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7c78bde825c89fede6c8508ab6b4e4e8
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Text
SYNDICAT LIBRE
7,912
D ES
ARROSANTS DU CANAL DE CRAPONNE
à SALON (Bouches-du-Rhône)
,,
CONTRE
LA COMPAGNIE DE CRAPONNE
Abrado de la set, necalido. pocail'c !
Seloun vesicl passi soun maigre terradou :
Crapouno, soun enfant . Ii fag ul't trai t da paiœ!
Li larguet d'aigl1o a soun sadou.
T no~c DE CODOLE T.
MARSEILLE.
TYPOG RA PIll E ET LITHOGRAPHIE n!RLATIER-FEISSAT PÈRE ET FILS,
Rue Venture J 49.
�EXPLICATION
OBS
ANCIENNES MONNAIES ET MESURES
MENTIONNEE S
DANS LE MÉMOIRE
=
LEUR VALEUR
en
Al\'CIENNES MONNAIES
NOUVE LLE
Pfl.
.
V écu d'or pistolet de 4 florins ou 48 sous
Le florin de 12 sous.
Le sou ou gros denier appelé simplemeut gros, composé de
"12 deniers .
Q,u....- ';) '()~ étC '!le6. .6>k0
c.
2.40
0.60
0.05
./"
ANCIENNES MESURES AGRAIRES
~OI'n;A.[
J.60 .
LEUR VALE UR
en
1"OU\'ELLES MESURE.; '
La carle rée ord inaire de 3 émines ou 600 cannes, comprenant 60
arbres quand elle était appliquée aux vergers d'oliviers .
La car terée antique de 4 émiues ou 800 cannes comprenant 80 arbres.
La sexterée ou soucherée de pré de 600 cannes ou 3 <imines.
La charge ou saumée de terre de 8 émines ou 1600 cannes.
L'émine de 8 euchènes ou 200 cannes.
L'euchène ou 25 ca nues .
MOUL ANS D'EAU
DES CANAUX DE CRAPONNE ET DE BOISGELUi OU DES ALPINES
ares. millîarcs.
23.764
3J .686
23.764
63.371
7.922
0.991
LE UR V.U,EUR
en litres
A LA SI>COI'iDE
Le mou lan du canal de Craponne con lient.
Le moula n du canal de Boisgelin ou des Alpines.
Lilr<! ~.
Ccntîlîlres.
250 . »
265.65
�SYNDICAT LIBRE
DES
ERRATA
Arrosants du canal de CRAPONNE , à Salon (Bouches-du,Rhône )
Pag. lig.
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45- d ,16' leur quantité respective
du tableau
Goussou
CONTRE
LA COMPAGNIE DE CRAPONNE
AlTANT-PROPOS
Depuis trois cents ans et plus, les habitants de Salon arrosent leurs propriétés
en vertu de concessions qu'ils on t l'apportées de leur compatriote Adam de
Craponne , fondateur du canal de Durance qui porte son nom . Cette possession
publique, non équivoque, n'est pas seulement ass urée par des titres authentiques,
notariés; elle se manifeste encore d'un e manièl'e apparente et continue, pal' des
œuvres d'art remontant au XVI" siècle, exécutées pal' Adam de Craponne, ses
successeurs et ayants-droit , et encore pal' nos auteurs , concessionnaires
d'arrosages, tous agissant d'un commun accord : telles que van nes enchâssées à
perpétuelle demeure dans leurs martellières en pierres de taille; - aqueducs
élevés sur piliers et arcades; - conduits en maçonnerie ou creusés dan s le roc ;
- cascades artificielles se précipitant des hauteurs dans la plaine; - ruisseaux
et fossés de grandeurs diverses, se ramifiant à l'infini , le tout à découvert et transmettant l'eau dans toutes les parties arrosables du territoire de Salon.
�-2-
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Celte possession se manifeste cn outre par nos près, 1I0S jardins et nos fl'uiJ.iers
centenaires qui , avec nos étés brûlan ts et sans pluie, ne pourraIent eX Ister uncseule
année s'ils n'étaien t viviliés par de fréquents arrosages.
Mai~ si respectab les que so ient nos titres et notre possession,. on entl': prend
aujourd'hui de nous les ravir. L'Œuvre gén,él'ale de Cr~ponne, dIsons plut,ot u~ e
compagni e industrielle qui dispose de la maJonté des VOIXde cette Œuvre, se~ t dIt,
en voyant notre territoire si productif, si luxuriant: Pourquo I ne prélèv,era ~-J e pas
un large impôt sur toutes ces rich esses agricoles, qui sont dues, en defin ltlve, à
l'eau qui circule dans mon canal •
.
La tentation était séduisante; elle a germé bien vite et s'est développée au POlDt
de devenir tout-à-coup un e belle et bonne prétention . L'Œuvre de Craponne, L'industrielle imite en cela cet ancien roi d'Ethiopie qui, sous prétexte que le Nil
passait dan s ses États pour all er ferti liser l'Égypte, voulait exiger un tribut des
habitants de celle dernière con trée, Les ÉgyptIens ne pl'lrent pas sa demande au
sérieux; ils n'en tinrent aucun co mpte, Ainsi avons-nous fait avec l'Œuvre de
Crapo nne, lorsqu'après avoir obten u co ntre la commune de Salon , propriétaire
d'arrosages particuli ers qui n'o nt rien de commun avec les nôtres, un jugement du
Tribunal civil d'Aix et un arrêt de la Cour d'Appel, auxquels nous sommes com plètement étrangers, elle n'a pas craint de nous annoncer son extravagante prétention,
dans une affiche apposée publi quemen t, en grand nombre d'exemplaires, sur les
murs de Salon, conçue en ces termes:
En conséquence) aucun arrosage ne peut sleffecruel' et avoir lieu en dehors du quartier
de Viougues et de celui de Gresc avec les quanti tés d 'eau reconnues et fixées pour chacuu
de ces deux quartiers J ai nsi qu1il est dit ci-dessus .
Ces jugement et arrêt sont dès à présent exécutoires.
Toutefois, l'OEuvre de Craponne, prenant en considération l'état actuel de certaines
cultures et vo ulant bien laisser à chacun le temps de se conformer aux décisions j udiciaires présentement publiées , snspendra leur exécution jusqu 'au quinze septembre
prochain , époque réglementaire de la cessatiou de tous arrosages.
Pour la saison prochaine, l'OEuvre géuérale de Craponne tiendra à la disposition de
MM. les arrosants, les eaux dont la demande lui sen~ fai te, aux prix et conditions qui
seront ultérieurement indiqués.
AVIS
ŒUVRE GÉNÉRALE DE CRAPONNE.
L'OEuvre générale de Craponne porte, en tant que de besoin, à la connaissance des
arrosants de la commune de Salon , qu'en vertu d'un jugement reudu par le Tribunal
civil d'Aix le 3 aoùt 1874, et d'un arrê t de la Cour d'Appel du. 12 mai 1875, le volume
d'eau dont la commune a la disposition, a été fixé de la manière suivante:
Deux cent cinquante litres pour les arrosages du quartier de Viougues
Et cent v"'.gt-cinq litres pour les arrosages du qua,'tiel' du Gnsc.
L'anêt fait de plus inhibition et défense de s'arroser par les eaux du canal entre la
bifurcation de Talagard et le moulin des Quatre-Tournants,
Le présent avis est donné par l'OEuvre générale de Craponne officieusement et sous
toutes réserves.
Le di,'ecteur-t,'ésorier de {' OEuvre générale de C,'aponne
ARDOIN.
Les habitants de Salon ont fait à ce préliminaire de rançonnement l'accueil qu 'il
méri tait. Personn e, que nous sachions, ne s'est présenté à l'Œuvre générale de
Craponne pour traiter avec elle, Seulemen t, quelques curieux ayant sondé ses
intentions , il leur a été dit que les redevances ann uelles à imposer varieraient de
30 à 70 francs par hectare, proportionnellement à la valeur des propriétés, de
manière à ce que la moyenne fût de 50 francs par hectare sur la masse des terrain s
arrosés,
Or, d'après son faux calcul, il y aurait en dehors des contenances desservies par
les arrosages propres à la co mmun e oe Salon, mille hectares environ à assujétir
à la redevance moyenne de 50 francs. Ce serai t donc pour l'œuvre un revenu total
et net de 50,000 fran cs, représentant le produit annuel 5"/. d'un million,
On comprendra maint enant pourquoi , quelques jours après le gain du
procès de l'Œuvre générale de Craponue contre la commune de Salon, suivant
arrêt de la Cour d'Aix , du 12 mai 1875 , le journal le Petit Marseillais, dans
son numéro du 21 du même mois, annonçait ce triomphe par un article qui
finissait en ces termes :
C'est pour l'Œuv,'e de C,'aponne un bénéfice de plus d'un million!
Assurément, cette foll e idée de gl'ever d'un million nos propriétés, déjà chargées
de tant d'impôts, ne se réalisera pas; siuon , il faudrait désespérer à tout jamais de
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la justice des homm es. 11 n'es t pas possible qu 'on nou s condamne à compter
encore une fois, des prix d'arrosages, que nos ancêtres ont bien et dûment payés
à Adam de Craponne, il y a trois siècles.
Néanmoins la prudence nous conse ille de ne pas nous endormir dans une
sécurité qui pourrait nous être fatal e. Nous avons à lutter co ntre des adversaires
en treprenants et très-habiles. Personne n'est plus expert dans l'art de préparer un
procès. S'ils temporisent , c'est qu'il s nous savent forts, et ils cherchent à nous
affaiblir, à nous déconsidérer dans l'ombre, avant d'oser nous attaquer au grand
jour. N'm'ous-nous pas li eu déjà de nous alarmer du peu de cas que se mble faire
de nos réclamations si légitim es l'admin istration départementale, au contrôle de
laquell e est soumis l'usage des eaux du canal de Craponne? Heureusement, Monsieur le Préfet, lors de sa premi ère vi site à Salon, a bien voulu prendre en sérieuse
considération nos justes doléances contre les agissements arbitraires de l'Œuvre
de Craponne. Mais qui donc a pu fai re croire à messieurs les Ingénieurs du
rlépartemen t que nous n'étions que des usurpateurs d'eau, des intrus sans titres et
sans droits?
Le mémoire que les membres de l'Œuvre ont fait imprimer à l'occasion de leur
procès co ntre la commune de Salon, es t un véritable fa ctum contre nous; on y
attaque nos concessions d'arrosage par des objections captieuses, mais fau sses,
qu'il ne nous était pas permis de réfuter alors, parce que nous n'étions pas en cause.
Leurs articles plus ou moins périodiques dans les journaux du département, n'ont
pa; d'autre but que d'influencer l'opinion publique pour eux à notre encon tre,
d'embrouill er et d'obscurcir toules les questions, de telle sorte qu'il pourrait bien
s'amasser. un jour, des nuages en tre nos juges futurs et la vérité. Ce n'est certes
pas les habitants de Salon qui , par des renseignements inexacts, ont induit en
erreur les au teurs d'un travail remarquable sur les irrigations du département
des Bouches -du - Rhône , ouvrage imprimé à Paris en 1876, dans lequel il
es t dit à la page 277 :« L'Œuv"e Générale de Craponne poursuit devant
les t" ibunaux le r-èglement des droits des usagers; au moment de notre visite à
Salon, la Cour rJ: Aix venait de limiter les droits des aI'rosants de cette commtlllB à
375 litres . ) Cette limitation, qui peut être vraie pour les arrosages propres à la
commune, n'est-elle pas la négation impli cite de tous les autres arrosages de
Craponne à Salon, et n'exclut-elle pas, conséquemment, nos arrosages particuliers ,
qui cependant comporten t environ mill e litres d'eau, en dehors et en outre des
arrosages de la commune? Et voilà comment on écrit J'histoire aujourd'hui.
Il nous est imposs ible d'apprécier au ju te tout le mal que nos adversaires nous
on t déjà fait, ni de prévoir ce qu'ils préparent encore pour appeler l'intérêt
sur eux et la défaveur sur notre cause.
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Nous avons don c besoin de réagir contre cette tactique de propagande préventive, qui devient inquiétante à la fin. Il importe, une bonne fois, de faire connaitre
ce que nous somm es, afin d'empêcher qu'on nous fasse un mauvais renom.
C'est pour cela que nous nous sommes décidés à pnblier un mémoire instructif
sur les arrosages du territoire de Salon, depuis la création du canal de Craponne
jusqu'à nos jours; mémoire où nous remontons à l'origine des droits et des
devoirs de tous, tant du concédant que des concessionnaires; où les raits et les
actes sont expliqu és et mis en relief de telle façon que tout le monde soit à portée
de les apprécier , et puisse restituer aux faits la physionomie qui leur est propre
et aux actes leur ,'érilabl e signification. Enfin, il n'y a rien d'omis de ce qui peut
éclairer les deux situations diverses, le pour comme le contre.
Sur le tout, nous serons l'rais, sincères, clairs et nets; nous avons une trop
belle cause, pour user d'artifice.
Nous nous born erons pour le moment à la discussion des faits, réservant les
prin cipales question s de droit pour plus tard, quand nous serons devant les
tribunaux; elles seront alors traitées à fond par des hommes compétents.
Mais irons-nous devant les tribunaux? Qu'il nous soit permis d'en douter.
Nous avons même la conviction que lorsqu'ils connaîtront mieux notre bon
droit, ceux que nous appelons nos adversaires, nous laisseront en paix,
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HISTORIQUE
du canal de Craponne et des arrosages de Salon,
Rien de plus connu dans la contrée que J' origine et l'histoire du canal de
Craponne, ouvrage d'un gentilhom me de Salon, Adam de Craponne, qui forma
le projet de dériver de la Durance un volu me d'eau capable de fournir aux
arrosages des terroirs qu'il traverserait, ainsi qu'à J' établissement des usines
qu'il se proposait de fai re construire sur ce canaL La situation de Salon à
proxim ité de la Durance, lui avait fait comprendre que le terroir de sa patrie, sec
et aride, mais placé ~ous un beau ciel, pourrait être aisément fertilisé, en
y in troduisant les eaux nécessaires pour l'arrosage des terres.
En 1554, Adam de Craponn e, sur sa requête adressée à la Chambre des
comptes et archives de Provence, et après informati on, obtint des président
et maitres rationaux de la dite Chambre , l'autorisation d'établi r une prise
d'eau dans le lit de la Durance.
Cette con cession porte la date du 17 Août 1554, Elle est co nçue en
ces termes:
Considéré l'augmen tation el accroissement , proffict et util ité de la cbose publique,
avons donné et donDons, par ces présentes, congé, authorité, pouvoü' et licence au dict
Adam de Crapponne, suppliant, présant, stipullanlet acceptant pour lu y, ses béritiers et
successeurs, de prendre l'eau en la dicte rivière de Durauce et fai re la prise eseluse de
ladicte eau au terroir de Janson pour la conduire et dériver par un béal et fossé de la
l.rgem· et profondité que verr'a lu i estre nécessaire p.r le dict terroil' et ~ar les terroit's
de Laroq ue et Sauvecane , Valbonnette, Mallemort, Allein , Lamanon , j usques et au
dedans du terroi r de Sallon, eL du dict Sallon par les terroirs de Lançon et Cornillon
j usques et a u dedans du terroir de Sain t-Chamas, pour la vuider à la mer, et de fa ire el
conslruire de la dic te eau et pa rto ut le long de son dict béal et dérivation et en tel lieu
que bon Iuy semblera et où la dicte eau se pourra conduire, mouli ns, angins d'eau ,
usages et autres uUlIités qu'il se po urra adu iser de fa ire à son promet, et pOUl' en
jouir, user et disposer, tan t pour luy que pOUl' ses dicls sUCcesseurs q uelsconques,
comme de chose propre el p our le service et commodité des dictes comml/naulés gén érale-
-7 ment et particulièrement, et sans que les dictes communau tés e t pal'liculliers œicelles,
ne aulLres, ne puissenL prendre de r eau, ne s'en serni r sans le congé et expresse
licence du diet de Crapponne, et ce à peyne de cinquante livres tournois, applicables
la moytié au Ra yet l'autre mo ytié au dict de Crappoulle, pOUl' chascune foys qu'il
sera contrauellU J sinon que au x lieux qu'au ltrement aua it esté accordé c t conuenu par
le dict de Cl'apponne, à la cbarge qn'icelluy Adam de Cra pponne sel'uira an roy pom
la dicte prise de la dicte ean nn esen sol de censi ne aunuellement payable à cbasenne feste de la Toussaincls, etc ... , etc . . "
Adam de Crapon ne mit tout de suite la main à l'œuvre. En quelques
années , il exécuta son entreprise. L'eau fut introduite dans le canal pour la
première fo is, le 13 mai 1557, mais seulement à titre d'essai. Craponne fit
ensuite appel à ses concitoyens, qui lui vinrent en aide de leurs bras et de
leurs bourses, pour le perfectionnement de son œuvre ; et, le 30 avril 1559,
il amenai t les eaux jusqu'aux portes de Salon,
Le fait du concours prêté par les habitants de Salon à Crapon ne pour
l'achèvement de son canal, est établi par une délibération du conseil général
de cette vill e, du 21 mai 1558, dont suit la teneur:
Convoq ué et assemblé le vénérable conseil général de la présente ville de Sallon et
dans la maison commu ne d'icelle, par Anthoine Sanguin , segond Trompette-juré de la
dicte ville, a esté crié et notiflié pal' tous les lieux et carrefom s de la présente ville de
Sallon, pal' commandement de M' le Viguier et à la requeste de Messiea rs les Couseuls
pour faire l'élection de ),[' le Capitaine; auquel conseil sont esté présen ts noble Garcin
de Rez, lieutenaut de Vignier, nobles Balthazard, Damisaoo et Jehan Suffren , conseuls,
Brenguier- Chailhol, assesseu r (suivent les noms des autres assistants a u nombre de H ).
A esté exposé par ),[ollsieur l'assesseur, à la réquisition de uoble Jeban Isna rd interuenan t pour noble Adam de Carponne (l ), que s'il estai t a u bon plaisi r de la ville luy
volloir aeem'de r deu x ero"sades pour paracheuer ses foussés pOl'" (aire veni!' la n "rance
al< présent liet< po",' ce q,,'est plus tost al< prof1iet de la ville que ault /'ement.
CONCLUSION.
A esté conclud par les susd ic!s assis tans que l uy sera bai/hé c/wx c!'o!lsades pour et
anx fins q!I,e dess us.
(Règ. des délibéra tions, année 1558, fol. 55 à 59),
On entendait par deux croisades, deux corvées ou journées de prestation
que les paysans devaient fournir en nature et les autres en argent.
fI) Noble Jehnn Is nard étai t cousin germain de Craponne. Ils éta ient enfants de sœurs .
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Les arrosages de Salon, quoique éloignés d'environ quatre lieues de la
prise, furent exécutés des premiers et subsistent encore depu is trois siècles,
Cet événement est attesté par César Nostradamus, citoyen de Salon, co ntemporain de Craponne et même so n parent, lequel dit, dans so n Histoire
de Provence, que l'eau (nt à son niveau le dernier four d'av1'il 1559, il
l'usage rlinfinis moulins, et d'innombmbles, plaisants et (ructtl,eux aIT01ISements , qui (m'ent constl'Uits l't tù'és dès-loTs pal' mille diverses branches
et l'Itisselets , et saiguées du maistl'e el lJrincipl!1 canal.
Jules Raymond Solery, dans sa Description historique des villes et lieu3J
de Pl'Ovence, qu'il écrivait de '1560 à 1567, dit, en parlant de Salon , que
celle noble ville, située sur les confi ns de la Crau, est riche du produit de
ses oliviers et que ses champs ont été fertilisés, au grand profit des habitants de la ville et de la campa"O"[)e d'alentour, par un canal d'irrigation que
depuis environ six ans, Craponn e , habile ingénieur hydraulique, a tiré de
la rivière de Durance , sur un parcours d'environ quinze milles.
Oppidum nobile alearllm (era.citate p1'œpollens, in campi lapidei ext1'emitate situm CIo/lIS agl'i magno civiwin et circum inco/a,mm compendio , ab
annis sax cù'citel', Craponi , ingeniosi vù'i arte ù."igui atqlte (e/'aces 1'edditi
sunt, ducto Druentiœ fillmine alveo pel' miltiaria qllindecùn ci1'cite/', ( Extrait du Manuscrit déposé à la bibliothèque d'Aix. Liber II Caput XXI. )
Ces traits d'histoire so nt appuyés sur la foi d'un e infinité d'actes contemporains, Ainsi, nous trouvons dans les registres des délibéra lions de la yill e
de Salon, de celle époque, que dans un conseil général assemblé le 28
janvier 1560 , sur l'autorisation de Monseigneur l'Archevêque d'Arles, seigneur temporel et spirituel de Salon , et auquel assislen t plus de 70 co nseillers
ou nOlables , il est délibéré d'avancer à Adam de Craponne, une somme de
1000 écus, pour lui procurer le moyen de con tinuer à Salon l'arrosage de son
terroir, comme en l'année 1559 qui venait de finir.
Voici les termes de ce tte délibération:
A esté exposé par M, l'assesseur et suyuant la licence bailMe par te se ign eur reuerendissime Archeuesque d'Arles , en date du 23 janvier courant, de pouvoir assembler le dict
couseilh générat, que noble Adam de Crapponne pour ce qu 'i! a promis de bailher de
t'ea u qu'il mène de la riuière de DUl'ance, tant au lieu d 'Eyguières, Istl'es, Lançon que
à Petlissanne et aultres parts, que se.ra la cause tellement que s'il ne retargue les
foussés pour faire venir ptus grand quan tité d'eau , ne pourra bailher d'eau à la présente
ville de SaUon pour arroser les vergers et aultre. possessions, comme il a faict la présente
-
9-
année, ce qne seroyt gl'and dommaige à la dicte ville l'eu que pour les arrosaiges qu'it a
faict en la présente année (1559) de son eau la ville en l'allait plus de sept ou buict
mille escus, et que icellu y de Crapponne auroit diet à Messieurs les conseuts et officiers
que s'its, auec le bon volloir du conseil, lu y veullent bailher la parote de tu y (aire
prester miUe escus à change ou bien les prendre pour tu y et en obtiger les biens de
la ville, qu 'il se soumettra à bailhe,' d'eau i, suffisance pour l'ar rosage du dict Salton el
aux lieux où il pournf, condui,'c son eau , sans toutes fois gu1iL entende aulcunement
que la dicte ville soyt frustrée de la dicte som me de mille eseus, ne du change
et inthérets à celluy qui tes preste!'a, et pour le releuement de tad. ville, eu cas
qu'elle soy t coustrainete payer lad . somme et intherests d'icelle, led, de Crapponne il
obtigera tous et ung chascung ses biens meubles, et immeubles présents et aduenir, et
spéciaUementet expressément ses fossés et factures qu 'il a d'jceulx, despuis ta riuière de
Durance où il prend son eau jusques à la mer dans laqueUe it préthand faire tomber sad.
eau, ensemble tous les moUins et aultres engins qu'it préthand faire à la dicte eau ,
lesquels seront ypothecqués par l'assurance et desdommaigement de la dicte ville,
CONCLUSION
A esté conclnd par la plus grande et saine partie dud, conseil gé néral qne lad, ville
emprunctera pour led, de Cmponne ou bien luy bai thera la parole de lad. somme de
mille escus à la charge que ted, de Crapponne pour le desdommaigement et reseruation
de tad. ville et commune suyuant son offre, obligera tous et ung chascung ses biens et
spéciallement ses dicts foussés, facture œiceulx et engins qu 'il voudra faire, en cas que
lad , ville fut au lcunement constrainte payer pour led. de Crapponne lad. somme, change
ou intél'ests d'icelle, et pour emprun ter led. argent lad, ptus grande partie à faict et
constitué ses procureurs, MessieLU's les conseuls et officiers de lad, ville et ung chascung
d'euh pour le tout prendre et emprunter ta dicte somme de mille esous et icelle bailher
aud . de Crapponne, et pour le releument de ceLluy qui les prestera, obligel' tous et
chascungs les biens de ta communau lté à la charge que deuant bailher Led . argent aud.
de Crapponn e luy feront passer les obligations et ypotbecques par lu y promises,
(Registre des délibérations a nuée 1560 , fol. 96 et suiv.)
L'exécution de cette délibération ne se fit pas allendre, On lit au foli o
324 du registre des actes reçus par Mc Gauchier Cazall et en 1560, un acte
intitulé promission, par lequel Adam de Craponne confesse a\'oir reçu de la
communauté de Salon, huit cents écus que celle-ci venait d'emprunter suivant actes d'obligation y énon cés, savoir: 600 écus du dé\'ot monastère
de Notre-Dame la Chartreuse de Bonpas et 200 écus de MG Aulzias, de
Cadenet, docteur ès-droits de la cité d'Avignon,
En 1561 , plusieurs arrosages étaient établis dans le terroir de Salon, et
J'on trollve à cette époque un acte du 12 octobre, notaire Mo Pierre de la
2
�-
JO-
-11-
Roche. porLant arrentemellt par Adam de Craponne à ~[. Joseph ~oche,
notaire royal, des arrosa,ges et eigages de l'ean de Durance qlle le dlct. de
Crappollne a fa it venir à SaUon tant pour an'ouser et aiguer vergwrs ,
vignes, q!/e pl'eds et jal'dins, et ce pour troIS ans et moyenn ant le pm et
omme, les dicts trois ans, de 500 Jlorms. Le terra 10 qUI devait profiLer de
ces arrosages est ainsi désigné par ce titre: Gailli qll'i est en dessoubs (1'11
lossé vùm!J; du dict de Crapponne IIccomençant et .pl'enant led. an'ousement
el eiguaige desplIis l'entrée de la terl'e du tel'rOtr dudtet Sa,Uon dUl~a71t,
tira nt, fins et jusques et finissant al< bOltt des vignes et /)el'ger~ des fal~ses
du Quin/in . On entend par faIsses du QUIO tlll , le bas fonds qw est à . 1est
des terres de Labor)", au quartier de Saint-Roch. Ce même acte mentIOnne
également un autre espace arrosable : Ce sont les jat'dins et pr~s q!!t se
penvel1J an 'asel' de l'eau qui 1Jasse par la Vigne de noble Matlilas !sllal'(l
dud. Sa /Ion ou aultTB paTt où IJO!ll'ra passel' . La vIgne de noble Matluas
Isnard était à l'Est du portail de Pélissanne et descendait au midi. Les quartiers dési<7oés dan s cet acte ne sont autres que celui du. Gresc. el ses . dépendances . JI faut observer que dans cet arrentement étatt aussI co mpnse un e
partie des eaux introduites dans le canal particulier du moulin des qua~re
tournants, soit le surplus des eaux destiné à faire tourner le dit mouhn,
puisque ce fossé particuli er était en dess ous du fossé vieux et se trouvait
également compris dan s l'étendue désignée par le bail à ferme. des arr<lsages. Le fossé \~eux ne se trouve ainsi dénommé que par oppositIOn au fossé
particulier du moulin des Quatre Tournants qu'on pouvait appeler fossé nouveau, pour avoir été fait tout récemment à cette époque.
Il résulte d'un autre acte du 26 avril 1564, notaire Pierre de la Roche,
que M" Roche, fermier des eaux , sous-anenta aux frères Reynaud une pa~
tie des arrosages qu'il était obligé de faire , et entre autres pactes convenus, Il
y fut dit notamment que l'eau serait prise depuis le porteau' de Pélissanne
en haut et distribuée à qui en aurait besoin, au prix accoutumé. Or l'espace
déterminé dans cet acte, du por/eau de Pélissanne en haut , comprend le
fossé du moulin des Quatre Tournan'ts et conséquemment les arrosages qui
en étaient dérivés ; ce qui devient encore plus clair au moyen du pacte
apposé dan s cet acte, et portant que les arrosages y mentionnés ne préjudicieront point à l'eau qui sera nécessaire pour le moulin à blé d'Adam de
Craponne , pacte qui eùt été très-inutile, s'il n'eùt pas existé des arrosages à
prendre sur les eaux de ce fossé.
On peut assurer, d'après cet acte, que les eaux des arrosages se prenaient
tout à la fois et dans le fossé vieux c'est-à-dire dans le grand canal de
Craponne, et dan s le fossé nouveau, c'est-à-dire dans le fossé particulier au
moulin des Quatre Tournants. La moitié de ce moulin avait été vendue à Palamède Marc, seigneur de Châteauneuf, par acte du 6 mars 1559, notaire
Roche, mais on ne lui avait pas cédé les arrosages qui se faisaient des eaux
du fossé particulier du dit moulin , puisque le fermier d'Adam de Craponne
retirait les profits de oes arrosages, soit en 1561, soit en 1564, ainsi qu'il
résulte des actes sur ce passés, Dans la vente à Marc de Châteauneuf,
comme dans les autres ventes faites du restant du moulin des Quatre Tournants , par actes des 7 mai , 13 et 17 juin 1564, notaire Roche, la seule
chose à laquelle s'oblige Craponne envers ses acquéreurs , c'est de bailler de
l'eau à suffisance pOUl' faire mouldre le dit moulin des Quatre TOlt1'nants.
~
Adam de Craponne, qu'on le remarque bien, en lisant les actes de l'en te
du moulin, ne baille aux acquéreurs aucune partie des eaux destinées aux
arrosages.
Ce. fut dans le même temp s à peu près que, par acte du 15 février 1562 ,
notaIre Roch e à Salon, Adam de Craponne co ncéda à Antoine Marc dit
Capitaine Tripoly, absent, mais représenté à l'acte par noble Jean Isnard,
son neveu et son mandataire, quatre pans d'eau pour être em ployés à l'arrosage du quat,tirr du Gresc, depuis la terre de Lamanon jusqu'au quartier
des Estrets, avec faculté de prendre les quatre pans d'eau de large et un
pan de haut, par deux ou par plusieurs espaciers, pour la commodité des
arrosages, avec la prohibition respective , savoir à Adam de rraponne de concéder de nouveaux arrosages dan s le dit quartier, et au Capitaine TripoJ)'.
de se servir des quatre pans d'eau qui lui étaient aliénés, pour autre usage
que celui de l'arrosage, et à la co ndition de ne s'en servir que depuis la
mi-avril jusqu' à la mi-septembre.
Cette co ncession de quatre pans d'eau pour les arrosages du Gresc était insuffisante pour alToser tous les fonds de ce vaste quartier. Adam de Crapon ne fit
agrandir so n fossé dan s lequel il versa un e plus grande quantité d'eau;' et comme
le pacte prohibitif de concé.der des facultés uouvelles n'avait d'autre objet que
la crainte que les eaux vinssent à manquer pour satisfaire aux autres concessions qui auraient alors été faites , Adam de Craponne, dès qu'il eut augmenté
le volume d'eau concédé à Tl'ipoly, se crut en droit, comme. il l'était eu
efTet, de faire des concessions nouvelles ou des ventes de facultés d'arrosage
dans re terroir de Salon et au quartier du Gresc, comme au quartier des
�-
12 -
•
Viougues . . ('1) Nous reviendrons plus tard sur l'interprétation à don n.er ~u
pacte probibitif. Ces veutes furent effectuées par actes pubhcs, SOit pal CI aponne, soit par ses mandataires ; elles furent fattes sous les y~ux et du consentement du Capitaine Marc Tripoly. On dit qu'elles furen t (altes sous ses
, . parce qu'il ne pouvait pas ignorer ce nombre infini de conceSSIO ns fal ) eux,
.
'
.
d r
tes dans la ville de Salon, par actes pubh cs, chez les d ivers notaires u leu ,
actes dont chac.un avait connaissance et qni d'ailleurs s'exécutaien t journ ellement au vu et su de lui et de sa famille. Elles furent rappo rtées de son
consentement, parce que, dans la transaction de 1571, dont no us aurons
bientàt occasion de parler, ses héritiers étaient présents en la personne de
noble Jean Isnard , leur tuteur, lequel y a consenti à ce que to utes les con cessions r eçues par mains publiques fussent réservées, quoique pos térieures à
'1 562 et bien qu'elles portassent, en majeure partie, sur le quartlCr du Gresc.
Ce J ean Isnard, tuteur des héritiers Tripoly, es t le même qUI avait passé
l'acte de 1562 ; par conséquent il n'ignorait pas la prohibi tion qu'il avait IUl.
même s tipulée dans cet acte.
Bien plus, le dit Jean Isnard, a rapporté, en son propre nom,. plU Sieurs
concessions postérieures pour des fo nds qu'il possédait dans le dit qu artl:r
du Gresc , con cessions résultant de deux actes p ublics, reçus par deux no taires différents du pays et que no us copions en entier:
Du 14' d'aoust 1566.
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icelle stipulant, pOUl' laquelle néamoi ns s'est faict fort et a promis faire ratimer lecontenu
en ces présentes quant requ is en sera, de leur arroser bien et deuement toutes les foys
et quantes que besoin et nécessaire sera, aux propres costs et despans dudit de Craponne,
à perpétuité , les ungs, toutes foys après les aultl'es et chascung pal' son rang et ordre,
scauoir est: un ve l'gier contenant quatre carteil'ades 1 assis au terroir de Salloo, lieu dict
an Grès, confrontant le verger de Palamèdes Marc, esenyer, seigneur de Chasteaun euf, au
verger dotal de Colin EscalTat, verger de Louis Thérie et aultres.
Item uoe vigne et vel'ger contenant deux carteirades et demie, assis audit terroir, lieu
diet le Passet d' A ulbes siue la ;I[asguguette, confrontant au verger de noble Jehao Suffren,
la montagne et vigne de François Jehln et Etienne Matherons et aultres ;
Item un verger contenant quatre carteil'ades, assis au Grès siue au chemin d'Avi9non,
terroir dud. Sallon, confrontant au verger de M' Claude Angagne cellier et auec led. chemin et aultres;
Item un verger contenant sept carteirades assis au terroir dud. chemin d'Avignon,
confrontant au verger de Peyron et Pierre Rauel et led. chemin et au verger de Palamède Marc, escuyer, seig' de Chasteauneuf et aultres ;
Item un verge L' contenant une carteirade et tiers, assis aud. terroir, lieu dict au pont
d'A v ignon siue la Font de las Mayres, confrontant au verger de M. Anthoine Philipy et
le fossé desd. fonts et vigne de Colette Astière et aultres;
item une vigne et verger contenant deux carteirades, assis aud. terroir, lieu d. Viott -
gues, confrontant au chemin public, au verger dlAnthoine Albal'estier et aulLres ;
Item un verger contenant cinq carteirades, assis aud. terroir lieu d. Viougues sive le
Deltens , confrontant au verger de Joseph coustant, muraille entre deux, vergier de Benoit
David, etc., etc.
Item un vergier contenant trois carleirades assis aud. terroir lieu d. Viougues , confrontant au chemin allant à Pellissanne et au vargier de Jacques Paul, vigne et vergier
de noble Anthoine Viguier et aultres ;
Fédéric de Craponne, escuyer de la ville de Sallon, frère et procureur d'Adam de
Craponne, aussi escuyer dudil Sallon, fondé de procuration receue par M' Gauchler-CazaUet notaire l'an 1565 et le j our en icelle contenu , lequel de son bon gré, en quahté
,
l
•
Il
Item u ne vigne avec un coing de terre joignant ensemble, muraille entre deux, contenant en tout cinq cal'teirades, assis aud . terroir, lieu dicL aux hières de Jutarié ou.
l'Escallière , confrontant au chemin public, terre siue Saffranière de Pierre Rerès, mu-
:lragdeleine Marcque et à Jehan lsnard , escuyer, fi ls de ladite damoiselle de la ville de
Sallon , combien que ladite damoiselle soit absente , ledit lsnard , son fils , présent et pour
raille entre deux et la vigne de Fran ~.ois Ailbaud et aultres ;
POUl" lequel arrosage icelle Marque et lsnard seront tenus payer aud. de Crapoone ou
aux siens, un escu pour carteirade desd. pièces que se montent pour icelles vingt- huict
carteir.des et trois quarts , la somme de vingt-huiet escus d'or:Vallant quatre florins la
(~ ) Le quartier des Vioug ues et celui du Gresc sont deux grandes div isions terl'itor i.ales
pièce et trente-six soulz une fois seulement, lesquels vingt-huiot escus el trente-six
comprenant, chacune, une série d'autres quarti ers secondaires, désignés par des noms partlCuliers de s itu ation ou de convent ion . Ai nsi, dans la circonscription de Viougues, on trouve les
qua.rtiers appelés: Devens , Escalières, Bourdi nes, Saint-Jean, Crès de Bernard, /..."ria1l, les Roques ,
le Mouton, Rouvet, le )?allon, Cauardel, Rocassiers, Pe-yre- Pfantade, la Calluu, Chemin d'A ix, etc...
Le quartier du Gresc, beaucoup plus vaste, comprend , un plus g1'8nd nombre de ubdi vis ions
territo rial es qu'on ap pelle: le Grand-Cresc, le Petit-Gresc, les Aubes, le Thouret, le Passe t, Cognet
de l' Hôpital , la Garrigue, le Clos de Castel, Massuauette, BUl'Uère, la Pinède. l'Arellier, la Lau:.e, Talagard, FouqueY1'an, Passado uires 1 CI,emin d'Avignon, Font des Maires, le Perier 1 Ca1lo,,'gue, Derrière
Saint-Lau rent. la Baume, le Peyron , Sa int-Come, Magatis, Peyron-Blanc, Taulières, ll1anière, la
Gard y, Estrets, etc." ., etc.".
sou lz icelluy Fédéric de Craponne a dict et confessé d'avoir heus et reçeus desd. Marque
et l,nard, mère et fils, dont les a quictés et qui cte etc . . ' Et neantmoings payer à tousjours mais and. de Craponne ou aux siens troys soulz pour carteirade desd. pièces
de procureur, a promis eL convenu ) promect et convient pal' ces présentes à damOlse e
toutes les fois qu'elles seront arrosées, duquel arrosage icelle dU. et dict lsnal'd et les
leurs en pourront faire à leur plaisir et volonté comme de leur chose propre et par eux
acquise en ce qui concerne l'arl'osage des susd. pièces, les meLtant en son lieu et place,
promeclant pour ce lesd. parties respectivement par leur foy et sarment presté aux
saiucts euangilles de Dieu et soulz l'obligation et ypothecque etc.
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'H -
Faict et passé aud. Sallon en la place des Arbres ez présence de s' Authoine Albarestier
et de s' Jehan TroDc, bourgeois dud. 8allon. tesmoings cl ce requis et appelés et soubzsign ~s ayec lesd. parties.
( Signés) Fédéric de Craponne, Jehan rsnard, Jehan Tronc, AnthoiJ1e Albarestier et
Laurens, notaire.
NOTA : Les cinq premièl'es propriétés de l'acte qui précède dépendent toutes de la diYision territoriale du Gresc oit sont les arrosages du capitaine Tripoly .
Teneur du 2 me acte de concession.
Scaicbent tous présents et aduenir que l'an mil cinq cens septante et le Lrentiesme
jour du mois de mars, en la présence de moy Pierre de la Roche, notaire royal de la
ville de Salloa , soubzsigné et des tesmoings soubz nom més et escripts feut p" ésent en
sa personne Adam de Craponne , escuyer de Sallon, au ressort d'Arles, lequel, de son bon
gre, pure et franche volon lé pour lu y et les siens beoü'S et successeurs à l'aduellir quelsconques a fai ct venditionà Jeban lsnard , aussi escuyer dud . 8allon, ici présent et pour
luy et les siens heoil'S et su ccesseurs à l'adnenir stipulant, acceptant et recepuao t
.c'est à scauoir de l'eall des fossés de Durance pour arrouser à perpétuité ung vergier
d'olliuiers du dict Isnard SItué à Callourgue,o; tenroir dud. Sallou, contenan t six carteirades ou euuirou , lequelled. lsnard a acqu is par droit de prélation de sire Jacq ues Paul,
couIrontant d'une part avec le chemin , d'autres le vergier de l'ieITe Tronc et vergier.d.e
sire An thoine Bezaudi n ou de ses enfants, d'autre le vergier de Anthoine de Viguier,
€:Scurer et le viol et les autres con fronL< plus vérita bles si point y eu a ; moyennant le
prix el somme de six escus pistoUets que led. Adam de Craponne a confessé d'auoir beu
et re,eu réellement en bonnes mounoyes blancbes dud. lsnard de quoy l'a quicté et
quie te lu y et les siens et a promis et promect ne leur en Jaire jamais au lc une pétition
ne demande, avec les paches fui cts, diots , conuénus et accordés entre elles respecLiuement
.interuenaat que s'eu suy ueat : et premièremeut a esté de pache que led. Isnard et les
siens pourra prendre des mains des aiguaices et à sou rang d'eau des diets Jossés pOUl'
arrouser cbascune aunée à perpéLuité led. vergier au temps neoessaire ; item que Led.
lsuard , oultre el par dessus led. prix de six escu.ts seca attenu de payer pOUl' ebascune
fo )'s qu'il arrOusera led. vergier trois sou/:' par cal'teirade comme les aultres particuliers dud. Sallon, à celluy qu'i l appartiendra. Lequel de Craponne pour l uy et les siens
que dessus a promis el promect aud. rsnard icy présent et pour lu y et les siens que
dessus stipulan l, acceptant et recepuanl, lad. eau perpétuellement aux fi ns sU,. dictes et
de luy en estre attenu de toute euiction et garantie enuel'S tous et contre tous, tanl en
jugement que dehors, et de laquelle dicte ea u et arrousaiges que dessus a ussi vencl.us
led. de Craponne pour luy et les siens que dessus s'en est desmis, despouillé et dessais)' et
diuesty pour et au prollict dud. [snard , et lequel il en a saisy et inuesly pal' toucbemen t
de mains faict ensemble, ainsy qu'est de bonne coustume, promectant les parties une
cbascune d'icelles respectiuement en son endroit pour eu lx et les leUl'S que dessus,
-
15 -
d'anoi~ pOUl' agréable, Jerme et stable tout le contenu du présent acte slins jamais y contra ueoll', etc., etc.
Faict, passé et publié aud. 8allon, dans ma boutique en présence de Jehan Mathen
broquier et de Jeban Tauriguan , trauailleur dud. 8allon , tesmoings à ce a ppelés et d;
moy notaire royal soubzsigné qui ay requis tant dictes parties que tesmoings de leur
voulloir soubzsignel' suy uant l'edict du 1\oy, lesquels tesmoings ont dict ne scauoir
escripre 1 et lesd. parties se sont soubzsignées, ainsi sig nés, Adam de Craponne, Isoard et
de la Rocbe, notaire.
Il faut qu'on sache que le quartier de Canourgues, renfermant la susdite
propriété de Jehan Isnard, es t situé au milieu de la division territoriale du
Gresc où s'exercent les arrosages Tripoly.
Il faut aussi observer que l'acte de vente qui précède, passé en l'année 1570,
est une des dernières co ncessious d'arrosage faites par Adam de Crapon ne
et que la clause soulignée sera tenu led. Isnard de payer pOlir cluisclme (ois
qu'il al'rosm'a trois sous pa!' ca/'teirade, comme les autres particuliers
dudit Sallon , explique très-manifestement que déjà presque tous les habitants
de Salon avaient acquis la faculté d'arroser leurs propriétés.
La concession de quatre pans d'eau faite en 1562, au capitaine Tripoly,
devait avoir son effet dès le moment que le bail cle Mo Roche serait arrivé
à son terme, c'est-à-dire à la fin de 1564, Les eaux de cette concession
étaient d'abord appliquées aux biens propres du Capitaine Tripoly et le
résidu élait ensuite vendu et distribué par lui el à son profit, . aux propriétaires des fonds qui voulaient s'en servir, en payant la rétribution accoutumée.
}fais il s'en faut que cette concession fût la seule qui eû t été faite pour
le vaste quartier du Gresc. Il existait une foule d'autres concessions particulières ayant également leur effet en faveur des possédants-biens qui les
avaient rapportées, pour leurs terres situées dans les différents quartiers du
territoire, arrosages exigeant un volume d'eau bien supérieur à celui qui avait
été concédé au Capitaine Tripoly. On peut évaluer ce volume d'eau à quatre moulans au moins, dont plus de trois moulans avaient été affectés aux
quartiers cle la division du Gresc, en dehors de la concession Tripoly; ce
qU'JI sera fa cile de justifier pal' les actes et contrats sur ce passés entre
Craponne et les habitants de Salon,
Adam de Craponne ne pouvant suffire à la fois et à la surveillance des
agrandissements successifs de son canal et à la confection des actes à passer pour les innombrables demandes d'arrosages qui lui étaient faites journellement par les possédant-biens au terroir de Salon , se déchaL'gea sur
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- 1. -
son frère ainé Frédéric de Craponne, du soin de consentir les facultés
d'arrosage sollicitées de toutes parts et pour plusieurs desquelles il ava it
déjà reç.u des à-co mpt es et l11 ~me tout le prix . Il fit donc à celui-ci une
procuration spéciale, le 15 juin 1565, aux écritures de Me Gauchier Cazallet,
notaire à Salon. Adam de Craponne dans ce mandat, limite le prix et les
conditions des concessions d'arrosage, ce qui prouve qu'indépendamment
des venles qu'il avait déjà consenties par actes publics , il avait fai t d'autres
concessions verbales, qu'il n'avait pas eu le Lemps de faire revêtir de la
forme authentique. Voici ce tte procuration d'où éman e le plus grand nombre de nos facultés d'arrosage .
fustier dud. Sallon, tesmoings à ce appelés, lesquelles parties se sont soubzsignées
comme sawhant escrtpre. Ainsi signés à l'original de Carponne, Frédéric de Carponne,
Cazallet, notaHe.
-
PROCURATION .
Du quinziesme jour du moys de juing m il cinq cens so îxaute- ciuq.
Adam de Carpon"e , escuyer de la vi lle de Salloo, lequel de sonbon gré, sauf toulesfoys
la reuocatioo des procureurs par lu y aultres foys fai ets et constitués, de nouueau en la
mellheure forme et mauière que faire ce peut et doibt, a faict cons~i tué, stabl y et ord onné
son procureur général et certain messagier spécial , sans que la spécialité à la généralité
non dérogue au contract, assauoir est Frédéric de Carponne, escu yer dudict Sallon, son
frère, illec présent et la charge de la présente procure acceptant expéciallement et expressément pow' el au nom dudict C011stilucml accorder auec tous et cltascumgs les pal'ticulliers
dud. Sallal' et a"ltres que bon luy semblera des arronsaiges de l'eau de Dt/Tetnee appartenant au dict constituant à \vng escut pour chascune cartheymde payable pour une
foys tant seullemenl; et moyennant le diet eseut led. procureur poulTa passer ac te
auec tels particulliers du dict arrousaige à raison de troys gros pou r chascune foys que
arro:;eronl perpétuellement pOtt1' chasculle cartheyrade el sans leur pOlluair demander attltre chose, auee puyssance de ex ige l' le dict argent et en faire acquit auee les dicts particulliers en forme deue et de t:e qu 'il exhigera en faire bon compte et pl'estel' le reliqua
au diet constituant auee puyssanee de faire ung ou plusieurs procureurs eo toutes
COUTtz el, aultrement faire , dire et procurer tout ainsy et ne ptus ne moings que feroyt
et faire pourroict si le dict constituant y estoit en propre personne, j açoy t que le cas
requist mandement plus ample et espécial, promectant pour ce led. constituant pal' ses
fol' et serment presté entre mes mains aux sai nets éuangilles de Dien et soulz l'obligation de tous et chascungs ses biens meubles, immeubles présen ts et aduenir, qu'il a
pour ce soubzmis et obli~és aux courtz, forces et r igueurs de Messieurs les li eu te nant
de Senescbal de Provence, submissions dud. pays, ordi naire dudict Sallon et cbascune
d'icelles, qu'i l aura agréable tout ce que pal' son dict procureur et substitués sera faict
dict et procuré et les releuera de toute cbarge de procuration, ainsi a promis ester à droict
et payer l'adj ugé si mestiet· est ; Fait et pas,é au dict Sallon et dans la maison de sire
Anthoine de Cadenet et en présence de Ballhezar Sappet , cousturier et Jehau Reynaud,
,
Les demandes d'arro,sages affluèrent de touLes parts. A l'exception du petit
nombre de ceux qUi n avalent pas les moyens d'en acheter, mais dont les proP~' I,é l és devaie nt être. arrosées moyennant une redevance un peu plus con sidel able, savoir: aux VlOugues, par un moulan d'eau à cet effet réservé, et au Gresc
par les quatre pans de la concession Tripoly, tous les propriétaires de fonds
arrosables s'empressèren t d'y assurer à Lout jamais le service de l'irri''ation' tous
~'oulurent aVOIr des facultés perpétuelles, incom mutables, afin de u~ètre ~as un
Jour exploités, rançonnés à mercI par quelque mercenaire succédant aux droits de
Craponne.
Les contrats ,furent passés chez les divers notaires de Salon, mais le notaire
Joseph Roche, 1homme de confiance d'Adam de Craponne, so n agent d'affaire,
son fermier , son bailleur de fonds, fut celui qui en reçut le plus grand nombre.
Il avall. pour ces sortes de contrats, tJUS faits sur le même modèle, un rerristre
partlculter, grand format, intitulé Protocole de Crapponne où les conces~ions
~'arrosage étaient inscrites à l'étendu. Nous avons des pre~ves irrécusables de
1eXistence ~e ce registre; nous en avons aussi de sa soustraction par des
malllS el'lmlllelles; nous les fournirons, ces preuves, dans le co urs de la
discussIOn.
, En moins de trois ans, il fut vendu d~s arrosages pour plus de quatre moulans
d eau, ce. qUI se trouve ~émontré de la manière la plus éviden te par les prix de
vente qUI furent enca lss~s, SOit par le mandataire Frédéric de Craponne, soit par
Adam de Craponne, SOit par ses créanCiers, - Cessionnaires.
Il résulte en effet et tout dabord de la décharge de mandat faite, le 15 février
1568, par Adam de Craponne à Frédéric de Cl'aponne , son frère et son manda·
taire, que celui-ci lui rend compte d'une l'ecelle de 111 3f; florins (1) représentant
des pl'lX de co nceSSIOns pour 2784 car/erées, soit 8352 émines , fai sant en mesure
nouvelle 668 hectares 16 ares.
~ous avons lu plus haut la procuration , notaire Cazallet, de l'année 1565, lisons
mall1tenantla décharge du 15 février 1568, notaire Ponsard :
(1) Ce qui suppose des concessions pour plus de 000 arpents dc terres dit le li "r' ve t '
page ;>7.
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présence des sieurs Lays Scarpin et Jehan Tab
ce appelés, lesq uelles parties ensemble 1 d our, reuendeur dud . Sallon, tesmoings il.
A. de Craponne Frédéricq 'de C e . Tabour, se sont à l'original ainsi signes.
Ponsard.
'
raponne, Jehan Tabolll'.. tesmoin0a et m Dy notaue
.
ACTE DE DÉCHARGE,
Uan mil cinq cens soixante-huit à la natiuilé nostre seigneur et le quinziesme jour
du mois de Féburier, comme soyt que des années passées Frédéricq de Craponne, esen yer
de la ville de Sallon, frère de Adam de Craponne aus,i eseuyer dudict liell tant comme
procureur dïcelluy que aultrement heusse promys verballement et contracté par actes
publiques tant par ventes, pris faicts, achepts, louaiges de ses eaux que aultrement
comme que ce soye exigé, reconnu et paié toutes et celles sommes de deniers, sur ce faict
compte nnal ensemble de toutes choses pailles et administrées par le dict Frédéricq pour
led. Adam jusques au présent jour ayant fa ict description et compte tant de l'entrée que
versée, les papiers de ladicte admin istration ce jourd'huy baillez et expédiez par icelluy
Frédéricq aud. Ada:n, tellep~ent que l'entrée s,ne receu ce monte unze mille cent trentesix florin s neuf soulz six deniers tornoys, et l'ysseue siue le despandu douze mille
aeux cens unze florins sept soulz UllZe den iers tornoys; en sorte que reste plus pour
plus auoir esté frais que receu, mille septante-quatre flourin s dix soulz nenf den iers
tornoys que ledict Adam est redeuable au dict Frédéri cq, ai nsi que les dictes parties
ont dict estre vray à moy notaire et tesmoings. Pour ce en présence de moy Joseph
Ponsard, notaire et tabellion royal de la dicte ville de Sallon soubzsigné et des tesmoiugs
souhznommez personnellement estably le susnommé Adam de Craponne, lequel de son
bon gré, pure et franche volonté par luy et les siens, hoirs et successeurs à l'aduenir,
ratiffiant au préalable tout ce que par le dict Frédéricq son frayre a esté faict, procuré
et exercé pour luy tant comme procureur, que hors de procuration et tant pour ventes
que aultrement comme que ce soyt jusques au présent jour, a promis et promect par
ses préSentes à icellny Frédéricq présent et pour luy et les siens à l'aduenir stipullant
de luy paie!' et rembourser la dicte somme de mille septante-quatre florins dix soulz
neuf deniers, à la prochaine feste de Noël, et néantmoings a confessé avoir heu et reçeu
d'ieelluy Frédéricq tous et ungs chascungs les papiers concernant la dicte administration et négociation dont et de laquelle ensemble des dicts papiers l'en a quicté et quicte
et les siens, et promis icelluy releuer comme il relene et indempoize de toutes et ehascune obligations et promesses par luy tant comme procureur que hors de procuration
:pour icelluy Adam à quelques personnes que ce soyent faietes; promectant le dict Adam
par sa foy et serment presté entre mes mains aux saincts éuangilles de Dieu e souhz
l'obligation et ypothecque de tous et ungs chascungs ses biens présents et aduenir
qu'il a pour ce soubzmis, obligés et ypothecquez aux cours dud, Sallon et de messieurs les lieutenans de M. le grand seneschal de ce présent pais de Prouence, cours de
submissions et d'ail heurs où juridiction se trouuera, qu'il aura le présent compte final,
confession, quittance, promesse et tout le contenu au présent acte agréable, ferme et
stable à tousioursmais, sans Y contreuenir en aulcune manière , à peine de paier tous despean , et domaiges et intérests, Faiet et passé aud. Sallon , en la place des Arbres en
Et qu'on ne croie pas que dans la somme dl '
'
en recette à Frédél'ic de Cra
'1
' e 1136 jlO1't1!S ci-dessus passée
ponne, 1 y ait autre cl
ventes d'arrosage, parce qu'il est patent u'Adam d lose ' que les prix des
ses usIDes ou moulins en ava'! d'
q
e Craponne , en vendant
,1
avance reçu le pro d
'
r'
1
IX e ses acquéreurs ou
b. len avait chargé ceux-ci d' en ,aire
e payemen t à
é'
'
II ne saurait y être compris le
d't d
ses cr aaclers. Non plus
pro UI es arrosages N
'
par acte du 12 octobre 1561 C
.
' ous avons vu que
é
'
' raponne avait aft
.
erm ses arrosages à
M. J oseph Roche , notaire , pour tl'OIS
ans et moyennant 1 .
ans, de 500 1I0rins sur lesquels '1
.
..,
a ,omme, les dits trois
.
1 en avait deJa reçu 200 Il
oc e evalt lui payer les 300 Il .
'
est vrai que
dR h l d "
onns restants à de é
"
ans e bail ; mais par acte d'obli"a!'
d 22 . ' . s poques determmées
à Salon, Adam de Craponne e ~ IOn dU
lanvler 1562, notaire Laurens
,
mprun la e M R h '
florms , avec promesse de lUI' en,aire
r'
le rembour
'OC e un1e somme de 500
vant, et il est dit dans ce contrat
C
sement e 15 oc tobre sui,
,que mpponne oblin t
mmgs ses biens p,'ésents et ad'
.
"e ous et lt1lgS chasvomr et spécwllement t t d
'
e
ut
Roche
est
obligé
aud
d
C
1 d
, e l'apponne po
' an d e ce que en quoy
de la l'ente des dicts arl'Osaiges'
,
ur raIson es arrosaiges, que
' .
a ventr après le te1'1n d d'
o Igahon n'a pas été acquittée a'
él'
e U Ict prest, Cette
1 bl
. son c leance n' 1
e cours du bail, rien n'I'nd'
, Il
.
' 1 P us tard , dans
,
'
Ique qu e e ait été
é l '
qUittance en marge, aucun bâtonnement de l'acte pal' e: l ,n y a point de
latlOn alors en usa"e ' il est e"d t 1
• aucun de!' signes de cancel~ ,
VI en a ors que s ' 1 500
'
. .
obhgatlOn, Adam de Crapo
"
UI es
florInS de son
,
nne .aura compen<é 300 Il "
devaIt encore comme fermier et q'
. 'à l' . ~I ms que Roche lui
explrat
d b '1
.
'
u ensUite
' , ' . JOn, Il al écrit, ce
dernter, pour se payer des 200 florin
continué de percevoir les arrosa"es s a~ue lUi r~slaJt deV?ll' Craponne. aura
ques années encore et même d:'aut Pt ltacltle IecOnductlOn , pendapt qu el.
'
an p us on"temp
"1
.
maIs, à déd uire des dits arrosa"es
ce
.
dl
"
,s
qu
1 J'avait désor~
ux e a concessIOn T " l
'
.
sorl1r à effet aussitÔt après le ba'l . 't d M
llpO J' qUI, devaJent
M.
1 ecn
e ,Roche
al.s la somme de 11136 110rins figurant en receUe ' ,
es t lOIn de représenter la totalité d
' . d' ,
dans 1acte de décharge,
.
es pnx aI rosaaes' les l
'
ces przx n'étant pas encore éellues à Z'é 0 11e d
~,'
au l'es pm'tles de
que plus ou moins Ion "temps après
Id
~ la dp.charge ne furent payées
ses créanciers, auxquels" il avait édé
am e Craponne lui-même ou à
c
un certam nombre de ses débileurs
t
�-
20 -
concessionnaires. Voici trois cessions qu'on ne pourra pas nier; elles ont
aé reçues par main publique el c'est aussi par main publique que les débitp.urs cédés ont opéré leur libération envers les créanciers cessionnaires de
Crapon ne ;
10 Un acte intitulé remission, du 8 novembre 1566, notaire Baptiste
Laurens, à Salon, par lequel Adam de Craponne cède et transporte à
François Pu ch, de la cité d'Avignon, une somme de 4'20 fl orins à exiger
el recevoir de vingt concessionnaires de facultés d'arrosages, dénommés au
dit contrat , ci ....... .. .. ..... , .... , . ........... .. ' ., ... 4'20 florin s.
'20 Autre acte dit de remission , du '24 juin 1567, notaire
Laurens, portant transport-cession par Adam de Craponne à
François Roard, de Salon, d'une so mme de '2'20 florins ou 55
escus à exiger et recevoir de vingl -qualre concession naires de
facultés d'arrosages, dont 19 sont dénommés dans les notificalion s faites de cet acte aux débiteurs cédés, ci .......... ' . '2'20 florins.
30 Un autre acte de transport-cession, du 28 mai 1568,
mème notaire Laurens, par Adam de Craponne à Jean Raybaud,
de Salon, d'une so mme de 30 écus ou 1'20 florin s à prendre de
noble Jehan Suffi'en, de Salon , en. dédt!ction et à bon compte de
ce que le dict Suffren es t obl'igé at! d'ict Cmpponne pO!!7' raison
des a1Tosaiges, advenant toutes {ois les termes des 1Jayements
!Ju est dix escu-s à cltascune (este de Noël , ci .. , ............ . , 1 '20 florins.
Total 760 florins ci . ... ... ' 760 florin s.
Représentant des prix d'arrosage pour 190 carterées, soit 570 émin es
faisaut en mesure nouvelle 45 hectares 60 ares.
i'iotons ici pour mémoire que sur les 45 débiteurs facultataires, cédés par
Craponne à ses créanciers P uch, ROa1'd et Raybaud, il ne se troU\'e plus que
les contrats de onze, qui sont dans les écritures des notaires Laurens et
Ponsard. Les actes des trenle-quatre autres débiteurs cédés n'ont pu être
découverts, parce qu'ils faisaient partie du protocole ou registre particulier,
où le notaire Roche avai t recueilli à l'étendu les concessions d'arrosage de
Craponne, et qu'ils ont été anéantis avec ce registre particulier, par des
misérables qui avaient intérêt à les faire di sparaître.
La preuve que ces con trats de concession , aujourd'hui introuvables, on t
existé dans les écritures du notaire Roche, résulte d'une manière éclatante
de l'acte de cession à François Puch, du 8 novembre 1566, notaire Lau-
-
21 -
rens, acte qui porte l'énonciati on suivante ; «n'ayant à présent le dict
Adam de Crapponne al'gent, ne moyen de paier et satis(aire aud. François
Puch lad. somme de quat1'8 cent vingt florins Ituiet soulz, auroit offert
d der et remel tre aud. Puch semblable somme de quatre cent vingt flol'ins
Imit soultz à lui det,bs pal' les parties cy-après retl'océdées et de ce en
sont obligés actes receus tant par Mes Joseph Roche, Joseph Ponsard,
notaires, que pal' moy Laurens , notaù'e, les ans et jours en iceulx conteneus,
assauoil': pal' Jacques Suffren tl'ente six florin s, por Louis Noël et Jehan
Viguier, frères, vingt quatre flotins etc.. etc.. (Suivent les uoms des autres
débiteurs cédés et les sommes qu'ils auront à payer au cessionnaire.)
Nous avons un e foule d'autres preuves de l'existence du registre particulier
de Roche, notaire, et de sa soustraction . Nous les fournirons en temps et
lieu. Maintenant continuons de rechercher les contenances titrées ayant droit
à l'arrosage.
Evidemment, les con tenances dont suit l'énumération , ne doivent pas être
co mprises parmi celles qui so nt représen tées par les sommes don t Frédéric
de Craponne a eu à rendre co mpte à son frère, puisque, ainsi que nous
all ons le voir, les deux premières n'ont pas fourni de prix à recevoir et que
celles qui suivent ont été payées a Adam de Craponne lui-même, ou après
hù , à ses héritiers.
Deux premières concessions d 'arrosage
sans payement de prix:
Louis Trieart, pal' acte du '21 janvier 1564, notaire Roche, a remis il bail
perpétuel à Adam de Craponne, un jardin sis à Salon, avee promesse par
celui-ci de lui arroser à perpétuité dix-huit cal'terées de possessions situées
en di{férent~ quartiers du territoire de Salon, ci ....... , 18 carterées
Michel Guilhen dit Cucuron, par acte du 12 mars 1566,
notaire Laurens, ob tint une concession d'arrosage perpétuel
pour 14 carterées de possessions en divers quartiers, et en
outre pour tous les antl'es vergers qui se poulTaient arroser et qu'il poul'/'ait posséder dans la suite. L'acte porte en
outre; et pOUl' le droit duel. arrousage ql" est un escu Po!!,.
A l'eporler . .. ,
----18 carterées.
�-
22 -
- 23 -
Report. . . . . 18 carterées.
cat'terée poyable une fois seulement , icellllY Frédéric de
Crappo'ltle ell a quitté ct qwitte le dict Aficllel GuilllCn et
les siens, et ce pOUt' les plaisi1's et services que led . Gtlilhen
a (ait aud, Admn de Craponne et alul. F7'édéric, son fl'ère, CI, 14 carte rées
Contenances représentées par les prix reçus et quittancés
par Adam de Cmpponne lui-même, et après l!li, pm' son
héritier:
Atltoine Bemlldin, par acte de quittance du 19 janvier
1579, notaire Laurens, écrit à la suite de son acte d'acquisition du 1er juillet 1565, même notaire, a payé à Adam
de Craponne, pour solde de son prix, six écus représentant six carterées, ci .. . .......... . ... . . ,. ... . ... . ..
Honorade P01llmie,', V· Gibelin, suivan t quittance du 22
décembre 1567, notaire Laurens, écrite en marge de son
acte d'acquisi tion du 11 juillet 1565, même notaire, a
payé à Adam de Crapon ne huit écus et demi, prix de sa
concession, représentant ..... , . .. ..... . ..... . .. ,.....
Guillaume Gimud, par acte de quittance du 6 fél'l'ier
1568, notaire Laurens, écrit en marge et à la suite de
son acte de concession du 13 juillet 1565, même notaire,
a payé à Adam de Crapo nne lui-même pour solde de son
prix, quatre écus représentant .. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cat1u7riue Brène V" Mestayer, sui vant quittance du 12
mars 1568, écrite en marge de l'acte de concession du
26 mars 1566, notaire Laurens, a payé à Adam de Craponne 7 . flo rins , représentant . ..... . .. . .. .. ... .. , . . . .
Jean Guilhen, par acte de quittance du 13 lévrier
1584, notaire Engagne, à Salon , écrite en marge de l'acte
de concession du 28 avril 1566, notaire Laurens, a payé
à l'héritier bénéficiaire de feu Adam de Craponne, 10
fl orins représentant " , .. , . ......... , .. . ... . ... . .. . , .
Jean Dubaza!l, par acte de concession du 29 avril 1.566,
notaire Laurens , a acquis l'arrosage pour 9 carterées , et
n'a payé pour tout prix que six écus, d' où 3 écus non
A reporter. . . . . .
Report . .... ' .
payés au mandataire DI aux concessionnaires d'Adam de
Craponne, et représentant. ..... . ' .. . , . . .... .. .... . .. ,
Jean Vernier, par acte de quittance du 10' février 1568,
notaire Laurens, écrit en marge de l'acte de concession du
6 mai 1566, même notaire, a payé à Adam de Craponn e
lui-même la somme de 10 florin s représentant .. ... .. . . .
Jean-Baptiste de lffillan, par acte de quittance du 16
janvier 1568, notaire Laurons, a payé à Adam de Craponne
lui-même 22 fl orins pOlI!' ,'este et entier payement de ln
somme de 46 florins qu'ililti devait pOUl' l'aison de ses ar/'osages suivant acte sous sa date, notaire Roche à
Salon. Les dits 22 florins représen tant , . . . . . . . . . . . . . . .
6 carterées
54 carterées " ,
3 carterées
2 carterées
'l,
5 carterées '/,
Nota : L'acte cité de Roche est un de ceux dont nous
avons trouvé les notes sur un primum somptum ou brouillarrl de ce notaire, et en tête desquelles notes il avait
8 carterées
'l,
écrit cette recommandation à ses clercs : mettés au livre
de Craponne .
Françoise Charrotte, acquéreuse d'arrosage pour 3 carte-
4 carterées
1 carterée
'{.
2 carterées '{.
---- - - - : 54 carlerées
'1.
rées, suivant acte du 27 mai 1566 , notaire Laurens, a payé
à Adam de Craponne, par acte séparé, en date du 29 janvier
1568, notaire Laurens, 3 écus représentant. ..... . , .. . . .
Gabrielle Poëte, V· Jallffl'et, aux termes de son acte
d'acquisition du 9 juin 1566, notaire Laurens, n'a payé de
son pri x s'élevant à 11 écus, ' à Frédéric de Craponne,
que 2 écus 'aux mtes de Noël 1a66 et 1567 ; les 9 écus
res tants ont été compensés, partie avec un mandemen t
d'es time fait contre Adam de Craponne, et partie a été
payée à ce dernier ; les dits 9 écus représentant.. , ... ,
Jean de SlIfli'en , SUI' 100 écus, prix de son acquisition
du 17 juillet 1566, notaire Laurens, n'a payé que 10 écus
à Frédéric de Craponne, suivant acte de quittance écrit en
marge de l'acquisition, en date du 23 janvier 1567, notaire
Laurens, et 30 écus cédés à Jean Raybaud par acte de
cession du 28 mai 1568, même notaire Laurens; en sorte
A l'eporter, , . .
3 carterées
9 carterées
-77-carterées
--' /.
�- 24 -
-
Report . • ... . 77 car terées '/,
qu'il res te à la disposition d'Adam de Craponne 60 écus
à compte desquels celui-ci en reçoit 10, par acte de
quittance du 6 mars 1568, notaire Laurens, écrit en marge
de l'acquisition; les dits 60 écus représentant. . . .. . . . 60 carte rées
Pierl'e Girmul, sur 5 écus montant prix de son acquisition du '17 juillet 1566, notaire Laurens, n'a payé que
10 florins il Frédéric de Craponn e, par acte de qui ttan ce
du 9 jauvier 1567, notaire Laurens, écrit en marge de l'acte
d'acquisition. 11 n'est pas compris pour les 10 fl orin s res tant s
parmi les débiteurs cédés; d'où il suit qu'Adam de Craponn e
2 carterées il.
a touché lui-même 2 écus et demi représen tant. . .. . .. . .
vu.ilMm Barrault, par acte du 3 fé vrier 1567, notaire
Laurens, a acquis des arrosages pour 3 carterées moyennant 3 écus payables , un écu à Noël 1567, un écu à
Noël 1568 et un écu à Noël 1569. Frédéric de Craponn e
n'a pu recevoir, en vertu de sa procuration, que l'écu
échu à la Noël 1567. Les deux autres écus, non cédés
au.x créanciers, ont été touchés par Adam de Craponne
lui-même; ils représentent. . " .' . .. . . .. . .. . .. . . . . . . . .
2 carterées
Estève Mielou, par acte du 13 Avril 1567, notaire
Laurens , a acquis des arrosages pour 2 carterées et demie
moyennant 10 flori ns payables, 5 florins il Noël 1567 et
5 flor ins à Noël 1568. Frédéric de Craponne n'a)'ant pu
recevoir que les premiers 5 fl orins, les autres 5 fl orin s,
qui n'é taient pas échus à l'époque de la décharge et qui
n'o nt pas été cédés au créanciers , ont été touchés par
Ad am de Craponne; 1'1
s represen
' tent . . . . . . . . ... . . . .. .
1 carterée '/,
Jaume Bemal'd, par acte du 15 avril 1567 , notaire
Laurens, a acquis de~ arrosages pour 4 carterées moyennant 4 écus payables , un écu il Noël 1567 et un écu à
Noël de chacun e des trois années suivantes. Il ne figure
dans aucune cession et n'a pu payer à Frédéric de Craponne
que l'écu échu à Noël 1567 ; Adam de Craponne a don c reçu
3 carterées
les 3 écus payés après l'acte de décharge, ce qui représente.
A repol·ter . . . . " 147 carterées.
25 -
Report . ..... 147 carterées.
Anne Da.vid, Vc Amiel, acquéreuse d'arrosages pour une
carterée et demie, par acte du 2 mai 1567, notaire Laurens, a payé son prix soit un écu et demi par acte de
quittance du 24 mars 1584, notaire Engagne, écrit en marge
de l'acte d'acquisition; c'est l' héritier bénéficiaire d'Adam
de Craponne qui a reçu cet écu et demi représentant.. . 1 carterée 1 j.
Joseph et Antoine Bercier {l'ères, acquél'eul's d'arrosages,
suivant acte du 1 ·' juin 1567, notaire Laurens, pour un e
contenance de 5 carterées et demie moyennant le prix de
5 écus et demi , qu'ils ont promis de payer, moitié à Noël1 567
et moitié à Noël 1568. Celte dernière moitié ne fi gurant pas
dans l'acte de décharge, ni dans les cessions, a été recue par
Adam de Craponne, elle représente. .. . .. ... . . . .. . .. .. .
2 carterées 'l,
Jean Mathen , acquéreur pour 2 carterées, suivant acte
du 23 juin 1567 , notaire Laurens, a payé so n prix de deux
écus à l'héritier bénéficiaire de feu Adam de Craponne,
par acte de quittance du 14 avril 1584, notaire Engagne , écrit en marge du susdit acte d'acquisition ; ce qui
représente ....... . . . , ... ..... , . .. .. .. .. . . . , . . . . . . . . . 2 carterées
Pierl'e Martel, acqu éreur pour 2 carterées, pal' acte du
25 juin 1567 , notaire Laurens, moyennant 2 écus payables,
un écu à Noël 1567 et un écu à Noël 1568, n'est pas
compris dans la décharge, ni dan s les cessions, pour l'écu
payable à Noël 1568, ce qui fait. . .... . .. .. ....... " .
1 carterée
Antoine Peirot, acquéreur pour deux carterées suivant
acte du 25 mai 1567 , notaire Laurens, moyennant 2 écus
payables, un écu à Noël 1567 et un écu à Noël 1568, ne
fi gure ni dans la décharge, ni dans les cessions, pour le
dernier éc u, qui représente une carterée , ci. . . . ... ... . ..
1 carterée
Jean Reybaltd, acquéreur d'Adam de Craponne lui-même,
pour 9 carterées suivant acte du 28 mai 1568, notaire
Laurens, et moyennant 9 écus reçus dans l'acte par Adam
9 carterées
de Craponne .......... ... . . . . .. .. , .' . ...... . " . . . . .
Raymond Su/I'ren , par acte séparé en date du 14 jaOl'ier
- -- - --
A l·epor /er . ..... . 163 carterées 'f.
4
�-
-
26 -
Rep01't . . . . .. . '163 cal"lerée3 '/.
1568 notaire Laurens, a payé à Adam de Craponne luil11èm~, 4 écus pour res te et entier payement de la somme
de S écus qu'il lui devait, pour raison de. ses arrosages ,
4 car terées
les dits 4 écus représentant 4 carterées, Cl .... , .. .. .. : .
Jeau !snard, acquéreur par acte du 30 mars 1570, notaire
Pierre de la Roche, a payé co mptant à Adam de Craponne
6 carterées
lui-même 6 écus, représentant . .... ...... . ...... .. ·:·
Pierre de la Roche, notaire, acquéreur pour 8 carterees
. t acte du 14 mars 1566 notaire Laurens, sur la
SUlran
somme de uR e'cus , en a pal'é 6 à Frédéric de Craponoe,
maudataire , par actes de qnitlao~e écri~ en. marge aux
dates des 4 jamier et 9 novem bre 1567 , notaire Laurens;
mais les '2 écos payables à Noël 1568 ne figurant Dl dan s
la décharge, ni dans les cessions, ont été reçus par Adam de
'2 ~arterées
Craponue; ce qUI represente . . . . ..... ' ., ... , .' ','" .... .
Peyrol/ et Pierre Ravel, frères , acquéreurs d arrosages
pour 6 carterées , suivant acte du '27 août 1567, nota,l.re
Laurens, ont com pensé le prix avec . des travaux qu Ils
6 cal'terées
avaient faits pour Adam de Crapon ne, CI . . . . .
. . .. : . .
Rollet bfilloux, acq uéreur d'arrosages pour '2 carterees,
suivant acte du 6 avril 1567, notaire Laurens, a payé un
écu comp tant , l'autre écu a été reçu et quittancé par
Adam de Cranonne lui-même, par acte du 30 mars 1568,
écrit à la su i;e du susdit acte d'acquisition, ce qui repré1 cal'terée
sente une carterée ci ...... . ..... . ... . .. ·· ···· · · ····
Georges Lardeij'et a acquis l'arrosage pour huit carterées,
suivant acte du 1er décembre 1567 , notaire Laurens,
moyennant 8 écus qui sont quittancés par Frédéric de Craponne, en qualité d'héritier bénéfi ciaire de feu Adam de Craponne, son frère, par acte de quittance du 3 janvier 1584,
notaire En gagne, écrit à la suite de l'acte de co nceSSIOn,
d'où 8 carterées, ci . . ... ' . ...... ' . ..... , .. . ........ __8_ c_a_rt_e_ré_e_s__
TOTAL . . . . . . ..
Ces '1 90 carterées '1 . font 57'2 émines représentant en
mesure nouvelle 46 hectares, 76 ares ci . . . .. . .. .. .... .
190 carterées '/.
46
h.
76 a.
2ï -
Le notaire Roche ayant reçu à lui seul , trois fois plus d'actes de concessions d'arrosage que tous les autres notaires ensemble, ce qui ressort des
cessions de Craponne à ses créanciers, où les débiteurs cédés et ayant contracté dans les minutes de ces derniers officiers ministériels, figurent à peine
pour un quart (1 ) tandis que les débiteurs concessionnaires, dont on ne
retrouve plus les actes d'acquisition , y son t comptés pour les trois quarts;
il faut en inférer que les contenances dérivant des actes Roche et dont les
prix ont été payés en dehors de la décharge et des actes de cession, s'élèvent à un chiffre triple des 46 bectares 76 ares plus baut mentionnés; d'où
(1) Outre les actes de cession par Cra.ponne à ses créanciers Puch , Ro ard et Raybaud , un
arrêt de la Chambre des Tré~o riers généraux de France en Provence, du 25 juin ·t 677: entre
l'Œu vre de Craponne et divers arrosan ts au quartier de Vioug ues, mentioDoe p1usieurs actes
de concessions reçus par M- Roch e, notaire, et dont les minutes ont disparu. Il est certain
que ce notaÎre avait reçu un très g rand nombre de conce ss ions et que, n'ayant pas le temps de
les rédiger tout d'abord en e ntier, lorsqu e Jes parties se présentaient ou l'abordaient sur la
place publique, il en prenait note sur un petit brouillard dit primum. sumptum et les faisait
ensuite mettre à l'étendu par ses clercs, sur des regi stres ou protocoles particuliers
Nous a\> ons trouvé plus ieurs de ces concessions prises en note sur des brouillards di ts primum sumptum, des années 45G5, -1566 et -1567. Elles portent en téte ces énonciation s: Mettés au
protoClJ le de Crap01me i metlés a'u livre de Craponne ; d'autres foi s : m~tlés au li ure des pro messes dr
C1'aponne, et, en desso us de quelques-un es de ces recommandations du notaire Roche, il Y a.
cette note de son clerc : Ly ly ay mis, c'est-it-dire : Je l'y ai mis. Cependant, ce protocole, ce
livre des concessions de Craponne ne se retrouve pas. On ne trouve, non plus, aucune rubrique
ou répertoire des actes de goche à ce tte époqu"e, alors que tous les autres notaires contemporains en ont, soit en tête de leurs registres, soit séparément.
Nous donnerons ici trois spécimens des différents actes pris en note par le no tai re Roche .
1"
Phederic,
Mettes au prot.ocole
de Carpone
Led . an et hui cte jar du mays de Juilhet led . de Carpane esd. nom
promis à Jehan Marc dud. Sallon, - presl de luy arrouser une cart.
et demy de vergier assis esd . terroir lieu d. au deuens coufron la rompide de Anthoyne Ricard
et ce il perpétuité a reson de troys solz pour ca rt. pour chascune foy s eygant de ren et ledit
Marc luy donera ung escu t! t derny la moitié à Noël et l'a ultre moy ti é d. jar en un g an, et led.
Marc le quite de tous les ourages qu'il luy a fai ct à creuser ses fossés. Ont promis, faict à la
boctique des hères de feu 'Melchion Sochier ez présence de Pierre Chalhol et Barthelemy Lambert dud. Sallon tesmoings.
fi
2"
Promesse pour J ehan Bressier.
Metres à
Ca.<rpone
Led. jour. Federic de Carponne a promis il. Jehan Bress ier pres' - stipuUant
de luy " l'ra user une cart. et tiers de vergier assi s au terroir dud. Sallon lieu d.
au grès confron ave c le vergier de Jehan Hermite et le cht:m.in poru un escu et seize solz qu'il
�-
28 -
t nance 'll'l'osable en vertu de concessions notariées
résulte encore une con e , 'l"
140 h '.!8a
de cent quarante hectares vmgt-lUlt ares; CI , ' ," ' , , , " ' , , ' , , , ,
Nous a'outerons aux contenances des conceSSIOns qUI précèdent la conte:
de Jdouze sa umées une émine, soit en mesure nouvelle 7 hectares 71::i
n~nce d'un tènement de terre situé SUI' le territoire de Salon , an quartIer de
3 les, 'deI section des ViouO'ues, pour lequel il fut accordé à la Vo EstIenne
cb
' h 'Ise perpe't ue Il e de tout
eta àal ses, enfan ts, ainsi qu'à ~leurs successeurs, la tranc
droit d'al'l'osage, par noble Scipion d'Astre et par tous les autres membres
de l'Œuvre de Craponne réunis en assemblée déhbérante, sUIvant actes des
23 octobre 1693, notaire Tronc àSalon, et 5 avril 1694, notaIre GUlon à AIX;
-
29 -
laquelle franchise date de celte époque et n'émane que de l'Œuvre de Craponne, Si elle se fût rapportée à quelqlle acte du 16° siècle, ce titre ancien
aurait été mentionné, ce qui eût suffi , sans qu'il fût nécessaire d'assembler
l'Œuvre, Ce titre aurait pu être d'autant plus facilement mentionné, que toutes
les concessions consenties par Adam de Craponne, dans le 16° siècle , étaient
connues en 1693 et 1694, pour avoir été produites dans un co mpromis ou
arbitrage alors intervenu et pendant entre l'Œuvre de Craponne et la communauté de Salon, même les co ncessions reçues par le notaire Joseph Roche
qui n'ont été adirées que longtemps après, c'est-à-dire à partir de 1770,
7h 76.
et ci " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
faict à. la place des Feligoua CODf esse' receVOi' r, l'en".... qUI't.' promectant 1 obligeant, renonçant
.
liers en présence de messire Jehan Finmen et Jehan Chan.: de Sallon.
3'
Récapitulation des contenances pour lesquelles nous pouvons justifier
l'acquisition du drl)it d 'arroser,
.lfcu és au li vre de
L'an mil cinq cens soixante-six et le septième jo: d'ao ust, Fedel'ic de
Craponne aud . nom a promi~ à Guilhen G~raud dit ~azan dud . S~llon
'
de possesslOns
scaV01r
: deux .
en VlOulLy l y ay mM
pr es' de Iuy arrouser sept cart.
.
.
g ues coufron le chemyn public et le verg ier de Jehan Curnier et v~rgler
herm as d'Antoine Vi guier fil s de Francois; item deux cart. ~n B o rdin~, coufront vergIer de
Jaume Brémond et vé rg ier des hoirs de feu Calixte Jau~et; Item deux a Canourg.ues con.f ron
- ' d" ~thol'ne Bartot vergier de Jaume Surien, Item une aux Aulbes conflon la VIgne
Je vergier
n.J.l
•
•
P'
S b t' . '
de Jaumet Deroorta, vi gne d'Anth oine Piémau9- et verg Ier et VIgne de Ierre a.a 1er 1 a pel'·
pétuîté à reson de trois sols pour cart eygant de l'en et led. Giraud a.pro~ys lUI do~ner sept
escus en deux payemen ts prochains. Ont obligé, fait à la place des ~eh gou~lers en ~resence .de
Pierre Sabatier et Pierre Falip. - Si gnés, Federic de Carponne 1 GUll ben Giraud, PIerre Fahp,
Pierre Sabati er , Roche notail·e.
Car pOfl fi e
Quelle di fférence avec les actes de concession rédigés à l.'étendu ~~r les autres notaires de
Salon, dont les registres n'on t pas été détruits. Nous mentIOnnons ICI u~ de ces actes, ~our
qu'on puisse en faire la comparaison avec ceux que nous venons de citer de Roche. Nous
copions littéral ement :
Promission por Adam de Crapone.
L'an mil cinq cens soixante-six et le trei ziesme jor du moys de Mars Federic de C rapon~
escuyer de la ville de Sallon frère et procureur d 'Adam de Crapone ~scuy~r ~ud. Sali on .f;nde
de procuration receue par Mo Gauchier Cazalet, notaire dud. Sàllon 1 an nul CInq cens sOixante
cinq et le quin ziesme jor du moys de ju ing, lequel. au n o~ e~ comme pr?cureur dud. Adam à.
p romis et conuenu promect et conuient par ces presentes a SIeur Loys NlUelle bourgeoys dud.
Sallon pres' et esti~ullant de luy arroser bien et deuement toutes les fois et q~antes q~e
besoing et nécessai re se ra a ses propres costs et despans dud. de ~rap~n~ ~ tousJo.urs malS
les ungs après les auitres chllscun g par son rang scauoir est un vergIer d"oh vlers assIs au :erroir dud . Sallon lieu dict li la Lauze contenant quatre quarteyrad es confrontant au fo~se de
Talagard, au vergier de Palamède Marc escuyer seigneur d.e C.haste~uneuf et au vergier de
Jehan Paul et auhres j item Qul t re vergier assis aud. terrolf lieu dit Canourgues con~enant
une carteyrade et demye confrontant au vergier des heoirs de Jacques Berthot, vergIer de
1 0 Les six cen t soixante-huit hectares seize ares représentés par
la recette mentionnée en 'l'acte de décharge du 15 février 1568,
notaire Ponsard, ci " " " " " " , " " " " .. , " " , " '" .. "" 668h 16.
M· Loys Teissier notaire, au viol public et aultres. Plus aultre vergier assis nud. terroir lieu
de Canourgues contenant quarante arbres confrontant au vergier et vigne des heoirs de feu
Pancrace Mauran, vergier d'Anthoine Bezaudin, le vio l et la vigne de Estèue Geruaset, serrurier et aultres. item aultre vergier assis aud . terroir lieu d. au Grès contenant une carteyrade
et demye confrontant vergier de noble Mathias Jsnard, vergier de Palamède Marc escuyer sr de
Chasteaun euf, vergier d'Honorn.t Villeneuve et aultres. item aultre vergier assis aud. terroir
lieu d. en Vioulgues contenant cinq carteyrades et demye confrontant au grand chemin allant
de Sallon au lieu de Pellissanne au vergier de Marguerite Sabatier veuve à feu Gaspard Ricard
et à la rompide de M· Michel Ringat faiseur de vitres et a.ultres, plus aultre vergier aud. terroir lieu d. au Vallon contenant un e carteyrade et demye confrontant vergier de sire Raymond
Suffren vergier des heoirs de feu AnthoiDe Vasserot et au vio l public et aultres j qu'est en
quantité quatorze carteyrades et demye pour lesquelles quatorze carteyrades et demye icelluy
Niuelle à prom is payer aud. de Craponne ou aux siens quatorze escus et derny Yalant quatre
Hourins; la pièce pour une fOYs seullement qu'est un escu par carteyrade payables scauoir est
il. Noël prochain daux escus et en après contin uant le payement de deux escus chascune ann ée il
chascunefeste de Noël jusques à entier payement de lad. sommedequatorzeescus et demy,et
ouItre ce sera tenu ledit Niuelle comme de ce faire a promis et promect par ces présentes payer
aud. Craponne ou aulx si ens troys solz pour carteyrade desd. vergiers toutes les fois qu'ils
seront arrosés il perpétuité. promectant obligeant led. de Craponne les biens dud. Adam, son
frère, en vertu de sa procuration et led. Niuelle ses biens tant seullement présents et avenir
aux courts des submissions et se nechaussées de ce païs de Provence et d'ailleurs ou juridiction
se trouuera, jurant renon çant. Faict IlUd. Sallon dans la boutique de moi notaire ez présence
de M· Pierre de la Roche, notaire et de noble Francoys Ris dud. Sallon, tesmoin gs a ce appellés et soubzsigués avec les parties; signés Fedéric de Craponne, Loys Nivelle, de la Roche, Ris,
Laurens notaire.
�-
30-
Repol't, " fi68"
:!, Les quarante-cinq hectares soixante ares résultant des actes
de cession à Puch, Roard et Raybaud, Cl. " " , _ , , , . . . , . , • , "
45h
30 Les quarante-six hectares soixante-seize ares représentés par
t
46h
les prix reçus par Adam de Craponne ou son hénier;
CI , , , , ' , '
40 Les cent quarante hectares vl\1gt-hUit ares provellIunt des actes
adirés du notaire Roche et dont les prix so nt en dehors des sommes comprises dans l'acte de décharge et dans les actes de cession ' ci , . " - , .. . , ' , , , ' , , ' . , , , , , ' , ' .. , , , ' , ,.. , ' , , , , , , . ' , 140h
50 'Et les sept hectares soixante-seize ares résultant des actes de
7h
'1693 et '1694, notaires Tronc et Guion , ci , , - . ' , , , , ' . , ' , , , , ' ,
-
16"
60a
76a
28"
76.
TOTAL des con tenances pour lesquelles il y a titres d'arrosaaes neuf cent huit hectares cinquante six ares, ci", , ' , , , ' " 908 h 56·
~
Eh ! bien, exagérons-nous quand nous diso ns qu'il çst dû environ quatre moulans d'eau pour les alTosages particulier; rapportés d'Adam de Craponne?
El'idemment non, car s' il étai t possible de rétablir et d'exhiber tous les contrats
qui nous on t été soustraits, nous trouverions des concessions d' eau de la part de
Craponne aux habitan ts de Salo n, pour un volume , beaucoup, plus co nSidérable
encore. C'est ceLLe quantité prodigieuse de conceSSIOns parlicuh è~es q,UI . dan s
les siècles précédents, avait toujours déjoué et arrêté les tentatives d empiètement
de l'Œuvre de Craponne à l'encontre des arrosanls du terntOire de Salon :
L'existence de ces concessions particulières prouvée par une foul e de litres, par
la transaction de 157'1 et par la possession de tous les temps, es t également démontrée par un acte du 16 mars 1568, notaire Ponsard. à Salon, par lequel Adam
de Craponne donne à prix fait aux frères Ravel, la distribution de ses arr~sages ,
Les (l'ères Ravel y promettent à Adam de Cmpponne d'arrose!' ou {a~l'e a!'rOS81' à leurs dépens , tOitS et ungs chasrungs les ve~'g er:s ou vtgnes, ass:ses
(lU terroir de Salon, qlœ ledit de Cm pponne est parhcuhèrement oohgé d a!'roser annuellement, de l'eau qlte Crapponne a conduite audit ten 'où': à m,ison
de trois sols par car/erée chaque arrosage, et ce tant celtes qltt ~e p~u
ven t ar"oser du {ossé fà {ait, que celles qui s'art'oseront dit tossé a {au'e,
excepté les arrosages promis par ledit de Cmpllonne à (eu Antoine-Marc
éruyer. Les {l'ères Ravel conduiront l'eau ainsi qu'est de coutume et ,Cmppane sera tenu de (aire des espaciers, fermant à clef, aux end,'mts que
sera nécessaü'e lJ1'ell dre l'eau pOUl' les a!'1'osages, Item que IlOIl,!' mlS01!
31
des ,arrosages des près, terres, j ardins, tins, dévendudes et autres propriétés,
les(hts Ravel (eroll t pager aua; pm'ticltliers ce que entre ledit de Crapponne et eux Seri! advisé.. tOI!tetois ne seront tenus lesdits Ravel a1TOS81'
telles pièces (tins baill81' d'eau à mesure, pour certains temps el heures
~t convenù' du prix, appelé ledit de Crapponne, 'Item ICiUt de C,'apponne
sera tenu (aù'e nettoyer le valat dit Verneguier, de sm'te que soit capable
pow' pOl'ler l'eau pour deux moulans, ou bien en (airc un alW'e tout neuf
(1 300 pas plus haut, de même largeul' el capacité, pow' et! arrose,' le;
possessions du côté de la Crau, et aussi (aire (aire un autre (ossé, pour
alToser le quartier dl! lll'ln , le prenant où sera convenu, et ]lour raison
des !letits (ossés nécessail'es llour mespartù' l'eal! pour arroser les p"opriétés ,
lesdlls Ravel les (eront (aim à lew's dépens, al! nom dudit de Crapponne,
et qui arrosera des nouveaux tossés payera sa l'ate-par't des (ossés et conviendra avec Crapponne etc" etc. , Item, que les dits Ravel arroseront pendant,
neuf ans, p"endront l'eau sans descommoder les moulins d'Istres, l'Isle de
Martègue, If Allanson, et arrosages de Miramas, St-Chamas et autres lieux,
et !II! homme tiendm livre des al'I'osagcs, dont un tiers, auxdits Ravel et deux
tiers à Cmponne, )
Toutest décisif dan s ce titre. On y voit qu'indépendammen t des arrosages de
quatre pans d'eau accordés au ca pitaine Tripoly, il en ex istait encore un e infinité
d'autres dans le quartier du Gresc, outre ceux qui devaient s'exercer du côté de
la Crau, par la dérivation de deux moulans d'eau mentionnés audit acte, formant
huit pans carrés d'eau,
Les arrosages dont la distribution fut commise par cet acte, aux frères Ravel,
n'avaient d'autre objet que celui de remplir les facu ltatail'es particuliers de tous
les quartiers, qui avaient rapporté droit et titre d'Adam de Craponne ou de ses
procureurs, Les petits fossés mentionnés dans cet acte, et que les frères Ravel
devaient fai re, étaient pour répartir les eaux il chaque propriété dans le quartier
du Gresc, où ils n'étaient point encore faits, à ce non co mpris le~ arrosages
promis à Antoin e Marc Tripoly. Le fossé Verneguier , aussi mentionné dans
cet acte et que Craponne devait agrandir ou bien en faire un nouveau, est
également dan s ledit quartier du Gresc, et à l'extrémité, du cô té de la Crau,
et destiné aux arrosages de ce quartier. Il y avait donc, dans le quartier
du Gresc, d'autres al'1'osages que ceux dérivant de la concession du capitaine Tripoly,
Il est évident qu'Adam de Graponne ne 11t des concessions nouvelles qu'en
suite d'un nouveau volu me d'eau qu'il avait introduit dans son canal succes-
�-
32 -
-
33 -
sivement agrandi. Aussi obligeait-il ses rentiers à fa ire de petits fossés pour
la distribution des arrosages, tandis qu'il s'o bli geait lui-lnême à faire agran dir les anciens fossés, et même à faire creuser de nouveaux fossés-maitres
[1 300 pas plus haut.
On a vu que cette obligation était contractée dans l'acte de 1568. Elle
fut ensuite consommée par l'acte du 28 mai 1569, notaire Pierre de la Roche
li Salon, portant mandat exprès de la P'lft d'Adam de Craponne à Antoine
Garin, ménager de Pélissauo e, pOlt!' (ail'e acontrel' les fossés, lionts, déterminel' la largonr desdits fos sés, l'éparel' les Inal'tehères, sous la direction
de Pierre Ravel, son facteur, afin que l'eall vienne à Salon et antres lieux,
CIC., etc., plus de faù'e faire de nouveaux aygages en Crazt, ail te/Toi/' de Salon,
el aux vel'giers dudit Salon et Pélissanl1 e, etc.. Plus, si Salon, Péliss(t1Ine,
tant pal·tieuliers que communallté, veulent foumir et prêter a/'gent, p01/1'1'ont
élablir un trésorier 'lui fOUl'nira à Jil·olim·tion des ouv~'ages à fai/'e liaI' R(wel
facteztl', donnant 110uvoù' à Garin, pj'OCurBu/' , de faire (aù'e toutes choses;
et ledit de Craponne oblige tous ses engins et j'evenus d'eau de DW'ance,
envers qu'il appartiendra , etc., etc.
En vain dirait-on que ces actes ne renferm ent que des projets non réalisés.
Rien ne prouve que l'exécution n'en ait pas été faite, et tout prouve au contraire qu'elle s'en est suivie. L'exécution devait être faite tout de suite.
Rien ne prouve qu'elle ne l'avait pas été, et dan s le doute, ori présume, toujours pOUl' l'exécution des titres. (1) Mais sans s'arrêter à ces présomptions
générales, il es t certain que ces ouvrages ont été faits, puisqu'il existe depui s
lors troi s fossés verneguiers parallèles il l'ancien, qui est un des trois, à la
distance d'environ 300 pas les uns des autres, exécution formelle des nouv/aux fossés que Garin devait faire faire en crau, terroir de Salon.
C'est dans cet état et sur ce plan que fut passée la transaction du 20
octobre 1571, qui forme le premier titre de l' Œuvre de Craponne, laquelle
n'es t autre chose qu'une association entre les différents et principaux facultataires, soit d'engins, soit d'arrosages, auxquels facultataires Adam de Craponne fit cession de ses droits.
Les consuls de la ville de Salon intervinrent dans cet acte poursaùvegarder les arrosages des habitants , aux droits desquels deux des grands facul waires, Messieurs Jean André de Thomassin et Crapace Cazeneuve, avaient
"oulu se substituer pour la priorité, à raison de leurs arrosages de Pélissanne
(~ ) Nous mentionn eron s, en preuve de l'introduction des eaux d'arrosage en Crnu, un contrat
d'association entre Adam de Craponne et Pe)'ron et Pierre Ra"\el fl'ères, passé nux écritures
dl:: JI- Ponsard . notaire,le ~6 mars '1568, le même jour que le bail à prix fait des arrosages de
Salon, dont nous avons plus haut relaté le co ntenu.
Par ce contrat, Adam de Craponne et les frères Rayel s'associent ensemble p OU1' l'exploitation de certa1'nes ci.rconscriptions de ter re gasle, t'ncl/lles el kerm ès, assises (lU tC1'roi1' de Sallon., Heu
dt"t en Grau que possMent .,avoir le dit de Grappon1i8 eu quanlilé de cent et vinyt saumées et t'ceulx
Rat'el environ de treflte cinq ci quarante saurnées (Cfl qui fait en me sure Douvelle ~OO hectares.)
Cette association est form ée, aux term es de l'acte, pour le temps et terme cie neuf années commençant à la procha ine {este St-Michel (29 sept. -i568) et fim'ssant le jOU1' cie Nost1'e J)ame cie {evrier,
les dites fleur années accompUes et révolues sous les paell es suivants:
Premièrement que les dites terres se clevront rompre et mettre en culture à dépe-ns com mUllS desd,
parties pour après ~tre cultivées, y senrer, mettre en precis ou planter en vignes 1 ainsi que pa1' les düs
Ravel sera avisé atre plus commode et profit,able, sans que led, de Crappomlc les pu ysse. contraùu[rt
{aire autrement que à leur pl'oprn vouloir, et néantmoins que sera ttn u Led, de C1'apponne {omir p OUl'
sa }Jurl la moyl ié cie tOit/es et ehaSCtLU8S les dépenses q /I.e en revirant les dites terre8 se {erolll et despanclral1t, auxqttelle~· œuvres et à chaculle d'icelles lesdil Ravel seront tenus appelet lcd , cie Crappollne
Item sera perm,i s aux dits nav el prendre d'eau de Durance au fosse dud , de Crapponlle, et ce tant
souvent que bon leU!' semblera, sans le sceu du dit de Crappoll71e pOLW l'arrosage des dites ferres salis
toutefois -inte,.cepter, ni dotomer les fllOlillS et autres mola'IIs qu.i mou.dront li ra t'cuir de la dite eau et
aussi les arrosages par le dict de CralJpOllfle promis aux comnwnautés de Miramas, Sai nt-Chama s el
autres lieure,
Item (s ui vent les autres conditions de l 'Association ,)
Cet acte porte ù. la fin : fan cellJ par les parties à l'estendue le 14 d'aoust 157 1, Ponsm-d, notaire,
- C'est- à-dire qu'il a été résilié, parce qu'il déran gea it les bases que l'o n préparait al ors, de
la transactioll du ~o octobre su iva nt. Mais il ava it eu déj1l trois ans d'exécllt ion !
.D'ailleurs, un e nouvelle preuve de l'exécution de l'autre partie de l'acte, est
pm dan s ce tte clause que si Salon, Pelissanne, tant pa1·ticutiers que communautés, veulent pr/Îler argent, Garin son pro(;Ureur fera toutes choses.
Cela fut fait en conséquence, du moins à Salon ; les registres de la communauté prou vent qu'il fut prêter de l'argent, qu'il fut même établi un trésorier.
Tel était l'état des choses, lorsqu'Adam de Craponne, à bout de ressources,
ép uisé par les dépenses qu'il avait faites, ne pouvant plus suffire à celles
qu'entrainait l'entretien du canal, et mis en cause pour être condamné il
remplir ses obligations auxquelles il se trouvait hors d'état de satisfaire, prit
le parti ou plutôt fut contraint d'abandonner tous ses droits aux principaux
facultataires, sous certaines réserves qui furent entre eux convenues,
TRANSACTION DE 1571,
5
�-
34 -
- 35-
" >
préte,·te
et de Lançon.,"0u
., que leurs titres. de . concession étaicnt. antéricurs
en date d.\ ceux. de la plupart des concessIOnnaires de. Salon. .Mais la com.
'ésl'sla
aux
prétentions
de
ces
deux
facuItatrures
et
finit
par
obtel11r
té
munau 1
(
.
que les habitants de Salon, co mme premiers. en terntOlre, seraient. rangés
pour leurs arrosages, à un degré qui précédermt les arrosages de Péltssanne
et de Lançon . C'est ce qu i résulte de la transactIOn de '1 571, et notamment
des délibérations et de la procuration qui précèdent ce contrat. 11 est essentiel de faire con naître ces divers actes, qui sont tous corrélatifs en tre eux,
pour démontrer que les consul s de SaJon, en. intervenant dans la tra~ sac~lOn,
oo t rempli une mission importan te, très-sérIeuse, et non pas le raie lIdlcule de comparses ou d'in trus, que leur font Jouer nos adversaIres, dans
leur dernier mémoire imprimé contre la commune de Salon. Nous mentionnerons don c ces documents dans leur ordre de date. Nous avons affaire
il des plaideurs habiles à travestir les faits; c'es t p01ll'quoi nous ne devons
rien néaliaer pour déJ'ouer leurs tours d'adresse.
0
~
•
•
~
Délibération du Conseil communal de la ville de Salon
du 25 Juin 1571,
A. esté exposé par noble Palamèdes 1larc S' de Chasteau-Neuf, premier co nsul, qu e
M. Thomassiu, conseiller eu la cour, et Crappace Cazanoue, rece puen r au siége d'Aix, ont
mandé en ceste ville l'huissier Magnan accompagné de M. Siméonis, procureu r au diet
siège, aux fins de faire commandement à Messieurs les Cons u ls d'exhiber le .liure des
conseils de la dicte vi lle de l'année mil cinq cent soixante, mesme le conset! tenu le
vingt-huictiesme jour de janvier au dict an et l uy expédier le double du dict conseil et
néantmoings de portel' le dict Iiul'e a u g reffe criminel à .\lx , et de lu y déclarer sy la
ville se veult aider d'ung acte receu par M" Ganchier CazaUet, notaire, lesd. an et jour
deppendanl dudict conseil contl'e lesdicts M" Tl:lOmassin et Cazenoue,
CONCLUSION.
A esté conclud que l'ung de Messieurs les Consuls, ensemble 1L d'Eyguesier i ront à
Aix pour auoir conseil sy la ville poursuiura le procès contre les dicts sicnrs Thomassin
et Cazanoue, et sy eUe s'aydera de l'acte faict en tre noble Adam de Crapponne et la dicte
ville, rer.,eu par led . M- Cazallet, concernant l'alTOsaige des possessions du. terrai?- d'icelle;
lesquels rapporteront le conseil que sur ce en auront eu.
(Registre des délibérations de l 566 à l586, fol. 62.)
Autre délibération du 8 Octobre 1571 .
Exposition. A esté exposé pal' Mons' de Chasteauneuf, premier consul, que au procès
que la VIlle a cootre M' le conseiller Thomassin et receveur Cazanoue, pour le regard des
eaulz de la riuière de Durance qui arrosent le terroir dud . SalIon, noble Jeh an Isnard.
escuyer et sire Anthoine de Cadenet estant à Aix pow·led. affai re, son t venus en traicté
d'apPOintements et ont rédigé par escrip t les articles d'icellu y, desquels on fera lecture
pour adu iser ce que on fera au dict affaire.
CONCLUSION.
A esté conclud que le présent conseil est d'auis que la ville doibt appoincter le procès
concernant les arr osages du terroir de Sai/on, pourueu toutes foys que les dicts arrosages
soyent premiers que ceuI.\: de Pelli aune et de Lanson, com me premiers en tenoir,
sans pOl1voir préjudiciel', intéresser , ne empescher q ue ceux d 'Allanson n 'ayent d'eau
pOlll' ung mollant tant seullement. Et à ces fins sera faict procure au dict noble Jeha n
Isnard et à M' Trésoriel' de Millan .
(Même registre, fo l. 63 et 64. )
Pmcure pour la communauté de Sa11on.
Du neufuiesme jour d'octobre mil cinq cens septante-uug. Palamèdes Marc, esc u yer,
selg' de Chasteauneuf, S' Jacq ues-Paul, Colin Martel, co nsulz a ud, nom et en suruant la
délibération et conclusion du conseil particulier tenu à la maison commune dud. Sallon,
h yer huict du présen t mois, onct fa ict leurs procureurs, noble Jehan Isnard, escuyer
et S' Jehan-Baptiste Millan, trésorier d'icelle communauté, absents, pour au nom de la
dite communauté, expressément transhiger, accorder et conu enir ainsy et ne p lus, ne
moin gs qu'est porté par la conclu sion dud. conseil dessus dicte, avec Monsieur J\l" André
Thom assi n, con seiller du l'o y notloe sire, en sa souuerai ne Cour de parlement du pais
de Provence à Aix et Crapassi Cazeneuue, recepueur pour le roy aud . Aix, le procès el
différand que les dicts Messieurs Tbomassin et Cazeneune ont contre la dicte communau té, et pour r aison de ce qu e sera par eulz couvenu , passer ac te de transaction et
ù'accord , auec toutes les cla usulles translatiues, obligations, promesses et renonciations
en tel cas req uises et nécessaires, icelluy r édiger pal' main s publiqueE et généralement
promectre et obliger les biens de lad. communallté, jurer , e tc... e tc .. . Faic t au lieu et
présence que est en aulLl'e procuration par ci-devan t aujourd'hu )' fa icte.
Signés : Jaume Paul, conseul , et Mitl'e Jeha n , notaire,
( Etrait du p,'ilnum sumptum des ac tes de Mitre Jeban , notaire à Sa llon, en l'année
1571, fol. 588,)
0
Dix jours après celte procuration, les mandataires de la communauté de
Salon se rendirent à Aix, où ils intervinrent dans la transaclion, notaire
�-
36 -
Catrebards, du 20 oc tobre '157'1. Entre autres dispositions de cet act.e, il y
fut stipulé que les arrosages auraient li eu d'après le ran g d'ordre et de situation des territoires sur le cours dl! canal de Craponne c'es t-à-dll'e que les
territoires en amont auraient la priorité sur les territoires e n aval. Par conséquen t, les it1TOsages de Salon, Gresc et Viougues, sont fixés aux 7· et S·
degl'h, tandis qlte cellx de Pélissanne et de Lançon ne le sont q!t' (lIIX g. et
10. degrés, En outre il est dit qu'il ne sera en rien préjudicié aux actes IJaI'
cy-deuant (aits par Adam Ile Craponne avec aucuns des par'ticlûiers du dit Salon
ayant biens aux dits qltal'tiers, ,'eçus pal' main publique,
Après ces stipulations, qui étaient tout ce que voulait la communauté de Salon,
tout ce qui avait été co nvenu dans le traité d'appointement avec MeSSIeurs
Thomassin et Cazeneuve, il es t ajouté naturellement dan s la transaction que
les consuls et com'llIl11auté de Salon, opposants pou'/' raison des susdits
arrosages, se sont dépm'tis de la dite opposition, etc" . etc . ..
Tels sont les fails que nos adversaires se sont plu à traves tir, comme
nous l'avons déjà dit, en affirmant que nos consuls n'avaient rien à fail'e
et n'oot rien fait, ni obtenu pour les arrosants possédant biens de Salon,
dans la transaction de 1571 . Tout lecteur impartial et de bonne foi reconnaîtra combien nos contradicteurs respectent peu la vérité.
Tout a son importance dans ce titre, même la renonciation à continuel'
de plaider que font à la page 35, les sieurs Thomassin et Cazeneuve à
l'égard de Pierre Ravel, Bem ard Mal'tinon et If.ono"é Pellegrin,
Cette renonciati on passe inaperçue en quelque sorte, placée qu'elle se
trouve à la suite d'un e renonciati on générale par toutes les par lies contractan tes, à leurs contestations quelles qu'elles soient, et cependant elle avait
aussi son intérêt, à en jugel' par ce qui s'était passé auparavant et dont
~I essieu l'S Thomassin et Cazeneuve étaient bien aises d'eITacer les traces. On
a déjà vu que, par un acte du 16 mars 1568, notaire Ponsard , à Salon,
Adam de Craponne avait donn é à prix fait la di stribution de ses arrosages
aux frères Ravel. En outre, le même jour, il avait passé avec ceux-ci dans
les minutes du même notaire, un acte d'association, pour le défri chement et
la mise en culture d'environ ~OO salmées de coussous en Crau, avec permission et licence d'y conduire des eaux de son canal , en suffi sance poUl'
l'arrosage , Ces accords ayant été faits pour neuf ans, les frères Ravel auraient
eu encore, en 1571 , à distribu er les arrosages et à exploiter les défri chements de Crau pendant 5 ou 6 ans, ce qui dérangeait les combinaisons des
cessionnaires de Craponne. Messieurs Thomassin et Cazeneuve , les promo-
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37-
teurs de la tran saction de 1571, essayèrent d'abord de faire désister les frères Hal'el ; mais SUl' le refus de ceux-ci, qui ne voulaient pas abandonner
a,'~sl le bé~ éfice de leurs avances en travaux et en argent , et qui, d'ailleurs,
s etaIent adJomt des sous-traitants, tels que Martinon et Pellegrin , également
en avance de travaux et fournitures, il avait été introduit une instance en
justice. La prét~ntion des fermiers et sous-traitants était trop juste pour ne
pas être accueIllie favorablement par les tribunaux. Aussi, en désespoir de
cause, MeSSIeurs Thomassin et Cazeneuve finirent-il s par les indemniser de
leurs travaux,. avances et perspective de bénéfices, et ce ne fut qu'alors qu 'ils
purent obtemr des Ravel la résiliation et la cancellat.ion des deux actes du
16 mars 1568, La renonciation au procès insérée dans la tran saction fut
ensuite le complément de l'arrangement fait avec les Ravel et consorts:
On voit encore dans la transaction de 1571, aux pages 13 et 14, que le
mandataIre d'Adam de Craponne cède et remet à la communion tous et
chacuns, les commodités, (awltés, droits, actions et "aisons, profits et émoluments des a1TOsages que le dit de Craponne a de présent, et que se pourraient (aire à f avenir', de l'ealt de la prise ou prises de Durance, et pal' le
grand canal, a1t terroir' de Sauveca1!ne, la Roque d'Antl!eron., la ROltyèl'e ,
Valb onnette, MallemOl't, A llein , Sénas , Lamanon, Salon, jusqu'à la partie
dIt dit Pélissanne.
Au moyen de ce pacte, la communion fut saisie de tous les arrosa"es
appartenant à Adam de Craponne, et encore de ceux dont l'eau avait été
vendue aux concessionnaires et sur lesquelles Adam de Craponne s'était néanmoins réservé la redevance de trois sous par carterée pour chaque arrosement, sous l'obligation toutefois qu'Adam de Craponne s'était imposée de
faire arroser lui-même à ses dépens,
Les associés furent chargés de l'entretien de la prise et du canal commun ; ils succédèrent aux obligations, ainsi qu'aux droits d'Adam de Craponne, Ils furent chargés, comme ce dernier l'était, de fournir en abondance et suffisance l'eau nécessaire pour toutes les concessions, Ils convinrent , aux pages 24 , ~5 , ~6, et ~7 , du volume d'eau compétant à chacun
d'eux, en cas de stérilité et nécessité d'eau, afin de vivre perpétuellement
en paix, sans se troubler, ni empêcher, les uns les autres, dan s la jouissance
des eaux. Ils fixèrent les degrés dont ils établirent l'ordre et qu'ils divisèrent en treize articles les concernant , afin qu'en cas de stérilité, les préférences fussent établies et reconnues, fi suffit d'observer ici, pour ce qui
concerne la ville de Saloll, que les propriétaires du moulin des quatre~
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tournan ts rurent placés en troisième degré pour un moulan d'eau, et au
douûème pour un second 1l1oulan, ct que les arrosages, tant du quartier du
Gresc que de celui de Viougues, qui comprennent tous les quartiers arrosables de Salon, furent placés aux septième et huitième degrés (1),
On trouve en effet au septième degré la concession du capitaine Tripol)'
(aujourd'hui la com mune de Salon), portant sur quatre pans d'eau, conformément à l'acte de 1562, Les hoirs du capitaine Tripoly étaient présents
et stipulants dans l'acte, Immédiatemen t après et par le même article, il
est pourvu am arrosages de Viougues, qui appartenaient à Adam de Craponne et qui furent fixés à un moulan d'eau à fil. Ces arrosages, appartenant à Adam de Craponne, entrèrent dans le transport que ce dernier fit
alors de tous ses droits, concernant les arrosages, en faveur de la Société
ou communi on; ils y furent même mentionnés par exprès. Mais ces arrosages, dont Adam de Craponne disposait pour le quartier de Viou gues, n'avaient
point encore de prix, ni de redevance fixée, puisqu'il est dit dans l'acte
qu'ils auront lieu, en payant"~ par les particuliers qui arroseront, ce qui sera
convenu et accordé par la d'Île cormmmion; ce qui ne peut s'appliquer aux
concessions particulières dont le droit à l'eau avait été payé et dont la
reqel'ance pour chaque arrosement 3I'ait été fi xée à trois sous pal' carterée.
fi est évident qu'il fallait également pourvoir à l'intérêt de tous les pr.opriétaires qui avaient rapporté des concessions .d'Adam de Craponne, et dont
les droits étaient de la même nature que ceux qui compétaient aux associés qui con tractèrent dans l'acte de 1571. Ces concessionnaires avaient
acquis le droit irrévocable d'arroser en payant la redevance de trois sous
par carterée et pour chaque arrosement. Leurs fonds étaient répandus dans
le quartier de Viougues, co mme dans celui du Gresc, On ne pouvait pas les
priver du droit d'arrosage, qu'ils avaient acquis à prix d'al'gent; aussi ce droit
leur fut-il réservé par exprès, dans les termes suivan ts: sans préjudice des
actes par ci-devant {aits par le dit de empanne avec aUCltnS des pal,ticuliel's
dit dit Salon , ayant biens awc dits quartiers, l'eç!tS par main publique,
Il est donc mentionné dans cet article de la transac tion de 1571, trois
espèces d'arrosages dans les différents quartiers de Salon: 10 les arrosages
appartenant au capltame Tripoly, conformément à la concession de '156'>
portant sur quatre pans d'eau, aITectés aux arrosages du quartier du G ~,
2° les arrosa"
' de "
, o,es d u quartier
VlOugues , qUi appartenaient ,à Adamrescde,
Craponne,
qUi furent transmi s à l'œuvre en '1571 , 'à ral's on desque ls 1'1
, ' ,
n eXistaIt pas de concession , ni de redevance fix ée et dont 1
1
f
éval é '
1 d'
' ,
e vo ume ut
u a un ,mou an eau à fil, indépendamment des concessions faites
pour ce quartier; 30 et finalement les arrosaO'es établis tant da l'
dan r
''
,,
~
ns un que
s autre quartIer, et del'lvant des concessions particulières faites par
Adam de Craponne,
Depuis lors, tous ces ouvrages ont été faits, et constamment entretenus
p,ar l'Œ~vre , Les concessions furent rapportées, on leur assigna la quantité
d eau necessalre pour les remplir, ~n détermin~ les martelières et espaciers,
qu~ ne sont a~tre chose que des pierres trouées, suivant les dimensions qui
~Ulent alors detel:mlllées en conformité des titres et concessions qu'il fallait
1 emplIr, et cet etat de choses a subsisté jusqu'à présent. Les
martelières
ont été réparées pal' l'Œuvre, quand le cas s'en est présenté. Les différents
arrosages du terroir de Salon tiennent donc à des titres d'autant plus respectables, qu'ils ont été eo~stamment reconnus et exécutés par l'Œuvre , non
seulement dans le prIncipe et la formation de la communion, mais encore
successivement et progressivement, dans tou s les temps ultérieurs pendant le
cours de trois siècles,
'
(1) Le quartier des Croses, au sud-ouest de Sa100 , est en dehors de la contestation, parce
qu'il est arrosable des eaux de fuite du moul in des Quatre-Tournants, quel qu'en soit le volu me. Ces arrosages apparti ennent à un propriétaire qui n'a rien il démêler pOUl' le momen t
avec l 'Œuvre de Craponne . Plus tard, son tour v iendra j car l'Œu vre de Craponne, sous prétexte de réprimer des abus , abu.s e étrangement de la s ituation pour vexer tout le monde.
En eITet, à partir de la transaction de 1571 , nous voyons les concessions
partICulières exactement servies, savoir: Celles des V-iougues et quartiers en
dépendant, par les fermiers des arrosages de l'Œuvre ou communion et
celles qui étaient enclavées dans le Gresc et ses différents quartiers, par' les
rermlers des arrosages des hoirs Tripoly,
, Il fallait donc pourvoir à tous ces objets , en conformité de la tran saclion de 1571. En conséquence, les eaux furent divisées par des espaciers et
des martelIères établIes sur les dimensions convenables et relatives aux
degrés de ,chaque faculté d'arrosage, Cela devait ètre fait de même, suivant
la transa~tlOn de 1571, qui porte, en outre, q/~'il ne sera loisible à aucune
des parttes, nt aul1'es qllelconq/Ies ayant droit aux dites eaux leurs hoirs
et, sltccesseu1'S à l' a~enir , de rompre, ni O'lwrir la dite prise et (ossé en mamère que ce SO'tt, nt les dites pwrres , espaciel's, mesures et martetiitres ni
welles ~O'ltcher, (ermer, lliminuer et agmndir, changer, ni altérer lel!1' fo;'rne
et quahté, en manière que ce soit, sous les peines y portées,
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-41-
Pour rendre la chose plus évidente, nous mention nons quelques uns des
premiers arrentements qui furent passés des arrosages de Viougues et de
ceux du Gresc, pa,' actes notariés, après enchères publiq.ues .
2° Autre acte de bail à ferme du 30 janvier 1584, notaire Ponsard, à
Salon , aux termes duquel vénérable homme messire Léonard Gauthier, chanoine
de Cavaillon, procureur de pierre Paul, escuyer, co seigneur de Lamanon,
administrateur moderne de la Société des sieurs propriétaires du fossé de
Durance, construit par feu Adam de Craponne, quand vivoit escuyer de Salon,
a arrenté et arrente à Jehan Girard et Laurens Michel , travailleurs de
Salon , les arrosages des pièces et propriétés s'arrosant de l'eau de Durance,
au quartier dudicl. Salon, dit de Vioulgues appartenant à la dite Société;
.POIl'· le temps et espace de trois ans, commençant le premier mars prochain et finissant semblable jour , à la ?'ente de cinquante ung escus d'or
sol de soixante sous pièce, et vingt qua/I'e sous, tous les ans, payables
moitié aux [estes de Toussaints et moitié aux [estes de Noël.
Devront les dits rentiers arroser les pièces des particuliers dudict cartier
chascung par son rang et ordre , et prendront des pièces obligées le salaire
accoutumé etc., etc .
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Arrentements aux Viougues.
1° Acte du 6 mai 1572, notai re Louis Teissier, à Salon , par lequel noble
Frédéric de Craponne, tan t en so n nom qu'en celui de noble Crapace Cazeneuve,
receveur pour le Roi au siége d'Aix , procureur et trésorier de Messieurs de la
Compagnie des moulins et arrosages de l'eau de Durance, qui vient à Salon ,
Eyguières, Lançon et autres lieux, a arrenté et arrente à Roch Martin et Claude
Imbert, de Salon, comme plus offrants et dernier$ enchérisseurs aux enchères
faites le 27 du mois d'Avril précédent, les arrosages de Viougues, terroir
de Salon, accommensant de; la vigne des en[ans lteoi1's de {dU cappilaine Antoine Marc de Trippoly et an bout d'icelle vigne, devers
le midy tirant le lonc du. d. vallat de l'eau de la Durance que va all
mollin de Lanson jusques an tetToir de Pélissanne, lequel alTosuge quî se
C07nmencera à la dicte vigne des dicts hoirs de TI'ippoly l!o1t1'1'a passel',
ainsi qllel, le lonc du chemin par lequel l'vn va despuys le collombiel' l'out
de {ell Antoine Rosset avant le lie!1 contenant les yerres et la sa/franière
l!llts haucre de Pierre Hérès. le long dud . chemin tirant en !/(tuct lonc dud.
chemin jusques à la vigne de Trippoly vers le midy tout le lonc du dict
chemin; et lesquels Martin et Imbert pourront prendre de l'eau du dit g"and
vallat tant que peult porter la partie d'ung mollant et mener deux ou troys
arrosaiges pal' espassier, tant de nuict que de jour, sans en hab uzer, pour
en arroser les propriétés des particulliers qui ont contracté avec led. de
Crapponne, et des autres qui n'ont contracté à la liberté et volloir desd.
Martin et Imbert, estans deus lesd. arrosaiges chascung par son rang bien
et deumen t. - Et ce pour le temps et terme de troys ans , lesquels on t
commencé au premier de mars dernier passé et finissant aud. jour en trois
ans; pow' le p"ix et somme de cent florins, tous les ans, payables la
moitié en chasque feste de Saint Michel, et l'autre moitié ès festes de Noël,
tous les ans, etc. .. etc . ..
Nous soulignons le prix annuel du fermage, parce que nous aurons bientôt
à le mettre en parallèle a"ec celui des arrosages du Gresc.
•
Arrentements au Gresc.
'1 0 Acte d'arrentement du 3 mai 1573, notaire Jean-Baptiste Laurens à
Salon, dans les termes suivants :
" Jehan Isnard, escuyer de Sallon, tuteur et légitime administrateur des
hoirs de feu capitaine Tripoly Anthoine-Marc, lequel aux dites qualités et
suivant la désemparation faite des arrosages, le douzième jour d'octobre dernier passé, a arrenté à Peyron Ravel, Sauvaire Desparron et Bernard Martinon dud. Sallon, les arrosages du quartier du Cresc, à l aire depuis le
terl'Où' de Lamanon jusques à la vigne des hoirs dud. capitaine Tripoly,
assise aux estl'eclls svve la tatlliè"e 'vieille inclusivement; et ce pour le temps
et term e de trois années, accomensant le dernier jour du moi s de Mars
dernier et semblabl e jour fini ssant la ferme desdits arrosages. Tout ainsi
qu'est porté par le bail fait au dit leu capitaine par Adam de Cl'aponne
escuyer du dit Sallon ; à la rente de deux cent vingt-six florins chascune
année, payable la moitié aux festes de St-Laurent et l'autre moitié aux festes
de St-André, sous les paches suivants:
« Premièrement, seront tenus lesdits rentiers de arroser bien et deument
GeU,'!; qui sont obligés, et autres si bon leur semble, sui'valll loutes {ois II'
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pO/woil' content' aut!. bail fait pal' led. de Cmpponne aud . (eu capitaine
Tripoly.
« Hem, seront tenus d'arroser les pièces des dits hoirs Tripoly, &ans en
rien prendre desdits arrosages, etc.. etc.
2° Du 5 décembre 1579, no taire Ponsard à Salon, autre acte d'arrentcment portant que « Jean Isnard, cousin et tuteur de Claude-Marc, fils et
héritier à fe u capitaine Tripoly Anthoi ne-Marc, a arre nté et donné à titre
d'arrentement, à Sam'aire Vasserot et Roch Martin , travailleurs dud. Sallon,
les arrosages appelés du Gl'escq, terroir de Salon, appartenant aud. Marc, .
sou pupille, suivant l'acquisition d'iceux (aite par led. feu capitain e Tri poly
de feu Adam de Craponne, pour le temps et espace de trois ans à commencer dès le premier jour du mois de Mars dern ier, et fi nissant semblable
jour, les dits trois ans révolus, el seront tenus à la rente de soixante écus
d'or sol de soixante sous pièce toutes les aunées à chascun jour dernier de
février; moyennant laquelle rente les dits arren tants auron t et recouvreront
à leur profit, le droit desdits arrosages, et revenus d'iceux, et co mm enceront
8'arroser au quinze Mars jusqu'à St-Michel, et arroseront deument ceux qui
sont obligés et autres si bon leur semble.
Aussi de pache que, outre ladite rente, les pièces du dit Tripoly s'arroseront des dits arrosages, sans e n rien payer aux dits arrentants, ctc. (1).
3° Le 14 novembre 1581, notaire Po nsard à Salon, Claude-Marc de Tripoil', devenu Majeur, arren te lui-même les arrosages du Gresc, terroir de
(1J Les fermiers Vasserot et Martin avaient SOtls- arrenté à un nommé Joseph Pons l'arrosage
passant Stlr les arcades du chemin de Su.int-Côme, moyennant la rente annuelle de s ix écus
d'or ; c'est ce qui résulte de l'acte s ui vant, reçu par M- Esprit Cazalet) notaire à Salon, et intitulé : Rem ission d'ung aigage pour Bertrand Rambaud, habitant de Sal/on j
Il Du secon~ jour du moys de Juing ~ 58 0, comme soyt que en cet an dernier passé, Joseph
\1 Pon~1 travailheur de Salon, eusse prins à rente de Roch Martin et Sauvaire Vnsserot, aigage
\1'" de 1 eau de Durance des arcades passant au chemin de SI Côme, pour le temps et terme de
\1 troys ans et qu'il en aye teneu ung an des d.its trois ans, led. Pons donc en a encore à. tenir
\1 deux a~s, et dont led. Pons ne se sentant pas tenir led. aigage de lad . Durance auro it pour
« ce requiS aud . Rambaud que se veuilhe voull ontiers lui remectre de lad. moytié à. ses li eu
cr et place pour deux ans qu'il a encore à teni r, proveu qu'il paye aux d. Martin et Vasserot six
(l esc~ d'or ,sol vallant . ,soixante soulz
pièce scavoir: la moy tié à chasque feste de la Mage d~la~ ne ~t 1 autre moytle à chasq,ue feste de Noël , etc,.; avec les paches. quAlités et termes,
« aJDSI qu est porté plus amplement par l'acte de la dite rente, receu par M~ Ponsard , notaire
ct: du.d. Sal~on , sur l'an ~t le jour en iceluy conteneus, et s'en est dessa isy , désinvesty et l'a
Cl salSy et mvesty j obligeant les parties respectivement leurs personnes et biens meubles et
Ir immeu~les présen~s et aduenir il toutes cours, par sa foy à peine de rendre etc.'.. j et se ont
II' r~nonce etc.:,; FalCt .à Sallon, dans ma boctique, en présence de Lays Decamp is, cordonCl DIer et Marti n MeusDler, masson dud. Sallon, tesmoings. Signé Cazallet, notaire . JI
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43 -
Salon, pour trois ans à partir du 1"' Mars 1582, moyennan t la rente
annuelle de soixante écus d'01' sol de 60 sous pièce. Il est dit dan s cet acte,
que les dits rentiers commenceront d'arroser au 15 Mars et continueront
jusqu'à St-Micbel chascun e année, arrosan t, par son rang et deument, ceux
qui sont obligés et autres si bon lui semb le,
• Aussi de pache que outre la dicte rente cy-dessus les "crgers dud.
Tripoly et ceux de Jehan Isnard , escuyer son cousin , qui se peuvent arroser
des dits arrosages, s'arroseront sans en demander aucun droit, ni salaire.
« De pache aussi que les dits fermiers ne pourront perm ettre aux particuliers dud, quartier, prendre l'eau, ains seront tenus la distribuer à chascun par son rang pour pourvoir à tous abus. •
4° Par un quatrième acte du 13 août 1584, notaire Ponsard, fo l. 664.
le dit Claude-Marc de Tripo Iy arrente à Sauvaire Vasserot, An toine Girard
et Céris Brilhet, ensemble les arrosages appelés du Gresc, comm ençan t du
terroir et bomes de Lamanon et fini ssant à la vigne dud. Tripoly, située aux
Estrechs sive la taulière vieill e, terroir de Salon, pour le temps de trois
an s, à compter du 1'" mars 1585 époque ou autre arrentement fait aux dits,
Girard et Brillet finira, et puis continuant lesd. trois ans révolus et accomplis; et à raison de septa.nte-cinq écus d'O!, sol de soixante sous pièce , chacun e année, payables le dernier jour de février des dites années, et aux
paches suivants :
Premièrement seront tenus lesd. rentiers arroser les propriétés dud. de
Tripoly, ensemble celles de Jehan Isnard, écuyer, son cousin, qui sont au
dit quartier et arrosage, sans le!!?' fail'e lJayel' de salail'e, ains pa?' desus la
rente .
Seront tenus dès le 15 mars jusqu'au dernier septembre les pièces des
particuliers q'/Û sont obligés an'oser bien et deu11lent, et si bon leur semble les
autres pièces des non obligés, le tout suivaut la teneur du bail.
Seront tenus les dits fermiers ou commis d'eux bailler l'eau am: particuliers de leurs mains propres, sans permettre aux dits parti culiers de l'all er
prendre,
Ces actes d'arren tement, les premiers en date après la transaction de 15ï1,
énon cent en termes exprès , que les arrosages des concessions particulières
réservées par la dite transaction étaient satisfaits avec exactitude, sans excéder le taux accoutumé, qui était de trois sous par carterée, à chaque arrosement, et que leur service avait la préférence sur les arrosages des propriétaires qui n'étaient pas obligés ou n'avaient pas contracté uvee Adam de
�- -H -
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Craponne, Ils constatent en outre , par la différence des prix des fermages
entre les deux quartiers , que, les concessions titrées à desservit' étaient beaucoup plus nombreuses au Gresc que dans les Viougues, Cette diITérence sera
reudue encore plus sensible, plus saisissante par le tableau c,omparatiC qui
suit :
V iougues .
Gresc.
Fermage annuel de l'arrentement
de 1572,
Fermage annuel de l'arrcntement
de 1573
100 flo r i ns
S ans au cu ne c hal'ge,
226 florins
plus la ella1'ge d'arroser gratis les
biens des !lOin Tripo Iy ,
Arrentement de 1584
Fermage 51 écus 24 sous
Sans aut1'e chm'ge,
Arr e nt e me nt d e 1 584
Fermage 75 écus
Avec la chm'ge d'arroser gmtuitement
les biens de Tripoly et ceux de
Jehan l snard , son cousin , lesquels
biens étaient considérables,
Ces arrentemen ts d'abord mis aux enchères publiques et puis convertis
en actes notariés , étaient fails au vu et au su de tous les intéressés, tant
d'un cô té que de l'autre, Les propriétaires des arrosages des Viougues savaient
que Tripoly, au Gresc, servait non-seulement ses propres arrosages au prix
par lui fixé, mais encore ceux des concessions particulières dans ce quartier
et qu'il en percevait la redevance de trois sous par carterée, à chaque arrosemenL
Cet état de choses, pour les arrosages du Gresc notamment , s'est continué pendant plus de 50 ans après la transaction de 1571 , san s contradiction de la part de l' Œuvre, ni de qui qu e ce soit. Et qu'on ne croie pas
que les membres fondateurs de l'Œuvre, Messieurs Thomassin et Cazeneuve
surtout, fussen t des gens simples et désintéressés au point de faire ainsi
litière des droits qu'ils auraient eus sur ces arrosages ; certes non, On les
a vus plaider assez longtemps, avec la communauté, sur un e simple question
de priorité ! e les a-t-on pas vus également chicaner aux Ravel la juste
indemnité revenant à ces derniers pour travaux et avances dans deux entre-
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prises que leur avait confiées Craponne? Qu'on lise la transaction parti culière qui fut passée entre eux et Craponn e, le 20 octobre 1571 , devant I;ontrebards, notaire à Aix, un peu avant la transaction générale, déjà citée, du
même jour, On y verra avec quelle dureté le pauvre Adam de Craponne y
est traité pal' ces deux personnages , qui figurai ent alors parmi les puissances de la province : l'un, dans la magistrature; l'autre, dans la finan ce, On y
verra que, parce que Craponne, faute de moyens pour entretenir son canal,
n'avait pu y introduire assez d'eau pour le service de leur moulin et de
leurs arrosages de Lançon, Messieurs de Thomassin et de Cazeneuve se
pourvurent contre lui en dommages-intérêts, en obtinrent l'adjudication, les
firent liquider à 5389 norins; et en payement, Adam de Craponn e se
dépouilla en leur faveur de la propriété de son canal de Pélissanne, de l'eau
qui y découlait et de ses arrosages, Il s'obligea , en outre, de leur faire
venir de l'eau à suffisance pour le tout, il peine de tous dépens, dommages et intérêts,
Assurément les associés de l'Œuvre n'auraient pas abandonné bénévolement et pendant si longtemps les redevances des arrosages du Gresc à
Tripoly, s'ils avai ent eu le droit de les comprendre dans les ressources, déjà
si peu considérables, de la communion; et quand ils ont laissé celui-ci en jouir
paisiblement, c'est qu'ils savaient que ces redevances lui revenaient légitimement, en vertu de son acte d'acquisition du 15 février 1562, notaire
Roche, par lequel Adam de Craponne s'interdit , tant pour lui que pour ses
successeurs à l'avenir, de pouvo Ir vendre ni aliéner de l'eau pOU1' a11'oser
depuis le terroir de Lamanon jusqu'aux Estrecks, ni d'icelle eau se servir
tant pour lu'i que pour al/Inti; ce qui signifie qu'en cas de vente d'eau
dans le périmètre réservé à Tripoly, nul autre que celui-ci ne pourra en
profiter,
Voilà comment les membres fondateurs de l'Œuvre ont interprété la prohibition contenue au contrat passé entre Craponne et Tripoly, en abandonnant à ce demier les redevances des arrosages concédés dans son périmètre,
C'était la véritable interprétation à donner à cette clause prohibitive; cal'
c'est la seule qui ait un sens etTectif, en présence des con cessions faites
ultérieurement pal' Craponne (art, 1157 C, civil), Il n'yen a réellement point
d'a utre, à moins de fausser la lettre et l'esprit du contrat, à moins de tomber dans l'absurde, comm e le font auj ourd'hui nos adversaires, lorsqu'ils
arO'uent de la prohibition pour conclure que nos nombreuses co ncessions
d'; rI'Osage au Gresc sont frappées de nullité,
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Le capitaine Tripoly ne connaissai t que trop la gêne finan cière d'Adam de
Craponne , son parent, qu'il avait assisté par des prêts d'argent ; il l'avait
même cautionné dans plusieurs emprunts, Il le laissa don c se tirer d'embarras par la ressource des ventes d'eau au Gresc, sachant fort bien que si
Craponne enfceignait la première partie de la clause prohibitive, en vendant
des arrosages dont il retirait le prix, il ne pourrait échappel' à la deuxième
partie portant prohibition, tant pOlll' Craponne que pOUl' autl'!!i, de se
servir de l'eau vendue, ce qui assurait à lui Tripoly, le service et les rede,'ances de ces arrosages,
D'ailleurs Craponne .ne pouvait se soustraire à la loi de son contrat de
1554 avec l'Etat, qui l'obligeai t, en cas de suffisance d'eau, d'en {a'ire emploi
pour la commodité et !I tilité des territoires traversés par son canal et des
prop7'iélaius de ces terl'itoires ; c'est pourquoi, par un correctif de son interdiction d'i ntrod uire de nouvelles eaux dans le Gresc, il s'inhibe de se servir de ces eaux tant pOlt?' lui que pOlir aut1'lti,
Nous remarquons une interdiction semblable avec sa clause pénal e, à la
fin , dans la transaction particulière plus haut citée, du 20 octobre '1571 ,
portant abandon des arrosages de Pélissann e par Craponne à Messieurs Thoroassin et Cazeneuve. Cette interdiction es t ainsi conçue :
De pache enfin que led. Adam de C,.aponlle, ni les siens , ne pOWTont conduire aucune
autre eau au dit lieu et terroir de PelUssaune, poru' y fai1"e aucun autre ar ,"osagc, moulins
ni autres engins, et plus grande quantité que celle que dessus pa,. lui promise, que le tout
sera au p rofit desd . sieu,.s Thomassin et Ca, elleuve.
Eh bien, quoique la clause pénale qui termin e l'interdiction, ne soit pas
très correcte, ce qui ne doit point paraître étonnant si l'on se reporte à
celte époque où la langue française n'avait pas encore aLteint le degré de
perfection et de clarté qu'elle a aujourd'hui , on comprend cependant que
celte clause ne peut que signifier qu'en cas d'une plus grande introduction
d'eau à Pélissanne, ce surplus sera au profit de Messieurs Thomassin et
Cazeneuve; comme la clause générale qui est à la fin de l'interdi ction de
l'acte de 1562 ne présen te pas d'autre se ns qu'en cas d'aliénation d'autres eaux
pour le Gresc, ni Craponne, ni autres que Tripoly ne pourront se servir
d'icelles eam:.
Tout est périssable dans ce monde : l'action destructi\'e du temps n'y
épargue rien ; à mesure que les générations se succèdent, les faits perdent
-
4ï -
leur physionomie et les écrits eux-mêmes sembl ent perdre aussi leur signifi cation. Dans la première moitié du 176 siècle, l'an cien personnel de l'Œuvre
de Craponne était complètement renouvelé, En 1611 , la communauté de
Salon, qui avait été jusqu'alors étrangère à l'Œuvre, se trouva subrogée par
collocation aux droits des hoirs de Tripoly pour les arrosages du Gresc. Elle
continua, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, à faire servir par ses fermiers les arrosages de ce quartier et de ses dépendances.
!\lais elle ne jouit pas toujours en paix de ces arrosages : En 1625, le
conseiller d'Agut, co mmis par un arrêt du parlement de 1620, pour connaître
de certaines contestations survenues dans l'Œuvre d'Arl es, associée à celle
de Salon par transacti on de 1583, avait reçu , dans le cours de sa miSSlon,
une plainte du procureur de 1\11' de Vendôme, pro priétaire du moulin de
Lançon, portant qu'il se commettait aussi des abus d'eau à la branche du
canal de Salon, notamment à la martellière de Talagard. Sur quoi, le conseiller commissaire avait nommé des exp erts pour régler les arrosages de
la communauté de Salon au Gresc , conformément à J'acte de vente à Tripoly de 1562 et à la transaction de 1571, et pl!reillement, disait l'ordonnance , règleront les arrosa.ges du quartier de Viougues appal'tenant aux
associés et compagnie de Craponne, suivant ledit acte de u'ansaction, Les
experts se bornèrent, dan s leur rapport, à réduire à un demi-moulan les
quatre pans d'eau concédés au capitaine Tripoly, représenté par la communauté de Salon, san s avoir égard aux concessions particulières d'arrosage
résultant d'actes publics et réservées par la transaction de '1 571.
Ce rapport était resté inachevé ; il ne reçut même aucune exécution. Mais,
28 ans plus tard , le syndic de l'Œuvre de Craponne présenta au parlement
de Provence, le 11 juin 1653, une requête en reprise d'action contre les
consuls et communauté de Salon. Il y faisait valoir la procédure faite en
'1625 et le verbal également fail à cette époque. Mais loin de se prévaloir
du rapport des experts, dont l'Œuvre n'a jainais fait usage, le syndic demandait, au contraire, l'exécution de l'ordonnance de M' d'Agut , et qu'il
fut, en conséquence, nommé et subrogé un commissaire pour procéder à la
nomination d'autres experts, aux lieu et place de ceux qui avai ent été nom_
més et qui étaient décédés; et de même suite, est-il ajouté dans les conclusions de cette requête , les consuls et communauté de Salon seront condamnés
cl l'endre et restituer au slt]Jpliant ou Il cellX des dits associés qui auront
droit de les l'épéter, les rentes, l'eV81II!S et émoluments des plus grands
arrosages pM' eltx umrpés, aIl préjudice des pactes stipnlés par le contrat
�-
48 -
de 1562 el transaction dll 20 octobre 1571, ensem.ble t01lS les domm agesintérêts sOf/flerfs pm' le suppliant et a,II X dépens.
Cette requète pmu" e, co mme on le voit, qu'il ne s'agissait pas de supprimer les arrosages particuliers, mais bien de savoir quelle était ~ell e des
pal,ties à laqu ell ~ la rétribution devait en appartenir.
L'Œu\Te néanmoins hésitait à fail'e prononcer une solution dans la crainte
d'a\"oir à l'emplir l'obligation qu'avait prise Craponne dans les con trats, d'arroser, à ses fl'ais et dépens, les propriétés des concessionnaires. Elle avait
même renoncé en quelque sorte à sa demande, qui res ta suspendue jusqu'en
l'année 1678, époque où elle la reprit à la suite de circonstances qui lui
parurent fa\"orabl es à ses prétentions .
Nous reviendrons à celte affaire en son temps. No us allons raconter, en
altendant et par ordre chronologique, ce qu i s'est passé dans l'intervalle,
En 1674 et ann ées suivantes, François Isnard, ménager de Salon, ayant
pris à rente les arrosages du Gresc et ceux de Viougues , avait augmenté les
taxes des arrosants qui étaient sans titres , et exigeait des concessionnaires
ayant titres, les trois sous par carterée, sans pren dre la pein e d'arroser leurs
fond s. Plusieurs propriétaires refusèrent de payer; ce qui donna lieu à deux
instances devant la Chambre des Trésoriers généraux de France en Provence:
l'une, contre un concessionnaire du Gresc; l'autre, contre un certain nombre
de propriétaires des Viougues, parmi lesquels fi guraient des concessio nn aires
et des non-concessionnaires.
- 49 -
lui arroser sa propriété, prétendant que les trois sous à lui offerts pour faire
l'arrosage, ne le payaient pas de son travail. A cet effet un procès avait été
mu devant les Trésoriers généraux de France en Provence, procès auql~el
lsnard avait appelé en garantie la communauté de Salon, comme propnétaires des arrosages du Gresc par représentation des hOirs Tl'lpoly,
Mais la communauté de Salon , mieux inspirée que son Imprudent fermier préféra transiger sur une contestati on où le droit et les titres n'étaient
pas' à son avantage , et le 6 août 1675, il fut passé . devant Mo Tronc,
notaire à Salon un acte suivant lequel les parites convmrent par VOle de
transaction, 'lu~ la communauté de Salon, comme pl'opr~étai1'e et acquéreuse
des Gresc et Gan'igue , succeSSe1!rs, rentiers et (ernlterS, n~ pourrazent
désormais prétendl'e et exiger du dit Antoine Martel et des sœns, pour la
faculté (l" a/Toser toute sa pièce de la porte de Péltssanne, en la, contenance
'lIt' elle se trouve, que quatorze sous toutes les années (1), a ~ondttton
que le (lit Metrtel sera'it tenu à son pl"Opre de fat/'e arroser sa pzèce toutes les fois et tant lJue besoin serait et sans abus de l'eall dl! fo ssé de CraIJonne et aI"I"osages des G/'esc et Ga,rrigne"
'
"
Au moyen de quoi Antoine Martel se departlt d~ ses prétentIOns resulLaurens, et la comtant des actes de concession du ~5 juin 1567, notau'e
. l
d
munauté se chargea d'indemniser le fermier FrançOIS snar .
PROCÈS AUX VIOUGUES,
PROCÈS DU GRE SC,
Voici quelques details sur celte affaire, qui se termina pal' une transac tion
avec la commuuauté de Salon à qui appartenaient les arrosages du Gresc,
Le sieur Antoine Martel, bourgeois de Salon, possesseur d'un e propriété
de cinq carterées, au terroir de Salon , près la porte de Pélissanne, comm e
héritier de Pierre, Colin et Nicolas Martel, jouissait du droit d'arrosage
acquis par ces derniers d'Adam de Craponne, suivant deux co ntrats du ~6
juin 1567, notaire Laurens à Salon , à la charge de payer trois sous par carterées, chaque fois que la dite propriété lui serait arrosée, François Isnard ,
fermier des arrosages du Gresc, voulait exiger du dit Antoine Martel , les mêmes droits que des particuliers qui n'avaient point de contrats, sans même
Le procès entre l'Œuvre de Craponne ou son fermier et les arrosants du
uartier des Viau crues dura beaucoup plus longtemps. Il parcourut les troIs
q
. 'd'IC"t'IOn .. la' Chambre
des Trésoriers généraux
dear és de Jurt
,
. de France en
Pr~\'ence la Cour de Parlement et le Conseil d'Etat du rOI,
. '.
Il l' a~ait dans l'instance deux catégories d'ar~osan.ts : les con~esslOnna\l:s
de Craponne qui exigeaien t que le fermier arrosat lu:~même 1~~1 s propr~ét s
al' carterée chaque fOlS qu Il arroserait, confOImé.
moyennant troIs sous p ,
.
d .
ment à leurs contrats, et les arrosants sans contrats, qUI préten ment user
. .
riété d'Antoine Martel contenant cinq carterées,
(1) Ce n'était pas un sou par emlUeb~a prop l taxe de quatorze sous n'était payable qu'une
soit quinze émines . Qu'on remarque leD que a
fo is pal' an ) et non ft chaque arrosage.
7
�- 51-
50 -
de leurs propriétés , ni pour prononcer des amendes de 50 livres , et qu'en
outre il ne saurait leur être appliqué la taxe des arrosants des Croses, qui
n'avaient pas eu à faire , comme eux, de grands travaux et dépenses pour
faire arriver l'eau d'arrosage à leurs propriétés.
~e
l'eau d'arrosage en ne payant que trois sous par carterée annuellement,
par la raison qu'ils arrosaient eux-mêmes leurs propriétés .
Par jugemen t du 25 juin 1677 , la Chambre des Trésoriers généraux de
France en Provence condamna les premiers à payll1' Ù François Isnard, fer-
mier de l'OEuvre, le droit d'arrosage des propriétés par eux possédées au
quartier des Viougues, terroir de Salon, à raison de trois SOIIS par carterée,
chaque (ois qu'ils arroseront, pour les propriétés contenues aUa:> actes passés
par Adam de Craponne en faveur de Brémond, Pesseguier , Berthot, Castagniére , Amand Imbert , Messire Jacques Mille, Gaspard COltlomb , Antoine
Viguier, Cartier et autres, les 2 ~ juin , 6, 11 et 15 juillet et 5 aoitt '1565,
2; mars, 16 Mai et 43 juillet 1566, 20 janvier et 13 avril 1567 , suivant
verification q!bi en sera faile par experts accordés par les parties, etc,
Et, ajoute le jugement, en ce qui est des propriétés prétendues possédées
par les dits Michel, Colomb et consorts au dit quartier des Viougues , non
comprlSes aU$ dits actes, a ordonné et ordonne que conformément Il l'arrest
du 20 dexembre '1633 (1), les possesseurs des dictes propriétés ne pourront
se servir de l'eau dont est question pour l'arrosage d'icelles sans la permission des associés de l'OEuvre ou leur fermier et sans convenir du prix avec
icelluy à pey1le de cinquante livres contre les contrevenants, appliquées
moytié au Roy et moytie au d. (ermier si mieulx lesd. particulliers n'ayment
payel' aux associés pour une fois quinze livres pour chascune sexterée de
pred et carteyrée de verger et en oltltre annuellement vingt-quatre sous pour
chaque sexterée de pred et douze soulz l)our carteyree de verger, ce qu'ils
déclareront dans le mois préci~ément, et aultrement et à faulte de le faire
dans led. temps et icelluy passé deschus de la dite option, etc,
~l
y eut appel de ce jugement tant de la part des arrosants ayant con trats,
que de ,~eux qui n'en avaient point. Les premiers disaient que c'é tait
à tort qu ils aVaIent été condamnés à arroser eux-mêmes leurs propriétés,
alors que Craponne , dans leurs actes, s'était obli cré à les faire arroser à
'" chaque fois que leurs
ses propres frais, moyennant trois sous par carterée,
fo.n ~s seraient arrosés. Les seconds soutenaient que le bureau des Trésoriers
generaux de France n'était pas compétent pour régler la taxe des arrosages
,
~ I) ~ et arrêt du 20 décembre 1633 règle les arrosages du quartier des Croses pour les pro-
pnetau:es arrosant en ce quartier qui n'avai ent point de contrats . Il est reproduit dans le jugement.cl-dessus dans les mêmes termes qu'il fut rendu. La Chambre des Trésoriers- générau-v
en raIt l' ~pprIcat'laD rItterale
'
.. . du quart ier
. de Viougues, qu i n'avaient pas'
aux propnetalres
contracté avec Adam de Craponne.
Reprise des poursuit es de l'Œuvre de Craponnne
contre la communauté de Salon .
•
L'Œuvre de Craponn e, enivrée du succès qu'ell e venait d'obtenir à Viougues
par le jugement du 25 juin 1677 , sortit tout-à-coup de l'in action où DOUS
l'avons laissée pour reprend re ses poursuites, en quelque sorte abandonnées,
contre la communauté de Salon, au sujet des arrosages du Gresc, Cette fois,
l'allaire fut poussée avec lant de promptitude, que la communauté de Salon
n'eut pas le temps de préparer sa défense ; aussi se défendit-elle fort mal,
Le parlement, sur les fin s de la requête, plus haut relatée, de l'Œuvre
de Craponne, rendit arrêt, le 8 octobre 1678 (1), portant que sans s'arrête!'
aux fins de non recevoir, de prescription et péremption opposées de la part de
la communauté de Salon de laquelle l'a déboutée , ayant égal'd à la !'equête du
syndic, a ordonné que l'ordonnance de feu M, d'Agut, du 21 mai 1625 ,
sem executee suivant sa forme et teneur, et ce faisant que, dans quinzaine
précisément, le dit syndic et la dite communauté conviendront d'experts aux
lieu et place de ceux qui furent nommés dans la dite ordonnance, et qui
sont décédés , ou, à (aute de ce faire, seront pris d'office par le commissaire
rapporteur de l'arrêt, aux fin s de procéder, dans le dit temps, à l' exécution
de la dite ordonnance , et pour {aire refaire ,. le syndic ditment appelé, les
dit s deux espaciers mentionnés au dit acte du 15 (évrier '1562 , aux lieux
et endroits de leur ancienne constmction, de pierres de taille, de la largew',
(orme et qualité portées dans le dit contrat, et déclareront les endroits et
régleront la quantité d'eau aux (ormes du dit contrat, et à (aute par la
dite communauté de (aire refa ire les dits deux espaciers, a permis au syndic de les refaire aux dépens de la d'ite communauté; et de même suite a
condamné l,es elits consuls et communauté à rendre et restituer au dit syn(1) C'était au temps des vacations. Aussi la communauté s'étai t pourvue en rétractation de
cet arrêt, comme ayant été rel1 dt, l>ar surprise, suiva nt requête civile qui fut admise par arrêt du
4" février H19, notifié le 4. aux membres de l'Œuv re, n,'cc ajournement devant la Cour du
Parlement. Mais ni l'un ni l' autre de ces arrêts ne furent e-xécutés .
t·
�-
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52 -
dic en la qualité qu'il intervient, les proficts et revenus des eaux pal' eux
Itsulpés , pal' dessus la concession à elle raite ou à ses auteurs par le dit
contrat de l'année 1562 et pal' les autres conventions elltre eux (uites.
Tel est cet arrêt, au moyen duquel l'Œnvre allait désormais réunir à la
perceplion des redevances d'arrosage de Viougues, les rétributions des
concessions du Gresc, sans avoir à fournir aucune main-d'œuvre pour les
arrosages, en vertu du jugement des Trésoriers généraux de France. Percevoir
et ne rien dépenser, c'était tout ce que voulait l'œuvre de Craponne.
Revers de l'Œuvre à Viougues.
Mais le triomphe de l'Œuvre dura bien peu de temps; à peine dura-t-il
quatre mois à partir du mois du dernier arrêt de 1678.
Nous avons, vu plus haut, que les propriétaires arrosants du quartier de
Viougues avaient appelé du jugement du 25 juin 1677. Cet appel fut enfin
couronné d'un plein s uccès pour les arrosants ayant contrats. La Cour de
Parlement rendit un arrêt, le 8 février '1679, qui dispose : La Cour a mis
l'appellation el ce dont est appel au néant et par nouveau jugement de
l'instance criminelle du dit Imard, sam s'arrêter à la requête de querelle,
ni à celle d'intervention des dits associés, dont les a déboutés , fai sant droit
(1 l'opposition des dits Pascal Cartier et consorts, a cassé l'exécution du dU
Isnard avec dépens.
Et de même suite, ordonne la dUe Cour, le dU Isnard ou les associés du
COlpS des arrosages de Craponne de venir arroser les propriétés des d'its susnommés con{ormém&nt il leurs contrats, et en cas de refus par iceux, a permis
aux dits propriétaires dénommés cy-dessus de {aire arroser aux frais et
despens du dit Isnard et associés; condamne le dit Isnard à la moitié des
despens, les autres entre les parties compensés, et les dits associés à le relever de la susdite condamnation, suivant le dit arrêt et à la requeste de
Pascal Cartier du dit Salon et consorts. Mandons, etc., etc.
Donné à Aix en notre dU parlement, le huict {i;!)rier 1679, signé Héraud.
Cet arrêt fut pour l'Œuvre un coup de foudre, qui renversait toutes ses
espérances. Elle eul recours néanmoins il un dernier moyen, en poussant
son fermier François Isnard à se pourvoir en cassation. Mais celui-ci fut
débouté avec frais et dépens , par un arrêt du Conseil d'Etat du Roi, rendu
à Saint Germain-en-Laye, le 23 janvier 1(i80.
•
•
Désormais la question était jugée souverainement pour les arrosants des
Viougues ayant des contrats. (1) L'Œuvre n'osa plus la faire juger pour le
quartier du Gresc. La jurisprudence ,était trop bien établie en faveur des
concessionnaires d'arrosage. Aussi ne s'empressa-t-elle pas de donner suite
à l'arrêt de 1678; elle ne le fit pas même signifier.
Néanmoins M. de Vendôme, prince du Martigues, en cette qualité, 'propriétaire du moulin de Lan çon et membre de l'Œuvre, vint forcer la main au
Syndic-trésorier pour faire exécuter l'arrêt; il obtint à ce t efTet celui de 1683,
portant injonction au Syndic de l'Œuvre de faire exécuter l'arrêt de 1678.
Mais à celle époque , la communauté de Salon se réveilla. Elle savait
qu'elle avait été mal défendue, lors de l'arrêt de 1678. D'ailleurs la procédure qui avait amené l'arrêt de 1679 en faveur des arrosants des Viougues,
était pour elle un enseignement à mettre en pratique. Elle recouvra la plus
grande partie des concession s faites par Adam et Frédéric de Craponne, reçues
par mains publiques et réservées par exprès dans la transaction de 1571.
Celle production mit en considération l'Œuvre de Craponne et les agents
de M. de Vendôme. On sentit bien qu'il ne suffisait pas , même aux termes
de l'ordonnance de M. d'Agut et de l'arrêt de 1678, de l'emplir la concession faite au capitaine Tripoly, et qu'il fallait encore remplir tous les autres
concessionnaires porteurs de titres ;de même espèce.
Ces derniers surtout devaient être arrosés aux frais de l'Œuvre, suivant
la jurisprudence établie à cet efTet pal' le parlement, dans son arrêt du 8
février 1679 , en faveur des arrosants des Viougues, jurisprudence qui était
aussi applicable aux propriétaires arrosants du quartier du Gresc ayant des
contrats de même origine; et l'on sait que les fermiers refusaient de faire
ces arrosages, disant que les redevances de trois sous par carterée pour
chaque arrosement, ne les payaient pas de leur travail.
Dans cet état de choses , il fut fait un compromis, le 12 juin 1684, par
lequel tous les difTérends de l'Œuvre et de la communauté furent déférés
à MaUres Peissonnet, Silvecanne et Decorio, avocats de réputation au parlement d'Aix. L'Œuvre de Craponne ne se pressa pourtant pas de donner elTet
à ce compromis,. qui fut prorogé, pour six mois, par un nouveau. Il fut
ensuite fait une autre prorogation. L' Œuvre de Craponne délaya beaucoup,
quoiqu'elle fuI pressée par la communauté de Salon. Il résulte d'une délibération prise par la dite co mmunauté, le '17 décembre '1694, qu'en consé-
,
(l) Depuis l'arrêt de 1679 1 plusieurs propriétaires au quartier de Viouglles arrosent leurs
biens sans payer aucun droit, ni redevance.
�-
54-
qUellce de la délibération prise paT l'OEuvre de Craponne le présent mois et
ail, la COl1ltlllln~uté députa Messieurs de Lamanon et Héres 1Jollr assister aux
conférences qui devaient étre faites à Aix au sujet des différends entre
l' Œuvre de Craponne et la commnnauté, et en conséquence le greffier de la
ville remit à M. de Lamanon Itne liasse d'environ un pan de hauteur , où
étai/mt les extraits des appointés par Adam de Craponne.
A l'aspect de tous ces titres, l'Œuvre de Craponne ne put s'empêcher de
pen ser qu'il fallait pourvoir, dans le Gresc et ses dépendances, à tous les
arrosages qui ne seraient pas servis par la concession Tripoly, de la même
manière que l'ayait ordonné l'arrêt de 1679 pour les co ncessionnaires ayant
contrats aux Viougues. Les procès cessèrent alors d'être poursuivis, et les
choses furent laissées dans l'état qui n'avait cessé d'exister depuis la transaction de 1571,
Après l'arrêt de 1679, les concessionnaires ayant titres aux Viougues ,
sur le refus du fermier de l'Œ uvre d'arroser leurs propriétés, firent arroser
à leurs frais , mais ne payèrent plus de redevances. Cet exemple fut suivi
au Gresc, par plusieurs propriétaires de ce quartier et de ses dépendances,
aussitôt que l'exhumation de leurs titres de concession, qui étaient absolument semblables à ceux des Viougues, leur eut révélé leurs droits et
l'obligation de l'Œuvre de faire arroser leurs fonds, à ses propres frais. Il
résu lte d'une délibération du 23 mai 1686, que noble Scipion d'As tre, la
dame d'Isnard, son épo use , la dame de Grignan et le sieur de Suffren se rendirent
opposants au commandement de payer, pour le droit d'arrosage du quartier du
Gresc, et que la communauté déli~éra de prendre le fait et cause de son fermier et de IJOUrsltÏvl'e la dite affaire. On trouve une autre délibération à la date
du 20 février 1689, de laquelle il résulte que les fermiers de la communauté pour les arrosages du Gresc, demandèrent d' être indemnisés des
sommes qui leur étaient dues par les associés de l'Œuvre de Craponne ,
pour raison de leurs arrosages dans le quartier du Gresc, et que ces derniers refusaient de payer sous prétexte qu'ils étaient associés et membres de
l'Œuvre. La communauté délibéra (l'indemniser ses fermiers, de !'aJ11Jorte1'
cession de 181!rS actions et de les exercer ensuite contre qui eUe verrait
bon étre. Il y en a une autre du 12 mars 1690 à peu près semblable.
Cela se passait dans le moment des contestations pendantes entre l'Œuvre
de Craponne et la communauté de Salon, au sujet des arrosages du Grcsc.
Des membres de l'Œ uvre se prévalaient alors des concessions particulières
'
que leurs successeurs voudraient aujourd'hui méconnaître,
- 55-
Autre arrêt du Parlement en faveur des concessionnaires d'arrosages,
du 2 Mai 1690.
L'arrêt du 8 février 1679, en condamnant le fermier de l'Œuvre de Craponne à arroser à ses frais les biens des propriétaires ayant des contrats,
moyennant trois sous par carterée cl)aque fois qu'il arroserait, n'avait rien
prononcé à l'égard de ceux qui n'avaient point de contrats. Il n'avait pas dit ,
non pins, à qui incombait la justification des contenances portées anx actes ,
de concession. C'est pourquoi l'Œuvre, dans une instance introduite dix ans,
plus tard, par ses fermiers contre d'autres concessionnaires qui s'étayaient de
l'arrêt de 1679 pour ne payer aucune redevance, parce qu'ils arrosaient euxmêmes leurs terrains, chercha à faire réparer les deux omissions commises
dans ledit arrêt, et même à obtenir .une augmentation de salaire pour J'arrosage qui était à sa charge, sous prétexte que le prix de la main-d'œuvre
ayant considérablement augmenté , ses fermiers n'étaient plus assez payés de
leur travail, au moyen de trois sous par carterée à chaque arrosage.
Mais, cette fois, la Cour de parlement jugea de manière à ne laisser
aucune question indécise. Voici son anêt rendu, le 2 mai 1690, entre Honorade J\Ialane, veuve Barbier, Jean et Claude Barbier, ses enfants, ménagers
de la ville de Salon, d'une part, et Barthélemy Astier et Claude Bodoul ,
fermiers des arrosages de Craponne, d'autre part.
« La COItl' , sans s'arrêter à la requête des dits Astier et Bodoltl dit 4
janvier dernier , faisant droit à l'opposition et requête incidente des dicts
Malane et BaI'bier, du 26 octobre 1689, a déclaré et déclare les exéczttions
des dits fermiers mt/les, ct comme telles, les a cassées, avec dommages-intérêts liq!tidés à six liVl'es et frais payés au séquest7'e .. a ordonné et ordonne
!lite conformément ait titre desd, J'Jfalane et Barbier et à l'arrêt de la cour
d!! 8 février 1679, lesd, fermiers d!! Canal de Craponne , quartier des
ViOltgues, an'oseront IClt1's propriétés, moyennant troi.s sols par carteyrade,
toules les fois ql!'ils an'oseront .. condamne lesdits Malane et Barbier à payer
auxd. fermiers les a1'l'érages desd. droits d'al'J'osage à ladite l'aison, depuis
le demier jugement, déduction faite de ce ql!i a été consigné, sui'vant l'al'rêt
du 10 novembl'e 1689, dont lesd. fermiers en feront le recoltVl'ement, et ce
pour les nenfs cal'teyrées pal' eux possédées et appointées. suivant les actes des
24 j1tin 1565 et 12 flli ltet même année, 22 fllillet 1566 et 6 aVI·il1567.. etc.,
•
�-
56 -
et ce sons aUClIue déduction dn tl'avail par lesd. fermiers prétendu, et en cas
de 1'e{us de la part desd. {e1'1niBl's IBlt1' à permis et permet de {aire an 'oser
leurs propriétés all,t dépens d'icBllx, sauf auxd. fm'miers de vérifier pm'
toutes sortes de prenves, si J,falane et ses enfants ne possèdent pas toules
les dites c ontenances alul. qual'tier. Ordonne que IJO!tr les al/,U'es pl'opriérés
non appomtées lesd. ilfalane et Bm'bier, Si aucunes en possèdent, payeront
le dl'oit d'arrosage en la (orme et usage des atttl'es pm'ticztliers possédant des
propriétés aud . qual'Iier non appointées,(1), condamne lesd. fermiers en la
moitié des {rais, ensemble à ceux de l'anfJt. Délibéré il Aix, le 2 mai 1690. ,
A partir de cet arrêt, qui n'était pas seulement identique à celui de
1679 , mais encore plus explicite, plus étendu , l'Œuvre de Craponne ne laissa
plus faire de procès par ses fermiers aux concessionnaires ou appointés du
quartier des Viougues. Elle ne songea même plus à disputer à la communauté de Salon, les redevances des con cessionnaires du quartier du Gresc,
dont les titres étaient de la même natur!! que ceux des Viougues , et portaient
également obliga tion de faire les arrosages.
Tel était l'état des choses, lorsque l'Œ uvre de Craponn e, chargée d'énormes
dettes sans pouvoir remplir ses engagements, vit la régie du canal passer avec
ses droits utiles, des mains de ses membres en celle de ses créanciers.
Nous appelerons un moment l'attention sur ce grave événement et sur les
circonstan ces au milieu desquelles il s'est accompli . Nous reprendrons ensuile
la discussion de nos concessions d'arrosage et nous veron s si le chan O"ement
qui s'est opéré dans le personnel de l'Œ uvre, a pu mod ifier , en qu~i que
ce soit, nos conventions avec Adam de Craponne, et si la nouvelle Compagnie
n'est pas ' tenue de les exécuter aussi strictement que l'était l'an cienne.
Déconfiture de l'œuvre de Craponne.
Ses créanciers substitués, par la voie de la collocation , à ses droits ,
facttltés et obligations.
L'hiver rigoureux de . 1709 fut généralement désastreux en Provence. Les
générations s'en sont transmis le triste so uvenir dans ce dicton populaire.
(1) Le droit d'arrosage pour les prop l'iétés Hon appo intées des Viougues était , comme au
quartier des Croses, de 2{' sous par ca rterée de pré et I ~ sous par carterée de verger ail autres
terrains, annuellement, cn conformi té de l'arrêt réglementaire. du 20 décembre '16331 visé dans
les qualités de l'arrêt de <\690. Ce droit est cncore payé, dans les deux quart iers, sur le mêmc
taux , savoir : 8 sous l'émine de pré et.} sous les autres terrainsj et ce annuellement.
-
57 -
En 1IIillo sept cent nou,
La terro pourtet dOl! .
Au mois de décembre 1708, après une forte gelée , il était survenu une
tem pérature douce qui avai t ramené le dégel. Mais, le 6 janvier suivant , le
froid reprit tout-à-coup et sévit avec une intensité de 14 à 15 degrés Réaumur au-dessous de zéro , pendant 15 jours consécutifs, après lesquels, quoique moins fort, il dura plusieurs mois. La terre fut gelée à un mètre de
profondeur , et les semences qui y avaient été enfouies, furent entièrement perdues. Il n'y eut presque ri en d'épargné en fait de récoltes et de victuailles :
Oliviers, vignes, arbres fru itiers, volailles, gibier, tout fut frappé de mortalité.
1\ s'ensuivit une horrible disette, accrue encore par la rareté de l'argent.
L'émine de blé se vendai t 10 livres (25 francs d'a1tjOltrd'ltlti. ) Bien des gens
de co ndition se trouvèrent réd uits à manger du pain d'avoine, et encore n'en
avait-on pas à satiété ; il périt à Salon près de mille habitants, les uns de
froi d, le plus grand nombre de famine. On lit en tête d'un registre de Martinon, notaire à Salon, contenant les actes et contrats par lui reçus dans les
années 1 707, 1708, 1709 : Nota. - Que le fl'oid commença si grand, le
6 jallVier 1709, q!â {l!wa plus de trois mois, que les oliviers mou1'!trent,
aussi bien que les blés, et il y Bla pendant phts d'une année, une {amine qui
fi t péril' IJlus de ne!t{ cents personnes,
La ville de Salon, déjà fort obérée et se vOIant dans l'impossibilité de se
procurer aucune ressource pour fourn ir à la subsistance du peuple, et même
à l'avance des grains nécessaires pour l'ensemencement des terres , se fit autor iser à emprun ter, afin de la convertir en monnaie, l'argenterie des églises
de Saint-Laurent, de Saint-Michel, des Pénitents blancs , des Cordeliers et
de Notre-Dame de Val-de-Cuech , à l'exception toutefois des vases sacrés, tels
que soleils, calices et ciboires ,
Toutes les fortunes du pays de Provence avaient été plus ou moins maltraitées. Beaucoup de familles, riches auparavant en troupeaux, en vignobles,
en vergers d'oliviers, tombèrent tout-à-coup dans une atIreuse in digence et
furent obligées pour vivre, d'aliéner à vil prix leurs immeubles improductifs.
Il était impossible que l'Œuvre de Craponne ne se ressentît pas aussi des
malheurs du temps. Elle fut d'autant plus grièvement atteinte, que sa situation financière était déjà très-tendue, Depuis plusieurs années, elle se trouvait for t en arrière dans le service des intérêts de ses dettes capitales, au
point que ses créanciers, justement alarmés, l'avaient mise sous leur contrôle,
S
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58 -
en faisant percevoir et gérer ses revenus par des syndics pris parmi eux.
Nous li ~o ns dans un acte du '28 octobre 1706, notaire Bernard, à Salon,
portant trailé entre les associés de l'Œuvre et deux eygadiers engagés pour
veiller à l'entretien du canal, que les parties agissent en présence de noble
Jean-François Bouchard, conseiller du roi, chauffe-cire en la chancellerie
près la Cour des Comptes, un des syndics des créanciers de la Compagnie
de Craponne, nommé receveur des rentes de la dite Compagnie. Il est dit
dans cet acte que les gages sero nt comptés trimestriell ement aux eygadiers,
sur mandats tirés par les associés et payés par le sieur Bouchard, receveur
de la Compagnie.
La crise de 1709 , en ruinant le crédit de la Compagnie de Craponne,
compléta sa déco nfiture. Ses créanciers se pourvurent en justice pour obtenir des décrets de collocation, et se firent ensuite coll oquer, les uns sur
la branche d'Arles, dont M. de Montcalm baron de Mélac était alors seul
propriétaire, les autres sur la branche de Salon.
n y avai t quelques années que cette dernière branche avait été entamée
par les coll ocations des mêmes créanciers de l'Œuvre sur les moulins et
arrosages d'Eyguières, dépendants des successions de feu noble Scipion d'Astres et de sa fille unique Marthe d'Astres, décédée épo use de noble Louis
Isaac de Pontis. Mais celui-ci, en qualité d'héritier bénéficiaire de sa femm e,
ayant attaqué ces collocations comme excédant la part à la charge des successions d'Astres, dans les dettes de la Compagnie de Craponne, un anêt
de la Cour de Parlement du '27 juin 1708 , condamna les créanciers colloqués à indemniser les dites successions de tout ce qui excèderait leur part
contributive des dettes, après liquidation de l'actif et du passif de la Compagnie de Craponne. A la suite de quoi, M. de Pontis co nsentit diITérents baux
en paye en faveur des créanciers des successions d'Astres , pour des sommes
à recevoir et exiger sur l'indemnité dont les créanciers de l'Œuvre devaient
faire compte et remboursement, à l'occasion de leurs collo cations sur les
moulins et arrosages d'Eyguières. Voir à ce sujet les actes reçus par Me
Bernard , notaire il Salon, le 31 janvier 1709 et le 5 février 1710, en faveur
de M. et de MilO de Milan de Cornillon, pour deux créances contre les successions
d'Astres, s'élevant ensemble à 8037 livres; le 31 janvier 1710, en faveur du
sieur Denis Tinellis, d'Arles, pour 1068 livres; le 3 février suivant, en faveur
du Mont-de-Piété de Salon, pour 1076 livres; le 6 février 1710, au profit
de M. Bougerel, d'Aix, pour 1'250 livres, etc ...
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•
Mais pour ne pas rendre plus long notre récit, nous nous bornerons à
mentionner les collocations qui furent faites sur les moulins et les arrosages de Salon.
Collocation sur le moulin des Quatre-Tournants et sur les arrosages
de Viougues, à Salon.
•
Au mois de juin 1709, M. Jean-François de Milan de Cornillon et
Mlle Félicité de Milan de Cornillon, sa nièce, comme représentant leur père
et aïeul feu Antoin e de Milan de Cornillon, un des principaux créanciers de
J'Œuvre de Craponne, se fi rent colloquer sur le moulin des Quatre-Tournants
appar tenant à MM. Pierre et Joseph de SuITren, père et fils, membres associés
de l'Œuvre, et SUI' les arrosages de Vi ou gues qui étaient la propriété de la
dite Œuvre.
Il Tésulte du rapport d'es timation et de collocation à cet effet dressé par
les sieurs César de Sain t-Marc et Jean-Baptiste Imbert, estimateurs jurés et
modern es de la ville de Salon, les 15,17,18 et 19 juin 1709, que la somme
totale due en prin cipaux, intérêts et frais par l'Œuvre auxdits sieur et
demoiselle de Milan de Cornillon, s'élevait à quatre-vingt mille cinq cent
quatre-vingt-huit livres treize sous un denier, ci.. " . . . .... 805881 13' 1d
Et que les biens saisis furent estimés à la valeur totale
de '2'2348 livres 11 sous 3 deniers, savoir: Les moulins
engins, bàtiment et faculté de l'eau faisant tourner les dits
moulins ..... ... . . .. ... . ... . . ..... . . '. 15748l 11 ' 3d l '2'2348\ 11' 3d
Et les arrosages de Viougues . . .. .... . . _ 6600\
\
En sorte , qu'après leur eollocation, les dits sieurs et Dilo de
Milan de Corn illon restèrent créanciers à l'encontre de l'Œuvre
de Craponne d'une somme non payée de 58'240\ 1 sou 10
deniers, ci. . . . . . .. . . . .. . .. . .. . .. .. . . .' . . .. .. . . . .. . . .
58'240' 1s 10d
Pour laquelle somme restant due il fut fait des prolestations par lesd. sieur
et Dile de Milan de COl'flillon, avec réserve d'en poursuivre le payement
sur les autres biens et eITets de la Compagnie de Craponne.
Les créanciers Milan de Cornillon se seraient colloqués, s'ils l'avaient pu ,
sur, les arrosages du Gresc, qui étaient so umis aux obliga tions et dettes de
la Compagnie de Craponne, quoique possédés par la communauté de Salon,
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-
comme étant aux droits du capitaine Tripoly. Mais un autre cr6ancier de
la Compagnie, le sieur Charles de Michaëlis, écuyer de la ville d'Aix, faisait,
en ce moment et depuis longte mps, des poursuites en payement co ntre celleci, et obtenait enfin, le 30 du même mois de juin 1709, un décret du Parlement, qui l'autorisai t ;) se fai re colloquer S UI' les biens encore disponible
de la Compagnie de Craponn e.
Collocation s u r les arrosages du Gresc et de Garrigues.
Après le décret du 30 juin 1709, M. Charles de Michaëlis en avait obtenu
un second , le 25 juillet suivant, par lequel il était autorisé à se faire colloquer SUI' les biens ct elTets de l' Œuvre de Craponne et notamment SUI' les
arrosages du Gresc qui, bien qu'appartenant à la communauté de Sal on,
devaient néanmoins, en cas d'i nsuffisance des autres biens de l' Œuvre, être
soumis aux dettes de cette dernière.
Peu après, M. de Michaëlis étant décédé, les poursuites en réalisation de
collocation a,'aient été suspendues pendant la min orité de ses deux fill es et
héritières, Félicité et Elisabeth de Michaëlis. Mais à la maj orité et après les
mariages de celles-ci, elles furent reprises en leur nom, par leurs maris MM. Antoine
de Grasse sieur de Montauron et Jean-Baptiste Leblanc sieur de Castillon ,
suivant lettres délivrées sur requête et lues le 11 avril 1714, portant que
l'arrèt du 25 juillet 1709 serait exécuté non obstant surannation.
En exécution de cet arrêt, il fut rait un premier procès-verbal de collocation, le 24 juillet 1715; mais, comme les experts y avaient donné une
valeur exagérée aux arrosages et qu'en outre ils avaient confondu avec les
arrosages du Canal de Craponne ceu:" des eaux de source de la Garrigue,
non soumises aux dettes de l'Œuvre, quoique appartenant à la communauté
de Salon, ce qui aurait pu donner lieu à des contestations ultérieures , les
sieurs de Grasse et Leblanc, co mme exerçant les droits de leurs épouses,
se poufl"urent contre ce procès-verbal, et après en avoir obtenu la cassation
par arrêt du 19 mai 1716, ils fire nt procéder à une nouvelle collocation, le
14 juin suivant.
Cette fo is, les nouveaux experts, rectifiant les opérations et le rapport des
premiers, es timèrent les arrosages, à partir "des terres de Lamanon jusqu'aux
Estrets, c'est-à-dire du nord au midi, et depuis le Canal de Craponn e jusqu'à
celui de la Garrigue, soit du levant au couchant, à 6000 livres; et attendu
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que cette somme était insuffisante pour payer entièrement les dames de
Grasse et Le Blanc, ils portèrent leurs investigation s sur les arrosages qui se
faisaient au couchant, par delà le fossé de la Garrigue, au moyen des eaux
de Craponne mélangées avec celles de source appartenant en propre à la
communauté de Salon. Les experts, après avoir séparé fictivement ces eaux
mélangées , et en avoir attribué un tiers à la communauté de Salon, comme
équivalent des eaux de source, évaluèrent les deux autres tiers composés d'eaux
de Durance à 4500 livres. En suite de quoi, ils colloquèrent les 8ieurs de
Grasse et Le Blanc ou leurs épouses sur les arrosages entiers du Gresc et sur
les deux tiers dA ceux qui se faisaient du fossé de la Garrigue, estimés ensemble à 10,500 livres,
La collocation des sieurs de Grasse et le Blanc embrassa tous les arrosages de la région du Gresc. qui se faisaient des eaux de Durance, en deçà
comme en delà du fossé de la Garrigue, tant les arrosages de la concession
faite par Craponne au Capitaine Tripoly, que les redevances des arrosages
compétant aux autres concessionnaires particuliers du dit Craponne. C'est ce
qui résulte littéralement du rapport des experts, du 14 juio 1716, où l'on
voit qne ceux-ci commencèrent leurs opérations à l'entrée du territoire de
Salon, contigu à celui de Lamanon ; qu'ils suivirent le grand fossé commun
jusqu'il la martellière de Talagard, qu'ils ouvrirent généralement toutes les
pierres percées ou pas destinés à la dérivation des eaux d'arrosage, qu'ils
examinèrent le terrain qui s'en arrosait ; qu'ils suivirent les eaux dans leurs
cours jusqu'au fossé de la Garrigue, où le superflu des dites eaux se perdait.
Ils re,'inrent ensuite à la martellière de Talagard et suivirent le fossé du
moulin des Quatre-Tournants commun avec les arrosages, jusqu'au moulin
Paroir. Ils ne laissèrent pas un trou à ouvrir, ils suivirent en détail l'eau,
dans tout son cours, jusqu'au fossé de la Garrigue près le pont dit d'Avignon,
où les eaux réunies se divisent en deux parties, don t uoe passe sous le pont,
en se jetant dans le fossé de la Garrigue, et l'autre sur une gorgue en dessus
du dit fossé de la Garrigue, pour servir aux arrosages inférieurs. Ensuite les
dits experts reprirent leurs opérations, après la martellière de Talagard , SIU'
le grand canal, jusqu'au quartier des Estrets où commencent les arrosages
de Viougues; ils ouvrirent encore tous les pas d'arrosage , suivirent l'eau dans
tout son cours, par chaque fossé particulier, et prirent note du terrain qui
en était arrosé, en deçà comme au delà de la Garrigue. Les experts ne laissèrent
rien à l'oubli. Ils comprirent dans la collocation tout le périmètre limité au
nord par les terres de Lamanon, au midi par le quartier des Estrets et au
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couchant par le Coussou en Crau de M. le conseiller de Suffi'en ; ils ne
désignèrent aucun confront au levant, parce que le grand canal établi presque
à mi-côte des hauteurs de Talagard et des lIfagatis, ne peut arroser les terrains situés de son côté, en contre-haut de la rive gauche. Le confront
oriental était alors naturellement, sans qu'on eùt besoin de le dire, la rive
du canal de Craponne.
Enfin, cette collOC<1tion fut faite, nous le répétons , SUl' tous les arrosages
du quartier du Gresc, sans égard ni distinction des arrosages qui pouvaient
s'effectuer en force de la concession faile à Tripoly, d'avec le revenu des autres
arrosages compétant aux concessionnaires particuliers, dont les titres avaient
été réservés par la tran saction de 1571. Tous les arrosages faisant portion
de l'Œuvre générale, étaient soumis aux dettes de celle-ci. Les dames de
Grasse et Le Blanc y furent colloquées.
li serait vraiment incompréhensible que, s'agissant d'une dette de l'Œuvre
de Craponne, la collocation eùt laissé à l'écart ce qui aurait pu appartenir
à cette Œuvre, pour ne peser que sur la part de la communauté de Salon,
qui ne devait rien personnellement!
Cela ne pouvait pas être, et cela n'a pas été, quoiqu'en disent nos contradicteurs; non , cela n'a pas été. Les deux arrêts des 30 juin et 25 juillet
1709, qui autorisent la collocation, ont visé les biens et effets de la
Compagnie de Craponne; il n'y est pas question de ceux de la communauté de Salon. Il conste évidemment des deux rapports de 1715 et 1716,
que les poursuites en collocation sont dirigées principalement contre la Compagnie de Craponne, seule débitrice, et que ce n'est que parce qu'elle ne
possède plus rien de saisissable, qu'elles viennent atteindre la communauté
de Salon , son associée, et comme telle, sa responsable. N'avon s-nous pas
vu déjà, avant 1709, pareille collocation faite sur les moulins et arrosages
d'Eyguières, dépendants de la succession de Scipion d'Astres, qui pourtant ne
devait rien perso nnell ement aux créanciers colloqués de l'Œuvre de CI'aponne, avec celle différence néanmoins, qu'à cette époque, l'Œuvre n'était
pas encore insolvable ou jugée t.elle. C'est pourquoi, elle fut condamn ée à
indemniser la succession d'Astres. Si les arrosages saisis aux Gresc et Garrigue sont désignés, dans les rapports des experts, comme appartenant à la
communauté de Salon, c'est parce que jusqu'alors tous les arrosages de la
grande région du Gresc avaient été possédés pal' la communauté de Salon
qui, depuis la transaction de 1571, soit pal' son auteur Tripoly , soit par
elle-même, n' avait pas cessé de les afferm er et d'en percevoir les revenus,
sans que la Compagnie eût jamais joui de la moindre partie de ces arrosages , malgré ses prétentions contradictoires, plus ou moins périodiquement
élevées contre la communauté de Salon , mais jamais suivies d'effet. Cette
jouissance permanente de la communauté explique pourquoi les experts ont
dit dans leur rapport;
Avons colloqué et colloquons les siBllrs de Montauron et Le Blanc sur les
alTOsages dll quartier du Gresc, pour en jouir par iceux dès aujourd'hui,
comme les (l'its sieurs Mail'e lit Consul en jouissaient. Et c'est tant parce que
l'Œuvre était débitrice principale, qu'à cause des prétentions qu'elle aurait
pu élever à nouveau sur les arrosages du Gresc, que la Compagnie de Craponne avait été assignée en première ligne, pour assister aux opérations de
collocation. Le rapport dll 24 juillet 1715 s'exprime en ces termes : Nous
experts commis et députés de la souveraine Cour de parlement de ce pays ,
pa,· décret de la dite Cour du 25 fuillet 1709, à l'inspection de ceux des
lieux où. les biens des sieurs associés à l' Œuvre de Craponne seraient
situés, en exécution an'êt en {01'me rBlldu pa'r nos seigne!ws de la dite
Co!tr, en date du dernier juin 1709 etc .. , satis{aisant au commandement et
injonctions cl nous {aites, etc . . , mtX fins de nous pm·ter cl Salon et de {aire
l'estime et évaluation des arrosages du quartier du Gresc et Garrigues, appartenant à la commltna!tlé, en qualité d'associée à la Compagnie de C"aponne,
et de SlIite les COllOq'l,et' (les sieurs de Grasse et Le Blanc) $!Ir iceux pour
les sommes à eux due par la dite Compagnie tant en principal, inté,'êts, que dépens, et à l'assignation donnée aux dits sieurs syndics
et associés etc . .. Malgré cette assignation, personne ne comparut aux opé-
a
rations, ni pour l'Œuvre, ni pour la communauté. Néanmoins, le premier
jour des opérations , à midi, au moment que les experts étaient revenus à Salon
pour dîner, ceux-ci reçurent notitlcation par huissier, d'un exploit par lequel
les consuls de Salon les sommaient de se désister de continuer leur cmnmission. D'oll nos adversaires concluent que la ville de Salon étant seule
intervenue dans le cours des opérations, la collocation n'a frappé que sur sa
part d'arrosage, et non sur celle de l'Œuvre de Craponne, qui, dès lors,
n'avait pas de raison pour intervenir. A quoi le simple bon sens répond pour
nous, que la communauté ne devant rien personnellement , il était tout naturel
qu'elle intervint pour faire savoir aux experts qu'ils allaient commettre une
iniquité contre elle, en saisissant ses arrosages pour les dettes d'autrui; tandis
que l'Œuvre, seule débitrice, n'avait aucune raison pour intervenir, parce qu'en
saisissant ce qui lui aurait appartenu, les experts ne faisaient qu'un acte de
bonne justice.
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Le deuxième rapport du 4 juin 1716, énonce égalemen t qu'il a été donné
assignation, pour assister aux opérations, anx Synd'ics et intéressés de la
Compagnie de C1'aponne, ainsi ql/:al/x Consuls d,e Salon. Et cette fOIs, personne
n'est intervenu pour pro tester, 111 la Co mpagOle, nt la Communauté,
Si l'ou rapproche les deux coll ocations contemporain es ViOltglles et Gresc,
on acquiert tout de suite l'indubi table con\~ c ti o n que la dernière n'a pu se
réduire seulement à la co ncession Tripoly , comme voudraient le faire croire
nos adversaires.
Essayons, en eITet, de mettre, un moment. en parallèle avec la collocation
sur Viougues la collocation sur Gresc, bornée, ainsi que nos adversaires l'ont
fait décider judiciairement , au demi moulan Tripoly, et compa rons :
Viougues.
Gres c .
Collocation sur des arrosages servis par Collocation sur des arrosages se faisant
un moulan d'eau , plus SUt' les rede- par un demi mOlllan et ne comprenant
vances des concessions particnlières pas les redevances des concessions parde ce quartier. -- Le tout estimé:
ti culières de ce quartier. -- Estimation :
6600 liVl'es ,
10500 livl·es.
Eh bien! de bonne foi, es t-ce logique ? est-il possible de souteni r une
pareille énormité, à savoir que la moitié vaut le double de l'entier?
Aj outons que l'énormité apparaîtra plus grosse encore, si l'on observe que
les experts estimateurs des Viougues, dans leur rapport, on t élevé leur estimation à 6600 livres, eu égard à ce que les dl'oits d'a1Tosage sont en franchise des cotes annuelles que la Compagnie est en usage d'imposer, (ce sont
les propres termes du rapport, ) et que les experts du Gresc on t abaissé leur
évaluation à 10500 li vres, en considération des chal'ges (l'II canal , auxquelles
Tripoly, soit la Communauté, devait contribuer pour un e cotisation de 50
écus fi ctifs.
Il est vrai que, 17 ans plus tard, les arrosages de Viougues ont été so umis à une cotisation de 35 écus, suivan t transaction entre le sieur de Cornillon et l'Œuvre de Craponne, du 11 juillet 1726, no taire AUenoux il Salon;
mais à l'époque de la coll ocation, en 1709, ces arrosages étaien t en franchise de cotes ; ce qui fut pris en considération par les experts dans leur
estimation, Sans celle fran chise, les arrosages et redevanees des Viougues
eussent été évalués plus bas,
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Ainsi donc, rien ne peut diminuer la force de notre démonstration qui ,
faisant éclairer les deux collocati ons contemporaines , Viougues et Gresc , l'une
par l'autre, prouve d'une manière évidente, que tous les arrosages se faisant
au Gresc, en deçà comme au-delà de la Garrigue, ont été compris dans la
collocation des dames de Grasse et Le Blanc,
En outre, un e preuve également incontestable que la collocation du Gresc
s'est étendue sur tous les arrosages de ce quartier, et non pas seulement sur le
demi-moulan de Tripoly, c'est que la famille de Cornillon, après sa collocation sur le moulin des Quatre-Tournants et les arrosages des Viougues ,
étant restée créancière de 58240 livres dont elle avait protesté, qu'on se le rappelle, avec réserve de s'en faire payer sur tous les autres biens et eITets de
la Compagnie de Craponne, n'eû t pas manqué, dans le cas où les dames
de Grasse et Le Blanc n'auraient saisi qu'une partie des arrosages du Gresc,
de s'emparer aussitôt de l'autre partie, nOll saisie, pour se payer d'autant
sur les 58240 livres que la Compagnie de Craponne lui restait devo ir,
Par suite des collocations faites à son encontre, dans le premi er quart du
18° siècle, l'ancienne Œuvre de Craponne disparut de la scène pour faire
place à ses créanciers, Tous les droits utiles qu'elle possédait par elle et
ses associés à Salon et dans son territoire, avaient passé, par collocation, aux
familles de Milan de Cornillon et de Michaëlis, qui transmirent plus tard
la partie usinière ou le moulin des Quatre-Tournan ts à M, le marquis de
Bretonvillier, mari de Mlle Félicité de Milan de Cornillon , et la partie agricole, soit les arrosages, à la commune de Salon .
En 1734, la commune de Salon acheta de Madame Elisabeth de Michaëlis,
épouse Le Blanc de Castillon, la moitié des arrosages du Gresc , suivant arrêt
d'expédient 011 de consenm du 20 mars de la dite année, ( L'autre moitié de
dame Félicité de Michaëlis épouse de Grasse a été acquise aux enchères publiques du tribunal civil d'Aix, par jugement d'adjudication du 26 juin 1838 ,)
Par acte du 19 janvier 1738, notaire Petit à Salon, M. de Milan de Cornillon vendit à la communauté de Salon , les arrosages du quartier des Viou<l'ues et tout ce qui en dépendait, depuis le quartier des Es trets, où fi nis: ent les arrosages du Gresc, jusqu'au territoire de Pélissanne.
Dans ces aliénations ( à l'exception toutefois de celle résultant de l'arrêt
d'expédient de 1734, qui casse la collocation sur Garrigue pour la moi tié
seulement de la dame Le Blanc ) , les vendeurs ne réservent l'len ; Ils cèdent
par conséquent tout ce qu'ils avaient saisi, les arrosages et les exactions des
redevances de quelque genre que ce soit.
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L'acte de vente du '19 janvier 1738 est, surtout, on ne peut plus explicite à ce suj et. Il porle que les droits d'arrosage qui doivent être payés
annuell ement par les particuliers possédant biens au quartier des Vi ou gues
consistent savoir : pOIll' les jardins et prés, à m ison de huit SaliS l'ë11!'inée ,
pour les teN'es et vignes à raison de deux livres htût SOI'S la charge qu'est
six SaliS pat' éminée et ll'ois liVl'es quatol'ze SaliS clU/ql/,IJ charge ou saumée
de j'erget's d'olliviers '1 1" est neuf SOI/,S trois deniers po 1<1' chaque émù,ée, ce
réglé pur l'ancien usage mentionné dans l' acte du 3 juin 1711 , notaire Jean
Sabatier à Salon, ( D'après legnel ces ([l'oits étaient payables annuellement, )
En suite immédiatement après celle clause, il est ajouté : Laquelle fixation
des droits ci-dessru n'aura lieu qu'à l'égal'd des pal'ticlliiers non abonnés
avec noble Adam de Craponne , et Il l'égard de cer.x 'I"e le dit de Cm ponne
01' es succeSSBUI'S et ayant cause avaient abonnés pat' contrats, ils I/,IJ sel'ont
tenlls de payel' à ladite communauté de Salon d' m<tns cll'oits que ceux
pOI,tés pal' leurs contrats d'abonnement,
Eh ! bien, que "eut-on de plus clair que celle dernière disposition ? Estil possible de soutenir que les redevances des concessions particuli ères, faites
par Craponn e, n'ont pas été comprises dans la vente?
L'Œuvre avait si bien compris qu'il ne lui restait plus rien à prétendre
sur les arrosages des Viougues, co mme sur ceux du Gresc, qu'elle ne les
a jamais plus donnés à ferme. On la met au défi de produire un seul acte
de bail depuis 160 ans pour les Viougues, Quant aux arrosages du Gresc,
il lui es t également impossible de justifier qu'elle en ait affermé une partie
quelconque, depuis la transaction de 1571 ,
En '1793 , l'Etat s'était mis aux droits de la commune de Salon pour les
arrosages tant du Gresc que des Viougues, qu'il affermait à son profit, et le
25 octobre 1825, celle-ci en fit de nouveau l'acquisition à beaux deniers
comptants. Depuis lors elle n'a pas cessé de les affermer comme une propriété légitimement acquise et réacCfuise , et dont ell e avait payé le prix deux
fois, sinon trois,
Enfin, nous le répétons, et nous ne saurions tro p le dire avec des adversaires aussi tenaces que les nôtres, depuis plus de 160 ans, tous les arrosages des Viougues et du Gresc, tous, oui, tous ont été baillés à ferm e par
la fam ille de Cornillon et les dames de Grasse et Le Blanc, ensuite par la
commune de Salon, et puis, par l'Etat, enfin et de nouveau par la commune de Salon , jusqu'à auj ourd'hui, successivement et sans interruption, Les
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67-
baux à cet eflet passès sont là pour en faire foi, et nous défions l'Œuvre de
Craponne d'en produire un seul , en son nom et à son profil
La revue rétrospective que nous "enons de faire, ne doit avoir aucune portée ,
nous le savons , en ce qui concerne la commune de Salon, dont les droits
ont été ramenés par le pouvoir judiciaire aux limites des premie.'s titres,
droits tout à fait distincts des nôtres et qui ne sauraient, par conséquent, nou s
préoccuper, Loin de nous l'intention téméraire de revenir sur la chose jugée,
dont nous respectons d'autant plus l'autorité, qu'elle ne touche pas à nos
concessions d'arrosage; ell e les réserve, au contraire, Mais nous tenion s à
constate.' que nous n'avons jamais payé de redevances à l'Œuvre de Craponn e,
depuis son acte co nstitutif de 1571, pOUl' nos arrosages du Gresc, et depuis
la collocation de 1709, pour nos arrosages des Viougues,
Cette constatation ne fait que donner plus de force à no concessions ,
Elle prouve qu'en dehors des arrosages compétant à la commune de Salon,
dans le Gresc et les Vi ou gues, il y a nos arrosages particuliers, tout aussi
dignes de respect et sur lesquels l'Œuvre, jusqu'à présent, n'avait pas osé
porter la main , arrosages qu e Craponne a,-ait vendus, à prix d'argent, dans
les deux quartiers, et qu'il s'était obligé de servir à perpétuit.é et à ses
frais, moyennant 3 sous de redevance par carterée, à chaque arrosement.
Plusieurs arrêts confirment cette obligation. Elle prouve ensuite que j'Œuvre
qui représentait Craponne, trouvant ce service d'arrosage de plus en plus
onéreux, à cause de l' augmentation toujours croissante du prix de la main
d'œuvre, aima mieux s'en dispenser, en ren onçant à la perception des trois
sous de redevance, Parmi les concessionnaires ayan t titres , un certain nombre s'étayant des arrêts qui obligeaient l'Œuvre à faire arroser suivant les
contrats, ne paya plus rien à personne : tous les autres vouluren t bien payer
à la commune de Salon une légère rétribution annuelle pour l'indemniser
des charges de recuragc et d'entreti en des fossés d'arrosage,
Aujourd'bui l'Œuvre de Craponne, bien aise de rompre à son pl'ofit celte
ancienne situation, qu'ell e avait elle-même créée pour s'exonérer de ses obligations, est parvenue, à force de crier à l'usurpation, contre la commune de
Salon, à faire rentrer celle·ci dans les limites de ses premiers ti tres, Mais sentant
fort bien qu'à son tour, il lui faud ra revenir elle-même forcément à l'ob5ekY<ttion de ses devoirs envers les concessionaires, l'Œu\'l'e De trouve rien de
mieux, pour s'y soustraire, que de contester la valeur des actes de concession,
A ces fi ns, dans son mémoire co ntre la commune de Salon , imprimé à
Aix en 1872, aux pages 55 , 99 et suivantes , elle élève , à l'encontre de ces
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actes, une série d'objections frivoles, qui dénotent, chez elle , une cause bien
désespérée, pour avoit' recours à de pareilles subtilités, Sans doute, à première l'ue , ces obj ections ont quelque apparenc.e de vrai qui trompe l' œil ;
mais, examinées à fond, elles tombent d'elles-mêmes , tant elles manquent
de solidité; ce que nous allons démontrer , en les reproduisant et les
réfulant une à un e.
Première objection,
Tous ces actes, disent nos adversaires, sont faits Slll' le mêm.e modèle ;
Adam de Craponne s'y engage à arrose,. les vel'gers et les vignes des possédants biens y dénommés, moyennant le payement de trois sols par cartey1'ade, et les particuliel's à payer ce prix (1) à chaqlle arrosage, On ne trolwe
pas dans ces ac/es la faculté pour [es concessionnaù'es de change!' la. cuUllre
de leurs terres, ni l'obligation pOll1' Craponne de fournir les eaux si la cu.llltl'e
change. Ce q'û l'éduit singulièrement la p01,tée de ces concessions, qui ne sont
pas faites pOltr des IJraù'ies à créer,. ni pOUl' des jardins (1 faire, ni pOU1'
des terrains (le natllre semblable, mais simplement pour des verg ers d'oliviers et des vignes,
Ce raisonnement n'est pas sérieux et ne saurait supporter la discussion, Il
nous sera facile d'en faire voir l'inanité.
li faut qu'on sache qu'avant l'introduction des eaux de Durance à Salon,
il n'y avait que les propriétés riveraines du cours d'eau naturelle de la Garrigue, qui pussent s'anoser et être cultivées en prairies et jardins, On appelait ces endroits quartier des jal"llins et quartier de la Farragi (2), dénominations caractéristiques qu'il s ont conservées jusqu'a ce jour, Tous les
autres terrains en plaine consistaient en vergers d'oliviers, dont quelques uns
étaient doublés de vignes , Naturellement, quand Craponne prit l'obligation de
les arroser à perpétuité, ces terrains furent désignés par les plantations qui
les couvraient. Mais est-ce à dire, pour cela, qu'il n'ait été mis à l'arrosage
lt) Nos adversaires omettent de mentionner le prix principal, qui était un écu par carte)rade, payable une seule fois pour le fond de l'eau. Les trois sous dont ils parlent, n'étaient
qu'une indemnité à payer pour la main-d'œuvre des arrosages, que Craponne s'obligeait de
faire faire à ses propres frais
(2) Farragi, du bas latin {arragium, {arragii, fourrage, CampllS {arragii, champ du fourrage,
(Dictionnaire de Ducange,)
que des vergers d'oliviers? Evidemment non, ce n'a jamais été l'intention ni
de Craponne, ni de ses concessionnaires, Le service de l'arrosage étant perpétuel, était destiné principalement au sol, qui seul a un caractère de perpétuité; mais il ne l'était qu'accessoirement pour les plantations quelles qu'eUes
fussent, qui sont essentiellement temporaires, périssables; les oliviers surtout
pour lesquels l'arrosage est une cause certaine de destruction, L'expérience a
démontré que l'eau de Durance pourrissait les racines de l'olivier et finissait
par faire périr cet arbre, à la suite d'une maladie de pourriture vulgairement
appelée Mousse. Il serait vraiment singulier que cette eau de Durance, après
avoir tué les oliviers, ne püt être utilisée désormais pour d'autres plantes
d'une essence mieux appropriée à l'irrigation, Autant dire que l'arrosage a été
acheté par les propriétaires pour les cultures et les plantations qu'il fait mourir , et non pas pour celles qu'il vivifie.
Le service d'arrosage pour l'usage d'un fonds doit durer autant que ce
fonds sera en état d'en user, (Art. 703 du code civil.) D'abord, on ne devrait
jamais perdre de vue l'utilité publique, qui a motivé l'arrêt de concession du
17 aoùt 1554, donnant autorité et licence à Adam de Craponne de dériver
l'eau de Durance pour en faire son profit, mais au ssi pour l'employer au
service et commodité des communes que traverserait son Canal généralement
et des habitants de ces communes particulièrement,
Mais Craponne, nous le redisons, en faisant des concessions d'arrosage,
n'a eu en vue que les fonds à arroser, quelles qu'en fussent les plantations et
cultures actuelles ou ultérieures, Nous citerons en preuve:
1 0 L'acte du 12 octobre 1561 , notaire Pierre de la Roche, portant que
noble Adam de Craponne arrente à Mo Joseph Roche, notaire, les arrosages
et eygages de l'eau de Durance que le dit de Craponne a fait venir à Salon
Üt1lt pOIl!" ar1"OSel' et aiguer ve1"giers, vignes, que preds et jardins;
2 0 L'acte du 17 juillet 1566, notaire Laurens à Salon, par lequel Adam de
Craponne promet à noble Jehan de Suffren de lui arroser, au quartier des
Aubes , terroir de Salon , 83 carterées dont 7 en vignes,5 en vergers d'oliviers
et le restant , soit 71 ca1'terées, en terres et prai1'ies (1 ) ;
(1)
Extrait du manifeste de sire Jehan de 5ulfren , an cadastre de t566.
Tres bastidos aux Aubes contenant 1~6 saumndos et 4- aymines de terre et 7 carteyrades de
v ig nes et 5 carthey l'ades et ,13 arbres de vergiers et ,15 socheyrades de prat, confrontant ambe
las t erres de Anthony Paul et lous camins de la pnrtide d'Eyguières et las terres de Jehan
Bossier.
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30 L'acte de concession du 7 août 1566, notaire Roche, en faveur de
Guillaume Giraud dit Masan, pOlll' sept cal'terées de possessions en divers
quartiers du territoire de Salon , sans désignation de vergers, ni de vignes ;
40 Un autre acte de concession du 6 avril 1567, notaire Laurens, en faveur
de Rollet ~filloux , marchand revendeur à Salon, pOUl' une pièce de pré,
contenant tant en le,-res que chclIilles d'oliviers, y plantés deux caI'tei-
,'ades,
Pour ces propriétés, le prix est le même que pour les vignes et vergers,
c'est-iL-dire un écu pat' carteiradc pour le fonds de l'eau, plus 3 sous de redevance pour chaque arrosage que fera taire Craponne,
Ce qui est encore plus décisif, c'est la procuration d'Adam de Craponne ù
son frère Frédéric de Craponne, du 15 juin 1565, notaire Gauchier Cazallet,
à Salon, en vertu de laquelle il a été passél a plus grande partie des concessions
d'arrosage, Cet acte ne fait aucun e distinction des terrains à arroser, Il po rte
textuellement le mandat qui suit :
( Pour et au lU/TIl du constituant accorde,' avec tous et citaseuligs les llarticulliers de Sallon et aultres (1) qlle bon Illy semblera des arrosaiges de
l'eall de Durance ap/Jartenant ail dict constit1tant à. un[J eseut pOU1' cl!aseune
carteirade payable pour une foys tant senllement, et moyennant led, escut
led, procureur pOllrru passel' acte avec tels particuliers dl,d, an'osaige ct
j'Qisoll de troys (/ros pOUl' c/wsclme foys que arroseront perpétuellement 1J01l1'
c1!aswlle ca,'teira,de et salIS leur pOlwoir demander aull,'es ch.oses,
Voilà l'acte fondamental de la plupart des concessions d'arrosage! Y voit-on
que Craponne se soit préoccupé de telle plantation ou culture plutôt que
d'un autre ~ pas le moins du monde, L'arrosage est à concéder moyennant
un écn pour chaque carteyrade, payable une fois seulemen t, plus 3 sous ou
gros par carteyrade à chaque arrosage,
On nous opposera , sans doute, que les prairies et les jardins s'arrosent
plu s souvent et consommen t plus d'eau que les vignes et les vergers
d'oliviers, qui ne s'arrosent que trois ou quatre fois par ail.
Cette objection [ut faite lors des arrêts de 1679 et 1690 , Mais. le parlement
n'en tint aucun compte, parce que les actes de con cession n'avaient rien réservé
à cet égard ; qu'au contraire, d'après les termes de ces contrats, les propriétés
doivent être arrosées toutes les fois que besoin et nécessaire sera, et que
(I) AUÙrt3, c'est-à-dire les particuliers des communes voisines. telles que Pélissanne e
Eyguières, possédant des propriétés sur le territoire de Salon,
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il -
la redevance de trois sous étant payable pour chaque arrosage, cette redevance
sera perçue aussi souvent que la propriété sera arrosée,
Quant à la plus grande consommation d'eau, elle n'est pas aussi considérable qu'on voudrait le faire croire ; car les près et les jardins ayant leur
sous sol toujours saturé d'eau par de fréquents arrosages, en consomment
beaucoup moins , chaque [ois qu'ils sont arrosés, que les vergers et les vignes
qui , ne recevant, pendant l'année, que trois ou quatre arrosages insuffisants
pour y entretenir une longue humidité, absorbent, à chaque arrosement, une
plus grande quantité d'eau,
Cela est tellement ainsi, que l'Œuvre, avant 1709, alors qu'elle affermait ses
arrosages des Viougues, avait taxé les vergers d'oliviers plus cher que les
prairies et les jardins. A ce sujet, nous citerons, entre autres actes d'arrenlement , ceux des 11 octobre 1692 et '18 octobre 1695, notaire Jacques Teissier
à Salon , ceux des 21 avril 1698, 27 avril 1701 et 24 octobre 1705, notaire
Simon Bernard audit Salon, tous passés par la dite Œuvre de Craponne, il
est stipulé, dans tous ces actes d'arrentement, que les fermiers se feront payer
des droits If alTosage de tO'!tS ceux qui auront an'osé, scavoù': des parti-
culiers qui ont droit de feu sieU1' de Craponne suivlmt et conformément aux
contl'ats sur ce passés, et des autres partiCllliel's se feront payer annuellement
scavoi,' : des preds et jardins huit sous l'eymine, des terres et vignes
48 sous la saumée (six sous l'eymine), et des vergers trois livres 14
sous la saumée, soit 9 sous 3 deniers l'eymine, annuellemellt,
Par conséquent, les vergers payaient annuellement, quoique s'arrosant moins
souvent, un sou et trois deniers de plus que les prés et jardins.
Au reste, les contrats de concession ne déterminent que les contenances à
arroser. Ils ne limitent ni l'eau à employer, ni le nombre des arrosages à
fournir. Le règlement de l'eau et du nombre des arrosages est laissé au
temps et aux circonstances, Dans les années de sécheresse, on devra arroser
plus souvent; dans les années de pluie, il le faudra moins, et peut-être point
du tout.
Adam de Craponne en s'imposant l'obligation de faire arroser à ses frais
les propriétés des concessionnaires, n'avait pas prévu les innombrables difficultés d'exécution auxquelles donnerait lieu l'arrosage des jardins, prairies et
autres cultures, dont la diversité des produits ne comportait pas un mode
uniforme et simultané d'irrigation,
Au commencement de l'année 1568, alors que presque toutes ses concessions étaient faites, il reconnut, par l'expérience des trois années précédentes,
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72 -
combien celle obligation était onéreuse et peu réa li ~ab l e , quoiqu'elle Cùt trèslégitime. Aussi chercha-t-il à modifier ses accords, pour les terrains autres
que les "igues et les vergers d'oliviers et qui ne peuvcnt s'arroser, co mme
ceux-ci, en masse ou à la file sans interruption, en proposant . aux propriétaires de ces terrains de leur livrer l'eau nécessaire pour Caire eux-mêmes
leurs arrosages, moyennant une légère redevance fix e et annuelle, qui serait
arbitrée entre eux et lui. C'est ce qui ressort de l'acte du 16 mars 1568 ,
notaire Ponsard à Salon , par lequel Craponne charge Peyron et Pien'e
Ravel, frères, d:a7TOSel' ott fail'e arrosel' à leurs dépens, tous et chascungs,
les vergie1's et vignes assises au tm'I'oir de Salon, que le dict de empanne
est particnlièrement obligé arr01tSer annuellement à mison de trois S01Û$ pow'
carteirade chascung aI'ronsaige si'ue chasque foy s ql~' ils al'I'oseront les 110ssessions , et ce tant icelles q1~e se penvent arrouser du fossé jà faict, ql/e celles
qui s' arl'ouseront dl~ fo ssé à fail'e,
n est expressément stipulé, dans cet acte, que les dits Ravel seront tenus
condl/ù'e l'eau ez vel'giers et vignes, ainsi q!!' est de coutume, p01/.I' les dits
trois soub pour cal'teirade; mais qu e pOUl' raison des alTousaiges des IJ1'eds,
terres, janlins, canebiers, lins, devendudes, et mûtres propriétés qni ne
consistent en vignes ou vergim's, ql/e les dicts Ravel {airant payer ez pal'ticnliers maistres des possessions, ce ql/e entl'e le dit de Cral10nne et eulz
sera advisé. Totttes {oys, est-il ajouté, ne seront tenus les dicts Ravel aI'I'OltSe1'
telles pièces, ail!s (ma'is) bailher d'eau à 11les!we 110ur certains telnlls et
lIeures, et convenu, cOlnme !lict est du prix, a7lpellé (U! préalable led. de
Crapon1le:
Ainsi, les Crères Ravel étaient dispensés de Caire l'arrosage; ils devaient
seulement fournir aux particuliers l' eau à cet effet nécessaire" moyennant un
prix réduit, convenu avec Craponne; et comme la main-d'œuvre absorbait
presque la totalité de la redevance de trois sous pour chaque arrosage à
faire par Craponne, le nouveau prix convenu était très-minime, il était
ordinairement d'un sou ou deux sous par carterée, pour toute l'année, savoir:
deux sous pour les prairies et un sou pour les jardins ct autres cultures,
Il y avait même des propriétaires concessionnaires par contrats qui ne voulaient rien payer, prétendant que les trois sous, convenus dans leurs actes cie
concession, représentaient le prix de la main-d'œuvre, et qu'ils étaient dispensés
d'en Caire le payement, dès que Craponne se dispensait de l'obligation qu'il
avait contractée d'arroser ou de faire arroser les terrains à ses Crais, Nous
pourrions citer plusieurs propriétés qui, depuis lors, ont été arrosées et le
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sont encore en franchise dc tout droit d'arrosage, Néanmoins la plus grande
partie des propriétaires arrosants payèrent la nouvelle taxe annuelle, tant
elle était modique, mais sans y être obligés ,
C'est d'après ces errements que cent ans plus tard, fut passée aux minutes
de :11:0 Bernard, notaire à Salon, la transaction .du 6 aoflt 1675 , dont il
a été déjà parlé, par l aquell~ les frères Martel, porteurs d'une concession
d'Adam de Craponne pour l'arrosage de cinq carterées au quartier de la
porte de Pélissanne, consentirent, sur le l'eCus du Cermier des arrosages d'arroser pour le prix de trois sous par carterée, à arroser eux-mèmes leurs
quinze émines, moyennant une redevance annuelle de quatorze sous, c'està-dire moins d'un sou par émine, chaque année.
Mais, malgré ces nouvelles taxes amiables, c'est une cho se certaine que la
redevance, primitivement convenue, de trois sous par carterée était généralement considérée comme l'équivalent du prix de la main-d'œuvre. Nous cn
trouvons la preuve dans les arrosages faits en fran chise de tous droits,
ainsi que dans plusieurs arrêts du Parlement, notamment ceux de 1679 et
1690, qui, sans considérer les cultures ou plantations des biens arrosables,
soumettent l'Œuvre à arroser les propriétaires concessionnaires suivant leurs
con trats, faute de quoi, autorisent les dits concessionnaires à faire arroser
eux-mêmes aux Crais de l'Œuvre. Nous en trouvons même la preuve dans
l'acte de bail aux Crères Ravel du 15 mars 1568, où il est dit que Craponne
tiendra compte à ceux-ci des arrosages qui seront baillés gratuitement.
Que si, pour démontrer, au contraire, que les trois sous par carte rée
représentaient au delà du prix de la main-d'œuvre, on nous oppose qu'aux
termes du dit acte de bail les Crères Ravel n'avaient à prendre sur cette
somme qu'un tiers pour leur part, tandis que les deux autres tiers revenaient à Craponne, nous répondrons que les Crères Ravel n'avaient pas
seulement à partager avec Craponne le produit des arrosages qu'ils étaient
chargés de Caire à leurs frai s, mais qu'en outre ils étaient admis à prendre
part au bénéfice des arrosages qu'ils ne faisaient pas; et ils avaient comp té,
en traitant pour Heuf ans avec Craponne, sur la multiplicité touj ours croissante des culture, autres que les vignes et vergers et pour l'arrosage
desquelles ils n'auraient rien à dépenser, rien autre à faire qu'à donner
l'eau. Il faut dire aussi qu'un certain nombre de propriétaires n'avaient point
passé de contrats avec Craponne, dans les Viougues, où un moulan d'eau
fut affecté à leurs arrosages, et que les redevances à exiger de ceux-ci étant
à la discrétion de Craponne, furent portées à un taux beaucoup plus élevé,
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sans qu'on fut obligé d'arroser leurs propriétés. Par conséquent, les frères
Rayel étaient amplement indemnisés des deux tiers attribués à Craponne sur
les redevances de trois sous, pour le tiers qu'ils avaient à prendre sur les
produits des arrosages beaucoup plus nombreux qu'ils n'avaient qu'à surveiller, sans être obligés de les fait'e à leurs frais. Ils avaient même leur
tiers sur les al'rosages concédés gratuitement par Craponne.
Tout avait été calculé dans ce marché par les frères Ravel, de manière il
ce qu'ils n'eussent rien à perdre de leurs peines et vacations. Il suffit, pour
s'en convaincre, de rappeler ici les termes des dernières clauses du bail :
Convenu item que le dit de Craponne n'osera bail/ter les dits at'rosaiges à
aulc'ltllgs durant le dict terille de neuf ans que ne soit par les mains desd,
Ral'el, et si led. de Craponne bail/le gratltÎtement l'alTosaige de quelques
possessions, ce qu'il bailhera sltl'a en déduction de sa part; item que les
dictes parties cornmetll'01!t ,tug homme pour tenù' livre des at'rosaiges et
pOlir escripre lesd. t1'Ois soul~ et aultres prix convenus avec les particuliers,
et 71uys lesd. Ravel recouvreront le tout; et de tout l'al'gent Pl'ovenant
des dicts arrosaiges sel'ont temlS /m donner deux tiers aud. de Craponne, et
l' attitre tiers leuj' demenl'era PO!11" le!trs peines et vacations, toutes les années
après les anosaiges finis reoe!Jront lesd. deniers et auront cOlnllle ensemble.
Nous croyons avoir prouvé d'une manière assez péremptoire combien est
erronée l'objection que nous font nos adversaires à savoir: que toules les
concessions eussent été fait es en vue de ·vignes et de 'Vergers d'oli'viers et
'lu' aucltne de oes concessions n'autorisât les ayants-droit à tmns{o1'1nel' la
nature de leU1's terrains et à convertir les vergers d'oliviers en pmi?'ies et
jardins . Nous leur avons répondu, non par des arguties, mais par des faits
authentiques, par des actes émanés d'Adam de Craponne, par des arrêts du
parlement, et surtout par des arrentements faits par l'Œuvre elle même,
où les prairies et les jardins sont taxés plus favorablement que les vergers
d'oliviers. Nous pourrions citer une foule d'autres con trats tout aussi conc1uants; nous pourrions ajouter à la nomenclature des actes de l'Œuvre,
les actes qui furent passés par ses successeurs après la collocation de 1709,
notamment ceux des 3 juin 1711 , notaire Sabatier, 19 janvier 1738, notaire
Petit et autres intermédiaires et subséqnents, dans lesquels, conformément
au tarif établi par la Compagnie de Craponne, les vergers d'oliviers sont
annuellement imposés à un sou et trois deniers de plus que les prairies et
les jardins; mais nou s en avons déjà plus dit qu'il ne faut pour réduire à
néant la première objection . 1\ est temps de passer à la deuxième.
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Deuxième objection.
Un grand nombre de concessiolls ont été faites IJOII/" des te/"rains situés
dans le ql/artier dll Gresc, en contmventi01l par Adam de Crap01lne à l'une
des clauses du traité liaI' hû (ait avec MIII'c de Tripoly, le 15 février 1562,
'fui lili interdisait lj'en fail'c dans ce périmètre (Ill telToi?' de Salon.
Si donc, parmi les cOl,cessions rapportées par les 'j.IartiC"llliers possédants
biens à Saloll, il en est qlli se trouvent dans cette catégorie, ils renc/mtrel'ont encore, dans cette circonstancp, un obstacle à leUl' admission à l"arrosage.
Voici les termes de cette fameuse clause du traité entre Adam de Craponne et Antoine Ma.rc de Tripoly:
Avec pache toutefois convenu et accordé entre les dites pal'ties que le dit
de Craponne baillettr , ni les siens à l'avenir, ne ]Jourront vendl'e, ni aliéner
d'eau pOUl' arroser depltis led. terroir de Lamanon jusques à la vigne des
EStl'ets, ni d'icelle s'en sel'vi?' tant pOllr lui que POU?' autrtl"i.
Cette clause prohibitive, qu'on le remarque bien , est toute en faveur de
Marc de Tripoly, à l'enconLre d'Adam de Craponne et des siens, ce qui fait
que l'objection de nos adversaires, qui son1 aujourd'hui les représentants de
Craponne, les siens, pêche par la base et doit tomber devant le raisonnement et les faits.
Nos adversaires, en faisant leur objection, n'onl sans doute pas réfléchi
qu'elle était pen digne, pen comenable de leur part et que d'ailleurs ils
n'avaient aucune qualité pour la faire. Nous comprendrions fùrt bien que la
commune de Salim, comme représen!ant le capitaine Tripoly, premier acquéreur d'Adam de Craponne, arguât de nullité les concessions ultérieures
de celui-ci; mais eux, les successeurs responsables de Craponne, ne voientils pas combie!l ils onl mauvaise grâce à nous con tester la légitimité de
ces concessions faites par leur auteur, qui en a touché le prix et desquelles
ils sont eux-mémes tenus, en bonneur et conscience, en fait et en droit, de
nous garantir l" exécution ? En vérité, nous leur souhaitons , à défaut de pudeur,
un peu plus de logique.
JI est vrai que, par racLe du 15 février 156~ , Adam de Craponne s'était
interdit envers le capitaine Marc de Tripoly, de concéder de nomeaux 3rro-
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sages dans le quartier du Gresc; mais il est également l'l'al que ce pacte
relatif à l'intérêt particulier du capitaine Tripoly, n'avait point eu d'effet , et
ne pouvait plus en avoir, lorsque, les années suivantes, Craponne eut agl'andi
son canal et y eut introduit de nouvelles eaux, Ce pacte devait d'autant
moins aroir effet qu'il n'avait plus sa raiso n d'être et qu'il aurait fait manquer
le but d'utilité publique que s'était proposé Craponne, en constl'Uisan t son
canal, et qui fut la cause déterminante de l'octroi illimité à lui fait par l'Etat.
Il devait d'autant moins avoir e/Tet que tous les habitants de Salon avaient
rapporté publiquement, dans le quartier du Gresc, des concessions postérieures
à l'acte de 156~ , qui s'exécutaient ostensiblement et co ncuremmen t avec les
arrosages du capitaine Tripoly, sans contradiction de la part de ce dernier ,
qui aurait été le seul recevable à s'en plaindre. La preuve de cette exécution
résulte de l'acte du 16 mars 1568, par lequel Adam de Craponne charge
les frères Ravel de faire tous les arrosages auxquels il s'est obli gé , excepté
les arrosages par lui promis au capitaine Antoin e Marc.; la preuve en résulte
aussi de la transactiofl de 1571, constitutive de l'Œuvre de Craponne, et
où personne ne co ntredit les concessions nouvelles; au contraire, elles y
sont expressémen t réservées . Et cependan t parmi les parties stipulantes, il y
avait le tuteur des hoirs Tripoly; il Y avai t aussi les quatre propriétaires du
moulin des Quatre-Tournants, qui tous avaient rapporté des concessions
d'arrosage dans le quartier du Gresc. Enfin, l'exécution des concessions particulières en ce quartier résulte de la possession dans laquelle les concessionnaires ont été laissés, sans contradiction jusqu'à aujourd'hui , c'est-à-dire
pendant trois siècles co nsécutifs .
Adam de Craponne, après avoir agrandi son canal et y avoir versé une
plus grande quantité d'eau, ne pouvait plus réduire au demi-moulan du
Capitaine Tripoly, tous les arrosages du Gresc , pour le service desquels ce
petit volume d'eau aurait été très-insuffisant : A peine aurait-il arrosé un
huitième de ce vaste quartier. Les autres sept huitièmes seraient restés sans
arrosage; ce qui aurait été contraire à l'esprit et à la lettre de l' arrêt de
concession du 17 août 1554. L'Etat, en accordant gratuitement à Craponne
l'eau de Durance pour en faire sou profi t, lui imposa en même temps l'obligation de l'employer pour le service et l'utilité des territoires traversés
généralement et des propriétaires de ces territoires particulièrement. Ce
fut entre l'Etat et Craponne, un contrat synallagmatique, dans lequel le
premier dit au second : Je te donne de l' eau po!~r la faire servir à l'utilité des communes 'lite traversera ton canal et des lial·tiCltliers de ces com-
mllneS , moyennant le prix fJlti sera enre VOltS acco1'(lé. Je 1Ie limite lias
l'ealt, afin 'lite t!~ puisses en fournir à tous les besoins dit pays tl'aversé .
Mais, dira-t-on, Craponne savait qu'il ne pouvait pas se soustraire à la
loi de son contrat avec le Gouvernement, en cas de suffisance d'eau dans
son canal ; le Capitaine Tripoly devait le savoir également. Alors, pourquoi
cette interdiction si formelle de la part de Craponne dans l'acte de 156~ ?
car elle existe, celte interdiction ; on ne peut pas la nier?
A quoi nous répondons que l'événement de la vente des autres arrosages
dans le Gresc avait été prévu par les parties; puisque dans la clause
prohibitive, il es t remédié à l'inobservation de la première interdiction
de vendre et d'aliéner de J'eau, par une seconde interdiction pour
Craponne, de se servir de l'eau qui serait vendue: ni d'icelle s'en servir
tant PO!W 1!1i 'lite pOltl' autmi. On ne saurait voir dans la clause prohibitive
une seule interdiction, c'est-à-dire l'interdiction absolue d'aliéner de l'eau, ni
prétendre par conséquent que l'inhibition de se servir de l'eau qui serait aliénée, ne soit qu'une vaine snperfétation . Non, assurément.
Dès qu'on éclaire l'acte de 156~ par J'acte primordial de 1554, on découvre tont aussitôt avec une évidente clarté, deux interdictions bien distinctes:
d'abord un" interdiction principale, ensuite une interdiction additionnelle, mais
corrective et supplétive de la première, qui ne pourrait être exécutée.
Sans cette addition supplétive, Craponne eût été passible envers Tripoly
de dommages-intérêts considérables, car celui- ci avait payé son demi-moulan d'eau quatre fois plus cher que le prix ordinaire des autres arrosages ,
qui était d'un écu par carterée de trois émines. Il avait donné de son demimoulan 2000 écus représentant un prix d'arrosage pour ~OOO carterées, soit
6000 émines, qui font en mesure nouvelle 480 hectares. TI aurait donc fallu,
pour J'indemniser d'une manière juste, lui accorder deux moulans d'eau, qui
étaient l'équivalent de son prix d'acquisition (1). Mais, au moyen de la seconde
interdiction, qui suppléait à l'inobservation pré l'ne de la première, le Capitaine Tripoly devait trouver dans le service affecté à son profit de l'eau
aliénée, la juste réparation qui lui était due. Désormais ni Craponne, ni
autres que Tripoly ne pourraient se servir de la nouvelle eau introduite au
quartier du Gresc.
(1) Les deux moulans sont de 500 litres à la seconde, pouvant arroser 500 hectares. Dans
une vente en g ros et de l'importance de celle faite au capitaine Tripoly, les tribunaux ou les
experts chargés d'apprécier laréparatioD , auraient accordé 500 litres pour le prix de 2,000 écu:;,
sans avoir égard k la petite différence de 20 litres en moins) résultant du dit prix:.
�-
ïS -
Tel es t le sens qui a toujours été donné à la clause probibitive et d'après
lequel, depuis la t.ransaction de 157'1 jusqu'à nos jours, les hoi rs du capitaine Tripoly, et, après eux, la comm une de Sal on, ont joui de tous les :1rrosa "es
et rede"ances du Gresc, et les ont aŒerrnés à leur profit , sans l'est>
lriction, au YU et au su de l'Œuvre de Craponne , qui n'a jamais pu justifier
d'un seul acte d'arrentement, en son nom, de la moindre partie des arrosages du Gresc.
Cett e jouissance, en exécution de l'acte de 11;62, sans interruption pendant
plus de trois siècles, n'est-ene pas la meilleure des interprétations à donner
11 ce contrat et à sa clause prohibitive, C'est ce qu'on appelle en jurisprudence
ù!lerpretation1l11l ,'egina, l'est-elle pas aussi la preuve la plus évidente de la
validité des concessions faites pal' Craponne dan s le quartier du Gresc ?
TI n'y a pas d'autre interprétation possible de l'acte de 1562 et de sa
clause probibitive . sinon on tombe dans l'absurde, dans l'in ex tricable.
En effet, qu'on imagine un moment d' e~ écuter l'acte de 1562 dan s le sens
indiqué par l'Œuvre, dans son mémoire imprimé, en ne déliv1'allt et n'affectant pOIt.1' le qllartiet' du G,'esc, tel qu'il était délirnité dans le dit acte de
:1562, qne la quantité d'eal! promise il Tripo ly et en ne donnant "ien p0111'
les concessions illégalement raites par Craponne ; ( nous cito ns en les
soulignant les propres termes du mémoire page 102. )
TI résulterait de cette interprétation que le vaste quartier du Gresc ,
pour l'arrosage duquel quatre moulans au moin s sont indi spensables se
trouverait réduit à la quantité promise à Tripoly, qui vient d'être tixée pal'
arrrèt de la Cour à un demi-moulan, et qu'alors les sept huitièmes de ce
quartier, soit 875 hectares de vergers , prairie:;, jardins et autres riches cultures, seraient tout-à-coul> condamnées à la sécheresse, à la stérilité, par la
privation des arrosages qui les vivifiaient.
Et que l'Œuvre de Craponne ne croie pas de po urvoir, dans ce cas, disposer de l'eau du canal pour sauver de la ruine cette con trée désormais
déshéritée. Elle ne pourrait, pas plus que Cra ponne, en désemparer une se ~l ! e
goutte, à quelque prix que ce fùt . L'argumeEl t qu'elle tire de la clause prohibitive de l'acte de 1562 s'élèverait aussi fatalement, aussi imp itoyablement
contre elle, que contre son au teur. En s'imposant la prohibition, Adam de
Craponne l'a imposée également aux siens, à l'avenir , c'est-tl-dire à l'CE u'Te qui lui a succédé. Avec pache tOMterois convenu, porte l'acte de 1562,
et accol'dé entre les parties qlle le dit de CrajlOmle ba.i lleur, ni les siens à
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l'aveni'r, ne pourront l'endre, ni aliéner d'eau pour arroser, depuis le dit ter,'oir de Lamanon jusqlt'à la dite vigne des Estrets , ni d'icelle s'en servir
tant pOUl' lui 'lue pour alttrui,
Ainsi donc, l'interprétation de l' Œuvre de Craponne est fausse, impossible;
elle n'a pas d'autre résultat que l'absurbe, que la négation de tout résultat.
Ce qui est une nouvelle preuve de la validité de nos con cessions, car ainsi
que le dit si judicieusement l'article 11 57 du code civil : lorsqu'une clause
est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel
elle IJeut avoi,' quelque effet, que dans le sens avec leql!el elle n'en pourrait produire aucun.
Mais nous ne saurions mieux clore cette discussion qu'en évoquant divers
actes publics , passés après la transaction de 1571, qui se rapportent tous
aux concessions d'arrosage fa ites dans le Gresc, et desquels se tire la preuve
convain cante que ces concessions n'avaient jamais cessé de sortir leur plein
et entier ·effet.
Nous citerons d'abord un ac te du 25 juillet 1579, notaire Ponsard à
Salon, pal' lequel Roch Martin et François Vasserot, fermiers des arrosages
des hoirs Marc Tripoly dans le Gresc, ~ sous-arrentent à Joseph Pons
(, l'arrosage passant sur les arcades du chemi n de Saint-Côme et les pro« fi ts et revenus provenant d'iceluy; par lequel arrosage, es t-il ajouté, ledit
Pons pourra « arroser les pièces et propriétés qui s'en servent puis J'édifice
des arcades D après quoi J'acte porte ; « E t p" elldra ledit Pons salaire de
cltaswng des « IJropl'iéta'ires arrosant (l,t dit arrosage, sans excepul' pel'sonne pOUl' n'y « en avoil' aucnn e:r-empt. "
Ce défaut d'exemp tion dans tous ce quartier secondaire du Gresc, s'explique
par cette circonstance que l'aqueduc dit des Arcades n'étant pas encore fait
à l'époque où fu rent passés les actes de concession, les propriétaires du dit quartier n'y rapportèrent aucune concession relativement à un arrosage qui n'était
alors que fo rt problématique. Mais J'exception, pour ce haut quartier tardivement pourvu de l'al'1'osage , prouve indubitablemen t que dans les autres
dépendances du Gresc, où l'eau n'avait pas besoin de travaux en maçonnerie
pour circuler, il y avait des concessionnaires de Craponne qui ne payaient
aucun salaire quand ils arrosaient eux-mêmes leurs propriétés. C'est ici le
cas de dire que l'exception confirme la régIe.
Nous trouvons, d'une manière encore plus manifeste, la preuve de la continuité d'exécution des actes de concession au Gresc, dans les payements tardifs
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qui furent faits de leurs res tants-pl'ix d'acquisition par différents concessionnaires de ce quartier , entre lesquels nous citeron s :
10 Le capitaine Jean Bézaudin , qui se libéra entre les mains de Frédéric
de Craponne, héritier bénéfi ciaire d'Adam de Craponne, son frère, de la somme
de 6 écus montant prix d'un arrosage de six carterées au Gl'esc, suivant
acte de quillance du 19 janvier 1579, notaire Laurens.
2° Les hoirs de feu Jean de Suffren auxquels, par acte du 21 août 1582,
notaire Engagne, à Salon, il est fait quittance de 30 écus pOUl' solde du prix
des arrosages que le dit Jean de Suffren avait acquis po ur cent carterées
aux Aubes, quartier du Gresc. suivan t acte du 17 juillet 1566, notaire Laurens.
L'acte de quittance des 30 écus pour solde se trouve à la suite d'un autre
acte du 28 mai 1568, même notaire Laurens, portant transport-cession de la
dite somme par Adam de Craponne à Jean Raybaud, son créancier.
30 Et pour en finir , Jean Guilhem, qui paya, par acte de quittance du 13
fé\Tier 1584, notaire Engagne, successeur de M. Laurens, à Frédéric de Craponne héritier, bénéfi ciaire de son frère Adam de Craponne, la somme de '2
écus 24 sous pour solde du prix des arrosages qu'il avait acquis pour cinq
carterées aux Aubes, quartier du Gresc, suivant acte de co ncession du 28
avril 1566, notaire Laurens. En marge et à la fin de cet acte se trouve celui
de quittance de 1584, no taire Engagne.
E\~d emment si leurs actes de concession d'arrosage dan~ le Gresc et ses
dépendances n'avaient eu aucune valeur et si la tran saction du 20 octobre
1571 , notaire Catrebards, constitutive de l'Œuvre de Craponne, ne les avait
pas au contraire, expressément réservés pour continuer de sortir à effet , le capitaine Bezaudin, les hoirs de Suffren et Jean Guilhem n'en auraient pas soldé
le prix en 1579, 1582 et 1584.
Trois iè m e objection.
Il résltlte de l'acte du 16 11Ia1'S 1568, notaù'e Ponsctrd à Salon, pOl'tant
le prix t ait d'Adam de Cmponne avec les fl'ères Ravel pour l'arrosement à
faire des concessions, qu'un gmnd nombl'e d'entre elles devaient s'al'Tosel' par
un nouveau canal projeté par Adam de Craponne, mais qlli ne fltt j amais
exécuté; et que par suite elles devinrent et sont restées inutiles .
A l'appui de leur assertion, les adversaires invoquent \ln autre acte passé
après la mort de Craponne , le 25 aoû.t 1579, dans les minutes du même
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81 -
notaire Ponsard, pal' lequel la Compagn ie prenant le fait et cause de Craponne, s'oblige envers un certain nombre de pro priétaires de Salon à construire le nouveau fossé d'arrosage, sans que ledit fossé ait été exécuté.
Et pour prouver que dans les con cessions premières, faites ava nt cell es
qui avaient pOUl' but le canal projeté de 1579, il Y en avait qui ne pouvaient pas être servies par le canal ancien, ils citent la clause suivante du
dit acte d'accord du 25 aofl t 1579 :
A été de pache que les dits sieurs associés (eront {aire un pont sive acqueduc po",' pOI'ler
et dériver lleau du dit nouveau {ossé par-dessus les vieux fossés, aux endroits où besoin
sel'a, pour an 'oser les pièces el propriétés que de présent ne se peuvent ar1'o~er, tant des
arrosages vendus et cédés l,al' le di! {eu A dam de Craponne au dit {eu Capitaine r ripoly
Anloine Marc que autres.
Telle est la troisième objecti on, à laquelle nos adversaires fon t semblant
d'attacher beaucoup d'im portance, mais que nous allons réduire à bien peu
de chose, sin on à rien.
Nos adversaires s'ingénient il embrouill er les faits pour les arranger ensuite
à leur façon et en tirer des inductions très-comm odes pour leur cause. Ils
font rapporter à un seul et même fossé deux actes passés à onze ans d'intervalle l'un de l'autre , et ayant pour objet, le premier acte, un fossé qui
a été réellement fait du vivan t de Craponne dans le quartier en plaine du
territoire de Salon, au co uchant et au dessous du canal primi tif et actuel,
et le second acte, un fossé à faire sur les hauteurs ou montagnes du dit
territoire, au levant et au-dessus du dit canal primi ti f et actuel , fossé projeté par Crapon ne, entrepris par ses successeurs, mais resté inachevé. En
d'autres termes, ils s'efforcent de confondre la plaine avec la montagne , le
couchant avec le levant , la droite avec la gauche, ce qui est fa it avec ce qui
ne l'a jamais été.
Si la tâche de nos adversaires est d'obscurcir le litige , la nôtre est de
l'éclairer. La clarté et la vérité, nous l'avons dit, sont les seules inspiratrices
de no tre défense.
En lisant l'acte du 16 mars 1568, nous y voyons que Peyron et Pierre
Ra'vel, frères, s'obl'igent, envers CI'aponne, à arl'Oser ou faire arrOSi'r à leurs
dépens tous et ungs chascungs les vergiers et vignes assises au terroir de
Salon, que le dit de Craponne est particlIlièl'ement ohligé arroser annuellement, et ce, de l'eau de Durance par le dit de CI'ap01l11e condltite au dit
terroù', à myson de tl'oys SOltlS par carteirade, chascwng arrosage sive c/ws11
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82 -
que {oi$ qriils arrosel'Ont les possessions, et ce tant celle,s q?L~ se peuvent arroser
dll {ossé jà {ait que celles qui s'an'oseront dl! {ossé a {au'e, etc,
Si, comme le font nos adversaires, on s'arrètait à ce t endroit de l'acte
du 16 mars 1568, on serait porté peut-être à confondre le lassé à {aire avec
celui projeté cu 1579, Mais le même acte porte plus bas l'indication de
plusieurs fossés qui seront à faire et à mettre en état . pour distribuer les
arrosages dont les ft'ères Ravel son t chargés, " Item le dit de Cmpanne
sera tenu {aire nettoyer lc vallat dit Verneglûer, de sOl'te Ijue soit capable
partI' pOt'ter If eau pOlt!' deux ma liants ou bien en {air'e ung altllre tout
neu f à trois cents pas plus haut de lllême tonguenr et capacité 1l0U!' en
arroser les possessions du côté de la Crau, Et aussi fera {aire le dit de
Craponne ung al/lIre {ossi! pOltr aI'1'oser le qUal'tic!' d'alt plan, le p,'enant où
par tes dites Ilarties sera avisé estre c01nrnode à ses dépens,
Que ]'on remarque bien que les fossés à nettoyer et à fail'e sont tous dans
le quartier bas; qu'ils n'ont rien de commun avec le fossé dont il est
questi on, onze ans plus tard, dans l'acte de 1579, et qui, aux termes de cet
acte, doit être établi au-dessus du canal-maître, SUl' les pentes des collin es ,
aussi I/Out Ijue se pOltrra prendre, Le fossé Veroeguier, chacun peut le voir,
parcourt le plat pa)'s, c'est-à-dire la Crau, a nne grande distance du pied des
colli nes de Salon ; le fossé à faire à trois cents pas plus haut, se trouve sur
la même surface plane, et celui qui doit arroser le quarLier du plan, est
également dans la plaine, comme l'indique son nom, Impossible donc de
confondre aucun de ces trois fossés avec celui qu'on voulai t faire en 1579,
sur les hauteurs,
Les obligations contractées dans cet acte de 1568, furent ensuite consommées par l'acte du ~8 mai 1569, notaire Pierre de la Roche à Salon, portant commission de la part d'Adam de Craponne à Antoine Garin, ménager
de Pélissanne , de {aire exécuter les rossés, ponts, déterminer la la1'gezw des
dits fossés, réparer les martellières, SOlIS la direction de Pierre Ravel , son
{acteur, afin que l'eau vienne à Salon et autres lieux, etc .. , 1llus, de {aire
{aire de nouveallX aigages ell Crau, au terroir de Salon et aux vC1'gers dit
dit Salon , etc,
Il est certain que les ouvrages commandés à Garin ont été exécutés tout
de suite, et que non-seulement le fossé Verneguier fut nettoyé, mais encore
il fut fait les autres fos sés nécessaires tant pour les nouveaux arrosages à
sefl~r en Crau au terroir de Salon, que pour ceux relatifs aux vergers du
dit Salon; puisqu'il existe , depuis lors, trois fossés Verneguiers parallèles à
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83-
l'ancien, et à la di stan ce d'elll~ron 300 pas les uns des autres (1) , D'ailleurs
Craponne et les frères Ravel ayant fait des défrichements et des prairies
dans la Crau, ensuite de l'acte d'association déjà cité du 16 mars 1568, notaire
Ponsard , ils avaient hâte d'y conduire l' eau par les nouveaux fossés,
Enfin ce qui est on ne peut plus concluant à ce sujet, c'est l'encadastrement au livre-terrier des années 1599 et 1600, des défrichements qui avaient
été récemment opérés dans la Crau, par divers particuliers, au delà de l'ancien
territoire cultivé, défrichements comprenant, d'après le relevé exact qui en a
été fait , une superO cie de 6335 émines faisant en mesure nouvelle 506
hectares 80 ares, juste la contenance correspondante aux deux mOlllans introduits dans le fossé Verneguier et les deux fossés parallèles pour aller arroser
les possessions du côté de la Crau,
Depuis cette époque, tout le vaste quartier du Gresc, jusques et compris
le défrichement de Crau , fut arrosé, à la réserve toutes fois de quelqu es
parcelles en élévation qui n'ont jamais pu recevoir les eaux d'arrosage, telles
que les monticules de Pesseguier, de la Haute-Mass uguette, du Thouret etc,;
terrains de peu d'étendue, pour lesquels il ne fut point passé de co ncession,
Seulemen t, Craponne fit espérer qu'ils pourraient être arrosés, un jour, au moyen
d'aqueducs à dériver d'un nouveau fossé qu'il avait le projet d'établir supérieurement à son premier canal, pOUl' arroser les quartiers élevés de Roquerousse, de la Cadenière, des Magatis, de Porte-Saume et autres, placés à
gauche et en contre-haut du dit canal primitif.
(~ ) Une preuve évidente qu'à l'époque de la transaction de 4571. constitutive de l'Œuvre de
Craponne, les eanx de Duraot>e se rendaient au bout de la Crau euLti~ée par les nouveaux
fossés, c'est la délibération suivante du Conseil e"énéral de Salon , du. U mai 1513, par laquelle
il est résolu de faire encore nettoyer le fossé Verneguier, probablement envasé de nouveau par
l'eau de Durance, pour en faire un cou p perdu destiné à recevoir les écoulem ents des arro-
sages et à empêcher les dommages que faisaient ces écoulements. Et la dépense de ce nettoyage doit être payée moitié par la Ville et mo~tié par les propriétaires du moulin des Quatre- Tournants, membres de l'Œuvre récente de Craponne . Voici cette délibération;
(t Au Conseil gé néra.l de ln comm unauté de Salon, tenu il l'hôtel de ville le ·12 May ~ 573 etc.
«. a esté proposâ. et dé:1ibéré ce qui suit:
(( M.onsieur le Consul SI Laurens a exposé qu'il serait intéressant faire faire nettoyer le vat l at Verneguier pour en faire un coup perdu pour la conduite de l'eau de Durance, afin qu e
1( aUl!nn ne soufrre domage .
/( Sur cette propos ition a esté conclud que le dit valat Vernegnier sera nettoyé. et pour saIl voir où se fera le dit coup perdu, le présent conseil a commis MM. les co nsuls et officiers
1( Messieurs Testorîs, Raymond Suffren. Jacques Suffren, Jaumes TTossier, Pierre Ravel ; pour
0. lequel faire la ville payera la moitié de la despense, et l'autre moitié ceox des moulins de
« Durance. »
�-
84-
C'est de ce nouveau fossé projeté, mais non exécuté par Craponne, qu'il
est question dans le contrat du 25 août .1579, notaire Ponsard, passé entre
la Compagnie de Craponne et les propriétaIres des quartIers-hauts. Le préambule de cet acte porte qu'Adam de Craponne, écuyer de la l'Ille de Salon,
avait entrepris et promis de faire un nouveau fossé et canal au lenoir de
Salon, pour par icelluy dériveI' et conduire de l'eau de Durance pOUl' l'al'rosa'lIe de partie dudit tBl'TOÏ!' lie se lJOlwant al'rosel' du grand canltl aUpltl'avant
pal' le dtt de emponne fait et constl'uit au dit terroir.
Le nouveau fossé n'était donc pas pour la partie du terroir se pouvant
arroser, partie daus laquelle sont comprises toutes les concessions d'arrosage
que nous invoquons.
Nous pourrions nous en tenir à cette explication cie l'acte de 1579. Mais
continuons:
l\éanmoins de icelui grand canal profondir pour porter la plus gl'ande quantité d'eau
que conviendrait y mettre pour suffire au dit nouveau fossé et arrosage, et ce à la réquisition à lui faite p al' plusieurs propriétaires des pièces que par la construction du nouveau fossé se pourfont arroser, à raison de quoi et suivant la dite promesse par le dit
reu de Craponne raite tant ès dits propriétaires que aux conseil général et particulier de
la dile ville tenus à la maison consulaire les 2 1 Mai 1567 , 1" Novembre 1568 et il juillet
1569, grands nombres des dits propriétaires se seroient obligés envers le dit de Craponne
et par opposite le dit reu de Craponne envers eux (1) saDS espoir s'acquitter de sa dite
promesse, laquelle entreprise et nouvelle OEuvre auroit été sUI'sise à cause des guerres
et troubles qui ont régné eu ce pays, et depuis interrompue par le décès dud . de Craponne.
Il est ensuite stipulé au dit acte que l'Œuvre ou Compagnie de Craponne
ferait commencer, à la plus grande diligence que possible, la construction du
(1) li s'agit évidemment des actes de concession passés par Vida l Vieux, mandataire d'Adam
de Craponne, dans les écritures de Mitre Jehan, notaire à Salon, qui les avait recueillis dans
un regis tre particulier, intitulé: Registre des actes des arrosages consentis par Adam de Craponne
en 1567. Il paraît qu'il y avait eu un nombre assez considérable ùe ces contrats j mai s le registre
ayant été coupé et les actes arrach és en majeure partie) il ne reste plus que ~ 9 concessions o u
promesses d'arrosage pour diverses contenances, faisant ensemble un total de ~o carterées.
TI résulte de la vérification que nous avons fa ite du registre de Mitre Jehan, que la partie
supérieure des cinq derniers actes de concession est lacérée au point que, pour trouver le nom
du ~ 9- concessionnaire, Guis. il nous a fallu le chercher dans le reste de l'acte le concernant.
Les contrats de concession qui suivaient jusqu'à la fin de l'année '1567, ont été tous arrachés
et, pour qu'il ne pût en être évalué le nombre, on a coupé, en enlevant la couverture du côté
terminal du registre, la partie du dos à laquelle adhéraienl les actes arrachés.
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fossé particulier qui serait pris à tel endroit du grand canal qu'il serait
avisé, pour finir avan t d'arriver au terroir de P~ lissanne, sans passer outre
le terroir de Salon, où l'eau serait jetée dans le vieux fossé allant à Pélissanne, et que ce nouvealt fossé serait lJris et entretenlt tant Itaut que faù'e se
poulTait.
Il y est dit en outre: 1 0 Que les particuliers qui arroseraient leurs biens,
de l'eau du nouveau fossé payeraient au trésorier de l'Œuvre par chaque
carterée, '2 écus et 24 sous une fois seulement; 20 que l'ensemble de ces
prix serait placé, pour le revenu être employé en réparations de la prise
des eaux et du grand canal; 3° Que les mêmes particuliers payeraient, en
outre, trois sous par chaque carterée de terre, toutes les fois qu'ils arroseraient, et vingt-quatre sous par chaque soucherée de prairie, pour toute l'année (1) et que le montant de celle contribution serait destiné à la réparation
et l'en tretien du nouveau fossé; 40 Que l'Œuvre de Craponne ferait un pont
sive aqueduc pour porter et dériver l'eau du dit nouveau fossé par dessus
les vieux fossés déjà faits, aux endroits où besoin serait, pour arroser les
prairies et les propriétés qui ne se peuvent arroser tant des arrosages vendus
et cédés par Craponne au capitaine Tripoly Antoine Marc que autres; 50 Enfin
que l'Œuvre n'aurait à supporter que les frais de l'agrandissement du grand
canal depuis la Durance jusqu'à la prise du nouveau fossé, et que tous les
autres tI avaux seraient à la charge des concessionnaires,
Les concessionnaires pour lesquels devait être fait le nouveau fossé étaient
alors au nombre d'environ cinquante, tous propriétaires de terrains situés
aux quartiers hauts , privés de l'arrosage, ainsi qu'il conste du cadastre de
l'époque.
On les trouve tous désignés par leurs noms et prénoms, tant les mandants que les mandataires, dans la procuration relatée en l'acte d'accord de
1579 et qui avait été reçue par le notaire Ponsard, sous la date du 21 septembre 1578 (2) .
(~) La soucherée étant de 3 émines ou 2i ares, c'était 8 sous par émine , ou .1 sou par are,
qu'on devait payer pour toute l'année.
(2)
Procuration pour la Compagnie associée il la construction du nouveau arrosage.
Du 2·1 septembre 4518 , notaire Ponsard à Sallon. - Sire Anthoine Paul, l'sisné, bourgeois; M- André Issoire, apothicaire, M' François Abel. notaire; Charles Fet, chaussetier;
Jehan Albarestier; Jehan Taulan j Antoine Fécard i Jaume Trossier: Jehan Rey; Estève Ripert i M' Jehan Arnoulx, M' Vidal Vieux; Jehan de Campis; Anthoine Bouet i Claude Cour-
leI ; Anlhoine Blnncq; Anthoine Rey; Peyron Sanguin ; Joseph Oastel ; Raphaël Saxi;
�-
86 -
Ces deux actes ne visent que des possessions plus élevées que le grand
canal, qui ne pouvaient s'arrosel' que par le nouveau ro~sé ~ faire supérieurement à ce grand canal et pour lesquelles Craponne n aVaIt passé aucune
de ces concessions définitives devant s'exécuter tout de sUlle, comme celles
qu e nous produisons et dont il est question duns l'acte de prix fait du 16
mars 1568, par lequel les {l'ères Ravel s'obliyent envers Adam de Cmponne
d'an 'oser Olt de (aÎ1'e al'roser à leurs dépens tOl~S et IIngs c/Jascl~ngs tes vergers et vignes assises an terrai!' de Satoll que le dicl de Craponne est pal'ticuliiJremelit obligé anoser an1luellement, à. mison de trois soulz 1JOUI' ca)'teyrade chacun arrosage , sive chaque {ois que les dits Ravel, Q1~I:oser~l1,t les
possessions et ce tant icelles qui se pelwent arroser du {osse Ja (att que
celles qui s'al1'oseront du (ossé à {aire.
.
Il est à observer que, d'après l'acte de 1568, les arrosages à fournll', tant
du fossé déj à fait que du fossé à fail'e, doivent être servis par les frères Ravel à leurs dépen s, moyennant trois sous qu'ils auront à recevoir pour la
main-d' œuvre, tandis que les arrosages qui seront fourni s par le fossé promis
dans l'acte de 1579 devront être effectués par les propriétaires eux-mêmes,
à leurs frais, outre les trois sous par carterée qu'ils auront à payer après
chaque arrosage. Il y a entre ces deux actes de 1568 et de 1579, plUSIeurs
autres traits de distinction qui ne permettent pas de confondre l'un avec
l'autre.
.Me Pierre Reraud ; Nicolas Mathieu j Esperit Gebelin ; M· Jehan Rayba ud j Espêrit Chautier;
Esperit Athenoux ; Pierre Cranagna ; Pons Sauret ; tous de la ville de SalJo~: ~esquels de le~r
bon gré} tant en leurs noms, que pour et au nom des aultres de leur ~Oclete et compagOle,
absens, saufla révocation de leurs procureurs , de ce nouveau ~n la meilheure for~e. eL manière que de droict fayre se peut, ont faict, estably et constitu e leurs procure~rs generaux ,et
messagiers spéciaulx ass avoyr sieurs Jehan Baptis te de 'hlil.::m, Clau~e 'l'héncq, bourgeol~,
noble Françoys Reynaud coseigneur d'Aurons, Jehan ChaiX, Anthome Manson, .Fra.nçols
Bérard, Domengue de Morta, Jchan Filhol, Pierre Chailhol et M· Jehan Tabou.r dudlt Sallon ,
presents et la charge de cette procuration acceptans spéciallc!llcnt et par eIpres :ant au no~
desdits constituants que au nom desd. constitués et aultres, leurs cons~rtz non lC! no~mes
ensemble ou la pluspart d'euh:, contracter avec Monsieur M- Jehan Andre Thomassm., M Anthoine de Suffren, consei1lers du. roy en sa cour souveraine de parlement, Pal8med~ Marc
escuier, Sr de Chasteauncuf, Jehan Isnard, escuyer, Anthoine de Cadenet et Freder~cq de
Crapponne escuyers et aultres sieurs associés au fossé de Durance, sur la constr uction du
fossé des nouveaux arrosages que les dits constituants, constitues et consortz ont entreprins faire pour arroser auculne leurs pièces et particullières propriétés dans le terroy~ dud.
Sallon que de présent ne s'arrosen~ et pour la permission que sur ce leur 5e1'f\. octroyee par
les dits sieurs conseillers et associés leur accorder et promeclre payer deux escus sol, ung
tiers d'escu et quatre souLa pou.r l~ fond de ehascune carteyrade de toutes les prop.riétés
qu.i s'arroseront par moyen dud. nouveau fossé et aussi accorder aud. de Crapponne a aon
-
87 -
Pour les tel'1'ains en élévation qui ne pouvaient s'arroser par le grand canal,
Adam de Craponne n'avait fait que des promesses éventuelles en quelque sorte,
telles que celles qui résultent des délibération s du Conseil général et
particulier de la ville de Salon des 21 mai 1567, 1e , novembre 1568 et 11
juillet 1569, dont l'acte de 1579 fait mention, telles aussi que les obligations
qui font l'obj et de plusieurs actes passés par Vidal Vieux, mandataire de Craponne, en faveur de divers propriétaires, dans les écritures de Milre Jehan ,
notaire à Salon, et dont on retrouve encore quelques-uns , sous les dates des
2, 3, 5 et 7 juillet 1567.
Ces derniers contrats, par leur contexte, qui diffère sur tous les points de celui
des actes de concession dont nous avons à nous prévaloir, nous paraissent devoir
se rattacher à l'acte de 1579, avec lequel ils on t beaucoup de similitude.
On y voit: 1 0 que les concessions au lieu d'être faÎles à un écu pal'
carterée, le sont à cinq écus, ce qui démontrerait qu'il y avait à couvrir
les frais d'un canal à faire; 20 que le prix de cinq écus par carterée, n'est
pas payable à des époques certaines, comme dans nos concessions, mais
seulement après que les propriétés auront pu bénéficier de l'arrosage; 30
que la redevance de trois sous par carterée à payer après chaque arrosage,
propre et pnrticullier vingt quatre soulz pour chascun6 des dites carteyrades arrosantes, et le
tout à payer, la secoJ;l.de saison ou récolte après les dits ar rosages estreparachevés et en estat
d'arroser, et sur ce passer les contracts par mains publicques avecques telles aultres quali tés
et conditions que à leurs dits procureurs verront estre raisonnables, pour l'observation desquelles obliger etc ...
Néanmoings pour subvenir à la dépense de la construction des dits nouveaux fossés et arro·
saïges que lesd. arrosants feront faire à leurs despens , emprunter et prendre à crédit la somme
de deniers telle que besoin sera, passer les actes obl igatoires de leurs personnes et biens ...
On lit :i. la suite de cette procuration:
Les dits an et jour à, l'instant de la publication de la susd . procure étant survenus Claude
Ravel, Françoys Court, Gabriel Fenhols, Jawnetde Crottes, Jaume Guibert, Antoinette Esmenarde, Jehan Saxi, Nicolas Boyer, Me Pierre Aymard notaire, dnmoyselle Magdelaine de Cadenet mère et tuteresse de ses enfants hoirs Il feu noble Francois Roard et Claude Lardeiret
dud. Sallon, lesquels certîffies de l'acte d'icelle, l'ont rnttiffi é, ~pprouvé ~t confirmé etc .. .
Autre adhésion à la suite.
L'an susdit et le vingt quatriesme jour de septembre, Barthelemy Granier dud. Sallon l'ung
des compris aux dits arrosages certiffié de la. susdite procuratio n par la lecture il luy f&icte ra
ra.tiffiée, approuvée ct confirmée et \.l'cult a.voir autant de force que si par luy et en sa prése~ce
faicte eut été nommément, a promis cz dits consorts Jehan Tabour l'ung des procureurs
d'iceulx present et stipulant de payer sa cotte part et portion des sommes mentionnées en la
dicte procure etc ... Faict en notre maison présents Gaspard Collomb, revendem', et ZacharIe
Bance1in costurier, habitants au dit Sallon , tesmoings.
Signés: Barthelemy Granier, Jehan Tabou!", COllOD, Bancellin et Ponsard, notaire.
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sera mise entre les mains des consuls de Salon pour être employée à l'entretien des fossés qui distribueront l'eau; 40 Que les arrosages ne devront
plus être faits par Craponne à ses propres cO'ûts et dépens, comme le portent nos concessions, mais par les propriétaires eux-mêmes il leurs frais; 5°
Enfin, on ne trouve ni en marge, ni à la suite de ces actes, ni ailleurs,
rien qui justifie que le prix ait jamais été payé (1).
Mais , nous n'avon s jamais songé à grossir notre dossier de ces contrats
consentis par Vidal Vieux, mandataire d'Adam de Craponne, desquels la
mise à exécution nous a toujours paru douteuse. Sitôt que nous les avons
vus, nous n'avons pas hésité à en faire l'abandon. Nous tenons trop à rester
dans la vérité pOUl' ne pas rejeter tout ce qui nOU3 semble un peu 10llche.
Aussi bien, parmi les concessions que nous invoquons n'yen a-t-il aucune,
et sera-t-il impossible à nos adversaires d'en indiquer aucun e dont la réalisation soit soumise à l'événement de la construction du nouveau fossé voté
en 1579 et qui ne fut pas exécuté (2).
Au reste, ces actes de conceEsion éventuelle passés par Vidal Vieux ,
comme mandataire de Craponne , ne sont aujourd'hui qu'au nombre de 19
et ne comportent tous ensemble que 40 carterées , soit en mesure nouvelle 9
hectares 60 ares, ce qui est insignifiant auprès de la masse de nos co ncessions comprenant environ mille hectares.
Et lors même que, dans le principe, ces actes auraient été plus nombreux,
comme semblent l'indiquer les mutilations opérées sur le registre du notaire
Mitre Jehan et qui font supposer des soustractions de feuillets, œuvre de
destruction accomplie sans doute par la même main criminelle qui a fait
disparaltre le registre particulier du notaire Roche, qui était plein de concessions d'arrosage, qu'importe leur quantité, dès que nous ne les faisons pas
figurer parmi les concessions dont nous aurons à nous prévaloir en justice
et qui sont loin d'avoir le même caractère d'éventualité. Nos concessions
n'ont en effet rien d'éventuel: elles se rapportent toutes aux canaux primitifs
et actuels; elles nous ont été faites et vendues au prix d'un écu par carterée;
Craponne s'y oblige à arroser ou à faire arroser à ses propres frais, tout de
suite et à perpétuité, nos possessions, moyennant la redevance de trois sous,
qui est le prix de sa main d'œuvre; et, chose à bien retenir, les prix du
fond de l'eau à raison d'un écu par carterée, ont tous été payés, ainsi que nous
le justifions par des quittances ou des décharges en forme, ce qui est la
meilleure preuve de l'efficacité de nos actes. En définitive, la catégorie des
concessions conditionnelles restées sans effet, se réduirait en l'état à 9 hectares 60 ares de terrains qui n'ont jamais été arrosés, parce qu'ils sont plus
élevés que le canal actuel et parce que le nouveau canal projeté n'a pas été
exécuté.
Neuf hectares pour l' arrosage desquels nous aurions eu à réclamer neuf
litres, si nous ne les avions pas tout d'abord rejetés du dénombrement de
nos concessions ! C'était bien la peine de fonder tant d'espoir sur une objection poUl' en arriver à si mince r~sultat, ou, pour mieux dire, à rien!
(1) A cette époq ue , par acte du 22 juin ~ 567, Craponne avait traité aux mêmes prix et conditions avec des habitants de Pélissanne, au nombre de 62, parce qu'il avait à faire un canal
pour conduire les eaux d'arrosage dans leur commune et que les cinq écus par carterée, à payer
une fois seulement, étaient destinés à couvrir la dépense de la construction du futur canal.
Craponne ne devait avoir son bénéfice que dans la redevance payable à chaque arrosage, à
raison de tro is sous par carterée; arrosage que les habitants de Pélissanne etaient obligés de
faire eux-mêmes, à leurs frais.
('~) L'entreprise du nouveau fossé ù établir sur les hauteurs était restée sans exéculion après
l'acte de ~ 519 , ainsi qu'il résulte de la transaction entre l'Œuvre de Salon et celle d'Arles, du
46 février 4583 , notaire Catrebards, à Aix, dans laquelle il s'agit, à la page 46, de mettre en
demeure les particuliers intéressés d'accomplir le content' en l'acte de 4579, notaire P01lsard. Néanmoins, 30 ans plus tard , ce projet tut repris et reç.ut même un commencement d'exécution,
comme le prouvent plusieurs documents de l'époque, notamment l'acte du 22 janvier 4613,
notaire Amant Decroix, à Salon, passé entre les associés de l'Œuvre générale de Craponne et
les propriétaires des quartiers élevés de Roquerousse et de la Cadenière. On ne sait pourquoi
il ne fut pas continué.
Les adversaires nous préparent une quatrième objection qui est celle-ci:
L'introduction des eaux de DlI1'allCe à Salon a fait allgmenter, sur une
gmnde étendue, le territoire cultivable de cette ville par les défrichements
qlli se sont opérés du côté de la Crou. Il est vrai qu Adam de Cmponne
avait alTecté Itne certaine quantité d'eau pOUl' arroser les tflTaills de Crall
qui {ltrent défricMs de son temps, Mais ces arrosages, limités aux défrichements contemporains de Craponne, n'ont pas pli s'étendre et s'appliquer
aux défrichements sllbséqllents, qlli se sont faits successivement de proche en
pl'oc1te, et pOlir lesquels il n'apparaît pas qu'il ait été mpporté auc/me concession, ni de Craponne, ni de ses SltCCesseurs, C'est pOltrquoi les arrosages de
ces demiers défl'ic/œments sont autant d'usurpations, dont l'Œuvre de Cl'aponne a le (lroit de demander compte à ceux qui s'en servent.
Quatrième objection,
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�-
90 -
Gette objecliion qu'on nous a déjà faite dans 'Une discussio~ verbale et
qu'on nous ferJ probablement eneore, repose sur des faits de cl~flchements et
d'arrosages ultérieurs et clandcstlDs, qm ne se sout pmllls réa1lsés~ mu molOnS
SW' le territoive de Salon. C'est un emprnnt fait ,à la 'brochocc dite le LwneVert qui est un rapport imprimé de.la commissio n nommée en d818, ']lar
M. 'le F1réfet des Bouches-du-Rhôlle, PO!W constatel' t6utes tes parties de)' Aodrministm tùm d'!1 canal de Craponlle et sa sil'uatioo l'elativement à 'tOICS ,CimX
qui lLsaient ou abusaiellt de l'eau dll canal.
.
On lit en effet dans ce Livre-Vert au chapItre IV, intitulé: Distribullion
Générale des eaux , pages 28 et 29:
• On peut dire qu'il y a des abus aussi anciens q!IB le canal, 1Jat'ce q!le
Adam de Craponne, dans la plJupa;rt ,de ses concessiolls, avait pl'omis des eaux
pOUl' arroser à su[fisanoe, sans avoir ,el! la ,préc,auflion ~~ dé!elw14ner . les
contenances qui seraient aT'T'osées . Il eut été a dem'er qu li [ut fa~t al!)rs
dans chaque CO'l7/JInl!ne, lin cadastre particulier pOlir tes proJilliétés qui avaient
dl'oit aux eaux. Cette meSt!1'e , '!I1W [ois prise, aurait e11l1Jêché que les ea-lIx
cussent été introdnites Ile prool!e en 1Jroche, SlII' les 'dé[riohements qui ont été
successivement opérés, et Sltr des terres qui n'avaient jamais été arrosées. ~
~fais nous feron s remarquer que le neproche d'avoir i!)llroduit des eallx Ile
p"orhe en 1J/'ocl!e Sllr des dé[richements successivement opérés, s'adresse aux
communes en général qui sont arrosées du canal de Craponn e, à l'exception toutefois de celle de Salon, où le syndic qui y résidait toujours , aurait
vu les abus d'eau et les aurait immédiatement fait cesser, ainsi que l'explique
le rapport de la Commission à la page 60 : « Les martellières SUI' le terroir
de Salon,» y est-il dit, • ont existé de tout temps à la charge de ta Compagnie
de Crllp.olbne, et SŒns l,éclamatian de sa pa;rt ; et Sa:ton ayant boujoll!T'S été
le lieu de résilience du syndic de Craponne, le canal dans son territoire, a
été sottmis à une surve-illilJ1!ce plus immécUate et sans I.loule plus exacte, qwi
ne permet pas de SltppOSC1' des llSllrpations dilJ1IS le nombre des martellièPes
établies, sau[ lmlr altération. »
Cet avis de la CommiôSion, qui veut se rappovter aux arrosement·s de proche en proche, sm des défriohements successivement opévés , semblerait 'assez
nous jostifier de tout neproche d'abl:ls et d'usurpation d'eau, Néanm0ins, ri ne
nOllS s uffit ']las. 'Nous .invoquons uu témoignage encore plus manifeste et plus
décisif, ,le 1émoigna"cre des faits passés et 'Présents au sujet de nos défri ohements et arrosages ile Ja Crau, le seul 'côté du tevritoire qu'on pourrait supposer avoir pu .échapper à la surv.eillance du s)'ndic de l'Œuyre ,de Craponne ,
- 91 -
à cause de son' éloignement d'e la ville, et le seul aussi où il soit possible
de faire des défrichements susceptibles d'être arrosés. Eh bien, on va voir
que ces faits sont d'une évidence et d'une exactitude à confondre nos contradicteurs.
Les défrichements en Crau se divisent en deux catégories bien distinctes et
q)li s.ont séparées par deux siècles d'interva.\le l'un e de l'autre, savoir : Les
défrichements au."xquels a donné lieu, le canal de- CvapoDoe, dans les 35
dernièues anné.es du 16" siècle, c'est-à-dire de 1565 à 1-(iiQO, et les défrichemen /<; qui ont été détevminés par l'introduc.tion des eaux du canal de Boisgelin ou des Alpines, à partir de 1783 jusqu'à nos jours.
Les défrichements de la première catégonie, d'après le releva qui en a été
fait sur le cadastre de l'année 16QO , comprenaient un e con tenance totale de
5,ol!l hectares 45 ares., et Adam de Œraponne avait affecté deux moulans pour
leur arrosage, volume d'eau qu'il avait jugé suffisant, ainsi qu'il conste de
l'acte déjà cité: du 16, maFS 1568, IlJltaire Ponsard à Salon, portanl qu e le
[o!i.sé Verndg~liep sel'O, nettoyé et q,u'il sm'a construit I/I/! ilJ1bt.re [o&sé à trois
effllts pas: lJ1m haut pOUl' conclwir'e deux mOl.lans d'eou du côt~ de la Crau.
Celle affectation de delL"( moulans pou'r le celé de la Craw est également
certifiée par le Livre-Vert à la page 6i.
Mais l'à se bornèrent les défrichements que devait desservil" le canal de
Craponne, Pendant deux siècles, il n'en fut poÏnJ. fait de n.Quyeaux, au contraire un certain nombre de ce. premiers défri chements furent abandonnés
dans la suite, pour être rendus à leur ancienne natuve de coussous ou d'incJ.Ùtes, à cause de l?insuffisance d'eau résultant du malllvais entret.i.en du canal
de la' parU dl!' \lŒuv l'e' de> 8raponne.
Ainsi, loin q/l'iL ai! été, ajouté aux défrjchemelll.s contemporains d'Adam de
Craponne, il y fut fait des l'etranchements· successifs , faut'e d/eau pour tout
arroser.
Rien n'était plus fréquent atltrefois que les plaint'Cs cl.es arrosants cl\.!
q,uartier d'es CJ;aux au suj,et des Ïnsuffisan<:cs d'eau au canal de Craponne.
Aussi la. Comillunau,é de Salou, lors, dt!' la. création du canal dl! Boisgelin ,
s'empressa-t-elle de demander une concession de trois moul\ms des eaux de
l:L nouvelle. entreptise" pour satisfa.i.re il t0US res anosages de son tenri.toire ,
qull le caAaL de Craponne ne l'l'Ouvait pas fullmiv. 8'esb ce qui résulte de
dJffêrent'es délibérations du Conseir général de Saron, notamment de c~ ll e du
1.1. mai< 17-83. parLant ce qui sui.t :
�•
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92 -
Il importe à la communauté et à ses habitants de ne pas exposer le territoire de cotte
ville à souffrir de la pénurie d'eau, que le mauvais état de la prise de Craponne fait
éprou,-er , depuis plusieurs années, à toutes les commanaulés arrosa n tes des eaux du
canal de Craponne: délibère d'acheter trois moulans d'eau du canal de Boisgelin et
de s'entendre à ce sujet avec Messieu rs les procureurs du pays de Provence (1).
Ce ne fut que vers la fin du 18c siècle, après la construction du canal de Boisgelin, que les propriétaires des anciens défrichements , laissés sans culture pour
insuffisance d'eau au fossé de Craponne, purent déso rmais être assurés d'arroser
leurs fonds du nouveau canal ; ils formèrent une association sy ndicale avec
un certain nombre de particuliers ayant des coussous à défricher, et ils
acquirent ensemble deux moulans d'eau du canal domanial de Boisgelin.
Entraînés par l'exemple, d'autres propriétaires de cous sous ont aussi faits
des défrichements considérables, en achetant des eaux de Boisgelin pour les
arroser,
Et c'est ainsi que, grâce au nouveau canal de Boisgelin, les anciens défrichements arrosables pat' Craponne, mais abandonnés pour insuffisance d'eau
provenant de l'incurie de l'Œuvre, ont pu être rendus à l'agriculture, et '
qu'il s'en est fait d'autres successivement sur de vastes étendues.
(1) La première demande d'eau de Boisgelin date de ~'779. La communauté de Salon adressa,
cette même année, aux procureurs du pays de Provence, une pétition qui leur fut présentée
par M. Robert de Lamanon, à cet effet député à Aix. Ce placet, que nous copions en entier,
est ainsi conçu:
([ A Messieurs les Procu reurs du pays,
e Les Maires-Consuls de la ville de Sallon ont l'honneur de vous exposer que le nouveau
canal de Provence. appelé de Boisgelin, du nom du protecteur i1lustre sous les auspi ces duquel
on le construit, pourrait féconder non seulement la plaine de Sénas, d'Orgon, de Tarascon,
etc ... mais être encore de la plus grande utilité à nombre de villes et de villages dont les terToirs ne demandent que de l'eau pOUT donner du fourrage; de l'huile et du bled.
/( La quantité d'eau qu 'on dérive de la Durance à la prise du Canal, est si considérable,
qu'elle arrosera non-seul ement les plaines auxquelles on dit qu'il est destiné, mais enco re
celles de La.manon, Richebois, Ayguières, Sallon, Grans, Istres, Saint -Chamas, Arles même et
autres . Il faut pour cela qu'il plaise à la province faire conduire une branche du Canal par la
gorge de Lamanon jusqu'au commencement de la plaine de la Crau. d'où les eaux se répandront avec la plus grande facilité dans les différents terro irs de plusieurs communautés.
tt On supplie Messieurs les Procureurs du Pays d'observer que la plaine que trnverse actuellement le Canal est séparée de la plaine de Crau par une chaîne de montagnes à travers
laquelle il y a un passage fort grand, dans lequel est situé le village de Lamanon. La qualité
du terrain et la température sont toutes différentes en deçà de la chaîne susdite, de ce qu'elles
sont en delà. Le sol des viDes et villages qui entourent la plaine de la Crau est d 'une qualité
de terre plus forte , mieux liée, qui produit naturellement une grande quantité d'herbes et où
les plantations en mûriers, oliviers et vignes réussissent à merveille, tandis que l'olivier ne
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Aujourd'hui, les eaux de Boisgelins arrosent 1,200 hectares de terrains de
crau sur le territoire de Salon, au moyen des différentes concessions qui
ont été faites de ces eaux et dont suit le dénombrement par ordre chronologique:
Concessions de Boisgelin sur le territoire de Salon.
20 Août 1783, concession faite à Me Pascalis de Curebourse, représenté
. . ..
Moulans '/.
par Mme Gautier née Cappeau . . .
6 Mars 1797 , au corps des arrosants de Salon du côté de
la Crau . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2
31 Mai 1806, à Mr d'Anselme, représenté par Mr Jacob Abram .
»
'/.
25 Septembre 1806, à Ml' Mégy, représenté par:
10 La Société de la Cabane
20 Mt Jean-Baptiste-Martin. .
'/"
'/.
0
3 Mr Jacob Abram .
'1"
8 Avril 1826, à Mr Monier , de Richebois, représenté par
M. Léon Alphandéry et les propriétaires des biens-neufs. . .
'/,
21 Décembre 1860, au comte Razinski, représenté par la
Société de la Cabane . .
. . . . .
1
'/.
'l'' l
TOTAL,
quatre moulans trois quarts.
4 moulans '/.
peut prospérer dans la plai ne qui est en delà de l a. gorge de Lamanon, soit à. cause que le terl'ain est de moins bonne qualité. soit encore et principalement parce que le froid y est beaucoup plus cuisant. L'expérience nous a fait voir assez souvent que les oliviers résistaient à la
rigueur de nos hivers, en deçà de la chaîne des Aupies. tandis que, presqu e toutes les années,
il en meurt au-delà. où l'on n'en plante qu'en pet.ite quantité.
0: La. terr:e rend donc un produit plus considérable et plus assuré dans les terroirs des
villes et villDges nommés ci-dessus, que dans la. plaine où coulent la Durance et le Rhône.
« C'est ce qui nous engage, Messieurs, à. nous adresser à vous avec confiance, pour savoir
s'il n)entreroit pas dans vos :lrrangements de vendre à la communauté de Sallon environ
2 moulans d'eau.
(( La partie basse de notre terroir est la plus éloignée (lu Canal de Orapotl1&e et fi e paut souvent en
profiter aulant qu'elle cn all,ra1't besoin . Les déf richements, dans cette partie de notre terroir, seroie-nt
d'ailleurs immenses, si l'ea u ne 110US manquoit. En ayant de Peau du canal de Boisgelin, dont la
prise est bien plus assurée que celle de Craponne, nous pourrions la conduire dans un fossé
appelé de la Garr·igue, qui nous appartient i de là, elle se répandroit dans toutes les parties de
notre territoire qu'",lle arroseroit, et le surplus iroit se rendre dans la. ri·vière de la Touloubre,
pour se jeter dans l'étang de Berre, après avoir servi il l'arrosement du village de Grans, etc ...
tt Si ce plan , que nous avons l'honneur de vous proposer, était conforme, comme nous osons
l'espérer, aux vues de la province, un travail de quelques mois pourroit conduire les eauX au
�•
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94 -
Le maulan. de liloisgelin dëbite 266 litre:i à, la seeonde qui, d'apJJes le taux
ondIDaiJ!e d'un litre pan hectare, peuvent fow'nir l'arrosage à 266 hectares;
d'où il suit que les qnatre moulans trois. qua~ts dont l ~ n~en tiolL précède, arro"
sent comme nous l'avons dit, 1200 hectares du terl'ltOire de Salon.
C~la établi, nous constatons que la masse des défrichements Caits en Crau,
au terroir de Salon, depuis Craponne jusqu'à nos jours, est de 145Q hectares,
et que si les eaux de Boisgelin enJ arrosent 1200 , il ne res te plus que 250
hectares des~ervi s par les arrosages dn canal de Craponne, qUOJque Adam
de Craponne, par l'acte de 1568, eù t affecté deux moulans d'eau pour en
arroser environ 500; d'où un déficit de 250 hec tares que so n canal n'arrose
plus, mais qui sont arrosés pal' le. eaux de Boisgelin, soit par les deux
moulans des dites eaux que le corps des arrosants de Salon a achetés, en
1797, pour suppléer à celle insuffisa nce de l'eau de Craponne (1).
Voilà les fai ts tels qu'ils se sont passés, tels qu'ils se révèlent encore
aujourd'hui. Certes , ils sont concluants con tre l'objection q/l'on veut nous faire.
ns prouvent mathématiquement que les anciens défrichements du 16° SIècle,
au lieu de s'étendre, n'ont Cait que se restreindre il cause du retranchement
de la plus grande partie des eaux promises; ils prouvent. que tant que le
canal de Boisgelin n'est pas venu remédier à celte pénurie d'eau de Craponne, il a él.é impossible d'opérer de nom eaux défrichements, et même d:entretenlr en état de culture tous ceux qu'Adam de Craponne avait entrepl'ls
d'arroser, et que, par conséqueut, le reproche dravoir usurpé dés arrosages pour
des défrichements successifs et clandestins, de proche en proche, n'est qu'un e
artificieuse invention de nos adversaiFe:i, qui. s'imaginent. qu'à force de crier
il r U$urpation, ils finiront peut être par J faire croire.
Si quelquun a mérité le rep.roche. d'usurpation dans cette. occurence,
n'est-ce pas l'Œuvre de Crapollne, qui rra pas pleinement tenu l'engagemellt
commencement de notre terroi r ail elles tt@ uveroient des fossés tout; fibits po.uc se rend,re dans
la mer 1 et nous serions les premiers, ainsi que pl usieurs communautés qui se joi ndro~t à nous 1
~ profiter: tl!ès utilement et avec les sentiments, d'uDe vraie reconnoi~sllne~ , d'u,Il, étœbh~semeD t
qui fe.n le bonheur de tant d'hommes, comme il imm ortalisera le prélat. bienfaIsant q,Ul en est
l 'auteur et les sages administra.teurs qui concourent à. ses,vues. ))
,
fi ) TI résulte du registre que tient à Salon le fermier des a.rt:osages se..rv~s par les ,eaux IUelangées de Baisgelin et de Craponne, il p3Jltir de la riv:e droite de la Garngue, en s avanQ.a~t
dans la Crau que sa perception s'étend sur. UDe su.pe.di.eie totale de 764. hectares. Pa~ con~e
queni, tl y. a~ait 532 heetares arrosés par les deu~ moulan~, ~oit ~ 53'2 li~es de BOlsgeh.n~
et: il ne resterait que 232 hectares arrosês par Craponne,. qUi n aurait à fourruf pour cette con
tenance que 2~ litres d'eau; pas même. un moulan entiell.
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95 -
qu'avait contracté son autenr de fo urnir deux moulans de son canal au."
défrichements ,de ·la Crau , @bligation sacrée, dont le prix cependan t a été pa-yé
par les con cessionnaires?
Maintenant que nous avons montré le vide des objections de nos adversaires, nous allons rapFendre l'exposillion des faits, bitres et vérités .qui n0t1S
'~ eJiln ent en foule pour as'surer notre Icau'se.
Considérations dont il faut tenir compte dans l'appréciaticn
de nos concessions d'arrosage.
Ce n'est pas seulement d'après leur sens littéral qne doivent être interprétées les concessions de Craponne aux habitants de Salon. Pour apprécier
ces actes dans toute l'étendue ae leur signification, dans toute leur portée ,
il faut remarquer les circonstances au milieu desquelles i1s ont été passés et
bien se pénétrer des avan tages et des services réciproques, qui, sans être
fo rmellement énoncés dans leurs obligations respectives, ont pourtant été pris
en considération par les parties contractantes. Ainsi, parmi les nombreux
et puissants motifs qui ont déterminé Craponne à concéder l'arrosage au
territoire de Salon, à des conditions meilleures que partout ailleurs, on peut
citer les suivants:
1° Salon fut le lieu de sa naissance; c'était sa demeure habituèlle et celle de
sa famille et de ses amis. Les habitants, ses concitoyens, avaient pour lui
beaucoup de déférence, ils étaient fiers, heureux de le posséder; n'ayant pu
l'avoir pour consu1 à cause des grands travaux qui absorbaient tout son temps,
ils l'avaient élu capitaine de la ville, ce qui était un titre honorifique, tandis
que dans les communautés voisines il ne rencontrait que de l'indifférence et
même de l'antipathie (1). On ne saurait auj ourd'hui se faire une idée exacte
des ardentes jalousies qui rëgnaient autrefois de clocher à clocher. L'admiration
des Salonais pour Craponn e, le faisait presque détester par 1es habitan ts des
autres communautes. Cela semb'le in croyable, et cependant cela était. Au
Teste, qu'est-il 'besoin de remonter si haut pour trouver des exemples de cette
bizarre prévention : Au '1 8° siècle, un habitant de Sénas, qui était venu s'établir
(1) En 1554, le peuple d. Salon applaudit au pœmier ooup de pioche d'Adam de CIaponne
pour l'ouverture de SaD co.nal, en dêcernant le premier chaperon cons ulaire il. "Frédéric de
Cr.ponrre, son frère ainé . - Arch. de S.lon, BB .. 2' folio, 368.
�-
96 -
à Salon, où il avait acquis le moulin des Quatres-Tournants, n'a-t-il pas osé
traiter Craponne de fripon, en disant, dans un mémoire imprimé en 1769,
page 8, que cet homme, le type de l'honneur et de l'abnégation , chercha à
fail'e des dupes qu'il esp6m it trompm'? N'avons-nous pas vu en 1854, un e
commune dont le territoire, limitrophe de celui de Salon, a été enri chi pal' Craponne, refuser d'apporter son obole au monument qui a été élevé, sur la place
de notre Hôtel-de-Ville, à la mémoire du grand bienfaiteur de la contrée?
En somme, Craponne avait une foule de raisons pour accorder ses préférep.ces
au pays qui l'a vu naitre.
2° Ce fut le 17 août 1554, qu'Adam de Craponne obtint des Président
et maîtres rationaux de la Chambre des comptes et archives de Provence,
l'autorisation de construire son canal et de dériver de la Durance les eaux
qui devaient l'alimenter. Eh! bien, avant même d'avoir obtenu cette permission, Craponne recevait des habitants de Salon la promesse d'aller moudre
leur blé aux moulins qu'il se proposait de cO llstruire dans leur vi lle. On
lui assurait déjà la réussite de son usine. Car, à cette époque, où les minoteries n'étaient pas encore connues, il ne suffisai t pas de faire construire
des moulins, il fallait des chalands pour les faire travailler et prospérer.
Et qu'on ne croie pas, non plus, qu'il n'l'eut alors à Salon point de
moulins à farine pouvant faire concurrence à ceux de Craponne. Il y en
avait au contraire neuf, tous plus ou moins achalandés, savoir: Les moulins
de la Levade, de Châteauneuf, de la Cau quière et de 1ft Maunaque sur la
Garrigue, et les moulins de Saint-Jean, de Salomonis, de Brég(tII, de la
TOUl' et des Caunes sur la Touloubre.
La promesse des habitants de Salon d'aller moudre aux mouli ns projetés
par Craponne résulte de deux actes publics, l'un du 12 juillet 1554, notaire
Pierre de la Roche, à Salon, et l'autre reçu à une date encore plus ancienne
par Me Baptiste Laurens, aussi notaire à Salon, mentionné dans l'acte de
Pierre de la Roche. Les habitants promettent, sous l'obligation de leurs personnes et de leurs biens , de faire moudre leur blé, en payan t le vingtain
pour droit de moulure , aux moulins d'Adam de Craponne, aussitôt qu'ils
seront construits et mis en mouvement. La création d'une pareille banalité
dans les anciens fiefs était suffisante pour assurer aux vassaux, l'usage gratuit
des eaux des moulins seigneuriaux pour l'arrosage de leurs propriétés, pendant
certains jours de la semaine,
3° Quatre ans après, sur la demande d'Adam de Craponne, qui était court
de ressources, les Salon ais lui accordèrent deux corvées pour achever son canal
-
97-
jusqu'à Salon. C'est constaté par une délibération du 21 mai 1558 portant
qll'il sera accordé deux crousades à Adam de Cl'apOllne pO/II" paracltever ses
fossés pour fail'e venir lCt Durance au lJrésent lielt et lwlI1' ce qu'est IJlus
tost aIt proffict de la ville que aulU'ement .
4° Les habitants de Salon on t donné à Craponne le terrain où est son canal.
Les propriétaires des fonds traversés laissèrent passer l'eau sans indemnité'
ils grevèrent gratuitement leurs fonds de la servitude aquœductus .
'
Les riverains n'ont cédé que le méat, l'espace où coulent les eaux. L'Œuvre
aujourd'hui, veut s'emparer des rives en invoquant la prescription, C'est là une
ques tion à débattre entre elle et les riverains.
5° Le 28 janvier 1560, la communauté de Salon, pour aider Craponne à
agrandir et prolonger son canal de manière à pouvoir fournir tous les arrosages qu'il a promis, délibère d'emprunter mille écus et de les prêter à Adam
de Craponne , qui, à son tour, s'engage à bailler d'eau à suffisance pour
l'a1'1'osage de Salon et aux lieux où il pourra condltire son eau. Cette délibération fut immédiatemen t réalisée, ainsi que le reconnaît Craponne dans
un acte de la même année, aux minutes du notaire Gauchier Cazallet. Cet
argent lui permit de faire tous les travaux nécessaires pour l'agrandissement
de son canal et la distribution des arrosages qu'il avait promis.
6° La communauté de Salon lui avait donné le passage tout le Jong du
faubonrg, aujourd'hni le Conrs, ponr les eaux de fuite de son moulin des
Quatre-Tournan ts. Cette servitude aquœductus, accordée gratuitement à Craponne
est très onéreuse à la ville et fort incommode pour les maisons voisines dn
canal.
7° Autre Conseil Général de la communanté de Salon, le 24 août 1564,
où il est exposé qu'Adam de Craponne est poursuivi pour deux tailles qu'il
n'avait pas encore acquittées , et l'assemblée, attendu le bien que le dit de
Craponne a fait à la lJrésellte ville, conclut que rien ne lui sera demandé
des deux tailles l'éclamées par les SieUl'S Léoncii et Vidal Vieux, et qui
seront admises aux dits exactC1tl'S P01t1' aI'gent comptant.
8° Le 21 mai 1567, nouveau Conseil Général qui décide de cautionner
Craponne pour 2000 écus ; et comme cette somme était destinée à la construction d'un nouveau fossé à faire sur les hauteurs, Cmponne pl'omet de
n'ea,'iger des manants de Salon qui usemient de l'eau, pou.r le fonds, que cinq
escus pal' cal'teyrade pOltl' le plus fort sans l'ien rabattl'e .. el! payant les arrosages comllle des wutl'es, qu'est trois sous pm' ca1"teyrade, lolttes les années
lJerpétuellement pour arrosages,
13
�-
98 -
90 Enfin si Craponne a eu à payer les frais d'établissement de son canal ,
les habitants de Salon ont pris à leur charge et payé tous les travaux de
construction des fossés secondaires, des ponts, des aqueducs et autres ouwazes nécessaires pOUl' la distribution des arrosages dans leur territoire. Quand
parfois, Craponne a fait efTectuer quelques uns de ces travanx par ses agents,
les arrosants lui en ont remboursé les frais. Nous en trouvons la preuve dans
l'acte de prix-fait entre Adam de Craponne et les frères Ravel , du 16 mars
1568, notaire Ponsard. où il est dit: « pOUY raison des petits fossés néces-
l'aires pOUl' nulpartir l'eau pOlir at'/'osel' les propriétés, lesdits Ravel les
(ail'ont ri leurs dépens au n01Ib du dit de Cmponne. Toutefois n'osera le d-it
de Cmponne permettre à aucuns lJarticuliel's arrose!' des dits nouveal~x arrosages que p"emièrement 11' ayent accOI'dé avecques les dits Ravel chasc1ms pout·
leur endroit payer leul' rate-part des dits petits-fossés (1). Nous en trouvons
la preuve dans une requête en appel au Parlement d'une sent~nce des Trésoriers-généraux de France, du 25 juin 1677. Les appelants disaient que les
arrosants des Croses, auxquels on les assimilait, n'avaient pas eu à faire autant
de travaux et de fl'ais, que ceux des Viougues pour faire arriver l'eau à leurs
propriétés . Nous en tl'ouvons encore la preuve dans les ouvrages d'al't qui
ont été faits et qui ne cessent d'être entretenus par les arrosants. En 1837 ,
les propriétaires du quartier du Pilon-blanc ont dépensé plus de 1500 fl'ancs
pour réparer le pont-aqueduc de St-Côme, qui leur porte les eaux d'arrosage.
On voit manifestement que les Salonais n'ont pas été avares d'encouragements pour Adam de Craponne. Leurs bons procédés et leurs sacrifices de .
toute sorte ont dO , sans aucun doute. être pris en considération dans le prix
de vente de nos arrosages. Ne serait-il pas injuste de modifier aujourd'hui nos
contrats , parce que le temps ou l'in gratitude aurait eO'a cé chez les successeurs
de Craponne, le souvenir des services que nous avons rendus à celui-ci.
Possession de nos arrosages fondée sur des titres.
Nous avons déjà démontré qu'Adam de Craponne, après la construction
de son canal, avait fait des concessions particulières d'arrosage sur le territoire de Salon, pour quatre moulans d'eau. Il fut passé à cet efTet une foule
(Il L'année précédente et par acte, Mitre Jeban, notaire à Salon, du G septembre 4567, 1.
dame Cathérine Reynaud e avait payé à Pierre Ravel , 'iH florim p OUT le restant~prix de la {actu,re
d'un collat.
-
99-
d'actes dont nous avons, à force de recherches, sauvé une partie des ravages
du temps, sans avoir pu encore retrouver les autres, qui sont le plus grand
nombre. Heureusement nous suppléerons ces manquants par des documents
dignes de foi, qui prouveront que ces actes ont existé et n'ont pas cessé de
recevoir leur exécution, in antiquis enunciativa probant. Il n'y a rien d'étonnant que dans l'espace de 300 ans , des registres aient péri dévorés par les
rats, les vers, la moisissure ou les flammes. La plupart des actes qu'il nous
a été permis de retrouver , nous les avons exhumés de la poussière des galetas
où ils étaient rélégués comme de vieux papiers désormais inutiles, pal' la
raison sans doute que les droits consacrés par ces titres, sont garantis par
u ne possession dix fois tren tenaire.
Toutes ces concessions sont faites sur le même modèle et renferment les
mêmes pactes. Elles ne difTèrent entre elles que par le nom des acquéreurs
et la désignation des fond s arrosables. Craponne s'y engage à perpétuité,
pour lui et les siens, à faire arroser à ses frais les propriétés, moyennant
le prix d'un écu par carterée pour le fonds de l'eau, et trois, so us par carterée à chaque arrosage pour le prLx de sa main-d' œuvre.
Les actes que nous avons recueillis jusqu'à présent sont au nombre de '117
se rapportant à 287 parcelles et comprenant 693 cal'terées et demie, soit
2080 émines et demie, qui font en mesure nouvelle 166 hectares 44 ares dont
71 hectares 40 ares sont situés aux Viougues et 95 bectares 04 ares aux Grescs .
Nous aurions pu faire l'emplacement de ces actes, au moyen des anciens
cadastres de la commune de Salon, qui ont été si so uvent renouvelés dans
les siècles précédents, dan s le 17c siècle surtout. Mais pour'luoi cette opération pour un sixième de nos concessions, tant qu'il nous sera impossible
de la faire pour les autres cinq sixièmes qui sont adirés. Evidemment cette
impossibilité qui ne vi ent pas de notre fait , nos adversaires le savent bien, ne
sera pas pour nous un cas de déchéance. La loi et une foule d'autres titres
sont là pour nous protéger contre la situation fâcheuse qui nous est faite.
Et d'ailleurs, qu'importe à l'Œuvre de Craponne que nous emplacions nos
concessions, dès que nous ne lui demandons pas une plus grande quantité d'eau que celle à laquelle nous justifions avoir droit. Nous prouvons que
l'arrosage nous est dû poUl' 908 hectares 56 ares ; qu'oll nous fournisse
donc de l'eau en suffisance pour arroser cette superficie. Nous com prendrions
que la commune de Salon, concessionnaire comme nous, dans les mêmes
quartiers du territoire, s' inquiétât de la confusion qui pourrait exister entre
ses arrosages et les nôtres. C'est là une question à vider entre nous et la
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commun e, avec laquelle nous nous en tendron s toujours pour &pérer une
rentilation . Quant à l'Œuvre, il doit lui suffire de savoir le volume d'eau
qu'ell e a à départit' à la commune et à nous pour faire nos arrosages
respectifs, S'il lui est dû des redevances de notre part, ce que nous contestons formellement, il lui sera facile d'en faire l'évaluation d'après la quantité d'eau qui se trouvera affectée à nos arrosages particuliers ,
11 es t hors de doute qu'indépendamment des concessions dont nous avons
pu retrouver les minutes, il en existait un e foul e d'autres, tout aussi valables,
Un grand nombre d'actes et de pièces au then tiques font foi de ces concessio)1s aujourd'hui adirées, et nous fournissent des énonciations suffisantes
pour eu évaluer l'ensemble et J'étendue, mais pas assez de détails pour nous
permettre de les emplacer,
Ainsi, par exemple, comment emplacera-t-on les 668 hectares exprimés
par les divers à-comptes que Frédéric de Craponne avait reçus sur les prix
des concessions pal' lui consenties en vertu de la procuration d'Adam de
Craponne SOli frère, et dont il rend compte à celui-ci suivant acte de décharge
du 15 félTier 1568, notaire Ponsard? On ne peut nier que Craponne, sur le
montant de ses concessions d'arrosage, n'ait reçu 1-1,1 36 florin s représentant,
à un écu de 4 florin s pal' carterée de 24 ares, 668 hectares, Mais les
détails manquent pour emplacer ces co ntenan ces pourvues d'arrosages,
D'autre part, si nous lisons les 3 actes intitulés remissions , reçus pal'
Baptiste Laurens , notaire à Salon, les 8 novembre 1566, 2/, juin 1567 et
28 mai 1568, portant transport - cession pal' Adam de Craponne à François
Puch, François Roard et Jean Raybaud, ses créanciers , de 740 florin s 8
sous à exiger et recevoir de 40 de ses concessionnaires obligés, nous y voyons
parmi les débiteurs cédés, 28 concession naires dont les actes ne se retrouvent pas, tels que Jacques Suffren indiqué pour 36 florin s; les frères
Viguier pour 24 t10rins ; Bertrand Jaume 6 florin s ; Bastian Lombard 28
florin s ; Jacques Mille 24 fl orins; Antoinette Roux 16 llorins ; Laurent Imbert 36 florins; noble Mathias Isnard 64 florins; Raymond Lespus 4
florins; Noël Baude 2/, florins; Jeann ette Rosset 24 florin s; Barthelemy Imbert 16 florins ; noble An toinette Viguier 29 florins 4 sous ; Louis Raimbaud
16 sous ; Claude Engagne 4 florins ; Simon Reynaud 8 florin s ; Antoine
Albarestier 8 florins ; Louis Giraud 28 florins ; Antoine Michel dit Rezille
8 florin s ; Jean Focai l 4 florins; Raphaël Saxi 6 ll orins ; Jean Giraud 4
florin s ; Estève Gervaset 8 florins ; Pierre Girard 1.0 florin s ; Estève Dame
4 florins; Pierre Jausserand 6 florins ; Louis Fomiller 4 florins; François
Reynaud 30 florin s,
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101 -
Toules ces sommes cédées et indiquées par Craponne à ses créanciers ne
sont que des restant-prix de concessions d'arrosage, auxquels il faudrait pouvoir réunir les à-comptes précédemment payés, pour évaluer au juste les
contenances que Craponne s'était obligé d'arroser,
La preuve que ces sommes n'étaient que des restant-prix, se tire des
autres sommes cédées sur les concessionnaires dont nous avons les actes
d'acquisition: Ainsi, Sauvette Astier, suivant acte du 14 juillet 1565, notaire
Laurens, avait acquis l'arrosage pour cinq carter6es et demie moyennant
le prix de 22 florin s, sur lesquels il n'en est cédé que 16 ; Mathieu Auzas,
par son acte d'acquisition du 22 juillet 1565, même notaire, devait un prix
total de 6 florin s sur lesquels il n'en est cédé que trois. Les trois autres
florins avaient été déjà payés à Frédéric de Craponne suivant quittance en
marge de l'acte d'acquisition , sous la date du 5 février 1566, notaire Laurens. Jean Maurin dit Gaubert, dont le prix d'acquisition était de 16 florins,
ne figure que pour 8 dans l'acte de cession. Les hoirs d'Etienne lIozier
acquéreurs d'arrosages pour 36 florin s par acte du 4 mai 1566 , notaire
Ponsard, ne sont indiqués dans la cession que pOUl' 32 florin s. Estèvenetle
Reynière , acquéreuse pour 6 florin s, d'après son acte du 13 juillet 1565,
notaire Laurens, n'est cédée que pour 3 florin s, Enfin Jean de Suffren , par
acte du 17 juillet 1565, notaire Laurens, avait acquis des arrosages pour
100 carterées , moyennant le prix de 100 écus ou 400 florin s, et cependant
Craponne ne fait cession sur lui que de 30 écus ou '1 20 florin s; c'est que
Craponne avait déjà reçu différents à-comptes, suivant actes de quittance
des 23 janvier 1567 et 6 mars 1568, qui son t écrits en marge de son dit
acte d'acquisition.
On voit don c que s'il est possible de faire l' emplacement d'un certain
nombre de co ncessions, cette opération ne saurait al'oir lieu d'une manière
exacte pour celles dont les actes d'acquisi tion sont égarés ou détruits.
Si la destruction frauduleuse et préméditée des deux registres du notaÏl'e
Roche nous a rendu impossible l'emplacement des nombreuses concessions
qui s'y trouvaient renfermées, on ne se prévaudra pas sans doute de celle
impossibilité, qui est le résultat de la force majeure, d'un crime de lèse-population, pour exclure de l'arrosage tout fonds dont le propriétaire ne produirait pas un acte particulier à y emplacer,
Mais il nous reste encore assez d'élémen ts pour reconstituer l'ensemble de
nos arrosages, Nous avons déjà établi qu'il nous élait dlt l'arrosage pour 908
hectares 56 ares ; nous l'avons démontré d'une manière péremptoire pal' des
preuves et des pièces dont il est impossible de con tester l'autorité,
�-
lOi? -
Notre possession à cel égard se manifeste par une existence de trois siècles, et elle est appuyée sur des titres dont la plupart servent de fondement
à l'Œm're de Craponne elle-même.
Rien de plus évident et de plus con tinu que la possession. On ne peut en
disconvenir. Ce serait nier l'évidence et la continuité du cours de la Durance
où s'alimente le canal de Craponne.
LES TITRES, LES VOICI:
1° L'arrêt des maitres-ratÎonaux de la Chambre des Comptes et Archives
de Provence, du 17 août '1554, portant permission à Adam de Craponne,
au nom du roi, de dériver l'eau de Dm'ance lJour en jOllil' lui et ses SltCcesS8ltrs quelconques, c011lme de lell!' chose p1'Opre, mais PO!tl' le service et
commodité des communes traversées et des J!aI·ticulim·s des dites communes,
sans toute(ois q lte celles-ci et leurs habitants puissent pre,;dre l'eau, ni s'en
servi!' sans le congé et licence de C,·aponne.
Depuis ce contrat synallagma tique en tre l'Etat et Craponne, le canal de celui-ci
ne cesse de remplir sa destination à l'égard du territoire de Salon qu'il traverse,
par l'31Tosage de nos propriétés en vertu du congé et licmlce de Craponne.
2° La délibération du Conseil général de la communauté de Salon, du 28
janvier 1560, par laquelle, sur la demande d'Adam de Craponne, il est
décidé que la ville empruntera mille écus et les remettra à Craponne qui, à
son tour, s'engage à bailler d'ea1t à suffisance pour l'arl'os(lge du dit Salrm ,
et aux lieux où il pourm conduiT'e son eau.
L'emprunt promis fut réalisé au profit d'Adam de Craponne. Nous lisons
au folio 324 du registre des actes passés en 1560 par M. Gauchier Cazallet,
notaire il Salon, un acte intitulé l'en~ission, où Craponne confesse avoir reçu
de la communauté de Salon 800 écus, que celle-ci venait d'emprunter suivant actes d'obligation y énoncés, savoir: 600 écus du dévot monastère
de Notre-Dame la Chartreuse de Bonpas , et 200 écus de M. Aulzias de
Cadenet, docteur és-droit de la cité d'Avignon.
Au moyen de cet argent, Craponne agrandit son ca nal, y introd uisit un
volume d'eau plus considérable et vendit aux babitants de Salon les eaux
nécessaires pour l'arrosage de leurs propriétés , suivant sa promesse au Conseil
général de la communauté , de bailler d'eau à su(fisance liour l'an'osage du
dit Salon, et aux lieux du tm'riloire où. il lJoflrm cOlld1âre son eau .
-
103 -
3° L'acte du 12 octobre 1561, notaire Pierre de la Roche à Salon, qui
porte arrentement par Adam de Craponne à M. Joseph Roche, notaire, des
(Irrosages et aig(tges de l'ealt de DIII'ance que le dit de Craponne a (ait venir
à Salon, tant ponr arroser et aiguer vergers, vignes, que preds et jardins .
Cet acte, trois ans après, fut suivi d'un autre du 26 avril 1564, même
notaire Pierre de la Roche, duquel il résulte que le fermi er Joseph Roche,
ne pouvant suffire à la distribution de tous les arrosages, en sous-arren te une
partie aux {l'ères Reynaud , de Salon, pour les fournir à qui en aurait besoin,
au prix accoutumé;
4° L'acte de procuration du 15 juin 1565, notaire Gauchier CazalIet, à
Salon, portant pouvoir par Adam de Craponne à Frédéric de Craponne, son
frère aîné, d: acc07'der avec tous et chacuns les particuliers de Salon et autres
'lue bon lui semblera, des arrosages de l'eau de Durance appartenant au dit
constituant, à lin écu pour chacune carteyrade payable pOUl' ulle (ois tant
seulement , et moyennant le dit écu, es t-il ajouté, le dit procureur pourra
lJasser acte avec tels lJartiCllliers dll dit aI'rosage, à l'aison de trois gros pOUl'
cha ClIne (ois que arroseront lJerpétuellemeM pour cltawne cartey!'ade, et sans
leur pouvoir demander autm chose.
50 La décharge de la susdite procuration , sous la date du 15 février 1568,
notaire Ponsard à Salon. Par cet acte, Adam de Craponne reconnaît que
Frédéric de Craponne, son frère et mandataire, lui a rendu compte d'une
J'ecette de 11 .136 florins , représentant des prix d'arrosages pour 2784 carterées, soit 8352 émines faisant en mesure nouvelle 668 hectal·es.
6° L'acte du 16 mars 1568 notaire Ponsard, par lequel Adam de Craponne donne à prix fait, à Peyron et Pierre Ravel frères, la distribution de
ses arrosages. Ceux-ci p"omettent d'arroser ou (ail'e arroser à leurs dépens,
tOllS et chacuns les vel'gers et vignes assises au terroir de Salon que le dit
de Cmponne est particlllièrement obligé d'arroser annuellement de l'eau qu'il
a conduite a'u dit terroir, ct mison de 3 sous pal' carteyrude lJour chaque
aI'!·osage.
7° Les actes de concession consentis par Adam de Craponne et Frédéric
de Craponne, son frère et mandataire, depuis 1561 jusqu'en 1570, reçus et
trouvés dans les écritures des diUérents notaires de Salon , et dont nous avons
fait un relevé, duquel il résulte que ces actes sont au nombre de 117 et
qu'ils renfermen t des obligations ' d'arrosages pour 166 hectares 44 ares.
80 Les actes de quittance des prix des dites concessions écrits en marge et
à la suite des acquisitions d'arrosage. Ces quittances sont consenties , sous
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leurs dates respecti\'es, soit par Adam de Craponne, soit par son mandataire, soit par ses créan ciers cessionnaires, soit par ses héritiers,
9° Les trois actes des 28 novembre 1566, 24 juin 1567, et 28 mai 1568,
notaire Laurens, portan t transport-cession par Adam de Craponne à trois de
ses créanciers, d' une somme de 740 fl orins à exiger et recevoir de quarante
de ses concession naires d'arrosag'e, dont les actes d'acquisition de 28 d'entre
eux sont adirés,
10' La tran saction constitutive de l'Œuvre de Craponne, du 20 octobre
157'1, notaire Catrebards , à Aix, laquelle, en prévision du cas de stérilité ou
pénurie d'eau, régIe les droits des associés entre eux, notamment les eaux
du capitaine Tripoly au Gresc, et après avoir assigné aux Viougues un moulan d'eau pour les arrosages de ceux qui n'avaient pas traité avec Craponne,
réserre nos concessions par cette clause: Sans préjudice des actes pal' cideual/t (aits pal' le dit de Cl'aponne avec aucuns des lJa'l'ticnliers du dit
Sa/on ayant biens aux dits qu.al'tiel's, l'eçus par main publique,
D'après cette transaction, on plaça sur les bord s du canal des martellières
qui laissaient passer l'eau pour les arrosements et les moulin s relativement
aux titres de chaque associé et de chacun des concessionnaires particuliers
d'Adam de Craponn e,
L'Œuvre, depuis Jors, a constamment entretenu les martellières et prises
d'eau ; elles les a fait réparer , quand elles en avaient besoin , et a ain si
reconnu, toutes les années, et à chaque réparation qu'elle a faite, la valeur
de nos titres ,
11 ° Les deux al'l'êts du Padement de Provence des 8 février 1679 et 2
mai 1690, qui condamnen t l'Œuvre de Craponne ou son fermier des arrosages, à arroser les concessionnaires suivant leurs co ntrats, et à défaut, autorise ceux-ci à faire arroser leurs fonds aux frai s de l'Œuvre.
120 Le mandat de 130 li vres délivré en 1683 par les co nsuls de Salon
au notaire Simon Bernard, dépositaire des écritures de feu Joseph Roche,
notaire d'Adam de Craponne, en payement de 130 extraits d'autant de contrats d'arrosage du dit notaire Roche, se rapportant tous au seul quartier
du Gresc. Nous relaterons encore une fois le texte de ce mandat:
-
105 -
de Craponne, et moyennan t ce, au cas qu'il fust 1Hlcessaire d'avoir les quit~ances des
payements des dits ache/lts qui seront au pouvoir dud it M' Ber nard, sera ob llgé de les
remeILre à la dite comm una uté , et en rapportant le présent ma ndat et acq UI t du dlt
M' Bernard , la dite somme de t 30 livres vous passera en décharge. Faict à Salon, le
neufviesme septembre 1683, Signés: Michel, consul ; Rey, consul.
Voilà bien 130 acquisitions d'arrosages au Gresc avec leurs quittances' .en
marge ou à la suite, qui existaient à celle époque dans les écrttures du notaire
Roche, et ce, indépendamm ent d'une masse d'autres con cesSIOns se :'apportant aux arrosages des Viougues, sans qu'on puisse retrouver aUJourd hUI les
registres qui renfermaient tous ces actes,
. .' .
.
Il est certain que II1c Simon Bernard, en 1683, était dépOSitaire des écrttures de Roche et des registres dont il avait tiré les extraits des .18 0 concessions d'arrosa"e au Gresc. On en trouve la preuve dans un e de~lbératlOn
du Conseil "éné~al de Salon du 17 mars 1684, où il est expose pal' le
premier con;ul Jacques de Cadenet , que « la v~lle doit des honoraIres ~
c Messieurs Verd et Martel, qui ont vaqué dan s 1affaIre de la communaute
« contre la Compagnie de Craponne, et particulièrement à Mo SlmonBernard,
« qui a fourni des extraits de beaucoup de contrats qUI ont servI pour la
• largeur des paulmes énoncées dans le contrat de vente par Adam de Cra« panne au sieur de Tripoly, duquel la communauté a droit et cause, de l'année
« 1562 , notaire MC Roche dont le dit JI[6 Bernard possède les escnptl!res ,
« lesquels contrats ont été passés par le dit feu de Craponne à des parti« culiers, peu de temps après la dite vente. l ,
'
.
Moins de cent ans après, c'est-à-dire à partir de 1770, les reglstl es du
notaire Roche renfermant les actes de concessions de Craponn e, ~e se so n t
plus retrouvé~ et par une fatale coïncidence, les extraits que SlInon Bernard avait délivrés de 130 de ces actes en 1683, et qui a:aient été e~"oyés
à Aix ont également disparu. La perte de ces titres et registres, dlson, plutôt le~I' destruction par des mains criminelles a été déplorée. avec amertume
'et publiquement dans un mémoire imprimé en 1779, pubhé par. 111~ Gadssier célèbre avocat au Parlement de P rovence, et dan s une déhberatlOn, u
Co;seil général de la communauté de Salon , du 5 septembre de la meme
année (1).
Monsieur le Trésorier, payez à M' Simon Berna rd, notaire roya l, la somme de 130
livres pour t30 ex traits des contrats des apointements des eau x de Craponne que les
particuliers ont fai cts pour arroser des vergers et au tres propriétés, le to u t au terro ir de
Satan et Cartier du Gresc, y compris l'extrait d'achept que le sieUl' de Tripoly fis! d'Adam
d'
. s contre les propriétaires du mouauxquels s'étaît j ointe
1
•
lin des Quatre-Tournan s, es ~l
"' t d Parlement ordonnant certams
l'Œuvre de Craponne. Il était intervenu , en ~ 71 6 . ~n ~re u dans le c~nal de l a Garrigue .
travaux pour empêcher l'introd uction des eaux e raponne
'1 4
(1) De 4770 il ~782 , ln. v ille de Sal on a soutenu IveRTS pTocde
otn;re
t 1
.eurs Vill ard et aynau , n .....
�-
106 -
-
13° L'arrêt du Parlement d'Aix du 13 juin 1770, portant injonction aux
consul s de Salon de faire réparer l'aqueduc qui conduit une partie des eaux
de Craponne au-delà du fossé de la Garrigue, dans la direction de la Crau.
n y avait donc d'autres arrosages que ceux du Gresc, dans le périmètre
de Lamanon aux Estrets.
,140 Autre arrêt du Parlement de Provence du 18 mai 1776, qui permet
à l'ŒUlTe de Craponne de faire tous les ouvrages et réparations nécessaires
pour empêcher le mélange et les abus des eaux de Craponne, tant au fossé
de la Garrigue qu'ailleurs, à l'effet d'empêcher les moulins étrangers à l'Œu'Te de Craponne de se servi!' des dites eaux, sans néanmoins que les dites
réparations ou nouveaux ouvrages puissent en aucun cas , arrêter ou porter
préj udice au cours des eaux de la Garrigue, ni lIuù'e, ni p,'éjudicier aux
arrosants du canal de Crapolllw ayant titres et facultés.
c l\éanmoins », disait l'arrêt, Il sans nuire ni préjudicier aua: arrasants du canal de Crapo1lne ayant
tt {acuités. Il En t 779, un mémo ire, imprim é au nom de la Communauté de Salon, s'exprimait ainsi, en parl ant de cet arrêt, à la page 2tl : « Est-il bien vrai que l'arrêt de 1716 exige un
titre pO UT ehaqlJ8 arrosant? Les hab itants de Salon seraient bien à plaindre dans ce cas : depuis plus
de ~OO ans, la plupart 1Ie pet"Jtnt qu'avoir égat-é leurs t itres . D'autres ignorent où. en était le dépdt.
M e R OCHE AVAlT REÇU PLUSIB URS A.CTES D'A DAM DB CRAPONNE. M- Ray'M.aoo est le dépositaire de
ces t!critures. Le registre d'alors manque i C'EST UNE FATAL ITÉ . il/ais les habitants de Salon ne dO'ivent
pas en souffrir. Les concessions particulières dont on ne trouvera pas le t itre, n'ensont pM mo ins 1,t!.gies
par la transaction de 4514 et la collocation de 4116 .
:Mo Raynaud , se sentant atteint par ce passage du mémoire imprimé, fit notifier aux consuls
de Salo? un acte j~terpel1 atif pour en faire le désaveu ; et le Conseil général , assemblé à cet
effet à 1 Hôtel-de-Vllle, le 5 septembre 1779, au lieu de faire une rétractation , prit la. délîbérati on suivante:
c Le Conse~l 0, dilibér'! que, d'après la consultation et les observations y ramenecs, il TI ' y a rien à
tifrts
c changer, rr~
a réformer dans le passage du mémoire imprimé dont s'agit, en ajoutant qu'étant du
plus grand mUrét pour ~a communa uté de faire jt'ger que vu les pre"ves de l'existence du regis tre,
« la comm~nauté pourra !trer toutes Ie.~inductil)ns de droit d~ cette mi me existence. A t, moyen d&-quoi
« le Consnt char ge les ~~rs Maires-Consuls de faire consulter quatre avocats p OUT i ndiquer la voye à
c
.. p rendre pour parvenir a ce rétablissement j ur idique, en attendant qu'on puisse en décou vrir le déc tempteur et que la dite délibération serv ira de réponse à l'acte extrajudiciaire .
• ~. P~yan ,- ~aire-Consul a d·it qu'il n'a pDint entendu injurier M' Reynaud fils , n.y porter
Il a~tttnû a la mémoire de son père, à qui il rend d'ailleurs la just ice qui leur est d'Île, mais que Al' Cas0: $ter, avocat au parlement a très bien fait de déplorer, Ct la page 'l8 du mémoire d-e la communauté la
c p~rte ~:un cer!ain livre de Craponne q"i seul pourrai t éclaircir
assurer les droits et la (or lU"; de
.. St:& mt. le habItants, »
0"
Alors M' Raynaud .obtint un arrêt du Parlement (Chambre des eaux et forêts), le 28 janvier
t 780, ordonna?t le blffe~~nt tant de la dél ibération, que du passage du Mémoire imprimé.
~e 'lO m~rs ~UlVatlt ces pleces furent biffées, et l'arrêt fut transcrit en marge de la délibéra-
bon,
M"'SSl
M' Raynond
a e' té'JUs t'fi
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1 e es ImputatiOns dont on le chargea it ce n'a pas moins
elit:' un
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notor
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à
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,le e pu que cette époque, que des reg' istres de Roche ,
nf ~taIrd~' plel~s de concessiOns d arrosage, avaient été soustraits par des gens intéressés à les
aire l spar81tre.
tOï -
150 Finalement le Livre-Vert ou rapport de la Commission présidée par le
syndic trésorier de l'Œuvre de Craponne, intitulé : Rapport et avis de la
commission nommée pal' arrêté de M' le Comte préfet des Bouches-du-Rhône
le 30 septembre 1818, pour constater toutes les parties de l'administration
du canal de Craponne , ct sa situation relativement à tous ceux qui usent
ou abusent de l'cau du canal ; - terminé le 20 août 18'23, par MM. Bonaud
syndic, président , Roux fils, Benoît et Doutreleau , et imprimé en 18'28, aux
frais de l'Œuvre de Craponne , à cent exemplaires, en conformité de sa délibération du '29 avril de la dite année.
Nous espérons bien que l'Œuvre de Craponne ne désavouera pas aujourd'hui
ce travail qu'elle a toujours appelé le rapport de sa Commission et dont elle
fait le plus grand cas, en l'in voquant comme l'un des plus importants de ses
titres particuliers, dans son mémoire, imprimé en 186'2, contre les entreprises
de l'administration gouvernementale, Elle s'y exprime en ces termes , aux
pages 1'2 et 13 :
Si l'on vou tait entrer dans l'exposé des titres particuliers de l'OEuvre et suivre, de
siècle en siècle, les nombreux arrêts du parlement de Provence etc .. " il faudrait aussi
raconter les ptus graves et les plus sérieuses délibérations de l'OEuvre, qui, avec une
sagesse rarement contestée, ont pourvu aux nécessités quotidiennes de la marche d'une
Société si importante, etc, .. Il {"udrait SUl·tout parler ici avec détail du Rapport imprimé
de la Commission de l'Œuvre de Craponne, en t823, qui a répandu tant. de j our sur
la situation de l'OEuvre, qui a placé en 'regard des j ou.issances el des possessio1ls, les titres
qui les autDl'isaient, qui a marq",j en guoi ces titres étaient dépassés et ce qu'il {audrait
fa1·re pour ,.amener les possessions au x titres . Jamais mieux qu)à cett e époque, r0E1LV1·e
de Craponne ne manifesta la vie et la fo)'ce qui se trouvaient en eUe! Jamais un corps n.
montra ml:eux gu'il est maUre de lui et qu1il peut se condui re lui-méme ! Jamais ll OEuvrt
de Craponne ne prouva mieux qu'elle n'a pas besoin de tuteur et que son œil vigilant suffi.
et peut suffire à ses nécessités ,
Nous tenions à constater l'opinion de l'Œuvre sur ce travail de la Commission, achevé en 18'23, qui a répandu tant de jonr SUT sa sitl~ation et n'a pas
laissé toutefois d'éclairer un peu la nôtre.
Le Livre-Vert, imprimé en 18'28, à un petit nombre d'exemplaires dont la
plupart ne se retrouvent plus, est deve~u aujourd'hui presque une rareté, On
a de la peine à se le procurer. Il mérite pourtant d'être connu; c'es t pourquoi on nous saura gré de reproduire ici toute la partie de ce précieux document , qui est relative aux arrosao-es de la commune de Salon et de ses babltants. Voici donc le chapitre de notre commune in-extenso.~
�-
108-
109
EXTRAIT DU LIVRE-VERT,
AVIS
DE LA
Page 55
du Livre-Vert.
COMMISSlO~.
Si Adam de Craponne s'est plù à fe rtiliser sa patrie, on !)eut dire aussi
qu'elle fit son possible pour seconder ses
projets en lni fournissant des sommes
considérables d'argent, tandis qu'il ne
rencontrait parlant qu'oppositions et
difficultés,
En parcourant le canal sur le territoire de Salon , la Commission sIest con-
Page 56 .
vaincue que les orifices des martellières,
comme partout ai lleurs, donnaient un
plus grand volume d'eau que celui
voulu par les titres. Comme le nombre
en est considolrable et que leur désignation est rapportée dans le Chapitre 16'
ci-contre, nous nous bornerons seulement à déterminer la quantité d'eau
que nous croyons devoir être affectée à
cbaque quartier.
Malgré le grand nombre de concessions particulières qui se sont perdues,
soit par le laps du temps, soit autrement, on remarque celle du l7 j uillet
1566, destinée particulièrement pour
la terre de Richebois pour cent cêterées.
On voit encore que cette commune à
droit à cinq moulans d'eau qui doivent
être distribués, savoir :
CHAPITRE XVI.
COMMUNE DE SALON.
La commu ne de Salon dont le besoin
des eaux parait avoir donné à Adam de
Craponne, l'un de ses citoyens, la première idée de construire un caual alimenté des eaux de la Durauce, cette commune, où il parait avoir trouvé le plus
de ressources pécuniaires dans le corps
municipal et chez les particuliers, qui
s'étaient empressés d'obtenir des concessions d'eau, alors même que beaucou p de gens dou taient de la réussite
de ses travaux, Salon , enfin , ne saurait
présenter aujourd'hui , d'une manière
absolument authentiq ue, et les facultés
dont elle a toujours joui et le nombre
infini de concessions particulières qui
lui en donnaient le droit.
Les eaux dont cette commune a joui
depuis la confection du canal de Craponne et qui étaient nécessaires à l 'arrosement de son terroir, ne sont pas la
seu le quantité qui a été dé terminée pal'
la transaction du 20 octobre l 57l , à l'articl e des préférences .
Il est incontestable qu'une infl1,;té de
concessions avaient été fai tes dans divers quartiers de ce terroir, par Adam
de Craponne, avant l'époque de cette
transaction; que déjà une quantité con-
Page 57 .
Un moulan d'eau , sans y comprendre
la concession de Richebois, depuis l'entrée du territoire de Salon , jusqn'au
Pont- Neuf pour le quartier de la Crau.
Un moulan appelé du capitaine Tripol)', à partir du Pon t-Neuf, jusqu'aux
Estrects.
Un moulan pour le quartier des Viougues.
Un moulan depuis la martellière de
'falagard,jusqu'à celle de Barnouin, sur
le fossé du moulin des Quatre-Tournants pour le quartier de Crau.
Un moulan pour le quartier des
Crases.
La Commission est d'avis que toutes
les martellières soie~t reconstruites et
ferrées, fermant avec espaciers à clef,
afin d'éviter tout abus, et que toutes les
coupures soient bouchées comme étant
des usurpation s.
Il doit entrer dans le canal des Quatre-Tournants et par la martellière de
Talagard, la quantité de 3 moulans
d'eau , l'un pour le quar tier de Crau désigné ci-dessus, et les deux autres doivent arriver au moulin comme lui appm'tenant, d'après la transacLion du 20
octobre 157 1. Ces deux moulans, après
le moulin , sont dépensés, un moulan
pour les arrosages du quartier des
Crases à Salon, et l'autre est porté à
Grans , pour les arrosages de cette commune et le moulin à farine de ce lieu.
Le moulin des Quatre-Tournants,
aya nt droit de préférence, sur les arrosages à un moulan au 3' degré, la Commisison est d'avis que Forifice des martellières, sur le canal de ce moulin , à
partir de la martellière de Talaga rd ,
doit être placé à telle hauteur nécessaire, pour que ce moulan puisse
passer librement sans être intercepté.
sidérable d'eau avait été départie à ces
conceEsionnaires et que même, après la
distribution des eaux, par la transaction
de 1571, la même quantité d'eau leur
fut continuée.
Nous pourrions citer par leurs dates
un nombre infiui de concessions particulières faites d'abord pal' Adam de
Craponne et ensuite par Frédéric, son
frère, d'après les pouvoirs qu'il lui en
donna par l'acte du 15 juin l565, notaire Gauchier Cazalès ; mais ces détails
que nous pourrions donner d'apl'ès les
productions de la communauté de Salon,
dans le long procès qu'elle essuya avant
la révolution, contre les propriétaires
du moulin des Quatre-Tournants, qui
tendaient à la priver d'une partie des
eaux dont elle avait joui jusqu'alors et
supérieurs à leur moulin , ces détails,
disons- nous, seraient fastidieux.
Nous devons dire néanmoins que ces
concessions étaient si considérables que
les seules consenties par Frédéric de
Craponne, suivant la procuration précitée, moyennant un écu d'or sol d'entrée
pour chaque carteirade de terre, et le
droit convenu pour Pal'rosement, produisirent, d'après le compte que celui-ci
en donna à Adam, son frère, une somme
de onze mille florins, ce qui suppose des
concessions pour plus de treize cents
arpents de terre, suivan t l'acte du l 5
février 1568, notaire Ponsard. On voit
par cet acte , qu'Adam de Craponne ratifie toutes les concessions faites par
Frédéric, son frère.
Indépendamment de ces concessions,
beaucoup d'autres avaient été consenties
aux m';mes conditions, par Vidal Vieux,
chargé des pouvoirs d'Adam de Craponne à cet effet, par la procuration du
2 juillet 1567, notaire Mitre Jehan , qu'on
�110
Lemoulan du capitaine Tripoly, placé
au 7' degt·é, est préférable à celui assigné au quartier des Viougues, qui se
trouve au 8' degré. Dans le cas de pénurie et conformément à la tra.nsaction
du 20 octobre 1571, ce quartier doit
alterner avec PeJlîssanne pour les arro-
sages.
Toutes les martellières au quartier
des Viougues doivent être placées à telle
hauteur pour que le maulan de préférence au 4' degré, accordé au moulin
de Lançon, puisse passer librement sans.
être arreté.
Page 58.
Page 59.
-
voit au folio 4 de la dernière main-courante de ce notaire, en la dite année t
dont M' Piolle est en possessiou, et en
eftèt, rière ce notaire et dans le même
registre se trouyent, vingt-deux conces.sions d1eau en divers quartiers du terroir, failes par Frédéric de Craponne et
seize par led. Vidal Viem.
D'autres concessions avaient précédé, telles que celle du 17 Juillet 1566, en faveur de
noble Jean de Suffren, pour cent carterées au quartier d'Aubes. C'est en vertu de ceLte
concession queM. de Saillt-Tropez a toujours arrosé sa terre de Richebois. D'autres avaient
suivi, telles que celle à Jean l snard du 15 février 1568.
Il n'est pas étonnant qu' une grande qnanLiLé de concessions particulières aient été
concédées dès l 'origine du caual. Adam de Craponne, dont les facultés avaient éLé épuisées} cherchait d'une part, à se procurer de l:argent j de Pautre, la communauté de Salon
s'efforçai t de l 'aider et de favoriser les concessions autant. qu 'il était en son pouv9ir. Les
délibérations de la comm unauté des 17 et 28 Janvier 1560, aLlestent qu'elle empruuta
pour lui trois mille francs, et on voit, par une délibération subséquente du 5 février 1567,
provoquée par Adam de Craponne lui-même, et qui forme accord entre les parlies, par
lequel , la communauté, de sa part, le cautionne pour une somme de six mi lle francs, à
employer à l'agrandissement de ses fossés dont les concessions à faire lui servirontd'hypothèque ; et Adam de Craponne, de la sienne, s'oblige à n'ex iger pour concessions d'eau,
que cinq écus par carteirades, une fois payés, sauf le droit d'arrosement de tous les habitants qui se présenteront dans les 6 mois pour en obtenir, passés lesquels, il ne seront
reçus qu'au bon plaisir d'Adam de Craponne.
li ne l'est pas uon plus que par la succession des temps, le changement. des propriétaires , et surtout après une possession de plus de deux siècles et demi, les propriétaires
d'aujourd'hui n'aient pas conservé tou tes ces concessions dissiminées quelques unes
chez dix à douze notaires qu i existaient au seizième siècle.
'
Mais la très-majeure partie de ces concessions avaient été reç ues par Joseph Roche, notaire d'Adam de Craponne. Deux registres à ce destinés en étaient remplis suivant la
notoriété publique. Ces registres nese sont plus trouvés vers 1770, époque des procès dont
nous avons parlé ci-dessus; c'est ce qui explique les difficultés de la position de la commune de Salon à cet égard.
Deux pièces essentielles prouvent r établissement des an'osements à Salon, ensuite des
concessions faites: La première est l'arrentement des arrosages passé à Joseph Roche,
notaire, le 12 octobre 1561, pOlir cinq cents florins. C'était là, sans doute, les premiers
Page &0 .
1
III -
arrosemenLs qui se faisaienl, puisque l'eau ne fut permanente au canal qu'en 1559. La
seconde, qui est à la date du 16 Mars 1568, notaire Pous.ard, à Salon, annonce l'accroiss.ement des arrosages; c'est le prix fait de la distribution des arrosages à Peiron el Pierre
Ravel, frères. On y voit qu'Adam de Craponne était particulièrement obligé de faire faire les
arrosages à raison de trois sous par carterée à chacun d'eux; que ces arros.ages s'opéraient
par les fossés existants et s'opèreraieut par les nouveaux à constmire, excepté ceux promis au capitaine Tripoly, par ac te du ·15 février 1562, notaire Joseph Roche ; que Craponne s'oblige de faire faire des espaciers, fermwnt à clef a'/$ endroits que sera nécessaire
prendre l'eau long du foss é pour les dits a,·rosages, de faire nettoyer le "aUal, dil Verneguier, de sorte qu'il soit capable de porter l'eau pou,· deux moulans, ou bien en faire faire
.'" autre tout neuf à t,·ois cents pas plus haut , pour arroser les propriétés de la Crau ; qu'il
soumet les Ravel à faire les petils fossés nécessaires pour la distribution de l'eau aux
propriétaires; qu.'enfin., il sera tenu un livre pour constaler les arrosages (ail S annuellement, dont le prix appartiendra un tiers aux Ravel et les deux autres tiers à Adam de
Craponne.
Nous croyons avoir dit avec fondement que cette foule de concessions avait fait accorder à la commune de Salon un volume d'eau plus considérable que celui déterminé par
privilége dans la transaction du 20 octobre 157 1.
Nous nous sommes fondés d'abord sur l'existence certaine de cette foule de concessions,
et ensuite sur la connaissance que les contractants, dans la transaction de 1571, en ont
eue. et de la réserve exprimée page 19, où il est dit, apr~s avoir fixé l'eau du quartier
de; Viougues au h ui tième degré: sans 1Jréjudice des actes par ci-devant faits pa? le dit de
Craponne avec aucun des particuliers du dit Salon, ayant biens aux dits qua'rtiers, re.çu.s
par main publique; enfin, sur ce que les martellières, sur le terroir de Salon, ont extsté
de tout temps à la charge de la Compagnie de Craponue, et sans réclamatlOn de sa part,
et sur ce que Salon ayant toujours été le lieu de résidence du syndic de Craponne, le
canal dans son terriloire a été soumis à une surveillance plus i =édiate et sans doute
plus exacte, qui ne permet pas de supposer des usurpations dans le nombre des mal telli~res, sauf leur altération.
La transaction de 157 1 accorde e nsuite au capitaine Tripoly un moulao d'eau au
7- degré pOUl' les arrosages du Gresc, suivant, y est- il dit, la concession qui lui fut
accordée par Adam de Craponne, le 15 février 1562, notaire Joseph Roche, le même
notaire dont les registres de concession manquent.
Plus un moulan d'ean il fil pour les arrosages du quartier de Viougnes au 8' degré,
appartenant à l' OEuvre en suite de la cession qu'Adam de Craponne lui fit de ses droits
par cette même transaction et sous la réserve en faveur de la commu ne de Pélissanne
dont n011S parlerous plus tard.
La commune de Salon devint par la suite propriétaire des arrosages des Viougues par
acquisition faile de Messieurs de Milan, qui avaient été colloqués sur cet.le. partie des
possessions de l'OEuvre, ainsi que de ceux du capilaine Tripoly, par acq UlSttlon de &es
successeurs . Elle réunit alors tous les arrosages connus sous le uom de Gresc et de
Garrigues, qui commencent vers la lerre de Lamanonjusques au lieu dit des Estrets où
commencent ceux du quartier des Viougues.
�-
-
112 -
Suivant l'acle de concession du 4 Janvier 1567, notaire Joseph Roche, à Salon , le mou-
Ces arrosements des Grecs et Garrigues ont lieu par les deux moulans applicables aux
Page 61.
Page 62.
lin-Pal'oir dont, par ordre de position, nous devons parler, prend ses eaux au canal
du moulin des Quatre-Tournants 1 mais les rejette immédiatement après dans ce canal.
concessions et destinés aux possessions de Crau, suivant Pacte ci-dessus du 16 mars 1568,
notaire Ponsard à Salon , et encore par le moulan du capitaine 'l'ripoly.
Ils s'opèreut premièrement à partir de la terre de Lamanon j usques au Pont-Nenf, pal'
neuf martellières dites : la première de Mapoulon, la deuxième et troisième de Richebois,
la quatrième de Bla,lC, la cinquième de Roche, la sixième de Bonfilhon, la sep tième de
Tru chement, la huitième de Chaillot et la neuvième d'Amouroux, qui entre toutes
doivent contenir un mou lan. Les fu ites de ces espaciers arrosent le quarlier de la Crau.
Secondement , du Pont-Neuf aux Estrets, le moulan du capitaine 'l'ripoly s'opère par
la martellière du G1'and-Eygogi, destinée à fournü' des eaux au quartier du Gresc et qui
donne un volume de demi- moulan d'eau , moitié de celui du capitaine 'l'ripai y, dont
l'autre moi tié doit être employée par cinq martelièros appelées: la première du PeWEygagy, placée avant la séparation des eaux à la martellière de 'l'alagard ; la seconde dile
d.. Arcades, la troisième dite de Magnan, la quatrième dite de Gajol et la cinquième
dite d'Ffomo; ces quatres dernières placées sur le canal allant à Pélissanne.
Troisièmement, depuis la martellière de 'l'alagard jusqu'au moulin-Paroir, par treize
martellières placées sur le canal du moulin des Quatre-Tournants, appelées: la première
de Barbier , la seconde de Lourmes, la troisième de Ma.'gaillan, la quatrième de Gttilhen,
la cinquième de Piol et Guühen, la sixième de Piol, la septième de Rolland, la huitième
d'Allemand , la neuvième de Raynattd, la dixième d'And,'é, la onzième de Cou,'net, la
douzième de Bédouin et la treizième de Bm'noill , qui doivent donner entre elles un
moulon d'eau, le second des dem: destinés aux possessions de la Crau olt leu r fuite les
couduit.
La commune de Salon a joui de ses arrosages des Greses et Garrigues en la manière que
nous représentons jusqu'au commencement du XVIII' siècle. A cette époque, !a Compagnie
de Craponne, sa trouvant hors d'é tat de payer ses créanciers, ceux-ci se colloquèt'ent sur
les effets de l'Œuvre. MM. de Grasse et Le Blanc le furent en 1716 sur les arrosages de
Gresc et de Garrigues, suivant le rapport des sieurs Bérard et Brochier de Graus, estimateurs commis par la Cour du 4 juin 171 6, qui comprend tous les arrosages depuis la
tene de Lamanon jusqu'aux Estrets, connus et y désignés sous le nom de (rl'esc et
Garrigues. La commuue eut le moyen postérieurement de rentrer en possassion de la
moitié de ses arrosages ; mais l'autre moitié est restée à M. Le Blanc deCastillon,successeur
deM" de Grasse, qui la possède encore aujourd'hui. Les droits de la commu ne de Salon
sur la moitié de ses arrosages, ainsi que sur ceux: du quartier des Viougues, ont passé au
Gouvernement.
Le moulan destiné à ces derniers par la transaction de 157 1, ne doit avoir q ue deux
prisea. Néanmoins , l' irrégu lari té des terrains de ce quartier , qui présente tantôt des éminences, tantôt des vallons, a forcé de les multiplier,
Ces prises ou martellières sont aujourd'hui au nombre de neuf, savoir: la première de
Jé,'icho , la seconde, du Bramaire, la troisième, de Dumaty , la quatrième, de Blanc, la
cinquième, de Garelle, la sixième, de Ba,'bier, la septième, de Rolland, la huitième, de
Barlel, la neuvième et dernière, de Féraud et Brunache, Mais ces deux prises réunies ne
doivent sortir du canal que le moulan d'eau assigné au huitième degré par la transaction de 157 1.
113 -
et n'en dépense point. Le propriétai re de ce moulin a la facu lté d'user de vannes pour r
conduire les eaux.
Le moulin des Quatre·'l'ournants de Salon a droit à deux moulans d'eau qui lui sont
départis pal' la transaction de 1571, savoir : le prem ier, au troisième degré ; le second, au
douzième, mais il ne peut user de ce second moulan pendant la trituration des olives,
attendu que, pour ce temps seu lement, il doit alimenter les moulins à huile de Pell issanne, par réserve expresse .
Page 63,
Ce moulin est préférab le aux ar rosages. Il ne peut en être fait, que ce moulin n'ait de
l'eau à suffisance, suivanL le département assigné (transaction de 15ï l , p, 20).
La fuite de ces deux moulans se dirige au couchaut à travers la ville de Salon et va
se dégorger à Grans, dans la rivière de Touloubre. Un de ces moulans , ayant été concédé,
par acte du t 1 Ju in 1564, notaire Hoche, à Salon, à Antoine !Jarc de 'l'ripoly , et destiné
à faire tourner un mou lin à farine , au lieu de Grans, rautre fut accordé pal' Adam de
Craponne aux propriétaires du moulin des Quatre-Tournants, pour {aire tous arrosages
qui l'U'i conviend,'aient dans le terrait' de Salon . De là, les arrosements du quartier des
Crases de cette ville ont été établis à partir du pout Jaubert, hors la lice de Salon , près
la porte d'Arles, jusqu'au ponl dit des Croses, sur le fossé des di ts an'osages et le r. hemin
de Salon à Grans. Ces arrosages pal'vinrent à la maison de Grignan, ensuite à M. Ferrary,
de Marseille, de qui la dame Peyre, épouse Cornu , les aacquiset les possède act uellement
s uivant Pacte du 5 ventOse an XIII, notaire Pons, à Marseille.
(Depuis lors, M' Amelis, alné, de Salon , les avait acquis et ensuite revendus a ux hoirs
Jauffret, de Grans, qui les possèdent actuellement).
Et c'est ainsi que s'exprimait en 1823, la Commission de l' Œuvre de Craponne
au sujet des usines et des arrosages du territoire de Salon , Ce rapport est
assez détaillé et assez clair pour avoir besoin de commentaires. Nos droits
dataient alors de 250 ans, Ils ont aujourd'hui 300 ans d'existence, et pendant
tout ce temps, ils n'o nt pas cessé, une seule année, d'être exercés au vu et
au su de l'Œuvre de Craponne, qui n'a fait que renouveler les vannes des
martellières par lesquelles sont distribués nos arrosages, lorque ces vannes
étaient usées, mais qui n'a jamais changé les martellières de place, ni diminué leur nombre, ni leur dimension .
Néanmoin s nous releverons une inexactitude que la Commission fait à
notre préjudice , dans sa répartition des moulans d'eau nécessaires pour les
différents arrosages de Salon, lorsqu'après avoir constaté le nombre infini de nos
concessions particulières, ell e n'affecte à leur service que deux moulans, sans
comprendre la concession de Richebois , Car si l'Œuvre de Craponne calcule
1"
�-
1I~
-
juste eo évaluant, ams l qu'elle l'a fait dans son dernier procès contre la
commune, à un moulan de 'l50 litres à la seco nde, le volume indispensable pour l'arrosage de ~50 hectares de terrain s, il es t hors de doute q~e
nos concessions particuli ères s'élevant, d'après le relevé que nous en avons faLt ,
à mill e hectares environ , c'est quatre moulans qu'il nous faut et non pas
deux seul ement. Mais la Commission, il paraît, ne s'es t occupée que des
arrosages alors existants des eaux de Craponne et elle a évité de parler de
l'introduction des arrosages de Boisgelin à Salon, parce qu'il aurait fallu en
dire le motif, ce qui o'eùt pas été très-flatteur pour l'Œuvre de Craponne .
La Commission est tombée dans un e seconde in exactitude, en attribuant un
moulan en tier à la commune de Salon pour ses arrosages du Gresc, tandis
que celle-ci serait réduite à demi moulan, d'après l'arrèt du 1 ~ mai 1875.
lIais ces deux erreurs, nées de l'incertitude du chilTre de nos concessioos et de la confusion de nos arrosages avec ceux de la Commune, disparaitront lorsque ces deux sortes d'arrosages seront bien connus par leur
quan tité respective et distingués eutre eux. La première doit nécessairement
s'eOàcer devant l'étendue de nos co ncessions , et il peut être faci lement obvié
à la seconde par la dévolution du demi moulan que la commune a de surplus, au volum e d'eau nous revenant pour nous remplir de nos arrosages,
suivant l'in terprétation qne le jugement du tribunal civil d'Aix, du 3 aoùt
1874, tire des énonciations du rapport de la Commission de 1818, dit le
Livre-Vert, en disant dans son 380 considérant que si ce clocument attribue cinq
monlans à la comm!tne cie Saloll, cette inclication peut très-bien comprenelTe
les arrosages provenant des concessions particulières , aIt lien de s'appliq!ter
uniquement à celles de la C01n1nll1!e envisagée comme personne morale.
Au reste, la Commission reconnaît, dan s son rapport, que nos concessions
ont toujours été servies avant co mme "après la transaction de 157'1. Nous
répèterons ce qu'elle dit aux pages 55 et 56 du Livre-Vert: ~ Les eaux
dont la commune de Salon a joui depuis la confection du canal de Craponne ne sont pas la seule quantité qui a été déterminée par la transaction
du 20 octobre '157 1, (6 l'article des préférences. Il est inconlestable qu'une
in~nité de concessions avaient été faites dans divers quartiers cie ce terroir
par Adam de Craponne avant l'époque de cette transaction; que déjà une
quantité considérable d'eau avait été départie à ces concessionna'ires, et que.
même après la distribution des eaux par la transaction de 1 571 , la même
quantité d'eau leur fut continuée. »
n n'est pas possible de rien trouver de plus expli cite. En vérité le Livre-
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11 5 -
Vert contient de précieux enseign ements sur nos arrosages. Sans doule,
l'Œuvre de Craponne ne le reniera pas aujourd'hui, après l'avoir ratifi~,
applaudi, édité en 18~8, et si vivement invoqué comme le plus important de
ses titres particuli ers, en 186~.
Outre les titres que nous venons d'énumérer, outre les martellières et prises
d'eau établi es sur le canal par la première Œuvre de Craponne, et que les
œuvres subséquentes ont toujours maintenues, nous pourrions inoquer une
foule d'autres témoignages non moins anciens et patents, en preuve de notre
possession trois fois séculaire, comme les actes de transmission de nos propriétés arrosables entre plus de dix générations qui se so nt succédé; les
myriades de baux à ferm e constatant l'arrosage des biens alTermés ; les milliers
de fossés grands et petits qui sillonnent le territoire, et nos vieux pontsaqueducs dont la construction remonte au temps de celle du canal de Craponne.
n est f~it mention de deux principaux aqueducs, la canau d!l chemin de
MaTseille et les arcades de St-Come, dans deux actes du 16e siècle. Le 1 H
acte est du 16 janvier 1568, notaire Laurens; il poete concession d'arrosage
par Adam de Ceaponne aux frères Peyron et Pieeee Ravel , et con tient la
clause que Craponne ne p01l1'1'a donner de l'eau pour "'l'roser an quartier
du trOlt de Marin, q!!e les dits Ravel n'aient été satisfaits de la Gouargu,e
et travail qu'ils ont fait POU1' l:eygage (lu verger du troll de Marin. Suivant le
second acte, qui est du ~5 juillet 1579 , notaire Ponsard, les nommés Roch Martin
et François Vasserot, fermiers des arrosages des hoirs "l'ripoly, sous-arrentent
à Joseph Pons l'a1'l'osage passant sur les arcades dn che/nin de St-Côme et
les profits et 1'evenus provenant rf'ice/ny, par lequel a1Tosage ledit Pons pOU1Ta
arroser les 1Jièces et p1'opriétés qui s'el> servent depuis l'édifice. des dites
m'cades .
Il est rare de voir une possession aussi ancienne et aussi solidement. établie
que la nôtre.
On nous opposera sans doute, ainsi qu'on a déjà opposé à la commune de
Salon, un e foule d'autorités pour établir que la prescription ne saurait être
utilement invoquée contre le canal de Ceaponne; que les concessiotlDaires
ne sont tous que des usagers qui ne peuvent peesceire contre lems titres,
et que la distribution des eaux de Craponne est réglée par la t.ransaction du
~O octobre 1571 en tre les facultataires et usagees, d'après leurs titres; teansaclion qui a depuis lors revêtu le caractère d'un règlement administratif,
contre lequel nul n'est admis à prescrire.
�116 -
A quoi nous répondrons que ce n'est pas par la prescription que nous
prétendons avoir acquis le droit d'arroser, mais c'est par des contrats passés
avec Adam de Craponne de 1560 à 1570; et le long espace de temps qui
s'est écoulé depuis lors, ne nous permellant pas de retrouver tous les actes
en vertu desquels les biens que possédaient nos auteurs contractants et qu'ils
nous ont transmis de main en main par titl'es authentiques , sont arrosés
depuis 300 ans, sans interruption et avec la coopération même des différentes
ŒUHes de Craponne qui se sont succédé jusqu'à nos jours, nous croyons
ètre fJn dés à invoquer notre possession immémoriale, pOUl' nous exemp ter de
faire la représentation de ceux de ces actes que le lon g temps ne nous permet pas d'avoir.
Nous répondrons aussi que la transaction de 1571, qui sert de règlement
à l'Œuvre de Craponne, ne peut lier les tiers, ni leur nuire, et que d'aill eurs
on n'a pas entendu y détruire nos titres de concession, on l'a si peu entendu,
que cet acte, après a voit· réglé les arrosages du Gresc et des Viougues , réserve
expressément les autres arrosages particuliers répandus dans ces deux quartiers
et leurs dépendances , par cette clause conservatoire: sans préjud'ice des actes
pal' ci-deva.nt (aits par le dit de Craponne avec mtcuns des partiwliers dl!
dit Salon, ayant biens altx dits quartiers , reçus pa!' main pnbliqlte.
Les concessions pour arrosages, reçues par actes devant notaires, sont
donc formellement reconnues et confirmées par ce titre, qui forme la loi
générale de l'Œuvre; et c'est en suite et en conformité de cette confirmation
que des martellières e( des vannes ont été placées par l'Œuvre elle-même;
que des fossés on t été creusés pour recevoir les eaux des arrosages et en
régler la distribution . Les porteurs des concessions particuli ères, don t les
titres al'aient été co nsultés lors du r~glem ent et de la tixation des martellières, ont été satisfaits de celle distribution, et trois siècles en tiers se sont
écoulés; sans que cet état de choses ait été changé. Trois siècles se sont
écoulés, pendant lesquels l'Œuvre de Craponne a constamment reconnu les
droits des concessionnaires en entretenant et réparant les prises et martellières
destin ées à la dérivation des eaux pour l'arrosage des propriétés.
Ainsi l'Œul're troul'e , aujourd'hui, contre elle , le ti tre form el et l'exécution
de trois siècles dont il a été suil'i. Elle a contre elle le titre et la possession : Le titre qui dit que toutes les facultés qui constaient pal' actes publics,
seront remplies ; la possession, puisque en exécution de ce titre, les martellières et prises d'eau ont été disposées par l'Œuvre elle-même de manière
que tous les concessionnaires ont paisiblement joui de leurs facultés, depuis
-
117 -
lors; et celle possession est d'autant plus imposante, qu'outre son ancienneté,
elle a toujours été reconnue, pendant tou t son cours, par l'Œuvre elle-même ,
soit en entretenant les ouvrages par le moyen desquels les facu ltés s'exercent,
soit en disputan t à la commune de Salon les rel'enus de ces facultés, dans
les nombreux procès qu'elle a soutenus contre celle-ci.
Du reste, l'Œuvre de Craponn e aujourd'h ui se soucie bien moins de nous
disputer no tre possession, qu'ell e sait ' être inéb ranlable, que de prélever des
redevances sur nos propriétés arrosées. Nous ranço nner, c'est son idée objective, c'est le but qu'elle s'est proposé lorsqu'elle a fait un procès à la commune de Salon en limitation et cantonnement de ses arrosages, afin de pouvoir
ensui te imposer des redevances sur tous les autres arrosages tant des Viougues
que du Gresc. Mais ses prétentions à ce sujet ne sont fondées ni en fait, ni en
droit, pas plus dans un quartier que dans l'autre , ce qu'il va nous être
facile d'établir.
Ar rosages des Viougu es.
Les arrosages des Viougues et des autres quartiel's secondaires en dépendant avaient été cédés par Adam de Craponne aux membres de l'Œuvre,
suil'ant la tran saction du ~O octobre '1571, notaire Catrebards à Aix. Cet acte
s'exprime en ces termes : La dite société et communion (l'Œuvre ) altra et
prendra cl' eau pour les al'1'osages des Viougues et autres quartiers dit terroir
de Salon, appm'lenant à la dite communion, à la quantité d'un moulan d' ealt
à fil , etc. . . Qu'on remarque bien que ce moulan ù'eau à fi l ne s'applique
qu'aux arrosages ap)lal'tcnant à la (lite c01nmunion , c'est-à-dire à elle cédés
par Craponne, et non aux concessions particulières déjà faites dans les Viougues, plus bas résel'I'ées dan s cet acte par cette clause sans 1J1'éj'lldiçe, etc ...
et pour lesquelles il faudra l'excédan t d'eau qui leur sera nécessaire.
Depuis lors, l'Œuvre arrentait à son profit les arrosages des Viougues et
quartiers en dépendant, en y comprenant les propriétés pour lesquell e. Crapo nne avait fait des concessions. C'est ce qui es t constaté pal' les actes
d'arrentement à cct effet passés, notamment par ceux des 6 mai '157~,
notaire Teissier, le 30 janvier 1584, notaire Ponsard et autres subséquents,
où il est dit que les (ermiers arroseront les pro)ll'iétés des particuliers qlâ
ont contracté avec A(lam de Craponne au salaire accoultllllé ( 3 sous par cal'terée de ~4 ares ) et les a.lttres qui n'ont pas conl1'acté m'olll (t la tibet'té
�-
[1 8 -
vo!ûoir des fermiers. C'est encore constaté par les deux arrilts du Parlement de 1679 et 1690, qui condamnent l'Œuvre à faire arroser par son
fermier et à ses frais les propriétés des concessionnaires de Craponne, suivant
leurs co ntrats.
Au mois de juin '1709, la famille de Corni llon, créancière de l'Œ uvre pour
une somme de 80.588 livres se fit colloquer sur le moulin des Quatre-Tournants et sur les arrosages des Viougues et ce qui pouvait y appartenir à
l'ŒuITe, le tout estimé à 22.348 livres, d'où il restait encore dù par l'Œu'Te 58.2.40 livres, dont la fami ll e de Cornillon protesta expressément, avec
réserre d'en poursuivre)e payemen t sur les autres biens et elTets de l'Œuvre.
Il est évident qu'après cette collocation, il n'est plus ri en resté à l'ŒlIITe
soit au moulin des; Quatre-Tournants, soit aux Viougues. Dans ce quartier
des Viougues et ses . dépendances, arrosages, rederances des concessions,
tout a été remassé par la coll oca[ion .
A partir de cette prise de possession, c'es t la famill e Milan de Comillon
qui arrente à son profit les arrosages des Viougues et tout ce qui en dépend,
sans que la nouvell e Œuvre, ni personne élève la moindre prétention sur les
redevances
des concessions, que chacun sait avoir été enolobées
dan s la colloca.
0
lion de 1709.
La fam ille de~Cornillon, par acte du 19 janvip-r 1738, notaire Petit à Salon,
vendit à la communauté 'de Salon les arrosages du quartier des Viougues et
tout ce qui en dépendait. Cet aCle porte que les droits d'a1'l'osage q·ui doiv'!nt être payés annuellement par les particuliers possédant biens an quart~r . des Vwuglles consistent, pour les jardins et prés , à raison de 8 sous
1emUlC pour ' ollte l'année etc . . . laquelle fixation des dl'oits ci-dessus "
est-il ajoulé, q n'aura lieu qu'à l'égard des particnliers non abonnéJ a~ec
noble Adam de Craponne, et. à l'égard de ceux que le dit de Craponne ou
ses successeurs el ayant cause avaient abonnés par contmts, ils ne seront
tenu~ de paym' Il la dite communauté de Salon, d'autres droits que ceux
portes pal' leUl'S contmts d'abonnement. »
Il est on ne peut plus:: clair !que la coll ocation de M. de Cornillon et sa
ven[e à la communauté de Salon ont embrassé toute la partie des arrosages
des Vio~gues, atlenances; et dépendances, sans aucune réserve, ni excep tion ,
et que 1Œuvre de Craponne n'a plus rien à y prétendre, pas même les redevances des conceSSIOns} particulières, absolument rien.
C'e:;t d'ailleurs ainsiJ que le Tribunal civil d'Aix l'a jugé le 3 aoùt 1874
daus l'alTaire
entre l'Œuvr e Ide.'C raponne et la commune de'
'
.
Salon.
; Jugement
confirme, quant à ce, pal' arrêt de la Cour du 1~ mai 1875.
et
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Cherchons maintenant SI l'Œuvre a plus à prétendre au Gresc qu'aux
Viougues.
Arrosages du Gresc,
Disons d'abord , encore une fois, qu'il est impossible à l'Œuvre de justifier
qu' ell e ait joui, une seule année, un seul jour, des al'rosages du Gresc et de
ses dépendances, ni des redevances des nombreuses concessions particulières
qu'y avait faites Adam de Crapo nne. No us la mettons au défi de produire
un seul bail relatif à ces arrosages, depuis l'acte de sa constitution, en 1571.
Son Trésorier a touj ours tenu registre des recettes et des dépenses annuelles
de la Société, eh! bien, qu'elle nous prouve que dans l'intervalle de 305 ans,
il ait été perçu pour elle, seulemen t un centime sur les arrosages et les redevances du Gresc. Elle n'a jamais rien perçu, ce qui démonIre que nous ne
lui devons rien; et d'aill eurs établirait-elle que nous lui avons dû anciennement des redevances, elle nous aurait libérés depuis longtemps de cette
obligalion, en s'exonérant elle même de l'obligation qu'avait contractée Adam
de Craponne, son auteur, d'arroser ou de faire arroser nos propriétés à ses
propres frais et dépens. (Arg. de l'arlicle 2241 Cod. C.)
Cela dit, résumons l'historique que lIOUS avons déjà fait des arrosages du
Gresc et de ses dépendances:
Nous avo ns vU que, par acte du 16 mars 1568 , Adam de Craponne
charge les frères Ravel de la distribution de ses arrosages pendant 9 ans.
Les frères Ravel y promettent à Craponne d'arroser ou faire arroser li
leurs dépens, tous et chascungs les vergers et vignes assises au terroir de
Salon , que le dit de Craponne est partiwlièrement obligé d'arroser annuellement de l'eau de Durance que Craponne a conduite au dit terroir, à raison
de trois sols par carterée, excepté les arrosages promis par le dit de Craponne
li feu Antoine Marc, écuyer.
Les arrosages dont Craponne chargeait les frères Ravel moyennant trois
sols pal' carterée, étaient à faire dans tous les quartiers du territoire , et
surtout dan s le Gresc et ses dépendances (à l' exception de ceux d'Antoine
Marc Tripoly), puisque dans le même acte Craponne s'obl'ige li faire nettoyer
le vallat dit Verneguier, de sorte que soit capable pour porter l'eau pour
deux moulans, ou bien d' en faire un autre tout neu{ li 300 pas plus haut
de même largeur et capacité pour en arroser les propriétés du c6té de la
�-
120 -
Crau etc ..... Les propriétés du côté de la Crau , qu'on y fasse bien attention . sont des attenances ct dépendances du quartier du Gresc,
L'acte d'accord entre Craponne et les fl-ères Ravel, pour la distribution des
arrosages, était fait pour neuf ans. Mais il ne reçut exécuti on que pendant
trois ans. Au bout de ce term e, il fut résilié à la demande de MM. Thomassin
et Cazeneuve, pour facil iter les arrangemen ts de la transaction du 20 octobre
157'1, constitutive de l'Œuvre ou communion , à laquelle Craponne allait
abandonner son canal avec ses droi ts et obligations.
Que se passe-t-il après celle tran saction? L'Œuvre de Craponne, à qui
un moulan d'eau a,'ait été assigné pour les arrosages de Viougues , sans
préjudice des concessions faites par main publique dans ce quartier, arrente
ces arrosages pour trois ans, moyennant le fermage annuel de 100 florins,
suivant acte du 6 mai 1572 , notaire Louis Teissier. Mais elle se garde bien
d'arrenter les arrosages du Gresc, qui sont pourtant beaucoup plus considérabl es, même en dehors de ceux du capitaine Tripol y; et cela est-ce parce
qu'elle pensait que ces arrosages appartenaient il celui-ci, en dédommagement de l'infraction à la clause par laquelle Craponne s'é tait interdit de
les introduire au détriment du capitaine Tripoly ? Ou bien était-ce pour
s'exonérer de l'obligation de faire ces arrosages à ses frai s et dépens, comme
s'y était soumis Craponne? Le fait est que J'Œuvre n'a lTerme pas les arrosages
du Gresc, dont elle savait l'importance, ayant elle-même fait placer et régler
les martellières qui devaient les servir , et que, par acte du 3 mai 1573,
notaire Laurens, les hoirs de feu Antoine-Marc Tripol)" , suivant la désempara/ioll raite desdils arrosages le douzième jour cl' octobl'e dernier lJassé
(ce sont les termes de l'acte), les arrentent pour trois ans, moyenn ant le
fermage annuel de 260 fl orins, et à la charge par les fermiers d'arroser,
sans rien exiger, les biens desdits hoirs Marc Tripoly, ce qui faisait le triple
du fermage des arrosages de Viougues. Et une chose à remarquer, c'es t que
les fermiers du Gresc étaient Peyron Ravel, un des lJré{achiers ou tàcherons
de l'acte de prix-fait de 1568, et Bernard Martinon, so us-tàcheron ordinaire
des frères Ravel, le même qu e Messieurs Th omassin et Cazeneuve , dans la
transaction de 1571 , font désister de toute poursuite, après l'avoir indemnisé
de ses travaux et avances pour Craponne. Ces deux fermiers associés
con naissaient toute l'étendue et tout le rendement des arrosages et concessions
qu'ils allaient servir dans le Gresc, pour en avoir déjà fait l'exploitation
pendant trois ans.
Depuis lors, les arrosages du Gresc ont été toujours donnés à ferme, de
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121 -
trois ans en trois ans, sans interruption, par les représentan ts d'AntoineMarc Tripoly, à l'exclusion de l'Œuvre de Craponne, qui n'en a jamais arrenté
la plus petite partie.
Néanmoins, l'Œuvre aurait été bien aise, dans le siècle suivant, de s'emparer
des redevances de trois sous par carterée des concessions au Gresc et dan s
ses dépendances. Mais elle reculait toujours devant l'obligation où ell e aurait
été de faire les arrosages à ses frai s, comme Craponn e y était tenu. Il ne
suffisait pas d'obtenir de la justice l'adjudication, à so n profit, des reve nus
des concessions; il fallait ensuite compter avec les co ncessionnaires et les
arroser suivant leurs contrats.
Une lois pourtant, l'Œuvre crut avoir atteint le but qu'elle visai t , de percevoir les revenus des concessions sans fournir aucun travail. François Isnard,
son fermier d ~s Viougues, avait obtenu, le 25 juin 1677, une sen tence de
la Chambre des Trésoriers Généraux de France en Provence , qui condam nait
plusieurs concessionnaires de sa perception des Viougues à payer la redevance
de trois sous, en mettant il leur charge l'arrosage de leUl"s terrains. Quel
succès ! qu el encouragement pour tomber sur le Gresc !
Vite, l'Œuvre de Craponne fait présenter requête au Parlement par so n
syndic, à l'efTet de rendre exécutoire l'ordo nnance de M. d'Agut , en faisant
refaire les espaciers de la communauté de Salon et de faire condamner celleci à la restitution de tous profits et revenus des eaux par elle usurpés.
Le 8 octobre 1678 , le Parlement rendit un arrêt qui adjugeait au syndic
de l'Œuvre les fin s par lui requises.
La communauté de Salon se pourvut en rétraction de cet arrêt, comme
ayant été rendu ]Jar sllrlJ1'ise dans le temps des vacatiolls, par requète civile,
qui fut admise le· 1°' février 1679.
Mais l'Œuvre ne s'in quiétait guère ùe ce pourvoi, ni de son admission,
sachant fort bien qu'il est di rfi cile d'obtenir la cassa tion, pour cause de surprise , d'un arrêt rendu dans la form e, après contradictoire défense. Aussi se
préparait-elle déjà, après qu e les martellières de la communau té de Salon
auraient été calibrées, à poursuivre les con cessionn aires du Gresc en payement
de leurs redevan ces, par devant la Chambre des Trésoriers-Généraux de France
en Provence , qui avait condamné, en 1677, les concessionnaires du quartier
des Viougues, à payer les redevances et à s'arroser eux-mêmes.
Malheureusement poUl" l'Œuvre, les concessionnaires des Viougues avaient
émis appel de la sentence de la Chambre des Trésoriers de France, et
le 8 février 1679, le Parlement de Provence rendit un arrêt qui reformait
tG
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la sentence et condamnait le fermier François [snard ou les associés du corps
des arrosages de Craponne à cellil' arroser les propriétés des appelants,
conformément à leurs cOlltrats, et en cas de refu s par les dits fermiers et
associés, permettait all$ dits proprieta,ires appelants de faIre arroser aux
frais et dépens des dits lsnard et associés.
L'ŒuITe s'étant pourvue en cassation contre cet arrêt, qui renversait tous
ses projets sur le Gresc, so n pourvoi fut rejeté par arrêt du Conseil d'Etat
du roi, rend u à St-Germain-en-Laye, le 23 janvier 1680.
On comprend que l'Œuvre ne so ngea plus à actionn er les concessionnaires
du Gresc devant la Chamb,'e des Trésoriers de France en Provence, ni par
conséquent à faire exécuter l'arrêt de 1678 contre la co mmunauté de Salon,
et quand le duc de Vendôme, à cause de ses arrosages de Pélissanne et de
Lan çon garantis par cet arrêt, eut obtenu , en 1683, un autre arrêt du Parlement qui ordonnait l'exécution de celui de 1678, l'Œuvre devant les innombrables con trats de concessions d'arrosage au Gresc, qui lui furent présentés,
proposa à la communauté de Salon de soumettre l'affaire â des arbitres, et
passa avec elle un co mpromis qui fut, plusieurs fois, prorogé par les parties,
sans qu'il ait été jamais rien statué,
Les choses en restèren t là. L'Œuvre n'a jamais plus osé réclamer les
revenus des concessions du Gresc, même après les arrêts qui furent
rendus, dans le siècle suivant , entre la commune de Salon et les propriétaires du moulin des Quatre-Tournants, et même malgré la chance de réussite qu'aurait pu lui faire espérer la disparition, alors toute récente, de deux
registres du no taire Roche, qui étaient remplis de concessions au Gresc.
Nous avons des raisons pour croire que ce fu t précisément à cause du scandale général auquel ava it donné lieu cette disparition de tant de titres d'un
dépôt public, que l'Œuvre s'abstint alors de faire des réclamations sur le Gresc;
car quoique le Parlement, par son arrêt du 28 janvier 1780, eût disculpé
le notaire Reynaud, alors détenteur des écritures de Me Roche, de J'accusation
d'être l'auteur de la soustraction des deux registres manquan ts, le Parlement
disons-nous, ne savait que trop qu'un enlèvement de titres avait été réell ement fait en fraude des concessionnaires du Gresc ; il partageai t à cet égard
l'indignation publique et n'aurait pas manqué de se montrer sévère contre
ceux qui auraient chercbé à bénéficier du crime,
Tel est, en abrégé, l'historique des arrosages du Gresc dans les siècles
précéden ts et dans les trois quarts de celui-ci, Il est certain que l'Œuvre n'a
jamais provoqué de décision judiciaire pour les concessions du Gresc , comme
elle l'avait fait pour celles des Viougues.
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123 -
L'Œuvre d'aujou,'d'hui montre moin s de scrupule, moin s d'hésitation
que ses devancières. Ell e es t surtout plus entreprenante, depuis qu'elle agit
sous l'impulsion de l'Œuvre d'Arles, qui est ell e-même mise en mouvement
par la Société industriell e et commerciale Dauchez de la Chaise et Cc. Dieu
veuille qu e l 'e~ prit de spéculation vertigineuse qui meut l'Œuvre depuis
quelques tem ps, ne la pousse il la fin dans un chaos inex tricable,
Il n'y a pas longtemps qu'elle a ob tenu un jugemen t et un arrêt qui
limitent les arrosages de la commune de Salon à un moulan et demi , comme
étant le volume que les anciens titres donnent à cette dernière; et aussitôt
ses agents directeurs ont crié ,~ctoire ! répandant le bruit partout qU'il la
réserve des 375 litres de la commune, tous les autres arrosages du territoire leur appartenaient. Ils on t osé annoncer celte ex travagante prétention,
par des affiches apposées, en grand nombre d'exemplaires, sur les murs de
notre ville, comme s'ils ignoraient que tout n'est pas fini avec la comm une
de Salon et que rien n'est encore commencé avec nous, concessionnaires
particuliers de Craponne.
Les porte-parole de l'Œu vre auraient bien dû savoir que la co mmun e de
Salon , en sa qualité d'associée, a le droit de prendre encore sa part sur
l'excédant d'eau introduit dans le canal et qu'elle l' obtiendra des tribun aux,
en cas de refus de l'Œuvre , comme l'ont obtenu de la Cour les communes
d'Eyguières et d'Allein. Ils auraient dû savoir que celle portion de l'excédant
sera d'autant plus large pour la commune de Salon, qu'elle con tribue aux
charges de l'Œuvre dans la proportion de deux cinquièmes de plus que les
associés u s inier~, qui ne payent que six fran cs par écu fictif, tandis que
les associés possesseurs d'arrosages sont coti ~és à dix fran cs par écu, Ils
auraient dl1 savoir que, lorsqu'il aura été départi à la comm une de Salon ,
toute la quan tité d'eau lui revenan t comme associée et que nos concessions
particulières auront été remplies pour 908 hectares, il ne leur restera plus
rien de disponible à vendre ou à imposer. Il ne leur resterait rien non
plus, lors même que la commune n'obtiendrait pas sa part d'excédant (1).
Nos adversaires savent tout cela. Le docte et prudent jurisconsulte, chargé
depuis si longtemps de la direc tion des procès de l'Œuvre, a dl1 le leur
(~ ) Deux ingén ieurs de l'administration des ponts-et-chaussées des Bouches-du-Rhône ont
été envoyés: l 'été dernier, en mission à Salon, où ils ont séjourné pendant plusieurs mois,
pour y constater de vis u les différents arrosages de notre territoire. Ces messieurs nous ont
l aissé un tableau des surfaces arrosées par quartier, avec indication de l'origine des eaux.
(Voir ce tableau à la fin .)
Il résulte de ce travail , qui nous parait exact et consciencicux, que, sauf les défrichements
�-
-
124 -
apprendre. ~[ais, enirrés de leur récent succès co ntre la com~ une. de Salon,
ils auront été sourds à cette voix de la sagesse et de 1 expén ence. Ils
essa)'eront d'enlever, par nous ne savons quels moyens.' ce q .ue leurs prédécesseurs n'ont jamais pu nous ravir par les VOies JudiCiaires. De là ce
système de menace, de persécution et de dénigrement par eux adopté et
mis en pratique contre les arrosants de Salon.
de l'extrème Crau de Salon, tels que Curebourse, Le Merle, La Cabane, tous arrosés des eau x
d.e Boisgelin, et dont les deux ingénieurs-commissaires ne se so n~ pas occupés, il y aurait
sur le territoire de Salon 1 ,9~5 hectares 9' ares se rapportant, saVOlr :
300 h. 70 a.
A '\iougues et ses quartiers secondaires arrosés par les eaux de Craponn e.
A Gresc et ses quartiers secondaires arrosés par les eaux de Craponn e. .. .
506 » 20 'l,)
Aux quartiers par delà. de la. Garrigue, dits de Crau, arros és par les eaux de
800» 63
Craponne mélangees avec ~ moulans de Boisgelin ....... . ..... " ... .. . ' . ... .
.à. Croses et ses quartiers secondaires arrosés par le canal de fuIte du moulin des Quatre-Tournants. dit canal de Croses. . . . . . . ..
.. . ... .. .... . . .
22 1 » 90,
Aux défrichements des coussous de Saint-Tropez, dits Biens-Neufs, arroses
par un demi-moulan de Boisgelin qui leur est affect é . ....... ..............
711». 1 »
Aux quartiers de la Maunaque et des Grands-Prés arrosés des ea ux de fuite
du moulin de la Mauna.que .. , . . . . ...... . . . . .. ... .......... . .... , . .. ... . . .
n » 70 »
l)
TOTAL
égal à celui du ra pport des ingeni eurs-commissaires. .. . ... .. .
, .92ti h. 94 a .
Parmi ces différentes superficies arrosables, il yen a, on le voit, qui so nt arrosées
eaux étrangères à l'Œuvre de Craponn e et qu'i l faut distraire du total de 1,925
94 ares, ci . .. . ................................. .. _............. . ...... . . . 4 . 925
Telles sont:
1- Aux Quartiers par delà. de la Garrigue, dits de Crau, les contenances
qu'on peut considérer comme arrosées par les '2 moulans du Can al de BoisS'elin, dont chaque moulan débite 266 litres à la seconde, pOUVllùt arrose r
-!66 hectares, lesqueUes contenances sont, par conséquent, eva.luees pour les
't moulans à ..... . ...... . . .. ...... . ......... ' .... . . . . '. . ... 53'2 h.
a.
~ A.ux coussous de Saint-Tropez, dits Bjens-~eufs, arroses
deBoisgelin ........ . ....... . ... . .... . .......... - ... . ... "
78 l) Il
8,9
3- A Croses, où l'Œuvre n'a ri en à voir sur le canal particulier qu i l'ar rose .. .. .. .. .... ..... .. ... .. .. .... .......... 22 1 D 90 »
,- .d. Maunaque, dont le cannl de fuite n'a rien de commun
avec l'Œuvre ...... . , .... ,..... . ........... . . . ...........
,17 h . 70 a.
par des
hectares
h . 94 a.
l)
,
7·1 ,
125 -
Leurs menaçan tes affiches n'ayant produit aucun e intimidation , ils ont
travaill é à nous persécuter, à nous atteindre dans notre existence agricole,
par toutes sortes de vexations. Il s espéraient peut-tJtre pousser notre population rural e en l'affam ant , à quelque acte de désespoir, qui les aurait
rendus intéressants auprès de l'autorité supérieure . Dans ce cas, le peuple
leur aura donn é un e leçon de sagesse en se co ntenant, en reeourant aux
voies légales. L'année 1876 sera pour nous une année de douloureuse
mémoire, à cause des souffrances et des pertes que nous avons éprouvées
par l'effet de fréquentes et longues privations d'arrosages. Nos plaintes à
M. le Préfet, nos so mmations par hu issiers au Syndic de l'Œuvre, les procèsverbaux de descente de M. le Juge de paix pour évaluer les dommages aux
champs et récoltes, tout cela en fait foi et en transmettra le triste souvenir
à la postérité.
Mais toutes leurs vexations, loin de nous décourager, ne font que nous
raffermir dans l'opinion qu'il s ont tort et que nous avons raison. Quant à
leurs récriminations, nous comptons trop sur le sens dro it et la sagacité de
nos juges futurs, pour nous en effrayer. Nous avons la confiance que la
mauvaise prévention qu'ils voudraient établir contre nous , tournera, au
co ntraire, à leur confusion.
Néanmoins nous ne saurions laisser passer sans réfutation , le sophisme
suivan t , qui nous paraît d'autant plus perfide, d'autant plus dangereux ,
qu'ils le font reposer sur des considérations de morale et d'équité. Nos
adversaires disent partout et à qui veut les écouter , qu'il n'est pas honnête
de s'enrichir aux dépens d'autrui ; que deplIis l'introduction de l'arrosage,
les propriétés dll territoire de Salon ont triplé de valeur et qu'il serait juste
lJu' elles fu ssent cotisées dans cette proportion au profit de l' Œuvre, dont loS
efforts et les sacri~ces ont procuré .:etle plus value.
Et pour mieux justifier leurs exigences, les adversaires ci tent en exemple
les canaux de Marseille et d'Aix , dont les eaux d'arrosage sont taxées à des
====
li ne reste plus d'arrosable par les ea.ux de Cra.ponn e proprement dites que
les su perficies suivantes:
\' A. ·Viougues... . ...... .. .. .. . . .... . ... .. . . .. .. . .. . ...
1.- A Grese ......... . ............. . ... .. , . . . . . . .. ... ...
3- Et aux quarti ers par delà la Garrigue, dits de Crau.
300 b . 70 a.
506 l) 90 l)
26S » 63 l)
~
,1.076 h. 23 a .
~===
Mille s oixante-seize hectares vingt-trois ares 1 N'est-ce pas là, precisement, la superficie correspondante aux quatre moulans qui, deduction faite du moulan des Cra ses, restent des cinq moulans attribués aux arrosages du territoire de Salon par le rapport de ln
CommisEtion de l'Œuvre, en ISI S, dit le Livre-Vert, pages 56 et suivantes?
Et comme, d'apres le calcul de nos adversaires, les quatre moulans reconnus dans le Livre-
Vert n'arrosera.ient que 4,000 hectares et qu'il resterait encore à. procurer l'arrosage à 76 hectares 23 ares, ne pense·t-on pas que le cours d'eau naturelle de la Garrigue, sur lequel l'Œuvre
n'a ri en à prétendre, soit suffisant pour arroser ces 76 hectares 23 ares?
On est d'abord éton né de vo ir les arrosages de Craponn e aussi restreints par delà la Garrigue; mais on ne l'est plus, lorsqu 'o n se reporte au XV III- siècle et que l'on voit l'incurie de
l'Œuvre et sa négligence à remplir les engagements de ses prédécesseurs mettre les arrosants
de ce quartier dans la nécessite d'acheter deuxmoulans de Boisgelin, pour suppléer au manque
d'eau de Craponn e.
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126 -
prix autrement élevés , autrement rémunérateurs qu e o:ell es du canal de
Craponn e.
Mais ce raisonnement tout vraisemblable qu'il paraisse, est absolument
faux. Il s'appuie sur de fa its et des considérations qui sont loin d'avoir la
portée et l'exactitude qu'on cherche à leut' donner. Nous allons le prouver :
qu'on suive bien notre courte réponse , que le lecteur intelligent a déjà
devinée , tant elle est naturell e:
Il est co nstant qu'au 16" siècle, les habitants de Salon, en achetant d'Adam
de Craponne l'usage perpétuel des eaux de son canal pour leurs propriétés,
lui ont payé, en argent et en services , le prix de cet arrosage. A la première
mutation de ces propriétés , les acquére ul's en on t payé la plus value provenant de l'arrosage y attaché. Il en a été de même dans la suite, et lorsque,
de revente en revente, à travers 300 ans, ces immeubles sont arrivés en
notre possession, nous les avons payés tout ce qu'ils valaient , comme fonds
arrosables. Bien certainement, s'ils n'eussent pas été arrosables, nous en
aurions donné un prix très-i nférieur , moitié ou deux tiers de moins.
Ces propriétés arrosables représentent donc pour nous l'argent qu'ell es
nous ont coû té, ni plus, ni moins; et leur revenu n'es t que l' équi valent de
l'intérêt de cet argent, si même il n'y a pas une différence en moins pour
le revenu foncier ; car d'o rdin aire la propriété rend à pein e le 4 p. 010
tandis que le rendement de l'argent es t couramment le 5 p, % net , san;
être alleint par l'impô t, ni par les intempéries des saisons.
De sorte que c'est une absurdité de prétendre que nous nous so mmes
enrichis aux dépens de l'Œuvre; et l'on ne saurait disco nvenir que si l'Œuvre nous faisait imposer quelque redevance à son profit, en sus de celle qui
avait été convenue avec Craponne, ce serait elle qui s'enri chirait d'autant
à notre préjudice. Nos propriétés perdraient tout de suite de leur valeur
vénale, en pro portion de la nouvelle charge dont ell es seraient grevées.
Serai t-ce moral , serait-ce équitable que nous nous appauvri ssions pour 'enrichir l'Œ uvre? c'est pourtant à cette inique résultat que vise en ce moment
l'Œ uvre de Craponne.
Et puis, pourquoi prendre pour exemples les canaux de Marseille et d'Aix,
avec leurs longues voies souterrain es et leurs aqueducs monumentaux, véritables travaux de Romains, qui ont coûté des sommes fabuleuses et font
renchérir proportionnellement les eaux que ces ouvrages sont des tinés à conduire? Au reste, quels que soient les prix que leur aient coûtés ces eaux,
les propriétaires en vendant leurs telTains arrosables, en retireront la valeur
•
-
127 -
relativement augmentée par l'arrosage, et ne serait-il pas absurde de dire ensuite
aux acquéreurs qui auront payé fonds, arrosage et plus value, qu'ils s'enrichissent aux dépens de l'administration du canal d'Aix ou de Marseille ?
Pourquoi ne pas prendre pour exemple le canal de Boisgelin, voisin de
celui de Craponne et qui lui est parallèle en quelques endroits . Le canal
de Boisgelin , comme celui de Craponne, est construit à ciel-ouvert, sans
aucun de ces grands travaux d'art , qui ont tant coûté pour amener les
eaux à Marseille ou à Aix. Aussi la redevance annuelle des arrossages à
Salon y est-elle à une taxe raisonnable , en rapport avec la valeur des terrains arrosés, variant de deux francs cinquante centimes à quatre francs par
hectare, et dont la moyenne est généralement de 3 francs l'hectare.
Mais l'Œuvre de Craponne ne saurait s'accommoder de ces modestes redevan ces, qui suffisent pourtant à l'Œuvre des Alpines de Salon , dont le
Syndic, il fau t en convenir, administre les affaires en bon père de famille.
Il paraît que l'Œuvre de Craponne gère les siennes avec moins d'économie.
Aussi elle ne parle de rien moin s que de créer à son profit des redevances,
sans main-d'œuvre, qui seraient graduées de 30 à 70 francs par hectare ,
oubliant que la moindre de ces redevances absorberait le revenu total de
certaines natures de culture, Ah! quel malheur d'avoir affaire à des financiers parisiens qui , n'ayant aucune notion de notre Cran, si in grate à la
culture, s'imaginent qu'il suffit de l'arroser et de la réarroser , pour qu'elle
produise spontanément de riches moissons !
L'Œuvre de Craponne oublie aussi que nous ne lui devons rien , absolument rien. Elle doit bien savoir que si nous nous étions obligés anciennement à payer trois sous par carterée à chaque arrosage; de son côté,
elle était obligée à faire arroser nos propriétés à ses propres frais et
dépens, comme le disent nos contrats. Du moment qu'elle s'est déliée de
son obligation, elle nous a déliés de la nôtre. Nous ne pouvons lui payer
le salaire d'un service qu'elle ne fait pas. C'es t ce qu'a jugé le Parlement de
Provence toutes les fois qu'il a eu à interpréter nos actes, et c'est ce que
décideront encore les tribunaux modern es entre l'Œuvre et nous, parce que ,
dan s tous les temps et dans tous les pays, les magistrats ont pour mission
de faire respecter la foi des traités.
Nous ne saurions trop le dire, la redevance de trois sous par carterée,
soit par contenance de '24 ares, n'était que le prix de la main--d'œnvre de
l'arrosage que Craponne s'était obligé de faire à ses propres frai s: Celui-ci
trouvait son bénéfi ce de la concession d'eau , dans l' écu par carterée, payable
�-
128 -
•
uue seule fois. Ce prix d'un écu par carterée était net pour lui, parce que
sou canal était achevé et qu'il n'avait plus d'a utres frais d' établissement à
supporter pour conduire l'eau aux acheteurs, tous chargés de la dépense 11
faire pour la construction de leurs fossés de service.
Il n'en fut pas ainsi à Pélissanne où aucun canal n'était encore fait, en
1567. Là , Craponne avait affaire à un petit nombre de concessionnaires
auxquels un demi-moulan d'eau était alors plus que suffisant. Il fallait donc
imposer à ces derniers des condition s plus onéreuses et proportionnées aux
frais qu'allait coûter le canal à faire. C'est pourquoi les habitants de Pélissanne furent taxés à cinq écus pal' carterée, une fois payés, et en outre il
une redevance perpétuelle de trois sous par carterée, payable chaque fois qu'ils
arroseraient. Les cinq écus étaient destinés à payer les frais de co nstruction
du nouveau canal et pas à autre chose, puisque la co mmun e de Pélissanne
prête et avance à Craponne, pour qu'il mette immédiatement la main à
l'œuvre, la somme de mille écus , dont elle aura à se rembourser en percevant elle-même les cinq écus pal' carterée des habitants. Ainsi Craponne
n'avait aucun profit sur ces cinq écus; mais où il devait trouver son bénéfice, c'était dans les arrosages que les habitants de Pélissanne étaient tenus
de faire eux-mêmes à leurs frais, en payant la redevance de trois sous par
carteréc, à chaque arrosage.
La différence du prix de l'eau en moins, pour les habitants de Salon s'explique encore par la multitude de concessionnaires quïl y avait, dan s celte
ville, et que Craponne tenait à encourager; Elle s'expliqu e également par les
secours et les services que celui-ci avait reçus de la communauté de Salo n
et qu'il avait pris en considération, en vendant les arrosages aux habitants.
liais rien n'est plus certain que ces derniers n'étaient pas tenus d'arroser
leurs propriétés; c'était Craponne qui les faisait arroser à ses frai s, moyennant trois sous par carterée que lui comptaient les propriétaires pour chaque
arrosage.
Dans le cas où l'Œuvre, sous prétexte qu'elle est chargée de dettes, prétendrait qu'elle ne peut continuer plus longtemps de gérer le canal, si le
prix des arrosages n'est pas élevé à un taux plus rémunérateur, pour être
exigé de tous les concessionnaires, même gratuits. nous lui répondrions, avec
les arrosants des autres communes, ce que lui disaient nos pères, il y a
trois quarts de siècle : Que si l'administration lui est trop onéreuse, elle
l'abandonne; nous la prendrons, nous entretiendrons le canal et nous payerons ses créanciers,
-
12n -
Tous les arrosants se résigneraient alors aux sacrifices qUI seraient nécessaires pour entretenir le canal en bon état et surtout pour améliorer la
situation financi ère. Désormais le service, dégagé des entraves de la spéculation industrielle et commerciale de quelques membres de l'Œuvre, malheureusement trop influents, marcherait in comparablement mieux, comme l'expérience
en a été faite à l'époque où le canal avait été placé sous le séquestre. Plût à Diell
qu'il y fût encore! Enfin, avec une Administration plus prévoyante, mieux
inspirée, prise parmi les principaux intéressés, nous ne serion s plus exposés,
tous les étés, à voir périr nos récoltes par le manque d'eau pendant des
mois en tiers .
On sait que l'Œuvre ne fait pas de brillantes affaires. C'est un malheur
pour elle ; mais les arrosants ne peuvent pas se ruiner pour la tirer d'embarras. Si elle ne peut plus l'emplir ses engagements, il faut qu'elle subisse
sa destinée, comme subit la sienne Adam de Craponne, dont l'infortune
était cependant bien plus intéressante. Quelle perturbation n'y aurait-il pas
dans les afTaires , si les détenteurs de biens pouvaient en percevoir tous les
revenus et se dispenser ensuite d'en acquitter les charges, parce qu'elles
seraient trop lourdes. La loi n'admet pas ces exemptions potestatives, quelles
que soient les considérations invoquées à l'appui. La voie quelle indique alors
est l'abandonnement, comme elle ouvre celle de la renonciation pour les
successions trop onéreuses.
Obligation de l'Œuvre de fournir nos arrosages.
Il est vrai que les arrosants ne peuvent pas forcer l'Œuvre 11 abdiquer, à
abandonner le canal, malgré son impuissance à rem plir ses obligations; mais
ils sont fondés à se pourvoir devant l'autorité administrative pour faire prononcer sa déchéance, parce que si le canal a, par l'apport à l'Œuvre, un
caractère de propriété privée, il a, par rapport aux arrosants, un caractère
d'utilité publique, que l'autorité administrative a le droit et le devoir de faire
prévaloir contre tous les obstacles que peuvent lui susciter les intérêts particuliers de l'Œuvre.
L'État en 1554·, lorsqu'il accorda gratuit.ement à Adam de Craponne l'a~
torisation de creuser son canal et de l'alimenter des eaux de la Durance,
pour en jouir comme de sa chose propre , lui imposa en même temps
l'obligation de l'employer poUl' le service et commodité des communes tra-
1t
�-
130-
versées par le canal généralement et des habitants des dites communes
particulièrement. Toutes les fois, que le cana~ sera détourn~ d~ celte .destinalion, l'État aura le drOlt de 1y ramener. C est ce qUI a eté Jugé pal un
décret d'intel'pI'étatiol1, en Conseil d'État, de l'acte de concession du 17 août
'1554 en faveur d'Adam de Craponne, adopté le ~5 mars et approuvé le -'25
alTil '1865, et pal' une décision du Conseil d'É tat au contentieul:, en date
du 8 novembre 1867, qui rejette le pourvoi de l'Œuvre de Craponne con tre
un arrèté réglementaire de M. le Préfet des Bouches-du-Rhône, du '23 avril
1866, portant qu'aux termes de l'acte du 17 aolit 1554 la concession d'une
prise d'eau en Durance consentie en faveur d'Adam de Craponne et de ses
successeurs a été (aite à titre irrévocable, mais que les eaux introduites
dans le canal sont affectées à perpétuité , dans Utl intérêt public, au service
des irrigations et des usines établies dans les localités traversées par le dit
COllai, et qu'il appartient à l'Administratiotl de prendre les mesures nécessaires pour que les eaux ne soient pas détoUrD8eS de lellf destinatiotl.
L'action de l'autorité administrative s'étend égalemen t au cas où J'Œuvre
de Craponne suspendrait arbitrairement le service des arrosages à l'encontre
des habitants d'une commune riveraine du canal, dans un but d'intérêt particulier, c'est-à-dire pour les con traindre par fam ine à lui payer des redevances, que ceux-ci prétenden t ne pas lui devoir. Assurément, J'auto rité
administrative n'a pas à s'immiscer dans les questions litigieuses qui peuvent
s'agiter, comme dans J'hypoÙlèse citée, en tre J' Œuvre et les arrosants. C'est
aux tribunaux civils à les juger, à statuer sur la valeur des titres et prétentions des parties Iitigan tes, à décider s'il est dû ou non des redevances, etc.
Mais tant que les tribunaux ne sont pas saisis, ou plutôt tan t qu'ils n'ont
pas statué, l'autorité administrative , don t la mission est de veiller à l'intérêt
général des populations, a le droit de forcer l' Œuvre à con tinuer de fournir
les arrosages alLX habi tan ts des communes qui se trouvent sur le parcours
du canal, en conformité de l'acte de concession du 17 août 1554. Elle a
le droit d'empêcber que l'Œuvre, se faisant juge dans sa pro pre cause,
condamne un peuple d'agriculleurs à la misère et à la famine par la suppression des arrosages qui le font subsister.
Il serait inouï que l'Œuvre pût no us priver de nos arrosages, avant d'avoir
fait décider si DOUS devons êlre ou non ses tributaires, avant même d'avoir
formulé sa demande et d'en avoir déterminé le monlan t. Est-ce ainsi qu'elle
a procédé envers la commune de Salon, quand elle l'a attaquée en limitation de ses arrosages particuliers , qui sont t"6ut-à-fait distincts des nôtres ?
,
-
131
Les choses ne sont-elles pas restées en J'état pendant le litige ? Cependant
nos titres sont tout aussi manifestes, tout amsi respectables que celL' de la
comnn,w e, et l'Œuvre ne peut pas dire qu'elle les ignore, puisque la transaction de 1571 les résen'e eX]'lressément, et que depuis lors Il OS vannes et
nos martellières établies sur le canal par l'Œuvre de celle é]'l oque, n'ont
pas cessé de nous débiter J'eau nécessaire pour mas arl'Osages. Elle ne peut
pas dire qu'elle les ignore, puisque, sur sa demande, nous lui en avons déjà
fait conna:tre un très-grand nombre. En elfet, le '28 mars 1876, un placard
fut affi ché à tous les coins des rues de Salon, au nom de l'Œuvre générale
de Craponne, ainsi conçu ; ( Nous copions littéralement. )
Œuvre générale du canal d'irrigation de Craponne.
li est dit au Directeur- Trésorier soussigné de l'OEuvre générale de Craponne que, plusieurs propriétaires se disposeraient à prétendre: en vertu œanciens titres, avoir droit à.
certaines quantités d'eau pour leurs arrosages. Il invite ces personnes et les requiert
au besoin de lui faire, sans plus de retard, 11indication de ces titres pour qu'ils soient
vérifiés e t reconnus, afi n qu'il y soit satisfait, s'il y a lieu.
Salon, le 28 mars 1876.
ARDOIN,
Directeur- Trés01ier de l'OEuvre générale de Crapo","~
Mr le Directeur Trésorier n'a pas failli attendre, car malgré l'éloignement
de sa résidence, il lui a été indiqué par exploit du 4 avril suivant, de
Gleize, huissier à Arles, parlant à sa personne, les dates et lieux de dépô t
de tous les actes de con cession do!)t nous avions fait jusqu'alors la découverte ; et nous savons que qu elques jours après cette notifi cation, le chef
du contentieux de Craponne étant venu vérifier l' exactitude de nos renseignements dans les études des notaires de Salon, et ayant trouvé des séries
de six, huit et même dix acles seus chacune des dates indiquées, s'était
écrié avec étonnement: « Nous n'aurions ja mais cru qu'il y eût lmtan! de
concessions ! »
Il est réellement étonnant qu'après la soustraction criminelle qui nous a
été faite, dans le 18° siècle, de deux registres pleIns d'actes de co ncession,
il nous en reste encore autant.
�-
132 -
POUl' nous les choses doivent d'autant plus rester en état, avant et pendant
le litige, qu'il ne s'agit que de redevan ces à déb,att:'e entre n,ous et l'Œuvre, et
qu'il ne saurait être question au procès, qUOIqU en dise 1Œuvre , de retrancher ni même de limiter des al'l'osages qUi sont forcément et tnval'lablement
aOe;tés à notre territoire par l'acte de concession du 17 aoùt 1554, dans
lequel la commun e de Salon est nommément désignée pour participer au
service des eaux, tant par elle généralement que par ses habitants parttculièrement, Depuis cette concession, il n'est au pouvoir de personne de supprim er nos arrosages, Pour les supprimer , il faudrait suppri~er le canal.
La concession de 1554 est une charte fondamentale que 1 Œuvre de Craponn e ne devrait jamais perdre de vue,
Si l'Œuvre se pénétrait mieux du véritable sens de ce contrat synallagmatique, passé entre Craponne et l'Etat , dans un but d'utilité publique, elle
ne se perm ettrait plus tant d'actes arbitraires à l' encontre des arrosants ; elle
s'abstiendl'ait surtout, dans les années de sécheresse, de nous bomer la durée
des arrosages san s tenir compte des besoins de l'agriculture . Ce qui est de
sa part une tyranni e intol érable, comme nous allons le démontrer en quelques
mots :
L 'Œuvre n 'a pas le droit de limiter, chaque année, la durée de nos
arrosages, depuis le 1,5 Avril jusqu'au 1,5 Septembre.
Le titre de 1554 ne fix e il Craponne aucune époque de l' année, où il
devra prendre l'eau de Durance pour son canal. La concession étant faite pour
l'intérêt public, l'eau peut être dérivée en telle quantité et pour tout le temps
de l'année que le besoin l'exigera, Il n'est fait à cet égard aucune limi tation
de volume, ni de durée (1),
(1) Nous sommes heureux d'n.voir pour nous l'opinion de l'Œuvre de Craponne elle-m ême
sur la concession de 4554. Voici ce qu.'elle dit dan s le mémoire imprim é en 18G2, qu'elle
adressait au Conseil d'Etat. Nous copions aux pages 42 et .\3 :
• La C01iGession. faite à Adam de Craponne est illimitée . »
Cl Quand nous disons que la concession a été illimitée, nous voulons dire que la quantité
d'eaa à déri ver n'a pas été déterminée .
Cl Nous ajoutons que c'est avec intention qu'il a été procédé ain s i en 155,\' ; et nous disons ,
enfin , qu'on a ad opté pou!" la règle à sui<
u e uniquement et exclus ivement, pour le présent et
pour l'aveni r 1 les besoîns, les mcessitis des t.trntoires qui d!!vaient être traversés par le Canal ,
d, fa çon que r ien n'arrêtâ t le développemtr:t prog ress if de l'agr icultm·e, . les améliorations, les dé-
-
133-
Lorsque Craponne donna à ferme ses arrosages à M, Joseph Roche , suivant
contrat du 12 octobre 1561 , notaire Pierre de la Roche, il ne fut stipulé
aucun terme pour la cessation de l'arrosage annuel. Cependant ce qui prouverait que cet arrosage ne devait pas nnir au 15 septembre, c'est le sousbail que maître Roche fit d'une partie de sa ferme à Céris ct Laurent Raynaud, frères, par acte du 26 avril 1564, notaire Laurens , dan s lequel il
est dit que les arrosages seront faits jusqu'au 29 septembre; d"ici à St-AI ichel
venant, porte le sous-bail.
Pal' autre acte du 16 mars 1568, notaire Ponsard il Salon, Adam de Craponne
donne à prix fait aux frères Ravel tous les arrosages qu'il s'était obligé de
servir aux habitants de Salon, mais sans dire quand commencerait et finirait
l'arrosage.
Les concessions particulières que nous a faites Adam de Craponne n'établissent non plus aucune durée pour nos arrosages, Au contraire, elles portent
en termes formel s que Craponne liromet et s'obl'ige d'an'oser on (aire arroser
nos propriétés, à ses propres coftts et dépens, à perpétuité, toutes les (ois
et qu!tntes que besoin et nécessaù'e sera.
La transaction de 1571, par laquelle un certain nombre de facultataires
se co nstituent en société pour l'administration du canal, règle les eaux et
le rang des associés entre eux, en cas de stérilité ou de pénurie ; mais elle
n'impose aucune durée pour leurs arrosages annuels, ni pour les nôtres
qu'ell e réserve expressément par cette clause : sans préjudice des actes pal'
ci-devant (aits par le dit de Cmponne avec aucnns des particuliers du dit
Salon, aux dits qUaI,tiers, reçus par main pllblique,
On lit dans le rapport de M, le Conseiller d'Agut, commis par le Padement
pour visiter le canal, que le 7 juillet 1625, l'éclusier Pierre Phélip , interrogé sous la foi du serment sur la quantité d'eau introduite au canal, répond
{richements des terraù/S et leurs conversions en terres arrosables. Il est imposs ibl e de ne pas admettre ces vérités, ou de les contredi re avec espoir de succès. Avant d'exa.miner le texte de la
concession ou de la f,icence de 1554, on corn prend qu~ la pensée, so it de celui qui demandait ,
soit de celui qui concédait, a dù être telle que nous l' établissons. C'était le premier Canal
d'irrigation qui se créait en Provence. Il embras sait ou il devait embrasser dan s son parcours
un nombre co!!s idérable de communautés et une vas te étendue de terres. Les bes oins étaient
certains , mai s ils étaient inconnus. Ils devai ent s'accroître. s'au g menter 8. mesure que le succès couronnerait les efforts de Craponne. Pourquoi don c aurait-illimité sa demande? De son
côté , le pouvo ir royal, représenté par les maîtres-rationaux, que voulait-il ? que pouvait-il
vouloir·? La plus ampl e satisfaction des besoins clts popula tions, ('entier et complet arrosement des
terres. l)
�-
-
134 -
qu'en été jusqu'à la fill de septembre il Illet ume lJlus grande quantité d'eau
et jusques environ 18 moulans Jllus Dl' moins, et ce, aux fins que les dites eaux
servent aux moulins que aussi pour sltLvenù' aux arrosage'; cal' pou'r l' kivel'
qui est depuis octobre jusques à l'entrée du Illois de May , il n'est besoin d'y
mettre d' cal' que PO!W huit moulans. Il censte de cette déclaration que les
arrosages se prolongeaient jusqu'en fin septe.mbre, quelquefois jusqu'en ectobre,
selon les besoins.
Nous ne voyons donc pas sur quoi se fonderait l'Œ uvre pour nou mesurer
le temps annuel de l'arrosage, à moins qu'elle ne s'appuie sur l'acte du
15 février 1562, notaire Roche à Salon, portant concession par Adam
de Craponne à Antoine-Marc Tripoly de deux espaciers d'ean au Gresc, a 'Vée
la clause que celui-ci ar1'ose1'Oit de la mi-avril à la mi-septemb/'e.
Mais cette limitation à la mi-septembre, époque ou commence d'ordinaire la
saison des pluies et où l'arrosage devient inutile el serait même nuisible,
n'est pas et ne doit pas être rigoureusement observée dan s les années de
sécheresse, comme cell e que nous venons de traverser, parce qu'autrement
ce serait faire violence à l'esprit d'un contrat, dont l'objet est l'arrosage des
propriétés pour tout le temps qu'elles ont besoin d'être arrosées, et que ,
d'aprés l'article 1156 du Code civil, on doit, dans les conventions, rechercher
quelle a été la commune intention des parties, plutôt que de s'arrêter au
sens littéral des termes.
D'ailleurs, l'intention des parties à cet égard s'est manifestement réalisée
dans les baux à ferm e des arrosages du Gresc qui s'en sont suivis,
notamment dans les actes du 5 décembre 1579, 14 novembre 1581 et
13 aoùt 1584, notaire Ponsard à Salon, portant que les (ermie/'s commenceront
d'arroser au 15 mars jusques à Saint-Michel ou dernier de septembre.
Si nous cherchons dans les baux des Viougues, nous ne voyons dans
aucun que l'arrosage. doive finir au 15 septembre. Nous lisons même dans
plusieurs de ces actes que. le fermier ]Dercevra les dro~ts de ses arrosages à
partir du 30 septembre, ce qni semble indiquer que c'est il cette dernière
date que l'arrosage finissait, et non au 15 sep tembre.
Et pois, quand même l'acte du 15 février 1562 devrait être exécuté à la
letlre, pour la cessation de l'arrosage au 15 septembre, on ne pourrait appliquer ceLle disposition restrictive qu'au demi-moulan de Tripol)', aujourd'hui
de la commune de Salon, mais jamais à nos arrosages particuliers , pour
lesquels il n'existe aucune limitation de temps. Les arrosages doivent nous
135-
être fournis tolttes l~s (o~ et quantes que besoin et nécessaire sera, disent
nos actes de conceSSLOn. C est assez clair, assez formel.
Dès lors, l'Œuvre de Craponne commet un attentat contre le droit que
nous. avons d'arroser à suffisance et en tout temps, lorsque, de sa propre
autorJté, elle suspend nos arrosages à la mi-lleptembre dans les années de
~éphere~se, comme elle vient de le faire, en 1876, où il n'a pas plu pendant
1été, Dl dans les de~x premiers mois de l'autolllne, où , par surcroît ne
ma~heur,. les eaux a~aICnt manqué au canal pendant 40 jours, dont 28 aux
mOlS de JUIll et de JUillet, et 12 jours du 20 aoüt au 2 septembre. Que n'a-t-il
pas fallu faire pour obtenir la réouverture de nos martellières! Il a fallu
supplier presque à genoux, parlementer , faire des sommations par huissier
au Syndic-Trésorier, réclamer instamment auprès de M. le Préfet , faire
procéder à des descentes de justice. Mais que de pertes et de dommages
nous avons eu à soutTrir par la privation de nos arrosages pendant 15 jours!
Il en a été constaté par M. le Juge de paix, seulement dans les Viougues
pour une valeur de 7,786 francs 50 centimes.
'
. Ce n'est pas ainsi qu'on se comporte à Boisgelin. Là, il Y a une admimstratlOn paternelle, assez intelligente pour comprendre que son canal
d'irrigation est destiné à fournir et à distribuer l'eau d'arrosage aussitôt et
aussi longtemps qu'elle es t nécessaire aux besoins des usa"ers
D . Aussi bien ,
cette sage administration de Boisgelin n'a-t-elle jamais eu l'idée absurde de
subordonner à la précision d'une date d'almanach les variations du temps
et les nécessi tés si diverses, si imprévues de l'agriculture (1 ).
(1)
Certificat de M. le syndic de Boisg elin.
Je so~ssigné, David ~lphandéry . syndic du corps des arrosants du Canal de Boisgelin ou
des AlplD CS, sur le territoire de Salon , atteste et certifie qu'il n'y a point de limite fixe pour
la durée des arrosages qui se font annuellement par les eaux du Canal de DoisO'elin ou des
Alpines; que ces arro sage s commencent d'ordinaire dans les premiers joW's d'a;ril-pour cesser fin septembre ou dan s le courant d'octobre, selon que l'exigent le temps et les besoins de
l'agriculture. En cas de sécheresse persistante, comme en l'année dernière 4816 , ces arrosaooes
0
sont prolongés jusqu'en novembre , sans augmentation ponr cela. des redevan ces d1arrosnge,
qui sont en moyenne de trois francs cinquante centimes par hectare et pour toute l'année.
En foi de quoi fai délivré le présent certificat pour servir et valoir ce que de droit,
A Salon, le 42 janvier 1877. Signé: David Alphandéry, syndic du corps des arrosants du
Canal des Alpines de S.lon .
Vu pour la légalisation de la signature de M. Alphandéry apposée ci-des:::.us. Salon, Je
janvier ~877. Signé: l e maire, L . Reynaud. - Enregistré ù. Salon, le ,15 janvier 1877,
fol. .'30 ) V- c· 2. Reç.u trois fraDcs décime soixante-quinze centimes. Signé, Roustand .
I~
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-
-136-
Il serait à désirer que l'Œuvre de Craponn e fût un peu plus empressée
il rivaliser de zèle et de prévoyauce avec sa voisine l'Œuvre de Boisgelin;
qu'elle cherchàt un peu moins à ériger en droits ses abusives prétention s;
surtout qu'elle ne fût plus administrée par un syndic privé d'initiative, dont
l'autorité est plutôt nominale que réell e, et qui es t obligé d'en référer, tous les
ans, en automne, au bo n plaisir du maltre, à Paris, oû il pleut presque toujours,
pour solliciter un peu d'eau en faveur d'un pays désolé où il ne pleut pas.
Certes il serait à désirer qu' un e fois pour toutes l'Œuvre de Craponn e fût
ramenée an respect de nos d"oits et à l'observation de ses devoirs; qu'on
la fi t rentrer surtout dans les prescriptions de ses anciens règlements,
dont ell e s'est étrangement écartée, en intervertissant, dans la branche d'Arles,
l'ordre des Actionnaires ayant voix délibérative, par la substitution des
propriétaires d'arrosages aux usiniers; en rompant l'équilibre des voi\x au
détriment de la branche de Salon , par l'abso rption et l'annulation, dans cette
branche , des quatre voix du moulin des Quatre-Tournants; en conférant le
syndicat à des étrangers aveuglément soumis aux caprices du plus fort actionnaire; en fa isant aux associés des pro cès ruin eux devant les tribunaux, au
mép ris des clauses compromissoires , etc., etc.
Ces brèches à l'ancienne co nstitution vicient la co nstituti on moderne, et
rendent l' Œuvre actuelle non recevable dan s ses prétenti ons, par défaut de
qualité; ce que nous nous réservons expressément de faire valoir, avant toutes
autres exceptions et défen ses.
Il est temps de terminer cette eXpOSitIOn, qu'on trouvera peut-être un peu
lon gue. Mais il ne nous a pas été possible de l'abréger, à cause des développements dans lesquels il était nécessaire d'entrer , pour remettre dans so n
véritable jour une situation qui s'était fort- obscurcie à travers les nébulosités
de trois siècles. Encore avons-nous laissé a J' écart beaucoup de détails intéressants, que nous ri>servo ns pour la discussion orale devant les tribunaux .
Sur le tout, nous croyons avoir suffisamment démontré :
10 Que nous possédons, par titres, depuis plus de trois siècles , des concessions d'arrosage se rapportant à 908 hectares 56 ares et qui sont distinctes
des facultés d'arrosage alTérentes à la commune de Salon, en so n nom
propre et personnel.
20 Que ces concessions nous ont été faites par Adam de Craponne, dans
une multitude d'actes reçus par main publique, antéri euremen t à la constitut ion de l' Œuvre qui lui a succédé, moyennant un prix de vente d'eau,
-
137 -
détermin é et payé ; en outre, moyennant une rétribution fixe et perpétuell e
de trOIs sous par carterée ou contenance de 24 ares, pour la pratique de
nos arrosages, que Craponne prenait l'obligation de faire lui-même ou
par ses agents et ouvriers, à ses propres frais et dépens.
3° Que nos arrosages ont été reconnus et expressément réservés dans la
transactIOn de 1571 , constitutive de l'Œuvre de Craponne, et que c'es t à la
SUlt~ de cet. acte que celle-ci, après avoir examiné, pesé et apprécié nos conce~S lOns particulières, a fait placer et régler les martellières et prises d'eau
destmées à les servir, et qui , depuis lors, n'ont pas cessé de fourn ir l'i rrigation à nos propriétés.
•
4° Que dans la suite, l'Œuvre de Craponne a essayé mainte et mainte fois
de se soustraire à l'obligation de faire arroser, à ses frai s, nos biens, il Viou~
gues, en exi?eant néanmoins la redevance de trois sous par carterée , mais qu' elle
a tOUjOUl"S elé ramenée au respect des traités par le Parlement de Provence,
qUI la condamne, dans plusieurs arrêts, à veni1' aI'l'oser les proprùités suivant les contl'alS, et à défallt , autorise les propriélaÏ1'es à aTl'oser aux frais
de l' Œuvre.
50 Que les dilTérentes objections que nous fait l'Œuvre à l'encontre de
nos actes de concession, ne sont ni sérieuses , ni fondées.
60 Qu'elle n'a jamais affermé aucun arrosage, ni touché un centime de
redevance, à Viougues depuis 1709, soit depuis 168 an s ; aux Grescs et
dépendances, ni ailleurs, depuis qu'elle a pris naissance, en 1571 , c'est-A-dire
depuis 306 ans.
7° Que dans le cours du 180 siècle, l'Œuvre, p'ar son incurie et surtout par
sa négligence à introduire toute l'eau nécessaire dans le canal, a fait perdre beaucoup d'arrosages que Craponne avait con cédés aux quartiers situés au-delà de la
Garrigue, du côté de la Crau , et que les propriétaires de ces quartiers pour
suppléer à ce manque d'eau de Craponne, ont élé dans la nécessité d'acheter
deux moulan s du canal de Boisgelin ; ce qui fait que depuis lors, les eaux
de Craponne, d'après un relevé récemment fait par deux ingéni eurs du département, n'arrosent plus, aux Viougues , Gresc et Gan'igue, que 1076 h ec tare~
23 ares, superficie égale à celle arrosée par les quatre moulan s que nous
attribue expressément , tant pour nos concessions particulières que pour les
arrosages propres à la commune, le rapport de 1818 dit le Livre-Vert, formellement approuvé, en 1828, par l'Œuvre elle-même, qui en a fa it son propre ouvrage. En sorte qu'en l'état de cette assignation de quatre moulans que
l'Œuvre a cru devoir sen'ir pour .J'ensemble des arrosages de Viollgues, Gresc
18
�-
138 -
c'est à la commune et aux concessionnaires particuliers à
;
et Gamgue,
.
s'entendre pour appliquer ces quatre moulans à leurs arrosages respectifs,
sans que J'Œuvre ait :\ s' immiscer dans .cette répartItion , . à mOInS de réclamation ullérieure à sou enco ntre, pour Insuffisance des dIts quatre mo~lans
'é n's avec le ,'olum e foumi par le cours d'eau naturelle de la GarrIgue,
\ u 1
•
• d' . ,
d 1
ui est propre à la commune; que jusqu'alors, toute actIOn JU IClatre e a
~art de l'Œuvre es t frivole, sans objet, ni intérêt pour elle , et comme teHe
doit ètre rejetée.
. '
.
80 Enfin, que dans la seconde moitié du 18° Siècle , deux registres. entIèrement remplis d'actes de con cession reçus par Me Joseph Roche, notaire de
prédilection d'Adam de Craponne, ne se sont plus trouvés dans. l'étude où
étaient déposées les écritures dudit Roche, nI ailleurs ; diSparitIOn qUi eut
lieu dans le cours d'un long procès pendant entre les propriétaires du moulin des Quatre-Tournants, avec le co ncours de l'Œuvre, et la commune de
Salon, au sujet des eaux d'arrosage que celle-ci , tant en son nom qu'en
celui des habitants, prétendait avoir droit de preudre au canal inférieur , dit
fossé des Quatre-Tournants, savoir : la commun e co mm e représentant le
capitaine Marc Tripoly, ainsi que les hoirs Michaëlis , et les habitants, en
vertu des nombreuses concessions qu'ils avaient rapportées d'Adam de Craponne, pour leurs propriétés situées sur le parcours de ce canal. Nous avons
vu qu'il est fait mention de la perte de ces deux registres, dans le LivreVert, où il est dit, aux pages 58 et 59 : oc La tl'ès-majeu!'e pal,tie de ces
concessions avaient été reçues pal' Joseph Roche, notaire (l'Adam de Cmponne. Dellx registres à. ce destinés ne se sont pills trouvés vers 1770, époque du procès dont nOlis avons parlé ci-desslts. C'est ce qlli explique les
di{fiCltltés de la position de la commune de Salon à cet égal'd. •
Nous avons aussi démontré que l'Œuvre de Craponne ne chercha pas alors
à tirer parti de cette soustraction de titres, qui favorisait cependant ses visées
sur les arrosages du Gresc, parce que le Parlement, dont elle avait fait sonder
les dispositions , partageait l'indignation générale qu'un événement, si mon strueux, avait soulevée dans la province. L'Œluvre comprit également que c'était
là un cas de force majeure qui aurait dispensé les concessionnaires de l'obligation de produire leurs titres adirés et les aurait autorisés à y suppléer par
des énonciations des anciens titres généraux se rapportant aux arrosages
concédés aux habitants de Salon, tels que oeux des 17 aoClt 1554, - 12
octobre 1561 , -16 mars 1568 - 20 octoure -1 571 etc .. , énonciations soutenues
d'une possession de deux siècles, d'après la maxime: in antiquis enunciativa
probant,
-
139 -
Non seulement l'Œuvre ne fit aucune tentabive pour se faire accorder les
arrosa~es du Gresc , mais elle en continua le service, comm e par le passé,
en enlletenant
. , les martelhèrp.s èt les prises d'eau, saehani fort bien que tou s
ceux qUl n arrosent pa ~ des eaux de la aommune soll't des concessionnaires
d'Adam de Craponne , par aeles reçus par main publique, expressément réservés par la transactIOn de 1571 ; et plus tard , ell e reconnut form ellement la
longue et légitime. p.o s~ession de ces arrosages, en appJ1ouvant, en 1828, le
rapport de sa CommiSSIOn, dIt le Livre-Vert ..
Nous ne comprenons pas qu'aujourd'bui que notre antique possession compte
un SIècle de plus et se trouve renforcée d'un nouveau titre devenu ancien
le Livre-Vert, ~ui es.t le propre ouvrage de l'Œuvre, on essaie, au moye~
de la destruclIon falle, II y a cent ans, de la tI'ès-majel!re partie de nos
actes de concession, de mettre. la main sur nos arrosages. Le temps, pemet-on, aur.a eiTacé la mauvaise impression produite jadis par la soustraction
de nos lItres; et puis, ce qui est le comble de l'audace, c'est qu'on exige
avec une cruelle, une satanique raillerie , que nous représefl tions ces anciens
actes de concession, qu'o u nous a mis dans l'impossibilité de produire en
nous les déroballt; et encore faut-il que cette production impossible soi!
faIte par chacun de nous séparément, afin, nous dit-on dans un exploit d'ajournement qu'on nous a fait signifier, le 29 décembre dernier, de l1e pas établir
de confusion entl'e les (lroits propres à la commw!e et ceux f]1!i 1)()Urraiellt
résulter, au pl'Ofit de quelqueS-lins de ses habitants, des concessions particulières raites par Adam de Craponne. La bonne intention de nos ad'rersaires se révèle bien dans ces expressions: Quelques uns de ses habitants,
alors que les concessionnaires de Craponne forment la majorité, la mas~e de
la population.
Il pa:raît que notre union en syndicat eiTraie étrangement nos adversaires.
Aussi feront-il s tou s leurs efforts· pou'!' nous empêcher d'agir ensemble en
justice et de nous y défendre collectivement. C'est encore une habileté de
leur part, qui sera déjouée. Divisés , nous serions étreints, un à un , dans les
subtilités qu'ils nous préparent, ensemble, 1I0llS balayons leurs toiles d'a:raignée.
C'est pourquoi ils voudraient nous séparer, comme si nos intérêts n'étaient
pas identiques, camille si nos concessions ne dérivaient pas taules du même
auteur, des mêmes titres primordiaux, nos arrosages de la même source,
des mêmes martellières, des mêmes fossés; comme si la très-majeure partie
de nos actes , dont on exige la production, n'avaien t pas péri dans le même
gouiTre; comme si les membres dirigeants de :l'Œuvre eux-mêmes, dans
�-
140 -
leurs affiches, dans leurs avis imprimés et dans tous leurs actes tendant à
nous vexer et à nous nuire , ne ,'isaient pas olLvertement et publiquement
tous les arrosants de Salon collectivement.
D'ai ll eurs, nous le répétons, l'Œuvre n'a pas à se préoccuper de la confusion qui pourrai t exister entre les al'l'osages propres à la Commune et les
arrosages résul tant de nos co ncessions, puisque ces arrosages réunis embrassen t toutes les superficies du terri toire qui son t arrosables des eaux de
Craponne, sans qu'il en reste un milliare pour elle.
C'est à la comm une et aux concessionnaires à s'entendre entre eux, pour
s'en faire la distribution et l'application. L'Œuvre n'a pas il s'immiscer dans
cet arrangement; elle y est sans intérêt; ell e n'a rien il y voir.
Non, elle n'a rien à y voir. La destruction de nos actes de concession
ne lui a pas plus attribué de droits après, qu'elle n'en avai t auparavant.
Non, ce fàcheux événement n'a pas en traîné la déchéance à son profit, de
notre longue possession, qui reposait déjà, lorsqu'il est arrivé, SUl' des fondements sol i de~ et légitimes, ct qui n'a fait que se raffermir ~ n suite par
sa continuité d'existence et pa r l'appui d'autres titres co nfi rmatifs.
L'Œuvre déb itrice de nos arrosages, co mme étant au x obligati ons de
Craponne qui no us les avait vendus, ne pourra it se dispenser de nous servir ces arrosages que si ell e en était empêchée par une fo rce majeure, telle
que la cessation du cours de la Durance ou la ruine totale du ca nal , et
encore, dans ce dernier cas, serait-elle te nue d~ reco nstrui re le canal ou de
subroger les arl'Osants à ses droits, pour faire ce lle reconstru ction euxmêmes. Mais hors le cas d'impossibil ité par force majeure, ell e ne saurait
honnêtement, ni légalemen t se dispenser de remplir ses obligations envers
nous tous, sous prétexte que nos actes on t été détruits. Po ur que la force
majeure délie un débiteur de son obligation, il faut que ce soit la chose
qui fait l'objet de la convention, qui ait péri , et non pas l'ac te matériel.
Tels sont les vrais principes de la morale, de la sai ne raiso n et du droit.
Les membl'es composant l'Administration de l'Associaûon syndicale libl'e
des arrosants du canal de C,.apol1ne, cl Salon:
GnWN, Syndic. - MOURRET, BERTIN, MOUISSON, LIGNON, BONAUD ,
CARBONEL, Conseil. O1·dinaires.-MARTIN, Tréso rier. - FRANC, Secrét. DE SORBIERS, BOY lA.~TO INE), BOY (ÉTŒNNE), COULOMB, NIVIÈRE, COREN,
Conseillers ext.'aordin. - BEDOC, CROUSILLAT, GUWN, Audit. des comptes.
ARROSAGES DE SALON
Surfaces arrosées, par quartier, et indication de l 'origine des eaux
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400
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·195
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DÉSIGNATION
DU
QUARTIER
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des biens ncufs
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Mouton . ..... .. .....
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Milani. .. .. .........
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Pilon- Blanc .... . .. . .
Pess êguier ........ . .
Quintin .. , .... . .... .
Saint-Roch .. ..... ..
Roquassiers .........
Richebois ...........
Sans-Souci ....... ,.
Tourret. ." ........
Tuilièr es. ' .. . . '.
Vioug ues ...... ' . ' ..
Bas-Viougues
Tour des Juifs .... . ..
Ville-neuve ...... . ...
Ville-vieille .........
TOTAUX
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ARflOSA,II.,-s
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Canourgues . . ...... :
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Cousson de St-Tr op ez. 7S ..11-00
Cousson de Crau .. . ..
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Crau ... . . . .. . . , ....
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Crozes•.. ' ... . . . ....
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Chàteau-Redon .... . .
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Surfaces arrosées par hectares en 1876
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Concenion de
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Craponne, p;i)'anl
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61- 50-00
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2-30-00
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20-3 0-00
39- 90-00
42-50-00
4-00-00
7S- 1I-00
9-63-00
31-8 0-00
301-30-00
51-90-00
4-50-00
24-60-00
5-80-00
,10-0 0-00
S-20-00
86-30-00
158-80-00
31-70-00
S- 70-00
39-50-00
1
20-~0-00
42--60-00
8-30-00
. ·11h10-00
,16-40- 00
33-50-00
9-70-00
167-00-00
35-80-00
31-90-00
31- 60-00
45-80-00
9-30-00
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39-90- 00
.5-10-00
3-80-00
196-70- 00
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20- 00 1
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1
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AOQUÉREURS
143 ACTES
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INDICATION
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CONCESSIONS D 'ARR OSAGE
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GRESC
ACTES
ACQUÉREURS
D'ACQ UISITION
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ABELLIS.
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ALLEGRET, Jean, marehand.
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ANDRrEUX ,
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ARNOUL..~,
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ARNC;>U LX , Melchion, apothi-
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A STIER ,
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Jaum e, brassier.
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çn rLerees
di!pernlnnccs dépcndaocC5
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juillet '1565 , notaÏl'e
Laurens .. " . ..... . ...
3 mai ~566 , notaire
H
Calre .. " ... .. . . . ...... . .
Laurens . ...... . ......
25 mai ~ 567, notaire
Ponsard . . ... . . .. .....
23 janvier ~567 , notai re
Laurens . . . .. . . , .. .. ..
Sau vett e , veuve
Gauchier . . . _. . ... . .. . ....
H~~J;:!s.I~~~., .. ~.o.~.i~~
Gilles, marchand.
AUZAS , Mathieu, maçon .. . . 22 juillet ~ 565 notaire
Laurens ........ .. .. ..
BARNOŒ, Esprit, chaussetier ~~ mai 4567 , notaire
Laurens ....... . .... . .
3 février 156i , notaire
BARR... \ULT Guilhem ... . . . . .
Laurens . . . . _. . . .. . _. .
1
1
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2
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Heiric, cordonnier 28 novembre ~ 5 68 . notaire
Roche, . . , .. , .. ..... ..
Bsc 1 Jean et Vincent frères, H juillet ~565 , notaire
Laurens ... ....... . ...
marchands . .... . . . . . . . . .
B AUDOYN,
'..
veuve
Cornual . . . .. .. . ... , ... . . 29 l~~:!s.4 ~~~. ~.O.t~.i~~
~.~ juin .t 567 ) notai re
BBRCIER, Joseph et Antoine
Laurens . . ........ . . . .
frères ........ . . .. ... . ...
notaire.
BERNARD 1 Jaume , brassier,. ~ 5 avril ~56Î
Laurens . ... : .. . .... . .
BE'L' uDI.J,.~ ) A.ntoi u , bourgeois ~ 1 j\lillet ·1565 , notai re
Laurens ....... . ......
BOrSSEGB Martin , pour BA- 29 ~uillet ,1565 , notaire
aureDS . . . . . ... - ... '.
RAGE , Joseph . . . . .. . _, ..
BRRA.UDE.
Jeanne.
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Oath erine, veuve 26 mars ~566
nutaire
Mestayer , , .... , , , , , , . . . ,
Laurens .. . . ,) . , .. ... . .
BRESSŒR. J ean . . ... . . . .. ..
8 octobre 4565 , notaire
Roche . .. ....... . ... . .
CADENET. Pierre et PHILI~.o.t~~~~
BERT J frères ........ . .. . . 18 ~~~;:!s.~ ~~~
CARTIER, Pierre, PEREIRON
20 laovier i 1)67, notaire
aurens . ...... . ... . . .
CASTAGNIE, Marie
veuve H ~uillet 1565 , notaire
Aillaud .. . . . . .. , : . . . . . . .
aurens .. ~ _, ........ .
C AZALET, AR..""IAUD et REy- 4~ août 4.565, notaire
NAUD 1 Louis . .. . . . ... . . . .
Laurens . . ~ .......... .
CHAIX. Jean, marchand . .. . ~ 9 décem bre ~ 566 notaire
Ponsard .. . ... " .. .. . . .
CHAMBARD , Jean .. ... . .. . . ~ 9 septembre ~ 565 notaire
Roche .. ...... ~ • . .....
CBARROTTE , Françoise .... . 27 mai 4566, notaire
Laurens... . . . . . ..... .
CHAUDAUSSON, J ean
char- U ~uillet ,\ 565, notaire
pentier . . ..... . ... J • • ••• , •
aurens . ..... ...... . .
CLARION l Daniel. . . ....... . 43 février 4567, notaire
Laurens ........ . . _, _,_
c... tuées
58 '/.
BRENE,
.:.
Gaspard, reven- 43 juillet o!i$65, notaire
eUT • • • • . • • • • • • •••.••. .
Lau:rens. . ...... ~ ~ .. . .
DA.VID, Anne, veuve Amiel.
2 mai ~567 l notaiIe
Laurens .. . .. . " . • . _ . .
DOMENG UE, Etienne, brassier ~7 ~uillet "565 , notaire
aurens . .. . ..... _. ' ..
DUBAZAN, Jeau, marchand. . 29 avril ,1566 , notaire
Laurens .... .... .... . .
EscARRAT , Colin , travuilleur ,17 février 15b6, notaire
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Jacques dit Vert. ~ 8 ~uillet 1565, notaire
.d'E ygu ières .. .. ~ .. ..... ~
aurens. '" . ...... ' "
E STARPIN , Louis, ménager . . H jum et ~ 565 , n otaire
La.urens . ~ ... . ..... . . .
ESTlENNE hoirs. des Roeas- 1-3 odohu 16tl3, notail'6 Iront d 5 auil
~ 69' , IIQllÎn GnlDD ••••••...•
siers . ......... . .... " • . .
EVGUESŒR , Trophime
et 4 mai 4566 J notaire
Ponsard. .. ........ . .
Antoi ne frères .... ... ~ .. .
FÈDE 1 Jenn, de Pélissanne .. ~3 juin ~566, Dataire
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E STrENNE,
Roche, ...... ... . , . . ,
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GARJA.l~NE.
Antoine, de Pélissanne ... ' ........ . ... .
GARJANNE J Honomt, de Pélissanne ...... . .... ' .. ' . .
GERVASET J Etienne J serrurier ........ . ... . ....... .
GIRAUD, Antoine, dit Galiol .
Guillaume, bourgeois .. .... ... . .... " ... .
GIRA UD pour de Châteauneuf,
sieur de Mollegès ....... .
GIRAUD, Gllillallme, dit
GIRAUD,
•
Ma::;a1l ... . .. .•.•.. . .....
GIRAUD,
Pierre, vellutier. ' ..
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GUlLREN.
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3
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J ean, ménager .. '
Michel , dit Cucuron ....... . ....... . .. . .. .
Hm.rnSRT, Barthélemy, bourgeais ................ . .. .
HUMBERT 1 Catherine, veuve
Hozier .... . .... . ....... .
I SNA.RD. Jean et Marc, Magdelaine ...... .. . .. ' . .. . . .
ls~ARD. Jean, écuyer ..... .
LA)lBERT ,
L YONS)
Antoine .......... .
L ARDElRET
MA.RC .
Barthélemy .... . .
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Georges . . .... .
Jean ...... . ....... .
5 août ~ 565, notaire
Laurens .... . ... . .... .
25 mai ~ 566, notaire
Laurens .......... . .. .
23 juin ·1566. notaire
Lau.rens . ......... ' .. .
21 juillet ~ 565, notaire
Laurens . . . ......... .
5 août ·1566\ notaire
Laurens . . . : . ... .. . ..
43 juillet 4565, notaire
Laurens ............. .
24 janvier 4566, notaire
Laurens .. . ......... . .
7 aOlH 11566, not.airc
Roche .. .... . ........ .
47 juillet 4566, notaire
Laurens .. " ...... . .. .
28 avril ~ 566, notaire
Lau rens . .. . . .... . . .. .
42 mars ·1566, notaire
Lau rens ...... . ... ... .
S août ,151)5. notaire
Laurens . ..... . . . . . .. .
4 mai 4566 , notaire
Ponsard ............. .
U août ,l b66 J notaire
Laurens . . . . . .. . . .. . . .
30 mars 4570, notaire
Delaroche ........... .
8
J~~~~~ .~~~~. '.. ~.~t.a.i~~
H septembre 11565, notaire
Laurens .. .. ......... .
4" décembre 11567, notaire
Laurens ........ . .... .
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J ean , bl'oquier . .. . .23 juin 4567. notaire
Laurens. ' ...... .. ... .
M ATHEN 1 J aumc, broquier . . H
juillet 4565, notaire
Laurens ............. .
M ATHERON, Jean et Etienne
5 août 4566
notaire
oncle et neveu . ..... .. . . .'
Laurens . .... . ... ' . .. .
MAURICE, Jean , dit Gattbcrt. 30 août ,t 565 , notaire
Laurens . ' ........ ' .. '
MESTA\"ER , Esprit, berger . .
6 avril 4567 , notaire
Laurens ....... . ..... .
MlELLO U, Estève , brnssier .. o
avril ~ 56ï , notaire
Laurens .. ' .... ' .... '.
MICHELE, Jaumette. veuve 22 juillet 4565, notaire
Troussier. . . . . . . . . . . . . . . .
Laurens ............. .
MILLAN, Jean-Baptist e) bour- 21 mai ·t 566 J notaire
geois ................... .
Roc he . . ..... " ... '. '.
MILLAN, Jean-Baptiste , bour- ~ 7 janvie r .1566 , notaire
geais....................
Mitre Jehan .... " ....
MILLO UX, RoUet , revendeur.
6 avril .1567 , notaire
Laurens .. ' .. .. .... . '.
MOKTAo=--reR . Claude et Jean, 28 av ril
4566, notaire
frères ..... . .... , ...... '.
Laurens ....... . . .. .. .
NAVILLE 1 Nicolas l charp en- 48 mai 4566, notaire
ti er ... . . ' ........... ' .. .
Laurens . . ' ... " ..... .
NIVELLE, Louis, bourgeois. 43 mars ~5 66, notaire
Laurens ........... . . .
OLIVIER, Jacques, cordonnier
6 mai 4566, no taire
Laurens . ' .... '. ' . . ' ..
P AGÈS, Jean, bastier ...... . -13 février ·1566, notaire
Laurens ....... . .. . . . .
PASOAL, Claude, brassier... .1 t août 1566, notaire
Laurens ............. .
PEI ROT , Anto ine, pour Ray- 25 mai '1567. notaire
mond Geboin .. ' .. . ..... .
Laurens .... '. ' . ' _....
PERRET , Mathieu, lllarchand. 23 juillet H65. notaire
Laurens .. . .. " .... . . .
PESSEGUlER, Jean , ménager. 46 mai ·1566 J notaire
Laurens .. ' ... . . . .... .
P EYRAS, Guillaume, mar2. mai 4566 , notaire
chand ....... . ......... .
Laurens ....... . ' .... .
PEYROT. Antoine, bl'3SSier .. 48 juillet ,1565, notaire
Laurens ........ . .... .
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MARTEL, Pierre. . . . . .. . .. . 25 juin -1561,
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RE;YNŒRE, Estevenette, nobl e 0
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RIS, François, et Jean , frères -' 8
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R.H·EL, Pierre, le jeune .... .
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Roux, Bon, ménager .. . ....
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Ricard ......... . . .......
SANGUl)l. Antoine ........ . ' 8
S.U! , Francoise, veuve Ma- -' 8
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SOMAT, Amant, écu.yer ... . .
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'l'ESTORIS, Pierre, docteur ès- 17
droit .. ..... " ...........
TESTORIS, Raymond, bour- 23
geais ......... . ... . .....
TRICART, Louis, bourgeQis .. 2'
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TALONNE, Jeanne ... ' ... , .. 19
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9 juillet ~ 567, notaire
Laul'ens ...... ' .......
n juillet '1566, notaire
Laurens. ". '" ... ....
6 juin 1566, notaire
Laurens ...... . ' . .. ' ..
'2 février "567, notaire
Roche.
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SUFFREX, François, bourgeois
SUFPREN, Jean, noble_ .. ..
Repol't . ..
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mars 1566 , notaire
Laurens ..............
avril ·1567 , notaire
Laurens ..... ....... . .
j uillet 4565, notaire
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décem bre ~ 561 , notaire
Mitre Jehan ....... ....
juillet ·1566, notaire
Laurens . ....... '" . ..
juillet 1565, notaire
Laurens ..............
juin ~ 56i, notaire
Roche ...... . " . " ... _
Pierre, pour Baudoyn 28 novembre 1568, notaire
Hoche et La.urens .....
VASSEROT. Blaise . 1'e"en- .\ mai 1566, notaire
Laurens ..............
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6 mai ~56 6 , notaire
VER~lBR, J ean, bl'assier .... .
Laurens . . ............
VIGUIER, Antoine, écuyer ... 27 mars 1566, notaire
Laurens ........ . . . ...
VILLENEU\'E, Honorat .... " ' 3 juillet 1565, notaire
Laurens ..............
Vor. O:\'NE, Constant, brassier 29 mai ~ 567 , notaire
Laurens .. . ......... . .
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SOULLAGE, Pierre, cordonnier 30
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mars ' 568, notaire
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août 1567. notaire
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Delaroche. ...........
mai 1568 , notaire
Laurens ........ . .....
juillet 4565 , notaire
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juillet ·' 565, notaire
Laurens ... . ...... .. ..
mai ' 566 , n otaire
Laurens ........... . . .
mars 4566 , notaire
Laurens . . ............
mars ~56f) • notaire
Ponsard ..............
avril 1567. notaire
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août ,1566. notaire
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juillet ~565 , notaire
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Laurens ...... ........
juillet ~ 565 , notaire
Laurens ........ ......
luillet .1565, notaire
aurens ...... ........
juillet 1565, notaire
Laurens ..............
9 juin
RA. YEL , Pierre et Pey ron . -'6
frères ..... . .. . .. ' . ..... .
RAYEL, Peyron ct Pierre, 21
frères ... . . .. . ..........
RE\;'AUD, Ceri s, revendeur . n
3
203
Report.
POÈTE, Gabrielle , yeu ye
Jauffret ...... ' .... " ....
POYMlER, Honorade, veuve
Gibelin ................ · .
PO:S-SARD, J oseph, notaire .. ,
~
Report . ..
'f01'AL
conlc.n~nc,1
147-
•
'i2
1
693
'l,
La carterée étant de 24 ares, les 693 cal-terées 112 des 117 concessions ci-de.sus
1
'l,
1
507
mentionnées, font en mesure nouvelle, 166 hectares 44 ares dont 95 hectares " ares
'l, 1
au Gresc et 71 hectares 40 ares à Viousues_
�- 148Et c'est là tout ce qui reste des innombrables concessions faites par Adam de
QUELQUES SPÉCIMENS
DE S
Craponne a\IX b abi la uls de Salon !
• Il ,,'est pas étonnant ql/c p'" la sl/cussioll des temps, le changemcn t des lJ1'olJriéta11'cs,
el surtout ap,'ès une IJOssesüon de 1llns de deux siècles el dcm,i , les p,'op,.iéta.ù'es
d'at,j ourd'hui 'I l 'aient pas C011servé t,oules ces concessions dissémi1lées, qllelq nes 'unes che:;
ANCIENS ACTES, REÇUS PAR ~JAIN PUBLIQUE,
PORTANT CONCESSION D'ARROSAGE A PERPÉTUITÉ
dix ou. dou :;e notaires qui eJ..'i staieu l au sei:.ième siècle . ))
AUX HABITANTS DE SALON,
• Mais la trés-majeure. partie de ces concessions avaient été reçues par J oseph
Roche, notaire d'Adam de Craponne , Deux registres à ce destinés en étaient
= 5 7 ....
remplis suivant la notoriété publique, Ces registres ne se sont plus trouvés vers
t770, époque des procés dont nous avons parlé ci-dessus; c' est ce qui explique
les difficultés de la position de la commune de Salon à cet égard, "
(Rappor t de la Commission de l'OEuvre de Craponne, 1823, dit le Livre-Verl, pages
Promission d'arrosaige pour Françoise Saxi.
58 et 59).
L'au mille cinq cens soixante-cinq et le dix-huit de juillet Federic de Ct'aponne escuier
de la ville de Sallon, procureur et au nom d'Adam de Craponne, son frère, escuier dudit
Sallon , fondé de procuration receue par IJ' Gauchi er Ca7.allet, notai re roya l dud. Salon,
l'an présent et je jour en icelle conteneu, leq ll el de son bon gré, a promis et promect à
Françoise Saxi vefue de feu Pierre lJartinon à Sallon , présente, de luy ar roser bien et
deuement toutes les foys et qua ntes que besoin et necessair e ser a les ungs aprés
les aultres et par son rang à perpétuité , aux propr es costs et despans dnd. de Craponne, cinq carteyt'ades de vergier que la d. Saxi a dict auoir a terroyt· dud. Sallon , à
scauoir deu:!: carteyrades à Canourgues, confrontant de deux parts au vergier de~ heoirs
de feu Laurent Fournillier et aultres. - Item, trois ('arteyrades au chemin d'Avignon,
confrontant au vergier dud . Federic de Craponne et Bastide de Jehan Castel et aultres;
pour lequel arrosage icelle Saxi a promis payer aud. de Craponne ou a ux siens cinq
escus d'or vallant quatre flor ins la pièce , la moytié à Noël prochain et le reste dud.
jour de Noël à ung an après prochainement suivaut, une foys seulement, et d'avantaige
payer troys solz pour carteyrade toutes les foys qu'ils seront arrosés à t ousiourmais . A esté de pache que la d. Saxi sera teneue fayre une gouargue siue canal de bois
et la maintenir, et tant qu'on arrosera le vergier se tenir là pour la garder ou fayre
garder; promettant, etc. , obligeant le d. de Craponne les biens dud. Adam son frère e t
l ad. Saxi ses biens présents et aduenir aux cours des submissions et seneschaussées de
ce païs de Prouence et d'ailheurs oit jurisdiction se trouueta. Jurant, etc .... Renonceant, etc. Faict aud. Sall on , en la rue publique, ez présence de Sire Pierre de Cadenet et
de M" Estienne Coiffet Chaussettier dud . Sallon, tesmoings à ce appellés et qui a scell
escripre s'est soubzsigné.
Signés, Federic de Craponne, Estienne Coiffet, Pierre de Cadenet et Laurens nolai re.
20
�-
150 -
- 151 -
rromissioll d'arrosaig c Ilour les heoirs EsticlIUC 1I0zier.
jurisdiction se trouuera qu'ils auront agréable, ferme et estable le contene,lI au présent
acte sans y contl'auenir en auteune manière à peyDe, etc. RenonçanL, etc ... Fail et passé
aud. Sallon en la boticqu p. de mol' notaire ez pré"ence de sire Francois Hoard et noble
Trophime Eyg uesier dud. Sellon , tesmoings appelés et saubzsignés .· Siguez, Federic de
Craponne, Roal'd, Eyguesiel' et Ponsard notaire.
L'an mille cinq cens soixante-six et le quatl'iesrne jour du mo)'s de ma)', Federic de
Craponne escuyer dud . Sallon , procureur de Adam de Craponne so n frère,. ausSI escuyer
dud. lieu comme a dict aparait' de sa procuration, acte l'eeeu pal' mals tre Gauchi er
Cazallet notaire dud. Sallon , en l'an etjo ur y con teneus, leq uel de son bon gré, au nom
que des~us a promis et prornect par ces présentes , à dame Catherine Humbert vefue, à
feu maistre Estienne Hozier, en sou viuant notaire dud. Sallon, mère et tuteresse de ses
en fant, heoi1'5 dud. feu maistre Hozier présente, estip ulan te, de luy arroser et bailher de
l'ean de Durance , conduicte au terroyr dnd. Sallon pal' led . Adam pour l'arrosaige
.
. des
pièces que sIen su yuent. Et premièrem ent une piece de vergier aux d. heoll'S assise au
terr0Y' dud. lieu dict les Passadoires, con tenant deux carteyrades, con frontan t au vergier de Barthelemy et Philippe Trossier, vergier de M. Jaurnet Demor ta, vel'gler de
Claude Court et au ltl'es; Item . Une aultre pièce de vergier assise au claut de Castel,
coutenant une carteyrade ou environ, confrontant au vergier de Mi chel Guilhem dit
Cucuron , vergier de Balthazard Damisano et auHl'es coufronts; Item . ung aultl'e verg ier
que lesd. beoirs ont assis au quartier de Viougues, terroyr de Sallon. contenant une
carteyrade ou enuirou 1 confrontant au vergier œAnloine Bel'thot 1 vergier de Pierre
l1artel et aultres ; Item. Ung aultre vergier assis à la barrière , con te nant trois car teyrades , confrontant au vergier dotal de Pierre Rauel, chemin l'ublic, la montagne et
aultres ; Item . Ung aultl'e vergier là auprès d'une carteyrade ou enuiron, confrontant au
ve rgier de Pierre Philipi, vergier de Hugues Gautier et au ltres confronts; Item. Ung
aultre vergier assis aud . terroyr de Sallon, lieu d. au Quintin, con tenant une carteyrade
ou environ, confrontant au vergier des heoirs François Roal'd, vigne de Loys Giraud et
auecques ses aultres confronts plus "eritables, et ce pour a toujoursmais et perpetuellement arrosants par son rang et ordre aux propres costs et des pans dud. de
Craponne, et ce moyennant lad . Humberte au nom que dessus a promis et pl'Om ect par
ces présentes payer aud. de Craponne présent , estipullant la somme de neuf escuts
pistollets, vallant quatre flourins l a pièce pour neuf carteyrades que contiennent
toutes les piéces à raison d'ung escut pour Carteyrad e pour une fois tant seul·
lement, payable en trois fes tes de Noël prochaines, commençant la prem ière paye a lad .
fesLe de Noël prochainement venant. Et oultre ce payera lad . Humberte trois soulz par
carteyrade, toutes fois et quantes qu'elle fera et voudra arrauser lesd. verg iers , promectant pour ce lesd. parties pour leur foy et sermen t pres té entre nos mains aUl( saincts
euangiles de Dieu el soubz l'obligation et ypothecque scauoir led. ùe Cl·aponne. des biens
de sand. frère et lad. Humberte des biens de ses enfanLs présents et adue nir qu'ils ont
soubmis et obligé eLh ypotbecqués aux courts dud. Sallon et de Messieurs les lieutenants
de 11' le gmnd senescha l de ce pals de Prouence, courts des submissions et d'ail heurs ou
rromCSSC d'arrosaigc pOOl' ~[e riene TeSloris, docl eur.
L'an mil cin q cens soixante-six et le dix·sept de juillet.
Féd éric de Craponne, escuyer de la yille de Sallou , au uom et com me procureur
d'Adam de Craponne, son frère, de son bon gré a promis et cou uenu, promecl et COlluient pal' ces présentes à noble et egrège personne M. Pien e Textoris , docteur ez
droits de la ville de Sal!on, présent et stipulan t pour luyet les siens heoi1'5 eL successeurs aduenir, de lu y arroser bien et deument, toutes les foys et quantes que besoin
et nécessaire sera à perpétuité, aux propres Costs et des pans dud . Adam de Craponne, les ungs loutefoys après les mtltres et cbascung par son ran g ct orùre, scauoi r
est un verger contenant uoe cal'teyrade antique, assis au terroi r de Sallon , lieu dit le
Clos du castel, confrontant de deux parts au -verger de sire Fl'ançoys Reynaud et au verger
de Barthélemy et Philippe Troussier et autres.
Item, -Ull verger et vigne ensemble, conten ant deux carteyrades d'oliviers 1 assis à la
Fouts de las Mayres) terl'oir dud, Sallon , confrontant à la vigile et au varge l' de Hugon
Aymar, vigne de Colette Astière et au chemin siue viol public et aultres ; pour leqnel
arrosage icelluy Mt Tex toris sera tenu, comme de ce faire a promis et promect par ces
présentes, payel' au d. de Craponne ou aux siens la somme de trois escus d'or, vallant
quatre florins la pièce , qu'est un escu pour carteyrade une foys seulement à la
procbaine feste de Noël, et néantmoings payer aud. de Craponne ou aux siens à
perpétuité troys soulz pour carteyrade, desd. vergers toutes les foys qu'ils seront
arrosés. Et si led. Textoris ne voulloit arroser quand viendra sou rang, ne -pourra
auoir Pea u que à Fautre arrosage que viendra par so n rang) et:le sera tenu led. de
-Craponne faire aucune leuade pour arroser le verger et vigne de la Font de las Mayres
dud . Textoris dessus co nfrontés, mais le faira led. Textoris, si bon luy semble. Promectant etc. Obligeant led. de Craponne les biens dud. Adam , son frère, en vertn de sa
procuration et led. hl' Textoris ses biens seullement présents et aduenir aux cour tz des
,;nbmissions et séneschaussées de ce pals de Provence et d'ailleurs ott j uddiction se
trouuera jurant etc. Renonceant etc. Faict et p",sé aud. Sallon, en la place des Arbres,
en présence de sire Pierre Giraud, Vellntier et de Peyron Roussel, Mesnaiger de Sallon ,
tesmoings à ce appellés et les scaichant escripre se sont soubzsigués .
.
Signés: F,'édéric de Craponne; Tex toris Pierre; Giraudy et Laurens, notaIre.
�-
152 -
Promesse d'arrosai ge pour 81ichel Guilheu, di cl Cucurou.
Du douze mars mi l cinq cens soixante· six .
l'édéri c de CI'aponue, escuyer de la ville de Sallon, frère et procureur d'Adam de
Craponne, esc uye r dud . Sallon , fond é de procuration r eceue pa r M' Gauchier Cazallet,
notaire dud. Sallou, l'an m il cinq cens soixante-cinq ot le quinziesme j our du ma ys de
juing, lequel de son bon gl'é, audict nom e t comme procureur susd . a promis et ~onu enu,
promect et conu ieot pal' ces présentes à ~:[i ch el Guilhen, dic t Cucuron, mesnalger dud .
Sallou , préseut, de Iny ar r oser bi en et deument , toutes les fo ys et q ua ntes que besoing
et nécessaire sera , les ungs loutefoys après les au ltres et chascung pal' son rang, à
perpéptu it e, à sC3uoir : un vergier ass is au terroir de Sallon , lieu dict au Grès, contenan t trors car teymdes, con fro ntant au vergier des hér itiers à feu ChoITre t Alleg ret, a n
grand chemin d'A"ignon et au grand chemi n a llan t à la Bastide dicte des Enfa ns et
aultres;
Item, ung vergier ass is and. terroir , lieu dic t les Passadières, contenan t q uatre~ v ingts
arbres, confrontant au Yel'g ier de noble An to ine Vi guie l\ vergier de Geo rges de Sitis, vergier de Bar tbélemy et Philippe Trossier, et a ultres ;
Hem.. ung vergier assi s and. ten oi r, li eu dic t aux Au lbes ) contenan t deux carteyrades
et dem ie, confron ta nt à la vigne de sil'e Antoine de Cadenet, vigne de Jacques de Morta,
vergier des heoirs de Pierre de }lorta et au ltres ;
Item , au ltre vergier en Bord ine, terroir dud. Sallon, contenan t quatre carteyrades,
confron tant au vergier de messire Jacques Mille, à la vigne de Bar thélemy Humhert,
vergier de nob le :\Jath ias Isnar d et a ultres ;
Item. aultre l'ergier au Grès de Bern ard , terroir dud . Sa1 10n , con tenant detlx carteyrades, confrontant au \"erg ier de Louis Tricart, vergier de Jehann e Rousier, au
vergier et terre d'Anto ine Ris et au vergier des h eoirs à feu Laurens Domenge e t
aultres j
Item, au tre vergier a u Grès, terroir dud it Sali on, contenant u ne car teyrade et demye,
confrontant an verger de Rolland ?ùilloud, au verger de heoirs de Gabriel de :\Jillan et
autres.
I tem, aussi tous les autres vergers que se pou,.,.ont arroser que led. Guilhen l'0w.,.a
auoir d:icy en là.
Et pour le droit dud . arrosage qu'est un escu ponr carteyrade, pa yable un e foys
seullement, iceluy Fedorie de Craponne en a quieté et quiete led . Michel Guilhen et les
siens, et ce pour les plaisirs et seruices que led. Guililen a {aiet oud. Adam de Cmponne et
aud. Fédérie
SOli
{l'ère.
A este de pache que led. Guilhen sera tenn comme de ce faire a prom is et pro mect pal'
ces présen tes, payer aud. de Craponne ou aux siens à toujours mais t r oys so ul z pour
carteyrade de vergier to ut es les foys qu'ils seront arrosés. Promectan t et obligeant
-
153 -
scanoyr, led. de Craponne les biens dnd . Adam SOI1 frère en vertu de sa procuration
présents, et aduemr, et led. Guil ben ses biens présents et aduenir l uX Courtz des submis:
~lOns et séneschaussées de ce païs de Pronence et d'ailleurs où juridiction se trouuera
urant etc. Reno nçant etc. l'aict et passé and. Sallon , en la place des Arbres en présence'
d e M Franc . Th ·
h
.
1
.
.oys
erlc, C anoyne et S' PIerre Sabatier, bourgeoys dud. Sallon, tesmoings
il. ce. appelés et soubzsignés auec led. de Craponne et led. Guilhen a dict ne sauoy r
escrlpre.
Signés : Féd él'ic de Craponne ; Théric, Pierre ; Sabaltery et Lanrens, notaire.
Promi ssion d'arrosaige pour les frères ftlartel.
d "
'11 '
mq e J U In ~ ml e cinq cens soixan te sept, Federic de Craponne escuyer de
Sallon , a u nom et comme procureur d'Adam son frère, de son bon gré a promis et
con uenu, promect ct canUlent par ces présentes à sires Colin et Co ulau Martel frères
de la ville de Sallo.n, combien que led. Colin soit absent, led. Coula u pr ésen t et sti~ullant:
de le.u~ arros er bI en et deument toutes l es foys et quantes que besoing sera a perpétUlte , an x propres coust s et despans dud . de Craponne , les ungs toutes foys après
I~s a~ltres et chascun g par son ra ng et ordre, scauoi r est un e pièce de vigne tournée
d olh Ulers, contenant tl'OyS carteyrades, assise au terroir dud. Sallon , lieud. le Portal de
Pelissanne, confrontant à la vigne de Pierre MaI· tel et à la vigne et ten'e de Jehan Alleg ret ou ses fI'ères, au Chemin Pu blic et aultres; pour lequel arrosage le di t Coulau Martel
tan t en son nom que du d. Cou lin a promis payer aud . de Crap onn e ou aux siens la
somme de trois escus d'or vallant quatr e tlouri ns pièce qu'est à rayson d'ung escut
pour carteyrade, payable à la prochaine feste de Noël, et en onl tre payer and. de Craponne e t aux siens à perpétui té trois so ulz ponr carteyrad e delad. pièce toutes les
fois que sera a rrosée, a uec pache conuenu et accordé entre lesd . parties q ue led. Martel
sera tenen fay re le fossé de son arrosage à ses despans et iceluy m aintenir ; _ Item .
De pache q n e si pour r ayso n dud. arrosaige aulcunes caues des voisins se remplissaient
d'eau et qu e lu y fe ust dommaigée sera loisible aud. de Crapon ne de Oter a ud. Martel
led. arrosage en l uy re ndan t ce qu'i l aura receu dud. Martel. - Item . Et que si lad.
pièce conteuoit plus de tro is carteyrades q ue led. Martel sera tenu payer tel surplus à
raison de un g escnt poUl' carteyrade. Promectant, etc. , obligeant led . de Craponne les
biens dud . Adam, son frère pré3ents et adueni r en vertu de sa procura ti on et led. Coulau
Mar tel sa propre personne et biens présents et adu eni r aux courts des SUbOlissions et
senesch a ussées de ce païs de Pl'O nence et d'a illeurs où jurisdiction se trouuera,
jurant, etc ... , renonçant, etc.. Fa ict et passé aud . Sallon dans la boutique de sire Pierre
Martel ez présence de sire Lays Uonin et An to ine Grauier dud. Sallon, tesmoings à ce
a ppelés so ubzignés auec lesd. parties. Sig nés l'ederic de Crapo nne, Nicolas Martel, Lays
Honin, Gra nier et Laurens, notaire.
Du vina t c
<>
�-
15. -
l'l'omission d'arrosaige IJour Gilles Arnoulx.
L'an mil cinq cens soixante-sept eL le vi9gt cinquièm e jour du moys de may, Federi c
de Craponne escuyer de Sallon , le(ruel au n om et comme procureUl' de Adam de Craponne son frère, escllyer dud. lieu , comme a dict apara ir de sa procuration l'eceue pal'
maistre Gauchier Caz.llet, notaire dnd. Sa llon, en l'au et jour y conteneus, de sou bon
gré et au Dom que dessus a promis e t couueoeu, promect e t conuient par ces présentes
à Gilles Aruoulx, marcband dud. Sallon, présent et jlour luy et les siens à l'adu enir stipullaut de luy arrouser et fayre arrouser à tousioursmais et perpétuellement, à ses
despans , de l'eau de Durance , conduite pal' led . de Craponne 1 son frère 1 au terroir
dud . Sallon, certaine pièce de vergier que led. Arnoul.x a assise aud. terroir, lieud. aux
Aubes si ue à Fouqueiran , contenant une carte~Tade, confrontant auee le vergier de
Reynaud de deux PaI·ts, le vergier de François Pascal, le chemin de Roquerousse et
auecques ses au ltres confronts pl us certains et véritables , e t ce tant et si souuent
que plai ra aud. Gillet Arnoulx de arrousel', arrousant toutes fois, pal' ordre venant
par son rang, et lorsque ses voisins dud. vergier arrouseront 1 e t ce moyennant le
prix et somme d'ung escut pistollet payable pour une fois tant se ullement, leq uel
escu t payera à la pl'ochaine Ieste de Noël, et oultre ce trois soulz à cbasque fois
que led. Arnoulx voudra arroser lad . carteyrade de vergier payables incontinent
après lesd. arrosages, aînsi que de ce faire ledit Arnoulx • promis aud. de Craponne, promectant nonobstant les d ictes parties pal' leur foy et serment pres té entre
m es mains aux saincts euangilles de Die u , et soubz l'obligation et hypothecque
scauoir led . de Craponne procureur, et en verlu de lad. procuration des biens de
Sond. frère, et led. Arnoul:\: de ses biens prése nts et aduenir, qu 'ils ont pour ce
soubilllis, obligés et ypothecqués aux courts dud. Sali on et de Messieurs les lieutenants,
de ~onsieur le senescbal de ce prése nt pais de Prouence, courts des suumissions et d'ailh eurs où jurisdiction se trouuera qu'ils aurOll~ agréable, ferme et stable le co nteneu en
ces présentes, sans y contl'auen ir en aulcune manière à peyne de payer tous despaus,
dommaiges, inthérests, renonceant pour ce à tous c1roicts à ce contraires . .l!'aicL et passé
aud . Sallon, à la place publique des Arbres, ez présence de Barthelemy Trossier et Piel'l'e
Reynaud, masson dud. SaHon , tesmoings. lesquelles parties se son t soubsignées auec
led. Trossier, signés, Federic de Craponne, Gilles Arnoul", Barthelem y Trossier et Ponsard, nota ire.
-
155 -
l'romission d'arrosaige pour Pierre ct Peyron Ravel.
L'an mil cinq cens soixante-huict et le seiziesme de januier Fédéric de Craponne
escuyer de la ville de Sallon , frère et procureur d'Adam de C:aponne, escuyer dud:
SalIon , fondé de procuratIOn receue par M' Gauchier Cazalet, notaire dud. Sallon l'an
n111 cmq cent sOlxante-cmq et le quinze de juing, de son bon gré, aud. nom, a promis
et conueneu , promect et co nuient par ces présentes à Pierre et Pey ron Rauel frères
mesnagers dud. Sallon présen~s etc.,. de leur arrouser bien et deument toutes les fOy~
et quantes que besolDg et necessaue sera, à tousiourmais les ungs toutes fois après
les aultres et chascung par son rang et ordre, aux propres cousts et des pans du dict
de Craponne, scauoir est une vigne que lesd. Rauel ti ennent de dll • Francaise Rousset
ass ise aud. Sallon, lielld l'escaliere, contenant une carteyrade an tique, ~onfronlant
la Vigne de Marthe Jaice, an chemin a llan t en Viouglles, au verger des heoirs de Catberine Gal'janne et aultres; - item, ung clos de vigne et vergier tenant ensemble assis
aud. terroir de Sallon à la Burliere, contenant cinq carteyrades, con fronta nt au chemin
allant à la Monaque aupred des MriLiers de noble Pierre Isnard et à la trau erse aUant
à
au trOll de Marin. -
Item , une vigne et vergier assises aud terroir Ueud La Font de las
Mayres , (Gresc) contenant une carteyrade antique , COnfl'Olllant au vergier de Palamede
Marc, seigneur de Chasteauneuf, ,'igne de Céris Faucon et verger dotal de M. Pierre Textoris et aultres; qu 'est en tout sept carteyrades et demye pour lesquelles lesd. Rauel
seront tenus payer de présent la somme de trente florins qu'est ung escut pOOl' carteyrade , lesquels trente florin s iceluy de Craponne a confessé d'anoir hen et r eceu desd.
Rauel auant le prése nt ac te dont les quicte, et en oultre payer aud. de Craponne à perpétuité trois solz pour carteyrade desd . pièces toutes les fois qu 'elles seront
arrosées, a esté de pache couuen u et accordé entre lesd. parties que led. de Craponue
ne pourra donn er l'eau pour arroser lesd . pièces à personne que ce soyt jusques à ce que
lesd. Rauel soyent satisfaicts de lad. somme et aussy qu'ils n'ayen t esté satisfaicts de la
goum'gue e t travail qu'ils ont fait pour rayson de l'eygage du vergier du trou de Marin;
promectant etc .. obl igeant led. de Craponne les biens dud. Adam , son frère en vertu de
sa procuration et lesd . Rauel leUl s biens présents et aduenir aux courts des submissions et sê neschaussées de ce païs de Prouence et d'ailbeurs 011 juridiction se trouuera,
jurant etc .. . r enon ceant etc .. Faict et passé aud. Sail on, el1 la rue publique ez présence de Jehan Pages, Bastier et Antoine Rey dud . Sallon , tesmoings il ce appellés, et
qui a sceu escripre s'est soubzsi gné.
Signé, Fédéric de Cl'aponne, Antoine Rey et Laurens, notaire.
�
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Syndicat libre des arrosants du canal de Craponne à Salon (Bouches-du-Rhône) contre la compagnie de Craponne
Subject
The topic of the resource
Approvisionnement en eau
Jurisprudence après 1789
Description
An account of the resource
Conflit entre les arrosants de Salon-de-Provence et la compagnie gérante le canal de Craponne
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 7912
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Barlatier-Feissat père et fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
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Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-007912_Syndicat-Craponne_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
155 p.
27 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
En 1554, l’ingénieur Adam de Craponne, désireux de fertiliser les terres arides de Salon, cherche à établir une prise d’eau dans le lit de la Durance, afin d’en dériver un certain volume. Il obtient de la Chambres des comptes de Provence une concession et, soutenu manuellement et financièrement par la communauté salonaise, il parvient à amener l’eau aux portes de la ville en 1559. Pour terminer l’ouvrage, Adam de Craponne sacrifie ses ressources, et se résout à consentir des concessions anticipées, à bas prix ou gratuites. Ne parvenant pas à tenir ses engagements, il cède par une transaction du 20 octobre 1571 la plus grande partie de ses droits sur le canal et ses eaux à ses principaux usagers et créanciers, qui forment à cette occasion une société, l’Œuvre de Salon. Les frères Ravel, agriculteurs de Salon, souhaitent achever l’entreprise d’Adam de Craponne en réalisant le prolongement du canal du moulin d’Eyguières vers Arles, à travers la Crau. Ils acquièrent le droit d’agrandir le canal principal et engagent les travaux seulement quinze jours après la transaction passée avec Frédéric de Craponne, frère d’Adam et héritier d’icelui. Ne disposant pas des moyens financiers suffisants pour mener à bien une tâche aussi importante, les frères Ravel constituent une société pour le canal d’Arles, le 4 janvier 1582. La construction de la branche d’Arles est achevée en neuf mois et les eaux arrivent à Pont-de-Crau en juin 1582. Parvenues à une entente le 16 février 1583, l’Œuvre de Salon et l’Œuvre d’Arles se réunissent pour former l’Œuvre générale de Craponne.
Cette dernière, après avoir obtenu contre la commune de Salon un jugement du Tribunal civil d’Aix le 3 août 1874 et une décision de la Cour d’appel le 12 mai 1875, affiche publiquement sa volonté de limiter le volume d’eau des arrosages de certains quartiers et d’interdire l’arrosage en dehors de ceux-ci, sauf à souscrire aux conditions et prix définis unilatéralement par la compagnie. Les habitants de Salon considèrent cette entreprise de l’Œuvre générale de Craponne comme un « préliminaire de rançonnement » et une tentative de ravir leurs titres et possessions. En outre, estimant que le mémoire produit par l’Œuvre de Craponne à l’occasion de son procès contre la commune de Salon était déjà dirigé contre eux, et compte tenu de la campagne menée dans la presse locale, assimilée à une « tactique de propagande préventive », n’ayant « pas d’autre but que d’influencer l’opinion publique » contre eux, les arrosants se décident à publier, en 1877, ce mémoire instructif sur les arrosages du territoire de Salon, depuis la création du canal.
Le syndicat libre des arrosants, - regroupant les habitants de Salon qui, depuis trois siècles, arrosent leurs propriétés en vertu de concessions qu’ils ont rapportées d’Adam de Craponne -, entend d’abord se distinguer de la commune de Salon, propriétaire d’arrosages particuliers qui n’auraient rien de commun avec les siens, pour ainsi se déclarer étranger à l’affaire jugée. Le mémoire se borne à la discussion des faits, réservant les questions de droit pour le temps où les parties se présenteraient devant les tribunaux, ce dont ses auteurs doutent : « nous avons même la conviction que lorsqu’ils connaîtront mieux notre bon droit, ceux que nous appelons nos adversaires nous laisseront en paix ». Ainsi, il est fait état des droits et devoirs de tous, tant du concédant que des concessionnaires ; la liste des concessions d’arrosage est établie dans le détail et, plus généralement, les auteurs tendent à faire reconnaître leur possession publique, non équivoque, assurée par des titres, et de manière apparente et continue par des œuvres d’art réalisées depuis le XVIe siècle, ou par les cultures dont l’existence-même témoigne d’une irrigation régulière.
Bien que les faits et le mémoire soient contemporains ou légèrement postérieurs à l’affaire du canal de Craponne (Cour de cassation, 6 mars 1876, De Galliffet c./ commune de Pélissanne), il n’en est fait aucune mention. Les deux affaires sont, en effet, indépendantes l’une de l’autre.
(Luc Bouchinet)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/193
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
Syndicat libre des arrosants du canal de Craponne à Salon (Bouches-du-Rhône) contre la compagnie de Craponne <br />- Feuille <i>Aix</i> ; 235 ; 1870 ; Dépôt de la Guerre (France) ; Erard (graveur)/Lebel (graveur)/Hacq (graveur)/Rouillard (graveur), ISBN : F802351870. <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27420" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27420</a>
Approvisionnement en eau -- France -- Provence (France) -- Histoire
Canaux -- France -- Provence (France)
Crapponne, Adam de (1526-1576)
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/329/RES-22981_Bedarride_Lettre-change-1.pdf
d09eba138498e1f4492af8fa2a83d1fa
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DROI T COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE
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PREMIER
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TITRE HUITIÈME
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DE LA LETTUE DE CHANGE
DES B IL L E T S A O R D R E
ET DE LA P R E S C R I P T I O N , / ^
PAR
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i. B ED A R R ID E
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
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DEUXIÈME ÉDITION , R E V U E , CORRIGÉE ET AUGMENTÉE
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PARIS
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LIBRAIRE
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��DROIT COMMERCIAL
LIVRE 1er
TITRE V III
DE LA LETTRE DE CHANGE, DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
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C B ia s ig e
SO M M A IRE
1.
2.
3.
4.
5.
Importance de la matière. Entraves que le commerce subis
sait avant l’invention de la lettre de change.
Effet de cette invention,
Nature des besoins auxquels la lettre de change devait faire
' face. Manière dont s’accomplit sa mission.
Ce qu’elle fut d’abord. Personnes dont elle exigeait le con
cours.
Modification qu’elle subit dans la désignation de la personne
à qui elle était payable. Conséquences quant à sa trans
mission.
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6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Personnes diverses dont elle admet le concours. Caractère
de l’opération vis-à-vis de chacune d’elles.
Elle devint bientôt marchandise. Conséquences.
Nature de l ’intérêt qui s’attache à la détermination de sa dé
couverte. Opinion de M. Locré.
Réfutation.
Casaregis en attribue l ’honneur à ses concitoyens les Flo
rentins exilés de leur patrie. Discussion.
Opinion de M. Nouguier l’attribuant aux Juifs. Ses fonde
ments, sa preuve.
Effet de la lettre de change sur le précepte prohibitif du
prêt à intérêt sans aliénation du capital.
Nécessité de se former des idées exactes du change pour
apprécier sainement la lettre de change. En quoi con
sistait le premier avant la découverte et l ’emploi de
celle-ci.
Ce qu’il a été depuis. Définition qu’en donnait l ’école ita
lienne.
On appelle également change l ’indemnité payée ou retenue
par le tireur de lettre de change. Sa nature.
Diverses espèces de change admises par l’école italienne.
Par notre ancien droit.
Doctrine sur la légalité de chacune d’elles.
Dans quelle catégorie faut-il placer le change qu’on appe
lait en Italie Gambio con la ricorso.
Doctrine du Code n’admet plus ces distinctions.
Le prix du change peut-il être reconnu usuraire lorsqu’il a
été exigé au-delà du cours. Quel est l ’élément de solu
tion de cette question.
Caractère du contrat de change sous l ’école italienne, Casa
regis, Scaccia, Azuni. Conséquences qu’en déduisait de
Lucca.
Le principe et ses conséquences furent admis par notre an
cien droit, Jousse, Savary, Bornier, Dupuis de la Serra,
Pothier.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
24.
5
Doctrine de notre droit moderne, MM. Pardessus, Frémery,
Troplong, Nouguier.
25. Le contrat de change est donc aujourd’hui ce qu’il était au
trefois. Il ne peut donc être querellé d ’usure. A quelles
conditions.
26. Le contrat de change peut devenir l'occasion d’un prêt.
Conséquences.
27. Le contrat de change participe-t-il à d’autres contrats.
Confusion dans laquelle Domat est tombé à cet égard.
28. Nécessité de ne pas donner au change les attributs et les
effets delà lettre. Ses motifs.
29. Le contrat de change est, pour sa validité, régi par l ’article
1108 du Code civil. Comment doit-on envisager la ca
pacité des parties.
30. Incompatibilité du commerce avec certaines professions. Ef
fets de la violation de la prohibition.
31. Modifications consacrées à l’endroit du mineur et des fem
mes mariées.
32. Nature de la prohibition que l ’article 85 fait aux agents de
change et courtiers.
33. Nature de l ’aval que l'arrêté du 27 prairial an x autorise
les agents de change à apposer sur les effets de com
merce.
34. Quel est l ’effet de la violaticn de la prohibition légale ?
35. L ’existence du contrat de change peut être prouvée par té
moins.
36. Confusion sur laquelle repose l ’opinion contraire. Différence
nécessaire entre la preuve du contrat de change et celle
de la lettre. Conséquences.
37. Législation ancienne sur les billets de change.
38. Silence que le Code de commerce a gardé à cet égard. Quel
les en sont les causes.
39. Effets que produiraient les billets constatant une promesse
de créer des lettres de change.
�4
DE LA LETTRE DE CHANGE
40.
Le contrat de change ne comporte pas d’autre preuve écrite
que la lettre de change. Place que la loi donne à celle-ci
dans le titre 8 du Code de commerce.
4.
— La matière de lettres de change, dans l’examen
de laquelle nous entrons, est sans contredit une de celles
qui ont le plus contribué au développement et au pro
grès du commerce, il est facile de s’en convaincre lors
que, à côté de la pratique que son usage a permis
d’adopter, on réfléchit à ce qu’était cette pratique avant
son invention.
La mission essentielle du commerce a été de tous les
temps de multiplier les échanges des divers produits,
d’aller prendre sur les lieux de productions, pour les
amener sur les marchés de consommation, les denrées
et marchandises nécessaires aux besoins, au luxe même
des populations.
L’accomplissement d’une mission de ce genre exige un
grand déplacement de fonds. Il faut payer les achats
avant ou après la revente, et ce payement qui se fait
aujourd’hui d’une façon si naturelle et si prompte, quel
les que soient les distances, était, avant l’invention des
lettres de change, extrêmement périlleux et difficile. Il
fallait transporter matériellement l’argent d’un lieu à un
autre.
Or, de quelque manière qu’il se réalisât, ce voyage de
l’argent n’était pas seulement long et coûteux, il offrait
en outre une multitude de difficultés et de périls, non
pas seulement par le peu de sécurité des grandes rou-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
5
tes, mais encore parce qu’il fallait passer à travers une
foule de fiefs, dont les possesseurs ne professaient pas
toujours un profond respect pour la propriété d’autrui.
De plus, des considérations politiques, sur lesquelles
on est fort revenu depuis, avaient porté chaque Etat à
prohiber l’exportation, non seulement des espèces mon
nayées, mais encore de l’argent, de l’or, des lingots, de
telle sorte , ainsi que l’observait l’orateur du gouverne
ment, que le commerce rencontrait de graves entraves
dans l’intérieur, et était presque impraticable avec l’é
tranger.
3 . — La lettre de change parut, et devant elle obs
tacles et entraves s’évanouirent et disparurent. On pour
rait avec justice dire d’elle ce qu’on a dit des assurances
maritimes, à savoir, qu’elle a rapproché les diverses
parties du monde. Grâce à son secours, le commerçant
trafique dans les lieux les plus éloignés, et peut sans
sortir de chez lui payer ce qu’il doit, retirer ce qui lui
est dû sans autre sacrifice que l’indemnité toute aléatoire
qu’if payera à celui qui, recevant son argent dans le lieu
de soc. domicile, seftffiarge de le restituer au lieu où le
payement doit se réaliser, ou qui escompte contre de l’ar
gent les traites qu’il tire sur ses débiteurs.
« Pour remuer cette pesante pierre, dit M. Nouguier,
il faudrait de longs efforts et le secours de vingt bras ;
employez un lévier, vous verrez un homme aisément y
suffire.
« Le pesant fardeau du commerce, c’est la valeur des
�6
UK LA LETTRE DE CHANGE
achats ; son levier, c’est la lettre de change, elle est le
signe des métaux comme ceux-ci sont le signe de la
marchandise. Par elle les montagnes s’abaissent, la mer
se tarit, les distances se rapprochent, et les millions tra
versent l’espace avec la rapidité de la poste ou de la
marche d’un navire l. »
Le pittoresque de l’expression ne lui enlève rien de
son exactitude, l’expérience de plus de cinq siècles est
là pour l’attester. La lettre de change a été pour le com
merce la plus utile, la plus merveilleuse conquête, elle
a en quelque sorte changé la face du monde commercial
en en reculant si profondément les limites.
Un si utile instrument mérite donc d’être étudié avec
soin, il importe d’en saisir le véritable caractère, d’en
constater le mécanisme et le but, de rechercher ce qu’il
fut dans l’origine, les modifications qu’il a subies et leurs
effets.
a . — Les besoins auxquels la lettre de change était
appelée à pourvoir, nous les avons déjà indiqués, c’était
de faciliter les achats à des distances plus ou moins con
sidérables , sans trop déplacer lesrëspèces monnayées ,
et de dégager ainsi le payement des longueurs, des frais
et des périls d’un transport matériel, des obstacles que
la politique pouvaient susciter et qui le rendaient si dif
ficile lorsqu’il devait s’opérer à l’étanger.
La lettre de change dès son apparition résolut admii
De la lettre de change, t. 1, p. 34.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
7
»
rablemeni ce problème, elle n’eut pour cela qu’à utiliser
le mouvement ordinaire des affaires commerciales. Il
n ’est pas de place sur laquelle ne se pratiquent consé
cutivement l’achat et la revente, cette coexistence de l’im
portation et de l’exportation amènera infailliblement à
cette conséquence que pendant qu’une partie des com
merçants auront à payer dans une localité, l’autre par
tie aura des fonds à y recevoir.
La lettre de change combinant ce double besoin lui
fait face au moyen d’une seule opération. Le commer
çant de Marseille, qui a des payements à faire à Lyon,
remet au commerçant marseillais qui a à recevoir de la
même ville l’argent qu’il serait obligé d’envoyer. Il ob
tient de lui une cédule par laquelle celui-ci indique à son
débiteur de payer celui qui la lui présentera. Cette cé
dule est par celui qui la reçoit transmise à son créan
cier qui retirera ainsi ce qui lui est dû, et toutes les det
tes seront éteintes au moyen de cette compensation ré
ciproque.
Cette cédule c’est la lettre ce change, qui n’a pas tou
jours été ce qu’elle est aujourd’hui.
4. — Dans l’origine et pendant longtemps elle n’exi
gea que le concours de deux personnes pour sa consti
tution, à savoir, le tireur, c’est-à-dire celui qui recevant
l’argent donnait la lettre de change ; le preneur ou por
teur, c’est-à-dire celui qui acceptait la lettre en échange
des fonds qu’il versait.
La coopération d’une troisième personne devenai
�8
DE LA LETTRE DE CHANGE
indispensable dans l’exécution. Le payement devant être
effectué dans un lieu autre que celui dans lequel le titre
était créé, on ne pouvait exiger que le tireur se trans
portât lui-même au lieu indiqué pour payer à l’échéance.
Ce soin fut confié à un tiers qui en recevait la délégation
dans la lettre même, et qu’on appelait le tiré.
Le payement, qui se faisait par l’office de mandataire,
n’était reçu qu’au même titre, toutes les fois que le por
teur ne jugeait pas devoir présenter personnellement la
lettre de change. Il la transmettait alors avec le man
dat de la recouvrer, et ce n’était qu’eu vertu de ce man
dat que le payement pouvait en être poursuivi et reçu.
5.
— La lettre de change n’était donc encore qu’un
titre dont la propriété ne cessait pas de résider sur la
tête du preneur. On n’avait pas encore tiré de l’institu
tion toutes les conséquences dont elle était susceptible.
Ces conséquences en découlaient cependant d’une ma
nière si naturelle, qu’on s’étonne à bon droit qu’on ait
été si longtemps à les découvrir et à les mettre en pra
tique. La lettre de change remonte pour son invention
au treizième siècle, et ce n’est que dans le dix-septième
qu’à ces mots : 'payez à M. tel, on ajouta ceux-ci : ou
à son ordre
Celte innovation eut une immense portée. Dès cet ins
tant la lettre de change n’est plus seulement un titre de
créance, elle devient une véritable monnaie circulant
dans le commerce, et, ainsi que nous l’enseignait notre
savant professeur, M, Cresp, donnée, reçue comme de
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
9
vraies espèces, aussi sûre, plus portative, et ayant, sur
la monnaie effective de chaque peuple, cet avantage
d’ètre la monnaie de tous les peuples, d’être partout
donnée et reçue en payement avec la même facilité, avec
la même confiance.
Désormais donc le mandat exprès du porteur ne fut
plus nécessaire. La simple signature sur le dos de la let
tre de change constitua ce mandai tout comme la délé
gation formelle du payement établit le transfert absolu
de la propriété.
6.
— Dès ce moment aussi la lettre de change vit se
multiplier les personnes dont le concours était indis
pensable. Aujourd’hui encore un tireur, un preneur, un
tiré assurent au litre la forme de la lettre de change ;
mais il en existe peu qui n ’offrent d’autres personnes à
côté de celles-ci, et ces autres personnes sont les endos
seurs, c’est-à-dire ceux qui achètent successivement la
lettre de change.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’entre le porteur et son
cessionnaire qualifié d’endosseur, le contrat intervenant
était le contrat de change, le même que celui qui se réa
lisait entre le tireur et le preneur. Or, ce contrat étant,
comme nous aurons à l’établir, une véritable vente, il e n .
résultait que chaque porteur, en cédant la lettre, deve
nait garant de son payement envers les endosseurs sub
séquents, à moins de stipulation contraire.
*9. — Cette transmission facile, les garanties qui s’a
�DE LA LETTRE DE CHANGE
joutaient successivement à celle du premier signataire et
qui en rehaussait singulièrement l’utilité comme agent
de crédit, imprimèrent à la lettre de change une nouvelle
transformation. De monnaie elle devient marchandise
achetée et vendue au cours que les besoins de la place
viennent fixer. Son exploitation vint s’ajouter à l’indus
trie des banquiers qui s’y vouèrent. Elle consistait, dans
l’origine, à donner des lettres de change sur quelque
lieu que ce fût, et à les faire payer par un correspon
dant.
Cette industrie acquit bientôt la plus haute impor
tance. La vente et l’achat des lettres de change prirent
de tels développements qu’on crut devoir créer des offi
ciers publics chargés d’en déterminer le cours, et d’être
les intermédiaires légaux des parties.
En somme, la lettre de change est devenue l’agent le
plus actif, le plus indispensable de tout commerce, elle
facilite les rappoits non seulement de citoyens à citoyens,
mais encore de nations à nations ; tour à tour argent ou
marchandise, elle supplée à tout, suffit à tout, et ne
cesse de rendre les plus immenses, les plus signalés ser
vices.
8 . — On comprend dès lors les efforts tentés par nos
anciens jurisconsultes pour découvrir les circonstances
qui virent naître les lettres de change, et en déterminer
le véritable inventeur. Cette recherche était loin d’ail
leurs d’être un objet de curiosité pure, elle devait avoir
une influence sur la détermination du véritable carac-
�'
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
11
tère des lettres de change. On était naturellement ame
nés à décider ce qu’elles doivent être parce qu’elles
avaient été dans la pensée de leurs inventeurs.
Cette recherche a également préoccupé nos juriscon
sultes modernes. L’un d’eux, M. Locré, est arrivé à une
conséquence que nos anciens n’avaient pas même soup
çonnée. A son avis, la lettre de change ne se serait pro
duite que par un effet naturel des besoins et des pro
grès du commerce. On ne doit donc en rechercher l’ori
gine que dans l’extension des relations commerciales qui
a été la suite de ce progrès, et qui a produit la néces
sité de balancer les valeurs réciproquement acquises ou
déposées entre des négociants éloignés les uns des au
tres, et mutuellement créanciers et débiteurs l.
» . — Cette opinion indique comme cause ce qui n ’a
été, ce qui n’a pu être qu’un effet. Quelles ont pu être,
en effet, ces relations entre commerçants, alors que tout
se bornait à des achats respectifs qu’on était obligé de
solder en numéraire qu’on transportait sur les marchés
de production lorsqu’on ne les contractait pas par l’é
change de denrées ou marchandises ? C’est-à-dire alors
qu’il n ’existait entre le vendeur et l’acheteur d’autre in
termédiaire que celui qui transportait matériellement
ces fonds ?
Ce n’est donc qu’après que la lettre de change est
venue augmenter le numéraire et en constituer la rapide
1
Esprit du Code de commerce, tit. 8 , sect. 1 ,
�12
DE LA LETTRE DE CHANGE
circulation, que les relations commerciales ont pu s’é
tendre, se multiplier et devenir progressivement ce qu’el
les sont aujourd’hui.
Ce n’est donc pas dans ces relations qu’il faut cher
cher l’origine de la lettre de change. Ce qui le prouve
rait, c’est la lenteur qu’on a mise à en tirer toutes les
conséquences. Pendant trois siècles entiers le commerce,
muni de cet énergique et puissant levier, n’a pas su lui
donner le développement dont il était susceptible. Ce qui
peut être vrai, c’est que l’idée de compléter la lettre de
change, en la rendant payable à ordre, est née des be
soins que les relations commerciales développaient, mais
ces relations, c’est elle qui les avait créées.
Aussi l’opinion de M. Locré n’a-t-elle converti per
sonne. Après comme avant, la seule difficulté que l’ori
gine de la lettre de change ait soulevée est celle de savoir
si elle a été inventée par les Florentins proscrits de leur
patrie tantôt comme Guelfes, tantôt comme Gibelins, ou
aux Juifs expulsés de France en 640, 1186, 1316.
ÎO . — C’est naturellement en faveur des premiers
que se prononce l’école italienne, notamment Casaregis,
qui fait de cette invention une des gloires de sa patrie.
Alla glorie délia nazione sempre ingegnata de i Florentini di avéré avuto un Galileo gui scuopri nuovi
cieli, un Amerigo Vespucci che trova nuove terre, ed
un Accursio che nell inlerpretare le leggi, fu il prin
cipe dei giuricunsulti, si puo aggiungere il nuovo
contralto di cambio trovato da i noslri concittadim
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
13
délia parte guelfa,per retirare sensaspesa epericolo
li loro sustanze délia patria in lione, ove cacciati
délia parte contraria de i Ghibelhni s'erano refug ia ti l.
Que les Florentins réfugiés en France aient fait usage
de la lettre de change pour se procurer les ressources
que leur exil leur rendait nécessaires, c’est plus que pro
bable. Mais cela ne suffit pas pour leur en attribuer l’in
vention, surtout si des documents authentiques et irré
fragables attestent que sa connaissance s’était répandue
bien avant leur exil.
Or, çet exil date de la fin du quatorzième siècle, et un
statut avignonnais, de TSS43, renferme tout un chapitre
spécialement consacré à la lettre de change. Nous re
trouvons encore cette lettre mentionnée dans une loi de
Venise de 4272.
En réalité donc la lettre de change était connue en
Italie et dans le comtat Venaissin dès le treizième siè
cle, il ne peut pas être dès-lors que les Florentins l’aient
inventée au quatorzième siècle. S’ils ont eu recours à son
emploi, c’est que suivant toutes les apparences sa con
naissance s’était répandue pendant le siècle entier qui
sépare le statut avignonnais et la loi vénitienne de la sen
tence de leur expulsion.
i
«*>
1 1 . — C’est surtout cette démonstration mathéma
tique qui porte M. Nouguier à repousser la prétention
i Disc. 218, n° 4.
�14
DE LA LETTRE DE CHANGE
des Florentins, et à attribuer l’invention de la lettre de
change aux Juifs expulsés de France.
Leur bannissement concorde avec les dates que nous
venons d’indiquer. S’il est vrai que le dernier remonte
à 1316, et par conséquent à une époque postérieure au
statut d’Avignon et à la loi de Venise, les deux premiers
les ont précédés l’une et l’autre puisque l’un se réali
sait en 640, l’autre en 1186.
A cette considération décisive, M. Nouguier en réunit
une foule d'autres non moins plausibles et qui toutes
justifient la conclusion qu’il en tire. Nous nous en réfé
rons donc à ses observations.
La connaissance spéciale que nous avons de la légis
lation mosaïque rend pour nous cette conclusion irré
fragable, avec d’autant plus de raison que celte connais
sance nous met en position d’avancer que de tout temps
les Juifs, entre eux, ont pu et dû employer la lettre de
change.
Ils l’ont pu, car cet emploi leur était en quelque sorte
inspiré par les précédents puisés dans leur loi même.
On y trouve en effet et à chaque pas des institutions ana
logues pour les actes ordinaires. C’est ainsi qu’ils avaient
les lettres de répudiations, les lettres d’achat et de vente,
les lettres de donations, les lettres d’échange, etc. Or,
comme l’observe justement M. Salvador, dans ses Insti
tutions de Moyse, de toutes ces lettres à la lettre de
change, il n’y a qu’un pas.
Ce pas il durent le franchir. La dispersion fut pour
les Juifs l’origine et la source des plus cruelles persécu-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
15
tions, même dans les contrées qu’il leur était permis
d’habiter. Les rois, les princes, les seigneurs, les ma
nants eux-mêmes ne cherchèrent longtemps qu’à s’enri
chir de leurs dépouilles.
Cependant, de l’aveu de tous, ils furent aux mêmes
époques non seulement à la tête, mais encore en posses
sion presque exclusive du commerce. Dirigées forcément
vers ce but, leur activité et leur intelligence surent lui
imprimer d’assez considérables développements. A eux
surtout semblait appartenir le soin de prendre à l’étran
ger ses divers produits, et de les introduire sur les mar
chés qu’ils fréquentaient.
Nous avons déjà dit combien était difficile et péril
leux le transport matériel des métaux. Ces dangers exis
taient pour les Juifs à un bien plus haut degré que pour
tous les autres. Aucun seigneur, aucune communauté
ne se faisant faute de les arrêter, de les emprisonner
lorsqu’ils les trouvaient sur leur domaine. Leur tâche
eût été donc impossible à remplir si, à l’aide de moyens
convenus, ils n’avaient pu éluder les prohibitions et
frustrer l’avidité qui les guettait au passage.
Ces moyens ne pouvaient être que l’emploi de la let
tre de change. Les liens de fraternité qui les unissaient
rendaient cet emploi facile et servait utilement leur in
térêt, en les dispensant de porter avec eux les sommes
qu’exigeaient leurs nombreuses opérations. Chacun d’eux
trouvait en tous pays des frères, des parents, des amis
qui payaient pour eux, pour lesquels ils payaient à leur
tour.
�DE DA LETTRE DE CHANGE
Leur expulsion du royaume dut les forcer à commu
niquer aux non juifs un emploi jusque-là concentré
entre eux. Comme la mesure les frappait tous indistinc
tement, ils durent, pour tirer leur fortune des pays
qu’ils abandonnaient, se procurer des correspondants,
des complices, comme le dit Chirac , entre les mains
desquels ils déposèrent leur actif, en convenant des
moyens de le reprendre.
Que ce procédé n’eût pas frappé l’attention du com
merce en 640, l’état des choses l’explique suffisamment.
Qu’était à cette époque le commerce ! Mais il ne pouvait
en être ainsi en 1186. A cette époque, les Juifs se réfu
gièrent en Italie, qui avançait dans le commerce à pas
de géant et qui ne pouvait rester indifférente en pré
sence d’une découverte qui était de nature à en hâter
encore le développement et le progrès. Et si nous ne
voyons pas la lettre de change généralement en usage
dès cette époque, c’est qu’il fallut un certain temps pour
que sa connaissance fût publiquement acquise.
Nous avons donc raison de donner, comme le fait
M. Nouguier, une origine juive à la lettre de change.
Mais notre démonstration ne serait pas complète si, aux
considérations qui précèdent, nous n’ajoutions pas la
suivante.
Pour les Juifs, la création des lettres de change ne
devait pas seulement servir un intérêt actuel, elle pouvait
et devait encore sauvegarder l’avenir.
Le motif principal de leur expulsion était le désir de
profiter de la confiscation qui en était la conséquence. On
�17
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
les avait soumis à des impôts excessifs dont on n ’enten
dait pas se priver tout en les expulsant. Cela est d’autant
plus certain, qu’on ne pourrait autrement expliquer
cette circonstance singulière que lorsqu’un juif se con
vertissait, en confisquait sa fortune. Cette confiscation,
dit l’immortel Montesquieu, était une espèce de droit
d’amortissement pour le prince ou pour les seigneurs
des taxes qu’ils levaient, et dont ils se trouvaient frustrés
lorsque les Juifs embrassaient le christianisme.
C’était évidemment au même titre que la confiscation
était décrétée en cas d’expulsion. Dès-lors les moyens
d’éviter celle-ci étaient de rendre la confiscation infruc
tueuse et d’intéresser ainsi les rois et les seigneurs à ne
point renoncer aux taxes et impôts qu’il leur plaisait
d’établir. Ces moyens consistaient pour les Juifs à déna
turer leur fortune nécessairement mobilière, à la rendre
insaisissable, impalpable en quelque sorte. Ce but, la
lettre de change l’atteignait infailliblement.
« Les Juifs, dit le célèbre auteur de l'Esprit des Lois,
proscrits tour à tour de chaque pays, trouvèrent le
moyen de sauver leurs effets, par là ils rendirent pour
jamais leurs retraites fixes, car tel prince qui voudrait
bien se défaire d’eux ne serait pas pour cela d’humeur
à se défaire de leur argent.
« Ils inventèrent la lettre de change, et par ce moyen
le commerce put éluder la violence et se maintenir par
tout, le négociant le plus riche n ’ayant que des biens
i — 2
�18
DE LA LETTRE DE CHANGE
invisibles, pouvant être envoyés partout et ne laissant
des traces nulle p a r t l. »
Montesquieu n’hésite donc pas sur l’origine de la let
tre de change, et son opinion est celle que l’école fran
çaise avait presque unanimement adoptée.
1 3 . — C’est ce qui a permis de dire que la lettre de
change était sortie du sein de la vexation et du déses
poir. Par son aide, le commerce prit bientôt les plus
larges développements. C’est par elle que se constitua le
crédit public et particulier, que les capitaux acquirent
cette liberté et cette rapidité de circulation que la raison
d’état leur faisait refuser ; c’est par elle enfin que dispa
rurent ces préjugés que l’esprit religieux avait inspiré,
et qui furent pendant si longtemps des obstacles invin
cibles au progrès commercial.
En effet, et c’est l’illustre Montesquieu qui l’enseigne,
les théologiens n’avaient pas hésité à appliquer au com
merce le principe prohibitif du prêt à intérêt ; ce qui non
seulement n’avait pas peu contribué à en arrêter l’es
sor, mais l’avait même complètement ruiné. L’existence
de la lettre de change, les facilités q u ’elle offrait pour
échapper à la prohibition par la simulation des som
mes données et reçues, les porta à modifier ce principe
et à se relâcher de leur sévérité ; et le commerce, qu'on
avait violemment lié avec la mauvaise foi, rentra,
pour ainsi dire, dans le sein de la probité 2.
1 L iv. 24, chap. 20.
2
Loc. cil.
�OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
19
13- — L’origine de la lettre de change en détermine
avec précision le caractère essentiel. Son objet réel est
défaire trouver dans un lieu déterminé un argent compté
et perçu dans un autre lieu. C’est donc le change d’une
place sur une autre qu’elle doit constater et réaliser. On
ne pourra donc l’apprécier sainement qu’en se faisant
une idée exacte de ce dernier contrat.
Avant l’invention de la lettre de change , on connais
sait le change, mais seulement comme une opération se
réalisant dans un même lieu et consistant uniquement
dans l’échange des monnaies, moyennant un certain
prix que payait l’une des parties. Ce change était prati
qué en Grèce et à Rome. Les Romains l’appelaient collybus ; ils qualifiaient de collybistœ ceux qui en faisaient
leur industrie.
1 4L. — Depuis la lettre de change, le change a pris
des proportions plus amples. Dans le fond, cependant,
il est toujours le même : c’est de l’argent qu’on se pro
cure contre de l’argent ou du papier ; seulement la som
me reçue dans un lieu, par le preneur de la lettre de
change ou par le tireur, ne sera restituée que dans une
autre localité. C’est dans ce sens que, définissant le con
trat de change, Casaregis enseignait que non e altro che
un compra del denaro assente col prœsente, eambiandosi questo con quello l.
i Disc. 218, n« 16 V de Lucca,
n» 4.
de camb., Disc. 3, n® \, et Disc. 4,
�20
DE LA LETTRE DE CHANGE
C’est surtout ce caractère, cette remise de place en
place qui caractérise et constitue le change, donnant
naissance à la lettre de change, et qui le distingue du
collybus des Romains. C’est ainsi que Scaccia définit
celui-ci une vente de pecunia prœsente cum pœcunia
prcesente, et l’autre, la vente de pecunia prœsente, cum
pecunia absente.
15. — Le mot change a reçu dans l’usage une au
tre acception. On désigne sous cette qualification le prix
moyennant lequel le banquier qui délivre ou escompte
une lettre de change se paye de l’avance qu’il consent.
Ce prix est essentiellement variable. Ses éléments sont la
position et les besoins de la place où se réalise la créa
tion ou l’escompte relativement à celle sur laquelle la
lettre de change est tirée, l’abondance ou la rareté de
l’argent ou du papier ; enfin, et pour le change à l’étran
ger, la différence nominale des monnaies réciproques et
la distance viennent nécessairement se joindre à ces élé
ments.
On comprend combien ces circonstances doivent in
fluer sur le taux de la négociation. Il importe donc que
les commerçants soient au courant, car il peut arriver
que la partie qui supporte ordinairement l’indemnité soit
appelée à la recevoir l.
Le change est indépendant de l’escompte et de la comi M ontesquieu,
v»
Change.
Esprit des Lois, liv 22, chap. 10. Merlin, Répertoire,
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
21
mission que le banquier peut percevoir, mais il n’est
dû que si l’opération contient réellement la remise de
place en place et exécute dès-lors le contrat de change.
Le défaut de remise laisserait l’exigence d’un change
sans motifs, et en rendrait la perception usuraire.
IG. — L’école italienne distinguait diverses espèces
de change : le change réel et direct, le change oblique,
le change sec et illicite. Le premier était celui auquel
donnait lieu le contrat de change ou la remise de place
en place.
Dans le change oblique, les jurisconsultes italiens
voyaient trois contrats, à savoir : le prêt, le mandat, le
change. Le change sec et illicite n’était considéré que
comme une usure.
Il était dès lors important de déterminer son carac
tère et les conditions auxquelles on le devait reconnaî
tre. Ce caractère et ces conditions les voici : Quando
siimma non est realiter transmissa ad nundinas, vel
quando campsor non habet in loco solutionis cambiorum corresponsalem habentem proprias vel aliénas pecunias quibus saltem virtualis solutio fierip o ssitl.
I 1? . — Cette distinction fut admise par nos anciens
jurisconsultes. Us y ajoutèrent un change spécial et re
connurent en conséquence :
1 Casaregis, Disc. 248, n°s 3 e ts u iv ; Dise. 28, n 0' 9 et 10. De Lucca,
de Cambio, Iiv, 5, n» 9,
�22
DE LA LETTRE DE CHANGE
1° Le change menu, minutum seu manuale, consis
tant dans l’échange des monnaies ;
2° Le change de place en place, s’exécutant au moyen
de la lettre de change ; 7
3° Le change particulier à la ville de Lyon. Le désir
de favoriser les foires, et notamment les quatre qui se te
naient annuellement dans la ville de Lyon, avait fait ac
corder aux négociants qui s’y rendaient le privilège de
stipuler un intérêt de deux et demi pour cent pour l’in
tervalle d’une foire à l’autre , ce qui portait à 10 pour
cent le taux annuel de l’intérêt.
Ici le change était considéré comme une industrie en
faveur des capitalistes ou banquiers qui, par l’avance de
fonds, contribuaient au succès des foires. Mais le taux
élevé de ces intérêts avait de quoi tenter la cupidité.
Aussi chacun se qualifiant de marchand fréquentant les
foires de Lyon, on ne manquait pas de stipuler le deux
et demi pour cent pour chaque trois mois. La preuve de
cet abus se trouve dans un édit de 1311, par lequel
Philippe—
le-Bel défend ce change à tout le monde, sauf
aux marchands trafiquant réellement ès foires de Lyon ;
4° Enfin le change sec, feint, adultérin ou impur. Ce
change, dit Dupuis de la Serra, est une imitation ou plu
tôt une fiction de la seconde espèce, mais, en effet un
prêt usuraire. Il n’en sera parlé, ajoute-t-il, pour ne pas
l’enseigner.
On peut s’étonner avec Mareschal de la qualification
de sec, donnée à ce change et dire avec lui : N e s c io
qua
r a t io n e ,
puisque, par icelui autant qu’autres on
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
25
tire la substance, c'est-à-dire l'argent et les moyens
des personnes qui en souffrent sur eux patiemment l'u
sage.
Mareschal aurait pu dire : puisque par icelui plus
que par tout autre. En effet, rien dans ce contrat n’af
fectait les allures d’un change ; il n’était qu’une usure
portée à un point tel que le bénéficiaire du contrat n’o
sait pas se faire connaître. L’opération se réalisait par le
ministère d’un intermédiaire prenant le nom de cour
tier et traitant seul avec le débiteur, de telle sorte que
si, à l’échéance, celui-ci refusait d’exécuter le contrat,
la somme réellement reçue par lui était perdue pour le
propriétaire qui, n’osant dévoiler ses usures, et n’étant
pas même désigné par le titre, se renfermait dans une
prudente inaction.
On comprend ce que devait être l’usure exercée dans
de pareilles circonstances, et combien cher devait être
payée la chance de perdre les fonds prêtés.
1 8 . — Cette division, toute théorique, n ’avait pas
reçu la sanction de la pratique. L’opinion publique l’a
vait repoussée. Echo de cette opinion, Dupuis de la Serra
s’écriait : il n’y a que deux changes licites dans le mon
de : le change d’une monnaie contre une autre, celui
par lettre d’un pays sur un autre. C’était là une vérité
aussi exacte qu’incontestable, qu’on n’a pas hésité à ac
cepter et à pratiquer de nos jours. Toute opération qua
lifiée change, et qui ne rentrerait ni dans l’une, ni dans
�DE LA LETTRE DE CHANGE
l’autre de cas deux catégories, ne serait plus qu’une
usure palliée dont les magistrats feraient justice.
1®. — Devrait-on considérer comme tel le contrat
que les Italiens avaient appelé : Cambio con la ricorsa°l
Voici en quoi il consistait :
Primus, banquier à Gênes, reçoit de Secundus une
somme de 1000 écus pour la lui faire payer à Lyon.
Plus tard, le correspondant de Primus, sur lequel celuici avait fourni, lui mande qu’étant dans l’impossibilité
de payer, il ne sera pas fait honneur à la traite.
Primus ne connaissant à Lyon personne autre qu’il
puisse charger du payement, s’adresse à Secundus, et
entre eux intervient l’opération suivante :
Ils conviennent que Tertius, correspondant de Secun
dus, créditera celui-ci de 1000 écus dont il débitera
Primus, sur lequel il fournira , pour cette somme ainsi
que pour le coût du premier et du second change, par
une traite à l’ordre de Secundus, et dont il le débitera.
Ainsi le payement qui devait s’opérer à Lyon ne s’y
réalisera que fictivement. C’est à Gênes, où il avait donné
les fonds, que Secundus les retirera. Il sera remboursé
du change qu’il avait payé de Gênes sur Lyon, et il per
cevra le change de Lyon sur Gênes.
La légitimité de cette opération serait incontestable si
elle était sérieuse et sincère, si la traite de Gênes sur
Lyon avait un but réel, et si le défaut de payement dans
cette dernière ville était le résultat de circonstances for
tuites et imprévues.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
25
Mais il devrait en être autrement si lors de la créa
tion de cette traite les parties savaient qu’elle ne serait
pas payée à Lyon, où l’une n’avait nul besoin d’argent,
et l’autre aucun moyen d’y en faire trouver.
Dès-lors, disait Pothier, c’est par les circonstances
qu’on devra se prononcer. Si Secundus n’avait pas be
soin de lettre de change sur Lyon où il avait des fonds,
le contrat de change intervenu entre lui et Primus n’est,
dans la véritable intention des parties, qu’un prêt d’ar
gent qui n’a été enveloppé d’une couleur apparente de
change que pour que Secundus retirât, sous le nom de
change, un intérêt plus considérable de l’argent qu’il
prêtait. Mais si Secundus avait effectivement besoin de
fonds à Lyon tors du contrat, et que ce ne soit que par
des circonstances survenues depuis que par la suite il
a retiré à Gênes l’argent que Primus lui avait donné à
recevoir à Lyon, en ce cas le contrat de change ayant
été sérieux, le droit de change qu’il a reçu est licite *.
8 0 . — On devrait d’autant plus le décider ainsi, que
le Code de commerce n ’a admis aucune distinction. Les
discussions que les prétendues opérations de change peu
vent soulever n’offrent à résoudre qu’une seule question :
y a -t-il ou non change sérieux et réel ?
Si des circonstances, de la position des parties, des
suppositions que la lettre de change peut contenir, tou
tes choses livrées à l’arbitrage souverain des tribunaux,
i
Contrat de change, n° 57.
�26
DE LA LETTRE DE CHANGE
il apparaît qu’il n’y a pas eu remise de place en place,
aucun doute ne pourrait exister. Tout ce qui a été perçu
à titre de change n’est plus qu’un intérêt déguisé, ré
ductible au taux légal et remboursable pour l’excédant.
2 1 . — Nous ayons dit que le cours du change est es
sentiellement variable. Faut-il en conclure que les par
ties sont entièrement libres dans sa perception ? La réa
lité du contrat de change est-elle absolument exclusive
de toute idée, de tout reproche d’usure?
La solution de ces questions dépend du caractère
qu’on doit assigner au contrat de change. En principe,
l’usure ne peut exister que dans le prêt direct ou dégui
sé, il faudrait donc, pour qu’on pût la réaliser dans le
change , que ce contrat constituât un prêt. Examinons
ce qu’il en était en Italie, autrefois le pays commercial
par excellence, ce qu’en ont pensé les jurisconsultes fran
çais avant et après le Code.
2 2 . — En Italie on comptait jusqu’à quatre opi
nions sur la nature et le caractère du contrat de change.
La première n’y voyait qu’un prêt pur et simple, et
condamnait dès lors le change comme constituant un
intérêt. Elle était généralement suivie par les casuistes et
les théologiens prohibant tout intérêt en dehors de l’a
liénation du capital : Prima opinio est, quod fit mu-
tuum, hancque opinionem secuti sunt ii qui hœc ipsa
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
27
de causa, detestantur cambia tanquam illicita et usavaria l.
La seconde opinion faisait du change un contrat in
nommé : Do ut des, do ut facias.
La troisième ne le considérait que comme l’échange
de l’argent contre de l’argent : Permutatio pecuniœ
pro pecunia.
La quatrième, enfin, admettait le change réel de place
en place comme un contrat d’achat et de vente d’une
somme d’argent, ou d’une créance due à l’un des con
tractants. La chose vendue était la somme due par le
tiré au tireur, le prix était la valeur livrée par le pre
neur.
Scaccia examine ces quatre opinions ; il fait longue
ment ressortir combien les trois premières s’écartent de
la vérité ; répond à quelques objections contre la qua
trième, et se prononce pour celle-ci : Ego eligendam
esse existimo quartam opinionem, quod cambium fit
emptio venditio, tum quia efficaciter probatur, tum
quia videtur magis communem3.
Scaccia dit une chose vraie en avançant que l’opinion
qu’il adopte était plus communément admise. Nous
avons déjà cité la définition que Casaregis donne dans
ce sens et que nous retrouvons dans le Dictionnaire dans
lequel Azuni résume la doctrine et la jurisprudence :
Cambio dicesi la operatione, con la quale si compra in
un luogo, un credito esigibile tn un altro.
1 Scaccia, de Comm.,
2 Ibid., n° 37,
et Camb., § 1, quest, 4, n ° 4 .
�28
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce qu’on induisait de là, c’est que le change ne pou
vait renfermer aucune usure. Cette conclusion est celle
d’un jurisconsulte dont on ne contestera la compétence,
ni au point de vue de la science, ni à celui des princi
pes religieux, du cardinal deLucca: Dictoque contraclu
posito infertur, non cadere usnram, cum hœc non datur sine mutuo vero , vel interpretativo quod ita
abesse judicandum fuit ; dum contractus cambii nullam sub se contineat mutuum verum vel interprétativwn l.
583. — La vérité n’a rien à craindre du temps, qussi
les opinions qui s’étaient produites en Italie passant dans
le droit français, c’est à la quatrième que se rallièrent
nos auteurs les plus distingués.
Jousse ne voit dans le contrat de change qu’une ces
sion, un transport d’une somme d’argent que le tireur
fait à celui au profil ou à l’ordre de qui la lettre de
change est souscrite, pour être payée par le correspon
dant de ce tireur dans un autre lieu que celui d’où la
lettre est tirée3.
Cette doctrine est celle de Savary, de Bornier. « Il y
en a, dit ce dernier, qui ont cru, par la manière dont
on use dans le commerce des lettres de change, que c’est
un contrat d’échange. Néanmoins l’opinion la plus com
mune est que c’est un contrat d’achat et de vente ; que
1
De camb., dise. 24, n» 2.
2 S ur le titre 5 de l’ordon. de 1673.
�vente, et l’argent qu’on trouve dans le lieu désigné par
celui qui a pris à change est la chose vendue et achetée l.
Nous pourrions multiplier les citations, nous nous
bornerons à en rapporter une dernière. Dupuis de la
Serra, dans son Traité sur les lettres de change, se
range à cette même opinion qu’il justifie par de nom
breux emprunts à la doctrine de Scaccia.
Ayant ainsi posé le principe, Dupuis de la Serra ar
rive à conclure, comme le faisait de Lucca, qu’il ne sau
rait exister une usure, quel que soit le taux auquel le
change a été perçu, et fût-il supérieur au cours ordi
naire de la place.
« Ceux-là se trompent, dit-il, qui pensent que de
prendre davantage que le cours ordinaire pour fournir
la lettre de change c’est une usure, car ce n ’en est point
une; ce peut bien être un mal, une fraude, une espèce
d’injustice, mais le nom d’usure ne lui convient pas ; de
même que si un marchand de blé ou d’autres marchan
dises les vendait à un prix plus haut que le courant du
marché, il commet bien un mal, mais ce mal ne peut
être appelé usure
Cette conséquence est réellement incontestable au
point de vue des principes en matière d’usure. Nous al
lons plus loin encore, si le contrat de change n’est qu’un
achat et une vente, on ne voit pas comment, en exi-
a S i ; ji
t :tf
!,;fi
18»
a
1<3ïl-.
�30
DE LA LETTRE DE CHANGE
géant un prix plus élevé que le cours, le vendeur aurait
commis une fraude, un mal, une injustice, il n’a fait
qu’user du droit que le législateur a de tout temps con
sacré : In pretio emptionis et venditionis naluraliter
licet contrahentibus se circumvenire 1. Cette règle ad
mise sans difficulté dans les transa ctions ordinaires sur
les marchandises notamment, pourquoi et comment ne
pas l’admettre dans l’achat et la vente de l’argent, purs
d’ailleurs de toute manœuvre reprochable ?
Dans tous les cas, la fraude, le mal, l’injustice ne
pourraient être réparés par la justice, parce que l’un et
l’autre pourraient bien constituer une lésion, et qu’une
action de ce genre n’est pas admise par la loi dans l’a
chat et la vente des choses mobilières. Mais le prix d’une
vente ne pouvant jamais être assimilé à un intérêt, quel
que soit celui que le banquier aurait perçu, on ne sau
rait y voir rien d’usuraire. C’est ce que Pothier ensei
gnait expressément à son to u r2.
.
84 — Dans leur transmission de l’école italienne à
l’école française, les principes n’ont donc pas varié. Nous
allons voir qu’il en a été exactement de même dans la
transition de notre ancien droit au nouveau.
Aujourd’hui comme autrefois, comme toujours, l’u
sure ne peut exister que dans le prêt, quel que soit
d’ailleurs le contrat dont on aurait emprunté et le nom
IL . 14, § 4, D. de minor viginti qmnque annis.
s Cont. de change, n» 51, 52 et 53,
�'
'
'
■
■
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
“
-
3 i
et la forme. Donc, s’il s’agit d’un change réel, et que
celui-ci ne soit pas un prêt, la plainte en usure ne sera
ni recevable, ni fondée , à quelque taux que le change
ait été perçu.
Or, que le change ne soit pas un prêt, c’est ce dont
il n’est pas permis de douter. La doctrine est aujour
d’hui unanime.
« On a écrit particulièrement depuis le quinzième
siècle, dit M. Fréméry, une énorme quantité de gros vo
lume sur le contrat de change, il semble cependant qu’il
est impossible, malgré les plus soigneuses recherches,
d’y découvrir autre chose de réel que l’idée simple et
unique d’une vente d’argent. »
En conséquence, M. Frémery le définit, la vente de
l’argent moyennant un certain prix, mais avec tradition
devant s’effectuer dans un autre lieu. Cette définition est
également enseignée et admise par MM. Pardessus, Nouguier et Troplong l.
*5. — Le contrat de change est donc sous l’empire
du Code ce qu’il a toujours été, rien autre chose que la
vente et l’achat d’un argent livrable dans un lieu autre
que celui où le contrat est souscrit. Conséquemment et
par rapport à l’usure, la question ne peut être résolue
que dans le sens que l’école italienne, que nos anciens
i Etude sur le droit Comm., chap. 15 P ardessus, du Contrat et des
lettres de change, n° 22. Nouguier. de la Lettre de change, 1 . 1, chap,
3, pag. 60. Troplong, du Prêt, n°» 370 et suiv.
�32
DE LA LETTRE DE CHANGE
jurisconsultes avaient admis. Elle ne saurait exister,
quel qu’ait été le taux du change perçu.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il est évident qu’il doit
s’agir d’un change sérieux, réel, et non d’un contrat qui
en emprunterait les apparences. Par exemple, des lettres
de changes paraissant souscrites dans un lieu et indi
quées payables dans un autre.
S’en référer absolument à cette apparence, c’était ou
vrir à l’usure l’issue la plus large. L’usure étant une
violation expresse de la loi, celui qui s’y livre n’hésitera
pas à faire tous ses efforts pour la dissimuler, pour la
faire réussir. En matière de change, le moyen serait
bien facile, il suffirait en effet de feindre la remise de
place en place, en tirant d’un lieu sur un autre, tandis
que l’intention commune est que le payement aura lieu
dans l’endroit de la création, soit en donnant à la lettre
une fausse date, en la déclarant, par exemple, tirée de
Marseille sur Aix, lorsqu’en réalité elle l’a été d’Àix mê
me. Il y a là toutes les apparences d’un contrat de
change, mais il n’y a que cela. La loi ne pouvait, ne
devait donc pas s’en contenter, aussi permet-elle d’in
terroger les faits, les circonstances, la position des par
ties pour arriver à la vérité des éhoses.
C’est cette vérité qui doit prévaloir sur l’écrit lui-mê
me. Dès lors, comme l’observe M. Pardessus, toutes les
fois qu’en recevant une lettre de change, on sait qu’elle
ne sera pas acquittée au lieu indiqué, que le rembour
sement en sera fait dans l’endroit même où sa contrevaleur est livrée, c’est-à-dire que la personne sur qui
�33
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
elle est tirée n ’est ni la débitrice, ni correspondante du
tireur, le contrat n’est qu’un simple prêt que les parties
déguisent sous la fausse apparence d’un change, le droit
qui est payé pour cette lettre imaginaire ne peut être
considéré que comme un intérêt illicite et prohibé, si en
le réunissant aux intérêts ordinaires il dépassait le taux
légal K
36. — Le change réunissant les caractères exigés
pour sa régularité, et qui n’est pas par lui-même un
prêt, peut donner naissance à ce dernier contrat. Il ar
rive souvent que celui qui prend du papier sur une lo
calité plus ou moins éloignée n’en compte pas immé
diatement la valeur, il convient avec le tireur ou tout
autre cédant d’un délai dans lequel il devra le faire, et
ce délai peut se référer en une époque postérieure à l’é
chéance de la lettre donnée et reçue.
Il y a là deux contrats parfaitement distincts. Le
contrat de change, le contrat de prêt, dont le premier
devient l’occasion, sans perdre lui-même son caractère
propre.
En d’autres termes, une double opération se réalise,
un individu emprunte une somme au moyen de la
quelle il achète une lettre de change, il est évident que
si le prêteur était une personne différente du tireur, a u
cun doute ne saurait exister, le premier percevrait l’in—
i
Ibid., n° 28. Voyez pour les caractères de la rem ise de place en
inf., a rt. 140 e t suiv.
place,
i —
3
�DE LA LETTRE DE CHANGE
térêt de l’argent qu’il prête, le second retiendrait le prix
du change. Pourquoi en serait-il autrement parce que
le prêteur et le tireur sont une seule et même personne?
L’intérêt de l’argent est la conséquence du prêt, le chan
ge est dû dès que cet argent devra être compté dans un
lieu autre que celui où s’opère le prêt.
Ainsi, sans constituer le p rê t, le contrat de change
peut en devenir l’occasion, si le tireur de la lettre de
change ne doit être remboursé de son montant qu’à
une époque déterminée. Il y a alors deux contrats dis
tincts, indépendants l’un de l’autre et produisant cha
cun les effets qui lui sont propres. Le change n’en reste
pas moins l’achat et la vente d’une somme d’argent,
seulement ils sont faits à crédit au lieu de l’être au
comptant.
S ï . — Domat a vu autre chose dans le change, il le
définit un contrat sui generis, participant non seule
ment de la vente, mais encore de l’échange, du man
dat, du cautionnement, de la gestion d’affaires. C’est ce
qu’ont également admis plusieurs jurisconsultes.
Dire que le change participe de l’échange, ce n’est
pas le définir : c’est, disait Dupuis de la Serra, ne mar
quer que le genre suprême, et nous cherchons l’espèce
dans le genre.
Or, comme espèce, le contrat de change est l’achat et
la vente d’une somme d’argent considéré comme m ar
chandise. Il ne peut être que cela, car, parfait par le
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
55
consentement du vendeur et de l’acheteur, il n’exige que
leur concours mutuel et réciproque.
L’opinion de Domat repose snr une confusion évi
dente. Elle a le tort de demander les caractères consti
tutifs du contrat à son mode d’exécution le plus généra
lement suivi, et qui, exigeant ou comportant le concours
de plusieurs personnes, multiplie les obligations et donne
dès lors lieu à des contrats divers.
Ainsi la lettre de change, indépendamment du tireur,
du tiré, du preneur, est dans le cas de réunir plusieurs
autres individualités, l’accepteur, les donneurs d’aval,
les endosseurs, le payeur par intervention.
Mais la lettre n’a aucun besoin de ces individualités
qui, pour la plupart, n’y interviennent qu’après sa con
fection et sa mise en circulation, et dont quelques-unes,
comme les endosseurs, ne Contractent jamais aucune
obligation envers le preneur.
Donc le cautionnement que donnent les donneurs
d’aval ou l’accepteur, les négociations diverses d’où nais
sent les obligations et les droits des endosseurs, le man
dat ou la gestion d’affaires que le payeur par interven
tion accomplit sont autant de contrats divers distincts
du contrat de change. Ils viennent accessoirement se
joindre à la lettre de change, mais ils ne la constituent
pas. Le change en lui-même ne peut donc participer à
ces divers contrats, tous postérieurs à sa réalisation, et
ne se manifestant que dans son exécution.
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* 8 . — Nous pouvons le prouver mieux encore. Sup: IM
�36
DE LA LETTRE DE CHANGE
posons que le contrat de change s’exécute par tout autre
moyen que par une lettre de change ; celle-ci est bien
l’instrument ordinairement employé , mais ce moyen
n’est pas exclusif. Le contrat de change existe dès qu’une
somme est donnée dans un lieu pour être reçue dans un
autre. Or, rien n’empêche les parties de s’en rapporter à
la foi de l’une de l’autre, à se contenter d’une reconnais
sance de la somme reçue et de la promesse de la faire
payer dans un autre lieu. Il n’y aura pas alors de lettre
de change, mais sans aucun doute le contrat de change
existera. Pourrait-on dire, dans cette hypothèse, qu’il
participe du mandat, du cautionnement, de la gestion
d’affaires ?
Nous avons donc raison de le dire : Domat confond le
contrat avec la lettre de change, et donne à l’une les at
tributs de l’autre. Or cette confusion doit être évitée avec
d’autant plus de raison, que ce sont la deux choses es
sentiellement distinctes. Nous venons de voir que le con
trat de change peut exister indépendamment de la lettre.
Nous ajoutons que celle-ci n’aura pas toujours et infail
liblement pour cause le contrat de change.
En effet, la lettre de change, par le moyen d’endos
sements successifs, sert à acquitter, avec un seul mouve
ment d’espèces, une foule de dettes ; elle est dès lors de-,
venue pour chaque commerçant l’instrument le plus
actif de l’exploitation de son crédit. En conséquence, dit
M. Fréméry, si j’ai un payement à faire où que ce soit,
il me suffit d’obtenir la signature d’un banquier connu.
Je tire sur lui une lettre de change qu’il accepte à l’or-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
37
dre de mon créancier à qui je la transmets, et qui, à
son choix, recevra, à l’échéance, ou se procurera im
médiatement par la négociation les fonds qui lui sont
dus. Y a-t-il entre lui et moi contrat de change? Le plus
souvent non. En effet, souvent ce créancier ne m’aura
rien remis au lieu où je demeure, souvent il demeurera
lui-même au lieu où la lettre de change lui sera payée,
et c’est là qu’il est devenu mon créancier. Ainsi, en réa
lité, nul contrat de change entre lui et moi, mais la
forme et l’apparence. L’obligé principal est dans un lieu
et l’obligation doit être payée dans un autre. Alors en
core la lettre de change est moins un titre qu’un paye
ment réel, qui est accepté sauf encaissement. C’était là,
dans l’origine, le caractère de la lettre de change, c’est
encore aujourd’hui, qu’il y ait ou non contrat de chan
ge, le caractère essentiel de ce titre. Le contrat a disparu
sous la forme. On ne se demande plus : y a-t-il contrat
de change ? On se contente de rechercher s’il y a obliga
tion par lettre de change. En un mot, la lettre a souvent
une autre cause, elle est produite par d’autres circons
tances. Elle ne résulte plus exclusivement du contrat de
change, mais c’est toujours une convention d é change
qu’elle doit exprimer. A cette condition seulement elle
est lettre de change ; dès que cette condition est rem
plie, le tireur, l’accepteur, l’endosseur sont obligés' en
vers le porteur, conformément au titre qu’ils ont sous
crit 1.
i
Etudes sur le droit commercial, chap. 15, p. 96.
�38
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce que nous extrairons seulement de ce tte doctrine,
c’est que, entre le tireur et le bénéficiaire de la lettre de
change, il peut y avoir absence de change réel, et c’est
ce qui se réalise dans l’hypothèse admise par M. Fréméry. En effet, la dette due au preneur a été contractée
à son domicile, et c’est à ce domicile qu’elle sera payée.
Raison de plus pour ne pas confondre la lettre avec le
contrat de change, et moins encore de ne pas donner à
l’un les attributs de l’autre.
Les diverses personnes qui ont pris part à la lettre de
change n’ont pas été parties au contrat ; et encore, bien
qu’elles y aient accédé plus tard, chacune en ce qui peut
l’intéresser, suivant la qualité qu’elle s’est donnée, le
contrat n’en était pas moins parfait auparavant. Le refus
de réaliser cette accession, quand même elle eût été pro
mise ou sous-entendue au moment de la création de la
lettre, ne résoudrait nullement la convention. Elles font
toutes des actes distincts, concourant plus ou moins di
rectement à l’exécution du contrat, mais n’intéressant
en rien sa validité et sa régularité à l’endroit du tireur
et du preneur. Pour ceux-ci, entre lesquels il se res
treint, le contrat de change n’a jamais été, n’a jamais
pu être que l’achat et la vente d’une somme d’argent.
30. — Ainsi caractérisé, le contrat de change est
soumis aux conditions exigées pour la validité des con
trats en général, notamment par l’article 1108 du Code
civil. Il devra donc être volontairement et librement
consenti, avoir un objet certain, une cause licite.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
39
Evidemment encore les parties contractantes devront
être capables de s’engager. Mais, dans la recherche et
l’appréciation de cette condition, ce n’est plus le droit
commun qu’il faut consulter ; le seul guide à suivre est
le droit commercial.
A cet égard, ce qu’il importe de remarquer, c’est que,
en ce qui concerne le commerce, le législateur a entendu,
non pas restreindre la capacité ordinairs, mais l’étendre.
Ce qui s’induit de cette considération, c’est qu’on ne sau
rait concevoir aucun doute, se créer aucune difficulté sur
l’effet de la prohibition de tout commerce contre certai
nes personnes.
3®. — De tous les temps cette prohibition a existé
pour les ecclésiastiques. Des considérations faciles à
comprendre avaient fait passer dans le droit commun
celte maxime du droit canon : Nemo militans Deo, implicat se négocias secularibus. C’est ce qu’avaient pres
crit, notamment pour le commerce, les décret et édit de
1707 et 21 juillet 1721, et un arrêt du conseil du 28
juin 1755.
Ce que Pothier induisait de cette législation, c’est que
les ecclésiastiques étaient incapables de souscrire une
lettre de change. Mais nous verrons tout à l’heure que
cette conclusion, plus que contestable du temps de Po
thier, serait aujourd’hui inadmissible.
Nous ne parlerons pas de la noblesse, que le préjugé
surtout rendait incompatible avec l’exercice actif du com
merce, mais nous rappellerons que nos anciennes or-
�40
DE DA LETTRE DE CHANGE
donnances établissaient légalement cette incompatibilité
pour tous les officiers de judicature, même pour ceux
dont les fonctions se rapprochaient intimément des opé
rations commerciales. Le commerce leur était formelle
ment prohibé.
Notre nouvelle législation ne renferme plus aucune
prohibition. Au contraire, la loi des 2 17 mars 1791
proclame à cet égard la liberté la plus entière, la plus
absolue. Il sera libre A toute personne, porte l’article 7,
de faire le négoce ou d'exercer telle profession, art
ou métier qu'elle trouvera bon.
Cependant les convenances sociales, la raison, l’ordre
public lui-même exigeaient que l’exercice de ce droit
demeurât suspendu pour les personnes revêtues de cer
taines fonctions. Leur caractère, leur dignité ne leur per
mettaient pas de s’adonner aux spéculations commer
ciales, dont les dévorantes exigences pouvaient nuire aux
devoirs qu’ils ont à remplir. Telles sont les fonctions
d’ecclésiastiques, de magistrats, de notaires, d’avocats,
d’avoués, d’huissiers, etc.
On les a donc déclarés incompatibles avec le com
merce, Mais cette incompatibilité n’est pas une prohibi
tion, ni surtout une incapacité. Proclamer celle-ci, c’était
appeler celui qui avait violé la loi, non seulement à se
faire un titre , mais encore à tirer un évident profit de
sa propre turpitude, c’est-à-dire consacrer une immo
ralité.
Ce qui arrivera de la violation du principe de l’in
compatibilité, c’est que son auteur, quel qu’il soit, sera,
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
41
en fait et en droit, tenu de toutes les conséquences des
actes de commerce qu’il se sera permis ; ainsi il sera,
comme tout autre citoyen, justiciable, quant à ce, de la
juridiction consulaire, conlraignable par corps, soumis
à la faillite, si ces actes sont assez nombreux pour cons
tituer la profession habituelle.
De plus, comme en s’y livrant il a manqué à ses de
voirs professionnels, il pourra êire disciplinairement
poursuivi et frappé des peines édictées par les règlements
spéciaux.
31. — La loi n’admet donc, à l’égard du contrat
de change, d’autres incapacités que celles consacrées par
le droit commun : la minorité, l’interdiction, la qualité
de femme mariée.
Mais, à la différence de la pratique en droit ordinai
re, l’incapacité du mineur n’est pas absolue ; elle dispa
rait complètement s’il a été régulièrement autorisé è
faire le commerce. Cette autorisation assimile le mineur
au majeur pour tous les actes de commerce et lui con
fère toute la capacité de celui-ci.
Il en est de même de la femme mariée. En général
elle ne peut contracter sans l’autorisation de son mari
ou de la justice. Mais la qualité de marchande publique,
prise du consentement du mari, ou par l’exercice patent
du commerce, amène une exception à cette règle. La
faculté qui en résulte la fait considérer comme autori
sée pour tout ce qui concerne son négoce ‘.
1 V. n o tre com m entaire du titre t c», a rt. 8 e ts u iv .
�42
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quel serait le sort du contrat de change réalisé par un
mineur ou par une femme mariée non autorisés à faire
le commerce ? C’est ce que nous aurons à examiner sous
les articles 113 et 114, auxquels nous renvoyons.
33.
— Les seules personnes auxquelles la loi ait for
mellement interdit le commerce , sont les agents de
change et les courtiers. Intermédiaires obligés dans les
transactions commerciales, mis au fait des véritables in
tentions des parties, il leur eut été par trop facile d’abu
ser de leur confiance et de les trom per ï.
Il ne peuvent donc négocier des lettres de change
pour leur propre compte, en tirer par spéculation, ces
opérations constituant des actes de commerce qui leur
sont expressément interdits.
Au reste, si les termes de l’article 85 du Code de com
merce pouvaient laisser quelque doute à cet égard, ce
doute serait tranché par l’arrêté du &7 prairial an x, sur
les bourses de commerce. « Les agents de change et
courtiers, dit l’article 10, ne pourront être associés, te
neurs de livres, ni caissiers de négociants, marchands
ou banquiers. Ils ne pourront pareillement faire aucun
commerce de marchandises, lettres, billets, effets publics
ou particuliers pour leur compte, ni endosser aucuns
billets, lettres de change ou effets négociables quelcon
ques, ni avoir entre eux ni avec qui que ce soit aucune
société de banque ou en commandite, ni prêter leur
i V . notre
Traite du dol et de la fraude, n» 710.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
45
nom pour une négociation à des citoyens non commis
sionnés. » Or, que l’article 85 du Code de commerce
n’ait pas entendu déroger à ces dispositions, c’est ce qui
ne saurait être contesté.
Les agents de change et courtiers ne peuvent donc se
livrer à l’exercice du contrat de change sans s’exposer
aux peines prononcées contre ceux d’entre eux qui fe
raient directement ou indirectement le commerce.
33. — Il importe à ce sujet d’éviter la confusion
dans laquelle pourrait jeter la disposition finale de l’ar
ticle 10 de l’arrêté de prairial. Après les expressions que
nous venous de transcrire, cet article ajoute : il n’est
pas dérogé à la faculté qu’ont les agents de change de
donner leur aval pour les effets de commerce. Si l’aval
dont parle l’arrêté était celui que régit l’article 141 du
Code de commerce, entraînant le cautionnement soli
daire, il faudrait reconnaître qu’il serait tombé dans la
plus flagrante contradiction, il permettrait de faire par
l’aval ce qu’il prohibe par voie d’endossement, quoique
ce soit exactement la même chose.
L’aval permis aux agents de change ne peut donc
être celui de l’article 141. En fait, il est tout autre, il
n’a et ne saurait avoir d’autre but et d’autre effet que
celui de garantir l’identité de la personne pour le compte
de laquelle se fait la négociation.
Bien souvent cette négociation s’opère sans que les
parties se connaissent, sans qu’elles se soient abouchées,
On comprend dès lors que le preneur des lettres ou
�44
DE LA LETTRE DE CHANGE
effets négociés désire faire conster de l’indemnité du cé
dant et de la sincérité de la signature.
Cette double constatation, l’agent de change peut seul
la donner. Il doit connaître celui pour qui il négocie, et
s’assurer que c’est bien lui qui signe l’ordre. C’est là
l’aval qui lui est permis et au moyen duquel sa respon
sabilité n’est engagée que si la signature du cédant était
fausse, ou que si ce cédant n’était pas celui à l’ordre de
qui les effets négociés étaient tirés ou endossés.
34.
— Quel serait, par rapport à l’opération, l’effet
de la violation de l’article 85 ?
Il ne s’agit plus ici d’une simple et pure incompati
bilité, il y a une prohibition formelle positive, garantie
par une peine correctionnelle. Cette violation constitue
donc un délit qui devait dès lors entraîner la nullité du
contrat.
Mais cette nullité, juste à l’endroit de l’auteur de la
violation de la loi, ne le serait plus à l’égard de l’autre
partie. Celle-ci a pu ignorer la qualité réelle de celui
avec qui elle contractait. On ne saurait la punir d’une
faute qui lui est étrangère. D’ailleurs, cette peine serait
une véritable récompense pour l’auteur de cette faute,
puisque si, au lieu d’être avantageuse, l’opération me
naçait d’être défavorable, il trouverait dans son propre
délit le moyen d’en répudier les conséquences.
Ces considérations ont déterminé la doctrine et la ju
risprudence, lorsqu’il s’est agit de régler les effets de la
violation de l’article 85. Le contrat est nul, mais seule-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
45
ment contre l’agent de change ou le courtier. Cette nul
lité ne peut jamais être invoquée que par ceux qui ont
traité avec l’un ou avec l’autre, sans qu’elle puisse, dans
aucun cas, être invoquée ni par l’un ni par l’autre.
Mais, dans tous les cas, la peine de l’infraction est
encourue. Le maintien de l’acte ne ferait nul obstacle à
la destitution de celui qui se l’est permis, et à la con
damnation à l'amende de 3,000 fr l.
35.
— La création d’une lettre de change en exécu
tion du contrat de change est en même temps sa cons
tatation par écrit. A défaut de cette constatation, pour
rait-on prouver par témoins l’existence du contrat.
On ne pourra jamais prouver par ce moyen l’existence
prétendue d’une lettre de change, parce que sa perfecti
bilité est soumise à des conditions dont l’accomplisse
ment ne peut résulter que de la production de la lettre
elle-même.
Mais rien n’est prescrit de semblable pour le contrat
de change. Celui-ci, avons-nous dit, n’est que l’achat
et la vente d’une somme d’argent payable dans un lieu
convenu. Comme tous les achats et ventes, il est parfait
dès qu’il y a consentement réciproque sur la chose et
sur le prix.
Or, cet achat et cette vente étant purement com
merciaux, échappent au principe du droit commun
i V. no tre
Traité du dol et de la fraude, n° 742.
�46
DE LA LETTRE DE CHANGE
Exclusivement régis par l’article 109 du Code de com
merce, leur existence peut être prouvée par témoins.
36.
— On a cependant prétendu le contraire, mais
on n’a pu le faire qu’en confondant encore ce contrat
avec la lettre de change. La preuve de cette confusion
résulte des arguments mêmes q u ’on invoque.
La loi, a-t-on dit, en déterminant les formes spéciales
que doit avoir une lettre de change, formes qui ne per
mettent pas qu’elle subsiste autrement que par écrit, en
exigeant si rigoureusement l’expression littérale de quel
ques-unes de ces conditions, a entendu proscrire la
preuve testimoniale.
Oui, sans doute, mais à quelle conclusion logique
ces prémisses vont-elles arriver ? À ceci uniquement :
que nul ne sera admis à prouver par témoins qu’il a
voulu traiter par lettre de change, et qu’on s’était engagé
à la souscrire.
Mais la forme de l’instrument écartée, reste le fait luimême. Vous m’avez vendu, moyennant une somme dé
terminée, une autre somme à toucher dans un autre
lieu. C’est là un fait matériel auquel la loi n’a tracé au
cune forme sacramentelle, et auquel un écrit ne pourra
jamais rien ajouter ni retrancher.
Devant une allégation de ce genre, on ne saurait écar
ter la preuve testimoniale que si le litige devait être régi
par l’article 1341 du Code civil. Mais nul n’oserait le
soutenir en présence de la commercialité de l’acte. C’est
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
47
donc à l’article 109 qu’il faudra recourir, et celui-ci, de
toute certitude, admet la preuve testimoniale.
En dernière analyse donc , on ne peut être admis à
prouver par témoins l’existence d’une lettre de change,
par deux motifs également décisifs, ou la lettre de change
n’a pas été rédigée, et aucune des conditions exigées par
la loi n’ayant été remplies, elle ne saurait jamais avoir
une existence régulière et légale ;
Ou la lettre de change ayant été souscrite, on se trouve
dans l’impossibilité de la représenter. Dans cette hypo
thèse, la preuve est inutile, on n’a qu’à remplir les for
malités que la loi a tracées pour ce cas.
Il ne saurait en être ainsi du contrat de change, les
difficultés qui pourront s’élever à son sujet rentreront
nécessairement dans une des hypothèses suivantes :
I ° Les fonds ayant été comptés, celui qui les a versés
demande à ce que les traites qui lui ont été promises lui
soient délivrées ;
2° La personne qui a reçu les fonds a promis de four
nir des traites à une époque convenue, et cette époque
étant arrivée, elle est sommée de remplir son engage
ment ;
3° Chacune des parties ne s’est engagée que pour l’a
venir dans un délai, ou à telles conditions. L’une a pro
mis de l ’argent, l’autre des lettres de change.
II n'y a rien, dans chacune de ces hypothèses, qui
sorte du cadre ordinaire des convenlions commerciales,
et par conséquent rien qui déroge au droit commun de
�48
DE LA LETTRE DE CHANGE
la matière, l’admissibilité de la preuve testimoniale. Sa
recevabilité ne saurait donc être contestée.
* 3 . — Dans l’ancien droit, l’écrit constatant l’une
des trois hypothèses que nous venons d’exposer était
qualifié de billet de change. Il était assimilé à la lettre
de change elle-même, et en produisait tous les effets,
s’il réunissait les conditions que la loi avait tracées à
celle-ci. Il pouvait même être souscrit à ordre et deve
nait dès lors transmissible par endossementl.
$ 8 . — Le Code de commerce n’a pas parlé des bil
lets de change. Les motifs et les effets de ce silence étaient
ainsi exposés par l’orateur du tribunat :
« Je ferai seulement observer une omission assez im
portante du projet de loi, et qui, par ses conséquences
raisonnables, équivaut à une abrogation formelle, il
s’agit des billets de change, ainsi nommés parce cju’ils
étaient faits pour des lettres de change fournies et à four
nir. Ces billets, assimilés en quelque sorte aux lettres de
change elles-mêmes, étaient négociables par l’ordre et
l’endossement, et soumis, en cas de non payement, aux
formalités du protêt et aux effets de la garantie. On ne
sera pas surpris que malgré l’unanimité des commenta
teurs à vanter leur utilité dans la circulation, l’usage en
ait décidé autrement.
« Ces billets ont été nécessairement négligés, et sont
t V . a ït, 27 et su iv ,, tit. 5 de l’ordon. de 1673.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
49
aujourd’hui presque partout étrangers aux opérations
commerciales, précisément parce qu’ils n’apportent au
commerce ni force ni mouvement.
« Le projet de loi n’en fait aucune mention, et son si
lence, qui n’indique point sa volonté de les exclure et de
les proscrire, n’aura d'autre effet que de ranger dans
la classe des promesses et billets ordinaires, dont la force
et les effets sont déterminés par la forme dans laquelle
ils sont rédigés. »
39 . — Ainsi la loi ne prohibe pas l’engagement écrit
de tirer ou de prendre des lettres de change, seulement
ce qu’elle refuse à l’écrit qui le constate, c’est le carac
tère et surtout les effets de la lettre de change.
Ce billet ne sera qu’une simple promesse ou tout au
plus un billet à ordre dont les effets obéiront aux pres
criptions de la loi en ce qui concerne les uns et les au
tres.
4 0 . — il résulte de ce qui précède que le contrat de
change ne reconnaît d’a u t r expression officielle et sa
cramentelle que la lettre de change C’est à ce point de
vue que le législateur traite de celle-ci dans le titre 8,
livre 1er du Code de commerce.
La section première lui est exclusivement consacrée.
Elle indique dans treize paragraphes tout ce qui est re
latif à la forme qu’elle doit revêtir, celle des différents
contrats dont elle est l’occasion, leur conditions et leurs
effets.
�50
DE LA LETTRE DE CHANGE
Déterminer sous toutes ses faces la véritable pensée du
législateur, examiner les difficultés qui peuvent surgir de
ses dispositions, exposer sur chacune de ces difficultés la
doctrine et la jurisprudence, indiquer enfin le solution
qui nous a paru la plus rationnelle, telle est la matière
et le but de notre commentaire.
�TITRE VIH
DE LA LETTRE DE CHANGE, DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
§ Ier. ■
—
DE LA FORME DE LA LETTRE DE CHANGE
ART.
'HO.
La lettre de change est tirée d’un lieu sur un autre ;
Elle est datée ;
Elle énonce la somme à payer,
Le nom de celui qui doit payer,
L’époque et le iieu où le payement doit s’effectuer,
La valeur fournie en espèces , en marchandises , en
comote ou de toute autre manière ;
Elle est à l’ordre d’un tiers, ou à l’ordre du tireur
lui-même ;
Si ehe est par première, deuxième, troisième, qua
trième, etc., elle l’exprime.
ART.
H 4.
Une lettre de change peut être tirée sur un individu et
payable au domicile d’un tiers ;
�52
DE LA LETTRE DE CHANGE
Elle peut être tirée par ordre et pour le compte d’un
tiers.
SO M M A IR E
41.
Nature de la lettre de change. Son caractère. Ses consé
quences.
42. Nécessité de la signature malgré le silence de l ’article. 110
à cet égard.
48. Pourrait-on prouver par témoins l’existence d’une lettre
de change écrite de la main du tireur, mais non si
gnée ?
44. L’article 1326 du Code civil, prescrivant le bon et approuvé,
s’applique-t-il aux lettres de change ?
45. La lettre de change peut être notariée. Conséquences quant
à son transfert.
46. Quant aux sûretés hypothécaires.
47. La lettre notariée doit être enregistrée dans le délai légal.
48. Première condition exigée par l’article 110 ; remise de place
en place. Origine, motif du silence gardé par l ’ordon
nance de 1673.
49. L’article 110 exige cumulativement le fait de la remise et
sa mention expresse. Conséquences.
50. Débats que cette condition fit naître au conseil d’Etat.
51. Il n ’est pas nécessaire que la lettre soit tirée d’une place
de commerce sur une autre.
52. Objections de la cour de Toulouse contre l ’article 110 re
poussées.
53. Pouvoir des tribunaux en pareille matière. Décisions di
verses.
54. L’accepteur peut-il indiquer, pour le payement, le lieu mê
me d’où la lettre est tirée ?
55. Doit-on considérer comme lettre de change la lettre qui, ti-
�rëe à l’ordre du tireur et négociée à un tiers, serait pro
testée à la requête du premier ?
56. Nature de l’effet tiré à l’ordre du tireur. Comment doit-on
juger s’il contient remise de place en place. Jurispru
dence.
57. Arrêt contraire de la cour de Montpellier. Réfutation.
58. Deuxième condition : la lettre de change doit être datée. In
novation à la législation précédente.
59. En quoi consiste la date exigée.
60. Effet du défaut de date.
61. Arrêt de la cour de Nîmes. Examen.
62. L ’article 1328 du Code civil régit-il les lettres de change ?
63. Admissibilité de la preuve testimoniale pour établir la simu
lation de la date.
64. Usage relativement à la date.
65. Troisième condition : énonciation de la somme à payer. Con
sidérations qui la recommandaient.
66. Difficulté que cette condition et les termes dans lesquels elle
est conçue ont eu pour objet de résoudre.
67. La somme à payer doit-elle être énoncée en toutes lettres ?
Conséquences de la différence entre la somme portée en
tête de la lettre et celle exprimée dans le corps de l'acte.
68. Quatrième condition : énonciation du nom de celui qui doit
payer. Son origine.
69. Caractères que cette énonciation doit offrir.
70. Mode d’appréciation pour les tribunaux.
71. Arrêt d’espèce de la cour de Montpellier. Réfutation.
72. Conséquences graves que peut entraîner l'erreur dans la
désignation.
73. Le tireur peut-il cumuler cette qualité et celle du tiré ?
74. Faculté de tirer sur son commissionnaire, sur sa propre
maison, dans le cas de plusieurs établissements situés
dans des pays différents.
75. Opinion de M. Pardessus sur la lettre fournie sur la femme
ou le commis du tireur. Dissentiment.
�U
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
89.
90.
91.
92.
93.
94.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Peut-on opposer aux tiers porteurs l ’irrégularité résultant
du cumul des qualités de tireur et de tiré. Le tireur estil recevable à s’en prévaloir?
Cinquième condition : énonciation de l’époque du payement.
Sa nécessité, son caractère.
Effet d’une échéance indéterminée ou dépendant d’une con
dition. Arrêts divers sur la matière.
L’omission ou l ’erreur dans l’époque d’exigibilité ne serait
pas réparée, du moins pour le passé, par la détermina
tion exacte qu’en ferait l ’accepteur.
Nécessité d’indiquer le lieu du payement. Conséquences.
Sixième condition : énonciation de la valeur et de sa nature.
Motifs qui ont dû la faire prescrire. Son origine.
L’article 110 ajoute à l ’ordonnance, comme énonciation ré
gulière de la valeur, celle de valeur en compte. Débats
que souleva la proposition de l ’admettre.
Quels en sont le sens réel et la véritable portée ?
Effets de ces expressions entre le tireur et le tiré, et entre
ceux-ci et les tiers.
Effets de la généralité des termes de l’article 110.
Valeurs pouvant ou non devenir la matière d’une lettre de
change. Arrêt d’Aix pour un remplacement militaire.
Critique qu’en fait M. Nouguier. Réfutation.
Enonciations insuffisantes de la valeur.
Remarquable exemple dans un arrêt de la cour de Bruxelles.
Quel est l’effet de l ’inexécution de la sixième prescription
de l ’article 110?
Dans le cas d’absence absolue de mention, la lettre de chan
ge est nulle. Caractère de cette nullité. Distinction
entre la lettre de change en la forme et l’obligation au
fond.
Effet de la fausse énonciation.
De Vinification insuffisante.
Ces diverses irrégularités disparaîtraient-elles par la régu
larité de l’endossement consenti par le preneur ?
�ART.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
101.
102.
103.
104.
105.
106.
107.
108.
109.
110.
111.
HO,
111.
58
Arrêt de la cour de Toulouse pour l ’affirmative. Réfutation.
Septième condition : la lettre de change est à l’ordre d’un
tiers ou à l’ordre du tireur lui-même. Objet de cette
prescription.
Opinion de M. Pardessus sur la nécessité du mandement de
payer au porteur d’ordre. Opinion contraire de Pothier
sous l'empire de l ’ordonnance.
Le Code de commerce consacre celle de M. Pardessus. Con
séquences.
Les mots à l’ordre de ......ne sont pas sacramentels.
Quand la lettre de change est à l’ordre d’un tiers. Exemple.
Elle peut être à l ’ordre du tireur. Importance de l ’endosse
ment dans ce cas.
Celui-ci doit-il remplir toutes les conditions de l ’article
137?
Quel serait l ’effet de l’endossement en blanc delà lettre
tirée à l’ordre du tireur ? Doctrine de la Cour de cas
sation.
Différence des conditions qui précèdent d ’avec celle qui
consiste à exprimer si la lettre de change est tirée par
première, deuxième, troisième, quatrième, etc. Nature
de celle-ci.
Objet qu'elle se propose, conséquences en cas d ’omission
des numéros d’ordre.
Le tiré ayant payé les divers exemplaires non numérotés,
pourrait-il recourir contre le tireur?
Usage de n’indiquer le payement du duplicata que si on
n’a pas payé la première. Conséquences.
Mode de payement suivant que la lettre a été ou non ac
ceptée.
La lettre de change peut être négociée par copies. Diffé
rence entre celles-ci et les duplicata.
Ce que doit être la copie de la lettre.
Comment doit procder le créateur de la copie lors de sa
négociation, s’il a déjà endossé l ’original.
�56
DE LA LETTRE DE CHANGE
112.
113.
Arrêt de la cour de Paris.
Valeur des expressions : Payez sur, ou avec avis, ou sans
avis.
114. Modèle de lettre de change.
114 bis. La lettre de change remplie après coup et ne déguisant
qu’un prêt ordinaire, n ’est qu’une simple promesse,
conséquence.
115. Doit-on considérer comme une lettre de change l’effet tiré
sur un individu domicilié dans le lieu même de la sous
cription, mais payable à un autre domicile.
1 16. La lettre de change peut être tiiée par ordre et pour compte
d'un tiers.
4 1 . — La lettre de change est un acte rédigé avec
la solennité spécialement déterminée par la lo i, conçu
en style concis, par lequel un individu, qualifié de ti
reur, mande à un autre de paye” une certaine somme à
celui qui, suivant la convention de change intervenue
entre eux, lui en a fourni la valeur, ou à tout autre
porteur auquel celui-ci aura cédé ses droits par la voie
de l’ordre l.
La lettre de change est par elle-même un acte com
mercial. Quelles que soient la qualité et la profession
de celui qui la tire, l’accepte, la négocie ou la garantit,
il devient, par le fait seul de la signature qu’il donne,
non seulement justiciable de la juridiction consulaire,
mais encore contraignable par corps pour tous les effets
de la condamnation.
i Pardessus,
d e s L e ttr e s d e c h a n g e ,
n» 47. Nouguier, 1 . 1, p. 70.
�ART.
HO,
lit.
57
Cette dernière conséquence devait surtout éveiller toute
la sollicitude du législateur. En principe tout ce qui tient
à la liberté des personnes intéresse tellement l’ordre pu
blic, que nul ne peut renoncer au bénéfice résultant en
sa faveur d’une disposition formelle. C’est ainsi que no
tre Code défend de se soumettre à la contrainte par
corps, hors les cas où cette contrainte est légalement
établie.
La souscription d’une lettre de change étant un de ces
cas, l’exécution loyale de la grande règle que nous ve
nons de rappeler exigeait qu’on ne laissât pas cet acte
devenir le moyen facile d’éluder la prohibition. On ne
devait donc pas s’arrêter à la qualification adoptée par
les parties. Il ne suffisait pas même de s’en référer au
fond des choses, il convenait de régler en la forme les
conditions auxquelles on subordonnerait l’efficacité et la
régularité de la lettre de change. C’est ce que fait l’ar
ticle 110, que nous commentons.
4L2. — Avant d’examiner en détail chacun des ca
ractères que doit revêtir la lettre de change, nous de
vons nous arrêter un instant sur une singulière omission
qu’on pourrait reprocher à l’article 110. Cet article
n’exige pas tp la lettre de change soit signée. Est-ce à
dire par là que cette formalité n’est pas essentielle ? Evi
demment non, ce qui explique l’omission, c’est que le
titre quelconque, établissant une obligation, n’est régu
lier qu’autant qu’il est prouvé qu’il procède du consen
tement formel du débiteur. Or, cette preuve ne saurait
�58
DE LA LETTRE DE CHANGE
résulter que de la signature que celui-ci aura apposée
sur le titre même.
Il en serait de même de la lettre de change et des obli
gations accessoires qu’elle crée. Ainsi cette lettre doit être
signée par le tireur, l’aval par celui qui le consent, l’ac
ceptation par celui qui la donne, l’endossement par celui
qui le souscrit. Sans cette formalité, il n’y a aucune
obligation , et ce n’est que par la certitude de cet effet,
sans qu’il fût besoin de l’exprimer, qu’on doit expli
quer le silence gardé dans la circonstance par le légis
lateur.
13. — Toutefois ce silence peut offrir une difficulté
au point de vue de l’article 1347. Cet article autorise la
preuve testimoniale lorsqu’il existe un commencement
de preuve par écrit, et il considère comme tel tout acte
par écrit émané de celui à qui on l'oppose et qui rend
vraisemblable le fait allégué.
La lettre de change écrite, mais uon signée de la main
de celui qü’on poursuit en payement, rentrerait évidem
ment dans la catégorie des actes dont parle l’article
1347. De olus, en matière commerciale, la preuve tes
timoniale est de droit commun. Pourra-t-on dès lors
stij o'éer par la preuve testimoniale, ou par lesprésomplions, à l’absence delà signature?
La solution de cetf^ question exige une distinction en
tre l’obligation au fond et le titre en la forme.
Le titre non signé n’est qu’un commencement de
preuve en matière ordinaire, a fortiori ne pourra-t-il
�jamais constituer une lettre de change. Ce qui résulte de
l’article 110, c’est que celle ci ne peut exister que par
écrit, et nous avons déjà dit qu’on ne pourrait ni la sup
pléer, ni la compléter par la preuve testimoniale.
Il n ’en est pas ainsi pour l’obligation au fond. Celleci peut être . »•mvée par témoins, en matière ordinaire,
lorsqu’il y a un commencement de preuve ; en matière
commerciale, toutes les fois que le tribunal le juge utile.
Sous ce double rapport, notre question devrait se résou
dre par l’affirmative. Il semble que ce résultat rend celte
question oiseuse.
Il n’en est pas a in si, cependant, car la preuve de
l’obligation au fond ne lui donnera pas les effets que la
loi attache à la forme. Dans l’espèce le titre n’étant pas
une lettre de change, la compétence consulaire et la con
trainte par corps ne seront plus de plein droit encou
rues. Pour imposer l’une et l’autre au débiteur, il fau
drait prouver ou qu’il est commerçant, ou que la cause
de l’obligation est par elle-même commerciale, comme
s’il s'agissait d’un acte de commerce reconnu parla loi.
44,
— Il est une seconde difficulté que la signature
des lettres de change pourrait faire surgir. La lettre de
change est le plus ordinairement constatée par acte privé.
Or, avx termes de l’article 1326 du Code civil, la signa
ture de ces actes doit être précédée d’un bon ou ap
prouvé portant en toutes lettrss la somme ou la quantité
de la chose portée au corps de l’acte, sauf les personnes
�60
DE LA LETTRE DE CHANGE
indiquées en cet article. Cette obligation doit-elle être
exécutée en matière de lettres de change?
La négative est soutenue par MM. Merlin et Pardes
sus. Le motif qu’ils invoquent l’un et l’autre est que la
lettre de change étant essentiellement un acte de com
merce emportant de plein droit soumission à la juridic
tion commerciale et à la contrainte par corps, en d’au
tres termes, la lettre de change suffisant seule pour
constituer marchand ou banquier celui qui la signe, il
n’en faut pas davantage pour qu’on lui applique l’ex
ception qui limite la disposition de l’article 1326 du
Code civil
Nous admettons au fond la doctrine de MM. Merlin et
Pardessus. Quant au motif, il ne nous paraît exf et ni en
fait ni en droit. La lettre de change est par elle-même
un acte de commerce , et c’est uniquement ce caractère
qui produit les effets relevés par les honorables juriscon
sultes que nous combattons. Or, faire un acte de com
merce, ce n’est pas être négociant, puisqu’on ne le de
vient que par l’habitude de leur exercice ; donc ce n’est
pas comme commerçant que le signataire de la lettre
est passible de la juridiction commerciale et de la con
trainte par corps. En d’autres termes, comme l’observe
très bien M. Nouguier, la souscription d’une lettre de
change est attributive de juridiction, mais non de qua
lité.
i
Rép., v° Billet à ordre, § 4 , a rt 5. P ardessus, Lettre de change,
il» 74.
�ART.
MO,
llî.
61
Le signataire d’une lettre de change n’est donc pas le
marchand que l’article 1 326 excepte de sa première dis
position, si pour lui le bon ou approuvé n ’est pas obli
gatoire, c’est que l’article 1326 est sans application pos
sible aux matières commerciales. Les prescriptions qu’il
renferme sont des exceptions inhérentes au droit civil, à
la pratique ordinaire, elles ne pourraient régir les tran
sactions commerciales que si la loi l’avait formellement
ainsi ordonné.
Or, non seulement cette intention n ’est nulle par in
diquée, dans le texte du Code, mais elle est de plus for
mellement repoussée par son esprit. La législation com
merciale a des nécessités qu’il faut subir. Multiplier les
formalités, c’est en méconnaître l’essence, en suscitant
des obstacles à la libre et rapide circulation que le com
merce exige ; édicter des nullités , c’est s’exposer à di
minuer le crédit et atténuer la confiance qui en fait la
base. En fallait-il davantage pour ne consacrer ni l’un
ni l’autre ?
La spécialité de la législation est donc la raison dé
terminante de l’inapplicabilité de l’article 1326 à la let
tre de change. Cette doctrine consacrée par la Cour de
cassation, le 10 messidor an xi, l’a été depuis par la
cour de Toulouse, le 30 décembre 1829 ; par la cour de
Montpellier, le 20 janvier 1835.
— Le plus ordinairement, venons-nous de dire,
la lettre de change est rédigée par acte sous seing privé.
4S.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais il est évident que rendre cette forme exclusive,
c’était priver de son secours beaucoup de gens incapa
bles d’y recourir faute de savoir signer. Cependant une
personne dans celte position peut contracter le contrat
de change, recevoir dans un lieu de l’argent qu’elle s’o
blige de faire compter dans un autre, acheter des m ar
chandises au domicile du vendeur pour les payer à son
domicile propre. Pourquoi la rendre victime de son dé
faut d’instruction, en la contraignant de souscrire une
obligation notariée ordinaire, et d’en supporter les
frais.
Est-ce que le contrat de change perd de son caractère
parce que l’instrument qui le constate et l’exécute sera
authentique? N’y a-t-il pas au contraire dans cette ferme
une garantie efficace contre une des suppositions les
plus usuelles, celle du lieu d’où la lettre est tirée ?
On a donc permis et dû permettre la lettre de change
par acte notarié, et lui attribuer tous les effets qui s’at
tachent à celles rédigées par les parties. Dans le prin
cipe, cependant, cette règle avait été contestée, on avait
dénié le caractère de titre commercial à la lettre nota
riée, d’où l’on concluait qu’elle n’était pas négociable
par un simple endossement, et que la cession ne pou
vait s’en réaliser que dans la forme exigée pour les cré
ances civiles.
Mais cette doctrine n’a jamais été adoptée. C’est l’avis
contraire, soutenu par le plus grand nombre des juris
consultes, que la jurisprudence a consacré. La Cour de
�cassation notamment, appelée plusieurs fois à se pro
noncer, n ’a jamais varié dans la solution K
46.
— L’importance de cette solution se décèle su r
tout à l’égard des sûretés hypothécaires qui peuvent avoir
été attachées à la lettre de change, Or, la Cour de cas
sation a jugé que lorsque le tireur d’effets de commerce
s’est obligé hypothécairement à leur remboursement,
l’endossement des effets transmet le bénéfice de cette hy
pothèque, aussi bien que la créance dont elle est la ga
rantie spéciale ; en cas de protêt, le tiers porteur qu. a
obtenu un jugement tant contre le tireur que contre
l’endosseur, peut seul exercer, dans l’ordre, le droit at
taché à cette hypothèque, à l’exclusion de l’endosseur ou
de ses créanciers, encore que le transport de l’hypothè
que n ’ait pas été notifié à ces derniers, conformément à
l’article 4690 du Code civil3.
C’est pour arriver à la nullité du transfert de l’hypo
thèque par un a fortiori incontestable qu’on soutenait
l’impossibilité de négocier la lettre de change notariée
autrement que par les formes ordinaires. L’arrêt de la
Cour suprême crée donc cet a fortiori, mais dans un
sens contraire. C’est ce qui résultera surtout de sa doc
trine en matière de billets à ordre notariés renfermant
1 Cass., 18 m ars 4828, 10 août 4 834, 4 8 novem bre 4833, 21 février
1838.
J. du P., 4, 1838, 496. V. Grenoble, 47 novem bre 4836 e t la
�64
DE LA LETTRE DE CHANGE
cumulativement l’obligation et l’affectation hypothé
caire 1.
4 S . — La lettre de change revêtant la forme des ac
tes authentiques en reçoit les caractères, et se trouve
soumise à leurs formes, pour sa validité extrinsèque.
Elle est donc susceptible d’enregistrement dans le délai
fixé pour les autres actes notariés. Vainement a-t-o n
invoqué le § 6 de l’article 69 de la loi du 22 frimaire
an vu. La Cour de cassation a répondu que si des par
ticuliers qui font des effets négociables veulent jouir de
l’exemption que ce paragraphe confère à >.*. sortes d’ef
fets, il faut qu’ils les fassent sous signature privée, parce
qu’ils sont censés ne point ignorer la loi, et qu’ils sont
avertis par elle que, s’ils font ces effets par actes devant
notaires, ces officiers publics seront tenus de les faire
enregistrer dans les délais fixés par l’article 20, sous
peine d’amende ; et que par aucune disposition explicite
de la même loi, ni d’aucune autre, la nécessité de cette
présentation à l’enregistrement n’est subordonnée à
l’existence préalable d’un protêt2.
Cette jurisprudence intéresse les notaires autant et
plus que les parties. En effet, la conséquence de la vio
lation du devoir qu’elle impose est une amende qui ne
peut être encourue que par l’officier rédacteur de la let
tre de change, et que la Cour de cassation ne manque
jamais de prononcer.
i V. infra, art. 187.
s Cass., 10 février 1834, 28 janvier et 29 juin 1835.
�ART.
HO,
111.
65
Ainsi la forme de la lettre de change importe peu,
authentique ou sous seing-privé, elle existe par écrit, et
aucun doute ne saurait s’élever sur son efficacité, si
d’ailleurs dans l’une et dans l’autre hypothèse elle réu
nit les conditions exigées par l’article 110, et qu’il est
temps d’examiner en détail.
48. —
Première condition. La lettre de change est
tirée d’un lieu sur tin autre.
Celte première condition était la conséquence immé
diate et forcée de la nature de la lettre de change. Son
but et son objet sont de constater et d’exécuter le con
trat de change, celui-ci ne consistant que dans la remise,
dans un lieu, d’une somme d’argent remboursable dans
un autre ; la lettre de change, si elle constate un change
réel, doit nécessairement offrir la condition première
que l'article 110 exige.
C’est ce qui explique le silence que l’ordonnance de
1673 avait gardé à cet égard. Le législateur avait pu
croire qu’il s’agissait là du fond plutôt que de la forme.
Aussi, et malgré ce silence, la remise de place en place
n’en était pas moins considérée comme constituant le
caractère essentiel de la lettre de change. C’est ce que
nous apprennent la doctrine et la jurisprudence.
La marche contraire, que le Code a suivie, est-elle la
preuve qu’il n’a considéré celte remise que comme de
pure forme ? Evidemment non. La lettre de change est
aujourd’hui ce qu’elle était sous l’ancienne législation,
elle doit réaliser le contrat de change. Aussi la supposii — 5
�66
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion de lieu ne lui donnerait que l’apparence de la lettre
et la réduirait au fond à l’état de simple promesse.
4 ». — La seule différence résultant de la disposi
tion de l’article 110, c’est que, pour donner à la lettre
de change son véritable caractère, il faudra que ses
énonciations prouvent l’existence du change. A défaut
de ces énonciations il pourra bien exister un change,
mais il n’y aura pas de lettre de change. Par la même
raison, vainement celle-ci serait tirée d’un lieu sur un
autre. Si cette indication n’est qu’un mensonge concerté
pour déguiser l’absence du contrat de change, la lettre
n’est et ne peut être qu’une simple promesse.
Aujourd’hui donc, le législateur exige cumulativement
l’existence au fond du contrat de change, et son indi
cation en la forme. Celte réunion était indispensable
pour que l’apparence ne vînt pas se substituer à le réa
lité, pour faire disparaître ces fraudes nombreuses qui,
sous l’ordonnance de 1673, avaient en quelque sorte
compromis l’institution, et déterminé le tribunat à pro
poser la suppression de la nécessité d’une remise de
en place.
50. — Dans le développement de cette proposition
au conseil d’Etat, l’orateur des sections faisait remar
quer que cette remise de place en place était devenue
une pure forme, une espèce de faux de convention d’un
très dangereux exemple.
« Au fond, ajoutait-il, on ne voit aucun motif solide
�ART.
110, n i .
67
à la nécessité de la remise de place en place. La lettre
de change est de sa nature une subrogation, de la part
d’un particulier en faveur d’un autre, au droit qu’il a
ou qu’il aura de faire remettre une somme de la part
d’un tiers, de suite ou à une époque convenue. Ce con
trat exige-t-il pour sa perfection cette forme illusoire de
remise de place en place ?
« D’ailleurs, il est aisé de sentir que ce formulaire
nuit à la rapidité du commerce, qu’il entraîne des dé
placements et des frais K »
Celte proposition, observait le prince archi-cbancelier,
anéantit la lettre de change. Si elle ne contient pas la
remise de place en place, elle n’est plus qu’un mandat.
Cette considération l’emporta, et malgré que la proposi
tion du tribunat eût été déjà formulée par des chambres
et tribunaux de-commerce, par des tribunaux civils
même, le conseil d’Etat ne crut pas devoir l’accueillir. Il
préféra rester fidèle à la doctrine des anciens juriscon
sultes, à l’usage commercial, à la vérité des choses ne
pouvant reconnaître le contrat de change, objet essen
tiel de la lettre de change, que dans une remise effective
de place en place.
C’est ce qu’exprime parfaitement M. Bégouen dans
l’exposé des motifs de la loi :
« Tous les commentateurs ont aussi pensé qu’il est
du caractère essentiel de la lettre de change qu’il y ait
remise d’argent d’un lieu sur un autre, c’est-à-dire
1 Locré, t. 18, p. 123.
�68
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’elle doit être payable dans un autre lieu que celui où
elle a été créée.
« L’ordonnance de 1673 ne l’avait pas textuellement
prononcé, mais cette opinion unanime des jurisconsul
tes sur ce point avait fixé la jurisprudence ; et quoique
plusieurs chambres et tribunaux de commerce, et même
quelques tribunaux civils eussent exprimé le vœu de voir
fléchir ce principe devant des considérations d’avanta
ges, de commodités et de facilités pour le commerce in
térieur, on a cru devoir au contraire le consacrer par
une disposition textuelle, on a pensé que ce contrat, en
vironné par la loi d’une protection particulière, doit
avoir des formes et un caractère qui le distinguent émi
nemment de tous autres effets négociablesl.
51. — La remise de place en place est donc restée
la condition essentielle du contrat de change, comme
son expression est devenue celle de la lettre de change.
A quels caractères devra-t-on en admettre l’existence ?
Le tribunal de commerce de l’Aigle avait demandé que
la remise s’opérât d’une place de commerce sur une au
tre. Cette proposition fut soumise au conseil d’Etat, dans
la séance du 27 janvier 1807, par M. Jaubert. Elle fut
rejetée.
La lettre de change n’est pas seulement à l’usage du
commerce. Elle sert à tous ceux qui ont besoin de trans
mettre ou de trouver des fonds dans un lieu quelconque.
l Locré, ibid., p. 442.
�ART.
HO,
111.
69
Exiger qu’elle fût tirée d’une place de commerce sur
une place de commerce, c’était gêner et entraver fort
inutilement le commerce. Il arrive bien souvent que les
fabricants ou marchands fournissent des marchandises
à des artisans ou revendeurs n’habitant pas des places
de commerce ; souvent même, dans les plus petites lo
calités, s’établissent des usines, des manufactures impor
tantes. Pourquoi prohiber de tirer sur les uns et les au
tres en payement des avances et fournitures ?
Enfin il est certain, en fait, qu’il suffit qu’il y ait réel
lement remise, pour que le contrat de change existe, et
que dès lors l’instrument qui l’exécute soit une véritable
lettre de change. On ne pouvait raisonnablement faire
dépendre de la nature de la place un fait que des con
sidérations de lieux ne pouvaient modifier. M. Begouen
observait avec juste raison que le contrat de change ne
perd pas son caractère parce que la lettre sera tirée
d’un lieu, ou sur un lieu qui n ’est pas une place de
commerce.
Il y a donc remise de place en place par cela seul que
la lettre tirée d’un lieu est payable sur un autre. Quelle
est la portée juridique de cette expression ? Quel est le
sens qu’il convient de lui attribuer ?
538. — Dans les travaux préparatoires du Code, on
demandait la détermination d’une règle précise à cet
égard. Le vague de l’expression était signalé par plu
sieurs cours. Tirée d’un lieu sur un autre, disait notam
ment la cour de Toulouse, n ’exprime rien de précis. Se
�70
DE LA LETTRE DE CHANGE
borner à l’exiger ainsi, c’est faire douter si la lettre de
change peut être tirée d’un village sur un village voisin,
ou même d’un hameau sur un hameau de la même
commune.
Cependant l’expression attaquée a été purement main
tenue. Le législateur a compris qu’en pareille matière
l’avantage d’une règle absolue ne saurait en compenser
les dangers. Il n’avait donc qu’à s’en référer à la cons
cience du juge pour le développement rationnel de sa
pensée.
■1'
53.
— Aux tribunaux seuls appartient donc le droit
de déterminer si le vœu de la loi est ou non rempli.
L’usage de ce droit, que la jurisprudence constate,
prouve que les magistrats se sont arrêtés bien plutôt à la
nature de l’opération qu’à la distance séparant le lieu de
la création de celui du payement, à moins que cette dis
tance n’en fût pas une.
Ainsi la cour de Bordeaux, par arrêt du 13 avril 1830,
refusa de reconnaître, comme renfermant remise de place
en place, la lettre de change tirée d’une ville sur la ban
lieue.
Mais la cour de Bruxelles décidait, le 24 septembre
1814, qu’il y avait remise de place en place dans la let
tre tirée d’un bourg sur une ville distante d’un myriamètre. C’est par application de cette règle que la cour
de Paris a pu juger que la commune de la Villette était
une place différente de celle de Paris.
Le caractère juridique de ces arrêts ne saurait être
�ART.
H O ,
111.
7i
contesté. L’objet que la lettre de change se propose est
de prévenir le transport matériel de l’argent. Or, qu’elle
que soit la distance à parcourir, ce transport peut avoir
ses difficultés, offrir des dangers. Dès lors l’intention
d’échapper aux unes et aux autres peut inspirer l’idée de
recourir au contrat de change. C’est la réalité de cette
intention que les tribunaux doivent rechercher, et la
conviction qu’ils puiseront dans cette recherche leur dic
tera la solution qu’ils devront consacrer.
54.
— Pour juger s’il y a ou non remise de place
en place, il faut se référer au moment de la création de
la lettre, et juger par la position que chaque partie avait
à celte époque. C’est ainsi qu’on arrivera à résoudre
d’une manière rationnelle la question de savoir quelle
est l’influence que peut exercer sur la lettre de change
l’exécution qu’elle a reçue.
L’importance de cette question est indiquée par l’exem
ple que voici : Primus tire de Paris à l’ordre de Secundus un& lettre de change sur Tertius, à Lyon. Sur la
présentation qui lui en est faite, ce dernier l’accepte ,
mais en déclarant qu’il en opérera le remboursement à
Paris, au domicile qu’il indique.
L’exécution de cette promesse fait que la lettre de
change est réellement payée au lieu même d’où elle a été
tirée. Mais pourra-t-on exciper de cette circonstance
pour soutenir que la lettre de change ne renfermait pas
la remise de place en place ?
Une circulaire du grand juge, ministre de la justice,
�72
DE LA LETTRE DE CHANGE
du 31 octobre 1808, résout négativement cette ques
tion.
« La lettre de change , dit cette circulaire , est le
moyen d’exécution du contrat de change, contrat dans
lequel une personne s’oblige de faire payer une somme
d’argent daqs un lieu déterminé , en échange d’une
somme ou de la valeur qu’elle a reçue dans un autre.
Il ne peut donc exister de lettres de change s’il n’y a
remise de place en place.
« Mais, dans l’espèce posée, celte remise existe de la
part du tireur qui a donné une traite payable sur une
autre ville que celle de sa résidence. Celte traite a donc,
dans son origine, tout le caractère de la lettre de chan
ge. Or, le refus ou l’acceptation conditionnelle du tiré
ne peut lui faire perdre ce caractère au préjudice du por
teur. Celui-ci peut, à défaut de payement, la faire pro
tester et exercer son recours ; il peut également prendre
pour refus l’acceptation faite sous condition de payer
dans un autre lieu que celui désigné par la lettre. S’il
consent néanmoins à la recevoir, il ne s’en suit pas que
cet effet perde le caractère de lettre de change qu’il avait.
On peut dire seulement qu’il s’opère alors, entre le por
teur et l’accepteur, une seconde négociation de change
qui succède à la première. »
Le caractère juridique de cette solution ne peut être
méconnu. L’acceptation suppose la provision. Celle don
née, dans notre espèce, par le tiré ; prouve donc que le
tireur fournissait sur lui à un juste titre , qu’il recevait
donc à Paris l’équivalent de la somme qu’il avait à
�.: T r
™
ART.
^
110, 1H .
75
prendre à Lyon, et qu’il pouvait dès lors déléguer au
preneur. Il y a là incontestablement opération de chan
ge sincère, sérieuse, légitime, qui ne pouvait être ulté
rieurement altérée ou modifiée par l’exécution convenue
entre et par les intéressés. Cette raison, acceptée comme
décisive par les auteurs, a été également admise par la
jurisprudence, et notamment par la cour de Paris, dans
un arrêt du 8 août 1833.
Mais il faut ne pas perdre de vue que pour que cette
doctrine puisse être appliquée, il faut que le change
ment du lieu du payement soit un fait imprévu, fortuit,
en dehors de toute prévision. Il est évident que si, lors
de la création de la lettre, le lieu du payement avait été
connu des parties, l’indication d’une place autre ne se
rait qu’une simulation pour donner à la traite le carac
tère de la lettre de change qui ne saurait lui appartenir,
puisque, dans le fait, il n’y aurait pas eu remise de
place en place. C’est ce que la circulaire du grand juge
fait ressortir en ces termes :
« Toutefois, si la remise de place en place avait été
supposée lors de l’émission de la traite, et que l’accep
tation dont il s’agit eût été convenue avant toute négo
ciation, les parties intéressées pourraient sans doute lui
contester les effets de la lettre de change, puisque la
traite n’en aurait eu que le caractère apparent, et devrait
être réputée simple promesse, aux termes de l’article
11 %. Mais on ne doit pas facilement présumer cette sup
position frauduleuse alors que personne ne réclame. »
A plus forte raison refuserait-on de considérer comme
�74
DE LA LETTRE DE CHANGE
lettre de change la traite tirée d’une place sur une autre
par et à l’ordre du tireur lui-même, mais indiquée
payable par l’accepteur au lieu d’où elle a été tirée. Une
pareille traite ne saurait être considérée que comme
simple promesse, alors même que le tiré l’aurait accep
tée dans un lieu autre que celui du payementl.
— On demandait dans la même circonstance si
l’on devait considérer comme lettre de change , et en
conséquence comme devant en produire les effets, la
traite qui, tirée à l’ordre du tireur, et par celui-ci né
gociée à un tiers, serait, en cas de non payement, pro
testée à la requête du tireur lui-même?
Le grand juge répond par la négative. « Si l’endos
sement était irrégulier, dit la circulaire, si le protêt était
dressé au nom du tireur, il en résulterait que le por
teur n’aurait été qu’un simple mandataire, et que le ti
reur serait resté toujours propriétaire ; que, par consé
quent, l’effet ne serait qu’improprement une lettre de
change. »
En réalité, nous le verrons plus bas, la lettre de chan
ge peut être à l’ordre du tireur lui-même ; mais dans ce
cas la lettre n’est parfaite que lorsque, au moyen de la
négociation, elle passe au pouvoir d’un tiers qui en four
nit la valeur. En effet, la lettre de change exige qu’à côté
du tireur et du tiré existe un preneur, et cette condition
55.
B ruxelles, 29 ju ille t 1816.
�ART.
110, 1H.
75
ne se réalise pas si celui-ci n ’a jamais été que le man
dataire du tireur.
Dans l’espèce, donc, ce n ’est pas seulement au point
de vue de la remise de place en plac que pèche le titre;
ce qui lui manquera, ce sera surtout une valeur fournie
en contre-échange, il ne constituera pas même une
obligation.
Mais l’obligation est incontestable si le preneur est sé
rieux et si l’endossement est régulier. Suffira-t-il pour
que cette obligation prenne les caractères de la lettre de
change, que l’effet daté de Paris soit tiré sur Lyon ? Non,
car dans les lettres de change tirées à l’ordre du tireur
lui-même , la remise de place en place obéit à d’autres
principes.
I
SG. — L’effet tiré à l’ordre du tireur ne renferme,
disons-nous, aucune obligation ; le tireur ne reçoit rien.
Le billet qu’il signe n’est ni une créance/ ni une dette, il
n’acquerra ce caractère que du jour où un tie rs, en
fournissant la valeur, en devient le porteur légitime.
C’est donc à ce jour, au moment et au lieu où la né
gociation ss réalisera qu’il faut s’en référer pour juger
s’il y a eu ou non contrat de change et remise de place
en place. L’affirmative sera incontestable si l’endosse
ment est fait, daté d’un lieu autre que celui indiqué
pour le payement, alors même que ce lieu serait diffé
rent de celui d’où la lettre de change est tirée.
Que si, au contraire, l’endossement est daté du lieu
même où la lettre de change doit être payée, la date de
\
�76
DE LA LETTRE DE CHANGE
la lettre importera peu. En réalité, la valeur n’ayant été
donnée qu’au lieu de l’endossement, et celui-ci n’étant
autre que le lieu où sera le payement, il n’y a ni change
ni remise.
C’est ce que la cour de Toulouse jugeait le 20 juin
1835. Jusqu’à l’endossement, disait l’arrêt, la lettre de
change à l’ordre du tireur n’est pas complète ; d’où il
suit que si le tireur la revêt de son endossement, élé
ment, complément indispensables de sa perfection, que
dans le lieu du payement, il n’y a pas remise de place
en place. Cette décision, déférée à la Cour suprême, fut
par elle maintenue. Ce qui a droit d’étonner, cependant,
c’est que la Cour de cassation ait admis comme appré
ciations de faits seulement les considérations que nous
venons de transcrire l.
Cette doctrine est celle de la cour de Paris. Ainsi elle
jugeait, les 2 et 30 janvier 1840, dans les mêmes ter
mes quelacour.de Toulouse. En conséquence et par
application, elle décidait, le 6 novembre suivant, qu’une
traite tirée à Rouen, à l’ordre du tireur lui-même, par
lui endossée en blanc et négociée par le porteur de cet
endos à un tiers demeurant à Paris, où la traite est
payable, ne contient pas remise de place en place et par
conséquent ne constitue pas le contrat de change. La
Cour ne voit dans le porteur de l’endos en blanc que le
mandataire du tireur. Elle pense dès lors que ce n’est
1 Cass., 40 ju ille t 1839.
suiv.
J. du P., 2, 4 839, 4 98. Y . in fra , n° 96 et
�ART.
MO, M I .
77
que l’endossement régulier consenti par lui qui a défi
nitivement constitué la lettre de change1.
ô 1? . — La cour de Montpellier, qui s’était d’abord
prononcée dans le même sens, par arrêt du 19 mars
1836, est revenue de sa jurisprudence, en jugeant, le 13
novembre 1839, que la lettre de change est indépen
dante de l’endossement ; qu’ainsi celle tirée à l’ordre du
tireur lui-même est parfaite bien que l’endossement au
profit d’un tiers ait été daté du lieu même où la traite
est payable2.
En principe, l’endossement est évidemment sans in
fluence aucune sur la lettre de change, bien entendu
que cet endossement est celui régi par l’article 136, et
qui a pour objet la cession de la lettre par le donneur
de valeur, ou par celui auquel il l’avait d’abord cédée.
Comment pourrait-il en être de m êm e, lorsqu’il
n’existe pas encore de lettre de change. Celle tirée à l’or
dre du tireur ne constitue pas même une obligation,
nous venons de le prouver, elle n ’est complète que par
l’accession d ’un tiers qui en paye la valeur pour la re
tirer dans un autre lieu, qui vient ainsi donner un corps
à une opération jusque là sans consistance possible.
Comment donc l’endossement resterait-il dans cette cir
constance indépendant de la lettre ?
1 J. du P ., 4, 4840, 162, 2, 4840, 628. V. Paris. 8 mars 4842. Ibid
4, 4842, p 734.
' îD . P., 40, 2, 74.
�78
DE LA LETTRE DE CHANGE
Puur le décider ainsi, la cour de Montpellier est obli
gée d’admettre qu’avant même l’endossement le contrat
de change existe. Ce contrat, dit-elle, se forme entre le
tireur et le tiré, indépendamment et sans l’intervention
du tiers porteur.
Du tireur au tiré il y a si peu contrat de change,
que ce dernier n’a peut-être jamais rien dû à l’autre, et
que s’il paye, c’est que le tireur aura fait provision en
ses mains depuis la création de la lettre.
Il est vrai que par l’acceptation le tiré est présumé
avoir provision. Mais cette présomption ne concerne à
vrai dire que les endosseurs eux-mêmes, car le tireur,
qu’il y ait ou non acceptation, n’est pas moins obligé de
prouver qu’il y avait provision.
D’ailleurs, dans tous les cas, le tiré qui accepte ou
paye ne fait qu’acquitter sa dette. Le tireur de la lettre
de change doit en recevoir la valeur dans un lieu pour
la rendre dans un autre. Or, le tiré ne donne rien ; il
ne recevra jamais rien, surtout s’il doit déjà le montant
de la lettre de change.
Il n’est donc pas possible d’admettre le contrat de
change entre le tireur et le tiré, l’arrêt de Montpellier
s’écarte des véritables principes ; il ne saurait prévaloir
contre la doctrine des Cours de cassation, de Paris, de
Toulouse.
58.
— Deuxième condition. La lettre de change
doit être datée.
Cette prescripiion de l’article 110 introduisit un droit
�ART.
110,
111.
79
nouveau. Sous l’ordonnance de 1673, la lettre de chan
ge était parfaite, si elle renfermait sommairement le nom
de celui à qui le contenu devait être payé, le temps du
payement, le nom de celui qui en avait fourni la valeur,
enfin si cette valeur avait été reçue en deniers, mar
chandises ou autres effets '.
La régularité de la lettre n’étant subordonnée qu’à
ces conditions, l’exigence de la date ne répondait à au
cune nécessité réelle. Mais la pratique commerciale,
ayant bientôt exigé la remise de place en place, signa
lait par cela même combien le silence de l’ordonnance,
à l’endroit de la date , était fâcheux. N’élait-elle pas en
effet l’élément essentiel pour apprécier s’il y avait ou
non remise de place en place.
C’est cette pratique que l’article 110 a consacrée.
D’ailleurs, faisant une condition de la remise de place
en place, le législateur ne pouvait pas se taire sur la
date, l’indication du lieu où la lettre de change est sous
crite étant un des éléments indispensables pour juger
de cette remise.
59.
— Il résulte de là que ce que le législateur en
tend par la date, c’est non seulement l’indication des
an, mois et jour, mais encore celle du lieu où se crée
la lettre de change, chacune de ces circonstances a son
utilité et son importance.
L’indication du lieu est utile sous le rapport que nous
�80
DE LA LETTRE DE CHANGE
venons d’indiquer. On est à même de trancher la ques
tion de la remise de place en place p arla comparaison
du lieu de la création avec le lieu du payement.
L’indication des an, mois et jour est de nature à fixer
l’opinion sur la capacité des parties contractantes. Le
tireur était-il en état de minorité ou d’interdiction ? La
femme qui a signé était-elle ou non engagée dans les
liens du mariage ? Telles sont les premières difficultés
que la constatation de l’époque de la création de la let
tre tend à résoudre.
Celte constatation est surtout utile dans le cas de fail
lite, pour empêcher que le tireur agisse en fraude des
droits de ses créanciers. En effet, un commerçant, à la
veille de faillir, pourrait tirer des lettres de change, en
omettant la date. On ne pourrait en ce cas ni vérifier le
moment de la création, ni en suivre l’emploi, et le failli
parviendrait ainsi à disposer de son actif, à le soustraire
aux créanciers.
Enfin, la lettre de change est bien souvent indiquée
payable à un ou plnsieurs jours, à un ou plusieurs mois
de date. Comment procéder si cette date est omise ?
Comment déterminera-t-on l’échéance, la nécessité du
protêt ? De quel jour fera-t-on partir le délai de la perte
du iccours contre les endosseurs, celui de la prescription
de cinq ans?
«O . — Quel sera pour la lettre de change l’effet du
défaut de date ?
Plusieurs jurisconsultes enseignent que ce défaut en-
�ART.
H O ,
H l.
81
traîne la nullité de la lettre de change, et ils ont raison,
sauf la généralité de l’expression qu’on doit modifier. Il
semblerait, en effet, qu’à leurs yeux la nullité s’applique
au titre en lui-même, qui serait ainsi incapable de pro
duire aucun effet, insusceptible de recevoir aucune exé
cution, en force de la règle : Quod millnm est nullum
producit effectum.
Ce serait là outrer les conséquences de l’article 110 et
en méconnaître l’esprit. Cet article ne s’occupe que de
la forme de la lettre de change, d’où la conséquence
que le titre non conforme à ses prescriptions ne saurait
être considéré comme une lettre de change, ni en pro
duire les effets. Il ne sera donc, en la forme, ni attri
butif de juridiction, ni exécutoire par la contrainte par
corps, ce qui ne l’empêchera pas, au fond, de renfer
mer le germe d’une obligation valable. En d’autres ter
mes, il faut résoudre notre question comme le fait Mer
lin ; si la date est omise, il y a bien une simple obliga
tion, mais il n’y a pas de lettre de change *.
Cette solution s’applique au cas où la date est com
plètement omise. Rien ne peut en effet en suppléer l’é
nonciation, pas même la preuve testimoniale. Vainement
ferait-on remarquer qu’en matière commerciale celle-ci
est de droit commun. Cette règle reçoit naturellement
exception lorsqu’il s’agit d’un acte dont la loi prescrit la
rédaction par écrit. Or, c’est ce qu’elle fait expressément
pour la lettre de changes.
�82
DE LA LETTRE DE CHANGE
Donc, le titre non daté ne peut jamais être une lettre
de change. L’article 110 ne pousse pas plus loin ses pré
visions. Reste l’obligation civile que le titre imparfait,
commercialement parlant, peut ou prouver par lui-mê
me, ou faire présumer. Considéré dans ce dernier cas
comme commencement de preuve par écrit, il rendrait
la preuve testimoniale admissible même devant la juri
diction ordinaire.
Ce n’est pas tout encore. La lettre de change impar
faite ne rend pas la juridiction consulaire de plein droit
incompétente. La cause de l’obligation peut consister
dans un acte de commerce, et son appréciation, dans ce
cas, appartiendrait à cette juridiction. C’est ce qui se
réaliserait, par exemple, s’il était prouvé que l’engage
ment se réfère à une opération de change, de banque, ou
à l’un des actes énumérés par l’article 632.
« 1 . — Un arrêt rendu par la cour de Nimes, le 5
juillet 1819, a même refusé de donner à l’omission de
la date l’effet que nous venons de déterminer, c’est àdire la nullité de la lettre de change en la forme.
« Attendu, dit cet arrêt, que l’article 110 du Code de
commerce, en prescrivant que la lettre de change soit
datée, n’a point infligé la peine de nullité à l’omission
de cette forme, qui, en règle générale, ne vicie point les
actes sous signature privée. »
Cet arrêt, statuant sur une lettre de change soumise
au droit ancien, est très juridique. Rien de pareil à l’ar
ticle 110 n’exisiait dans l’ordonnance de 1673, consé-
�ART.
HO,
H l.
83
quemment annuler la lettre de change pour omission
de la date, c’eût été ajouter à la loi.
Mais l’excursion que la Cour fait dans la doctrine du
Code de commerce n ’est pas heureuse ; l’interprétation
qu’elle donne à l’article 110 est inadmissible. Cet article
n’avait pas à prononcer une nullité quelconque. Ce dont
il s’occupe, c’est d’énumérer les conditions que doit réu
nir la lettre de change. Dès lors le titre qui n’offrira pas
cette réunion ne sera pas nul dans l’acception ordi
naire du mot, mais il ne sera pas une lettre de change.
C’est là la conséquence logique, inévitable de la nature
et du caractère de l’article 110.
6 9 . — La lettre de change sous signature privée estelle régie par l’article 1328 du Code civil, quant à la foi
due à la date ?
La négative s’induit de l’article 139 du Code de com
merce, défendant, sous peine de faux, d’antidater les
ordres, ce qui s’applique au tirage de la lettre de chan
ge comme à l’endossement lui-même. Quel serait le mo
tif de cette rigueur si, à l’égard des tiers, l’ordre devait
avoir acquis date certaine ?
A côté de cette considération vient s’en placer une au
tre non moins décisive. La libre et prompte circulation
de la lettre de change touche de trop près l’intérêt du
commerce pour qu’on ait pu songer à des formalités, à
des difficultés de nature à l’entraver. La lettre de change
étant une monnaie, devait faire foi de son millésime, et
dès lors exigeait qu’on l’exceptât de la règle de l’article
�.8 4
PF. LA LFTTRF DF. CHANGE
1328 du Code civil. C’est cette exception, garantie d’ail
leurs par l’article 139 du Code de commerce, que la
Cour de cassation a expressément sanctionnée l.
«3 . — Mais cette exception ne va pas jusqu’à assi
miler la lettre de change à l’acte authentique. On peut
contester sa date sans être obligé de recourir au préala
ble de l’inscription de faux. C’est ce qui est universelle
ment admis en doctrine et en jurisprudence2.
Ljt preuve testimoniale, que nous avons vue ne pou
voir être admise pour établir la date, est parfaitement
recevable pour justifier que celle qui se trouve dans la
lettre de change est simulée et fausse. Il s’agit alors de
prouver la violation de l’article 139, de constater une
des suppositions dont s’occupe l’article 112. Sous l’un
et l’autre rapport, on ne pouvait que recourir à la preuve
testimoniale ; on n’en aura jamais la preuve écrite, que
la loi ne pouvait d’ailleurs exiger, qu’elle n’exige pas.
64. — Dans l’usage, on a contracté l’habitude d’é
noncer la date en chiffre, et de la placer en tête de la
lettre, au côté gauche. En agir autrement, ce serait con
trevenir à la pratique, mais non à la loi. Il suffît que
la lettre de change soit datée, quelque place qu’occupe
la mention de cette date, pour que sa régularité ne puisse
être contestée.
S 28 juin 1828 .
s Voir notamment Riom, 27 décembre 1830.
�B ô. — Troisième condition. Enonciation de la
somme à payer.
Dans les obligations ayant pour objet le payement
d’une somme d’argent, déterminer cette somme c'est dé
terminer l’obligation elle-même ; à ce titre, rien n’auto
risait à excepter la lettre de change de la loi commune.
Nous pouvons même dire que la lettre de change sur
tout devait être placée sous l’empire de cette règle. En
général elle est payée dans un lieu éloigné de celui de
sa création , par un individu qui n’est pas l’obligé di
rect, mais son mandataire. Cette double circonstance
exigeait donc que, par ses énonciations, la lettre de
change indiquât la véritable étendue de l’obligation et
évitât ainsi toute possibilité d’erreur.
La lettre de change est de plus destinée à de nom
breuses négociations. Nous avons déjà dit que , vérita
ble monnaie, elle est, comme celle-ci, vendue et achetée.
Comment remplirait-elle cette si importante mission si,
avant le règlement à l’échéance, le porteur est dans l’im
puissance même d’indiquer la somme qui sera due?
Que serait, par exemple, l’ordre donné au tiré dans ces
termes : Payez toui ce que vous me devez ? Comment
satisfaire avec un titre pareil, aux exigences de la circu
lation ?
L’énonciation de la somme à payer était donc une
condition essentielle, et la prescription de l’article 110
une conséquence inévitable de la nature des choses.
6 0 . — Les expressions de l’article 110, à l’égard de
�86
DE LA LETTRE DE CHANGE
la condition qui nous occupe, ont été mûrement réflé
chies. Elles tranchent une difficulté sur laquelle les avis
n’étaient pas unanimes. La lettre de change peut-elle,
indépendamment d’une somme en argent, avoir pour
objet la livraison d’une chose, d’une marchandise quel
conque? La négative était indiquée par la raison , elle
est consacrée par l’article 110 ; c’est pourquoi il se
borne à exiger que la lettre de change exprime la som
me à payer.
La lettre de change peut également déterminer la
monnaie qui devra servir au payement. C’est là une con
séquence de la disposition de l’article 143 du Code de
commerce. Mais cette indication est purement facultative.
Elle n’ajoute rien à la perfection de l’instrument, de
même que son absence ne lui fait rien perdre de sa
force.
Seulement, si le titre contient l’indication de la mon
naie, ce mode de payement est obligatoire, et le créan
cier ne peut être tenu d’en recevoir aucune autre.
S’il n’a rien été stipulé à cet égard, le payement sera
fait avec la monnaie courante, au lieu et au moment où
il s’effectuera, et en se conformant aux règles que l’u
sage a consacrées sur l’emploi de la monnaie de billon.
® ï. — La somme à payer doit-elle être énoncée eu
toutes lettres ? Suffit-il qu’elle le soit en chiffres ? Le lé
gislateur a gardé sur ce point le plus complet silence.
Dès lors aucun doute ne saurait s’élever sur la régula
rité de la lettre de change dans l’un et l’autre cas.
�ART. HO, H1.
87
Polhier estimait qu’il était plus à propos d’écrire la
somme en toutes lettres, pour éviter ces altérations dont
les chiffres sont plus susceptibles ; mais ce n’est là, de
puis le Code de commerce, comme sous l’ordonnance
de 1673 elle-même, qu’un conseil que la prudence re
commande et que chacun est libre de suivre ou non.
Dans l’usage, on exprime deux fois la somme à payer :
on l’énonce d’abord en chiffres à la partie supérieure
droite de la lettre, vis-à-vis de la date ; on la répète en
suite en toutes lettres dans le corps du billet. Ces deux
modes ne sont pas plus sacramentels l’un que l’autre,
surtout lorsque la lettre de change est écrite par un au
tre que par le tireur. Cependant, en cas de différence
dans les énonciations, c’est à celle du corps de la lettre
qu’on ajoute foi.
Nous avons déjà dit que le bon ou approuvé prescrit
par l’article 1326 n’était pas exigé en matière de lettre
de change ; mais la loi qui ne l’ordonne pas ne le pro
hibe pas non plus. Il dépend donc uniquement du sous
cripteur de remplir cette formalité.
Si les énonciations du bon ou de l’approuvé ne sont
pas d’accord avec celles de la lettre de change, on pré
fère la somme moindre, conformément à l’article 1327
du Code civil, sauf la preuve de l’erreur.
68 . — Quatrième condition. La lettre de change
doit énoncer le nom de celui qui doit payer.
Cette prescription découlait forcément de la nature du
contrat et du mode de payement qu’il comporte. Il est
�88
DE LA LETTRE DE CHANGE
évident que dans les prévisions de tous, que par la force
des choses même, le payement ne pourra être matériel
lement opéré que par un tiers dont le débiteur invoquera
le secours.
En effet, un commerçant de Marseille ayant des fonds
h transmettre à Paris, verse ses fonds chez un banquier
de Marseille qui lui souscrit en échange des effets paya
bles à Paris. Ce commerçant n’a pu ni dû croire que le
banquier se transporterait lui-même à Paris pour y rem
bourser le montant de ses effets. Il a, au contraire, par
faitement admis que ce remboursement serait opéré par
le tiers qu’il plairait au tireur d’indiquer.
Dans ce sens, on a eu raison de dire que le tiré était
partie nécessaire en la lettre de change, même abslraetivemeril de toute acceptation et en ne le considérant
que sous le point de vue de la mission qui lui est don
née de recevoir provision et de payer.
C’est donc à lui exclusivement que le porteur peut et
doit s’adresser pour obtenir payement C’est cette néces
sité qui a motivé la condition que nous examinons. Com
ment le porteur remplirait-il son obligation, si le tiers
chargé de payer n’était pas formellement indiqué ?
O®. — La désignation exigée par la loi doit être
claire et précise. Dans l’usage, elle se réalise par l’indi
cation des nom, prénoms et qualité du tiré, au domicile
duquel la lettre est payable.
La doctrine et la jurisprudence ont eu à rechercher
la véritable portée de l’article 110 sur la condition qui
�nous occupe. L’une et l’autre sont arrivées à ce résultat
qu'en cette matière la loi n’a rien prescrit de sacramen
tel et d’impérieux. Il suffit que le porteur ne puisse se
tromper pour que la régularité de la lettre de change soit
incontestable. Tel est notamment l’avis de M. Nouguier.
Malgré l’omission du nom du tiré, enseigne-t-il, la let
tre de change n’en serait pas moins complète si la dé
signation était tellement précise qu’il était impossible
que le porteur se trompât L
*©. — D’autre p a rt, la Cour de cassation a admis
que , dans l’application de l’article 140 , les tribunaux
devaient plutôt s’arrêter au fond des choses qu’aux ex
pressions de l’acte. Elle décide en conséquence qu’il suf
fit qu’un tiers ait été désigné pour opérer le payement
pour que le titre soit une véritable lettre de change, alors
même que d’autres indications sembleraient arriver à un
résultat contraire. C’est dans ce sens qu’elle se pronon
çait, notamment dans un arrêt du 14 mai 1827.
Dans l’espèce, la lettre de change était ainsi conçue :
Boulogne, le...... B. P ...... à telle époque je payerai
sur cette lettre de change à l’ordre du sieur Dufour, la
somme de... valeur reçue comptant, que passerez sans
autre avis. À. M. Daitre, à Saint-Gaudens.
Cette lettre ayant été protestée, le souscripteur soutient
qu’elle ne constitue qu’une simple promesse, et, comme
il n’était pas commerçant, il décline la compétence con1T.
p. 85.
�90
DE LA LETTRE DE CHANGE
sulaire. Mais cette exception est repoussée en première
instance et en appel.
L’arrêt; émané de la cour de Toulouse, admet que
lorsqu’une traite contient remise de place en place ;
qu’elle est faite entre un tireur et un donneur de valeur,
avec indication d’un tiré, elle est une vraie lettre de
change ; qu’il importe peu que le tireur ait écrit je paye
rai ; que l’obligation personnelle qu’il s’est imposée de
payer concurremment avec le tiré ne fait rien perdre de
son caractère à la lettre de change, qu’en supposant
qu’elle ne fût pas l’effet de l’erreur , elle constituerait
seulement l’intervention d’un second payeur, ce qui n’est
pas prohibé par la loi.
Cet arrêt, ayant été l’objet d’un pourvoi, fut maintenu
par la Cour de cassation, et il était difficile qu’il ne le
fût pas L Le caractère juridique de sa doctrine semble
ne pouvoir être méconnu.
f l . — Il l’a été cependant par la cour de Montpel
lier jugeant, le 17 novembre 1843, qu’on ne peut con
sidérer comme lettre de change un effet commençant par
ces mots : Je payerai, bien que terminé par ceux-ci :
à Monsieur un tel...
Nous n’ignorons pas qu’un litige de la nature de ce
lui sur lequel l’arrêt est intervenu se réduit le plus sou
vent en une question de fait. Le titre a-t-il les caractè
res d’une lettre de change? L’opération constitue-t-elle
�ART. 110, 111.
91
ou non le contrat de change? Nous reconnaissons en
conséquence que les magistrats chargés de résoudre la
question ont un pouvoir d’appréciation nécessairement
fort étendu. Cependant ce pouvoir a des limites, et la
cour de Montpellier nous parait les avoir dépassées.
Son arrêt attache une autorité exagérée à une expres
sion plus ou moins conciliable avec les autres indica
tions du titre, tandis qu’abstraction faite des unes et de
l’autre, c’était par le fait lui-même que la Cour devait
se prononcer. Ce qui justifie notre reproche, c’est le
motif sur lequel l’arrêt se fonde.
Le titre était conçu de la manière suivante : Béziers,
le... Dans un an, à compter de ce jour, je payerai à
Mme de Saint-Maur ou à son ordre la somme de 8,400
fr., valeur reçue comptant de ladite dame, que passerez
sans autre avis : Signé Cellarier. À MM. Cassanié et
Cie, banquiers à Montpellier.
Attendu, dit la Cour, que cet effet ne renferme pas
les caractères de la lettre de change, puisqu’il n’y a
point de tiré, les mots à MM. Cassanié et Cie., ban
quiers, domiciliés à Montpellier, n’établissant nullement
que l’effet a été tiré sur lesdits Cassanié, et n’indiquant
même pas que c’est au domicile de ceux-ci que le paye
ment doit être effectué K
En fait, le nom de MM. Cassanié et Cie, sur le titre
dont le payement était commercialement poursuivi, ne
i
J. du P., 2, 1844, 319. L’a rrê tiste a ttrib u e cet a rrê t k la cour de
Bordeaux. Nous croyons que c’est une erre u r
�92
DE LA LETTRE DE CHANGE
pouvait avoir d’autre signification que celle que l’usage
a attachée à une indication de ce genre. On n’indique
jamais le tiré autrement que par la désignation de ses
nom, qualité et domicile. Nous retrouvons ici cette tri
ple circonstance, on indiquait MM. Cassanié frères et
Cie, banquiers à Montpellier.
Contre l’induction tirée de l’usage acquis et invaria
ble, on objecte qu’ordinairement l’adresse du tiré est
précédée du mandat fi rmel de payement ; que ce man
dat résulte de ces mots, payez ou il vous plaira payer
figurant en tête de la lettre de change
Nous répondons que la détermination de ce mandat
n’est soumise à aucune forme, à aucune expression lé
gale et sacramentelle, qu’elle peut résulter de l’intention
des parties, de la rédaction du titre, de la nature de
l’opération.
Dans l’espèce, on faisait remarquer que l’omission du
mot payez était remplacée par un équivalent formel ;
qu’ai nsi ces expressions, que vous passerez sarts autre
avis de renfermaient le mandat exprès de payer, man
dat qui ne pouvait s’adresser qu’à ceux qu’on allait im
médiatement désigner.
L’existence d’un tiré était donc établie par l’ordre de
payer formellement donné ; par la désignation d’une
tierce personne. 11 est vrai que le mot je payerai créait
une obligation personnelle au tireur, tout ce qui pou
vait résulter du concours ne pourrait être que l’effet
signalé par la cour de Toulouse et par la Cour de cas
sation.
�ART. 110, 111.
95
D’ailleurs l’obligation personnelle existe même dans
le cas d’un tiré régulièrement établi. Celui-ci n ’est obligé
de payer que s’il est débiteur du tireur ou que s’il reçoit
de lui provision suffisante. Dire donc je payerai, c’est
constater un fait exact et positif qui est loin d’exclure le
payement par l’intermédiaire d ’un tiers.
Nous croyons donc que la cour de Montpellier s’est
trompée. Nous résumons les motifs de notre opinion
dans les trois considérations suivantes :
1° Dans la supposition d’un billet à ordre pur et sim
ple, la désignation de la maison Cassanié et Cie est une
absurdité, qu’avait à faire cette maison dans la rédaction
d’un billet qu’elle ne devait pas payer ?
2° Dans l’intention des parties, le donneur de valeur
n’a pas entendu que le tireur payerait directement ; ce
lui-ci ne pouvait avoir la pensée d’un pareil payement.
La preuve, c’est que l’un acceptait et que l’autre don
nait à un tiers désigné l’ordre formel d’opérer ce paye
ment ;
3° Enfin dans la nature de l’opération, le titre cons
tatait que la sommme avait été reçue à Béziers ; qu’elle
devait être payée à Montpellier. Le contrat de change
existait donc, et son exécution ne pouvait donner lieu à
un simple billet à ordre. Comment, en effet, admettre
que le tireur se rendrait personnellement de Béziers,
lieu de la création de l’effet, à Montpellier, lieu du paye
ment. Pouvait-on raisonnablement soutenir que le billet
était payable à Béziers même! Mais alors comment ex
pliquer le nom de MM. Cassanié et Cie? L’anomalie que
�94
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous signalions tout à l’heure acquiert un bien plus
haut degré d’absurdité.
38. — L’erreur dans la désignation pourrait avoir
des conséquences graves, entre autres, l’impossibilité de
faire le protêt en temps utile. Nous pensons que dans
ce cas le procès-verbal de perquisition de l’huissier con
serverait le recours du porteur contre les endosseurs, et
équivaudrait au protêt. Dans tous les cas, l’erreur étant
exclusivement imputable au tireu r, celui-ci serait sans
contredit tenu d indemniser le porteur du préjudice que
celui-ci serait exposé à souffrir ; il serait tenu de le payer
alors même qu’il prouverait que le tiré avait provision
à l’échéance. L’erreur dans la désignation équivaut au
défaut de désignation, le porteur ne peut donc être puni
de ce qu’il ne s’est pas adressé à celui qu’il ne connais
sait pas.
33. — Le tireur peut-il se désigner lui-même pour
le payement de la lettre de change et réunir ainsi à sa
qualité celle du tiré? Cette question, controversée sous
l’empire de l’ordonnance, l’est encore aujourd’hui, sans
trop de motifs pourtant.
En fait, le contrat de change dans son origine, dans
sa constitution, n’exige que le consentement de deux
parties : le donneur de valeur, le tireur ; le concours
d’un tiers ne se réalisant que pour et dans l’exécution
n’a rien d’essentiel tant qu’il n ’est pas question de con
traindre à celte exécution. Aux yeux du législateur de
�ART. 110, 111.
95
4673, l'intervention du tiers était plutôt un privilège
qu’une obligation.
Nous comprenons donc que, sous l’empire de l’ordon
nance, Fuleman enseignât que le tireur pouvait fournir
une lettre sur lui-même, payable dans une ville ou
foire, où il irait lui-même pour la payer, qu’il pouvait
donc être tireur et payeur.
Ajoutons que, sous notre ancien droit, tout titre réa
lisant le contrat de change était une lettre de change,
quels qu’en fussent la teneur et le contexte. Aussi défi
nissait-il les lettres de change, remises de place en
place K
Les seules dispositions qu’elles dussent réunir étaien (
d’exprimer le nom de ceux auxquels elles étaient paya
bles, l’époque du payement, le nom de celui qui en avait
donné la valeur, la nature de cette valeur, si elle avait
été fournie en deniers, marchandises, ou autres effets2.
La réunion de ces conditions imprimait au titre le
caractère de lettre de change. Le silence gardé par la
loi sur tout ce qui se référait au payement justifiait donc
l’opinion de Fuleman sur le cumul des qualités de tireur
et de payeur.
C’e3l ce que la Cour de cassation a formellement jugé
le 1" mai 1809. La cour de Turin avait refusé de voir
une lettre de change dans un effet tiré sur le tireur qui
l’avait acceptée. Son arrêt fut déféré à la Cour suprême
i A rt. 2, tit. 12. O rdonn. de 1673.
* Ibid
, a rt. 1, tit. v.
�1)0
DE LA LETTRE DE CHANGE
comme violant l’ordonnance de 1673, sous l’empire de
laquelle il avait été rendu.
Après une savante et solennelle discussion, la Cour de
cassation se trouva partagée. Plus tard, elle annula l’ar
rêt. Après avoir constaté que la remise de place en
place est certaine, et que la lettre de change est revêtue
de toutes les formalités prescrites par l’article 1", titre
5 de l’ordonnance, la Cour suprême ajoute :
« Considérant que la Cour d’appel, en réduisant
néanmoins cet écrit à l’état de simple obligation civile,
et en annulant par suite le jugement du tribunal de com
merce pour incompétence au profit du tireur, ne s’est
fondée, essentiellement et en général, que sur ce que le
tireur, tout en paraissant la diriger vers un tiers pour la
payer, n’a, par le fait opposé par lui et reconnu cons
tant, tiré que sur lui-même personnellement, se consti
tuant ainsi tireur et payeur ;
« Considérant que l’arrêt n’a pu, par cet unique mo
tif de l’incompatibilité absolue qui doit exister entre le
payeur et le tireur, dépouiller le tribunal de commerce
de sa juridiction, sans ajouter aux dispositions de l’arti
cle 1er, titre v, et sans violer expressément l’article 2,
titre xn de l’ordonnance '. »
Il importait de bien préciser les motifs de la solution
consacrée par la jurisprudence, pour la saine apprécia
tion de la question de savoir si cette solution est ou non
juridique sous l’empire du Code de commerce. La néga1 Sirey, 1809, 4, 175.
#
�ART.
110,
111.
97
tive devra être inévitablement admise, s’il est acquis que
le Code a innové sur l’ancienne législation.
Ce fait ne saurait être nié. Le législateur de 1807 a
profondément modifié la lettre de change, obéissant en
cela à des considérations que ses effets faisaient surgir.
D’abord on reconnut que le litre exécutant le contrat
de change, n ’était pas par cela même une lettre de chan
ge. Sans doute l’opération par elle-même restait essen
tiellement commerciale, mais les parties pouvaient se
contenter de souscrire soit un billet à ordre, soit un bil
let à domicile. C’est ce qui est explicitement consacré
par l’article 637 du Code de commerce.
Or, ces billets diffèrent essentiellement de la lettre de
change, en ce qu’ils n’établissent pas la commercialité
de l’acte à l’égard des non commerçants. Sans doute le
porteur pourra investir la juridiction consulaire et de
mander la contrainte par corps, mais il ne pourra obte
nir une condamnation qu'en justifiant que le billet a
réellement pour cause une opération de trafic, de chan
ge, banque ou courtage , à défaut le tribunal de com
merce devra se déclarer incompétent si le billet ne porte
point de signature de commerçants.
La lettre de change établit contre toute personne la
commercialité de l’opération pour laquelle elle a été
créée.Elle entraîne donc contre tout signataire la com
pétence consulaire, la contrainte par corps ; elle confère
au porteur tous les privilèges que la faveur due au com
merce a attachés à la création et à la transmission de
celle véritable monnaie.
i — 7
�98
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’ensemble de ces effets signalait la lettre de change à
l’attention spéciale et particulière du législateur. Un acte
compromettant la liberté individuelle parut devoir être
soumis à des conditions rigoureuses. Cette pensée de
vint l’origine de notre article 110.
Sans doute cet article n’a pas attaché la peine de nul
lité à l’omission d’une ou de plusieurs des formalités
qu’il prescrit, mais cette nullité résulte de plein droit de
ce que la lettre de change n’étant parfaite que par la
réunion de toutes ces formalités, il serait impossible de
la reconnaître dans l’acte n’offrant pas cette réunion.
Or, l’article n ’a pas seulement conservé les formalités
anciennes, il en a introduit de nouvelles, notamment le
concours d’une personne chargée du payement et son
indication dans la lettre de change elle-même.
En réalité, donc, la lettre de change n’existe que lors
qu’elle réunit un tireur, un porteur, un tiré. Lorsque
les qualités du premier et du dernier se confondent sur
une même tête , il n’y a plus trois personnes comme
l’exige la loi, dès lors il ne saurait exister de lettres de
change régulières.
On objecte que le concours de trois personnes ne se
rait rigoureusement nécessaire que si chacune d’elles
avait dans l’opération un intérêt égal. En réalité, cepen
dant, toutes ne contractent pas. Le tiré reste bien sou
vent étranger à la lettre, dès lors on peut le supprimer.
On ajoute : en admettant que le concours soit néces
saire, que trois noms doivent figurer dans la lettre, fautil décider que le nom du tiré ne peut pas être le même
�art .
no,
n i.
99
que celui du tireur? Pourquoi la même personne ne
remplirait-elle pas deux offices ? Y en aura-t-il moins
trois personnes morales distinctes ?
Le premier argument n’aurait pas d’autre résultat
que d’effacer l’article 1 10. Certes, le législateur ne s’est
pas dissimulé que le tiré resterait souvent étranger à
l’opération. Cependant il n ’a pas hésité à prescrire for
mellement l’indication de son nom. En l’état de cette
prescription, demander si on peut supprimer le tiré,
c’est en réalité demander si on peut impunément violer
la loi.
D’ailleurs, le législateur, en ce qui concerne le tiré,
n’a pas admis la possibilité de l’indication d’un nom en
l’air. Il a, au contraire, raisonné dans l’hypothèse d’un
tiré sérieux, ayant provision ou placé dans une position
telle, par rapport au tireur, que son acceptation est en
quelque sorte forcée.
Ce qui prouve cette intention de la loi, c’est le soin
qu’elle prend d ’autoriser le protêt faute d’acceptation
et d’en régler les effets. Ainsi celui qui a tiré au hasard
pourra être obligé, avant l’échéance , ou de payer, ou
de donner caution. Ce privilège du créancier, inhérent à
la lettre de change , n ’est-il pas uniquement attaché à
l’existence et à l’indication du tiré? Supprimer celui-ci,
ce serait enlever à la lettre de change un de ses carac
tères les plus essentiels.
Il faut donc, de toute nécessité, un tiré. Cette conclu
sion aéquise, est-il possible d ’admettre que ce tiré puisse
être le tireur lui-même ?
�100
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’économie générale de la loi repousse cette idée.
L’article 110 reçoit, des dispositions suivantes, cette si
gnification forcée, à savoir, que le tiré, dont il exige
l’indication, doit être distinct de la personne du tireur,
avec lequel il ne peut jamais se confondre.
Que le législateur ait voulu soumettre toute lettre de
change à l’acceptation, c’est ce qui résulte des articles
118 et suivants. Cette acceptation n’a pas d’autre objet
que d’ajouter un nouveau débiteur à celui qui existe
déjà et d’augmenter les garanties du créancier. Supposez
que le tireur soit en même temps le tiré, son accepta
tion ne sera qu’une vaine, qu’une inutile formalité. 11
n’hésitera jamais à la donner, puisqu’après il n’aura
pas d’autre obligation que celle qui lui incombait avant.
La loi, cependant, a prévu la possibilité d’un refus.
Elle a donc entendu s’occuper d’un tiré libre de tout
engagement jusqu’à son acceptation, et conséquemment
distinct de la personne du tireur.
Le tiré n’est obligé d’accepter ou de payer que lors
qu’il a provision. Cette provision, c’est le tireur qui doit
la faire, aux termes de l’article 115. L’article 116 ajoute :
il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change,
celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur
d’une somme au moins égale au montant de la lettre de
change.
Peut-on plus énergiquement proclamer la nécessité
de deux personnes distinctes? Non, d’après Pothier et
Merlin, se fondant sur ces considérations pour établir
même sous l’empire de l’ordonnance, la même
�ART. 110, 111.
101
personne ne pouvait être tireur et tiré. A plus forte rai
son faut-il le décider ainsi depuis la promulgation de
notre article 110 l.
L’opinion contraire, soutenue par MM. Horson et
Persil fils, s’étaie de trois arrêts, au nombre desquels
figure celui rendu par la Cour de cassation, le 1er mai
1809, que nous citions tout à l’heure. Cet arrêt, rendu
sous l’empire de l’ordonnance, ne peut avoir aucune
autorité sous l’empire du Code.
Restent deux autres arrêts rendus : le premier, par la
cour de Nîmes, le 22 juin 1829, et le second par la cour
de Toulouse , le 3 décembre suivant. Les faits consti
tuant l’espèce sur laquelle l’un et l’autre ont été rendus
les laissent en quelque sorte sans influence sur notre
question.
Devant la cour de Nîmes comme devant celle de Tou
louse, le tireur d’une lettre de change poursuivi en paye
ment soutenait l’incompétence du tribunal de commerce.
Il excipait : 1° de ce qu’il n’était pas négociant ; 2° de ce
que la lettre de change, étant tirée sur lui-même, ne
constitue qu’une simple obligation civile.
Ces objections étaient repoussées par cette considéra
tion que l’argent reçu dans un lieu devait être remboursé
dans un autre ; que dès lors l’opération ayant une cause
commerciale, le tribunal de commerce avait été légale
ment investi.
i Pardessus, Droit com., n° 335. Favard, v° Lettre de change. Nouguier, 1.1, p. 850, n° 4.
�A
10 à
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette défense rendait inutile l’examen du caractère du
titre, et c’est elle surtout qui va être consacrée par les
arrêts.
« Attendu, dit celui de la cour de Nîmes, que le ca
ractère constitutif du contrat de change est la remise
d’un lieu sur un autre ; que, dans l’espèce, Lapierre
ayant reçu à Carpentras les fonds des lettres de change
par lui tirées sur Avignon, le contrat intervenu porte les
caractères constitutifs du contrat de change. »
C’en était assez pour faire repousser l’exception d’in
compétence. Mais la Cour croit devoir examiner le titre,
et dans cet examen elle considère que les lettres de chan
ge ne perdent pas leur caractère parce que le tireur et
le tiré sont une seule et même personne, ce que d’ail
leurs l’article 110 n’a pas pour objet d’empêcher. Cette
opinion, la Cour l’aurait-elle consacrée si 1e caractère
commercial ne fût résulté que de la lettre de change pré
tendue ? Il est permis d’en douter.
Cet examen accessoire, la cour de Toulouse ne le fait
même pas. « Attendu, porte seulement son arrêt, que
tout acte portant engagement de compter ou faire comp
ter en un certain lieu une somme qu’on reçoit dans un
autre lieu, est une lettre de change ; attendu que l’acte,
objet du litige actuel, contient cet engagement ; que
conséquemment le tribunal de commerce était compé
tent. »
Evidemment le sens de l’arrêt n ’est nullement obs
curci par les termes impropres de sa rédaction. Ce que
la Cour a voulu dire, c’est que, quel que soit le titre qui
�ART.
110,
111.
103
la constitue, une opération de change est essentiellement
commerciale ; qu’on ne saurait dès lors légalement se
soustraire à la juridiction consulaire.
Ce résultat infaillible, alors même que le titre ne se
rait qu’une simple promesse, enlève aux arrêts de Nî
mes et de Toulouse toute autorité comme précédents sur
la question qui nous occupe ; ni l’un ni l’autre n’a eu
à la trancher.
Nous nous trompons, la cour de Toulouse avait été
appelée à le faire dans une autre circonstance, et la so
lution qu’elle avait consacrée est diamétralement oppo
sée à celle enseignée par MM. Horson et Persil fils. Nous
ne pouvons mieux résumer notre discussion qu’en
transcrivant les motifs de cet arrêt, rendu le 22 juillet
1825.
« Attendu que si avant la promulgation du Code de
commerce, les lettres de change tirées sur soi-même
étaient reconnues valables, c’est parce que l’article 1,
titre v de l’ordonnance de 1673 n ’avait pas compris
dans le nombre des conditions nécessaires à une lettre
de change le concours de trois personnes ; que plusieurs
auteurs s’étaient élevés contre cette législation, et que
divers parlements avaient même annulé des lettres de
change tirées sur le souscripteur lui-même, comme ne
présentant pas le nombre des personnes essentielles à ce
genre d’obligations ;
« Attendu que le Code de commerce, article 110, en
copiant presque textuellement l’article 1, titre v de l’or
donnance, y a ajouté que la lettre de change contien-
�104
DE LA LETTRE DE CHANGE
drait le nom de celui qui doit la payer, et que par là le
législateur a exigé le concours de trois personnes et pros
crit les lettres de change sur soi-même ;
« Attendu que le caractère principal qui distingue le
billet à domicile de la lettre de change consiste en ce que
deux personnes interviennent dans le premier, et que le
souscripteur s’oblige à faire lui-même le payement, tan
dis que dans la lettre de change le tireur indique une
tierce personne pour acquitter son obligation ; que dans
les lettres de change tirées sur soi-même, le souscrip
teur ferait lui-même le payement, et qu’ainsi elle ne se
rait qu’un simple billet à domicile, revêtu des apparen
ces d’une lettre de change.
« Attendu que si le tireur et le tiré étaient une seule
et même personne, l’acceptation deviendrait impossible,
et que cependant, par l’importance que la loi a attachée
à cette formalité et les effets qui en résultent, l’accepta
tion est une des conditions essentielles de la lettre de
change ;
« Attendu que les articles 115 et 116 du Code de
commerce , en exigeant que la provision soit toujours
faite par le tireu r, et en déclarant qu’il y a provision
dans les mains du tiré toutes les fois qu’il est redevable
d’une somme au moins égale au montant de la lettre de
change, prouvent que la loi a entendu que le tireur et
le tiré ne seraient pas une même personne ; qu’ils se
raient, au contraire, deux individus distincts. »
* 4 . — La prohibition de tirer sur soi-même doit
�ART. HO, 111.
105
être renfermée dans de justes limites. Cette prohibition
n’a qu’un objet : empêcher que le tireur ne prenne à sa
charge matérielle et personnelle l’obligation de payer.
Elle ne peut donc sortir à effet toutes les fois que cette
obligation est en fait confiée à un tiers, quelle que soit
d’ailleurs sa position à l’égard du tireur.
Ainsi, tirer sur son commissionnaire, ce n’est pas tirer
sur soi-même. La lettre de change ayant pour objet prin
cipal de prévenir la nécessité de faire voyager l’argent,
est la voie la plus naturelle que le mandant puisse em
ployer pour encaisser les fonds que son commission
naire a ou aura pour son compte au moment de l’é
chéance de la lettre.
Il y a plus, en commerce, la même personne peut
avoir divers établissements dans des localités différentes.
Chacun de ces établissements a son individualité propre,
constitue, commercialement parlant, un être particulier
et distinct. Conséquemment la maison d’Aix tirant sur
celle de Lyon, de Paris, de Marseille, et réciproquement,
crée de véritables lettres de change dont la régularité ne
saurait être mise en doute sous le prétexte de cumul
des qualités de tireur et de tiré.
75. — M. Pardessus adopte sans difficulté cette doc
trine et trouve une pareille opération parfaitement lé
gale, mais il refuse ce caractère à la négociation ayant
pour objet de la part du tireur de fournir sur sa femme
ou sur son commis. A notre avis rien ne justifie cette
solution. La femme libre de contracter, le commis sur-
�106
DE LA LETTRE DE CHANGE
tout, a une individualité distincte de celle de son mari
ou de son patron ; leur solvabilité propre peut être par
faitement établie, l’une et l’autre sont donc dans le cas
de cautionner la lettre de change en l’acceptant.
Au reste , en pareille matière, le fait influera sur le
droit. Il est possible que le mari, que le patron, voulant
payer à son domicile et prévoyant qu’il en sera absent
à l’époque de l’échéance, commette le soin de payer à sa
femme, à son commis qu’il laisse à la tête de ses affai
res. La réalisation de cette éventualité pourrait bien
motiver l’application spéciale de l’avis de MM. Pardes
sus, mais ériger cette opinion en principe absolu, c’est
émettre une théorie qui n’a aucun fondement légal ou
juridique.
A plus forte raison devrait-on repousser cette opi
nion, si le commis sur lequel la lettre de change est ti
rée était à la tête d’une maison située dans une localité
autre que celle que le patron exploite. C’est ce qu’avec
beaucoup de raison a jugé la cour de Rouen par arrêt
du 20 août 1845 L
S e . — L’irrégularité fondée sur le cumul des qua
lités de tireur et de tiré étant un vice apparent, peut être
opposée au tiers porteur. Il en serait autrement de l’ir
régularité fondée sur ce que le tiré serait la femme ou
le commis du tireur. Le tiers a pu ignorer cette cir
constance si la qualité de l’un ou de l’autre n’est pas
i J. du P., 1846 449,
�ART.
110, 111.
107
énoncée dans l’acte même ; on ne pourrait donc, dans
l’application de l’opinion de M. Pardessus, atteindre ce
tiers qu’en prouvant qu’il n’est pas de bonne foi.
Cette preuve peut-elle être faite par le tireur ? M. Par
dessus résout négativement la question. Il soutient la
non recevabilité absolue, et dans tous les cas, d’une pa
reille prétention.
Cette opinion est fondée sur la participation du tireur
à la fraude qu’il signale ; elle est sans contredit con
forme au principe général du droit ; l’est-elle également
au droit spécial ? Nous ne pouvons l’admettre.
Quant à nous, nous distinguons entre le tireur com- merçant et celui qui ne l’est pas. Quel intérêt aurait le
premier à exciper de l’irrégularité de la lettre de chan
ge ? Cette irrégularité admise, il n’en serait pas moins
justiciable des tribunaux de commerce et contraignable
par corps. Le défaut d’intérêt devrait donc le faire dé
clarer non recevable à prouver le vice de la lettre de
change : Frustra probatur quocl probatun non relevât.
Admettez, au contraire, que le tireur n ’est pas com
merçant, qu’il ne s’agit pas pour lui d’une opération de
trafic, de change, de banque ou de courtage, la compé
tence consulaire, la contrainte par corps résultent ex
clusivement de la forme de l’obligation. Détruire celleci, c’est anéantir celles-là. L’intérêt du tireur à obtenir
ce résultat est incontestable.
L’existence de cet intérêt ainsi établie, ajoutons que le
tireur n’a pu indirectement renoncer à s’en prévaloir,
car il n’aurait pu le faire directement. Cette renonciation
�108
DE LA LETTKE DE CHANGE
équivaudrait à la soumission volontaire à la contrainte
par corps hors les cas voulus par la loi. Elle blesserait
une loi impérative, et cette loi étant d’ordre public, la
fraude personnelle du débiteur ne l’empêcherait pas d’en
invoquer le bénéfice.
Concluons donc que le tireur est toujours recevable à
prouver l’irrégularité dont il se plaint et à échapper par
ce moyen à la compétence commerciale et à la contrainte
par corps, mais dans le cas seulement où l’une et l’au
tre ne résultent ni de la qualité de commerçant, ni de
la nature de l’opération.
î 1®. — Cinquième condition. La lettre de change
doit énoncer l’époque du payement et le lieu où il doit
s’effectuer.
Les motifs sur lesquels la quatrième condition se fonde
exigeaient la consécration de la cinquième. Ce n’est pas
tout, en effet, d’avoir indiqué celui qui doit payer , il
faut encore et surtout exprimer le moment où ce paye
ment pourra être requis et le lieu où il devra s’effec
tuer.
L’époque de l’exigibilité est exigée dans et pour tou
tes les obligations. Son utilité en matière ordinaire n’est
et ne peut être méconnue et contestée, à plus forte rai
son cette utilité se décèle-t-elle dans la lettre de change.
Pour celle-ci, tout est de rigueur, il faut agir, en quel
que sorte , à jour et heure fixes, sous peine de perdre
les seules garanties réelles de payement.
La détermination de l’échéance est donc essentielle ;
�ART. 1 1 0 ,
H l.
109
son omission enlève au titre le caractère de la lettre de
change. II devient une simple promesse, une obligation
ordinaire dont le payement est désormais réglé par la
justice. C’est précisément l’obligation de solliciter ce rè
glement qui annule la lettre de change par son incom
patibilité avec les devoirs et les droits naissant de celleci. Donc, à toutes les époques, on a admis qu’il ne peut
être suppléé à l’indication ; que son omission enlève au
titre le caractère de lettre de change *.
®8. — L’époque du payement doit donc être for
mellement indiquée ; elle doit être précise et certaine.
La soumettre à un événement conditionnel ou incertain,
ce serait méconnaître l’intention delà loi et se soustraire
à ses prescriptions. La lettre de change serait irrégu
lière, comme dans l’hypothèse d’une omission absolue.
La jurisprudence est unanime à cet égard.
Ainsi, la cour de Paris a jugé, le %février 1830, que
l’obligation 'souscrite sous la forme d’une lettre de change
n’a pas le caractère de celle-ci, si le tireur se réserve la
faculté de renouveler ou bien de payer à l’échéance.
Déjà, et le 29 avril 1829, la même Cour avait décidé
que l’époque du payement d’un billet à ordre n’est pas
suffisamment indiquée par ces mots : Je payerai toute
fois et quand. Ces expressions ne pouvant être considé
rées comme équivalentes de : Je payerai à volonté ou
à présentation.
1 Pothier, C h a n g e , n° 32.
�HO
DE IA LETTRE DE CHANGE
La cour de Toulouse, investie de la question de savoir
si une lettre de change stipulée payable après le décès
d’un individu était régulière et valable , s’est prononcée
pour la négative, par arrêt du 6 janvier 1837, Cette
solution se fonde sur ce que l ’indication précise de l’é
poque du payement est de l’essence de la lettre de chan
ge , que le décès d’un individu étant nécessairement in
certain et indéterminé , son indication n’est conforme
ni au texte, ni à l’esprit de la lo i l.
Enfin la cour de Riom a jugé, le 1er juin 1846, que
l’échéance d’une lettre de change ne saurait être subor
donnée à une condition suspensive, à celle, par exem
ple, que le montant en sera exigible un an après l’ad
mission encore incertaine et indéterminée d’un rempla
çant à l’arm ée2.
Ces précédents étaient utiles à évoquer. Ils ont le mé
rite de préciser de sens et la portée de l’article 110.
L’époque du payement doit être pure, simple, détermi
née. Le payement lui-même doit forcément s’y réaliser.
Toute autre stipulation équivaut à l’omission et en pro
duit les effets.
*9. — Nous venons de voir qu’il ne peut êttre sup
pléé à celle-ci, même par décision judiciaire. Peut-elle
être réparée ?
Un arrêt de Paris, du 14 mai 1829, se prononce
1 J. du P., 2, 1837, 415.
2 Ibid., 2, 1848, 333.
�ART.
I 10,
111.
111
pour l’affirmative. Il consacre, en effet, que l’indication
faite par le tiré au moment de son acceptation de l’épo
que où il payerait, était un complément régulier de la
lettre de change.
Cette conséquence nous paraît difficile à admettre.
Comment enlever le bénéfice de l’irrégularité de la let
tre de change à ceux auxquels ce bénéfice est acquis.
Comment, par exemple, lorsque le tireur n’est pas com
merçant, et n ’a pas fait une opération de trafic, change,
banque ou courtage, reconnaître au tiré le droit de le
soumettre à une contrainte par corps à laquelle il n ’é
tait pas soumis avant l’acceptation ?
Cet effet seul nous paraîtrait devoir entraîner le rejet
de la doctrine de l'arrêt. Nous nous prononcerions donc
dans le sens contraire. Nous ajoutons que, dans tous
les cas, si le tiré peut compléter la lettre de change,
l’effet de ce complément ne devrait et ne pourrait régir
que l’avenir ; qu’ainsi le tireur, les donneurs d’aval, les
endosseurs même, dont la signature serait antérieure à
l’acceptation, seraient recevables et fondés à exciper de
l’irrégularité de la lettre de change au moment de leur
adhésion.
8 0 . — Avec l’époque du payement la loi exfge l’in
dication du lieu où il doit se faire Cette dernière indi
cation n ’a pas l’importance de la première. Elle n’est
réellement indispensable que dans le cas où le payement
doit être fait ailleurs qu’au domicile du tiré.
A défaut d’indication contraire, c’est à ce domicile
�112
DE LA LETTRE DE CHANGE
que le payement est censé devoir être effectué. C’est
donc là que le porteur doit faire présenter la lettre de
change et requérir soit l’acceptation, soit le payement,
c’est là seulement que le protêt peut être régulièrement
dressé.
Cette règle ne reçoit d’autre exception que celle qui
s’induit de l’article 423. Des circonstances plus ou
moins fortuites peuvent mettre le tiré dans l’impossibi
lité de payer au lieu indiqué dans la lettre de change,
il peut et doit dans ce cas, en acceptant celle-ci, indi
quer le lieu où il effectuera le payement. C’est au do
micile ainsi désigné que se ferait la présentation, le
payement et au besoin le protêt.
8 1 . — Sixième condition. La lettre de change doit
énoncer la valeur fournie en espèces, en marchandises,
en compte ou de toute autre manière.
Les effels spéciaux , les privilèges qu’on a de tout
temps reconnu à la lettre de change exigeaient qu’on
veillât scrupuleusement à la sincérité et à la certitude de
l’opération qui en faisait l’objet. L’une et l’autre tien
nent évidemment à la délivrance effective d’une valeur
en contre-échange de laquelle est livrée la lettre de
change-; si le preneur ne donne qu’un objet insuscep
tible de devenir la matière du contrat de change, il n’y
aurait plus qu’un prêt qu’on déguiserait sous la forme
d’une lettre de change, soit pour autoriser la perception
d’un intérêt plus élevé, soit pour soumettre le débiteur à
la contrainte par corps.
�ART. H O ,
H3
H l.
De là l’exigence de l’indication de la valeur fournie
et la nécessité d’en constater la nature. Cette double
obligation ne date cependant que de l’ordonnance de
1673, qui la première prescrivit d’exprimer si la valeur
fournie était en argent, en marchandises ou autres effets.
« C’est un droit nouveau, dit Pothier, établi pour em
pêcher les fraudes des banqueroutiers q u i, ayant des
lettres de change qui portaient simplement valeur reçue
et dont il n’avaient fourni d’autre valeur que leurs bil
lets, passaient des ordres, la veille de leur banqueroute,
à des personnes supposées pour les recevoir sous leur
nom, et faisaient perdre la valeur à ceux qui leur avaient
fourni ces lettres de change l. »
Ce qu’il faut induire du passage de Pothier, c’est que,
jusqu’à l’ordonnance l’expression valeur reçue suffisait
pour assurer la régularité de la lettre de change. Mais,
du jour de sa promulgation, il n’en fut plus ainsi ; à la
mention de la réception de la valeur, il fallut ajouter sa
détermination, si elle consistait en argent, en marchan
dises ou tous autres effets. A défaut de cette détermina
tion, la lettre de change portant valeur reçue dégénérait
en simple promesse.
8 » . — L’article 1*10 a consacré le système de l’or
donnance en comblant une lacune que la pratique com
merciale n’avait pas tardé de signaler.
On remarquera, en effet, que l’ordonnance avait gardé
i T ra ité de c h a n g e , n° 34.
i
—
8
�H 4
DE LA LETTRE DE CHANGE
le silence sur l’expression valeur en compte. Mais la
création de lettres de change pour l’exploitation d’un
crédit mutuel était une opération trop naturelle pour
qu’elle ne prit pas sa place dans le commerce. Aussi cette
origine de la lettre de change ne tarda pas à être admise
et consacrée par l’usage, malgré le silence de l’ordon
nance. Jousse qui nous l’apprend fait remarquer que
l’expression valeur en compte équivaut à celle de valeur
reçue comptant, puisque la valeur se trouve fournie par
compensation, laquelle est un véritable payement ’.
Il semblait donc que rien ne devait s’opposer à ce que
l’article 110 fît une disposition législative de cette con
quête de l’expérience. Cependant, dans la discussion
que cet article subit au conseil d’Etat, l’expression va
leur en compte fut attaquée, on proposait de n’admettre
que celle de valeur reçue comptant ou valeur en mar
chandises. La facilité d’employer la première, disait-on,
encouragerait la fraude.
Cette proposition fut même adoptée, mais il paraît
qu’on y renonça plus tard, puisque l’expression valeur
en compte se trouve comprise dans la disposition de
l’article. Ajoutons que c’est évidemment ce qu’on pou
vait faire de mieux. Indépendamment des facilités
qu’une valeur de ce genre offre au commerce, sa légalité
ne saurait sérieusement être querellée. Nous avons déjà
vu que la lettre de change n’exige pas le versement ac
tuel de la somme pour laquelle elle est tirée ; qu’elle
i Sur l’art.
tit. 8.
�ART.
110, 111.
115
peut être tirée sur la promesse du preneur d*en payer
plus tard la valeur, même postérieurement à l’échéance
indiquée pour la lettre elle-même. Or, tirer une lettre
valeur en compte, c’est faire crédit au preneur, c’est se
contenter de son engagement de se libérer plus tard,
c’est en conséquence faire une opération régulière et lé
gale. Ajoutons que bien souvent la création de la lettre
ne sera qu’un moyen d’acquitter une dette établie par
le compte lui-même.
Que la fraude puisse abuser de ces expressions, c’est
là une malheureuse éventualité. Mais où en serionsnous, s’il ne fallait admettre que les dispositions dont il
lui serait impossible d’abuser? D’ailleurs cette crainte
est exagérée, car dans l’bypothèse la sincérité de l’opé
ration peut dépendre de la représentation du compte
dont on pourrait d’autant moins contester l’existence,
qu’on l’aurait constatée dans le titre lui-même.
83. — Quel est le sens réel et la véritable portée de
cette expression valeur en compte ?
M. Locré les détermine par l’exemple suivant : Un
particulier se trouve créancier d ’un autre de la somme
de 21,000 fr. Il a besoin de \ ,000 fr. à Lyon, où ni l ’un
ni l’autre ne résident, son débiteur, qui a des fonds en
tre les mains d’un correspondant de cette ville, tire sur
ce correspondant une lettre de change de 1,000 fr. au
profit de son créancier et la porte en déduction de
2,000 fr. qu’il lui doit K
i Esprit du Code de commerce, art, 140, en note.
�116
DE LA LETTRE DE CHANGE
C’est là une manière de tirer valeur en compte, mais
elle n’est ni l’unique , ni la principale. En effet, il ne
faudrait pas prendre trop à la lettre la doctrine de Jousse,
qualifiant ce mode de procéder de payement par com
pensation, ni exiger qu’au moment de la création de la
lettre le tireur fût débiteur avéré du preneur. La ques
tion de savoir lequel des deux sera créancier ou débi
teur est nécessairement suspendue jusqu’à règlement du
compte dont les lettres de change deviennent des élé
ments essentiels.
En fait comme en droit, il importe peu que le tireur
soit débiteur. Fût-il créancier, que la régularité de l’o
pération ne pourrait être mise en doute. L’unique diffé
rence en résultant, c’est que dans le premier cas le ti
reur agirait en son acquit, que dans le second il tirerait
à découvert et par extension du crédit qu’il a déjà ac
cordé.
On peut donc valablement tirer valeur en compte
toutes les fois que des relations d’affaires existent entre
le tireur et le preneur. L’existence préalable d’un compte
ouvert n’est pas même nécessaire, Dans cette hypothèse,
son ouverture sera déterminée par la création des lettres
qui en seront le premier article.
8 4 . — Du tireur au preneur le sort de ces lettres
de change se trouve subordonné à celui du compte, ou
plutôt elles se fondent dans celui-ci et déterminent la
balance réglant la position respective. Entre eux il n’y a
�ART.
110, 111.
117
plus telle ou telle créance, leur droit se résume dans le
payement du reliquat.
Mais il en est tout autrement du tiers porteur, celuici a le droit de se faire payer à l’échéance par le tireur,
alors même que le compte n’eût pas été réglé, ou, s’il
l’a été, que le reliquat le constituât créancier du pre
neur.
8 ô . — Il était à peu près impossible que le législa
teur énumérât une à une toutes les manières dont la
valeur peut avoir été reçue ou donnée. Il s’est donc con
tenté d’en exiger la mention, de quelque manière qu’elle
ait été faite. C’est ce qui résulte des termes généraux de
l’article 110.
Cette exigence de la loi a pour objet de s’assurer d’a
bord de l’existence d’une valeur quelconque, de vérifier
ensuite si cette valeur pouvait amener la création d’une
lettre de change. Celle-ci ne peut exister que comme
consommant le contrat de change. En conséquence, si
la valeur exprimée ne pouvait faire l’objet de celui-ci,
on aura beau rédiger une lettre de change, on n’aura
qu’une simple promesse.
8 6 . — Quelles sont les valeurs susceptibles de faire
l’objet d’un contrat de change ? Nos recueils de juris
prudence rapportent de nombreux arrêts intervenus sur
cette question. Ainsi il a été jugé que la lettre de change
est régulièrement causée valeur en fermages, en im
meubles, en prêt hypothécaire, en billets, en telle cré-
�118
DE LA LETTRE DE CHANGE
ance. La cour de Pau a même été plus loin, elle a va
lidé une lettre de change causée valeur en radiation
d’hypothèque, alors qu’au lieu d’être payée dans la ville
où la radiation a été consentie et d’où la lettre de change
est tirée, la valeur est indiquée payable dans une autre
localité l.
Il est évident qu’un payement de salaires, qu’une ré
compense pour des services rendus ne pourraient faire
l’objet d’une lettre de change. Celle dont la valeur serait
ainsi exprimée dégénérerait donc en simple promesse.
Des services ou une location d’industrie ne peuvent ja
mais autoriser le contrat de change.
La cour de Rouen a jugé, le 5 novembre 1825, qu’il
devait en être de même de la lettre de change causée
valeur en acquittement d’un prêt précédemment con
tracté.
Ce qu’il importe de remarquer, c’est que, dans cette
espèce, le prêt donné pour cause aux lettres de change,
était un prêt purement civil, constaté par un acte nota
rié qui en réglait les cônditions et l’époque du rem
boursement, et que des lettres de change n’avaient été
souscrites que pour suppléer par la garantie de la con
trainte par corps à l’insuffisance de l’affectation hypo
thécaire qui avait été concédée. D’où la cour de Rouen
concluait avec raison que les lettres de change n’ayant
d’autre cause que celle énoncée dans l’acte ne conte-
1 41 novembre 1834.
�ART.
HO, 111.
119
liaient pas remise de place en place et n’étaient dès lors
que de simples promesses.
Il en eût été autrement si le prêt auquel se référaient
les lettres de change avait été un prêt commercial ayant
réalisé le contrat de change. Dans ce cas, en effet, le
porteur des lettres de change nouvellement souscrites
ne donnait aucun fonds, il se bornait à restituer les ti
tres qu’il avait en mains, et ce qu’il faisait en réalité,
c’était de proroger le terme du payement. L’ancien prêt
continuait donc, et évidemment avec toutes les condi
tions sous lesquelles il avait été consenti et accepté.
C’est ainsi que par arrêt du 2 août 1871, la Cour de
cassation jugeait que l’énonciation dans des lettres de
change qu’elles sont souscrites valeur en renouvellement
de traites antérieures, exprimait suffisamment la valeur
fournie.
C’est ce que la cour de Montpellier avait décidé, et
son arrêt avait été l’objet d’un pourvoi à l’appui duquel
on invoquait les considérations suivantes :
« Aux termes de l’article 110 du Code de commerce,
la lettre de change doit énoncer la valeur fournie en
espèces, en marchandises, en compte ou de toute autre
manière. Sans la valeur fournie, pas de contrat de chan
ge, et sans énonciation de valeur, pas de lettre de chan
ge. Une conséquence de ce principe, c’est qu’une lettre
de change à l’ordre du tireur ne devient parfaite que
lorsque le tireur l’a transmise par la voie de l’ordre, et
cela parce qu’une lettre de change à l’ordre du tireur
lui-même ne peut encore contenir de valeur fournie.
�120
DE LA LETTRE DE CHANGE
« De là il ressort, dans notre espèce, que les traites
dont est porteur de Béville, ayant été souscrites à l’ordre
du tireur Martin, n’ont pu devenir parfaites comme le t
tres de change que par l’endossement : c’est donc l’en
dossement qu’il faut consulter pour savoir si de Béville
a fourni à Martin une valeur quelconque en échange de
la somme de 10,000 fr., montant des traites.
« Or, cet endossement porte seulement l’énonciation
suivante : « valeur en renouvellement de traites anté
rieures. » Ce n’est pas là une valeur de nature à fonder
un contrat de change, car, ce n’est pas en échange du
renouvellement que de Béville devait recevoir 10,000
fr.; ce n’est pas le prix d’une prorogation de délai qui
est stipulé comme cause de l’obligation de Martin. En
d’autres termes, le renouvellement n’est pas une valeur
remise par de Béville pour que 10,000 fr. lui soient
comptés à Montpellier. L’arrêt attaqué, en prétendant
que l’énonciation de la valeur fournie est faite confor
mément à la loi, commet donc une erreur, et de plus,
une erreur qui tombe sous la censure de la Cour de
cassation, car il s’agit de l’accomplissement d’une for
malité légale, et la Cour de cassation a le droit de véri
fier si elle a été régulièrement accomplie. »
A. ce premier reproche contre l’arrêt on ajoutait celui
d’avoir faussement admis qu’il y avait remise de place
en place, par cela seul que les traites étaient tirées de
Paris sur Montpellier. « C’est, disait-on, au lieu où la
valeur avait été fournie que la Cour devait s’attacher,
et alors elle n’aurait pas manqué de reconnaître que
4t
�ART.
110, 111.
121
c’était à Montpellier même que la valeur énoncée avait
été fournie. Et, en effet, la contre-valeur fournie par de
Béville en échange des traites dont il était preneur, con
sistait en renouvellement de traites de pareille somme,
lesquelles traites souscrites à Montpellier étaient paya
bles dans la même ville, dont la condition de remise de
place en place fait défaut comme la condition de la men
tion d’une valeur fournie.
Mais pour juger s’il y avait remise de place en place,
on ne pouvait s’en rapporter à l’opération du renouvel
lement des traites, car,à ce moment, il n’y avait eu aucun
argent compté. Sauf la modification à l’endroit de l’é
poque du payement, la position des parties restait telle
que l’avait faite la première négociation des traites.
C’était donc à celle-ci qu’il fallait nécessairement recou
rir pour connaître dans quel lieu l’argent avait été
donné, dans quel lieu il était payable et pour apprécier
dès lors si le contrat de change avait été réalisé et si
l’affirmative était certaine, le renouvellement des traites
n’avait pu évidemment ni modifier, ni changer cet état
des choses.
Pouvait-on d’ailleurs méconnaître que par la remise
des anciennes traites le bénéficiaire des nouvelles avait
remis une valeur réelle, sérieuse et de tout point équi
valente à celle qu’il recevait. Donc, si la cause des let
tres de change était suffisante et sincère, on ne voit pas
ce qui pouvait faire que la mention de cette valeur ne
réalisât pas le vœu de la loi,
�122
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le pourvoi devait donc être rejeté et le fut en effet, et
ce rejet est ainsi motivé :
« Attendu que les lettres de change en date du 30
octobre 1868, dont il s’agit au procès, expriment la va
leur fournie par de Béville ; que cette valeur consiste
dans le renouvellement des traites antérieures escomp
tées par de Béville lui-même, qui en avait fait les fonds,
lesquelles traites antérieures constituaient entre ses
mains une véritable valeur dont il s’est dessaisi au mo
ment où les nouvelles traites lui ont été négociées ;
« Attendu que ces lettres de change contiennent éga
lement remise de place en place puisqu’elles ont été ti
rées par Martin, de Paris sur Montpellier, et que, de
plus, étant à l’ordre de Martin, elles ont été par lui ré
gulièrement endossées à Paris à l’ordre de de Béville ;
qu’en admettant que pour qu’il y ait remise de place en
place, il faille de plus que la valeur soit fournie dans
un lieu autre que celui du payement de la lettre de
change, cette condition se trouverait remplie dans l’es
pèce, puisque les traites renouvelées , remises à Paris
par de Béville à Martin, constituaient une valeur par
tout et quel que fût le lieu où, si elles n’eussent pas été
renouvelées, elles eussent été payables l.
Ainsi, il ne faut pas toujours une cause commerciale
à la lettre de change, mais son caractère résultant prin
cipalement du contrat de change qu’elle exécute et cons-
1 J. du P., 1871, 429.
�ART.
HO, 111.
123
tate, il est indispensable que la valeur, quelle qu’elle fût
dans l’origine, ait donné naissance au contrat.
La cour d’Aix a fait une saine application de ce prin
cipe en jugeant, le 5 novembre 1830, qu’une lettre de
change n’ayant pour cause que le prix d’un remplace
ment militaire, ne devait être acceptée que comme une
simple promesse.
8®. — M. Nouguier, citant cet arrêt, l’accompagne
de la note suivante : cet arrêt est contraire aux princi
pes élémentaires en matière de lettres de change. Ces
actes sont toujours considérés en eux mêmes, et indé
pendamment de leur cause, comme des actes commer
ciaux l.
Si quelque chose blesse les premières notions de la
matière, c’est uniquement l’observation échappée à
M. Nouguier. Sans doute les lettres de change sont par
elles-mêmes des actes commerciaux, mais il faut pour
cela qu’elles soient d’abord de vraies lettres de change.
Or, elles ne revêtent ce caractère que si elles ne renfer
ment aucune supposition, que si elles contiennent no
tamment remise de place en place.
Dans l’hypothèse jugée par la cour d’Aix , la lettre de
éhange était parfaite en la forme, mais il était allégué
par le souscripteur que non seulement il n’y avait pas
en réalité remise de place en place , mais encore qu’il
était impossible qu’elle existât. L’unique valeur qui m’ait
1 T. 4, sect. 7. Appendice, n° 32, p. 99.
�124
DE LA LETTRE DE CHANGE
été comptée, disait-il, c’est un remplaçant qu’on s’est
obligé de me fournir, qu’on m’a fourni plus tard. Com
ment rattacher l’existence d’un contrat de change à cette
valeur ?
La cour d’Àix avait donc à se prononcer sur cette
exception, à en vérifier l’existence en fait, la portée
en droit. L’arrêt indique quel fut le résultat de cet exa
men.
a Attendu qu’il n’est point dénié que les sommes qui
forment le montant des lettres de change souscrites par
Sauvas en faveur de Roure frères, ne soient le prix du
remplacement, dont il a été convenu qu’il se libérerait
à des termes déterminés ;
« Que la partie de l’accord qui consistait à obtenir
un titre à ce payement en des lettres de change n’était
qu’un moyen indirect d’arriver à la contrainte par corps
dans une obligation purement civile, repoussé par l’ar
ticle 2063 du Code civil ;
« Quainsi les lettres de change dont s’agit ne sau
raient être considérées que comme de simples pro
messes. »
Nous le répétons, la légalité de cette décision ne sau
rait faire un doute ; il ne pourrait en être autrement
que si, en matière de lettres de change, les tribunaux
étaient obligés, de s’en tenir à l’apparence du titre, sans
être autorisés à examiner au fond le véritable caractère
de l’opération.
8 8 . — Les lettres de change sont donc susceptibles
�ART.
H O , 111.
125
de dégénérer, faute d’une valeur suffisante et de nature
à les motiver. Le même résnltat peut être acquis par
l’absence ou par un vice d’expression.
Nous venons de voir que, depuis l’ordonnance, les
mots valeur reçue ne remplissent pas le vœu de la loi.
On a admis en doctrine et en jurisprudence qu’il doit en
être de même des expressions :
Valeur entendue ;
Valeur en rencontre d’affaires ;
Valeur en contractant ;
Valeur prêtée pour mon besoin ;
Valeur en moi-même.
Cependant cette dernière expression est inévitable lors
que la lettre de change est à l’ordre propre du tireur.
Dans cette hypothèse, en effet, la valeur est essentielle
ment fictive, et comment l’énoncer autrement ?
Mais une pareille lettre de change n’acquiert son vé
ritable caractère que par sa négociation. L’endossement
amène le concours des individualités exigées par la loi,
et offre le premier donneur de valeur. C’est alors moins
le corps de la lettre de change que les termes de l’en
dossement qu’il faut consulter. Si celui-ci énonce régu- '
lièrement la valeur fournie, la lettre de change est par
faite. Elle serait au contraire irrégulière si l’endossement
gardait le silence sur la valeur ou l’énonçait seulement
valeur en soi-même.
89.
— Nous trouvons un remarquable exemple d’in
suffisance dans l’expression de la valeur, dans une es-
�126
DE LA LETTRE DE CHANGE
pèce jugée par la cour de Bruxelles, le 26 décembre
1816.
On poursuivait judiciairement le payement d’une let
tre de change ainsi conçue : payez à M. tel ou à son or
dre la somme de...... que vous avez reçue en espèces.
Le défendeur soutenait l’incompétence du tribunal con
sulaire, à cause de l’irrégularité de la lettre de change.
Sa rédaction, disait-il, prouve bien que le tiré avait
provision, mais elle n’indique pas même que le tireur
ait reçu une valeur quelconque. Comment, dès lors, ad
mettre l’existence du contrat de change ?
Ce système est consacré par les motifs suivants : At
tendu que l’énonciation de la valeur, qui avait été anté
rieurement reçue par le tiré, ne remplit aucunement le
vœu de la loi, puisque cette énonciation n’indique autre
chose, sinon que cette personne est débitrice du tireur
qui lui donne mandat de payer ; qu’elle n’exprime par
elle-même aucun contrat de change, ni remise de place
en place ; qu’il est évident que lorsque le Code a exigé
l’expression de la valeur fournie, il a entendu la valeur
fournie par le porteur d’ordre au tireur, pour être re
mise audit porteur dans une autre place, ce qui carac
térise véritablement l’opération de change,
90.
— Quel est l’effet de l’inexécution de la sixiè
me condition de l’article 110 ?
Pour résoudre rationnellement cette question, il con
vient de distinguer entre la lettre de change en la forme,
et l’obligation en elle-même. L’article 110 ne se préoc-
�ART.
1 10 ,
111.
127
cupe nullement de celle-ci. Elle ne cesse donc pas d’o
béir aux principes du droit commun. Cette distinction
est essentielle, seule elle dissipe la confusion apparente
qu’on serait tenté de relever dans la jurisprudence.
L’article 410 s’occupe donc uniquement de la forme,
de la perfection de la lettre de change. On peut y con
trevenir : 4° par le défaut d’indication ou de réception
de la valeur; 2° par l’énonciation d’une fausse cause ;
3° par l’expression d’une valeur insuffisante.
— 1° Absence absolue de mention de la ré
ception ou d'indication de la nature de la valeur. —
La lettre de change ne saurait valablement exister. Le
titre produit comme tel est nul et de nulle valeur, en ce
sens qu’il dégénère en simple promesse que le tribunal
de commerce ne saurait apprécier compétemment, à
moins qu’il ne s’agisse au fond d’une opération com
merciale, ou que les signataires soient commerçants.
La nullité du titre n ’a donc de l’influence que relati
vement à la juridiction exceptionnelle et les effets qu’elle
produit. Les parties et matières sont renvoyées devant
les tribunaux ordinaires qui appliqueront le droit com
mun, il serait inique qu’un vice de forme dans le titre
fit disparaître l’obligation.
Dans cette hypothèse même, on a prétendu contester
l’invalidité des lettres de change, on a invoqué à l’appui
de cette opinion un arrêt de la Cour de cassation, du
30 août 4826.
A notre avis, cet arrêt ne saurait avoir la conséquence
91.
�<*
128
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’on en tire, il ne fait que sanctionner la distinction
que nous établissions tout à l’heure entre la lettre de
change en la forme et l’obligation au fond.
La nullité de la première laisse l’autre intacte, et de
là la nécessité de rechercher quelle en est la cause ; car
si cette cause est commerciale, ou s’il s’agit d’une opé
ration entre commerçants, la condamnation prononcée
par le tribunal de commerce est légale. L’incompétence
de ce tribunal, en cas de non expression de la valeur ,
n’est acquise qu’en tant que le souscripteur n’est pas
commerçant, et qu’il ne s’agit pas d’une opération com
merciale l.
C’est bien la validité de l’obligation que la cour de
Dijon avait proclamée, c’est ce que la Cour de cassation
nous apprend elle-même- « Attendu, dit l’arrêt, que la
cour de Dijon, qui, par un premier arrêt, avait ordonné
l’apport de la correspondance, a reconnu en fait que les
201,706 fr. montant des 53 traites signées Guiguet et
Cie, étaient réellement à la charge de la société parce
que les valeurs lui en avaient été fournies, qu’elle en
avait profité ou dû profiter ;
« Que de cette appréciation des faits, des actes et des
documents de la cause, qui était du domaine des juges,
il résultait en droit que les traites ne pouvaient être an
nulables ni par vice de fraude, ni par défaut de cause
dans l'obligation qu'elles représentaient. »
Evidemment la nullité dont il était question dans cette
i Caen, 31 janvier 1826.
�ART.
110,
m
129
.
espèce n’était que celle de l’obligation en elle-même.
N’eût-il point existé de lettres de change que le tribunal
de commerce eût été seul compétent pour prononcer.
De quelle utilité pouvait donc être la nullité du titre en
la forme?
Cette considération fixe la portée de l’arrêt, la nullité
est repoussée, en tant seulement qu’on veut l’appliquer
à l’obligation en elle-même. C’est, d’ailleurs, ce qui ré
sulte des termes de l’arrêt.
Nous persistons donc dans notre doctrine, le défaut
d’énonciation de la valeur ou de sa nature fait dégéné
rer la lettre de change en simple promesse et entraîne
l’incompétence du tribunal de commerce *.
Celte incompétence, qui n’existe que si le souscripteur
n’est pas commerçant, ou que si l’effet n’a pas pour
cause une opération de commerce, est ralione maleriœ
et peut être proposée pour la première fois en appel2.
Mais la lettre de change, nulle comme effet commer
cial, ne tombant dans la juridiction consulaire ni par la
qualité des parties, ni par la nature de l’opération, vaut
comme obligation civile dont le payement peut être pour
suivi par la voie ordinaire3.
Devant la juridiction commerciale, si elle est compé
tente, comme devant les tribunaux ordinaires, le silence
1 Aix 4 'f m ars 1839.
J. du P., 4, -1839, 630.
2 Caen, ci-dessus cité.
3 Aix, ci-dessus cité. V . Conf., c ass., 49 ju in 4 840, Toulouse, 2 mai
4826 et les notes.
i — 9
�150
DE LA LETTRE DE CHANGE
que le titre garderait sur la valeur obligerait le porteur
à prouver qu’il en existe une réelle, légitime et certaine,
à défaut de cette preuve, l’obligation serait réputée sans
cause et annulée par application de l’article 1131 du
Code civil.
» 8 . — 2° Fausse énonciation. — L’article 1131
assimile la cause fausse à l’absence de cause, à la cause
illicite, et annule en conséquence l’obligation qui en est
viciée, mais l’interprétation rationnelle de l’article 1132
a fait consacrer la validité de la convention lorsqu’à
côté de la cause fausse il en existe une sérieuse et lé
gitime.
Cette règle de doctrine et de jurisprudence doit-elle
faire valider la lettre de change, même en la forme ?
Celte question pourrait paraître oiseuse, car dans cette
hypothèse la lettre de change réunissant toutes les con
ditions exigées par l’article 110, ne laisse rien à désirer
sous le rapport de cette forme. Comment donc l’an
nuler ?
Parce que la cause énoncée n’est pas la véritable ?
Mais si celle-ci existe en réalité, si on ne peut faire dis
paraître la première qu’en lui substituant la seconde,
cette substitution peut-elle anéantir l’exécution maté
rielle que l’article 110 a reçue.
La Cour de cassation n’a pas cru qu’il fût rationnel
de le décider ainsi. Après avoir rappelé que la simula
tion de cause n’emporte pas la nullité, si d’ailleurs il en
existe une réelle, elle ajoute : Considérant qu’il est re-
�ART.
HO, 1H .
131
connu dans l’espèce que les traites sont régulières en la
forme ; qu’elles ont une cause sérieuse ; qu’elles sont
donc valables, malgré qu’elles énoncent une cause autre
que celle-ci '.
On le voit, l’arrêt insiste sur la régularité de la forme
de la lettre de change, c’est également ce que fera plus
tard la cour de Pau, lorsque, investie de la question, elle
refusera d’admettre la nullité de la lettre de change pour
cause de fausse énonciation, surtout lorsque, comme
dans l'espèce, elle réunit toutes les conditions exigées
pour la régularité de sa forme extérieures.
9 3 . — 3° Indication insuffisante. — Comme la
première, cette hypothèse viole expressément l’article
HO. L’effet doit être le même, à savoir : la nullité du
titre, mais en tant que lettre de change seulement.
Serait-on recevable, pour écarter cette nullité, à prou
ver que la lettre de change a une cause légitime, et que
la valeur reçue était d’une nature à la déterminer ? Nous
ne le pensons p as, frustra probatur quod probatum
non relevai, et tel serait ici le caractère de la preuve.
Prouver la nature sérieuse de la valeur, ce ne serait pas
prouver qu’elle a été exprimée. Or, l’article 110 n’exige
pas seulement cette nature, il veut de plus qu’elle soit
énoncée et ne reconnaît de lettre de change régulière
que par le cumul de ces deux conditions.
1 1 9 ju in <831.
2 Pau, I l novem bre 1834. D. P ., 35, a, 56.
�i32
DE LA LETTRE DE CHANGE
La lettre de change dégénérerait donc en obligation
dont le payement pourrait et devrait être poursuivi de
vant le tribunal de commerce si le souscripteur est né
gociant, ou s’il s’agit d’un acte de commerce ; devant le
tribunal civil, à défaut de l’une ou de l’autre de ces
circonstances.
» 4 . — La lettre de change n’énonçant pas la valeur
ou n’en indiquant pas suffisamment la nature, seraitelle purgée de tout vice par la régularité et la perfec
tion de l’endossement dont elle a été l’objet ?
Aucune difficulté ne saurait naître pour la lettre de
change tirée à l’ordre du tireur, cette lettre n’acquiert
de caractère que par sa négociation. L’endossement est
donc ici la lettre de change elle-même. La régularité
de son contexte protège le titre et en recommande l’exé
cution.
Mais lorsque la lettre de change est à l’ordre d’un
tiers, et qu’elle n’énonce ni la valeur, ni sa nature, com
ment admettre que l’endossement de ce tiers puisse en
couvrir et en faire disparaître le vice.
— Parce que, dit la cour de Toulouse, la lettre
n’énonçant aucune valeur équivaut à un endossement
en blanc et confère aux tiers le mandat de régulariser
la lettre en la négociant-1.
Les fondements de cette solution ne sauraient résister
l 4 juin 1825. Sirey, 25, 2, 308.
�ART.
110, 111.
135
à l'examen. On peut se convaincre, en effet, que la cour
de Toulouse n’arrive à résoudre le litige comme elle le
fait que par une interprétation erronée de l’article 110;
qu’en confondant la lettre de change en la forme, avec
l’obligation elle-même.
« Attendu, porte l’arrêt, qu’en indiquant comme un
des caractères constitutifs de la lettre de change l’ex
pression de la valeur fournie, l’article 110 du Code de
commerce ne prononce pas la nullité d’une lettre de
change pour le cas où cette expression ne se trouve
point dans le corps même de la lettre. »
Non, l’article 110 ne prononce pas la nullité, il se
borne à disposer qu’on ne considérera comme lettre de
change que le titre qui renferme toutes les conditions
qu’il énumère. La conséquence sera que le titre non
conforme à ces conditions ne devra pas être annulé,
mais évidemment il ne sera pas une lettre de change.
L’arrêt commet donc ici une première erreur qui l’a
mène naturellemeut à cette seconde : « Que Je législa
teur s’en est donc référé au droit qui n’annule les obli
gations que dans le cas du défaut absolu de cause et
qui les maintient si la cause est d’ailleurs prouvée et li
cite. »
Voilà parfaitement exposée la confusion que nous re
prochons à l’arrêt entre la forme et le fond. Sans doute
l’imperfection de la première ne peut, comme dans cer
tains cas, emporter le fond. Celui qui n’aura que cette
imperfection à invoquer pour anéantir son obligation
succombera infailliblement. Mais autre chose est l’obli- ,
�434
DE LA LETTRE DE CHANGE
galion, aulre chose le caractère du titre qui la constate.
Décider que celui-ci ne saurait valoir comme lettre de
change, c’est laisser entière la question de la légalité et
de la validité de la première.
Le principe invoqué par la cour de Toulouse n’est
donc pas même en jeu dans notre hypothèse. Ce qu’il
y avait à juger, c’était non la validité de l’engagement,
mais la régularité du titre. Dire que celui-ci doit valoir
comme lettre de change, quoique n’énonçant pas la na
ture de la valeur, c’est évidemment littéralement mé
connaître l’article 110.
L’irrationnalité des prémisses va faire consacrer des
conséquences étranges, voici celle de l’arrêt :
« Attendu que le tireur qui fournit à l’ordre d’un tiers
une lettre de change sans l’expression de valeur four
nie, est semblable à celui qui fournit un endossement
en blanc ;
« Que dans ce moment il n ’existe qu’un mandat qui
ne confie d’autres droit au porteur que celui de négo
cier l’effet pour le compte du tireur ou de l’endosseur
en blanc ;
« Mais que lorsque l’effet a été négocié par un tiers
de bonne foi, qui a fourni la valeur avec expression de
cette circonstance de la part du mandataire, le contrat
de change se consomme. »
Le contrat de change consommé par la négociation.
Mais ce contrat n’intervient et ne peut intervenir qu’en
tre le tireur et le preneur. Or, la négociation désinté
resse en quelque sorte celui-ci, il n’est plus que caution
�ART- 1 1 0 , 111.
1 35
solidaire, il ne peut plus y avoir qu’un endossement et
non un contrat de change. Comment d’ailleurs la valeur
fournie par celui qui accepte le transfert du preneur
pourra-t-elle faire qu’il en ait existé une réelle entre
celui-ci et le tireur ? Comment son expression pourra-telle faire qne cette dernière ait été exprimée ?
Parce que celui qui signe une lettre de change n’ex
primant aucune valeur n’a souscrit en quelque sorte
qu’un endossement en blanc 1 La fiction est audacieuse;
un endossement en blanc, lorsque la lettre de change
porte en toutes lettres : payez à M. tel ou à son ordre la
somme de... Mais si un endossement était ainsi conçu,
il ne pourrait être qualifié d’endossement en blanc, il
serait incomplet aux termes de l’article 137. C’est aussi
ce qu’on doit dire de notre lettre de change. Mais si
l’endossement incomplet ne vaut que comme procura
tion, la lettre de change incomplète n’est pas une lettre
de change. Décider le contraire, c’est violer la loi.
Considérons d’ailleurs que nous nous trouvons ici en
matière de contrainte par corps, la lettre de change ne
l’entraine que si elle est conforme à l’article 110. Dès
lors le non commerçant qui n’a pas fait un acte commer
cial ne pourrait la subir si en la forme le titre n’est pas
une lettre de change. Ce droit vaut la peine d’être pro
tégé, et il est acquis dès que ce titre est souscrit. Com
prendrait-on que le preneur pût l’anéantir par son fait
exclusif et qu’il se donnât lui-même cette énergique ga
rantie ?
C’est lui, en effet, qui serait en définitive appelé à
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
profiter de la rectification. La lettre de change protestée
retournerait en ses mains, car il serait tenu de la rem
bourser à son cessionnaire, et on voudrait qu’il eût pu
se donner à lui-même le droit de contraindre le débi
teur par corps.
La raison et le droit repoussent un pareil résultat.
Quels que soient les termes de la lettre, le preneur n’est
jamais le mandataire du tireur, il agit in rem suam, il
a compté la valeur dans laquelle il rentrera par la
négociation , sauf le recours du cessionnaire le cas
échéant.
Fût-il mandataire, il n’aurait que la faculté de trans
mettre la lettre de change telle qu’elle serait, avec toutes
ses imperfections ; corriger celle-ci, c’est appeler la con
trainte par corps sur la tête du tireur, et un mandat de
ce genre vaut la peine d’être exprimé.
Donc du tireur au preneur la lettre de change n’énon
çant aucune valeur, ou qui se tait sur sa nature, n’est
qu’une simple obligation, il en serait de même du tireur
aux tiers porteurs. Il s’agit ici d’un vice apparent que
ceux-ci n’ont pu ignorer. En acceptant la lettre malgré
son existence, ils ont expressément consenti à en subir
les effets.
9®. — Septième condition. — La lettre de chan
ge est à l’ordre d ’un tiers ou à l’ordre du tireur luimême.
Celle prescription a un double objet, elle remplace en
premier lieu l’obligation d’indiquer le nom du donneur
�ART.
110, l u .
157
de valeur, que l’ordonnance de 1673 consacrait exprès-1
sèment. Aujourd’hui, le donneur de valeur légalement
présumé est celui à l’ordre de qui la lettre de change est
tirée.
Le second objet de notre disposition est d’assurer la
transmissibilité de la lettre. On sait que dans l’origine
la lettre de change n’était pas destinée à circuler. De
meurant entre les mains du preneur, c’était à lui qu’elle
devait être payée. Sa cession ne pouvait se réaliser
qu’avec les solennités requises pour celle des droits in
corporels.
Trois siècles plus tard, les progrès et les besoins du
commerce imprimèrent à ces titres le caractère qui les
distingue encore si essentiellement. La lettre de change
cessa d’être exclusivement au nom du preneur, à ce nom
on ajouta ou à son ordre, et l’on fit de ce papier une
véritable monnaie.
L’article 110 a fait une obligation de ce qui n’était
jusque-là qu’une pratique commerciale, sa violation ne
permet pas de voir dans le titre une véritable lettre de
change.
O1? . — Pour que le double objet de la loi soit rem
pli, il faut nécessairement que le tireur mande au tiré
de payer celui à l’ordre de qui la lettre de change est
fournie. Cette indication, dit M. Pardessus, est tellement
essentielle, que si la lettre exprimait seulement le nom
de celui qui en a compté la valeur, sans ordre au tiré
de lui en payer le montant, on ne pourrait y suppléer
�138
DE LA LETTRE DE CHANGE
par la présomption que le tireur a entendu que la let
tre de change fût payable à cette personne , car il ar
rive fréquemment que le prix d’une lettre de change est
fourni par une autre que celui au profit de qui elle est
tirée l.
Pothier enseignait le contraire, sous l’empire de l’or
donnance de 1673. Si la lçttre de change, disait-il, était
conçue en ces termes : vous payerez la somme de 1000
livres, à vue, valeur reçue comptant d'un tel, il me
paraît raisonnable de présumer que le tireur a entendu
que la lettre de change fût payable à celui de qui il a
déclaré en avoir reçu la valeur, n’ayant pas nommé
d’autre personne. Néanmoins, ajoute Pothier, j’ai appris
d’un négociant très expérimenté que les banquiers fai
saient difficulté en ce cas d’acquitter la lettre.
98. — L’opinion de Pothier est condamnée par
notre article. La lettre de change dont il donne la ré
daction, n’étant à l’ordre de personne, dégénérerait en
simple promesse. La question de savoir si le montant
doit ou non être remboursé à celui qu’elle indique
comme en ayant fait les fonds, serait appréciée par la
justice d’après les circonstances et les documents de la
cause.
La lettre de change doit donc, pour être parfaite, ren
fermer le mandat de payer à celui à l’ordre de qui elle
est tirée. Dans l’usage on emploie en conséquence ces
i
Droit comm., n° 338.
�ART.
HO, 1 H .
139
expressions : Payez à un lel ou à son ordre, mais ces
expressions n’ont rien de sacramentel, on peut les rem
placer par des équipollents.
Payez
à un tel ou à sa disposition ; payez à un tel ou au
porteur légitime. L’une et l’autre de ces locutions ren
99 . — On a considéré comme tels ces mots :
ferment en réalité l’idée que le législateur a rendue obli
gatoire.
Il n’en serait pas de même de celui-ci : Payez à un
lel ou en sa faveur ; la seconde expression n’est que la
répétition de la première. Ce qui en résulterait, c’est que
la lettre de change ne serait pas transmissible par en
dossement , que le porteur de celui-ci ne serait consi
déré que comme le mandataire du preneur, susceptible
d’être écarté par les objections opposables à celui-ci l.
ÎOO. — Aux termes de l’article 110, l’ordre peut
être en faveur d’un tiers, c’est-à-dire d’une personne
autre que celles qui figurent en fait dans la création
d’une lettre de change, c’est, par exemple, ce qui se réa
lise dans l’hypothèse suivante :
Pierre, mandataire de Paul, a reçu de l’argent pour
le compte de celui-ci, qui lui écrit de lui faire parve
nir par le ministère d’un banquier désigné. Pierre peut
compter les fonds à ce banquier, en recevoir une lettre
de change à son ordre et l’endosser en faveur de Paul.
i Pardessus,
M d , n» 339. D ouai, 24 octobre 4808.
�140
DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais, dans celte hypothèse, Pierre assume la respon
sabilité de l’endosseur, et il peut ne pas vouloir y con
sentir. Or, pour cela il n’a qu’à faire tirer la lettre à
l’ordre de Paul. Celui-ci est cependant absent au mo
ment de la création, il n’est pas le donneur de valeur,
il est le tiers dont parle l’article 110, et à l’ordre de
qui la lettre de change peut être régulièrement tirée.
lOi. — Elle peut l’être également à l’ordre du ti
reur lui-même. Mais dans cette hypothèse, et tant que
l’effet n’est pas négocié, il ne constitue ni une lettre de
change ni même une obligation.
La négociation détermine le concours d’un donneur
de valeur, ce qui complète le personnel de la lettre de
change. 11 importerait donc peu que celle-ci ne réunît
pas toutes les conditions voulues par l’article 110, si
d’ailleurs les indications omises se rencontraient dans
l’endossement. Celui-ci est le complément de la lettre de
change.
Tout à l’heure nous refusions cet effet à l’endossement
du preneur. Ce qui explique la différence que nous ad
mettons, c’est que, dans ce cas, le tireur, ayant depuis
longtemps retiré la valeur de la lettre de change, reste
forcément étranger aux négociations ultérieures , que
cette négociation n’ajoute rien à la lettre de change et ne
saurait en modifier ou en altérer l’essence. Dans notre
hypothèse, au contraire, l’endossement fait partie inté
grante de la lettre de change ; il est l’œuvre exclusive et
personnelle du tiieur lui-même ; dans tous les cas, ce-
�ART.
110, 111.
141
lui-ci pouvant valablement s’engager par la lettre de
change, le peut également par l’endossement.
Cette doctrine , enseignée par Pothier et adoptée par
M. Pardessus, a été consacrée par la jurisprudence, qui
en a, dans maintes circonstances, tiré les conséquences
qu’elle lui a paru commander. Ainsi il a été jugé qu’une
lettre de change à l’ordre du tireur peut être considérée
comme régulière, encore que celui-ci n’y ait pas apposé
sa signature, s’il en a signé l’endossement '.
Qu’une lettre de change tirée par un individu valeur
en lui-même est valable, quoiqu’elle ne contienne pas
l’expression de l’ordre, si cette mention se trouve dans
l’endossement passé par le tireur en faveur d’un tiers3.
En d’autres termes, jusqu’à l’endossement le billet à
l’ordre du tireur est un projet d’obligation par contrat
de change : ce qui réalise ce projet, c’est le concours
d’un preneur, concours qui ne peut résulter que de la
négociation. L’endossement opérant celle-ci est donc le
véritable titre ; et s’il mentionne les indications princi
palement exigées par la loi, il importe peu qu’elles aient
été omises dans le corps de la lettre.
ÎO*. — Cet endossement doit-il remplir toutes les
conditions voulues par l’article 437 du Code de com
merce ? C’est ce que nous aurons à examiner plus tard,
mais nous devons, dès à présent, faire remarquer que
1 Cass., 16 ju in 1846. J. du P., 2, 1846, 642.
* T oulouse, 4 4 jan v ie r 4828,
�H2
DE LA LETTRE DE CHANGE
dans notre hypothèse l’endossement et la lettre de chan
ge, n’étant en quelque sorte qu’un seul tout, se prêtent
un mutuel appui, se complètent l’un par l’autre. Les
omissions dans l’endossement seraient réparées par les
énonciations de la lettre, tout comme ses énonciations
suppléeraient à l’insuffisance de celle-ci.
Une autre remarque fort importante à retenir est
celle-ci : l’endossement de la lettre de change réalisant
l’opération, la question de savoir s’il y a remise de place
en place ne dépend plus de la différence entre la place
d’où la lettre de change est tirée et celle où elle est in
diquée payable, on doit uniquement prendre en consi
dération le lieu où l’endossement s’est réalisé.
Si ce lieu est autre que celui où doit se faire le paye
ment, le contrat de change existe et la lettre est régu •
lière ; mais si l’endossement a été opéré sur la place où
doit se faire le payement, il n’y a pas de lettre de chan
ge, parce qu’en réalité il n’y a jamais eu remise de place
en place.
II est vrai que la lettre de change tirée de Paris sera
payée à Lyon , mais la réalisation de l’endossement à
Lyon amène à cette conséquence qu’aucune valeur n’a
été comptée à Paris. Comment en serait-il autrement ?
Jusqu’à l’endossement la lettré était à l’ordre du tireur,
et causée valeur en moi-même l.
103. — Une autre conséquence du caractère de la
1 La doctrine et la jurisprudence o n t unanim em ent adm is cette so
lution.
�ART.
110, 141.
143
lettre de change à l’ordre du tireur lui-même, c’est que
la propriété ne saurait en être transférée par un endos
sement en blanc. Comme dans tous les autres cas, cet
endossement ne vaudrait que comme simple procura
tion.
De là la Cour de cassation a tiré une double induc
tion : 1° le transfert de propriété ne résulterait valable
ment que de l’endossement régulier que le porteur de
l’endossement en blanc aurait souscrit. N’ayant que la
qualité de mandant, le tireur serait censé avoir fait ce
que son mandataire aurait accompli ; 2° si avant ce se
cond endossement le tireur se trouvait dans un des cas
prévus par l’article 2003 du Code civil, le mandat par
lui donné se trouverait révoqué, et toute négociation ul
térieure resterait sans effets
t©4. — Telles sont les conditions que l’article 110
exige pour que le titre soit réputé lettre de change et en
produise les effets. Chacune d’elles est rigoureusement
exigée. Sans leur réunion, sans leur ensemble il n’y a
pas de lettre de change, il n’y a qu’une obligation dont
le caractère civil ou commercial résulte de la qualité du
débiteur, ou delà nature de l’opération.
C’est cet effet qui distingue les conditions que nous
venons d’énumérer de celle que nous trouvons encore
dans l’article 110, à savoir : l’énonciation du numéro
de la lettre, si elle est par 1r0, 2m% 3me, 4”e, etc.
1 9 novem bre 1842.
J. du P
1 ,1 8 4 3 ,1 1 7 .
4
�\M
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette dernière formalité est purement facultative, en
ce sens que rien n’oblige de souscrire plusieurs exem
plaires de la lettre de change. La loi le permet lorsque
les parties croient devoir le faire, soit pour faciliter la
négociation, soit pour obvier aux chances de pertes que
la destination de la lettre peut faire craindre.
105. — On facilite la circulation par la création de
duplicata. Tandis, en effet, que l’exemplaire numéro 1
est envoyé à l’acceptation, on livre les suivants à la cir
culation. D’autre part, l’utilité de ceux-ci ne saurait être
douteuse lorsque l’acceptation doit être donnée dans un
pays lointain, outre-mer par exemple.
11 est donc facultatif de tirer la lettre de change à plu
sieurs exemplaires. Si l’on a usé de cette faculté, l’arti
cle 110 devient obligatoire. Chaque exemplaire doit ex
primer son numéro d’ordre, sous peine contre le tireur
d’être tenu du payement multiple qu’en aurait fait le
tiré, et de répondre de tout le préjudice que son omis
sion aurait entraîné.
Tirer la lettre de change à plusieurs exemplaires, c’est
n’en fournir qu’une seule, c’est déclarer que le payement
d’un de ces exemplaires annulera les autres. Cette dé
claration ne peut être connue du public que par l’indi
cation exigée par l ’article 110.
Omettre cette indication, c’est en réalité créer autant
de lettres distinctes qu’il y a d’exemplaires différents.
Rien n’établit dans ce cas aucune relation de l’une à
l’autre. Elles seront d’autant plus considérées comme
�ART.
us
MO, I M i
autant d’originaux indépendants que la négociation s’o
pérant avec des personnes différentes, dans des localités
plus ou moins distantes, nul ne pourra être frappé de la
similitude de sommes, de dates, d’époques d’exigibilité,
circonstances d ’ailleurs qui se rencontrent souvent dans
le commerce.
Il n’est donc pas douteux que chaque preneur serait
recevable à poursuivre le tireur en payement de l’exem
plaire qu’il aurait acquis, sauf à lui à se pourvoir
contre l’auteur de l’abus que sa négligence aurait fait
réussir.
1 0 8 . — Le tireur serait-il obligé d’indemniser le
tiré qui aurait payé chaque exemplaire à sa présentation?
Une distinction nous parait utile. Le tiré a-t-il été ou
non avisé du mandat qu’on lui déférait.
Dans l’usage commercial, en effet, le tireur d'une
lettre de change en avise le correspondant sur lequel il
dispose. La lettre qu’il écrit et qu’on nomme lettre d’a
vis, énonce la date de la création, l’époque de l’échéan
ce, le montant de la lettre.
Il est évident que celui qui aurait été informé qu’on
a tiré sur lui une lettre de change à une date détermi
née, pour une somme indiquée, ne devrait accepter ou
payer que cette lettre de change. Si on lui en présente
plusieurs offrant la même échéance, la même somme, il
doit demander les ordres du tireur. S’il accepte ou paye
toutes ces lettres avant d ’avoir reçu ces ordres , il agit
avec une légèreté, une imprudence qui le laisseraient
i —
U
�146
DF. LA LETTRE DE CHANGE
sans recours contre le tireur. Ma lettre d’avis, dirait ce
lui-ci , ne vous permettait pas d’équivoquer. Pouviezvous supposer que si le même jour j’avais signé plusieurs
lettres je ne vous eusse écrit que pour une seule ?
A défaut de lettre d’avis, la responsabilité du tireur
serait évidemment engagée, et le tiré qui aurait accepté
ou payé les divers exemplaires non numérotés de la let
tre de change aurait le droit de le contraindre à l’en
rembourser.
l O l . — Ordinairement on ne se contente pas de
tirer la lettre par 1r\
3“', etc..., on mande au tiré
de ne payer ces dernières que si la première ne l’a pas
été, c’est ce qu’on exprime en ces termes : Payez par
celte deuxième (ou troisième) si vous ne l'avez fait
par la première.
Cet usage remonte fort haut, cependant la transcrip
tion de cette clause n’était pas rigoureusement exigée
par l’ordonnance de 1673, on la sous-entendait de plein
droit par cela seul qu’on signait les duplicata de la let
tre de change, en indiquant le rang de chacun d’eux.
On devrait l’admettre ainsi sous le Code. Mais dans
ce cas on n’accorderait le bénéfice du payement qu’à
celui qui aurait eu pour objet la première, le solde des
seconde, troisième ou quatrième ne serait pas libératoire.
Pour remplir cette condition, il faudrait qu’on eût for
mellement écrit dans les lettres que le payement de
l’une annulerait l’effet des autres. C’est ce que nous éta
blirons sous l'article 147.
�“
ART.
HO, 1 H .
147
Lorsque la lettre porte que la deuxième ne sera payée
que si la première ne l'est pas, cette dernière après ac
ceptation étant livrée au bénéficiaire, celui-ci se trouve
porteur des deux exemplaires. S’il les négocie tous deux
à des personnes différentes, le porteur de la seconde non
payée, parce que la première l’a été, pourra-t-il exer
cer un recours contre le preneur primitif, premier en
dosseur ?
L’affirmative a été soutenue par le motif qu’en endos
sant purement et simplement la seconde, le porteur avait
autorisé les tiers à penser que l’exemplaire qui leur
était présenté était le seul qui avait été mis en circula
tion ; que ces tiers, rassurés d’ailleurs par la confiance
qu’inspirait sa signature, avaient dû pouvoir, sans dan
gers pour eux, ne pas s’occuper de ce qu’était devenu
le premier exemple du titre dont le second était re
mis, et qu’ils devaient dans tous les cas trouver la ga
rantie de leur payement dans la solidarité de l’endos
seur.
La cour de Paris et la Cour de cassation ont condamné
ce système. Leur arrêt consacre que par cela seul que
l’exemplaire numéro 2 portait qu’il ne serait payé que
si le premier ne l’était pas, les tiers ne pouvaient igno
rer que ce dernier avait été mis en circulation ; que dès
lors, en n’en n’exigeant pas la remise, ils avaient aveu
glément suivi la foi de leur cédant ; qu’ils n’avaient
donc aucune action contre le précédent propriétaire K
i Cass., 4 a v ril 4 8 3 Î.
�148
DE LA LETTRE DE CHANGE
108. — Si la lettre de change n’a pas été acceptée
et si elle est muette sur le mode de payement, l’ordre
numérique des duplicala ne donne aucune préférence,
on peut payer le quatrième, comme le troisième, comme
le second. Le payement se fait alors en faveur de celui
qui arrive le premier à l’échéance.
Si la lettre est acceptée, le tiré ne peut payer que sur
l’exemplaire sur lequel il a écrit son acceptation L Mais
il faut remarquer que, dans le cas de négociation par
seconde, troisième ou quatrième, l’original accepté reste
déposé sans être livré à la circulation. C’est au porteur
arrivant le premier, et muni d’un titre endossé, que cet
original appartient, et qu’il doit être remis , pour qu’il
soit payé dé ce qui lui est dû.
109. — Indépendamment des duplicata souscrits
lors ou depuis la création, la lettre de change peut être
suppléée dans la circulation par des copies émanées du
porteur actuel. Cet usage est fort ancien, et c’est l’uti
lité commerciale qui l’a introduit. Sous ce rapport il a
un point de contact très intime avec l’usage du dupli
cata.
On ne doit pas cependant les confondre. Ce qui les
distingue essentiellement, c’est que le tireur seul peut
créer ceux-ci, tandis que la copie émane légalement du
détenteur actuel et peut être faite à toutes les époques.
Supposez que le porteur d’une lettre de change veut
�ART.
HO, 111.
149
l'envoyer à l’acceptation. Cependant, dans l’intervalle
qui s’écoulera entre l’aller et le retour, une occasion fa
vorable de la négocier se présentera, cette occasion, que
l’obligation d’attendre le retour matériel de la lettre
peut faire perdre, la transmission par copie permettra
de la saisir et d’en profiter.
11© . — En la forme, la copie doit être la reproduc
tion exacte de la lettre de change. On transcrit d’abord
le corps de la lettre, la signature du ou des tireurs, celle
des cautions des donneurs d’aval, le nom du tiré; on
copie ensuite au dos de la lettre les divers endossements
dont elle est revêtue, y compris celui en vertu duquel
l’auteur de la copie a acquis la propriété de la lettre; on
certifie ensuite la sincérité de toutes ces indications, soit
en la forme ordinaire, soit par celte formule : jusqu’ici
copie.
Dès ce moment l’original est retiré de la circulation.
Désormais il restera déposé dans un lieu que la copie
doit indiquer, pour être mis à la disposition de celui
qui, à l’échéance, se trouvera porteur de la copie.
La négociation de celle-ci s’opère par la forme ordi
naire, c’est-à-dire que l’auteur inscrit et signe un en
dossement devant réunir les conditions prescrites par
l’article 137.
I f i. — Cependant il ne doit agir ainsi que dans le
cas où la négociation postérieure à la copie ne se trouve
pas mentionnée sur l’original. Dans le cas contraire, la
�180
DE LA LETTRE DE CHANGE
copie ne doit mentionner l’endossement que dans le :
jusqu'ici copie,
Il importe, en effet, que les tiers ne puissent être in
duits en erreur. Si l’endossement de celui qui a trans
mis la lettre au porteur, en proposant la négociation,
n’est relaté que comme copie, tout le monde saura que
l’original est régulièrement endossé, et celui à qui on
offrira la copie sera en demeure d’exiger qu’on lui re
présente cet original.
Que si, après avoir endossé l’original, l’auteur de la
copie endosse purement et simplement celle-ci, il déli
vre, en réalité, deux titres parfaitement négociables. On
doit croire alors que l’original n’est pas endossé, et l’on
n’a pas à s’enquérir de celui-ci autrement que pour en
prendre possession à l’échéance, s’il y a lieu.
De là cette conséquence que si le propriétaire de la
copie, après avoir négocié celle-ci, négocie l’original, le
porteur de la première, non payé, a le droit de recourir
non seulement contre celui qui la lui a transmise, mais
encore contre son auteur ; contre celui qui l’a rédigée et
mise en circulation, dont la faute a eu pour conséquen
ces la double négociation et le défaut de payement. C’est
ce que décidait très juridiquement la cour de Paris dans
l’espèce suivante :
11®. — « Un sieur Courtel avait demandé du pa
pier sur Londres à la maison Thuret et Cie, de Paris,
qui lui avait offert des traites tirées de Rome sur cette
ville, mais qui n’avaient pas encore été acceptées par le
�ART.
110, 111.
1ÎH
tiré. Le sieur Courtel avait besoin, disait-il, de négocier
avant acceptation. En conséquence et sur sa demande,
la maison Thuret lui avait envoyé des traites s’élevant
à 60,000 fr. environ, et comme il fallait que ces traites
fussent envoyées à l’acceptation, elle lui avait remis des
copies certifiées de ces mêmes traites sur lesquelles elle
avait apposé une seconde fois son endossement au pro
fit de Courtel, mais au lieu de comprendre cet endosse
ment dans le : jusqu'ici copie, elle avait placé cette for
mule immédiatement avant cet endossement, qui dès
lors était donné en original sur la copie des traites, ce
qui était faire croire qu’il n'existait pas sur les origi
naux ; qu’en conséquence ceux-ci ne pourraient être
négociés à d’autres qu’à ceux auxquels les copies se
raient livrées.
« Courtel négocia les originaux à la maison Rostchild.
Plus tard les sieurs Chevalier frères, porteurs des copies
non payées, actionnent, par voie de recours, la maison
Thurel et Cie en payement.
« Ce recours, disaient-ils, est la juste conséquence
de la faute que cette maison a commise, et sans laquelle
la fraude dont nous sommes victimes n’aurait pas été
possible.
« Sans doute tout porteur de la lettre de change peut
en tirer une co p ie, m ais. pour être fidèle, celle-ci doit
renfermer toutes les énonciations qu’on trouve sur l’ori
ginal.
« Dès lors le créateur de la copie qui a endossé l’ori
ginal, doit mentionner son propre endossement sans le
�152
DE LA LETTRE DE CHANGE
renouveler sur la copie elle-même. Alors, en effet, les
tiers sont avertis que la traite originale étant revêtue de
l’endossement, peut être négociée, ils ne se chargeront
des copies que sur le vu et la remise de l’original luimême.
« Que si la copie porte l’endossement régulier, et que
cet endossement suive immédiatement 1qjusqu'ici copie,
c’est dire aux tiers que la traite originale n’est point en
dossée, leur inspirer la confiance qu’en acceptant la né
gociation de la copie, ils se chargent du seul titre né
gociable.
« En réalité donc le créateur d’une copie ne doit en
dosser que celle-ci ; si l’endossement existe sur la traite
originale, la copie ne doit le contenir que comme em
prunté à l’original lui-même, et par conséquent son
existence doit précéder le jusqu'ici copie. Dans le cas
contraire, on crée deux titres négociables, on facilite la
fraude dont on doit dès lors réparer les conséquences. »
C’est ce que décide la cour de Paris. Son arrêt, rendu
le 14 janvier 4830, statue en ces termes :
« Attendu que si après avoir négocié l’original, le
donneur d’ordre crée une copie dans laquelle, relatant
tous les divers endossements, il omet de mentionner ce
lui qu’il a donné, et appose, immédiatement, après les
endossements antérieurs, ces mots : jusqu'ici copie, il
peut laisser croire aux tiers auxquels la copie est pré
sentée que les endossements portés sur l’original s’arrê
tent aux mots jusqu’ici copie, et que cet original n ’a
pas été endossé par lui ; il crée ainsi deux titres et com-
�ART. 110, 111.
155
met une imprudence des suites de laquelle il s’expose à
devenir responsable. »
1 1 * . — Le mandat de payer conféré au tiré se ter
mine ordinairement par les expressions suivantes : sur
ou avec avis de...... sans avis de...... Ces termes se ré
fèrent à l’ancien usage que nous indiquions tout à
l’heure, à savoir : d’aviser le tiré des dispositions prises
sur lui
Cet avis n ’est pas fort nécessaire lorsque le tiré n'est
indiqué que pour remplir une formalité légale, soit qu’il
s’agisse d’une désignation en l’air, soit que sans rela
tions avec lui, le tireur se propose de lui transmettre
provision avant l’échéance. Mais il n’en est pas de mê
me lorsque le tireur en relations suivies avec le tiré ac
complit une opération du compte existant entre eux.
Dans ce cas, une lettre d’avis devient essentielle, d’a
bord pour que le tiré, pris à l’improvisle, ne refuse pas
d’accepter ou de payer une traite dont on lui a laissé
ignorer l’existence ; ensuite pour que, si le montant
delà lettre est important, Je tiré puisse prendre ses
précautions et se mettre en mesure de satisfaire à son
mandat.
Nous avons déjà dit les énonciatons que doit renfer
mer la lettre d’avis : c’est la date de la souscription de
l’effet, le nom du preneur, le montant e payer, la date
de l’échéance ; ce sont là de bonnes, de prudentes pré
cautions
On comprend leur inutilité lorsqu’il s’agit entre deux
�154
DE LA LETTRE DE CHANGE
maisons importantes depuis longtemps en rélations de
traites d’une valeur minime. Cependant, quelles qu’elles
fussent, si ces traites portaient la clause sur ou avec
avis, le tiré ne devrait et ne pourrait légalement accep
ter ou payer qu’a près cet avis.
114. — Nous avons épuisé la série des formalités
exigées pour la régularité de la lettre de change, qu’on
nous permette d’en offrir un modèle conforme à ces
exigences.
Aix, le 10 septembre 1851. B. P. F. 6,000
Àu dix décembre prochain, payez, par cette première
de change, à M. Jacques ou à son ordre, la somme de
six mille francs, valeur reçue comptant (ou en mar
chandises) (ou en compte) dudit, que passerez avec avis
(ou sans avis). Signé : Paul. A Monsieur Pierre et Cie,
banquiers, rue Tapis-Vert, 23, à Marseille.
Le duplicata de la lettre doit être conçu dans des ter
mes identiques. Seulement, au lieu de : par cette pre
mière, on dira : par cette seconde, par cette troisième,
par cette quatrième, laquelle sera annulée par le paye
ment de la première.
114 b‘«. — Qui d ira it, après ce que nous venons
d’exposer, qu’on a pu se demander si celui qui a reçu
un blanc seing a pu valablement le convertir après coup
en une lettre de change. Or, non seulement la question
�ART. 110, 111.
155
a été posée, mais elle a été de plus et à diverses repri
ses résolue par l’affirmative.
C’est en effet ce que la cour de Riom consacrait le
22 juillet 1817. « Considérant, disait l’arrêt, que si le
porteur avoue que les effets, quand ils furent remis,
n’avaient point encore reçu, au-dessus des signature et
approbation des sommes, la rédaction et l’écriture pro
pres à constituer la teneur et le caractère des lettres de
change, et si ces rédaction et écritures ont été faites pos
térieurement et par une main tierce , il est articulé en
même temps que cette rédaction a été conforme aux
conventions et à l’intention des parties ; qu’elle n’a eu
lieu, même, qu’avec l’autorisation nouvelle des sous
cripteurs pour une rédaction constitutive de lettre de
change. »
Le 16 mai 1853, la cour d’Agen se range à cette
doctrine et admet en conséquence la légalité et la vali
dité de la conversion en lettres de change de billets re
mis en blanc, et remplis plus tard par le porteur, et
c'est encore sur une prétendue convention des parties
qu’elle se fonde. Ce qui distingue cet arrêt du précédent,
c’est que dans l’espèce de celui-ci la convention était
expressément reconnue et admise, tandis que la cour
d’Agen la déduit implicitement des faits de la cause.
« Considérant, dit-elle, en effet, que la loi autorise
toutes personnes à souscrire des lettres de change, et
qu’il est de jurisprudence constante que tous porteurs,
tireurs, endosseurs, accepteurs ou avalistes de lettres de
change font acte de commerce ;
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Considérant, en fait, que Villeneuve, ex-huissier,
savait très bien, lorsqu’il a souscrit les engagements qui
font l’objet du procès, que, dans notre pays, les prêts
d’espèces s’opèrent habituellement par la délivrance de
lettres de change, que si, très souvent, il arrive que
l’emprunteur remette au bailleur des effets en blanc,
c’est toujours avec cette convention tacite que le porteur
peut les revêtir de la forme des lettres de change ; que
ce mode d’emprunt, loin d’être désavantageux à l’em
prunteur qui veut se libérer, lui donne au contraire un
moyen facile de se procurer les sommes utiles à ses af
faires sans recours aux prêts sur obligations avec affec
tation d’hypothèque, qui nécessitent des frais considéra
bles ; que c’est dans le but d’éviter ces dépenses que les
emprunteurs se soumettent volontairement aux lois du
commerce l. »
La cour de Bastia qui, le 15 décembre 1858, adop
tait au fond la doctrine de la cour d’Agen, était plus ex
plicite encore, sur le caractère de la convention tacite
intervenant entre les parties , et à laquelle elle n’assi
gnait d’autre but que celui de se soumettre à la con
trainte par corps.
« Considérant, disait l’arrêt, que la lettre de change
dont le sieur Fiamma est porteur et dont il poursuit le
payement, est régulière en la forme ; qu’en supposant
que le corps de la lettre ait été rempli postérieurement
au bon et à la signature donnés en blanc par le sieur
�ART.
110. 111.
157
Ciavaldini, celte circonstance ne saurait la dépouiller du
caractère qui lui appanieni légalement.
« Considérant, en effet, que la remise par Ciavaldini
d’un bon en blanc de la somme de 1,060 fr., a été de
sa part le résultat d’une convention par laquelle il s’est
soumis volontairement à la contrainte par corps ;
« Considérant que c’est manifestement pour obtenir
de lui celle garantie que les sieurs Damei exigèrent une
obligation en cette forme ; que le sieur Ciavaldini
n’exerçant point de profession commerciale et la remise
de place en place étant la condition essentielle de la va
lidité de sa soumission à la contrainte personnelle, on
ne saurait sérieusement révoquer en doute que celte
convention ait été expressément ou implicitement stipu
lée entre les parties K »
L’abolition de la contrainte par corps a enlevé à la
question son principal intérêt. Ce ne pouvait être en ef
fet que pour se ménager cette énergique voie d’exécution
qu’on recourait à cette simulation. Dans quel but l’accomplirait-on aujourd’hui ? On ne pouvait s’en propo
ser un autre que celui de recourir à la juridiction com
merciale. Ce but, aurait-on réussi à l’atteindre ? Nous
ne saurions l’admettre.
Sans doute tout le monde peut souscrire une lettre de
change, et cette souscription constitue un acte de com
merce. Mais on a beau donner à une obligation la forme
de la lettre de change. Celle-ci n’existera en réalité et ne
1J
du P.,
1869, 993
�158
DE LA LETTRE DE CHANGE
produira son effet légal que si elle réunit les conditions
auxquelles la loi subordonne sa régularité.
De toutes ces conditions la première et la plus essen
tielle est la remise de place en place. La lettre de change
n ’est que l’instrument de la réalisation du contrat de
change, et en quoi consiste celui-ci si ce n’est dans la
remise dans un lieu d’un argent qui sera payé dans un
autre.
Donc, point de remise de place en place, point de
contrat de change , et si point de contrat de change,
point de lettre de change. Or, comment admettre la re
mise de place en place lorsque le titre étant remis en
blanc est rempli hors la présence et sans le concours du
débiteur qui, dès lors, ne connaît et ne peut connaître
ni le lieu sur lequel la lettre est tirée, ni le nom de celui
en mains de qui il devrait faire provision ?
Evidemment la souscription d’une obligation en blanc
constitue un prêt ordinaire. On pourra bien lui donner
la couleur d’une lettre de change, mais on ne saurait
lui en attribuer le caractère légal. Que le débiteur ait ex
pressément ou tacitement consenti à cette simulation, ce
consentement ne saurait faire que la remise de place en
place ait existé et que dès lors la prétendue lettre de
change ne soit en réalité qu’une simple promesse aux
termes de l’article 112 du Code de commerce.
Qu’importe d’ailleurs la convention qui autoriserait le
créancier à remplir le titre et à lui donner la forme de
la lettre de change ? Il est de doctrine et de jurispru
dence que celui qui, souscrivant lui-même la lettre de
�ART. 110, 111.
159
change, lui a donné son caractère, est recevable et fondé
à soutenir qu’il y a supposition de lieu et qu’il peut l’é
tablir par de simples présomptions. Comment donc contesterait-on ce droit à celui qui, remettant un engage
ment en blanc, n’a évidemment pu contracter l’obliga
tion de rendre l’argent ailleurs que dans le lieu même
où il l’a reçu ?
Les arrêts que nous venons d’indiquer sacrifient le
fond à l’apparence et méconnaissent les véritables prin
cipes en matière de lettres de change. Ils avaient de plus,
au moment où ils intervenaient, le tort grave de violer
la disposition de l’article 2063 du Code civil. Comme
l’indique la cour de Bastia, ce n’était que pour se sou
mettre à la contrainte par corps que le débiteur autori
sait le créancier à donner au billet en blanc la forme de
la lettre de change. Or, c’est précisément cette soumis
sion que cet article prohibait et annulait de la manière
la plus expresse.
La cour de Montpellier avait donc raison lorsque, le
3 janvier 1857, elle jugeait que le contrat de change ne
pouvant exister qu’à la condition sine qua non d’une
remise de fonds d’un lieu sur un autre, des timbres des
tinés à des lettres de change, livrés à un tiers signés en
blanc contre une remise de fonds, ne deviennent pas de
véritables lettres de change par cela que ce tiers les a
ultérieurement remplis dans la forme des lettres de
change ; qu’on ne saurait voir dans de tels effets que de
simples promesses, c’est-à-dire de simples engagements
civils.
�160
DK LA LETTRE DE CHANGE
Voici les motifs essentiellement juridiques sur lesquels
se fonde cette décision :
« Attendu qu’il est constaté par les conclusions pri
ses en première instance par Rovira : 1° que les préten
dues lettres de change dont il est porteur lui furent dès
l’origine remises à l’état de blanc-seings ; 2" qu’à l’aide
de ces blanc-seings il créa seul, après coup, ces préten
dues lettres de change.
« Attendu que, de ces faits, il suit invinciblement
que ces prétendues lettres de change ne furent ni sous
crites, ni signées par les prétendus tireurs et endosseurs
à suite et comme un véritable instrument d’un contrat
de change, acte de commerce qui ne saurait exister qu’à
la condition sine qua non d’une remise de fonds d’un
lieu sur un autre ; qu’il importe peu qu’en livrant ainsi
leur signature en blanc sur des timbres destinés à de vé
ritables lettres de change, les frères P... autorisassent
par cela même Rovira à convertir en lettres de change
les blanc-seings à lui confiés ; que le contrat de change
n’existe pas arbitrairement par la seule volonté des par
ties ; que la loi ne le reconnaît et ne l’entoure des privi
léges qui s’y rattachent qu’à la condition essentielle
d’une remise de fonds d’un lieu sur un autre ;
« Qu’en simulant celte remise lorsque elle n’a pas eu
lieu, les parties supposent le contrat de change, mais ne
le réalisent pas ; que cette simulation tombe, au con
traire, sous le coup et sous la prohibition péremptoire
de l’article 112 du Code de commerce, lequel dépouille
de l’apparence mensongère dont les parties ont vaine-
�ART. 110, 111.
161
ment voulu les revêtir, les prétendues lettres de change
qui contiennent supposition des lieux d’où elles sont ti
rées et des lieux où elles sont payables, et ramène à de
simples promesses, c’est-à-dire de simples engagements
civils, ces prétendus engagements commerciaux, inter
venus en l’absence de tout acte de commerce réel K »
Conclusion. La lettre de change, qu’elle soit rédigée
par le débiteur, ou que livrée en blanc par celui-ci elle
ait été remplie par le créancier, si elle ne déguise qu’un
prêt ordinaire, n’est qu’une simple promesse et échappe
dès lors à la juridiction commerciale.
115. — L’article 111 déclare que la lettre de chan
ge peut être tirée sur un individu et payable au domi
cile d’un tiers. Cette disposition souleva quelques diffi
cultés.
Devra-t-on considérer comme une lettre de change
l’effet tiré sur un individu domicilié dans le lieu même
de la souscription de l’effet, si celui-ci est payable au
domicile d’un tiers habitant une autre localité ?
La négative était soutenue au conseil d’Etat. De pa
reilles lettres de change, disait-on, ne sont que de vé
ritables mandats. Cela est vrai, répondait-on, lorsqu’elles
sont payables à une personne déterminée, ou au por
teur. Mais il n’en est plus ainsi lorsqu’elles sont paya
bles à ordre. Dans ce cas l’acceptation pour payer dans
un autre lieu leur donne tous les caractères de la lettre
1 J. du P., 1857 1027.
I —
11
�162
DE LA LETTRE DE CHANGE
de change, il y a notamment remise de place en place.
Une objection était présentée. L’article 111, disait-on,
semble dispenser de la condition de faire la provision
au lieu où la lettre de change doit être payée. Il est cer
tain que la provision doit être faite entre les mains du
tiré, et que dans l’hypothèse le payement devant être
opéré ailleurs qu’au domicile de celui-ci, le reproche
était fondé.
Mais quelle conséquence en tirer en droit, puisque le
tiré s’engage à payer chez le tiers, et que celui-ci est
domicilié dans un lieu autre que celui d’où la lettre est
fournie ? La remise de place en place résulte forcément
de cette circonstance.
Donc le tireur peut indiquer pour lieu de payement
un domicile autre que celui de la personne sur qui la
lettre est fournie. Il importerait peu que le domicile de
celle-ci se trouvât dans la localité où la lettre est sous
crite, le payement devant s’opérer au domicile d’un
tiers, et ce dernier étant réellement dans un lieu dis
tinct, la régularité du titre est complète sous ce rap
port.
Ce que le tireur peut faire, le tiré peut également l’ac
complir. Il peut donc, en acceptant la lettre, indiquer
pour le payement un lieu autre que son domicile. Nous
avons déjà observé qu’il importerait même peu que ce
lieu fût celui-là même d’où la lettre est tirée. La remise
de place en place, résultant de la désignation du paye
ment chez le tiré , ne saurait disparaître par le chan-
�gement que les convenances de celui-ci lui font ap
porter '.
11G. — La lettre de change peut être tirée par or
dre et pour compte d’un tiers. On redoutait au conseil
d’Etat l’abus qu’une pareille faculté est dans le cas d’en
traîner, mais on fit remarquer que l’article exigeant un
ordre de la part du tiers, il ne s’agissait au fond que
de l’exécution d’un mandat ordinaire.
Déplus, la disposition de l’article 115 du Code de
commerce était un frein contre cet abus, puisque, même
en l’état d’un ordre formel, le tireur n’en reste pas moins
personnellement tenu 2.
ART.
112.
Sont réputées simples promesses toutes lettres de
change contenant supposition soit de nom, soit de qua
lités, soit de domicile, soit des lieux d’où elles sont ti
rées, ou dans lesquels elles sont payables.
SO M M A IR E
117.
Véritable caractère de l’article 112. Molifs qui l'ont fait ad
mettre. Nature des suppositions qu’il consacre.
sup., n° 54.
Infra, a rt 115. V notre Traité sur les faillites, n° 864.
1 Paris, 8 août 1843. V.
s
�Silence gardé sur la supposition de valeurs. Conséquences
1“ Supposition de nom. Comment elle peut se réaliser.
Son but. Peut constituer un faux.
Moyen employé pour échapper à celui-ci.
2“ Supposition de qualité. Son caractère. Pourrait consti
tuer une escroquerie.
3‘ Supposition de domicile ou de lieu. Sa fréquence.
Effet des suppositions. Leur existence fait répuler la lettre
de change simple promisse. Caractère absolu de l ’arti$e. Il n’admet pas la preuve du contraire.
Opinion contraire de M. Nouguier. Réfutation.
Influence que la vérité exercera sur le fond du procès.
On peut établir la supposition par la preuve testimoniale et
par présomptions.
Par qui et contre qui la supposition peut-elle être invo
quée?
Ne peut l'être contre le tiers porteur de bonne foi.
I I S . — L’importance de la lettre de change, les
privilèges qu’elle confère, les voies rigoureuses qu’elle
entraîne imposaient le devoir de veiller avec la plus vive
sollicitude à la stricte sincérité de l’opération à la suite
de laquelle elle intervient. Déjà et dans ce but l’article
410 nous a retracé les indications sans lesquelles il re
fuse au titre le caractère de lettre de change.
A. la rigueur, ce n’était pas là la garantie de véracité.
Ce qui devait résulter de cette disposition, c’est que
la partie qui exigeait une lettre de change s’applique
rait à la rendre parfaite en la forme, de telle manière
�ART.
112.
168
C’est ce que le législateur a compris , et c’est ce qu’il
a voulu prévenir. Quelles que soient les indications du
titre, il faut aller au fond des choses et non s’arrêter à
la surface. Si ces indications sont mensongères, si elles
n ’ont pour objet que de donner la forme d’une lettre de
change à un prêt ordinaire, que de déguiser et de favo
riser une honteuse opération d’usure, on leur refusera
tout effet, et les parties seront ramenées à la vérité que
l’intérêt de l’une et la position de l’autre ont fait mé
connaître.
Tel est le caractère de l’article 112, et dès lors c’est
ce qui le distingue de l’article 110. Celui-ci ne fait dé
générer. la lettre de change que dans le cas d’omission
d’une des conditions essentielles. Le premier, au con
traire, suppose que toutes les énonciations prescrites se
trouvent fidèlement dans le titre, mais mensongèrement
pour quelques-unes d’elles.
Les suppositions dont s’occupe le législateur sont
dans le texte au nombre de quatre , mais on peut les
réduire à trois, les deux dernières, en effet, ne peuvent
avoir qu’un effet commun et sont la conséquence l’une
de l’autre, c’est ce que nous allons démontrer en re
cherchant le caractère de chacune d’elles, le mode de
preuve dont elles sont susceptibles, les effets qu’elles
produisent, comment et par qui elles peuvent être op
posées.
L’article 112 prévoit: 1° la supposition du n o m ;
2° celle de qualité ; 3° celle de domicile, enfin celle des
�166
DE LA LETTRE DE CHANGE
lieux d’où la lettre de change est tirée, ou dans lesquels
elle est payable.
1 1 8 . — Faisons remarquer avant tout le silence
que l’article 112 garde sur la supposition de valeur, le
motif de ce silence n’est certes pas la volonté de fermer
les yeux sur cette importante supposition. Bien au con
traire, nous avons déjà indiqué que son effet ne per
mettrait pas de voir une lettre de change dans le titre
produit, et cela aux termes de l’article 110.
Mais nous l’avons également constaté, cet effet n’est
possible que si la supposition masque un défaut absolu
de valeur. La lettre de change est régulière si la simu
lation dans la valeur énoncée n’empêche pas l’existence
d’une valeur légitime de nature à autoriser le contrat de
change l.
Décider le contraire, faire dépendre la régularité de
la lettre de la seule supposition de valeur, ce n’était, dit
M. Locré, ni juste, ni nécessaire.
« Ce n ’était pas juste, car quand les valeurs ont été
réellement fournies ; qu’elles sont du nombre de celles
qui peuvent devenir l’objet d’un contrat de change, et
qu’on a seulement énoncé une valeur pour une autre,
comme si l’on a exprimé valeur comptant, lorsque la
valeur a été donnée en marchandises, alors il y a réel
lement contrat de change, puisqu’il existe un tireur, un
�art.
H2.
167
preneur, un accepteur et une somme remise dans un
lieu pour êire payée dans un autre.
« Ce n’était pas nécessaire pour le cas où le prix de
la lettre de change a été fourni en valeurs qui ne
pouvaient être la matière du contrat de change; caries
seules valeurs exclues sont celles qui ne peuvent devenir
l’objet d’une remise ; il n’y aurait donc pas de remise,
ni par conséquent, aux termes de l’article 110, de con
trat de change. Mais c’était là un fait qu’il fallait laisser
juger’.
Donc, lorsqu’il s’agit de la supposition de valeur, les
tribunaux ont le droit et le devoir de rechercher quel
en est le véritable caractère. Si cette recherche aboutit à
la conviction qu’il n’y a aucune valeur, ou que celle
qui a été fournie ne pouvait devenir la matière du con
trat de change, le titre produit, ne remplissant pas les
conditions de l’article 110, ne sera pas une lettre de
change. Dans l’hypothèse contraire, l’article 110 ayant
été respectueusement suivi en la forme, et une valeur lé
gitime et certaine existant au fond, la lettre de change
doit être respectée et produire tous ses effetsa.
Ce qui distingue donc la supposition de valeur de
celles dont s’occupe l’article 112 , c’est que l’existence
matérielle de celles-ci est toujours suffisante pour faire
dégénérer la lettre de change en simple promesse, tandis
'
1
V
> c";
V‘‘
■7
-
V
:
' ;:v.
Esprit du Code de commerce, a rt. 442.
Rép., Lettres et billets de change. H orson, Quest. 52.
2 Merlin, v°
Nouguier, t. 2, p. 253.
�168
DE LA LETTRE DE CHANGE
que la première 11e produit cet effet que si en réalité on
ne peut indiquer une autre valeur réelle et de nature à
créer et à réaliser le contrat de change L
1 1 » . — Arrivons aux suppositions prévues par l’a r
ticle 412. La première est la supposition de nom, elle
existe toutes les fois qu’à la faveur d’un nom fictif on fait
intervenir un contractant imaginaire sans lequel les per
sonnes, dont le concours est exigé, ne seraient pas en
nombre voulu.
Elle se réalise donc : 1° lorsque celui qui tire une let
tre de change signe ou fait signer du nom d’un faux
tireur une lettre de change qu’il accepte, ou qu’il fait
accepter par un véritable tiré ; 2° lorsqu’un tireur vala
ble tire sur un individu non existant ; 3° enfin lors
qu’une lettre, réellement tirée sur un individu existant,
par un autre aussi existant, présente un preneur sup
posé, et sous le faux nom duquel est souscrit le premier
endossement qui livre la lettre à la circulation.
Le commerçant qui se livre à de pareils moyens n’a
pour but que de se procurer de l’argent en donnant le
change sur sa position réelle. On sait que dans le com
merce offrir à négocier un effet revêtu de plusieurs si
gnatures c’est en quelque sorte réussir. Tel nom isolé ne
trouverait pas à escompter cent francs qui sera facile
ment accepté pour des sommes plus ou moins considé-
�ART,
1 12 .
169
râbles s’il esl accolé à quelques autres, bien qu’ils soient
complètement inconnus au preneur.
Celui qui les offre négocie des valeurs de portefeuille.
Donc il a des ressources, il mérite qu’on lui accorde du
crédit. Cette considération, quoique si souvent cruelle
ment démentie par l’expérieuce, n’a pas cessé d’être dé
cisive, c’est ce que savent parfaitement les commer
çants, et c’est ce qui les détermine à imaginer de pré
tendues valeurs de portefeuille lorsqu’en fait ils n’en ont
aucune.
Mais la supposition de nom est extrêmement délicate
et chanceuse. Signer une lettre de change, une accepta
tion, un endossement d’un nom qui ne nous appartient
pas, ce nom n’appartînt-il à personne et fût-il purement
imaginaire, à plus forte raison imiter la signature d’une
personne déterminée, c’est commettre un faux en écri
ture de commerce, et s'exposer aux peines que la loi ré
serve à ce crime. Aussi n’est-ce que rarement qu’on re
courra à de pareilles extrémités l.
130. — Un moyen bien moins dangereux et surtout
bien plus largement exploité, consiste en ceci : on veut
se créer des valeurs faites, on s’adresse au premier venu
et, quelquefois par complaisance, d’autres fois au moyen
de récompense pécuniaire, on obtient une signature qui
représente, selon le cas, le tireur, l’accepteur ou le pre
neur de la lettre de change. Au lieu d’une signature, on
i V.
infra, a rt. 239.
�170
DE LA LETTRE DE CHANGE
peut, à l’aide de ce moyen, s’en procurer plusieurs s’il
y a nécessité ou intérêt à le faire.
Il n’y a pas là le faux puni par la lo i, car on n’en
rencontre pas la matérialité, mais c’est là évidemment
une véritable supposition dans le sens de l’article U 2 .
1 8 1 . — Cette supposition peut à son tour engendrer
la seconde que cet article prévoit, à savoir : la supposi
tion de qualité. Plus la personne dont on a emprunté le
concours occupera une position infime, et plus on s’ef
forcera de le déguiser pour endormir la vigilance et
pour inspirer une fausse crédulité.
Or, il est en commerce des qualités qui se recomman
dent dans certaines limites. Celle de banquier suppose
une certaine fortune, détermine un certain crédit, et
c’est celle dont on décorera ce nom qu’on a été quel
quefois prendre dans la boue du ruisseau.
Cette supposition ne peut non plus jamais constituer
le crime de faux. Poussée cependant jusqu’à un certain
point, elle pourrait constituer une violation de la loi
pénale, et créer le délit prévu et puni par l’article 405
du Code pénal.
1 * 8 . — La troisième supposition prévue par notre
article est celle de lieu et de domicile. C’est sans contre
dit celle qui est la plus répandue, la plus habituelle.
La lettre de change n’est pas l’apanage exclusif du
commerce. Les privilèges qu’elle confère, son exécution
entraînant même l’aliénation de la dot, la rendent pré-
�ART.
112.
171
cieuse aux usuriers, qui savent d’ailleurs la cumuler
avec des garanties hypothécaires.
Mais si les usuriers sont friands des avantages de la
lettre de change, ils n ’entendent pas en subir les incon
vénients, notamment ceux attachés à la remise de place
en place. Le prêt se faisant au domicile du prêteur, ce
lui-ci serait obligé de retirer ses fonds ailleurs, de les
faire voyager, ou de se livrer à une opération de ban
que. Mais il y a là des dangers à courir, des agios à
payer, qu’il est beaucoup plus simple de prévenir.
En conséquence, quoique la valeur soit réellement
fournie à Aix, on fera dater la lettre de Marseille, et,
moyennant l’indication d’un tiré à Aix, on aura, en ap
parence du moins, réalisé le contrat de change.
M. Nouguier constate à cet égard un fait curieux.
Combien d’usuriers, dit-il, qui, pour garantie de leurs
prêts, font tirer ou accepter des lettres de change tirées
de Sainl-Germain*en-Laye ou de Versailles par des gens
qui n’ont songé ni à y aller ni à y toucher de l’argent.
Ces abus se sont tellement multipliés que les effets datés
de ces villes, empreints de suspicion, sont frappés de
réprobation par les magistrats l.
Il est évident que la supposition de domicile n’aura
pour objet que d’assurer la réussite de la supposition de
lieu. Ainsi, pour rendre plus vraisemblable le tirage de
la lettre au lieu où il est indiqué, on déclarera, selon le
cas, que ce lieu est le domicile du preneur ou du tireur.
1 T. 1, p. 4S3.
M
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kl
I
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; '11!
�172
LA LETTRE DE CHANGE
Il esl certain d’autre part qu’une supposition de domi
cile, ne dissimulant pas la supposition de lieu , serait
fort indifférente et n’empêcherait pas la lettre de valoir
si elle réunissait les conditions de l’article 110.
1 8 3 . — Voilà l’ensemble des suppositions que l’ar
ticle 112 prévoit et dont il règle l’effet. La lettre de
change, viciée par l’une d’elles, devient une simple pro
messe dont la conséquence peut être pour le tribunal
de commerce la nécessité de se désinvestir, si la com
pétence ne résultait pas de la qualité des parties, ou de
la nature de l’opération.
Quel est à cet égard le caractère de l’article 112. La
déchéance qu’il proclame résulte-t-elle invinciblement
de la matérialité de la supposition ? ou bien son exis
tence acquise, les juges ont-ils le droit de rechercher si,
malgré la supposition, la lettre de change réunit ou non
les conditions requises et, dans l’hypothèse de l’affirma
tive, de la considérer comme régulière et valable ?
C’est dans le sens du caractère absolu de la déchéance
que s’est prononcée la jurisprudence. Elle enseigne en
effet qu’on doit considérer la présomption de l’article
112 comme juris et de jure ; ne comportant pas et ne
le cédant pas devant la preuve contraire, elle refuse
donc toute faculté tendant à la rechercher. Par applica
tion de cette règle il a été jugé que la lettre de change
contenant supposition de lieu doit être réputée simple
promesse, alors même qu’on offrirait de prouver qu’ell e
�ART.
112.
173
a été réellement tirée d’un lieu sur un autre, ou que ce
fait serait adm is1,
i#4L — M. Nouguier paraît tenir pour l’opinion
contraire, car, confondant les suppositions de l’article
112 avec la supposition de valeur, et reconnaissant, ce
qui est vrai, que pour celle-ci il est permis au juge de
substituer la vérité au mensonge, il accorde la même
faculté pour les premières, mais cette assimilation a le
tort de méconnaître l’esprit et le texte de la loi.
Qu’a voulu l’article 112? M. Locré va nous l’appren
dre, en répondant aux arguments, bases de l’opinion de
M. Nouguier.
« On dira que, malgré la supposition de personne,
il est possible qu’il y ait un preneur, un tireur, un ac
cepteur ; que, malgré la supposition de domicile ou de
lieux, il se peut qu’il y ait effectivement remise de place
en place ; que, comme le dol ne se présume pas, la loi
aurait dû permettre d’éclaircir les faits, de juger avant
tout si les apparences trompeuses, mais commandées
par des circonstances particulières, ne cachent pas une
réalité que les parties offrent de justifier. »
La loi ne le permet donc pas, puisqu’on pourrait lui
en faire un reproche. Cette sévérité de la loi, continue
Locré, n’a rien d’excessif. Il est rare que toutes les sup
positions ne cachent pas quelque fraude. Ainsi, la pré1 Colmar, 15 ju in 1813. Metz, 1er décem bre 1836.
1837, 438.
J. du P . , 1,
�174
DE LA LETTRE DE CHANGE
sompiion générale qu’admet l’article 112 est fondée.
D’ailleurs les parties sont averties, elles n’ont plus lieu
de se plaindre.
« Cette sévérité était nécessaire dans un temps où,
sous la forme de lettres de change, on cache tant de
prêts usuraires, tant d’opérations honteuses, et où l’on
s’en assure ainsi les fruits, en se dérobant à l’indigna
tion publique *.
Voilà donc l’esprit et la portée de la législation. On
n’a pas voulu permettre aux juges de rechercher si des
apparences trompeuses ne cachent pas une réalité
conforme aux prescriptions de la loi. L’emploi d’une
supposition a paru décisif, l’article 112 n’a pas d’autre
signification, ce qui le prouve, c’est que, voulant ad
mettre et admettant cette recherche pour la supposition
de valeur, le législateur a eu grand soin de ne pas la
mentionner dans l’article 112.
1 3 5 . — Cependant on aurait tort de croire que la
réalité des choses sera absolument sans influence sur le
litige. Celte influence, au contraire, pourra être telle
qu’en réalité elle enlèvera tout intérêt possible à l’ob
jection de supposition.
Admettez, en effet, que le tribunal en ait reconnu
l’existence, voilà la lettre de change déclarée simple pro
messe. Or ce résultat ne sera recherché que pour établir
1E s p r it
d u C ode de com m erce,
art. 112.
�ART.
112.
175
l’incompétence du tribunal, et pour échapper à la con
trainte par corps.
Mais toutes promesses n’échappent pas nécessairement
au tribunal de commerce. Loin de là, lui seul est appelé
à connaître de celles intervenues entre commercants, ou
qui ont une cause commerciale. Cette règle régit évi
demment les lettres de change revêtant ce caractère aux
termes de l’article. En conséquence, s’il s’agit de per
sonnes exerçant le commerce, si en réalité l’opération
réalisée est une opération de change ou de banque , le
tribunal de commerce, incompétent par la nature du ti
tre, ne sera pas moins appelé à statuer au fond et à pro
noncer la contrainte par corps, c’est ce qui résulte for
cément de la discussion de la loi.
« Plusieurs cours, tribunaux, conseils et chambre de
commerce avaient demandé qu’on expliquât quel serait
le caractère de l’effet quand il aurait été dépouillé de
celui de lettre de change.
« Il n’était ni nécessaire, ni possible de lui donner un
caractère déterminé. Tout, à cet égard, dépend de la
forme de l’engagement, de son objet, de la qualité des
parties entre lesquelles il existe. Il sera, suivant les cir
constances, tantôt un billet à ordre, tantôt un effet de
commerce, tantôt une rescription ou un mandat.
« Ne pouvant embrasser toutes les combinaisons qui
fixent la nature de l’effet, ne voulant d’ailleurs que le
dépouiller du caractère de lettre de change, on s’est .
borné à dire qu’il ne serait réputé que simple promesse,
�176
DE LA LETTRE DF. CHANGE
et on a laissé les tribunaux le qualifier suivant les cir
constances l.
En l’état, on le voit, l’article 142 n ’est pas si rigou
reux qu’il en a l’air, et la vérité de l’opération, qui ne
saurait jamais empêcher le titre de dégénérer, produira
par elle-même les effets que ce titre eût produit s’il eût
été sincère.
1 3 6 . — L’existence d’une supposition de la nature
de celles prévues par l’article 112 est donc d’un im
mense intérêt pour ceux que la qualité du titre soumet
seule à la juridiction consulaire et à la contrainte par
corps. La certitude de cet intérêt fait aussitôt juger de
l’importance de l’intérêt contraire ; et comme en défini
tive l’effet des suppositions ne saurait être discuté, c’est
surtout sur le mode de les établir et de les justifier que
le litige s’exercera.
La recevabilité de la preuve testimoniale ne peut oflrir aucun doute ; d’abord la matière est commerciale.
En effet, il s’agit bien en définitive d’obtenir du tribu
nal de commerce qu’il décide le contraire, mais ce con
traire ne peut résulter que de l’existence de la supposi
tion, et nulle autre autorité que le tribunal de commerce
n’a la mission de rechercher cette existence.
Donc, jusqu’à cette constatation, ce tribunal est compétemment investi, la cause est donc commerciale jus
qu’à prononciation de renvoi à l’autorité civile. Or, en
1 Locré,
ibid
�ART.
112.
177
matière commerciale, la preuve craie est de droit com
mun, son admissibilité en celte circonstance est donc
incontestable.
Il est, pour appuyer cette solution, un motif bien
plus péremptoire que nous puisons dans les principes
généraux du droit. Nul ne peut déroger à une loi d’or
dre public et d’intérêt général. Les lois réglant la con
trainte par corps et son exécution réunissant à un haut
degré ce double caractère, on ne peut impunémeut les
violer, et l’impossibilité de le faire directement exclut la
faculté de le faire d’une manière indirecte.
Or, créer une supposition pour donner à un titre or
dinaire le caractère de la lettre de change, c’est se sou
mettre volontairement à la contrainte hors les cas auto
risés ; c’est violer la disposition expresse de l’article
2063 ; c’est dès lors ne créer aucun droit en faveur de
qui que ce soit et contre personne.
La preuve testimoniale de cette violation serait admis
sible devant les tribunaux ordinaires, à plus forte rai
son l’esl-elle devant les tribunaux de commerce. C’est
là un point sur lequel la doctrine et la jurisprudence
sont unanimes.
La conséquence de cette admissibilité est de rendre
parfaitement recevable la preuve par présomptions. On
peut donc, suivant les circonstances, et sans recourir à
la preuve, se contenter de celles-ci, et à leur aide pro
clamer l’existence de la supposition alléguée.
ISS. — Cette solution indique celle que doitrecei — Ji2
�178
DE LA LETTRE DE CHANGE
voir la question de savoir par qui et contre qui la sup
position peut être alléguée et prouvée ? Elle peut l’être
évidemment par tous ceux qui y ont intérêt contre tous
ceux qui ont participé à la fraude ou qui y ont con
couru. Le Brocard nemo auditur turpitudinem suam
allegans, n’est pas de mise dans les matières d’ordre
public, et nous venons de voir que la contrainte par
corps se place forcément dans cette catégorie. On ne
pourrait donc empêcher celui qui s’y est soumis, au
mépris de l’article 2063, de poursuivre et de faire pro
noncer l’inanité de cette convention.
138. — On a même été plus loin, un arrêt de la
cour de Bruxelles, du 7 octobre 4811, permettait au ti
reur de l’opposer au tiers porteur même de bonne foi.
L’article 112, disait l’arrêt, ne faisant aucune distinc
tion et n’ayant évidemment d’autre but que de réprimer
l’infraction à l’article 2063, on peut l’opposer à tout
porteur.
Cette jurisprudence a été repoussée par la doctrine.
Merlin, Pardessus, Nouguier, Horson, Dalloz, Fournel
sont unanimes dans la réprobation qu’ils en font.
Elle a été condamnée par la jurisprudence et même
par la cour de Bruxelles, qui en a bientôt reconnu le
défaut de fondements juridiques l.
i 20 août 4812 et 20 décembre 4844. Conf., cass., 18 mars 1819 et 42
février 1832. Ce dernier rapport par Merlin, V. Lettres et billets de
banque.
�ART. 113, 114..
179
Ainsi le tiers porteur de bonne foi est à l’abri de l’ex
ception autorisée par l’article 112, de la même manière
qu’il le serait à l’endroit de celle fondée sur le dol, la
fraude, la violence, la complaisance. En matière de let
tres de change, le porteur ne transmet pas seulement
les droits qu’il a lui-même, il confère en outre la pro
priété pleine, entière, absolue de la créance, qui ne peut
être altérée que par des actes personnels imputables au
porteur. C’est ce qui a été jugé pour le cas de dol, de
fraude, etc......C’est ce qu’on doit également admettre
en cas de supposition. Ainsi le tiers porteur ne peut être
passible de l’application de l’article 112 que s’il a connu
la supposition dont on exciperait K
art.
113.
La signature des femmes et des filles non négociantes
ou marchandes publiques sur lettres de change ne vaut,
à leur égard, que comme simple promesse.
A RT.
114.
Les lettres de change souscrites par des mineurs non
négociants sont nulles à leur égard, sauf les droits res
pectifs des parties , conformément à l’article 1312 du
Code civil.
1 Cass, 26 décembre 4808. Paris, 22 mai 4828.
�180
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
SO M M A IRE
129.
130.
131.
132.
133.
134.
133.
136.
137.
138.
139.
Caractère de l’article 113. Dérogation à la capacité ordi
naire des femmes et des filles.
Doit être combiné avec les principes régissant la femme
mariée. Effet de l’autorisation du mari.
Pourquoi la loi n'a pas voulu qu’à l’égard des femmes et
des filles la lettre de change fût un acte de commerce.
L’article 136, ordonnant le renvoi devant la juridiction ci
vile dans le cas de l ’article 112, n’est pas applicable à
l’article 113.
Arrêts de Bordeaux et de Limoges en sens contraire. Cri
tique.
Arrêt d’Aix en faveur de notre opinion. Importance de ses
considérations.
Examen de deux arrêts de la Cour de cassation.
Condition pour l ’application de l ’article 113.
Nullité de la lettre de change souscrite par le mineur. Ca
ractère de l’article 114.
Comme le droit civil, le droit commercial consacre la
maxime : Restituitur minor non tanquam minor sed
tanquam lœsus. Conséquences.
Effets de la nullité de la lettre à l’endroit de la compétence
consulaire.
189. — Comme tous les contrats, celui de change
est soumis aux prescriptions de l’article 1108 du Code
civil, notamment à la condition de capacité chez les
parties qui y concourent. Comment, en effet, permettre
de contracter un engagement entraînant la contrainte
par corps, à celui qui ne serait pas apte à consentir une
�ART.
H S , 114.
181
obligation ordinaire ? La loi commerciale a si bien ap
précié l’anomalie étrange d’un résultat de ce genre, que
non seulement elle a respecté les incapacités édictées par
la loi civile, mais qu’à raison même du contrat et de la
lettre de change, elle en a créé de spéciales K
L’article 413 ne crée pas une incapacité nouvelle, il
se borne à restreindre la capacité des femmes et des fil
les. En droit commun, les filles et les femmes, sauf les
stipulations du contrat de mariage et la nécessité de
l’autorisation maritale tant que dure le mariage, sont
non seulement dans le cas de contracter valablement, si
elles sont m ajeures, mais même de se livrer au com
merce et de s’exposer ainsi à la contrainte par corps.
Fallait-il le consacrer ainsi pour la signature qu’elles
donneraient à une lettre de change ? Le législateur a
consacré la négative ; la considération du sexe, sa faci
lité à se laisser entraîner, son inexpérience, le danger
des influences auxquelles il sera exposé ont paru com
mander de leur prohiber d’engager leur liberté en sous
crivant une lettre de change. À leur égard, cette sous
cription ne constitue pas un acte de commerce.
ISO. — L’article 113 doit être combiné avec les
règles imposées à la femme dans les diverses positions
qu’elle est appelée à occuper. Ainsi la femme mariée ne
saurait y trouver la faculté de se soustraire à l’autorisa
tion que la loi exige. La lettre de change qu’elle aurait
i Supra, n»» 29 et suiv.
i
�182
DE LA LETTRE DE CHANGE
souscrite, sans cette autorisation , ou les formalités qui
la suppléent, serait non seulement une simple promesse,
mais encore frappée d’une nullité absolue qui lui ferait
refuser tout effet.
L’autorisation régulièrement obtenue, rendrait l’obli
gation valable au fond, mais seulement dans les limites
de l’article 113, c’est-à-dire que, quoique cette obliga
tion empruntât la forme de la lettre de change, la si
gnature donnée par la femme ne vaudrait à son égard
que comme simple promesse.
La disposition de l’article 113 est impérieuse et abso
lue. Les femmes ou filles seront fondées à en revendi
quer le bénéfice, alors même que la réalité de la remise
de place en place assignerait à la lettre de change son
véritable caractère commercial. Ce n’est même que cette
hypothèse qui a pu faire la matière de l’article. Il est
évident, en effet, que si la lettre était entachée de sup
position, elle n ’était à l’égard des femmes et des filles
qu’une simple promesse, par l’excellente raison qu’elle
le devient pour tout le monde.
1 3 1 . — L’article 113 n’est pas la répétition de l’ar
ticle 112. De là cette conséquence qu’il a voulu que la
lettre de change, réputée acte de commerce entre toute
personne, ne puisse jamais revêtir ce caractère à l’égard
des femmes et des filles.
Cette dérogation à 4 ’article 632 est d’autant plus re
marquable, que tous les autres faits réputés actes de
commerce entraînent contre les femmes et les filles les
�ART. 115, 114.
185
mêmes effets que pour tous les citoyens. Cependant on
comprend la marche que s’est tracée le législateur. L’en
treprise d’un des actes énumérés par les articles 632 et
633 exige de celui qui s’y livre un certain temps, une
persévérance de volonté exclusive de toute idée de sur
prise ou de violence. Il n’en est pas de même d’une si
gnature à une lettre de change, le mari qui en aurait
besoin pour obtenir du crédit saurait bien l’obtenir au
prix même de l’abus de l’influence qu’il est appelé à
exercer pour son sexe et par sa qualité. Ce que le mari
obtiendrait de sa femme, un père, un frère pourrait par
ses prières l’obtenir de sa fille, de sa sœur, et c’est ainsi
que filles et femmes verraient bientôt leur fortune per
due, leur liberté aliénée.
C’est celte éventualité qui répugnait au législateur. Ne
pouvant garantir la fortune contre la surprise, il a voulu
au moins mettre à couvert la liberté. Tel est le mobile
et l’objet de notre article 113.
Donc, à l’égard des femmes et des filles, la signature
qu’elles auront donnée à la lettre de change, en quel
que qualité que ce soit, ne vaudra que comme simple
promesse. Ces termes méritent d’être remarqués, ils si
gnifient que pour tous autres signataires , la lettre de
change conservera son caractère et ses effets. Simple
promesse pour les unes, elle restera lettre de change
pour les autres. Ce résultat, impossible dans les hypo
thèses des articles 110 et 112, distingue ces hypothèses
de l’article 113.
�184
DE LA LETTRE DE CHANGE
— Cette différence doit, à notre avis, résoudre
une difficulté que soulève l’article 636 du Code de com
merce. Aux termes de sa disposition, lorsque les lettres
de change ne sont réputées que simples promesses sui
vant l’article 112, le tribunal de commerce sera tenu de
renvoyer au tribunal civil, s’il en est requis par le dé
fendeur : ce renvoi devra-t-il être prononcé dans le cas
de l’article 113 ? En d’autres termes, les femmes ou fil
les signataires de lettres de change sont-elles fondées à
décliner la compétence du tribunal consulaire ?
Nous hésitons d’autant moins à nous prononcer pour
la négative, qu’une pareille prétention, repoussée par
les termes de la loi, nous paraît condamnée par la na
ture des choses.
L’article 636 est formel : Lorsque les lettres de chan
ge ne seront réputées que simples promesses aux ter
mes de l’article 112. Mais pourquoi cette restriction s’il
doit en être de même pour l’article 113 ? Aussi, et pour
répondre à cette considération, M. Nouguier déclare que
ces termes de l’article 636 ne sont que l’effet de la pré
occupation et du hasard.
Nous n’admettons ni l’un ni l’autre, car leur expli
cation se produit naturellement du résultat différent au
quel aboutissent les articles 112 et 113.
Dans l’hypothèse du premier, il n’existe plus de lettre
de change. Il n’y a pour tous et contre tous ceux qui y
ont concouru qu’une simple promesse. A quel titre donc,
si aucun des signataires, si les débiteurs, tireur, accep
teur et endosseurs ne sont pas commerçants, si la ma± 32 .
�art.
113, 1l i
1 85
tière de l’obligation n’est pas commerciale, le tribunal
de commerce retiendrait-il, si le renvoi est demandé par
le défendeur.
Dans cette hypothèse m êm e, si le titre déclaré simple
promesse est revêtu de signatures de commerçants et de
non-commerçants, on reconnaît que le tribunal de com
merce prononcera sur tous, sauf à ne prononcer la con
trainte par corps que contre les premiers.
Or, ce qui dans cette hypothèse est la conséquence de
la qualité de certains signataires, serait dans celle de
l’article 113 le résultat de la nature de l’opération. Nous
l’avons déjà dit, la signature des femmes ou filles ne
fait rien perdre au titre de son caractère à l’égard de
tous les autres signataires. Pour eux tous, comme pour
chacun d’eux, ce titre reste une vraie lettre de change
entraînant la compétence consulaire et la contrainte par
corps. Comment admettre que l’intervention de la fem
me pût faire consacrer le contraire , alors que l’article
113 rend spécial et personnel le bénéfice qu’il confère ?
A notre avis, loin que l’incompétence acquise à la
femme ou à la fille rejaillisse sur les autres signataires,
il faut au contraire admettre que la compétence, rela
tivement à ceux-ci, s’étend à l’une et à l’autre, seule
ment la contrainte par corps ne pourra les atteindre, ni
être par conséquent prononcée. Ce résultat, MM. Par
dessus et Nouguier le préconisent dans le cas où la let
tre de change serait signée par des commerçants. Cette
exigence de la qualité se comprend pour le billet à or
dre, ou pour la simple promesse dont parle l’article 11H.
�186
DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais puisque le titre de l’article 113 reste une lettre de
change pour les signataires ; puisque chacun d’eux en
y prenant part a fait un acte de commerce, qu’il s’est
soumis par cela seul à la contrainte par corps et à la
compétence consulaire, à quoi bon se préoccuper de sa
qualité? qu’ajouterait-elle qui ne soit déjà acquis l.
Donc la femme ou la fille signataire d’une lettre de
change est compétemment assignée devant le tribunal.
On appliquera dans ce cas l’article 637 , et le tribunal
ne pourra, en prononçant, ordonner la contrainte par
corps. La nature commerciale de l’acte envers les autres
signataires équivaut à la qualité exigée par cette dispo
sition et en produit les effets.
133.
— Il existe sur notre question des arrêts
en sens contraire. L’opinion de MM. Nouguier et Par
dessus est consacrée par la cour de Bordeaux et par la
cour de Limoges2.
Le premier de ces arrêts considère que tout ce qui ré
sulte des dispositions bien entendues de l’article 636
du Code de commerce combinées avec l’article 112, c’est
que les lettres de change dont il est question dans celuici, et qui sont celles qui contiennent supposition soit de
nom, soit de qualité, soit de domicile, soit de lieux, con
servent toutes les apparences de vraies lettres de change.
i Pardessus, Droit com,, n° 4348-49. Nouguier, chap.
p. 457.
a 11 août 1826, 16 février 1833.
x ii,
n° 6, t. 1,
�ART.
115, 114.
187
Il fallait donc une disposition formelle de la loi pour les
soustraire à la compétence des tribunaux de commerce,
lorsque le renvoi en était requis. Tandis que les lettres
de change dont parle l’article 113, et qui ne concernent
que celles signées par les femmes ou les filles non mar
chandes publiques, étant dépouillées par cet article du
seul caractère qui les constituait effets commerciaux et
ne pouvant plus valoir que comme simples promesses,
rentrent de plein droit dans le domaine des engagements
civils, dont la connaissance appartient aux juges natu
rels des parties. Celte considération se retrouve dans
l’arrêt de Limoges.
La Cour n’oublie qu’une chose fort essentielle pour
tant pour la validité de sa distinction, à savoir : que
dans l’hypothèse de l’article 1 12 le renvoi ne peut être
demandé et ne doit être ordonné que si l’existence de la
supposition a été reconnue et consacrée. Donc , on ne
peut dire qu’au moment de ce renvoi la lettre conserve
les apparences d ’une lettre de change, apparences qui ne
déterminent la compétence que pour et jusqu’à la cons
tatation du vice dont elle est entachée. Dès ce moment,
au contraire, la loi la dépouille de son caractère, et la
nécessité du renvoi n’avait pas besoin d’être étayée sur
une disposition expresse.
La vérité est en sens contraire de ce que les cours de
Bordeaux et de Limoges décident. C’est la lettre de
change dont s’occupe l’article 113 qui ne perd rien de
son caractère. Il faudrait pour cela supposer que tireur,
preneur, accepteur, endosseur, tous appartinssent au
�188
DE LA LETTRE DE CHANGE
sexe féminin, car il n’y a simple promesse qu’à l’égard
de celui ci, les signataires de l’autre sexe n ’en ont pas
moins fait une lettre de change.
134.
— Ce que nous avons déjà établi nous-même
était formellement consacré par la cour d’Àix. Son arrêt,
rendu le 22 février 18221, se prononce dans le sens
diamétralement contraire à celui des arrêts précédents :
Attendu que quoique la signature des femmes ou filles
non marchandes publiques sur lettre de change ne vaille
que comme simple promesse, la lettre de change qui en
est revêtue ne cesse pas d’être lettre de change et par
conséquent soumise à la juridiction commerciale ; tout
ce qu’opère le sexe du signataire est l’exemption de la
contrainte par corps et de la solidarité, puisque l’article
113 du Code qui s’occupe de ces lettres n’en prononce
pas la nullité, comme l’article 114 le fait pour celles
souscrites par les mineurs ; il ne dit même pas que la
lettre de change ne sera réputée que simple promesse,
comme au cas de l’article 112 ; mais seulement et taxativement que la signature des femmes ou filles ne vau
dra que comme simple promesse à laquelle la loi n’ac
corde pas le bénéfice de l’article 636 l.
Cette dernière considération a une importance réelle.
11 en résulte que l’article 113 n’a entendu conférer
qu’un bénéfice exclusivement personnel. La lettre de
i Conf., Toulouse, 19 mai 1820, Montpellier, 23 novembre 1828, 20
janvier 1835.
�ART. 1 1 0 , 111.
189
change n’en sera pas moins telle, mais elle ne sera pas
un acte de commerce pour la femme ou la fille qui y '
aura concouru.
— On a prétendu, dans l’opinion contraire,
que la Cour suprême l’avait consacrée par arrrêt du 28
avril 1829. L’examen de ce monument de jurisprudence
repousse cette prétention. Dans cette espèce, on contes
tait si peu la compétence sur ce que la lettre de change
ne serait qu’une simple promesse, que le déclinatoire
ne se fondait que sur sa nullité absolue, même comme
engagement ordinaire, et que sous ce rapport c’était à
la juridiction ordinaire qu’il fallait s’adresser, prétention
dont la Cour suprême approuve le rejet.
Notre question n’a donc pas été tranchée par cet ar
rêt, mais elle l’a été formellement et dans le sens que
nous soutenons par celui du 26 juin 1839.
On attaquait un arrêt de Paris qui avait admis la com
pétence consulaire. On soutenait qu’il avait violé l’arti
cle 113 et faussement appliqué les articles 142 et 637 ;
on appuyait le pourvoi sur les considérations relevées
par les arrêts de Bordeaux et de Limoges.
Voici la répouse de la Cour de cassation :
« Attendu qu’il résulte des articles 636 et 347 du
Code de commerce que l’attribution de la connaissance
des contestations relatives aux billets à ordre dévolue
aux tribunaux de commerce par la combinaison des ar
ticles 631 et 632 du même Code avec l’article 187, ne
cesse que dans le cas de l’article 112, ou lorsque les
billets à ordre ne portent que de signatures d ’individus
135.
�190
DE LA LETTRE DE CHANGE
non négociants, et n’ont pas pour occasion des opéra
tions de commerce ;
« Attendu qu’en exceptant de la compétence commer
ciale les lettres de change réputées simples promesses
aux termes de l’article 112, et par voie de conséquence
les billets à ordre qui n’ont que le caractère de simple
promesse, l’article 636 garde le silence à l’égard du cas
dans lequel, aux termes de l’article 113, la signature
des femmes et des filles non négociantes ou marchandes
publiques ne vaut que comme simple promesse ; qu’il
suit de là que la loi n’a pas voulu étendre, sur les cas
prévus par l’article 113, la dérogation aux principes gé
néraux de compétence, dérogation prononcée pour le
-cas de l’article 112 seulementL »
Pour la Cour de cassation, la spécialité de l’article
636 et son inapplicabilité à l’article 113 ne font donc
aucun doute, elle proclame dès lors la conséquence que
nous signalions tout à l’bure, et que les cours d’Aix, de
Toulouse, de Montpellier avaient consacrée.
136.
— Le bénéfice de l’article 113 tient à une
condition, à savoir : que les femmes et filles signataires
ne soient ni négociantes, ni marchandes publiques. Dans
le cas contraire, elles ont la plénitude de capacité pour
tout ce qui regarde leur commerce. Les lettres de change
qu’elles souscriraient dans cet objet produiraient con
tre elles les effets qu’elles entraînent contre les autres
�ART.
113, 114.
191
commerçants, à savoir, la compétence consulaire, la con
trainte par corps. Elles ne seraient pas recevables à in
voquer l'article 113 K
13?. — Il n’en est pas du mineur comme de la fem
me et de la fille, son incapacité absolue frapperait d’une
nullité radicale, en ce qui le concerne, la lettre de chan
ge qu’il souscrirait. La nullité, dans cette hypothèse,
s’étend non seulement à la forme, mais encore à l’obli
gation au fond.
Cette disposition n’est que la conséquence logique de
la législation spéciale régissant le mineur. De par le
droit civil, on ne lui reconnaît aucune capacité de con
tracter, et l’article 3 du Code de commerce lui prohibe
la faculté de faire valablement aucun des actes énumérés
par les articles 632 et 633 , et au nombre desquels se
trouve la lettre de change, sans être préalablement au
torisé à faire le commerce.
Conséquemment le mineur, qui sans cette autorisa
tion souscrit une lettre de change, fait en réalité une
opération condamnée par la loi civile et par la loi com
merciale, et qui doit dès lors être absolument réprouvée.
138. — Mais le droit commercial a pleinement
adopté et suivi les errements du droit civil. Celui-ci, nous
avons eu l’occasion de l’enseigner ailleurs2, a admis la
1 V. notre comm. des articles 4 et 5 C, comm.
2 V, notre Traité du dol et de la fraude, n°s 114 et suiv.
�102
DE LA LETTRE DE CHANGE
présomption de lésion : Restituitur minor non tanquam minor sed t&nquam lœsus. L’admission de cette
même présomption explique l’appel que notre article
fait à l’article 1312 du Code civil.
On n’a donc pas voulu ici, plus qu’ailleurs, enrichir
le mineur aux dépens de qui que ce soit. En conséquence
il devra rendre tout ce qui a tourné à son profit. Rap
pelons que pour le majeur, la preuve du profit que fait
le mineur lui est dans tous les cas imposée, et qu’on ne
reconnaîtrait cette destination qu’aux sommes qu’il au
rait placées ou employées en acquisition d’immeubles.
On considérerait les sommes dépensées comme le résul
tat d’une folle, d’une inutile dissipation. On pourrait
même placer dans cette catégorie les achats de meubles
faits sans utilité ou accasionnant une perte certaine.
1 3 » . — La lettre de change souscrite par le mi
neur ayant tous les caractères exigés par la loi a une
apparence de validité, le tribunal de commerce serait
régulièrement investi de la connaissance des difficultés
qu’elle ferait surgir, mais jusqu’à proclamation de la
minorité.
Celle-ci admise, il n’y a plus de lettre de change, à
moins que le mineur n’y eût figuré que comme accep
teur ou endosseur. Effacez, en effet, l’acceptation ou
l’endossement, et la lettre de change ne cessera pas
d’exister pour le tireur, le preneur et les endosseurs a u
tres que le mineur. Le tribunal pourrait donc conserver
la connaissance du litige entre les majeurs, mais si le
�ART.
113, 114.
193
mineur a lui-même tiré la lettre de change, la nullité
dont elle est frappée ne lui permet plus de produire le
moindre effet entre qui que ce soit. En conséquence,
dans cette hypothèse, le tribunal consulaire ne serait
compétent que si les majeurs étaient commerçants, ou si
l’opération était commerciale.
Quant au mineur, il peut demander ou son renvoi,
ou la nullité de la lettre de change, il n’a pas même be
soin pour cela de son tuteur ; mais, dans le cas d’ab
sence de celui-ci, le tribunal de commerce, compétent
pour prononcer la nullité de la lettre, ne pourrait rien
décider contre le mineur, pas même l’application de
l’article 1312, il devrait renvoyer celui qui la demande
rait à se pourvoir devant qui et aux formes de droit.
§ II. — DE LA PROVISION
ART. 11 S.
La provision doit être faite par le tireur ou par celui
pour le compte de,qui la lettre de change sera tirée,
sans que le tireur pour compte d ’autrui cesse d’être per
sonnellement obligé envers les endosseurs et le porteur
seulement.
i — 13
�194
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE 116.
Il y a provision, si à l’échéance de la lettre de chan
ge, celui sur qui elle est fournie est redevable au ti
reur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une
somme au moins égale au montant de la lettre de
change.
ARTICLE 117.
L’acceptation suppose la provision.
Elle en établit la preuve à l’égard des endosseurs.
Soit qu’il y ait ou non acceptation, le tireur seul est
tenu de prouver, en cas de dénégation, que ceux sur
qui la lettre était tirée avaient provision à l’échéance,
sinon il est tenu de la garantie , quoique le protêt ait
été fait après les délais fixés.
SO M M A IR E
140.
Nature de la provision. Conséquences. Comment elle s’ef
fectue.
141. L’existence d’une dette du tiré, au moins égale au mon
tant de la lettre de change, constitue la provision. A
quelles conditions.
142. Faut-il que cette dette soit exigible à l’échéance de la
lettre ?
�143.
144.
143.
146.
147.
148.
149.
130.
151.
152.
153.
154.
155.
156.
157.
158.
159.
160.
161.
162.
Opinion de M. Nouguier pour la négative. Jurisprudence
conforme.
Véritable caractère d’un arrêt rendu par la cour d’Aix
le 2 juin 1837, dont on veut faire ressortir l’opinion
contraire.
La provision peut être faite en marchandises. A quel titre.
i° Yente. Conséquences.
2° Dépôt. Ses effets.
2“ Consignations pour être vendues. Conditions pour qu’il
y ait provision.
Faut-il qu'il y ail affectation déclarée par le tireur et ac
ceptée par le tiré ? Dans quels cas ?
Résumé.
A quelle époque les marchandises devraient-elles être ar
rivées en la possession du tiré.
La marchandise déposée ou consignée périt pour le compte
du tireur, sauf le cas de négligence.
4° Envoi d’effets commerciaux. De quel jour existera la
provision. Obligations et droits du tiré.
5° Provision par crédit en compte courant. Ses effets.
Importance de la règle dans le cas d’une lettre de change
tirée pour le compte d’un tiers.
Où doit être faite la provision lorsque la traite est indiquée
payable à un domicile autre que celui du tiré ?
La provision est-elle détruite par la faillite du tiré avant
l’échéance ?
Effet de l ’acceptation quant à la preuve de la provision.
Comment prouvera-t-on la provision ?
La preuve testimoniale est-elle admissible"?
A qui appartient la provision si le tireur tombe en faillite
avant l ’échéance ?
Opinion de M. Fremery dans le cas où il n’y a eu ni affec
tation, ni acceptation.
Réfutation.
�196
DE LA LETTRE DE CHANGE
463.
164.
Réponse de M. Nouguier. Son caractère juridique.
Droit du tireur de disposer de la provision jusqu'à l’é
chéance, sauf le cas d’acceptation.
465. Droits des porteurs de lettres de change tirées sur le même
individu. Comment se fait la répartition.
166. Droits du porteur contre le tiers non acceptant. Devant
quel tribunal peut-il les faire valoir.
1 4 0 . — On a donné le nom de provision à la som
me qui est destinée au payement de la lettre de change
et qui, à l’échéance, doit se trouver au pouvoir du tiré
et au lieu du payement.
La destination de la provision n’étant que le paye
ment de la traite, amène à décider qu’elle n’est indis
pensable qu’au moment de l’échéance. Ainsi le porteur
n ’a pas le droit, avant celle-ci, de s’enquérir si elle
existe ou non, et cela est surtout vrai dans le cas d’ac
ceptation. En effet, celle-ci prouvant la provision à son
égard, qu’exigerait-il au-delà de l’obligation personnelle
du tiré qui naît de l’acceptation. Si la lettre de change
n’est pas acceptée, le porteur n’a que le droit de requé
rir l’acceptation, et, à son défaut, de faire protester, à
moins que la lettre ne soit pas acceptable.
Une seconde conséquence de la nature de la provision
est logiquement consacrée par notre article 115. Le
payement d’une obligation est dû par le débiteur. Or le
véritable, le seul débiteur d’une lettre de change, est le
tireur agissant pour son propre compte , ou celui qui a
donné l’ordre de tirer et pour le compte de qui la lettre
�ART. 115, 116, 117.
197
est tirée. La provision, c’est-à-dire le payement devra
être effectué , suivant le cas , soit par l’u n , soit par
l’au tre 1.
La provision peut être effectuée de diverses manières :
1® par compensation de la dette due par le tiré au ti
reur ; 2* par l’envoi de marchandises ; 3° par celui de
valeurs à recouvrer ou de traites négociables ; 4° par le
crédit et le débit du compte courant.
j>
-
1 4 t . — Le premier mode est formellement prévu
par l’article 11 6, il s’offrait tout naturellement à l’es
prit. D’une p a rt, la lettre de change est le moyen de
faire rentrer les fonds qu’on a à recouvrer dans des pays
plus ou moins éloignés, et ce moyen, utile au créancier,
ne saurait nuire au débiteur. En effet, ce qu’il faut à
celui-ci, c’est qu’il puisse se libérer valablement. Or, le
payement de la lettre de change entre les mains du pre
neur ou du porteur auquel il l’aurait transmise, opère
cette valable libération. En effet, il n’est que l’exécution
de l’ordre formel que donne le créancier, ordre que le
débiteur peut et doit exécuter.
L’existence d’une dette due par le tiré est donc une
provision suffisante, mais à une double condition, à sa
voir : que la dette existera au moment de l’échéance de
la lettre de change; qu’elle sera au moins égale au mon
tant de celle-ci.
Ainsi, il ne suffirait pas qu’au moment de la sous-
�198
DE LA LETTRE DE CHANGE
cription de la lettre de change le tireur fût créancier du
tiré. Si, depuis, cet état des choses s’est modifié par le
mouvement des relations existant entre l’un et l’autre,
si, à l’échéance , cette dette n’existe plus , il n’y a pas
provision, et le tiré ne saurait être poursuivi, à moins
qu’il n’eût accepté purement et simplement lors de la
présentation de la traite.
Il en serait de même si le tireur n’était devenu cré
ancier qu’après l’échéance. Dans le commerce, on ac
cepte quelquefois à découvert des traites d’un correspon
dant sur lequel on fournit en retour pour des sommes
égales ou supérieures. Doit-on considérer comme créan
cier l’accepteur à découvert et décider que le tiré a pro
vision pour les traites formant couvertures, alors que
ces traites sont à une échéance plus rapprochée que celle
de la lettre acceptée ? La cour de Paris a très juridique
ment décidé la négative. L’arrêt observe avec raison que
ce qui constitue la créance , c’est le payement et non
l’acceptation, celle-ci pouvant, par des circonstances
imprévues, ne pas sortir à effetï.
La même doctrine a été consacrée par la cour de
Liège, le 9 mai 1812. La Cour décide, en effet, que la
provision, qu’on voudrait faire résulter d’un compte
courant, ne serait réputée exister que si, le compte ar
rêté à l’échéance de la lettre de change, le tiré était
constitué débiteur ; que peu importerait qu’il le devînt
plus tard, surtout si ce résultat ultérieur ne provenait
�ART.
115, 116, 117.
199
que parce que des valeurs, jusque-là portées à son cré
dit, ont dû en être retranchées faute de payement.
Le même arrêt ajoute que la dette constatée au mo
ment de l’échéance ne constituerait pas la provision, si
elle était inférieure au montant de la lettre. Cette règle
est incontestable, elle découle rigoureusement de l’ar
ticle 116, n’admettant provision que si la dette est au
moins égale à ce montant. Ces expressions ne sont pas
susceptibles de deux sens, et comme elles expriment une
condition rigoureuse, on ne peut que rendre hommage
au caractère juridique de l’arrêt de Liège. C’est, au
reste, ce qui se trouve consacré par la Cour de cassa
tion, dans un arrêt du 6 mars 1837 L
143.
— Faut-il, pour la régularité de la provision,
que la dette du tiré soit exigible à l’échéance de la let
tre de change ? Le silence gardé par notre article a fait
surgir quelques doutes. L’exigibilité, a-t-on dit, est une
condition essentielle de la provision ; jusqu’au terme
fixé, le tiré ne pouvant être contraint de payer, c’est
comme s’il ne devait pas : Qui a terme ne doit rien.
C’est-à-dire que le débiteur à terme ne peut être pour
suivi en payement avant l’expiration de ce terme. Cela
est vrai et juste, mais tout ce qui en résultera, c’est que,
dans notre hyyothèse, le tiré pourra se refuser de payer
la lettre de change à l’échéance qu’elle indique, et at
tendre celle de sa propre dette. Le porteur ne pourrait
1 J. du P., 1, 1837, 463.
�200
DE LA LETTRE DE CHANGE
exiger le contraire que si le tiré avait purement et sim
plement accepté.
Mais cela fait-il que le tireur n’ait pu céder ce qui lui
était dû par le tiré ? Est-ce que la dette non exigible
ne peut pas devenir la matière d’une cession ? Or, du
tireur au porteur, la lettre de change doit être considé
rée comme un véritable transport de la provision ac
tuelle ou future, car la provision peut ne pas exister au
moment du tirage de la lettre de change, et elle n’en
appartiendra pas moins au porteur si elle existe au mo
ment de l’échéance.
Donc, tout ce qui est dû par le tiré au tireur est cédé
par celui-ci au porteur, qui en devient propriétaire. Si
l’échéance de cette créance ne concorde pas avec celle
de la lettre de change, le porteur a la faculté de s’en te
nir à celle-ci et de poursuivre immédiatement soit le
protêt faute d’acceptation, soit le protêt faute de paye
ment. Mais, s’il se contente de la garantie du tiré, et
qu’il accepte la dette telle qu’elle est due par lui, per
sonne ne serait recevable ou fondé à contester sa réso
lution et à l’empêcher de sortir à effet.
1 4 3 . — Telle est l’opinion de M. Nouguier, telle
est la doctrine que la jurisprudence a consacrée :
« La loi ne distingue pas, a dit la Cour suprême, en
tre la dette exigible et celle dont le terme n’est pas ar
rivé ; elle n’exige qu’une seule chose pour qu’il y ait
provision, c’est qu’à l’échéance de la lettre de change,
�ART. 1 1 b , 1 1 6 , 1 1 7 .
201
le tiré soit redevable envers le tireur d’une somme au
moins égale au montant de la lettre de change.
« Ainsi, il y a provision lorsqu’à l’échéance le tiré est
débiteur de valeurs suffisantes affectées au payement de
la lettre de change, et que le porteur en est saisi par
l’endossement, sauf à l u i, s’il ne se contente pas d’une
échéance postérieure à celle de son titre , à recourir de
suite contre le tireur l. »
La question, s’étant plus tard présentée à la cour de
Bordeaux, y a reçu une solution conforme.
a Attendu, dit l’arrêt rendu le 30 juin 1841, qu’il y
avait provision entre les mains de Daichal à l’échéance
de la lettre de change dont s’agit, puisque, au 15 juillet
1836, Daichal devait 3,100 fr. à Lecourt ; qu’inutilement Pechadergue invoque la maxime : qui a terme ne
doit rien ; que ce brocard de droit doit s’entendre dans
ce sens que celui qui a terme, bien qu’il ne puisse pas
répudier la qualité de débiteur, ne peut cependant être
poursuivi avant l’expiration du terme convenu ; qu’il est
évident que Daichal devait à Lecourt la somme portée
au contrat de 1837 ; que dès lors il y avait provision,
aux termes de l’article 116 du Code de commerce2. »
144.
— On a voulu trouver un point d’appui, pour
l’opinion contraire, dans un arrêt rendu par la cour
d’Aix, le 2 juin 1S37, et confirmé par la chambre civile
i Nouguier, 1 .1, p. 190. Cass., 1er février 1836. Conf., 8 août 1835.
�202
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la Cour de cassation, le 30 mai 1841. Il est vrai que
cet arrêt décide que pour que le porteur, qui n’a pas
fait protester dans le délai légal, perde son recours con
tre le tireur , il faut que celui-ci prouve qu’à l’é
chéance il y avait provision entre les mains du tiré, et
que cette provision était réelle, disponible, exigible.
Cet arrêt, dont on ne peut qu’approuver la doctrine,
ne saurait résoudre notre question sur laquelle il n’avait
pas à statuer. Dans l’espèce qu’il juge, le tiré était en
faillite avant l’échéance de la lettre de change, et le por
teur, qui n’avait par protesté en temps utile, répondait
au reproche qui lui en était fait : à quoi eût servi ce
protêt ? N’est-il pas évident que le tiré ne pouvait plus
payer, que, l’eût-il fait, les créanciers auraient demandé
le rapport à la masse des sommes qu’il aurait ainsi dis
traites de son actif? Quel préjudice vous ai-je occasionné
à vous tireur ? Dès l’instant de la faillite, le tiré n’était
plus en réalité votre débiteur que du dividende éventuel
que son actif produirait, il n’y avait donc pas provision.
C’est le système que la cour d’Aix sanctionnait en infir
mant le jugement qui l’avait repoussé.
Ce qui résulte de cet a rrê t, c’est que la provision
n’existe pas si, à l’échéance, celui qui la détient est en
état de faillite, lorsque cette provision consistait en une
dette due par lui au tireur. Faut-il en conclure que si
le tiré débiteur est integri status sa dette, quoique non
exigible à l’échéance, ne pourra pas servir de provision
valable? Une pareille conséquence n’a rien de rationnel,
ni de logique.
�ART.
HS,
116, 117.
203
Nous allons plus loin, nous admettons dans toutes
les hypothèses la doctrine de la cour d’Aix, et nous es
timons que lorsque le tireur affecte pour provision à la
lettre une dette qui ne deviendra exigible qu’après l’é
chéance, il ne sera pas libéré si le porteur n’a pas fait
protester dans le délai, si la faillite du tiré, survenue
après ce délai, se réalise cependant avant l’échéance de
la dette. Les motifs de décider sont les mêmes, quel pré
judice vous ai-je causé par ma négligence, dirait le por
teur au tireur ? Le protêt devait-il rendre la provision
exigible ? Puisque, dans tous les cas, je ne pouvais en
contraindre le versement qu’à une époque plus reculée,
il me suffisait de faire mes diligences au moment de
celle-ci, ce que je n’aurais pas manqué de réaliser, s’il
n’y avait pas eu faillite.
Celle-ci, survenue avant cette dernière échéance, m’en
a dispensé, en apportant au payement un obstacle invin
cible. En effet, dit la Cour de cassation, le failli est de
plein droit dessaisi de l’administration de ses biens, et,
dès lors, en déclarant qu’il n’y avait pas de provision
valable, l’arrêt attaqué n ’a fait qu’une juste application
de la loi L
Il ne faut pas confondre l’espèce de ces arrêts avec
celle qui peut donner naissance à notre question.
Ainsi, lorsqu’il s’agira, à défaut de protêt en temps
utile, de libérer le tireur de tout recours de la part du
porteur, on exigera, du premier, la preuve qu’il y avait
3 J . d u P . , \ , \ 841, 559; v. Infra, n° 156.
�204
DE LA LETTRE DE CHANGE
provision utile à l’échéance, et on ne considérera com
me telle que celle qui était à cette époque disponible et
exigible.
Lorsqu’au contraire, après la faillite du tireur, le
porteur viendra réclamer l’affectation spéciale de la
provision et son versement entre ses mains, personne
ne pourra lui contester son privilège. La non exigibi
lité ne pouvant empêcher la cession, ne saurait créer
aucun obstacle aux effets de celle que la souscription de
la lettre de change ou sa négociation a nécessairement
créée.
145.
— La provision peut être faite en marchandi
ses. Les marchandises, en effet, sont une valeur réelle,
on peut donc l’employer à payer les traites qu’on a été
dans le cas de souscrire.
L’expéditeur de la marchandise peut l’envoyer ou
comme vendeur, ou comme déposant, ou comme com
mettant. Voyons les conséquences qui se réalisent sui
vant chacune de ces hypothèses.
Si les marchandises ont été vendues soit avant, soit
après la création de la lettre de change, aucun doute ne
saurait s’élever sur la réalité et sur la matérialité de la
provision. Le tiré, débiteur du prix, devrait une somme
déterminée, il se trouverait donc dans l’hypothèse régie
par l’article 116.
L’affectation de ce prix au payement de la lettre de
change conférerait au porteur le droit exclusif de se le
faire attribuer si, lors de l’échéance, il se trouvait en-
�ART. 115, 116, 117.
205
core entre les mains du tiré. La faillite du tireur, sur
venue avant, n’empêcherait pas cet effet de s’accom
plir.
Dans le cas de vente, la propriété de la marchandise
étant légalement transférée, elle est, du moment de la
livraison, aux risques et périls de l’acheteur. La perte
ultérieurement survenue resterait pour son compte, elle
ne le dispenserait pas de payer la lettre de change à pré
sentation, elle ne l’autoriserait pas à exiger une seconde
provision, ou, s’il avait payé, à se faire rembourser par
le tireur.
1 4 0 . — Déposer une marchandise en garantie du
payement auquel s’obligerait le tiré, c’est consentir une
provision suffisante tant à l’égard du porteur qu’à l’égard
de l’accepteur.
A l’égard du porteur, car la réalisation du dépôt le
mettra à même d’exiger du tiré le payement de la lettre.
Le tiré, dans ce cas, s’est engagé à faire ce payement à
la seule condition qu’on lui donnerait un nantissement.
Celui-ci réalisé, l’obligation est définitivement acquise
en faveur de tous les intéressés.
A l’égard de l’accepteur, car le gage qu’il aurait en
mains serait affecté par privilège au remboursement de
ce qu’il a lui-même payé si, faute par le tireur de le
retirer en temps convenu, il était procédé à la vente lé
gale des objets le constituant. Notons qu’au regard des
créanciers du tireur, le privilège de gagiste ne pourrait
�être réclamé que si les formalités voulues par l’article
2074 du Code civil avaient été remplies.
Dans le cas de faillite du tiré, avant le payement de
la lettre, les marchandises déposées pourraient être re
vendiquées Elles n’ont pu se confondre dans son avoir
personnel, car leur propriété n ’a pu lui appartenir,
n ’ayant jamais cessé de résider sur la tête du déposant.
Or, ce que le déposant serait recevable à exécuter pour
rait être réalisé par le porteur lui-même. L’affectation
spéciale des marchandises devrait les lui faire arriver au
même titre qu’au dépositaire aux droits duquel il se
trouverait naturellement substitué.
14® . — La consignation de marchandises avec man
dat de les vendre devient une provision réelle et suffi
sante, le prix produit par la vente constituant un moyen
naturel de payement et par suite de libération pour le ti
reur. C’est ce que la Cour de cassation a expressément
décidé dans une espèce où la lettre de change stipulant
le payement en deniers, on soutenait que le porteur ne
pouvait avoir aucun droit sur la marchandise l.
Cette décision est approuvée par l’esprit de la loi.
Avec la propriété de la lettre de change , le preneur ac
quiert tous les accessoires destinés à en déterminer l’ex
tinction. A ce titre, la provision n’en est-elle pas insé
parable. Dès lors, la marchandise consignée pour créer
�art. 1U>, 116, 117.
207
cette provision doit, à défaut du prix, être attribuée au
porteur.
Mais cet effet est subordonné à quelques conditions :
La première de toutes est que le tiré, à qui la marchan
dise a été expédiée, l’ait reçue et ait ainsi accepté la mis
sion qui lui était confiée. Sans cette réception, l’opéra
tion n’est pas complète. La marchandise n’ayant pas
cessé d’être la propriété de l’expéditeur et de se trouver
en son pouvoir, elle ne saurait être affectée à la lettre de
change que comme le sont toutes les autres ressources
du débiteur.
En conséquence, la Cour de cassation a jugé que des
marchandises expédiées au tiré par le tireur d’une lettre
de change ne peuvent faire provision, bien qu’affectées
spécialement au payement du titre, si le tiré a refusé
justement d’en prendre possesion. En conséquence, ces
marchandises, en cas de faillite du tireur, tombent dans
la masse de la faillite h
La seconde condition, qui est au reste générale pour
toute espèce de provision, est que l’envoi des fonds,
marchandises ou valeurs devant former la provision soit
antérieur à la faillite et aux dix jours qui l’ont précédée.
L’expédition faite dans ces dix jours et, à plus forte rai
son, après la cessation de payements, ne pourrait nuire
ni profiter à personne. Un arrêt, fortement motivé de la
cour d’Orléans, applique cette règle non seulement au
cas où la provision serait directement transmise par le
1 49 janvier 1847.
J. du P., 4, 4847, 567.
�208
DE LA LETTRE DE CHANGE
tireur, mais encore à celui où elle le serait par son man
dataire l.
148.
— Pour que la provision existe régulièrement,
faut-il qu’il y ait affectation déclarée par le tireur et ac
ceptée par le tiré? Cette question est importante pour
celui-ci autant que pour les créanciers du premier. Ainsi
que nous le verrons tout à l’heure, la provision est ex
clusivement acquise au preneur de la lettre de change,
il est donc, quant à ce, préférable au tiré qui aurait une
compensation à opposer ; aux créanciers du tireur failli
poursuivant une répartition commune de l’actif.
Cette considération a dicté la solution qui semble
d’abord contradictoire, mais qui s’explique très bien par
la différence des espèces sur lesquelles les arrêts son in
tervenus.
Pour le tireur, l’affectation résultera de ce que, au
moment de la création de la lettre de change, il était
créancier du tiré, ou de ce qu’après avoir tiré celle-ci il
aura envoyé des fonds suffisants pour faire face au paye
ment. C’est là une présomption qui acquerrait un de
gré de certitude évident si, sans relations précédentes
avec le tiré, il n’avait jamais fait avec lui d’autre opé
ration que celle qui s’est réalisée avant ou après la let
tre de change.
Dans cette même hypothèse, le tiré n’a aucun intérêt
1 7 m ai 1847 ;
8 , 1848, 448.
J. du P . , 8 ,1 8 4 7 , 690 ; A m iens, 10 ju in 1848 ; Ibid.
�personnel à la disposition des fonds qu’il détient. Il est
donc tenu de respecter celle qu’il a plu au tireur de pré
férer. Il n’a donc pas à l’approuver, et sa libération de
vant sans contredit en résulter, il serait tenu de l’exé
cuter.
C’est l’application de ces principes que faisait la cour
de Rennes, lorsqu’elle décidait, le 20 août 1845, qu’il
n’est pas nécessaire pour constituer la provision qu’il y
ait une affectation spéciale sur des marchandises ou des
valeurs déterminées. Il suffit qu’à l’échéance le tiré soit
redevable au tireur d’une somme au moins égale au
montant de la lettre de change K
Ce qui est vrai pour le tiré et le tireur l’est également
pour les créanciers de celui-ci. Ce qui cependant les
distingue du tiré , c’est que la nature de l’affectation
peut être contestée par eux , ils peuvent soutenir que,
conçue en termes généraux, elle ne peut s’appliquer à
aucun objet déterminé , q u e , conséquemment, le pri
vilège du preneur ne repose, en fait, sur rien de parti
culier.
Une pareille discussion, rentrant dans le domaine des
faits, est souverainement appréciée par les juges. La
cour de Rouen a refusé de voir une affectation quelcon
que dans l’ordre donné par le tireur, en avisant de la
création des lettres, d’en passer le montant au débit de
son compte courant. Une pareille indication pourrait
bien constituer, nous allons le voir, une obligation pour
�210
DE LA LETTRE DE CHANGE
le tiré, mais elle ne confère aux regards des créanciers
du tireur aucun privilège sur une partie quelconque de
l’actif de celui-ci1.
Mais il en serait autrement si la lettre de change four
nie par un commerçant était tirée sur son correspondant
avec lequel, depuis longtemps, il était en relations. Il
n’y aurait provision sur les marchandises consignées que
si cette affectation était déclarée par le premier, acceptée
par le second. La raison en est fort simple.
Lorsque deux négociants correspondent, un compte
courant ne manque pas d’intervenir. Ce compte n’obéit
à aucune règle précise. Les deux commerçants s’adres
sent réciproquement des valeurs, de l’argent, des mar
chandises, dont la destination est de se compenser mu
tuellement jusqu’à l’époque du règlement. Celui-ci
produit un solde qu’on pourrait exiger, mais qu’on re
porte le plus souvent à nouveau dans le compte sui
vant.
Il est évident en cet état que les envois faits par un
des correspondants sont présumés de plein droit la con
séquence de l’existence du compte. Ce qui en fait l’objet
ne peut donc recevoir d’autre imputation, à moins que
l’expéditeur s’en fût expressément expliqué, en déclarant
que tel envoi est par lui spécialement affecté à la pro
vision de telles lettres de change qu’il indique.
L’acceptation pure et simple que le tiré ferait de la
marchandise envoyée dans ce b u t, à plus forte raison
�ART.
113, 11 6 ^1 1 7 .
7
7 j&
211
celle qu’il donnerait aux lettres de change tirées sur lui,
entraînerait la reconnaissance du caractère spécial de
l’envoi. La provision existerait avec tous les effets qu’elle
doit produire.
Mais si, en recevant la marchandise, le tiré déclare
refuser l’affectation indiquée et vouloir la compenser au
contraire avec ce qui lui est personnellement dû, il ne
saurait exister de provision. O r, le droit du tiré à cet
égard est incontestable ; il résulte des relations exis
tant entre lui et le tireur une réciprocité de crédit, fon
dée sur une réciprocité d’obligations ne pouvant rece
voir aucune atteinte, autrement que par consentement
mutuel.
Vainement donc, le tireur aurait-il affecté un convoi
à la provision de lettres de change déterminées. Ce seserait là un projet dont l’accomplissement a besoin du
concours du tiré, et qui ne saurait sortir à effet si celuici le refuse. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré par arrêt du 9 juillet 1840 L
Dans les termes, il y a entre cet arrêt, celui de la
même Cour, du 3 août 1835, et celui de Rouen, du 20
août 1845, une contradiction formelle. Les deux der
niers consacrent qu’il y a provision sur les marchandi
ses consignées, sans qu’il soit besoin d’une affectation
spéciale ; le premier consacre au contraire que cette af
fectation doit avoir été déclarée par le tireur et acceptée
par le tiré. Mais cette contradiction s’explique parfaite-
�212
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment par la différence des espèces et par la distinction
que nous avons indiquée.
149.
— En résumé donc , la marchandise consi
gnée constitue une provision réelle en faveur du porteur
de la traite, lorsque cette consignation ne peut s’expli
quer que par l’intention d’effectuer celte provision, lors
que le tiré n’a aucun droit personnel à invoquer, aucune
compensation à faire valoir.
Dans le cas contraire, l’envoi ne peut être considéré
comme constituant la provision des traites qu’à la con
dition :
1° Que le tireur, en expédiant, ait formellement an
noncé l’affectation qu’il donnait à son envoi. Cette con
dition a un double objet. Les relations existant depuis
longtemps seraient censées se continuer sur le même
pied qu’avant, il faut pour qu’il en soit autrement, qu’on
s’en soit expliqué, et de la part du tireur cette expli
cation ne peut résulter que de l’indication de sa volonté;
cette indication doit de plus mettre en demeure le tiré
d’accepter ou de refuser la proposition qui lui est faite.
Nous avons dit que l’acceptation pure et simple de la
marchandise équivaudrait à la reconnaissance de la pro
vision. Or, comment le décider ainsi, si le tiré n’a pas
même été averti de l’intention du tireur ;
2° Que le tiré ait accepté l’affectation. Le droit de
compenser ce qu’il recevra avec ce qui lui est dû lui est
purement personnel, il n’appartient pas au tireur de lui
porter la moindre atteinte. L’exercice de ce droit ne sau-
�ART,
115, 116, 117.
213
rait rencontrer aucun obstacle , à moins que le bénéfi
ciaire en ait fait l’abandon. Cet abandon résulterait suf
fisamment du consentement exprès ou tacite qu’il aurait
donné à la proposition du correspondant.
150.
— Une autre condition pour que la provision
puisse produire son effet, c’est que les marchandises
destinées à la constituer soient arrivées entre les mains
du tiré avant la faillite du tireur. La cour d’Aix a jugé
que lorsque la valeur destinée à former la provision
d’une lettre de change consiste en marchandises expé
diées par le tireur avant l’échéance, mais qui ne sont
parvenues au tiré que postérieurement, le porteur n’est
pas propriétaire exclusif de cette provision, quoique le
tireur soit tombé en faillite après le protêt faute d’accep
tation et de payement1.
Cette doctrine est juridique sous tous les rapports.
D’abord elle est conforme aux règles de la loi. La pro
vision doit exister à l’échéance, cette condition ne se
réalise pas lorsqu’en réalité son aliment n’est parvenu
aux mains du tiré que postérieurement à l’échéance.
Vainement exciperait-on de l’envoi fait à une époque
antérieure, de l’avis qui en avait été donné au tiré, la
preuve que celui-ci n’a pas considéré l’un et l’autre com
me équivalent à la provision, c’est qu’il a laissé protes
ter la lettre de change.
L’envoi ne suffirait pas, car tant que la marchandise
�214
DE LA LETTRE DE CHANGE
n’est pas arrivée, il est loisible à l’expéditeur de lui don
ner une autre destination. Ce n’est donc pas par cet
envoi qu’on doit établir la provision ; ce qui la consti
tue, c’est la réception par le tiré, dès que celle-ci ne
s’est réalisée qu’après le protêt, il faut en conclure qu’il
n’existait aucune provision.
Sans doute cette tardiveté pourra n’être pas invoquée
par le tiré, et bien qu’il eût déjà refusé le payement, il
pourra l’offrir après la réception de la marchandise.
Aucune difficulté ne saurait naître si au moment de cette
offre tout était en état ; mais, si depuis le protêt le tireur
est tombé en faillite, tous les créanciers ont un droit
égal à son actif. Ils peuvent donc empêcher que, sous
prétexte de provision, une partie quelconque de cet ac
tif soit attribuée par privilège à l’un d’eux, soit par le
failli, soit par le tiré, son ancien mandataire.
— La marchandise déposée ou consignée pour
être vendue ne cesse pas d’être la propriété du tireur.
Ses droits quant à ce ne subissent aucune atteinte du
privilège auquel il l’a affectée.
En conséquence, si avant sa réalisation la marchan
dise périt, cette perte est pour son compte exclusif. Le
tiré a donc le droit, dans le cas d’un dépôt, d’exiger un
autre gage comme garantie de l’acceptation qu’il a don
née ou du payement qu’il aurait réalisé en vertu de cette
acceptation.
Il en serait de même si le consignataire à la vente
avait accepté les traites à la provision desquelles les mar151.
�A RT.
H S , 116, 117.
215
chandises étaient affectées, il pourrait en exiger d’autres.
A défaut d’acceptation, il n’aurait rien à réclamer, mais
il n’aurait de provision réelle que le montant de ce qui
aurait été vendu avant la perte, il ne serait jamais obligé
de payer au-delà.
Celte règle n’est susceptible que d’une seule exception
à savoir : si la perte était uniquement due à la négli
gence ou au défaut de soins du dépositaire ou du consi
gnataire. Nul doute dans ce cas, l’un et l’autre sont res
ponsables en vertu des principes généraux du droit, et
l’effet de cette responsabilité pourrait très bien faire
mettre à leur charge la perte survenue.
1 5 3 . — La provision peut être réalisée en valeurs
ou effets commerciaux. Rien même ne distingue celle-ci
de celle opérée en marchandises, on pourrait donc lui
appliquer les règles que nous venons de rappeler.
Ce qui distingue cependant les effets commerciaux des
marchandises, c’est que ces dernières ont toujours une
valeur intrinsèque sur laquelle peuvent intervenir toute
espèce de conventions définitives. Les au tres, au con
traire, n’ont d’autre valeur que le crédit qui s’attache
aux diverses signatures, valeur essentiellement aléatoire,
car les m aisons de premier crédit aujourd’hui peuven
être trois jours après dans un état de déconfiture cer
taine.
En conséquence, tel commerçant qui ne ferait aucune
difficulté d’accepter purement et simplement sur dépôt
de marchandises, refusera de le faire sur dépôts d’effets;
�216
DE LA LETTRE DE CHANGE
ce à quoi il consentira, c’est de procéder aux recouvre
ments des uns, à la négociation des autres, sauf à ap
pliquer le montant à la provision des traites tirées sur
lui.
Dès lors, si les valeurs qui lui sont expédiées consis
tent en effets à recouvrer, il n’y aura provision que du
jour où le payement réalisé atteindra un chiffre égal à
celui de la lettre de change, les effets non payés font re
tour au tireur et sont censés n’avoir jamais été en la pos
session du tiré. Conséquemment, celui-ci n’étant tenu
de payer que ce qu’il a réellement touché, la provision
n’aura jamais existé si le chiffre réel est inférieur à la
lettre de change.
Si les valeurs consistent en effets négociables et si le
tiré les a négociées, évidemment il aura perçu une som
me suffisante pour le payement de la lettre. Mais cette
somme n’est en quelque sorte que conditionnelle, elle
n’est définitivement acquise que par le payement et l’ex
tinction des effets négociés. En effet, l’endossement du
tiré le rendant garant de ce payement, peut l’obliger à
rendre ce qu’il avait reçu, il peut donc, dans cette éven
tualité, refuser le payement de la lettre tirée sur lui, jus
qu’à ce que tout danger de restitution soit entièrement
dissipé.
Mais le tiré qui veut attendre le recouvrement inté
gral ou le payement des effets négociés ne doit pas ac
cepter la lettre de change. En effet, l’acceptation le ren
dant obligé direct, il serait contraint de payer à l’é—
�ART.
115, 116, 117.
217
chéance, à moins qu’en acceptant il eût positivement
déclaré de quelle manière il entendait s’engager.
Vainement dirait-on qu’accepter pour ne payer que
dans telle hypothèse, c’est donner une acceptation con
ditionnelle proscrite par l’article 124. Nous verrons,
sous cet article , l’effet que la loi fait résulter de cette
nullité. Contentons-nous de dire ici que, relativement
au tireur, une acceptation de ce genre n’aurait aucune
efficacité ; que le porteur ne pourrait pas être empêché
de requérir le protêt faute d’acceptation et les garanties
qu’il serait en droit d’exiger ; que pour le tiré, au con
traire, son acceptation ne peut jamais aller au-delà des
termes dans lesquels elle est conçue ; que d’ailleurs ce
n’est pas seulement la condition qui serait nulle, mais
encore et essentiellement l’acceptation elle-même, qui
ne pourrait dès lors produire aucun effet 1.
153. — Enfin, la provision de la lettre de change
peut être valablement faite en compte courant. C’est ce
qui se réaliserait lorsque le tireur , donnant avis de sa
disposition au tiré, lui déclare qu’il l’en a crédité et l’in
vite à en porter le montant à son débit.
Si ce deuxième accepte cette proposition, si, en ré
pondant, il annonce qu’il fera bon accueil à la traite
du montant de laquelle il a débité le tireur, la provision
existe. C’est comme si, empruntant réellement du tiré
1 V.
non,
su r la q uestion de savoir si l’acceptation e st p u re et sim ple ou
inf. a rt. t2 * .
�218
DE LA LETTRE DE CHANGE
une somme, le tireur la lui laissait en mains pour faire
face à la traite. De toutes les monnaies commerciales ,
le crédit n’est pas la moins énergique, la moins utile.
Le tireur est devenu débiteur de l’article du compte cou
rant , le tiré l’est devenu de la traite , ce qui a vérita
blement opéré une novation en faveur des tiers ou co
débiteurs l.
En thèse ordinaire, cette règle est importante pour le
règlement des devoirs du tiré à l’égard du porteur ; pour
déterminer les droits du tireur dans le cas de protêt tar
dif et de recours de la part du porteur.
1541. — Mais son importance et son utilité se dé
cèlent surtout dans l’hypothèse d’une lettre tirée d’ordre
et pour compte d’un tiers. On sait que, dans ce cas, la
provision doit être faite par celui-ci , sans q u e, dit
l’article U S , le tireur cesse d’être personnellement
obligé.
L’étendue de cette obligation était devenue l’objet
d’une très vive controverse. Le tireur pour compte étaitil obligé envers l’accepteur? L’intérêt réel de cette ques
tion résultait de ce que , si o u i, l’accepteur qui avait
payé avait un recours contre le tireur pour compte ; si
non, c’était celui-ci qui était recevable à exercer une
garantie contre l’accepteur et à lui demander le rem
boursement de ce qu’il avait payé.
La Cour de cassation s’était prononcée contre le tii Nouguier, t. 1,p. 491.
�AKT.
l i s , 116, 117.
219
reur pour compte. La résistance opiniâtre des cours
n’avait pu parvenir à lui faire abandonner sa jurispru
dence lorsque la lutte se trouva législativement tranchée
par la loi du 19 mars 1817.
L’article premier détermine expressément l’obligation
du tireur pour compte. Elle n’existe qu’à l’égard des
endosseurs et du porteur, il est donc certain aujour
d’hui qu’en principe l’accepteur ne peut recourir contre
le tireur pour compte que s i , en acceptant, il s’en est
formellement réservé le droit.
Avant la loi de 1817, le tireur pour compte n’était
pas obligé envers l’accepteur, s’il résultait de la corres
pondance que ce dernier avait entendu n’avoir pour dé
biteur que celui pour le compte de qui la lettre était ti
rée, à plus forte raison doit-il en être de même depuis
cette lo i l.
Ajoutons que le résultat de cette législation a été de
changer la présomption régissant les parties avant 1817.
En vertu du système adopté par la Cour de cassation, le
tireur pour compte était de plein droit réputé obligé,
c’était donc à lui à prouver que l’accepteur avait renoncé
au bénéfice de cette obligation. Depuis 1817, au con
traire, le tireur pour compte n’étant plus obligé, l’ac
cepteur recourant contre lui devrait justifier que son re
cours a été formellement stipulé et convenu.
Quoi qu’il en soit, il est évident que le fait par le tiré
acceptant d’avoir exclusivement débité le donneur d’ori Cass., 22 m ai 4847 ; 1” décem bre 4848.
�220
DE U
LETTRE DE CHANGE
dre du montant de son acceptation et d’avoir consenti à
en être crédité par lui, créerait contre lui l’existence de
la provision, et l’acceptation du donneur d’ordre comme
débiteur unique.
Nous ne saurions trop le répéter ; l’entrée d’une va
leur en compte courant amène de toute certitude la
substitution d’une dette nouvelle, et crée une novation
libérant les coobligés et cautions. Comment un acte de
ce genre ne serait-il pas dans tous les cas l’exclusion
de toute possibilité de recours contre le tireur pour
compte ?
Le tiré qui, avisé par celui-ci de la traite qu’il four
nit sur lui, d’ordre et pour compte du tiers, répond qu’il
accepte, et qu’il en porte le montant au débit de ce tiers,
est censé dire : Je suis satisfait, j’ai la provision, ou,
ce qui est la même chose, je trouve notre commettant
suffisamment solvable pour me couvrir du crédit éven
tuel de mon compte, dans lequel je l’ai débité du mon
tant de la traite. Après cela , comment pourrait-il être
fondé à prétendre qu’il a fait confiance au tireur pour
compte L
A plus forte raison exclurait-on toute idée d’une con
fiance de ce genre, si l’avis de la création de la traite
émanait du donneur d’ordre déclarant au tiré qu’il l’a
vait crédité d’autant. Evidemment le tireur pour compte,
resté de fait en dehors de l’opération du compte cou
rant dont la traite serait devenue l’occasion, ne saurait
i Cass., î l mai 1817.
�ART. 115, 116, 117.
221
être recherché à raison du mandat qu’il aurait accom
pli. Telle était l’espèce sur laquelle est intervenu l’arrêt
delà Cour de cassation du 1er décembre 4818.
Dans cette même espèce, la cour de Lyon, dont l’ar
rêt était déféré à la Cour suprême , ne s’était pas con
tentée de décider qu’on ne pouvait demander la provision
au tireur pour compte. Elle ajoutait que cette provision
avait été régulièrement faite par l’opération du compte
courant entre l’accepteur et le donneur d’ordre. Le rejet
pur et simple du pourvoi indique suffisamment que telle
a été également la pensée de la Cour suprême.
La conséquence de ce qui précède est facile à poser.
Depuis la loi de 4817, non seulement le tireur pour
compte n’a aucune obligation envers le tiré, mais en
outre on ne saurait l’empêcher de recourir contre celuici. En conséquence, si en vertu de la responsabilité qu’il
encourt vis-à-vis des endosseurs et du porteur, il a rem
boursé la traite faute par le tiré de l’avoir fait, il sera
fondé à se faire restituer par lui. Par le payement, il se
trouve subrogé aux droits du dernier porteur, il peut
donc, comme celui-ci, l’aurait fait, établir qu’il y avait
provision entre les mains du tiré. L’existence de cette
provision serait même prouvée à son égard par l’accep
tation dont la lettre de change serait revêtue.
Il en est d’ailleurs de la provision à faire par le don
neur d’ordre comme de celle à réaliser par le tireur
direct et personnel. L’obligation de l’un est identi
que à celle de l’autre; elle a la même origine, elle
IEh
ijÿi
�222
DE LA LETTRE DE CHANGE
doit aboutir au même résultat; produire les mêmes ef
fets.
La provision que l’un ou l’autre doit réaliser n ’est in
dispensable qu’à l’échéance de la lettre. Il suffît donc
qu’ils l’opèrent à ce moment. Mais c’est là une obliga
tion rigoureuse. La provision n’existant pas à l’échéance,
le tireur ou le donneur d’ordre ne pourrait se prétendre
libéré par l’absence de protêt, alors même qu’il prouve
rait qu’avant ou depuis l’échéance cette provision exis
tait.
1 5 5 . — C’est le tiré qui doit faire le payement de
la traite. C’est donc entre ses mains que doit être faite la
provision. Mais la lettre de change tirée sur un individu
peut être payable au domicile d’un tiers, quelle sera
dans ce cas l’obligation de celui qui est obligé de faire
provision ?
La solution de cette question réside tout entière dans
le fait. En principe, c’est au lieu du payement que doit
se trouver la provision. C’est là en effet que le porteur
se présentera, c’est là qu’à défaut de payement, le protêt
doit être requis et réalisé.
La conséquence naturelle est l’obligation par le tireur
ou le donneur d’ordre d’y faire trouver les fonds. Mais
cette conséquence n’est juste et vraie que si la désigna
tion du lieu, autre que le domicile du tiré , est du fait
de l’un ou de l’autre. Dans ce cas, en effet, il ne pour
raient s’excuser d’avoir manqué à leur obligation. Les
difficultés, les impossibilités mêmes qu’ils allégueraient
�ART.
115, 116, 117.
223
auraient dû être calculées et prises en considération lors
de la création de la traite. L’omission de ce devoir ne
saurait les relever de leur obligation, on ne se fait pas
un titre de sa propre négligence.
Mais si la désignation du domicile autre que celui du
tiré est postérieure à la lettre de change, si elle émane
exclusivement de l’accepteur, on ne saurait en faire sup
porter les conséquences au tireur. Etranger à cette dési
gnation, qui peut n’être pas dans ses convenances, qu’il
n’aurait certes pas faite s’il en eût été le maître, qu’il
n’a jamais été mis en demeure d’accepter ou de refuser,
on ne saurait l’obliger à la subir sans blesser à son
égard les plus simples notions de la raison et de l’é
quité.
Avons-nous besoin d’ajouter que ce résultat serait
d’autant plus odieux que la désignation faite par l’ac
cepteur peut être formellement ignorée du tireur. La
preuve, en effet, ne s’en trouvera que sur le titre même.
Or, on comprend que ce titre, sorti de ses mains, n’y
retournera plus, du moins jusqu’après payement, Il peut
donc ne pas connaître réellement l’innovation apportée
dans l’indication du lieu de payement.
Notre distinction a été parfaitement tracée par la ju
risprudence, si non en théorie, du moins par applica
tion. Ainsi, dans une espèce où la désignation du do
micile autre que celui du tiré avait été faite par le tireur
lui-même, la cour d’Aix déclarait que son obligation
était de faire provision à ce domicile. Le tireur, dit la
Cour, choisissant lui-même le lieu du payement, con-
�224
DE LA LETTRE DE CHANGE
tracte par cela même l’engagement d’y faire arriver les
fonds à l’échéance 1.
Le contraire a été jugé par la Cour de cassation, mais
dans l’hypothèse opposée. Le tireur, a dit l’arrêt, n’est
pas tenu , en cas de protêt ta rd if, de prouver qu’il y
avait provision dans cette dernière place, il suffit qu’il
prouve que le tiré avait provision2.
M. Emile Vincent critique cette solution en l’admet
tant d’une manière générale, et en l’appliquant à tous
les cas de désignation d’un lieu de payement autre que
le domicile du tiré 3. Dans ce sens, sa critique serait
fondée, du moins en ce qui concerne la désignation faite
par le tireur lui-même.
Mais il est peu rationnel d’isoler la solution d’un ar
rêt de l’espèce sur laquelle il est intervenu. Ce n’est en
effet que par l’exacte appréciation de celle-ci qu’on
pourra donner, qu’on donnera réellement à l’arrêt sa
véritable signification.
Or, en fait, l’indication du lieu de payement, dans
l’espèce jugée par la Cour de cassation, émanait exclusi
vement de l’accepteur. C’est donc à cette hypothèse que se
réfère l’arrêt, c’est donc à son endroit qu’on déclare que
le tireur n’est pas obligé de prouver qu’il y avait provi-
1 A4 décem bre 1838.
J. du P., 1, 1839, 363. Conf. P aris, 17 mai
1811.
2 24 février 1812 ; R ouen, 31 m ars 1813.
�225
ART. 115, 116, 117.
sion dans cette dernière place ; qu’il suffit qu’il prouve
que le tiré avait provision.
Réduite à ces termes, la doctrine de la Cour de cas
sation est d’une exactitude rigoureuse et d’une justesse
incontestable. La critique de M. Emile Vincent serait
d’autant plus mal fondée, qu’aucun des motifs sur les
quels il la fonde ne serait applicable. Fort juridiques
dans le cas d’un tireur indiquant lui même le lieu du
payement, ces motifs sont de tous points inconcluanls
dans l’hypothèse contraire.
La jurisprudence de la Cour de cassation se borne
donc à ne pas rendre le tireur responsable d’un acte
qui lui est étranger, à ne pas vouloir le reconnaître en
gagé au-delà de l’obligation qu’il a consenti à assumer
sur sa tête. Sous l’un comme sous l’autre rapport, cette
jurisprudence ne mérite que des éloges.
En résumé, la distinction que nous indiquons, juste
en elle-même, justifie les conséquences que nous en ti
rons, conséquences tendant uniquement à laisser à cha
cun la responsabilité de ses actes.
Nous dirons donc avec les cours d’Aix et de Paris :
Lorsque le tireur a indiqué le lieu de payement, que ce
lieu soit ou non le domicile du tiré, il doit y faire arri
ver la provision.
Mais nous dirons avec les cours de cassation et de
Rouen : Lorsque le lieu de payement autre que le do
micile du tiré, est exclusivement désigné par celui-ci,
le tireur n’est pas obligé d’y faire provision, il lui sufi — 15
�t
226
DE LA LETTRE DE CHANGE
fit dans ce cas de prouver qu’elle se trouvait en mains
du tiré.
15®. — La provision régulièrement constituée, estelle détruite par la faillite du tiré survenue avant l’é
chéance de la lettre de change? La solution de cette
question varie suivant la nature de la provision et la
qualité des valeurs qui la composent.
Si ces valeurs sont telles qu’elles se sont confondues
avec son actif, ou qu’elles en fussent inséparables, la
faillite détruira la provision , en attribuant l’universalité
de cet actif à la masse des créanciers. Assimilé aux au
tres, le tireur n’aura comme eux que le droit de rece
voir le dividende que les ressources de la faillite per
mettront de donner.
C’est notamment ee que nous avons vu se réaliser
dans l’hypothèse d’une provision consistant en une dette
due par le tiré C’est ce qu’on admettrait également
pour la provision constituée par le prix de marchandi
ses achetées par le tiré, et dans celle que le tiré aurait
promis en en débitant le compte du tireur. Dans toutes
ces hypothèses, le tiré aurait pris sur son actif, et l’in
disponibilité que la faillite imprime à celui-ci fait éva
nouir toutes les affectations particulières dont il pouvait
être grevé.
Il en est autrement dans l'hypothèse d’un dépôt de
marchandises comme gage , ou d’une consignation à
i
Supra, n°* 141 et suiv.
�ART.
115, H 6, H 7.
227
l’effet de les vendre, enfin de l’envoi d’effets commer
ciaux.
Dans le premier cas, les marchandises déposées res
tent, distinctes de l’actif ordinaire du tiré , avec lequel
elles n’ont jamais pu se confondre. Leur propriété n’a
jamais cessé d’appartenir au déposant, et cet état des
choses que la faillite n’a pu ni modifier ni faire cesser,
les laisse soumises à l’affectation spéciale que leur avait
imposée le déposant. Leur revendication par le tireur
ou par le porteur ne souffrirait aucune difficulté. Il
serait inique que la masse pût élever des prétentions
quelconques sur des choses sur lesquelles le failli n’a
jamais eu qu’un droit conditionnel, désormais irréali
sable.
Quant aux marchandises consignées pour être ven
dues ou aux effets commerciaux transmis pour être en
caissés, leur revendication serait subordonnée à la ques
tion de savoir s’ils ont continué à rester distincts de
l’actif du failli. Il faudrait donc s’en référer aux articles
574 et 575 du Code de commerce, c’est-à-dire que la
provision, si elle consistait en effets de commerce, ne
serait pas détruite par la failite du tiré, pourvu : \ ° que
les effets se trouvassent en nature dans le portefeuille du
failli ; 2“ qu’ils eussent été transmis avec le simple man
dat d’en faire le recouvrement et d’en garder la valeur
à la disposition de l’envoyeur, ou avec l’affectation spé
ciale de servir à un payement déterminé.
Si la provision consistait en marchandises consignées
pour être vendues, tout ce qui existerait encore en n a-
�DE LA LETTRE DE CHANGE
228
ture dans les magasins du failli constituerait une provi
sion régulière. Il en serait de même du prix de celles
déjà vendues, si ce prix n ’avait été ni payé, ni réglé en
valeurs, ni compensé en compte courant avec l’ache
teur.
En d’autres termes, la faillite du tiré ne détruit la pro
vision que si le tireur ou ses ayants droit n’étaient pas
recevables à revendiquer les objets la constituant. A ce
point de vuje la véritable signification des articles 574
et 575 est d’un intérêt évident et incontestable, car c’est
à eux qu’il faudra nécessairement recourir l.
M. Nouguier admet qu’il en sera ainsi pour les effets
de commerce et les marchandises. Il pense autrement
pour le prix de celles-ci qu’il ne reconnaît pas soumis
aux dispositions de l’article 575. Ce prix, dit-il, a reçu
une affectation particulière, il n’est pas la propriété du
failli, il ne peut, à titre de dividende, servir à sa libé
ration, car les créanciers se payeraient avec l’argent d’un
tiers2.
On ne voit pas pourquoi M. Nouguier n’en dit pas
autant de la valeur des effets envoyés en recouvrement.
Les mêmes motifs existent cependant, car l’affectation
que la marchandise a reçue, les effets de commerce l’a
vaient également, surtout lorsqu’ils avaient été envoyés
avec mission d’en garder la valeur à la disposition du
commettant, ou de l’employer à un payement déterminé.
1 V . notre com m entaire de ces deux articles.
2 T. 1, p 205.
�ART.
113, 116, 117.
229
Cependant ce que M. Nouguier admet pour l’un, il ne
l’admet pas pour l’autre. Il y a là une contradiction
formelle.
Au fond, la doctrine de M. Nouguier n’a aucun fon
dement. Le législateur ne s’est pas dissimulé qu’en
équité, qu’en raison, le prix des marchandises grevées
d’une affectation spéciale n’a jamais appartenu au dé
positaire ou consignataire, aussi permet-il de le reven
diquer, mais en tant qu’il sera encore saisissable, qu’il
sera distinct du patrimoine du failli. Dans le cas con
traire, les plus graves abus pouvaient naître de l'admis»
sion de la revendication. Sans doute le consignataire
n’est pas un créancier ordinaire, mais il n’en a pas
moins fait confiance à son correspondant, et c’est pour
quoi la loi n’est venue à son secours que dans une cer
taine limite.
Quoi qu’il en soit, il nous parait certain qu’en dehors
des conditions exigées pour que le prix puisse être re
vendiqué, le tireur n’aurait aucun moyen de se faire
restituer celui de la marchandise consignée. Quelle voie
lui ouvrirait-on, lorsque la loi lui ferme celle de la re
vendication ? Quelle action intenterait-il ?
1 5 ® . — L’existence de la provision, si elle est dé
niée par le tiré ou par le porteur, devra être prouvée.
Gomment s’établira cette preuve, de quels actes la ferat-on résulter.
L’acceptation sera souvent invoquée comme preuve de
la provision. Cette circonstance pouvait devenir la m a-
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
lière de graves difficultés, si la loi n’avait pas pris le
soin d’en régler les effets, qui varient suivant les parties
entre lesquelles existe le litige ?
Du tiré aux endosseurs ou porteur, l’acceptation
prouve de plein droit la provision. Bien souvent la cir
culation de la lettre de change n’est que l’effet de la con
fiance due à la signature de l’accepteur. Pouvait-il être
que le bénéfice de cette signature pût être enlevé après
coup, et qu’on vint ainsi tromper la juste attente de ceux
qui n’avaient traité que sur sa foi ?
La loi ne l’a pas pensé, ne devait pas le penser ainsi.
Celui qui accepte sans être nanti suit aveuglément la
foi du tireur, il se rend volontairement son codébiteur
solidaire, on ne pouvait donc pas hésiter à le soumet
tre envers les tiers à la responsabilité de ses propres
actes.
Du porteur au tireur, l’acceptation suppose provision.
On devait présumer que celui qui n’hésite pas à accepter
la responsabilité de la dette d’autrui a pris d’avance
toutes les précautions pour n’en souffrir aucun pré
judice.
Mais cette supposition n’existe que jusqu’à dénégation.
Celle-ci se réalisant, l’acceptation ne créera pas même
une présomption jusqu’à preuve contraire. L’article 170
ne consacre la déchéance du porteur , en cas de protêt
tardif, que si le tireur prouve qu’il y avait provision.
Ce qui prévient toute équivoque sur la portée de cette
disposition, c’est que déjà notre article 117 oblige le
�ART. 113, 116, 117.
231
tireur à faire celte preuve que la lettre de change soit
acceptée ou non.
Enfin, du tireur au tiré, l’acceptation n’est qu’un acte
dont la véritable portée peut être toute différente de l’ap
parence. Le litige qu’il soulèverait serait un litige ordi
naire que les tribunaux résoudraient suivant les inspira
tions de leur conscience.
Ces règles, que nous nous bornons à indiquer, nous
aurons à les développer plus tard h
1S8.
— On voit que, même dans le cas d’accepta
tion, tout est loin d’être dit sur la provision. Que l’exis
tence matérielle de l’une ne dispensera pas de l’obliga
tion de prouver l’autre, quels seront les moyens et les
modes de preuves admissibles?
De tout temps on a indiqué comme les plus énergi
ques et les plus décisifs les livres et écritures des parties.
Il est impossible qu’une création de lettres de change et
l’envoi de la provision ne laissent pas de nombreuses
traces. On les rencontrera d’abord dans la correspon
dance, on pourra ensuite les suivre non seulement dans
le grand livre, au compte courant des parties, mais en
core dans le livre de caisse, si la provision a été faite en
espèces, dans le livre des sorties, si elle a été fournie en
marchandises, aux traites et remises, si elle a été cons
tituée par des effets commerciaux. L’envoi ainsi justifié,
les livres du tiré prouveront l’entrée des unes et des au I V . a rt. 418 e t su iv ., 168, 169, 470.
�252
DE LA LETTRE DE CHANGE
très ; tout au moins sera-t-on dans le cas de produire
un accusé de réception.
La production des livres respectifs, s’il s’agit de deux
commerçants, s’offrira donc naturellement à l’esprit, et
sera communément ordonnée, le refus de se rendre à
cette injonction pourrait faire tenir pour avéré le fait
qu’on cherche à établir.
159.
— Il n’est pas présumable que les livres et
écritures ne seront pas dans le cas de juger le litige.
Mais la difficulté surgira lorsque deux non commerçants
plaideront l’un contre l’autre, ou lorsque dans les par
ties toutes n’exerceront pas le commerce. Pourra-t-on,
dans ce cas, ajouter confiance aux écritures du commer
çant ? Sera-t-on recevable à recourir à la preuve testi
moniale ?
Ces deux questions n ’en font qu’une, car les livres du
commerçant ne peuvent être qu’une présomption , à
moins qu’on en demande la production avec offre d’y
ajouter foi. Or, les présomptions ne sont admises que
dans les espèces soumises à la preuve testimoniale. Qu’en
est-il donc de celle qui nous occupe?
M. Nouguier se prononce contre la preuve testimo
niale. La preuve de l’existence de la provision, dit-il, ne
saurait être faite par les témoins ; elle doit résulter de
pièces, titres, correspondance, surtout lorsque le tiré a
déclaré qu’elle ne lui avait pas été remise 1.
�Mais, dans toutes les contestations de ce genre, le tiré
aura un puissant intérêt à soutenir qu’il n’a pas reçu
la provision , car, dans le cas contraire, il serait obligé
de la verser entre les mains du porteur, ou de la resti
tuer au tireur. On comprend dès lors que son allégation
ne saurait être d’aucune importance. On le constituerait
juge et partie dans sa propre cause.
Quant à la preuve testimoniale, M. Nouguier la re
pousse sans indiquer le fondement de son opinion. Im
possible donc d’examiner et de discuter. Nous admet
tons, nous, l’opinion contraire, et voici pourquoi.
En matières commerciales, la preuve testimoniale est
de droit commun. On l’a ainsi consacré parce que d’une
part, la confiance si indispensable à tout commerce, de
l’autre, la rapidité de ses opérations, étaient incompa
tibles avec ces formalités minutieuses qu’exige le droit
civil.
Pourquoi donc n’admettrait-on pas, pour l’existence
de la provision, ce qu’on consacrerait sans difficulté pour
toute autre obligation ? Est-ce que dans la possession de
la provision il y a autre chose que l’obligation de payer,
que la libération du tireur ?
Dira-t-on que pour le non-commerçant l’obligation
n’aurait pas un caractère commercial. Erreur ! Tout ce
qui s’unit accessoirement à la lettre de change participe
de sa nature et se confond dans un seul tout. Or, on ne
peut nier que l’obligation du tiré ne soit un accessoire
de la lettre de change.
La Cour de cassation proclamait ce principe et ses
�234
DE LA LETTRE DE CHANGE
conséquences dans son arrêt du 3 décembre 1806. Dans
cette espèce, on faisait résulter la preuve de la provision
d’une quittance sous seing - privé émanée du tiré. Or,
.celui-ci n’étant pas commerçant, le porteur contre lequel
on demandait la déchéance pour protêt tardif soutenait
qu’aux termes de l’article 1328, la quittance ne pouvait
avoir à son égard d’autre date que celle de l’enregistre
ment, qui était postérieur au protêt.
M. l’avocat général Daniels combattait cette doctrine.
Le premier moyen du pourvoi, disait-il, consiste dans
la contravention aux lois romaines et à l’article 1328
du Code civil, suivant lesquels on ne peut accorder de
foi, au préjudice d’un tiers, à un écrit sans date certai
ne. Mais les lois romaines et le Code civil ne font pas
règle pour les tribunaux de commerce relativement aux
preuves de la provision. La faveur du commerce a fait
accorder à ces tribunaux la plus grande latitude sur ce
genre de preuves.
Evidemment donc, dans la pensée de M. l’avocat gé
néral, tout ce qui concerne la provision présente un ca
ractère commercial et tombe dans la juridiction consu
laire. C’est ce que la Cour consacre en se rangeant à
l’opinion de M. l’avocat général. La même question,
s’élant présentée à la Cour supérieure de Bruxelles, y a
été résolue dans le même sen s1.
1 6 0 . — Lorsque l’existence de la provision est cer1
février 1822.
�ART.
115, 116, 117.
235
taine, à qui appartient-elle, si le tireur tombe en fail
lite avant l’échéance de la traite ?
Que cette échéance arrivant, cette provision appar
tienne au porteur, c’est ce que nul ne conteste. La fail
lite du tireur avant cette échéance est-elle dans le cas
de changer ce résultat en dépouillant le tireur de l’ad
ministration de ses biens, en lui substituant celle des
créanciers ?
i
La question que nous examinons a été considérée
sous les trois faces suivantes : 1° ou la lettre de change
a été acceptée ; 2° ou les objets formant la provision y
ont été spécialement affectés ; 3° ou il n’y a eu ni ac
ceptation, ni affectation spéciale.
Dans le premier cas, la provision entre les mains de
l’accepteur est jpn gage le mettant à couvert des effets de
son acceptation. Elle est à bon droit considérée comme
ayant déterminé celle-ci, et nul autre que l’<accepteur
lui-même n’a capacité pour en abandonner le bénéfice.
Dans ce cas encore, le porteur non payé par l’accepteur
serait recevable, soit personnellement, soit comme exer
çant les droits de celui-ci devenu son débiteur , à se
faire attribuer la provision. La faillite modifie la posi
tion du failli, mais elle n’influe en rien sur les tiers,
dont les droits acquis avant n’en doivent pas moins être
exécutés après.
Dans le second cas, l ’affectation spéciale qu’ils ont
reçue frappe les objets formant provision d’un privilège
en faveur du porteur L’influence de l’affectation spéciale
�236
DE LA LETTRE DE CHANGE
ne saurait être méconnue par le tiré lui-même sous
peine de dommages-intérêts envers le porteur l.
Or la faillite ne peut rétroagir au-delà des dix jours
la précédant. Jusque-là le débiteur, libre d’aliéner ce
qui lui appartient, a pu valablement lui imprimer dans
les mains d’un tiers telle destination qu’il a jugée con
venable. Sa faillite postérieure ne peut produire qu’un
seul effet, à savoir : empêcher de modifier à l’avenir ce
ce qui aurait pu l’être tant que la faillite n’avait pas
éclaté.
Aussi ces deux premières hypothèses n’ont jamais sou
levé ni difficulté ni controverse sérieuse. Il n’en est pas
de même de la troisième, elle a divisé la doctrine et la
jurisprudence.
161.
— M. Fremery enseigne que lorsqu’il n’y a
eu ni acceptation, ni affectation spéciale, il n’y a pas en
réalité de provision ; qu’en conséquence la faillite du
tireur se réalisant, les objets en mains du tiré doivent
être rapportés à la masse et distribués aux créanciers de
préférence au porteur.
« Celui sur qui une lettre de change est tirée, dit
M. Fremery, et qui, ayant provision, l’accepte, dispose
des fonds du tireur qui formaient la provision, puis
qu’il les affecte et les engage au payement de la lettre de
change.
« Donc, si le tireur est en faillite, celui sur qui la
i Cass., 22 ju in 1824.
�ART.
11b, 116, 117.
237
lettre est tirée, et qui, en l’acceptant, dispose de la pro
vision, favorise le porteur aux dépens des autres créan
ciers du tireur.
« Ainsi celui sur qui une lettre de change est tirée, et
qui, sachant la faillite du tireur, accepte ou paye cette
lettre de change, cause sciemment un tort grave aux au
tres créanciers du tireur, en aliénant au profit d’un seul
une portion de l’actif1. »
1 6 3 . — Nous convenons que le statut de Gênes
avait formellement prohibé le cas. Mais nous ne voyons
là qu’un motif pour mettre à l’écart la doctrine de l’é
cole italienne, se fondant précisément sur cette disposi
tion du statut. Si le législateur français, imitant le lé
gislateur génois, avait sanctionné une règle quelconque,
la question ne serait pas même controversable.
Mais ni le Code de commerce ni l’ordonnance de
1673 n’ont rien disposé à cet égard, et ce silence nous
parait abroger formellement le statut de Gênes. Aussi la
doctrine de Pothier, conforme à celle de Scaccia, nous
paraît-elle fort difficile à justifier à une époque où on
avait rendu à la lettre de change son caractère réel et
où, au témoignage de Jousse, on la considérait comme
la cession par le tireur au porteur de toutes les sommes
que le tiré lui doit ou lui devra au moment de l’é
chéance.
Or, si telle est encore aujourd’hui le caractère de la
i Chap. 6, p . 434.
�258
DE LA LETTRE DE CHANGE
lettre de change, qu’importe la faillite du tireur, alors
que déjà la lettre de change a été souscrite et la provi
sion faite? Notons bien que la cession par lettre de
change n’a pas besoin d’être notifiée. Le cessionnaire
est saisi de plein droit par le fait de la négociation.
Comment donc admettre la possibilité qu’on veut con
vertir en doctrine. De quoi se plaindraient les créan
ciers ? Pourraient-ils empêcher que le créancier gagiste
se payât intégralement et par préférence sur le prix du
gage ? Or la provision n’est pas autre chose qu’un gage
donné au payement futur de la lettre de change.
On objecte qu’un privilège ne peut être reconnu que
s’il est formellement établi par la loi. Celui du gagiste
est dans ce cas. Donc, si c’est un privilège que le por
teur réclame, le silence de la loi ne permettrait pas de
le lui accorder. Or, qu’il réclame un privilège, cela n’est
pas douteux, car il prétend être intégralement payé
lorsque les autres créanciers ne recevront qu’un divi
dende.
103. — Nous ne pouvons faire mieux que d’em
prunter à M. Nouguier la réponse si péremptoire qu’il
fait à cette objection.
« S’il est vrai qu’un privilège soit en général un droit
rigoureux, il est dans l’espèce un acte d’équité. Non
seulement le porteur a pensé que les fonds qu’il a ver
sés lui seraient rendus (tous les prêteurs pensent ainsi),
mais encore il n’a remis son argent que sur l’assurance
que la valeur de son titre serait spécialement affectée à
�ART.
H 5 , 116, 117.
259
l’extinction de sa créance. Cette promesse, elle a même
été exécutée, cette espérance n’a pas été déçue ; la pro
vision existe, le débiteur désigné en est dépositaire, il y
a donc en sa faveur une sorte d’affectation spéciale qui,
si elle ne rend pas le privilège légal, le justifie morale
ment du moins.
« Mais, remarquons-Ie, les adversaires du porteur se
méprennent ; il ne réclame pas un pr vilége, il soutient
que la provision est chose à lui appartenante et ne sau
rait dès lors servir à payer les dettes du tireur, et ici,
c’est le moment de rappeler ce que je disais au livre 2,
chapitre H, sur la nature du contrat de change. Tous
les auteurs le reconnaissent, la convention de change
dans sa principale opération, participant de la vente,
de la cession, du transport, a pour principal effet de
transférer au porteur, considéré comme acheteur ou
comme cessionnaire, la propriété de la lettre de change
dont le tireur se trouve dépouillé. Eh bien? la propriété
de la letre de change que comporte-t-elle ? Elle em
brasse le papier qui en est le signe, et la valeur qu’il
représente. La lettre de change est une monnaie factice,
la monnaie du commerce, comme un billet de banque;
quand on l’achète, ou le fait transporter, on achète ou
l’on se fait céder sa valeur qui n’est autre que la pro
vision.
« Maintenant, comment s’acquiert la propriété d’un
pareil titre ? L’article \ 36 nous l’enseigne : la propriété
d’une lettre de change se transmet par la voie de l’en
dossement. Inutile une cession régulière, inutile une si-
�240
DE LA LETTRE DE CHANGE
gnification. Le commerce a besoin de rapidité et de
bonne foi, et le porteur doit être certain que quelques
mots suffisent pour assurer ses droits.
« Mais, dit-on, ce n’est qu’à l’échéance que la provi
sion est de rigueur. Jusqu’à cette époque le tireur peut
retirer les fonds, et l’on ne doit pas considérer une dette
momentanée du tiré dont l’existence dépend de la seule
volonté du tireur , comme une affectation spéciale à la
lettre de change, comme une provision véritable.
« Sans doute le tireur peut ne faire provision qu’à
l’échéance, mais il peut aussi la faire avant ; sans doute
il peut la retirer si elle existe, mais il peut aussi la lais
ser. Il suit de là que jusqu’à l’échéance le porteur n’a
qu’un droit de propriété éventuel. Mais on n’est pas au
torisé à tirer de cette faculté la conséquence que le por
teur n’a des droits qu’à l’échéance. Il est dans la posi
tion de celui qui a acquis par achat ou par transport un
objet quelconque, et qui a laissé à son vendeur ou à son
cédant la liberté de ne lui livrer l’objet qu’à un certain
terme. Le contrat n’en est pas moins parfait ; la pro
priété est définitivement acquise, seulement un terme
existe qui doit être respecté, à moins qu’un fait légal, la
faillite par exemple, ne vienne le faire cesser L »
Indépendamment de leur valeur intrinsèque, ces con
sidérations ont à nos yeux un mérite incontestable, ce
lui d’arriver à une solution en harmonie parfaite avec
l’esprit de la loi. En effet, la haute utilité de la lettre de
1 T . 1., p. 203.
�ART. 11b, 116, 117.
241
change a fait sévèrement proscrire tout ce qui était dans
le cas d’en altérer le crédit ou d’en ralentir la rapide
circulation. Ce double résultat serait cependant la con
séquence nécessaire du système que nous combattons.
On prend facilement une lettre de change parce qu’on
a foi dans la promesse de provision, et parce que, avec
la propriété de la créance on acquiert celle de la provi
sion en assurant l’utilité. Dp jour où, indépendamment
de la chance de l’absence de provision, on aura encore
à subir celle de voir la provision faite distraite de sa
destination par la faillite postérieure du tireur, dès ce
jour-là, disons-nous, un certain discrédit pèsera sur la
lettre de change, ce qui porterait au commerce en gé
néral une atteinte profonde et dangereuse. Nous avons
raison de le dire, l’opinion tendant à rendre cet effet
impossible est dans les véritables prévisions du législa
teur.
Ce qui le prouve mieux encore, c’est la tendance de
la jurisprudence devenant chaque jour plus unanime ;
c’est le retour successif à cette opinion des cours qui s’é
taient d’abord prononcées pour l’opinion contraire.
Il est donc aujourd’hui acquis : 1° que la provision
est de plein droit transmise par la création ou la négo
ciation de la lettre de change, alors même qu’elle n’exis
terait pas encore à ce moment ; 2° que celle qui existe
dans les mains du tiré à l’échéance de la traite appar
tient exclusivement au porteur, alors même qu’elle n’au
rait pas reçu une affectation spéciale, et que la traite
n’eût pas été acceptée; 3° que la faillite du tireur avant
i — 16
�242
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il eût disposé de la provision existant, empêchant
toute disposition ultérieure, la laisse à sa destination ;
qu’elle appartient dès lors exclusivement au porteur, de
préférence à tous les autres créanciers du tireur l.
164. — Des conséquences juridiques et dignes de
remarque découlent de la doctrine que nous venons
d’exposer, en voici les principales :
4° La propriété du porteur, à l’endroit de la provi
sion, est purement conditionnelle, et, comme l’observe
M. Pardessus, nécessairement subordonnée à ce qui exis
tera au moment de l’échéance. Si à cette époque la pro
vision n’existe pas, elle sera censée n’avoir jamais existé.
Vainement exciperait-on de ce que dans tel moment
donné le tiré a été nanti. La certitude de ce fait ne don
nerait aucun droit ni contre les personnes ni contre les
choses.
Cette règle était dictée par une saine appréciation de
la position respective du porteur, du tireur et du tiré.
Le porteur ! Son droit ne peut sortir à effet qu’à l’é
chéance. On ne lui a transmis que la propriété de la
provision qui existera à cette époque. Cela est tellement
certain, que dans l’intervalle de la négociation à l’é
chéance on lui refuse toute faculté de s’enquérir de la
provision. Non seulement il n’a pas le droit d’en exiger
une, mais il ne saurait empêcher que le tireur dispose
1 Voir dans nos recueils de jurisprudence les nombreux arrêts dans
�«
ART.
115, 116, 117.
243
de celle qu’il aurait d’abord fournie. Tout ce qu’il peut,
c’est de requérir l’acceptation le cas échéant, et d’exiger
après le protêt les garanties que la loi ordonne. Nous
disons le cas échéant, car le porteur a pu renoncer au
bénéfice de l’acceptation. Cette renonciation s’induirait
de ce que la traite porterait cette indication, non accep
table.
Le tireur n’a qu’un seul devoir à remplir, faire pro
vision pour le payement de la traite. Ce devoir ne lui
est pas prescrit à tel ou tel moment, il suffit qu’il soit
rempli à l’époque de l’exigibilité. Jusque-là on ne sau
rait l’empêcher de disposer à ses convenances et d’après
ses intérêts de ce qu’il avait eu d’abord la pensée d’af
fecter à cette destination.
Le tiré n’est que le mandataire du tireur, sa mission
n’est également que de payer à l’échéance. Quel droit
aurait-il à s’opposer à ce que le tireur reprît la provi
sion qu’il aurait d’abord fournie ? Il ne sera tenu que
si à l’échéance il est nanti des moyens de payer. Consé
quemment le défaut absolu d’intérêt le rend sans action
aucune contre les volontés du tireur. Il ne pourrait donc
s’opposer à ce qu’il disposât de ce qui lui avait été con
fié par lui.
Il est dès lors certain qu’en agissant ainsi, il n ’expose
en rien sa responsabilité , qu’objecterait le porteur ? Le
tiré est-il son mandataire chargé de veiller à la conser
vation de ses intérêts ?
Il en serait ainsi non pas seulement des objets que le
tireur aurait transmis et retirés ensuite, mais encore de
�244
DE LA LETTRE DE CHANGE
la dette due personnellement par le tiré. Celui-ci, même
avisé de la création de la traite, n’est pas obligé d’en at
tendre l’échéance pour s’acquitter. Le porteur n ’a plus
aucun droit si, avant, le tiré s’est valablement acquitté ;
il ne serait pas recevable à se faire rembourser par les
syndics de la faillite du tireur L
Ainsi donc la provision cesse légalement d’exister si
avant l’échéance le tireur a retiré les effets qu’il avait
expédié dans cette intention ou perçu et quittancé la
dette à lui due par le tiré. Mais, pour qu’il en soit ainsi,
il ne suffit pas d’un simple projet, de la manifestation
d’une intention, il faut que l’un et l’autre aient reçu
tous ses effets. En conséquence , la Cour de cassation a
jugé que l’avis donné par le tireur de lui faire retour de
la somme fournie à titre de provision avec ordre de ne
pas payer la traite ne peut avoir pour effet de dépouiller
le porteur de son droit à la provision3.
Dès lors la faillite survenue après cet ordre, mais
avant son exécution, créant désormais à celle-ci un in
franchissable obstacle, la provision n’aurait pas cessé
d’exister et d’appartenir au porteur. Si le tiré s’en était
dessaisi entre les mains des syndics du tireur, le por
teur aurait le droit d’en exiger la restitution à son
profit.
On comprend au reste que si la traite avait été accep
tée la position du tiré serait bien différente, il pourrait,
1 Bordeaux, 28 avril 1835.
2 7 décembre 1835.
�lui, faire à l’égard du tireur ce qui ne pourrait être fait
par le porteur, à savoir : empêcher toute aliénation de
la provision dont il est nanti.
Dans ce cas, en effet, l’acceptation rend le tiré débi
teur direct, et cette acceptation, il pourra le soutenir
ainsi, n’aurait pas été fournie sans la possession actuelle
ou à un terme déterminé de la provision. On ne saurait
donc retirer cette provision sans altérer le contrat pri
mitif, ce que l’une des parties ne peut jamais faire sans
l’assentiment de l’autre.
En conséquence, si nanti de la provision avant l’é
chéance, mais en l’état de son acceptation, le tiré s’op
pose au projet du tireur et préfère conserver le gage
actuel qui le garantit contre les effets de son engage
ment, la provision ne pourrait être retirée ni aliénée.
1G5. — 2° La provision s’attache à la lettre de
change et la suit dans quelques mains qu’elle passe, dès
lors, si plusieurs lettres de change ont été tirées par le
même individu, la provision dont le tiré sera nanti
pourra être indifféremment réclamée par tous les por
teurs, chacun pour ce qui le concerne.
Comment le tiré devra-t-il procéder pour se libé
rer valablement dans le cas où les sommes qu’il détient
seraient insuffisantes pour payer toutes les lettres de
change ?
Aucune difficulté ne saurait surgir si ces lettres sont à
des échéances diverses. Le tiré payera celles qui lui se
ront présentées à fur et mesure qu’elles deviendront exi-
�246
DE LA LETTRE DE CHANGE
gibles, jusqu’à épuisement de la provision. Il n’en exis
terait plus aucune pour les dernières. Aussi les porteurs
ne seraient-ils ni recevables ni fondés à poursuivre le
tiré.
Mais si toutes les lettres sont à la même échéance, et
c’est ce qui se réalisera dans le cas de faillite rendant les
dettes exigibles, le payement devra obéir aux distinc
tions suivantes.
Le tiré doit d’abord éteindre les lettres de change
pour lesquelles il existerait une provision spéciale.
L’affectation qu’elle aurait reçue la rend exclusivement
la chose du porteur , il doit donc seul en percevoir le
bénéfice.
A défaut d’affectation, le tiré commencera par payer
les effets qu’il aurait acceptés. Le droit d’éteindre d’a
bord sa propre dette pourrait d’autant moins lui être
contesté, que l’acceptation est la reconnaissance de la
provision et remplace en quelque sorte l’affectation. Ce
qui a lieu communément ne saurait être ni modifié ni
changé de ce que le tiré aurait une provision supérieure
au chiffre de ses acceptations.
A défaut d’acceptation, le montant intégral de la pro
vision est distribué au marc le franc entre tous les por
teurs.
1 6 0 . — 3° Le tiré, quoique non acceptant, peut
être actionné par le porteur agissant en cette qualité
et comme exerçant les droits du tireur. Cette recherche
aura pour objet d’établir que le tiré avait provision,
�ART.
118, 116, 117.
247
et de le faire condamner au payement de la lettre de
change.
Le principe est incontesté. Mais son exécution a sou
levé une difficulté sur laquelle la jurisprudence paraît
être fixée. On s’est demandé devant quel tribunal le
porteur devrait exercer son recours contre le tiré qui
n’a pas signé la lettre de change.
Depuis longtemps la Cour de cassation s’est formelle
ment prononcée. Lorsque, dit-elle, le tiré n’a ni signé,
ni accepté, l’action du porteur ou du tireur lui-même
n’a pour objet qu’un règlement de compte, qui doit être
poursuivi au domicile du tiré l. Déjà et par arrêt du 21
mars 1825, elle avait jugé que le tiré n’ayant pas ac
cepté ne pouvait être distrait de ses juges naturels, alors
même qu’il serait réellement débiteur.
Dans ce dernier cas, cependant, on doit distinguer si,
par application de l’article 420 du Code de procédure
civile, la dette du tiré était payable ou exigible au lieu
où se réalise l’appel en garantie, le déclinatoire qu’il
proposerait devrait être éconduit2.
1 5 avril 1837. J. du
1, 1838, 212.
3 Àix, 29 mai 1834.
P.,
1, 1837. V. Limoges, 22 juin 1837
Ibi d.
�248
DE LA LETTRE DE CHANGE
§ III.
—
DE L’ACCEPTATION
ART.
118.
Les tireurs et les endosseurs d’une lettre de change
sont garants solidaires de l’acceptation et du payement
à l’échéance.
SO M M A IR E
167.
168.
169.
170.
Caractère et nature de l’acceptation.
Peut être requise à toute époque.
Reproche adressé à raison de ce à l ’article 118. Examen.
Autre reproche à l ’occasion de l ’assimilation entre les en
dosseurs et le tireur.
171. Caractère de l ’obligation de procurer l ’acceptation. Est-elle
remplacée par la souscription d’un aval ?
172. Position du tireur d’ordre et pour compte d’autrui.
473. Droits et devoirs du porteur. Faculté de requérir ou non
l ’acceptation
174. Exception que la loi apporte à cette faculté illimitée.
175. Exception résultant de la convention.
176. L’endosseur peut-il indiquer un besoin obligatoire pour le
porteur ?
177. Autre exception résultant du mandat ; arrêts d'Aix et de
la Cour de cassation.
178. L’appréciation du mandat est laissée à l’arbitrage souve
rain du juge. Arrêt de Bordeaux sur la garantie de l’ac
ceptation.
�479.
480.
Dans quel domicile doit être requise l ’acceptation.
Droits du tiré de la refuser, alors même qu’il serait débi
teur.
484 . Exception. Engagement formel ou tacite d’accepter. Ses
effets.
169. — L’acceptation est l’engagement que con
tracte le tiré de payer la lettre de change à son échéan
ce, assurant ainsi l’exécution du mandat qu’elle ren
ferme. Cette formalité n’est pas de l’essence du contrat
de change, dont la perfection repose sur le consentement
mutuel du tireur et du preneur, mais elle vient s’y unir
et s’y incorporer. Le tiré , jusque-là étranger au titre,
aux obligations qui en naissent, en assume là responsa
bilité par la délivrance de son acceptation, il devient
même le principal débiteur, car, d’une part, il est censé
avoir reçu du tireur une somme suffisante pour le paye
ment de la lettre ; d’autre part, c’est à lui que le por
teur devra directement s’adresser, tout recours contre le
tireur lui-même n’étant ouvert qu’après le refus de
payement de sa part, et sa constatation au domicile in
diqué.
L’acceptation est donc une chose grave pour le por
teur, pour les endosseurs, pour le tireur, pour le tiré
lui-même. De là la nécessité de l’étudier dans son ori
gine, de la considérer dans ses phases diverses, d’en
constater les effets.
168.
La portée de l’article 118 ns saurait être
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
douteuse. À moins de stipulation contraire, l’acceptation
pourra être requise à toute époque, la veille même de
l’échéance. Ce n’est pas le tireur seul qui est tenu de la
procurer. Les endosseurs la garantissent solidairement.
Ce double caractère a soulevé une double difficulté.
Nous venons de le dire. Jusqu’à l’échéance le porteur
n’a pas le droit de s’enquérir de la provision, le tireur
est libre de retirer celle qu’il a d’abord fournie ; il peut
l’aliéner, en disposer à son gré. Cela d’ailleurs suppose
que le tiré n’a point encore accepté, car, dans le cas
contraire, il serait recevable et fondé, pour sa garantie
propre et personnelle, à s’opposer à ce que le tireur dis
posât de la provision.
Or, permettre de requérir l’acceptation avant l’échéan
ce, c’est appeler cette opposition en suscitant l’intérêt
du tiré. C’est donc indirectement arriver à faire ce qu’on
ne saurait accomplir d’une manière directe, c’est-à-dire
s’assurer une provision qu’on n’aurait pas le droit de
demander.
1 6 9 . — Ce reproche était notamment formulé par
le tribunal de Béziers, il s’opposait en conséquence au
maintien de notre article H 8 .
« L’acceptation qu’on exige pour une lettre de change
avant qu’elle soit échue, disait-il, est une injustice qu’on
fait au tireur, en ce qu’il a promis de la faire acquitter
à son échéance, et non de la faire accepter. Si les fonds
ne sont pas faits pour le moment, ils pourront l’être à
l’échéance, avant laquelle il ne doit rien à celui en fa-
�ART. H 8.
281
veur de qui l’ordre en est passé. Ces conditions, accep
tées par celui-ci et par les endosseurs qui lui succèdent,
doivent être respectées jusqu’au jour de l’échéance, où
le protêt serait fait faute de payement.»
Certes la contradiction reprochée serait évidente, si le
législateur autorisait le tireur à ne fournir la provision
qu’à et pour l’échéance. Mais c’est là une inexacte inter
prétation des articles 115 et 116 du Code de commerce.
Ce dernier parle bien de l’existence de la provision à
l’échéance, mais c’est uniquement pour indiquer à quel
les conditions le porteur pourra se faire payer par pri
vilège, ou le tiré repousser le recours qui serait dirigé
contre lui. Mais cela n’altère en rien l’obligation abso
lue, sans limites et sans terme que l’article 115 impose
à ce même tireur.
Oui sans doute, pour produire ses effets ordinaires,
la provision doit exister à l’échéance. Peu importerait
qu’elle eût existé avant, ou qu’elle dût exister après, il
suffit qu’à l’instant du payement il ne s’en rencontrât
aucune, pour qu’elle fût censée n’avoir été jamais faite.
De là absence complète de libération du tireur même en
cas de protêt tardif, mais, et par réciprocité, impossi
bilité pour le porteur de réclamer un privilège sur l’ac
tif du tireur tombé en faillite avant ou depuis l’échéance.
Il n’y a donc aucune incompatibilité, aucune contra
diction entre les articles 115, 116 et 118. La vérité est,
au contraire , que le dernier prête aux premiers un
puissant secours. S’il est vrai que requérir l’acceptation
soit le moyen de contraindre la réalisation de la provi-
�252
DE LA LETTRE DE CHANGE
sion, on doit admettre qu’il n’est pas de manière plus
sûre pour déterminer l’exécution de ces deux disposi
tions, de la dernière surtout. La provision existera d’au
tant mieux à l’échéance, qu’on aura forcé le tireur à la
consigner avant.
Au reste, sur ce point le commerce n’a jamais con
fondu ou partagé les préoccupations du tribunal de Bé
ziers. Le tireur d’une lettre de change sait que non seu
lement il doit la faire payer à l’échéance, mais encore
qu’il en doit la provision à toute époque. Aussi, dans
l’hypothèse où, trouvant cette dernière obligation trop
onéreuse, il entend s’y soustraire, il a grand soin de le
stipuler sur la lettre de change même qu’il déclare n’être pas susceptible d’acceptation. Le preneur d’une let
tre ainsi qualifiée consent de son côté à déroger au droit
commun et à la faculté de requérir cette acceptation.
Mais, à défaut de cette clause, rien ne saurait l’empê
cher d’user de la faculté que la loi lui donne à cet
égard.
1 Ï O — Un second reproche a été fait à notre arti
cle, à savoir : celui de méconnaître la position véritable
des endosseurs en les déclarant garants solidaires de
l’acceptation.
En fait et à l’endroit des endosseurs, l’article 118 in
troduit un droit nouveau. En effet, l’ordonnance gardait
à cet égard le plus complet silence, et tout ce que la doc
trine induisait du défaut d’acceptation, c’était la faculté
pour le porteur de recourir contre le tireur pour
�ART.
118.
285
l'obliger à faire accepter la lettre, ou à donner cau
tion qu'en cas qu'elle ne soit pas payée à l'échéance,
il lui rendra la somme avec les changes, rechanges et
frais de protêtl.
Ce système de l’ordonnance, disait-on, est plus con
forme à la raison et au droit que celui de la nouvelle
législation. On comprend qu’on exige du tireur la réa
lisation de l’acceptation. Le tiré est de son choix, il est
ordinairement son correspondant, et il doit dans tous
les cas s’assurer au préalable de son concours, il est
d’ailleurs le seul débiteur de la lettre.
Les endosseurs, au contraire, s’ils reçoivent d’un côté
le montant de la lettre, ils l’ont compté de l’autre. D’ail
leurs, étrangers à sa création, il peuvent ne pas con
naître même le tiré, le devoir de procurer l’acceptation
n’a donc plus de fondement sérieux.
Sous un autre point de vue, l’ordonnance se confor
mait aux principes généraux du droit que le Code civil
a consacré. Les endosseurs sont des cédants. Or, de
droit commun, le cédant ne répond de la solvabilité du
débiteur que lorsqu’il s’y est engagé et jusqu’à concur
rence du prix qu’il retire de la cession ; lorsqu’il a pro
mis la garantie de la solvabilité du débiteur, cette pro
messe ne s’entend que de la solvabilité actuelle, et ne
s’étend pas au temps à venir, si le cédant ne l’a expres
sément stipulé2.
4
1 Jousse, tit. v, art. 2, n° 4.
2 Art. 1694,1695.
�254
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le législateur de 1807, tout en rendant hommage à
ces principes, a refusé de les appliquer à la matière
commerciale. Il a d’ailleurs considéré l’endossement,
non pas seulement comme une cession ordinaire, mais
encore comme un véritable engagement entraînant l’o
bligation solidaire pour le payement. Quant à l’accepta
tion, il a considéré que chaque endosseur donnait au
tiré l’ordre de payer au cessionnaire ; qu’il devenait dès
lors relativement à celui-ci un véritable tireur, qu’il
était donc rationnel de le soumettre en cette qualité à
garantir l’acceptation comme le payement l,
La circonstance que le tiré était ou pouvait être in
connu à l’endosseur ne pouvait être prise en considéra
tion. L’adresse contenue en la lettre de change suffisait
pour qu’on pût lui transmettre le montant de la provi
sion. D’ailleurs la loi n ’exige pas que l’endosseur pro
cure l’acceptation du tiré, il peut indiquer un besoin, et
l’acceptation de celui-ci remplit, en ce qui le concerne,
les exigences de la loi.
Nul doute, donc, ne saurait s’élever sur l’esprit et la
lettre de la loi. Les endosseurs sont, relativement à l’ac
ceptation, sur la même ligne que le tireur, ils ne pour
raient invoquer les principes des articles 1694 et 1695
du Code civil. D’abord, parce que la loi les considère
comme de véritables tireurs, ensuite parce que dans tous
les cas elle aurait formellement consacré une exception
à ces principes.
1 Locré,
Esprit du Code de commerce, a rt. 118.
�1* 1 . — L’obligation de procurer l’acceptation est
absolue et ne comporte d’autre exception que celle ré
sultant de la convention contraire. Si la lettre de change
ne porte pas la clause, non acceptable, ou "non suscep
tible d'acceptation, le porteur ne saurait être repoussé,
quelles que fussent d’ailleurs les garanties que la lettre
de change offrirait déjà.
Dans une espèce où la lettre de change avait été revê
tue d’un aval, on voulait que la demande du porteur en
acceptation fût repoussée. Que pouviez-vous exiger, à
défaut de celle-ci, lui disait-on ? Une caution ? Mais cette
caution vous l’avez dans la personne qui a souscrit l’a
val. Donc, votre prétention n’est qu’un véritable double
emploi.
On répondait que l’aval était indépendant des obliga
tions que le tireur contractait relativement à l’accepta
tion ; que rien dans la loi n’indiquait une incompati
bilité quelconque dans leur existence simultanée ; que le
premier n’est qu’une garantie de plus sans laquelle le
preneur n’eût pas traité ; que le faire souscrire ce n’é
tait pas renoncer à la garantie de l’acceptation procu
rant des moyens et des sûretés que ne présente pas l’a
val ; que tout ce qui résulte de celui ci, c’est qu’en vertu
du principe que le donneur d’aval est toujours assimilé
au débiteur qu’il a cautionné, ou devrait le considérer
comme le débiteur et le rendre personnellement garant
de l’acceptation. Cette réponse prévalut devant la cour
de Toulouse l.
i 42 décembre 1887.
�2 S6
DE LA LETTRE DE CHANGE
l ï S . — Les obligations de celui qui a tiré une let
tre de change d’ordre et pour compte d’un tiers ne se
trouvent pas indiqués par l’article 118. Mais ce silence
de la loi ne saurait être considéré comme une dispense
de procurer l’acceptation. Le tireur pour compte est
obligé envers le porteur et les endosseurs. Ceux-ci, à dé
faut d’acceptation ou de caution, sont fondés à se faire
rembourser immédiatement. En conséquence, le tireur
pour compte, s’il veut profiter du délai donné par le ti
tre, sera bien obligé ou de procurer l’acceptation, ou de
donner une caution solvable.
Mais il est évident que le tireur pour compte et son
commettant ne sont qu’une seule et même personne.
Conséquemment, si le dernier était actionné pour faire
accepter ou pour donner caution, le premier ne saurait
être tenu qu’évenluellement, et pour le cas où son com
mettant serait dans l’impuissance de réaliser l’un ou
l’autre. L’acceptation procurée par lui, ou le cautionne
ment qu’il fournirait libérerait complètement le ti
reur pour compte jusqu’à l’échéance. Il ne serait tenu
que du payement futur dans les limites de ses obliga
tions.
1 9 3 . — Les droits et les devoirs du porteur à l’é
gard de l’acceptation résultent : d’une part, des obliga
tions imposées aux tireurs et endosseurs ; de l’autre, de
la loi ou de la convention.
Le porteur a d’abord la faculté de requérir l’accepta
tion toutes les fois que le titre ne le lui a pas interdit.
�Cette faculté est dans le plus grand nombre de cas
purement discrétionnaire. Elle est laissée aux convenan
ces du porteur. Jouissant à cet égard de la plus entière,
de la plus absolue liberté, il peut donc, à son choix, en
user ou s’en abstenir.
Cependant cette abstention peut avoir des suites fâ
cheuses pour les endosseurs. L’absence d’acceptation
rend le tiré sans intérêt, et en conséquence non receva
ble à contester au tireur la faculté d’aliéner la provision
déjà faite, selon qu’il le juge convenable ou utile; il peut
arriver que cette provision ainsi aliénée, il y ait impos
sibilité à en consigner une nouvelle.
En requérant l’acceptation, diront les endosseurs,
vous empêchiez forcément ce résultat, en mettant le tiré
dans la position de retenir la provision qu’il avait en
mains , vous assuriez le payement de la lettre de chan
ge, et par cela même notre complète libération. Le re
cours que vous exercez est donc la conséquence de vo
tre négligence, il est juste que vous soyez exclusivement
tenu des conséquences qu’elle entraine.
Une prétention de ce genre ne serait ni recevable ni
fondée. Le porteur répondrait avec raison : rien ne m’o
bligeait à agir, ni la loi, ni la convention. J ’ai donc usé
d’un droit, et cela suffit pour que je n’ai pu encourir
aucune responsabilité. Dans tous les cas, je me suis
borné à vous imiter. Chacun de vous a été propriétaire
de la lettre, pourquoi n’a -t-il pas requis son accepta
tion, vous ne pouvez m’accuser sans vous accuser vousmêmes.
i — 47
�258
DE LA LETTRE DE CHANGE
Nous avons donc raison de le dire : le porteur est
l’arbitre suprême de l’opportunité de l’acceptation. Les
seules exceptions que comporte cette règle résultent et
ne peuvent résulter que de la loi ou de la convention.
134. — Il y a exception légale lorsque dans un in
térêt quelconque la loi a formellement prescrit de requé
rir l’acceptation. Nous en trouvons un exemple dans
l’article 160 du Code de commerce.
Toutes les fois que les lettres de change ne sont pas
à une échéance fixe et déterminée , la loi a dû suppléer
à cette détermination. Les obligations des endosseurs,
du tireur lui-même doivent avoir une fin, et il ne pou
vait pas être que le porteur pût les éterniser à son gré.
En conséquence, les lettres de change tirées du conti
nent et payables dans les possessions européennes de la
France, soit à vue, soit à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de vue, doivent être présentées à l’accepta
tion dans les six mois de leur date, sous peine contre
le porteur de la perte de tout recours contre les endos
seurs, et même contre le tireur, si celui-ci a fait pro
vision l.
135. — Ce que la loi a fait dans l’hypothèse d’une
échéance indéterminée , la convention des parties peut
l’accomplir dans tous les autres cas. Nous venons de
voir qu’on peut stipuler que la lettre de change ne sera
�ART.
118.
259
pas présentée à l’acceptation. On peut également conve
nir du contraire.
Ainsi le tireur peut vouloir acquérir immédiatement
la certitude que le tiré payera à l’échéance soit pour
suppléer à son défaut, soit pour n’avoir plus à se préoc
cuper des moyens pour assurer le payement. Il peut donc
stipuler que la lettre de change sera immédiatement pré
sentée à l’acceptation ; la légalité incontestable d’une
telle clause en devrait garantir l’exécution.
On comprend d’ailleurs que la violation de ce devoir
par le porteur ne saurait influer sur les droits que cette
qualité lui assure. Il pourrait donc recourir contre le
tireur, mais celui-ci pourrait de son côté le faire con
damner à l’indemniser du préjudice qu’il éprouverait
du défaut d’acceptation. En acceptant la lettre de change
prescrivant la présentation immédiate au tiré, le pre
neur est devenu un véritable mandataire, il répond
donc naturellement de la négligence qu’il a apportée
dans l’exécution du mandat qu’il avait à remplir.
1VG. — Le tireur peut indiquer un besoin pour
suppléer au refus éventuel du tiré. L’endosseur le peutil également ? L’indication que ferait celui-ci d’un tiers
auquel on devrait, avant protêt, demander l’acceptation,
serait-elle valable et obligatoire ?
On a soutenu la négative. Si l’on peut, a-t-o n dit,
imposer au porteur l’obligation de présenter la traite à
l’acceptation, il n ’en peut être ainsi qu’à l’égard du tiré,
et non à l’égard d’un tiers ; surtout lorsque ce tiers est
�260
DE LA LETTRE DE CHANGE
indiqué non par le tireur, mais par l’endosseur. Une
pareille condition ne saurait être imposée quand l’ac
ceptation ne peut être requise qu’au besoin, et avant
protêt.
En effet, que résulterait-il de là ? C’est que le porteur
serait dans l’impossibilité de faire le protêt. Le refus du
tiré ne devant être connu que le jour de l’échéance, ce
n’est que ce jour-là même qu’on pourra se présenter
chez le tiers indiqué. Or, celui-ci peut garder la traite
pendant vingt-quatre heures avant de donner ou de
refuser son acceptation. Ainsi, quand le porteur aura
repris son titre, le délai du protêt sera expiré à l’égard
du tiré. On ne saurait donc admettre contre le porteur
une conséquence contraire à ses droits. D’un autre côté,
reconnaître aux endosseurs la faculté d’indiquer des ac
ceptations et des payements au besoin, ce serait leur
permettre d’aggraver la condition du porteur, puisqu’ils
pourraient indiquer des besoins différents.
Le premier de ces arguments fait une singulière con
fusion entre le protêt faute d’acceptation et le protêt faute
de payement. Celui-ci doit se réaliser dans les vingtquatre heures de l’échéance ; l’autre ne reconnaît au
cune limite, par l’excellente raison que la réquisition
peut s’effectuer à toutes les époques. Donc et quelle que
soit celle de la restitution du titre par le tiré indiqué au
besoin, il est évident que le protêt faute d’acceptation
sera régulièrement dressé.
Que s’il s’agit du protêt pour défaut de payement, on
admet par cela même que le titre est devenu exigible.
�ART.
118.
261
Dans ce cas, on ne demandera plus au besoin indiqué
s’il accepte ou non, on le sommera de payer sans qu’on
soit obligé de lui laisser le titre plus ou moins longtemps.
S’il refuse, le protêt sera immédiatement dressé à son
domicile comme à celui du tiré. L’impossibilité dont on
excipe ne saurait être admise.
Il est possible que les endosseurs indiquent des be
soins différents ; il est possible encore que la position
du porteur en fût aggravée ; mais si quelqu’un ne peut
être recevable à s’en plaindre, c’est évidemment le por
teur, Volenti non fit injuria. Or, ou la désignation des
besoins a eu lieu au moment de la transmission de la
lettre qui lui était faite, ou elle l’a précédée. Dans le
premier cas, il l’a consentie, il l’a formellement accep
tée dans le second. De quoi se plaindrait-il ? S’il trou
vait la chose onéreuse, il n’avait qu’à refuser la cession
qui lui était proposée.
Les fondements de l’opinion que nous indiquons ne
sont pas même sérieux. On doit donc repousser cette
opinion et décider au contraire qu’un endosseur peut
valablement apposer à son endossement la condition
défaire accepter au besoin, avant protêt, par un tiers
désigné.
D’où la conséquence que le porteur qui n’aura pas
rempli cette condition aura commis une faute grave dont
il encourra la responsabilité. On devra donc le démettre
du recours qu’il prétendait exercer contre l’endosseur l.
i Cass., 3 ju in 4839.
n°5 549 et suiv.
J. du P., 2, 1839, 449. V . infra, a rt. 473,
�262
DE LA LETTRE DE CHANGE
199. — Transmettre à un tiers des traites pour les
présenter à l’acceptation, c’est donner un mandat qui,
s’il est accepté, engage la responsabilité du mandataire,
fût-il non salarié. Mais il faut que le mandat soit précis
et formel, qu’il exprime notamment si l’acceptation doit
être immédiatement requise. La responsabilité s’appré
cie par les termes du mandat même.
Ainsi la cour d’Aix a jugé, le 23 avril 1813, que ce
lui qui, ayant reçu et promis de remplir le mandat de
faire accepter ou protester, en cas de non acceptation,
une lettre de change, a négligé de l’exécuter, est res
ponsable en cas de faillite du tireur. Ici l’alternative in
diquait bien qu’on entendait de toute part que la réqui
sition devait être immédiate ; et c’est ce que l’arrêt cons
tate.
Dans une autre espèce, la Cour de cassation décidait
que le mandat donné au tiers porteur d’une traite de la
présenter à l’acceptation du tiré n’emportait pas de plein
droit, et en l’absence de toute prescription formelle à
cet égard, l’obligation de la présenter avant le jour de
l’échéance. Elle déchargeait donc le mandataire de toute
responsabilité pour insuffisance du mandat L
Il s’agissait dans cette espèce d’un pourvoi contre un
jugement du tribunal de commerce de la Seine, sanc
tionnant cette absence de responsabilité ; mais le juge
avait tranché la question par des considérations qui pou
vaient laisser croire à la possibilité d’une solution coni B novembre 1835.
�ART.
218.
263
traire en pur droit. Ainsi le tribunal considérait que le
titre transmis au mandataire était sur papier non tim
bré ; qu’en envoyant un pareil titre, le mandant ne
pouvait ignorer que si l’acceptation était refusée, il y
aurait des frais à faire que le mandataire n’était pas
tenu d’avancer.
Indépendamment de l’inconvénient de laisser le droit
en suspens, ces considérations n’étaient rien moins que
juridiques ; elles ne pouvaient justifier la solution. D’a
bord les frais ne devant surgir qu’après le refus d’ac
ceptation, leur éventualité ne pouvait être un obstacle à
la présentation amiable de la traite. De plus, le man
dataire qui ne veut pas avancer les frais du mandat ne
se charge pas de celui-ci, ou tout au moins écrit à son
mandant de le mettre à même de les payer. Dans l’hy
pothèse, le mandataire n’avait fait ni l’un, ni l’autre.
Aussi la Cour régulatrice n’entre pas dans l’examen
des reproches qui étaient adressés au jugement à cet
endroit. Elle rejette le pourvoi. « Attendu qu’il est cons
tant en fait que le mandat donné par le demandeur au
tiers porteur de la traite, à l’effet de la présenter à l’ac
ceptation du tiré, était sans réserve et ne portait pas
obligation expresse de la lui présenter avant l’é
chéance. »
Donc, aux yeux de la Cour de cassation, ce qui con
vertit en obligation la faculté que le tiers porteur a de
requérir ou non l’acceptation, c’est la condition formelle
qui lui en serait faite par la convention ou le mandat.
Si l’un et .l’autre ne parlent de l’acceptation qu’en ter-
�264
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes généraux, on rentre purement et simplement dans
le droit commun.
Au demeurant, l’appréciation de l’étendue du mandat
et de la véritable portée de la convention étant toute de
fait, est souverainement laissée à l’arbitrage du juge. La
question de responsabilité n’étant à vrai dire que la
conséquence immédiate du fait lui-même, se trouve ré
solue par cela seul que celui-ci l’aura été.
On a cependant en quelque sorte contesté cette indé
pendance des magistrats. L’obligation de requérir im
médiatement l’acceptation, a-t-on d it, doit résulter
de ce que l’endosseur a formellement garanti l’accep
tation.
La cour de Bordeaux examine cette prétention et la
repousse par un arrêt fortement et juridiquement motivé.
Elle remarque notamment que la garantie de l’accepta
tion n’est qu’une obligation que la loi impose formelle
ment à l’endosseur sans que celui-çi l’ait stipulée ; dès
lors, c’est méconnaître les principes les plus élémentai
res que d’assimiler à un mandat la garantie de l’accep
tation souscrite par Lafargue (endosseur) ; que la ban
que qui a escompté les traites et qui en a payé la valeur,
en est devenue propriétaire, avec la faculté d’en pour
suivre l’acceptation et le payement, et d’exercer, faute
d’acceptation, son recours en garantie contre Lafargue,
responsable, non pas comme commettant de la banque,
mais comme débiteur, à raison de son engagement ; que
dès lors on ne peut lui appliquer les principes qui ré
gissent les obligations dérivant du mandat, mais celle
�ART.
118.
265
d’un débiteur qui veut se libérer de son obligation ; et
que, dans ce dernier cas, il ne peut dépendre du débi
teur d’éteindre son engagement au moyen d’une condi
tion qu’il n’a pas stipulée et qui n’est pas supplée par
la lo i l.
1Ï9. — Le porteur d’une lettre de change , qui
veut user de la faculté qui lui est laissée, ou qui obéit à
la loi ou à la convention, doit requérir l’acceptation au
domicile du tiré. Il importerait peu que la somme eût
été indiquée payable à un autre domicile. L’acceptation
est un fait purement personnel au tiré, elle doit directe
ment émaner de lui, c’est donc à sa personne qu’il con
vient de la demander. Si des besoins avaient été indi
qués soit par le tireur, soit par les endosseurs, la même
mise en demeure devrait être adressée à chacun d’eux
et à leur domicile respectif.
180. — Si le porteur est libre de requérir ou non
l’acceptation, à plus forte raison le tiré l’est-il de la don
ner ou de la refuser. A cet égard, loin de gêner son in
dépendance, la loi la lui garantit au contraire de la ma
nière la plus absolue. Il n’a qu’à suivre ses propres ins
pirations, qu’à obéir à des convenances dont il est le
seul appréciateur possible. Il n’est pas forcé d’accepter,
alors même qu’il devrait réellement au tireur le montant
des lettres de change.
i Bordeaux, 29 février 1836.
J. du P., 1, 1837, 248.
�266
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette règle se justifie parfaitement sous un double
point de vue. Le débiteur qui n’est pas commerçant, ou
dont l’obligation n'a pas une cause commerciale, verrait
sa position s’aggraver considérablement par l’accepta
tion. Ainsi il se soumettrait à la juridiction exception
nelle et à la contrainte par corps, il s’exposerait à payer
les intérêts moratoires sur le pied du six pour cent, en
fin il se placerait dans l’impossibilité d’obtenir ni terme,
ni délai pour le payement, la loi n’en permettant au
cun en matière de lettres de change ; il y aurait donc
une énorme injustice à lui imposer de tels résultats au
trement que par un effet de sa pleine et libre volonté.
Le tiré débiteur fût-il commerçant, son obligation
constituât-elle un engagement commercial, qu’on ne
saurait le contraindre à accepter. Sans doute, les in
convénients seraient moindres que dans l’hypothèse pré
cédente, mais ils n’en existent pas moins. L’acceptation
pourrait, en effet, avoir pour résultat de le distraire de
ses juges naturels, de lui imposer, en cas de non paye
ment par une circonstance imprévue, des frais tels que
ceux du rechange, de compte de retour, etc... C’en était
assez pour que le législateur s’en référât à son arbi
trage supérieur, et s’arrêtât au parti qu’il lui plairait de
choisir.
En d’autres termes, le tiré, dans quelque position
qu’on le suppose, n’est pas plus tenu de donner son ac
ceptation que de se charger de tout autre mandat. En
tièrement libre de refuser, il ne saurait être recherché à
raison de ce.
�ART.
118.
267
1 8 1 . — Mais cette règle reçoit exception lorsque le
tiré a contracté l’engagement formel ou tacite de donner
son acceptation.
Il y aurait engagement formel si le tiré, prévenu des
dispositions que le tireur va faire sur l u i , autorise ces
dispositions ou répond qu’il leur fera honneur et ac
cueil. C’est là une promesse susceptible de produire ef
fet, c’est ce qui était déjà admis sous l’empire de l’or
donnance de 1673. C’est ce que notre Code a également
consacré, la doctrine et la jurisprudence le reconnais
sent unanimement l.
L’engagement d’accepter serait tacite, si le tiré reçoit
sans réclamation la provision des traites fournies sur lui.
Cette réception, en effet, ne pourra être interprétée que
par l’acceptation du mandat, et en conséquence que
comme l’obligation d’accepter.
Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que, même
dans ces deux hypothèses, le tiré ne pourrait être con
traint de donner son acceptation. La promesse d’accep
ter prise soit avec le tireur, soit avec le porteur, ne pro
duirait jamais d’autres résultats que de contraindre le
tiré à les indemniser l’un ou l’autre du préjudice que
l’inexécution de la promesse leur aurait occasionnée2.
En général donc, rien ne gêne l’indépendance abso
lue du tiré. La loi lui accorde même vingt-quatre heu-
1 Cass., 22 ventôse an x n ; 16 m ars 1825 ; M erlin,
change, S 4, a rt. 10 ; P ardessus, Droit com. n» 362.
2 V. sup., n° 166, e t inf., a rt. 122 e t 164.
Rép. v° Lettre de
�268
DE LA LETTRE DE CHANGE
res pour qu’il réfléchisse au parti qu’il lui convient de
prendre. Ce parti pris, la loi l’accepte. Elle se borne,
ainsi que nous allons le voir, à en réglementer la forme
et les effets.
1 8 1 bis. — L’ouverture d’un crédit donne lieu or
dinairement à un tirage de traites par le crédité sur le
créditant. Comme ces traites ne sont qu’un moyen d’u
tiliser le crédit, ce dernier, en consentant celui-ci, a par
cela même, contracté l’obligation de les accepter et de
les payer.
Il y a ici en effet plus qu’une promesse , il y a enga
gement formel. Le créditant était libre de consentir ou
de refuser un crédit quelconque. Mais le crédit, une fois
accordé, il est tenu de le réaliser, à moins d’admettre
qu’il peut de sa seule volonté et à son gré annuler une
convention qui régulièrement et légalement intervenue
entre le crédité et l u i , est devenue leur loi commune
aux termes de l’article 1134 du Code civil.
Or l’acceptation des traites est un mode de réalisation
du crédit, car elle est pour les tiers l’obligation de payer
et donne aux effets qui en seront revêtus une valeur qui
en facilite singulièrement la négociation. Elle ne saurait
donc être refusée au porteur qui, connaissant l’acte de
crédit, n’a contracté avec le crédité qu’en vue des garan
ties que cet acte lui assurait.
Que le créditant puisse ne pas être contraint maté
riellement à donner cette acceptation, on le comprend,
nemo potest cogi ad factum. Mais ce à quoi il ne pour-
�ART.
H
8.
269
rait se soustraire, c’est à l’obligation de payer dans les
limites du crédit. Il ne peut pas être que l’acte d’ouver
ture de ce crédit n’ait été qu’un piège contre le public,
et ne le serait-il pas devenu pour celui qui n ’a traité
que sur la foi des garanties que cet acte lui promettait
si le bénéfice pouvait lui en être arbitrairement refusé.
Un pareil refus ne serait possible que dans un seul
cas, à savoir, si avant la création des traites présentées,
soit à l’acceptation, soit au payement, le crédit se trou
vait épuisé. La limitation du chiffre indique à tous l’é
tendue du crédit et nul ne peut ignorer qu’il n’est rien
dû au-delà. Celui-là donc qui a traité avec le crédité
sans s’assurer de sa véritable position vis-à-vis du cré
ditant, a sciemment, volontairement accepté la chance
dont il se trouve victime et dont il doit dès lors subir
les conséquences.
Mais si les traites nouvelles se restreignent dans les
limites du crédit, le créditant doit les accepter, et dans
le cas où il méconnaîtrait cette obligation, il ne saurait
se soustraire à celle de payer, à la condition pourtant
que le porteur aura conuu la lettre de crédit, et n ’aura
accepté les traites qu’en vue de la confiance qu’elle de
vait naturellement leur inspirer.
La question de savoir si cette condition est ou non ac
quise est, comme toutes les questions de fait, laissée à
l’arbitrage souverain du juge, mais elle ne serait pas
douteuse si les traites mentionnaient l’acte de crédit.
Dans ce cas il serait vrai que ces traites se confondraient
avec cet acte et ne feraient qu’un seul tout avec lui. Peu
�270
DE LA LETTRE DE CHANGE
importerait que le créditant n’eût pas accepté, il n’en
serait pas moins obligé de payer. Ainsi le décidait la
Cour de cassation par arrêt du 30 juin 1862.
Dans cette espèce, les sieurs Siordes Meyer et Cie
avaient ouvert un crédit à la maison Goerg et Cie, du
Havre, et l’annonçaient en ces termes à Langlois et Cie,
de Calcutta, par lettre du 26 août 1857.
« Sur la demande de MM. Gœrg et Cie, du Havre,
nous avons beaucoup de plaisir de vous faire savoir
qu’il ont ouvert chez vous un nouveau crédit de 8,000
livres sterling, contre marchandises que vous êtes auto
risé à leur expédier ; en vous confirmant ce crédit, nous
nous engageons à réserver bon accueil pour leur compte
à vos traites à six mois de vue, pourvu que ces traites
soient accompagnées des connaissements de la marchan
dise contre laquelle vous tirerez.
En conséquence, les 6 et 41 novembre Langlois et
Cie tiraient sur Siordet Meyer et Cie deux traites, en
semble 5,210 liv. sterl. ainsi libellées : à six mois de
vue, etc... et que porterez avec ou sans avis au comp
te de Gœrg et Cie suivant votré lettre de crédit du
26 août 1857.
La banque d’Àgra, à laquelle ces traites avaient été
négociées n’ayant pas été payées, en poursuit le recou
vrement tant contre Gœrg et Cie que contre les ban
quiers Siordet Meyer et Cie. Ceux-ci prétendent que
Langlois ont mal opéré et ont abusé des pouvoirs qui
leur avaient été conférés. Mais un jugement du tribunal
�ART.
118.
271
de commerce du Havre les déboute de leurs prétentions
et les condamne à payer.
« Attendu qu’il est bien évident que la banque
d’Agra n’a consenti à se dessaisir de ses fonds que sur
le vu de la lettre de crédit ; qu’elle a dû croire et qu’elle
a cru, en effet, à la sincérité de l’engagement pris par
Siordet Meyer et Cie, auxquels elle a ainsi fait confiance
et dont elle a suivi la foi ;
« Qu’il est donc impossible d’admettre qu’après s’être
ainsi formellement engagés Siordet Meyer et Cie puis
sent , par l’effet de leur seule volonté, se refuser au
payement qui leur est demandé et se soustraire ainsi à
leurs obligations ;
« Attendu que si le système de la défense pouvait être
admis, ces crédits confirmés ne seraient qu’une vérita
ble déception et un piège tendu à la bonne foi des tiers,
système inadmissible sous tous les rapports et que ne
peuvent repousser avec trop d’énergie la moralité qui
préside aux affaires et la confiance sans laquelle elle ne
saurait exister.
« Attendu que la banque d’Agra n’avait à se préoc
cuper, étrangère aux opérations qui existaient entre les
parties, que du point de savoir si les traites et docu
ments en contre-valeurs desquels elle consentait à re
mettre ses fonds étaient réguliers, c’est-à-dire confor
mes aux conditions de l’ouverture du crédit ; que si
Langlois et Cie ont mal opéré, s’ils ont été au-delà des
limites qu’on prétend leur avoir fixées, s’ils ont abusé
des pouvoirs qui leur étaient confiés par Gœrg et Cie,
�272
DE LA LETTRE DE CHANGE
ceux-ci ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, mais
ne peuvent ni en droit ni en fait rendre les tiers res
ponsables de l’abus qui a pu être fait de leur con
fiance. »
Saisie par l’appel, la cour de Rouen, par arrêt du 19
mars 1861, confirme le jugement, en adopte les motifs
et ajoute :
« Attendu que les deux traites des 6 et 11 novem
bre 1857 dont il s’agit au procès, pour être appréciées
dans leurs conséquences légales, ne peuvent être prises
isolément ; qu’elles se rattachent et se lient intimement
à la lettre de crédit de 8,000 livres sterling annoncée à
Langlois et Cie par Gœrg et Cie le 8 août 1857, et con
firmée le 26 du même mois d’août par Siordet Meyer
et Cie ; que lesdites traites, soit par leur texte précis et
leurs conditions formellement exprimées, soit par la
pensée commune de toutes les parties, et enfin par la
nature même de l’opération commerciale qu’elles de
vaient servir à réaliser, ne forment avec ladite lettre
d’ouverture de crédit, qu’une seule et même convention;
« Attendu que c’est sur la foi de ladite lettre de cré
dit, présentée dans l’Inde aux bailleurs de fonds qui de
vaient intervenir pour le payement des marchandises
achetées, que ceux-ci devaient se déterminer à livrer
leurs fonds, et qu’ainsi ladite garantie était faite dans
leur intérêt bien plus encore que dans l’intérêt de Lan
glois et Cie ;
« Attendu que la banque d’Âgra établie à Calcutta,
suivant ainsi la foi de Siordet Meyer et Cie sur un acte
�art.
118.
273
signé et livré librement par eux précisément dans ce but,
a évidemment par là acquis tous les droits légitimes
d'un tiers porteur de bonne foi, et que la révocation du
crédit de 8,000 livres, plus tard notifiée par lesdits
sieurs Siordet Meyer et Cie, n ’a pu enlever à la banque
d’Agra les droits acquis avant ladite révocation K »
La maison Siordet Meyer et Cie n’avait plus qu’une
seule ressource, le pourvoi en cassation. Mais comment
espérer une réussite en présence des motifs si décisifs,
si rationnels, si juridiques des jugement et arrêt.
Aussi et comme il était facile de le prévoir, le pour
voi était-il rejeté par arrêt du 30 juin 1 8 6 2 2.
Tenons donc pour certain que celui qui a ouvert un
crédit ne peut se refuser à accepter les traites tirées sur,
lui par le crédité en conséquence de ce crédit.
Qu’à défaut d’acceptation, il ne saurait refuser de
payer le tiers porteur qui n’a accepté les traites et n’en
a fourni la valeur que sur le vu de la lettre de crédit
qui en garantissait le payement ; que peu importe si ces
traites sont conformes aux exigences de la lettre de cré
dit, que le souscripteur ait abusé des pouvoirs qui lui
avaient déférés ;
Enfin que le seul obstacle qui pourrait faire écarter
la demande du tiers porteur serait qu’au moment de la
création de ces traites le crédit fût épuisé.
1 J . d u P . , 1862, 2, 11.
a l d . , i b i d . , 348, 1.
ï — 48
�274
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE 1 1 9 .
Le refus d’acceptation est constaté par un acte que
l’on nomme -protêt faute d’acceptation.
ARTICLE
120.
Sur la notification du protêt faute d’acceptalion, les
endosseurs et le tireur sont respectivement tenus de
donner caution pour assurer le payement de la lettre de
change à son échéance, ou d’en effectuer le rembourse
ment avec les frais de protêt et de rechange.
La caution, soit du tireur, soit de l’endosseur, n’est
solidaire qu’avec celui quelle a cautionné.
SOMMAIRE
182.
183.
184.
185.
186.
187.
188.
Conséquences du refus d'acceptation. Motifs pour lesquels
la loi a exigé sa constatation par un protêt.
Le tiré qui avait d’abord accepté peut-il biffer son accepta
tion. Conditions.
Conséquences que produirait l ’assentiment du porteur.
Droit des endosseurs de former tierce opposition au juge
ment qui aurait statué.
Droit que le protêt faute d’acceptation ouvre au porteur
contre le tiré.
Contre le tireur et les endosseurs.
Forme et objet de la demande à l’égard de ces derniers.
�ART.
119, 120.
275
489. Modification qu’on pourrait consacrer.
490. Motifs pour lesquels la loi a exigé d ’abord un cautionne
ment.
494. A défaut, obligation de réaliser le payement immédiat. Ca
ractère de celui-ci.
492. Le débiteur ne pourrait retenir l ’escompte. Discussion au
conseil d’Etat.
183.
— Le refus d’accepter impose des obligations
et crée des droits au porteur envers et contre les signa
taires de la lettre de change. La plus importante de ces
obligations est celle de faire constater le refus d’accepta
tion lui-même ; il importait, en effet, de ne laisser pla
ner aucun doute sur son existence ; l’exécution de l’ar
ticle 120 l’exigeait ainsi pour qu’on pût être recevable à
jouir du droit qu’il confère. Cette existence est constatée
par un acte que notre article 119 qualifie de protêt
faute d'acceptation.
On aurait pu, ce semble, arriver au même résultat
par un moyen moins dispendieux, celui, par exemple,
d’une déclaration écrite et signée par le tiré sur la lettre
de change même, mais on ne s’y est pas arrêté par des
considérations graves et puissantes.
D’abord, on n ’avait aucun moyen de contraindre le
tiré à faire cette déclaration qu’il ne consentira pas tou
jours de faire ; on s’exposait donc, en cas de refus, à
chercher ailleurs la preuve exigée. Etait-il dans la dignité
de la loi de courir cette chance, et ne convenait-il pas
de s’arrêter à un mode ne pouvant faillir dans aucune
circonstance ?
�276
DE IA LETTRE DE CHANGE
A côté de cette considération et dans un autre ordre
d’idée, on rencontre cet autre motif qu’un intérêt de
justice recommandait.
Le refus d’acceptation implique la négation de tout
crédit, et par cela même l’absence de confiance dans la
solvabilité du tireur , il peut également indiquer l’a b
sence de toute relation entre lui et le tiré. Ces deux in
ductions, quelque peu fondées qu’on les suppose, peu
vent avoir pour le premier des conséquences fâcheuses
qui s’aggraveraient d’autant plus que la circulation de
la lettre de change, portant la preuve du refus, lui don
nerait la plus grande publicité.
Cependant ce refus peut être injuste , et le tireur se
trouver dans le cas d’en obtenir judiciairement la con
damnation, mais lorsque celle-ci interviendra il ne sera
plus temps peut-être, et l’atteinte portée à son crédit
aura occasionné un préjudice irréparable.
Ce n’est pas tout encore ; dans maintes circonstances
le tiré aurait pu vouloir expliquer les causes de son re
fus, et, obéissant à un esprit de rancune ou d’émula
tion, en formuler de fâcheuses pour le tireur, et rendre
ainsi plus dangereuse et plus grave la blessure faite à sa
réputation commerciale.
La loi a sagement pensé qu’en cette matière, mieux
valait prévenir que punir. La raison disait avec M. Par
dessus : Le tiré ne doit pas écrire son refus sur la let
tre de change, ni moins encore le motiver sur des cau
ses qui pourraient nuire au tireur. Quel moyen d’ar
river à ce résultat plus énergique que celui d’appeler
�art. H 9, 120.
277
un officier ministériel pour la constatation de ce refus ?
Ainsi, il y a lieu à protêt dès que ce refus se réalise.
C’est l’huissier ou le notaire qui se présentera pour re
quérir l’acceptation. C’est à lui que la réponse sera don
née par le tiré, et c’est lui qui la transcrira dans son
acte comme il le ferait pour le refus de payement. Ainsi
sera acquise la constatation matérielle du refus d’accep
tation, et si, par suite d’un cautionnement la lettre de
change doit continuer ses pérégrinations, elle pourra le
faire sans devenir pour le tireur une cause de discrédit
et de préjudice.
1 8 3 . — Il est cependant une hypothèse dans la
quelle la lettre de change portera forcément la preuve
matérielle du refus d’acceptation. Le tiré a vingt-quatre
heures pour réfléchir. Dépositaire de la lettre de chan
ge, il pourra écrire d’abord et signer son acceptation
qu’un réavisé le portera à biffer. Quel est son droit à cet
égard ? Quelles seront les conséquences de sa détermi
nation ?
Sous l’empire de notre ancien droit, la doctrine et la
jurisprudence s’étaient préoccupées de ce fait excep
tionnel Voici les divers arguments qui se trouvaient en
présence dans une espèce que rappelle Dupuis de La
Serra.
Contre le tiré, on disait que celui à qui une lettre de
change a été adressée, ayant écrit sur cette lettre qu’il
acceptait, n’avait pas pu rayer son acceptation et qu’elle
�278
DE LA LETTRE DE CHANGE
devait l’obliger au payement comme si elle n’était pas
rayée.
Le tiré répondait que l’engagement de l’accepteur
n’était que dans la délivrance de la lettre au porteur ;
que jusque-là les choses étaient entières, qu’il était le
maître de sa signature ; qu’il avait pu rayer et retran
cher son acceptation. C’est aussi ce que la justice con
sacra, et c’est cette doctrine à laquelle notre auteur
donne son plein et entier assentiment h
La solution et ses motifs ont été adoptés sous l’em
pire du Code. Ainsi, la cour de Liège jugeait, le 26 mars
1811, et la cour de Lyon le 9 août 1848, que tant que
le tiré n’a point délivré la lettre de change qui lui a été
remise pour l’acceptation , il peut rayer celle-ci, car ce
n’est qu’au moment de la délivrance que se forme le
contrat qui lie l’accepteur2.
Mais la doctrine et la jurisprudence n’ont pas m an
qué de découvrir et de constater les dangereuses consé
quences que pouvait entraîner un principe absolu. Ainsi
la délivrance au porteur dans le cas d’un tirage à dou
ble ou à triple exemplaires, dans celui de la négociation
par copie, peut ne se réaliser qu’au moment de l’é
chéance même ; accorderait-on au tiré la faculté de rayer
sa signature jusqu’à ce moment ? Pourrait-on le faire
sans porter le plus grave préjudice à ceux qui, sous la
foi de l’acceptation, sont devenus cessionnaires de la let
tre de change ?
-J
S-V'i
;H
.iu’ e i
1
2
L ’art des lettres de change, chap. x .
J. du P., 2 ,1 8 4 8 , 457.
�art.
119, 120.
279
D’autre part, il n’est pas absolument vrai que le con
trat entre le porteur et l’accepteur ne se réalise qu’au
moment de la délivrance. C’est ici un contrat consen
suel s'il en fût, et dès lors il est parfait dès que le con
sentement mutuel est intervenu.
Or, comment mettre en doute celui du tiré qui, re
cevant la lettre, l’accepte, enregistre cette acceptation
dans ses livres en l’inscrivant dans les comptes et avise
du tout, soit le tireur, soit le porteur. L’un et l’autre
n’agiront-ils pas sur de pareils errements, et faudra-t-il
que cette lettre n’ait été pour eux, et pour ceux avec qui
ils ont traité, qu’un mensonge et un piège ?
Combien tout cela s’écartait de la confiance que le
commerce exige et sans laquelle il ne saurait exister.
Aussi a-t-on réfléchi, et de ces réflexions sont nées les
modifications suivantes :
S’il résultait, dit M. Horson, des registres et de la cor
respondance que l’acceptation signée n ’était pas le fruit
de l’erreur, si le tiré l’avait enregistrée et en avait avisé,
et que ce ne fût qu’ensuite, en apprenant la faillite du
tireur, qu’il a dénaturé le titre en biffant l’acceptation,
on pourrait la considérer comme existant.
Les circonstances, dit de son côté M. Pardessus, doi
vent être appréciées, et sans doute, si après avoir écrit
son acceptation il en avait donné avis au tireur ou à
tout autre intéressé, qui, en conséquence, aurait, ou fait
quelque chose, ou omis de prendre quelques sûretés, de
manière que le changement de volonté du tiré leur fit
�280
DE LA LETTRE DE CHANGE
un tort véritable, celui-ci pourrait être condamné à ré
parer ce tort.
Ainsi donc la possession ne suffit plus si l’accepta
tion a été annoncée. Les choses ne sont plus entières
comme elles le seraient s’il n ’y avait pas eu d’avis, com
me cela existait dans l’espèce citée par Dupuis de La
Serra.
D’autre part, quelle sera la possession utile dont le
tiré pourra se prévaloir ? Celle de vingt-quatre heures, a
répondu la cour de Montpellier. C’est l’unique délai
que la loi accorde, il devra donc s’être définitivement
prononcé avant son expiration, la radiation de la si
gnature opérée après ce délai laisserait intacte l’accepta
tion x.
En effet, la possession, pour produire un effet quel
conque, doit être légitime, et telle est celle du tiré pen
dant vingt-quatre heures, mais ces vingt-quatre heures
expirées, le tiré n ’est plus qu’un dépositaire, il n ’est
plus que le représentant du propriétaire actuel ou futur
de la lettre de change.
Cet effet s’opère par la seule force de la loi, mais il
peut également résulter de la convention. Telle est par
exemple l’hypothèse à laquelle nous faisions allusion
tout à l’heure.
Une lettre de change a été rédigée à double exem
plaire, ou bien il en a été fait une copie ; les secondes
ou la copie sont négociées pendant que l’original est en1 29 ju ille t 4836,
J. du P., 4, 4837, 68.
�ART.
H9, 120.
281
voyé à l’acceptation. Comme il est difficile de savoir à
qui appartiendra la lettre après l’acceptation, et par
conséquent à qui on devrait remettre l’original accepté,
on écrit au tiré d’accepter et de le garder à la disposi
tion du propriétaire.
La lettre arrive au tiré, pendant vingt-quatre heures
il possède la lettre de change comme tiré, mais ce délai
passé, la lettre n ’est qu’un dépôt en ses mains, elle est
une propriété du porteur qui doit lui demeurer intacte
et que, moins que tout autre, le dépositaire pourrait
dénaturer.
A plus forte raison en sera-t-il ainsi lorsque l’accep
teur se sera formellement reconnu et donné la qualité
de dépositaire. Or, cette reconnaissance, la cour de
Montpellier la faisait résulter de ce que, après avoir ac
cepté les traites, le tiré en donnait avis, en ajoutant je
les tiens à la disposition des porteurs des secondes.
« Attendu, d’ailleurs et en fait, disait l’arrêt, qu’il
résulte des termes exprès de la lettre du 5 octobre 1835,
qu’Oppermann, qui avait déjà revêtu les traites de son
acceptation, les gardait à la disposition des porteurs des
secondes ; qu’il se constituait ainsi, par ces expressions
bien entendues, gardien dépositaire des premières par
lui acceptées, et comme les ayant entre les mains à la
disposition des secondes ; que ces traites sont ainsi pas
sées d’Oppermann accepteur à Oppermann dépositaire ;
que cette mutation équipolle à une délivrance matérielle
des traites ; qu’il n’a plus dépendu de lui de faire au
cun changement sur un titre ne lui appartenant pas ;
�282
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il a dû garder ce titre parfaitement intact, avec son
acceptation intégrale qui y était apposée. »
Vainement a-t-on investi la Cour suprême? Vaine
ment lui demandait-on l’annulation de l’arrêt comme
violant les articles 118, 119 et 124 du Code de com
merce. La Cour, sur les conclusions conformes de M. l’a
vocat général Nicod, donne à la doctrine de la cour de
Montpellier l’adhésion la plus complète et rejette le
pourvoix.
Ainsi la délivrance intentionnelle produit un effet
identique à celui qui naîtrait d’une délivrance maté
rielle. Tant que dure le délai de vingt-quatre heures, la
délivrance intentionnelle ne saurait résulter que de l’a
vis donné par le tiré qu’il tient les traites acceptées à la
disposition de celui qui les lui a transmises, ou de ceux
qu’il lui a indiqués comme devant les recevoir. Après
l’expiration des vingt-quatre heures, le même effet se
produit par la seule force de la loi. Cet effet est acquis
par cela seul que la traite n’a pas été restituée dans le
délai légal. Pourquoi, en effet, aurait elle été retenue si,
sa signature biffée, le tiré était devenu étranger à l’opé
ration, s’il l’a gardée au-delà de vingt-quatre heures,
c’est qu’il n ’avait pas encore biffé sa signature, ce qu’il
ne pouvait faire plus tard.
Au reste, les difficultés sur cette matière offriront des
questions de fait plutôt que de droit. Elles sont donc
abandonnées à l’appréciation souveraine des tribunaux.
�— L’acceptation n ’intéresse pas seulement le
porteur et le tireur. Son bénéfice profite énergiquement
à tous les autres signataires, et notamment aux endos
seurs. Chacun d’eux est dès lors recevable et fondé à le
revendiquer. Donc la rétractation que le tiré aurait faite
avec l’assentiment du porteur et du tireur ne saurait
produire aucun effet contre les autres intéressés.
Ce qui résulterait du consentement du porteur, ce se
rait la perte de tout recours contre les endosseurs. Ceuxci diraient avec raison, la lettre de change était acceptée
et pour nous cette acceptation prouvait la provision. Le
tiré devait donc payer, et si nous avions été forcés de le
faire nous-mêmes, nous avions un recours assuré contre
lui. Comment, après nous avoir enlevé toute possibilité
de ce recours, pourriez-vous nous faire condamner en
votre faveur.
Ce n’est donc qu’après avoir fait statuer sur la régu
larité et la légitimité de la rétractation de l’acceptation
que le porteur pourrait recourir contre les endosseurs.
Tant que la justice n’aurait pas prononcé, ceux-ci sou
tiendraient avec raison que, biffée sans droit, l’accepta
tion doit être considérée comme existant et produire tous
ses effets.
184.
185.
— Le jugement statuant sur la contestation
entre le tiré accepteur et le porteur, serait-il forcément
obligatoire pour les endosseurs. L’affirmative conduirait
à ce résultat que les droits de ceux-ci pourraient être
perdus par une collusion coupable entre le porteur et
�284
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’accepteur. On peut admettre que dans l’intérêt de ce
lui-ci le premier pourrait, par une défense plutôt appa
rente que réelle, laisser consacrer une rétractation dont
il n’aura jamais à souffrir.
La raison exigeait donc que les endosseurs auxquels
on opposerait ce jugement fussent reçus à y former
tierce opposition. Cette exigence est d’ailleurs approuvée
par le droit.
Chaque endosseur profite de l’acceptation qui le li
bère de l’obligation de payer, puisqu’elle prouve que le
tiré a provision, ou leur ouvre un recours contre son
auteur. Comment pourrait-il, en son absence et sans son
concours, perdre définitivement un droit que lui a ac
quis la réalisation de l’acceptation.
Les endosseurs ont donc qualité pour assister à l’ins
tance, dont le maintien de l’acceptation sera l’objet. Le
porteur devrait d’autant, mieux y appeler son cédant que
celui-ci peut être plus intéressé que lui-même au sort de
la contestation. En effet, la rétractation admise, le por
teur se tournera vers son cédant et exigera de lui une
garantie ou le remboursement. Qui indemnisera celui-ci
s’il tient la lettre du tireur et si ce tireur est devenu in
solvable. En conséquence, le droit de former tierce op
position au jugement ne saurait lui être sérieusement
contesté.
186.
— Le refus pur et simple d’acceptation doit
être constaté par un protêt. Il devient l’origine d’une
�ART. 119, 120.
285
action que le porteur est recevable à intenter contre les
endosseurs, tireur, contre le tiré lui-même.
Il est en effet certain que si ce dernier avait provi
sion, il pourrait être contraint d’accepter sous peine de
répondre du préjudice que son refus occasionnerait au
tireur.
Mais cette action appartient au tireur exclusivement.
En conséquence, elle ne pourrait être exercée par le por
teur qu’en sa qualité de créancier de ce tireur et aux ter
mes de l’article 1166 du Code civil.
Cette action indirecte ne sera guère exercée que dans
le cas où par l’absence de toute négociation, la lettre ne
porte que la signature du tireur, ou que par le premier
porteur qui aura répondu à l’action des endosseurs aux
quels il avait lui-même cédé la lettre de change.
1 8 * . — Dans les autres hypothèses, le porteur pré
férera s’adresser à son cédant immédiat ou au tireur
lui-même, et éviter ainsi une discussion plus ou moins
longue. C’est dans cette prévision que le législateur a
réglé la forme et les conséquences de ce recours direct.
Nous retrouvons ici, comme dans l’article 118, les
endosseurs sur la même ligne que le tireur. C’était là la
conséquence nécessaire de l’obligation qu'imposait cet
article. Aussi le reproche que le tribunal de Béziers fai
sait à sa disposition, le tribunal de Carcassonne l’adres
sait à celle de notre article 1210. La réponse était la
même. L’endosseur devient pour les cessionnaires ulté
rieurs de la traite un véritable tireur. Ce qui avait fait
�286
DE LA LETTRE DE CHANGE
maintenir l’obligation en principe, devait en faire con
sacrer les conséquences.
188.
— Donc le porteur peut s’adresser aux endos
seurs et au tireur lui-même. Sa demande doit contenir
la notification du protêt faute d’acceptation, sommation
d’avoir, dans un délai déterminé, à fournir bonne cau
tion pour assurer le payement à l’échéance, ou à rem
bourser immédiatement la lettre de change. Par le mê
me exploit on peut, à défaut d’exécution volontaire,
ajourner devant le tribunal pour faire ordonner l’un ou
l’autre.
Aucune difficulté ne saurait naître à l’endroit du ti
reur. Que le porteur s’adresse ou non à son cédant, il
peut également actionner le tireur ; ce dernier ne sau
rait sous aucun prétexte refuser la garantie ou le rem
boursement.
Qu’en est-il des endosseurs, le porteur est-il recevable
à exiger de chacun d’eux une caution ou bien n ’est-il
recevable à la poursuivre que contre son propre cédant?
La raison indique que ce dernier sens doit être préféré,
quand on a une bonne caution assurée, il est inutile d’en
avoir vingt.
C’est au reste la solution qui s’induit du texte de la
loi, et notamment du mot respectivement, que nous
rencontrons dans l’article 120.
Ce mot n’existait pas dans le projet communiqué au
tribunat. Ce furent les sections réunies qui en demandè
rent l’insertion afin de faire apercevoir qu’une seule
�ART. 119, 120.
287
caution ne devait pas suffire pour garantir le défaut
d’acceptation. Dans la pensée du tribunat, si le porteur
peut exercer une garantie et demander une caution au
dernier endosseur, celui-ci a le même droit, pour son
intérêt particulier contre l’endosseur précédent, et ainsi
de suite jusqu’au tireur.
Cette interprétation législative du mot respectivement
fixe le véritable sens de l’article 120. Le tireur exigera
une caution de son cédant, celui-ci du sien, et ainsi
jusqu’au premier porteur. Mais cette règle reçoit excep
tion. Les endosseurs étant garants solidaires de l’accep
tation, il est évident que le porteur pourra attaquer tout
autre que son cédant, surtout si l’insolvabilité de celuici le mettait dans l’impossibilité de donner la garantie
exigée par la loi. Dans ce cas, celui qui serait actionné
par le porteur pourrait, par les mêmes raisons, recourir
contre celui des endosseurs précédents qu’il lui plairait
choisir.
Celte cascade de cautionnements, dont le nombre peut
être considérable, occasionnera quelquefois des frais con
sidérables. Quelque regrettable qu’il soit, ce résultat
était inévitable. On ne pouvait refuser à celui qu’on
contraignait à donner caution la faculté d’en exiger une
de ceux qui occupent à son égard la même position que
celle dans laquelle il se trouvait lui-même vis-à-vis du
porteur. Si celui-ci a le droit d’être garanti, l’endos
seur, exposé à le rembourser et à se trouver ainsi à son
lieu et place, a le droit de l’être également.
Ce droit ne peut être utilisé que par une caution don-
�V
288
DE LA LETTRE DE CHANGE
née par l’endosseur précédent. En effet, chaque cau
tion, c’est l’article 120 qui le dit, n’est obligée qu’avec
celui qu’elle a cautionné. En conséquence, celle du der
nier endosseur est libérée, dès que celui-ci a remboursé
le porteur. Mais qui garantirait cet endosseur si on lui
avait interdit tout recours contre son cédant I
Nous avons donc raison de le dire, cette cascade de
cautionnements peut être un mal ; mais elle était iné
vitable.
189.
— Peut-être cependant aurait-on pu l’amoin
drir en n’autorisant le recours d’endosseur à endosseur
que dans le cas où le tireur n’aurait pu lui-même four
nir la caution, comme s’il était en déconfiture, en fail
lite ou privé de tout crédit.
Dans le cas contraire, si le tireur donne une caution
reconnue solvable, le recours d’endosseur à endosseur
n ’est plus qu’une superfluité qui n’a pas même une rai
son d ’être.
En effet, le tireur devait procurer l’acceptation, c’està-dire la garantie personnelle du tiré. N’aura-t-il donc
pas rempli son engagement si, à défaut de cette garan
tie, il en donne une autre tout aussi solvable, tout aussi
solide ? Qu’y aura-t-il de changé, sinon le nom du dé
biteur ?
D’autre part, le tireur étant solidairement tenu en
vers tous les endosseurs, sa caution le sera également,
de sorte que si la caution ou le tireur payent, les en
dosseurs seront libérés : dans le cas contraire, ils auront
�art. 119, 120.
289
leurs recours contre l’un et l’antre, comme ils l’auraient
eu contre le tireur et l’accepteur.
Voilà ce qu’on aurait pu faire, voilà ce qu’on pourra
faire plus tard, voilà ce qui bien certainement n ’a pas
été fait. Les articles 118 et 120 proclament purement
et simplement la solidarité des endosseurs et du tireur.
La faculté de les poursuivre simultanément et cumula
tivement ne saurait être contestée.
190.
— L’objet de la poursuite est d’abord d’obte
nir une caution. La loi a expressément déclaré que cette
caution devait avoir pour but d’assurer le payement de
la lettre à son échéance, pour faire comprendre que le
refus d’acceptation ne saurait ni modifier la convention,
ni altérer les droits et les obligations réciproques. Ac
ceptée ou non, la lettre de change suivra son cours ré
gulier et normal.
C’est encore dans le sentiment de respect pour la con
vention que la loi a puisé la faculté de substituer une
caution à l’acceptation promise et refusée. L’acceptation,
dit Pothier, est une sûreté sur laquelle celui à qui la
lettre a été fournie comptait lors du contrat qui est in
tervenu entre le tireur et lui.
Il semblerait, dès lors, que le défaut de réalisation de
cette sûreté dût anéantir le contrat et forcer le premier
à rembourser immédiatement la lettre de change. Mais
c’eût été une énorme sévérité que de le consacrer ainsi,
non seulement pour le tireur, mais encore pour les en
dosseurs. Sans doute, le premier a eu le tort de ne pas
i — 19
�290
DE LA LETTRE DE CHANGE
s’assurer d’avance du concours de celui qu’il voulait
choisir pour mandataire, ou de ne pas réaliser la con
dition mise à ce concours, c’est-à-dire le dépôt de la
provision. Mais que peut-on reprocher aux endosseurs?
Ne devaient-ils pas s’en remettre au tireur et croire qu’il
remplirait les obligations qu’il avait contractées ? Cepen
dant ils subiraient une peine égale, peut-être même plus
lourde pour quelques-uns d’entre eux que pour le ti
reur lui-même.
Cette peine pouvait même avoir les plus funestes con
séquences, exercer sur leur position commerciale la plus
fâcheuse influence. Combien de maisons que l’obliga
tion de rembourser immédiatement une somme plus ou
moins forte jetterait dans la gêne, dans l’embarras,
qu’elles ne pourraient vaincre qu’au prix de grands sa
crifices.
La justice voulait qu’on leur évitât les uns et les au
tres. S’agissant, d’ailleurs, de suppléer une garantie, ce
qui se présentait naturellement à l’esprit, c’était le rem
placement de cette garantie par une autre offrant la
même sûreté, obligée au même titre.
Or, la caution autorisée par l’article 1210 doit être
agréée par le créancier, ce qui répond de sa solvabilité.
De plus la loi la déclare obligée solidaire, ce qui la met
sur la même ligne que le tiré, s’il eût accepté.
lo i. — Faute par le tireur ou les endosseurs de
donner caution, le porteur doit être immédiatement rem-
�ART.
119, 120.
291
boursé du montant de la lettre de change et des frais,
notamment de ceux du protêt et du rechange.
La diminution des garanties promises a toujours été
une cause d ’exigibilité de la créance. Il devait d’autant
plus en être ainsi dans notre hypothèse, que l’obligation
du payement immédiat devenait la sanction de celle de
remplacer l’acceptation par une caution solvable et équi
valente.
Ce payement immédiat est tout dans l’intérêt du por
teur. M. Nouguier se méprend donc étrangement lors
que, craignant que le refus de cautionner n’ait pour ob
jet que de contraindre le porteur à accepter le payement
avant l’échéance, il enseigne que le juge peut apprécier
les motifs de ce refus et ordonner que caution sera four
nie, ou que les fonds seront consignés aux risques et
périls du débiteur L
La fraude dont se préoccupe M. Nouguier ne serait
possible que si le débiteur trouvait un avantage dans le
payement avant l’échéance. Evidemment l’absence de
toute possibilité d’un bénéfice est un motif suffisant pour
rendre la fraude également impossible.
Quel pourrait donc être dans notre hypothèse le béné
fice du débiteur dans un payement anticipé ? Evidem
ment l’escompte et la rétention de l’intérêt du jour du
payement à celui de l’échéance. Or, cet escompte, le dé
biteur ne peut pas même y prétendre. La discussion lé
gislative ne laisse subsister aucun doute à cet égard.
�292
DE LA LETTRE DE CHANGE
1 9 8 . — En effet, dans ses observations sur le pro
jet, le bureau consultatif d’Alby avait réclamé la faculté
d’escompter. Les dispositions de l’article, disait-il, ag
gravent le sort du tireur, et ce malheur augmente à rai
son de l’éloignement du terme pour la lettre de change.
Pour obvier à ces inconvénients, il faudrait que le ti
reur fût autorisé à retenir l’escompte légal et ordinaire
dans le commerce. Cela paraît d’étroite justice.
Les commissaires rédacteurs, déférant à cette obser
vation, avaient ajouté à l’article la disposition suivante :
Dans le cas de remboursement, celui qui l’effectue a
droit de retenir l’intérêt du montant de la lettre de chan
ge au cours de la place, à dater du jour du rembourse
ment jusqu’à celui de l’échéance.
La section à laquelle le conseil d’Etat avait renvoyé
le projet retrancha cette disposition.
Son rétablissement fut réclamé dans la discussion gé
nérale. Il est bien vrai, disait-on, que, dans le droit
commun et dans les payements volontaires, l’anticipa
tion n’autorise point la retenue si elle n’est stipulée ou
consentie. Mais l’application de cette règle n’est-elle pas
ici bien sévère, surtout si l’on considère: 1° que l’évé
nement donnant lieu à l’anticipation de payement, n’est
point le fait du tireur, mais une chance malheureuse
pour lui ; 2° que les deniers remboursés avant terme au
créancier commerçant ne restent vraisemblablement pas
oisifs en ses mains. Sans doute, il est juste que celui-ci
ne perde rien ; mais il ne faut pas lui conférer un gain
sur lequel il n’a pas dû compter lors du contrat. La mo-
�AUT.
119, 120.
293
dification rejetée par la section semblait concilier mieux
tous les intérêts.
On répondit : que cette modification avait été écartée
parce qu’il ne doit pas être permis au payeur de chan
ger la convention faite avec le porteur, en le payant
avant terme dans la vue de se ménager des intérêts. Le
porteur ne demande pas son argent ; il peut n’en avoir
aucun besoin avant l’échéance convenue. Pourquoi donc
lui ferait-on payer ce qui n’est pas pour lui un avan
tage ? Le rejet de l’article fut m aintenu l.
Ainsi, c’est précisément pour se prémunir contre la
fraude entrevue par M. Nouguier, que la faculté d’es
compter a été prohibée, il faut reconnaître que le remède
est énergique et décisif. Le débiteur ne trouvera dans le
payement anticipé qu’une perte, celle de l’intérêt que
son argent lui aurait produit jusqu’à l’échéance. Bien
certainement donc il ne recourra pas à la fraude pour
arriver à ce résultat.
D’autre part, le porteur n’a qu’à gagner au payement
anticipé. Il n’y a donc pas à craindre qu’il s’en plai
gne, et moins encore qu’il demande une consignation
contraire à ses véritables intérêts.
Ainsi, à quelque époque que se réalise le payement,
le porteur recevra l’intégralité du capital porté sur la
lettre de change, il recevra de plus les frais du protêt et
du rechange qui, nés à l’occasion du refus d’acceptation,
i Locré,
Esprit du Code de commerce, a r t. <20.
�294
DE LA LETTRE DE CHANGE
doivent rester nécessairement à la charge du débiteur
de cette acceptation.
ART. 121.
Celui qui accepte une lettre de change contracte l’o
bligation d’en payer le montant.
L’accepteur n’est pas restituable contre son accepta
tion, quand même le tireur aurait failli à son insu avant
qu’il eût accepté.
art .
122.
L’acceptation d’une lettre de change doit être signée.
L’acceptation est exprimée par le mot accepté.
Elle est datée, si la lettre est à un ou plusieurs jours
ou mois de vue ;
Et, dans ce dernier cas, le défaut de date de l’accep
tation rend la lettre exigible au terme y exprimé, à
compter de sa date.
ART. 123.
L’acceptation d’une lettre de change payable dans un
autre lieu que celui de la résidence de l’accepteur, indi
�que le domicile où le payement doit être effectué, ou les
diligences faites.
SOMMAIRE
493.
194
493.
496.
197.
198.
199.
200.
201.
202.
203.
204.
205.
206.
Effets de l’acceptation à l ’endroit du tireur et des tiers
sous l’empire de l ’ordonnance de 4673.
Depuis la promulgation du Code.
Caractère absolu de l ’obligation de l ’accepteur. Jurispru
dence.
L’accepteur ne peut exciper ni de l’irrégularité de la lettre
de change, ni de celle de l’endossement.
Mais il peut soutenir que le porteur n ’est pas de bonne
foi.
Conséquence du caractère de débiteur principal que l’ac
ceptation confère, pour le cas de confusion de la créan
ce et de la dette sur la tête de l’accepteur.
L’accepteur ne peut être relevé de son acceptation à l ’é
gard des tiers.
Exception à cette règle dans le cas d’incapacité de l’accep
teur.
Arrêt contraire de la cour de Paris. Examen. Arrêt en
sens inverse de la cour d’Orléans.
La violence, le dol et la fraude autoriseraient-ils également
une exception contre la non restitution ?
Le dol résulterait-il du silence gardé sur la faillite immi
nente du tireur ?
Quiet si on a envoyé à l’acceptation par courrier extraor
dinaire ?
Le propriétaire de la lettre répond du dol du mandataire
qu’il a chargé de requérir l’acceptation.
Effet de l ’antériorité de la faillite du tireur à l’endroit de
l ’accepteur et de la masse.
�296
207.
208.
209.
210.
211.
212.
213.
214.
215.
216.
217.
218.
219.
220.
221.
222.
223.
224.
225.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Formes de l ’acceptation sous l'ordonnance de 1673.
Sous le Code. Conséquences quant à la promesse d'accep
ter ou d l’aveu de l ’existence de la provision.
Motifs qui ont fait prescrire la signature de l'accepteur.
Conséquences.
L’accepteur, n ’apposant que sa signature, doit-il approu
ver l’acceptation écrite d ’une autre main?
La signature isolée de toute autre indication constitueraitelle l ’acceptation ?
L’acceptation est exprimée par le mot accepté. Caractère
de cette exigence.
Equipollents qu’elle comporte.
Le mot d u , suivi de la signature, constitue-t-il l’accepta
tion ?
L’acceptation peut-elle être faite par écrit séparé. Doctrine
pour l’affirmative. Examen.
Système contraire de la Cour de cassation.
Dans quel cas la lettre missive peut-elle renfermer l’obli
gation de payer ?
Résumé.
Conséquences du système des auteurs.
Quand l’acceptation doit-elle être datée.
La date fait foi contre les tiers. Faculté d’en prouver la non
sincérité.
Effet de l ’omission de la date lorsque la lettre est à un
certain temps de vue. Caractère de l ’article 123.
La date de l ’acceptation, lorsqu’elle est requise, doit-elle
être de la main de l ’accepteur ?
Quid si les mots accepté ou vu, étant écrits de la main du
signataire, la date était d’une autre ?
Conséquences et caractère de la disposition de l ’arti
cle 123.
103. — Par l’acceptation , disait Dupuis de La
�ART. 121, 122, 123.
297
Serra, celui à qui la lettre de change est adressée s’en
rend débiteur principal, et le tireur n’en demeure plus
que garant solidaire pour le payement \
Sans doute le tireur a réellement reçu la valeur de la
lettre de change, et il devait être tenu de la restituer.
Mais l’acceptation supposant la provision, le tireur est
censé, jusqu’à preuve contraire, avoir payé au tiré qui
s’est mis à son lieu et place. En conséquence , il ne doit
plus être tenu que comme responsable de la fidèle exé
cution que le mandataire doit donner à son mandat.
Pour les tiers, la signature du tiré et son acceptation
leur donnent un débiteur solidaire de plus. C’est ce que
l’ordonnance de 1673 avait formellement consacré.
Ainsi elle permettait, par l’article 11 du titre v, de
poursuivre l’accepteur ; et Jousse observe avec raison
que cette poursuite était d’une autre nature que celle
que le porteur pouvait diriger contre les endosseurs.
Celle-ci périmait par l’expiration du délai de quinze
jours. Celle-là, au contraire, ne pouvait rencontrer et
subir d’autres obstacles que la prescription de cinq ans.
L’article 12, qui permettait de saisir, avec permis
sion de juge, les meubles et effets du tireur et des en
dosseurs, permettait également de saisir ceux de l’accep
teur.
1 9 4 — Notre Code s’est approprié cette doctrine ; ce
qui se réalisait sous l’empire de l’ordonnance doit se
1
L'A rt des lettres de change, ehap. S.
�298
DE LA LETTRE DE CHANGE
réaliser plus énergiquement encore aujourd’hui. Cet ef
fet, que l’article 121 édicte expressément était déjà ex
plicitement consacré par l’article 117.
Puisque, en effet, l’acceptation suppose la provision
entre le tiré et le tireur, puisqu’elle la prouve à l’égard
des endosseurs et du porteur, l’obligation imposée à
l’accepteur a pour fondement nécessaire la possession
en ses mains d’une somme suffisante pour éteindre la
dette.
Dès lors il devait être tenu de ce payement ; il devait
l’être à titre de débiteur principal, et tel est, en effet, le
caractère que la jurisprudence a imprimé à la disposi
tion de l’article 121.
105. — Ainsi l’obligation de payer, sous laquelle
l’accepteur se trouve placé, est absolue et sans excep
tion. Elle ne cède devant aucun prétexte.
Vainement donc prétendrait-il qu’il n’avait pas pro
vision au moment de son acceptation, vainement offri
rait-il de prouver qu’on ne lui en a fourni aucun de
puis. En admettant que tout cela fût vrai, il pourra re
courir contre le tireur pour se faire rembourser de ce
qu’il a payé, mais jamais en exciper contre le porteur et
moins encore décliner l’obligation de le payer l.
Depuis longtemps la jurisprudence est fixée dans ce
sens. Ainsi, il a été jugé que l’accepteur ne peut se re
fuser à payer sous prétexte qu’il n’avait accepté que
i Aix, 9 février 1816,
�ART. 121, 122, 123.
299
condit onnellement, et à la charge par le tireur de faire
provision î.
Ou sous prétexte qu’il y a compte à faire entre le ti
reur et lu i2.
Enfin et toujours dans le même esprit, la Cour de
cassation décidait, le 1" décembre 1832, que l’accep
teur ne pouvait même exiger un délai pour appeler le
tireur en garantie,
19®. — L’accepteur n’a pas même qualité pour exciper de l’irrégularité soit de la lettre de change, soit de
l’endossement. C’est ce que la cour de Paris décidait
très juridiquement dans une espèce où il s’agissait d’une
lettre de change n’énonçant pas la valeur fournie.
Cette irrégularité, disait l’accepteur, enlève à l’écrit
tout caractère de lettre de change ou d’effet commercial.
Elle peut être invoquée aussi bien par l’accepteur que
par le porteur.
L’exception proposée, répondait le porteur, n’est éta
blie que dans l’intérêt du tireur. Lorsque ce tireur seul
intéressé garde le silence, et que, comme dans l’espèce,
il reconnaît avoir reçu la valeur, l’accepteur est sans
qualité et sans droit pour se prévaloir de l’irrégularité.
Ce système prévalut devant la Cour, qui le consacra
par son a rrê t3.
Montpellier, 29 ju ille t 1835.
J. du P . , 1 1837, 68.
2 Metz, 15 ju ille t 1817. Cass., 10 pluviôse a n x.
3 15 m ars 1826,
�300
DE LA LETTRE DE CHANGE
La même cour avait déj;î adopté la même règle pour
l’irrégularité de l’endossement. Elle avait, en effet, dé
cidé, le 221 décembre 1825, que l’accepteur d’une lettre
de change n’avait pas qualité pour opposer au tiers por
teur le défaut d’indication, dans l’endossement, de la
valeur fournie, ce moyen ne pouvant appartenir qu’au
cédant de la traite.
On l’admettrait de même pour toute autre irrégula
rité de l’endossement. En effet, véritable transport ou
simple mandat, cet endossement autorise suffisamment
le porteur à exiger et recevoir le payement de l’accep
teur.
19®. — Il est une seule hypothèse dans laquelle
l’accepteur serait admis à discuter les droits du porteur,
à savoir : si, par une simulation concertée, ce porteur
n’était autre que le tireur lui-même et agissait réelle
ment pour le compte de celui-ci. La mauvaise foi fait
exception à tous les principes, et il est évident qu’on ne
pourrait légalement le décider ici autrement.
Ce qui établit les droits du porteur c’est la bonne foi;
c’est qu’il a lui-même fourni la valeur dont il veut se
faire rembourser. Mais si rien de cela n’existe, si ce
porteur apparent n’a jamais eu aucun droit sérieux, si,
abusant d’un endossement en blanc, il vient agir dans
l’intérêt du tireur pour lui sauver les exceptions par les
quelles l’accepteur repousserait celui-çi, il serait mons
trueux qu’on permît à la fraude de s’accomplir et qu’on
écartât la preuve que l’accepteur offrirait d’en fournir.
�Donc l’accepteur, soutenant que le porteur est de
mauvaise foi, serait recevable à l’établir pour se dis
penser de payer en ses mains
1 » 8 . — Ainsi, l’accepteur est bien réellement dé
biteur de la lettre de change. La manière dont on a
considéré l’obligation qui lui est imposée le prouve suf
fisamment.
De plus, il est considéré comme débiteur principal, et
cette qualité produit ses effets ordinaires vis-à-vis des co
obligés et cautions. La libération des uns et des autres
est acquise par le payement que l’accepteur ferait, par
la compensation ou la confusion qui éteindrait la lettre
de change en ses mains.
Nous verrons bientôt que la compensation peut s’o
pérer lorsque le tiré auquel on présente la lettre, se
trouvant créancier du porteur, déclare l’accepter pour
se payer à lui-m êm e2.
Il y aurait confusion si, par le résultat de négocia
tions, l’accepteur devenait cessionnaire de la lettre par
lui acceptée. Dès cet instant, cette lettre aurait produit
tout son effet, elle n’existe plus, même pour le tireur.
Sans doute si l’acceptation avait été faite à découvert,
celui-ci serait obligé de rembourser l’accepteur ; mais
cette action est indépendante de la lettre de change, elle
ne peut même naître que du payement, c’est-à-dire de
son extinction.
�302
DE LA LETTRE DE CHANGE
De là, cette inévitable conséquence que la cession
que l’accepteur ferait ultérieurement de la lettre de
change ne pourrait faire revivre les obligations éteintes
du tireur et des endosseurs. C’est ce que la cour de
Rouen a formellement jugé le 7 décembre 1846 L
Cet arrêt fut déféré à la Cour de cassation, on lui re
prochait d’avoir violé les principes et ensuite d’avoir
gardé le silence sur le défaut de provision, duquel on
voulait faire résulter la légalité du recours contre les ti
reurs, mais le pourvoi fut rejeté.
La Cour de cassation déclare, comme l’avait fait la
cour de Rouen, que l’extinction par confusion avait dé
truit les obligations résultant des lettres de change, tant
contre le tireur que contre le premier endosseur ; que
la négociation postérieure n’avait pu faire revivre ces
obligations, alors que l’état matériel du titre prouvait la
confusion opérée.
La Cour suprême ajoute : Attendu que la négociation
des lettres de change avant leur échéance et le silence
de l’arrêt sur la question de savoir s’il avait été fait pro
vision entre les mains du tiré sont des circonstances
qui ne créent aucun lien de droit, au profit du porteur
actuel, contre le tireur et le preneur, puisqu’au moment
de la négociation à lui faite il n’a reçu contre ces der
niers que des titres éteints et sans valeur à leur en
droit 2.
l J. du P., 1, 1847, 285.
s 19 avril 1848. J. duP., 1, 1848, 536.
�ART. 121, 122, 123.
303
Tel est donc l’effet de l’acceptation. Le tiré, jusque-là
étranger au contrat de change, est censé avoir en mains
de quoi remplir le mandat dont il s’est chargé ; il de
vient débiteur principal, et le tireur n’est plus qu’une
caution solidaire, que le payement soit en espèces ou
par compensations, que la confusion libérera, sauf, si
la provision n’a pas été faite, l’action de l’accepteur en
remboursement de sommes payées par lui.
1 9 ». — L’acceptation donnée est irrévocablement
acquise aux intéressés. Déjà, nous l’avons dit, le tiré ne
peut la biffer, même lorsqu’il n’a pas restitué la traite.
A plus forte raison est-il définitivement lié lorsque la
traite acceptée a été rendue à la circulation, c’est ce que
notre article \ t \ exprime énergiquement, en déclarant
que le tiré n’est pas restituable contre son accepta
tion, alors même qu’il l’eût donnée après la faillite du
tireur.
C’est surtout en faveur des tiers que cette prescription
doit sortir à effet. Du tiré au tireur , l’acceptation n’est
rien autre chose qu’un contrat ordinaire, elle serait donc
annulée par les causes qui infirmeraient celui ci, par
exemple, l’incapacité, la violence, l’erreur, le dol et la
fraude.
2 0 0 . — Cependant le principe de l’article \%\ nous
paraît devoir admettre une exception au regard des tiers,
à savoir, celle tirée de l’incapacité. L’acceptation est
évidemment soumise, quant à la capacité des personnes,
�304
DE LA LETTRE DE CHANGE
au principe de droit commun. La convention émanée
d’un incapable n’a jamais existé légalement, elle n’a
jamais pu créer un lien quelconque ; si cela est vrai en
matière ordinaire, pourrait-on le méconnaître en ma
tière commerciale où l’incapable engage non seulement
ses biens, mais encore sa personne, et se soumet à la
juridiction exceptionnelle.
Or, l’incapacité ne se divise pas, il est impossible
qu’elle soit admise pour les uns, rejetée pour les autres.
Elle existe ou non, et, si elle existe, il n’y a jamais eu
contrat.
La conclusion à tirer de ces principes, c’est que le
mineur, la femme mariée non autorisée, l’interdit qui
auraient accepté une lettre de change seraient restitua
bles contre leur acceptation, même à l’égard des tiers
porteurs.
8 0 1 . — Cependant le contraire pour ce qui con
cerne le mineur a été jugé par la cour de Paris, le 24
nivôse an ix, mais cet arrêt ne saurait être suivi. La
protection dont la loi entoure le mineur ne saurait s’ef
facer devant une acceptation que si la loi s’en était ex
pliquée. Or, comme le disait Pothier, je ne connais ni
loi, ni jurisprudence qui tire la création de l’endosse
ment ou de l’acceptation d’une lettre de change de la rè
gle générale qui accorde des restitutions aux mineurs
contre tous les actes par lesquels ils sont lésés '.
i C o n tr a i de c h a n g e , n° 28.
�art.
121, 122, 123.
308
Or, cette règle générale, la loi l’a posée envers et con
tre tous, elle est même transportée dans la matière des
lettres de change par l’article 114 ; il n’y a donc nul
doute possible qu’elle puisse être opposée au tiers por
teur.
On dira peut-être que la violence, le dol, la fraude
sont légalement des causes de nullité ; que cependant on
ne permettrait pas de les opposer aux tiers de bonne
foi.
Cela est vrai, mais le motif de la différence est facile
à saisir. Vainement les tiers se livreraient-ils à des in
vestigations, à des recherches. Le dol, la fraude, la vio
lence échapperaient aux unes et aux autres ; inconnus à
celui qui en a été victime, comment les tiers parvien
draient-ils à les connaître.
Il n’en est pas de même de l’incapacité. La minorité,
le mariage sont des faits matériellement constatés. L’in
terdiction a reçu une publicité certaine ; dès lors la
moindre démarche devait les faire connaître, et les tiers,
obligés de connaître, la condition de ceux avec qui ils
traitent, sont en faute de n’avoir pas vérifié la capacité
de celui qu’ils acceptaient comme débiteur.
Donc, le reproche de négligence, qu’on ne saurait
adresser dans le premier cas, est parfaitement mérité
dans le second. Cette différence dans les causes devait
nécessairement en créer une dans les effets.
Cette doctrine est celle que la cour d’Orléans n’a pas
hésité à consacrer, elle a en conséquence jugé que la
nullité de l’acceptation d’une lettre de change, résultant
i — 20
�306
DE LA LETTRE DE CHANGE
de ce que l’accepteur était pourvu d’un conseil judiciaire
peut être opposée aux tiers de bonne foi ; celte doctrine
est beaucoup plus juridique que celle de l’arrêt de Paris
du 24 nivôse an ix, on devrait donc l’appliquer à tous
les cas d’incapacité l.
3 0 8 . — La violence, le dol, la fraude produisent en
commerce l’effet qu’ils créent en matière ordinaire, ils
font exception à tous les principes. En conséquence,
l’acceptation provoquée et obtenue à leur aide ne pro
duirait et ne devrait produire aucun effet.
Mais cela n’est vrai qu’à l’égard de l’auteur du dol et
de ses complices. En conséquence , le tiers porteur de
bonne foi ne saurait en souffrir. L’exception ne pour
rait lui être opposée ; son ignorance de l’illégitimité du
moyen employé, l’impossibilité de parvenir à la connaî
tre ; le danger d’un concert entre le tireur et l’accepteur,
à l’effet de frapper d’impuissance le droit du porteur,
tout devait le faire admettre ainsi. En conséquence, et
par rapport à lui, l’accepteur ne pourrait, sous prétexte
de violence, de dol ou de fraude, être relevé de son
obligation de payer, sauf son recours contre l’auteur du
quasi-délit.
Cet auteur ne sera pas toujours le tireur. L’accepta
tion peut être requise par le porteur de la traite qui
pourrait, dès lors, dans le but de l’obtenir, s’être livré
à l’un de ces moyens ; ce qui en résulterait, c’est que
�ART. 121, 122, 123.
307
l’exception, qui ne pourrait être opposée à son cession
naire de bonne foi, lui sera incontestablement opposa
ble, soit qu’il n ’ait jamais négocié la lettre de change,
soit que, l’ayant négociée, il en soit redevenu proprié
taire par suite du recours des porteurs subséquents.
3 0 3 . — Par rapport donc à ce porteur, il peut être
utile de rechercher quels seront les faits constitutifs du
dol. On s’est demandé, entre autres, si le dol existerait
dans l’hypothèse où le porteur, requérant l’acceptation,
s’est borné à taire un fait dont il avait connaissance,
par exemple, la faillite imminente du tireur? La néga
tive est enseignée par M. Persil fils.
Pothier soutient l’avis contraire. « C’est un dol de la
part du porteur, dit-il, lorsque, ayant connaissance de
la prochaine faillite du tireur, il dissimule ceUe con
naissance à celui sur qui la lettre est tirée pour qu’il
l’accepte. C’est pourquoi, si l’accepteur peut prouver
que le porteur, lorsqu’il lui a présenté la lettre, avait
connaissance de la prochaine faillite du tireur, il sera
restituable contre son acceptation. »
Nous croyons que la doctrine de Pothier est beaucoup
trop sévère et qu’elle impose au porteur des obligations
que la conscience prescrit, mais que la loi n’a nulle part
consacrées. Celui, en effet, qui requiert l’acceptation
n’est pas obligé de renseigner le tiré, lequel ordinaire
ment correspondant, et dans tous les cas mandataire du
tireur, doit connaître celui-ci beaucoup mieux que le
porteur lui-même. D’ailleurs la demande d’acceptation
�308
de
la
lettre
d e change.
faite par ce dernier est une preuve de méfiance contre le
tireur. Elle doit d’autant plus exciter l’attention du tiré.
Dès lors, s’il s’agit d’une acceptation à découvert, il ne
doit la consentir qu’après s’être assuré de la solvabilité
de celui auquel il va accorder ce crédit.
Nous croyons donc avec M. Persil que le porteur qui
s’est borné à ne pas communiquer au tiré les rensei
gnements qu’il avait sur le tireur n ’a pas commis un
dol. On ne pourrait le décider autrement que si, à cette
réticence, venait se joindre d’autres faits tendant à ins
pirer une certitude contraire à la vérité. Si, par exem
ple, dans la lettre demandant l’acceptation on déclarait
que la solvabilité certaine du tireur semblerait la ren
dre inutile ; qu’aussi ne la sollicite-t-on qu’à titre de
précaution surabondante et pour faciliter une négocia
tion prochaine.
Ces expressions ou autres équivalentes pourraient pa
raître donner au silence gardé sur la faillite imminente
un caractère dolosif. Ce silence, en effet, ne serait plus
isolé. On se serait efforcé d’empêcher qu’on ne décou
vrit la vérité, par les insinuations mensongères sur une
solvabilité qu’on savait bien ne pas exister. Au reste, à
cet égard, la justice ayant un pouvoir absolu d’apprécia
tion n’aurait à suivre que les inspirations qu’elle pui
serait dans les faits et circonstances de la cause.
2 0 4 . — Pothier examine ensuite cette autre cir
constance sur laquelle l’ancienne doctrine avait cru de
voir s’expliquer. Le propriétaire de la lettre de change
�l’a envoyée à l’acceptation par courrier extraordinaire.
Peu après éclate la faillite du tireur. Cette précipitation,
dit Pothier, si elle est jointe à d’autres circonstances,
peut faire présumer dans le propriétaire une connais
sance de la faillite prochaine, et un dol pour faire ac
cepter la lettre ï.
Pothier, exigeant qu’à la précipitation se joignent
d’autres circonstances, contredit quelque peu sa doctrine
de tout à l’heure sur le silence dont il faisait découler le
droit. En effet, la précipitation a une bien autre gravité
que le silence, car on ne peut l’expliquer que par la
certitude de l’imminence de la faillite. Elle contient donc
le silence sur cette connaissance, silence qu’accompagne
un acte indiquant la crainte que le tiré ne soit instruit
par les voie ordinaires. Conséquemment, si on interprète
le silence comme un dol, à plus forte raison devra-t-on
reconnaître ce caractère à l’emploi d’une voie extraordi
naire pour arracher l’acceptation.
Cependant on ne le déciderait ainsi que si, en usant
de cette voie extraordinaire, le commerçant avait fait
exception à ses habitudes de tous les jours. Il est évi
dent que s’il était dans l’usage d’envoyer à l’acceptation
par courrier extraordinaire, l’emploi de ce moyen ne
pourrait devenir la matière d’un reproche
Dupuis de la Serra y mettait une seconde condition, à
savoir, que la nouvelle de la faillite ou de la déconfiture
du tireur fût arrivée par la voie ordinaire. Cette condii Contrat de change, nM18.
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion est rationnelle, si le tiré ne devait pas être instruit
par cette voie, il n’aurait pas à se plaindre. Qu’importe,
lui dirait le porteur, que j’aie envoyé par courrier ex
traordinaire ? Vous avez accepté parce que vous ignoriez
la déconfiture du tireur. Mais cette ignorance n’en au
rait pas moins existé si je m’étais servi du courrier or
dinaire. Vous auriez donc accepté alors comme vous
l’avez fait avant, et mon acte ne vous a dès lors occa
sionné aucun préjudice l.
Au reste répétons que les difficultés que le dol peut
soulever étant des questions de fait plutôt que des ques
tions de droit, on ne saurait poser des règles fixes et po
sitives. Il n’y en a qu’une seule, l’arbitrage souverain
des tribunaux.
305. — Le propriétaire ne présente pas toujours
lui-même la lettre de change à l’acceptation. Il peut
confier ce soin à un mandataire. Le dol que celui-ci
emploierait pour déterminer l’acceptation nuirait au
mandant : Quis mandat ipse fecisse videtur. On doit
donc répondre de la loyauté de celui qu’on se substitue.
A défaut d’imputabilité morale, l’imputabilité matérielle
ne saurait être écartée. Rien ne peut faire qu’on s’enri
chisse par le dol du mandataire.
306. — La loi ne reconnaît pas d’autre exception
à la règle de l’article 121. Conséquemment l’accepteur
i L'Art des lettres de change, chap. x.
�ART. 121, 122, 123.
311
ne pourrait se faire relever de son acceptation pour un
tout autre motif. Il ne le pourrait alors même que son
acceptation, donnée à découvert, constituerait un acte
de crédit, et qu’au moment où elle se réaliserait le ti
reur fût en faillite.
L’antériorité de la faillite ne pourrait donc être utile
ment invoquée par le tiré, mais elle peut devenir, dans
certains cas, l’occasion d’une poursuite contre lui de la
part de la masse.
Sans doute si l’acceptation est faite à découvert, les
créanciers ne sauraient se plaindre. Il est bien vrai ce
pendant qu’en résultat le porteur sera intégralement
payé. Mais, par rapport à la faillite, il n’y aura qu’une
substitution de créancier. L’accepteur venant se faire
rembourser ne retirera que le dividende que les autres
recevront.
Si, au contraire, l’acceptation est faite après provi
sion, elle détermine sur celle-ci un privilège soit en fa
veur du porteur, soit en faveur de l’accepteur lui-même.
La masse, obligée de subir ce privilège, forcée de se con
tenter de la distribution de ce qui excédera le montant
de la lettre de change, en éprouve un préjudice qu’elle
s’efforcera bien souvent d’empêcher. Elle contestera l’ef
ficacité et la régularité de l’acceptation.
Toute difficulté serait impossible si le tiré avait accepté
avant de connaître la faillite. Sa bonne foi le mettrait à
l’abri de tout reproche et laisserait son acte produire
tous ses effets.
�312
DE LA LETTRE DE CHANGE
Pourrait-il y avoir difficulté sérieuse si l’acceptation a
suivi la connaissance de la faillite ?
Scaccia, Dupuis de la Serra, Pothier estiment que le
tiré pourrait être condamné à des dommages-intérêts
envers la masse. 11 a, disent-ils, rendu la position du
porteur plus favorable que celle des autres créanciers ; il
a donc causé à ceux-ci un évident préjudice qu’il doit
réparer.
Cette doctrine a pu être juridique tant qu’on subor
donnait le droit du porteur à l’acceptation du tiré. Alors,
en effet, cette acceptation rendait la position de porteur
plus favorable. Elle lui conférait le droit et la faculté
d’être payé intégralement du montant de son titre, là
où les autres créanciers ne pouvaient recevoir qu’un
dividende.
Or ce système est aujourd’hui déserté par la doctrine
et la jurisprudence. Chaque jour on décide que le por
teur puise son droit, non pas dans l’acceptation, mais
dans l’existence de la provision ; que cette provision lui
est définitivement acquise par cela seul qu’elle a été
réalisée, quelle qu’ait été d’ailleurs la conduite du tiré.
On ne peut donc pas dire que l’acceptation rend la
position du porteur plus favorable que celle des créan
ciers ordinaires. Ce qui détermine ce résultat, c’est le
dépôt de la provision ès-mains du tiré, dépôt dont le
porteur pourrait faire la preuve contre le tiré lui-même.
L’acceptation n’est plus autre chose que la constatation
légale de la provision. Le porteur n’aura plus à la prou
ver. Comment donc punirait-on le tiré pour avoir rendu
�ART.
121, 122, 125.
313
hommage à la vérité, en déclarant un fait qu’on pouvait
établir contre lui.
La faillite du tireur révoque bien le mandat du tiré,
en ce sens que si la provision n’a pas été faite jusquelà, elle ne pourra régulièrement l’être à l’avenir. Aussi
avons-nous vu que celle qui aurait été réalisée après la
cessation de payement ou dans les dix jours qui l’ont
précédée, ne saurait sortir à effetx.
Mais lorsque, avant la faillite, la provision a été faite,
tout est accompli entre le tireur et le tiré, et le mandat,
ne concernant plus que le porteur, doit recevoir sa
pleine et entière exécution. Il est donc impossible que
cette exécution, que ce tiers a d’ailleurs le droit d’exi
ger, puisse devenir une cause de dommages-intérêts.
Ainsi, le droit de la masse, en cas de faillite du ti
reur, se borne à vérifier si la provision a été faite ou
non en temps suspect. Dans le premier cas, le tiré qui
a donné son acceptation connaissant la faillite, l’a don
née à ses risques et périls, il sera obligé de recombler
le montant de celte provision ; dans le second cas, le
dépôt de la provision étant pour le tireur un véritable
payement, ne saurait être contesté ni quant à sa légalité,
ni quant à son efficacité, et l’acceptation n’a pu occa
sionner et n ’a en réalité occasionné aucun préjudice
dont il soit dû réparation.
Toutefois, notre solution ne s’applique qu’à l’hypo
thèse d’une provision spéciale, fournie au tiré en vue
' Supra, nM 150, 160etsuiv.
�0 l4
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la lettre de change et qui n’est en ses mains qu’un
dépôt destiné à la payer. La spécialité de l’affectation,
sa certitude ont, dans ce cas, uni intimement la provi
sion à la traite, dont elle est l’aliment. En acquérant
celle-ci, le preneur a acquis celle-là.
Si le tireur a fourni sur son débiteur, il n’y aura pro
vision, aux termes de l’article 116, que si, à l’échéance
de la traite, le tiré doit une somme égale à son montant.
Mais il faut en outre qu’il puisse la payer. Or, la faillite
du tireur rend cette condition impossible. La masse est
légalement substituée à ses droits, investie de la totalité
de son actif. Comment, dès lors, le tiré, qui ne pourrait
se libérer valablement entre les mains du tireur, pour
rait-il le faire aux mains de son délégué ?
De là cette conséquence que le tiré qui est au courant
de l’état de faillite du tireur connaît l’impossibilité de
payer à autre qu’au syndic. Dès lors, s’il donne son ac
ceptation, il le fait à ses risques et périls. Le seul droit
qu’il aura acquis est celui d’être admis au passif jus
qu’à concurrence du payement qui en aura été la con
séquence, et qui ne saurait nuire ni être opposé à la
masse.
Pourquoi, pourra-t-on dire, en serait-il autrement
lorsque l’acceptation est postérieure à la faillite, mais
donnée sans que le tiré en eût connaissance? Cette igno
rance a-t-elle empêché le désinvestissement du failli?
A-t-elle pu faire qu’il n’y eût pas absence de provision
à l’échéance ?
�Non sans doute, mais comment ne tenir aucun compte
de la bonne foi du tiré ?
En principe, ce que le mandataire fait après la révo
cation du mandat, mais dans l’ignorance de cette révo
cation, est valable envers et contre tous. Or, indiquer un
tiré, c’est consentir un double mandat, celui de se faire
payer par un tiers, en faveur du preneur de la traite ;
celui de payer ce preneur, en faveur du tiers indiqué.
Or, ce double mandat est rempli par l’acceptation de
la part du tiré surtout, puisque, devenu débiteur per
sonnel du porteur, il ne peut plus valablement se libérer
entre les mains du tireur de ce dont il lui était redeva
ble. Il y a donc eu substitution d’un créancier à un au
tre, c’est-à-dire novation, et cela en vertu d’un mandat
formel que l’ignorance de sa révocation permettait d’ac
complir.
On ne pourrait donc annuler l’acceptation au profit
de la masse que si le tiré devait être relevé de ses effets
à l’égard du porteur. Or, l’article 121 le prohibe for
mellement, et puisque l’acceptation est valable à la char
ge de celui qui l’a donnée, concevrait-on qu’elle ne le
fût pas en sa faveur ?
La loi n’a pu vouloir le rendre victime d’un événe
ment qu’il ignorait. Si, malgré la préexistence de cet
événement, elle maintient le contrat, ce contrat doit pro
duire tous ses effets envers et contre tous.
SOSL — Après avoir réglé ainsi les effets de l’accep
tation, le législateur s’est occupé de sa forme. C’est là
�316
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’objet de l’article 122. Il exige d’abord qu’elle soit si
gnée.
L’ordonnance de 1673 exprimait la même règle, en
de termes différents. Elle voulait que l’acceptation fût
faite par écrit. Il est évident que c’est ce que prescrit
également le Code. L’exigence de la signature ne permet
aucun doute à cet égard.
Or, ce qu’on concluait des termes de l’ordonnance ,
c’est qu’elle avait formellement dérogé au principe de
l’admissibilité de la preuve testimoniale qu’on a toujours
considérée comme de droit commun en matière com
merciale. En effet cette preuve ne pourrait arriver qu’à
constater une acceptation verbale, et l’ordonnance dé
clarait formellement abroger l’usage de pareilles accep
tations l.
308.
— L’intention du Code d’adopter à cet égard
les errements de la législation qu’il venait remplacer ne
saurait être douteuse. Il n’a donc pas permis la preuve
testimoniale, et il lui a suffi pour cela d’exiger que l’ac
ceptation soit signée. Celte exigence est une dérogation
explicite à l’admissibilité de la preuve orale. C’est ce
qu’on a admis pour l’existence des sociétés, pour les let
tres de change. C’est ce qu’on admettra toutes les fois
que, pour un acte quelconque, la loi aura prescrit un
instrument écrit.
Vainement donc prétendrait-on trouver une accepta
�tion ailleurs que dans une déclaration signée de l’accep
teur. Cette prétention ne serait pas fondée et ne pourrait
être accueillie alors même qu’on produirait un aveu
écrit de l’existence de la provision ; à plus forte raison
si on se bornait à en offrir la preuve testimoniale L
Il ne faudrait pas cependant tirer de cette règle une
conséquence exagérée. Sans doute une promesse d’accep
tation convenue, l’aveu qu’on a en mains la provision
ne remplaceraient pas l’acceptation signée qu’exige la
loi. Mais l’un et l’autre constitueraient de véritables
obligations susceptibles d’être prouvées autrement que
par écrit, et de recevoir la sanction de l’autorité judi
ciaire. Ainsi on ne pourrait demander que le tiré sera
contraint d’accepter, et qu’à défaut le jugement à inter
venir tiendrait lieu d’acceptation, mais on pourrait, à ti
tre de dommages-intérêts, poursuivre la réparation du
préjudice occasionné par le refus illégitime de l’accep tation.
En d’autres termes, il en est de l’acceptation comme
de la lettre de change. Il faut distinguer l’acte matériel
et l’obligation qui devait en être le fondement. Le pre
mier ne peut être établi que par écrit. La seconde peut
être prouvée par témoins toutes les fois qu’on voudra
ainsi obtenir la réparation de l’inexécution alléguée.
300. — Nous signalions tout à l’heure la différence
existant entre l’ordonnance prescrivant l’acceptation par
1 Pardessus, Droit comm., n° 365.
�318
DE LA LETTRE DE CHANGE
écrit sans s’occuper de la signature, et le Code n’exi
geant que celle-ci. Les motifs qui le firent ainsi consa
crer nous sont expliqués par la discussion législative que
l’article 122 subit. On a voulu prévenir un équivoque
que l’ordonnance semblait autoriser, et empêcher l’abus
d’une erreur. Un banquier à la tête d’une maison con
sidérable peut, disait-on, écrire le mot accepté sur une
lettre autre que celle qu’il veut réellement accepter ; il
s’apperçoit de sa méprise au moment de signer, il s’abs
tient de le faire, mais il oublie de biffer le mot accepté.
D’après l’ordonnance, la porteur aurait pu prétendre
que l’acceptation était intervenue; avec J’article 122,
cette prétention devient impossible. C’est ce que le légis
lateur a en effet voulu consacrer.
De là, il faut noter comme conséquences essentielles :
1° L’abolition de tous les usages que le texte de l’or
donnance avait fait naître, notamment celui de voir une
acceptation valable dans l’inscription du mot accepté,
quoique non suivi de signature. Aujourd’hui, au con
traire, c’est cette signature qui constitue exclusivement
l’acceptation. Disons dès lors, avec M. Pardessus, que
cette signature doit être celle que le négociant emploie
habituellement dans l’administration de ses affaires ;
qu’ainsi un simple paraphe pourrait être déclaré suffi
sant, si la coutume de se borner à l’apposer était éta
blie ;
2° La validité et la régularité de l’acceptation signée
mais non écrite par le tiré. Aucune disposition de loi,
disait la cour de Paris, n’a comblé la lacune de l’article
�ART. 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 5 .
319
122, ni exigé que le mol accepté soit écrit de la main
de l’accepteur l.
8 1 0 . — Cette doctrine nous parait incontestable,
mais elle amène à se demander si dans ce cas la signa
ture doit être précédée du bon ou approuvé prescrit par
l’article 1326 du Code civil ?
Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner cette ques
tion à l’égard des signataires de la lettre de change, et
nous l’avons résolue négativement2. Cette solution nous
l’adopterons également dans notre hypothèse.
Tout ce qui se rattache à la leUre de change obéit
nécessairement à la législation commerciale. Ce carac
tère accessoire ne saurait être refusé à l’acceptation. On
ne pourrait donc la soumettre à l’application du droit
ordinaire. De ce principe qu’elle pose, la cour de Bruxel
les conclut que le bon ou approuvé n’est pas nécessaire,
car la loi commerciale ne l’exige nulle p a rt3.
La question s’étant depuis offerte à la cour de Paris,
y a été résolue dans le même sens. Comme la cour de
Bruxelles, celle de Paris a déclaré que pour l’acceptation
des lettres de change, il n’y a pas d’autres dispositions
que celles du Code de commerce.
La Cour de cassation fut investie de la difficulté par
le pourvoi dont l’arrêt de Paris devint l’objet. Mais ellq
1 9 novembre 1825.
2 Supra, n° 44.
3 11 janvier 1808.
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
ne l’a pas résolue, s’arrêtant à un moyen de fait qui lui
paraît suffisant pour rejeter le pourvoil.
8 1 1 . — La signature apposée isolément sur la let
tre de change, sans être précédée du mot accepté ou de
tout autre équivalent, constitue-t-elle une acceptation
valable et régulière ?
Nous ne voyons pas sur quoi se fonderait la négative.
Invoquerait-on l’article 122, disant que l’acceptation
est exprimée par le mot accepté ? Mais, ainsi que nous
le dirons tout à l’heure, ce terme n’a rien de sacramen
tel ; il peut être suppléé par tous autres indiquant net
tement et sans équivoque l’intention d’accepter. Or, à
ce double titre, quel équipollent plus significatif que la
signature elle-même ? Quels peuvent être le sens et la
portée de son application sur la lettre ?
D’ailleurs, nous venons de le voir , le mot accepté
n’a pas besoin d’être écrit de la main du signataire, pas
même d’une approbation quelconque de sa part. Quel
serait dès lors le résultat de l’opinion contraire à celle
que nous indiquons ? Uniquement de faire que le por
teur écrivît le mot accepté au-dessus de la signature,
rendant ainsi toute difficulté impossible.
Dans ce cas, il serait vrai que l’acceptation n’émane
rait que du porteur, ce qui serait contraire à toutes les
notions consacrées par la loi, il faut donc admettre
�ART.
121, 122, 123.
321
qu’aux yeux de celle-ci la simple signature équivaut à
acceptation et la constitue.
!•
Le Répertoire du Journal du Palais indique, comme
ayant jugé le contraire, un arrêt de la Cour de cassation
du 20 mars 1832, mais la simple lecture de l’arrêt suf
fit pour prouver qu’il est intervenu sur une espèce
n’ayant rien de commun avec celle que nous suppo
sons.
En effet, après le décès du baron Duhamel, son hé
ritier trouva dans les effets un papier blanc sur lequel
étaient écrits ces mots : Accepté pour payer la somme
de 8,000 fr., premier octobre 1818. Signé : Sarat.
fl
-
Poursuivi en payement d’une somme de 17,458 fr.
qu’il devait au même Sarat, cet héritier prétendit com
penser jusqu’à due concurrence le montant de l’accep
tation, compensation que le créancier repoussait. Le
motif qu’il faisait valoir était la nullité de cette préten
due créance, fondée sur un titre n’exprimant pas la
cause de l’obligation, cause qu’on n’indiquait même pas.
Il ne s’agissait donc pas de savoir si la signature du
tiré, écrite sur une lettre de change régulièrement tirée,
constituait ou non une acceptation. La véritable ques
tion de ce procès était précisément de déterminer, en
l’absence de toute lettre de change, le caractère de l’ac
ceptation. Pouvait-on d’ailleurs consacrer l’accessoire
séparément et divisément du principal ? Ne devait-on
pas au contraire ne voir dans un pareil titre qu’un com
mencement de preuve par écrit incapable de fonder une
:ft!
i — 21
Ht t ;
�322
DE LA LETTRE DE CHANGE
obligation, mais pouvant en faire admettre la preuve
testimoniale ?
La cour de Caen se prononce dans ce dernier sens.
Elle exclut d’autant plus l’idée d’une acceptation régu
lière, que si la lettre de change avait été rédigée, elle
pouvait donner à cette acceptation un tout autre carac
tère que celui d’une obligation. Aussi la Cour de cassa
tion approuva-t-elle l’arrêt, attendu qu’une simple ac
ceptation en blanc ne peut être assimilée à une lettre
de change qui serait revêtue des formes exigées par la
loi.
Ce n’est pas au reste la première fois que la cour de
Caen l’avait ainsi jugé. Déjà, et le 31 mars 1817, elle
avait décidé que ces mots : Accepté, payer la somme de
1,519 fr. aux domicile et échéance ci-dessus, mis au
dos d’une lettre de change en blanc, ne peuvent consti
tuer un titre de créance contre le souscripteur, lorsque
le corps de la lettre de change n’a pas été rempli ; que
d’ailleurs cette sorte d’acceptation ne porte aucune énon
ciation de valeur fournie, et que le porteur ne justifie
pas en avoir fourni une.
On le voit donc, ce qui détermine la solution dans
l’un et l’autre cas, c’est l’impossibilité de rattacher l’ac
ceptation à un ordre qui ne s’est pas réalisé, et consé
quemment d’en fixer le caractère. Peut-être, si la lettre
avait été rédigée, les termes auraient prouvé que loin
d’être un titre contre l’accepteur, l’acceptation suivie
de payement serait devenue un titre en sa faveur. Dans
�ART,
121, 122, 123.
323
tous les cas, ces hypothèses sont bien différentes de la
nôtre.
Dans celle-ci, en effet, la lettre de change est rédigée;
elle s’adresse expressément et formellement au tiré, le
mandat est précis ; on ne peut donc hésiter. La signa
ture que celui-ci appose sur la lettre de change ne peut
avoir qu’une signification, l’acceptation. C’est donc celleci qu’il faut admettre.
313. — La seconde prescription à l’égard de la for
me de l’acceptation, est relative au mode dans lequel
elle doit être formulée. L’article 422 se contente du mot
accepté. Ce laconisme est parfaitement de mise dans
une obligation qu’on qualifiait de billet écrit en peu
de paroles.
Nous venons de voir que l’absence de ce mot, si le
tiré a apposé sa signature, n’est pas un motif pour re
pousser l’acceptation. Nous ajoutons que ce mot n ’a en
lui-même rien de sacramentel, il peut être remplacé par
des équipollents, à condition que l’expression résultant
de leur emploi ne soit pas en opposition avec l’obliga
tion qu’il s’agit de contracter.
L’ordonnance de 4673 avait déjà fait justice de deux
locutions qui ne pouvaient qu’engendrer des inconvé
nients, que faire naître l'erreur. Elle abroge, en effet
les formules : vu sans accepter ou accepté pour répon
dre à temps. Ces sortes d’acceptation, dit Jousse, sont
non seulement dangereuses et troublent le commerce
des lettres de change, mais encore inutiles et ne ser-
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
vent qu’à tromper et à surprendre ceux qui n’ont au
cune connaissance des inconvénients qui en peuvent ar
river 1.
Sous l’empire du Code, de pareilles réponses consti
tueraient des refus d’acceptation, donneraient lieu au
protêt, et en conséquence aux recours autorisés par l’ar
ticle 120.
S IS . — Mais ces mots : je ferai honneur, Repaye
rai, j'acquitterai, vu pour payer, constituent des équipollents naturels et légitimes, il résulterait de leur em
ploi'une acceptation régulière devant produire tous ses
effets.
Il a été admis que le tiré, même ayant provision, peut
refuser d’accepter , si l’effet qu’on lui présente n’était
pas écrit sur papier timbré, ou si le papier n’était pas
au timbre proportionnel. Dans l’un et l’autre cas, l'é
ventualité de l’amende peut augmenter les frais et aggra
ver ainsi la position de l’accepteur, obligé de les payer
intégralement, alors même que la provision serait in
suffisante. Il ne peut donc être contraint de courir cette
chance, s’il ne veut pas s’y exposer.
Aussi, s’est-on demandé si la réponse faite par le tiré,
lors du protêt de la lettre de change par duplicata, qu’il
a en mains des valeurs propres à en assurer le paye
ment, mais qu’il ne peut l’acquitter dans l’état d’imper
fection dans lequel se trouve le titre qu’on lui présente,
�ART.
121, 122, 123.
325
est une acceptation suffisante pour l’engager envers le
porteur? La négative a été consacrée par la cour de
Paris, le 20 février 4830 l.
Refuser d’accepter en déclarant avoir provision, c’est
reconnaître que celle-ci n’est pas suffisante pour répon
dre de toutes les éventualités. Le porteur doit, dès lors,
réaliser les diligences que la réponse du tiré le met en
demeure de remplir.
8 1 4 . — Nous venons de voir que les mots : vu sam
accepter, étaient un refus formel ; que ceux : vu pour
payer, constituaient une acceptation régulière ; que
doit-on décider si le tiré s’est borné à écrire le mot vu,
sans y rien ajouter ?
La difficulté ne peut surgir que si ce mot est accom
pagné de la signature du tiré. En l’absence de celle-ci,
la formule sacramentelle elle-même, c’est-à-dire le mot
accepté, mis sur la lettre, ne serait pas une accepta
tion ; à plus forte raison devrait-on le déclarer ainsi
pour le mot v u s.
Merlin enseigne qu’il doit en être de même lorsque
le visa est signé, car cette signature n’établit pas d’une
manière assez précise l’intention du tiré de s’engager.
M. Pardessus adopte l’opinion de Merlin. Le mot vu,
dit-il, ne serait considéré comme un équipollent du mot
i Dans le Journal du Palais , le sommaire précédant l’arrêt indique
par erreur la solution en sens contraire.
s Turin, 14 mai 1810. Cass., 28 février 1824.
�326
DE LA LETTRE DE CHANGE
accepté qu’autant que les circonstances ne permettraient
pas de lui donner un autre sens d’après l’usage des
lieux
Donc, d’après M. Pardessus, la solution ne peut obéir
à des règles absolues et positives ; elle peut el doit être
modifiée suivant les faits spéciaux et particuliers à cha
que espèce, c’est ce que nous admettons également.
Au nombre, et en première ligne des circonstances de
nature à déterminer ces modifications, nous plaçons,
non pas le vu pour payer, que M. Pardessus exige, mais
le caractère du titre lui-même : ou la lettre de change
est payable à un certain délai de vue, ou elle est à
échéance certaine et déterminée.
Dans le premier cas, le vu, écrit et signé par le tiré,
sans autre énonciation, ne peut, à notre avis, être con
sidéré comme une acceptation. Ce qui en résulte, c’est,
d’une part, que le porteur a voulu, par la présentation
de la lettre, faire courir le délai ; de l’autre, que le tiré
a officieusement constaté cette présentation et concédé
au porteur acte de sa diligence. Le vu ne peut établir
que le fait matériel que nous indiquons, d’abord parce
que rien ne prouve qu’on ait demandé autre chose au
tiré, ensuite que si celui-ci avait voulu autre chose que
de fixer le point de départ de l’échéance, il n’eût pas
manqué de s’en expliquer.
Il est vrai que Pothier nous apprend que, de son
i
Cours de droit comm., n° 366, Merlin, v° Accept. des lettres de ch.
Horson, n° 76,
�temps, on exigeait, pour que le visa ne fût pas une ac
ceptation, que le tiré écrivît : vu sans accepter. Mais,
sous l’empire du Code, nous ne craignons pas de l’indi
quer, c’est le contraire qui doit être admis ; il n’y aura
acceptation que si le tiré avait, par exemple, adopté la
locution indiquée par M. Pardessus : vu pour payer, ou
toute autre équivalente.
Dans la seconde hypothèse, à savoir : celle d’une
échéance certaine et déterminée, le vu, suivi de la si
gnature du tiré, constitue une acceptation valable ; com
ment, en effet, adopter le contraire sans se placer dans
une flagrante contradiction avec la raison et le bon
sens?
Une lettre de change ainsi conçue n’a pu être pré
sentée qu’à la seule fin de l’acceptation. A quoi bon, sans
cela, cette présentation? Ne constituerait—t-elle pas une
inutilité, une perte de temps? Dans le commerce, cepen
dant, on ne se livre pas habituellement à l’une et à
l’autre.
Ainsi, la lettre de change n’est présentée que pour la
faire accepter ; cela acquis, quel sens donnera-t-on rai
sonnablement au visa écrit et signé par le tiré ? Il serait
absurde d’en induire un refus d’acceptation, car, pour
constater ce refus, il ne fallait ni écriture, ni signature ;
il suffisait de la restitution pure et simple de la lettre. La
prétention contraire nous rappelle cet actionnaire qui,
s’inscrivant sur un acte de société après avoir écrit :
bon pour m e action, demandait la nullité de [son en-
�328
DE LA LETTRE DE CHANGE
gagement, parce qu’il avait eu l’intention d’écrire non
four une action.
Ainsi, dans notre première hypothèse, le visa signé
peut n’avoir pour objet que de fixer le point de départ
de l’échéance; on doit dès lors le présumer ainsi jusqu’à
preuve contraire.
Dans la seconde, ce même visa ne peut signifier que
la volonté d’acceptation. Toute autre interprétation se
rait absurde. C’est donc pour elle que nous nous pro
nonçons.
315. — L’acceptation peut-elle être régulièrement
donnée par acte séparé ?
L’affirmative invoque le silence gardé à ce sujet par
l’article 1212, silence que le prince archichancelier inter
prétait en ces termes : Puisque l'article n'exclut pas
l'acceptation par lettre missive, on en conclura na
turellement qu'il la permet K
Telle est en effet la conclusion adoptée par les au
teurs. Sauf M. Persil, tous les autres, MM. Merlin, Par
dessus, Locré, E. Vincent, Nouguier, Dalloz se pronon
cent pour la validité de l’acceptation par lettre missive.
Il y a sans doute de la témérité à ne pas se rallier à
une opinion qui se recommande d’une telle masse de
lumières et de savoir. Mais une étude approfondie ne
nous a pas permis de le faire.
Le silence gardé par l’article 122 ne nous paraît pas
1 Locré, t. 48, p. 46.
�ART.
121, 122, 123.
329
autoriser l’induction qu’en tirait le prince archichance
lier. L’acceptation complète la lettre de change en ren
dant le tiré débiteur solidaire. Elle est tellement de son
essence, que son refus donne lieu à protêt et confère au
porteur le droit d’exiger une caution ou le payement
immédiat.
Il est donc rationnel d’admettre que tout ce qui con
court à la perfection du titre doit résulter du titre luimême ; que dès lors si le législateur eût entendu qu’il
pût en être autrement pour la lettre de change, il aurait
dû s’en exprimer expressément et formellement.
Son silence exclut donc la conclusion du prince archi
chancelier, loin de l’autoriser, puisqu’il laisse les choses
sous l’empire de la règle ordinaire.
Il en est de l’acceptation comme de l’aval. Si celui-ci
peut être donné par acte séparé, c’est uniquement parce
que l’article 142 l’autorise. Sans cela il n’eût pu évi
demment être valablement fourni sous cette forme. Pour
quoi donc en serait-il autrement pour l’acceptation.
L’aval ajoute au titre, mais il ne lui est pas indispensa
ble, tandis que l’acceptalion le complète. On doit donc,
par une supériorité de raisons incontestables, décider
pour elle ce qu’on aurait admis pour l’aval, si l’article
•142 ne s’était pas expressément expliqué.
Si on avait voulu pour l’une ce qu’on autorisait pour
l’autre, on aurait d’autant moins omis de se prononcer,
qu’on était en demeure de le faire, car la question était
agitée au conseil d’Etat. Merlin, s’étayant de l’opinion
des jurisconsultes hollandais, allemands, espagnols, de-
�550
111
III
I!
: i , y !;!||
p;* ;
1
DE LA LETTRE DE CHANGE
mandait que la loi consacrât expressément le système
qu’elle adopterait, quel qu’il fût. Si M. Crétet pensait
qu’on ne devait pas faire, de l’acceptation sur la lettre
de change, une règle trop absolue , M. Régnault de
Saint-Jean-d’Angely soutenait l’avis contraire qui, sui
vant lui, s’induisait de l’article 122 , et cet article était
adopté sur l’observation de M. Begouen que , dans sa
concision, il contenait tout ce qu’il était utile de dire.
Tout ce qu’on pourrait induire de ces débats dans
l’intérêt du système que nous repoussons, c’est que l’ar
ticle 122 n’a pas tranché la question. Mais alors la rè
gle que la perfection du titre doit résulter du litre mê
me, n’a été ni modifiée ni altérée. C’est donc à elle
qu’il faut s’en tenir, et dès lors reconnaître que l’ac
ceptation doit être donnée sur la lettre de change.
N’est-ce pas d’ailleurs ce qui résulte de l’article 125?
| B
!
il
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it j| l
ir
fl
Là lettre de change doit être acceptée a s a p r é s e n t a
t i o n , ou, au plas tard, dans les vingt-quatre heures
de sa présentation ; après les vingt-quatre heures, si
elle n'est pas rendue a c c e p t é e o u n o n a c c e p t é e , celui
qui l'a retenue est passible de dommages-intérêts en
vers le porteur.
Ainsi la lettre de change doit non seulement être pré
sentée mais encore remise aux mains du tiré qui peut
la retenir vingt-quatre heures, et qui doit la restituer
avec ou sans acceptation. A quoi bon cette prescription,
si l’acceptation ne devait pas nécessairement être ins
crite siur la lettre de change ?
La Combinaison des articles 122 et 125, leur rappro-
�chement avec l’article 142 expliquent nettement la pen
sée du législateur , il n’a entendu permettre, ni permis
pour l’acceptation, ce qu’il autorise pour l’aval.
La raison qui devait le déterminer ainsi s’induit de la
nature de ces deux actes. L’aval implique ou la qualité
du débiteur ou la volonté réfléchie de se rendre caution.
L’acceptation n’entraîne ces conséquences que lors
qu’elle est donnée. Mais la lettre de change, parfaite
sans l’aval, est incomplète à défaut d’acceptation ; le ti
reur et les endosseurs sont obligés de la suppléer ou de
perdre le bénéfice du terme.
D’ailleurs, la garantie résultant de l’acceptation est
un élément essentiel pour la circulation de la lettre de
change. Dans la pratique, on n’est pas dans l’habitude
de se préoccuper de î’aval, mais on se préoccupe tou
jours de l’acceptation, à tel point que son absence ren
dra la négociation difficile, sinon impossible.
L’intérêt bien entendu des affaires prescrivait donc de
tenir compte de cette différence entre l’aval et l’accepta
tion, et dès lors de ne pas séparer celle-ci de la lettre
de change elle-même.
3 1 6 . — Le texte et l’esprit de la loi repoussent donc
le système contraire, et c’est ce que la Cour de cassa
tion a décidé à toutes les époques.
Non qu’elle dénie à la lettre missive tout effet obliga
toire. Attendu, disait-elle le 16 avril 1823, que si, au
lieu de donner son acceptation sur la lettre de change,
le tiré se borne à écrire au tireur et à lui mander ou
�332
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il acceptera, ou qu’il payera, il peut bien résulter de
cette correspondance quelque obligation contre lui ; cette
obligation n’est pas celle qui dérive du contrat de chan
ge, et qu’elle ne peut par conséquent donner lieu aux
poursuites que la loi n’autorise que contre ceux dont la
signature existe sur lettre de change.
Nous verrons tout à l’heure dans quels cas, à quelles
conditions, envers qui l’écrivain de la lettre missive peut
être engagé. Mais, pour la Cour de cassation, cet enga
gement ne sera jamais celui que contracterait l’accep
teur. Ce qui est la négation de la faculté d’accepter par
écrit séparé.
Or, cette doctrine, que la Cour régulatrice consa
crait déjà le 16 juin 1807, sous l’empire de l’ordon
nance de 1673, elle l’a invariablement professée depuis
le Code.
L’arrêt de 1807 était rendu dans l’espèce suivante :
Les sieurs Àlbrecht et Delbruck, négociants à Bor
deaux, étaient créanciers de Philippe Couve, de Mar
seille. Sur l’invitation de celui-ci, ils tirent sur son or
dre et pour son compte deux lettres de change sur
Féronce et Crayen de Lyon. Avisés de l’opération, ceuxci répondent : Los traites recevront le meilleur ac
cueil.
Ces traites ne sont pas présentées à l’acceptation.
Avant leur échéance, Couve est déclaré en faillite ; les
tirés, se prévalant de la non acceptation, refusent de
payer. Ajournés en justice, ils sont condamnés par le
tribunal qui induit l’acceptation de la correspondance.
�art. 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 3 .
33 3
La cour de Lyon, saisie du litige, infirme le juge
ment : « Considérant qu’il ne résulte pas de la corres
pondance entre Albrecht et Delbruck, et Féronce et
Crayen, que les premiers aient consulté les seconds sur
une opération qu’ils avaient déjà consommée, ni de la
réponse de ces derniers qu’ils aient contracté aucun en
gagement envers Albrecht et Delbruck, avec qui ils cor
respondaient pour la première fois ;
« Considérant que l’ordonnance de 1673 exige im
périeusement que l’acceptation d’une lettre de change
soit pure et simple, et ne puisse être suppléée par au
cune stipulation ;
« Considérant que Féronce et Crayen n’ont point ac
cepté les traites en question. »
Donc, la cour de Lyon ne considérait pas la lettre
missive comme constituant l’acceptation régulière, car si
elle eût pensé le contraire, elle n’eût pas manqué de
voir, dans la réponse des tirés, l’acceptation pure et
simple et sans condition, et cette doctrine était consa
crée par le rejet du pourvoi que la Cour régulatrice pro
nonçait le 16 juin 1807.
Le Code de commerce ayant, quant à l’acceptation,
reproduit les exigences de l’ordonnance, ce qui était ju
ridique sous l’empire de celle-ci, ne pouvait avoir cessé
de l’être depuis sa promulgation ; aussi, la Cour de cas
sation, nous l’avons déjà dit, consacrait de nouveau sa
doctrine de 1807, par arrêt du 6 avril 1823.
L’espèce de cet arrêt est fort remarquable, et donne
à sa solution une décisive importance.
�334
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le 27 décembre 1816, Avigdor, de Marseille, tire sur
Raba, de Bordeaux, trois lettres de change, ensemble de
12,300 fr., à l’ordre du sieur Olivieri, payables à trente
et quarante jours de date.
Le 3 janvier 1817, ces traites sont présentées à l’ac
ceptation ; Raba, qui n’avait pas été avisé, refusant de
les accepter, elles sont protestées faute d’acceptation.
Le lendemain, 4 janvier, Raba reçoit la lettre d’avis ;
il répond le même jour qu’on n’a qu’à lui présenter de
nouveau les traites, et que tout honneur y sera fait.
Il ajoute : vous pouvez assurer le porteur que tout
honneur y sera fait, et qu'il ait de nouveau à les con
fier à une maison ou à la même pour que je fasse le
nécessaire.
Les traites ne sont pas représentées, et peu de temps
après éclata la faillite d’Avigdor.
Le porteur, excipant de la lettre du 4 janvier, soutient
qu’elle renferme une acceptation formelle. Il demande,
en conséquence, que Raba soit reconnu débiteur et con
damné à payer. Raba répond que sa lettre n’est qu’une
promesse d’accepter lorsque les lettres lui seront pré
sentées ; que, dans tous les cas, l’acceptation n’ayant
pas été donnée sur la lettre de change, serait irrégu
lière et nulle. Cette exception est accueillie par le tribu
nal de commerce de Bordeaux.
Mais, sur l’appel, la Cour la repousse. Attendu que le
mot accepté prescrit par l’article 122 peut être suppléé
par des équipollents ; que la lettre du 4 janvier renfer
me une acceptation formelle ; que ces expressions : tout
�ART. 1 1 2 ,
122, 123.
355
honneur y sera fait, je ferai le nécessaire, sont équipollentes au mot accepté ; qu’elles sont même beaucoup
plus fortes.
Personne n’a jamais contesté que le mot accepté puisse
être remplacé par des équipollents, et il est évident que
celui qui écrirait ou signerait sur la lettre de change :
tout honneur y sera fait, ou je ferai le nécessaire, au
rait donné une véritable acceptation, et serait solidaire
ment obligé au payement.
Mais devait-on le décider ainsi lorsque ces expres
sions ne se trouvent que dans la correspondance. Pou
vait-on, sans violer la loi, considérer la lettre missive
comme l’acceptation exigée par elle ?
La Cour suprême se prononce pour la négative. En
conséquence, après délibération en la chambre du con
seil, elle casse l’arrêt de la cour de Bordeaux, sur le
motif qu’il résulte de l’article 122 que l’acceptation
doit être écrite et signée sur la lettre de change même,
et exprimée par le mot accepté, ou autres termes équi pollents dont ils n’excluent pas l’emploi; que quand l’ar
ticle 425 ajoute que la lettre de change doit être acceptée
à sa présentation, ou au plus tard dans les vingt-quatre
heures, et rendue dans le même délai, acceptée ou non
acceptée, il est impossible de méconnaître que le légis
lateur a entendu que l’acceptation serait inscrite sur la
lettre présentée.
Le 4 juillet 1843, la Cour régulatrice consacre de
nouveau cette doctrine. En conséquence, elle casse un
�336
DE LA LETTRE DE CHANGE
arrêt de la cour de Metz, qui s’était prononcée en sens
contraire,
Il est vrai que, dans ce dernier arrêt, la Cour de cas
sation déclare que si ce mode d’acceptation n’exclut pas
toute autre manière de s’obliger au payement des lettres
de change à présentation ou à vue, il faut alors que
l’acte écrit, dans lequel on puise cette obligation, soit
formel et contienne un engagement exprès et sans con
dition.
M. Dalloz, induit de ce motif que la Cour est revenue
de sa jurisprudence ; ne semble-t-elle pas, en effet, ditil, déclarer que si l’engagement de payer eût été formel
lement exprimé dans un titre au profit du porteur, elle
se serait prononcée pour la validité de l’engagement du
tiré 1.
Oui, sans doute, mais à quel titre l’eût elle déclaré
tenu ? Est-ce comme accepteur ? Non évidemment, car,
dans les motifs qui précèdent, elle vient de dire que
l’acceptation ne peut être donnée que sur la lettre de
change ; elle n’eût donc validé l’engagement qu’en force
de cet engagement lui-même, de la convention léga
lement intervenue , indépendamment de l’acceptation.
N’a-t-elle pas déjà, dans son arrêt du 16 avril 1823,
déclaré qu’à l’égard du tireur, la correspondance peut
devenir contre le tiré le germe d’une obligation qui n’en
devra pas moins produire son effet, malgré qu’elle ne
soit pas une acceptation.
1 N o u v . R é p ., v° E f f e ts de co m m ,, n° 316.
�ART.
121, 122, 125.
357
L’arrêt de 1843 ne fait qu’appliquer cette conséquence
au porteur, et il devait le faire par un a fortiori incon
testable. Si le porteur n’a consommé la négociation que
sur l’assurance du tiré qu’il payerait à l’échéance, se
rait-il juste de laisser à sa charge le préjudice qui résul
terait de l’inaccomplissement de cet engagement ?
Non évidemment. La justice exige que ces conséquen
ces grèvent l’auteur du préjudice, il ne pourra être con
damné comme accepteur, mais il le sera à titre de dom
mages-intérêts, et c’est ce que la jurisprudence a admis,
nous allons le voir. C’est aussi et uniquement ce que
consacre l’arrêt de 4843.
La Cour de cassation est si peu revenue alors de sa
jurisprudence, que depuis elle n’a pas cessé de la main
tenir. Ainsi, un arrêt de la cour de Rouen, qui en avait
fait l’application, étant attaqué devant elle, elle rejette le
pourvoi le 15 mai 1850 : attendu que la cour de Rouen
a fait une juste application de la loi, lorsqu’elle a dit, en
se fondant sur les articles 115, 116 et 122 du Code de
commerce, que le tiré n’est obligé au payement de la
lettre de change qu’autant qu’il l’a acceptée, et lorsqu’il
y a provision entre ses mains à l’échéance ; et que l’ac
ceptation doit être faite par écrit sur la lettre de change,
par le mot accepté, suivi de la signature du tiré, ou par
des expressions équivalentes1.
Enfin, la cour d’Àix s’étant, le 4 août 1858, pronon
cée dans le même sens que la cour de Rouen, son arrêt
1 D. P ., 50, 4, 149.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
358
fut déféré à la Cour de cassation ; mais le pourvoi était
également rejeté le 27 juin 1859 l.
La Cour suprême n’a donc jamais varié ; de 1807 à
1859, elle a résolu la question dans un sens identique,
et que nous croyons le seul juridique et légal.
3 1 1? . — Nous concluons donc qu’il n’y a d’accep
tation régulière et obligatoire que celle qui est écrite et
signée sur la lettre même. Nous admettons également
que la lettre missive, insuffisante pour constituer cette
acceptation, peut devenir pour le tiré l’origine d’une
obligation de nature à le faire condamner au payement
de la lettre de change, à titre de dommages-intérêts.
Toutefois, ce principe proclamé par la Cour de cassa
tion, tant en faveur du tireur qu’à l’égard du preneur,
nous paraît d’une application difficile en ce qui con
cerne le premier.
En effet, du tireur au tiré la promesse d’accueil n’est
jamais qu’une promesse de crédit naturellement et né
cessairement subordonnée, soit à la réalisation de la
provision, soit tout au moins à un état de solvabilité
parfaite.
Si cet état existe, le défaut d’acceptation, qui aura
pour résultat de contraindre le tireur à rembourser le
porteur, ne lui occasionnera aucun préjudice, puisque,
tirant à découvert, il devrait en définitive se libérer aux
mains du tiré, si celui-ci avait accepté et payé.
i
ld.,
59, 1, 390.
�ART.
121, 122, 123.
359
Si la solvabilité du tireur, certaine au moment de
l’annonce de la création des traites, a disparu le jour où
elles sont présentées à l’acceptation, le tiré est délié des
effets de sa promesse. La condition sous la foi de la
quelle il l’a donnée, n’existe plus, et il ne saurait être
passible de dommages-intérêts, puisque son refus n’est
dicté que par un intérêt légitime, et qu’on ne saurait
jamais être contraint de faire crédit à celui qui ne doit
et ne peut plus en inspirer aucun.
Du tiré au porteur la thèse est toute différente. Celui
qui, avant de prendre les lettres de change qu’on lui
propose, consulte le tiré, prouve qu’il n ’entend pas faire
confiance au tireur, et qu’il n ’aurait pas traité si le pre
mier n’accordait pas sa garantie.
La promesse formelle de celle-ci a donc fait conclure
la négociation. Elle a dû être acceptée par le porteur
comme l’indication que son auteur avait en mains de
quoi suffire au payement des traites.
Serait-il juste que le tiré pût après coup réfracter sa
promesse et exposer ainsi le porteur à perdre ce qu’il n ’a
fourni que sur la foi de celte promesse ? Quel reproche
pourrait-on lui adresser, quelle faute lui imputer ?
Le tiré au contraire a agi au moins avec légèreté. Si
son engagement n’était que conditionnel dans sa pensée,
il devait s’en expliquer, subordonner l’accueil qu’il ré
servait aux traites à la réception de la provision, ou au
maintien de la solvabilité du tireur. En le promettant
purement et simplement, il a induit le preneur en erreur,
�340
D E LA
L E T T R E D E CHANGE
l’a poussé à un acte dont il se serait abstenu, il doit
donc répondre du préjudice qui en est résulté.
Ces considérations indiquent dans quels cas la pro
messe d’acceptation peut constituer contre le tiré un en
gagement pouvant le faire condamner au payement de
la lettre de change. Elle n’acquiert ce caractère que si,
donnée à l’occasion d’une négociation projetée, elle en a
déterminé la consommation.
C’est ce qu’indiquait fort clairement la cour d’Àix
dans son arrêt du 2 août 1858.
« Attendu que si Weikershein et Cie, avant de four
nir leurs fonds à Trasciatti, avaient obtenu de Chigizzola
et Cie une promesse de bon accueil pour les traites à
tirer sur eux en remboursement de ses avances, il serait
juste de voir là une garantie ayant déterminé le prêt
consenti plus tard, et l’on devrait en induire contre la
maison de Marseille l’obligation de payer les traites re
présentant la somme ainsi cautionnée. »
L’avis donné après la consommation de l’opération
n’a plus aucune importance, et la réponse, quelque af
firmative qu’elle soit, ne saurait devenir l’origine d’une
obligation quelconque. Les fonds déjà remis au tireur
ne seraient pas rentrés en la possession du porteur si
cette réponse avait été négative. Ce n’est donc pas en
considération et sous la garantie du tiré que ce porteur
a agi, et puisqu’il a suivi exclusivement la foi du tireur,
il doit subir toutes les chances auxquelles il s’est exposé.
La cour d’Aix le décidait ainsi expressément dans ce
même arrêt qui, comme nous venons de le dire, était
�ART.
121, 122, 123.
541
sanctionné par la Cour de cassation le 27 juin 1859 L
Ainsi, pour que la promesse d’un bon accueil, qui ne
peut jamais constituer l’acceptation légale, devienne con
tre le souscripteur l’origine d’une obligation, il faut
qu’elle ait été donnée au preneur des traites ; qu’elle ait
précédé leur négociation. La réunion de ces conditions
ne fera pas considérer le tiré comme accepteur, mais
l’obligera au payement à titre de réparation du préjudice
que son fait personnel a occasionné. Ce résultat, qui
s’induit implicitement de l’arrêt de la cour d’Aix, a été
formellement consacré d’abord par la cour de Paris, en
suite par la Cour de cassation, dans l’espèce suivante :
En novembre 1818, les sieurs Oppenheim, banquiers
à Cologne, préviennent le sieur Worms de Romilly, ban
quier à Paris, que d’ordre et pour compte de la maison
Wolf-Levy, ils tireront sur lui des traites pour la som
me de 20,000 fr. le sieur Worms répond qu’il fera hon
neur à ces traites à présentation.
Onze mille francs avaient été déjà payés lorsque WolfLevy tombe en faillite. Sur le refus de payer les 9,000 fr.
restant, le porteur assigne Worms en payement. Celui-ci
excipe du défaut d’acceptation, mais sa prétention d’a
bord repoussée par le tribunal de commerce, est ensuite
condamnée par la cour de Paris.
Le pourvoi contre l’arrêt est à son tour rejeté, le 16
mars 1825. « Attendu que sur la demande formelle
d’Oppenheim , Worms de Romilly s’était obligé envers
l L yon, 24 a o û t 4827.
�342
DE
LA
LETTRE
D E CHANGE.
lui directement, et indépendamment de l’acceptation, à
lui assurer le payement des traites à tirer pour le compte
de la maison Wolf-Levy ; que dans ces circonstances,
en décidant que la maison Worms de Romilly devait
acquitter les traites dont elle avait ainsi assuré le paye
ment, l’arrêt attaqué n’a fait qu’ordonner l’exécution
d’une obligation avouée tout à la fois par les lois civiles
et commerciales. »
318. — En résumé, il n’y a d’acceptation légale et
obligatoire que celle qui est donnée sur la lettre de
change par le mot accepté ou autres termes équivalents,
suivis de la signature du tiré.
La lettre missive, quels qu’en soient les termes, ne
constitue jamais l’acceptation. Mais elle peut créer un
engagement contre le tiré, si, sans la promesse d’accep
ter ou de payer qu’elle renferme, le porteur ne se serait
pas chargé des traites.
Ce caractère ne peut s’induire de la promesse faite au
tireur qui n’est jamais que conditionnelle. Il ne résulte
de celle adressée au porteur que s i , sollicitée avant la
négociation, elle en est devenue la cause déterminante,
il en serait du tireur d’ordre et pour compte comme du
porteur.
319. — Dans l’hypothèse où la lettre missive équi
vaudrait à l’acceptation, doit-on faire résulter cette ac
ceptation des termes le meilleur accueil est réservé à vos
traites, ou nous leur ferons honneur ?
�art.
121, 122, 123.
343
L’affirmative ne nous parait pas douteuse, elle serait
la conséquence forcée du principe qu’on admettrait. Il
est vrai que l’opinion contraire peut s’étayer des arrêts
de la Cour de cassation de 1807 et de 1843. Mais ce
qui explique que ces arrêts ont déclaré ces termes in
suffisants, c’est qu’ils repoussent la faculté d’accepter
par écrit séparé.
Auraient-ils statué ainsi s’ils avaient consacré cette
faculté ? On ne saurait le supposer. Dans ce cas, en ef
fet, l’écrit séparé serait considéré comme la lettre de
change. Or, supposez que le tiré ait écrit sur celle-ci :
je ferai le meilleur accueil, ou je ferai honneur à la pré
sente, hésiterait-on à voir là l’acceptation ? Pourquoi et
comment décider le contraire si l’acceptation peut être
donnée par lettre missive ? Ne serait-ce pas consacrer
un principe et en dénier les conséquences.
Sans doute, comme le faisait remarquer le tiré, dans
une des espèces des arrêts que nous venons de citer, ces
conséquences amèneraient à convertir en obligation une
politesse entre correspondants. Ou, comme le disait le
tribunal de commerce de Marseille dans l’affaire Weikershein contre Chighizzola, à faire résulter l’acceptation
d’expressions qui ne sont usuellement employées que
comme formules de style, et ne sauraient avoir com
mercialement la portée et la signification qu'on vou
drait leur donner.
Que conclure de ces anomalies? A notre avis, que le
système qui les engendrerait est vicieux ; il faut donc le
rejeter, mais le rejeter en principe et non dans ses con-
�344
D E LA
LETTRE
DE
CHANGE.
séquences. Admettre l’un, c’est inévitablement sanction
ner les autres, à peine de méconnaître les lois de la rai
son et de la logique.
Reconnaître la validité de l’acceptation par écrit sé
paré. c’est encore enlever tout intérêt à la question de
savoir à qui du tireur, du porteur ou du tireur d’ordre
et pour compte a été adressée la promesse d’accueil. La
distinction n’est utile que dans l’hypothèse où, cette
promesse ne constituant pas l’acceptation, il s’agit de re
chercher si le tiré est ou non engagé envers ces derniers.
C’est avec raison que, dans cette recherche, la cour de
Lyon, jugeant le 3 août 1848, que la promesse d’ac
cepter la lettre de change contenue dans une correspon
dance adressée au tireur, ne formait point contrat entre
le porteur et le tiré ; que dès lors elle peut être révo
quée par celui-ci, alors qu’il a appris que la solvabilité
du tireur devient de plus en plus douteuse L
Mais si la promesse équivaut à l’acceptation , même
faite par lettre missive adressée au tireur, le bénéfice en
est acquis au porteur, seul intéressé à s’en prévaloir. Le
tiré n ’a ni le droit, ni la possibilité de la rétracter, pas
plus que s’il l’avait donnée sur la lettre de change ellemême, à laquelle on incorporerait la lettre missive qui
en serait le complément.
En réalité donc, et malgré que le tiré n’ait jamais
contracté avec le porteur, c’est envers lui qu’il serait
principalement engagé, à tel point qu’il devrait payer
1 J.
du P., 2 ,1 8 4 8 , 457.
�art.
121, 122, 123.
345
alors même que le tireur eût été déclaré en faillite le
lendemain de la réception de la lettre. Nouveau motif
pour repousser un système conduisant à de telles con
séquences.
3 3 0 . — L’acceptation ne peut ni avancer, ni retar
der l’échéance de la lettre de change h En conséquence,
sa date est fort indifférente ; on n’avait donc pas à s’en
préoccuper.
Aussi la loi ne l’exige-t-elle que dans une hypothèse,
lorsque la lettre est payable à un certain temps de vue.
Alors, en effet, la date de l’acceptation n’est pas seule
ment utile, elle est encore indispensable. L’échéance de
la lettre de change est indéterminée, elle ne sera ac
quise qu’après l’expiration de jours ou mois stipulés de
puis sa présentation.
Il faut donc qu’il conste de celle-ci. Or, comme elle
résulte forcément de l’acceptation, il convenait de dater
cette acceptation devenant le point de départ du délai de
l’échéance.
L’absence de cette date laisserait la lettre de change
sans exigibilité déterminée, mais elle ne produirait d’au
tre effet que d’obliger le porteur à la présenter de nou
veau et à obtenir le visa du tiré ou de l’accepteur. A dé
faut, le délai courrait de la date de la lettre de change.
L’article 4SB n ’exige pas la date de ce visa, parce
que l’hypothèse qu’il prévoit et l’observation de sa près-
�*
346
DE
LA
LETTRE
DE
CH AN G E.
cription rendaient inutile non seulement la date du visa,
mais le visa lui-même, puisque la présentation de la
lettre de change que celui-ci a pour objet de constater
résultera invinciblement de l’acceptation dont la date
précisera l’époque.
Mais autre chose est l’acceptation , autre chose le
visa. La première peut ou non être requise par le por
teur, accordée ou refusée par le tiré ; le second est obli
gatoire pour le porteur, puisque son absence laisserait
la lettre de change sans exigibilité.
Il n’est ni dans les usages, ni dans les convenances
du commerce que le tiré refuse de viser la lettre, mais
on n’a aucun moyen de l’y contraindre ; s’il l’accorde,
il doit dater le vu qui, nous l’avons dit, ne constitue pas
l’acceptation, qui peut, dans tous les cas, être suivi des
mots : sans accepter, S’il refuse, la lettre doit être pré
sentée par huissier, qui constate le refus, et dont le
procès-verbal, équivalant au visa, fait courir le délai
d’exigibilité.
L’acceptation rend inutile le visa ultérieur, mais ce
lui-ci ne produit pas le même effet à l’égard de l’accep
tation. Le porteur, qui avait d’abord cru ne pas devoir
la requérir, peut changer d’avis ; or, son droit à ce su
jet ne saurait être contesté ; mais, dans ce cas, la date
de l’acceptation n’a plus aucune importance, car le point
de départ du délai stipulé est déjà irrévocablement fixé
par celle du visa préalablement apposé.
Ainsi, l’acceptation sur les lettres de change payables
à un certain temps de vue doit être datée, si elle est
�ART. 121, 122, 123.
347
donnée avant tout visa ; elle peut ne pas l’être, si cette
dernière formalité a déjà été accomplie.
2 2 1 . — La date de l’acceptation et celle du visa
font foi contre les tiers ; elles sont l’une et l’autre dis
pensées des conditions dont l’article 1328 du Code civil
fait dépendre la certitude de la date des actes sous seing
privé.
Toutefois, leur autorité peut être détruite par la preuve
contraire, que les intéressés sont recevables et fondés à
proposer et à faire admettre. Ainsi les endosseurs poursaient prouver par témoins que la date indiquée est si
mulée dans le but de relever le porteur de la déchéance
de protêt en temps utile K
222. — Nous venons de dire que l’absence de date
à l’acceptation ou au visa laissait la lettre de change sans
délai d’exigibilité. L’article 122 n’a pas sanctionné cette
conséquence, il fait dans ce cas courir ce délai de la
date même de la lettre de change, quelle que soit d’ail
leurs la distance entre le lieu où elle est créée et celui où
elle doit être présentée.
M. Horson se demande si, dans cette hypothèse et
faute de protêt dans les vingt-quatre heures de l’expira
tion du délai, le porteur sera déchu de tout recours, ou
admis à prouver l’époque réelle de l’acceptation ? C’est
i Pardessus, Droit comm-, n° 368 Cass., 21 mars 1821.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE.
contre le porteur que M. Horson se prononce, avec une
certaine hésitation cependant K
Nous ne voyons pas comment il serait possible de le
décider autrement. L’article 122 a un caractère excep
tionnel incontestable, il valide une lettre de change que
l’article 110 convertirait en simple obligation.
Celui-ci, en effet, exige qu’on indique l’époque du
payement. En conséquence, si la lettre est à un certain
temps de vue, ce qui précisera cette époque, ce sera uni
quement la date du visa ou de l’acceptation. L’omission
de cette date laisse la lettre de change sans indication
de l’époque du payement, et lui enlève une des condi
tions de sa régularité.
Donc, sans l’article 122, la lettre de change serait ir
régulière. De là cette conséquence que cet article, créant
une exception, doit être renfermé dans les limites qu’il
a lui-même posées. Dépasser ces limites, ce serait vio
ler le principe qu’en matière d’exceptions, tout étant
de droit étroit, on ne saurait ni les étendre, ni les mo
difier.
Sous un autre point de vue, le résultat est le même.
L’article 122 crée l’obligation et la clause pénale qui lui
sert de sanction. Or, comment permettrait-on pour une
clause pénale légale ce qui est souverainement interdit
à l’endroit de la clause pénale conventionnelle. La jus
tice, qui doit respecter celle-ci, pourrait anéantir l’au
tre !
i N«* 71 et suiv.
�ART. 121, 122, 123.
349
Enfin, dans l’hypothèse qui nous occupe, la preuve
offerte porterait sur une des conditions essentielles pour la
régularité de la lettre de change. Le principe général,
quant à ce, est que chacune de ces conditions doit être
établie par écrit, ce qui résulte de l’article 110.
Ainsi, on ne serait pas admis à prouver par témoins
l’époque du payement sur laquelle la lettre a omis de
s’expliquer. Pourquoi le serait-on dans le cas qui nous
occupe. Il est vrai que le résultat est différent, mais
cette différence l’article 122 l’autorise et la crée. Raison
décisive pour qu’on ne puisse aller au-delà de sa dis
position.
2 2 5 . — Une autre difficulté plus grave est dans le
cas de surgir de l’article 122. La date de l’acceptation
devra-t-elle être de la main du tiré.
Nous disions tout à l’heure que pour la régularité de
l’acceptation la loi n’exige que la signature. De là nous
avons conclu que l’acceptation pouvait être écrite par
tout autre que le tiré ; que le bon ou approuvé exigé
par l’article 1328 du Code civil n’était pas obligatoire ;
enfin, que la signature, isolée de toute autre énoncia
tion, n’en constituait pas moins l’acceptation.
Comme conséquence, nous admettrons que la signa
ture du tiré, précédée d’une acceptation écrite et datée
d’une autre main, serait régulière et commanderait la
confiance pour la date comme pour l’acceptation ellemême.
�350
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
3 3 4 . — Mais la difficulté naîtrait si le mot accepté
ou vu étant écrit de la main du signataire, la date est
d’une autre main. Que devrait-on statuer ?
Il nous semble que la réponse est ici une conséquence
du fait lui-même. Il y a dans celui-ci une certitude qu’au
moment de l’acceptation la date avait été oubliée, qu’elle
a été mise après coup et à une époque qu’il est impos
sible de préciser.
Dès lors aussi l'application de la clause pénale de
l’article 122 était pour tous un droit acquis, il ne dé
pendait plus de personne d’en enlever le bénéfice. Il est
évident que valider dans cette circonstance la date écrite
d’une main autre que celle de l’accepteur, ce serait per
mettre le résultat contraire et déshériter les endosseurs
de la protection que la loi leur accorde. Le délai de re
cours n’expirerait jamais, ou du moins serait laissé à la
discrétion du porteur qui pourrait le faire revivre par
la date qu’il mettrait à l’acceptation.
Le même inconvénient, objectera-t-on, peut se pro
duire dans le cas où l’accepteur n’ayant apposé que sa
signature, l’acceptation est écrite et datée par une main
autre que la sienne. Cela est vrai, et cependant nous ve
nons de voir que dans cette hypothèse la sincérité de la
date est présumée.
Cette différence de solution s’explique par celle qu’on
remarque dans chaque hypothèse. Dans cette dernière,
l’acceptation et la date ne font qu’un seul tout. La loi a
dû s’arrêter à la forme et s’abstenir de diviser ce qui
était indivisible. Elle admet donc la date, mais elle per-
�ART.
121, 122, 123.
331
met de l’attaquer et d’en prouver la fausseté, c’est ce
que nous avons établi. Elle ne pouvait et ne devait que
se prononcer ainsi.
Dans la première hypothèse, au contraire, la certi
tude d’une date mise après coup est acquise. On ne com
prendrait pas que celui qui a écrit l’acceptation n ’eût
pas écrit la date, il y a donc eu oubli de sa part. En
l’état, comment admettre qu’on a pu suppléer à cet ou
bli autrement que par le mode indiqué par l’article 122?
On aurait pu, il est vrai, admettre le porteur à prouver
la réalité de la date, mais nous avons déjà dit que des
considérations décisives ont dû faire proscrire cette
preuve.
En résumé donc, lorsque l’acceptation et la date sont
de la même main, rien n’indique a priori qu’il y ait
une fraude, mais on pourra prouver cette fraude, et
dans ce cas seulement l’article 122 deviendrait applica
ble dans sa dernière disposition.
Lorsque, au contraire, l’acceptation et la signature
sont d’une main, et la date d’une autre, il y a preuve
que dans l’origine celle-ci avait été omise. On doit donc
la considérer comme si elle n’avait jamais existé, et l’ar
ticle 122 devient l’unique arbitre des droits des parties.
3 £ 5 . — Nous avons vu que le tiré peut accepter en
indiquant pour le payement un domicile autre que le
sien, l’article 123 l’oblige, dans ce cas, d’indiquer d’une
manière précise le domicile où le payement devra s’opé
rer ou les diligences suivies.
�582
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Cette indication par ie tiré constitue une véritable élec
tion de domicile commercial à raison de la traite accep
tée l, De là les conséquences suivantes :
1° On peut l’assigner devant le tribunal du lieu indi
qué, comme il pourrait l’être devant celui dans l’arron
dissement duquel la lettre était tirée, quand même il
aurait depuis changé de domicile2 ;
2° L’assignation ne devrait pas être donnée avec les
délais des distances calculées sur le domicile réel3.
A défaut de précision dans l’indication du tiré, il est
légalement procédé aux lieux indiqués par la lettre de
change.
ART.
124.
L’acceptation ne peut être conditionnelle ; mais elle
peut être restreinte quant à la somme acceptée.
Dans ce cas, le porteur est tenu de faire protester la
lettre de change pour le surplus.
ART.
425.
Une lettre de change doit être acceptée à sa présen1 Cass., 4 février 1808.
2 Paris, 11 ju ille t 1810.
3 P aris, 26 novem bre 1808.
�talion, ou, au plus tard, dans les vingt-quatre heures
de la présentation.
Après les vingt-quatre heures, si elle n’est pas rendue
acceptée ou non acceptée, celui qui l’a retenue est pas
sible de dommages-intérêts envers le porteur.
SOMMAI RE
226.
227.
228.
229.
230.
231.
232.
233.
234.
235.
236.
237.
238.
239.
240.
241.
Objet que se propose la défense d ’accepter conditionnelle
ment.
Equitable sagesse de la prohibition.
A quels caractères reconnaîtra-t-on l’acceptation pure et
simple.
Exemples divers.
Nature de l’acceptation pour payer à moi-même.
Sa validité enseignée par l’ancienne jurisprudence, adoptée
par Merlin depuis le Code.
Opinion contraire deM. Emile Vincens. Réfutation.
Autre reproche fait d la solution de Pothier et Merlin.
Examen et réfutation.
L’acceptation pour payer à qui sera dit par justice est
pure et simple.
L’acceptation peut être restreinte quant à la somme. Ca
ractères qu’elle doit avoir.
Obligations qu'elle impose au porteur. Conséquences.
Quel est le sort de l ’acceptation conditionnelle ? Est-elle
nulle pour le tout ou seulement pour la condition ?
Arrêt de la cour de Paris jugeant dans le premier sens.
Résumé.
Quand doit être donnée l’acceptation?
L’heure de la remi e comme la remise elle même peuvent
être prouvées par témoins.
i — 23
�354
242.
243.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quel est l’effet du refus de restituer la traite après l ’expi
ration du délai de vingt-quatre heures?
Obligations de celui qui se prévaut de ce refus ; il doit
prouver d’abord le refus, ensuite le préjudice.
■
f
. .
8 8 0 . — L’acceptation étant une garantie de plu»
pour le payement de la lettre de change qui en est re
vêtue, son existence en facilitera singulièrement la négo
ciation. Il importait dès lors de veiller à sa sincérité,
d’empêcher que, par des expressions plus ou moins fal
lacieuses, l’apparence sous la foi de laquelle on avait
traité s’évanouît, entraînant avec elle la garantie espé
rée, et de prévenir ainsi des fraudes pouvant gravement
préjudicier au commerce.
C’est dans ce but que l’ordonnance de 1673 avait
prohibé certaines locutions, comme pouvant tromper les
personnes peu expérimentées, telle que : vu sans accep
ter-, ou accepté pour répondre à temps. L’acceptation
devait être dégagée de toute condition de nature à en
modifier le sens ou à en détruire les effets.
Les auteurs du Code de commerce imitèrent leurs de
vanciers, l’article 124 déclare que l’acceptation ne peut
être conditionnelle.
8 8 Ï . — En elle-même, cette règle est équitable et
rationnelle à l’égard du porteur. Lorsque, en donnant
la valeur, il s’est chargé de la lettre de change, il a ac
quis le droit, non seulement au payement, mais encore
à l'acceptation, qui était une garantie de celui-ci ; ce
�art.
124, 123.
335
droit ne pouvait pas plus être modifié pour l’acceptation
que pour le payement ; cello ci devait être pure et sim
ple comme le doit être celui là. On aurait donc méconnu
son intention et violé le contrat, si on l’eût contraint à
accepter soit les modifications que le tiré apporterait au
mode, au lieu, à l’époque du payement delà lettre, soit
toutes autres prétentions subordonnant la validité de
l’acceptation à un événement futur et incertain.
Ce n’est pas là une acceptation dont doive , dont
puisse se contenter le porteur. En effet, il n’est pas seul
intéressé à la lettre de change. Chacun des précédents
propriétaires, exposé à un recours, a un même recours
à exercer contre son cédant ; il faut pour cela que les
choses soient encore entières, et elles ne le sont plus, si
le tiré a modifié les clauses de la lettre de change ou
substitué un droit conditionnel au droit absolu d’obte
nir l’acceptation. Aussi, est-il certain que le porteur qui
y aurait consenti l’aurait fait à ses risques et périls, et
se serait exposé à perdre tout recours contre les endos
seurs, et quelquefois même contre le tireur.
3 3 8 . — Aucun doute donc ne saurait exister. A
l’endroit du porteur, il n’y a acceptation valable que si
elle est pure et simple ; à quelles conditions lui reconnaitra-t-on ce caractère ?
L’acceptation sera pure et simple toutes les fois que
l’obligation de payer au terme convenu résulte clairement
de l’engagement du tiré ; toutes les fois que sa réponse
implique l’existence d’une provision actuelle ou un cré-
�356
DE LA LETTRE DE CHANGE
dit définitivement consenti jusqu’à concurrence du mon
tant de la lettre de change.
Que si, au contraire, le tiré change le lieu, l’époque
du payement ; si la réponse exclut toute idée de provi
sion actuelle, s’il subordonne son obligation à la réali
sation future de la provision, il n’y a pas d’acceptation.
Dans ce dernier cas surtout, elle n’aurait effet que si à
l’échéance la provision existait, ce qui est une condition
véritable et rentre par conséquent sous l’application de
l’article 124.
8 3 » . — Comme application de ce qui précède ,
M. Pardessus invoque les deux exemples que voici :
1° j’accepte pour payer, pourvu que le tireur fasse pro
vision ; 2° j’accepte pour payer, sous toutes réserves
contre le tireur qui n’a pas fait provision, ou à qui je
ne dois rien.
La première formule constitue évidemment une ac
ceptation conditionnelle, mon obligation se trouvant su
bordonnée à la réalisation de la provision, à défaut de
laquelle elle ne saurait produire aucun effet.
La seconde, au contraire, renferme une acceptation
pure et simple. Le tiré y contracte l’obligation de payer
sans restriction, ni condition aucune ; les réserves qu’il
fait contre le tireur ne sont d’aucune importance ; elles
sont si peu de nature à infirmer la promesse de paye
ment, qu’elles ne pourront être réalisées qu’après ce
payement lui-même ; elles en supposent donc formelle-
�ART.
124, 125.
357
ment la pensée et l’intention, loin de les exclure ou de
les modifier.
L’arrêt de la Cour de cassation, du 4 juillet 1843,
que nous citions tout à l’heure, nous fournit un nouvel
exemple d’acceptation conditionnelle. Le tiré à qui des
valeurs sont envoyées en compte courant, comme provi
sion à une traite fournie sur lui, qui en crédite le tireur
sauf rentrée, et qui accepte la traite pour payer par le
crédit du tireur, ne s’engage à payer que si à l’échéance
les rentrées par lui opérées lui ont procuré provision
suffisante. L’acceptation dépend de l’existence de cette
provision ; elle est donc réellement conditionnelle, et se
place ainsi sous le coup de la prohibition de notre arti
cle 1Ü4.
3 3 0 . — Au reste, les restrictions que l’accepteur
met à son obligation ne rendent l’acceptation condition
nelle qu’en tant qu’elles proviennent du fait du tireur
et se réfèrent à des circonstances qui lui sont personnel
les. Dès lors, si ces restrictions se rapportent à des pré
tentions que le tiré ou tous autres prétendent avoir à
exercer contre le porteur, l’acceptation ne laissera pas
que d’être pure et simple à l’égard du tireur et des en
dosseurs.
Ainsi, le tiré à qui une traite est présentée et qui a
provision veut l’accepter, mais, créancier lui-même du
porteur, il entend compenser ce qui lui est dû avec son
acceptation elle-même, il inscrit donc sur la lettre cette
�358
DE LA LETTRE DE CHANGE
formule : accepté pour payer à moi-même. Celte ac
ceptation est-elle ou non conditionnelle ?
* 3 1 . — La négative était enseignée par l’ancienne
doctrine, mais à condition que celui à qui la lettre est
adressée fût créancier d’une somme actuellement cer
taine, ou qui puisse être promptement rendue certaine
et quelle soit échue ; dans ce cas, on ne peut l’empê
cher d’accepter la lettre de change p o u r p a y e r a s o i m é m e par compensation, et le porteur ne peut avoir
son recours contre celui qui en a donné la valeur 1.
Dupuis ne fait même aucune distinction, il décide de
même, que le tiré soit créancier du porteur actuel ou de
tout autre porteur précédent.
Pothier ne va pas jusque-là, et il prouve ainsi qu’il
apprécie plus justement le caractère et la nature de la
transmission d’une lettre de change ; mais il embrasse
entièrement l’avis de Dupuis, lorsque la créance du tiré
concerne le porteur actuel.
« Ce n’est point une acceptation conditionnelle, ditil, lorsque, étant créancier du propriétaire de la lettre de
change, je mets au bas de cette lettre : accepté pour
payer à moi-même, pourvu que ma créance soit d’une
somme liquide, qu’elle soit échue ou doive échoir au
temps de l’échéance de la lettre. Le refus que je lui fais,
par cette espèce d’acceptation, de lui faire un payement
réel, étant un refus qui procède de ce qu’il est mon déi Dupuis de la Serra,
L'Art des lettres de change, chap. v u .
�art.
124, 125.
359
biteur, et par conséquent qui procède de son fait, ne
peut donner lieu à aucun recours contre le tireur *. »
Cette doctrine n’était contestée par personne avant la
promulgation du Code ; dès iors celui-ci n’ayant rien
changé, rien innové en cette matière, la conclusion qu’on
devrait en tirer, c’est que ce qui était légal et régulier
autrefois n’a pas cessé de l’être aujourd’hui. Telle est,
en effet, la conséquence que M. Merlin adopte et en
seigne 2.
333.
— Mais l’avis contraire a des partisans ; il est
notamment enseigné par M. Emile Vincens. Si de l’ac
cepteur au porteur, dit cet honorable jurisconsulte, le
premier, pour s’assurer la compensation, s’avisait d’ac
cepter payable à so i-m ê m e , chose aujourd’hui très rare
ment essayée, ce serait une acceptation conditionnelle,
et je ne doute pas que le porteur n’eût le droit de faire
protester, et n’eût son recours contre ses antécédents, y
compris le tireur3.
M. Vincens résout la question, mais ne la discute pas.
Le seul motif par lequel il complète son opinion est que :
Il n’y a de compensation possible qu’entre deux dettes
exigibles. La lettre de change ne l’est pas. On ne peut
pas forcer le porteur à recevoir payement avant le temps;
donc on ne peut, en droit, prétendre à la compensation
avant qu’elle soit échue.
1 Contrat de change, n° 47.
2 Rép., v» Acceptation des lettres de change, n» 5.
3 T. 2., p. 264.
�560
DE LA LETTRE DE CHANGE
M. Vincens aurait raison s’il s’agissait d’une compen
sation à réaliser hic et nmc. Elle ne serait ni légale ni
possible, l’une des deux dettes au moins ne se trouvant
pas échue.
Mais accepter pour payer à soi-même est moins une
compensation, que l’annonce de l’intention de com
penser plus tard. Il faut donc, pour juger de la légalité
de la compensation, s’en référer au moment de l’é
chéance, et c’est ce qu’enseigne très judicieusement Po
thier.
Jusque-là, d’ailleurs, le tiré n’a rien à payer. Ce qu’on
lui demande, c’est de savoir s’il a provision et s’il payera
à l’échéance, demande qu’il résout affirmativement pour
la provision et pour le payement, en ajoutant qu’il réa
lisera celui-ci par*la compensation.
Comment donc, en cet état, admettre un recours du
porteur contre le tireur. A cette prétention ce dernier ne
manquera pas de répondre : Que pouvez-vous exiger de
moi ? La loi m’obligeait de faire provision et je l’ai faite ;
j’étais tenu de vous procurer l’acceptation et je vous l’ai
procurée. Je ne vous dois plus rien jusqu’à l’échéance,
en cas de défaut de payement. Faudrait-il que par un
fait qui vous est exclusivement personnel, je fusse con
damné à faire une seconde fois provision ou à vous
donner une garantie malgré l’acceptation que le tiré a
déjà accordée. Si sa prétention est injuste, faites la con
damner, mais c’est là un litige auquel je dois forcément
rester étranger.
Nous avons donc raison de le d ire, l’opinion de
�ART.
124, 125.
561
M. Vincens n ’a aucun fondement. Dans une acceptation
comme celle qui nous occupe, la compensation n’est à
réaliser qu’à l’échéance. Jusque-là les choses restent ce
qu’elles étaient, il ne peut donc pas être question de
forcer le porteur à recevoir son payement avant terme,
pas plus, dirons-nous, que de contraindre le débiteur à
payer avant l’échance.
333. — On a fait à la solution de Dupuis, Pothier
et Merlin un autre reproche, à savoir : de méconnaître
les principes du commerce. En effet, a-t on dit, elle pa
ralyse l’effet entre les mains du porteur, car il est bien
évident qu’une traite revêtue d’une acceptation sembla
ble ne peut plus être négociée, puisque le cessionnaire
n’aurait rien à exiger du tiré. Ce serait donc changer la
destination naturelle des effets de commerce, qui est la
circulation.
Au surplus, l’accepteur ne s’oblige-t-il pas non seule
ment envers le porteur actuel, mais encore envers les
porteurs successifs ? Comment admettre alors qu’il puisse
apposer à son acceptation des conditions qu’il ne pour
rait opposer qu’au porteur actuel ? Un pareil système
conduirait à des résultats illogiques.
La compensation paralyse la circulation de l’effet 1
Cette proposition n’a rien d’absolu, elle peut même être
dénuée de vérité. Sans doute la traite revêtue d’une ac
ceptation pour payer à soi-même sera d’une négocia
tion plus difficile, mais elle ne laisse pas que d’exister
légalement jusqu’à l’échéance. On pourra même la né-
�362
DE LA LETTRE DE CHANGE.
gocier, soit que le porteur jouisse d’un crédit tel que sa
signature sera considérée comme une garantie suffisante,
soit qu'il prenne l’engagement de payer avant l’échéance
ce qu’il doit au tiré et de rendre ainsi la provision à sa
destination primitive.
La négociation est donc possible. Ne le fût-elle pas,
que le reproche qu’on fait à notre système n’en serait
pas moins mal fondé, car il ne s’oppose en rien au but
naturel des effets commerciaux, à la circulation. Cette
circulation a des bornes légitimes, elle cède surtout de
vant l’extinction par un payement pouvant être offert et
accepté avant l’échéance.
L’effet résultant dans ce cas de la convention des par
ties, la loi l’attache de plein droit à certains actes ; à la
confusion, par exemple. Nous le disions tout à l’heure,
l’effet accepté, qui devient la propriété de l’accepteur par
suite d’une négociation, est définitivement éteint l. Pour
quoi n’en serait-il pas ainsi dans le cas qui nous
occupe? Celui qui, au moyen d’un effet de commerce se
libère d’une dette légitime, n’a-t-il pas recueilli tout ce
qu’il pouvait se promettre de cet effet ? Voilà ce qui se
rait illogique, d’autant plus qu’on ne fait que lui appli
quer la loi qu’il a d’avance acceptée. En effet, s’il répu
gnait tant à l’emploi qu’on affecte à la traite qu’il a en
mains, pourquoi ne l’a -t-il pas négociée avant de la
présenter à l’acceptation chez celui qu’il savait être son
créancier ?
�ART.
124, 125.
563
Mais, dit-on, l’accepteur ne s’oblige-t-il pas non seu
lement envers le porteur actuel, mais encore envers les
porteurs successifs ? Oui, répondrons-nous, excepté dans
le cas qui nous occupe. Les termes de l’acceptation ne
permettent pas le doute, ils indiquent par la compensa
tion qu’ils annoncent qu’on ne payera à nul autre qu’au
porteur lui-même.
Telle est la véritable signification de l’acceptation pour
payer à soi-même ; personne ne peut s’y tromper. Dès
lors celui qui, après avoir consulté le titre sur lequel est
inscrite cette acceptation, en devient le cessionnaire, le
fait à ses risques et périls, et n’a jamais à recourir que
contre son cédant.
Vainement s’adresserait-il à l’accepteur. Celui-ci lui
répondrait avec raison : J ’ai fait connaître mon inten
tion d’opposer la compensation ; j’ai eu soin de l’ex
primer sur le titre même, vous n’avez donc pu l’ignorer,
vous n’êtes dès lors pas le porteur de bonne foi qui
n’est passible que des exceptions qui lui sont personnel
les. Vous êtes en réalité le cédant lui-même, vous ne
sauriez avoir plus de droits qu’il n’en aurait lui-même.
En conséquence, je puis vous refuser le payement que
vous réclamez, comme je le lui aurais refusé à lui per
sonnellement. Donc, en fait et en droit, l’argument ne
saurait avoir de portée sérieuse.
Ainsi, il y a acceptation pure et simple dès que du
chef du tireur il ne s’élève ni difficultés ni restrictions.
Lorsque les réserves du tiré sont uniquement relatives
au porteur, il doit s’en défendre à ses risques et périls.
�364
DE LA LETTRE DE CHANGE
On ne saurait lui reconnaître le droit de recourir contre
le tireur. Tel est essentiellement le caractère de l’accep
tation pour payer à soi-même. Concluons donc avec
Dupuis, Pothier et Merlin qu’on ne saurait la considé
rer comme conditionnelle l.
8 3 4 . — On le déciderait de même lorsque, dans le
cas où une saisie arrêt entre les mains du tiré ayant
été pratiquée par des créanciers du porteur, le premier
accepte pour payer à qui sera dit par justice. Il y a
encore ici empêchement imputable au porteur justifiant
la restriction adoptée par le tiré.
D’une part, en effet, celui-ci croit ne pouvoir refuser
l’acceptation soit qu’il ait provision, soit qu’il fasse cré
dit au tireur avec lequel il peut s’être entendu. Mais,
d’autre part, une acceptation pure et simple l’obligerait
de payer, même au mépris de la saisie faite entre ses
mains, et dont le maintien l’exposerait à payer deux
fois. Dès lors, il a pu et dû dans cette éventualité, et
pour éviter le préjudice qu’il en éprouverait, accepter
dans les termes que nous venons d’indiquer. Ce qui en
résultera, ce sera d’obliger le porteur à se défendre con
tre les tiers saisissants, et, cet obstacle levé, le payement
intégral de la lettre de change ne saurait lui être refusé
par l’accepteur.
3 3 5 . — L’acceptation par une exception au prin-
i Pardessus, Droit comm., n° 372. Nouguier, 1 .1, p. 234.
�art.
124-, 125.
565
cipe, qui ne l’admet que pure et simple, peut être res
treinte quant à la somme. En effet, le tiré peut n’être
détenteur ou débiteur que d’une somme ou valeur moin
dre que le montant de la lettre de change. Cette circons
tance l’autoriserait à ne pas accepter. Cependant, dans
un sentiment d’équité, il préférera déclarer la vérité et
indiquer qu’il est prêt à payer ce qu’il doit.
Ce n’est pas là évidemment une acceplation pure et
simple. Donc, en vertu du principe général, le porteur
ne pouvait s’en contenter, et était tenu de faire le protêt
et de renoncer par là à tous droits sur la somme dé
clarée. C’est ce que la commission chargée du projet du
Code avait cru devoir expressément consacrer.
Mais cette disposition excita de nombreuses et vives
réclamations, on la trouvait inutile et injuste. On ne
ne voit pas pourquoi, disait-on, celui qui se croyant
créancier pour une somme de 1000 fr. aurait tiré pour
cette somme, alors qu’il ne lui en était dû que 500, ne
pourrait pas disposer au moins de ces 500 fr.? Pour
quoi le débiteur ne pourrait pas accepter jusqu’à con
currence ? De pareilles prohibitions, sans objet réel, ne
feraient que gêner le commerce. Qu’une accceptation
restreinte, disait notamment la cour de Riom, n’empê
che pas les poursuites contre le tireur et les endosseurs,
cela peut être ; mais que l’engagement de l’accepteur
envers le porteur demeure sans effets pour la somme à
laquelle il est restreint, c’est ce qui serait injuste.
Ces observations l’emportèrent au conseil d’Etat, qui
�366
DE LA LETTRE DE CHANGE
sanctionna dans l’article 124 le contraire de ce que la
commission demandait.
Il en est de l’acceptation restreinte, comme de l’ac
ceptation pure et simple, elle doit être formelle, écrite,
et signée par l’accepteur. On ne saurait donc la faire
tacitement résulter ni de la réponse faite au protêt ré
digé pour le surplus, ni du refus que le tiré aurait fait
d’accepter sur le motif qu’il n’a en mains pour le compte
du tireur qu’une somme intérieure au montant de la
traite, et non liquide l.
Il en serait autrement si le tiré déclarait la somme
dont il est débiteur et pour laquelle il est prêt à accep
ter, pourvu que cette réponse fût signée par lui.
33© . — Ainsi donc, l’acceptation restreinte quant
à la somme est valable, mais elle impose des obligations
au porteur, notamment celle de faire protester pour le
surplus. C’est ce que reconnaissaient ceux qui firent in
troduire cette acceptation et qui en soutenaient la légi
timité. C’était là à leurs yeux un corollaire indispensa
ble pour compléter le système. Fallait-il bien en effet
régler dans son entier le sort de la lettre de change, sur
tout celui de la partie de la somme non acceptée. On
soutenait dès lors que le défaut de protêt devait enlever
tout recours du porteur contre les endosseurs et contre
le tireur lui-même au besoin.
Delà l’article 124, déclarant le porteur tenu de faire
�A RT.
124, 125.
367
protester la lettre de change, mais jusqu’à concurrence
de la somme non acceptée, 'pour le surplus, dit la loi,
de sorte que pour la somme acceptée on considère l’ac
ceptation comme acquise et obligatoire pour tous.
De cette disposition nous déduisons les deux consé
quences suivantes :
1° L’acceptation restreinte quant à la somme se dis
tingue de l’acceptation conditionnelle en ce qu’elle est
libératoire pour les débiteurs, tandis que celle-ci ne
saurait créer jamais aucun lien pour le porteur. Pou
vant considérer celle-ci comme non avenue, il n’a pas
la même faculté pour celle-là, dont le bénéfice est acquis
aux endosseurs et au tireur, le protêt fait pour la tota
lité de la somme se trouverait réduit sur leur demande
à la partie de la somme non acceptée. La caution ne
pourrait donc être exigée que pour cette partie ;
il
2° Le protêt pour le surplus n’est pas facultatif, le
porteur qui aurait omis de le requérir perdrait son re
cours contre les endosseurs, et même contre le tireur,
si celui-ci prouvait que malgré son dire le tiré avait
provision suffisante. Restreindre l’acceptation, c’est ap
porter au contrat une modification que les intéressés
doivent connaître, soit pour la faire rejeter, soit pour
poursuivre les sûretés que la loi permet de requérir. Le
porteur peut bien abandonner son droit, mais non dis
poser de celui d’autrui, et si l’abandon qu’il fait en
traîne la perte de celui-ci, cette perte demeurerait à sa
charge exclusive.
Kl
;S
�368
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 3 * . — On pourrait reprocher au Code de com
merce de n’avoir pas assez expliqué sa pensée sur le
sort de l’acceptation conditionnelle. Est-elle nulle pour
le tout, ne l’est-elle que pour la condition? C’est ce que
rien ne décide d’une manière formelle.
L’ordonnance de 1673 était beaucoup plus explicite,
elle ne se contentait pas d’abroger les acceptations con
ditionnelles. Elle ajoutait : qu’elles 'passeraient pour
refus, et pourront, les lettres, être protestées.
Malgré le silence gardé à cet égard, l’esprit de notre
législation a été de consacrer ce que la précédente avait
admis, seulement ce qui résultait explicitement de celleci n’est plus aujourd’hui qu’une déduction implicite. De
ce que l’article 124 ne permet pas que l’acceptation soit
conditionnelle, il faut en conclure qu’aux yeux de la loi
il n’y a de véritable acceptation que celle qui est pure
et simple.
Ainsi, aujourd’hui l’acceptation conditionnelle ne sau
rait être opposée au porteur, ni l’empêcher de requérir
le protêt et d’exercer son recours contre le tireur et les
endosseurs ; elle ne peut le lier que s’il accepte formel
lement la proposition qui lui en est faite.
Mais, à l’égard du tiré , l’article 124 ne lui enlève
rien de cette liberté absolue dont il est investi par la rai
son et par la loi ; il peut ne pas accepter, ou s’il accepte
il a la faculté de mettre à cette acceptation toutes les
conditions qu’il croira convenables ou utiles. On ne
pourra jamais diviser contre lui l’acceptation et les con-
�ART.
124, 12 5 .
369
ditions. Le rejet de celles-ci entraînera forcément la ré
tractation de celle-là.
On a quelquefois contesté ce principe, mais les tribu
naux ne sa sont pas laissés entraîner jusqu’à le mécon
naître ; ils ont pu varier sur le caractère de l’accepta
tion, sur les effets de l’acceptation conditionnelle ja
mais.
2 3 8 . — La cour de Paris était appelée à appliquer
le principe, le 31 mars 1838, dans l’espèce suivante :
Un commerçant sur lequel des traites étaient tirées
les avait acceptées, pour payer à l’échéance sur telles
fournitures à faire dans tel mois. Poursuivi en paye
ment à l’échéance, il déclare n’avoir reçu des fournitu
res dans le mois indiqué que pour une somme détermi
née qu’il offre de payer, il ajoutait que son acceptation,
faite sous conditions, devait être prise telle qu’elle était,
ou rejetée pour le tout.
Le porteur soutenait au contraire que l’obligation de
payer était expressément formulée, qu’elle devait donc
sortir à effet ; qu’on ne pouvait même lui opposer la
condition qui y avait été apposée. Ce système est admis
et consacré par le tribunal de commerce.
Mais, sur l’appel, le jugement est réformé.
« Attendu qu’en acceptant les deux traites, Richard a
énoncé qu’il les payerait à leurs échéances sur les four
nitures à faire dans le mois d’août suivant ;
« Que cette acceptation, ainsi faite dans une forme
inusitée, annonçait l’intention formelle de ne payer que
i — 24
�370
DE LA LETTRE DE CHANGE
sur les fournitures qui seraient faites, et par conséquent
dans le cas seulement où elles seraient effectuées; qu’ai nsi
la promesse de payer, étant subordonnée à un événement
futur et incertain, ne constituait qu’une acceptation con
ditionnelle ;
« Attendu que si l’acceptation conditionnelle peut
être prise pour refus et donner lieu à un protêt faute
d’acceptation lorsque la traite est présentée par le por
teur au tiré, il ne s’ensuit pas que cette acceptation
puisse être séparée de la condition qui y a été apposée,
pour en induire une acceptation pure et simpleL »
En fait et en d ro it, cet arrêt est irréprochable. Il se
rait inique que le tiré, qui, pour sauvegarder ses inté
rêts aurait mis une condition à son acceptation, vit cette
condition repoussée et se trouvât engagé purement et
simplement. La faveur due au porteur ne pouvait aller
jusque-là. Ne suffit—il pas en effet, à son intérêt, de la
faculté de repousser toute condition, de voir dans les ré
serves que se fait le tiré, relatives à un fait futur et in
certain, le refus d’acceptation l’autorisant à faire protes
ter et à recourir immédiatement contre le tireur et les
endosseurs.
£ 3 9 . — En résumé donc, le porteur est libre d’ac
cepter à ses périls et risques les conditions que le tiré
mettrait à son acceptation, mais il peut également les
repousser et les considérer comme refus de payement,
�art.
124, 125.
371
la prétention du tireur ou des endosseurs contre les
quels il recourrait aux termes de l’article 120, de le
forcer de se contenter de l’acceptation conditionnelle,
serait condamnée par l’article 124.
Mais à l’endroit du tiré, le droit de stipuler telle ou
telle condition, sans que jamais on puisse séparer celleci de l’acceptation, est incontestable. La nullité de la
condition entraînerait celle de l’acceptation.
Enfin, l’acceptation restreinte quant à la somme est
valable et obligatoire pour tous. Le porteur n’est receva
ble à protester et à exiger un cautionnement que pour
le surplus.
3 4 0 . — L’acceptation doit être donnée à présenta
tion de la lettre, cette exigence n’a rien de bien sévère.
En effet, l’avis de l’opération est ordinairement donné
au tiré au moment de la création des traites, quelque
fois même avant, dès lors il a eu tout le temps néces
saire pour se fixer sur le parti qu’il a à prendre. Ce
n’est donc pas trop exiger de lui que de lui demander
une résolution immédiate, lorsque ultérieurement les
traites lui seront présentées.
Cependant, il était bon d’aller à toutes fins. L’avis a
pu être omis ou donné tardivement. Des affaires urgen
tes ont pu empêcher l’examen de la position respective,
des renseignements attendus sur la solvabilité du tireur
pouvaient justifier la demande d’un délai. Dans celte
prévision , la loi a cru devoir fixer ce délai, il ne peut
être que de vingt-quatre heures.
�372
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Pendant ce délai, le tiré peut exiger que les traites
soient déposées en ses mains. Le porteur peut il en exi
ger un reçu ? La loi ne s’en explique pas, l’usage est
même contraire, car le tiré accepte ou n’accepte pas et,
dans l’un comme dans l’autre cas, il n’a aucun intérêt
soit à retenir les traites, soit à dénier de les avoir re
çues.
Cependant, la prudence nous parait commander cette
précaution, que doit accompagner celle de l’indication
de l’heure de la remise. On prévient ainsi toutes les
difficultés que pourraient faire naître la question de
savoir si le délai de vingt-quatre heures est ou non
expiré.
£41. — A défaut de reçu de la part du tiré, l’heure
de la remise comme la remise elle-même, en cas de dé
négation, pourraient être établies par toutes sortes de
preuves; et même par témoins, on pourrait également
déférer le serment.
A l’expiration des vingt-quatre heures, le tiré ne
pourrait, sous aucun prétexte, se dispenser de restituer
la lettre de change acceptée ou non. Mais, comme l’ob
serve fort bien M. Horson, son obligation est d’obéir à
la demande en restitution qui lui est faite et non de la
prévenir. En conséquence, si le propriétaire de la lettre
ou son mandataire ne la réclame pas, le tiré n’est pas
tenu de la rapporter, il peut attendre que la réclamation
soit formulée.
�art. 124, 125.
573
8 4 8 . — Quel est l’effet du refus d’obtempérer à
cette réclamation lorsque le délai de vingt-quatre heures
est expiré ?
Sous l’ordonnance de 4673, on considérait comme
une acceptation tacile la rétention de la lettre, sous pré
texte de l’avoir égarée. C’est ce que Jousse nous ap
prend, en rappelant la maxime deScaccia : Acceptatio
enim fit tacite per receptionem et retentionem litterarum. C’est ce que la doctrine enseignait assez géné
ralement ; c’est ce que professait notamment Dupuis de
la Serra.
Le désir de suppléer au silence de la loi et de trouver
une sanction pénale à l’obligation de restituer la lettre
avait quelque peu aveuglé ces jurisconsultes, en les ame
nant à se placer en contradiction flagrante avec l’or
donnance, qui prescrivait que l’acceptation devait être
par écrit.
C’est ce que le judicieux Pothier ne manquait pas de
signaler. De cette disposition de l’ordonnance il tirait
cette conséquence : Nous ne devons pas admettre dans
notre jurisprudence d’acceptation tacite résultant de ce
que celui sur qui la lettre de change est tirée l’aurait
retenue sans écrire au bas aucune acceptation. Néan
moins, s’il paraissait du dol de la part de celui sur qui
la lettre est tirée, qui aurait exprès amusé longtemps le
porteur sous le faux prétexte qu’il l’a adirée, afin de
l’empêcher de se pourvoir contre le tireur pour se faire
par lui donner caution faute d’acceptation, et que pen
dant ce temps le tireur eût fait faillite, celui sur qui la
�374
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lettre est tirée, qui a amusé le porteur, serait tenu de
l’acquitter comme s’il l’avait acceptée, mais cette obliga
tion ne naît pas d’une acceptation , n’y en ayant pas
eu ; elle nait de son d o l 1.
C’est-à-dire que c’est à titre de dommages-intérêts
que le payement est ordonné, et cela entrait bien mieux
dans l’esprit et dans le texte précis de l’ordonnance.
Le Code de commerce a pensé comme Pothier, la ré
tention illégitime de la lettre de change ne constituera
jamais l’acceptation devant être écrite et signée, mais elle
pourra motiver contre le tiré une adjudication de dom
mages-intérêts. Mais l’article 125 n’exige pas que la ré
tention soit dolosive, elle suffit, quel qu’en soit le mo
tif, pour obliger son auteur à réparer le préjudice qu’elle
a occasionné. En d’autres termes, la rétention se place
dans la catégorie des faits prévus par l’article 1382 du
Code civil et produit les mêmes effets.
3 4 3 . — En conséquence, celui qui en poursuivra
l’application aura à prouver d’abord le refus de resti
tuer, ensuite l’existence d’un préjudice.
Refus de restituer. — Il résulterait suffisamment de
ce que le moment de la remise établi, le tiré se trouve
rait encore en possession de la lettre de dfttnge, après
plus de vingt-quatre heures.
Mais, nous venons de le dire, le tiré n’est tenu que
d’obéir à l’injonction de restituer. Il faudrait donc, pour
1 C o n tr a i
de ch an ge,
n° 46.
�caractériser la possession illégale du tiré, prouver que
cette injonction lui a été faite. Sans doute cette preuve
peut se faire par témoins, mais la prudence exige une
constatation faisant disparaitre tout doute, et toujours
exécutable. Nous voulons parler d’une sommation ex
tra-judiciaire.
Existence du préjudice. — Le préjudice , en matière
de lettre de change, existe par cela seul qu’il y a eu ré
tention illégitime. On n’a pu disposer de sa chose, ce
qui est un préjudice moral, indépendamment du pré
judice matériel pouvant résulter soit de la variation du
cours du change, soit de la faillite du tireur.
Mais nous admettrons, entre le préjudice moral et le
préjudice matériel, cette différence. A l’égard du pre
mier, la réparation nous paraîtrait devoir être laissée
à l’arbitrage des magistrats, c’est-à-dire qu’elle pourrait
être refusée si réellement le tiré a agi avec bonne foi.
Cette latitude, nous la refuserions pour le préjudice
matériel. Quelle que soit la bonne foi de celui qui l’a
occasionné, il doit en rester chargé. Cette bonne foi ne
saurait surpasser celle de celui qui a été victime. Entre
celui qui souffre et celui qui s’est trompé, même sans le
vouloir, il n'y a pas à hésiter, c’est là une maxime qui
ne cessera jamais d’être vraie.
�576
DE LA LETTRE DE CHANGE.
§ 4.
—
de
l’acceptation par intervention
ART. 1 2 7 .
Lors du protêt faute d’acceptation, la lettre de change
peut être acceptée par un tiers intervenant pour le ti
reur ou pour l’un des endosseurs.
L’intervention est mentionnée dans l’acte du protêt ;
elle est signée par l’intervenant.
art.
127.
L’intervenant est tenu de notifier sans délai son in
tervention à celui pour qui il est intervenu.
art.
128.
i
Le porteur de la lettre de change conserve tous ses
droits contre le tireur et les endosseurs à raison du dé
faut d’acceptation par celui sur qui la lettre était tirée,
nonobstant toutes acceptations par intervention.
SOMMAIRE
244.
245.
Précautions prises pour éviter le protêt faute d’acceptation.
Caractère de l'acceptation par intervention.
�246.
247.
248.
249.
250.
251.
252.
253.
254.
255.
256
257.
258.
259.
260.
Conséquence quant â la nécessité du protêt faute d’accep
tation.
Inacceptation par intervention doit être signée. Ne peut
être conditionnelle ; mais on peut la restreindre quant à
la somme.
Le tiré peut intervenir après avoir refusé d'accepter pour
le tireur.
Le tiré, lorsque la lettre de change est-fournie pour comp
te de tiers, peut-il sans protêt accepter pour le tireur
d’ordre et pour compte.
Arrêt décidant l'affirmative.
Réfutation.
Examen et critique d’un parère produit dans le sens de
l ’arrêt.
Le commerçant indiqué au besoin et le porteur lui-même
peuvent accepter par intervention.
Comment doit-il être procédé dans le cas où plusieurs in
tervenants se présentent.
Obligation pour l’intervenant de notifier son intervention
à celui pour qui il l'a réalisée.
Délai et forme de cette notification.
Nature de l ’acceptation par intervention. Conséquence
pour le recours du porteur contre le tireur el les endos
seurs.
Débats que l ’article 128 a subis.
Effet de l ’intervention à l’endroit de celui pour qui elle a
été réalisée, à l ’endroit de l ’intervenant lui-même.
Effet du caractère de l’acceptation par intervention sur l’o
bligation de celui qui l’a donnée. Ccnséquences vis-à-vis
du porteur.
244. — Le refus d’acceptation donnant lieu à un
protêt, comme celui de payement, est un fait grave pour
�378
DE LA LETTRE DE CHANGE
les signataires de la lettre de change. Indépendamment
du préjudice matériel résultant d’augmentation des frais,
il peut en surgir un grave préjudice moral. Ce déni de
confiance, habilement exploité par des rivaux ou des
jaloux, est dans le cas d’altérer le crédit d’une maison
et de porter une atteinte funeste à son existence com
merciale.
Aussi ne doit-on pas s’étonner du soin que les mai
sons honorables mettent à prévenir les effets de l’un et
de l’autre. Ce n’est pas seulement par la clause de re
tour sans frais qu’elles pourvoiront à ce but. Dans bien
des cas, elles indiqueront sur' le lieu de la présentation
ou du payement des tiers chargés au besoin d’accepter
ou de payer, à défaut par le tiré de faire l’un ou l’autre.
Dans d’autres circonstances, cette indication ne sera
pas même nécessaire. Par une susceptibilité honorable
pour celui qui la conçoit comme pour celui qui en est
l’objet, un commerçant ne voudra point permettre que
le nom de son correspondant se trouve compromis par
un protêt. En conséquence, sans en avoir reçu l’ordre,
sans même que son correspondant s’en doute, il inter
viendra spontanément pour l’honneur de la signature de
celui-ci, et payera ou acceptera la lettre de change.
8 4 5 . — La spontanéité, qui forme le caractère le
plus habituel de l’intervention, ne permet pas de la rat
tacher à l’idée d’un mandat quelconque. En effet, le
mandat suppose un ordre direct comme celui qui s’a
dresse au tiré, ou subsidiaire comme celui résultant de
�l’indication au besoin, on ne saurait en trouver aucun
dans l’acceptation par intervention.
Aussi, observait très judicieusement Pothier, lorsque
celui sur qui la lettre de change est tirée refuse de l’ac
cepter, et qu’une autre personne l’accepte pour faire
honneur au tireur ou à un des endosseurs, ce n ’est
point un contrat de mandat qui intervient entre cette
personne et le tireur ou l’endosseur, à qui elle a déclaré
qu’elle voulait faire honneur, qui ne l’en avait pas char
gé, et qui n’a aucune connaissance du service que cette
personne lui rend, mais c’est le quasi-contrat de negotiorum gestorum qui intervient et qui produit les obli
gations qui en naissent \
Ce caractère de l’acceptation par intervention est im
portant à retenir, il donne la clef des prescriptions des
articles que nous examinons sur la manière dont elle
peut être formée, sur les effets qu’elle est appelée à pro
duire.
34G. — En principe, il ne peut y avoir gestion d’af
faires tant qu’il n’y a pas d’affaires à gérer. Dans notre
hypothèse, les souscripteurs de la lettre de change n’ont ,
des obligations personnelles à remplir que du moment
que le tiré a refusé d’accepter et que ce refus autorise
les conséquences prévues par l’article 120.
On comprend dès lors les motifs qui ont porté la loi
à ne permettre l’acceptation par intervention que lors du
i Contrat de change, n° 3,
�580
DE LA LETTRE DE CHANGE
protêt faute d’acceptation, c’est-à-dire à l'instant où la
constatation légale du refus du tiré va motiver un re
cours contre le tireur et les endosseurs.
L’existence d’un protêt faute d’acceptation est donc
un préalable indispensable à l’intervention. Toute obli
gation de garantir le payement de la lettre de change,
contractée avant le protêt ne serait qu’un aval de quel
que manière d’ailleurs qu’on l’eût qualifiée.
3 4 1? . —De là il résulte que l’intention d’intervenir
se manifeste à l’huissier chargé de protester faute d’ac
ceptation. C’est donc à lui à constater ce fait dans son
exploit, mais cet exploit, du moins en la partie relatant
l’acceptation, doit être signé par l’intervenant. Le prin
cipe suivant lequel l’acceptation doit être signée s’appli
que à l’acceptation par intervention, comme à l’accepta
tion ordinaire.
On proposait lors de la discussion au conseil d’Etat
de ne pas parler de la signature dans cette circonstance.
C’est en réglant les formes du protêt qu’on pourra dire
comment la signature de celui qui ne sait pas écrire
pourra être suppléée.
On répondit que la nécessité de la signature ne tient
pas à la forme, mais au fond ; elle est exigée pour la
validité de l’intervention.
M. Berlier ajoutait que la simple mention de l’inter
vention serait dangereuse si elle devait obliger , jusqu’à
inscription de faux, celui qu’elle concernerait ; qu’au
surplus la signature de la partie ne présente nul embar-
�ART.
126, 127, 128.
381
ras, que tout négociant sait au moins signer, et qu’il
n’y a, dans le cas particulier, nul refus à prévoir ni à
craindre ; car celui qui veut bien intervenir sera tout
disposé à certifier son intervention par sa signature.
Ainsi donc, l’acceptation par intervention doit être
signée. Ce n ’est pas, au reste, le seul point de contact
qu’elle ait avec l’acceptation ordinaire ; comme celleci, elle doit être pure et simple. La condition à l’effet
de laquelle on la subordonnerait en anéantirait le bé
néfice.
Mais elle peut être restreinte quant à la somme. Dans
ce cas il serait procédé conformément à la disposition de
l’article 124.
348.
— Tout le monde peut s’offrir pour gérer les
affaires d’un correspondant ou d’un ami. Aussi la loi
n’exclut-elle personne de l’acceptation par intervention.
Le mot tiers, dont elle se sert dans notre article 126,
n’a pas d’autre portée que de distinguer ceux qui par la
nature des choses elles-mêmes ne pouvaient devenir ac
cepteur.
L’acceptation doit ajouter un nouveau débiteur à ceux
qui existent déjà, offrir une autre garantie de payement.
Or, comment atteindrait-on ce résultat, si le tireur, le
donneur d’aval ou l’endosseur était admis à accepter ?
Leur signature en celte qualité ajouterait-elle quelque
chose à l’obligation qu’ils ont déjà contractée ?
Ainsi, dans notre article, les tiers sont tous ceux qui,
étrangers jusque-là à la lettre de change, n’en devien-
�582
DE LA LETTRE DE CHANGE
dront responsables et garants qu’en vertu de leur ac
ceptation.
Dans cette catégorie se placent le tiré, celui qui a été
indiqué au besoin, le porteur lui-même.
Le tiré est à la vérité nommé dans la lettre de change,
mais il n’en devient débiteur que si, exécutant l’ordre
qui lui est adressé, il accepte et s’engage de payer la
lettre de change.
Le refus de donner son acceptation le rend complète
ment étranger à l’opération. Il peut donc, après avoir
déclaré et fait constater ce refus, intervenir et accepter
pour l’honneur de la signature d’un ou de plusieurs des
endosseurs.
349.
— Dans le cas d’une traite souscrite d’ordre
et pour compte d’un tiers, le tiré peut-il, refusant d’ac
cepter pour le donneur d’ordre, intervenir et accepter
pour le tireur ?
Doit-il, dans ce dernier cas, faire dresser un protêt
faute d’acceptation, et n’intervenir qu’a près ?
La première de ces questions ne saurait faire l’objet
d’une difficulté. Le tiré refusant le mandat qui lui est
conféré par le donneur d’ordre, devient étranger à la
lettre de change dont il n’est ni garant, ni responsable.
D’autre part, le tireur pour compte n’agit que comme
commissionnaire. L’ordre qu’il transmet au tiré n’est
que pour son commettant. En conséquence, le refus que
celui-ci fait de le remplir ne concerne que ce commet
tant et nullement le tireur pour compte.
�ART.
126, 127, 128.
385
En cet état, si le tiré a toute confiance en la solvabi
lité personnelle du tireur ; si les relations existant entre
eux lui paraissent devoir motiver une intervention pour
l’honneur de sa signature, comment et pour quels mo
tifs empêcherait-on la réalisation de cet acte ?
La seconde question est plus délicate, non pas au
point de vue des principes, mais à celui des considéra
tions et de l’usage commercial.
En effet, l’article 126 est général et absolu. Il n’y a
d’intervention possible que sur protêt, nous en disions
tout à l’heure les motifs. En conséquence, si l’accepta
tion du tiré en faveur du tireur pour compte est une
intervention véritable, comment la soustraire à l’appli
cation de l’article 126.
350.
— C’est cependant ce que la cour de Paris a
cru devoir faire, en jugeant que lorsqu’une traite est ti
rée pour compte d’un tiers qui n’a pas donné d’avis au
tiré, celui-ci peut accepter pour l’honneur de la signa
ture du tireur, en le prévenant par correspondance que
c’est pour son compte à lui tireur, qu’il accepte ; que
dans ce cas le tiré, pour conserver son recours contre le
tireur, n’est pas obligé de laisser protester la lettre et de
faire mentionner dans le protêt que son acceptation n’est
pas pour le compte du donneur d’ordre, mais pour le
compte du tireur. Le pourvoi dont cet arrêt avait été
frappé a été même rejeté par la Cour de cassation, le
22 décembre 1835.
L’importance de la question mérite quelques déve-
mm
�384
DE LA LETTRE DE CHANGE
loppements ; il s’agissait dans cette espèce d’une traite
que la maison Schroder et Schiller, de Bordeaux, créan
ciers du sieur Lindé, négociant à Saint-Pétersbourg,
avait tirée d’ordre de celui-ci sur le sieur Gontard, à
Paris.
Gontard répond à la lettre d’avis de la maison Schro
der et Schiller qu’à la réception de leur lettre, il a écrit
à Lindé pour lui demander son assentiment à cette
traite, mais que si elle lui est présentée avant la réponse
de ce dernier, il se fera un plaisir de l’accueillir, en
attendant, pour leur compte. Cette lettre est du 8 juin
1833.
Le 10 du même mois, la lettre présentée au tiré est
acceptée par l u i , purement et simplement ; et ce n’est
que le 27 que, dans une seconde lettre, Gontard con
firme aux sieurs Schroder et Schiller que, n’ayant reçu
aucun avis de Lindé, il a accepté pour leur compte per
sonnel.
Le 12 juillet, ceux-ci, qui connaissaient la faillite du
sieur Lindé, à Saint-Pétersbourg, écrivirent à Gontard
. qu’ils avaient dû être persuadés que ce n’était pas pour
leur compte, mais pour celui de Lindé que la traite était
acceptée, attendu que l’acceptation avait été donnée sans
protêt.
Gontard ayant payé la traite à son échéance, actionne
la maison Schroder et Schiller ; mais, sur l’exception de
celle-ci, il est condamné par le tribunal de commerce
delà Seine, le 12 novembre 1833.
« Attendu, en droit, que la loi en permettant à toute
�art.
126, 127, 128.
385
personne d’intervenir, soit pour l’acceptation, soit pour
le payement d’une lettre de change, a prescrit des for
malités sans l’accomplissement desquelles l’intervenant
ne peut avoir de droits contre celui pour lequel il est
intervenu ;
« Attendu que l’accepteur d’une lettre de change ti
rée pour compte de tiers ne peut, si la provision n’est
pas faite par le donneur d’ordre, avoir aucune action
contre le tireur pour compte , puisque ce dernier n’agit
qu’en qualité de mandataire du donneur d’ordre ; que
si donc le tiré, n ’ayant pas toute confiance dans ce don
neur d’ordre, croit devoir accepter pour l’honneur de
la signature du tireur, il ne peut le faire qu’en se con
formant aux dispositions prescrites pour les interven
tions ;
« Que faute par lui de remplir ces formalités, la loi
ne lui donne aucun droit contre celui pour le compte
duquel il a accepté ;
« Qu’à la vérité, en pareil cas, il arrive assez souvent
que le tiré, au lieu d’exiger un acte de protêt et d’inter
vention, se contente d’aviser la maison pour laquelle il
est intervenu, et qu’il est assez rare aussi que les ban
quiers se refusent à reconnaître la validité de pareilles
interventions ; mais que cet usage n’est pas général, et
que, dans ce cas, l’accepteur s’en remet entièrement à
la loyauté du tireur ;
« Attendu que s’il est vrai que le défaut de protêt à
l’intervention de Gontard n’a causé aucun préjudice aux
défendeurs, qui ne pourraient dire que ce soit sur la
i — 25
�386
DE LA LETTRE DE CHANGE
foi de l’acceptation donnée par Gontard qu’ils ont fait
crédit à Lindé, ce sont des considérations d’équité qui
ne peuvent faire fléchir les principes rigoureux en pa
reille occasion. »
En droit, et au point de vue de l’article 426, on ne
peut rien dire de plus concluant que les motifs que
nous venons de transcrire. Ce n’est donc qu’en se pla
çant sur un autre terrain que la Cour a pu réformer le
jugement qui les avait pour bases et pour fondements.
Voici, en effet, les motifs de l’arrêt de réformation.
« Considérant, en droit, que le négociant à l’accep
tation duquel une lettre de change, tirée par l’ordre
d’un tiers, est présentée, est le maître soit de refuser
purement et simplement son acceptation, soit d’accep
ter seulement pour le compte du tireur et non pour le
compte du donneur d’ordre, dont la solvabilité ne lui
est pas démontrée ; que cette acceptation, restreinte à la
signature du tireur par ordre, n’a pas été assujettie par
la loi à la formalité préalable du protêt, qu’en effet, si
la loi donne au porteur d’une lettre de change le droit
de la faire protester lors du refus d’acceptation ou dans
le cas d’une acceptation restreinte à une ou plusieurs
signatures, et d’exercer sur-le-champ son recours con
tre les endosseurs et le tireur de cette lettre, il n’en ré
sulte pas pour le porteur de la lettre l’obligation abso
lue de faire le protêt, à moins que la lettre ne soit paya
ble à un ou plusieurs jours, à un ou plusieurs mois de
vue, ou que l’obligation de faire présenter la lettre à
l’acceptation ne résulte de la convention spéciale des
�ART.
126, 127, 128.
387
parties, ce qui ne se rencontre pas dans l’espèce ; qu’en
tout autre cas il ne peut résulter, du défaut de protêt
contre le porteur, qu’une action en dommages-intérêts,
si par son propre fait il a porté préjudice à autrui.
« Considérant que le tiers qui intervient et qui ac
cepte une lettre de change, sur le refus d’acceptation
fait par le tiré, ou le tiré lui-même qui refuse l’accepta
tion pure et simple, et qui, changeant de qualité et pre
nant celle de tiers intervenant, ne consent à donner
qu’une acceptation restreinte à la signature du tireur par
ordre, ne sont pas placés dans une position autre que
celle du tiers porteur ;
« Considérant enfin que le défaut de protêt faute
d’acceptation n’a porté aucun préjudice à la maison
Schroder et Schiller, suffisamment avertie par la corres
pondance de Gontard. »
8 5 1 . — A notre avis, cet arrêt a un tort immense,
celui de méconnaître l’article 126 et de l’effacer de notre
Code, du moins quant à ses véritables caractères. En ef
fet, si la doctrine invoquée est juridique, qu’on nous cite
une seule hypothèse dans laquelle sa disposition devra
être appliquée. Quoi, l’intervenant sera libre de requé
rir ou non un protêt faute d’acceptation, tandis au con
traire que l’article 126 ne permet l’intervention que sur
protêt, c’est-à-dire rend celui-ci la condition essentielle,
indispensable de celle-là.
Celui sur qui une lettre est tirée pour compte de tiers
est sans doute libre d’accepter ou de refuser d’accepter
Y
�388
DE LA LETTRE2DE CHANGE
pour le compte du donneur’d’ordre, mais il n’est pas le
maître d’accepter pour le tireur par ordre. Celui-ci ne
donne aucun mandat, ne défère aucune mission. On ne
peut donc réaliser en sa faveur que l’acceptation par in
tervention, telle qu’on te ferait pour un endosseur. Or,
pour celui-ci, on ne niera pas l’application de l’article
126. Pour quelle raison la refuserait-on au tireur pour
compte, qui n’est obligé qu’au même titre que l’endos
seur ?
Nous contestons donc la faculté que l’arrêt reconnaît
au tiré. Il n’est pas libre d’accepter pour le tireur par
ordre, il ne peut le faire qu’en intervenant, et dès lors il
tombe sous l’application de l’article 126. L’arrêt le re
connaît lui-même, puisqu’il admet que dans ce cas le
tiré, changeant de qualité, prend celle de tiers interve
nant. Mais alors, s’il prend cette qualité, pourquoi ne le
soumettrait-on pas aux obligations qui en naissent?
Est-ce vrai d’ailleurs que le porteur de la lettre soit
libre de requérir ou non le protêt ? L’arrêt a raison lors
qu’il s’agit de requérir l’acceptation. Le porteur n’y est
obligé que dans les cas énumérés par l’arrêt lui-même.
Mais lorsque le porteur a réalisé cette demande d’accep
tation, une seule chose peut empêcher le protêt, l’accep
tation pure et simple. Si elle est refusée, si l’acceptation
est restreinte à une ou plusieurs signatures ; le protêt
doit être rédigé, il est obligatoire pour le porteur luimême.
L’arrêt de Paris confond donc les choses et les épo-
�ART.
126, 127, 128.
589
ques, il est loin de la lucidité, de la logique qui distin
guent le jugement.
Cependant la Cour de cassation l ’a consacré. Mais,
hâtons-nous de le dire, si le pourvoi est rejelé, c’est que,
aux moyens de droit la cour de Paris avait ajouté des
moyens de fait devant lesquels la Cour de cassation se
déclare désarmée, c’est ce qui explique sa décision.
Dans le cas contraire, nous n’hésiterions pas d’en appe
ler de la Cour de cassation à la Cour de casssation ellemême.
353.
— Ajoutons que devant la cour de Paris les
appelants produisaient un p a r è r e pour justifier l’usage
auquel fait allusion un des derniers motifs du jugement.
Les signataires partent de ce principe que, dans le cas
qui nous occupe, l’accceptation est donnée purement et
simplement. Tout aussitôt ils s’écrient : à quoi bon un
protêt ? Le porteur doit être nécessairement satisfait, car
il reçoit ce qu’il demande, il n’a rien de plus à récla
mer, aucours recours à exercer contre personne, la cir
constance que le tiré n’a pas accepté pour le compte de
la tierce personne indiquée par le tireur ne regarde nul
lement le porteur, c’est une affaire toute particulière en
tre le tireur par ordre et le tiré.
Certes, que le porteur fût satisfait, on le comprend. Il
demandait l’acceptation de la lettre, le tiré la donnait
pure et simple, que pouvait-il exiger de plus ? Mais quel
pouvait être le sens d’une pareille acceptation ? Quelle en
était la portée ?
�390
DE LA LETTRE DE CHANGE
Elle était évidemment donnée pour le compte du don
neur d’ordre. C’est lui et lui seul qui mandait d’accep
ter. L’accomplissement pur et simple du mandat ne
pouvait être interprété dans le sens d’un déni de con
fiance pour celui-ci.
Suffisait-il d’une lettre pour donner légalement cette
signification à l’acceptation ? Ici nous retrouvons les exi
gences de la loi qui a prescrit autre chose, et que pour
rait un usage d’une place quelconque contre sa dispo
sition formelle?
Ce n’est donc pas tout que d’examiner l’acceptation
au point de vue du porteur, il faut également l’appré
cier au regard du tireur pour compte. A quoi ce dernier
devra-t-il croire? Est-ce à la lettre lui annonçant qu’on
a accepté pour son compte, est-ce à l’acceptation don
née ultérieurement sans autre condition ? Ne peut-il pas
dire avec raison : J ’ai dû croire, à un changement de
résolution ; j’ai dû penser qu’après m’avoir écrit vous
aviez reçu des instructions, des avis, la provision même
de la part du donneur d’ordre, et c’est ce qui m’expli
quait le caractère de votre acceptation.
Cette excuse, objectera-t-on, ne sera pas proposable
lorsque, après l’acceptation, le tiré en fera connaître la
nature. Cela est vrai, mais qu’on y prenne garde, il y
a dans cette opération l’origine d’une fraude en prévi
sion de laquelle la loi a eu raison de prendre les pré
cautions qu’elle a prescrites. Le tiré peut avoir agi pour
le compte du donneur d’ordre, mais une heure, un jour,
plusieurs jours après, apprenant la faillite de ce der-
�ART.
126,. 127, 128.
391
nier, il écrira au tireur pour compte que l’acceptation
le regarde exclusivement.
Il faudra donc plaider sur l’opportunité de l’avis ? At-il ou non été donné en temps utile ? Est-il parvenu à
temps? A-t-il été réellement expédié et reçu. Voilà les
difficultés que la prétérition des désirs de la loi substi
tuera à la règle si claire, si naturelle et si simple qui
s’induit de l’article 126.
On objecte le défaut de préjudice ! Nous répondrons
que l’article 126 n’en suppose aucun, qu’on ne pour
rait donc en subordonner l’application à la preuve de
son existence.
Mais, en fait, le tireur en éprouvera un, à savoir : ce
lui de ne pouvoir immédiatement recourir contre le don
neur d’ordre pour le contraindre soit à faire provision,
soit à offrir actuellement des garanties pour le payement
à l’échéance.
Mais, dit le parère, cette possibilité le tireur pour
compte la trouve précisément dans la lettre lui annon
çant que l’acceptation est pour son compte ; et l’on croit
que sur le vu de cette lettre le donneur d’ordre pourra
être contraint. Erreur, erreur grave. Ce que le tireur
trouvera dans cette lettre, ce sera l’occasion de perdre
le procès qu’il ferait au donneur d’ordre.
En effet, celui-ci ne manquera pas de lui dire, j’étais
garant de l’acceptation, j’avais promis qu’elle serait don
née, j’ai rempli ma promesse. Voyez plutôt, non seule
ment il n’y a pas eu protêt faute d’acceptation, mais
�392
DE LA LETTRE DE CHANGE
encore l’acceptation est sur la lettre pure et simple, que
pouvez-vous exiger de plus ?
Que m’importe à moi la lettre contraire du tiré ? Vous
ne pouvez pas même me l’opposer, elle est peut être
concertée entre vous pour revenir contre une opération
irrévocable, et sur les suites de laquelle, à tort ou à rai
son, le tiré a conçu des inquiétudes.
Que feraient les tribunaux en présence d’une pareille
défense? Il n’est pas difficile de le deviner. L’article 120
ne permet le recours qu’après protêt faute d’acceptation
dûment notifié. Ce protêt serait-il, dans notre hypo
thèse, remplacé par une simple lettre du tiré, à qui il
était si facile d’exécuter la loi ? Non, mille fois non.
Donc, en réalité, le tireur pour compte, ne pouvant à
défaut de protêt exiger du donneur d’ordre une caution,
éprouve de ce défaut un notable préjudice.
Pour conclure cette longue discussion, nous dirons
que le tiré refusant d’accepter dans l’intérêt du donneur
d’ordre, et voulant le faire pour le tireur pour compte,
donne réellement une acceptation par intervention ;
qu’en conséquence, il est tenu d’en exécuter les pres
criptions ; et qu’à défaut il n’a aucun recours contre
ce tireur, surtout s’il a accepté purement et simple
ment.
3 5 3 . — Celui qui est indiqué au besoin, et le por
teur lui-même peuvent accepter par intervention.
Le premier, en effet, est bien désigné par la lettre de
change, mais de même que le tiré principal, il n’y de-
�126, 127, 128.
393
vient partie qu’en exécutant le mandat qui lui est sub
sidiairement déféré. S’il refuse cette exécution, il devient
étranger à la lettre de change, et libre par conséquent
d’intervenir pour l’honneur de la signature de tel ou tel
autre des souscripteurs.
Le porteur n’est pas, ne saurait être étranger à la let
tre de change; mais loin d’être tenu d’en payer le mon
tant, il doit au contraire en être payé. On ne saurait
donc l’empêcher de prendre l’engagement de se payer
lui-même, s’il y a lieu, en l’acquit et décharge d’un de
ses débiteurs. Il pourrait à l’échéance lui prêter les fonds
nécessaires à ce payement, pourquoi ne réaliserait-il pas
ce prêt en éteignant la lettre de change, en le déchar
geant s’il n’est qu’endosseur, sauf son recours contre son
cédant? Il n’y a là rien d’anormal, rien que la loi ait
pu condamner.
— La liberté que la loi laisse à tous d’inter
venir a pu et dû faire prévoir l’hypothèse d’un concours
entre plusieurs. Comment devrait-on agir dans un pa
reil cas ?
Plusieurs auteurs, assimilant ce concours à celui dont
s’occupe l’article 159 du Code de commerce, lui en ap
pliquent la disposition. Cette solution est-elle juridique ?
Nous ne le croyons pas, car l’assimilation qu’on essaye
est repoussée par la nature des choses. Pierre, Jacques,
Joseph sont débiteurs de la lettre de change, le paye
ment ne peut en être fait trois fois. Qu’il ait lieu une
seule, la lettre de change n’existera plus, à moins que
| j;
i ‘i
i
354.
i
§
�394
DE
LA LETTRE DE CHANGE.
celui qui paye ait à se faire rembourser par un signataire
précéden.
On comprend dès lors que pour éviter cette cascade
de remboursement, le législateur ait prescrit d’accueillir
le payement de celui qui libère un plus grand nombre
de débiteurs. On doit donc accepter en première ligne le
payement offert pour le compte du tireur, puis pour
celui du premier endosseur et ainsi de suite.
Mais l’acceptation n’est pas un payement, elle n’est
qu’une garantie qu’il se réalisera. On peut donc admet
tre ici ce qui serait impraticable dans le cas de paye
ment, à savoir : le concours de plusieurs garants. C’est
d’ailleurs le but que la loi se propose elle-même dans le
recours qu’elle autorise dans l’article 128, et qui peut
être exercé malgré l’intervention.
Ce que la loi ne consacre pas, c’est que plusieurs ré
pondent d’une même personne. Une caution qu’on n’ac
ceptera que si elle est incontestablement solvable suffit,
parce qu’elle répond à tous les intérêts.
Nous distinguerons donc pour la solution de notre
question. Si plusieurs acceptent pour la même personne,
la première intervention réalisée doit faire écarter les
autres.
Au contraire, si les divers intervenants cautionnent
chacun un signataire différent, on devra les accueillir
tous. Ce n’est là qu’une exécution anticipée de l’article
128 lui-même.
3 5 5 . — L’acceptation par intervention impose des
�devoirs à son auteur ; le premier est celui d’instruire
immédiatement celui pour le compte de qui il est inter
venu. C’est ce que prescrit l’article 127.
Aucune disposition analogue n’existait dans l’ordon
nance de 1673. Notre article est donc introductif d’un
droit nouveau. Ce qui l’a motivé, c’est que bien souvent
il arrivait que, après avoir accepté, l’intervenant laissait
passer un temps considérable sans avertir son corres
pondant pour qui il était intervenu. Ce qui en résultait,
c’est que ce dernier, ignorant ce qui s’était passé, né
gligeait de recourir contre son cédant pour obtenir une
caution, et qu’il ne pouvait plus le faire utilement lors
qu’il était enfin avisé. L’intervention était donc plus nui
sible que le protêt faute d ’acceptation. C’est cette ano
malie que le Code a voulu détruire, il n’est pas douteux
qu’aujourd’hui, en présence de l’article 127, l’interve
nant qui n’aurait pas obéi à sa disposition serait tenu
d’indemniser son correspondant du préjudice que son
silence lui aurait occasionné l.
356.
— L’urgence de l’avertissement a paru telle
que le législateur n’a pas même voulu indiquer un dé
lai. C’est sans délai que la notification doit être faite,
c’est-à-dire le jour même de l’intervention. Cette pres
cription n’a rien de bien sévère à l’endroit de l’interve
nant, il n’aura pas même à perdre un temps quelcon
que pour la levée du protêt. Son intervention l’y ayant
i Procès-verbal du 21 février 1807, n° 8, Locré, t. 18, p. 106.
�396
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
rendu partie, l’huissier lui en laissera une copie, et c’est
cette copie qu’il doit transmettre sur-le-champ.
Au reste, il est évident que les termes de notre arti
cle comportent une latitude quelconque , à condition
toutefois que le relard n’aura pas déterminé le préju
dice. Ainsi, un retard de vingt-quatre heures n’est pas
en général une chose anormale mais, dans le commerce,
un délai de vingt-quatre heures, c’est la vie ou la mort,
la solvabilité ou la faillite. Il est donc, dans tous les cas,
aussi prudent que sage de l’éviter.
a s ï . — L’intervention ne produit jamais l’effet de
l’acceptation ordinaire. Celle-ci suppose que le tiré a
reçu provision, que déjà conséquemment la lettre est
payée dans ses mains. Aussi, le constitue-t-elle débi
teur principal, et son obligation n’admet pas d’autre
déchéance que celle tirée de la prescription quinquen
nale.
La première, au contraire, n’est qu’une garantie so
lidaire, il est vrai, par la nature de l’obligation à laquelle
elle se rattache, mais qui n’a pas pour son auteur les
conséquences que nous venons d’indiquer.
Aussi, lorsqu’à défaut de l’acceptation ordinaire, c’est
celle par intervention qui se réalise, la vérité est que le
porteur n’a pas ce qui lui avait été promis. Fallait-il
dès lors l’autoriser à recourir contre le tireur et les en
dosseurs ? Tout le monde était de cet avis. On recon
naissait que la solution contraire serait dangereuse.
�art.
126, 127, 128.
397
Bientôt, disait-on, on fera intervenir un homme sans
solvabilité, si l’intervention suffît pour dépouiller le por
teur de tout recours en garantie contre le porteur ou
les endosseurs.
358. — Mais ce qu’on concluait de là, c’est que
l’acceptation par intervention devenait inutile dès qu’elle
ne pouvait produire les effets de l’acceptation ordinaire.
Aussi, quelques tribunaux demandaient-ils qu’elle fût
supprimée.
Le contraire a été consacré, parce qu’on a reconnu
que si en droit l’intervention ne pouvait produire l’effet
d’enlever tout recours au porteur, en fait, elle arrivera à
ce résultat. Quel intérêt, en effet, aurait le porteur, si
l’intervenant est de toute solvabilité, à exiger un autre
cautionnement ? on ne devait donc pas présumer qu’il
plaiderait sans raison et sans objet contre le tireur ou
contre les endosseurs ; que si le recours n’est exercé
que parce que l’intervenant n’est pas solvable, le por
teur ne fait plus qu’user d’un droit que la loi a entendu
formellement lui conserver, et que la justice exigeait de
lui conserver.
359. — A l’égard du signataire en faveur duquel
elle s’est réalisée, l’intervention n’a aucun des effets de
l’acceptation ordinaire, il demeure après engagé au
même titre qu’il l’était avant, mais il possède les mêmes
droits. Ainsi on ne saurait l’empêcher de recourir con
tre son cédant, et d’exiger de lui ce cautionnement qu’il
�398
DE LA LETTRE DE CHANGE.
se trouve, par l’effet de l’intervention, avoir fourni luimême à son cessionnaire.
Ce que le débiteur souscripteur de la lettre de change
peut faire serait interdit à l’accepteur par intervention,
il n’est jamais subrogé au porteur tant qu’il n’a pas
réellement payé, il ne saurait donc exercer jusque-là
aucun des recours que la loi ouvre à ce porteur, et qui
ne cessent pas de lui appartenir nonobstant l’interven
tion.
De l’intervenant à celui pour compte de qui il est in
tervenu, to u t, avons-nous d it, se réduit à une gestion
d’affaires. Donc l’unique action que lui donne la loi est
celle en remboursement des avances que cette gestion
lui a occasionnées.
De là cette conséquence que tant que la lettre n’est
pas échue, que tant qu’il ne l’a pas payée, il ne peut
rien réclamer de celui pour compte de qui il est inter
venu. 11 n’est pas même son créancier, et dès lors il ne
serait pas recevable à demander au tireur et aux endos
seurs les garanties que ce dernier pourrait exiger.
Mais si par suite de son intervention il a réellement
payé, le droit de se faire rembourser non seulement par
celui dont il a géré l’affaire , mais encore par le tireur
et les endosseurs précédents, est incontestable.
360.
— Enfin, un dernier et remarquable effet de
l’intervention ne doit jamais être perdu de vue. N’étant
jamais qn'un cautionnement, elle crée une obligation
�art.
126, 127, 128.
599
s’incorporant et s’unissant à celle du cautionné et en
partageant les conditions et le sort.
Dès lors le porteur n’a contre l’intervenant que le
même droit qu’il aurait contre celui en faveur de qui
on est intervenu. Par exemple, s’il s’agissait d’un endos
seur, le défaut de protêt dans les vingt-quatre heures ou
d’action dans la quinzaine libérerait l’accepteur par in
tervention. Ce principe de la confusion des deux obliga
tions explique le silence que la loi a gardé sur le recours
du porteur contre l’intervenant ; elle s’en est référée aux
règles prescrites pour les divers signataires de la lettre
de change.
Il faut même que, dans le délai légal, le porteur ait
agi contre l’intervenant. L’exercice du recours contre
l’endosseur ainsi cautionné ne suffirait pas. L’interve
nant contre lequel aucune démarche n’aurait été diri
gée serait libéré.
Si l’intervention avait été faite pour le compte du ti
reur, l’obligation ne subirait d’autre déchéance que celle
résultant de la prescription.
�400
DE LA LETTRE DE CHANGE
§ V. —
DE L’ ÉCHÉANCE
ARTICLE
129.
Une lettre de change peut être tirée
à vue,
à en ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue,
, à un ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de date,
à jour fixe ou à un jour déterminé,
en foire.
SOMMAIRE
261. Utilité de la détermination de l’échéance.
262. Caractère de l’article 129.
263. Pourrait-on indiquer comme échéance à une lettre de
change celle d’un événement quelconque ou de l’accom
plissement d’un fait ?
3 ( î l . — La connaissance de l’échéance de l’obliga-
�Dur où le créancier aura le droit
de poursuivre le remboursement de ce qui lui est dû,
était surtout indispensable en matière de lettres de chan
ge. Ce qui l’exigeait impérieusement, c’est non seule
ment la circulation qu’elles sont appelées à subir, mais
encore cette foule d’obligations accessoires venant se
grouper autour de l’obligation principale ; mais surtout
la nécessité pour le porteur d’agir à des jours et heures
fixes, sous peine de perdre un recours formant l’unique
garantie de la dette.
Aussi avons-nous vu que l’article 410 faisait de l’in
dication de l’échéance une des conditions si essentielles
à la régularité de la lettre de change, qu’il n ’admet
même pas que son omission puisse être réparée par la
justice.
Ce principe ainsi posé, le législateur n ’avait plus à
intervenir, quant à l’échéance, que pour sanctionner la
liberté illimitée et absolue qu’il laisse aux parties pour
la déterminer. L’accord intervenu à cet effet entre le ti
reur et le preneur devient non seulement leur loi com
mune, mais encore celle de tous ceux qui s’associeront
dans l’avenir aux transactions que la lettre de change
fera surgir.
jiltl
2 6 2 . — L’article 429 a demandé à la pratique cons
tante du commerce quelles étaient les échéances les plus
usuellement indiquées. Le résultat de ces investigations
a amené les dispositions qui en forment l’ensemble. La
lettre de change peut être tirée à vue, à un ou plusieurs
i — 26
Il ii
�402
DE LA LETTRE DE CHANGE
jours, à un ou plusieurs mois, à une ou plusieurs usan
ces de vue ou de date, à un jour déterminé ou fixe, en
foire.
Mais cet article est loin d’être limitatif et restrictif.
Toute autre échéance serait respectée, pourvu que par
elle-même elle présentât un degré de certitude tel que
son énonciation satisfit au vœu de l’article 110.
26S.
— Pourrait-on indiquer comme échéance à
une lettre de change, celle d’un événementquelconque
ou celle de l’accomplissement d’un acte ? Nous ne pen
sons pas que cette question puisse être décidée autre
ment que par la négative. La solution contraire entraî
nerait tous les inconvénients que la loi a voulu éviter en
édictant l’article 110.
Comment, en effet, négocier une lettre de change dont
l’échéance se trouverait subordonnée à celle d’un événe
ment quelconque. Accepter une lettre de change, c’est
faire confiance aux signataires. Un des éléments de cette
confiance est sans contredit la position de ceux-ci rela
tivement à l’échéance de la lettre. Tel commerçant ac
corde pour trois mois un crédit qu’il n’accorderait pas
pour six mois.
Comment d’ailleurs, dans notre hypothèse, calcule
rait-on l’intérêt et l’escompte. L’impossibilité de les éta
blir amènerait peut-être une perception exagérée et usuraire.
Comment enfin se charger d’une lettre de change,
lorsqu’on serait exposé à n’être instruit soi-même de
�ART. 129.
403
l’échéance qu’après l’expiration du délai pour le recours
contre les endosseurs.
Nous avons raison de le dire, une pareille indication
ne constituerait ni échéance certaine, ni désignation
suffisante, le titre qui en serait affecté ne serait pas une
lettre de change K
8 6 4 . — L’article 129 se contente d’énumérer les
diverses manières dont l’échéance peut être énoncée. La
différence qui distingue chacune d’elles, leur effet res
pectif vont être expliqués par les articles suivants.
ARTICLE
•M
130.
,
ï .
La lettre de change à vue est payable à sa présen
tation.
ARTICLE
131.
<
L’échéance d’une lettre de change
à un ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue,
est fixée par la date de l’acceptation, ou par celle du
protêt faute d’acceptation.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
404
ARTICLE
432.
L’usance est de trente jours, qui courent du lende
main de la date de la lettre de change.
Les mois sont tels qu’ils sont fixés par le calendrier
grégorien.
ARTICLE
433.
Une lettre de change payable en loire est échue la
veille du jour fixé pour la clôture de la foire, ou le jour
de la foire, si elle ne dure qu’un jour.
SOMMAIRE
265. Objet de la lettre tirée à vue. Jour du payement.
266. N’est pas sujette à acceptation. Conséquences.
267. N’est pas dans les habitudes commerciales.
268. Effet de l’échéance à jour fixe ou déterminé.
269. Différence entre les lettres à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de date ou de vue.
270. Comment se prouve la présentation.
271. Comment se calcule l’échéance dans ces divers cas.
272. Effet de l ’échéance indiquée en foire.
2 6 5 . — La lettre de change à vue a toujours été
d’une incontestable utilité. Elle a été de tout temps la
monnaie de ceux qui, se livrant à des voyages et ne
�ART.
130, 131, 132, 133.
405
voulant pas se charger d’une trop grande quantité d’es
pèces, prennent des lettres de change sur les diverses
places qu’ils ont à parcourir.
Cette destination de la lettre de change à vue a tou
jours influé sur son échéance. Ainsi, elle était payable à
présentation même sous l’empire de l’ordonnance de
1673, accordant un délai de grâce à toutes les lettres
dont le payement échéait à jour certain, ce qui était ex
clure celle tirée à vue.
C’est qu’en effet, ainsi que le faisait remarquer M. Crétet, de tous les temps le payement sans aucun retard
a été de l’essence des lettres à vue, car on ne les prend
qu’afin de trouver à point nommé dans une ville l’ar
gent dont on aura besoin. Elles font donc en quelque
sorte l’office d’un dépôt que le dépositaire doit toujours
avoir sous sa main et à sa disposition.
a « 6 . — Il suit de là que ces lettres ne sont pas sus
ceptibles d’acceptation. Celle-ci est en général fort utile
comme garantie en attendant l’échéance, mais elle ne
serait évidemment qu’une superfluité, si elle était offerte
après l’échéance. Or, c’est ce qui se réaliserait pour la
lettre de change payable à vue. La présentation en dé
termine l’exigibilité. Ce qu’on a le droit d’obtenir du
tiré, c’est le payement, et non une acceptation sans va
leur aucune et sans portée dans la circonstance.
L’offre de cette acceptation ne serait donc qu’un re
fus de payement, légitimant un protêt avec toutes ses
�406
DE LA LETTRE DE CHANGE
conséquences contre le tireur et les endosseurs s’il en
existe.
3 G ?. — Au reste, la lettre tirée à vue n’est pas très
avant dans les habitudes commerciales. On aime assez
dans le commerce connaître le terme de ses engage
ments. C’est l’unique moyen de se mettre en mesure de
les remplir, sans être condamné à une expectative plus
ou moins longue, pendant laquelle l’argent restera im
productif dans la caisse.
C’est surtout là l’inconvénient des effets tirés à vue, il
dépend du porteur d’en retarder la présentation, à sa
volonté. Cependant, comme cette présentation peut s’ef
fectuer d’un instant à l’autre, le tiré, surtout s’il s’agit
d’une somme considérable , devra la réaliser lorsqu’il
aura reçu la lettre d’avis. On comprend toute la pertur
bation que pourrait causer à certaines maisons l’obliga
tion de pourvoir immédiatement et à l’improviste au
payement de cette somme.
Le commerce a dû se préoccuper et s’est effectivement
préoccupé de cette éventualité. On ne tire guère à vue
que pour des sommes telles que, grâce à la position
commerciale du tiré, on pourra toujours les exiger sans
craindre le moindre danger à cet égard, sans jamais le
prendre au dépourvu.
3 6 8 . — L’échéance de la lettre de change peut être
à un jour fixé et déterminé. Le payement doit en être
réalisé le jour indiqué. Il n’y a entre cette hypothèse et
�ART. 130, l o i , 132, 133.
407
celle d’une lettre de change à vue aucune différence re
lativement à l’obligation de payer.
Ce qui distingue l’une de l’autre, c’est que jusqu’au
jour de l’échéance, la première peut donner lieu à l’ac
ceptation et par conséquent au protêt et à l’acceptation
par intervention ; mais quant au payement, nous le ré
pétons, il ne saurait pas plus être retardé dans ce cas
que dans celui d’une lettre tirée à vue. C’est dans cette
intention que le tribunal demanda qu’on ajoutât à l’ar
ticle les mots : ou à jour déterminé. Le mot fixe, di
sait-il, était analogue aux jours de grâce qui avaient
lieu. Ces jours de grâce était supprimés, il faut em
ployer un mot qui ne les laisse plus supposer.
369. — La lettre de change est souvent indiquée
payable à un ou plusieurs jours, à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue ou de date. Dans ce
dernier cas, le délai de l’échéance court du jour même
de la date de la lettre. On peut donc facilement calculer
le moment et même l’heure de l’échéance, et fixer l’épo
que à laquelle les diligences devront être faites.
Il n’en est pas de même de l’effet tiré à un certain
temps de vue. Cette clause suppose l’accomplissement
d’un fait sans lequel le délai de l’échéance ne saurait
courir, à savoir : la présentation au tiré. Ce qui, dans
ce cas, rend l’indication de l’échéance régulière et légale,
c’est que cet accomplissement dépend uniquement du
porteur ; c’est que, quelle que soit la latitude que lui
laisse la loi, cette présentation ne peut être différée plus
�408
DE LA LETTRE DE CHANGE
de six mois, sous les peines portées par l’article 160 du
Code de commerce.
3 ÏO . — Il y a donc certitude que la présentation de
la lettre aura lieu, mais il faut qu’il en conste d’une
manière certaine, puisqu’elle devient réellement la seule
voie pour faire courir le délai de l’échéance.
La preuve de la présentation résultera du visa ou de
l’acceptation émané du tiré. Nous avons déjà dit que,
dans cette hypothèse, l’une et l’autre doivent être datés,
sans quoi ils sont présumés avoir été donnés le jour
même de la souscription de la lettre de change 1.
Que si le tiré refuse d’écrire son visa, de donner son
acceptation, le protêt, que le défaut de celle-ci entraîne,
devient la constatation de la présentation. Les jours,
mois ou usances de vue courent donc de la date de ce
protêt.
Si l’acceptation n ’a pas été requise, soit qu’elle n’en
tre pas dans les convenances du porteur, soit qu’elle ait
été prohibée par la convention, on ne saurait empêcher
la présentation de la lettre de change, à l’effet de faire
courir le délai de l’échéance. A défaut de constatation
amiable, cette présentation devrait être établie par un
acte d’huissier, à la requête du porteur.
C’est donc de la date du visa, de l’acceptation ou de
celle du protêt ou de l’exploit de présentation que cou
rent les jours, mois et usances déterminés par la lettre
�art.
130, 131, 132, 133.
409
de change ; si elle est à jours, elle est échue par l’expi
ration du nombre indiqué à partir du lendemain de
cette date.
* 9 1 . — Lorsque la lettre de change est à un ou
plusieurs mois, le délai se compte date par date d’un
quantième à un autre quantième, sans distinction des
mois qui ont plus ou moins de trente jours. Ainsi, la
lettre datée ou vue le 28 février, payable à neuf mois
de date, échoit le 28 novembre suivant K
Cette interprétation de l’article 132 n’avait pas été
admise par la cour de Paris, elle avait au contraire pensé
qu’on devait faire le mois de trente jours et tenir compte
de ceux manquants au mois de février, comme de ceux
qui se trouvent en plus sur certains autres mois ; mais
ces décisions ont été constamment annulées par la Cour
suprême2.
La règle invariablement adoptée par la Cour de cassa
tion est donc la supputation d’un quantième à l’autre.
Mais cette règle reçoit naturellement exception lorsque
le mois amenant l’échéance n ’a pas de quantième cor
respondant. Ainsi, la lettre tirée le 31 janvier, à un mois
de date, écherrait le 28 ou le 29 février, suivant que
l’année est bissextile ou non.
Ce que la cour de Paris voulait faire pour les mois, la
loi le fait pour l’usance. Celui-ci se compose invariable-
1 Cass., 4 3 août 1817.
2 46 février e t 21 ju ille t 1818. Conf., O rléans, 3 m ai 1819,
�MO
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ment de trente jours, qui ne courent que du lendemain
de la date de la lettre de change, du visa et de l’ac
ceptation ou de celle du protêt ou de l’acte judiciaire.
La lettre ne serait échue qu’après l’expiration d’autant
de fois trente jours qu’il y aurait d’usances stipulées.
Ainsi, la lettre de change tirée le 20 janvier, à six usan
ces de date, serait échue le 18 ou le 19 juillet, selon
que février aurait 28 ou 29 jours, tandis que celle tirée
à six mois n’écherrait jamais que le 20 juillet.
L’usance varie avec la législation des différents peu
ples commerçants. On peut consulter à cet égard l’inté
ressant tableau qu’en donne M. Nouguier L
— Les foires sont des occasions que le com
merce a de tout temps exploitées. Appelant sur un point
du territoire une foule d’intéressés, fournissant aux den
rées et marchandises un débouché souvent très impor
tant, elles facilitent le payement, et deviennent par cela
même des échéances naturellement indiquées pour une
certaine classe de négociants.
Ces considérations ont milité dans la détermination de
l’époque de l’exigibilité des lettres de change payables en
foire. C’est la veille de la clôture que le payement peut
en être requis, c’est-à-dire à une époque où la réalisa
tion des ventes aura mis les commerçants à même de
faire face à leurs engagements.
La clôture, dont il est question dans l’article 133, est
�ART. 130, 131, 132, 133.
411
celle résultant de l’ordonnance d’institution. Toutes les
fois qu’on crée une foire on en indique la durée. La fin
de celle-ci est la clôture légale de la foire, c’est la veille
de ce jour que les lettres de change sont échues. La clô
ture de fait est sans importance.
Dans le projet de la commission, l’article 133 ne con
tenait que cette première disposition ; mais plusieurs
tribunaux et conseils de commerce firent remarquer qu’il
serait utile de le compléter. Beaucoup de foires ne du
rent qu’un jour, disait le tribunal de Brioude ; et dans
ce cas, résultera-t-il de l’article qu’une lettre de change
payable en foire devra être payée la veille de la foire. Ce
serait contrarier évidemment les intentions des parties,
blesser leurs intérêts, puisqu’on forcerait le débiteur à
payer un jour plus tôt qu’il ne s’y est obligé, et s’il
n’habitait pas le lieu où se tient la foire, on lui ferait
hâter son voyage d’un jour, ce qui serait pour lui un
surcroît de perte de temps et de dépenses. Combien en
est-il, d’ailleurs, qui, en contractant l’engagement de
payer le jour de la foire, ont spéculé sur la vente des
bestiaux qu’ils doivent y conduire, des denrées ou m ar
chandises qu’ils y transporteront. Leur espoir serait
donc trompé, si on les forçait de payer la veille.
Telle n’était pas, nous l’avons dit, la pensée du légis
lateur. Aussi, la proposition faite à la suite de ces con
sidérations fut-elle adoptée. L’échéance de la lettre fut
fixée le jour même de la foire, si elle ne dure qu’un
jour.
Le protêt ne devrnt se faire que le lendemain, il en
�412
DE LA LETTRE DE CHANGE
résulte que les débiteurs auront tout le jour pour se
mettre en mesure de payer. Ils jouiront donc, en fait,
de toutes les facilités sur lesquelles ils comptaient, lors
qu’ils tiraient une lettre de change payable en une foire
désignée.
ARTICLE
134.
Si l’échéance d’une lettre de change et à un jour férié
légal, elle est payable la veille.
ARTICLE
135.
Tous les délais de grâce, de faveur, d’usage ou d’ha
bitude locale, pour le payement des lettres de change,
sont abrogés.
SO M M A IR E
273.
274.
275.
276.
277.
278.
Ancienneté de l'institution des jours fériés.
Détermination, sous le Consulat, de ceux qui seraient
obligatoires.
Avis du conseil d’Etat rangeant le 1" janvier dans cette
catégorie.
Ce qui le motiva.
Législation actuelle. Conséquences de l ’échéance tombant
sur un jour férié légal.
Débats que subit l’article 134.
�279.
L'article 435 abroge l’ordonnance de 1673 sur les dé
lais de faveur ou de grâce. Caractère de cette législa
tion.
280. Motifs de cette abrogation.
281. La prohibition de l’article 435 ne doit pas être appliquée
aux lettres de change constituant un prêt ordinaire.
282. Pouvoirs du gouvernement pour en suspendre l’applica
tion. Exemples.
2V3. — A toutes les époques, chez toutes les na
tions, les principes religieux d’une part, de l’autre le dé
sir d’éterniser des fastes mémorables, de fêter des a d
versaires précieux, ont fait établir des jours uniquement
consacrés au repos, et pendant lesquels, sauf les excep
tions que les travaux de la campagne pouvaient com
mander, le cours des administrations, celui de la justice
elle-même se trouvaient suspendus : Omnes judices, urbanœque plebes et cunctarum artium officia venerabili die quiescantl.
En France, la liberté que le clergé avait reçue de créer
des fêtes avait notablement accru les jours fériés. Mais
la Révolution de 4789 avait tout anéanti, le change
ment de calendrier avait même fait destituer le diman
che, qui se trouvait remplacé par le décadi.
8 * 4 . — La mission réparatrice du Consulat fit bien
tôt rentrer les choses dans leur cours normal. Seulement,
d’accord avec l’autorité religieuse, le gouvernement, qui
�414
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
prohibait toute création de fêtes nouvelles sans sa per
mission, réduisit notablement les solennités religieuses
dont il rendait l’observance générale.
Ces solennités furent d’abord les dimanches. Ce jour,
en effet, est indiqué comme celui du repos des fonction
naires, par l’article 27 de la loi du 18 germinal an x.
Ce furent ensuite les jours de Noël, de l’Assomption,
de l’Ascension, de la Toussaint. C’est ce que détermine
la loi du 29 germinal an x.
Quant aux anniversaires purement politiques, le Con
sulat en avait déjà supprimé un grand nombre, ils le
furent tous par la création de l’Empire, de plus la SaintNapoléon étant fêtée le 15 août, jour de l’Assomption,
on n ’eût pas même à examiner sous l’empire la ques
tion que la Cour de cassation a eu à résoudre sous la
Restauration, à savoir : si la fête du chef de l’Etat était
ou non un jour férié légal.
— Indépendamment de ces solennités, on eût
bientôt à décider si le premier janvier devait être classé
dans une même catégorie. L’affirmative fut adoptée par
le conseil d’Etat, les 13-23 mars 1810. Cet avis rap
pelle que depuis l’an xm le premier janvier a été con
sidéré comme une fête et observé comme tel, quoiqu’il
ne tombât pas un dimanche. On s’empresse donc de se
conformer à l’intention de Sa Majesté, pour qu’on sus
pendit les travaux ordinaires le jour du premier jan
vier, compté parmi les fêtes de famille par la grande
majorité des Français ; on rappelle enfin que les admi-
�art.
134,
135.
415
nistrations, les cours et les tribunaux vaquèrent le pre
mier janvier ; que même les fonctionnaires publics de
l’ordre judiciaire reçurent à cet effet un ordre exprès de
Sa Majesté qui leur fut transmis par le grand-juge le 4
nivôse an xm ; que la banque de France et la caisse de
service fermèrent leurs bureaux ; que cet exemple fut
suivi dans presque toutes les parties de la France.
En conséquence, le conseil d’Etat est d’avis qu’une
fête sollicitée par le vœu public, avouée par le chef su
prême de l’Etat et ratifiée par un usage constant et gé
néral devait être placée au rang de celles qu’a prévues
l’article 162 du Code de commerce.
S®6. — Il est à remarquer que la question était
née précisément à l’occasion des lettres de change. Celles
échues fin décembre devaient-elles, sous peine de dé
chéance, être protestées le premier janvier ? La solution
qu’elle reçut n’a pas cessé d’être suivie. De nos jours
encore, le premier janvier est un jour férié légal.
La Restauration n ’ajouta rien à la nomenclature des
anniversaires religieux considérés comme jours fériés,
Mais, instituant un service expiatoire pour l’infortuné
Louis XVI, elle avait placé dans cette catégorie le jour
du 21 janvier, ce qui a été pratiqué jusqu’après la révo
lution de Juillet.
S®1? . — A son tour, celle-ci avait prescrit la célé
bration des 27, 28 et 29 juillet. Aujourd-hui, nous en
sommes purement et simplement revenus à la législation
�416
DE LA LETTRE DE CHANGE
de l’Empire, aux lois de germinal an x et à l’avis du
conseil d'Etat des 13-23 mars 1810. En conséquence, la
lettre de change qui viendrait à échéance le dimanche
serait exigible le samedi ; celle qui écherrait le jour de
la Noël ou le jour de l’Assomption, le jour de la Tous
saint ou celui de l’Ascension, serait payable la veille.
Enfin, celle à échoir le premier janvier pourrait être
exigée le 31 décembre.
2® 8. — Le payement se trouve donc ainsi devancé,
c’est ce qui explique les débats que notre disposition a
subis, les phases à travers lesquelles elle a passé. La
commission l’avait inscrite dans le projet, mais elle de
vint l’objet de nombreuses attaques de la part des cours
et tribunaux. On la critiquait surtout sur le motif qu'elle
laissait de l'incertitude sur la vraie date d’où il fal
lait partir pour faire le protêt en temps utile.
Déterminée par ces attaques , la commission avait
adopté un système contraire. Dans sa seconde rédaction,
l’article correspondant à l’article 134 avait été ainsi
conçu : La lettre de change échue un jour férié ne sera
payable que le lendemain.
La section de l’intérieur revint au premier projet, et
son rapporteur demandait au conseil d’Etat de se pro
noncer pour l’échéance de la veille. M. Berlier combat
tit cette proposition. Le bénéfice accidentel de l’échéance
à jour férié lui semblait devoir tourner au profit du dé
biteur, et non contre lui ; on peut bien l’admettre, vu
la circonstance, à payer le lendemain, mais on ne sau-
�ART.
134,
155.
417
rait le contraindre à payer la veille de l’échéance sans
choquer la justice et les premières notions du droit
commun.
Qu’oppose-t-on cependant à l’appui de cet article,
continuait M. Berlier ? L’usage du commerce 1 Mais d’a
bord, l’opinant ignore si cet usage est universel en
France ; en second lieu, il doute fort que, dans l’appli
cation, les tribunaux y aient beaucoup d’égards; enfin,
quand cet usage serait bien reconnu et consacré, le lé
gislateur devrait encore le faire cesser comme mauvais
en soi, et comme subversif de tous les principes. M. Ber
lier demande en conséquence que dans le cas prévu par
l’article 134 la lettre de change soit payable le lende
main et non la veille 1.
L’opinion de M. Berlier ne fut pas accueillie. L’usage
de demander payement la veille prévalut. Ce qui au
reste décida le conseil d’Etat, c’est que, par la consé
cration de l’article 16â du Code de commerce, on fai
sait disparaître tous les inconvénients reprochés à l’ar
ticle 134. Dans notre hypothèse, en effet, le billet étant
payable la veille, le protêt ne pouvait être fait que le
lendemain du jour férié, c’est-à-dire de l’échéance. Le
débiteur ne payera donc la veille que s’il est en mesure
de le faire, dans le cas contraire, il pourra ne le faire
que le lendemain de l’échéance. En réalité, l’article 134
est donc très inoffensif.
i Procès-verbal du 29 janvier 1807, n° 14. Locré, t. 18, p. 62.
i — 27
�418
DE LA LETTRE DE CHANGE
9*39. — Le délai de vingt-quatre heures, que l’é
chéance à jour férié est dans le cas d’entraîner, est le
seul que la loi ait voulu permettre. C’est ce qui résulte
de l’abrogation formelle que l’article 135 prononce de
tous délais de grâce, de faveur, d’usage ou d’habitude
locale pour le payement de la letttre de change.
L’ordonnance de 1673 accordait au porteur dix jours
pour faire protester à défaut de payement. Ce délai, di
sait Jousse, est favorable : 10 aux porteurs, parce que
ceux-ci ne courent le risque de l’insolvabilité des per
sonnes sur qui les lettres sont tirées qu’après les dix
jours ; 2° au tireur, parce que pendant ce temps-là il
peut donner avis ou remettre des fonds à celui sur qui
il a tiré ; 3° à l’accepteur ou débiteur de la lettre, parce
que ce délai peut lui donner le temps de chercher de
l’argent, ou de recevoir provision du tireur.
Jousse suppose donc que le délai de dix jours pouvait
être invoqué par le tireur et l’accepteur, par les endos
seurs eux-mêmes, mais ce n’était pas l’avis de tous les
jurisconsultes. Savary notamment enseignait qu’on ap
pelait les dix jours, jours de faveur, parce que cela ne
dépend que de l'honnêteté des porteurs des lettres ;
car ils peuvent faire protester le lendemain de l'é
chéance sans attendre dix jours l.
Savary induisait cette doctrine du style même de l’or
donnance. Le protêt ne pouvait être retardé au-delà de
dix jours, mais ce n’était pas l’interdire avant leur expi-
�ART.
134,
138.
419
ration. Jousse reconnaissait lui-même toute la justesse
de cette induction.
Mais bientôt le doute ne fut plus permis, une déclararation du Roi, du Ü8 novembre 1713, interprétant les
termes de l’ordonnance, rend le délai de dix jours obli
gatoire pour toutes les parties. Elle dispose, en effet,
que le porteur ne pourra exiger, et le débiteur offrir le
payement de la lettre avant l’expiration du dixième jour
après l’échéance. Dès ce jour le délai ne fut pas seule
ment de faveur, il devint également un délai de grâce.
2 8 0 . — Avait-il réellement produit les effets qu’on
s’en était promis ? L’expérience était venue, là encore,
détruire bien d’illusions. Aussi, M. Bégouen, exposant
les motifs de l’article 135, pouvait-il justement s’écrier
que ce qui résultait de l’ordonnance, c’est que la vérita
ble échéance de la letttre de change était fixée au der
nier des dix jours de grâce, au lieu de celle exprimée
dans la lettre ; il y avait donc cette discordance conve
nue entre l’expression et l’intention des contractants.
Il n’en résultait aucun avantage pour personne, ajoute
M. Bégouen, le porteur comme le payeur d’une lettre de
change tirée à soixante jours de date savaient égale
ment : l’uri, qu’il ne devait la présenter, l’autre, qu’il ne
devait la payer ou en subir le protêt que le soixantedixième jour ; cette espèce de tromperie dans l’expres
sion était donc sans objet, et c’était une erreur, quoique
ce fût l’opinion de quelques commentateurs, que ces
prétendus dix jours de grâce fussent avantageux au corn-
�420
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
merce et également favorables au porteur, au tireur, à
l’accepteur ou au débiteur delà lettre. Dans le fait, rien
de plus insignifiant, de plus inutile aux uns et aux au
tres.
C’est cette conviction, justifiée par une pratique cons
tante, qui détermina le conseil d’Etat à sanctionner l’ar
ticle 135.
En thèse, cependant, un délai de grâce peut sauver
un commerçant de sa ruine, ne fût-il même que de dix
jours. Mais l’abus ne saurait être évité, si l’exigence de
ce délai inscrit dans la loi peut être invoquée par tous
les débiteurs d’une manière générale et absolue. Pour
un grand nombre d’entre eux, cette exigence n’aura
d’autre but que de bonifier, dix jours encore, de l’inté
rêt du montant de ce qu’ils ont à payer.
On ne pouvait donc maintenir la disposition de l’or
donnance de 1673.
Fallait-il s’en référer aux tribunaux, et leur accorder
le pouvoir d’admettre la nécessité d’un délai et le droit
d’en déterminer la durée ? Ce n’était pas là anéantir
l’inconvénient que nous venons de signaler. Sans doute,
on devait ainsi l’amoindrir, mais en échange on en créait
un autre non moins grave, celui de retarder le paye
ment en déférant à la justice la demande d’un délai
qu’on pouvait ainsi se procurer, dût-on, en définitive,
succomber dans l’instance engagée pour cet objet.
Ce qui pouvait résulter de là, c’était des embarras,
des ennuis, des Irais, et en conséquence du discrédit
�ART.
154,
135.
421
pour la lettre de change. Ce qui est radicalement évité
par la règle précise et formelle de l’article 135.
Cette règle, d’ailleurs, n’a rien de trop sévère ; le
commerce vit de ponctualité et d’exactitude, et les sor
ties se trouvent naturellement compensées par les ren
trées. Pourrait-on, sans danger, admettre que la maison
qui par position est obligée de payer exactement ses det
tes, pourrait être tenue d’attendre plus ou moins long
temps le payement de ses créances. Ne s’exposerait-on
pas à rompre ainsi cet équilibre qui lui permet de se
soutenir d’une manière honorable ?
C’est au commerçant qui s’engage à bien calculer ses
ressources, à bien déterminer les délais dont il peut
avoir besoin, mais l’échéance une fois fixée, le paye
ment doit s’opérer sans autre délai que celui que le cré
ancier consentirait à accorder.
8 8 1 . — Les considérations qui précèdent indiquent
le véritable caractère de l’article 135 ; le refus de tout
délai de grâce ou de faveur est bien plutôt la consé
quence de la profession des parties que de la nature
même du titre.
Or, la lettre de change peut être relative à tout autre
opération qu’une opération commerciale. Les capitalistes
prêtant à des propriétaires, à des cultivateurs peuvent
en emprunter la forme. Ils y trouvent d’abord l’intérêt
au six, puis l’énergique voie de la contrainte par corps,
dont l’exécution légitimera l’aliénation du bien dotal
lui-même.
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Pourra-t-on, pour un débiteur de cette nature, se pré
valoir de l’article 135, et refuser un délai pour le paye
ment?
Cette question, bien souvent posée devant les tribu
naux de commerce, y a été résolue par la négative. Cette
solution, si elle n’est pas rigoureusement conforme au
texte de la loi, est du moins hautement avouée par son
esprit.
Le législateur a dû se préoccuper justement de tout ce
qui pouvait rejaillir sur la marche du commerce, inté
resser le crédit public, mais il lui importait peu que les
prêts ordinaires offrissent dans leur exécution une plus
ou moins grande exactitude ; le contraire résulte même
de l’article 1244 du Code civil, permettant au juge d’ac
corder un délai au débiteur.
Faudra-t-il retirer le bénéfice de cette disposition,
parce que, cédant à des exigences qu’il ne pouvait pas
ne pas subir, le débiteur à donné à son engagement la
forme d’une lettre de change ? Ce serait là le punir bien
sévèrement d’un tort qui est tout entier dans sa position
malheureuse, ne l’est-il pas déjà suffisamment par l’o
bligation de supporter l’intérêt commercial, et d’être
soumis à la contrainte par corps.
Nous nous sommes, ailleurs, élevé contre ce double
résultat l. Nous de faisons donc que persister dans nos
convictions, en approuvant hautement le refus d’ap-
i V. n o tre
Traité du dol et de la fraude, n° 1122.
�art.
134,
135.
4 .2 5
pliquer à notre hypothèse la disposition de l’article
435.
3 8 3 . — L’article 435 ne pouvait faire obstacle à ce
que le gouvernement, eu égard aux circonstances extra
ordinaires, en suspendît momentanément l’application.
Ainsi, après la révolution de 4830, un arrêté delà com
mission municipale de Paris prorogea de dix jours les
effets de commerce payables à Paris depuis le 26 juillet
jusqu’au 45 août inclusivement.
Il en a été de même après la révolution de février
1848. Des prorogations d’échéances des effets commer
ciaux devinrent la matière de divers décrets qui furent
successivement rendus.
§ VI. —
DE LENDOSSEMENT
ARTICLE
236.
La propriété d’une lettre de change se transmet par
la voie de l’endossement.
SO M M A IRE
283, Caractère de notre article.
284. Incompatibilité des formalités des articles 1690 et sui-
�424
DE LA LETTRE DE CHANGE
285.
286
287.
288.
289.
290.
291.
292.
293.
294.
295.
296.
297.
298.
299.
300.
301.
vants du Code civil avec l’objet de la lettre de change.
Effet donné à l’endossement par l’ordonnance et par le
Code sur la propriété des effets commerciaux.
Faut-il, pour l ’application de l’article 136, que le billet à
ordre soit souscrit par des commerçants, ou qu’il ait une
cause commerciale ?
Quid de la lettre de change dégénérant en simple pro
messe ?
L’endossement par acte séparé ne serait qu’une cession or
dinaire. Conséquences.
Peut-on endosser par acte authentique?
L’article 1326 du Code civil est inapplicable à l’endosse
ment.
Les endossements inscrits sur les duplicata de la lettre de
change profitent tous au propriétaire définitif.
Capacité requise pour la validité de l’endossement.
Quel serait le sort de celui souscrit aux approches de la
faillite?
La faillite du tireur est un obstacle à tout endossement ul
térieur.
Caractère de l ’endossement souscrit en faveur d’une mai
son en état de faillite.
Peut-on endosser valablement un effet après son échéan
ce ? Opinion de Savary. Discussion.
Arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 1834. Opinion
contraire de M. Pardessus.
Réfutation.
On peut effacer l’endossement. Dans quelles circonstances.
L’endossement peut ne constituer qu'un nantissement.
Exception aux articles 2074 et 2075 du Code civil.
Peut également ne renfermer qu’une procuration. Ancien
droit à cet égard.
* 8 3 . — La règle consacrée par notre article est l’ex
�ception la plus considérable que les exigences commer
ciales aient fait subir au droit commun. Les créances
dues à une personne, faisant partie de son actif, sont,
comme celui-ci, affectées au payement de toutes ses
dettes, sans distinction. On devait donc veiller à ce que,
par une fraude et une collusion faciles, elles ne fussent
distraites de cet actif ou bien attribuées à un créancier
au détriment de tous les autres.
Dans l’accomplissement de ce devoir, le législateur
avait à ne pas perdre de vue le droit sacré de propriété,
il fallait se garder de lui porter la moindre atteinte. Or,
tant qu’un individu est maintenu à la tête de ses affai
res, tant qu’en droit et en fait leur administration lui
est conservée, on ne peut l’empêcher de la diriger sui
vant ses convenances, de vendre, d’aliéner les droits
mobiliers lui appartenant.
Mais la loi, qui ne pouvait rien contre cette faculté
en principe, pouvait en dicter les conditions et en régler
les effets, surtout en ce qui concerne les tiers intéressés
dans la disposition ou lésés par elle. C’est ce double
objet que les articles 1690 et suivants du Code civil se
sont proposés.
Ainsi le cessionnaire d’une créance ou d’un droit in
corporel ne sera saisi envers les tiers que par la notifi
cation de la cession au débiteur cédé, ou que par l’ac
ceptation que celui-ci aurait déclaré en faire, si la ces
sion est par acte devant notaire. Jusque-là, de même
que le débiteur cédé pourrait valablement se libérer entre
les mains du cédant, de même les saisies-arrêts faites
�426
DE LÀ
LETTRE DE CHANGE.
par les créanciers de celui-ci seraient des obstacles ab
solus à ce que la cession sortît à effet.
Toutes ces formalités, avouées par l’équité, recom
mandées par le droit civil, ne pouvaient être imposées
à la cession des lettres de change et billets à ordre. El
les étaient incompatibles avec le but qu’on s’en est pro
posé, inconciliables avec leur nature et leur destination.
884.
— La nécessité d’une notification suspendant
la propriété du cessionnaire, pouvant même la faire éva
nouir, devenait une gêne et un obstacle à la libre cir
culation, appelait sur les effets commerciaux un profond
discrédit. Qui aurait osé en acquérir, si des saisies-ar
rêts faites depuis l’endossement, mais avant la notifica
tion, rendaient la somme cédée la propriété commune
des créanciers ?
Toutes ces formalités n’étaient possibles que tout au
tant que la lettre de change n’aurait pas été appelée à
circuler comme elle le fait depuis longtemps. Nous
avons déjà dit que cet effet ne fut que postérieur à son
invention \
Alors, en effet, la lettre uniquement payable au pre
neur, ne pouvait être payée qu’à lui ou à son manda
taire. Dans celte première période donc l’observation des
formes prescrites pour les cessions n’offrait rien d’exor
bitant, même à l’endroit de la lettre de change.
Mais, dès la seconde période, la lettre de change, ap-
�ART.
J5G.
427
pelée à une circulation sans limite, se débarasse de tous
les obstacles pouvant contrarier ce but. Cette seconde
période commence avec l’introduction de la clause payez
à un tel ou a son ordre.
Savary, qui fixe cette introduction en l’année 1620,
nous apprend qu’elle fut imaginée par les banquiers, né
gociants et agents de change, qui s’en servirent pour
faire valoir leur argent et pour faciliter le commerce,
parce que ne pouvant recevoir eux-mêmes de ceux sur
qui les lettres étaient tirées, il fallait qu’ils passassent
des procurations notariées au nom de quelqu’un des
lieux où la lettre de change était tirée pour en recevoir
le contenu, ce qui était extrêmement incommode au com
merce de la banque et du change ; au lieu que par le
moyen des ordres que les banquiers et négociants met
tent présentement sur les lettres de change suivant qu’il
est porté par icelles, et au moyen que lesdits ordres
portent aussi de payer le contenu de la lettre à un tel ou
à son ordre, les lettres peuvent être négociées cinq à six
fois avant l’échéance, au lieu, dis-je, que par ce moyen
il ne leur est plus nécessaire de passer des procurations
pardevant notaires 1.
Or, qu’était la nécessité d’une procuration notariée
en présence de celle de cinq à six notifications. Il est
donc évident qu’en se débarrassant de la première on se
débarrassait de la seconde. On faisait de la lettre de
change une véritable monnaie, il fallait donc que sa
i Parère, 82.
�428
DE LA LETTRE DE CHANGE
circulation se rapprochât autant que possible de celle de
la monnaie elle-même.
*
885.
— C’est ce que la pratique n’avait pas cessé
d’admettre, cette pratique, l’ordonnance de 1673 vint la
consacrer. L’article 24 du titre 5 le dit expressément.
Les lettres régulièrement endossées appartiendront à ce
lui au nom duquel l’ordre sera rempli, sans qu’il soit
besoin de transport ni de notification.
Le Code de commerce formule la même règle, mais en
termes différents et plus simples. Donc, le principe que
la propriété des lettres de change et des billets à ordre est
transférée par le simple endossement est définitivement
acquis,
Mais sous l’empire du Code, comme sous l’ordon
nance, cet effet de l’endossement est subordonné à des
conditions sans lesquelles il ne saurait se produire. Avant
de nous livrer à la recherche de ces conditions, à la
constatation des conséquences de leur observation ou de
leur inaccomplissement, il nous faut examiner quelques
difficultés, que les considérations qui précèdent peuvent
faire naître à l’égard de l’endossement en général.
886.
— En thèse, une exception est de sa nature
essentiellement restrictive. On ne peut l’étendre d’un cas
à un autre. Quel doit être l’effet de celle que la négocia
tion des lettres de change et billets à ordre fait subir à
la règle générale des articles 1690 et suivants du Code
civil ? Nous venons de dire que les fondements sur les-
�ART.
136.
429
quels elle repose sont les exigences de la circulation,
l’intérêt du commerce. Ne devra-t-on, dès lors, l’appli
quer que lorsqu’il s’agira d’une opération réellement
commerciale ?
Cette difficulté s’offrira surtout pour les billets à or
dre. Ils n’ont le caractère commercial que s’ils émanent
de négociants, ou que s’ils ont pour cause une opéra
tion de commerce, à défaut de ces conditions, est-ce par
le droit commun, est-ce par l’article 136 que leur trans
mission sera régie ?
Le tribunal de Saint-Flour, investi de la question
comme juge d’appel, s’était prononcé dans le premier
sens. Il lui avait paru qu’un billet à ordre causé pour
prix de fermage, et signé par un non-commerçant, ne
pouvait être régulièrement transmis par un simple en
dossement.
Mais cette décision, étant devenue l’objet d’un pour
voi, fut cassée par la Cour régulatrice. Attendu, dit l’ar
rêt, que le billet à ordre dont s’agit est revêtu de tou
tes les formalités prescrites par l’article 188 du Code de
commerce ; qu’aux termes de l’article 187 toutes les
dispositions relatives à l’endossement lui étaient ap
plicables ; et que l’article 136 porte que la propriété
d’une lettre de change est transmissible par la voie de
l’ordre l.
La Cour de cassation s’arrête donc à la forme extrin
sèque de l’obligation. Quel qu’en soit l’objet, quelle que
M 3 novem bre 1821.
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE
soit la qualité du signataire, sa transmission, si le titre
est à ordre, s’opère en vertu de la disposition de l’arti
cle 136 et conformément à ses prescriptions.
Nous devons cependant remarquer que dans cette es
pèce le litige s’agitait entre le porteur d’ordre et le débi
teur. On pourrait dès lors objecter que ce dernier ne se
rait pas recevable à se prévaloir de l’article 1690, qui
n’a pas été fait pour lui. En effet, un point qui paraît
certain en doctrine et en jurisprudence, c’est que le dé
biteur n’a pas à s’immiscer dans les arrangements sur
venus entre son créancier 'et celui qu’il s’est substitué,
que notamment, pour ce qui le concerne, l’obligation
civile elle-même peut être transférée par un simple en
dossement 1.
On pourrait donc ne pas voir dans notre arrêt un
précédent opposable aux tiers excipant du défaut de no
tification. Ceux-ci peuvent dire qu’ils ne doivent ad
mettre ce défaut que lorsqu’il s’agit d’une obligation
commerciale à un titre quelconque. Mais s’il s’agit d’une
dette civile, comment se soustraire à l’application des
articles 1690 et suivants. C’est dans ce sens, ajouterontils, qu’il a été jugé pour les simples reconnaissances de
p rê t2.
Ces motifs nous ramènent à l’appréciation que la Cour
de cassation faisait de la forme du titre. La simple re1 T oulouse, 49 ju in 4832. Colm ar, 5 novem bre 4839.
4840, 268.
2 V. arrêt de Colmar, ci-dessus cité.
J. du P., 4,
�art.
156.
451
connaissance d’un prêt, est une obligation ordinaire,
elle ne peut être transmise par voie d’endossement, par
l’excellente raison qu’elle n’est pas même à ordre ;
qu’en conséquence, dans l’intention de celui qui la re
çoit ainsi, rien ne se rattache à l’idée d’une circulation
extraordinaire. Admettre en cet état et contre les tiers
le transfert par endossement, ce serait effacer l’article
1690.
Il n’en est plus ainsi si le titre est un billet à ordre,
sa teneur en indique la destination. Dès lors, en dispo
ser par un simple endossement, c’est user d’une faculté
qu’on ne saurait contester sans méconnaître expressé
ment les articles 187 et 136 du Code de commerce.
Cette contestation pourrait cependant se produire, mais
en se basant sur la mauvaise foi et la fraude dont il fau
drait justifier l’existence.
Nous pensons donc que, même à l’égard des tiers,
c’est par la forme donnée h l’acte que se règle le mode
de transmission dont il est susceptible. S’agit il d’un
billet à ordre, quelle qu’en soit la cause, de quelque part
qu’il émane, sa propriété est valablement transférée par
un endossement.
88®. — C’est par des considérations identiques que
devra se régler le sort des lettres de change devenues
simples promesses, par application des articles 110 et
112.
Ainsi, la traite nulle comme lettre de change, à défaut
de remise de place en place, pouvant, si elle réunit tous
�432
DE LA L E T T R E DE CHANGE
les autres caractères de la lettre de change, valoir com
me billet à ordre, la propriété en serait transférée con
formément à l’article 136 1.
Il en serait autrement, si le vice de la lettre gisait dans
l’absence de l’ordre ou dans l’insuffisance de son expres
sion. Ne serait donc pas transmissible par endossement
la traite déclarée payable au bénéficiaire ou en sa fa v e u r
au lieu de : ou à son o r d r e 2.
3 8 8 . — La cession d’une lettre de change ou d’un
billet à ordre est appelée endossement, par l’unique rai
son qu’elle s’écrit au dos de l’une ou de l’autre. Q u ia
d o rso in s c r ib i s o l e t 3.
Dès lors le législateur, consacrant cette locution, a
suffisamment manifesté son opinion sur la question de
savoir si l’endossement peut être régulièrement fait par
acte séparé du titre. Un usage de celte nature ne ferait
que susciter des obstacles et des difficultés, la propriété
du porteur actuel se prouve par la série de négociations
précédentes. Comment les apprécier, si chacune d’elles
avait été opérée par un acte spécial et distinct.
Dans la pratique, on n’a jamais hésité à proscrire un
pareil mode. C’est au dos de la lettre que viennent suc
cessivement s’inscrire chaque négociation nouvelle, et
lorsque le papier n’est pas suffisant pour les renfermer
1 Bruxelles, 20 janvier 4830.
2 D ouai, 24 octobre 1809.
3
Ileineccius, chap. 2, n° 27.
�ART. 136.
•433
toutes, un nouveau papier vient réellement allonger la
lettre de change , ce qui lui a fait donner la qualifica
tion d’allonge.
Quel serait cependant le sort d’un endossement par
acte séparé ? Serait-t-il nul, ou bien devrait-il sortir à
effet ?
La nullité n’aurait aucun fondement équitable. Cha
cun, en effet, est maître de disposer de sa propriété de
la manière qu’il l’entend. Celte disposition, une fois réa
lisée, devient définitive et irrévocable.
Donc, du cédant au cessionnaire, l’endossement par
acte séparé désinvestirait l’un et investirait l’autre; mais
cet effet ne pourrait être acquis définitivement contre
les tiers que par la notification du transport qui devient
dans ce cas un transport ordinaire. Le cessionnaire ne
serait pas recevable à se plaindre de cette décision. Il
pouvait user de la négociation commerciale et éviter
ainsi l’application de l’article 1690. Il a préféré le con
traire, il est juste qu’il en supporte les conséquences.
3 8 0 . — L’endossement pourra-t-il être consenti par
devant notaire ? On sait que la lettre de change peut
être rédigée dans celte forme, et qu’elle n’en est pas
moins transmissible par endossement. Pourquoi donc
l’endossement ne saurait-il à son tour revêtir la même
forme ?
La négative paraît d’autant plus extraordinaire qu’en
principe tous les actes susceptibles d’être consentis sous
seing-privé peuvent à plus forte raison l’être par acte
i — 28
�434
DE LA L E TTR E DE CHANGE
authentique. Le notaire n’est-il pas institué précisément
pour suppléer à l’ignorance ou à l’impuissance des p ar
ties ? L’authenticité n’est-elle pas dans les véritables pré
visions de la loi ?
Cependant, MM. Locré et Pardessus répondent à notre
question par la négartive, ils pensent que l’endossement
ne peut être fait par acte authentique.
La défense absolue ne nous paraît pas pouvoir être
juridiquement établie. Dans ce se n s , l’opinion de
MM. Locré et Pardessus devait être repoussée.
Ce qui l’a déterminée, ce sont les conséquences d’un
pareil mode d’endossement, les inconvénients qu’il en
traînerait.
D’abord, il est douteux que les notaires consentissent
à écrire l’endossement au dos de la lettre. Ils ne peu
vent, en effet, sous peine d’amende, inscrire deux obli
gations sur un même papier. Il est vrai que les auteurs
du Dictionnaire du notariat estiment qu’il y aurait dans
l’hypothèse dérogation au droit commun, mais cette opi
nion, toute respectable qu’elle est, ne remplace pas la
loi, sur laquelle la régie de l’enregistrement ne s’est pas
encore expliquée.
En supposant la dérogation enseignée par le Diction
naire, ce qui est certain, c’est que l’endossement nota
rié obligerait à faire préalablement enregistrer la lettre,
ou tout au moins à le faire simultanément avec l’endos
sement lui-même.
Tout cela peut ne pas pouvoir être fait le même jour.
Ce serait donc une perte de temps ajoutée à des frais
�ART. 156.
43S
plus ou moins considérables. Or, le commerce n’admet
ni l’une ni l’autre.
En réalité donc l’endossement notarié est inconcilia
ble avec la rapidité que la circulation des effets doit es
sentiellement offrir. Cette vérité est sans doute la clef de
l’opinion émise par les deux honorables jurisconsultes
que nous venons de nommer.
Mais l’unique conclusion à tirer de celte incompati
bilité, c’est que, dans la pratique, on n’endossera pas
devant notaire. Mais si on l’avait fait, on ne voit pas
comment on se déterminerait à ne pas accorder à l’en
dossement tous ses effets.
390. — L’endossement n’a pas besoin d’être écrit
de la main du signataire. La signature suffit ici, comme
elle suffit pour la lettre de change, pour l’acceptation.
On n’exige pas non plus que cette signature soit précé
dée du bon et approuvé prescrit par l’article 4326 du
Code civil. Raison de plus, pour que dans le commerce
on n’endosse pas par acte notarié. 11 est en effet bien
peu de commerçant qui ne sache au moins signer son
nom.
391. — Lorsque la lettre de change a été tirée à
plusieurs exemplaires, il n’est pas nécessaire que les di
vers endossements soient inscrits sur chacun d’eux. Le
dernier porteur est propriétaire et profite de tous ceux
qui ont été apposés sur d’autres duplicata que celui dont
il est porteur. D’une part, dit M. Nouguier, les endos-
�436
DE LA L E TTR E DE CHANGE
semenls développent l’opération du contrat de change ;
ils sont tous et successivement la continuation de cette
convention ; en sorte qu’ils ne font qu’un avec la let
tre dont ils étendent le bénéfice aux nouveaux interve
nants.
D’autre part, les duplicata de la lettre étant simple
ment des copies, dont l’ensemble constitue l’acte, ap
partiennent tous au propriétaire. Il suit de là que les
endossements, qui se trouvent sur d’autres exemplaires
que celui dont est possesseur le porteur définitif, sont la
garantie de sa créance aussi bien que les signatures
qu’il a en mains.
2 9 2 . — L’endossement constituant une aliénation
exige que celui dont il émane soit capable de contracter
et d’aliéner. Aucun doute ne s’élèverait sur le sort de
celui souscrit par un interdit, par un mineur non au
torisé à faire le commerce, par une femme mariée non
marchande publique.
3 9 * . — La difficulté peut naître de la faillite et des
fraudes que son approche est dans le cas de détermi
ner. Pourrait-on donc quereller les endossements sous
crits depuis le jour indiqué, comme celui de la cessa
tion du payement, ou dans les dix jours qui l’ont pré
cédé ?
Une déclaration du 18 novembre 1702 annulait les
cessions faites par un commerçant dans les dix jours
précédant la faillite. Cependant, et nonobstant celle loi
�ART.
136.
437
précise, notre ancien droit respectait les négociations de
valeurs, et admettait qu’un endossement fait la veille de
la faillite était valable et transportait tous les droits ré
sultant de la lettre de change à celui qui en avait payé
de bonne foi la valeur. Cet usage, disait M. Merlin, a été
consacré afin qu’il ne fût porté aucune atteinte à la foi
publique sous laquelle se fait la négociation de la lettre
de change.
Le législateur de 1807, professant pour la circulation
des effets commerciaux le même respect, la même sus
ceptibilité, dut arriver à un résultat identique, ce qui
était d’autant plus remarquable que le désinvestisse
ment légal du failli remontant au jour de la cessation
de payements, les valeurs négociées dans l’intervalle de
celle-ci au jugement déclaratif l’avaient été réellement
par un individu dépouillé de ses droits.
La loi de 1838 fixant le désinvestissement au jour du
jugement déclaratif, respecte par cela même les disposi
tions que le failli peut avoir fait de son actif. Sous son
empire surtout, il sera vrai de dire qu’un endossement
souscrit la veille du jugement déclaratif transférera la
propriété de la lettre de change.
Mais à la même condition que celle exigée par l’an
cien droit, à savoir : que le bénéficiaire en aura de bonne
foi payé la valeur. Ce que la loi entend respecter, c’est
une négociation dont l’habitude est dans la coutume et
les usages du commerce, qui dès lors n’a par elle-même
rien d’étrange, rien qui doive éveiller les soupçons.
Je donne de l’argent, je reçois une traite, il n’y a
�438
DE LA LE TTR E DE CHANGE
rien de plus simple. La preuve de la bonne foi résulte
du fait que je livre réellement mes fonds, que j’achète
la lettre de change.
Dès lors, si je reçois celle-ci sans livrer les fonds, si
je compense sa valeur avec ce qui m’est dû par le por
teur, ce n ’est pas un achat que je contracte, c’est un
payement que je reçois, le sort de mon opération se
trouve dès lors régi par les articles 446 et 447 du Code
de commerce.
8 9 4 . — La faillite du tireur est-elle un obstacle à
l’endossement ultérieur de la lettre de change? L’affir
mative est enseignée par la doctrine. L’article 1693 du
Code civil exige que celui qui vend une créance ou au
tre droit incorporel en garantisse l’existence au moment
de la vente, alors même qu’il vendrait sans garantie.
L’application de cette disposition à l’endossement est
d’autant moins douteuse, que celui-ci entraîne la garan
tie solidaire l.
C’est même cette circonstance qui rendra notre ques
tion de peu d’intérêt toutes les fois que la solvabilité du
cédant sera certaine et que le protêt aura été requis en
temps utile. Le recours que le cessionnaire ne manquera
pas d’exercer amènera son désintéressement, il n’aura
dès lors aucun intérêt à poursuivre la nullité de l’endos
sement.
Mais cet intérêt sera incontestable lorsque, en cas de
1 Nouguier, t. 4, p. 891.
�ART.
156.
439
protêt tardif, le cessionnaire voudra recourir contre son
cédant. En effet, la nullité de l’endossement sera le seul
moyen de se soustraire à la déchéance prononcée par la
loi. Or, cette nullité devrait être prononcée ainsi que
nous venons de le dire l.
8 0 5 . — L’endossement d’une lettre de change en
faveur d’une maison qui est en état de faillite et qui
n’en a pas fourni la valeur n’est point translatif de pro
priété, il ne peut même valoir comme simple procu
ration.
Cette règle n’est que l’application du principe exi
geant, pour la validité des conventions, la capacité réci
proque des parties. Or, le commerçant déclaré en faillite
ne peut plus contracter, le désinvestissement dont il est
l’objet lui fait perdre la faculté d’acquérir.
D’autre part, on ne peut accepter un mandat que si
on peut le remplir. Or, le commerçant failli, incapable
de se livrer au commerce tant qu’il ne sera pas relevé
de son état, ne peut accepter la mission que son ancien
correspondant lui confierait.
Nous avons dit, ailleurs, quel serait le sort des valeurs
qui n ’arriveraient au failli qu’après la cessation des
payements3. Nous ajoutons que les effets commerciaux
endossés ou envoyés en recouvrements dans l’ignorance
1 Cass., 20 décembre 1821. Paris, 7 novembre 1840.
1840, 643.
2 V. notre T r a i t é s u r le s f a i l l i t e s , n° 1114.
J. du
P „ 2,
�440
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la faillite, n’auraient pas cessé d’appartenir à l’expé
diteur ; qu’il pourrait en conséquence les revendiquer
contre le tiers porteur auquel le failli les aurait négociés.
Accepter un transfert d’un homme judiciairement déclaré
en faillite, c’est exclure toute idée de bonne foi
8 9 6 . — Tant que la lettre de change n’est pas
échue, la faculté de la négocier ne saurait être contestée.
L’endossement en transférerait la propriété avec tous les
droits, tous les privilèges qui y sont attachés envers et
contre tous les signataires. Qu’en est-il de la lettre de
change échue, peut-elle encore devenir l’objet d’un en
dossement translatif de propriété ?
La négative, que des jurisconsultes honorables ont
enseignée, nous paraît reposer sur une évidente confu
sion entre les débiteurs de la lettre et les endoseurs.
Sans doute la négociation de la lettre après son échéance
ne fera pas revivre les droits éteints contre ceux-ci, mais
pourquoi cet effet empêcherait-il la transmission des
droits du porteur contre les souscripteurs, donneurs d’a
val ou accepteur ?
Telle est cependant l’unique raison que Savary donne
de son opinion. L’article 32 de l’ordonnance, dit-il,
veut que faute de payement dans un billet de change,
le porteur fasse signifier et fasse ses diligences contre
celui qui aura signé le biflet ou l’ordre, et l’assignation
de garantie sera donnée dans les délais prescrits pour
i P aris, 25 janvier 1830.
�art,
156.
441
les lettres de change, de sorte qu’aux termes de cet ar
ticle les porteurs devraient faire leur diligence contre les
souscripteurs dans les dix jours de l’échéance. Or, dans
l’espèce, le billet était échu depuis le 13 décembre, il
n’a été négocié que le 11 mars suivant, dès lors le billet
n’était plus négociable après le temps dans lequel les
diligences devaient être faites l.
Evidemment l’interprétation que Savary fait de l’arti
cle 32 de l’ordonnance est erronée. Tout ce qui résultera
de sa violation, c’est la perte de la garantie contre les
endosseurs. Le signataire n’en sera pas moins obligé
jusqu’à payement, sans qu’on soit obligé de lui faire la
moindre signification. C’est Savary lui-même qui nous
l’apprend2. Dès lors, que l’endossement soit sans effets
pour les endosseurs si à l’échéance les diligences n’ont
pas été remplies, on le comprend, mais comment con
tester son efficacité contre les débiteurs principaux.
Au reste, si la signification de l’article 32 de l’ordon
nance était telle que l’admet Savary, il faudrait, pour en
appliquer aujourd’hui les conséquences, que le Code se
la fût appropriée. Or, rien de semblable n’existe. La
Cour de cassation n’a pas manqué, toutes les fois qu’elle
a été appelée à s’expliquer sur la question, de le cons
tater. Voici notamment ce que nous lisons dans l’arrêt
du 28 janvier 1834 :
1 Savary,
Varère'l5, 2e question.
Des diligences., etc., p. 228.
2 Liv, 3, chap. v in ,
�442
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 9 1 . — « Considérant, en droit, qu’en déterminant
les différentes conséquences qu’il attache au fait de l’é
chéance des lettres de change et des billets à ordre, le
Code de commerce ne dit nulle part que ces titres
perdent par ce seul fait leur nature d’effets de commerce
négociables; que l’article 136 dispose d’une manière
générale et absolue, et n’établit aucune distinction entre
le cas où l’endossement serait antérieur à l’échéance et
celui où il serait postérieur ; qu’ainsi la propriété d’une
lettre de change ou d’un billet à ordre peut être trans mise par un endossement postérieur.
M. Pardessus admet cette doctrine et son résultat,
mais du cédant au cessionnaire seulement. Il repousse
l’une et l’autre à l’égard des créanciers du cédant. Pour
ce qui les concerne, dit-il, la lettre de change une fois
échue est entrée irrévocablement dans l’actif de celui
qui s’en trouve propriétaire en ce moment ; le sort de
tous ceux qui ont contracté est alors fixé : les uns ayant
des recours à exercer, les autres des garanties à donner,
d’autres enfin des compensations ou des exceptions à
faire valoir. Ainsi l’endossement, aussi régulier qu’il pût
être, qu’en ferait le porteur, n’opèrerait pas les effets de
celui qui est consenti avant l’échéance, et n’empêche
rait ni les saisies-arrêts faites entre les mains du débi
teur par des créanciers du cédant postérieurement à l’é
chéance et antérieurement à l’endossement, ni les ex
ceptions que le débiteur lui-même pourrait opposer, si
depuis l’échéance et avant l’endossement il avait acquis
sa libération par compensation ou par tous autres
�ART.
136.
443
moyens. Cependant, ajoute M. Pardessus, il paraît que
cette distinction n’est pas admise par l’usage 1.
898. — M. Pardessus pose en fàit ce qui est en
discussion, car on ne peut trouver un fondement sérieux
à la position qu’il fait aux tiers et au débiteur lui-même,
dans cette considération que la lettre de change une fois
échue est entrée irrévocablement dans l’actif de celui
qui s’en trouve propriétaire en ce moment.
En la forme, cette lettre de change en sera-t-elle
moins à l’ordre du porteur ? Or , nous le disions tout à
l’heure, la forme suffit pour rendre l’article 136 appli
cable. Nous avons rappelé qu’on l’avait ainsi jugé no
tamment pour un billet à ordre causé valeur reçue en
prix de bail.
D’autre part, le besoin pour le porteur d’être payé
n’est-il pas plus urgent après l’échéance qu’avant ? Fau
dra-t-il donc qu’il se transporte lui-même sur les lieux
ou qu’il envoie une procuration. Mais n ’est-ce pas pré
cisément pour obvier dans tous les cas à l’un ou à l’au
tre qu’il a exigé un titre à ordre et dès lors transmissi
ble par endossement ? On comprend que l’usage, ainsi
que le reconnaît M. Pardessus, repousse cette doctrine.
L’arrêt de la Cour de cassation s’explique sur les ob
jections de M. Pardessus. Ainsi, il constate que le por
teur d’une lettre de change ou d’un billet à ordre, qui
en est devenu le propriétaire par un endossement régui
Droit comm., n° 352. Conf. N ouguier, 1 . 1, p. 290.
�444
DE LA LETTRE DE CHANGE
lier, est créancier direct des souscripteurs, et qu’il n’est
passible que des exceptions qui lui sont personnelles ;
que ce principe tient à l’essence des lettres de change et
billets ù ordre, cfu’il ne pourrait recevoir exception, re
lativement au porteur par endossement postérieur à l’é
chéance, qu’en vertu d’une disposition de loi, disposi
tion qui n’existe pas.
Relativement à l’exception de payement que le débi
teur pourrait élever, la Cour suprême ajoute, que le seul
fait de l’échéance ne prouve pas le payement, alors que
l’effet est demeuré entre les mains de celui au profit de
qui il avait été souscrit, et qu’il ne porte pas d’acquit ;
que le souscripteur qui aurait payé nonobstant ces cir
constances devrait s’imputer sa propre négligence et se
rait dans un cas analogue à celui prévu par l’article 148.
En résumé donc il importe peu que l’échéance de la
lettre ou du billet h ordre ait fait disparaître par extinc
tion ou règlement les obligations qui s’étaient accessoire
ment groupées autour de l’obligation principale. Tant
que celle-ci n’est pas éteinte, le titre reste ce qu’il était
avant, une créance à ordre. Il peut dès lors être trans
mis par voie d’endossement.
890. — La difficulté que nous avons indiquée au
sujet de l’acceptation, s’est produite à l’égard de l’en
dossement. Peut-on effacer celui-ci après l’avoir écrit?
L’affirmative nous paraît inévitable dans toutes les
hypothèses. Par exemple, un endossement a été par er
reur matérielle inscrit sous le nom d’une personne autre
�ART.
156.
445
que celle qui devait en profiter réellement. Pour quel
motif ne pourrait-on , en le biffant, corriger cette er
reur ?
Dans une autre hypothèse, des pourparlers sont enga
gés pour une opération commerciale. Croyant à une so
lution favorable, la partie qui a des valeurs à remettre
les endosse d’avance, mais, par une circonstance for
tuite, les parties rompent entre elles et l’opération se
trouve abandonnée.
Enfin, une troisième hypothèse peut s’offrir, un mar
ché est terminé et a été exécuté, mais d’accord commun
les parties en conviennent l’annulation. Chacune d’elle
restitue ce qu’elle avait reçu et rentre en possession de
ce qu’elle avait donné.
Dans ces deux dernières hypothèses, il n’y a pas plus
de difficultés que pour la première. Aussi la doctrine
moderne a admis la faculté de rayer l’endossement.
C'est en effet le moyen le plus simple et le plus naturel
qu’on puisse employer.
L’ancienne doctrine pensait autrement. Savary, entre
autres, dans son vingt-quatrième parère, enseigne que
l’endossement ne peut être rayé, qu’une fois souscrit il
ne peut être rétracté que par une contre-passation de
celui au nom duquel il est rédigé.
La contre passation serait facile dans la troisième hy
pothèse, car elle serait la condition de l’annulation du
marché. Mais il pourrait en être autrement dans les deux
autres, dans la seconde notamment.
Comment en effet contraindre la partie blessée de la
�446
DE LA LETTRE DE CHANGE
rupture des pourparlers de réaliser cette contre-passa
tion? Quelle voie prendre pour vaincre son refus? Adop
ter l’opinion de Savary, serait donc vouloir se précipiter
dans des inconvénients et dans des difficultés que les
causes commerciales ne comportent pas.
D’ailleurs, il n’est pas exact de dire que l’endosse
ment transmet ipso facto la propriété, il faut avec l’en
dossement la remise matérielle de l’etfet endossé. Donc,
sauf les cas de dol et de fraude, tant que la remise ne
s’est pas opérée, la lettre ou le billet appartient réelle
ment à son détenteur.
Enfin, la contre-passation sera bien souvent refusée,
de la part de celui qui doit la consentir, par le motif
qu’elle est un endossement l’exposant à garantir solidai
rement le payement de l’effet en faveur des porteurs ul
térieurs. Il ne la consentirait donc qu’à la condition
que l’ordre qu’il souscrirait serait à forfait et sans ga
rantie.
Mais une pareille clause serait refusée par l’autre
partie. La méfiance qu’elle décèle déshonore la lettre ou
le billet, à tel point qu’il ne trouverait peut-être plus à
le négocier.
Ainsi donc, la faculté consacrée par la doctrine mo
derne est préférable de tous points à l’avis de Savary.
L’endossement n ’est qu’un projet tant que l’effet n’a pas
été lancé dans la circulation, et son biffement ne prouve
qu’une seule chose, à savoir : que ce projet a été aban
donné par erreur, par désaccord, ou par un consente
ment réciproque.
�ART.
136.
447
L’effet de ce dernier peut se manifester à toute épo
que, mais à condition que les choses seront entières,
c’est-à-dire que la négociation n’aura été suivie par
aucune autre. Il est évident que celui qui a reçu un ef
fet commercial et qui l’a lui-même transmis ne pourrait
consentir à ce que son cédant rayât sa signature. Le
bénéfice de celle-ci a été cédé et est acquis au cession
naire.
Dans l’usage, lorsqu’après protêt la lettre de change
est remboursée par les endosseurs successifs, chacun
d’eux efface sa signature en opérant ce remboursement.
C’est là un fait parfaitement légal contre lequel nul
n’aurait à redire. Le payement a épuisé les obligations,
et l’existence de la signature est indifférente pour la
poursuite des droits.
3 0 0 . — L’endossement d’une lettre de change peut
n’avoir pour objet qu’un nantissement. Dans ce cas, il
est fait exception à l’article 2074 du Code civil, à l’égard
de la nécessité de l’enregistrement. Cet article reçoit ce
pendant application aux matières commerciales. L’ex
ception dans notre hypothèse n’est donc que la consé
quence de la forme de l’acte ; qu’une nouvelle preuve
du respect du législateur pour la lettre de change.
Cette exception est d’ailleurs rationnelle : qui peut le
plus peut le moins. Or, l’endossement transfère la pro
priété aux termes de l’article 136. Pouvait-on, dès lors,
lui méconnaître la faculté de l’engager? Quant à l’ob
jection tirée de l’article 2075, on a fait remarquer que
�448
DE LA LETTRE DE CHANGE
sa disposition gardait le silence sur les effets de com
merce qui s’en trouvaient dès lors exceptés h
301. — L’endossement peut également ne conférer
qu’une procuration à l’effet de requérir le payement de
la lettre de change. Nous allons voir bientôt que dans
certaines circonstances la loi ne lui reconnaît que ce ca
ractère. Mais indépendamment de cet effet légal, rien
n’empêche les parties de ne constituer qu’un mandat,
en s’en expliquant formellement dans l’endossement.
Cette doctrine est conforme à l’ancien droit sous l’em
pire duquel on reconnaissait trois espèces d’endosse
ment. Le premier transférant la propriété sans qu’il fût
nécessaire de transport ou de notification ; les deux au
tres ne valant que comme procuration, à cette seule dif
férence entre eux que l’un était exclusivement person
nel, tandis que l’autre pouvait être substitué.
Aussi l’endossement : Et pour moi vous payerez le
contenu d’autre part à un tel, sans expressions de va
leur reçue, ne valait que comme simple procuration, de
telle sorte que les créanciers du signataire pouvaient
faire saisir et arrêter le montant de la créance entre les
mains du débiteur, de plus le mandat était purement
personnel à celui en faveur de qui il était souscrit.
L’endossement : Et pour moi payez le contenu d’au
tre part, à un tel ou à son ordre , produisait exacte
ment les mêmes effets, seulement le mandataire pouvait
�ART. J 57, 158.
449
déléguer le mandat, les mots ou à son ordre valant pou
voir de se substituer l.
Nous allons examiner, sous les deux articles suivants,
ce qu’il en serait de ces expressions sous l’empire du
Code de 1807.
ARTICLE
137.
L’endossement est daté.
Il exprime la valeur fournie.
Il énonce le nom de celui à l’ordre de qui il est passé.
ARTICLE
138.
Si l’endossement n’est pas conforme aux dispositions
de l’article précédent, il n’opère pas le transport ; il n’est
qu’une procuration.
SOMMAIRE
302. Distinction de l’endossement en régulier et irrégulier.
303. Précautions exigées par l ’ordonnance de 1673.
304. Le Code exige comme première condition que l ’endosse
ment soit daté. Motifs.
305. Le Code a prohibé tout équipollent. La date n ’est pas uti-
1 Bornier, Ordonnance de 1673, tit. v, art. 24.
i — 29
�430
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
lement indiquée par ces expressions : ut ré tro , ut
supra.
306. Arrêts de la Cour de cassation exigeant une date spéciale
et expresse pour l ’endossement d’une lettre tirée à l’or
dre du tireur lui-même. Discussion.
307. L’omission de la date ne serait suppléée nipar un aval de ga
rantie donné à l'endossement, ni par un protêt faute
d’acceptation.
308. La seconde condition exigée est que l’endossement expri
me la valeur fournie. Conséquences.
309. Application à l'endossement des motifs de l’article MO sur
la lettre de change. Raisons de douter. Conséquences
pour les expressions valeur vraie, valeur reçue, etc.
310. Doutes élevés sur celles valeur reçue comptant, valeur en
compte. Validité des unes et des autres.
311. Décisions rendues sur l’endossement valeur en compte.
312. Validité de l’endossement valeur en solde.
312 bis. Quid de l ’endossement valeur en garantie ?
313. De celui causé valeur en bons offices.
314. Exception que cette seconde condition comporte pour les
billets à ordre non commerciaux.
315. En matière d’effets commerciaux, l ’omission de l’expres
sion de la valeur ne peut être suppléée. Inadmissibilité
de la preuve.
316. Troisième condition, indication du nom du preneur. Ca
ractère.
3)7. Effets de l’endossement régulier. Quid pour les garanties
hypothécaires attachées au titre négocié.
31!;. Quel est l ’effet de la subrogation lorsque l ’hypothèque a
été donnée pour la garantie d’un crédit ouvert.
319. Caractère et conséquences de l ’endossement ne réunissant
pas les conditions de l’article 137.
320. Peut-on considérer comme tiers les débiteurs, tireur et
accepteur de la lettre de change? Conséquences de l’af
firmative.
�art.
321.
322.
323.
324.
325.
226.
327.
328.
329.
330.
331.
332.
333.
3S4.
335.
137, 138.
451
Effet de l'endossement irrégulier entre le cédant et le ces
sionnaire.
Caractère de l'action que le porteur d’un endossement ir
régulier exercera contre les tiers. Ses effets.
L’endossement irrégulier vaut mandat de négocier la let
tre de change. Exception que cette règle comporte.
Difficultés que fera naître cette négociation, si elle est faite
régulièrement.
Le porteur de l'endossement irrégulier devient dans ce cas
garant du payement, en suite de l ’endossement qu’il a
consenti.
S’il est obligé de payer à l ’échéance, sera-t-il subrogé au
porteur, ou restera-t-il mandataire? Opinion de M.Nouguier dans ce dernier sens.
Réfutation.
Jurisprudence.
Caractère de l ’endossement en blanc.
Motifs qui ont constamment fait échouer sa prohibition.
Lettre de d’Aguesseau.
La faculté conservée sous le Code, de remplir l’endosse
ment en blanc, enlève toute efficacité à la disposition
qui le réduit à l’état de procuration.
Peut-on remplir l’endossemeut après la faillite de l’endos
seur?
Effet de l’endossement en blanc entre parties.
Effets vis-à-vis des tiers, avant et après remboursement,
à la suite d’une négociation valable.
Résumé.
303.
— Dans le langage de la loi, l’endossement
ne comporte pas d’autre distinction que celle résultant
de l’accomplissement ou de l’omission des formes exi
gées pour sa régularité. Il est ou non translatif de pro-
�452
DE LA LETTRE DE CHANGE.
priété, selon que le souscripteur a obéi ou non aux pres
criptions de l’article 137.
L’ordonnance de 1673 admettait une différence, l’en
dossement n’était que la signature apposée derrière l’ef
fet et n’opérait que simple procuration ; elle appelait
ordre celui qui remplissait les conditions qu’elle exi
geait pour que l’endossement transférât la propriété.
Cette différence a disparu. Dans tous les cas, la loi
actuelle accepte la négociation comme un endossement,
seulement en doctrine et en jurisprudence on spécifie
l’endossement en le déclarant régulier lorsqu’il est con
forme à l’article 137, irrégulier dans le cas contraire.
3 0 3 . — L’effet énergique d’un endossement a de
tout temps commandé et imposé le devoir et la nécessité
d’en régler les formes, d’en préciser le caractère et d’en
subordonner les conséquences à l’accomplissement des
premières. Ce devoir avait été soigneusement rempli
par le législateur de 1673.
Ainsi, l’article 23, titre 5 de l’ordonnance ne consi
dère l’ordre comme translatif de propriété que s’il est
daté ; que s’il énonce le nom de celui qui en a donné
la valeur en argent, marchandises ou autrement. Ces
conditions avaient pour objet de fixer le moment de la
négociation, de justifier la réalité du contrat, en expri
mant la nature de la valeur et en désignant le cession
naire. C’étaient là des précautions tendant à prévenir
l’abus, qu’après la faillite ou à ses approches un com
merçant pouvait faire des endossements en blanc, dissi-
�ART.
137, 138.
4S3
mulant ainsi le plus clair de son actif au préjudice de
ses créanciers. Aussi, la mention de la date était-elle ri
goureusement exigée. Savary et Jousse citent des arrêts
de parlements qui avaient tantôt annulé, tantôt con
sidéré comme simple procuration l’endossement non
daté.
La sagesse de ces précautions ne pouvait échapper au
législateur de 1807. Les déplorables abus de tout genre
qui avaient surgi du bouleversement social qu’on venait
de traverser rendaient le rétablissement de la règle bien
plus indispensable. Cette conviction amena la consécra
tion de l’article 137. On maintint l’endossement, on lui
conserva son effet contre les tiers, mais on le soumit à
des conditions dont l’inaccomplissement le faisait dégé
nérer en simple procuration.
304.
— La première de ces conditions est que l’en
dossement soit daté.
Les motifs qui l’avaient ainsi fait admettre par l’or
donnance de 1673 n’avaient pas cessé d’exister en 1807.
La date est indispensable pour constater la capacité de
la partie. Comment à son défaut pourrait-on juger si le
signataire n’était pas, au moment de la négociation,
dans les liens de la minorité, de l’interdiction, du ma
riage.
C’est surtout dans le cas de faillite actuelle ou immi
nente que la date acquiert la plus haute, la plus décisive
importance. Les valeurs de portefeuille courraient grand
risque d’être enlevées aux créanciers si on pouvait les
�454
DE LA LETTRE DE CHANGE.
transmettre par une négociation sans date. Il est vrai
que la faculté d’antidater détermine à peu près le même
résultat ; mais la loi ne pouvait, contre cette éventualité,
que prendre les précautions que la nature des choses
comportait. Elle s’est donc bornée à proscrire l’antidate,
qu’elle assimile au faux.
305.
— Dans l’ancienne pratique commerciale, on
avait admis un équipollent pour suppléer à la date, et
même à l’expression de la valeur. Cet équipollent con
sistait à s’en référer aux énonciations qui se trouvaient
déjà dans la lettre de change. Ainsi, on endossait :
Payez à l’ordre de...... valeur en compte, u t r é t r o ,
Payez à l'ordre de...... valeur reçue, u t s u p r a . Mais
ces expressions, dont le sens varie suivant la place
qu’elles occupent et qui peuvent s’appliquer à toutes les
énonciations de la lettre de change, devaient être re
poussées par la nouvelle doctrine comme n’en suppléant
spécialement aucune.
Fallait-il conclure de là que lorsque la spécialité de
ces expressions résultait notamment de ce que la date
seule manquait à l’endossement, remplissant toutes les
autres conditions de la loi, on devait déclarer cet en
dossement régulier ?
L’affirmative avait été adoptée par la cour d’Aix, le
9 février 1815, mais son arrêt, ayant été frappé d'un
pourvoi, fut cassé par la Cour régulatrice, le 23 juin
1817, malgré que la validité de l’endossement n’eût été
�admise que parce que les traites avaient été souscrites à
l’ordre du tireur.
306.
— Cet arrêt de la Cour suprême pose un prin
cipe dans lequel nous la voyons plus tard persister.
Ainsi elle consacre, le 14 novembre 1821, que la date
de l’endossement doit être expressément indiquée, alors
même que, s’agissant d’une lettre de change à l’ordre
du tireur, l’endossement émane de celui-ci.
Ces deux décisions de la Cour étaient l’abandon fla
grant de la jurisprudence qu’elle avait jusqu’alors sui
vie. Ainsi elle jugeait expressément le contraire, le 2
prairial an xm , sur le motif que la lettre de change,
souscrite à l’ordre du tireur, n’est parfaite que par l’or
dre qu’il en passe à un tiers, qu’il importait peu que
cet ordre ne fût pas daté, la date étant alors celle de la
lettre de change qu’il ne faisait que compléter.
Ce dernier arrêt était, il est vrai, rendu sous l’empire
de l’ordonnance de 1673. Mais, ainsi que nous venons
de le dire, le Code n ’a fait que sanctionner les disposi
tions de celle-ci. Dès lors, tout ce qui était juridique
alors ne pouvait pas ne pas l’être aujourd’hui.
Dans cette conviction, nous n’hésitons pas à préférer
la solution de l’arrêt de l’an xm à celle donnée par
ceux de 1817 et 1821. Elle nous paraît plus conforme à
la logique, plus en rapport avec le véritable esprit de la
loi.
En effet, l’article 137 ne concerne que l’endossement
ordinaire, c’est-à-dire celui qui, venant accessoirement
�456
DE LA LETTRE DE CHANGE
s’unir et s’incorporer à la lettre de change, n’en consti
tue pas moins une obligation nouvelle, distincte de tou
tes celles qui l’ont précédée et destinée à produire des
effets spéciaux.
Dès lors, si l’une des obligations doit être datée, l’a u
tre doit l’être également. Les motifs qui le recomman
daient pour l’une militaient également pour l’autre.
L’existence de deux débiteurs distincts imposait la né
cessité de s’assurer de leur capacité respective.
Mais l’endossement d’une lettre souscrite à l’ordre du
tireur n’offre aucun de ces caractères. A proprement
parler, il n’est et ne peut pas être un véritable endosse
ment, il n’est que le complément de la lettre qui n’exis
tait pas avant sa confection. Aussi son auteur n’est pas
obligé comme endosseur ; il l’est exclusivement comme
tireur, ne pouvant invoquer la déchéance résultant de la
tardiveté du protêt ou du défaut de diligences dans le
délai voulu , à moins qu’il ne prouvât qu’il avait fait
provision.
En réalité donc, comme l’observe M. Pardessus, la
lettre de change souscrite à l’ordre du tireur lui-même
n’est pas, à proprement parler, une lettre de change.
Elle ii’acquiert ce caractère que par la négociation qui
en est faite en faveur d’un tiers. L’obligation du tireur
n’est nullement modifiée par cette négociation ; elle reste
après l’endossement ce qu’elle était avant, ce qu’elle au
rait été si la lettre avait été directement créée à l’ordre
du preneur.
Conséquemment on ne saurait voir dans cet endosse-
�art.
137, 138.
457
ment celui que la loi a voulu régir dans l’article 137.
Il n’est en effet que le supplément de la lettre de
change, que le complément du contrat ; il ne fait qu’un
seul tout avec la première, et dès lors à quoi bon deux
dates pour une seule obligation. Tout ce qui résultera
de l’omission de celle de l’endossement, ce sera d’en
rapporter le moment à la date de la lettre de change,
tout comme dans l’hypothèse contraire la lettre de
change emprunterait celle de l’endossement.
Nous estimons donc que la Cour de cassation s’est
trompée dans ses arrêts de 1817 et 1821, et qu’elle n’a
pas assez tenu compte de l’exception que la nature des
choses devait faire subir à l’article 137.
Mais cette exception est la seule. Dans tous les au
tres c a s , la date est de rigueur, ce n’est pas même là
un droit nouveau introduit par le Code. C’est en effet ce
que la doctrine et la jurisprudence anciennes avaient
admis et consacré.
3 0 » . — Sous l’empire de l’ordonnance, on s’était
demandé si le défaut de date pouvait être suppléé par
un protêt faute d’acceptation, ou par un aval de garan
tie donné à la suite d’un endossement et en faveur du
souscripteur ? La négative avait été admise, elle était no
tamment enseignée par Savary l.
Pothier, discutant cette solution pour laquelle il se
prononce d’ailleurs, observe : pour l’affirmative on dira
i Parère, 16, 2me et 3m" quest.
�438
DE LA LETTRE DE CHANGE
que l’endossement devant précéder l’aval et le protêt
n ’ayant pu être fait que depuis l’endossement, la date
de l’un ou de l’autre en assure une à l’endossement.
Mais, pour la négative, on répond que l’endossement
ayant été d’abord non valablement fait, faute de l’obser
vation d’une des formes requise par l’ordonnance, qui
est l’expression de la date, et n’ayant pas en consé
quence transféré la propriété de la lettre de change à
celui à qui l’ordre est passé, l’endosseur, qui a conservé
la propriété de la lettre, ne peut plus, sans son fait, en
être dépouillé par l’aval ou par le protêt, qui sont des
actes auxquels il n’a pas de p a rt l.
Sous le Code de 1807, cette doctrine ne doit rencon
trer ni difficulté ni doute, l’omission de la date ne peut
être réparée que par l’auteur de l’endossement, sauf les
droits des tiers. Il n’existe aucun autre moyen d’y sup
pléer, l’endossement qui en est vicié est donc définitive
ment irrégulier.
%
3 0 8 . — La seconde condition exigée par l’article
137, pour la régularité de l’endossement, consiste dans
l’expression de la valeur fournie.
Cette condition était une conséquence de la nature des
choses. La différence entre l’endossement et la lettre de
change ne consiste que dans ce fait unique, à savoir :
que celle-ci ne peut être souscrite au lieu où elle est
payable ; l’endossement, au contraire, n’ayant jamais à
1
C o n tr a t de c h a n g e ,
n° 40.
�réaliser le contrat de change, qui l’a nécessairement pré
cédé, peut y être signé. Sauf cette différence, l’endos
sement n’est pas autre chose que la lettre de change
elle-même. Comme elle, en effet, il est l’achat d’une
obligation moyennant une somme ou une valeur con
venue.
Sous ce point de vue , les principaux motifs qui ont
déterminé le législateur à exiger, dans l’article 110, que
la lettre de change exprimât la nature de la valeur, mi
litaient pour qu’il en fût ainsi en matière d’endossement.
D’ailleurs et en droit commun , une cession doit avoir
un prix, et l’obligation de l’exprimer devenait le corol
laire de l’effet qu’on allait donner à celle qui se réalise
par un endossement. Le transfert de la propriété s’opé
rant ipso facto, sans transport, sans notification, valait
bien la précaution ordonnée par le législateur.
309.
— En conséquence, tout ce que nous avons
dit sur l’article 110, à l’égard de l’insuffisance de l’ex
pression de la valeur, s’applique à l’endossement. La
doctrine et la jurisprudence ont déclaré communes à ce
lui-ci les règles qu’elles avaient admises pour la lettre
de change.
La raison de douter s’induisait du texte même des
deux articles. L’article 110 veut que la lettre de change
indique la valeur en espèces, en marchandises, en
compte ou de tout autre manière, taudis que l’article
137 se borne à prescrire l’expression de la valeur four
nie. Ne devait-on pas conclure de cette différence dans
�460
DE LÀ
LETTRE DE CHANGE.
Iss termes, que la loi ne demandait plus pour l’endosse
ment ce qu’elle voulait pour la lettre de change ?
On pouvait ajouter que le silence de l’article 137 est
d’autant plus remarquable que l’article 23, titre v de
l’ordonnance, qu’il venait remplacer, s’expliquait for
mellement et exigeait qu’on indiquât si la valeur de
l’endossement avait été donnée en argent, marchandises
ou autrement. Le silence du Code était donc prémédité,
et on aurait pu vouloir le faire considérer comme une
abrogation.
Mais ces raisons tombent devant la certitude que le
législateur de 1807 a entendu consacrer purement et
simplement la législation précédente ; elles s’effacent de
vant l’esprit de la loi. L’indication de la valeur est exi
gée, non pas à l’égard des parties, mais pour les tiers
exclusivement. Puisque l’endossement leur enlève de
plein droit et; sans signification une partie de l’actif de
leur débiteur, il était juste d’exiger qu’il fût par luimême dans le cas de les édifier sur le caractère de l’o
pération, sur la certitude d’un bon et valable payement.
Or, que pouvaient signifier pour eux ces expressions :
valeur vraie, valeur reçue, valeur convenue, valeur
entendue, etc. On devait donc les déclarer insuffisantes,
et c’est ce que la doctrine et la jurisprudence n’ont pas
hésité à faire.
310.
— L’intérêt des tiers à être édifiés sur la valeur
réelle de l’endossement avait même élevé des doutes que
la jurisprudence a eu à dissiper. On avait notamment
�art .
137, 138.
461
contesté la régularité de l’endossement causé : valeur
reçue comptant, ou valeur reçue en compte, mais ces
difficultés ne pouvaient être sérieuses. En effet, endos
ser valeur reçue comptant, c’est exprimer que la né
gociation a eu lieu contre espèces, et qu’en conséquence
la valeur a été payée et reçue en argent 1.
L’expression valeur en compte ne saurait non plus
être déclarée insuffisante ou repoussée. Sans doute elle
ne comporte aucune idée de quittance ; elle l’exclut mê
me, car elle signifie qu’il existe ou qu’il existera un
compte où cette valeur sera comprise ; mais cela n’em
pêche pas que la cession ne soit parfaite, ot que l’effet
endossé ne soit devenu la propriété exclusive du pre
neur. Son cédant lui a fait crédit, il lui a livré le pa
pier au même titre qu’il lui aurait donné des espèces.
L’opération est donc incontestable pour les tiers, comme
pour les parties elles-mêmes.
Pour celles ci, en effet, la mention de l’effet au débit
de l’un compense son inscription au crédit de l’autre et
en devient en quelque sorte le payement. Jusqu’à rè
glement, il n ’y a en réalité ni débiteur, ni créancier.
Ce règlement fait, le reliquataire est débiteur non pas de
tel ou tel article du compte, mais de la balance.
L’endossement valeur en compte est bien plus incon
testable pour les tiers. Absolument non recevables à exciper de l’existence du compte, ils n’en possèdent pas
les éléments, ils sont, par conséquent, dans l’impossi1 Cass., 43 novembre 4824.
�462
DE LA LETTRE DE CHANGE.
bilité d’établir que l’effet n’a pas été reçu par le ces
sionnaire à titre de payement de ce qui lui était dû.
Cette présomption est même celle qu’il convient d’appli
quer, elle justifierait à elle seule le transport de la pro
priété.
311.
— àu reste, payement ou crédit, l’effet est le
même. L’endossement valeur en compte est régulier et
translatif de propriété. C’est ainsi que l’a consacré la ju
risprudence l.
Elle a également décidé qu’un pareil endossement est
immédiatement translatif de propriété, sans qu’on puisse
prétendre qu’il ne la transfère que sous la condition que
le cessionnaire justifiera qu’il est créancier de l’endos
seur et qu’à défaut de cette preuve celui-ci doit être
considéré, même vis-à-vis des tiers, comme n’ayant ja
mais cessé d’être propriétaire des effets endossés2 ;
Que dans l’hypothèse d’un endossement valeur en
compte, l’accepteur n’est pas recevable à demander qu’il
soit sursis à statuer sur la demande en payement de la
traite, formée par le tiers porteur jusqu’après l’appurement du compte entre celui-ci et le tireu r3 ;
Enfin, que le porteur d’un billet à ordre, au profit
duquel a été passé un endossement valeur en compte,
1 C a s s .,29 novem bre 4827. Colm ar, 3 novem bre 4839.
4840, 268.
2 Cass., 25 ju ille t 4832.
3 P aris, 9 novem bre 4825.
J. du P., 4,
�art. 137, 138.
463
est dispensé de prouver qu’un compte existait réellement
entre lui et le souscripteur de l’endossement ; que seu
lement il pourrait y avoir lieu d’admettre ce dernier à
prouver, à l’aide d’un compte appuyé de pièces, qu’il
ne doit pas, en tout ou en partie, les sommes portées
dans l’endossementL
3 1 » . — La lettre de change, avons nous dit, est
une espèce de monnaie. On peut donc l’employer non
seulement au payement de ses dettes, mais encore à
faire des libéralités.
Deux commerçants arrêtent leur compte, liquident
une opération commune. L’un d’eux reste créancier de
l’autre qui s’acquitte en lui endossant des lettres de
change ou des billets à ordre, valeur en solde.On a con
testé ces expressions, mais elles ont été admises et recon
nues constituer un endossement régulier et translatif de
propriété.
3 1 » k is. — L’endossement valeur engarantie opèret-il le transport de la propriété ? Ne constitue-t-il qu’un
gage nul comme ne réunissant pas les conditions exi
gées par les articles 2074, 2075 du Code civil ?
Il serait difficile de voir autre chose qu’un gage dans
un pareil endossement. Mais comme tel on ne pouvait,
à notre avis, en contester la validité.
Il est vrai que la disposition de l’article 2084 du
1 Bordeaux, 1er mai 1830.
�464
DE LA LETTRE DE CHANGE
Code civil avait soulevé des difficultés relativement à son
application aux valeurs commerciales, et la Cour de cas
sation s’était prononcée pour la négative à l’égard des
valeurs au porteur transmissibles de la main à la main.
Elle avait en conséquence jugé plusieurs fois que leur
mise en gage était soumise aux formalités prescrites par
les articles 2074 et 2075.
Mais il ne pouvait en être ainsi des valeurs à ordre
susceptibles d’endossement. On ne pouvait prohiber aux
parties d’indiquer le véritable caractère de cet endossement et les contraindre à simuler une cession pure et
simple, alors qu’elles n’entendaient consentir qu’un
gage. Or, comment soumettre celui-ci aux conditions
du droit civil, sans créer un dangereux obstacle à l’im
périeuse nécessité d’une libre et prompte circulation.
Aussi la doctrine avait-elle admis que l’endossement
valeur en garantie, transmettait non seulement la pos
session, mais encore la propriété, et c’est ce que la Cour
de cassation décidait très expressément elle-même le 31
mars 1863 K
Nous n’avons pas à insister à cet égard. En effet, la
modification à l’article 91 du Code de commerce intro
duite par la loi de 1863, a tranché la question et rendu
toute controverse impossible.
Aux termes de la nouvelle disposition, le gage à
l’égard des valeurs négociables peut être établi par un
endossement régulier, indiquant que les valeurs ont été
1 D . P ., 63, 1, 292.
�art.
157, 138.
465
remises en garantie. L’article ajoute : les effets de com
merce donnés en gage sont recouvrables par le créancier
gagiste.
L’endossement valeur en garantie réunit la condition
exigée. Il transfère donc la propriété sauf règlement dé
finitif entre le créancier et le débiteur.
313.
— Sous l’empire de l’ordonnance de 1673,
on s’était demandé si l’endossement d’une valeur causée
en bons offices était régulier et valable ? On appuyait la
négative sur le texte même de l’ordonnance. Elle exige,
disait-on, qu’on exprime si la valeur a été reçue en ar
gent, en marchandises ou autrement. Or, des bons of
fices ne sont pas une valeur réelle ; ils ne pouvaient
donc devenir la matière d’une négociation.
Dans tous les cas un pareil endossement constitue une
libéralité par acte sous seing-privé, et par conséquent
nulle comme donation, nulle encore comme testament,
parce qu’il n’en réunit ni les formes, ni les caractères.
Mais ce système fut repoussé, et la Cour de cassation,
appelée à statuer, en consacra le rejet. Elle déclara l’en
dossement valable et translatif de propriété, considérant
que le billet souscrit par la dame de Choiseul au profit
de Rémy Lierval était payable à lui ou à son ordre, que
l’ordre qui est au dos est daté, qu’il contient le nom de
celui qui en a fourni la valeur, que l’article 23 de l’or
donnance n’exige pas strictement que la valeur en ait
été fournie en argent ou en marchandises, pourvu qu’elle
ait été fournie de toute autre manière ; que le prix des
i — 30
/
�466
DE LA LETTRE DE CHANGE
soins donnés à l’endosseur par le bénéficiaire de l’en
dossement était une valeur, et que personne mieux que
le premier n’avait pu apprécier cette valeur l.
On ne pourrait décider autrement depuis la promul
gation du Code. En fait, celui qui rétribue des bons offi
ces ne fait pas à proprement parler une donation, il
paye une dette dont il apprécie et détermine lui-même
le chiffre. L’endossement qu’il signerait à cet effet se
rait donc valable et translatif de propriété2.
Cet endossement constituât-il une donation qu’il n’en
serait pas moins valable. Sans doute la donation ne peut
être faite sous seing-privé, mais cela s’entend de la do
nation d’immeubles ou d’une part déterminée dans les
facultés du donateur. Quant à l’argent, la loi n’exige pas
même un acte, il peut être légalement donné de la main
à la main. Les effets de commerce sont assimilés à l’ar
gent, aussi les place-t-on sur la même ligne quant à la
donation. Ainsi le bénéficiaire d’un endossement peut
prouver contre l’endosseur, même en cas d’endossement
irrégulier, que le billet lui a été donné. Ainsi encore on
a admis qu’un effet de commerce endossé en blanc peut
faire l’objet d’un don manuel, sans qu’il soit nécessaire
pour sa validité que le donateur appose sa signature3.
3 1 4 . — L’article 137, relativement à l’expression
1 13 ventôse an xni.
2 Pardessus, Contrat de change, n° 485
3 Cass., 12 décembre 1815, 25 janvier 1832, 21 août 1837. J. du P.,
�ART. 137, 138.
467
de la valeur, reçoit exception en matière de billets à or
dre souscrits par des non négociants, et dont la cause
n’est pas commerciale.
Nous avons vu que, quant au transport, ces billets
sont sur la même ligne que les billets commerciaux, leur
propriété est valablement transférée par un endosse
ment.
Mais comme il s’agit alors d’une obligation civile, les
formes du transfert se règlent par le droit commun. On
est donc dispensé d’indiquer la nature de la valeur,
puisque le Code civil ne l’exige nulle part. Dès lors l’en
dossement causé valeur reçue ou valeur entendue
ne laisse pas que de tranférer la propriété au bénéfi
ciaire l.
315.
— Mais en matière commerciale il en est de
la nature de la valeur comme de la date, rien ne peut
suppléer à son omission, et nulle preuve n ’est receva
ble. En effet, et par rapport aux tiers, c’est dans l’en
dossement lui-même que doit se trouver la preuve de sa
régularité, et ce principe n’admet ni distinction, ni équi
valents, ni éléments étrangers. L’état apparent de l’en
dossement est seul décisif.
D’ailleurs, qu’obtiendrait-on de la preuve orale, de la
représentation des livres respectifs, de la production de
la correspondance ? La certitude que la valeur a été
payée ? Mais cette certitude, suffisante du cessionnaire
�468
DE LA LETTRE DE CHANGE
au cédant, n’est d’aucune considération pour les tiers.
À leur égard, il faut, ainsi que l’observe la Cour de cas
sation dans son arrêt du 23 juin 1817, outre le verse
ment de la valeur, que l’effet commercial l’exprime en
en déterminant la nature. Où est la preuve de nature à
suppléer à l’omission matérielle de cette dernière for
malité.
Donc, dans un cas pareil, toute preuve se réduisant
au fait du payement de la valeur, serait évidemment in
suffisante, elle devrait dès lors être rejetée. L’endosse
ment serait irrégulier et ne pourrait produire que les
effets de celui-ci1.
a i e . — La troisième condition exigée par l’article
137, pour la perfection de l’endossement, est l’indica
tion du nom de celui à l’ordre de qui il est passé. Cette
condition se justifie d’elle-même.
Dans le premier projet du Code, la commission exi
geait que l’endossement énonçât le nom social et le do
micile, s’il était passé au profit d’une société commer
ciale ; les nom, profession et domicile, s’il était passé au
nom d’un seul individu. Mais cette exigence rencontra
une énergique opposition. Un grand nombre de cours
et de tribunaux de commerce la signalaient comme illu
soire, impossible dans les grandes villes, embarrassante
et dangereuse partout. La commission se contenta dès
1 Cass., 1b juin 1831. A ix , 9 février 1815.
�ART.
137, 138.
469
lors de la disposition définitivement consacrée dans l’ar
ticle 137.
3 1 1? . — La réunion des trois conditions que cet ar
ticle exige constitue l’endossement régulier. Celui-ci a
pour effet de faire preuve des faits qu’il constate, jusqu’à
preuve contraire ; de transférer la propriété, de saisir,
au moment même de sa souscription, le bénéficiaire de
la plénitude des droits que le cédant avait tant contre le
débiteur principal que contre les autres coobligés ou
cautions.
Comme conséquence, le porteur se trouve dès lors su
brogé à toutes les garanties attachées à la créance de
quelque nature qu’elles soient. Ainsi, lorsque le tireur
d’effets de commerce s’est obligé hypothécairement à
leur remboursement, l’endossement transmet le bénéfice
de cette hypothèque, aussi bien que la créance dont
elle est la garantie spéciale. En conséquence, le tiers
porteur qui, en cas de protêt, a obtenu un jugement
tant contre le tireur que contre l’endosseur, peut seul
exercer dans l’ordre le droit attaché à cette hypothèque
à l’exclusion de l’endosseur et de ses créanciers, encore
que le transport de l’hypothèque n’ait pas été notifié
conformément à l’article 1690 du Code civil h
, Déjà et par arrêt du 14 juin 1819, la cour de Bruxel
les avait adopté cette doctrine, en jugeant que le por
teur d’une lettre, pour sûreté de laquelle l’aocepteur a
1 Cass., 11 juillet 1839. J. du P., 2, 1839, 425.
' Il
I
�470
DE LA LETTRE DE CHANGE
affecté un immeuble, est saisi du droit hypothécaire en
vertu de l’endossement même, et sans qu’il soit besoin
d’un autre acte de cession, ni de signification au débi
teur ; que dès lors il peut requérir l’inscription et pour
suivre le débiteur en expropriation.
3 1 8 . — Mais pour la réalisation de ces divers effets,
il faut, comme le remarque l’arrêt de la Cour de cassa
tion, que l’hypothèque ou l’affectation réelle ait été at
tachée à la traite transmise par endossement, elle est
par là devenue son accessoire indivisible et inséparable,
elle la suit en conséquence en quelques mains qu’elle
passe.
Que si au contraire le droit réel n’avait été attaché
qu’à une créance indéterminée, incertaine, il importe
rait peu que cette créance eût amené une création d’ef
fets de commerce, l’hypothèque n’en resterait pas moins
affectée au créancier primordial, elle pourrait même être
définitivement éteinte, malgré l’existence des traites non
payées encore.
C’est ce qui est admis pour l’hypothèque consentie
pour la garantie d’un crédit ouvert. Les cessionnaires
des lettres de change ou billets à ordre, souscrits pour
l’exercice de ce crédit, ne peuvent personnellement se
faire colloquer sur les biens du débiteur , qu’en sousordre à la collocation requise et obtenue par leur cé
dant l.
�art.
157, 138.
471
Comment pourrait-il en être autrement. L’existence
de l’hypothèque est subordonnée à la balance du
compte, car elle ne vaudra jamais, quel que soit le chif
fre déterminé, que jusqu’à concurrence de la somme
dont le crédité sera réellement débiteur. Or, comment
liquider cette somme avec le porteur d’une des traites
qui n’a ni les moyens, ni qualité pour procéder à la li
quidation ?
Ce porteur ne peut donc évidemment venir qu’en
sous-ordre à la collocation du cédant. De là il suit que
si celui-ci n’en obtenait aucune, tout droit hypothécaire
serait incontestablement perdu pour le premier. Or, ce
résultat serait inévitable si, par des payements opérés en
compte courant, le crédité avait équilibré son actif avec
son passif.
Vainement exciperait-on de l’existence des traites
.souscrites par lui. Sans aucun doute le crédité a agi im
prudemment en payant le créditant sans que celui-ci fût
en mesure de lui restituer ses obligations. La peine de
cette imprudence serait la nécessité pour lui d’acquitter
celles-ci entre les mains des porteurs, mais cela ne pour
rait maintenir l’hypothèque. Celle-ci n’était accordée
que conditionnellement, si le crédité se trouvait débi
teur. Or, s’il ne l’est pas par le résultat du compte, il
ne le deviendra certes pas par le payement des traites
qui le constituera au contraire créancier du créditant.
L’hypothèque n’a donc plus aucune raison d’être.
L’endossement régulier a encore pour effet de rendre
le cédant garant du payement de la lettre de change, ou
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE
du billet à ordre, non seulement envers son cession
naire, mais encore envers tous ceux qui le deviendront
plus tard. Aux termes de l’article 140, cette garantie
constitue une obligation solidaire, mais la poursuite de
ses effets est soumise aux conditions édictées par l’arti
cle 168 l.
3 1 » . — L’endossement qui manque d’une des con
ditions de l’article 137 est un endossement irrégulier,
dont les effets sont déterminés par notre article 138, il
ne vaut que comme simple procuration. Cette prescrip
tion est copiée de l’ordonnance de 1673, dont l’article
23, titre v, ajoutait : Les lettres seront réputées apparte
nir à celui qui les aura endossées et pourront être sai
sies par ses créanciers et compensées par ses redeva
bles.
Ce sont là des conséquences que le Code s’est abstenu ,
d’exprimer, mais qui n’en découlent pas moins du prin
cipe qu’il a consacré. En effet, puisque l’endossement
irrégulier ne transfère pas la propriété, celle-ci demeure
légalement sur la tête du cédant. La conséquence est
celle que Jousse lirait de l’ordonnance: C'est une suite
qu'elle puisse être saisie par ses créanciers.
Cette conséquence, la jurisprudence n’a pas manqué
de la sanctionner. Non seulement elle reconnaît aux
créanciers de l’endosseur la faculté que l’ordonnance
leur concédait, amais elle consacre en outre que le por1 V. nos observations sur ces deux articles.
�ART. 137, 138.
4.73
teur d’un effet de commerce, en vertu d’un endossement
irrégulier ou en blanc, est réputé mandataire, non seu
lement en ce sens que les créanciers de l’endosseur, au
teur de l’ordre irrégulier, peuvent revendiquer l’effet,
mais encore que les débiteurs, tireurs, accepteurs et au
tres peuvent opposer soit la compensation, soit l’excep
tion non numeratœ pecuniœ 1.
3 2 0 . — En effet, la présomption d’un mandat se
tirant de l’irrégularité de l’endossement, est, à l’égard
des tiers, générale et absolue, elle exclut même toute
preuve contraire, mais peut-on considérer comme tiers
les débiteurs, tireur et accepteur ?
L’endossement régulier ou irrégulier ne comporte que
deux parties : le cédant, le cessionnaire. Tout autre in
téressé à la lettre reste forcément étranger à l’opération.
Comment ne pas reconnaître cette position aux débi
teurs, tireur, accepteur ou donneur d’aval ? Dès lors,
comment leur refuser la qualité de tiers ?
C’est cependant ce qui s’est réalisé, et des arrêts ont
décidé qu’à leur égard le porteur était admissible à prou
ver, soit par des documents en dehors de l’acte, soit
même par témoins, qu’il a fourni la valeur de la traite,
et qu’il en a par conséquent acquis la propriété2.
1 Cass., 45 juin 4834. V. nombreux arrêts indiqués par M. Nouguier,
p. 305.
2 Paris, 48 juin 4834 et 8 avril 4837. Amiens, 8 mars 4840. J.duP.,
4, 4887, 494 ; 4, 4842, 254.
�474
DE LÀ L E T T R E DE CHANGE
La Cour de cassation avait elle-même admis cette doc
trine par arrêt du 17 décembre 1827, mais elle s’est
ravisée depuis, et dans diverses espèces qu’elle a eu à
apprécier, elle a au contraire jugé : que le porteur d’un
billet à ordre , en vertu d’un endossement irrégulier et
incomplet, n’était pas admissible à établir à l’égard des
tiers, et par exemple du souscripteur, qu’il est proprié
taire sérieux de cet effet ; qu’il reste vis-à-vis de lui
simple mandataire, alors même qu’il justifierait par un
bordereau de négociation signé de son endosseur, et
ayant acquis date certaine avant l’échéance, en avoir
fourni la valeur à ce dernier ; que dès lors le souscrip
teur peut lui opposer toutes les exceptions, et notam
ment la compensation qu’il aurait pu invoquer contre
celui-ci l.
Ce qui, à notre avis, donne à ces dernières décisions
un haut caractère juridique, c’est que non seulement les
débiteurs restent étrangers à l’endossement, mais encore
qu’il peut se faire qu’on ne l’ait imaginé que pour sous
traire le cédant prétendu à des exceptions auxquelles il
ne pourrait échapper. Il fallait donc remédier à un pa
reil état des choses et rendre cette fraude le plus diffi
cile possible ; le remède était ici dans la nature même
des choses. L’endossement est-il régulier, personne ne
peut en contester l’utilité au bénéficiaire de bonne foi.
L’endossement manque-t-il d’une de ces conditions esi 30 décembre <840, 15 décembre 1841, 5 juillet 1843. J . d u P , 1,
�ART.
137, 138.
475
sentielles, il doit être permis à tout le monde d’exciper
de son irrégularité, il suffit d’y avoir intérêt pour être
recevable à le faire. Or, peut-il exister un intérêt plus
évident que celui des débiteurs ayant à opposer une
compensation, ou toute autre exception aussi péremp
toire.
8 8 1 . — Du cédant au cessionnaire, la présomption
créée par l’article 138 comporte la preuve contraire.
Cette preuve peut être faite par documents, par témoins,
par présomption, elle peut résulter de l’endossement
lui-même si, malgré le vice dont il est atteint, il prouve
que la valeur a été fournie.
Lorsque l’endossement exprime la valeur fournie, dit
un arrêt de la cour de Grenoble, il n’y a plus aucun
motif raisonnable d’appliquer les dispositions de l’arti
cle 138, sur la date, à l’égard de l’endosseur vis-à-vis
du porteur K
Lorsque la valeur n’est pas exprimée, le porteur peut
être admis à prouver que l’endosseur a eu l’intention et
la volonté de lui transmettre la propriété de l’effet de
commerce ; et lorsque l’un et l’autre résultent de la
preuve faite, il doit être décidé que la transmission de
l’effet s’est opérée entre l’auteur de l’endossement, et ce
lui au profit duquel il est fait3.
En un mot, l’article 138 du Code de commerce, pori 3 février 1836. J. d u P . , 1, 1837, 176.
3 Amiens, 12 août 1830. Cass., 25 janvier 1832.
�476
DE LA LETTRE DE CHANGE
tant que l’endossement irrégulier n’est pas translatif de
propriété et ne vaut que comme procuration, n’établit
» entre le cédant et le cessionnaire qu’une simple pré
somption, On doit donc admettre, en ce qui les con
cerne, la preuve que malgré l’apparence, l’endossement
a eu pour but de transmettre la propriété, soit à titre
onéreux, soit à titre gratuit l.
3 * 3 . — Mais pour les tiers ou contre eux, l’endos
sement irrégulier ne vaut que comme procuration. Au
cune preuve contraire n ’est ni recevable, ni admissible.
Quelle en sera la conséquence relativement à l’action en
payement? Le porteur pourra-1 il l’intenter en son nom
personnel ?
L’affirmative ne nous paraît pas susceptible de diffi
cultés. En fait et malgré les apparences, le cessionnaire
peut avoir réellement fourni la valeur, et ce serait mé
connaître ses droits vis-à-vis de son cédant que de le
contraindre à n’agir que comme son mandataire.
Il est vrai que contre les tiers il n’a que cette qualité,
mais la jurisprudence a su concilier cette règle avec
l’intérêt que nous venons de signaler ; qu’importe pour
les tiers que le porteur agisse en son nom ou comme
mandataire, si leur droit est intact dans l’un et l’autre
cas, s’ils ne peuvent jamais en éprouver le moindre
préjudice.
Or, il est évident que puisque l’endossement irrégui Merlin., Rèp., v° Endoss. Nouguier p. 306 et arrêts indiqués.
�ART.
137, 138.
477
lier vaut comme procuration, il s’ensuit que le débiteur
d’un effet de commerce ne peut se refuser de payer le
porteur, et ce payement n’est pas moins valable que ce
lui qui aurait été fait au mandant lui-même l.
Mais le débiteur peut avoir des exceptions, une com
pensation à opposer au cédant. Dans ce cas, il n’est
pas obligé de payer le cessionnaire, il est au contraire
recevable et fondé à faire valoir contre lui, même lors
qu’il agit en son nom, tous les moyens qu’il opposerait
au premier, et à l’écarter par les mêmes exceptions
qu’il aurait invoquées contre celui-ci2.
Il en serait de même de l’accepteur qui n’aurait pas
reçu provision avant et depuis son acceptation ; il serait
recevable à en exciper contre le porteur, cessionnaire
direct du tireur, en vertu d’un endossement irrégulier.
En d’autres termes, le bénéficiaire d’un endossement
irrégulier est en quelque sorte un commissionnaire com
mercial, il peut agir en son nom ; mais comme son
commettant est nécessairement connu, il demeure pas
sible des exceptions qu’on pourrait invoquer contre ce
dernier. C’est dans ce sens que sont intervenus plu
sieurs arrêts3.
On a indiqué, comme contraires, les arrêts rendus
par la Cour de cassation, les 10 juillet 1822, 22 avril
1 Bordeaux. <9 m ars 1841.
2 Cass., 9 novem bre 1836.
J. d u P ., 2, 1843. 192.
J. du P ., 1, 1840, 23.
3 B ruxelles, S mai 1820. A m iens, 6 m a rs , e t B ruxelles. 18 mai 1822.
O rléans, 19 jan v ier 1829
�478
DE LA LETTRE DE CHANGE
1828,15 juin 1831 et 9 novembre 1836. Seul, de tous,
le premier de ces arrêts a formellement accueilli la fin
de non recevoir tirée du défaut de qualité ; mais il s’a
gissait dans cette espèce d’un billet à ordre purement
civil, et dont le payement était poursuivi devant la ju
ridiction ordinaire.
Les trois derniers, rendus en matière de lettre de
change, sont moins affirmatifs. Il résulterait même de
leurs termes qu’ils ne consacreraient que ce principe que
nous développions tout à l’heure, à savoir : que le por
teur de l’endossement irrégulier est passible de toutes
les exceptions opposables à l’endosseur lui-même. C’est,
en effet, comme ayant méconnu ce principe, ou comme
l’ayant mal à propos appliqué, que les diverses déci
sions étaient déférées à la Cour suprême. Donc, en cas
sant dans le premier cas, en rejetant le pourvoi dans le
second, celle-ci ne faisait que rendre hommage au prin
cipe et consacrer là faculté pour les tiers d’opposer au
cessionnaire toutes les exceptions dans le cas d’être in
voquées contre le cédant. Cela suffit, d’ailleurs, à l’in
térêt des tiers, et la loi ne pouvait exiger d’avantage.
333.
— Quelle est l’étendue de la procuration que
crée l’endossement irrégulier ? Suffit-elle pour autoriser
le porteur non seulement à recouvrer, mais encore à
transférer à un tiers la propriété de l’effet ?
Pothier enseignait la négative, et la juste autorité qui
s’attache à son nom avait créé le doute et fait surgir la
controverse. Mais l’un et l’autre vont chaque jour s’ef-
�ART.
157, 158.
479
façant, comme le prouvent les décisions nombreuses de
la doctrine et de la jurisprudence.
La règle contraire à la doctrine de Pothier a donc
prévalu. La négociation d’un effet de commerce n’est
pour le propriétaire qu’un mode de payement. Celui-là
donc qui, au moyen d’un endossement irrégulier, charge
un tiers de requérir ce payement, est par cela même
censé l’autoriser à réaliser la négociation.
Cette conséquence n’admet même d’autre exception
que celle résultant des termes de l’endossement luimême. Celui-ci, en effet, peut être spécial, et dans ce cas
il reste sans effet pour tout ce qui n’est pas cette spécia
lité même. Nous avons déjà dit que la clause et pour
moi payez à constituerait le mandat spécial de recou
vrer le montant de l’effet, sans pouvoir se substituer un
autre mandataire.
La même spécialité résulterait de l’endossement causé
valeur en recouvrement. On ne saurait donc en exciper pour prétendre que le porteur a pu négocier l’effet.
Il importerait peu que cet endossement fût à ordre.
Tout ce qui s’induirait de celui-ci, c’est la faculté pour
le porteur de se substituer un autre mandataire chargé
d’opérer le recouvrement.
Toutes les fois que le mandat est restreint par l’endos
sement, le bénéficiaire ne peut valablement transférer la
propriété. En conséquence , quelque régulier que fût
l’endossement par lui consenti, il n’aurait pas ce résul
tat. Le tiers qui l’aurait accepté ne pourrait se dire de
bonne foi, l’apparence du défaut de pouvoirs chez son
�480
DE LA LETTRE DE CHANGE
cédant étant un obstacle invincible à ce qu’il pût pré
tendre l’avoir ignoré. Le propriétaire de la traite et ses
créanciers conserveraient donc contre lui les mêmes
droits qu’ils pouvaient faire valoir contre son cédant.
334.
— A défaut de restriction dans ses termes,
l’endossement irrégulier, fût-il même en blanc, vaut
pouvoir de négocier l’effet endossé.
Si le porteur fait la négociation par un endossement
en blanc ou irrégulier, les choses ne sont nullement
changées, il n’y a qu’un procureur substitué à un autre.
En conséquence, le droit des tiers, créanciers ou sous
cripteur, tireur et autres débiteurs de la lettre de chan
ge, reste tel que nous venons de le déterminer.
Si la négociation est faite par un endossement régu
lier, la propriété de l’effet est définitivement et valable
ment transférée, le preneur devient réellement tiers por
teur et jouit, à moins de mauvaise foi démontrée, de
toutes les immunités attachées à cette qualité.
Cette solution signale immédiatement deux difficultés
graves auxquelles elle donne naissance. Si la lettre reste
impayée, celui qui ne l’a transmise qu’en vertu d’un
endossement irrégulier est-il tenu d’en rembourser le
montant à celui à qui il l’avait négociée ? Dans le cas
où il aurait opéré ce remboursement, est il subrogé aux
droits du porteur, et acquiert-il le droit de se faire res
tituer par les autres obligés à la lettre de change, par
son cédant, par l’accepteur et par le tireur ?
�ART. 1 3 7 , 1 3 8 .
481
3 8 5 . — La première de res questions a été résolue
affirmativement par la Cour de cassation. L’obligation
de rembourser qu’elle impose au porteur de l’endosse
ment irrégulier se fonde sur ce motif qu’ayant reçu le
montant de la lettre de change, il est obligé de la ga
rantir *.
Ici, nous retrouvons à un haut degré l’effet de l’assi
milation entre le porteur d’un endossement irrégulier et
le commissionnaire commercial. Ce n’est, en effet, que
parce qu’il a signé de son nom personnel que le pre
mier devient garant du payement de l’effet par lui en
dossé. Il est impossible, en effet, de concevoir aucun
doute. Si ayant apposé sa signature il l’avait accompa
gnée de l’indication de sa qualité de mandataire, il n’au
rait contracté aucune obligation personnelle. Son man
dant serait seul responsable et garant du rembourse
ment.
Pourquoi donc le même résultat ne se produit-il pas,
par le seul effet de la présomption légale de l’article
138 ? Parce que, comme nous l’avons déjà dit, malgré
cette présomption, le porteur peut avoir, en fait, acquis
la propriété de la lettre de change ; qu’il peut l'établir
contre son endosseur ; que dans le doute on ne devait
considérer le mandat que lui donne la loi que comme
un mandat sut generis, lui donnant la faculté d’agir en
son nom personnel, le droit de s’engager personnelle
ment à l’instar du commissionnaire commercial.
i Cass., <*r décem bre <829.
î — 31
�482
DK U
LETTRE DE CHANGE
336. — La seconde question est encore controver
sée en doctrine et en jurisprudence. M. Nouguier n o
tamment refuse à celui qui, ayant transmis l’effet dont
il était porteur par un endossement irrégulier, l’a rem
boursé après protêt, le droit de se prétendre subrogé au
porteur qu’il a désintéressé et d’agir comme tel contre
les autres débiteurs de l’effet. S’il a payé, dit-il, il ne l’a
fait qu’en sa qualité de mandataire. Dès lors il ne de
vient pas propriétaire et ne peut être subrogé au por
teur qu’il a été obligé de désintéresser ï.
M. Nouguier ne se trompe-t-il pas sur la qualité en
laquelle le porteur d’un endossement irrégulier rem
bourse la lettre qu’il a lui-même régulièrement endos
sée. Ce payement n’est-il pas la conséquence de la res
ponsabilité qu’il assume par la négociation qu’il a faite
en son nom personnel ?
— Il serait étrange qu’on le tînt directement
engagé quant à cette responsabilité, et que lorsque, en
ayant subi les effets, il s’adresse aux autres débiteurs, on
ne le considérât que comme mandataire. Cela serait
d’autant plus injuste qu’ayant remboursé la lettre de
change il en a réellement fourni la valeur, que par ce
remboursement, et aux termes de l’article 1251 du Code
civil, il s’est trouvé de plein droit subrogé à celui qu’il
a ainsi payé.
Mais, dit M. Nouguier, ce remboursement il l’a opéré
335.
�ART.
137, 138.
483
comme mandataire, et par conséquent des deniers de
son mandant. Cela peut être, mais on doit à cet égard
s’en rapporter à celui-ci pour se faire directement rem
bourser. C’est une difficulté particulière au mandant et
au mandataire et dont ce dernier pourra décliner l’ef
fet, en prouvant contre le premier que, nonobstant Tirrégularité de l’endossement, il n’en avait pas moins ac
quis la propriété de l’effet.
Les fiers n ’ont ni qualité ni droit pour établir que le
payement n ’aurait été fait qu’au moyen des deniers
fournis par le mandant. De même que le porteur de
l’endossement irrégulier ne peut prouver contre eux qu’il
a fait les fonds de la traite dont il est porteur, de même
ils ne peuvent établir contre lui que le remboursement
qu’il a opéré ne l’a pas été de ses deniers. Si l’appa
rence est décisive lorsqu’elle est en leur faveur, elle doit
l’être également lorsqu’elle leur est contraire.
On doit d’ailleurs d’autant plus le décider ainsi que,
d’une part, les tiers obligés en qualité de débiteurs de
la lettre de change protestée se libéreront valablement
entre les mains du porteur actuel, ne fût-il que manda
taire ; que, d’autre part, le silence gardé par l’auteur de
celui-ci fait présumer que le remboursement n’a pas
été fait de ses deniers.
Ce silence peut sans doute cacher une fraude ayant
pour objet de soustraire le propriétaire à des exceptions
plus ou moins péremptoires, mais la fraude fait excep
tion à tous les principes. En conséquence, si elle était
�484
DE LA LETTRE DE CHANGE
prouvée, les tribunaux en proscriraient sévèrement les
effets.
ilfflifl
Ji i j i
$ 8 8 . — M. Nouguier s’étaie sur un arrêt de la Cour
de Rouen du 24 février 1814. Depuis, il est vrai que
d’autres cours ont jugé dans le même sens, mais celle
de Rouen est revenue de sa jurisprudence, en se pro
nonçant pour la doctrine contraire, par arrêt du 25 fé
vrier 1825.
Au reste, la controverse sur cette question n’a pas en
core disparu. L’opinion de M. Nouguier n’est pas sans
point d’appui dans la jurisprudence. Pour nous, nous
ne la croyons pas juridique et nous admettons sans hési
ter la doctrine contraire, consacrée dès le 27 avril 1808
par la cour de Trêves, enseignée par Merlin et sanc
tionnée par la Cour régulatrice, le 15 mars 1826 l.
Appelée depuis à se prononcer sur la question, la Cour
de cassation l’a de nouveau résolue dans le sens que
nous soutenons. Ainsi elle jugeait, le 10 mars 1865,
que le porteur, en vertu d’endossement en blanc d’un
effet de commerce déjà revêtu de plusieurs endossements
semblables, pouvait, s’il était créancier de son cédant
immédiat, se conférer la propriété de cet effet en rem
plissant le blanc à son profit et transmettre ensuite l’ef
fet à un tiers par voie d’endos régulier, et que si, à dé
faut de payement à l’échéance, il rembourse à ce tiers le
montant de l’effet ainsi transmis, il pouvait, comme su-
�ART.
137, 138.
485
brogé aux droits de celui-ci, en réclamer le payement à
tous les obligés au titre.
« Attendu, dit l’arrêt, en droit, que la signature au
dos d’une lettre de change ou d’un billet à ordre vaut
mandat à l’effet de les négocier et d’en toucher le mon
tant ; qu’à cet égard, le souscripteur et les endosseurs
sont obligés par le fait du mandataire auquel ils ont
remis la valeur même avec leur endossement en blanc,
lorsque ce mandataire ou ceux qui lui ont été substitués
par endossements successifs ont transmis, au moyen
d’un endossement régulier, la propriété de cette valeur
à un tiers porteur, lequel peut alors agir contre tous les
obligés au titre ;
« Attendu, en fait, qu’il est constaté par le jugement
du tribunal de commerce de Dijon, non contredit en ce
point par les arrêts attaqués, que Maloir, Guiot et Cie,
défendeurs, à qui Lechevalier, leur cédant immédiat, a
remis les deux billets dont il s’agit revêtus au dos seule
ment de sa signature, ont pu, comme créanciers, à ce
moment, dudit Lechevalier et pour se couvrir d’autant,
régulariser, en le remplissant eux-mêmes, l’endossement
en blanc dudit Lechevalier, et que, d’autre part, ils ont
transmis à leur to u r, et au moyen d’un endossement
régulier, ces billets à Lécuyer, banquier à Paris, lequel,
à défaut de payement et après protêt, a été remboursé
par lesdits Maloir, Guiot et Cie ;
« Attendu que si Lécuyer, justement saisi de la pro
priété des deux billets, avait le droit d’en réclamer le
payement à Pierret et à Baron, endosseurs, il y a lieu
�486
DE LA LETTRE DE CHANGE
de reconnaître que les défendeurs, à la suite du rem
boursement fait par eux à Lécuyer, ont été légalement
subrogés à ses droits, aux termes de l’article 1251 du
Code civil, et que dès lors ils ont pu agir contre les de
mandeurs au même titre et de la même manière que
Lécuyer aurait lui-même agi L »
L’exception des premiers endosseurs, dans cette es
pèce, était uniquement fondée sur ce que leur endosse
ment étant en blanc ne pouvait valoir que comme pro
curation. Procuration soit; mais procuration pour né
gocier, et dès lors pour transmettre la propriété des ef
fets, car, ainsi que le relevait le tribunal de commerce
de Dijon, la négociation ne pouvait avoir lieu sans ce
transfert de propriété. Dès lors, celui qui, ayant fait les
fonds des billets, avait acquis cette propriété, était de
venu un porteur sérieux, sincère, et rien ne pouvait
faire qu’il ne jouit pas de tous les droits attachés à cette
qualité.
Ce que la Cour de cassation jugeait en 1865 contre
les endosseurs, elle le jugeait le 14 janvier 1873 contre
l’accepteur.
Là encore un négociant à qui des traites avaient été
négociées en blanc, ayant rempli l’endossement en son
nom, les avait régulièrement transmises à un tiers.
Obligé d’en rembourser la valeur après protêt faute de
payement, il en réclamait le montant au tiré accepteur.
Celui-ci résiste en se fondant sur les irrégularités
�ART.
137, 138.
487
dans l’ordre des transmissions et spécialement sur ce
que cette transmission avait eu lieu en vertu d’un en
dossement en blanc. Débouté de ses prétentions par le
tribunal de commerce de Ruffel et la cour de Bordeaux,
il se pourvoit en cassation. On invoque dans son inté
rêt les considérations suivantes :
« Quelle que soit l’étendue des engagements contrac
tés par l’accepteur d’une lettre de change, il est certain
qu’il ne peut être tenu d’en payer la valeur qu’autant
que le porteur s’en trouve nanti par suite de transmis
sion régulière. Nul ne pouvant céder ce qui ne lui ap
partient pas, il en résulte que l’endossement d’un effet
de commerce fait par une personne qui n’en a pas été
régulièrement nantie ne saurait produire aucun effet, et
c’est à celui qui reçoit une lettre de change à s’assurer
si les divers endos qui ont transféré antérieurement la
propriété sont ou ne sont pas réguliers. Le sieur Geoffrion devait savoir, en recevant la traite, qu’elle ne lui
avait été transmise qu’en vertu d’un endossement en
blanc. Dès lors il ne pouvait prétendre à d’autres droits
qu’à ceux qui résultent d’un semblable endossement. Or
c’est un principe expressément formulé dans l’article
138 du Code de commerce, que l’endossement irrégu
lier ne transfère pas la propriété de la lettre de change
et qu’il ne vaut que comme simple procuration. C’est
donc à tort que la cour de Bordeaux, dans l’espèce, a
décidé que l’accepteur était tenu du remboursement. »
Nous ne saurions reconnaître à ces considérations un
caractère juridique. Oui, sans doute, l’endossement en
�488
de la lettre de change
blanc ne vaut que comme procuration et n’a pas trans
mis la propriété des traites à celui qui en est porteur.
Mais pourquoi celui à qui ce porteur propose la ces
sion des traites se préoccuperait-il de l’irrégularité de
l’endossement ? Est-ce pour autre chose que pour con
férer le pouvoir de les négocier, d’en réaliser le mon
tant que cet endossement a été consenti? Donc si le por
teur ne confère pas la propriété de ces traites à celui
qui en fait les fonds en qualité de propriétaire, il la lui
transmet incontestablement en qualité de mandataire
spécial. Pourquoi donc refuserait-il la négociation qui
lui est proposée et qui est en réalité consentie par le
propriétaire de ces traites lui-même, car quis mandat
ipse fecisse videtur.
D’ailleurs, que la question de propriété puisse être
soulevée par le souscripteur de l’endossement irrégu
lier, on le comprend. Mais de l’accepteur au porteur,
alors que personne ne s’oppose au payement, rien ne
saurait l’autoriser. L’acceptation prouve la provision à
tel point que l’article 121 du Code de commerce déclare
non seulement que celui qui la donne contracte l’obli
gation de payer, mais encore qu’il n’est pas restituable
contre son acceptation, quand même le tireur aurait
failli à son insu avant qu’il eût accepté.
Donc, obligé de payer, il ne peut exiger qu’une chose,
de payer valablement. Or, cette condition n’est-elle pas
remplie lorsque le payement n’est demandé qu’en
échange des titres acceptés.
En condamnant l’accepteur à payer, la cour de Bor-
�ART.
157, 158.
489
deaux n’avait fait qu’une exacte appréciation, qu’une
saine application des principes. C’est ce que déclare la
Cour de cassation qui rejette le pourvoi :
« Attendu que, sans qu’il soit besoin de rechercher
si le porteur d’une lettre de change en vertu d’un en
dossement en blanc, peut valablement en compléter luimême les énonciations, et en devenir ainsi légitime pro
priétaire, il est du moins incontestable que le mandat
qui résulte à son profit de l’endossement en blanc lui
donne le droit d’en opérer la négociation utile ;
« Attendu, que la lettre de change dont s’agit, après
avoir été revêtue de plusieurs endossements en blanc, a
été transférée par un endossement régulier à la banque
de France; que Geoffrion, l’un des précédents porteurs,
l’a remboursée à défaut de payement par le tiré ; que,
ainsi, et en vertu des dispositions de l’article 1251 du
Code civil, Geoffrion a été subrogé aux droits de la ban
que de France contre le tiré , et a pu exiger contre ce
dernier le payement auquel il s’était engagé par son ac
ceptation 1. »
Quant à la question dont la Cour de cassation déclare
n’avoir pas à se préoccuper, elle ne saurait être dou
teuse, dès l’instant que le mandat résultant de l’endos
sement en blanc confère le pouvoir d’opérer la négocia
tion utile du litre , le mandataire se trouve investi du
droit de faire tous les actes qu’exige l’efficacité de la né
gociation, notamment de régulariser l’endossement. Ce
�490
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
droit qu’il pourrait exercer il le transfère à celui avec
qui il opère cette négociation, qui, acquerrant la pro
priété de ce titre, est nécessairement fondé à faire tout
ce qui doit concourir à lui assurer cette propriété.
330. — Puisque l’endossement non daté, ou n’ex
primant pas la valeur, ou n’indiquant pas le nom du
cessionnaire, est irrégulier, il paraît oiseux de deman
der ce qu’il doit en être de celui qui omet l’ensemble
de ces conditions, ç’est-à-dire de l’endossement en
blanc.
L’endossement en blanc serait donc le plus irrégulier
de tous. En fait cependant il l’est le moins. En effet,
personne ne pourrait réparer l’omission d’une des con
ditions de l’article 137, tandis que tout le monde peut
valablement remplir l’endossement en blanc ; qu’il suf
fit que ce remplissage ait eu lieu avant le protêt pour
que la propriété de l’effet soit valablement et définitive
ment acquise au porteur.
330. — Ce point, unanimement admis en doctrine
et en jurisprudence, enlève tout intérêt réel à tout ce
qui se rattache à l’endossement en blanc. On comprend
que son existence dépendant uniquement de là partie
intéressée, ne se produira que rarement. Mais ce qui
n'est pas sans intérêt, c’est la constatation des causes qui
ont pu faire admettre ce résultat n’allant à rien moins
qu’à éluder une loi explicite et formelle.
Or, ces causes sont les besoins et les exigences du
�art.
137, 138.
491
commerce. Dans la pratique on a toujours considéré
comme indispensable la faculté d’un endossement en
blanc faisant en quelque sorte de la lettre de change un
billet au porteur transmissible de la main à la main.
Aussi, vainement l’ordonnance de 1673 refusait-elle
à l’endossement en blanc l’effet de transférer la pro
priété. Le contraire, pratiqué par le commerce, fut bien
tôt consacré par l’autorité des parlements, provoqués à
cet effet par le chancelier de France lui-même.
En effet, le parlement de Toulouse se faisant quel
ques difficultés sur une pareille jurisprudence, son pro
cureur général consulte l’illustre d’Aguesseau, qui lui
répond, le 8 septembre 1747 :
« Je ne saurais mieux répondre à la consultation que
vous me faites par votre lettre du 19 juillet dernier, sur
l’affaire du sieur La Douse en particulier, et en général
sur l’usage des endossements en blanc, qu’en vous en
voyant l’avis d’un homme très instruit de toutes les ma
tières du commerce, et surtout de celui qui se fait par
la voie de la lettre de change. La question y est traitée
avec une clarté et une justesse qui ne laissent rien à dé
sirer. Je n’ai pas cru cependant devoir me contenter de
cet avis, quelque solide qu’il soit ; je l’ai fait commu
niquer à tous MM. les commissaires du conseil, qui
composent le bureau du commerce, et qui sont pleine
ment au fait de ce qui regarde ces sortes de matières.
Ils ont tous été du même sentiment que l’auteur de
l’avis, et le parlement de Toulouse ne saurait mieux
faire que de se conformer dans ses arrêts aux principes
�492
DE LA LETTRE DE CHANGE.
qui y sont établis. On y remarque fort bien que les abus
dont la crainte a suspendu la décision du parlement ne
peuvent être mis dans la balance avec les grands avan
tages qui résultent, pour le bien et pour la facilité du
commerce, de l’usage des billets au porteur et des en
dossements écrits en blanc sur les lettres de change.
« Ainsi ces abus sont du nombre de ceux que les
lois humaines ne sauraient prévenir entièrement, et qui,
ne pouvant causer que quelques inconvénients particu
liers, sont plus que compensés par l’utilité publique. »
Cette lettre ne dit pas reconnaissez à l’endossement en
blanc la faculté de transférer la propriété, mais elle
amenait directement à cette conséquence. C’est en effet
ce qui fut consacré sous l’empire de l’ordonnance, au
témoignage de la jurisprudence tant ancienne que mo
derne '.
Il paraît cependant que les abus dont se préoccupait
le parlement de Toulouse avaient été portés si loin, que
le gouvernement crut devoir intervenir énergiquement.
Une loi du 20 vendémiaire an iv défend toute négocia
tion en blanc des lettres de change, billets à ordre ou
autres effets de commerce, sous peine de confiscation
des effets ainsi négociés, et dont la valeur devait appar
tenir par moitié au dénonciateur.
3 3 1 . — Le Code de 1807 s’est contenté de rappei M erlin,
Rép„ v° Endoss., n° 1. P aris, 12 m ai 1808. O rléans, 10 fé
vrier, e t Bourges, 11 avril 1009. C ass., 1 6 a o ù t1 8 1 4 .
�ART.
137, 138.
493
1er la règte tracée par l’ordonnance, à savoir : que l’en
dossement en blanc ne vaut que comme procuration,
puisqu’il ne renferme aucune des conditions de l’arti
cle 137.
Mais il en est de cette prescription comme de celle de
l’ordonnance. Ce qui n’avait pas peu contribué à anni
hiler celle-ci, c’était la faculté donnée au porteur ou à
tout autre détenteur de remplir l’endossement et de le
rendre ainsi régulier et translatif de propriété. Nous
avons déjà dit que cette faculté, approuvée par Savary
et Pothier, est aujourd’hui admise sans difficulté.
Sous l’empire de notre Code, cette faculté n’a d’au
tres limites que l’abus et la fraude. Ainsi celui qui, sim
ple dépositaire ou détenteur d’effets signés en blanc les
endosserait frauduleusement à son ordre et les négocie
rait à son profit, commettrait un abus de confiance dont
il aurait à rendre compte devant la juridiction correc
tionnelle. Mais cet abus de confiance ne pourrait être
opposé au tiers porteur de bonne foi, il pourrait se faire
payer même par celui de la signature duquel on aurait
abusé.
Que si l’auteur de l’endossement frauduleux, encore
porteur des effets, en demandait directement le paye
ment, quelque régulier que fût l’endossement, celui qui
aurait apposé la signature serait recevable à exciper de
l’abus de confiance, et à en prouver l’existence tant par
titres que par témoins et par présomptions
i Cass., 28 m ars 4 8 2 t.
�494
DE LA LETTRE
DE CHANGE.
La faculté de remplir l’endossement en blanc a son
fondement juridique. La confiance absolue que suppose
la délivrance de cet endossement, l’absence de toute res
triction fait avec juste raison présumer que l’auteur a
d’avance accepté tout ce que le réceptionnaire croirait
devoir faire.
Or, ce qui peut arriver, c’est que celui-ci veuille bien
négocier l’effet, mais non se rendre garant de ce paye
ment. Il atteindra sûrement ce résultat en remplissant
l’endossement au nom de celui à qui il cède l’effet en
dossé en blanc. Ce cas se réalisant, la validité de la né
gociation ne saurait être contestée, et si le cessionnaire
avait reçu l’endossement en blanc, il pourrait le rem
plir directement en son nom, malgré qu’il n’eût jamais
traité avec le signataire. La seule condition requise,
c’est qu’il le fit sans fraude et sans porter préjudice aux
créanciers de son cédant L
S 3 3 . — Le porteur
de l’endossement en blanc
pourra-t-il le remplir après la faillite de l’endosseur ?
La Cour de cassation et la cour d’Amiens ont décidé la
négative par arrêts des 18 novembre 1812 et 29 juin
1813. Ces arrêts se fondent sur ce que le porteur n’étant
qu’un mandataire, le mandat cesse par la faillite du
constituant ; que dès lors on ne saurait lui donner ul
térieurement la moindre exécution.
Cela est incontestable. Ainsi l’endossement ne saurait
i B ruxelles, 12 ju ille t 1809.
�ART.
137,
138.
4 .9 5
être rempli après la faillite, si les effets qui en sont re
vêtus avaient été remis avec le simple mandat de les
négocier et d’en garder la valeur à la disposition du
signataire L
Mais pourrait-on le décider ainsi si la remise des ef
fets était le résultat d’une négociation sincère, si le ces
sionnaire en avait réellement fait le fonds ? N’est-il pas
évident dans cette hypothèse qu’en remplissant l ’endos
sement il n’aurait fait qu’user du droit de propriété
qu’il a légitimement acquis ?
Ce qui est en outre certain, c’est que l’endossement
sera rempli à la date du jour de la négociation et non
de celui du remplissage, de telle sorte qu’en apparence
du moins l’endossement sera parfaitement régulier.
Ce que nous en concluons, c’est que les débiteurs,
tireur, accepteur, endosseurs même contre lesquels on
recourra, seront obligés de payer sans pouvoir contester
la date et l’efficacité de l’endossement. Ce droit ne pour
rait être exercé que par les syndics de l’endosseur failli,
et sous la forme seulement d’une action en recomble
ment à la masse.
333. — L’endossement non rempli est irrégulier
comme serait celui dans lequel une des conditions requi
ses par l’article 137 serait omise. Ses effets seront iden
tiques. Comme celui-ci, il ne vaudra que procuration,
1 Cass., 3 avril 1848.
J. du P . , 48,
82.
�496
DE LA LETTRE DE CHANGE.
et ses conséquences ne seront pas autres que celles que
nous avons déjà exposées.
Ainsi, du porteur à l’endosseur, la preuve que la pro
priété a été réellement transférée est toujours recevable ;
ses éléments se puiseront dans les livres, dans la corres
pondance, dans la déposition orale des témoins, dans
les présomptions K
334.
— Mais du porteur aux tiers, l’endossement
en blanc ne vaut jamais que comme procuration. Vai
nement prétendrait-il prouver la réalité du transport.
A l’égard de tous autres que l’endosseur, cette réalité ne
peut résulter que de l’endossement lui-même ; à défaut,
le bénéficiaire est passible de toutes les exceptions qu’on
aurait pu invoquer contre son cédant2.
Nous disions tout à l’heure que le porteur d’un en
dossement irrégulier qui, ayant négocié l’effet par un
transport régulier, avait été obligé d’en rembourser la
valeur, était par ce remboursement subrogé aux droits
du porteur contre tous les autres débiteurs ; qu’on ne
pouvait donc lui opposer que les exceptions qui lui
étaient personnelles. Nous avons invoqué divers monu
ments de jurisprudence, notamment un arrêt de la Cour
de cassation, rendu en 1826 3.
Il semblerait dès lors que cette solution devrait s’ap-
i C ass., 20 m ars 1824.
�art.
137, 158.
497
pliquer au porteur d’un endossement en blanc qui se
trouverait dans les mêmes circonstances. Cet endosse
ment est-il autre chose qu’un endossement irrégulier ?
Cependant un grand nombre d’arrêts ont admis le con
traire l.
Mais là Cour de cassation ne s’est pas laissée entraîner
hors de la voie juridique qu’elle s’était tracée par son
arrêt de 1826. Ce qu’elle avait alors jugé pour l’endos
sement irrégulier pour omission d’une des conditions
de l’article 137, elle l’a appliqué à l’endossement en
blanc. Elle a en conséquence décidé, les 20 janvier
1843 et 12 novembre 1845, que celui qui, porteur d’un
billet à ordre en vertu d’un endossement en blanc, l’a
transmis à un tiers par un endos régulier, se trouve,
dans le cas où il est forcé d’en rembourser le montant
en raison de l’obligation personnelle résultant de l’en
dossement par lui consenti, subrogé aux droits du por
teur, tant contre son endosseur immédiat que contre le
souscripteur ; et que ceux-ci ne pourraient lui opposer
que l’endossement en blanc, l’ayant constitué simple
mandataire, cette qualité n’a pu s’effacer par le fait de
la subrogation2.
335.
— En résumé, l’endossement en blanc diffère
de l’endossement irrégulier pour violation de l’article
Rép. du J. du P., v° Endos., n°* 348 e ts u iv .
J. du P., 2, 1 843, 84 ; 2, -1845, 683. v» Rép. du J. du P., n«« 353
et suiv. v» Endoss.
1
2
�498
DE LA LETTRE DE CHANGE
137, en ce que celui-ci ne peut jamais être valablement
corrigé, tandis que le premier peut être rempli jusqu’au
moment du protêt.
L’endossement en blanc et conservé tel, n’est qu’un
endossement irrégulier. Ses effets sont donc identiques,
soit contre les parties, soit contre les tiers.
ARTICLE
139.
Il est défendu d’antidater les ordres, à peine de faux.
S O M M A IR E
336.
Caractère de la disposition de l ’article 139. Son but sous
l’ordonnance et depuis le Code.
337. Débats soulevés par la communication du projet. Demande
de plusieurs cours et tribunaux. Motif du rejet suivant
M. Locré
338. Le véritable motif, c’est que la peine de faux n’étant pos
sible que s’il y a intention ou possibilité de nuire, cette
demande était inutile.
339. La fraude peut ressortir du fait de l’antidate lui-même.
340. Doit-on procéder par la voie de l'inscription de faux dans
la poursuite en application de l’article 139?
336.
— L’article 139 est la sanction pénale de la
prescription de l’article 137, à l’endroit de la date. En
effet, l’auteur d’une négociation postérieure à la faillite
�ART.
139.
4 .9 9
ou contemporaine de la cessation de payements trouvait
dans l’antidate un moyen sûr de régulariser son opéra
tion et de paraître ainsi obéir à la loi. Cette fraude était
tellement facile, qu’elle s’offrait naturellement à l’esprit.
Il fallait donc tâcher de la prévenir, et les précautions
devaient être d’autant plus sévères que sa constatation
était plus difficile. La loi a voulu, par la peine du faux
qu’elle y a attachée, retenir ceux qui seraient tentés de
se livrer à un acte de nature à entraîner de si graves
conséquences.
Tel avait été l’objet et le but de l’article 26, titre v de
l’ordonnance de 1673. C’est ce que Jousse enseigne for
mellement. La défense d’antidater les ordres, dit-il, est
établie pour prévenir les tromperies qui pourraient se
faire dans le commerce , en cas de faillite, où ceux qui
ont des lettres de change ou billets à ordre en blanc
pourraient antidater les ordres longtemps avant leur
faillite, pour en recevoir le montant sous le nom de quel
ques personnes interposées, ou pour les donner à quel
qu’un de leurs créanciers, en payement, au préjudice
des autres, sans que ces derniers pussent en demander
le rapport à la masse.
En réalité, l’article 137 prescrit la date à tous endos
sements ; l’article 139 s’efforce d’en garantir la sin
cérité.
3 3 1? . — La communication du projet renfermant le
principe et ses conséquences donna lieu à des observa
tions sur celles-ci. Quelques cours et tribunaux de com-
�soo
DE LA LETTRE DE CHANGE
merce trouvaient que la peine de faux était trop rigou
reuse pour la sanctionner d’une manière générale et
absolue ; ils demandaient donc qu’elle ne fût édictée que
pour le cas où l’antidate serait frauduleuse, c’est-à-dire
en cas de faillite ou banqueroute, et pour soustraire aux
créanciers les effets endossés ; ils craignaient que dans
le cas contraire il ne surgit un grand nombre de pour
suites.
« Mais, dit M. Locré, ces craintes étaient mal fondées.
La garantie est ici dans le fait lui-même, car jamais un
créancier ne s’engagera dans un procès aussi difficile,
aussi dispendieux qu’une inscription de faux, s’il n’y
est poussé par l’intérêt d’échapper à une fraude qui lui
porte un grand préjudice.
« D’un autre côté, le système des tribunaux eût rendu
la disposition illusoire ; car s’il est vrai, comme l’obser
vait avec beaucoup de justesse la cour de Toulouse, que
la preuve des antidates est tellement difficile qu’on peut
à peine espérer de l’obtenir, qu’eût-ce été, si l’on eût
joint la condition de prouver que l’antidate constitue une
fraude 1. »
XL
S 3 8 . — Ces motifs n’ont pu avoir aucune influence
sur le rejet de la demande des tribunaux. Ce qui a amené
ce résultat, c’est qu’elle était inutile, ce qui en faisait
l’objet étant exigé par les principes généraux du droit.
En effet, pour que la peine du faux soit prononcée,
i Esprit du Code de commerce, art. 139.
�il faut qu’il y ait volonté de nuire dans l’intention de
l'auteur, possibilité d’un préjudice pour quelqu’un dans
le fait lui-même. L’article 139 ne déroge en rien à cette
règle de droit criminel. N’est-ce pas pour éviter la frau
de que la faillite peut créer qu’il a été sanctionné ?
Donc, le créancier qui se plaindrait d’une antidate
devrait prouver le préjudice réel ou possible. La peine
du faux ne serait que la conséquence de cette démons
tration. La loi n’a pu vouloir punir un simple men
songe ne pouvant nuire à qui que ce soit, pur de toute
intention mauvaise. Or, tel serait le caractère de l’anti
date non frauduleuse.
3 3 9 .'— A.u reste, et en ce qui touche la fraude et
la difficulté de la prouver, nous ne partageons pas la
manière de voir de M. Locré. Ce qui est réellement dif
ficile à établir, c’est le fait de l’antidate ; mais ce fait
acquis, il est d’autant plus facile de prouver la fraude,
qu’on n’a plus qu’à apprécier les motifs et les consé
quences de la conduite de son auteur.
Les motifs ! Quels peuvent-ils être, si non la pour
suite d’un intérêt personnel, ou un sentiment de préfé
rence pour l’un, au détriment et au préjudice des au
tres. On n’antidate pas pour le seul plaisir d’antidater,
une opération sérieuse ne demande rien à la simulation.
Donc, si l’on a recours à l’un et à l’autre, c’est qu’on
entreprend un acte illégitime.
Les conséquences ! En effet, le porteur de l’endosse
ment antidaté demandera son payement. Si l’endosseur
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
est integri status, qui songera à se préoccuper de l’an*
tidate !
Mais si ce payement est demandé aux environs de la
faillite ou après, l’antidate pourra avoir eu pour objet
d’empêcher la revendication de l’effet ou le rapport à la
masse de son montant. Or, ces conséquences sont toutes
d’appréciations et ne peuvent même devenir la matière
d’une preuve testimoniale.
Donc, l’antidate établie, son caractère est souveraine
ment laissé à l’appréciation et à l’arbitrage du juge, il
prononce comme juré et ne doit compte de sa décision
qu’à sa conscience.
Malheureusement, le fait de l’antidate ne se prouve
pas facilement. Aussi, l’article 139 est-il réduit au rôle
de menace irréalisable et en quelque sorte d’une lettre
morte.
340.
— On pourrait conclure de quelques expres
sions de M. Locré, que la poursuite en application de
l’article 139 donne lieu à une procédure en inscription
de faux, ce serait une erreur.
L’endossement, comme la lettre de change elle-même,
fait foi de sa date, mais seulement jusqu’à preuve con
traire. Il suffit donc d’une simple dénégation pour ren
dre cette preuve contraire recevable et admissible. C’est
par son résultat qu’il est définitivement statué sur le
litige.
�§ VII. —
DE LA SOLIDARITÉ
ARTICLE
140.
Tous ceux qui ont signé, accepté ou endossé une
lettre de change, sont tenus à la garantie solidaire en
vers le porteur.
SO M M A IRE
341.
Caractère et motifs de l’article. La solidarité avait été ad
mise en Italie et en France, sous l'ordonnance.
342. Différence entre les endosseurs et les tireurs et accepteurs,
quant à l ’application de l’article 1206 du Code civil.
343. Autre exception résultant de la qualité des parties.
344. Exception résultant de la faveur de la loi.
343. Exception résultant de la convention. Légalité de celle-ci.
246. Elle est expresse lorsque l’endossement est fait à forfait et
sans garantie. Peut-il être dans ce cas rédigé par acte
séparé ?
346 bis. Etendue de la clause à forfait et sans garantie. Ne cou
vre ni la non existence de la créance, ni le fait person
nel du cédant.
346 ter. Jugement du tribunal de Marseille et arrêt de la cour
d’Aix en ce sens.
346 quatuor. Moyens invoqués à l’appui du pourvoi.
346 quinto. Appréciation.
3 4 6 s ex to .
Arrêt de la Cour de cassation. Son caractère.
�504
DE LA LETTRE DE CHANGE
Jugement du tribunal de commerce de Marseille ap
pliquant l’article 348 du Code de commerce à la négo
ciation à forfait. Réfutation.
Elle est tacite lorsque le porteur se borne à remplir, au
nom de son cessionnaire, l’endossement en blanc dont il
est possesseur. Ses obligations dans ce cas.
Si le cédant a pris la qualité de mandataire, il n’est soumis
à aucune obligation et conséquemment affranchi de
toute solidarité. A quelles conditions.
L’article 2037 du Code civil, relativement à la subrogation
de la caution aux droits, privilèges et hypothèques du
créancier, rendue impossible par le fait de celui-ci, estil applicable aux codébiteurs de la lettre de change ?
3 4 6 septimo.
347.
348.
349.
La solidarité édictée par l’article 140 est
un nouveau témoignage de la sollicitude que le paye
ment de la lettre de change inspirait au législateur* de
la faveur dont il a voulu l’entourer, de son désir d’applanir tous les obstacles devant ce puissant auxiliaire du
crédit public.
341.
—
En droit, cette solidarité s’induisait de la nature des
choses elle-même. Quelque nombreux que soient les si
gnataires d’üne lettre de change, chacun d’eux contracte
un engagement identique, à savoir : celui de fournir les
fonds de la lettre de change à l’échéance. La loi a donc
pu voir dans ce faisceau d’obligations une obligation
unique, indivisible, et cela avec d’autant plus de rai
sons que la solidarité qu’elle en a fait résulter n ’impose
à chaque débiteur que la charge à laquelle il s’est vo
lontairement soumis lui-même.
�art.
140.
505
Le principe et ses conséquences n’ont été méconnus
dans aucun temps. Cette solidarité que l’article 140
sanctionne, nous la retrouvons dans cette école italienne
qui jeta un si vif éclat sur la matière commerciale ; et
si l’ordonnance de 1673 a omis de s’en expliquer, elle
ne l’en aura pas moins implicitement consacrée, au dire
de la doctrine, au jugement de la jurisprudence K
343.
— En ce qui concerne les endosseurs, déjà
l’article 118 avait déclaré leur obligation solidaire. Mais
une observation, que la nature de cette obligation que
l’article 140 confond avec celle des tireurs, accepteur,
donneurs d’aval, commande de faire, est qu’au fond il
y a entre ceux-ci et les endosseurs une différence capi
tale. Pour les premiers, l’application de la règle tracée
par l’article 1206 du Code civil serait incontestable et
produirait tous ses effets, tandis que chaque endosseur
doit être non seulement personnellement poursuivi, mais
encore qu’il ne peut l’être que dans un délai déterminé,
passé lequel il est entièrement libéré.
L’article 168, proclamant la déchéance que le por
teur encourt faute de poursuites, est donc une exception
aux effets ordinaires de la solidarité, une dérogation
formelle à l’article 1206 du Code civil. Le porteur doit
d’autant moins perdre de vue que cette déchéance est
absolue, qu’elle ne pourrait être évitée que par la renon-
1 V. D upuis de la Ser.'a, l 'Art
,
des lettres de change, chap. 16
'I
M: .
�506
DE LA LETTRE DE CHANGE
ciation formelle d’en revendiquer le bénéfice qu’en au
rait consentie l’endosseur.
3 4 3 . — L’article HO est même susceptible d’autres
exceptions. Ces exceptions résultent soit de la qualité du
signataire, soit de la faveur de la loi, soit de la stipu
lation des parties.
L’exception résulte de la qualité de la partie lorsque
la signature figurant sur la lettre émane d’un incapa
ble. Dans un pareil cas, la solidarité pourrait d’autant
moins exister, qu’il n’y a légalement aucune obligation,
soit qu’il s’agisse d’un interdit, d’un mineur non auto
risé ou d’une femme mariée non marchande publique
et agissant sans le concours de son mari.
3 4 4 . — L’exception résulte de la faveur de la loi
lorsque le signataire de la lettre de change est une fem
me ou une fille, ou un mineur émancipé. Les deux pre
mières n’ont souscrit en réalité qu’une simple promesse,
qu’un engagement purement civil pour lequel on ne
saurait admettre la solidarité que si elle était formelle
ment stipulée. Le dernier est en outre restituable en cas
de lésion.
3 4 5 . — Ces deux exceptions doivent à leur caractère
même de n’offrir que peu ou point de difficultés. Il n ’en
est pas de même de la troisième, celle résultant de la
convention des parties.
On a d’abord contesté la faculté pour les parties de
�art.
140.
507
transiger sur la solidarité, le caractère absolu et impéra
tif des articles 118 et 140 protestant énergiquement
contre tout accord de cette nature. Mais cet argument
n ’avait au fond aucun fondement juridique.
Ce n’est pas, en effet, par les termes plus ou moins
impératifs d’une disposition qu’on doit en juger le ca
ractère. Ce qui décide de celui-ci, c’est la nature de
l’objet auquel elle pourvoit. Cet objet est-il d’utilité pu
blique, d’intérêt général ? La disposition ne saurait être
modifiée. Il est évident que sur des matières de ce genre
la loi ne pouvait s’en remettre à la volonté, au caprice
des parties.
S’agit-il, au contraire, d’un bénéfice conféré à telle
ou telle partie, d’un objet ne se référant qu’à un intérêt
particulier ou privé, quelque formels que soient les ter
mes de la loi, on ne saurait refuser au bénéficiaire
qu’elle investit le droit de répudier l’avantage auquel il
lui plaît de renoncer.
Cela posé, dans quelle catégorie faut-il classer les dis
positions des articles 148 et 140 ? Dans la dernière évi
demment. Qu’importe, en effet, à l’intérêt public que la
dette soit due solidairement ou non ? La solidarité est
sans doute un avantage, mais pour le créancier exclusi
vement. Donc, la loi qui la crée s’en remet par cela
même au gré de ce créancier quant à l’exécution dont
elle est susceptible.
Cela est tellement vrai, que les principes ordinaires
sur la solidarité consacrent le droit que le créancier a
de la remettre à tel de ses débiteurs qu’il le juge conve-
�308
DE LA LETTRE DE CHANGE
nable. II serait donc étrange que ce droit, consacré par
la législation civile, ne pût dans les mêmes circonstances
être exercé en commerce , c’est-à-dire que le créancier
commercial fût incapable de renoncer à la solidarité, ce
que le créancier civil peut toujours faiie.
Qui pourrait, d’ailleurs, se plaindre de cet abandon ?
Les endosseurs antérieurs? Mais ils sont sans droits et
sans actions contre ceux qui les suivent, comment pour
raient-ils avoir à redire à ce qu’ils font ? Les endosseurs
ultérieurs ? Mais en se chargeant de l’effet malgré la
convention intervenue avec leur cédant, ils en ont par
cela même accepté les effets, et se sont rendus irreceva
bles à la quereller.
Ainsi, la convention dérogeant à la solidarité est
permise à l’endosseur. Elle devient la loi de tous dès
qu’elle est sanctionnée par le consentement mutuel des
parties.
— La convention peut être expresse. Elle peut
résulter tacitement de l’opération elle-même, de la qua
lité prise par l’endosseur.
Elle est expresse lorsque l’endossement renferme l’ex
pression de non garantie de la part du cédant, comme
si après l’ordre on ajoute : A forfait et sans garantie,
ou seulement sans garantie, ou bien encore sans aucun
recours, ou bien enfin, n'entendant être tenu de rien.
Cette clause, exclusive de toute garantie, pourrait-elle
être stipulée par acte séparé ? La loi ne le prohibant
pas, on ne saurait, par cela même, résoudre cette ques346.
�ART.
140.
509
lion négativement. Donc, l’écrit séparé serait valable et
obligatoire. Toutefois son effet se réduirait aux parties
elles-mêmes. Il ne pourrait être opposé aux porteurs
successifs de la lettre, s’ils n’en avaient eu connaissance
par la remise qui leur en aurait été faite au moment
de la négociation, remise dont la preuve devrait être ac
quise.
L’endossement peut donc être exclusif de toute ga
rantie. Cette règle ne reçoit qu’une exception, à savoir :
lorsqu’il s’agit de l’endossement, fait par le tireur luimême, d’un effet tiré à son ordre. Un pareil endosse
ment, avons-nous dit, est plutôt le complément de la
lettre qu’un endossement véritable. Celui qui le signe
est l’unique emprunteur, le seul débiteur de l’effet trans
mis, il ne pourrait donc pas stipuler qu’il n’en garantit
pas le payement. Dans le cas contraire, il contracterait
une dette avec faculté de ne pas la payer, ce qui serait
absurde.
Nous pensons donc que la clause de non garantie
que renfermerait cet endossement ne pourrait sortir à
effet. Essentiellement contraire à l’essence du contrat,
on devrait la considérer comme non écrite.
3Jtebis. — La clause de forfait et de non garantie
n’empêche pas le cédant de répondre de l’existence de
la créance, et de son fait personnel qui tendrait soit à
l’anéantir, soit à la modifier.
L’existence de la créance au moment de la cession qui
en est consentie, est déclarée par l’article 4693 du Code
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE
civil, la condition sine qua non de la validité de la ces
sion, même lorsqu’elle a lieu aux risques et périls du
cessionnaire et sans garanties de la part du cédant. Rien
de plus juste que cette condition. En effet, celui qui se
charge à forfait d’une créance contracte une opération
aléatoire, et s’il accepte les clauses défavorables, c’est
qu’il jouira des chances heureuses. Or, où seraient ces
chances, où l’aléa qui détermine le contrat si la créance
cédée n’existait pas ? Le contrat manquerait donc de
son élément le plus essentiel, il n’aurait pas de cause
et ne saurait dès lors être maintenu. Le cessionnaire
devrait être relevé des effets d’un consentement qui se
rait le fruit de l’erreur, le résultat d’une surprise.
C’est surtout dans la négociation des effets de com
merce qu’on doit exiger la rigoureuse observation de
l’article 1693. Comme le disait le tribunal de commerce
de Marseille, dans le jugement dont nous allons parler,
si les cédants de titres à ordre pouvaient échapper à
toute garantie d’existence de la créance, ils se trouve
raient autorisés à négocier des titres qui ne seraient
que le fruit d’une connivence entre eux et les souscrip
teurs, et dans le cas d’insolvabilité de celui-ci, le ces
sionnaire à forfait aurait payé le prix d’une créance pu
rement fictive, prix qui habituellement profiterait, au
moins en partie, au cédant par l’effet de son entente
avec le souscripteur.
On objectera que le commerce est suffisamment armé
contre cet inconvénient, et que le refus de prendre des
titres à forfait lui fermera toutes les issues. Le remède
�ART,
140.
SU
serait en effet héroïque. Reste à savoir s’il serait compa
tible avec l’intérêt et les nécessités du commerce. Or, si
le forfait s’est créé une large place dans la pratique,
c’est que ses avantages ne peuvent être ni méconnus ni
contestés.
Il concourt en effet puissamment au développement
du crédit. Le commerçant qui ne consentirait à celui
avec qui il traite qu’un crédit plus ou moins restreint,
n’hésitera pas à aller fort au-delà, lorsque par un léger
sacrifice il est assuré de s’exonérer en tout ou en partie
des chances de perte que lui ferait courir l’insolvabilité
de son débiteur.
D’autre part, la réalisation immédiate de fonds exi
gibles seulement à une échéance plus ou moins éloignée,
le met à même d’entreprendre de nouvelles opérations
et de réaliser de nouveaux bénéfices.
En réalité, la négociation à forfait est pour le com
merce de terre ce que l’assurance est pour le com
merce maritime ; on ne saurait dont songer à la prohi
ber. Ce qu’on pouvait, ce qu’on devait, c’était de veiller
à sa sincérité, d’empêcher qu’elle ne devînt une source
de surprise, une occasion de fraudes, et c’est ce que réa
lise l’application de la règle édictée par l’article 1693
du Code civil.
L’obligation pour le cédant de ne rien faire qui puisse
nuire au cessionnaire, rendre la cession vaine et illu
soire, ou en amoindrir les effets, n’est ni moins ration
nelle, ni moins juste que celle de répondre de l’existence
de la créance. Conséquemment, quelque étendue que
fût la clause de non garantie, elle ne saurait dispenser
�512
DE LA LETTRE DE CHANGE
le cédant de répondre de son fait personnel. Le principe
que nul ne peut récuser la responsabilité de ses actes
est d’ordre public. Il ne comporte donc aucune déroga
tion, soit directe, soit indirecte.
3 4 6 ter. _ Notre doctrine à ce sujet trouve un re
marquable exemple d’application dans un arrêt du 31
mai 1864, rendu par la Cour de cassation dans les cir
constances suivantes :
Les sieurs Lafuente et Jullien, négociants à Marseille,
s’étaient engagés à acheter des sucres pour Zangronilz
et Cie, qui leur avaient souscrit pour 170,000 fr. de
billets.
En fin novembre 1859, le navire Saint-Eloi arrive à
Marseille avec un chargement de sucres faisant partie
de ceux achetés pour le compte de Zangronitz, et il est
procédé à une nouvelle émission de 126,000 fr. de bil•lets causés valeur en marchandises à l’échéance d’avril
1860, à valoir sur la fourniture des sucres non encore
livrés du navire Saint-Eloi.
Le 3 décembre 1859, les sieurs Lafuente et Jullien
négocient à MM. Folch et Cie un de ces billets de
10,000 fr. L’endossement en est fait à forfait en sans
garantie. Deux jours après Zangronitz et Cie suspendent
leurs payements.
Aussitôt intervient entre Lafuente et Jullien et les li
quidateurs Zangronilz une transaction par suite de la
quelle les premiers gardent pour leur compte les sucres
du Saint-Eloi et s’obligent à restituer les billets sous-
�ART.
140.
513
crits à cette occasion, ce qui est exécuté moins le billet
de 10,000 fr. aux mains de MW. Folch et Cie en
échange duquel on restitue d’autres valeurs ayant une
origine toute différente.
La faillite de Zangronitz ayant été plus tard déclarée,
Folch et Cie, qui ignoraient l’existence de la transaction,
se font admettre au passif pour les 10,000 fr. dont ils
sont porteurs et perçoivent le dividende de 12 0/0 affé
rant aux créanciers. Mais, instruits de cette existence,
ils actionnent Lafuente et Jullien en nullité de la ces
sion et en remboursement de ce qu’ils avaient payé
avec offre de compenser les 12 0/0 qu’ils avaient reçu.
Cette action se fondait sur ce que les 10,000 fr. fai
saient partie des 126,000 fr. souscrits à valoir sur la
livraison des sucres du navire Saint-Eloi ; qu’il était
devenu sans cause dès que les sucres n’avaient pas été
livrés par le fait de leurs cédants qui avaient résilié le
marché intervenu entre eux et Zangronitz à ce su jet,
qu’en conséquence Lafuente et Jullien ne pouvaient pas
exciper du forfait, puisqu’ils répondaient de leur fait et
de l’existence de la dette.
A ces prétentions ceux-ci opposent que la créance
existait par cela seul que Zangronitz s’était reconnu dé
biteur du montant des billets ; que, dans tous les cas,
en produisant à la faillite, Folch et Cie avaient renoncé
à tout recours contre leurs cédants ; et que d’ailleurs ils
étaient déchus du droit d’exercer ce recours faute de
leur avoir notifié, en temps utile, le protêt qui aurait
i — 33
�514
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dû être fait entre les mains des souscripteurs du billet
qui leur avait été négocié.
Un jugement du tribunal de commerce de Marseille,
du 14 juin 1861, sans s’arrêter à aucune de ces excep
tions, accueille la prétention de Folsch et Cie, et con
damne Lafuente et Jullien à leur rembourser le montant
de la négociation, sous déduction du dividende de 12 0/0
touché dans la faillite Zangronitz. Voici sur quels m o
tifs s’étaye cette décision :
« Attendu que la cession à forfait des titres à ordre
exempte seulement les cédants de l’obligation de ga
rantir la solvabilité des souscripteurs ou accepteurs,
obligation que comporte par elle-même la transmission
par endossement de ces titres ; qu’elle laisse subsister la
garantie de l’existence de la créance ;
« Attendu que pour les titres à ordre cette garantie
doit s’entendre dans ce sens qu’il faut qu’ils aient des
causes sérieuses et qu’ils soient la reconnaissance d’un
droit réel du titulaire ; que ce n’est point assez que le
souscripteur soit engagé envers le porteur, car la bonne
foi du tiers porteur suffit généralement pour valider
l’action de ce dernier ;
« Que si en raison du droit reconnu aux tiers por
teurs de bonne foi, les cédants de titres à ordres pou
vaient échapper à toute garantie de l’existence de la cré
ance, ils se trouveraient autorisés à négocier des titres
qui ne seraient que le fruit d’une connivence entre eux
et le souscripteur, et dans le cas d’insolvabilité de celuici, le cessionnaire à forfait aurait payé le prix d’une
�créance purement fictive, prix qui, habituellement, pro
filerait au moins en partie au cédant par l’effet de son
entente avec le souscripteur ;
« Attendu que la négociation à forfait de titres à or
dre qui n’ont pas de causes sérieuses, sont entachées du
double vice, d’un profit illégitime en faveur des sous
cripteurs ou cédants, et d’erreur de la part du cession
naire qui a dû croire à la réalité de la cause énoncée,
et qui par là est trompé sur le crédit que le souscrip
teur mérite; qu’aussi, bien que les droits d’un tiers
porteur diffèrent à l’égard du débiteur cédé de ceux d’un
cessionnaire ordinaire, ces négociations entre le ces
sionnaire et le cédant doivent être régies par les mêmes
principes que les transactions civiles, par le principe
qui veut qu’on ne puisse céder valablement qu’une cré
ance réelle ;
« Attendu que, dans l’espèce, le billet de 10,000 fr.
qui a été négocié aux sieurs Folsch et Cie, n’a eu, au
moment de la souscription, qu’une cause éventuelle ;
que celte cause, qui devait consister dans la livraison
des sucres du navire Saint-Eloi, ne s’est pas réalisée ;
que ce défaut de réalisation est constaté par la transac
tion du 14 janvier 1860 et n’est pas déniée au procès ;
« Attendu que le titre doit être apprécié en lui-même;
que ce titre pris en lui-même manque de cause et ne
répond à aucune créance, puisque il a été souscrit en
vue d'une livraison de sucres qui n’a pas eu lieu ;
qu’ainsi il est compris dans la classe de ces effets de
�516
DE LA LETTRE DE CHANGE.
commerce dont les cédants à forfait restent garants par
suite de leur garantie de la créance ;
« Attendu que l’objection tirée au fond par les sieurs
Lafuente et Jullien de l’admission du titre dans la fail
lite Zangronitz et Cie, a été déjà repoussée par les con
sidérations qui précèdent ; que si les sieurs Lafuente et
Jullien sont même restés créanciers de la faillite pour
d’autres causes, ce fait est étranger aux sieurs Folsch et
Cie ; que ceux-ci peuvent faire valoir tous les droits at
tachés au titre qu’ils possèdent tant qu’il reste leur pro
priété, sans perdre le recours qui leur appartient contre
les cédants ;
« Attendu qu’il n’y a pas non plus de fin de non
recevoir dans le défaut de protêt du billet, le recours
exercé par Folsch et Cie n’étant pas celui prévu par le
Code de commerce contre un endosseur antérieur, mais
celui auquel d’autres dispositions soumettent un cédant
pour garantie de l’existence de la créance. »
Sur l’appel la cour d ’Aix, par arrêt du 22 novembre
1861, confirmait le jugement avec adoption des mo
tifs.
3 4 6 quatuor. _
On se pourvut en cassation, et voici
comment on essayait de justifier le pourvoi sur le
fond :
« Il est certain que la créance existait au jour de la
négociation. Celte existence résultait de la nature même
du titre qui faisait l’objet de cette négociation. En effet,
ce titre était un effet de commerce, et par cela seul que
�V; • V
ART.
140.
817
le souscripteur y avait apposé sa signature, il était obli
gé vis-à-vis des tiers porteurs de bonne foi, quelles que
pussent être d’ailleurs l’irrégularité ou même la faus
seté de la cause assignée à l’obligation. Or c’est là tout
ce qu’exige l’article 1693 du Code civil pour la validité
du transport même fait avec clause de non garantie.
D’après l’arrêt, il faudrait quelque chose de plus quand
il s’agit de la cession d’un titre à ordre ; dans ce cas
l’engagement du souscripteur vis-à-vis du tiers porteur
ne suffirait pas pour que la créance existât dans le sens
de l’article 1693 du Code civil, et la garantie de l’exis
tence de la créance dont parle cet article serait due dans
tous les cas où le titre n’aurait pas une cause sérieuse
et ne serait pas la reconnaissance d’un droit réel du
titulaire. Mais si ce principe était exact, il s’ensuivrait
que lorsque la négociation, au lieu d’être à forfait, est
une négociation pure et simple, le tiers porteur devrait
avoir également la possibilité d’en demander la nullité
dans le cas où la cause mentionnée au billet ne serait
pas réelle, puisque dans une négociation pure et simple
le cédant ne saurait être moins tenu que dans une né
gociation à forfait. Donc, cette conséquence extrême du
système de l’arrêt attaqué prouve que la garantie de
l’existence de la créance ne peut pas comprendre la ga
rantie de la cause de cette créance. C’est vainement que
l’arrêt objecte que le système contraire aurait pour ré
sultat de favoriser la fraude et de permettre la négocia
tion de titres qui ne seraient que le fruit d’une conni
vence entre le cédant et le souscripteur. En effet la
�318
DE LA LETTRE DE CHANGE
fraude, lorsqu’elle est démontrée, peut être un motif de
déroger aux règles ordinaires du droit ; mais ici il n’y
a ni fraude démontrée, ni même fraude alléguée. Il y a
plus, il y avait aux billets créés une cause réelle dans
la vente consentie par les sieurs Lafuente et Jullien aux
sieurs Zangronitz, et si plus tard cette vente a été rési
liée, et les billets auxquels elle avait donné lieu restitués
comme étant devenus sans cause, celui de 10,000 fr.
négocié antérieurement aux sieurs Folsch et Cie qui a
été excepté de cetle restitution, a conservé la cause qui
lui appartenait dès l’origine et a continué à être dû par
les sieurs Zangronitz. Donc, à tous les points de vue, la
cession était valable, et aucune garantie ne pouvait être
exercée contre le cessionnaire. »
3 4 G quînto. _ Ces moyens n’avaient rien de bien
juridique et étaient loin de justifier la thèse à l’appui de
laquelle on les invoquait. Ce qui constitue l’obligation,
c’est moins la signature de celui qui l’a souscrite que
la cause qui en a déterminé la souscription. A défaut
de cause il pourra bien exister un titre, mais il n’y aura
point d’obligation. L’article 1131 du Code civil ne laisse
aucun doute à ce sujet.
Sans doute, ce défaut de cause que le souscripteur
pourra faire valoir contre celui avec qui il a traité, ne
serait pas opposable au tiers porteur de bonne foi. Mais
l’effet de la nullité n’en serait pas moins acquis puis
que le recours du souscripteur qui aurait payé celui-ci
contre le preneur ne saurait être contesté si l’obligation
�ART.
140.
519
était réellement sans cause. Et pourquoi ce que le souscripieur pourrait faire serait-il interdit au tiers porteur
agissant en vertu de l’article 1166 du Code civil ?
Mais à quoi bon se préoccuper des droits du tiers
porteur de bonne foi lorsqu’il s’agit de déterminer les
effets d’une cession à forfait ? Dans ce cas, pour que le
cédant puisse se prévaloir delà clause de non garantie,
il faut que la créance existe, et cette existence la charge
'de la prouver incombe naturellement à celui qui l’invo
que pour sa libération.
Or, dans l’espèce, c’est la preuve contraire qui résul
tait des faits du procès. Ainsi, il n’était pas contesté
que le billet de 10,000 fr. avait été souscrit à valoir
sur les sucres non encore livrés du navire Saint-Eloi.
C’était donc un payement anticipé qui n’avait plus au
cune raison d’être et ne pouvait être acquis si ces su
cres n’étaient pas livrés. Les sieurs Lafuente et Jullien
l’avaient si bien compris que sur les 126,000 fr. de bil
lets qu’ils avaient reçus à ce titre, ils en restituaient
116,000. Mais pourquoi les 10,000 fr. qui restaient
auraient-ils échappé au sort de ces 116,000 ?
Supposez que les sieurs Lafuente et Jullien n’eussent
pas été créanciers à d’autres titres des sieurs Zangronitz,
auraient-ils pu retenir ces 10,000 fr. dès qu’ils s’ap
pliquaient les sucres dont ces 10,000 fr. étaient le prix?
Or, la compensation à laquelle Zangronitz n’avait au
cune raison de résister, n’avait pas validé le titre de
10,000 fr. négocié aux sieurs Folsch et Cie, elle l’avait
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
au contraire éteint par le payement et par conséquent
en avait consommé la nullité.
En fait donc, l’obligation de Zangronitz n’étant qu’un
payement anticipé, n ’était qu’une obligation condition
nelle subordonnée à la livraison des sucres. Cette con
dition ne s’étant pas réalisée, cette obligation était tom
bée de plein droit et n’avait jamais existé, pas même
au jour de sa souscription, car la nullité rétroagissait de
plein droit jusqu’à ce jour.
A ces raisons décisives se joignait cette autre que le
défaut de livraison était le fait unique des sieurs Lafuente et Jullien. C’était donc par leur fait personnel
que la créance avait été modifiée, que la marchandise
qui devait en être le gage n’était pas arrivée aux mains
du souscripteur. Dès lors responsables au point de vue
de la non existence de la créance, ils l’étaient en outre
à celui de leur fait personnel.
3 4 6 sexto. — Par arrêt du 31 mai 1864 le pourvoi
était donc rejeté. Après avoir relevé les constatations
de fait résultant de l’arrêt attaqué, la Cour suprême
ajoute :
« Attendu, en droit, que, quoique la cession soit faite
sans garantie, le cédant demeure garant de l’existence
de la créance cédée aux termes du transport, et qu’il est
tenu en outre de la garantie d’un fait qui lui est per
sonnel ;
« Attendu que la cession d’une créance comprend,
comme accessoire, les garanties qui lui sont inhérentes ;
�140.
S21
que lorsque cette créance a eu pour cause un prix de
vente, l’article 577 du Code de commerce lui attribue,
comme garantie spéciale, le droit de rétention des mar
chandises vendues et non encore délivrées au failli ; que
ce droit est spécialement affecté au prix de vente des
marchandises retenues, et ne peut être exercé pour d’au
tres créances ayant une origine différente ;
« Attendu qu’il résulte de là que c’est à tort que , par
la transaction du 4 janvier 1860, les demandeurs qui,
au moment de la suspension de payements de Zangronitz et Cie, se trouvaient encore nantis des marchandi
ses qui ont formé la valeur du billet par eux négocié
aux défendeurs, ont privé ces derniers du droit de ré
tention exclusivement affecté à la créance qu’ils leur
avaient cédée, et que c’est indûment qu’ils se sont ap
proprié ce privilège pour d’autres créances qui avaient
une cause différente ;
« Attendu qu’en dénaturant ainsi la créance par eux
cédée et en privant leurs cessionnaires de la garantie
qui y était attachée, les demandeurs ont encouru la res
ponsabilité de leur fait personnel ; que la garantie du
fait personnel, qui est d’ordre public et qui n’admet
aucune convention contraire, n’est soumise à aucune
des déchéances prononcées par l’article \ 68 du Code de
commerce h »
Dans la note dont il accompage cet arrêt, le Journal
du Palais ne parait pas se rendre exactement raison de
J . d u 1 \ , '1864, 699.
%%êk
A RT.
�522
DE U
LETTRE DE CHANGE
sa portée quant au droit de rétention. La Cour de cas
sation ne pouvait pas admettre que le cessionnaire de
billets qui n’a jamais eu la marchandise en sa posses
sion, pût exercer le droit de rétention. Ce qu’elle dit,
c’est que dans l’espèce la transaction intervenue le 4
janvier ne puisait sa validité que dans ce droit de ré
tention ; que ce droit les vendeurs l’avaient cédé jusqu’à
concurrence de 10,000 fr. au cessionnaire du billet
souscrit en payement des marchandises ; qu’ils ne pou
vaient donc l’exercer qu’au profit de celui-ci ; que dès
lors en se l’attribuant, en remplaçant ces 10,000 fr. par
des valeurs qui avaient une cause différente, ils avaient
méconnu et violé le droit du cessionnaire et dénaturé sa
créance, qu’ils s’étaient ainsi rendus garants envers
lui, et obligés à l’indemniser du préjudice qu’il en
éprouvait.
On ne saurait ni méconnaître, ni contester le carac
tère juridique de cette appréciation.
3 4 6 septîmo. _ Un jugement du tribunal de com
merce de Marseille, du 5 novembre 1875, décide que
la négociation à forfait d’un effet de commerce est réglée
par les principes du contrat d’assurance au point de vue
de la nullité résultant de la réticence ou de la connais
sance du sinistre au moment du commencement des
risques ;
Qu’en conséquence, lorsque une traite conçue valeur
en marchandises n’est en réalité que le renouvellement
d’une précédente non payée, le tireur ou l’endosseur qui
�art .
140.
323
la négocie à forfait sans faire connaître cette circons
tance, demeure garant du défaut de payement à l’é
chéance l.
Dans cette espèce, le 10 décembre 1874, les sieurs
Calmette et Cie, de Narbonne, avaient négocié à forfait
au sieur Bonniot fils aîné, de Marseille, deux traites,
l’une de 7,000 fr., l’autre de 127 fr., fournies par les
sieurs Ychè et Bousquet à leur ordre, à la date du 15
novembre précédent et à l’échéance du 15 février sui
vant, sur les sieurs Gondran et fils, qui les avaient ac
ceptées et qui suspendaient leurs payements dix jours
après, c’est-à-dire le 20 décembre.
Ces traites remontaient au 15 mai 1874. A cette épo
que Ychè et Bousquet avaient fourni à Gondran et fils
19,224 fr. de marchandises payable au 15 août. Ce
jour les traites avaient été renouvellées et l’échéance re
portée au 15 novembre. A cette époque, un à-compte
avait réduit la dette à 7,127 fr. pour lesquels les traites
négociées avaient été tirées à l’échéance du 15 février
1876.
Connaissance de ces renouvellements successifs n’ayant
pas été donnée à Bonniot fils aîné, le tribunal avait con
sidéré ce silence comme une réticence frauduleuse mo
tivant la nullité de la clause de non garantie.
L’application que le tribunal fait de l’article 348 du
Code de commerce à la négociation à forfait des effets
de commerce, ne nous paraît pas admissible. Il n’existe
i Journal de Marseille, 4876, 4, 20.
�824
DE LA LETTRE DE CHANGE.
aucune assimilation possible entre cette négociation et
l’assurance que cet article régit exclusivement.
L’industrie des assurances, par ses résultats à l’en
droit du commerce maritime, a dû justement être con
sidérée comme d’intérêt général et public. Elle serait
devenue à peu près impossible sans la disposition de
cet article.
En effet, l’assureur qui n’a ni le temps, ni les moyens
de vérifier et de contrôler les déclarations qui lui sont
faites eût été trop facilement dupe, si l’on avait pu lui
laisser ignorer des circonstances qu’on lui aurait d’au
tant mieux cachées qu’elles auraient été de nature soit
de l’empêcher d’accepter le risque, soit d’exiger une
prime plus élevée.
Il faut donc, pour que l’assureur puisse juger s’il
doit ou non contracter, qu’il connaisse la vérité tout en
tière, et cette condition ne sera acquise que si l’assuré
lui a fait savoir tout ce qu’il sait lui-même. L’observa
tion de ce devoir devait être garantie par une sanction
pénale énergique, et c’est cette sanction que consacre
l’article 348, en disposant que toute réticence, toute
fausse déclaration de la part de l’assuré, que toute dif
férence entre le contrat d’assurance et le connaissement
qui diminueraient l’opinion du risque ou en change
raient le sujet, annulent l’assurance. Cette nullité a
donc ici une raison d’être juste et légitime.
Où serait cette raison dans la négociation à forfait
des effets de commerce ? Dans ce fa it, dit le jugement,
que les cessionnaires n’ont assumé les risques de la né-
�art .
140.
525
gociation que parce qu’ils ont ignoré les renouvelle
ments successifs qui sont dans le commerce, indices de
gêne, et qui annoncent le plus souvent une suspension
prochaine.
Mais ce raisonnement trouve la plus énergique réfu
tation dans la nature même du contrat. La négociation
à forfait entraîne pour le cédant une perte plus ou
moins considérable, et ce qui peut seul le déterminer
à la subir, c’est évidemment le doute que lui inspire la
solvabilité du débiteur, la crainte d’un défaut de paye
ment à l’échéance. Croit-on que celui qui aurait en
portefeuille des valeurs de premier crédit hésiterait à les
garantir en les négociant et s’imposerait un sacrifice
quelconque pour s’exonérer de cette garantie ?
Donc, celui à qui on propose une négociation à for
fait est parfaitement édifié sur le risque de l’opération.
Ce risque, en effet, c’est le plus ou moins de solvabi
lité du débiteur. Or, peut-il à ce sujet concevoir une
pensée autre que celle du cédant et croire à une issue
dont celui-ci a désespéré.
Jusqu’à quel point cette opinion est-elle fondée ? A
quel degré est descendue la solvabilité du débiteur ?
C’est au cessionnaire qu’il appartient de le rechercher
et de le vérifier. Il a lui le temps et les moyens de le
faire, car rien ne le presse d’accepter la négociation au
jourd’hui plutôt que demain, et c’est ordinairement sur
la place même que résidera le débiteur.
Ainsi, dans l’espèce, c’étaient des négociants de Nar
bonne qui avaient cédé à un commerçant de Marseille
�5 26
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
des traites acceptées et dues par un autre commerçant
de Marseille, et si le cessionnaire avait eu besoin de
s’informer, la notoriété commerciale l’eût plus que suf
fisamment éclairé. La négociation avait lieu le 10 dé
cembre, et c’est le 20 du même mois que les tirés ac
cepteurs avaient suspendu leurs payements. Or, com
ment croire que rien n’eût encore transpiré de leur état
de gêne ; qu’aucun de ces faits avant-coureurs de la
faillite ne fût venu en démontrer l’imminence ?
Donc, la moindre démarche de la part du cession
naire l’aurait mis à même d’apprécier sainement le ris
que qu’on lui proposait et qu’il acceptait. Cette con
duite était pour lui un devoir, et s’il y avait failli, si
malgré le doute que devait lui inspirer la clause de non
garantie, il en avait aveuglément couru la chance, c’est
que les avantages qu’on lui faisait lui offraient un inté
rêt réel, incontestable. Dans tous les cas, au lieu d’être
trompé, il s’était bien volontairement trompé lui-même,
et rien ne pouvait autoriser sa prétention d’être relevé
de son défaut de vigilance et de son imprudence.
Un abîme sépare la position du cessionnaire à forfait
de la position des assureurs. Il n’est donc ni rationnel,
ni juridique, ni même possible d’appliquer à l’un les
règles édictées pour l’autre.
345.
— La convention dérogatoire résulterait de
l’opération elle même lorsque le porteur de l’effet qu’il
négocie en vertu d’un endossement en blanc, le cédant
�ART, 140.
527
se borne à le remplir au nom de son cessionnaire, sans
apposer sa propre signature.
On dira sans doute que dans cette hypothèse il y a
plutôt inapplicabilité de l’article 440 que dérogation à
sa disposition. Mais, dans la réalité des choses, le défaut
de signature ne peut faire que le billet n’ait pas été
transmis par le porteur de l’endossement. Le fait de
cette transmission suffit pour le soumettre de plein droit
à la garantie de l’existence de la dette au moment de la
cession, et si à cette époque le tireur avait failli, il n’en
verrait pas moins annuler la négociation en ce qui le
concerné, il n’en serait pas moins obligé de restituer ce
qu’il avait reçu malgré l’absence de sa signature.
Nous verrons plus bas qu’en cas de faux le cédant
qui n’a pas signé sur la lettre demeure obligé comme
tous les autres endosseurs , c’est-à-dire qu’il répond de
son cédant à lui et qu’il doit le faire connaître '.
On comprend dès lors que ce qui se réalise dans ces
deux hypothèses aurait pu se réaliser dans la troisième.
On aurait pu ne pas considérer le défaut de signature
comme dispensant de la garantie ordinaire, et si le con
traire a été admis, c’est que l’acte étant incompatible
avec l’idée de celle-ci, on en a fait résulter une déroga
tion. Remplir l’endossement en blanc du nom du ces
sionnaire, c’est au fond négocier à forfait et sans ga
rantie.
1 V Supra, n° 294, et infra, n* 535.
�528
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 4 8 . — Enfin la clause dérogatoire résulterait de
la qualité en laquelle le signataire aurait agi. Par exem
ple, s’il a vait déclaré n’être que le mandataire du pro
priétaire de la lettre.
Le principe que le mandataire ne s’oblige jamais per
sonnellement n’a rien d’antipathique au droit commer
cial, à condition que, s’agissant d’un mandat ordinaire,
son existence a été nettement indiquée dans l’acte mê
me. Si la qualité de mandataire n’est pas formellement
prise, si, mandataire commercial, le signataire signe
son nom personnel, ce n’est plus par les principes or
dinaires qu’on pourrait et devrait régir son obligation.
Il resterait garant solidaire, sauf son recours contre son
mandant. Cette règle explique la position du porteur
d’un endossement irrégulier ou en blanc. L’article 138
le déclare simple mandataire. Cependant, si en vertu de
cet endossement il a négocié la traite, il est personnel
lement tenu d’en garantir le payement.
La différence que nous signalons est consacrée par la
jurisprudence. Aussi la cour de Bruxelles, notamment,
décidait les 18 février 1818 et 11 juin 1819, que la
femme marchande publique qui accepte des traites par
procuration de mon mari ne s’oblige pas envers les
porteurs, tireur ou endosseurs.
Ce que la cour de Bruxelles juge pour la femme, la
doctrine l’admet sans difficulté pour le commis ou fac
teur. Ni l’un ni l’autre ne contractent aucune obligation
en signant une lettre de change par procuration du
�ART.
140.
maître. En ce cas, c’est ce dernier seul qui est obligé
par la signature du mandataire ï.
Il importe donc que celui qui n’entend pas se rendre
garant personnel ne laisse aucun doute sur la qualité en
laquelle il agit. Sans doute les mots par procuration ne
sont pas sacramentels, mais la prudence semble exclusi
vement les recommander, tous autres équipollents pou
vant laisser trop de place au doute, et même autoriser un
résultat contraire.
Ainsi le signataire déclarant agir pour le compte
d’une personne déterminée, n’en aurait pas moins en
gagé sa responsabilité personnelle. On le considérerait
comme commissionnaire plutôt que comme mandataire.
Il serait donc en tout assimilé au tireur d’ordre et pour
compte d’un tiers.
Il n’y a qu’une hypothèse où l’expression pour compte
ne pourrait être considérée comme un simple mandat,
obligatoire pour le mandant seul, à savoir : lorsqu’il
s’agit d’une femme gérant habituellement et même ex
clusivement le commerce de son mari (qui ne sait ni
lire, ni signer). Sa signature pour compte de celui-ci
l’obligerait au payement des billets souscrits ou endos
sés par elle, sans l’obliger elle-même2.
3 4 9 . — M. Pardessus observe avec juste raison que
Contrat de change, n<>«143, 244 et 275.
Contrat de change, n° 28. Mer
lin, v° Lettres et Miels de change, § 3, n° 3. Pardessus, Contrat de
change, n° 49.
1 Pardessus,
2 Angers, 27 février 1849. P othier,
I —r 34
�830
DE LA LETTRE DE CHANGE
les divers signataires de la lettre de change, quoiqu’ils
soient qualifiés de débiteurs solidaires, sont en réalité
non pas des obligés principaux, mais plutôt cautions
les uns des autres. Seulement le cautionnement est so
lidaire, et ce caractère doit d’autant moins être perdu
de vue, que seul il peut faire sainement résoudre cer
taines difficultés, notamment celle que peut soulever
l’application de l’article 21037 du Code civil.
Aux termes de cette disposition, la caution est dé
chargée lorsque la subrogation aux droits, privilèges et
hypothèque du créancier ne peut plus, par le fait de
celui-ci, s’opérer en faveur de la caution. Tel serait évi
demment le cas où le porteur aurait consenti une re
mise totale ou partielle en faveur du tireur ou de l’ac
cepteur, ou renoncé à exercer la contrainte par corps.
L’endosseur contre lequel le porteur s’est formellement
réservé tous ses droits pourrait-il se prétendre libéré au
bénéfice de l’article 2037 du Code civil ?
La cour de Poitiers, saisie de la question, se prononça
contre l’endosseur, par arrêt du 24 août 1813. Le pour
voi dont cet arrêt avait été l’objet fut repoussé par la
Cour de cassation, le 11 février 1817.
Relativement à l’article 2037, la Cour régulatrice
considère qu’il n’est applicable que dans l’hypothèse
d’un simple cautionnement, et qu’on ne saurait jamais
qualifier ainsi celui qui résulte de l’endossement d’une
lettre de change , elle ajoute d’ailleurs que l’endosseur
qui a remboursé ayant une action personnelle contre le
tireur ou l’accepteur, action à laquelle est attachée la
�ART.
UO.
S31
contrainte par corps, le traité intervenu entre eux et le
porteur n’avait porté aucune atteinte ni à l’un ni à l’au
tre ; que dès lors l’article 2037 ne pouvait pas même
être invoqué.
Dans l’espèce, ce dernier motif était peu concluant,
car le traité, n’étant autre qu’un concordat après fail
lite, était exécutoire pour les créanciers, quels qu’ils fus
sent. Il est vrai que le défaut d’homologation du con
cordat au moment de la poursuite amenait la Cour à
s’en occuper.
Mais ce qui était décisif, c’était la solidarité de la
créance et de la dette. Cette circonstance plaçait les dé
biteurs et le créancier sous le coup des articles 1210 et
1211 du Code civil. Leur application avait amené la
cour de Poitiers à conclure : que le créancier qui reçoit
la part de l’un de ses débiteurs solidaires n ’en conserve
pas moins ses droits contre les autres ; qu’il ne s’opère
alors qu’une division de la dette relativement à celui
dont la part a été reçue ; qu’on ne doit pas considérer
autrement une restriction ou remise des poursuites ac
cordée à l’un des débiteurs solidaires pour une portion
de la dette, lorsque loin que cette remise ait eu pour
objet l’extinction de la dette en elle-même, le créancier
s’est au contraire formellement réservé de poursuivre
pour le restant les autres codébiteurs solidaires, dont la
position se trouve alors améliorée, puisqu’ils ne sont
plus exposés à être poursuivis que pour une partie de
la dette, quand par la nature de l’obligation ils auraient
été passibles de poursuites pour le tout.
�532
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ces considérations justifient parfaitement la conclu
sion que l’arrêt en déduit, au double point de vue du
droit civil et des principes commerciaux.
Notre question doit donc se résoudre par la négative.
L’endosseur ne saurait se prétendre libéré par la re
mise d’une partie de la dette, ou de la contrainte par
corps, faite par le porteur au tireur ou à l’accepteur,
soit que cette remise ait été consentie après faillite et
par un concordat, soit qu’elle ait été purement volon
taire.
Dans la première hypothèse, la remise n’est jamais
censée volontaire, c’est ce qui s’induit de l’article 542
du Code de commerce. C’est ce que la loi déclare ex
pressément dans l’article 545 ï.
Dans la seconde, les conséquences de la remise sont
souverainement réglées par l’article 1285 du Code ci
vil. C’est donc par son application qu’on déterminerait
les droits et les obligations du créancier et des débiteurs
solidaires.
1 V. n o tre
Commentaire du litre des faillites, a r t. 5 4 2-545.
�ART.
141, 142.
VIII.
---- DE L AVAL
ARTICLE
141.
Le payement d’une lettre de change, indépendam
ment de l’acceptation et de l’endossement, peut être ga
ranti par un aval.
ARTICLE
142.
Cette garantie est fournie, par un tiers, sur la lettre
même, ou par acte séparé.
Le donneur d’aval est tenu solidairement, et par les
mêmes voies que les tireur et endosseurs, sauf les con
ventions différentes des parties.
SO M M A IRE
350.
351.
352.
Définition et objet de l ’aval.
Quelles personnes peuvent le donner ?
Peut-on considérer comme tiers, par rapport à l ’aval, le
tiré, celui qui est indiqué nu besoin, le porteur.
353. L’article 142 exclut les incapables. Diverses catégories ;
mineurs, interdits, femmes mariées, femmes et filles.
353 l)is. Effets de la nullité de l’engagement de la femme à l ’é
gard du tiers porteur.
�534
354.
355.
356.
357.
358.
359.
360.
361.
362.
363.
364.
365.
366.
367.
368.
369.
370.
371.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quid des agents de change et courtiers ?
Modifications et restrictions diverses dont l’aval est sus
ceptible.
L’ordonnance ne permettait pas, comme le Code, la faculté
de donner un aval par acte séparé. Débats que l ’intro
duction de cette faculté a fait naîtreL’aval ne peut être prouvé que par écrit. Conséquences.
Mais la loi ne lui a imposé aucune expression sacramentelle. Pouvoir et devoir des tribunaux b cet égard.
Dans le doute on doit se décider contre le donneur d'aval.
L’aval résultant de la simple signature, et celle-ci pouvant
se trouver au dos de l’acte, comment on doit juger s’il
s'agit d’un endossement ou d’un aval.
Dans quelles circonstances doit-on et peut-on exiger les
formalités prescrites par l’article 1326 du Code civil ?
Quid pour les femmes et les filles ?
Résumé?
La cession de l ’effet transfère le bénéfice de l’aval. Excep
tion s’il est personnel à un porteur déterminé.
Peut-on donner un aval à des traites non encore créées et
à créer par suite d’un crédit ouvert ? Arrêt pour l'affir
mative rendu par la Cour de cassation.
Réfutation.
Arrêt conforme à notre opinion de la Cour supérieure de
Bruxelles.
Doctrine et jurisprudence depuis 1816.
Effets de l ’aval. Différence entre lui et le cautionnement
ordinaire.
Modification par le Code à l ’article 32 de l’ordonnance
prescrivant la notification du protêt au donneur d’aval.
Obligations et droits du donneur d’aval, suivant qu’il a
cautionné le tireur, l’accepteur ou l’endosseur.
C’est par la teneur de l ’aval qu’on doit juger de sa nature.
Effets de celui qui est pur et simple.
�ART.
141, 142.
535
371 bis. L’annulation du payement fait par le débiteur princi
pal, fait revivre l’aval.
372. Juridiction 'compétente pour connaître de l ’exécution de
l ’aval.
373. Quid, lorsque le litige a pour objet de décider si l’aval con
cerne ou non les effets dont on poursuit le payement ?
350. — On a donné le nom d’aval à la souscrip
tion qu’on met sur une lettre de change ou sur un bil
let à ordre, et par laquelle on s’engage à en payer le
montant, dans le cas où à l’échéance le payement n’en
serait pas réalisé par ceux qui y sont tenus. Le mot
aval, disait Jousse, est un terme particulièrement en
usage dans le commerce, qui signifie faire valoirl.
Faire valoir un titre, c’est ajouter à sa valeur, en aug
mentant sa solidité, en réunissant des garanties nouvel
les à celles qu’il offre déjà. C’est bien en effet ce qui
résulte de l’aval, tel que le Code de commerce le com
prend. Celui qui le donne contracte l’obligation d’assu
rer le payement d’un titre qui ne le concernait pas jus
que-là, et auquel il était demeuré étranger.
A ce titre, il se recommandait d’autant plus au légis
lateur, qu’il concourrait d’une manière efficace au but
qu’il n’a cessé de poursuivre. Sa réalisation appelle sur
les effets commerciaux une plus grande somme de con
fiance, en augmente le crédit, en facilite la circulation,
et concourt ainsi d’une manière énergique aux dévelop
pements du commerce et de l’industrie.
i S ur l’article 33 de l ’ordonnance.
�556
DE LA LETTltE DE CHANGE
L’article 141 l’a donc transporté dans la législation
qui nous régit. Par qui et comment peut-il être donné,
quels en sont les effets ? C’est ce que nous avons à exa
miner.
351. — L’aval ayant pour objet d’ajouter une ga
rantie nouvelle à celles que le titre réunit déjà, il s’en
suivait forcément qu’il ne pouvait émaner d’aucun de
ceux qui, ayant concouru à la formation ou aux déve
loppements du titre, en garantissaient déjà le payement.
Aussi, voyons-nous l’article 142 exiger que l’aval émane
d’un tiers.
Nous retrouvons ici cette expression que nous ren
contrions tout à l’heure en nous occupant de l’accepta
tion par intervention. Le but et l’expression étant iden
tiques, la conclusion est nécessairement la même. En
conséquence, les explications que nous avons données
sur l’article 126 reçoivent ici leur pleine et entière ap
plication.
Donc la loi, par la qualification de tiers, désigne tous
ceux qui n’ont encore contracté aucune obligation à l’en
droit du titre qu’ils prétendent garantir. Elle exclut donc
de la faculté de signer un aval le tireur, l’accepteur et
les endosseurs.
353. — Mais le tiré, mais celui indiqué comme be
soin, quoique nommément indiqués dans l’effet, ne con
tractent aucune obligation, tant qu’ils n’ont pas répondu
à la mission qu’on leur donnait. Us peuvent donc, s’ils
�ART.
141,
142.
557
la refusent, donner un aval de garantie à la lettre ou
au billet qu’ils ne veulent pas accepter. Ils pourraient
accepter par intervention, on ne saurait les empêcher
de réaliser cette même intervention en donnant leur
aval.
Nous disions sur l’article 126 que le porteur luimême pouvait intervenir pour accepter. Serait-il admis
à donner un aval? Nous ne le pensons pas. L’accepta
tion n’est pas faite seulement en prévision du payement,
elle a toujours un but actuel et utile, et l’on comprend
que le porteur puisse intervenir pour sauver à son cor
respondant les inconvénients et les dangers d’un protêt
qu’il serait forcé de requérir.
L’aval ne peut rien prévenir, rien empêcher, pas
même le protêt faute d’acceptation. Il n’est donné qu’en
prévision du payement à effectuer à l’échéance. Or, de
deux choses l’une, ou le porteur entend garder l’effet,
ou il se propose de le négocier. Dans le premier cas,
l’aval est inutile. On ne se cautionne pas à soi-même
un payement qu’on est libre de proroger ou même de
ne pas exiger.
Si le porteur se propose de négocier l’effet, l’aval est
bien plus inutile encore. En effet, la cession qu’il con
sent lui confère la qualité d’endosseur et le rend garant
solidaire du payement. Qu’ajouterait l’aval à cette obli
gation ?
353. — Inutile de faire remarquer que l’article 142
�338
DE LA LETTRE DE CHANGE
présuppose chez le tiers donneur d’aval une capacité
entière et absolue.
Ainsi, le mineur, l’interdit, la femme mariée non au
torisée ne pourraient valablement souscrire un aval. Il
faudrait même pour habiliter la dernière, que son mari
concourût à l’acte, ou l’y autorisât spécialement. Ainsi,
l’autorisation donnée par le mari à la femme, de s’o
bliger jusqu’à concurrence d’une certaine somme ,
moyennant des conditions déterminées, ne serait pas
suffisante pour lui permettre de donner un aval de ga
rantie à un billet à ordre de cette somme. On ne peut
soutenir que cet aval, alors surtout qu’il aggrave la po
sition de cette femme, n’est que l’exécution de l’obliga
tion autorisée l.
Les femmes et les filles n’ayant qu’une capacité res
treinte pour ce qui concerne les effets commerciaux, ne
sauraient donner un aval que dans les limites de cette
capacité. Par rapport à elle, donc, l’aval ne vaudrait
jamais que comme simple promesse3.
* b is. — Un arrêt de la Cour de cassation, du 20
décembre 1821, décide que celui à qui un billet à or
dre a été passé depuis et après la faillite du souscripteur,
peut, nonobstant le défaut de protêt à l’échéance, s’en
faire rembourser le montant par son cédant.
3 5
1 Cass., 26 ju in 1839.
J. du P , 2, 1839, 12. V. nos observations
su r les articles 4 et 5 du Code de com m erce.
2 Grenoble, 14 septem bre 1833. V.
inf., n° 361.
�ART.
141,
142.
559
Or la nullité de l’aval donné sans autorisation par
une femme mariée fait disparaître une des signatures
dont le titre est revêtu, et enlève à ce titre la garantie
qui seule, peut-être, en eût assuré le payement. Ce ti
tre n’existe donc plus avec les droits et l’étendue que lui
donnait l’ensemble des signatures. Quelle sera donc la
position du porteur qui n’a pas requis le protêt en
temps utile vis-à-vis de celui qui lui a transmis ce
titre ?
On s’est prévalu de l’arrêt du 20 décembre 1821
pour soutenir qu’il pouvait encore recourir contre ce
lui-ci. Puisque, a-t-on dit, ce recours existe lorsque la
créance n’existe plus avec l’étendue et les droits que le
titre laissait supposer , pourquoi ne l’admettrait on pas
lorsque l’endosseur transmet un titre, non pas seule
ment diminué de valeur, mais absolument nul à raison
de l’incapacité de celui qui l’a souscrit ?
Le tribunal de commerce de Castres, saisi de la ques
tion, ne l’avait ni appréciée ni résolue. En droit, il avait
débouté le porteur de sa prétention parce que, en fait,
le cédant avait été de bonne foi, et que le cessionnaire
n’avait pu être trompé sur le caractère de l’aval, puis
qu’il avait pu reconnaître à la simple inspection du ti-
Mft
Cette décision se fonde sur ce que celui qui négocie
un effet de commerce est garant de l’existence de la
dette et répond non seulement de la sincérité des signa
tures qui y sont apposées, mais encore de la validité
des engagements exprimés par ces signatures.
�540
DE JA LETTRE DE CHANGE
tre que la femme qui l’avait souscrit n’y avait pas été
autorisée par son mari.
La Cour de cassation, saisie par un pourvoi, n’avait
pas non plus examiné la question de droit. S’arrêtant
aux constatations de fait que renfermait le jugement, elle
rejetait le pourvoi le 10 août 1874 l.
On peut dès lors supposer que la Cour régulatrice
confirmait implicitement sa doctrine de 18Ü1, et qu’elle
eût admis le recours si le cessionnaire avait pu être
trompé ou se tromper sur le caractère de l’engagement
de la femme. Mais cette hypothèse est en réalité à peu
près impossible à se réaliser, en l’état de la jurispru
dence exigeant pour la femme une autorisation spéciale
se manifestant sur le titre lui-même.
On a bien parlé d’une autorisation tacite et implicite,
mais on l’a si difficilement admise, que c’est exacte
ment comme si elle n’existait pas. Ainsi la Cour de cas
sation, par arrêt du 17 janvier 1870, déclarait qu’elle
ne saurait résulter de ce fait, que le mari avait rempli
les billets signés en blanc par sa femme2. Quel est donc
le fait dont on pourra jamais l’induire ?
Il faut d’ailleurs de toute nécessité que l’autorisation
ait précédé ou accompagné l’obligation de la femme.
Celle qui ne serait donnée qu’après, s’appliquant à un
engagement atteint d’une nullité radicale, ne pourrait
lui attribuer un effet qu’il était dans l’impossibilité de
produire.
1 J. du P., 1875, 17.
2 J. du P „ 1870, 535.
�ART.
141, 142.
541
Tout au moins celui à qui on propose la négociation
d’un effet souscrit ou garanti par une femme mariée ne
doit l’accepter que si, sur le titre lui-même, le mari l’a
formellement autorisée à faire l’un ou l’autre. Si le titre
est muet à ce sujet, on lui opposera toujours qu’il n’a
pu se tromper, et il n’aura de recours contre son cé
dant que s’il a rempli les formalités exigées par les arti
cles 161 et suivants du Code de commerce.
354. — Enfin, la loi prohibant aux agents de
change et courtiers de commerce toute opération com
merciale, et notamment la souscription de lettres de
change, leur interdit par cela même la faculté de les
garantir par un aval. Nous avons déjà expliqué la na
ture de celui qu’ils sont appelés à délivrer, aux termes
de l’article 10 de l’arrêté du 27 prairial an x l.
Mais, remarquons que pour les agents de change et
courtiers, il s’agit bien plutôt d’une incompatibilité que
d’une incapacité. Dès lors, ce qu’il adviendrait de la
violation de la prohibition, ce serait une poursuite dis
ciplinaire et l’application de la peine édictée par la loi.
Mais l’aval, n’en resterait pas moins obligatoire En ef
fet, si l’opération illicite est dans le cas d’être annulée,
c’est lorsqu’elle doit profiter au contrevenant ; jamais
lorsqu’elle est au bénéfice d’un tiers.
355. — L’aval étant un acte essentiellement spon1 S u p r a , n°s 22 et 23.
�542
DE LA LETTRE DE CHANGE
tané et libre, il n’a et ne peut avoir d’autre caractère
que celui qu’il plaît à son auteur de lui imprimer. Il
est susceptible de toutes les restrictions et modifications
jugées nécessaires ou utiles ;
Ainsi, il peut être donné en faveur du tireur, ou de
l’accepteur, ou d’un ou de plusieurs endosseurs.
Il peut n’être donné que pour une partie quelconque
du montant de l’effet. Sur la proposition de ne pas le
permettre, dont le conseil d’Etat fut saisi, on répondait
qu’il était de l’intérêt du commerce de laisser sur ce
point une juste latitude à la volonté, car tel qui cau
tionne la moitié d’un engagement ne voudrait pas tou
jours le cautionner en entier, et dans ce cas il ne four
nirait aucun aval ;
Il peut n’être consenti qu’en faveur d’un porteur dé
terminé ;
On peut stipuler que son efficacité restera subordon
née à la réalisation d ’un événement, ou à l’accomplis
sement d’un fait indiqué ;
Que ses effets porteront uniquement sur les meubles
ou sur les immeubles ;
Qu’il n ’entraînera ni solidarité, ni contrainte par
corps *.
En un mot, quelle que soit la restriction apportée à
l’engagement, il suffit qu’elle soit exprimée, pour qu’elle
devienne inséparable de celui-ci, et qu’on ne puisse
�ART.
141, 142.
545
poursuivre l’exécution de l’un sans se soumettre à celle
de l’autre.
356.
— Cette faculté n ’a pas été sans influence sur
la forme que l’article 142 trace à l’aval, et sur le droit
qu’il confère de le rédiger par un écrit séparé. Ce droit
n’était pas reconnu par l’ordonnance de 1673. L’arti
cle 33 n’admettait comme aval que l’obligation sous
crite sur la lettre de change ou le billet à ordre.
Mais la pratique commerciale ne se conforma pas
longtemps aux prescriptions de la loi. L’aval par écrit
séparé ne tarda pas à devenir la règle, et celui écrit sur
l’effet l’exception. Nous en avons le témoignage de Po
thier, déclarant qu’un négociant très expérimenté lui a
dit que les avals en la forme voulue par l’ordonnance
n’étaient plus guère en usage, et qu’ils se faisaient par
un billet séparé l.
Préoccupée de cette pratique, la commission chargée
du projet du Code n’avait pas vu avec faveur l’aval donné
sur la lettre même. La crainte des surprises pouvant en
résulter pour ceux qui, étrangers à la langue du com
merce, en ignoraient la signification et les effets, l’avait
déterminée à ne sanctionner l’aval que séparément du
titre.
Des réclamations vives et nombreuses s’élevèrent con
tre ce projet. La plupart des cours et tribunaux deman
daient la consécration pure et simple de la règle tracée
i Contrat de change, n® 50.
�544
DE LA LETTRE DE CHANGE
par l’ordonnance. Les cours, conseils et tribunaux de
commerce de Rouen, Bruxelles, Angers etGand propo
saient de réunir au système de l’ordonnance celui de la
commission et de permettre que l’aval fût donné ou sur
le titre ou par un écrit séparé. Cette opinion prévalut au
conseil d’Etat et détermina l’adoption de l’article 142,
tel qu’il est aujourd’hui dans le Code.
L’aval peut donc être donné sur l’effet ou par écrit
séparé. L’article 142 consacrant le principe s’est tu sur
la forme de l’un et de l’autre. Ainsi l’aval par écrit sé
paré peut être sous seing privé ou par acte authenti
que. Il peut résulter de la correspondance. Celui qui est
donné sur l’effet n’a point de place déterminée; il peut
être mis au bas ou au dos de la lettre ; il peut être même
rédigé sous la forme d’un endossementl.
3 5 S . — Mais ce qui s’induit forcément de notre ar
ticle, c’est que l’aval est un de ces actes pour la consta
tation desquels la loi exige impérieusement la preuve
écrite. Il serait impossible de tirer toute autre conclu
sion des diverses exigences que sa disposition renferme.
L’écrit est donc de rigueur en matière d’avals. En
conséquence, l’offre de prouver autrement son existence,
notamment par témoins, serait irrecevable et non admis
sible , quelque significatifs que fussent d’ailleurs les
faits articulés et malgré la nature commerciale de l’opé
ration.
1 Cass,, 30 mars 1819.
�ART.
141, 142.
545
358. — Il en est de la teneur de l’écrit comme de
sa forme. La loi ne considère aucune expression comme
sacramentelle. Elle s’en remet pour la détermination du
sens et de la portée de l’acte à l’appréciation souveraine
des tribunaux, dont la solution lierait la Cour suprême,
à moins qu’elle dénaturât la convention sous prétexte
de l'interpréter l.
Ce dont les tribunaux doivent se préoccuper dans l’ac
complissement de leur mission, c’est principalement de
la véritable intention des parties. Or, cette intention
peut résulter autant du fait en lui-même, que des ter
mes de la convention. Quelle peut être, en effet, l’inten
tion de celui qui, étranger à la lettre de change, vient y
inscrire, ne fût-ce que sa signature ! Quelle peut être
l’intention de cet autre qui, rappelant dans un acte sé
paré la substance de divers effets commerciaux, déclare
en garantir le payement?On a pu sous l’ordonnance de
1673 voir là un endossement, on ne pourrait y voir
aujourd’hui qu’un aval, dans la seconde hypothèse sur
tout.
Aussi a-t-o n considéré comme tel le billet ainsi con
çu : Je déclare me rendre garant, principal payeur,
comme caution ou endosseur des effet souscrits par......
le...... à l’ordre de......2
359. — Ainsi d’une part l’aval peut renfermer tou-
1 Cass., 26 ju ille t <823.
2 G renoble, 24 jan v ie r <829.
i — 35
�546
DE LA LETTRE DE CHANGE
tes sortes de conditions et de restrictions, de l’autre sa
rédaction n’est soumise à aucune forme déterminée.
C’est donc à celui qui le donne à veiller à ce qu’il relate
exactement et expressément sa véritable pensée, sa vo
lonté certaine. Le doute et l’ambiguité que laisserait la
rédaction s’interpréterait contre lui, et cela non seule
ment en vertu du principe général du droit commun,
mais encore par la faveur que la loi attache à tout ce
qui peut intéresser le commerce.
Le contraire est enseigné par M. Nouguier, sur le
motif que l’aval étant un contrat gratuit pour le sous
cripteur, on doit le traiter favorablement, et dans le
doute se prononcer pour l u i l. Il est vrai que du don
neur d’aval à celui qu’il cautionne, le contrat a le ca
ractère indiqué.
Mais il n’en est pas de même du donneur d’aval au
créancier. Il n’y a plus ni contrat ni acte de bienfai
sance. Il n’existe qu’une obligation ordinaire devant
produire ses effets légaux, c’est-à-dire la solidarité et
la contrainte.
Ce qui corrige cette sévérité, c’est que nul n’est con
traint à donner un aval ; c’est que celui qui le donne
peut lui faire subir toutes les restrictions qu’il lui plaît
de stipuler. S’il ne remplit ce devoir qu’imparfaitement,
s’il laisse planer sur ses intentions de l’ambiguïté et des
doutes, il commet une faute dont la responsabilité ne
peut appartenir qu’à lui.
�ART.
141, 142.
547
— Il en esl de l’aval comme de la lettre de
change, comme de Pacceptalion, comme de l’endosse
ment. Le corps de l’acte n’a pas besoin d’être de la main
du souscripteur, la signature suffit. Aussi la signature
d’un tiers étranger à la lettre de change, apposée au bas
de la lettre, constitue un aval L
Mais nous venons de dire que la signature peut être
apposée au dos de la lettre de change ; que l’aval peut
même être rédigé sous la forme d’un endossement. Dans
l’un et l’autre cas, il peut surgir sur la nature de l’en
gagement un doute d’autant plus grave que l’intérêt y
sera plus profondément engagé. Par exemple , à défaut
de protêt ou de poursuites dans le délai légal, le sous
cripteur sera libéré si endossement ; solidairement tenu,
si aval. Comment donc résoudre cette difficulté ?
Par l’application des règles que comporte chacune de
ces obligations. Pour devenir endosseur, il faut de toute
nécessité avoir été porteur de la traite. En conséquence,
si la signature du tiers existant derrière la lettre n ’était
précédée d’aucun ordre en sa faveur ; si tous les ordres
étaient d’ailleurs régulièrement rem plis, l’existence de
la signature constituerait un aval.
Au contraire, si cette signature est précédée de plu
sieurs autres ou d’une seule, mais en blanc, il devient
impossible de savoir si un de ces endossements en blanc
ne devait pas être rempli à son ordre. Alors aussi on
360.
i Colm ar, 22 novem bre 1811. G renoble, 3 février 4 846. B ruxelles,
43 novem bre 4830.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE
présume que la signature donnée en blanc est un nou
vel endossement irrégulier. Celui qui a reçu la signa
ture, si elle devait constituer un aval, a eu le double
tort, d’abord de la laisser donner au dos de la lettre ;
de l’accepter en blanc ensuite.
Cependant comme il s’agit non plus de prouver l’o
bligation, mais de déterminer la nature et le caractère
de celle résultant de la signature, la présomption n'est
admise que jusqu’à preuve contraire , cette preuve peut
être faite tant par titres que par témoins.
3 © 1 . — La disposition de l’article 1326 du Code
civil, qui ne s’applique ni à la lettre de change, ni à
l’acceptation, ni à l’endossement, ne régit pas non plus
l’aval en général. Toutefois, et en ce qui le concerne,
une distinction est à faire.
Ainsi les motifs d’inapplicabilité de l’article 1326, aux
trois premiers, sont tirés surtout des exigences du com
merce excluant les formalités minutieuses du droit ci
vil ; or, souscrire, accepter ou endosser une lettre de
change, c’est faire un acte essentiellement commercial.
Transmettre un simple billet à ordre par endossement,
c’est employer une forme essentiellement commerciale,
Mais l’aval n ’est un acte de commerce ni en lui-mê
me, ni dans la forme, il ne devient tel que lorsqu’il
vient s’adjoindre à un acte commercial soit par sa nature
ou par le genre de l’opération, soit par la qualité des
souscripteurs. Aussi ne pourrait-on réputer aval la ga
rantie donnée par acte particulier, par un individu non
�ART.
U\,
142.
549
marchand, à un billet à ordre causé valeur reçue comp
tant, et dont le souscripteur n’est pas commerçantl.
Dès lors et dans les mêmes circonstances, l’exception
à l’article 1326 n’aurait plus de raisons d’être, puisqu’il
ne s’agirait que d’un cautionnement civil. L’aval non
écrit par le donneur n’aurait donc comme tel aucune
valeur légale dans le cas où la signature ne se trouverait
pas précédée du bon ou approuvé prescrit par cet ar
ticle.
De ce principe, il résulte que les femmes et filles ne
pouvant s’engager dans la forme commerciale, et ne
souscrivant qu’une simple promesse, même lorsqu’elles
accèdent à une lettre de change, ne sauraient donner
un aval autrement que dans les formes du droit com
mun. Leur signature, mise au bas d’un aval non écrit
de leur main, ne créerait aucun lien contre elles si el
les ne s’étaient pas conformées à l’article 1326 du Code
civil 2.
— En résumé, l’aval est susceptible de toute
espèce de conditions et de restrictions. Quelques graves
que fussent les modifications qu’elles imposeraient à
l’engagement, elles resteraient obligatoires envers et con
tre tous ;
Il n’est soumis à aucune forme particulière, ni quant
aux expressions dans lesqu’elles il peut être conçu, ni
363.
1 P aris, 23 m ai <807.
2 Cass., 28 avril 1819, 26 m ai 1823
w\
KM
.
�;
550
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
quant à la place qu’il doit occuper, s’il est donné sur la
lettre même. Il peut donc résulter de ces mots : Pour
caution, ou tout autre analogue, d’une signature mê
me, soit au bas, soit au dos de la lettre de change. Il
peut même être consenti sous la forme d’un endosse
ment.
L’aval par écrit séparé peut être fait par acte sous
seing privé ou par acte authentique. L’interprétation de
ses termes, la détermination de l’intention des parties
appartient souverainement aux tribunaux.
Enfin, l’article 1326 n’est applicable dans aucun cas,
pourvu toutefois que le titre garanti soit commercial par
sa nature, par l’opération qu’il se propose ou par la
qualité des signataires. L’aval souscrit par une femme
ou une fille ne les oblige que si les prescriptions de cet
article ont été observées.
3 6 3 . — De quelque manière que l’aval ait été
donné, qu’il ait été souscrit sur le titre même ou par
acte séparé, il ne s’en identifie pas moins avec ce titre
dont il devient l’accessoire inséparable et indivisible.
Son bénéfice appartient donc de plein droit au porteur
de l’effet, tant qu’il reste possesseur de celui-ci.
La cession de l’effet garanti emporte avec elle celle de
l’aval, à moins que le contraire ne fût stipulé dans l’aval
lui-même. Par exemple, s’il n’était donné qu’en faveur
du porteur actuel nommément et exclusivement.
Dans ce cas, le porteur ultérieur ne pourrait se pré
tendre personnellement appelé à profiter de l’aval, mais,
�AKT.
141, 142.
5bl
en fait, il en profiterait soit en se faisant rembourser
par le bénéficiaire et en le forçant ainsi à recourir con
tre le donneur, soit en vertu de l’article 1166 du Code
civil, et comme exerçant les droits du premier, son dé
biteur.
364. — Une difficulté sérieuse qui surgit de notre
matière, est celle de savoir si l’aval par acte séparé ne
doit pas indiquer les traites auxquelles il s’applique, et
si on peut valablement le donner pour des traites à créer
en exécution du crédit ouvert.
La Cour de cassation enseigne, dans un arrêt du 24
juin 1816, que la détermination des traites n’est pas in
dispensable. En conséquence, elle admet qu’on peut
donner un aval à l’exécution future d’un crédit ouvert.
Celte doctrine est adoptée par MM. Pardessus et Emile
Vincent, se bornant toutefois à indiquer l’arrêt de la
Cour de cassation.
365. — Quelques considérables que soient de telles
autorités, on ne saurait, à notre avis, adopter leur doc
trine et consacrer leur solution. L’une et l’autre parais
sent méconnaître la véritable nature de l’aval, et s’écar
ter du texte et de l’esprit de la loi.
L’aval est une garantie sut generis qui s’attache au
titre plutôt qu’à la personne dont il est fait en qr.elque
sorte abstraction ; qui reçoit son caractère même de la
nature de ce titre, puisque, suivant la forme adoptée et
suivant qu’il s’agira d’un effet commercial ou non,
�552
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sa souscription sera un aval ou une simple garantie ci
vile.
Ce premier aperçu suppose donc l’existence préalable
du titre dont l’aval viendra garantir le payement. Cette
supposition, le texte de l’article 142 la corrobore. Au
cune équivoque, certes, ne serait possible si les auteurs
du Code, se conformant à l’ordonnance, avaient admis
que l’aval devait être donné sur la lettre de change ou
sur le billet à ordre. La nécessité de leur existence préa
lable n’aurait pu être révoquée en doute.
En sera-t-il autrement de ce que la faculté de donner
un aval séparé a été inscrite dans le Code ? Mais cette
prescription change-t-elle la nature et le caractère de
l’aval ? Son objet n’est-il pas uniquement le même que
celui de l’aval apposé sur l’effet, c’est-à-dire la garantie
du payement de l’effet lui-même ? Dès lors la préexis
tence de celui-ci, indispensable dans un cas, ne l’est
pas moins dans l’autre.
L’inconvénient de la doctrine que nous combattons,
c’est d’aboutir à des résultats de nature à autoriser la
fraude, à des impossibilités même d’arriver à une solu
tion équitable. Ainsi, on est d’accord sur ce point que
le cautionnement doit être déterminé quant à la somme.
Supposez donc qu’un négociant ait garanti jusqu’à con
currence de 10,000 fr., les traites à fournir à un autre
négociant, mais celui-ci crée le même jour et à la même
échéance pour 20,000 fr. de traites, quelles sont celles
qui profiteront de l’aval des 10,000 fr.?
�360. — C’est l’impossibilité de faire un choix avec
quelque certitude que la Cour supérieure de Bruxelles
signalait avec juste raison, lorsque, appelée à se pronon
cer sur cette question, elle se prononçait dans le sens
contraire à celui de la Cour de cassation. En effet, elle
décidait, le 27 juillet 1816, qu’on ne saurait considérer
comme un aval qui puisse profiter aux tiers porteurs,
le cautionnement donné par un individu pour le paye
ment non de traites déterminées, mais de traites valeur
en une certaine somme déjà tirées, et en d’autres trai
tes non tirées, et cela parce qu’on ne saurait détermi
ner quelles traites en particulier concerne le caution
nement.
« Attendu, dit l’arrêt, que le cautionnement ne porte
pas sur des traites déterminées, mais sur des traites va
leurs de 3,000 livres sterling déjà tirées à cette époque,
et sur 3,000 livres sterling à tirer ; de tout quoi il ré
sulte qu’on ne peut déterminer sur quelles traites taxativement tomberait ce cautionnement ; et que les por
teurs ne pourraient pas justifier que ce sont leurs traites,
plutôt que d’autres, qui ont été cautionnées, d’où il suit
que le susdit acte de cautionnement ne porte pas sur
les traites, mais qu'il est donné au profit de GeversLeuven, de Londres, et que par conséquent il n’est pas
un aval, et ne peut profiter au tiers porteur. »
Tel est, en effet, le mot essentiel de la difficulté. L’a
val, destiné à faire valoir le titre, à en rendre la négo
ciation plus facile, est exigé et donné autant dans l’in
térêt du premier porteur que dans celui de tous les
�S54
DE LA LETTRE DE CHANGE
porteurs successifs. Il fait donc en quelque sorte abs
traction de la personne pour ne s'attacher qu’au titre
lui-même.
Celui au contraire qui promettant un crédit, exige un
cautionnement, ne considère que son propre intérêt et
se préoccupe fort peu de celui des porteurs auxquels il
pourra plus tard négocier les traites tirées en exécution
de ce crédit. C’est à lui et non à ces derniers que le
cautionnement est donné, il ne peut donc être un aval.
Maintenant, veut-on connaître les conséquences des
deux systèmes ? Rappelons l’hypothèse que nous posions
de celui qui, cautionné pour 10,000 fr., tire le même
jour et pour la même échéance pour 20,000 fr. Dans
le système que nous combattons, 10,000 fr. seulement
seront garantis. Lesquels ? C’est là précisément l’insur
montable difficulté. Dans celui que nous adoptons, le
cautionnement ayant été donné au débiteur commun,
les porteurs des 20,000 fr. viendront en concours et
s’en distribueront le bénéfice. Il ne paraît donc pas
qu’on puisse hésiter,
3 © 1? . — Notre opinion, enseignée et adoptée par
M. Nouguier, paraît devoir être consacrée par la juris
prudence. La cour de Paris ne considère pas la garan
tie donnée à un crédit comme un aval, parce que cette
garantie ne réunit pas les conditions exigées à cet effet
par l’article 142, puisqu’elle ne s’applique pas à des let
tres de change déjà existantes L
l 12 avril 1834. Nouguier, 1 .1. p. 318.
�ART.
141, 142.
538
Enfin, la Cour de cassation s’est elle-même singuliè
rement éloignée de son arrêt de 4816, en consacrant,
le 7 juin 1837, qu’on ne pouvait contraindre par corps
celui qui s’était soumis à garantir des effets destinés à
solder la dette d’un tiers.
« Considérant, porte l’arrêt, que le sieur Capelle
père, en consentant à répondre avec son fils , dont il
s’est rendu caution, du payement des sommes qui pou
vaient rester dues à la dame Pezet pour complément du
prix intégral à elle dû à raison de la vente du fonds de
commerce, et même en s’engageant à donner sa signa
ture sur les billets d’annuités qui doivent former ce com
plément, n’a point fait la soumission expresse que la loi
requiert pour qu’il y ait lieu contre lui à l’exercice ri
goureux de la contrainte par corps ; que dès lors, en
étendant à lui cette condamnation par corps, l’arrêt de
la cour de Toulouse a contrevenu aux articles 21060 et
2063 du Code civil l.
Mais si le cautionnement donné a des effets à créer
est un aval, certes, l’engagement du sieur Capelle père
ne pouvait être douteux, il constituait un aval. Dès lors,
puisqu’il était admis que l’obligation principale était
commerciale, l’aval devait produire et la solidarité et la
contrainte par corps. La Cour de cassation ne peut re
pousser cette dernière qu’en refusant à l’engagement le
caractère de l’aval, et dès lors nous avons raison de dire
qu’elle revient sur sa jurisprudence de 1816.
1
J. du P., 2, 1837 251.
�856
DE LA LETTRE DE CHANGE
Tenons donc pour certain qu’il n'y a d’aval régulier,
lorsqu’il est donné par acte séparé, que celui qui spéci
fie la lettre de change dont il vient garantir le paye
ment. Cette condition remplie , il n ’y a plus aucune
différence entre cet aval et celui donné sur la lettre mê
me. En les plaçant l’un et l’autre dans sa disposition,
la loi leur attribue la même valeur, et leur fait produire
les mêmes effets.
368. — Ces effets sont énergiquement exprimés
dans l’article 142. Ils empêcheront toujours de confon
dre l’aval avec le cautionnement ordinaire. Celui-ci ne
crée jamais la solidarité, à moins de convention con
traire expressément établie. Donné à un commerçant et
pour une opération commerciale, il n’entraîne la con
trainte par corps que si celui dont il émane s’y est for
mellement soumis.
L’aval motive positivement le contraire, il détermine
de plein droit la solidarité, et par conséquent l’exclusion
de tout bénéfice de discussion et de division. Il soumet
directement à la contrainte par corps, puisque l’article
142 déclare le donneur tenu par les mêmes voies que
les tireur, accepteur ou endosseurs, c’est-à-dire exposé
comme eux à la contrainte par corps.
Ainsi la différence, quant aux effets, entre l’aval et le
cautionnement ordinaire se résume en ces termes : le
premier crée la solidarité et la contrainte par corps, à
moins d’une stipulation contraire, le second n’autorise
�ART. 141,
142.
557
ni l’une ni l’autre, à moins qu’elles n’aient été formel
lement convenues.
3 6 9 . — L’article 32 de l’ordonnance de 1673 assi
milait le donneur d’aval à l’endosseur. Il exigeait, en
conséquence, que le porteur lui signifiât ses diligences
et l’assignât dans un délai déterminé.
Le Code ne s’est pas expliqué sur ce point et n’avait
pas à le faire. La liberté laissée au donneur d’aval de
se placer dans telle catégorie de débiteurs qu’il lui plaît
choisir, le soumettant de plein droit aux règles tracées
pour celle à laquelle il s’arrête. Il est, en effet, univer
sellement admis que si le donneur d’aval est soumis à
toutes les Obligations de celui qu’il cautionne, il est par
réciprocité recevable à jouir des droits dont celui-ci
pourrait user.
SSO. — Or, l’aval peut être donné ou en faveur du
tireur, ou en faveur de l’accepteur, ou enfin à une ou
plusieurs signatures des endosseurs.
Si le donneur d’aval a garanti le tireur, il sera com
me celui-ci soumis à l’obligation non seulement d’assu
rer le payement de l’effet, mais encore d’en procurer
l’acceptation. Il ne se libère de la première que par la
prescription de cinq ans.
En cas de protêt tardif, il ne serait libéré du recours
du porteur qu’en prouvant qu’il y avait provision à l’é
chéance.
Dans la même hypothèse, enfin, il contracte envers
�S58
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’accepteur les mêmes obligations, et acquiert contre lui
les mêmes droits que le tireur. Ainsi l’accepteur, s’il a
payé malgré le défaut de provision, aura son recours
contre le donneur d’aval. Il subira celui que ce dernier
pourra exercer contre lui si, ayant provision, il a refusé
de payer.
Si l’aval garantit l’accepteur, l’obligation de payer est
absolue. Le souscripteur n’aurait à invoquer d’autres
déchéances que la prescription, il pourrait recourir con
tre le tireur ou être actionné par lui, selon qu’il aurait
ou non payé avec ou sans provision.
Enfin, si l’aval a été donné à un ou plusieurs endos
seurs, le souscripteur devient lui-même un véritable en
dosseur soumis à tous les obligations, profitant de tous
les droits assurés à cette qualité. Le plus important de
tous est sans contredit celui d’être libéré pour défaut de
protêt ou pour poursuite hors des délais prévus. Le
donneur d’aval pourrait-il se prévaloir de l’un et de
l’autre.
On a soutenu la négative par le rapprochement des
dispositions de l’ordonnance de celles du Code. La pre
mière, disait-on, prescrivait de notifier au donneur d’a
val comme à l’endosseur lui-même les diligences du por
teur. Le silence que le Code a gardé à cet égard prouve
qu’il a été d’un avis contraire. Comment donc permet
tre qu’on invoque une formalité que la loi nouvelle a
abrogée ? La preuve de cette abrogation résulte surtout
de ce fait que la commission, ayant proposé une dispo-
�ART.
141, 142.
589
sition identique à celle de l’ordonnance, vit sa proposi
tion rejetée par le conseil d’Etat.
Dans un arrêt fortement motivé, la cour de Rouen
répond à cette considération : Que l’insertion au projet
de cette disposition prouve que la commission avait
pensé que les intérêts du commerce voulaient que l’an
cienne règle fût maintenue ; que si, en définitive, elle
ne l’a pas été dans les termes formulés, c’est sans doute
parce que ces termes n’exprimaient pas la véritable pen
sée de la loi moderne qui, en conservant l’obligation
depuis longtemps imposée au tiers porteur de dénoncer
le protêt au donneur d’aval, voulait cependant assimiler
cette obligation à celle qui était prescrite à l’égard des
personnes même garanties par cet aval ; et que, mû
par cette intention, le législateur ne pouvait adopter les
expressions indéfinies et indéterminées de ce projet de
loi, qui, comme celles de l’ordonnance de 1672, ne fai
saient aucune distinction quant à la nécessité de la d é
nonciation du protêt au donneur d’aval, entre les diffé
rentes personnes et les diverses obligations qu’il avait
cautionnées.
L’arrêt ajoute : Le silence du Code ne signifie que
ceci, à savoir : qu’il subordonne la position du donneur
d’aval à la qualité de la personne qu’il a cautionnée ;
et que, s’il est tenu des mêmes obligations, il doit par
une juste réciprocité jouir des mêmes droits. Qu’ainsi,
lorsque l’aval a pour objet la garantie de la signature
d’un endosseur, le tiers porteur est tenu de remplir en
vers le donneur les mêmes formalités et d’observer les
�560
DE LA LETTRE DE CHANGE
mêmes délais qu’envers les endosseurs proprement
d its l.
Le caractère juridique de cette décision est incontes
table ; elle interprète sainement la véritable pensée de
la loi. Ainsi, celui qui a cautionné par son aval un en
dosseur. devient lui-même un véritable endosseur. On
ne pourra donc l’atteindre qu’en faisant contre lui les
diligences prescrites dans le délai ordonné ; il faut que
la poursuite soit dirigée directement et personnellement
contre le donneur d’aval. Si le porteur n’avait poursuivi
que l’endosseur cautionné, sa déchéance à l’égard du
donneur d’aval serait incontestable.
3 ® !. — C’est par la teneur de l’aval lui-même
qu’on doit juger de sa nature et déterminer l’obligation
qu’il a voulu garantir. C’est donc à celui qui le donne à
s’expliquer, de telle sorte qu’on ne puisse se méprendre
sur ses intentions,
L’aval donné purement et simplement est présumé
l’être en faveur du tireur. Le souscripteur est donc
obligé envers tous les signataires de la lettre de change
ou du billet à ordre.
Telle est, en effet, la conséquence de la garantie don
née à l’obligation du tireur. Elle couvre tous les enga
gements, surtout vis-à-vis des endosseurs. Il importerait
M B mars 1824. J . d u P ., 2, 1844, 373. Conf. Limoges, 48 juin
1810. Lyon, 1er juillet 1817 Cass., 26 janvier 1848 et 30 mars 1819.
Toulouse, 12 décembre 4827.
�ART.
141, 142.
561
même peu que l’aval fût donné postérieurement à un
ou plusieurs endossements, leurs bénéficiaires seraient
placés sur la même ligne que les endosseurs subséquents.
Ils pourraient donc en poursuivre la réalisation. La cir
constance que l'aval n’aurait été donné qu’au dos de la
lettre et à la suite des endossements ne pourrait être
prise en considération l.
a 1? 1 bis. _ L’aval s’identifie avec l’obligation prin
cipale et ne fait avec elle qu’un seul tout. Il en subit
donc les péripéties et revit avec elle si le payement fait
par le débiteur vient à être annulé.
De là cette conséquence que si le créancier est obligé,
à cause de la faillite postérieure du débiteur, de rap
porter à la masse les payements qu’il en avait reçus.
Ces payements sont censés n’avoir jamais été réalisés et
le titre ancien se trouve rétabli avec toutes les garanties
qui s’y trouvaient annexées. C’est ce que le tribunal de
commerce de Dunkerque décidait le 47 novembre 4874.
« Attendu, disait le jugement, que les traites payées
par Verharne portaient l’aval de sa femme ;
« 'Attendu que le donneur d’aval est toujours assi
milé à l’obligé qu’il a cautionné ; que, dans l’espèce,
la dame Verharne est tenue, au regard du tireur, de la
même manière que Verharne accepteur de la traite ;
« Attendu que le payement du 34 octobre 4867 ne
les a pas libérés puisqu’il était indûment fait ; qu’ainsi
l Cass., 15 mars 1845. J. du P ., 2, 1845,197.
I — 36
�862
DE LA LETTRE DE CHANGE
la dame Verharne, obligée solidairement avec son mari,
lequel est actuellement incapable de payer, reste obligée
vis-à-vis de Séminel. »
Devant la cour de Douai, et à l’appui de l’appel qui
avait été relevé du jugement, on invoquait l’article
2038 du Code civil. « Aux termes de cette disposition,
disait-on, l’acceptation volontaire que le créancier a
faite d’un immeuble ou d’un effet quelconque en paye
ment de la dette principale, décharge la caution, en
core que le créancier vienne à être évincé. » Or, dans
l’espèce, il y a eu payement accepté librement et volon
tairement. Il est vrai que le créancier est obligé de le
rapporter à la masse, mais c’est là l’éviction prévue qui
n’empêche pas la caution d’être libérée.
On ajoutait : « Dans tous les cas, les payements ne
doivent être rapportés que parce qu’ils ont été reçus en
connaissance de la cessation des payements. » Il y a
donc eu faute de la part du créancier, faute dont on fe
rait peser la responsabilité sur le donneur d’aval qui
verrait ainsi sa position aggravée.
Mais par arrêt du 7 juillet 1875, la cour de Douai
confirme le jugement. Elle en adopte les motifs et
ajoute :
« Attendu que l’article 2038 du Code civil, loin d’ê
tre une pure et simple application d’un principe général,
déchargeant, en tous cas et en toute hypothèse, la cau
tion des conséquences de la condition résolutoire, n’est
qu’une exception à un principe général contraire ;
« Que cet article n ’est applicable qu’au cas spécial
�ART.
141, 142.
365
d’une dation en payement, c’est-à-dire une acceptation
en payement par le créancier d’une chose autre que
celle qui faisait l’objet du contrat primitif ;
« Que si la caution est alors libérée, c’est par suite
de la novation qui, en dehors de la caution même, s’est
opérée entre le débiteur principal et le créancier ; qu’il
résulte, a contrario, de cet article 2038, que quand le
payement ordinaire est annulé, le cautionnement suit
le sort de l’obligation principale et revit avec elle ;
« Attendu que ces derniers principes généraux doi
vent également recevoir leur application au cas où le
payement est annulé par suite de la faillite postérieure
du débiteur principal et par application de l’article 447
du Code de commerce ;
« Qu’un payement valable pouvait seul libérer la
dame Verharne des conséquences des avals par elle con
sentis ; qu’au moment où ils ont été effectués, les paye
ments de 1867 et 1868 étaient purement précaires, et
que, par suite de cette précarité même, la dame Verhar
ne ne saurait trouver dans ces payements la libération
de ses avals solidaires ;
« Attendu, d’ailleurs, que quel qu’ait été le caractère
des payements acceptés de Verharne parSeminel,ladame
Verharne ne justifie pas que, par ces payements, Seminel lui ait alors ou depuis causé le moindre préju
dice ; qu’il est au contraire établi par les éléments mê
mes de la cause que si Seminel eût alors exigé le paye
ment direct résultant de l’aval solidaire, la situation de
la dame Verharne, au point de vue de la garantie de
�564
DE LA LETTRE DE CHANGE
ses propres intérêts vis-à-vis de son mari, aurait tou
jours été, en définitive, ce qu’elle est aujourd’hui K »
3 ^ 3 . — L’aval, avons-nous dit, est un mode spé
cial de cautionnement, uniquement consacré aux opérarations commerciales, entraînant par le fait la contrainte
par corps. Celui qui le donne se soumet donc à la juri
diction commerciale.
Mais la conclusion qui s’induit de ce caractère de l’a
val, c’est qu’à défaut de commercialité de l’acte, il dégé
nère en cautionnement simple. Il n’en produit plus que
les effets, et son exécution ne peut être poursuivie que
devant la juridiction ordinaire.
Ainsi l’aval donné à une lettre de change participe
de la nature essentielle de celle-ci, devient comme elle
un acte commercial de la compétence du tribunal con
sulaire.
Mais si par une circonstance quelconque la lettre de
change se trouve réduite à l’état de simple promesse, le
tireur et l’accepteur, s’ils ne sont pas commerçants, ne
pouvant plus être contraints par corps, le donneur d’a
val qui les aurait cautionné l’un ou l’autre ne pourrait
plus être actionné que par les voies ordinaires, fût-il né
gociant 2.
Si l’aval a été donné sur un billet à ordre, c’est par
la qualité du souscripteur et par la cause du billet qu’on
i
Journal de Marseille, 1876, 2,
7.
3 Paris,. 12 décem bre 1837 et 12 ju illet 1843.
J. duP„ 1 ,1 8 3 8 . 108,
�ART. 141, 142.
568
juge de la compétence. S’il est souscrit par un simple
particulier et pour une cause non commerciale, le tri
bunal de commerce ne pourrait connaître de rengage
ment du donneur d’aval, alors même qu’au fond le bil
let portant la signature des commerçants tombât sous sa
juridiction l.
On déciderait le contraire si le billet à ordre avait une
cause commerciale, ou si, souscrit par des commerçants,
il était présumé fait pour leur commerce.
3®3. — Lorsque l’aval a été donné par acte séparé
et que le souscripteur en conteste l’application aux effets
en payement desquels il est poursuivi, quelle est la ju
ridiction compétente pour statuer sur cette difficulté ?
Un arrêt rendu par la cour de Rouen, le 24 février
4841, a décidé que le tribunal de commerce, quoique
légalement saisi au fond, ne pouvait connaître de l’inci
dent et devait, à raison de ce, renvoyer devant la juri
diction ordinaire. Cet arrêt résout la question, mais il
se tait sur les motifs qui doivent le faire décider ainsi3.
Ce silence nous étonne d’autant moins qu’il serait
peut-être difficile de donner un motif plausible. Cet ar
rêt nous paraît, en effet, échappé à la préoccupation et
à une évidente confusion.
Il est vrai que le tribunal de commerce n ’est pas juge
de tous les incidents pouvant surgir à son audience. Par
1 Paris. 9 jsnvier 1839. J . d u P . , 1, 1839, 251. V. A r r ê t p r é c é d e n t ,
du 12 juillet 1843
2 J . d u P . , 1, 1841, 110.
�566
J)E LA LETTRE DE CHANGE
exemple, une avération d’écriture, une inscription de
faux ne peuvent être suivies que devant les tribunaux
ordinaires.
Est-ce à dire par là que tous les incidents sont dans
le même cas ? Evidemment non, lorsque surtout l’inci
dent n’est que l’exception péremptoire contre la de
mande. Or, tel est le caractère de celui dont nous nous
occupons.
Je requiers condamnation pour le montant d’un effet
auquel, selon moi, vous avez donné votre aval. Vous
répondez que cet aval n’a aucun rapport avec cet effet,
et que je dois être débouté. Est-ce là, nous le deman
dons, un incident hors de la compétence commerciale?
Ne s’agit-il pas plutôt de l’action et de la défense qui lui
est opposée, et alors les juges de l’une ne sont-ils pas
les juges nécessaires et naturels de l’autre ?
Nous croyons donc qu’il n’y a pas à hésiter. C’est au
tribunal de commerce que le litige est réservé, il a donc
seul qualité et droit pour y statuer.
FIN
DU PREMIER VOLUME
��
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/329/RES-22981_Bedarride_Lettre-change-2.pdf
f1bf302a172ea4aef4ea281d8c4d3a1d
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0
Tome 2
J iïÀ o o X M
�0
J iïÀ o o X M
��DROIT COMMERCIAL
LIVRE 1«
TITRE VIII
DE LA LETTRE DE CHANGE , DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
S E C T IO N
De
la
L ettre
§ IX.
—
DU
ARTICLE
Ire
de
fJirssige
PAYEMENT
143.
Une lettre de change doit être payée dans la m onnaie
q u ’elle indique.
SOMMAIRE
374.
375.
Objet de notre paragraphe.
Le paiement doit être fait conformément aux prescriptions
des articles 1239 et 1241 du Code civil. Consé
quences.
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
Le payement doit êlre réclamé du souscripteur de l ’obliga
tion. Quid pour la lettre de change ?
377. Le tiré qui a payé la lettre de change revêtue de la signa
ture fausse du tireur, peut-il se faire restituer par le
porteur q u ’il a désintéressé ?
378. Peut-il se faire relever de l'acceptation si depuis il a dé
couvert le faux, et se dispenser de payer ?
379. Quid du faux consistant dans la signature non contrefaite,
mais d ’un être idéal ou imaginaire, ou de celle emprun
tée au premier venu ?
380. Position du tiré qui a payé par suite de la fausse accepta
tion q u ’il serait censé avoir donnée.
381. Ou lorsque le faux consistera dans l’altération du chiffre,
après l’acceptation. Devoir des endosseurs.
382. A qui incombe la charge de prouver le faux. Caractère de
la preuve. Devoir des tribunaux.
383. Objet de la disposition de l ’article 143. Obligation de payer
dans la monnaie convenue.
384. Peut-on, s’il s’agit d’une monnaie étrangère, offrir une
tout autre monnaie et la différence du change?
385. A défaut de spécification, le payement pourrait être fait
même en papier monnaie ayant cours forcé. Caractère
des lois qui consacrent ce cours. Conséquence qu'en
lire M. Vincent.
d8G. Effets du payement en valeurs pour le preneur et pour les
tiers.
3 S J :. — Comme toutes les obligations dont l’objet
est lu restitution d ’une somme d ’a rg e n t, celle qui ré
sulte d ’une lettre de change ou d ’un billet à ordre
s’éteint par les divers modes consacrés par le droit com
mun , le payem ent , la
novation , la remise volon-,
�ART.
143.
3
taire, la compensation, la confusion et la prescription \
Pour la plupart de ces modes, la loi commerciale
s’en est rapportée aux règles du Code civil; elle a seu
lement ajouté à ses dispositions, en ce qui concerne le
payement et la prescription. Le caractère et la nature de
la lettre de change, le nombre et l’importance des inté
rêts qu’elle met en mouvement, les éventualités de des
truction ou de perte, inséparables de la circulation
qu’elle est appelée à subir, tout faisait un devoir de ré
gler non-seulement le mode dans lequel devait s’en effeo
tuer le payement, mais encore l’époque à laquelle il
serait considéré ou non comme libératoire ; les forma
lités à remplir lorsque la lettre de change a été tirée à
plusieurs exemplaires, ou lorsqu’elle a été adirée ou
perdue.
Tel est l’objet du paragraphe dans l’examen duquel
nous allons entrer. Toutefois et avant d’en aborder les
dispositions, nous devons rappeler quelques principes
dont l’application à la matière des payements ne saurait
être contestée.
33f5. — Aux termes des articles 1239 et 1241 du
Code civil, le payement doit être fait au créancier ou è
quelqu’un ayant pouvoir de lui, ou qui soit autorisé par
justice ou par la loi à recevoir pour lui. Le payement
fait à celui qui n’aurait pas pouvoir de recevoir pour
le créancier est valable , si celui-ci a ratifié, ou s’il en
a profité.
1 Art. 1234 du Code civil.
�4
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Le payement fait au créancier n’est pas valable s’il
était incapable de recevoir, à moins que le débiteur ne
prouve que la chose payée a tourné au profit du créan
cier.
Le créancier d’une lettre de change ou d’un billet à
ordre est celui qui, à l’échéance, en est porteur en ver
tu d’un endossement régulier et dès-lors translatif de
propriété, c’est donc à lui exclusivement que le paye
ment doit être fait. Le débiteur ne pourrait pas même
récuser cette obligation en se fondant sur l’irrégularité
de l’endossement. Cette irrégularité ferait bien considé
rer le porteur comme mandataire du propriétaire, mais
elle n’empêcherait pas qu’il eût qualité pour requérir
payement. Dès lors celui qui se réaliserait en ses mains
serait évidemment libératoire.
Mais si le porteur était un mineur non commerçant,
un interdit, une femme mariée non marchande publi
que ni autorisée par son mari, le débiteur ne serait pas
tenu d’obéir à l’injonction de payer qui lui serait faite,
sous peine d’être exposé à payer deux fois.
Ce n’est pas, sans doute, que la loi entende enrichir
l’incapable aux dépens du capable. La preuve, c’est
qu’elle oblige le premier à tenir compte de ce dont il a
réellement profité, mais ce profit ne résulte pas du fait
de la réception d’une somme quelconque. Dans ce cas,
la présomption est que la somme reçue a été follement
dissipée. Mais cette présomption permet la preuve du
contraire et s’efface devant elle. Le payement qu’on jus
tifierait avoir réellement tourné ou bénéfice de l’incapa-
�ble serait donc valable et libératoire. Cette justification
serait dans tous les cas à la charge, du débiteur.
*®©. — Le payement doit être réclamé du débiteur
et fait par lui. Le débiteur est ordinairement le sous
cripteur de l’obligation. Dans la lettre de change, cepen
dant, on ne peut s’adresser à lui qu’après avoir mis en
demeure le tiré, qu’il ait accepté ou non, mais ce n’est
pas là une exception à la règle. Le tiré est un manda
taire que le tireur a dû se substituer pour la perfection
du contrat de change. Donc, en l’interpellant en cette
qualité, c’est en réalité le mandant, ou soit le tireur qui
se trouve interpellé.
S®®. — Cette existence obligée d’un tiré chargé de
payer peut faire naître une grave difficulté en cas d’une
lettre de change fausse. Que faudrait-il en effet décider
si la signature du tireur ayant été contrefaite ou imitée,
le tiré avait payé dans la fausse croyance de sa sincéri
té ? Pourrait-il poursuivre contre le porteur la restitu
tion de la somme payée ?
M. Pardessus tient pour la négative. Il enseigne que
le tiré, dans cette circonstance, non-seulement n’aurait
pas d’action en répétition, mais encore qu’il ne pourrait
se soustraire au payement, si, ayant donné son accep
tation, il découvrait le faux avant l’échéance 1.
La doctrine de M. Pardessus nous paraît juridique
�6
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dans sa première partie. Nous déciderions donc avec
lui que si le tiré a payé il ne serait pas recevable à
poursuivre son remboursement.
Nous sommes loin de nous dissimuler, cependant, la
gravité des motifs que pourraient invoquer l’opinion
contraire, et que M. Nouguier invoque en effet1. Mais
ce qui nous fait nous ranger à celle de M. Pardessus,
c’est, d’une part, que le tiers porteur de bonne foi n’a
reçu que ce qui lui était légitimement dû ; de l’autre,
c’est que sa position se trouverait singulièrement empirée. Le payement ayant empêché le protêt dans le délai
légal, il ne pourrait plus recourir contre les endosseurs
précédents.
Sans doute nous verrons plus tard que le défaut de
protêt n’enlève pas tout recours lorsqu’il s’agit d’une
lettre de change fausse3, mais dans ce cas les droits du
porteur se bornent à obtenir de chacun d’eux le nom de
son cédant, pour remonter ainsi jusqu’à celui qui doit
répondre du faux. Or, celui-ci pourrait être insolvable,
et le porteur, forcé de rembourser, se trouverait la seule
victime, malgré qu’il n’eût aucun tort à se reprocher.
Ce résultat serait d’autant plus irrationnel, d’autant
plus inique que, s’il est vrai que le tiré ait été abusé,
il n’a pas cependant laissé que d’agir avec légèreté et
imprudence.
Il ne devait pas payer avant d’être avisé de la dispol T. 1, p. 71.
3 Vid. lnf., art. 168, n° 534
�sition faite par le tireur. Il est vrai que la loi ne fait
nulle part un devoir de n’agir que sur lettre d’avis,
mais la plus simple prudence le conseille. C’est là,
comme le dit M. Pardessus, un moyen qui n’est ima
giné que contre les manœuvres des faussaires, et pour
s’en garantir
Donc le tiré qui paye sans être avisé par le tireur
commet une faute qui met ce payement à ses risques et
périls. Quelque légère qu’on la suppose, les conséquen
ces de cette faute doivent peser exclusivement sur le
tiré, de préférence au porteur, auquel on ne saurait en
reprocher aucune, dès qu’il a traité avec un cédant sé
rieux et sincère.
Cependant, et pour obéir à un sentiment de justice,
la loi, en refusant au tiré l’action en remboursement,
entend qu’il puisse remonter jusqu’à celui qui, ayant
mis la lettre fausse en circulation, en a assumé toute la
responsabilité. En conséquence, il peut exiger de chaque
endosseur l’indication de son cédant et la preuve qu’il
est sérieux et sincère. Celui qui refuserait cette indica
tion ou qui ne pourrait la fournir pourrait être actionné
en remboursement de la somme payée.
3 * 8 . — Sur ce point donc, nous sommes de l’avis
de M. Pardessus. Mais nous n’admettons pas avec lui
que la découverte du faux après l’acceptation ne dût pas
relever le tiré des effets de celle-ci.
Sans doute l’acceptation l’engage, mais en tant qu’il
existe une lettre de change. En acceptant, le tiré se sou-
�8
DE LA LETTRE DE CHANGE.
met à remplir le mandat qui lui est donné, c’est-àdire à payer la traite. Si donc celle-ci est fausse, il n’est
pas obligé, puisqu’il n’y a plus ni mandat, ni par
conséquent de cause à l’obligation. Son acceptation n’est
plus que l’effet d’une erreur substantielle Or, qui errât,
non contrahit.
Vainement invoquerait-on la faveur due au porteur,
qui peut ne s’être chargé de la lettre de change que
parce qu’elle était acceptée. Cette faveur ne peut jamais
aboutir à contraindre l’exécution d’un crime, ni à pro
fiter d’une erreur évidente pour spolier un tiers. De pa
reils résultats, condamnés par la raison, sont absolu
ment repoussés par la justice.
Donc, le tiré ayant accepté, et découvrant avant
l’échéance de la lettre le faux dont elle est entachée,
pourrait se refuser à payer jusqu’à ce qu’il eût été statué
sur l’existence du faux.
Cette doctrine a été , en effet, consacrée par un arrêt
de la Cour de Bruxelles, du 12 septembre 1812, ju
geant que l’accepteur d’une lettre de change qui en
découvre la fausseté peut valablement en refuser le
payement.
Dans cette espèce, le porteur, après avoir soutenu
qu’en l’état de l’acceptation il y avait lieu à une con
damnation définitive et immédiate, demandait que tout
an moins l’accepteur fût tenu de payer provisoirement,
le litre devant être respecté jusqu’à décision définitive.
Mais la Cour de Bruxelles refuse de prononcer la con-
�ART.
14Ô.
9
damnation provisoire, attendu que l’acceptation était
postérieure aux endossements.
Cette circonstance permet à M. Emile Vincent de tirer
de l’arrêt de Bruxelles un préjugé en faveur de son
opinion, contraire à celle que nous adoptons. La Cour,
dit-il, refuse de condamner l’accepteur parce que l’ac
ceptation est postérieure aux endossements, ce qui si
gnifie que ce n’élait pas à sa considération que les
porteurs avaient agi. Donc, si l’acceptation étant anté
rieure, les endosseurs avaient pu et dû compter sur ses
effets, l’arrêt eût accordé la condamnation L
D’abord, M. Emile Vincent se trompe, en fait. La
condamnation immédiate et définitive est repoussée pu
rement et simplement sur le motif de l’erreur matérielle
et substantielle. L’autorité'des endossements n'est invo
quée que pour faire repousser la condamnation provi
soire. Donc, il n’y a d’autres conclusions à tirer que
celle-ci : Si les endossements, au lieu d’être antérieurs,
avaient été postérieurs à l’acceptation, la Cour eût pro
noncé la condamnation provisoire.
Admettons qu’il en fût ainsi, est-ce que cette circons
tance enlèverait à l’arrêt sa portée réelle. Nous hésitons
d’autant moins à répondre par la négative, que le ca
ractère provisoire de la condamnation était un homma
ge formel au principe que nous soutenons. A quoi bon,
en effet, le provisoire, si la condamnation définitive est
inévitable et certaine. On renvoit pour procéder sur le
l T. 2, p. 264.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
faux ! À quoi bon, si, quel que soit le résultat de l’ins
truction sur ce point, l’acceptation n’en sera pas moins
valable et obligatoire.
En conséquence, par cela seul que l’arrêt subordon
ne le sort de l’acceptation à la question du faux ; c’est
qu’il reconnaît que l’existence de celui-ci doit la faire
disparaître. L’exécution provisoire du titre n’entraîne
aucun préjugé contraire, précisément parce que l’effet
de cette exécution se trouvera réglé par la solution défi
nitive. Donc, en fait en en droit, l’objection de M. Vin
cent est sans portée réelle.
L’arrêt lui-même nous indique ce qu’il aurait fait si
l’opinion du faux n’avait pas dû exercer une influence
décisive. Conjointement avec l’accepteur, le porteur avait
actionné son cédant et lui demandait de le rembourser.
Or, pour celui-ci, la Cour n’admet ni moyens dilatoi
res, ni subterfuges, elle le condamne actuellement et
définitivement, précisément parce que son obligation
est indépendante de l’existence du faux.
L’arrêt de Bruxelles n’a donc d’autre portée que cel
le que nous lui assignons. L’accepteur doit être relevé de
l’acceptation qui n ’est que le résultat d’une erreur ma
térielle et substantielle puisant son origine dans un
faux matériel. Sans doute, ici comme dans le cas de
payement, le tiré a eu le tort d’agir sans avoir reçu
une lettre d’avis. Mais les choses sont encore entières
et la position du porteur n’est nullement empirée à
l’égard des endosseurs précédents. Le refus de l’accep
teur donnera lieu au protêt faute de payement et par
�ART.
145.
11
conséquent à l’action en remboursement, jusqu’à ce
qu’on soit arrivé à celui à qui incombe la responsabilité
du faux.
339. — La doctrine et la jurisprudence considè
rent comme un faux l’apposition au bas d’une lettre de
change d’un nom idéal et imaginaire. Le tiré, qui au
rait donné son acceptation à une lettre de ce genre,
serait obligé de la payer.
On comprend qu’un commerçant, abusé par la per
fection de l’imitation de la signature de son correspon
dant, accepte une lettre de change présumée tirée par
celui-ci. L’excuse d’erreur est en pareil cas parfaitement
admissible.
Il ne saurait en être de même dans l’hypothèse que
nous examinons. Le tireur sera d’autant plus inconnu
dans le monde commercial, qu’en réalité il s’agira d’un
être fictif et imaginaire, avec lequel évidemment le tiré
n’a pu avoir aucune rélation0 Comment donc ce dernier
pourrait-il prétendre avoir fait acte d’obligeance envers
l’autre. On ne donne jamais sa signature à un inconnu.
L’acceptation donnée en pareille circonstance serait
une faute lourde et sans excuse, elle pourrait même
faire supposer que le tiré était dans le secret de la créa
tion de la traite et qu’il a voulu en favoriser le place
ment. Celte présomption, que rien ne saurait détruire,
le ferait condamner à payer par suite de l’acceptation
qu’il aurait consentie.
A plus forte raison si le signataire de la lettre de
\
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
change n ’était ni un être fictif, ni un être imaginaire,
quoique n'offrant pas plus de solvabilité. Il arrive quel
quefois que certains individus, voulant se procurer du
crédit et paraître porteurs de valeurs, se font signer,
par le premier venu, des lettres de change qu’ils endos
sent ensuite. Rien ne pourrait empêcher l’acceptation
donnée à ces lettres de change de sortir à effet, sauf le
recours de l’accepteur contre le premier endosseur.
380. — Le faux ne procède pas toujours de la mê
me manière. Au lieu de s’attacher à la signature du
tireur, il peut avoir pour objet de créer une acceptation.,
Qu’elle serait la position du tiré qui, trompé par l’imi
tation de sa propre signature, aurait payé le porteur ?
Dans celte occasion, l’erreur pourrait sans doute exis
ter et être invoquée. Mais la conduite du tiré serait
d’une imprudence, d’une légèreté telle qu’on ne pour
rait venir à son secours et le dégager des liens qu’il au
rait acceptés.
On doit savoir ses propres affaires, et celui à qui on
demande le payement d’un engagement quelconque ne
doit pas s’en référer au titre qu’on lui présente. Il est
évident que ses souvenirs le serviront d’autant moins
qu’il n’aura réellement pas signé le titre. Sa méfiance
justement excitée par cette absence de souvenirs devra
le mettre en garde contre toute précipitation.
D’ailleurs, une acceptation laisse des traces, on en
prend note ordinairement, car elle constitue un engage
ment qu’il faut solder à jour fixe, et pour lequel on a
�ART.
143.
13
besoin de se mettre en mesure. La prudence exige donc
qu’on recherche dans ses livres, dans ses registres do
mestiques, dans la correspondance avec le tireur les cir
constances de nature à lever des doutes que la présenta
tion d’une fausse acceptation doit soulever. Celui-là
donc qui paye sans réflexion, sans précaution aucune,
ne saurait se plaindre de ce qu’on l’a trompé, il a par
trop contribué à se tromper lui-même.
381. — Dans d’autres circonstances, le faux consis
tera dans l’altération de la somme pour laquelle la lettre
de change a été tirée. Ainsi celle qui a été acceptée lors
qu’elle était de 1,000 fr. aura été portée plus tard au
chiffre de 10,000.
La lettre de change ayant une existence légale, cer
taine et vraie, l’acceptation elle-même ne pouvant être
révoquée en doute, l’altération de la somme ne pourrait
même être opposée au tiers porteur de bonne foi. Le tiré
serait pbligé de payer la somme en mains de celui-ci.
Il n’y a pas à hésiter. Ici encore on pourrait avoir à re
procher à l’accepteur de n’avoir pas rendu toute altéra
tion impossible en mentionnant en toutes lettres, dans
son acceptation, la somme pour laquelle elle était
donnée.
Du tiré au tireur, la question est plus délicate. En
principe, le mandataire a un recours contre le mandant
pour l’indemnité des pertes qu’il a essuyées à l’occasion
de sa gestion. Or, évidemment la somme payée par
�14
DE LA LETTRE DE CHANGE
suite de l'altération de la lettre de change serait une
perte subie à l’occasion du mandat donné au tiré.
Mais l’exercice de ce recours est subordonné par la
loi à la condition qu’il n’y aura aucune imprudence de
la part du mandataire K Donc le mandant pourrait exciper de cette imprudence pour faire rejeter le recours
dont il serait l’objet.
Cette exception reposant sur une appréciation de fait,
la loi s’en réfère à la conscience des tribunaux, dont
l’arbitrage est souverain et sans limites,
La preuve de l’altération du chiffre serait facile si la
lettre de change n’avait passé que dans les mains de
commerçants. Les livres de chacun d ’eux indiqueraient
le moment de la transformation, et pourraient désigner
celui dans les heureuses mains de qui le titre de 1,000
fr, serait devenu un titre de 10,000 fr.
Si au contraire la lettre avait été transmise à de non
commerçants, cette double découverte deviendrait beau
coup plus problématique.
Au reste, il n'est pas douteux que dans une pareille
circonstance le devoir de chaque endosseur est de se prê
ter, en tant qu’il est en l u i , à la découverte de la vérité,
et de concourir à toutes les mesures tendant à la facili
ter. Indépendamment du compte qu’il aurait à rendre à
la loi pénale, l’auteur de l’altération serait obligé d’in
demniser soit le tireur, soit le tiré, suivant que la lettre
aurait été soldée par l’un ou par l’autre.
1 Art. 2,000, Cod. civ.
�383.
— Dans tous les cas de faux, c’est à celui qui
en allègue l’existence à en fournir la preuve. Cette preu
ve peut être établie par titres, par témoins, par pré
somptions.
Ici plus que partout ailleurs, il convient de rappe
ler ce grand principe qu’il ne suffit pas d’alléguer un
fait libératoire pour être admis à la preuve demandée.
Il faut avant tout que ce fait soit vraisemblable ; qu’il
ne soit pas démenti par les circonstances déjà acquises ;
enfin que celles dont on veut le faire résulter soient
graves, précises et concordantes. Sans ces précautions,
l’excuse de faux deviendrait bientôt une banalité à l’aide
de laquelle on retarderait un payement qu’il est dans
l’intention de la loi d’exiger à jour fixe et sans délai.
Cette considération trace les devoirs du magistrat en
lui indiquant avec quelle prudence il doit se décider.
La lettre faisant foi de ses indications en faveur des
tiers et contre eux, son exécution provisoire pourrait
être ordonnée et le payement accompli en attendant la
sentence définitive. Toutefois cette exécution provisoire
ne devrait être ordonnée que sous caution suffisante pour
répondre du remboursement en capital, intérêts et frais.
383. — Lorsqu’aucune difficulté ne s’élève sur la
demande en payement, le débiteur est obligé de le faire
dans la monnaie qu’indique la lettre de change ; c’est
ce que décide expressément l’article 143. Celui qui four
nit la valeur de la lettre de change est libre de stipuler
la monnaie qui conviendra le mieux à ses intérêts.
Cette stipulation devient la loi des parties.
�.
DE LA LETTRE DE. CHANGE.
Le véritable objet de cette disposition a été de rassu
rer le commerce contre tout payement en papier. Or,
pour bannir toutes les craintes, il fallait : d’une part,
concéder la faculté de convenir de la monnaie devant
servir au payement; d’autre part, accepter la convention
comme absolue et sans aucune exception. C’est ce que
l’article 143 a prétendu consacrer.
Ainsi, observe M. Emile Vincent, si l’on avait aujour
d’hui une lettre de change de 1,000 fr. payable en piè
ces de 20 fr., ou encore mieux une lettre de change de
50 pièces de 20 fr., on pourrait valablement refuser le
payement offert en pièces de 5 fr. Cette offre n’empêche
rait ni le protêt, ni la poursuite judiciaire, ni enfin l’ad
judication de dommages-intérêts dans le cas d’un refus
persistant ayant occasionné un préjudice.
384.
— Il semblerait d’abord du caractère général
de toute législation, ensuite de la nature spéciale de no
tre article, que le législateur n’a eu en vue que le com
merce français, et ne s’occupe que des monnaies ayant
cours légal. Il est évident que la loi ne peut prescrire
l’emploi d’une monnaie qu’elle ne reconnaît pas.
La conséquence toute naturelle serait donc que, s’il
s’agit d’une monnaie étrangère, le payement, à défaut
de celle-ci, pourrait se faire en monnaie nationale, en
tenant compte de la différence de valeur suivant le cours
du change au jour de l’échéance.
Tel n’est pas cependant l’avis de MM. Nouguier et
Emile Vincent. Ces deux honorables jurisconsultes esti—
�ART.
17
143
ment que si la lettre de change est fournie en un certain
nombre de pièces de monnaie étrangère et que le débi
teur l’ait acceptée, celui-ci sera tenu de payer en mê
mes pièces et non autrement. Il s’est, disent-ils, recon
nu dépositaire de ceS monnaies, ou s’est soumis à les
avoir. Il ne peut offrir l’équivalent ; le porteur est en
droit de refuser et de protester K
Cette doctrine prête à l’article 143 un rigorisme au
quel ses auteurs n’ont sûrement jamais pensé. Comment
aurait-il pu en être autrement, lorsque dans telle cir
constance donnée, il pourrait être impossible d’exécuter
cet article. Supposez, en effet, que les pièces de monnaies
stipulées ne se trouvent pas dans le commerce.
Ce rigorisme était de plus fort inutile. En effet, ou la
lettre de change sera payable en pays étranger, et l’on
peut présumer que le payement s’en fera en monnaie
du pays ; ou elle sera payable en France, et dans ce
cas le porteur préférera la monnaie française à toute
autre, dont il ne pourrait se défaire qu’en s’adressant au
changeur. Son intérêt même commandait donc ce que
les convenances du débiteur exigeaient, à savoir : qu’il
reçût en monnaie du pays l’équivalent de ce qui lui re
venait en monnaie étrangère.
C’est ce qui fut expressément convenu au conseil
d’Etat. M. Jaubert émet en effet l’avis que la lettre doit
être payée au cours de change, si elle est en monnaie
étrangère. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely répond :
t.
i E Vincent, t. 2, p. 287. Nouguier, t, 4, p. 333.
n — 2
�■
18
DK LA LETTRE DE CHANGE.
cela est de droit. M. Bégouen, ajoute : On paye toujours
le montant de la lettre ou dans la monnaie exprimée,
ou dans une monnaie portée à un taux équivalent.
M. Jaubert demande alors que l’article exprime cette
faculté. Sur l’observation que cela offrirait des inconvé
nients, il demande la suppression de l’article comme
inutile.
L’article est utile, répond M. Louis, parce qu’il cons
titue la dette en monnaie qu’il faut donner, sous peine
d’indemniser de la différence entre cette monnaie et
celle dans laquelle on paye. Mais ces transactions se
font journellement, la loi n’a pas besoin de s’en occu
per : l’important c’est qu’elle maintienne le principe '.
Voilà le véritable esprit de notre article. La monnaie
convenue, ou l’indemnité de la différence. Cette indem
nité ne couvre-t-elle pas l’intérêt du porteur ? Que pour
rait-il donc exiger de plus?
Nous l’avons dit, la conséquence de l’obligation stricte
de payer la monnaie convenue pourrait amener même
à une impossibilité matérielle. Dès lors elle est inad
missible. La raison conseille au contraire l’interpréta
tion que le législateur faisait lui-même : ou la monnaie
convenue, ou l’indemnité de la différence. Cette inter
prétation, nous l’adoptons non-seulement pour la mon
naie étrangère, mais encore pour la monnaie française.
Ainsi, le porteur d’une lettre pour 50 pièces de 20 fr.
pourrait refuser l’offre d’être payé en pièces de 5 fr.
i Procès-verbal du 29 janvier 1807, n° 27. Locré, 1 .18, p. 66.
�ART.
14-3.
19
Mais si à cette offre on joignait celle du montant néces
saire pour convertir ces pièces de 5 fr. en pièces de
20 fr., l’offre serait satisfactoire et devrait être déclarée
telle.
385.
— Si la lettre de change ne spécifie pas la
monnaie dans laquelle le payement doit être opéré, on
peut le réaliser de toutes les manières reçues dans le
pays où il doit se faire, même en papier monnaie, s’il
en existe qui soit obligatoire.
Nous disons qui soit obligatoire, c’est-à-dire qu’une
déclaration du gouvernement lui aurait donné cours
forcé. Ainsi il ne suffirait pas qu’un papier monnaie
fût toléré, cette tolérance laisse à chacun la faculté de
le recevoir ou de le refuser. Tels sont nos billets de
banque redevenus aujourd’hui ce qu’ils étaient avant
que 18 Révolution de 1848 leur eût fait momentanément
attribuer un cours forcé.
Il faut donc que le papier monnaie, pour qu’on soit
contraint de l’accepter en payement, ait reçu un cours
forcé par une loi. Ces lois d’ailleurs, imposées par des
circonstances impérieuses, ne manquent pas de régler
le sort des obligations stipulées payables en argent,
d’annuler même ces conventions qu’elles considèrent
comme violant les règles du droit public : nous en sa
vons quelque chose en France.
De là, M. Emile Vincent conclut que ces lois ne
s’imposant qu’aux régnicoles, le payement en papier
monnaie ne serait obligatoire que pour les lettres de
�20
DE LA LETTRE DE CHANGE,
change souscrites et payables dans l’Êtat donnant cours
légal au papier. Celles qui seraient faites dans un autre
pays et spécifiées payables en numéraire effectif, avec
exclusion du papier monnaie créé ou à créer, devraient
être fidèlement exécutées ; et si l’accepteur était empê
ché par la loi locale de remplir cette obligation, le ti
reur serait tenu de l’indemnité du porteur. C’est, ajoute
M. Vincent, ce qui se pratiqua en 4807 pour les vales
dineros d’Espagne l.
8 8 « . — Les lettres de change et autres effets de
commerce faisant fonctions de l’argent, la remise au
créancier jusqu’à concurrence de ce qui lui est dû équi
vaut à payement et libère le débiteur, sauf la garantie
pouvant résulter de l’endossement.
Sans doute le créancier ne peut être contraint à ac
cepter ce payement, mais s’il consent à le recevoir, les
effets de commerce qui en font la matière lui appartien
nent exclusivement et la faillite du débiteur cédant,
survenue avant l’échéance de ces effets, ne peut empê
cher le cessionnaire d’en toucher le montant.
C’est là la conséquence que la Cour de cassation a
tirée de l’assimilation des valeurs commerciales à l’ar
gent, que nous trouvons formellement rappelée par
l’article 446 du Code de commarce 2.
Par rapport aux tiers, le payement fait en valeur a
i Tom. 2, p. 294.
* Cass., 23 avril 4826.
�ART.
144, 145, 146.
21
tous les effets d’un payement réel, alors même que le
débiteur garantit les valeurs. Il y a dans ce cas une
novation complète ; une nouvelle dette se substitue à
l’ancienne qui est éteinte, et avec elle tombe toutes les
obligations accessoires.
ARTICLE
144.
Celui qui paye une lettre de change avant son échéan
ce est responsable de la validité du payement.
ARTICLE
145.
Celui qui paye une lettre de change à son échéance
et sans opposition est présumé valablement libéré.
ARTICLE
146.
Le porteur d’une lettre de change ne peut êlre con
traint d’en recevoir le payement avant l’échéance.
SOMMAIRE
387.
Domiciles divers auxquels le payement doit être réclamé.
Conséquences.
388. Le dépôt dans les trois jours de l ’échéance, permis par la
loi du 6 therm idor an m , pourratt-il êlre encore effectué?
�DE LA LETTRE DE CHANGE
389
390.
391
392
393.
394.
Le payement ne peut être demandé qu’a l ’échéance. Ex
ceptions à cette règle.
Faillite du tireur ou du souscripteur du billet à ordre.
Faillite de l ’accepteur.
Faillite d ’un endosseur.
Faculté pour le débiteur de renoncer au bénéfice du terme.
Danger que cette renonciation peut faire courir au dé
biteur d ’une lettre de change.
Caractère de la responsabilité imposée par l’article 144.
Conséquences quant aux conditions rendant le payement
libératoire.
395
Quid, du payement réalisé sur un faux acquis ? Doctrine
396.
397.
398.
ancienne.
Discussion au conseil d ’Etat. Solution.
Résumé.
Motifs et effets de l ’article 446.
38® . — Le payement de la lettre de change doit
être réclamé par le porteur, au domicile du tiré d’abord,
à celui de la personne indiquée au besoin ensuite ; et
en cas de refus de l’un et de l’autre au domicile du
tireur ou de l’endosseur, suivant qu’il recourra contre
l’un ou contre l’autre.
Il importe de ne pas perdre de vue que dès qu’un
besoin est indiqué , le porteur est obligé de se présenter et
de requérir payement au domicile désigné. A défaut, il
serait considéré comme ayant refusé le payement qu’on
aurait réalisé à ce domicile ; en conséquence, il aurait
perdu tout recours contre les garants de la lettre de
change.
Dans tous les cas, le payement est essentiellement
�art.
144, 14b, 146.
25
quérable , et si par une circonstance quelconque le
premier accédit de l’huissier n’amenait pas une solution
définitive, l’huissier devrait retourner une seconde fois
chez le débiteur. Par application de cette règle, on a
décidé que le tiré au besoin ayant le droit, s’il paye,
d’exiger la remise de l’effet acquitté, avec le protêt fait
sur le débiteur principal, revêtu de l’enregistrement, le
porteur ou l’huissier, s’il se présente sans être muni de
ces pièces ou avec le protêt non encore enregistré, doit
après avoir fait opérer l’enregistrement revenir pour re
cevoir payement ; que ce n’est pas au tiré à aller payer
chez le porteur ou chez l’huissier
388.
— La loi du 6 therm idor an n i, relative au
payement des lettres de change et billets, autorisait le
débiteur, faute par le créancier de se présenter dans les
trois jours de l’échéance, à déposer le m ontant de la
dette entre les m ains du receveur de l’enregistrem ent,
dans l’arrondissem ent duquel la lettre était payable. Il
était dressé un acte de dépôt, dont u n double était remis
au déposant. En cas de présentation ultérieure du créan
cier, le débiteur n’était tenu que de lui livrer ce double,
sur la présentation duquel le receveur de l’enregistre
ment restituait le dépôt, sans autre formalité.
Cette loi peut-elle encore être exécutée sous l’empire
du Code? M. Pardessus enseigne l’affirmative. On peut
à l’appui de cette opinion remarquer que non-seulement
i Caen, i cr février 1825.
�DK LA LETTRE DE CHANGE.
le Code ne contient rien d’antipathique, mais encore
que les motifs qui firent sanctionner la loi n’ont rien
perdu de leur vérité. Il peut n’être ni dans les conve
nances, ni dans l’intérêt du tiré de rester nanti d’un
argent qui peut lui être soustrait ; qu’il peut lui -même
être tenté d’employer au risque de ne plus se trouver
en mesure de payer lorsque le créancier se présentera.
Dans un cas comme dans l'autre, sa position se trouve
rait empirée par la négligence du créancier. Comme, le
nom de celui-ci est le plus souvent inconnu, le dépôt
est le seul moyen de se soustraire aux inconvénients
que nous venons de signaler.
389.
— Le payement doit donc être éxigé au do
micile du débiteur ou de ceux qui sont présumés tels.
Mais cette réclamation ne peut surgir qu’au moment de
l’échéance. Jusque-là, en effet, le débiteur excipant du
bénéfice du terme ne doit rien, et ne saurait être con
traint sous aucun prétexte. Cela est vrai pour le débi
teur commercial comme pour le débiteur ordinaire.
Mais cette règle reçoit exception notamment dans les
cas de l’article 1188 du Code civil. A quoi bon, en
effet, le bénéfice du terme lorsque les garanties qui
l’avaient fait accorder sont altérées ou diminuées;
lorsque le débiteur est tombé dans un état tel, qu’évidemment son impuissance de payer à l’échéance est dès
à présent certaine. On ne pouvait, en le respectant, que
nuire au créancier sans utilité pour le débiteur. L’arti
cle 1188 du Code civil n ’a donc pas hésité.
�art.
144, 145, 146.
25
La faillite amène donc l’exigibilité actuelle de la dette.
Mais il faut distinguer entre les divers intéressés à la
lettre de change, tireur, accepteur, endosseur.
390.
— La faillite du tireur prive tous les autres
codébiteurs du bénéfice du terme. Le porteur est auto
risé à agir immédiatement contre les endosseurs. La
faillite du débiteur principal enlève au titre une de ses
garanties essentielles, il doit dès lors être payé, à moins
que les autres codébiteurs consentent à donner caution
qu’il le sera à l’échéance.
Si le titre est un billet à ordre, notre solution dans le
cas de faillite du souscripteur est absolue. S’il s’agit au
contraire d’une lettre de change, et qu’elle ait été accep
tée, l’accepteur est devenu le débiteur principal, et le
tireur étant présumé avoir fait provision, et en quel
que sorte payé entre les mains du tiré, n’est plus que
caution ; sa faillite reste sans influence sur l’échéance
de la lettre.
391.
— La faillite de l’accepteur à les conséquences
de celle du souscripteur d’un billet à ordre ou d’une
lettre de change n$n acceptée. Les motifs étant les mê
mes, l’effet devait être identique. C’est au reste ce que
la loi proclame expressément d’abord dans l’article 163
et ensuite dans l’article 444 du Code de commerce.
393.
— Les termes de ce dernier fixent positive
ment les intentions du législateur et tranchent toute pos-
�26
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sibilité de controverse future sur l’effet delà faillite d’un
des endosseurs de la lettre de change ou du billet à
ordre. Elle n’accorderait aucun droit au porteur ni pour
un cautionnement, ni pour le payement immédiat. C’est
ce que la Cour de cassation avait depuis longtempe ad
mis, et c’est cette doctrine que le silence de l’article
444, à cet égard, consacre, fl n’était pas, en effet, pos
sible d'assimiler la faillite de l’endosseur à celle du sous
cripteur ou de l’accepteur. La garantie résultant de
l’endossement n’est qu’accessoire à celle du débiteur
principal de la lettre de change. Que la ruine de l’obli
gation principale entraîne celle des obligations accessoi
res, on le comprend, mais celles-ci peuvent s’effacer et
disparaître, sans qu’il en résulte aucune atteinte pour la
première.
D’ailleurs, ajoute M. Horson, dans aucun cas la fail
lite d’un signataire postérieur ne donne lieu à poursui
vre les signataires antérieurs, puisque, n’ayant jamais
connu cet individu, jamais ils n’ont pu consentir à se
rendre garants de son obligation l.
393. — Une autre règle relativement au terme,
c’est que celui au bénéfice de qui il a été introduit peut
y renoncer. Chacun, en effet, est libre de répudier un
avantage qui lui est personnellement acquis.
En matière de lettres de change, nous verrons bientôt
1 Quesl. sur le Code de commerce, n°» 458 et 459. Cass., 40 mai
4840. V. in f., art. 465.
�art.
144,
145, 146.
27
que le terme est stipulé autant en faveur du créancier
qu’en faveur du débiteur. Dès lors la renonciation à en
attendre l’expiration que ferait celui-ci ne pourrait pro
duire son effet que par le consentement du créancier.
Mais le débiteur de la lettre de change doit y regar
der à deux fois avant de renoncer au bénéfice du ter
me. Pour lui, en effet, payer avant l’échéance, c’est
s’exposer à payer deux fois, si le prétendu créancier
n’était qu’un détenteur illégitime de la lettre de change
perdue ou volée.
394.
— Cette responsabilité que l’article 144 im
pose au payeur est la conséquence du préjudice qui peut
naître de sa précipitation, pour le véritable et légitime
propriétaire. En effet, il était possible qu’avant l’éché
ance que la veille de celle ci une opposition fût formée
qui eût empêché le payement, et mis un obstacle à la
consommation de l’escroquerie. Le payeur a donc com
mis une faute en payant avant l’échéance. Tout le
monde se rangea à cet avis dans la discussion législati
ve, et la disposition de l’article 144 fut acceptée sans
contradiction.
Il résulte de là que la première condition pour que
le payement puisse être libératoire, est que la dette soit
échue. Dans une pareille occurrence, celui qui paye le
porteur de la lettre de change ou son mandataire ne
fait que remplir un devoir qu’il ne saurait négliger sans
s’exposer à un protêt, à tous les inconvénients et aux
frais qui en naissent, Dès lors il ne peut pas être qu’il
�28
DE LA LETTRE DE CHANGE.
puisse encourir une responsabilité autre que celle résul
tant de la fraude.
Une seconde condition pour que le payement soit effi
cace, est qu’aucune opposition n’ait été signifiée au dé
biteur. Mais à cet égard, ainsi que nous le verrons plus
bas, la loi ne considère comme obstacle au payement
que l’opposition motivée sur la perte de la lettre de
change, ou la faillite du porteur. Toute autre opposition
fondée sur des droits étrangers au porteur ne pourrait
autoriser le débiteur à retarder le payement L
Enfin, la remise du titre entre les mains de celui qui
paye est aussi une condition sans l’accomplissement de
laquelle le payement ne serait pas libératoire. Une né
gociation postérieure du titre serait dans le cas d’amener
la nécessité du payement. Donc, le souscripteur ou l’ac
cepteur qui paye, peut et doit exiger la restitution du
titre. Ce droit, absolu pour le premier, est susceptible
pour le second d’une exception.' Ainsi, si l’acceptation
n’avait été donnée que pour une partie de la somme, le
titre devrait rester en mains du porteur pour qu’il pût
recouvrer l’excédant. Mais dans ce cas, la libération de
l’accepteur résulte du protêt lui-même, puisqu’il n’est
fait que pour le surplus.
La remise matérielle du titre ne suffit même pas. Elle
n’établirait qu’une présomption de libération, On doit
donc exiger que le titre soit acquitté.
L’acquit doit émaner du titulaire du dernier endosse
ment ou de son mandataire. Lorsqu’un autre que ce ti1 V. ln f., n»> 406 et suiv.
�art.
144,
145,
146.
29
tulaire se présente et signe l’acquit, le payeur doit exi
ger la preuve de son droit de propriété ou de sa qualité
de mandataire. Il a droit de retenir par devers lui les
documents et pièces établissant l’un et l’autre pour pou
voir en justifier au besoin. Il est évident, en effet, que le
payement fait sur un acquit non signé par le porteur
apparent ne pourrait valablement se faire sans cette pré
caution.
395.
— Que doit - on décider, si l’acquit donné au
nom du véritable propriétaire est l’œuvre d’un faussaire?
Le commerce s’est sans cesse préoccupé de cette frau
de, trouvant dans le mode même de payement de la
lettre de change des chances de réussite. C’est dans un
lieu plus ou moins éloigné du lieu où elle a été souscrite
que la lettre de change est payée ; les négociations suc
cessives dont elle est l’objet peuvent la faire arriver en
mains de commerçants dont le nom et l’existence
étaient, avant, complètement ignorés de l’accepteur ou
du souscripteur. Comment donc ferait-on un devoir à
l’un et à l’autre de connaître leur signature ?
Cependant, le payement d’une lettre de change échue
n’admet ni délai, ni retard. Il doit se faire en quelque
sorte à jour et heure fixes, sous peine de donner nais
sance à des formalités et à des frais.
La responsabilité d’un refus de payement non justifié
devait empêcher ce refus de se réaliser. Aussi, est-ce
par d’autres moyens que le commerce avait essayé de
concilier les intérêts du propriétaire et ceux de l’accep
teur ou du souscripteur. On s’était, dans ce but, arrêté
�UE LA LETTRE DE CHANCE.
à l’envoi d’un fac simile de la signature du porteur, à
la communication d’un mot d’ordre que devait donner
le porteur, mais ces précautions, utiles dans les lettres
de crédit personnelles, ne pouvaient produire le même
résultat pour les effets de commerce destinés avant leur
échéance à passer par une foule de mains.
En l’état du double danger que court le payeur d’être
trompé par une fausse signature, ou de refuser le paye
ment au véritable propriétaire, fallait-il exiger de lui
qu’il ne payât qu’à une personne connue, ou bien, s’ar
rêtant au fait matériel de la présentation du titre, le
reconnaître libéré par le payement fait contre la remise
de celui-ci ?
La doctrine ancienne n’était pas d’accord, Dupuis de
la Serra enseignait, en empruntant l’opinion de Scaccia,
que celui qui paye doit connaître celui qui reçoit, autre
ment il risque de ne pas payer valablement. Tel était
également l’opinion de Jousse et de Pothier l.
Je ne suis point de ce sentiment là, disait Bornier,
car, si l’accepteur était obligé pour payer valablement
une lettre d’en connaître le porteur, cela ferait un grand
préjudice à ceux qui vont et viennent et qui ne sont
connus dans les lieux où ils passent, et ne peuvent point
s’y faire connaître. Il y a encore plusieurs autres rai
sons dont le commerce souffrirait, e tc .2.
i L'art des lelt. de ch. chap. 13, n° 13. Jousse, O is. générales sur
le lit V. Pothier, Cont. de ch., n° 168.
3 Sur l’art. 19 de l’ordonnance de 1673.
~
30
�ART.
396.
144, 145, 149.
31
— Il était impossible que cet état de choses
ne préoccupât pas le nouveau législateur. Aussi, devintil au conseil d’Etat L’objet d’une discussion approfondie,
dont le résultat a fondé notre droit commun.
Le payement sur un faux acquit n’est pas libératoire,
s’il a été réalisé avant l'échéance. Nous avons déjà dit
que cette solution fut unanimement adoptée. En consé
quence, celui qui l’a réalisé est obligé de payer une se
conde fois au véritable propriétaire, sauf son recours
contre celui qu’il a illégalement payé.
Mais aucune des raisons qui le faisaient ainsi décider
ne pouvait être invoquée lorsque le payement sur faux
acquit était intervenu à l’échéance et sur la présentation
de l’effet. Payer une lettre de change ou un billet à or
dre à leur échéance, c’est se conformer à la loi et rem
plir un devoir, alors surtout que rien n’est venu faire
suspecter la bonne foi de celui qui se présente.
Cependant, la commission primitive semblait pencher
pour l’opinion de Dupuis, Jousse et Pothier. Elle propo
sait la disposition suivante : une lettre de change n’est
valablement payée que sur l’acquit de celui au profit
duquel est passé le dernier ordre. Cette rédaction impli
quait bien pour le tiré la nécessité de connaître celui
qui recevait, mais elle ne s’expliquait pas sur le paye
ment obtenu par un faux acquit.
Sur les observations des cours et tribunaux signalant
cette lacune et la nécessité de la combler, la commission
abandonna sa rédaction et présenta celle qui est depuis
devenue l’article I4o.
�52
DE LA LETTRE DE CHANGE
On peut utilement consulter la discussion qui s’éleva
au conseil d’Etat. La proposition de la section deman
dant la consécration du premier projet fut repoussée par
un triple motif : la jusfice, la nature de la lettre de
change, l’intérêt du commerce.
La justice, disait M. Beugnot, ne permet pas d’exiger
du tiré au-delà de ce qu’il doit faire. La mesure de ce
qu’il peut, est ici la mesure de ce qu’il doit. Son obliga
tion rigoureuse sera donc de connaître la signature du
tireur et son acceptation si la lettre a été acceptée ; ses
risques, de payer deux fois, s’il s’est mépris sur la si
gnature du tireur ou sur la sienne.
Mais il n’a ni les moyens, ni la possibilité de s’assu
rer de la vérité de la signature mise au dos de la lettre
de change, ni de l’identité de la dernière signature et
du porteur qui la lui présente. La non libération serait
d’autant plus injuste, que c’était au propriétaire de la
lettre qui l’a perdue, à qui on l’a volée, ou qui l’a
confiée à des mains suspectes, à en prévenir le payement
par une opposition.
D’ailleurs, ajoutait-on, ce qu’il faut avant tout, c’est
pourvoir à ce que les lettres de change soient payées.
Or, on détruit tous leurs avantages si pour en obtenir
le payement le porteur est forcé de faire intervenir des
juges et des notaires. L’événement rare qui fait payer à
un voleur le montant d’une lettre de change aura tou
jours des conséquences moins funestes que la loi qui,
�ART.
144,
145, 146.
55
pour le prévenir, permettrait de ne pas payer le jour de
l’échéance '.
On arrêta donc le principe qu’un payement fait à
l’échéance et en l’absence de toute opposition devait li
bérer celui qui l’avait réalisé, même sur un faux acquit.
On examina ensuite quel devait être le caractère de cette
libération, devait-elle être définitive, pourrait-elle, au
contraire, être contestée par la partie intéressée ? Ad
mettre que le payement libère indéfiniment le débiteur,
disait-on, c’est ouvrir un moyen de fraude, tantôt au
payeur, tantôt au porteur lui-même. Il convient donc de
consacrer un système pouvant, tout en respectant les
droits du payeur, permettre d’atteindre la collusion et la
fraude dont il se serait rendu coupable.
De là, la disposition de l’article 145. Celui qui paye
une lettre de change à son échéance et sans opposition
est présumé libéré valablement. En pareil cas, disait M.
Berlier, la bonne foi est présumée, car une lettre de
change peut, à raison de son extrême mobilité, changer
de mains à chaque instant ; et le payeur ne peut ni sui
vre le cours de ces mutations, ni contester la propriété
du dernier porteur, quand les tiers lésés ne l’ont pas
averti.
Ces considérations fixent le véritable caractère de la
présomption résultant de l’article 145.
Elle libère de plein droit le payeur, sans qu’il soit
obligé de prouver sa bonne foi.
i Procès-verbal du 29 janvier 4807, n° 29. Locré, t, 4 8, p. 67.
il — 3
�54
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Elle cède cependant à la preuve de la collusion ou
d’une négligence inexcusable. Mais le preuve de l’une
ou del’autre incombe à celui qui en allègue l’existence l.
En un mot, pour que le payeur ne fût point libéré,
il faudrait prouver sa mauvaise foi. A défaut de cette
preuve, il demeure sans reproche.
3 9 Ï. — En résumé donc, les effets du payement à
l’endroit de celui qui l’a réalisé, se règlent par l’époque
qui l’a vu s’accomplir, par les circonstances au milieu
desquelles il l’a été. S’il a précédé l’échéance, il ne li
bère pas valablement, et s’il a été reçu sur faux acquit,
le véritable propriétaire serait recevable et fondé à en
exiger un second.
Si la lettre était échue, le payement produit tous ses
effets ordinaires, à condition qu’aucune opposition n’ait
été signifiée. Celui fait au mépris d’une opposition fon
dée sur la perte ou le vol de la lettre serait le résultat
inique d’une évidente mauvaise foi. L’absence de toute
opposition fait au contraire légalement présumer la bon
ne foi.
Mais cette présomption permet la preuve contraire et
s’effacerait devant elle, si elle était rapportée. Cette preu
ve est exclusivement à la charge de celui qui querelle le
payement.
398. — Il arrive fréquemment qu’un individu ne
se charge d’u ne lettre de change que parce qu’il a de
1 M. Begouen, E xposé des m otifs.
�ART.
144, 14b,
146.
55
l’argent à payer au lieu et à l’époque où elle est payable.
De telle sorte que la faculté de le contraindre à recevoir
payement avant l’échéance serait le condamner à voir
détruire ses combinaisons et lui occasionner quelquefois
un préjudice considérable. Cette prévision a dicté la
disposition de l’article 146.
Il est vrai qu’en général le terme est en faveur du dé
biteur. Mais l’article 1187 du Code civil reconnaît qu’il
peut résulter de la stipulation ou des circonstances que
le terme stipulé est aussi dans l’intérêt du créancier.
En matière de lettres de change, la loi crée elle-même
ce que l’article 1187 permet aux parties de stipuler. En
conséquence et de plein droit, le terme est censé en fa
veur du créancier comme du débiteur.
Ce qui résulte de là, c’est que vainement ce dernier
renoncerait-il au bénéfice le concernant, il faudrait en
outre, pour que cette renonciation sortit à effet, qu’elle
fût formellement acceptée par le créancier. Celui-ci re
fusant, aucun payement ne peut être fait avant l’échéance.
Cependant des difficultés pouvaient naître. C’est pour
les éviter, que notre article 146 a expressément consacré
le droit absolu du créancier de refuser le payement jus
qu’à l’échéance. Il peut l’accepter, s’il le juge convena
ble, mais on ne saurait jamais l’y contraindre.
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
ARTICLE
447 .
Le payement d’une lettre de change fait sur une se
conde, troisième, quatrième, etc., est valable, lorsque
la seconde, troisième, quatrième, etc., porte que ce
payement annule l’effet des autres.
ARTICLE
448 .
Celui qui paye une lettre de change sur une seconde,
troisième, quatrième, etc., sans retirer celle sur laquelle
se trouve son acceptation, n’opère point sa libération à
l’égard du tiers porteur de son acceptation.
SOMMAIRE
399.
Caractère des articles 147 et 148.
400.
Conditions auxquelles le payement fait su r seconde, tro i
sième, etc., est valable, lorsque la lettre de change n ’a
pas été acceptée.
401.
Obligations de l ’accepteur qui paye la lettre par lu i accep
402.
Système de la commission.
tée. Conséquences.
Observations
de la Cour
d’Orléans. Décision du conseil d’Eta t.
403.
D ro it du porteur de l ’acceptation d’en exiger le montant,
sauf le cas de fraude. Preuve de celle-ci.
�- i
.7:'.
'
ART.
404.
' - ' ,■
' ,
. , .J"
147, 148.
~ :- .
37
Position de l'accepteur qui a payé sans la précaution indi
quée par l ’article 148, à l ’égard du tireur.
405
Il ne peut exercer un recours en indemnité du deuxième
payement que contre celui qui a reçu le premier et qui
a illégalement négocié l ’acceptation.
3 0 9 . — L’article 4 1 0 a consacré le principe dont
nous retrouverons ici le développement et les consé
quences. Puisque la lettre de change peut être tirée à
divers exemplaires, il devenait indispensable de régler
le mode de payement qu’il convenait d’adopter, et les
effets qu’il devait produire. Le législateur s’est donc pla
cé à un double point de vue. La lettre de change a été
ou non revêtue de l’acceptation.
L’article 147 prévoit l’hypothèse d’une lettre de
change non acceptée. Cette prévision pourrait paraître
étrange. Mais s’il est vrai qu’en général la lettre n’est à
plusieurs exemplaires que pour en faciliter l’acceptation
et la négociation, il est certain qu’il n’en est pas tou
jours ainsi. L’existence de divers duplicata n’est souvent
occasionnée que parce que, destinée à des pays étran
gers, la lettre de change est exposée à des pérégrina
tions au milieu desquelles on peut craindre de la voir
s’adirer ou se perdre.
4 0 0 . — Quoi qu’il en soit, en cas de non accepta
tion, aucun exemplaire ne se recommande à l’attention
particulière du tiré. Le porteur requérant payement doit
les réunir tous, à moins que le contraire n’ait été stipu
lé dans le titre même. C’est cette stipulation contraire
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
que la loi admet, lorsque chaque exemplaire porte que
le payement de l’un annule l’effet des autres. Dès lors
elle considère ce payement comme libératoire. Aucun de
ceux qui ont accepté les divers exemplaires ne saurait se
plaindre d’un payement formellement autorisé par le
titre même.
La commission primitive, dans le projet qu’elle avait
rédigé, n’admettait la validité du payement que si la se
conde exprimait qu’elle annulait l’effet de la première.
A cela le tribunal de commerce de Paimpol faisait ob
server que : si la seconde lettre de change exprimait
l’annulation de la première, la seconde serait considé
rée comme seule traite et l’acceptation même deviendrait
sans force sur la première, que la loi aurait déclarée
sans effets. Cependant il est indispensable de conserver à
la première la ressource de servir pour l’acceptation,
lors même qu’elle aurait été suivie d’une seconde.
Il arrive en effet, chaque jour, qu’on exige une traite
par première et seconde, afin de pouvoir adresser la
première à l’acceptation, et néanmoins faire usage de la
seconde, sur laquelle on porte que la première acceptée
sera à la disposition du porteur de la seconde, à un do
micile indiqué au lieu du payement.
D’après ce mode pratiqué jusqu’ici sans réclamation,
un tireu-r trouve plus facilement à placer, parce que ce
lui qui se charge de ses traites à la faculté de se procu
rer, dans un court délai, une signature auxiliaire, celle
de la maison acceptante, dont la garantie est souvent
préférée à la première signature.
�■M.
art.
147, 148.
39
Si l’acceptation était refusée, l’acte qui le constate au
torise à réclamer une caution du tireur. Ainsi le preneur
trouve, dans ces deux cas, un moyen direct de se don
ner un garant, sans que les agissements nécessaires
pour y parvenir l’empêchent de faire usage préalable
des effets à sa disposition.
Ces observations étaient concluantes. Le conseil
d’Etat les accueillit, et au lieu de la rédaction de la com
mission, il sanctionna celle que nous trouvons dans
l’article 147.
Ce n’est pas par l’expression que chaque exemplaire
rendait les précédents sans effets, qu’on dut juger du
mérite du payement. Son efficacité fut subordonnée à la
condition unique, à savoir : que chaque exemplaire por
terait que son payement annulerait l’effet des autres.
Aucun doute ne saurait donc s’élever. L’existence de
cette mention rend le paiement forcé, quel que soit
d’ailleurs l’exemplaire présenté. Par une juste consé
quence, ce paiement devait libérer le débiteur. On ne
pouvait admettre le contraire sans se jeter dans la plus
absurde contradiction.
4 0 1 . — Si la lettre de change tirée à plusieurs
exemplaires a été acceptée, le titre réel est alors l’exem
plaire revêtu de l’acceptation Cela est si rigoureusement
exact, que si par inattention le tiré avait écrit son ac
ceptation sur plusieurs exemplaires, chacun d’eux cons
tituerait une lettre distincte que le tiré serait obligé de
payer au tiers-porteur de bonne foi.
�40
DE LA LETTBE DE CHANGE.
En conséquence, si l’original de l’acceptation consti
tue le titre d’obligation, il est évident que l’extinction de
celle-ci ne pourra s’induire que de l’annulation de
l’exemplaire sur lequel cette acceptation existe. Or, cet
te annulation ne peut résulter que de la restitution de
cet exemplaire revêtu de l’acquit. L’accepteur doit d’au
tant plus exiger l’un et l’autre que, s’il paye sans cette
double formalité, il est exposé à payer une seconde fois,
en cas de négociation ultérieure de cet exemplaire. C’est
en effet ce qui s’induit de l’article 448.
4 0 8 . — Notons que la restriction insérée dans l’ar
ticle, quant à la responsabilité de l’accepteur, a été le
résultat de la discussion, l’article proposé par la com
mission s’arrêtait à ces mots : N'opère pas la libé
ration.
Cette disposition était attaquée par quelques cours et
tribunaux. La Cour d’Orléans, notamment, faisait ob
server que l’accepteur qui paye sans prendre la précau
tion exigée par l’article se libère cependant envers le
tireur ; qu’il demeure seulement garant des poursuites
qui pourraient être dirigées contre ce dernier par le
tiers porteur de la lettre acceptée, sauf le recours de lui
accepteur contre le particulier qui aurait touché sur la
seconde ou troisième, et passé l’ordre de la lettre accep
tée ; qu’on ne peut donc pas dire indistinctement que
cet accepteur im prudent, trop facile, trop confiant ,
n ’opère pas sa libération ; que cela n’est vrai qu’à
�ART.
147, 148.
41
l’égard du tiers porteur de l’acceptation, et qu’ii conve
nait de l’exprimer.
Ces observations, dont la commission ne crut pas de
voir tenir compte, furent accueillies par le conseil d'Etat,
qui n’admit le défaut de libération de l’accepteur qu’à
l'égard du tiers porteur de son acceptation. Il était
d’autant plus utile de les rappeler, qu’elles déterminent
le caractère et la portée de l’article 148, dont elles sont
l’interprétation la plus rationnelle.
— A quelque époque donc que ce soit réali
sée la négociation de l’exemplaire accepté, fût - elle
même postérieure à l’échéance, le porteur a le droit d’en
contraindre le payement, et l’accepteur ne saurait s’y
refuser sous prétexte qu’il a déjà payé, ce qu’il justifie
rait par la représentation d’un exemplaire acquitté. Ce
n’est pas celui-là qu’il devait retirer, il ne pouvait vala
blement payer que sur la restitution de son acceptation
En ne l’exigeant pas, il a commis une faute créant la
nécessité de payer une seconde fois.
403.
Mais cette solution suppose chez le tiers porteur la
plus complète, la plus évidente bonne foi. Or, l’absence
de toute bonne foi serait incontestable, si celui qui de
mande le second payement, était celui à qui le premier
aurait été fait, et qui aurait illégalement retenu l’accep
tation. Il serait monstrueux qu’on pût se créer un litre
de sa propre fraude et se ménager ainsi un double
payement. En conséquence , ce tiers serait non-seule-
�42
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ment débouté de son injuste prétention, mais encore
condamné à restituer l’original de l’acceptation.
La certitude de ce résultat amènera, on peut le pré
voir, cette conséquence, à savoir : que le porteur vou
lant spéculer sur la rétention frauduleuse du titre se
gardera bien de se présenter lui-même. Il simulera donc
une négociation, et le paiement sera poursuivi par ce. lui qu’il s’est substitué et qui a consenti à lui prêter son
nom. La preuve de cette collusion ferait incontestable
ment échouer la poursuite.
Or, cette preuve ne serait pas même nécessaire si le
tiers n ’avait qu’un endossement irrégulier ou en blanc.
Présumé mandataire du cédant, on lui opposerait tou
tes les exceptions qu’on pourrait invoquer contre celui-ci.
Si l’endossement était régulier et translatif de pro
priété, l’exception de mauvaise foi serait alors la seule
qu’on pût employer. Cette mauvaise foi devant nécessai
rement résulter de la collusion alléguée, la preuve de
celle-ci pourrait être fournie même par témoins et par
présomptions.
404.
— L’accepteur qui n’a pas retiré son accep
tation est valablement libéré envers le tireur. Ceci ne
peut être entendu qu’en ce sens que celui-ci ne pourrait
contester le paiement s’il avait fait provision, ou se refu
ser dans le cas contraire au remboursement des sommes
avancées par l’accepteur. Dans l’un et l ’autre cas, la
représentation du duplicata acquitté justifiant le fait d’un
�art.
147, 148.
43
paiement, suffirait pour faire écarter les prétentions du
tireur.
Mais si le porteur de l’acceptation non retirée pour
suivait le tireur, ainsi qu’il en aurait le droit, et que ce
lui-ci eût été contraint de payer, il pourrait par voie de
recours poursuivre contre l’accepteur le remboursement
de ce qu’il aurait payé. C’est ce que la Cour d’Orléans
reconnaissait et proclamait dans ses observations.
En réalité, l’accepteur, qui ne s’est pas en payant
conformé à l’article 148, est libéré de toute demande
directe de la part du tireur, intentée par voie d’action
ou par celle d’exception, suivant que la provision exis
tait ou non. Mais il reste soumis au recours que celui-ci
pourrait exercer comme étant aux droits du porteur de
l’acceptation qu’il aurait payé. Ce recours aurait pour
objet d’obtenir le remboursement de la provision si elle
avait été fournie, ou, dans le cas contraire, de faire re
pousser la demande en remboursement du premier
payement fait par l’accepteur à découvert.
405.
— Cette solution juridique résout une diffi
culté que l’obligation de payer deux fois peut faire naî
tre. En principe, le mandataire doit être restitué de tou
tes les pertes qu’il a subies à l’occasion du mandat. Or,
dira l’accepteur, si je n’avais pas accepté celui qui m’a
été confié, évidemment je n ’aurais pas été dans le cas de
payer deux fois. En conséquence, ce double payement
étant la conséquence directe du mandat lui-même, je
dois en être indemnisé.
�H
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Mais on répondrait avec raison que l’article 2000
du Code civil, qui consacre ce principe, en subor
donne l’effet à la condition qu’aucune imprudence ne
sera imputable au mandataire ; que, de plus, l’article
1992 du même Code déclare le mandataire responsable
non-seulement de son dol, mais encore des fautes qu'il
commet dans sa gestion.
Qu’enfin l’article 1999, relatif au payement des avan
ces, frais et salaires, ne le rend obligatoire, dans tous
les cas, que s’il n’y a aucune faute imputable au man
dataire.
Or, dans notre hypothèse, l’obligation de payer deux
fois n ’est que la conséquence du fait personnel de l’ac
cepteur, fait constituant une faute lourde, puisqu’il n’est
que l’oubli d’une prescription formelle de la loi. Il doit
donc en assumer toute la responsabilité, aux termes mê
me des articles 1992, 1999 et 2000 du Code civil.
La conclusion est que le second payement reste à sa
charge exclusive, sauf son recours contre celui qui a
indûment perçu le premier et frauduleusement négocié
l’acceptation qu’il devait restituer.
ARTICLE
149.
Il n’est admis d’opposition au payement qu’en cas de
perte de la lettre de change, ou de la faillite du porteur.
�406.
Motifs pour prohiber toute opposition au payement des
407.
effets de commerce.
Caractère et conséquences de la règle.
408.
Quid, des créanciers personnels du porteur actuel ?
409.
Caractère et effets des exceptions consacrées par notre
article.
410.
H M\
Forme de l ’opposition. Ses conséquences.
406.
— Le commerce vit de ponctualité et d’exacti
tude, ses obligations doivent être soldées à jour préfix,
car, avant même d’en avoir la disposition, le créancier
à affecté à leur montant une destination dont le défaut
de réalisation occasionnerait souvent un grand préjudi
ce, par la perturbation qu’il jeterait dans ses spécula
tions.
Il convenait donc d’assurer à la lettre de change, son
instrument le plus actif, un caractère tel que son paye
ment pût entrer comme une certitude dans les prévi
sions du porteur. Déjà, dans ce but, le législateur a in
terdit au juge la faculté de proroger l’échéance, ordon
né au porteur de requérir le protêt immédiatement après
le refus de payement. Enfin, dénié au débiteur le droit
de se libérer avant l'échéance.
Mais il y avait en cette matière un bien autre danger
à prévoir et à prévenir. Les personnes concourant à la
création et à la circulation de la lettre de change peu
vent être nombreuses, et chacune d’elles avoir des créan-
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DE LA LETTRE DE CHANGE
tiers qui se croiraient autorisés à saisir entre les mains
du débiteur le montant de la lettre qu’ils supposeraient
appartenir toujours à leur débiteur, à contester la trans
mission que celui-ci en aurait faite à une date posté
rieure à la saisie.
Ce n’était pas tout même de proscrire la faculté de
saisir. L’inconvénient qu’on voulait éviter était atteint,
si la saisie faite le payement pouvait être suspendu jus
qu’après la décision de la justice. C’est ce qui se prati
que dans les circonstances ordinaires. Le tiers saisi
n’est pas juge de la validité de la saisie, et s’il paye
avant qu’il ait été statué sur cette validité, il agit à ses
risques et périls et s’expose à payer deux fois.
Il fallait donc consacrer une exception à cette règle,
et déclarer qu’en matière de lettres de change, une sai
sie-arrêt n’en arrêtait pas le payement ; que le refus
fondé sur l’existence de ces saisies ne saurait être pris
en considération.
De là, la disposition de l’article 149. Le souscripteur
ou l’accepteur ne sont obligés qu’envers le porteur qui
présente la lettre de change à l’échéance, ou après. Le
payement exigé par lui ne saurait être retardé ni moins
encore refusé, quelques nombreuses que fussent les sai
sies contre un ou plusieurs des précédents porteurs.
4tO». — Cette règle ne reconnaît ni exception ni
modification. Non-seulement le débiteur de la lettre de
change ne peut avoir aucun égard à ces saisies, mais de
plus il devrait refuser le payement, alors même qu’un
�ART.
14 9.
47
jugement les aurait validées. Ainsi, on a jugé que le
souscripteur d’un billet à ordre qui en a payé le mon
tant, en exécution d’un jugement prononçant la validi
té d’une saisie-arrêt faite entre ses mains par un créan
cier de celui en faveur de qui le billet avait été souscrit,
n’est pas libéré envers le porteur auquel le billet a été
transmis par le saisi, au moyen d’un endossement ré
gulier 1.
Vainement, en effet, exciperait-on dans ce cas de la
force qui s’attache au jugement. Le porteur de celui-ci
n’aurait aucun droit de contrainte contre le souscrip
teur du billet à ordre ou de la lettre de change, autori
sé à refuser le payement tant qu’on ne lui restituerait
pas le titre de son obligation dûment acquitté par le
dernier bénéficiaire. L’omission d’user de ce droit serait
une faute dont ne pourrait souffrir celui à qui le titre
aurait été ultérieurement négocié, et qui l’aurait accepté
de bonne foi.
En réalité donc, le souscripteur d’un effet commercial
ne doit qu’à celui qui est porteur du billet au moment
où le payement est requis. La conclusion, c’est que la
saisie - arrêt faite contre tout autre précédent porteur
manque d’une condition essentielle. Le tiers n’est pas
débiteur du saisi. Comment donc le saisissant pourraitil obtenir contre lui la moindre adjudication ?
4 0 8 . — Mais de là nous concluons aussi que si le
1 Bruxelles, 10 mai 1808. Agen, 21 juin 1811. Cass. 5 avril 1824.
�48
■
DE LA LETTRE DE CHANGE
saisissant était créancier du porteur actuel, la saisie-ar
rêt pratiquée contre celui-ci devrait sortir à effet, en ce
sens que le souscripteur ne pourrait le payer au mépris
de la saisie. L’article 449 entend favoriser la circulation
des lettres de change, en écartant toutes les entraves au
payement provenant de tiers étrangers au porteur actuel.
Mais pour ce qui concerne ce dernier, il n’a nullement
entendu déroger au principe d’après lequel l’actif mo
bilier ou immobilier est le gage des créanciers. Donc la
saisie-arrêt que ceux-ci feraient entre les mains du sous
cripteur ou de l’accepteur du montant de la lettre de
change devrait sortir à effet.
Toutefois, nous le répétons, ce résultat serait subor
donné à la propriété de la lettre de change. En consé
quence, le saisi peut toujours s’affranchir de la saisie,
en négociant celle-ci. Il importerait peu que cette négo
ciation fût postérienre à la saisie ; qu’elle ne fût même
réalisée qu’après l’échéance. Celui qui l’a acceptée, s’il
a agi de bonne foi, et obtenu un endossement régulier,
est le seul propriétaire légal, et son payement ne pour
rait être différé et empêché par la saisie dont son cé
dant avait été l’objet.
409.
— La règle excluant toute opposition au
payement de la lettre de change est exclusivement dans
l’intérêt du porteur. C’est encore cet intérêt que l’article
4 49 a entendu protéger dans la première exception qu'il
consacre à la règle qn’on ne peut faire opposition au
payement de la lettre de change. Le propriétaire qui
�ART.
149.
49
l’aura perdue, ou à qui on l’aura soustraite, pourra
faire opposition entre les mains du débiteur.
Il est évident que cette opposition ne peut offrir au
cun des inconvénients que nous signalions tout à l’heure.
Qui pourrait se plaindre de l’obstacle mis au payement?
Celui qui, ayant trouvé ou soustrait la lettre de change,
voudrait frauduleusement s’en appliquer le profit? Mais
c’est à empêcher un pareil résultat que le législateur
devait essentiellement veiller. Comme moyen d’y parve
nir, l’opposition autorisée n’était plus qu’un acte de
moralité et de stricte justice.
L’opposition n’est pas moins juste dans le cas de
faillite. L’actif du débiteur est en entier dévolu à ses
créanciers, et cette dévolution eût amené bien d’excep
tions, si le failli avait pu impunément négocier les ef
fets qu’il aurait eu le soin de soustraire de son porte
feuille.
Sans doute la négociation peut avoir été faite en
temps régulier, et la preuve qu’en fournira le tiers por
teur lui en assurera les effets. Mais on ne pouvait pas
empêcher une opposition qui rend cette preuve néces
saire, surtout lorsque le failli ne laisse aucuns livres, ou
bien que ceux qui existent ne font aucune mention de
la négociation.
410.
— La loi ne règle nulle part la forme de
l’opposition qu’elle autorise. Ce qui est certain, c’est que
l’accepteur ou le souscripteur qui saurait pertinemment
ii — 4
�50
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que la lettre qu’on lui présente a été soustraite ou per
due, ne devrait pas payer sans s’exposer à payer deux
fois.
De là on pourrait conclure que l’opposition faite par
lettre devait suffire, le fait de la perte ou de la sous
traction se trouvant ainsi formellement dénoncé.
Cependant, une lettre peut à son tour s’égarer, éprou
ver dans sa remise un retard plus ou moins considéra
ble ; des difficultés peuvent même surgir sur le fait de
la réception. Ce qui s’en suivrait serait un procès tou
jours délicat, et la nécessité d’une preuve plus ou
moins possible. La prudence conseille donc de faire
l’opposition par un acte qui doit lever tous les doutes,
par un exploit d’huissier.
L’existence de l’opposition dans les cas prévus par
l’article 149 empêche le payement. L’accepteur ou le
souscripteur doit donc péremptoirement le refuser en
dénonçant l’obstacle rendant ce refus indispensable.
Le porteur peut dès-lors s’adresser à la justice, et ap
peler devant elle l’auteur de l’opposition. S’il se borne
à actionner le débiteur, celui-ci devra mettre en cause
l’opposant, à qui seul il appartient de soutenir l’opposi
tion. L’offre faite par le débiteur de payer à qui sera
dit par justice empêcherait toute condamnation contre lui
et lui ferait allouer les dépens contre le succombant.
�ARTICLE
450.
En cas de perte d’une lettre de change non acceptée,
celui à qui elle appartient peut en poursuivre le paye
ment sur une seconde, troisième, quatrième, etc.
%
ARTICLE
454 .
Si la lettre de change perdue est revêtue de l’accepta
tion, le payement ne peut en être exigé sur une secon
de, troisième, quatrième, etc., que par ordonnance du
juge, et en donnant caution.
ARTICLE
452.
Si celui qui a perdu la lettre de change, qu’elle soit
acceptée ou non, ne peut représenter la seconde, troisiè
me, quatrième, etc., Il peut demander le payement de
la lettre de change perdue, et l’obtenir par l’ordonnan
ce du juge, en justifiant de sa propriété par ses livres, et
en donnant caution.
SOMMAIRE
411.
Motifs et but de nos trois articles.
412.
Premier devoir de celui qui a perdu, ou à qui on a sous
trait une lettre de change.
�Ses droits, s ’il est porteur d’une seconde, troisième, etc.,
si la lettre de change n’était pas acceptée.
Quid, si elle était acceptée ?
Conditions pour obtenir payement : 1* Ordonnance du ju
ge. Caractère de celle-ci, sa forme :
2“ Dation d’une caution. Comment il est procédé.
Conditions pour obtenir payement lorsqu'ancun exemplai
re de la lettre n’est représenté par celui qui s ’en pré
tend propriétaire.
Ordonnance du juge. E n quoi elle diffère de celle rendue
dans le cas de l ’article 151.
Conséquences. Preuve de la propriété. Débats au conseil
d’Eta t à l’occasion de la détermination de celle-ci.
Les juges doivent ensuite s’occuper de la réalité delà per
te ou de la soustraction. Eléments qu’ils doivent con
sulter.
Mais l ’article 152 ne renferme aucune déchéance.
Influence que devrait exercer l ’absence de l ’opposition au
payement.
423.
Le tribunal doit soumettre le propriétaire à donner caution.
Forme de celle-ci. Ses effets. Durée du droit de deman
der son remplacement si elle devient insolvable.
4L4 1 . — La soustraction et surtout la perte d’une
i'Mâ
lettre de change ou de tout autre effet de commerce était
un événement trop facile à prévoir pour qu’il pût
échapper à l’attention du législateur. Dès-lors, ainsi mis
en demeure d’en régler les effets, il aurait pu s’en réfé
rer aux principes généraux applicables à toutes les obli
gations sous seing privé ou par acte authentique. Mais
ici, comme partout, l’intérêt du commerce dictait la né
cessité d’une législation spéciale s’harmonisant avec ses
dévéloppements et ses exigences.
�ART. ISO, 181, 152.
53
Pour obéir à cette mission, la loi avait un double but
à atteindre. D’abord empêcher le payement entre les
mains de celui qui, ayant soustrait ou trouvé la lettre
de change, serait tenté d’abuser du titre et de s’en ap
pliquer le profit au prix d’un faux endossement ou d’un
faux acquit. Consacrer ensuite les moyens pour le véri
table propriétaire de conjurer les effets de la perte ou de
la soustraction.
413.
— L’article 149 a été consacré pour répon
dre au premier de ce buts. Il dépend du propriétare de
faire opposition au payement et d’empêcher ainsi la
consommation de la fraude dirigée contre ses intérêts.
Or, nous dirons dans cette circonstance ce que dans une
autre M. Beugnot disait du payeur: La mesure de ce
qu’il doit est la mesure de ce qu’il peut.
Donc, puisque la loi a dérogé en sa faveur à la règle
prohibitive de toute opposition au payement, son pre
mier devoir, dès qu’il s’aperçoit de la perte ou de la
soustraction, est de faire opposition au payement. Il doit
d’autant plus se hâter, que l’échéance de la lettre est
plus rapprochée. Nous avons vu en effet qu’en l’absence
d’opposition le payement fait à l’échéance, même sur un
faux acquit, serait libératoire, sauf le cas de fraude K
4 1 3 . — Les articles 150 et suivants développent les
moyens à l’aide desquels la loi a voulu atteindre le sei V. sur la forme de l’opposition, sup., n° 410.
�U
DE LA LETTRE DE CHANGE.
cond but qfl’elle s’est proposée, à savoir : le payement
au vrai propriétaire de l’effet perdu ou soustrait.
Elle s’occupe d’abord de l’hypothèse d’une lettre tirée
à plusieurs exemplaires. Celui qui a égaré la première
peut avoir en mains la seconde, la troisième, etc. Pourra-t-il contraindre le payement sur la représentation et
sur l’offre de la restituer dûment acquittée ?
La solution de cette question est subordonnée à l’in
térêt du payeur lui-même. Il était juste, en effet, de ne
le contraindre qu’en tant qu’il opérerait sa libération en
effectuant le payement.
Or, lorsque la lettre de change n’est pas acceptée,
son payement se place sous l’application de l’art. 147,
qui le déclare valable quoique fait sur une seconde,
troisième, quatrième, etc.
Aussi l’article 150 autorise-t-il la poursuite du paye
ment, sans exiger ni ordonnance du juge, ni caution.
Tout est inutile, puisque la possession en mains du
payeur, d’un exemplaire quelconque dûment acquitté,
ne permet plus aucune recherche contre lui, et que le
porteur de l’exemplaire perdu, fût-il même le véritable
propriétaire, ne pourrait exercer un recours que contre
celui qui aurait indûment reçu.
Mais de là il résulte que l’article 150 présuppose
l’existence de la condition exigée par l’article 147, à sa
voir : que la seconde, troisième, quatrième, etc., énonce
que son payement annule l’effet des autres. A défaut, le
payeur ne payerait pas valablement. Il pourrait donc
�ART. 150, 151, 152.
55
refuser de le faire , ou tout au moins exiger et l’ordon
nance du juge et une caution.
414.
— Si la lettre de change perdue ou soustraite
était revêtue de l’acceptation, le propriétaire porteur de
la seconde, troisième, quatrième, ne peut poursuivre le
payement que s’il y est autorisé par le juge et que s’il
donne préalablement caution. C’est là encore la consé
quence de la règle que nous indiquions tout à l’heure.
En effet, l’article 148 permet bien à l’accepteur de
payer sur seconde, troisième, etc., mais à condition
qu’il retirera celle sur laquelle se trouve son acceptation.
4 défaut et malgré le payement, il n’en reste pas moins
tenu envers le porteur de cette acceptation.
Le droit que celte disposition confère à l’accepteur est
incontestablement celui de refuser le payement tant
qu’on ne lui restituera pas l’original de son accep
tation.
Fallait—il respecter ce droit, alors même que cette
restitution n’est plus dans les possibilités du propriétaire
de la lettre parce qu’on la lui a soustraite, ou parce
qu’il l’a perdue ? Convenait-il, dans le cas où l’exem
plaire aurait réellement péri, de permettre que l’accep
teur se trouvât libéré sans avoir réellement payé ? La
raison et la justice protestaient contre un résultat pareil.
Mais ce qu’elles ne condamnaient pas moins, c’était
la solution qui, contraignant l’accepteur à payer, l’au
rait laissé sous le coup de l’éventualité que pouvait lui
faire courir la représentation de son acceptation entre
�S6
DE LA LETTRE DE CHANGE
les mains d’un tiers ; et qu’obligé de payer celui-ci, il
ne lui restât qu’un recours contre celui qu’il avait une
première fois payé, au risque de voir ce recours se ré
duire à néant à cause de l’insolvabilité de celui-ci.
Il fallait donc s’arrêter à un moyen conciliant tous
les droits, sauvegardant tous les intérêts ; et ce moyen
l’article 151 le consacre.
— Ainsi, en cas de perte de l’original accepté,
le propriétaire ne peut poursuivre le payement de
l’exemplaire dont il est porteur qu’à deux conditions :
1° l’ordonnance du juge ; H° la dation d’une caution.
1° Ordonnance du juge. — Remarquons avec
M. Nouguier que ces expressions sont ici détournées
de leur acception ordinaire. Dans la pratique on ap
pelle ordonnance du juge les décisions que le président
est appelé à rendre en référé ou en toutes autres matiè
res qui lui sont spécialement déléguées, mais on n’avait
jamais donné cette dénomination à la décision d’un tri
bunal.
Or, c’est bien de cette dernière qu’il s’agit dans notre
article actuel. L’autorité qui doit statuer sur la poursuite
du payement est le tribunal de commerce du lieu où la
lettre est payable.
Le but de ce jugement étant de permettre ou de re
fuser la poursuite du payement, suivant que la perte ou
la soustraction est plus ou moins probable, plus ou
moins démontrée, il importe que la requête présentée
par le poursuivant, et sur laquelle le jugement inter415.
�art.
ISO, 1S1, 152.
57
viendra, énonce d’une manière nette, claire et précise
tous les faits de nature à établir l’une ou l’autre.
Cette requête est communiquée à l’accepteur, qui a le
droit d’y répondre, et qui la ferait évidemment repous
ser s’il établisssait que la lettre qu’on prétend perdue a
été réellement négociée, et s’il indiquait celui qui en est
actuellement porteur.
Quelle que soit la décision que le tribunal aura sanc
tionnée, ses résultats se réduisent à des effets purement
provisoires qui ne peuvent jamais être foncièrement op
posés à l’accepteur. On autorise la poursuite du paye
ment, mais on ne l’ordonne ni en faveur ni contre per
sonne. En conséquence, l’accepteur pourra, sur la
poursuite dont il sera l’objet, faire valoir toutes les ex
ceptions qu’il jugera convenable. Le silence par lui
gardé lors de la communication de la requête ne saurait
jamais être invoqué contre lui, ni devenir la matière
d’une fin de non recevoir.
41©. — 2“ Caution. — L’obligation de donner
caution est ici non pas seulement une condition pour
recevoir payement, mais encore un préalable indispen
sable pour être recevable à le demander. Le jugement
doit subordonner la poursuite à son accomplissement.
L’omission qu’il en ferait ne pourrait être opposée à
l’accepteur. Il pourrait toujours faire déclarer la de
mande non recevable en l’état, jusqu’à réalisation du
cautionnement.
�38
DE LA LETTRE DE CHANGE
Les règles d’après lesquelles la caution serait ap
pelée à faire ses soumissions et l’appréciation de sa
solvabilité seraient celles établies en matière commer
ciale l.
4 1 S. — Jusqu’ici la loi a supposé que celui qui a
perdu ou à qui ôn a soustrait la lettre de change a con
servé un titre dont il peut poursuivre le payement aux
conditions que nous venons d’exposer. L’article 4521 se
place dans l’hypothèse inverse, celle où celui qui a perdu
la lettre n’a plus rien par devers lui, soit qu’il n’ait ja
mais existé qu’un seul exemplaire, soit qu’il n’ait jamais
reçu aucun des duplicata.
Ici revient la question que nous indiquions tout à
l’heure. Celui qui est appelé à payer une lettre de change
a le droit d’exiger la restitution du titre dûment ac
quitté. Fallait-il que l’impossibilité d’opérer cette resti
tution, en cas de perte, devînt pour le débiteur une vé
ritable et complète libération.
Les raisons étant les mêmes, la solution devait être
identique. De plus, dans l’hypothèse de l’article 452, la
position du souscripteur, relativement au payement, ne
diffère plus de celle de l’accepteur. En conséquence, la
loi ne distingue plus. Que la lettre perdue ou soustraite
ait été ou non acceptée, les formalités pour parvenir au
payement sont les mêmes. Ces formalités sont : l’ordon1 Art. 2018, 2019, et 2020 C. civ.
�ART.
150, 151, 152.
59
nance du juge, la preuve de la propriété de la lettre, la
dation d’une caution.
418. — L’ordonnance du juge est, dans l’hypothèse
de l’article 152, ce qu’elle est dans celle de l’article 151,
c’est-à-dire un véritable jugement que le tribunal de
commerce est appelé à rendre. La seule différence entre
elles, c’est que dans cette dernière le jugement rendu sur
requête est un préalable sans lequel le payement ne peut
être poursuivi, tandis que dans celle de l’article 152 il
s’agit d’un jugement devant ordonner le payement s’il
y a lieu. Aussi, est-ce réellement une instance ordinaire,
et celui qui demande payement doit ajourner, aux for
mes de droit, soit l’accepteur, soit le souscripteur.
419. — C’est précisément ce caractère du jugement
qui a fait exiger la preuve de la propriété. Cette preuve
était inutile tant qu’il ne s’agissait que d’une mesure
devant mettre en présence les parties intéressées. On
pouvait, d’ailleurs, s’en référer à l’apparence résultant
de la possession de la deuxième, troisième, quatrième,
etc.
L’une et l’autre ne pouvaient plus être envisagées ainsi
lorsqu’il s’agit de condamner la partie à payer. La preu
ve devait être exigée et fournie ; l’article 152 en a donc
déterminé les éléments.
Dans la proposition de la section, les mots en justi
fiant de la propriété par les livres étaient suivis de
�60
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ces autres : ou par la correspondance. Ces derniers fu
rent retranchés par le conseil d’Etat.
Le tribunat, interprétant cette suppression comme
une interdiction pour les juges de consulter la corres
pondance, demanda le rétablissement de la rédaction de
la section. I„a correspondance, observait l’orateur s’ex
primant en son nom, est une chose indépendante des
livres, et souvent avec les livres on ne pourrait pas faire
une preuve qu’on ne pourrait faire qu’avec une lettre ;
comme par exemple, si on eu représentait une de la
part du tireur ou d’un endosseur qui annonçât l’envoi
de la lettre de change. 11 faut remarquer que , d’après
l’article 8 du Code de commerce, les lettres missives re
çues doivent seulement être mises en liasse et non trans
crites sur un registre. D’ailleurs, une preuve peut éma
ner d’un tiers qui serait étranger aux livres d’un com
merçant. On doit donc laisser à la disposition des juges
de réclamer et les livres et la correspondance, et d’a
voir égard aux uns et aux autres, selon les circons
tances.
En supposant que le conseil d’Etat voulait le contraire,
le tribunat se trompait évidemment. Dans notre hypo
thèse, pas plus que dans aucune autre, il n’est venu
dans la pensée du législateur de circonscrire les élé
ments de preuve dont le tribunal de commerce devra
s’entourer. Si l’article 152 parle nommément des livres,
c’est qu’il a entendu ajouter force probante à leurs
énonciations, et que ne pas l’exprimer, c’était faire naî
tre de graves difficultés.
�ART. 150, 151, 152.
61
Ce qui a fait repousser la proposition de la section,
ce que, mettant sur une ligne identique les livres et la
correspondance , elle accordait à celle-ci force probante
égale, et c’est ce qu’on ne voulait pas consacrer, préci
sément parce que les lettres missives ne se conservant
qu’en liasse, il devient facile d’intercaler les.lettres con
certées et d’arriver ainsi à la fraude.
Le rejet ainsi motivé, la proposition du tribunat de
venait inutile. La faculté qu’elle voulait faire attribuer
au tribunal de commerce existe, et les juges n’ayant en
cette matière d’autre guide que leur conscience, ont le
droit d’exiger et de consulter tous les documents qu’ils
croiront utiles ou nécessaires à leur édification.
La preuve par les livres est naturelle et facile entre
commerçants. L’entrée d’une lettre de change est un
fait dont les traces pourront être saisies tant dans les li
vres principaux, que dans les livres auxiliaires, notam
ment dans le contrôle des traites.
Mais cette ressource sera évidemment nulle s’il s’agit
d’un propriétaire non commerçant. Les seuls livres que
celui-ci pût produire seraient des registres domestiques,
qui ne commandent légalement aucune confiance.
Cependant les juges pourraient les consulter comme
tous autres documents produits et y puiser la conviction
de la propriété du réclamant.
Au reste, le payement que la preuve de la propriété
déterminera n’aura lieu que sur caution rescéante et sol
vable. On comprend dès lors que les juges n’apportent
pas, dans la décision de la question de propriété, toute
�62
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la sévérité qu’ils y apporteraient si le payement devait
être pur et simple, définitif et sans garanties.
4 3 0 . — La question de propriété tranchée, les ju
ges ont à s’occuper de la réalité de la perte ou de la
soustraction. Il ne suffit pas, en effet, de prouver qu’on
a été propriétaire d’une traite, il faut encore ne pas
l’avoir négociée, ne pas en avoir été payé. Or, il peut se
faire qu’on trouve dans les livres des traces de la pre
mière, ou que le débiteur soutienne s’être acquitté et
avoir adiré le titre qu’il ne représente pas.
Dans ce dernier cas surtout, la difficulé peut être sé
rieuse, et, comme dans toutes les appréciations de fait,
c’est par les circonstances, par la moralité des parties,
par les antécédents, par l’époque de la poursuite que le
tribunal appréciera. La perte alléguée doit tout d’abord
être vraisemblable. Or, sur ce point, la réalisation de la
poursuite peut fournir des données décisives.
Ainsi la cour de Paris décidait, par arrêt du 16 mai
1843, qu’une demande en payement de traites préten
dues perdues, intentée seulement deux ans et demi après
leur échéance, devait être repoussée malgré la preuve
de leur propriété. Attendu, porte l’arrêt, que le deman
deur a à s’imputer le silence par lui gardé pendant deux
ans et demi, ce qui ne permet pas d’admettre que le
payement n’ait pas eu lieu entre ses mains ou celles de
ses préposés L
�ART.
150, 151, 152.
65
C’était là un fait considérable, et les conséquences
qu’én déduit la cour de Paris ne sont pas exorbitantes.
Il ne peut pas être qu’on raisonne comme le ferait le
commerçant, s’écriant : voilà, dans mes livres, la preuve
de l’entrée de la lettre de change, on y cherche vaine
ment celle de la sortie, donc cette lettre s’est égarée dans
mes mains. Mais l’absence d’indication de la sortie peut
provenir d’une omission ; on peut avoir négligé de
prendre note du payement, ce qui n’empêchera pas le
payement de s’être réalisé. Cette probabilité balance celle
de la perte. Elle doit l’emporter, si la poursuite se réa
lise surtout dans les conditions de l’arrêt que nous in
voquons.
4 8 1 . — Mais, à notre avis, la cour de Paris est
moins bien inspirée lorsque, voulant ajouter un motif
de droit aux moyens de fait, elle juge que l’article 152
n’est applicable qu’au cas où l’action est intentée à une
époque rapprochée du moment où la perte ou la sous
traction de l’effet réclamé a eu lieu ; et que ce délai
passé, le demandeur n’est plus admis à opposer ses li
vres, même régulièrement tenus, au défendeur qui allè
gue sa libération.
Cette considération méconnaît l’esprit et le texte de
l’article 152 et crée une déchéance qu’il n’autorise pas.
Sans doute, le plus ou moins d’intervalle mis entre la
perte et la poursuite peut devenir un argument, mais
en fait et jamais en droit, par cela même que le législa
teur ne s’en est pas exprimé.
�64
DE LA LETTRE DE CHANGE
Aussi, lorsque la Cour de cassation a été appelée à se
prononcer sur la régularité du l’arrêt de la cour de Pa
ris, le pourvoi n’a été rejeté que sur les moyens de fait
admis par la cour de Paris. La Cour suprême n’admet
pas la doctrine de l’inapplicabilité de l’article 152, elle
se borne à décider que celui qui demande le payement
d’une lettre de change perdue ou non représentée, peut,
alors même qu’il prouve par ses livres avoir été pro
priétaire de cette lettre, être déclaré non recevable lors
qu’un long temps s’étant écoulé entre l’échéance et la
demande en payement, il n’établit pas que la lettre lui
a été soustraite, ou qu’elle ait été acquittée entre les
mains d’un individu qui n’en était pas régulièrement
porteur l.
La Cour de cassation restitue au litige le véritable ca
ractère qu’il doit avoir. La perte ou la soustraction estelle justifiée ? Le défaut de sortie qu’on relève sur les
livres du commerçant n’est-elle pas le résultat d’une
omission dans les écritures ? Toutes questions essentiel
lement de fait, appartenant à la libre et souveraine ap
préciation des tribunaux.
4 8 8 . — Il est une circonstance dont l’arrêt de Pa
ris ne parle pas, et qui cependant n’est pas sans in
fluence sur la solution, nous voulons parler de l’oppo
sition au payement. Quel que soit l’intervalle écoulé
depuis la perte, il faut se reporter au moment où elle
1 19 mais 1845. J. du P ., 1848, 542.
�ART. IS O ,
1S1, 1S2.
OS
se réalisait et relever les actes du propriétaire dans cette
circonstance. Or, l’absence d’opposition au payement
empêcherait de croire à la réalité de la perte. Il n’est
pas possible d’admettre que celui qui se voit menacé du
danger de perdre une partie de sa fortune ne prenne
aucune précaution pour le prévenir, ne remplisse pas
même le devoir d’arrêter le payement.
Comment donc croire à une perte ou à une soustrac
tion ? Et si à cette première circonstance se joint un si
lence de plusieurs années, on ne saurait raisonnablement
croire ni à l’une ni à l’autre. On a omis de prendre note
du payement, et cette omission, relevée plus tard, a pu
inspirer la pensée d’une perte ou d’une soustraction
n’ayant rien de réel.
433.
— Si la prétention du demandeur est recon
nue fondée, le tribunal la consacre et ordonne le paye
ment en ses mains, mais en le soumettant à donner
caution, que la lettre perdue fût acceptée ou non. Ici
le Code se rapproche de l’ordonnance de 1673, exi
geant la caution toutes les fois qu’il s’agissait du paye
ment d’une lettre de change perdue. La seule exception
admise était pour la lettre qui n’était payable ni au por
teur, ni à ordre. Dans ce cas, en effet, une caution eût
été une superfluité, parce qu’une pareille lettre n’a
point de suite ; que nulle autre personne que le pro
priétaire au nom de qui elle est tirée ne pourrait s’en
n — 5
�/
66
DE LA LETTRE DE CHANGE
servir qu’en vertu d’un transport que lui en aurait fait
celui-ci l.
Comme dans le cas de l’article 151, les soumissions
de la caution, l’appréciation de sa solvabilité obéissent
aux règles commerciales. Dans l’un comme dans l’autre,
l’engagement de la caution n’est que l’accessoire de l’o
bligation du propriétaire de la lettre de change, lequel
est principalement tenu de mettre le payeur à l’abri de
toute demande ultérieure, à raison de la lettre qu’il paye
en ses mains.
Si cette demande se réalisait et si, par sa consécra
tion, le débiteur était obligé de payer deux fois, son
droit de recourir non seulement contre la caution, mais
encore contre le cautionné, serait incontestable.
On ne saurait également lui contester le droit d’exiger
une caution nouvelle, si celle qui avait été fournie et
acceptée devenait insolvable. L’exigence d’une caution
étant ici le fait de la loi plutôt que celui de la partie,
l’exception que l’article 2020 consacre au droit de faire
remplacer la caution ne pourrait être appliquée dans
cette circonstance.
Mais l’exercice de ce droit ne saurait survivre à l’o
bligation elle-même. Nous verrons tout à l’heure que la
caution, prescrite par nos articles, est libérée par l’ab
sence de poursuites pendant trois ans. Il est évident que
ce délai écoulé, il importerait peu que la caution de
vînt insolvable. On serait irrecevable à demander son
1 Jousse, sur les articles 48 et 49.
�ART.
153.
(57
remplacement, car le bénéfice seul du temps a rompu
définitivement son obligation. On ne remplace pas ce
qui n’existe plus.
ARTICLE
153.
En cas de refus de payement, sur la demande formée
en vertu des deux articles précédents, le propriétaire de
la lettre de change perdue conserve tous ses droits par
un acte de protestation.
Cet acte doit être fait le lendemain de l’échéance de
la lettre de change perdue.
Il doit être notifié aux tireur et endosseurs, dans les
formes et délais prescrits ci-après pour la notification du
protêt.
SOMMAIRE
424.
Comment se conserve le recours contre les endosseurs, en
cas de perte de la lettre de change.
425. Comment doivent s ’entendre ces termes, en cas de refus
de payement, sur la demande formée en vertu des deux
articles précédents.
426. L ’acte de protestation doit-il, pour être valable, être pré
cédé de l'ordonnance du juge. Opinion de MM. Pardes
sus, Horson, Nouguier.
427. Jurisprudence.
�68
42S.
429.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Solution.
Intérêt du propriétaire de la lettre perdue à poursuivre
sans délai le payement contre le souscripteur ou l’ac
cepteur.
434.
— Le refus de payement qne toute lettre de
change peut rencontrer pouvait et devait surtout être
prévu dans le cas où la lettre a été perdue ou soustraite.
Alors, en effet, ce ne sera plus seulement l’impuissance
du débiteur ou l’absence de provision. Le refus peut être
motivé sur le défaut de représentation du titre, et sur la
crainte que le payement ne soit pas libératoire. Dans
tous les cas, ce refus ouvrant au porteur des droits con
tre les autres signataires, contre les endosseurs notam
ment, son existence doit être soigneusement constatée.
Cette constatation résulte ordinairement du protêt
que le porteur doit requérir dans un délai déterminé.
Mais ce protêt est impossible lorsque la lettre de change
n’est plus en la possession de son propriétaire. Fallaitil dès lors le priver de tout recours contre les endos
seurs, le rendre fatalement victime d’un délit ou tout au
moins d’un fait de force majeure qu’il n’a pu ni pré
voir, ni empêcher ? Le législateur ne l’a pas pensé, et
par une dérogation à la règle qu’il va bientôt poser, il
lui permet de suppléer au protêt par un acte qu’il qua lifie acte de protestation.
Les seules conditions exigées pour que cet acte pro
duise les effets qui s’y rattachent sont : 1° qu’il soit ré
digé dans les vingt-quatre heures de l’échéance de la
�ART.
153.
69
lettre perdue ; 2° qu’il soit notifié aux tireur et endos
seurs dans la forme et les délais prescrits pour la noti
fication du protêt.
*
435.
— Rien de plus simple en apparence que l’ar
ticle 153. Cependant sa disposition a fait naître de
graves et sérieuses difficultés qui partagent encore au
jourd’hui la doctrine et la jurisprudence.
Comment doit-on entendre ces mots : en cas de refus
de payement sur la demande formée en vertu des deux
articles précédents? Est-ce le refus postérieur à l’ins
tance judiciaire ? Est-ce au contraire celui qui, se réali
sant sur la demande amiable, amènerait la poursuite
judiciaire que le législateur a prévue?
M. Locré admet cette dernière hypothèse. Le refus
dont parle l’article, dit-il, n’est pas celui qui pourrait
être fait d’obéir à l’ordonnance du juge. C’est le refus
que fait l’accepteur avant d’avoir été condamné, et au
moment où le propriétaire se présente à lui pour de
mander son payementl.
Nous croyons que M. Locré est dans le vrai. En effet,
il en est des formalités prescrites par les articles 151,
152, 153, comme de foutes les autres à réaliser, con
formément aux prescriptions de la loi. Elles ne devien
nent obligatoires que si l’objet qu’elles ont pour but de
remplir ne peut être amiablement acquis entre les par
ties.
t E sprit du Code de commerce, art, 153.
�70
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Or, il ne peut être dans l’esprit de la loi d’empêcher,
dans la circonstance, cette terminaison toujours désira
ble. Les articles 151 et 152 ne sont pas d’ordre public.
Les formalités qu’ils prescrivent sont exclusivement pri
ses dans l’intérêt du payeur, qui peut dès lors renoncer
à leur bénéfice.
Il est donc évident qu’avant de recourir à justice, le
propriétaire de la lettre perdue s’informera de l’intention
du débiteur, et qu’il n’entamera la poursuite judiciaire
que sur le refus de celui-ci de payer autrement que sur
l’ordonnance du juge.
C’est ce premier refus qui créera la nécessité de s’a
dresser aux juges. De plus, ce refus peut être considéré
comme un prétexte pour reculer le payement, et faire
dès lors présumer que le débiteur est dans l’impuissance
de le faire. Cette présomption rendant probable la né
cessité d’un recours contre les endosseurs, inspirera la
pensée de le conserver, et par conséquent de rédiger
l’acte de protestation voulu par l’article 153.
— Cette solution tendrait à faire disparaître
une difficulté grave, celle de savoir si l’acte de protesta
tion peut précéder l’ordonnance du juge, ou s’il n’est
valable que lorsque cette ordonnance l’a précédé luimême.
M. Pardessus se prononce dans le premier sens. Il
n’est pas nécessaire, dit-il, que les différentes formalités
de la loi aient été remplies, pour que l’acte de protes
tation puisse être fait. Cela serait presque toujours
436.
�ART,
135.
71
impossible. La plupart du temps tfn ne s’aperçoit de
la perte de l’effet qu’au moment où l’on veut en faire
usage l.
L’opinion contraire est soutenue parM. Horson. L’ar
ticle 453, dit-il en autorisant le propriétaire de la lettre
perdue à faire un acte de protestation pour la conserva
tion de tous ses droits, ne lui accorde cette faveur qu’en
cas de refus de payement sur la demande formée en
vertu des deux articles précédents. Mais pour qu’il y ait
refus de payement, il faut qu’il soit demandé ; pour
pouvoir faire cette demande, il faut en présenter le titre
ou avoir justifié de sa propriété, et obtenu l’ordonnance
du juge. Donc, l’acte de protestation fait avant ne sau
rait produire aucun effet2.
M. Nouguier préfère l’avis de M. Pardessus, il s’ef
force de prouver que l’opinion de M. Horson est injuste
en droit et souvent impraticable en fait, qu’on ne sau
rait dès lors l’accueillir3.
4 3 9 . — La jurisprudence n’est pas moins divisée
que la doctrine.
La cour de Lyon, par un arrêt du 15 mars 1826,
consacre le système de M. Horson, et décide, en consé
quence, que l’acte de protestation doit, à peine de nul
lité, être précédé de l’ordonnance du juge et de l’offre
d’une caution.
1 Droit comm., n° 423.
2 Quest. 401 et 402.
s T. 4, p. 237.
�72
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le 10 novembre 1828, la Cour de cassation repousse
formellement cette doctrine. Elle décide que le proprié
taire d’un effet de commerce perdu conserve ses droits
contre les tireur et endosseurs, en faisant la protestation
dont parle l’article 153 du Code de commerce, lors mê
me que l’accomplissement des formalités prescrites par
l’article 162 du même Code aurait suivi cette protesta
tion au lieu de la précéder, ces formalités n’étant pres
crites que pour la sûreté du débiteur et pour qu’il ne
paye l’effet qu’au véritable propriétaire. C’est dans le
même sens que se prononce la cour de Nîmes, par ar
rêt du 29 avril 1829.
Appelée à son tour à se prononcer, la cour de Dijon
le fait dans un sens identique, par arrêt du 14 avril
1831. La Cour considère que l’article 153 contient des
dispositions distinctes pour déterminer les formes à sui
vre par le propriétaire d’une lettre de change perdue :
1° pour conserver sa garantie contre les précédents en
dosseurs ; 2° pour obtenir le payement de cette lettre.
Que pour le premier objet, il suffit qu’un acte de pro
testation soit notifié le lendemain de l’échéance, avec les
formes prescrites pour le protêt ; que rien n’indique que
cotte protestation doive, à peine de nullité, être précédée
des actes nécessaires pour avoir payement ; qu’il pour
rait se rencontrer une foule de circonstances dans les
quelles il serait impossible que ces actes précédassent la
protestation.
Le caractère juridique de sa doctrine, les précédents
mêmes de la Conr de cassation semblaient mettre cet
�ART.
153.
73
arrêt à l’abri de toute censure. Il n’en fut rien cepen
dant, et sur le pourvoi dont il fut l’objet, la Cour régu
latrice crut devoir l’annuler comme contrevenant aux
articles 181, 152 et 153 du Code de commerce. Aban
donnant sa propre jurisprudence, elle décide, le 3 mars
1834, que l’acte de protestation, pour être valable, doit
être précédé de l’ordonnance du juge. Depuis, et par
arrêt du 17 décembre 1844, elle a persisté dans ce der
nier système L
Enfin, un arrêt de la cour de Paris, du 7 décembre
1843, maintenu comme exception à la règle par celui
que nous venons d’indiquer, juge que l’article 153 n’or
donne pas, à peine de nullité de faire précéder l’acte de
protestation de l’ordonnance du juge 2.
4 3 8 . — Où est la vérité au milieu de ces apprécia
tions diverses ? Quel est le système auquel il faut se rat
tacher ? A notre avis, celui que MM. Pardessus et Nouguier enseignent, celui que la Cour de cassation consa
crait elle-même en 1828.
Quelles sont, en effet, les bases fondamentales du
système contraire ? L’arrêt de la Cour de cassation de
1834 s’appuie sur l’unique raison que nous avons déjà
empruntée à M. Horson. Le refus dont parle l’article
153 est celui qui se manifeste sur la demande formée en
vertu des articles 151 et 152. Or, si ces demandes exi1 J. du P., <, 1845, 241.
2 J. du P., 1 , 1844, 71.
�74
DE LA LETTRE DE CHANGE
gent l’ordonnance préalable du juge, il faut nécessaire
ment reconnaître que l’acte de protestation qui doit sui
vre ces demandes suppose par cela même l’existence de
l’ordonnance, sans laquelle il ne saurait y avoir ni de
mande ni refus.
N’est-ce pas là pousser jusqu’à l’idolâtrie le respect
de l’expression, et refuser de rechercher le véritable sens,
de le dégager des obscurités naissant de la forme ? Le
refus dont parle l’article 133 est si peu subordonné à
l’instance judiciaire, que sans ce refus il n’y aurait au
cune instance. Supposez, en effet, que par un motif
quelconque le débiteur ne crût pas devoir se refuser au
payement, qu’il s’entendît amiablement avec le créan
cier, à quoi bon une instance judiciaire et une ordon
nance du juge?
De toute nécessité donc, l’instance judiciaire sera pré
cédée d’une demande amiable. Le refus qui accueillera
cette demande, ainsi que le fait observer la cour de Di
jon, crée deux intérêts pour le propriétaire de la lettre ;
10 celui de conserver son recours contre les endosseurs ;
Ü!0 celui d’exiger le payement. L’ordonnance du juge et
la dation d’une caution n’étant requises que pour satis
faire à ce dernier, elles restent forcément étrangères à
toutes les mesures conservatoires que le premier peut
commander.
Comment, d’ailleurs, confondre et le payement et
l’acte de protestation lorsque la loi elle-même distingue
expressément. Pour obtenir le premier, elle veut une or
donnance du juge, la preuve de la propriété, une eau-
�ART.
153.
75
tion. Qu’exige-t-elle pour le second? Qu’il soit rédigé
dans les vingt-quatre heures, et notifié dans la forme
et les délais déterminés pour la notification du protêt.
Voilà tout. Donc, exiger davantage, c’est aller évidem
ment au-delà des désirs de la loi.
Concluons donc que le motif invoqué par la Cour de
cassation n’a rien de concluant. Les formalités des arti
cles 151 et 152 ne sont obligatoires que lorsqu’il s’agit
d’un payement effectif. Mais elles demeurent étrangères
et sans application à un acte purement conservatoire qui
n’empire en rien la position des endosseurs.
Dans son arrêt du 17 décembre 1844, la Cour de cas
sation invoque un tout autre moyen. Elle établit en thèse
une assimilation absolue entre la protestation et le pro
têt. Elle en conclut que le protêt n’ayant pas seulement
pour objet de prouver le refus de payement, mais ayant
encore pour but d’établir, par la transcription littérale
du titre et des endossements, la régularité de la présen
tation et la propriété du porteur, l’acte de protestation
doit, à défaut de représentation du titre, justifier de la
propriété de son auteur. Or, cette justification ne peut
résulter que de l’ordonnance du juge. Dès lors, de mê
me qu’il n’y a pas de protêt valable sans transcription
du titre, de même il n’y a d’acte de protestation régu
lier que celui qui renferme la transcription de cette or
donnance,
Le tort de ce raisonnement est de méconnaître un
principe sur lequel la Cour de cassation n’a jamais cessé
d’insister, à savoir : que les nullités ne se suppléent
W
�76
DE LA LETTRE DE CHANGE.
pas ; qu’on ne doit consacrer que celles qui sont ex
pressément prévues par la loi. Or, nous voyons bien
l’article 174 prescrire la transcription du litre dans le
protêt, mais nous ne trouvons nulle part une pareille
obligation pour l’acte de protestation. Donc l’omission
de la transcription motiverait légalement la nullité du
protêt, mais ne saurait produire le même résultat pour
l’acte de protestation.
Ajoutons que l’on doit d’autant moins exiger pour
celui ci ce qu’on exigerait pour celui-là, que le premier
n’est qu’une exception au principe posé par l’article
175, à savoir : que nul acte ne peut suppléer le protêt.
L’acte de protestation le supplée. Ici la preuve de la
propriété résultera de la protestation elle-même. Sans
doute cette preuve ne suffira pas pour amener le paye
ment. Celui-ci ne pourra être ordonné que par ordon
nance du juge. Mais est-ce que la preuve résultant de
la transcription du titre dans le protêt sera définitive
ment acquise, est ce que les endosseurs ne seront pas re
cevables à la discuter?
On ne saurait donc ranger sur la même ligne l’acte
de protestation et le protêt. La loi a nettement tracé la
forme de l’un, et a gardé le plus complet silence sur
celle de l’autre. La nullité que le défaut de la forme en
traîne pour le protêt ne peut donc être admise pour
l’acte de protestation. Ce résultat ne serait possible que
si une loi l’avait expressément commandé. Cette loi
existe-t-elle dans la disposition des articles 151 et 152?
Nous avons prouvé la négative.
�A ces considérations puisées dans le texte de la loi,
nous pourrions en ajouter une foule d’autres que son
esprit suggère. Est-il présumable que le législateur, qui
a jusqu’ici voulu protéger le porteur de la lettre de
change, qui vient dans ce but de lui permettre, en cas
de perte, de s’opposer au payement de la lettre, ait
voulu dans la même occasion le rendre nécessairement,
fatalement victime d’un événement imprévu, d’un dé
lit même, en mettant à la conservation de son recours
contre les endosseurs des conditions impossibles à rem
plir.
Ne perdons pas de vue, en effet, que l’ordonnance
du juge dont il est question n’est rien autre qu’un ju
gement émané du tribunal de commerce, que ce juge
ment, contradictoire dans le cas de l’article 152, est ren
du sur requête dans celui de l’article 151, mais après
communication.
Or, la perte peut n’être connue que la veille, que le
jour de l’échéance, au moment où le banquier extrait
de son portefeuille les effets à encaisser. Cependant l’acte
de protestation doit être fait vingt-quatre heures après
l’échéance, le propriétaire aura donc, en tenant compte
de la nuit, quelques heures pour prouver sa propriété,
obtenir un jugement alors même que le siège du tribu
nal serait à huit ou dix lieues de la localité où l’effet
était payable, enfin pour donner caution. Autant valait
dire que la perte de la lettre entraineiait de plein droit
celle de tout recours contre les endosseurs.
Il y a même plus, le délai pour remplir les Lraialités
�78
DE LA LETTRE DE CHANGE.
peut être moindre encore. Par exemple, si le commis a
perdu la lettre qu’il avait reçue pour encaisser, et dont
il ne s’apercevra qu’en rentrant de sa tournée, qui a pu
l’occuper une grande partie du jour.
La loi aurait donc voulu l’impossible, et cela peut-il
se supposer. Il est vrai que l’arrêt de Paris, du 7 dé
cembre 1843, admet dans ce dernier cas une exception,
et c’est ce que consacre la Cour de cassation dans son
arrêt du 17 décembre 1844. Mais sur quoi se fonde
cette exception, quelle est la loi qui l’autorise ?
D’ailleurs, si exception dans ce cas, pourquoi pas dans
tous ceux où l’impossibilité aura réellement existé ? Il est
vrai que la preuve n’en sera pas toujours facile, mais il
serait injuste de punir celui qui a perdu la lettre de ce
qu’il ne pourrait en préciser le moment.
Au fond il y a dans le système que nous combattons
impossibilité ou injustice. On doit donc le repousser.
4U39. — Ainsi l’acte de protestation fait et notifié
conformément à l’article 153, qu’il ait été ou non pré
cédé par l’ordonnance du juge, conserve le recours con
tre les endosseurs. Cette ordonnance, la preuve de la
propriété, la dation d’une caution ne seront indispen
sables que lorsqu’il s’agira de poursuivre et d’obtenir le
payement.
Dans tous les c a s, le propriétaire de la lettre perdue
devra se pourvoir sans délai contre le débiteur ou l’ac
cepteur. Car ce ne sera que sur le refus qu’ils feraient
l’un et l’autre de se conformer au jugement ordonnant
�ART.
155.
79
le payement, qu’il pourrait exercer son recours contre
les endosseurs. Il y a en effet, tant que ce jugement n’est
pas rendu, présomption que le refus de payer n ’est que
la conséquence de la crainte de mal payer.
A ce premier motif se joint un intérêt d’autant plus
urgent, que le retard ou la négligence que ce proprié
taire mettrait dans cette poursuite pourrait compromet
tre le succès de son recours contre les endosseurs. Par
exemple, si dans l’intervalle le souscripteur ou l’accep
teur était tombé en déconfiture. L’endosseur attaqué ne
manquerait pas de décliner l’obligation de payer, il di
rait au poursuivant : par votre fait, le débiteur, qui vous
eût payé si vous aviez été en règle, est tombé en décon
fiture avant payement ; par votre fait, je suis privé du
recours que j’aurais exercé contre lui ; vous devez donc
être exclusivement tenu de la perte que vous avez seul
occasionnée K Cette défense devrait être accueillie si
réellement une plus exacte diligence aurait amené le
payement. Il importe donc au propriétaire de la lettre
perdue de ne pas se mettre en position de mériter ce re
proche.
1 Nouguier, 1 .1, p. 339.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
80
ARTICLE
154.
Le propriétaire de la lettre de change égarée doit,
pour s’en procurer la seconde, s’adresser à son endos
seur immédiat, qui est tenu de lui prêter son nom et
ses soins pour agir envers son propre endosseur, et ainsi
en remontant d’endosseur en endosseur jusqu’au tireur
de la lettre. Le propriétaire de la lettre de change éga
rée supportera les frais.
»
430.
431.
432.
433.
434.
435.
436.
437.
438.
SOMMAIRE
Objet de la disposition de l’article 154. Ses motifs.
Son caractère.
Silence de l’ordonnance sur la forme de procéder. Dif
ficultés qu’il avait fait surgir. Arrêt de règlement de
1714.
Marche à suivre depuis le Code.
Qui devrait payer les frais en cas de litige ?
La demande pourrait être faite par lettre missive.
Obligations imposées aux endosseurs.
Destination que peut recevoir le duplicata. Comment doitil être payé.
La lettre de change perdue ou soustraite peut être reven
diquée pendant trois ans.
4 3 0 . — La disposition de l’article 152, que nous
venons d’examiner, pourrait faire considérer comme
inutile celle de l’article 154. A quoi bon, en effet, se
�ART.
154.
81
préoccuper de la création d’une seconde, puisqu’on peut
sans son secours poursuivre ei obtenir le payement de
la lettre perdue ?
Mais la réflexion suffît pour faire repousser ce repro
che. La perte d’une lettre de change ne se réalise pas
toujours de la même manière ; la position et l’intérêt de
son propriétaire peuvent, selon le cas, être fort diffé
rents. L’intention et le désir de prévenir et de régler les
diverses éventualités ont fait sanctionner cumulative
ment les articles 152 et 154.
La lettre de change, avons-nous dit, peut être perdue
la veille, le jour même de l’échéance, et quelquefois
après la présentation au débiteur ; à quelque époque
que cette perte remonte, on peut ne la découvrir qu’à
ce moment même. Dans chacune de ces hypothèses,
l’intérêt du propriétaire est d’en obtenir le payement ;
et ce serait par trop en retarder l’époque que de recou
rir aux démarches que nécessite la création d’une se
conde. C’est pour satisfaire à cet intérêt que l’article
152 a été sanctionné.
Mais la perte peut se réaliser bien avant l’échéance et
être parfaitement connue dès le moment qui la voit s’ac
complir. Un banquier, en dépouillant son courrier,
laisse tomber un pli dans le feu. Tout autre accident
détruit dans ses bureaux une ou plusieurs lettres de
change.
Cependant, ces effets ont pu n ’être transmis que pour
les négocier ; si le délai qui sépare la perte de l’échéance
est encore long, le banquier peut vouloir les escompii — 6
�82
DE LA LETTRE DE CHANGE
ter. Enfin, il est possible qu’ils soient payables sur une
localité éloignée, où le banquier devrait les faire ar
river.
On comprend alors la nécessité d’une seconde qui,
remplaçant la première, se prêtera à toutes les négocia
tions et remplira le but que celle-ci s’était proposé.
Yoilà dans quelles prévisions l’article 154 a été sanc
tionné.
4 3 1 . — Au reste, le législateur n’a fait aucune
obligation d’exécuter, soit l’article 152, soit l’article
154. Il s’en rapporte exclusivement aux convenances et
au choix du propriétaire de la lettre perdue. Celui-ci
peut donc, dans tous les cas, vouloir se procurer une
seconde, et les endosseurs auxquels il demanderait leurs
soins et leur nom ne pourraient les lui refuser sous au
cuns prétextes. Ainsi, la cour de Turin, par arrêt du 9
juillet 1813, condamnait un endosseur qui, excipant de
ce que le propriétaire de la lettre avait perdu tout re
cours contre les endosseurs, prétendait n’être pas tenu
de concourir à la création d’une seconde.
La poursuite en obtention de celle-ci est donc facul
tative. Elle peut être réalisée alors même qu’aux termes
de l’article 152 le payement pourrait être demandé et
obtenu. Une seule condition est imposée à cette pour
suite, à savoir : que dans l’origine la lettre de change
perdue n’ait été tirée qu’à un seul exemplaire. Si elle
avait été faite par seconde, troisième, quatrième, etc.,
l’article 154 ne pourrait recevoir aucune exécution.
�ART.
154.
83
413*. — Le silence que l’ordonnance de 1673 avait
gardé sur la manière dont il devait être procédé pour
la création de la seconde n’avait pas tardé à soulever
des difficultés entre les parties. Celui qui voulait par ce
moyen remplacer la lettre perdue s’adressait aux der
niers endosseurs, mais ceux-ci prétendaient le renvoyer
au tireur qui devait à leur avis refaire la lettre. Un ar
rêt de règlement, rendu par le Parlement de Paris, le
30 août 1714, vint trancher ces difficultés en sanction
nant les prétentions du porteur. C’est la doctrine de cet
arrêt qui a passé dans notre article 154.
Le système des endosseurs était peut-être plus logi
que. Puisqu’il s’agit de refaire la lettre de change, il
semble qu’on devait d’abord s’occuper de l’obligation
principale et n’arriver qu’ensuite aux engagements ac
cessoires ; en d’autres termes, qu’il fallait commencer
par le commencement, par la tête et non par la queue.
Mais celui consacré par le Parlement et ensuite par
le Code est plus conforme aux principes du droit. En
effet, l’endossement n’est qu’une cession, qu’un trans
port. En cette matière, chaque cessionnaire doit exercer
son action contre son cédant immédiat, celui-ci contre
son cédant à lui, et ainsi de suite jusqu’au premier.
L’article 154 n’a donc fait que se conformer à celle
règle.
4L33. — Donc, celui qui demande un duplicata de
la lettre de change perdue doit s’adresser à celui de qui
il tenait celle-ci. Le consentement que celui-d&nnerail à
�84
DE LA LETTRE DE CHANGE
refaire son endossement rendrait à son égard toute dé
marche ultérieure inutile, à moins qu’après il refusât
ses soins et son nom pour obtenir un nouvel endosse
ment de la part de son cédant immédiat.
Dans ce cas comme dans celui de refus de donner
l’endossement, le propriétaire de la lettre perdue pour
rait s’adresser à la justice, mais l’action étant dans ce
cas pure, personnelle, ne saurait être portée qu’au tri
bunal du domicile de l’endosseur refusant h
4L34L. — Cette action serait infailliblement accueillie,
et l’endosseur condamné à renouveler son endossement.
Mais ici s’élève la question de savoir qui, dans ce cas,
supporterait les frais ?
L’article 154 les met à la charge de celui qui deman
de la seconde, et c’était justice. La création de celle-ci
ne pouvait être à la charge d’un autre que de celui qui
la réclame dans son intérêt. Il devrait donc indemniser
les divers endosseurs, même du port des lettres que cha
cun d’eux a dû payer.
Mais l’article 154 dispose pour le cas où la seconde
a été amiablement consentie. Le silence qu’il garde sur
l’hypothèse d’un litige ne laisse-t-il pas les parties
sous l’empire des règles ordinaires en matière de dé
pens ?
L’affirmative doit être consacrée avec d’autant plus de
raison, qu’en copiant le principe dans l’ancienne légis—
i Pardessus, Droit commercial, n° 4854.
�lation, les auteurs du Code s’en sont évidemment ap
proprié toutes les conséquences.
Or, à cet égard, aucun doute n’est possible. Beaucoup
plus explicite que le Code, l’arrêt de règlement de 1714
disposait que tous les frais qui seront faits à raison
de ce, même le port des lettres et autres frais seront
acquittés par ledit porteur de la première lettre de
change qui aura été perdue. Mais il ajoutait immédia
tement : Que l’endosseur qui aura été requis par écrit
et qui aura refusé sera tenu de tous les frais et dépens,
même des faux frais qui pourront être faits pour tou
tes les parties depuis son refus.
Les fondements de cette doctrine sont trop équitables
pour hésiter sur la consécration qu’elle a reçue des au
teurs du Code. Peut-être n’est-ce que parce que son ap
plication a paru incontestable qu’on n’a pas cru devoir
s’en expliquer.
435. — L’arrêt de 1714 suppose que la demande
d’un duplicata sera faite par écrit. Telle est également la
pensée de l’article 154. Mais il n’est pas besoin d’un
acte extra-judiciaire. Une simple lettre missive suffirait
pour autoriser la citation en justice et pour obliger l’en
dosseur à en supporter les frais s’il consentait à faire,
après l’avoir reçue, ce qu’il avait refusé sur simple
lettre.
436. — Les obligations que l’article 154 impose
aux endosseurs consistent dans leur concours personnel
�86
DE LA LETTRE DE CHANGE
à la confection de la seconde, dans leur intervention
auprès de leurs cédants respectifs, dans la faculté qu’ils
accordent de les contraindre en leur nom.
Ainsi, chaque endosseur doit d’abord refaire son en
dossement personnel, il doit ensuite écrire à son cédant,
lui demander un acte semblable et mettre tous ses soins
à l’obtenir.
Si la demande n’est pas accueillie, si son intervention
échoue, on ne pouvait certes pas lui imposer l’obliga
tion de plaider personnellement. Mais, d’autre part, le
refusant n’ayant jamais traité avec le demandeur en du
plicata, il était facile de prévoir que celui-ci ne pourrait
non plus l’assigner sans s’exposer à être repoussé par
une fin de non recevoir péremptoire.
Cependant comme le refus de concourir à la création
d’une seconde est injuste, comme celui qu’il lèse a le
droit d’en obtenir raison, on a tout concilié en obligeant
son cédant ou tout autre endosseur à prêter son nom.
C’est le propriétaire de la lettre perdue qui plaidera,
mais sous le nom du cessionnaire de celui qu’il devra
attaquer.
439.
— Le duplicata régulièrement confectionné
remplace l’original de la lettre de change. Il peut être
négocié tout comme le serait celui-ci, ce ne peut être
même que dans ce but qu’on l’aura créé.
Mais quel sera le mode de payement à l’échéance ?
Aucun doute ne saurait s’élever à l’endroit des cession
naires postérieurs à la création du duplicata. Pour eux,
�ART.
1S4.
87
il n’y a jamais eu d’autre titre. Chacun d’eux paye donc
régulièrement en remboursant celui à qui il l’avait cédé,
on arrive ainsi jusqu’à celui entre les mains de qui la
première s’était adirée.
Or, de celui-ci aux endosseurs qui le précèdent, à
l’accepteur ou au tireur, il y a la lettre de change per
due et conséquemment la chance de payer deux fois, si
le duplicata est acquitté purement et s’implement, alors
même que celui-ci porterait la clause voulue par l’arti117. L’original ne pouvant la renfermer, on ne pourrait
en invoquer d ’autorité contre le porteur.
La conséquence à en déduire, c’est que dans ce cas,
le titre vrai, réel ne pouvant être restitué au payeur, le
payement ne pourrait être poursuivi et obtenu que dans
les formes voulues par l’article 152.
Sans doute la création du duplicata aurait une in
fluence décisive sur le payement. En effet, elle fourni
rait la preuve de la propriété du porteur et de la perte
de la première, mais la caution ne saurait être refusée,
puisque le payement ne pourrait être définitif et libéra
toire.
488. — Indépendamment des facultés consacrées
par les articles qui précèdent, le propriétaire de la lettre
perdue ou soustraite a le droit de la revendiquer entre
les mains de celui qui la détient. Ce droit peut être
exercé pendant trois ans, aux termes de l’article 2279
du Code civil, dont l’application à la matière ne saurait
être contestée.
�88
DE LA LETTRE DE CHANGE
Vainement le détenteur actuel exciperait-il de sa
bonne foi. En admettant qu’on ne pût la révoquer en
doute, ses effets n’en resteraient pas moins subordonnés
à l’obligation que contracte tout porteur de garantir
l’existence, l’individualité de son cédant et la sincérité
de ses droits. Or, cette obligation ne pouvant être rem
plie dans notre hypothèse, la revendication ne rencon
trerait aucun obstacle. Le détenteur aurait à s’imputer
d’avoir traité avec un individu sur la moralité duquel il
s’est trompé. L’unique garantie qui lui resterait serait
un recours contre celui-ci.
ARTICLE 1 5 5 .
L’engagement de la caiflion, mentionné dans les ar
ticles 151 et 152, est éteint après trois ans, si, pendant
ce temps, il n’y a eu ni demandes ni poursuites juri
diques.
SOMMAIRE
439.
440.
4 41.
442.
443.
Motifs qui avaient porlé le législateur de 1673 à réduire à
3 ans la durée de l’engagement des cautions.
Restriction consacrée par l'article 155.
Considérations invoquées contre sa disposition.
Raisons qui le firent m aintenir.
Caractère de la prescription qu’il établit.
�art.
154.
89
4S». — Avant l’ordonnance de 1673, les actions se
rattachant aux lettres de change ne se prescrivaient que
par trente ans. Cette longue durée n’était pas compatible
avec la promptitude qu’exige le règlement des affaires
commerciales. Il en était résulté qu’on souscrivait diffi
cilement des lettres de change, plus difficilement un aval
et un cautionnement, dont les conséquences venaient
porter à l’improviste la ruine et la misère dans le sein
des familles l.
Un pareil état de choses était un obstacle au déve
loppement du crédit, aux progrès du commerce. En ef
fet, telle lettre de change était refusée, qui eût été accep
tée si son payement avait été garanti par un cautionne
ment ou un aval. Il importait donc d’y remédier, et la
meilleure manière pour y parvenir parut la détermina
tion d’une durée beaucoup moins longue pour l’engage
ment de ceux qui consentiraient l’un et l’autre..
En conséquence, l’article 20, titre 5 de l’ordonnance,
déclara les cautions baillées pour l'évènement des let
tres de change, libérées de plein droit, sans qu'il soit
besoin d’autre jugement, procédure ou sommation, s'il
n'en est fait demande pendant trois ans, à compter du
jour des dernières poursuites.
440.
— La place que cet article occupe dans l’or
donnance, immédiatement après les articles 18 et 19,
traitant de la perte des lettres de change, aurait pu faire
1 Savary. liv. 3, ch. îv, p. 205. Jousse et Bornier, sur l’art, xx.
�90
DE LA LETTRE DE CHANGE,
supposer que les cautions dont il s’y agissait n’élaient
que celles qui étaient la conséquence de la perte même.
Mais çette restriction était repoussée par la doctrine.
Savary, Jousse, Bornier attestent que l’application de
cette disposition à ceux qui avaient cautionné la lettre
de change, soit en la souscrivant, soit en donnant leur
aval, ne pouvait faire et ne faisait en effet aucune dif
ficulté.
Le Code de commerce n’a pas imité son prédéces
seur. Il ne distingue plus entre les cautions ordinaires
par aval ou autrement et les principaux obligés. Leur
engagement à tous ne se prescrit que par cinq ans. Le
bénéfice de la prescription triennale, empruntée à l’or
donnance, n’est attachée qu’aux cautions données en
exécution des articles 151 et 152.
441.
— Cette détermination est même devenue l’ob
jet d’une vive discussion. Pour la faire repousser on
disait :
D’après les articles 155 et 189, l’accepteur ne sera,
par la force de la lo i, libéré de son acceptation perdue
que deux ans après que la caution, par la force de cette
même loi, aura été libérée de toute garantie à son
égard. Cependant celte caution est uniquement instituée
pour garantir à l’accepteur la restitution de la somme
qu’il paye par ordonnance du juge, dans le cas où la
lettre, revêtue de son acceptation, viendrait un jour à
êire reproduite ; dans ce cas, en effet, et aux termes de
l’article 148, l’accepteur ne pourrait se dispenser de
�ART.
155.
91
payer une seconde fois celui qui en serait porteur, d’où
il résulte que la caution instituée par les articles 151 et
152 devient illusoire ; en voici la preuve.
Le porteur d’une lettre de change revêtue de notre
acceptation nous forcera, sous prétexte de l’avoir per
due, de lui en faire le payement sur une seconde, en
obtenant l’ordonnance du juge et en donnant caution.
Il laissera expirer les trois ans qui limitent la durée de
la garantie de cette caution. Immédiatement après, il
reproduira, sous un autre ordre, la valeur revêtue de
notre acceptation, et nous serons obligés de l’acquitter
une seconde fois, soit par application de l’article 148,
soit parce que nous ne serons pas dans le cas d’invo
quer la prescription quinquennale.
Ainsi, nulle prévoyance humaine ne pourra garantir
un accepteur de l’obligation de payer deux fois le mon
tant de ses acceptations. On devrait donc, à son endroit,
ne libérer la caution que lorsqu’il acquiert lui-même
le droit de se prévaloir de la prescription.
— Celte opinion ne tient pas assez compte de
la facilité que le terme de trois ans donne pour trouver
des cautions. Sans doute ces cautions sont dans l’intérêt
de ceux qui les obtiennent. Mais elles présentent égale
ment un intérêt général, car elles ont surtout pour but
de faciliter les opérations commerciales malgré un évé
nement de nature à en arrêter le cours.
Cette facilité était une raison déterminante qu’on ne
pouvait négliger.
443.
�92
DE LA LETTRE DE CHANGE
Sans doute la fraude est possible. Elle l’est dans tou
tes les occasions. Seulement il faut en examiner les
chances dans notre matière, pour juger sainement des
craintes qu’elle devait inspirer.
Or, la fraude sera impossible toutes les fois que celui
qui a été payé par ordonnance du juge offrira une sol
vabilité certaine. La garantie dont il est tenu envers
l’accepteur pouvant et devant sortir à effet, il ne fera
pas une fraude sans utilité possible, sans autre résultat
que de lui faire toucher indirectement ce qu’il serait
obligé de rembourser directement.
Aussi, dira-t-on, la fraude prévue ne sera évidemment
tentée que dans le cas d’insolvabilité du porteur ayant
reçu payement ! Soit. Mais dans cette hypothèse même,
est-il certain que le mal soit aussi fort, aussi inévitable
qu’on le suppose ?
Mais avant de se laisser condamner, l’accepteur exi
gera de celui qui l’attaque la preuve de la légitimité de
ses droits. Cette légitimité ne saurait résulter que de la
justification péremptoire du silence gardé pendant plus
de trois ans. Comment pourrait-on raisonnablement
faire cette justification, à moins de prouver qu’on a été
empêché d’agir par force majeure ?
Conçoit-on une force majeure ayant duré sans inter
ruption pendant plus de trois ans ? On peut sans exagé
ration supposer que la preuve en serait impossible.
Alors, dans le silence obstiné que le porteur aurait gar
dé pendant un si long temps, on trouverait une pré
�somption de collusion et de fraude de nature à faire re
pousser la demande.
N’y eût-il ni collusion ni fraude, resterait une négli
gence inconcevable, une faute lourde, un fait domma
geable de nature à exiger une réparation.
L’accepteur poursuivi dirait au porteur : par votre
faute, vous avez laissé se perdre la caution qui devait
me garantir et vous m ’avez occasionné un grave préju
dice. Nierez-vous ce préjudice, prétendrez-vous que celui
que jai payé est en état de restituer ? Je vous offre le re
cours que j ’ai contre lui, et je me fais concéder acte de
la cession que je consens en votre faveur de tous les
droits que je puis avoir à son endroit.
On le voit, les moyens de déjouer la fraude ne man
queraient pas. Il n’était donc pas possible de sacrifier,
à la crainte qu’elle pouvait inspirer, l’utilité incontesta
ble de la disposition.
Ajoutons que le délai de trois ans. avait été consacré
par l’ordonnance. La pratique qui avait suivi ne justi
fiait en rien les craintes que l’on exposait. Elle qui avait
divulgué tant d’abus et suscité tant de justes réclama
tions, avait laissé ici la fraude en état de pure hypothèse.
Le Code de commerce devait d’autant plus consacrer ce
même délai. Le passé était la meilleure garantie de l’a
venir.
4 4 * . — Cette prescription de trois ans est sous l’em
pire du Code, pour ceux qui peuvent l’invoquer, ce
qu’elle était sous l’ordonnance. Ce n ’est plus une pré-
�94
DE LA LETTRE DE CHANGE.
somption de libération pouvant et devant être confirmée
sous la foi du serment. Elle est une libération entière,
complète, définitive, s’opérant de plein droit, sans som
mation ni procédure. Son point de départ se place au
jour du cautionnement, pouvant être postérieur à l’é
chéance, si aucune poursuite n ’a été exercée ; dans le
cas contraire, la prescription ne commence qu’à partir
du dernier acte de poursuite.
ARTICLE
1 56.
Les payements faits à compte sur le montant d’une
lettre de change sont à la décharge des tireurs et endos
seurs.
Le porteur est tenu de faire protester la lettre de
change pour le surplus.
ARTICLE
\ 57.
Les juges ne peuvent accorder aucun délai pour le
payement d’une lettre de change.
SOMMAIRE
444.
Effet du payement.
445.
Conséquences pour le porteur du payement partiel sous
l ’ancien droit.
4
�ART.
156, 157.
95
446.
Depuis la promulgation du Code, caractère de ce paye
ment.
447. Ses effets à l’égard de celui qui paye. Protêt pour le sur
plus.
448. Caractère de l’article 157.
449. Exceptions q u ’il comporte.
444. — Le payement de la lettre de change, fait à
l’échéance entre les mains de son légitime propriétaire,
fait disparaître immédiatement toutes les obligations
tant principales qu’accessoires. L’opération que la lettre
de change avait pour objet est accomplie ; tout est ter
miné, il n’y a plus de lettre de change.
Ce qui peut survivre, c’est l’action du tiré qui, ayant
accepté ou payé à découvert, demande au tireur de le
rembourser de ses avances. Mais cette action du m an
dataire contre le mandant ne saurait faire revivre la
lettre de change. Celle-ci ne saurait être invoquée que
comme pièce justificative de l’avance déboursée à son
occasion.
445. — Nous avons vu plus haut que l’acceptation
peut n’être donnée que pour une partie du montant de
la lettre de change. La circonstance pouvant motiver
cette restriction dans le cas d’acceptation est de nature
à se réaliser au moment du payement. Ainsi le tiré qui
n’a pas accepté, et qui au moment de l’interpellation
qui lui est faite n’est débiteur que d’une somme infé
rieure à celle portée dans la lettre de change, peut n’of
frir que jusqu’à concurrence de ce qu’il doit.
�96
DE LA LETTRE DE CHANGE
Sous l’empire de notre ancien droit, le porteur qui
voulait conserver son recours contre les endosseurs de
vait refuser cette offre. En effet, l’acceptation d’un paye
ment partiel équivalait pour les précédents porteurs à
une novation La lettre de change restait l’affaire ex
clusive du porteur actuel auquel on refusait tout recours
pour le surplus.
Cette disposition, en apparence favorable aux endos
seurs, compromettait singulièrement celui qui, appelé
à rembourser, se trouvait en présence du tireur insol
vable. En effet, le porteur ne manquait pas de refuser
l’à-compte, et lorsque l’endosseur venait le réclamer, il
avait reçu une autre disposition. Il pouvait donc per
dre le tout, tandis qu’il aurait du moins profité de l’à compte.
44:6. — Le Code n’a pas cru devoir consacrer ce
rigorisme sans utilité pour personne. Le payement par
tiel peut être aujourd’hui accepté sans crainte, il pro
fite à tous en éteignant une partie correspondante de la
dette.
M. Nouguier se demande si la disposition de l’article
\ 56 fait un devoir au porteur d’accepter le payement
partiel, et il résout négativement cette question. M. Nou
guier a raison, rien ne peut contraindre le créancier
commercial, pas plus que le créancier civil, à accepter un
payement partiel. Ce principe devient même beaucoup
plus rationnel en commerce, où le montant de la lettre de
change peut d’avance avoir reçu une affectation spéciale
�art.
156, 157.
97
Donc, légalement parlant, ]p porteur n’est pas forcé
de recevoir un payement pariiel, mais en réalité cette
acceptation sera bien souvent dans son intérêt même au
tant que dans celui des porteurs précédents, dont il gère
en quelque sorte les affaires.
En effet, si le payement partiel est refusé, ce refus
dégage le tiré de son offre, et lui rend la plénitude de
ses droits relativement à la somme dont il est débiteur.
Il peut donc ou la restituer à son créancier, ou l’appli
quer au payement d’une autre traite que celui-ci aurait
tirée sur l u i l.
Il peut donc arriver qu’après le protêt le portei.r se
trouve en présence de débiteurs aussi insolvables les uns
que les autres, et dans ce cas le refus qu’il aurait fait
de l’à-compte resterait réellement à sa charge.
Cette éventualité lui fait donc un devoir de s’en abs
tenir ; et ce devoir lui est en quelque sorte imposé par
les convenances commerciales, dans le cas où la solva
bilité des endosseurs précédents enlèverait toute idée de
danger personnel.
En effet, le porteur est en quelque sorte le gérant
d’affaires des porteurs précédents. L’esprit de confrater
nité qui doit régner entre commerçants, le simple sen
timent de l’équité doit le porter à ne pas négliger un
avantage qu’il peut leur assurer, sans qu’il puisse ja
mais en résulter rien de fâcheux pour lui.
Sans doute, un payement partiel dérangera ses prévil Cass., 6 mars <836. J . du P., 37, 4, 206.
Il — 7
�98
DE LA LETTRE DE CHANGE
sions. Mais cet effet ne résultera-t-il pas d’un défaut
absolu de payement. Obligé dans un cas comme dans
l’autre de recourir contre son cédant, il vaut encore
mieux pour lui n’en venir là qu’après avoir été payé en
partie.
44® . — L’acceptation d’un payement partiel place
celui qui paye dans l’impossibilité de requérir la restitu
tion du titre. En effet, le créancier a le droit de le con
server pour poursuivre le payement de la partie de la
dette non éteinte. Donc le débiteur devrait se contenter
de la quittance qui lui serait offerte.
Il y a même mieux, la décharge du débiteur résulte
rait suffisamment de l’acte de protêt lui-même. L’offre
de payer une partie de la dette renferme virtuellement
le refus formel de payer le surplus. Aussi l’article 156
exige-t-il que pour celui-ci il soit rédigé un protêt sans
lequel le porteur serait privé de tout recours contre les
endosseurs. Toutes les fois donc qu’une offre de cette
nature se réalisera, l’accédit de l’huissier sera indispen
sable. C’est lui qui retirera la somme offerte, et la libé
ration de celui qui la paye résùltera soit de la mention
du payement elle-même, soit du protêt réduit à l’excé
dant.
448.
— L’article 157 défend aux juges d’accorder
aucun délai pour le payement de la lettre de change.
Déjà l’article 135 a prohibé tout délai de grâce, de fa
veur ou d’habitude. Aussi, quelques tribunaux voyaient-
�art.
156, 157.
99
ils un double emploi dans la disposition de l’article 157
et en demandaient-ils la suppression.
Mais cette demande fut repoussée , le but de l’article
157 étant en réalité différent de celui que se propose
l’article 135. Ce que celui-ci prohibe, ce sont les délais
qui s’opposaient au payement en prorogeant l’échéance
de la lettre de change. En effet, dans aucun cas le pro
têt ne pouvait être requis qu’après l’expiration du délai
de grâce que l’ordonnance avait fixé à dix jours.
L’article 157, au contraire, suppose l’échéance a rri
vée le protêt réalisé, le débiteur traduit en justice et sol
licitant un délai pour le payement. C’est sur cette hypo
thèse que le législateur a voulu s’expliquer avec d’autant
plus de raison que l’article 1244 du Code civil renferme
la faculté pour les juges d’accorder un délai, ce qu’on
aurait pu vouloir faire appliquer au payement de la let
tre de change, si le contraire n ’avait pas été formelle
ment écrit dans l’article 157.
Cette prohibition d’ailleurs avait son fondement juri
dique dans l’économie de la loi commerciale. L’article
437 porte que le commerçant qui ne paye pas est en
faillite. Pouvait-on dès lors admettre que pendant un
temps quelconque le commerçant fût autorisé par la
justice à cesser ses payements ?
— Au reste, ce caractère essentiel de la dispo
sition de l’article 157 nous fait persister de plus fort
dans l’opinion que nous émettons sous l’article 135.
Toutes les fois donc que derrière la forme de la lettre de
449.
�100
DE LA LETTRE DE CHANGE
change nous trouverons un débiteur non négociant, une
opération non réellement commerciale, nous repousse
rons la prohibition de l’article 157. L’inapplicabilité de
l’article 1244 du Code civil serait un effet sans cause.
On pourra, on devra donc revenir à la faculté qu’il
concède.
§ X.
—
1 DTJ
PAYEMENT PAR INTERVENTION
ARTICLE
158 .
Une lettre de change protestée peut être payée par
tout intervenant pour le tireur ou pour l’un des endos
seurs.
L’intervention et le payement seront constatés dans
l’acte de protêt ou à la suite de l’acte.
ARTICLE
159 .
Celui qui paye une lettre de change par intervention
est subrogé aux droits du porteur, et^ tenu des mêmes
devoirs pour les formalités à remplir.
Si le payement par intervention est fait pour le
du tireur, tous les endosseurs sont libérés.
�ART.
158, 159.
101
S’il est fait pour un endosseur, les endosseurs subsé
quents sont libérés.
S’il y a concurrence pour le payement d’une lettre
de change par intervention, celui qui opère le plus de
libérations est préféré.
Si celui sur qui la lettre était originairement tirée, et
sur qui a été fait le protêt faute d’acceptation, se pré
sente pour la payer, il set a préféré à tous autres.
SOMMAIRE
450.
451.
452.
Objet de l’intervention pour payer.
N ’est recevable q u ’après protêt.
Comment elle sera constatée. Nécessité de la signature de
l ’intervenant.
453. Le porteur ne peut refuser le payement par interven
tion, alors même qu'il prétendrait que l ’intervenant
n ’a voulu que se procurer le bénéfice d ’un compte de
retour.
,
454. Qui peut payer par intervention.
455. Intérêt des intervenants à la désignation de la personne
pour qui ils interviennent. Différence avec l ’intervention
pour l’acceptation.
456. Comment se règle la préférence si plusieurs intervenants
se présentent, mais pour des signataires différents.
457. Si plusieurs s’offrent pour le même signataire
458. Effet du payement parintervention. Subrogation aux droits
du porteur. Conséquences.
459. Devoirs du subrogé.
460. Le porteur est garant de son fait personnel.
�102
461.
462.
463.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Est-il tenu de rembourser, si celui pour compte de qui on
intervient n'est obligé que par le résultat d’un faux ?
Doctrine de M. Pardessus. Réfutation.
Autre effet du payement. Libération de certains signatai
res. Ordre dans lequel elle s ’opère.
450. — Dans les habitudes commerciales, un protêt
est, même à l’égard des endosseurs, considéré, si non
comme une tache, du moins comme un grave affront,
comme un doute jeté sur leur solvabilité. On comprend,
dès lors, de quel intérêt il est pour eux d’en empêcher
les effets matériels et moraux par l’intervention bien
veillante d’un parent, d’un ami, d’un simple correspon
dant.
Cet intérêt, ayant déjà fait admettre l’acceptation par
intervention, devait amener un résultat identique pour le
payement. Le refus de celui-ci amène les mêmes consé
quences, offre les mêmes dangers, il peut être déter
miné par les mêmes causes qui ont motivé le refus d’ac
ceptation ; il peut en outre résulter d’une insolvabilité
de l’accepteur survenue depuis l’acceptation et que la
poursuite du payement fera éclater
La même cause devait produire les mêmes effets. Le
payement pourra donc avoir lieu par intervention. À
quelle époque, par qui, en faveur de qui cette interven
tion pourra-t-elle se réaliser ? Quels en seront les effets?
C’est ce que règlent les articles 458 et 159.
451. — L’intervention n’est admise qu’après que la
�ART. 138, 139.
103
lettre de change a été protestée faute de payement. Le
but de l’intervention ne pouvait être le déplacement de
l’obligation de payer. L’intérêt, au contraire, des signa
taires, est que les choses suivent leur cours naturel, et
que le payement soit fait par le débiteur. Dans ces con
ditions, en effet, l’opération est accomplie, toute dette
disparait sans qu’aucune des parties ait à rembourser
d’un côté, à se faire indemniser de l’autre.
De plus, l’intervention a surtout pour effet et pour
cause de garantir, celui pour lequel elle se réalise, de
toutes poursuites. Or, une poursuite quelconque ne de
vient possible que du moment où le refus de payement
est non seulement accompli, mais encore légalement
constaté. L’existence du protêt est donc un préalable
indispensable. C’est ce que de tout temps la loi et la
doctrine ont consacré l.
C’est également ce qui s’induit aujourd’hui des termes
mêmes de l’article 158. Le protêt préalable à l’interven
tion est une condition si essentielle que, comme l’ensei
gne M. Pardessus, l’intervenant qui payerait avant se
rait considéré comme un simple mandataire du tiré ou
de l’accepteur, et ne serait pas subrogé aux droits du
porteur contre les endosseurs.
La loi, en effet, ne se contente pas de dire une let
tre de change protestée peut être payée par tout in
tervenant, elle ajoute : l’intervention et le payement se-
1 Ordon. de 4673, art. 3, tit. v. Heineccias, E le m . j u r i s C a m b .,
cap. 6, § 9. Pothier, C o n t. de c h a n g e , n° 444.
�104
BE LA LETTRE DE CHANGE
ront constatés dans l’acte de protêt ou à la suite de
l’acte.
453.
— Donc, dans la pensée du législateur, les
choses se passeront de la manière que voici : l’huissier
ou le notaire porteur de la lettre de change se présente
au domicile indiqué pour en requérir payement. Sur la
réponse négative qu’il reçoit, il rédige le protêt.
Mais immédiatement se présente l’intervenant, l’acte
en fait mention, ainsi que du payement ou de l’offre
qui en est faite ; que si l’intervenant ne se présente
qu’après la clôture du protêt, c’est à la suite que ces
mentions doivent être faites.
L’article 158 exige la mention du payement. Dans la
pratique, cependant, ce payement est subordonné à la
remise des pièces et notamment à celle de l’original du
protêt dûment enregistré, ce qui exige un certain temps.
C’est donc l’offre du payement plutôt que ce payement
lui-même que le protêt constatera, et il a été jugé que
cela suffisait.
. Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut de toute néces
sité que cette offre soit réellement l’œuvre de l’interve
nant. Sans doute, l’huissier ou le notaire seul peut la
relater dans l’acte ou à la suite, mais cette relation doit
être signée par l’intervenant. Jusqu’à l’accomplissement
de cette formalité, il n’y a qu’une offre labiale que le
porteur est libre de ne pas accepter, et l’intervenant de
ne pas réaliser 1.
1 Paris, 29 mars 1848. J. du P ., 1848, 409.
�ART.
158, 159.
105
4 5 3 . — Il se mble extraordinaire de prévoir un re
fus de payement par intervention de la part du porteur,
mais c’est là le résultat de la différence existant entre
l’intervention pour payer et celle pour accepter. Cette
dernière, n’ayant pour objet que d’ajouter une garantie
à la lettre, ne blessera jamais l’intérêt du porteur.
Il n’en est pas de même pour la première. Le refus
de payement autorisera le porteur à recourir contre son
cédant en accompagnant la traite d’un compte de re
tour. Or, le cours du change peut être tel, que l’exécu
tion de la retraite serait plus profitable que ne l’eût été
le payement. Ce profit étant perdu par le fait de l’in
tervention, le porteur pourrait être tenté de la refuser.
Cette résistance serait fondée, enseigne M. Pardessus, si
l’intervenant ne veut, par son offre, faire rien autre
chose que d’acquérir le bénéfice d’un compte de retour.
On ne voit pas pourquoi le porteur pourrait être forcé
de lui abandonner cet avantage 1.
L’opinion de M. Pardessus pourrait être accueillie, si
elle ne soulevait pas une difficulté inextricable. Com
ment, en effet, établir d’une manière satifaisante quelle
est l’intention de l’intervenant ? Comment prouver qu’il
n’a eu en vue que d’acquérir le bénéfice d’un compte
de retour ?
D’ailleurs, cette preuve acquise pourrait bien, en dé
terminant un intérêt, créer le droit pour le porteur de
refuser l’inierventipn, si d’autres intérêts ne comman1 Droit comm , n° 407.
�106
DK LA LETTRE DE CHANGE.
daient pas la solution contraire. Or, ces autres intéressés
sont les endosseurs et les cautions que l’intervention li
bérera, suivant qu’elle sera réalisée pour le compte du
tireur, ou pour celui d’un des premiers endosseurs.
Comment donc permettre au porteur de mettre obstacle
à cette libération par le refus de l’intervention ?
M. Pardessus reconnaît cette impossibilité. Aussi, ré
duit-il dans ce cas le porteur aux seuls droits que l’in
tervenant pourrait exercer lui-même. Mais cette opinion,
toute considérable qu’elle so it, pourrait faire difficulté
à son tour et susciter un litige qu’il est bon d’éviter.
En définitive, tout ce que le porteur a droit d’exiger,
c’est le payement du titre qu’il a en mains, et dont
l’échéance est arrivée. Toute personne peut lui offrir ce
payement et le réaliser sans avoir à rendre aucun comp
te des intentions dans lesquelles elle agit. Cette règle,
de fout temps admise, a dû faire interdire au porteur
le droit de demander ce compte. La doctrine des auteurs
n’a cessé d’être : que bien qu’on n’intervienne ordinai
rement au payement que lorsqu’on est avisé, ou que l’on
connaît parfaitement la signature de celui pour qui on
intervient, rien n’empêche cependant l’intervention de
se réaliser et de produire les mêmes droits, quoique ce
lui qui l’opère n'ait reçu aucun ordre et n’agisse que
pour l’honneur d’une signature qu’il ne connaît pas L
4 5 4 . — Cette doctrine, incontestable sous l’ordoni Savary, Parère 26. Paris, 12 floréal an x u i.
�ART. 158, 159.
107
nance de 1673, ne l’est pas moins sous l’empire du
Code. L’article 158 permet à tout le monde d’interve
nir. La seule hypothèse donc où l’intervention ne pour
rait sortir à effet, serait si son auteur était déjà tenu,
en une qualité quelconque, du payement de la lettre de
change. Ainsi, le tireur, l’accepteur, le donneur d’aval,
les endosseurs ne pourraient payer par intervention. Le
payement qu’ils feraient ne serait que l’acquit de leur
propre obligation. Il ne produirait donc d’autres effets
que ceux que la loi fait produire à chacune des qualités
ci-dessus.
Mais le tiré qui n’a pas accepté est en réalité étran
ger à la lettre de change. Il pourrait donc intervenir
pour le payement, comme il le peut pour l’acceptation,
et pour tout autre signataire que le tireur.
Nous disons pour tout autre signataire indistincte
ment, malgré que l’article 158 ne permette d’intervenir
que pour le tireur ou l’un des endosseurs nommément.
Mais ces termes sont purement démonstralifs, et non
limitatifs. Quel que soit le débiteur chargé de payer la
lettre, soit directement, soit par suite d'un recours de la
part des autres signataires, il peut être régulièrement
suppléé dans l’accomplissement de cette obligation. On
peut donc intervenir non-seulement pour le tireur ou
l’un des endosseurs, mt is encore pour l’accepteur, le
donneur d’aval, ou toute autre caution.
455.
— Nous disions tout à l’heure que celui qui
accepte p ar intervention a un grand intérêt à indiquer
�108
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la personne pour laquelle il agit. En effet, il ne sera te
nu que comme cette personne l’est elle-même ; les dé
chéances que celle-ci pourrait invoquer lui profiteront.
Dans l’intervention pour le payement, l’intérêt est
complètement déplacé. Si l’intervenant ne désigne per
sonne, il est purement et simplement subrogé aux droits
du porteur, il peut, dès-lors, recourir contre tous les en
dosseurs, contre le tireur, l’accepteur ; en un mot,
contre tous les signataires de la lettre de change sans
exception.
Si le payement est fait pour le compte du tireur ou
de l’accepteur, les donneurs d’aval et les endosseurs sont
définitivement libérés. Il en serait de même pour ces
derniers, si le payement était fait au nom d’un donneur
d’aval.
Enfin, si l’intervenant paye pour un des endosseurs,
tous ceux qui le précédent restent soumis à un recours,
mais ceux qui le suivent sont libérés de toute action de
la part de l’intervenant.
Nous avons donc raison de le dire, dans notre ma
tière, la désignation de celui pour qui on intervient est
dans l’intérêt des divers signataires et nullement dans
l’intérêt de l’intervenant, contre lequel elle peut créer
de nombreuses fins de non-recevoir.
— Le législateur a dû se préoccuper'd’une
hypothèse qui est loin d’être sans exemple dans la pra
tique, celle dans laquelle plusieurs interviennent pour
le payement d’une lettre de change. La multiplicité des
456.
�art.
158, 159.
109
prétendants se réfère, suivant le cas, à un seul ou à
plusieurs des signataires de la lettre.
Si les concurrents interviennent chacun pour un si
gnataire différent, le choix ne pouvait être douteux. Il
ne peut jamais y avoir qu’un seul payement, et la loi a
déterminé d’une manière précise quel est le débiteur
principal auquel vient aboutir le recours que chaque si
gnataire peut être dans le cas d’exercer.
A celui-là donc la charge du payement. On évitait
par la cette cascade de recours n’ayant d’autre résultat
possible que de prolonger l’opération et de multiplier les
frais. En conséquence, si plusieurs interviennent, on
préférera l’offre de celui qui libérera un plus grand
nombre de signataires, c’est-à-dire qu’on admettra les
intervenants dans l’ordre suivant :
D’abord celle faite au nom du tireur ou de l’accepteur,
ensuite celle pour compte du donneur d’aval ou d’une
caution quelconque, enfin, et pour ce qui concerne les
endosseurs, celle qui aurait pour objet le premier endos
seur, le second et ainsi de suite jusqu’au dernier.
La loi, appliquant elle-même sa disposition, a de
plus fort consacré cet ordre, en ordonnant d’admettre
de préférence celui sur qui la lettre de change était ori
ginairement tirée et sur qui a été fait le protêt faute d’ac
ceptation, mais cette prescription suppose que le tiré
s’étant entendu avec le tireur, ou ayant reçu provision
depuis son refus d’accepter, vient payer pour compte
du tireur lui-même. En effet, s’il se présentait pour
�HO
DE LA LETTRE DE CHANGE.
tout autre signataire, son offre ne devrait être acceptée
que si elle opérait un plus grand nombre de libérations.
415S. —■ Si plusieurs interviennent pour le même
signataire, il n’y a plus d’autres motifs de préférence
que ceux qu’on puiserait dans les circonstances, dans la
nature des relations entre l’intervenant et celui pour
qui il intervient, dans le fait de celui-ci. Ainsi chaque
endosseur, nous l’avons déjà dit, donne en réalité un
ordre au tiré principal. Il s’approprie dès-lors la dési
gnation qui en a été faite, il lui confère le mandat de
payer.
Mais il peut se faire que, n’ayant pas une confiance
absolue dans ce tiré qu’il peut ne pas connaître, l’endos
seur ait choisi un de ses correspondants dans le lieu du
payement et l’ait indiqué pour payer en cas de besoin.
Ces indications déterminent l’ordre à suivre dans le
payement par intervention. D’abord, le tiré principal.
Si, refusant de payer pour le tireur, il intervient pour
un des endosseurs, il doit avoir la prétérence sur la
personne indiquée au besoin, qui déclare vouloir payer
pour le compte de ce même endosseur h
A défaut d’intervention du tiré, la préférence est due
à celui qui a été indiqué au besoin. Le mandat, résul
tant de cette indication, est exclusif de toute gestion d’af
faire, c’est celle-ci qu’exécutent ceux qui interviennent
i Paris, 13 mars 1831
�?
spontanément, ils doivent en conséquence céder le pas
au mandataire.
A défaut d’indication au besoin, la préférence entre
les divers intervenants se réglerait par l’ordre dans le
quel ils se seraient présentés. Le premier excluerait les
autres, à moins qu’un de ceux-ci n’exhibât une lettre ou
tout autre ordre qu’il aurait reçu de la part du signa
taire qu’il s’agit de suppléer.
4 5 8 . — Le payement par intervention a un dou
ble effet : 1° la subrogation de celui qui paye aux droits
du porteur ; 2° la libération des signataires, suivant la
personne pour laquelle on a payé.
La subrogation n’est pas seulement conventionnelle,
elle se réalise de plein droit et par la seule force de la
loi. Celui qui a payé a donc toutes les prérogatives que
le porteur pouvait revendiquer, alors même qu’aucune
stipulation ne serait intervenue à cet effet.
Quel que soit donc celui pour compte de qui il a
payé, l’intervenant a le droit de lui demander le rem
boursement de ce qu’il a avancé. Remboursement qui
lui est dû par tous ceux auxquels ce dernier pourrait
Jui-même le demander.
En conséquence, si le payement a été fait pour le
dernier endosseur , l’intervenant peut actionner tous les
autres signataires comme cet endosseur lui-même. La
subrogation aux droits du porteur confère le bénéfice de
la solidarité existant entre les divers signataires.
�H2
DE LA LETTRE DE CHANGE
450. — Mais, en héritant des droits du porteur,
l’intervenant hérite également de ses obligations. Il est
donc soumis pour son recours aux mêmes formalités et
exposé à toutes les déchéances que celui-ci pourrait en
courir. Il peut agir ou personnellement contre celui
pour qui il a payé, ou collectivement contre tous ceux
qui demeureront obligés. Dans ce dernier cas, et pour
ce qui concerna ceux-ci, il doit agir dans les délais tra
cés au porteur par les articles suivants.
On doit même ne pas perdre de vue que si l’interve
nant n’actionne que celui pour le compte duquel il a
payé, il doit réaliser son action de manière à ce que
celui-ci puisse utilement recourir contre ses garants
personnels. La négligence qu’il aurait mise à se pour
voir pourrait laisser à sa charge personnelle les effets de
la déchéance qu’elle aurait déterminée.
Celui qui veut gérer les affaires d’autrui doit, comme
le mandataire lui-même, faire tout ce que l’intérêt de
celui dont il se déclare le gesteur exige. Il répondrait
donc de sa faute et surtout de sa faute lourde. Or, pour
rait-il en commettre une pire que celle de laisser périr
en ses mains l’action devant amener la restitution inté
grale de celui dont il a géré l’affaire ? Celui-ci pourrait
donc, dans ces circonstances et à titre de dommages-in
térêts, faire débouter l’intervenant de sa demande en
remboursement.
460. — En principe, la subrogation aux droits du
porteur s’opère sans garantie aucune de la part de celui-
�art.
188, 159.
113
ci, à moins que le contraire n’ait été formellement con
venu.
Mais la règle de non garantie n’a pas ici de propor
tions plus étendues que dans le droit civil. C’est là la
conséquence du caractère du payement par intervention.
Ce payement n’éteint pas la dette, il ne constitue qu’un
mode particulier de transporter les droits du porteur à
celui qui l’a réalisé. Dès lors, le porteur doit garantie
de son fait personnel, et il serait obligé de rembourser
ce qu’il a reçu dans le cas, par exemple, où le débiteur
de la lettre de change aurait contre lui une exception
éteignant la dette K
4L61. — À cette exception à la règle de non garan
tie du porteur s’en joint une autre, à savoir : la fausseté
de l’engagement de celui pour compte de qui l’interven
tion a lieu. Celle-ci a pour fondement l’obligation du
porteur de remettre à celui qui est subrogé à ses droits
un titre valable contre celui pour lequel il est intervenu.
Celle remise est présumée une des conditions essentiel
les de l’intervention, d’où l’on a conclu que le négociant
indiqué au besoin pour effectuer le payement d’une let
tre de change fausse et qui y a fait honneur en la
croyant vraie , est fondé à s’en faire restituer le mon
tant par celui à qui il l’a payée, lorsque la fausseté est
reconnue, sauf le recours de celui-ci contre son endos
seur et successivement des autres endosseurs les uns
1 Pardessus. Droit comm., n° 407.
il — 8
�H 4
DE LA LETTRE DE CHANGE
contre les autres, en remontant jusqu’à celui qui a reçu
la lettre de change fausseL
46® . — Cette doctrine n’est pas celle de M. Par
dessus. Assimilant le payeur par intervention au tiré
qui a soldé la lettre de change, cet honorable juriscon
sulte lui refuse le droit de revenir contre son accepta
tion ou de répéter la somme qu’il aurait payée2.
Mais cette assimilation n’est pas admissible. Le tiré
paye sa propre dette, laquelle se trouve dès lors éteinte
en faveur de tous les signataires de la lettre. Le porteur
n ’a d’autre obligation que de lui remettre le titre dont
il est porteur, tel que lui-même le possède, tel qu’il l’a
acquis de bonne foi.
Le payement par intervention n’a pas éteint la dette.
Celui qui le réalise a incontestablement le droit de se
faire rembourser tant par celui pour qui il intervient
que par les endosseurs précédents , que par le tireur et
A ccepteur. Il est quant à ce subrogé aux droits du por
teu r. Donc, celui-ci, en acceptant le payement, consent
iune véritable cession transport, et il doit au moins
garantir la sincérité et la réalité de la créance.
D’ailleurs, le tiré qui paye empêche le protêt, et par
conséquent enlève au porteur tout recours contre les en
dosseurs. Or, il ne serait pas juste de faire supporter à
1 Paris, B février 1824.
s Droit comm., n° 4B1.
�art.
158, 159.
115
celui-ci les conséquences de l’erreur qui n’est pas son
fait.
L’intervention, au contraire, ne se réalise qu’après le
protêt. Elle ne peut donc empirer sous ce rapport la
position du porteur, il a son recours contre les endos
seurs, à moins que l’intervenant ne réclame qu’après
l’expiration de la quinzaine de la notification. Dans ce
cas, il serait tenu de la négligence qu’il aurait mise à se
pourvoir, et sa demande en remboursement devrait être
repoussée. C’est ce que l’arrêt de Paris, du 5 février
1824, reconnaît lui-même.
Nouveau et puissant motif pour l’intervenant de réa
liser immédiatement le recours contre les endosseurs
précédents. Par là, il se mettra à couvert de tous re
proches, non seulement de la part de celui pour qui il
est intervenu, mais encore de la part du porteur dans le
cas que nous examinons. Profitant de ses diligences et
ayant conservé son recours contre les endosseurs, celuici ne pourrait se soustraire à la nécessité de le rem
bourser, si l’engagement qu’il a voulu éteindre se trouve
n ’avoir rien de sérieux.
-\
•*
x
. . .
-
463. — Le second effet du payement par interven
tion est de libérer tous les endosseurs postérieurs à ce
lui pour lequel ce payement a été effectué. C’est là une
exception à la subrogation dont nous parlions comme
premier effet du payement. Cette exception obéit à cette
considération rationnelle et juste. L’intervention, décla
�rée au nom d’un endosseur, est en quelque sorte le
payement que celui-ci ferait lui-même, payement que
les endosseurs qui le suivent pourraient contraindre.
Comment donc le garant, ou celui qui le représente,
pourrait-il être admis à rechercher les garantis.
Ainsi, la subrogation aux droits du porteur n’est en
tière que lorsque le payement est fait sans indication
d’un signataire quelconque. Dans ce cas, celui qui paye
a toutes les actions du porteur.
Si l’intervenant déclare agir pour le tireur, l’accep
teur ou le donneur d’aval, il n’a à recourir que contre
l’un ou l’autre. Mais tous les endosseurs se trouvent par
cela même libérés.
Si le payement est fait pour le premier preneur, il
n’y a de recours que contre lui, le tireur, l’accepteur,
les cautions. La dette est éteinte pour tous les endos
seurs.
Enfin, si le payement se réalise pour le compte d’un
endosseur intermédiaire, il n’y a que les endosseurs sub
séquents qui soient libérés. Les endosseurs précédents
continuent à être tenus de la garantie qu’ils devaient à
celui dont l’intervenant a pris la place.
�§ XI.
—
DES DROITS ET DEVOIRS DU PORTEUR
ARTICLE
160.
Le porteur d’une lettre de change tirée du continent
et des îles de l’Europe, et payable dans les possessions
européennes de la France, soit à vue, soit à un ou
plusieurs jours, mois ou usances de vue, doit en exi
ger le payement ou l’acceptation dans les six mois de
sa date, sous peine de perdre son recours sur les en
dosseurs, et même sur le tireur, si celui-ci a fait pro
vision.
Le délai est de huit mois pour les lettres de change
tirées des Echelles du Levant et des côtes septentrio
nales de l’Afrique sur les possessions européennes de
la France; et réciproquement, du continent et des
îles de l’Europe sur les établissemenfs français aux
Echelles du Levant et aux côtes septentrionales de
*
l’Afrique.
Le délai est d’un an pour les lettres de change tirées
des côtes occidentales de l’Afrique, jusques et compris le
cap de Bonne Espérance.
�118
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il est aussi d’un an pour les lettres de change tirées
continent et des îles des Indes occidentales sur les
possessions européennes de la France ; et réciproque
ment, du continent et des îles de l’Europe sur les pos
sessions françaises
ou établissements français
aux côtes
•
•
occidentales de l’Afrique, au continent et aux îles des
Indes occidentales.
Le délai est de deux ans pour les lettres de change
tirées du continent et des îles des Indes orientales sur
les possessions européennes de la France ; et récipro
quement, du continent et des îles de l’Europe sur les
possessions françaises ou établissements français au
continent et aux îles des Indes orientales.
La même déchéance aura lieu contre le porteur d’une
lettre de change à vue, à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de vue, tirée de la France, des possessions
ou établissements français, et payable dans les pays
étrangers, qui n’en exigera pas le payement ou l’accep
tation dans les délais ci-dessus prescrits pour chacune
des distances respectives.
Les délais ci-dessus, de huit mois, d’un an ou de
deux ans, sont doubles en cas de guerre maritime.
Les dispositions ci-dessus ne préjudicieront néan
moins pas aux stipulations contraires qui pourraient
�intervenir entre le preneur, le tireur et même les en
dosseurs.
SOMMAIRE
464.
465.
466.
467.
468.
469.
470.
471.
472.
473.
Nécessité de régler les devoirs du porteur de la lettre de
change.
Base sur laquelle la loi a fondé ses dispositions quant
à ce.
Différence, suivant q u ’il s’agit d ’une lettre de change à
échéance déterminée, ou à vue, ou à un certain délai de
vue.
Dispositions de l'article 460 pour ces deux dernières.
Même pour la dernière. C’est la présentation de la lettre
que la loi exige, plutôt que son acceptation.
Durée des délais pour cette présentation.
Réclamations sur le silence gardé sur les lettres tirées de
France sur les pays étrangers. Rejet par le conseil
d ’Etat, en 1814.
Consécration q u ’en a faite la loi du 19 mars 4817. Motifs.
Consécration du droit, pour les parties, de déroger à l’ar
ticle 160.
Effet de l ’inaccomplissement des prescriptions de l ’arti
cle 460.
464t. — La lettre de change ne consiste pas seule
ment dans l’engagement que le tireur contracte envers
le preneur. Ce qui la constitue, c’est, au même titre,
cette foule d’obligations auxquelles elle peut donner
naissance, qui viennent se réunir accessoirement au
contrat primitif, et augmenter si considérablement le
nombre des intéressés.
�120
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Il fallait donc, dans la détermination des consé
quences de la lettre de change, tenir compte de ces di
verses obligations et en régler les effets d’après leur na
ture spéciale et la différence de leur cause. De là la
pensée de consacrer dans un paragraphe particulier les
droits et les devoirs du porteur contre le tireur, l’accep
teur, les endosseurs et autres cautions.
465. — En ce qui concerne plus particulièrement
les devoirs du porteur, la loi se livre à une pensée fort
juste, arriver le plus promptement à une solution défi
nitive. La rapidité nécessaire des transactions commer
ciales crée le besoin d’un prompt règlement pour les
opérations consommées. Leur liquidation immédiate
permet d’en entreprendre des nouvelles auxquelles on
pourra consacrer sans crainte ses soins et ses capitaux.
En conséquence, suspendre trop longtemps cette liqui
dation, c’était condamner le commerçant à vivre dans
une incertitude, dans une anxiété pénible, c’était alté
rer son crédit et compromettre sa position.
Le législateur n’a donc entendu autoriser que les re
tards indispensables à la réalisation des formalités que
peuvent nécessiter les développements naturels d’une
lettre de change. Cette intention a présidé aux disposi
tions diverses que nous avons à parcourir.
466. — La lettre de change sera à une échéance
fixe, certaine ou déterminée. Elle peut également être
�ART.
160.
121
payable à vue, à un ou plusieurs jours, mois on usan
ces de vue.
Dans le premier cas, la loi n’avait à régler qu’une
seule chose, à savoir : ce que le porteur devait faire,
cette échéance se réalisant ; dans quel délai il devait
procéder. Aucun fait préalable ne devait la préoccuper,
pas même l’acceptation. Celle-ci, en effet, n’était qu’une
pure faculté que le porteur pouvait répudier à son choix.
Aussi la loi ne s’en est-elie occupée que pour régler les
effets qu’entraîne le refus de la demande qui en est
faite.
Mais il en était autrement pour la lettre de change
payable à vue, ou à un certains temps de vue. Alors
l’échéance ne se réalise pour la première, et pour la se
conde le délai de cette échéance 'ne court que du mo meut de la présentation de la lettre, ce qui fait que
l’époque de l’exigibilité est exclusivement subordonnée
à un fait que seul le porteur peut accomplir.
Ce qui pouvait résulter de cet état des choses, c’est que
le porteur, ne consultant que ses intérêts, pouvait avan
cer ou retarder à son gré l’échéance, prolonger, éterni
ser même l’obligation des divers signataires, car la pres
cription quinquennale ne courant que du jour de l’éché
ance ne saurait s’accomplir tant que la lettre de change
n’en a aucune.
46® . — L’article 160 prohibe ce résultat. Le paye
ment de la lettre de change à vue doit être demandé
dans les délais divers qui y sont réglés, suivant qu’elle
�122
DE LA LETTRE DE CHANGE
est tirée et payable des divers pays et sur les localités
différentes y mentionnés. A défaut de protêt dans ces dé
lais, le porteur a perdu tout recours contre les endos
seurs et même contre le tireur, si celui-ci prouve qu’il
y avait provision.
La lettre de change payable à vue n'est pas suscepti
ble d’acceptation, sa présentation au tiré la rend exigi
ble immédiatement. La résistance de celui-ci constitue
rait donc le défaut du payement, et non le défaut d’ac
ceptation.
Il n’en est pas de même de celle qui est tirée à un
ou plusieurs jours, mois ou usances de vue. Ici le por
teur a un devoir à remplir avant celui que lui imposera
plus tard l’échéance. C’est ce devoir que l’article 160
fait consister dans l’exigence de l’acceptation.
4G8. — Mais ce terme est impropre et rend mal
l’intention du législateur. L’acceptation est dans notre
hypothèse ce qu’elle est dans toutes les autres, à savoir :
une garantie de plus pour le payement, et dès-lors un
avantage pour le porteur. Comprendrait-on que la loi
lui eût fait un devoir de l’acquérir lorsqu’il ne le croit ni
utile ni nécessaire.
Ce qui est utile, indispensable même, c’est de faire
courir les délais de l’échéance. Ce but est atteint par
un autre acte que l’acceptation, à savoir : par la présen
tation de la lettre de change et la réquisition du visa de
la part du tiré. Evidemment ce ne peut être que cette
présentation et ce visa que la loi a entendu exiger.
�ART.
160.
123
Nous devions d’autant plus signaler l’impropriété des
expressions de l’article 4 60, que dans certains cas son
exécution arriverait à un singulier résultat. Nous avons
déjà dit que les parties peuvent convenir que l’accepta
tion ne sera pas poursuivie, et dans cet objet la lettre
est déclarée non-acceptable. Le paragraphe final de
l’article 460 corrobore cette faculté et l’admet formelle
ment.
Supposez donc que les parties en aient usé, le por
teur sera dispensé de requérir l’acceptation, et si l’article
160 n’a que celle-ci en vue, aucune autre formalité ne
devra être remplie. Mais alors à quelle époque arrivera
l’échéance ?
Nous avons donc raison de le dire, ce que la loi veut,
c’est moins l’acceptation que la présentation de la let
tre. Cette présentation, ayant pour effet le visa du tiré,
ouvre un point de départ à l’échéance et satisfait au but
que l’article 460 a voulu atteindre. Que si le tiré refuse
d’écrire et de dater son visa, la présentation est réalisée
par la voie extrajudiciaire. La date de l’exploit consta
tant la présentation et le refus ouvre et fait courir le
délai de l’échéance. La déclaration que la lettre n’est pas
acceptable ne dispenserait pas le porteur de la présenta
tion de la lettre et de la constatation du refus que le tiré
ferait de la viser.
46». — Ainsi, l’article 460 veut que si la lettre
est payable à vue, le payement en soit demandé, et que
si elle est à un certain temps de vue, la présentation en
�124
DE LA LETTRE DE CHANGE.
soit faite dans les délais qu’il indique, et qui ont été
calculés sur la distance et sur la facilité des communi
cations entre les lieux d’où elle est tirée et celui dans
lequel elle est payable.
Ainsi le délai est :
De six mois pour la lettre de change tirée du conti
nent et des îles de l’Europe, et payable dans les pos
sessions européennes de la France ;
De huit mois pour celles tirées des Echelles du Le
vant et des côtes septentrionales de l’Afrique sur les
possessions européennes de la France, et réciproque
ment ;
D’un an pour les lettres tirées des côtes occidentales
de l’Afrique jusques et compris le cap de Bonne-Espé
rance, pour celles tirées du continent et des îles des Indes
occidentales sur les possessions européennes de la Fran
ce, et réciproquement ;
Enfin, de deux ans pour les lettres de change tirées
du continent et des îles des Indes occidentales sur les
possessions européennes de la France, et réciproque
ment.
Les délais de huit mois, d’un an, de deux ans sont
doublés en cas de guerre maritime.
4¥© . — Telles étaient les dispositions du Code de
1807 au moment de sa promulgation. Peut-être que si
la navigation eût été à cette époque ce que l’ont faite
depuis les progrès de la vapeur, les délais eussent été
�ART.
160.
125
plus ou moins réduits. Quoi qu’il en soit et par rapport
à eux, il ne s’éleva aucune réclamation.
Mais ce qui en détermina de vives, de nombreuses,
ce fut le silence gardé par la loi sur le sort du tireur
français qui avait fait une lettre de change sur un pays
étranger. Le porteur français, disait-on, est bien tenu
d’agir dans un délai, mais on n’en détermine aucun
pour le porteur étranger. Celui-ci ne sera donc jamais
déchu, et par voie de conséquence le tireur français de
meurera éternellement obligé. C’est là une anomalie
étrange qu’il importe de faire disparaître, en établissant
une entière réciprocité.
Ces plaintes, transmises au ministre de l’intérieur,
furent communiquées au conseil d’Etat qui en confia
l’examen aux sections de l’intérieur et de législation
réunies. Ces sections ne crurent pas devoir accueillir les
réclamations, elles en prononçaient en conséquence le
rejet dans le projet d’avis qu’elles rédigeaient le 22 no
vembre 1811.
Elles reconnaissaient néanmoins que le vœu de réci
procité était justifié par de puissants motifs. Mais, di
saient-elles, quatre considérations ont fait penser que ce
vœu ne pouvait être accueilli :
1° Le silence absolu du Code à cet égard ;
2e L’inconvénient qu’il y aurait à introduire des me
sures qui pourraient se trouver en opposition avec les
lois du pays où la lettre doit être acquittée ;
3° La maxime générale qui veut que tout ce qui
�126
DE LA LETTRE DE CHANGE
concerne le payement de la lettre de change soit réglé
par la législation du pays où elle doit être payée ;
4° Enfin, cette considération que le tireur et le prê
teur peuvent connaître et fixer un terme précis par une
convention expresse, stipulée dans leurs intérêts récipro
ques et d’après les circonstances des lieux et des temps.
4L71. — En 1816, les plaintes et les réclamations
ayant de nouveau surgi, le législateur crut devoir les
accueillir. Le principe de réciprocité fut inscrit dans
le projet de loi qui fut depuis adopté et promulgué le
19 mars 1817.
Dans son rapport à la Chambre des Pairs, M. de Sèze
justifiait ainsi la légalité de ce principe :
« On a été aidé dans cette détermination par le prin
cipe dont on ne s’était pas jusque-là assez occupé, qu’en
matière de recours, c’est toujours la législation du pays
dans lequel il s’exerce dont on doit appliquer les dispo
sitions.
» Dans la lettre tirée de France sur l’étranger et pa
yable à l’étranger, le tireur est en France, et les endos
seurs aussi peuvent y être.
» Si la lettre n’est pas payée dans l’étranger, c’est
donc en France qu’on revient pour en chercher les dé
biteurs.
» C’est en France qu’on exerce contre les tireur et
endosseurs le recours que donnent, en ce cas là, contre
eux, les principes.
» C’est en France qu’on les poursuit.
�ART.
160.
127
» La législation française a donc le droit, à cette
époque du retour de la lettre en France, d’en régler l’ac
tion et le mouvement.
» Elle peut prescrire la forme dans laquelle s’exer
cera le recours auquel le tireur et les endosseurs seront
soumis.
» Elle peut fixer les conditions qui seront imposées
au porteur de la lettre.
» En un mot, elle peut user à cet égard de tous les
droits qui appartiennent à la législation de tous les
pays sur tous les objets que la nature même des choses
met dans son domaine l. »
Ces considérations, dont le conseil d’Etat ne s’était
pas préoccupé en 1811, l’emportèrent et introduisirent
dans l’article 160 la disposition qui en forme aujour
d’hui le paragraphe 6.
472. — La disposition finale de l’article a été éga
lement ajoutée par la loi du 19 mars 1817. On n’a pas
voulu laisser planer un doute sur la faculté que la loi
donne de déroger à l’article 140.
Le projet de loi pouvait amener une difficulté diffé
rente. La réserve des stipulations contraires avait été
inscrite à la fin du paragraphe 6, en ces termes : Sauf
toutefois le cas de stipulation contraire entre le tireur et
le preneur. Cette rédaction, disait le rapporteur de la
Chambre des Députés, paraissait restreindre cette faculté
�128
DE LA LETTRE DE CHANGE
de stipuler des conventions particulières, aux lettres de
change tirées de la France ou de ses colonies sur l’étran
ger, tandis que bien certainement il est dans l’esprit de
la loi de l’appliquer tant à ces dernières qu’à celles men
tionnées aux cinq paragraphes précédents. C’est pour
mettre le texte en rapport avec cet esprit, qu’on a fait
de la réserve une disposition spéciale s’appliquant à tou
tes les hypothèses précédentes.
4 9 3 . — Ce n’était pas tout que d’exiger une for
malité, il fallait en assurer l’exécution en plaçant son
accomplissement sous la garantie d’une clause pénale
énergique. Celle consacrée par l’article 160 contre le
porteur négligent est la perte de son recours contre les
endosseurs, et même contre le tireur lui-même, si celuici prouve qu’il y avait provision.
Donc l’expiration des divers délais sans protêt faute
de payement pour la lettre à vue, sans protêt faute d’ac
ceptation si celle-ci est réclamée, ou sans constatation
légale de la présentation de la lettre de change, fait au
porteur une position identique à celle que lui créerait
l ’absence d’un protêt faute de payement à l’échéance.
Que si au contraire la lettre a été présentée dans les
délais, l’échéance commence à courir du jour de la
constatation et du visa. La position du porteur devient
celle de tout porteur ordinaire, et il n’a plus d’autre dé
chéance à craindre que celle qui résulterait de l’inexé
cution des obligations imposées par les articles suivants.
�art .
161,
162, 163.
129
ARTICLE 1 6 1 .
Le porteur d’une lettre de change doit en exiger le
payement le jour de son échéance.
ARTICLE 16 2 .
Le refus de payement doit être constaté, le lendemain
du jour de l’échéance, par un acte que l’on nomme
protêt faute de payement.
Si ce jour est un jour férié légal, le protêt est fait le
jour suivant.
ARTICLE 16 3 .
Le porteur n’est dispensé du protêt faute de paye
ment, ni par le protêt faute d’acceptation, ni par la
mort ou faillite de celui sur qui la lettre de change est
tirée.
Dans le cas de faillite de l’accepteur avant l’échéan
ce, le porteur peut faire protester, et exercer son re
cours.
SOMMAIRE
474.
Caractère de la disposition de l’article 161. Effets de sa
violation.
h
9
�*
130
475.
476.
477.
478.
479.
480.
481.
482.
488.
484.
485.
486.
487.
488.
489.
490.
491.
492.
493.
494.
495.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Attaques que le projet de l’article 162 souleva.
Réponse de M. Bégouen.
Le protêt faute de payement d’une lettre à vue peut-il
n ’être rédigé que le lendemain de l’expiration des dé
lais de l'article 160 ?
Si cette lettre est présentée avant l’expiration de ces mê
mes délais, doit-elle être protestée dans les vingt-qua
tre heures ?
Le débiteur a le jo u r entier de l’échéance pour opérer le
payement. Conséquences.
Renvoi à un autre jour, si le lendemain de l’échéance est
un jour férié. Dérogation à l ’ordonnance.
Caractère de l ’obligation de faire constater le refus de
payement. Conséquences pour le cas d’un protêt faute
d’acceptation.
Exception si ce protêt a été suivi d’une condamnation.
, Quid, dans le cas de m ort ou de faillite du tiré.
Nature, étendue et effets de la faculté concédée en cas de
faillite de l’accepteur.
Peul être exercée avant le jugement déclaratif.
Exceptions que comporte l’article 162. Force majeure. An
cienne législation.
Discussion au conseil d’E tat. Solution.
Mission conférée aux tribunaux, quant au fait de force m a
jeure et à ses conséquences.
Comment ils doivent la remplir.
Exemples divers.
Quid, du retard du courrier?
Seconde exception, convention des parties. Ses caractères,
ses effets.
Peut être prouvée par témoins.
Effet de la clause retour sans frais, lorsqu’elle émane du
tireur et q u ’elle fait partie de la lettre de change.
Quid, en cas de dénégation de son existence par un en
dosseur ? Faculté qu’ils ont d ’y déroger.
�art. 1 6 1 ,
496.
497.
162, 163.
131
Droit de chaque endosseur d ’exiger le retour sans frais.
Conséquence de son exercice.
Le porteur dispensé par la clause de retour sans frais
du protêt et de la notification, est-il tenu, en cas de
refus de payement, sous peine de déchéance, d ’aver
tir dans les délais légaux soit le tireur, soit les endos
seurs ?
•.....,
•
-x •
-
. '■
4 5 4 . — Le devoir que l’article 461 impose au por
teur, au moment où l’opération arrive à son terme, est
une conséquence de l’idée que la loi s’est faite de la
nature desengagements commerciaux, et de la ponctua
lité qu’ils exigent dans leur exécution. Convaincue qu’en
commerce un retard de vingt-quatre heures peut être
une question de vie ou de mort, nous l’avons vue jus
qu’ici baser ses prescriptions sur cette conviction. De
vait-elle, pouvait-elle raisonnablement s’en départir au
moment le plus critique, lorsque la nécessité du paye
ment va résoudre le contrat et mettre en mouvement les
droits divers et nombreux que la lettre de change in
téresse ?
Le législateur n’a pas cru à une pareille possibilité.
Dès-lors, les devoirs qu’il impose au porteur, au mo
ment de l’échéance, continuent d ’obéir aux idées qui
n ’ont cesser de le dominer.
Ainsi, le payement doit être exigé le jour même de
l’échéance. Telle est la règle absolue que pose l’arti
cle 161.
Cependant, et relativement à ce premier devoir, îl
faut remarquer que la loi n ’attache aucune peine à sa
�132
DE LA LETTRE DE CHANGE
violation. Ainsi, le porteur qui ne s’est pas présenté la
veille peut se présenter le lendemain. Il est évident que
le débiteur ne saurait se plaindre d’un fait qui ne sau
rait jamais avoir pour lui aucune conséquence fâcheuse.
En effet, alors même que le porteur ne se présenterait
pas même le lendemain, l’huissier ne manquerait pas
de le faire, et le débiteur, en payant entre ses mains,
éviterait tous frais.
4 Ï 5 . — Le refus de payement ouvre la série des
recours que la lettre de change comporte. Or, ce re
cours doit être exercé dans le plus court délai, nonseulement dans l’intérêt du porteur, mais encore dans
celui des endosseurs, dans celui du tireur lui-même.
Celui-ci, en effet, peut avoir fait provision entre les
mains du tiré, avoir, par conséquent, contre lui une
action dont le succès peut dépendre de sa prompte réa
lisation.
Il était donc urgent de rendre la constatation de ce
refus obligatoire dans le plus bref délai. De là le projet
de l’exiger pour le lendemain de l’échéance.
Cette exigence fut attaquée par plusieurs Cours et tri
bunaux, par divers orateurs du conseil d’Etat, par le
Tribunat lui-même. Non pas qu’on prétendit revenir
contre la disposition de l’article 135, et renouveler ces
délais de grâce dont on avait tant abusé, mais on vou
lait prolonger le délai de la constatation du refus de
payement dans l’intérêt même du porteur. Il est certai
nement très-différent, disait M. Bérenger, de donner
�ART.
161, 162, 163.
1S3
7
trois jours au porteur ou dix jours au débiteur. Si des
accidents, ajoutait M. Berlier, une maladie, par exem
ple, ont empêché le porteur de présenter la lettre au
protêt le lendemain de l’échéance, est-il juste qu’il per
de un recours qu’il n’a pas tenu à lui de conserver ?
4 S 6 . — M. Bégouen fit repousser ces considéra
tions par les observations suivantes :
1° Il importe, pour assurer l’exactitude des paye
ments, de fixer invariablement le jour du protêt. Il ne
doit pas être au pouvoir du porteur d’accorder des dé
lais, ni de laisser dans l’incertitude ceux contre lesquels
le recours lui est ouvert en c§s de non payement. On
ne peut pas lui permettre de compromettre ainsi l’inté
rêt des tiers ;
2° Dans l’état actuel des choses, les jours de grâce
faisant rigoureusement partie du terme, puisque le por
teur ne peut faire protester que le dernier de ces jours,
il n’a que ce seul jour, celui de l’échéance, pour faire
faire le protêt à défaut du payement. Le projet qui ne
comprend pas le jour de l’échéance dans le délai ac
cordé pour faire faire le protêt, donne donc plus de fa
cilités au porteur qu’il n ’en a actuellementL
4 Ï 1? . — L’application de l’article 162 ne saurait
créer aucune difficulté lorsqu’il s’agit de lettres de chan
ge dont l’échéance a été déterminée, ou l’est devenue
1 P r o c è s - v e r b a l d u 2 9 ja n v ie r 1 8 0 7 , n ° 4 1 . L o c r é , t . 1 8 , p . 7 3 .
�134
DE LA LETTRE DE CHANGE
par la présentation au tiré. La date de cette échéance,
celle du protêt prouvent par leur rapprochement si le
délai a été ou non observé.
Mais un doute peut s’élever au sujet des lettres paya
bles à vue. Nous remarquions tout à l’heure qu’en ce
qui les concerne, l’échéance n’est acquise que du jour
de la présentation ; d’autre part, l’article 160 fixe les
délais dans lesquels le porteur doit en exiger le paye
ment.
De là, cette première question. Le protêt faute de
payement peut-il être valablement requis le lendemain
de l’expiration des délais prescrits par l’article 160?
On pourrait fonder l’affirmative sur l’application des
articles 161 et 162. Le dernier jour du délai, diraiton, étant considéré comme le jour de l’échéance, nonseulement le protêt peut être renvoyé au lendemain,
mais il doit forcément l’être, car celui réalisé le jour
même de l’échéance devrait être déclaré nul et de nul
effet.
Mais la réponse est facile. Les articles 161 et 162 ne
reçoivent aucune application aux hypothèses prévues
par l’article 160. Celui-ci fixe un délai fatal, dans le
quel le porteur aura à réaliser ses diligences, il faut
donc qu’il prouve qu’il a rempli ce devoir avant son
expiration. Cette preuve ne peut résulter que du protêt
faute de payement. Il faut donc que sa rédaction se
place nécessairement dans la durée du délai.
En d’autres termes, il en est des délais de l’article
160 comme des délais de grâce sous l’empire de l’or-
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
135
donnance de 1673, à la seule différence que,' sous le
Code, le porteur peut ne pas attendre le dernier jour
pour agir, mais, s’il juge convenable de le faire, il ne
doit pas le laisser écouler sans réaliser ses diligences et
sans faire protester. Dans le cas contraire, le protêt
n’ayant pas été fait dans les délais prescrits, la déchéan
ce serait définitivement encourue.
A ÏS . — Donc, le porteur qui a laissé expirer les
délais ne peut invoquer les articles 161 et 162 pour lé
gitimer le protêt qu’il aurait fait dresser le lendemain de
cette expiration. Pourrait-on les invoquer contre lui si,
ayant présenté la lettre de change dans le cours du dé
lai, il n’avait pas fait suivre le refus de payement d’un
protêt ?
La négative est enseignée par MM. Horson et Nouguier. Ils pensent l’un et l’autre que le délai est en en
tier acquis, et que rien n’en saurait en faire perdre le
bénéfice au porteur. En conséqdence, dit M. Nouguier,
lorsque le propriétaire d’une lettre de change à vue l’a
présentée deux mois après sa date, et que le payement
lui a été refusé, il est libre de ne faire le protêt que le
dernier jour des délais dont parle l’article 160 C
A notre avis, cette doctrine n’a pas seulement le tort
de méconnaître le texte des articles 161 et 162, elle a
en outre celui de s’écarter du véritable esprit de la loi
commerciale en général.
i T. 1, p. 368. Horson, Quest. t07.
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
Nous l’avons déjà rappelé. En matière de lettres de
change, le législateur n’a eu qu’un seul but, à savoir :
hâter autant que possible la liquidation de l’opération.
L’article 160 n ’est qu’une exception que la distance,
que les difficultés de communications devaient faire pré
voir, et qu’il fallait cependant restreindre dans un ma
ximum de délai qu’on ne pourrait jamais dépasser.
En d’autres termes, la loi comprenant la nécessité
que créeraient certaines circonstances, a permis au por
teur de n’agir que dans les six ou huit mois, dans
l’année ou dans les deux ans de la lettre de change.
Mais cette disposition ne défend pas d’agir plus tôt.
Et si la possibilité de le faire se réalisant, le porteur a
fait ses diligences, on en revient aux principes ordinai
res et aux obligations qui en sont la conséquence.
Nous dirons donc que tout ce qui résulte de l’article
160, c’est que le porteur d’une lettre à vue peut s’abs
tenir de la présenter pendant six mois, un an ou deux,
et conséquemment d’en empêcher l’échéance. Aucune
réclamation fondée ne saurait s’élever contre son abs
tention, alors même qu’on offrirait de prouver qu’il a
dépendu de lui d’agir plus tôt.
Mais si le porteur, renonçant au délai, a présenté la
lettre de change, il en a par cela même déterminé l’é
chéance, et dès-lors il s’est placé lui-même sous l’appli
cation des articles 161 et 162.
De quel droit, en effet, le porteur accorderait-il un
délai, si ce n’est à ses risques, périls et fortune? M.
Bégouen ne vient-il pas de nous le dire, ce droit n ’est
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 ,
163.
137
pas en son pouvoir. Comment échapperait-il à l’excep
tion de l’endosseur, lui disant : Si vous aviez fait pro
tester le lendemain de la présentation, le débiteur,
mon cédant lui-même, poursuivis par moi, pouvaient
me rembourser, depuis ils sont tombés en faillite et ce
remboursement est devenu impossible. Pourrait-on me
rendre victime de votre fait personnel ?
Concluons donc que la seule portée de l’article 160
est celle que nous indiquons, le porteur peut ne deman
der son payement que le dernier jour du délai. Mais
s’il l’a exigé avant, si, ayant présenté la lettre, il en a
ainsi déterminé l’échéance, il n’a pu conserver son re
cours qu’en se conformant aux articles 161 et 162.
4 Ï 9 . — De la combinaison de ces deux articles, il
résulte que le jour de l’échéance appartient en entier au
débiteur. L’utilité de cette conséquence se manifeste sur
tout à l’endroit du petit commerce, pouvant le soir, par
l’effet de la vente de la journée, solder un engagement
auquel il n’aurait pas été dans le cas de faire face le
matin.
Cette utilité n ’est pas moins incontestable pour les
lettres de change payables en foire, lorsque cette foire
ne dure qu’un jour. Il fallait laisser au débiteur le
moyen de réaliser la vente sur laquelle il a compté pour
ses payements. Il était donc juste de lui accorder la
journée entière.
Sans doute, le créancier n’est pas tenu, lorsqu’il s’est
présenté dans la journée, de retourner une seconde, une
�138
DE LA LETTRE DE CHANGE.
troisième fois. Mais le débiteur se transportera chez lui,
et, à défaut, il pourra payer le lendemain, lorsque
l’huissier se présentera pour constater le refus de paye
ment et pour dresser le protêt.
Si la journée de l’échéance appartient en entier au
débiteur, la disposition de l’article 162, renvoyant au
lendemain la constatation du refus du payement, n’est
pas seulement une faculté, elle impose une obligation
qui ne peut être devancée. Aussi, a-t-il été jugé que le
protêt fait le jour de l’échéance était nul et ne saurait
produire aucun effet ï.
4 8 0 . — Si le lendemain de l’échéance est un jour
férié légal, le protêt est renvoyé au jour suivant. Cette
disposition déroge à l’ordonnance de 1673, sous l’em
pire de laquelle le protêt devait être fait le dernier jour
du délai de grâce, ce jour fût-il un jour de fête, même
solennelle. C’est dans ce sens que l’avait décidé la dé
claration du 10 mai 1 6 8 6 2.
L’article 162 adopte le contraire, mais pour les jours
fériés légaux seulement. De là, M. Horson conclut avec
raison que le protêt ne saurait être renvoyé au Lende
main, sous prétexte que la Bourse et les autres établis
sements commerciaux auraient été fermés à l’occasion
d’une solennité purement locale. Nous renvoyons, pour
1 A g e n , 2 a v r il 1 8 2 4 . B o r d e a u x , 1 0 d é c e m b r e 1 8 3 2 .
2 Jousse, sur l ’article 4 de l ’ordonnance.
�akt.
161, 162,
163.
139
ce qui concerne les jours fériés, aux observations que
nous avons déjà présentées i.
4 8 1 . — L’obligation de constater le refus de paye
ment est absolue et générale. Ainsi, aux termes de
l’article 163, le porteur n’est dispensé du protêt faute
de payement, ni par le protêt faute d’acceptation, ni
par la mort ou la faillite de celui sur qui la lettre est
tirée.
Cette disposition est logique, le payement de la lettre
de change, étant indiqué à un domicile désigné, ne.saurait rationnellement être exigé ailleurs. Le contraire
pouvait-il résulter du protêt faute d’acceptation ?
Ce protêt n’établit rien autre chose, sinon que, lors
que la lettre de change lui a été présentée, le tiré n’avait
aucune provision. Mais, dans l’intervalle entre celte
présentation et l’échéance, cette provision a pu être réa
lisée ; le tiré a pu s’entendre avec le tireur, et, dans
l’une ou l’autre hypothèse, le payement sera réalisé.
C’est ce qui explique suffisamment le refus d’admettre
le protêt faute d’acceptation comme une dispense du
protêt faute de payement.
48:8. — La loi les exige donc successivement, mais
sa disposition doit être rationnellement interprétée. Il
est évident, par exemple, que si, sur le protêt à défaut
d’acceptation et faute de donner caution, le porteur a de1Supra, n° '134.
�140
DE LA LETTRE DE CHANGE
mandé et obtenu contre les divers débiteurs une con
damnation au payement immédiat, tout protêt ultérieur
deviendrait une superfluité. Qu’importe, eu effet, l’é
chéance ultérieure du terme primitivement stipulé, si,
par sa faute, le débiteur a dû être privé de son bénéfice?
D’ailleurs, à quoi tendrait le protêt, lorsque déjà le
payement est ordonné par justice?
Aussi la cour de Toulouse décidait-elle, par arrêt du
2 janvier 1815, que lorsqu’à défaut d’acceptation d’une
lettre de change, un jugement a condamné les signatai
res, tireur et endosseurs à fournir caution, sinon à
payer, si la caution n’a pas été fournie, le porteur n ’est
pas tenu d’obtenir une seconde condamnation après l’é
chéance de la traite.
Dans cette espèce , le porteur avait fait protester à
l’échéance, malgré l’instance précédente, mais il n’avait
pas poursuivi, et c’est pour défaut de pousuites dans la
quinzaine du protêt qu’on voulait le faire déclarer dé
chu. Dès lors ce que la cour de Toulouse décide dans ce
cas devrait être également consacré pour défaut de pro
têt. C’est ce qui a été admis par la cour de Paris et par
la Cour de cassation.
Le porteur d’une lettre de change protestée faute'd’acceptation en avait poursuivi le payement immédiat, et
fait condamner le porteur et l’endosseur Le jugement
rendu par défaut avait été exécuté par un verbal de ca
rence.
Après l’échéance de la lettre, ce jugement est frappé
d’opposition par l’endosseur qui, excipant du défaut de
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
141
protêt faute de payement, se prétend libéré. Jugement
du tribunal de commerce de la Seine accueillant sa pré
tention. Mais, sur l’appel, la Cour infirme et condamne
celte prétention.
Pourvoi en cassation à l’appui duquel l’endosseur
soutient que le recours n’est accordé contre les endos
seurs qu’à la condition, par le porteur, de faire pro
tester à l’échéance dans le délai prescrit ; qu’aucun acte
ne peut suppléer le protêt, pas même le protêt faute
d’acceptation, la mort ou la faillite du tiré ;
Que la condamnation sur protêt faute d’acceptation
est évidemment subordonnée au cas où la lettre de
change ne serait pas payée à l’échéance, car le paye
ment de la lettre de change décharge tous les endos
seurs, qu’il fallait donc tenter d’obtenir le payement, ou
en faire constater le refus ; que le délai du protêt ex
piré, le porteur encourt la déchéance.
Voici la réponse juridique de la Cour de cassation :
« Attendu que le porteur d’une lettre de change pro
testée faute d’acceptation, peut à son gré ou en exiger
le payement avec les frais de protêt et de rechange, ou
exiger caution pour la sûreté du payement ;
.
!
« Attendu que lorsque le porteur s’est borné au pro
têt faute d’acceptation, ou à demander caution pour le
payement, il est tenu d’attendre, pour faire de nouvelles
poursuites, l’époque de l’échéance de la lettre de changé, puisque : dans le premier cas, le tireur peut faire
les fonds jusqu’à cette échéance, et n’est pas forcé de
�142
DK LA LETTRE DE CHANGE
les faire avant ; et que, dans le second cas, la caution
n ’est obligée que pour la même époque ;
« Que dans ces cas, de même que lorsqu’il n’y a eu
ni protêt faute d’acceptation, ni caution demandée, la
lettre de change doit être présentée à son échéance et
protestée faute de payement, si elle n’est point acquit
tée, sans que le protêt faute d’acceptation, ni la mort ou
la faillite du tiré, puisse dispenser du protêt faute de
payement.
« Que la raison en est que, malgré les démarchés an
térieures du porteur, ce n’est qu’à l’échéance que la let
tre est exigible, et que le protêt faute de payement a
pour objet de conserver les droits du porteur contre les
tireur et endosseurs, et des endosseurs entre eux à dater
de cette échéance ;
« Mais qu’il en est autrement lorsque le protêt faute
d’acceptation est suivi d’une condamnation contre le ti
reur, laquelle est passée en force de chose jugée ; que
cette condamnation, quand elle est devenue ainsi défi
nitive, doit recevoir son exécution ; que dès lors elle
rend évidemment inutiles toutes poursuites ultérieures
qui ne pourraient avoir d’objet l.
4 8 * . — L’article 163 ne considère comme dispen
sant du protêt de payement ni la mort, ni l’état de fail
lite du tiré. L’une ou l’autre, en effet, ne saurait em1 27 juin 1842. J. du P. 2, 1842, 387. V, arrêt d’Aix, du 17 juillet
1854 , encore inédit.
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
143
pêcher que la lettre ne soit indiquée payable chez ce tiré,
ni modifier cette indication. Le porteur doit donc se
présenter à son domicile avec d ’autant plus de raison
que la provision peut y exister, soit que, réalisée avant
la mort ou la faillite, le tiré l’ait conservée distincte de
son actif, et sans la confondre, soit qu’elle ait été four
nie après le décès ou la faillite pour la facilité du paye
ment.
Au reste, la disposition de l’article 163 n’est pas in
troductive d’un droit nouveau. Ce qu’elle énonce ex
pressément, on l’avait induit des termes absolus de l’a r
ticle 4, titre 5, de l’ordonnance. Cet article, exigeant le
protêt dans tous les cas et sans aucune exception, le
rendait dès lors indispensable dans l’hypothèse de la
mort ou de la faillite du tiré. C’est ce que Pothier no
tamment enseignait de la manière la plus expresse L
Le Code aurait donc pu garder le silence que s’était
imposée l’ordonnance. Mais on a craint qu’il en surgît
des difficultés; Les héritiers pouvaient alléguer qu’étant
encore dans les délais pour délibérer et faire inventaire,
ils ne pouvaient être contraints à s’expliquer sur l’inter
pellation qui leur était faite, et qui devait dès lors être
ajournée. C’est précisément cet ajournement que l’article
163 a voulu empêcher. Le porteur doit à l’échéance se
présenter au domicile du tiré décédé, les héritiers répon
dront ce qu’ils jugeront convenable. Mais le refus de
payement n ’en devra pas moins être suivi de protêt.
1 Contrat de change, n° 4 46.
�1U
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce qu’on ordonnait pour le cas de décès, on devait à
plus forte raison l’ordonner dans le cas de faillite. Ce
pendant on douta un instant s’il fallait dans celui-ci
rendre le protêt nécessaire. Son objet, disait-on, n’est-il
pas suffisamment rempli par la faillite elle-même? La
publicité qu’elle reçoit n’avertit-elle pas le tireur et les
endosseurs que le payement n’aura pas lieu ?
Ici encore l’ancienne doctrine l’emporta. Savary et
Pothier répondaient à ces questions : que les formalités
établies par les lois, pour donner connaissance de quel
que fait, ne s’accomplissent pas par des équivalents,
que d’ailleurs il n’était pas impossible que les tireur et
endosseurs eussent ignoré la faillite, quelque publique
qu’elle eût été, ou que ne voyant pas de protêt ils s’ima
ginassent que le propriétaire avait trouvé moyen de faire
acquitter l’effet.
>
C’est cette doctrine que l’article 163 a cru devoir
consacrer. Donc l’échéance étant arrivée, le défaut de
payement donne lieu à un protêt lequel n’est empêché
ni par le protêt faute d’acceptation, ni par la mort, ni
par la faillite du tiré.
484.
— Notons que dans cette première partie de
sa disposition, l’article suppose que le tiré qui est mort
ou qui a failli n’a pas accepté. Sans doute, et dans le
cas contraire la faillite ne dispenserait pas le porteur de
la nécessité du protêt, mais elle lui conférerait un droit
que ne lui attribue pas celle du simple tiré, à savoir :
�ART. 161, 162, 165.
145
celui de faire protester avant l’échéance et d’exercer son
recours.
Cette seconde disposition est fondée sur le principe
que le bénéfice du terme est enlevé par la diminution
des sûretés promises ou données. Or, par l’acceptation,
le tiré devient le débiteur principal. La certitude qu’il
ne peut plus payer est une évidente diminution des ga
ranties attachées à la dette. En second lieu, la faillite du
débiteur principal rendant la dette exigible, le même
effet doit se réaliser à l’égard des cautions.
Les endosseurs ne pourraient donc contester en prin
cipe le recours du porteur. Ils sont fondés à en contes
ter cependant l’étendue. Résulte-t il de l’article 163
qu’ils sont à jamais déchus du bénéfice du terme, ou
bien peuvent-ils en profiter en remplaçant la garantie
perdue ?
Nous avons déjà parlé des réclamations qui s’étaient
produites sur l’article 160, et que le ministre avait cru
devoir déférer au conseil d’Etat, après les avoir soumi
ses au conseil général du commerce. Or, ces réclama
tions avaient aussi pour but l’interprétation de l’article
163. Voici sur ce dernier point les observations du con
seil général :
« Le conseil remarque que si le porteur de la lettre
de change sur un failli, usant du droit de la faire proter avant l’échéance stipulée, exerçait incontinent et par
retraite son recours sur son cédant, il le priverait de la
faculté que l’article 448 du Code de commerce lui donne
de fournir caution ; qu’il est juste que le cédant ait la
n — 10
�446
DE LA LETTRE DE CHANGE.
faculté de faire trouver à l’échéance et au lieu indiqué
pour le payement les fonds nécessaires à l’acquit des ef
fets qu’il a tirés ou endossés ; qu’en l’obligeant à un
payement inattendu et anticipé, le cédant pourrait se
trouver embarrassé, lors même que son actif serait fort
supérieur à sa dette ; qu’enfin le porteur n’ayant que
la faculté et non l’obligation de faire protester lors de
la faillite du payeur présumé, sans attendre l’échéance
de l’effet qu’il a en mains, il est juste que les garants
aient une faculté relative.
« En conséquence, le conseil estime qu’il est conve
nable que dans le cas prévu par l’article 463, la faculté
de recours accordé au porteur soit bornée jusqu’à l’é
chéance stipulée dans le titre à celle accordée par l’ar
ticle 448 (aujourd’hui 444). »
Les sections de l’intérieur et de législation avaient ré
digé un projet d’avis conforme. Mais cet avis ne fut pas
promulgué, parce que le conseil d’Etat déclara q u ’il n’y
avait pas lieu à avis interprétatif. Mais l’autorité du
précédent n’en demeure pas moins considérable et de
nature à exercer la plus grande influence sur la solution
de notre question.
Au reste, la Cour de casssation avait jugé dans le
même sens, en décidant, le 15 mai 1810, que le re
cours autorisé par l’article 163 n’oblige celui contre le
quel il est exercé qu’à donner caution, aux termes de
l’article 444. C’est par cette doctrine qu’on devait ré
soudre notre question.
Il importe de remarquer que l’article 163 s’en réfère
�ART. 1 6 1 ,
162, 165.
147
exclusivement à la volonté du porteur. Il lui concède
une faculté et ne lui impose aucune obligation. Ainsi, il
peut faire protester, mais il est libre de ne pas le faire ;
il peut, après avoir requis le protêt, en abandonner le
bénéfice et ne le faire suivre d’aucune poursuite. Il con
serverait tout son recours contre les endosseurs et le ti
reur, si un nouveau protêt, étant fait à l’échéance, était
régulièrement notifié. C’est ce que la Cour de cassation
sanctionne expressément dans l’arrêt du 16 mai 1810,
que nous venons d’invoquer.
485.
— La faillite se réalisant par le fait seul de la
cessation de payement, indépendamment du jugement
déclaratif, l’artiçle 163 serait applicable au cas où cette
cessation, étant notoire, n’aurait pas encore été suivie
d’un jugement déclaratif. C’est ce que la cour d’Or
léans a très rationnellement décidé , le 10 décembre
1832.
En résumé donc, le payement doit être exigé le jour
même de l’échéance, le refus qui en est fait doit être
constaté le lendemain. Cette obligation, le porteur n’en
est pas dispensé ni par le protêt faute d’acceptation, ni
par la mort ou la faillite de celui sur qui la lettre de
change est tirée.
— Mais quelque absolue qu’elle soit, cette
obligation admet quelques exceptions. Ces exceptions ré
sultent d’abord de la force majeure, ensuite de l’inten
tion des parties.
486.
�148
DE LA LETTRE DE CHANGE
é
L’ordonnance de 1673 n’avait aucune disposition
sur la force majeure. Le doute avait donc pu s’élever
sur les conséquences qu’elle devait produire. Plusieurs
jurisconsultes, notamment Pothier, n’hésitaient pas à la
considérer comme une excuse légitime du défaut de
protêt L
Les rédacteurs du projet primitif du Code de com
merce, adoptant l’opinion de Pothier, l’avaient conver
tie en disposition légale. Comment cette disposition avaitelle disparu du Code? Nous l’ignorons. Ce qui est cer
tain, c’est qu’elle ne tigurait pas dans le projet soumis
au conseil d’Etat.
48 9 .
— Mais le principe qu’elle consacrait se re
produisit dans la discussion. Il y devint l’objet de trois
opinions bien tranchées.
La première demandait que la force majeure fût con
sidérée et indiquée comme une exception à l’obligation
imposée par l’article 162. Il n’est pas permis, disaiton, de confondre le porteur négligent et celui qui n’a
pu agir. Rendre ce dernier victime de son impuissance,
ce serait le punir pour n’avoir pas fait l’impossible.
La seconde opinion repoussait l’exception. On rap
pelait ces paroles de Montesquieu : Les exceptions nais
sent des exceptions, et les détails des détails : en créer
une au principe que la lettre de change doit être protes
tée le lendemain de l’échéance, c’est ouvrir une large
i Contrat de change, n° 444.
�ART.
161, 162, 165.
149
porte aux abus, c’est enlever à la lettre de change ses
caractères essentiels, la célérité et la certitude du paye
m ent à l’époque convenue. Bientôt on verrait se multi
plier les faux procès-verbaux de force m ajeure. Il n ’y
aurait plus, par h fait, de déchéance en cas de protêt
tardif.
La troisième opinion, enfin, repoussait les deux au
tres comme trop absolues. Il ne convenait ni d ’adm et
tre, ni de rejeter expressément la force m ajeure. Ce
q u ’il fallait, c’était de laisser les tribunaux arbitres su
prêmes des faits pouvant la constituer, des conséquen
ces q u ’elle devait produire.
Cette opinion prévalut, et comme elle n ’était pas de
nature à figurer dans le Code de commerce, elle fut
consignée au procès-verbal en ces termes :
Le conseil arrête, q u ’afin de ne pas ouvrir la porte
aux abus, en liant la conscience des tribunaux par une
règle trop précise, il ne sera pas inséré dans le Code de
commerce de dispositions sur l ’exception de la force
majeure L
4 8 8 . -— Ainsi, le législateur n ’a pas adm is la force
majeure, mais il ne l’a pas repoussée. Quelle que soit
donc à cet égard la décision des tribunaux, elle ne sau
rait violer la loi. Elle n ’est que l’appréciation d ’une dif
ficulté que seuls ils sont appelés à résoudre, non pas
d’une m anière générale, m ais spécialement pour chaque
1 Procès-verbal du 31 janvier 1807, n° 3. Locré, 1.18, p. 78.
.
�ISO
DE LA LETTRE DE CHANGE
espèce sur laquelle ils sont appelés à statuer. Cette fa
culté exclusive leur a été reconnue non seulement par
la doctrine et la jurisprudence, mais encore par le gou
vernement lui-même.
Ainsi, le conseil d’Etat, consulté par le ministre de
la justice sur la question de savoir si dans le cas d’in
terruption de communication par des événements de
force majeure, il appartenait au gouvernement de sus
pendre ou de modifier, par une ordonnance, les effets
du Code de commerce à l’égard des porteurs des lettres
de change et de relever de la déchéance prononcée pour
défaut de protêt à l’échéance et de dénonciation dans
les délais prescrits, a décidé, par avis du 1â novembre
1840, qu’il appartenait, non à l’administration, mais
aux tribunaux dans l’exercice de leur juridiction, d’ap
précier les circonstances de force majeure, sous le dou
ble rapport du fait et du droit.
4 8 » . — Voilà donc la mission des tribunaux re
connue et constatée. Reste à savoir le mode d’apprécia
tion auquel ils doivent s’arrêter, si tant est qu’on puisse
diriger et réglementer un pouvoir n’ayant d’autres ba
ses que les inspirations de la conviction et de la cons
cience.
Mais, même dans l’exercice de ce pouvoir, il est des
considérations que les magistrats ne sauraient négliger.
Ainsi, ce qu’ils ne doivent jamais perdre de vue, c’est
que l’exception de force majeure ne doit pas être légè
rement accueillie.
�Les juges, disaient ceux qui émettaient au conseil
d’Etat l’opinion que le conseil consacrait, doivent être
difficiles à admettre l’exception de force majeure. Sans
doute on ne fera pas résulter l’impossibilité du simple
retard d’un courrier qu’aucun cas fortuit n’a arrêté dans
sa route, mais d’événements graves, tels qu’une épidé
mie, un siège, de ceux qui interrompent toute commu
nication.
Evidemment on ne peut assigner à cette indication
un caractère limitatif et restrictif. Mais elle est considé
rable comme manifestation de la pensée et de l’inten
tion du législateur. On avait même douté si l’état de
guerre, si l’invasion de l’ennemi constituait la force
majeure. L’affirmative fut décidée par un avis du con
seil d’Etat du 25 janvier 1814, approuvé le 27.
Une épidémie, un siège, l’invasion de l’ennemi, indé
pendamment des justes préoccupations qui en naissent,
rendent les communications difficiles, dangereuses, les
interceptent même quelquefois d’une manière complète.
Or, c’est surtout l’impossibilité des communications qui
a paru devoir constituer la force majeure. Ainsi, la Cour
de cassation jugeait, le 23 janvier 1831, qu’on aurait
pu considérer comme un cas de force majeure l’impos
sibilité où le porteur aurait été de faire parvenir l’effet
au domicile du débiteur, à cause de la contrariété des
vents ayant empêché la sortie de tout navire.
Au reste, dans tous les cas que nous venons d’indi
quer, la force majeure disparaissant avec la cause , le
porteur doit dès cette cessation réaliser ses diligences.
�132
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le délai de la déchéance court du jour de cette cessa
tion. Cette solution de notre ancienne jurisprudence est
également consacrée par la jurisprudence moderne l.
— Sous l’empire de l’ordonnance de 4673,
Pothier citait comme constitutif de la force majeure
l’exemple suivant : Si demeurant à Orléans et ayant
une lettre de change à recevoir à Marseille à un certain
jour, j’en ai passé l’ordre à mon correspondant à Mar
seille, et je la lui ai envoyée afin qu’il la reçût pour
moi ; si ce correspondant, porteur de ma lettre, est mort
la veille ou le jour qu’il devait aller recevoir ou protes
ter ma lettre, le défaut de protêt dans ce jour ne me
fera pas déchoir de mes actions, pourvu que je le fasse
faire dans un temps qui sera jugé suffisant pour que
j ’aie pu être instruit de l’accident et donner des ordres
pour le faire faire2.
Le Code n’ayant que confirmé en ce point la précé
dente législation, on pourrait admettre sous son empire
ce qu’on admettait sous l’empire de celle-ci. Telle est
l’opinion de Merlin qui, reproduisant l’exemple de Po
thier, approuve et recommande la solution enseignée
par le judicieux et éminent jurisconsulte3.
Nous venons de voir que dans la détermination des
causes de la force majeure, on n’avait pas admis le re490.
1 Cass., 25janvier 182t.
2 Cont. de change, n° 444.
3 Rép , v» Protêt, § 4, n° 1
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
155
tard d’un courrier qu’aucun cas fortuit n’a arrêté dans
sa marche. L’allégation de ce retard n’aurait donc ni
valeur, ni portée, le porteur ne saurait être relevé de la
déchéance. Il en serait de même du cas où l’envoi delà
lettre ayant eu lieu tardivement, celle-ci ne pouvait ar
river au destinataire qu’après l’expiration du délai pour
le protêt, comme si, par exemple, de la date de l’en
dossement à celle de l’échéance il n’y avait pas un inter
valle tel que l’exigerait la distance.
Dans ce cas, il y a une faute imputable soit à l’en
voyeur de la lettre, soit à celui qui la lui a transmise
pour l’expédier à sa destination. Il est donc évident que
l’effet de la déchéance ne peut être supporté par le ré
ceptionnaire. Il pourra donc recourir contre son cédant
et celui-ci contre le sien, suivant que le retard provien
dra de l’un ou de l’autre L
Toutefois et pour qu’il en soit ainsi, il faut que la let
tre soit arrivée après le délai fixé pour la constatation
du refu§ de payement. Dans le cas contraire, et si le
protêt pouvait être régulièrement requis, son omission
resterait à la charge exclusive du réceptionnaire. Telle
serait l’hypothèse d’une lettre de change arrivée le len
demain de l’échéance, et à une heure qui permettrait de
faire le protêt2.
4 9 1 . — La seconde exception dont la règle tracée
1 Nimes, 32 août, 1809.8 mai 1813.
2 Paris, 28 août 1831,
�\u
DE LA LETTRE DE CHANGE
par l’article 162 est susceptible, est celle qui résulterait
de la convention des parties. Cette disposition ne con
cerne en rien l’ordre public, elle ne se réfère qu’à l’in
térêt personnel de chacun de ceux appelés à en recueil
lir le bénéfice. La faculté de répudier celui-ci ne pou
vait dès lors être ni douteuse, ni contestée.
Cette répudiation résultera invinciblement de la dis
pense de faire le protêt et la notification. Or, cette dis
pense, soit qu’elle résulte de l’acte même, soit qu’elle ait
été convenue par écrit séparé, n’a pas besoin d’être ex
presse, elle peut s’induire des termes employés comme
de l’intention des parties. On a donc pu la faire résul
ter de la promesse pure et simple donnée par l’endos
seur h
Mais il ne suffirait pas que l’endossement contînt la
clause de garantie. Cette clause, essentiellement sous
entendue, ne saurait changer la nature de l’obligation
de l’endosseur, par cela seul qu’elle aurait été exprimée.
C’est ce que la cour de Nîmes a consacré en jugeant que
le porteur d’une lettre de change n’est pas dispensé
d’en faire le protêt en temps utile par l’endossement
ainsi conçu : Payez à l’ordre de...... valeur reçue
comptant avec garantie jusqu’à parfait payement ;
que le défaut de protêt peut lui être opposé même par
l’auteur de l’endossement, et qu’il ne peut prétendre
que cette clause constitue un aval qui le dispense du
protêta.
1 Cass., 20 juin 1817.
2 22 juin 1819.
�ART. 1 6 1 , 1 0 2 , 1 6 3 .
155
La Cour de cassation a décidé, le 23 décembre 1835.
que si, par un acte d’ouverture de crédit, deux dégociants sont convenus que le créditeur ne pourrait exer
cer aucune poursuite contre le crédité, faute de paye
ment aux échéances des billets fournis par celui-ci, il
suit de là que le créditeur porteur de ces billets n’est
pas garant envers le crédité de la déchéance encourue
par le défaut de protêt.
Au reste, un point qui domine toute notre matière,
c’est que le litige qui s’engage sur la question de savoir
s’il y a ou non dispense du protêt, se résume tout en
tier dans une appréciation de l’intention des parties. Ce
caractère amène d’abord à cette conséquence, que les
tribunaux sont arbitres souverains de la difficulté, et
que la constatation de faits qu’ils consacrent échappe à
la censure de la Cour de cassation.
4 9 3 . — Une seconde conséquence de la même rè
gle, c’est que cette intention n’a pas besoin d’être cons
tatée par écrit ; qu’elle peut résulter des présomptions
et être établie par la preuve testimoniale.
Le contraire avait été jugé par la cour de Paris, le 23
février 1830. L’article 175 du Code de commerce, disait
l’arrêt, dispose que le protêt ne peut être suppléé par
aucun acte ; à plus forte raison exclut-il la preuve testi
moniale.
C’était là mal caractériser le litige et par conséquent
en donner une solution peu légale. Aussi cet arrêt, étant
�15G
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
devenu l’objet d’un pourvoi, fut il cassé par la Cour ré
gulatrice.
Il ne s’agissait pas, dit celle-ci, de savoir si le porteur
peut suppléer le protêt par la preuve testimoniale, mais
s’il pouvait prouver par témoins, contre son cédant,
que celui-ci l’avait dispensé de faire le protêt, et avait
pris l’engagement de lui rembourser le montant de la
traite sans cette formalité. Or, cette convention parti
culière, n’ayant rien d'illicite, lie les parties contractan
tes comme toute autre convention légale, et la loi laisse
aux juges la faculté d’en admettre la preuve par té
moins, s’ils trouvent cette preuve admissible d’après les
circonstances, si l’article 175 ne permet point de sup
pléer le protêt par la preuve testimoniale, il ne défend
point de prouver par témoins la convention spéciale qui
vient d’être énoncée l.
En résumé donc, on peut déroger à la disposition de
l’article 162. La convention qui renferme cette déroga
tion est par sa nature essentiellement commerciale. Elle
ne doit donc pas, à peine de nullité, être établie par
écrit. On peut la faire résulter des faits et circonstan
ces, des présomptions, et la justifier par la preuve testi
moniale.
4=94. — Il est même un cas où cette dérogation est
forcée pour tous les signataires de la lettre de change,
1 Cass., 34 juillet 4832. Conf., 5 juillet 4843. J . d u P „ 2, 4843,
778
�à savoir : lorsque le tireur a mentionné dans la lettre la
clause de retour sans frais.
On a beaucoup discuté sur cette clause et sur les con
séquences qu’elle devait entraîner. Aujourd’hui toute
controverse tend à disparaître et voici les solutions
autour desquelles se rallient la doctrine et la jurispru
dence.
La mention retour sans frais, émanée du tireur et
faisant partie intégrante de la lettre de change, oblige
tous les preneurs successifs. En se chargeant de la let
tre, non seulement ils se soumettent à la condition, mais
encore ils se l’approprient. Ils sont donc censés la sti
puler expressément lorsque chacun d’eux négocie et
aliène la propriété de la lettre de change. Il importe
donc peu qu’elle ne soit pas textuellement reproduite
dans l’endossement. La présomption que nous indi
quons rend cette formalité inutile , le porteur n ’en est
pas moins dispensé de toutes formalités judiciaires ’.
Celte dispense n’est pas seulement un d ro it, son ob
servation atteint aux proportions d’un véritable devoir.
Ainsi le porteur qui, sous prétexte du silence gardé par
les endosseurs, ferait protester dans la circonstance que
nous supposons, ne pourrait répéter les frais qu’il au
rait ainsi exposés2.
495. — Cette règle pourrait cependant donner nais1 Cass., 8 avril 1834.
3 Angers, 15 juin 1831. Paris, 24 janvier 1835
�188
DE LA LETTRE DE
CHANGE
sance à une fraude contre les endosseurs. Le porteur
qui aurait omis ou négligé de requérir le protêt en
temps utile pourrait être tenté, pour se soustraire aux
effets de la déchéance, d’ajouter la mention sans frais à
la suite de la signature du tireur, et soutenir qu’il a été
dispensé de toute diligence.
C’est ce qu’on prétendait s’être réalisé dans une es
pèce sur laquelle la cour d’Agen était appelée à statuer.
Dans la prévision des facilités que la fraude avait pour
se produire, l’arrêt qui intervient déclare que, pour être
régulière, la clause de retour sans frais, attribuée au
tireur, doit faire partie intégrante de la lettre de change,
ou être reconnue par toutes les parties avoir existé lors
de son émission ;
Qu’en conséquence il ne suffirait pas que cette condi
tion fût écrite après la signature du porteur pour qu’elle
fût admise contre l’un des endosseurs qui contesterait
ou qui ne reconnaîtrait pas son existence au moment où
l’effet lui a été transmis, qu’à son égard cette condi
tion, étant étrangère au corps de l’acte, devrait être con
sidérée comme un renvoi non approuvé, et ne pouvant
en conséquence produire aucun effet h
Cependant, comme dans cette hypothèse la fraude
pourrait se trouver dans la dénégation intéressée de
l’endosseur, les juges devaient avoir le moyen de se pro
noncer entre lui et le porteur. Ce moyen réside dans
l’appréciation des faits et circonstances, dans les divers
1 9 janvier 4838. J . d u P . , 4, 1838, 470.
�ART.
161,
162,
163.
159
documents, et, en dernier résultat, dans la preuve tes
timoniale.
Une autre observation essentielle à faire sur la men
tion retour sans frais, émanant du tireur, c’est qu’elle
n’oblige les endosseurs successifs que s’ils s’abstiennent
de s’expliquer. Chacun d’eux, en effet, est libre de la
répudier, mais à la condition qu’il déclarera expressé
ment y déroger. C’est ce que consacre l’arrêt de cassa
tion du 8 avril 1834.
4L96. — Chaque endosseur a, en ce qui le concerne,
le droit de renoncer à l’exécution des formalités pres
crites par les articles 162 et suivants. Il peut donc, dans
l’hypothèse où le tireur a gardé le silence, stipuler la
clause de retour sans frais, et cette clause doit produire
à son égard ses effets ordinaires.
Mais dans ce cas le porteur pourrait se trouver fort
embarrassé. La nécessité de protester résulterait pour
lui de ce que le tireur ou d’autres endosseurs précédents
ou suivant celui qui mentionnerait le retour sans frais,
n’auraient pas, en s’appropriant cette clause, dispensé
des formalités légales.
En effet, ou a agité la question de savoir si la men
tion de retour sans frais, consignée par un endosseur,
produisait pour les endosseurs subséquents les mêmes
conséquences que celles qu’entraînerait la mention faite
par le tireur. Mais la négative a été admise, chaque en
dosseur n’agit que pour son intérêt personnel et exclusif.
Il peut déroger en ce qui le concerne au droit commun,
�160
DE
LA
LETTRE
DE CHANGE.
mais il ne peut contraindre qui que ce soit à l’imiter.
En conséquence, celui qui, transmettant la lettre qu’il
avait reçue avec la clause de retour sans frais, ne la
mentionne pas dans son endossement, est présumé s’en
être référé au droit commun. L’absence de protêt et de
notification dans les délais prescrits le libérerait donc de
toute obligation.
Ce qui résulterait encore de son fait, c’est que, dans
le cas où le porteur se serait conformé à la loi, il serait
tenu de rembourser à son cessionnaire les frais de pro
têt, de notification, de compte de retour, sans pouvoir
les répéter contre son cédant. Celui-ci s’en étant exonéré
par la clause retour sans frais, l’acte personnel de son
cessionnaire n’a pu lui enlever ce bénéfice.
Que si entre l’endossement de celui-ci et le porteur,
existent d’autres endossements portant la clause retour
sans frais, le porteur pourra exiger de ces derniers le
remboursement des frais qu’il a dû faire. Vainement
feraient-ils observer qu’ils s’en étaient dispensés par la
clause de retour sans frais. Le porteur répondrait que
c’est dans leur intérêt plutôt que dans le sien qu’il a re
quis le protêt ; que celui-ci a eu pour objet de leur
conserver leur garantie contre l’endosseur qui n’avait
pas mentionné la clause ; qu’il a donc été en réalité
leur negotiorum gestor, qu’il doit être dès lors rem
boursé de ses avances, sauf à eux à les répéter contre
qui de droit.
49®. — Tout le monde est d’accord sur les effets
�ART. 1 6 1 ,
162,
163.
161
de la clause de retour sans frais. Non seulement elle
dispense des frais du protêt et de notification, mais en
core de tous autres frais quelconques, elle est même un
obstacle à tout compte de retour. Mais le même accord
n’existe plus sur les devoirs que le refus de payement
impose au porteur. Les uns veulent qu’il soit obligé,
sous peine de déchéance, d’avertir amiablement les en
dosseurs du défaut de payement dans les délais ordi
naires ; les autres, tout en reconnaissant qu’il doit aver
tir le plus tôt possible, n’admettent aucune déchéance.
La première opinion, consacrée par l’arrêt d’Agen, du
9 janvier 4838, déjà cité, a été adoptée par la cour de
Paris, le 7 janvier 4845 l. La seconde est enseignée par
un arrêt de Limoges, du 28 janvier 4 835.
Le système des cours d’Agen et de Paris nous parait
s’écarter de la logique. En effet, la déchéance n’est en
courue par le porteur que dans le cas où il n’a pas fait
protester le lendemain de l’échéance et notifié dans la
quinzaine. Le dispenser de l’un et de l’autre, et l’on
reconnaît que tel est l’effet de la clause de retour sans
frais, c’est nécessairement l’affranchir des conséquences
que leur omission entraînerait. Décider le contraire,
n’est-ce pas consacrer les effets tout en reconnaissant
que la cause a cessé d’exister. Or, en s’écartant ainsi
de la logique, ce système viole la loi, puisqu’il tend à
créer une déchéance qu’aucune disposition de loi n’a
consacrée.
l J . d u P . , 4,1845, 103.
�162
DE
LA
LETTRE DE
CHANGE.
A ces reproches, on peut joindre celui de placer le
porteur sous le coup d’une obligation pour l'accomplis
sement de laquelle on ne lui donne aucun moyen légal.
Il ne peut, en l’état de la clause de retour sans frais,
ni protester, ni avertir par voie d’huissier, à moins de
rester personnellement tenu des frais ; il ne peut donc
avertir soit le tireur, soit les endosseurs, du refus de
payement, que par la voie amiable, par une lettre mis
sive. Or, comment pourra-t-il, en cas de dénégation,
prouver que cette lettre a été réellement envoyée et re
çue ? Rien cependant de plus facile à prévoir que cette
dénégation, dans le cas de mauvaise foi.
L’opinion contraire, dira-t-on, arrivera à ce résultat
que le porteur pourra prolonger à son gré l’obligation
des endosseurs et leur causer ainsi un préjudice consi
dérable, comme si pendant qu’il gardait le silence le
débiteur venait à faillir. Or, n’est-ce pas là précisément
ce que la loi a voulu surtout éviter ?
Sans doute ce serait là un inconvénient immense,
mais, hâtons-nous de le dire, le système que nous pré
férons ne saurait l’offrir. A nos yeux, en effet, le por
teur dispensé des formalités judiciaires devient à l’é
chéance de la lettre le mandataire des divers intéressés
Il doit donc agir dans le plus bref délai pour sau
vegarder l’intérêt de chacun d’eux ; s’il néglige de le
faire, il commet une faute grave, des conséquences de
laquelle il demeure responsable. Donc, les endosseurs
obtiendront la réparation du préjudice qu’ils seraient
dans le cas de souffrir de la négligence du porteur. Ce
�ART,
161,
162,
163.
163
résultat n’a pas besoin d’invoquer une déchéance dont
la loi ne s’est pas occupée. Il se légitime par les prin
cipes du mandat, et au besoin par la règle de l’article
1382.
Donc, l’opinion de la cour de Limoges est préférable
à celle des cours d’Agen et de Paris. C’est ce que la
Cour de cassation paraît adopter, car elle jugeait, le
1er décembre 1841, qu’il n’y a point d’ouverture à cas
sation contre un jugement qui décide que la clause sans
frais, apposée sur une lettre de change, dispensait le
porteur, d’après l’intention des parties, de faire le pro
têt à l’échéance, ainsi que de l’obligation de recourir
judiciairement contre les endosseurs et garants, et de
les prévenir du non payement dans les délais fixés par
la loi K
ARTICLE
163.
Le porteur d’une lettre de change protestée faute de
payement peut exercer son action en garantie.
Ou individuellement contre le tireur et chacun des
endosseurs,
Ou collectivement contre les endosseurs et le tireur.
La même faculté existe pour chacun des endosseurs,
à l’égard du tireur et des endosseurs qui le précèdent,
1 J . d u P . , 1, 1842, 377,
�164
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE
165.
I
Si le porteur exerce le recours individuellement con
tre son cédant, il doit lui en faire notifier le protêt, et,
à défaut de remboursement, le faire citer en jugement
dans les quinze jours qui suivent la date du protêt, si
celui-ci réside dans la distance de cinq myriamètres.
Ce délai, à l’égard du cédant domicilié à plus de cinq
myriamètres de l’endroit où la lettre de change était
payable, sera augmenté d’un jour par deux myriamè
tres et demi excédants les cinq myriamètres.
ARTICLE
166.
Les lettres de change tirées de France et payables
hors du territoire continental de la France, en Europe,
étant protestées, les tireurs et endosseurs résidant en
France seront poursuivis dans les délais ci-après :
De deux mois pour celles qui étaient payables en
Corse, dans l’île d’Elbe ou de Capraja, en Angleterre et
dans les Etats limitrophes de la France ;
De quatre mois pour celles qui étaient payables dans
les autres Etats de l’Europe ;
De six mois pour celles qui étaient payables aux
�ART.
164.
163,
166,
167.
163
Echelles du Levant et sur les côtes septentrionales de
l’Afrique ;
D’un an pour celles qui étaient payables aux côtes
occidentales de l’Afrique, jusques et compris le cap de
Bonne-Espérance, et dans les Indes occidentales;
De deux ans pour celles qui étaient payables dans les
Indes orientales.
Ces délais seront observés dans les mêmes propor
tions pour le recours à exercer contre les tireurs et en
dosseurs résidant dans les possessions françaises situées
hors d’Europe.
Les délais ci-dessus, de six mois, d’un an et de deux
ans, seront doublés en temps de guerre maritime.
ARTICLE
167.
Si le porteur exerce son recours collectivement con
tre les endosseurs et le tireur, il jouit à l’égard de cha
cun d’eux, du délai déterminé par les articles précé
dents.
Chacun des endosseurs a le droit d’exercer le même
recours, ou individuellement, ou collectivement, dans le
même délai.
A leur égard, le délai court du lendemain de la date
de la citation en justice.
�166
D E LA L E T T R E
D E CHANGE
S O M M A IR E
498.
499.
800.
501.
502.
503.
504.
505.
506.
507.
Droit que le porteur puise dans le refus du payement, ré
gulièrement constaté.
Motifs du recours contre le tireur.
Motifs du recours contre les endosseurs.
Droits du porteur contre les donneurs d ’aval.
Droits contre le tiré.
Ces droits ne peuvent être exercés qu’après protêt. Consé
quences de la novation résultant du défaut de protêt à
l ’endroit du tireur.
Novation peut être tacite, arrêt de la cour de Limoges.
Arrêt de la cour de Lyon, admettant une novation tacite
avant protêt.
Obligation de notifier le protêt. Pourrait-elle être faite par
lettre missive. Ses effets.
Obligation d ’ajourner le débiteur. Ces deux formalités doi
vent être cumulées, mais elles peuvent être remplies
par un seul acte.
La citation qui ne contiendrait pas la copie du protêt au
rait-elle conservé le recours du porteur ?
509. Délai dans lequel doit être donnée l ’assignation. Ce dé
lai doit-il être augmenté toutes les fois que la distance
de cinq myriamètres s’augmente d’une fraction quel
conque.
509 bis. Le porteur peut-il se rembourser par une retraite.
Pourrait-on dans ce cas appliquer l’article 165 ?
510. Délais pour les lettres payables ailleurs qu’en France. Dé
bats que l ’article 166 souleva an conseil d ’Etat.
511. Quel sera l'effet d ’une citation donnée devant un juge in
compétent ?
512. Cette citation doit-elle être immédiatement suivie d’un ju
gement.
508.
�art.
513.
164-,
163,
166,
167.
167
Le porteur peut être dispensé de la notification du protêt
et de l ’a jo u r n e m e n t, m ê m e ta c ite m e n t . A rrêt de la Cour
de cassation.
514.
Obligations du porteur en cas de poursuite collective. Com
m e n t on s u p p u t e les d éla is. D evan t quel trib u n al peut
se faire la pou rsu ite.
515.
L ’e n d o s s e u r qui a r e m b o u r s é e s t su b r o g é à toutes le s obli
g a tio n s du porteur. De quel m o m e n t court pour lu i le
délai d e q u in zain e.
4 0 8 . — Le refus de payement régulièrement cons
taté a pour effet immédiat l’exercice du droit du porteur
pour se faire rembourser du montant de la lettre de
change.
,
Ce remboursement est solidairement dû par tous les
signataires de la lettre. Tireur, accepteur, donneurs d’a
val, endosseurs, tous sont placés sur la même ligne à
l’endroit de la garantie que le porteur peut exercer.
Ils peuvent donc être collectivement assignés. Mais ce
recours général était peu probable, précisément parce
qu’il est peu dans l’intérêt des commerçants et dès lors
dans les habitudes commerciales. En effet, il peut occa
sionner dans le payement un retard que le porteur peut
tenir à éviter, qu’il évitera en s’adressant à son cédant
immédiat et en obtenant ainsi un prompt rembourse
ment.
C’est surtout pour éviter toutes difficultés que le lé
gislateur a cru devoir écrire dans la loi commerciale
une règle que les effets ordinaires de la solidarité auto
risaient suffisam ment.
�168
DE
LA LETTRE
DE
CHANGE.
Donc, aux termes de l’article 164, le porteur peut
exercer la garantie, ou individuellement contre le tireur
et chacun des endosseurs, ou collectivement contre les
endosseurs et le tireur.
4 9 9 . — Le recours contre le tireur résultait forcé
ment de la nature des choses et de sa qualité même. 11
est l’emprunteur direct et par conséquent le débiteur
principal, et comme tel invinciblement tenu à en rem
bourser le montant.
Il est vrai que ce remboursement il l’a en quelque
sorte réalisé dès l’instant que, remplissant son devoir, il
a fait provision suffisante entre les mains du tiré, aussi
celui-ci devient-il dès lors principal débiteur. Mais ce
n’est pas tout que de mettre le tiré en position de payer,
il faut encore que le mandat qui lui est donné reçoive
son entière exécution. La responsabilité de l’infidélité
dans sa gestion, ou de l’impuissance dans laquelle il
serait de la remplir reste à la charge du tireur qui l’a
chosi. Celui-ci n’est donc à l’abri du recours que dans
le cas où le porteur aurait négligé de se présenter en
temps utile, comme nous le verrons bientôt.
5 0 0 . — Le recours contre les endosseurs puise son
fondement dans le concours que chacun d’eux a donné
à la circulation de la lettre, et dans la garantie qu’il as
sume que le payement sera fait à l’échéance. Cette ga
rantie, ayant été déclarée solidaire par la loi, ne s’arrête
pas à la personne qui l’a obtenue, elle est transmise
�ART.
164,
1 6 5 ,,
166,
167.
169
avec la propriété de la lettre elle-même. Elle appartient
donc au propriétaire de celle-ci.
La différence dans le principe des obligations du ti
reur et des endosseurs devait en motiver une dans les
conditions auxquelles allait être subordonné le recours
contre chacun d’eux. Mais avant de nous en occuper,
nous devons nous fixer sur la véritable étendue, sur la
portée réelle de notre article 164.
501.
— Sa disposition ne parle que du tireur et des
endosseurs. Mais le silence qu’il garde sur le tiré et les
donneurs d’aval ne saurait être considéré comme le déni
de l’action en ce qui les concerne. Cette action existe et
peut dès lors être exercée, mais dans certains cas et à de
certaines conditions.
Il importe d’abord de distinguer entre le tiré et les
donneurs d’aval. Ces derniers ont signé la lettre de
change, ils en sont dès lors devenus les garants solidai
res ; le porteur pourra donc les actionner dans tous les
cas.
'
Seulement l’étendue de leur obligation variera sui
vant qu’ils auront cautionné le tireur, l’accepteur ou
l’un des endosseurs. Assimilés à celui qu’ils ont garanti,
ils sont recevables à opposer à la demande du porteur
toutes les exceptions que le garanti pourrait invoquer
lui-même.
5 0 » . — Le tiré reste étranger à la lettre de change
tant qu’il n ’a pas accepté. Mais cette acceptation réali-
�170
DE LA
LETTRE DE CHANGE
sée, non seulement il devient garant solidaire, mais en
core débiteur principal. Pour le tiers porteur, l’accepta
tion prouve la provision, c’est bien le moins qu’il puisse
en exiger la restitution.
Ainsi donc l’acceptation est la condition essentielle
sans laquelle le tiré ne saurait être actionné. Peu im
porterait même qu’il eût reçu provision ou qu’il fût
réellement débiteur du tireur d’une somme égale ou su
périeure au montant de la lettre de change. Il peut, s’il
n’est pas négociant ou si la dette n’est pas commerciale,
refuser de s’engager sous cette forme, et personne ne
saurait le contraindre à concourir malgré lui à la lettre
de change.
Dans ce dernier cas, le porteur pourrait sans doute
lui demander compte de la provision qu’il aurait en
mains, mais seulement en vertu de l’article 1166 du
Code civil, et comme exerçant les droits et actions du
tireur créancier de cette provision.
De là cette double conséquence: 1° le tiré ne pour
rait être distrait de ses juges naturels, ni être traduit,
sous le prétexte d’un ajournement collectif, devant le
tribunal du domicile d’un des signataires de la lettre de
change ; 2° il serait recevable et fondé à opposer au
porteur toutes les exceptions qu’il serait dans le cas d’in
voquer contre le tireur, notamment celle de l’incompé
tence de la juridiction consulaire, si, n’étant pas com
merçant, sa dette ne constituait pas une opération com
merciale.
L’action directe contre l’accepteur et l’action oblique
�ART.
164,
165,
166,
167.
171
contre le tiré n’exigent aucune condition, aucune forma
lité préalables. Le porteur peut les exercer tant que par
le laps de temps écoulé la prescription n’est pas encore
acquise.
5 0 8 . — Le porteur de la lettre de change peut
donc recourir indifféremment contre tous ceux qui sont
tenus d’en assurer le payement. Mais cette faculté, pour
ce qui concerne notamment les tireur et endosseurs,
doit être précédée des formalités suivantes :
En première ligne, le protêt qui doit être fait le len
demain de l’échéance, aux termes de l’article 162 que
nous avons examiné. Cette formalité nous la trouvons
implicitement exigée par l’article 164, le bénéfice que
celui-ci confère ne peut être réclamé que par le por
teur d’une lettre de change protestée faute de paye
ment.
Cette condition, rigoureusement exigée à l’égard des
endosseurs, ne l’est pas moins pour ce qui concerne le
tireur, dans le cas où la lettre a été acceptée. Le défaut
du protêt peut, suivant les circonstances, être considéré
comme une novation de la dette ayant libéré le tireur.
C’est ce qui se réaliserait si, au lieu de faire protester
à l'échéance, le porteur promet à l’accepteur de n’exiger
payement qu’après l’événement d’une condition quel
conque. Evidemment le porteur aurait par là consenti
à se contenter de la garantie de l’accepteur, il aurait
dès lors perdu tout recours contre le tireur, quand mê-
�172
DE LA LETTRE DE CHANGE
me la condition paraîtrait avoir été apposée dans l’inté
rêt de ce dernier ï.
Ce principe et ses conséquences ont été consacrés par
la Cour de cassation. Elle a, en effet, jugé que le por
teur d’une lettre de change est déchu de son recours
contre le tireur lorsque, au lieu de faire protester le
lendemain de l’échéance, il a accordé à l’accepteur une
prorogation de délai, encore bien qu’il n’eût consenti à
cette prorogation que pour éviter l’amende qu’il aurait
fallu payer en cas de protêt, parce que la traite était
écrite sur un papier qui avait cessé d’avoir cours3.
— Dans les espèces jugées par la Cour de
Grenoble et par la Cour de cassation, l’existence de la
novation ne pouvait être méconnue. Elle résultait ex
pressément des changements que le porteur avait fait
subir aux conditions d’exigibilité, et dans sa confiance
exclusivement personnelle à l’accepteur. Mais ce carac
tère n’est pas indispensable, et la novation qui s’indui
rait tacitement des faits et circonstances ne laisserait
pas que de libérer le tireur.
Cette conséquence avait été admise par la Cour de
Limoges. Un arrêt rendu par elle, le 14 mars 1840,
avait fait résulter la novation de ce que le porteur de
la lettre de change non acquittée l’avait gardée plusieurs
jours en ses mains au lieu de la retourner de suite à
504.
i G r e n o b le , 1 6 fé v r ie r 1 8 0 9 .
8 1 4 décem b re 1 8 2 4 .
�art.
164,
165,
166,
167.
173
son endosseur, et de ce qu’il en avait réclamé depuis le
montant, en principal et intérêts, à la succession du
tiré.
Cet arrêt fut déféré à la Cour suprême, mais vaine
ment. Le pourvoi fut rejeté le 16 novembre 1841 *.
— La novation que le porteur peut faire
après le protêt, peut également se réaliser avant. La
Cour de Lyon a eu à s’en expliquer dans l’hypothèse
suivante :
Une lettre de change avait été tirée sur un individu
qui avait accepté. Divers besoins avaient été indiqués, il
paraît que par un accord intervenu entre le tiré et le
porteur, l’acceptation avait été biffée. C’est en cet état
qu’à l’échéance la lettre de change est présentée aux
personnes indiquées au besoin, et celles—çi déclarent re
fuser le payement, attendu l’autorisation donnée au ti
ré de biffer son acceptation, et l’exécution qui s’en est
suivie. Ce refus de payement est constaté par un
protêt.
Après ce protêt, le porteur fait rétablir l’acceptation
et prétend exercer son recours contre le tireur et les en
dosseurs. Mais l’arrêt qui intervint consacre leur résis
tance. Le consentement donné à la rature de l’accepta
tion, dit la Cour, équivaut à la concession d’un terme,
et le tireur lui-même se trouve libéré, alors même que
505.
1 J . d u P . , 2, 1834 424.
�174
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
depuis le refus du payement le porteur aurait obtenu du
tiré la réapposition de l’acceptation 1.
— Le protêt régulièrement rédigé doit être
notifié au tireur et aux endosseurs. Cette notification
n’est pas seulement un avertissement du refus de paye
ment, une mise en demeure de rembourser, elle a pour
objet et pour but essentiels de mettre celui qui la reçoit
en possession de recourir lui-même contre ses garants,
en lui donnant un titre sur lequel il fondera son action.
Dans quelle forme doit être faite cette notification ?
L’ordonnance, qui ne distinguait pas la notification du
protêt et l’assignation, se bornait à ordonner que les
garants seraient poursuivis dans la quinzaine ; mais la
Cour de cassation jugeait que l’avis du protêt par sim
ple lettre missive ne suffisait p a s2. Une lettre missive ne
peut, en effet, constituer un titre légitime contre les ga
rants de celui qui l’aurait reçue.
Cette règle devrait être suivie aujourd’hui. La notifi
cation du protêt n’est régulière que si elle est faite par
acte d’huissier, soit qu’elle ait lieu séparément, soit
qu’elle accompagne la citation en justice3.
506.
50*. — La loi n’a fixé aucun délai à la notifica
tion du protêt. Mais comme cette notification doit pré-
i 2 5 j u in 1 8 2 7 .
3 2 4 v e n d é m ia ir e a n x u .
3 V.
in fra ,
n° 508.
�ART.
1 6 4 .,
165,
160,
167.
175
céder l’ajournemeut. et que celui-ci doit être donné dans
la quinzaine du protêt, il est évident que la notification
opérée après cette quinzaine n’empêcherait pas l’appli
cation de la pénalité édictées par l’article 168.
Si la notification officieuse ou officielle du protêt dé
termine le payement, le porteur n’a plus aucune forma
lité à remplir. Dans le cas contraire, cette notification
doit être suivie d’une citation en justice en condamna
tion contre le tireur ou l’endosseur.
Aux termes de l’ordonnance de 1673, il résultait que
le législateur prescrivait et la notification du protêt et
l’assignation. La section du conseil d’Etat pensa autre
ment ; elle proposait, en conséquence, de consacrer l’al
ternative, la notification du protêt ou l’ajournement. La
notification du protêt, disait-elle, amène ordinairement
le payement. Dans tous les cas, elle conserve le recours.
Toute nouvelle mesure devient donc inutile, dans l’une
comme dans l’autre hypothèse.
Mais le conseil d’Etat ne s’arrêta pas à cette propo
sition. L’assignation après le protêt, dit-on, est destinée
à faire cesser les délais pendant lesquels le porteur pour
rait, après la notification du protêt, négliger de pour
suivre ; elle a pour objet de prévenir dans les hypothèses
ordinaires les longueurs pendant lesquelles des faillites
pourraient survenir ; il importe donc, non-seulement de
la prescrire cumulativement avec la notification du pro
têt, mais encore de lui assigner un délai déterminé.
Aujourd’hui donc, comme sous l’ordonnance, il faut
�176
DE LA LETTRE DE CHANGE
et la notification du protêt et la citation en justice. L'ar
ticle 165 les considère même comme deux actes dis
tincts devant se succéder à une certaine distance, et
dont le second peut être rendu inutile par le payement
que le premier est dans le cas de déterminer.
Mais, ce n’est pas ainsi que l’a compris la pratique.
Ordinairement l’assignation et la notification ne for
ment qu’un seul exploit, et ce mode, destiné d’ailleurs
à économiser des frais, n’a suscité aucune réclamation.
508. — Donc, les prescriptions de la loi sont exé
cutées par une assignation précédée de la copie du pro
têt qui se trouve ainsi notifié. Mais quel sera le sort de
l’assignation qui n’offrira pas cette formalité ; sera-telle nulle et donnera-t-elle lieu à l’application de l’ar
ticle 168 ?
Pothier enseignait la négative. Il se fondait sur ce
principe que le défaut de copie des pièces dans un ajour
nement n’emporte pas la peine de nullité.
Pothier a raison pour les pièces qui peuvent encore
être signifiées dans le cours de l’instance. Mais on doit
décider autrement pour celles dont la notification est
prescrite dans un délai déterminé. Ce délai expiré, la
notification n’est ni possible, ni efficace, surtout lorsque
la volonté de la loi est garantie par une sanction pé
nale. Or, la notification du protêt est dans cette der
nière catégorie, Nous venons de voir qu’elle doit être
faite dans la quinzaine, sous la peine édictée par l’ar
ticle 168.
�ART.
164,
165,
166,
177
167.
D’ailleurs, Pothier se place ici au point de vue ordi
naire, et nullement sous l’empire des exigences com
merciales. Aussi Merlin, se préoccupant exclusivement
de celles-ci, arrive à une solution diamétralement con
traire.
« Chaque formalité, dit cet éminent jurisconsulte, a
son objet particulier. Il ne suffit pas de poursuivre et
de faire condamner l’endosseur, but de l’ajournement,
il faut encore le mettre à même de pouvoir agir contre
son propre cédant, c’est-à-dire lui fournir le titre qui
seul peut fonder son recours, c’est donc exclusivement
dans son intérêt que la dénonciation du protêt doit être
faite ; c’est en sa faveur qu’elle est prescrite. On ne peut
donc la négliger impunément, car il nous est bien per
mis de renoncer à nos propres avantages ; mais nous ne
pouvons jamais renoncer à ce qui n ’a été introduit
qu’en faveur d’a u tru i 1. »
Merlin invoque ici plusieurs arrêts et avec eux il con
clut à l’insuffisance, au point de vue de l’article 165,
de l’ajournement ne renfermant pas la copie du protêt.
Nous croyons que cette conclusion est irréfragable et
qu’elle est plus conforme à la loi que celle de Pothier.
Ici se manifeste l’utilité de la décision que nous indi
quions tout à l’heure3. Vainement le porteur, pour cor
riger le vice de l’ajournement, dirait-il qu’il avait avisé
du protêt par lettre missive. On lui répondrait avec raii
Rép.
3
Supra,
v°
Endoss, n °
va.
n« 5 0 6 .
n
12
�178
D E LA LETTRE D E
CHANGE.
son que ce n’était pas ce que la loi exige, et qu’il ne sau
rait se purger de l’insuffisance de l’ajournement par une
mesure plus insuffisante encore.
5 0 » . — La citation en justice doit être donnée dans
un délai de quinze jours, ce délai commence à courir le
lendemain du protêt. Mais il est évident qu’en matière
de lettre de change surtout, ce délai ne pouvait être uni
forme. On devait d’autant mieux tenir compte des dis
tances, qu’elles pouvaient être telles que le délai de
quinze jours eût été évidemment insuffisant. Cette con
sidération a dicté les dispositions des articles 165 et
166.
Le premier, s’occupant des garants domiciliés en
France, restreint à quinze jours le délai de l’assignation
pour ceux qui sont domiciliés dans une distance de cinq
myriamèires du lieu où siège le tribunal devant lequel
ils sont cités. Au-delà de cette distance, le délai s’aug
mente d’un jour par chaque deux myriamètres et demi.
Doit-on tenir compte de la fraction qui existerait audelà de deux myriamètres et demi ? 'Il résulte des ter
mes de l’article 165 que l’augmentation d’un jour n’est
accordée que lorsque la distance de cinq myriamètres se
trouve dépassée de deux myriamètres et demi. De là, il
parait résulter que si la distance excédant est moindre,
il n ’y a pas lieu à l’augmentation. Ainsi, le délai de
quinze jours suffirait dans l’hypothèse d’une distance
de sept myriamètres et un quart.
,
Mais, s’il y a lieu à augmentation du délai, on devrait
�art. 1 G 4 ,
165,
166,
167.
179
tenir compte de la fraction. Ainsi, on accorderait trois
jours à celui qui aurait son domicile à dix n r riamètres
et quatre kilomètres. C’est ce que la cour de Bordeaux
jugeait le S juillet 4825, sur les motifs que le législateur
ayant accordé des délais à raison de la distance à par
courir, il est juste qu’on tienne compte du temps que
l’on doit employer pour faire le chemin qui excéderait
d’une quotité quelconque les deux myriamètres et demi
pris pour base de calcul pour le délai à accorder.
Ainsi, tant que le domicile de l’assigné n’est pas à
plus de deux myriamètres et demi au-delà de cinq my
riamètres, on ne tient aucun compte de la fraction, et le
délai de quinzaine n’est pas augmenté.
Mais, si l’augmentation est acquise parce que les cinq
myriamètres sont dépassés, on accorde autant de fois un
jour, qu’il y a de fois deux myriamètres et demi. On
doit en accorder en outre un pour la fraction qui reste
rait, bien qu’elle n’atteignît pas à cette quotité.
Ce qui est certain, c’est que l’article 165, qui résout,
du moins implicitement, le premier cas, se tait sur le
second. On a donc pu interpréter son silence dans le
sens que nous indiquons, d’autant mieux qu’il s’agissait
d’une déchéance, et qu’en pareille matière on ne saurait
se montrer trop exigeant ni trop sévère, et qu’on ne doit
la consacrer que lorsqu’elle est expressément édictée par
la loi. c’est ce que la Cour de cassation enseignait, en
repoussant le pourvoi dont l’arrêt de la cour de Bor
deaux avait été l’objet K
1 49 juillet 1826.
�180
DE
LA LETTRE DE
CHANGE.
5®»t>is. — Ainsi, lorsque la lettre de change est
payable en France, on doit, sous peine de déchéance,
notifier le protêt et citer dans la quinzaine, peu importe
le lieu d’où la lettre est tirée ; qu’il y ait des signataires
résidants en pays étrangers. Ceux-ci peuvent, en vertu
de l’article 69 du Code de procédure civile, être cités au
parquet du procureur de la République dans l’arrondis
sement duquel la lettre de change est payable. Le délai
est donc plus que suffisant.
Mais le porteur peut, usant de la faculté que lui donne
l’article 176, se rembourser sur son cédant par une re
traite. Pourra-t-il, en cas de protêt de la nouvelle traite,
poursuivre son recours si ce protêt est postérieur à l’ex
piration du délai de quinzaine qui lui est imparti.
La retraite sur un endosseur domicilié et demeurant
en France peut être calculée de telle sorte que le refus de
payement s’effectuera dans le délai de l’article 165, ce
qui permettra de réaliser le recours en temps utile.
Mais, si le cédant est domicilié à l’étranger, il sera
impossible de présenter la nouvelle traite avant l’expira
tion de ce délai. Le tireur aura-t-il perdu tout recours,
ou bien suffira-t-il qu’il ait actionné son cédant endos
seur dans les délais de l’article 166.
La cour d’Aix vient de résoudre la question dans ce
dernier sens, par arrêt du 31 mars 1860.
Une traite payable à Marseille est tirée à Alexandrie
(Egypte), à l’ordre du sieur Mélicb, résidant français.
Celui-ci la transmet à la maison Gay-Bazin, de Mar
seille. Sur le refus de payement du tiré, la traite est
�protestée le 21 décembre 1857. La maison Gay-Bazin
fait retraite sur le sieur Mélich. Sur son refus de payer,
elle l’ajourne, le 22 février 1858, devant le tribunal
consulaire français d’Alexandrie.
Mélich excipe de sa qualité d’endosseur et soutient
que tout recours est perdu contre lui, faute par la mai
son Gay-Bazin d’avoir notifié Je protêt dans la quinzaine
avec citation au parquet du procureur de la Républi
que à Marseille. Cette exception est accueillie par le tri
bunal.
Mais, sur l’appel, la cour d’Aix réforme le jugement,
« attendu en droit que le porteur d’une lettre de change,
tirée de l’étranger sur France, endossée à l’étranger,
puis protestée en France faute de payement, a évidem
ment la faculté de notifier le protêt à son cédant et de
l’assigner en justice, soit dans le lieu où la traite est
payable, soit dans le lieu même du domicile réel du dé
fendeur ;
« Que s’il opte pour le premier mode de procéder con
tre un endosseur résidant hors de la France , il devra
forcément agir par la voie du parquet et se conformer
aux prescriptions des articles 165 du Code de commerce
et 69 du Code de procédure civile, en faisant ses notifi
cations dans la quinzaine du protêt au domicile du pro
cureur de la République près le tribunal du lieu où la
lettre est stipulée payable, sauf le délai de la distance de
l’ajournement ;
« Que s’il opte au contraire pour le second mode de
procéder, s’il veut appeler son cédant devant le tribunal
�t' !■i
î
ilj
IIP '
-iisÉ
du domicile réel de ce débiteur, ce n’est plus par la voie
du parquet qu’il aura besoin d’agir, mais par la voie de
citation directe, personnelle, et dès lors il aura, pour
exercer son action, l’indispensable délai des distances,
à raison de l’éloignement des deux domiciles ;
« Que, dans ce cas, il faut, il est vrai, s’il investit un
tribunal étranger, qu’il se soumette, pour les délais, à
la loi du pays dont il accepte la juridiction, mais que
cette obligation cesse si, comme dans la cause actuelle,
l’action est déférée à un de nos tribunaux consulaires
des Echelles du Levant, dans lesquelles les lois de la
France sont applicables aux résidants français.
« Qu’alors l’analogie et les principes de la réciprocité
indiquent que ce délai doit être supputé d’après les rè
gles établies dans l’article 166 du Code de commerce,
en renversant les rôles, ce qui donne un délai de six
mois au poursuivant des tireurs et endosseurs demeu
rant aux Echelles du Levant ;
« Que d’ailleurs ici la réciprocité est d’autant plus juste
qu’on peut dire qu’elle résulte d’un accord internatio
nal, puisqu’il y a parité de législation entre les deux
pays, et que le Code ottoman reproduit en sens inverse
les dispositions de notre article 166.
« Attendu enfin qu’en cette matière, où les délais du
recours doivent être prompts, le second mode dé pro
céder n’a rien de contraire à la célérité nécessaire au
commerce, par la raison que le porteur de la traite n’a
intérêt à l’employer que quand il lui procure un moyen
de poursuites plus expéditif que la voie du parquet, tan-
�ART.
164,
16b,
166,
167.
183
dis que le cédant ainsi assigné à son domicile y trouve
l’avantage de ne pas être distrait de ses juges naturels ;
«Attendu que d’après ces règles l’action introduite par
Gay-Bazin contre Mélich, protégé français, devant no
tre juridiction consulaire d’Alexandrie, dans les trois
mois de l’échéance et du protêt de la traite, était régu
lière et recevable ; que partant c’est à tort que les pre
miers juges ont déclaré les demandeurs déchus de tout
recours. »
L’arrêt aurait pu ajouter que le cédant avait d’autant
moins à se plaindre, que la voie adoptée ne pouvait lui
causer un préjudice quelconque, puisqu’elle laissait in
tact le recours qu’il avait à exercer contre ses coobligés.
Il est évident en effet que l’action intentée dans le délai
de l’article 166 l’autorisait à se pourvoir en temps utile
soit contre le tireur, soit contre les endosseurs précé
dents. Aucun d’eux n’aurait pu exciper du défaut de di
ligence au parquet, puisque le porteur n’était pas obligé
de les poursuivre tous et était autorisé à n’agir que con
tre son cédant individuellement.
En ce qui les concerne, il suffisait donc que ce der
nier eût été actionné dans les délais légaux, et que sa
garantie eût été à son tour réalisée en temps utile à
partir du jour où la dénonciation du protêt avec assi
gnation avait été faite à sa personne ou à son domicile
réel.
Donc, d’une part, absence absolue de préjudice ; de
l’autre, avantage d’être assigné devant son propre juge,
�184
DE LA LETTRE DE CHANGE
comment dès lors permettre la plainte et surtout l’ac
cueillir?
On pourrait d’autant moins hésiter que, se rembour
sant par une retraite, le porteur obéit aux convenances
commerciales. Les relations entre correspondants ne
comportent pas l’appel en justice préalable que les mai
sons honorables considéreraient avec raison comme un
affront. Donc, nul ne doit être admis à se faire une
arme d’un procédé que la loi avoue et que les conve
nances commandent h
Concluons donc que le porteur d’une traite tirée de
l’étranger sur France ne doit faire ses diligences au par
quet du procureur de la République que s’il ajourne le
cédant résidant en pays étranger devant le tribunal du
lieu du payement ;
Mais qu’il n’est pas obligé de suivre cette voie ; qu’il
peut, si son intérêt l’exige, fournir en retraite sur ce
cédant.
En cas de refus de payement, il doit lui notifier le
protêt fait en France avec citation devant le juge de son
domicile.
Si ce juge est lui-même étranger, le sort de la de
mande, quant au délai dans lequel elle doit être inten
tée, est réglé par la loi du pays.
Si le tribunal compétemment saisi est français, ce dé
lai est celui déterminé par l’article 166 du Code de com
merce 2.
1 In fra , n °s 5 7 7 e t s u iv .
2 T r ê v e s , 2 7 j u ille t 1 8 1 0 . G ê n e s , 1 3 a o û t 1 8 1 3 .
�art.
164,
165,
166,
167.
185
510. — Après avoir ainsi réglé le délai de la cita
tion en justice pour les effets de commerce payables en
France, le Code de commerce détermine celui qu’il ac
corde pour ceux payables en pays étrangers, c’est là
l’objet de l’article 166.
Cet article serait une exception au principe tant in
voqué à l’occasion du délai de la présentation et du
protêt des lettres à vue ou à un certain temps de vue, à
savoir : que tout ce qui concerne le payement d’effets de
commerce est soumis à la législation du lieu dans le
quel ils sont payables. Aussi, sa consécration prouve l’é
clatante vérité des paroles de M. Desèze, invoquant,
dans son rapport de la loi de 1817, cet autre principe :
Qu’en matière de recours, c’est toujours à la législation
du pays dans lequel il doit s’exercer qu’on doit s’en
rapporter. L’article 166 ne statuant que sur ce recours,
sa légitimité ne saurait être contestée.
Sa disposition fut cependant attaquée au conseil
d’Etat, mais sous un autre rapport.Les délais des ajour
nements, disait-on, ont été réglés par l’article 73 du
Code de procédure civile, il n ’y a donc qu’à s’en référer
à ses prescriptions.
Mais on répondit que le Code de procédure ne dispo
sait que pour ce qui concerne les possessions françaises,
hors du continent, tandis que le commerce liait tous
les peuples ; qu’en fait et dans certaines circonstances,
les délais de l’article 73 seraient insuffisants, qu’il con
venait donc d’en adopter de spéciaux pour la matière
�186
DE
LA LETTRE D E CHANGE
commerciale. La consécration de cette opinion fit adop
ter l’articlf 166.
En' conséquence, le porteur d’un effet de commerce
protesté a; pour en ajourner les débiteur, tireur ou en
dosseurs :J
Deux mois pour les effets payables en Corse, dans
l’île d’Elbe ou de Capraja, en Angleterre et dans les
Etats limitrophes de la France ;
Quatre mois pour ceux payables dans les autres Etats
de l’Europe ;
Six moisjpour ceux payables aux Echelles du Levant
et sur les ($tes occidentales de l’Afrique ;
Un an pour ceux payables aux côtes occidentales de
l’Afrique jfsques et compris le cap de Bonne-Espérance,
et dans lesf Indes occidentales :
*
Enfin, djsux ans pour ceux payables dans les Indes
orientales.Ces trois; derniers délais de six mois, un an et deux
ans sont doublés en cas de guerre maritime.
I
,
'
5 1 t.
-44 L’exigence d’une citation en justice dans
les délais cfi-dessus a soulevé notamment les deux diffi
cultés que iiyoici : Quel sera l’effet de la citation donnée
devant un juge incompétent ? La citation doit-elle être
suivie d’un jugement ?
La première question a été tranchée par la cour de
Caen, le 1er février 1842. Cet arrêt, considérant que les
principes généraux du droit civil sont applicables en ma
tière commerciale dans les points sur lesquels le Code de
�art .
164,
165,
166,
167.
187
commerce n’a pas de disposition spéciale repoussant
cette application ; considérant qu’on doit assimiler aux
prescriptions, et régir par les mêmes règles, les dé
chéances prononcées par la loi pour laps de temps, et
spécialement la déchéance contre le porteur d’une let
tre de change ou d’un billet à ordre faute par lui d’avoir
exercé dans les délais légaux l’action qui lui est ouverte,
déclare que la déchéance est empêchée par l’assignation
donnée même devant un tribunal incompétentx.
La cour de Caen décide un principe de droit commun
sur lequel on est loin d’être d’accord. En effet, l’assimi
lation absolue des déchéances aux prescriptions est con
testée, notamment par M. Troplong2. Cependant ce qui
est incontestable, c’est que, pour les intéressés à la let
tre de change, la déchéance les libérant d’une manière
complète, prend le véritable caractère de la prescription.
Quoiqu’il en soit, la doctrine de la cour de Caen
aboutit à un résultat qui nous paraît non seulement ju
ridique, mais encore commandé par l’esprit de la loi.
En effet, ce que la loi a voulu, ce qu’elle a entendu pu
nir, c’est la négligence du porteur, laissant les endos
seurs dans l’ignorance du refus du payement, les pla
çant dans l’impossibilité d’exercer leur recours, et les
exposant à en perdre le bénéfice.
Or, aucun de ces inconvénients ne se produit lorsque
dans le délai voulu le porteur a notifié le protêt et donné
1 J. du P., 2, 4842, 5S1.
2 De la prescription, n° 27 .
�188
DE LA LETTRE DE CHANGE.
l’assignation. Dès lors la déchéance n’a plus aucune
raison d’être, et cesse par cela même d’être juste et lé
gitime. Sans doute l’assignation aura été donnée devant
un juge incompétent, mais, comme le relevait très judi
cieusement un arrêt de la cour de Bourges, du 12 mars
1S13, cela ne pouvait faire que la citation fût nulle. En
avait-elle moins instruit l’endosseur à qui elle était
donnée que la lettre de change n’avait pas été payée ?
Provoqué les poursuites contre son cédant ? L’avait-elle
moins mis en état de les réaliser ?
Or, si tout cela était acquis, comment et sous quel
prétexte appliquer l’article 168. Loin d’avoir négligé les
formalités qu’il devait remplir, en réalité le porteur les
avait accomplies. L’incompétence du juge peut bien
amener la nécessité d’une instance nouvelle, mais elle
ne saurait jamais et dans aucun cas effacer l’exécution
que l'article 165 a reçue, ni en faire perdre le bénéfice.
512.
— La manière dont la cour de Caen a résolu
cette première difficulté doit donc être approuvée. Il en
est de même de la solution qu’elle a donnée à la seconde,
en jugeant que la citation en justice ne devait pas être
immédiatement suivie d’un jugement sous peine de dé
chéance.
L’opinion contraire est enseignée notamment par
M. Persil. Si une simple citation suffisait, dit-il, elle
serait sans motif, on aurait pu se borner à exiger la no
tification du protêt ; d’où, il conclut que la première
�art.
464, 165, 166, 167.
189
n’est prescrite que pour arriver sans délai à un juge
ment.
Cette opinion ne saurait trouver aucun appui dans le
texte ni dans l’esprit de la loi. L’article 165, en effet,
ne prescrit que la notification et la citation en justice. Ce
serait donc ajouter gravement à sa disposition que d’exiautre chose, que d’en faire résulter une déchéance
qu’il n’a nullement prévue.
Le silence gardé par le législateur s’explique par cette
double considération. La prononciation du jugement ne
saurait intéresser l’endosseur, car la dénonciation du
protêt et l’ajournement ont suffi pour le mettre en po
sition de demander son remboursement à son cédant ;
l’instance une fois introduite ne peut être légalement
éteinte que par la péremption, elle conserve donc jus
que-là toute son autorité, et maintient les droits du de
mandeur. Comment donc admettre une déchéance ?
Celle-ci ne pourrait être acquise que si l’inaction du
porteur s’étant prolongée plus de trois ans, la péremp
tion de l’instance avait été demandée et prononcée.
Alors, en effet, tous les actes antérieurs, notamment la
citation, se trouvant effacés, en droit l’article 165 n’au
rait pas été exécuté et la déchéance du porteur devien
drait une conséquence forcée l.
— Voilà donc les devoirs que la loi impose
au porteur pour la régularité du recours qu’il est en
513.
1 N o u g u ier, p . 3 8 0 . C a s s., 2 8 j u ille t 1 8 2 4 , 11 m a rs
1838.
�190
DE LA LETTRE DE CHANGE
droit d’exercer. Mais il en est de ces devoirs comme de
ceux prescrits par l’article 162. Le porteur en serait
dispensé par la force majeure, ou par la convention
contraire intervenue entre lui et son cédant, enfin par
la clause de: retour sans frais.
La convention n’a pas même besoin d’être expresse,
• elle résulterait tacitement de tous les faits indiquant l’in
tention d’éviter toutes démarches de la part du porteur.
La Cour de cassation l’a induite de l’engagement pris
par l’endosseur d’un billet protesté d’en rembourser le
montant à son cessionnaire l.
41
— Si le porteur exerce son action collective
ment contre le tireur et les endosseurs, il doit remplir
les formalités que nous venons d’indiquer. Les seules
modifications à faire sont celles naissant du nombre
même des défendeurs.
Ainsi chacun d’eux doit recevoir notification du pro
têt avec assignation dans la quinzaine. Le Code ne per
met plus ce qui était autorisé par l’ordonnance, à sa
voir : de citer tous les garants en la personne de l’un
d’eux.
Le délai de quinzaine courra du jour du protêt, mais
le porteur ne saurait réclamer autant de fois quinze
jours qu’il y a d’endosseurs différents, il n’y a qu’un
seul délai pour tous, il ne pourrait même appliquer à
514.
i 3 janvier -1848. J. du P ., 1, 1848, 428. V. cass., 20 juin J827,
23 décembre 1836.
�ART.
164, 165, 166, 167.
191
l’endossenr domicilié dans la distance de cinq myriamètres l’augmentation de délai dont il profiterait à l’égard
de celui qui résiderait dans une localité distante de plus
de sept myriamètres et demi. Cette augmentatifrn est ex
clusive à celui-ci. En conséquence, si le délai/de quin
zaine était expiré, ce dernier pourrait être endore vala
blement assigné, mais le premier serait définitivement
libéré.
!
Si la poursuite est personnelle et exclusive du cédant
immédiat, l’ajournement doit être donné à s$n domi
cile. Dans le cas d’action collective, toutes lefc parties
sont régulièrement appelées au domicile de l’unê d’elles,
au choix du porteur.
t
515.
— L’endosseur qui a remboursé le! porteur
prend à son tour cette qualité à l’endroit du tireur, de
l’accepteur, des cautions et des endosseurs qui le pré
cèdent ; il jouit dès lors, en ce qui les concerne, de tous
les droits du porteur qu’il a désintéressé, il peut donc
les attaquer ou individuellement, ou collectivement, à la
charge de remplir les formalités que nous venons d’in
diquer.
Aucune difficulté ne saurait s’élever sur le point de
départ du délai de quinzaine, lorsque l’endosseur a
remboursé sur citation en justice ou après. L’article \ 67
le fixe au lendemain de la citation. Qu’en serait-il en
cas de remboursement purement amiable ?
Ce remboursement désintéressant le porteur lui enlève
toute qualité et tout titre pour citer ultérieurement l’en-
�192
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dosseur qui l’a payé. Donc la détermination du délai
du jour de la citation est impossible.
Celle qui le ferait courir du lendemain du protêt se
rait injuste, car le remboursement peut n’avoir été ef
fectué que plus tard, et dans ce cas l’endosseur n’aurait
pas ce délai franc que la loi entend lui assurer.
Il n’y avait qu’une détermination rationnelle, à sa
voir : celle qui fixerait le point de départ du délai au
lendemain du remboursement, et c’est celle-là que la
jurisprudence a consacrée.
Le contraire avait été jugé par deux tribunaux de
commerce : celui de Senlis et celui de Troyes. Ils avaient
admis : le premier, par jugement du 30 mai 1815, le
second, par jugement du 4 novembre 1844, que, pour
l’endosseur qui a remboursé sur protêt et avant cita
tion, le délai de quinzaine devait partir du lendemain
du protêt.
Mais ces jugements, déférés à chacune de ces époques
à la Cour régulatrice, y ont reçu le même accueil, c’està-dire qu’ils ont été cassés l’un et l’autre.
« Attendu, dit la Cour de cassation, que si pour le
porteur le délai de quinzaine court à partir du protêt,
pour l’endosseur qui a remboursé volontairement et
après protêt, il court le lendemain du remboursement
volontaire, parce que c’est seulement au jour de ce rem
boursement que l’endosseur a été subrogé aux droits
du porteur ; ce qui s’induit d’ailleurs suffisamment des
termes du deuxième alinéa de l’article 167, qui accorde
�art .
164, 166, 166, 167.
195
à chacun des endosseurs, pour exercer son recours, le
même délai qu’au porteur l. »
Le délai de quinzaine ne court donc, pour l’endos
seur qui rembourse amiablement après protêt, que du
lendemain du remboursement. Il est dès lors d’un grand
intérêt d’en fixer la date, soit par un acquit sur la let
tre de change, soit par une quittance séparée. L’un ou
l’autre ferait foi de la date qui y serait indiquée, mais
jusqu’à preuve contraire seulement, car elle pourrait
n’avoir été apposée qu’après coup et pour soustraire
l’endosseur à la déchéance qu’il aurait encourue.
Si l’époque du remboursement n’était pas fixée, l’en
dosseur serait admissible à la prouver par toutes sortes
et manière de preuves et même par témoins. C’est ce
qui s’induit notamment de l’arrêt de la Cour de cassa
tion, du 2 février 1846.
Si le remboursement n’a lieu qu’après citation en
justice, le délai ayant commencé à courir du lendemain
de cette citation ne cesse pas de courir à partir de cette
époque. Ici l’endosseur était, même avant d’avoir rem
boursé, en mesure de poursuivre ses propres garants, et
il devait le faire. Il n’est pas possible que le payement
’ efface le délai déjà couru et que par son propre fait l’en
dosseur proroge celui de la déchéance. L’intention de
rembourser, loin d’être un obstacle à l’exercice du re
cours, devait au contraire en hâter l’exécution.
Enfin, si l’endosseur remboursé après une poursuite
i 9 mars 1848, 2 février 1846. J . d u P . 1, 1846, 239.
n — 43
�194
DE LA LETTRE DE CHANGE
collective de la part du porteur, il n’a plus aucune for
malité à remplir. Subrogé à tous les drois de celui-ci,
il l’est également au profit de la procédure qu’il peut
suivre en son nom, suivant ses derniers errements.
Il en est des endosseurs comme du porteur quant au
délai. Celui qui a remboursé a un délai franc de quin
zaine pour se pourvoir soit contre son cédant, soit con
tre chacun des autres signataires. Mais ce délai est uni
que, et on déciderait pour l’endosseur ce que nous déci
dions tout à l’heure pour le porteur.
ARTICLE
468.
Après l’expiration des délais ci-dessus,
Pour la présentation de la lettre de change à vue, ou
à un ou plusieurs jours ou mois ou usances de vue,
Pour le protêt faute de payement,
Pour l’exercice de l’action en garantie,
Le porteur de la lettre de change est déchu de tous
droits contre les endosseurs.
ARTICLE
469.
Les endosseurs sont également déchus de toute action
en garantie contre leurs cédants, après les délais ci-des
sus prescrits, chacun en ce qui le concerne.
�ARTICLE
470.
La même déchéance a lieu contre le porteur et les
endosseurs, à l’égard du tireur lui-même, si ce dernier
justifie qu’il y avait provision à l’échéance de la lettre
de change.
Le porteur, en ce cas, ne conserve d’action que con
tre celui sur qui la lettre était tirée..
ARTICLE
474.
Les effets de la déchéance prononcée par les trois a r
ticles précédents cessent en faveur du porteur, contre le
tireur, ou contre celui des endosseurs qui, après l’expi
ration des délais fixés pour le protêt, la notification du
protêt ou la citation en jugement, a reçu par compte,
compensation ou autrement, les fonds destinés au paye
ment de la lettre de change.
SOMMAIRE
516.
517.
518.
519.
520.
Objetïdes articles 168, 169 et 170.
Convenance de la peine qu’ils prononcent.
Véritable portée de l’article 168, quant à l'inobservation
des formalités.
Caractère de la déchéance. Conséquences.
Doit-on l ’opposer in limine litis ?
�196
521.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Effet de la déchéance à l’endroit des endosseurs et de leurs
cautions.
522.
523.
A l ’égard du tireur.
Caractère de l’obligation de prouver l’existence de la pro
vision.
524. Conséquences en cas de faillite du tiré avant l’échéance.
525. Position des donneurs d ’aval garantissant le tireur.
526. L ’exception de l’article 170 peut-elle être invoquée par le
souscripteur d’un billet payable à domicile ?
527. Caractère de l ’action donnée par l’article 170, contre le
tiré ayant provision. Conséquence.
528. Equité de la disposition de l’article 171 , sa véritable
portée.
529. A quelle époque le tireur pourrait-il substituer la provi
sion résultant d’une créance sur le tiré, à celle origi
nairement consignée.
530. Les dispositions concernant le porteur s’appliquent à l’en
dosseur exerçant son recours.
531. L ’endosseur qui a encouru la déchéance ne pourrait agir
contre les autres, en vertu de la subrogation que lui
aurait consentie le porteur.
531bis. La citation collective donnée par le porteur ne dispense
pas les endosseurs de la nécessité d’agir personnelle
m ent.
532. Position de l’endosseur qui a remboursé le porteur, malgré
la déchéance à l ’endroit de celui-ci.
533. — A l ’endroit des endosseurs.
534. Le porteur est-il déchargé de la déchéance par la certitude
de la fausseté de la lettre de change ?
L ’obligation d’indiquer son cédant est imposée même à ce
lui qui a transmis la lettre de change sans la signer.
535 bis. Loi du 5 juin 1850. Caractère de la déchéance qu’elle
crée. Débats législatifs.
535ter. Cette déchéance profite-t-elle aux donneurs d’aval ?
535.
�516. — Les articles dans l’examen desquels nous
entrons renferment la sanction pénale des obligations
prescrites par les articles précédents. On a remarqué,
en effet, que ces derniers gardaient le plus absolu si
lence sur les conséquences que leur inexécution était
dans le cas d’entraîner.
Ce n’était pas tout cependant que d’avoir ordonné
des formalités, plus le but qu’elles se proposaient était
essentiel, et plus on devait veiller à leur accomplisse
ment, lequel était subordonné à l’intérôt qu’il offrirait.
S’en référer à cet égard à la volonté unique de la partie,
s’abstenir de toute pénalité, c’était, non pas comman
der, mais implicitement autoriser une inexécution de
vant l’innocuité de laquelle personne ne reculerait. On
anéantissait par là tous les efforts que le législateur a
tentés pour arriver à une prompte solution.
Cette éventualité a motivé la consécration des articles
468, 169 et 170. Le porteur n’est plus libre de s’abste
nir. S’il ne présente pas la lettre à vue ou à un certain
temps de vue, si, quelle qu’en soit la nature, il n’a pas
fait protester à l’échéance, si, dans les quinze jours, il
n’a pas fait notifier le protêt et cité son cédant ou tous
ses débiteurs en justice, il perdra tout recours contre
les endosseurs, et, selon le cas, contre le tireur luimême.
51® . — La convenance de cette peine ne saurait
être méconnue, elle résultait de la position respective
des parties. La loi suppose que chacune d’elles est en
�198
DE LA LETTRE DE CHANGE.
position ou s’est mise en mesure pour ne pas prolonger
au-delà de l’échéance la responsabilité qu’elle a accep
tée. Pour cela, il faut que le jour indiqué voie le paye
ment se réaliser.
L’exigence de ce payement, que seul le porteur peut
formuler, n’est donc pas dans son intérêt exclusif. Elle
est bien plutôt dans celui des endosseurs, puisque le
recours de chacun d’eux, étant plus restreint que celui
du porteur, offrira de bien moindres garanties. De là,
également une nécessité plus grande de veiller à sa con
servation.
Or, seul le porteur est chargé de ce soin. Il est donc
en quelque sorte et forcément le negotiorum gestor des
endosseurs, obligé dès lors de les indemniser du préju
dice que pourrait occasionner la négligence qu’il aurait
mise à en remplir les devoirs ; des conséquences, par
exemple, d’une insolvabilité survenue après l’échéance,
des chances quelconques rendant le payement plus dif
ficile.
Donc, la seule indemnité capable d’atteindre à l’éten
due du préjudice était celle qui faisait désormais du
payement la chose propre et unique du porteur, le
laissant seul exposé à toutes les chances préjudiciables
que son inaction pouvait avoir créées.
518. — Les termes de l’article 168 ne peuvent of
frir aucun doute sur leur véritable sens. La déchéance
n’est pas seulement la conséquence de la violation de
l’ensemble des formalités, elle est encourue par cela
�.
ART.
168, 169, 170, 171.
i
99
seul qu’une de ces formalités a été omise ; ainsi, sup
posez que le protêt n’a pas été fait en temps utile, vai
nement aurait-il été notifié avec assignation dans la
quinzaine de sa date, la déchéance n’en serait pas moins
encourue. Il en serait de même si le protêt ayant été
fait en temps utile n ’avait pas été notifié, ou si sa noti
fication n ’avait pas été accompagnée ou suivie d’un
ajournement dans la quinzaine.
Le porteur ne peut donc échapper à la déchéance
que par l’accomplissement successif de toutes les forma
lités ordonnées, et dans les délais prescrits. L’omission
d’une seule enlèverait tout le bénéfice de l’accomplisse
ment des autres. C’est surtout en cette matière qu’on
doit dire avec le droit romain : Qui cadit a syllaba
cadit a loto.
— La déchéance résultant de l’omission ou de
l’irrégularité des formalités prescrites est générale et ab
solue. Elle est opposable à tout porteur, au mineur luimême, sauf recours contre son tuteur.
Mais elle n’est pas d’ordre public. De là, cetta consé
quence que les parties, qui pouvaient dispenser de l’obli
gation de remplir ces formalités, peuvent renoncer aux
effets de leur inaccomplissement et relever le porteur de
la déchéance. L’appréciation de cette intention est lais
sée à la prudence du juge. Il peut la faire résulter de ce
que, sur l’action en remboursement contre l’endosseur,
celui-ci s’est borné à solliciter un délai au lieu d’oppo
ser la déchéance ; ou de ce que, malgré l’inexécution
S I».
�200
DE LA LETTRE DE CHANGE
des formalités légales, l’endosseur aurait volontairement
rem boursé le porteur l .
Cette intention existerait bien mieux encore, si l’inexé
cution avait été autorisée et convenue par la partie in
téressée. L’existence de cette convention peut, non seu
lement être admise par le juge, mais encore être prouvée
par témoins3.
520. — Ainsi, la renonciation aux effets de la dé
chéance peut être tacite, m ais à la condition que le fait
dont on voudra l’induire emporte nécessairement une
intention conforme.
Or, on ne saurait attribuer cet effet à l’omission de se
prévaloir in limine litis, de l’exception de déchéance.
Sous ce rapport encore, celle-ci est assimilée à la pres
cription et peut être opposée en tout état de cause, en
appel pour la première fois, pourvu toutefois que la dé
fense présentée n’implique pas la renonciation à s’en
prévaloir. En d’autres termes, on appliquerait ici la dis
position de l'article 22214 du Code civil3.
521. — La déchéance encourue par le porteur li
bère de plein droit les endosseurs. Le Code a, à leur
égard, innové à l’ancienne législation. Sous l’ordon
nance de 1673, en effet, les endosseurs n’étaient libérés
1 Pardessus, Droit comm., n° 433. Bordeaux, 14 mars 1828.
3 Cass., 3 juillet 1843. J. du P ., 2, 1843, 778.
3 Cass., 29 juillet 1819. Agen, 19 janvier 1833. D, P., 33, 2, 142.
�ART. 168, 169, 170, 171.
201
q u ’en justifiant q u ’il y avait provision à l’échéance, au
jo u rd ’hu i, leur libération est absolue et sans condition
aucune, elle est la conséquence im m édiate et forcée de
l’omission ou de l’irrégularité des formalités prescrites
au porteur.
Le même effet est acquis en faveur des cautions don
nées pour le compte exclusif des endosseurs. Nous
avons déjà dit notam m ent que les donneurs d ’aval en
faveur d ’un endosseur jouissent de tous les droits de ce
lui-ci , comm e ils sont tenus de ses obligations. Us
trouvent donc nécessairement leur libération dans le fait
déterm inant celle du débiteur q u ’ils garantissaient.
Au reste, ce qui a décidé le législateur à décharger
les endosseurs de toute responsabilité, en cas de dé
chéance,
c’est l’exacte appréciation de leur position.
Ainsi, si chacun d ’eux a reçu le m onlant .de la lettre de
change en la négociant, c’est q u ’il l’avait déboursé en
s’en chargeant. En réalité, donc, il n ’a reçu que ce qui
lui était dû. Sa libération par suite de la déchéance ne
l’enrichira donc jam ais aux dépens de qui que ce soit.
On a pu cependant, dans l’intérêt du commerce, leur
imposer une garantie, m ais il était juste d ’en abandon
ner les effets à l’exécution stricte des conditions aux
quelles on pouvait en invoquer les effets.
5 3 S . — Telle n ’est pas la position ordinaire du ti
reur. Cependant, on ne saurait m éconnaître l ’assim ila
tion existant entre l’endosseur et lui, lorsque, rem plis
sant son devoir, il a fait, avant l ’échéance, provision
�202
DE LA LETTRE DE CHANGE
entre les mains du tiré. On ne dira certes pas de lui
qu’il n’a reçu que ce qui lui était dû, mais, en réalité, il
a payé ce qu’il devait, et si le profit de ce payement lui
échappe par l’effet de la négligence du porteur, il est
juste qu’il en soit indemnisé.
C’est cette considération d’équité qui a fait consacrer
l'article 170. Si la provision est justifiée, les chances fu
tures du payement, quelles qu’elles soient, demeurent
aux risques et périls du porteur qui n’a pas fait toutes
ses diligences en temps utile, ou qui a omis de les faire.
5 3 a . — L’obligation pour le tireur de justifier que
la provision existait à l’échéance est absolue, elle est à
sa charge, alors même que le tiré eût accepté. L’accep
tation ne prouve la provision qu’à l’égard des tiers, elle
ne fait que la supposer vis-à-vis du tireur. Or, le béné
fice de la libération ne pouvait être le prix d’une sup
position plus ou moins fondée, il ne pouvait être que la
conséquence d’une certitude. Comment acquérir celleci, si ce n’est par la preuve que la provision existait
réellement. Le préjudice ne pouvant résulter que de cette
existence, on ne devait en accorder la réparation que
lorsque aucun doute raisonnable ne pouvait s’élever à
cet égard.
En conséquence, qu’il y ait ou non acceptation, la
simple dénégation du porteur suffit pour obliger le ti
reur à faire preuve que la provision existait réellement.
5 3 4 . — Le but de cette obligation, les motifs sur
�art.
168, 169, 170, 171.
203
lesquels elle repose amènent à une conséquence qu’il est
bon de signaler. Les endosseurs étant libérés par le fait
seul de la négligence ou de l’omission du porteur, sans
qu’ils aient à s’occuper de la provision, on a pu décider,
pour ce qui les concerne, que le porteur n’était pas dis
pensé du protêt par la faillite de l’accepteur ou du tiré,
avant l’échéance.
Il ne saurait en être de même à l’égard du tireur. Sa
libération est subordonnée à la preuve que la provision
existait à l’échéance, et qu’elle était disponible en mains
du tiré. Où serait l’utilité de la preuve de la provision,
si celle de sa disponibilité était impossible.
Or, cette impossibilité résulte de la faillite. La provi
sion confondue dans l’actif du tiré ne constituerait plus
en faveur du tireur qu’un droit de créance lui confé
rant celui de recevoir le dividende que la faillite pro
duira. Ce n’est donc plus là cette provision que le por
teur devait exiger et qui devait le désintéresser intégra
lement. Quelle serait donc, dans cette hypothèse, l’utilité
du protêt, sur quel motif reposerait la déchéance ?
Déjà l’exception que nous indiquons était admise
sous l’ordonnance de 1673. La faillite certaine de l’ac
cepteur avant l’échéance relevait le porteur de la dé
chéance que lui aurait fait encourir, en temps ordi
naire, le défaut de protêt l.
M. Frémery a raison de qualifier cette doclrine de
i Paris, 19 nivôse an xii.
�204
DE LA LETTRE DE CHANGE
rationnelle et juste, et d’en conseiller l’adoption. C’est
ce conseil que la jurisprudence a suivi L
En conséquence, si le tiré vient à faillir avant l’é
chéance, le tireur ne devrait pas seulement prouver
l’existence certaine de la provision, il ne pourrait être li
béré par le défaut de protêt ou la tardiveté des diligen
ces du porteur, qu’en justifiant que par les mesures
qu’il avait prises la lettre eût été acquittée, nonobstant
la faillite.
5 3 5 . — La déchéance que le tireur peut invoquer,
peut également l’être par ses cautions. Ainsi, les don
neurs d’aval garantissant sa signature pourraient être
libérés par le défaut de protêt, mais de la même ma
nière et dans les mêmes circonstances que le tireur luimême, et surtout, et dans tous les cas, à la condition
de prouver la provision.
5 3 6 . — L’article 170, par la nature de sa disposi
tion, est évidemment spécial aux lettres de change. Le
souscripteur d’un billet à ordre n’ayant aucune provi
sion à réaliser, ne saurait jamais être exposé au préju
dice que l’article 170 a pour objet de réparer.
Cette proposition, incontestable en matière de billets
à ordre ordinaires, l’est-elle dans tous les cas ? Le sousi Frémery, p. 141 et suiv. Cass., 7 janvier 1814. Bordeaux, 10 fé
vrier 1824. Cass , 31 juillet 1832. Paris, 12 août 4837. J. du P ., 2,
4837, 393.
�ART.
168, 169, 170, 171.
205
cripteur d’un billet payable à un domicile désigné pour
rait-il exciper de la règle tracée par l’ariicle 170?
La raison de douter, dit M. Pardessus, vient de ce
qu’il n ’est pas possible d’admettre qu’un débiteur soit
libéré par cela seul que son billet ne lui a pas été pré
senté à l’échéance ; que dans ce cas le souscripteur a dû
s’informer si son mandataire avait payé, et ne peut être
libéré que par une consignation dans les formes indi
quées par la loi ; que le billet à domicile diffère de la
lettre de change, celle-ci constituant partie intégrante le
tiré, dont la personne a été considérée de telle manière
qu’il faut procurer son acceptation ou donner caution ;
que le billet n’admet pas comme partie celui au domi
cile duquel le payement sera fait, parce que ce n’est
pas sa personne, mais sa maison quon a eu en vue, et
que le souscripteur du billet est toujours le seul débi
teur direct.
A ces raisons, M. Nouguier, qui se prononce contre
la déchéance du porteur, ajoute que l’article 170 n’est
pas applicable, parce qu’on ne peut étendre une dé
chéance d ’un cas à un autre ; que çette inapplicabilité
d’ailleurs se justifie par les différences existant entre le
billet à domicile et la lettre de change l.
L’inapplicabilité légale de l’article 170 ne saurait être
un argument sérieux en présence de l’article 187. Celuici, en effet, déclare communes aux billets à ordre no-
1 Pardessus, Droit commercial, n° 481. Nouguier, 1 . 1, p. S33.
�206
DE LA LETTRE DE CHANGE
tamment les dispositions des articles 460 et suivants, ce
qui renferme celle de l’article 470.
En fait, il a sans doute une différence majeure entre
le billet à ordre et la lettre de change, car, pour le pre
mier, une provision est le plus souvent une chose im
possible, mais le contraire peut se réaliser, et alors la
différence disparaît et s’efface. C’est ce qui se réalise
surtout lorsque le billet à ordre est payable au domicile
d’un tiers. Le choix de ce domicile constitue l’élection
pour l’exécution. Le souscripteur peut y être légalement
ajourné, c’est le juge de ce domicile qui sera compé
tent ; c’est là que le payement devra être demandé, c’est
là dès lors que la somme devra être envoyée et con
signée b
à. l’objection que c’est un domicile plutôt qu’une per
sonne qui est indiqué, nous répondons qu’il en est de
même lorsque le payement de le lettre de change est in
diqué ailleurs qu’au domicile du tiré. Hésiterait-on à
proclamer sa déchéance si le porteur ne faisait pas pro
tester au domicile indiqué, s’il se contentait de le faire
à celui du tiré. Pourquoi ne l’admettrait-on pas lorsque
l’indication du payement ailleurs qu’au domicile du sous
cripteur a déterminé l’envoi de la provision ? Pourquoi
imposerait-on la chance de perte au souscripteur dili
gent plutôt qu’au porteur qui n ’a pas rempli son devoir?
i Lyon, 30 août 1825. Cass., 13 janvier 1829. Bordeaux, 4fév. 1835.
Paris, 8 juillet 1836. Aix, 1er février 1838. J . du P., 2, 1838, 316.
- V, in f., n°® 691 et suiv.
�akt .
\ 68, 169, 170, 171.
207
Donc les raisons de douter, relevées par M. Pardes
sus, ne sauraient suffire pour faire consacrer l’opinion
que M. Nouguier a embrassée. Cette opinion, condam
née par M. Pardessus lui-même, l'a été également en
doctrine et en jurisprudence l.
531
?. — Lorsque le tireur ou le souscripteur du
billet à domicile a été libéré par la preuve qu’il y avait
provision, le tiré ou le tiers, au domicile duquel le
payement devait être effectué, devient un véritable ac
cepteur, en ce sens qu’il est désormais le seul auquel le
porteur puisse s’adresser. Mais l’action qui lui est ou
verte n ’est autre que celle que nous indiquions tout à
l’heure, à savoir : l’action oblique autorisée par l’article
1166 du Code civil. Le tireur ou souscripteur, en fon
dant sa libération sur l’existence de la provision, en dé
lègue de plein droit le profit au porteur. C’est en vertu
de cette délégation que celui-ci poursuivra la restitution
des valeurs formant cette provision.
Lui seul, en effet, pourra obtenir cette restitution. Il
est en effet évident qu’il ne suffirait pas au tireur de
prouver qu’il y avait provision à l’échéance, si depuis et
par son fait il a mis le porteur dans l’impossibilité de se
la faire restituer, comme si depuis l’expiration des délais
pour le protêt, la notification avec citation, il avait luimême reçu du tiré les valeurs destinées à la provision.
i Pothier, Change, n° 215. Merlin, Quest., v° Sillet à dom , n° 4.
Cass., 4 frimaire an vin et 31 juillet 1817.
�208
DE LA LETTRE DE CHANGE
5 3 8 . — Cette prescription de l’article 171 se justi
fie d’elle-même, et son application à l’endosseur était
indiquée par la raison et la justice. Le tireur qui a re
pris ce qu’il avait donné en payement de sa dette a,
annulé ce payement avec obligation de le réaliser plus
tard.
L’endosseur qui s’applique les valeurs formant la
provision de la lettre de change en retire une seconde
fois le montant qui lui a été payé une première fois lors
de sa négociation.
Dans l’un et l’autre cas, la déchéance du porteur
n ’aurait d’autre effet que de libérer gratuitement le ti
reur, que d’enrichir l’endosseur aux dépens du porteur
lui-même, elle constituerait donc une iniquité juste
ment proscrite par l’article 171, qui n’a fait au reste, en
ce point, que copier l’ordonnance de 1673 L
Remarquons bien que ce que la loi défend au tireur
et à l’endosseur de retirer, ce sont les valeurs consignées
à titre de provision, c’est-à-dire les fonds destinés au
payement de la lettre de change. Dès lors, on ne saurait
leur appliquer l’effet de la prohibition si, en relations
d’affaires avec le tiré, ils avaient été payés par lui des
sommes dont ils seraient ses créanciers, indépendam
ment de la lettre de change.
5 3 9 . — L’existence d’une créance sur le tiré, pour
rait même justifier le retirement des choses primitivei Tit. v, art. <17.
�ART. 168, 169, 170, 171.
209
ment affectées. Aux termes de la loi, la provision ré
sulte de ce qu’à l’échéance le tiré est débiteur du tireur
d’une somme au moins égale ou montant de la lettre
de change. Or, rien n’empêche celui qui, ayant d’abord
donné des marchandises pour provision d’une lettre de
change, serait depuis devenu créancier du tiré d’une
somme égale à son montant, de retirer les marchandi
ses et de leur substituer sa créance.
La légalité de cette substitution serait incontestable,
mais à une condition rigoureuse, à savoir: que la subs
titution se fût réalisée dans un moment non suspect et
où la dette du tiré représentait une valeur réelle et cer
taine.
En conséquence, la substitution de provision faite
après la faillite du tiré serait nulle et de nul effet. Alors,
en effet, la marchandise, d’abord consignée à titre de
provision, était une valeur utile pour le porteur à qui
elle était affectée par privilège ; la créance sur le tiré ne
représentait plus qu’un droit à un dividende éventuel.
Comment donc admettre la substitution de celle-ci à
celle-là ? On devrait donc, dans ce cas, appliquer l’ar
ticle 171, et décider que le tireur n’avait pu rejeter sur
le porteur l’effet de la perte qu’il subit en sa qualité de
créancier 1.
5 3 0 . — La peine encourue par le porteur est com
mune à l’endosseur qui a remboursé le porteur. Devenu
i
C ass, 7 germinal an
x ii.
n — 14
�210
DE LA LETTRE DE CHANGE.
tel à son tour, il est tenu de toutes les obligations qui
étaient imposées à ce dernier. La négligence qu’il met
trait à les remplir utilement aurait donc pour consé
quence la perte de tout recours, soit contre les endos
seurs précédents, soit contre le tireur lui même.
Mais l’endosseur peut ne pas rembourser et se bor
ner, dès qu’il est cité en justice, à appeler ses garants
en cause ou les poursuivre directement en condamna
tion. Dans l’un comme dans l’autre cas, la loi veut qu’il
poursuive dans les quinze jours à partir du lendemain
de la citation qu’il a reçue, sauf l’augmentation à rai
son des distances.
Il est au reste bien évident que, d’endosseur à endos
seur, il ne saurait en être autrement que des endosseurs
au porteur. On ne saurait se prévaloir de la déchéance
que si on n’avait pas expressément ou tacitement renoncé
à le faire. Aux faits déjà indiqués comme impliquant
la renonciation tacite, ajoutons le suivant, indiqué par
Pothier, l’aveu que ferait l’endosseur que la lettre de
change et le protêt lui avaient été envoyés dans les dé
lais.
Si l’endosseur ne peut se placer dans aucune excep
tion, faute par lui d’avoir réalisé la notification du pro
têt et l’ajournement dans les délais qui lui son impartis,
il est définitivement déchu. Les endosseurs le précédant
sont absolument et de plein droit libérés. Le tireur le
serait en remplissant la condition de l’article 170.
5 * 1 . — Les tentatives imaginées dans le but de se
�art .
168, 169, 170, 171.
211
soustraire à ce résultat ont été constamment repoussées
par la jurisprudence. On avait, entre autres, essayé de
celle-ci : l’endosseur déchu remboursait le porteur qui
lui consentait une subrogation ; excipant de celle-ci,
l’endosseur venait au nom de celui qui l’avait consentie,
et en qualité de son cessionnaire, demander le paye
ment à ceux contre lesquels il avait perdu son recours.
Autoriser une action pareille, c’était effacer d’un seul
coup les articles 160 et suivants, et rendre toute dé
chéance impossible ou inutile pour ceux qui pouvaient
en réclamer le bénéfice. On l’a donc repoussée sur le
motif que l’endosseur qui paye le porteur éteint sa pro
pre dette ; que ce payement ne le subroge aux droits
du créancier qu’en tant que le droit qu’il a personnelle
ment a été conservé, que dans le cas contraire, ceux
qui étaient tenus de l’indemniser ont été complètement
libérés à son égard, et qu’il ne dépendait plus de per
sonne de faire revivre leur obligation '.
Saisis de la question, le tribunal civil de Nantua et la
cour d’appel de Lyon se prononçaient pour la négative,
par les considérations suivantes :
« Attendu, en droit, que les lois spéciales modifient
les lois générales dans les parties qui sont contradictoi
res ; qu’il s’agit dans l’espèce de valeurs commerciales
et qu’il y a lieu de rechercher si le Code n’a pas établi
de règles particulières en cette matière ; que ces règles
particulières sont établies dans le § 11, article 160 et
i Bordeaux, 30 décembre 183d.
�212
DE LA LETTRE DE CHANGE.
suivants du Code de commerce ; que ces articles déter
minent un délai très court dans lequel l’endosseur, atta
qué par le porteur, peut exercer son recours contre
l’endosseur antérieur ; que l’article 169 prononce une
déchéance contre l’endosseur qui n’a pas agi dans le
délai fixé ; qu’on ne peut faire indirectement ce que la
loi défend ; que l’endosseur qui a encouru la déchéance
ne peut prétendre à en être relevé ou la rendre illusoire,
en agissant en vertu d’une subrogation légale ou con
ventionnelle, conformément aux prescriptions de l’arti
cle 1251 du Code civil, et contrairement aux disposi
tions de la loi commerciale ainsi paralysée ; que, comme
le dit Dalloz, la rapitité des transactions, la mobilité des
fortunes commerciales ont exigé des règles spéciales, des
délais, des recours en garantie particuliers ; qu’ainsi on
a voulu que l’action récursoire contre les endosseurs fût
instantanée. »
Rien n’était plus juste car en réalité les endosseurs
ne sont pas des débiteurs véritables. Lorsqu’ils ont reçu
le montant des lettres de change qu’ils négocient, ils
n’ont fait que rentrer dans les fonds qu’ils avaient dé
boursé en les achetant. Ce n’est donc que pour obéir
aux nécessités commerciales qu’on a pu les rendre res
ponsables du payement, et dès lors la loi qui édictait
cette responsabilité a pu et dû prescrire les conditions
hors desquelles on ne saurait l’invoquer.
Il y eut pourvoi contre l’arrêt de la cour de Lyon.
Mais l’arrêt de rejet qui intervint le 22 juin 1870
n’examine même pas la question de savoir s’il pouvait
�art .
168, 169, 170, 171.
213
ou non y avoir lieu à l’application de l’article 4251 du
Code civil
Une seconde fois la question s’est posée devant la
Cour suprême, et voici dans quelles circonstances.
Un jugement du tribunal de commerce de la Seine
avait, comme la cour de Lyon, repoussé l’application de
l’article 4251 du Code civil et décidé que le recours en
tre endosseurs n’était recevable que s’il avait été formé
dans le délai imparti par le Code de commerce.
Ce jugement étant en dernier ressort, fut directement
déféré à la Cour de cassation comme violant l’article
1251 du Code civil. L’espèce présentait cette particula
rité, que le porteur, au moment du protêt, l’avait dé
noncé à tous les endosseurs, d’où celui qui avait rem
boursé soutenait que les exigences du Code avaient été
satisfaites, et que parlant on ne pouvait lui reprocher
de ne les avoir pas remplies.
A l’appui de cette prétention on invoquait l’opinion
de M. Bravard, qui, examinant la question de subro
gation, la résout en ces termes :
« L’article 467 du Code de commerce exige que l’en
dosseur, pour conserver son recours contre les endos
seurs antérieurs et contre le tireur, agisse contre eux
soit individuellement, soit collectivement dans le même
délai qui est assigné au porteur ; qu’il leur fasse une
contre dénonciation du protêt et leur donne une citation
en justice. Dès lors, si Fort applique cette disposition
�214
DE LA LETTRE DE CHANGE
judaiquement, si l’on prend cet article au pied de la
lettre, il est facile de voir quelle multiplicité de signifi
cations, quelle énormité de frais il en résultera.
« En effet, s’il y a un tireur et trois endosseurs, par
exemple, le porteur fera à chacun de ces quatre obligés
une signification du protêt et y joindra une citation ;
puis chaque endosseur en fera de même à l’égard des
endosseurs précédents et du tireur, de sorte que celui-ci
ne recevra pas moins de quatre citations, tant de la part
du porteur que de la part des endosseurs, et il suppor
tera tous les frais qui seront énormes. C’est là cepen
dant la marche que l’article 167 prescrit au moins dans
ses termes.
« N’y aurait-il donc pas un moyen d’affranchir les
obligés de cette multiplicité d’actes judiciaires et des
frais qui en résultent sans compromettre leurs droits et
sans nuire à leurs intérêts? Oui, il y en a un qui s’est
déjà fait jour dans la pratique et qui finira, je crois,
par prévaloir. Quand le porteur adresse son recours
contre tous les obligés, qu’il leur a signifié à tous le
protêt et qu’il les a tous cités collectivement, qu’est-il
besoin que chaque endosseur en fasse autant? En
payant le porteur soit avant le jugement, soit après,
l’endosseur sera subrogé au porteur par application des
articles 1251 du Code civil et 159 du Code de com
merce ; dès lors ses droits seront assurés sans significa
tion ni citation de sa part. Ce ne serait donc qu'autant
que le porteur n’aurait pas poursuivi les obligés collec
tivement et se serait borné à poursuivre l’un d’eux, que
�ART. 168, 169, 170, 171.
215
celui-ci serait tenu, pour conserver son recours contre
ses garants, d’agir personnellement contre eux. Cette
distinction sans doute n ’est pas conforme au texte de
l’article 167, mais elle ne me parait pas contraire à son
esprit K »
Dans son rapport, M. le conseiller Barafort trouvait
bien risquée une thèse qui consiste à dire d’une loi qui
prescrit des formalités et des délais à peine de déchéance,
que telle est bien sa lettre, que tels sont bien ses termes,
mais que néanmoins elle ne parait pas devoir être sui
vie dans la pratique, et qu’une distinction qui, sans
doute, n’est pas conforme au texte de l’article 167 du
Code de commerce, ne parait pas contraire à son es
prit. Il déclarait en conséquence la répudier expressé
ment.
Après avoir examiné et discuté cette thèse, cet hono
rable magistrat concluait en ces termes : « Nous admet
tons en principe la subrogation invoquée parle deman
deur en cassation, mais nous ne voulons pas d’un dé
lai indéterminé pour en user. Nous disons, au con
traire, que pour la faire valoir il faudra se conformer
aux formalités et aux délais des articles 165 et suivants
du Code de commerce. »
Le pourvoi nous faisait l’honneur de joindre notre
nom à celui de M. Bravard, et se prévalait de notre
n°515 comme appuyant la doctrine qu’il invoque.
Mais cette interprétation est absolument erronée. Ce
1 T. 3, p. 495.
�216
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que nous disons au n° 515, c’est que l’endosseur qui
a remboursé le porteur prend à son tour cette qualité à
l’endroit du tireur, de l’accepteur, des cautions et des
endosseurs qui le précèdent. Il jouit dès lors, en ce qui
les concerne, de tous les droits du porteur qu’il a dé
sintéressé. Il peut donc les attaquer ou individuellement
ou collectivement, à la charge de remplir toutes les
formalités que nous venons d’indiquer.
On le voit, pour nous le fondement du droit de l’en
dosseur qui a désintéressé le porteur s’induit bien plu
tôt de la qualité de porteur qu’il acquiert, que d’une
subrogation aux droits du porteur précédent. Dans tous
les cas, la subrogation qui se serait opérée serait non
pas celle de l’article 1251 du Code civil, mais unique
ment celle de l’article 159 du Code de commerce. Aussi
n’avons-nous pas hésité, lorsque invoquant la pre
mière, l’endosseur s’est prétendu relevé de la déchéance
édictée par l’article 169, à combattre cette prétention et
à la déclarer inadmissible.
Cette fois encore la Cour suprême ne croit pas devoir
apprécier la question. Yoici en effet en quels termes elle
rejette le pourvoi :
« Attendu qu’il résulte du jugement attaqué que le
demandeur en cassation, endosseur de la lettre de
change dont il s’agit au procès, après avoir été actionné
lui-même en payement de cette traite et en avoir payé
le montant au porteur, n’a exercé son recours en ga
rantie contre le défendeur éventuel, précédent endos
seur, que plus de deux mois après l’expiration du délai
�ART. 168, 169, 170, 171.
217
fixé par les articles 165 et suivants'du Code de com
merce ;
« Attendu que pour échapper à l’application de ces
articles invoqués contre lui, i! a prétendu exercer con
tre le défendeur la subrogation légale aux termes de
l’article 1251 du Code civil ; mais sans qu’il y ait be
soin d’examiner si l’endosseur qui a payé le porteur a
le droit d’invoquer contre les endosseurs précédents la
subrogation légale dans les termes du droit civil, il se
rait au moins nécessaire que le porteur lui-même se
fût conformé aux formalités prescrites par les articles
165 et suivants du Code de commerce, et qu’il ne sau
rait suffire qu’il ait fait la dénonciation collective du
protêt ; qu’il faudrait, en tous cas, qu’il eût formé con
tre ces endosseurs l’action collective prescrite par ces
mêmes articles ;
« Attendu qu’il n’est nullement établi qu’une action
collective ait jamais été exercée par le porteur originaire
contre tous les endosseurs ; que le jugement attaqué ne
mentionne qu’une dénonciation collective du protêt;
que si une assignation donnée au demandeur s’y trouve
indiquée, rien ne démontre que cette assignation ait été
donnée aux autres endosseurs, et notamment au défen
deur éventuel ; d’où la conséquence que le demandeur
en cassation ne peut être admis à se dire subrogé a l’u
tilité d’une poursuite dont l’existence n ’est pas même
établie l. ».
�218
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
5 3 fbis.
_ Ce qui résulte de cet arrêt, c’est que si le
porteur originaire n’a pas poursuivi tous les obligés col
lectivement, l’endosseur qui l’a payé ne saurait recourir
contre les autres sous prétexte que, légalement subrogé
aux droits de ce porteur conformément à l’article 1251
du Code civil, il était dispensé d’agir dans les formes et
dans le délai prescrit par les articles 165 et suivants du
Code de commerce.
Faut-il en outre en induire que cette subrogation
pourra être utilement invoquée si le porteur désintéressé
avait collectivement poursuivi tous les endosseurs? Nous
ne saurions l’admettre. Evidemment, dans l’espèce, l’ab
sence de celte poursuite collective dispensait la Cour de
cassation d’apprécier et de résoudre cette question. Au
rait-elle dans le cas contraire consacré la doctrine de
M. Bravard ? Il est plus que permis d’en douter.
La distinction qui fait le fondement de cette doctrine
est, à notre avis, contraire non seulement au texte,
mais encore à l’esprit du Code de commerce. C’est pour
obéir aux nécessités du commerce et pour satisfaire aux
exigences du crédit que le législateur a subordonné à
des formalités spéciales et restreint dans un délai fort
court l’obligation de ceux qui ont concouru à la circu
lation d’une lettre de change sans en être en réalité dé
biteurs.
Or , quelle serait la conséquence du système de
M. Bravard ? M. le conseiller rapporteur le relevait avec
raison. Les endosseurs ne seraient libérés ni par l’ex
piration du délai de quinzaine, ni même par la près-
�art.
168, 169, 170, 171.
219
criplion de cinq ans, puisque la citation en justice l’au
rait empêchée de courir et que l’instance durerait trente
ans si la péremption n’en avait été demandée et ordon
née. Est-ce donc pour arriver à ce résultat que les'dispositions des articles 165 et suivants ont été sanction
nées, et peut-on imaginer quelque chose qui jure plus
expressément avec leur esprit.
Or ces dispositions forment la loi unique, exclusive
de la matière. On l’a dit depuis longtemps : in toto
jure generi per speciem derogatur, et illud potissimum habetur, quod ad speciem directum est. Il n’est
donc pas permis, en présente de la loi spéciale, de re
courir au droit commun général. Comment demander à
l’article 1251 du Code civil les règles de la subrogation
en matière de lettres de change, alors que ces règles
sont si expressément édictées par l’article 159 du Code
de commerce ?
Objectera-t-on que celui qui paye par intervention
n’est pas solidairement obligé comme les-endosseurs, qu’il
n’est donc pas tenu de la dette avec d’autres ou pour
d’autres conditions à laquelle la subrogation légale est
subordonée. Mais cette condition existe t-elle réellement
pour les endosseurs ?
On ne saurait confondre la solidarité qui les lie avec
la solidarité ordinaire que prévoient et que règlent les
articles 1200 et suivant du Code civil. Ceux qui se trou
vent sous l’empire de celle-ci sont tous débiteurs au
même titre, et la subrogation aux droits du créancier en
faveur de celui qui le désintéresse, ne concède à celui—
■■ :!« '
I
■m
�220
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ci d’autres droit que celui de se faire rembourser par
chacun de ses codébiteurs la part et portion lui incom
bant.
En matière de lettres de change, le seul, le véritable
débiteur est le tireur. Les endosseurs n’ont en rien pro
fité de la dette, puisque s’ils ont reçu le montant de la
lettre de change, ils l’avaient précédemment déboursé,
et s’ils sont obligés au payement à l’échéance, c’est
qu’en négociant cette lettre ils ont garanti ce payement.
Mais si en force de cette garantie ils payent le pnreur, ce n’est plus une part et portion, c’est l’intégra
lité de la dette en capital, intérêts et frais qu’ils exige
ront des endosseurs précédents. Cette dérogation à l’ar
ticle 1213 du Code civil ne permet donc pas de confontdre avec la solidarité ordinaire celle qui existe entre les
divers signataires des lettres de change qui emprunte
son caractère spécial à la spécialité de la législation sur
cette matière.
Or celte législation spéciale qui autorisait la restitu
tion ad integrum des endosseurs tout solidaires qu’ils
fussent, avait incontestablement le droit d’en subordon
ner le profit à telles formalités, à en circonscrire l’exer
cice dans tel délai qu’elle jugeait utile et convenable.
Celui-là donc qui réclame la restitution ne saurait le
faire s’il n’a pas rempli les formalités et observé les dé
lais prescrits.
S’attribuer le bénéfice d’une disposition et en répudier
les charges serait un résultat fort avantageux sans doute,
mais par trop contraire à la raison et à la logique pour
�ART. 168, 169, 170r 171.
221
qu’aucun législateur l’ait jamais admis et consacré. Com
ment donc puiserait-il un fondement juridique dans le
tait d’un tiers ?
Qu’importe en effet que le porteur ait assigné collec
tivement tous les obligés à la lettre de change ? Il n’a
fait ainsi qu’user du droit que lui donne l’article 167.
Mais cet article donne-t-il à l’exercice de ce droit une
influence quelconque sur la position des endosseurs ?
Leur impose-t-il moins le devoir d’agir individuelle
ment de leur côté sous peine de déchéance ?
Tout ce qu’il déduit de la citation soit collective, soit
individuelle, c’est de faire courir le délai du lendemain
de sa date. Donc, attacher à la première la dispense
pour les endosseurs de l’obligation d’agir, c’est évidem
ment donner à l’article une extension qu’il ne comporte
pas, qu’il ne saurait comporter, c’est prêter au législa
teur une intention qu’il n’a ni eu ni pu avoir.
Nous croyons donc que la doctrine de M. Bravard ne
saurait être admise et que chaque endosseur ne peut
éviter la déchéance édictée par l’article 169 qu’en rem
plissant dans le délai imparti les formalités exigées par
les articles précédents. Il doit, dès qu’il est ajourné en
payement, faire refluer la citation contre son cédant et
exercer ainsi le recours que lui donne ia loi. Il doit
d’autant moins s’en abstenir, en cas de citation collec
tive par le porteur, que l’ajournement qu’il reçoit étant
purement personnel, il ignorera le plus souvent cette
circonstance.
Sans doute, il y aura là une certaine aggravation de
�222
DE LA LETTRE DE CHANGE
frais. Mais de quel poids peut être cet inconvénient à
côté de celui de laisser pendant trente ans les commer
çants sous le coup des milliers d’endossements qu’ils
peuvent avoir souscrits ?
533. — La déchéance étant dans l’intérêt particu
lier de ceux qui peuvent l’invoquer, chacun d’eux peut
en répudier le bénéfice et renoncer à la faire valoir.
Mais l’exercice de cette faculté est purement et simple
ment personnel. Il ne saurait jamais lier que celui qui a
cru devoir le réaliser.
En conséquence, l’endosseur qui aurait remboursé le
porteur ne serait obligé que personnellement. Serait-il
recevable à demander la restitution de ce qu’il a payé,
sous prétexte d’erreur et dans l’ignorance de la dé
chéance ?
On a d’abord, et à l’égard du porteur remboursé,
distingué.entre la tardiveté et la nullité du protêt. Dans
ce dernier cas, on admettait que le payement fait par
l’endosseur, sans dol, fraude, ni violence, était un paye
ment valable ; que la faute du porteur occasionnant la
nullité ne suffit pas pour l’obliger à restituer à titre de
réparation ce qu’il a reçu en payement L
Devait-on le décider de même dans le cas de protêt
tardif? La négative a été consacrée par la cour de Bruxel
les, le 28 juillet 1810. L’arrêt décide que si l’endosseur
i Cass., 7 mars 1815, 29 août 1832, 22 mai 1833. Bordeaux, 3 jan-
�a remboursé la lettre de change après un protêt tardif,
il peut répéter ce qu’il a payé au porteur dans l’igno
rance de la tardiveté du protêt.
Cette doctrine ne nous parait pas juridique. Nous ne
l’admettrions que dans une seule hypothèse, à savoir : si
l’ignorance de l’endosseur était le résultat de manœuvres
de la part du porteur.
Vainement donc l’endosseur exciperait-il de ce qu’on
ne lui avait pas communiqué le protêt. Il devait insister
et même ne payer qu’après la communication. La loi,
dit M. Mongalvy, donne à chacun des garants le droit et
lui fait par suite un devoir de se faire représenter le
protêt, de vérifier s’il en résulte des exceptions en sa fa
veur, et d’user ou de ne pas user de ces exceptions.
D’où il suit que si quelqu’un d’eux paye par erreur, il
ne peut l’imputer à l’auteur du protêt et s’en prendre
qu’à lui-même ou à celui qui, par son fait particulier,
lui aurait surpris son payement.
Quelle que soit donc la cause de la déchéance, ce qui
a été payé au porteur malgré son existence n’est sujet à
répétition que s’il y a dol, fraude ou surprise. La simple
ignorance ne saurait être alléguée, mais le contraire de
vrait être admis si le payemeut n’avait été fait que sous
toutes réserves.
5 3 3 . — La déchéance du porteur décharge ipso
facto fous les endosseurs, leur libération en est la con
séquence immédiate et positive.
Ce bénéfice ne peut leur être enlevé sans leur con-
�224
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sentement et leur concours. Dès lors l’endosseur, qui
malgré la déchéance aurait remboursé le porteur, n’au
rait aucun recours utile contre les endosseurs le précé
dant.
Enfin et relativement au tireur, l’endosseur pourrait
être écarté par la même exception qui repousserait celui
qu’il a remboursé. Il subirait donc également l’applica
tion et les effets de l’article 170.
Conclusion : Celui qui paye le porteur ayant encouru
la déchéance n’a aucun recours à exercer contre qui que
ce soit. Le droit de recours éteint avant la cession n ’a
pu revivre par l’effet de celle-ci, n’ayant transmis et pu
transmettre les droits du porteur que tels qu’il les pos
sédait lui-même.
53JL. — On a agité la question de savoir si le dé
faut ou la tardiveté du protêt pouvait être invoqué par
les endosseurs lorsque l’effet est reconnu entaché de
faux ?
La négative était consacrée par la cour de Lyon, le
■15 mars 1826. L’arrêt se fondait d’abord sur l’article
1693 du Code civil. Il ajoutait qu’on ne saurait appli
quer à un effet faux, ou portant des signatures chi
mériques, la faveur due aux papiers de commerce qui
suppléent le numéraire et font office du papier monnaie
par la confiance qu’ils méritent et la ponctualité dans le
payement, ou les actions récursoires qu’ils assurent
tant contre les endosseurs que contre les tireurs.
Mais cet arrêt, étant devenu l’objet d’un pourvoi, a été
�art .
168,
169,
170,
171.
225
cassé par la Cour suprême, le 47 mars 1829. La Cour
régulatrice pose en principe que le faux ne fait pas ex
ception aux obligations imposées au porteur par les ar
ticles 160 et suivants ; que, dans ce cas, on peut seu
lement contraindre chaque endosseur à justifier de la
personnalité de son cédant, pour arriver ainsi jusqu’à
celui qui, tenant ses droits du faussaire, a eu le tort de
mettre en circulation un titre informe, dont il est consi
déré comme le véritable tireur.
Comme on le voit, la Cour de cassation tient compte
de l’article 1693 du Code civil. Aux termes de la loi
commerciale, le garant de la lettre de change, libéré
par la déchéance du porteur, n’a plus rien à faire, per
sonne ne saurait rien lui demander.
Mais au point de vue du caractère du titre qu’il a
cédé, il doit une justification. Fallait-il que cette justifi
cation allât jusqu’à établir la sincérité de toutes les si
gnatures apposées sur la lettre ? Evidemment une pa
reille exigence eût été injuste autant que dangereuse.
Qui eût osé, en présence d’une pareille responsabilité,
se charger d’une lettre de change venue d’un pays
éloigné et pouvant être couverte de signatures incon
nues?
La raison indiquait donc que, par rapport à chaque
endosseur, la justification devait se borner à celle de
l’identité et de l’existence certaine de celui de qui il a
reçu la lettre. C’est cette justification que la déchéance
permet d’exiger, mais, une fois faite, l’endosseur ne
h
— 15
�226
. DE LA LETTRE DE CHANGE.
peut être actionné en recours par le porteur qui a en
couru celle-ci.
Il est sans doute fâcheux pour lui de voir périr en ses
mains un titre qu’il n’a accepté que parce qu’il le croyait
sérieux, mais son histoire est celle de tous les endos
seurs précédents, ayant agi de bonne foi. Il n’y a donc
dans l’origine aucune raison de nature à leur faire sup
porter de préférence la responsabilité du faux.
Mais, dans l’exécution, le porteur a assumé un tort
grave, celui de ne pas remplir les formalités devant seu
les lui conserver son recours contre les endosseurs, et
sauvegarder celui que chacun de ceux-ci avait à exer
cer contre les autres. On ne lui cause donc aucun grief
sérieux en plaçant exclusivement à sa charge les consé
quences de sa négligence personnelle.
Donc la fausseté du titre ne relève pas de la dé
chéance prononcée par nos trois articles, seulement
chaque endosseur reste tenu d’indiquer son cédant et
de répondre de sa personnalité.
5 3 5 . — Cette obligation résulte du fait seul qu’on
a été en possession de la lettre de change, quel que soit
d’ailleurs le mode de transmission qu’on ait choisi. Il
importerait donc peu qu’on l’eût endossée à forfait et
sans garantie, ou que, profitant de ce que la lettre était
endossée en blanc, on l’eût transmise en remplissant ce
blanc au nom du cessionnaire, sans la revêtir de sa si
gnature.
La cour de Montpellier, tout en proclamant le prin-
�art .
168.
169,
170,
171.
227
cipe dans ce dernier cas, en avait singulièrement outré
les conséquences. Elle décidait, par arrêt du 11 mars
1845, que quoique n’ayant pas signé la cession, l’en
dosseur était tenu non seulement d ’indiquer son cédant,
mais encore de garantir la sincérité de la lettre et d’en
rembourser la valeur en cas de faux l.
Mais cet arrêt fut déféré à la Cour suprême. Devant
elle, le demandeur en cassation disait : Je suis un cé
dant commercial, seulement par le mode convenu pour
la transmission, je suis affranchi de toute garantie, ma
position est donc celle qu’aurait l’endosseur ordinaire
dans le cas de négligence du porteur ayant amené sa
déchéance. On ne peut donc exiger de moi que ce qu’on
exigerait de lui, à savoir : que je justifie de l’individua
lité et de l’existence réelle et sérieuse de mon cédant.
Ce système fut consacré. L’arrêt de Montpellier fut
cassé le 22 février 1848, et la cause renvoyée devant la
cour d’Aix. Celle-ci, par arrêt du 22 août 1848, adopta
la doctrine de la Cour de cassation2.
Ainsi le défaut de diligences en temps utile décharge
les endosseurs de toute action pour le payement. Seule
ment, en cas de faux, ils restent tenus de l’obligation de
répondre de l’existence de leur cédant.
bis. — La loi du 5 juin 1850, relative au tim
bre des effets de commerce, a introduit une déchéance
535
1 J. du P., 4,1845, 548.
2 J. du
P;
48,4, m , 49, 2, 49.
�228
DE LA LETTRE DE CHANGE
nouvelle. Aux termes de son article 5, le porteur d’une
lettre de change non timbrée ou non visée pour timbre,
n’aura d’action, en cas de non acceptation, que contre
le tireur ; en cas d’acceptation, il aura seulement action
contre l’accepteur et contre le tireur, si ce dernier ne
justifie pas qu’il y avait provision à l’échéance.
L’article ajoute : le porteur de tout autre effet sujet
au timbre et non timbré ou non visé pour timbre, n’aura
d’action que contre le souscripteur. Toutes stipulations
contraires seront nulles.
Cette loi est d’autant plus sévère que l’insuffisance du
timbre équivaut à l’absence de timbre et en produit les
effets. Aussi souleva-t-elle de fort vives critiques au sein
du corps législatif.
« En sommes-nous donc arrivés, disait M. Bertrand
(de l’Yonne), à placer dans nos lois la dispense de payer
ses dettes, et faut-il que ce soit de la loi elle-même que
vienne cette séduction, ou plutôt cette prescription ten
tatrice : Tu ne payeras pas, alors que la conscience dit
à l’homme : Il faut payer ? Eh bien 1 voilà ce que vous
faites ; vous posez l’immoralité dans la loi, vous faites
de cette loi fiscale une loi de confiscation ; vous jetez la
perturbation dans le Code de commerce ; vous portez le
désordre dans les relations commerciales; vous poussez
trop loin le zèle de la loi. »
En conséquence, M. Bertrand proposait de rédiger
l’article 5 de la manière suivante : « Tout effet non tim
bré ou non visé pour timbre, ne vaudra que comme
�simple promesse, et le tribunal de commerce sera tenu
de renvoyer devant le tribunal civil. »
Il faut convenir que la libération accordée aux en
dosseurs est une faveur d’autant plus énorme qu’ils ont
un touble tort à se reprocher : celui d’avoir accepté un
effet ni timbré, ni visé pour timbre ; celui de l’avoir re
mis en circulation. Mais pour que la loi fût exécutée, il
fallait une sanction pénale telle qu’on ne pût être tenté
de l’éluder. Qu’aurait produit le parti proposé par
M. Bertrand ? Combien d’effets qui de toute certitude
n’aborderont pas la barre des tribunaux, et ces effets ne
les aurait-on pas soustraits au timbre.
Fallait-il en revenir au système des amendes? Mais,
comme le faisaient observer le rapporteur et le commis
saire du gouvernement, le passé indiquait suffisamment
ce que serait l’avenir. Vainement avait-on à deux re
prises, en 1824 et en 1834, augmenté l’amende. Cela
n’avait pas procuré une obole de plus au Trésor et la
loi restée en l’état de menace vaine n’avait abouti à au
cun des résultats qu’on s’en était promis.
Il fallait donc, si l’on ne voulait pas que la loi nou
velle vînt échouer sur le même écueil, adopter un moyen
coercitif qui s’imposât aux commerçants par la crainte
de voir leurs intérêts compromis, en réduisant celui qui
accepterait un effet non timbré à ne recourir que contre
le tireur ou souscripteur qui, de tous les signataires,
est peut-être le seul à ne présenter ni surface, ni sol
vabilité.
On adopta en conséquence l’article 5, et ce qui
�230
DE LA LETTRE DE CHANGE
prouve que ses défenseurs voyaient juste, c’est que de
puis sa promulgation il n’est peut être pas une maison
soit de commerce, soit de banque, qui se serve de pa
piers non timbrés. Il est vrai que la loi entend être
obéie et que dans ce but elle déclare nulle et de nuis
effets toutes conventions qui dérogeraient à ses dispo
sitions.
De plus l’article 8 frappe de la même nullité toute
mention ou convention de retour sans frais soit sur le
titre, soit en dehors du titre si elle s’applique à un titre
non timbré ou non visé pour timbre. On sait que cette
clause était l’instrument le plus général de la fraude
contre le Trésor. Comme elle dispensait du protêt et de
toute autre poursuite, le titre échappait forcément à tout
enregistrement, restait inconnu aux agents du fisc et
pouvait ainsi impunément être sur papier libre.
Il n’en sera plus ainsi désormais. La clause de retour
sans frais conservera toute son efficacité, à la condition
qu’elle se référera à un effet timbré ou visé pour tim
bre. A. défaut elle ne fera nul obstacle à la libération des
endosseurs par application de l’article 5.
5 3 5 ter. — Les donneurs d’aval participent-ils à la
faveur concédée aux endosseurs, et pourront-ils renvendiquer le bénéfice de cet article 5 ?
M. Duvergier se prononce pour l’affirmative. « On
ne voit pas, dit-il, de raison pour laisser subsister l’ac
tion contre les donneurs d’aval. Du moment qu’on
supprime celle qui devrait avoir lieu contre les endos
�seurs, ou même contre le tireur, l’obligation du donneur
d’aval n’est certes pas plus étroite que la leur ; elle n ’est
également qu’une garantie ; de plus il n’a reçu en
échange aucune valeur ; par suite la nullité de cette
obligation ne peut pas avoir pour effet de l’enrichir. Sa
position est donc au moins aussi favorable que celle des
endosseurs. Enfin l’article 5 dénie virtuellement toute
action contre lui par cela seul qu’il précise de la ma
nière la plus rigoureuse les personnes contre lesquelles
le porteur peut exercer son recours \ »
La loi de 1850 garde le plus complet silence sur les
donneurs d’aval malgré l’interpellation expresse de
M. Valette qui se plaignait que les auteurs de la loi
n’eussent rien dit à ce sujet. « L’aval, ajoutait cet hono
rable député, peut être donné sur le titre, mais il peut
aussi être donné sur un acte séparé. Quelle est leur doc
trine si l’aval est donné par un acte séparé ? Sera-t-il
annulé lorsque le billet ne sera pas nul ? »
Cette question resta sans réponse et la discussion ne
vise jamais que les endosseurs. Eux seuls étaient con
sidérés comme susceptibles de libération. On ne saurait
juridiquement assimiler les donneurs d’aval aux endos
seurs. Il y a entre ceux-ci et les autres signataires des
effets de commerce une différence fondamentale qui, au
dire du commissaire du gouvernement, avait déterminé
celui-ci à adhérer au projet de la commission.
Cette différence, le rapporteur l’expliquait en ces teri C o lle c t. d es L o is, 48S0, p. 243.
�232
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes : « Pourquoi les endosseurs d’un billet sont-ils so
lidaires? Est-ce par application d’un principe général
de la loi civile ? Non. La loi civile, dans son article
1694, a dit que la garantie n’existait de la part du cé
dant qu’autant qu’il y avait une stipulation formelle. Si
la loi commerciale a déclaré les endosseurs solidaires,
c’est par un privilège spécial attaché à la nature du ti
tre, privilège dont on avait besoin pour assurer les tran
sactions commerciales. »
Or, la loi spéciale qui créait ce privilège était libre de
le subordonner aux conditions qui lui paraissaient rai
sonnables et justes. C’est ce qu’avait fait le Code de com
merce ; c’est ce que venait faire la loi nouvelle.
Elle ne pouvait donc viser que les endosseurs qui
n’étaient nullement cautions ni des autres signataires,
ni les uns des autres, qui n’étaient tenus qu’à l’occasion
de la part qu’ils avaient prise à la mise en circulation
de l’effet.
Sans doute, les donneurs d’aval concourent à cette
circulation, mais ce concours n’est donné que comme
garantie de la solvabilité du tireur. C’est donc un cau
tionnement qu’ils ont sciemment et volontairement con
senti. Dès lors leur engagement s’unit et s’incorpore à
celui du tireur, et l’on ne comprendrait pas qu’il
pût s’effacer et disparaître tant que celui-ci continue
d’exister.
Conséquemment, en réservant l’action contre le ti
reur ou le souscripteur, la loi l’a implicitement réservée
contre les donneurs d’aval, et c’est ce que la Cour de
�ART. 1 6 4 ,
16b,
166,
167.
253
cassation décide très expressément le H février 1856.
Saisi de la question, le tribunal de commerce de Tar
bes l’avait résolue en ce sens.
« Attendu, disait le jugement, que le donneur d’aval
est soumis de plein droit à une solidarité absolue, et
tenu de toutes les charges de l’obligation qu’il a garan
tie, de même manière que s’il l’avait contractée luimême et personnellement, à moins qu’il n’y ait stipu
lation contraire ;
« Attendu que la loi du 5 juin 1850 n’a pas modifié
cet état des choses ; qu’il résulte au contraire, des mo
tifs qui ont donné lieu à cette loi que son but a été,
non pas de frapper le titre dans son origine, mais d’en
gêner la négociation, afin de réprimer l’abus introduit
par des maisons de commerce qui mettaient en circula
tion des effets non timbrés à l’aide de la mention sans
frais, et qui non seulement occasionnaient ainsi une
perte réelle pour le Trésor, mais faisaient une concur
rence déloyale aux maisons qui se conformaient scrupu
leusement à la loi du timbre ;
« Qu’en effet, M. Emile Leroux, dans le rapport
qu’on a invoqué, déclare en termes formels : « Que
rien ne s’oppose à ce que la loi dise que le porteur
d’un billet non timbré n’aura pas de recours contre les
endosseurs. » M. Leroux ne parle pas des avalistes, les
laissant ainsi dans les conditions déterminées par l’arti
cle 142 du Code de commerce ;
« Attendu, en effet, qu’il est d ’usage dans le com
merce que le porteur exerce son recours contre son cé-
�234
DE LA LETTRE DE CHANGE
dant, celui-ci contre l’endosseur qui le précède ; que
cette garantie est presque toujours la seule dont on se
préoccupe, puisque le plus souvent le tireur est inconnu;
que cette garantie ne résultant pas du titre, mais seule
ment du fait môme de la négociation par un privilège
particulier de la loi commerciale, qui a dérogé en cela
aux règles du droit commun, car, en principe, le cé
dant ne répond pas de la solvabilité du débiteur à moins
d’un engagement formel, la loi a pu, dans le but d’en
traver ces négociations, déclarer qu’elle retirerait ces
privilèges lorsque les effets ne seraient pas dans les con
ditions légales et prononcer ainsi la déchéance à l’en
contre des endosseurs, mais elle n’a nullement entendu
porter atteinte aux privilèges particuliers du droit com
mercial et dégager les avalistes avec d’autant plus de
raison que les avalistes apparaissent rarement, et sont
pour ainsi dire une exception dans les usages du com
merce. »
La justesse et le caractère juridique de ces considéra
tions ne pouvaient être méconnus, et plaçaient le juge
ment à l’abri de toute atteinte, iussi, sur l’appel qui
en avait été émis, la cour de Pau, par arrêt du 14 jan
vier 1854, le confirmait-elle, et déclarait qu’il avait fait
une juste application de l’article 14H du Code de com
merce combiné avec les dispositions de la loi du 5 juin
1850 \
On se pourvut en cassation. Mais la Cour régulatrice,
�loin de censurer la doctrine du tribunal de commerce
de Tarbes et de la cour de Pau, lui donne au contraire
la plus entière, la plus complète adhésion. Elle rejette le
pourvoi. « Attendu que les demandeurs en cassation ont
été condamnés seulement en qualité de donneurs d’aval;
que les obligations du donneur d’aval se confondent
avec celles du tireur lui-même, dont il est l’image et
dont il garantit la solvabilité ; qu’il est tenu au même
titre que lui et se trouve passible des mêmes voies, et
soumis comme lui à l’action réservée par l’article 5 de
la loi du 5 juin 1850 l.
La Cour de cassation identifie donc le donneur d’a
val avec le tireur ou souscripteur. Il est évident dès lors
que cette identification doit produire tous ses effets pour
les avantages comme pour les charges, et que l’obliga
tion du donneur d’aval ne saurait survivre à celle du
tireur.
La preuve qu’il y avait provision à l’échéance faisant
disparaître celle-ci, annulerait donc celle-là. D’où la
conséquence que la preuve de l’existence de cette pro
vision offerte par le donneur d’aval devrait être ac
cueillie.
1 11 fé v r ie r 1 8 5 6 .
J. du P.
2, 1 856, 406.
�236
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE
472.
Indépendamment des formalités prescrites pour l’exer
cice de l’action en garantie, le porteur d’une lettre de
change protestée faute de payement peut, en obtenant
la permission du juge, saisir conservatoirement les ef
fets mobiliers des tireur, accepteur et endosseurs.
SOMMAIRE
536.
537.
L'article 172 est purement facultatif. Conséquence.
Rigueur de la saisie à l’endroit de l’endosseur. Motifs qui
l ’ont fait admettre.
538. Conditions exigées. Prudence que le juge doit apporter
dans la permission qu’il doit en donner.
539. Quel est le juge compétent pour cette permission.
540. Conséquences de l ’attribution donnée au président du tri
bunal de commerce. Nécessité de deux jugements, l ’un
au fond, l ’autre sur la validité de la saisie.
541. Juridiction à investir en matière de billets â ordre.
542. Formes de la permission. Recours dont elle est sus
ceptible.
543. La saisie ne peut jamais suppléer les formalités prescrites
par les articles 160 et suivants. Conséquences.
536. — En général, les formalités exigées du por
teur sont surtout dans l’intérêt des endosseurs et du ti
reur lorsqu’il a fait provision. Chacun d’eux, au moment
où il est poursuivi, doit recevoir le titre avec toutes les
�ART.
172.
237
sûretés qu’il comporte. On pouvait, on devait donc faire
un devoir de la conservation de ces sûretés, et en cas
de diminution ou de perte par suite de la négligence
du porteur, laisser à sa charge toutes les chances de
préjudice.
L’article 172 entre dans un autre ordre de formalités.
Celles-ci sont dans l’intérêt unique du porteur. Aussi
sont-elles purement et absolument facultatives pour lui.
Quelque avantageuse qu’eût pu être pour les autres in
téressés une saisie conservatoire, nul ne pourra faire un
grief au porteur de ne l’avoir pas réalisée.
L’exécution de l’article 172 est donc abandonnée à la
discrétion du porteur. La loi s’en rapporte souveraine
ment à son appréciation.
5 3 9 . — La faculté de saisir le mobilier s’applique
à celui des endosseurs comme à celui du tireur et de
l’accepteur. Cette faculté est d’autant plus rigoureuse à
l’égard des premiers, qu’elle n’est pas même subordon
née à la notification du protêt. Ainsi l’endosseur peut,
avant d’avoir été mis en demeure de rembourser, et
sans avertissement préalable, voir ses marchandises sai
sies, son commerce arrêté, son crédit perdu, et se trou
ver ainsi condamné à une ruine complète.
Ce qui a déterminé la loi à ne pas reculer devant un
pareil résultat, c’est que la saisie conservatoire peut être
pour le porteur le seul moyen de rentrer dans ses fonds;
que dès lors elle sera d’une urgence telle qu’il y aurait
danger à la retarder. D’ailleurs, l’endosseur peut tou-
�238
DE LA LETTRE DE CHANGE
jours l'empêcher en remboursant, ce qui prévient le
préjudice qu’il serait dans le cas d’éprouver.
5 3 8 . — Une atténuation nouvelle de la rigueur du
principe se rencontre dans les conditions exigées dans
l’application. D’abord la lettre de change doit être pro
testée. Tant que ce protêt n’est pas fait, le refus de
payement n’est pas certain, n’est pas acquis. En cet état,
la saisie serait une mesure frustratoire, puisque sans
son secours et à présentation l’effet peut être acquitté. Il
était donc rationnel qu’avant de permettre de recourir
aux voies extraordinaires, on exigeât que les voies ordi
naires fussent épuisées.
Ce préliminaire rempli, le porteur doit obtenir la
permission du juge. Ici il importe de remarquer que ce
n’est pas une vaine formalité que la loi a entendu pres
crire. Une saisie peut ruiner un commerçant et déter
miner la faillite, qui sans cela n’eût pas éclaté. C’est ce
déplorable résultat que le législateur a voulu prévenir.
Il ne s’en est donc pas rapporté à la partie intéressée,
la haine, l’émulation, la jalousie pouvaient l’égarer.
C’est le juge qu’il a rendu l’arbitre de l’opportunité de
la saisie, elle ne pourrait être faite que sur la permis
sion dont il doit se montrer sobre, il ne l’accordera
donc que lorsque sa conscience lui en aura démontré
l’indispensable nécessité.
5 3 9 . — Quel est le juge que la loi charge de per
mettre la saisie conservatoire? M. Pardessus avait d’a-
�ART.
172.
259
bord pensé que c’était le président du tribunal civil. Il
se fondait sur ce que la saisie étant un moyen d’exé
cution, et le tribunal de commerce ne pouvant connaî
tre même de celle du jugement qu’il avait rendu, son
président devait par cela même être déclaré incompétent
pour l’autoriser.
M. Pardessus n ’a pas tardé à revenir de cette opi
nion, dont les fondements n ’avaient rien de sérieux. La
saisie conservatoire est si peu une exécution, qu’elle ne
peut sortir à effet qu’en tant qu’elle sera validée plus
tard par la juridiction ordinaire. Jusqu’à cette décision,
la saisie n’a conféré au saisissant qu’un droit, celui
d’empêcher la disparition des effets, en les plaçant sous
la main de la justice.
En conséquence, rien n’empêche le président du tri
bunal de commerce d’autoriser cette main mise judi
ciaire. Le doute n ’est pas même permis devant l’attri
bution spéciale que lui en fait si expressément l’article
417 du Code de procédure civile.
Cette attribution est aussi logique que rationnelle. Il
s’agit dans notre hypothèse d’une grave mesure contre
un commerçant. Son opportunité s’appréciera évidem
ment par sa position, par l’état de ses affaires, par la
notoriété de ses ressources et de son crédit. Or, qui donc
serait mieux en état de connaître toutes ces choses que
celui q u i, investi de la confiance du commerce, a été
appelé à la tête du tribunal.
4 5 0 . — C’est donc au président du tribunal de
�240
DE LA LETTRE DE CHANGE,
commerce qu’il appartient d’autoriser la saisie conser
vatoire, mais ni lui, ni le tribunal lui-même ne peuvent
connaître de sa validité et de son exécution. L’une et
l’autre doivent être demandées et ordonnées par la juri
diction ordinaire.
De là il arrivera nécessairement ce que voici : Le tri
bunal civil ne pourra statuer sur la saisie qu’après que
la juridiction commerciale aura définitivement prononcé
sur le fond. Ainsi, tandis qu’en matière ordinaire le tri
bunal prononce par un seul jugement la condamnation
du débiteur et la validité de la saisie, il faudra ici deux
jugements, l’un de condamnation par le tribunal de
commerce, l’autre de validité de la saisie par le tribu
nal civil. L’incompétence de celui-ci pour la condam
nation ne saurait pas plus être douteuse que celle du
tribunal de commerce à l’endroit de la validité de la
saisie.
5 4 1 . — Les droits et les devoirs du porteur d’un
billet à ordre protesté sont les mêmes que ceux du por
teur de la lettre de change. Le premier peut donc com
me le second user de la faculté que confère l’article
172.
Mais dans ce cas la juridiction appelée à autoriser la
saisie et à prononcer la condamnation n’est pas tou
jours la juridiction commerciale. Celle-ci n’est compé
tente que si le billet porte la signature de commer
çants, ou que si la cause en est commerciale. En l’ab
sence de l’une et de l’autre de ces conditions, la con-
�ART.
172.
241
naissance du litige appartenant à la juridiction ordi
naire, c’est le président du tribunal civil qui doit per
mettre la saisie.
543. — Dans tous les cas, la permission est de
mandée par une requête du créancier, qui n’est signifiée
qu’avec la saisie elle même. Avertir le débiteur qu’on va
le saisir, ce serait bien souvent exposer l’huissier à ne
rédiger qu’un procès-verbal de carence.
»
Mais le débiteur peut faire opposition à l’ordonnance
du juge, et cette opposition se vide par la voie du référé.
A son tour l’ordonnance intervenue sur celui-ci pourrait
être frappée d’appel, mais, par application de l’article
417 du Code de procédure civile, en matière commer
ciale l’exécution aurait lieu nonobstant l’opposition ou
l’appel, avec ou sans caution, suivant que le juge l’au
rait ordonné.
543. — La réalisation de la saisie contre les tireur
et endosseurs est sans contredit une diligence sur la si
gnification de laquelle on ne peut se tromper, mais elle
ne saurait remplacer les formalités prescrites par les ar
ticles 160 et suivants. La loi, en effet, permet la saisie
indépendamment de ces formalités, ce qui indique
qu’elle peut les accompagner, mais non les suppléer.
Aussi, et nonobstant la saisie, le défaut de notifica
tion du protêt comme sa tardiveté, l’absence de citation
en justice dans le délai fixé ne laisseraient pas que d ’enn —
16
�242
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lever tout recours au porteur, et de l’obliger à indem
niser l’endosseur et le tireur du préjudice que lui aurait
occasionné la saisie conservatoire.
§ XII. —
DES PROTÊTS
ARTICLE
173.
Les protêts faute d'acceptation ou de payement sont
faits par deux notaires, ou par un notaire et deux té
moins, ou par un huissier et deux témoins.
Le protêt doit être fait :
Au domicile de celui sur qui la lettre de change était
payable, ou à son dernier domicile connu,
Au domicile des personnes indiquées par la lettre de
change pour la payer au besoin,
Au domicile du tiers qui a accepté par intervention.
Le tout par un seul et même acte.
En cas de fausse indication de domicile, le protêt est
précédé d’un acte de perquisition.
�art.
173,
ARTICLE
17 - 4 .
243
174.
L’acte de protêt contient :
La transcription littérale de la lettre de change, de
l’acceptation, des endossements, et des recommanda
tions qui y sont indiquées,
La sommation de payer le montant de la lettre de
change.
Il énonce :
La présence ou l’absence de celui qui doit payer,
Les motifs du refus de payer, et l’impuissance ou le
refus de signer.
SOMMAIRE
544.
Nature du protêt. Différence dans l’obligation de le requé
rir et dans les conséquences, suivant qu’il s’agiL du dé
faut d ’acceptation ou du défaut de payement.
545. Formes du protêt avant 1664 et depuis.
546. Qui peut requérir le protêt. Quid du possesseur matériel
de la lettre de change.
547. La règle que le mandataire ne peut agir q u ’en cette qua
lité, ou q u ’au nom de son mandat, reçoit exception dans
le cas d ’un endossement irrégulier.
548. Où doit être fait le protêt.
549. Le transport de l ’officier instrum entaire au domicile des
personnes indiquées par les endosseurs, pour payer au
besoin, est-il obligatoire ?
�244
550.
551.
552.
553.
554.
555.
556.
557.
558.
559.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Arrêts de la Cour de cassation. Examen.
Arrêts de la cour de Paris. Réfutation.
Solution. Conséquences.
Ces divers accédits sont constatés par un seul et même
acte.
Dans quelle circonstance doit-on rédiger un procès-verbal
de perquisition ?
Nature de cet acte. Dans quelle forme il doit être si
gnifié.
Quel est le domicile auquel l ’huissier doit se transporter,
si à l ’échéance le tiré n'a plus celui qui était indiqué
dans la lettre de change.
Dans quelle forme doit être rédigé le protêt. Motifs de la
transcription complète du titre.
L ’absence du tiré ne pouvait pas créer une impossibité de
protester. Conséquence.
Différence entre l ’indication des motifs du refus de payer
et celle du refus ou de l'im puissance de signer.
Foi due aux énonciations du protêt. Quid si, en constatant
le refus de payer, il renfermait la reconnaissance de la
dette ?
561. Nature et conséquence de la responsabilité de l’officier ins
trumentaire à l ’endroit de l ’exactitude des indications
du protêt.
562. L ’omission des formalités de l ’article 174 entraîne-t-elle la
nullité du protêt ?
563. Nullités de forme qui peuvent frapper le protêt.
560.
rf^ 5 4 4 . — Le protêt est l’acte extrajudiciaire destiné
à constater tour à tour ou le refus d’acceptation, ou le
refus de payement, et dans lequel le porteur proteste de
tous ses droits tant contre les tireur, tiré, accepteur,
�que contre les endosseurs, pour les faire valoir ainsi
qu’il avisera.
La différence dans l’objet que le protêt se propose en
a fait admettre une importante dans la nécessité de le
réaliser et dans les conséquences que son omission est
dans le cas d’entraîner.
Ainsi le protêt faute de payement est indispensable à
moins d’une convention contraire, ou d’un événement
de force majeure. Le protêt faute d’acceptation n’est ja
mais que purement facultatif, si d’ailleurs l’obligation
de le requérir n’a pas été formellement imposée au por
teur.
Dans cette hypothèse même, l’omission qu’en ferait
ce dernier, ne lui ferait pas perdre son recours contre
les divers signataires. Tout ce qui en résulterait, ce se
rait la nécessité pour le porteur de réparer le préjudice
qu’on prouverait être le résultat de sa négligence. Au
contraire, le défaut de protêt faute de payement, hors
les cas d’exception, libère de plein droit les endosseurs,
et peut même enlever tout recours contre le tireur.
Le protêt faute de payement doit être notifié avec ci
tation en justice dans la quinzaine de sa date, faute de
déchéance. Aucune diligence n’est prescrite pour le pro
têt faute d’acceptation ; dans tous les cas, aucun délai
n’est assigné au porteur, il peut valablement agir jus
qu’au moment de l’échéance.
Enfin la notification par correspondance du protêt
faute de payement serait insuffisante et n’empêcherait
pas la déçhéance, tandis que celle du protêt faute
�246
DE LA LETTRE DE CHANGE
d’acceptation résulterait valablement et régulièrement
d’une lettre missive L
Les conséquences du protêt faute d’acceptation sont
indiquées par l’article 120 , les tireur et endosseurs peu
vent se borner à offrir une caution en garantie du paye
ment à l’échéance. Ce n’est que faute par eux de rem
plir cette obligation, qu’ils seraient tenus de rembourser
la lettre de change.
Ils ont donc l’alternative qui appartient à chacun
d’eux d’une manière absolue. Supposez, par exemple,
qu’un des endosseurs préfère rembourser , il ne pourra
pas exiger que son cédant ou que tout autre signataire
l’imite. L’offre que celui-ci ferait d’une caution le dé
sintéresserait entièrement et assurerait à tous les autres
débiteurs, comme à lui, le bénéfice du terme.
Enfin le protêt faute d’acceptation, à la différence de
celui faute de payement, ne fait pas courir les intérêts
précisément parce qu’il se réalise avant l’échance, et
que jusque-là les intérêts sont censés compris dans le
capital. Aussi, a-t-il été jugé que lorsque, faute de cau
tionnement, le remboursement de la lettre de change a
été ordonné avec intérêts légitimes, le bénéficiaire de ce
jugement n ’a droit à ces intérêts qu’à compter de l’é
chéance, et non à partir du protêt, ne pouvant valoir
comme demande en justice, ni à partir du jugement2.
1 Paris, 49 décembre 4 837. J. du P., 2, 4837, 568.
1 Cass., 44 juillet 4 843. J. du P„ 4, 4 844, 542.
�art .
175,
174.
247
545, — En la forme, et quel qu’en soit l’objet, le
protêt est soumis aux mêmes conditions. Ces conditions
se réfèrent à la qualité de l’officier appelé à le rece
voir, aux lieux dans lesquels il doit être reçu, aux énon
ciations qu’il doit renfermer.
Jusqu’en 1664, le protêt n’eût aucune forme déter
minée. Acte ordinaire du ministère de l’huissier, il
obéissait aux mêmes règles, mais depuis longtemps cet
état des choses excitait des réclamations dont la décla
ration de 1664 constate l’importance.
Les juges et consuls de Paris, y est-il dit, ayant re
connu par un long usage le préjudice que reçoivent les
négociants faute d’un règlement certain pour l’accepta
tion, cautionnement et protêt de lettres de change, se
sont pourvus devant le Parlement pour remédier à cet
inconvénient.
C’est conformément à l’arrêt que le Parlement avait
rendu sur cette requête, qu’une ordonnance du 9
janvier dispose : Que tous actes de protêt, pour être
réputés bons et valables, seront dorénavant faits pardevant deux notaires, ou un notaire et deux témoins,
lesquels notaires et témoins seront tenus de se trans
porter au domicile de ceux sur lesquels les lettres de
change seront tirées, ou qui auront fait les billets,
et desdits 'protêts laisser copie. Pourront néanmoins
lesdits protêts être faits par les huissiers et sergents
tant du Châtelet que des consuls, assistés de deux recors domiciliés et connus, qui sauront écrire et qui
signeront lesdits protêts.
�248
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’ordonnance de 1673 s’appropria cette prescription
qui se retrouve encore, et dans les mêmes termes à peu
près, dans le Code de commerce. L’utilité incontestable
du but qu’elle se proposait devait nécessairement faire
aboutir à ce résultat.
Donc aujourd’hui comme en 1664, comme en 1673,
le protêt doit être rédigé par deux notaires ou par un
notaire et deux témoins. Rien, va bientôt nous dire l’ar
ticle 175, ne pourra suppléer à cet acte.
546. — Le protêt est ordinairement requis par le
propriétaire de la lettre, c’est-à-dire par le bénéficiaire
du dernier endossement régulier. Mais ici encore nous
allons rencontrer une différence entre le protêt faute
d’acceptation et celui faute de payement.
La simple possession matérielle de la lettre de change
suffit pour pouvoir en requérir personnellement l’accep
tation et faire protester en cas de refus,
Il n’en est pas de même pour le protêt faute de paye
ment. Celui-ci n’étant que la conséquence du refus de
payer, ne peut être réalisé que par et pour celui qui a
droit et qualité pour contraindre le payement. Or, la
simple détention d’une lettre de change, sans qu’elle
soit accompagnée d’un endossement quelconque, ne
constitue pas même un mandat à l’effet d’en recevoir le
montant. En conséquence, le refus qu’on ferait de celuici ne pourrait donner légalement lieu à un protêt.
Donc le porteur de la lettre de change non endossée
en sa faveur ne pourrait agir qu’au nom du bénéfi-
�art.
173 , 174 .
249
ciaire du dernier ordre, ou en qualité de mandataire,
avec obligation d’en justifier.
549.
— La règle que le mandataire ne peut agir en
son nom reçoit exception pour le mandat légal résultant
d’un endossement irrégulier ou en blanc. L’existence de
l’un ou de l’autre donne au porteur la disposition ab
solue de la lettre de change, sauf le droit de l’endosseur
de lui faire rendre compte, chose à laquelle le tiers reste
complètement étranger. L’unique intérêt de celui-ci
était de ne pouvoir être privé des exceptions qu’il a à
faire valoir contre son véritable créancier. Or, ce droit
a été sauvegardé par la loi. Le porteur d’un endosse
ment irrégulier ou en blanc est passible des exceptions
à invoquer contre l’endosseur lui-même. Bien qu’il
agisse en son nom propre et personnel, il n’est jamais
considéré que comme le mandataire de celui-ci. Le pro
têt qu’il requerrait personnellement ne pourrait donc
être contesté. Il est d’autant plus apte à le faire que le
payement fait en ses mains et sur son acquit libérerait
valablement le débiteur n’ayant dès lors aucun motif
raisonnable pour le refuser.
548. — L’acceptation ne peut être demandée qu’au
tiré personnellement. C’est donc en parlant dans son
domicile et à sa personne que le protêt devra être fait,
en cas de refus. Cette règle ne comporte aucune excep
tion, pas même dans l’hypothèse où, aux termes de
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’article 111 , le payement a été indiqué à un domicile
autre que celui du tiré.
C’est également au domicile du tiré que doit se faire
le protêt faute de payement, même dans le cas où le
payement a été indiqué ailleurs, mais pour cela il im
porte que le tiré n’ait pas accepté. L’acceptation en ef
fet renfermerait virtuellement l’obligation de faire les
fonds au domicile indiqué, ce serait donc à ce domicile
que l’huissier ou le notaire devrait se présenter. A plus
forte raison devrait-il en être ainsi si la désignation
d’un domicile pour le payement ne se trouvait que dans
l’acceptation du tiré.
Si l’acceptation est pure et simple, si la lettre n’indi
que pas un autre domicile, ou si, renfermant cette in
dication, elle n’a pas été acceptée, c’est au domicile du
tiré que le payement doit être requis. C’est donc là que
l’officier ministériel doit se transporter, rien ne saurait
l’en affranchir valablement, ni l’acceptation par inter
vention, ni la faillite déclarée avant l’échéance. Aussi la
Cour de cassation jugeait-elle, le 6 février 1849, que
bien que le protêt d’un effet de commerce ait lieu après
la faillite du tiré, il n’en doit pas moins être fait à la
personne et au domicile du failli, et non à la personne
et au domicile du syndic K
C’est également ce qu’enseignait l’ancienne doctrine.
Ce qui l’avait fait ainsi admettre, c’est qu’il peut se faire
que les fonds pour payer aient été remis au failli par le
1 J. du P., 1, 1849, 421.
�ART. 1 7 3 ,
174.
251
tireur, même depuis sa faillite. Il faut donc qu’il soit
constaté qu’au jour de l’échéance le payement n’a pas
été fait au lieu et par la personne indiquée, pour que le
recours puisse être justement exercé contre le signataire
de l’effet. Peu importerait que le tiré eût accepté la
traite, car les fonds destinés à la provision pouvant
n’avoir été consignés qu’à titre de dépôt, ne sont pas
confondus dans son actif personnel ï.
C’est cette même doctrine dont la cour de Bordeaux
faisait une énergique application, en jugeant, le 11 jan
vier 1814, que le protêt faute de payement d’une lettre
de change doit, à peine de nullité, être fait au lieu où
l’accepteur avait le siège de son commerce et où il payait
habituellement, encore bien que cet accepteur eût son
domicile dans un autre endroit, et qu’étant en faillite il
eût fermé son comptoir.
Il est donc certain que, pour la régularité du protêt,
l’officier instrumentaire doit d’abord se transporter au
domicile du tiré, alors même qu’il y aurait eu protêt
faute d’acceptation, mort ou faillite. Là, le refus se réa
lisant, il est procédé conformément à l’article 173.
549. — L’huissier ou le notaire, après avoir cons
taté le refus du tiré, se transporte chez les personnes
indiquées pour payer au besoin d’abord par le tireur.
L’ordre du transport se règle par celui de l’indication,
mais il est évident que si l’une d’elles payait, on n’au -
1 Savary, Parère 4S, Pothier, Change, n° 47.
�>
252
DE LA LETTRE DE CHANGE
rait pas à se rendre aux domiciles de celles indiquées
ultérieurement.
Le transport n’est-il obligatoire que pour les person
nes indiquées par le tireur, ou bien doit-on l’opérer
également chez celles indiquées par les endosseurs ?
Nous avons déjà examiné cette question à propos de
l’acceptation. Nous étayant de l’arrêt de la Cour de cas
sation, du 3 juin 1839, nous avons admis la nécessité
du protêt faute d’acceptation, au domicile des besoins
indiqués par l’endosseur, cette désignation constituant
un contrat dont le porteur ne saurait récuser les con
séquences, après l’avoir librement et volontairement ac
cepté 1.
550.
— La même solution nous paraît régir les pro
têts faute de payement. Mais ici nous nous trouvons en
présence de quelques monuments de jurisprudence con
sacrant la doctrine contraire.
Toutefois, nous n’admettons pas comme tels deux
arrêts de la Cour de cassation, des 24 mars 1829 et 5
mars 1834. En effet, dans chacune de ces espèces, l’en
dosseur s’était désigné lui-même pour payer au besoin,
et cette circonstance explique la décision de la Cour su
prême.
En effet, une pareille désignation, n’ajoutant rien aux
droits du preneur, ne saurait lui imposer des devoirs
nouveaux, ni lui enlever un bénéfice que la loi lui coni Supra, n» 176.
�A RT.
173, 174.
255
fère de plein droit. L’endosseur est tenu, en sa qualité,
du payement. Le porteur n ’a, pour conserver son re
cours contre lui, qu’à faire protester et à le poursuivre
dans les délais prescrits. Il répugnerait à la raison qu’il
pût, par son fait, créer une déchéance que la loi n’a
ni prescrite, ni autorisée.
En conséquence, la désignation que l’endosseur fait
de lui-même doit être censée non écrite. C’est ce que
M. Pardessus enseigne expressément. C’est parce que la
Cour de cassation l’a ainsi admis, qu’elle a rendu les
arrêts de 1829 et de 1834. La meilleure preuve qu’il en
est ainsi résulte de son arrêt de 1839, déclarant la dé
signation d’une tierce personne obligatoire pour le pro
têt faute d’acceptation. Or, ce qui est décidé pour ce
lui-ci s’applique forcément au protêt faute de paye
ment.
— Restent deux arrêts de la cour de Paris,
des 16 février 1834 et 19 mai 1841. Ceux-ci consacrent
expressément la doctrine que nous combattons. L’arti
cle 173, disent ces arrêts, rend le protêt obligatoire
au domicile des personnes indiquées par la lettre de
change, pour la payer au besoin. Or, ces termes ne
peuvent s’appliquer à celles désignées par les endos
seurs, car la lettre de change existe indépendamment de
l’endossement qui n’intervient que postérieurement à sa
confection l.
551.
1
J. duP.,
1, 1 8 3 7 ,
140; 2 , 1841, 2 2 0 .
�254
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Cette interprétation aurait elle-même grand besoin
d’être justifiée. En effet, l’article 173 parle de la lettre
de change telle qu’elle se trouve au moment du protêt
faute de payement. Il n’est donc pas même probable
qu’il ail voulu distinguer le corps de la lettre des endos
sements qui, étant venus s’y réunir, forment avec celuici un tout désormais inséparable.
Rationnellement parlant, le système de la cour de
Paris est inadmissible. Qu’importerait, en effet, que
l’article 173 eût gardé le silence sur les besoins indi
qués par les endosseurs, si cette indication est devenue
pour le preneur actuel comme pour les porteurs subsé
quents une convention régulière et valable. L’ordon
nance de 1673 n’ordonnait pas le protêt chez la per
sonne indiquée même par le tireur, ce qui n’empêchait
pas Pothier d’en enseigner la nécessité sous peine de
déchéance. Il est évident, disait-il, que le porteur ne
remplit pas en entier son obligation de requérir le paye
ment de la lettre de change lorsque deux personnes
lui ayant été indiquées pour recevoir le payement, elle
payement lui ayant été refusé par l’une de ces person
nes, il ne s’est pas présenté à l’autre l.
On pourrait donc admettre que la loi ne s’étant pas
formellement expliquée, on ne saurait induire de ses
termes l’obligation de faire protester chez les personnes
indiquées au besoin par l’endosseur. « Mais, dit M. Frémery, en supposant que le porteur n’en soit pas tenu en
i Change, n° 137.
�A RT.
173, 174.
235
vertu de l’article 173, il ne s’en suit pas qu’il n’y soit
pas obligé du tout. La conclusion ne serait pas juste,
car le porteur peut être engagé par un autre lien que
celui de la loi.
« Or, d’où se déduit l’obligation de faire le protêt
chez la personne indiquée pour payer au besoin par le
tireur ? De ce que, en consentant à prendre la lettre de
change avec cette indication, celui à l’ordre de qui elle
est tirée a nécessairement, bien que tacitement, consenti
à se présenter chez la personne indiquée.
« Si donc Pothier, en enseignant cette opinion, a sai
nement apprécié la convention, si l’article 173 a été
fondé à consacrer cette obligation à peine de déchéance
de l’action en recours, il faut conclure aussi que, dans
ce système, le porteur est obligé de la même manière à
se présenter chez les personnes indiquées pour payer au
besoin par les endosseurs V »
5 5 » . — Ainsi, le porteur n'est pas obligé par la
seule force de la loi, il l’est par l’effet de la convention.
Ce qui doit être remarqué, c’est que dans l’arrêt de
1839, la Cour suprême invoquait surtout celui-ci. En
conséquence, la convention existant dans le cas de pro
têt faute de payement comme dans celui pour défaut
d’acceptation, ses conséquences admises pour celui-ci, ne
peuvent pas ne pas l’être pour celui-là.
Dès lors, la déchéance du porteur serait la peine de
1 Eludes du droit com., n . 483.
�256
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’omission du protêt chez la personne indiquée par l’en
dosseur. Mais, tandis que la déchéance pour absence de
protêt chez la personne indiquée par le tireur serait gé
nérale et absolue, tandis qu’elle serait acquise à tous les
endosseurs, la déchéance dans le premier cas ne profi
terait qu’à l’endosseur auteur de l’indication et qu’aux
porteurs subséquents. Nul autre qu’eux n’ayant traité
en l’état de cette clause, ne pourrait en revendiquer le
bénéfice.
Il n’y a aucun doute à concevoir. Le protêt doit être
fait cumulativement et successivement au domicile du
tiré ou à celui indiqué ou accepté par lui pour faire le
payement, au domicile des besoins indiqués par le ti
reur et par les endosseurs, enfin, au domicile de l’ac
cepteur par intervention.
La loi ne s’explique pas sur le billet à ordre. Mais on
ne saurait non plus hésiter. Ce protêt doit être fait au
domicile du souscripteur ou à celui indiqué pour le
payement, au domicile des personnes indiquées au be
soin par l’un ou plusieurs des endosseurs.
55*. — L’étendue de cette obligation pouvait créer
une difficulté. Devait-on rédiger autant de protêt qu’il y
a eu de personnes sommées de payer? Le législateur a
compris qu’une nécessité de cette nature ne tendait qu’à
multiplier inutilement les frais. Il l’a donc expressément
proscrite, en déclarant dans l’article 175 que le tout
sera fait par un seul et même acte.
En conséquence, l’huissier ou le notaire se transpor-
�ART.
173, 174.
287
tera à chaque domicile où la lettre doit être présentée ;
il y constatera son interpellation et la réponse de la per
sonne à laquelle il s’est adressé, ce n ’est q u ’au dernier
de ces domiciles q u ’il clôturera définitivement son pro
cès-verbal.
5 5 4 . — L’accédit de l’officier instrum entaire est
forcé et indispensable. La loi l’a tellement ainsi com
pris, q u ’en cas d ’indication de domicile inexacte ou
fausse, le p rotêt doit être précédé d ’un procès-verbal de
perquisition, dans le but de découvrir le domicile véri
table.
Mais l’absence d ’indication n ’équivaut pas à l’indica
tion inexacte ou fausse, elle ne donnerait donc pas lieu
à un procès-verbal de perquisition. Ainsi, il a été dé
cidé q u ’un individu à l’ordre duquel un billet a été
souscrit, payable à son domicile, et qui l’a endossé sans
indiquer le lieu de ce dom icile, lequel n ’était désigné
d’aucune m anière dans le corps du billet, n ’est pas re
cevable à se prévaloir du défaut de protêt à ce dom i
cile, ou d ’acte de perquisition qui y supplée ; q u ’il suf
fit, à son égard, que le protêt ait été fait au domicile de
l’un des endosseurs qui l’avait indiqué au besoin *.
5 5 5 . — Le procès-verbal de perquisition est l ’acte
par lequel l’huissier constate q u ’il s’est adressé à toutes
personnes capables de lui donner des indications sur la
1 Cass., 31 mars 1841. J . d u P , , 2, 1841, 123.
h
—
17
�2S8
DE LA LETTRE DE CHANGE
personne et le domicile du souscripteur, du tiré, des
personnes indiquées pour payer au besoin, et l’inutilité
de ses recherches. Mais ce procès-verbal ne saurait ni
remplacer ni suppléer le protêt, cela résulte des termes
mêmes de la loi, il doit donc le précéder. Conséquem
ment, le porteur qui se bornerait à requérir l’acte de
perquisition, sans le faire suivre du protêt, encourrait
la déchéance et perdrait tout recours contre les endos
seurs h
L’officier instrumentaire doit donc les rédiger l’un et
l’autre. Mais comme l’ignorance du domicile empêche
de laisser copie, celle du verbal de perquisition et du
protêt doit d’une part être affichée à la principale porte
du tribunal de commerce, d’autre part être donnée au
procureur de la République. Mention de cette double
formalité doit être faite dans l’original qui est visé par
ce magistrat.
556.
— L’acte de perquisition ne serait pas néces
saire si à l’époque de l’échéance le tiré n’habitait plus le
domicile indiqué par la lettre de change, le protêt fait
à ce domicile , s’il est le dernier connu, suffirait. Dans
le cas contraire, c’est au domicile nouveau qu’il devrait
être procédé, aux termes de la loi.
Au reste, c’est plutôt à la demeure actuelle qu’à celle
indiquée par la lettre de change que le protêt doit être
requis, toutes les fois qu’il s’agit du domicile réel du
i Rouen, 8 juillet, 181 \ . Nancy, 29 janvier. Cass., 8 décembre 1831.
�ART.
178, 174.
289
tiré. Le payement ne doit s’y faire que parce qu’il est
habité par lui. En conséquence , si avant l’échéance
cette habitation cesse, le lieu de payement se trouve na
turellement transféré au domicile où se réalise l’habita
tion nouvelle. C’est à ce dernier que le protêt non seu
lement pourrait, mais devrait être fait sous peine de
déchéance. Cette règle ne souffrirait qu’une seule excep
tion, à savoir : dans le cas où l’on ne pourrait indiquer
à l’huissier le nouveau domicile, ou si celui-ci avait été
transféré dans une autre ville. Dans l’un comme dans
l’autre cas, le protêt serait valablement fait dans le do
micile indiqué par la lettre de change.
5 5 » . — L’article 174 règle les formes du protêt, il
n’est régulier que s’il contient : la transcription littérale
de la lettre de change, de l’acceptation, des endosse
ments et des recommandations qui y sont indiquées ;
La sommation d’en payer le montant.
Il doit en outre énoncer :
La présence ou l’absence de celui qui doit payer ;
Les motifs du refus de payer, et l’impuissance ou le
refus de signer.
La transcription du titre dans son entier est de nature
à bannir toute équivoque, tout prétexte d’erreur de la
part de celui qui doit payer. Il ne peut se méprendre
sur l’obligation dont on poursuit l’extinction.
Cette copie littérale et fidèle doit en même temps
prouver que l’huissier ou le notaire s’est scrupuleuse-
�260
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment acquitté des devoirs que lui imposaient les diver
ses énonciations du titre.
— Il était naturel d’adresser la sommation
de payer à celui qui doit réaliser le payement. Mais exi
ger cette interpellation directe obligatoirement, c’était
autoriser le tiré ou le débiteur à rendre tout protêt im
possible. Il n’avait en effet qu’à abandonner son domi
cile pendant vingt-quatre heures ou feindre de l’avoir
quitté.
Ce que la loi exige de l’officier instrumentaire, c’est
d’énoncer la présence ou l’absence du tiré. Dans le se
cond cas, la sommation de payer est faite à celui à qui
il s’adresse, et sa réponse, quelle qu’elle soit, pourra
être considérée comme un refus de payement et motiver
le protêt. Il n’est pas même nécessaire que le notaire
ou l’huissier retourne au domicile dont le tiré est ab
sent au moment d’un premier accédit. Il suffit que ce
lui-ci ait eu lieu pour que le protêt intervienne valable
ment.
Il a donc été jugé :
1° Q’un protêt est valable : s’il a été fait à domicile,
en parlant au domestique du tiré qui a répondu que
son maître n’était pas visible, et qu’il lui en donnerait
connaissance :
2° S’il est signifié au domicile du tiré avec énoncia
tion : Parlant à un voisin trouvé dans ledit domicile, et
chargé de répondre pour le tiré ;
3° S’il est fait parlant à la personne du portier, car
5 5 8 .
�ART.
175 , 174 .
261
celui-ci est préposé au service de tous les locataires de
la maison l.
5 5 9 . — De là s’induit naturellement une modifica
tion aux prescriptions de l’article 174. On peut, en ef
fet, facilement supposer qu’en général la personne à
laquelle le notaire ou l’huissier s’adressera en l’absence
du tiré sera dans l’impuissance d’indiquer les causes du
refus de payer.On ne saurait donc faire un devoir à l’un
ou à l’autre de mentionner ces causes, il ne peut dans
ce cas que transcrire la réponse quelle qu’elle soit, et
protester en déclarant considérer cette réponse comme
un refus de payement.
Mais il n’en est pas ainsi du refus ou de l’impuis
sance de signer. La sommation de le faire s’adresse à
celui qu’on interpelle. L’huissier est donc, dans tous les
cas, obligé de se conformer à celte prescription.
5 6 0 . — Le protêt fait foi de ses énonciations, mais
en tant qu’elles se réfèrent à la mission réelle du notaire
ou de l’huissier, à savoir : le payement de la traite. Le
refus de signature de la part du tiré n’altèrerait en rien
la confiance qui est due à l’acte.
Mais on ne pourrait, sans le concours du tiré, éta
blir contre lui une obligation quelconque. Ainsi la re
connaissance de la dette que l’huissier lui attribuerait,
i Cass., 23 novembre 1829. Paris, 14 avril 1835. Lyon, 25 mai
�DE LA LETTRE DE CHANGE
262
tout en constatant le refus de la payer, ne serait va
lable que si elle était certifiée par la signature du dé
biteur.
5 6 f . — L’officier instrumentaire répond de la sin
cérité des indications de son acte. L’ordonnance de 1673
était très sévère sur cet article, et M. Pardessus, parta
geant cette sévérité, considère comme un faux toute
énonciation mensongère dans le récit des faits, dans la
réponse, et même dans la transcription des pièces.
Ce qui tempère la rigueur de cette doctrine, c’est l’ap
plication à la matière des principes du droit commun à
l’endroit du faux. Ici, en effet, comme dans toutes les
hypothèses, il n’y a faux punissable que si à la maté
rialité du mensonge se joignent l’intention frauduleuse,
la possibilité d’un préjudice. On pourrait donc avoir
égard à la nature et à la cause de l’erreur dans le pro
têt, et surtout à la bonne foi du rédacteur.
— Quel serait l’effet de l’omission d’une ou
de plusieurs des formalités prescrites par l’article 174 ?
Le protêt serait-il nul, et le porteur déchu de tout re
cours contre les endosseurs ?
On reconnaissait dans la discussion au conseil d’Etat
que toutes les prescriptions de cet article ne se recom
mandaient pas au même titre, mais que l’inobservation
de quelques-unes d’entre elles devait entraîner la nul
lité. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angély plaçait dans
cette catégorie les trois premières.
563.
�A RT.
173, 174.
2G3
MM. Merlin et Jaubert réclamèrent l’insertion dans
le Code d’un article général sur les cas où la nullité au
rait lieu. Mais cette proposition n’eut pas de suite. Ce
résultat toutefois ne fut pas déterminé par le rejet du
principe de la nullité, le conseil d’Etat n’eut pas d’au
tre but, en le proclamant, que de rester fidèle à la règle
qu’il avait déjà si souvent admise, à savoir : que les
tribunaux de commerce étant essentiellement des tribu
naux d’équité, on ne devait pas les lier par des pres
criptions absolues et trop précises.
La question de nullité pour violation totale ou par
tielle de l’article 474 est donc abandonnée à l'apprécia
tion souveraine du juge. Ce qui doit le décider, ce sont
les conséquences que la formalité omise a eues ou peut
avoir. La nullité peut être prononcée alors même que
cette formalité se placerait en dehors des trois catégories
que faisait M. Régnault de SaiDt-Jean-d’Angély.
Ainsi la cour de Bordeaux a jugé, le 3 janvier 4840,
que l’omission des motifs du refus de payement annu
lait le protêt, et que l’irrégularité de l’original résultant
de cette omission ne pouvait être réparée par les énon
ciations de la copie 1.
En résultat, la nullité du protêt est bien plutôt une
question de fait qu’une question de droit. La latitude
des tribunaux est absolue et ne reconnaît d’autre limite
que la conscience du juge. De là cette conséquence que
sa décision, quelle qu’elle soit, peut bien constituer un
�264
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mal jugé que le second degré de juridiction peut réfor
mer, mais elle ne saurait encourir le reproche de vio
lation ou de fausse application de la loi. Elle échappe
rait donc forcément à la censure de la Cour de cas
sation.
56S8. — Indépendamment des formalités exigées par
l’article 174, les protêts sont soumis à toutes celles im
posées aux actes dont ils revêtent le caractère. Ainsi ce
lui rédigé par un notaire devrait être conforme aux di
verses prescriptions de la loi du 25 ventôse an xi, sous
peine de nullité suivant le cas.
Ainsi encore le protêt, quoique rédigé par un no
taire, n’en est pas moins régi, pour la signification, par
l’article 1037 du Code de procédure civile. Celle qui
serait réalisée contrairement à ses prescriptions serait
frappée de nullité h
ARTICLE
175.
Nul acte, de la part du porteur de la lettre de change,
ne peut suppléer l’acte de protêt, hors le cas prévu par
les articles 150 et suivants, touchant la perte de la lettre
de change.
i Bruxelles, 28 mai 4818, V. in f., art. 476, n° 566.
�ARTICLE
476.
Les notaires et les huissiers sont tenus, à peine de
destitution, dépens, dommages-intérêts envers les par
ties, de laisser copie exacte des protêts, et de les ins
crire en entier, jour par jour et par ordre de dates, dans
un registre particulier, coté, paraphé, et tenu dans les
formes prescrites pour les répertoires.
SOMMAIRE
564. Caractère de l’article 175.
565. Quels sont les actes qu’il déclare ne pouvoir suppléer au
protêt.
566. Responsabilité de l ’officier instrum entaire en la forme et
au fond.
567. Cette responsabilité n’existe q u ’à l ’endroit du porteur. Ar
rêt contraire de la cour de Paris.
568. Doctrine de la Cour de cassation.
569. L ’huissier ou le notaire qui a exécuté le mandat qu’il a
reçu ne répond pas de l ’erreur dans la personne ou le
domicile où le protêt devait être fait. Comment s'établit
le mandat.
570. Résum é.
571. L’endosseur qui a remboursé le porteur peut-il attaquer
l ’officier instrum entaire auteur de la nullité comme su
brogé aux droits du porteu r ?
572. Quid s’il n ’avait remboursé que sur réserves ?
573. Obligations nouvelles imposées aux huissiers et aux n o -
�266
574.
575.
576.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
taires par l'article 176. Caractère de sa sanction pénale
et de celle de l’ordonnance de 1673.
Où doit être laissée la copie. La signification du protêt faite
à la personne du tiré est-il valable ?
Objet de la transcription sur un registre spécial.
Formes de cette transcription. Effet des contraventions.
Par qui sont-elles constatées et poursuivies ?
5 6 4 . — Nous venons, dans l’analyse des articles
précédents, de constater, d’une part, la nécessité abso
lue de faire protester le lendemain de l’échéance, de
l’autre, les formes de l’acte et les énonciations qu’il doit
renfermer.
Evidemment tout acte qui s’écarterait de ces formes,
ou qui ne mentionnerait pas ces indications, ne pour
rait constituer un protêt. Dès lors aussi les effets de son
absence seraient acquis contre le porteur.
C’est ce qui s’induit de la disposition de l’article 175,
qui, tout en confirmant la nécessité du protêt, rend
hommage à ce caractère de la déchéance que nous
avons déjà rappelé.
Ainsi, la nécessité du protêt n’est pas marquée au
coin de l’ordre public, de l’intérêt général. Elle peut
dès lors être l’objet de transactions des parties libres
d’en dégager le porteur.
565. — Remarquons, en effet, que les actes que
l’article 175 refuse d’accepter comme suppléant le pro
têt sont ceux qui émaneraient du porteur inclusivement.
�A RT.
Le protêt est autant
dans le sien propre.
sance dans laquelle
tendrait à déroger au
175,
176.
267
dans l’intérêt des endosseurs que
On comprend dès lors l’impuis
le place la loi, pour tout ce qui
droit des premiers.
Mais il ne saurait en être de même des endosseurs.
Libres de renoncer à un bénéfice tout personnel, les
traités qu’ils auraient faits à cet égard avec le porteur
recevraient leur pleine et entière exécution. Ils peuvent
dispenser du protêt lui-même, à plus forte raison pour
raient-ils déclarer qu’ils accepteront, comme équivalent,
tel ou tel acte.
Mais en l’absence de consentement ou de concours de
leur part, tout ce que le porteur ferait en ce sens reste
rait nécessairement sans effet. Vainement donc exciperait-il, à défaut de protêt, de la sommation faite à l’ac
cepteur ou au tiré, de l’assignation en justice donnée à
l’un ou à l’autre, des poursuites qui auraient suivi, de
la condamnation qui serait intervenue, chacun de ces
actes ne serait efficace contre les endosseurs que s’il
avait été lui-même précédé du protêt. Ils ne pourraient
donc dans leur ensemble y suppléer. Nous avons vu
qu’il ne pourrait même l’être par le procès-verbal de
perquisition.
• Cette règle ne cède que devant l’impossibilité maté
rielle de dresser le protêt, c’est-à-dire en cas de perte de
la lettre de change. Dans ce cas, la loi se contente d’un
acte de protestation dans les formes et les délais pres
crits par l’article 153.
�268
DE LA LETTRE DE CHANGE.
— Il en est des protêts comme de tous les
actes confiés à des officiers ministériels ou publics. Leur
rédacteur est tenu de leur donner toutes les formes né
cessaires pour leur validité, il répond, non seulement
de leur confection, mais encore de leur régularité. Par
exemple, l’huissier ou le notaire qui s’est borné, dans
le cas de l’article 173, à rédiger un acte de protestation
sans le faire suivre du protêt, est garant de l’omission et
doit indemniser le porteur du préjudice que celle-ci
peut lui occasionner1.
La responsabilité de la violation des formes est écrite
dans les articles 1 3 8 2 ,1 3 8 3 du Code civil, dans la loi
de l’an xi, dans les articles 71 et 1031 du Code de
procédure civile. Son principe n’est et ne saurait être ni
contestable, ni contesté.
Ce qui a donné naissance h des difficultés, c’est son
étendue. L’officier instrumentaire ne répond-il qu’à
l’endroit du porteur, est-il au contraire tenu vis-à-vis de
tous les souscripteurs ?
566.
S© 1? . — Dans le premier sens, on a fait remarquer
que l’officier instrumentaire n’est le mandataire que du
porteur ; qu’en conséquence nul autre que celui-ci ne
peut lui demander compte de l’exécution donnée au
mandat.
On a ajouté que la non recevabilité de l’action des
endosseurs était d’autant plus juste, que la nullité du
1 Rouen, 8 juillet 1811. Nancy, 29 janvier 1831.
�ART. H 5 ,
176.
269
fait de celui qui a reçu le protêt ne saurait lui nuire,
car ils peuvent en exciper pour s’affranchir de l’obliga
tion de rembourser ; que si, la connaissant, ils ont
néanmoins rempli cette obligation, ils sont présumés
avoir renoncé à se prévaloir de la nullité ; s’ils ont rem
boursé avant de pouvoir connaître cette nullité, ils ont
agi avec imprudence, et c’est cette imprudence qui leur
nuit, bien plutôt que. la faute du notaire ou de l’huis
sier. Ils doivent donc en subir toutes les conséquences.
La force, la justesse de ces considérations n’avaient
fait aucune impression sur la cour de Paris. Elle s’était
donc prononcée pour l’opinion contraire en jugeant, le
8 janvier 1834, que l’huissier recevant un protêt est
l’homme de la loi et le mandataire forcé de tous les
endosseurs ; qu’il est dès lors responsable à l’égard de
tous.
5 6 8 . — Mais, déféré à la Cour suprême, cet ar
rêt a été cassé en force des motifs que nous venons
d’exposer et dont la Cour régulatrice fait une littérale
application. Pour elle, l’endosseur qui a remboursé
sans s’assurer de la validité du protêt est présumé avoir
renoncé à se prévaloir de la nullité vis-à-vis de l’huis
sier1.
Déjà la Cour de cassation avait eu à se prononcer sur
notre question, et l’avait décidée dans le même sens, en
l Cass., 17 juillet 1837. J. du P ., 2, 4837,71.
�270
DE LA LETTRE DE CHANGE.
rejetant, le 29 août 1832, un pourvoi dirigé contre un
arrêt de Toulouse.
56». — Dans cette espèce, le premier degré de ju
ridiction avait singulièrement étendu la responsabilité
de l’huissier. Il déclarait que l’huissier qui avait reçu le
mandat formel de protester à un domicile indiqué était
tenu de la nullité résultant de ce que ce domicile n’était
pas celui où le protêt devait être fait. L’huissier, disait
le tribunal d’Alby, ne doit suivre d’autres ordres que
ceux qui lui sont dictés par ses devoirs, sans quoi il se
rait souvent exposé à s’en écarter et à faire des actes
nuis, ce qui pourrait compromettre la sûreté et la ga
rantie des tiers.
C’était là un singulier principe. Mais le devoir de
l’huissier n’est-il pas de se conformer aux ordres de
son mandant ? Est-il, lui, en position de discuter l’or
dre qu’il reçoit ? Ne doit-il pas croire que le domicile
où on l’envoie a été convenu entre les parties par une
dérogation aux indications de la lettre de change ?
Il n’est donc pas étonnant que la cour de Toulouse,
investie de la connaissance du litige, l’ait décidé dans
un sens contraire. Attendu, dit l’arrêt rendu le 8 mai
1830, que si l’huissier peut être responsable des omis
sions de formalités d’exploit, indépendantes de tout
mandat spécial, il ne peut l’être des nullités pour erreur
dans la personne ou dans le domicile auxquels il les
notifie conformément au mandat du requérant.
Mais, d’où s’induira l’existence de ce mandat? Du
�ART. 175, 176.
271
payement des frais faits postérieurement à l’huissier, ré
pond la cour de Toulouse. Cette appréciation, comme
celle de la responsabilité de l’huissier, fut vainement
querellée. Nous avons déjà dit que la Cour suprême les
sanctionnait l’une et l’autre par son arrêt du 29 août
1832.
S 1?©. — A insi, l’officier instrumentaire répond des
nullités résultant de l’inobservation ou de l’omission
des formalités exigées pour la validité de l’acte. Il y a
alors impéritie, ou négligence, ou ignorance de ce qu’il
est obligé de savoir, par conséquent faute lourde, et dès
lors nécessité de réparer le préjudice pouvant en ré
sulter 1.
Mais cette responsabilité n’existe réellement qu’à l’é
gard du porteur qui a requis le protêt. Personne ne se
rait recevable à en invoquer les effets. Aux arrêts déjà
invoqués, nous pouvons en ajouter un nouveau, rendu
par la cour de Rouen le 1er juin 1843.
5 Ï 1 . — Cet arrêt tranche la question à un point de
vue qui n’avait pas encore été agité. On soutenait, en
effet, que si les endosseurs n ’avaient personnellement
aucun droit contre l’officier instrumentaire, on devait
les admettre à exciper de sa responsabilité comme su
brogés aux actions du porteur qu’ils avaient désintéres
sés. Mais la négative est très rationnellement consacrée.
i V. notre Traité du dol, t. 4, ch. 3, sect. v, n0l! 475 et suiv.
�272
DE LA LETTRE DE CHANGE.
« Le remboursement malgré l’existence de la nullité,
ou avant de l’avoir vérifiée, dit la Cour, fait présumer
la renonciation à s’en prévaloir, et cette présomption est
générale et absolue. On ne saurait donc la faire dispa
raître à l’aide d’une prétendue subrogation. Celle-ci
existât-elle réellement, l’endosseur ne pourrait faire va
loir que les droits personnels du subrogeant, qui, dé
sintéressé par le remboursement qu’il a obtenu, est à
l’abri de tout préjudice. Comment l’endosseur action
nera-t-il donc l’huissier en responsabilité d’un préju
dice quelconque, lorsqu’en fait le porteur n’en éprouve
aucun1 ?
SOS. — Les réserves que ferait l’endosseur qui
rembourse auraient-elles pour résultat de l’autoriser à
recourir contre l’huissier?
Il est évident que ces réserves ne pourraient changer
l’état des choses, ni faire que l’huissier ou le notaire eût
été le mandataire de l’endosseur. Elles ne sauraient
donc créer une action directe et personnelle qui n’a ja
mais existé.
Mais leur effet pourrait rejaillir contre l’officier ins
trumentaire. Nous avons déjà dit que l’endosseur qui
n’aurait remboursé que sous toutes réserves, en cas de
nullité du protêt, pourrait, lors de la découverte de
celle ci, revenir contre le porteur et se faire restituer.
Le préjudice résultant de la nullité resterait donc à la
�ART. 175, 176.
273
charge de ce dernier, qui serait recevable et fondé à en
exiger la réparation de son auteur. Cette demande se
rait évidemment accueillie, pourvu que le porteur ne se
fût pas rendu non recevable à l’intenter.
553. — L’article 176 ajoute de nouvelles obliga
tions à celles que les lois professionnelles imposent aux
notaires et aux huissiers. Ces obligations sont : 1° de
laisser aux parties une copie exacte des protêts ; 2° de
les transcrire en entier, jour par jour et par ordre de
dates, dans un registre particulier, côté, paraphé et
tenu dans les formes prescrites pour les répertoires. Ces
obligations sont édictées sous peine de destitution, dé
pens et dommages-intérêts envers les parties.
Cette sanction pénale est aussi sévère qu’énergique.
La loi ne se contente plus de celle qu’elle avait consa
crée jusque-là. Aux frais, aux dommages-intérêts prévus
et prescrits par la loi de l’an xi et par les articles 71 et
1031 du Code de procédure civile, elle ajoute la desti
tution. Cette sévérité ne peut s’expliquer autrement que
par les exigences de l’intérêt général du commerce, si
directement affecté par tout ce qui se rapporte à la
création, à la circulation et aux effets de la lettre de
change, son premier et plus puissant levier.
L’ordonnance de 1673 prescrivait de laisser^copie du
protêt, elle en garantissait l’exactitude en assimilant au
faux tout ce qui s’en écartait. Aujourd’hui toute inexac
titude ne constituerait pas un faux, une omission quel
conque notamment. Les énonciations mensongères mêh
— 48
�274
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes ne pourraient être considérées comme tel que si,
résultat d’une intention frauduleuse, elles étaient dans
le cas d’occasionner un préjudice.
05(4. — Des termes de l’article 176, les huissiers et
notaires sont tenus de laisser copie exacte du protêt,
il semble résulter que cette copie ne peut être donnée
qu’au domicile même où l’officier instrumentaire a dû
se transporter. De là la question de savoir ce qu’il en
serait de la signification faite, non au domicile, mais
à la personne du tiré. Cette signification serait-elle va
lable ?
L’affirmative se fonderait sur l’article 68 du Code de
procédure civile, mettant sur la même ligne les exploits
faits à personne ou à domicile.
Mais, dit M. Nouguier, l’article 176 consacre à l’ar
ticle 68 une dérogation dont le but est facile à saisir. Le
tiré d’une lettre de change ne peut avoir sur lui les
fonds nécessaires à son acquit. Par exemple les ban
quiers, qui aux fins des mois ont à payer des centaines
de mille francs, ne sauraient transporter sur eux et avec
eux des sommes considérables. Les provisions pour
leurs effets sont dans leur domicile, dans leur caisse ; il
fallait donc de toute nécessité que la réquisition du
payement et la protestation de son refus aient lieu en
la demeure du débiteur 1.
Cette opinion de M. Nouguier a pour fondement un
�ART. 175, 176. .
275
<*
avis du conseil d’Etat, du 25 janvier 1807, antérieur
par conséquent, il est vrai, au Code de commerce. Mais
celui-ci n’ayant, sur ce point, rien innové sur la légis
lation précédente, ce qui était vrai sous celle-ci est de
meuré tel sous l’empire du Code.
C’est ce qui a été formellement jugé par la cour de
Bordeaux, par arrêt du 18 juin 1834.
Cependant la cour d’Angers ayant décidé qu’il n’y a
pas nullité de l’acte de protêt lorsqu’il a été signifié à la
personne du tiré hors de son domicile, au lieu de l’être
à celui-ci, si d’ailleurs il n’est résulté de là aucun pré
judice pour les parties intéressées, la Cour de cassation
consacrait sa doctrine en rejetant, le 20 janvier 1835,
le pourvoi dont son arrêt avait été l’objet.
S’il fallait examiner la question en droit pur et ri
goureux, l’opinion de M. Nouguier et de la cour de Bor
deaux paraîtrait plus juridique que celle de la cour
d’Angers. Mais une pareille appréciation est-elle admis
sible en matière commerciale ? La volonté de la loi de
ne lui imposer ni règles absolues, ni prescriptions trop
précises, n’a-t-elle pas été mille fois proclamée dans la
discussion du Code ?
Comment décider le contraire dans une hypothèse où
les considérations qu’on invoque n’ont elies-mêmes rien
d’absolu ? M. Nouguier a raison, c’est au domicile et
dans la caisse du tiré que l’on trouve la provision; mais
ce n’est pas pour retirer celle-ci que la lettre de change
est remise en mains du notaire ou de l’huissier, préala
blement à cette remise, celte lettre a été présentée et le
�276
DE LA LETTRE DE CHANGE
payement refusé ; le notaire ou l’huissier n’ont donc
qu’à constater ce refus. Or, qu’ils en reçoivent la dé
claration de la bouche du tiré ailleurs que dans son
domicile, le résultat n’est-il pas identique.
Donc, puisque les juges du commerce sont surtout
institués pour obéir aux inspirations de l’équité ; puis
que dans tous les cas la loi fait appel à leur apprécia
tion, pourquoi vouloir le contraire dans cette circons
tance? Dès lors et le principe de cette appréciation
admis, en subordonner le résultat à l’existence d’un
préjudice, n’est-ce pas lui assigner une base rationnelle
et juridique?
L’arrêt de la cour d’Angers peut donc être avoué
comme conforme, en principe, à l’esprit de la loi, mais
nous lui refusons ce caractère comme arrêt d’applica
tion. Sous ce rapport, la Cour de cassation ne l’a sanc
tionné que parce que la constatation en fait ne pouvait
devenir l’objet de sa censure.
En effet, dans l’espèce la lettre de change était paya
ble à Mamers, et c’était à Alençon que, le lendemain de
l’échéance, elle était présentée au tiré casuellement ren
contré dans cette dernière ville.
Ainsi rien n’établissait que le payement eût été re
quis à Mamers le jour de l’échéance, l’existence de la
lettre à Alençon, le jour fatal pour le protêt, semblait
indiquer l’impossibilité de le requérir utilement au lieu
où la lettre de change était payable.
1
Il y avait donc un défaut de diligence, dont le hasard
ne pouvait relever le porteur, Sur ce point donc la ques-
�art.
175, 176.
277
lion du préjudice était fort indifférente. Sans doute lors
que le protêt a été fait dans la ville même où la lettre
était payable, et que l’officier instrumentaire s’est adressé
personnellement au tiré, la nullité du protêt serait une
rigueur injuste. Cet officier, dirait-on, n’avait que quel
ques pas à faire pour arriver au domicile, pourquoi y
serait-il allé recevoir une réponse que la personne inté
ressée venait de lui donner ? Quel est dans tous les cas
le préjudice que le défaut de transport dans ce domicile
a pu occasionner ?
Ces objections, rationnelles et justes dans cette hypo
thèse, ne sont même pas proposables lorsque, le lende
main de l’échéance, la lettre de change est présentée
dans un pays autre que celui où elle est payable. Les
endosseurs diront avec juste raison le défaut de protêt
dans les vingt-quatre heures amenait de plein droit no
tre libération. Or, comment admettre que ce protêt ait
pu être dressé en temps utile, lorsqu’il n’est pas même
démontré que vous eussiez pu faire arriver à temps
la lettre de change sur le lieu où elle devait être pré
sentée.
Nous croyons donc que si le protêt fait à ls personne
et non au domicile du tiré peut être validé, ce ne sera
jamais dans l’hypothèse où le protêt joindra à celte cir
constance celle d’avoir été réalisé ailleurs que dans la
localité sur laquelle la lettre de change était tirée, et
dans laquelle elle devait se trouver depuis la veille au
moins. En décidant le contraire, la cour d’Angers a
�278
DE LA LETTRE DE CHANGE.
fait une application inexacte d’un principe juste d’ail
leurs.
595. — La seconde obligation résultant de l’article
176 est la nécessité pour les notaires ou huissiers de
transcrire les protêts en entier, jour par jour et par or
dre de dates, sur un registre spécial.
Les actes de protêt accompagnent le titre protesté.
Nécessairement destinés à être transmis d’une localité
sur une autre, ils sont exposés à toutes les chances de
perte résultant des distances qu’ils doivent parcourir
pour retourner successivement entre les mains des di
vers endosseurs.
Ils peuvent donc s’égarer comme le titre lui-même,
et cependant leur possession est indispensable pour que
ces endosseurs puissent être poursuivis. Il n’existait au
cun moyen d’en suppléer la production, puisqu’il ne
reste dans les bureaux de l’enregistrement qu’une trace
trop imparfaite pour arriver à ce résultat, et réparer
ainsi les effets de la perte.
Celle-ci, disait la commission, se réalise assez fré
quemment pour que nous ayons dû la prévoir, et c’est
pour suppléer autant que possible même à la négligence
des huissiers que nous les avons obligés de tenir un re
gistre où seront transcrits jour par jour les actes de pro
têts, afin que les parties puissent au besoin s’en pro
curer des expéditions.
Ce que la loi a réellement voulu, c’est en quelque
sorte une minute des actes de protêts, destinée à sup-
�ART. 178, 176.
279
pléer à la perte ou à la destruction du titre original. Il
est vrai que cette minute n’est jamais signée par les par
ties. Ce qui n’empêche nullement que les expéditions
qui en seraient délivrées ne méritent toute confiance.
Nous verrons tout à l’heure l’article 181 renvoyer à ces
expéditions.
55(6. — L’article 176 a donc pour objet principal
de suppléer aux accidents pouvant occasionner la des
truction ou la perte du protêt. Cette intention rend rai
son des précautions pour assurer la régularité et l’exac
titude du registre prescrit.
Ainsi la transcription doit être entière, elle doit être
faite jour par jour et par ordre de dates, le registre luimême doit être coté et paraphé de la même manière
que le répertoire pour les actes ordinaires.
La tenue du registre est garantie par la sanction pé
nale de l’article 176 lui-même. Mais, cet objet réglé,
restait à se prémunir contre la résistance du détenteur à
le communiquer, contre les irrégularités qu’il pouvait
contenir.
Or, la constatation de ces irrégularités appartient à la
régie de l’enregistrement. Cette mission suppose pour
ses préposés le droit de se faire représenter le registre
toutes les fois qu’ils le jugent convenable, c’est ce que
la Cour de cassation a expressément jugé, le 8 juillet
1839 K
1 J. du P., 1, 1839, 141.
�280
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le refus de l’huissier ou du notaire d’obtempérer à
la réquisition de communiquer le registre des protêts,
la contravention que l’un ou l’autre aurait commise, fe
rait encourir une amende à prononcer par les tribu
naux, mais cette peine étant purement fiscale, la pour
suite en appartient exclusivement à la régie de l’enre
gistrement. Le ministère public serait non recevable à
l’exercer l.
Il n’en est pas de même de la destitution autorisée
par l’article 176. Elle ne peut être demandée que par le
ministère public soit principalement et directement par
voie disciplinaire, soit accessoirement à la poursuite in
tentée par la partie en réparation du préjudice que lui
occasionnerait l’impossibilité de se procurer une ex
pédition du protêt, en cas de destruction ou de perte
de l’original.
Cass., 30 janvier 1840. J. du P., 2, 1843, 771.
�§ XIII.
----
Dü
ARTICLE
RECHANGE
177.
Le rechange s’effectue par une retraite.
ARTICLE
178.
La retraite est une nouvelle lettre de change, au
moyen de laquelle le porteur se rembourse sur le ti
reur, ou sur l’un des endosseurs, du principal de la
lettre protestée, de ses frais, et du nouveau change
qu’il paye.
SOMMAIRE
577.
Caractère du rechange. Signification que le Code donne à
ce mot.
578. Son fondement comme moyen, pour le porteur de se rem
bourser du montant de la lettre protestée.
579. Son origine. Sa nature réelle.
580. Conditions qu’exige sa réalisation.
58t. Le porteur usant de la voie de la retraite est-il soumis à
faire les diligences prescrites pour conserver le recours
contre les endosseurs ?
582. L’endosseur qui a remboursé peut, comme porteur, four
nir une retraite.
�282
583.
584.
585.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Pour qu’il y ait lieu à retraite, il faut qu’il y ait remise de
place en place. Conséquences pour celui à qui la lettre
a été négociée dans le lieu même où elle est payable.
Q u id , lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre ?
Différence entre la disposition de l’article 164 et celle de
l ’article 178. Ses motifs.
S 1?®. — L’emploi de poursuites judiciaires pour
obtenir payement d’une lettre de change est peu compa
tible avec les allures habituelles du commerce, avec ses
besoins réels. Le commerçant doit d’autant plus être
soldé au jour de l’échéance, que déjà et avant même
celle-ci, les fonds qu’il doit recevoir ont reçu une affec
tation spéciale à laquelle on ne saurait les soustraire
sans des graves inconvénients.
Cette prévision imposait un devoir au législateur. Il
fallait trouver un moyen de nature à faire éviter tout
retard et à remplacer dans tous les cas le payement ef
fectif lui-même. Ce moyen, c’était le rechange, c’est-àdire l’opération par laquelle le porteur d’un effet de
commerce protesté se fait remettre par un tiers le mon
tant de cet effet, en échange duquel il livre une traite
sur un des signataires de la lettre de change originaire.
Cette nouvelle et seconde lettre de change s’appelle une
, retraite.
Le mot rechange a une autre signification. On qua
lifie ainsi le change même que paye le tireur de la re
traite. C’est dans cette seconde acception que l’article
179 nous parlera tout à l’heure du rechange. C’est dans
�art.
177, 178.
283
le premier sens que nous le rencontrons dans l’ar
ticle 177.
S Ï S . — Sous ce rapport, le rechange repose sur
une idée fort simple. Le porteur doit être payé à l’é
chéance, et telle est l’obligation que les tireur et endos
seurs ont contractée envers lui. Or, l’exécution littérale
de cette obligation peut être d’un puissant intérêt pour
le porteur ; dans tous les cas, il ne saurait être tenu
d’aller chercher ailleurs, que sur la place où il voulait
et devait être payé, le montant de ce qui lui est dû.
Sans doute, en tirant sur les débiteurs, il occasion
nera des frais, mais ces mêmes frais ne seraient-ils pas
à la charge de ceux-ci s’ils étaient obligés de faire arri
ver les fonds au lieu où la lettre de change était paya
ble ? En réalité donc la retraite leur est plutôt avanta
geuse en les exonérant des dangers que pourrait offrir
le transport de l’argent.
5 2 9 . — L’invention du rechange est attribuée aux
Gibelins, lorsque, chassés de leur patrie par les Guelphes, ils vinrent se réfugier à Amsterdam. Là, dit Roubeau, ils commentèrent sur l’invention des Juifs, pré
tendant des dommages-intérêts quand leurs lettres de
change n ’étaient point acquittées, et ces dommagesintérêts ont été depuis appelés, en cette matière, re
change x.
1 lnstit. du droit consulaire, ch. v, p. 488.
�284
DE LA LETTRE DE CHANGE.
C’est bien là effectivement le caractère que le rechange
conserve encore. Les articles 177 et suivants ne sont,
en effet, qu’une application spéciale du principe consa
cré par les articles 1142, 1146, 1147 et suivants du
Code civil.
Or, le défaut de payement, à l’échéance d’une lettre
de change, met le porteur dans la nécessité de se rem
bourser par le ministère d’un tiers. Mais ce rembourse
ment occasionne des frais, et partant un préjudice de
vant rester à la charge de celui qui a manqué à son
engagement. Dès lors, la loi appliquant elle-même les
conséquences de l’inexécution, détermine la qualité des
dommages-intérêts dont il est tenu. Ces dommages-in
térêts consistent dans le remboursement obligé, non
seulement du capital de la lettre de change, mais en
core des intérêts s’il en est dû, des frais s’il en a été
exposé, et, dans tous les cas, du nouveau change payé
à l’occasion de la retraite.
Cependant, le défaut de payement peut avoir eu pour
le porteur d’autres plus funestes conséquences. La loi,
dans l’intention de favoriser l’institution des lettres de
change, n’en a tenu aucun compte dans la supputation
des dommages-intérêts. Mais cette observation ajoute en
quelque sorte au caractère si éminemment juste des li
mites qu’elle leur a tracées. De quoi se plaindraient les
endosseurs et le tireur ? Ils avaient tous contracté l’obli
gation de faire payer la lettre de change à son échéance.
La violation de cette promesse les constitue en état fia-
�art.
177, 178.
285
grant d’inexécution de leur engagement. Ils sont dès
lors tenu de réparer le préjudice en résultant.
L’article 178 n’est donc qu’une application mitigée
du principe consacré par l’article 1149 du Code civil.
5 8 0 . — Mais, dans ces limites mêmes, l ’article 178
n’en crée pas moins une peine contre les tireur et en
dosseurs. De là, la nécessité de n’y recourir que dans
les cas strictement prévus.
Nous avons déjà dit que, dans certaines circonstan
ces, la voie de la retraite est plus avantageuse au por
teur que ne le serait le payement lui-même. On com
prend donc qu’obéissant à son intérêt, il pourrait re
courir à l’un, avant même de s’être mis en mesure de
recevoir l’autre.
Ce n ’est pas celte spéculation que la loi a entendu to
lérer. En la proscrivant, les tribunaux ne font donc que
remplir un devoir consciencieux et légal.
De là, ces solutions de la jurisprudence : 1° que la
voie de la retraite n ’est ouverte qu’après l’échéance des
traites qu'elle représente. Tant que le débiteur est dans
les délais du payement, le créancier ne saurait se plain
dre d’aucun préjudice et par conséquent prétendre à
une réparation quelconque 1 ;
2° Que la retraite ne peut être réalisée qu’après la
constatation légale du refus de payement. L’article 178
parle du remboursement du capital de la lettre de
i Colmar, 9 avril 1843.
�286
DE LA LETTRE DE CHANGE.
change p r o t e s t é e , ce qui précise l’intention de la loi.
D’ailleurs, la nécessité du protêt, pour que le porteur
soit recevable à agir de quelque manière que ce soit,
justifierait la conséquence que nous tirons des termes
de l’article 178. Gomment concevoir une retraite sur le
tireur ou l’endosseur, si le refus de payement ne s’est
pas réalisé, ou si, pour absence ou pour tardiveté du
protêt, le porteur avait perdu tout recours contre eux x.
581. — A cette occasion s’est agitée la question de
savoir si le porteur, usant de la voie de la retraite, est
dispensé de faire toutes autres diligences. N’aurait-il pas
perdu tout recours si la retraite retournait impayée
après l’expiration des délais fixés pour la notification du
protêt et la citation ?
A l’appui de la négative, on a dit : l’emploi de la re
traite suppose nécessairement l’abandon de toutes pour
suites ordinaires pour le recours ; puisque le porteur
se rembourse au moyen de la retraite (art. 178), il n’a
plus rien à demander aux voies ordinaires ; comment
assignera-t-il en payement d’une somme qui lui a été
versée au moyen de la négociation de la retraite ? Il
peut avoir contre les signataires de la lettre de change
originaire une action en garantie dans le cas où celui
sur qui il a fait retraite ne s’acquitterait pas et où il se
rait poursuivi lui-même par le porteur de cette retraite,
voilà tout ; mais puisqu’il s’est payé lui-même, il n’a
i Merlin v° Lettres et billets de change. Rép. § 3, n° 3.
�plus de payement à demander ; les poursuites pour ob
tenir ce payement ne sauraient donc être continuées l.
Tout cela est parfaitement juste dans l’hypothèse du
payement de la retraite, surtout si elle est fournie sur le
tireur. Alors, en effet, tout est fini, la lettre de change
est réellement payée, et avec l’obligation principale s’é
teignent toutes les obligations accessoires.
Mais au moment de la création de la retraite, son
payement est encore problématique, et la prudence exige
de son auteur qu’il suppose que le payement n’aura
pas lieu. Cette hypothèse se réalisant, on reconnaît qu’il
aura une action en garantie contre les signataires de la
lettre de change originaire, mais que deviendrait cette
action, si le principe sur lequel elle repose, c’est-à-dire
le recours, a été perdu faute d’avoir été exercé en temps
utile ?
Tout donc fait un devoir au porteur de la lettre de
change de mener de front les deux opérations, la pour
suite dans la quinzaine et la création de la retraite. On
: ne saurait lui en prohiber le cumul, que si la loi eût
déclaré suspendre le cours de la déchéance depuis la
création de la retraite jusqu’au jour du refus de son
payement, ce qui était d’autant moins possible, que
c’eût été attacher l’interruption de la prescription à un
acte exclusivement personnel à celui contre lequel cette
prescription s’acquiert.
Aussi la loi a-t-elle gardé à cet égard le plus absolu
1 Rép. du J. du P., v° Rechange, n°8 39 et suiv.
�288
DE LA LETTRE DE CHANGE
silence. Ce silence est d’autant plus significatif, qu’elle
avait été mise en demeure de s’expliquer. En effet, dans
ses observations, la cour de Riom notamment deman
dait si le porteur fournissant la retraite encourait la dé
chéance envers les endosseurs, ou si son action était
seulement suspendue jusqu’au refus de payement de la
nouvelle traite.
L’absence d’une réponse prouve que la loi a désiré
rester dans le droit commun de la matière, ce qui fait
dire à M. Locré que les articles 165 et 168 n’exceptent
pas de la règle qu’ils établissent le porteur qui use de
la voie de retraite ; mais que ce porteur n’est pas dans
l’alternative d’abandonner ou ce moyen ou son action.
Rien ne l’empêche de poursuivre le garant, quoiqu’il
ait tiré sur lui, que même l’article 185 suppose qu’il le
fera toujours ; que si la retraite est payée, les poursuites
sont éteintes comme devenues sans objet, le créancier
ayant obtenu satisfaction h
Ainsi le porteur de la lettre protestée peut cumuler la
voie de la retraite et la poursuite dans les formes et dé
lais prescrits. Cette faculté était indispensable pour la
conservation du recours contre les signataires précé
dents, mais il n’est pas obligé d’en user, et le plus or
dinairement on s’en abstient, parce que ce recours peut
être conservé autrement.
On n ’a, en effet, qu’à fournir la retraite à une échéan
ce antérieure au délai de quinzaine. De telle sorte que
t E sprit du Code de commerce, art. 177.
�art.
177 , 178 .
289
si le payement en est refusé, le protêt de la traite ori
ginaire puisse être notifié avec assignation en temps
utile.
La retraite, si elle est fournie sur un endosseur inter
médiaire, doit être combinée de telle sorte que celui-ci
puisse être en mesure de réaliser utilement son recours.
Il convient, de plus, qu’elle soit acompagnée du protêt
et de la lettre de change originaire, et que le tout soit
remis au moment du payement de la traite nouvelle.
L’endosseur qui paye celle-ci doit à son tour notifier
le protêt et donner citation à ses garants dans la quin
zaine de ce payement. A défaut de citation qu’il ferait
refluer contre eux, il doit recevoir les pièces originales,
bases de son droit et qui lui permettent de l’exercer.
Le refus qu’il ferait de payer la retraite, soit parce
qu’elle ne lui serait présentée qu’à une époque où il ne
pourrait plus exercer son recours, soit parce qu’on ne
le mettrait pas en position de le faire par la remise de
la lettre de change originaire et du protêt, serait sanc
tionné par la justice.
La voie de la retraite est la seule possible, lorsque la
lettre de change a été tirée et endossée avec la clause
retour sans frais. Alors, en effet, il n’y a plus à re
courir en justice, de déchéance à redouter. Alors aussi,
plus aucun délai ni aucune formalité à observer et à
remplir pour la présentation et le payement de la nou
velle traite.
589. — L’article 178 ne donne le droit de tirer la
n — 19
�290
D E LA
LETTRE DE
CHANGE
retraite qu’au porteur, mais cette qualification ne sau
rait être acceptée dans un sens exclusif. La loi ne l’a
employée que parce qu’il s’agissait de désigner le pos
sesseur de la lettre de change au moment de l’échéance
et du protêt.
Si celui-ci a obtenu de son cédant le remboursement
de ce qui lui est dû, il n’y a plus d’autre porteur que
ce dernier. Seul intéressé au remboursement ultérieur,
il est libre de l’exiger dans la forme qui lui paraît la
plus convenable, et notamment par la voie de la re
traite. L’article 178 ne saurait, de près ni de loin, four
nir le prétexte à une controverse.
583.
— Il y a même mieux, il est telle hypothèse
où le porteur réel ne pourra recourir à la création
d’une retraite, tandis que son cédant sera recevable à
le faire.
En effet, la retraite est une nouvelle lettre de change,
son existence suppose donc a 'priori la remise de place
en place.
Supposez qu’un commerçant a négocié la lettre sur le
lieu même où elle est payable. Si la lettre est protestée,
le porteur n’a pas d’autre droit que celui de se présen
ter chez son cédant et d’y prendre son remboursement.
On ne tire pas une lettre de change lorsqu’elle doit être
payée sur le lieu même où l’on a donné l’argent en for
mant la valeur l.
i Pardessus. Droit comm,, n° 44S.
�ART. 177, 178.
291
Donc, le porteur ne pourrait fournir une retraite,
> .
0
mais il en serait autrement do cédant qui, après avoir
remboursé le porteur, aurait à exiger le payement d’un
endosseur habitant une autre localité, la voie de la re
traite lui serait seule ouverte, en cas qu’il la préférât à
l’action en justice. On ne pourrait exiger de lui qu’il se
transportât dans le domicile de son endosseur, ce qui
d’ailleurs ne saurait s’exécuter qu’en donnant lieu à des
frais supérieurs au coût du change que la retraite occa
sionnera.
584. — Du principe que la retraite ne peut être ti
rée que lorsque l’argent pris sur le lieu doit être rendu
dans une autre localité, M. Pardessus conclut qu’on ne
saurait recourir à cette voie dans l’hypothèse du rem
boursement d’un billet à ordre. Mais cette solution re
çoit naturellement exception lorsque le billet à ordre est
payable à un domicile autre que celui du souscripteur.
Le refus de payement à ce domicile contraint le porteur
à recourir contre celui-ci et à son domicile. Ce recours
pourrait et devrait être exercé au moyen d’une re
traite L
585. — L’article 164 permet au porteur de la lettre
de change protestée faute de payement de recourir in
dividuellement contre le tireur et chacun des endos
seurs, ou collectivement contre les endosseurs et le tii Colmar, 44 janvior 1847.
�292
DE LA LETTRE DE CHANGE
reur. L’article 178 n’offre plus cette alternative: Le por
teur pourra se rembourser sur le tireur ou sur l'un
des endosseurs.
La différence est sensible, mais la raison en est sim
ple. On peut, lorsqu’il existe plusieurs débiteurs soli
daires, les faire tous condamner à solder la dette, mais
on ne saurait se faire payer par chacun d’eux séparé
ment. Il ne peut jamais y avoir qu’un seul payement.
Quel que soit celui qui l’effectue, le créancier est com
plètement, intégralement désintéressé, il n’a plus rien
à exiger de personne.
Or, dans le cas de l’article 164, il s’agit d’une pour
suite judiciaire. Au contraire, l’hypothèse de l’article
178 porte sur un payement réel et effectif; comment
donc concevoir une manière d’agir autre que celle qu’il
consacre. D’une part, la retraite ne pourrait être tirée
sur plusieurs endosseurs collectivement, habitant des
localités différentes et souvent fort éloignées les unes des
autres.
D’autre part, la retraite n’étant créée qu’en échange
des fonds que reçoit le tireur, celui-ci se payerait donc
cinq à six fois s’il tirait autant de traites qu’il y a de
débiteurs solidaires. Chaque porteur de celles-ci ayant
un droit égal, on multiplierait les payements au risque
de voir celui qui les aurait cumulativement reçus se
trouver dans l’impossibilité de restituer à qui de droit.
La restriction de l’article 178 était donc dictée par la
raison. On devait la consacrer sous peine de tomber
dans une confusion compromettante et dangereuse.
�j_ ±
art.
179.
293
La retraite ne peut donc être tirée que sur un seul
des codébiteurs solidaires. Lequel ? C’est ce que le por
teur a seul le droit de déterminer, la loi lui laisse l’op
tion la plus absolue, et s’en remet exclusivement à sa
décision. L’exercice de ce droit ne saurait rencontrer
aucune objection, ni faire surgir aucune opposition fon
dée. Le créancier ne fait en réalité qu’user du droit qu’il
puise dans la solidarité des débiteurs.
ARTICLE
179.
Le rechange se règle, à l’égard du tireur, par le
cours du change du lieu où la lettre de change était
payable, sur le lieu d’où elle a été tirée.
Il se règle, à l’égard des endosseurs, par le cours du
change du. lieu où la lettre de change a été remise ou
négociée par eux, sur le lieu où le remboursement s’ef
fectue.
SOMMAIRE
586.
587-
Signification du mot rechange dans l ’article 179. A quelles
conditions il pourra être exigé.
A quelle époque a -t-o n dû en régler les proportions entre
les tireurs et endosseurs.
Système suivi en France avant et depuis l’ordonnance de
1673.
MM
iV-'Ai'
B ■V
�294
589.
590.
591.
592.
593.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Motifs qui le firent adopter par le conseil d ’Etat.
Inanité de cenx invoqués par le système contraire. Dé
monstration de M. Frémery.
Conséquences que présenterait le cumul des divers
changes.
Conséquences de la position que l’article 179 fait au tireur
et aux endosseurs.
Reproches que M. Frémery adresse à cet article. Exam en.
— Le rechange n ’a plus dans l’article 479
l’acception que lui donne l’article 177. Dans celui-ci, il
signifiait l’opération du porteur de la lettre de change
protesiée, tirant une nouvelle lettre pour se rembourser
de ce qui lui est dû ; dans notre article 179, le rechange
n’est plus que le prix du change que le porteur est
obligé de payer à celui qui lui fournit la valeur de la
traite, et dont il peut exiger la restitution.
En effet, l’exigence d’un change quelconque est la
conséquence de ce fait qu’il n’y a lieu à retraite que
lorsqu’il existe une remise de place en place. Or, dès
l’instant qu’il y aura valeur donnée dans un lieu, pour
la prendre dans un autre, il y aura nécessité de sup
porter un change quelconque.
586.
58®. — Qui doit en définitive supporter cette dé
pense ? Y a-t-il des proportions à établir entre le tireur
et les endosseurs de la lettre en retour ? Quelles sont ces
proportions ?
•
Ces questions ne pouvaient naître tant que la lettre
de change ne fut qu’un titre personnel et direct. Alors,
�en effet, elle n’offrait que trois personnes : le tireur, le
preneur et le tiré. Celui-ci ne payant pas, et le retour
de la lettre ne pouvant s’opérer que sur le tireur, lui
seul pouvait répondre de toutes les conséquences que le
défaut de payement amenait.
Mais lorsque, par l'adjonction de l’ordre, la lettre de
change put être indéfiniment transmise, aller d’un bout
du monde à l’autre, le règlement du change entre les
divers signataires devint aussi indispensable qu’urgent,
le cumul de tous ceux que les diverses négociations de
la lettre rendaient nécessaires pouvant, si on l’imposait
au tireur, singulièrement aggraver sa position. C’est ce
pendant cette règle que quelques pays avaient adoptée,
dont les villes de Lyon et du Puy demandaient la con
sécration.
588.
— Blais le contraire était depuis longtemps
suivi en France, notamment depuis l’ordonnance de
1673. Jousse trouvait le cumul désavantageux au com
merce et d’autant plus injuste que les diverses négocia
tions avaient été faites sans la participation du tireur et
pour le seul avantage de l'endosseur. S’il était permis,
ajoutait pittoresquement Bornier, de faire caracoler la
lettre par tous les lieux où on aurait des correspondants
qui se passeraient des ordres les uns aux autres, ce se
rait ruiner le commerce de ces lettres, et par cette usure
excessive faire payer trois ou quatre rechanges, e tc .1
1 Jousse et Bornier, sur l’article v, tit, vi de l’ordon.
�296
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ainsi l’ordonnançe, sauf l’exception que nous aurons
à constater en nous occupant des articles 182 et 183,
proscrivait le cumul. Le tireur n’était jamais tenu que
du change du lieu où la remise était faite, et non pour
les autres lieux où elle aura été négociée, sauf à se
pourvoir par le porteur, contre les endosseurs pour
le payement des rechanges des lieux où elle aura été
négociée, suivant leur ordre.
589.
— C’est ce système que le conseil d’Etat crut
devoir consacrer. On aurait pu à la rigueur, disait
M. Bégouen, considérer que le tireur, en livrant à la
circulation du commerce, une lettre à ordre, est censé
avoir véritablement donné la faculté indéfinie de négo
cier dans tous les lieux ; que les rechanges ne sont oc
casionnés que par son manquement à l’obligation de
faire les fonds à l’échéance, et en conséquence faire re
tomber sur lui seul la charge de tous les rechanges ac
cumulés.
Mais si, tout bien considéré, ce n’eût été que justice,
cette justice a semblé trop sévère, et comme chaque en
dosseur a réellement profité pour ses propres intérêts de
la faculté de négocier en tous les lieux qu’il lui a con
venu, il a paru qu’il y aurait plus de mesure, de modé
ration et même d’équité dans la disposition adoptée,
conforme d’ailleurs à l’usage le plus général du com
merce de l’Europe, comme à notre ancienne ordon
nance l.
1 Exposé des motifs.
�ART.
179.
297
590.
— On le voit, le système contraire se fondait
surtout sur ce que le tireur à ordre est présumé par
cela seul consentir à toutes les négociations dont l’effet
pourra être ultérieurement l’objet. M. Bégouen aurait
pu dire que cet argumeut manque de base. La clause à
ordre, objecte avec beaucoup de raison M. Frémery, in
flue sur la forme, non sur le droit. Ce n’est pas elle qui
renferme la faculté de disposer de la lettre de change,
faculté inhérente à la propriété qui en est acquise. Ainsi
le tireur en créant le titre, l’endosseur en le cédant
n’ont pas conféré au preneur ou au cessionnaire, com
me quelque chose de spécial et qu’ils pourraient rete
nir, le droit de négocier la lettre de change. Ce droit est
virtuellement compris dans la propriété même. Quel
propriétaire peut être empêché de disposer de sa chose?
Conséquemment le donneur de valeur qui cède et
transporte sa créance use d’un droit qui lui appartient,
et précisément parce que le cessionnaire n ’acquiert que
le droit du cédant, la position du tireur ne peut en être
aggravée. Il en est de même de tous les cessionnaires
successifs 1.
Le système du Code est donc tout aussi juste que le
système contraire. Ajoutons qu’il a de plus que celui-ci
le mérite incontestable d’être un obstacle à l’usure. On
pouvait facilement, suivant l’expression de Bornier, faire
caracoler la lettre sur diverses places, simuler des né
gociations n’ayant absolument en vue que de mettre le
1 Etudes sur le droit corn., p. 459.
�298
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur dans le cas de faire un bénéfice plus considéra
ble, en augmentant le change qu’il exigerait du tireur.
5 » 1 . — Pour bien saisir la gravité de ce reproche
et la véritable portée de l’article 179, un exemple nous
paraît utile, et cet exemple nous l’empruntons à M. Frémery.
Une lettre de change est tirée de Paris sur Bordeaux,
elle est successivement négociée à Paris, à Lyon, à
Rouen, à Marseille, au Havre, à Toulouse et à Bor
deaux. Présentée à l’échéance, elle est protestée. Le
cours du change de Bordeaux sur Paris est à un pour
cent.
Admettons que le capital et les frais de la lettre pro
testée s’élèvent à une somme de 1,200 fr. Voici ce qui
arrivera dans l’hypothèse du cumul des divers changes.
Le porteur de Bordeaux tirera sur l’endosseur de Tou
louse au change 1/2 0 /0 ............................... 1 .2 0 6
L’endosseur de Toulouse se remboursera
sur celui du Havre, change 2 0/0, à ajouter
24 fr. aux 1,206 f r ........................................ 1 .230
L’endosseur du Havre fournissant sur
Marseille, au change de 1 et 1/2 0/0, à
ajouter 18 fr...... ............................................. 1 .2 4 8
L’endosseur de Marseille tirera sur celui
de Rouen, change 1 et 3/4 0/0, à ajouter
21 f r .......................... ..................................... 1 .269
L’endosseur de Rouen fournira sur celui
de Lyon, change 1 0/0, à ajouter 12 f r . . . 1.281
�ART.
179.
299
Enfin, l’endosseur de Lyon se pourvoira
sur son cédant à Paris au change de 1/2 0/0,
à ajouter 6 fr................................................... 1.287
Donc le donneur de valeur à Paris se fera rembour
ser 1,287 fr. par le tireur. Or, qu’aurait payé celui-ci
si la retraite avait été directement faite de Bordeaux sur
Paris? 1,212 fr. seulement, puisque nous avons sup
posé que le change entre ces deux places était à un
pour cent.
C’est donc 75 fr. de plus que le tireur payera par
l’unique motif que la lettre de change a été négociée en
divers lieux. Ce résultat s’aggravera nécessairement si
les négociations ont été plus nombreuses, si la lettre de
change a voyagé à l’étranger, si le change est plus cher,
enfin si l’on tient compte des fractions que nous avons
négligées pour la clarté de l’exemple.
Ce résultat pouvait influer d’une manière fâcheuse
sur le commerce des lettres de change, il convenait donc
de l’empêcher en divisant la perte entre les divers inté
ressés. Cette division était d’autant plus juste que cha
que endosseur est en faute comme le tireur lui-même.
Il avait, en effet, comme lui, contracté l’engagement de
faire trouver les fonds à l’échéance, et cet engagement
il ne l’a pas tenu.
598. — Voici donc la position que l’article 179
fait au tireur et aux endosseurs.
Dans l’exemple que nous citions tout à l’heure, le
premier n ’aura jamais à supporter que le change de
�500
DE LA LETTRE DE CHANGE
Bordeaux sur Paris, soit un pour cent, ce qui représente
avec le capital un total de 1,212 fr.
Mais le porteur de Bordeaux tirera sur son cédant de
Toulouse, capital 1,200 fr. change demi pour cent, 6 fr.
soit.................................................................... 1.206
L’endosseur de Toulouse supportera le
change de 6 fr. Il fournira donc sur celui
du Havre, capital 1,200 fr. change de Tou
louse sur le Havre 2 0/0 24 fr., soit........... 1 .2 2 4
L’endosseur du Havre supportera person
nellement ces 24 fr., il fournira sur celui
de Marseille, capital 1,200 fr., change 1 et
1/2 0/0, 18 fr., total..................................... 1 .218
L’endosseur de Marseille payera sans ré pétion ces 18 fr.., il fournira sur son cédant
de Rouen, capital 1,200 fr., change 1 et
3/4 0/0, 21 fr., total.................................... 1.221
L’endosseur de Rouen supportera les 21
fr. il tirera sur celui de Lyon, capital 1,200
fr., change 1 0/0, 12 fr., total.................... 1.212
Enfin, celui de Lyon gardant pour son
compte ces 12 fr., fournira sur Paris, capi
tal 1,200 fr., change 1/2 0/0, 6 fr., total.. 1.206
En réalité donc le premier porteur, à Paris obtenant
la restitution du change direct de Bordeaux sur Paris,
soit 12 fr. et n ’en ayant payé que 6 réalisera un béné
fice. Mais on comprend combien ce bénéfice est chan
ceux et avec quelle facilité il peut se traduire en une
perte. C’est là une clause aléatoire contre laquelle on
�ART.
179.
301
ne pouvait se précautionner ; ce qu’il faut, c’est que le
tireur ne paye jamais au-delà du change dû pour le lieu
où la lettre de change était payable sur celui d’où elle
était tirée.
Le change sur les diverses places où la lettre a pu
être négociée est supporté par les endosseurs, chacun
dans la proportion que nous venons d’indiquer, c’est-àdire, aux termes de l’article 479, du lieu où la lettre de
change a été remise ou négociée sur le lieu où le rem
boursement s’effectue.
591.
— M. Frémery reproche à notre article d’a
voir adopté une base inexacte. Le devoir de l’endos
seur, dit-il, est de faire les fonds de la lettre de change
au lieu où elle doit être payée, et non ailleurs. 11 de
vrait donc, dans le cas d’inexécution, payer le change
du lieu du payement sur celui où il l’a lui-même négo
ciée. C’est ce que l’article 479 décide pour le tireur, il
devait donc l’exiger également de l’endosseur, ubi eadern
ratio, ibi idem jus.
Ce reproche semble être juste, mais il tombe bientôt
devant l’examen. Pourquoi, en effet, le tireur doit-il le
change du lieu où la lettre était payable sur celui d’où
elle était tirée ? Parce que le porteur, ne trouvant pas
les fonds dans la première localité, est obligé de venir les
chercher dans la seconde, il était dès lors juste de met
tre à la charge du tireur toute la dépense que ce retour
occasionne. C’est indemniser le porteur du préjudice
qu’il éprouve réellement.
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il ne saurait en être de même pour l’endosseur. D’a
bord, il est en faute pour n ’avoir pas fait les fonds à
l’échéance. En réparation, il doit indemniser son ces
sionnaire de tous les frais qu’entraîne le remboursement
qu’il vient chercher à son domicile.
A lui, à son tour, d’exciper de la faute de son cédant,
et d’exiger l’indemnité qui en est la conséquence. Or,
cette indemnité ne peut jamais aller au-delà de ce qu’il
lui en coûtera pour obtenir son remboursement. Il a,
par exemple, payé le porteur à Marseille, il s’en rem
bourse sur Rouen, il ne peut donc exiger que le chan
ge qu’il déboursera lui-même ; en lui accordant ce
remboursement, on lui accorde tout ce qu’il doit ob
tenir.
Calculer la restitution du change comme le veut
M. Frémery, c’était offrir dans certain cas, à chaque
endosseur ou à quelques-uns d’entre eux, l’occasion de
réaliser un bénéfice En effet, le change du lieu où la
lettre de change était payable, sur celui de la négocia
tion, pouvait être plus élevé que celui qui avait été res
titué à l’endosseur précédent. Ce qui pouvait résulter de
cet appât, c’était la multiplication des protêts et des re
tours, c’était cumuler les changes non plus à la charge
du tireur, mais à celle des endosseurs, ce qu’il ne fal
lait pas moins éviter.
Donc la disposition de l’article 179 est équitable et
juste, elle gradue les droits et les obligations dans de
proportions convenables, chacun expie ses torts et jouit
�ART.
180,
181.
503
de ses prérogaiives. Un pareil résultat ne peut qu’obte
nir une entière et pleine approbation.
ARTICLE
180.
La retraite est accompagnée d’un compte de retour.
ARTICLE
481.
4
Le compte de retour comprend :
Le principal de la lettre de change protestée,
Les frais de protêt et autres frais légitimes, tels que
commission de banque, courtage, timbre et ports de
lettres.
Il énonce le nom de celui sur qui la retraite est faite,
et le prix du change auquel elle est négociée.
Il est certifié par un agent de change.
Dans les lieux où il n’y a pas d’agent de change, il
est certifié par deux commerçants.
Il est accompagné de la lettre de change protestée, du
protêt, ou d’une expédition de l’acte du protêt.
Dans le cas où la retraite est faite sur l’un des en
dosseurs, elle est accompagnée, en outre, d’un cer
tificat qui constate le cours du change du lieu où la let-
�304
DE LA LETTRE DE CHANGE
tre de change était payable, sur le lieu d’où elle a été
tirée.
SOMMAIRE
594.
Objet que le législateur s’est proposé dans les articles 180
et 181.
595.
Nature du compte de retour.
596.
I l comprend le capital de la lettre de change proteslée.
597.
Les frais de protêt, d'amende, ceux de la notification du
598.
La commission de banque et courtage.
599.
Les ports de lettres. Q u id du voyage pour recevoir le paye
600.
Le change. Comment se calcule celui-ci.
601.
Le compte de retour doit énoncer le taux du change et le
602.
Pièces justificatives dont le compte de retour doit être ac
603.
Par qui est certifié le compte de retour A quoi s’applique
604.
Objet du certificat exigé par le dernier paragraphe de l ’ar
605.
Abus auquel les certificats ont donné naissance.
606.
Caractère du compte de retour isolé des pièces dont la pro
607.
La production de ces pièces lie-t-elle le défendeur ?
Q u id des intérêts ?
protêt.
ment de la lettre de change ?
nom de celui sur qui la retraite est fournie.
compagné. Objet de ces pièces.
l ’attestation.
ticle 181 .
duction est ordonnée.
5 0 4 . — Le porteur entre les mains de qui la lettre
de change est protestée a le droit de répéter non seu
lement le capital de ce qui lui est dû, mais encore les
�ART. 180, 181.
305
intérêts depuis le protêt, les frais de celui-ci, et tous
ceux qu’il supportera pour se rembourser sur l’un de
ses débiteurs, au moyen d’une retraite.
La conséquence inévitable de l’exercice de ce droit,
c’est que le montant de celle-ci sera supérieur à celui
de la lettre de change originaire. De là, des contesta
tions faciles à prévoir, non pas tant sur le droit de rem
boursement en lui-même que sur la sincérité des avan
ces et dépenses, que sur leur quotité.
Dans cette prévision, la loi ne pouvant prévenir le
débat, a voulu néanmoins le circonscrire dans des li
mites telles qu’il fût facile de l’apprécier, elle a donc
exigé que la retraite fût accompagnée d’un compte de
retour.
5 9 5 . — Il importe de ne pas se méprendre sur le
caractère de cette pièce. Ce compte de retour, œuvre ex
clusive du porteur créancier, ne saurait avoir à son
profit une autorité quelconque. Par lui-même, il est un
simple compte, mais un compte fourni et non arrêté ;
c’est un mémoire de demandes faites, et non un état de
demandes vérifiées ou accordées. Supposons, disaient
MM. Locré et Pardessus dans une consultation, que le
tiré se refuse à en opérer le payement, est-il au monde
un seul tribunal qui le condamnât à payer sur la seule
inspection de cette pièce ? Il ne faut être ni magistrat,
ni jurisconsulte pour savoir qu’il n’est au pouvoir de
personne de se créer un titre à lui-même. Cependant, le
tireur de la retraite serait investi de ce droit, s’il est
n — 20
�306
DE LA LETTRE DE CHANGE
vrai qu’il pût se faire payer, sans autre preuve, toutes
les sommes qu’il lui aurait plu de porter dans le compte
de retour.
Ainsi, ce compte n’est jamais qu’une allégation du
demandeur, le rôle qu’il est appelé à remplir n’est pas
autre que celui d’une note détaillée des divers articles
dont la totalisation forme la valeur de la retraite. La
loi, en en contraignant la présentation, est arrivée à ce
double et utile résultat : d’abord, de rendre l’exagéra
tion moins probable en lui faisant perdre beaucoup de
ses chances de réussite ; ensuite, celui d’éclairer le dé
fendeur sur les points qu’il doit contester, de rendre la
preuve à laquelle il est tenu plus facile, en spécialisant
les points sur lesquels elle doit porter.
5 9 6 . — Dans cette intention, l’article 181 indique
d’abord les divers articles devant se trouver successive
ment dans le compte de retour.
C’est en première ligne le capital de la lettre de
change. Ce capital constitue la créance principale dont
le porteur doit être remboursé par le tireur ou les en
dosseurs, lorsque le protêt est venu légalement constater
le défaut de payement de la part du tiré.
L’article 181 ne s’explique pas sur les intérêts. Le lé
gislateur ne faisant courir ces intérêts que du jour du
protêt, et supposant que la retraite suit immédiatement
ce protêt, a présumé qu’il n’en était dû aucuns pour le
passé.
Que si au contraire la retraite n’était fournie qu’après
�ART. 1 8 0 , 1 8 1 .
307
le protêt, les tntérêts seraient acquis de plein droit pour
l’espace écoulé, ne s’agit-il que de quelques jours. Le
créateur de la retraite aurait droit de les liquider et de
les comprendre dans la somme totale dont il se rem
bourse.
Quant aux intérêts du jour de la retraite à celui du
payement, ils sont dus au banquier qui a fourni les
fonds, et comme il s’en est indemnisé dans sa commis
sion de banque, on en tient réellement compte, en ad
mettant celle-ci.
59*3. — Le compte de retour comprend les frais de
. protêt. C’est là une avance réellement déboursée par le
porteur, et dont on ne pouvait sans injustice ne pas or
donner le remboursement.
*
Les frais de protêt comprennent ceux de l’enregistre
ment de la lettre, et au besoin ceux du visa pour tim
bre, et par conséquent l’amende que celui-ci peut en
traîner. La demande en restitution ne saurait rencontrer
aucun obstacle, sauf règlement entre ceux à la charge
desquels la loi met définitivement cette amende.
Dans la même catégorie se placent les frais pour la
notification du protêt avec citation en justice. Nous
avons déjà dit que l’intérêt du porteur, que celui des
endosseurs exige que ces mesures soient menées de front
avec la création de la retraite. Le porteur d’ailleurs,
n’ayant fait qu’user d’un droit, ne saurait encourir au
cune peine.
�508
DE LA LETTRE DE CHANGE
598. — Ces divers frais sont forcément attachés au
protêt lui-même. En voici d’autres ayant également
pour origine le défaut de payement dont ils sont la
conséquence, mais plus éloignée. Nous voulons parler
de ceux qu’entraîne la création de la retraite et qui sont
la commission de la banque et du courtage. Le loi en
accorde le remboursement parce qu’ils sont forcés. Le
banquier, en effet, ne donne ses fonds qu’en retenant
une commission indépendante de l’intérêt légal. De
plus, la négociation du papier exige bien souvent le se
cours d’un intermédiaire chargé de la préparer et de
l’amener.
599. — L’article 181 autorise le porteur à se rem
bourser des frais de port de lettres qu’il a payés à l’oc
casion de la lettre de change protestée.
L’ordonnance de 1673, sans s’expliquer à cet égard,
accordait expressément au porteur un droit bien plus
important, à savoir : celui de se faire rembourser les
frais du voyage fait pour retirer le montant de la lettre
de change, après toutefois affirmation en justice.
Pourrait-on le décider ainsi depuis la promulgation
du Code? M. Locré paraît pencher pour l’affirmative en
adoptant sur ce point l’opinion de Pothier. Mais Pothier
ne pouvait pas enseigner le contraire, par la raison dé
cisive que l’ordonnance renfermait une disposition ex
presse à ce sujet l.
1 Art. 4, tit. 6.
�ART.
180, 181.
50 9
Le Code de commerce n ’a pas jugé devoir renouveler
cette prescription, et le silence de son texte ne peut être
considéré que comme une abrogation, s’induisant d’ail
leurs de son esprit. Il n’appert, en effet, de nulle part,
qu’il ait autorisé et admis la nécessité d’un déplacement
matériel pour un payement qu’il est d’usage d’exiger et
de recevoir par le ministère d’un correspondant. Le
seul déplacement dont il serait tenu compte, serait le
voyage que l’huissier serait appelé à faire pour consta
ter le refus de payement et rédiger le protêt.
600.
— Nous n ’avons pas encore épuisé la nomen
clature des frais dont la retraite devient l’occasion.
Reste un article important, à savoir : le change, c’està-dire l’indemnité due à celui qui donne comptant l’ar
gent qu’il consent à recevoir dans une localité plus ou
moins éloignée. Cette indemnité, plus inévitable encore
que la commission de banque, devait évidemment subir
le même sort.
Le change se calculant proportionnellement à la
somme prêtée par le banquier, voici comment dans no tre espèce il sera procédé à sa détermination. On addi
tionnera le principal de la lettre de change, les inté
rêts, les frais de protêt et autres, la commission de
banque, de courtage, les ports de lettres, sur le total
ainsi obtenu, on établit la quotité du change, le total,
augmenté de cette quotité, forme la valeur intégrante
pour laquelle la retraite est fournie.
�310
DE LA LETTRE DE CHANGE.
— Le taux sur lequel le change a été calculé
doit être indiqué. Il doit être conforme à celui du jour»
de la place où la lettre de change était payable. S ’il
n’existe sur cette place aucun cours déterminé, on cal
cule sur le taux de la place la plus voisine.
Ajoutons que le change pouvant être différent suivant
la place sur laquelle la retraite est tirée, que la loi exi
geant des formalités diverses suivant que la retraite est
fournie sur le tireur ou sur les endosseurs de la lettre
de change proteslée, l’article 181 prescrit l’énonciation,
dans le compte de retour, du nom de celui sur qui la
retraite doit être tirée. Ce nom, en effet, fixe la qualité
et enlève tout doute à cet égard.
Voilà donc les indications qui doivent se rencontrer
dans le compte de retour, elles convergent toutes vers
un seul but : décomposer le total porté dans la retraite,
en indiquer les divers éléments, mettre à même le dé
fendeur d’apprécier chacun d'eux et de discuter.
Le compte de retour est donc en quelque sorte une
facture détaillée. Or, en le considérant comme tel, la
loi n’a pas oublié que dans tous les cas le demandeur
est tenu de justifier sa demande, avant même que cette
justification soit exigée par le défendeur. Celui-ci peut
faire défaut et les tribunaux devant apprécier s’il y a
lieu d’en concéder le profit, il faut nécessairement leur
fournir des éléments légitimes sur lesquels ils puissent
baser leur décision.
601.
— Voici donc les diverses pièces justificatives
que la loi exige du tireur de la retraite.
603.
�D’abord la lettre de change protestée, le protêt ou
l’expédition de l’acte de protêt.
Ces diverses pièces tendent d’abord à établir légale
ment le refus de payement que la lettre de change a
éprouvé, la nécessité et dès lors la légitimité de l’opéra
tion réalisée par le porteur.
Elles tendent ensuite à contrôler les énonciations du
compte de retour. Celui-ci comprend le capital de la
lettre de change, le coût du protêt. Pourrait-il mieux
justifier qu’il s’est conformé à la vérité qu’en plaçant
les pièces originales en regard des énonciations.
Enfin, toutes ces pièces devant être restituées au mo
ment du remboursement de la retraite, il est rationnel
de l’en faire accompagner. Le payement pur et simple
de celle-ci, laissant la lettre de change entre les mains
d’un tiers, pouvait soulever des difficultés qu’il impor
tait de prévenir.
Par une incontestable parité de raison, si l’auteur du
compte courant passait une somme quelconque pour
notification du protêt et pour la citation, l’exploit origi
nal devrait accompagner le compte, de même que la
lettre de change et le protêt.
Il est, on le voit, assez peu probable que l’exagéra
tion se glisse dans l’énonciation de ces premiers frais.
Il serait trop facile de la découvrir et de la réprimer.
Mais elle pourrait trouver une large place dans la se
conde catégorie de frais, ceux résultant de la création
de la retraite, et dont les principaux sont la commis
sion de banque, de courtage, le change.
�512
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Mais ce sont là autant d’articles obéissant à un cours
en quelque sorte régulier et sur lequel il est facile de
s’édifier. Puis le banquier donnant les fonds de la re
traite n’a pas le même intérêt que l’auteur de celle-ci.
Pourquoi donc se prêterait-il à exagérer l’indemnité
qu’il s’est attribuée.
Or, remarquons que les indications du compte de re
tour, à cet égard, reposeront sur la note de négociation
légalement dressée et qui devra accompagner le compte.
Il y a donc la une première garantie de la sincérité de
celui-ci.
6 0 3 . — A cette garantie la loi en joint une autre.
Le compte de retour doit être certifié par un agent de
change. Or, cette attestation s’applique non pas seule
ment au cours du change, mais encore et notamment à
la commission de banque et de courtage, et en établit
la conformité avec les usages de la place et avec le
cours du jour.
Si la place sur laquelle la lettre de change était paya
ble n’a pas de bourse, s’il n’y existe aucun agent de
change, le compte de retour est certifié par deux com
merçants.
Il était certes difficile d’agir avec plus de circonspec
tion, avec plus de prudence. L’intervention de tiers dé
sintéressés est surtout à remarquer, elle prouve tout le
soin déployé pour éloigner du compte de retour jusqu’à
la tentative d’exagération.
�art.
180, 181.
31 5
604. — Le dernier paragraphe de notre article 181
n’est qu’une application de la règle posée par l’article
179. Le tireur de la lettre de change ne doit jamais que
le change du lieu où la lettre de change était payable
sur le lieu d’où elle a été tirée. C’est ce change qui
figurera au compte de retour, lorsque la retraite sera
fournie sur ce tireur. Dès lors la certification du compte
de retour par l’agent de change ou par deux commer
çants, est évidemment suffisante.
Si la retraite est fournie sur un des endosseurs, le
change porté au compte de retour ne sera que celui de
la place de laquelle le porteur se rembourse, au domi
cile de l’endosseur. C’est donc ce change seul qui se
trouvera l’objet du certificat mis au bas du compte.
Mais ce n’est pas celui-ci que le tireur devra rem
bourser. Il devenait dès lors indispensable de faire cons
tater le cours de celui qui est exclusivement à sa char
ge, tel est l’objet du second certificat que notre article
exige lorsque la retraite est fournie sur un des endos
seurs.
605. — Relativement à ces certificats, il n’est pas
inutile de constater l’abus étrange qui se réalise chaque
jour. La loi ne restitue au porteur le change d’un lieu
sur un autre que parce que ce change, réellement payé
par lui, constituerait une perte qu’on ne devait pas
mettre à sa charge. Elle admet donc la réalité de l’opé
ration, et c’est autant cette réalité que le cours du
change que l’agent de change est appelé à certifier.
�314
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Or, toutes les fois que le change est avantageux, le
commerçant est tenté d’en profiler lui-même, et voici
comment ce projet se réalise. La retraite est fournie à
l’ordre d’un commis du porteur, lequel prête son nom
et endosse l’effet à la volonté de son maître. Il n ’y a
donc jamais eu opération réelle et sérieuse, et cependant
l’agent de change affirme le contraire. C’est un usage
reçu, dit M. Emile Vincent, que le débiteur connaît et
ne conteste pas.
Mais quelle chance aurait une contestation de ce
genre en présence de l’attestation de l’agent de change
ou des commerçants de la localité ? La crainte de ne
pouvoir faire la preuve du contraire explique jusqu’à
un certain point le silence du débiteur. Ce qui est évi
demment certain, c’est que rien ne justifie chez l’agent
de change un acte qui, dit M. Emile Vincent, n’est rien
moins qu’une véritable prévarication L
GOG. — Le compte de retour isolé des pièces de
vant l’accompagner n’est rien, disent MM. Locré et Par
dessus, qu’une facture non acceptée, que le mémoire
d’un ouvrier ou d’un fournisseur, qu’un état de dom
mages-intérêts ; il n’a dès lors aucune force probante,
aucune autorité contre le débiteur.
De là cette conclusion que, quelques mensongères
que soient ses énonciations, quelque exagération qu’el
les offrent, quelle que soit la préméditation dont elles
�ART.
180, 181.
31S
sont le résultat, elles ne sauraient constituer le crime
de faux. Dès lors une condamnation criminelle pronon
cée sur ces motifs doit être annulée comme atteignant
un fait qui ne constitue ni crime, ni délitC
L’action que produit le rechange contre le tireur ou
l’endosseur d’une lettre de change protestée, ajoute la
consultation versée à l’appui du pourvoi, tire sa force
de la représentation de cette lettre, de la retraite, du
certificat de l’agent de change, en un mot, des pièces
dont la production est prescrite.
0 0 9 . — Est-ce à dire que cette production lie à
tout jamais le défendeur et l’empêche d’en contester le
mérite, de mettre en doute la sincérité des pièces ?
Non évidemment. Toutes ces pièces, sauf la lettre de
change et le protêt, sont l’œuvre exclusive du deman
deur et ne constituent qu’une prétention non contradic
toire encore. Le défendeur peut donc les attaquer com
me non sincères, faire réduire les commissions de ban
que et courtage, le change lui-même, comme exagérés.
Il peut prouver ces reproches par toutes sortes de preu
ves et même par témoins et par présomptions.
C’est aux magistrats à apprécier d’une part les pièces
justificatives du compte, de l’autre les débats qu’elles
ont soulevés et les preuves fournies à l’appui. Leur
conscience leur dicte ensuite la solution à laquelle ils
doivent s’arrêter.
i Cass., 30 août 4817. Sirey, 18,
\,
29.
�316
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ARTICLE
182.
Il ne peut être fait plusieurs comptes de retour sur
une même lettre de change.
Ce compte de retour est remboursé d’endosseur à
endosseur respectivement, et définitivement par le ti
reur.
ARTICLE
183.
Les rechanges ne peuvent être cumulés. Chaque
endosseur n’en supporte qu’un seul, ainsi que le ti
reur.
SOMMAIRE
608.
609.
610.
611.
612.
613.
614.
Considérations auxquelles le législateur obéissait en consa
crant l’article 182.
Son caractère juridique à l’endroit des endosseurs.
Exception que l ’ordonnance de 1673 consacrait à la règle
prohibant le cumul des rechanges.
Conséquences qui en découlaient.
Le Code a fait, de la prohibition de ce cumul, une prohi
bition d ’ordre public, à laquelle il n ’est pas permis de
déroger.
Résumé.
Recours que le tireur de la lettre de change peut exercer
contre le tiré qui avait provision.
�art. 1 8 2 ,
615.
185.
317
Conditions indispensables pour ce recours, dans le cas où
la provision consiste dans une créance du premier sur
le second.
608.
— Nous venons de dire ce qu’est le compte
de retour, quel est l’objet qu’il se propose, dans quelle
forme il doit être rédigé, de quels documents il doit être
accompagné.
En réalité, le compte de retour aggrave la position
du débiteur en augmentant le chiffre de sa dette. Il est,
dans certaines circonstances, avantageux au créancier,
à tel point que les endosseurs s’empressent de rem
bourser amiablement pour acquérir le droit de le faire
en leur nom et à leur profit. C’est même dans cette
prévision que nous avons vu M. Pardessus se deman
der si le porteur ne devait pas être autorisé à refuser le
remboursement qu’on lui offrirait l.
Le bénéfice du compte de retour est surtout positif
dans le cas de la négociation simulée dont nous par
lions tout à l’heure, car l’auteur du compte obtient dans
ce cas le remboursement d’une somme qu’il n’a jamais
réellement déboursée. Autoriser un pareil résultat, n’était-ce pas porter une atteinte à la règle de justice sui
vant laquelle nul ne peut s’enrichir au détriment d’au
trui.
Mais la loi, qui ne pouvait descendre dans les nom
breuses hypothèses que son application peut faire naî1 Supra, n° 453.
*
�518
DE LA LETTRE DE CHANGE
tre, a dû nécessairement s’arrêter à des principes géné
raux auxquels on devait le plus souvent aboutir. Ces
principes étaient, dans la circonstance, la nécessité
d’une retraite naissant du refus du payement de la let
tre de change ; celle d’indemniser le porteur de tous
les frais qu’occasionnerait la retraite, enfin, la faute
imputable au tireur ne remplissant pas l’obligation par
lui contractée de payer sa dette à l’échéance.
Toutes ces considérations justifiaient la présentation
d’un compte de retour et l’admission des divers élé
ments devant le constituer.
Mais la justice exigeait de restreindre la peine de la
faute dans de justes limites. Le défaut de payement ne
pouvait donc, dans aucun cas, devenir pour celui à qui
il était imputable une cause de ruine. Or, supposez que
chaque endosseur eût pu faire un compte de retour dis
tinct. Leur nombre pouvait s’élever à vingt, c’était dès
lors vingt commissions de banque, vingt courtages,
vingt changes, dont les proportions pouvaient s’aggrandir encore, pour peu que la lettre eût été négociée en
pays étrangers. On devait d’autant plus proscrire une
pareille éventualité, que le tireur, appelé à en supporter
les tristes conséquences, pouvait en être la victime bien
innocente, comme si, ayant fait la provision, le défaut
de payement n’était dû qu’à l’insolvabilité ultérieure de
celui qui l’avait reçue.
D elà, la disposition de l’article 182, prohibant de
multiplier les comptes de retour pour une même lettre
�art. 1 8 2 ,
183.
319
de change. Disposition équitable à l’égard du tireur,
juste vis-à-vis des endosseurs eux-mêmes.
— Nous l’avons déjà indiqué, le défaut de
payement n ’est pas seulement imputable au tireur, on
peut, dans certaines proportions, le reprocher aux en
dosseurs eux-mêmes. Chacun d’eux, en effet, a signé
l’ordre au tiré de payer à son cessionnaire, cet ordre
constitue un mandat formel dont il était obligé d’assu
rer l’exécution.
Conséquemment, il a violé son engagement en ne
m
pas en procurant le moyen. Son tort, moins-grave que
celui du tireur, ne sera pas autant puni, mais évidem
ment il ne méritait pas qu’on lui permît d’en tirer un
profit au détriment de celui-ci.
Ce résultat était encore forcément indiqué par la né
cessité de ne pas intéresser les endosseurs à l’inexécu
tion de leur engagement. Le contraire ne pouvait que
les encourager à ne pas faire la provision et à multiplier
ainsi les refus de payement.
D’ailleurs, remarquons que si l’article 182 prive les
endosseurs de la faculté de réaliser un bénéfice, il ne
leur occasionne aucune perte. En effet, s’ils sont obligés
de payer le montan du compte de retour, ils sont auto
risés à s’en faire intégralement rembourser par le cé
dant ou par le tireur, à la charge de qui il reste défini
tivement.
609.
N
610. — L’article 183 consacre le principe dont
�320
DR LA LETTRE DE CHANGE.
l’article 179 a déjà réglementé l’application. Le cumul
des changes est prohibé, chaque endosseur n’en sup
porte qu’un seul, ainsi que le tireur.
Nous avons déjà dit que cette règle avait été consa
crée par l’ordonnance de 1673. Ce qui, au témoignage
de la doctrine, l’avait fait ainsi admettre, c’est que les
diverses négociations ayant été faites sans la participa
tion du tireur, sans même qu’il les connût, pour l’uni
que avantage du porteur, il eût été injuste d’en mettre
les conséquences à sa charge.
La déduction logique de ce motif était de faire auto
riser le cumul des rechanges lorsque le tireur avait
consenti et autorisé les négociations. C’est, en effet, ce
que l’ordonnance n’avait pas manqué de consacrer.
Le rechange, portait l’article vi, titre vi, sera dû par
le tireur des lettres négociées, pour les lieux où le pou
voir de négocier est donné par les lettres, et pour tous
les autres si le pouvoir de négocier est indéfini, et pour
tous les lieux. Ainsi, disait Jousse, si dans une lettre de
change tirée de Paris sur Lyon , le tireur donnait pou
voir par lettres, ou par un écrit particulier, d’en dispo
ser, verbi gralia, pour Amsterdam, et que cette lettre
revint à protêt, ce tireur serait tenu envers celui à qui
la lettre a été fournie du rechange de Lyon à Amsterdam
et de celui d’Amsterdam à Paris, ce qui est une suite de
la condition qui s’est faite entre eux. Il en est de même
du cas où le pouvoir de négocier est indéfini, car alors
il sera dû autant de rechanges par le tireur qu’il y a de
lieux différents sur lesquels la lettre a été négociée.
�art. 4 8 2 ,
183.
324
« 1 1 . — Notre ancienne législation laissait donc le
cumul des rechanges à la convention libre des parties.
On devine facilement ce qui devait en résulter. Celui
à qui on s’adressait pour négocier une lettre de change
ne l’acceptait qu’à la condition qu’on l’autoriserait à la
négocier partout où il lui plairait, et exigeait cette
autorisation par acte séparé. Placé entre cette exigence
et la crainte de voir la négociation repoussée, le débi
teur n’hésitait pas à satisfaire à la première. Il refu
sait d’autant moins, qu’il avait un besoin de fonds plus
urgent.
C’était là cependant, entre les mains du donneur de
valeur, un énergique moyen d’usure, puisque, gardant
par devers lui la déclaration du tireur, il se faisait rem
bourser des changes que, dans l’ignorance de cette dé
claration, chaque endosseur avait personnellement sup
porté. C’est surtout ce fait que Bornier faisait remarquer.
C’est ce qui se réalisait principalement dans le cas où
les négociations postérieures n’avaient rien de réel, et
qu’on ne les avait simulées que pour acquérir illégiti
mement la faculté d ’exiger plusieurs changes.
— Le Code de commerce a entendu prohiber
le cumul des rechanges d’une manière générale, abso
lue, sans exceptions. Il n ’a donc pas renouvelé celle
que l’ordonnance de 1673 autorisait.
Une convention de la nature de celle résultant de
cette exception ne saurait aujourd’hui créer un lien de
droit quelconque, ni par conséquent être suivie d’effets.
«1S.
h
— 21
�322
DE LA LETTRE DE CHANGE.
D’abord, par ce motif décisif qu’elle ne pourrait être
valable que si la loi l’autorisait expressément. En con
séquence, le silence du Code, lui enlevant tout fonde
ment légal, suffit pour la faire repousser.
Ensuite, parce que la disposition de l’article 183,
ayant surtout pour but de réprimer l’usure en empê
chant de la déguiser, acquiert de ce but même un ca
ractère d’ordre public et d’intérêt général. Elle s’impose
donc obligatoirement à toutes les parties, et exclut pour
elles toute faculté d’y déroger.
Donc, depuis la promulgation du Code, le tireur et
les endosseurs ne peuvent jamais payer qu’un seul re
change. Nous renvoyons, pour l’application de ce prin
cipe, au tableau que nous avons donné en expliquant
l’article 179.
6 1 8 . — En résumé donc, ou le porteur de la let
tre de change protestée se pourvoira par retraite sur le
tireur directement, ou sur l’un des endosseurs.
Dans le premier cas, le change calculé du lieu sur le
quel la lettre était payable, sur celui d’où elle était tirée,
étant celui que doit supporter le tireur, le compte de
retour sera invariable, il devra être remboursé successi
vement d’endosseur à endosseur respectivement, et défi
nitivement supporté par le tireur.
Si la retraite est fournie sur un des endosseurs, le
change du lieu d’où elle est tirée sur le lieu du domicile
de l’endosseur reste à la charge de celui-ci, et ainsi
successivement d’un endosseur à l’autre.
�art . 1 8 2 ,
185.
323
Le seul change que le premier preneur puisse se faire
rembourser par le tireur, est celui réglé conformément
au premier paragraphe de l’article 479.
611.
— C’est à titre de dommages-intérêts que le
compte de retour et le change sont mis définitivement à
la charge du tireur. La loi suppose donc qu’il y a faute
de sa part, et que le défaut de payement lui est exclu
sivement imputable.
Mais il peut en êlre autrement. Ce refus de payement
peut être le fait unique du tiré, qui, quoique nanti
d’une provision suffisante, aura refusé de faire honneur
à la signature du tireur.
Lui appliquer, dès lors, la responsabilité de ce refus,
lui en faire supporter les conséquences, ouvrir au tireur
un recours dans ce double but, c’est obéir à un senti
ment de justice et adopter une solution avouée par la
raison et le droit. C’est, dès lors, ce qu’on n’hésiterait
pas à admettre, si avant l’échéance le tireur avait en
voyé au tiré la provision soit en espèces, soit en mar
chandises acceptées par celui-ci dans cet objet.
615.
— Mais, aux termes de la loi, il y a provi
sion par cela seul qu’à l’échéance de la lettre, le tiré est
débiteur du tireur d’une somme au moins égale au
montant de celle-ci. Dans ce cas, le refus de payer au
rait-il pour le tiré les conséquences que nous venons
de signaler ? L’affirmative ne saurait être accueillie
qu’aux conditions suivantes :
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
1° Que la dette du tiré ait le caractère commercial.
Le débiteur d’une dette civile ne saurait être contraint
malgré lui à se libérer autrement que par les voies or
dinaires. Le refus qu’il ferait de payer la lettre de chan
ge ne serait donc que l’exercice d’un droit, et ne pour
rait par conséquent devenir contre lui la matière d’une
adjudication de dommages-intérêts.
C’est ce que la Cour de cassation a consacré en ju
geant que si la traite a été tirée pour une cause pure
ment civile ; les frais de retour, en cas de protêt, doi
vent rester à la charge du tireur, encore bien que la
dette du tiré soit constante 1 ;
2° Que la dette commerciale soit certaine, liquide et
exigible au moment de la présentation de la lettre de
change. La dette confondue dans un compte courant,
n ’acquérant son exigibilité que par le règlement du
compte, le débiteur ne saurait être tenu de la payer
avant ;
3» Que le tireur de la lettre ait avisé le tiré de la
création de celle-ci, et de l’époque de son échéance. Cet
avis est nécessaire non pas seulement pour que le débi
teur ait la faculté de se mettre en mesure, mais encore
pour l’empêcher d’être victime d’un faussaire plus ou
moins adroit, qui aurait contrefait la signature du pré
tendu tireur.
À cette triple condition, le tiré ne pourrait éviter de
faire accueil à la traite tirée sur lui. S’il refusait de la
1 16 avril 1818.
�art.
184,
185.
525
payer, le préjudice occasionné par ce refus resterait à
sa charge, et le tireur serait recevable à exiger la répa
ration qui comprendrait naturellement tous les frais ré
sultant du retour de la lettre de change.
L’absence d’une seule de ces conditions légitimerait
la solution contraire. La résistance du tiré ne pourrait
avoir pour lui une conséquence fâcheuse. Il serait donc
à l’abri de toute responsabilité, et par conséquent de
toutes poursuites.
ARTICLE
184.
L’intérêt du principal de la lettre de change protes
tée faute de payement est dû à compter du jour du
protêt.
ARTICLE
185.
L’intérêt des frais de protêt, rechange et autres frais
légitimes, n’est dû qu’à compter du jour de la demande
en justice.
SOMMAIRE
616.
617.
Caractère de la disposition de l’article 184, ses motifs, ses
conséquences.
Motifs de la règle consacrée par l'article!85, pour les frais
de protêt et de rechange.
�326
DE LA LETTRE DE CHANGE.
6 1 0 . — L’intérêt est la peine du retard dans l’exé
cution de l’obligation consistant dans le payement d’une
somme d’argent. En droit commun, le retard n ’existe
réellement qu’après la mise en demeure du débiteur.
De là cette règle que l’intérêt n’est dû qu’à partir de la
demande en justice, cette demande constituant une mise
en demeure incontestable.
Mais cette règle reçoit, en droit commun, de nom
breuses exceptions, expressément indiquées par la lo i l.
L’article 184 en introduit une nouvelle spéciale au com
merce.
L’argent, commercialement parlant, est une marchan
dise dont l’intérêt constitue le principal profit. C’est ce
qui l’a rendu la matière d’une industrie spéciale, celle
de la banque. Il est dès lors évident que celui qui livre
sa marchandise doit en retirer le profit. C’est ce qui a
déterminé la loi à admettre la commission de banque
dans laquelle les intérêts se trouvent compris, de ma
nière qu’ils concourent à former le capital de la lettre
de change.
Mais ces intérêts ne sont calculés que du jour de l’a
vance des fonds jusqu’à celui de l’échéance. La restitu
tion de la dette à cette dernière époque, restitution qui
était dans les prévisions des parties, ne permettait pas
de s’occuper de l’intérêt, car il ne devait plus exister
d’obligation.
1 V . ar t. 4 5 6 ,
474,
609, 612, 856, 1207, 1440, 1475, 1548,
1 6 2 0 , 1 6 5 2 , 1 8 4 6 e t 2001 C. c iv .; 5 7 C. p r oc . c i v ,
1569,
�art.
184, 185.
527
Nul doute cependant que si le défaut de payement eût
pu être prévu, l’intérêt n ’eût pas manqué d’être exigé
d’un côté, concédé de l’autre, c’est la certitude de cette
mutuelle intention qui a amené la disposition de l’arti
cle 184.
En réalité, cette disposition ne fait que rendre aux
parties la position qu’elles se seraient volontairement
assignées elles-mêmes. Mais là n’est pas seulement ce
que le législateur s’est proposé, son but principal a été
défavoriser la lettre de change, d’en multiplier l’emploi
par les avantages divers qui devaient en résulter.
Donc l’intérêt du principal de la lettre de change
court de plein droit du jour du protêt, encore qu'il
n'ait été demandé en justice, ajoutait l’ordonnance de
1673, locution que le Code de commerce n’a pas con
servée, par le motif qu’elle ne pouvait rien ajouter à sa
disposition, et qu’elle n’était qu’une répétition inutile.
Il est évident, en effet, que l’intérêt courant de plein
droit du jour du protêt, le profit en est définitivement
acquis par le fait seul du protêt, et ne pouvait être su
bordonné à une mesure ultérieure quelconque.
61® . — Les raisons qui faisaient courir l’intérêt de
plein droit pour le principal de la lettre de change sem
blaient commander la même solution pour les avances
occasionnées par le protêt et par le rechange. Ces avan
ces, en effet, ne sont que des accessoires qui viennent
se joindre à la lettre de change, avec laquelle elles se
�328
DE LA LETTRE DE CHANGE
confondent. Comment donc séparer leur sort de celui de
l’obligation principale.
C’est cependant ce que fait l’article 185 qui, plaçant
ces avances sous l’application du droit commun, dé
clare qu’elles ne produisent intérêt que du jour de la
demande en justice.
Les motifs de cette solution sont peut-être le résultat
de cette idée, à savoir : que le débiteur du principal de
la lettre de change protestée est en possession de la
somme ; qu’il l’a appliquée à d’autres besoins ; qu’il en
réalise donc un profit dont il est juste qu’il tienne
compte au créancier. L’intérêt n’est dans ce cas que le
juste équivalent de la jouissance.
Les avances pour frais de protêt, de rechange, etc.,
sont bien en réalité déboursées par le porteur, mais
elles n’arrivent jamais en la possession du débiteur. La
restitution de l’intérêt n ’a donc plus de cause spéciale,
et il était dès lors rationnel de la soumettre à la règle
générale, à savoir : une mise en demeure. Le protêt
peut bien constituer celle-ci pour le principal de la let
tre, mais il ne saurait être accepté comme tel pour des
dépenses toutes postérieures à sa confection.
A ces raisons juridiques on peut ajouter que l’article
185 est une nouvelle preuve du soin que le législateur
met, dans toutes les circonstances, à déterminer la plus
prompte solution en matière de lettres de change. Attri
buer à la citation en justice le pouvoir de faire courir
les intérêts pour les frais de protêt et de rechange, c’est
intéresser le porteur à la réaliser dans le plus court dé-
�'
'
art.
184, 185.
529
lai ; c’est, en donnant aux diligences un caractère par
ticulier d’utilité, en garantir en quelque sorte le prompt
accomplissement.
Sans doute, et en général, les frais de protêt, de re
change ne s’élèveront pas à une somme telle que quel
ques jours d’intérêt de plus ou de moins soient d’une
considération majeure, mais cet argument n’a qu’une
portée relative. Il n’y a rien de petit en banque, parce
que ce qui est peu de choses par lui-même acquiert
une véritable importance lorsqu’il se répète sur une
échelle plus ou moins étendue. D’ailleurs, l’amende à
payer pour défaut de timbre, ou pour timbre non pro
portionnel, peut élever singulièrement le chiffre des
frais.
Quoi qu’il en soit, l’article 185 est un encourage
ment nouveau à mener de front la voie de la retraite et
la poursuite en justifie. Non seulement celle-ci empê
chera toute déchéance, mais elle fera en outre courir les
intérêts des sommes déboursées, par suite du refus de
payement, du protêt et de la retraite.
ARTICLE
\ 86.
Il n’est point dû de rechange, si le compte de retour
n’est pas accompagné des certificats d’agents de change
ou de commerçants, prescrits par l’article 181.
I
�530
DE LA LETTRE DE CHANGE.
S O M M A IR E
618.
619.
620.
Effet que devait produire l'absence totale ou partielle des
pièces justificatives exigées par l’article 181.
Proposition du tribunal et du conseil de commerce de Ge
nève. Décision du conseil d’Etat. Conséquences.
Peut-on suppléer, après coup, à l’omission de requérir les
certificats, au moment du rechange.
6 1 8 . — Le compte de retour, isolé des pièces justi
ficatives, n’est rien par lui-même, il n’a aucune auto
rité et manque tellement de sanction, que les tribunaux
devraient déclarer le demandeur non recevable en l’é
tat, alors même que le défendeur ne comparaissant pas,
aucune contestation ne surgirait sur les indications du
compte.
Mais l’absence des pièces peut n’être que partielle.
On ne peut, en effet, présumer que le porteur ne sera
pas en position de produire la lettre de change protes
tée, le protêt en original ou en expédition. Dès lors,
l’effet de cette production ne pourrait être anéanti par
la raison que le réclamant ne produirait pas les autres
pièces exigées par la loi, telles que les notes de négo
ciations, les certificats des agents de change ou commer
çants.
La conséquence de ce défaut de production ne pour
rait être que le refus d’admettre la commission de ban
que, de courtage, le change lui-même. C’est ce que la
loi oblige de faire, quant à ce dernier, lorsque le compte
�ART.
186.
331
de retour n’est pas accompagné des certificats exigés
par l’article 181.
6 1 » . — Dans les observations que souleva le projet
du Code de commerce, le tribunal et le conseil de com
merce de Genève demandaient qu’on exonérât le tireur
du rechange toutes les fois que le compte de retour ne
se conformerait pas à toutes les exigences de l’article
181. Mais cette proposition parut et dut paraître dé
passer les limites d’une étroite justice, elle fut donc re
poussée.
Ce qu’on se borna à consacrer, c’est que le défaut de
production dos certificats aurait seul ce résultat. Ces cer
tificats, en effet, ont surtout pour objet d’attester la réa
lité, la sincérité du change. Leur absence laisse les
choses en l’état d’une pure allégation de la part du de
mandeur. Or, personne ne pouvant se faire un titre à
soi-même, cette allégation isolée ne pouvait être admise
sans violer ouvertement ce principe.
Il est vrai que le certificat a en même temps pour
objet d’attester la sincérité de la négociation, mais,
s’agissant d’un fait purement matériel, la preuve en ré
sultait suffisamment de la production de la retraite ellemême. Tirée d’un lieu sur un autre, son objet principal
était l’acquisition du change. Refuser celui-ci à défaut
de production des certificats, suffisait pour satisfaire à
toutes les exigences raisonnables.
6 8 0 . — Il résulte des termes de l’article 186 que
�352
DE LA LETTRE DE CHANGE
les certificats exigés par l’article 181 doivent être con
temporains du compte de retour, puisqu’ils doivent
l’accompagner. Dès lors, l’omission qu’on ferait de les
requérir au moment de la retraite ne pourrait être ré
parée après coup. Décider le contraire, c’était condam
ner l’article 186 à ne jamais recevoir aucune exécution.
Comment concevoir, en effet, que le demandeur ne
suppléera pas par un certificat à l’omission qui lui est
reprochée ?
Il ne suffirait donc pas, pour échapper à l’application
de l’article 186, de produire tardivement des certificats.
Ces certificats n’ayant pas été dans l’origine joints au
compte de retour, le débiteur a été par cela même libéré
de toute obligation à l’égard du rechange,
Ce qui peut résulter de là, c’est que, pour se sous
traire à cette déchéance, on antidatera les certificats.
Mais dans cette circonstance, comme dans toutes autres,
l’antidate, constituant une fraude, pourra être alléguée
et prouvée par témoins et par présomptions ; cette
preuve acquise, le litige se trouvera de plein droit tran
ché par l’application de l’article 186.
�ART.
187, 1 8 8 .
55 5
SECTION II
d d
i t i i i F / r
ARTICLE
a
« it
h
i i ■;
187.
Toutes les dispositions relatives aux lettres de change,
et concernant :
L’échéance,
L’endossement,
La solidarité,
L’aval,
(
Le payement,
Le payement par intervention,
Le protêt,
Les devoirs et droits du porteur,
Le rechange ou les intérêts,
Sont applicables aux billets à ordre, sans préjudice
des dispositions relatives aux cas prévus par les articles
636, 637 et 638.
ARTICLE
Lo billet à ordre est daté.
188.
�334
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il énonce :
La somme à payer,
Le nom de celui à l’ordre de qui il est souscrit,
L’époque à laquelle le payement doit s’effectuer,
La valeur qui a été fournie en espèces, en marchan
dises, en compte, ou de toute autre manière.
SOMMAIRE
621.
622.
623.
624.
625.
626.
627.
628.
629.
630.
631.
Caractère et spécialité du billet à ordre. Son utilité.
Diverses espèces de billets, admis par l ’ordonnance de
1673.
Autres catégories admises depuis et jusqu’en 1807. Billet
à volonté, billet de rançon, billet d’honneur, billet pa
triotique de confiance.
Système suivi par le Code de commerce. Catégorie des bil
lets q u ’il admet.
Les conditions édictées par l'article 1108 du Code civil
s’appliquent à tous les billets en général.
L ’article 1326 est applicable aux billets simples. Excep
tions que comporte cette règle.
Le billet simple n’a pas besoin d’indiquer la valeur et sa
nature.
Nature de l ’obligation des débiteurs du billet simple et de
leurs cautions, relativement à la garantie.
Conséquences de l’endossement du billet simple vis-à-vis
du cédant, et vis-à-vis des tiers, du débiteur cédé luimême. Forme de la notification.
Effet de la notification au débiteur. Celui-ci peut-il oppo
ser au cessionnaire le défaut de cause ?
Autres conséquences du principe que le billet simple est
�632.
633.
634.
635.
636.
637.
638.
639.
640.
641.
642.
643.
644.
645.
646.
647.
648.
réglé par la législation civile. Obligation du cédant, des
endosseurs successifs. Nature de la déchéance.
N ature des rescriptions, définition. Conséquences.
Lettre de crédit, sa définition, double objet qu’elle se pro
pose.
Son caractère n’en permet pas la négociation.
La délivrance, l’emploi et l’accueil de la lettre de crédit ne
sont jamais obligatoires. Faculté de revenir sur la pre
mière.
Exception que cette règle comporte.
Conséquences de la lettre de crédit donnée à un voyageur,
pour le créditant, le crédité et le créditeur. Droits et
obligations réciproques.
Nature de l’obligation résultant de la lettre ouvrant à un
négociant un crédit chez un autre négociant.
Son exécution résulterait des énonciations du compte cou
rant entre les deux négociants, des lettres de change
tirées par l’un et payées par l ’autre.
Pourrait-on appliquer le crédit à la dette antérieure à sa
concession ? A rrêt de la cour de Bourges pour l'affirma
tive.
Faculté pour le créditant de stipuler q u ’il ne sera soumis
ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps.
Origine du billet au porteur. Lois qui l ’ont tour à tour sup
primé et rétabli.
Législation intermédiaire.
Effet du silence gardé par le Code à son sujet.
La forme du billet au porteur est encore régie par l ’édit de
1721. Conséquences.
Le billet au porteur se transm et de la main à la main. Le
cédant n ’encourt donc aucune garantie, mais on peut
stipuler le contraire.
Peut être transmis par endossement.
La signature isolément mise au dos dn billet au porteur
constituerait-elle une promesse de garantie ?
�356
649.
650.
651.
652.
653.
654.
655.
656.
657.
658.
659.
660.
661.
662.
663.
664.
665.
666 .
667.
668 .
069.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Opinion de Merlin pour la négative.
Motifs qui doivent faire préférer la solution contraire.
Quelle serait l ’étendue de cette garantie?
Le billet au porteur ne peut être assimilé au billet à or
dre. Conséquences.
Incompétence du tribunal de commerce à l’endroit du bil
let au porteur.
Résumé.
La lettre de change peut être au porteur. Conséquence à
l ’endroit de la juridiction consulaire.
Validité d’une obligation notariée au porteur. Ses effets
quant à l’hypothèque.
L ’effet au porteur rentrant dans la catégorie des choses
dont parle l ’article 2279, peut être revendiqué. Obliga
tions du revendiquant. Conséquences.
Caractère et destination du billet à ordre.
Différences, dans leur b ut, entre lui et la lettre de change.
Conséquences.
Leur caractère réciproque.
Son influence sur la juridiction compétente.
Le billet à ordre peut être fait par acte authentique. Ses
effets.
L’article 4 326 régit-il le billet à ordre ?
Quid pour les femmes et les filles ?
La femme d’un commerçant qui a signé avec son mari
partage-t-elle avec lui le bénéfice de l ’exception tirée de
la qualité ?
Dispositions du Code, applicables au billet à ordre. Carac
tère de l’article 187. Dérogation à la législation précé
dente.
Indications que doit contenir le billet à ordre, d’abord la
date.
Effet de l’omission ou de l’inexactitude.
Seconde indication. — La somme à payer. Comment on
peut y satisfaire.
�art.
187, 188.
357
670.
Troisième indication. — Le nom de celui à l’ordre de qui
il est souscrit.
671. Quatrième indication. — L'époque à laquelle ce payement
doit être fait.
672. Le billet à ordre peut être payable à vue, à présentation, à
première réquisition. La clause je payerai toutes les
fois e t quand, satisfait-elle à l’article 188 ?
673. Dans l ’usage, les billets à ordre sont payables à nn certain
délai de vue ou de présentation. Ils sont régis par l ’ar
ticle 160. Equipollents admissibles.
673bis. Effet de l’indication d ’un payement conditionnel sur les
billets à ordre.
673ter. Espece jugée par la Cour de cassation.
673 quatuor. Reproche que M. le professeur Ernest Dubois fait à
l ’arrêt. Examen et réfutation.
674.
Cinquième indication.— La valeur qui a été fournie en
espèces, en marchandises , en compte, ou de toute
autre manière. Utilité de cette indication sous l’ancien
droit.
675. Son importance depuis le Code.
676. Exemples de locutions ne remplissant pas le but de l’arti
cle 188.
677. Les mots de toute autre manière font évidemment allusion
aux billets de change.
678. Effet du défaut ou d’omission de l ’expression de la va
leur.
679. L ’endossement d’un billet non conforme à l’article 188 est
valable, mais ses effets, quant à la garantie, sont réglés
par les principes du droit commun. A rrêt de la Cour de
cassation dans ce sens.
680. Autres conséquences de la transformation du billet en sim
ple promesse.
681. Difficultés sur la compétence. Solution.
h
1
—
22
�338
682.
683.
684.
685.
686.
687.
688.
689.
690.
691.
692.
693.
694.
695.
DE
LA
LETTRE
DE
CHANGE
Importance au point de vue du droit criminel, de la déter
mination de la cause du billet à ordre.
A qui appartient le droit de décider si le billet constitue ou
non une écriture de commerce ?
Résumé.
Lorsque le billet à ordre régulier est signé par des com
merçants et de non commerçants, le tribunal de com
merce est-il compétent, même lorsque ces derniers
sont seuls poursuivis ?
Effet pour les endosseurs de la clause de transmissibilité
sans garantie, stipulée par le souscripteur.
Billet à domicile, son objet, son caractère.
En quoi il diffère du billet à ordre.
— de la lettre de change.
Ses effets.
Controverse sur le caractère du billet à domicile. Arrêts de
Bordeaux et de Besançon ne lui reconnaissant pas le
moyen de réaliser la remise de place en place.
Réfutation.
Doctrine ancienne et moderne, Pothier, Dupuis de la Serra,
Frém ery, Horson, Merlin, Pardessus, Emile Vincent.
Nouguier.
Caractère de la remise.
Où doit être fait le protêt, où la signification du jugement
et celle du commandement ?
© 31. — Les services que la lettre de change est
appelée à rendre au commerce sont aussi nombreux
qu’incontestables. Son importance, son utilité se décè
lent surtout dans les relations d’une place avec les places
voisines, entre lesquelles elle fait en quelque sorte dis
paraître toute distance.
�ART.
187, 188.
339
Mais la spécialité de son objet, la nature de ses for
mes la rendaient peu propre à desservir le commerce
intérieur d’une localité, cependant les besoins n’étaient
ni moins réels ni moins nombreux. Un chef d’atelier
ingénieux, le manufacturier habile n’ont pas toujours
par devers eux les ressources nécessaires au développe
ment de leur précieuse industrie, la plupart d’entre eux
n’ont souvent, pour toute propriété, que leur travail,
leur bonne conduite et leurs talents.
« Il faut, disait le rapporteur au nom du tribunat,
trouver pour cette classe précieuse, qui emploie les bras
du pauvre, qui met en œuvre les produits de notre agri
culture et exporte ceux de nos fabriques, un moyen
d’emprunter qui s’accorde avec la nature de ses besoins
et celle de sa fortune ; le billet à ordre le lui présente.
Si les individus dont elle se compose engagent leur li
berté au prêteur qui vient à leur secours, c’est dans leur
propre intérêt ; car plus la garantie que l’emprunteur
offre au capitaliste est puissante, moins les conditions
du service qu’il en obtient sont onéreuses.
« Ainsi, l’emploi du billet à ordre aura le double
avantage de seconder l’industrie nationale et de réduire
le prix de l’argent. Mais ce contrat n ’est pas destiné
seulement à produire ces deux effets déjà si importants;
il sera susceptible d’être négocié, et en accroissant, sous
cette forme nouvelle, la somme des valeurs mises en
circulation, il tendra à rendre les espèces moins chères.
Ainsi il agira successivement de deux manières pour
diminuer le taux de l’intérêt.
�340
DE LA LETTRE DE CHANGE.
« Le billet à ordre est donc un véritable bienfait pour
le commerce ; c’est l’utile auxiliaire qu’attendait la let
tre de change, c’est le complément du système ingé
nieux et fécond des effets négociables. Sans efforts, sans
embarras, il crée sur chaque place une banque de cir
culation infiniment plus rassurante que ces banques de
circulation collectives dont les ressources sont souvent
illusoires, l’administration toujours coûteuse, et quel
quefois infidèle. »
Voilà les termes dans lesquels le tribunat recomman
dait celte institution à l’attention du conseil d’Etat.
Lorsque, en 1807, ces considérations étaient émises,
elles avaient le mérite .certain d’être autre chose que des
prévisions plus ou moins hasardées. La pratique avait
jusque-là justifié toutes les espérances et fixé toutes les
incertitudes.
6 3 8 . — Il est vrai que l’ordonnance de 1673 ne
s’occupait guères que du billet de change, c’est-à-dire
celui par lequel le souscripteur s’obligeait à payer une
certaine somme pour prix de lettres de change à lui
fournies ou qui devaient l’être plus tard ; cependant il
est certain que quoiqu’elle ne s’en fût pas spécialement
occupée, il avait été dans l’esprit de cette législation
d’autoriser tous autres billets. C’est ce qui s’induit no
tamment de l’article xxxi, titre v, parlant de ceux cau
sés en deniers ou en marchandises.
C’est ce que Jousse remarque dans son Commentaire.
Cet article, dit-il, concerne tous les billets de quelque
�ART.
187, 188.
u \
espèce qu’ils soient, et voici la nomenclature de ceux
qui étaient en usage à son époque, indépendamment
des billets de change.
1° Ceux qui se font au profit d’un particulier y nom
mé, sans ajouter la clause ; ou à son ordre.
2° Ceux qui sont payables à un particulier ou à son
ordre ;
3° Ceux qui sont souscrits en blanc ;
4° Ceux qui sont payables au porteur.
Ces diverses catégories comprennent évidemment l’en
semble de la grande famille de billets. Le Code de com
merce les a même réduites à trois, ainsi que la raison
l’indiquait d’ailleurs.
En effet, le billet en blanc n’était en réalité qu’un bil
let au porteur, ainsi que nous aurons tout à l’heure oc
casion de le faire ressortir. Il n’eût même qu’une exis
tence éphémère. Inventé en 1600, il ne tardait pas à
être proscrit comme un instrument de fraude et d’usure.
Deux arrêts de règlement du Parlement de Paris, des
7 juin 1611 et 26 mars 1621, en défendirent l’usage.
Cette suppression amena le billet payable au porteur,
qui n’était, sous une autre forme, que le billet en blanc
lui-même. Nous aurons à indiquer bientôt les vicissi
tudes diverses qu’il eut à traverser.
. 633. — De 1673 à 1807, les dénominations spé
ciales de billet s’étaient singulièrement accrues. Sans
s’arrêter à la forme, on qualifiait chaque billet par la
nature de l’engagement qu’il renfermait. C’est .ainsi que
�542
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous rencontrons les billets à volonté, les billets de
rançon, les billets d’honneur, les billet de confiance,
etc.
Ce qui distinguait le billet à volonté, n ’était que l’ab
sence d’échéance fixe et déterminée. Il était forcément,
ou nominatif, ou à ordre. Il était donc impossible de
ne pas le classer dans l’une ou l’autre de ces catégories,
à moins cependant qu’il ne fût au porteur. Dans ce cas,
il appartenait à cette espèce et devait en subir les rè
gles. C’est ce qui se réalise aujourd’hui, car le billet à
volonté ou à présentation n’a pas cessé d’être en usage.
On appelait billet de rançon celui qui était souscrit
par le capitaine d’un navire "capturé, au profit du cap
teur, afin d’obtenir sa liberté.
Le billet d’honneur était celui par lequel les gentils
hommes ou officiers militaires s’engageaient sur leur
honneur à payer une certaine somme à une époque dé
terminée.
Cette dénomination n ’avait pas d’autre effet que l’in
tervention d’une juridiction compétente pour punir le
violateur de la foi donnée, mais non pour contraindre
le payement. Ainsi l’article 1er du règlement des maré
chaux de France, du 20 février 1748, prononçait con
tre tout gentilhomme ou officier qui, pour quelque cause
que ce fût, avait fait un billet d’honneur à un marchand,
une peine d’un mois de prison ou plus, suivant les cir
constances, lorsqu’il ne remplissait pas son engagement
d’honneur. Le créancier était renvoyé à se pourvoir de
vant les juges ordinaires.
�*
art.
187, 188.
343
Enfin, et à une époque plus rapprochée, nous trou
vons le billet de confiance. On appelait tantôt de ce
nom, tantôt de celui de billet patriotique, des effets
payables au porteur et à vue, mis en circulation comme
numéraire par les caisses des directoires de départe
ments. Mais c’était là moins un effet de commerce qu’un
véritable papier monnaie, que la Convention se hâta de
faire disparaître dans l’intérêt du crédit de l’Etat. Elle
en prononça l’abolition par une loi du 8 novembre
1792.
© 34. — Le Code de commerce ne s’est approprié
aucune de ces dénominations, pas même celle de billet
de change, qu’il trouvait dans l’ordonnance de 1673.
Sans doute on peut sous son empire distinguer encore
un billet par l’objet qui l’a motivé. Ainsi on dira très
légalement : billet de marchandises, billet de grosse,
billet de prime, lorsqu’il s’agit de l’engagement pris de
payer en marchandises une somme reçue en argent, ou
d’un prêt à la grosse, ou du payement d’une prime
d’assurances, soit maritimes, soit terrestres. Mais par sa
nature ce billet sera nécessairement ou nominatif, ou à
ordre, ou au porteur. On ne saurait en effet imaginer
un billet en dehors de ces catégories.
Au milieu de ces divers effets, un seul se présentait
comme se prêtant merveilleusement aux développements
de la circulation commerciale, c’est le billet à ordre.
Nous avons vu en quels termes le tribunat ën signalait
l’importance, et c’est parce que sa conviction était celle
�544
DE LA LETTRÉ DE CHANCE
du conseil d’Elat, que celui-ci n’a pas hésité à l’intro
duire dans notre législation commerciale et à en régle
menter la forme et les effets.
Mais l’adoption de l’un n’est pas l’exclusion des au
tres. Comme le billet à ordre lui-même, le billet nomi
natif, celui au porteur surtout, peuvent prendre une
place importante dans la circulation. Il convient donc /
d’en fixer les caractères, d’en déterminer les conditions,
d’en décrire les effets.
625. — Une condition générale et s’appliquant à
tous les billets indistinctement est celle qui résulte delà
disposition de l’article 1108 du Code civil. Il n’y a de
billets valables que ceux qui réunissent le consentement
de la partie et sa capacité, un objet certain formant la
matière de l’engagement, une cause licite dans l’obliga
tion. Inutile de s’appesantir sur les conséquences de
l’absence d’une ou de plusieurs de ces conditions.
<630. — Une seconde condition est encore indiquée
par l’artiqle 1341 du Code civil. Le fait seul qu’il a été
rédigé un billet indique que l’on a satisfait à cette dis
position. Aussi n’en parlons-nous que pour faire re
marquer la forme que l’article 1326 exige pour l’obli
gation sous seing privé.
Cette disposition s’applique-t-elle aux divers billets
que nous avons énumérés ? L’affirmative ne saurait être
contestée pour les billets simples.
Le billet simple est resté sous le Code ce qu’il était
�art.
187, 188.
545
avant, c’est celui dont le bénéficiaire est une personne
déterminée, auquel on n ’a pas même concédé la faculté
de transmettre son droit. L’absence de cette faculté in
dique qu’on n’a pas même entendu créer un titre des
tiné à circuler. Ï1 est donc impossible d’y voir autre
chose qu’un titre ordinaire, et par conséquent soumis
aux prescriptions de l’article 1326 du Code civil.
Mais en matière commerciale, le fond emporte la
forme, quelle que soit celle ci, le titre est commercial si
son objet a été une opération de commerce. En consé
quence, à l’exception créée par l’article 1326 lui-même
et tirée de la qualité du signataire, s’en réunit une se
conde qui est fournie par la nature de l’acte.
GStf. — Le billet nominatif offre dans sa constitu
tion cette circonstance remarquable qu’il n’a pas besoin
d’indiquer la valeur et sa nature ; si elle a été fournie
en espèce, en marchandises, en compte ou de toute au
tre manière. Cette condition est impérieusement exi
gée pour le billet à ordre.
11 n’en est pas ainsi pour le simple billet, parce que
la reconnaissance de devoir, qu’il renferme, suffit pour
lui assigner une cause légitime, et par conséquent pour
en faire ordonner le payement, sauf la preuve contraire
de la part du débiteur L
© 38.
Le simple billet, étant un titre purement
i Merlin, Rép , v» Billets, § 1, n° ■!,
�546
DE LA LETTRE DE CHANGE.
civil, est exclusivement régi par les principes du droit
commun, relativement, à l’étendue de l’obligation, à sa
transmission, a la garantie qui en peut être la consé
quence.
Ainsi, les signataires collectifs qui ont souscrit le bil
let, soit comme débiteurs, soit comme cautions, ne sont
tenus envers le bénéficiaire que chacun pour sa part et
portion. La solidarité, qui ne se présume pas, n’existe
rait à leur égard que si elle avait été expressément sti
pulée.
6 3 9 . — Un des caractères que l’ancienne législa
tion relevait dans le billet simple, c’était sa non trans
missibilité par voie d’endossement. Ces billets, disait
Jousse, ne peuvent se négocier, et ne sont payables qu’à
celui au profit de qui ils sont souscrits, ou à la per
sonne qui a procuration de l u i 1.
Ce caractère est celui que ces billets présentent en
core aujourd’hui, ils ne sont pas transmissibles à un
tiers par voie d’endossement, comme le sont les billets à
ordre2.
La conclusion qu’il faut tirer de cette règle, est seu
lement que le billet simple, transmis par endossement,
ne deviendrait pas par cela seul la propriété du cession
naire. Nous avons déjà dit que la faculté de céder à au
trui les choses qu’on possède, était une conséquence du
m
1 Sur l’art. 31.
s Cass.., 11 avril 1827.
ijff
1$
i i'f tMi-k
�art.
187, 188.
347
droit de propriété lui-même ; qu’elle peut toujours être
exercée, que la forme du titre pourra bien influer sur
les conditions de cet exercice, mais jamais sur le droit
en lui-même.
Donc le porteur d’un simple billet peut le céder com
me il le ferait de toute autre créance ordinaire. Du ces
sionnaire à lui, la loi s’est abstenue de prononcer. Toute
convention serait donc suffisante, notamment celle ré
sultant d’un endossement en faveur du preneur.
Mais, vis-à-vis du tireur, vis-à-vis du débiteur cédé
lui-même, le cessionnaire ne serait réellement saisi que
par la notification du transport ou son acceptation. Jus
que-là et pour tout ce qui les concerne, le cédant con
serve la propriété de la créance que le billet constate.
Dès lors, cette créance peut être valablement saisie par
ses créanciers ou soldée entre ses mains par le débi
teur K
Toutefois cette signification n’a reçu aucune forme
sacramentelle. Elle pourrait donc être suppléée par tout
acte ayant pour objet de manifester l’existence de la
cession et de la dénoncer au débiteur cédé. Elle serait
utilement remplacée, notamment par la notification du
protêt requis par le bénéficiaire de l’endossement. C’est
ce que la cour de Paris a admis par arrêt du 6 février
1830.
6 3 0 . — Mais à côté de ce principe rationnel et ju Pothier, Change, n° 217.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE
ridique, la cour de Paris en pose un autre auquel il
n ’est pas possible d’adhérer. Elle décide, en effet, que la
notification du protêt d’un billet endossé, quoique non
à ordre, saisit définitivement le tiers porteur en ce sens
que le souscripteur ne peut lui opposer le défaut de
cause, et refuser de lui payer le montant du billet.
Cette solution, à notre avis, donne à l’endossement
d’un billet non négociable un effet que la loi réserve
exclusivement à celui des billets de commerce. Celui-ci,
sans qu’il doive être signifié, transfère la propriété d’une
manière absolue, complète, sans restrictions et sans li
mites. Le billet est présumé n’avoir jamais eu d’autre
propriétaire que celui qui en est porteur au moment de
l’échéance, celui-ci n ’agit donc pas comme le représen
tant de tel ou de tel, il exerce un droit propre et per
sonnel que la faveur du commerce et les exigences du
crédit public ont fait reconnaître et proclamer. On com
prend, dès lors, qu’on ne puisse lui opposer aucune
exception du chef des porteurs précédents. Celui qui
signe un billet négociable accepte par cela même sciem
ment et volontairement toutes les conséquences que la
loi fait ressortir de son engagement.
Il est par cela même présumé avoir traité directement
avec tous les porteurs successifs, et consenti d’avance à
n’avoir à faire qu’avec celui qui, possesseur de l’effet à
l’échéance, lui en demandera payement. Peut-on en
dire autant de celui qui, précisément peut-être pour
échapper à cette présomption, n’a transmis qu’un titre
personnel et non négociable ?
�art.
187, 188.
349
Sans doute, il n’ignore pas que son créancier est libre
de céder ses droits, mais il sait également qu’il ne peut
s’en dessaisir que conformément aux règles de droit or
dinaires ; qu’en vertu de celles-ci, non seulement nul
ne peut céder à autrui des droits plus étendus que ceux
qu’il possède lui-même, mais encore que le cession
naire n’agit et ne peut agir qu’en cette qualité ; qu’on
peut donc lui opposer toutes les exceptions qu’on était
recevable à invoquer contre h cédant.
La cour de Paris part d’un principe vrai, mais arrive
à une conclusion erronée. La signification du transport
saisit définitivement le cessionnaire, cela est incontesta
ble, mais les effets de cette saisine ne se produisent
qu’au moment de la signification et pour l’avenir. Les
exceptions que le débiteur cédé acquerrait ultérieure
ment contre le cédant ne pourraient donc être opposées
au cessionnaire.
Mais celles dont le profit lui était acquis avant la ces
sion, comment lui refuser le droit de les faire valoir ?
Ce profit n ’a pu lui être enlevé, ni par la cession qui
est l’oeuvre unique du créancier, ni par la signification
émanant du cessionnaire.
Or, soutenir que la créance cédée n’a pas de cause,
c’est exciper d’une exception remontant à l’origine du
titre, et dès lors antérieure à la cession. La fin de non
recevoir unique que celle-ci serait dans le cas de créer
contre le débiteur, serait l’acceptation pure et simple
qu’il aurait donnée à la cession.
�550
DE LA LETTRE DE CHANGE
6 * 1 . — Du principe que la transmission d’un sim
ple billet par voie d’endossement est exclusivement régie
par les principes du droit commun, résultent les consé
quences suivantes :
4° Le cédant n’est tenu qu’à la garantie de l’existence
légale de la créance au moment du transport. Il ne ré
pondrait du payement qu’autant qu’il en aurait con
tracté l’engagement form el l.
Cette doctrine, admise sous l’ordonnance de 1673,
n ’a pas cessé de l’être sous l’empire du Code. C’est ce
qui résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation,
jugeant que celui qui a cédé par voie d’endossement un
billet à ordre qui est jugé n’être qu’une simple pro
messe, n’est tenu d’en garantir le payement de- la part
du débiteur qu’autant qu’il s’y est formellement obligé2.
2° Les endosseurs d’un simple billet, qui en ont ga
ranti le payement, ne sont pas soumis à la solidarité,
à moins d’une stipulation expresse.
3° Dans la même hypothèse de garantie de la solva
bilité du débiteur, il n’y a aucun terme fatal dans le
quel le porteur soit tenu de faire des diligences contre
le débiteur pour conserver son recours contre les endos
seurs. Il n’y en a aucun non plus dans lequel il soit
tenu de réaliser ce recours. A quelque époque qu’il
agisse, pourvu que la dette ne soit pas prescrite, il vient
toujours à temps.
1 Pothier, Change, n» 218.
2 <7 février 1847.
�art. 1 8 7 ,
188.
551
En d’autres termes, les obligations prescrites par les
articles 162 et 165, et la peine portée par l’article 168
restent complètement étrangères à la matière des billets
simples. Une application de cette règle résulte d’un ar
rêt de la cour de Besançon, décidant qu’un simple bil
let qui n’est point à ordre , et qu'un négociant a remis,
revêtu de son acquit, à un autre négociant son créan
cier, en payement de ce qu’il lui doit, n’est pas aux
risques et périls de ce dernier à défaut de poursuites à
l’échéance ; qu’en conséquence, si le souscripteur vient
à faire faillite et que le porteur n’ait fait aucune dili
gence, celui qui l’a donné en payement n’est pas moins
tenu d’en rembourser le m ontant l.
4° Enfin, il n ’y a en matière de simples billets au
cune autre déchéance que celle résultant de la prescrip
tion. Ainsi que nous le ferons remarquer sur l’article
suivant, cette prescription ne peut s’entendre de celle
dont la durée est réglée par l’article 189, mais de la
prescription ordinaire de trente ans.
© 38. — Un titre de la nature de celui dont nous
venons d’indiquer la forme et les effets, qui ne peut
dans aucun cas remplir l’office d’une monnaie, ne se
rencontrera pas usuellement dans les habitudes com
merciales. Cependant, dans la catégorie des billets qui
ne portent pas la clause à ordre, nous en rencontrons
deux qui empruntent un caractère essentiellement comi 27 mars 4811.
�352
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mercial de la qualité des signataires, du but qu’ils se
proposent. Nous voulons parler des rescriptions et des
lettres de crédit.
I.a rescription, dit Pothier, est une lettre par laquelle
je mande à quelqu’un de payer ou de compter pour
moi une certaine somme. C’est celle lettre qu’on dési
gne^ sous le nom de mandat, et qui seule mérite cette
qualification.
Il est évident qu’on décore improprement du nom de
mandats des obligations à ordre et surtout des titres
qui, tirés d’un lieu sur un autre, réalisent la remise
d’argent de place en place Les premières n’en seront
pas moins des billets à ordre et les seconds des lettres
de change. Nous sommes à cet égard de l’avis de
M. Nouguier, et nous reconnaissons que c’est en vain
qn’on tenterait d’interdire au porteur de celles-ci le droit
de requérir l’acceptation, sous prétexte que le tireur les
aurait qualifiées de mandat. Les effets de commerce
s’apprécient par le fond des choses plutôt que par leur
forme, plutôt surtout que par le nom qu’on leur aura
donné.
Ce que nous acceptons nous, sous le nom de man
dat, c’est le bon qu’un commerçant, qui a à opérer un
payement, donne à son créancier qui va le toucher au
lieu désigné.
Il est certaines maisons de commerce qui sont dans
l’usage de verser toutes leurs recettes chez un banquier,
qu’elles chargent également du payement de toutes leurs
dettes. Un créancier, quel qu’il soit, se présente-t il, on
�art. 1 8 7 ,
188.
553
vérifie ses titres, on lui donne ensuite un bon sur le
banquier qui le retire en payant.
Voilà la rescription, voilà le mandat véritable, et l’on
comprend qu’il ne peut être que nominatif. Il s’agit en
effet d’un payement réel, effectif, actuel. Le créancier
n’a qu’à se présenter pour le recevoir, la clause de
payer à son ordre devient inutile. Il ne peut jamais en
cette matière être question de négociation.
Ce qui se réalise sur la localité même peut s’accom
plir au dehors. Un commerçant qui a employé dans un
autre pays des ouvriers, des fournisseurs, leur envoie à
chacun un mandat sur un banquier de la localité en
règlement de ce qui lui est dû. Ici encore, le payement
devant suivre la présentation du bon lui même, la clause
à ordre deviendrait inutile.
Cependant le contraire serait admis si le payement
était fixé à une époque plus ou moins reculée de cette
présentation. Le bénéficiaire pourrait avoir intérêt à le
négocier pour en réaliser la valeur avant l’échéance in
diquée. Mais, si dans ce but le bon a été déclaré paya
ble à ordre, il n’est plus un mandat, il devient un véri
table billet à ordre, en subissant les règles et en produi
sant les effets.
633.
— A côté du mandat tel que nous le conce
vons, et sur une ligne parallèle, se place la lettre de
crédit, espèce de rescription, disait Pothier, par laquelle
un marchand ou banquier mande à son correspondant,
dans un autre lieu, de compter à la personne dénomii — 23
�354
DE LA LETTCtE DE CHANGE
mée dans la lettre l’argent dont celle-ci témoigne avoir
besoin. Ces lettres sont le plus souvent limitées à une
somme déterminée.
Ce but, quoique le plus usuel, n’est pas le seul que
la lettre de crédit puisse se proposer. Elle peut, en ou
tre, avoir pour objet de favoriser les relations d’un com
merçant avec un autre, en faveur duquel le souscrip
teur de la lettre déclare se porter garant des engage
ments souscrits ou à souscrire par le premier.
634.
— Dans l’un comme dans l’autre cas, la let
tre de crédit est purement nominative et personnelle.
S’agit-il du premier, l’exécution de la lettre de crédit
est inconciliable avec l’idée d’une substitution quelcon
que dans la personne du crédité. Il importe à celui sur
qui le crédit est donné de ne payer qu’au crédité, car
ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra répéter con
tre le créditant toutes les sommes qu’il aura avan
cées. Aussi n’omet-on rien de ce qui peut le mettre à
même d’apprécier l’identité de celui qui se présente.
On a même le soin de lui transmettre d’avance un spé
cimen de la signature qu’il pourra comparer avec celle
qu’on lui donnera chez lui.
Toutrs ces sages précautions sont exclusives de toute
possibilité de négociation d’une lettre de crédit. D’ail
leurs, celui qui la donne et qui a confiance au crédité
ne serait pas assez insensé pour se lier envers celui que
celui-ci pourrait se substituer, et qui n’en mériterait en
réalité aucune.
�art.
187, 188.
355
635. — Dans la même hypothèse, la lettre de cré
dit offre ce caractère remarquable qu’elle n’est réelle
ment obligatoire pour personne. Celui qui l’obtient ne
contracte aucun engagement, pas même dans le cas où
il aurait réellement besoin de se procurer des fonds sur
la localité. L’usage de la lettre de crédit est entièrement
subordonné à sa volonté et à ses convenances.
Le commerçant sur qui la lettre de crédit est donnée
n’est pas contraint de l’accueillir, même envers son cor
respondant, à moins qu’il ne s’y soit formellement
obligé. Ce qui le déterminera à accepter ou à refuser
sera la position financière du créditant, la nature de
leurs relations. Si sa solvabilité est douteuse, si le dé
couvert de son compte a déjà atteint des proportions
considérables, à quel titre exigerait-il le nouveau témoi
gnage de confiance que son correspondant ne voudrait
pas lui accorder.
Enfin, le créditant lui-même peut toujours arrêter
l’effet de la lettre de crédit en la révoquant. Cette révo
cation, en supposant qu’elle dût être justifiée, le serait
suffisamment par l’allégation que les recherches nou
velles du créditant lui ont fait concevoir des doutes sur
la solvabilité du crédité.
636. — Cette dernière règle reçoit une exception
évidente, dans le cas où le montant de la lettre de cré
dit a été d’avance consigné entre les mains du créditant.
Dans ce cas, en effet, il y a pour celui-ci un avantage
résultant de la jouissance d’un capital qu’il n’aura à
�356
DE LA LETTRE DE CHANGE
rembourser que plus tard. Un autre avantage se réunira
à ce premier, le payement de la commission de banque
et de change qu’il n’aura pas manqué de stipuler.
Le crédité a donc acheté et payé le droit d’obtenir le
remboursement de ses fonds au lieu et aux époques
convenables. L’inexécution de la promesse du créditant
l’obligerait dès lors à indemniser le premier de tout le
préjudice que celui-ci en aurait éprouvé.
6 8 » . — L’exécution d’une lettre de crédit, tou
jours dans la même hypothèse, aboutira aux résultats
/■
suivants.
La réception des sommes touchées par le crédité sera
constatée par une quittance signée en duplicata. L’une
de ces quittances reste en possession de celui qui a
fourni les fonds et devient la pièce justificative de l’ins
cription de ces fonds au débit du créditant. L’autre est
transmise h celui-ci, qui est dès lors autorisé à en de
mander le remboursement au crédité.
Lorsque celui-ci a opéré ce remboursement et retiré
l’exemplaire de la quittance, sa libération est complète
et absolue. Peu importerait que le créditant n’eût pas
encore désintéressé son correspondant ; que son état
d’insolvabilité ne lui permît plus de le faire à l’avenir.
Celui-ci, en fournissant les fonds, n’a fait confiance
qu’au créditant, il n’a donc jamais acquis aucun droit
contre le crédité dont il ne pourrait dès lors contester la
valable libération. Cela est d’autant plus juste, que dans
�ART. 187, 188.
357
le cas de consignation préalable le crédité n’a jamais
rien dû à personne.
Dans tous les cas, il ne se serait obligé qu’envers le
créditant. Dès lors il ne pourrait être actionné par le
fournisseur des fonds que si ce dernier, invoquant l’ar
ticle 1166 du Code civil, exerçait les actions de son pro
pre débiteur.
Les droits respectifs du créditant et de son correspon
dant se règlent par les indications de la lettre de crédit.
Le second a incontestablement le droit de se faire rem
bourser l’intégralité de ce qu’il a payé, si le crédit étant
illimité, il est impossible de lui reprocher aucun excès.
Mais si la lettre de crédit déterminait la somme jus
qu’à concurrence de laquelle elle a été donnée, il n’y
aurait d’avance obligatoire que celle qui se renfermerait
dans la limite indiquée. Tout ce qui aurait été donné
au-delà l’ayant été contrairement au mandat, ne sau
rait être répété du mandant. Conséquemment, l’offre de
celui-ci, de restituer jusqu’à concurrence de la somme
dont il avait autorisé l’avance, serait satisfactoire. Le
donneur de fonds ne pourrait recourir pour le surplus
que contre le crédité lui-même, auquel il aurait per
sonnellement et exclusivement fait confiance.
638.
— Le crédit ouvert à un négociant chez un
autre négociant constitue, en thèse ordinaire, une obli
gation directe de la part de celui qui a consenti à l’ac
corder. Vainement exciperait-on de ce que dans la lettre
d’ouverture on aurait déclaré garantir le payement de
�558
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la dette que le crédité contracterait. L’obligation, dans
ces termes, n’en serait pas moins réputée solidairement
consentie, à moins d’une stipulation contraire, expres
sément exprimée.
Ainsi et à défaut de cette stipulation, la lettre de cré
dit peut être réputée non un simple cautionnement du
quel il résulte une obligation purement civile, mais un
véritable aval consenti par acte séparé, qui rend celui
qui l’a souscrit justiciable des tribunaux de commerce,
et en vertu duquel il est contraignable par corps, de la
même manière et par les mêmes voies que les tireur et
endosseurs des effets souscrits en exécution de la lettre
de crédit *.
— Alors, en effet, cette exécution n’exige plus,
comme nous le disions tout à l’heure, la délivrance de
quittances au fur et à mesure des avances. Ces avances,
alors même que la lettre de crédit les autoriserait moyen
nant reçu, résulteraient valablement des lettres de chan
ge tirées par le crédité2.
Il y a mieux encore, si le crédité est en compte cou
rant avec le négociant auprès duquel on le crédite, les
énonciations du compte courant prouveront régulière
ment la sincérité et la valeur des avances. Il n’est pas
même nécessaire d’ouvrir un compte spécial pour l’exé639.
1 Bourges, 9 avril 1824.
2 Bordeaux, 30 novembre 4830. V. Aix, 29 mai 4841. J. du P ., 2,
�ART. 187, 188.
559
cution du crédit. Le tout se fondrait dans le compte
déjà existant, dont la balance constituerait la somme à
répéter du créditant.
640.
— A ce su jet, une circonstance importante
vient énergiquement témoigner de l’immense intérêt que
ce dernier a à bien expliquer dans la lettre de crédit la
nature et l’étendue de l’obligation qu’il entend s’impo
ser. En effet, le doute ou l’obscurité qui régnerait à cet
égard pourrait avoir ce singulier résultat de permettre,
à celui qui doit faire honneur au crédit, d’imputer sur
la somme à livrer les sommes par lui précédemment
avancées au débiteur crédité, quoique ce dernier n’y ait
pas formellement consenti, si la lettre de crédit n’en
contient pas la prohibition formelle.
En l’absence de toute indication précise, dit la cour
de Bourges, dans son arrêt du 9 avril 1824, la ques
tion ne peut se résoudre que par l’intention des parties.
Or, l’intention du créditeur, de ne pas faire porter le
cautionnement sur les avances déjà faites au moment
de la délivrance de la teltre de crédit, serait tellement
extraordinaire, qu’elle eût dû être énoncée dans les ter
mes les plus précis.
L’arrêt ajoute : Attendu qu’il est impossible de sup
poser que les sieurs Lyon et Breton eussent consenti à
ouvrir au sieur Senti un crédit de 30,000 fr., lorsque
déjà ils étaient à découvert de plus de 23,000 fr., et
que, loin de leur offrir une garantie, sa solvabilité com
mençait à être fort douteuse dans le commerce, lors-
�360
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que, par le crédit qu’ils accordaient pour un an, ils se
seraient interdits le droit de faire aucune poursuite con
tre lui pendant cet intervalle.
Cette dernière considération était péremptoire, car
l’abstention de poursuites pendant un an, en admettant
que le crédit de 30,000 fr. fût distinct des 23,000 fr.
dus, aurait constitué de la part du créancier un crédit
réel de 53,000 fr.
Dans tous les cas, le crédit accordé à un négociant a
pour objet de le mettre en mesure de faire ses affaires
et de payer les dettes à jour dont le non payement pour
rait amener des poursuites et même une déclaration de
faillite, Or, si le créditeur est naturellement amené à
payer les dettes du crédité sous la garantie du crédi
tant, comment, lorsque le contrat est muet sur ce point,
l’empêcher de se payer d’abord lui-même? N’est-il pas
évident que s’il s’abstient même de demander ce qui lui
est dû, c’est par l’effet de la garantie qui en rend le
payement ultérieur beaucoup plus probable ?
En raison et en doctrine, l’arrêt de la cour de Bour
ges mérite une entière, une absolue approbation. De
quoi se plaindrait d'ailleurs le créditant ? D’avoir ignoré
la position du crédité ? Cela n’est pas probable. On ne
cautionne pas sans se mettre au courant des affaires de
celui pour lequel on engage une partie de sa fortune.
D’ailleurs, la nécessité seule d’être cautionné est un in
dice dont la signification ne saurait être douteuse en
commerce.
Le créditant a pu mettre à son obligation telles con-
�ART. 187, 188.
361
ditions et restrictions qu’il jugeait convenables, la faire
porter exclusivement sur les sommes à fournir , en ex
clure celles déjà fournies. L’intérêt qu'il a à ce qu’il en
soit ainsi ne permet pas d’équivoquer sur le silence qu’il
a gardé sur ce point. Il ne saurait donc raisonnable
ment en répudier les conséquences, et dicter après coup
au créditeur une loi qu’il n’eût pas acceptée, si on en
avait fait la condition du crédit.
644. — Du principe que l’obligation du créditant
admet des restrictions dont il est libre d’exiger la men
tion obligatoire, il résulte qu’il peut stipuler qu’il ne se
soumet ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps,
ne donner qu’un cautionnement simple, se réserver le
bénéfice de division et de discussion. L’acceptation de
la lettre de crédit renfermant ces conditions emporterait
virtuellement le consentement à leur exécