en mesure
d’empêcher l’abus , par la faculté absolue qu’elle a de
rétracter le mandat.
D’autre p a rt, les tiers devaient être protégés contre
une collusion beaucoup trop facile, sans qu’on pût leur
reprocher de n’avoir pas assez veillé à leurs intérêts.
Que celui qui achète soit tenu de s’éclairer sur l’origine
et la certitude du droit dont il obtient le transfert, on
le comprend. Mais en matière de baux, c’est la jouissan
ce qui devient l’objet du contrat. Ne suffit-il pas , dès
lors, que cette jouissance appartienne et soit incontesta
blement reconnue au bailleur, pour que le preneur puis
se de bonne foi l’accepter.
C’est ce qu’avait compris le droit romain. La loi 21
au Code de Procurât., admet que le mari est le man
dataire de sa femme relativement à ses paraphernaux,
et Perezius, dans son Commentaire, nous en fait con
naître le motif, en assimilant, quant à l’administration,
les biens paraphernaux aux biens dotaux, et en recon
naissant au mari le domaine civil des uns comme des
autres : Est tamen opus, hoc casu quo marilus pro uxore sine mandata experitur, ut caveat de rato, seu rem
ratam uxorem habituram , aut si uxore conveniatur,
�ET DE LA FRAUDE.
131
ut caveat judicalum solvi, nisi forte nomme dotis aut
paraphernorum experiatur. Hoc enirn casu maritus si
ne satisdatione adm ittitur, cum horum bonorum commissa ei sit administratio, et sit dominus civiliter.'
Rien donc ne distinguait l’administration des biens
paraphernaux des biens dotaux. L’absence de tout man
dat de la part de la femme les rangeait toutes deux sur
la même ligne et permettait au mari de les exercer au
même titre. C’est aussi ce qui paraît avoir été admis par
notre ancien droit. Dans une discussion sur la question
de savoir si , à défaut de contrat de mariage , les biens
de la femme étaient dotaux ou paraphernaux, on invo
quait, à l’appui de la dotalité, l’administration du mari.
« Le mari, répondait Furgole, est constitué le procureur
ou administrateur des biens légitimes de la femme, lors
qu’il n’y a point de défense expresse de sa part.’ » Fur
gole avait raison. Mais pour que les partisans de l’opi
nion qu’il combattait pussent appeler à leur secours
l’administration du mari, il fallait bien que cette admi
nistration fût conforme à celle des biens dotaux. Com
ment , en effet, conclure à la dotalité , s’il avait existé
entre elles la moindre différence ?
Nous soutenons que le Code civil s’est conformé à ces
principes. Il consacre le mandat tacite dans l’art. 1578,
et il le présume facilement. Il est évident que la posi
tion des époux n’ayant pas changé, les conséquences que
�152
TRAITÉ DU DOL
cej,le qualité entraîne doivent aujourd’hui se produire.
Or, l’une de ses conséquences est de faire admettre que
la femme abandonne le gouvernement de ses paraphernaux à son ipari, auquel elle confie sa personne C’est
ce qui fait dire à M- Troplong’ que le mari est le pro
cureur né de sa femme.
Maintenant, à quel titre le mari jouit-il des biens
paraphernaux dont il a l’administration en vertu du
mandat tacite de sa femme? L’art. 1578 l’indique suffi
samment en déclarant qu’il fait les fruits siens. Il n ’y a
donc , quant à ce , d’autre différence avec la jouissance
des biens dotaux , qu’en ce que pelle-ci appartient au
mari irrévocablement tant que dure le mariage, tandis
que la femme peut à volonté faire cesser celle-là, en si
gnifiant son opposition. Mais tant que cette opposition
n’est pas réaljsée , fe principe que nous soutenons est
d’une irréprp.çhable exactitude.
La loi s’en explique mieux encore dans l’art. 1580.
Le mari qui jouit des biens paraphernaux est tenu de
toutes les obligations fie l’usufruitier. C’est là la règle
que l’.art. 1,552 trace expressément pour les biens do
taux. Or , si pour les uns .et Jes autres les obligations
sont les mêmes , les droits le seront également. Il est
donc vrai de dire que le législateur a mis sur la même
ligne les biens dotaux et les biens paraphernaux, quant
à la jouissance. Usufruitier des uns, le mari est usufrui-
1 Toullier , t. xrv , n° 361, p. 432.
3 Du contrat de mariage, art. 1578, n° 3710.
�ET DE LÀ FRAUDE.
153
tier des autres1. Il peut donc faire pour ceux-ci ce qu’il
a le droit de faire pour ceux-là.
MM. Rodière et Pons ont méconnu ces principes,
lorsqu’ils ont prétendu que le mari ne pouvait pas af
fermer les biens paraphernaux de la femme sans le con
cours de celle-ci. Le contraire résulte de ce que nous
venons d’exposer et en outre de la considération d’é
quité que nous avons aussi indiquée.
Le droit des tiers n’est pas moins respectable , pas
moins digne de protection que ceux de la femme ellemême. On ne saurait donc l’abandonner au caprice de
la femme, à la collusion si facile entre elle et son mari.
Les droits de la femme sont dans tous les cas sauvegar
dés, puisqu’elle peut toucher réellement ses revenus, tan
dis que la nullité du bail causerait, le plus souvent, un
notable préjudice au preneur. Il n’y a donc pas à hési
ter , aucune faute d’ailleurs ne pouvant être imputée à
celui-ci.
La femme est donc tenue d’exéuter les baux que le
mari seul a consenti des biens paraphernaux , à moins
que ces baux soient frauduleux et faits au préjudice de
ses droits. Mais , dans ce cas m êm e, la femme devra
prouver la mauvaise foi du preneur. On la présumerait
facilement si le bail avait été consenti à un prix sans
rapport réel, ou dans des proportions inconciliables avec
la juste valeur des choses. Il en serait de même pour
les baux faits par le mari malgré l’opposition de la
femme.
i Benoit, Des biens paraphernaux, n° 17b, p 309.
�154
TRAITÉ DU DOL
S II.
Des
Successions.
SOMMAI RE.
1540.
1541.
1542.
1543.
1544.
1545.
1546.
1547.
1548.
1549.
1550.
1551.
1552.
Intérêts que l ’ouverture d'une succession met en pré
sence.
Objet que se proposera la fraude.
Précautions prises par la loi en faveur des cohéritiers et
des tiers.
Quel est le recélé prévu et puni par l ’art. 792?
Effet du recélé vis-à-vis des créanciers de la succession.
Vis-à-vis des cohéritiers.
Le recélé, en matière de succession , n ’existe qu’avec les
caractères exigés pour le recélé dans la communauté.
Droit des cohéritiers et des créanciers de requérir l ’appo
sition des scellés, ou de s’opposer à leur levée.
Le droit de former opposition à la levée peut-il être exer
cé par le créancier personnel des cohéritiers ?
Comment s’exerce le droit de tous les créanciers d’assis
ter à l ’inventaire?
Droit des créanciers personnels des successeurs d’intervenir’au partage.
L’intention de l ’exercer résulte de l ’opposition à la levée
des scellés.—Conséquences.
A défaut d’opposition et d’intervention,les créanciers peu
vent-ils attaquer le partage consommé ?
�ET DE LA FRAUDE.
1553.
1554.
1555.
1556.
1557.
1558.
1559.
1560.
1561.
1562.
155
Ce qu’il faut dans tous les cas considérer comme un -véri
table partage.
Formes que doit avoir l ’opposition à partage.
Les créanciers qui n ’ont, pas fait opposition ne sont pas
déchus du droit d’intervenir.
Le partage fait au mépris d’une opposition et hors la pré
sence de l’opposant n’est annulable que si ce créan
cier n’y a pas été appelé.
Le créancier opposant a-t-il le droit d’attaquer une vente
par licitation à laquelle il n ’a été ni présent ni ap
pelé ?
Droits du créancier d’un usufruit d’une portion de biens
indivise entre le cohéritier et un tiers.
Le droit de s’opposer et d’intervenir appartient aux créan
ciers chirographaires comme aux hypothécaires.
Peut-il être exercé par les créanciers de la succession ?
Faculté pour les créanciers du cohéritier d’attaqner la ré
pudiation faite au préjudice de leurs droits et de se
faire autoriser à accepter du chef de leur débiteur.
Conséquences des termes dont se sert l ’art. 788 au pré
judice de leurs droits.
1563.
1564.
1565.
1566.
1567.
1568.
1569.
Opinion de M. Chardon sur la nécessité d’une discussion
préalable.—Réfutation.
La faculté donnée par l’art. 788 est au profit exclusif des
créanciers personnels aux cohéritiers.
Exemple d’une répudiation frauduleuse contre les créan
ciers de la succession.
La faculté conférée par l ’art. 788 ne concerne que les cré
anciers antérieurs à la répudiation.
Exceptions que cette règle comporte.
L ’acceptation par le créancier ne relève pas le cohéritier
des effets de sa répudiation.
Première conséquence : L’offre faite par le successible ap
pelé par la répudiation de désintéresser le créancier,
rendrait l ’acceptation par celui-ci sans objet.
�156
1570.
1571.
TRAITÉ DU DDL
Deuxième conséquence : Quel que soit l ’effet de la liqui
dation , tout ce qui excède la créance et les frais ap
partient à ceux par lesquels la succession aurait été
appréhendée.
Droits des créanciers contre les successeurs irréguliers,et
n o t a m m e n t c o n tr e l ’e n f a n t n a t u r e l.
1572.
Fraudes que peut faire surgir l’ouverture d’une succes
sion testamentaire.
4572 bis. Droits des successibles de faire annuler le testamenl,
soit en la forme, soit au fond.
1573. Les nullités de formes ne procèdent pas ordinairement
d’une pensée de fraude.
1574. Position particulière du notaire dans lecas de nullité pour
violation de l’art. 973 du Code civil.
1575. Fondement de sa disposition.
1576. Conséquences dans le cas où le testateur a déclaré ne sa
voir signer, ou ne le pouvoir.
1577. Différence entre ces déclarations pour la responsabilité du
notaire.
1578. Quels sont les devoirs et les droits de l'officier public si le
testateur se borne à alléguer son impuissance, sans en
indiquer la cause ?
1579. Doctrine et jurisprudence.
1580. Le testament renfermant une substitution fidéicommis
saire ne saurait sortir à effet.
1581. Notice historique de la législation touchant les substitu
tions.
1582. Disposition de l ’art. 896 du Code civil. — Caractères es
sentiels de la substitution prohibée.
1583. Fondement de la dérogation consacrée par les art. 1048 et
1 0 4 9 .— S o n é t e n d u e .
1584.
1585.
Loi de 1825.—Sa tendance.
La révolution de 1830 coupa court à tout projet ultérieur
dans ce sens.—Lois des 12 mai 1835, 7 et 27 janvier
1849, 7 et 11 mai suivant.
�I
ET DE LA FRAUDE.
1586.
1587.
1588.
1589.
1590.
1591.
1592.
1593.
1594.
1595.
1596.
1597.
1598.
1599.
1600.
1601.
1602.
1603.
157
Les héritiers naturels ont intérêt et sont dès lors receva
bles à poursuivre la constatation d’une substitution
prohibée.
Conditions indispensables à la substitution fidéicommis
saire.
Distinction entre l ’obligation résultant de la substitution
et certaines dispositions modales. — Exemple de cel
les-ci.
Il n ’y a substitution prohibée que lorsque la restitution
doit se réaliser à la mort du grevé.
Différence entre les substitutions et les dispositions prises
en conformité de l’art. 1121 du Code civil.
Que doit-on décider si l’époque de la restitution n ’a pas
été déterminée ?
Dans le doute , on doit se prononcer pour la validité de
l ’acte.—Exemples divers.
La disposition de eo quod supererit ne constitue pas la
substitution prohibée.
Le contraire était admis en droit romain .-<-Pourquoi ?
Doit-elle sortir à effet pour les biens non aliénés ?
Négative soutenue par M. de Villargues ne peut être ac
cueillie.—Par quels motifs ?
Réponse de Merlin à l’objection que la disposition serait
sous une condition potestative.
Opinion de Thevenot d’Essaules.
Conclusion.
Il en serait de même de la disposition si quid super erit.
Caractère de l’institution fiduciaire.—Ses effets.
La fiducie n ’exclut pas la disposition en faveur du grevé
d’une partie de la succession , soit en fruits soit en
fond.
Le prédécès de l’appelé fait passer de plein droit , sur la
tête de ses héritiers, l ’émolument de la fiducie.—C’est
surtout cet effet qui donnait de l ’importance à la ques
tion de savoir s’il y avait fiducie ou substitution, lors
que celles-ci étaient permises.
�158
TRAITÉ DU DOL
1604. Quelles étaient, selon Cancerius, les circonstances qui de
vaient faire admettre la fiducie.
1605. Cette opinion était fort contestable.
1606 . La règle tracée par Montvallon était bien plus rationnelle.
1607. Que doit-il en être sous l ’empire du Code ?
1608. Espèce dans laquelle le caractère fiduciaire , invoqué par
les propes enfants du testateur, n ’a pas été admis.
4 609. Importance, en cette matière, du défaut de détermination
de l ’époque de la restitution, et de l ’existence de la
faculté d’élire.
1610. Au reste , comme toutes les questions de f a it, celle de
l’existence d’une fiducie ne peut reconnaître aucune
règle absolue.
1611. La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable.
1612. Le désir d’échapper à celle prohibition amènera le testa
teur à interposer une personne capable;
4613. Double forme que peut revêtir le fidéicommis tacite.
1614. Ses effets sous l’ancienne législation.
4615. Sont restés tels sous l’empire du Code.—Intérêt des héri
tiers à en prouver l ’existence.
1616. Preuve admissible.
4617. Faut-il, pour que la preuve soit pertinente, qu’elle justifie
non seulement la volonté du testateur, mais encore
que l’institué apparent a pris l ’engagement de rendre
à l’incapable.
1618. Controverse en droit romain et sous notre ancien droit.
1619. L’affirmative était enseignée par Cujas.
4 620. Raisons invoquées par l ’opinion contraire.
1621. C'est pour celle-ci que se prononce Furgole.— Sur quels
motifs.
1622. Cette dernière opinion doit être suivie.
1623. La peuve d’une substitution fidéicommissaire ne peut s’é
tablir que par écrit.—Raison de cette différence.
1624. Le fidéicommis tacite est valable si le véritable appelé est
capable de recevoir.
�ET DE LA FRAUDE.
1625.
159
Dans le cas de fraude de l’intermédiaire choisi par le tes
tateur, l ’appelé est-il recevable à prouver par témoins
1626. Espèce remarquable jugée par la Cour de Pau.
1627. Le Journal du palais indique comme contraire un arrêt
de la Cour de cassationdu21 décembre 1818.—Erreur
de cette indication.
1628. L ’action des héritiers en nullité d'une substitution prohi
bée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable peut
être exercée par leurs créanciers.
1629. Cette action est une véritable pétition d’hérédité. — Ses
conséquences, quant à la restitution des fruits et à la
prescription.
1630. Effets de la renonciation à un usufruit à l ’égard des cré
anciers du renonçant.
1631. Différence entre cette renonciation et celle à une succes
sion ou à un legs.
1632. Sesconséquences parrapport à l’acquéreur de cet usufruit;
1633.
id.
par rapport à l ’antichrésiste ;
1634.
id.
par rapport aux créanciers postérieurs à l ’ou
verture de l’usufruit,mais antérieurs à la répudiation.
1635. Différence entre la renonciation à titre gratuit et celle à
titre onéreux.—Conséquences.
1636. Résumé des principes régissant cette renonciation.
1637. La renonciation par le père à l’usufruit des biens de ses
enfants donne-t-elle lieu à l ’action révocatoire ?
1638. Quid de celle résultant de l ’émancipation ?
1639. Invalidité du rapport que le père ferait à ses enfants des
fruits perçus en l ’absence d ’une émancipation , ou avant son accomplissement.
1640. La renonciation en faveur d’un successible ne constitue
pas un avantage soumis à rapport.
1641. Renvoi pour les autres fraudes qu’un usufruit peut en
gendrer.
1641 bis. Caractère de la condition d'insaisissabilité apposée à un
legs.
�160
TRAITÉ DU DOD
1 5 4 0 . — L’ouverture d’une succession produit,
quant aux biens du défunt, un effet identique à celui
résultant pour la communauté de la dissolution du ma
riage; elle met en présence les cohéritiers, les créan
ciers de l’hérédité, ceux de chaque héritier personnel
lement.
Chaque cohéritier est intéressé à recevoir une part
proportionnée à l’intégralité de ses droits. L’intérêt des
créanciers du défunt exige que la totalité de l’actif soit
appliqué au paiement de ce qui leur est dû. Enfin ce
lui des créanciers personnels des cohéritiers èst surtout
de veiller à la sincérité du partage, et à ce que leur dé
biteur reçoive sa part entière des biens composant la
succession.
. sj,
1541. — Ce triple aperçu résume le but que la
fraude se proposera dans la liquidation d’une succes
sion. En effet, ce qu’on pourra reprocher aux cohéri
tiers, c’est d’avoir voulu s’avantager les uns au détri
ment des autres, de tenter de se soustraire au paiement
des dettes, en dissimulant les ressources, enfin, de con
certer les opérations du partage de telle manière que
les droits des créanciers personnels, de quelques-uns
d’entre eux, soient ou paraissent complètement anéan
tis. C’est pour rémédier à ces éventualités diverses que
le législateur a introduit dans notre Code les art. 788,
792, 882.
1 5 4 2 . — L’art. 792 protège les cohéritiers et les
�ET DE LA FRAUDE.
161
créanciers de la succession. Aux termes de sa disposi
tion, les héritiers qui auraient diverti ou recélé des ef
fets d’une succession sont déchus de la faculté d’y re
noncer et demeurent héritiers purs et simples, nonobs
tant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune
part dans les objets divertis ou recélés. Ainsi les coupa*
blés ont voulu se soustraire au paiement des dettes, et
la loi les met à leur charge en totalité ; ils ont cherché
à s’avantager au détriment de leurs cohéritiers, et ce sont
ceux-ci qui seuls profiteront des effets de leur coupable
action. On le voit, la peine est établie sur les propor
tions de la plus exacte réciprocité.
1543.
— Le divertissement ou le recélé dont s’oc
cupe l’art. 792 est celui commis par un héritier. Il faut
dès lors en conclure que les effets en résultant ne se
produisent qu’en tant que l’un ou l’autre s’est réalisé
avant toute renonciation, c’est-à-dire dans un moment
où l’habile à se porter héritier n’a encore manifesté au
cune intention contraire.
Celui qui a régulièrement renoncé à une succession
ouverte est censé n’avoir jamais été héritier ; il ne l’est
bien certainement pas dès l’instant de la répudiation.
S’il détourne ou recèle à une époque postérieure, on ne
pourrait plus appliquer l’art. 792, car l’auteur de l’en
lèvement n’est pas héritier.
Réaliser à cette époque le détournement et le recélé
ne constitue plus que l’enlèvement frauduleux de la chose
d’autrui et, conséquemment, qu’un véritable vol ordiiv
11
�162
TRAITÉ DU DOL
naire. Ces faits deviennent donc non seulement passibles
d’une action civile en restitution et en réparation du
préjudice , soit de la part des héritiers, soit de la part
des créanciers, mais encore susceptibles d’être criminel
lement poursuivis et punis comme délits ou crimes, sui
vant les circonstances qui les ont vu s’accomplir. Ce
qui protège, contre un pareil résultat, les détourne
ments imputables à l’héritier , c’est la copropriété qu’il
a des objets enlevés, c’est que, par les chances du par
tage, ils peuvent devenir sa propriété exclusive. Dès
que la renonciation est acquise, toute copropriété s’ef
face, toute chance de devenir possesseur légitime est im
possible. Rien ne saurait donc plus excuser le détourne
ment et le recélé dont il se serait depuis rendu coupa
ble. Il s’emparerait évidemment et sciemment de la chose
d’autrui. Il n ’est donc plus qu’un voleur.'
Cependant, comme aux termes de l’art. 790 , tant
que la prescription du droit d’accepter n’est pas acquise
contre l’héritier renonçant, celui-ci a la faculté d’accep
ter encore la succession, si elle n ’a pas été déjà accep
tée par d’autres, l’auteur du détournement ou du recé
lé, criminellement poursuivi, pourrait faire tomber l’ac
tion en acquérant, par son acceptation, la propriété des
choses qu’on l’accuse d’avoir soustrait. Mais cette accep
tation ne pourrait être que pure et simple, car le recé-
i Merlin, v° recèle, n° 2 ; — Chabot, sur l’art. 792, n°» 3 et 4; —
Toullier,t. îv, n° 380; — Duranton, t. vi, n° 482 ; — Favard, v° renon
ciation, n° 18.
�ET DE LA FRAUDE.
163
leur ne pourrait, dans aucun cas, invoquer le bénéfice
d’inventaire dont il est déchu , si le recélé est commis
antérieurement à l’acceptation qu’il aurait déclaré vou
loir en faire.
Mais rien ne saurait s’opposer aux conséquences lé
gales de la poursuite criminelle si, depuis la renoncia
tion de l’héritier qui en est l’objet, la succession avait
été appréhendée soit purement et simplement, soit bénéficiairement par un autre successible.
Si le détournement ou le recélé a précédé la renon
ciation, l’art. 792 devient seul applicable. C’est donc par
sa disposition que se trouve exclusivement régi l’auteur
de l’un ou de l’autre.
1 5 4 4 . — En conséquence, et par rapport aux tiers
créanciers de la succession , il ne peut plus exister de
renonciation valable. Celui qui s’empare d’une partie
de l’hérédité, qui se l'approprie et en dispose, fait acte
d’héritier pur et simple. Il doit donc demeurer tel à
tout jamais : Qui semel hœres, semper hœres. Les créan
ciers peuvent donc, nonobstant toute renonciation pos
térieure, lui demander le paiement intégral de ce qui
leur est dû, et en poursuivre le recouvrement même sur
ses biens personnels.’
1545. — Mais il n’en est pas de même pour les
cohéritiers. Ce que la loi leur attribue principalement,
�164
TRAITÉ DU DOL
c’est la propriété exclusive, au détriment de l’auteur du
recélé, de tout ce qui en a fait la matière. En consé
quence et pour ce qui les concerne, c’est la restitution
des objets soustraits qui est le but le plus important.
Aussi peuvent-ils se borner à poursuivre et à obtenir
cette restitution, sans s’occuper de la renonciation qui
a suivi le détournement au maintien de laquelle ils peu
vent avoir intérêt.
Sans doute cet intérêt ne se réalisera pas dans une
succession obérée, dans laquelle l’actif sera insuffisant
ou presque insuffisant pour éteindre le passif. Mais,
dans cette hypothèse même , si quelqu’un a intérêt à
aire déclarer l’auteur des détournements héritier pur
et simple, ce sont les créanciers bien plutôt que les co
héritiers.
Ceux-ci auraient même un intérêt contraire si, toute
dette payée, la succession offrait un solde de ressources
à diviser entre les cohéritiers. Il est évident dans ce cas
que la part de chacun sera plus forte, si le nombre des
copartageants est moindre. Chacun d’eux a dès lors un
intérêt manifeste à réduire ce nombre, et à laisser en
dehors de la succession celui d’entre eux qui s’en est
volontairement exclu par sa renonciation.
Il est vrai que celui-ci ne participerait, dans aucun
cas, au partage de tout ce qu’il avait détourné ; mais,
s’il redevient héritier, il prendra sa part des autres res
sources héréditaires. Il y aurait donc, dans cette hypo
thèse, avantage pour lui de revenir sur sa renonciation,
à reprendre cette qualité d’héritier qu’il n’avait répu-
�ET DE LA FRAUDE.
165
diée peut - être que pour mieux assurer la réussite de
ses frauduleux desseins ; que pour empêcher la recher
che et la découverte des détournements dont il a été
convaincu.
Or cet avantage , il doit dépendre exclusivement de
ses cohéritiers de le lui conférer ou non. Nous ne pou
vons admettre que ceux-ci se bornant à lui demander
la restitution des objets soustraits, il fût recevable à ré
clamer de son chef, et contre leur résistance, la qualité
d’héritier. Un pareil droit serait inconciliable avec le
véritable caractère de l’art. 792. La qualité d’héritier
n’est conférée par cet article qu’à litre de pénalité.
Dès lors son application doit être souverainement aban
donnée à l’appréciation de ceux appelés à en profiter.
Conséquemment, si les cohéritiers victimes du détour
nement se bornent à demander, contre son auteur ,
la restitution des choses sur lesquelles il a été exercé,
s’ils ne poursuivent pas l’annulation de la renonciation,
celle-ci reste valable en ce qui les concerne, et continue
de produire tous ses effets. L’héritier convaincu ne
pourrait s’en faire relever qu’en se fondant sur sa pro
pre fraude, et on le sait : Nemo audilur allegans propriam turpitudinem.
Ainsi, l’auteur du détournement peut être héritier
pur et simple vis-à-vis des créanciers, étranger à la suc
cession à l’endroit de ses cohéritiers. Celte double posi
tion, quelque anormale qu'elle paraisse, est la juste con
séquence de ce principe, à savoir : que chaque partie
lésée a seule qualité pour poursuivre, dans la limite de
�166
TRAITÉ DU DOL
son intérêt, la réparation qu’elle croit lui convenir. Or,
le détournement frauduleux préjudicie aux créanciers,
aux héritiers. Chacun d’eux a dès lors qualité pour en
poursuivre la répression. L’action des uns est indépen
dante de l’action des autres. La même indépendance
doit se retrouver dans ses conséquences, qui ne peuvent
et ne doivent être appréciées qu’au point de vue de
l’avantage personnel de celui qui l’intente. Or, les créan
ciers peuvent avoir intérêt à ce que le receleur soit dé
claré héritier pur et simple. Ils ont le droit de le faire
reconnaître comme tel en ce qui les concerne. Les héri
tiers peuvent avoir un intérêt contraire, et rien ne les
empêche dès lors de respecter la renonciation et de la
faire maintenir.
Mais ils seront tenus de subir toutes les conséquences
de son maintien. Ainsi, l’héritier exclu qui aurait payé
les dettes de la succession, parce que les créanciers l’au
raient fait déclarer héritier pur et simple , aurait son
recours contre les biens de la succession. Ce recours,
qui ne serait que relatif à la part et portion de chaque
cohéritier et prélèvement fait de ce qu’il aurait eu luimême à payer s’il n ’avait pas renoncé , pourra être
exercé pour la totalité des sommes payées, puisque, la
renonciation devant sortir à effet, il est affranchi de toute
participation aux charges.
1546.
— II en est du recélé en matière de succession
comme de celui réalisé dans la liquidation d’une com
munauté. Ce qui le constitue essentiellement, ce n ’est
�ET DE LA FRAUDE.
167
pas tant la détention matérielle de l’objet que son carac
tère, que l’intention à laquelle elle se rattache. Chacun
peut se tromper sur la nature de son droit et croire
avoir raison lorsqu’il a réellement tort. Ainsi, si la pos
session querellée a toujours été ostensible, patente ; si
elle est fondée sur une prétention plus ou moins plausi
ble, il n’y a ni détournement, ni recélé, alors même
que le possesseur aurait été condamné à recombler. La
loi ne punit les mauvaises chicanes que par la condam
nation aux dépens auxquels elles donnent lieu. L’art.
792 leur demeure dans tous les cas inapplicable.
1 547.
— Au reste, en matière successorale, la loi
ne s’est point bornée à réprimer la fraude. Elle permet
en outre de la prévenir, par la faculté de placer tout
l’actif sous la main de la justice. C’est dans ce sens
qu’elle donne aux héritiers le droit de requérir l’appo
sition des scellés avant même l’inhumation de leur au
teur décédé.
L’intérêt des créanciers du défunt à empêcher toute
dilapidation du gage de leurs créances n’est pas moin
dre que celui des cohéritiers. L’art. 280 a donc con
sacré pour eux le droit de requérir l’apposition des
scellés que les héritiers auraient négligé de faire ap
poser.
Si cette négligence n ’a pas été commise, les créan
ciers qui désireront surveiller l’inventaire peuvent, aux
termes de l’art. 821, s’opposer à la levée des scellés.
L’apposition des scellés est un fait grave par les con-
�168
TRAITÉ DU DOIj
séquences dont il peut grever la succession. Mais lors
qu’elle a été effectuée, l’opposition à leur levée n’ayant
pour résultat que d’appeler l’opposant à l’inventaire,
n’avait qu’une importance bien moindre. Aussi la loi,
qui exige pour l’apposition un titre authentique ou une
permission du juge, permet-elle l’opposition à tous ceux
qui se prétendent créanciers, quel que soit d’ailleurs
leur titre, et sans permission préalable.
1548.
— Enfin, l’inventaire peut également inté
resser les créanciers personnels des héritiers. Devaientils également avoir la faculté de former opposition à la
levée des scellés ? On avait d’abord prétendu le leur
contester, sur le motif que les art. 820 et 821 ne s’ap
pliquaient qu’aux créanciers de la succession. Mais la
jurisprudence paraît se ranger à l’opinion contraire, et,
il faut le dire, ce n’est pas sans raison.
En droit, le législateur a prévu la réalisation de
l’opposition par les créanciers personnels des héritiers.
L’art. 934 du Code de procédure civile le prouve, de
la manière la plus évidente, en indiquant la position
que ces créanciers doivent occuper dans l’inventaire.
En raison, leur admission à l’exercice de ce droit est
commandée par la nécessité légitime d’éviter une involution de procédures et, conséquemment, l’exposition
de frais inutiles. En effet, le créancier de l’héritier trou
verait, dans les art. 1166 et 1167, le droit qu’on lui
refuserait directement. Mais pour se faire subroger à
son débiteur ou pour établir que sa conduite est une
�ET DE LA FRAUDE.
1b9
fraude à ses propres droits, il faudrait une dépense de
temps et d’argent qu’il est prudent d’épargner au créan
cier et au débiteur.
Ainsi, les créanciers personnels de l’héritier peuvent,
comme ceux de la succession, soit requérir l’apposition
des scellés, soit s’opposer à leur lévée. Les effets de
l’une et de l’autre sont de les rendre parties nécessaires
à l’inventaire. Toutefois, l’importance d’un acte qui va
scruter toutes les affaires d’une famille, en dévoiler tous
les secrets, devait modifier, dans l’exécution, le droit ac
quis par les uns et par les autres. C’est ce que règlent
les art. 932 et suivants du Code de procédure.
1549.
—, Les créanciers de la succession ne peu
vent assister, soit en personne, soit par un mandataire,
qu’à la première vacation. Quel que soit leur nombre,
ils ne peuvent être représentés aux vacations suivantes
que par un seul mandataire , désigné par le juge de
paix, dans le cas où ils n’auront pu arrêter eux-mêmes
le choix.
Les créanciers des successeurs qui se sont opposés,
pour la conservation des droits de leur débiteur , n’ont
pas même le droit d’assister à la première vacation, ni
celui de concourir à la nomination du mandataire qui
devra les représenter, le choix en appartient exclusive
ment au juge de paix. Ainsi se concilient l’intérêt qu’ont
les créanciers à l’exactitude et à la fidélité de l’inven
taire, et celui que peut avoir la famille à ce que le se
cret de sa position ne soit que le moins possible di-
�170
TRAITÉ DU DOL
1 5 5 0 . — Aux termes de l’art. 882, les créanciers
personnels ont le droit d’intervenir au partage pour en
surveiller la sincérité en ce qui concerne leur débiteur.
Ils peuvent, avant d’être mis à même de réaliser cette
intervention, contraindre les copartageants à les y ap
peler en leur notifiant une opposition à ce qu’il y soit
procédé hors leur présence et sans leur concours.
L’intérêt des créanciers d’assister au partage ne sau
rait être douteux. Ainsi, celui à qui le successeur a hy
pothéqué un immeuble de la succession verra son hy
pothèque maintenue ou anéantie, selon que cet immeu
ble sera ou non attribué à son débiteur. Or, indépen
damment des chances naturelles du tirage au sort, il
peut se faire que, dans le dessein d’échapper à sa dette,
le successeur collude avec ses cohéritiers et que, par un
prétendu tirage d’avance concerté, le lot qui lui obviendra ne comprenne que du mobilier. La présence du
créancier tendant à prévenir cette fraude, pouvant dé
terminer la formation des lots de telle manière que cha
cun d’eux comprenne des biens de toute nature, avait
pour lui une telle importance, qu’il n’était pas pos
sible de la méconnaître. De là la faculté concédée par
l’art. 882.
1 5 5 1 . — Ainsi, le créancier personnel du cohéritier
peut intervenir au partage. Il peut, dès l’ouverture de la
succession, s’opposer à ce qu’il y soit procédé sans lui.
Cette opposition l’y rend partie nécessaire à tel point que
le partage opéré hors sa présence et au mépris de l’op-
�ET DE LA. FRAUDE.
171
position régulièrement formée devrait être annulé sur la
demande qu’il en ferait.
Méconnaître l’opposition, c’est faire présumer la frau
de, et cette présomption n’admet pas la preuve contrai
re. Quel autre motif que celui de frauder le créancier
opposant pourrait-on alléguer à l’appui du partage, au
quel, malgré son opposition, on n’a pas voulu l’appe
ler. ? Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’oppo
sition ait été signifiée à tous les copartageants sans ex
ception. Si un seul d’entre eux n ’avait pas reçu eette
notification, le partage devrait être validé. On n’aurait,
en effet, aucun reproche à lui faire, car il n’a pu avoir
égard à une opposition qu’il ne connaissait pas. Il a
donc agi de bonne foi, et celte bonne foi profite à ses
cohéritiers. Un partage est indivisible ; il ne peut être
valable pour l’un, nul pour les autres. Conséquemment,
s’il doit être maintenu à l’endroit d’un des coparta
geants, il doit l’être pour tous.
1552.
— A défaut d’opposition et d’intervention ,
les créanciers des cohéritiers pourront-ils attaquer le par
tage consommé?
Cette question paraît résolue par le texte même de
l’art. 882. Cependant, elle ne laisse pas que d’être for
tement agitée et de diviser même la jurisprudence.
Pour l’apprécier et la résoudre sainement, il importe
de rappeler quelques principes, d’établir quelques dis
tinctions.
En principe, les créanciers trouvent, dans les arti-
�172
TRAITÉ DU DOL
clés 1166 et 1167, le germe d’une double action. Ils
peuvent, en vertu du premier, agir au nom de leur dé
biteur et faire valoir les droits qu’il pourrait faire valoir
lui-même ; ils peuvent, en force du second, agir en leur
nom et attaquer directement tout ce qui a été fait en
fraude de leurs droits. Dans le premier cas, ils peuvent
être repoussés par toutes les exceptions opposables au
débiteur lui-même ; dans le second, les moyens pé
remptoires contre celui-ci ne pourraient pas même leur
être opposés.
En vue de laquelle de ces deux actions la loi a-t-elle
accordé le droit de s’opposer ou d’intervenir au parta
ge? Ce ne peut être évidemment pour celle se fondant
sur l’art. 1166. La conduite du créancier est sans in
fluence sur les actions et les droits personnels au dé
biteur; que le créancier intervienne ou non, le débiteur
ne saurait, dans aucun cas, être privé de l’exercice des
uns ou des autres, si d’ailleurs il est fondé à le requé
rir. Ce n’est donc qu’en vue de l’action basée sur l’ar
ticle 1167 que le droit de s’opposer ou d’intervenir a
été conféré. C’est même ce qui est écrit formellement
dans l’art. 882 : Les créanciers d'un copartageant, pour
éviter que le partage ne soit fa it en fraude de leurs
droits, etc...
Mais la fraude, dans ce sens, peut n’être imputable
qu’au débiteur. Dans l’intention d’échapper à l’action
du créancier, il ne s’est pas suffisamment défendu, il
n’a pas demandé des rectifications qu’il devait obtenir,
il a accepté une formation de lots inégale, quant à la
�ET DE LA FRAUDE.
173
nature des biens, et consenti un partage d’attribution
alors qu’il pouvait exiger le tirage au sort. Or, tout cela
peut se réaliser sans qu’il en résulte nécessairement au
cune idée de fraude chez ses copartageants.
La fraude peut, dans d’autres circonstances, avoir
été concertée et simultanément accomplie par tous les
copartageants. Cette double hypothèque ne doit pas, à
notre avis, être négligée dans l’appréciation de la solu
tion que la question doit recevoir.
Ainsi l’action du créancier, attaquant le. partage après
sa consommation, peut avoir un triple objet : 1° l’exer
cice d’un droit personnel au débiteur ; 2° la réparation
de la fraude de celui-ci; 3° celle d’une fraude concer
tée et commune à tous les copartageants.
Dans la première hypothèse, il importe peu que le
créancier ait ou non fait opposition, qu’il soit ou non
intervenu ; son action ne saurait être repoussée que par
les fins de non-recevoir opposables au débiteur lui-mê
me. Evidemment, si celui-ci dirigeait personnellement
l’action, on ne pourrait lui opposer l’abstention de son
créancier. A quel titre l’opposerait-on au créancier luimême? Est-ce que, dans cette hypothèse , ce n’est pas
le débiteur qui est seul en cause? C’est donc au point
de vue de sa qualité qu’il faut apprécier le litige. Il suf
fit donc qu’il pût lui-même faire valoir le droit mis
en question pour que son subrogé le puisse incontes
tablement.
C’est ce que Chabot enseigne expressément : « Le
créancier qui n’a formé ni opposition, ni demande en
�174
TRAITÉ DU DOL
intervention, quoique non recevable à attaquer le par
tage de son chef, peut l’attaquer du chef de son débi
teur, en vertu de l’art. 1166 du Code civil, car les droits
conférés aux créanciers par l’art. 882 et ceux conférés
par l’art. 1166 sont fort différents.1 »
Nous trouvons dans la jurisprudence de fréquents
exemples d’application de cette doctrine. La Cour d’Aix
l ’a consacrée, le 30 novembre 1833, dans une hypothèse
où le partage était querellé de lésion par le créancier de
la partie lésée. On voulait repousser cette action par ap
plication de l’art. 882, le créancier n’ayant formé ni op
position, ni intervention. Mais cette fin de non recevoir
fut écartée par l’arrêt. Attendu, dit la Cour, que les actes
querellés ne le sont que sous le rapport et le fondement
de la lésion qu’ils auraient occasionnée, par l’excessive
estimation des biens de la succession d’Isnard, à Gau
thier, son héritier contractuel, et, par suite, aux héritiers
de ce dernier ; que ledit Gauthier aurait action pour les
quereller par ce motif, d’après la disposition de l’arti
cle 887 du Code civil; et que la demoiselle Firminy, sa
créancière, a pu, dès lors, en vertu de l’art. 1166, le
faire elle-même en exerçant cette action de son débiteur.”
La même question, s’étant depuis présentée à la Cour
de Nîmes, y a reçu une solution identique, par arrêt du
5 juillet 1848.3
1 Des Successions, art. 882; — Delvincourt, tom. il, p 378, note 2,
— Duranton, tom. vu, n° 309.
2 D. P., 38 2. 195.
3 D. P., 48, 2, 147.
�ET DE LA FRAUDE.
175
Ainsi, cette première hypothèse ne présente aucune
difficulté sérieuse. L’admissibilité de l’action des créan
ciers n’est d'ailleurs que la conséquence d’un principe
d’une application usuelle en droit, à savoir : qu’une per
sonne non recevable, en une qualité, à exercer une ac
tion , déclarée même telle par un jugement définitif,
peut très bien exercer la même action en une autre et
nouvelle qualité.
La seconde hypothèse ne fait pas plus de difficultés que
la première. Le créancier, prétendant agir en force de
l’art. 1167 et arguant de la fraude de son débiteur, ne
serait recevable à attaquer le partage consommé que s’il
s’y est opposé. En l’absence de toute opposition, de toute
intervention, l’art. 889 le repousse définitivement. Ilne
peut se plaindre d’une fraude qu’il a pu prévenir et
qu’il n ’a pas voulu empêcher , ni rendre victimes de
sa négligence ceux dont la bonne foi n’est pas même sus
pectée.
La troisième hypothèse, au contraire, fait naître les
plus grands doutes. Un grand nombre d’auteurs esti
ment que le défaut d’opposition ou d’intervention crée
une fin de non-recevoir insurmontable contre toute at
taque, même fondée sur la fraude concertée. 1 Si l’ar
ticle 8821 ne s’appliquait pas à cette fraude, disent les
annotateurs de Zacchariæ, à quel cas s’appliquerait-il
donc ?
1 Chabot, loco citato ; — Duranton, idem ; Chardon, tom. n, n° 200;
— Zacchariæ, tom, îv, p. 426, note 41, et les arrêts cités.
�176
TRAITÉ Dü DOL
La jurisprudence s’est profondément divisée sur cette
difficulté. On peut consulter, en sens inverse, les arrêts
indiqués par M. Dalloz jeune au Dictionnaire général
et au Supplément, v° partage, numéros 118 et suivants,
et au Répertoire du Journal du Palais, numéros 767 et
suivants.
Il faut en convenir, ceux qui soutiennent la fin de
non-recevoir semblent se prévaloir, avec raison, des tex
tes des art. 1167 et 882. Le premier, permettant aux
créanciers d’attaquer les actes frauduleux faits par leurs
débiteurs, ajoute: Ils doivent, quant à leurs droits énon
cés au titre des Successions, se conformer aux règles qui
y sont prescrites. Dès lors, cette disposition s’interprète
par l’art. 882, et l’opposition au partage est la condition
de l’action en révocation pour fraude. Le Code a donc
donné aux créanciers le moyen de prévenir la fraude
plutôt que d’offrir seulement, à l’exemple du droit ro
main, le moyen d’en obtenir la réparation.
Ainsi la loi, si jalouse, dans tous les cas, d’atteindre
et de réprimer la fraude, l’aurait donc, dans une hypo
thèse donnée, protégée expressément. Nous l’avouons, cet
te seule considération nous met en garde contre l’inter
prétation donnée à sa pensée. Faut-il, d’ailleurs, aller jus
que là pour se rendre raison de la disposition de l’art.
882? Nous ne le pensons pas.
Ce qui résulte pour nous de sa disposition, c’est que,
dans le cas d’une opposition, de la part d’un créancier,
son droit d’attaquer le partage est illimité, sans condition
autre que de justifier son intérêt. Il n’a donc pas même
�ET DE LA FRAUDE.
177
besoin d’articuler et moins encore de prouver la fraude;
il lui suffit d’établir que le résultat est préjudiciable à
ses intérêts. Ce préjudice peut être indépendant de toute
fraude, nous l’avons déjà indiqué, et, sous ce rapport,
l’art. 882 est une véritable exception, en faveur du créan
cier, au principe de l’art. 1167.
Il est certain en effet qu’à l’endroit de celui-ci le pré
judice que le créancier éprouverait de l’acte attaqué est
fort indifférent à la question de sa validité, en ce sens
que, démontré qu’il soit, l’acte ne sera pas nul. Pour at
teindre à cette nullité, le créancier sera tenu de prouver
l’intention de fraude chez le débiteur, la complicité dans
la fraude chez le tiers. A défaut de celle-ci, la fraude du
premier manifestement certaine ne pourra déterminer
le succès de la demande en nullité ou rescision.
C’est ce que la loi n’a pas voulu admettre en matière
de partage. Il est une hypothèse où l’existence seule du
préjudice entraînera la nullité malgré la bonne foi des
tiers, malgré celle du débiteur lui-même. Cette hypo
thèse se réalisera lorsque le partage aura été fait au
mépris de l’opposition que les créanciers y auraient
formée.
Conséquemment, si cette condition n’a pas été rem
plie par les créanciers, que faudra-t-il en conclure ? Que
l’exception à l’art. 1167 disparaîtra, et qu’il faudra re
venir au droit commun que cet article trace, c’e s t - à dire que l’existence du préjudice ne sera plus suffisante ;
que la preuve de l’intention frauduleuse du débiteur,
jointe à ce préjudice, ne fera pas annuler le partage ;
�178
TRAITÉ DU DDL
qu’à ce préjudice, qu’à la fraude du débiteur, devra se
réunir la preuve de l’intention frauduleuse des tiers
ayant concouru à l’acte.
En d’autres termes, l’absence de l’opposition replace
les parties sous l’empire exclusif de l’art. 1167. En con
séquence, voir dans cette absence l’exclusion de toute
application de cet article, c’est étrangement s’abuser sur
la pensée du législateur, c’est convaincre la loi d’immo
ralité, c’est admettre l’impossible.
Que le créancier soit puni de sa négligence, on le
comprend , mais la peine n’est - elle pas assez grave,
lorsque celui qui pouvait faire annuler le partage , en
établissant seulement le préjudice qu’il en éprouve, sera
obligé de prouver la fraude de son débiteur , la com
plicité des autres parties contractantes. Cette preuve estelle toujours possible, est-elle dans tous les cas si facile
pour que le créancier n’ait pas à courir des graves chan
ces d’insuccès ? F au t-il, indépendamment du danger
qu’il a volontairement assumé, le soumettre à subir tous
les effets d’une fraude certaine et concertée? Nous ne
saurions l’admettre.
Comment d’ailleurs concilier ce résultat avec les do
cuments législatifs. Il est vrai qu’on a reconnu qu’il ne
fallait pas, dans l’intérêt des familles, laisser trop long
temps en suspens le sort des partages. Mais de là à con
sacrer ce qui ne serait que le résultat de la fraude, il y
a encore fort loin, et ce qui prouve que le législateur
n’a pas voulu franchir cette distance, c’est M. Treilhard
expliquant en ces termes l’art. 882 : les créanciers, qui
�ET DE EA FRAUDE.
179
n’ont pas formé opposition, ne peuvent attaquer un par
tage fa it sa n s f r a u d e . Ils pourront donc attaquer, s’il
y a fraude.
La doctrine contraire, outre qu’elle serait une vérita
ble prime pour la fraude, arriverait de plus, dans tel
cas donné, à cet inique résultat qu’un créancier aurait
irrévocablement perdu son droit avant même d’avoir
connu qu’il était à même de l’exercer. Telle serait l’hy
pothèse d’un partage secrètement exécuté le jour même
ou le lendemain de la mort de l’auteur. Ce serait là, di
ra-t-on, une fraude; oui sans doute, mais qu’importe,
si, à défaut d’opposition, la fraude même concertée ne
peut être un motif de revenir contre le partage.
Ainsi si, à défaut d’opposition, le partage consommé
n’est plus attaquable, ce ne peut être que lorsque les co
partageants ont été de bonne foi. Alors il importera fort
peu que le débiteur ait ou non agi en fraude des droits
de son créancier ; la loyauté de la conduite des autres
contractants mettra le partage à l’abri de toute attaque.
C’est cette doctrine que la Cour de Toulouse a consa
crée par arrêt du 8 décembre 1830.
« Attendu, dit-elle, que l’art. 882! n’est point une
exception à la règle de l’art. 1167; qu’il n’est applica
ble qu’au cas où le débiteur seul aurait usé de fraude,
envers ses créanciers, dans un acte de partage avec d’au
tres communistes qui auraient agi de bonne foi, qu’a lors, après le partage consommé, les créanciers ne peu
vent plus le quereller.' »
�180
TRAITÉ Dli DOL
Dans ce système, le créancier est puni de sa négli
gence , sans que les complices de la fraude soient ré
compensés de leur odieuse conduite. Cela nous paraît
beaucoup plus rationel et partant plus juridique.
Ainsi, en cas de fraude commune à tous les coparta
geants , le créancier personnel de l’un d’eux, quoiqu’il
ne se soit pas opposé au partage, est recevable à en de
mander l’annulation. Celte fraude peut être établie par
la preuve testimoniale. À cet égard, il convient de re
marquer que pour que la demande fût admise, il ne
suffirait pas d’articuler celte fraude d’une manière gé
nérale, il faudrait qu’en ce qui concerne les non-débi
teurs surtout, les faits articulés fussent graves, précis et
pertinents. Or, en pareille matière, la pertinence ne s’ap
précie pas relativement au plus ou moins de préjudice
que le partage occasionnerait aux créanciers. Les faits
ne seraient tels que si, indépendamment du préjudice,
ils établissaient nettement la connaissance de la fraude
du débiteur et l’intention de s’y associer. Tout ce qui
n’aurait pas ce double caractère ne serait ni concluant,
ni admissible. Il importe, en effet, de bien observer,
avec la Cour de Montpellier, que si ces expressions, en
fraude de ses droits, de l’art. 882 ne doivent pas être
entendues en ce sens que la loi prononce une déchéance
contre le créancier non opposant, même lorsque le par
tage a été fait avec fraude, cette déchéance est formelle
contre le créancier, lorsque le partage, auquel il ne s’est
pas opposé, a été fait seulement au préjudice de ses
�ET DE LA FRAUDE.
181
droits.' Conséquemment, se borner à offrir la preuve
de ce préjudice, ce serait demander une preuve inutile
et frustratoire, elle devrait dès lors être repoussée.
En résumé, l’art. 882 ne déroge à l’art. 1167 qu’en
ce sens que le créancier opposant, hors la présence du
quel le partage aurait cependant été consommé, peut
en obtenir la nullité, sans être obligé de prouver la
fraude. Celle-ci existe contre toutes les parties par cela
seul qu’elles ont procédé au mépris de l’opposition.
A. défaut d’opposition . le créancier rentre dans le
droit commun en matière de fraude. Il peut encore in
voquer l’art. 1167, mais il est tenu dans ce cas de se
conformer à ses exigences, et en conséquence obligé de
prouver que non seulement le partage préjudicie à ses
droits , mais encore que ce préjudice est le résultat de
la fraude de son débiteur, et que cette fraude, connue
des copartageants, a été partagée par eux. Voilà la seule
interprétation de l’art. 882 qui soit rationnelle, morale
et conséquemment juridique.’
Dans tous les cas, pour que la fin de non recevoir,
tirée de l’art. 882 soit opposable, il faut qu’il existe un
partage réel, sérieux , ayant fait cesser l’indivision. S>
l’acte qualifié de partage est simulé, et n’a d’autre but
et d’autre effet que de porter atteinte aux droits des cré
anciers, il n’y a pas en réalité de partage consommé et
1 Montpellier, 14 juin 1839 ; — D. P., 39, 2, 233.
2 Besançon, 8 fév. 1885 ; — D. P., 56, 2, 51.
�182
TRAITÉ DU DOL
il est dès lors impossible d’appliquer l’art. 882. C’est
ce que la Cour de Pau jugeait fort juridiquement le 30
novembre 1857.'
En conséquence, le créancier qu’on prétendra repous
ser en vertu de cet art. 882, échappera à la fin de non
recevoir par la preuve que le partage dont on se pré
vaut n’est ni ^érieux, ni sincère; que notamment, il
n’a pas fait cesser l’indivision, car cette preuve pouvant
être faite par témoins, peut également résulter de pré
somptions graves, précises et concordantes qui sont lais
sées à l’arbitrage souverain du juge.
Ces deux points consacrés par la Cour de Pau sont
admis et enseignés par la doctrine.3
1 3 5 3 . — En effet, et quel que soit le système qu’on
adopte, on doit reconnaître que la fin de non-recevoir,
tirée du défaut d’opposition, n’est elle-même recevable
qu’en tant qu’il s’agit d’un partage sérieux et propre
ment dit. La loi qualifie cependant de partage tout acte
faisant cesser l’indivision. Mais il est évident que si on
attribuait à cet acte les effets que l’art. 882 attache au
partage, le danger de la fraude s’aggraverait de la simu
lation dont l’acte serait le résultat et le fruit.
Un partage d’ailleurs exige un temps plus ou moins
1 D. P., 58, 2,165.
2 V. Dalloz, Jurisprudence générale, v° Successions, nos 2053 et
suiv. ; — Vazeilles, sur l'art. 882, n° 5; — Marcadé, ibid., n° 2; —•
Zacchariœ, Ed. Massé et Vergé, § 393, tom. 2, pag. 390.
�ET DE LA FRAUDE.
183
long, que le créancier peut mettre à profit pour réaliser
son intervention. L’acte faisant cesser l’indivision n’a
besoin que du consentement des deux parties et peut
être réalisé avant même que les créanciers soient ins
truits des droits que leur débiteur est appelé à recueillir.
Il était donc matériellement et moralement impossible
de les placer l’un et l’autre sur la même ligne et de leur
faire produire un effet égal.
Le contraire a donc prévalu et devait prévaloir. L’ar
ticle 882, dit la Cour d’Aix, dans l’arrêt de 1833 que
nous indiquions tout à l’heure, ne se rapporte qu’aux
actes de partage proprement dits, et faits et passés avec
solennités requises, et non aux simples actes qui en
tiennent lieu, quand ces actes sont empreints de dol et
de fraude, auquel cas, la disposition générale du pre
mier alinéa de l’art. 1167 est seul applicable,' cette doc
trine est celle de Zacchariæ.
Un transport de droits successifs, dit Chardon, tient
lieu de partage, mais il n’en est pas un. Pour un par
tage, il y a des formalités à remplir, des délais à obser
ver, une famille entière à réunir, ce sont autant de ga
ranties contre la fraude; c’est sans doute ce qui a déter
miné l’exception ; tandis que le transport des droits suc
cessifs peut se faire au moment même de l’inventaire
de la succession par un héritier déloyal, et ce n’est pas
en s’abandonnant à une analogie très imparfaite, que
�184
TRAITÉ DU DOL
les tribunaux se décideront à ouvrir une porte de plus
à la fraude.' C’est au reste ce que la Cour de cassation
a plusieurs fois décidé.5
Quel que soit donc l’acte faisant cesser l’indivision,
et qui, par ce motif, est qualifié partage par la loi, la
simulation, dont cel acte serait atteint, en ferait pro
noncer l’annulation au profit de celui qui serait exposé
à en subir le préjudice. L’art. 882 ne se rapportant
qu’aux actes de partage proprement dits, et faits et pas
sés avec les solennités requises, il importerait peu que
le créancier, demandant cette annulation, eût ou non
formé opposition au partage. Aucune fin de non rece
voir de ce genre ne pourrait être opposée dans l’hypo
thèse d’un partage simulé.
Le caractère juridique de cette doctrine ne saurait
être ni méconnu, ni contesté, et trouve un fondement
inébranlable dans l’art. 882 lui-même.
La déchéance que cet article consacre est une peine
contre la négligence que le créancier a mise à surveiller
et à protéger son intérêt. Il faut donc pour que cette
peine soit applicable que cette négligence existe, sans
quoi la fin de non recevoir serait en réalité un effet sans
cause.
C’est cependant cette anomalie qu’il faudrait accep
ter et consacrer, si, comme certains auteurs l’ensei
gnent, l’art. 882 est absolu et ne comporte aucune ex-
1 T. ii, n» 262.
3 V. arrêt du 19 janvier 1841 ; — D. P., 41, 1, 83 et la note.
�ET DE LA FRAUDE.
185
ception, ainsi on devrait l’appliquer alors même que
l’acte équivalant à partage aurait été consommé avant
même que les créanciers eussent connu la nécessité
d’agir.
Nous ne craignons pas de le dire, un pareil résultat
serait une immoralité et une iniquité, que l’art. 882
n’a ni pu, ni voulu autoriser. C’est ce que la Cour de
cassation vient de consacrer expressément.
Dans une espèce que la Cour de Limoges avait à ju
ger, une succession s’était ouverte le 10 septembre, dès
le 11 les enfants appelés à succéder s’étaient réglés entr’eux, et l’un d’eux avait vendu ses droits moyennant
un prix compensé en très grande partie, avec ce qu’il
prétend devoir à son frère, acheteur.
Des créanciers attaquant cet acte comme fait en fraude
de leurs droits et comme le résultat d’un concert dolo
sif, on leur oppose la fin de non recevoir tirée du dé
faut d’opposition.
Mais par arrêt du 15 avril 1856, la Cour de Limoges
déclare que les créanciers d’un cohéritier peuvent atta
quer un partage consommé, bien qu’ils n’y aient pas
formé opposition, s’ils se plaignent qu’il a été le résul
tat d’une fraude concertée entre les copartageants en
vue de les frustrer, et alors surtout que le partage a été
fait avec une précipitation telle qu’ils ont été dans l’im
possibilité de s’y opposer.
Le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet était rejeté
le 4 février 1857. La Cour suprême ne se prononce pas
sur la question de savoir si la fraude, concertée entre
�186
TRAITÉ DU DOL
les copartageants, écarte la fin de non recevoir de l’ar
ticle 882, mais elle juge que cet article est inapplicable
lorsque l’empressement mis à partager a rendu toute
diligence impossible.
« Attendu, dit l’arrêt, que l’art. 882 portant que les
créanciers d’un copartageant ne peuvent attaquer un
partage consommé, suppose qu’ils ont pu s’y opposer
ou y intervenir et qu’ils ont négligé de le faire; qu’au trement, il serait aussi contraire aux termes qu’à l’es
prit de l’art, ci-dessus, de repousser l’action desdits
créanciers, lorsqu’ils ont été mis dans l’impossibilité de
recourir aux mesures conservatoires que la loi a intro
duites en leur faveur, pour éviter que le partage ne fût
fait en fraude de leurs droits.'
Cette interprétation de l’art. 882 est trop rationnelle,
pour qu’elle ne soit pas essentiellement juridique. Nous
croyons donc inutile d’insister.
En résumé, l’application de l’art. 882 exige d’abord
qu’il y ait un acte de partage sincère et sérieux. Si ce
lui qu’on oppose est simulé, et ne fait cesser l’indivision
qu’en apparence, le droit pour les créanciers de le faire
annuler ne rencontre aucun obstacle.
Il faut ensuite que le défaut d’opposition soit le ré
sultat de la négligence; si cette négligence n’a pas exis
té, si mieux encore elle n ’a pu exister, la fin de non re
cevoir n’a plus de raison d’être et ne saurait dès lors
être opposée.
�ET DE LA FRAUDE.
187
1 5 54. — L’opposition à partage peut être faite ex
pressément par acte séparé, ou dans l’acte même d’op
position à la levée des scellés. Mais, dans un cas comme
dans l’autre, elle doit être régulièrement notifiée à tous
les cohéritiers. Nous avons déjà dit que l’omission de
cette formalité vis-à-vis d’un seul d’entre eux, le cons
tituant en état de bonne foi, rendrait le partage définitif
et inattaquable.
L’opposition peut également résulter d’actes annon
çant, de la part du créancier, l’intention formelle de ne
pas rester étranger aux opérations du partage. La saisie,
faite par le créancier du cohéritier, d’un bien apparte
nant à la succession équivaut à l’opposition à partage
, de la part du créancier saisissant, il devrait donc être
tenu en cause dans les opérations de celui-ci.'
1 5 5 5 . — Les créanciers, qui n ’ont pas fait oppo
sition, ne sont pas déchus du droit d’intervenir au par
tage, il peuvent donc réaliser cette intervention tant que
le partage n ’est pas consommé. Ce droit exercé, ils sont
recevables à faire toutes réquisitions, à poursuivre tou
tes modifications qu’ils croient utiles à leurs intérêts.
C’est ainsi qu’il a été jugé que bien qu’avant l’interven
tion un jugement ait fixé la quote-part afférente à cha
que cohéritier, il suffit que le partage ne soit pas encore
consommé pour que les créanciers de l’un d’eux soient
1 Toulouse, 11 juillet 1829.
�188
T R A IT É
DU
DOL
recevables à former tierce-opposition à ce jugement,
eût-il été acquiescé par leur débiteur.'
1556. — Le partage fait au mépris d’une opposition
régulièrement formée doit, nous l’avons dit, être annulé
sur la demande des créanciers opposants. Mais il faut,
pour qu’il en soit ainsi, que les cohéritiers ne les aient
pas appelés en partage. Si le contraire s’était réalisé,
et que, sur la notification des actes de la procédure, les
opposants eussent négligé de prendre qualité et laissé le
partage s’accomplir hors leur présence, toute demande
en nullité, par eux ultérieurement formée, devrait être
déclarée non recevable.’ Cette décision est fondée en
raison et en droit ; le créancier qui, ayant manifesté l’in
tention de concourir au partage, et qui a été mis à même
de la réaliser, ne saurait se plaindre de ce qu’il a dé
daigné ou négligé de le faire. Les cohéritiers ne pou
vaient rester dans l’indivision , parce qu’il refusait de
venir à leur appel. Il suffit que, par la réalisation de cet
appel, ils aient eu égard à l’opposition qu’il leur avait
notifiée, pour qu’ils soient à l’abri de tout reproche.
1557. — Le créancier qui a formé opposition à ce
qu’il fût procédé au partage hors sa présence a -t-il le
droit d’attaquer une vente par licitation, même faite ju
diciairement, mais à laquelle il n’a pas été appelé ? Il
1 C a s s . , 4 d é c e m b r e 4 8 3 4 ; •— D . P . , 3 5 , 1 , 6 5 .
? C ass., 23 ja n v ie r 4 8 3 9 ; — D . P . 3 9 , 4, 45 9 .
�ET DE LA FRAUDE.
189
faut distinguer, dit Chabot, si la vente par licitation a été
faite en faveur de l’un ou de plusieurs des cohéritiers ,
ou si elle a eu lieu en faveur d’un étranger. Au premier
cas, la vente par licitation est un véritable partage et con
séquemment la disposition de l’art. 882 est applicable ;
au deuxième cas ; il n’y a pas de partage ; c’est une ven
te consentie par tous les héritiers conjointement d’une
chose qui leur était commune, et qu’ils ont aliénée sans
la partager ; or ici l’art. 882 ne peut recevoir d’applica
tion ; mais, en ce cas, le créancier conserve contre l’é
tranger, acquéreur des biens, en prenant hypothèque
ou en faisant saisie-arrêt, les droits qu’il avait contre
l’héritier son débiteur, jusqu’à concurrence de la portion
du prix revenant à cet héritier.1
C’est aussi ce que la Cour de Paris a décidé, par ar
rêt du 2 mars 1812, cela paraît parfaitement juridique.
La nullité d’un partage, fait au mépris d’une opposition
expresse, est une conséquence du principe que le tiers
vigilant ne doit éprouver aucune atteinte à ses intérêts
qu’il a déclaré vouloir personnellement défendre. Il doit
donc être appelé au partage, à peine de nullité; mais s’il
ne s’agit pas d’un partage, si l’acte querellé n’est qu’un
moyen d’arriver à celui-ci, et s’il n’en résulte d’ailleurs
aucune attribution en faveur des cohéritiers, il ne peut
en résulter pour lui aucun préjudice réel. Le seul pou
vant se réaliser, et provenant de la substitution d’une
somme liquide à un objet immobilier, est facilement con-
i Des Successions, art. 882.
�190
TRAITÉ DU DOL
juré par la faculté de placer l’acheteur dans l’impossi
bilité de se dessaisir des fonds qu’il a en mains, et cette
impossibilité sera la conséquence d’une inscription hy
pothécaire dans la quinzaine de la transcription ou d’une
saisie-arrêt. La faculté de réaliser l’une ou l’autre suffit
donc à l’intérêt actuel du créancier.
1558.
— Le créancier de l’usufruit d’une portion de
biens indivis entre les cohéritiers et un tiers est, par la
nature de son droit, nécessairement intéressé à l’acte de
partage destiné à mettre un terme à la possession com
mune. Il lui importe, en effet, que le lot obvenant au
débiteur de l’usufruit ne soit pas d’une valeur moindre
que celle qu’il doit avoir. Il a donc incontestablement
le droit d’être partie au partage, ce droit n ’a pas même
besoin d’être dénoncé par une opposition, ou exercé par
une intervention. Il n ’y aurait de partage régulier que si
l’usufruitier s’abstenant d’intervenir, les parties l’avaient
appelé à y prendre part.
L’usufruitier est plus qu’un créancier, il est un véri
table copropriétaire. En conséquence, le partage auquel
il n’a été ni présent ni appelé reste pour lui res inter
alios acta. Il n’est donc pas tenu de souffrir le préju
dice en résultant pour lui, quelque minime qu’il fût
d’ailleurs. Le propriétaire foncier n’a pu, par son fait,
nuire à ses droits ni les engager de quelque manière que
ce soit. Il serait donc toujours recevable à demander un
nouveau partage dans son intérêt propre.'
i Proudhon, de l'Usufruit, n° 1282.
�ET DE LA FRAUDE.
191
1 5 5 9 . — L’art. 882 confère le droit de s’opposer et
d’intervenir aux créanciers d’un copartageant. La géné
ralité de ses termes indique que sa disposition s’appli
que à tous les créanciers sans exception, et abstraction
faite de la nature du titre dont ils sont porteurs. Les
créanciers chirographaires peuvent donc l’exercer de la
même manière que les hypothécaires. Il est en effet, cer
tain que, quoique n’ayant aucune affectation spéciale
sur les biens de leurs débiteurs, les créanciers cédulaires n’en ont pas moins un intérêt très réel à surveiller
les opérations du partage que ce débiteur est appelé à
faire. Cet intérêt légitime l’action que nous leur recon
naissons.
1 560. — Le droit d’intervenir ou de s’opposer peutil être revendiqué et exercé par les créanciers de la suc
cession ? La négative s’induit du texte de l’art. 882. Elle
ne résulte pas moins de son esprit. Pour le créancier du
copartageant, le partage a une immense portée, car il
sera plus ou moins facilement payé, suivant que le lot
obvenu à son débiteur sera composé de meubles ou d’im
meubles. Il a donc un intérêt évident à empêcher que,
soit par collusion, soit par l’effet d’un consentement per
sonnel, ce débiteur se contente de recevoir une somme
d’argent facile à soustraire et à consommer. Le même
inconvénient ne se présente pas pour le créancier de la
succession. Tous les biens de celle-ci répondent de sa
créance, et s’il ne peut réclamer à chaque cohéritier
personnellement que sa part et portion, il les a obligés
�192
TRAITÉ DU DOU
hypothécairement pour le tout. Peu lui importe donc
que les immeubles passent en telles ou telles mains, son
action hypothécaire les suivant contre le possesseur, quel
qu’il soit.
Il est vrai qu’on a voulu trouver dans l’action per
sonnelle du créancier le moyen de le placer sous l’em
pire de l’art. 882. Il est réellement créancier de chaque
copartageant, a-t-o n dit, et dès lors comment lui refu
ser le droit qu’on accorde au créancier de l’un d’eux.
Mais cette objection n’a pas d’autre mérite que celui de
donner à la fiction la force qui n’appartient qu’à la vé
rité. L’art. 882 n’a pas voulu multiplier les procédures,
augmenter les qualités, et par suite les frais du partage.
S’il admet les créanciers des copartageants, c’est qu’ils
y ont un intérêt incontestable. Cet intérêt n’existant pas
pour les créanciers de la succession, rien ne justifierait
le droit qu’ils prétendraient revendiquer.1
1561.
— Nous avons déjà dit que le droit romain
admettait que le débiteur pût agir en fraude de ses cré
anciers, dans les aliénations qu’il consentait de son pa
trimoine acquis et actuel, et non dans l’omission d’ac
quérir, ou le refus qu’il faisait d’augmenter ce patri
moine. C’est ce que le Digeste exprimait formellement :
Non fraudatur cum quid non adquiritur a débitore, sed
cura quid de bonis diminuaturd
i M a l p e l , des Successions, n ° 2 5 1 .
- L. 6, S 2 , De his quæ in fraud, crédit.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
193
Mais cette doctrine n’avait pas été suivie par notre
ancienne jurisprudence. Sous son empire, les créanciers
eurent le droit de se plaindre du refus ou de l’omission
d’acquérir, comme de l’aliénation elle-même. En con
séquence, ils étaient autorisés par un usage constant,
dans le cas d’une renonciation, à exercer les droits de
leur débiteur auquel ils se faisaient subroger. D’abord ,
ils se faisaient condamner à se porter héritier, en lui don
nant caution de le garantir et indemniser si les dettes
absorbaient la succession. Dans la suite, on les subro
gea purement au lieu et place de leur débiteur, et ainsi
disparut leur obligation de donner caution.
C’est ee dernier système que le Code a consacré. L’art.
788 porte, en effet: les créanciers de celui qui renonce au
préjudice de leurs droits peuvent se faire autoriser par
justice à accepter la succession du chef de leur débiteur,
et en son lieu et place.
Cette doctrine est plus rationnelle que celle adoptée
par le législateur romain. En effet, que le débiteur se
rende insolvable par des aliénations, ou que l’étant déjà,
il refuse le moyen qui s’offre à lui de satisfaire ses cré
anciers, le résultat est le même à l’endroit de ceux-ci.
Victimes dans le premier cas, ils ne le sont pas moins
dans le second.; pourquoi ne pas leur accorder dans l’un
ce qu’on leur accorde dans l’autre? Une pareille anoma
lie, que rien ne justifiait d’ailleurs, a donc été justement
proscrite.'
�194
TRAITÉ DU DOL
if»62. — Ce qui résulte de ces expressions de l’art.
788, au préjudice de leurs droits, substituées à celles
de l’art. 1167, en fraude de leurs droits, c’est que quels
que soient les motifs qui ont dirigé le débiteur, il suf
fit que sa renonciation ait occasionné un préjudice aux
créanciers pour que ceux-ci soient admis à se faire su
broger à ses droits, et à accepter en son lieu et place.
La preuve de ce préjudice est dont péremptoire, et c’est
à sa production que se bornent les obligations des cré
anciers.
Or, quel peut être le préjudice dont la répudiation
d’une succession peut être l’occasion à l’endroit des
créanciers ? Evidemment on ne peut en prévoir un a u
tre que celui d’être exposés à perdre tout ou partie de
leur créances. Dès lors on est logiquement amené à cette
conséquence que, si le paiement intégral de ces créan
ces est assuré par les biens actuellement possédés par le
débiteur, la demande en subrogation ne serait ni rece
vable ni fondée.
Sans doute le juge à qui l’autorisation est demandée,
et qui a à prononcer sur la requête qui lui est présentée
à cet effet, n’a ni le moyen ni le devoir de s’assurer si
les ressources que possède le renonçant suffisent ou non
pour l’extinction de ses dettes. Mais il en est de son au
torisation comme de toutes les décisions rendues sur re
quête et sans contradictions des parties intéressées. Elle
ne peut jamais créer contre celles-ci l’autorité de la cho
se jugée. Cette autorisation n ’empêchera donc pas l’hé
ritier appelé à recueillir le bénéfice de la renonciation
�RT DE LA FRAUDE.
195
du débiteur, de contester l’opportunité delà subrogation
demandée, et d’exiger même , comme condition essen
tielle à sa réalisation, la preuve de l’insolvabilité du
renonçant, et conséquemment la discussion préalable
de ses biens personnels, indépendants de ceux de la suc
cession.
1563.
— Cette doctrine enseignée par un grand nom
bre d’auteurs, et notamment par M. Toullier, est criti
quée par M. Chardon. L’obligation d’une discussion pré
alable, dit ce dernier, et celle de rapporter la preuve de
l’insolvabilité du débiteur sont des obligations qu’arbitrairementon impose aux créanciers, sans que la loi ait
un seul mot qui puisse l’autoriser.'
Nous ne pouvons admettre cette critique, qui a sur
tout le tort de méconnaître les principes généraux ré
glant l’exercice de l’action révocatoire. Que le créancier
exerce réellement celle-ci lorsqu’il veut être autorisé à
accepter une succession à laquelle son débiteur a renon
cé, c’est ce qui ne saurait être contesté, au moins à l’en
droit de celui à qui la renonciation fera déférer la suc
cession, et qui se trouve par là frustré de son émolu
ment jusqu’à concurrence ne ce qui est dûaux créanciers
poursuivant la subrogation. Attaqué à cet effet, on ne
saurait donc lui refuser le droit d’exciper de tous moyens
capables de faire repousser la demande, et notamment
de celui si péremptoire du défaut d’intérêt. Or ce moyen
1 T. ii,n<> 265
�196
TR A IT É
DU
DOL
existerait évidemment si le débiteur renonçant était en
position de désintéresser ses créanciers. N’est - ce donc
pas à lui qu’incombe tout d’abord le droit de payer ses
dettes?
D’ailleurs l’art. 788 n’autorise l’action en subroga
tion des créanciers qu’en tant que la renonciation a été
faite au préjudice de leurs droits. Or, quel est le pré
judice dont ils devront se plaindre et justifier l’existen
ce si, indépendamment des biens de la succession, le
débiteur a par devers lui de quoi les satisfaire intégra
lement ?
Loin donc d’être contraire à la loi, ainsi que le lui re
proche M. Chardon, la doctrine enseignée par Toullier
est la seule juridique, la seule faisant une juste et saine
application des principes généraux de la matière. On
doit donc ne pas hésiter à l’accueillir et à admettre avec
elle que la preuve de l’insolvabilité du débiteur, et par
tant la discussion préalable de ses biens, est la condi
tion indispensable pour la recevabilité de la demande en
subrogation, à l’effet d’accepter la succession à laquelle il
a renoncé.1
1564.
— L’actionde l’art. 788 est exclusivement ré
servée en faveur des créanciers personnels du cohéritier.
Les créanciers de la succession n’en ont nul besoin. Pour
i B o u rg e s, 19 d é c e m b r e 1821 ; — P r o u d h o n ,
2400
de l’Usufruit,
t. îv ,
n°
�ET
DE
LA
FRAUDE.
497
ce qui les concerne, en effet, il n’arrivera jamais que ce
que voici :
Ou l’héritier renoncera à la succession pour se débar
rasser des ennuis ou des soucis d’une liquidation plusou
moins difficile, et cela n’empêchera pas que l’actif héré
ditaire ne demeure le gage des créanciers auxquels il se
trouve affecté. Ces créanciers poursuivront donc leur
remboursement soit contre l’héritier succédant au renon
çant, soit contre le curateur qu’ils feront nommer à la
succession, si elle demeure vacante ;
Ou la renonciation aura été précédée, accompagnée
ou suivie d’actes simulés, tendant à faire parvenir, entre
les mains des renonçants, les biens de la succession que
la renonciation aura pour effet d’affranchir de toute con
tribution aux dettes. Dans ce cas, les créanciers feront
non seulement annuler-cette renonciation, mais encore
déclarer les renonçants héritiers purs et simples, et,
comme tels , tenus du paiement intégral de ce qui leur
est dû.
1565.
— L’espèce suivante va nous offrir un re
marquable exemple de cette fraude et des effets juridi
ques qu’elle produit.
En l’an ix, Alvery avait vendu tous ses biens, meu
bles et immeubles, à Louis Rieu, son beau-père. Il dé
céda en 4809, laissant pour héritiers deux enfants mi
neurs, Marie et Jean. En 4844 , Rieu céda à Marie Al
very tous les biens qu’il avait acquis en l’an ix. De son
côté, Marie, s’étant mise en possession des biens, sous-
�198
TRAITÉ DU DOL
crivit une obligation en faveur de son frère. Puis, con
jointement l’un et l’autre renoncèrent à la succession de
leur père Àlvery.
En cet état, les créanciers de la succession soutiennent
que l’acte de renonciation est nul comme frauduleux,
et que les enfants Àlvery sont personnellement tenus des
dettes de leur père. La Cour de Nîmes, saisie de la con
testation, consacre ce double système. Voici les motifs
de l’arrêt :
« Attendu que toutes les circonstances de la cause
concourent à établir que les actes des 15 nivôse et 13
ventôse an ix furent concertés entre Alvery et Louis Rieu
pour mettre les biens du premier à couvert des répéti
tions des créanciers, sous le nom d’un acquéreur simu
lé ; que cette vérité s’évince surtout de la date de ces ac
tes (suivent les présomptions de*simulation);
« Attendu que des cessions évidemment simulées,
de même que des ventes consenties à Louis Rieu , il
résulte que les enfants d’Alvery ont participé à la fraude
de leur père; Marie, par la cession qui lui fut faite le 17
janvier 1811, de l’utilité des ventes faites à Louis Rieu,
et par sa mise en possession des biens meubles et im
meubles délaissés par son père; Jean, par l’obligation
de 2,000 francs qui lui fut souscrite, le même jour, par
sa sœur, et qui ne peut avoir d’autre cause que le par
tage, entre les deux enfants, de la succession du père
commun ;
« Attendu que les enfants Àlvery, ainsi mis en pos
session de tous les biens meubles et immeubles délaissés
�ET DE LA FRAUDE.
199
par leur père, ne sauraient exciper de la répudiation
par eux faite de la succession, le 26 janvier 1812, et
que la fraude évidente qui a présidé à cette répudiation
doit la faire écarter de la cause, sous le double rapport
de l’hérédité par l’effet de la prise de possession des
biens et du divertissement des effets de cette succession
au moyen des actes simulés qui ont été rappelés.' »
Comme on le voit, la fraude dans cette espèce datait
de loin. C’était le père qui, bien avant l’ouverture de la
succession, l’avait préparée, en se procurant, par une
interposition de personne, le moyen de faire arriver ses
biens h ses enfants, de manière à ce qu’ils fussent exo
nérés des dettes. Mais l’adhésion donnée à cette fraude
par les enfants devenus majeurs, et, après l’ouverture
de la succession, le profit qu’ils voulaient en retirer,
rendaient inévitable le résultat consacré par la Cour de
Mmes.
Ce résultat n’eût pas différé si la répudiation avait
précédé la rétrocession et la mise en possession au lieu
de les suivre. En effet, la constatation de la fraude an
nule l’acte qui en est entaché dès son origine. Il est censé
n’avoir jamais existé. Dès lors et dans l’espèce , la si
mulation des ventes de l’an ix produisait ce résultat,
que la propriété et la possession prétendues n’avaient
pas cessé de reposer sur la tête d’Àlvery, et son décès
arrivant, ses héritiers en avaient été légalement et direc-
1 N îm es,
9 ju ille t 1825.
�200
TRAITÉ DU DDL
tement saisis. A dater de ce moment aussi, ils avaient
été investis de la qualité d’héritiers, et quelque prolongée
que fût la possession apparente de l’acquéreur interposé,
elle ne pouvait dans aucun cas amnistier la fraude.
Ainsi, l’art. 788 régit exclusivement les créanciers
du cohéritier. L’action qu’il consacie est pour eux d’une
évidente utilité. En effet, la renonciation enlève à leur
débiteur toute participation aux biens de la succession
et les prive par là de tout espoir, de toute possibilité
d’appliquer au paiement de ce qui leur est dû la portion
qu’il était appelé à recueillir. Il était donc juste de les
protéger efficacement contre un refus d’acceptation ,
n’ayant peut-être d’autre motif que de leur arracher
cette ressource.
1566.
— Ce caractère spécial de l’art. 788 amène
à celte conséquence que les seuls créanciers admissibles
à en invoquer le bénéfice sont ceux dont les droits sont
antérieurs à la renonciation, Cette antériorité exige donc
que la créance résulte soit d’un titre authentique , soit
d’un titre privé ayant acquis date certaine avant l’é
poque de la répudiation. Celui qui est appelé à profi
ter de celle-ci n’est, dans aucun cas, l’ayant-cause du
renonçant. On ne pourrait donc pas prétendre que le ti
tre fait contre lui foi de sa date , comme il le ferait à
l’endroit du débiteur.
Quant aux créanciers postérieurs à la renonciation,
il est évident qu’ils ne sauraient être admis à la que
reller. Comment pourraient-ils, en effet, prétendre qu’elle
�ET
DE
LA
FRAUDE.
201
préjudicie à leurs droits qui n’existaient pas encore?
D’ailleurs, il ne leur était pas permis d’ignorer la con
dition de celui avec qui ils trailaient; et par cela seul
qu’ils ont consenti à le faire en l’état de sa répudiation,
ils se sont définitivement interdit tout moyen de s'y
soustraire.
1567. — Cette règle est cependant susceptible de
deux exceptions. La première : si la somme prêtée pos
térieurement a servi à éteindre une créance antérieure.
La subrogation qui s’opère dans ce cas a fait passer sur
la tête du nouveau créancier tous les droits que l’ancien
pouvait exercer; la seconde : si la cause de la créance
postérieurement réglée remontait à une époque antérieure
à la répudiation.
1568. — L’acceptation des créanciers, au lieu et
place de leur débiteur, ne relève pas celui-ci des effets
de la répudiation. C’est ce qui est textuellement prévu
par le second paragraphe de l’art. 788. La nullité de
la répudiation n’est admise qu’en faveur des créanciers
et jusqu’à concurrence seulement de leurs créances.
De là deux conséquences :
1 569. — 1" L’offre faite parle successible appelé à
profiter de la renonciation du débiteur, et à en recueil
lir les bénéfices, de payer les créanciers poursuivants
rendrait sans objet l’application de l’art. 788. Les créan
ciers seraient dès lors sans intérêt à la subrogation et
privés, conséquemment, de tout moyen de l’obtenir. Le
�202
T R A IT É
DU
DOL
but de cette subrogation n’étant que le paiement des
dettes, elle deviendrait inutile par la réalisation immé
diate de ce paiement ;
1570.
— 2° Quel que soit l’effet de la liquidation
opérée par suite de leur acceptation, les créanciers ne
pourraient rien retenir au delà de ce qui leur est dû
en capital et intérêt. Tout ce qui excéderait, prélèvement
fait des frais de la liquidation, appartiendrait aux cohé
ritiers du renonçant, ou au renonçant lui-même, si au
cun successible n’avait appréhendé la succession;
1 5 7 !. — Le paiement des dettes, étant une charge
naturelle de la succession, incomberait incontestable
ment aux successeurs irréguliers appelés à défaut de
parents au degré suscessible. Aucun doute ne s’élèvera
sur ce point, en ce qui concerne le conjoint survivant
ou l’Etat.
Mais la position exceptionnelle de l’enfant naturel
exige que nous entrions dans quelques détails, quant
aux droits que les créanciers peuvent être appelés à
exercer contre lui.
Aux termes de l’art. 758 , l’enfant naturel est apte
à recueillir l’intégralité des biens, si celui qui l’a légale
ment reconnu décède sans laisser des successibles. Dans
le cas contraire, l’enfant naturel ne prend dans la suc
cession qu’une quotité déterminée, selon les hypothèses
établies par l’art. 757.
Le paiement des dettes étant proportionné à l’émo
lument retiré par les successeurs irréguliers; cet effet
�ET
DE
IA
FRAUDE.
203
étant indépendant de toute déclaration régulière d’accep
tation sous bénéfice d’inventaire , il était évident que
ces successeurs irréguliers pouvaient facilement spolier
la succession, en dénaturer la consistance et la valeur
en fraude et au préjudice soit des héritiers légitimes, s’il
en existait, quoique inconnus au moment de l’ouverture
de la succession, soit des créanciers.
Ce danger, le législateur s’en est préoccupé. Il a, pour
le prévenir, édicté pour les successeurs irréguliers les
art. 769 et suivants, que l’art. 773 déclare applicables
à l’enfant naturel.
Ce dernier doit donc, comme le conjoint survivant,
comme l’Etat, faire constater la valeur réelle de la suc
cession ou de la part qu’il doit y recevoir. Il est tenu
dès-lors de requérir l’apposition des scellés, de faire
inventaire régulier dans les trois mois, de demander enffb la délivrance, soit aux héritiers légitimes, soit à la
justice.
Pour bien apprécier les conséquences de la violation
de ces devoirs, il faut en considérer le but. Ce qu'ils ont
pour objet de garantir et de conserver, c’est simultané
ment l’intérêt des héritiers dont la non-existence a fait
d’abord déférer la succession aux héritiers irréguliers ;
l’intérêt des créanciers, par la conservation du gage sur
lequel il ont droit de compter jusqu’à concurrence de
leurs créances.
L’exécution des formalités prescrites par la loi n’a pas
pour effet de placer les successeurs irréguliers en dehors
de toute atteinte. Ainsi, les héritiers qui se présenteront,
�204
TRAITÉ DU DOU
les créanciers, conservent, même dans ce cas, la faculté
de contester la sincérité de l’inventaire, de poursuivre la
réparation du préjudice qu’ils imputeraient à des sous
tractions ou à des omissions frauduleuses. Mais, dans
chacune de ces hypothèses, le successeur est présumé
avoir loyalement agi par cela seul qu’il a rempli les obli
gations qui lui étaient imposées, et cette présomption
ne cède qu’à la preuve contraire que les demandeurs
sont tenus de fournir.
L’omission de toutes formalités, place le successeur
dans une position contraire. Il est, dans ce cas, présu
mé avoir agi frauduleusement, et obligé, jusqu’à preuve
contraire de sa part, à supporter les conséquences de sa
coupable négligence.
Au point de vue des héritiers revendiquant, ces con
séquences, indiquées par la raison, sont expressément
consacrées par la loi. Le successeur irrégulier leur dfrit
des dommages-intérêts. Les termes facultatifs de l’art.
772 du Code civil s’expliquent par la faculté que le succisseur a de prouver qu’il n’a. réellement causé aucun
préjudice.
Quels doivent être, par rapport aux créanciers, les ef
fets de la violation des art. 769 et suivants ? Sous l’em
pire des principes généraux de la matière, cette question
ne serait pas douteuse. L’héritier qui, par son immixtion
dans la succession, confond lesbiens dans son actif,de
vient héritier pur et simple. Comme tel, il est tenu de
l’intégralité des dettes.
Mais cet effet a été contesté par rapport surtout à l’en-
�ET DE LA FRAUDE.
205
fant naturel. Celui-ci, a-t-on dit, n’est jamais héritier.
C’est la loi qui le décide formellement. Il est donc dispen
sé de toutes les fqipialités imposées à celui-ci. Dès lors on
ne saurait rencontrer, dans leur inexécution, les mêmes
résultats. L’enfant naturel n’est tenu que des obligations
imposées parles art. 769 et suivants du Code civil. Or,
leur violation n’a pas même été prévue par le législa
teur ; la loi ne s’en occupe que dans l’art. 772, et rela
tivement aux héritiers qui se représenteront. C’est donc
ajouter à sa disposition que d’en vouloir faire ressortir
une peine quelconque en faveur des créanciers.
Ces objections méconnaissent la véritable pensée du
législateur. Leur consécration arriverait à un résultat
énergiquement repoussé par la raison et la justice.
Peut-on, en effet, admettre qu’on ait voulu abandonner
le sort des créanciers à la discrétion absolue de celui
qui devient leur débiteur, alors que, dans toute les cir
constances, leur intérêt a surtout préoccupé le législa
teur ?
Un pareil résultat est impossible, il doit donc être re
poussé. Ce qui restera acquis, c’est que la loi n’a dis
pensé l’enfant naturel de la déclaration d’acceptation sous
bénéfice d’inventaire, que parce que les formalités qu’el
le lui imposait suppléaient à cette déclaration et établis
saient bien plus efficacement la séparation des patrimoi
nes. Dès lors, le successeur irrégulier ne pourra revendi
quer le bénéfice de n’être tenu que jusqu’à concurren
ce de son émolument, que s’il a rempli les devoirs que
les art. 769 et suivants lui imposent,
f
�206
TRAITÉ DU DOL
Par voie de conséquence, l’omission de ces devoirs le
rendra indéfiniment obligé envers les créanciers. Cette
conséquence n’a rien de sévère ou d’injuste. Pourquoi,
chargé de constater la valeur réelle de la succession, pro
fiterait-il d’un fait qui ne s’explique que par l’intention
de placer les créanciers hors d’état de le faire ?
C’est, au reste, ce que les jurisconsultes les plus esti
més n’ont pas cessé d’enseigner ; c’est ce que le judicieux
Pothier notamment professe en termes formels : « Pour
» que ceux qui succèdent aux biens , plutôt qu’à la
» personne, ne soient tenus des dettes que jusqu’à con» currence des biens auxquels ils ont succédé, il faut
» qu’ils en aient fait constater la quantité pàvr un in » ventaire ou quelque acte équivalant ; s’il s’en sont
» mis en possession sans cela et qu’il aient disposé des
f> biens, il seront tenus indéfiniment des dettes , et ils
» ne seront pas reçus, pour s’en décharger, à offrir d’a» bandonner ou détenir compte des biens, s’étantmis,
» par leur faute, hors d’état d’en pouvoir constater la
» quantité.' »
« Depuis le Code civil, dit M. Duranton, les succes» seurs irréguliers doivent inventorier ; mais ils n’ont
» pas besoin de formaliser au greffe l’acceptation sous
» bénéfice d’inventaire, et un acte qui priverait l’héri» fier légitime de la qualité de bénéficiaire n ’a point cet
» effet à leur égard, si toutefois cet acte n ’opère pas con» fusion des biens.1 »
i
Des Successions,
c h a p . 5, a r t. 2,
§
3.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
207
Les auteurs des Pandectes françaises sont encore
plus explicites. Voici de quelle manière ils interprètent
l’art. 772 : « Dans ce cas, vis-à-vis des héritiers, les
» successeurs irréguliers ne sont tenus que des dom» mages-intérêts et non des dettes, parce que ce sont
» toujours les héritiers qui sont tenus des dettes en leur
» qualité.
» Mais vis-à-vis des créanciers de la succession, lors» qu’il ne se présente pas d’héritiers, ce ne sont plus
» de dommages-intérêts qui sont dus, c’est le paie» ment entier des dettes. La loi imposant à ceux à qui
» elle attribue les biens les mêmes formalités qu’à l’hé» rilier bénéficiaire , ils doivent supporter, quand ils
» y manquent, la même peine que celui-ci, quand il les
» néglige. »
Enfin, Chabot n’hésite pas, même lorsqu’au lieu de
venir seul à la succession, en vertu de l’art. 758, l’en
fant naturel y est appelé en concours avec des héritiers
légitimes, à le déclarer tenu ultra vires s’il n ’avait pas
fait constater par un bon et loyal inventaire, l’état et la
valeur de la succession, ou l’état et la valeur de ce qui
lui aurait été délivré parles héritiers légitimes.1
La vérité est donc que la seule différence entre le suc
cesseur et l’héritier consiste en ce que ce dernier, pour
n’être tenu des dettes qu’à concurrence de l’actif, doit,
après inventaire, déclarer au greffe, et avant toute im
mixtion, qu’il n’accepte que sous bénéfice d’inventaire,
�208
TRAITÉ DU DOL
tandis que l’accomplissement seul des formalités des art.
769 et suivants opère, de plein droit, cet effet en faveur
du premier. Mais si l’enfant naturel a omis ces forma
lités, si, par conséquent, il a confondu son patrimoine
personnel avec le patrimoine du défunt, il n’est plus ad
missible à vouloir en opérer la séparation. Ce qui s’in
duit de leur confusion, c’est que son auteur a considéré
l’actif successoral comme devant suffire pour éteindre
complètement le passif; c’est ce qu’on doit le condamner
à faire. Il est donc tenu indéfiniment des dettes. C’est
ce que la Cour d’Aix vient de juger dans l’affaire Estienne, contre les époux Colin, par arrêt du 7 août 1851 ,
encore inédit.
La même obligation serait, dans les mêmes circons
tances, imposées aux autres successeurs irréguliers, à
savoir : le conjoint et l’Etat.
1572.
— L’ouverture d’une succesion testamentaire
donne lieu à des fraudes plus ou moins nombreuses,
soit contre les héritiers légitimes, soit contre les héri
tiers institués. Déjà, nous nous sommes occupés des at
taques dont le testament peut être l’objet pour insanité
d’esprit ou pour captation; nous avons déterminé les
effets de l’empêchement de tester et de la suppression
ou soustraction du testament. Nous nous bornons, sur
tous ces points, à nous en référer à nos précédentes ob
servations.1
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
209
1572 bis — Ajoutons que les lois , réglant la forme
des actes de dernière volonté, la nature et les caractères
de certaines dispositions prohibitives, quoique d’intérêt
général, intéressent, à un très haut point, les tiers suc
cessibles, auxquels la succession fait retour par l’annu
lation du testament. Le législateur n’a consenti à préférer
la loi testamentaire à ses propres dispositions, qu’en tant
qu’elle se renfermerait, en la forme et au fond, dans les
limites que l’ordre public, que la sécurité des familles
lui faisait un devoir de tracer. Le testateur qui tenterait
de les franchir ne laisserait après lui qu’un acte frappé
d’impuissance. Il mourrait réellement intestat.
De là cette conséquence qu’il suffit d’être au rang des
successibles utilement appelés, pour être admis à querel
ler un testament et à le faire annuler soit pour vice de for
me, soit pour illégalité de ses dispositions.
1573. — Les nullités de formes ne procèdent pas
ordinairement d’une pensée de fraude, mais imputables
au notaire recevant le testament ou l’acte de souscription,
elles peuvent être de nature à engager sa responsa
bilité vis-à-vis des héritiers institués. La nullité du tes
tament, parce que le notaire a négligé d’accomplir ri
goureusement son devoir, donnerait à ceux-ci le droit de
poursuivre contre lui la réparation du préjudice qu’ils
seraient dans le cas d’éprouver.
1 5 7 4 , — Il est toutefois une nullité au regard de la
quelle la position du notaire mérite d’être nettement déiv
14
�T R A IT É
DU
DOL
finie. Nous voulons parler de celle résultant de la viola
tion de l’art. 973 du Code civil.
Aux termes de sa disposition, le testament doit être
signé par le testateur ; s’il déclare qu’il ne sait ou ne
peut signer, il doit être fait dans l’acte mention expresse
de sa déclaration, ainsi que la cause qui l’empêche de
signer.
1575.
— Le but de ces prescriptions est facile à sai
sir, ce qui constitue en quelque sorte le testament, c’est
la signature de son auteur. Seule, elle prouve que le
testateur a persisté dans les volontés exprimées dans l’ac
te et entendu en assurer la pleine et entière exécution.
Un testament non signé ne saurait être utile à rien, tout
au plus pourrait-il être considéré comme un projet qui,
volontairement délaissé par son auteur, a été par cela mê
me anéanti.
Mais le défaut matériel de signature ne peut se réa
liser dans les actes authentiques, en ce sens que le no
taire a qualité pour y suppléer utilement, en constatant
l’ignorance ou l’impuissance dont ce défaut est déclaré
être la conséquence. Cependant il peut en être du testa
ment authentique, comme du testament olographe. Son
auteur, même après l’avoir dicté, peut concevoir le des
sein de ne pas le faire sortir à effet, mais il peut aussi
se trouver dans une position telle que la manifestation
de cette volonté ne soit pas sans danger pour lui. Il fal
lait donc qu’il lui fût possible d’atteindre ce résultat
d’une manière indirecte. C’est ce qu’il est légalement
�ET
DE
LA
FRAUDE
présumé avoir voulu, lorsque la mention remplaçant la
signature est inexacte ou incomplète.
1576.
— Ainsi si le testateur a déclaré ne savoir
signer, la preuve du contraire, faite contre l’héritier tes
tamentaire, détermine la nullité du testament. Celui qui
déclare ne savoir signer, lorsqu’il sait le faire, lorsqu’il
l’a toujours fait, n ’a voulu qu’une seule chose, à savoir :
se soustraire à l’obligation de signer. Il a donc par là
suffisamment manifesté qu’il ne voulait pas sanctionner
le testament, qui ne peut dès lors créer aucun droit
en faveur ou contre qui que ce soit.
Que si, au lieu de prétendre qu’il ne sait signer, le
testateur a déclaré ne le pouvoir, la présomption est la
même, les effets en sont identiques. Cette présomption
ne s’efface que lorsqu’il a fait connaître la cause réelle
de l’empêchement, cause que le notaire doit exprimer
telle qu’elle lui est déclarée.
■' : i:. :
1577.
— La position du notaire, malgré que dans
l’uri et l’autre cas le testament soit nul, est fort diffé
rente. Si le testateur a déclaré ne savoir signer, l’acte
est complet par la mention de cette déclaration. Le no
taire n’a pas à en contrôler l’exactitude, à s’enquérir de
sa véracité. La nullité, dans ce cas, est tout entière le
fait du testateur, qu’on prouve avoir su signer. Les hé
ritiers privés du bénéfice de l’institution ne pourraient
donc exercer aucun recours contre le notaire.
Il n’en est pas de même lorsque le testateur a déclaré
ne pouvoir signer. L’acte qui se bornerait à mention:
7.
. ‘■ j
�212
T R A IT É
DU
DOU
ner cette impuissance serait incomplet, sa nullité enga
gerait la responsabilité du notaire, car il n’aurait pas
rempli toutes les obligations qui lui sont imposées à
l’endroit de la validité de l’acte. Il lui appartient, en ef
fet, de veiller à ce que les conditions auxquelles celte
validité est attachée soient scrupuleusement remplies. La
négligence qu’il apporterait dans l’exécution de ce de
voir constituerait une faute lourde et donnerait lieu
contre lui à une condamnation en réparation du pré
judice.
1578.
— Mais que doit faire le notaire en présence
d’une déclaration se bornant à alléguer l’impuissance ?
Peut-il la compléter en indiquant lui-même la cause
de cette impuissance? Evidemment non. D’abord parce
qu’il ne pourrait, à cet égard, fournir qu’une apprécia
tion fondée sur l’état extérieur du malade, appréciation
qui pourrait fort bien s’écarter de la vérité. Il n’y a
qu’une seule personne capable de s’expliquer utilement
sur les motifs de l’impuissance, c’est celle qui l’allè
gue, tout autre qu’elle ne peut donner qu’une conjec
ture plus ou moins probable. Or ce que la loi exige ,
c’est la vérité et non une supposition, quelque fondée
qu’elle paraisse.
D’ailleurs, reconnaître au notaire la faculté de sup
pléer au silence du testateur, c’est méconnaître l’esprit
de la loi, c’est subordonner la validité du testament à
une autre volonté que celle du testateur lui-même. Nous
le disions tout à l’heure, l’allégation de l’impuissance
�IîT
DE
LA
FKAUDE.
213
peut n’être qu’un prétexte sous lequel le testateur dégui
sera la répugnance qu’il éprouve pour le testament qu’il
vient de dicter. Cette annulation indirecte est autorisée
par la loi. Dans quels cas cependant profitera-t-elle à
ceux que le testateur a voulu favoriser, si le notaire peut
à son gré l’empêcher, en complétant le testament.
L’hypothèse que nous prévoyons n’est pas aussi im
possible qu’on pourrait le croire. Dans un moment d’em
portement et de colère, un homme a conçu la pensée
de déshériter sa famille. Il appelle un notaire et lui dicte
son testament. Mais la réflexion arrive. Au moment de
consommer la ruine des siens, l’affection fait entendre
sa voix, l’aspect des douleurs, des misères qu’il va oc
casionner amène le repentir. Par un reste d’amour pro
pre, cependant, il ne veut pas avoir l’air de revenir sur
sa résolution, et, sachant l’effet de la déclaration qu’il
va faire, il se borne à dire qu’il ne peut signer.
Dans d’autres circonstances, un malade, éloigné de
sa famille, entouré de mercenaires avides, est sollicité,
pressé de faire un testament en leur faveur, les prières,
les obsessions ne suffisant pas, on va jusqu’à la vio
lence, on ne lui laissera aucun repos, on le menacera
de le laisser mourir sans secours et sans soins , bref, le
désir seul d’acheter sa tranquillité le décidera. Mais il
voudra avhir l’air de céder plutôt que de céder en ef
fet, et le notaire appelé pour recevoir le testament ne
recevra de lui que cette réponse : qu’il ne peut signer,
se ménageant ainsi une nullité conforme à ce qu’exi
gent le désir de punir de coupables manœuvres et ce-
�214
T R A IT É
DU
DOL
lui d’obéir à ce que lui commandent ses véritables af
fections.
Donnez au notaire le droit de compléter le testament
en indiquant lui-même la cause de l’impuissance, et
vous décidez que tout repentir est impossible; que la
fraude et la violence triompheront insolemment, car la
famille injustement dépouillée ne pourra pas souvent
fournir la preuve de l’une ou de l’autre. Un pareil ré
sultat serait une immoralité, une iniquité. Il n ’a donc
pu entrer dans la pensée du législateur.
Mais si le notaire ne peut suppléer à la déclaration,
il a le droit et surtout l’intérêt le plus incontestable à
constater que le vice dont elle est atteinte est le fait ex
clusif du testateur, et à se mettre ainsi à couvert de tout
recours. Il doit donc, lorsqu’il reçoit du testateur la dé
claration pure et simple qu’il ne peut signer, l’interpel
ler d’en indiquer la cause. La mention de cette inter
pellation, celle du silence qui l’a accueillie ou de la ré
ponse qui lui a été faite, suffisent pour que, quel que
soit le sort ultérieur du testament, il soit à l’abri de tout
recours.
1 579.
— La doctrine que nous exposons est admise
par les auteurs et par la jurisprudence.
« Remarquons bien, dit Merlin, que, suivant l’arti
cle 973, il faut aujourd’h u i, comme il le fallait dans
l’ancienne jurisprudence, qu’il soit constaté par le tes
tament même que c’est le testateur qui a déclaré per
sonnellement son incapacité ou impossibilité de signer,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
215
et que la seule énonciation de la cause qui l’a empêché
de signer ne suffirait pas, parce qu’elle laisserait igno
rer si c’est le testateur qui l’a lui-même déclarée ou si
c’est le notaire qui s’en est constitué le juge.' »
A l’appui de cette opinion, Merlin rappelle un arrêt
de la Cour de Caen, du 11 décembre 1822. Dans l’es
pèce de cet arrêt, le testament renfermait l’énonciation
suivante : Et le testateur ayant essayé de signer, n'a
pu le faire, à cause du tremblement de sa main. Ce tes
tament, validé en première instance, fut annulé par la
Cour, pour violation de l’art. 973. Le notaire et les té
moins, dit l’arrêt, ont reconnu que si le testateur avait
pris la plume pour signer, et s’il avait tracé quelques
lettres sur le testament, il n’avait cependant point fait
la signature. Le jugement dont est appel a suffisamment
reconnu aussi que ces lettres ne pouvaient former une
vraie signature. En ce cas que devait faire le notaire ?
Il lui incombait de recueillir la déclaration du testateur
sur la cause qui l’empêchait de signer; cette déclaration,
passée par le testateur lui-même, devait être mentionnée
d’une manière expresse, à peine de nullité. Mais c’est
le notaire seul qui parle, et il n’est pas fait mention
d’aucune déclaration passée à cet égard par le testateur.
La loi a donc été évidemment violée. Si on eut pris la
déclaration du testateur, et qu’il eut dit : Je ne signe
pas parce que j'a i changé de volonté, il n’y aurait sans
1
Rép.,
v°
Signal.,
§ 3, a r t, 2, n ° 7 ; — v . T o u l lie r , t o m
— G re n ie r, to m . î, n ° 2 4 2 .
v. n° 4S7;
�2T6
T R A IT É
DU
DOL
dotite pas de testament. Le législateur a donc eu raison
d’exiger impérieusement que la cause qui empêche le
testateur de signer soit déclarée par lui-même, et qu’il
soit fait mention expresse de cette déclaration. Il a donc
eu raison de ne pas laisser à la disposition du notaire
d’expliquer lui-même, et sans la participation du tes
tateur, le motif ou la cause qui l’empêche de signer.'
1 5 8 0 . — Le testament valable en la forme doit
être annulé, si ses dispositions renferment une violation
d’une loi prohibitive. C’est ce qui se réalise notamment
lorsque le testateur a prescrit une substitution fidéicom
missaire.
1 5 81. — Permises par le droit romain et par no
tre ancienne législation, les substitutions furent d’abord
suspendues, puis prohibées par les lois des 25 août, 2
septembre, 14 et 15 novembre 1792. Cette prohibition
reçut une consécration nouvelle de la loi du 17 nivôse
an n, prescrivant le partage égal des successions.
Cette législation fut un énorme, un incontestable pro
grès. Ressource précieuse pour la féodalité, les substitu
tions devaient périr avec elle. L’expérience avait prouvé,
en effet, que, dans les familles opulentes, cette institu
tion n’avait pour but que d’enrichir l’un de ses mem
bres en dépouillant les autres, que de perpétuer ainsi
1 V. T oulouse, 5 av ril 1 8 18; —
S ir e y , 23, 2, 48 ; —
C a ss., 28 a v ril
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
217
le faste et l’éclat qui devaient accompagner un nom qui
n’était souvent qu’un lourd fardeau pour celui qui le
portait.
Mais ce qui résultait d’un pareil état de choses, c’était
un germe renaissant de discordes et de procès ; c’était
de mettre les biens hors du commerce pour longues
années , d’occasionner un grave préjudice à l’agricul
ture. Chaque grevé de substitution, n’étant qu’un sim
ple usufruitier, avait un intérêt contraire à toute amé
lioration. Ses efforts devaient tendre à multiplier et à
anticiper les produits des biens substitués au préjudice
de ceux qui étaient appelés après lui, et qui chercheraient
à leur tour une indemnité dans de nouvelles dégra
dations.
Enfin, ajoutait l’exposé des motifs du Code, ceux qui
déjà étaient chargés des dépouilles de leurs familles
avaient la mauvaise foi d’abuser des substitutions pour
dépouiller aussi leurs créanciers. Une grande dépense
faisait présumer de grandes richesses. Le créancier qui
n’était pas à portée de vérifier les titres de propriété de
son débiteur, ou qui négligeait de faire cette perquisi
tion, était victime de sa confiance, et, dans les familles
auxquelles les substitutions conservaient les plus grandes
masses de fortune, chaque génération était le plus sou
vent marquée par une honteuse faillite.
A ces raisons de morale, déquité, d’intérêt général,
les rédacteurs du Code civil en ajoutaient une autre non
moins puissante. C’est que cette institution était incom-
�218
T R A IT É
DU
DOL
patibleavec les mœurs politiques et sociales de l’époque,
avec les principes mêmes de notre législation.
1582.
— De là l’art. 896, dans lequel la nouvelle
féodalité que l’empire fit naître sut se réserver sa part
en permettant la transmission héréditaire des majorais
érigés en faveur d’un chef de famille, conformément
aux décrets des 30 mars et 14 août 1806.
En dehors de cette exception , et avant qu’elle fut
introduite, toute disposition par laquelle le donataire,
l’héritier institué ou le légataire, sera chargé de conser
ver et de rendre à un tiers, sera nulle même à l’égard
du donataire, de l’héritier institué ou du légataire. La
seule dérogation dont cette règle est susceptible , est
celle autorisée par les art. 1048 et 1049 du Code, en
faveur des petits-enfants ou des neveux du testateur.
1585.
— Mais cette dérogation, toute dans l’intérêt
de la famille, ne fait que confirmer la volonté du légis
lateur d’empêcher l’abus des substitutions, en ne tolé
rant que celles qu’une circonstance impérieuse rendrait
indispensables.
Or, ce qui a motivé les art. 1048 et 1049, c’est le
désir de ménager au père effrayé de la dissipation
de son enfant , au frère se méfiant de la légèreté
de son frère , le moyen de conserver intacte une par
tie de la succession, en y appelant les petits-enfants et
les neveux.
Mais , dans ce cas même, la substitution ne peu
�ET
DE
LA
FRAUDE.
219
comprendre que les biens dont le testateur a la libre dis
position. Ainsi, quels que soient les dangers que puisse
offrir la conduite de l’enfant, il a un droit absolu sur
les biens de son père, jusqu’à concurrence de sa réserve
légitimaire. Il la recueille dans tous les cas sans qu’elle
puisse être affectée d’aucune charge , même au profit
de ses propres enfants.
De plus, la substitution de la quotité disponible doit
s’arrêter au premier degré. L’art. 1050 ajoute qu’elle
s’étendra, à peine de nullité, à tous les enfants nés et à
naître, sans exception ni préférence d’âge ou de sexe.
Ainsi, la pensée du législateur est on ne peut plus
explicite. Obéissant à une pensée de sage prévoyance, il
a voulu rémédier au danger que le père , que le frère
est dans le cas de redouter pour ses petits-enfants, pour
ses neveux. C’est la famille toute entière et non la posi
tion particulière d’un de ses membres qui fait l’objet de
sa sollicitude.
1 584. — Tel n’était plus le caractère delà loi du
17 mai 1826. Dans un intérêt politique fort saisissable,
on avait conçu à cette époque la pensée de reconstituer
l’aristocratie terrienne. Le moyen le plus immédiat était
le rétablissement des substitutions.
On n’osait pas cependant dévoiler cette pensée; on
se contentait de demander que la quotité disponible pût
être substituée jusqu’au deuxième degré exclusivement.
Mais, quelque timide que fût cet essai, l’opinion publi
que ne s’y trompa pas. Comment aurait-elle pu le fai-
�220
TRAITÉ DU DOL
re? A côté de cette demande, on osait proposer le ré
tablissement du droit d’ainesse.
Quelque dévoué que fût le pouvoir législatif d’alors,
la clameur publique l’entraîna , et le droit d’aînesse
resta sur le champ de bataille. Les substitutions dans
la mesure proposée furent de nouveau inscrites dans
nos lois.
1585. — La révolution de Juillet 1830 vint mettre
un terme à toute tentative nouvelle et couper court à
toute velleïté de ce genre. On sembla même entrer ré
solument dans la voie contraire. Dès le 24 août 1831 ,
M. Jaubert proposait, â la chambre des députés, d’in
terdire, à l’avenir, toute institution de majorats et de
réduire la substitution de ceux existants à deux degrés,
l’institution non comprise.
Reprise en 1833 par M. Parant, cette proposition fût
depuis adoptée. Cette adoption fut promulguée le 12
mai 1835. Ce premier coup porté à cette institution a
été aggravé par la loi des 7-11 mai 1849.
Quant à la loi du 17 mai 1826, elle a été purement
et simplement abrogée par celle du 17 janvier 1849.
Nous en sommes donc revenus au principe de l’ar
ticle 896 du Code civil. Les substitutions sont prohi
bées. Ce qui les caractérise, c’est l’obligation de conser
ver et de rendre, Or, cette obligation ne résultant pas
de la substitution vulgaire, celle-ci est maintenue. C’est
d’ailleurs ce qui est expressément écrit dans l’arti
cle 898.
�ET DE LA FRAUDE.
221
1586. — La prohibition de l’art. 896, ayant pour
effet d’annuler le testament et de déférer la succession
aux héritiers légitimes , intéresse donc, à un très haut
point, les successibles. Cette qualité suffit donc pour au
toriser, celui qui en justifie, à quereller la disposition
et à en provoquer l’annulation, en prouvant qu’elle cons
titue réellement une substitution prohibée.
1587. — Nous n’avons pas à nous livrer à l’exa
men des mille et une difficultés que peut offrir cette si
vaste matière; nous devons nous borner à rappeler
quelques principes généraux de nature à justifier les
conditions auxquelles les tiers successibles seront receva
bles à quereller la disposition. En fait, si la substitution
existe, cette disposition sera annulée ; en droit, la subs
titution existera si l’institué appelé à recueillir est obligé
de conserver et de rendre à sa mort à une autre per
sonne également désignée par le testament.
1588. — Nous disons de rendre à sa mort, c’est là,
en effet, le caractère qui distingue la substitution pro
hibée de certaines dispositions modales dont la validité
ne saurait être contestée. Ce qui constitue celles-ci, c’est
que l’institution du premier appelé est le résultat du dou
te dans lequel le testateur s’est trouvé sur l’existence du
second et sur la possibilité qu’il puisse recueillir sa suc
cession, doute qui, levé qu’il soit, doit amener la prise
de possession de celui-ci et la restitution de l’hérédité en
ses mains. C’est ce qui se réaliserait dans les institutions
du genre de celles-ci : Je donne mes biens à Pierre, à
�222
TRAITÉ DU DOL
la charge de les rendre à mon fils s’il revient de l’armée,
ou bien à la charge de les rendre à Paul lorsqu’il aura
atteint tel âge, ou si tel navire revient des Indes. Il est
évident, dans tous ces cas, que le grevé n’est institué
que conditionnellement, et que, la condition se réalisant
il n’a jamais été héritier, mais bien plutôt un déposi
taire, un administrateur, ce qui est exclusif d’une subs
titution.
1589.
— Pour que celle-ci existe, il faut que l’obli
gation de rendre ne doive être exécutée qu’à la mort du
grevé. Il n’est pas douteux, en effet, que la loi n’a voulu
atteindre que les substitutions se réalisant ordine suc
cessive», dans lesquelles le substitué ne recevra les biens
qu’au décès du grevé. C’est là ce que prévoit l’art. 896,
dans lequel l’obligation de conserver et de rendre ne peut
s’entendre que de l’impossibilité dans laquelle se trouve
le grevé de transmettre à d’autres qu’au substitué les biens
qu’il n’a reçu qu’à cette condition,
Ce qui démontre l’exactitude de ce sens, c’est qu’évidemment le Code a voulu prohiber ce que la législation
ancienne avait permis. Or, de l’avis de tous les juriscon
sultes anciens, les substitutions n’étaient réputées faites
que pour avoir lieu à la mort du grevé.
On peut, de plus, apprécier la pensée du législateur
à l’endroit des substitutions qu’il prohibe par la nature
des exceptions qu’il consacre. Comme ces exceptions ne
sont pas fondées sur une diversité d’espèces dans les
choses, mais uniquement sur les égards qu’on a cru de-
�ET DE LA FKAUDE.
m
voir aux personnes en faveur desquelles on a voulu faire
fléchir la règle commune, il faut en conclure, dit M.
Proudhon, que ce qui est permis aux uns, par privilège
personnel, est de même nature que ce qu’on a prohibé
aux autres, et, réciproquement, que les dispositions gé
néralement prohibées sont de même nature que celles
pour lesquelles la loi se relâche de sa rigueur envers les
personnes qu’elle excepte de la règle commune. Or, les
dispositions permises en faveur des petits-enfants ou des
neveux sont certainement des substitutions faites dans
l’ordre successoral ; car, quoiqu’elles ne puissent s’éten
dre au-delà du premier dégré, il n’eriest pas moins in
contestable qu’elles sont des substitutions pour l’exécu
tion desquelles le substitué doit survivre au grevé. Il n’y
a, en effet, de dégré que là où il y a une génération suc
cédant à l’autre.
Concluons donc, continue M. Proudhon, qu’il n ’y a
de prohibé que les substitutions faites dans l’ordre suc
cessoral par lesquelles l’un serait appelé à recueillir après
le décès de l’autre et sous la condition de survie, et que
les dispositions portant charge de rendre après un délai
déterminé et à un jour certain ne tombent pas sous la
prohibition du Code.'
1590.
— On ne pourrait d’ailleurs le décider autre
ment sans méconnaître la disposition de l’art. 1121 qui
i Ve l’Usufruit, n° 443 ; Voy. Merlin, quest., v° subst. fidéicomm.,
S 6 ; — Toullier, tom. v, n° 22 ; — Delvincourt, tom. il, pag. 390.
�TRAITÉ DU DDL
permet de stipuler pour un tiers conditionnellement à
la donation qu’on fait à un autre. Or, il est évident que
cette stipulation peut consister dans l’obligation imposée
au donataire de restituer une partie des biens à une
époque déterminée et prévue. Dans ce cas, le donataire,
en attendant le moment de cette restitution, est obligé
de conserver, comme il le sera de rendre à l’époque où
le cas prévu arrivera. Evidemment donc, cette double
obligation ne constitue pas, par elle seule une substitu
tion prohibée ; elle ne revet ce caractère que lorsque son
exécution doit se faire ordine successivo. Sans cela, iln’y
a plus qu’une vocation de diverses personnes recueillant
l’hérédité ou le don sous de simples conditions impuis
santes pour constituer le fidéicommis. C’est en ce sens
que s’est prononcée la jurisprudence.1
Ce qui distinguera essentiellement cette vocation de
la substitution fidéicommissaire, c’est que, dans celleci, la survie de l’appelé est la condition substantielle de
de son droit ; s’il meurt avant le grevé, il n’en a jamais
eu aucun qu’il ait pu transmettre à ses héritiers. Celui,
au contraire, qui est appelé à recueillir, à une époque
déterminée, tout ou partie de la donation ou du legs
fait à un autre, a un droit définitivement acquis par son
acceptation ou par l’ouverture de la succession ; s’il meurt
avant l’époque où il doit recueillir, ses héritiers seront
appelés à le faire comme il l’eût fait lui-même, à moins
2 Colmar, 8 août 1819 et 25 août 1824 ; — Paris 3 mars 1820,
�ET DE LA FRAUDE.
que le contraire n’ait été stipulé ou ne résulte de la do
nation ou du testament.
1591.
— Aucune difficulté sérieuse ne saurait naî
tre si l’époque de la restitution a été déterminée. Que
faut-il décider lorsqu’elle ne l’a pas été ? Faut-il dire que
la restitution doit être immédiatement opérée, ou bien
qu’elle ne doit se réaliser qu’à la mort du grevé ?
M. Duranton distingue, Dans les dispositions permi
ses même comme substitutions, dit-il, comme celles en
faveur des petits enfants ou des neveux; les expressions
indéterminées ; à la charge de rendre, doivent s’enten
dre de la charge de rendre à la mort du grevé.
Dans le cas, au contraire, où la substitution ne se
rait pas autorisée, il faut entendre la charge indéterminée
de rendre, de l’obligation de rendre tout de suite, l’en
tendre autrement, c’est anéantir la disposition. On ne
doit pas supposer que le disposant ait voulu violer la loi,
et, dans le doute, il est plus raisonnable d’entendre une
clause ambiguë de manière à lui donner un effet utile :
Actus intelligendi sunt potins ut valeant quam ni pe
rçant.'
Cette doctrine, enseignée par la généralité des auteurs,
doit être suivie, mais elle peut être singulièrement mo
difiée par les termes de l’acte et par l’ensemble de ses
clauses. Or; la première règle d’interprétation, c’est, de
consulter les uns, de rapprocher les autres, et si de cet
1 T. vin, n° 89
IV
15
�226
TRAITÉ DU DDL
examen résultait pour le juge la conviction que la charge
de rendre a été réellement subordonnée au décès du grevé,
l’invalidité de la disposition en serait une juste, une lé
gitime conséquence.
1592.
— Au reste, ce n’est pas seulement dans ce
cas que le doute doit se résoudre en faveur de l’acte.
Cette régie s’applique à toute la matière des substitu
tions.
Ainsi la disposition, conçue dans des termes qui s’ap
pliquent aussi bien au cas où le premier gratifié vien
drait à décéder avant le disposant qu’à celui où il mour
rait après lui, et qui peuvent, dès lors, s’entendre d’une
substitution vulgaire aussi bien que d’une substitution
fidéicommissaire, doit être admise dans le sens de la
première. C’est ainsi qu’on devrait interpréter la clause
suivante : J ’institue un tel, à qui je substitue tel autre ;
ou bien encore celle-ci : J’institue Pierre et, en cas de
décès ou après sa mort, je mets Paul à sa place.
Ainsi, lorsque les termes d’une disposition, attaquée
pour cause de substitution prohibée, peuvent être envi
sagés comme n’exprimant qu’un droit d’accroissement
entre colégataires, ils doivent de préférence être admis
dans ce sens, encore que dans l’espèce l’accroissement
se fût réalisé par la seule force de la loi. On doit plutôt
admettre l’existence d’une clause superflue et inutile que
d’en consacrer une qui vicierait l’institution. C’est ce
que la Cour de Caen décidait le 28 janvier 1807, et
�ET DE LA FRAUDE.
227
sou arrêt, déféré à la Cour de cassation, fut déclaré con
forme à la loi.'
Ainsi encore lorsque la disposition faite au profit de
plusieurs personnes successivement, et en cas de survie
des unes aux autres, peut se résoudre en simple dispo
sition conditionnelle, on doit l’interpréter dans ce sens
plutôt que dans celui d’une substitution prohibée. Telle
serait celle par laquelle un époux aurait fait un legs à
son conjoint pour le cas où leurs enfants mourraient
avant celui-ci, celle par laquelle on léguerait la pleine
propriété à une personne pour le cas où elle survivrait
à un tiers gratifié de l’usufruit ; celle qui renfermerait
un legs en faveur d’une personne, sous la condition
qu’elle se mariera, avec la clause que si elle ne se marie
pas le legs sera recueilli par un tiers/
Ainsi enfin, lorsque les termes d’une disposition faite
au profit de plusieurs personnes, appelées les unes après
les autres, laissent quelque doute sur le point de savoir
si le disposant a entendu gratifier le premier légataire
de la propriété des biens légués, ou si, au contraire, il
n’a voulu lui en donner que l’usufruit, on doit de pré
férence se prononcer pour celui-ci.3
En résumé, pour qu’il y ait substitution prohibée, il
faut que le testament renferme une double libéralité pro1 Cass., 28 juillet 4808.
2'Paris, 23 juin 4825; — Colmar, 25 août4825 ; — Poitiers,. 29juil
let 4830; Cass., 20 décembre 4834 et 47 juin 4835.
3 Cass., 20 novembre 4837 et 20 janvier 4840; Sirey, 37,4, 968; —
�m
TRXITÉ DU DOL
cédant l’une et l’autre du même auteur ; la première au
profit du légataire institué, c’est-à-dire du grevé ; la
seconde au profit d’un tiers désigné nommément ou
d’une manière équivalente, exclusive de toute incerti
tude sur la personne du gratifié appellé en second or
dre, ordine successivo à recueillir le bénéfice de l’insti
tution ; enfin, que de cet appel en second ordre résulte
pour celui qui en est l’objet, une action civile contre les
héritiers du grevé, pour les contraindre à réaliser en
sa faveur la volonté du disposant.
De là il suit que si au lieu de choisir lui-même le
second appelé, le testateur en a laissé la désignation au
premier institué, il n’y a pas substitution prohibée. On
à prétendu faire résulter de là, l’obligation de rendre au
moins implicite et par conséquent la substitution pro
hibée.
Mais, disait la Cour d’Aix dans un arrêt du 9 février
1841, attendu que la charge de rendre n ’existe réelle
ment qu’autant que le testament contient la désignation
du tiers à qui les biens doivent être rendus ;
« Attendu qu’au lieu de faire lui-même celte désigna
tion, le testateur en a abandonné le soin à sa légataire;
que, dès lors, n’y ayant point de tiers désigné par le
testament pour recevoir les biens, en second ordre suc
cessif, c’est-à-dire n’y ayant point de substitué il n’y a
point de substitution.' »
l I D P. (, 1841, 689.
�ET DE LA. FRAUDE.
229
Dans l’espèce le testateur avait légué à sa femme l’u
niversalité de ses biens pour par elle en jo u ir et dispo
ser comme elle avisera en toute propriété, il ajoutait ;
je charge néanmoins madite épouse de disposer des
biens que je lui donne, en ce qui concerne les immeu
bles seulement, en faveur d'un ou de plusieurs de mes
parents et de ceux à qui elle reconnaîtra le plus de
mérite, à quelque degré que ce soit, à son choix.
On soutenait que cette clause devait être regardée
comme équivalente à une désignation émanée du testa
teur lui-même, et constituant, dès lors, la substitution
prohibée.
Mais, dit avec raison la Cour d’Aix, cette prétention
n’a d’autre but que de faire appliquer à la clause les
anciens principes touchant la faculté d’élire, et qui
abrogés par la loi du 17 nivôse an n, n’ont pas été ré
tablis par le Code Napoléon.
Comment, en effet, concilier la faculté d’élire avec
les conditions substantielles de la substitution prohibée,
il faut qu’il existe deux libéralités procédant du même
auteur, et dans la faculté d’élire, le testatenr a si peu
appelé un second légataire, qu’il a laissé au premier le
soin de le désigner et de le choisir.
Il faut encore que l’appelé en second ordre ait une
action civile contre les héritiers du grevé, pour les con
traindre à lui restituer la succession, or quels seront le
ou les parents q u i, dans l’hypothèse de l’arrêt d’Aix,
auront cette action.
Vainement donc voudrait-on y trouver cette vocation
�230
TRAITÉ DU DOL
ordine successivo, ear celui qui sera choisi par l’insti
tué tiendra son droit, non du chef du premier testateur,
mais uniquement du testament qui l’aura désigné.
Dans tous les cas, il y a bien certainement incerti
tude sur la personne subsidiairement appelée, et cette
incertitude viciant l’institution, l’anéantit et la fait dis
paraître.
La Cour de Cassation vient de donner à ces principes
et à leurs conséquences l’autorité de sa haute sanction.
Un sieur Micoud , pharmacien à Alger, décède en
l’état d’un testament ainsi conçu :
« Je soussigné, voulant récompenser Madame Piage,
veuve Galangau, de tout le dévouement qu’elle ma cons
tamment montré, je lui lègue par le présent testament
tous les biens meubles et immeubles qu’à mon décès je
laisserai en Algérie , l’instituant dans cette qualité ma
légataire universelle, pour elle faire de ces biens acquis
en mon nom et de nos communes économies, et en dis
poser en toute propriété comme de sa propre chose à
compter du jour de mon décès , à la seule condition
qu’à sa mort elle léguera ou emploiera tout ce qu’elle
aura hérité de moi, tant en argent qu’en propriété, au
soulagement des malheureux. Persuadé d’avance qu’elle
fera de son mieux, je la dispense de toute espèce d’in
ventaire ainsi que de fournir caution, la laissant libre
entièrement d’agir de la manière qu’elle jugera convena
ble, telle est ma volonté formelle, que je prie Madame
Armande Piage de vouloir bien exécuter avec toute la
conscience et la loyauté que je lui connais. »
�ET DE LA FRAUDE.
231
Les héritiers naturels du sieur Micoud soutiennent
que ce testament renferme une substitution prohibée, et
en demandent la nullité, qui est en effet prononcée par
le tribunal civil d’Alger.
Consulté sur le mérite de ce jugement, nous avons
été d’avis qu’il était le résultat de l’erreur; que le tes
tament, en effet, loin d’imposer à la légataire l’obliga
tion de conserver, l’autorisait à disposer des biens en
toute propriété et jouissance, comme de sa propre cho
se, ce qui était en permettre très explicitement l’aliéna
tion ; qu’on ne pouvait non plus y recontrer l’obligation
de rendre puisqu’il n’y avait pas de second appelé ;
qu’il était vrai que le testateur avait exprimé le désir que
ses biens fussent employés au soulagement des malheu
reux, mais que c’était là un désir, une prière que le
testateur exprimait, et pour l’accomplissement duquel
il laissait sa légataire entièrement libre; qu’enfin, et
dans tous les cas, le testateur n’ayant pas désigné la
classe de malheureux qu’il entendait favoriser, la se
conde institution , en la supposant réelle, serait nulle
pour incertitude dans la personne qui devait en être
l’objet.
Ces considérations prévalurent devant la Cour d’Al
ger qui, par arrêt du 25 mai 1863, infirme le jugement
et ordonne l’exécution du testament.
Les héritiers Micoud se pourvoient en cassation, ils
soutiennent que la Cour d’Alger a violé l’art. 896 C.
Nap., en ce qu’elle a refusé de reconnaître à la disposi
tion litigieuse, les caractères essentiels d’une substitution
�232
TRAITÉ DU DOL
prohibée, et par suite d’en prononcer la nullité, bien
qu’elle obligeât la légataire à employer ou à léguer, au
profit des malheureux, tout ce qu’elle aurait reçu par
suite du legs à elle fait; et qu’elle renfermât dès lors l’o
bligation de conserver la chose léguée et de la rendre
aux malheureux qui' étaient appelés à la recueillir après
elle.
La Cour régulatrice, par arrêt du 13 décembre 1864,
rejette le pourvoi. Après avoir rappelé qu’il est de l’es
sence de la substitution qu’il existe une double libérali
té, procédant l’une et l’autre du même auteur, l’une au
profit du grevé, l’autre au profit d’un tiers désigné nom
mément ou d’une manière équivalente , exclusive de
toute incertitude sur la personne du gratifié appelé en
second ordre, ordine successivo, le bénéfice de la dona
tion ou de l’institution, l’arrêt ajoute :
« Attendu que cette seconde condition du fidéicommis prohibé implique, dans la personne du tiers, appelé
en second ordre, une action civile contre les héritiers du
grevé pour les contraindre à réaliser en sa faveur la vo
lonté du disposant; que cette action est le corrélatif né
cessaire et la sanction de la clause d’indisponibilité qui,
sans elle, serait inefficace et sans valeur;
« Attendu que la disposition qu’il s’agit d’interprêter
ne renferme pas deux legs émanant l’un et l’autre du
testateur, et saisissant de la propriété des biens légués,
d’abord la légataire instituée, et ensuite, après le décès
de celle-ci, un tiers déterminé appelé en second ordre
�ET DE LA FRAUDE.
m
par la volonté directe du testateur , non à gravato ,
sed, a gravante ;
« Qu’on lit, en effet, dans le testament du sieur Micoud, que l’institution universelle en faveur de la dame
Galangau, n’est faite qu’à la condition qu’à sa mort elle
léguera ou emploiera tout ce qu’elle aura hérité du tes
tateur, au soulagement des malheureux ;
« Qu’il est manifeste que cette disposition ne renferme
qu’une seule libéralité émanant directement du testateur,
et que la seconde, si elle se réalise, sera l’œuvre per
sonnelle de la dame Galangau qui emploiera ou léguera
les biens , objets du testament au profit des gens qu’il
lui plaira de choisir, en ne consultant que sa volonté ou
ses sympathies;
« Attendu, d’autre part, qu’il est certain que, si la
dame Galangau décède sans avoir satisfait au vœu du
testateur, nul n’au ra, après elle, le droit de réclamer
de ses héritiers naturels la délivrance des biens qui se
trouveront dans son hoirie et provenant du legs du sieur
Micoud ;
« Attendu que le testateur en indiquant les malheu
reux comme devant être l’objet des libéralités de la dame
Galangau, n’a pas circonscrit le choix de cette dernière
dans un cercle assez étroit pour que les appelés fussent
connus et certains ;
« Qu’ainsi, les conditions essentielles de toute substi
tution prohibée manquent dans l’espèce, puisque l’on ne
trouve dans ce testament attaqué qu’un seul legs procé
dant du testateur, et que la désignation des tiers appe-
�234
TRAITÉ DU DOL
lés en second ordre est vague, incertaine, et ne saurait
créer en faveur d’un tiers déterminé une action utile
pour réclamer, après la mort du premier gratifié, le bé
néfice de l’institution.' »
Cet arrêt a le mérite de définir avec netteté et préci
sion le caractère et les conditions de la substitution fi
déicommissaire. Il s’impose donc comme un guide né
cessaire, dans l’appréciation des litiges qui auront pour
objet l’existence de cette substitution.
1 5 9 3 . — L’appel ordine successivo de plusieurs
institués ne constituerait pas la substitution prohibée,
si chacun d’eux n’était tenu de rendre que ce qui se trou
verait encore en ses mains à l’époque de son décès. Une
pareille disposition manquerait de la condition essentielle
à la substitution, à savoir : l’obligation de conserver et
de rendre, le grevé étant, au contraire, libre d’aliéner
à son gré.
1594'. — Il n’en était pas ainsi en droit romain. La
substitution de residuo ou de eo quod supererit était un
véritable fidéicommis tacite. L’obligation de conserver
et de rendre, non inscrite dans l’acte, était suppléée par
la loi. Ainsi le grevé ne pouvait aliéner que dans une
certaine mesure. La part dont il lui était permis de
disposer dut d’abord être déterminée arbitrio boni
viri. Plus tard, Justinien la réduisit aux trois quarts,
�ET DE LA FRAUDE.
235
le quart restant étant de plein droit acquis au subs
titué.'
Cette législation ayant été abrogée par l’art. 7 de la
loi du 30 ventôse an n, toutes ces restrictions ont com
plètement disparu. La substitution de eo quod super erit
n’a plus été depuis un obstacle à ce que le grevé se li
vrât à l’aliénation intégrale des biens, de telle sorte qu'il
n’est pas tenu de conserver, pas même, en quelque sor
te, de rendre, puisqu’il ne restituera en définitive que ce
qu’il n’aura pas aliéné.
Aujourd’hui donc une pareille substitution ne réunit
aucune des conditions exigées par l’art. 896, elle ne sau
rait donc être atteinte par sa disposition, ni entraîner
l’annulation de l’institution principale.
1595. — Mais doit-elle sortir à effet pour les biens
non aliénés par le grevé ? Ces biens pourront-ils être re
cueillis par le substitué ?
1596. — Non, dit M. Rolland de Villargues; en ef
fet, pourquoi cette substitution ne doit-elle pas être re
gardée comme prohibée? C’est parce qu’elle forme une
disposition non obligatoire, une disposition nulle.
Or, à quel titre le tiers substitué pourrait-il récla
mer les biens que le grevé n ’aurait pas aliénés? Ce ne
pourrait être qu’en vertu de cette disposition nulle; or
ce qui est nul ne peut produire d’effets : Quod nullum
1 L. S i
et 88, % 7, Dig. ad Senatusc.
T reb e ll.,
Nov. 108, cap. 1.
�236
TRAITÉ DU DOL
est, nullum produrit effectum.' C’est dans ce sens qu’a
été rendu par la Cour de Paris uu arrêt du 26 janvier
1808.
Cette conclusion est d’autant plus contestable que les
prémisses dont elle découle ne sont nullement vraies. La
disposition de eo quod supererit ne constitue pas la subs
titution fidéicommissaire dont s’occupe l’art. 896 , elle
ne peut donc être atteinte par sa prohibition. Dès l’ins
tant que cette prohibition ne s’applique qu’à la substitu
tion fidéicommissaire, tout ce qui n’est pas celle-ci reste
de plein droit hors de ses atteintes.
Donc, et par cela même, l’institution de eo quod su
pererit n’est pas annulée par l’art. 896. Où est donc la
disposition de la loi qui la déclare telle? S’il n’en existe
aucune, comment pourrait-on admettre une invalidité
que rien ne prononce.
Valable à l’endroit de l’art. 896, la disposition de eo
quod supererit doit, sous un autre rapport, être recon
nue telle; elle est pour l’appelé un véritable legs condi
tionnel. Or, loin de les proscrire, la loi autorise les legs
de ce genre d’une manière formelle.
1 597.
— Mais, dit-on, la condition est ici pure
ment potestative, c’est comme si le disposant avait dit :
je vous laisse mes biens, à la charge de les rendre à
un tel, si vous le voulez. Or, les conditions de cette na
ture, la loi refuse expressément de les admettre.
i Traité des substitutions, n° 332.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
237
Merlin repousse avec raison cet argument. Ici, dit-il,
ce n’est pas la pure volonté de l’héritier institué qui
forme la condition du fidéicommis , c’est le défaut
d’exercice de la faculté d’aliéner ; et ce défaut n’est pas
essentiellement l’effet direct et immédiat de la volonté
de l’héritier institué. il peut aussi avoir pour cause soit
la minorité, soit l’interdiction de celui ci, soit un sim
ple manque d’occasion de réaliser les aliénations qu’il
a en vue.
1598.
-- Cette nuance dans la condition n’était pas
échappée à Thevenot d’Essaules, « Le substituant, en» seigne-l-il, peut permettre l’aliénation indéfinie. Une
» substitution qui contiendrait cette clause serait vala» ble, vu qu’il y aurait obligation de rendre, dans le
» cas où le grevé n’aurait pas aliéné. Si in totam alie» nationem permisisset, dit Peregrinus, id testator abs» que dubio facere potuisset, et fideicommissum eo
» casu operaretur non secuta alienalione. Autre chose
» serait si le substituant avait dit au grevé : vous ven» drez les biens, si vous voulez, car alors il n ’y aurait
» aucune obligation de vendre. Ce serait un fidéicom» mis laissé à la volonté absolue du grevé, lequel se» ra itn u l.1 »
1599.
— Concluons donc, avec Merlin et Toullier,
que le fidéicommis de eo quod supererit doit avoir tout
i DesSubst. fldéicom., chap, 48, § 4.
�238
T R A IT É
DU
DOL
son effet; qu’il ne constitue qu’un legs conditionnel que
rien ne défend; qu’en conséquence, à la mort du grevé,
tous les biens non aliénés par lui seront acquis au subs
titué.1 Ajoutons que pour le grevé la faculté d’aliéner
est illimitée ; qu’elle s’entend non seulemennt delà dis
position à titre onéreux, mais encore de celle à titre
gratuit, mais par actes entre vifs seulement. Toute dis
position testamentaire des biens grevés serait radicale
ment nulle.
1600.
— Il en serait à plus forte raison ainsi de
l’institution si quid supererit. Celle-ci avait, en droit
romain, des effet plus énergiques que celle de eo quod
supererit. Dans celle-ci , en effet, la faculté d’aliéner
était bornée, tandis qu’elle demeurait illimitée dans cel
le-là. Aucun doute ne saurait donc raisonnablement s’é
lever aujourd’hui sur sa parfaite légalité.1
1603.
— Au reste, ce que la loi repousse dans les
substitutions, c’est plutôt l’ordre anormal des successions
qu’elles créent que le fidéicommis en lui-même. Celuici, en effet, n’a rien d’illicite lorsque, se référant à la
mor t du disposant, il se renferme dans le simple man
dat de faire soit immédiatement, soit dans un temps dé
terminé, ce que le disposant aurait pu faire lui-même
d’une manière directe, et dont il a été empêché par des
1 V. Zacchariæ, tom. 5. pag 253, et autorités citées à la note 28.
s Cass., 4 4 mars 4832.
�ET
DE
LA
239
FRAUDE.
raisons légitimes. Nous en avons vu un exemple en par
lant des institutions conditionnelles. Nous allons en trou
ver un bien plus décisif dans l’institution fiduciaire.
Celle-ci, en effet, n’est pas même une institution.
Elle ne constitue en réalité qu’un dépôt entre les mains
du grevé; elle ne lui donne que le droit d’administrer
la succession, en attendant l’époque où il devra la res
tituer ; elle ne confère aucune saisine, si ce n’est en fa
veur du véritable, du seul héritier qui est l’appelé.1
De là il suit que le grevé, n’ayant aucun des émolu
ments de la succession, n’a également aucune de ses
charges. Ainsi ses frais d’administration devront lui être
remboursés, tout comme il devra lui-même restituer
les fruits qu’il a perçus , à moins qu’il n’en ait été dis
pensé, en tout ou en partie, par le testament.
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1 6 0 2 . — Remarquons, en effet, que la simple fi
ducie n ’exclut pas la disposition d’une partie ou d’un
objet de la succession , soit en iruits , soit en fond, en
faveur du grevé. Zacchariæ observe avec raison q u ’une
pareille disposition, étant incompatible avec l’institution
générale, est indicative plutôt qu’exclusive de la fiducie.
C’est ce qu’enseignait également notre ancienne juris
prudence. Une forte présomption de la fiducie, dit Montvalon, c’est quand, après la fin de l’administration, le
testateur fait un legs à sa femme d’aucunes choses de la
1 Montvalon, chap. 3, tom. î, pag. 242; — Henrys, liv. 3, quest. 22
et 23, liv. 5, quest. 14.
�240
T R .U T É
DU
DOL
succession.' Il est évident, en effet, qu’on ne ferait
pas un legs particulier à celui qu’on aurait voulu saisir
de toute la succession.
1603. — Enfin, une des conséquences les plus im
portantes de la simple fiducie, c’est qu’elle n’est pas
éteinte par le décès, avant l’époque de la restitution, de
celui qui est appelé à en recueillir le bénéfice. Ce bé
néfice passe de plein droit sur la tète de ses héritiers
légitimes.'
C’est surtout en vue de ce dernier effet que, sous
l’empire des législations permettant les substitutions, la
question de savoir s’il y avait simple fiducie avait une
véritable, une réelle importance. Aussi les jurisconsul
tes s’en étaient - ils vivement préoccupés, en cherchant
à déterminer à quels caractères on devait reconnaître
celle-ci.
1 6 0 4 . — Jacobus Cancerius, célèbre avocat de la
province de Catalogne, qui avait, au témoignage d’Henrys, parlé de l’héritier fiduciaire plus amplement qu’au
cun autre, exigeait, comme marque infaillible de la fi
ducie : 1” que celui à qui l’hérédité devait être rendue
fût enfant du testateur, auquel il soit par conséquent
présumé avoir voulu laisser ses biens plutôt qu’à la mère
ou qu’à son frère ; 2° que cet enfant fût en bas âge et
1 Lococitalo, pag 246 ; — Boniface, tom. v, pag. 244, n° 12.
2 V. 1. 3, 3 3. Dig. De lisuris ; I. 46 et 73, Ad senatuscons. Trebel-
lianvm.
�241
ET DE LA FRAUDE.
tel que le père ait voulu le laisser plutôt sous la charge
d’un ami que d’un tuteur ; 3° que cet ami fût une per
sonne proche et capable du soin que le testateur lui dé
férait : 4° enfin qu’il fût chargé de rendre et restituer
toute l’hérédité, et que par là le testateur ait fait voir
qu’il n’entendait pas que cet héritier fiduciaire se pré
valût des biens qu’il lui commettait.'
1605.
— C’était là une proposition fort contestable
et fort contestée. Que la réunion de ces circonstances fit
présumer la fiducie, c’est ce qu’on pouvait admettre
jusqu’à un certain point; mais qu’elle dût en faire pro
noncer infailliblement l’existence, c’est ce qu’il n’était pas
possible d’admettre en l’état du silence gardé sur l’é
poque de la restitution. En effet, l’institution fidéicom
missaire entraîne, elle aussi, l’obligation de rendre l’en
tière hérédité. Aussi ne voyait-on et ne pouvait-on voir
dans cette obligation une preuve de fiducie que lorsque,
avec la restitution du capital, le grevé devait restituer
les fruits ; ou lorsque l’exécution de l’obligation de res
tituer avait été fixée à une époque déterminée. À défaut
de l’une ou de l’autre de ces circonstances, et lorsque
cette exécution ne devait se réaliser qu’à la m ort, toute
idée de fiducie disparaissait. C’est ce qu’avait admis le
parlement de Toulouse.
Mais ce qui était bien plus contestable encore, c’était
i Ilenrys, liv. 3, quest. 23, n° 6,
IV
16
�TRAITÉ DU DOL
de ne reconnaître la fiducie qu’en tant, par exemple,
qu’il s’agissait de l’enfant du disposant. Ce que celui-ci
pouvait vouloir pour ses enfants, il était dans le cas de
l’exiger pour toute autre personne qu’il jugeait digne de
son intérêt et de son affection. Ainsi les espèces citées
par les lois 46 et 78, Digeste Ad senatusconsultum Trebelliam m , et dans lesquelles il est décidé qu’il y a fi
ducie, présentent précisément cette circonstance que,
dans la première, l’appelé n’avait aucune relation de
parenté avec le testateur; que dans la deuxième, il n’était
que son élève.
D’autre p a r t, la charge résultant d’une fiducie ne
peut être confiée qu’à un homme sur la délicatesse, sur
la loyauté duquel le testateur puisse compter. Comment
donc son choix serait-il restreint à sa propre parenté,
même lorsqu’il ne la croirait pas digne de sa confiance ?
1606.
— Il était donc impossible, en pareille ma
tière, de tracer une règle uniforme et absolue, et puis
que, suivant Henrys lui-même, ce qu’il faut considérer
dans les dispositions de cette nature, c’est plutôt l’inten
tion que les paroles, il faut s’en référer à la règle que
Montvallon rappelle en ces termes : « Que la fiducie
» doit se reconnaître par les termes du testament et la
» volonté présumée du testateur, surtout quand il paraît
» que l’institution a lieu pour conserver l’hoirie à un
» enfant, à un pupille ou à celui qui est en bas âge, et
» que le testateur a déterminé un te mps préfix pour
�ET DE LA. FRAUDE.
243
» la restitution de l’hoirie et le compte des fruits, com» me, par exemple, la fin de la minorité.1 »
1607.
— Sous l’empire du Code, la fiducie est de
meurée ce qu’elle était dans l’ancienne législation, c’està-dire un fait parfaitement légal et valable. L’art. 896
ne saurait l’atteindre, parce que, en réalité, elle ne ren
ferme pas la double institution qui a fait prohiber les
substitutions, parce que le grevé n’est qu’un dépositai
re, qu’un administrateur jusqu’au moment où, l’épo
que de la restitution arrivant, il se démettra entre les
mains de l’appelé; parce qu’enfin ce dernier, saisi par
la mort de son auteur, a seul eu depuis ce moment la
propriété et même la jouissance, puisque les fruits per
çus devront lui être restitués, à moins d’une disposition
contraire, formellement exprimée dans le testament.
Il est évident dès lors que les héritiers légitimes, frus
trés par le testament, auront intérêt à en faire considé
rer la disposition comme constituant une substitution
fidéicommissaire, plutôt qu’une simple fiducie. Une pa
reille prétention amènera la nécessité d’interpréter le
testament, de rechercher si l’intention du testateur a été
de favoriser le grevé de préférence à l’appelé, ou bien
si l’institution est spécialement et particulièrement dans
l’intérêt de celui-ci. À ce point de vue, l’aperçu rétros
pectif auquel nous venons de nous livrer a une incon
testable utilité. En effet, les éléments de celle recherche
i
Loco citalo,
pag. 244.
�244
TRAITÉ DU DOL
demeurent tels qu’ils étaient dans l’ancien droit, c’est-àdire qu’aujourd’hui comme alors les juges auront à con
sulter les termes du testament et les circonstances de fait
propre à fixer d’une manière utile la véritable intention
du disposant.'
1 608,
— C’est par l’application de cette règle que
la jurisprudence a admis ou rejeté la fiducie dans des
dispositions que les propres enfants du testateur invo
quaient à ce titre. Une espèce jugée par la Cour de Nî
mes nous présente un notable exemple du rejet d’une
prétention de ce genre.
En 1791, décès du sieur Anglas, père de quatre filles
en bas âge, laissant un testament public à la date du
2 mai 1791, par lequel il léguait d’abord à chacune
d’elles une légitime, en les instituant ses héritières par
ticulières. Ensuite, après avoir légué à sa femme une
pension viagère, le testateur continue : « En tous et
» chacun ses autres biens meubles, immeubles, noms,
» droits, raisons, actions et hypothèques en général, en
» quoi que le tout consiste ou puisse consister de pré» sent et à l’avenir, ledit testateur a fait, institué et de
» sa propre bouche nommé, pour son héritier univer» sel et général, Barthélemy Anglas, son frère, à la
» charge par lui de rendre l’hérédité à telle de ses qua» tre filles qu’il jugera à propos; et dans le cas où le1 Merlin, vis hèrit. fiel., n» 3; Zacchariæ, tom. v, pag. 246 ; Rolland
de Villargues, n° 134.
�'
ET DE LA FRAUDE.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
245
dit Anglas, sondit héritier, vienne à se marier, il sera
tenu de faire de suite ladite élection et nomination,
et, dans ce cas seulement, ledit testateur donne à sondit frère Barthélemy la somme de 350 francs pour le
dédommager des soins qu’il pourrait s’être donné
pour travailler et entretenir ses biens ; pour, par ledit
Barthélemy Anglas, héritier, ci-dessus nommé, jouir,
faire et disposer de ses biens et hérédités à plaisir et
volontés , aux conditions ci-dessus , tant en la vie
qu’en la mort, cassant et révoquant tous autres testaments, etc. »
En 1821, deux des filles Anglas ont prétendu que
leur oncle n’avait été institué par leur père qu’à titre de
fiducie et pour la forme; que n ’ayant pas usé du droit
d’élection en temps utile, la succession de leur père de
vait être partagée entre ses quatre filles. Voici les moyens
présentés à l’appui de cette prétention.
Dans le testament on doit rechercher quelle a été
l’intention du testateur plutôt que de s’en tenir au sens
littéral des termes, parce qu’ici c’est la volonté du testa
teur qui fait loi. Conséquemment, il faut, dans certains
cas, convertir, en simple institution fiduciaire, l’institu
tion d’héritier faite sous la charge de rendre. Qu’à la vé
rité, les lois romaines n’offrent, sur ce point, que des
exemples, sans déterminer, d’une manière fixe et ab
solue, quelle était la réunion des conditions nécessaires
pour convertir en simple fiducie l’institution grevée de
substitution. Toutefois, lorsque, comme dans l’espèce,
un père, ayant des enfants en bas âge, institue un pro-
�246
TRAITÉ DU DOL
che parent des enfants, à la charge de leur rendre, ou
à l’un d’eux, son hérédité, la loi déclare que dans ce
cas il y a fiducie, parce que l’intention du père n’a pas
été de déshériter ses enfants ; qu’il a seulement voulu,
en instituant héritier un proche parent, créer un admi
nistrateur avec un titre honorable pour l’utilité de ses
enfants ; qu’ainsi les enfants eux-mêmes sont alors vé
ritablement l’objet delà disposition du testateur; qu’eux
seuls sont saisis directement de la propriété comme hé
ritiers de leur père.
En droit, tels sont incontestablement les effets de la
simple fiducie. Mais était-ce une disposition de ce genre
qu’avait fait Ànglas, ou bien n ’était-ce pas une substi
tution fidéicommissaire? Telle était la véritable, la seule
question que la Cour avait à résoudre, et qu’elle résout
dans le sens de cette dernière.
Les motifs de cette solution sont puisés dans le con
texte, dans les termes du testament lui-même. L’héritier
fiduciaire, dit l’arrêt, est celui que le testateur a chargé
en l’instituant pour la forme d’administrer la succession,
et de la tenir en dépôt jusqu’au moment de la restitu
tion au véritable héritier; qu’ainsi il n ’est héritier que
de nom ; qu’il n ’est pas saisi de la succession ; que la
propriété des biens du défunt n’a jamais reposé sur sa
tête.
Or, en fait, l’arrêt constate que des termes du testa
ment, de l’institution elle-même, des charges dont l’hé
ritier se trouve grevé, des obligations qui lui sont im
posées , résulte une première impossibilité d’admettre
�ET DE LA FRAUDE.
247
que le testateur n ’ait entendu faire qu’une institution
fiduciaire.
Attendu d’ailleurs, continue la Cour, que dans l’es
pèce Barthélemy Ànglas n ’avait pas été chargé de rendre
à une époque fixe et déterminée, et que le testateur lui
avait conféré le droit d’élection ; que l’absence d’un dé
lai fixé pour la remise de l’hérédité ainsi que la faculté
d’élire étaient regardés comme des caractères exclusifs
de la fiducie, d’après la jurisprudence du parlement de
Toulouse, attestée par plusieurs auteurs recommanda
bles et par plusieurs arrêts, notamment par celui du 18
avril 1731, rapporté par M. de Juin, et que c’est ainsi
que l’a jugé la Cour de cassation elle-même, par son
arrêt du 18 brumaire an v, etc.1
1609.
— C’est à bon droit que l’arrêt signale cette
double circonstance : défaut de détermination de l’épo
que de la restitution, faculté d’élire. Il aurait pu ajouter
qu’à son tour l’exercice de cette faculté n’ayant pas été
limité pouvait n ’être réalisé qu’à la mort du grevé, libre
dès lors de retenir sa vie durant la jouissance de l’héré
dité. Les conséquences que la Cour déduit de l’une et de
l’autre sont parfaitement juridiques.
En effet, la fiducie suppose que l’institution actuelle de
celui qu’on veut réellement instituer offre des inconvé
nients contre lesquels le testateur est bien aise de se
précautionner dans l’intérêt de son héritier. Il est donc
1 Ntmes, 18 mai 1823- — D. P., 25, 2,24.
�248
TRAITÉ DU DOL
rationnel que la mesure, qu’il prend à cet effet, soit su
bordonnée à l’existence de ces inconvénients et qu’elle
cesse avec les causes qui l’ont déterminée. La remise
par le grevé sera donc limitée à un certain temps, à une
époque fixe. C’est ainsi que, dans les espèces citées
dans les lois romaines, nous trouvons l’obligation, lors
que l’héritier aura atteint sa quinzième, sa seizième, sa
vingtième année ou un âge déterminé, certcm œtatem.
Alors, en effet, il sera vrai de dire que le terme stipulé
est en faveur de l’héritier lui-même, condition essentielle
pour qu’on puisse admettre la fiducie. Cette condition n’existe plus dès que la faculté de ren
dre est illimitée, que le grevé est libre de la proroger jus
qu’à sa mort. Le terme est alors en sa faveur exclusive
ment, c’est lui que le testateur a préféré, même à son hé
ritier ; il n’y a donc plus dès lors fiducie, mais bien une
vraie substitution fidéicommissaire.
Que sera-ce, si à côté de cette circonstance, vient se
placer celle du défaut de désignation d’un héritier de la
part du testateur ; si cette désignation a été laissée au
grevé, sans même qu’aucun terme ait été apporté à la
faculté d’élire ? Comment, en présence de pareilles sti
pulations, concevoir la pensée d’une fiducie ? Comment
osera-t-on se présenter comme héritier préféré par le
défunt, alors qu’il n’existe même pas d’héritier. En effet,
tant que le grevé n’a pas exercé son droit d’élire, les en
fants mêmes du testateur sont réduits à une simple es
pérance, aucun d’eux ne peut agir, parce qu’il n’a pas
la certitude d’être préféré : Nec petere priusquam po-
�249
ET DE LA. FRAUDE.
te r it, quamdiu alius prœferri potest. C’est pourquoi ,
ajoute Henrys, le fidéicommis est d’autant plus censé
conditionnel, qu’il dépend d’une élection future et in
certaine, qui se peut faire de diverses personnes et dans
un temps incertain ; et partant, pendant cette condition
et dans l’intervalle de l’événement, l’héritier institué
et chargé de rendre ne laisse d’être réputé, comme il
l’est, vrai propriétaire, quoique non incommutable. Car,
comme dit la loi non ideo. Digeste Berei vindicat : non
ideo minus recte quid nostrum est vindi cabimus, quod
abire a nobis dominium speratur si conditio legati extiterit.'
Or, si le grevé chargé d’élire est vrai propriétaire
tant qu’il n’a pas fait élection, comment concilier la clau
se qui lui donne la faculté de la retarder jusqu’à sa mort,
avec l’idée d’une simple fiducie ne conférant qu’un droit
d’administration. Concluons donc qu’une clause de ce
genre constitue une disposition fidéicommissaire et non
une fiducie.
y
1610.
— Au reste, nous le répétons, il n’ya en cette
matière aucune règle absolue. Comme toutes les questions
de pur fait, la recherche de l’intention du testateur doit
se résoudre par les impressions que le magistrat reçoit
des circonstances spéciales à chaque litige, il est bien
tels et tels éléments qu’on ne doit pas négliger ; mais ,
sur le tout, la loi ne pouvait que s’en référer , à la cons
cience et aux lumières des tribunaux.
1 Liv. S, chap. 3, quest. 14, n° 5,
\
�250
TRAITÉ DU DOD
1 6 1 1 . — Si l’existence d’une simple fiducie est re
connue, la disposition est valable. Le testament doit sor
tir à effet, en tant cependant que l’appelé ne serait pas
déclaré par la loi incapable de recueillir.
Or la question de capacité ne saurait occasionner le
moindre embarras, si l’appelé était nommément désigné
dans la disposition. La connaissance de son individua
lité décide en même temps de sa capacité.
1 6 1 2 . ~ Aussi peut-on, sans trop de témérité, pré
voir que celui qui désirera, au mépris de la loi, avan
tager un incapable, se gardera bien de le désigner dans
le testament . C’est par une voie détournée qu’il tentera
de se soustraire à la prohibition de la loi. Le moyen le
plus communément employé sera le fidéicommis à per
sonne interposée, tacitement chargée de rendre à l’inca
pable.
1615.
— Si le fidéicommis est exprès, à savoir : si
le testament, contenant un legs en faveur d’une person
ne, charge expressément celle-ci de lui donner la desti
nation entendue, l’interposition de personne est plus fa
cilement appréciable. L’existence d’un incapable que le
testateur a dû vouloir avantager, les relations que l’ins
titué apparent a de tous temps entretenues avec celui-ci,
sont autant de présomptions pouvant devenir plus ou
moins décisives. L’interposition serait même de plein droit
admise, si l’institué était, par rapporté l’incapable, dans
la catégorie des personnes indiquées dans l'art. 911 du
Code civil.
�251
ET DE LA FRAUDE.
Mais ce qui arrivera le plus ordinairement, c’est que
la disposition, en faveur de l’incdpable, sera déguisée
sous les apparences d’une donation ou d’un legs pur et
simple, le testateur se taira sur l’obligation de rendre.
L’institution sera en apparence sans condition , mais
l’institué, dépositaire verbal de la volonté de l’insti
tuant , ne sera en réalité que le ministre de cette volon
té, en d’autres termes, le fidéicommis sera tacite. Celuici en effet n’a pas eu d’autre but dans l’origine que le
moyen de donner à des personnes que la loi déclarait
incapables de recevoir, et, depuis, il n’a pas failli à cette
mission de fraude.
1614. — « Comme ceux, ditDomat, qui veulent faire des dispositions défendues interposent d’autres personnes à qui ils donnent pour rendre à ceux à qui
ils ne peuvent donner, on appelle fidéicommis tacites
ces dispositions secrètes qui, en apparence, regardent
les personnes interposées et qui en effet, et dans lesecret, sont destinées à ceux à qui la loi défend de donner. Ces sortes de fidéicommis sont illicites, de même
que le serait une disposition où les personnes, à qui
on ne peut donner, auraient été nommées.'»
Le même auteur explique l’effet de ces dispositions
illicites, à l’égard de la personne interposée, en ces ter
mes : « Ceux qui prêtent leur nom à ces fidéicommis
»
»
»
»
»
»
»
»
»
i L o i s c i v . , liv. 5, sect. 3. n°s 5 et suiv. ; — V. Furgole,
chap. 6, sect. 3.
des
Test.
�252
TRAITÉ DU DOL
» tacites, soit qu’ils s’engagent par écrit ou verbalef> ment, ou qu’en quelqu’autre manière que ce puisse
» être, ils reçoivent à dessein de rendre aux personnes
» à qui le testateur ne pouvait donner, sont considérés
» par les lois comme s’ils dérobaient ce qu’ils peuvent
» recevoir d’une telle disposition, et, loin d’être obligés
» par là de remettre ce qu’ils pourraient avoir reçu aux
» personnes que le testateur avait regardées, ils ne con» tractent pas d’autres engagements que de restituer
» aux héritiers ce qu’ils peuvent avoir reçu à ce titre,
» avec les fruits et intérêts même échus avant la de» mande. »
1 615. — Cette solution est encore aujourd’hui in
contestable. Donc l’intérêt des héritiers à établir l’exis
tence du fidéicommis tacite est évident. Cette justification
les mettra à même de contraindre la personne interpo
sée à leur restituer tout ce qu’elle serait appelée à pren
dre dans la succession, ou tout ce qu’elle y aurait déjà
pris, mais cette justification n ’est pas chose facile. On
pourrait d’autant moins se le dissimuler que si le fidéi
commis tacite peut être établi par écrit, il ne résultera
souvent que d’une confidence purement verbale.
1616. — Il faut donc, en pareil cas, recourir aux
principes généraux, en matière de fraude ; à la loi, pour
la solution de la question de savoir quel est le mode de
preuve admissible. La preuve orale doit-elle être ex
clue ? Or la solution, à notre avis, résulte de ces prin-
�ET DE LA FRAUDE.
253
cipes généraux et des motifs puissants sur lesquels ils
reposent.
Exiger la preuve écrite pour le fidéicommis tacite ,
c’était formellement renoncer à l’atteindre et permettre
à la fraude de triompher impunément de la volonté du
législateur. Une disposition de cette nature n’exige au
cun écrit, la simple recommandation verbale la constititue légalement. Comment donc vouloir un écrit quel
conque, lorsqu’il n ’en a été rédigé aucun ? Comment sur
tout ne pas admettre la preuve orale, lorsque la disposi
tion n’aura pas elle-même d’autre caractère?
D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, ce mode de preuve
est toujours admissible, lorsqu’il s’agit d’une fraude à
une loi d’ordre public. La partie complice de la fraude
peut elle-même l’invoquer. Or les lois, se référant à la
capacité de recevoir soit par actes entre vifs, soit par tes
tament, sont essentiellement d’ordre public, donc, la pré
tention qu’elles ont été violées est susceptible d’être éta
blie par la preuve testimoniale.
C’est au reste ce qui a été toujours admis en doctrine
et en jurisprudence, notamment en ce qui concerne les
dispositions qui nous occupent. Les fidéicommis tacites,
dit Domat, peuvent se prouver non seulement par des
écrits, s’il y en avait, mais encore par les autres sortes de
preuves, et cette règle a été admise par les jurisconsul
tes modernes.'
i Domat et Furgole, loco citato. ; — V. Rolland de Villargues, n» 348;
—-Touiller, t. v. n» 77 ; — Grenier, 1 . 1, n“ 136 ,-Fayard, v°, fidéicom.
tacite.
�254
TRAITÉ DU DOL
Plusieurs fois saisie de la question, la Cour suprême
l’a constamment décidée dans le même sens. C’est ce
qu’elle jugeait notamment dans un arrêt du 5 août 1841.
Il s’agissait, dans l’espèce de cet arrêt, d’un legs fait à
une personne appartenant, en qualité de supérieure, à
une communauté, religieuse non autorisée, par un mem
bre de cette communauté. On attaquait ce legs comme
fait, par interposition de personne, au profit de la com
munauté elle-même, et on en demandait en conséquence
l’annulation, comme s’adressant à un être moral sans
existence légale. L’annulation ayant été prononcée par
la Cour de Nîmes, l’arrêt devint l’objet d’un pourvoi en
cassation que la Cour suprême rejeta, sur les motifs sui
vants :
« Attendu que l’arrêt attaqué ayant jugé en fait, tant
d’après les actes, faits et documents de la cause, que
d’après l’interrogatoire sur faits et articles de la demoi
selle Couderc, que ce n’était pas cette dernière qui était
en réalité la véritable légataire instituée par la dame
Gallet, mais bien la communauté existant sans autori
sation à la Louvèse, cet arrêt, en tirant ensuite la con
séquence que le legs était nul et caduc, n’a fait qu’ap
pliquer les vrais principes en matière de légataire incer
tain et non existant.’ »
1 617.
— Ainsi, l’existence d’unfidéicommis tacite,
en faveur d’un incapable, peut être établie par la preuve
J. D. P .,t. 11, 1841, p 858; — V. Cass., 18 mars 1818
�ET DE LA FRAUDE.
255
testimoniale. Mais quels sont les caractères essentiels de
cette preuve? Doit-elle, pour être probante, justifier que
la personne chargée de rendre en a pris l’engagement
verbalement ou par écrit ? suffit-il, au contraire, qu’elle
démontre l’intention du testateur ?
1 6 1 8 . — Cette question était, sous l’empire du droit
romain et de notre ancien droit, l’objet d’une controverse
parmi les jurisconsultes. Les uns exigeaient que l’insti
tué eût pris l’engagement de rendre, et voici les motifs
de leur opinion.
La loi 10, Digeste De his quœ ut indig., aufer. ne
laisse aucun doute sur la nécessité de cet engagement :
ln fraudem ju ris fidem accomodat, quid vel id quod
relinqmtur , vel aliud, tacite prom ittit restiturum se
persona, quœ legibus ex testamento capere prohibetur, sive chirographum eo nomine dederit, sive nuda
pollicitatione promiserit. La même exigence se prou
ve encore formellement répétée dans la loi 3, Digeste De
jure fis ci.
1 619. — Ainsi, dit notamment Cujas,' le législa
teur ne fait résulter l’indignité du grevé que de l’enga
gement qu’il prend, soit par écrit, soit verbalement, d’o
pérer la restitution en vue de laquelle le testateur l’a ins
titué, et cela est fort rationnel. Qu’importe, au fond, la
volonté plus ou moins certaine du disposant. Le béné
ficiaire ne peut être puni que de sa propre fraude. Cel-
�256
TRAITtë DU DDL
le—ci ne saurait exister que si, connaissant celle du tes
tateur, il en a assumé la complicité en s’y associant.
Comment donc prouver cette complicité, si on ne justi
fie pas que, connaissant l’intention de ce dernier, il s’est
engagé au moins verbalement à la réaliser ?
1620.
— La volonté d’instituer un incapable, di
saient les partisans de l’opinion contraire, étant certaine
et acquise, le grevé excipant du défaut d’engagement de
sa part et prétendant retenir la disposition pour son com
pte, encourrait l’indignité par un double motif: d’abord
parce qu’il n’aurait pas pour lui la volonté du testateur,
lequel n’a eu pour objet, en l’instituant, que de favori
ser l’incapable. Cette absence de volonté seule est, en ef
fet, un motif d’incapacité, aux termes de la loi 12 Di
geste De his quœ ut indig. aufer. ; ensuite, parce qu’il
refuserait de remplir la charge à lui imposée par le tes
tateur et en considération de laquelle la libéralité lui a
été faite, et qui était une condition ou une cause finale
qui donnerait lieu à la répétition : Conditione causa
dali, causa non secuta. Et comme les fidéicommis n’ont
besoin d’aucune sorte de formalité d’écriture, ni de té
moins, il est indubitable que lorsque le testateur s’est
confié à la bonne foi de son héritier ou de celui qu’il a
chargé verbalement de rendre l’hérédité ou un effet par
ticulier, le fidéicommis est valable, aux termes du pa
ragraphe dernier aux lnstitutes De fidéicomm. hœred.
et de la loi dernière au Code De jidéicom. ainsi, les suc
cesseurs ab intestat prenant la place du fidéicommis-
�ET DE DA. FRAUDE.
257
saire incapable, il s’ensuit qu’ils ont le droit d’obliger le
grevé à remplir le fidéicommis, mais en leur faveur.
1 6 2 1 . — Ce dernier avis, dit Furgole, me paraît
plus équitable et plus conforme à nos maximes. Il n’est
pas juste, en effet, qu’un héritier ou légataire profite
d’une libéralité dont il n ’est pas l’objet et dont il n’est
que le ministre ou le moyen pour la faire passer à un
autre. Il est encore moins juste qu’il tire un avantage
de sa perfidie et que, contre la volonté et l’intention du
défunt, il conserve un bien qui n’était pas destiné pour
lui.1
Furgole ajoute : Malgré que depuis l’ordonnance de
1667 on ne puisse plus argumenter des lois dernières
aux Instituas et au Code avec le même avantage qu’a
vant, on doit cependant tenir que le fidéicommis doit
être annulé par la preuve seule de la volonté du testa
teur de substituer un incapable à celui qu’il institue.
Divers arrêts l’ont, ainsi jugé , notamment celui du
2 juillet 1708, décidant que, pour prouver un fidéi
commis ou un avantage indirect entre mari et femme ,
il n'est pas nécessaire qu’il y ait preuve par écrit du fi
déicommis, ni même de présomptions qu’il y ait eu con
vention entre le testateur et le légataire ; qu’il suffit qu’il
y ait des présomptions violentes de l’intention du tes
tateur.
1 622. — Cette doctrine , admise sous l’empire de
�258
TRAITÉ DU DOL
l’ordonnance, ne saurait être répudiée par le Code, qui
n’a fait que consacrer les principes de celle-ci. Consé
quemment, la preuve que la personne nommée dans la
disposition n’a pas été celle que le testateur a entendu
et voulu instituer; qu’elle n ’y figure que comme un
prête-nom; qu’en qualité d’intermédiaire, chargé de
transmettre à l’incapable, ferait annuler le testament.
L’intention du testateur clairement démontrée, à quel
titre le légataire ou l’héritier apparent demanderait-il
le maintien de la disposition? Pour la faire sortir à ef
fet en faveur de l’incapable? Mais c’est précisément ce
que la loi veut expressément empêcher ; pour s’en ap
pliquer personnellement le bénéfice? Mais il n’a été ins
titué que pour la forme et à la condition de restituer,
et du jour où, foulant aux pieds la condition, il tenterait
de s’y soustraire, il ajouterait le vol à la fraude et se
constituerait, dès lors, doublement indigne.
Ce qui est décisif dans les testaments, c’est l’intention
qui les a dictés. Celle-ci, justifiée dans le sens d’un fidéicommis en faveur d’un incapable, il importe peu que
l’institué ait ou non un engagement pour la faire sor
tir à effet. Cet engagement est de plein droit présumé,
par cela seul qu’il est certain que le testateur ne l’a ap
pelé que comme personne interposée. Cela suffit, en ef
fet, pour prouver qu’il n’a aucun droit à la chose lé
guée, que l’intention du disposant n’a jamais été de lui
donner personnellement.
Conséquemment, l’existence de cette intention est la
chose essentielle et décisive ; elle peut et doit être prou-
�ET DE LA FRAUDE.
259
vée par toute sorte de preuves; par documents, par l’a
veu, par la correspondance, comme par témoins et par
présomptions.
1623.
- Il n’en est pas ainsi d’une substitution
prohibée. La preuve de son existence ne peut résulter
que d’un écrit ayant les caractères et les formes d’un
acte de donation entre vifs ou testamentaire. À cet égard,
la doctrine est à peu près unanime. Seul, Merlin, sou
tient qu’il doit en être de la substitution fidéicommis
saire prohibée comme du fidéicommis en faveur de l’in
capable. Mais ce n ’est pas en faveur de son opinion que
se prononce la jurisprudence.1
Dans la substitution, en effet, la première institution
est sérieuse. Son existence est indispensable, puisque
ce n’est qu’après la jouissance de celui qui en est l’ob
jet que l’hérédité doit être restituée. Le testament qui la
renferme est donc régulier ; il ne saurait, dans aucun
cas, être querellé de simulation.
Que faut-il donc, si ce testament ne renferme que
cette institution, pour qu’on puisse y voir une substitu
tion fidéicommissaire ? Prouver qu’à côté d’elle existe
une autre institution, un autre héritier indiqué pour en
recueillir le bénéfice ordine successive» ; en d’autres ter
mes, justifier qu’il existe un nouvel et second testament.
1 Zacchariæ, tom. v, pag 270 ; — De Villargues, nos 3S0 et 351 ; —
Dalloz, v» subst., pag. 216, nos 3 et 4; — Limoges, 11 janvier 1841 ; —
Cass., 16 mars 1842; — Sirey, 41, 2, 265 et 4 2 ,1 , 627; — Cass., 18
juin 1835, 22 décembre 1814; — Contra, Merlin, v° subst. fidéicom
S 14
�260
TRAITÉ DU DOU
Or, cette justification ne peut résulter que d’un acte
non seulement écrit, mais encore revêtu de toutes les
formes exigées pour les actes de dernière volonté. Donc,
la preuve testimoniale est nécessairement impossible.
Dans ce cas, d i r a - t - o n , il s’agit cependant d’une
fraude à une loi d'ordre public, ni plus ni moins que
dans le fidéicommis en faveur de l’incapable. Pourquoi
donc une différence aussi radicale dans le mode de
preuve admissible ?
Pourquoi? Parce que, ce que la loi prohibe dans les subs
titutions fidéicommissaires, ce n’est pas, à proprement
parler, la possibilité d’une transmission des mêmes biens
dans un ordre successif et à des personnes désignées ou
convenues d’avance ; ce qu’elle a voulu proscrire sur
tout, ce sont les graves, les nombreux inconvénients qui
naissent de l’indisponibilité des biens grevés, de la fa
cilité qu’elles offrent à la fraude contre les tiers aux
quels le grevé aurait affecté les biens ostensiblement en
sa possession. Or, supposez une substitution non écrite
dans le testament, et cependant fidèlement et religieuse
ment exécutée par le grevé, est-ce que les droits acquis
par les tiers sur les biens de l’hérédité du chef du grevé
et pendant la durée de sa jouissance pourront en être
atteints? Non évidemment, car le pacte en vertu duquel
la substitution s’opérerait ne pourrait pas même leur
être opposé, et qu’institué par le grevé, l’héritier de ce
lui-ci ne serait pas même recevable à soutenir qu’il tient
ses droits de la disposition qui l’avait institué lui-même.
Au contraire, dans le fidéicommis au profit de l’in-
�ET DE LA FRAUDE.
261
capable, l’objet de la prohibition de la loi serait cons
tamment atteint si la preuve orale n’était pas admise.
D’ailleurs, il ne s’agit plus d’établir l’existence de deux
dispositions distinctes, ce qu’on veut prouver-, c’est qu’il
n’y a pas de testament régulier, parce qu’il n’y a pas
d’héritier ou de légataire sérieux, puisque celui qui y
figure comme tel, n’y figure que pour couvrir une in
terposition frauduleuse de personne; qu’il n’est qu’un
prête-nom fictif. En d’autres termes, il s’agit, dans ce
cas , de l’annulation du testament comme irrégulier.
Dans celui de substitution arguée, on veut établir l’exis
tence d’un second testament, tout en respectant le pre
mier, dont il modifie les dispositions. On comprend,
dès lors , que la preuve orale, admissible dans le pre
mier cas, ne puisse et ne doive pas l’être dans le second.
Un testament oral, fût-il certain, ne saurait créer aucun
droit, produire aucun effet.
1624.
— Le fidéicommis tacite n’est plus qu’une
fiducie, si celui au bénéfice duquel il est réservé est ca
pable de le recueillir; il doit donc sortir à effet. On peut
faire indirectement ce qu’il est permis de faire d’une
manière directe. Or,' des motifs de haute convenance ,
l’intérêt et le repos de la famille peuvent empêcher qu’un
testateur nomme publiquement telle ou telle personne
qu’il croit cependant devoir avantager. Se confiant à un
ami, à qui il dévoile ses intentions, il le charge de les
réaliser, il n’y a là rien d’illicite. Le capacité de la per
sonne instituée réellement créerait un obstacle même à
�TRAITÉ DU DOL
toute demande en preuve de l’existence du fidéicommis
tacite. En effet, rapportée qu’elle fû t, cette preuve ne
pourrait faire annuler la disposition, et, dès lors, la de
mande en serait repoussée par application de la maxime
feusira probatur, quod probatum non relevât.
1625.
— Mais ce fidéicommis peut donner nais
sance à une fraude d’un autre genre. L’intermédiaire
chargé de son exécution, oublieux de ses devoirs et trom
pant la confiance dont il était indigne, pourrait vouloir
profiter personnellement de la disposition faite en sa
faveur. Celui qui se prétendrait réellement appelé à en
recueillir le bénéfice serait-il recevable à prouver cette
qualité et à établir l’existence du fidéicommis, même
par la preuve orale ?
I
I!
I
Cette question peut paraître délicate surtout lorsque,
la disposition étant pure et simple, rien dans le testa
ment ne prouve l’existence d’un fidéicommis. Cepen
dant, comme après tout il ne s’agit pas de créer une
disposition ; que la preuve offerte n’a pas d’autre objet
que d’assurer la pleine et entière exécution de l’inten
tion véritable du testateur, nous adopterions facilement
l’affirmative, par application des principes que nous
avons vu régir, la preuve du fidéicommis en faveur de
l’incapable.
D’ailleurs, l’abus que le légataire ou l’héritier pré
tend faire du testament est un véritable dol. Son exis
tence rend la preuve orale admissible, soit en vertu de
l’exception que le dol crée à tous les principes, soit en
�ET DE LA FRAUDE.
263
vertu de l’art. 1348 , qui permet d’y recourir lorsque
la partie a été dans l’impossibilité de rapporter une
preuve écrite.
Mais aucun doute ne pourrait s’élever sur cette ad
missibilité, si l’intention de ne faire qu’un fidéicommis
était clairement manifestée par le testament. Alors, en
effet, il y a certitude que l’héritier ou le légataire ins
titué est tenu de restituer. Celui qui veut le contraindre
à le faire en sa faveur est-il réellement la personne in
diquée par le testateur? Telle est Tunique difficulté à ré
soudre ; et comment pourrait-on le faire jam ais, si on
ne pouvait recourir à la preuve testimoniale pour la
justification des faits susceptibles d’établir le droit con
testé?
1626.
— C’est par ces considérations que la Cour
de Pau a déclaré cette preuve recevable dans l’hypo
thèse suivante :
Le vicomte de T... rédige un testament renfermant
la clause qui suit : .Te lègue à Roger de Vie, mon ami,
20,000 francs, payables dans dix ans du jour de mon
décès, et, en attendant le paiement, l’intérêt en sera
exigible à compter de mon décès, exempt de toute rete
nue; voulant que Roger fasse l’emploi du présent legs
tel que je lui ai indiqué et qu’il n ’en soit comptable à
personne, prohibant par exprès à mes héritiers et à tous
autres toute réclamation à ce sujet; et audit cas de ré
clamation, je veux que le legs tourne au profit dudit
Roger comme étant à lui fait personnellement, et en cas
�que ce dernier vint à décéder avant l’ouverture dudit
legs, je veux qu’il soit réversible sur la tête de l’abbé
L..., aux clauses et conditions exprimées pour ce qili
concerne ledit Roger, ayant audit L..., mon autre ami,
fait la même communication d’emploi que celle que j’ai
faite audit Roger.
En 1793, décès du testateur; à cette époque Roger
n’existait déjà plus, et l’abbé L......était en émigration.
La veuve du testateur, soupçonnant que le legs de francs
20,000 était sans doute destiné à une fille nommée Dé
sirée, que son mari avait fait élever secrètement chez
le sieur Roger de Vie, a fait payer à cette fille une pen
sion égale aux intérêts du legs.
En 1806, l’abbé L......rentre en France. Il réclame,
soit contre les enfants du testateur, soit contre leur mè
re, leur tutrice, le paiement, avec intérêts, du legs se
cret de l’emploi duquel il est chargé. La veuve répond
qu’elle est prête d’en faire la délivrance, mais elle exige
que les intérêts qu’elle a payés jusque-là à la demoiselle
Désirée soient précomptés. L’abbé L...... accepte cette
déduction.
Cependant, et après deux ans écoulés sans qu’aucun
emploi ait été donné au legs, la demoiselle Désirée, pré
tendant que c’est elle que le testateur a voulu gratifier,
en demande le paiement à l’abbé L......qu’elle poursuit
judiciairement.
Interrogé sur faits et articles, celui-ci répond : que la
demoiselle Désirée est étrangère an legs de 20,000 francs ;
que la mission dont l’a chargé le testateur (consiste en
�ET DE LA FRAUDE.
265
plusieurs emplois secrets; que le capital de 20,000 fr.
ne lui appartient pas ; qu’il est destiné à tout autre qu’à
lui, mais qu’il n’est pas obligé de nommer la personne
indiquée.
La demoiselle Désirée offre alors la preuve de faits
tendant a justifier sa prétention , et le tribunal, sans
s’arrêter à diverses fins de non-recevoir proposées par
l’abbé L.... , ordonne cette preuve. Ce jugement étant
frappé d’appel, le litige est déféré à la Cour de Pau; il
était sur le point d’être jugé, lorsqu’une transaction in
tervint, en vertu de laquelle Désirée reçoit 9,000 francs.
Par suite de cette transaction, un arrêt du 24 juillet
1811, relaxe l’abbé L.....des demandes formées contre
lui par la demoiselle Désirée.
Huit ans après, une autre personne, Rose Hautmont,
se présente comme ayant droit à la moitié du legs de
20,000 francs. A sa requête, l’abbé L......est de nou
veau interrogé sur faits et articles, et, à la suite de cet
interrogatoire, Rose Hautmont, cotant des faits justifica
tifs de sa demande, offre de les prouver par témoins.
L’abbé L......, qui n’avait encore fait aucun emploi
du legs, suit contre la demoiselle Hautmont le système
qu’il avait d’abord suivi contre la demoiselle Désirée. En
conséquence, il soutient que la demande est non rece
vable : 1” par application de la clause du testament, pro
hibant aux héritiers et à tous autres toute attaque con
tre sa disposition ; 2° par application des ordonnances
de 1667 et 1735, exigeant que les dispositions de der
nière volonté ne puissent être établies que par écrit.
�266
TRAITÉ DU DOL
Mais le tribunal de Pau repousse ces deux fins de
non recevoir et admet la preuve. Nous allons transcrire
quelques-uns des motifs du jugement. Après avoir rap
pelé un à un tous les incidents de l’instance suivie en
1 808 par la demoiselle Désirée, le tribunal continue :
« Attendu que ces faits doivent porter la justice à sus
pecter de plus en plus la bonne foi de l’abbé T,......, si
l’on se rapporte à ses réponses dans le premier interro
gatoire, à savoir : que Désirée n’avait aucun droit aux
20,000 francs légués, et que s’il n’avait pas fait les em
plois par lui prétendus, il en avait été empêché par ellemême ; que l’abbé L......est loin d’avoir répondu d’une
manière satisfaisante à des contradictions qui nedoivent
pas être sans influence sur le rejet ou l’admission des
preuves, si, examinant sa conduite ultérieure, on ne voit
pas en lui plus de fidélité ou d’empressement à exécuter
le mandat verbal que lui donne son ami ;
« Qu’il aurait déjà, en 1808, selon sa réponse, accom
pli la volonté du testateur sans la demande indiscrète de
la demoiselle Désirée ; interrogé, néanmoins, douze ans
après, le 12 mars 1820, s’il a fait le paiement du ré
sidu du legs, il répond qu’il doit rendre encore une gran
de partie de la somme; il ne dit rien des intérêts qu’il
parait avoir tournés à son profit ; il ne prétend point en
avoir fait le paiement à qui que ce soit, pas plus que
du capital ; que la volonté du testateur n’est donc pas
encore remplie puisqu’un seul emploi n’est pas encore
fait, quoique, d’après le sieur abbé L ..., la somme lé
guée eût pour objet plusieurs emploits divers ;
�ET DE LA FRAUDE.
267
« Qu’il résulte de toutes ces circonstances et autres
faits contenus dans les interrogatoires et autres pièces
du procès, que l’abbé L......parait avoir été infidèle à son
mandat ; qu’il paraît n’avoir nullement exécuté les inten
tions ni la volonté du testateur, intention qui devait être
d’autant plus sacrée pour lui, qu’elle fut entièrement
confiée à sa bonne foi et à son honneur ; qu’il est donc
en présomption de fraude ; et qu’il résulte assez claire
ment de ce qui précède que l’exécuteur testamentaire
semble vouloir faire tourner à son profit le résidu de la
somme léguée, comme il fit précédemment tous ses ef
forts pour priver la demoiselle Désirée d’une somme que
l’événement prouva lui être légitimement due ;
« Attendu qu’il est de principe que personne ne
peut tirer avantage de son dol, que ces présomptions
de fraude demeurant, il faut examiner en point de droit
si les preuves offertes peuvent être admises sous ce
rapport ;
« Qu’il ne saurait y avoir le plus léger doute à cet égard,
parce que, toujours, la prohibition des preuves orales
disparait, lorsqu’on allègue le dol et la fraude et que des
présomptions suffisantes paraissent les établir. »
Examinant ensuite l’objection tirée des termes de l’or
donnance de 1735 et de l’art. 1341 du Code civil, le ju
gement déclare qu’on ne doit pas s’y arrêter, attendu
que la preuve offerte n’a pas pour objet de prouver con
tre le titre , qu’elle ne tend qu’à justifier la destination
affectée au legs par le testateur lui-même, affectation
dont la demanderesse n’avait pas été à même de sepro-
�268
TRAITÉ DU DOL
curer une preuve écrite, ce qui la placerait dans le cas
d’exception prévu par la loi.
L’abbé L......se pourvut par appel contre ce jugement;
mais vainement. La Cour de Pau le confirma avec adop
tion des motifs.1
1 6 27.
— L’arrêtiste indique, comme professant une
doctrine contraire, un arrêt de la Cour de cassation du
28 décembre 1818. Mais il suffit de jeter un coup d’œil
sur l’espèce de cet arrêt pour être convaincu qu’il ne
saurait de près ni de loin infirmer celui que nous ve
nons d’indiquer. En effet, la question soumise à la
Cour suprême était celle de savoir si les contradictions
entre les dispositions testamentaires, si leur ambiguité ,
peuvent être expliquées ou dissipées par la preuve tes
timoniale. La Cour consacre la négative ; Attendu que
s’il se rencontre dans le testament des dispositions soit
obscures, soit ambiguës, soit contradictoires et incon
ciliables, il appartient aux tribunaux d’interpréter les
premières ou de déclarer les dernières nuiles et comme
non écrites ; mais que, soit qu’il y ait lieu à interpréta
tion, soit qu’il faille déclarer nuiles les dispositions qui
se détruisent respectivement, l’un et l’autre de ces cas
sont dans les attributions exclusives des juges saisis de
la contestation ; que c’est dans l’acte lui-même, d’après
leurs lumières et leur conscience, qu’ils doivent puiser
les raisons de décider , et non dans la déposition de
�ET DE LA FRAUDE.
269
témoins, même sous le prétexte d’un commencement de
preuve par écrit ; qu’en effet depuis l’ordonnance de
1735, dont les principes ont passé dans le Code civil,
la loi n’admet la preuve testimoniale ni pour créer des
dispositions qui ne sont pas écrites dans le testament,
ni pour expliquer celles qui sont obscures, ni pour ré
voquer ou modifier celles qui sont rédigées dans les for
mes prescrites, ni, en un mot, pour rechercher la vo
lonté du testateur.
Or, demander à prouver qu’on est l’objet dufidéicommis résultant du testament, ce n ’est pas vouloir créer une
disposition non écrite, ni expliquer une disposition obs
cure, ambiguë ou contradictoire, ni provoquer la révo
cation d ’aucune d’elles, ni enfin rechercher l’intention
du testateur, clairement indiquée par le testament ; c’est,
en réalité, faire restituer à cet acte l’exécution légitime
qu’il doit recevoir, c’est enlever à un intermédiaire in
diqué un avantage qui ne lui a jamais été déféré, c’est
vouloir justement se soustraire à une dénégation fraudu
leuse et dolosive qu’un sordide, qu’un impie intérêt ose
inspirer. Conséquemment, ce qui serait illégal serait le
refus de la preuve testimoniale, sans laquelle lq mauvai
se foi et la déloyauté les plus insignes usurperaient des
droits apartenant à autrui.
Rendue dans cette dernière hypothèse , la décision
de la Cour de Pau ne rencontre aucune contradiction
dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 décembre
1818.
�270
TRAITÉ DU DOL
1 6 2 8 . — L’action en nullité d’une substitution pro
hibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable ,
que les héritiers refuseraient ou négligeraient de pour
suivre, pourrait être exercée par leurs créanciers. Ce
refus constituerait une véritable renonciation au pré
judice de ceux-ci. Ils pourraient donc, en vertu de l’art.
1166, se faire subroger à leur débiteur et faire ce qu’il
ne voulait pas faire lui-même. Ils pourraient aussi en
vertu de l’art. 1167, attaquer en leur nom la transac
tion par laquelle l’héritier abandonnerait, en fraude
de leurs droits, tout ou partie de la succession soit au
substitué, soit à l’incapable. Mais la nullité n ’en serait
jamais prononcée que jusqu’à concurrence des dettes.
1 6 2 9 . — L’action en nullité d’une substitution pro
hibée ou d’un fidéicommis en faveur d’un incapable cons
titue une véritable pétition d’hérédité. De là les deux con
séquences suivantes :
1° L’obligation de rendre la chose entraîne celle de
restituer les fruits. Indépendamment de la mauvaise foi
du possesseur évincé, ce résultat a pour fondement cette
règle qu’en matière de succession surtout les fruits s’u
nissent et s’incorporent à la chose et qu’ils sont consi
dérés comme l’hérédité elle-même : Fructus augent hœ~
reditatem ;
2° La seule prescription applicable est celle régis
sant la pétition d’hérédité , c’e st-à -d ire celle de trente
ans.
1630. — Nous avons déjà dit que la répudiation
�ET DE LA FRAUDE.
271
d’une succession ou d’un legs, au préjudice des créan
ciers du renonçant, les autorisait à faire annuler la ré
pudiation et à accepter au lieu et place de leur débiteur.'
Ce que nous avons dit des successions et legs en géné
ral, s’applique au cas où le droit répudié est un simple
droit d’usufruit. Rien, en effet, ne pouvait faire qu’il
n’en fût pas ainsi.
L’usufruit constitue évidemment un droit utile non
seulement pour celui qui est appelé à en jouir, et dont
il augmente ainsi les ressources, mais encore pour les
créanciers auxquels il offre un surcroît de garanties.
Celui qui le répudie aliène donc une propriété que les
créanciers ont intérêt à conserver en sa possession. Ils
devaient donc, comme dans tous les autres cas, être ap
pelés à se défendre contre une injuste et préjudiciable
spoliation. Celte faculté leur est au reste concédée en ter
mes formels par l’art 622 du Code civil.
La renonciation à un usufruit se place donc sur la
même ligne que celle à une succession, à un legs quel
conque. Dès lors les règles tracées pour l’exercice du
droit des créanciers dans l’une et dans l’autre, obéisant
aux mêmes motifs, doivent arriver à un résultat identitique et recevoir une application commune.
1 651. — Il y a pourtant entre ces renonciations une
différence essentielle qu’il convient de rappeler. Une suc
cession, un legs, appréhendé qu’il soit, ne peut plus être
i V. supra, n° <1561.
�272
TR AITÉ
DU DOT.
répudié. L’usufruitier, au contraire, est libre de renon
cer à son droit à quelque époque que ce soit, après com
me avant sa mise en possession effective, et quelle qu’ait
été d’ailleurs la durée de la jouissance.
Il suit de là que cette renonciation est dans le cas de
compromettre d’autres intérêts que ceux des créan
ciers. Il peut se faire, en effet, que des tiers aient léga
lement acquis sur l’usufruit des droits que la renon
ciation pourra plus ou moins frauduleusement compro
mettre.
1 6 5 2 . — Telle serait évidemment la position de
celui qui aurait acquis l’usufruit. De toute certitude, la
vente que l’usufruitier en aurait consentie le placerait
dans l’impossibilité d’y renoncer ultérieurement. Aussi
ne nous occupons-nous de cette hypothèse que pour
indiquer les précautions que l’acquéreur doit prendre
pour échapper aux effets d’une renonciation n’ayant pas
d’autre objet que de lui enlever les droits qu’il a acquis
et payés.
Ces précautions sont indiquées par la nature des cho
ses, L’acte d’acquisition doit être authentique ou tout au
moins avoir une date certaine avant la renonciation. Il
faut de plus, et par rapport aux tiers, qu’il ait été ac
compagné des formalités auxquelles sont soumises les
aliénations immobilières.
A défaut d’un titre authentique ou ayant date cer
taine, la consolidation de l’usufruit sur la tête du nupropriétaire serait la conséquence inévitable de la re-
�273
ET DE LA FRAUDE.
nonciation de l’usufruitier. Le titre informe dont l’ac
quéreur se prévaudrait ne saurait être un obstacle à ce
résultat avec d’autant plus de fondements qu’en lui ac
cordant un effet contraire, on s’exposerait à consacrer
une fraude. L’usufruitier qui aurait regret à la renon
ciation n’aurait qu’à simuler une vente qu’il daterait
d’une époque antérieure à cette renonciation, et se mé
nagerait ainsi le moyen de recouvrer ce qu’il avait défi
nitivement aliéné.
A défaut de transcription, les inscriptions prises pos
térieurement à la vente grèveraient utilement l’usu
fruit , pour dettes antérieures , si cette vente était au
thentique ou si elle avait acquis date certaine; pour det
tes mêmes postérieures, si la date de l’acte n’avait ni au
thenticité ni certitude.
1 633. — L’usufruit pouvant être vendu, peut égale
ment être engagé. Il est également certain que, dans ce
dernier cas, les droits du créancier seraient sur la même
ligne que ceux de l’acquéreur. Toute renonciation ulté
rieure resterait sans effet et de nulle valeur tant que
l’antichrésiste n’aurait pas été intégralement remboursé
de ce qui lui est dû.
1654. — Ce qui peut être fait au méprisdes droits
de l’acquéreur ou de l’antichrésiste ne saurait l’être au
préjudice des créanciers hypothécaires ou cédulaires ,
devenus tels dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis
l’acceptation de l’usufruit jusqu’au moment de la renonIY
18
�274
T R A IT É
DU
DOL
ciation. L’affectation résultant, dans les deux premiers
cas, de la convention des parties, résulte, dans le der
nier, de la loi elle-même, exigeant que l’intégralité de
l’actif du débiteur devienne le gage des créanciers. Com
me dans toutes les autres circonstances, l’action Paulienne est, dans notre hypothèse , introduite surtout
dans l’intérêt des chirographaires. Ce n’est, en effet,
que par son exercice qu’ils pourront obtenir leur paie
ment, tandis que les créanciers hypothécaires sont dans
le cas de trouver dans leur qualité même le moyen de
se passer de son secours.
1635 — Dans la poursuite de l’action révocatoire,
il convient de s’attacher d’abord au caractère de la re
nonciation. Ses effets varient selon qu’elle a été faite à
titre gratuit ou à titre onéreux.
La première, constituant une pure libéralité, est, en
vertu des principes généraux que nous avons déjà rap
pelés, de plein droit présumée frauduleuse, non seule
ment contre son auteur, mais encore contre le tiers
appelé à en recueillir le bénéfice. Elle doit donc être
annulée, quelle que soit la bonne foi de ce dernier.
La seconde, au contraire, est une véritable vente, un
rachat de la jouissance à prix d’argent. Elle ne pour
rait donc être annulée, alors même que la preuve de la
fraude serait acquise contre le renonçant, que s’il était
établi que le bénéficiaire a connu cette fraude et s’y est
volontairement associé. Sa bonne foi ferait maintenir
l’acte, car sa condition étant égale à celle des créanciers,
�ET
DE
LA.
FRAUDE.
2 7 5
il serait injuste de le constituer lui-même en perte pour
procurer un avantage à ceux-ci.
1656. — Nous n’avons pas à revenir sur les condi
tions de la recevabilité de l’action révocatoire, sur les
objections que son exercice peut soulever. Les principes
généraux que nous avons exposés reçoivent ici leur pleine
et entière exécution. Nous les résumons seulement, pour
la matière spéciale qui nous occupe, dans les proposi
tions suivantes :
1° Tant que la renonciation n’est pas convertie en
contrat, les créanciers peuvent l’empêcher en exerçant
les droits et actions de leur débiteur, et en se faisant au
toriser à accepter en son lieu et place ;
2° La renonciation consommée par les formalités lé
gales peut être attaquée par les créanciers comme faite
au préjudice de leurs droits, en être révoquée en ce qui
les concerne ;
3° Si la renonciation a été consentie à titre gratuit ,
et qu’elle ait rendu le renonçant insolvable, elle est de
plein droit présumée frauduleuse à l’égard de toutes les
parties, e t , comme telle, annulée en faveur des créan
ciers ;
4° Si elle a été faite à titre onéreux et que le nu-pro
priétaire ait racheté le droit d’usufruit, les créanciers
sont recevables à quereller l’acte de rachat, mais ils ne
peuvent le faire annuler qu’en justifiant la collusion et
la fraude de toutes les parties ;
5° Si l’usufruit a été aliéné à titre de constitution do-
�276
T R A IT É
DU
DOL
taie, son abandon ne saurait être révoqué que si les époux
avaient connu et partagé la fraude du constituant:
6 “ Enfin, si à l’époque de la renonciation l’usufrui
tier avait, dans ses autres ressources, le moyen de satis
faire ses créanciers, le bénéficiaire ne pourrait être pri
vé de l’avantage qu’il en a recueilli. L’insolvabilité du
débiteur n’étant que la conséquence d’événements sub
séquents, la renonciation conserverait son caractère , il
serait impossible de la considérer comme faite au pré
judice des créanciers, quisqu’en fait, au moment où elle
s’accomplissait, leurs droits n’en étaient nullement at
teints.
1637.
— La renonciation que le père ferait à l’usu
fruit des biens de ses enfants peut-elle être attaquée par
l’action Paulienne?
La question ne saurait être douteuse, s’il s’agissait
d’un usufruit ordinaire, soit que cet usufruit ait été ré
servé par le père vendant ou donnant à ses enfants, soit
qu’il ait été imposé comme charge d’une disposition faite
en leur faveur par un parent ou un étranger. Dans l’un
et l’autre cas, cet usufruit, ne devant s’éteindre qu’à la
mort du père, constituerait une véritable propriété sur
laquelle les créanciers ont dû. compter.
La renonciation du débiteur ayant pour but de leur
enlever toute garantie, se trouverait par cela même sou
mise à toutes les recherches que ce résultat autorise, et
notamment à l’action révocatoire ouverte par l’art 622.
Mais la question devient plus délicate lorsqu’il s’agit
�ET
DE
LA
FRAUDE.
277
de l’usufruit que la loi confère au père sur les biens de
ses enfants mineurs. Il est certain qu’il existe entre cet
usufruit et l’usufruit conventionnel des différences telles,
qu’elles peuvent inspirer le doute.
Ainsi, quant à sa durée, l’usufruit légal ne s’attache
pas à la personne du père ; il cesse dès que les enfants
ont atteint leur dix-huitième année. Ainsi encore, com
me corrélative au droit du père, existe pour lui l’obli
gation de prélever, sur cet usufruit, les sommes néces
saires pour fournir aux aliments, à l’entretien et à l’é
ducation des enfants.
Conséquemment, si la renonciation enlève au père un
droit, elle l’exonère également d’une obligation. Elle
n’est donc pas consentie à titre purement gratuit. Elle
participe incontestablement de la dation in solutum et
peut, sous ce rapport, être assimilée à l’aliéuation à titre
onéreux.
Ce qui doit s’induire de ces caractères, c’est non pas
que la renonciation à l’usufruit légal soit affranchie de
l’action révocatoire, les termes généraux de l’art. 622
proscrivant cette solution, mais que cette action doit
être très difficilement admise ; qu’il n’y a même lieu à
présumer la fraude à l’endroit du père que si, du rap
prochement du revenu qu’il abandonne et des charges
qui le grèvent, il naît une disproportion tellement cho
quante, qu’on ne puisse expliquer cet abandon que par
le désir de se soustraire aux conséquences de sa position
obérée.
Dans tous les cas, l’annulation de la renonciation ne
�278
T R A IT É
DU
DOL
confère aux créanciers d’autres droits que ceux que le
père pourrait lui-même exercer. Conséquemment, en ce
qui concerne l’usufruit légal, la jouissance par les cré
anciers reste soumise à l’obligation de fournir à la nour
riture, à l’entretien et à l’éducation des enfants. En re
gard de ceux-ci, on devrait faire déterminer, soit par le
conseil de famille, soit par la justice elle-même, une som
me suffisante pour remplir ce triple objet et dont le pré
lèvement s’opérerait sur les revenus annuels.
1638.
— Nous l’avons déjà bien souvent répété, on
ne peut faire indirectement ce qui ne peut pas être fait
directement. Or, pour le père émanciper ses enfants,
c’est renoncer à l’usufruit légal dont la cessation se réa
lise par la seule force attachée à cet acte. Les créanciers
ainsi frustrés pourront-ils quereller l’émancipation et en
demander la révocation comme faite au préjudice de
leurs droits?
Cette question était l’objet d’une vive controverse
sous l’empire de notre ancien droit. Cependant la juris
prudence du parlement de Paris l’avait résolue négati
vement.
Cette décision était d’autant plus remarquable, que
l ’opinion contraire pouvait, à cette époque, invoquer
de graves et puissants motifs ; que la fraude était plus
imminente, et que ses conséquences étaient de nature
à occasionner un préjudice très considérable, En effet,
en vertu des principes empruntés au droit romain, in
dépendamment de ce que l’usufruit légal ne cessait
�ET
DE
LA
FRAUDE.
279
qu’à la mort du père , celui-ci avait le droit d’éman
ciper ses enfants à tout âge. La cessation de l’usufruit
enlevait donc aux créanciers des ressourcces certaines ,
dont la perte était de nature à rendre leur paiement im
possible.
Il n’en est plus ainsi aujourd’hui: d’une part, l’usu
fruit légal du père est éteint par cela seul que les enfants
sont parvenus à leur dix-huitième année ; de l’autre, il
ne peut y avoir d’émancipation que lorsqu’ils ont quinze
ans révolus, c’est-à-dire à une époque tellement rappro
chée de celle delà cessation forcée de l’usufruit, que son
abandon perd nécessairement beaucoup de son impor
tance et de sa nocuité.
On doit donc, par une supériorité de raisons incon
testables, résoudre encore la question dans le sens que
le parlement de Paris avait consacré, ce qui est d’ail
leurs indiqué par la nature de l’acte, autant que parles
conséquences anormales qu’entraînerait le système con
traire.
Le droit d’émanciper est un des attributs de la puis
sance paternelle. Celle-ci ne cesse pas d’être l’apanage
exclusif et personnel du père, sans que les créanciers
puissent jamais s’immiscer dans l’exercice qu’il jugera
à propos d’en faire. La faveur que méritaient ces der
niers s’arrête devant l’intérêt de la famille et l’inviolabi
lité du secret de sa position. Cette inviolabililé ne serait
plus qu’un vain mot, si les motifs, qui ont déterminé
l’émancipation, devaient être exposés aux créanciers et
pouvaient être discutés par eux. La liberté des enfants
�280
T R A IT É
DU
DOL
serait donc enchaînée par les dettes du père qui, contrai
rement à la volonté expresse du législateur, ne serait plus
l’arbitre souverain et exclusif de la nécessité et de l’op
portunité de l’émancipation.
D’ailleurs la fraude ne peut résulter d’un fait que la
loi elle-même autorise. Le père émancipant ses enfants
après l’âge requis ne fait qu’user d’un droit qui lui ap
partient sans conditions, dont l’existence connue des
créanciers a pu leur faire prévoir l’exercice. Ils ne se
raient donc pas recevables à le quereller, et à prétendre
ainsi se soustraire à une chance qu’ils ont sciemment et
volontairement courue.
1 6 39.
— Mais cet effet de l’émancipation ne pour
rait être acquis que par la réalisation de l’acte d’éman
cipation. A son défaut , l’usufruit a profité au père ,
qui ne peut, même dans le compte tutélaire, rapporter
à ses enfants les fruits qu’il avait perçus avant leur dixhuitième année. Devant un pareil acte, les créanciers
du père sont recevables à quereller le compte tutélaire,
et à faire annuler la renonciation à l’usufruit légal qui
en résulterait, alors surtout que cet acte mettrait leur
débiteur dans l’impossibilité de les payer eux-mêmes.
Il en serait de même si, après l’émancipation, le père
prétendait tenir compte à ses enfants des fruits perçus
jusque là. Cette prétention, constituant une pure libé
ralité , donnerait naissance à l’action révocatoire des
créanciers.
�ET
DE
LA
FBAUDE.
m
1 640. — Ainsi, par rapport aux créanciers, la re
nonciation à l’usufruit peut devenir la matière d’une
action en révocation. Qu’en est-il à l’égard des succes
sibles? Pourraient-ils exiger, de celui d’entre eux qui a
profité de cette renonciation, le rapport des avantages
qu’il en a retiré?
Cette difficulté est tranchée par les principes régissant
les rapports entre cohéritiers. Ce que chacun d’eux est
tenu de réunir à la masse, c’est le fond reçu, c’est lecapital transmis, mais jamais la jouissance réalisée durant
la vie de l’auteur commun. C’est ainsi que l’art. 856
déclare que les fruits et intérêts des choses sujettes à rap
port ne sont dus qu’à compter du jour de l’ouverture de
la succession.
Conséquemment, si l’auteur commun abandonnait la
jouissance de tous ses biens à un de ses successibles ,
celui-ci ferait incontestablement les fruits siens tant que
la succession ne serait pas ouverte. Ce qui est licite
pour cette universalité ne saurait pas ne pas l’être pour
l’avantage restreint résultant de la renonciation à l’usu
fruit sur les biens du successible lui-même. C’e s t, au
reste, ce qui était formellement consacré par l’ancien
droit.'
1641. — Le legs ou le don d’un usufruit est de na
ture à créer des fraudes, soit contre l’usufruitier , soit
contre le nu-propriétaire, soit contre les créanciers ré1 L . 6, § 2, C o d .
de Bonis quai liberis.
�T R A IT É
DU
DOL
ciproques. Nous allons nous en occuper dans le para
graphe suivant.'
1 6 4 1 bis — Le legs fait avec la condition d’insaisissa
bilité est-il légal en ce qui concerne les immeubles? La
condition peut-elle être attaquée par les créanciers du
légataire, comme le résultat d’un concert frauduleux,
dans l’objet de violer leurs droits?
La légalité de la condition d’insaisissabilité, appliquée
aux immeubles, a été contestée. On a voulu induire la
négative de l’art. 581 C. de procéd. civ.
Cet article, en effet, déclare à l’abri de toute pour
suite des créanciers les sommes et objets d ispo n ibl e s ,
déclarés insaisissables par le testateur ou donateur.
Cet article, a-t-on dit, est une exception au principe
des art. 2092 et 1166 C. Nap., d’après lequel le débi
teur ne peut soustraire à ses créanciers quoi que ce soit
de ses biens présents et à venir. Il faut donc le restrein
dre étroitement dans les limites qu’il trace lui-même.
Dès lors, puisqu’il n’autorise l’insaisissabilité que des som
mes et objets disponibles, il est évident qu’il ne dispose
que pour des objets mobiliers , et que l’appliquer aux
immeubles en général, serait lui donner une extension
qu’il ne comporte pas, et permettre ce scandale public
d’un débiteur vivant dans la richesse et le luxe, à côté
de créanciers réduits à la misère.
Cette opinion a trouvé de nombreux partisans. M.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
m
Demolombe l’enseigne et la développe.' M. Favard l’a
dopte également et l’étaye d’un arrêt de la Cour de
Cassation du 30 janvier 1821 , déclarant que lorsqu’il
rie s’agit pas du domaine d’un Etat, l’inaliénabilité des
immeubles ne peut être établie que par une loi formelle,
ou par une disposition de l’homme, autorisée expressé
ment par la loi.'
La Cour de Riom se prononçait dans le même sens
le 23 janvier 1847. Elle déclarait, en conséquence, que
la condition d’insaisissabilité imposée par le donateur
ou testateur, devait être réputée non écrite à l’égard des
créanciers, comme contraire à la loi et aux principes
qui l’ont dictée, et comme tendant a établir une nature
de biens hors du commerce, ce qui serait reproduire in
directement, par l’abus des institutions, une incertitude
et une défiance que la loi a voulu prévenir.
L’arrêt ajoute : que les dispositions de l’art. 581 C.
procéd. civ. ne sont applicables qu’à certains meubles
déclarés insaisissables par le testateur ou le donateur,
et ne peuvent fournir un argument fondé à l’appui de
la validité de la condition générale imposée à la donation
ou au legs.3
Mais la Cour de cassation n ’a admis ni cette manière
de voir, ni ces scrupules.
Un arrêt de la Cour de Caen qui avait consacré la vai
Des Donat. et Test., t o m . i , n ° s 3 1 1
Expropriation forcée, n ° 3 .
3 R ép ., v°
e t su iv .
�m
TRAITÉ DU DOL
lidité de la condition, lui était dénoncé comme appli
quant faussement l’art. 581 C. procéd. civ , et violant
les art. 900, 21092 et 2093 C. Nap.
Le 10 mars 1832, la Cour rejette le pourvoi, attendu
qu’aux termes de l’art. 900 C. Nap. les seules clauses
irritantes dans les dispositions entre vifs ou testamentai
res sont celles impossibles ou qui sont contraires aux
lois ou aux mœurs; que la condition imposée par un
testateur ou un donateur à sa libéralité, dans le but de
rendre les immeubles par lui légués ou donnés insaisis
sables par les créanciers du donataire ou du légataire,
n ’est ni impossible, ni prohibée par la loi, ni contraire
aux mœurs.'
De nouveau saisie delà question, la Cour suprême la
résout dans le même sens. L’espèce offrait cette circons
tance que le créancier soutenait que la condition d’in
saisissabilité était le résultat d’un concert entre le testa
teur et le légataire, à l’effet de frauder les droits des créan
ciers de celui-ci, et excipait en conséquence de l’art.
1167 C. Nap.
La chambre civile de la Cour devant laquelle le litige
s’agitait, résout la question comme la chambre des re
quêtes l’avait fait au 10 mars 1852, elle décide que la
condition d’insaisissabilité n’est ni impossible, ni prohi
bée par la loi, ni contraire aux mœurs; que sa validité
et son efficacité sont, au contraire, expressément con
sacrées par l’art. 581 C. procéd. civ.; que si ledit ar-
�ET DE LA FRAUDE.
285
ticle se réfère aux dons et legs de sommes et d’objets
disponibles, la disposition n’est est pas néanmoins ex
ceptionnelle, et qu’il n’y a aucun motif dès lors d’en faire
l’application à telle nature de biens plutôt qu’à telle
autre.
A la prétention fondée sur l’art. 1167, l’arrêt répond :
que le testament n’a été ni annulé, ni même attaqué ;
qu’il reste donc comme l’œuvre de la testatrice, et que
les demandeurs n’ayant pas de droits sur les biens dont
celle-ci a disposé, ne sauraient être admis à prétendre,
qu’en en disposant, comme elle était libre de le faire,
elle a fait fraude à des droits qui n’existaient pas.'
On ne saurait révoquer en doute le caractère juridi
que de ces décisions , rien dans les arguments que la
doctrine contraire invoque n’est dans le cas d’en affai
blir l’autorité.
Avant d’exciper du principe qui prohibe de frapper
les biens d’inaliénabilité, M. Favard aurait dû démon
trer qu’il y avait lieu dans l’espèce de recourir à son ap
plication .
A ce sujet, nous ferons remarquer que les créanciers
auraient un intérêt évident à ce que la condition d’in
saisissabilité fût assimilée à l’aliénabilité, le profit de
cette condition est, en effet, exclusivement attaché à la
personne du légataire ou du donataire et ne passe pas à
ses héritiers. En conséquence, si elle rendait les biens
i 20 décembre 1864 ; — J. D. P. 186S, 11 ; — V. dans ce sens Pigean, procéd. civ., tom. 2, pag. 223; — Troplong, Donat. et Test., 1,
�286
TRAITÉ DU DOL
inaliénables, ces biens se retrouveraient dans la succes
sion de celui-ci, et les droits des créanciers suspendus
pendant sa vie, seraient utilement exercés à sa mort.
Donc, loin de se plaindre du caractère d’inaliénabi
lité que le testateur ou le donateur aurait imprimé à sa
disposition, les créanciers auraient un intérêt incontes
table à en soutenir et à en faire prévaloir la réalité.
Malheureusement pour cet intérêt, l’insaisissabilité
n’est pas l’aliénabilité, Tout ce qui en résulte, c’est que
les biens soumis à cette condition sont, pendant la vie
de celui qui les a reçus, soustraits aux exécutions de ses
créanciers ; mais pour ce qui concerne le donataire ou
le légataire, la faculté de les aliéner à ses plaisirs et vo
lonté ne saurait être contestée, et c’est là même ce qui
fait le danger des créanciers, car c’est par l’exercice de
cette faculté que sera consommé le préjudice qu’ils sont
exposés à subir.
Le droit du légataire d’aliéner directement est d’autant
plus incontestable, que l’insaisissabilité n’est opposable
qu’aux créanciers antérieurs à l’acte de donation ou à
l’ouverture du legs; ainsi, l’art. 582 C. de procéd. civ.
détermine les limites dans lesquelles les créanciers pos
térieurs pourront agir contre les biens déclarés insaisis
sables, d’où on a conclu avec raison que cette insaisis
sabilité ne pouvait être invoquée contre les créanciers
postérieurs, ni former un obstacle à l’exercice de leurs
droits.'
1 Cass., 45 février 1825.
�ET DE LA FRAUDE.
287
Donc, la condition d’insaisissabilité ne constitue pas
l’inaliénabilité, et on ne saurait lui appliquer les règles
qui régissent celle-ci.
Est-il vrai maintenant que l’art. 581 C. de procéd.
civ. ne l’admet que pour les dons de sommes et objets
disponibles, et la proscrit pour les immeubles en géné
ral ? L’affirmative violerait le principe de la liberté de
donner ou de tester que la loi a considéré avec tant de
respect, et qu’elle a si expressément consacré.
Il est évident, en effet, que celui qui est libre de ne
pas donner, ne saurait être empêché quand il donne de
déterminer les conditions auxquelles il entend le faire;
cette liberté est absolue et n’a d’autre limite que celles
qui puiseraient leur cause dans une atteinte à une loi
prohibitive, ou aux bonnes mœurs.
De lois prohibitives, il n’en existe aucune, et l’on est
obligé de recourir, pour établir le contraire, à la confu
sion de l’insaisissabili té avec l’inaliénabilité, ce qui, nous
venons de le prouver, n’est pas admissible.
Comprendrait-on, d’ailleurs, que si la condition d’in
saisissabilité était contraire à la loi ou aux mœurs, l’ar
ticle 581 l’eût consacrée en principe?
Il est vrai qu’on soutient que cet article n’a en vue
que des biens mobilieis de peu de valeur en général,
et n’a ni voulu, ni pu vouloir, sous peine de scandale
public, étendre sa disposition à des immeubles qui, par
leur nature, sont importants.
Mais l’art. 581 parle de dons ou legs de sommes en
général et sans restriction ; dès lors, on pourra léguer
�100, 200, 500,000 francs avec ia condition d’insaisis
sabilité, et on ne pourra donner au même titre des im
meubles valant 10, 20 ou 30,000 francs?
Le donateur ou testateur qui aura vendu ses immeu
bles, en léguera la valeur qu’il mettra à l’abri de toute
exécution de la part des créanciers antérieurs , et il ne
pourra léguer à la même condition ses immeubles en
nature ?
On ne saurait se rendre raison d’une pareille anoma^
lie, elle blesse trop ouvertement la raison pour que le
législateur l’ait consacrée, il faut donc dire avec la Cour
de cassation qu’on ne saurait, sans méconnaître la lettre
et l’esprit de l’art. 581, lui imprimer un caractère li
mitatif et restrictif.
Reste le scandale signalé par M. Demolombe, d’un
débiteur vivant dans le luxe à côté de créanciers dans la
misère, c’est là, malgré son exagération, un fait profon
dément regrettable , et si le législateur l’a accepté, c’est
qu’il a obéi à des inspirations qui le contraignaient de
le faire.
D’ailleurs, ce résultat ne se produira-t-il pas si au
lieu d’immeubles, la libéralité a pour objet une somme
de 500,000 francs?
Ne se produira-t-il pas si la fortune personnelle du
débiteur consiste en 20, 30 ou 50,000 fr. en rentes sur
l’Etat, et cependant ces rentes ne sont-elles pas insai
sissables?
Il ne faut donc pas exagérer les choses, et dans tous
les cas, on doit reconnaître qu’il est des situations qui
�ET DE LA FRAUDE.
s’imposent d’elles-mêmes et qu’il faut nécessairement
adopter.
L’objection, d’ailleurs, pourra être fondée dans quel
ques cas exceptionnels, mais la loi ne pouvait s’en préoc
cuper, obligée qu’elle était de prévoir et de régler les
hypothèses qui s’offriront le plus souvent.
Quant à l’application de l’art. 1167, la doctrine de
la Cour de cassation est sans réplique. On ne fraude pas
un droit qui n’existe pas, qui n’a jamais existé; les cré
anciers ne pouvant en prétendre aucun sur les biens du
donateur ou du testateur, ne sont donc ni recevables,
ni fondés à critiquer la disposition qu’il en a faite, à
la condition pourtant que ces biens fussent entièrement
libres en ses mains. Ainsi, la condition d’insaisissabilité
mise au legs des biens réservés par la loi, ne pourrait
être opposée aux créanciers des héritiers réservataires.
S III.
D es
D o n atio n s.
SOMM AIRE .
1642.
1643.
Origine et caractère de la donation.
Nécessité qu’elle procède d’un consentement réfléchi et
libre. Conséquences.
19
IV
�290
4644
4645.
4646.
4647.
4648.
4649.
4650.
4654.
4652.
4653.
4654.
4 655.
4656.
4657.
4658.
4659.
4660.
4661.
4662.
TRAITÉ DU DDL
Motifs des restrictions apportées au droit de donner. Inca
pacités qui en naissent.
Liberté illimitée qu’ont les époux de se donner par con
trat de mariage. Causes qui l’ont fait admettre.
Première exception à celte règle. Droit des créanciers.
Deuxième exception. Droit des enfants issus d’un précé
dent mariage. Ses fondements.
Troisième exception. Droit des ascendants.
Suspicion qui s’attache aux donations entre époux faites
pendant la durée du mariage.
Doctrine du droit romain et de notre ancienne jurispru
dence.
Révocabilité absolue consacrée par le Code.
Peut être exécutée par la femme, sans autorisation de son
mari ou de la justice.
Sont-elles révoquées par survenance d ’enfants?
Formes de l ’acte revocatoire. Dissentiment avec M. Duvergier sur l ’effet de l ’art. 2 de la loi du 24 juin 4843.
Véritable caractère de la donation entre époux faite pen
dant le mariage. Doctrine et jurisprudence.
Prohibition de tout don mutuel et réciproque.
Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux ven
dant un immeuble de la communauté en laissent le
prix à rente viagère, qu’ils déclarent réversible, en
tout eu en partie, sur le survivant ?
La donation indirecte n ’est valable que si elle se renferme
dans les limites des art. 4094 et 1098. Caractères de
ces deux dispositions.
La vente ne peut pas être d’un grand secours pour les
éluder.
Secus de la reconnaissance d’une dot fictive ou de la quit
tance de celle non reçue.
Delà fausse évaluation donnée au mobilier des époux.
De la dissimulation du prix des propres aliénés.
�ET DE LA FRAUDE.
1663.
1664.
1665.
1666.
1667.
1668.
1669.
1670.
1671.
1672.
1673.
1674.
1675.
1676.
1677.
1678.
1679.
291
Il y a donation indirecte dans l ’adoption du régime de la
communauté, en cas d’inégalité dans l ’apport res
pectif.
Effets de cette adoption, soit légale soit conventionnelle,
vis-à-vis des enfants d’un premier lit.
La réduction ne s’opère que sur le capital. Les revenus
tombent en communauté.
Faculté qu’ont les époux de se faire des donations dégui
sées ou par personne interposée. Cas dans lesquels
cette interposition est présumée de droit.
C’est par l’état des choses au moment de la donation que
la question d’interposition doit être appréciée.
Les ascendants sont-ils compris dans la catégorie des per
sonnes présumées interposées ?
Faculté de prouver, dans tous les cas, l ’interposition de
personne.
Effet de la donation résultant d’un fidéicommis tacite.
Résumé.
Reproche adressé à l ’art. 1094, à propos de la réserve des
ascendants.
La quotité disponible ne se détermine qu’à la mort du
donateur. Toute action en nullité ou en réduction est
donc irrecevable pendant sa vie.
Arrêt de la Cour de Grenoble soumettant un prétendu
donataire à donner caution sur la demande des enfants.
L’époux donateur n ’est pas admissible à quereller la do
nation de simulation.
La donation indirecte, faite au mépris de l’art. 1099, est
réductible.
La donation déguisée ou faite par personne interposée est
nulle. Controverse à ce sujet.
Motifs donnés, à l’appui de l ’opinion contraire, par MM.
Duranton, Vazeilles et autres jurisconsultes.
Réponse de Merlin, Grenier, Toullier et Delvincourt.
�292
1680.
TRAITÉ DU DOU
L’opinion consacrant la nullité absolue est plus conforme
au texte et à l ’esprit de la loi.
1681. Jurisprudence conforme de la Cour de cassation.
1682. Arrêts contraires des Cours de Paris et de Bourges.
1683. Conclusion.
1684. Renvoi pour ce qui concerne les incapacités édictées par
l’art. 909.
1685. Origine de la réserve légale des descendants et ascendants.
1686. Qualité de cette dernière.
1687. Comment se calcule celle des enfants. Faculté de disposer
de l’excédant. Exception pour le mineur.
1688. L’indisponibilité de la réserve des art. 913 et 915 n’est
pas moins absolue que celle des art. 1094 et 1098.
1689. Droit des enfants d’attaquer la rénonciation faite à une
communauté ou à un legs constituant une donation
indirecte. Différence dans la nature et les effets de
l'action et de celle accordée aux créanciers.
1690. Peut-on cumuler les quotités disponibles des art. 913
et 1094.
1691. Conséquences de l ’indisponibilité à l ’endroit des donations
indirectes. Actes pouvant les constituer.
1692. Présomption qui s’attache aux ventes faites à un succes
sible direct à rente viagère, à fonds perdu ou sous ré
serve d’usufruit.
1693. Exception que l ’art. 918 introduit à la règle qu’on ne peut
traiter sur succesion future. Dangers qu’elle présente.
1694. La présomption de libéralité n’existerait pas si la vente
à fonds perdu ou sous réserve d’usufruit a été faite à
un collatéral.
1695. L’action en réduction ou en nullité appartenant aux ré
servataires peut être exercée par leurs créanciers,
mais non par les légataires.
169G. Excepté pour les libéralités faites aux enfants naturels ou
incestueux.
�ET DE LA FRAUDE.
1697.
293
Nature du droit que les uns et les autres sont appelés à
exercer dans les successions.
1698. Fraudes dont la donation régulière, sous le rappprt de la
capacité des parties, peut être l ’occasion.
1699. Supposition de part. Ses conséquences.
1700. Légitimation, par mariage subséquent, de l’enfant d’au
trui.
1701. Peut-elle être contestée? Négative sou tenue par M. Char
don. Réfutation.
1702. Arrêt de Bordeaux pour l ’affirmative.
1703. La survenance d’enfants peut être le résultat de l’adultère
personnel de la femme ou concerté entre les époux.
Effets.
1704. La faculté d’aliéner les biens qu’il s’est réservé peut de
venir, pour le donateur, un moyen de diminuer l'é
molument de la donation.
1705. Droit du donataire de conlester la sincérité des aliénations.
1706 Fraude résultant de l ’abus de jouissance, lorsque le dona
teur s’est réservé l ’usufruit.
1707. La négligence mise à la conservation du fonds est assimi
lée aux dégradations.
1708. Caractère que cette négligence pourrait prendre à l ’endroit
des créanciers de l ’usufruitier. Droit de ceux-ci d’in
tervenir dans les contestations. Objet de cette inter
vention.
1709. Fraude constituée par la violation de l’art. 614. Consé
quences.
1710. Le préjudice éprouvé par le nu-propriétaire motive soit
la perte absolue de l ’usufruit, soit sa conversion en
une prestation annuelle.
1711. C’est cette conversion qu’on devrait prononcer dans tous
les cas, lorsque l’usufruit n ’a pas été constitué à titre
purement gratuit.
1712. Les règles régissant l ’usufruitier s’appliquent au père
�294
TRAITÉ DU DOL
ayant l'usufruit légal des biens de ses enfants mi
neurs.
1713. L’abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il la
perte de l ’usufruit légal ?
1714. Fraude résultant de l’aliénation postérieure à la donation.
1715. Son importance et ses effets dans les donations autorisées
par les art. 1082, 1084 et 1086 du Code civil.
1715 b‘s Peut-on valablement déroger à l ’art. 1083 et convenir
que le donateur s’interdit le droit d’aliéner à titre
onéreux.
1716. Obligation pour le nu-propriétaire d’exécuter les baux
loyalement consentis par l ’usufruitier.
1717. Droit des héritiers et des créanciers du donataire, en cas
de fraude du donateur.
1718. Droits de ces derniers, dans l ’hypothèse d’une fraude con
certée contre eux par le donateur et le donataire.
1719. La fraude du donataire contre le donateur se résume dans
l ’inexécution ou l ’ingratitude. Intérêt du premier à
l'éviter.
1720. Dangers en résultant pour ses créanciers.
1721. Effets, par rapport à ceux-ci, de la révocation pour cause
d’inexécution des conditions.
1722. Droit que la loi leur confère de l ’empêcher, en s’obligeant
ou en garantissant l ’exécution. Nature de leur obli
gation .
1723. La révocation pour ingratitude ne saurait être empêchée
parles créanciers. Effet de celle-ci. Conséquences.
1724. Faits qui la constituent.
1725. Nécessité de la réunion de la matérialité et delà culpa
bilité.
1726. Quels sont les délits prévus par l’art. 955?
1727. L’art. 955 n’exig*pas, comme l ’art. 727 le fait pour l ’hé
ritier, que le donataire ait été condamné.
1728. Caractère que doivent offrir les sévices et injures.
�ET DE Là FRAUDE.
1729.
1730.
1731.
1732.
1733.
1734.
295
Gravité du refus d'aliments, éléments de son appréciation.
Conséquences de la règle que la révocation n’est dans
aucun cas de plein droit acquise.
Délai dans lequel l’action en révocation doit être intentée.
Passe-t-elle aux héritiers du donateur ?
Les créanciers du donateur peuvent-ils la poursuivre ?
Les donations par contrat de mariage sont révocables
pour cause d’inexécution. Exception à la règle qu’elles
ne sont pas révoquées pour ingratitude.
Les donations renfermant une substitution prohibée sont
nulles.
1 642.
— Nous avons dit, en parlant des testaments,
que la faculté de répartir soi-même sa fortune est un
des attributs les plus précieux du droit de propriété ,
celui qui se recommande le plus hautement aux yeux de
la morale et de la justice.
Quoi de plus juste, en effet, que de punir l’ingratitude
et l’inconduite ? Quoi de plus moral que de vouloir s’at
tacher par des bienfaits celui qui n’a jamais cessé d’en
être digne, reconnaître ceux qu’on a reçus, récompenser
les services importants qui nous ont été rendus? On com
prend que la faculté de se livrer à de pareils sentiments
ait été, de tout temps, l’objet d’une jalouse sollicitude de
la part des citoyens, d’une faveur marquée de la part
des législations qui se sont succédées.
La donation entre vifs est l’expression la plus élevée
de cette faculté. Le donateur y préfère les intérêts du do
nataire à son intérêt propre, puisqu’il se dépouille im
médiatement en sa faveur. C’est surtout dans ce résultat
�296
TRAITÉ DUDOL
qu’il faut chercher les motifs des règles que la loi a tra
cées à la donation. En effet, donner ce qu’on possède
est une conséquence si directe, si immédiate du droit de
propriété, qu’on ne comprendrait pas que le législateur
ait pu se croire autorisé à imposer à cette faculté des
restrictions, des conditions quelconques.
1643.
—• Mais le dépouillement actuel et irrévoca
ble, qui en est la conséquence, exigeait que son exer
cice fût, plus qu’aucune des transactions de la vie com
mune, le résultat d’un consentement réfléchi, éclairé et
libre. Céder à un entrainement puisé dans les meilleurs
sentiments, obéir àune pensée de générosité exagérée,à
une affection aveugle, pouvait avoir pour le donateur les
conséquences les plus fâcheuses, entre autres de se mé
nager un avertir de misère, de regrets et de remords.
Prévenir autant que possible ce douloureux résultat,
était, pour le législateur, un véritable devoir social. Ce
n’était pas tout, en effet, de s’écrier, avec la sagesse éter
nelle : Audite me magnates et omnes populi l filio, mulieri, fratri et amico, non des potestatem super te in
vita tua, elnondederis aliis possessionem tuant-, rie
forte pœniteat te. In die consummationis dierum vitœ
tuœ, et in tempore exitus tui, distribue hœreditalem
tuam.' Il fallait encore venir en aide à celui qui n’avait
oublié ce' précepte que vaincu par une force matérielle
ou morale, à laquelle il a volontairement ou involontai
rement cédé.
i h’Ecclésiastique, chap. 33, S 3, vers. 20
�ET DE LA. FRAUDE.
297
De là les dispositions réglant la forme des donations
et les exigences à l’endroit de celles dans lesquellesl 'in
fluence du donataire a pu avoir une trop grande part.
De là encore les restrictions que certaines autres ont du
recevoir.
Nous n’avons, quant aux premières, qu’à renouveler
le regret déjà exprimé, que la validité de la donation ,
déguisée sous laformed’un acte à titre onéreux, annulle
à peu près l’effet que la loi s’en était promis. À quoi bon
en effet, tracer des formes spéciales à la donation, si,
par une vente même sous-seing privé, on arrive à un
effet plus énergique encore, en rendant la libéralité irré
vocable, même dans le cas d’ingratitude!
1644.
— Les restrictions, mises au droit de donner,
reconnaissent pour cause, en première ligne, l’influence
certaine du donataire, son emploi probable; l’intérêt de
la famille, qu’il importe de protéger non seulement con
tre la haine dont elle pourrait être l’objet de la part de
son chef, mais encore contre l’affection qui le porterait
à vouloir enrichir un des enfants au préjudice des au
tres ; enfin, la volonté expresse du législateur d’assurer,
dans tous les cas, les règles que l’intérêt général lui a
fait prescrire.
Cette triple éventualité résume toute les espèces d’in
capacités, tous les cas de nullité ou de réduction dontla
donation est susceptible. Dans la première catégorie se
placent celles faites entre époux ou en faveur des méde
cins, chirugiens ou ministres des cultes; dans la se-
�298
TRAITÉ DU DOL
conde, nous rencontrons les libéralités faites au pré
judice des réservataires, soit au profit d’un successible,
soit en faveur d’un étranger ou d’un parent plus éloi
gné ; enfin, dans la troisième, se rangent les disposi
tions concernant les enfants adultérins, incestueux ou
naturels simples, et les donations faites en fraude des
droits des tiers.
1 645.
—- Avant mariage, et dans le contrat réglant
leurs conventions matrimoniales, les futurs sont libres
de se consentir réciproquement telles donations qu’ils ju
gent convenables. En fait, ces donations peuvent ne pas
être entièrement libres, en ce sens que, d’une part, le
consentement est forcé par la nécessité de la consomma
tion du mariage; que, de l’autre, ce consentement n’est
que le résultat d’une passion adroitement excitée et en
tretenue. Cependant, la célébration du mariage les rend
irrévocables.
Ce qui a déterminé cette conséquence, c’est d’abord
l’importance sociale du mariage. Le législateur a dû éprou
ver le besoin d’en favoriser l’essor dans l’intérêt de l’Etat.
La faculté illimitée laissée aux époux de se donner réci
proquement était, sans contredit, un des moyens les plus
énergiques pour atteindre à ce résultat.
Ses conséquences d’ailleurs ne pouvaient présenter
aucun danger sérieux. C’est surtout en faveur des des
cendants que la loi s’est préoccupée de l’excès dans les
libéralités. Or, dans l’espèce les enfants nés du mariage
ne sauraient éprouver le moindre préjudice des donations
�ET DE LA FRAUDE.
299
consenties par le contrat de mariage, et cela, par la dou
ble raison que voici :
■1° Les enfants issus des époux héritent également de
l’un et de l’autre. Ils trouveront donc dans la succes
sion du donataire ce qu’ils auraient trouvé dans celle du
donateur, si la donation n’avait pas existé ;
■2° Les donations, par contrat de mariage, irrévoca
bles sans doute, ne sont pas irréductibles. L’existence
d’enfants issus du mariage, à la mort de l’époux dona
teur, place la donation sous le coup de la disposition de
l’art. 1095.
Conséquemment la loi devait d’autant moins hésiter
à consacrer la faculté illimitée de se donner, qu’en ce
qui concerne les enfants, cette faculté n’est pas dans le
cas de leur occasionner le moindre préjudice. Dans tous
les cas, la légitime, qui leur est réservée, doit leur ar
river et leur arrive intacte.
1646.
— Mais cette faculté n’existe plus lorsque
son exercice aurait pour conséquence de méconnaître
ou léser des droits légalement ou conventionnellement
acquis.
Ainsi la donation faite entre époux par le contrat de
mariage devrait être annulée, si elle avait été consentie
en fraude des droits des créanciers du donateur. Tel se
rait, avons-nous dit, le sort de la constitution dotale el
le-même, sur la poursuite des créanciers du constituant.'
1 V. supra n° -1467
�300
TRAITÉ DU DOL
Mais il y au rait, entre celle-ci et la donation que les
époux se feraient réciproquement, cette différence que
cette dernière constituant une pure libéralité, son annu
lation serait la conséquence forcée de la fraude du do
nateur. Il importerait peu que le donataire eût connu
ou ignoré la fraude, qu’il s’en fût rendu ou non le com
plice. Dans tous les cas, la réclamation des créanciers
triompherait, le débiteur n’a pu ni dû se montrer géné
reux à leurs dépens : Nemo liberalis n u i liberalus.
1 647.
— Ainsi encore, aux termes de l’art, 1098,
l’époux qui, ayant des enfants d’un premier lit, con
tracte un second ou subséquent mariage, ne peut don
ner à son nouveau conjoint qu’une part d’enfant légi
time, le moins prenant, sans que, dans aucun cas, les
donations puissent excéder le quart des biens.
Le fondement de cette disposition est d’une évidence
extrême, il réside dans l’intérêt des enfants issus d’un
précédent mariage. Ces enfants, en effet, demeurent lé
galement étrangers au nouvel époux, ils n’ont aucun
droit à sa succession. L’acte qui ferait passer sur la tête
de celui-ci une part plus ou moins notable des biens de
leur père leur occasionnerait un grave préjudice, une
perte incontestable.
La loi n’a pas voulu se prêter à cette spoliation, aussi
déroge-t-elle dans cette circonstance, non seulement au
principe de liberté illimitée des donations contractuelles,
mais encore à l’art, 1094 réglant la quotité disponible
entre époux. Le nouveau conjoint pourra bien avantager
�ET DE LÀ FRAUDE.
301
celui ou celle qui s’unit à son s o rt, mais il ne pourra
le faire que dans une juste et équitable proportion, il ne
pourra l’enrichir des dépouilles des enfants d’un précé
dent lit.
1648.
— Ainsi enfin, la réserve des ascendants ne
saurait recevoir aucune atteinte des donations renfer
mées dans le contrat de mariage. C’est ce qui s’induit
non seulement de la nature du droit quant à ce réservé
aux ascendants, mais encore du texte même de l’art.
1094. L’époux pourra, par contrat de mariage, pour le
cas où il ne laisserait point d’enfants, ni descendants,
disposer en faveur de l’autre époux, en propriété, de
tout ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger
et en outre de l’usufruit de la totalité des biens dont la
loi prohibe la disposition au préjudice des héritiers. Or,
aux termes de l’art. 915, la quotité indisponible est de
la moitié ou du quart, suivant qu’il existe ou non un ou
plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle
et maternelle. En conséquence, les époux ne pourraient,
par contrat de mariage, violer cette indisponibilité, au
trement qu’en disposant de l’usufruit.
En résumé donc, les époux jouissent de la faculté de
se faire, dans leur contrat de mariage, telles donations
qu’ils jugent convenables, mais cette faculté s’arrête de
vant les droits des tiers légalement établis par la loi, ou
résultant d’une obligation ou d’un contrat.
1649. — Les libéralités entre époux, réalisées pen-
�302
TRAITÉ DU DOL
dant le mariage, sont à juste titre suspectes. L’autorité
du mari, les séductions de la femme, une affection ré
ciproque exagérée, la crainte de troubler par un refus la
paix et la tranquillité du ménage , pouvant avoir con
traint ou égaré le consentement du donateur.
La vérité vraie est facilement saisie par tous et à tou
tes les époques. Aussi la position spéciale des époux, à
l’endroit des libéralités qu’ils se font réciproquement ou
particulièrement à l’un d’eux, pendant la durée du ma
riage, a été uniformément appréciée par les diverses lé
gislations des peuples civilisés.
ffl
1650.
— Le droit romain refusait son appui à toute
libéralité de ce genre. Moribus apud nos, nous dit Ul
pien, receptum est ne inter virum et uxorem donationes valcrent ; hoc outem receptum est ne mutuato amore
invicem spoliarentur , donationibus non tempérantes
sed profusa erga se facililate.
Cette règle n’était pas une innovation du droit mo
derne. Suivant Ulpien, elle avait été puisée dans ce qui
s’était pratiqué jusque là : Majores noslri inter virum
et uxorem donationes prohibuerunt, amorem honestam
solis animis œstimantes, famœ etiam conjunclurum
consulentes, ne concordia pretio conciliari viderelur,
neve melior in paupertalem incideret, delerior ditior
fiat.'
Ce qui recommandait surtout ce principe, c’est qu’en
1 L. I et 3, Dig. De donal inter vir. et uxor.
jïjî
�ET DE LA FRAUDE.
303
définitive, comme nous l’enseigne Perezius, on avait à
redouter d’autant plus un défaut de liberté dans le con
sentement du donateur, que la menace d’un divorce
était de nature à le contraindre : Prœbeaturque occasio
divortii, si non donat is qui possidet.'
Cependant un premier tempérament, à la rigueur de
ce principe, avait été introduit par une constitution de
Sévère et Antonin Caracalla, aux termes de laquelle la
libéralité entre époux, non révoquée par le donateur,
devait sortir à effet à la mort de celui-ci. Cette disposi
tion passa dans le Digeste, mais, sous son empire, il n’y
avait de valables que les donations qui avaient reçu
toute leur exécution du vivant du donateur, mort sans
les révoquer. Le conjoint n’avait aucune action contre la
succession, à l’effet de faire exécuter la donation qui
n’avait encore produit aucun etfet malgré que le dona
taire eût persisté dans sa volonté.3
Justinien abrogea cet état des choses. En effet, par la
Novelle 162, il prescrivit l’exécution des donations entre
mari et femme, quoiqu’elles n’eussent pas été suivies de
tradition, mais à condition qu’elles n’eussent pas été
révoquées. Dès ce moment, le donataire eut action con
tre la succession du donateur et put obtenir contre l’hé
ritier l’exécution de la libéralité.
Cette Novelle devint la règle dans les pays de droit
écrit. Ainsi, malgré que l’ordonnanee de 1731 ne permit
1 Cod., liv. 5. tit. 16, n» 16.
s L. 20, 23 et 32, § 2, Dig. même tit.
�304
TR AITÉ D ll
DGI,
de disposer de ses biens que par donations entre vifs ou
par testament, malgré que la donation entre époux ne
fût pas considérée comme constituant l’un ou l’autre,
les parlements n’hésitaient pas à les valider et à en pres
crire l’exécution toutes les fois que le donateur , per
sévérant dans sa volonté, était mort sans les révoquer.
Le droit coutumier offrait une grande diversité sur ce
point de législation. Comme l’enseigne Pothier, les cou
tumes se divisaient en quatre classes, à savoir :
1° Celles qui défendaient toute donation et tous avan
tages directs ou indirects entre mari et femme, pendant
le mariage, les testamentaires aussi bien que celles en
tre vifs ;
2° Celles qui prohibaient les donations entre vifs sauf
le don mutuel, à l’égard de certains biens et en cer
tains cas, mais qui permettaient les donations testamen
taires ;
3° Celles qui avaient adopté purement et simplement
la doctrine du droit romain, telle qu’elle était pratiquée
dans les pays du droit éerit ;
4° Enfin, celles qui permettaient à l’un des conjoints
de faire à l’autre donation entre vifs simple, au moins
en certains cas et sous certaines restrictions.*
1651.
— Les motifs sur lesquels le droit romain
fondait la prohibition des libéralilés entre époux, pen
dant le mariage, sollicitèrent vivement l’attention des aui Pothier, Donat. entre époux, n»! 7 et suiv.
�ET DE LA FRAUDE.
305
teurs de notre Code. Au même titre que le législateur
romain, ils sentirent la nécessité d’empêcher que le ma
riage ne dégénérât en une spéculation vénale ; que l’in
térêt ne transformât en une source de discussions une
union où devaient régner la concorde et la paix; ils crai
gnirent qu’un époux trompé par les apparences d’une
fausse tendresse, bientôt suivie, une fois le but atteint,
de l’abandon et du mépris, assailli d’obsessions conti
nuelles, effrayé par des menaces peut-être, ne se lais
sât arracher un consentement qu’il serait réduit à re
gretter toujours ; enfin ils pensèrent qu’on ne devait pas
même tolérer que les époux, entraînés par une affection
désordonnée, se dépouillassent inconsidérément.
Fallait-il, dans cette prévision, en revenir au prin
cipe rigoureux d’une prohibition absolue? Suffisait—il
d’attacher à ces libéralités un caractère de révocabilité,
tel que la faculté laissée aux époux de se donner ne pût,
dans aucun cas, offrir pour le donateur un danger ef
fectif et réel ?
V
L’art. 1096 nous indique de quelle manière le légis
lateur a résolu ces questions. La solution adoptée est
sage, et ce qui le prouve, c’est que l’expérience avait
amené le droit romain à la consacrer. Les époux pour
ront donc se donner réciproquement des témoignages
de leur affection, de leur reconnaissauce. Les avantages
que l’un d’eux aura extorqués par la ruse, la fraude,
la violence, l’ingratitude dont il paierait les bienfaits de
son conjoint, pourront toujours être atteints par la faiv
20
�306
TRAITÉ DU DOL
culté illimitée de révocation que la loi reconnaît au do
nateur.
1652.
— Celte faculté dont le mari peut librement
user serait devenue illusoire pour la femme, si elle n’a
vait pu l’exercer qu’avec l’autorisation de son mari ou ,
à défaut, de la justice. C’é tait, dans le premier cas ,
demander au donataire de se dépouiller lu i-m ê m e ;
c’était, dans le second, rendre, dans bien de cas, la ré
vocation impossible. En effet, les causes qui ont con
traint le consentement, la violence , les menaces qui
ont arraché la donation, sont dans le cas d’exiger que
la révocation en reste essentiellement secrète. Or, la
publicité nécessaire d’une instance en autorisation ren
dait tout secret impossible, et ramenait dans le ménage
ces obsessions, ces persécutions, ces menaces dont la
femme s’est rédimée par la donation , et devant les
quelles elle s’abstiendra forcément de toute rétracta
tion ; cela était trop évident pour que la loi ne dis
pensât par la femme de la nécessité d’une autorisation
quelconque.
1655. — La question de savoir si la donation a été
ou non révoquée, est importante pour les héritiers du
donateur, pour ses créanciers postérieurs. Ceux-ci, en
effet, ne pourront exécuter les biens donnés que si par
cette révocation ils sont rentrés en la possession de leur
débiteur. Ces intérêts faisaient un devoir au législateur
de s’expliquer sur la survenance d’enfants.
�ET DE LA FIUUDE.
307
On sait que pour les donations ordinaires, celte sur
venance les révoque de plein droit, à tel point que la
mort de l’enfant, postérieurement réalisée avant celle
du donateur, ne fait pas revivre la donation. Or, pou
vait-on dire, que les donations faites par le contrat de
mariage ne soient pas révoquées pour cause de surve
nance d’enfants , rien de plus naturel et de plus légitime. Les époux ne contractant leur union que dans le
but de se créer une famille, l’idée de donner malgré la
paternité est inséparable de l’acte réalisé par les conjoints
Aucun d’eux ne pourraitraisonnablement prétendre qu’il
n’a donné que dans la prévision que le mariage reste
rait stérile.
.
j
Mais il n’en est pas de même pour les donations fai
tes pendant le mariage. Alors, ce qui a pu motiver la
libéralité c’est que, marié depuis longtemps, et n’ayant
plus le doux espoir de devenir père, le donateur a vou
lu favoriser son conjoint ; que si, contre son attente, des
enfants naissent après la donation, ne serait-il pas jus
te, dans l’intérêt de ceux-ci, d’en anéantir les effets ?
Ces objections ne peuvent soutenir l’examen, en pré
sence de la faculté donnée à l’époux de révoquer ses li
béralités tant que le mariage ne s’est pas dissous par la
mort. Il peut donc, si l’existence d’enfants l’eût empêché
de donner à son conjoint, user de cette faculté et révo
quer ses dispositions. S’il n’use pas de cette faculté, c’est
qu’il persiste dans sa volonté première, c’est que son abs
tention constitue une libéralité nouvelle contre laquelle
�308
TRAITÉ DU DOL
la fiction imaginée dans le cas de donations irrévoca
bles ne serait plus qu’un évident mensonge.
Quant aux enfants, leur intérêt est sauvegardé par la
réductibilité de la donation. Tout ce qui peut en résul
ter contre eux, c’est la disposition de la quotité disponi
ble, sur laquelle leur droit est exclusivement subordonné
à la volonté de leur père. Or, cette volonté résultant du
défaut de révocation d’une précédente libéralité, il doit
en être ce qu’il en serait de celle expressément manifes
tée dans un acte postérieur à leur naissance. D’ailleurs,
par cela seul que la loi a admis la réduction, elle a re
poussé la révocation.
Ces considérations étaient plus que suffisantes pour
décider la question que nous examinons. Cependant, dans
le but louable d’éviter toutes contestations, toutes difficul
tés, le législateur a cru devoir la trancher expressément
par la négative dans l’art. 1096.
1654. — La loi ne s’étant pas expliquée sur la
forme des actes de révocation, on en a conclu qu’il
suffit d’une révocation expresse, soit par acte authenti
que, soit par acte sous seing-privé, quand même ce der
nier ne serait pas entièrement écrit et daté de la main
du donateur.'
M. Duvergier, dans ses notes sur la loi du 21 juin
1843, soutient que l’art. 2 exigeant que les actes nota
riés, contenant révocation de donation, soient, à peine
1 Toullier, t v, n° 923.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
309
de nullité, reçus conjointement par deux notaires, ou
par un notaire en présence de deux témoins, ne permet
plus la révocation par acte sous seing privé.
Cette opinion ne parait pas admissible. Il a toujours
été admis en doctrine et en jurisprudence que la dona
tion entre époux peut non seulement être révoquée par
une clause expresse du testament olographe, mais
encore que l’incompatibilité des dispositions de ce testa
ment avec cette donation équivaut à révocation.1
Cet effet est d’ailleurs la conséquence directe de la na
ture de la donation entre époux. La révocabilité absolue
qui la caractérise la rend une libéralité à cause de mort,
plutôt qu’une véritable disposition entre vifs; et il n’est
pas douteux que depuis la loi de 1843, comme avant ,
la révocation contenue dans un testament olographe, soit
expressément, soit tacitement par incompatibilité, en dé
truirait les effets.
Donner à la loi de \ 843 la conséquence qu’en tire
M. Duvergier, c’est lui attribuer un caractère qu’elle ne
comporte pas. À notre avis, cette loi ne fait qu’une seule
chose, à savoir ; régler la forme de la révocation nota
riée. Mais cela dit-il que cette révocation ne pourra être
faite d’aucune autre manière? Non, bien certainement,
et le texte de l’art. 2 va nous en fournir la preuve ir
récusable. Ce que cet article dit de la révocation de la
1 Amiens, 13 juil. '1822 ; — Paris, 17 juil. 1826 ; Douai. 3nov 1836;
— Lyon, 25 mai 1827 ; — Cass., 9 juin 1830 ; — Montpellier, 27 mars
�310
TRAITÉ DU DOL
donation, il le dit également pour celle du testament.
Or, pourrait-on soutenir que le testament sous seingprivé, valable en la forme, ne peut valablement révo
quer un testament? Nous sommes convaincus que M.
Duvergier lui-mème ne résoudrait pas affirmativement
cette question.
La loi de 1843 n’a donc rien innové sur la forme de
la révocation. Elle se borne à trancher la difficulté que
la présence effective du notaire en second avait fait naî
tre. Ainsi, à l’avenir, la révocation, si elle est faite par
acte notarié, ne sera valable que si l’acte a été reçu ré
ellement par deux notaires, ou par un notaire en pré
sence de deux témoins. Mais cette forme ne devient pas
obligatoire. La révocation par acte sous seing privé, re
connu, non contesté, n’en sera pas moins valable.
Nous ajoutons que l’obligation de recourir, dans tous
les cas, à un notaire, est contraire à l’esprit delà loi,
en matière de révocation de donation entre époux. Elle
compromettrait le secret que la femme surtout a un si
puissant intérêt à garder, et, dans plusieurs circons
tances, l’empêcherait de faire la révocation, assurant
ainsi le triomphe de la fraude, quelquefois même de la
violence.
165 5 — Quel est le véritable caractère de la donation
entre époux? Est-elle une libéralité entre vifs? Ne constitue-t-elle qu’nrc& disposition testamentaire?
Cette question, qui a divisé la doctrine et la jurispru
dence, nous paraît résolue par la nature même des
�ET DE LA FRAUDE.
311
choses. La donation entre époux n’e s t, à proprement
parler, ni une donation, ni un testament, mais elle par
ticipe évidemment de l’une et de l’autre. Il faudra donc
la régir par les principes applicables à l’une et à l’autre,
dans tous les points de contact qu’elle aura avec cha
cun d’eux.
Ainsi, en la forme nous dirons avec Toullier, Grenier
et Marcadé que, par cela seul que les époux ont em
prunté celle de la donation entre vifs, l’aete est soumis
à l’acceptation et à la transcription ; qu’il ne peut être
fait qu’en la forme authentique et pardevant notaire.
Nous dirons avec la Cour de cassation, que la condi
tion de révocabilité n’empêche pas le donataire d’être
saisi du jour de la donation ; qu’en conséquence il n’a
pas besoin, si la condition de non révocation s’est réa
lisée, de demander la délivrance; que, de plus, l’effet
de la donation non révoquée, remontant au jour de l’ac
te, les créanciers postérieurs du donateur, quoique an
térieurs au décès, ne pourront exercer aucune poursuite
sur les biens qui en font l’objet.'
Mais du principe que la donation entre époux est tou
jours révocable, qu’elle est, sous ce rapport, assimilée
au testament, nous tirerons les conséquences suivantes :
1° Elle est soumise aux modes de révocation tacite
autorisées pour celui-ci;2
1 Cass., 5 avril 1836; 18 avril 1838; — J. D. P., tom. î, 1838, pag.
492 ;
s Amiens, 13 juillet 1822; — Paris, 17 juillet 1826 ; — Lyon, 25
mai 1827; — Cass., 9 juin 1830 ; — Montpellier, 27 mars 1835; —
Douai, 3 novembre 1836
�312
TRAITÉ DU DOL
2° Elle devient caduque par le prédécès du donatai
re, dont les héritiers sont dès lors sans droit à en ré
clamer le bénéfice.
Le contraire a cependant été jugé par la Cour de Li
moges, le 1er février 1840. Mais cette décision, contraire
à la doctrine, ne saurait être admise. On comprend que
tant que le donataire est apte à recueillir, la révocation
doit être expresse. Or, la faculté de la réaliser n’est pas
perdue par la mort du donataire, mais à quoi bon dès
lors en exiger l’exercice?1
1656.
—• Déjà, et en ce qui concerne les testaments,
l’art. 968 avait prohibé les dispositions conjonctives, ré
ciproques ou non. Cette prohibition constitue, non une
simple loi règlementaire des formes, mais bien une loi
de capacité testamentaire. Le législateur n’a pas voulu
admettre qu’un pareil testament puisse être considéré
comme l’expression d’une volonté certaine et déter
minée.
Or, si cela est vrai pour l’institution non réciproque
à l’égard des personnes entre lesquelles il n’existe que
des liens de simple amitié, on ne pouvait raisonner au
trement dans l’hypothèse d’une donation réciproque en
tre époux. Pour ceux-ci, en effet, indépendamment du
motif général de l’art. 968, il existe en outre celui d’un
abus d’influence que le pretexte de réciprocité donne1 J. D. P., tom. i, 1840, pag. 100; — V. Toullier, tom. v, pag. 918;
— Delvincourt, tom. 11, pag, 114, note 3; — Duranton, n° 779; — Gre
nier, n° 454 ; — Vazeilles, n° 9 ; — et Coin-Delisle, n° 6,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
313
rait l’occasion de continuer même sous les yeux du
notaire.
D’ailleurs, et dans tous les cas, la réciprocité pour
rait devenir un obstacle à la révocation ou soumettre son
exercice à de nombreuses contestations. L’époux qui s’en
trouverait atteint n’aurait pas manqué, argumentant du
caractère de l’acte, de soutenir que la mutualité lui im
primait un cachet absolu d’indivisibilité; qu’en consé
quence aucune atteinte ne pouvait lui être portée que
du consentement de toutes les parties.
Ce qui prouve que l’art. 1047 a eu surtout en vue
d’échapper à l’inconvénient que nous signalons, c’est
que sa disposition ne saurait atteindre les donations que
les époux se feraient réciproquement par actes séparés,
passés le même jour et reçus par le même notaire. Il est
vrai que ee résultat a été un instant contesté ; mais il
ne l’est plus depuis que la Cour de cassation , investie
d’office et dans l’intérêt de la loi, a cassé un arrêt qui
avait admis l’invalidité des deux actes.'
1657.
— Y a-t-il don mutuel et réciproque par un
seul acte, lorsque les époux, vendant un immeuble de
la communauté, en laissent le prix à rente viagère qu’ils
déclarent réversible, en tout ou en partie, sur la tête de
l’époux survivant ?
C’est surtout l’héritier de l’époux décédé qui aura in
térêt à la solution affirmative. En effet, l’époux survi1 22 juillet 1807.
�314
TRAITÉ DU DOC
vant profitant exclusivement de la rente viagère, cet hé
ritier perdra la part qu’il eût infailliblement reçu , si
l’immeuble commun, si les deniers qui ont servi à cons
tituer la rente s’étaient retrouvés dans la communauté
au moment de la dissolution.
Au fond, un pareil traité constitue une véritable do
nation indirecte, expressément dispensée des formalités
de la donation par la disposition de l’art. 1973 du Code
civil, il ne pourrait donc être annulé que si les époux
ou l’un d’eux n’avait pas la capacité de la consentir ou
de la recevoir.
Or, nous venons de le dire, les époux, même pendant
le mariage, ont toute capacité de donner et de recevoir,
sauf réduction en cas d’excès. D’autre part, la femme
commune a incontestablement la capacité de consentir,
conjointement avec son mari, l’aliénation de l’actif delà
communauté. La qualité de maître, que la loi confère à
celui-ci, l’autorise à se passer du concours de sa fem
me, mais ne lui prohibe, dans aucun cas, de réclamer
ce concours lorsqu’il le croit utile.
Donc la validité de l’acte ne saurait être méconnue.
Régulier eu la forme, il est irréprochable sous le rap
port de la capacité ordinaire. Il ne pourrait donc être
annulé que si, tombant sous le coup de l’art. 1097, on
devait le considérer comme une libéralité mutuelle et ré
ciproque par un seul acte. Or, on ne saurait le décider
ainsi par deux motifs péremptoires.
Au moment de la vente, la femme n’a aucun droit
certain sur les immeubles communs que le mari peut
�ET DE LA FRAUDE.
315
aliéner à son gré. Si à la dissolution la femme renonce
à la communauté , il en résultera ce que voici : c’est
qu’en admettant que la réversibilité de la rente stipulée
en sa faveur par le mari puisse être assimilée à une li
béralité, elle l’a reçue à titre purement gratuit, puisqu’en
échange elle n’a pu donner, elle n’a rien donné. En ef
fet, sa renonciation rendant le mari seul propriétaire de
tous les biens ayant appartenu à la communauté, il n’y
a donc pas évidemment mutualité et réciprocité.
Si la femme prédécède et que ses héritiers acceptent
la communauté, il est incontestable que la femme aura
proportionnellement contribué de ses deniers à la cons
titution de la rente viagère. Mais, pour apprécier les
conséquences de cet acte, il faut nécessairement se re
placer à l’époque où la vente se réalisant, la rente via
gère était créée. Or, à ce moment, chacun des époux
stipulait plutôt dans son intérêt propre que dans celui
de son conjoint. En effet, le caractère aléatoire du con
trat, l’incertitude, dans laquelle on est forcément, sur
le point de savoir en faveur de qui il sortira à effet, le
rend en quelque sorte à titre onéreux pour l’un et pour
l’autre; il devient mutuellement intéressé, puisque les
sacrifices, les avantages et les chances se balancent par
faitement, et, par cela même, il échappe à la prohibi
tion de l’art. 1096. C’est ce qu’à fort juridiquement jugé
la Cour de Paris, par arrêt du 25 mars 1344.'
1 J. D. P., tom. î, 1844, pag. S10; — V. Angers, 7 mars 1842; —
�316
TRAITÉ DU DOL
1658.
— Du principe que les époux peuvent se don
ner directement pendant la durée du mariage, il résulte
qu’ils peuvent le faire d’une manière indirecte, sauf les
limites que la loi a posées dans les art. 1094 et 1098.
L’indisponibilité d’une partie des biens, que créent ces
deux dispositions, est absolue, c'est-à-dire que les réser
vataires doivent recueillir en entier la quotité que la loi
a entendu leur assurer, que leur droit à cet égard ne
saurait être directement ou indirectement méconnu ou
violé. Cette conséquence , qui s’induisait suffisamment
des termes de ces articles, se retrouve expressément
écrite dans l’art. 1099.
Il était facile, en effet, de prévoir que les époux, vou
lant s’avantager au delà de ce qui leur est permis, ne
viendraient pas se heurter de front à la prohibition de
la loi, ni la violer ouvertement. Ils auront donc recours
à des voies détournées, ils demanderont à la simulation
les moyens d’assurer les effets de la fraude. Cette prévi
sion a conduit le législateur à régler le sort des donations
indirectes, celui des libéralités déguisées ou faites par
personnes interposées.
Le véritable caractère de l’acte intervenu entre les
époux sera donc d’un intérêt puissant pour les héritiers
agissant en vertu des art. 1094, 1098. Cet acte pourra
être ou une donation indirecte, ou une donation dégui
sée soit par la simulation dans la nature du contrat, soit
par interposition d’une tierce personne. Nous verrons
bientôt l’utilité de distinguer la première de l’autre.
�ET DE LA FRAUDE.
317
1 6 5 9 . — Les moyens d’éluder la loi sont nombreux
et il serait impossible de les prévoir tous. En première
ligne, s’offre la vente, mais la disposition de l’art. 1595
rend celle-ci d’un mince secours, en déterminant dans
quels cas les époux pourront y recourir valablement. La
simulation, ayant pour objet de se placer dans une des
hypothèses prévues, serait facilement prouvée et punie.
On cherchera donc ailleurs les moyens d’échapper
aux réclamations des parties intéressées, et de détourner
l’attention de la justice. Nous allons indiquer quel
ques-uns de ceux pouvant être plus usuellement em
ployés.
1 6 60. — La reconnaissance d’une dot purement fic
tive, la quittance de celle qui a été constituée, consentie
de complaisance et sans paiement réel, constitue un
avantage indirect. L’une et l’autre donnent à la femme
le droit de prélever, à la dissolution du mariage, jus
qu’à concurrence de ce qui a été reconnu ou quittancé.
En conséquence, si elle n’a rien apporté ou rien payé,
ce prélèvement est l’effet d’une véritable donation simu
lée, au détriment des héritiers.'
1661. — L’estimation du mobilier qu eles époux
apportent en mariage ou qu’ils reçoivent pendant sa du
rée par succession, donations ou autrement, peut devenir
la matière d’un avantage direct. La simulation existera
�318
TRAITÉ DU DOU
soit par la valeur exagérée, donnée au mobilier de l’é
poux avantagé, soit par la diminution combinée de la
valeur réelle de celui de l’époux qui avantage.
Exemple : les époux ont promis dans leur contrat de
mariage d’apporter chacun une somme de 10,000 francs
dans l’actif de la communauté, se réservant comme pro
pre celui qu’ils possèdent ou qui leur écherra plus tard,
de plus, la femme se réserve de reprendre son apport
franc et quitte. La totalité du mobilier de la femme va
lait 20,000 fr., mais des états signés par le mari et en
flés à plaisir, ont donné à ce mobilier une valeur de fr.
50.000, c’est évidemment un avantage fait à la femme
de 30,000 fr., si elle renonce à la communauté; de fr.
15.000, si elle accepte.
Dans la même hypothèse, si le mobilier du mari vaut
50,000 fr. et qu’on ne l’ait porté que pour 20,000, la
femme, si elle accepte la communauté, recevra un avan
tage de 15,000 fr., car le mari ou les héritiers ne pré
lèveront que 20,000 fr. pour le mobilier propre, tandis
qu’ils auraient prélevé 50,000 fr., si les états n’avaient
pas été simulés.
Dans la même hypothèse enfin, la diminution calcu
lée du mobilier de la femme ou l’exagération dans l’é
valuation de celui du mari constituerait l’avantage in
direct en faveur de ce dernier.
1662.
— Un résultat analogue est atteint par la si
mulation dans le prix de la vente des propres d’un des
époux. Si ce prix est de 50,000 fr. et qu’il ait été dé-
�RT DE DA FRAUDE.
319
claré de 60,000 dans l’acte, l’époux propriétaire reçoit
un avantage de 10,000. Il concède lui-même cet avan
tage, si le prix, en réalité de 60,000 fr., n’a été porté
que pour 30,000.
Ajoutons que toutes les fraudes dont nous avons par
lé, en examinant celles que les époux peuvent commet
tre l’un contre l’autre, deviendraient des avantages in
directs, si elles sont concertées entre eux.'
1663. — L’adoption du régime d elà communauté
légale; dans le cas d’inégalité dans l’apport respectif des
époux, constitue un incontestable avantage pour celui
dont l’apport est inférieur. Dès qu’ils sont tombés en
communauté, les objets personnels à chaque époux de
viennent leur propriété commune. De plus, le mari, en
ayant la libre et entière disposition, pouvant les aliéner
sans le concours et même contre la volonté de sa fem
me , peut être considéré comme en acquérant la pro
priété intégrale.
Quelque énorme que soit ce résultat, il ne saurait en
thèse ordinaire, et vis-à-vis les héritiers légitimes de
l’époux, exister aucun doute sur sa parfaite légalité. Tout
le monde doit le subir, mais il n’en est plus ainsi lors
que, par l’existence des enfants d’un premier lit, un des
époux se trouve placé sous le coup de la disposition de
l’art. 1098.
1664. — Quel sera dans cette hypothèse l’effet de la
�320
TRAITÉ DU DOL
soumission au régime de la communauté légale, soit
qu’elle résulte d’une convention formelle, soit qu’elle
s’induise de l’absence d’un contrat de mariage?
Sous l’empire des anciens principes, et en présence
des termes de l’édit de François n, de juillet 1650, cette
question avait été résolue en ce sens : Que, quels que
fussent les termes du contrat, la communauté ne pou
vait légalement exister à l’encontre de l’époux déjà père
par l’effet d’un précédent mariage, que pour un apport
égal à celui du conjoint avec lequel il convolait. Tout
ce qui dépassait cet apport n’entrait pas en communauté
et demeurait propre à l’époux. Le fondement de cette
règle était : Qu'une femme, épousant un mari qui lui
était inégal en biens, n'agissait pas en mère avisée et
qui eût en considération les enfants de sonpremier ma
riage, lorsqu'elle ne prenait pas ses précautions pour
empêcher que son second mari ne profitât de la moitié
de ses biens, en stipulant que les deniers, qui lui ap
partenaient, lui demeuraient propres pour le tout ou
en partie, à proportion de ce que le mari a de biens
de son côté, comme ceux qui se conduisent avec pru
dence ne manquent jam ais de faire en pareilles occa
sions; de sorte qu'on a cru que le défaut de prévoyance
de la mère devait être en ce cas suppléé par l'autorité
de l'ordonnance.
En effet, ajoute Ricard, « Quoique nos communautés
» soient légales, il n’arrive presque jamais que les per» sonnes, qui possèdent quelques biens, contractent
» mariage sans déroger notablement à la disposition de
�ET DE LA FflAUDE.
321
» nos coutumes, soit en diminuant ou ajoutant à ce
» qu’elles ont ordonné , tellement que ces sortes de
» communautés ne semblent avoir été établies que ppur
» ceux dont les biens sont si modiques, qu’ils ne pçié» ritent aucune prévoyance particulière. Ainsi il n’y a
)> pas de doute que lorsqu’une veuve, qui possède des
» effets considérables, a passé à un second mariage ,
» sans veiller à la conservation de ses droits , et à as» surer ses biens à ses enfants, il est fort raisonnable
» que l’édit , qui a été fait à ee su jet, supplée à son
» défaut de prudence, puisque cette omission se trouve
» dégénérer en un avantage indirect dont le second mari
» profiterait contre la prohibition de la loi, si le remè» de qu’elle a introduit n’était pas appliqué en celte ren» contre.1 »
Par une parité de raisons incontestables, ce qu’on dé
cidait pour le mobilier tombant dans la conqpqunaulé ,
on l’appliquait aux immeubles qui y étaient conven
tionnellement jetés. Ainsi la femme ne pouvait ameu
blir ses immeubles que dans la proportion de l’apport
réalisé par le mari. L’excédant, quelles que fussent les
stipulations du contrat, ne tombait pas dans la commu
nauté et demeurait propre à la femme.3
Il est inutile de faire remarquer que quoique l’édit
de 1560 ne disposât spécialement que pour les veuves ,
i
D es D o n a t.,
t. î. p. 708, nos <1204 et 2. ; — V. Lebrun, dist. 4
n° 10.
s Ricard ibidem, n° 1200.
IV
21
�TRAITÉ DU DDL
on l’avait sans difficulté appliqué aux deux époux. Ainsi
l’apport excessif du mari, l’ameublissement qu’il aurait
consentit au-delà des ressources de la femme étaient
considérés comme des avantages indirects au préjudice
des enfants du premier lit. Ceux-ci étaient donc rece
vables et fondés à poursuivre contre leur père tous les
droits que l’édit les eût autorisés à réclamer de leur
mère.
Telle était donc la doctrine et la règle que traçait no
tre ancien droit. Faut-il, sous l’empire du Code civil ,
suivre l’une et l’autre, se demande Merlin, etavecbeaucoup de raison, selon nous, il se prononce pour l’affir
mative.' La législation actuelle n’a pas, à l’endroit des
enfants du premier lit, moins de sollicitude que sa dévancière. L’art. 1098 fait aujourd’hui ce que l’édit fai
sait autrefois. Les motifs qui recommandaient celui-ci
recommandent également le premier. On ne concevrait
donc pas une différence quelconque dans la solution.
Il y a plus, ce qui, sous l’empire de l’édit, n’était
qu’une déduction logique et juste, a acquis aujourd’hui
le caractère de loi expresse. Ainsi l’art. 1527, après avoir
proclamé la liberté illimitée de stipulations en matière de
communauté, ajoute : néanmoins, dans le cas où il y
aurait des enfants d’un précédent mariage, toute con
vention qui tendrait, dans ses effets, à donner à l’un des
époux au-delà de la portion réglée par l’art. 2098, sera
sans effets pour tout l’excédant de cette portion.
1 Rép.. v° secondes noces, § 7, art. 2.
�RT DE LA FRAUDE.
323
Or il y aurait véritablement excédant, surtout lorsque
la fortune de l’époux est toute mobilière, dans la clause
qui, la faisant intégralement entrer dans la communauté,
en conférerait la moitié au conjoint. Dès lors il y aurait
lieu à réduction, soit que le résultat que nous indiquons
ait été directement acquis, soit qu’on l’ait dissimulé par
une des fraudes dont nous venons de parler, et notam
ment par une fausse évaluation du mobilier des deux
époux.
La solution donnée dans l’hypothèse d’une commu
nauté conventionnelle doit être -également consacrée
dans celle résultant de la loi, à défaut de contrat de ma
riage. S’il suffisait en effet, pour échapper aux consé
quences des art. 1098 et 1527, de se marier sans con
trat, l’existence de celui-ci, dans les seconds mariages,
deviendrait un mythe introuvable. La fraude serait par
trop facile et beaucoup trop sûre.
Conséquemment, que les époux se marient avec ou
sans contrat de mariage, le résultat est identique, l ’ap
port de celui qui convole ne peut être supérieur à celui
de son conjoint. Il doit donc, sur la poursuite des en
fants du premier lit, être réduit jusqu’à concurrence, si
celte proportion a été méconnue ou dépassée.
1665.
— Dans tous les cas, la réduction ne s’opère
que sur le capital. Les revenus que ce capital aurait pro
duit , quelle que fût d’ailleurs l’inégalité entre les ap
ports, seraient définitivement acquis à la communauté.
Cette règle, que le droit ancien aurait admis au sentiment
�324
TRAITÉ DU DOL
de Ricard et de Lebrun , est aujourd’hui consacrée ex
pressément par l’art. 1527, et avec toute sorte de rai
sons. Ce qui pouvait résulter du système contraire, c’était
que le second mari, voyant le peu d’intérêt qu’il de
vait retirer de ses économies et des revenus, ne fût tenté
de les dissiper ou de les détourner, en les dissimulant.
On aurait donc fait préjudice à la femme, et même aux
enfants, en voulant les favoriser.
1 666.
— Indépendamment des avantages indirects
qu’ils peuvent mutuellement se concéder, les époux peu
vent tenter d’éluder la loi par des donations déguisées.
A cet égard, la loi place sur la même ligne la simula
tion dans le caractère de l’acte et l’interposition de per
sonnes. C’est même à celle-ci que la fraude demandera
le plus usuellement le moyen de sortir à effet, les tran
sactions entre époux étant trop facilement suspectées
pour qu’on puisse se flatter de tromper les tiers intéres
sés et la justice.
Aux termes de l’art. 1100, l’interposition de per
sonne est légalement admise et de plein droit présumée
lorsque la libéralité est faite aux enfants, ou à l’un des
enfants de l’époux, ou aux parents dont il est l’héritier
présomptif. Les enfants réputés personnes interposées
sont ceux que l’époux a eu d’un précédent mariage. Il
ne pouvait en être autrement. Les enfants issus du do
nateur et du donataire appartiennent à l’un comme à
l’autre; ils sont, pour l’un et pour l’autre, l’objet d’une
égale affection. En les favorisant, le donateur ne peut
�325
ET DE LA FRAUDE.
pas être censé avoir voulu favoriser son conjoint plutôt
que l’enfant lui-même.
Dans l’hypothèse de l’art. 1100, au contraire, l’époux
n’est pas présumé avoir une vive affection pour des en
fants qui ne lui appartiennent pas. S’il donne à quel
qu’un, c’est évidemment à son conjoint, et s’il s’adresse
à un intermédiaire, c’est qu’il n’est pas libre d’en agir
autrement. Cette idée se présente si naturellement, la
fraude est ici tellement probable, qu’on ne pouvait en
prévenir les effets que par la présomption légale consa
crée par l’art. 1100.
.
\
r, „ n :
*
-
Vs
-V*
1667.
— Le législateur a de plus tracé à la justice
le mode d’appréciation qu’elle a à suivre dans cette ma
tière.. Pour juger la validité de la donation, il faut s’en
référer à l’état des choses existant au moment où elle
s’est réalisée.
11 est certes bien évident que la donation faite à l’en
fant que le conjoint a eu d’un précédent mariage ne sau
rait être querellée de simulation, si ce conjoint avait
prédécédé. Mais pour produire cet effet, le décès doit
être antérieur à la donation elle-même. Si, au moment
où elle a été réalisée, le conjoint était vivant, la dona
tion est considérée comme le concernant, et son décès
survenu plus tard, quoique avant l’ouverture de la suc
cession du donateur, ne modifie en rien cette présomp
tion. La donation doit être annulée.
Il en serait de même du second cas prévu par l’arti
cle 1100. Si au moment de la donation l’époux est l’hé-
�326
TRAITÉ DU DOL
ritier présomptif du donataire, il y a présomption de
fraude définitivement acquise. La donation ne pourrait
être maintenue, alors même qu’au décès du donateur
le conjoint eût perdu la qualité d’héritier présomptif du
donataire.
— L’art. 911 met, au nombre des personnes
les ascendants de l’incapable. En
' "nothèse de l’art. 14 00? Mer—
1668. -ms croyons d’autant
réputées interposer,
,
sera-l-il de même dans l'a , ,
enlin enseigne l’affirmative , que t i r
et
plus juridique, que la qualité d’héritier pre*gée par l’art. 1100, se réalise entre les père et m e^
les enfants. Donc, si les mots sont omis, la chose existe#
et cela justifie complètement l’opinion de Merlin.
Mais celui-ci va plus loin ; il soutient que la donation
faite à l’aieul de l’époux incapable, du vivant des père
et mère, doit être réputée faite à celui-ci par interposi
tion de personne. À la rigueur, sans doute, la condition
exigée par l’art. 1100 ne se réalise pas dans l’hypo
thèse; mais le caractère d’une donation de ce genre, le
but évident qu’elle se propose nous paraissent justifier
la doctrine de Merlin.
1669.
— Quel que soit le donataire désigné dans
l’acte, l’interposition est possible et sa certitude déter
minerait la révocation de la donation. Elle pourra donc,
dans tous les cas, être alléguée, et cette allégation être
justifiée par toutes sortes de preuves et même par té
moins et par présomptions. Les héritiers sont, quant à
ce, de véritables tiers, et, dès lors, on ne saurait leur
�ET DE LA FRAUDE.
327
refuser le droit de faire valoir tous les moyens à l’aide
desquels ils prétendent prouver la fraude dont ils sont
les victimes. La preuve testimoniale, celle par présomp
tions sont, à cet effet, d’une utilité aussi certaine que
leur admission indispensables. Cette dernière peut être
même plus efficace que la première ; en effet, l’exécution
que la donation a reçue, la condition de la réserve
d’usufruit, dans le cas contraire, le mode d’administra
tion pratiqué, la part que l’époux indiqué comme le do
nataire réel y aura prise sont de nature à influer puis
samment sur la solution du litige.
1670. — La donation pourrait être faite à l’époux
par un fidéicommis tacite, mais on ne peut, faire, par
actes entre vifs, ce qu’il n’est pas permis de faire par
testament. En conséquence, les principes que nous avons
exposés en nous occupant de celui-ci régiraient égale
ment la difficulté que cette supposition ferait naître.1
1 671. — En résumé, rien ne prohibe aux époux de
se récompenser mutuellement de la bonne conduite, de
l’affection et des soins qu’ils ont eu l’un pour l’autre.
Une reconnaissance de ce genre ne méritait que des en
couragements, m ais, mis en présence d’autres devoirs
de famille, ses effets devaient être restreints dans des li
mites équitables et justes. Les ascendants, les descen
dants , les enfants d’un premier lit surtout devaient
�328
TRAITÉ DU DOL
d’autant plus être protégés, que la conduite du dona
taire pouvait n’être que le résultat, que l’abus d’une in
fluence trop imminente et trop prochaine pour n’être
pas redoutable. Celte prévision résume et justifie les dis
positions des art. 1094 et 1098.
1672.
— En ce qui concerne les ascendants, le pre
mier ne saurait être l’objet d’aucun autre reproche que
de celui de sacrifier un peu trop leurs droits à ceux du
conjoint. La faculté de grever d’usufruit leur réserve lé
gale, ferait admettre que la loi leur retire d’une main ce
qu’elle leur accorde de l’autre. En effet, elle a pour ré
sultat, en quelque sorte forcé, de frapper cette réserve
d’indisponibilité, en la subordonnant, quant à la jouis
sance , au décès d’une personne probablement moins
âgée et qu’ils sont probablement appelés à prédécéder.
De quel prix, d’ailleurs, peut être la nue propriété ellemême, et qui voudra l’acquérir en présence d’un usu
fruitier pouvant avoir à peine atteint sa vingt-unième
année ?
C’est donc l’héritier de l’ascendant, plutôt que l’as
cendant lui même, que la loi semble vouloir favoriser.
Cela est d’autant plus rigoureux, que son âge, que ses
infirmités, que l’insuffisance de ses ressources lui ren
draient plus indispensable et pliïs utile la disposition
de cetfé réserve dont le principal et l’unique objet de
vrait être son avantage personnel.
Nous applaudissons donc à la proposition dont l’As
semblée nationale est aujourd’hui saisie, et qui tend à
�ET DE LA. FBAUDE.
329
retirer à l’époux le droit de grever d’usufruit la quotité
dont il ne peut disposer. Les motifs qui militent en sa
faveur ne manqueront, sans doute, pas d’en assurer
l’adoption.
1 6 7 3 . — La détermination de la quotité disponible,
soit de l’art. 1094, soit de l’art. 1008, ne peut avoir
lieu qu’au décès du donateur. Ainsi, il importerait peu
qu’au jour delà donation il existât des enfants d’un pre
mier ou d’un second mariage, des ascendants dans l ’une
ou l’autre ligne. La donation, fût-elle universelle, n’en
sortirait pas moins à effet si les uns et les autres avaient
prédécédé le donateur, s i , conséquemment, à la mort
de celui-ci, il n’existait plus ni ascendants, ni enfants,
ni descendants de ceux-ci.
De là il suit : que pendant la vie du donateur les en
fants, même d’un précédent mariage, seraient irreceva
bles à quereller la donation soit en réduction, soit en
nullité, l’une ou l’autre étant forcément subordonnée à
l’état des choses au moment de la mort du donateur.
1 6 7 4 . — Mais ce défaut d’action ne va pas jusqu’à
leur faire interdire de requérir les mesures conservatoi
res dans l’hypothèse où le relâchement des liens du ma
riage nécessitant la liquidation des droits de la femme ,
celle-ci est appelée à recevoir le montant de ce qui lui
aurait été frauduleusement donné. L’action des réserva
taires serait illusoire si, avant d’être exercée, la dona
tion recevait son entière exécution et si l’incapable pou-
�330
TRAITÉ DU DOL
vait à son gré faire disparaître ce qu’elle craindrait d’a
voir à restituer plus tard. Les ayants-droit devraient donc,
dans ce cas, être admis à faire de la dation d’une cau
tion la condition de la délivrance réelle.
C’est ce que la Cour de Grenoble a consacré dans une
hypothèse où, en se remariant, un homme avait recon
nu une dot de 6,000 francs à sa seconde épouse, lors
que déjà il avait donné à l’ainé des enfants du premier
lit, et par préciput, le quart de ses biens.
A la suite de l’obtention de sa séparation de corps, la
seconde femme demandait la restitution de sa dot de
6,000 francs. Les enfants du premier lit intervenant sou
tinrent que la reconnaissance dans le contrat de maria
ge constituait une pure libéralité dont le cumul avec cel
le faite à l’un d’eux était de nature à entamer leur ré
serve légale. Ne pouvant, en l’état, la faire réduire ou
annuler, ils concluaient à ce que la femme ne fût auto
risée à la toucher qu’à la charge de donner caution pour
la garantie de leur droit éventuel.
Ce système, accueilli par la Cour de Grenoble, s’étaie
dans l’arrêt sur les motifs suivants :
« Attendu que l’ihtérêt est la mesure de l’action ;
que les intervenants, alors que leur père, avant son se
cond mariage, a déjà donné, à son fils ainé, le quart de
ses biens par préciput, et qu’ils soutiennent que la re
connaissance faite par leur père à sa seconde femme
contient une libéralité déguisée dont le montant, joint
à la donation précitée, est de nature à entamer leur ré
serve légale, ont un intérêt évident à empêcher que la
�ET DE LA FRAUDE.
331
somme, faisant l’objet de ladite reconnaissance, ne soit
.remise à leur belle-mère, parce que celle-ci, en la fai
sant disparaître, paralyserait l’action que la loi leur ac
corde ;
« Attendu que le seul effet de leur intervention en l'é
tat n’est pas d’examiner la validité ou l’invalidité de la
stipulation du contrat de mariage, mais d’empêcher que
le montant de la reconnaissance ne puisse pas être sous
trait ou occulté d’une façon quelconque ; que dès lors,
lt '.ur intervention est bien fondée, et qu’il ne peut échoir
d’t examiner la demande de la femme d’être autorisée à
reti. rer, sans donner caution, le prétendu apport par elle
fait c fans son contrat de mariage.’ «
i67£>
~~ Le même arrêt décide, avec raison, que
v q0 nateur est non recevable à exciper de sa
VépouA
^
mnder la nullité de la donation. En effet,
fraude et à
fiste que dans l’intérêt exclusif des
la prohibition n’e^
ue ne consiste que dans le préjuhéritiers légitimes ; et.
. ,e ras d,en ê
^ ^
dice qu'ils seraient dans
,a |oi dCTait recMmai,re |e
donc à eux seulement que *
,
droit et confier le soin d’en pou. “ 7 " la rePres*lonD’ailleurs, le caractère de l’acte n’eu nn accluis fiu ^ ' a
mort du donateur, il est évidentqu’on u e Pouvait, dans
aucun cas, lui permettre de faire prononcer une uuïïitéi
que le prédécès des réservataires empêchera /I exister..
Enfin, et par rapport à lui, la disposition trou\h uud
1 2 juillet 1831 ; — D. P., 32, 2, 137.
�332
TRAITÉ DU DOL
cause légitime dans l’intention d’avantager son con
joint.
1676. — Quel est l’effet de la donation faite au mé
pris des prescriptions de l’art. 1099?
Aucun doute ne saurait exister à l’égard de la dona
tion indirecte. Elle est valable pour toute la quotité dis
ponible. Elle ne peut donc devenir l’objet d’une action
autre que celle en réduction. C’est ce que l’art. 1099
décide en termes formels.
1 6 7 7 . — Le sort de la donation déguisée ou faite
par personne interposée a, au contraire, suscité une vive
et grave controverse. Grenier, Toullier, Delvincourt. Mer
lin se prononcent pour la nullité absolue; MM. CoinDelisle, Duranton, Poujol, Malpel, Vazeilles enseignent
qu’elle est seulement réductible. Cette dernière' opinion
s’étaie des motifs suivants ;
1 6 7 8 . — « Il est certain que sous l’empire du droit
romain aux termes de la loi hac œdictali, comme sous
l’empire de l’ordonnance de 1650, les donations dégui
sées ou faites par interposition de personne n’encou
raient pas d’autre peine que la réduction à une part
d’enfant moins prenant. Or, le Code civil, moins sévère
sur un point que cette législation, peut-il être censé en
avoir aggravé la disposition pénale? On ne pourrait évi
demment l’admettre.
« Cette première considération est corroborée par le
�333
ET DE LA FRAUDE.
texte même de l’art. 4099. Ainsi, sa première disposi
tion porte que les époux ne pourront se donner indirec
tement au-delà de ce qui leur est permis par les arti
cles ci-dessus ; donc la prohibition n’existe que pour l’ex
cédant ; c’est là d’ailleurs une légitime déduction de ce
principe qu’on peut faire d’une manière indirecte ce qu’il
est permis de faire directement.
« Dès lors aussi la nullité édictée par l’art. 1099,
contre les donations déguisées ou faites par personne
interposée, ne peut s’entendre que relativement à la quo
tité déclarée indisponible. Cette nullité n’est que la sanc
tion pénale de la prohibition de se donner indirectement
au-delà de ce qui est permis. Cette seconde disposition
se lie donc intimement à la première ; elle n’est que la
conséquence du principe posé dans celle-ci, et il est de
règle logique que la conséquence ne doit pas être plus
étendue que le principe.1
1 6 7 9 . — On répond dans l’opinion contraire :
« Qu’on ne saurait avoir aucun égard à ce qui se pra
tiquait sous l’empire de la loi hac œdictali et l’ordon
nance de 1650. La donation n’était pas alors annulée
par l’excellente raison qu’aucune de leurs dispositions
n’autorisait où ne prononçait cette peine. On ne pour
rait donc consulter utilement cette pratique que si le Code
civil eût imité leur silence;
1 D u r a n t o n , t . i x , n ° 8 3 1 ; — C o i n - D e l i s l e , a r t . 1 0 9 9 , n ° 1 3 ;— P o u j o l ,
des
Donat.,
n« 5, a rt.
1099; —
Malpel, des Suce.,
n°
266
; —
Vazeil-
�334
TRAITÉ DU DOL
« Que loin de là, le législateur avait voulu , à cet
égard, introduire un droit nouveau, et que cette inten
tion il l’avait clairement et expressément manifestée ,
puisqu’en laissant les donations indirectes sous l’empire
de l’ancien droit, en les déclarant simplement réduc
tibles , l’art. 1099 prononçait formellement la nullité
des donations déguisées ou faites par personnes inter
posées ;
« Que ne voir dans cette dernière déposition que ce
qui se trouve dans la première, c’est lui attribuer un ca
ractère par trop absurde, puisqu’elle ne constituerait qu’u
ne répétition insignifiante et inutile :
« Que la raison de l’une et de l’autre se justifie suffi
samment par la nature de l’acte sur lequel elles dispo
sent : que la donation indirecte n’exige, ni ne comporte
pas nécessairement l’idée d’une simulation ou d’une frau
de : qu’elle peut résulter d’un fait ou d’un titre commun
aux deux époux, dont l’appréciation n’est pas dès lors
dans le cas d’offrir de grandes difficultés : que la dona
tion déguisée ou faite par interposition de personne de
mande au contraire à la fraude non seulement le moyen
de causer un préjudice, mais encore la faculté de violer
impunément la loi ; qu’indépendamment donc de l’in
térêt des tiers, il y avait à assurer le respect qu’exige cel
le-ci, ce qui ne pouvait être atteint que par la sévérité
de la peine édictée ;
« Qu’ainsi la raison justifie le texte si formel, au se
cours duquel vient encore la discussion législative. En
effet, le seul des orateurs du conseil d’Etat qui se soit
�ET DE LA FRAUDE.
335
occupé de la portée réelle de l’art. 1099 n’hésite pas à
proclamer que la donation déguisée sera nulle et non pas
seulement réductible.’ »
1680.
— Cette dernière opinion paraît en effet plus
conforme au texte de la loi ; elle a de plus l’incontesta
ble avantage d’être mieux en harmonie avec l’économie
générale de la loi en matière de fraudes. Nous l’avons
vue, en effet, dans toutes les hypothèses, s’armer d’au
tant plus de sévérité que la fraude est plus imminente,
et qu’elle trouve dans la facilité qu’elle a à se produire
plus de chance de réussite. Pourquoi donc se serait-elle
départie de ce système à l’endroit des donations entre
époux?
Est-ce que le danger est moins redoutable que dans
les autres cas d’incapacités? Presque toujours, au con
traire, l’époux qui se remarie cède à l’entraînement d’une
passion vive, à l’ardeur de désirs qui ne s’arrêteront pas
devant une question d’argent. Celui qui ambitionne une
paternité nouvelle, se montrera oublieux de son ancien
ne paternité. Et que sera-ce pour ces mariages dispropor
tionnés unissant la force à la faiblesse, la caducité à la
jeunesse, la vie à la mort?
On recourra au déguisement, à l’interposition de per
sonnes, d’abord parce que telle sera la condition impo
sée, ensuite parce que la difficulté de découvrir l’une et
1 Mei'lin, R e p . , v° s e c o n d e s n o c e s , % 7, n° 10 ; — Grenier, n» 694 ;
— Toullier, t. v, n° 904 ; — Delvincourt, t. n, p. 447,
�336
TRAITÉ DU DOL
l’autre multiplie les chances d’échapper à toute répres
sion. En effet, la preuve orale, les présomptions ellesmêmes, quoique d’un utile secours, seront, dansbiende
cas, insuffisantes. Elles créeront un soupçon plus ou
moins violent, des doutes sérieux auxquels cependant
les juges ne croiront pas devoir s’arrêter. Un soupçon est
encore fort loin d’une certitude, et ainsi se trouvera con
sommée cette spoliation que la loi tient à empêcher.
Il importait donc pour prévenir ce danger, et comme
correctif, de se montrer très sévère pour les conséquen
ces de la découverte de la fraude. La crainte de tout
perdre est de nature à faire réfléchir les époux et à les
détourner de ces voies tortueuses dans lesquelles ils pour
raient être tentés de s’engager. Se borner à réduire la
donation frauduleuse, c’est-à-dire conférer au conjoint
tout ce qu’il aurait pu recevoir, tout ce qu’il recevrait
par l’emploi des moyens les plus légitimes, était un puis
sant encouragement pour la fraude. Pourquoi, en effet,
ne tenteraient-on pas les chances d’une réussite puisqu’en cas d’échecs on conserverait toujours l’intégralité
de la quotité disponible. En présence d’un pareil résul
tat, l’époux, cherchant à violer la loi, n’aurait pas man
qué de se dire, qu’on nous passe la trivialité de l’ex
pression, si la donation déguisée, si l’interposition de
personne ne produit aucun bien, elle ne peut produire
aucun mal, essayons-en donc, puisque tout ce qui peut
en résulter de pire, c’est d’être placé dans la position
que j’aurais si j’avais scrupuleusement respecté la loi.
Le système de la nullité absolue rend cet odieux cal-
�337
ET DE LA. FRAUDE.
cul moins tentant. Quelque difficile que soit, la décou
verte de la fraude, la preuve testimoniale offre au moins
une chance d’y arriver, et dès lors de tout perdre. Toute
légère qu’elle soit, cette chance peut donner à penser
au donataire et le porter à préférer la possession légale
de la quotité disponible, plutôt que de la courir.
Dira-t-on qu’on ne recourra à la fraude qu’après
s’être assuré cette quotité par une disposition directe?
Mais, dans cette hypothèse, notre question n’a plus au
cun intérêt. Qu’importe, en effet, que la donation soit
nulle ou simplement réductible. Il n’y a plus rien à re
cevoir dès l’instant que la disponibilité est épuisée. Dans
un cas comme dans l’autre , la donation resterait sans
effets possibles, et il deviendrait fort inutile de chercher
à en déterminer le véritable caractère.
Ainsi, le système de la nullité absolue, textuellement
consacré par l’art. -1099, se recommande en outre par
la haute moralité de ses conséquences. On doit donc le
consacrer. C’est du moins ce que la Cour de cassation
n’a pas cessé de faire.
1681.
— Saisie une première fois de la question,
elle juge, le 30 novembre 1831, que la donation dégui
sée faite par un époux, veuf, ayant des enfants d’un pre
mier l i t , au profit de son nouvel époux , est frappée
d’une nullité absolue et non pas seulement réductible.
Cet arrêt, rendu après délibération en chambre de con
seil, rejette le pourvoi formé contre la décision conforme
de la Cour d’Angers.
iv
32
�338
TRAITÉ DU DOL
Plus tard , la Cour de Rouen décidant le contraire,
son arrêt est déféré à la Cour suprême. Après un nou
veau délibéré en chambre de conseil, cet arrêt est cassé
le 11 novembre 1834.
Enfin, par un dernier arrêt du 27 mars 1838, la
Cour régulatrice, mise en demeure de se prononcer une
troisième fois, et persistant dans sa jurisprudence, con
sacre de nouveau la nullité de la donation frauduleuse.
Ce dernier arrêt fixe nettement le sens et la portée
réelle de l’art. 1099 dans son application aux donations
indirectes et à celle que la fraude a fait déguiser. Voi
ci, sur leur différence, la doctrine de fla Cour de cas
sation :
« Attendu que l’art. 1098 se borne à fixer la quo
tité dont les époux peuvent disposer l’un au profit de
l’autre ;
« Que l’art. 1099 a pour objet de régler entre époux
la valeur des donations indirectes et des donations dé
guisées ou faites à personnes interposées ;
« Qu’il accorde effet aux premières jusqu’à concur
rence de la quotité fixée par l’art. 1098, mais qu’il dé
clare nulle les secondes ;
« Attendu que si la distinction établie par cet article
ne se retrouve plus, lorsqu’il s’agit de donations autres
que celles que les époux se font l’un à l’autre, il en ré
sulte seulement que, pour ce genre particulier de dona
tions, la loi a cru devoir introduire une règle plus sé
vère, mais qu’il n’en résulte nullement que la disposi-
�ET DE LA FRAUDE.
339
tion spéciale et formelle de la loi ne doive pas recevoir
son exécution."
1 682.
— Nonobstant cette persévérante jurispru
dence de la Cour de cassation, la Cour de Bourges et
celle de Paris se sont prononcées dans le sens contrai
re, la première, par arrêt du 9 novembre 1836; la se
conde, par arrêt du 21 juin 1837.” Mais les motifs que
nous venons d’exposer enlèvent, à notre avis, à ces
deux décisions, tout caractère juridique.
4 683. — Il faut donc, avec la Cour de cassation,
arriver à cette conclusion : qu’on doit distinguer les do
nations indirectes des donations déguisées ou faites à
personnes interposées; que les premières sont réducti
bles et valables pour toute la quotité disponible; que les
dernières sont absolument nulles. Cette peine n ’a rien
de trop sévère en présence de la facilité que rencontre la
fraude qu’elle tend à prévenir , et des dangers.qu’elle
fait courir à ceux qui sont exposés à en subir les con
séquences.
4 6 8 4 . — Nous nous sommes déjà occupés des in
capacités édictées par l’art. 909. Nous en avons indiqué
la nature, et les effets. Nous nous bornons donc, pour
ce qui les concerne, à nous en référer à nos précédentes
observations.3
1 J. D. P., t. i, 1 838, p. 658, v. Limoges 16 juillet, 1842 ;
t i, 1844, p. 500.
* I b i d ., t. n, 1837, p. 7.
3 V. s u p r a , n»* 161 et suiv., 1465.
— Ib id .,
�340
TRAITÉ DU DOL
1685.
— Les motifs qui ont fait proscrire les avan
tages excessifs entre époux militaient pour empêcher
que les ascendants ou descendants pussent être privés
directement ou indirectement de la portion des biens
que la loi a entendu leur réserver. La transmission des
biens la plus juste , parce qu’elle est la plus naturelle,
est celle qui se règle par les liens de la nature et du
sang. C’est aussi celle que la loi admet et consacre.
Sans doute, et dans bien des cas, la volonté du pro
priétaire, donnant ce qui lui appartient, vient se subs
tituer à la loi, mais, quelque respectable que soit le droit
légitimant cette conséquence, le législateur n’a pas hé
sité à lui tracer des limites qu’il ne saurait franchir. 11
importe que le père de famille ait la faculté de recon
naître la bonne conduite et le mérite des uns, de punir
l’ingratitude des autres, mais cette faculté ne saurait al
ler jusqu’à l’exhérédation complète de ceux-ci au profit
de ceux-là, et moins encore au profit d’un étranger. De
là l’indisponibilité partielle des biens créée à l’endroit
des enfants et ascendants par les art. 913 et 915 du
Code civil. Or, ce qui n’est pas permis de faire par tes
tament, ne saurait légalement résulter d’une donation
entre vifs. En conséquence , la prohibition de léguer
renferme virtuellement celle de donner au delà de la
quotité disponible.
1686.
— La réserve des ascendants est, à défaut
d’enfants ou descendants, d’un quart pour la ligne pa
ternelle, d’un quart pour la ligne maternelle, sans qu’il
�ET DE LA FRAUDE.
341
puisse jamais s’opérer aucune dévolution d’une ligne à
l’autre. Par rapport à eux, la quotité disponible est donc
des trois quarts ou de la moitié, selon qu’il en existe ou
non dans les deux branches. L’art. 1094 permet en ou
tre , dans le cas spécial, de grever d’usufruit la totalité
de leur réserve.
1687. — La légitime des enfants se calcule sur le
nombre de ceux qui existeront au moment du décès de
leur auteur. Elle est delà moitié des biens, si le père ne
laisse qu’un enfant, de deux tiers s’il en laisse deux, de
trois quarts s’il en laisse trois ou un plus grand nom
bre. La quotité disponible est donc du quart au 'm ini
mum,, mais elle peut être du tiers ou de la moitié.
Cette quotité peut être donnée par le père soit à l’un
ou plusieurs de ses enfants, soit à un étranger. Ce droit
ne subit qu’une exception, à savoir : le cas de minorité
du disposant.
Ainsi, le mineur est incapable de donner entre vifs.
Il ne peut disposer par testament qu’après avoir atteint
sa seizième année, et encore ne lui est-il permis de don
ner que la moitié de ce qu’il aurait pu donner s’il avait
été majeur.
Le fondement de cette exception réside dans la qua
lité de mineur. La faiblesse de son âge, son inexpérience
l’exposent à des entraînements dont il est incapable
d’apprécier sainement les conséquences, pouvant aller
cependant jusqu’à son dépouillement complet. La loi de
vait donc le protéger contre sa propre imprudence. Àuss
�342
TRAITÉ DU DOL
ne se départ elle de toute sollicitude que lorsque le mi
neur , agissant sous les yeux et avec le concours de ses
protecteurs naturels, trouve dans ce concours une dé
fense légitime et une protection efficace. C’est ce qui se
réalise notamment dans l’hypothèse de l’art. 1095, dans
laquelle le mineur est, même pour la donation, com
plètement assimilé au majeur.
1688. — L’indisponibilité créée par les art. 913 et
915 n’est pas moins absolue que celle résultant des ar
ticles 1094 et 1098. Conséquemment, pour l’une comme
pour l’autre , les moyens qui tiendraient à la mécon
naître directement ou indirectement ne pourraient pro
duire le moindre effet. La donation arrivant à ce résul
tat serait donc, de plein droit, réduite à la seule quotité
disponible.
1689. — La donation indirecte peut résulter de
l’abstention par le père de recueillir un avantage, qui
se trouverait ainsi transmis à celui qu’il veut favoriser.
Supposez qu’un époux, ayant des enfants d’un premier
lit, renonce, après la dissolution de son second maria
ge, à la communauté évidemment avantageuse, ou bien
qu’institué par son conjoint légataire de la quotité dis
ponible, il renonce au legs. Dans l’une et dans l’autre
hypothèse, les enfants du second lit recevront intégrale
ment un bénéfice auquel, dans le cas d’acceptation, les
enfants du premier lit auraient été nécessairement ap
pelés à participer. Pourront-ils, dès lors, soutenir que
�ET DE LA FRAUDE.
343
la renonciation de leur auteur est une donation indi
recte, et, comme telle, la faire réduire?
L’affirmative ne nous paraît pas conteslable. Déjà nous
avons vu que les créanciers de celui qui, au préjudice
de leurs droits, renonce à une succession ou à une com
munauté, sont recevables à faire révoquer la répudia
tion. Comment pourrait-on contester ce droit aux enfants
qui éprouveraient un égal préjudice?
La seule différence possible entre les créanciers et les
enfants du premier lit se fait remarquer dans l’exercice
du droit qui leur est commun. Pour les premiers, cet
exercice peut être actuel et suivre immédiatement la ré
pudiation ; pour les derniers, au contraire, la recevabi
lité est nécessairement subordonnée au décès de leur au
teur. Ce n’est en effet, qu'à cette époque que la quotité
disponible étant déterminée, ils peuvent être admis à
prétendre qu’elle a été dépassée.
Cette différence dans l’exercice du droit en signale une
autre dans les effets de l’action. Celle-ci consiste en ce
que celle des créanciers est une action en nullité, tandis
que celle des enfants ne constitue jamais qu’une deman
de en réduction et en rapport.
1 690.
— La faculté pour l’époux de donner à son
conjoint l’usufruit de la moitié ou le quart en propriété
et le quart en usufruit, a fait naître la question de savoir
si cette quotité pouvait ou non être cumulée avec celle
de l’art. 913.
«
Cette importante question fut un moment en voie d’être
�344
TRAITÉ DU DOL
législativement résolue. L’Assemblée nationale investie
d’une proposition tendant à autoriser le cumul dans tous
lescas, n’y donna aucune suite. Cette solution, contraire
à la jurisprudence de la Cour de cassation, est une preuve
nouvelle du peu de fondements de celte jurisprudence.
Condamnée par tous les jurisconsultes, elle l’est encore
par nos mœurs et nos besoins sociaux.
On le sait, la question du cumul peut se présenter
dans trois hypothèses : 1 ” le donateur, ayant disposé ,
en faveur d’un tiers, enfant ou étranger, du disponible
de l’art. 913, soit d’un quart de ses biens en pleine
propriété, laisse ultérieurement, à son conjoint, soit l’u
sufruit de la moitié, soit la jouissance d’un autre quart :
2° les deux dispositions sont renfermées dans un seul et
même acte, quel que soit l’ordre suivi pour l’un et pour
l’autre ; 3° l’époux, après avoir donné, par contrat de
mariage, à son conjoint l’usufruit de ses biens, dispose
plus tard de la nue propriété d’un quart en faveur d’un
enfant ou d’un étranger.
Le cumul est admis, sans difficultés, dans les deux
premières hypothèses. Les doutes qui s’étaient élevés
dans le cas d’un acte unique ont été définitivement tran
chés par un arrêt de la Cour de cassation du 9 novem
bre 1846 '
Quelle est, dans l’une et dans l’autre, la position des
réservataires ? L’exécution de la double disposition leur
enlève d’abord un quart en toute propriété et un quart
en jouissance ; leur légitime se trouve, dès lors, réduite
i DCvilleneuve, 46, 4, 804
�ET DE LA FRAUDE.
345
aux trois quarts des biens, dont un reste frappé d’usu
fruit. En d’autres termes, ils sont dans la même posi
tion qu’ils auraient si la quotité la plus large de l’art.
1094 avait été épuisée en faveur de l’époux seul.
Or, un effet parfaitement identique se produit dans la
troisième hypothèse. Les réservataires y sont appelés à
recueillir exactement ce à quoi ils sont réduits dans une
des deux premières. Cependant, dans celle-ci, la Cour de
cassation refuse de sanctionner le cumul qu’elle autorise
dans les deux autres.
Quel peut être, en raison et en droit, le motif de
cette différence essentielle? À première vue, il parait
difficile d’en imaginer de plausibles. Voici ceux que la
Cour de cassation invoque dans les arrêts qu’elle a ren
dus dans une période de douze ans, depuis 1837 jus
qu’en 1849.
L’usufruit donné précédemment à l’époux doit être
évalué. Comprenant la moitié des biens, il équivaut au
quart en pleine propriété ; il atteint, dès lors, l’inté
gralité du disponible de l’art. 913. Dès lors , cette
quotité étant épuisée, les tiers ne peuvent plus rien re
cevoir sans qu’il soit porté atteinte à la quotité indis
ponible fixée par cet article. On ne pourrait aller audelà que par application de l’article 1094 ; mais cet
article constituant un bénéfice exclusif et personnel
au conjoint, nul autre que lui ne saurait s’en prévaloir.'
1 Cass., 21 juillet 1839,21 novembre 1842, 22 novembre 1843, 4
août 1846, 27 décembre 1848, 7 mars 184!\; — J o u r n a l d u p a l a i s ,
tom. n, 1839 ,pag. 59 ; tom. î. de 1843, pag. 121, et tom. n. pag. 798 ;
tom.i, 1847, pag. 53; tom. i. 1849, pag. 22 et 644; — Aix, 23 mai
1851, inédit.
�346
TRAITÉ DU DOL
L’aulorité du premier de ces motifs est singulière
ment atténuée par le démenti qu’il reçoit de la Cour de
cassation elle-même, dans l’hypothèse d’un acte unique
renfermant les deux dispositions. Le cumul est valable
dans tous les cas, et cependant si, par l’ordre suivi, la
disposition de la moitié de l’usufruit en faveur du con
joint est la première inscrite, l’objection faite, lorsqu’il
y a deux actes distincts, est parfaitement applicable. Cet
usufruit équivalant au quart en propriété, le disponible
de l’art. 913 est épuisé, et, dès lors, nul autre que le
conjoint ne devrait plus rien recevoir. Pourquoi, dès lors,
permetreau tiers, enfant ou étranger, de recueillir le don
dont il est l’objet ? Et si on le permet dans cette hypo
thèse, pourquoi le défendre dans celle de deux actes sé
parés et distincts? Le résultat étant rigoureusement le
même dans les deux cas, pourquoi une si énorme diffé
rence dans les etfets?
Ainsi, on arrive à cette singulière conséquence que ce
n’est plus par le nombre des réservataires que se calcule
la quotité disponible; on fait de cette quotité une ques
tion de dates dans les dispositions qu’en fait l’auteur.
Sur quelle disposition de loi pourra-t-on fonder une pa
reille doctrine ?
Cette première considération, parla contradiction in
soluble qu’elle signale, indique un vice radical dans le
système que nous combattons. On ne devrait donc l’ad
mettre que si, à côté de cet inconvénient, venaient se pla
cer des motifs graves de nature à en affaiblir l’effet. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
347
il faut bien le reconnaître, aucun de ceux invoqués par
la Cour de cassation n’offre ce caractère.
Est-il vrai, en effet, que le don de la moitié en usu
fruit, fait au conjoint, épuise la quotité disponible de
l’art. 913? Pour le décider ainsi, il faut convertir cet usu
fruit en propriété et fixer à la moitié la proportion dans
laquelle cette convertion doit être opérée.
Mais cette conversion est purement arbitraire ; elle
est repoussée par la nature des choses, par l’antinomie
existant entre ces deux droits. L’usufruit est un démem
brement de la propriété ; celui qui l’exerce u’a aucun
des attributs du propriétaire ;il doit jouir en bon père de
famille, et, s’il s’écarte de cette obligation, le propriétai
re, qui seul peut user et abuser, mettra fin à sa jouis
sance. En réalité, et pour nous servir des expressions de
la loi romaine, l’usufruit non dominii pars sedservitudis locum obtinet.
Il n’est donc pas possible de se livrer à l’assimilation
que commande la Cour de cassation. On comprend la
conversion de l’usufruit en droit de propriété, lorsque
l’agissement qu’il faut opérer n’a pas d’autre moyen de
se réaliser; ainsi, par exemple, lorsqu’il s’agit du droit
de mutation ou d’enregistrement, il faut, à l’un et à l’au
tre, une base certaine, et l’on s’explique, dès lors, que
le législateur ait non seulement fixé la conversion, mais
encore créé, dans un but de fiscalité, la proportion dé
terminée par la loi du 22 frimaire an v i i .
�348
T R A IT É
DU
DOL
Mais recourir à cette loi spéciale dans les cas ordi
naires, notamment dans notre espèce, convertir l’usufruit
en pleine propriété, c’est faire violence à son caractère
distinctif, c’est la dénaturer, c’est de plus, et dans cer
taines circonstances, consacrer un mensonge.
« Il n’y a, dit Proudhon, aucune disposition dans
nos lois qui fixe la valeur comparative de l’usufruit et
de la propriété, si ce n’est en ce qui concerne le droit
d’enregistrement, pour la perception duquel, en cas de
mutation, l’usufruit est considéré comme valant la moi
tié du fonds. Mais si cette estimation, qui n’est faite que
dans l’intérêt du fisc, peut être invoquée pour exemple
et comparaison, il est évident qu’elle ne peut être prise
pour règle générale dans l’intérêt des citoyens entre eux;
car si l’usufruit légué à un homme de vingt ou trente
ans peut valoir la moitié du fonds, il serait absurde d’en
dire autant de celui qui serait légué à un viellard de
quatre-vingt-dix ans.1 » On pourrait même, sans trop de témérité, aller plus
loin encore. Comment donner une valeur certaine à
l’usufruit, même lorsqu’il s’agit d’un homme de 20 ou
30 ans. La chance de longévité obéit-elle toujours aux
lois de la nature, et l’événement ne viendra-t-il pas
donner le plus évident démenti aux probabilités les plus
légitimes?
' D e l ’U s u fr u it.
n° 364,
�ET
DE
LA
FRAUDE.
349
Tel est cependant le système que la Cour de cassation
consacre sans besoins, sans aucune nécessité, et dans
l’objet unique d’imputer sur la quotité de l’art. 913, ce
qui devait naturellement l’être sur celle de l’art. 1094.
Ne doit-on pas en effet admettre que l’époux, disposant
en faveur de son conjoint, s’en est nécessairement ré
féré à ce dernier, et que, s’il n’a pas épuisé le droit que
cet article lui confère, c’est qu’il a voulu se réserver la
faculté de le compléter plus tard. En fait, le disponible
n’est pas épuisé, le quart en nue-propriété peut encore
être donné. Pourquoi ne le serait-il pas à l’étranger ou à
l’enfant, comme il pourrait l’être au conjoint?
Nous rencontrons ici la réponse dans le second argu
ment de la Cour de cassation. C’est, dit-elle, que, pour
autoriser cette disposition, il faut nécessairement recou
rir à l’art. 1094, et que nul autre que l’époux ne saurait
être admis à en revendiquer le bénéfice.
La règle est irréprochable, mais on ne peut en dire
autant de l’application que la cour de cassation entend
en faire.
Fixons - nous bien d’abord sur le véritable caractère
de l’art. 1094. Sa disposition ne crée pas une seconde
quotité disponible, elle ne fait qu’étendre la quotité or
dinaire en faveur du conjoint. De là on a tiré cette juste
conséquence que nul autre que lui ne pourra profiter
de cette extension.
Ainsi, lorsque l’époux a disposé en faveur d’un tiers,
enfant ou étranger, de la quotité ordinaire, il peut encore
disposer, en faveur de son conjoint, d’une quotité en
�350
T R A IT É
DU
DOL
usufruit, mais il ne pourrait le faire au profit du tiers.
Vainement celui-ci prétendrait-il que le donateur n’a fait
que ce que la loi lui permettait de faire, on lui répon
dra avec raison que l’art. 1094 concerne exclusivement
le conjoint, qu’il est donc non-recevable et mal fondé à
se prévaloir de sa disposition.
Mais est-ce profiter de l’art. 1094, lorsque, par la
combinaison adoptée par l’époux, le tiers est appelé à
concourir avec le conjoint à la répartition de l’entière
quotité disponible ? Pour résoudre affirmativement cette
question, il faudrait soutenir, comme on l’a fait, que la
quotité de l’art. 1094 est indivisible, et qu’on ne peut
admettre l’éxtension qu’il autorise que dans le cas où
la disposition de la quotité ordinaire a été déjà faite en
faveur du conjoint.
Or, cette indivisibilité, repoussée dans l’hypothèse d’un
acte unique, et dans celle d’infériorité de la disposition
en faveur du conjoint, la Cour de cassation l’a pros
crite en principe, c’est ce qui résulte notamment de son
arrêt du 18 novembre 1840.
Il s’agissait dans cette espèce de la réserve des ascen
dants que l’art. 1091 permet de grever d’usufruit. La
question qui s’y agitait était celle de savoir si l’époux,
décédé sans enfants, avait pu valablement, alors même
qu’il dispose en faveur d’un étranger de la quotité dis
ponible de l’art. 915 , léguer à son conjoint survivant
l’usufruit delà réserve de l’ascendant?
On soutenait la négative, en se fondant sur le texte
de l’art. 1094. La législation suppose, disait-on, que le
�ET
DE
LA
FRAUDE.
conjoint a déjà reçu ou reçoit effectivement la quotité
de l’art. 915, puisqu’il permet de lui accorderez sus
l’usufruit de la portion réservée. L’attribution delà pre
mière, en faveur d’un tiers, fait donc disparaître la con
dition essentielle, et ne permet plus la disposition ulté
rieure de cet usufruit.
C’est cette opinion que M. l’avocat général Delangle
avait adoptée et qu’ilét ayait des considérations sui
vantes :
C’est en faveur du mariage, c’est à cause de l’époux,
c’est en raison de sa position que le droit de l’ascendant
a été déterminé, et dès lors n’est-il pas logique de con
clure que si le testament appelle un tiers à recueillir
une partie des biens, le cas prévu par la loi ne se ren
contre pas; que la réserve reprend toute sa force, l’ar
ticle 915 toute son énergie, et que si l’ascendant est con
traint de s’humilier devant l’époux , ce sacrifice ne lui
est plus imposé envers un étranger.
Quelles sont, ajoutait ce magistrat, les objections que
l’on oppose?
1° En fait, que la libéralité n’embrassant que l’usu
fruit, la femme a reçu ce qu’elle pouvait recevoir? Mais
c’est là travestir en question de fa it, une question de
droit, c’est éluder la difficulté. Il s’agit d’une question
de disponibilité ; qu’en soi, et considérée par abstrac
tion , la disposition soit valable, on le peut admettre ;
mais on ne peut la séparer de la disposition faite au
profit d’un tiers, au profit d’un étranger , et c’est ce
mélange, que la loi proscrit, qui s’oppose à l’exécution
!
B
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IL
�352
T R A IT É
DU
DOL
complète du testament. De ce que le mari pouvait plus,
il ne s’en suit nullement qu’en donnant moins il ait va
lablement disposé, car la disposition du plus était sou
mise à une condition impérieuse;
2° Que la loi n’interdit pas l’attribution à un tiers
de la quotité disponible ? Mais c’est oublier la nature de
la disposition de l’art. 1094. Dès qu’elle est exception
nelle , il était inutile que le législateur s’expliquât au
trement qu’il ne l’a fait. N’est-ce pas d’ailleurs une des
nécessités de toute loi qui déroge au droit commun de
ne pouvoir sortir de sa sphère ?
M. Delangle posait donc comme certaine et positive
l’indivisibilité de l’art. 1094 ; l’impossibilité pour les
tiers d’en recevoir une partie quelconque , et cela non
seulement lorsqu’il s’agit d’un réservataire ascendant,
mais encore dans celui où le réservataire serait un des
cendant. Ascendant ou descendant, s’écriait-il, ne s’a
git-il pas toujours de la réserve ? N’est-ce pas la même
disposition, le même droit? N’est-il pas vrai qu’une
seule chose est changée, la quotité du droit?
Mais la Cour suprême, après une mûre délibération,
repousse cette doctrine, elle admet la divisibilité de la
quotité disponible de l’art. 1094, et juge en conséquence
qu’elle pouvait être répartie entre le conjoint et le tiers,
pourvu que celui-ci ne reçoive rien au délà de la quo
tité disponible, et que le conjoint profitât exclusivement
de l’extension autorisée par l’art. 1094.'
1 D . P .; 41, 1 , 1 9
�ET
DE
DA
353
FRAUDE.
Ce qu’il importe de relever dans cel arrêt et dans les
considérations qui y sont développées, ce sont les deux
motifs suivants :
« Attendu que de la combinaison des art. 915 et
1094 il résulte que l’époux, qui décède sans enfants,
mais laissant un ou plusieurs ascendants dans uneligne,
peut disposer en faveur de l’autre époux, non seulement
de ce dont il pourrait disposer en faveur d’étrangers
mais encore de l’usufruit de la portion réservée aux as
cendants; que cette extension de la faculté de disposer
donnée à un époux en faveur de l’autre époux, qui a
pour objet de1resserrer les liens de l’union conjugale,
est toute personnelle à l’époux et qu’aucun étranger ne
peut en profiter ;
Attendu, toutefois, qu’on ne saurait induire de là que
l’époux, qui dispose, en faveur d’un étranger , de la
quotité disponible déterminée par l’art. 915 et de l’usu
fruit de la portion réservée aux ascendants en faveur de
l’autre époux, fait profiter l’étranger de l’extension por
tée en faveur de l’époux par l’art. 1094, puisque l’é
tranger ne recueille que le disponible de l’art. 915. »
Ainsi, l’époux n’est pas obligé de donner à son con
joint l’intégralité du disponible de l’art. 1094. Il peut,
par la combinaison de cet article avec l’art. 913 ou
915, réduire l’époux à l’extension qu’en sa faveur la loi
donne au disponible ordinaire, et donner celui-ci à un
étranger. Pour ce dernier, sa position est réglée par l’é
molument qu’il est appelé à prendre. Il n’est pas, il ne
peut pas être réputé profiler de l’art. 1094, si cet émoIV
23
�354
TR A IT É
DU
DOL
lument ne dépasse ou n’atteint pas celui qu’il pourrait
recevoir en force de l’art. 913 ou 915.
Non seulement la Cour de cassation proclame le prin
cipe , mais encore elle en fait elle-même l’application
dans l’hypothèse d’une double disposition par un acte
unique. Comment donc l’existence de deux actes, qui
n’est pas un obstacle lorsque la donation à l’étranger
est antérieure à celle faite au conjoint, en créerait-elle
un invincible dans le cas d’antériorité de celle-ci ? Estce que la date des actes pourra avoir pour effet de faire
admettre que le tiers profite de l’art. 1094, lorsque, par
le fait, il ne recevra pas même ce que l’art. 913 lui per
mettrait de recevoir? Lorsque, d’autre part, l’époux seul
recueillera l’extension du disponible créée en sa faveur?
On peut le dire sans crainte, la raison repousse un pa
reil résultat.
La loi ne se préoccupe de la date des libéralités que
dans le cas où il y a lieu à réduction, leur ensemble
dépassant la quotité disponible. Or la question de sa
voir s’il y a inolficiosité ne peut naître qu’au décès du
donateur et lorsque s’ouvre le droit des héritiers.
Dans notre hypothèse , l’époux, délaissant plus de
deux enfants et un conjoint, pouvait donner ou léguer
le quart en pleine propriété et le quart en usufruit. En
fait, il n’a disposé de rien au delà, donc la querelle
d’inofïiciosité ne serait pas fondée.
Le don du quart en nue-propriété, fait au tiers, en
fant ou étranger, n’a pas besoin, pour sortir à effet, de
se placer sous le patronage de l’art. 1094. L’art. 913
�ET
DE
LA
FRAUDE.
355
suffit pour assurer sa validité. Le tiers n’invoquera pas
le premier, il n’en profitera pas non plus, car, loin de
recevoir quelque chose au delà du disponible ordinai
re , il ne le reçoit même pas en totalité. L’époux seul
est appelé à recevoir l’extension créée en sa faveur par
l’art. 1094. A cet égard donc, toutes les exigences de la
loi se trouvent remplies, et, dès lo rs, le système que
nous combattons n’a aucune base légitime.
Ainsi la Cour de cassation proclame la divisibilité de
l’art. 1094 et, après l’avoir érigée en principe, il la re
pousse ou l’admet, suivant la date des deux libéralités,
ou suivant qu’elles sont on non renfermées dans un
seul acte. Elle décide que la quotité disponible est at
teinte, malgré que , dans l’hypothèse d’un seul acte
renfermant la même disposition, le même résultat pour
les réservataires, elle refuse de reconnaître la moindre
atteinte à celte même quotité; elle fait donc dépendre la
disponibilité d’un évènement complètement en dehors
des éléments sur lesquels la loi a basé toutes ses prévi
sions. Elle ne peut enfin arriver à cette évidente con
tradiction que par la conversion du droit d’usufruit en
droit de propriété. On a donc eu raison de reprocher à
sa jurisprudence d’être fondée sur des éléments hétéro
gènes, contradictoires entre eux et contradictoires avec
les règles sur la quotité disponible.
Sous un autre point de vue, cette jurisprudence s’é
carte de l’esprit de la loi. Notre Code a voulu étendre,
pour le père de famille, la faculté de disposer d’une
partie de ses biens. C’est ce que la Cour de cassation
�356
T R A IT É
DUD0T.
reconnaissait elle-même lorsque, après avoir longtemps
jugé le contraire, elle a décidé que la quotité disponible
devait être calculée sur tous les biens précédemment
donnés qui devaient être fictivement rapportés , et que
l’imputation du don fait à l’enfant renonçant devait se
faire d’abord sur la réserve et subsidiairement sur la
quotité disponible.
Cette jurisprudence porte atteinte à la puissance pa
ternelle, en enlevant au père le plus préciepx de ses at
tributs, la faculté de récompenser et de punir, Çlle af
faiblit son autorité, dont elle brise d’avance le plus
énergique ressort, le plus puissant mobile.
Enfin, elle compromet le mariage lui-même. Une
des conditions de sa célébration peut être la donation
mutuelle de la moitié en usufruit des biens qu’on dé
laissera, condition que ne manquera pas de repousser
celui qui ne voudra pas, pour devenir époux, abdiquer
ses devoirs ou ses droits de père.
C’est par le développement de ces considérations di
verses que les jurisconsultes ont à peu près unanime
ment critiqué la doctrine de la Cour de cassation. Gre
nier, qui l’avait d’abord adoptée, l’a complètement dé
sertée dans sa seconde édition pour se rallier à l’avis
contraire, qu’il trouve plus juste que celui pour lequel
il avait d’abord penché. '
Toullier n’a pas hésité à se prononcer pour le cumul,
qu’il déclare conforme à la raison, à l’équité et au bon
i
D e s D o u a i .,
t
h,
pag. 584.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
357
droit. A l’époque où Toullier écrivait, la Cour de cas
sation n’avait encore rendu que l’arrêt du 21 juillet
1813, que ce savant jurisconsulte approuve, en se ren
fermant dans l’espèce sur laquelle il a été rendu, c’està-dire au cas de secondes noces, et à l’endroit du dis
ponible fixé par l’art. 1098. Mais, contrairement à l’in
dication de l’arrêtiste, Toullier prouve que la doctrine
de cet arrêt ne saurait être appliquée au cumul des quo
tités des art. 913 et 1094.'
La doctrine contraire invoque les noms de Duranton et de Proudhon, mais c’est à tort, selon nous. L’un
et l’autre , en effet, ne disent qu’une seule chose, à sa
voir : que l’extension de quotité créée par l’art. 1094
ne saurait, dans aucun cas, profiter au tiers, ce q u i,
dans le sens que nous venons de lui donner, est parfai
tement juridique.’
Depuis les arrêts de 1837 et de 1839. M. Benech ,
professeur à la faculté de Toulouse, a publié un traité
sur la quotité disponibte entre époux. La question que
nous examinons y est traitée et résolue sous toutes ses
faces. La réfutation de la doctrine de la Cour de cassa
tion est complète et décisive.
Le compte rendu de cé traité a déterminé des adhé
sions nombreuses au système qu’il développe, Voici là
conclusion d’un,article fort remarquable, dû à la plu
me de M. Pont, collaborateur de M. Rodièreet coauteur
d’un excellent traité sur le contrat de mariage :
ff!il
rttiMi’
1 Tom. v, n°‘ 870, 871 et 871 bis.
s Tom. îx, n° 796 ; — de l'Usufruit, 1 . 1, n° 360,
. if’ U
r l
�358
TRAITÉ DU DOL
« Ce qu’on peut affirmer, c’est que, s’il fallait re
garder comme une expression exacte de la loi les solu
tions que la Cour de cassation a consacrées, on devrait,
par cela même, reconnaître que le législateur a com
plètement manqué de vues arrêtées sur l’emploi de la
quotité disponible fixée par l’art. 1094. Comment con
cevoir, en effet que le cours des deux libéralités étant
admis lorsque ces libéralités sont faites par un même
acte ou par des actes séparés, mais avec antériorité en
faveur du tiers, enfant ou étranger, ce concours ait du,
dans la pensée du législateur, être rejeté lorsque l’ordre
inverse a été suivi ? La raison même s’élève contre une
pareille supposition ; et, la résistance des tribunaux ai
dant, il est présumable que le différend sera vidé un jour
par la seule autorité des principes, et abstraction faite
des circonstances particulières auxquelles le législateur
ne saurait assurément avoir songé.' »
Cette résistance, queM. Pont appelle, s’est manifestée
par de nombreux arrêts. Nous ne saurions mieux résu
mer notre discussion qu’en transcrivant les remarqua blés motifs de celui rendu par la Cour de Paris, le 16
novembre 1846 ;
« Attendu que la portion disponible n’a pas été seu
lement fixée d’après le nombre et la qualité des héritiers
1 Revue de législation deM. Wolowski, tom. 1, 1847, pag. 493.
Vide en outre Guilhon, Donat., tom. 1, n° 269, pag. 266; — Delvincourt, tom. n, pag 731, n° 4 ; — Duport Lavilêtte, v° quot. disp.,
tom. v, n° 715 ; — Rolland de Villargues, Rép. du not. ; — Vazeilles,
des Donat., spr l’art. 1094.
�ET DE LA FRAUDE.
359
à réserve, mais aussi à raison de la qualité des person
nes à avantager ; que c’est ainsi qu’après avoir fixé ,
par l’art. 913, la quotité disponible, eu égard au nom
bre d’enfants, l’art. 1094 a établi une disponibilité plus
étendue entre conjoints ;
« Attendu qu’il est impossible de croire que le légis
lateur n’ait pas en outre porté son attention sur le cas
où le disposant serait en même temps époux et père ;
« Que si la loi ne contient aucune disposition qui
permette d’user cumulativement de foute la latitude ac
cordée par ces deux articles, il n’en existe aucune qui
défende d’épuiser la plus forte quotité, en la divisant
entre le conjoint et les enfants , pourvu que ces der
niers ne reçoivent rien au delà de la quotité fixée par
l’art. 913 ;
« Attendu qu’on ajouterait à la loi, si on l’interprétait
dans un sens contraire, et qu’on se mettrait en opposi
tion avec les principes d’après lesquels a été fixée la
quotité disponible, puisqu’au lieu d’étendre la faculté
du disposant en raison de ce qu’il doit s’occuper du sort
de ses enfants, en même temps que de celui de son
époux, on la restreindrait au contraire ; qu’une inter
prétation restrictive de la loi est combattue par son texte,
lorsque la libéralité en faveur de l’époux est postérieure
au don fait à l’enfant, et qu’il n’y a pas de raison plau
sible pour l’admettre quand elle est antérieure ; qu’en
effet, ce serait faire, de l’étendue du droit de disposer
une question de dates;
« Attendu qu’il résulte de la nature des choses que ,
�360
T R A IT É
DU
DOL
si la portion disponible fixée par l’art 1094 peut être en
son entier absorbée par deux dispositions, l’une au pro
fit des enfants, l’autre au profit du conjoint, que celle-ci
est la dernière en date, il doit en être de même quand
la libéralité faite à l’enfant est postérieure ; qu’en effet le
législateur, en calculant la quotité disponible, a consi
déré à la fois l’intérêt des familles et l’intérêt politique
attaché au droit de disposer et de tester;
« Attendu d’ailleurs que postérieure ou antérieure ,
chaque libéralité s’impute d’abord sur celles des portions
disponiblesJi laquelle elle se rapporte ; qu’ainsi le don
fait à l’enfant s’impute sur la quotité disponible de l’art.
913, et le don fait au conjoint sur celle déterminée par
l’art. 1094, que telle est évidemment l’intention du dis
posant, alors même qu’il ne l’a pas exprimée, qu’il n’y a
donc pas lieu de rechercher à quelle portion de propriété
une donation d’usufruit, faite en vertu de l’art. 1094 ,
peut équivaloir, et d’imputer cette portion sur la por
tion déclarée disponible par l’art. 913;
« Qu’en opérant ainsi, on dénature ce don d’usufruit
et on confond en une seule deux portions disponibles
distinctes.’
1691. — La conséquence naturelle de l’indisponi
bilité d’une partie des biens, et de son affectation spéciale
en faveur de certains héritiers, est de leur conférer une
action en revendication des libéralités empiétant sur leur
�ET
DE
LA
FRAUDE.
361
réserve. Cette action existe non pas seulement contre
les donations directes, mais encore contre tout acte ren
fermant, sous une apparence simulée, une véritable li
béralité.
Or on admettrait facilement comme telles les obliga
tions souscrites et les ventes consenties par le père en
faveur d’un des successibles. Dans l’appréciation d’actes
de ce genre, la justice trouve des éléments précieux de
décision dans les antécédents de famille, dans la con
duite du père à l’endroit de l’enfant avec qui il a con
tracté, et, vis-à -vis de ses autres enfants, dans la posi
tion respective des contractants. Si le père a toujours
montré une vive et aveugle affection pour l’enfant figu
rant comme créancier ou comme acquéreur ; si la posi
tion pécuniaire de l’un ou de l’autre plaçait le père hors
de toute nécessité d’emprunter ou de vendre, et le fils'
dans l’impossibilité d’acquérir ou de prêter ; enfin, s’il
est dans l’impuissance de rendre un compte satisfaisant
de l’emploi des fonds, l’acte pourra ne paraître qu’une
libéralité sujette à réduction. La qualité des parties a
d’ailleurs son importance. En effet, si elle n’établit pas
de plein droit la fraude, elle est dans le cas de la faire
facilement présumer.
1 6 9 2 . — Mais la présomption légale de fraude est
admise à l’égard des aliénations dont parle l’art. 918.
Ainsi les ventes faites à un successible en ligne directe ,
soit h rente viagère et à fonds perdu, soit sous réserve
d’usufruit, sont considérées comme de pures libéralités.
�362
T R A IT É
DU
DOL
Toutefois, et par une dérogation aux effets ordinaires de
la fraude, ces ventes produisent un double effet, à sa
voir : le transfert delà propriété sur la tête du prétendu
acquéreur ; le droit de retenir et de s’attribuer la quotité
disponible. L’unique obligation imposée par la loi à l’en
fant acquéreur est de faire raison à la masse de tout ce
qui excède la quotité disponible.
bien entendu que ce rapport peut- être exigé et doit
être opéré dans de justes proportions avec la valeur ré
elle des objets vendus. Il peut se faire que le prix, s’il
en a été stipulé un, ail été uniquement établi dans l’in
térêt de l’acheteur, que le vendeur a voulu favoriser.
Les autres enfants seraient donc admissibles à en con
tester la vérité et l’exactitude, On doit d’autant plus se
montrer sévère à cet égard, que la vente emportant l’a
liénation de la quotité disponible, tout autre avantage
résultant du défaut de sincérité du prix constituerait une
atteinte à la réserve légale des enfants.
*
1 6 95. — L’art. 9'18 est remarquable sous un au
tre rapport. Il consacre, en effet, une exception formelle
à cette règle de morale publique qu’on ne peut traiter
sur succession future. Le successible, qui s’engagerait
conventionnellement à ne pas exiger le rapport de libé
ralités excessives, traiterait évidemment sur succession
future. Or, non seulement l’art. 918 fait résulter cette
interdiction du consentement donné pendant la vie du
père , à la vente à rente viagère , ou à fonds perdu, ou
�ET
DE
LA
F1UUDE.
363
sous réserve d’usufruit, mais il en valide encore les ef
fets.
Ainsi le droit des enfants à exiger le rapport ne s’ou
vrira qu’au décès du père, et déjà, celui-ci se réalisant,
l’exercice de ce droit sera irrécevable. Cette fin de nonrecevoir anticipée nous parait dangereuse, car elle ré
sulte d’un fait que l’enfant n’a pas pu peut-être ne pas
accomplir. En effet, le père est libre de dissiper sa for
tune, de la dénaturer, pour en priver ses enfants. Dans
le désir de favoriser l’un d’eux , ne mettra-t-il pas les
autres dans la nécessité de consentir à la vente qu’il fait,
eu les plaçant entre l’alternative de consentir ou de su
bir les effets du pouvoir que nous indiquons ? Ce que cette
menace est dans le cas de faire, peut, dans une aute oc
curence, être produit par la seule crainte révérentielle.
Est-il dès-lors rationnel et juste de maintenir une spolia
tion arrachée à l’un de ces sentiments ?
Quoi qu’il en soit, la loi étant formelle, il n’y a pas à
hésiter. Le consentement donné à la vente par le suc
cessible lui imprime, à son endroit, le caractère d’alié
nation à titre onéreux et dispense conséquemment l’a
cheteur de tout rapport. Mais cet effet est spécial à ce
lui ou à ceux qui ont consenti. Si d’autres successibles
existent et qu’ils soient demeurés étrangers à la vente,
celle-ci conserve, par rapport à eux, le caractère de li
béralité que lui affecte l’art. 918, et les effets qui en sont
la conséquence.
1 6 9 4 . — Il résulte encore des termes de notre ar-
�364
T R A IT É
DU
DOL
ticle qu’il n’y a que les aliénations faites à un succes
sible en ligne directe qui soient considérées comme de
pures libéralités. En conséquence les ventes faites à un
collatéral, soit à rente viagère et à fonds perdu, soit sous
réserve d’usufruit, doivent sortir à effet comme actes à
titre onéreux. À plus forte raison en serait-il de même
pour celles intervenues avec un étranger. Les unes et les
autres peuvent cependant être querellées de simulation
et déclarées réductibles, si elles sont prouvées n’être que
des donations dépassant la quotité disponible, ou bien
s’il est soutenu et justifié que l’acheteur apparent n’ëst
en réalité qu’un intermédiaire chargé de rendre les cho
ses présumées vendues à l’un des successibles.
1 6 9 5 . — L’indisponibilité consacrée par la loi
n’ayant d’autre fondement que la conservation des droits
des héritiers réservataires , il en résulte qu’à ceux-c1
seuls appartient l’action en nullité ou en réduction de
toute libéralité faite au mépris de ces droits. Mais cette
action n’est pas tellement personnelle que la négligence
que l’héritier mettrait à l’intenter, ou l’abandon qu’il en
ferait, dût en entraîner la perte absolue et définitive.
Ses créanciers, voyant dans l’une ou dans l’autre, une
fraude à leur préjudice, pourraient eux-mêmes l’inten
ter, soit en force de l’art. 1166, soit par application de
l ’art. 1167.
Mais l’exercice de la faculté de demander la réduction
r des avantages successifs, et le rapport de l’excédant, ne
saurait être revendiqué par les légataires autres que
P
�ET
DE
LA
FRAUDE.
365
les héritiers légitimes. C’est ce qui est textuellement
écrit dans l’art. 857, mettant sur la même ligne les lé
gataires et les créanciers de la succession.
1696. — Il n’en serait pas ainsi des avantages
excessifs faits à l’enfant naturel et à l’enfant adultérin
ou incestueux. Ils ne sont héritiers ni l’un ni l’autre, et
la prohibition de leur donner au delà de ce que cha
cun d’eux doit recevoir, fondée sur des raisons de mo
rale, est d’ordre public et d’intérêt général.
11 suffit donc d’avoir intérêt à la stricte observation
de cette prohibition pour être recevable à en poursuivre
l’exécution. Or cet intérêt ne saurait être méconnu dans
celui q u i, à défaut d’héritiers directs, est appelé à ap
préhender la succession, chez les créanciers de cette suc
cession.
Ils pourront donc non seulement exiger que l’enfant
naturel , que l’enfant adultérin ou incestueux ne pren
nent dans l’hérédité que jusqu’à concurrence de la quo
tité déterminée par la loi, mais encore faire imputer
sur cetlç quotité tout ce que l’enfant peut avoir reçu du
vivant de son père ou de sa mère, et, en cas d’excès, le
contraindre à rapport.
11 y a même plus, ils peuvent refuser à l’enfant na
turel la réserve à laquelle l’art. 757 l’autorise à pré
tendre. Ce d roit, ils le puisent dans la faculté que leur
reconnaît l’art. 339 de contester la reconnaissance dont
il a été l’objet, droit tellement énergique, qu’il n’est
�1
366
TRAITÉ DU DOL
pas même effacé par la légitimation par mariage sub
séquent."
4697. — L’effet produit par la qualité d’enfant na
turel, adultérin ou incestueux est, quant aux libéralités
directes ou indirectes qui pourraient leur être faites ,
identique à celui produit parles autres incapacités. On
doit donc le régir par les principes et lui appliquer les
règles que nous avons exposées, et auxquels nous nous
bornons à renvoyer.’
1698. — La donation régulière, sous le rapport de
la capacité des parties, peut, dans son exécution , don
ner naissance à la fraude, soit de la part du donateur
contre le donataire, soit de la part de celui-ci contre
le donateur, soit enfin par l'un et l’autre contre les créan
ciers du donataire. Nous allons parcourir les principales
d’entre elles.
Le donalaire est, par rapport aux biens donnés,
l’ayant-cause du donateur pour tout ce qui a précédé
la donation. L’acceptation régulière de celle-ci fait ces
ser cette qualité pour l’avenir. Seul propriétaire des
biens donnés, le donataire ne répond plus que de son
propre fait. Nul autre que lui ne peut désormais gérer
et administrer, vendre ou-affecter ces mêmes biens.
Or, rien de plus ambulatoire que la volonté humai
ne. Celui qui la veille était tout affection , qui n’a pas
1 Bordeaux, 10 avril 4843 ; — J. D. P., t, il. 1843, pag. 734
2 V. sup., n°s 1369 et suiv.
�ET .DE LA FRAUDE.
367
hésité à se dépouiller d’une partie plus ou moins consi
dérable de ses biens, en est aux regrets le lendemain;
il ne voit plus qu’un ennemi dans le possesseur de ses
biens, et la môme ardeur qu’il apportait naguère à con
sentir ce bienfait, il la mettra bientôt à en effacer ou à
en amoindrir ‘les conséquences; et, pour y parvenir, il
ira quelquefois jusqu’à la plus honteuse indélicatesse,
jusqu’au crime.
1699* — Ainsi la survenance d’enfants est le moyen
le plus énergique pour annuler la donation. Sa révoca
tion en est la conséquence forcée, à tel point qu’elle
s’opère de plein droit et d’une manière irrévocable.
Mais cette survenance d’enfants ne dépend pas de la
volonté. Le mariage, môme tenté dans cet espoir, peut
ne pas la réaliser. C’est cette incertitude et ce doute,
rendant la révocation ardemment désirée trop problé
matique , qui inspireront la pensée de recourir à la
fraude.
Or, dans l’espèce, la fraude consistera dans la sup
position de part, si, marié depuis longtemps, le dona
teur a perdu l’espoir d’une paternité légitime; dans la
légitimation de l’enfant d’autrui par un mariage subsé
quent, s’il n’a.jamais été marié ou qu’il ne le soit plus
depuis la donation.
La supposition de part est un crime que la loi punit
avec une juste sévérité. Ce caractère et l’infamie résul
tant de la condamnation en rendent le danger moins re
doutable. Cependant, comme elle n’est pas sans exem-
�368
TRAITÉ DU DOL
pie , nous avons dû la prévoir et en déterminer les
effets.
La supposition de part peut être reprochable au do
nateur. Elle peut aussi avoir été ignorée de lui et exé
cutée sans son concours et contre sa volonté. On com
prend, en effet, qu’une épouse, se voyant exhérédée par
une donation en faveur d’un tiers, cherche dans le crime
le moyen de se soustraire à cette conséquence, en si
mulant une fausse maternité qui non seulement révo
quera la donation, mais qui lui conférera éventuelle
ment des droits sur les biens de son époux, du chef de
son prétendu enfant. Celte simulation peut se réaliser du
vivant du m ari, ou dans les neuf mois qui suivent sa
mort. C’est cette dernière dont fut convaincue la femme
que le parlement de Paris condamnait, le 11 mars
1730, à faire amende honorable et au bannissement
perpétuel.
De quelque manière que le crime ait été commis ,
que le donateur en ait été le complice ou qu’il l’ait
ignoré, l’effet est identique. L’intérêt du donataire se
trouvant gravement compromis, il a le droit incontes
table de quereller la paternité prétendue et d’en démon
trer le caractère frauduleux. La preuve qu’il demande
rait à faire serait donc recevable.
Mais on comprend que son admissibilité ne serait
prononcée qu’en tant que les faits par lui cotés auraient
un caractère de haute gravité et rendraient le crime vrai
semblable. Ce n’est pas sur des soupçons vagues, sur
une probabilité plus ou moins problématique que la
�369
ET DE LA FRAUDE.
justice autoriserait un litige dont l’indélébile scandale ,
qu’un amer désappointement fait naître, serait de na
ture à compromettre l’avenir d’une famille innocente.'
1700. — La légitimation de l’enfant d’autrui par
mariage subséquent n’a rien de coupable aux yeux de
la loi pénale. Ce caractère la rend beaucoup plus à re
douter pour le sort futur de la donation. On adopte
bien l’enfant d’autrui, pourquoi refuserait-on de recon
naître mensongèrement celui qui ne nous a jamais ap
partenu, lorsqu’à l’affection qui détermine le mariage
avec le père ou la mère, affection qui peut s’étendre à
l’enfant, se réunit la satisfaction de se venger du dona
taire qu’on s’était choisi et de reprendre cette fortune
dont on regrette tant l’abandon ?
1701. — Le droit de contester la révocation, de la
faire repousser par la preuve de la fausseté de la pater
nité alléguée, non dénié dans le cas de supposition de
part, l’a été dans celui d’une légitimation mensongère.
On ne pourrait exercer ce droit, dit M. Chardon, qu’en
prouvant que l’enfant a pour père un autre individu, et
la recherche de la paternité est interdite.1
Mais le motif allégué par cet auteur existerait dans
toutes les hypothèses où la reconnaissance d’un enfant
émanerait du père. Or, l’art. 339 ne fait aucune distinc
tion lorsqu’il permet à tous les ayants-droil de contester
cette reconnaissance.
1 V. supra, nos 891 et suiv.
2 Dol el fraude, t 11, n° 304, pag 51 ô.
IV
24
�370
TRAITÉ DU DOL
Cette disposition nous parait condamner la doctrine
de M. Chardon. La légitimation est, dans tous les cas,
précédée forcément delà reconnaissance. Pour qu’un en
fant soit légitimé, il faut qu'il appartienne à l’auteur de
la légitimation, et cela ne peut être acquis que parla re
connaissance qu’en fait celui-ci.
En conséquence, contester cette reconnaissance , la
faire annuler, c’est rendre toute légitimation ultérieure
impossible. Donc, à proprement parler , il ne saurait y
.
avoir de contestation sur la légitimité ; attaquer celleci , c’est attaquer la reconnaissance, e t, à cet égard ,
le droit du donataire est formellement écrit dans l’ar
ticle 339.
Lui contester ce droit parce que la reconnaissance a
été suivie de la légitimation, c’est donc violer cet ar
ticle, c’est, en quelque sorte, l’effacer du Code en su
bordonnant l’exercice de la faculté qu’il confère à un
fait personnel à la partie intéressée, en en restreignant
l’application au cas où la légitimation est impossible ma
tériellement.
Il est, en effet, facile de prévoir que ce n’est pas sans
intérêt, sans motif qu’on reconnaît un enfant naturel.
Donc, les raisons qui poussent à cette reconnaissance
exigeront qu’on la mette à l’abri de toute attaque, Or ,
si la légitimation suffit pour anéantir la faculté accordée
par l’art. 339 , on ne manquera pas d’y procéder , a
moins que le prédécès de la mère n’y apporte une in
vincible obstacle, ou qu’engagées dans les liens d’un
�ET DE LA FRAUDE.
371
mariage actuel , les parties ne puissent s’unir entre
elles.
Un pareil résultat, livré à la volonté exclusive des
parties , amènerait infailliblement le triomphe de la
fraude ; il n’a donc pu être consacré par le législateur.
Sans doute, la faculté de contester la légitimation n’est
nulle part écrite dans la loi, mais celle de quereller la
reconnaissance existe et elle est suffisante. C’est celleci, et non la légitimation, qu’on attaquera, et la preuve
de la fausseté de l’une entraînera la chute de l’autre ,
qui, supposant a priori la certitude de la paternité, de
vient impossible dès que la certitude contraire est ac
quise.
Est-il vrai , d’ailleurs , que dans notre hypothèse il
faille , comme le dit M. Chardon, prouver qu’un autre
individu est le père de l’enfant ? Évidemment non. Ce
qu’il s’agit d’établir, c’est que celui qui a reconnu et
légitimé l’enfant n’en est pas le père. Cette recherche ,
abstraction faite de toute autre paternité, ne viole en
rien la maxime incontestable invoquée parM. Chardon.
Ce que la loi interdit, c’est la recherche dont il devrait
résulter qu’un individu désigné est le père de l’enfant.
C’est ainsi que toute action, ayant pour objet d’établir
que le mari de la mère est le père de l’enfant, est sé
vèrement prohibée à défaut d’acte de naissance confor
me à cette prétention.
Mais vouloir prouver qu’un individu n’est pas le père
de l’enfant, ce n’est pas prouver que cette qualité ap
partient à tel autre. Conséquemment, la prohibition de
�X
372
TRAITÉ DU DOL
cetle dernière preuve ne peut s'appliquer à la première ;
ce qui le prouve, c’est que la loi qui défend la recher
che de la paternité permet de contester la reconnaissant
ce. Or, comment le faire, s’il n’était pas permis de jus
tifier que celui qui accepte la paternité n’est pas réelle
ment le père de l’enfant?
Ce qui le prouve encore, c’est que, dans une autre
circonstance, la loi admet formellement cette justifica
tion, elle qui prohibe la recherche de la paternité.
Ainsi, l’enfant qui prouve qu’au moment de sa con
ception sa mère était dans les liens d’un mariage légi
time, est présumé, par cela même, l’enfant du mari :
Pater isest, etc... Cependant, et malgré l’empire de cette
maxime célèbre, l ’art. 325 réserve au mari ou à ses hé
ritiers la preuve contraire, et il fait consister cette preuve
contraire dans tous moyens propres à établir que le
mari de la mère n'est pas le père de l'enfant.
Dénier la paternité de l’un, n’est pas rechercher la
paternité de l’autre. En d’autres termes, prétendre que
l’enfant n’a pas tel ou tel père, ce n’est pas se livrer à
la recherche de la paternité. Celle-ci n’existe qu’à la con
dition que la solution de la difficulté aurait pour résul
tat nécessaire d’attribuer cette paternité à une personne
déterminée. Il y a fort loin de celte hypothèse à celle d’une
instance n’ayant pour objet que d’établir la fausseté
d’une déclaration intéressée.
On ne saurait donc admettre l’opinion de M. Char
don. Elle est repoussée par le texte et par l’esprit de la
loi.
�ET DE LA FRAUDE.
373
1702.
— Elle est également repoussée par la juris
prudence. Il est vrai que les monuments de celle-ci sont
peu nombreux. Un seul s’est offert à nos recherches ,
c’est l’arrêt de Bordeaux, du 10 avril 1843, que nous
avons déjà indiqué.
Dans cette espèce, il s’agissait de la révocation d’une
donation, par suite de la légitimation d’un enfant natu
rel par mariage subséquent.
Le donataire contestant la révocation soutenait et of
frait de prouver que cette légitimation était frauduleuse
et mensongère. A cette prétention on opposait, comme
fin de non-recevoir, les effets de la légitimation qui, as
similant celui qui en est l’objet à l’enfant né pendant
mariage, le couvrait de la faveur accordée à celui-ci
par l’art. 312. Il importait peu , ajoutait-on , que la
légitimation ait dû être et ait été précédée de la recon
naissance comme enfant naturel. Les dispositions de la
loi qui permettent d’attaquer cette reconnaissance ne
sauraient être étendues d’un cas à un autre, et ne s’ap
pliquent qu’à l’enfant naturel qui ne reçoit pas le bien
fait de la légitimation.
La Cour de Bordeaux consacra l’opinion contraire.
La réponse aux moyens que nous venons d’indiquer se
trouve dans l’arrêt dont nous transcrivons les motifs :
« Attendu que, quels que soient les droits accordés
par l’art. 333 aux enfants légitimés parle mariage sub
séquent, il y a cependant une différence essentielle entre
ces enfants et ceux conçus pendant le mariage, aux ter
mes de l’art. 312; que ceux-ci sont investis de la légi-
�374
TRAITÉ DU DOL
timité par le seul fait de leur conception pendant le
mariage, tandis que les premiers, jusqu’au moment de
leur légitimation, n’ont dû être considérés que comme
enfants naturels, et qu’ils ne sont devenus légitimes que
par la reconnaissance de leurs père et mère ; qu’ils ne
sont donc en réalité que des enfants naturels reconnus,
et que, sous ce rapport, les tiers peuvent se prévaloir ,
contre leur reconnaissance, des droits qui leur sont ac
cordés par l’art 339 du Code civil ;
« Attendu que les faits articulés par les appelants sont
de la plus grande gravité ; que plusieurs circonstances
de la cause les rendent vraisemblables, et que, prou
vés qu’ils fussent, il en résulterait que la reconnaissance
de l’enfant naturel d’Anne Bertbe a été frauduleusement
pratiquée pour parvenir à la révocation de l’acte du
28 août 1838 ; que sous ce rapport, il y aurait lieu
d’admettre les appelants à la preuve des faits par eux
articulés.' »
Le moyen tiré de la recherche de la paternité ne pa
rait pas avoir été soumis à la Cour. Mais l’accueil qui
lui était réservé n’est pas douteux, par l’application lo
gique que la Cour fait de l’art. 339.
En résumé, il n’y a nulle distinction à faire, quant au
droit du donataire, entre le cas de supposition de part
et celui de légitimation par mariage subséquent. L’iden
tité d’intérêt dans l’un et dans l’autre doit faire consa
crer la légalité de sa résistance et sa réussite, si la pré-
�ET DE LA FHAUDE.
375
tention alléguée est justifiée par la preuve qu’il est rece
vable à fournir.
1703.
— La survenance d’enfants peut avoir son
origine dans un fait non moins frauduleux, dans l’a
dultère.
Les mêmes motifs qui pousseront la femme, qui dé
termineront le mari à consentir à la supposition de part,
sont de nature à les amener, soit de concert, soit à
l’insu l’un de l’autre, à recourir à un moyen, beaucoup
moins périlleux pour eux, d’arriver à cette paternité que
la nature leur a refusée, et à atteindre ainsi avec beau
coup moins de risques à un résultat aussi décisif, aussi
utile. On comprend que contre une fraude de ce genre,
il n’y a aucun remède possible. Il n’y aurait donc qu’à
en subir toutes les conséquences, quelque graves qu’el
les fussent.
En effet, la légitimité de l’enfant conçu pendant le
mariage ne supporte d’autre contradiction possible que
celle qui résulterait du désaveu du père. Or, ce désaveu
n’est pas toujours recevable, et, en supposant qu’il fût
loisible au père de l’intenter, il ne le ferait certainement
pas si l’adultère de la femme avait été arrêté entre elle
et lui.
Toutes ces hypothèses ne sont, sans doute , que des
suppositions pouvant paraître impossibles à se réaliser ;
mais nos fastes judiciaires témoignent assez énergique
ment qu’on peut sans trop de témérité, les prévoir et
s’en occuper,
�376
TRAITÉ DU DOL
17 0 4 . — Indépendamment de ces fraudes, le dona
taire est exposé à en subir beaucoup d’autres qui, moins
criminelles aux yeux de la morale, ne laisseront pas
que d’avoir pour lui l’effet d’annuler ou d’amoindrir
considérablement ses droits. En tête de celles-ci, figure
la faculté que conserve le donateur d’aliéner et de dis
siper la fortune qu’il a conservée en dehors de la dona
tion. En effet, l’existence d’héritiers réservataires peut
amener la réduction forcée de cette donation si, au dé
cès du donateur, les biens donnés sont devenus le seul
actif de la succession.
Le donateur qui a des héritiers à réserve est donc, en
réalité, le maître d’amoindrir plus ou moins le bénéfice
de la donation, en aliénant et dissipant les ressources
qu’il s’était conservées. Or, cette conduite peut être la
conséquence légitime des besoins que de circonstances
malheureuses, que de revers de fortune lui ont imposés.
Dans ce cas, la sincérité des aliénations laisserait le do
nataire sans aucun moyen d’échapper à la réduction.
1 705. — Mais les aliénations peuvent n’être qu’ap
parentes ; ce que le donateur a fait lui aura été inspiré
par le désir de revenir sur son bienfait, qu’il a voulu
diminuer, dans l’impossibilité de le révoquer intégrale
ment. Dans cette hypothèse, les droits du donataire sont
les mêmes que dans celle de la fraude; il pourra donc
quereller de simulation les obligations souscrites , les
ventes consenties, et, par la preuve qu’il est recevable
à en fournir, échapper à la réduction le menaçant.
�ET DE IA FRAUDE.
377
1706.
— La faculté de retenir l’usufruit de ce qu’on
donne ne saurait être contestée. Cette réserve ne change
nullement la nature de l’acte; elle restreint seulement
la libéralité à la nue-propriété , à laquelle viendra se
réunir la jouissance à une époque déterminée. L’abus
de cet usufruit peut devenir l’occasion de nombreuses
fraudes.
En général, et sauf les objets qui se consomment ou
se détériorent par l’usage, le devoir et le droit de l’usu
fruitier se résument dans cette simple proposition . Jouir
et conserver. Celte dernière condition distingue sa pos
session de celle du propriétaire, dont la volonté, relati
vement à la disposition de sa chose, ne reconnaît au
cune limite.
La fraude, caractérisée par l’abus de la jouissance,
est facile à saisir. Ses conséquences se mesurent sur sa
gravité; c’est tantôt l’extinction de l’usufruit sans in
demnité, tentôt sa conversion en une prestation annuellée, calculée sur les revenus des biens sur lesquels il
était exercé, ou résultant de baux consentis à des tiers.
L’un et l’autre parti sont avoués par la raison et la jus
tice. L’usufruit doit cesser, parce qu’on ne saurait per
mettre la continuation d’un état des choses dommagea
ble pour le propriétaire; d’autre part, le préjudice peut
être te l, que la seule réparation convenable soit la dé
chéance absolue du droit. Sa minimité ou son caractère
doit laisser le droit continuer à s’exercer, mais dans un
mode différent, réservant efficacement l’avenir. Au res-
�378
TRAITÉ DU DOL
te, à cet égard la loi s’en rapporte à la prudence du ju
ge; c’est ce qu’indiquent les termes de l’art. 618.
1 707. — La négligence que l’usufruitier mettrait
dans la conservation du fonds est assimilée, par la loi,
aux dégradations dont il se serait rendu coupable. Les
résultats des unes et de l’autre étant identiques, on ne
pouvait les distinguer quant à leurs effets. Aussi l’arti
cle 618 les met-il sur la même ligne et en fait-il égale
ment dépendre la cessation de l’usufruit.
1 7 0 8 . — Mais cette négligence pouvait être une
fraude concertée entre le propriétaire et l’usufruitier, à
l’effet de nuire aux créanciers de celui-ci, en motivant
ainsi la cessation de son usufruit. La prévision de cette
fraude a déterminé le législateur à autoriser l’interven
tion de ces créanciers dans toutes les contestations pou
vant avoir pour objet la déchéance de leur débiteur.
Celte intervention peut avoir un double objet. Les
créanciers sont autorisés à demander la continuation de
l’usufruit, en offrant la réparation des dégradations
commises et des garanties pour l’avenir; dans le cas de
conversion en une prestation annuelle, faire ordonner
que la somme arbitrée, comme condition de la mise en
possession du propriétaire, leur sera directement payée
par celui-ci ou par le fermier qui sera député par les
parties.
1709.
L’art. 614 nous fournit un second exem-
�*
ET DE LA FRAUDE.
379
pie de négligence équivalant à la fraude. L’usufruitier
doit dénoncer au propriétaire les usurpations ou les at
tentats qu’un tiers commettrait sur les biens dont il a la
jouissance. Faute de ce, ajoute l’article, il est responsa
ble de tout le dommage qui peut en résulter pour le
propriétaire, comme il le serait des dégradations com
mises par lui-même. Ces derniers mots fixent la na
ture de la responsabilité imposée à fusufruitier; puis
qu’elle est la même que celle qu’il encourt pour ses pro
pres dégradations, elle aurait inévitablement pour con
séquence, comme celle-ci, la déchéance de l’usufruit ou
sa conversion en une somme déterminée et annuelle
ment payable.
Ainsi il y a fraude chez l’usufruitier non seulement
lorsqu’il fait ce qu’il ne devrait pas, mais encore lors
qu’il s’abstient d’accomplir ce qu’il est tenu de faire. De
ce principe, il résulte qu’il encourt la peine prononcée
par la loi :
1“ S’il laisse acquérir, par prescription , des droits
de servitude ou autres sur les immeubles ;
2 “ Si, possesseur des titres de créances, il en laisse
prescrire les effets faute de poursuites, ou périmer les
hypothèques en ne renouvelant pas les inscriptions :
3* S’il n’acquitte pas les charges qui lui sont impo
sées par la loi ou par le titre :
4° Enfin, s’il change abusivement l’état des lieux;
s’il démolit tout ou partie des bâtiments; s’il enlève les
clôtures; s’il intervertit le mode des cultures; s’il anti
cipe sur la coupe des taillis, ou s’il use des futaies au-
�380
TRAITÉ DU DOL
trement que de la manière réglée par les art. 591 et
592 du Code civil.
,
1710.
— Il est certain que ce sont là autant défaits
illicites et dommageables, mais leur nocuité varie né
cessairement, et cette diversité dans les conséquences dé
termine une différence dans les effets, quant à la peine.
Nous venons de dire que cette peine consiste dans la
cessation absolue de l’usufruit ou dans la conversion
en une prestation annuelle, et qu’arbitres uniques de la
réparation due au propriétaire, les tribunaux peuvent,
au gré de leur conscience, prononcer l’une ou l’autre.
Nous ajoutons que ce qui importe, en pareille matière,
c’est de faire cesser l’abus, en mettant fin à l’usufruit ;
mais, la perte du droit ne doit être admise que dans les
cas rares dans lesquels l’énormité du préjudice est prou
vée tenir exclusivement à une volonté perverse.
Dans cette hypothèse, il n’y a pas à hésiter. L’usu
fruitier doit être déchu, malgré la caution qu’il aurait
fournie, malgré l’offre qu’il ferait d’en offrir une, s’il
n’en existait pas précédemment. L’existence d’une cau
tion, n’empêchant pas le mal de se produire, ne suffit
pas toujours pour en réparer convenablement les con
séquences : Satisdatio propositum malevolum non mu
tât, sed diu grassandi in re fam ilia ri facilitaient prœstat.' Il vaut mieux d’ailleurs prévenir que réparer, et
lorsque des malversations graves, émanées d’une inten1 Inst., lib. 1, tit. 26, n° 12,
�ET DE LA FRAUDE.
384
tion mauvaise, viennent inspirer des craintes sérieuses,
il n’y a que la perte du droit qui puisse justement punir
le passé et assurer l’avenir.
1711.
— La faculté de recourir à cette peine sévère
reçoit exception lorsque l’usufruit n’a pas été constitué
à titre purement lucratif. On peut, en effet, révoquer,une
libéralité dont le bénéficiaire s’est montré indigne ; mais
renverser, détruire un droit qu’on a acquis en s’impo
sant des sacrifices, ce serait punir l’injustice par une
injustice non moins flagrante. En conséquence, l’abus
de jouissance dans un usufruit, réservé dans le cas
d’une vente ou d’une donation, doit amener la fin m a
térielle de la jouissance, mais le droit doit être main
tenu par la conversion en une prestation annuelle, équi
valente à cette même jouissance.
L’art. 648 offre ce caractère qu’il se préoccupe beau
coup plus de prévenir l’abus, dans l’avenir que de le
réparer pour le passé. En effet, le préjudice en résul
tant peut-être irréparable, par exemple : si l’usufruitier
a laissé s’acquérir une servitude, s’accomplir une pres
cription, se perdre l’effet utile d’une hypothèque, en
ne pas en renouvelant l’inscription en temps opportun.
Dans chacune de ces hypothèses, il est évident que
l’application de l’art 648 pourrait être insuffisant pour
la réparation du dommage, et cependant, il ne sau
rait exister aucun doute sur la responsabilité de l’usu
fruitier au point de vue de cette réparation. Son obli
gation est écrite dans les art. 4382! et 4383 C. Nap.
�TRAITÉ DU DOL
Aussi croyons nous avec M. Proudhon,' que, malgré
le silence gardé à ce sujet, par l’art. 618. Le nu-pro
priétaire pourrait dans ce cas demander et obtenir outre
les mesures consacrées par cet article, une allocation de
dommages-intérêts en indemnité du tort qu’il éprouve.
• Comme toujours l’importance de celte allocation est
laissée à l’arbitrage souverain du juge. Mais, à notre
avis, elle devrait comprendre l’intégralité du préjudice,
si l’usufruit était seulement converti en une prestation
annuelle.
Si l’usufruit est retiré, les juges peuvent et doivent
dans le calcul des dommages-intérêts tenir compte du
bénéfice que le nu-propriétaire retire de cette extinction.
Les éléments naturels de cette appréciation sont d’une
part, l’importance de l’usufruit, de l’autre les chances
de sa durée, suivant l’age de l’usufruitier.
Sans doute, le nu-propriétaire peut perdre à ce cal
cul des probabilités, mais il peut aussi y gagner, et
cet abus enlève à la décision tout caractère d’injustice
ou de sévérité.
Dans ce casencore les créanciers de l’usufruitier pour
raient intervenir pour faire maintenir l’usufruit. Mais ils
ne pourraient l’obtenir qu’en payant l’intégralité du pré
judice, tel qu’il serait déterminé par justice, et qu’en
donnant des garanties pour l’avenir.
1 7 1 2 . — Le père usufruitier des biens de ses eni Usuf. tom. iv, n° 2428.
�ET DE LA FRAUDE.
383
fants tant qu’ils n’ont pas atteint leur dix-huitième an
née, est soumis à tous les devoirs des usufruitiers or
dinaires. L’abus de jouissance, les dégradations qu’il
commettrait volontairement ou par négligence sur les
biens le rendraient passible de l’application de l’art. 618.
Mais l’éxécution de la condamnation serait difficile à
assurer tant que le père conserverait la tutelle deses en
fants. Quelle garantie aurait-on que, dans l’administra
tion des biens qu’il conserverait, le tuteur ne marcherait
pas sur les mêmes errements que l’usufruitier?
1 7 13.
— Le père peut ne pas se contenter d’abuser
de son usufruit ; on aura peut-être à lui reprocherde ne
pas en remplir les charges, notamment celle de nourrir
et d’entrenir ses enfants, de veiller à leur éducation.
Ses torts mêmes peuvent acquérir un tel dégré de gra
vité, qu’il mérite d’êtré destitué de la tutelle. Cette hy
pothèse se réalisant, la perte de la tutelle entraînera-telle celle de l’usufruit légal ?
Cette question est d’autant plus délicate, que la solu
tion affirmative ne peut s’étayer d’aucun texte formel,
et c’est cependant cette solution qu’exigent incontesta
blement la raison et la justice.
On comprend cependant que l’absence de toute dis
position législative, rapprochée du caractère de l’usu
fruit légal, ait porté plusieurs jurisconsultes à embras
ser l’opinion contraire. M. Toullier, entre autres ensei
gne la négative. Il lui parait que l’usufruit légal, attri
but de la puissance paternelle, restant indépendant de
�384
TRAITÉ DU DOL
la tutelle, la perte ou l’exclusion de celle-ci ne saurait en
déterminer la cessation.
La jurisprudence s’est divisée sur la solution à don
ner à la question. La Cour de Limoges, par arrêt des
46 juillet 4807 et2 avril 4848, a déclaré l’usufruit éteint
par la perte de la tutelle, mais elle n’arrive à ce résul
tat qu’en assimilant à la veuve qui se remarie, celle qui
vit, hors le mariage, dans un état d’inconduite notoire
et qui donne le jour à des enfants naturels.
Le 28 décembre 4840, la Cour de Paris a jugé le con
traire en décidant, qu’aux termes des dispositions du
Code civil, le père destitué de la tutelle de ses enfants ne
perd pas pour cela l’usufruit de leurs biens jusqu’à l’é
poque fixée par la loi.
Enfin, le 30 juillet 4813, la Cour d’Àix a maintenu
un tuteur destitué dans la jouissance des biens de ses
enfants. Néanmoins, elle ordonne que le nouveau tuteur
prendra l’administration de ces biens, à charge d’en ren
dre compte à l’usufruitier légal. Cet arrêt se fonde sur
ce que l’usufruit légal, indépendant de la tutelle, est un
attribut de la puissance paternelle, et que celle-ci étant
indélébile ne reçoit aucune atteinte des faits entraînant
la perte de l’autre.
La doctrine de ces deux derniers arrêts pourrait être
juridique, mais évidemment, elle n’est pas soutenable
sous le rapport de l’équité naturelle, ainsi que le rem ar
que fort justement M, Chardon. Il répugne, en effet, à
la saine raison d’admettre que le père assez oublieux des
sentiments que ses enfants devraient trouver en lui
�385
ET DE LA FRAUDE.
pour répudier la mission que leur tutelle lui impose ;
que celui plus coupable encore, qui, ayant accepté la
direction de leur personne et la défense de leurs inté
rêts, s’est montré indigne de l’une et de l’autre, puisse
conserver le droit de jouir de leurs biens et en perce
voir les revenus. La Cour d’Aix semble elle-même par
tager ce sentiment en corrigeant, par un tempérament
que rien d’ailleurs n’autorise, la doctrine qu’elle croit de
voir sanctionner.
Cette considération ne manque pas d’importance ré
elle ; en l’admettant vraie, elle préjuge quelque peu la
question. Comment présumer, en effet, que le législa
teur ait voulu se placer en contradiction flagrante avec
l’équité naturelle?
Sous le rapport du droit, la solution des Cours d’ap
pel de Paris et d’Aix nous paraît fort contestable. Sans
doute la jouissance légale des biens des mineurs est
un attribut de la puissance paternelle ; mais celle-ci ne
consiste pas seulement dans les avantages qu’elle pro
cure, elle crée également des obligations et de devoirs
corrélatifs, indivisibles. A quel titre donc celui qui a mé
connu, violé ces derniers, viendrait-il revendiquer les
autres ?
À cet égard, la pensée du législateur nous est claire
ment indiquée par ses actes. La manière dont il a com
pris la puissance paternelle se développe tout entière
dans le soin qu’il met à ne parler des avantages qu’elle
doit conférer qu’après avoir soigneusement relevé toutes
les charges devant la grever. « Après avoir constitué la
IV
25
�386
TRAITÉ DU DOL
» puissance paternelle, disait M.Réal, établi les devoirs
» qu’elle impose, les droits qu’elle accorde, fixé ses li» mites et sa durée ; après avoir ainsi, de concert avec
» la nature, donné des aliments, des défenseurs à l’en» fance ; des soins, de l’instruction, une bonne éduca» tion à la jeunesse ; c’est-à-dire, après avoir établi
» quels sont les droits onéreux attachés à l'exercice
» de la puissance paternelle, le législateur a dû endé» terminer les droits utiles. » C’est à ce titre que l’u
sufruit légal est immédiatement proposé.
Ainsi, cet usufruit n’est pas constitué à titre purement
lucratif. Attribut utile de la puissance paternelle, il sup
pose nécessairement l’accomplissement des droits oné
reux que son exercice impose. Celui-là donc qui recule
devant cet exercice, qui ne veut ou ne peut, comme in
digne, subir les obligations qui en découlent, ne saurait
prétendre en revendiquer les droits utiles.
L’usufruit étant donc un contrat dans lequel la loi
stipule pour les enfants, son exécution ne saurait être
divisée. La jouissance du père est soumise à la condi
tion qu’il accomplira, de son côté, les devoirs que la
nature et la loi lui imposent. S’il ne remplit pas cette
condition, il renonce au contrat, qui doit, dès lors être
brisé dans toutes ses parties. C’est ce que la Cour de
Paris a consacré elle-même en jugeant, le 4 février
1832, que le père qui laisse ses enfants dans le dénûment et qui ne pourvoit ni à leur nourriture, ni à leur
entretien, ni à leur éducation, doit être privé de son
usufruit légal.
�ET DE LA FRAUDE.
387
Pourquoi ne le déciderait-on pas ainsi pour la perle
de la tutelle ? Le père qui l’abandonne ou qui en est
exclu n’exerce plus une des charges de l’usufruit. La
gravité des causes ayant fait prononcer l’exclusion, n’at
teindra-t-elle pas celle qui s’attache à la violation des
autres devoirs? Qu’importe que le père nourisse et en
tretienne ses enfants ; qu’il leur donne matériellement
l’éducation, si sa conduite et ses exemples sont de na
ture à pervertir leur cœur, égarer leux raison, à les en
traîner à l’inconduite et au mal. Empoisonner morale
ment ses enfants n’est-ce pas pire que de leur refuser
les soins qu’exigent leur nourriture, leur entretien, lepr
éducation ? La perte de l’usufruit, admise dans ce der
nier cas, ne peut être repoussée dans le premier, sans
la plus complète irrationnalité.
Mais, dit-on, l’art. 386 ne met pas la perte de la tu
telle au nombre des causes faisant cesser l’usufruit; donc
prononcer cette cessation sur ce motif, c’est ajouter à la
toi et la méconnaître.
Nous répondons qu’il est des conséquences tellement
logiques, que la loi n’a pas dû les exprimer. Dès qu’aux
yeux du législateur la jouissance du père était corréla
tive à l’accomplissement de ses devoirs, il n’y avait plus
qu’à s’en référer aux principes généraux sur l’effet de
l’indivisibilité des contrats. Ainsi, la loi ne dit nulle
part que l’abus de la jouissance fera cesser l’usufruit du
père. Cependant l’affirmative est, sans contestation, ad
mise par tout le monde, dans les conditions de l’ar
ticle 618.
*
�388
TRAITÉ DU DOL
\
Nous répondons ensuite que l’art. 386 n’a rien de li
mitatif. Qu’il se borne à examiner deux cas dans les
quels un doute plus ou moins sérieux pouvait d’autant
plus naîtie, que dans chacun d’eux la conduite du père
ou de la mère pouvait être matériellement et moralement
irréprochable. Ainsi, par exemple, la mère se remariant
peut être maintenue dans la tutelle. Donc, puisque le
législateur entendait la priver de l’usufruit, il devait s’en
expliquer formellement. Mais conclure de ce qu’il l’a
fait, que la cessation de l’usufruit se restreint dans les
deux hypothèses de l’art. 386, c’est donner à cette dis
position une étendue qu’elle ne comporte pas.
L’art. 386 est si peu limitatif, que la loi elle-même
prononce la suppression de l’usufruit dans des hypothè
ses autres que celles qui y sont prévues. Nous en trou
vons deux exemples notables dans les art. 1442 du Code
civil et 335 du Code pénal. Le premier de ces articles
fournirait à notre opinion un a fortiori incontestable.
Quoi, le père qui néglige de faire inventaire à la disso
lution de la communauté perdra son usufruit lég al, et
celui qui a été ignominieusement destitué de la tutelle
pourra impunément le conserver?
L’art. 386 n’est donc pas limitatif. Les hypothèses
qu’il suppose s’étendent non seulement aux autres cas
prévus par la loi, mais encore à ceux résultant d’une
incontestable analogie. L’effet de celle-ci a été dès long
temps admis.
Ainsi l’article exige, pour que la mère perde son usu
fruit légal, qu’elle ait convolé à de nouvelles noces. Or,
�ET DE LA FRAUDE.
389
la conséquence immédiate du caractère restrictif qu’on
donnerait à cet article serait que la mère qui, sans se re
marier , se livrerait à la débauche la plus notoire, de
vrait conserver cet usufruit. C’est cependant le contraire
qui a été bien de fois consacré. La Cour de Limoges ,
qui le jugeait ainsi en 1807 et en 1810, le décidait de
nouveau le 23 juillet 1824. C’est dans le même sens
que la Cour de Lyon se prononçait, par arrêt du 22
décembre 1829.
Proudhon applaudit à ces décisions. En s’abandon
nant à la débauche, dit-il, la mère s’est rendue bien
plus répréhensible envers ses enfants que si elle s’était
remariée, puisque, au lieu de les porter à la vertu, elle
leur donne l’exemple d’un dérèglement de mœurs;
qu’ayant mérité de perdre la tutelle par une inconduite
notoire, et ses enfants devant cesser de lui être confiés,
il serait injuste qu’elle conservât encore la jouissance de
leurs biens, lorsqu’elle s’est rendue indigne de conser
ver l’administration de leur personne.'
Nous applaudissons aux décisions des Cours de Lyon
et de Limoges, nous admettons l’évidente justesse des
considérations de Proudhon. Mais il faudrait cependant
les repousser , si l’art 386 avait le caractère restrictif
qu’on lui suppose et que nous ne saurions reconnaître.
L’art. 386 admet donc des analogies. La pensée du lé
gislateur , son application comportent des ‘développe
ments. Il n’y a donc pas à hésiter dans toutes leshypo1 Uswf., t. i, n° 146,
�390
TRAITÉ DU DOL
thèses dans lesquelles se rencontreront des motifs dé
terminants.
Or ces motifs sont : d’une part, l’intérêt des enfants ;
de l’autre , l’inexécution des obligations qu’impose la
puissance paternelle. L’usufruit légal n’a pas pour ob
jet aujourd’hui d’enrichir le père, il est un encourage
ment à la loyale et fidèle exécution du mandat de dé
fense et de direction qui lui est confié ; une récompense
de l’affection qu’il témoigne à ses enfants, des peines et
soins qu’il s’impose à leur occasion ; une indemnité des
droits onéreux qu’il supporte.
Celui qui méconnaît et répudie ces devoirs, celui qui
en est déclaré indigne, celui qui mérite de perdre la tu
telle, cet autre attribut de la puissance paternelle, doit,
bien plus encore que l’époux dont les torts motivent le
divorce ou la séparation de corps, à bien plus juste titre
que la mère qui se remarie, perdre par cela même tous
les avantages qu’il ne doit recevoir que comme une com
pensation des charges dont il est dispensé pour l’avenir.1
1 7 14.
— L’aliénation des biens donnés, consentie
après coup par le donateur, constitue une autre fraude
dont celui-ci peut se rendre coupable. Cette fraude , à
l’endroit des donations entre vifs, ne peut se concevoir
qu’au moyen de la simulation dans la date de la vente.
Le caractère public de la donation ne permettrait pas
l ’hésitation, si la vente résultant d’un acte public se rap1 C h ard o n ,
Dol et Fraude, t .
il, n ° 3 2 8 .
�ET DE LA FRAUDE.
391
portait avec toute certitude à une époque postérieure à
la donation. La fraude dont nous parlons sera donc de
toute nécessité signalée par l'existence d’un acte sous
seing privé, dont la date remontera à une époque dé
terminée et antérieure à l’acte de donation. Nous nous
sommes déjà occupés de cette hypothèse, nous n’avons
donc pas à y revenir.'
1715.
— Il n’en est pas de même des donations à
cause de mort. On sait que les art. 1082 et 1084 du
Code civil permettent à toutes personnes de donner par
contrat de mariage tout ou partie des biens qu’elles dé
laisseront au jour de leur décès , ou cumulativement
leurs biens présents et ceux à venir.
Cette donation, qui est la vérirable institution con
tractuelle de l’ancien droit, est irrévocablement acquise
du jour du contrat, en ce sens que le donataire est hé
ritier certain et incommutable du donateur, mais ses ef
fets, son étendue, son émolument réel sont exclusivement
subordonnés à la volonté du donateur et aux actes qu’il
a pu souscrire de son vivant.
Celui-ci, en effet, n’est nullement enchaîné par l’o
bligation qu’il s’est imposée. Notre ancien droit ne lui
faisait pas même perdre le droit de disposer de ses biens
à titre gratuit. L’art. 1083 respecte lui-même ce droit,
en le restreignant, avec juste raison, aux donations pour
sommes modiques, à titre de récompense ou autrement.
i V. supra, n°s 1281 et suiv.
�3921
TRAITÉ DUDOL
Quant à celui de disposer à titre onéreux, de vendre, d’hypothéquer, il existe dans toute sa latitude.
Il est évident qu’il ne pouvait en être autrement. Ce
lui qui donne ce qu’il laissera à son décès prouve suffi
samment par là son intention de ne s’imposer aucune
gêne dans les occasions où des besoins personnels vien
draient exiger l’aliénation partielle ou totale de sa for
tune. Il ne promet qu’une seule chose, à savoir ; q u e ,
ses propres exigences satisfaites, tout ce qu’il laissera
après lui arrivera aux mains du donataire, en d’autres
termes, il n’a fait qu’un testament renfermant exception
nellement une institution irrévocable.
On comprend néanmoins que ce droit d’aliéner est
plus que suffisant pour annuler de fait la donation. L’a
bus est bien près de l’usage. Vienne le repentir ou le re
gret, qu’une autre affection remplace la première, les im
meubles disparaîtront, et leur prix, manuellement trans
mis, ne laissera aucune trace.
Cet inconvénient grave est aussi certain qu’il est iné
vitable. Celui qui peut ne pas donner est sans contredit
parfaitement libre de choisir et de préférer le mode de
libéralité le plus conforme à son intérêt personnel. Son
choix arrêté, le donataire n ’a plus qu’à le subir dans tou
tes ses conséquences, dont il n’a pu d’ailleurs se dissi
muler la nature.
Ce qu’il a le droit d’exiger, c’est que la loi, en ce qui
le concerne, soit pleinement et loyalement exécutée : que
le donateur ne fasse pas de son droit un instrument de
simulation et de fraude. L’art. 1083, nous venons de le
�>
ET DE LA FRAUDE.
393
voir, défend toutes les libéralités, si ce n’est pour som
mes modiques, à titre de récompense ou autrement. Les
efforts tentés pour se soustraire à cette prohibition de
vraient être réprimés. Le donataire serait donc recevable
à soutenir que les aliénations prétendues déguisent de
véritables donations, et fondé à en obtenir dès lors l’an
nulation. Mais il serait tenu, dans tous les cas, de prou
ver la fraude dont il exciperait.
La donation des biens présents et à venir participe ,
quant à ces derniers, de celle que nous venons d’exami
ner. Définitive quant aux biens présents, elle ne confère
qu’une expectative sur ceux que le donateur pourra plus
tard acquérir.
Ce double caractère devrait-il avoir pour résultat une
division dans les effets ? Devait-il être permis au donataire
d’accepter pour les biens présents et de répudier pour
les biens à venir, alors qu’au décès du donateur cette dis
position devenait réellement onéreuse?
Le sort des créanciers, directement intéressés dans la
solution de ces questions, a dicté la conduite adoptée
par le législateur. Pour que la division soit possible, il
faut qu’un état des dettes actuellement dues soit rédigé
au moment de la donation et annexé à l’acte. Cette pré
caution déterminant les charges du présent, le donataire
pourra, en renonçant aux biens à venir, s’exonérer des
dettes postérieures.
Si l’état n’a été ni rédigé, ni annexé, il y a une con
fusion absolue de toutes les charges, comme de tous les
biens. Le donataire devra les payer toutes, à moins qu’il
�394
TRAITÉ DU DOL
renonce à la donation, tant pour lesbiens présents que
pour les biens à venir.
Si le donataire accepte, son obligation de payer les
dettes ne peut s’étendre à celles qui ne seraient que le
résultat de la collusion ou de la fraude. Simuler une
dette qui n’existerait pas, c’est consentir une libéralité,
et ce droit n’appartient plus à celui qui a déjà donné
tous ses biens, alors même que l’effet de la donation est
subordonné à son décès. La preuve de cette'simula lion
parle donataire ferait prononcer l’annulation de la dette
à son profit. Cette règle ne reçoit qu’une exception, à
savoir : si la donation renfermait la clause de payer in
distinctement toutes les dettes , conformément à l’arti
cle 1086.
1 7 1 g ws — Deux eSpèces, sur lesquelles nous avons
été consulté, ont signalé à notre attention une grave dif
ficulté pouvant résulter d’une institution contractuelle
autorisée par les art. 1082 et 1083. Dans la première,
la mère avait, dans le contrat de mariage de sa fille, fait
une donation de tout ce qu’elle délaisserait, mais, par
une clause subséquente, elle s’était interdit de vendre ses
immeubles autrement qu’avec le consentement de son
gendre.
Dans la seconde, les neveux et nièces de la donatrice
contractant mariage, celle-ci leur avait, par leur con
trat, assuré son entière succession. La même interdiction
de vendre ou d’hypothéquer accompagnait la donation
d’une manière absolue, seulement la donatrice s’était ré-
�ET DE LA FRAUDE.
395
servé la faculté de disposer à titre onéreux jusqu’à con
currence de cinq mille francs.
Dans l’une comme dans l’autre, il était formellement
stipulé que les époux ne prendraient la possession et la
jouissance des biens qu’au décès de la donatrice. Aucun
de ces actes n’avait reçu la formalité de la transcrip
tion.
Quel était le caractère de cette prohibition ? Etait-elle
opposable aux tiers-acquéreurs ou prêteurs postérieurs
au contrat? Etait-elle obligatoire pour le donateur luimême?
Dette question, parfaitement neuve, nous a paru de
voir être résolue par la négative. Par rapport au dona
teur, la restriction qu’il s’est imposée est frappée d’une
nullité radicale et absolue, comme violant une loi d’or
dre public et d’intérêt général, A l’égard des tiers, une
pareille clause serait non-seulement illégale, mais en
core monstrueuse et inique dans ses résultats.
Le droit de disposer de sa chose est l’attribut le plus
essentiel, le plus direct de la propriété. Le sacrifice de
ce droit, autorisé quelquefois, devait amener à ce résul
tat de frapper la richesse territoriale d’une indisponibi
lité funeste pour l’Etat, plus funeste encore pour le pos
sesseur lui-même.
Cet inconvénient grave s’était déjà réalisé sur une vas
te échelle lorsque, la révolution de 1789 arrivant, l’a
bolition de la main-morte parut indispensable et fut tout
d’abord prononcée. C’est aussi cette abolition que le Code
civil a consacrée.
�396
TRAITÉ DU DOL
La prohibition de la donation à cause de mort n’a pas
d’autre origine. Il répugnait à la raison que celui qui
n’a pas voulu actuellement se dépouiller de ses biens put
continuer à les posséder, mais sous l’obligation de ne
pouvoir les consacrer à ses propres besoins.
Il est vrai que le législateur a consacré une exception.
La donation pour cause de mort est permise en contrat
de mariage. Mais cette exception, commandée par la fa
veur due à celui-ci, a été expressément restreinte dans
des limites déterminées à l’endroit de l’irrévocabilité. Aux
termes de l’art. 1083, cette irrévocabilité se réduit à
l’interdiction de disposer à l’avenir à titre purement gra
tuit. La donation pour cause de mort, même par con
trat de mariage, reste donc ce qu’elle n’a jamais cessé
d’être, un testament. Seulement, et par une dérogation
au droit commun, ce testament est irrévocable. La vo
cation qu’il renferme assure à l’institué le droit d’em
pêcher toute libéralité ultérieure, la certitude de recueil
lir, à la mort de l’instituant, tout ce qui sera délaissé
par lui.
Ainsi, fidèle à la pensée qu’il importe de ne pas lais
ser, même momentanément, la propriété flottante et in
décise, le législateur ne s’en est pas départi, même à
l’endroit du mariage qu’il voulait favoriser. La donation
pour cause de mort n’est que le don de eo quod supererit. Jusqu’au décès, le donateur conserve le droit d’a
liéner à titre onéreux, et cela à proportion de ses be
soins, au gré même de ses caprices.
C’est cependant ce que la clause que nous examinons
�ET DE LA FRAUDE.
397
a pour effet de détruire. La prohibition que se fait le
donateur de toute aliénation à titre onéreux , rend sa
donation une véritable et pure donation à cause de mort.
En effet, il s’enlève l’attribut le plus essentiel de la pro
priété. Celle-ci ne passe pas cependant sur la tête du
donataire , qui ne la recevra qu’au décès. En réalité
donc, la propriété, dans son acception ordinaire, n ’ap
partient à personne, elle demeure condamnée à rester
immobile etindisponiblejusqu’à la réalisation de la con
dition. En d’autres termes, ce qui s’accomplit, c’est une
nouvelle main-morte qui, pour n’être que temporaire,
n’en offre pas moins tous les inconvénients qui ont fait
proscrire cet état des choses.
Pour valider une convention de ce genre, il faudrait
donc que la loi en eût conféré la faculté ou imposé le
devoir. Rencontrera-t-on cette disposition dans l’arti
cle 1082? Mais, nous l’avons déjà dit, cet article n’est
qu’une exception à la règle générale qui proscrit la
donation pour cause de mort. Cette exception est ellemême conditionnelle. C’est donc à celui qui en invoque
le bénéfice à prouver que ce bénéfice lui est dû. Il doit,
dans tous les cas, en accepter l’effet légal. Or cet effet
nous le rencontrons dans l’art. 1083, tout ce que la loi
autorise, c’est la prohibition de disposer à titre gratuit.
Aller au delà, c’est sortir des termes de la loi, c’est
se placer conséquemment dans l’impossibilité de se ré
fugier sous son égide. La clause que nous invalidons
fait plus encore, elle fait revivre la donation à cause de
mort dans toute son étendue. Elle se place donc en op-
�398
TRAITÉ DU DOL
position formelle avec l’ordre du législateur; elle mé
connaît et viQle sa défense formelle; elle ne peut dès
lors créer aucun lien obligatoire.
La nullité étant radicale, le donateur, en vertu des
principes que nous avons exposés, est donc, quoique
partie au contrat, recevable à la poursuivre lui-même.
Les motifs légaux motivant cette solution pourraient
être, par une supériorité de raisons incontestable, invo
qués dans l’intérêt des tiers. Mais, par rapport à eux,
la nullité, en ce qui les concerne, est surtout comman
dée par la raison et la justice.
Sans doute la loi doit protéger la partie elle-même
contre tout entraînement irrationnel, contre l’exagéra
tion de ses sentiments de bienveillance. Mais ce devoir
est plus rigoureux lorsqu’il s’agit de tiers contre les
quels on demande l’exécution d’un contrat auquel ils
sont demeurés étrangers, alors surtout qu’on n ’a à leur
reprocher ni négligence, ni imprudence.
Que celui qui traite avec un homme marié se fasse
représenter son contrat de mariage; qu’il ne soit pas
admis à se plaindre si, ayant négligé ce devoir, le sort
de sa créance se trouve compromis par les stipulations
de ce contrat, on le comprend. Quelque rigoureuse
qu’elle soit, cette solution n’est motivée que sur l’im
prudence et l’oubli d’un devoir consacré par la loi.
Mais qu’on fasse une obligation au créancier de con
sulter les contrats de mariage non seulement des enfants
du débiteur, mais encore de ses neveux, cousins, et
même des étrangers auxquels il a pu faire des dona-
�___
------------------
ET DE LA FRAUDE.
------ =
399
tions, ce serait pousser la rigueur au delà de toutes les
bornes imaginables.
Indépendamment, en effet, de l’impossibilité maté
rielle d’une pensée supposant la connaissance préalable
des divers mariages auxquels le vendeur ou l’emprun
teur a pu assister, l’acquéreur ou le prêteur n’a pas
même à s’en préoocuper. Il sait qu’il trouvera aux hy
potheques la trace des diverses affectations pouvant gre
ver la propriété qu’il achète ou sur laquelle il prêle. Lors
que le registre des transcriptions et celui des hypothè
ques sont muets, il ne doit supposer autre chose qu’une
absence de toute aliénation et de tous gages.
Or, que résultera-t-il, dans notre espèce, d’une re
cherche dans ces registres ? Rien évidemment, car la do
nation autorisée par l’art. 4082! n’est pas soumise à la
transcription. Comment, dès lors, connaître la clause
par laquelle le donateur a dérogé à l’art. 1083 ? Eh !
on pourrait l’opposer aux créanciers? Mais s’il s’agissait
d’une donation actuelle et irrévocable, qui n’eût pas été
transcrite, on ne pourrait s’en prévaloir contre eux, et
l’on voudrait les rendre victimes d’une clause qui n’était
susceptible de recevoir et qui n’a effectivement reçu au
cune publicité ?
Concluons donc que les tiers-créanciers ne sauraient,
moins encore que le donateur lui-même, souffrir d’une
convention dont la validité deviendrait pour eux un mo
yen assuré de ruine et de fraude. Ajoutons que cette va
lidité porterait le coup le plus funeste au crédit public.
Qui oserait acheter ou prêter, si après les plus minutieu-
*
�400
TRAITÉ DU DDL
ses précautions, si après la preuve de la propriété, ac
compagnée de la négation de toutes charges, on pouvait
être complètement dépouillés par l’effet d’un contrat de
mariage préparé dans ce dessein ?
La loi n’admet que deux manières de grever la pro
priété : l’aliénation , l’hypothèque. Or la dérogation à
l’art. 1083 n’est pas une aliénation, le donateur ne
perd pas, le donataire n’acquiert pas la propriété, elle
ne constitue pas une hypothèque, elle n’est donc qu’une
obligation de faire. Comme l’objet qu’elle se propose
est contraire à la foi publique, contraire à l’intérêt gé
néral , elle est insusceptible de produire un effet quel
conque.
1716.
— Pendant la durée de sa jouissance, l’usu
fruitier peut consentir des baux. Dans l’ancien droit, la
durée de ces baux était subordonnée à celle de l’usu
fruit. La mort de l’usufruitier amenait donc , comme
conséquence forcée, la résolution du bail qu’il avait con
senti.
Le Code a, avec sagesse, dérogé à un état des choses
ayant entre autres inconvénients celui d’occasionner un
grave préjudice au propriétaire lui-même. Un fermier
n’améliore que lorsque, par sa durée convenue, sa jouis
sance le met à même de profiter lui-même de ces am é
liorations. On s’impose, dans un bail de neuf ans, des
obligations qu’on ne contracterait pas, s’il ne devait du
rer qu’un an ou deux. Or, comment contracter à plus ou
moins long terme avec celui dont la mort, devant faire
�401
ET DE LA FRAUDE.
résoudre la convention, ne peut dès lors consentir qu’un
droit essentiellement aléatoire?
L’intérêt du nu-propriétaire, celui de la propriété ellemême exigeait donc qu’on affranchit le fermier de la
chance que lui imposait l’ancien droit. C’est ce qu’a fait
le Code qui maintient, à la mort de l’usufruitier, les
baux qu’il a consentis pendant sa vie, aux conditions re
quises par les art. 595 et 1429.
Mais l’obligation imposée au propriétaire d’exécuter
ces baux ne doit s’entendre que de ceux faits loyalement
et sans fraude. Si, par une collusion et pour nuire éven
tuellement à ses intérêts, le fermier et l’usufruitier s’é
taient entendus pour donner au bail un prix sans pro
portion avec la valeur réelle des biens ; si le véritable
prix avait été dissimulé dans l’acte et l’excédant payé à
l’usufruitier de la main à la main, et que le fermier pré
tendît ne payer à l’avenir que le prix apparent, le pro
priétaire serait recevable à prouver l’un et l’autre et à
obtenir la résiliation du bail.1
1717.
— Toutes les fraudes que nous venons d’indi
quer, et dont le donataire peut être victime, sont non
seulement dirigées contre lui, mais encore contre ses hé
ritiers. En conséquence, les actions qu’il peut exercer
passent à ceux-ci, ils peuvent les intenter et les pour
suivre comme il le ferait lui-même.
Ses créanciers jouiraient également de celte faculté,
1 V. supra, n°s 4001 etsuiv,
iv
v
26
�402
TRAITÉ DU DOL
soit en vertu de l’art, 4166, soitpar application de l’art.
4167. La certitude qu’a le donataire que les biens don
nés ne profiteront qu’à ses créanciers, peut le rendre fort
indifférent au sort futur de la donation. Dans ce senti
ment, on ne pourrait s’attendre à une bien vive résis
tance de sa part contre la fraude du donateur.
1 7 1 8 . — Dans d’autres circonstances, ce sera pis
encore, cette même fraude sera concertée entre celui-ci
et le donataire, car elle n’aura pour objet que de lui
faire arriver d’une manière détournée et indirecte, ce
dont il sera dépouillé d’une manière apparente, et cela
uniquement pour arracher aux créanciers le gage qu’ils
rencontreraient dans les biens donnés.
Il est donc juste d’autoriser les créanciers à faire tout
ce que l’éventualité d’un pareil préjudice et dans le cas
de leur inspirer. La fraude, sans doute, dans cette hy
pothèse, ne se présume pas plus que dans les cas ordi
naires, mais le silence, que le donataire s’imposerait en
présence d’une spoliation imminente ou consommée crée
rait un grave préjugé contre sa bonne foi, et cette cir
constance coïncidant avec l’existence de nombreux cré
anciers, dont le paiement doit nécessairement absorber
l’entier émolument de la donation, on supposerait faci
lement la fraude que ceux-ci allégueraient.
1719. — Le donateur est beaucoup moins exposé.
Toutes les fraudes qu’il a à redouter de la part du dona
taire se résument dans l’une des deux circonstances sui
vantes : inexécution des conditions, ingratitude.
�ET DE LA FRAUDE.
403
Mais l’effet de ces fraudes étant la révocation de la
donation, il est évident que le donataire est personnel
lement plus intéressé que le donateur à ne pas s’en ren
dre coupable. Donc, de l’un à l’autre, ces fraudes sont
peu probables et surtout fort peu à redouter pour ce
dernier.
1720. — Il n ’en est pas ainsi pour les créanciers
du donataire. Nous venons de le dire, la certitude que
les biens donnés seront absorbés par le paiement de ses
dettes peut engager le donataire à subir sans se plain
dre la fraude du donateur, à la concerter même. À plus
forte raison, celte conviction sera-t-elle dans le cas de
l'amener à rendre la révocation inévitable, en se déga
geant des liens d’une exécution devenue onéreuse, ou
en payant d’ingratitude les bienfaits qu’il a reçus.
A l’absence de tout autre intérêt que celui d’éteindre
ses dettes, chose à laquelle beaucoup de gens ne sem
blent pas tenir beaucoup, il peut s’adjoindre un autre
motif bien plus décisif. La révocation peut ne pas avoir
d’autre but que de favoriser la famille du donataire,
ainsi, cette révocation prononcée, le donateur reprendra
les biens, qu’il transmettra à celle-ci libres de toutes les
charges qu’elle eût dû subir sans la réalisation de cette
manœuvre. On comprend la gravité du préjudice que
les créanciers, que les tiers ayant traité avec le dona
taire pourraient souffrir d’un pareil calcul.
1 7 2 1 . — Les premiers ne seront devenus tels que
�404
TRAITÉ DU DOL
par suite du crédit que la possession des biens donnés
a procuré au donataire, et la révocation, annulant tout
droit de propriété, leur enlève toute espérance de rem
boursement. Les tiers, ayant acheté et payé des biens
qu’ils croyaient reposer incommutablement sur la tête
du vendeur, se verront dépouillés de la chose et du
prix qu’on se gardera bien de leur restituer.
Tel est en effet le caractère que l’art. 954 affecte à
la révocation pour inexécution des conditions. Elle fait
rentrer aux mains du donateur les biens donnés, libres
de toutes charges et hypothèques du chef du donataire ;
elle détruit tous les droits conférés par celui-ci, et auto
rise la revendication des immeubles contre les tiers-dé
tenteurs.
C’est aussi ce moyen que la fraude exploitera de pré
férence; à la facilité qu’il offre, s’unit l’énergie des ef
fets, et ce sera surtout en considération de ces derniers
qu’on recourra à la fraude que nous indiquons.
1722.
— Pour se défendre utilement contre ce dan
ger, les tiers-créanciers ou possesseurs devaient être au
torisés à se substituer au donataire dans l’exécution des
conditions que celui-ci n’aurait pas remplies, ou refu
serait de remplir à l’avenir. C’est ce que la Cour de Bor
deaux a formellement jugé le 7 décembre 1829.
La Cour de Biom a consacré ce même principe, mais
pour que la demande soit recevable, elle exige que les
créanciers prennent l’engagement personnel de remplir
les conditions portées en l’acte entre vifs, à la révoca-
�ET DE LA FRAUDE.
405
tion duquel ils s’opposent, et que cet engagement pré
sente pour l’avenir les garanties les plus positives. Dans
l’espèce de cet arrêt, les biens, ayant été saisis sur la
tête du donataire , étaient revendiqués par le donateur,
au bénéfice de la demande en révocation pour cause
de non paiement d’une rente viagère qui en avait été la
condition. Les créanciers saisissants offraient, pour em
pêcher cette révocation, de n’adjuger les biens qu’à la
charge des prestations imposées par le donateur, ou de
laisser en mains de l’adjudicataire les sommes destinées
à y faire face. Mais cette offre fut jugée insuffisante ,
incapable de garantir le paiement à venir de ce qui était
dû au donateur et n’équivalant aucunement à l’engage
ment personnel que les créanciers auraient dû contrac
ter pour empêcher la révocation.1
Cette décision nous paraît rationnelle. La loi empêche
la révocation lorsqu’elle acquiert la certitude que le
droit du donateur, complètement assuré pour l’avenir,
n’éprouvera plus, aucun retard dans son exécution. Cette
certitude naît incontestablement de cette circonstance
qu’à la garantie offerte par les biens donnés, vient s’ad
joindre celle d’un ou de plusieurs créanciers dont la
solvabilité répond de l’engagement qu’ils contractent.
Mais cette certitude n’existe plus si les créanciers se
bornent à laisser*seulement une partie des biens donnés
affectés à la dette répondue sur leur généralité. Sans
doute, la somme laissée en mains de l’adjudicataire est
destinée à faire face à la prestation annuelle, mais l’acî Riom, 3 janvier 1826.
�406
TRAITÉ DU DOL
cumulation possible des arrérages fait disparaître cette
garantie elle-même , puisqu’en cas d’insolvabilité de
l’adjudicataire, la somme entamée par le paiement de
ces arrérages ne donnera plus annuellement un intérêt
suffisant. Au lieu de voir ses garanties diminuer, le
donateur doit en trouver un surcroît dans l’accession
des créanciers , et ce résultat ne peut être atteint que
par l’engagement personnel qu’ils contracteront à son
égard.
A cette condition, la donation sera maintenue, et les
droits des tiers sauvegardés contre la mauvaise volonté,
contre le malheur, contre la fraude. Cette condition el
le-même n’a rien que de fort juste, celui qui se dé
pouille de ses biens ne peut être contraint de tenir ses
engagements que si on respecte ceux qu’il a imposés en
échange de sa libéralité. D’autre part, ceux qui ont traité
avec le donataire, qui ont consulté son titre, n’ont pu
ignorer la nature de ses droits. La faculté qu’on leur
donne de se livrer eux-mêmes à l’exécution des obliga
tions que celui-ci ne veut ou ne peut remplir et qui est
pourtant la condition substantielle de ces mêmes droits,
ne saurait donc exciter leurs plaintes et moins encore
être taxée d’injustice.
1725.
— La révocation pour ingratitude ne saurait
être conjurée par les créanciers, ils ne peuvent se faire
substituer à cet égard aux obligations toutes personnel
les de leur débiteur.
Ce point de vue n’a pas échappé au législateur, il a
été au contraire pris en sérieuse considération lorsqu’il
�ET DE LA FRAUDE.
407
s’est agi de caractériser l’ingratitude, d’en établir les ef
fets à l’encontre des tiers.
Ces effets sont réglés par l’art. 958, la révocation
pour cause d’ingratitude ne préjudiciera ni aux aliéna
tions faites par le donataire, ni aux hypothèques et au
tres charges réelles qu’il aura pu imposer sur l’objet de
la donation, pourvu que le tout soit antérieur à l’ins
cription qui aurait été faite de l’extrait de la demande,
en marge de la transcription prescrite par l’art. 939.
Ainsi, à la différence de la révocation pour cause
d’inexécution des conditions, rétroagissant au jour du
contrat, et effaçant tout ce qui a pu se réaliser dans
l’intervalle, celle pour ingratitude n'a d’effet qu’à par
tir du moment où se réalise l’acte la constituant. Dans
ce derniers cas, le donateur a le tort d’avoir mal placé
ses bienfaits. Cette erreur est même, en ce qui le con
cerne, une véritable faute dont il doit supporter les con
séquences, il serait aussi absurde qu’injuste d’en repor
ter la responsabilité sur des tiers, que le choix du do
nateur devait naturellement rassurer à cet égard.
On peut sans doute prévoir une inexécution et s’en
préoccuper, on ne peut raisonnablement en agir de
même contre une ingratitude que rien ne fait présu
mer. En conséquence, si elle se réalise, les tiers, qui
ont jusque là de bonne foi traité avec le donataire, n’ont
aucune faute à se reprocher. Leur droit doit donc être
essentiellement respecté.
Pour qu’on pût leur reprocher une faute, il faudrait
qu’ils eussent été à même de connaître la conduite du
�408
TRAITÉ DU DOL
donataire. Cette condition se réalisant par l’inscription
de la demande en révocation, à la marge de la trans
cription, ceux qui ont traité postérieurement seront seuls
déchus des droits aussi imprudemment acquis.
Mais la certitude de l’inévitable préjudice qu’ils sont
dans le cas de subir serait une raison suffisante pour
leur reconnaître, comme à tous les créanciers cédulaires, le droit d’intervenir dans l’instance en révocation
qui doit dans tous les cas être ordonnée par justice.
Sans doute ils ne pourront se substituer aux obligations
de leur débiteur et faire par ce moyen repousser la ré
vocation. Mais ils sont recevables à en contester le mé
rite, à soutenir qu’elle n’a pas été réalisée en temps uti
le, ou que les faits sur lesquels elle repose n’ont pas la
gravité requise.
1 7 2 4 . — L’ingratitude, en effet, est quelque peu
une abstraction dont il importait de déterminer le carac
tère, relativement à la révocation qu’elle est dans le cas
d’autoriser. Son appréciation arbitraire ouvrait une trop
large issue à la fraude , une carrière beaucoup trop
vaste à de nombreux procès.
L’art. 955 répond à ce double danger et les évite l’un
et l’autre. L’ingratitude, dont le législateur a voulu par
ler et qu’il punit de la perte de la libéralité, n’existe :
1" Que si le donataire attente à la vie du donateur;
2° Que s’il s’est rendu coupable envers lui de sévi
ces, délits ou injures graves ;
3° Que s’il lui refuse des aliments.
�ET DE LA FRAUDE.
,
409
1 725. — Les deux premiers faits n’ont la consé
quence signalée que si leur matérialité est accompagnée
de la culpabilité, la certitude du défaut d’intention de
vrait faire maintenir la donation. Ainsi, si l’attentat ou
le délit n ’avait eu lieu que dans le cas de légitime dé
fense ; s’il était le résultat de la démence ou le produit
d’une imprudence ou de l’inobservation des règlements,
la demande en révocation serait repoussée.
De là encore cette autre conséquence que le fait re
proché doit être personnellement imputable au dona
taire. L’acte imputable à l’héritier, au mari, au tuteur
n’autoriserait pas la révocation contre le père, la femme
ou le mineur.
1 7 2 6 . — Les délits prévus par l’art. 955 doivent
être entendus non seulement des actes contre la per
sonne , mais encore de toute atteinte dirigée contre la
fortune du donateur.' Néanmoins ces derniers ne mo
tiveraient la révocation que si, par leur gravité, ils ont
compromis ses moyens d’existence. Cette condition, con
sacrée par notre ancienne jurisprudence, est aujour
d’hui unanimement recommandée. Tel ne serait donc
pas évidemment un délit de chasse, par exemple. C’est
conséquemment avec juste raison que MM. Duranton et
Poujol enseignent qu’un pareil délit ne saurait devenir
la base d’une poursuite en révocation.
Les délits commis contre les ascendants ou descen1 Paris, 17 janvier 1833,
�410
TRAITÉ DU DOL
dants du donateur, contre son conjoint ou ses autres
proches parents , ne pouvant être considérés comme
commis envers lui, ne remplissent pas la condition im
périeusement exigée par l’art. 955. Ils ne pourraient
donc, comme tels, devenir la matière d’une révocation,
mais ils pourraient être avec juste raison envisagés com
me injures graves envers le donateur et se ranger com
me telles dans la catégorie des causes l’autorisant.
1 7 2 7 . — L’art. 955 n’exigeant plus que le dona
taire ait été condamné, ainsi que l’art. 727 le veut pour
l’indignité de l’héritier, il en résulte que l’absence de
condamnation, que celle même de toute poursuite cri
minelle contre le donataire , ne pourrait créer aucun
obstacle à la demande en révocation. Il suffirait pour
la faire admettre que l’attentat ou le délit fût établi dans
la poursuite dont on aurait investi le tribunal civil.
1 7 28. — La gravité des sévices et injures est aban
donnée à l’appréciation du juge. Mais il est une obser
vation générale que nous trouvons dans M. Coin-Delisle, et qui, empreinte d’une évidente sagesse, nous pa
rait devoir être la règle constante de cette appréciation.
La loi, dit ce savant jurisconsulte, ne dépouille le dona
taire qu’autant que le fait procède de sa volonté et de
l’ingratitude de son âme. Outre le fait matériel, elle
veut que le donataire s’en soit rendu coupable envers
le donateur; d’où il suit que de simples torts, ou des
faits blâmables en eux-mêmes, mais qui trouveront leur
�ET DE LA FI1AUDE.
411
excuse dans un premier mouvement, dans des habitu
des grossières, dans une évidente provocation du dona
teur, n'entraînent pas toujours la révocation.
Par application de cette doctrine, la Cour de Toulouse
a jugé qu’une donation faite par un père à son fils ne
doit pas, sur la demande du donateur, être révoquée
pour cause d’ingratitude, par cela seul que le fils a,
dans une lettre, traité le donateur de voleur; alors sur
tout que la lettre, d’ailleurs sans signature et sans adres
se, n’était destinée à aucune publicité et n’en a reçu au
cune; qu’elle a été écrite, après un grand nombre d’an
nées d’une conduite irréprochable de la part du fils en
vers le père, dans le cours d’une contestation judiciaire
où la résistance du père avait été reconnue mal fondée,
et en réponse à une demande réputée injuste, et surtout
encore si les parties sont des personnes dont l’éducation
ait été négligée.*
1729.
— Le refus d’aliments, surtout lorsque le
donateur en éprouve un besoin urgent et ré e l, est un
acte d’inhumanité et d’odieuse ingratitude envers son
bienfaiteur. On ne comprend donc pas la controverse
que la question de s’avoir s’il devait autoriser ou non
la révocation de la donation avait fait naître sous l’em
pire de notre ancien droit.3 L’art. 955 l’a tranchée de
de la seule manière possible et convenable.
1 29 avril <1835.
s V. Furgole Test., cÜap. 2, sect. 1re, n° 67 ; — Ricard, part. 3, nos
7 00 et suiv. ; — Pothier, Donat., sëct. 3, art, 3, § \ ,
�412
TRAITÉ OU DDL
Mais ce n’est pas refuser des aliments que de con
tester soit l’opportunité et la nécessité de la demande,
soit le chiffre auquel elle a été portée ; les besoins peu
vent n’être pas réels, le chiffre peut être tellement exa
géré que, dans son ensemble, la prétention ne soit qu’un
moyen calculé pour amener une inévitable résistance ,
et arriver ainsi à faire prononcer la révocation. Il suffit
donc que le donataire ait pu de bonne foit se croire au
torisé à contester , pour que la condamnation absolue
de sa prétention ne puisse avoir d’autre conséquence
que celle de l’obliger à l’exécuter dans l’avenir, sous pei
ne de révocation.
Il en devrait être et il en serait autrement si la détresse
du donateur était notoire, si le chiffre des aliments qu’il
réclame était d’une évidente, d’une incontestable modé
ration, dans la proportion avec l’importance des biens
donnés. Dans cette hypothèse, la résistance du donataire
ne serait qu’un refus d’aliments, déguisé sous un pré
texte spécieux, qui ne devrait pas l’affranchir des con
séquences de sa mauvaise foi.
1750.
— L’art. 956 dispose que, dans aucun cas,
la révocation n’est de plein droit acquise. Les conséquen
ces de cette règle sont importantes pour les tiers ; elles
leur assurent les deux résultats suivants :
1° La révocation devant être prononcée par justice sa
poursuite donnera lieu à une instance dont la publicité
éveillera nécessairement la sollicitude de tous ceux que
son issue peut intéresser. Chacun d’eux pourra, dès lors
�ET DE LA FRAUDE.
413
se présenter dans l’instance et y intervenir pour veiller
à la défense de ses droits et les mettre à l’abri de toute
collusion et de toute fraude ;
2° La révocation, respectivement consentie, ne peut
avoir d’effets qu’entre les parties. On ne pourrait l’op
poser aux tiers sans leur conférer le droit d’en appeler
à la justice. Le débiteur peut bien disposer de ce qui
lui appartient ; mais toute disposition de nature à en
lever un droit acquis à un tiers ne saurait être valable
ment faite qu’autant que celui-ci a été mis à même de
se défendre.
Ce principe est tellement absolu que, dans l’hypo
thèse d’une révocation pour cause d’inexécution des
conditions, le jugement ne serait définitif contre les
créanciers hypothécaires et les tiers-détenteurs, qu’au
tant que, appelés en cause, l’exécution commune en a
été contradictoirement prononcée contre eux. Sans
doute, le donateur n’est pas tenu de réaliser cet appel,
mais son absence laisse subsister pour les tiers la faculté
de former tierce opposition au jugement et de le faire
rétracter, en offrant, au besoin, l’exécution refusée par
le donataire.
1751.
— L’action du donateur en révocation pour
cause d’inexécution n’est et ne pouvait être soumise
à aucun délai. L’inexécution se renouvelle à chaque
échéance de l’obligation, et ce n’est qu’en tant qu’elle
n’a jamais cessé que l’action serait recevable. Si, après
un intervalle quelconque de suspension, l’exécution avait
�414
TRAITÉ DU DOL
été reprise d’un commun accord et continuée sans in
terruption nouvelle, le donateur ne pourrait plus, sous
aucun prétexte, exciper d’une inexécution précédente ,
complètement effacée.
Mais l’action pour inexécution passe aux héritiers du
donateur. Par rapport à ceux-ci; l’obligation d’exécuter
ayant cessé d’exister au décès du donateur, la prescrip
tion trouve, dans ce décès, un point de départ certain.
L’absence de toute réclamation, dans les dix ans de ce
décès, éteindrait donc toute action ultérieure.
L’action en révocation pour cause d’ingratitude se res
treint entre le donateur et le donataire. Elle ne peut dit
l’art. 957, être poursuivie par le donateur contre les hé
ritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur con
tre le donataire
La personnalité de l’ingratitude et l’injustice de la
punir sur ceux qui y sont demeurés étrangers déter
mine la première règle. La présomption du pardon ,
toujours facultatif pour l’offensé, a fait consacrer la se
conde. Mais cette présomption n’est acquise, aux ter
mes de notre article, que si le donateur est resté un an,
à compter du jour du délit imputé ou de celui de sa
connaissance, sans intenter l’action. Conséquemment si
le donateur est mort avant l’expiration de ce délai ou
si, avant de décéder, il a réalisé la poursuite, ses héri
tiers seront recevables à l’intenter ou à la continuer con
tre le donataire.
Ainsi, la révocation pour cause d’ingratitude se pres
crit par un an. Elle peut, de plus, être querellée en la
�ET DE LA FRAUDE.
415
forme, sous le rapport de la personne qui l’intente, au
fond, comme ne constituant pas l’un des faits prévus
par l’art. 955. On comprend, dès lors, toute l’utilité du
droit d’intervenir, de celui de former tierce opposition
que nous reconnaissons aux créanciers que cette révoca
tion peut intéresser.
1752. — Toutes les actions qui se transmettent aux
héritiers et qui ne sont pas, dès lors, exclusivement at
tachées à la personne peuvent être exercées par les cré
anciers de l’ayant-droit, en force de la disposition de l’art.
1166. De cette règle, il résulte que le silence ou l’inac
tion du donateur fondé à poursuivre la révocation au
torise ses créanciers à le faire en son lieu et place.
Les fins de non recevoir tirées de la renonciation à
se pourvoir à l’endroit de l’inexécution, delà prescrip
tion annale en matière d’ingratitude, opposables au do
nateur, le seraient également aux créanciers. Il y a ce
pendant, entre l’une et l’autre, cette différence que la
renonciation pourrait être attaquée comme contrevenant
à l’art. 1167, tandis que la prescription annale, défini
tivement acquise, formerait un obstacle invincible au
succès de leur demande.
1753. — L’art. 959 déclare les donations faites par
contrat de mariage non révocables pour cause d’ingra
titude. Elles sont donc, quant à l’inexécution des condi
tions, sur la même ligne que toutes les autres. La règle
à l’endroit de l’ingratitude reçoit même exception pour
�416
TRAITÉ DU DOL
les avantages entre époux que la séparation de corps
fait révoquer.
1 734.
— Les substitutions fidéicommissaires, pro
hibées dans les libéralités testamentaires, le sont égale
ment dans les actes entre vifs. Les caractères auxquels
on doit les reconnaître, les effets qu’elles produisent
étant identiques dans les deux cas, nous nous en réfé
rons au règles que nous avons exposées dans le para
graphe précédent.’
s IV.
E m p ru n ts
et
V en tes.
SOMMAI RE .
1735. Facilités que ces actes donnent pour la fraude.
1736. Leurs effets en matière commerciale.
1737. Précautions prises à cet égard. A quoi a tenu leur ineffi
cacité.
1738. Modifications introduites par la loi de 1838.
1739; Effets de la poursuite intentée personnellement par un
créancier.
1740. Effets et caractères de la simulation dans les emprunts ou
ventes en matière de déconfiture civile.
1741. La simulation d’une obligation peut être opposée par un
créancier postérieur.
�ET DE LA FRAUDE.
417
1742.
1743.
1744.
1745.
Fondement de cette doctrine.
Caractère de la vente à rente viagère et à fonds perdu.
Elle exige l ’existence d’un risque sérieux et certain.
Cette condition doit-elle être reconnue dans la vente mo
yennant une rente viagère inférieure ou à peine égale
au revenu des biens ?
1746. Quidsi, indépendamment du paiement delà rente, l ’ache
teur a payé une partie quelconque du prix ?
1747. L’action en lésion est-elle recevable contre la venteàfonds
perdu.?
1748. Résumé.
1749. Eléments’de l’appréciation du juge pour connaître s’il y a
lieu à nullité ou à rescision.
1750. Nullité de la vente à fonds perdu, si le crédit rentier est
mort au moment du contrat.
1751. Différence, à cet égard, entre celte vente et l ’assurance
maritime.
1752. Nullité de la vente à rente viagère constituée sur la tête
d’une personne atteinte de la maladie dont elle est
morte dans les vingt jours de l ’acte.
1753. Applicabilité de l ’art. 1795, si le contrat est fait par la per
sonne malade et en sa faveur.
1754. Cette nullité est d’ordre public. Conséquences qu’en tire
M. Dalloz, quant à la renonciation que les parties fe
raient de s’en prévaloir.
1755. La vente sous seing privé fait-elle foi de sa date contre les
héritiers du vendeur agissant en vertu de l ’art. 1795?
1756. Arrêt notable de la Cour de cassation consacrant la né
gative.
1757. Son caractère juridique.
1758. Conséquences de cette doctrine. Est-ce à l’acquéreur à
prouver, et peut-il prouver que l’acte a été souscrit
avant la maladie et à sa date?
ir
27
�418
1759.
1760.
1761.
1762.
1763.
1764.
1765.
1766.
1767.
1768.
1769.
1770.
1771.
1772.
1773.
TRAITÉ DU DOT,
Conditions exigées pour que la nullité puisse être pro
noncée.
L’art. 1795 est-il applicable au cas où la rente a été con
sentie en faveur de deux ou de plusieurs personnes?
Que doit-on statuer lorsque de plusieurs créd iren tiers,
les uns sont morts dans les vingt jours de la maladie
dont ils étaient atteints au jour de la vente, et que les
autres ont survécu?
La rente viagère constituée à titre onéreux est saisissable
et cessible.
Effets de l ’admission de l’action des créanciers contre une
vente quelconque.
Peuvent-ils revendiquer l ’immeuble revendu par le com
plice de la fraude du débiteur ?
Fraudes dont la vente de droits successifs peut devenir l’oc
casion.
L’opposition à la levée des scellés, faite avant la vente,
la rendrait sans effet contre les créanciers oppo
sants.
Mais le créancier qui ne s’est pas opposé ne perd pas le
droit de l’attaquer en vertu de l’art. 1167.
Présomptions tirées de l’exagération du prix.
Autre motif que peut avoir cette exagération. Ses consé
quences par rapport au retrait successoral.
Par qui doit être établi le juste prix, lorsqu’il est impos
sible de préciser celui qui a été réellement payé et
reçu?
Arrêt de la Cour de Paris qui en confie l’appréciation an
juge saisi de l ’action en retrait. Sagesse de sa doc
trine.
Conséquences de l’obligation du retrayant de restituer le
prix réel, à l’endroit des droits d’enregistrement, des
frais et honoraires personnels au cessionnaire.
La demande en retrait doit-elle être précédée ou accompa
gnée de l’offre réelle de restituer le prix ?
�ET T)E LA FRAUDE.
1774.
1775.
1776.
1777.
1778.
1779.
1780.
1781.
1782.
1783.
1784.
1785.
1786.
1787.
1788.
419
Influence de la dénonciation de l’intention d’exercer le re
trait sur les actes ultérieurs du cédant et du cession
naire.
Le cessionnaire évincé par le retrait n ’a aucune garantie
à exercer contre le cédant.
Arrêt de la Cour de cassation qui prohibe toute stipulation
contraire.
Application des principes de la matière à la donation dis
simulant une vente.
A la vente qu’on soutiendra n’être qu’une donation dé
guisée.
Effets de la ratification imputée au relrayant. Caractères
qu’elle devrait avoir..
L’action en retrait est irrecevable après l’accomplissement
du partage. Quid, si le partage contradictoirement fait
avec le cessionnaire vient à être rescindé ?
L’art. 1699 fait pour les droits litigieux ce que l ’art. 841
fait pour les droits successifs. Motifs du premier.
Système qui avait été suivi par le droit romain sur les ca
ractères de la vente.
Admis par notre art. 1699.
Difficulté que peut faire naître la question de savoir s’il y
a vente ou donation.
Droit du retrayant de soutenir que le prix indiqué n’est
pas sincère.
Le droit au retrait est absolu. Il peut être exercé pour la
première fois en cause d’appel.
Arrêt de la Cour de cassation restreignant cette faculté au
débiteur, à ses représentants légaux, et la refusant
aux créanciers. Critique.
La décision du procès empêche tout retrait ultérieur. Con
séquences. Nécessité d’opter Irrecevabilité du retrait
demandé par conclusions subsidiaires et en cas de
succombance.
�420
4789.
1790.
1791.
1792.
1793.
1794.
4795.
1796.
1797.
1798.
1799.
1800.
1801.
1802.
4803.
1804.
TRAITÉ DU DOD
Exception que cette règle comporte dans l’hypothèse où
la cession a été cachée à la partie intéressée.
Caractère et motifs des exceptions que l ’art. 1701 consa
cre à la disposition de l ’art. 1699.
Faut-il restreindre celle relative au cohéritier aux cessions
obtenues du cohéritier et à l ’endroit des actions héré
ditaires ?
Prohibitions spéciales en matière de droits litigieux créée
par l ’art. 1597.
Effet de sa violation. Difficulté sur l’application des règles
relatives à l’interposition de personne.
La nullité de la cession faite à l ’incapable profite surtout
au débiteur cédé.
Aucune garantie ne peut être poursuivie contre le cédant.
L’acquéreur d’un office qui a dissimulé le prix peut-il être
poursuivi en dommages-intérêts par les créanciers du
vendeur, en fraude desquels cette dissimulation a été
pratiquée?
Caractère légal et juridique de l’affirmative.
Son efficacité sur la répression de l ’abus qu’on veut pros
crire.
L’action des créanciers ne peut tendre qu’à la réparation
pécuniaire du préjudice.
La complicité de l ’acheteur peut être établie par témoins
et par présomptions,
Responsabilité de celui-ci, en cas de fausse déclaration sur
la saisie-arrêt entre ses mains.
Les paiements partiels reçus par le vendeur, et les ces
sions qu’il a faites du prix, avant l’approbation [du
gouvernement, sont-ils valables?
Arrêts des Cours de Paris et d’Angers admettant la né
gative.
Arrêt, en sens contraire, de la Cour d’Aix. Est plus ju ri
dique. Motifs sur lesquels il se fonde.
�ET DE LA FRAUDE.
4805.
1806
421
A été sanctionné par la Cour de cassation.
Les quittances justifiant les paiements sont-elles opposa
bles aux créanciers, alors même qu'étant sous seing
privé, elles n ’ont pas acquis date certaine.
1 7 3 5 . — Les actes d’obligation et de vente sont les
agents les plus actifs, les auxiliaires les plus usuels de
la fraude contre les tiers. Sans cesse à la disposition du
débiteur, ils se prêtent merveilleusement à dissimuler
l’actif qu’il a le projet de soustraire aux exécutions des
créanciers, réduits bien souvent à soupçonner la fraude
sans pouvoir la prouver. La facilité de cette fraude, ses
chances de succès expliquent le fréquent recours dont
elle est l’objet de la part des débiteurs de mauvaise foi.
1 7 3 6 . — C’est surtout en matière commerciale que
sa perpétration est dans le cas d’entraîner des effets dé
sastreux. Ceux qui traitent avec un commerçant consi
dèrent son crédit bien plutôt que sa fortune réelle. Les
transactions commerciales excluent, le plus souvent,
toute affectation hypothécaire, dont la forme et les len
teurs sont peu compatibles avec la rapidité qu’elles exi
gent , de manière que les immeubles du débiteur de
meurent habituellement libres entre ses mains, qu’ils
peuvent être, dès lors, aliénés sans obstacle dès que le
besoin s’en fait sentir. Or, ce qui résulte de cette alié
nation, c’est que la valeur la plus claire, la plus nette
de l’actif se trouve irrévocablement perdue pour les
créanciers au moment où, la faillite se réalisant, ils se
raient dans le cas d’en poursuivre la liquidation pour le
�4221
TRAITÉ DU DOL
paiement de ce qui leur est dû ; c’est que cette même va
leur, si l’aliénation est simulée, se trouve à la disposi
tion réelle du débiteur et lui fournit le moyen de bra
ver ses créanciers, de leur imposer la loi.
1 757. — Cet inconvénient si grave, poussé jusqu’au
scandale sous l’empire de la loi ancienne, avait éveillé
la sollicitude des auteurs du Code de commerce et leur
avait dicté les dispositions relativement aux actes sous
crits dans un temps contemporain ou voisin de la fail
lite. Mais ce remède, quelque énergique qu’il soit, peut
être rendu inefficace par la mauvaise foi. En effet, un
commerçant, dont le crédit n’a encore subi aucune at
teinte apparente, ne peut pas ignorer sa véritable situa
tion , et elle peut être telle, qu’elle lui fasse entrevoir
une faillite plus ou moins imminente. C’est ce moment
que la fraude exploitera, car celui qui veut tromper n’hé
sitera pas à le faire d’une manière utile; non seulement
il aliénera les biens qu’il veut soustraire lorsqu’il sera
encore en plein crédit, mais il saura, au prix même de
quelques sacrifices , retarder sa chute pour qu’on ne
puisse atteindre les actes simulés sous le rapport que
nous indiquons.
*La simulation de dettes entraîne, de son côté, un ré
sultat non moins fâcheux, non moins dangereux pour
les créanciers sincères; elle introduit, dans la faillite,
un élément qui en dénature le caractère, qui en fausse
les opérations. Indépendamment de la nécessité d’éta
blir la répartition sur une base plus étendue, on com-
�ET DE LA FRAUDE.
423
prend que les créanciers de complaisance n’hésiteront pas
à accueillir les propositions du failli, et que, voté par
eux, le concordat, auquel ils auront assuré la majorité
requise, imposera d’énormes sacrifices aux créanciers
sérieux, obligés d’en subir les effets.
Cette double éventualité a, de tout temps , excité les
plus vives, les plus incessantes réclamations, mais l’abus
ne s’en est pas moins perpétué. Il n’est peut-être pas de
faillite dans laquelle il ne s’exerce sur une échelle plus
ou moins large. Hâtons-nous de le dire, cependant, le
reproche ne peut s’adresser au législateur ; ce n’est pas
la loi qui a manqué aux hommes, ce sont les hommes
qui ont manqué à la loi.
En effet, le Code de 1807 s’était armé de toute sa sé
vérité contre l’un et l’autre de ces actes. Ainsi, l’arti
cle 593 déclarait banqueroutier frauduleux celui qui
avait fait des ventes, des négociations ou donations si
mulées; celui qui avait supposé des dettes passives et
collusoires entre lui et des créanciers fictifs, en faisant
des écritures simulées ou en se constituant débiteur ,
sans cause ni valeur, par des actes publics ou par des
engagements sous signature privée.
L’art. 597 punissait, comme complices de la banque
route frauduleuse , ceux qui s’étaient entendus avec le
failli pour recéler ou soustraire tout ou partie de ses
biens meubles ou immeubles, ou qui avaient acquis sur
lui des créances fausses et qui, à la vérification et affir
mation de leurs créances, avaient persévéré à les faire
valoir comme sincères et véritables.
�La peine édictée contre la banqueroute frauduleuse
était celle des travaux forcés à temps. L’application éner
gique de la loi était donc dans le cas sinon d’anéantir
complètement l’abus, au moins de l’atténuer sensible
ment. L’étrange complaisance que le failli a toujours
rencontrée chez ses créanciers eux-mêmes a seule em
pêché ce résultat.
Malheureusement le Code de commerce laissait la
masse de la faillite tenue des frais de poursuite dans le
cas de condamnation. Celte obligation onéreuse avait
entraîné cette double conséquence que non seulement
les créanciers ne prenaient pas l’initiative des poursui
tes , mais encore que lorsque le ministère public les
exerçait d’office, tous leurs efforts, conformes à leurs
vœux, à leurs intérêts, tendaient à l’acquittement de
l’accusé.
1 738. — La loi de 1338 a fait disparaître ce motif
en décidant, qu’en cas de condamnation , les frais ne
pourraient être répétés contre la masse. De plus, et sous
son empire, la banqueroute frauduleuse, dont la loi
ancienne énumérait les faits constitutifs, énumération
que la doctrine et la jurisprudence considéraient comme
limitative et restrictive, existe par cela seul que le failli
a soustrait ses livres, détourné ou dissimulé une partie
de son actif, ou qu’il s’est frauduleusement reconnu dé
biteur de sommes qu’il ne devait pas, soit dans ses écri
tures , soit par des actes publics ou des engagements
sous signature privée, soit par son bilan.
�ET DE LA FRAUDE.
425
Quel que soit donc le moyen employé, la culpabilité
est la conséquence immédiate de l’existence d’un des
faits indiqués. Le législateur a donc dégagé la pour
suite des obstacles qui venaient l’entraver sous l’empire
du Code. Obtiendra-t-il le résultat qu’il s’est proposé ?
il est permis, malheureusement, d’en douter. On ne
change pas facilement les habitudes invétérées, et l’in
dulgence des créanciers en matière de faillite est de na
ture à condamner la loi nouvelle à n’être que ce que
le Code de commerce a toujours été, une menace à peu
près vaine.
Quoi qu’il en soit, il n ’est pas douteux qu’en matière
commerciale la simulation de dettes sans cause ni va
leur réelle et la vente mensongère d’un immeuble pren
nent, dans le cas de faillite, le caractère de crimes. Le
droit des parties intéressées d’en poursuivre la répres
sion par la voie civile ou criminelle ne saurait devenir
l’objet d’un doute. La preuve du véritable Caractère de
l’acte ferait exclure le créancier supposé de toute répar
tition et rentrer à la masse les immeubles prétendus
aliénés. Indépendamment de la peine encourue par le
failli et son complice, ce dernier pourrait, de plus, être
condamné à des dommages-intérêts.
f
1759. — Ce que la masse, représentée parles syn
dics, peut faire, chaque créancier peut, personnellement
l’accomplir. Mais, dans l’une comme dans l’autre hypo
thèse, le résultat est le même. Ainsi, la nullité de l’obli
gation ou de la vente, obtenue par un créancier seul,
�426
TRAITÉ DU DOL
profite à la masse et non à ce créancier personnelle
ment. Quant aux dommages-intérêts auxquels le com
plice peut être condamné, le créancier poursuivant a
droit de les obtenir. C’est, là le juste équivalent des frais
auxquels il s’expose par une poursuite devant laquelle
la masse a mal â propos reculé.5
1 740. — La déconfiture civile laisse à la simula
tion, ayant pour objet d’accroître le passif ou de dimi
nuer l’actif, le caractère d’une simple fraude. Elle se
trouve donc régie par les règles ordinaires de la matiè
re. Dirigée essentiellement contre les créanciers, chacun
d’eux a, incontestablement, qualité pour en poursuivre
la répression et droit de l’obtenir en prouvant : ou que
la somme prétendue reçue par le débiteur n’a jamais été
comptée par le porteur de l’obligation, ou que la vente
n’a jamais eu de prix réel. Nous avons déjà dit que
cette preuve peut être faite tant par titres que par té
moins et par présomptions.
1 7 4 !. — L’unique difficulté que puisse soulever
l’action des créanciers, est celle qui naîtrait de la date
de leurs litres. En thèse ordinaire, l’action de l’art. 1167
n’est ouverte que pour les actes faits en fraude des droits
de celui qui prétend l’exercer. Dès lors, si le titre de
celui-ci est postérieur à l’acte attaqué, le porteur de ce
dernier pourra exciper de cette circonstance comme
créant une fin de non-recevoir contre la demande.
1 V
n o tre
Traité des faillites,
a rt. 601, n °s 1304 e t 1305.
�ET DE LA. FRAUDE.
427
Nous nous sommes déjà occupés de cette difficulté, ce
qui nous permet de nous en tenir à rappeler la conclu
sion à laquelle nous sommes arrivés. La fin de non-re
cevoir devra être accueillie, lorsque l’acte attaqué par
le créancier est une aliénation ; on la repoussera, lors
que, s’agissant d’une obligation, c’est dans la distribu
tion de l’actif du débiteur que la contestation sur sa
validité se trouve engagée.'
174-2. — Cette conclusion a son fondement juridi
que dans cette raison décisive que la vente, par la pu
blicité qu’elle reçoit, par les formalités qu’elle exige ,
par le transfert effectif de la propriété qu’elle opère, ne
peut être présumée faite au préjudice ou en fraude des
créanciers futurs. Cela est surtout vrai lorsque, régu
lièrement transcrite, elle a été effectivement exécutée par
le désinvestissement matériel du vendeur. Comment
donc les créanciers postérieurs pourraient-ils en contes
ter l’effet, alors même que cette vente n’aurait aucun
prix sérieux et réel? Mais, avant de devenir leur débi
teur, le propriétaire pouvait donner son bien sans que
personne y trouvât à redire ; il pouvait donc faire indi
rectement ce qu’il lui était permis d’accomplir directe
ment. L’acte serait inattaquable sous tout autre rapport
que celui que nous signale le droit romain : Si alienatione subsit fraus futuri créditons.
C’est précisément cette fraude que la loi présume lors1 V. supra, nos 144 9 et suiv.
�428
TRAITÉ DU DOL
qu’il s’agit d’une obligation simulée. Cette obligation
peut n’être, en effet, qu’une précaution contre des re
vers ultérieurs de fortune et pour s’assurer une res
source, le cas de déconfiture se réalisant. Que cette pré
somption ne suffise pas pour déterminer la nullité ab
solue de l’acte, cela est juste; mais il serait par trop ri
goureux de ne pas lui donner pour effet la faculté, pour
les ayants-droit, de prouver que telle a été réellement
l’intention des parties contractantes.
Ainsi, que la question s’agite pour une créance hy
pothécaire et dans un ordre ; qu’elle naisse entre créan
ciers chirographaires dans une distribution par contri
bution, l’intérêt évident que chaque créancier a à n’ad
mettre, dans l’une ou dans l’autre, que les porteurs de
droits sérieux et légitimes, motive légalement son action
pour faire repousser telle ou telle créance. Il pourrait,
quelle que soit la date de son titre, exciper du paiement
ayant éteint la créance qu’il conteste. Pourquoi donc
l’empêcherait-on de soutenir que cette créance n ’a ja
mais existé?
La recevabilité de l’action ainsi justifiée, son bien
fondé dépend de la preuve administrée par le deman
deur. Son efficacité, nous l’avons déjà dit, est exclusi
vement abandonnée à la prudence et aux lumières du
juge. Ce que nous devons rappeler, c’est qu’elle d o it,
dans les aliénations à titre onéreux, démontrer non seu
lement la fraude du vendeur, mais encore celle de l’a
cheteur. Il n’en est pas de même pour les obligations.
La complicité du bénéficiaire est une conséquence for-
�ET DE LA FRAUDE.
429
cée de leur simulation. Celui qui consent à paraître
créancier, sans l’être réellement, ne saurait être admis
à invoquer la bonne foi.
1 7 4 3 . — La vente à rente viagère et à fonds perdu
est préjudiciable aux héritiers du vendeur, en ce sens
qu’en faisant disparaître la chose, elle n’en fait pas en
trer l’équivalent dans l’actif qu’il délaissera plus tard.
La chance aléatoire qui caractérise cette vente peut avoir
pour conséquence que le paiement d’un trimestre de la
rente peut suffire pour acquérir définitivement l’objet
vendu, le décès du crédi-rentier venant tout à coup li
bérer l’acheteur de toute charge ultérieure.
D’autre part, il est évident que la vente à fonds perdu
est un avantage précieux pour le vendeur. Par sa réa
lisation, il se procure un surcroît de revenu que ses be
soins peuvent rendre indispensable. Cette seule considé
ration commandait à la loi de l’autoriser. Il est natu
rel et juste qu’une personne songe à elle avant de s’oc
cuper de ses héritiers. Ce n’est pas là de l’égoïsme, c’est
de la charité bien entendue.
La vente à fonds perdu moyennant une rente viagère
est donc licite, à condition toutefois qu’elle réunisse les
qualités essentielles qui lui sont prescrites.
1744. — Au nombre et en tête de ces qualités, se
place naturellement l’existence d’un risque sérieux et
réel. Il faut de toute nécessité que l’acheteur, pouvant
acquérir le fonds dans un très court espace de temps,
�soit exposé à payer plus que la valeur réelle, si la vie
du crédi-rentier se prolonge assez pour cela. S’il en
était autrement, si l’acheteur n’avait d’autre chance à
courir que celle de réaliser un bénéfice plus ou moins
considérable, sans aucune éventualité de perte, il n’exis
terait pas de vente, point de contrat commutatif. De
vrait-on dès lors annuler la convention ?
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feilli 1
1745.
Cette question est surtout née dans les
hypothèses où la vente avait été consentie moyennant
une rente viagère inférieure ou à peine égale aux reve
nus des biens vendus. La solution qu’elle a reçue n’a
pas été uniforme dans tous les cas. La vente, mainte
nue dans un, a été annulée dans l’autre, et les divers
arrêts, successivement déférés à la Cour suprême, ont
été sanctionnés constamment par elle.
Faut-il, à l’exemple de M.Troplong, accuser la Cour
de cassation de versatilité et lui en faire un reproche? Y
a-t-il réellement contradiction entre ces divers arrêts? La
solution ne peut être douteuse en présence des vrais prin
cipes de la matière.
Ainsi tout le monde convient, etM. Troplong notam
ment enseigne que la vente doit avoir un prix sérieux et
certain, mais le prix, quelque vil qu’on le suppose, n’en
existe pas moins. Dès lors on arrive à cette double con
séquence : 1° l’absence de prix enlève à l’acte tout ca
ractère commutatif, il doit donc être annulé en tant que
vente ; 2° la vilité du prix ne fait pas que l’acte ne soit
une vente réelle, elle peut seulement en amener la res-
�ET DE LA FRAUDE.
431
cision,si la lésion en résultant atteint les proportions in
diquées par l’art. 1674 du Code civil.
Cette différence juridique explique celle que nous si
gnalions dans la jurisprudence. Dans chaque espèce ,
les magistrats ont recherché si la vente avait ou non un
prix. Ils ont accueilli la nullité lorsqu’il ont trouvé qu’il
n’y en avait aucun ; ils l’ont repoussée dans l’hypothèse
contraire, quelle que fût d’ailleurs la vilité reprochable
à celui que les parties avaient stipulé.
Cette appréciation toute de fait liait la Cour de cassa
tion. En supposant même que l’appréciation des Cours
d’appel fût erronée, elle n’avait pas à exercer le droit
qui lui appartient dans le cas où la loi a été violée ou
méconnue.
M. Troplong semble en convenir lui-même puisque ,
enseignant la nullité de la vente qui n’a pas de prix, il
repousse cet effet, lorsque le prix est seulement entaché de
vilité. Ce qu’il reproche à la jurisprudence, c’est de con
vertir en question défait ce qui lui parait une pure ques
tion de droit. La vente a rente viagère, dit-il, a réelle
ment un prix dès qu’il y a une rente stipulée. Un prix
peut être plus ou moins vil, mais on ne saurait dans au
cun cas en méconnaître l’existence.
Cette objection n’a de fondement ni en droit, ni en
fait. Le prix, par rapport à l’acheteur, n’existe qu’en
tant qu’il aura à le fournir de ses propres ressources ,
que lorsque son acquittement lui imposera un sacrifice
quelconque. Si je vend un immeuble 10,000 fr. et qu’a
vec l’immeuble je donne une somme pareille avec laquel-
�43*2
TRAITÉ DU DOL
le l’acheteur me paiera immédiatement ou plus tard ,
dira-t-on que la vente a un prix réel et sérieux ? C’est
cependant ce qui se réalise dans la vente à fonds perdu,
lorsque la rente stipulée est inférieure ou à peine égale
au revenu des choses en faisant la matière. Le vendeur
donne évidemment la chose et le prix ; l’acheteur, loin
de puiser dans ses propres ressources, trouve dans la
chose qu’il acquiert non-seulement le moyen de s’acquit
ter, mais encore l’occasion de réaliser un bénéfice. Un
acte produisant un pareil résultat n’a jamais été, n’a ja
mais pu, être considéré comme une vente.
« Mais qu’importe, ajoute M. Troplong, que l’ache» teur ne débourse rien du sien ! Est-ce que la vente ne
» transporte pas, par sa propre énergie, la propriété
» sur sa tête? Dès lors, s’il paie avec la chose acquise,
» il paie réellement avec sa propre chose. Supposez en
» effet l’hypothèse suivante : J ’achète pour 100,000 fr.
» un immeuble qui en vaut 105,000, n’ayant pas d’ar» gent pour payer , je revends en détail et je retire
» 115,000 fr, ; ou bien j’achète une forêt 30,000 fr. ,
» j’obtiens permission de la défricher, et la vente que je
» fais de la superficie me permet de payer la totalité de
» mon prix. Dans ces deux hypothèses, j’ai payé avec
» la chose .acquise, faudra-t-il, à cause de cela, annu» 1er l’acte qui m’en a transféré la propriété, comme
» ne renfermant aucun prix ? »
On s’étonne qu’une si vaste intelligence n’ait pas été
saisie de l’énorme différence qui sépare ces hypothèses
de celle que nous examinons. Dans l’une comme dans
�ET DE LA FRAUDE.
433
l’autre, l’existence d’un juste prix ne saurait même être
contestée, le vendeur qui le reçoit a donc l’équivalent
de ce qu’il donne, et il n’a nullement à s’enquérir delà
manière dont l’acheteur se l’est procuré. De son côté ,
celui-ci se trouvera, après avoir liquidé son opéraition,
en possession du bénéfice qu’il aura pu réaliser, mais il
aura perdu la chose en totalité ou en partie.
Peut-on confondre une opération de cette nature avec
la vende à fonds perdu, moyennant une rente inférieu
re au revenu des biens vendus? Ce que reçoit le vendeur
n’est pas même ce qu’il percevrait, s’il les avait retenus.
L’acheteur ne déboursera pas un centime, il conservera
la possession de ce qu’il reçoit, et il trouvera dans cette
possession non seulement le moyen de payer le prix,
mais encore celui de réaliser annuellement un bénéfice.
Il est donc impossible d’admettre l’assimilation que fait
M. Troplong.
On comprend qu'un individu vende un immeuble
qu’il convertira ainsi en une somme d’argent destinée
soit à solder ses engagements, soit à lui procurer, par
la perception de l’intérêt légal, un revenu supérieur à
celui que lui donnait l’immeuble. On comprend encore
que pour augmenter ce revenu, et le mettre en propor
tion plus juste avec ses besoins, il consente à laisser le
capital aux mains de l’acquéreur, et à se contenter
d’une rente subordonnée à son décès. Mais peut -on re
connaître l’existence d’un pareil contrat, lorsque, le pré
tendu vendeur aura après s’être dépouillé de sa propri
été, un revenu inférieur, ou tout au moins à peine égal à
iv
28
�■ '
434
v.-;
- V
TRAITÉ DU DOL
celui que lui produisait celle-ci? Où se trouve la chance
aléatoire si essentielle au contrat de vente à rente viagè
re ? Où est le dangeren contemplation duquel la loi per
met à l’acheteur d’acquérir le fonds ?
Pour nous, il n’y a pas à hésiter. Ce qui nous parait
être de droit commun, c’est la proposition inverse de celle
indiquée par M. Troplong. Ainsi, la vente à fonds perdu
moyennant une rente inférieure au revenu des biens,
doit être considérée comme n ’ayant pas de prix. Le droit
d’apprécier si ce défaut n’est par racheté par d’autres
circonstances, par d’autres prestations auxquelles l’ache
teur s’est soumis, ne saurait être contesté aux tribunaux.
Dès lors, la nullité ou la validité de la vente, nécessai
rement subordonnée au résultat de cette appréciation ,
n’est plus évidemment qu’une pure question défait. Le
reproche que M. Troplong adresse à la jurisprudence est
donc inadmissible.'
1746.
— Si, indépendamment de la rente viagère,
l’acheteur a réellement payé une partie quelconque du
prix stipulé, la vente se trouve avoir un prix certain ,
quelque minime que soit cette somme. La demande en
nullité pour absence de prix devrait dès lors être écar
tée, il y aurait lieu dans ce cas à appliquer la règle en1 Vid. Troplong, Vente, n° 150 ; — Duvergier, Vente, t. xvi, n°149 ;
— Cass., 2 juillet 1807, 1er avril 1829, 28 décembre 1831. et 23 juin
1841 ; — D. P. 41, 1, 294.
V. encore Dalloz, D i c l . g é n é r a l , et I té p . d u J D P ., aux m o t s ] v e n t e
à rente v ia g è r e .
�ET DE LA FRAUDE.
435
seignée parM. Troplong, à savoir : que la vilité du prix
ne peut jamais donner naissance qu’à l’action en resci
sion, autorisée par l’art. 4674.
1747.
— L’applicabilité de cet article à la vente à
fonds perdu et à rente viagère a été contestée. L’art.
1976, a-t-on dit, laissant les parties entièrement libres
à l’égard du taux de la rente, exclut par cela même toute
possibilité de lésion, mais le contraire a paru plus juri
dique. Ainsi M. Troplong n’hésite pas à admettre l’action
en récision pour cause de lésion, lorsque la rente stipu
lée est inférieure au revenu des biens.
Dans une espèce jugée par la Cour de Toulouse, on
demandait la rescision d’une vente à fonds perdu, sur
le motif que la rente viagère égalait à peine la moitié du
revenu des biens qui en faisaient l’objet. L’arrêt qui in
tervint repoussa la demande pour inapplicabilité de l’art.
1674. Mais, déféré à la Cour régulatrice, cet arrêt fut
cassé par décision du 22 février 1836.
L’arrêtiste, en rapportant cette décision, fait remar
quer qu’elle ne fut rendue qu’après un délibéré de près
d’un mois. Cette mûre délibération et l’examen appro
fondi dont elle donne la certitude impriment à l’arrêt de
la Cour de cassation une autorité considérable. O r, le
principe qui y est enseigné est celui-ci : dès que la rente
viagère est constituée à la suite d’une aliénation d’im
meubles, les règles de celle-ci deviennent de tout point
applicables, elle ne saurait dès lors échapper à la dis
position de l’art. 1674.
�436
TRAITÉ DU DDL
1 7 48.
— En résumé donc, la loi n’a nullement en
tendu soustraire la vente à fonds perdu aux règles gé
nérales de la vente. Il faut en conséquence qu’elle en
réunisse la condition la plus essentielle, à savoir : un
prix sérieux et juste.
L’absence du prix annule le contrat, sa vilité en dé
termine la rescision, lorsqu’il en résulte une lésion de
la nature de celle prévue par l’art. 1674.
La rente viagère, inférieure au revenu des biens ven
dus, ne constitue pas un prix réel, mais ce défaut de
prix n’existe qu’en tant que l’acquéreur n’a aucune au
tre charge à subir, et n’a surtout rien à payer sur le prix
stipulé.
m w \
I lis
1749.
•— En définitive, la question de savoir s’il
existe un prix, et, dans le cas de l’affirmative, si ce prix
est sérieux ou non, n’offre qu’une appréciation de fait
que la loi laisse à l’arbitrage souverain des deux dégrés
de juridiction. La solution peut être un mal jugé, mais
elle ne donne pas ouverture à la cassation.
Le caractère de cette appréciation l’affranchit néces
sairement de toute règle absolue. Cependant ce qu’il
importe de ne pas perdre de vue, c’est qu’elle ne saurait
être équitable et juste qu’en remontant à la date même
du contrat et en se plaçant ainsi au point de vue qui a
dû préoccuper les parties. Ainsi l’augmentation du re
venu, résultant des réparations ou améliorations faites
par l’acquéreur, du bénéfice du temps, ou de toutes au
tres circonstances imprévues ou accidentelles, ne sau-
�ET DE LA FRAUDE.
437
rail être d’aucune considération. Un fait qui, naguère,
se réalisait à Marseille, peut donner une idée de ce que
peuvent être celles-ci. La création de nouveaux quar
tiers ayant appelé la spéculation sur les terrains à bâ
tir, des propriétés qu’on n’aurait qu’à grand’peine ven
dus cinq à six cents francs ont été payées jusqu’à fr.
100, 000.
C’est là, on le comprend, une nouvelle chance aléa
toire dont la réalisation doit demeurer sans influence
sur la validité de la vente à fonds perdu. Exposé à su
bir la moins value postérieure au contrat, l’acheteur
profitera exclusivement de la plus value que la propriété
acquiert dans ses mains.
1750.
— Du principe que la vente à fonds perdu
doitoffrir un risque certain, unechance sérieuse de gain
ou de perte, découlent les deux règles suivantes :
1° Tout contrat de rente viagère, créée sur la tête
d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne
produit aucun effet.
Cette prescription est absolue, il importerait donc peu
que les contractants eussent agi avec la plus évidente
bonne foi, et dans l’ignorance la plus absolue du décès
du futur crédi-rentier. Le fait matériel de ce décès en
lève tout aliment à la convention, toute cause légitime
à l’obligation. Il n’y avait donc pas de contrat possible.
Fruit de l’erreur, celui qui est intervenu ne saurait être
consacré, sans violer ouvertement l’art. 1109 du Code
civil.
�438
TRAITÉ DU DOL
1 751.
— Ce principe, comme l’observe M. Troplong, ne reçoit qu’une seule exception. Ainsi, en ma
tière d’assurances maritimes, le risque, pris sur un na
vire naufragé, ou arrivé à bon port avant même la si
gnature de la police, engage valablement les parties, si
chacune d’elles a ignoré et pu ignorer l’événement, mais
cette dérogation au droit commun s’explique par la na
ture même de l’assurance maritime.
Son objet n’est pas de garantir seulement l’avenir,
mais encore le passé : Cum quia suscepta de omni periculo, etiam prœterito, quodque forte jam conting it.... Maxime quando periculum quod suscipitur est
diurni temporis et remoti ilineris,' il ne pouvait mê
me en être autrement. L’assurance, devant dans plu
sieurs cas se réaliser à une très grande distance du
point de départ du navire , objet ou porteur du risque,
ne peut être souscrite qu’après le départ du navire pour
le lieu de sa destination, cependant l’assurance est prise
de la sortie d’un port à l’arrivée dans tel autre. Il suf
fit qu’il y ait eu réellement voyage effectué pour que le
risque commence avec le voyage même et que l’assu
reur réponde du sinistre réalisé avant la souscription
du contrat, tout comme il profiterait de l’heureuse ar
rivée accomplie avant cette époque.
Il n’y a pas d’ailleurs ici d’erreur possible. Ce que
l’assuré veut, c’est d’être garanti pour tout le voyage. Ce
que l’assureur accorde, c’est cette même garantie. La
i Perezius,
in C o d .,
1. 11, t. v, n° 23.
�ET DE LA FRAUDE.
439
prime se calcule dans cette prévision, et le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire si l’événement, quoique
réalisé, est complètement ignoré des parties.
Il ne saurait en être de même en matière de vente à
rente viagère. Ce qui fait l’élément essentiel de ce con
trat, c’est la vie plus ou moins longue du crédi-rentier
désigné. Or, si à l’époque de la souscription, ce crédi
rentier n’existe plus, il n’y a plus aucune cause à la
convention. Il doit donc en être de ce cas, comme de
celui d’une assurance contre l’incendie, pour une mai
son qui aurait péri par cas fortuit, ou* de celle contrac
tée sur marchandises non chargées, ou sur un navire
qui n’aurait jamais quitté le port. Le contrat serait an
nulé pour défaut absolu d’un risque quelconque.
1752.
— 2° Il en est de même du contrat par le
quel la rente a été créée sur la tête d’une personne at
teinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt
jours de l’acte constitutif.
Devant cette prescription textuelle de l’art. 1975, toute
possibilité de controverse disparaît et s’efface. Il importe
cependant d’en rappeler les motifs pour en apprécier sai
nement les conséquences.
« Si les contractants, disait Portalis, eussent connu
« la maladie de la personne sur la tête de laquelle on
« se proposait d’acquérir la rente, l’acquisition n’eût
« pas été faite, puisqu’une rente viagère sur la tête
« d’une personne mourante n’est d’aucune valeur..Or,
« il n’y a point de consentement quand il y a erreur ou
�440
TRAITÉ DU DOL
« sur la chose, ou sur les qualités essentielles de la
« chose qui forme la matière du contrat. »
Ainsi, la loi présuppose l’ignorance des parties, et
cela tranche nettement la difficulté que la certitude de
cette ignorance aurait fait naître. On pouvait, en effet,
se fondant sur la bonne fo i, en exciper pour assurer
le maintien de l’acte. Cette prétention est désormais
impossible. Ce qui résulte juridiquement de l’état de
maladie, terminée par la mort dans les vingt jours de
la constatation de la rente viagère, c’est l’absence d’un
objet formant la matière de l’engagement, et par suite
d’une des conditions essentielles à tout contrat. Cet ob
jet est pour la rente viagère un risque sérieux et cer
tain , et ce risque manque non seulement de ce carac
tère, mais n’existe même pas lorsqu’il se réfère à un
mourant. On devait donc légalement se préoccuper fort
peu de la question de savoir si les parties avaient ou
non ignoré cet état de choses. L’ignorance les constituera
en bonne foi, mais elle ne pourrait jamais faire que la
matière du contrat existât, alors qu’en fait elle manque
absolument.'
1753.
— Au reste, toute difficulté à cet égard ne
peut naître que dans l’hypothèse d’une rente viagère
constituée sur la tête d’un tiers demeuré étranger au con
trat. De là on a voulu conclure que la nullité de l’art.
4975 ne pouvait être appliquée aux parties elles-m ê1 V. Troplong, sur l’art. 1975; — Delvincourt, t.
ii ,
p. 272, note 6,
�ET DE LA FRAUDE.
441
mes. Le malade traitant directement, a-t-on dit, n’a pu
ignorer son état, conséquemment on doit le considérer
comme ayant voulu, au besoin, consentir une libéralité.
Dès lors aussi, l’acte annulé comme vente doit être main
tenu comme donation déguisée.
La doctrine et la jurisprudence ont dès longtemps
proscrit ce système. L’absence d’un risque certain enlève
au contrat son élément le plus substantiel. Et cette rè
gle, que nous venons de voir s’appliquer lorsque les
parties ont ignoré l’état de maladie du crédi-rentier ,
doit a fortiori régir celles qui ont parfaitement connu
cet état. Celui qui traite avec un moribond consent à
jouer à coup sûr. Il exploite odieusement une inégalité
de chances sur laquelle il n’a pu se faire illusion, et en
vue de laquelle il n’hésitera pas à s’imposer les charges
tellement avantageuses pour le crédi - rentier, que la
chance d’en profiter , quelque faible qu’elle fût, peut
avoir déterminé la conduite de celui-ci.
Convertir une vente de ce genre en une donation dé
guisée, c’était effacer de notre Code l’art. 1975; c’était
fermer les yeux à l’évidence et méconnaître la pensée
réelle du vendeur. Celui qui étant libre de donner à
charge d’une rente viagère a préféré vendre à ce titre,
a suffisamment prouvé qu’il n ’a pas eu l’intention de se
montrer libéral, intention sans laquelle il ne saurait
exister de donation. N’est-ce pas d’ailleurs parce que
l’idée de donner lui répugnait, que le créancier n’a
voulu consentir qu’une vente? Et l’acheteur lui-même
ne sera-t-il pas réduit à n’accepter celle-ci que parce que,
�442
TRAITÉ DU DOL
malgré tous ses efforts, il n’a pas réussi à arracher une
libéralité qu’il a peut-être longtemps poursuivie? C’est
cette double éventualité que l’art. 1975 a pour but de
prévenir.
Ce qu’il faut donc admettre dans notre hypothèse,
c’est que, bercé de cette espérance inséparable de notre
faiblesse, le malade s’est fait illusion sur son état; qu’il
a cru survivre à la maladie, et que dans cet espoir, loin
de vouloir faire une libéralité, il a saisi l’occasion d’a
méliorer l’avenir qu’il se promettait. On comprend, en
effet, qu’on ne marchandera pas ses exigences, et que
ses désirs sur la quotité de la rente ne trouveront pas
un contradicteur sérieux chez celui qui a d’avance la
certitude de ne pas la supporter longtemps. Dès lors
son consentement est vicié par l’erreur, et il serait aussi
immoral qu’injuste de permettre qu’il pût produire un
effet quelconque,
C’est ce qu’enseigne M. îroplong. C’est ce que la Cour
de cassation a consacré dans plusieurs circonstances, et
notamment par arrêt du 16 juillet 1 824.
L’espèce sur laquelle cet arrêt est intervenu offrait
cette particularité remarquable que l’aliénation à rente
viagère avait été confirmée par un testament postérieur,
dans lequel le crédi-rentier déclarait instituer au besoin
les acquéreurs ses légataires universels. Mais ce testa
ment lui-même, considéré comme la ratification d’un
acte radicalement nul aux yeux de la loi, ne parvint pas
à faire illusion à la justice et à sauver la disposition à
l’aide de laquelle le dol et la fraude l’avaient appelé.
�ET DE LA FRAUDE.
443
1754.
— Le même arrêt, décidant que l’art. 1975
reçoit son application aux parties contractantes comme
au tiers en faveur duquel la rente viagère aurait été
stipulée, affecte à sa disposition un caractère qu’il ne
faut pas négliger. Il juge, en effet, que, conçu en termes
absolus et impératifs, il ne saurait être permis aux par
ties de déroger à ses prescriptions et d’en paralyser les
effets; en d’autres termes, qu’il est d’ordre public. La
conclusion juridique qu’en tire M. Dalloz, c’est que les
parties ne pourraient renoncer à se prévaloir de la nul
lité qu’il consacre.
Il y a là, dit cet éminent jurisconsulte, une présomp
tion qui n’admet pas de preuve contraire, et qui a pour
objet d’empêcher qu’au moyen d’un contrat aléatoire,
dans lequel le créancier pourrait entrevoir quelque équi
valent, il ne se déterminât à une donation qu’il n’au
rait pas consentie sans cette considération. Dans le cas
le plus ordinaire où la rente est établie sur la tête mê
me du constituant, sa déclaration de vouloir valider le
contrat, s’il vient à mourir dans les vingt jours, n’est
pas une preuve non équivoque de sa volonté de faire
une donation au lieu d’un contrat aléatoire, car, en
stipulant ainsi, le constituant n’agissait qu’avec ce sen
timent intérieur qui rattache l’homme à la vie, et qui
lui fait croire, jusqu’au dernier moment, qu’il n’arrive
pas encore au terme de sa carrière.' »
Si l’existence d’une déclaration de cette nature n’im -
�444
TRAITÉ DU DOL
prime pas à l’acte le caractère de libéralité pouvant le
faire maintenir comme donation déguisée, il est évident
que la question de ce maintien, soulevée en l’absence
de toute déclaration, ne saurait être douteuse. L’arrêt
de la Cour de cassation et l’opinion de M. Dalloz créent,
en faveur de cette dernière hypothèse, un a fortiori
incontestable.
1755.
— Donc, l'art. 1795 est d’ordre public et
les parties ne peuvent y déroger. L’acte qui se propo
serait ce but directement ou indirectement, doit dès lors
être annulé. Or , en matière de vente à rente viagère,
la fraude est facile. En effet, elle peut être consentie par
acte sous seing privé, et rien n’est plus facile que de re
courir à une antidate, surtout lorsque, déjà atteint de
maladie, le vendeur est exposé à décéder dans les vingt
jours. Il suffira que cette crainte puisse être conçue pour
que l’acheteur exige et donne à l’acte une date qui le
place à l’abri de la disposition de l’art. 1795.
L’effet de cette fraude était d’autant plus à redouter
qu’il menaçait d’être plus efficace. La vente ne peut
être attaquée que par les héritiers du vendeur ou soit
ses ayants-cause. Or, l’art. 1322 déclare que l’acte sous
seing privé fait foi de sa date, non seulement entre les
parties contractantes, mais encore contre leurs héritiers
et ayants-cause, et l’art. 1328 n’exige l’accomplissement
des conditions devant assurer la certitude de la date
qu’en ce qui concerne les tiers.
L’application de ces dispositions aux héritiers • pour-
�ET DE LA FRAUDE.
445
suivant, aux termes de l’art. 1975, la nullité delà vente
à rente viagère, créait donc contre leur demande une fin
de non recevoir invincible. On a été dès lors tout natu
rellement amené à se demander si cette application était.
juridiquement admissible.
1756. — La Cour de cassation a formellement con
sacré la négative,' et cette solution renferme une juste
appréciation des principes généraux et de l’esprit del’art.
1975 en particulier. Toutes les fois que la loi confère
expressément un droit, la faculté de l’exercer est direc
tement puisée dans la loi elle-même plutôt que dans la
qualité de la partie. Or, l’art. 1975 crée la nullité de
l’acte fait dans les conditions prescrites en faveur des hé
ritiers du vendeur. Dès lors, en demandant cette nullité ,
ceux-ci usent d’un droit qui leur est propre et person
nel ; qu’ils tiennent si peu de leur auteur qu’il n’a jamais
pu l’exercer lui-même.
1757. — Subordonner l’action des héritiers au droit
qu’aurait eu son auteur, c’était donc, comme l’observe
la Cour de cassation, rendre illusoire et sans effet la
disposition de l’art. 1975, puisque la nullité qu’elle pro
nonça au cas prévu ne pourrait jamais être invoquée par
l’héritier.
Il fallait donc, pour ne pas condamner l’art. 1975 à
n’être qu’une menace vaine et sans portée réelle, recon-
�446
TRAITÉ DU DOL
naître qu’en en poursuivant l’application, les héritiers
n’agissent pas du chef de leur auteur, et que dès lors
ils ne peuvent être écartés par les prescriptions de l’art.
1322 ; qu’à leur égard la vente à rente viagère ne peut
être valable qu’autant qu’il est constant qu’elle a été
faite hors le temps de la maladie et plus de vingt jours
avant le décès du vendeur.
1 758.
— Quelle est la conséquence légale de cette
règle? M. Delvincourt enseigne que l’héritier se trou
vant dès lors placé sous les termes de l’art. 1328, la
vente n’a contre lui d’autre date que celle de l’enregis
trement : que si cet enregistrement se place dans les
vingt jours du décès, ou si l’acte n’a pas même acquis
date certaine avant, la vente est présumée de plein droit
avoir été consentie dans la période illicite, et doit être an
nulée.
Cette doctrine parait logiquement devoir s’induire de
la règle que nous venons de rappeler, à savoir : que, par
rapport à l’héritier, il n’y a vente valable qu’autant qu’il
est prouvé que celle invoquée s’est réalisée hors des con
ditions prévues par l’art. 1975. Or, cette preuve n’est pas
acquise lorsque l’acte sous seing-privé n’a acquis date
certaine qu’à la mort du vendeur ou depuis.
Mais cette doctrine a paru trop rigoureuse. On a dit
que si l’héritier n’était pas dans l’hypothèse l’ayantcause, dans le sens de l’art. 1322, il n’était pas non plus
un tiers dans l’acception de l’art. 1328; que bien qu’il
exerçât un droit propre et personnel, on ne devait pas
�ET DE LA FRAUDE.
447
cependant oublier que ce droit il le trouvait dans sa
qualité d’héritier; qu’enfin l’art. 1975 n’annule le con
trat, dans l’hypothèse qu’il prévoit, que lorsque la preu
ve des conditions exigées est acquise ; que l’acte sous
seing-privé n’établisse pas par lui-même la validité de
la vente, cela se comprend : mais il n’en crée pas moins
une présomption devant être acceptée jusqu’à preuve
contraire. Conséquemment, tout ce que peut raisonna
blement prétendre l’héritier, c’est d’être admis, nonobs
tant les indications du titre, à justifier qu’il a été réelle
ment fait en temps prohibé.
Cette conséquence déjà indiquée par la Cour de cas
sation, dans l’arrêt du 15 juillet 1824, a été expressé
ment consacrée par elle le 5 avril 1842. La Cour de
Toulouse, appliquant la doctrine de M. Delvincourt,
avait annulé une vente à rente viagère, par cela seul
qu’étant sous seing-privé, elle n’avait pas été enregistrée
en temps utile. Mais son arrêt, déféré à la Cour suprême,
fut cassé comme ayant méconnu le véritable caractère
de l’art. 1975.1
Ainsi l’acte sous seing-privé, même non enregistré ,
est opposable à l’héritier, agissant en vertu de l’art.
1975, en ce sens que la date qui y est indiquée est pré
sumée sincère. Mais cette présomption peut être combat
tue par la preuve contraire qui peut être faite par té
moins et par présomptions.
1759. — Dans ce cas, comme dans toutes les autres
�448
TRAITÉ DU DOL
hypothèses où la vente à fonds perdu est querellée à l’en
droit de l’art, 1975,1a nullité de la vente estabsolument
attachée à la réunion, à la simultanéité des deux condi
tions que cet article exige. Il faut donc qu'il soit établi
que le crédi-rentier était, au moment du contrat, at
teint de maladie; 2° que le décès survenu avant le ving
tième jour est la conséquence de cette maladie. En con
séquence, si le vendeur était bien portant au moment
du contrat, la mort survenue dans les vingt jours n’exer
cerait aucune influence sur le sort de la vente. Il en se
rait de même si la mort, dans ce même délai, recon
naissait une autre cause que la maladie dont ce vendeur
était atteint au moment du traité.
1760. — De ce que l’art 1975 ne parle que du con
trat par lequel la rente a été créée sur la tête d'une per
sonne, on a voulu induire qu’il ne doit recevoir aucune
application lorsque la rente a été constituée sur plusieurs
têtes. Mais c’est là évidemment exagérer la règle univer
sellement adoptée : que cet article est limitatif et restric
tif. Sans doute ce caractère est absolu lorsqu’il s’agit
d’appliquer la sanction pénale qu’il consacre, mais vou
loir l’étendre à la modalité de sa disposition, c’est se je
ter dans une confusion inadmissible.
Si la loi ne parle que du contrat souscrit par une per
sonne ou dans l’intérêt d’une seule personne, c’est qu’elle
a dû s’arrêter au cas le plus usuel. Quel motif raison
nable pourrait-on d’ailleurs alléguer pour faire mainte
nir l’acte, si les deux têtes sur lesquelles la rente est éta
�blie, atteintes d’une maladie mortelle au momentdu con
trat, y ont succombé l’une et l’autre avant l’expiration
des vingt jours.
Posée dans ces termes, la question est facilement ré
solue. L’esprit de la loi ne permet même pas le doute.
La vente devrait être annulée.
1 7 6 |. — Mais une difficulté plus réelle se présente
lorsque la rente étant constituée en faveur de plusieurs
personnes, l’une d’elles meurt dans les vingt jours de
la maladie dont elle était atteinte à l’époque du contrat.
Quel sera le sort de l’acte, à l’endroit des autres crédi
rentiers et des héritiers du décédé, si celui-ci se trouve
être le vendeur?
Dans cette hypothèse, il est certain que le contrat ne
laisse pas que d’être aléatoire. L’obligation du débiteur
de la rente se continue pendant la vie des créd iren
tiers survivants, et son terme ne peut être ni précisé ni
entrevu. Le contrat renferme donc un risque certain
et déterminé qui devrait en assurer le maintien, C’est
dans ce sens que se prononce M. Troplong, et c’est
aussi ce que la Cour de cassation a décidé le 22 février
1820.'
Ce qu’il importe de remarquer dans cet arrêt, c’est
le soiti que met la Cour de cassation à faire ressortir
qu’il a été formellement convenu en fait que la rente
serait payée, en totalité et sans réduction, au dernier
1 Troplong, sur l’art. 1975.
IV
29
�450
TRAITÉ DU DOL
survivant. Elle semble, par cela même, indiquer que,
dans le cas contraire, elle eût décidé autrement qu’elle
ne le fait.
Il est, en effet, possible que la réduction, s’opérant
par le décès d’un crédi-rentier, fit totalement disparaître
l’aléa du contrat, ou le réduisît tellement que le risque
qui en est l’essence disparût en totalité. La conséquence
logique de l’un ou de l’autre serait donc l’annulation du
contrat.
Mais, dans cette hypothèse même, cette annulation
n’est pas de plein droit, elle se trouve nécessairement
subordonnée à l’importance de la réduction, à l’état des
choses qu’elle crée pour l’avenir. Ainsi si, cette réduc
tion opérée, l’excédant à payer par le débiteur, à titre
de rente annuelle , est encore dans des justes propor
tions avec la valeur des choses aliénées, eu égard à
l’âge du crédi-rentier survivant, un risque sérieux con
tinue d’exister, et le contrat n’a rien perdu de son carac
tère aléatoire. Il serait donc par trop rigoureux d’en pro
noncer la nullité.
Ainsi la mort d’un des crédi-rentiers, réalisée dans
les vingt jours du contrat, et causée p arla maladie dont
il était atteint au moment de ce contrat, laisse la con
vention produire tous ses effets, si la totalité de la rente
doit continuer d’être payée au survivant. Il en serait au
trement si la rente déclarée réductible n ’était plus, après
la réduction opérée, en rapport avec les caractères et les
conditions d’une rente viagère à fonds perdu, comme si,
par exemple, elle devenait inférieure aux revenus des
�ET DE LA FRAUDE.
451
biens. Dans tous les cas la question de savoir si le con
trat a conservé ou perdu l’élément aléatoire en formant
l’essence, est abandonnée aux lumières et à la prudence
des juges.
1 7 6 2 . — La rente viagère constituée à titre oné
reux est saisissable et cessible. La stipulation contraire
insérée au contrat ne saurait même être opposée aux
créanciers.
Cela n’est pas même discutable à l’endroit des hypo
thécaires. L’immeuble affecté à leurs créances demeu
rerait, entre les mains de l’acquéreur, grevé de leurs
inscriptions, et lui-même, soumis à toutes les obliga
tions du tiers-détenteur, serait tenu de payer ou de dé
laisser. Il pourrait même, en cette qualité, être expro
prié de l’immeuble.
Il n’en est pas de même des créanciers cédulaires.
L’aliénation des immeubles du débiteur leur enlèverait
valablement le gage que ces immeubles leur offraient
pour le paiement de ce qui leur est dû, en tant cepen
dant qu’elle ne serait pas effectuée en fraude de leurs
droits, Mais il ne pouvait dépendre de personne, moins
encore du débiteur, de leur enlever tout recours sur le
prix, fut-il une simple rente viagère. Ils pourront donc,
malgré toute stipulation contraire, saisir celte rente et
faire ordonner qu’elle leur sera directement payée par
le débiteur, jusqu’à concurrence de leurs droits.
Le taux annuel de cette rente peut même avoir été
frauduleusement concerté à l’effet de léser d’autant les
�452
TRAITÉ DU DOL
droits des créanciers. La preuve de cette fraude devrait
entraîner la nullité de la vente, et les créanciers sont re
cevables non seulement à la proposer, mais encore à la
fournir tant par titres que par témoins et par présomp
tions. L’art. 1167 ne permet pas le moindre doute à cet
égard.
De plus, et en vertu de l’art. 1166, les créanciers
sont recevables à poursuivre la rescision de la vente à
fonds perdu, pour cause de lésion. Nous venons devoir
que l’art. 1674 est applicable à cette vente comme à
toutes les ventes ordinaires. Dès lors l’action, apparte
nant incontestablement au vendeur, peut être exercée par
les créanciers agissant en son nom et comme ses ayantcause.
La Cour de Bordeaux vient de consacrer le principe
de la saisissabilité de la rente constituée à fonds perdu,
et les conséquences qui, en déroulent, quant à la stipu
lation du prix, elle a déclaré le 5 avril 1865, que bien
qu’un contrat de rente viagère à titre onéreux accorde
formellement au débiteur de la rente, de se libérer au
moyen de prestations en nature, les créanciers du cré
direntier peuvent exiger le paiement en espèces des ter
mes à échoir saisis-arrêtés par eux, et ce au moins jus
qu’à concurrence de leur créance.
Dans cette espèce un individu avait vendu tous ses
immeubles pour le prix de 25,000, sur lequel 7662
fr. avaient été laissés à fonds perdu moyennant une rente
viagère de 600 fr. en échange de laquelle l’acheteur de-
�ET DE LA FRAUDE.
453
vait loger et nourrir le vendeur tant qu’il plairait à ce
lui-ci de l’exiger.
Une saisie-arrêt ayant été pratiquée par un créancier,
une instance judiciaire s’engage à la suite de la déclara
tion du tiers acquéreur. Le créancier demande la nullité
de la constitution de rente viagère comme faite en frau
de des créanciers, et celte prétention est acceuillie et con
sacrée par le tribunal civil d’Angoulème.
Sur l’appel, la Cour de Bordeaux infirme et déclare
que la constitution d’une rente viagère pour partie de
l’aliénation d’un immeuble ne peut être isolément atta
quée, pour cause de fraude, par les créanciers, du cré
direntier, s’ils ne demandent la nullité, pour la même
cause de la vente elle-même.
Mais attendu que la faculté conférée au débiteur de
la rente de se libérer en nature et par compensation ,
c’est-à-dire en fournissant la nourriture, le logement et
l’entretien au crédi-rentier sur sa demande, ne peut
préjudicier aux créanciers de celui-ci, lesquels sont tou
jours en droit d’exiger que le paiement des termes à
échoir, saisis-arrêlés par eux, soient payés en espèces ,
au moins jusqu’à concurrence de leurs créances.
La Cour condamne l’acheteur à se libérer de la rente
de 600 fr. aux mains du créancier saisissant jusqu’à
concurrence de ce qui lui est dû.'
Nous considérons cet arrêt comme juridique dans tou
tes ses dispositions. Les créanciers n’attaquant pas la
1 Moniteur des Trib., du 18 juin 1865. n° 506, 2mc série.
[■
îfi I
�454
TRAITÉ DU DOL
vente, lui reconnaissaient le caractère sérieux et sincère,
ils ne pouvaient donc pas la diviser et repousser seule
ment le mode de paiement convenu, d’autant moins que
la rente viagère de 600 fr. représentait à peu près le 10
°[„ de la partie du prix laissé a fonds perdu.
La fraude ne gisait donc pas ni dans la vente, ni
dans la constitution de la rente viagère, elle était exclu
sivement dans le mode adopté pour le paiement de celleci, c’était donc ce mode qu’il fallait modifier et chan
ger, sans quoi ou aurait reconnu au débiteur le droit
de convertir au détriment de ses créanciers, tout ou
partie de son actif en prestation incessible et insaisis
sable, ce que la loi ne saurait permettre.
1765. — Quels sont les effets de l’admission de l’ac
tion en fraude des créanciers, contre la vente consentie
par le débiteur, quel qu’en soit le caractère?
Cette question se résout facilement à l’encontre de
l’acheteur direct. L’admission de l’action Paulienne sup
pose nécessairement sa complicité dans la fraude du dé
biteur. La conséquence naturelle de cette complicité est
de lui faire perdre tous droits sur la chose qui a fait la
matière du contrat. Elle fait donc retour au vendeur sur
la tête duquel les créanciers pourront en poursuivre l’ex
propriation ultérieure.
1764. — Mais cette question acquiert une plus gran
de importance à l’endroit des tiers auxquels la chose a
étérevendue par l’acquéreur primitif. Ces tiers pourront-
�ET DE LA FRAUDE.
455
ils être actionnés en délaissement par les créanciers du
premier vendeur ?
La solution ne peut être que négative. Bien entendu
que nous ne parlons que de l’action Paulienne exercée
par des créanciers chirographaires. S’il s’agissait, en ef
fet, de créanciers hypothécaires régulièrement inscrits,
leurs droits suivant l’immeuble dans quelque main qu’il
passe, leur recours contre tous tiers-détenteurs est for
mellement écrit dans la loi.
Mais il n’en est pas de même des créanciers cédulaires. Ils n’ont aucun droit réel sur les immeubles qu’en
tant qu’ils les trouvent en possession de leur débiteur.
L’acheteur a donc pu régulièrement acheter, et même
payer son prix, sans se préoccuper de leur existence.
Aussi si la loi leur permet de recourir contre la vente ,
ce n’est qu’à la condition qu’ils prouveront la fraude de
leur débiteur, celle de l’acheteur. La preuve de l’une n’af
fecte l’acte que par la preuve de l’autre, et, celle-ci faite,
l’acquéreur n’est pas obligé comme tiers-détenteur. Il ne
l’est que comme tenu de réparer le préjudice qu’il occa
sionne par son fait.
C’est cette conséquence qui avait fait repousser, en
droit romain, la qualification de réelle que Justinien avait
donnée à l’action des créanciers. C’est elle qui, ,sous le
droit français, lui a maintenu le caractère d’action pure
personnelle. Sans doute elle a pour résultat de faire an
nuler la vente , mais remarquons que cette nullité ne
saurait la faire considérer comme revendicatoire. En ef
fet, ce n’est pas aux créanciers poursuivants que lesbiens
�456
TRAITÉ DU DOL
sont restitués. Us reviennent au débiteur sur la tête du
quel ces créanciers pourront les saisir, les faire vendre
pour s’en distribuer le prix. Or, ce ne sont pas là les ca
ractères delà revendication, dont la consécration a pour
conséquence inévitable de saisir le poursuivant de la pro
priété des biens en faisant l’objet.
Ainsi l’action Paulienne n’a rien de réel dans son ori
gine, rien dans ses effets. Puisée dans un fait person
nel, la complicité de la fraude, elle ne peut être exer
cée que lorsque ce fait existe. Si cela est vrai pour l’ac
quéreur direct, comment admettra-t-on le contraire con
tre celui qui a acheté de celui-ci. La justice et la raison
commandent de faire en faveur du dernier ce qu’on dé
cide pour le premier, à savoir : qu’il ne puisse être pour
suivi que si, s’associant à la fraude, il en a assumé la
responsabilité.
C’est ce que les jurisconsultes romains admettaient
sans hésitation. Perezius, entre autres, l’enseigne for
mellement : Unde quod dictum, hac actione teneri eum,
ad quem rem sunt translatée ; intellige si eas adquisiverit titulo donationis, aut alio lucralivo; et licet fraudis ignarus fuerit, tamen creditorum causa favorabilior est, qui d& damno disceptant. Quod si e diverso
res comparaverit, aut in solutione acceperit, cessât
hœc actio, nisi fraudem participasse accipientem probetur.y
Et ce qui doit le faire décider ainsi, ajoute cet auteur,
�ET DE LA FRAUDE.
457
c’est qu’en cette matière, si la preuve de la fraude fait
ordonner la nullité de la vente, c’est uniquement pour
empêcher que l’acquéreur ne puisse se faire un titre de
son propre dol, nedolns suusprosit, contra naturalem
æquitatem. Cette considération n’a rien perdu de sa for
ce sous l’empire de notre Code, Elle est encore l’origine
et la cause de l’action révocatoire. Elle doit en régler
encore le caractère et les effets.
En résumé donc, la restitution de l’immeuble, acquis
en fraude des droits des créanciers, n’est ordonnée qu’à
titre de dommages-intérêts pour la réparation du pré
judice résultant du quasi-délit dont l’acheteur est con
vaincu. Ce n ’est pas ici une résolution dont les effets lé
gaux soient opposables aux tiers qui sont restés étran
gers à la fraude, c’est une peine toute personnelle dont
nul autre que lui n’a à supporter les conséquences. Le
tiers de bonne foi n’est tenu ni personnellement ni réel
lement envers les créanciers du vendeur primitif. Ceuxci sont donc en ce qui le concerne, et d’une manière
absolue, sans actions.
Dès lors, aussi, la restitution à titre de dommagesintérêts ne peut être ordonnée qu’en tant que les biens
sont encore dans les mains du complice de la fraude.
Dans le cas contraire, la réparation du préjudice en ré
sultant consistera dans une allocation pécuniaire qui
pourrait égaler ou dépasser même le prix de la revente,
suivant les circonstances.
Le tiers-acquéreur ne peut pas être dans une position
pire que celle de l’acquéreui primitif. La vente n’étant
�458
TRAITÉ DU DOL
nulle, à l’endroit de celui-ci que par la preuve de la
complicité dans la fraude du débiteur, ne pourrait l’être,
à l’encontre du tiers, que par la même preuve. L’ab
sence de cette preuve produirait donc pour le tiers un
effet identique à celui qu’elle aurait pour l’acheteur pri
mitif, à savoir : le maintien de la vente.
Ajoutons que si le tiers avait reçu l’immeuble à titre
lucratif, la preuve de la participation à la fraude devient
d’autant plus indifférente que l’ignorance dans laquelle
il serait resté sur l’existence de cette fraude ne ferait nul
obstacle à la révocation de l’acte. Or ce caractère de li
béralité peut être dissimulé précisément en prévision de
ce résultat. Conséquemment les créanciers sont autorisés
à prétendre et à prouver, même par témoins et par pré
somptions, que la prétendue vente n’est qu’une dona
tion déguisée. La preuve faite amènerait pour consé
quence la nullité de la convention, et les biens aliénés
feraient retour sur la tête du vendeur primitif.
1 7 6 5 . — La vente de droits successifs peut devenir
une occasion de fraude contre les créanciers de l’héri
tier. En effet, celui-ci, ne pouvant se dissimuler que le
profit de l’hérédité doit être absorbé par le paiement de
ses obligations, peut concevoir la pensée de se sous
traire à la nécessité de ce paiement, et l’exécuter en ven
dant ses droits soit à son cohéritier, soit à un tiers.
1 766. — Cette vente serait inévitablement sans ef
fets, si elle était postérieure à l’opposition que les créan-
�ET DE LA FRAUDE.
459
ciers du vendeur auraient formée à la levée des scellés.
À dater de ce moment, le débiteur ne peut isolément
rien faire qui puisse nuire à ses créanciers. La disposi
tion de ses biens qu’il ferait, contrairement à l’obliga
tion d’y appeler le créancier opposant, serait donc, à
son égard, légalement présumée frauduleuse, et dès lors
incapable de sortir à effet.
Il en serait de même vis-à-vis de celui qui aurait
traité avec le débiteur. Vainement voudrait - il exciper
de sa bonne foi et de l’ignorance de l’opposition du
créancier. Cette excuse n’est pas acceptable. Celui qui
traite de droits successifs doit s’enquérir de l’état de la
succession, de la position de celui qui demande à cé
der. Or, la moindre recherche doit lui signaler l’exis
tence de l’opposition. S’il n’en a fait aucune, s’il a aveu
glément suivi la foi de son cédant, il a commis une
grave négligence dont les conséquences ne sauraient
raisonnablement être mises à la charge du créancier.
! 767. — Le créancier non-opposant ne perd pas
le droit d’attaquer, comme frauduleuse, la cession de
ses droits par son débiteur, mais il est, dans cette hypo
thèse, obligé de prouver la fraude du cédant, celle du
cessionnaire lui-même. Cette preuve, pouvant être faite
par témoins , peut également résulter de présomptions
graves, précises et concordantes. La vilité du prix, eu
égard à la valeur réelle des droits faisant la matière
du traité, serait de nature à exercer une puissante in
fluence.
�460
TRAITÉ DU DOL
1 768.
— Aussi cette circonstance se rencontrera-telle rarement. On exagérera le prix plutôt que de le ré
duire, dans l’intention d’écarter le soupçon, ce qui n’em
pêchera pas les parties de compter et de recevoir un
prix moindre que celui porté au contrat. Mais la preuve
de cette simulation serait décisive contre le cessionnaire
lui-même. En effet, on conclurait très logiquement de
ce qu’il s’est prêté à l’exagération du prix, qu’il a con
nu les motifs que le vendeur a eu d’en agir ainsi, et
cette connaissance le constitue en état flagrant de com
plicité de la fraude, à la consommation de laquelle il a
prêté les mains.
17 6 9 .
— L’exagération du prix de la cession peut
avoir un autre motif que le désir de frauder les créan
ciers. On sait que dans un but de morale, que par res
pect du secret qu’exigent les affaires de famille, le lé
gislateur a autorisé les héritiers à écarter de la succes
sion l’étranger auquel un d’eux a cédé ses droits.
L’exercice de cette faculté est nécessairement subordonné
au remboursement du prix payé par le cessionnaire.
Ainsi, menacé de voir sa spéculation échouer, l’ache
teur de droits successifs ne manquera pas de stipuler
dans l’acte un prix supérieur à celui qu’il compte réel
lement, la différence devant, dans tous les cas, consti
tuer un bénéfice en sa faveur.
Cette fraude était trop facile, trop imminente pour
que le législateur ne dût pas s’en préoccuper. Comme
moyen de la prévenir ou de la réprimer, il autorise le
�ET DE LA FRAUDE.
461
retrayant, quels que soient les termes de l’acte, à con
tester l’exactitude du prix, à en prouver l’exagération
tant par titres que par témoins et par présomptions.
Cette faculté se justifie juridiquement sous le rapport
des principes généraux du droit. Le retrayant exerce un
droit qui lui est propre et personnel ; il n’est ni le re
présentant, ni l’ayant-cause du cessionnaire. On ne sau
rait donc ni lui opposer, comme obligatoire, un acte
auquel il est demeuré étranger, ni l’empêcher de justi
fier par témoins une fraude dont il a été évidemment
dans l’impossibilité de se procurer une preuve écrite.
Dès lors, l’acte, fût-il public et authentique, ne fait
pas foi de la sincérité du prix. Ce que le retrayant est
obligé de rembourser, c’est ce qui a été réellement payé
et bon ce qu’il a plu aux parties d’indiquer comme
l’ayant été.
1 770.
— Mais la connaissance du prix réel n’est
pas toujours facile. Le cohéritier exerçant le rachat peut
très bien être convaincu de l’exagération du prix appa
rent et en faire la preuve; mais il pourra, en même
temps, se trouver dans l’impossibilité d’indiquer le prix
réel. Ce défaut d’indication doit-il avoir pour résultat de
l’obliger à restituer le prix porté dans le contrat ?
Cette conséquence serait aussi anormale qu’injuste.
La preuve du mensonge de l’acte à l’endroit du prix,
celle de son exagération, infirme nécessairement le droit
du cessionnaire d’en être restitué. Comment admettre le
contraire, et consacrer la fraude par cela seul que le
�462
T R A IT É
DU
DOL
mystère dont ses auteurs se sont enveloppés empêche
de saisir la vérité sur les bases adoptées par elles? Fau
dra-t-il punir d’une fraude celui-là même qui devait en
être la victime?
1771
.
— La Cour de Paris ne l’a pas pensé ainsi.
Elle a, en conséquence, jugé que lorsque le retrayant
est dans l’impossibilité d’indiquer le prix réel, c’est au
juge à apprécier, suivant ses lumières et sa conscience,
la somme que celui qui a voulu frauder a pu et dû don
ner, selon les circonstances où les parties se trouvent
placées.'
Le seul reproche qu’on pourrait faire à cette doctrine
est celui d’atteindre, dans certains cas, à ce résultat :
que l’appréciation du magistrat restant en deçà de la
vérité, le cessionnaire ne sera pas remboursé de tout ce
qu’il aura payé. Mais cet inconvénient ne saurait méri
ter aucune considération, car, s’il se réalise, c’est uni
quement par le fait propre et personnel de celui qui
s’en plaidrait. Que celui qui a voulu, au mépris de la
loi, frauder des tiers, soit pris dans son propre piège,
le malheur n’est pas grand ! Il faut même avouer qu’il
ne répugne nullement à la morale et à la justice, comme
tout ce qui tend à rappeler les parties et à les mainte
nir dans les voies de la loyauté et de la franchise.
Il ne saurait donc prévaloir sur les conséquences
qu’entraînerait le système contraire, conséquences tel—
1 ! 4 février 4 834.
�ET DE LA FRAUDE.
463
lement monstrueuses, qu’on n’osait pas même en de
mander le bénéfice dans l’espèce jugée par la Cour de
Paris. On se bornait, en effet, à demander que, par ex
perts commis, la valeur des choses cédées fût appréciée,
pour le résultat de cette expertise devenir le prix à
restituer!
Mais cette prétention fut repoussée par cette raison
décisive que le retrayant n’a pas à rembourser la valeur
réelle des objets dont il demande à rentrer en posses
sion. Tout ce que l’art. 841 exige de lui, c’est qu’il paie
le prix que le cessionnaire en a donné; c’est donc ce
prix et non la valeur réelle qu’il faut établir. Une ex
pertise est donc illusoire, car, dès qu’il y a lieu à une
appréciation de cette nature, elle ne peut résulter que de
l’examen minitieux des circonstances de la cause, des
présomptions que ces circonstances révèlent, des inter
rogations des parties, des témoignages fournis. Il est
évident, dès lors, que tout cela rentre dans le domaine
naturel du juge, à qui cet examen appartient exclu
sivement.
Il était conséquemment impossible de méconnaître le
caractère juridique de la doctrine de la Cour de Paris.
Aussi, sur le pourvoi dont son arrêt fut l’objet, cette doc
trine obtint-elle la haute sanction de la Cour de cas
sation . '
1 7 7 2 . — Comme conséquences du principe qui en
1 1er juillet 1835.
�464
TRAITÉ DU DOL
fait la base, l’arrêt de la Cour de Paris et celui de la
Cour de cassation consacrent ces deux points impor
tants :
10 Que la restitution des droits d’enregistrement doit
être calculée sur le prix réellement payé et non sur ce
lui ostensiblement déclaré dans l’acte. Dans l’espèce, la
différence était importante, car le prix apparent était
de 60,000 francs, tandis que celui reconnu payé ne s’é
levait qu’à 1,930 ;
2° Que le retrayant n’est pas obligé de restituer les
honoraires et frais purement personnels et relatifs au
cessionnaire.
11 est évident, dans le premier cas, que les frais d’en
registrement ne sont déboursés que parce que les par
ties ont eu l’intention de frauder. Or, une intention de
cette nature ne peut jamais avoir pour résultat d’aggra
ver la position de celui à qui la fraude pouvait préju
dicier. Conséquemment, les frais auxquels celte inten
tion a donné lieu doivent nécessairement être laissés à
la charge de celui qui s’est exposé à la chance de les
débourser en pure perte.
Ce qui justifie la solution sur ce dernier point, légi
time une solution identique sur le second. En effet, le
cessionnaire sait qu’il est exposé au retrait ; que celui-ci
se réalisant, il ne peut exiger que le remboursement de
ce qu’il a payé lui-même. Dès lors, si cette éventualité
ne l’a pas arrêté, s’il en a volontairement couru la chan
ce, il n’a aucun droit de demander une indemnité quel-
�ET DE LA FRAUDE.
465
conque des peines et soins qu’il a pu prendre pour la
liquidation de l’hoirie.
! 773. — La difficulté que nous venons de signaler
et de résoudre en tranche une autre que l’exercice du
retrait pouvait faire surgir. La demande doit-elle être
précédée ou accompagnée de l’offre réelle du prix à res
tituer?
L’art. 841 garde, sur cette obligation, le plus com
plet silence, et ce silence est un juste conséquence de
l’éventualité que nous venons d’examiner. Comment
concevoir, en effet, la nécessité d’une offre réelle, lors
que le retrayant peut ignorer la somme qu’il aura, en
définitive, à rembourser? La condition devenant irréa
lisable, on ne pouvait raisonnablement lui subordonner
l’exercice du droit de retrait.
Il suffit donc que celui qui en poursuit le bénéfice
offre, dans la demande même, de restituer le prix et tous
ses légitimes accessoires, tels qu’ils résulteront du juge
ment à intervenir. C’est ce que la doctrine et la juris
prudence ont, de tout temps, admis et consacré.'
1774,
— Le bénéfice du retrait est définitivement
acquis, dès que l’intention de l’exercer a été régulière
ment manifestée. Tous actes postérieurs, tendant à en
paralyser les effets, ne sauraient être invoqués contre
1 Chabot tom. ni, art. 841 n° 23 ; — Duranton, tom. vu, n° 200.
Besançon, 31 janvier 1809; — Aix, 5 décembre 1807; — Pau, 10
juin 1830 ; — Bourges, 16 décembre 1833 ; — Bastia, 23 mars 1835.
�466
T R A IT É
DU
DOL
le retrayant. Légalement présumés faits pour éluder la
loi a cet égard, ils ne sauraient être consacrés.
Ainsi, il a été jugé que le cohéritier, qui a offert en
justice, au cessionnaire des droits successifs de son co
héritier, le remboursement du prix de la cession, a, dès
ce moment, et quoique son offre n’ait pas été acceptée,
un droit acquis à la subrogation, droit qui ne peut être
compromis par les actes faits ultérieurement entre le
cédant et le cessionnaire ; spécialement, qu’une de
mande en retrait successoral ne peut être écartée par
le motif que le cessionnaire d’une partie des droits suc
cessifs d’un des cohéritiers, est en même temps, dona
taire d’une autre partie de ces droits, lorsque l’acte qui
lui confère cette dernière qualité est postérieur à,la de
mande en retrait.1
Par application du même principe, la Cour de Paris
a jugé, le 16 mai 1823, que la résolution delà cession,
intervenue entre les parties postérieurement à la de
mande en retrait, ne pouvait rendre cette demande irre
cevable ou mal fondée.
Dans l’espèce de cet a rrê t, la résolution avait été
poursuivie et prononcée pour défaut de paiement du
prix. Une pareille action, alors que, par l’effet immé
diat du retrait, le prix était offert par le retrayant, n’a
vait pas d’autre motif possible que l’intention concertée
entre le cédant et le cessionnaire d’empêcher l’exercice
du retrait, et d’annihiler ainsi une faculté formellement
�ET
DE
LA
FRAUDE.
467
reconnue par la loi. C’esl donc avec juste raison qu’on
déclara que la rescision, étant postérieure à la déclara
tion du retrait, ne pouvait prévaloir sur le droit acquis
par cette déclaration.
1775 . — Le cessionnaire, évincé par le retrait, n’a
aucune garantie à exercer contre le cédant. Cette règle
a son principal fondement dans ce principe : que l’ac
quéreur, connaissant le vice de la chose qu’il a achetée,
ne peut se plaindre des conséquences que ce vice en
traîne. Or, celui qui accepte une cession de droits suc
cessifs doit savoir qu’il dépend des héritiers de se faire
subroger au bénéfice ne son contrat, en lui en restituant
le prix et ses légitimes accessoires. Cette restitution opé
rée , il est complètement désintéressé. Quelle garantie
peut-il donc avoir à exercer ?
1776 . — La Cour de cassation a même décidé que,
le retrait successoral reposant sur des motifs d’ordre pu
blic, aucune stipulation entre le cédant et le cession
naire ne pouvait avoir pour effet d’en gêner ou d’en
compromettre l’exercice ; qu’a in si, la promesse for
melle de garantie ne pouvait être opposée au retrayant,
alors même que, depuis la cession, celui-ci serait de
venu l’héritier du cédant.
Le contraire avait été admis par la Cour de Dijon.
Son arrêt avait déclaré la demande en retrait non-rece
vable, attendu que le cohéritier la poursuivant était de
venu l’héritier du cédant, et, conséquemment, tenu de
la garantie promise par celui-ci ; qu’il devait donc être
�468
T R A IT É
DU
DOL
évincé de sa poursuite en force de la règle de droit :
Quem de eviclione tenet actio eumdem agentem repellit exceptio. Mais, sur le pourvoi dont il fut l’objet, cet
arrêt fut cassé par la Cour régulatrice, comme ayant
faussement appliqué les principes relatifs à la garantie
et expressément violé l’art. 841
1777.
— Ce caractère absolu du droit conféré par
l’art. 841 sera dans le cas de déterminer, chez ceux qui
désireront en éluder les effets, une fraude consistant dans
la simulation de la nature du contrat. On sait en effet
que, recevable contre tout acte à titre onéreux, l’action
en retrait n’est pas autorisée contre le donataire à titre
gratuit. En conséquence, et malgré qu’il s’agisse d’une
cession, et que le prix en ait été payé, les parties con
sentiront une donation.
Sans doute, dans cette hypothèse comme dans celle
d’un acte à titre onéreux, il se produit un effet identi
que. Ainsi, un étranger viendra s’immiscer dans les se
crets de la famille, prodiguer les obstacles, semer les
difficultés, éterniser enfin des opérations que les liens
existants entre des copartageants ordinaires concilieraient
facilement.
Cependant la défense d’exercer le retrait contre un
donataire est rationnelle et juste. Celui qui dispose de sa
propriété à titre gratuit ne fait qu’user du droit incon
testable que la qualité de propriétaire lui confère. On
i C ass., 1 5 m a i 1 8 4 4 ; —
Journal du Palais,
t o r n . i , 1 8 4 4 , p . 73G.
�ET
DE
LA
FRAUDE.
469
ne pouvait donc ni l’empêcher de céder aux sentiments
de reconnaissance et d’affection auxquels il obéit, ni lui
imposer l’obligation de préférer un de ses cohéritiers à
celui qu’il choisit lui-même. D’autre part, la donation
n’ayant aucun prix, qu’aurait-on dû rembourser à celui
qui en a été l’objet ?
La différence entre le cessionnaire elle donataire était
donc une conséquence forcée de la nature des choses, et
c’est cette différence qu’on exploitera dans certains cas
pour arriver indirectement au but qu’on ne saurait at
teindre d’une manière directe.
Mais pour qu’on puisse s’en attribuer le profit, il ne
suffit pas d’une vaine apparence, il faut qu’il s’agisse
d’une véritable libéralité, d’une donation sincère. L’acte
ne fait pas plus foi de son caractère que du prix qui y
est stipulé; le retrayant, qui a la faculté de contester ce
lui-ci, a le droit de discuter celui-là ; de prouver par
toute sorte fie preuves que la qualification de donation
n’est qu’un mensonge, à l’aide duquel on a prétendu lui
arracher tout moyen d’exercer le retrait; cette preuve fai
te, l’acte tombe sous le coup de l’art. 841, le prétendu
donataire n’est plus qu’un cessionnaire ordinaire, n’a
yant plus qu’à recevoir la restitution du prix qu’il a payé,
et qui, à défaut d’indication précise, doit être, comme
nous venons de le dire, déterminé par le juge.
1778.
— L’effet radical de la donation, à l’endroit
de l’exercice du retrait, indique une difficulté que la
poursuite de celui-ci peut faire surgir. Le cessionnaire,
�470
TRAITÉ DU DDL
auquel le cohéritier voudra se faire subroger, pourraitil faire repousser la demande en soutenant que la vente
qui lui a été consentie n’a rien de réel, qu’elle n’est
qu’une donation déguisée?
L’affirmative, si elle était admise, aurait pour consé
quence inévitable d’effacer de notre loi l’art. 841, en le
rendant à tout jamais inapplicable. Dans tous les cas, en
effet, où il s’agirait de retrait, le défendeur ne manque
rait pas de soutenir que la cession déguise une libéralité,
et de faire ainsi repousser l’action du retrayant. Cette
considération suffirait à elle seule pour faire repousser
le système auquel elle servirait de base.
Mais il est d’autres motifs non moins décisifs qui com
mandent ce rejet. Sans doute la donation, déguisée sous
la forme d’un acte à titre onéreux, ne laisse pas que
d’être valable. Mais cet effet ne se produit qu’en tantque
la simulation n’a pas pour objet de frauder la loi, soit à
l’endroit d’une prohibition d’ordre public, soit sous le
rapport de la capacité des parties.
De plus, la partie qui a coopéré à la fraude ne peut
jamais en exciper contre les tiers, elle est, par rapport
à eux, tenue parles termes de son contrat, sans qu’elle
puisse jamais prouver contre eux outre et hors son con
tenu.
Ainsi, du vendeur à l’acquéreur, l’acte de vente dé
guisant une donation est valable. Mais ce dernier pour
rait-il, excipant de ce caractère, se dispenser de payer
le prix stipulé que les créanciers auraient saisis entre
ses mains ? Non évidemment.
�ET DE LA FRAUDE.
471
Ce qu’on déciderait dans cette circonstance, on doit
d’autant plus le consacrer dans notre hypothèse, qu’en
présence de l’art. 841, l’existence d’une libéralité dégui
sée est d’autantplus invraisemblable. Qu’aurait-on voulu
en donnant ? Mettre le cessionnaire à l’abri du retrait.
Mais, alors, il est fort remarquable qu’au lieu d’emplo
yer un moyen décisif d’atteindre à ce but, celui de faire
une donation pure et simple, on ait recouru à une simu
lation devant rendre ce résultat désiré plus difficile et
plus chanceux. On comprend que, pour éluder la lo i,
on déguise une vente, en la qualifiant de donation , ce
qu’on ne saurait comprendre, c’est que, voulant faire
une donation, et les parties étant réellement capables
de la consentir et de l’accepter, on l’ait déguisée sous
l’apparence d’une vente.
Dans tous les cas, le titre étant obligatoire pour celui
qui l’a souscrit, on ne saurait l’admettre à se soustraire
à son exécution, sans violer la prohibition de l’art. 1341,
sans méconnaître les droits des tiers. Conséquemment ,
et pour la question qui nous occupe, il suffira qu’il s’a
gisse d’un acte de vente pour que le retrait soit admis ,
nonobstant toute prétention tendant à le faire considérer
comme donation déguisée.1
1779.
— Aucune fin de non recevoir ne saurait donc
résulter ni destermes, ni du caractère del’acte.Les seules
opposables sont celles tirées de la ratification que le re-
�m
TRAITÉ DU DOL
trayant aurait donnée à l’acte, de l’expiration du délai
qui lui est imparti pour exercer son droit.
La ratification expresse ne laisserait aucun doute sur
l’extinction du droit. Il est vrai, et c’est, nous venons de
le voir, ce que la Cour de cassation a décidé, que le re
trait est d’ordre public, ce qui semblerait exclure toute
possibilité de ratification. Mais, dans cet ordre même,
sa disposition est principalement dans l’intérêt des co
héritiers, dès lors, ils ne peuvent malgré eux être privés
de leur droit, mais ils peuvent vouloir s’abstenir de l’exer
cer, et la loi s’en réfère sur ce point à leur appréciation.
Cette abstention, résultant de ce qu’ils auraient ratifié la
cession, en déclarant qu’ils ne veulent pas l’attaquer ,
rendrait tout retrait ultérieur impossible.
La possibilité d’une ratification expresse entraîne celle
d’une ratification tacite, mais ici il convient de procéder
avec la plus extrême circonspection. On ne doit pas pré
sumer facilement que les ayanls-droit aient voulu renon
cer à un droit de nature à les préserver des inconvé
nients que peut offrir pour la famille entière l’immixtion
d’un tiers étranger. En conséquence, pour que les actes
dont on veut induire la ratification puissent efficacement
l’établir, il faut, disent Chabot et Touiller, qu’ils soient
tels qu’ils décèlent chez leur auteur l’intention bien mar
quée de reconnaître les droits du cessionnaire. Confor
mément à cette doctrine, on ne devrait pas considérer
comme ratification les actes intervenus entre l’héritier et
le cessionnaire, et qui ne seraient que préparatoires du
�ET
DE
LA
FRAUDE.
473
partage,' ou qui tendraient à le déterminer, tels, par
exemple, qu’un jugement qui l’ordonne sur la demande
du cohéritier, qu’une sommation d’y procéder faite à sa
requête."
La règle générale qu’on pourrait, dit M. Dalloz, poser
à cet égard, serait de ne pas considérer comme entraî
nant déchéance les actes préalables au partage qui ont
pour objet de faire connaître la valeur des biens de la
succession et d’éclairer les héritiers sur les inconvénients
de la présence d’un étranger.3
1780.
— L’objet spécial du retrait étant d’écarter
du partage l’étranger cessionnaire, il est évident que, si
le partagea été contradictoirement consommé avec lui,
il ne peut plus y avoir lieu à l’action en subrogation,
son exercice ne serait plus qu’un effet sans cause, il ne
saurait dès-lors être ni recevable, ni admissible.
Mais si le partage consommé vient à être rescindé, la
nécesssité d’en poursuivre un nouveau fait-elle revivre
le droit des héritiers, rend-elle le retrait recevable?
M. Duranton résout cette question par l’affirmative.
Dès que le partage est rescindé, dit-il, il n ’y a plus de
partage, les choses sont remises au même état qu’auparavant, et l’acheteur ne se trouve plus qu’un cessionnaire
de droits successifs.
Cette doctrine ne nous parait pas admissible, nous ve1 Cass , 15 mai 1833.
2 Paris, 26 février 1816.
3 D. A., t. x, p. 502, n° 8.
�474
TRAITÉ DD DDL
nons de voir que la cession peut être ratifiée. Chabot et
Toullier n’exigent qu’une condition, à savoir : que les
actes prétendus ratificatifs soient tels qu’ils décèlentl’intention bien marquée de reconnaître les droits du ces
sionnaire. Or, y a-t-il un acte plus significatif que l’ad
mission de celui-ci au partage ?
Par celte admission, en effet, l’étranger a été initié à
tous les secrets de la famille, un nouveau partage ne lui
apprendra rien de nouveau. Le motif déterminant de
l’art. 841 n’existe donc plus, et dès lors il serait fort ir
rationnel de faire survivre l’effet à la cause, et de remet
tre de nouveau en question des droits formellement re
connus et ratifiés.
Ainsi, la consommation du partage avec le cession
naire consolide à tout jamais ses droits. La rescision qui
serait ultérieurement prononcée remet, quant aux résul
tats obtenus jusque là, les parties dans le même état
qu’auparavant, mais elle ne peut influer sur leur qua
lité. Toutes celles qui ont participé au premier partage
sont de plein droit appelées à concourir au nouveau.
Notre opinion se basant sur la ratification résultant
de l’admission du cessionnaire au partage, il suit qu’el
le ne serait appliquée que dans les cas où les héritiers
ont été à même d’exercer le retrait lors du premier parta
ge. Il est évident que, dans le cas contraire, rien ne s’op
poserait à ce qu’ils pussent le réaliser après rescision.
Ainsi, supposez que, le partage consommé par les co
héritiers, l’un d’eux ait cédé les droits lui revenant à un
étranger. La rescision ultérieurement prononcée appel-
�ET DE LÀ FRAUDE.
475
le le cessionnaire au nouveau partage, il pourra en être
écarté par l’effet du retrait. Sa présence est un fait nou
veau, né de la rescision elle-même, il ne saurait se réa
liser sans que le droit des héritiers se réalise également.
On ne saurait exciper de leur silence précédent, car l’ab
sence de la cession le rendait inévitable et forcé.
Il en serait de même si la rescision avait été pronon
cée sur la demande d’un héritier inconnu jusqu’alors ,
et n’ayant pas, par conséquent, pris part au premier
partage. Cet héritier aurait incontestablement le droit
d’exercer personnellement le retrait, sans qu’on pût lui
opposer le fait de ses cohéritiers qui n’ont pas voulu user
du droit qu’ils avaient. La ratification opposable à ceuxci ne pourrait être utilement invoquée à son endroit ,
non seulement il ne l’a pas donnée, mais encore il n’a
jamais été en position de la donner.'
1781.
— Ce que l’art. 841 fait pour les droits suc
cessifs, l’art. 1699 le prescrit pour les droits litigieux.
Celui contre lequel on a cédé un droit de cette nature
peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire , en lui
remboursant le prix réel de la cession avec les frais et
loyaux coûts, avec intérêts du jour du paiement par le
cessionnaire.
Les motifs de cette disposition sont frappés au coin
d’une haute moralité et d’une exacte justice. On a voulu
mettre un terme à la cupidité des acheteurs des droits
1 V. infra n° 4789.
�476
TRAITÉ DU DOL
litigieux et réprimer ainsi les nombreux procès que
d’odieuses spéculations font surgir. Celui qui, pour s’en
richir, n’hésite pas à se faire souvent un titre de scan
dale qu’il va provoquer, ne saurait se plaindre si, par
le retrait de ses droits, il se trouve privé du bénéfice
qu’il s’en était promis.
La règle de l’art. 1699 ne fut pas admise dans le
Code sans contestation. M. Lacuée fit observer qu’il
peut arriver qu’un homme opulent, pour obliger un ci
toyen pauvre, lui achète ses droits litigieux. L’adverse par
tie cependant, qui voit qu’elle va être poursuivie, se hâte
de rembourser le cessionnaire. Elle profite donc seule du
marché et se soustrait aux condamnations dont elle était
menacée.
M. Tronchet répondit que le procédé du cessionnaire
est immoral, même dans ce cas. S’il n’eût voulu qu’obli
ger le plaideur indigent, il lui eût fait des avances. Il
est évident qu’en exigeant une cession, il a cédé à un
sentiment beaucoup moins généreux, il a voulu se mé
nager un bénéfice. Cette réponse détermina l’adoption
de l’art. 1699.
'
Is
'
! 78 2 . — Sa véritable portée nous est enseignée par
le droit romain. Il ne régit que la cession à titre oné
reux. La donation d’undroit, quelquelitigieux qu’il puis
se être, ne saurait être écartée par le retrait. C’est ce que
la loi per diversas avait formellement consacré.
C’était là une large porte ouverte à la fraude. Ce qui
le prouve c’est que Justinien crut devoir compléter l’œu-
�ET DE LA FRAUDE.
477
vre de son prédécesseur, qu’il qualifie de juslissima
constitutio. La loi ab Anastasio prévoit donc deux hy
pothèses : celle où les parties ont donné à la cession le
caractère d’une libéralité pure et simple ; celle où après
avoir vendu jusqu’à concurrence du prix, le cédant dé
clare donner le surplus.
Justinien exige, dans la première, que la donation soit
réelle et sincère. Ainsi, la preuve que le prétendu dona
taire a payé une somme quelconque pour obtenir la ces
sion, imprime à l’acte le caractère d’une vente, et ne
donne au cessionnaire que le droit d’exiger la restitu
tion de la somme déboursée avec ses légitimes acces
soires. Dans la seconde, la clause de donation du sur
plus est censée non écrite et ne saurait produire aucun
effet.'
Cette doctrine découlait forcément du principe per
mettant le retrait. Bientôt, en effet, la clause de dona
tion du surplus serait devenue de style dans les cessions
de ce genre, et la faculté d’exercer le retrait n’aurait plus
été qu’une prérogative nominale, qu’une lettre morte ,
sans utilité possible.
1783.
— Ce qui se pratiquait sous l’empire des lois
per divers as el ab Anastasio, a été consacré par l’art.
1699 qui nous régit. C’est ce que la doctrine et la juris
prudence n’ont pas hésité à reconnaitre et à consacrer.
En conséquence, la décision de Justinien, dans la double
i L. 22 et 23, Cod.
M a n d . vel con tra .
�hypothèse qu’il prévoit, devrait être rigoureusement ap
pliquée.
1784. — Une seule difficulté a surgi à l’endroit de
la donation pure et simple. On s’est demandé si l’exis
tence de quelques charges de peu d’importance plaçait
la donation sous le coup de la loi, et devait la faire con
sidérer comme une vente? L’affirmative est formelle
ment soutenue par M. Troplong, mais une pareille sé
vérité d’appréciation nous paraît outrer le principe dont
elle prétend faire une juste application.
La question de savoir si la cession est à titre onéreux
ou gratuit,"est une question de fait. Elle ne comporte
donc aucune règle absolue. Tout est livré à la conscience
et aux lumières des magistrats. Il est évident dès lors
que, si par leur nature et par leur objet les charges im
posées à la donation n’en dénaturent nullement les ca
ractères , la donation doit être maintenue et ses effets
appliqués. C’est aussi ce que la jurisprudence a con
sacré.1
iss w
NïBSt
1785. — Les droits du retrayant, à l’endroit du
m
;l'IIP
mUj m jà d Ê
i ' f î f f
:
prix de la cession, sont, en matière de droits litigieux,
identiques à ceux que nous avons dit pouvoir être exer
cés dans le retrait successoral. La frau d e, redoutable
dans ce dernier cas, est bien plus à craindre dans le pre
mier. En conséquence, quelles que soient les énoncia
tions du titre à cet égard, l’ayant-droit peut toujours en
HI
l l
Il f-g ; 1 F», ‘
gpl
i Toulouse, 43 décem. 4830 ; — Cass., 4 juin 4834.
�ET DE LA FRAUDE.
479
contester la sincérité, soutenir notamment que le prix
n’est pas réel et le prouver tant par témoins que par
présomptions. Il ne saurait être, dans aucun cas, tenu
de restituer au delà de ce qui a été réellement payé,
dont, à défaut d’éléments certains et positifs, la détermi
nation est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
1786. — De même que pour le retrait successoral,
la faculté d’exercer le retrait litigieux est absolue et ne
saurait être perdue que par une renonciation formelle.
Mais il importerait peu que le procès eût été commencé
et soutenu contre le cessionnaire. Tant que le litige n’a
pas été définitivement jugé, le retrait est possible, quel
que soit l’état de la cause. Non seulement il ne doit pas,
à peine de déchéance, être exécuté in limine litis, mais
encore la jurisprudence est unanime sur ce point, celui
qui n’a pas voulu l’exercer en première instance est re
cevable à le faire en cause d’appel.1
1787. — Toutefois, comme cet exercice est un pri
vilège introduit en faveur du débiteur, la Cour de cassa
tion en a conclu que le droit de le réaliser pour la pre
mière fois en cause d’appel n’appartient qu’à lui ou à
ses représentants légaux. En conséquence, elle a refusé
de le reconnaître aux créanciers, par arrêt du 6 juillet
1 8 4 7 .’
1 Metz, 11 mai 1831 ; — Cass., 8 mars 1832 et 28 janvier 1836 ; —
Bourges, 17 février 1838 ; — J. D. P., t. n, 1838, p. 285.
2 J. D. P., t. h , 1848, p. 667.
�Il résulterait de cet arrêt que, par rapport aux créan
ciers, le silence gardé en première instance par leur dé
biteur est considéré comme une renonciation contre la
quelle ils ne sauraient revenir. Cette doctrine peut, dans
un cas donné, favoriser une fraude, ou conduire à une
injustice flagrante.
En effet, le silence du débiteur peut n’être que le ré
sultat d’une collusion entre lui et le cessionnaire, dans
l’intention de frauder les légitimes créanciers. Objecte
ra-t-on que dans ce cas ceux-ci auront l’action de l’ar
ticle 1167? Mais de quel secours sera cette action, lors
que le droit litigieux sera fondé et que le préjudice ne
consistera que dans la différence entre sa quotité et celle
du prix payé par le cessionnaire ? Comment prouver
que l’abstention du débiteur à réclamer le bénéfice du
retrait est entachée de fraude? Il est donc vrai de dire
que le refus d’accorder aux créanciers un droit qu’on
reconnaît exister en faveur du débiteur favorise singu
lièrement la fraude.
Kf1
Nous ajoutons que ce refus peut, dans certains au
tres cas, constituer une injustice. En effet, les créanciers
ne sont pas nécessairement parties dans les procès in
téressant l’actif de leur débiteur, ils peuvent y intervenir
pour la conservation de leurs droits, mais ils ne doivent
pas y être appelés. Or, supposez qu’avertis du danger
qui les menace, à une époque seulement où le procès
est devant la Cour, ils réalisent immédiatement leur in
tervention, faudra-t-il les déclarer déchus d’un droit
qu’ils ont été dans l’impossibilité d’exercer jusque là?
�481
ET DE LA FRAUDE.
Il nous semble qu’en présence de cette double éven
tualité, le système qui peut engendrer de pareils résul
tats ne devrait être admis qu’autant qu’il serait formel
lement prescrit par la loi. O r, loin qu’il en soit ainsi,
la doctrine de la Cour de cassation est au contraire en
opposition flagrante avec l’art. 1166 notamment.
Cet article, en effet, autorise les créanciers à exercer
au nom de leur débiteur toutes les actions qu’il pourrait
exercer lui-même. Ce principe ne reçoit exception que
pour les actions exclusivement attachées à sa personne
et celles-là seules ont ce caractère, qui s’éteignent avec
la personne elle-même et qui ne passent pas même aux
représentants légaux.
L’action en retrait ne peut se placer dans cette caté
gorie. La Cour de cassation reconnaît que les représen
tants légaux du débiteur peuvent, comme il le pourrait
lui-même, l’exercer pour la première fois en appel. Com
ment donc la refuserait-on aux créanciers agissant en
vertu de l’art. 1166? Dans cette hypothèse, ils ne se
raient pas les représentants légaux de leur débiteur!
Mais ils sont mieux que cela, ils sont le débiteur luimême.
Nous ne considérons pas la question comme défini
tivement tranchée par l’arrêt que nous rappelons. Un
nouvel examen, une appréciation plus approfondie doit,
à notre avis, amener une solution contraire à celle que
cet arrêt consacre. '
1788. — Dans toutes les hypothèses où le retrait
iv
31
�482
TRAITÉ DU DOL
est recevable, il faut que le droit cédé soit litigieux ; que
son objet soit d’empêcher et de prévenir le procès. Or,
le droit n’est plus litigieux dès l’instant que, le procès
ayant été soutenu, il est intervenu une décision défini
tive validant le droit poursuivi. Le débiteur ne peut si
multanément courir la chance de gagner le procès ou
de s’en racheter, en cas de perte, par la restitution du
prix de la cession. Il doit donc opter entre le retrait et
le soutien du procès.
La conséquence de celte règle devrait être l’inadmis
sibilité du premier, s’il n’est proposé que par des con
clusions subsidiaires en cas de condamnation sur le fond
du droit. Après cette condamnation, il n’y a plus de
droit litigieux et, dès lors, plus de retrait possible. Celte
règle posée par Pothier, adoptée par MM. Troplong et
Duvergier, a été consacrée par la jurisprudence.'
Ainsi, il ne suffit pas, pour que le retrait puisse être
exercé, que le droit cédé fût litigieux au moment de la
cession, il faut en outre qu’il le soit encore au moment
où le retrait est poursuivi. Mais le droit litigieux à la
première époque, ne perd son caractère que par une
décision définitive qui le reconnaît et le consacre. L’exis
tence de celle-ci est un obstacle invincible à tout retrait
ultérieur.
1 7 8 9 . — Toutefois cette règle reçoit exception dans
1 Pothier, Vente, n° 5 9 8 ; — Troplong, Vente, n° 9 8 7 , t. n ; — Du
vergier, Vente, n° 3 7 5 , t . n ; — Cass., 1 er juin 1 8 3 1 e t 8 mars 1 8 3 2
Bordeaux , 1 2 avril 1 8 3 2 ; — Bourges, 1 9 février 1 8 3 8 ; — J. D. P., t.
�ET DE LA FRAUDE.
483
le cas où la cession ayant été cachée, ne se révèle qu’a près le jugement définitif. Nul ne peut perdre un droit
avant d’avoir été mis en demeure de l’exercer, il n’y
a ni renonciation, ni prescription possible contre celui
qui ne s’est abstenu d’agir que parce qu’il a ignoré qu’il
pût ou dût le faire.
De là cette conséquence que le retrait successoral
pourra être exercé après le partage, et le retrait litigieux
après jugement définitif, si la cession n’a été connue
qu’alors. Il le fallait ainsi pour empêcher une fraude
d’autant plus à craindre que la spéculation du cession
naire promettant d’être avantageuse, celui-ci aura un
plus grand intérêt à éluder la loi. Or, le moyen le plus
sûr serait incontestablement celui de stipuler que le par
tage ou le procès sera poursuivi au nom du cédant,
quoiqu’il n’ait plus personnellement aucun intérêt à l’un
ou à l’autre. On comprend dès lors que se préoccupant
de celte fraude, le législateur en ait réprimé les effets,
en reconnaissant que les droits consacrés par les arti
cles 841 et 1699 peuvent être exercés dès qu’elle se dé
couvre, à quelque époque que se réalise cette découverte
et même après partage ou jugement définitif.'
4 7 9 0 . — Nous avons dit que la disposition de l’ar
ticle 1699 a eu pour but de proscrire ces spéculations
odieuses, à l’aide desquelles on cherche à exploiter les
1 Rouen, 46 mars 4812 ; — Cass., 3 juin 1820 ; — Bordeaux, 6 juif.
1838 ; — Conf., Pothier, i b i d . , n° 597 ; — Troplong, i b i d . , n» 983 ; —
Duvergier, i b i d . , n° 378.
�484
TRAITÉ DU DOL
procès, à les faire naître animo vexandi, et pour satis
faire à une sordide cupidité. Toute cession de droits li
tigieux n’a pas nécessairement ce caractère, il convenait
donc de tracer les exceptions dans lesquelles son absence
devait s’opposer à l’exercice du retrait.
Ces exceptions, admises par le droit romain, se trou
vent aujourd’hui expressément rappelées par l’art. 1701.
En les parcourait, on acquiert facilement la conviction
que chacune d’elles, dictée par un esprit de sauvegarde
et de conservation, reste étrangère à toute arrière-pen
sée d’hostilité ou d’agression. En effet, le cessionnaire
achète rem necessariam-, ce qu’il veut, c’est l’exécution
légale de son droit ou la conservation de la chose qu’il
possède déjà. Loin de chercher à faire un procès, il agit
réellement pour résoudre, dans un légitime intérêt, des
difficultés dont il pourrait lui-même devenir la victime.
1 7 9 1 . — Ainsi que l’observe M. Troplong, l’arti
cle 1701 ne peut créer qu’un doute sur la portée réelle
de l’exception en faveur du cohéritier. La constitution
d’Anastase l’avait formellement spécialisée en la rédui
sant entre cohéritiers et à l’endroit des actions hérédi
taires : Exceptis scilicet cessionnibus quas inter cohœredes, pro actionibus hœreditariis fieri conlingit.'
Doit-on conclure des termes généraux de l’art. 1701
que le Code civil a voulu autre chose, et que, sous son
empire, la cession d’un droit litigieux contre la succèsi L. 22, Cod M a n d . v e l c o n t r a .
�ET DE LA FRAUDE.
485
sion faite par un tiers est à l’abri de tout retrait, par
cela seul qu’elle a été faite en faveur du cohéritier ?
Nous ne saurions admettre l'affirmative, et cela par
deux raisons décisives :
1° Le Code civil a entendu se conformer exactement
à ce que le droit romain avait consacré, et qui avait
été admis par notre ancienne jurisprudence. C’est ce qui
résulte expressément de l’exposé des motifs de M. Por
talis. En effet, après avoir rappelé ce qui se pratiquait
chez l’un et chez l’autre, M. Portalis ajoutait : Nous
avons cru devoir conserver par le projet de loi une ju
risprudence que la raison et l’humanité nous invitaient
à conserver ;
2" Le cohéritier, achetant de son cohéritier, achète
réellement rem necessariam, et pour se maintenir luimême dans un droit acquis. L’achat d’un droit litigieux
contre l’hérédité sera sans doute d’une utilité relative
au cohéritier qui l’a contracté d’un tiers, mais il peut
renfermer contre les autres cohéritiers une spéculation
de la nature de celles proscrites par l’art. 1699. Il était
rationnel de parer à cette éventualité, en autorisant ces
derniers à exercer le retrait au nom et dans l’intérêt
de l’hérédité, débiteur cédé.'
1792. — Indépendamment des règles générales qui
précédent, l’art. 1597 crée, par rapport aux droits liti
gieux, une règle spéciale à l’égard des personnes qui y
sont énumérées.
1 Troplong, sur l’art, 1704 ; — Duvergier, Vente, t. ii , n° 390
�486
TRAITÉ DU DOL
Ainsi les juges, leurs suppléants, les magistrats rem
plissant les fondions du ministère public, les greffiers,
huissiers, avoués, défenseurs officieux (aujourd’hui avo
cats) et notaires, ne peuvent devenir cessionnaires de
procès, droits et actions litigieux qui sont de la compé
tence du tribunal dans leressort duquel ils exercenlleurs
fonctions, à peine de nullité ; des dépens, et domma
ges-intérêts.
1 7 9 5 . — Nous avons déjà exposé les motifs et les
effets principaux de cette disposition.'Nous nous borne
rons donc à jeter un rapide coup d’œil sur les difficul
tés que son application peut faire surgir.
Remarquons avant tout que les incapables dont s’oc
cupe cet article, quelle que soit leur intention de se sous
traire à ses effets, et précisément à cause de celte inten
tion, se garderont bien de traiter directement et en leur
nom propre et personnel. L’unique chance de succès
sur laquelle ils puissent compter, est évidemment dans
le soin qu’ils mettront à cacher l’intérêt qu’ils ont dans
l’opération. Ils auront donc recours à la simulation et
notamment à l’interposition d’un prétendu acheteur char
gé de leur transmettre le bénéfice delà cession. Cette né
cessité a tout d’abord fait rechercher si les principes des
art. 911 et 1100, sur l’interposition des personnes, leur
étaient applicables?
La négative a été admise en ce sens qu’en pareille
i V. su p ra., nc 706.
�ET DE LA FRAUDE.
487
matière, et quelque rapproché que soit le dégré de pa
renté, la présomption légale, excluant la preuve du con
traire, conduirait souvent à une véritable injustice. Le
père, le fils d’un magistrat peut être comme tout autre
alléché par le bénéfice énorme que promet l’acquisition
d’un procès ou d’un droit litigieux. Il peut donc la con
tracter sans consulter son fils ou son père, et quelque
fois même contre son avis. La justice exigeait qu’on tint
compte de cette circonstance, surtout lorsqu’il s’agit de
flétrir un magistrat, en le déclarant convaincu d’avoir
violé la loi qu’il est chargé d’appliquer.
Donc il n’existe pas, dans celte matière, de présomp
tion légale; mais le degré de parenté rapproché, entre
le cessionnaire et l’incapable, est un indice bien puis
sant d’interposition,et il faudrait des explications péremp
toires pour dissiper le soupçon qu’il crée. Si ces expli
cations laissaient à désirer, la fraude devrait être recon
nue et ses effets encourus. C’est ce qu’avait consacré no
tre ancienne jurisprudence. Denizart rapporte un arrêt
du parlement d’Aix qui annula une vente de droits liti
gieux faite aux deux fils de M. de Coriolis, président à
mortier de ce parlement, fit défense à ce magistrat d’en
accepter de semblables, et le condamna en 300 livres
de dommages-intérêts et aux dépens.
Ainsi, la qualité des parties fait facilement présumer
la fraude, mais n’en fournit jamais la preuve légale.
Cette présomption doit céder devant la preuve contraire.
L’admissibilité de celle-ci et son efficacité sont laissées
à l’arbitrage souverain du juge.
�488
TRAITÉ DU DOL
1 7 9 4 . — La cession, acceptée par un des incapa
bles indiqués dans l’art. 1597, est frappée d’une nul
lité radicale et absolue. La disposition de cet article est
d’ordre public et général. Toutes les parties peuvent
l’invoquer, excepté le cessionnaire lui-même. Cette ex
ception est la juste conséquence de l’infraction à la loi
dont ce dernier s’est rendu volontairement coupable, et
dont il est rationnel qu’il ne puisse, en aucun cas, se
faire un titre.
C’est surtout au débiteur que la nullité profite. En
effet, elle atteint à ce résultat qu’elle anéantit le droit
cédé. Le cédant qui l’a vendu, étant désintéressé, ne
peut plus l’exercer. L’illégalité de la cession plaçant le
cessionnaire dans la même impossibilité, en réalité le
droit n’existe plus. Vainement l’incapable voudrait-il le
céder lui-même. Sa possession, jugée illégale, lui enlè
verait ce droit ; il ne peut valablement transmettre ce
qu’il n’a pu légalement acquérir.
1 7 9 5 . — Une autre conséquence de cette règle est
de placer l’incapable, contre qui la cession a été annu
lée, dans l’impossibilité de redemander au cédant le prix
qu’il a payé. Décider le contraire serait reconnaître un
effet à un acte que la loi considère comme ne devant en
produire aucun, frappé qu’il est d’une nullité radicale
et absolue.
D’ailleurs, les cessions de droits litigieux se font or
dinairement à forfait et sans garantie, la chance de bé-
�ET DE LA FRAUDE.
489
néfice que court le cédant étant la juste compensation du
péril qu’il court de perdre le prix qu’il paie.
La garantie, eût-elle été formellement promise, la
solution que nous venons de donner n’en devrait pas
moins être admise. La loi ne peut pas autoriser des sti
pulations n ’ayant d’autre objet que d'éluder ses pres
criptions et de se soustraire à ses prohibitions formel
les. Or, la validité de la garantie serait un encourage
ment à faire ce qu’elle défend dans un intérêt public et
général. En effet, si l’incapable ne courait aucun autre
danger que celui de ne pas réaliser le bénéfice qu’il s’é
tait promis de son opération; si, la fraude constatée
et punie p a rla déclaration de la nullité de la cession,
il pouvait se faire rendre le prix qu’il en a donné , on
ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher de se livrer à un
acte qui, pouvant lui procurer un bénéfice important,
ne saurait, dans aucun cas, lui occasionner une perte.
Un recours quelconque contre le cédant violerait donc
le principe qu’un acte radicalement nul ne saurait de
venir le fondement d’une action judiciaire quelconque;
il deviendrait de plus un puissant encouragement à la
désobéissance à la loi. Le proscrire, même lorsqu’il a
été formellement stipulé, est donc un devoir pour les
magistrats. Us sauront d’autant plus le remplir, que ses
résultats n ’ont rien de reprochable en équité et en rai
son. Il est juste que celui qui n’a pas reculé devant une
immoralité trouve dans la perte du prix une première
peine de son indélicatesse.
1796» — Flous avons eu souvent l’occasion de rap-
�490
TRAITÉ DU DOL
peler que le complice de la fraude doit être solidaire
ment tenu de la réparation du préjudice qu’elle occa
sionne. Doit-on appliquer ce principe à l’acquéreur d’un
office qui s’est prêté, par la souscription d’un traité se
cret, à la dissimulation du prix réel?
Nous avons déjà dit que le traité secret, en matière
de cession d’office, était frappé d’une nullité radicale,
tellement absolue, que l’acheteur peut, non-seulement
se refuser à toute exécution , mais encore répéter ce
qu’il a payé en vertu de ses stipulations.
L’existence du traité secret peut avoir pour cause un
motif exclusivement relatif à la nécessité d’une autori
sation préalable. C’est ce qui se réalise lorsque le prix
n ’est dissimulé que par la crainte qu’il parût trop élevé,
et que le gouvernement en exigeât la réduction.
Mais cette existence peut tenir à d’autres motifs. Ainsi
le possesseur de l’office n’ayant pas d’autres ressources
que le prix, voulant empêcher qu’il ne soit absorbé par
ses créanciers, trouvera dans un traité secret un moyen
facile d’exécuter cette volonté. L’acheteur, qui s’associera
à cette pensée et qui concourra à son exécution, se rend
évidemment complice de la fraude du débiteur et oc
casionne un préjudice incontestable aux créanciers, sur
tout lorsque, par la dissimulation du prix ré e l, ces
créanciers ne reçoivent qu’un paiement partiel de ce qui
leur est dû.
Cette fraude est d’autant plus blâmable que, par la
nature spéciale de l’objet aliéné, les créanciers sont pri
vés d’une faculté que, dans les cas ordinaires, ils exer-
�ET DE LA FRAUDE.
491
ceraient incontestablement contre l’acquéreur lui-m ê
me. Supposez, en effet, l’aliénation d’un immeuble, le
concours de l’acquéreur à la dissimulation du prix en
fraude des créanciers donnerait immédiatement ouver
ture à l’action Paulienne. Que l’effet ordinaire de cette
action, c’est-à-dire la révocation delà vente, ne soit pas
autorisée, on se l’explique par la nature de l’objet alié
né, mais pourquoi le préjudice étant certain et volon
tairement occasionné dans les deux cas, l’acheteur de
l’office serait-il affranchi de l’obligation de le réparer
par une allocation pécuniaire? La loi a-t-elle donc re
connu dans une hypothèse quelconque qu’elle doit non
seulement tolérer, mais encore récompenser la fraude?
1797.
— Mais l’art. 1382 a fait du contraire le
droit commun. Tout fait quelconque entraînant un pré
judice rend la réparation nécessaire et inévitable, et
lorsqu’au lieu d’un fait simplement dommageable, in
dépendamment même de la volonté de son auteur, on
rencontrera la fraude concertée et consommée, celte ré•
paration serait refusée ! Qu’on nous permélte de le dire,
une pareille solution serait impie autant qu’absurde;
elle consacrerait une exception au droit commun préci
sément en faveur de celui qui n’a d’autres titres à in
voquer qu’une violation flagrante d’une loi dont l’ordre
public commande impérieusement l’exécution.
Dira-t-on que le traité secret étant nul aux yeux de
la loi, l’acheteur ne doit pas réellement le supplément
du prix stipulé; qu’en le soumettant à l’action des créan-
�TR.UTÉ DU DOL
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B D ï ; I ll|r
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WM;
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ciers, ce serait lui imposer la nécessité de le payer, et,
conséquemment, accorder un effet à un acte incapable
d’en produire aucun!
Cette objection n’a aucun fondement rationnel, aucune
base légale. D’abord, les créanciers ne demandent pas
l’exécution du traité secret; ils n’ont aucune qualité pour
cela, car, dans leur poursuite, ils agiront en leur nom
personnel et non comme ayants-cause de leur débiteur.
D’autre part, l’acheteur, en signant le traité secret et
en concourant à la fraude de ce dernier, a commis, à
l’encontre des créanciers, un acte dommageable con
damné par la loi. La nécessité de réparer le préjudice
nait avec le quasi-délit. C’est là une obligation person
nelle indépendante de la convention et qui ne peut, dès
lors, lui être subordonnée quant à ses effets.
Le traité secret est illégal ! Mais on le conteste si peu,
que c’est dans ce caractère même que les créanciers
puiseront le droit d’obtenir la réparation du préjudice
qu’ils en éprouvent. Mais est-ce que, dans toutes les au
tres fraudes, on ne rencontre pas cette illégalité? N’estce pas parce qu’il en est ainsi que l’auteur de la fraude
et ses complices sont solidairement condamnés à répa
rer le préjudice qu’ils causent? Pourrait-on condamner
celui qui, sur la poursuite dont il est l’objet, pourrait
se placer sous l’empire de l’exception fe c i, sed jure
feci ?
Il n’y a donc de fraude possible que lorsque le fait
dont on veut la faire résulter est condamné par la loi.
Exçiper de ce que le traité secret est dans cette caté-
�ET DE LA FRAUDE.
493
gorie, pour se dispenser d’ordonner la réparation du
préjudice que les tiers en éprouvent, c’est faire résulter
l’impunité du caractère pouvant seul motiver une con
damnation.
Ainsi, du cédant au cessionnaire, le traité secret de
meure frappé d’une nullité radicale ; non seulement on
n’est pas tenu de l’exécuter, mais on peut encore reve
nir sur son exécution et répéter les sommes payées.
Dans son application au cédant, à ses héritiers ou ayantscause, cette règle n’est qu’un hommage rendu au res
pect que commande la loi, qu’une juste peine contre
l’audacieux qui a osé l’enfreindre.
Mais l’appliquer aux tiers-créanciers, les condamner
en conséquence à supporter sans se plaindre le préju
dice qu’ils subissent, c’est donner à l’infraction de la
loi une extension inadmissible; c’est préférer l’infracteur
à ses victimes. Une peine quelconque n’est juste qu’à
condition qu’elle a été méritée. O r, quels reproches
peut-on faire aux créanciers frauduleusement trompés
par leur débiteur? Evidemment ils sont demeurés étran
gers à la fraude, ils n’ont pas dû la prévoir , ils n’ont
pu l’empêcher. Comment donc les obliger à en suppor
ter les conséquences?
Au point de vue légal, et sous l’empire du droit com
mun, nous arrivons donc à cette conclusion que les
créanciers, en fraude des droits desquels le prix de l’of
fice a été dissimulé, et qui ont été ainsi privés d’une
partie du gage nécessaire à leur paiement, sont rece
vables à se plaindre du quasi-délit dont ils sont les vie-
�494
TRAITÉ DU DOL
times; qu’ils peuvent en demander la réparation, soit
contre l’auteur, soit contre son complice.
1798.
— Cette solution, justifiée par les principes
généraux de la solidarité entre l’auteur et le complice
d’un fait condamné par la loi, consacrée par la règle
générale de l’art. 1382, nous paraît surtout se recom
mander à l’endroit de la répression de l’abus que la
jurisprudence condamne avec une si juste sévérité. Du
jour où le traité secret présentera un égal danger pour
toutes les parties, on pourra se flatter de le voir, sinon
disparaître, du moins perdre beaucoup de sa fréquence.
Or, jusqu’à présent, les rigueurs ont pris une direc
tion unique, contre un seul intérêt, à savoir : celui du
vendeur. Ainsi il ne pourra pas exiger le paiement d’un
prix autre que celui porté au traité public; de quelque
nature que soient les titres souscrits pour le supplé
ment, la preuve de leur véritable caractère les fera an
nuler. Enfin tout ce qu’il aura reçu à ce titre pourra
être répété ou devra être imputé sur le prix apparent.
Tout cela, cependant, n’a pas découragé les ven
deurs, et, ce qui le prouve , c’est la fréquence des es
pèces soumises aux tribunaux. Il ne pouvait pas en être
autrement. L’intérêt qu’ils peuvent avoir à la fraude
que nous indiquons compense les chances que sa réali
sation leur fait courir , alors surtout qu’en exigeant le
supplément en argent comptant, et en ayant soin de
n’en laisser aucune trace, ils peuvent se flatter d’en ren
dre la preuve impossible.
�ET DE LA FRAUDE.
495
Mais rien, dans cette jurisprudence, n’est dans le cas
de faire reculer l’acheteur, tout, au contraire, l’engage
à souscrire le traité secret qui lui est proposé. Quel ris
que court-il? Ses promesses! Il sera libre de ne pas les
executer. Les titres qu’il lui faudra souscrire, les som
mes qu’il payera ! Il fera annuler les uns, il obtiendra
la restitution des autres. Pourquoi donc refuserait - il
de souscrire un traité secret livrant l’autre partie à son
entière discrétion?
Du jour où ce même acheteur se trouvera placé sous
le coup de l’action des créanciers, la responsabilité in
définie qu’il sera dans le cas d’encourir, le danger qu’il
courra sera de nature à lui inspirer de justes scrupu
les sur l’acte qu’on lui proposera d’accomplir, et à le re
tenir dans les litimes du devoir légal que le législateur
entend lui imposer; de ce jour-là aussi, les traités se
crets seront plus difficiles à obtenir, surtout de la part
de ceux dont la solvabilité évidente, offrant une prise
certaine à l’action des créanciers, leur fera une loi de ne
pas s’exposer à leurs poursuites.
Notre doctrine, on le voit, peut devenir un utile re
mède contre l’abus qu’il faut extirper. C’est le second
terme de la proposition, dont le premier seul a été jus
qu’à présent l’objet de la sollicitude des tribunaux. Dé
courager le vendeur, c’est bien ; mais décourager le ven
deur et l’acheteur, est mieux encore. On doit donc la
consacrer sans hésitation, alors surtout que son carac
tère juridique et légal ne saurait être contesté, ainsi que
nons venons de l’établir.
�496
TRAITÉ DU DOU
1799. — Les créanciers peuvent donc, lorsque la
dissimulation du prix réel a un but frauduleux à leur
endroit, poursuivre , non la révocation de la vente de
l’office, mais la réparation pécuniaire du préjudice qui
leur est occasionné. Ils le peuvent contre leur débiteur,
comme auteur de la fraude ; contre l’acheteur , comme
complice. Cette allocation pécuniaire doit être demandée
et prononcée comme dommages-intérêts, indépendam
ment de l’exécution du traité secret, qui ne peut être
ordonnée, même à ce titre. Les sommes qui y sont por
tées peuvent bien devenir un élément d’appréciation des
dommages-intérêts, mais le juge n’est pas tenu d’en
adopter la quotité. Il peut la réduire si sa conscience
lui en fait un devoir, ou l’augmenter dans le cas con
traire. On sait qu’en matière de fraude, la seule règle à
suivre pour la réparation est l’importance du préjudice
auquel l’auteur ou le complice est tenu, velit, nolit.
1 8 0 0 . — La preuve de la complicité de l’acheteur,
que les créanciers doivent rapporter, peut être fournie
par témoins. Elle peut résulter de présomptions, no
tamment de la certitude que l’acheteur avait de la dé
confiture de celui avec qui il traite. Consentir, dans ce
cas, à déguiser une partie du prix et la faire ainsi ar
river aux mains du débiteur, c’est évidemment la sous
traire aux créanciers, c’est dès lors favoriser une fraude
manifeste et en assumer la responsabilité.
1805. —• Quelle que soit la cause de la dissimula-
�497
ET DE LA FRAUDE.
tion du prix, l’acheteur sera tenu personnellement si,
l’ayant encore en totalité en son pouvoir, il n’avait dé
claré que le prix apparent sur la saisie-arrêt poursuivie
avant tout paiement. La loi veut que le tiers saisi, dans
la déclaration et affirmation qu’elle prescrit, énonce le
montant de ce qu’il doit, indique les paiements partiels
qu’il a pu faire et fournisse les pièces justificatives. La
fausseté de la déclaration rendant le tiers-saisi débiteur
personnel, l’acheteur, dont la déclaration serait prouvée
incomplète, serait donc considéré comme te l, par ap
plication de l’art. 577 du Code de procédure civile.
Vainement le tiers-saisi prétendrait-il que, n’étant ni
naturellement ni civilement tenu au paiement du sup
plément du prix, il n’a pas dû en déclarer l’existence
en ses mains. Cette objection décisive contre le ven
deur, partie au traité secret, ne saurait avoir aucune
force contre ses créanciers. La connaissance de ce traité
ouvre à ces derniers le droit de soutenir qu’il constitue
une fraude concertée contre leurs intérêts, et en consé
quence la faculté de demander la juste réparation contre
l’acheteur lui-même. Dès lors l’existence du traité doit
leur être signalée, sauf au tiers déclarant de faire en
même temps connaître sa volonté d’user du bénéfice de
la loi, et de se soustraire au paiement du supplément.
Cette dernière indication mettra les créanciers à mê
me d’examiner s’ils peuvent agir en vertu de l’art. 1167
et poursuivre la répression de la fraude qui leur paraî
trait exister. S’ils ne peuvent prouver cette fraude, la dé
claration du tiers-saisi est obligatoire pour eux. Ils ne
iv
32
�498
TRAITÉ DU DOL
peuvent le contraindre à payer le supplément, sauf le
cas où malgré cette déclaration l’acheteur aurait réelle
ment et ultérieurement soldé le supplément entre les
mains de son vendeur.
1 8 0 2 . — On sait que la cession d’un office ne de
vient définitive que par l’approbation du gouvernement.
De là cette conséquence forcée que le prix n’est dû réel
lement qu’à partir de l’entrée en fonctions du titulaire,
en force de cette approbation. De là la difficulté de sa
voir si, avant la décision du gouvernement, ce prix était
saisissable entre les mains de l’acheteur.
1803. — Cette question a été incidemment tran
chée, lorsqu’il s’est agi de décider si la cession du prix
faite par le vendeur, au moment ou depuis le traité,
mais avant son approbation, était ou non valable con
tre les créanciers. Quelques Cours, partant de ce prin
cipe que jusqu’à approbation le prix est incessible et in
saisissable, proclamaient la nullité de la cession. Tant
que le traité, disaient-on n’a pas été régulièrement ap
prouvé, il n’existe entre les parties qu’un projet ne con
férant aucun droit susceptible d’être cédé. On ne doit
pas même assimiler le vendeur à un créancier condition
nel, pouvant user de son droit, même avant la réalisa
tion de la condition. Il y aurait, ajoutait la Cour de
Paris, les plus graves inconvénients à permettre au titu
laire de faire disparaître à l’avance une valeur impor
tante pouvant être le seul gage de ses créanciers, alors
�ET DE LA FRAUDE.
499
que ceux-ci n’ont aucun moyen de connaître l’état des
choses. De pareilles cessions doivent donc être prohibées
dans un intérêt public, même alors qu’aucun soupçon
de fraude ne s’élève à l’égard du cessionnaire. Cet ar
rêt, rendu le 23 décembre 1843, avait été précédé d’un
arrêt d’Angers, du 12 août 1840, jugeant dans le même
sens.1
1804.
— Mais la Cour d’Aix a pris l’initiative dans
la consécration de l’opinion contraire, en décidant que
l’acheteur d’un office pouvait valablement payer entre
les mains du vendeur, tout ou partie du prix, même
avant l’ordonnance de nomination. D’où résulte néces
sairement pour les créanciers la faculté de saisir à toute
époque ce même prix.
Cet arrêt, fortement approuvé par M. Dalloz, qui le
signale comme devant entraîner l’abandon de la doc
trine opposée , fondée contrairement à notre droit sur
la présomption de fraude, distingue fort juridiquement
ce qui, dans la transmission d’un office, est d’ordre pu
blic, d’avec ce qui se rapporte exclusivement à l’intérêt
privé. Cette distinction, la Cour l’a prise dans la loi de
1816 elle-même qui, conférant la faculté de présenter
son successeur, attribue par cela même au titulaire celle
de traiter avec celui qui sera l’objet de cette désignation ;
elle conclut, de la combinaison de l’art. 91 de cette loi
avec les principes généraux du droit, seuls applicables
�soo
TRAITÉ DU DOL
tant qu’une loi spéciale n ’aura pas été rendue, que la
convention, intervenue entre le titulaire et son succes
seur désigné, constitue une obligation soumise à une
condition suspensive ; que cette convention devient par
faite par l’accomplissement de la condition et forme dès
ce moment la loi des parties, qu’il n ’est donné à per
sonne d’annuler, si ce n’est pour les causes que la loi
autorise.'
Cette doctrine, qui nous parait irréprochable en droit,
tranche nettement la question relativement à la validité
de la cession. Si le titulaire de l’office peut régulière
ment toucher lui-même le prix, il peut évidemment le
céder, et le transport n’est subordonné, comme le droit
lui-même, qu’à la condition de l’approbation du traité
par le gouvernement. Celle-ci se réalisant, ses effets re
montent de plein droit au jour du traité et rendent le
transfert inattaquable, aux termes de l’art, i l 79.
Le prix est donc cessible avant l’approbation du gou
vernement. Ce qui résulte forcément de ce caractère,
c’est que les créanciers sont placés à son endroit dans
la position qu’ils ont à l’égard de toutes les ressources
de leur débiteur. Ils peuvent donc prendre à ce sujet
toutes mesures conservatoires et notamment saisir-arrêter entre les mains du successeur les sommes qu’il
a à payer, ils le peuvent dès le jour du traité de trans
mission.
Cette conséquence incontestable en droit atténue sin8 janvier 4841 ; — D. P., 44, 2, 203.
�ET DE LA FRAUDE.
501
gulièrèment en fait l’inconvénient que nous signalait
tout à l’heure l’arrêt de Paris. Les créanciers peuvent
empêcher, par un obstacle invincible, la disparition de
celte partie plus ou moins importante de l’actif de leur
débiteur. Us sont donc coupables de négligence, s’ils
omettent cette précaution dont la Cour de Paris consa
crait les effet, tout en contestant le droit. Ainsi que l’ob
serve très justement M. Dalloz, l’arrêt qui se déclare pour
l’insaisissabilité valide cependant une saisie-arrêt d’une
date antérieure à l’autorisation du gouvernement.
Il est vrai que la faculté de saisir pourra dans cer
tains cas être impuissante, la transmission de l’office
n’étant pas toujours immédiatement connue, et la ces
sion du prix pouvant se réaliser le jour même de cette
transmission et quelques heures après seulement. Mais
c’est là un inconvénient qui se réalise pour tous les autres
biens meubles du débiteur, même pour ses immeubles,
dont il peut déléguer le prix dans l’acte d’aliénation, ou
le céder sans que les créanciers chirographaires puissent
contester l’une ou l’autre.
Contre ce danger, la loi n’avait à faire, pour le prix
de l’office, que ce qu’elle a fait pour les autres biens, à
savoir : veiller à ce que la cession ne soit pas en fraude
des droits des créanciers. Ce devoir, elle l’a rempli»
nous venons de le dire. L’application de l’art. 1167 à
la matière ne peut pas être contestée. La preuve de la
fraude, que les créanciers sont recevables à faire par té
moins et par présomptions, entraînerait la nullité de la
cession en ce qui les concerne. Nous rappelons que, s’a-
�502
TRAITÉ DU DOL
gissant d’un acte onéreux, cette preuve devrait établir la
complicité du cessionnaire dans la fraude du cédant.
1805.
— Le motif invoqué par la Cour de Paris
n’avait donc rien de juridique, et son arrêt, en ne te
nant pas compte de la distinction signalée par la Cour
d’Aix, méconnaissait les principes généraux du droit et
violait l’art. 1179. C’est ce qui en détermina la cassa
tion, par arrêt du 15 janvier 1845. Cet arrêt, rendu
sur les conclusions conformes de M. l’avocat général
Delangle, et après un délibéré en chambre de conseil,
donne l’adhésion la plus complète à l’arrêt de la Cour
d’Àix , que la Cour suprême avait d’ailleurs formelle
ment consacré, par arrêt du 8 novembre 1842.'
Ainsi, les créanciers du titulaire d’un office ne peu
vent quereller, dans le cas de transmission, ni la ces
sion de tout ou de partie du prix, ni le paiement total
ou partiel, par la raison que l’une ou l’autre s’est réali
sé avant l’approbation du gouvernement. Du jour du
traité, le prix devient le patrimoine exclusif du vendeur,
qui peut en disposer à ses plaisirs et volonté, comme
de toute autre propriété. Mais, de ce jour au ssi, les
créanciers ont la faculté de mettre le prix sous la main
de la justice et d’en empêcher la disposition, en le frap
pant de saisie-arrêt entre les mains du successeur. Le
sort de cette saisie, comme celui de la cession ou du
paiement, est nécessairement subordonné à l’ordon1 D P. 42, 1, 412 ; 45,1 93 ; —
C o n f .,
Paris, 11 janvier 1851 ;
�ET DE^flA FRAUDE.
503
nance de nomination. Cette condition se réalisant, tout
ce qui a été fait est définitif et irrévocable , à partir de
la date des actes à laquelle rétroagit l’accomplissement
de la condition. Dès lors, les créanciers, qui n’ont agi
que postérieurement au paiement ou à la notification de
la cession au débiteur cédé, sont irrecevables à contester
l’efficacité de l’une ou de l’autre.
1806.
— Dans l’espèce jugée p arla Courd’Àix, in
dépendamment de la question de validité des paiements
antérieurs à l’approbation du traité par le gouverne
ment, s’élevait celle de savoir si les quittances sous seingprivé n’ayant acquis aucune date certaine, représentées
comme justifiant le paiement, pouvaient être opposées
aux créanciers? Contrairement aux prétentions de ceuxci , l’arrêt décide qu’ils ne sont que les ayants-cause
de leur débiteur, et qu’en conséquence les quittances
ont, par rapport à eux, la même force probante qu’el
les auraient contre le débiteur lui-même. Le caractère
juridique de cette décision n’échappera à personne.
Il est évident que les créanciers ne peuvent être distin
gués du débiteur que lorsque, agissant en force de l’ar
ticle 1167, ils exercent une action personnelle. Lorsque
la fraude n’est pas même alléguée, ou lorsque son exis
tence prétendue a été repoussée, les créanciers ne sont
plus que le débiteur lui-même, dont ils exercent les ac
tions aux termes de l’art. 1166, dès lors aussi, la con
séquence qu’en tirait ta Cour d’Aix devenait une vérité
incontestable.
�504
TRAITÉ DU DOL
C’est ce que la Cour de cassation consacrait, lors
qu’elle motivait le rejet du pourvoi sur ce que : « Les
» demandeurs en cassation n’ayant fait autre chose, par
» leurs oppositions ou saisies-arrêts, qu’exercer les
» droits de leur débiteur, ils se trouvaient nécessaire» rement soumis aux charges et obligations de celui-ci,
» et ne pouvaient réclamer que ce qu’il aurait pu récla» mer lui-même; que dès lors ils étaient tenus de re» connaître la validité des paiements faits entre les
» mains du vendeur, avant toute opposition régulière
» et sans fraude,, ainsi que l’a reconnu l’arrêt attaqué. »
CHAPITRE IV.
F IN S
D E N ON -RECEV O IR. C O N T R E L ’A C TIO N .
S O MMA I R E .
1807.
1808.
Quelles sont les fins de non-recevoir contre l’action fondée
sur la fraude?
Quid, pour la fraude déguisant la nature du contrat?
�ET DE LA FRAUDE.
505
1809. — En matière de fraude à une loi d’intérêt privé ?
1810. L ’erreur de droit doit-elle faire écarter la règle nemo auditur lurpitudinem suam allegans ?
1811. Première conséquence du caractère des lois d’ordre public
et d’intérêt général. Faculté pour la partie de deman
der la nullité de ce qui a été fait contre leurs dispo
sitions.
1812. Deuxième conséquence. Impossibilité de ratification. Quid,
de la chose jugée ?
1813. Troisième conséquence. Imprescriptibilité tant que l'acte
n'a pas reçu son exécution. Nature de cette impres
criptibilité.
1814. L’exécution de l ’acte fait courir la prescription contre l ’ac
tion en nullité.
1815. Point de départ, durée de la prescription.
1816. Spécialité de la fraude contre les tiers. Ses conséquences,
quant à la chose jugée contre le débiteur.
1817. Position exceptionnelle des créanciers hypothécaires ou
privilégiés. Etendue de leur droit,
1818. Résumé.
1819. Exception tirée de la ratification soit du débiteur, soit du
créancier poursuivant. Ses effets.
1820. L'action de l'art. 1167 est prescriptible. Ses effets.
1821. Cette prescription est-elle régie par l ’art. 1304 ?
1822. De quel jour commence-t-elle à courir ?
1823. Fin de non-recevoir tirée de la solvabilité du débiteur. Ses
effets en la forme.
1824. Son importance sur le fonds du litige.
1825. Effets du paiement du créancier poursuivant, offert et
réalisé par le tiers-défendeur.
1 8 0 7 . — Les fins de non-recevoir, susceptibles de
faire écarter l’action en nullité ou en dommages-inté-
�506
TRAITÉ DU DOU
rêts pour fraude, sont, comme pour le dol : la chose ju
gée, la ratification, la prescription.
Les détails dans lesquels nous sommes entrés à cet
égard nous dispensent d’insister. Les règles tracées pour
le dol, recevant, en matière de fraude, leur pleine et
entière application , c’est exclusivement par leur in
fluence que doivent se résoudre les difficultés que le re
proche de fraude peut faire surgir.'
Cela est surtout vrai pour la fraude de persona ad
personam, c’est-à-dire celle qui, exécutée par une des
parties à l’insu et au préjudice de l’autre, est assimilée
au dol, en produit tous les effets, et doit, dès lors, en
entraîner toutes les conséquences.
4 8 0 8 . — Il n’en est pas de même pour la simula
tion. Les règles qui lui sont applicables varient selon
qu’il s’agit d’une simulation relative ou absolue, et, à
l’endroit de cette dernière, selon que la loi violée est
d’intérêt personnel et privé, ou d’ordre public et gé
néral.
La fraude, consistant à déguiser la véritable nature
du contrat sous l’apparence donnée à la convention, ne
donne, en général, ouverture à aucune action en faveur
des parties, à moins, cependant, que le contrat réelle
ment souscrit ne fût prohibé pour contravention à une
loi d’ordre public. Quelles que soient les formes sous
lesquelles les parties aient contracté, il suffit qu’elles
eussent la faculté et le droit de faire ce qu’elles ont réel
lement voulu accomplir, pour que l’acte demeure inat1 V. supra, tom. i, chap. îv.
�ET DE LA FRAUDE.
507
taquable. A quoi bon, dès lors, une action pour prouver
une simulation. Celle-ci admise, la convention n’en
produirait pas moins tous ses effets.
Dans cette occurence, la fin de non-recevoir, opposa
ble à l’action de la partie, est indépendante de la chose
jugée, de la ratification ou de la prescription ; elle prend
sa source dans cette règle de raison et de droit : Frus
tra probatur, quod probatum non relevât.
1809. — Dans la fraude à une loi d’intérêt privé,
on arrive à un résultat identique, quoique les motifs
soient différents. Les lois de cette nature sont des avan
tages conférés à ceux qu’elles ont pour objet de proté
ger. Or, sous un premier rapport, il est certain que
chacun peut, renoncer à un bénéfice personnel, pourvu
qu’il l’ait fait spontanément et sciemment.
D’autre part, la loi ne confère une action utile qu’à
celui qui est trompé ; elle n’en donne aucune à celui qui
se trompe lui-même, et moins encore à celui qui a
voulu se tromper et être trompé. Or, telle est la position
de celui qui s’oblige à faire ce que la loi défend. Il
ne pourrait revenir sur ses pas qu’en confessant sa faute,
qu’en s’accusant d’avoir voulu violer la loi. On serait
donc fondé à lui opposer la fin de non-recevoir tirée
de cette autre maxime : Nemo auditur, etc. La loi ne
doit absolument rien à celui qui l’a sciemment mécon
nue et violée.
1810. — Mais si celui à qui cette fin de non-rece-
�508
TRAITÉ DU DOL
voir est opposée justifie qu’il n ’a agi que par l'igno
rance la plus complète de la loi qu’on invoque, faudrat-il accueillir l’action? En d’autres termes, l’erreur du
droit peut-elle devenir un moyen de nullité du contrat?
Cette question a été longtemps controversée. L’argu
ment principal des partisans de la négative se puisait
dans la maxime que m l n'est censé ignorer la loi. Ar
guer de cette ignorance, c’est faire valoir une excuse
qu’il n’est pas même permis d’invoquer sans contreve
nir à une prescription dont l’importance sociale ne sau
rait être méconnue.
Oui, la règle invoquée est salutaire et juste, mais à
l’endroit de ce qui concerne la loi pénale, la police gé
nérale, l’intérêt public. Toute repression serait impossi
ble si le crime, si le délit, si la contravention pouvait se
réfugier derrière le prétexte d’une erreur. La sécurité,
l’ordre, la morale exigeaient le contraire, sous peine de
voir le lien social se relâcher et disparaître.
Dans ce sens, la maxime citée était d’une nécessité
tellement impérieuse, qu’on a dû fermer les yeux sur la
hardiesse de la fiction qui lui sert de base ; mais aussi
elle n’a, dans ses résultats, que cette seule signification,
à savoir : repousser les efforts de ceux q u i, alléguant
une erreur de droit, voudraient se soustraire à l’action
de la loi,
Or, dit M. Bressoles,’ celui qui, excipant d’une erreur
de droit, demande d’être relevé d’un engagement qu’il
i
Revue de législation,
to m .x v m , p ag . 175.
�ET DE LA FRAUDE.
509
n’a souscrit que parce qu’il ignorait que la loi lui dé
fendait de le faire, ne cherche pas à se soustraire à l’ac
tion de la loi; il veut bien plutôt s’y conformer, en fai
sant annuler une convention qu’elle prohibe expressé
ment.
La plus saine raison commandait donc de distinguer
entre les matières civiles et les matières correctionnelles,
criminelles ou de police. L’intérêt public, engagé dans
celles-ci, demeure étranger aux premières. Pour ce qui
les concerne, la fin de non-recevoir n ’est que la consé
quence d’un acte volontairement accompli, et elle doit
être accueillie pour empêcher qu’on ne puisse contreve
nir à la loi et puiser dans sa violation un titre à en
éluder les conséquences. Mais si cette volonté n ’a pas
existé en fait ; si celui qui se plaint n ’a failli que par
ignorance et erreur, la présomption doit s’effacer, et la
vérité, acquise et prouvée, reprendre son empire.
C’est ce qui a prévalu en doctrine et en jurispruden
ce. Avec juste raison, on a écarté non seulement l’em
pire de la règle : Nul n'est censé ignorer la loi, mais
encore l’objection fondée sur le silence que le législateur
aurait gardé à l’endroit de l’erreur de droit.
Il est vrai que celle-ci n ’a pas été nommément indi
quée parmi les causes viciant les conventions, mais l'ar
ticle 1109 pose, comme principe général, que l’erreur
donne ouverture à l’action en nullité ou en rescision.
La généralité de ces termes est loin d’exclure l’erreur
de droit, qui est, comme celle de fait, une erreur véri-
�510
TRAITÉ DU DOL
table dont les conséquences sont de nature à produire
des effets également funestes, également injustes.
On pourrait donc dire que, par cela seul que l’arti
cle 1109 ne spécialise pas l’erreur de fait, il faut en
conclure qu’il n’a pas entendu proscrire l’erreur de
droit. Cette conséquence implicite est, d’ailleurs, con
forme à la raison. Dès l’instant qu’il est admis que l’er
reur seule a été la cause déterminante du contrat, on
ne voit pas pourquoi la loi aurait disposé d’une manière
différente, suivant qu’elle se serait produite sur le fait
ou sur le droit. N’est-il pas évident, au contraire, que,
dans les deux cas, c’est le consentement qui est altéré
et qu’il l’est au même titre?
Mais on n’en est pas même réduit à cette déduction
implicite. La loi a manifesté sa pensée dans les arti
cles 1356 et 2!052!, seules dispositions dans lesquelles il
soit question de l’erreur de droit. Le premier défend
de rétracter l’aveu judiciaire, et le second, d’attaquer
les transactions, sous ce prétexte. Mais si l’erreur de
droit n’était jamais opposable, à quoi bon se préoccuper
d’elle à propos de l’aveu judiciaire et des transactions ?
Est-ce qu’il devait entrer dans la pensée de qui que ce
soit de vouloir la proposer dans ces hypothèses? Consé
quemment, si la loi la proscrit pour celles-ci, c’est qu’elle
reconnaît qu’en droit commun elle est proposable ; c’est
qu’elle aurait pu être opposée même en matière d’aveu
et de transactions, si la volonté contraire n ’avait pas été
expressément écrite dans les art. 1356 et 2052.
Ainsi, l’art. 1109 s’applique à l’erreur de droit com-
�ET DE LA FRAUDE.
511
me à l’erreur de fait. C’est là, au reste, un principe que
notre législateur puisait dans le droit romain : Juris
ignorantia, disait la loi, non prodest adquirere volentibus, suum vero petentibus non nocet.'
En droit donc, la nécessité de résoudre affirmative
ment la question nous paraît démontrée. En fait, cette
solution est loin d’offrir les inconvénients et les dangers
qu’on s’est plu à lui prêter. Sans doute, rien ne sera
plus facile que d’alléguer une erreur de droit; m ais,
contrairement à ce qu’on redoute, il ne suffira pas de
se livrer à cette allégation pour qu’on doive être admis
à la preuve demandée; il faudra, de plus, que l’erreur
soit vraisemblable, qu’elle ne soit pas, dès à présent,
démentie par les faits et les circonstances du procès.
L’appréciation du tout est abandonnée aux lumières
des tribunaux, dont la prudence garantit une sage et
juste application du pouvoir qui leur est déféré. Ce qu’il
importe d’ajouter, c’est que la preuve offerte doit avoir
pour résultat d’établir que l’erreur a été la seule cause
déterminante du contrat. Quelque probable, quelque
vraisemblable qu’elle fût, l’erreur du droit n’est plus une
cause de nullité dès que la convention pourrait avoir
pour motif une obligation naturelle ou imparfaite que
le débiteur aurait voulu accomplir.3
1 L. 7, Dig. de Jur. et fact. ignor.
V. Domat, Lois civ., tom. 1®r, tit. <18, sect.
§§ 7, 14 et 16; —
Pothier, Pand. Just., 1. 22, tit 6. n° 2; — D’Aguesseau, tom. v, pag.
463; — Toullier, vi. nos 139 et suiv. ; — Duranton, x, n° 127; —
Merlin, v‘3 ignorance, erreur, § 1 ; — Zacchariæ, i, S 28, et n, § 343.
note 10.
2 Toullier, vi, n° 68.
�51 §
TRAITÉ DU DOL
1 8 1 1 . — Les lois d’ordre public et d’intérêt général
sont impérieusement obligatoires pour tous. La fraude,
ayant pour objet de les éluder ou violer, est donc essen
tiellement illicite. La volonté formelle du législateur pro
teste, sans cesse, contre les actes qui s’en écartent, et
empêche qu’ils puissent jamais acquérir le vinculum
juris, sans lequel, cependant, les contrats ne sauraient
être exécutés. Nous avons dit déjà que la conséquence
directe de ce principe est que l’acte, fait en fraude
d’une loi d’ordre public, est atteint d’une nullité radi
cale, absolue, que la partie elle-même est admissible à
faire prononcer.
1 8 12. — Une autre conséquence de la même règle
est que l’acte nul n’est susceptible d’aucune ratification.
Celle dont exciperait le défendeur à la nullité, fût-elle
expresse, ne saurait être accueillie et fonder une fin de
non-recevoir contre la demande. En effet, l’acte radica
lement nul n ’a jamais eu d’existence légale, et on ne
peut ratifier ce qui n ’existe pas, ce qui n’a jamais exis
té. Comment, d’ailleurs, admettre qu’on puisse confir
mer ce qu’on n ’a pas eu le pouvoir de faire? La ratifi
cation deviendrait donc elle-même une fraude à une loi
d’ordre public, et, frappée du même vice que l’acte pri
mordial, elle devrait périr comme cet acte lui-même.
Mais, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’impossi
bilité de ratifier reçoit exception, à savoir : lorsque la
nullité d’ordre public se fonde sur un motif essentiel
lement temporaire; ce motif, cessant d’exister, la con-
�513
ET DE LA. FRAUDE.
vention, jusque là prohibée, devient illicite, et la faculté
de la consentir d’une manière directe comporte, évidem
ment, celle d’atteindre indirectement au même résultat.
D’ailleurs, en pareille occurrence , le contrat n’ayant
d’existence obligatoire que du jour de la ratification,
celle-ci est moins la confirmation de ce qui avait été
fait précédemment, que le seul et véritable contrat. C’est
ainsi que la renonciation à une succession future peut
être valablement ratifiée après l’ouverture de la suc
cession.'
Quel que fût le vice réel de l’acte, la chose jugée en
faveur du créancier en rendrait l’exécution inévitable et
forcée, alors même qu’au fond ce vice prit son origine
dans une prohibition d’ordre public ou d’intérêt géné
ral. L’erreur du juge, l’appréciation inexacte du fait, la
fausse application de la loi qu’il aurait faite ne laisse
raient pas que de lier la partie. La seule ressource à
employer par le condamné serait l’appel dans le pre
mier cas, le pourvoi en cassation dans le second , s’il
était encore dans les délais de l’un ou de l’autre.
1813.
— La troisième conséquence du principe que
nous avons ci-dessus rappelé est de rendre l’action fon
dée sur une fraude à une loi d’ordre public imprescrip
tible. On ne peut acquérir le droit de violer la loi par
la raison qu’on l’aurait violée plus ou moins longtemps.
Mais l’imprescriptibilité dont nous nous occupons se
i V. supra, n°» 1365, 1366.
IV
33
�514
TRAITÉ DU DOL
restreint naturellement à l’action ayant pour objet de
contraindre à l’exéeution du contrat. Quelque longue
qu’ait été l’inaction du créancier, son silence se fùt-il
prolongé au-delà de trente ans depuis l’acte, dès qu’il
voudra s’en prévaloir et le faire exécuter, le droit d’exciper de la fraude dont il est entaché ne saurait être con
testé au débiteur.
Ce résultat est acquis à ce dernier en force de la
maxime quœ temporalia sunt ad agendum, sunt perpé
tua ad excipiendum. Aussi sommes-nous loin de res
treindre notre doctrine au cas où il agit par voie d’ex
ception. Nous les appliquons, sans hésiter, à l’action
principale qu’il intenterait contre le créancier en nullité
de l’acte. On ne pourrait, en effet, repousser cette ac
tion comme prescrite, sans accorder à l’acte une auto
rité que la loi lui refuse dans tous les cas. Vainement
le créancier exciperait-il de son inaction ; cette inaction
n’a pu lui faire acquérir un droit quelconque, pas mê
me celui de conserver un contrat qu’il reconnaîtrait n’être
entre en ses mains qu’une menace Yaine, et que, comme
tel, le débiteur a intérêt à faire anéantir.
1814.
— Mais l’exécution pleine et entière que
l’acte aurait reçue change la position des parties et doit,
par cela m êm e, modifier le droit. Il est incontestable
que ce qui a été exécuté contre une loi d’ordre public
doit être rétracté sur la demande du débiteur. On ne
pouvait décider le contraire sans s’exposer à consacrer
une illégalité. L’exécution n’étant que le fait des par-
�ET DE LA FRAUDE.
515
ties, on ne comprendrait pas que celui qui est incapa
ble de consentir la violation de la loi pût, en définitive,
la consacrer et la rendre irrévocable.
Ainsi, le débiteur peut répéter ce qu’il a payé en
vertu d’un acte condamné par la loi ; mais l’action lui
appartenant ne pouvait pas être éternelle. Tant que
l’acte n’a reçu aucune exception, rien ne lui fait un de
voir d’agir. Il peut donc, s’en reposant d’ailleurs sur
l’exception qui lui appartiendra dès qu’il sera attaqué,
s’imposer une inaction qui ne peut, dans aucun cas, lui
devenir nuisible.
Mais l’exécution de l’acte fait cesser cet état des cho
ses. Elle ne peut, en effet, se réaliser sans devenir, de
la part du débiteur, une occasion de sacrifices, sans lui
imposer une privation, un abandon quelconque de son
patrimoine. II est donc, dès lors, en mesure e t , par
conséquent, en demeure, en tant qu’il prétend user du
bénéfice que la loi lui confère, de revenir sur ce qu’il a
accompli. Or, la prescription exige qu’il y ait un droit
compromis, que le propriétaire ait qualité pour le de
mander , qu’il y soit recevable. Tout cela existe après
l’exécution. Ce qui était avant une simple faculté de
vient, après, une obligation. Le silence insignifiant dans
le premier cas, devient, dans le second, un indice de re
nonciation. Il fallait donc fixer un moment où cette re
nonciation serait de plein droit présumée, et où le bé
néfice de l’exécution serait irrévocablement acquis.
Cette nécessité légale était, de plus, indiquée par la
raison et l’équité ; elle s’élevait jusqu’à la hauteur d’une
�51 6
'4 K-’",,'
TRAITÉ DU DOL
< ; ;*( r« : >,
'
«
règle d’intérêt général. Tout le monde, en effet, doit te*
nir et tient à ce que la propriété ne soit pas trop long
temps indécise et flottante. Permettre à celui qui a exécuté une obligation radicalement nulle de revenir per■
pétuellement contre cette exécution, c’était méconnaître
ce besoin que* d’ailleurs, la loi a, dans tous les cas,
consacré.
181 S. — L’action est donc prescriptible. Aucun
doute ne peut s’élever sur ce principe. Les difficultés qui
peuvent en surgir ne peuvent être que des difficultés
d’application. Par exemple, quel sera le point de départ
et la durée de la prescription ?
Le point de départ ne saurait être fixé qu’au mo
ment où l’exécution a été complète et entière. Nous n’a
vons pas à insister sur ce point. Nous l’avons justifié déjà
en parlant de l’usure,1 et ce que nous avons dit de cel
le-ci nous l’appliquons, par parité de raison, à tous les
contrats faits contrairement à une loi d’ordre public.
Un pareil contrat ne renfermant aucun lien obliga
toire, ne crée ni obligation civile, ni obligation natu
relle. En conséquence, ce qui a été payé en vertu de
ses dispositions, l’a été en absence de tout droit d’une
part, de toute obligation de l’autre. La restitution qui
en est demandée constitue donc la répétition de l’indu
et, comme telle, cette action dure trente ans.
Sans doute ses effets, contre celui qui a indûment
�ET DE LA FRAUDE.
517
reçu personnellement, sont dans le cas de réfléchir con
tre les tiers-possesseurs, ce qui pourrait susciter contre
notre doctrine le reproche d’être trop sévère à leur égard.
Mais ce reproche ne serait pas fondé, car si les tierspossesseurs sont de bonne foi et s’ils ont possédé pen
dant les délais et dans les conditions exigés par l’arti
cle 2265, ils se placeront sous l’égide de la prescrip
tion spéciale de cette disposition, et n’auront rien à re
douter des recherches dont leur auteur sera justement
l’objet. Si, au contraire, ils n’ont ni titré juste, ni bonne
foi, leur dépossession n’est que la conséquence du vice
qui leur est personnellement imputable, et contre lequel
la loi ne pouvait ni ne devait les protéger.
1816.
— La fraude contre les tiers se plaçant dans
une catégorie spéciale, les principes ordinaires à l’en
droit des fins de non-recevoir font place à des règles
particulières qu’il importe de résumer.
En fait, les créanciers demeurent étrangers au juge
ment obtenu contre leur débiteur, cependant ce juge
ment peut leur être opposé. Cela tient à ce principe que
les créanciers ne sont que les ayants-cause, de leur dé
biteur; qu’ils sont conséquemment suffisamment repré
sentés par lui dans tous les actes ayant pour objet l’ad
ministration de sa fortune.
Les créanciers ne peuvent donc faire considérer le
jugement obtenu ^contre leur débiteur comme res inter
alios acta, par rapport à eux. Il ne peuvent même y
former tierce-opposition, car ce droit n ’appartient qu’à
�518
TRAITÉ DU DOL
ceux qui n’ont pas été parties au procès et qui, devant
l’être , n’y ont pas été appelés. Or, les créanciers n’ont
jamais dû être mis en cause dans les litiges de leur dé
biteur, puisqu’ils y sont censés présents en la personne
de celui-ci.
Un pareil état de choses devait appeler l’attention du
législateur. Il met en effet les créanciers dans une posi
tion extrêmement critique, et les expose à être dépouil
lés, à leur insu et par fraude, de tous moyens d’obtenir
paiement de ce qui leur est dû.
Au premier indice d’une déconfiture prochaine, le
débiteur, qui voudra soustraire son actif aux poursuites
des ayants-droit, n ’aura pas de peine à s’entendre avec
un tiers qui, en vertu de jugements en apparence dis
cutés, en réalité consentis, deviendra le dépositaire de
cet actif, dans le dessein de le lui conserver. Cela fait,
la déconfiture sera rendue notoire, et les créanciers se
trouveront en présence d’une insolvabilité ne leur lais
sant aucune ressource.
Une telle éventualité ne pouvait échapper aux regards,
elle exigeait des précautions, et ces précautions nous les
rencontrons dans le principe général de l’art. 1167.
Les créanciers, en invoquant le bénéfice, ne sont plus
les ayants-cause du débiteur. Le droit qu’ils exercent
leur est personnel, et les met en conséquence en dehors
des atteintes de tout ce que le débiteur a pu faire en
sens contraire.
Ainsi les créanciers prétendant, en vertu de l’arti
cle 1166, exercer les actions de leur débiteur, ne peu-
�ET DE LA FRAUDE.
519
vent récuser l’autorité des jugements prononcés contre
lui. L’exception de chose jugée, opposable à celui-ci, les
écarterait évidemment sans qu’ils pussent être admis
à former une tierce-opposition, ils ne sont que les ayantscause du débiteur.
Mais l’allégation de la fraude détermine un résultat
tout opposé. Toutefois, l’action autorisée par l’art. 1167
ne va pas jusqu’à faire considérer le jugement comme
une chose étrangère au poursuivant. Le jugement ne
sera annulé que si la fraude prétendue est justifiée. La
loi autorise donc, dans ce cas, la tierce-opposition comme
moyen de rouvrir les débats et de donner à la preuve de
la fraude l’occasion de se produire.
1817.
— Néanmoins, la règle absolue, qui rend le
créancier Payant-cause du débiteur, reçoit une excep
tion. Nous avons déjà parlé de cette exception, lorsque
nous avons établi que l’héritier lui-même cesse de l’être
à l’endroit de la succession et relativement à son auteur,
pour les droits qui lui sont personnels.'
La même décision doit être prise relativement aux
créanciers privilégiés ou hypothécaires. En thèse géné
rale, les uns et les autres sont représentés par leur dé
biteur, mais la disposition du privilège ou du droit d’hy
pothèque leur appartient personnellement et exclusive
ment. Le débiteur ne peut ni les modifier, ni les altérer
sans leur participation et leur concours.
�520
TRAITÉ DU DOL
De là résulte évidemment en leur faveur le droit de
former tierce-opposition aux jugements qui leur préjudi
cieraient. Ils sont recevables à le réaliser sans être te
nus d’invoquer l’art. 1167 et indépendamment de toute
allégation et de toute idée de fraude. Ils n’agissent pas
en effet comme exerçant les droits ou les actions de leur
débiteur. La personnalité du droit qu’ils discutent les
rendaient parties nécessaires au procès dont ce droit a
été l’objet. La tierce-opposition se justifie dès lors par les
principes généraux et ordinaires de la matière.
Mais, dans ce cas, le créancier ne peut attaquer le ju
gement qu’au chef qui préjudicie à son privilège ou à
son hypothèque. Toutes les autres dispositions sont for
cément à l’abri de ses atteintes. Il ne pourrait les que
reller que par application de l’art. 1167.
Exemple : Un individu a conféré une hypothèque sur
un de ses immeubles, poursuivi plus tard en délais
sement de cet immeuble, il est condamné à l’aban
donner.
Ce jugement anéantit le droit d’hypothèque, l’im
meuble, devant rentrer franc et libre aux mains du re
vendiquant, et, sous ce rapport, le créancier a un inté
rêt évident à prévenir cet effet. 11 est donc recevable à
former tierce-opposition au jugement, s’il n’y a été ni
présent, ni appelé.
Dans cette circonstance, il a la faculté de prouver
qu’il n’y avait pas lieu à dépossession, car cette preuve
aurait pour résultat immédiat le maintien de son hypo
thèque. Mais il peut également se borner à soutenir et à
�ET DE LA FRAUDE.
521
justifier qu’au moment où celle-ci lui a été conférée,
son débiteur était propriétaire incommutable. La preu
ve qu’il en rapporterait, assurant son droit de suite,
laisserait intact le chef du jugement ordonnant la dé
possession pour l’avenir ; le créancier a donc le choix en
tre ces deux moyens.
Mais il n’en est plus ainsi dans l’hypothèse suivante :
une hypothèque a été rayée et des inscriptions ont été
réalisées pour des droits nouveaux. Plus tard, un juge
ment , déclarant celui dont l’hypothèque a été rayée
créancier légitime, ordonne la réintégration de celle-ci.
Ce jugement léserait les nouveaux inscrits en tant qu’il
en résulterait une priorité de rang en faveur de l’hypo
thèque réintégrée. C’est donc contre ce chef seulement
que ces nouveaux créanciers seraient fondés à former
tierce-opposition. Ils ne seraient donc pas recevables à
prétendre attaquer par cette voie la disposition consa
crant la qualité du créancier. Ils ne pourraient le faire
qu’en faisant valoir la collusion et la fraude.
1818.
— En résumé donc, les créanciers ne sont
plus les ayants-cause proprement dits de leur débiteur
toutes les fois que, par la nature de leur créance, ils
ont acquis un droit qu’il n’est plus au pouvoir de ce
lui-ci de modifier ou de détruire. Seuls arbitres de sa
conservation, ils ne peuvent le voir périr ou s’altérer
malgré leur volonté et sans leur concours. Si le juge
ment, qui prononcerait autrement, n’est pas pour eux
res inter alios acta, s’ils ne peuvent par conséquent
�522
TRAITÉ DU DOL
en récuser absolument l’autorité, ils sont au moins re
cevables à le frapper de tierce-opposition et à acquérir
ainsi le moyen de se défendre utilement avant d’être
condamnés.
Hors cette hypothèse, et toutes les fois que la créance
n’a aucune affectation spéciale, le jugement intervenu
contre le débiteur oblige et celui-ci et ses créanciers qu’il
a valablement représentés. Ceux-ci peuvent donc, en
vertu de l’art. 1166, émettre appel ou se pourvoir en
cassation, comme aurait pu le faire le débiteur lui-mê
me. Mais ils ne sont recevables à le frapper de tierceopposition que s’ils l’attaquent comme ayant été rendu
et obtenu en fraude de leurs droits.
L’obligation de prouver cette fraude est une consé
quence de l’action. La fraude peut consister non-seule
ment dans la collusion ayant créé un droit qui n’a ja
mais existé, mais encore dans l’omission d’un moyen de
défense péremptoire, comme si le condamné avait né
gligé de se prévaloir d’une quittance ou d’un jugement
précédent ayant acquis en sa faveur l’autorité de la
chose jugée.
1819.
— Il en est de la fin de non-recevoir tirée
de la ratification du débiteur, comme de celle basée
sur la chose jugée. Ainsi, opposable aux créanciers
agissant en vertu de l’art. 1166, elle pourrait être écar
tée par l’exception de fraude autorisée par l’art. 1167.
L’exception de ratification pourra prendre naissance
dans des actes ou des faits personnels au créancier
�ET DE LA FRAUDE.
523
poursuivant, comme si, avant l’action, il avait expres
sément ou tacitement approuvé ou exécuté l’acte dont il
poursuit l’annulation. L’exception, dans ce cas, serait
péremptoire, et son existence admise deviendrait un
infranchissable obstacle. Ce qui est certain , c’est que
généralement la ratification qu’on imputera au créancier
sera plutôt tacite qu’expresse. À cet égard, nous nous en
référons aux observations que nous avons déjà présen
tées sur les caractères que doit offrir la première. On
doit d’autant plus les exiger à l’endroit du créancier,
que l’action révocatoire ne lui est ouverte que lorsqu’il
est certain qu’il ne peut être payé autrement. Les actes
faits pour arriver à ce paiement doivent tout d’abord
être interprétés dans ce sens qu’ils n’ont pour objet que
l’admissibilité de l’action par la constatation de l’im
possibilité de ce paiement. Il serait injuste d’opposer,
comme exécution et ratification, des actes dont l’ab
sence donnerait naissance à une fin de non-recevoir.
C’est dans ce sens que la Cour de cassation a expressé
ment décidé que le créancier inscrit, qui n’a pas fait
de surenchère, ou qui a saisi-arrêté le prix, ou requis
sa collocation, n’est pas censé reconnaître la sincérité de
la vente, et ne se rend pas non-recevable à l’attaquer
pour cause de dol ou de fraude.'
Il est inutile d’observer que la ratification imputée
au créancier n’est jamais opposable qu’à celui dont elle
émane. Elle resterait sans effet aucun contre ceux qui,
�524
TRAITÉ DU DOL
sans y avoir participé, viendraient en leur nom querel
ler l’acte.
Il est vrai que, sans l’invoquer précisément comme
fin de non-recevoir, le défendeur ne manquera pas de
s’en prévaloir à titre de considération, mais, à cet égard
même, nous lui contestons toute efficacité. La conduite
du créancier ratifiant peut tenir à des causes que ceux
qui les connaissent se garderont bien de divulguer. Peutêtre même la ratification dont on excipe n’est-elle due
qu’au paiement intégral de son auteur, de l’assentiment
duquel on a pu vouloir se faire une arme contre les
autres créanciers.
. Conséquemment, accorder une autorité quelconque
à un acte de ce genre, c’est en réalité s’exposer à pro
téger la fraude se couvrant d’une fraude nouvelle, s’a
bandonner dans tous les cas à un guide facilement trom
peur. Les tribunaux doivent donc se tenir en garde
contre des allégations dont il ne leur est pas permis de
juger avec certitude le véritable caractère, et ne faire
aucun compte dans la recherche qui leur est confiée des
conventions que la partie intéressée n’a pu ni contrôler,
ni empêcher.
L’exception de ratification peut donc être opposable
aux uns, et ne pas l’être aux autres, mais un pareil ré
sultat est peu présumable à l’endroit de la prescription
de l’action. La déconfiture du débiteur étant le point de
départ commun du délai suffisant pour l’acquérir , il
est peu présumable que l’action ait péri pour les uns,
et qu’elle se soit conservée pour les autres.
�ET DE LA FRAUDE.
525
1820. — Quoi qu’il en soit, la prescription du droit
conféré par l’art. 1167 n’a rien d’odieux dans son
principe. Ce qui eût été étrange, c’est que le droit de
propriété, c’est que toutes les actions étant susceptibles
de prescription, on eût consacré une exception en fa
veur de celle des créanciers contre la fraude dont ils ont
pu être la victime.
Il n’est donc pas étonnant que la pensée de revendi
quer cette exception ne soit entrée dans l’esprit de per
sonne. Les seules difficultés, que la question de pres
cription a fait naître, se réfèrent à la durée du délai et
à son point de départ.
1 8 2 1 . — On a prétendu, quant à la durée, qu’elle
devait être régie par l’art. 1304. L’action des créanciers,
a-t-on dit, est une action en nullité, elle doit dès lors
être nécessairement comprise dans les termes généraux
et absolus de cette disposition.
Une pareille décision est repoussée en droit et en
fait, elle n’a pas même le mérite de définir exactement
le caractère de l’action des créanciers.
Cette action a pour effet plutôt la réparation du pré
judice résultant d’un fait illicite, que la nullité propre
ment dite de l’acte intervenu entre les parties, et la
preuve c’est que, par rapport à elles , l’acte continue
d’exister. La nullité ne s’entend que de ce qui concerne
le préjudice souffert, de telle sorte qu’après le jugement
faisant droit à la demande du créancier, le paiement
de ce qui lui serait dû empêcherait tout effet ultérieur,
�et l’acte n’en continuerait pas moins de subsister entre
les parties, la loi n’ayant nullement entendu les relever
de leurs engagements respectifs.
Est-ce là, nous le demandons, la rescision et la nul
lité dont s’occupe l’art. 1304? Si peu évidemmment,
que cette disposition n ’est faite que dans l’intérêt des
parties. Voyez en effet les causes dont elle fait résulter
soit la nullité, soit la rescision ! C’est d’abord la mino
rité, l’interdiction , le mariage. Mais quelle influence
pourrait exercer sur l’acte l’une de ces qualités, si celui
qui se trouverait dans le cas de l’invoquer n’avait pas
été partie dans l’acte? Evidemment le cas prévu par l’ar
ticle 1304, de minorité, d’interdiction, de femme ma
riée, se restreint à ceux et pour ceux qui, coopérant au
contrat, n’avaient pas la capacité de le consentir.
, î:
,.mm
msp
:
‘î!'. :
l i l ..
Jusqu’ici donc, la nullité de l’acte provient d’un dé
faut de consentement valable, ce qui ne peut évidem
ment concerner que les parties. Il est facile de recon
naître que le même motif a présidé à la consécration
des autres causes de nullité ou de rescision. Ainsi la
violence, l’erreur ou le dol vicient le consentement qu’ils
empêchent d’être valable.1 L’art. 1166 ajoute que le
dol n’est une cause de nullité que lorsque les manœu
vres ont été pratiquées par une des parties contre l’au
tre. Il ne faut donc pas en douter, la nullité dont s’oc
cupe l’art. 1304 est exclusivement celle fondée sur le
1 Art. 1009 Cod. civ.
• ■■ i'i l ï f l f l p j :!i
�ET DE LA FRAUDE.
S27
vice du consentement, et, par cela même, exclusivement
réservée en faveur des parties contractantes.
Ajoutons que cet article est placé sous la section 7 de
l'action en nullité ou en rescision des conventions. De
là cette conséquence que nous venons de voir résulter
de son texte : q u e, pour se placer sous l’empire de sa
disposition, il faut de toute nécessité avoir été partie au
contrat. Donc on ne saurait l’opposer aux créanciers,
pas plus qu’ils ne pourraient l’invoquer eux-mêmes. Ils
n’ont pas été parties au contrat, ils n’y ont pas consen
ti, ils n ’ont donc pas à faire rétracter leur consente
ment sous prétexte d’incapacité, de violence, d’erreur
ou de dol, seules hypothèses prévues par le législateur.
Ainsi réduite à ses véritables termes, la disposition de
l’art. 1304 a un caractère frappant de justice et de rai
son. Se taire pendant dix ans sur l’incapacité dont on
était frappé, sur une violence ou sur un dol dont on a
été victime, sur une erreur à laquelle on a cédé, alors
surtout que ces dix ans ne courent que du jour où l’in
capacité a disparu, ou de celui de la cessation de la vio
lence, ou de la découverte de l’erreur, c’est évidemment
annoncer l’intention de renoncer à s’en prévaloir ja
mais; c’est manifester la volonté de couvrir le vice de
l’acte. Aussi, est-ce cette double présomption qui fait le
fondement de la prescription de l’art. 1304. L’une et
l’autre peuvent-elles se supposer chez le créancier indi
gnement trompé? L’affirmative arriverait à ce résultat
possible que l’action du créancier se trouverait prescrite
avant même qu’il en eût connu l’existence.
�528
TRAITÉ DU DOL
En droit donc, l’action autorisée par la loi, et dont
l’art. 1304 règle la durée, n’a rien de commun avec
celle que les créanciers puisent dans l’art. 1167, celleci n ’a pas même pour objet la nullité ou la rescision
de l’action, elle s’en propose uniquement la révocation
dans l’intérêt exclusif du poursuivant. Dès lors elle ne
peut, quant à la prescription, être régie par le premier
de ces articles. Tout ce qu’on doit induire du silence
gardé sur son extinction par l’art. 1167, c’est que le
législateur s’en est référé au principe général de l’ar
ticle 2262. La durée de l’action révocatoire est donc de
trente ans.1
Le reproche qu’on adresserait à cette solution, de lais
ser la propriété trop longtemps en suspens, manquerait
de justesse. Nous l’avons déjà dit, l’action Paulienne
n ’affecte les biens qu’en tant qu’ils se trouvent encore
dans les mains de celui qui a traité avec le débiteur.
Le tiers auquel il les aurait revendus est non-seulement
admissible à exciper de l’art. 2265, mais il est, en ou
tre, inattaquable, quelle que soit la date de son titre,
s’il a agi de bonne foi et dans l’ignorance de la fraude
à laquelle son vendeur a participé. Le caractère per
sonnel de l’action des créanciers, l’absence de tout droit
de suite sur les immeubles ne lui permettent pas de
faire un obstacle quelconque à la libre disposition des
biens. Elle n’est menaçante que pour les auteurs et les
1 Paris, 11 juillet -1820 ; — Toulouse, 13 janvier 1834 ; — Riom , 3
�ET DE LA FRAUDli.
529
complices de la fraude. Il n’y a donc aucune sévérité à
leur laisser la responsabilité de leur mauvaise foi pen
dant les trente ans nécessaires pour prescrire.
Notre doctrine vient d’être expressément consacrée
par un arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 1865,
dans l’espèce suivante.
Un créancier attaquait une donation comme faite en
fraude de ses droits, et en demandait la nullité.
Contre sa prétention on opposait que l’action était
prescrite tant en vertu de l’art. 1304, que par applica
tion de l’art. 2265 C. Nap.
La Cour de Bourges repousse celte double fin de nonrecevoir, et déclare ces deux articles inapplicables, l’ac
tion révocatoire de l’art. 1167 n ’étant éteinte que par
la prescription de trente ans.
Devant la Cour de cassation, on soutient que la Cour
de Bourges a méconnu et violé les art. 1304 et 2265.
Le texte de l’art. 1304, disait-on, est aussi général
que possible, et il ne distingue nullement entre les di
verses causes de nullité ou de rescision. On a pu émet
tre l’opinion que sa disposition est inapplicable à l’hy
pothèse d’un.e action intentée contre un tiers complice
de la fraude du débiteur, parce que celte complicité en
gendre contre le tiers une action personnelle de dol
soumise seulement à la prescription ordinaire, mais il
ne s’agit pas, dans l’espèce actuelle, d’une action de
celte nature, le donataire actionné étant de bonne foi,
et l’attaque étant dirigée contre son titre et non contre
lui-même. Vainement l’arrêt attaqué objecte-t-il que
�530
TRAITÉ DU DOL
l’art. 1304 n’est applicable qu’aux parties elles-mêmes
et non aux tiers, cela est vrai en général par cette rai
son fort simple, que régulièrement les tiers ne peuvent
ni invoquer, ni se voir opposer une convention à la
quelle ils n’ont pas été parties ; mais quand les créan
ciers attaquent un acte comme fait en fraude de leurs
droits, leur position est bien différente; alors il faut
bien qu’ils fassent prononcer la nullité de l’acte pour
échapper au préjudice qu’il leur cause. Il faut remar
quer en outre que la nullité profite, non pas individuel
lement au créancier demandeur, mais à tous les créan
ciers qui sont dans la même situation que lui. L’action
Paulienne est donc une véritable action en nullité qui
fait rentrer dans le patrimoine du débiteur lui-même
l’objet aliéné, or, en matière d’actions en nullité , la
prescription de l’art. 1304 forme le droit commun, les
termes de cet article l’indiquent, et c’est un point qui
ne saurait être contesté.
On disait ensuite que la Cour de Bourges s’était trom
pée soit en déclarant l’art. 2265 inapplicable en princi
pe, soit en exigeant le terme de vingt ans non encore
acquis , parce que le créancier poursuivant habitait,
hors du ressort dans lequel était situé l’immeuble ayant
fait l’objet de la donation attaquée.
Voici la réponse de la Cour régulatrice :
« Attendu que la prescription établie par l’art. 1304
C. Nap. n’est relative qu’aux actions en nullité ou en
rescision à intenter contre les parties contractantes, leurs
�ET DE LA FRAUDE.
531
successeurs ou ayants-cause; qu’ainsi elle ne peut s’é
tendre à l’action que l’art. 1167 accorde au créancier
pour faire révoquer les actes faits en fraude de ses
droits, parce que le créancier exerce cette action en son
nom personnel et dans la mesure de son propre inté
rêt, et que les parties qui ont concouru à l’acte ne peu
vent en ce cas s’en prévaloir;
Attendu que la prescription du droit de propriété éta
blie par l’art. 2265 en faveur du possesseur avec juste
titre et bonne foi, n’affranchit pas l’acquéreur des obli
gations qui lui sont personnellement imposées ; attendu
qu’en vertu de l’action révocatoire accordée au créan
cier par l’art. 1167, les acquéreurs au profit desquels
ont été passé les actes reconnus frauduleux sont person
nellement obligés de restituer à ce créancier ce qu’ils
ont reçu de son débiteur, avec cette différence toutefois
que ceux qui ont participé à la fraude du débiteur sont
obligés pour le tout, tandis que l’acquéreur à titre lu
cratif quÿ a acquis de bonne foi n ’est personnelle
ment obligé que jusqu’à concurrence de ce dont il a
profité.' »
On le voit, relativement à l’art. 2265, la Cour de
cassation n ’examine même pas si dans l’espèce le délai
devait être de vingt ans ou seulement de dix ans, elle
le déclare purement et simplement inapplicable au créan
cier agissant en vertu de l’art. 1167. Les motifs qu’elle
en donne sont péremptoires, mais il en existe un autre
plus péremptoire encore.
�532
TRAITÉ DU DOL
L’art. 2265 exige deux choses : bonne foi et juste ti
tre. Or si l’acte attaqué est à titre onéreux, il ne sera
annulé que si la complicité dans la fraude est démon
trée contre son bénéficiaire. Cette démonstration acquise
et constatée, est-ce que celui-ci pourra exciper de sa
bonne foi ?
Si l’acte est une libéralité, le donataire pourra se pré
tendre de bonne foi, mais il n ’aura pas un juste titre.
Est-ce qu’il est possible en effet de reconnaître ce carac
tère à la donation à l’égard des créanciers qu’elle a pour
objet et pour résultat de dépouiller?
Donc et dans tous les cas, la condition exigée par
l’art. 2265 ne se rencontre pas, et on devrait en refu
ser le bénéfice alors même qu’on supposerait qu’on
peut être recevable à l’invoquer.
Tenons donc pour certain que l’action de l’art. 1167
ne reconnaît d’autre prescription que la prescription
trentenaire.'
1822.
— De quel jour commencera-t-elle à cou
rir? En général, la prescription ne commence à cou
rir que du moment où celui qui Ta laissée s’accomplir,
ayant capacité d’agir, a été en demeure de le faire. Evi
demment, si cette double condition se réalisait au mo
ment de l’acte même, c’est à sa date que se référerait
l’origine de la prescription.
Or, telle n’est pas la position du créancier en fraude
1 V. les autorités et les nombreux arrêts cités par le
à la suite de l’arrêt que nous venons d’indiquer.
la i s ,
J o u rn a l du P a
�ET DE LA FRAUDE.
833
des droits duquel un acte a été consommé, En effet, son
absence forcée le mettra bien souvent dans le cas d’i
gnorer l’existence de cet acte, ce que la partie ne peut
jamais alléguer.
D’ailleurs, la connaissance qu’il en aurait ne le met
pas en demeure d’agir. Toute action de sa part serait
irrecevable, si les ressources restant au débiteur étaient
suffisantes pour le désintéresser.
L’impossibilité d’agir exclut donc toute idée de né
gligence : Contra non valentem agere, non curritprescriptio. Cette règle d’équité, qu’on applique sans hési
ter au cas d’interruption ou de suspension, doit sur
tout être appliquée lorsque l’inaction reprochée n’est
due qu’à l’absence légale du droit de se plaindre. C’est
ainsi que l’avaient compris les jurisconsultes romains.
Ils ne faisaient courir le délai de la prescription de l’ac
tion Paulienne que du jour quo experiundi potestas
fucrit.
Cette solution est celle qu’on doit suivre encore sous
l’empire du Code. L’économie de ses dispositions sur
la prescription ne permet pas d’admettre qu’il ait eu la
pensée de la faire courir lorsque l’ayant droit est, en
fait ou en droit, empêché d’agir.
Il suit de là que le créancier, étant recevable à que
reller l’acte dès que l’insolvabilité du débiteur l’a mis
dans l’impossibilité d’être payé, se rend coupable de
négligence s’il n’agit pas. Conséquemment, c’est du mo
ment où la preuve de l’insolvabilité est acquise qu’on
doit faire partir le délai de la prescription,
�534
TRAITÉ DU DOL
1 8 2 5 . — Il résulte, de ce qui précède, qu’indépendamment de la chose jugée, de la ratification, de la pres
cription, l’action du créancier est susceptible de rencon
trer une fin de non-recevoir tirée de la solvabilité du
débiteur. Nous l’avons déjà d it, l’action révocatoire
n'est que subsidiaire. Si le paiement qu’elle a pour
objet d'assurer peut être fait par les ressources que le
débiteur a conservées ou qu’il a acquises depuis l’acte,
il n’est pas permis au créancier de faire révoquer cet
acte.
En conséquence, le bénéficiaire pourra donc toujours
exciper de la réalité des unes ou des autres, et forcer
même le créancier poursuivant à les discuter. L’excep
tion de discussion serait un obstacle à l’action que les
tribunaux devraient consacrer, à moins que l’état des
biens, comparé à l’état hypothécaire, n’établit d’une ma
nière évidente et actuelle l’insolvabilité du débiteur.1
Comme fin de non-recevoir eu la forme, l’exception
de solvabilité n’est que dilatoire. Ainsi, l’action du
créancier ne serait pas repoussée, mais elle demeu
rerait suspendue jusqu’à l’événement de la discusion.
Elle deviendrait péremptoire et absolue, si cet événe
ment amenait le paiement de celui qui poursuivait la
révocation.
1824. — Mais l’exception de solvabilité du débi
teur peut devenir une fin de non-recevoir foncière d’une
�ET DE LA FRAUDE.
5B5
importance décisive, surtout en ce qui concerne la com
plicité de celui qui a traité avec le débiteur.
Pour le débiteur lui-même, la fraude ne se présume
que suivant l’influence que l’acte qu’il consent exerce
sur sa solvabilité. Or si, indépendamment de ce qu’il
aliène, il lui reste une fortune suffisante ou au-delà
pour désintéresser ses créanciers, l’acte consacrant une
aliénation partielle ne pourra que très difficilement pa
raître frauduleux. La preuve qu’il ne l’était pas s’indui
rait assez de ce que les biens conservés le rendaient
fort indifférent pour les créanciers. Il faudrait donc que
ces derniers prouvassent, par la fréquence et la succes
sion des aliénations postérieures et rapprochées, que ce
premier acte n’est que le commencement d’exécution
d’un projet dès lors arrêté, et suivi depuis, dans le but
de devenir insolvable, en apparence du moins.
Mais c’est surtout en faveur du tiers que l’exception
de solvabilité du débiteur est dans le cas d’exercer l’ef
fet décisif le plus rationnel. Pour que sa complicité soit
admise, il faut qu’il n ’ait pas pu raisonnablement igno
rer la volonté de celui avec qui il traitait de se sous
traire au paiement de ses dettes, qu’il se soit prêté à sa
consommation. Qu’on la reproche donc à celui qui traite
avec un insolvable notoire, on le comprend; qu’on l’ad
mette contre celui qui, connaissant l’existence de nom
breux créanciers, paie immédiatement, et sans forma
lités, le prix de son acquisition entre les mains du dé
biteur ou se prête à en dissimuler une partie, c’est là un
�53.6
TRAITÉ DU DOL
fait qui n’a rien d’extraordinaire, rien qu’on puisse réel
lement blâmer.
Mais le tiers qui a traité avec un homme solvable ou
qui, connaissant de nombreux créanciers, a, en même
temps, su ou pu savoir que l’actif restant à son débi
teur suffisait à les désintéresser, celui-là, disons-nous,
ne peut être, en aucune façon , présumé s’être prêté à
une fraude qu’il devait d ’autant moins soupçonner,
qu’elle était même sans cause au moment ou il traitait.
En d’autres termes, la volonté de la part du débiteur
de se rendre insolvable constitue, dans la matière, la
véritable causa simulandi. Cette cause existe lorsque
l’aliénation querellée a eu évidemment le résultat indi
qué. On peut donc plus facilement admettre la fraude.
Mais lorsque l’aliénation a été sans influence immé
diate sur la solvabilité du vendeur ; lorsque celui-ci,
après la vente, est resté ce qu’il était avant, c’est-a-dire
en position d’éteindre ses dettes intégralement, cette
cause n’existe plus. Il faut donc en revenir à la doctrine
du cardinal De Luca, et dire que, dans cette hypothèse,
la fraude ne doit être admise que sur des preuves éviden
tes et certaines, probationes cerlw et expressœ.'
La bonne ou la mauvaise foi des parties doit être ap
préciée au moment du contrat. Elle ne peut dépendre
des événements qni se sont plus tard réalisés et dont la
responsabilité ne pourrait, sans injustice, peser sur l’une
d’elles. La certitude des ressources restant au débiteur
1 V. supra, n° 1429,
�ET DE LA FRAUDE.
337
après l’acte, celle de leur suffisance à l’endroit des créan
ciers sont donc une fin de non-recevoir au fond que le
tiers invoquerait utilement comme devant faire repous
ser la demande en ce qui le concerne.
1 825. — Dans tous les cas, ce tiers a le moyen de
déterminer ce résultat, en désintéressant le poursuivant.
L’offre qu’il en ferait, sa réalisation, serait mieux qu’une
fin de non-recevoir; elle anéantirait toute action en enlevant tout intérêt à sa poursuite.
�T A B L E
DES CHAPITRES DU TOME IV
De la Simulation (suite).
Chapitre
— Fraude contre les tiers......................
i
— Origine, nature et caractère de l’action.
4
iii.
S ection
i.
S ection
ii.
S ection
iii.
— De la preuve.................................. .....
39
S ection
iv .
— A quels actes s’applique l’action.
59
— Condition de l’action............................ 14
.
§ 1. — Du m ariage............................................................. 60
§ 11. — Successions...........................................................454
§ nr. — Des donations.....................................................289
§ iv. — Emprunts etventes ............................................446
Chapitre
iv . —
Desfinsde non-recevoir contre l ’action.
504
�TABLE
GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
D E S
M A T IÈ R E S
N. B. Les chiffres indiquent les numéros d’ordre.
A
. — L’héritier présomptif de l’absent peut-il désavouer l’enfant
né pendant l’absence? Voy. Désaveu.
A c q u é r e u r . •— Fraudes qui peuvent lui être imputables, voy. Tente.
A c t e sous s e i n g p r i v é . .—
Effets de la simulation de la date de l’acte
sous seing privé, d273. — Quid , en cas de dénégation de l’écriture
ou de la signature? 1274. — Caractère de la reconnaissance de l’acte
sous seing privé, 1275. — Pour que l’acte sous seing privé puisse
faire foi de la date entre parties, il faut que celui qui l’a souscrit n’ait
pas acquis depuis peu. ou n’ait pas perdu dans l’intervalle, la capacité
de contracter, 1276. — Application de cette règle aux divers incapa
bles, 1277 et suiv. — Les termes de l’art. 1322, ayant-cause, con
cernent-ils les successeurs à titre particulier? 1280 et suiv.
A c t i o n . — Différence entre l’action en répression des délits d’avec celle
en réparation du dol, 18. — Caractère de celle ouverte au mineur en
nullité du traité qu’il a fait avec son tuteur sans les formalités de l’ar
ticle 472 du Code civil, 181. — Utilité de ce caractère relativement
aux donations entre vifs ou testamentaires faites par le mineur à son
tuteur, 153. — A qui appartient l’action en nullité ou en restitution,
en matière de contre-lettres à une cession d’office, par quel délai se
A
b s e n t
�540
TABLE GÉNÉRALE
prescrivent ces deux actions? 1314. — Fondement de l’action confé
rée à la femme en révocation de l’aliénation de sa dot, 1329. — A
quelle époque cette action est elle recevable? 1330. — Elle passe aux
héritiers de la femme, 1331 — Q u i d , des créanciers du mari, de la
femme ou de ses héritiers? 1342 et suiv. — Point de départ et délai
de la prescription, 1348 et suiv. — L’action des héritiers en nullité
d’une substitution fidéicommissaire peut être exercée par leurs créan
ciers, ses caractères, 1628 et suiv.
A
c t io n
A
c t io n
e n
n u l l it é
A
c t io n
e n
r e s c is io n
A
c t io n
A
A
A
e n
d o m m a g e s
-
in t é r ê t s
, v o y . D o m m a g e s - in té r ê ts .
— L’action en nullité est exclusivement dévolue à
celui qui a été victime du dol et de la fraude, elle passe à ses héritiers
et peut même être exercée par ses créanciers, 271 et suiv. —-' Contre
qui l’action en nullité ou en rescision doit-elle être poursuivie? 299.
Voy A c ti o n .
c t i o n e n r é d u c t i o n . — L’action des réservataires, en réduction des
libéralités excessives, peut être exercée par leurs créanciers, 1695. —
Elle ne peut l’être par les légataires qu’à l'égard des libéralités faites
aux enfants adultérins ou incestueux, 1696.
.
, v o y . R e s c is io n .
. — Caractère de l’action Paulienne, 1408 et suiv.—
Son origine en droit romain, 1405 et suiv. — Modification que lui fit
subir notre ancien droit, 1412. — Doctrine du Code, 1415. — Condi
tions pour pouvoir l’exercer , 1416 et suiv. — L’antériorité de la
créance n’est pas toujours requise, 1419 et suiv. — L’action autorisée
par l’art. 1167 appartient indistinctement à tous les créanciers, 1433
et suiv. —• Contre qui doit-elle être exercée? 1436. — Durée de l’ac
tion des créanciers, 1535. — L’action de l’époux, en révocation des
actes frauduleusement consentis par son conjoint, passe à l’héritier,
1538.
d j u d i c a t a i r e s . — Personnes incapables de devenir adjudicataires, mo
tifs de la prohibition, 702. — Par qui peut être invoquée la nullité de
l’adjudication rapportée par l’incapable? 705. — L’interposition de
personnes obéit-elle, dans ce cas, au principe de l’art. 911 du Code
civil? 709. — Baux consentis par l’adjudicataire dépossédé par folleenchère, 1002 bis.
r é v o c a t o ir e
d u l t è r e
. —
G r a v i t é d e l ’a d u l t è r e , s é v é r i t é
8 3 5 . — E s t u n e c a u se d e s é p a ra tio n
d es a n c ie n n e s
lé g is la tio n s ,
d e c o rp s , d iffé re n c e , q u a n t à ce,
�ET ALPHABÉTIQUE.
A
A
341
entre l’adultère de la femme et celui du mari, 836 — 11 n’est pas né
cessaire que la preuve en soit acquise au moment de la demande en
séparation de corps, 837. — L’adultère n’autorise le désaveu que s’il
est accompagné du recélé de la naissance, comment doit-on entendre
celui-ci? 861 et suiv.
g e n t s d e c h a n g e . — Nature de la prohibition faite par les art. 88 et
86 du Code de commerce aux agents de change et courtiers, 710. —
Peine encourue, en cas de contravention, 711. ■
— L’opération illicite
n’est pas frappée de nullité, par quels motifs ? 712. — Dans quel cas
la nullité pourra être ordonnée ? 713. — La nullité opposable à l’agent
de change peut être opposée à celui qui lui aurait été frauduleusement
substitué, 714. — L’agent de change qui garantit la solvabilité de l’a
cheteur, moyennant un dû croire, contrevient-il aux art. 88 et 86?
7 1 8 . — Par quel délai se prescrit la contravention à la prohibition de
la loi? 716.
l i é n a t i o n . — Caractère, en droit romain, de l’aliénation générale des
biens à l’endroit de l’action Paulienne, 144-7 — En droit français, elle
est une présomption de fraude , 1448. — Peu importe qu’elle ait été
réalisée par un seul ou par plusieurs actes successifs, 1449. — L’a
liénation faite par le donateur, par suite de la réserve qu’il s’en est
faite dans la donation, peut être querellée parle donataire, 1704 et
suiv. — Effets do l’aliénation postérieure à la donation, son impor
tance au point de vue des art. 1082, 1084 et 1086 du Code civil, 1714
et suiv. — Peut-on déroger à l’art. 1083 et convenir que le donatenr
ne pourra aliéner à titre onéreux les biens qu’il donne dans les con
ditions de cet article? Effet de cette clause à l’égard des tiers, 1718
bis,
A
m a r i t i m e s __ L’assurance faite dans les conditions de l’ar
ticle 348 du Code de commerce est présumée frauduleuse, 186. — Né
cessité et sagesse de cette disposition, 187. — Son origine, 188 et
suiv.,— La présomption est acquise, même en cas d’absence de toute
intention frauduleuse, par le fait de la réticence, de la fausse déclara
tion ou de la différence, 191 et suiv. — Les difficultés d’application se
rapportent donc uniquement sur la réalité du fait et sur l’influence
qu’il a exercée sur le risque, 198. — Faits constituant la réticence ou
la fausse déclaration, 496 et suiv. — Différence entre l’omission et la
fausse déclaration, 211. — Effet du remplacement du capitaine dési-
s s u b a n c e s
�542
A
A
TABLÉ GÉNÉRALE
gné. 212. — Q u i d , s’il a été stipulé ou tout autre pour lui? 213. —
Cas dans lequel l’omission du lieu où les marchandises ont été ou
doivent être chargées n’annule pas l’assurance, 214. — Effet de la dé
claration fausse et inexacte à cet égard, 215. — Nécessité de déclarer
tout ce que le navire fera pendant le voyage, ainsi que toutes les cir
constances de la navigation connues au moment du contrat, 216 et
suiv. — Effet de l’omission de l’indication du moment où le risque
commence et où il finit,223. — La présomption de l’art. 348 du Code
de commerce est j u r i s et d e j u r e et dans l’intérêt exclusif de l’assu
reur, 225 et suiv. — C’est à celui-ci à prouver le fait dont il excipe,
mode de preuve admissible, 228. — Impossibilité pour l’assuré de
prouver outre et au-delà de la police d’assurance, 229.
v e u . — L’aveu de la partie sur la simulation du titre forme-t-il un
commencement de preuve par écrit? 244. — La cause indiquée dans
l’aveu comme réelle et légitime doit-elle être admise ou bien peut-on
diviser l’aveu? 245 et suiv. Voy. C o m m e n c e m e n t d e p r e u v e .
v o u é . — Principe et étendue de la responsabilité des avoués, 491 et
suiv. — L’avoué répond même de sa faute légère, 496. — Dans quel
les circonstances doit-on appliquer cette responsabilité, 497. — L’a
voué répond des personnes qu’il s’associe ou se substitue, q u i d , de
l’huissier qu’il emploie? 498. — Dans quelles circonstances et à quel
les conditions l’avoué peut-il être condamné à des dommages-intérêts?
499. — Répond-il des conséquences du conseil qu’il a pu donner?
500. — L’avoué peut-il être condamné sans avoir été mis en cause?
501. —■Q u id , en cas de désaveu? 511. — Effet du silence qu’il garde
sur la proposition qui lui est faite de se charger d’une cause, 1211.
B
B
B
B
B
. — La femme est-elle fondée à obtenir contre les tiers la nullité du
bail de ses biens paraphernaux consenti par le mari seul? 1539. — Le
bail légalement consenti per l’usufruitier est exécutoire pour le nupropriétaire, 1716 Voy. L o u a g e .
a i l l e u r . — Obligations et droits du bailleur, voy. L o c a t io n .
a n q u i e r . — Caractère et légalité des droits que le banquier perçoit in
dépendamment de l’intérêt légal, voy. U s u r e .
i e n s c o m m u n s , voy. M a r i e t f e m m e .
a il
�r,
BT
B ie n s
B onne
dotaux , v o y .
A L P H A B É T IQ U E .
.
543
Dot.
f o i . — N é c e s s i t é d e l a b o n n e f o i d a n s le s c o n v e n t i o n s , 4 . — P o u r
q u o i l e l é g i s l a t e u r n ’a p a s c o n s i d é r é c o m m e m o y e n s d e n u l l i t é t o u t c e
q u i s ’é c a r t e d e l a s t r i c t e b o n n e f o i ? 2 0 .
C
. — Nécessité pour l’assuré d’indiquer le nom du capitaine,
effet de l’omission ou de la fausse déclaration à cet égard, voy. A s s u
r a n c e s m a r i t i m e s . — Position et responsabilité du capitaine, voy.
a p it a in e
M a n d a t.
. — Effet de la captation à l’endroit des libéralités, 389. —•
Doutes que le silence du Code avait fait naître, 390. — La captation
peut être prouvée par témoins, 391 et suiv. — Distinction entre la
captation licite ou illicite, 392. — Le concubinage fait-il présumer A
celle-ci? 393. — Comment s’apprécie la gravité des faits, caractère
qu’ils doivent offrir pour faire ordonner la preuve, 394 et suiv. — Ef
fets de la preuve sur la libéralité, 400. — L’action en captation est-elle
recevable contre la donation entre-vifs? 403.
C a u t i o n n e m e n t . — La vente du fonds dotal peut-elle être valablement
cautionnée, notamment par la femme elle-même et sur ses biens paraphernaux? 4333 et suiv. — Le cautionnement d’une dette de jeu
est-il licite et obligatoire? Voy. J e u .
Chose jugée. — Caractère de l’autorité attachée à la chose jugée, 44 9.
— Conséquence, quant à l’erreur commise en jugement, 420. — Le
dol crée une exception au privilège admis en cette matière, conséquen
ce , 424. Voy. R e q u ê te c i v i l e , P r i s e à p a r t i e . _ Caractère de la fin
de non-recevoir tirée de la chose jugée, conséquences, 84 5 et suiv. —
Conditions exigées pour qu’il y ait chose jugée, 547. — Jugements
susceptibles de la créer, 54 8 et suiv. — Le jugement interlocutoire sur
un point peut être définitif sur un autre, conséquences, 524 — A
quelle époque les jugements définitifs ont-ils acquis l’autorité de la
chose jugée? 525 et suiv. — Jugements rendus en pays étrangers, 529.
— La chose jugée ne peut résulter que du dispositif, 530. — L’iden
tité d’objet est une condition indispensable, 534 et suiv. — L’objet
est le même si, après avoir succombé sur la demande du tout, on ré
clame une partie, q u i d , de l’hypothèse inverse? 634 et suiv. — Le
C
a p t a t io n
t
-
�544
C
TABLE GÉNÉRALE
jugement au possessoire ne crée aucun préjugé sur le pélitoire, 836.
— Que faut-il entendre par la partie réclamée? 837. — La chose jugée
n’existe que si les deux demandes ont une cause identique, dans quel
les hypothèses reconnaîtra-t-on cette condition? 838 et suiv. — Dif
férence entre la cause et les moyens, 543. — La chose jugée sur un
moyen l’est pour tourtes autres, 544 et suiv. — Utilité de la distinc
tion à l’endroit de la nullité des actes, 546. ■
— Classement à faire pour
la solution de la difficulté, 547. — La chose jugée exige que les par
ties soient les mêmes et qu’elles agissent en la même qualité, 548. —
Manières diverses d’être partie dans un procès, 549 et suiv. — Quid,
de l’instance jugée en faveur ou contre l’héritier apparent? 568. —
Mode d’appréciation de la chose jugée, 569. — La chose jugée contre
le débiteur est-elle opposable aux créanciers? 1816. — Position ex
ceptionnelle des créanciers hypothécaires ou privilégiés, 1817.
o m m e n c e m e n t d e p b e u v e . — Le commencement de preuve rend, dans
tous les cas, la preuve orale admissible, 730. — Sa définition, 731. —
Nature de la règle posée par l’art. 1347 du Code civil, exceptions dont
elle est susceptible, 732. — Droit ancien et nouveau sur les livres et
registres des marchands, 733 et suiv. ■
—■Les copies des titres peuvent
servir de commencement de preuve, 735 — Interrogatoire des par
ties, 736 et suiv. — Leur aveu, ou déclarations fournies contradictoi
rement à l’audience, 738 et suiv. — Peut-on diviser les uns et les au
tres, lorsqu’il ne s’agit que de la vraisemblance du fait allégué? 740
et suiv. — Refus de comparaître ou de répondre, obscurité calculée
des réponses, 742 — Les aveux et déclarations faits en justice de
paix sont assimilés à ceux faits devant les tribunaux ordinaires, 743,
— La loi exigeant seulement que l’écrit émane de la partie, consé
quence quant à sa forme, 744. — L’écrit non reconnu “ne peut créer
le commencement de preuve qu’après vérification, 745. — Catégories
diverses des écrits invoqués, 746. ■
— Les registres et livres des mar
chands se placent dans celle des écrits rédigés mais non signés par la
partie, 747. — L’art. 1330 est-il applicable à la recherche du com
mencement de preuve? 748. ■
— Actes sou s.'sein g privé ne réunissant
pas les conditions exigées par les art. 1325 et 1326 du Code civil, 749
et suiv. — L’acte authentique, nul pour incompétence de l’officier qui
l’a reçu ou pour violation de formes, peut servir de commencement de
preuve, s’il est signé par toutes les parties, 756 et suiv. — Ce com-
�545
ET ALPHABÉTIQUE.
C
C
C
C
C
C
C
mencement peut également résulter de lettres missives, exemple, 788.
— L’écrit émané de l’auteur de la partie est censé émaner de celle-ci,
789. — Q u i d , de celui provenant du mandataire, 760. — Arrêt de
Toulouse faisant résulter le commencement de preuve des registres
d’un notaire, 76t. Voy. F i l i a t i o n .
o m m i s - v o y a g e u r s . — Nature des pouvoirs des commis-voyageurs, effet
des engagements qu’ils contractent, voy. M a n d a t .
o m p l i c i t é . — Caractère et effet de la complicité dans le dol ou la frau
de, arrêt notable de la Cour d’Agen, 86 et suiv.
o n c u b in a g e
— L’existence du Concubinage fait-elle présumer la capta
tion illicite? voy. C a p t a t i o n .
o n c u s s i o n , voy. P r i s e à p a r t i e .
o n n a i s s e m e n t . — Effet de la différence entre le connaissement et la po
lice d'assurance, voy. A s s u r a n c e s m a r i t i m e s .
o n t r a i n t e p a r C o r p s e n m a t i è r e c i v i l e . — Coup d’œil historique sur
la contrainte par corps sous les législations antérieures au Code, dis
position de celui-ci, 327 et suiv — Faculté conférée par l’art. 126 du
Code de procédure civile, modification créée par cette disposition à
l’ordonnance de 1667, 329 et suiv. — Peut-elle être prononcée pour
la restitution de la valeur de la chose dont le transfert est annulé? 331.
— Exception à la faculté de décerner la contrainte, 333 et suiv. —
Durée de la contrainte par corps en matière civile, 338.
o n t r e f a ç o n
. — L a c o n tre fa ç o n d es
m a r q u e s d e f a b r i q u e , l ’u s u r p a t i o n
d u n o m d u fa b ric a n t, la fa u s s e in d ic a tio n d u lie u d e la p ro d u c tio n , e s t
a s s im ilé e à la tro m p e rig s u r la n a tu r e d e la c h o se , 9 6 0 .
C
C
- l e t t r e . — La contre-lettre dissimulant le prix d’une vente estelle valable? 1296 et suiv, — Q n id , des contre-lettres en matière de
cession d’office? 1301. — La qualité des parties influe-t-elle sur le
sort de ces contre-lettres? 1303. Voy. A c tio n & O f fic e . — Contrelettre aux conventions matrimoniales, voy. ces mots.
o n v e n t i o n s m a t r i m o n i a l e s . — Caractère des conventions matrimonia
les, conséquences de la fraude, 778..'— Facilité que rencontre celle-ci.
moyens de la prévenir, 776 — Irrévocabilité des stipulations du con
trat, 777. — Conditions pour la validité des modifications consenties
avant la célébration du mariage, nullité absolue de celles qui sui
vraient cette célébration, 778 et suiv. — Difficultés pouvant surgir,
comment elles doivent être appréciées, 783 et suiv. — Le Code civil
o n t r e
I
35
�546
TABLE GÉNÉRALE
n’a pas consacré ^principe du droit ancien, n’annulant les change
ments que lorsqu’ils empiraient le sort de la dot , 786. — Mais on
doit toujours distinguer le changement prohibé de la modification ré
sultant de l’exécution naturelle de l’obligation, 787. — Application de
cette règle à la renonciation du père ou de la mère à un avantage de
leur contrat de mariage, en faveur de leurs enfants, k la dation d’une
hypothèque non stipulée, 788. — Les tiers parties au contrat de ma
riage sont régis par les mêmes principes que les époux et leurs pa
rants, 789. — La demande en nullité des contre-lettres et des change
ments illicites peut être intentée par la partie elle-même, 790 et suiv.
— L’action est imprescriptible pendant la durée du mariage, 792. —
Les conventions et les avantages obtenus par dol ou fraude peuvent
être révoqués sur la poursuite de l’époux trompé, 713.
C
o r r u p t io n
C
voy. A g e n ls d e c h a n g e .
r é a n c i e r s . — Ont le droit d’attaquer les actes faits par leur débiteur
en fraude de leurs droits, 1403 et suiv. Voy. D é to u r n e m e n t, D o l,
S é p a r a t i o n d e M e n s . — Peuvent faire annuler la renonciation de la
femme à la communauté, 1530. — Ce droit appartient aux créanciers
personnels de l’héritier de la femme, 1532. — Les uns et les autres
peuvent-ils quereller l’acceptation, faite par la femme ou ses héritiers ?
1533. Voy. P a r t a g e S u c c e s s io n , U s u f r u i t . — Peuvent-ils attaquer
comme mise en fraude de leurs droits la condition d’insaisissabilité
opposée à un legs d’un immeuble? 1641 Lis.
C
o u r t ie r s
d e s
e x p e r t s
, v o y . R e q u ê te c i v i l e .
,
D
D
é c l a r a t io n
.
— Effet de la fausse déclaration dans le contrat d’assu
rances, voy.
D
D
A ssu ra n c e s m a r itim e s .
— Effet de la déconfiture du commerçant à l’endroit de la
présomption de fraude en faveur des créanciers, 1442 et suiv.
é d it . —
Le dédit stipulé dans une promesse de mariage est frappé de
nullité, 1353. — Admissibilité de la preuve orale pour en prouver le
véritable caractère , s’il a été stipulé sous la forme d’une obligation
pure et simple, 1354 et suiv.
é c o n f it u r e
D
é n i
D
é s a v e u
d e
.
j u s t ic e
, v o y . P r is e à p a r tie .
. — D ans quel
cas
l e m a r i p e u t - i l d é s a v o u e r l ’e n f a n t ? 8 4 0 e t
�ET ALPHARÉTIQUE.
547
suiv — Effet du désaveu par rapport à l’enfant, 842. — Exceptions
qu’il pourra opposer à l’action, dans l’hypothèse d’une naissance pré
coce, 843 et suiv. — L’enfant qui n’est pas né viable ne peut pas être
désavoué, 849. — A quelles conditions peut-on désavouer l’enfant
conçu et né pendant le mariage? 887 et suiv. — L’action en désaveu
est rècevable avant qu’il y ait chose jugée sur l’adultère, mais celui-ci
n’est pas la eonséquenoe du recélé de la naissance, 870 et suiv. —
Procédure que doit suivre le mari, 873. — L’action en désaveu lui est
personnelle, 874. — Quand se transmet-elle aux héritiers, et quels
sont ces héritiers? 878 et suiv. — L’héritier présomptif de l’absent
peut-il désavouer l’enfant né depuis l’absence? 878 et suiv. — Q u id ,
du tuteur de l’interdit 880? et suiv. — Les fins de non-recevoir op
posables au mari le sont à ses héritiers, 883. — L’héritier qui aurait
personnellement reconnu la légitimité de l’enfant n’est plus rece
vable à le désavouer, 884. — Délai accordé soit au père soit h l’héri
tier, point de départ, 888 et suiv. — Déchéance, si le désaveu réguliè
rement intenté n’est pas suivi d’une action en justice dans le mois de
la notification, 888. — Quelles personnes sont parties dans l’action
en désaveu? 889. — Effet de la naissance tardive, voy. C o n t e s t a t i o n
d e lé g itim ité .
Détournement. — Son caractère, 899 et suiv, _ Différence entre le dé
tournement, le recélé et l’omission d’indication h l’inventaire, 901. —
Caractère de la tentative de l’un ou de l’autre, 902. — Pouvoir du
juge dans l’appréciation des faits constitutifs, 903. — Effet du détour
nement par la femme, 904 et suiv. — La poursuite appartient exclu
sivement au mari ou à ses héritiers, 908. — Le détournement par le
mari ou ses héritiers motiverait la révocation de la renonciation à, la
communauté, 909. — L’époux convaincu de détournement perd-il les
droits qu’il aurait sur les objets soustraits non-seulement comme com
mun, mais encore comme donataire de son conjoint? 910. — Le dé
tournement qui ne peut être poursuivi criminellement contre l’époux,
peut l’être contre les complices, 911. — Effets du détournement com
mis par le copartageant, 928 et suiv. — Y a-t-il détournement dans
la détention d’effets:portés à l’inventaire, 930 et suiv. — Le détourne,
ment opéré du vivant de l’auteur est assimilé à celui qui serait exé.
cuté après sa mort, 932. — L’exagération du passif constitue le dé
tournement punissable, 933. — L’auteur du détournement ou du re-
�348
TABLE GÉNÉRALE
célé peut, indépendamment de la perte de sa portion, être condamné à
des dommages-intérêts, 934. — Quid, si celui qui a détourné est en
core mineur? 936. — Le détournement de l’actif à la dissolution du
mariage est la fraude la plus dangereuse pour les tiers, 1518. — Son
caractère et ses effets à l’endroit de la femme dotale ou commune en
biens, 1520 et suiv. — Effets du détournement commis par le mari
ou ses héritiers, 1523. •— Peut-on cumuler les peines portées par la
loi et une allocation de dommages-intérêts? 1524. — Les héritiers du
mari peuvent, en cas de détournement par la femme, ne pas faire pro
noncer la nullité de la renonciation qu’elle aurait faite à la commu
nauté, 1526. — Mais elle n’en est pas moins considérée comme com
mune à l’égard des créanciers, 1527. — Doit-on considérer comme
détournement la fausse supposition de créances à la charge de la suc
cession? 1529 Voy. Renonciation. •— Le détournement n’en est pas
.moins punissable, qu’il ait été commis avant ou après la mort du con
joint, 1536.
D e t t e s . — Nullités des dettes contractées pendant le mariage par la fem
me seule , 807. — Les dettes résultant des nécessités du ménage se
placent dans une catégorie spéciale, 808 et suiv. — L’art. 1410 du
Code civil rend inutile toute antidate dans le but de faire considérer
les dettes de la femme comme antérieures au mariage, 810. — Le
mari, qui a payé des dettes non justifiées aux termes de cet article,
ne peut en exiger récompense, 813 et suiv. — Le paiement après con
damnation de la femme donnerait-il lieu à récompense? 815.
Don. — Rôle du dol dans les conventions, 2. — Causes de son dévelop
pement, 3. — Motifs de la sévérité que le législateur a déployée dans
sa répression, 4. — Différence entre le dol et la fraude, 12. — Défi
nition du dol en droit romain, 14 et suiv. •— Dans quels cas le dol
dégénère-t-il en délit? 17. — A quelles conditions doit-on en admet
tre l’existence, 21 et suiv. — Distinction en droit romain entre le dol
bon ou mauvais, 42 et suiv. — Cette distinction se retrouve dans no
tre droit, mais à l’endroit de la fraude, 45. — Le dol ne peut être que
personnel, 46. — Existait-il en droit romain un dol réel? 47 et suiv
— Comment se prouve le dol? 106 et suiv. — S es effets. 261 et suiv.
Doc a c c i d e n t e l — Ses caractères, 66. — Exemples, 67 et suiv. — Le
dol accidentel n’est constitué que par l’emploi de manœuvres, 69. —
Nécessité de la distinction entre la lésion et le dol pour les ventes mo-
�ET ALPHABÉTIQUE.
549
bilières, 74, — Exemple de dol sur la qualité annulant le contrat, 75
et suiv. ■
— Effets du dol accidentel, 264 et suiv.
D o l d i r e c t . — Le dol direct est celui qui émane personnellement de
la partie, 7 8 .— Quid , de celui commis par le mandataire? Voy.
Mandat.
Dor, i n d i r e c t . — Caractères et exemples du dol indirect, 84. — Effets
du dol substantiel indirect dans les traités, 266.
Doi. n é g a t i f . — Caractère du dol négatif, 94 et suiv. — Exemples pui
sés dans divers arrêts fort remarquables, 96 et suiv. — Espèces de
dol négatif consacrées par l’art. 348 du Code de commerce, 100.
D o l p o s i t i f . — Ses caractères, difficulté de son appréciation lorsqu’il se
produit par paroles seulement, 89 et suiv. — Appréciation et consé
quences du mensonge le constituant, 93.
D o l p o s t é r i e u r a u c o n t â t . — Origine, nature et caractère du dol pos
térieur au contrat, 101 et suiv. — Peut naître à la suite d’une simula
tion licite, 103.
D o l p r é s u m é . — Diverses hypothèses dans lesquelles le dol est de
plein droit présumé, 109 et suiv. Voy. Assurances maritimes, Inca
pables. — Le dol est toujours présumé dans les libéralités faites aux
personnes désignées dans l’art. 909 du Code civil, 161. — Nature
de cette présomption , 176. — Exceptions qu’elle comporte, 177 et
suiv.
D o l s u b s t a n t i e l . — Sa nature et ses effets, 50 et suiv. — Obligations
de celui qui en allègue l’existence, 52. — Exemples du dol portant
sur le consentement, 53 et suiv. — Dol sur la capacité des parties, 57.
— Dol sur la matière du contrat, exemples, 61 et suiv — Dol sur la
cause de l’obligation, 64.
D o m m a g e s - i n t é r ê t s . •— Objet de l’allocation des dommages-intérêts, qui
peut la réclamer? 300. — L’étendue de la condamnation est laissée à
la prudence du juge , 301. — Maximun déterminé par le droit ro
main, principes à consulter sous l’empire du Code, 302 et suiv. —
En quoi consistent les dommages-intérêts dans le cas de faute, de
fraude ou de dol, 304 et suiv. — Intérêts moratoires, exceptions à la
règle de l’art. 1153 du Code civil, 313. — Peut-on, outre les dépens,
de l’instance, condamner le plaideur téméraire à une allocation pécu
niaire? 319 et suiv.— Contre qui l’action en dommages-intérêts
doit-elle être poursuivie? 322, — Ses conséquences en matière de
�530
TABLE GÉNÉRALE
vente d’objets mobiliers, 323. — La condamnation est solidairement
prononcée contre tous ceux qui y sont tenus comme auteurs ou com
plices, 324 et suiv. — Elle peut être prononcée avec contrainte par
corps, 329.
Don m u t ü e d . — Le don mutuel et réciproque par un seul et même acte
est nul, 1656. — Y a-t-il don mutuel et réciproque lorsque les époux,
vendant un immeuble de la communauté , en laissent le prix à rente
viagère réversible en tout ou en partie sur le survivant? 1657.
D o n a t e u b . — L’époux donateur n’est pas recevable
quereller de simu
lation la donation par lui consentie, 1.675. Voy. Donation.
D o n a t i o n , voy. Libéralités. — Les donations autorisées par l’art. 1422
peuvent-elles être valablement faites aux personnes réputées interpo
sées? 827.
D o n a t i o n c c n t b a c t u é l l e . — Conditions indispensables pour que la do
nation soit considérée comme faite en vue du mariage, 1474. — Droits
des créanciers et des héritiers dans le cas de fraude de la part du do
nateur, 1717. — Droits des premiers dans l’hypothèse de fraude con
certée entre le donateur et le donataire, 1718,
D o n a t i o n d é g u i s é e — La donation déguisée, en l’absence de tonte in
capacité, est valable, 1264 et suiv. — Est-elle affranchie de la révoca
tion pour survenance d’enfants? 1266. — Quelle est dans ce cas la
preuve admissible pour établir le véritable caractère de l’acte? 1267.
— Durée de l’action, 1268. — Ses conséquences, à l’endroit des tiers
détenteurs, 1249. — Facilité qu’ont les époux de se faire des dona
tions déguisées ou par persenne interposée. 1666 — Ces donations
sont frappées de nullité absolue, 1677 et suiv.
D o n a t i o n e n t b e é p o u x — Faculté, illimitée qu'ont les époux de se don
ner par contrat de mariage, 1645. — Exceptions que cette règle com
porte, 1646 et suiv. — Suspicion qui s’attache aux donations entre
époux pendant le mariage, leur révocabilité absolue, 1649 et suiv.
— La femme peut les révoquer sans autorisation, 1652. — Sont-elles
révoquées par survenance d’enfants? 1653 — Formes de l’acte révocatoire depuis la loi du 21 juin 1843, 1654. — Véritable caractère de
la donation entre époux faite pendant la durée du mariage, 1655.
D o n a t i o n i n d i b e c t e . — La donation indirecte entre époux n’est valable
que dans les limites des art. 1094 et 1098 du Code civil, caractère de
ces dispositions, 1658. — De quels actes peut résulter la donation in-
�ET ALPHABÉTIQUE.
551
directe entre époux? 1659 et suiv._ Il y a donation indirecte dans
l’adoption de la communauté en cas d’inégalité dans l’apport respec
tif, 1663 — Effet de cette adoption pour les enfants d’un premier lit,
1664. — Comment s’opère la réduction qu’ils sont dans le cas d’obte
nir, 1665. — La donation indirecte faite au mépris de l’art. 1099 du
Code civil est réductible, 1676.
D o t . — Fraudes dont la constitution de la dot est susceptible, 794. —
Obligation pour le mari de poursuivre la rentrée de la dot, sa respon *
sabilité, 795. — La quittance d’une dot non reçue constitue une libé
ralité, ses effets à l’égard des réservataires et des créanciers, 796. —
La quittance d’une dot non reçue peut, si le mariage n’a, pas été célé
bré , être annulée sur la preuve écrite de la simulation, 797. — La
quittance de la dot, sous pacte secret de se contenter d’une moindre
somme, oblige à la restitution de la somme quittancée, 798. — Il en
est de même de la quittance donnée spe futurce nnmeralionis , 799.
— La contre-lettre expliquant la quittance ne serait pas opposable à
la femme, 800. — Quid, si le mari avait reçu en paiement des effets
du constituant? 801. — La quittance par le père de l’époux de la dot
touchée par celui-ci pourrait être attaquée comme constituant une li
béralité, 802. — Origine et effets de l’inaliénabilité de la dot, 1312. —
Son caractère, 1313. — Nature de la nullité, ses conséquences à l’en
droit de l’acquéreur du fonds dotal, 1314 et suiv. — Droits de celuici suivant qu’il a connu ou non la dotalité, 1316 et suiv. — Quid, si
l’aliénation a été frauduleusement concertée entre les époux? 1318 —
Qui peut poursuivre la nullité d’une aliénation dotale? 1319 et suiv
— Le mari, héritier de sa femme, est-il recevable à demander en cette
qualité la révocation de l’aliénation qu’il a lui-même consentie entre
époux? 1321 et suiv. — Nature et étendue de l’obligation de restituer
le prix, 1326. — Exception que le mari peut invoquer, 1328. Voy.
Action, Cautionnement, Femme mariée, Slellional. — La constitu
tion de dot par le père peut être contestée par les créanciers, comme
faite en fraude de leurs droits. 1467. — Système du droit romain et
de notre .ancien droit sur les effets de la fraude, 1468 et suiv — Doc
trine adoptée sous le Code par la Cour de cassation, 1470 et suiv._
Les créanciers du mari peuvent-ils attaquer la reconnaissance ou la
quittance de la dot? 1477. — Quid, de la quittance concédée pendant
la durée du mariage ? 1478.
�352
TABLE GÉNÉRALE
l it ig ie u x . — Personnes auxquelles il est prohibé d’acquérir des
droits litigieux, 704. — Que faut-il enlendfe par procès, droits ou ac
tions litigieux, 707. — Qui peut poursuivre la nullité de la cession?
708. — En pareille matière, l’interposition de personne obéit-elle aux
règles de l’art. 91 d du Code civil? 709.
D r o its
— L’échange est régie par les principes de la vente, 979. —
— Dr,oit que confère à l’échangiste la découverte que la chose qui lui
a été remise n’appartenait pas au copermutant, 980 et suiv. — Eü'ets
légaux de la rescision prononcée sur ce motif, quant à la revendica
tion de la chose donnée par le poursuivant, 983 et suiv. _ La ratifi
cation du véritable propriétaire n’empêcherait pas la rescision, mais
elle influerait sur les dommages-intérêts, 984 et suiv. — En quoi con
sistent ceux-ci? Peuvent-ils être cumulés avec la reprise de la chose?
976 et suiv. — En quoi consiste le dédommagement, si le poursuivant
renonce à cette reprise? 988. — Exclusion de l’action en lésion dans
l’échange, motifs, 989. — La fraude fait exception à cette règle, 990.
— Il en est de même si le contrat qualifié échange n’est qu’une ven
te, 991. — A quels caractères se reconnaîtra cette simulation? 992 et
suiv.
E f f e t s p u b l i c s , voy. Jeu.
e m p ê c h e m e n t nE t e s t e r . — Législations anciennes sur l’empêchement de
tester, conséquence du système consacré par le Code, 404 et suiv. —
Ses effets à l’endroit de l’héritier testamentaire, 406. — Nature de l’ac
tion qui en naît, 407. — Caractère de ce dol, pertinence des faits ten
dant à l’établir, 408. __ Par qui et à qui sont dus les dommages-inté
rêts? 409 etsuiv.
E m p r u n t s . _Facilités que les emprunts présentent pour frauder les
créanciers, 1735. — Leur effet en matières commerciales, précautions
prises à cet égard , 1736 et suiv. — Modifications introduites par la
loi de 1838, 1738. — Effets de la poursuite personnellement intentée
par un créancier, 1739._Effets et caractère de la simulation dans les
emprunts en matière civile, 1740. — Cette simulation peut être oppo
sée par les créanciers postérieurs à la date de l’emprunt, 1741.
E n f a n t a d u l t é r i n . — L’enfant adultérin ou incestueux ne peut être re
connu, 1370 et suiv. — La recherche d) la maternité est interdite
É
c h a n g e
�553
ET ALPHABÉTIQUE.
lorsqu’elle doit divulguer une naissance adultérine ou incestueuse,
1373. — La reconnaissance illégale ne peut nuire, ni profiter à l’en
fant, conséquences, 1375 et suiv. — Dans le cas de la découverte ac
cidentelle du vice de la naissance, toutes les donations reçues par
l’enfant doivent être réduites, 1384. — Nature des droits qu’il est ap
pelé à exercer dans la succession de ses père et mère, 1697. — Peut,
on déclarer adultérin l’enfant inscrit dans les registres de l’état civil,
comme né d’une femme mariée et d’un tiers indiqué fauss- ment com
me le mari de la femme ? 1383.
E n f a n t i n c e s t u e u x , v o y . Enfant adultérin.
E n f a n t n a t u r e l . — Position des enlants naturels sous l’empire des an
ciennes et de la nouvelle législation, 1369 et suiv. — Leurs droits,
1385. — Peuvent être valablement reconnus, de quelle manière?
1386. — La femme mariée peut réaliser cette reconnaissance sans avoir
besoin d’autorisation, 1387 et suiv. — La reconnaissance valablement
faite est irrévocable, 1390. — L’enfant est libre d’en récuser le béné
fice, doit-il, dans ce cas, prouver la fausseté de la déclaration? 1391
et suiv. — Effets de la reconnaissance définitivemeut acquise, 1396.
— L’enfant naturel reconnu ne peut rien recevoir au-delà de ce qui
lui est réservé par l’art 757 du Code civil, 1397. — Droit des héri
tiers de poursuivre la nullité ou la réduction de tout avantage indi
rect, 1398. — Le père est-il recevable à poursuivre la nullité des ac
tes qu’il aurait simulés pour avantager l’enfant naturel? 1399. —
Quid, du légataire universel? 1400.
E r r e u r . — Quelle est l’erreur donnant ouverture à la nullité du maria
ge? 348 et suiv.
E r r e u r d e d r o i t , — Celui qui a concouru à une simulation peut-il se
prévaloir de sa turpitude, sous prétexte d’erreur de droit? 1810.
E x é c u t i o n . — L’exécution occulte, donnée par le débiteur aux aliéna
tions qu’il consent, peut faire présumer la fraude contre ses créanciers,
1454 Voy. Ratification tacite.
E x p e r t s . — La fraude des experts chargés de déterminer le prix d’une
vente peut-elle nuire ou profiter aux parties? 971 et suiv. — A quels
caractères resonnaitra-t-on cette fraude? 976.
F
F
a il l it e
.
— Les faillites admettent, dans plusieurs cas, la présomption
iv
36
�554
TABLE GÉNÉRALE
de fraude, 721, — Nature de cette présomption , suivant qu’il s’agit
d’actes antérieurs ou postérieurs au jugement déclaratif, 722. — Dis
tinction à faire pour ces derniers , 723. — Effets de la présomption,
724.
F e m m e m a r i é e . — Les engagements souscrits par la femme, sans l’auto
risation de son mari, sont présumés frauduleux; 133. — Quel est le
sort des acquisitions que la femme soutient avoir réalisées pendant la
durée du mariage ? 701. — Fraudes que la femme peut commettre,
804 et suiv. — La femme, tenue de son dol, l’est de sa fraude, appli
cation de ce principe à la vente du fonds dotal concertée entre les
deux époux , 831. — Exceptions qu’elle peut invoquer dans ce cas,
832 et suiv. — A quelle époque peut être exercée l’action soit du ma"
ri, soit de la femme? 834. Voy. Détournement, Renonciation, Sépa
ration de biens.
F id é ic o m m is t a c i t e . ■
— Le fidéicommis tacite peut avoir pour objet de
favoriser un incapable, 1612.—Double forme qu’il peut revêtir, 1613— Ses effets avant et depuis le Code, 1614 et suiv. — Son existence
peut être prouvée par témoins , caractère que la preuve doit offrir1616 et suiv. — Le fidéicommis tacite est valable si l’appelé est ca
pable de recevoir, 1624. — Dans le cas de fraude de l’intermédiaire
choisi, l’appelé est recevable à prouver oralement l’existence du fidéi
commis et sa destination, 1623 et suiv. — Effet de la donation résul
tant du fidéicommis tacite, 1670.
F ducie. — Caractère de l’institution fiduciaire, ses effets, 1601. — La
fiducie n’exclut pas la disposition en faveur du grevé d’une quotité soit
en fruits, soit en fonds, 1602. ■
— Effets du prédécès de l’appelé, 1603— Droit ancien sur les circonstances caractérisant la fiducie, 1604 et
suiv. — Que doit-il en être sous l’empire du Code? 1607 et suiv. —
La simple fiducie ne peut être recueillie par l’incapable, 1611.
F
il ia t io n
•—
L ’e n f a n t , à q u i o n
a
e n le v é
sa
f ilia t io n , e s t a d m is à la
rè -
; clamer s’il a une preuve littérale ou tout au moins un commencement
de preuve, 892. — Ce qui, dans cette hypothèse, constitue ce com
mencement de preuve, 893.
F i n d e n o n - b e c e v o i r . — Il ne suffit pas qu’une demande soit fondée, il
faut encore qu’elle soit recevable, 512. — Nature des fins de non-re
cevoir, distinction, 513. •— Nomenclature, 514. — Quelles sont les
fins de non-recevoir contre la fraude? 1807. — En matière de simu
lation ou de violation d’une loi d’intérêt public? 1808, — L’erreur de
�ET ALPHABÉTIQUE.
F
F
F
F
G
droit peut-elle relever de la maxime nemo audilur, etc...? 1810. —
— Aucune fin de non-recevoir n’est opposable dans le cas de fraude à
une loi d’ordre public, 1811 et suiv. — L’exécution donnée à l’acte
donne ouverture à la prescription de l’action, point de départ et durée
de cette prescription, 1818. Voy. Chose jugée, Prescription, Rati
fication.
r a u d e . —■Nature de la fraude, ses caractères, 640 et suiv. — Diver
ses espèces de fraude, 642. — Preuve admissible, objet qu’elle doit se
proposer, 643 et suiv.
b a u d e c o n t r e l a l o i . — Effet de la fraude contre la loi, 1287— Diffr
culté qu’elle fait surgir, 1288. — Distinction pour juger si la preuve
orale est ou non admissible, 1289 et suiv. — Importance de cette dis
tinction à l’endroit des art. 1131 et 1132 du Code civil, 1295.
r a u d e
c o n t r e
l a
p a r t ie
c o n t r a c t a n t e . — Définition de la fraude
contre la partie, 770. — Rapports et différence entre elle et le dol,
771. — La fraude, poussée jusqu’à de certaines limites, constitue des
délits et des crimes, 772. — La fraude assimilée au dol est régie par
les règles tracées pour celui-ci, 773,
r a u d e p r é s u m é e . — Nature et motif de la présomption de fraude, 645.
— Divers cas de fraudes présumées, 646 et sniv. Voy. Agents dt
change, Courtiers, Faillite, Incapables, Jeu, Libéralité, Marchan
dise, Société universelle, Stellionat, Succession future, Tente entre
époux.
- m a l a d e . — L’incapacité édictée par l’art. 909 du Code civil con
tre les chirurgiens, médecins, etc..., s’étend-elle à la garde-malade?
168.
a r d e
H
H
. — L’héritier du mineur peut-il poursuivre l’action en nul
lité du traité intervenu au mépris de l’art. 472 du Code civil? 151 et
suiv. — L’héritier du mineur est recevable à attaquer le testament
fait par celui-ci, contrairement à l’art. 907 du Code civil, 154. — A
é r it ie r s
�556
H
TABLE GÉNÉRALE
faire annuler la libéralité consentie par le mineur dans les mêmes cir
constances, 155 et suiv.
u i s s i e r . — L’huissier étant, comme l’avoué, le mandataire de la par
tie, la loi lui rend communes les dispositions des art. 232 et 1031 du
Code de procédure civlie, 502. — La condamnation de l’huissier aux
frais de l’acte nul est-elle facultative? 503, — L’huissier n’est tenu
que de son fait personnel, importance de cette règle dans ses relations
avec l’avoué, 504 et suiv, — Cas divers d’application de la responsa
bilité des huissiers, 507 et suiv. — L’huissier ne doit pas être con
damné sans avoir été entendu , 509. — Durée du mandat de l’huis
sier, 510.
I
. — Différence entre l’Église romaine et l’Église française sur
les effets de l’impuissance sur le mariage , 357 et suiv. — La nullité
du mariage contracté par l’impuissant serait juste, motifs qui la firent
repousser par les auteurs du Code, 360 et suiv. — Quid, de l’impuis
sance accidentelle? 362 et suiv. Voy. Désaveu.
I n c a p a b l e . — Personnes incapables de contracter , 110. — Principe do
l’incapacité des condamnés pour crime, 112. — La convention sous
crite par un incapacable est présumée frauduleuse, 109. Voy. Femme
mariée, Interdit. Médecin, Mineur, Ministre du culte, Tuteur.
I n c a p a c i t é . — Effet de l’incapacité de la partie, si le poursuivant capa
ble l’a connue ou ignorée, 58 et suiv. — La fraude déguisant un in
capacité viole une loi d’ordre public, 1350.
I n d i c a t i o n . — Effet de la fausse indication du lieu de production des
objets vendus, voy. Contrefaçon.
I n e x é c u t i o n . — L’inexécution par le donataire des conditions de la do
nation peut constituer une fraude contre ses créanciers, 1719 et suiv.
— Droits de ceux-ci d’empêcher la révocation, leur obligation dans ce
cas, 1722.
I n CtRa t it u d e . — La révocation de la donation pour cause d’ingratitude
ne saurait être empêchée par les créanciers du donataire, 1723. —
Faits constituant l’ingratitude, 1724 et suiv.
I n s a i s i s s a b i l i t é . — Caractère de la condition d’insaisissabilité quant aux
immeubles. Peut-elle être attaquée en vertu de l’art. 1167, 1641 bis.
I n s a n i t é d ’ e s p r i t , voy. Libéralité, Captation.
I
m p u is s a n c e
�ET ALPHABÉTIQUE.
557
. — La préexistence de l’intention de contracter ferait exclure,
en cas de dol ou de fraude, l’action en nullité, mais non celle en dom
mages-intérêts, 32.
I n t e r d i t . — L’interdit est assimilé au mineur, d28___ Les actes qu’il
contracte après l’interdiction ne peuvent jamais être validés, 129. —
Les actes antérieurs sont présumés valables, 131. — Dans quels cas
admet-on la présomption contraire? 1 3 2 .— Le tuteur de l’interdit
peut-il désavouer l’enfant né depuis l’interdiction? Voy. Désaveu.
I n t é r ê t , voy. Usure.
I n t é r ê t c o m p e n s a t o i r e s . — Différence entre les intérêts compensatoires
et les intérêts moratoires, 318. Voy. Dommages-intérêts.
I n t é r ê t s m o r a t o i r e s , voy. Dommages-intérêts.
I n t e r p o s i t i o n d e p e r s o n n e . — Cas dans lesquels l’interposition de per
sonne est de plein droit présumée, voy. Médecin, Ministre du culte.
— Quid, pour les donations entre époux? 1666. — C’est par l’état des
choses au moment de la donation que la question d’interposition doit
se résoudre, 1667. — Les ascendants de l’époux sont-ils compris dans
la catégorie des personnes interposées ? 1668.— Faculté de prou
ver dans tous les cas et par tous les modes l’interposition alléguée.
1669.
I
n t e n t io n
J<
— Différence entre la dette de jeu et la dette dolosive, 188. — La
dette de jeu est présumée frauduleuse, 660. — Difficulté que présente
cette présomption dans son application aux paris sur la hausse ou la
baisse des effets publics, 661. — A quel caractère doit-on reconnaître
le jeu en cette matière, 662. — Avantages de l’art. 422 du Code pénal
sur la législation précédente, nature et origine de celle-ci, 663. —
Inconvénients du système actuel, 664. — L’appréciation de la légalité
de l’opération est abandonnée à la prudence du juge, 665. — Applica
tion de ces principes au jeu sur marchandises, caractères spéciaux à
celui-ci, 666 et suiv. — Il n’y a réellement opération illicite que lors
que le jeu est concerté et consenti par toutes les parties , conséquen
ces, 669 — La dette de jeu doit être annulée , sous quelque forme
qu’elle ait été déguisée , 670 et suiv. — Exceptions consacrées par
l ’art. 1985 du Code civil, leur caractère, 672 et sûiv. — La faculté de
Jeu.
�558
TABLE GÉNÉRALE
rejeter la demande n’emporte pas celle de la réduire, 674. — Ce qui a
été payé ne peut être répété que dans les cas prévus par l’art. 1967 du
Code civil. — Nature de cette disposition , 675 et suiv. — Le tiers
ayant payé la dette du perdant a-t-il contre celui-ci l’action en rem
boursement? 675. — Quid, si ce tiers a été le mandataire du perdant
et a joué pour lui? 678.
u i s s a n c e . — L ’abus de jouissance, que commet le donateur sous ré
serve d’usufruit, est une fraude, ses effets, 1706 et suiv. V. Louage,
J
o
J
u g e m e n t
Usufruit
. — Influence du jugement correctionnel sur le délit à l’endroit
de l’action en réparation du dol, 19. Voy. Chose jugée.
L
L
L
L
L
. — La légitimation par mariage subséquent peut n’avoir
d’autre motif que d’obtenir frauduleusement la révocation d’une do
nation précédemment consentie, 1700. — Droits du donataire, 1701
et suiv.
é g i t i m i t é . — La légitimité de l’enfant né plus de 300 jours après la
dissolution du mariage peut être contestée, 850 et suiv. — A qui ap
partient l’action en contestation de légitimité? 855. — Différence entre
cette action et celle en désaveu, 856. — La légitimité peut être la
conséquence de l’action de l’enfant en suppression de part, 858.
e t t r e d e c h a n g e . — Le souscripteur d’une lettre de change peut prou
ver par témoins les simulations lui enlevant un on plusieurs des ca
ractères essentiels à sa perfection, 1284 et suiv.
i b é r a l i t é . — Nullité des libéralités faites par un malade à son méde
cin, chirurgien, e tc ., pendant sa dernière maladie, 183. — Ces libé
ralités doivent être annulées, encore qu’elles aient été déguisées sous
la forme d’un contrat à titre onéreux, 184. — Importance du droit
de disposer de ses biens, 366. — Mais ce droit doit être l’expression
d’une volonté libre, conséquences quant aux libéralités arrachées par
le dol, 367 et suiv. — Quant à celles consenties dans un état d’insa
nité d’esprit, 370. — Fondement de l’art. 901, son application aux
libéralités, 371 et suiv. — L’insanité d’esprit fait présumer la sugges
tion, 375. — Peut être prouvée par témoins, caractère et conditions
que la preuve demandée doit offrir, 376 et suiv. — Législation an
é g it im a t io n
�L
L
tienne et moderne sur les intervalles lucides, 381. — Quid, si la li.
béralité est postérieure à l’interdiction? 382 et suiv. — La libéralité
faite à un incapable est présumée frauduleuse, 551. — Simulation que
cette règle suggérera, 552. — Motifs, caractère et fondement de cette
présomption, 553 et suiv.
i b e r t é . — Les lois concernant la liberté individuelle sont d’ordre pu
blic, conséquences quant à la fraude ayant pour objet de les éluder
ou de s’y soustraire, 1350.
o u a g e . — But et objet du louage, fraude dont il est susceptible dans
son origine ou dans son exécution, 994 et suiv. — Obligation du bail
leur de livrer la chose , 996. — La location de la chose d’autrui est
nulle, effet que produit la menace d’éviction, 997 et suiv. — Droit du
preneur s’il a consenti des anticipations, 999. — Danger que court
le communiste louant seul la chose commune, 1000. — L’usufruitier,
le mari ou le tuteur louant les biens dont il a l’administration ou la
jouissance, doit indiquer sa qualité, effet de l’omission, 1001 et suiv.
— Quid du bail fait par l’adjudicataire dépossédé par folle-enchère,
1202 bis — Effet de la fraude consistant à louer deux fois la même
chose ou dans le défaut d’indication, en cas de vente, de l’existence du
bail, 1003 et suiv. — Obligation dérivant du principe que le bailleur
est tenu d’assurer la jouissance au preneur, 1005 et suiv. — A défaut
de délivrance, le bail est résilié, si le preneur l’exige, sans qu’on puisse
le faire s’il en demande l’exécution, 1009 et suiv. — A la charge de
qui sont les réparations? Durée fixée pour celles que le propriétaire
doit faire, 1011 et suiv. — Effet de la responsabilité du bailleur quant
aux vices cachés, 1814 et suiv. — Etendue de la jouissance conférée
au preneur, effet de la prohibition de sous-louer, 1020 et suiv.—Cette
prohibition n’est pas violée si la sous-location n’est que l’accessoire
forcé d’une obligation légitime, 1025 et suiv. — Obligatipn du pre
neur de conserver les lieux ou d’en maintenir la destination, 1028 et
suiv. — 11 doit les exploiter jusqu’à la fin, 1030. — L’interdiction de
changer la destination n’a pas besoin d’être exprimée, 1031 et suiv. —
Le développement qu’un fait, même imprévu imprime à l’exploitation
d’une carrière, constitue-t-il un changement de destination? 1034 —
L’ensemble de ce principe régit le louage des biens ruraux, 1035. —
Devoir du fermier pour l’administration et la conservation de l’inté
gralité de la propriété, 1036 et suiv. — Cas dans lesquels la fraude
�560
L
TABLE GÉNÉRALE
du fermier revêt le caractère d’un délit, 4040. — Conséquences de
l’obligation de représenter à la fin du bail les capitaux attachées à l’ex
ploitation, 4044 et suiv — Reglèmeïit des malfaçons, 4044. — La
contrainte par corps est facultative pour assurer la restitution des ca
pitaux, 4045. — Nécessité de garnir l’immeuble, étendue de cette obli
gation quant aux biens ruraux, 4046 et suiv.
o u a g e d ’in d u s t r ie . —
Principes régissant le louage d’industrie, 4049
et suiv.— Responsabilité du locateur, difficulté sur les effets de la ré
ception, 4054 et suiv. — Caractère de celle-ci, 4053 et suiv.
IM
— Caractère et importance du mandat, 4205. — Facilités qu’il
offre à la fraude, conséquences, 4206 et suiv. — Obligations que crée
l’accceptation du mandat, 4209. — Formes de l’acceptation, peut-elle
résulter du silence gardé sur la proposition? 424 0 — Quid, pour les
avoués, notaires, commissionnaires? 424 4. — Obligations en cas de
refus, conséquences de l’acceptation, 4242 et suiv. — Exception à la
règle que le mandat accepté doit être accompli jusqu’à, révocation,
424 4 et suiv. — Le mandat doit être strictement suivi pour les qua
lités, quantité et pour le prix, quid, si celui-ci est dépassé? 4247 et
suiv. — Cependant la détermination du prix n’exonère pas du devoir
d’acheter à un prix moindre, s’il y a possibilité. 4220. — Le manda
taire doit rectifier l’erreur évidente du mandant, 4 224. — Il doit ad
ministrer fidèlement et en bon père de famille, 4222 et suiv. — 11 doit
entreprendre l’opération au moment même de l’acceptation et tenir le
mandant au courant de toutes ses phases, 4225 et suiv. — Faute que
le mandataire peut commettre, 4227. — Sa responsabilité à l’égard
des tiers, 4232. — Obligation de rendre compte, son étendue, 4 233 et
suiv. — Obligations du mandant envers le mandataire, 4 236. — Sa
position vis-à-vis des tiers, 4 237 et suiv. — Nature des pouvoirs con
fiés aux commis-voyageurs , effet des obligations qu’ils contractent,
4239. — Position du mandataire ayant excédé son mandat vis-à-vis
du mandant et des tiers, 4 250 et suiv.
a n d a t a ir e . —
Le dol du mandataire conventionnel ou légal est impu
table au mandant lui-même, 70. — La responsabilité de ce dernier
s’étend aux dommages-intérêts dus au plaignant, 84. — Exception
Ma n d a t .
M
�561
ET ALPHABÉTIQUE.
M
pour les mineurs, les interdits et autres incapables de droit, 82. —
Obligations et droits du mandataire, voy. Mandat.
a n d a t a ir e c o m m e r c ia l
— Le mandataire commercial peut agir en son
propre et privé nom, 1240. — Exceptions dont cette règle est suscep
tible, 4 241 et suiv. — Les tiers peuvent-ils actionner le mandant lors
qu’il est notoirement connu? 1243 et suiv. — Quid, en matière d’as
surances maritimes ? 124 5 et suiv — Etendue de la responsabilité ré
ciproque du mandant et du mandataire, 4 247 et suiv. — Effet de la
révélation du nom du mandant, 4249.
Ma rchandise , v o y .
M
M
M
Jeu, Usure, Vente.
— Facilité pour le mari de commettre la fraude, précautions pri
ses dans l’intérêt de la femme, 811. •— Révocation des donations qu’il
aurait obtenues, 812. — Comme chef de la communauté il ne peut
aliéner, à titre gratuit, l’universalité ou une quotité du mobilier, 84 6
et suiv. — Simulation pour éluder cette régie, admissibilité de la
preuve orale pour l’établir, 819. — Présomptions pouvant être invo
quées, 820 et suiv. — Le maintien de la vente attaquée donnerait lieu
à récompense en faveur de la femme, 822. — Mais la vente reconnue
comme donation déguisée pourrait être annulée, 823. — Comment
doit être entendue la faculté laissée au mari de donner à toute per
sonne, et à titre particulier, le mobilier de la communauté ? 824 et
suiv. — La réserve d’usufruit en faveur du mari ferait considérer la
donation comme faite à son profit, 826. — Fraude que le mari peut
commettre comme administrateur des biens de sa femme, 827 et suiv.
A R i A G E . — Motifs de la protection spéciale accordée au mariage, 334.
— Dois nombreux dont il peut devenir l’occasion, conséquence. 337
et suiv. — Exceptions au principe de l’indissolubilité du mariage, 330
et suiv. •— Exemple d’un mariage simulé pour acquérir des avantages
subordonnés à sa célébration, 342 et suiv. — Il n’y a pas de mariage
si le consentement des époux n’a pas été libre, 346 et suiv. — L’er
reur sur la personne ne peut pas être entendue que de l’erreur sur la
pei'sonne physique, 348 et suiv. — Le dol ayant déterminé le mariage
ne peut le faire annuler, effets dont il est susceptible, 332 et suiv. —
Le mariage ne peut en général être attaqué par les tiers pour cause de
simulation, 4641 et suiv. — Peut-on du moins en contester les effets,
quant aux avantages qu’il ferait acquérir? 4463 et suiv.
é d e c in
— Incapacité édictée contre les médecins par l’art. 909 du
a r i
.
iv
37
�562
M
M
M
M
TABLE GÉNÉRALE
Code civil, 161 et suiv. — Cette incapacité se déduit plutôt du fait du
traitement que de la qualité de la personne. 165. — Comment ce trai
tement devra-t-il être constaté? 169. — Quid, des personnes qui ont
traité le malade sans titre aucun ? 181. — L’incapacité du médecin estelle couverte par le mariage qu’il contracte avec sa malade? 1445. —
La ratification de ce mariage par les héritiers le rendrait inattaquable
et lui assurerait toute efficacité, 1466.
e n s o n g e . — Tout mensonge ne constitue pas le dol, 23. — Opinion
de Pothier à cet égard, 24.
i n e u r . — La nullité de l’engagement du mineur est la conséquence de
la lésion légalement présumée , 114 et suiv. — Légitimité de cette
présomption, 119. — Les actes faits par le mineur assisté de son tu
teur ne peuvent être attaqués que de la manière indiquée pour ceux
du majeur, 122 et suiv. — Le mineur ne peut être relevé de son dol,
125. — Ce dol n’est jamais présumé en faveur du majeur, 126. — Le
mineur autorisé à faire le commerce est, quant à ce, assimilé au ma
jeur, 127. — A quelles conditions le mineur peut-il valablement trai
ter avec sort tuteur? 134 — Les termes de l’art. 472 du Code civil
comprennent-ils toute sorte de traités, ne concernent-ils que ceux in
tervenus sur la gestion tutélaire? 140 et suiv. — La présomption fai
sant annuler le traité violant l’art 472 du Code civil n’admet pas la
preuve contraire, 144 et suiv. —■Mais la question de savoir si la red
dition di compte a été complète est laissée à la prudence du juge, 1 48.
— Le mineur est recevable à attaquer la donation entre vifs qu’il a
consentie à son tuteur, contrairement à l’art 907 du Code civil, 154.
Voy. Donation, Libéralité, Testament.
i n i s t r e d u c u l t e . — L’art. 909 déclare les ministres du culte incapa
bles au même titre que les médecins, chirurgiens, etc..., condition en
ce qui les concerne, 170 et suiv.
o y e n s . — C’est sur la gravité des moyens allégués sur la poursuite du
dol que devra se porter l’appréciation du juge, 25. — Faut-il que ces
moyens aient dû faire impression sur un esprit raisonnable? 26 et
su iv ._Différence entre les moyens et la cause d’une demande, voy.
Chose jugée.
NI
N
é g l ig e n c e
.
— La négligence que l’usufruitier mettrait à conserver
�ET ALPHABÉTIQUE.
563
les biens est assimilée aux. dégradations, 1707. — Caractère qu’elle
pourrait prendre à l’encontre de ses créanciers , droits de ceux-ci,
1708.
o t a i r e . _ Principe et étendue de la responsabilité des notaires, 476
et suiv. — La faute lourde est assimilée au dol, 478. — Faute sans
influence sur la validité de l’acte, son caractère, ses effets, 479. —
Quid, du notaire agissant comme mandataire de la partie? 480. —
Erreur de droit entraînant la nullité de l’acte, ses effets, 481 et suiv— Dans tous les cas, l’ignorance du notaire n’est excusable que si la
preuve de sa bonne foi est acquise, 486. — Effet de la faute entraînant
la nullité de l’acte, 487 et suiv. — Quelle est la quotité de domma
ges-intérêts à allouer? 49 0 .— Le notaire, garant de l’individualité
des parties, l’est-il de leur capacité? 491 et suiv. — La preuve que le
notaire connaissait l’incapacité obligerait sa responsabilité, 493. -—
Responsabilité et devoir du notaire dans le cas prévu par l’art. 973
du Code civil. 1574 et suiv. — Le défaut de réponse du notaire A la
proposition d’un mandat constitue-t-il l’acceptation du mandat, voy.
N
Mandat.
N
. — Caractère de la nullité des actes souscrits par l’interdit
après son interdiction, 130. — La nullité du traité fait contrairement
à l’art. 472 du Code civil, n’étant pas susceptible de ratification, ne
peut être couverte par l’exécution, 149. — Distinction entre la nullité
de plein droit et celle par voie d’action, 267. — En quoi leurs effets
diffèrent, 268. — L’acte dolosif n’est pas nul de plein droit, consé
quences, 269 et suiv. — A qui appartient l’action en nullité? 271 et
suiv. — L’auteur du dol ne peut jamais l’exercer, 273.
u l l it é
O
O
— Tout traité secret, déguisant le prix d’une cession d’office,
est radicalement nul, 1301 et suiv. — Cette nullité peut-elle être op
posée par le cessionnaire au tiers ayant payé à sa décharge? 1309*
— L’acquéreur d’un office peut-il être poursuivi par les créanciers
du vendeur en fraude desquels il a déterminé le prix? 1796 et suiv..
— L’action des créanciers ne peut avoir pour objet que la réparation
du préjudice souffert, 1799. — La complicité du cédant peut être éta
blie par témoins, 1800. — Responsabilité de l’acheteur en cas de
f f ic e
�364
TABLE GÉNÉRALE
fausse déclaration sur saisie-arrêt, 1801. — Les paiements partiels re
çus par le cédant, les cessions du prix, par lui consenties avant l’ap
probation du gouvernement, sont-ils valables? 1802 et suiv. —
Les quittances, même sans date certaine, peuvent-elles être oppo
sées aux créanciers? 1806. Voy. Contre-lettre, Ratification, Répé
tition.
F
. —• Effet, quant à l’action Paulienne, du paiement du créan
cier poursuivant, offert ou réalisé par le défendeur, 1828.
P a r e n t é . — La parenté entre l’auteur du dol indirect et la partie appe
lée à en profiter ne change pas la nature du dol, mais elle peut influer
sur la complicité par connaissance, 85.
P a r t a g e . — L’égalité entre les copartageants est la règle la plus absolue
des partages, atteintes qu’elle peut recevoir, 912. — La lésion acci
dentelle n’est une cause de rescision que si elle va à plus du quart,
913. — Secus, si elle est le résultat de la fraude, 915. — Ou si elle
coïncide avec le prélèvement de la quotité disponible, 916. — L’ac
tion en lésion ne se prescrit que par dix ans, quel est le point de dé
part de ce délai? 947 et suiv. — Quid, pour le partage fait par l’as
cendant? 919 et suiv. Voy. Succession.
P o s s e s s e u r , voy. Renonciation.
P o s s e s s i o n , voy. Ibid.
P r é j u d i c e . — Son existence est indispensable pour qu’il y ait dol pu
nissable, 37. — S’il est dénié, la charge de le prouver incombe au
demandeur, 40.—Un préjudice moral ferait-il annuler le contrat? 41*
P r e s c r i p t i o n . — Justice de la prescription contre l’action en nullité, sa
nécessité, 613 et suiv. — Son fondement philosophique suivant M.
Troplong, 615 et suiv. — Pour prescrire, il faut que l’acte ait été
exécuté, 618. — Condition que doit réunir l’exéeution décennale, son
point de départ, 619 et suiv. — A la charge de qui est la preuve du
moment de la découverte du dol? 621.:— Nature de cette preuve,
622. — Les principes généraux sur l’interruption régissent la pres
cription de l’art. 1304, quid, des causes de la suspension ? 623 et
suiv. — L’action en dommages-intérêts se prescrit-elle comme celle
en nullité? 625. — Toute action serait-elle éteinte après trente ans
P
a ie m e n t
�ET ALPHABÉTIQUE.
565
du jour de l’acte, si le dol n’avait été découvert que depuis moins de
dix ans? 626. — Importance de l’art. 1304 pour la répétition de ce
qui a été payé en vertu du contrat vicié, 627. — Ce n’est que l’action
que l’art. 1304 régit, même en cas de non-exécution, conséquences
pour l’exception de nullité, 628. — Origine de la règle rendant l’ex
ception perpétuelle, 630. — Motif du silence gardé à cet égard par le
Code, 631. — Application de la règle en matière de d o l, condition
de cette application, 632 et suiv — L’exception n’est admise que
lorsqu’elle tend à maintenir l’état actuel, conséquences, 637 et suiv.
_L’action révocatoire des tiers est susceptible de prescription, point
de départ et délai de celle-ci, 1820 et suiv. — Délai de la pres
cription de l’action en nullité du pacte sur succession future, 1366
et suiv.
P b é s o m f t io n
— Dans tous les cas d’admissibilité de la preuve orale, les
présomptions peuvent servir à juger le litige, 254. — Exigences du
droit ancien sur le nombre des présomptions, 255 et suiv. — Carac
tère que le Code exige, 257. — Pourrait-on annuler l’acte s’il n’exis
tait qu’une présomption? 258. — Comment les présomptions doiventelles être appréciées? 259 et suiv. — Définition de la présomption,
conséquences, 768. — Existe-t-il, en matière de simulation, des faits
devant plus particulièrement la faire admettre? 769. — La fraude est
présumée en faveur des tiers, lorsque le débiteur, devenu complète
ment insolvable, aliène ses biens ou refuse d’acquérir, 1438 et suiv. —
— Dans le cas de fraude présumée, il suffit de prouver le fait auquel
s’attache la présomption, 1454. — Devoirs des créanciers querellant
l ’acte de leur débiteur, présomptions qu’ils peuvent invoquer, 1455 et
suiv. — Dans tous les cas, la pertinence des présomptions est laissée
à la prudence du juge, 1458.
P b ê t . — Diverses espèces de prêt, leur nature, 1111 et suiv. — Prêt à
intérêt, historique, 1114 et suiv. Voy. Usure.
P b e u v e l i t t é b a l e . — Excellence de la preuve littérale en matière de
fraude, autorité qui lui est due, 725.
P b e u v e o b a l e . — L’admission de la preuve orale était une nécessité en
matière de dol et de fraude, 9 et suiv. — Comment s’apprécie son ad
missibilité? 11. — Doutes qu’ellesa soulevés, 232 — Origine de cette
preuve, 233 et su iv ._La prohibition de l’art. 1341 n’est pas appli
cable au dol, 239. — La preuve orale n’est pas recevable dans le cas
de dol postérieur au contrat, 241. — Conditions pour qu’elle soit re-
�566
TABLE GÉNÉRALE
eue dans les autres hypothèses de dol, 249 et suiv. — Par quels élé
ments doit-on résoudre la question de sa recevabilité en matière de
fraude? 726. — Exception au principe de l’art 1341 en faveur de la
partie qui a ignoré la fraude, 727 et suiv. — Il n’en est pas ainsi de
la fraude concertée, 729. — La preuve orale n’est pas admissible lors
que la fraude cache une simulation licite, 762.
Exception pour le
cas de révocation légale ou de réduction d’une donation déguisée sous
l’apparence d’un acte à titre onéreux, 763. — La preuve orale est ad
missible lorsque la fraude déguise une convention illicite, 765 et
suiv. — Lorsqu’elle est exécutée contre les tiers, 1439 — Ou lors
qu’il existe un commencement de preuve par écrit, voy. Commence
ment de preuve.
P
P
P
a p a r t i e . — Motifs et historique de la prise à partie, 448 et suiv.
— Cas donnant ouverture à l’action, 452. — Différence, en cette ma
tière, entre le dol et la fraude, leurs effets, 453 et suiv. — La concus
sion est assimilée au dol, 457. — La preuve orale est admissible, 459.
— Caractère du déni de justice, mode de le constater, 460 et su iv ._
L’art. 505 du Code de procédure civile est essentiellement limitatif,
462. — Difficultés relativement à la faute lourde, 463 et suiv. — Con
tre qui peut être dirigée la prise à partie? 468 — Peut-elle l’être con
tre les arbitres, 469. — Position que fait au juge l’admission de la re
quête, 470. — Influence de cette admission sur la décision attaquée,
471. — Effet de la consécration de la prise à partie, 472. — Quid, si
la partie a coopéré au dol du juge, 473. — La condamnation contre
le juge peut entraîner la contrainte par corps, 474.
r ix . —
La vileté du prix est une présomption de fraude, mais ne la
suppose pas nécessairement, 71.
r o m e s s e d e m a r ia g e . —
L’inexécution d’une promesse de mariage donne-t-elle lieu à des dommages-intérêts? 1352. Voy. Dédit.
r is e
O
Q
Q
d e s p a r t i e s . _Les parties ont autant de qualités distinctes
que de droits différents à exercer, voy. Chose jâgée. — La parenté
existant entre le vendeur et l’acheteur fait facilement présumer que
l’aliénation est simulée en fraude des créanciers, 1450.
u o t i t é d i s p o n i b l e . — La quotité disponible ne se détermine qu’à la
u a l it é
�ET ALPHABÉTIQUE.
567
mort du donateur ou du testateur, conséquences quant à l’action en
nullité ou en réduction, 4 673. — Mais peut-on soumettre les donatai
res à fournir caution pour la restitution de l’excédant ? 4674. — Peuton cumuler les quotités des art. 94 3 et 4094 du Code civil? 4 690
Voy. Donation déguisée entre époux, indirecte, et Réserve.
R
R
R
R
R
. — Le rapport que le père ferait à ses enfants des fruits par lui
perçus, en l’absence et avant toute émancipation, pourrait être annulé
sur la poursuite de ses créanciers, 4 639. — La renonciation en faveur
d’un successible ne constitue pas un avantage soumis à rapport, 1640.
a t i f i c a t i o n . — Définition de la ratification, 570. — Fondement juridi
que de cette fin de non-recevoir, 574. — Principes généraux la régis
sant , 572 et suiv — Le traité secret dissimulant le prix d’un office
ne peut être ratifié, 4307. — La ratification de la vente du bien do
tal, consentie par la femme ou ses héritiers après la dissolution du
mariage, est opposable soit à ses héritiers, soit à ses créanciers, 4345
et suiv. — La ratification du pacte sur succession future, faite après
que la succession est ouverte, est valable, 4 365. — La ratification ex
presse ou tacite du débiteur est-elle opposable aux créanciers agissanen vertu de l’art. 4 467? Quid, de celle émanée de certains créan
ciers? 4 849.
a t i f i c a t i o n e x p r e s s e . — Conditions pour que la ratification expresse
soit valable, 580. — Elle doit rappeler la substance de la convention
et mentionner le vice dont elle est atteinte, 584 et su iv .— Consé
quences pour les vices autres que celui indiqué , 583 et suiv. — La
ratification pour lésion exclut tout reproche ultérieur de violence,
mais non celui de dol, 585 et suiv. — Quid, si la ratification émane
de l’héritier? 587. — La ratification doit exprimer l’intention de pur
ger le vice primordial, 5 8 8 ._Formes de l’acte de ratification, 589 et
suiv. — La ratification imparfaite peut être complétée, à défaut, l’acte
ne peut ni servir de commencement de preuve, ni rendre la preuve
orale admissible, 594 et suiv.
a t i f i c a t i o n t a c i t e . _La ratification résultant de l’exécution équivaut
à la ratification expresse, 593. — Caractère que l’exécution doit offrir
pour opérer ratification, 594 et suiv. ~ Des offres de paiement non
a p p o r t
�568
TABLE GÉNÉRALE
acceptées n’emportent pas ratification, 599. — Il en serait de même
des mesures conservatoires ayant précédé la demande en nullité, 600.
— L’exécution partielle est une ratification valable, 601. — Cette
exécution doit être volontaire, 602. — Qitid, si elle n’est due qu’à
une erreur de droit ou si elle n’a été obtenue qu’à l’aide d’une con
trainte ou la menace d’un procès, 603 et suiv. — Epoque à laquelle
l’exécution volontaire équivaudra à ratification, 606 et suiv. — A qui
incombe la charge de prouver l’utilité de l’exécution? 6 0 8 ._L’exé
cution volontaire, après la connaissance du vice, emporte l’intention
de le purger, 609. — Quid, si l’exécution n’est que la conséquence
de la nature de l’acte? 610. — Le paiement intégral ou partiel d’une
lettre de change ou de tout autre effet négociable, entre les mains du
porteur , n’est point une ratification, 611. — Les conditions exigées
pour la ratification des obligations le sont pour celle des libéralités li
tigieuses, 612.
R e c e l é . — Caractère que doit avoir le recélé imputé à la femme com
mune, 1537. Voy. Détournement.
R e n o n c i a t i o n . — La femme qui a renoncé à la communauté ne pourrait
exciper de son dol pour se faire relever de sa renonciation , 1525. —
La femme ou ses héritiers peuvent faire annuler la renonciation qu’ils
auraient réalisée dans l’ignorance des détournements commis par le
mari ou ses héritiers, 1528. — Effet de la révocation de la renoncia
tion sur la poursuite des créanciers de la femme, 1534. — Les créan
ciers du cohéritier, qui a renoncé à la succession, peuvent-ils attaquer
cette renonciation pour fraude à leurs droits? 1561. — Ce droit ne
peut être exercé que par les créanciers antérieurs à la renonciation,
1566. — Exception que cette règle comporte, 1567. — Effets de l’ac
ceptation des créanciers, 1568 et suiv.
R e n t e . — La rente viagère constituée à titre onéreux est saisissable et
cessible, 1762.
r é p é t i t i o n . — Ce qui a été payé, en vertu d’une contre-lettre à la ces
sion d’un office, est sujet à répétition, 1304 et suiv. Voy. Nullité,
Office. — Dans quels cas peut-on répéter ce qui a été payé sur la
dette de jeu? Voy. Jeu.
R e q u ê t e c i v i l e . •— Définition de la requête civile, 422. — Premier cas
d’application, dol personnel, ce qui le constitue, 423 et suiv. — A
quelles conditions la requête sera-t-elle admissible dans ce cas? 430
�569
ET ALPHABÉTIQUE.
R
R
R
R
R
R
R
et suiv. — Faits pouvant caractériser le dol personnel, 434 et suiv.
— Subordination de témoins, mode de preuve et effets, 435. — Cor
ruption des experts, son caractère, ses effets, 436. — Faux serment,
différence selon qu’il a été déféré par la partie ou ordonné par le ju
ge, 437 et suiv. — Deuxième chef d’application, s’il a été jugé sur
pièces , depuis reconnues ou déclarées fausses, 43 9 ._Solution des
difficultés que cette hypothèse soulève, 440 et suiv. — Troisième
chef d’application, découverte après le jugement de pièces décisives
retenues par la partie, 445 et suiv. — Effet de la requête civile, quant
à l’exécution du jugement, 447.
e s c is io n .
Le droit de faire prononcer la rescision du contrat dolosif
est une pure faculté, 275. — Hypothèse dans laquelle la rescision est
impossible. 276. — Effets de la rescision par rapport aux tiers-dé
tenteurs, 277. Voy. Revendication. — Contre qui doit être intentée
l’action en rescision? 299.
é s e r v e . — Caractère de la disposition de l’art. 1094 sur la réserve des
ascendants, 1672. — Origine de la réserve légale des ascendants, sa
quotité, 1684 et suiv. — L’indisponibilité de la réserve des art. 913
et 915 n’est pas moins absolue que celle de la réserve des art. 1094
et 1098 du Code civil, 1688. — L’atteinte portée à la réserve par une
renonciation à une communauté, ou à un legs, peut être l’objet d’une
action de la part des enfants, effets de cette action et de celle des créan
ciers, 1689. — Conséquences de l’indisponibilité de la réserve à l’en
droit des donations indirectes, 1691.
é t e n t i o n d e l a p r o p r i é t é . — La rétention de la propriété par le ven
deur est une présomption de fraude, 1451. — De quelle manière elle
se réalise le plus souvent, 1452. — Dans quels cas doit-on en admet
tre l’existence? 1453.
é t ic e n c e . —
Effet de la réticence dans la police d’assurance, voy, As
surances maritimes.
e t r a i t l i t i g i e u x , Voy. Vente de droits litigieux.
e t r a i t - s u c c e s s o r a l , Voy. Vente de droits successifs.
e v e n d i c a t i o n . — Différence des effets de la revendication, suivant qu’il
s’agit d’un immeuble ou d’un meuble, 278. — Droits et devoir du
possesseur de bonne foi, 279 et suiv. — Prescription qu’il peut invo
quer contre le revendiquant, 282. — Difficultés que soulève la re
vendication d’un objet mobilier, 283. — Elle ne peut être exercée en
iv
38
�570
TABLE GÉNÉRALE
matière de dol ou d’escroquerie, ,288 et suiv. — Exception dans le
cas de mauvaise foi ou de fraude de la part du détenteur, 294 et suiv.
— Les meubles incorporels ne sont pas régis par l’art. 2279 du Code
civil, 296 et suiv. — Exception que subit le droit de revendication,
298. — Les créanciers qui ont fait révoquer la vente faite en fraude
de leurs droits peuvent-ils revendiquer l’immeuble entre les mains du
second acquéreur? 4764.
R év o c a tio n . — Quelles sont les causes de révocation des donations ?
Voy. Donation et Donation déguisée. — Conséquence de la règle
que les donations ne sont pas révoquées de plein droit, 4730 — Dé
lai dans lequel l’action en révocation peut être exercée par le dona.
teur, cette action passe-t-elle aux héritiers? 4734. — Peut-elle être
exercée par les créanciers? 4732. — Les donations par contrat de ma
riage sont-elles revocables pour inexécution des conditions ou pour
cause d’ingratitude? 4733.
S
S
S
- f e m m e . — Les sage-femmes sont-elles atteintes de l’incapacité édic
tée par l’art. 909 du Code civil? 467.
é p a e a t i o n d e b i e n s . — Dangers que la séparation de biens fait courir
aux créanciers, à la femme elle-même, 4483. — Etendue de la faculté
laissée à celle-ci de prendre toutes mesures conservatoires, 4485 et suiv,
—Conditions et formes de la procédure, 4 487 et suiv. Cette faculté peut
être exercée par la femme poursuivant la séparation de corps, 4 490.
— Abus qu’on a fait de la séparation de biens, précautions de la loi
4492 et suiv. — Publicité de la demande, effet de l’omission, 4494
et suiv. — Conditions d’admissibilité, époque du jugement, 4497 et
suiv. _ Obligation de la femme de prouver le désordre des affaires de
son mari, faits tendant à l’établir, 4499 et suiv. — La preuve testi
moniale peut être ordonnée d’office, 4 504. — Objet de la publicité
que le jugement doit recevoir, 4502 — Délai de l’exécution , carac
tère et forme de celle-ci, 4504 et suiv. — Comment doit-être constatée
l’exécution volontaire ? 4507.
Caractère du paiement, s’il est réa
lisé , 4508. — A défaut de paiement, comment doit se faire la pour
suite? 4 509 et suiv. — Caractère du jugement prononçant la sépara
tion de biens, durée du délai laissé aux tiers pour l’attaquer, effet de
a g e
�ET ALPHABÉTIQUE.
371
leur inaction, 1511 et suiv. — Les créanciers postérieurs à la sépara
tion peuvent-ils se plaindre de l’exécution tardive du jugement? 1513.
— Les créanciers sont-ils déchus par l’expiration du. délai d’un an,
de la faculté d’attaquer le jugement comme rendu en fraude de leurs
droits? 1514. — L’effet rétroactif du jugement est-il opposable aux
tiers comme au mari? 1516.
S é p a r a t i o n b e coups. — La séparation de corps doit-elle être pronon
cée dans le cas d’erreur sur les qualités morales du conjoint ? 353 et
et suiv. — La séparation, relâchant les liens du mariage, oblige l’é
poux qui l’a encourue à indemniser son conjoint du préjudice qu’il
peut en recevoir, 838. — Elle entraîne la révocation des avantages
faits dans le contrat de mariage, 839.
S e r m e n t . — Effet du serment prétendu ou reconnu faux, voy. Requête
civile.
S
S
. — Définition de la simulation, en quoi elle diffère du dol
et de la fraude, 1257. — Ses caractères, 1258. — Objets qu’elle se
propose, 1259. — Caractère de la simulation licite, 1260 et suiv. —
Différence entre la simulation relative et la simulation absolue, 1263.
o c i é t é . •— Caractère et objet de la société, 1057 et suiv. —
Effet du
consentement extorqué, conséquences de la nullité en résultant pour
les associés et pour les tiers, 1060 et suiv. — Quid, si la signature
est le résultat d’un faux? 1063. — Conséquences du pacte donnant à
l’un la totalité des bénéfices ou l’exonérant de toute participation aux
pertes, 1065 et suiv. — C’est la mise matérielle que la loi défend de
soustraire aux pertes, conséquences pour l’associé industriel, 1069.
— Autre exception à la défense d’être affranchi de la perte, 1070. —
Conditions sans lesquelles la participation du prêteur aux bénéfices
constituerait une usure déguisée, 1071 et suiv. — L’assurance du bé
néfice entre associés n’est valable que si le contrat est sérieux et sin
cère, 1074. — Obligation pour chaque associé de verser sa mise, effet
du retard ou du refus, 1075 et suiv. — Obligation de l’associé purerement industriel, 1077 et suiv. — L’industrie promise appartient à
tous les associés du jour de la constitution de la société, conséquen
ces, 1079. — Chaque associé est responsable de sa faute, nature de
cette responsabilité, 1080 et suiv. — Effet de la fraude, 1083 et suiv— Conséquences de l’une et de l’autre quant à la durée de la société,
1085 et suiv. — Comment peut être prononcée la dissolution de la
société à terme? 1088 et suiv. — Quel est l’effet de la renonciation
im u l a t io n
�572
TABLE GÉNÉRALE
frauduleuse ou inopportune? 1096 et suiv. — Exception de l’arti
cle 1871 du Code civil, quant à la dissolution des sociétés à terme,
1098 et suiv. — Le refus de continuer, de la part de l’associé indus
triel, devrait-il faire prononcer la dissolution malgré la résistance des
autres associés ? 1100 et suiv. — Effets de la dissolution soit con
ventionnelle, soit judiciaire, 1103. — Obligations du gérant, 1104
— Effets de la prohibition de reviser les comptes, caractère de l’action
en redressement, 1108 et suiv.
S o c i é t é c o m m e r c i a l e . — Le défaut de publicité de l’acte de société com
merciale équivaut à une fraude, 717. — Ses effets par rapport aux
associés, 718. — Aux créanciers sociaux , 719. -_Aux créanciers
personnels de chaque associé, 720. — Quid, de la société commer
ciale avec un successible? 720 bis.
S o c i é t é u n i v e r s e l l e , — La société universelle entre personnes incapa
bles de se donner ou de recevoir est présumée frauduleuse, 655. —
Débats que l’art. 1640 a soulevé dans le sein du conseil d’Etat, con"
séquences de sa disposition à l’endroit de celle de l’art. 911 du Code
civil, 656 et suiv. — Effet de la présomption de fraude, 658. — La
société universelle entre un père et son fils est-elle intégralement nulle
ou seulement réductible? 659.
S o l i d a r i t é . — La solidarité en matière de dol résulte de l’indivisibilité
du fait, 335 et suiv. — Importance de la solidarité pour l’application
de l’art. 126 du Code de procédure civile, 332.
S o l v a b il it é . —
Effet de la solvabilité du débiteur au moment de l’acte
querellé de fraude sur l’appréciation de l’action, 1823 et suiv.
S t e l l i o n a t . — H y a fraude légalement présumée dans les faits cons
tituant le stellionat, 679. — Nature de la présomption dans l’hypo
thèse de la vente, ou de l’hypothèque de la chose d’autrui, 680. —
Dans celle de présenter comme libres des biens grevés, ou déclarer des
hypothèques moindres que celles existant, 681. -h - Le silence gardé
dans l’acte sur l ’existence ou le nombre des hypothèques ne constitue
pas le stellionat, exception pour les maris et les tuteurs, 682 et suiv
— La présomption est-elle effacée par la bonne foi? Nature dé celleci, 684 et suiv. — Il n’y a stellionat, dans le cas de fausse indication,
que de la part de son auteur, conséquence à l’endroit de la femme
s’étant solidairement engagée, 686. — Le stellionat n’est punissable
qu’autant qu’il y a un préjudice possible , 687. — L’acquéreur de la
�ET ALPHABÉTIQUE.
573
ehose d’autrui a action contre son vendeur avant même d’être troublé
dans sa possession, 688. — Peine du stellionat, 689. — Les époux,
vendant comme libre un fonds dotal, commettent-ils un stellionat *
1341.
S u b o r n a t i o n d e t é m o i n s , voy. Requête civile.
S u b r o g é - t u t e u r . — La prohibition faite au tuteur de se rendre ad
judicataire des biens du mineur s’applique-t-elle au subrogé-tuteur ?
703.
S u b s t i t u t i o n f i d é i c o m m i s s a i r e . — Historique de la législation sur les
substitutions fidéicommissaires, 1581 et suiv. — Intérêt des héritiers
naturels à faire constater le caractère réel de la disposition, 1586. —
Conditions exigées pour qu’il y ait substitution prohibée, 1587 et
suiv. — Dans le doute on doit se prononcer pour la validité de l’acte,
1592. — Il n’y a pas substitution si la charge de rendre n’est imposée
que pour eo quod svpererit, portée de cette disposition, 1593 et suiv.
— Il en serait de même de l’obligation de rendre si quid supererit,
1600. — La preuve d’une substitution fidéicommissaire ne peut être
faite que par écrit, 1623. — La donation renfermant une substitution
prohibée est nulle, 1734.
S u B S T iT u T io N
de p a r t , v o y .
Suppression départ.
— Droits des créanciers contre les successeurs
irréguliers et notamment contre l’enfant naturel, 1571
c c e s s i o n . — Intérêts que l’ouverture d’une succession met en présen
ce, et objet que peut se proposer la fraude, 1540. — Précautions de
la loi en faveur des héritiers et des tiers. 1542. — Nature et caractère
du recélé puni par l’art. 792 du Code civil, ses effets, 1643 et suiv. —
Faculté pour les héritiers et les créanciers de requérir l’apposition ou
de s’opposer à la levée des scellés , 1547. — Cette dernière peut être
exercée par les créanciers personnels du cohéritier, 1548. — Nature
et effet du droit que tout créancier a d’assister à l’inventaire, 1549.
— Faculté des créanciers du cohéritier d’intervenir au partage, 1550.
.— La volonté de l’exercer résulte de l’opposition à la levée des scel
lés, 1551. ■
— A défaut d’intervention, les créanciers peuvent-ils atta
quer le partage consommé? 1552. — Quel est l’acte constituant un
véritable partage? 1553. — Forme que doit avoir l’opposition au par
tage, 1554. — Les créanciers qui n’ont pas fait opposition ne sont
pas déchus du droit d’intervenir, 1555. — Conséquences de l’opposi
tion sur la validité du partage, 1556. — Le créancier opposant a-t-il
S
u c c e s s e u r
S
u
ir r é g u i.i e r
.
�574
TABLE GÉNÉRALE
le droit d’attaquer une vente par licitation à laquelle il n’a été ni pré
sent, ni appelé ? 1557. — Droit du créancier d’un usufruit d’une par
tie de biens indivise avec un tiers, 1558. — L’opposition et l'inter
vention sont ouvertes aux créanciers chirographaires ou hypothécai
res, 1559. — Quid, des créanciers de la succession? 1560.
S u c c e s s i o n f u t u r e . — La renonciation à une succession non ouverte est
nulle comme pacte sur succession future, 6 4 6 .— Quelle est la loi
applicable lorsque le pacte étant antérieur au Cpde, la succession ne
s’est ouverte que depuis sa promulgation? 647. — Le pacte est-il sus
ceptible de ratification après l’ouverture de la succession? 648. — La
renonciation pour un seul prix à deux successions, l’une ouverte,
l’autre future, est nulle pour le tout, 649 et suiv__ La loi prohibitive
du pacte sur su ‘cession future étant d’ordre public, la nullité est ra
dicale, conséquences pour la renonciation déguisée, 1357 et suiv. —
Ce pacte résulterait de la vente du mobilier qu’on délaissera à son
décès, 1362. — Effets d’une pareille clause à l’endroit des immeubles
simultanément aliénés avec désinvestissement actuel, 1363. — La
même règle serait applicable à la vente d’une quotité de la suècession,
1364. — Exception introduite par l’art. 918 du Code civil, ses dan
gers, 1693. Voy. Prescription, Ratification.
S u c c e s s i o n t e s t a m e n t a i r e . — Fraudes que l’ouverture d’une succession
testamentaire peut faire surgir , 1572. — Droit des successibles de
faire annuler le testament soit en la forme, soit au fonds, 1572 bis.
Voy. Succession.
S u p p o s i t i o n d e p a r t , voy. Suppression de p a rt. — Peut n’être qu’un,
moyen frauduleux pour faire annuler une donation, 1698.
S u p p r e s s i o n d e p a r t . — .Différence entre la suppression et la supposi
tion de part, 890 et suiv. — A qui appartient l’action dans l’une et
dans l’autre? 894 et suiv. — Par quels principes est régie l’actiondes
parents ou autres ayant-droit? 896. — La prohibition de toute pour
suite de la part du ministère public s’applique au cas de supposition
et de substitution, comme à celui de suppression, 897.
S u p p r e s s i o n d e t e s t a m e n t . — Caractère de la suppression du testament,
411. — Peut être prouvée par témoins, 412. — Son effet, quant à
l’exécution du testament et à la régularité de ses formes, 41.3 et suivs
— Quid, si celui qui profite de la suppression n’y a pas coopéré ? 415
et suiv. — Effet de la suppression par rapport à l’hérédité, droits de
tiers, 417 et suiv.
�ET ALPHABÉTIQUE.
S
575
d ’ e n f a n t s . — Révoque de plein droit la donation, voy. Do
nation , Donation déguisée. — Caractère frauduleux et immoral
u r v e n a n c e
qu’elle peut revêtir dans ce but, 1713.
T
. —
Le testament renfermant une substitution fidéicommis
saire ne saurait sortir à effet, 4 5 8 0 . — Voy .Donation, Libéralité.
T
e s t a m e n t
T
ie r s
Succession testamentaire, Suppression de testament.
. — Quelles. sont les personnes que cette qualification désigne ?
1403__Droit des tiers en cas de fraude à leurs droits, voy. Donation,
Libéralité; Renonciation, Séparation de biens, Société, Succession,
Usufruit, Vente.
— La faveur due au titre ne saurait faire repousser sans exa
men les reproches de défaut de sincérité, 8. — L’autorité qui lui est
due ne s’efface que devant la preuve de son illégitimité, 105. — C’est
à celui qui le prétend tel, qu’incombe la charge de le prouver, 231.
— Preuve admissible, voy. Preuve testimoniale.
T r a it é . —
Effet du dol dans les traités, 262 et suiv.
T r a i t é s e c r e t , voy. Contre-lettre, Office, Ratification, R ép é titif.
T r o m p e r i e . — La tromperie sur la nature de l’objet vendu est un r'Mit.
9 5 9 . — Tromperie sur la qualité, ses effets, 964 et suiv. — EL't de
celle sur la quantité, 9 6 4 .
T r i b u n a u x . — Difficulté de la mission qui leur est confiée en matière de
dol et de fraude, 6
T u t e u r . •— Nature des obligations imposées au tuteur, 4 3 6 . _Leur
accomplissement doit être prouvé par écrit, 137. — La présomption
de dol, résultant de leur défaut, est juris et dejure, 138. — Le récé
pissé des pièces justificatives doit avoir date certaine pour faire cou
rir le délai de dix jours, formes de ce récépissé, 139. Voy. Action,
T
it r e
Donation, Mineur, Nullité.
U
U
. — Effets de l a renonciation à un usufruit à l’égard des créan.
ciers du renonçant, 1630. — Différence entre cette renonciation et
s u f r u it
�576
TABLE GÉNÉRALE
celle à une succession, conséquences pour les divers ayant-droit, 4 631
et suiv. — Différence entre la renonciation à titre gratuit et celle à
titre onéreux, 1635. — Conséquences de la violation des prescrip
tions de l’art. 1614 du Code civil, 1709. — Effet du préjudice éprouvé
par le nu-propriétaire, 1714 et suiv.
U s u f r u i t l é g a l . — La renonciation par le père à son usufruit légal
peut-elle être l’objet de l’action révocatoire ? 1637. — Quid, de celle
résultant de l’émancipation? 1638. — Les règles ordinaires de l’usu
fruit s’appliquent à celui que le père a des biens de ses enfants, 1712.
— L’abandon ou la destitution de la tutelle entraîne-t-il la perte de
l’usufruit légal ï 1713.
U s u r e . — En quoi consiste l’usure, 1115. — Justification en principe
des droits du législateur à la réglementer, 1116 et suiv — Réforme
dont la loi de 1807 serait susceptible, 1119. — Défaut de proportion
entre l’intérêt qu’elle consacre et le revenu foncier, 1120. — Véritable
valeur de l’argent en matière commerciale, 1121. — Abus de l’appli
cation du taux commercial aux lettres de change souscrites par des
non-négociants et aux prêts commerciaux garantis par nantissement
ou hypothèque, 1122 et suiv. _ L’usure ne peut exister que dans le
prêt, simulations naissant de cette circonstance, caractère des ques
tions qu’elles offriront à résoudre, 1125 et suiv. — Exemple d’usure
dans un contrat de mariage, 1127 et suiv. — Difficultés sur les droits
que les banquiers perçoivent en sus de l’intérêt légal, 1130 et suiv.
— Opinion de MM. Chardon, Duvergier, Fremery, réfutation, 1134 et
suiv. — Conséquence de la facilité que ces droits offrent à l’usure,
1138 et suiv. — Le droit de commission peut-il être prélevé en l’ab
sence d’un crédit ouvert ? 1144. — Comment se règlent les comptes
courants ? 1145. — Le solde peut-il être soumis de nouveau au droit
de commission? 1146. — Condition pour que les intérêts soient capi
talisés chaque trois mois, 1147. — Le banquier peut-il prélever la
commission à chaque renouvellement d’effets souscrits par de noncommerçants ? 1148 — La fusion des intérêts avec le capital, ou leur
prélèvement, constitue l’usure, 1149 et suiv — Peut-on, pour un ca
pital en espèces, stipuler un intérêt en denrées? Quid, si le capital est
lui-même en denrées? 1154 et suiv. — La loi de 1807 est inapplica
ble au prêt aléatoire, application de cette règle à la caisse hypothécai
re, 1156. — Au contrat à la grosse, exemple d’une usure palliée sous
l’apparence de ce contrat, 1157. — A la cession, 1159. — Au contrat
�577
ET ALPHABÉTIQUE.
p-süT
N®
de rente viagère, exemple d’une usure déguisée sous cette forme, 1160
et suiv. — Comment faut-il apprécier la donation faite par le débiteur
au créancier ? 1162 et suiv. — Il y a usure dans l’exigence de servi
ces personnels appréciables en argent, comment doit-on juger ce carac
tère ? 1167 et suiv. — L’usure peut se déguiser sous l’apparence du
contrat de société . d’une vente d’objets mobiliers, de marchandises:
par un marchand, enfin, d’un immeuble, 1170 et suiv. — Nature de
la vente à réméré , conséquences de l’usure qu’elle déguiserait, 1174
et suiv. — L’usure peut emprunter la forme d’un échange, 1182. —
Devoir qu’impose aux tribunaux la facilité que l’usure trouve à se dis
simuler, 1183. — L’usure ne devient un délit que par habitude, mais
chaque fait crée une action en faveur de l’usure, 1184. — Inapplica
bilité de l’art. 1341 à cette action, comme à celle du ministère public,
1185 et suiv. — Conséquence quant à la preuve par témoins, par pré
somption, par le serment supplétoire, usage que les tribunaux doivent
faire de cette dernière faculté , 1189 et suiv. — Effet de l’usure re
connue sur l’exécution de l’acte, 1193. — L’action du débiteur passe
à ses héritiers ou créanciers, mais elle ne peut être jointe à celle du
ministère public, 1194 et suiv. — Dans quels cas l’usurier pourra-t-il
opposer la chose jugée, 1197 et suiv. — L’usure ne peut être vala
blement ratifiée, 1200. — Prescription opposable à l’action, son point
de départ, délai requis, 1201 et suiv. — Perpétuité de l’exception,
1204.
U
s u r p a t io n
du n o m
du f a b r i c a n t , v o y .
Contrefaçon.
— Peut devenir un moyen ou une cause de fraude, 937 et suiv.
— Caractère et effets du contrat m o l ia t r a , 939 et suiv. — La vente
peut déguiser un contrat pignoratif, à quelles conditions, 944 et suiv.
— L’acte nul comme contrat pignoratif vaudra comme obligation,
947 et suiv. — Fraudes dans la délivrance, leur caractère et leur ef
fet, 949 et suiv. — L’art. 1610 ne distingue pas la fraude de la faute,
motifs du législateur et atténuations qu’il consacre à la rigueur de
cette règle, 952 et suiv. — La faculté de proroger le terme de la li
vraison peut-elle être appliquée aux ventes commerciales? 955. —
Vente.
iv
39
r.‘j
�578
TABLE GÉNÉRALE
Modifications faites à la chose vendue après la vente , conséquences
quant aux meubles incorporés, aux capitaux d’exploitation , aux ré
coltes pendantes, 954 et suiv. — La livraison d’une chose qu’on sait
impropre à sa destination est une fraude , 963. — Vente de la chose
d’autrui, ses effets, 955. — Seconde vente de la chose déjà vendue,
966 et suiv. — Effet du refus ou du retard de l’acquéreur à prendre
livraison, 969. — Effet du retard dans le paiement, 970. — Toute
dégradation volontaire, tant que le prix n’a pas été payé , est une
fraude, droit qu’elle confère au vendeur, 977. — Le vendeur non payé
peut attaquer, comme faite en fraude de ses droits, la vente consentie
par son acquéreur, 378. — La vente peut être valablement consentie
sous forme d’échange, 1270. — Importance du véritable caractère de
l’acte à l’endroit de l’action en lésion , 1271. — Peut-on l’établir par
témoins? 1272. — Présomption attachée à la vente faite aux successi
bles directs à rente viagère ou à fonds perdu, ou sous réserve d’usu
fruit, 1692 et suiv. — Facilités que la vente offre à la fraude contre
les créanciers, 1735. — Ses effets en matière commerciale, précau
tions prises à cet égard, 1736 et suiv. — Effet de la poursuite per
sonnellement intentée par un créancier, 1 7 3 9 ._Caractère et effet de
la simulation de la vente, en cas de déconfiture civile, 1740. — Effets
de l’omission de l’action des créanciers contre la vente, 1763.
V e n t é de droits l it ig ie u x . •— Le Code a admis, sur la vente des droits
litigieux, la doctrine du droit romain, 1781 et suiv. _ Difficulté que
fera naître la question de savoir s’il y a vente ou donation, 1784. —•
Le retrayant peut contester la sincérité du prix , 1785. — Le droit
au retrait est absolu, il peut être exercé pour la première fois en ap
pel, 1786. — Peut-il l’être par les créanciers de l’ayant-droit ? 1787.
— La décision définitive du procès rend tout retrait ultérieur imposai,
ble, 1788. — Exception à cette règle, 1789. — Caractère des excep
tions que l’art. 1701 introduit à la disposition de l’art. 1699 du Code
civil, comment doit être appréciée celle faite en faveur de l’héritier ?
1790 et suiv. — Prohibitions spéciales en matière d’achat de droits
litigieux, effet de la violation, 1792 et suiv.
V e n t e de droits suc c essifs . — Fraudes dont cette vente est susceptible,
effet de i’opposition à la levée des scellés signifiée par les créanciers,
1765 et suiv. — Le créancier non-opposant ne perd pas le droit d’at-
�ET ALPHABÉTIQUE.
V
V
V
579
taquer la vente en vertu de l’art. 1167 du Code civil, 1767. — Pré
somption tirée de l’exagération du prix , 1768 et suiv. — Par qui et
comment doit être établi le juste prix, lorsqu’il est impossible de pré
ciser celui qui a été réellement convenu? 1770 et suiv. — Conséquen
ces de l’obligation pour le retrayant de restituer le prix réel, à l’en
droit des frais accessoires, 1772. — La demande en retrait doit-elle
être précédée ou accompagnée de l’offre réelle de restituer le prix ?
1773. — Influence de la dénonciation de l’intention d’exercer le retrait
sur les actes ultérieurs du cédant et du cessionnaire, 1774. — Le der
nier évincé par le retrait a-t-il une garantie contre le vendeur? 1775
et suiv. — Application de ces règles à la donation déguisant une ven
te, ou à la vente qu’on soutiendra n’être qu’une donation, 1777 et
suiv. — Effets de la ratification imputée au retrayant, caractère qu’elle
doit offrir , 1779. — L’action en retrait n’est plus reeevable après le
partage, quid, en cas de nouveau partage, par suite de la rescision du
premier? 1780.
e n t e e n t r e é p o u x . — La vente entre époux est présumée frauduleu
se, motifs, 690 et suiv. — Exceptions, leur caractère, 693 et suiv. —
Leurs conditions, 698. — La vente entre époux, faite au mépris de la
loi, est nulle à l’égard des tiers, 699. — Quid, vis-à-vis des héri
tiers ? 700.
e n t e a r é m é r é , voy. Usure.
e n t e a r e n t e v ia g è r e
— Caractère de la vente à fonds perdu, con
ditions qu’elle exige, 1743 et suiv. — Le risque sérieux existe-t-il
lorsque le taux de la rente est inférieur aux revenus des biens alié
nés ? 1745 et suiv. — Cette vente comporte-t-elle l’action en lésion ?
1747 et suiv. — La vente est nulle si au moment du contrat le crédi
rentier était mort, 1750. — Différence, sur ce point, entre la vente et
le contrat d'assurances maritimes, 1751. — La vente est nulle si la
rente a cté constituée en faveur d’une personne morte dans les vingt
jours de la maladie dont elle était atteinte le jour du contrat, alors
même que cette personne eût elle-même été partie à l’acte, 1752 et
suiv. — La nullité étant d’ordre public, la renonciation à s’en préva
loir ne produirait aucun effet, 1754 — La vente sans date certaine estelle opposable aux héritiers du vendeur? 1755 et suiv. — Conséquen
ces de la négative, quant à la preuve de la sincérité de la date, 1758.
�580
TABLE GÉNÉRALE
— Conditions indispensables pour que la nullité puisse être pronon
cée, 4759. — L’art. 4795 du Code civil est applicable au cas où il y
a plusieurs erédi-rentiers, comment se règle alors le sort de l’acte ?
4760 etsuiv.
V ic e b é d h ib it o ib e . — Celui qui vend sciemment un animal atteint d’un
vice rédhibitoire commet un véritable dol, 62. — Caractère de ce dol,
ses conséquences quant aux dommages-intérêts, 94 et 307.
FIN DE LA TABLE GÉNÉBALE ET ALPHABÉTIQUE.
��
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Traité du dol et de la fraude en matière civile & commerciale, 3e édition revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Droit civil
Description
An account of the resource
Nouvelle édition du traité en trois tomes sur des vices du consentement en droit civil et commercial : le dol et la fraude
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-20985/1-4
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234486171
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22985_Bedarride_Traite-dol_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
4 vol.
514, 502, 539, 580 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une nouvelle édition du traité en trois tomes sur des vices du consentement en droit civil et commercial : le dol et la fraude. La première édition est également disponible sur Odyssée.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence met à jour et enrichit son traité Du dol et de la fraude dans cette nouvelle édition. Le dol est traité dans les tomes 1 et 2 de ce traité, tandis que la fraude figure dans les tomes 3 et 4. La simulation est traitée par l’auteur dans le dernier tome.
3ème édition, revue et mise au courant de la doctrine. La première édition est également disponible sur Odyssée.
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Dol (droit civil) -- France
Droit commercial -- France
Fraude -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/364/RES-AIX-T-092_Carbuccia_Collatio.pdf
f1b75397a54e74a47d9ed085e0f0e1e3
PDF Text
Text
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
THÈSE POUR LE DOCTORAT
DE LA COLLATIO BONORUM
EN DROIT ROMAIN
DU RAPPORT .
DANS LE DROIT FRANÇAIS ANCIEN ET MODERNE
PAR
PIERRE
CARBUCCIA
AVOCA1" A LA COU!\ D' APPEL DE BASTIA
Lauréat du Concours de Licence (18'72)
4§sli 1;»
/~ '<~'
~·
/.
l~ ::.
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~·c
~o1Jai
~ r: -.""""2"
'_:!_,/"
:B.A.ST X .A.
IMPRIMERIE V·
EUGÈNE
1876
11111111111111111111111111111
10021 5 529
OLLAGNIER
�A LA MÉMOIRE
DE MON PÈRE & DE MON FRÈRE
A LA bJÉMOJRE DE MES ONCLES
ln omnibus quidem, mlWimi tamen in jure, œquitas spectanda est.
PAUL,
LE GE NERAL CARB UCCIA ET P. CATON!
L. 90. Dig. de ~eg. jur. 00. ~7.
A MA MÈRE, A MES SŒURS
�DROIT ROMAIN
DE LA COLLATIO BONORUM
Dig. XXXVII, 6 et 7. Cod. VI, 20
flic titulu.s manifestam habtt
œquitatem.
( L . 1 pr. Dig . 37. 6.)
l
A Rome la législation des Douze Tables
reconnaissait à tout citoyen, paterfamilias, le
droit absolu de disposer par testament de la
totalité de son patrimoine. Ce principe était
une des conséquences du pouvoir illimité
qu'exerçait le père sur la personne de ses
enfants. La loi n'y apportait aucune restriction
et ce n'était qu'à défaut de testament ou si
le testament ne pouvait produire d'eCîet, qu'elle
intervenait pour régler la dé,·olution de l'hérédité : la succession était alors déférée aux
�-8-
-9 -
hél'itirl's siens d'abord, puis aux agnats et
enfin am gentils.
"
lfl\""'i
'
h' 11• -
(.L '\.
'
Son. r empire de cette législation , les héritiers siens n'avaient aucune garantie contre
la liberté testamentaire du père de famille ; ils
étaienl exclus de la succession par cela seul
qu'il les omettait. tilais à une époque indéterminée, les Jurisconsultes frappés du défaut
d'analogie existant entre cette liberté et le
principe de droit civil sur la copropriété de
famille ( 1) imposèrent au père qui voulait
déshériter ses enfants l'obligation de le déclarer formellement : l'exhérédation expresse
fut donc nécessaire. Ce n'était, il est vrai,
qu'une pure règle de forme; mais, en exigeant
une déclaration formelle, elle laissait pressentir
que bientôt le père ne pourrait plus dépouiller
ses enfants sans causes sérieuses.
/1
Cette mesure de protection que la coutume
~ avait introduite en faveur des héritiers siens
ne s'élendait pas aux enfants émancipés. Ceuxci, en effet, neque sui hœredes sunt, quia in
potestate parentis esse desierunt, neque alio ju1·e
per legem vocantur; en sortant de la famille
na_turelle, ils perdaient tout droit à la copro-
priété du patrimoine de leur père (2). C'était
(1) JuS"r. IL 49 - CA10s, IL 457 - L. 4 ~ Dig. 'l8 2 Tin L1VB, X.XIY. u.
· ·
('l) • La succession su.ivait le lien de la puissance ; on
[/
là un des vices les plus choquants du systl~me
des Douze Tables, et il es t aisé de se rendre
compte de l'injus tice de ses conséquences puisque, même en l'absence de tes tament, l'émancipé
perdait tout droit à la s uccession de son père.
Le Préteur, n alurali œquitale motus, apporta
de bonne !heure un adoucissement à cette loi :
il rappela les enfants éman cipés à la succession
,
d;"palerfamilias, et, en leur accordant le béné- ' 'J/f•,,..,G- ~v/"'
fice de la bonormn possessio, il leur permit de r1·c:.t~ j "f.•>.,,.....,
coneourir avec les hœredes sui. ( Inst. § 9. cle
/,
(_
f ~1{--'1
r</l.H-''7
hœred . quœ ab intesl. clefert. ) . Cette bonorum
<) 1/ e/, ,__
p ossessio introduite par l'édit réparait ainsi à (,, .. ,~ /' ,
l'égard des émancipés une injustice du droit c;.tfî. ~ ·
civil; mais il était à craindre qu'un mal nou- /J<c • (vic-14 1-. (,../,
veau ne succédât à celui auquel on venait de 4c,..1,..,f._,
porter remèrle : d'un cô té, en effet , tout ce que
pouvaient acquérir les sui faisait partie de la
succession du père, et les enfants émancipés
devaient y prendre part ; d~n autre côté ceuxci conservaient de droit tout ce qu'ils avaient
acquis depuis l'émancipation. Le Préteur ne
pouvait donc pas, sans blesser la plus stricte
.(,t--
(;l
n'était héritier qu'autan t qu'on était uni par le lien de Ja
puissance civile. Quiconque sortait de cette communauté
» par l'émancipati on perdait ses droits de succession; il ne
» lui restait que la pare nté naturelle incapable de les con» server . » - TROPLONG, ln fl . du GhriM. sur le dr. civil des
Rom ., page 321.
»
D
�-
10 -
équité, appeler les émancipés à la succession
du de ctiju" ans les assujettir à faire à la
ma ·se l'apport préalable de leurs biens personnels 1collntiol: coasequens esse c1·edit tit sua
quoque bona in medittm conferant, q tû appetiint
-
11 -
la nouvelle institution n'a plus rien de commun
avec celle introduite par le Préteur et présente
de grandes analogies avec le rapport du droit
français.
patcnrn.
c·e t dans cette collatio qu'il faut rechercher
l'origine du rapport ùu ùroit français; dans ce
premier état de la législation romaine, il est
difficile d'apercernir l'idée moderne du rapport
à uccession. ~on seulement le Code civil n'a
pas reprodmt les règles de l'émancipation, mais
ùe plus l'objet de la collatio diffère de celui du
rapport. puisque l'obligation imposée à l'éman c1pé porte sur des bien~ qui n'ont jamais été
compris dans le patrimoine du père. li y avait
plutôt apport que 1·apport. Mais l' institution
devait receYoir plus d'extension ; son premier
caractère se modifie à mesure que s'effacent
les différences entre les enfan ts émancipés et
ceu".\ en pmssance ; la nature de la dot donne
naissance à une collatio qui dans certains cas
e l un Yéritable rapport, et l'assimilation devient
plus complète lor~qu'au Das-Empire les jurisconsultes introùuisent dans cette théorie l'id ée
d'une égalité à établir entre tous les enfants qui
ont reçu. des libéralités de leurs ascendants.
A cette époque il est encore question dans le
Code et dans les ~ovelles d'une collatio, mais
CHAPITRE
I.
DE I.A. ()OI..t..ATIO DOl'fORIJltI.
« Le rapport ou collat'io bonot·um consiste
» dans l'obligation imposée aux descendants
» émancip és de partager leurs biens personnels
» avec les sui hœredes arrivan t en même temps
>) qu'eux à l' une des bon. poss. contra tabulas ou
» unde liberi . » Nous examinerons sur cette
collatio : 1° d ans quels cas elle a lieu ; 2° quel
en est l'objet; 3° comment elle s'effectue.
�-
~ '2
-
SECTION I.
Dans quels cas a lieu, la collatio.
La collatio a lieu dans les bon. possessiones
déférées par le Préteur aux descendants ; elle
est évidemment étrangère à toute autre bon.
poss. comme la bon. poss. secundum tabulas où
elle co ntredirait la volonté du défunt. (L. I.
Cod. 6. 20.)
Deux conditions sont nécess aires pour que
l'émancipé en s oit tenu :
a. Il faut d'abord qu'il obtienne la bon01·um
•
JU•VJ "'-11111 ··J
.
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possessio ; la collatio n'est-elle pas, en effe t, une
1
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·in •• , conséquence de la success ion prétorienne ?
" -(fv- 1'
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e~ ~ tfl • ~ Ainsi, si le fils émancipé renonce au bén éfi ce
de la poss . bon. pour s'en tenir aux biens qu'il
.:...----:~11 i- ~
' ~- ~ itt :_ {A, Jt>-•..t..
a personnel lement acquis, il abdique tout droit
..... t•.J.t J ~
1
11
à la succession de son père et se soustrait par
,
1 ,
là à l'obligation de la collatio. (L. 2. § 5, L. 1.
- - ( ' c,(lliel"
)'-i
.
ir ,,
0
ult. h. t.)
,, J lfl 1 ~i· ' ,
De même cette obligation cesse pour l'éman~ 1.......- t · C') .,• ....._ d ·1 .
é
•
{ f! V-- ().k
1' '
/'o ~"N <t-o cip quan 1 vient à la succession paternelle
1:ttJ 1, tl'l ~ . J i.. _ sans le secours du Préteur. Cela se produit
dans le cas où !'émancipé est institué héritier,
~l.,J, ,~,~ '( ,_,
vel max imè autem tune emancipatum conferre
/' a.. ~Vl.,.,
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( C14 ,
... ~
...- ' ) ) ) ' "~--
non oportet, si eliam jttdicium patris meruit, nec
quidquam ampliits nanciscitttr, quam ei pater
dedit. (1) (L. 1. § 6. h. t.). Ce principe a été
appliqué par P apin ien dans une espèce rapportée
par la loi 6. Dig. 37, 7 : Un père voulan t déshériter sa ftlle institue pour héritier son fils émancipé; la fi lle exhérédée intente la querela inofficiosi lesfamenti, et ayan t triomphé dans l'action,
elle prend pour sa part la moitié de la succession (2). Pourra-t-elle exiger de son frère la
collatio bonontm? Non esse paùem bona propria
con ferre cogendmn, dit Pap inien, nam el liber1
lates competere placiât.
-lt c "If!.
J,.. •
9 <:../"'-'
b. Le rapport n'est dû qu'autant que le bonorum possessor en venant à la s uccession cause ~ <o.- , :..t/ ~{.jt~j /
~J1 ;J..,1
un préjudice au wus. (L. 1. § 3. h . t.) C'est là ( ,. .__ dfi/
la s econde cond iti on nécessaire pour qu'il y
l J
ait Jieu à collatio. En voici quelques applica- /(',/.. tians :
Un père meurt intestat laissant quatre enfants, deux émancipés e t deux en puissance;
tous les quatre venant à la succession, chaque
(1) Toutefois l'émancipe institué héritier serait tenu de la
collatio si le père en avait fait une condition de l'institution.
(1. .1. Cod. 6. 20).
(2) Si dans la mème espèce, le testateur n'avait institué
son fils que pour moitié et qu'il eût, pour l'autre moitie,
institué un étranger, ce ne serait que pour cette moitié de
l'étranger que la querela annulerait les effets du testa.ment.
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émancipé sera tenu de partager ses biens avec
les sui. (L. 3 . § 3. h . t.) Mais la collatio ne
pourra être exigée dans les rapports de~ éma~
cipés entre eux, car si le rapport a é~e admis
servandœ œqualitatis inter fratres graliâ, cette
maxime n'est vraie qu'à l'égard de deux frères ,
dont l'un seul a été émanci.p6, ila ut si uftinque
emancipati sint, dit Pothier, cessante collatione,
devra-t-il la collatio à son frère? Non, dit d'abord Scévola, dans L . 10. h . t. , parce que sur ce
point le texte de l' édit du Préteur est form el ;
mais ce jurisconsulte s'empresse de revenir sur
sa première décision e t il en donne les motifs
suivants: Secl magis sentio, ut, quemaclmodum
pro parte l1œreùilatem relinel jltre eo, qiwd bonorum p ossessionem pe fete posset, ita et conferri ei
debeat; 1ûiq1te quum injuriam per bonoriim possessionem vatiatnr. Il semble donc résulter de
nullam Jwjus œqualitatis ralione1n haberi manifestum est.
Le de ciijus a institué pour ses héritiers un fils
en puissance et un étranger, et a omis son fils
émancipé. Si la part assignée au suus dans le testament est inférieure ou au plus égale à la moitié de la succession, !'émancipé qui aura obtenu
la ]Joss. bon . contta tab . prendra la moitié dupatrimoine paternel sans être tenu de partager avec
son frère ses biens personnels . Dans ce cas, en
effet, le motif qui a donn é naissance à la collatio
fait défaut et l'héritier sien ne devait pas pouvoir exiger le rapport de celui gràce auquel
il obtenait une part plus forte de l'hérédité.
( L. 1. § 4. b . t., L. 8. § 14. Dig. 37. 4.)
Mais quelle décision adopter dans l'espèce
~/a~' f ~._ ?~-t::.-. suivante? Un père institue pour héritier son
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l'interprétation donnée par Scévola qu'en matière de collatio bonorum. 0n doit plutôt s'inspirer de l'esprit qui a dicté l'édit du Préteur que
du tex te littéral de cet édit. Cette opinion n'est
pas généralement admise par les auteurs : ainsi
Cujas qui adople sur la ques tion le sentiment
du jurisconsulte romain restreint la solut101f
donnée par Scévola à la seule hypothèse prévue par la loi ·10 : inlet frat res twn donmm collcttioni locus est, <J lrn m eodem jure ueniunt ad bo11a
paterna , non etiam si div erso jure(sur la L. 6.
Dig. de dot. coll. Jet à l'appui de son opinion
Cujas invoque les dispositions des lois 20, § 1,
de bon. poss. contra tab. 6 et 7. Dig . de dot. coll.,
'"'li J
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purement et simplement l a succession de son
père. Si l'émancipé obti7J1t cette bon. poE.:.l_
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mais ces tex tes et les raisons qui en découlent
·ne nous paraissent pas assez concluan ts pour foi(
re écarter la règle établie, et l'on pent, suirnnt
)
nous, poser en principe que toutes les fois que ( )
le fils émancip é Yena11t à la succession ~
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(a_,, •
~6
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Î i--
Lsecours du droit prétorien causera au sims un
.
préjudice, la COllatiO Sera clUe. (1).
~ / (<A <Quelles personnes doivent la collatio? S'il
- - - ; , ; Gt ri• ___.
1
~lait s'en tenir an texte de l'édit, la collatio ne
<»..,.; ~ ,; (v-- o.;:~~ devrait s'appliquer qu'au !ils éman"i n P. c:: eul visé
1
~
f.J.u..- 1 '~
~ "~ par le Préteur ; mais cette obligation doit rece.(\ "
- , .,
1
,; ( l<V1.. , voir une plus grande extension ; il faut la faire
·,~' J~t,.
supporter par tous ceux qui sont ~ d e
!>i.. o. "' q •
par la loi prétol'ienn e; or il rés ulte de la théorie
0
!:)1 • L tl-"f \''~rétorienne s ur les s uccessions, que l'on doit
regarder comme héritiers siens non-seulement
ceux qui sont tels d'après la loi civile, mais
même « les héritiers à qui la loi ne dénie cette
» qualité que par s uite d'une copitis diminutio
» petite, moyenne ou grande, so ufferte par eux
>> ou par un de leurs ascendants, pourvu toute>> fois que les descendants dont il s'agit jouis » sent des droits civils. >> (2)
Ainsi on soumettra à la co llatio le fil s du de
cujus qui a été adopté et que son père naturel
G. 4 •
.....
r\"1l 1.
J.\
1
(1) La discussion qui s"éleve sur la loi 10 n'a plus sa raison
d'être si l'on admet avec le Président Favre que la fin de la
loi a été ajoutée par Tribonien. Mais cette interpolation est
peu probable, le Président Favre étant, comme l'on sait, l'adversaire ardent de Tribonien. 4 Quand il croit avoir surpris
Il le conseiller de Justinien en ftagrant délit d'interpolation
» il s'écrie avec indignation : Novum Triboniani {acinus / »
-
op . cit. : 36~
(.t) VERNET. Quclité di.ponible, 63.
Î ROPL•>NG,
-
17 -
a institué héritier (1 ). Si l'omission d'un autre
enfant donne ouverture à la (J OSS. bon. c. tab .
!'adopté peut ou demander celte poss. bon . ou
s'en tenir à la part qui lui a été assignée
dans le tes tament ; il n'y aura pas lieu à coUatio
dans ce dernier cas, mais elle sera obligatoire
dans le premier si la bon. poss. fait avoir à
l'adopté une part supérieure à celle qui lui a
été léguée. Et la loi 1. § '14 ajoute : non ipse
con ferre cogiltir, sed is qui eiim habet; en effet,
puisque l'enfant es t encore in f amiliâ adoptivd,
c'es t à dire al ieni jurùs, à la mort de son père
naturel la collatio sera due par ses ascendants
qui l'o nt en puissance et qui prendront sa part
dans l'hérédité.
Mais de quoi sera due la collatio? On ne peut
l'exiger de tous les biens composant le patrimoine personnel du père adoptif ; cet ascendant
n'est pas héritier et il n'a un droit que parce
qu'il tient sous sa puissance le véritable institué. Dans le silence des textes il faut dire qu'il
y aura à faire un e es tim ation des bie ns acquis
par l'enfant depuis on adop tion; ce sont ceuxlà qui auraient augmenté la succes ion du de
li) Dans la loi 1. § li, il ne peut éYidemment s'agir que
d'un adopté institué, puisque la loi, dans la suite, suppose que
1
'émanci pation donne une vocation personnelle à la succession . Or ceci n'a lieu que dans une succession ab intestat
(L. ~ . § 10 de hœr. ab. int.)
t
�-
cujus et c'est de
~8
/~ur
-
que la co llatio sera
due. Sur ce point Pothier fait observer avec
raison que l'obligation du rapport disparait si
l'enfant est émancipé par son père adoptif avant
de demander la bon. poss. : Ila 1·escriplo divorum
fratrum expressum est, à moins toutefois qu'il
n'y ait fraude.
A qui doit être faite la collatio ? « De l'idée
» même qui sert de base à l'obligation du rap>' port on conclut que le droit de l'exiger et
» d'en profiter n'appartient jamais qu'aux sui. »
( AccARlAs, dr. rom. L. 3. §§ 2 et 3, h. t. )
Mais i\ serait inexact de cr~ire que tout l~ éritier
sien a nécessairement dro tt à la collatw. Son
droit est subordonné à cette condition précédemment établie, qu'il y ait un préjudice à lui
causé par le concours de !'émancipé. (L. 1 § 5.
h. t .) His duntaxat confett emancipat.us, qui bus
aliquid ex bonis patemis aufert. Cette idée est
appliquée dans les lois 6. § 3. Dig. 37. 4. - 1.
pr. § 1. Dig. 37. 8, dont les espèces ont soulevé
'/~
de graves difficultés.
Un père de famille meurt laissant un fils
émancipé et des enfants issus de ce fils qu'il a
gardés sous sa puissance. Comment se règlera
1a succession ? Dans cette hypothèse la bon.
poss. accordée par le Préteur au fils émancipé
cause un préjudice aux sui, seuls appelés
d'après le droit civil, mais qui étant à un
-
..
19-,
degré plus éloigné que l'émancipé seront par
lui exclus de la s uccession. La difficulté ful
tranchée par un édit noiweaii que SalviusJulien ajouta à l'édit perpétuel ·: ('l) Ei (filio
emancipato) liberisque quos in ejusdem f amilid
habuit si acl eos hœreditas siw nomine pertinebit
bonorum possessio ejus partis datur quœ ad eum
pertineret si in potestale permansisset. Ainsi cette
disposition de l'édit appelle au partage de la
succession du de cujus le père en co ncours arnc
ses enfants ; !'émancipé prendra la moitié des
biens, et les enfants auron l l'autre moitié (2).
Hoc ediclwn œquissimwni est. ajoute la loi.if. § 1,
h . t. , ut ueqiw emancipatus solus veniat et excluda l
nepotes ùi potestate manentes, neque nepotes jure
(1) Le jour de son entrée en fonctions le Préteur publiait
l'edictum perpetuum dans lequel il consignait les principes de
son àdministration future ; les edicta perpetua e uccédant
d'année en année, les mêmes dispositions se reproduisaient
dans tous les édits ; lorsque le Préteur apportait dans son
édit une vue nouvelle, cette dispo ition s'appelait edictum
nouum.
(2) Sur l'édit de Salvius-Julien il y a une étude fort intéres_
sante à faire pour fixer la part afférente à chaque coheritier
dans le cas où !'éman cipé et ses enfants ont en concours avec
d'autres descendants du de cujus. La olution de ces differentes questions est toujour dominée par cette idée que
!'émancipé et ses enfants ne comptent j amais que pour une
seule personne à l'égard des autre' bonornm possessores. ( L. 5
§ 2. Dig. si tab . te1ta null. 37. 6.)
�- 20 -
potestatis objiciantur patri suo. Mais à q ui l'émancipé devra-t-il la collatio? A ceux-là seuls évidemment quibus aliquid aufert, c'es t-à-dire aux
héritiers siens, .puisqu'en obtenant la possession
de biens il ne fait tort qu'à ces derniers, illis
solis injuriam facit . (ULP. loi 1. § 13. Dig. 37. 8.)
La même règle ressort clairement ùes lois 3 §
6. Dig. 37. 6. , '1. § 18. Dig. 37. 8.
-
21 -
1
4- "<,"
. ')
De l'objet de la collatio.
« La collatio s'applique à tons les biens qui,
» sans l'émancipation, se trouveraient à l'épo» que de la mort du de cujus compris dans sa
» succession. »
Cette règle doit ê tre entendne d'une manière générale, et il n'y a à faire aucune distinction relative so it à l'origine des biens qui
composent le patrimoine du fils soumis à la
coUatio, soit à la manière dont ce fi ls en a acquis
la propriété.
Toutefois il est naturel que les biens ne soient
rapportés que sous la déduction des deltes qui
les grèvent au jour du décès : (ilius in bonis
( tt
'-1
habere éenseli"r quod deducto œre alieno superest.
11
( L. 2. §1 .. ~ig. 37. 6., 15 Cod. de coll.) Si la dette 1<Jv.
.(~k·~ 1 :. ~
est con d1twnnelle elle n'est pas mise en compt 1' Mr 1 ~/ e' Vtfi,.~.i~ '
dans le calcul
du rapport, mais les sui donne 1--(,Vl.,,C>1:· •/ f ( C.."'" '1 ~
•
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.. 1
ront caution pour le cas où la condition vien 1·~ fa (' J fdrait à se réaliser . ( L. 6. Cod. 6. 20. )
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I . 'l\ ~ '• 1
L'obligation de la collatio ne peut porter sur
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a..t.. ~
1
les biens de l'émancipé qui n'auraient point été l "1.: • H. T~'Jl1
acquis au de cujus s'il fùt resté sous sa puis- ~"'~"'c...I"
., 11" • A· ':
sance. Cette exception s'applique au peculium 4'i·...Mç,
~
castrense et quasi castrense (1). ( L. 1 § -15. Dig.~.,,.,~ ( ~ r,...
e;.:.
.
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SECTION Il.
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J f (.~.. ~· ~
U,..ri· ~~ 1 ., ~ ' ·
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37. 6.)
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~ - Vl...._.
Il doit en ê tre de même de la dot que l'érnan\....A-- l l "'
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cipé a reçue de sa femme. Cela se comprend si ;:/'. '1 t1 11 ""' /t,<M
le mariage
dure encore ou
s'il. a été dissous par Y'(.,.../"'""
'"' ••.! ().• 1' ~"~ ·' (,'"'l-.1""
•
•
IA '<A
le divorce ; dans le premier cas, en effet, la dol
~
est spécialement affectée au..1: charges du maria- """ :;"~ !},..,. \ af1'
ge (2), (L. 56. § 1. Dig . 23. 3.) et dans le second ..w: le.
f"et-lt. <- (,.,....
elle n'est plus en la possession du mari.
e<- / '' ,, ()...... ,......
1 1
Mais cette solution sera-t-elle maintenue en 41 "''-\'--"" • y\"V'"'"""l
cas de prédécès de la femme? (3) Des auteurs 1•"' c... 'r~ l f { . (.
;l
r...l •.., -.. ..
(1) Dans la loi 1. § 15, les mots quasi castrense ont été ( Ct J
ajoutés par Tribonien ; il n'y avait point de pecule castrens \ ·
au temps d'Ulpien. On retrouve cette interpolation dans les
lois 1. §. 6. Dig. 36. 1. , 3. § 5. Dig. 37. 1., 7. § 6. Dig. 39. s.
(2) Ceci explique pourquoi le fils alieni JUris prélè•e la dot
de sa femme dans la succession de son père. (L. 20. § 2. Dig.
10. 2.)
(3) En général le mari, dans ce cas, gardait la dot. ( UPL.
Reg. de dot. '· 5.)
t•.......
<.
,...
{r
, .........
�-
22 -
ont soutenu qu'alors la dot devait être rapportée ;
le mariage est dissous et les biens dotaux n'ont
plus un: caractère spécial qui les distingue des
autres biens de l'éman cipé (1). Telle n'était pas
l'opinion d'Ulpien qui décide dans la L. 1. § 20,
h . t. que la collatio ne tloit pas s 'appliquer à la
dot : filius emancipatus, si dotem habeat ab u x 01·e
acceptam, hoc minùs confert etsi antè uxor decesserit; et le jurisconsulte Julien rapprochant ce
- 23 -
ou promis de donner dignitatis nomine. ( L . 1. §
16. h . t. )
( L. 3. § 4 lL t. )
En général la collatio s'applique aux ac tions
comme aux autres biens de !'émancipé. Il n'y a
d'exception à ce prin cipe qu'à l'égard des actions qui ne se trans mettaient pas aux héritiers.
(ULP. L. t . §2t ., Dig . h . t.) Telles étaient l'action
appartenant à l'adstipulator, dans l' ancien droit
( G. IV. 113,) l'action d' injures quœ magis vindiclœ quam pecuniœ habet pe1·sewlionem ( L. 2. § 4.
h. t.) et encore la querela ino/ficiosi lestamenti.
/ I nsl. IL 18.)
L'éman cipé é tait également dispensé de rapporter les biens que so n père lui avait donn és
(11 M. DE ÜAQUER AY.
RechPrches historiques snr /p Rapport.
r.
L-' f
C)
cas du prédécès de la femme de celui où Je
mari e t alieni jttl'is, dit également : sicut is qui
in potestate est dotem u x oris p1'œcipit , ila emancipatus quoque, q'l.lasi prœcipiat retinere debet.
r
.
.
f'...J,. (A
wl""'
Enfin la collalio ne s'appliquait pas aux cho- -7 1 7 ~
ses acquises par !'émancipé depuis la mor~ ~e
t l.. -~
son père. ( L. 1?. Cod. 6. 20 ). Cet~e règl~ faisait~ ,., fc. ~
•
naître, en pratique, de graves d1fficultes pour
'.)"\........; l "' ~
fix€r l' époque précise de l'acquisition ( Cf. L. 2~ ><-.. ... 9/1/'-'I
§ 3., 1. § 2'1. h . t ., 19. § 3. Dig. 49. 17.)
a. /;___ r c...-- -· ,...
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.1 ( ~ !.<.-..'
/ 1..fi,e
-----J... vrti(..A,, '11:"
")1"•"' """'" c.~ '-"""
SECTION III.
,.,_ ( uu..'
C01nnienl s' effectir,e la collatio ?
A1tl re, aut cautione fa cienda collatio est. (ULP.
L. 1. § 11 , h. t.) Le rapport avait lieu re quand
!'émancipé versait réellement ses biens à la
masse à partager ; il s'effectuait cailtione quand
le fil s donnait caution de rapporter. D'ailleur
l'édit du Pré teur n 'exigeait que le rapport cœutione : Jubet pl'œtor ila fi.eri collationem, ut rectè
caveatul'. ( L. 1. § 9. h . t.) Mais !'émancipé qui
partage ses biens avec les sui satisfait aussi bien
à l'édit que celui. qui donne caution ; cette atLfaction peut cependant ne pas être complète,
car le fils soumis à rapport peut avoir des bien_
inconnus contre lesquels, une fois le partage
11
�-
/.
~}
-
-
obtenu la possessio bonorum ne fournit pas caution ? On dis tingue s uivant qu'il y a de sa part
contumacia ou inopia : s'il est de mauvaise foi ,
contumax , la bon. poss. est considérée comme
non avenue el les actions héréditaires lui sont
r efusées; ( L. 3. pr. §s 2, 8. h. t. - L. 11._ Cod.
6. 20. ) mais il pourra recouvrer ses droits en
revenant s ur son refus de donner caution. (L. 8
Dig. 37. 6. N. obst. L. 75 Dig. 50. ·17. ) Si au contraire il épro uve des difficultés à trouver de
fidéjusseurs, inops, Paul dan L. 2. ~ 9. ùit_ qu'on
ne doit point le dessaisir de la possess10n de
biens, mais qu'il faut attendre qu'il puisse tro~
ver des garants (1). Cette déchéance ne serait
même pas encourue par l'émancipé s' il se trouvait dans l'impossibilité absolue de donner ca~
tion. Dans ce cas curalor portionis ejus consti-
consommé, les sui ne pourraient exercer aucun
recours. Cet inconvénient es t nettement signalé
dans la L. ·1 § 11. h. t.
Il était généralement admis que cette caution
pouvait être valablement donnée par des gages
ou des fidéjusseurs . ( L. 1 § 9. h. t. 7 Dig. 46. 5.)
L'e-xécution de la collatio était-elle une condition préalable de la formation de la demande
en possession de biens ou n'en était-ell e qu'une
charge ? La plupart des textes reconnaissent que
le Préteur en exigeant la caution a simplemen t
entendu tracer la marche à s uivre pour procéder au partage d'une succession : prœtor non
ri
sub conditione collationis ùonorum possessionem
contrà tabulas promittit, sed demonstrat quid data
bonorum possessione fieri oportet. ( L . 3. pr. h. t. )
Et il ne pouvait en être autrement, car si on
avait subordonné la demande en possession de
biens à l'exécution de cette oblicra tion le fils
0
'
aurait pu n'être pas en état de satisfaire immédiatement à l'édit, et s'il était mort dans cet
intervalle il n'aurait transmis aucun droit à ses
héritiers. Paul dans ses S entences n'a pas prévu
( ce d~n ger : Emancipati liber·i prœteriti, si velint
se miscerepaternœ heredi tati, et curn his qui in po-
.}.
~
~
I. ~ 9.._
J" , ~~
i)
~.. ~"'" vi..( <J,b
testate remanserint communis patris dividere hœreditatem antequam bonorum possessionem petant
de conferendo cavere _eu~ ~atisdat_ione debebun t.
(Sent. V. 9. § 4.) - Quid s i 1 émancipé après avoir
. ~'-'CU\. , ~ c~ ,~ 1
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auss i le cas où il y a dans la suc: ut tamen ~e
·
mora
deteriorn
futura
sunt,
his
qui
in
potesiate
sunt ac ho
his quœ
.
. " .
detur, ipsiqtu caveant in medium collaturos. St cantum eis ,utrit.
l,
(jl-.
1
1:1 -
W La même loi prevoit
ces~ion des choses susceptibles de se détériorer
~"'::-:_:_ ":J;,
·:1 ~<7
~~r· é~ ;(UN'-! ~ t#rù 1'·e~~·
~_......., fc.. ~u,
_.,...,11--f~ ~
<°'v- 1 c,.Â9,
J~.rl ' ~
, #-.,..._,.,... ~. 0f~
.,.,.L..,.,.
,._,,,, ,,.,,,, •.._.,
·{~
tuitur , apucl quem. r efecta pecunia collocetur; ut
tune demum recipiat qiwd ?·edaclum est, quum
bona p1·opria contuleril. (L. 1 .. 10., 2 § 9. h. t.)
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25 -
�- 27 -
- 26 -
CHAPITRE
II.
DE LA. COLL.tl.TIO DOTIS
impériales pour devenir sous Justinien la seule
base de la nouvelle collatio .
SECTION l.
Dans quels cas a lieu la collatio dotis ?
Qua~d la fùle émancipée venait, par le secours
du Preteur, au partage de la succession de son
pè~·e, il était ~out naturel. et conforme à l'édit
quelle . corn.prit dans la collatio la dot que son
pè1~e lm a-rait donnée; de même la fille sua qui
~tait restée sous la puissance de son père devait
ega1e1?ent r.apporter la dot constituée par le
d.e cu7us, puisqu'à l'égard des autres héritiers
siens, cette dot lui faisai l une situation analogue à celle des émancipés.
Il est utile de remarquer que dans ce dernier
cas l~ collatio était due soit que la dot eût été
constituée par Je père (dot profectice) soit par
t~ut autre as ~endant ou é lranger (dot adven tice).
Si la dot était profecti ce' ce n'était plus d'un
apport ~u'il s 'agissait mais bien d'un véritable
rapport a la succession du cons tituant puisque
la fille faisait rentrer dans le patrimoin~ du père
des ch.oses qu'il en avait dis traites. Cette idée
apparait pour la première fois dans la théo .
.
d
rœ
romame e la collatio, elle ira toujours en se
développant sous l'influence des constitutions
'f
..
Filiœ dolem in medium ila demum confe1're coguntur si vel abinteslato succedant vel contr a tabulas p etant. (L. 4. Cod . 6. 20.) Ainsi la collatio dotis
a lieu soit que la nue succède ab i ntestat s oit
qu'elle n' arrive à la succession que par le secours du Pré te ur. A l'ori gine l'édit n'avait pas
exigé le rapport lorsqu e la fill e sua succédait
jure civili . Ce point a é té é tabli p ar un rescrit
de l'empereur Antonin où on lit : Etiam eam
quœ non p etierit bonorum J)Ossessionem ad co llationem dotis p er arbitriiim fami liœ erciscundœ
posse compelli. ( L . 1. pr. Dig . de dot. coll. ) Le père
pouvait d'ailleurs dis penser sa fille de la collatio.
(L. 39, § 1 Dig . 10, 2.)
Mais la fille instituée héritière dans le tes tament de son père n'e t point soumi e au r apport
de la dot que celui-ci lui a co ns tituée niû
pater hoc ipsum specialite1· designaverit. ( L. 7.
Cod. 6 . 20.) On trouve une application de cette
�-cis -
-
idée dans la L. 35. § 2. Dig. 10. 2. fani. ercis. dont
voici l'espèce : Un père avait donné en dot à sa
fille prœdia des fonds de terre en stipulant que
les revenus en seraient payés à so n gendre ; à
la mort du constituant la fi lle, qui é tait institu ée
héritière par égales portions avec ses frères,
éleva la prétention de retenir par préciput ces
fonds de terre sur la succession de s on père.
Papinien fut consulté et il répondit: justam causam r etinendœ possessionis habere filiarn, quoniam pater prœdia, de quibus quœrebatur, dotis
esse voluit et matrimoni·u m post niortem patris
steterat.
De même, il y aurait li eu à dispense de rapport s i la fille dotée renonçait à la succe~sion du
consti tuant. (L. 9. Dig. de dot. coll.) Tryphoninus
qui nous rapporte cette décision nous apprend
qu'on n:avait pas toujours été unanime s ur
cette ques tion ; la rais on de douter provenait
de ce qu'à l'origine la dot ne se distinguait pas
encore nettement du patrimoine du constituant·
il était donc vraisemblable qu'en renonçant
ses droits sur ce patrimoine la fille entendait
par cela même renoncer à la dot. C'est !'Empereur Marc-Aurèle qui dans un rescrit décida qu'à
l'avenir la fille qui s'abs tiendrait de l'hérédité serait dispensée de rapporter sa dot: Divus Marcus
à
rescripsit non compelli abstinentem se ab hœreclitate patris. Il résulte également de ce rescrit
29 -
que si la dot n'a été que promise, la fille pourra
après la mort du cons tituant en poursuivre le
paiement contre ses héritiers .
SECTION Il.
Qiœlles personnes doi venl la collatio
dotis, et à qui elle est due.
Le rapport de la dot doit être fait par la fille
soit qu'elle vienne à la s uccession comme hœres
sua, soit qu'étant émancipée elle invoque le
bénéfice de la bo n. possessio. Rappelons qu'il n 'y
a d'exception au principe gé néral de la collatio
emancipati que dans le premier cas .
Cette collatio est due aux héritiers siens qui
sont restés en puissance e l qui soufTrent du
concours de la fille dotée. (L. '1. f;~ 2, 4 Dig. de
dot. coll.) On doit même reconn aitre qu'à raison
des motifs s péciaux qui ont assuj etti au rappor t
la dot donn ée ù la fille, la collatio profitera aux
frères éman cipés quand la dot sera profectice.
Cette question trè discutée dans le droit classique a été décidée dans ce en par une constitution de Gordien. (L. 4. Cod . 6. 20.)
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-
30 -
SECTION 111.
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textes lui reconnaissaient ce droit lorsqu'elle était
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Dans le premier chapitre de cette thèse nous
avons s ignalé le progrès que fit faire à la théorie de la collatio la législation du Bas-E:npire.
Celte législation, so us l'empire de laquelle les
traditions et les préjug6s du vieux droit quiritaire ont perdu Lous les jour de leur prestige,
s'est appliquée à développer dans le régime s uccessoral l'idée d'une certaine égalité à établir
entre les enfa nts. C'es t cette idée, empruntée à
la collatio clotis, s ur laquelle les constitutions
impériales vont baser tou tes leurs réformes et
qui, en attén uant les différences qui exi laient
entre les enfant émancipé et ceux en pui sance, fera <ii paraitre l'ancienne collatio emancipati et ùonnera naissance à une nouvelle
.rui juri$ ou qu'étant in potestate, la dot lui avait été constituée par un autre ascendant que le père. V' '·~ ~- \ ( ~ c; <.c;.c.c.. ,_.----.
("JM!t..4l·~- f 11,-- L 11 ~·
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' ?,'~)v-" ~ ÎlROfrDu CBAS~~Mi:iRi /..;, 2'-~
Les textes ont é tabli une distinction :
Si par suite de la mort du mari, ou autrement, la fille, lors du décès de son père, a entre
les mains les biens composant sa dot, la collatio
s'en fera sans difftculté ; si au contraire à cette
époque le mariage dure encore, le rapport consiste seulement en ce que la fille prend d'autant
moins sur la s uccession du cons tituant (L. 5.
Cod. 6. 20. - 73. § 1. Dig. 23, 3.) Dans les deux
cas la mise en demeure fera courir les intérêts.
(L. 5. § 1. Dig. de dot. coll.)
Mais la femme dont le mari es t devenu insolvable doit-elle néanmoins la collatio dotis?
D'après la Novelle 97 le rapport était dû si la
perte de la dot était imputable à la femme;
ainsi il y avait faute de sa part quand pouvant
agir seule (1) elle n'avait pas exigé la res titution,
durantematrimonio. On ne pouvait a u contraire
V'i.
soumettre la femme au rapport lorsqu'fe l v
n'avait rien à se reprocher ; dans ce cas 1
Novelle décide que la fille sera libérée en ra ;1 portant l'ac tion qu'elle a contre la success·
de son mari (1). (' , .7,9,7, ,t.?-.. / •u~1< ?t/.'~ ..,~ ' e........ """"
t ri( .. ~t ~ ,} u-. ""'-- '(, ~ ' I PJ~4 h 7 ,.. /c J,r._
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Co1n1nent se fait la collatio dotis.
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31 -
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(1) Le Code civil a reproduit dans l'art. 1573 la disposition de la Novelle 97.
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-
-
32 -
ins titution qui n'au ra que le nom de commun
avec celle introd uite par le Préteur.
Nous examinerons séparément le droit du
Code et celui des Novelles.
LE CODE .
!
Le Code renferme sur la théorie de la collatio
plusieurs constitu tions; nous les étudierons
d'après l'ordre chronologique.
La première cons titution est relative à la
co llatio dotis; elle es t de Gordien. (L. 4. Cod.
6. 20.) Elle décide que le rapport de la dot profitera aux frères émancipés quand la dot sera
profectice: His etenim qui in /amilid clefuncti non
sunt, profectitiam lantwnmodo dotem posl varias
Prudentium opiniones conferri placuit.
D'après une co ns titution de Théodose les
descendan ts par les filles qui n'avaient jure
civili aut prœtorio aucun dro it à la succession
de leur ascendant ma ternel, y étaient appelés au
même rang que les descendants par les mâles
(L. 1. Cocl. Th. 5. 1. Inst. de hœrecl. ab. inlest. §15.)
Mais pour que leur conco urs ne préjudiciât
point aux en fants en puissance, il fallut exiger
d'eux le rapport de la dot donnée à leur mère
'
,
'"'
,f"' ' Cl t
33 -
c'es t ce qu'établit la loi 5. Cocl. de leg. hœred. 3. 1.
Les plus importantes modifications ont été
introd uites par une constitution ùe !'Empereur
Léon de l'an née 4û7. ( L. 17. Cod. de coll.) Elle
dis pose en premier lieu que la collaUo sera due
dans la successio n des ascendants maternels.
Cette décis ion découle de cette idée que l'ascen. dant qui a fa it une donation n'a pas eu l'intention d'avantager le donataire au détriment des
autres enfants. Il y a là une application de
l'idée d'égalité qui s'affirme de plus en plus.
D'après le même texte, la donation ante nuptias
faite au fils dena être rapportée, (cette donation n'est-elle pa une dot pour le fils?) et le
rapport aura lieu entre tous les enfants sui vel
alieni ju,ris. Ains i, quant au rapport, la constitution de !'Empereur Léon a assimilé les enfants
émancipés à ceux en puissance et fait disparaitre les effets de l'émancipation ; ce point de
droit sera généralisé par Justinien dans la
Novelle 118 et application en era faite en matière de succession.
Les deux dernières constitutions du Code sont
de Justinien ; elles sont reproduites dans les
lois 20, 21, h. t. et sont relatirns aux biens que
comprend la collatio.
D'après la loi 20, sont rapportables tous les
biens que le descendant successible émancipé
ou resté en puissance a reçus du défunt, et qui
3
�-
'f
-
3• -
régulièrement s'imputent sur la quarle légitime.
(L. 6, 8, § 9. Cod. de inoff. test.) Ains i on soumettra à la collatio la dot, la donation p1·opter
ni"ptias, celle faite ad milfüam emendam, c'està-dire pour subvenir à l'achat d'un grade militaire. (L. 29, 30, Cod. de ino/f. test.) Mais la réciproque ne serait pas exacte et il y a des libéralités qui ne s'imputent pas s ur la quarte légitime, et qui pourtant se rapportent, et d'autres
qui ne se rapportent pas, bien qu'elles s'imputent sur la légitime ; tels sont les legs et Les
donations à cause de mort. On en donne pour
raison que la collatio ne s'applique pas aux biens
acquis après la mort du de ciijus.
La collatio s'applique-t-elle à la donatio simplex
faite par l'ascendant de cujus à son descendant
en puissance? (1) Le § 1 de la loi 20 l'exige
dans deux cas : quand le descendant donataire
oblige ses frères et sœurs cohéritiers à rapporter la donation ante niiptias ou la dot qu'ils
détiennent , et lorsque la collatio a été expressément stipulée par l'ascendant dans l'acte de
la donation. (L. 25, pr. Dig. 5. 2.)
Enfin de la loi 2-1, Cod. h. t. il résulte que la
(1) Une pareille donation faite par le pere n'était pas
valable dans l'ancien droit. (L. 1. pr . Dig. prodonato .) On finit
par l'autoriser à la condition que le père mourrait 1i0n
mutata voluntate. (PAUL, Sent. 5. 41. § 3., L . ~8 Cod. 3. 36., L. 25
Coà. 5. 16 .)
•
35 -
collatio ne pourra être exigée toutes les fois qu'il
s'agira de biens qui échappent à l'acquisition du
père ; ainsi on n'y soumettra point les bona
castrensia ou quasi castrensia. IL y avait doute
pour les biens adventices: Jus tinien les regarde
en effet comm e étrangers à la collatio, (L. 6. § 2.
Cocl. 6. 61.) et cependan t on lit dans les Basiliques : P eculium profectitium, vel ususfructu s adventitiorum conferlur.
LES NOVELLES.
Trois Novelles de Justinien se rattachent à la
théorie de la collalio : ce sont les Novelles 18,
97 et 118.
1°. NovELLE 18. - Dans son chapitre VI cette
Novelle, dont le but est de régler la légitime des
enfants, dispose que sive qui,s decedat intestatus,
sive testalus ( quoniam incel'ltlm est, oblitus ne
eorum, quœ data sunt, an perl11rbationem mortis
pressus menlionem illius rei non fecerit) omnino
collatio œqitaliler fiat, ttti jam constittdmn est nisi
ille expresse disposuerit, se collationem fieri nolle.
Ains i désormais la collatio sera due dans toutes les h érédités testamentaires ou ab intestat, nisi
ille expresse dispositerit, à moins que le de cujus
�-
r.
36 -
-
n'en ait autre'n10n t décidé. Jnstinien prenant pour
base de la collatio l'intention présum6e du testateur cette solution se comprend aisé ment; et
on ;e peut pas dire qu'elle soit en contradiction
avec l'idée d'égalité que les cons li tutions impériales ont constamment développée, puisque la
Novelle en parlant d'héritiers instilués s uppose
évidemment que ce sont ceux qui e n l'absence
de testament auraient recueilli ab intestat la succession du de cujus. Quelle raison aurait, en
effet , le législateur de vouloir établir l'égalité
entre ceux qui sont héritiers par la volo nté du
testateur? (1)
20. NOYELLE 97. - Cette Novelle règle le cas du
rapport de la dot qui doit être effec tué par la
femme dont le mari est insolvable. Nous l'avo ns
étudiée en détail à propos de la co llatio dotis.
30. NovELLE 118. -Dans celle Novelle Jus tinien
établit sur de nouvelles bases la dévolution des
successions ab intestat ; « Désormais le degré
de l'affection entre parents règle l'ordre des
successibles, ce n'est plus le lien de la puissance
civile qui sera compLé, c'es tle lien du sang». (2)
Aussi les premiers appelés son t-ils les descendants, sans distinguer suivant qu'ils sont
(1) Cette interprêtation de la 'ovelle 18 est repoussée par
Levru;seur dans son traité de la Quotité disponible, page 1 H .
(i ) TROPLONO. Inff,. du Chri".st. p. 347.
•
37 -
émancipés ou en puissance, nés ex filio ou ex
filiâ .
En l'état de ce nouveau régime successoral,
que devient la collatio emancipati? N'est-elle pas
de plein droit supprimée par la Nov elle? Une distinction nous parait nécessaire: si les enfants
viennent à la succession de leur père ab intestat, il
es t éviden t que l'ancienne collatio n'a plus de raison d'être; elle repose en effet sur une fiction que
la Novelle a fait disparaitre en assimilant le fils
émancipé au fils en puissance. Mais si le père
a fait un testament, e t que l'émancipé y soit
omis, la collatio emancipali doit encore, à notre
avis, recernir application, car la Novelle disposant pour le seul cas d'une s uccession ab intestat, (son titre en est une preuve manifeste :
Constitiitio quœ jiwci adgnatormn tolW, et successiones ab intestato definit) la théorie de la bonorum possessio contra tabulas demeure entière.
Cetle opinion provoque, il est vrai, une contradiction fl agrante entre l'idée fondamentale de la
Novelle et les principes de la bon. possessio c. tabulas ; mais en l'absence d'une disposition expresse des textes, il est plus sûr de se prononcer pour le maintien du droit antérieur. Le fil
émancipé viendra donc à la uccession de son
père par le secours de la bon. possessio et les
enfants en puissance pourront encore exiger de
lui la collatio bonomm .
�-
39 -
DROIT FRANCAIS
0
ANCIEN DROIT
OU RAPPORT A SUCCESSION (•)
I.
Pays de droit éc rit.
1
Les provinces de droit écrit ont emprunté au
Code de Justinien ses règles sur le rapport à
succession. «Elles s'y sont conformées, dit
Merlin, (Répert., V. Rapport,§ 1. n° 2), sans difficulté ni 1·estriction, et actuellement encore elles
ne connaissent point d'autres lois sur le rapport
que celles qu'elles y ont puisées ». Il nous
(1) On le désignait ainsi dans l'ancien droit, pour le
distinguer du Rapport à loi qui était un acte de dessaisint
ou devest.
I<.
�-
s uffira donc de renvoyer pour l'étude de cette
matière dans les pays de droit écrit, à la partie
de ce travail qui traite de la législation romaine
sous Justinien.
II.
Pays de cout,w nes.
<<Sur la matière du rapport, nos coutumes, dit
Lebrun, sont bien opposées les unes aux autres. »
Les règles, en efîe t, variaient à l'infini, et l'on
n'aurait jamais fini si l'on voulait rapporter
toutes leurs dispositions s ur ce sujet. Aussi
sans entrer dans un exposé qui ne serait d'aucun intérêt, nous contenterons-nous de donner
une idée générale des différents sys tèmes qui
se partageaient la France coutumière au suj et
des r apports.
Cette théorie reposait dans l'ancien droit sur
deux règles d'origine différ ente :
1° Règle du rapport.
2° Règle de l'in compatibilité des qu alités d' héritier et légataire (1).
A la vérité le rapport est de droit commun, dans les
» pays coutumiers, mais on ne laisse pas de trouver un assez
( 1)
1:
-
(0 -
4t -
La règle du rapport est un e règle romaine.
Les mêmes raisons qui avaient fait introduire le
rappor t chez les Romains, l'ont fait adopter par
quelques coutumes. Une de ces raisons tirée
'
de l'équité naturelle, tend à maintenir la paix
dans les familles en conservant l'égalité entre
tous les enfants.
Ces principes devaient restreindre l'obliga tion
du rapport à la seule ligne directe descendante (1). Auss i à l'excep tion de quelques coutumes cette règle ne s'appliquait pas à la ligne
collatérale. (LoYSEL, I nst. cout. Liv. u , tit. iv,
règle .121 .)
Ains i quelque donation qu'un des héritiers
du défun t eù t reçue de son vivan t, il ne devrait
pas la rapporter, parce que les biens d'un défunt
n'étaient déférés à ses collatéraux que par une
espèce de bienfa it volontaire; ils sont réputés
étrangers, et ils ne peuvent contester le8 dispos itions entre vifs faites à l'un deux. (BRODEA U
s ur LOUET, lettre D, som . '17, non. 10.)
La ques tion faisait doute, au contraire, pour
la ligne directe ascendante. Fenière croit qu'il
» grand nombre de coutumes dont les unes le rejettent for-
» mellement, et les autres ne l'ndoptent qu'avec differente
11 modifications. u (l\IsRL.lN, Rép. Y. Happort. § t n• '!.)
( 1) 11 Nos anciens nvaient pensé que l"egalité n'etait ,·eritablemen t essentielle ù maintenir qu ·entre les enfants. o ( DllMOL, Suce. v. 57 .)
i>
�-
ne peut s'agir de rapport ici, car le motif essentiel fait défaut, puisque la s uccessio n de leurs
enfants es t une succession à laquelle ils ne
devaient pas s'attendre et qui ne leur échoit que
turbato mortalitatis ordine. (FERRIÈRE, sur l'article 301 . Cout. Paris. )
La loi de l'incompatibilité des qualités d'héritier et de léga taire es t d'origine nationale,
c'est une r ègle essentiellement coutumière et
formulée par la Cout. de Paris de la manière
suivante. « Aucun ne peut être héritier et légataire d'un défunt ensemble. » (Art. 300. V. aussi
Cout. d' Orléans, art. 288.) - On ne pouvait donc
pas venir à une succession comme héritier et
comme légataire. Ces deux qualités ne pouvaient
s'asseoir sur la même tête ; il y avait incompatibilité.
Il n'est pas aisé de déterminer l'origine exacte
de cette règle. Lebrun (Suce. m , chap. 7.) rapporte qu'elle avait été introduite pour maintenir
les p1'opres dans chacune des lignes. Il fallait
donc empêcher que l'héritier des propres d'une
ligne pût être légataire de ceux de l'autre :
«.... Que de tels prélegs, dit-il, qui se feraient
>) bien plus communément que des donations
» entre vifs, ruineraient e ntièrement cette des ti» nation et cette affectation des propres à leur
» ligne ; au défaut des raisons et du motif du
» rapport, l'on a eu recours à l'incompatibilité
43 -
» des qualités d'héritier et de légataire .... ».
Cette explication paraît douteuse, et Lebrun
lui-même finit presque par en convenir quand
il se rappelle que les réserves coutumières
suffisaient bien à maintenir l'affectation des
propres à chaque ligne; « et tel était en effet partout le contre-fort de cet ancien établissement
coutumier.» (DEMOL. Suce. V. 176.) Suivant Ferrière, cette in compatibilité serait toute naturelle : « C'est le titre universel d'héritier qui
» empêche celui de légataire, puisque autrement
» le légataire serait créancier de lui-même, c'est» à-dire qu'il serait tout à la fois créancier et débi» teur. » (Sur l'art. 300, Cout. Patis.) La raison
est aussi vicieuse que celle de Lebrun, et Pothier
l'indique s uffisamment en disant que si cette
incompatibilité existe pour la portion à laquelle
le légataire est appelé en même temps comme
héritier, elle n'existe nullemen t pour les portions
auxquelles ses cohéritiers seront appelés, lega1·i
a semetipso non potes/, a cohœrede potest.
La meilleure explication est donnée par Pothier : « Cette disposition a pour settl fondement
» l'in clination de notre droit fran çais à conserver
>) l'égalité entre les héritiers, comme un moyen
>) de conserver la paix el la concorde des familles
» et d'en exclure les jalousies auxquelles donne» raient lieu les avantages que l'on ferait à l'un
» des héritiers par dessus les autres. Il était
�-
» d'autant plus imp~rlant de maintenir cette éga>> lité à l'égard d'hommes guerriers el féroces tels
»qu'étaient nos ancêtres plus susceptibles que
» d'autres de jalousie, et toujours prêts à en
>> venir aux mains et aux meurtres pour les moin» dres sujets. » (Siicc. ch .1v. art. 3. §2). Et Demolombe, commentant ce passage de Pothier, ajoute
.
que la préférence qui résultait d'un prélegs était
naturellement plus blessante et devait dès lors
susciter plus de jalousies que celle qu'engendrait un don entre-vifs. oilà donc pourquoi
l'on a voulu voir une incompatibilité entre les
deux qualités d'héritier et de légataire. Cette
explication, reproduite in extenso par Bourjon,
est en effet la plus vraisemblab le et surtout la
plus conforme à l'esprit des coutumes (1).
Cette loi de l'incompatiblité avait pour conséquence directe de mettre le successible en
demeure d'opter entre son Litre d'héritier et sa
qualité de légataire. Arrivait-il comme héritier
ab intestat, sa part ne pouvait être plus forte que
celle ùe ses cohéritiers. Préférait-il rester légataire, il prenait la part qui lui était assignée,
(t ) L'explication de MM . Aubry et Rau (sur Zacharire) est
toute germanique : ils rattachent cette règle au système de
la copropriété des familles, condominium, et la déduisent de
ce principe que l'un des communistes ne peut s'enrichir aux
dépens des autres. (AUBRY et fü.u. v. § 298 et§ 305.)
.[.
l
\5 -
sauf l'application des lois sur la légitime et les
réserves coutumières.
Rappelons enfin que ces deux règles, base de
la théorie contumière sur le rapport, n'ont trait
qu'à la succession ob intestat . Ce principe est
écrit dans un article de Laurière (sur Loysel)
duquel il résulte que « quand l'homme, en exécution des lois mêmes, dispose de ses biens et
de ses successions, soit par des legs universel
ou particuliers, par ùes institutions con tractuelles, ou des donations entre-vifs, il peut alors
accumuler les différents tilres, comme il lui
plait, et faire un enfan t clonalaire entre-Yifs et
légataire universel, ou donataire entre-vifs et
héritier contractuel, ou enfin héritier contractuel et légataire uniYer el, et le autres enfants
au préjudice de qui les avantages sont fait ,
n'ont que leur légitime à Llemantler. » ( LAURlÈRE,
Des Test. texte 10).
Après avoir exposé les règles fondamentales
du rapport à succession dan les pay de coutumes, nous indiquerons le principaux systèmes c.les coutumes sur le rapport, et pour que
cet exposé puisse nous être util e clans l'é tude
�-
46 -
du droit actuel , nous nous placerons sous l'empire des coutumes de Pari et d'Orléan s.
Priricipaux systènies des coutu11ies
siw le Rapport.
Lebrun , dans son Traité des successions développe les règles de on.:e gen res de coutumes
différentes. Nous nons bornerons, dans cette
étude, à citer les di spos itions les plus importantes que l'on peut cons idérer comme formant
le droit commun des provinces coutumières .
Coutumes d'égalité parfttile (1). Sous l'empire
de ces coutumes, point de dispense de rapport.
Les enfants devaient rapporter tout ce qu'ils
avaient reçu de leur ascendant, e t la renonciation à la s uccession ne les dispensait nullement
de cette obli gation : « P usonne coutiimière ne
:o peut directement ou indirectemen t, par con» trat de donatiou, encore que ce fût en faveur
» de mariage, vendition , arrentement, échange
» ou autrement, faire la condition d'un de ses
(1) Ces Coutumes ét aient celles d'A nj ou (art. 250 et 33.l);
Maine {art. 3}6) ; Touraine (art. 309). Dunois (art. 6i ). et
Lodunois, (ch. xx1x . art. 12).
-
47 -
» héritiers meilleure ou pire que l'aulre » (1).
Cela s'appelait dans la Flandre fl amande faire
enfant chéri ou de p rédilection. (Coutume d'Ostende.)
Nous trouvons donc ici le type réel du don
en avancement d'hoirie, e t quelle que fût la
donation faite par un ascendant, cette donation
se transformait forcément, sous l'empire de ces
coutumes, en don e n avancement d'hoirie· ce
carac tère ressort c lairement d'un passage ' de
Basnage : « La co utum e, y es t-il dit, a ajouté que
>> toutes donations fa ites par les père et mère
» sont réputées arnncemen t d'ho irie, de sorte
» que tous ce ùons étan t des partages an tici" pés de leur s nccession, les enfan ts ne les peu)) vent pas retenir, p uisqu'à l'égard de leur
» frères et sœurs, ils ne les peu\'ent posséder
» que comme hér itiers et comme aYancés en la
>l s uccession, e t par ce moyen, soit qu'ils renon» cenl 011 qii'ils viennen t à la succession, le
>) rapport de ce qu'ils ont eu es t toujours néces>) saire et forcé. » Demolombe nous fai t remarquer que ces coutume étaien t, en tre toutes les
{1) Persvnne coutumière, disent ces coutumes; donc la disposition n'était pas generale, et ne liait que les roturiers.
Sur ce point, il serait intères ant de rechercher quel a été
dans ces coutumes jusqu'à la publication de la Loi du 17
nivôse an II l'effet de !"abolition de la noblesse prononcée
par la loi du 19 j uin ~ 790. - Y\M BRLIN. loc. cit. V. Douaire
�-
autres, les plus conformes au génie de notre
vieux droit national qui exigeail en effe t l'égalité
la plus parfaite entre les enfants .
Coutumes de ptécipii,t. - Celles-ci admettaient
la dispense de rapport (Nivernais, Berry, Bourbonnais), non seulement à l'égard des héritiers
renouçants, mais même en faveur de ceux qui
venaient util ement à la s uccession . Nous passons
sous silen ce quelques difficultés de détail relatives surtout à la qualité des dons, qualilé qui
influait sur la dispense; ne traitan t la question
qu'au point ùe Yue des principes généraux, nous
mentionnerons en lerminanl quelque coutumes
tout-à-fait exceptionnelles « qui s'opposaien t
>> an rapport, même dans le cas où les dons
)) avaient été faits expressémen t en avancement
>) d'hoirie.» (1) (DE~fOL.) Artoi s, art. '18; Go uvernance de Douai, art. 48; Valenciennes, art . 107 ;
(V. GUY-COQUILLE. Chap. XXV IT , art. 7.)
Coutumes de simple égalilé. - Parmi ces coutumes, on compte celles de Paris et d'Orléans.
Sous l'empire de ces coutumes, qui étaient de
beaucoup les plus nombreuses, l' héritier donataire ne pouYait être dispensé du rapport (2),
(t ) Merlin avait jugé la disposition tellement exceptionnelle, qu'il fait de ces coutumes une classe à part dans son
énumération. - (MERL. Ré.pcrt. v. Rapport,§ I. )
(2) a Père et roere ne peuvent par donation faite entre-
49 -
mais il pouvait «s'abstenir de l'hérédité en s'en
» tenant à son don.»
De même dans l'art. 1, rubr. 20, de la coutume de Bergues s l Winock c< l'enfan t ou les
>> enfants don ataires du père ou de la mère ou
» de l' un deux, en avancement de mariage ou
>> autrement, peu t, avec la donation, s'abstenir
)) de la s uccession du donateur si bon lui sem>> ble. >> Il est aisé de comprendre que rien n'est
plus facile à un père dans ces coutumes. que
d'éluder la défen e qui lui est faite de déroaer
0
au rapport. Il lui suffil de léguer à un de ses
fils, déjà donataire entre-,·ifs, une part du disponible assez grande pour balancer celle que
les cohéritiers prendront dans toute la masse
de la succession. Le même but pourra être
atteint «s i la seule part héréditaire n'excède pas
>> ce dont il es t permi.s de 1lisposer par testa\) ment, bien qu'elle l'excède jointe aYec la do» nation. >> ( LEBRUN.) Le don en aYancement
d'hoirie changeait donc, sous les coutume de
simple éga1ité, de caractère, e t se transformait
, vifs, par testament et ordonnance de dernière volonté ou
•autrement, en manière quelconque, a\·antagerleurs enf~nts
• venant à leur succe>ïsion les uns plus que les autres ,
- IArt. 303. Co11t Parrs.)
« Néanmoins, où celui auquel on aurait donné se voudrait
• tenir à son don, faire Ir peut, en s'ab tenant de l'hèredite
» la légitime réserYée au"X autres. » - (Art. 307. h. t.)
'
l
�-
~o
-
en une donation pure et simple. Ce rés ultat en
apparen ce contraire à l'intention primordiale
des parties avait frappé Dumoulin, qui imagina
une distinction des plu s ubtiles : La donation
était-elle expressément faite à titre d'avan cement d'hoirie, ou n'était-elle que présum6e?
Dans la première hypo thèse, Je fil s donataire ne
pouvait garder la donation, s'il venait utilement
« à l'hoirie sur laquelle on avait vo ul u lui faire
» une avance.» C'était une s tricte in terpré tation de l'intention des parties : Si postea donataritts n on veli t esse hœres, resolu itw· clo natio,
tanqttam causd finali n on secu ta, et res revertitu r ad co rp us successionis ad commodum quorumcumque etiam renio tiorum, et collateralium
hœredum , vel etiam ad commodum, cl'editorum ;
non licet igitur hoc casu filio se tenere ad donationem sibi f actam, abslinenclo ab successione sed
necesse habet vel adire vel rem donatam 1·estituere, et solùm lu cratu1' fructu s puceplos durnnte
vitd dona toris.
Si, au contraire, la donation n'ayait pas été
stipulée àYancement d'hoirie, le donataire pouvait, abstinendo ab successione, garder ce qui
lui avait été donné : si causa anlicipationis non
sit expressa, sed solùm fo citè insit et prœsurnatur,
tum liberum est filio, si velit abstinere ab hœ1·eclitate donatoris et dono suo se contentare, n ec
tenebitur ad aliqua onera hœt editaria .
-l~
(
-
51 -
Ces deux textes de Dumoulin sont précis,
el la d istinction q u'ils établissent es t des plus
nettes. Mais celle d is tin ction ne reposant s ur
aucun article de la coutume ne pouvait êlre
acceptée sans discussion , et elle devait sûremen l ê tre repouss6e par to us les auteurs qui ne
seraient pas, comme Dumoulin, esclaves de la
leLtre. La J urispruùence condamna la doctrine
de Dumoulin par un arrèl du Parlement de Paris
de juillet 1 3~, qui permit à un fils renonçant
de retenir un don qu'il avait reç u, avec clause
expresse d'anticipa tion, arrêt qui fut bientôt
suivi de l'art. 307 de la nouvelle coutume de
Paris . (1)
L'exposé des prin cipes des coutumes s ur le
rapport serait incomplet s i nous ne le faisions
sui\Te de. règles qui régis aient tou te celle
importante théorie, dans l'ancien droit. Nous
(~ ) 1 ous ne pouvons citer cet arrêt du parlement de Paris
sans en critiquer un considernnt cr la distinction proposée
» par Dumoulin, .) est-il dit, ne peut être aùmise, car elle
» heurte la maxime donner et refrnir ne vaut . l) La raison est
mauvaise, car le don eu a' nncement d'hoirie renferme une
condition résolutoire, à savoir qu'il viendra utilement à la
succession .
�-
fixerons spécialement notre attention sur les
points suiYants dans lesquels nous 'grouperons
tous les principes relatifs à la matière :
1. Dans quels cas y a-t-il lieu à rapport?
Il. Quel est l'objet du rapport?
III. Comment s'effectue le rapport?
C'est aux coutumes de Paris et d'Orléan5
que nous emprunterons les règles dont le développement suit, car ce sont les coutumes qui
étaient le plus en vigueur, et celles dont les
dispositions ont le plus inspiré les législateurs
du Code civil.
SECTION 1.
Dans quels cas y a-t-il lieu
à
-
51 -
rapport~
" Tous les enfants, dit Ferrière, venant ab
» intestat à la succession de leur père et mère
' sont obligés de rapporter à la masse tous le~
" avantages qu'ils ont reçus d'eux en avan» cernent d'hoirie, pour être confondus avec
» les autres biens de la ::;uccession et partacrés
» entre ceux qui rapportent, et leurs coh~ri
» tiers. )) L'auteur ne distinguait pas suivant
53 -
que les enfants venaient à la succession de
leur chef, ou en vertu d'un rappel. (1) C'était
un moyen par lequel une personne qui devait
être exclue d'une succession, devenait habile
à y prendre part.
Par un juste corollaire des principes, ceux
qui étaient tenus du rapport pouvaient l'exiger.
La question ne faisait doute que dans les coutumes d'égalité parfaite. Dans ces coutumes
les renonçants qui étaient tenus au rapport,'
pouvaient-ils l'exiger? La solution était différente suivant qu'on considérait le droit d'exiger
le rapport comme un attribut de la qualité
d'héritier, ou un droit de chaque enfant. Ricard,
dans son Traité des donations, admet la première interprétation comme la plus conforme
à l'esprit des coutumes. Lebrun semble partager l'opinion contraire. (Suce. I. 65).
Le rapport n'était pas un droit personnel à
l'héritier ; c'était un droit estimable, pécuniaire
qui était in bonis; partant, ce droit pouvait être
exercé par les créanciers personnels de l'héritier, du chef duquel il leur compétait. (LEBRUN,
op. cit. 68). Pothier, sur ce passage de Lebrun,
ajoute même que cela ne peut souffrir aucune
difficulté. (POTHIER, Sitcc. Chap. 1v. art. n. § 6).
(1) Sur ce genre de rappel, V. MERLIN, Rt!pe-rt. V. Rappel à
IUCC.
,•
•.
�-
I
La solution est différente pour les créanciers
héréditaires. On admettait généralement qu'ils
ne pouvaient ni demander le rapport, ni en profiter, car, dit Pothier, ({ils n'o nt de droit que sur
)) les biens de la succession ; or les choses
» données n'en font point partie, puisque le
« débiteur s'en est dessaisi de son vivant.>> C'est
dans ce passage de Pothier que les législateurs
modernes ont puisé l'art. 857. C. c.
Qu id de l'héritier bénéficiaire? En acceptant
sous bénéfice d'inventaire, devra-t-il rapporter
ce qu'il a reçu? On soutenait les deux systèmes
contraires; celui qui avait fini par prévaloir, et
à bon droit selon nous, militait en faveur du
rapport. Les partisans de cette doctrine, à la
tète desquels on cite Ferrière (1), faisaient justement remarquer que l'héritier bénéficiaire, en
acceptant sous bénéfice, n ·en cesse pas moins
d'être héritier ; que cette acceptation ne produit
d'effet qu'entre l'héritier et les créanciers de la
succession, et qu'elle ne modifie en rien les
droits et obligations des cohéritiers entre eux.
Et à l'appui de ces arguments, Ferrière, remon(1) Ferrière n'avait adopté cette opinion qu'après bien des
hésitations. On lit dans son traité : o Il est assez difficile de
» se déterminer sur cette question, car quelque parti qu'on
» prenne, on trouve de très grandes difficultés qui combat" tent l'opinion qu'on aura suivie. "
((
-
54 -
55 -
tant à Justinien, la meilleure des sources en
matière de bénéfice d'inventaire, reproduisait un
extrait de la loi Scimus : « Adeant ( hœredes) hœ1·editatem sine periculo, et nihil penitus ex sua
substantid am,iltant >> en y ajoutant ce comrnentairs de la glose sine periculo creditorum ultrd
vim,, et en faisant remarquer que la glose ne
dit pas sine periciûo collationis (1). Cette opinion
avait fini d'ailleurs par être acceptée par la
jurisprudence du Parlement de Paris qui l'a
consacrée dans les deux arrêts de principe, du
20 avril 1682, ( Chavogne) et du 23 février 1702,
(1\1. de Marigneux). - «Il fut en même temps
» ordonné, dlt Merlin (Rép. v. Béné{.) que cet
>> arrêt serait lu et publié au Châtelet pour
>> servir de règlement à l'avenir en pareil cas. »
A quelle succession le rapport est-il dû? «Il est évident, disait Pothier, que ce n'est qu'à
» la succession du donateur que l'enfant doit
>) rapporter ce qui lui a été donn é.» (Intr. au tit.
xvn, Cout. Orléans). Le rapport, en effet, ne tend
(1) cc Il est certain que Justinien n'a point eu d'autre inten» tion, quand il a introduit le bénéfice d'inventaire, que de
» joindre tous les héritiers d'une succes'sion, pour les défen» dre des attaques de leur ennemi commun qui est le créanD
cier. Mais il ne leur a pas fourni des armes pour se dé-
» truire entre eu-x, ni pour leur ôter les droits qu'ils pou» vaient avoir les uns envers les autres. » - ( Rapport du
cons.
MÉRAULT
nii
POINVILLE.)
.·
·.
�-
56 -
qu'à établir l'égalité entre les héritiers de celui
qui a donné. Il suffit donc de rechercher quel
a été le véritable donateur.
Le doute n'est possib le que pour le cas où
une dot a été cons tituée à un enfant par le père
et la mère, en e!Tets de com munau té. - A Rome,
en effet, c'était au père à doter sa fill e et non à
la mère. Dolare filiam patris est officittm non
matris. (L. 19. Dig. de ?·1ï. nupt. - L. 16. Cod.
de dot. prom. ) Tels n'étaient pas les principes
coutumiers. - Si la femme a parlé dans la donation, et a donné conjointement avec son
mari, le rapport se fera de moitié à la succession du père, moitié à celle de la mère ; (POLLET,
Partage, 3, § 66, 11° 5) et cela, que la femme
accepte la communauté ou y renonce. Le parti
pris par la femme lors de la dissolution de la
communauté es t à considérer dans le cas où le
mari a doté seul en effe ts communs. La femme
est présumée donner avec son mari jusqu'à
concurrence de sa part dans la chose (1); et si
elle accepte, le rapport de moitié devra se faire
à sa succession. - La donation est-elle d'un
propre de l'un des époux, la règle ne varie pas,
et le rapport se fera pour le tout à la s uccession
(i ) a Dos est commune onus utriusque parentis maxime in patrt'd
» connubiaUs bonorum societati.s. »
u. Tit. 1.)
ICBOPPIN :sur Paris, Liv.
-
67 -
du donateur si seul il a doté; pour moitié à
chaque s uccession s i le père et la mère ont doté
conjointement.
A ce principe général, Lebrun avait proposé
une res triction pour le cas où la dot étant cons·
tituée conjointement, e t la donation ayant pour
objet le propre de l'un des épo ux, la succession
de cet époux. s'ouvrait la première. Il ex..igeait
que le rapport de la totali té fùt fait à ce tte
succession parce que cc il n'est pas jus te d'obli>> ger les cohéritiers de poursuivre un remploi,
» tandis que l'un d'eux a dans ses mains le pro» pre de la succession ; et de fait, si le père était
) insolvable, il serait vrai de dire, qu'encore que
» le père et la mère eussent donné conjointement,
» néanmoin s toute la donation se trouverait faite
» aux dépens de la mère. » Et Lebrun ajoute :
~ Quoique le père soit solvable, il est encore de
» l'ordre que les biens du cô té du père suivent
» la succession du père, et ceux du côté de la
» mère celle de la mère, pourvu que ces biens
» soient existants. » On le voit, le principe
Pa.terna paternis, materna maternis, se fait jour
à travers cette théorie (1) (2).
(1) Le Code civil n'a pas reproduit la règle Pat~rna .. . et la
distinction de Lebrun doit aujourd'hui être rejetée.
(2) Les coutumes de la Flandre flamande renferment sur le
rapport du prix. des fiefs acquêts, des règles d'une grande
originalité. (V. MERLIN. Répert. v. Rap.)
�-
I
58 -
A qui faut-il que la donation ait été faite pour
qu'il y ait lieu au rapport? Pothier, sur cette
ques tion, examine s uccessivement si le rapport
es t dù de ce qui a éLé do nné à ses enfants, à ses
père et mère, ou à son conj oint. L'étude de ces
trois hypothèses forme la matière des 1·apports
pour aittrni, source des articles 847 à 849. C. c.
A. La donation a été faite aux enfants du
successible. Elle était présumée faite au père
qui, par conséquent, était tenu au rapport.
(( Ce qui a été donné au..x enfants de ceux qui
>> sont héritiers, et Yiennen Là la s uccession de
» leurs père, mère ou autres ascendants, est
>> sujet au rappor t ou à moins prendre. » (art.
306. Cout. Paris.) Car, dit Pothier , regardant nos
enfants comme d'autres nous-mêmes, n'acquérant nos biens que pour eux, nous devons réputer donné à nous-mème ce qui leur est donné,
et nous en devons le rapport. D'ordinaire, d'ailleurs, le grand père fait donation à son petitfils, en la seule considération de son fils, et
même en son acquit (1), et on peut ajouter qu'il
(~ ) Cela était si vrai que la petite-fille dotée par l'aïeul
devait le rapport à la succession de son père lorsque celui-ci
ayant survécu au donateur avait été obligé de rapporter à sa
succession ce que l'aïeul avait donné à sa petite-fille. Ce qui
faisait dire à Lebrun (de la Légitime, Liv. m.) que, de son
temps, il y avait non seulement des rapports de donation, mais
même des donations de t·apport. (BouRJON. Suce. 11, tit. xvu.)
-
59 -
eùt été trop facile d'éluder la loi si le père qui
vo ulai t faire une do nation à son fils, sans que
ce fùt suj et à rapport, avait pu donner aux
enfants de ce fils. Rappelons que l'ar t. 306 de
la co utume ne s'applique pas sous l'empire des
coutumes qui admettent ladispensederapport (1).
B. La dona tion es t fatte au père d u successible. Si le petit-fils arrive à la succession de son
aïeul, de son propre chef, il res te évidemment
é tranger à la donation qui a é té faite à son père,
et il n'en devra pas le rapport. Il en serait tenu,
au contraire, s'il représentait son père dans la
s uccession de son aïeul.
Si tous les fil s du donateur renoncent à sa
succession, chaque petit-fils devra-t-il rapporter
ce q ue so n aïeul a donné à so n père ? Cette
question se rattache à la précédente, car tout
dépend du poin t de savoir si les enfants respectifs des renonçants succèdent de leur propre chef ou par représentatio n, en d'autres
termes, si c'est par tète ou par souche qu'ils
s uccèdent. Or, il est hors de doute que, dans
l'espèce, la représentation est absolument sans
effet, e t que le partage se fait par tête. Cette
(~)Ferrière fait observer qu'il faut restreindre cette loi
dans ses termes précis ; ainsi le fils ne rapportera. pas ce que
son pere a donné à son bâtard, car les bâtards patrem habere
non intelliguntur, nec gentem, nec familiam.
.·
�-
I
I
60 -
solution est contenue dans un arrêt du Parlement de Paris du 1er avril '1686, dans un procès
où Ferrière écrivait pour ses beaux-fils (1).
Dans deux hypothèses distinctes que Pothier
nous relate, un frère peut être forcé de rappGrter une donation dont son frère a été gratifié. « Lorsque des filles par contrat de maria» ge ont renoncé, moyennant une modique dot,
» à la succession au profit de leur frère ainé, cet
» ainé qui succède à leur place à leur portion,
» est obligé aux mêmes rapports auxquels elles
» auraient été obligées, et, par conséquent, au
» rapport de leur dot. » (2). - Le second cas,
spécial aux coutumes qui obligent le père à
rapporter à la succession de l'aïeul les donations faites à son fils , a lieu quand l'aïeul laisse
un fils et deux petits enfants nés d'un fùs pré(4) Lebmn, dans l'espèce proposée, admeLtait une sorte
de représentation qu'il supposait pouvoir se faire de personnes \ivantes « lorsque tous ceux du même degré renoncent
» également et qu'ainsi elle ne se fait point au préjudice d'un
• droit acquis. » Cette opinion est vivement combattue par
l<'errière et Bourjon . (Sur l'art. 308 . Cout. Paris) .
(~l Lebrun apporte à cette règle deux restrictions :
a. Dans les coutumes où les meubles appartiennent à
l'aîné noble, il ne rapporte pas la dot de sa sœur qui a renoncé à son profit quand cette dot consiste en meubles.
(Anjou).
b. L'aîné ne rapporte pas également les dots de religieuses
constituées en argent ou autres meubles.
61 -
décédé; l'aïeul avait doté l'un de ses petits
enfants qui renonce à la succession. L'autre
qui concourt avec son oncle, en représentant
son père, devra rapporter la donation faite à
son frère, car le partage se faisant par souche,
le rapport doit se faire de même; l'espèce est
dans Pothier. Montholon § 109 avait proposé un
autre système qu'il avait tiré d'un arrêt .du
Parlement de Paris du 2J mars 1588, système
d'ailleurs beaucoup plus équitable. « On consi» dérait la donation faite aux renonçants , corn» me prise s ur toute la masse de l'hérédité ;
» on faisait accroitre leur portion héréditaire à
» cette même masse, et on partageait en consé» quence comme s 'ils n'eussent pas ex isté. >> (1)
(C). La donation est faite au conjoint du successible. C'est la partie la plus compliquée
et la plus délica te des rappo·rls pour autrui.
La fille devait-elle rapporter à la succession
de son père, la donation faite à son mari ? La
question qui paraît très simp le, faisait en pratique l'objet des discussions les plus diffuses.
(~ ) Ce cas étrange d'un frère qui est tenu au rapport
d"une donation faite à son frère n'est plus possible aujourd'hui ; car Je Code civil a abrogé les dispositions des coutumes qui assujettissaient le père au rappo rt de ce qui avait été
donné à son fils, et de plus la loi n'admet pas de renonciation aux successions futures. (art. 730.4 130. C. c.)
�-
6'2 -
On se demandait principalement si, au moment
de la donation faite à son mari, la femme avait
ou non des enfants de lui.
(a). Avait-elle des enfants? Le rapport sera
dù de la totalité; la raison est dans Lebrnn :
« Toute femme qui a des enfants doit r é>) puter
comme donn6 à elle-même ce qu i
n est donné à so n mari ; pendant la comb munauté, elle jouit avec lui de la dona)) tion qui lui a été faite; elle n'en jouirait pas
>l autrement si elle avait été la véritable dona)) taire. Après la mort de son mari, cette dona» tion passe à ses eufants pour moitié si elle
» accepte la communauté, pour le tout si elle y
l> renonce. Elle doit donc regarder comme sien
» propre l'avantage dont ils profitent par là. >>
Pothier adopte l'opinion de Lebrun en la critiquant toutefois pour le cas où « le gendre à
J> qui la donation a été faite est mort insolvab le
» et que sa veuve a renoncé à la communauté
'
~ ainsi que les enfants à la succession de leur
» père. Ni cette veuve ni ses enfants n'ont pro>> filé de la donation. » Merlin rejette toutes ces
distinctions et résout la question par les principes généraux : t< Que la fille soit tenue au
)) rappo_rt de la moitié de la donation faile à son
» mari, lorsque la communtluté est dissoute e t
» qu'elle l'a acceptée, c'es t ce que personne ne
» peut révoquer en doute; mais, hors ce cas, il
-
63 -
)) nous parait que la fille ne peut être obligée de
)> rapporter aucune partie de la donation, et
» que ce qui en est échu ou peut en échoir à
» ses enfants, ne doit pas faire à son égard la
)) matière du moindre rapport. >>
(b). Si la femme n'a point d'enfants et qu'elle
renonce à la communauté, elle est évidemmen t
déchargée du rapport de la donation faite à son
mari par son père, puisqu'elle n'en tire aucun
profit. Si elle accepte la communauté, elle est
au contraire tenue au rapport qui est pour
elle, dit Lebrun, d' un e nécessité indispensable.
Mais quel devra en être le qitantum? De la
totalité de la donation , parce qu'autrement il
pourrait y avoir fraude; on trouve, en effet, les
deux éléments qui la constituent ' le consilium
et l'eventus; le consiliwn, en ce qu'un père au
lieu de donner à sa fille donnerait à son gendre
commun en bien avec elle; et l'eventus, en ce
qu'en acceptanl la communauté la fille aurait la
même part de la donation que s i elle lui avait
été faite à elle-même. « Ces raisons dit i\lerlin '
>> sont d'une s ubtilité excessive, et on ne doit
» pas, dans une matière qui tient autant à la
» s imple équité que le rapport, sophistiquer à
>> un tel point. »
S'il y a fraude, en effet, pourquoi distinguer entre l'accep tation et la renonciation·? Le
rapport doit être toujours dû. Du reste, une
)
)
�-
l
6.i -
donation faite à un gendre n'est pas censée
faite à la fille; le gendre peut s'attirer assez
par lui-même l'amitié de son beau-père pour
la mériter ; pourquoi donc la soumettre au
rapport quand il résulte de l'acte qu*elle ne
contient aucun avantage indirect en faveur du
gendre? Nous conclurons, en résumant, que la
femme ne devra r apporter la donation faite à
sou mari que quand il sera certain qu'elle en
aura tiré profit; et le rapport sera dû dans la
mesure de ce profit. ( En ce sens FERRIÈRE sur
l'art. 304. Cout. Paris).
Toutes ces difficultés que soul evait le système
de Lebrun ne faisaient que croître pour le cas
très-fréquent où la communauté subsistait encore lors de l'ouverture de la succession du
donateur. « On ne pouvait se tirer d'affaire que
J> par un expédient très peu satisfaisant» dit
Demolombe, et L*on décidait que la fille ne serait
tenue du rapport que provisionnellement ; mais
nous devons ajouter que les mêmes incertitudes
régnaient pour fixer le montant du rapport.
SECTION II.
Objet du Rapport.
§ I. - Quelles choses sont suj ettes à rapport?
65 -
Tout acte de quelque couleur qu'il soit, qui contient quelque avantage de la part d'un père et
d'une mère au profit d'un de ses enfants, est
sujet à rapport.
Tout acte; l'expression ne saurait être plus
large; peu importe donc que l'avan tage soit
direct ou indirect.
Sur cette matière, les auteurs examinaient
plusieurs questions dont la plupart ne peuvent
avoir pour nous qu'un in térê t historique; nous
passerons en revue les plus intéressantes.
Une mère appelée à la succession d'un frère
unique, dans laquelle il y a beaucoup de fiefs ,
y renonce ; par ce moyen ses enfants mâles
excluent les filles. Seront-ils obligés de rapporter
ces fiefs dans la succession de leur mère? La
négative est soutenue par Pothier, (l ntr. cout.
Orléans, tit. x vII, n° 79) qui se refuse à voir
dans tous les actes d'un père ou d'une mère,
dont un de leurs enfants retire un profit, des
avantages indirec ts suj ets à rapport. Les seuls
actes rapportables sont ceux qui font passer à
un enfant une partie du patrimoine de ses père
ou mère; or, en renonçant à la succession de
son frère, la mère n'enrichit pas le patrimoine
de ses enfants. l\Ierlin donne même à l'appui de
cette thèse un argument d'analogie tiré de la loi
5 § -13. Dig. de donat. int. vir. et uxot·. (Ulpien)
dont voici l'espèce : Un mari renonce à une
5
�-
'
66 -
succession, donationis causd, pour en faire profiter s a femme, vel snbstitu ta sit 11iulie1-, vel etiam
ab intestato hœres futura. En ce faisa nt, le m ari
ne contrevient nullement à la prohibition des
avantages entre époux, neque enim p aitperior
fit, dit la loi, qui non adqitil'at ., sed qiâ de patrimonio suo depositit. Il ne donne rien, il ome t
seulement d'acquérir ; et Merlin d'aj outer :
« Pourquoi ne raiso nn erait-on pas de même re» lativement au rapport ? Dans l'espèce, la mère
» ne donne rien à ses e nfants , rien ne s ort de
)) son patrim&ine pour grossir le leur. L es enfants
>> tiennent les biens de leul' oncle et non pas de
» leur mère; il ne peut donc pas ètre question
» de les rapporter à sa propre s uccession . »
Contrairement à Pothier, Lebrun s outient l'affirmative en se b asant s ur ce que la mère, en
r enonçant, procure un avantage indirec t à ses
enfants mâles, avantage dont rapport est dû.
cc Si elle n'eùt pas renoncé, dit-il, les ftefs se
>> seraient partagés après sa mort, de la manière
» réglée pour . la ligne directe, e t les mâles n'y
» auraient eu que leur droit d'ainesse. >> (Suce.
sect. m. n° 11). (1)
(~ ) La question devait être bien délicate car on voit Pothier et Lebrun changer successivement d'opinion ; ces auteurs ne paraissaient pas être t rès-fermes dans leur doctrine.
(V. DBMOLOMBK, Suce. v. 370.)
-
67 -
Une femme, qui a des enfants d'un premier
lit, renonce à la communauté qui a existé entre
elle et s on second mari pour en faire exclusivement profiter les enfants du s econd mariage.
Les enfants du premier lit pourront-ils exiger
de leurs frères utérins, le rapport de cet avant age à la succession de leur mère ? La négative
semble avoir été consacrée par un arrêt du 27
janvier 1618 dans lequel on lit « qu'une mère ne
» pouvait pas être contrainte par ses enfants
>> du premier lit d'accepter la communauté de
» son second mariage, quoique riche et opu>> lente. » Pothier déclare adhérer à cette jurisprudence ( Coiû. Orléans, sect. vr, art. 3, § 1) :
« Les enfan ts du second lit sont censés tenir
» de leur père le total des biens de cette corn» munauté; leur mère qui y a renoncé, n'y avait
» jamais eu aucune part ; » puis il développe
des r aisons qui s ont tirées de la Loi 4, Dig.
ad stc. '1.'r ebellianum. Nous ferons remarquer que
les idées de ce Jurisconsulte n'étaient guère s ur
cette question plus arrêtées que s ur la précédente ; la lecture du ch. IV, art. 2, § 2 de son
Traité des s1"ccessions suffit pour s'en convaincre.
Dans ce chapitre, Pothier trouve bien dur de
refuser le rapport aux enfants du premier lit,
e t pou r le jus tifier sans se contredire, il imagine une dis tinction dont la subtilité est évidente.
�-
I
I
68 -
Doit-on voir un avantage s uj et à rapport dans
celui que fait une femme à ses enfants du second lit, en acceptant la communauté du second
mariage, qnoique mauvaise, et en se privant par
là de ses reprises? C'est l'inverse de la question
précédente. Pothier a, tour à tour, défendu les
deux systèmes. Il s'est prononcé contre le rapport « parce que le droit de la mère de prélever
» ses reprises ne devait exister qu'au cas de
» renonciation ; or, en l'espèce, elle a accepté la
» communauté » et il l'a admis au contraire en
soutenant que « la femme a véritablement eu
» cette créance de reprise de son apport, quoi» qu'elle dépendit de la condition de sa renon» ciation à la communauté. » Sur ces questions,
laquelle des deux opinions était la plus conform e aux principes du droit ? La question se
retrouve dans le droit actuel, et il y sera répondu en son lieu et place.
§ II. - Quels avantages sont dispensés du r apport ? Les anciens auteurs reconnaissaient que
dans les coutumes qui autorisaient le concours
des qualités d'héritier et de légataire, les dispositions de dernière volonté étaient exemptes
de rapport. (L. 28, 24 Dig. fam. el'cis. L. '17,
et 87 de legatis. L. 16 de collai.) Étendons cette
exception aux actes à titre onéreux que le père
fait avec son fils sans intention expresse de
l'avantager.
-
69 -
Nous avons vu qu'on dispensait également
du rapport l'avantage que le défunt avait procur é à l'un de ses héritiers, sans diminuer en
r ien son patrimoine. Rappelons que le Parlement de Paris étendait les co.nséquences de
cette exception jusque dans les limi tes les plus
reculées, sans tenir auc un compte de la règle
quod contl'à rationem juris introcltictum est, ad
consequentias non est proditcendum. (L. 14. Dig.
de legibus.)
Dans son art. 300, la coutum e d'Orléans groupait certains avan tages que toutes les coutumes
dispensaien t d u rappor t. « Les nourritures, en» tretènements, ins Lructions et apprentissages
» d'enfant, ni les fruits de la chose donnée par
J) un ascendant, soi t héritage, soi t rente, ne se
)) rapportent. » IL ne peut en être de même des
dépenses faites par un père pour procurer à
son fils une maitrise, parce que les frais de
maîtrise se fon t pour l'établissement de l'enfant, plutàt que pour so n instru ction.
La solution était vivement discutée pour les
frais de doc torat. Lebrun et Pothier les assujettissaient au rapport en prétendan t qu'il en résultait une sor te d'établissement. « En quoi cepen» dant l'état d' un docteur est-il plus avancé que
>) celui d'un licencié? » objecte Henrys. « En ce
» que l'honneur du doctorat, répond Buridan,
» n'en parvient pas seule:nent à celui qui en est
�-
t
70 -
, gratifié, mais à toute la famille, partant les
» frais pour y parvenir se doivent porter sur le
)) général et par tous les cohéritiers. » Et à
l'appui de son opinion, le commentateur de la
coutume de Reims (1) invoque la L. 1. § 16,
Dig. de Collat. suivant laquelle, propler. o~er~
dignitatis hoc prœcip1rnm habel'e debet qui dignitatem mettût, iit non solus oneretw·, sed com.mune sit omnium l!œl'eduni ontls hoc debitum.
On se demandait enfin si un enfant doit
rapporter les frais du banquet nuptial que le
père fait en le mariant. La négative parait avo~r
constamment été admise parce que « ces fraLS
» ne tournaient nullement au profit des époux
» et n'avaient pour objet que de manifester la
» joie des deux familles nouvellement alliées. »
Rapeort cles dettes. - Lebrun a tracé dans un
passage remarquable les règles du rapport des
dettes dans l'ancien droit : « Le fils qui a em>' prunté de son père une somme de deniers,
» est obligé de la rapporter à sa succession,
n suivant les arrêts qui sont communs dans les
1>
(t) La. coutume de Reims avait tranché la. question: c Deniers déboursés par père ou mère pour nourriture à leurs
,, enfants, ou pour le fait d'armes. a.u service du Roy, ou l'entretènement d'iceux , tant ès-arts libéraux que mécaniques
• ou pour acquérir degré jusqu'à celui de licence inclusive» ment ne sont sujets à rapport. • - Art. 3~1.
»
-
71 -
» livres; et cetle jurisprudence est fondée sur
i> ce que le père, qui prête et qui n'exige pas
» pendant sa vie, est présum é donner par anli» cipation de succession ; que d'ailleurs le prêt
s'il
>) fait par le père deviendrait un avantaae
'
0
» n'é tait point sujet à rapport ; et que la pre» mière r ègle du rapport est l'égalité, qui, se
» trouverait autant blessée par le défaut du
>) rapport de ce qui a é té prêté que de ce qui a
» été donné; car il peut se faire que le fils ait
» des créanciers an lérie urs au père qui , par la
le urs hypoth~ques, viendront
>l priorité de
» avant les cohéritiers s ur les immeubles dont
» le ms débiteur sera hé ritier; ainsi Je fils pro>> fitera doubleme nt s i ses cohéritiers n'on t la
J> faculté de lui imputer sa de tte sur sa portion
» héréditaire ; et c'est ce qui a é tabli l' usage
» du rapport de la dette en ligne directe. » (Liv.
III. ch . VI. secl. IL n° 2.). Les anciens auteurs
partaient de L'idée qu'un enfant ne pouvait ê tre
avantagé ni directement ni indirectement, et
pour être conséque nts avec eux-mêmes, ils ont
dû assujettir au rapport les sommes prêtées
comme les sommes données.
Dans l'ancien droit, la ques tion n'était soulevée que pour le cas de prê t d'un e somme d'argent fait par le père à son fils. C'était l'hypothèse de Lebrun , de Pothier et de Bourjon, et
leur décision est restreinte à ce seul cas parti-
�·- n -
I
I
culier; aussi nous ne savons pas ce qu'ils
auraient décidé si, au lieu d'un prêt, ces auteurs
avaient eu à se prononcer sur un contrat que
le père aurait passé avec son fils sans intention
de l'avantager. Auraient-ils soumis au rapport
les bénéfices qui. seraient résultés pour Je fils
d'une vente que son père lui aurait consentie ?
Le doute est permis, car il est difficile de voir
dans cette vente l'idée d'un avancement d'hoirie.
L'obligation du rapport appliqué aux dettes
avait, dans l' ancien droit, des effets très-importants. L'ouverture de la succession rendait la
dette exigible. Cette exigibilité entrainait la
déchéance du terme, car le terme es t lui-même
un arnntage rapportable, et faisait courir les
intérêts de plein droit. Enfin la part héréditaire
du fils garantissait sa solvabilité, et ses coh~ri
tiers avaient le droit de prélever une part égale
sur la masse totale. Cette imputation n'avait
rien que de très jus te dans les rapports des
cohéritiers entre eux ; elle faisait toutefois
l'objet d'une intéressante discussion quand on
voulait l'appliquer à L'encontre des créanciers
personnels du fils. Lebrun nous dit qu'elle avait
provoqué au Palais une fameuse dissertation ,
et qne la majorité des jurisconsultes qui y
avaient pris part s'étaient prononcés en faveur
de l'imputation et pour les cohéritiers. Cette
décision était basée sur ce que, en matière de
p;1rlage, la p.nran li<' l·lnil d111• par tous les lol.s
les un s envers les autres. Si donc on avaiL
proc<~dé nu partngc .sans tenir èompte de la
delle de l'nn ~es col1 6riticrs envers la masse,
e t que. ce <léb1leor fllt in solvab le, l'action rn
garnnt1e .se sernil ~xercée s ur les biens rroi
c~m 1~~sa 1 cnl son lot ; et cette aclion étant priv1l8gwe, les co héritiers nurnicnt LoujoL1rs 6ti'·
préférés aux cr6anciers personnels clu débiteur.
Il élaiL donc plus naturel, relerita le conjun gendarurn nclionwn, r1'anloriser l'imputation.
( LEBnUN. Suce. nn 7).
. Cette solution e. Len harmonie avec les principes du droit, mais l'argnnwnl rle Lebrun <'Sl
vicieux; il confond, ~ n efTet, entre l'action en
garantie et l'action en paiemenl de la dette
L'action en garanLic n'a uniqurmen t pour hnt
CJ:Ue de réparlir en Lrc tous les cohbritiers la
perte éprouvée par l'un d'<'nx ; elle s'exerce
proporLionn ellernenl à ln pnrt héréclHaire de
chaque cobéri lier; mais cette sitnation n'est pas
modifiée par ce fail que le débiteur de la succession est un des héritiers. Il est tenu, cornme
clébiLeur, de toute la deLtc; mais comme hérilier,
l'action en garantie ne peut s'exercer qu'en
proportion de sa part ùans raclif de la succescession . La Lhéorie de Lebrun arnit donc le
lo rt de méconnaitre que l'action en garan tir n'a
pas la mt,mc élenù ne qnP l '~r ti on en paiement
6
.................. .......-..-~
--
~
-----
--
-
-
-
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-
i l --
de la dette. (M. LAOB1~. 1)11 1·appol'f tlcs clr l f<>s.
N° 9).
L'assimilation des dettes aux dons en tre-vifs
en trainait l'application aux de tLes des r ègles
s ur le rapport généralement admi ses pour les
donations. C'est ainsi q ue tè fil s devai t rapporter à la su ccessio n de son père la somme que
celui-ci anlit prêtée à on petit-fil s. Le petit-fils
devait également le rapport ù ln su ccession de
son aïenl de la somm e prèt '>e ù son père .
ECTlON Ill.
Cam m ent s' effr'c f'l tP /p 1·apporl ~
« Les enfants venant à la s uccession de pè re
» ou mère doive nt ,·apporter ce qui leur a été
» donné ou moins prendre. » (art. 304. Cout .
de Paris., art. 306. CoHt. Orléans.)
L'application de cette règle d ifférait suivant
que la chose à rapporter était un menble ou un
immeuble.
Rapport cles immeubles. - En principe ce rapport se fait en essence e t en espèce. On l'a ain si é tabli, nous dit Pothier, pour qne l'égalité entre tous
75 -
les e nfants soi Lparfaite ; ol' ce résultat ne serait
pas a Ltein t si l'un d'eux pouvait conserver d e
bons héritages, pendant que les autres n'auraient que de l'argen t, clont ils autaient souvent
cle lei z)eine à {aire un bon emploi.
Le donataire s oumis au rapport n'est tenu
que de sa faute; aussi ne doit-il rapporter le
corps certa in que dans l'état où il se trouve
lors de l'ouverture de la s uccession. Son obligation se trouverait de même éteinte, si la chose
avait entièrement péri par cas fortuit .
Le donataire con tracte l'obligation du rapport
dès la fo rm ation de la don ation, ex antiqud
caiiscî. On déduit de ce t ordre d'idées cette
règle que les h ypoth èques consenties par Je
donataire pendan t la vie d u de cuj'us, s'évanouissent : ?'esolulo jiire dantis, reso luiiur jus accipientis. Pothier e t Bourjon admettaient toutefois
que les hypothèques revivaien t si l'immeuble
gr evé tombait a u lo t du dona taire.
Ce tte obligation du rapport en n ature appliqué a ux immeubles dont le donataire ne peut
même pas ê tre dispensé par le donateur, disparait dan s certain s cas :
1°. Il aura lieu e n moins prenant quand la
chose a été aliénée par le donat air e avant l'ouverture de la succession ; par s uite l'estim ation
ser a fa ite de la valeur de l'immeuble au moment du partage. ( PoTHIE.R. lntrod . tit. XVII.
Il.
((
................... ...............
.
-._.
--
..--.
-
-
-
- --
-- -
-
-
.
-
-
-
�- 77-
Cout. Ol'lil<111s, n° 02). Cornrnc11l 1·011<· lli c1 cel le
Llécision avec la maxim e: Nrmo plus jw·is in
alium ti'ansferrr pot es/ q11wn ipse l1 of>el 9 Nos
anci ens anLenrs avaient pen:::.6 qnr l' intérêt
pratique deni.it i ci pn:..,,nlnir, cl on l':wa iL ain si
décid é pour garantir l es acquéreurs d' nn e év iction : re.~ int er collœredes 11011 w11l r111wrè (l'aclandœ. - C:es motifs n 'l"'\ is lant pl nc; pour le
r,intien des hypotl1i,qnes, la so lution de\'a iL
llctemmenl être r es l rcinle nu ras ll'aliénation.
2°. Le second cas cle r apport en mo in s prenant
lieu quand il se tronve clnns la snr cess i on
immeubl e de parei lle \ al c1 1r et bon l é, cl onl
VJ' pnisse form er des lots semb lables l >Onr les
héritiers. L e vCPu <lc> la l oi se l ronYe alors
aucé, et l e part age se l rourc n"gu li èr emen 1
a
nts
~jh;. Enfin l'hL·1ilicr donataire sera autorisé à
pporter en moins prennnl , si ses coh ériLi er s
fusent de lui rembourser les cl épenses qu 'il a
1.ltl es On discnLait l a ques Li on de savoir si le
droit d e l 'héritier donalaire co nsistait dans un
droit de rétention (Potl1ier ) ou dan s une action
directe en rembourse ment des dépenses qu'a\'ail
exi gé l a conservalion cle la chose donn ée .
Merlin admet le cumu l cl es deux actions.
Rapport des meub!Ps. - Les co utnmes n'o nl pa.s
régl emen l é ce rapporl ; il (• Lail cepend ant recon-
nu par la grande généralilé ùes auteurs que les
meubles se rapporlaie uL en moins prenant, et
que leur valeur s'es timait au temps de l a donation . (Pothier). Ferrièr e avait voulu établir une
distinction : il n'autorisait le rapport en moins
prenant qu'à l'égard ùes meubles quœ pl'irno
ltsu consunwnlw', et il exigeait le rapport en
nature des meub les qu e l'usage ne détériore pas .
�-
79 -
,
DROIT INTERMEDIAIRE
Les 101i:, cn il es qui Lraileut da droit succes::;oral d'un e nation sont si étroitement liées aux
principes politiques de celte nation qu'il ne
suffit pas, poLu en régler l'exercice, de suivre
les règles orùinaires de la justice e t de l'équité;
Je législateur doit en outre coordonner ces règles
avec la fo rme et la situation de l'Etat pour lequel
ces lois sont faites.
Ces réflexi ons ùont la Yaleur fut appréciée
des légis lateurs ùc la Ré\'Olution, expliquent
tout le soin qu'ils onl apporté dans l'étude des
réformes à introduire dan cette matière. L'espril
général de ces réformes fut de substituer une
légis lat10n uniforme aux législations diverse::. qu1
s ur cc point se disputaient le;t France, et de
met tre le:-- cl1sp0Bil10ns !(' gales relati\·e au droit
�- su -
-
de s ucces::;io11 e11 l 1u rn10111e <.wec les µr iuci p e~
ùe la nourelle cun"Lil uLion dé1HocraLique.
~ou s
ne
~i gnnl e ro ns
qu e les
m o difi cal i o n ~
relJtires ù ln lll L'Orie du r apport.
C'est un axiom e cle ùroit devenu vulga ire,
» ava it d it ~lirabeuu , qu e les enfants son t les
» héritiers nalurels de leurs parents, ce qui
» inclic1ue j la fois el la légitimité du titre e u
» vertu ùuquel LllH.! fa mille en lre dans l'hérilagc
» laissé par ses cl!cfs, e t l' égali té cl u d ro it que
» lu nature do nne à chacuu de ses me111bres
» s ur cet héritage. » ( 1) Ces paroles de ~ l iral.Jca u
ont donné naissance aux ùeux lois des 7 ma rs
1793 e t 5 brumaire a n [[ ; la premièr e dépouilla
les pères du d ro it d 'ex héréda tion e t a ttribua
à tous les descen d a nls un droit égal s ur le
partage des biens ùe le urs ascenda nts ; la
seconde é tendit aux s uc.cess ions déférées, soit
aux ascendants soit a ux collatéra ux, ce que la loi
clc 1793 avait res lrein L tt la seule li gne d irec te
descendante. Ces lois, ù u res te, au torisaient un e
qualité d is ponible du ~ixième s'il n 'y ava it que
des collatéraux, et d u d ixième s' il y avait d es
héritier s direcls, mais ce dispon ible ne pouvait
ê tre laissé qu'à des élraugers.
Ces dispositions c1ui furent puremen t et simpleme nt reproduites par la loi organique des
«
•
1l) hl!RA.BEhU, 0 1scours ;ur 1 <'Etaitté cle:; partag-1 s.
,"
,..... '.
81 -
s ucf'essio ns c111 17 nivùl::>e a n lI se ressentaien t
trop des exlrnvagances égalil,üres ùu r ègne de
la Con vention po ur lui s urvivre: ell es portaien t
au pouvo ir do mes tique du père la plu s fun es te
atteinte e t, c11 lt1i interdisant de distin guer un
fils s age et res pedue ux d'un fil s rebelle e t s an s
c.:. onùuite, elles faisaient violence aux sentiment
les plus n atu re ls à l'homme; « c'était là, d'ailun véritaùlc a tte ntat au droi t de p ro>) leurs,
'' pri é Lé et l'u ne des ri gueurs les plus senties du
1> régime révolutio nn aire, car la mort frappe tous
expi>) les jours, et des millie rs de mourants
'' raie n t sans po uvoir obéir au penchant de leur
» cœur e n fave ur de ce ux <1ui les a\·aient servis,
1> so ignés, consolés d ans leur vieill esse. » (1 )
Auss i ùès q ue le Cons ulat eù t tend u à la France
sa t ran quillité et assuré son avenir, une loi du '1
germinal a n VIII rut auss itùt parlée qui rendi t
a u père le droi t tlc récompen::;cr , ùe punir, et cle
r éparer en tre enfa nts les inégalités de la nalure
La loi de l'a n VIII co ntient deux innovation;:,
re m a rquables : elle étab lit une réser ve en faye ur
ùes ùescenùan ts, ùes ascenùants et de <...erlalll-;
colla téraux, et per met également lle ùonner ',,
JJl'éèipul ù tout s uccessible une quoli lé Ll '
biens varian L m·ec le nombre Lles résen ï\lait e::;
« Les lihéral ilt"•s, auloris(·es par la presenle lut ,
�-al >> porte l'art. 5, pourront être faites au profit des
» enfants ou autres successibles ùu disposant,
» sans qtl'elles soient sujettes à rapport. » Il s'étail
èlevé, s ur ce point, la question de savoir si la
dispense de rapport é tait de droit ou si el le
devait ê tre exprimée. L'opinion la plus généra- r
lement reçue exigeait dans ce cas l'obli gation J-'l
du rapport, e t à bon droit s uivant nous, car il
n'es t pas vraisemblable que le législateur de
l'an VIU ait entendu donner à ces libéralités un
caractère préciputaire. (Sn sens con traire, füorn ,
21 juin 1809).
-- ~oe -
-
,
~~,of/V
83 -
CODE CIVIL
OES RAPPORTS
Quand nne succession s'o uHe, les héntiers
appelés au partage n'y vie nnent pas tous a\·ec
des droits égaux; un d'entre eux peut avoir été
de la part du de cujus l'objet d' une libéralité soit
entre-vifs, soit testamen taire . Cet héritier prélèvera-t-il sa part héréditaire sans remettre à la
masse les biens qu'il a reçus, ou bien, devra-Hl
les réunir à la succession pour qu'une égalité
absolue règne dans les opérations du partage '?
En termes techniques, y aura-t-il ou non ,·appot'l
à la succession ?
La question est résolue par le premier article
de notre section, art. 8113: l< 'font héritier, mème
» bénéficiaire, 'euant ù une succession, doit
» rapporte1 ;\ ~c::.. t'lllH'nl1cr~ Lont ce qu'il a reçu
�-
du défun t, par clonaLion entre-vifs, d1rcdc>) ment ou intlircctemenL : il ne peut retenir l es
\) dons ni réclamer l es l egs à lui faits par l e
» défunt, ù moins que les clon s et l egs ne l ui
>i aient été fai ts ex:press6ment par prédp ut et
>> hors part, ou aYec dispense du rapport. )>
Le mot rapporL ne co nvien t, on Je voit, qu' aux
donations entre-vifs , << l es seules, en effet, qui,
» ayant été emportées clu patrimoine du défunt,
» sont susceptibl esd'y êlre rapportées.\) (DE.\IOL.)
L 'e-xpression est ùonc impropre pour les legs
comme pour l es delles ; mais le Cocle n'ayant
pas dis tin gué en lre ces tlifîéren tes so rtes de
libér alités, nous ne seron s pus plus puris te qu e
lui, et nous comprendron s clans le rc1pport des
donations le rapport ·
>l
l" lJes tlo11 :; enlre-\ïfs ;
~0
Des legs ;
311 Des Llellei-:
Le rapport e::.t ùo1H.: J'obli galwn tle to u t ll én tier cle réunir ou de l aisser ù la masse tk la
succession les <.:lwses qu'il a re<; ues par J ons
ou par legs, ai11si qu e de l en ir compte clcs
sommes ùont il e:.t clélJiteur enrnrs le défunt.
Les règles générales posées par l'art. 843 nout>
laissent voir que l a no tl\ elle théorie du rapport ,
bien qu\·n g 1 \lll<h~ pat'l1e c111prun lée an clruil
l'i->-
1omni11 <'l nu' coutu111 ei-:, e11 diffP.rc> clan-.. sou
rnsemble ( 1).
A. Rome, en effeL, l es desce ndant étaient
seuls ten us tl e celle obligation ; Je Code J'impose
it tout llérilier quel q11'il soit. En droit rom 8 in
les l egs n'é Laient pas sujets à r apport ; nom:
,·enons ùe Yoir que l 'art . 815 l es y qstreint.
Enfin celle r ègle ne r égit plus aujourd'hui que
les su ccession s ab inle.-;fal, tandis <Jn'elle s'::ippliquait à Rome mêm e aux hérédi tés testamentaires . L es deux l ég1slalions se confonden t toutefois en ce qu'ell es permellenl au donateur <iP
dispenser du rapport celui que l a l oi y sourr.e t
Le principe romain qui res treignait l'obligation
du rapport à l a seul e ligne directe desce ndante,
avait passé dans l es co11 tnmes, et l e Code en
imposa.nt cette obligati on f• Lotis l <'S héritier s
diffère du droit co uL11mier com me il différnit
déjà snr ce point de l a l égislat ion romaine. Cette
extensio n de l'obligalion du rapport est un e
innovati on introduit e par les lo i ~ cle l'époque
interm écliaire. L e Code en a conse1Té le princi pe, m ai s il e11 a adou ci 1:1 ri gne11r en an toric:;an t la rli spensr CX[ll'l'sse d11 rapport
( t ) Auss1 ne prnt-on plus :n1juunl'hu1 inYoqucr les re~les
romnines ou contn mieres sur le rapport, "1 ce n'est pour inter/.
pr!'ter cen' d es nrhclrs rln Codl' qui scrnir.nt l'e,actr rcprorlurtion de ers l'r'l"ll's !C:\ss ·1 1 mni IRIS )
�-
86 -
On voit par là que nous reje tons co mme co ntraire à la pensée qui a guidé le législ ateur
dans cette matière, l'opinion des auteurs qui
basent la théorie du rapport dans notre droit
nouveau sur l'intention présumée du de cujus .
(DEMOL.) Sans doute c'es t ce tte intention qui
devrait être l'idée première du rapport (1), car
les lois sur les successions ne dewaient être
que des lois interpré tatives de la volonté du cle
cujus ; mais telle n'est pas la base du système
du Code puisqu'elle n'est pas en harmonie avec
la plupart de ses dispositions.
On ne peut, en effe t, appliq uer celte idée à
la règle d u Code qui soumet au rapport un
collatéral s uccessible à un degré très-éloigné;
alors surtout que ce co ll atéral n'é tait pas héritier présomptif au moment de la donation. Comment de plus expliquer dans un pareil système l'obli gation du rapport appliquée aux legs?
Un legs est fait à on s uccessible. Quelle pensée
a pu guider le tes tateur ? Il a dù vouloir
• la propriété
évidemment procurer au légataire
de la chose léguée el faire de lui un véritable donataire ; et cela, ind épendamment de
· sa part héréd itaire. Si telle a été son intention, e t difficilement on oserait le co ntes ter,
1) AGNÈS. De la proprieté considél"ù comme principe de conseri·atton el cle l' hél-editil.
1 (..
((
(.(.
-
87 -
commen L ex pliquer que l' arlicl e 843 n'autorise
le prélèvement du legs que dans le cas où il a
été fait par préciput et hors part? On a vainement essayé de concil ier ces deux idées , et M.
Demolombe, qui sou tient la do ctrine contraire
dans son Tl'aité des successions, est obligé de
convenir qu'il faut voir dans cette disposition
une reproduction malh eureuse des principes
coutumiers. Rappelons que l'incompatibilité,
entre les qualités d' héritier et de légataire, avait
été, il est vrai, édi ctée par la plupart des coutu1)1es, mais celles-ci, plus logiques que le Code,
avaient d éfendu d'y déroger.
Il faut donc reconnaître que le rapport a pour
idée première dan le Code civil le désir de
maintenir l'égalité entre t(\us le:; héritiers (1),
id ée fu neste qui, poussée dans ses dernière~
limites, avait donné naissance aux lois r6vo\utionn aires de l'an Il (2).
('' ) o Pour les successions le principe naturel e t le
• principe d'égalité entre les enfants, qui fait que les cadets
» ne s'irritent plus contre les aînés, que les sœurs ne sont
» plus sacrifiées à leurs frère", que ln paix, la connance et
» !"amour regnent nu s"in du foyer dome_tique. • (DUPI:-J,
Proc. gén. )
(2) Dans le nouveau Code italien Io. théorie du rapport a
pour base l'intention p résumée du testateur, et !"obligation
qui ne porte que sur les donations entre-vifs est restreinte
aux seuls desce ndants Y. Le Code rit·il 1talirn t t lt Code
Napoléon, par M Huc p 20 1.
�-
CHAPITRE
J.
DlNS QUEi, CAS IL \1 A LIRU A n1rronT.
Nous diviserons l'étude de ce pre mier d1 apitre en trois sections :
1. Quelles pers onnes doive nt le rapport ~
2 . Quelles pers onnes peuvent l'exiger '!
:3. A quel le s uccession i~ es t <lù '?
.'ECTlON J.
Qiœlles pe!'so11nes doiven t le 1·upporl ?
L'art. 843 répond direr lcment :1 la <rues l io n :
a ToHl hél'ilier do1w/(li1·"··· » Ains i ta ule per so nne
qui es t à la fois héritier e t do nataire est tc nn e
au rapport de ce qn'elle a reçu . Ces deux conditions sont essentielles; l'étude de la pr~ mi ère
nous fera connailre les effe ts de la renon ciation
de l'h éritier donataire ; l'exam en ùe la seconde
nous conduira à parl er clc ln rlis pcnsc du rnp po rl
8!J -
(-'L) Toul hé ritier LloiL le rapporl ; c;'es t lù la
première condition . Il faut donner a u mot héritier le sens de su,ccesseur ab iiitestat: « cette ex» pression comprend dans l'art. 843, non s eu le» ment les héritiers légitimes, mais tous les su c» cesseurs que la loi appelle au partage de la
». s uccess ion. » ( DE.MOL. v . n° 198.) La preuve
en est dans l'art. 857 qui oppose à héritier le
mot légataire pour ne perme ttre qu'au premier
de réclamer le rapport. Il ne pe ut d'ailleurs en
être autrement, car la loi n'a aucune rais on pour
vouloir imposer l'égalité à ceux qui s ont héritiers par la \'Olonté du testateur. Le rapport a
donc lieu s ans qu'il y ait à co ns idérer le degré
de parenté ni la lig ne à laq uelle appartie nt le
successible donataire . En cas de feute dans une
succes sion, l' héritier doit le rapport à tous ses
cohéritiers ; et ce rapport es t dù par lui indhid nellement, car la s uccession est touj ours une,
e t la r épa rtition de l'hérédité ne faiL pas qu'il y
ait une multiplica tion de s uccessions, comme
dis ait Ricard . (Donat . n° 686.) Si tlonc un suc- •
cessible du cô té paternel reno nce à la s uccess ion pour s'en t enir à la libéralité que le défunt
lui a faite s ans clause de préc iput, cette libéralité
n e peut p as s' imputer s ur la pofü o n afférente à
la li gne pate rn e lle. (A rg. art. 818, 807. A.uBnY et
RA U , v. no 307.) Po ur le mê me m olif un coll ah~
ral , a lege vocatu,._, venan t e n <"oncours a,·ec un
7
�-
\lO -
ascendant ~ern tenn du rapport. C:P dernier
point très controversé dans le dernier étal des
coutumes est aujourd' hui hors de doute, et L'art.
843, qui l'a définitivement tr~nché, l' a fait peutêtre dans un sens trop rigoureux (1).
Quid des s uccesseurs irréguliers en général ?
Sont-ils tenus au rapport ? La quesLion ne se
discute pas pom l'enfant naturel (art. 760) ; les
raisons que ron peul invoquer pour so umettr e
au rapport l'enfant na turel con\' ie nn ent à tons
les cas; car l'égalité que la loi veut maintenir
entre les héritiers légitim es es l lout auss i d ésirable entre les successeurs irrégu liers, et on
11e voit pas, par exemple, pourquoi Je rapport
ne serait pas imposé à tles frères naturels
comme il l'est aux frères légitimes. Il y aura
donc lieu à rapport dans les différents cas où
les successeurs irréguliers (enfant naturel , frère
et sœur naturels, père et mère nature ls) viennent à une success ion en rnrtu des art. 758, 765,
766,
c. c.
Le conjoint est aussi un successeur irrégulier, mais ne venant à la s uccession de l'épo ux
(.f ) «
Toutes les dispositions qui ont trait au rapport ont
~ lieu en toute succession directe ou collatérale, la loi établis" sant la même égaliti' entre tous les héritiers . u (Art. 159
du projet )
-
91
prélléc?d é qu 'c11 l'absence de tout s ucces:-,iblt·
même irrégu lier (art. 767) (1), la question dti
rapport semb le ne pouvoir ètre posée. Ou a
cependant imagin é le cas assez rare d' un époux
qui se serait re ndu coupabl e de bigamie; le
second conjoint étai t de bonne foi e t le mariaoe
n
n'a é té annulé qu'ap rès la mort du bigame. (art.
188.) La bonne foi faisant prodilire au mariaae
0
tous ses effe ts civils (art. 202) en faveur de
l'époux qui en j ustifle , les deux conjoints du
bigame vie ndront au même Litre à la s uccession
et le rapport sera obligatoire.
Il ne peut év ide mment èlre ques tion de rapport pour l'Etat qui ne vient qu 'à défaut même
du con joint (art. 768).
Y aura-t-il rapport dans les successions dites
anomales? (art. 35'1 e t 332, 747, 7GG. ) La question se dédouble : e lle ne peut intervenir
entre les pers onnes qui viennent recueillir la
success ion anomale e t ce lles qui prennen t la
s uccess ion ordinaire; ces personnes ne sont
(1) li en serait autreillc:lt si le projet de loi sur les droits
de l"époux survivant ùe M. Delsol, député, était adopté par
l'Assemblée nationale. - La CourdeC11ssationapp&lée ù donner son avis a, le H janvier 1875, reproché au projet ùe loi
son silence sur la double question de la saisint et de l'obligation du rapport à s11ccess1on ; cette lacune a été comblee par
hl. Boissonnade, dans son intére ·saute Histoire de~ droits dt
/' <1po11x Slll"VÎCOlll
�6
-
~l.!
-
pas Jes cohériliers, or l'art. 837 tlispose .q~l~ le
rapport n'est dû que de cohéritier à coherit1er ;
il y a ici a.lia atque alia successio. Il faut, au contr~ire, soumettre au rapport, les différentes personnes qui viennent an partage cle la succession anomale . Ce sont de véritables cohéritiers,
e t la disposition de l'art. 843 es t trop absolue
pour a utori ser une d is tinction entre les successions anomale et ordinaire (1) .
JI est à peine besoin de mentionner comme
étant tenu an rapport l'héritier bénéficiaire; la
loi s'en explique expressément dans l'art. 843.
Cela tient à ce que l'acceptation sous bénéfice
d'inventaire, ne produisant d'e!Tets qu'entre l'héritier el les créanciers du de cujus, ne modifie
en rien les droits et obligations des cohéritiers
entre eux (2). (DEMOL. m , 358, 353. )
Le rapport n'est imposé par l'art. 843 qu'à
l'héritier venant à la succession. Cette disposition s uffirait pour dispenser du rapport l'héritier
renonçant ; le législateur a cru devoir le répéter
dans l'art. 845 . '< L'héritier qu i renonce à la
(4) Cette seconde phase de la question ne peut s'élever
dans le cas de l'art. 74'1 : si le père et la mère ont fait la
donation , chaque ascendant reprend sa moitié et la part du
renonçant accroît à la succession ordinaire.
(2) L'application des règles du ra)Jport à l'acceptation
bénéficiaire en démontre tout le danger ; aussi doit-on regretter que la loi l'ait imposée dan s certains cas. (Art. 46 1)
-
!13 -
» succession , peut cependant retenil' Je don
» entre-vifs , ou réclamer le legs à lui fait, jusqu 'à
>> concurren ce ùe la portion disponib le. » Il
résulte de cet article que le successible ilonataire qui s'en Lie nt ù la libéralité dont Je de
cujit::- l'a gralilié, n'a µus à la rapporter à la
succession à laquell e, par sa renonciation, il se
rend étranger, alienus ab hœredilate. (L. 22, § l,
Cod. De jur. d elib.). Cette disposition est tonte
naturelle; à la mort du défunt l'héritier donataire
revêt deux qualités ; il reste donataire et
devient hé ritier. La loi a rendn, il est vrai ,
ces deux qualités incompatibles quand la donation est faite sans dis pense de rapport; mais
cette incompalibilité es t indépe ndante du droit
d'option de l'h éritier. Si donc le successible
abdique en renonçant sa qualité d'héritier, il
reste do nataire pur e t . imp ie, et n'est tenu
que de l' ac tion en rédnc tion pour le cas où la
donation entame la quotité di ~ ponible . (CorNDELISLE, Du d1 oit de l'éle11tion, n° 203).
Ce tte solution doit ètre maintenue quand la
dou ation es t faite par Je do nateur à titre d'a\'ancement d 'hoirie, ca11sa u p1·essa. Il ne peut être
en e JTe t qu e le Cod e civil ait Youlu faire revivre
la doc trin e ll e Dumoulin que les ancien auteurs
et un e jnris prude nce cons tante du Parlement
de Paris anti ent nni\'ersellement rejetée. Dumoulin <ilrnsail de 1·c t1e i1l6P q11e. le don en avance-
�-!H -
ment d'hoirie esl un do11 cle présuccession , 1111 <'
remise anticipée de la part qui revient au donataire dans la succes ion dn de cujus; c'était ,
co mm e nous l'arnn s expliqné en déta il, exagérer, en le dénaturant, le caractère du don en
a\·ancement d 'hoirie, puisque celle clause (]li <"
Dumoulin interpré tait contre le donataire avait
eu pour but, à l'origine, de lui permettre de
cumuler la don a tion avec sa part hé rédita ire.
(LABBÉ, Dtt don en auanc. cl'l1oirie, n°- 16, 21 .)
Ces considérations doivent également nou:-:;
faire r ejeter un e doctrine nouveJle d'après laquelle le don en arnnceme nt d'hoirie ne se
transforme en donation ordinaire que par la
répudiation du donataire « d'où il est manifeste
i> que le don qui avait, comme avancement
>) d'hoirie, la date du
jour où on l'a fait , n'a
)) comme don ordinaire que la date du jour où
» il devient tel. Or, c'est par ordre de dates
>) que, d' après l'art. 923, les libéralités doivent
>) se réduire en comm ença nt par les dern ières. )>
(MARCADÉ, art. 916, n° û.) Ainsi , d' après ce t
auteur, tes donataires pos térieurs doiven t
être préférés au s uccess ible, e l l'action e u
réduction doit s'exer cer co ntre lui avant même d'attaquer les légataires. De telles conséquences sont trop en opposilion avec les
disposition s du Code s ur les dona tion s, pour que
le priu cipe clont ell e:-; é manent pui sse è lre ac ce p-
l li •
-
95 -
t.é. La loi n'a pa :-; rég lé différemmen t les eflets
d'une donatio 11 s ~1 ~t.1J1 '~e est faite à un successible ou à un
· ~7'~L l'art. 894 qui exige un
1
dépouillement actuel et irrévocable, est trop
absolu dans ses term es pou r a utoriser u11e pareille distinction. Du reste, en visant toute espèce
de donation fa ite à un s uccessible, la doctrine
nouvelle es l mème plus radicale que celle de
Dumoulin qui réservait so n prin cipe à la seule
h ypo th èse d' un don en avancement d' hoirie
expressément stipulé. ( D U MOULI.'.'l sur Paris,§ 26.
En advanc. d'hoirie, n• 5.) (1).
L'héritier r enonçant peut donc garder la donation dont il a é té gr atifi é, mais à quel titre et
dans quelle mes ure la garde-L-il ? Cette question
qui trouve sa place n a turelle dans l'étude de la
réserve se rattache également à la théorie de
l'art. 845. Distinguons s uivant qu'il y a ou non
des hériti ers ù r éserve.
A. Il n'y a pas cl'hériliers ci réserve. - Dans ce
cas toute la succession é la nt disponible, la renon c iation assure à l'héritier donataire l'intégralité de la c l10se tloun ée. La difîlculté ne s'est
t'.·levée q ue r1:; lntiYe ment au partage de la mas P
(Il Ln cond1tton unpo::.ee au donataire de ra pporter à tout
1!vine11tC11t la chose donoee a la sncces::.ion du donateur, e::.t
parfaitement Yal:iblt> et doit produire tous ses effets En c11
:;:<>n s D1nin1, op rit 11• 263 )
�-%-
•
entre les antres cohériLiers. On a s upposé un e
succession dérnlue ü trois cousins paternels
et à trois cousins maternels. Un cousin paternel, donataire entre-vifs du de cujus renon ce à la succession ; cette renonciation qui
le rend étranger à la s nccession ne va-L-elle
pas modifier les droits de ses colignagers
dans la masse héréditaire? (1) La majorité
des au teurs était unanime à reconnaitre qu'il
fallait traiter le donataire comme un étran ger ,
et que le partage de m it se faire sans tenir aucun
compte de la donation faite au renonçant ; en
l'espèce, chaque cous in paternel prendrait un
quart de la succession et chaque cous in maternel un sixième. Cette solution a été combattue
comme contraire aux textes de la Loi et à L'intention du de cujus, par M. Ragon dans sa Théorie
de la 1·étention et de l'imputation des dons (ails à
des successibles. Le Code, dit en s ubstance ce
savant professeur, en conservant l'in s titution du
rapport et les principes de la fente (art. 733), a
eu pour prin cipal but de maintenir l'égalité eT)tre
les héritiers ; s i donc on impute la donation sur
la masse totale, cette égalité se trouve blessée
puisqu'on donne à chaque ligne un droit éga l
(1) Rappelons qu'il ue s'agit pas ici d'astreindre les cohéritiers du renonçant nu rapport de la donation . Le rapport est
dû d~ coh~ritier à cohéritier et. non de ligne aligne. (A.rt. 857 )
-
97 -
dans la s uccession, alors qu' un membre de l'une
d'e lles a déjà reçu une donation entre-vifs. De
plus ce système est contraire à La volonté du
de citj1ls qui, en ne dispensant pas du rapport
le don en avan cement d'hoirie, a entendu faire
un don de présuccession. On évite de tels résultats, dit M. Ragon, en imputant la donation non
s ur la masse de la s uccession, mais sur la part
de la ligne avantagée ; car, bien que l'héritier
donataire ait renoncé à la succession, on ne peut
vouloir que sa renonciation profite à ses colignagers, et nuise allx autres cohéritiers ; c'est pourquo i on doit toujours Lui attribuer une part ficti,·e
de l'héréd ité qll'on imputera sur la somme afférente à sa ligne. Ainsi clans l'hypothèse d'une
s uccession de 36,000 fr. et d'un don de 6,000 fr.
faiL à un co nsin paLernel, l'app lication de cetle
nouvelle théorie conduit à donner 18,000 fr. à la
lign e maternelle et 12,000 francs à la ligne
patern ell e ; chaque héritier prend donc une
part égale dans la succession, et l'égalité la
plus absolue règne clans le partage des forcei-.
héréditaires . Ce système est ingénienx mai~
trompeur , et i\T . l\ Tachelanl , dans une sarnnte
ctissertation, en a démontré toute la subtilité (1).
JI importe d'abo rd rle ne pas ::;p laisser sédnire
(I J :'IJACHEl •. \Rf'
XV. 38 1
llr1
lm/or
1\.
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Yim.."l'l
Rr1· 1•1111
•
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•
98 -
par l'exemple habilement choisi sur lequel disc ute M. Ragon ; le résultat n'est plus en effet en
harmonie avec la r ègle si l 'on suppose que le
don fait au success ible èst de 12,000 fr. au lieu
de 6,000 fr. ; la ligne paternelle devrait avoir 6,000
fr. et les 18,000 fr . restant ir,ü ent à l 'autre ligne;
et cependant, sur cette espèce, ~ I . Rago n atlribue une part égale de 4,800 fr. à chaque héri tier .
(no 214.) Cette doctrin e est du reste contraire
au texte des art. 783 et 913, puisqu'indépendamr1ent des r ègles sur la réserve (e t c'est notre
hypothèse) la renonciation d'un ll é1itier l e rend
étranger à la succession , ùe tell e sorte que c'est
eulement en qualité ùe donataire qu'il délient
la ch ose donnée ; auss i Je pariage devra-t-il
i;'efîec tuer comme si le renonçant n 'avait jamais
été héritier. La part des cousins patern el s es t,
i l est vrai, différ ente de cell e des m embres
de la ligne matern elle ; 1nais cela ti ent à ce
que l eur nombre es t moindre, r és ultat auq uel on serait égal emen t co nduit dans le cas
du prédécès du donataire (~lach e l ard.) Observons enfin a\·ec M. Demolomhe qu e ce mode
d'imputation ne peut s'appl iquer à un indigne;
on ne peut dire en eITet de l'indigne ce qu'on
a établi pour Je renon çant, car les co héritiers
de la ligne paternelle ne doivent pas supporter
' les conséquen ces cl ' un crim e nllf1u el ils n'o11t
point partidp<'•.
-'l'l -
( B). i l !/ o dei; luJrilier~ réseruulrtires. A quel
titre cl dan s qu eJl e mes ure l'enfant donataire
.garde-t-il l a don atio n '? L'article du prnjet Jac- ·
qneminot le disait : comme un élra11get pounnil
le fair e. Ce motif n'es t pas reproùui t dan::; la
rédaclion cle l'a rt. 845, et on a bien fait de le
retrancher parce qu 'il n'avait rien de législatif.
Le législateu r en efTet prononce et décide, il 11e
discute pas. Mais l 'idée qui avait inspiré ce
m otif n 'en subsis te pas moins, et nous croyons
qu'elle réflète exactement la véritable pensée du
légis1 ateur; l a renonciation ass ure donc à l'héritier la propriété i11tégrale de la chose donnée.
et l 'imputation se fera exclusi\'ement sur la
quo li Lé disponible. Cette in ter pr étation ne souleva aucuri doute en juri sprt1 dence ju squ'en 1818.
A celle époqne un suctess ible donataire avait
éle,·é l a préten tion , bien qu'en r enonçant à la
::; uccession, cle reten ir tout à la fois la quoti té
disponibl e et sa part dans la rése n ·e. L a cour de
Bord ea ux avait rejeté tette prétention par le
mo tif « que l'étendue ùu droit de r étention de
» l'enfant r enon çan t était déterminée par l'cu'l
» 815, el que les trois qu arts résern~s par la loi
>l appartien nen t aux enfants qui acceptent la suc>l cess ion par l'efTet de l'accroissement ré~ultant
» de la renonciation du donataire.>> Sur le recour:-;
en cas!'1.a l ion, la Co11r. en rejeta nt le pom '01
par 1111 ;1rrl'I p11rlrnt r nw1it nin ti' i'. D ma1n tf'111t lt>
•
�-
tOO -
véritable sens de la loi. C'est l'arrêt de la Roqne
de Mous, resté célèbre comme arrêt de principe .
. Le t:onseiller rapporteur était M. Porriquet, l'un
des collaborateurs du Code au titre des successions (1).
Ce système est d'une netteté et d'une simplicité qui auraient dù en assurer le triomphe ;
on a cependant voulu voir dans son application
de graves inconvénients et des auteurs ont
soutenu qu'il portait atteinte au droit de disposer du père et permettait à l'enfant de dénaturer, contrairement à la volonté du donateur,
le caractère du don qui lui avait été fait. Ces
considérations éloignèrent peu à peu la jurisprudence de la doctrine de 1818. Deux arrêts,
l'un de la Chambre des requêtes (11 aoùt 1829,
Mourgues) et l'autre de la Chambre civile
(24 mars 1831., Castille) déclarèrent le don fait à
l'enfant renonçant imputable sur la réserve
d'abord, el s ubsidiairement s ur la quotité d isponible; mais avec cette restri ction que l'enfant
•
1) Il n' est peut-être pas sans intérêt de signaler que la
plupart des commentateurs qui ont expliqué le Code aussitôt
après sa promulgation, soit qu 'ils fu ssent imbus de la doctrine de la coutume de Paris, soit qu'ils aient YOulu la retrouverdans le Code, ont professé l'opinion que 1enfant renonçant
avai t action pour récl1tmer ln. réserve contre les donataires,
rt quïl pouvait à plus forte rai$on ln retenir par exception
nec la portion clifiponible.
-
tOI -
ne pourra rete11ir le ùon que dans les limites
cle cette quotité. Cetle doctrine qui consacre
la seconde phase de la jurisprudence sur la
question dont s'agit, fut qualifiée par M. Je
Procureur général Dupin de système des imputations fam.tasliqiies. On commençait en effet
par imputer la donation sur la part que le
successible aurait eue dans la réserve, s'il eût
accepté; on laissait ainsi la quotité disponible
libre pour en faire profiter d'autres donataires
qui n'y auraient eu aucun droit si on avait
rigoureusement imputé la donation sur la quotité disponible. (1)
Du système des imputations à celui du cumul,
il n'y avait qu'un pas à franchir. Le courant
des idées y poussa tout naturellement : puisqu'on imputait déjà la donation sur· la part de
réserve du renonçant, on devait bientôt permettre à ce dernier de retenir, outre sa part
dans la réserve, toute la quotité disponible. Ce
résultat admis par la Cour de Cassation (17 mai
1843, Leproust) consacre le troisième sys tème
de la jurisprudence s ur la question . Il consi te
(1) A l'aide de la théorie des imputations. on parnnt a
faire prévaloir un majorat constitué pnr testament sur une
donation entre-vifs et à éluder ainsi l'art. n5qui donnii avec
raison la préférence aux dons entre-vifs sur les liberalttes
testamentaires.
•
�-
10~
-
à é lever la do uble
"
imputation 1.!.La blie pa r le
second s' 'R tème jusqu'à la limite tl e la r éserrn
et de la p~rtion dis ponible cw1wlées, e t n'es t par
conséquent qu'trn corollaire de l a th éori e des
imputations. (1)
Le cadre res treint de n otr e thè, e nous e mpêche de donner à chacun de ces sys tè mes les
dé\'eloppeme~ts qu'il exige ; la ques tion d 'ailleurs touche de plus près à la th éo rie cl e la
réserve et cette di c ussion serait toute nature lle
dan s une é tude s ur la quotité dis ponibl e. Nous
nou s borneron à développer le premie r sys tème qui nous parait le plus en harmonie avec
l'esprit de la loi et qu' un arrêt de cassati on,
(Chambres réunies, 27 nove mbre 1803), a déf1n itivemen t con sacré.
Le nœ ud de la ques tion est d ans l'ar t. 81~
dont le sens doit ê tre exac te men t Jixé, pu isq ue
le but de cet artic le es t de déterminer les <iroits
du renonçant. Or il es t in aclmi s ible que le
lég1s lateur, en disant que le re non çant peut relenir le don jusqu'<l conc11Nencr de la quotité
dispoaible, ait \'Oulu dire que le renonçant, outre
sa ri'!'erve, ponvn il reteni r mê me la porlion
I
1
...+
1) Duranton (v11, n• 286) tranchP la difficulté en propûsnnt de permettre aL\ perc de famille de disposer de la part
ùe résen·e de l'enfant renonçant. Que dev iendrait alors l'art
786'
103 -
lli s po11il>l e; le sens ùe l'art. 845 es l trop restri c tif pour autoriser un e pareille interpré tati on.
Si le législateur avait voulu perm ettre Je cumul.
nolre sentiment es t qu 'il s'en serait ne tteme nt
expliqué, car il n'es t pas na turel de croi re qu'il
eût pens6 que c'était inutile à dire par la raiso n
que ce c umul avait toujours été ad~is. Les
conséquences de ce s ilence avaient s i bien é té
comprises par les coutumes e t par l'ordonna nce
de '1731 que toutes s'en exp liquaient.
Du reste il ne peul être ques tion , en l'espèce,
d e r é te nti on de la réserve par \'Oie d'exception;
cette rétention qui ne sera it pas possible s i
notre r éserve n 'était que l'an cienn e réserve
coutumière (-1) ne l'es t pas a fortiori aux veux
de ce ux qui font particirer la réserve du èoae
c ivil de la légitime du llroit écrit. La réserve
se rattache, en e ffe t, quant à son but, à la
légitim e, ma is avec ce caractère particu lier qui
(1) « La légitime du droit écrit est due aux enfants en leur
qualité d'enfants, lesquels peuvent ravoir au moinsjure
» retentionis, quoiqu' ils aient renoncé à la succession Au
» contraire, la réserve coutumière est due aux héritiers unt» quement en leur qualité d'héritiers. C'es t pourquoi entre
» plusieurs qui sont appeléi.! à une s uccession ceux qui re• noncent pour se tenir à leur leg ne peuYent aYoir aucune
" part dans les quatre q1ûnts des propres que la coutume
» réserve aux héritiers. u ( P OTRIER, In trod . tit. xv1 cout Or/
n• ·'>3.-L&enuN, Suce. Liv 11, ch. 1v.)
o
�-
10!. -
lui a été imprimé par le droit intermédiairet
qu'elle est désormais une portion de la s~c
cession ab intestat. ll ne s uffit done pl.u s . aujourd'hui d'être héritier pour. avo i.r dr0tt ~ la
légitime ; il faut encore vemr ul1.le1_n ent a i_a
succession ; ce qui enlève tout droit a la réser ve à l'h éritier renonçant.
n faut donc tenir que le système de l'arrê t d e
1818 qui est de beau co up le plus s imple d an ~
son application es t aussi le pins conform e a
l'esprit et au tex te du Code c i,·il. Ce système
cré~ il est vrai, une gr ave difficulté en ce que
J'im~utation du don en aYancement d'hoirie
sur la quotité dispon ible peul épui ser celte
quotité, et préjudicier à des rionaLaires po.stérieurs que le dispos an L a m it peut-è lre grattfiés
de bonne foi ; mais ce mal trouve un rem ède
effi cace clans le soin que pourra prendre le père
de famille de s ubordonner le bienfait à l'acceptation de son hérédité (1). Cette doctrine a été
consacrée par la Cour de cassation (27 novembre
1863) et paraît avoir définitivement fixé s ur ce
point la juris prudence. (E:n Ce sens ÛEMOL . XV T.
262. - AuBRY et HAt'. Y. ~ G2û.) (2J
, M. VALETTEÏ'lsoncours
-Dt:R.Yll. 373 . -MOlJRLON , ll.
17G
J.
(2) La nou velle doctrin e <le la Cour s uprème a l'avantage
de ne pas préjuger la question <le savoi r si l'enfant r enon c;ant
doit être com pté dans le ('A.lcul <le ln rescn·c .
i
<"'\·
i' 1
Il •
-
I U5 --
§ f I. - Pour Nre so umi ~ a u rapport nous avons
dit qu' il faut être à la fois hér itier el dona laire
ou léga taire. Dès qn'à la m ort du ùonateur ces
de ux qualités se trouvent ré unies s ur la m ême
tè te le rapport est dù ; et il importe peu qu'au
moment où la donation a e u lieu, le donataire
n e ftit pas héritier présomptif du de cujus. La
condition du donataire doit être recherchée
lors de l'ouverture de la succession : <1 Le
» donataire qui n'était pas héritier f}résomp» tif lors de la donation, mais qui se trourn
» s nccess ible au jour d e l'ouverture de la
» s uccession, doit également le rapport, à moins
le donateur ne l'en ait dispensé. »
>> que
(art. 846). Ainsi un père fait pend ant la vie de
so n fils une d onation à l'un de ses frères, son
fils me urt le premier ; si à la mort da père la
s uccession es t dévolue à la ligne coll atér ale, le
frère qui a reçu une donation en devra le rapport. Ce point est hors de doute, et à défaut de
l'art. 84û, la d isposition s i précise de l'art. 843
nous eùt s uffi pour l'établir. (1)
( 1) On aurait pu ne pas exiger le rapport dans ce cas puisla présomption d'avancement d'hoirie qui est la base
cl u- rapport fait défaut ici ; on a cru cependant être auter
risé à l exiger sur la présomption que si le disposant eût
prévu Je cas énoncé dans l'article, il aurait pu Youloir l'égalité entre ses héritiers . (GRENIEn )
fj ue
s
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IOli -
Celle Lléci:-;ion li ent ù rc quP la loi prés nm e
que Je défunt n'aurait pa, di s pos<~ .en faveur cln
donataire ou du légataire s'il arn1t prévu que
ce dernier cte,iendrait lin jollr son héritier . (1)
ll arrivait souvent dam; l'an c.ien droit qu 'o n
étaiL obligé de rapporter r.e qn'on n'av-ait pa~
personnellement reçu. Ces rapport s r.owr a1.1ln'.1
se comprenaient dans nn sys tème qm proh1?a1t
la dispense du rapport , et qni ::ivait_ établi ,la
présomplion que les dons o~ l eg~ faits au fil s
du s uccessible étaient réputes fatts an s uccessible lui-même. (Co1d. Paris, art.. :30û); le principal motif était qu e la loi aurait été trop faci.lement élu dée s i on avait pu donner an fil s, pere
ou conjoint de l'll éritif' r. Mais cette co ns idération ne dernil pas prévaloi r sous l'e mpire d'un e
législation qui autorisai t les libéralités précip~
taires et le donateur devait désormais pouvoir
faire \ndirectemenl ce qui lui était permis de
faire d irectemen l.
Ce principe fut reconnu par l' art. '162 clu projet : « L'héritier n'es t tenu de rapporte r qne le
(~ ) Al.iBRYetRAU, v1, §629. - C FIABOT sur8~3. - DE~10L. xv1,
179. - Nous préféron s ce motif à celui que donne Mourlon :
c L a loi a considéré que 1 ~ donatcu r ayant pu dispenser son
» frèrP de robligation du r11pport en prévision d11 cas où il
~ devien drait son héritier, et n e l'ayant pas fait, n 'a pas en" tendu déroger au principP d'égalité établi entre les hé ri• tiers. o ( 11 , 177.}
IOî -
1> don qui lui n t'· té fait personnel lemenl. » Les
arliC lf'!' Rllivanls 1();1 e t 164 <U"'n>. loppent le S \·stème nouvea n : Art. 163. e< Le père ne r~ p
» porte poinL le don fait à son fil s non
» ~ 11c cess ibl e. >> Art. 164: « Le ftls qui vient
» de s on chef ù la s uccession dn donateur ne
11
rapporte point le don fait à son père soit qu'il
» ait accepté la s uccession de celui-ci, soit
i> qu'il y ait renoncé.» L'article '167 relatif au
ro njoint é tait différent. << Lorsqu'il a été fait un
>> don à l'un des deux époux, qni n'est point
» s uccessib le, ou aux deux époux, dont l'un
>> seulement est successible, le rapport n'a lieu.
>> de la part de l'éponx sncces ib le, que rians
» le cas où il profite du don, et po ur la portion
» dont il profite par l'effet de la commun auté,
>> e l selon les règles établies au titre des Droits
» des épou.JJ. >) Mais cet article fut justement modifi é par la section de législation qni décid a que
>> les don s e t legs fa its au conjoint d'un époux
>> successibl e 11e so nt pas rapportables. » Cette
rédac ti on était des plus claires e t on doit regretter
qu'elle n 'ait pa éLé cléfinitiYement acceptée.
\[alh eureusemen t Tronchet pen. a que tel quïl
Hait réd igé, l'ar t. 167 donnerait lieu à des frauri es, et qu'un père qui voudrait aYantager un
enfant au préj udice cle- autres n'aurait, i cet
<'nfant éta it mari é en com munauté, qu'à donner
a l' autre conjoint. En const"q 11encc l'ora teu1
�-
-
t
1\18 -
concluait au rapport du profil qu e le s uccess ible avait retiré de la donation . M. Tre ilhard répondit que « la section avait cru cette règle
l> inutile attendu qne le père n'a pas besoin d e
)) masquer l'avantage qu'il vent faire au conl> joint s uccessible puis qu'il peut ouvertement
» le dispenser du r apport. i> Le motif éta it
péremptoire e t on aurait bien fait de s'y arrêter;
mais Tronche t ayant fait observer que puisque
« la section é tablissait la présomplion de dis>> pense du rapport, il valait mieux l'exprimer ))
son observation, inexac te a u plu s haut point,
resta s ans r éponse et passa dans la r édaction
des articles 847 et 849. (LocRÉ, Lég. civ. tome X,
127.)
Quelles sont les con séqu ences d e la modification introduite clai1s le projet du Code? MM .
Aubry e t Rau et l\farcaaé soutiennent que l' idée
prem ière du projet a é té ch angée e t expUquent
les articles 847 et 849 par la présomption d'une
interposition de perso nne. Ces auteurs con s idèrent le successible comme ayant réellem ent
reç u ce qui a ét é donn é à son conjoint ou à son
fils, e t, voyant d ans le détour pris par Le donateur l' inten lion formelle de faire un e libérali t.f>
par préciput, ils déclarent cette clon ation rép utée faite avec dispense de rapport (1). C:es au-
te urs ajo ulertl cfaLlle un; que cette interprf> lation
c.;aclre parfaitement arec.; la l11 éorie générale clu
Code s ur l' interposiliou de personne conform ém e nt aux articles 911 et '1100.
Ce système 11 ous parait ètre en désaccord
fl agrant avec l'esprit Ùlt Code civil ; il ne tient
aucun compte des trava ux préparatoires et il
nous semble co ns truit à cô té de la loi. Le sentim ent de M. Demante nous parait préférable :
« Il n'es t pas na turel de croire qu'en présen ce
>) de la possib ili té, sous le Code, des libéralités
» préciputaires, le di sposant ait voulu prendre
» un détour pour a tteindre un but auque l il
>) arrivait directement sans violer la loi. » La
seule préocc upation du légis lateur a été d 'abroger plus s ùreme nt la dispos ition de la coutume
e t il a cru devoir s'en expliquer afin de faire
évanouir les doutes qu:aurait pu susciter le
souvenir de l'ancie n dro it. On doit regretter
cependant crue la formul e employée soit aussi
équivoque. Quant à l'interposition de personne,
elle ne peut ê tre invoquée ici ; elle implique
toujours un e incapacité de recevoir qui ne se
présente pas en l'espèce p uisque le Code civil
n autorisé la dispense de rapport (1).
Le s ucccs tble n'étant pas donataire dans le
(1)
Il,
(1) AUBRY ei RAU, V. §327-'.'130 -
M ARCAOÉ
sur 8~7 r t 8~9 .
109 -
D1rnA NTL~,
179
Ill, 183 />1s -
DE\IOL.
1v,
189. -
hlouRLOi-.,
�•
-
110 -
-
cas des arllde~ 8!iï ù 849, il 1J Y ëHll' ù pd::> lii>11 ù
rapport. 011 pe nt ceµe ndant se dema nde r avel'
M . Demolombe ::;ïl ·erail permis c.l' acl mini::>Ln.~r
la preuve que l'aïeul en fni sa nt un e uona lio11 ù
:;on pelit-lils a en tendu la faire ù son propre
fi ls. La recevabili té de cette preuve aurai!. pour
rés ultat d'obliger le Jil s au rapport de la douation. Sur la question Demolo mbe, repoussan L
deux sys tèmes également absolus de Delvincourt
et Duranton , enseig ne que la preuve ne doit p a:-;
en principe être admise con tre une préso mJJtio11
légale de la loi , auf le cas où le ùo nate ur aur ait
dans l'acte m è1ne de la donation exprimé u11e
volonté contraire (1Y. 192.)
La théorie des artic;Jes 847 à 84~ é tant airi::;i
connue, reprenons en détail chacune des hypothèses prévues.
Art. 847 : « Le don:; e t legs faits au fil s de
>> celui qui se trouve s uccessible à l' époque de
» L'ouverture de la s uccession sont toujours ré» putés fait:> avec dis pense de rap porl. Le pè re
>> venant à la succession du donate ur n'es t pa::;
» tenu de les r appo rter . )) li es t indifférent que
le père en acceptant l' hé rédité de son fils ait
recueilli l'objet donné dans sa s uccession .
Art. 848 : «Pareillement, le fil s ve nant de son
)) chef à la s uccession du donateur, n'es t pas
» tenu de r apporter le don fa it à son p ère ,
» mêm e qn a nd il aurait ac,;ceplé la s uc,;<.;essio 11
1
•
111 -
de ce lu L-ct. ~lai :> si le fils ne vient que par
représenLalio11, il doit rapporLer ce qui avait
,, été· donné à so n vère même dans le cas où
>)
i>
» il a urait répudié sa s uccessio n. J> La question
résolue est la s uivante : le fi ls "enant à la suc,;cession de son aïeul rapporte- t-il ce qui a Né
uonné à so n père '? On distingue :
(a.) Le fils vic11t de son chef : il ne doit pas
rapporter le don faiL à so n père car iJ n'est pa:,
à la fois lil!rilie r el ùonataire, peu importe d'aille urs qu'il ait vrofité de la donation. (AuBRY et
RAU, § 631). La rédaction ùe l'art 848, en ne parlanL pas de dispense de rapport, e t plus correcte
q ue celle des articles 847 e t 8-19.
L'article 848 ne s'ap plique pas aux descendan ts de l' enfan t naturel qui, s uivant l'opinion
généralem ent admi se, pe uvent succéder de leur
chef aussi bieu t1ue pa r représentation (MouRLO ',
sur l'ar L. 759). Le::; ùescenùanls de l'enfant naturel ne pouvant arnir une part plus forte que
cel le que la lo i do nne a u fils naturel (art. 908),
ces héritiers Llcvronl rapporter c.:e 4ui a été
donné à leur père. La disposition de l'art. 848
se trouve ici ne utralisée par les principes qu1
fixen t iurnriableme11t la quotité de ce ~uc1;e:;
seu r itT('gulier.
1lJ). Le til ::;
\ïütl l
par repré~~ntation : il rap-
�112 -
I
portera la donation faite à , on père, car le
représentant es t \'is -à-vis de ses collérilier!';
tenu des mèmes obli gations que le représenté.
JI faut éte ndre aux de ttes envers le défunt ce
que l'article dit des do nation s. (Pnris 1 27 juill et
1850. Dal. 54, 2, 630 . - Cass . 4 mars 1872 .
Dal. 72, 1, 319.)
Dans le cas où il y aurait plusieurs degrés à
fran ohir pour arri ver à la succession. le représentant doit-il rapporter Les dons qui ont été
faits aux ascendants des degrés interm édiaires?
Ainsi un bisaïeul a fail deux donations, l'une à
son fil s, l' aïeul du représentant, l'autre à son
petit-fil s, le père du représentant ; son père et
s on grand-père étant prédécédés, Je représentant rapportera-t-il à la succession de s on bisaïeul les don ations faites à ses ascendants '!
L'affirmative se déduit des prin cipes : la représentation n'opère pas en effet ornisso medio e t
l'arrière petit-fil s n'arrive à la s uccession de son
bisaïeul qu'en montant successivement à la
place de son père et de son aïeul (1). Aussi
le rapport sera d û alors même que par sa renonciation à la s uccession de ses ascendants ,
l'arrière pe ti t-fils n'ait pas profité du don.
Mais que déciderait-on s i l'arrière petit-fil ::;
(1) DBMOL. v. § 237. - D t!MANTE. 111.
HAu , v . 313 - rontrà J1 1\RCA IH~ s ur 848.
<.v
1 8~ bis. -
AUDRY
et
11 3 -
l ui-même avait reçu une donation de son bisaïeul (1)? ~l a rcaclé soutient que « ce n'es t pas
>1 p1'0)Jrio nomine que l'arrière petit-fils vie nt à
» la s uccession , mais bien comme ayant-droit
» e t remplaçant de son père et de son grand)) père. l> On le co ns idèrerait donc à la foi s comm e
héri tier en so n nom et comme héritier au nom
d' un autre si, lui imposant le rapport des donations intermédiaires, on l'obligeait à rapporte1
ce qu'il a perso nnellement reçu . (Marcadé s ur
81-8). Cette doctrine do it être rejetée aujourd' hui
comme elle l'a été dans l'ancien droit. li
es t in exact de dire q ue le représen tant succède
alieno nomine; son d roit est pers onnel e t c'es t
bien jure suo qu 'il arri ve il la s uccess ion. La
pre uve en est da ns la nécess ité que lui ·im pose
la loi d'avoi r une voca tion personn elle à l'hérédité. Si, de so n chef, il était écar té de la s uccession comme indigne, cette ca u ~e l'empêcherait d'y venir par rep résentation . Le seul bénéfi ce de cette ins titution étant de permettre de
s uccéder q uoique à un degré plus éloigné, '"'
représen tant n'en reste pas moins un héritier.
et co mme lei, il doit être tenu de ton tes se~
obligations . En co11séquenc.:e il y a lieu an rap-
(11 La ljlles t 1on ne &e po~r pns pour Jcs füi: lqzitime~ de
1'enf11nt naturel
�· - Il~
J
-
por t ùe la donation qui lu i u étt> faite (l ). Cette
sol ution découle du prindpe que nous a\ons
établi sur la question précédente ; si ou ne soumettait pas le représenLanL rlll rapport de l a
ùonation ùon l il a été gratifié, comment exiger
LJ.U' il rappo r Le ù l a succession de Ro n bisaï~u l l a
chose donnée aux ascendan ts ùes degrés rnLermédiaires ; U/Ji eadem ralio , idem jas.
Art. 81ü. ((Les dons el legs faits au co njoint
1) ù' un époux sncces ible so nl r épntés faits a\·er
» dispense de rapport ~i lrs ùon s et legs l:>O llt
>l faits conjointement à deux époux , dont l'un
,, seulement estsucce:-:.siblc, celui-ci en rappo1·tc
i> la' moitié; si \e;:; ll ons sont rails ù l'épo ux sucn ces~ib le . il l es 1·apporte en entier . l> La ::'- irnpl1 cité Je' la règle uuuvelle ùc l'art. 81,ù c.;onln:ii:.l e
<\\ ee l es anciens principes. LI
sinnulièrnment
c
u'y a même plu:s ù rec.;l1cr cl1 er , comm e so us le
ùroit inlerméù iaire, :-:. i l'l!po 11x ~suc.;t.;ess ib l e a
profilé ùe la ùouation fuile ù so n co nj oinL en
1 rié (2).
rai son du régime sous lequel il e~t tn <
1::,1o ~11111t r1uod 111•pos du11<1ta
11) C'eta1t 1 opi11 iu11 dt: \ oët
e..c cop1le prœdef1rncti parma11l1'111
"110
pos~1Cleat,
suocapite
Ialta e.x
lis hœres ~ri , non /a111 w i11de ~equrtm , 1 um a collatione librrnm
esse; cùm non ita 111 hœrrclitulis auitœ ~ ucces~ionis parentem de{urrctum 1e/lrœ,e11trt , qum et .~imul et: "ud 11r rsonâ 10111 capiat
hœreditale111, /ar111ua111 11nam r11111 patre rtprœsentalo 1ie1wnc1111
(~ll r le· titre Uc·cul/o tio11r .)
constituem
1 Ti>u,1.11:n, 11· 1~n - UL r. '"ro:-- , v11 , .rn-.i.n
-
l l!i -
Cl faut rapprot:herde l'art.lH9 la disposition de
l 'art 1'.:">73, qui s'y Ile intimement : « .ï le lllari était
» ùéjà inso h·alJle et n'avait ni art ni profes::;ion
» l orsque l i> pèr e a co nstitué 11nc <lot à sa fill e
» cell e-ci ne sera tenue de rapporter à la suct.;ei:.n sion du µère qn e L'action qu'elle a contre l'ellt>
» de on mari pour s'en faire rembourser . Mais
» si le mari n'es t de,·e1m in solvable que ùepui le
,1 mariage ou s' i l avait un métier ou une profes» ion qu i lui tenait li eu tle bi en, la perte de l a
,, dot tomhe uniquement sur la femme ... Celle
disposition parait au premier ahord s'écarter des
règles s ur l e rnpport; on ne mit pas en effet
pourquoi la fille ù qui so n père a ronsti tué une
dot ne d oit pas la rapporter , alors s11 rlo11t
<1u'il est reconnu qu' il n 'y a pas f:t rechercher si
la femme avait ou non reliré un bénéfice de la
dot. La Novel le 97 cte Jn stinien ava it déjà r épondu
il l'obj ec tion : 'il es t raisonnabl e qne l a femm e
rapporte la dot dis ipée par . on m ari lor~q u 'e ll e
pOtl\'ait, par la séparation de biens. n a, snrer
la conservation , on ne tloit pa:, l'assujettir au
r apport si ell e e l exempt e il e fau te et si la
perte de l a dot es t exc.;lusi,·ement imputable au
père. Or l a loi ''oit une grande imprudence de
la part du llonateur tl'a,·oir confié l a dot de ~a
fille à un gend re qui se trouvait d ans la situation indiquée pal' la '.\ovell e C'est cett e 1 rlt·~
qui n in ~pin" Ir ll\d~ l alc 11r ~ur l'a rli cll' l :-iï:~
�-
116 -
La loi ne prévoit que le cas où la dot es l
Gonstitnée par le père; mais celle décision
n'étant nullement fondée s ur J'iùée de puissanc e
paternelle, il n'y a aucune raison pour ne pas
appliquer ce système protecteur au cas où la
dot est constituée par la mère ou tout autre
ascendant. Sous J'empire du Code, l'enfanl
n'a pas d'action co ntre ses parents pour un
établissement par mariage ou autrement. (art.
204) (1).
L'art 1573 ùont l'applica ti on est s péciale au
seul cas de la dot mobilière doit être à raiso n
de la place qu'il oc<.;upe ùa ns Je Code res tre int
à la fill e mariée sous le régime tlolal. Sans doute celle ùécis ion est rigoureuse, et il peul arriver, comme le disait le tribun Duveryier, qu'un e
fil le mariée en commun anlé doive rapporter
une dot pel'dae aussilôt que consliliiée; mai s
cette disposition n'ayant 0té introduile dans le
(1) Roo. et l'ONT . l . 136. - TnoPLONO, l V. 3680. - MARC A oF.
sur 1573.- Poullain-Duparc était d' un avis différent : « Ln fille
» est tenue au rapport il l'éga rd de la dot payée par son père
» à son mari devenu in;:,olvnble, parce que Je pere est présull me prendre conseil pour ses enfants : il n'en est pns de
» même suivant le sentiment commun pour les donations
» faites lors du mariage par la mere ou les collatéraux : 111
» fille est admise à céder il ses consorts l'action contre son
• mari devenu insol\•able n (Pri11c11Jl's du droit(rcmçais. X II , 351).
tt, .
-
lt7 -
<·ocle que comm e fai$ant partie du régime <Iota!,
nou s pensons qu'elle ne peut en être séparée. (1)
De la dispense de rappo1·t.
L'obligation du rapport disparait lorsque le
donateur en. a expressément dispensé le donataire. Nous étudierons s ur ce point qui peut
dispenser du rapport, quelles sont les formes
c1e ëette dispense, quels en sont les effets.
(A). Qui p eul disp enser? En principe le donateur seul peut dis penser du rl'lpport ; dans deux
cas ce pendant la libéra lité es t faite au nom de
celui qui est le véritable donateur, mais la
di spense ne peut émaner de lui :
1° Le mari qui dote en eITets co mmuns est
t>t RAL', § 5~ 1 . - DEMOL . x.v1, 210. - co11tra Roo
2, 137 - JI est si vrai que l'art 1573 est etranger au
régime de communautr, que les redacteurs du Code, dans
l'intention bien nrrètee de rejeter le régime dotal, n'ont
dans la discussion de l'art 167 du projet. art. 8 \9 t enu
aucun compte d'une observation du tribunal d·appel de Caen
ainsi conçue . " On pourrait se demand er si le!> sommes
u données en dot à la femme par les pere et mère lorsque lt
>> mari est insolvnblf', denl\ient ètrt> s:.oumise~ An rapport
(1)
A UDRY
Pt Po~n.
�-
llS -
répulé dul 'l' atl nom J e ln con1t1H11rn11 l,·-. St
plus tard la femme ac.ceplc la comm u naulé e lle
aura été donatrice pour moitié (art. 1430). Auss i
a- t-il été jugé par le tribunal de Douai (W ja1wier
1861) que la Jispensc du ra ppo r t uccorJéc par
le mari étan t sans erTet à l'égard de la femme,
l'enfant de\'rait rappo rter la 1noiti é de la dot
à la success io n de la mèr e.
20 Pour le mariage de l'enfant d'un interdit ,
l'aYancement d'hoirie ou la dol ne pe ul Nre
conslitué que par un a\·i du co nsei l de famille .
(art. 511). Il $erait exhorbilant qu e ce co n. e il
pùt joindre à la ùonalion la dispe nse du rapport; son rô le est ici purem enl moral e t la loi
n·a pas dù vou loir qu' il pui$. r ern pil'.•ter s m 1111
droit qui es t ü11 altrib ll l de ln pui s.san ce pat ernel le.
(B). F orines de la clispe111>c. Les art. 81..;i el ûl!J
exigent un e di pensr cx prcs~e et formelle :
" ..... à m oin s que les tlons cl le~..., ne lui a ie nt
» é lé faits expre:::.sénrnnt p ar préciput el hors
>> part ou a,·ec ùi pense Lin rapport. » La loi a
'oulu é\'ite r un e manifestation équivoque clc
IJ rnlonté d n ùbposant; m ais les termes de
t'PS articles n'o nt rien ll e sacramentel et, et le
» tlona teur pe nt inclirTP.rem m e nt se sen· ir cle
11 toute ex.p ress ion équipollente propre à exp ri,, Iller f'fl \'Olo11lr >l (~\ ll lll\r et )\ \l') C'rs l a in s i
-
119 -
que dt'~ a1Tèt s ont v11 Ullf' 'lispe11:-.e 1111 rnpporl
rl'1111 f' r !lo.<:.f' ri !'P11r1ir u n•
da th- Ir don 011 le l11
'fllf' le rlonrt/oirf' l'f'C1tf'illero don s ln s11 cre.c:.sio n,
ou en core clans rette c lanse d' un legs que le
snrplits d es biens .<1,eret égrtlem,f'n/ prwf((gl r11/re lr
us
rlono/nil'f' et lrs au tres hétiliers.
La plupart cl es aute urs reconnaissent comme
emportant clispense du rapport le legs universel (1), le legs de la quotité disponible (2),
la donation sons charge rle restitution par suite
d'un partage d'ascendants (art. -1075), '3) ou par
s uite d'une s ub, titution (le gre\·é n'étant pas un
véritable d onataire) . f4)
En génér al les cl6cision s des cours et tribunaux , s nr la riues tion d P sarni r s ïl y a en rhez
le clon a lenr intenti on de clispenser dn rapport.
sont des ques tion s cle fnil dont la connais ance
éc happe par conséquent à la CoL1r de cassa tion.
Pour que le pourrni soit admis en pareille mati.ère il faudrait qne l'arrèt attaqué interprélàt à
faux un arti cle rln te"X le, re riui se présentP très
rarement . (;))
(1) '.\!ontpelher, 9 juillet 1833 - Ba.<:tia ;!:) mar,.. 1833
('21 C:-ien, 16 deccmbre 1850
(3) Co.en, 2 <lecembrt: 1 8~ 1
( ~ } Ba tia , IG jnillet 1 8~8 Quirl en (':1'< de ..;11b"titution
vulgai re? (V. DBMOt. X\'J, U6
\!i Req rej. n mnr<: I R~3
�-
LW -
On re1·1lèn·ll ern l' intention du tli spo:-.alll dans
la clause jointe à l'acte de do na lion ; nous n 'admettons pas qu'on pnis e puiser tl es éléments
de prem·e so it dans les circon stances qui on t
•
pu précéder ou suivre l a ctonat.ion, soit dan s les
motifs qui l' on provoquée. La uolo11fé, disait le
tribun Jaubert, doit se lire dri m: Ire di.~ 1JC1silioH
elle-même.
Reprenons quelques cas parti culi er s s ur lesquels la jurisprucl ence es l fréquemment appel ée
à slatuer.
Un legs univer el dénote-L-il chez le donateur
l'intention bien form elle de ùispenser clu rapport ? On ne saurait le ni~r : cette disposition
excluant de la sucression tou s les autres héritiers, la volonté (]11 cli. posant ne sera limitée
que par l'application rles ri·gl es sur ln réserve (1 ).
(Rouen, 5 août 1809. D. 71 . 2. 4.)
Faut-il vo ir une dispense du rapport clans le
Jeg de l a quotité disponible fail à l'un des
successibles? ~r. Demolornbe éprotwe quel que
difficulté à l 'admettre; ses rlontes pro,·ienn ent
<le ce que le carac tère préciputaire, qu'au premier abord ce legs semble présenter, disparait
si l e l égataire n'était pas successible au mom enl
de la 1l onation . Qni sa it en e!Tet s i Je défunt ,
!i~I l Con tra LEVASSKUR Traité tir la 1mrlio11 disponible, 1fl2-
1
-
Hl -
dans la 1m"\ 1sio11 q1 1' il recw·ill erail 1u1 JOUI' ,
co mme héritier , un e partie <le sa success ion , lui
eùt légué la quotité ùisponible? \! Au::;si faut-i l
» souhaiter, dit ~I. Demolombe, qu'il se trouve
>l clans l'acte <les élémenls de nature à r lfféler la
» volonté du disposant cle faire cette libéraliLG
)) par préc iput. 1> Ces r é0exion3 so nt forlju<:;Le ;
mai s nous les c ro yons étrangè•res à l a queslio11
qui précisément ne soulève de difficullés qu'P.11
l 'absen c~ des élém ents dont parle l'auteur.
Il est à peine besoin cle mentionner comme
emportant dispense de rapport, la donation grevée de subs lilulion. Si le grevé appelé à la succession ùu disposant ùevait en effet rapporter la
donation, il ne pou rrait conserver l'oujét donn(·
pour le rendre au substitué (1).
Pareillemcn t, les biens com pris dans un partage d'ascendants ne pouvant plus èlre l'objet
d'un nouvean partage entre les enfants (art
-J077) cette donation-partage esl in co mpatible
avec l'idée de r apport. (2)
La solution n'es t pas auss i ~ impie clDns la
question de sa\·oir s'il faut dispenser du rapport la tlonalion déguisée sous la forme d '11 n
contra t it lilre onéreux 011 Bo us une mlerpn...,i-
\I J Contrà
DELV1:scom11', 11 87 -
l'2) GENTY . des f>arto9r'
DuR.\~TON nu, -:!~I
1/'a1-cn1da 111~ .
n• ~O
.,
bi'
�-
1 2~
-
l ion de perso nn e ( l ). L<l llll •:-; l io11 e~ l ct' lèhr e eL
la co ntrover se qu'e lle a ::;oul er ée dès la promul galion du Coc.le n 'es t pas encor e vidée anjourd'hui . N ous exa rnin ern n ~ sépar ém ent les
clenx sys l èm es opposés.
Pour so utenir Lltl'Lrn e cl onati on clégn isée n'es t
pHs. par cel a m êm e, dispensée du rapport, on
im·oque d'abor cl la gé n {·ral ill~ des termes de
l'art. 81!3 don t la dispos ition exi ge, ù défaut de
ùispense expresse, le rapport cl e to nt do n direc t
ou indi rec t ; et comme l 'espri t se r efuse à conce,·oir une libérali té qui ne rentrer ait pas clans
l'une de ces tleux catégori es , les princ ipes du
rapport den ont s'a pp.l iqu er à la do nati on déguisée . Cet ar gument se tr oLl\'e tl 'ai l leurs corr obor6
par l'ar t . 833, d'où i l r ésul te a contrm·io que les
avantages in d irec ts m èm c proven ant de contrats à titre onér enx doiven t être r apportés .
On soutien t enfin qu 'o n ne pent ar g umenter des
raisons d'analogie pnisées dans l 'art . 9'18, à
(1) On pose souvent ln ques tion de la man iere suivante ·
F1\Ut-il voir une intentio n de dispenser du rapport dan s les
précautions prises par le d isposant de masquer la libéralité
sous l'apparence d'un contrat à titre onéreux '? MM. Aubry
et Rau font justement remarquer qn 'en rni on nant ainsi on
"déplace la question , dont l'obj et n'Pst pas tant de sa voir dan s
quelle intention le défunt a eu recours a la simulation que
d'apprécier s i ce fait n'emporte pas une dispense virtuelle
dn rapport. ( AUBRY et R AU , § 633 .)
t <..
-
12:) -
rattsl' du c ara<'lè·r1' ex n·plt o11111 1 •JIH' [ll'Ü~! · 1ll •·
cc l arl i<' I<• ( 1).
( :es ro nsicl éraLi o 11!; IH' 11 011 s parri isse n l 1w s P. tl
pur faiLe ll nnn o11 ic avc(' les prin cipes r e1·11s ~ 1 1 1·
l u m ati ère, r.t. il nous sP1)1bl e q m: l'espri t cou1 rn e
le Lexte ùe ln loi n ou s por tent ti voir un e rl i::;pen se du r appo rt dans \Ps prècanlions pri:-;es
par Ir disposa n t de déguiser ln don ation . Et
ll 'abord , n'es t-ce pas ajo ut er au Lex l e rle la loi
qne d 'invoqu er i ci la g{' n(·ra \ité ries Lormes de
l'ar t. 81.,1 ? En par lan t rie clon s i ndirects, le ::-P11l
b ut de ce l ar ti cle <.1 N é de so um ettre au r app ort
les li bérali t l~S patentes qu i n'inten ·ienn e11I 11i
sous la form e d '11nc ct onal ion ni son s cell 6 d'un
l es tam ent. On a b ir n sout e11u qnc ce t te d is ti nct ion ôtai t i ncx.acl e el q u'il fal lait enlenctre pur
donation inclircc tc Lo ule donati on clt:.guisée ou
non arrivan t au but pr oposé par un m o\ en
déto urn é. (2) Mai s ce l te objec tion es t <lén~1ée
de p reu ves et nous croyons q uè r' est interp r él el
sain em entl 'espri tcl e la loi q ue de rli\ iser snr l'art
843 les c10 11 s i11 d irec Ls en don s déguisés et d ons
paten l s. Un don es l déguise> quan1l il passe pat
1) ~fERl.IN, G REl'lER 0 11Ano1 n•
T ROPLONG,
Donrrl
li ,
;!:;o, Dt RA:-.'To:- v11, n• :l i l
863, P ONT. Rei• <fr /1•g 1 } ;.) I 2 i , DF,10r
Suce. § 253
(2) En ce sens l\l IP con~r.ille r
légis 1857, X 58.
L AFo:>HAl NE. RH
,., il. ,i,.
Y
�-
ltl -
un tiers avant tl 'arriver au vt'.>ri lahl e donataire; il
est patent quand il s' a<lressc direcle me nt à
celui qui doit en profiter ; mais qu'il soit patent
ou déguisé, il n'en res te pas moin s nn don in c1irect. et par là il rentre dan s Io dis tin c tion d e
l'art. 843.
l.a loi a d'ailleurs fait elle-m ême un e application de cette théori e d~ns l'art. 018 qui ne présente nullement un carac tère exceptionnel. Il
résulte, en eITet., de ce texte nn cas oü le préciput a lieu sans titre exprès, et ce cas es t précisément celui d'une donation déguisée. Le sentiment de la loi est donc que la s imulation e mporte par elle-même dispense du rapport. (1)
Enfin on peut repousser l'opinion co ntraire par
l'examen des in conséquences qu'elle entra\ne :
la validité des donations dégui sées es t aujourd'hui. recon nu e par la grande majorité des auteurs, elle a de plus entièr ement passé dan s la
pratique ; si don c on astreint. ces donations anx
règl es sur le rapport on méconnaît l'intention
du dis posant, puisqu'on déchire le voile sou s
lequel il a caché la donation , et on aboutit
ainsi à une choquante contradiction . (2)
1
.....
ir
c
( 1) Cette présomption de !"art. 9 18 n'exis te pas dans les
donations entre époux.
(2) FoURT de CONFLANS sur 8l3 - AUBR\ et RA U, ~ 633
MARCADÉ sur 85-1
-
-
12ti -
La JUrisprnJ e11 ce u' a adoptü auc.u 11e Je 1,;es
de ux , ~JJ~nions ; elle a imagiùé un sys tème l1J te rm ed1~1re qui . loin de rallier les s uITrages ùe
La doc tnne,. a é té, de La part ùes au leu rd, .l'obje t
ù~s plu ~ VLves aLlac1ues . Les donations dégu isee~, ~Lsen t les arrè ts, ne so nt pas de ple in
droLt ù1 s pensées du rapport, si d'ail leurs il ne
rés u.lle des drconslances cle la cause que l'intenl1on du disposant a bien été de joindre la dispe nse à l'acte de donation ('1). C'es t trao:>former
UI~e ques Lton de principe e n une question de
f~1t, et en dé~érer la connaissance à l'appréciaLLon so uvera111c des tribunaux. La base de ce
système es t arbitraire; nulle part en effet la
l~i n'é ta!Jlit celte différence eutre Îes donati~ns
dll'~ctes el les ùoll a tions déguisées que la déclara~Lon ex presse tle dispense de rapport qui est
ex ~gée à L'égard <les premières n'est pas néces::;~1l'e à l'égarü Lies seco ndes, et que pour cellesc1 la preuve ùe l'intention ùu de cujLis peul
résulte r de certaines présomplio11s. Comment
co ncilier une fonnu le a ussi vague avec la disposition s i précise ùe l'art. 843 qui exige pour
Loule doualion <lire1,;te ou indirecte une maniPl « La jurisprudence est faite, elle examine les cas, elle
• p~se les ..:ircoostances, elle se prononce pour ou contre la
" d ispense du rapport , suivant l'impression produite par les
u faits sm la ronsc1ence d<'s magistrats . n \TROPLONG, Donat
11, 863 - Cass 17 jlllllet t 85ti - Cass. 31 décembre 185'5)
�-
IJh -·
Jt' s lat1011 c·qiresse de lu 'o l011 l é du donateur '.'
1l ,. a lù une co nlraLl ic l ion bien (· !range ~
Cette doctrine de ln juri sprudence dvrnil
ahoutir à lks con:,,0t1uences cxcess i\'es; ain ::-:i
nons liso ns dn11s un nrrèt tlc Douai (27 févri e1
1861. - D1~v. 1801, 2, :303) : << .\Llc11du qu e du
» moment où pur un m otif q uel co nque , 1wr
\) e'emple coir1m e dan s l 'cspè<.!e, pour éviter
>l d es dist: us~ io11 s de rami lle, un e personn e disn simul e ::-e::; libéralités. on ne saurnit impuser
,, au Llonataire tl'anlre obliga tion que cell e Ll e
\) démonlrer, par Lle:::; inùices quel conques, lï11J) ten lion dn <loni\leur q uanL à la dispense formel» l e Lle r apporter l'o.IJjet ùonu é... . )) Un an èt de
Ja eunr de Bas tin constate ce relt\chement de la
jnrispruüence en term es r emarquables : << Con)> s idérant que, quel <)UC soit le r elùchernent ùe
» la jurisprudence en cetLe m atière, il n'a p a::,
» été ju \.J.U'i ci cl6ciùé que, on l'absence de tout
» ade, de Lout 6crit con talant la Yo lonté ùu
)) donateur, le donataire v~ut êtr e admis à éta)) blir par l a preuve teslimonial e l a dispense dn
l> rapport qui forme l 'un .tl es él ém ents constitu)) tifs de la douation ~ - que malgré les ten>> dan ees de certai ne:::; d oetrines mani festemenl
)) 1,;ontraires à l'esp ril dn Code Napoléon, il est
» permis d'e::;pérer qu'on ne par lera jamais à ce
l) point J'ouuli tles plus ~a in es r èg les dn droit el
>1 de-; preslTipL11111s 1111pt'· rn li\'Cs iles m·t. 853 el
12î -
( Raslin , ~() clr"cembre 1833 . Ihv :>li .
2, 13). Les n11l<' nrs sont unanim es ù concla111 1iPr
cette opin ion in term édi aire <l e la jurisprudcnr-<·
<< don t la l enclan cc, ici comme en d'autres ma» tièr es, est ri e s'n.fîran clJir <l es formali tés gè» n nn Les. » (Cass. 'JO. nov . J8GJ. D. 62. 1.140. _
Cass . 3 mai '18G1 . D. ü'~. J. 173. - Cass. 12 rna 1
» !>19.
i)
1873. D. 73. I. '194.)
L es liéritier s à qui ce lle présomption de dispense de rapport porte un sérieux préjudice, peuvent omni modo prouver le déguisement. (Cf . arL
134B- '1353.)
La solntion de cette cl él icale question que
dans l' intér ùl cle la d iscussion nous avons restreinte au seul cas d'une don ation déguisée rl oil
èlre général i!=;ée, cl appl ie.a t.ion doit en èlre faite
aux ditîérenles l'Onlbinai::;ons qui cachen t une
libéra li l é.
L 'effet
possible
rend
elle
:
ciouble
t
de ce tte dispense es
le cnmul de la donation et de la part héréditaire,
et elle est une preu,·e éYidente que l e donateur
a entendu gru tifter le success ible sur la quotité
disponible. d'où l a conséquence qu'en \'enant
à la succes:s1011 du clisp0:::.unt . l e don ataire pourra n~ l' l amcr sa pnrl cl an~ l,1 r ésen ·e, san~ qu'il
(C.) E{J'ef .._ d1• la clii;pen."c du l'll.JJJJOl't. -
�-
-
12R -
ai l i\ te1111· t·omptc ù :::;es co ll éntic r:5 de la do nation qui !~1i a é té fa1Lc ( 1).
Happelons qu • ~ ur la ma tiè re de la d ispense
du r <.1pport , la volo11té du ùo11ateur n'est limit ée
que par L'app1ication des règles s ur la réserve ;
ce principe est écrit da ns l'art. 844 : « Dan s le
'> cai:; mème où les ùons et legs auraient é té
•> faits par préciput ou avec dispense du rap» port, l'hé ritie r venant à partage ne peut les
» retenir qne ju ·qu'à conc urrence de la quoti t(~
» ùisponible : l 'e.ccéclan l est s11jet à rapport. n
On a jus tement critiqué sur la fin de l'article.
l'expression de rapport dont s'est servi le législateur; c'est plutô t de réduction qu'il s'agit ic i.
Il ne peut en efîe t è tre ques tion de rapport
puisque l'espèce de l'art. 844 es t dominée par
une dispense form ell e du rapport ; dès le moment au con traire que la quotité dis ponible a
é té dépassée, ce sont les r ègles de la r écluc tion
qui doiven t ê tre appliquées. (N. obsl. art. 866,
918). Ce n'es t pas seuleme nt un e question de
mots; en interpré tant à la le ttre la dis pos ition
llnale de l'art. 841 on fournit un série ux argument aux partisans ùu c umul de la réserve el
(1) Quand Je donataire est fils unique, la dispense de rap··
port est encore utile à l'égard du donateur, qu'elle pri ve do
tout droit de disposition jusqu'à concurrence du disponibl e
ëpuisé par la donation, à l'éi:tnrd des enfants qui pou rraient
naître ;"tprès ln donat ion
129 -
de la qu olit6 di ' pon ible : «S'i l est une fo1g
» prou,·6 que la cl onation ou la partie de la cto>>
nati on lf11i porte sur la part de réserve d'un
'> hér itie r ve na nt à la success ion, est seulement
» s uj e tte à r apport et non à r éduc tion, il sera
prouvé par là mê me que le donataire aurait
» pu re tenir cetté donation ou cette partie de
» donation en re nonçant à la succession d'après
» la r ègle que le rapport n'est dû que pa..r celui
» qu i vient à la s uccession .... ~Il ne faut, 11our
é tablir ce principe, q ue citer l'art 844, à la fin
duquel il est écrit en toutes lettres que dan!'ce cas /' excécla11l r>st .-;11jet à rrrpporl . ( l ).J}
>>
~EC:T ION
I1.
A q1œll es personnes le Rappo?'l
est-1·1 c71{~ 9.
L'art . 857 é tab lit une co rrélation parfaite entr
l'obli ga tion ùe fournir le rapport et le.droit de
l'exiger' : « Le rapport n'es t dù que par Le cohé» ritier à son cohéritier : il n'es t pas dû aux. lt'·>> gataires ni aux créanciers de la s uccession •)
1) \I R.\r.11:--, 01• cit . 1
:us
�-
lJO -
L1;-: mol ht'.'riti er a iri la mèrnc signilicali on que
dans l'art. 81.:..~; il ne s'a ppl iqne C)u'<rn x ucc.:cs~e urs afJ i11 tcslat: si donc le défunt avait institu é
deux légataires nniveescls et qu'i l eùt gr atiÎlt\
l'un d'eux d' nnc donation, l 'autre ne pourrail
pas en exiger le rapport ,\ la succession d n de
c1t i11 s. Celle déc ision es L co nforme au but du
rapport qui es t « Lle mainl C'nir l 'égalité des parts
>l héréd itaires dan s l es proportion s oü le légisii latf' tlr l'a établie. 1> (ü r.:MO L . v. 277).
Le tlroit tl'exiger le rapport n 'es t pas atl a<.:11(>
à la personne ùe l'héritier ; il fait parti e d<~ son
patrimoine et ses créancier s pem·en t l'exercer
en son lien et pl ace ( Art. 1lü6-788). (1).
Dans sa ùeuxième partie, l'art. 837 étab li t que
le rapport n'es t dù ni aux légataires ni aux cr éanciers de l a success ion . Ces deu x ca légories de
per~onn es n'é tant pas des h éritier s, il est tou t
n aturel qu'elles ne pui 'sent pas exiger Je rapport
ni qu'elles ne puissent en profller s'il est efTectué (art. 921 ). Celte doubl e r ègle a besoin d'êLre
exp li quée.
(A ). Le• 1·appor·t 1i"e.~f pas du 6/tu : léyatail'es. - Ce
principe s'applique à la foi aux donations entrevifs et anx legs. Pour l e~ premi i• res il es l u ne
1 La cour de Touloul'c l'a conteste par arrêt du 16 juin
183!5
-
1:11 -
ro 11séqn e11<·<· d11 <·a ra c.:L1" re d' irrévocahililé imprim é par l 'arl. HO/~ ~1 Loule clon atiou enlre- \·ifs:
pour les legs so n effet, si le l egal aire est IJéri1ier , sera llc l11i perm ettre fle r éclamer l e legs
inùépenùamment cle sa parL ll ér étlitair e.
E:n vertu du rn ème prin c: ipe, quand un legs
ne dépasse vas la quotité disponible, le ealcul
se fera sur les bi e11s e'!Ci s'ta.nts da11s l'li érédilé
au moment du clécès, abstraction faite des biens
donnés enlre-\'i fs
Cette idée 'a nous guider pour apprécier
l'éten due de certaine:.; di sposi ti a n ~ te tame11taires.
Le défttn l a. légué la moi tié de ses bien::;
Est-ce la moi tié des l11ens existants lors de son
décès, ou la moi tié tle ses biens y compris
ceux q u'il a clonnés pendant sa vie'? (1) li ne
peu t s'agir <ru e Lle la moi tié des biens laissés
lnrs dll d6cès, par rc q u'ù l'égard des légataire~,
les biens donnés entre-v ifs son t censôs sortis
1) On discutait dans l'ancien droit la question de sa voir
s i le fisc entrant dans le pa rtage des biens d'une succession
comme étant ai1x droits de l'un de!' héritiers, pou \'ait oLliger
les autres héritiers ù rnpporter les avantages qu'ils avaient
reçus - Cette question ne peut se poser aujourd'hui que
dans les cas:. otl la peine de h1 confi::.cation est admise ; mai::;
on ne saurait voir de raison d'empêcher le fisc d'exercer les
droits de celui r1u 'il 1·cpré,;entcrait. 1 ri.RK~nrnetB,,yLF-\In t11 1.ARO
DfJllnt
n• :;o 1
�-
I
/
132 -
du patrimoin e ùu cle cujas (~ l im uN , Bëp. rappol'f
~ 7, n° 4). De m èm e le doute ne peul s'é le\'Cr
Sl le testateur a dit: « Je lègne le liel'S de mes
'> biens y comp1·is ceux que j'ai donnés enl1·e- vi(s .
Ou encore (( j e lèyiie let moitié cles biens à JJrend re
» sur ceux que je laissel'ai à ma mort. » ( Pa r is, 7
mars 1840. - Sir. 40. 2. 425.)
Mais l a volonté Ju de c·u jus ne ressort pas
aussi clairemen t d'un legs ayant pour objet la
quotité dispo nible. Dan s les premiers temps de
l a publication ùu CoJe c ivil , on avait soutenu
que les légataires ne ùevant jamai::; profiter du
r apport ne po uvaient ex iger la réunion m ême
fictive des l.Jiens donnés entre-vifs à la masst
de l'hl:rédité; on appliquait l 'art. 857 clans sa
ùisposition lu plus absolue et on J écidai t co nstamm ent que le 1;alcu l de la q uotité disponible
ùevai t uniqueme11L se faire sur l es· biens existan ts dans la succession. (C:ass. civ. 8 décemb .
1824. - Sir. 25 1 . 124). Cette jurisprudence
combattue pa1· les au teurs (ut bien tôt abandonnée par la Cour de Cassa tion (arrèt sol. du 8
juil let 1826 - St-. l1·ro11wn), et il fu t déso rm ais
établi que toutes les fois qu'il serai t nécessai re>
de déterminer le montan t de "1. quoti té dispon ible, les biens donn és au)lcSuccessibleJen avancem ent d'l1oirie devraient être îi c ti vement r éunis ù la succession. Celle provo sili on aujourd' hui gé11 érnlemcnt ad mise c t cer tainement la
-
seule co11 fo rme à l'esprit de la loi; il était difficile en e!Tet de faire i ci appl ication de l'art. 857 ;
la question avait pour but de déterminer le
montant du di sponibl e et l a so lution ne devait
en être demand ée qu'à l'art. 922 qui indique la
marche à suivre. On a voulu dire il est vrai
'
'
q ue l'art. 922 disposait pour Je cas d'action
en réd uction et non dans l 'hypothèse du rappo r t; mai s Demante a fait justement rem arquer que le cal cul de l a quotité disponibl e doit se faire de la même manière soit
que l a question naisse à l'occas ion d'un e demande en réduction, soit à l'occasion d'une demande en prél èvement de cette qu9tité. «Autre» m en t on ar riverait à cette singulière consé» quence qu' il exis te deux q11otités disponibles
>> différentes, l'une pour Je cas où le de wjus en
» a dépassé la mesure, l'autr e pour le cas où il a
>) précisément donn é ou l égué cette même quo» ti té ,, (1) ( A UBRY et RAu , § 630, n• '13).
Mais on doit bien se garder cle confondre
avec l 'hypothèse prf>cédente le cas où le legs
étant d'une quotité rie bi ens préc isément é'gnle
au disponible, le de t·ujns n 'a pas dit qu'il entendait l ég uer cette quotité . .._ i par exemple un
père de ti·ois en fants fait à l 'un rl'eu:x un legs du
(1) DEMANTE, 111 . 19'2/Jis op cit '290
<..<'
133 -
'fRUl'l.ONG,
Donat
'190 - ÜEMOI
�-
1:1\-
quart de ~ a rorlllll L', il e~ l ;) pn··s 11 111 e1 tllll' 11 •
dP c11j1u: n'H \'Oulu légu er que le quart Ll e~ bi en s
existant ' ùans 1'll ér éùi té. (Ci\·. re.i . :> j 11i 11 el 1~2:-> .
- 'Toulouse 7 aoùl 1820).
Cette pré ompLion qui ~ e d<\ luit 11 c tleni e11L
de l a nature m êm e cl e la dispos ition Joil èl l'C
r epous'ée quand il r ésulte ll e l 'en semb le <l11
t estamenL que le de ('((jus a entendu l éguer la
quotité clisponihle. (Req r ej . 8 j anvi er 1821- -
. ir . 54, 1. 12)
La question ù e ·aYOll' si l e do11 ations faites
an ùi pense de r apport à un hériti er r éser rntaire doivenL s'imputer sur la quotité disponib le
ou sur la r éserve, n'e t pins discutée aujourd' hu i
que pom r endre liornrn age aux princ ipes ; 0 11
admet gé néralem ent que c'es t :s ur la réserv e
que doit se fnire ce lle imputation ; cell e soinLion est confo rm e à l' intenLion clu donateur q lli
en gr atifianl le successi bl e d 'un don en avancem ent !l 'hoirie a ent en du se r éserver intac Le la
Llu otité di sp onih le. n n11s le 1·as où la snccess io 11
e. L clévolnf à plusieurs l1 ériti ers, si \'nn d'entre
eu x est &eut clon al ai re, l'i mputation de l a d on ation 1l effa-l-€'l le se fa ir e snr l a m asse totale de
r éserv e ou ~fnl em e n l sur la p art du don ataire'!
~ous cr oyons aveC' l n maj orité cles auteurs que
la premièr e solnlion cl oil M r e prNér ée. ( 1)
1 ~r
(
(. ( .
Laulir r nsc ig nc l'opi nio n con t rain' op cil . n• in
-
1a5 -
\ IJ.) L ë 1:a1111ort n'1>.~ t p a.~ ilti a UJ' c1·ëoncir1s.
E n ce qui con cern e les legs cette r èg le s'ex pli- .
qne cl'cll e-mèm e, c: es l egs n e sauraient ètrc acquittés qu'aprb> I.e paiem ent intégral cle toits
les c r éan ci ers tle la success ion . Chabot en
do nn e pour raiso n que l'application <le J'arL. 857
doit ètre r es treinLe au x don ations, les legs n e
fai sant pas l 'objet de celte disposition ; m ais
cette e:( plication es t i nexac te et nous pr éféron s
dédui re ce prin ci pe d 'un ordre d'idée::; absolum ent étran ger à l a m atièr e ù es r api;o rls : Nerno
liberct li.s 1 1i.~i libcl'ltl ws. (Cf. art. 922 et 809.)
Quant aux don ations faites p ar l e clc cujus à
l ' un Ll es succes::;ible , le::; cr éan ci er s hér édi taires
n e peurent en ù em ancler le r appor t. Ce prin. c:ipe a r encontré au ~ein cln Co nseil d'État
d e vi ves r ési s tan ces ; quelcpt es me mbres ne
pouvaient pas compre ndre que les l1ériLier s
pussent conser ver le:-; biens cle l a ucce, sion
r ecouvr és par l 'exer c i ce de l' action en r éùuc lion,
al or s que l es créanciers llér étlilair e$ n'l: Lai ·nt
p as int(·gralc1ncn t payés, et il fut tl éc1t11·· qu e
« la r édu cl1011 ne puurrai l èLre Llemanilt:t"' p.u Ifs
n donataire::; on léga taires ni par les c r •ancter :-;
i) d u d éfunL, sauf ù ces c r éanciers à exercer lem
)) llroi t ::;nr les b ien8 lllli ont fa it r ohj "l de l'ac( Fr::~ET, XlI, 1fü ) ~ur la
l) lion en r éduc tion . >l
demande du lril> u1Hlt, Tronchet co ml>all i l l'artic le du proj et el ll t r em arque1· que <1 lnr :--q u' nne
�13G -
dispositio n n'e8 t rela tive c.ju 'à nn in térè t par» ticulier , ce ser ait s'écarter du but de Ja loi
)) que d'en donner le bénéfice à un e a utre pe r>> sonne qu'à celle en faveur de qui la loi l'a
>) é tablie. On a rendu hommage à ce prin c ipe
>l dan s le titre des s u ccessions , où on a décidé
)) que le rapport profilerait aux héritie rs seul e)) ment et non aux. cr éanc iers . >) L'obser vation
de Tronche t était fo rt jus te et la so lu tion qu'il
proposait très jurid ique : les créanciers, en
effel , n'ont pas plus de d roits que leu r débit eur (ar t. 1166, 2092 et 2093) ; or les biens
donnés entre-vifs éch ap pent à l'action des
créanciers antérieurs à la don ation , puis qu 'i ls
sont sortis du patrim oin e du débi teur et ils restent absolument é trangers aux créan ciers pos tér ieurs qui n 'on t jamais p u compter que le ur
gage s'étendrait s ur ces mêmes b iens. Le s uccess ible donataire doit donc ê tre traité comme
un étran ger el le rappor t ne profilera an x
cr éanciers d u de cujus qu'à la charge pour e ux
de prouver CJU e la rtona tion a ét(· fraudu leuse.
(art. 1167).
L'art. 857 n'est plu s appli cable et la règle
précédente cesse d'être vra ie dans le cas où,
par l'accep tation pm e el sim ple de l'hér itier, les
créanc iers <le la s nccession so nt devenus ses
<' réanciers person nels; le droit cl e demand er le
rappor t n'Na11 t pos c: o n ~ i déré co mme cxc lus 1ii
-
137 -
vement attaché à la person11c, il est 11aturel
qu 'il soit compris dans le droi t héréditaire de
celui auquel le rapport est dû ; on ne pourroil
dans ce cas argumenter de l'art. 857, puis que cet
ar ticle es t relatif a ux c réanciers de la succession et non aux créanc iers de l'héritier, et qu e
d'ailleurs ces derniers agissent non en leur
propre nom, mais a u n om de leur débileur. La
preuve s'en t ire de ce que la répartition des deniers provenant de la vente des biens r apportés devr ait se faire par égale part en tre tous les
c réanciers de l'hér itier. (Nimes, 6 mai 186 1'
A uBRY et RAU § 630) (1)
Ma is l'exception que nous venons d 'indiquer
es t Ja seule q ui res treigne l'application de l'ar t.
857 e t celte disposition doit être suivie toutes
les fois q ue les biens de la succession ne so11t
pas confondus avec ceux de l'héritier. Ainsi en
cas d'acceptation bé néfic iai re les créanciers
h éréditaires qui n'ont au cune action sur les
biens personnels de l'hérit ier ne peurnnt demander le rapport ni en profiter. De même en
cas de séparation de patri moines, les bien rapportés deviennent exclusivement le gage des
créanc iers personnels de 1'11 érili er. Cette décis ion n'est vraie que pour ceux qui reconnai f• n t
(1) Ce p rincipe a ète méconnu pt1r un arrêt de ln cour ùe
Toulouse du 16 juin 1835. (Sir. 35. :? . 3n).
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1 3~
-
que' la :::-éparaliun dl':" puln111oiJ1e~ 1ie J:Je nn el
pas <.Hl:X créancil'l'S ùe la s urccssio11 non c.:0111 plétemenl payé de venir s ur les biens de \'héritier en concoms avec ses c réa nciers personn e ls
Les créancier s ùe la s uccession peuvent-i ls
s~ufîrir dn rapport? La ques tion se présente
dans l' hypoth èse s uiYanlc: un p ère m eurt tais ant de ux enfants, sa s uccession se compose
d'un ac tif cle 10 el d'nn passif égal ; à sa mort
ses deux fil acceplen l sa s nccession , mais l'un
d'eux donataire par anmcemen l d'hoirie d'un e
s ommé d e 10 es t ins ol\·able . Les dettes se divianl de ple in droit entre les h ë riliers (arl. 1220)
le fils qui · n 'a ri en rec,:u pourra- t-il préte ndre
garder le 10 qu i composent l'acLif de la s u ccession pour lui le nir lieu ri e ce que so n frère u
ùéjà eu en payant la moilié des dettes dont il
est tenu ? Les créanc iers subiraient ains i un e
perte de 50 °/o el cependant l'actif d e la succession est s urflsanl pour les désintéresser . Une
telle conséquence est trop contraire à L'esp rit
de la loi pour que le prin cipe dont e lle découle
puisse être admis, e t pui s que les créanc iers
héréditaires n 'on l auc un droit au rapport , i 1
faut reconnaitre qu'il s ne doivent également pas
en s ou!Trir. ( OEl\I OL.ys11 cc 211i. - HA GON. op. cil .
n° 200).
Un e ver sonne i1eut é lre à la fois hériLière du
défnn 1 e t cr éan c ière ùe la s uccession ; les effets
-
139 -
·
de c<'S deux LJ11,·11 1·L·~""...: ù o 1·, ·e11I e· 1re soigneuse-
m ent tlisLi ngu6s.
'1". L'llériLier créan cièr qui a accepté 8011 ~
bénéf1 cc d'inventaire a le droit de s e faire pa~er
s 11r les valeurs hérédi taires, et s' il a reçu du d e
cujus une don ation e ntre-vifs, les autres créanc iers ne pourront pas exiger qu'il im pute ~a
c réa nce s ur les biens dont il doit Je rapport ,
puisque cette obliga Li o n leur est étrangè re.
art. 857. (Cass. 10 juillet 1844. DEv. 44. 2. 593.
Cass. 5 juin '1'849. DEv. 40. 1. 705). Il est aisé
d e comprendre que La solutio n serait différente
dan s les rapports des cohéritiers entre eux .
2°. L'héritie r qui es t en même temps légataire
par préciput du cle cujus ne peul exiger le
pa iement du legs s ur les biens rapportés .
A propos de l'art. 8:57 il nous reste à examiner deux questions importantes. L'enfant naturel peut-il exiger le rapport des parents
légitimes? Des auteurs ont refll é ce droit ù
l'enfant naturel en so utenant qu'il n'é tait pas héritier e t que d'ailleurs l'art. 837 a\'ait fait de ce lte
qualité une condition essentie lle du droit au rapport. (T OULLIER, 1v, 258. - Lo1sE.\ U, Des enfants
naturels, p. 693). On peut réfuter cette objection
e n rappelan t que le mot héritier de l'ar t. 857
s'applique à Lou t s uccesseu r ab intestat et nou
pas seuleme nt à l'héritier légitime, et que le
Yéri Labl e sens de cet article es t indiqué par sa
�-
1•0 -
seconde disposi tion q 11 1 Ill' 1"1rle llllc? des cr0ancier s et des l égatai res et ne fa i t aucune men lion
des enfants naturel s. De p l us, le sys tème de
Toullier es t en co n tra.dic tion avec l 'art. 757 qni
« alloue à l'enfant natmel une fraction de la
>> portion héréd i taire qu'il aurait obtenue s'il
» avai t été l égi ti me, c'csl-à- clire une frac tion de
n la portion qu'il aurait prise comme enfant
>l l égitime tant dans l e· bien ~ sujets à rapport
i> que dans ceux dont le défunt n'a pas d i sl> posé . >) (Au BRY et RAU § 638). ('1).
(1) Quand le rapport est dù par l'enfant naturel il prend le
nom d'imputation. (art. 760) On discute viYement sur la nature de cette imputation . Des nuteurs s'attachant au sens
rigoureux du mot imputer, enseignent que l'imputation est
différente du rapport et décident que cette imputation n'entraînant aucune résolution de la donation, les en fants naturels restent propriétaires incommutables des obj ets don nés.
Ils en tirent 1·ette conséquence que la somme à imputer par
l'enfant naturel ne doit pas être réunie même fictivement à
la masse hérédiiaire pour la fixation du montant de la
quote part à laquelle il a droit. (CHABOT sur 760 - PouJoL
sur 760). Ce système • dans lequel la position de l'enfant
• naturel serait d'autant plus malheureuse que son père se
• serait montré généreux à son égard u lèse d'une manière
évidente les droits de ce successeur (art. 757) et doit être
repoussé. - On doit également écarter une opinion intermédiaire des arrêts qui, partant de cette idée que le droit de
propriété des enfants naturels sur les objets donnés n'est
point ré;::clu à l'ouverture de IR succession, refusent d'appl iquer à l'rnfant naturel les dispositions rlPs art 85!5, 8'>6, 8li~
Le coh<·ril1er c 11vov1'.: en possess ion provisoire
des biens d ' uu i.lbsenL peu t-i l ex iger le rap por t
de son col 1ériLicr'? La sol ution afflrmative n'esl
guèr e disc utable si l'on réfl échi t que si l'envoi
en pos')ess ion es t Lt n d<''pôt à l'égard de l'absent
(art . 125), entre les envoyés c'est une véri table
et 867. C. c. (PM , 1~ juillet 1827 . Sir. 28, 2, 73. - Cass. H
janvier 1831. Ual. 31, 1, 68 . - Fo uEl'DE CONFLANS sur 160.Montpellier, 2 ~fév ri er 1873.) -Signalons enfin une théorie de
:Il. Demante d'aprè:; laquelle l'imputation de l'art. 760 devrait
être assimilée au rapport en moins p.renant : si donc la donation est mubilièrc on rapportera la valeur du meuble au
moment de la donation (art. 868; ; si l'objet donné est un immeuble on se placera pour l'estimation de sa valeur il. l'époque du décès (art. 912 - DEMA NT&, 79 bis )
Ces différents systèmes reposent tous sur des distinctions
aussi a rbitraires que contraires au texte de la loi. Il n'est pas
adm issible lJUe l'imputation soi t ditférente du rapport et
nolis c royons que dans la pensée du législateur ces deux
mots sont synonimes et expriment la même idée; les termes
différent il est vrai, mnis en se servant du mot imputer les
rédacteu rs du Code paraissent n'a\•oir eu d'autre but que de
mettre la n)daction de l'art. 760 en harmonie avec celle des
nrticles 756 et 757. Il faut donc reconnaître qu'il n'existe au
fond aucune différence réelle entre ces deux opérations et
qu'application devra être faite aux enfants naturels donataires ou légataires des règles du droit commun en matière de
rapport. Cette solution qui se déduit de l'esprit de l'art. 7;;7
se trouve d'nilleurs confirmée par ces paroles de Chabot dans
son rapport nu Tribunat : « L'nrt. 760 est une garantie que les
• enfants naturels n'a uront pn.• plus que la loi ne permet de
~ leur donner •
�-
1~2
-
s ucces:::;1on q ui s'omTc prov isoiremen t. Les
choses c.lc\'l'Onl ùo nc se p asser comm e si la
présomption <.lu décès ùc l'absent avai t fait
place à la réalité e t nul do ulo que dan s cc L:as
le r apport n e fùt dù . Ce résnltaL es t r endu encore plus évident quand il s'agit de legs fa iL.
ans d ispe nse ùe rapport à l' un ùes e nvo yés ;
celui-c i ne peut avoir plus de clroits q ue s' il
était appelé à une \'é ritabl e succession .
SECTlON Ill.
A que/fr> succession le rappo1·1 est d1L
« Le rapport, d it l'art. 850, ne se fait qu'à la
s uccession d u donate ur. l> Ce n'es t ) en effet ,
q ue d ans cette succession q ue l'éaalité entre
les cohéritiers a é té rompue . Ains il:>le petit-fil s
~e rap.p~rte P,~s à la s uccession de son père les
l~ér~ltt~s qu tl a reçues de son grand- père ; il
n e n etatt pas toujours ains i dans l'a ncien droit .
Po ur appliquer l' art. 850, il s uffit donc de
rechercher quel a é té le véritable donate ur .
Cet~e qu~s tion ne s~ ulèvc de difftcultés que pou r
le cas ou ln do nation est fa ite par plusieurs
personne , par exem1llc d::tn . les contrats rie
1>
-
1\3 -
manage. « Dans ce cas, tlisent Aubry el Rau,
» le rap port es t dù à la succession de chactrnf'
>> d'elles pou r La part à raison de laquelle ell e y
>> a contribué ou est censée y avoir contribué. 11
Ce p rincipe est écrit an titre du Conttat de
niariage et des dro its 1·esperlifs cles époux dans
les art. '14,18, llwü, 15G4-2°. - Il embrasse trois
hypothèses bien distin ctes:
1°. Un ùes é poux dole seul personnellement:
il e t alors seul llon aleur el le rapport de la dot
ne sera dù qu'à sa s uccession. (art. 1514)
2°. « Si le père et la mère ont doté conjoin» tement l'e nfan t co mmun sans exprimer la
» portion pour laquelle ils e ntencl nient y conlri)> buer, ils so nt censés avoir dot(' chacun pour
>> moitié ii (art. 1138-1°), et Je
rapport sera
ùù pour 1noitié à chaque s uccession. (Cas . 31
mars 1840. - Sm. 1-0, 1, 337) Il n'y a à tenir
compte ni du régime matrimon ial tles épo ux
donateurs ni de la nature des biens donné::;
(propres ou communs); ces circo nstances onl
l'trangè re~ au rapport et n e peuYent in nuer l{Ue
s ur le règleme nt à inlen'enir e ntre' les épou'.\. .
(Cf. art. 1438) Ce lle règle a été méconnue par
un arrèt de la Gour d'Am iens Llu 10 nov. 185'3
(Oal. ·55. 2 . 108) c1ui a JUgé que s1 la dol co n~li
tnée solidairemen l par le père el la m ère a clé
intè_gralcmenl payée par l'un d'eux, le rapport
en sera d 11 pu11r Ir tout ù la s uc;cc:-.. 10 11 de relui
�-
q ui a payé. L' u1Lc nl ion d'acquitte r seul la de lle
co mmune ne r ésulLc nullem ent du fait de payer
la totalité de la ùo t qui , s uiva nt nous , n'es t que
l'exéc ution de l'obliga tion s olid aire dont le
paie ment ass ure à celui qui le fait nn recours
pour moitié contre so n co njoint.
Il arriYe assez souvent que les père ~t mè1e
tout en dotant conj ointe ment leur e nfant s tipulent d ans J'acte mème de cons titution que la
dona tion sera imputable s ur la s uccession du
prémouran t. Quel effet produit cette c lause
quant au rapport ? La Cour de Paris par arrê t
du 10 aoùt 1843 a décidé que « la s tip ula tion
» é tait un iquem ent faite dans l'inté rêt de l'époux
» s uni va nt et qu'il n' y e n a pas moins deu x
» dona teurs. >> Po thier pens ait au contraire que
cette clause devait ê tre e ntendue en ce se ns
que le prédécès de l'un des époux d evait d é terminer lequel ava it é té donate ur e t pa r s uite à
quelle s uccess ion la dona tion tout entièr e se
r apporterait. La juris prudence a modifié d ans
ce dernier _sens sa premièr e décis ion . (Paris, 16
m ars 1850. Da l. 50. 2. 167 - Amiens , 10 nov.
1853). (1)
3°. La dot cons tituée par le m ari seul à l'e nfant commun en effe ts de communauté es t à la
.
(! ) L'examen de ce t te clause échappe a la cens u re de la
Cour de Cassation . (Cass. 3 juill e t i 872 - Dai. n 1. 370).
l ~I) -
c harge de la co mmun auté. Le m ari es t alor::;
censé avo ir agi non pas en so n nom rersonne l,
mais comm e chef du pa trimoine co mmun . La
question du rapport se trouve don c s ubor do nnée au parti que pre ndra la fe mm e à la di sso lution de la communauté : accepte-t-elle, ell e
aura é té don atrice pour une part proportionn elle à ce qu'elle rec ue ille; (Cf. art. 1520)
renonce-t-elle , le m ari sera censé avoir seul
con s titué la dot q ui se rapporter a pour le tout
à sa s uccessio n. (1)
Sur l'art. 850 rappelons avec Demolombe qu e
ce t article n'a pas seulement po ur but de dé terminer la s uccess ion à laq uelle es t dù le rapport ; il indique également l'époque à laquell e
s'ouvre cette obi igation .
CHAPITRE
Il.
DE L'OBJET DU RAPPORT.
E n commenta nt l'ar t. 843 no us avons \ ' U t1ue
l'obje t du ra pporl es t multiple : il comprend ù 1<1
(-1 ) JI fau t L"nLtnche r n cette hypothèse le cas' où pendant
rabs en ce d u mari , la femm e aurait aYcc 1autorisa tion de JU"
tice c m plo_yé Jeio; bir nio; com muns nrioter un e nfant ( \rt 11,{7 1
�-
-
Llon ~
enlre-vifs, les legs c l les de lles.ous (lonn erons à chacune de ces m atières le
fois le::;
1
1 '~6
dc~,·e l o ppement
qu'elle nous paraitra exiger.
(1 Tout hé ritie r , dit l'art. 813, doil rapporter à
)) ses cohéritiers tout cc q1t'il a reçu ùu défont
)\ par donation entre-v ifs directement ou indirecte» ment. )) On discute beauco up e t avec peu de
fruit sur les difîércnces qui peuvent exister en tre
une donation directe e t une ùonatlon indirecte,
car ce deux genres de donations so nt égalemen l
soumises au rapport .
L'héritier, pour ê tre tenu au rapport, doit
aYoir reçu quelque chose. L',intention chez 18
donateur de lui fa ire un e libéralité ne suffirait
pas si. cette inte ntion n'avait pas é té réali sée.
« Rapporte r c'e t rendre, dit très-justemen t
)) Demolombe, or on ne rend que ce que l'on a
11 reç u.» li faudra donc prou ver
que l'h éritier
a l'éellement reç n; celle pre uve ne pourra ici ê tre
déduite du fait que lo donata ire a perdu, par
suite de la prescription, le droil d 'agir co ntre
son dona te ur o u ses héritier s. Cette prescription
n'engendre qu' une pn'.·somption qui n'es t pas
assez puissan te pour impo er le rapport ; d u
reste l'art. 2219 dit que la prescription est un
moye n de, e libé rer et non un moyen d'acqltérir
un e créance. Celle id<''e doit ètre é Lenclue au cat'
oü le donataire a1tn1 it 'o loulairement renoncé nu
rlroil rl0 rt';l'!nrncr la rlonnti on à lut pro mi se.
-
1 ~7
-
Ce tte hypotli èse é tait très-co1nmune ùans l'ancien droit, e l PoLhie r passe en revue plusieurs
espèces d am; Jesqctelles ce prin cipe reçoit une
applicaLiou cons tanle.
Quid des do nations avec charges ou onéreuses,
et des donations rémunératoires? En prin cipe
toutes ces donations , par cela seul qu'elles
participent du car actère d'un e libéralité, soul
s oumises au rapport; mais encore n'est-il dù
lJU C dans les limites de la libéralité. Pour la
juste appréciation d' un don de cette nature, .on
a proposé le rappor t ùe la totalité de la donation
sauf au donataire :\ réclamer une indemnité à la
succession . .\ i nsi l'héritier donataire aYec
c har<Yes
d'un immeuble devrait~ préalablement
b
.
rapporter à la masse l' immeu?le qu'~ l . a ~'.cçu
sauf ens uite à prélever une mdemnite. S1 la
d onation é tait mobilière, celte difficulté serait
écar tée par la manière dont s'effectue le rapport
des m eubles. Les inconvénients sans nomure
<l'un pareil procédé nous font préférer un S):stème assez généralement adopté dans la pratique
pour des cas analogues. On distingue: la ".al~ur
des services rendus ou des charges acqu1tlee::;
es t-elle s upérieure à la moitié de la ùonation ·~
On ne rappo rtera pas l'immeuble et l'hérilie1
d on a taire paiera la différence; les parties, en
effet, n'on t pas c11 ponr hut principal cle f~ir1•
no rlonntinn CcllL' 'nlc11r C!'L-clle, au conlrn11 c',
�- us mférieure ù la moitié ti c la chose donnée? Le
bnt de l'opération a bien é té une donation et on
la traitera comme telle. On devra donc rapporter
l'imm eub le en en Lier, et le donataire n'aura droit
qu'à wie indem nité. (Argt. anal. art. 866)
Les donations par contrat ùe mariage so nt également rapportab les. (N. obst. art. 1090) Même
solution pour les dona tions mutuelles (1); mais
le point de savoir si l'obligation de rapporter
ce qu'il a reçu du de cujus antorise l' héri tier à
réclamer de son cô té ce qu'il lui a donné, es t
très contro,·ersé. La ques tion d'ailleurs es t fo rt
délicate ; on décide différemment s uivant qu'il
Y a ou non faute de la part de l'un e des parties.
Cette distin ction n'es t pns admise par tous Jes
auteurs.(contrd Oemol. n o3~2 ., V. un intéressant
rapport de M. Troplong dans un arrê t de cassation du 2 janvier 1843. - Dev. 1843. 1. 118).
« Les don s manuels, di sait le tribun Ja ubert,
» ne sont s usceptibles d'aucune forme. Il n 'y a
·
(t ) L "acte par lequel deux époux contractent une assurance
su r la vie au profit du su r vivant ne renferme pas un e donation mutuelle et réciproq ue prohibée par l'art. 1097. u. c ; et
le surv ivant qni vient à la succession de J"époux prédécédé
ne doit pas J' rapporter le capital qu'il a touché : Je contrat
intervenu est, en effet, un contrat à titre onéreux, puisque
é~a~un des époux consentait à perdre sa pa r t en cas de pré~eces pour g agner, en CRS de survie, le montant intégral do
1 assu rance . (Douai, 31 janvier 1876).
>>
là d'autre règle que la tradition , sauf néan-
» moins la r6duc tion et le rapport dans les cas
» de droit. » La dispense du rapport s·a~)pl ique
également à celte nature de donations, mais
elle n'est pas soumise à plus de formes que le
don lui-même, s i cette d ispense accompagne la
donation. (1)
Les dons manuels n'exigeant pas un écrit, la
preuve ne se déduira le plus souvent que de
l'aveu du donataire; mais le rapport pourra être
difficilement exigé, car le_donataire ne manquera
pas d'ajouter qu'il y a eu dispense du rapport,
et l'aveu ne po urra être divisé contre lui. (art.
1356. Caen, 28 novembre ·1861)
« Le rapport es t dû de ce qui a été employé
1> pour l'é.t.ablissement d'un des cohéritiers ou
J> pour le paiement de ses cleLtes . » (art. 851)
Cette dispos ition doit être généralisée ; quelle
que soit l'in tention du do nateur, qu'il nit fait
(1) Pour les dons manuels, la dispense de rappor t peut
également résulte r de la volonté du donateur , volonté dont
l'appr éciation est ab;r ndonnee au pouvoir souverain des juges
du fait. (Oass. 19 uov . 186 1, D. 62. 1 liO. - Cass 3 mai
1 86~, D . 6\. t . 113 . Cass . 11 mars 1873, D 73 . 1 19~ \ Il
faut s ignaler ln partie de ce d erni«r arrêt d'ap rès laquelle la
cou r de cassation s'es t rése rvée le droit de rechercher si la
décision des juges du fait qui déclare que le don manuel a
été fait avec l'inten tion de dispensordn rapport , n'a r 'ls YiOk
le testament du donateur. (Cass. 4 aoùt 1851, D . 5 L 1 ""'
�-
150 -
une li!Jéralilé uu sn ccl~s~ihl c :-.o il ;\ Liln~ de donation , so il s implement co mm e gérant d' :'lffaire~.
l'hérili€r dont l'affaire aura é té faite ùen ·a te nir
compte à la s uccession ùu de rnju. <le cc qui
en aura élé dis tra il. Si cepend ant l'll é ritier
renonçait à la su ccession du donateur, il pourrait garder les dons à lui faits; m ais il ser a il
toujours tenu de rendre à la masse les somm es
que le défunt aurait dépen sées pour lui . :\ la
Yérité ce ne ser ait plus un rapport que le donataire devrait efTec luer, mais bie n nne dette qn'il
auraU à acquitter. Cette re marque a son intérê t
relaliœrnent aux créanciers h éréd it aires. (art.
857)
L'expression ùonl s.'es.t s.en ·i le Code cl an.
l'art. 831 est très-vague. On s'acconle. générn lem ent à reconnnilre qu'il faut compren dre pn r
élablis>;emcn l non se Dlem enl les somm es débonrsées par le dr ci~jus pour proc ure r au s ucrcssible un état , une profession , sans toule (ois co ns tituer des frais d'édncation e t d'apprentissage,
(art. 832) mais aussi tout cc qni, arnn l on après
l'établbse ment, e~ t rie nature à le comp lé ler ou à
en rendre Je résultat plus certa in . Les exemples
abonden t · c'est ain s i que les sommes avec
lesquelles le s uccessible a aèh e té un fonds de
commerce c\c\Tont être rapportées, de même
cle celles d<::ùours.éei:; pour l'arha l d 'un orncc mini s tériel ; s i le l1Lnl nire ùe l'offic e étail
(.
(.
-
15 1 -
,
le de 1·111111<, el qu 'il ::-;e ful dt"mi::, en fa\ eur ùe
s.0 11 lils, le rapport de la vale ur de l'oftice :sera
ùù s'il ren tre drlll · la classe des fon ctions iiour
lesquelles le lil11lairr a un clroit de pc·ésentation
(art. 01 . L. 21 nvril 1816. - Agen , B rna1 1872
Dall . 72. 2 . 145.)
c .. Pour le paiement de ses dettes. » uit l'art
851 in fine. Celte th éorie est é trangère à celle
ùe l'arl. 820 à laquelle nous allons bientùt arnrnr . li s'agit ici non ùe ùeltes contractées par
le su ccessib le em e rs le de cujus comme ùans
l' art. 820, mais bie n de clettes faite par l'héritier
et que le dé funt a acquillées. Et d'abord
ces dettes pouvant è Lre nulles on an nulab les, y aura- t-il lie u à rapport ? Nous ne pouvons le cr oire. En payant pour son flls une
de tte a u p aiement de laquell e celui-ci ne peut être
co11 lrai11t par les moyens légaux., le père ne lui
confère auc un avan tage; des r a isons é trangères
à la logiqne du droit peuvent 1'<.woir détermin é
à agir de la. sorte. 11 a pu \·ouloir satwer l'hon- .
neur de son fils et peut-être le sien, mais on ne
p e ul l ~gnl cm e nt 'oir 1lans ce t ac le une lihéral1ti·
conférée au s ucces~ih l e. La \ érilahle pensée de
la loi $ Ut' la m atière no u ~ est ré' élée par lt•::parolcs de Berlter a.u sein ùu Conseil <l'Etat
« Tl /rlli! ci1·co11sc1·i1 <' l'aclio1t du ,·apport a11.r sc11fr.,
» clell c.-.: pow· le /J{l Îl'lll<'11/ de.<:rJ11e/lrs fr colié1·itic1
» c1111·rri/ /Hl é/1·c 11alr1/1/cinc11f po11r·.<:11fri t'll j11.~li11'
�- 1:n » peu· fr i:n!a11cief' re111bo1tr sJ. )) No us n 'll -.~ il e rons
pas à applique r ce principe nn cas où le père
I
au rait acquilté les de ttes con trac tées par son
fils en minorité. La discussion de celte espèce
au Conseil d'État fut très-vive. Les de ux opinion s
furent chaleureuseme nt d éfendues, el bie n qu e
la disposition de l'art. 851 n'ait pas é té retouchée, la solution qui assujetti ssait le fil s a u r apport parait avoir prédomin é ; quoiqu'il en soi t,
nous r épéterons qu'il n 'y a ici ancu n avan1age
procuré au fils e t que, par conséquent, suivant
l'esprit de la loi, il ne pe u l ê tre question d e
rapport. Et ce que nous c.lisons de cette fausse
doctrine, nous croyons devoir l'é te ndre à un e
opinion interm édiaire dont Duranlon s'es t fait
l'écho : (< La solution dépend beaucoup des cir>> constances et de l'intérèt qu'avait l' e nfant à
>i ce que les de ttes fussent acquillées pour
» n'être pas humilié e t déconsidéré ' de l'âne
t>
>1 qu'il avait lorsqu 'il les a co ntractées, de l'im)) portance de la somme, cle la nature de ln
» dette, et enfin rle la fortune d 11 père. i, (Dun.
v1r. 312). Toutes ces dis tinctions sont arbitraires, e t ne reposen t . ur auc un tex te de loi. (En
ce sens Aubry e l Rau § 031)
La ~olution serait différente si, e n acquittant
la clutte de so n fil s, le père lui avaiL rée llement
procuré uo avantage; ains i on avail fort jus tement soumi s n11 rapport les sommes ùélJoursées
-
1:.;3 -
pur le JJÙI'(' pour exo nérer so n Jils Ju set"dCe
irtilit.1irc (loi de 1868), et <'elle rlécision était
ind6pen c.lan le de la fortune du père et ùe la
modicité de la so mme par lui payée. La seule
clis lin c ti on admiss ible était re lative au cas où
'
en remp laçan t so n fil s, le père l'avait fait dans
son propre intérê t ; il y avait alor::; une preuve
à admin istrer qui é lait à la c.;harge de l'héritier.
(Amiens, 17 mars 1833. Sir. 53. 2. 97.) - Aujourd'hui L'art 4 clc la lo i du 27 juillet 1872 a décrèté
la suppress10n du remplacement militaire et
rendu le service personnel obligatoire. Cette loi
rixe la durée ù u sen'ire actif ù cinq années cle
présence sous les drapeaux (art. 36), mais elle
restreint cette durée à un an sou.:> la condition
de s ubir avec s uccès un examen préalable ; le
volontCtire adm is à celte 6preuve esl tenu de
Yerser à l'Etat une somme de -1,500 fr. Par analogie de la q ues tion précédent~, on peut se
demander si le nts, polll' qu i le père a payé cette
somme, en devra le rapport à la succession
paternelle. Nous ne le pensons pas, car le fait de
ne serv ir q n'une année résulle de l'admis~ ion
aux éprenves exigées et non ùu ,·ersement de
la somme qui est affectée ù l'équipement du
rnlon laire . (arl. 35) (!).
\ 1) Ln snpprcssivn Ùll remplacement militnire i\ putir Ju
I" janvier IR73 a fait Ullltrc ln qn •stion de snvoÜ' quel JeYait
Il
(
�-
l :.i\ -
La remise d'une ùelle l:tant une véritab le
donation est également s uj ette à rapport, mais
. seulement dans le cas où elle a lieu ouvertement. (1)
Nous ne mentionnons que pour mémoire le
bénéfice qu' un Liers succes ible a r etiré d' une
stipulation faite par le cle cujus (art. H21); on
peut voir un profit de ce gen re dan s le fait de
Ja part du d éfunt d'avoir cautionné Je successible. Si, à la mort de la caution , la dette n'a pas
encore é té payée (2) le s uccessible devra rap-
être le sort des traités intervenus après la promulgation de la
loi du '.H ju.illet 1872 pour le remplacement des j eunes gens
de la classe de ~ 87 1 et si, en cas d'insoumission ou de désertion des remplaçants apres le I" janvier ~ 873, les agents
qui n'en pouvaient plus fournir de nouveaux a vaient encore
le droit <le réclamer la totalité du prix du remplacement.
Un a rrêt de Casslltion du 45 juin 1875 ( Dal. 75. 4 , 289) se
fondant sur ce que ces traités étant postérieurs à loi de •1872
ne pouvaient a \'oir d'autre objet pour les remplacés que
l'exonération du service dans l'armée active il. eux assu rée
par une circulaire ministérielle du 29 décembre 1873, a décidé que les traités seraient maintenus et que les agents pourraient demander la totalité du prix stipulé.
(1) Suivantles articles 1'28.2 et 1283 l'aban<lon du titre fait
présumer la libération du débiteur. La qu estion du rapport
sera différemment resolue suivant qu'on regardera le débit.eur comme ayant payé ou comme a_yant été gratuitement
libéré.
i2) Si le de cu7us avait été pourR11i vi comme caution et
-
l l;5 -
putter l'a\ an Lage qu' il aura retiré ùu caulionneme nl, c'est-à-di re qu'il devra en procurer la
décharge <\ ses cohéritiers. (con.trâ. TP,OPLONG,
Donat. JU . '1080). Si le cautionn ement a été fourni dan s l' inté rê t c.lu créancier s uccessible, c'est
lui qui rapportera. (Paris , 21 déc. 181.-3. DEv. 44.
2. 80). Pour le ca. où la c.:aulion es t salariée
V. Cas::;. 29 déc. '1858. Dai. 59. 2. 103.
1l se préseule plusieurs hypothèses dans lesquelles le s uccessible bé néllcie d'un acte fait
par le de cujus e t auquel il n'a point participé; par
exemple le de r11jw; a renon cé à une succession
à laquell e LI éLail appelé aYec son successible
o u IJ1 c11 il a renon cé à un legs ùont le s uccessible é tait grm é. Y a1tra-t-il li eu à rapport '? 11 es t
bie n e nte ndu que l <l question ue se pose que
s'il es t é tabli qu'en ie noni::ant le de ciijus a voulu procurc t· un m c.u1 Lage à son successil>le.
Pour notre part uuus ne saurions exiger le
rapport clans ces diffêrente::; hypothèses, car si
Le success ible es t venu à la ::. tlccession avec un e
part plus forte, cc n'es t pas comme ayant cause
ùu cle cujus, mai bien j 1u·e suo. Cette doctrine
est générale ment uivie en jurisprudence. (G renoble, 2j urn 1 '61-. ÛE\' I L . 61-. 2. 223 -Toulou::-e:~
déc . 1863. DE\' i LL . M . 2. 178. - \" . en sens t:onq11 il eùt
Jlfl\C la dette <ln successiblr, il y aurait heu il rapport eu vertu <le l'a rt 8!) 1 ~·
�-
raire un ·arrêt Lle Cass. du lj mai l t-\Gû. DE' 11.r.
66. 1. 276, qui casse l'arrê t de Toulouse précité).
Les articles 853 et 851 règlent les effets dei:;
contrats à titre onéreux intervenus entre le de
cujtts et soH s uccessib le. Il faut d'abord reco nnaitre que, sous l'empire tlu Code civil, la capa cité de con tracter es t la règle générale et
l'incapacité l'exception (art. 11'23, 159/i-). Le Code
n'a pas reproduit les anciennes prescription s
édictées par les co utumes qui , clans ces occasions, se monlraienl d'une gro nde défiance e t
d'une séYérité ex trême . (1)
Un successible peut don c a ujourd'hui co nLracter avec son auteur comme le ferait un
étranger et ce contrat produira ses eITets ordinaires quand il sera réellement à titre :onére ux
et qu'il ne servira pas à masquer une libéralité.
On a voulu , il est vrai , tirer de l'art. 853 un
argument a conlrttl'io et ex iger Je rapport résultant indirectement du contrat passé entre le
I
(~ ) o Ona mû plusieurs fois, disait Basnage, la question de
• savoir si les contrats entre le pere et son fils, comme la
~ vente qu'il lui fait de son bien, peuvent subsister au pré• judice des autres enfants ? Ces actes son t toujours sus» pects ; pour donner force a ces contrats et effacer les préo somptions de fraude qui en naissent naturellement, il faut
» jus tifier d'un véritable emploi qui ait été fait des denier:>
• soit en paiement de dettes légitimes soit en achat d'autres
» héritages. "(Sur l'a rt. 13't Cout. Vormtmdic)
15ï -
successible el s on auteur Loules les fois qu'il
prés en Le nn avan Lage indirect lors cle sa forma t.ion, mais celle solution est trop absolue et il
faut la combiner avec la théorie que nous avons
adop tée sur les efl'els du déguisement : quand
l'avan tage i nùirect sera patent le rapport sera
dû; le déguisement emportera au conLrairn
dispe nse de rapport quand l'avantage sera dissimulé.
Qnand le successib le est soumis au rapport
do it-il rapporter l'immeuble tout entier ou sim plement le profil qu'il a retiré dn con trat 9
L'intention des parties sera le seul guide dan~
celte opération : ont-elles, arnnt tout, entendu
faire une <lonalion , l'immeuble sera rapporté
en entier . La libéralité ne jouait-elle qu'un rôle
secondaire dans le contrat, l'avantage seul sera
rapport6. Celle ques tion est analogue à celle
que nous avons 6Lncliée pour les donation.;:;
rémunératoires. (1)
L'arL. 854 indique une res lricl1on à la règle
préct}denle. Le législateur a cru Llevoir régl menler un des nombreux contrats qui petwent
inte rvenir entre l'auteur e l so n snccessihlc
l i ) On trOU\'<' au Digeste ,-.ur la quest ion trois s~·stt-me"
cl iffércnb. I.e~ jurisconsultes l'l.>1n:uns l'ont cturliée il l occa~ 10 11 dune H'llh' i1 '11 prl'. faitr pnr un epou" i1 lautrc (L '
~ !> 31 ~ 3
Diu tl1• drm11I inl tir t•I 111·ur
�-
l ilS -
Ce conlral , l'cts:wciation, cleYait éviden1me11 1
é\'eiller son attention non parce q u'il se prè te
plus fac ilem ent qu'un autre à la fraude, m ais
parce que l'importance rles bén é fi ces qui en
résullent peut que lquefoi porter un grave prf>judice au x au tres hé ritiers du de cujus. (1)
(( Pareill em ent,jl n'es t pas dù de rapport pour
>i les associations faites s ans fraude entre Je
)) défunt et l'un d e ~es hé ritier s, lors qu e les
>l condition s en on t été r ég lées par un acte
>l authentique. i> (art. 854) Deu'<. conditio ns
sont ex igée :
1°. Il faut que l'assoc iation interven ue e ntre
l e défunt et l'hériti er nit é té faile sa11s fraude .
Quel pe ut être le véritable sens de ces expressions? Suivant Aubry e t Rau, ces expression s
ont trait à certain es c la uses qu i, s an s être ill icites, s'écartent cer>end an t des règles d 'équité
d'après lesquelles se dé Lermin enL d'ordin ai re
les droits respectifs des associés. (1v § 631 ) Si
t elle é tait la pensée ùe la loi ell e ne ferait q u'exprimer une règle que pen::;onne ne contes te, e t
el le laisserait s u pposer qu'on a réglé clifîére mmen t les e!Tets d'un e as oc ialio11 s uirnn t qu'ell e
interYient en tre le de cujus el son s uccess ib le o u
(1) Basna.ge en donnait pour rai son que ce contrat était un
de ceux qui causent le plus soLwent de h1. bro11illr riP dnns
les famillPs. (Sur l'art H4 Cn11/ IVormanrlir)
-
1:;9 -
entre étrangers . - D'autres auleurs exagérant
le sens du mot pareillement ne voienl dans ces
expressions q u'une re production pure e t stm ple
du prin cipe posé dans l'artic le précédent, à
savo ir que l'associa lion comme tout contrat ne
doit présente r auc un avan t::i.ge i.ndirect(DE~IOL.).
Mais celle exp licalion n'est P.Oint admissible
puis qu'elle ne lient aucun compte de la double
co ndition édic tée par l'art. 854. A notre avis,
en parlant <l e fra ud e L'art. 834 a voulu prévoir
le cas oü une atteinte aurait été portée aux lois
sur la réserve et La quotité disponible, (TouLLTER
1v, 474) e t c'e t à lor t qu'on a contesté cette
relation entre l'objet de l'art. 854 et la matière
cle la r éùuction, puisque l'art. 844 \'ise bien une
dispos ition de ce genre.
20. Les condiUons de l'association doivent être
r églées par 1rn acle autl1enlique. Le but d'une
p areille exigence es l facile à sai::;Ù' : la loi a
voulu que les héritiers du cle cujus fu~sen t toujour s à m è me de g'éclairer sur les clauses de
l'a<:te ù'as.::;ociation. Il a donc fallu préve'1ir le
danger de la suppression de cet acle, el c'est
avec raison qu'on a ex igé l'authenticité , toute
autre formalité comme celle de l'enregistrement
ne po uvant remplir le m ème but.
Si la octé té est commerciale, le~ partle::.
pcuvt'nt a'oir corn,ta lé \'association par un .act~
so u~ ~cin p. prin' e t en arnir r églé ln pnbhc1tf'
�-
1
/
1()0 -
conformément à l'art. 42 du Coùe de commer ce.
N' }' a-t-il pas là anlant de garantie que dans
l'exis te nce d 'un ac tC' a uthe ntique , e t ne doit-o n
pas dire, dès lors , C)tle la première conditi on ser a
seule exigée pour qu'il n 'y aH pas lien au ra11port ? Des au le urs l'ont soute nu , mais leur opinion nous p arait e r ronée en présence du texlc
de notre article, puis que les prescrip tions de l a
loi commerciale laissent s ubs is ter le d anger qu e
nous avon s ignalé. ( A UD RY e t RAu § 36'1 )
Si , à l'inverse, le::; parties ont observé le~ di pos itions de l'arL . 8t>1, sans tenir compte dei::
formalités ex igées par la lo i com mer ciale, l a
nullité de la société pourra évidemment ê tre
demand ée pa r les a ntres h éritiers, m ais celle
nullité, s'il s la fo nt p rono ncer , ne le ur sera d'au cun profit puis que l a jurispruden ce n e lui faiL
produire d'efîe t que pour l' aYenir (Cass. 16
mai 1859. - BRAV.\ RD-V1mR. Dr. com. r. 1ü3.)
Quelle sanc tion entrai ne la violatio n de l 'art.
854? Nous ne dirons pas avec Duran ton (v rr .
341) que l'article ne prononçant aucu ne san e tion, sa violation aura pour eITet d e faire prés umer , jusqu'à preuve d u contr aire, l 'avan tage
ü1direct, auquel cas l' héritier d evrait établir q u e
l'associa tion a été sérieuse. La d isposi tion cle
cet a rticle est cles plu s impér a li,·es e t l 'inobservation d es form alités qu il prescril nou s parJi l
devo ir enlr::ti ner ln nnllit<'· cle l'ac le de sor iét(·
-
H\1 -
Dans cc as l e~ coh éritie rs feron t le co m µte de
Lous les profils que le s uccessible n retirés de
l'associa tion , e t obligeront l'héritier à en r appor ter le montant. Cette s olution , géné ralem en t
adoptée par lef-1 aut eurs, est aussi celle de la
juris prude nce. (Paris, 28 déc. 18.54. DEVILL. 55. 2.
:144 - Cass. rej . 31 d éc. ·1835. DEv. 56. 1. 200) Il
es t du r este bien entendn que le s uccessible
soumi s au rapport pourrait réclamer une indemn ité à ra ison des so ins qu'il a donnés aux afTaires sociales et que bonifi cation devrait lui è tre .
faite ùe l'intérê t des sommes versées à la soc ié té. ('1 )
A propos cle l'objet du rapport nous <leYons
s ignaler quels son t les aYan tages qui, par leur
n ature on par la rnlon ll! lle la loi, n'y sont pas
s oumis. Les artic les 852 e l 85û en clonnen t de$
exemples. On n'est pas d'accord sur le mo lif de
ces exceptions: Duran ton veut~' YOir une appli cation rlu prin cipe élahli pa r l';'lrt. 203 qui sou( 1) En général ln Con r de cnssation se montre très large dnn-:
rappréciaticm d('~ soins donn és par ra~socié. elle l ui n mrm<',
dans un cns spccinl, nlloué à titre cl indcmnitc la totnlité Je.:.
hénéfices qu ' il :\\nit retiré,, (Cass 17 noùt 186\ D e dll . h'i
1. 1 21) Mais cc r r::.ultnt était <li1 i1 certaines circoMtnncb
pnrticu licre!'I nu prücè ~ L oc jus t" limite a l'tc posl'l' pnr la
Cou r d'A ix (H nHil 1858 TlcyiJI 'î9 2 :li') Cet nrri-t lh•
l"in<lcmnit1• a un ta11x infr1·11•111 n1\' henC'tirc~ mnis ~11pliri,.11r
nn ~nln1rr 1\'nn c•o111mts
�t62 -
met les père cl m t\re à l'obligation de nourrir,
entretenir et élever leur enfants ; ces frais ne
doivent donc pas se rapporter puisqu'au liell
d'un 'avantage procuré il y a une dette acquittée .
(CHABOT sur 852. - DELVrN. II. 119). Cette interprétation fort juste en droit romain oû le rapport n'avait lieu qu'en ligne directe descendante
est aujourd'hui rendue in complète par l'extension de l'obligation du rapport à tout héritier
quel qu'il soit. - Il es t égalem ent inexac t <l e
dire que les li béralités dont il s'agit se pre nant
sur les reYenus ne doivent pas ê tre ra pportées,
puis qu e la dispense dn rapport subsisterait
alors même que ponr acquitter ces frai s le
dé funt eût été obli gé d'entamer son capital.
CDE).10L.) Suivant non s, les motifs du rapport
n'exis tent pas ici. Les d épe nses de l'art. 852
confèrent certain e ment un anmtage souYent
très-série ux à celui pour qui ell es sont faites,
m ais on ne pe ut pas Llire qu'elles diminue nt
la fortune du de cujus pour e nri chir d'autant le
patrimoine du successible. (AUBRY et RA u § 63 1.
- TO U LLfER lV . 478) (1)
L'art. 832 ne so ulè ve que ùes difficultés d e
fait dans lesq ue lle l'intention du tes tateur pourra
(Il On discute la ques tion de savoir si les avantages que
rart. Sil~ dispense du rapport tombent sous le coup de J'nr tion en réduction . (fümcy, to jnnvicr 11130. D~:v11.L 30 :! . 21<1
-
(
(.
DE"-•A:-iTR
nr
1ss 11i ~
l
-
163 -
se d éduire des circonstances . L'artic le c lasse
en première li gne comme étant dispen sés clt1
rapport les frais de nourriture, d'entretien, d 'éducation . Ces expressions indique nt assez par
el les-mêmes le sens que la loi y attache pour
qne nous ayon besoin de nous y arrêter. Il
importe toutefo is de ne pas confondre ces dépenses faites ponr l'enfant avec les frais déboursés pour so n é tabli sement ; ces dernier en
eITe t sont s uj et à rapport (851). Ainsi l'achat
de li vres nécessaires aux é tudes constitue une
dépense d'éducation ; de même des frai cle
voyage faits par le père pour compléter l'in trulltion de so n !li ; <c car les \'oyages sont
» aussi, de notre temp::; surtou t, un moyen et
>> des me illeurs d'éch1cation et d'instruc lion. 11
(DEMOL.) On doit également c lasser parmi les
frais d'éduca tion les tlépen es faites pour l'obtention des différe nts grades dans le facu ltés
libres ou de l'Etat, ans qu' il y ait s ur ce point
aucune dis tin c tion t\ faire, comme dans l'an cien droit, entre le gr ade <le licencié et celui
de docteur , entre le doctorat e n droit et lP
rloclorat en m édecin e. Les frais d'apprenlbsage élaien t déjà dans l'ancien droit rt bpen~és du rapport. L'art. 832 excepte aussi le.._
frais d 'équipement qui sont les frai d'éq11i11a!J•
cl'11n e11fc111/ qu'on enuoic c111 sr•n•icc . Nou y a.ioule r ons les frai~ ck no ce <' L prt'.>~ents cl'u~ni:zP:
�t1
16\ -
ce sont, disait Bourjon , pures blenséan ces qne
» l'ascendan L observe plus pour sa propre satis -
)} faction que pour enrichir le des cendant. » (J)
« Les fruits et les inté rêts de choses sujet)) tes à rapport ne sont dus qu'à partir du jour
» de l'ouverture de la s uccession. » (art. 8G6)
Il résulte de cet article que les fruits perçus
durant la vie du donateur ne doivent pas être
rapportés. Cette dis pos ition es t exceptionnelle
puisque l'art. 843 soum e t au r apport toutes les
libéralités émanées du de cnjus, et que les fruits
constituent évidemme nt un avantage indirect;
mais elle est fond ée s ur l'intention présumée
du de cujus qui n'a pu You loir que le donata.ire
dùt capitaliser les fruits cle la chose pour l'es
rapporter . (2)
Ain s i l'obli gation du rapport nait quant aux
fruits dès l'ouYerture cle la success ion ; ell e a
li eu de plein droit e t sans demand e en jus ti ce.
(Cf. art. 1473-181.B) Le principe es t clifTéren t en
cas de réductlon . Pour que le donataire cloi,,e
les fruits à partir de l'ouverture de la succes(1) Si le de CUJUS n'ait formellement soumis au rapport les
frais que rart. s:;~ en dispensr, sa volonté devrait être resprctée; il y a lil une condition fort licite apposée à la donation .
(2) Pothier, sur l'art. 309 de la cout d'Orléans, donne de ce ttr
disposition une raison plu!; subtile que juste : a on ne rap
porte, dit-il , que cr qui n été ùonné , or les fruit~ n ont
point r tr <ionni\s au illlCCessihlc par Il' rJonatcur o
(
-
I G:; -
:;io11 il fau t que la ré<.luctio11 soit ùen1a11dée pal
les llérilie rs à réserve dans l'an née llu décès;
dans le cas contraire les fruits ne so nt dus que
du jour de la ùemande. (art. 928, 1153) Cet te
difTére nc..;e se comprend aisément : l'héritier
donataire qui vient à la s uccession du de cuju.<>
ùoit s avoir que la donation qui lui a été faite
est sujette à rupport ; il devra donc tenir compte
ùes fruits par lui perçus postérieurement au
décès du ùonateur el considérer la chose donnée co mme un ùépôt. A la différence de l'héritier, le donataire étranger ne connait pas
nécessairement, dès le décès du donateur, les
obligations qui lui sont imposées; pour sarnir
s i la libéralit6 doit ê tre réduite il faut d'abord
évaluer les forces de la succession et ce n'est
souvent qu'après de longs tàlonnements qu'on
parvient à découvrir que la q uotité disponible a
é lé exc6dée. L'in action de l'héritier réservataire
pendant un an est donc de nature à faire croire
aux parties intéressées que le de cuj11s est resté
clans les limites de la loi, et cette crovance
s nfflt pour le faire considérer comme pos:::;e seur de bonne foi et le dispenser de re~tituer
les fruits perç u au térieurement à la demande
en réduc tion qui n'aurait pas été faite Jan~
l'année. (1)
1) Cette rcgll' a
été contestel' pl\r nn arr~t de la Cour 11
�-
.,
(.
166 -
IG1 -
La mème sululion doit être alJpliquée aux
Pendant la vie du cle cu,jus l'hé ritier don a taire
ajoui cle L'obj et donné co mme un usufruitie r ;
on se réfèrera donc a ux règles ad mises e n matière d'usufruit pour fixe r la part des fruil perç us que le don ataire po urra garder, e l celle qni
sera s uje tte à rapport. (ar t. 585-586.) Pour Ia
même raison , le donataire d'une rente viagère
ne sera pas pl us te nu de rapporter les arrérages de cette rente que l'us ufruitier n'es t obligé
de les restituer (art. 588); cette décision s'app li que également au,\. rentes perp6Luell es, (art. 530)
e t à celles du es par un Liers au défunt on que
ce dernier s'est engagé à servir. ('I )
' i La donation avait porté ur un usul"rni l , le
c.Jonataire n'aurait pa s à en rapporte r les produits (Cf. art. J5G8); ù mo in s que le donateur
n'ait entendu donner les revenus de l'us ufrui t.
bénéfices que le s uccessible a retirés pendant
la vie du défunt, du bail à vil prix consenti par
le de wjiu;. (1) Il serait étonnant, a-t-on dit, que
les b énéfi ces résultant du bail fussent sujets à
rapport alors qu'on n'y so umet point les fruits
que procurerait au successible l'usufruit de ces
mêmes imme ubles. La loi ne peut pas se montrer d'autant plus rigoureuse que l'avantage est
moindre. A notre avis ce motif n'a rien de juridique ; nulle part, en effe t, la loi n'a subordonné
sa décision à l'importance plus ou moins grande
de la chose à rapporter. Il nous parait préférable de déduire cette solution de l'art. 856 combiné avec les d istinctions que nous avons
é tablies s ur le rapport des avan tages indirects.
(Montpellier, 4 juillet 186:-S. - Sm . 66. 2. ·186). (2)
Bastia (.29 juin 1851 . Dai. 58 . :l. . 65) d'où nous extrayons cet
étrange considorant : «Attendu qu'on n e comprendrait pas
que l'héri tier donat1tire déja avantagé par l'effet de la donation
ou du tes tament dO.t l' être en"ore par la faculté de faire les
fruit siens jusqu'au jour de la demande et qu'en défin iti ve,
l'héritier qu i peut intenter l'action en pétition d'hérédité pendant trente ans n'eût pas le mème droit pour la répétition
des fruits et revenus ..... »
(1J On a mit d'abord YOulu refuser au donataire le droit <le
réclamer apres la mort du de cu;us les arrérages échus et
non encore paséi:. ; mais la jurisprudence a rejeté cette distinction. Toutefois la prescription de ci nq ans dr l'art . .l2i7
devrait s'appliquer a ce:-; atTPrages
( 1) Il est bien évident que l'avantage résultant du bail
cessera pour l'héritier li la mort du de cujus. Il y aura lieu,
suivant les circonstances . a la résiliation du bail ou à une
augmentation de prix.
('i) Lorsqu'une personne a contracté une a:>surance ur la
vie payable apres sa mort à l'un de ses hérit iers, il doit être
fa it à sa succe.;sioo rapport du benefice de l'assurance . .Mais
l'héritier devra-t-il rapporter le montant de primes payees
a la compagnie ou l'intégralité du capital qu' il aura t ouche'?
Cette seconde solution doit être preferée parce que la donation a eu pour objet non le montant des primes, mais bien
un droit éventuel li tout le capital, droit qui doi t être répute
pur e t s imple par l'accomplissement de la conJ 1tion. 1 B e~an-
�-
168 -
-
Il a é té aJrrn s par la Cu ur Lle Cassation , IU
juin 1852, l(Ue les tribunaux pe u\'etll ordonner
la compensation , à compter du jour de l'ouvert.ure de la s uccess ion , des fruits e t des intérê ts
de diverses valeurs qui seraient rc pec live ment
sujettes à rapport .
RA.PPORT DES DETTES
•1
ous avons vu que le Code qualifie de r apport,
l'obligation de tenir compte à la masse lléréclitaire des sommes dont l'un des cohéri Liers p eut
se trouver débiteur envers le de cujus. Le Code
ne renferme que l'art. 820 qui ait trait à celle
matière : « Chaque cohéritier fait rapport à la
i> masse, s uh·ant les règles ci-après établies, des
>> dons qui lui ont é té faits , e t des sommes dont il
» est délJHenr 1) Il ré~ ulle de cette dispositiou
que la loi , en renvoyan L aux art. 813 et s. pour
les r èg les du rapport des de ttes, a entendu ass imiler ce rapport à celui des donations entre\'ifs; nou a urions pu , à la rigue ur, com prendre
cette clouble théo rie dans un e seule et m êm e
c:ou, 1:.i drc 1869 D.11.. 70 2 9;;. Paris 1 A H ll 1867. D AL 67 ~
:rH ,
Y rn sens contrair"
Ili!!-
é twle, mat::> le:. dl; lic;ale::i Lfue~ tiom; 1p1e le rapport des Llclles lail naitre e t :rnrlout le besoin cle
clarté s i néccs~aire à la solution cles difficul tés
qu' il prO\'Oque nous on t paru exiger pour chacune de ces matières un examen séparé.
Nous examinerons trois points principaux :
A. Quels s on t les motifs qui ont fait appliquer
aux dettes l'obli gation dn rapport '?
B. A quelles dettes cette obligation s'appliquet-clle '?
C. Que ls son L les e lTet <le ce rapport?
(A). Les a ute urs de droit t:on tumier avaient
J éjà appliqtté aux. dettes l'obligation du rapport;
ils s upposa ient Louj ours qu'un père prête à son
fils une somme d 'argent , e t ils basaient le
rapport s ur ce que le père e n n'exigeant jamaL
le remboursement, ~a vie durant, avait voulu
a\' an tager son fils . .'.\. ce motif donné par no
anciens auleurs on p eul ajouter que quand une
masse est à partager entre plusieurs cointéressés et que l'un d'eux e t débiteur ù'une
so mme commune, les autres ont Je droit d'impute r s ur la parl qui lui r eY ient la portion qu'il
dé tien t déjà: urrnsqiûsque siui solueudo t iclctur, cl
quocl ad sr alli11 et, diues est. (L. C).2 . Dig . ad. ley
Falcicl .)
1
l l3) . Celte l1ypothèse d' une
omme prèlée par
11
�-
110 -
un père à son fil s, que les au le urs undens prenaient toujours pour exemple, a servi de g11id e
au légis lateur dans la rédac tion de l'art. 829.
Aussi devons-nous ad mettre sans difficulté que
toute somme prêtée dans l'intérêt clu s uccess ib le ou avancée à titre de ges lion d'affaires sera
sujette à rapp01·t ( l). Mais la ques tion doit ê tre
généralisée et l'on doit se demander s i L'ar l. 829
s'applique à toutes les clelles du s uccessible
em·er s le de cujus quelles qu'en soient d'ailleurs
les causes différentes.
Ainsi posée, la question se dédouble et une
distinction nous parait nécessaire. Si le prêt a
été fait au successible dans so n propre in térèt
ou si, plus généralement, Je co ntrat a été à titre
gratuit, l'obligation d u rapport ne saurait faire
de doute. 'Il y a dan s ce prè t un avan tage fait ù
l'héritier que les coutumes soume ttaient déjà
au rapport et qui tombe sous l'application direc te
des art. 829 et 843. Ces di spos ition s devro nt être
suivies malgré le terme dont pourrait ê tre aITectée La dette el qui, en l'espèce, constitue luimême un avantage rapportab le.
Mais de gra' es ùifOcultés s'élèvent rela lfreinent au rapport dans le cas où le con tral qui
(1) La légitimité du rapport des dPt,tcs avnit si bien été
reconnue dans l'ancien droit qu'on finit par l'appliquer môme
en ligne collatérnle
(.
-
l ïl -
a donn é ll a l:-.:->èllll~e à la ùe lle ü été rait dam• le
se ul inl<~ rè1 llu tléfunl Les anciens auteur ... sont
mu ets s ur ce tte seco nde partie ùc la question
et on ne peul argumenter ùe leur s ilence ni
dans un sens ni ùans l'autre. - Ce silence s'explique cependant par ce fait <1ue le prèt à intérêt étant LH'ohibé dans l'ancien droit, l'll ypothèse
prévue par les auteurs était toujours celle d'un
contrat à titre gratuit. - La solution de laquestion doit donc ê tre a ujourd'hui uniquement
demandée aux. principes qui régissent la matière. Pour exiger le rapport de J a dette dans cette
hypothèse, on s'est prévalu de La générali~é tJes
terme Llc l'arl. 820; ce t article, a- t- on tlit, est
absolu el en dis posant qu'il est dù rapport des
sommes don t l'héritier est débiteur, il semble
bien écarter la disLin clion qu 'o n ,·o udrait étab lir
entre les différente:-i classes d.e det tes. Ain l
dans le cas cl' un prêt, commen t as ... imiter ce
conlrat à un e donation? Quelle que , oit la pnrtie dans l'intérêt de laquelle le prêt ail é té fait,
tiue des garanties aient élé accordée e~ de~
intérèls s tipn lés, un prèt n'a-t-il pas touJOUl'h
pour cause principale une somme c.l_'a,1:geot qu'
l'nne des parties reçoit et qu'à la c.l tllerence de
ce qui a lieu en matière de donation elle ~·c 1~
gage ù res tituer'? Or qu'est-ce que cette re~t.l
tntion ino11 un rappor t, puisque entre colw1 lLiers rendre c'es t rapporter ·: Le ::::.ncre sink . . ern
�-
172 -
donc tenu Jan~ tous les ca::- Je l'oliligalion du
rapport qui se fera toujours de la même ma_
nière. (LABBÉ, Dii rapp. clcs dettes)
Nous ne saurioo~ partager celte nrnnière lle
voir qui nous paraît aussi. co ntraire à l'éqnit "
qu'à l'esprit qui a d icté les Llispositions du
Code s ur les rapports.
ious avons déjà répooùu à l'argume nt
tiré de l'art. 829 en r appelant que cet article
était la fidèle reproduc tion d'une disposi tion
de l'ancien droit. En ce qui concerne la seconde objection nous répondron s que si tout prêt
a pour cause une somme d'argent sujette à
restitution , le caractère cle ce con tral peut.varier
avec l'intention des parties; te lle somme aura
été avancée par le défnnt pour venir en aide à
l'héritier, et tell e autre ne l'aura été que parlie
que le de cujus. aura trouvé;: un 'tbo n ~ placement
de son argen t. Dans les deux cas c'est toujours
un prêt qu'on a voulu faire ; mais la natllre de
chacun de ces contrats é lan l d ifîéren le, il est
juste que les efîe ts qui en déco ulent ne soient
pas les mêmes. Ainsi la ques tion posée donne
lieu à une dist inction, c l il y aura toujours une
appréciation à faire de l'intention du de cujus
q u'on déduira des circo ns Lances parlic ulières
à chaque espèce.
L' hypothèse d ' ui1 prê t n 'e~ l évidemment qu'un
exemple et la décis ion qui prérMe devra ètre
1î3 -
appliquée Luu tcs les fois que l'héritier sera
débiteur en vertu ùe contrats inlervenns de
bon ne foi enlre son auteur e t lui, et qui n'auront
présen té, au moment oü ils ont eu lieu , aucun
avantage indirect. (art. 853) (1).
Il faul faire un e res lriction pour le cas où la
dette de l'h éritier résultant d'un contrat à titre
onéreux sera it déjà exigibl e à l'époque clu décès
du cle cujus ; il ne pourrait alors êlre question
(le rapporl , mai il y aurait lieu à un Yéritaùle
paiement qui devail ê tre effectué pour l'exacte
déterm in ation ùe la part afférente à chaque
cohéritier.
Quelle innuence exercera le décès du de cujus
créancier su r une dette à terme dont l'écltéance
n'est pas encore arrivée? Suivant la distinction
précéùenle, s i la convention conclue entre le
défunt el son s uccessible est intéressée, ce
dernier po9rra opposer aux autres cohéritier
l'exception du terme qui lui a élé accordé par
le créanci er. Le terme qui affecte la dette ne
( 1) ~ Toutes les fois que Je défunt, au heu d'~~e~cer u~e
• libéralité en vers son enfan t, contracte avec lui a titre onereux, lui ot ses héritiers doivent, comme tout autre conIls rentrent
• trnctnnt, en subir toutes Je:; cons~quence
., alors dnn~ Ir droit commun ~ (Rapp. de hl le Cons
Lasngni, ('ass. rc11 H aoùt 1 8~3 Cette reflexion du ~a:nnt
mag-i,.;lrnt c:<l dune ~l'an 1 lt' nutontc rn fnveur tlo ln d1 tinct1on 1]\lP nO\h
a\ on" ,.;ou tenue
�-
17~ -
constitue pa~ un profit que lù débiteur relire
ùu con trat (DE~J OL.) C'est un modus de l'obligation qui doit produire touL son effet, et dont la
loi ne prononce ln ù échén nce que sous certaines conditions. (Art. 1180-1913 C. c., 14/t.
C. co.)
C'est encore à l 'a ide ùe la m ème ùistin c lion
qu'on affr~n chira du rapport ou qu'on l 'y soumettra le capital con lre l 'ab andon duquel l e
uccessib1e a constitué une rente perpétuelle
au profit du défunt. (Art. 1909 ; con ltà Aunrw
et RA U § 627) ( 1)
Mais l'obli ga tion du rapport es t-ell e applicabl e
aux dettes dont un héritier peut être tenu enrnrs ses cohéritiers pour des causes postérieures
à l'ouverture de la succession, par exemple pour
la Yaleur estimative d'objets dont il est demeur6
en possession , ou pour la valeur de fruits qu'il
a r ecueillis sur l e. biens hér éditaires depuis l a
mort de son aut~ur. Il faut sans h és itation appliquer à ces difTérent es espèces les règles du
rapport ; il es t vrai que le Code dans l 'art. 138
parait avoir rej eté l a maxim e romaine: Frnclus
augent hœreclilate11i (L. 20, Dig. De hœreclil. petit. )
qu'on inrnque à l 'appui de celle thèse, mais il
est facile d e r épondre à cette objection en faisant
(1) Si 1 heritier renon ça it a ltl succession, il serait autorisé
à continuer la prestati on de la rente
-
175 -
remarquer t1nc ~i le Code t:lvil n'a pa8 adopté
toutes les conséquences de la m axime romaine,
on ne saurait conclu re de L~t <J.U'il l'ait complètem ent abrogée (1).
Cette m ax ime, sanr le cas spécial prévu par
l'art. 138, tl oil au contraire être encore suivie
aujourd'hui dans toutes les hypothèses où .il
s'agit de déterminer la consistance d'une héredi lé. (Cf. art. 1005-1697 . - D EMANTE Hl 162 bis
- Agen , 27 aoù t !8GG. - Grenoble, 10mars1864.)
Chaque héritier est en ou tre tenu de commnniquer à ses cohéri tier s les profits qu:il peut
aYoir retirés en traitant avec des créanciers ou
des débiteurs de l a succession ; en se rendant,
par exem ple, acquéreur pour un prix .i 1~féri~ur
à sa valeur nominale d'une créance de l heréd1té
(2). Ce point de clroit était déjà admis à Rom e,
(1 ) On peut d 'n.utant moins \e·sou tenir qu'il faut plutôt voir
dans l'ar t. 138 u ne exception à ln disposition de la~- 28 Dig
~ 3 0 Orm1e Luet um auferendum esse tam bonœ fidt>1 possPsson
:·quam prœdoni diccndum est » qu'une derogation ù la regle
l'ructus .
('l) Cette ren-lc nedoit pas être a ppliquee au bénefice resulti\nt
"' de l'exercice du rdra1t
· succ~sso.ra1, car, co mme
pour l'héritier
le retrayant, s'il avaitfnitune mauvais-a o-peratton, ne po~rrtut
contrai~dre ses coberitiers it en supporter la p~rte, 11 c,,.t
juste qu' il soit seul t\ bèneficier des profits, qu~m equuntu.r
rommnclci , ru111cl1·111 ''''/UI clt!x·/lt rncommoda .\OBR'> et R.H1 _ '
§ Gi l trr - ' •'\\ ;;cm; contr MEl\LI', llif1• ' 111'/r ~11n ~ 1 l
�-
lîli -
el la L. H>, J)ig . /<1111il. ei·cis. 10, 20, portait
Pto -picuc debel judl'.l', ul <JUOd 1wus c.c hœl'ecliûH s
e.~· te lt cueditariâ Jl t'l'c1'pil, stipulalust1e est , 11011
ad ejus sol i1u~ lue nt 111 perlin ea l. (Cf. L. uli . Dig .
de leyatis).
A propos des cleLtes soumises au rapport, il
nous reste à exo.rniu cr l a question de savoir s 1
J'hériLier peut profiler des causes de libéra tion
qui ont amen é l'ex tincLion de soli obligation . Il
ne peut y avoi r aucun <loute ni pour le pniemcnl
à la suite duquel la ùette a été éteinte, ni pour
la remise consen l ie par les créancieri; <1u1
con titue un avantage rapportable . ( 1) Le c1iff1(1) Quel est l'ett'et, quant i1 l'obligation du rapport, d 'une
remise rés ultant d' un concordat apres faillite? (Art. 507 C.
co.) .O n a soutenu , s ur cette question, des systèmes tres-cl ifforents. Pothier ex igcnit dan s tous les cas le rapport de la
partie de la <lotte que le s uccPssiblA n'avait pas réellement
acquittée ; il basait son opinion s ur ce qui a"ait li eu dans
l'ancien droit confirmé par l'art. 829, et prétendait prouver
quP ln dette du failli est plus qu'une ùctte naturelle en fuis~nt remarquer que jus qu'à l'acq nittement intégral d e cettr
dette, le failli est atteint ùe certaines incapacités. Demolombe
et Aubry et Rau résoh·ent la ques tion à l'aide d 'une distinc tion:« Quand il s'agit <le véritables prêts ou de placements dt•
4 fonds faits par le dMunt dans son intérêt , il ne peut être
v question de soumettre le s uccessible au rapport du mon' tant d<' la remise, lorsqu 'a u contraire il est question d 'nrnnce!> faitci;. rlau ,, l' intérùt <111 o;ucce!:.;;ihlr l'a\antal?C' q111
n;~ultP cle C'f''( a('f P"' r~ t rlr i- n natun., "'llj"t at1 rnpport, Pt
-
117 -
1·111lés ne s 'éll>venL qu'à propos de la prescription . Un arrêt de Paris du 6 mai 184û (Dai. l.t-6
2 . 131-) a décidé d'une m an ière générale que
l'IJ éritier dé biteur é tait so umis au rapport encore
que la de lle fûl prescrite à l'époque de l'ouver-
»
Je successible qui des le principe s'y trouvait éventuelle-
» ment soum is vis-à-vis de ses cohéritiers ne pourra pas,
n
pour s'y soustrnire partiellement , se prévaloir de la remise
» résultant du concorùat. » (AUBRY et RAU§ 631. Req rej 11
av ril t850 . - Sir. :,o 1 510.)
A notre avis, ces tleux systèmes doivent être egalement re_
jetés et la distinction faite par Aub ry et Rau, qui noue; a servi
de guid e dans la plupart des qu estions qui se sont file\ ees 11
l'occasion du rapport d es dettes, ne n ous paraît pas pouYoir
trouver ici un e juste ap2lication La raison s'en tire deo:.
regles exceptionnelles admises en matière ùe faillite . uivant J'nrt. 8~9, en effet, le rapport 11'est dü qu e d es dons 0 11
d es sommes dont l'héritier est débiteur ; or la remise résultant du concordat ne peut constituer un don puisqu'au lieu
d'ètre consentie ar1imo domini, elle a lieu ex w>cessitale; el le
ne rend pas egnlcment le failli débiteur de ses créanciers
puisqu' il n'est tenu que d' une dette naturelle qui n'est garantie par aucune action ci Yi le et que d 'ailleurs " ln monnaie d1·
, faillite, de mau' ais aloi en momie indh·iduelle, est frapvl-c
,. par la loi com mcrcinlr. sous l'empire de la nece~:.-ite, i1 un
,, titre qui lui donne le même cours que ~i elle était monnaie
n véritable v (R ENOU \RP) Ainsi la partie de la det te rcnu"'l'
au failli pnr s uite du concordat n ctant ni une sommr pr~tê1·
nt unr .;;ommc clonn re échnppc a lappli cation de l'art · 2'1 rt
n ·r~ t point so1un1"c au rnpport
�-
17
-
tnre de la s uccession ( 1) Ce tte d éc is ion e t
trop absolue ; ell e s'expliqu e aux yeux de ceux
qui coo ~ id èrent la prescription comme uniquement fond ée s ur la renonciation du créancier à
ses droits , (TnOPLONG, Prescr. 11°1 . - DURANTON,
XXI , n• 89) e t il es t naturel qu'en donnant à la
prescription une te lle bas e philos ophique , on
s oit conduit à la décision c ritiquée. Mais cette
jurisprudence devient diffic ile à expliquer dans
les cas fort no mbreux où le moyen de la presc1iption , a u lie u de ·s upposer un p a ie ment
préexis tant dont le tilre ne serait pas représenté par le débite ur, inte rvi ent au contraire
pour protéger ce débite ur contre la r épé tition
tar diYe d' une de tte ancie nn e, peut-être m ême
d éj à pa yée un e première fois. On peut obj ecter ,
il es t n ai, que di s penser l' héritier du rapport
en cas de pre c riptjon , c'es t ouvrir une issue
aux avantages indirects, m ais cet inconvénient est peu tl redo uter quand o n a pplique à
toutes les questi o ns ùe ce gen re que fait n aitre
le rapport ùes tle ltes la d is tin c tio n précéde m m e·nt é tablie en 1re le. <.l iIT6ren tes obliga ti ons
cont rac tées par l'hé ritie r , e t qu'on cons idère
·urtoul qne dans l'l1 ypo lhèsc où il y a lieu il
11 Y en sen" contra tn• nn arn• t <le Il\ cou r de C1rcnohl e cln
18 aoùt 1 8 ~ 5 - (Dnll Hi 2 13:> )
1 apport
1'79 -
un laps cons 1ùérable de temps est n é<'essaire po ur é teindre la de lle
L' assimilati o n établie p ar l'art. 829 entre les
s ommes données et les sommes prêtées doit
rendre appli cable. aux s ommes dues par l' un
des s uccessibles a u défunt ou à l' hérédité tou s
les eITets du ra pport des donations entre-vifs.
Ains i les dettes seront exigibles à compter
du jour de l'ouve rture de la s uccession (art.
850) ; s i la so mme à r apporter par l'héritier est
plus forte que sa part héré1litaire, nous pensons
qu' il faut laisser à cet effe t toute sa rigoureuse
éte ndue en adm e ttant la déchéa nce ùu terme
même po ur ce t excédan t. (En ce sens D E~IO r,
Suce. 402. - co11li'à L ABBÉ op. cil. page 508.)
De même ces dettes produisen t des in1érê l~
dès le jour du décès au taux légal et ordin ai re ;
c'es t un à.e ces cas où les intérê ts co urent de
plein droit e t san . dem ande en jus ti ce. (Cf.
art. 1473 et. 1840).
Enfin l a part de l' héritier da ns la s uccession
ser a afTectée à l'acquilte me nl de sa delle, cle
telle sorte •que ses cohéritiers auron t le ùroi l
d'en imputer le mo nlanl sur la part qu i lui
revient. Ce tro is ième e!Te t, contre leq uel l' ll éritier débiteur ne peu l é le\ er aucun e prétention ,
a é lé vivem ent contesté par les cr éanc iers tlc
c·et 1J éril1 er . Ce m olle tle pro ·éder parait , en
effet , êl ll premie r abord le ur causer un g 1 <n·e
�-
"
f
(
180 -
prejudice, en ce qu' il a ntorise les c.olié ritie rs
du débite ur, par préfé re nce à e ux, à se payer
s ur les bie ns héréditaires, e t semble ain s i
adme ttre e n ·rave ur de ces coh éritiers un privilége que la loi n'a nulle part é tabli. Mais ce
résultat n'a, a u fond, rien de choquant ; il n 'es t,
au contraire, que l'application pure et simple de
la marche indiquée par les articles 829 e t s.
pour procéd er au partage des forces d' un e S ll Ccession . En imputant la de tte de l'hé ritier s ur
la part qui ~ lni revient, les cohéritier s agissent
non comme créanc iers du débiteur mais co mm e
copartageanls, e t la preuve s'en tire de ce que
la loi le ur perme t de prélever s ur la masse des
biem; e n n ature pour sè re mplir de la part it
r apporter . << Telle é Lait an s urplu s la m anière
n de ,·oir de nos an c iens auteurs coutumie rs;
>' e t c'es t évide mm ent d a ns le but de la san cl> tionn er que les r édac teurs du Code ont, dan s
» l'a 1·t. 829, sou mis c haque h éritier à l'o bligation
•> de rap porter non seulement les don s q ui lui
11 ont été• faits m ais e ncore les sommes don t il
Il e. t dé bite11r. )) (AUBRY e l !Lu; § ·02~)
Le ra ppo rt des de ttes es t so umi s au x rtgles
g0 n t'•rales des arl. 84B et s .
.\tn ~ i l'li ériti er déb ite ur ne sera te nu de J'obl ig:ali on d u rapport que s' il \' ien t util e me nt à la
sncce!".sion . S<1 renon cinli o11 ne peul 6vid e111mc nl avoi r po ur bu l <le le li lll'>rc1·; il 1;Ct a Lo u-
-
181
tenu de la ue tte, m ais il Ùe\ ra etre lra ilé
comme un débile ur ordinaire et' il joui ra dll
bé néfi ce du terme.
De mê me le père n'aura pas à rapporter les
sommes qui a uront ét é prê tées à s on fils, e t le
fi ls venant de s on chef à la succession du créa nc ier ne rapportera pa::; celles dues p ar son
père, à moin s qu'il ne vienne p ar r eprésentation ou qu' il n'en soit tenu en qua lité d'héritier .
La femme commune en biens qui accepte la
commnn aulé r apporter a, de l a somme prê tée
par s on père à son mari , une partie proportionnelle à ce qu'elle recueille dans l'actif de la
commun auté. Mais le mari serait seul s oumis
au rapport s i, lors du décès de son beau-p~re,
la communa uté durait en cor e ; à sa dissolut10n ,
il inlerviendrait un règle me nt de compte entre
la femme e t l es h éritiers du mari . Si le prêt avait
é té contracté s olidairement par la femme et le
m ari les h éritiers du p rêteur auraient action
pour' le tout co ntre chacun d'e ux; l'action ne
ser ait que de moitié s i la dette,· au lieu d'ètre
s~lida ire , é tah s implement conj ointe. (Cf. art.
1847. BE f\TAU L D, Qu est. de Cod. Nap . n•' 646. LABBÉ, op. ci l . n° 32.)
j OUl'S
�-
1g:t -
C HAPITRE
-
111.
COMMENT S'EFFECTUE LE RAPPORT.
Le rapport a pour but de remettre la suc)) cession au même état q ue si l'avantage s uj et
» à rapport n'avait pas été fait. » Deux moyens
pouvaient être employés par le législateur pour
attein dre ce but : il pouvait exiger la restitution
à la masse de la succession de la chose qui en
avait é té distraite (rapport e n nature) ou faire
imputer la valeur de la chose à rapporter s ur
la part de l'héritier soumis au rapport (rappo1·t
en moins prenant). CeP- deux moyens ont s uccessivement été emp loyés par le Code. (art. 858)
<<
SECTION J.
Rapport des donat ions entre-vifs.
Le Code dis tin gue, quant à la manière ùont
doit s'effectuer le rapport, en tre les donations
d'immeub les et relies de meubles.
183 -
(A.) Do11alio11s ll'immenbles. - En règle généra le
le rapport des immeubles doit se faire en nature.
(art. 859) Celui des meubles se fait en moins
prenant. Cette difîérence est ancienne; elle
s'explique par l'idée qu'on se faisait autrefois
de l'importance des immeubles (vilis mobilium
possessio), idée qui a laissé des traces nombreuses dan s le Code, e t par cette raison que l'égalité du part::ige serait blessée << si l'un des en» fants pouvait conserver de bons héritages
» pendant que les autres n'auraient que de
1> l'argent dont ils auraient souvent de la peine
>> à faire un bon emploi! » (PoTHIER.) Ces considérations ont aujourd'hui beaucoup perdu de
leur valeur par suite de l'accroissement de la
fortune mobilière e t l'on peut dire qu'en l'état
de nos mœurs modernes, le donataire satisferait
s uffisamment à l'égalité en rapportant la valeur
de l'immeuble qtü lui a été donné. Ce procédé
aurait le grand avantage de laisser le donataire
en possess ion d'un immeuble qu'il e;-;t depuis
longtemps habitué à regarder comme sien, et
serait très-favorable an crédit en évitant la
résolution de droits réels constitués ur le
fonds au profit des tiers. Quoiqu'il en soit, le
Code en a décidé autrement, et il nous faut
expliquer son système tel qu'il l'a établi.
Le rapport des immeubles dernnt se faire en
n ature, l'héritier clona.taire se trou,·e èlrc clébi-
�-
1 8~
-
leur euvers ses colléritiers d' uu eorp s certain
Plusieurs co nsé4uences se déduise nt de ce prin cipe.
L'immeuble qui a péri par cas fortuit el s ans
la faute du donataire n'es t pas s uje t à rapporl.
R es mnissœ aut perdilœ citrà culpam conferenU;
non ueniwit in collationem quia casus solel nocere
creditori (Peresius). Cette décision es t le corollaire de la r ègle posée dans l'art. 1302 1 d 'après
laquelle le débiteur d'un corps certain es t libé ré
lorsque la c hose a péri sans sa faute. Rappelons
que le cas fortuit ne serait pas s uffisant pour
libérer le débiteur s'il était précédé de quel que
faute de sa part sans laq uelle la perte ne serait
pas arrivée, si mollo non ipsius ciilpà is casus
inte1'venerit. (art. 1808.) - En cas d 'in cendie de
l'immeuble donné la responsabilité du donataire
s'appréciera d'après la r ègle générale de l'art.
'1137. On ne pourra faire dans cette hypothèse
ap plication des d ispositions exceptionn elles de .
l 'art. 1733 qui r end le locataire res ponsable de
l'ince nd ie, parce que cet artic le édic te une pr6somption légale qui ne doit pas ê tre é tendll e à
d'autres cas que ceux pour lesquels elle est faite.
(art. 1350.)- Le donataire ser ait égaleme nt dispensé de r apporter l' indemnité qui lui aurait é té
payée par la compagnie d'ass ura nces à raison de
l'in cendie . C:ette inde mnité n'es Lpas , en e fTe t, la
représentation cle l' immeu bl e in ce ndié; elle u
c
-
1s:; -
pom cause le paiement des primes s tipul ées e t
n'es t que l' ex(!cu ' ion du contraL aléato ire auquel
les cohéritiers sont restés abso lument é tran ger s
(1). - On a inYoqll é les' m êmes raisons pour
re pousser la demande des créanciers h ypothécaires qui vou laient, en cas d'in cendie de l' imm euble gre,·é, faire porter leur droit s ur l'inde mnité payée par la compagnie. (Cass. 22 aoùt
1842)
L'héritier donataire peut se trouver créancier
ou d<·biteur de la succession à raison des augm e n tation s ou des diminutions qu'a s ub ies
l'immeuble depuis la tl onation. La règle a s ui,•re
est fort s impl e : on do it toujours s upposer
que l'immeuble n'est jamais sorti d u palrimoine
du de cujus; la s uccessio n ne pourra pas s'enrichir aux dépens du donataire, et celui-ci ne
ùevra pas réaliser cl c:;; bénéftces au préjudice de
la s uccess ion . C'est ce tte idée qu'appliquent les
art. 861 ù 861'. Elle se retron,·e toutes les fois
qu'un propriétaire recouvre, par s uite d'une
résolution ex rrrnsd antiqud, un immeuble qu'il
ava it précédemm ent aliéné.
Le donataire a droit au remboursement de::-.
dépen ses ntiles; elles lui sont dues jusqu'à
concurrence cle ce dont la rnleur de l'immeuble
(1) La solution serait différente s i c·était le donateur qui,
l'IVUnt Ill donat ion, RYl'lit a:;sul'é rimmeuble qui Il péri
13
�-
186 -
se trou \'e augmentée au te mps du partage. (art.
86'1 .)
Les impenses nécessaire$ faites pour la conservation de la chose seront intégralement
restitu ées an donataire. - Celles d'entretien ne
donnent lieu ù aucune indemnité. Elles sont
une charge des fruits (art. 603); cependant le
donataire serait responsabl e s' il avait om is de
les faire et si l'immeuble avait souffert de cette
omission. - Les dépenses volupt uaires ne
donnent non plus lieu à aucune réêlamation .
cc Le donateur de so n cô té doit tenir compte
>) des dégradations et détériorations
qui on L
>) diminué h valeur de l'immeuble par son fait,
>) ou sa faul e e l négli gence. >) (art. 863) Ainsi
l'héritier donataire doit in demniser la succession quand il a négligé de réparer e t d'entretenir les héritages et bâtiments, e t qu'il en es t
résulté des dégradation s, quand il n'a pas
in terrompu les prescription s à l'égard des droits
fon ciers, toutes les fois enfin que par son fait
ou sa faute et négli gence la chose donnée a
épro uvé quelque dommage. On se placera au
moment du partage pour évaluer le préj udice
causé.
Le donataire serait respo nsable s'il avait omis
de faire en temps u tile les dépenses nécessaires à la conservati on de la chose. C'est en vain
qu'on objecterait que l'us nfruitier n'est pas
<
(.
-
187 -
tenu de faire le:::; grosses réparations et qu'il
doit en être de même du donataire en avancement. d' hoirie. Cela serait inexact parce que les
héritiers présomptifs du donateur n'ont pas
qualité comme le n.u propriétaire pour faire,
pendant la vie du donateur, acte d'administration s ur l'immeuble donné.
En cas de perte to tale de l'immeuble postérieurement au décès du donateu r, le donatall'e
pourra bien répéter les dépenses nécessaires ;
mais il n'aura aucun droit au remboursement
des dépenses utiles ; la succession ne bénéficie,
en efTet, d'aucune plus value au moment du
partage. (art. 86·1)
Dans tous les cas où le donataire a quelques
répétitions à exercer, il a le droit de retenir
l'immeuble jusqu'à parfait remboursement. (art.
867). Mais ce n'est là pour le donataire q~' une
simple faculté, il conserve toujours le droit, _en
' rapportant l'immeuble en nature, de contraindre ses cohéritiers à lui rembourser les sommes
dues pour ses impenses (Cf. art. ~6 1 et 86~) ;
mais ces derniers pour se soustraire au paiement de ces impenses ne peuvent refuser
le rapport et faire abandon de l'im~euble.
Le Code n'a pas maintenn, sur ce pomt , les
dispositi ons de quelques coutumes d'après lesquell es, au cas de non remboursement des
�-
188 -
J épen ses, la Llonalion ::;c rapporla it en m oins
prenant. (1)
L'obligation du rapport produit à l'égard des
tiers un effe t remarquable: la proprié Lé du donataire é tant r ésolue par l'arrivée de la cond ition dont s on droit 6tai t affec té, l'immeuble
donné se réunit à la masse hé rédita ire fran c cl c
toutes les charges r éelles é tablies du ch ef du
donataire. (art. 865.) Cet article n e parle pas
d u cas où l'imme ub le aura it é té alié né, c.;'est
qu'alqr s le rapport se fait en moins prenanl.
(art. 860) Cette di ffére nce entre les deux solutions fut rele vée lor s ùe la discussion a u Conseil d'Eta t. Des membres firent observer que
le donataire ayant la faculté d'aliéner l'imm euble devait a f o1'tiol'i po11voir l'hypoth équer ; les
explication s de Tronchet furent assez vagues,
il r épondit seule me n t qu'il avait touj o urs é Lé
admis, dan s l' ancien droit, que quoique le d onataire pût aliéner, il n'anit j am ais e u le clroit
d'hypothéquer. La di scnssion ne fut pas poursuivie e t l'article fut renvoyé à la section ; m ais
auc une modificati on n'y fut apportée. On a
essayé de jus tifier ce d éfaut de concordance en
Llisant que la don aLio n es t a ffec tée d ès sa na is(1) Le donatai re ne serait pas autorisé, en ve rtu de ce
d roit de rétention, a garder les frui ts perçus depuis l'ou verture de la s uccession. (E n sens contr. Chabot sur 867 )
-
189 -
sance d' une condiLion résolutoire que ùes
cr éan ciers d iligents ne peuvent vas ignorer;
qu' ils doiven t s'attendre, par conséquen t, à la
r ésolution de Jeurs droits hypothécaires dont
le ma intien causerait un grave préjudice a ux
cohéritiers si la s uccession ne r enfermait pas
d'autres immeubles. La loi en a, il est vrai,
a utremen t décidé e n cas d'aliénation; mais le
don en avancemen t d'hoirie aurait-il réellement
r empli son b ut si l' immeuble avait été frappé
d'inaliénabililé jusqu'à la mort du donateur et
s i les tier s acquéreurs ava ient eu le droit de
r ec.ourir en ùommages-in térêts cou tre le donataire qui, e n vendan t, aur ait outrepassé es
droits'? Cette explication ne peut nous satisfaire.
Pourq uoi l'acquére ur sera it-il traité aœc plus
de faveur que le créanc ier h ypothécaire? N'ontils pas tous deux contribué à rétablir le débiteur da ns ses a ffaires, e t le ur situation n'est-elle
pas égaleme nt digne d'in térêt? Ces objection
r estent sans r éponse ; aussi nous borneronsnou s à expliquer le sys tèm e de la loi sans chercher à le jus tifier.
Les biens don nés retournent donc à la ma :::.e
de la s uccess ion francs et quitle Lle toute
charge. Par charge il faut entenùre non-~eule
ment les h ypothèques constituées sur l'immeuble
d u chef d u donata ire, ma i to us les droit qn'on
qualifie générale ment de droil::; réels , lels qnc
�-
1
..
190 -
ceux d'usufruit, d'usage, d'habitation et de servitude réelle. Celte interprétation de l'art. 865
a été contestée, et des auteurs ont voulu restreindre son application aux seules hypothèques
constituées sur Je fonds ; ils traitent les autres
droits comme des aliénations partielles et leur
appliquent les co nséquences de l'art. 860. (DELVJN. 1r. page 41) Mais cette doctrine a été fort
justement repoussée; le mot charge comprend
aussi bien les hypoth èques que les serviludes ;
l'art. 637 en est une preuve év idente. La dernière disposition <l e l'art. 875 ne parle, il es t
vrai, que de créanciers hypothécaires, mais ce
n'est là qu'un exemple qui doit ê tre généralisé. Du reste ces charges seront à cons idérer
comme n'ayant jamais été éteintes si l'immeuble
qu 'elles grevaient tombe, après partage, dans le
lot du donataire. (Cf. art. 883) (1)
Par servitudes nous n'avons entendu parler
que de celles qui son t volontairement constituées par le donataire. Il faut, en effet, soustraire à l'application de l'art. 865 celles que le
donataire aurait été ob ligé de subir. Telles sont,
par exemple, les servitudes qui résultent des
de la loi
lois de l845 et 1847 su r les irriaations
'
0
de 1856 snr le drainage et de l'ar t. 682. Ces
11) La même difficulté se présente à l'occasion des art 929
·
et 930
-
;J
19 1 -
serviluJ es on t un caractèt'e d'intérêt public
e l leur réso lulion ne peut être prononcée, puisqu'o n peut en demander la constitution contre
quiconque détient le fonds grevé. Dans ce caS",
le rapport porterait sur l'indemn iLé payée.
Dans le cas où le rapport d'un immeuble se
fait en nature, les créanciers du donataire peuvent intervenir au partage pour empêcher qu'il
ne soi t fait en fraude de leurs droits. (art. 865882.) Par créanciers, il faut entendre non seulement ceux qui ont hypothèque sur l'immeuble
soumis à rapport, mais même tous les ayants
cause du donataire tels que les personnes en
faveur desquêlles celui-ci a consenti des charges
réelles sur l'immeuble. (Cf. art. 1166)
L'articl e 830 a fait déjà pressentir que le
rapport des immeubles n'a pas toujours lieu
en n:iture, et, pour que cette exception ne porte
aucune atteinte à l'égalité du partage, il dispose
que « si le rapport n'est pas fait en nature, les
>> cohéritiers à qui il es t dû, prélèvent une por» tion égale sur la masse de la succession. Les
» prélèvements se font autant que pos ible en
>> objets de même nature, qualité et bonté que
» les objets non rapportés en nature. » (1) Les
(1) Quand toutes les parties intéressées au pnrtage sont
capables et d'accord, on procède en pratique plus simplement,
par attribution de lots. Au lieu d'effectuer le prélèYement, le
-- ..- - -- .
-
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-· - ·-
.
..
-
-
-
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1 9~
-
art. 859 et 8ü0 viennent com pléter retle disposi tion . Le rapport a lieu en moins prenant :
10. Quand l'immeuble a été aliéné par le donataire avant l'ouverture de la s uccession. Nous
avons indiqué plus haut les motifs de cet te
exception (1). Si l'aliénation n'avait eu lieu que
depuis l'ouverture de la succession , l'hérit ier
devrait effectuer le rapport en nature ; il n 'était
plus en effet propriétaire de l'objet donné qui
aYait été dévolu de plein droit à la succession (2).
Le rapport, dit l'art. 860, est dù de la Yaleur
de l'immeuble à l'époque de l'o uverture. Il y a
là une inn O\·ation : dan . l'ancien droit il avait
lots sont immédiatement composes, et, comme l'entente
règne quant à leur répartition , on impute sur le lot du donataire Ja somme qu 'il doit rapporter et qui représente la
valeur de l'immeuble donné. Si les deux conditions précédentes n 'étaient pas remplies, ce procédé dev rait être abandonné, et il faudrait revenir à la voie plus normale du t irage
au sort.
(4) M. Valette à son cours en donne pour raison qu'il est
plus facile d'apprécier la Yaleur d'un immeuble aliéné que
celle des hypothèques qui le grèYe nt.
(21 L'échange partici pant de l'aliénation, on appliquera
1 art. 859 au bien échangé par ]"héritier donataire. Un principe contraire semble résulter d'un arrêt de Bastia du 5 nov.
1 8~~ (Dall . ~5. 2. 6 .) Mais cette décision est la conséquence
de ce que le bien échangé au lieu d'être un bien donné était
un bien de la succession. En l'espèce le cohéritier ava it ag i
comme le 11r9otiontm gestor de l'hérrd ité
to uj ours été admis que le ùo11ataire devait
rapporter la valeur de l' immeuble au moment du
partage ; on ne tenait aucun compte de sa valeur
lors de la donation , ni du prix de vente qu'avait
pu en retirer le donataire. Le Code a bien
reconnu que le rappor t doit se faire de la valeur
de l' immeuble, mais il place l'époque de l'estimati on lors d n décès du donatem. ll est difficile
de s'expliquer ce changement en présence surtou t des paroles de Tronchet qui avait posé la
question dans des termes précis : « Il est néces» saire de déterminer s i l'héritier rapportera
,, seulement le prix de la vente qu'il a faite on la
>> va leu r de l'immeuble au mo ment du partage; ))
cette derni ère évalu ation semble la plus juste.
Le Conseil d'Etat s'étant prononcé contre le
rapport du prix de y1~ nte, on devait croire que
l'opinion de Tronche t aurait é.té suivie d~ns sou
ensemble; il n'en fut pas ai.nsi. La première des
deux propos itions fut adoptée, c'est-à-dire qu'on
se prononça pour le rapport de la valeur de
l'immeuble; seule ment l'époq ue de l'estimation,
au li eu d'être fix ée au moment du partage, fut
avancée an jour de l'ouverture de la succession
r.ette innovation est regrettable et nous avouons
que tontes nos préférences sont ponr le système
cle l'ancien droit qui. appliquait plus exactement
cette idée générale du rapport à savoir que les
choses doi,'ent ètre traitée:;; comme si l'immeu1t
- ... _ ... - -
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-
...
-
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19} -
r 11j11s.
Ains i, c'es t au mom ent de l'ouverture de la
s uccess ion qu ' il faut e placer pour éval uer la
val eur de l'immeubl e aliéné. Si clon e éet 1rnmeubJe a péri par cas fortui t avant le décès du
dona teur, l'h éritier es L compl é temen t libéré,
car au moment de l'ouvertnre cel imm e uble n'a
plus de Yaleur. Pothier avait déjà déd uit cette
conséqu ence d u système précédent: cc T:-e dona» taire est totale ment déchargé du r apport si,
n depuis qu'il l'a Yendu . l'h éritage est totalement
)) péri. Il profite à la vérité du prix qu'il a reçu
>> en le vendant, mai s ce proÎlt lui vie nt de s a
» bonne fortune e t n'est pas un avantage qu 'il
» ait aux dépens de la s uccession du défunt qui
» ne lui a donné que l'héritage, qui, é tant péri,
» ne se trouve rait plu s dans la suceession du
» défunt quand même il ne lui aurait pas été
» donné. >> (Introd . tit. xvn . Cout. Ol"l. no 92.)
Ces règles doivent ê tre appliqu ées sans djstinction entre les al iénations à titre gratuit e t
celles à titre onére ux. Il n'y a d'exception qu'en
re qui concerne l'ali énation nécessaire (1), par
(1) L'ex propriation par suite de saisie-immobilière est
a juste titre, regardée comme une aliénation volontaire e~
tombe par conséquent sous le coup de la regle générale. Elle
a pour c::iuse, en effet, l'inexécution des engagP-ments du
débitPur.
195 -
-
ù le n'é tait jamai s sorti c.lu palrim oi1 1e du de
s ui Le, par ex.emp1e, d'une expropriaLion pour
cause d'utilité publique , de l'exercice d'une
ac tjon e n rescision, ou encore d' une licitation ( l).
Dans ces di[érentes hypothèses le clonaLaire ne
devrait rapp orLer q ue l'indemni té qu'il aurait
reçue, mais elle serait ùue alors mème qu'avan t
la mort du donateur l' immeuble aurait péri par
cas fortuit.
Si la perte de l'immeuble est imputable au
donataire, il en est responsable vis-à-vis de se
co héritiers qui prélèveront sur sa par t un e
somme rep résentant la valeur du fonds au temps
ùu partage . (2) (Argt. a contrai' de l'art. 855)
L'exception posée par l'art. 860 cesserait
d'avoir lie u e t le rapport devrait s'effectuer en
naLure si l'imme uble aliéné était rentré dans
le pa trimoine du donataire lors de l'ouverture
de la s uccession. Mais s i c'est ex cciusa noua
que le donataire a repris cet immeuble, :es droits
( 1) Le cas de licit a tion fait naitre une question i~teres
sante : si le donataire se rend adjud:cataire, pourra-t-il :~n
traindre ses cohéritiers à accepter le rnpport de tout' l i~
meuble et à lui rembourser la différence du prix? L espn_t
de rart. 1667 semble commander l'affirmative dans le cas ou
.
la licitation est provoquée contre le donataire.
(2) On peut soutenir, par analogie de l'art. 860,~ue ce n est
pas au mom ent du partage mais.à l'époque du ~eces du
natcur qu'il fout :.e placer pour ernluer ln 'nlem du fonù::.
d:
(AUllRY et Jhv, ~ 63 \ )
&
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196 -
-- 497 -
des tiers seront re::;peclés et lu réso lution ùe
l "arl 865 n'atte indra pas les hypothè ques et
autres charges qni pourront grever le fonds.
2°. Le rapport peut s'effectuer en moin s prenant quand il se trouve dans la succession d es
immeubles de même nature , valeur et bonté
dont on puisse former des lots à peu près égaux
pour les autres coh é ritiers. (art. 859.) C'est ici
une pure faculté pour le donataire seul (1); s'il
veut rapporter l' immeuble en nature, il se conforme au YœQ exprimé par la loi , si au con traire
il veut le garder , quels motifs pourraient bien
invoquer ses cohéritiers pour s' y opposer?
3°. Enfin Je rapport de l'immeuble aura également lieu en moins prenant quand telle aura é té
la volonté du défunt. Il faut bien reconnaitre
en effet que le dona teur pouvant dispen ser du
rapport doit a fortiori pouvoir déterminer la
manière dont ce rapport devra s'effectuer. Ce
troisième cas de rapport en moins prenant
n'était pas admis dans l' ancien droit. Cela tenait
à l'extrême rigueur des règles coutumières snr
la dispense du rapport et aussi à la faveur dont
était e ntourée la propriété foncière.
I
(
Dans ces différentes hypothèses il doit être
tenu compte au donataire des impenses utiles
qui ont amélioré la chose, ell égard à ce dont
s a valeur se trouve augmentée ait temps du partage. Cette époque fixée pour l'évaluation de la
plus value (art. 861) est donc différente de celle
à laquelle on se place pour estimer la valeur de
l'immeuble aliéné. (art. 860) 11 y a entre ces
deux textes une contradiction flagrante qui est
due à l'erreur qui s'es t glissée dans la rédaction
de l' art. 860. Mais comme il nous paraît impossible de séparer les deux opérations d'un mème
calc ul , nous n'hésitons pas, malgré le texte s i
précis de l'art. 861, à dire que cette doub le
évaluation devra se faire lors de l'ouverture de
la succession.
Le Code a inter calé dans la théorie du rapport un article qui se rattache plutôt à la
mat;· re de la r éduc tion ; cet arlicle 866 prévoit
l'hyj;t>ti.èse d' une donation faite par préciput
à un successible dépassant la qnolité disponible. Comment se fera le rapport de l'excédant? te Il se fait en nature si le retranchement
» de cet excédant peut s'opérer commodéme nt.
» Dans le cas contraire, si l'excédant est de plus
» de moitié de la valeur de l' immeuble, le don a,) taire doit rapporter l'imme ubl e en totalité
» sauf à prélever s ur la masse la valeur de la
» portion disponible ; si cette porl ion excède lc.1
(4) Dans ce second cas de rapport en moins prenant, tous
les droits réels consentis par le donataire sur l'immeuble
sont maintenus; cela suffit pour justifier l'intervention au
partage des créancier'\ du donataire.
r
�-
1\)8 -
» moitié de la valeur ùe l'immeuble, le don alaire
>l peut retenir l'imme ubl e e n t_otalité sauf à moins
» prendre et à récompenser ses cohéritiers en
» argen t ou autrement. >> Ainsi s i le retran ch~
ment est possible le r apport se fait en naLure,
sinon on applique la maxim e niajor pars l?'ahit
ad, se minorem ; on comparera la valeu r de la
quotité disponible à celle du retrancbem~nl à
effectuer, e t le rapport sera dû de la totall~é de
\' immeuble ou seuleme nt de l'excédant, s uivant
que cette quotité lui sera s upé rie ure o u inférieure .
Cette disposition est exceptionnelle ; d'après
le droit commun le décès du ùonateur devrait
rendre les réservataires copropri étaires pour ce t
excédant avec le donataire e t l'indivision n e pourrait cesser •1u'à la suite d'une licitation ; c'es t
pour évite r cette licitation que l'art. 86G a é té
fait· auss i cet article doit-il ê tre entendu d 'une
manière restrictive, e t s0 n application r éservée
au seul cas qu'il prévoit. Si donc la partie à
retrancher et la quotité disponib le étaie nt égales,
on repous.::;erait L'ar l. 806 et on résoudrait la
questiun à l'ait.le ùes règles tracées par le Colle
pour faire cesser l' ind i dsion.
)
..
'!"
l
(B) Doriation de 1neubles. - En principe, le rapport des imme ubles ::;e fait en nature ; qu and ,
par exception, il a lieu e n moins pre nant, l'c::; li-
-
199 -
mation se fait au tem!Js ùu partage e t, dans un
cas spécial, lors de l'ouverture de la s uccession .
Le rapport des meubles est régi par d'autres
r ègles : il ne se fai t jamais qu'en moins prenant
e t s ur le pi ed de la valeur du mobilier à l'épo. que de la donation. (art. 868 ) Pourquoi cette
différence'? Au Conseil d'État Maleville avait
proposé d 'estimer la valeur des me ubles donnés
non au te mps de la donation mais à l'époque
où l asuccession s'o uvre. Cette règle, disait-il ,
qui est s uivi e à l' égard des immeubles doit
l'être a fortiori pour les meubles qui dépérissent
par l'usage. Si le donateur les eût gardés il faudrait bien les prendre dans l'état où ils se trouveraient. Tronchet se contenta de faire observer
qu'en ce qui concerne la manière d'efTectuer le
r apport, il est jus te de d islinguer entre les
m eubles e t les immeubles ; cetL'Z-ci en effet ne
sont pas diminués par la jouissance; au contrair e, l'u sage es t la seu le jouissan ce qu'on puisse
tirer des me ubl es, et cet usage les dégrade
pour le profit du donataire. (1).
Ainsi le s uccess ible, donataire d'objet mobi( 1) A ces raisons Tronchet ajoutai t que les meubles sont
donnés en pleine propriété : or. res perit domino . Ce dernier
11rgument porte à faux; la propriété des immeubles passe
bien sur la tète du donataire aussi entière que celle des meubles et pourtant ln perte par cas fortuit ne libère P"S de
l'obligation du rapport. :Art. 855.)
�- - iOO -
I
f
t
Hers, en devient propriétaire incommutable d ~s
le jour de la donation. La dette se tran sforme
donc en une dette de guantité, et il demeure
soumis au rapport malgré la perte par cas fortuit de l'objet donné; casum sentit dominus.
La valeur des meubles sera fixée d'après l'état
estimatif annex~ à l'acte de donation (art 968) ;
et à défaut de cet acte, d'après une estimation
par experts, à juste prix et sans crue. Cette
prévision de l'art 868 se concilie parfaitement
avec l'art. 948; elle est relative au cas d' un e
donation qui èchappe à l'application de cet
article, tel est, par exemple, un don manu el ou
un don portant sur une créance.
En rapprochant de l'art. 868 la dis position de
l'art. 535, il est aisé de reconnaitre que les règles que nous venons de poser s'appliquent à
la fois aux meubles corporels et aux meub les
incorpords. Cela rés ulte principale ment du terme mobilier que le légis lateur dan s l'art. 535
oppose au mot imnieuble des art. 859 et 867,
<c pour mieux dénoter son inten tion de corn» prendre sous la première de ces expressions
» tous les objets qui sont meubles soit par
>) leur n ature, soit par la détermination de la
>> loi . >> (AUBRY et RAu § 634) Quelques auteurs
sont, il est vrai, d°Lrn avis con traire : Delvincourt,
entre autres , propose d'appliquer ic i la distinction établie pnr l'art. ·1567 an"lc termes duque l
-
~Ot
-
la uon aLion co n s i ~ Le en créances ou rentes
qni ont diminué de valeur sans faute imputable
au donataire, celui-ci pourra se libérer de l'obligation du rapport en res tituant les con trats .
Mais cette opinion doit être repoussée car el le
confond deux s ituations bien difîéren tes : dans
l'art. 1567 il s'agit du mari s imple nsufruitier et,
par su ite, débiteur à la fin de son usufruit des
rentes cons tituées en dot; or debitor rei certœ
rei interitn liberatur. L'art. 868 suppose au contraire un donataire propriétaire incommutable
oe~ objets donnés et débiteur de la valeur de
ces objets depuis le jour de la donation.
Du res te si on app lique le système que nous
comhattons aux offices vénaux, con~idérés aufourd'hui comme meubles, on arrive à un résultat déplorable: le tit\1 \aire sera, en efTel, dans la
nécessité, au décès du donateur, de se démettre
de sa charge ; celn est tellement anormal que
les anciens auLeu rs, qui cependant donnaient à
ces office un caractère immobilier, n'avaient osé
l'ad mettre, et que, par exception , ils autorisaient
clans ce cas le rapport en moins prenant.
Dans l'art. 869, la loi a réglementé le rapport
pour le cas où la chose donnée est u~e somm~
d'argent. Cet article n'a rien d'exceptt0nnel; . 11
ne fait qu'appliquer aux sommes d'argent la disposition générale de l'art 868. Si le Code a rrn
nécessaire de la répéter c'est que << l'argent
~i
15
�-
'2tH -
n'est pas un meuble 'omme un autre ; il es t
)) plutôt une valeur repr6senlatiYe de toutes les
)) autres valeurs. )). (DE~IOL.) C'es t pour ce cas
qu'il est vrai de dire que le rapport ne peut
jamais avoir lieu en nature puisque l'obligation
porte non s ur les pièces mêmes qui ont été
données lors de la donation, mais sur 1a valeur
numérique qu'elles aYaienL à cette époque.
·rn pecun ia non corpora qiiis cogitai secl quantitalem. (L. 94. § 1 Dig . de solut.) Par suite ce r apport est indépendant de la variation de la valeur
des espèces données.
Si le numéraire compris dans la succession
est insuffisant, le donataire soumis au rapport
a le c hoix ou de fournir de ses propres deniers
l'excédant ou de moin s prendre jusqu'à due
concurrence sur le mobilier, e t à défaut sur les
immeubles de la success ion .
L'art 869 doit-il être é tendu à tous les cas
où le rapport de la donation mobilière ou
immobilière a lieu en moins prenant ? Nous
hésitons à le croire. La disposition de l'art. 869
est, en effet, absolument é trangère au donataire
d'immeuble, et il ne serait pas conforme à l'esprit de l'art. 830 d' autoriser l'un des copartageants à garder un immeuble alors que les
autres n'auraient que de l'argent. ('1) Il devra,
1)
'f
(
4
(1) Si cependant l'immeuble n' avait été donné qu'en dation
-
203 -
au co ntraire, Nre fait application de l'art. 809 à
toutes donations mobilières puisque clans <.:e <.;,as
l'objet ùe la donation n'est autre c hose que la
valeur du meuble au moment où elle a eu
lieu . (En sens contraire DemoL n" 558).
Le rapport en moins prenant donoe-t-il lieu
à l'application du droit gradué d'enregistrement? Le ùoute nous paraît imposs ible en
présence de l'art. 1, § 5 de la loi du 28 février
1872 qui exige la perception du droit gradué
sur le montant de l'actif net partagé : « Le droit
» gradué e L dù s ur toutes les valeurs qui
» composent à un titre quelconque la masse
» inùivise et qui servent aux attributions. i>
(GARNIER) On a objecté, il est vrai, que pour
les valeurs qui se rapportent en moins prenant
le rapport n'a point réellement pour effet de
les comprendre parmi les biens qui son t effectivement partagés, ear les donataires les conservent et ne cessent jamais d'en avoir la
propriété e t la possession. ( Journ . des LVol. el
des Avoc., art. 20320) Mais cette objerlion a le
tort de confondre le fait avec le droit: en fait
le biens, dont s'agi t, ne sortent pa~ ùes mains
de celui qni les détient; mais en droit le litre
en paiement d'une somme d'argent qui aurait eté promise,
l'art 869 serait de nouveau applicable. l Req. ~Août 1852 Oall 52. 1.1 03 - l'ass \ 7 JanYier 1870 Dall 70 1 302 l
�-
-
;'.Oi -
du donatair0 ::;'est résolu comme cel ui rln co héritier qui effectue le rapporL en nature ; les. biens
sont juridiquement rentr6s à la masse et le ur
conserva tion par le donaLaire n'es t qu' un mode
d'exécution du partage, une facilité accordée
par la loi pour les lotissements. ( CasR. 15 mars
1875. - Dall . 75. t. ·:2-12).
205 -
P (J S 1TI0 N S
SECTION Il.
RuzJport des legs.
En ce qui concerne les legs, l' obliga~ion du
rapport a pour effet d'admettre l'héritier légataire à faire le rapport du legs e n moins prenant
dans le cas où ce mode de l'effectuer est compatible avec la nature de la chose léguée. (DEMANTE m , 177 bis . DEMOL. n° 303). Ce systèm e
est le seul qui nous paraisse co ncilier au tant
que possible l'intention dn testateur avec la
disposition rigoureuse ùe l'art. 843. 11 sera d'une
application constante quand le legs portera s ur
un meuble(art. 868), et pourra toujours être iovo- .
qué par l'héritier légataire d'un immeuble quand
il se trouvera dans la succession d'autres imme ubles dont on pourra faire des lots aux cohéritiers . (art. 859. Douai, 5 déc. 1865. - Sir. 66
2. 233; V. en sens contraire : AuBRY et RAU ,
§ 634. - TROPLONG. Donat., 11. 881 .)
DROlT
RO~IAIN
1. - La collalio ùonorum é tait une charge de
la bonorum possessio, et non une condition préalable de la formation de la demande.
II. - La lilis conleslatio n'opérait pas novation.
III. - La maxime Plus est cautionis in re
quam in personâ est é trangère au droit romain
primitif.
DROIT CIVIL
Le don en avancement d'hoirie fait à un
des héritiers ùoit s'imputer sur la masse de la
réserve, e t non pas seulement sur la part de
réserve du donataire.
IJ. -En cas d'aliénation de l'immeuble donn é,
l'es timation rl es améliorations doit se faire à
1. -
�-
206 -
l'époque de l'ouverture de la s uccession, malgré
la généralité des termes de l'art. 861.
III. - Si les créanciers hé réditaires ne peuvent profiter du rapport, ils ne doivent pas non
plus en souffrir.
IV . - Dans le cas de l'art. 782. C. c. les hé ritiers
qui recueillent une hérédité par transmission
ne rapportent pas les libéralités qu'ils ont euxmêmes reçues du premier décédé .
V. - L'arL. 747 C. c. n'est pas applicable aux
successions irrégulières.
VI. - Le privilège attaché aux frais de dernière maladie par l'art. 2101-3° n'est pas nécessairement subordonné au décès du débiteur.
VII. - Une femme mariée à un français et
judiciairemeut séparée de corps ne peut pas se
faire naturaliser en pays étranger sans l'autorisa tion de mari o u de justice.
-
1
'207 -
Lire de son pays peut de nouveau être jugé par
les tribunaux français.
DROIT COMMERCIAL
Le successible failli qui vient à la succession du créancier n'est tenu de rapporter à cette
succession que le dividende établi par le concordat.
II. - Lorsqu'une société en nom collectif est
tombée en faillite, l'un des associés, déclaré
aussi en faillite personnellement, peut obtenir
un co ncordat particulier alors même que la
société aurait obtenu un concordat. Dans ce cas,
les créanciers sociaux peuvent participer à la
formation du concordat partic nlier, concurremment avec les créanciers personnels de l'associé
qui l'a obtenu.
III. - L'acceptation d'une lettre de change ne
peut pas être donnée par acte séparé.
I. -
DROIT CHIMlNEL
l. - Les art. 57 et 58 du Code pénal ne s'appliquent pas au cas où en vertu de circonstances atténuantes, un crime esL puni de peines
correctionnelles.
II. - L'étranger c1ui a commis un crime e 11
l•' rance el qui u été tléflnilivemcnLjug6 par la jus-
DROIT ADi\lINISTRATIF.
I. - Le ùécret du gollvernement de la Défens e
Nationale du 19 septembre 1870, abrogeant l'art.
75 de la constitution de l'an vm, fait échec au
pri ncipe de la séparation des pouvoirs.
�-
LJJ15
fACULTÉ OE pnorT o•)l.rx
'208 -
II. - .f-a loi du 23 mars 1855 a laissé inta ctes
les dispositions de la loi du 3 mai 1841 s ur
l'expropriation pour cause d'utilité publiqne .
DE L'EXPROPRIATION
POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE
EN D RO I T R OMA l N E T E N DR O I T F R AN Ç AIS
Vu par le Doyen, P1·ésident de la Th èse,
CARLE.
THÈSE
1
PERMIS D l Ml;'RIMER :
Le Recletw de l'Académie d'Aix ,
Commandeur de la Légion-d'Honnl'll1'1
POUR
LE DOCTORAT
Ctt . ZÉVORT.
PR~SENT~E
ET SOUTENUE
PAR
DÉIUÈTRE
N6 à DOLGRAD
GRÉCOFF
(Roumaai~.)
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~ ~ l
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~ona\~ ,,
\~,
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AIX
MARlUS ILLY 1 IMPRIM BUR DB LA FACOLTi;: DB DROIT,
RUB DU COLLi;:GB, 20.
18 76
1100215530
ITTIWOO'miififfiîilli11
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la "collatio bonorum" en droit romain ; Du rapport dans le droit français ancien et moderne
Subject
The topic of the resource
Droit des successions
Successions et héritages
Description
An account of the resource
De l'obligation de tout héritier de réunir ou laisser à la succession les choses qu'il a reçues par legs, par dons entre- vifs ou par dettes
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Carbuccia, Pierre
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Université d'Aix-Marseille (1409-1973). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-92
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Ve E. Ollagnier ((Bastia)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234727586
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-092_Carbuccia_Collatio_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
208 p.
26 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/364
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1876
Le collatio bonorum ou en droit moderne : le rapport des biens à la succession, est l’obligation faite aux descendants émancipés de partager leurs biens personnels avec les autres héritiers de leurs parents.
La première partie de cette thèse traite de ce sujet dans le système juridique romain, elle rapporte son origine, sa portée et ses effets. Cette thèse retrace aussi l’évolution de cette notion durant l’Ancien Régime, avant de l’étudier sous l’angle du Code civil dans la seconde partie. L’auteur y cherche à définir toutes les conditions requises pour qu’il y ait un cas de rapport, l’objet même de ce rapport et les modalités d’application.
Résumé Liantsoa Noronavalona
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Droit romain -- Thèses et écrits académiques
Rapport à succession -- France -- Thèses et écrits académiques
Successions et héritages -- France -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/606/RES-14057_Barral_Irrigations.pdf
fec50f0353a4dc2565415a2b8523e38f
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
irrigations dans le département des Bouches-Du-Rhône (Les) : Rapport sur le concours ouvert en 1876 pour le meilleur emploi des eaux d'irrigation
Subject
The topic of the resource
Approvisionnement en eau
Agriculture
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Barral, Jean-Augustin (1819-1884). Auteur
France. Direction de l'agriculture (1869-1881). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 14057
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie nationale (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252625676
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-14057_Barral_Irrigations_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
548 p.
32 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/606
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Bouches-du-Rhône. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Un concours annuel doté de prix entre agriculteurs n'est-il pas le meilleur moyen pour connaître les utilisations les plus remarquables qu’ils font de l'irrigation ? Noyer les vignes pour lutter contre le phylloxera, par exemple
Abstract
A summary of the resource.
Un concours annuel doté de prix entre agriculteurs n'est-il pas le meilleur moyen pour connaître les utilisations les plus remarquables qu’ils font de l'irrigation ? Noyer les vignes pour lutter contre le phylloxera, par exemple
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
Chapitre I - Objet et plan de ce Rapport 1
Chapitre II - Traits généraux du concours de 1876 5
Chapitre III - Description des arrosages visités par le Jury 8
Chapitre IV - Déductions d'un intérêt général à tirer de l'étude des exploitations ayant pris part au concours de 1876 85
Chapitre V - Sur la submersion employée contre le phylloxera - Visites aux vignobles de M Faucon et de MM Lagnel et Gérin 89
Chapitre VI - Canal domanial des Alpines 104
Chapitre VII - Canal des Alpines d'Istres et Entressen 126
Chapitre VIII - Syndicat du Corps des arrosants de Saint-Chamas - Association du Congrès des Alpines de Lamanon au Merle 135
Chapitre IX - Compagnie française d'irrigation ou des branches septentrionales du canal des Alpines
Chapitre X - Les arrosages par le canal du Verdon 148
Chapitre XI - Prospérité produite dans quelques communes par les irrigations 151
Chapitre XII - Canal d'irrigation du Grand-Pl1m-du-Bourg 157
Chapitre XIII - Amélioration et assainissement de la Camargue 158
Chapitre XIV - Canal d'irrigation de la rive droite du Grand-Rhône 161
Chapitre XV - Canal de Crapponne 163
Chapitre XVI - Canal de Marseille 166
Chapitre XVII - Canaux d'irrigation divers 172
Chapitre XVIII - Nature des eaux d'arrosage et particulièrement des eaux de la Durance; leur rôle dans les irrigations du département des Bouches-du-Rhône 175
Chapitre XIX - De la température des eaux d'arrosage 179
Chapitre XX - Régime de la Durance en 1875 et nature de son limon et de ses eaux 182
Chapitre XXI - Les pluies de 1875-1876 187
Chapitre XXII - Le mouvement de la population et les irrigations 200
Chapitre XXVIII - Refroidissement extraordinaire du mois d'avril - Gelée du vendredi saint 216
Chapitre XXIV - De la nature et de la composition des fourrages arrosés dans les Bouches-du-Rhône 224
Chapitre XXV - Décisions du Jury - Conclusions 258
PLANCHE HORS TEXTE - Plan des irrigations des prairies et des luzernes du domaine du château de Lamotte, près de Tarascon, appartenant à Mm veuve Courtet de l'Isle 7 1
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
irrigations dans le département des Bouches-Du-Rhône (Les) : Rapport sur le concours ouvert en 1876 pour le meilleur emploi des eaux d'irrigation <br />- Feuille <i>Arles</i> ; 234 ; 1867 ; Dépôt de la Guerre (France) ; Beaupré (graveur)/Hacq (graveur)/Lefebvre (graveur), ISBN : F802341867. <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27419" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27419</a>
Agriculture -- Statistiques -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle
Canaux d'irrigation -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle
Crapponne, Adam de (1526-1576)
Eau -- Approvisionnement agricole -- 19e siècle
Statistiques démographiques -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle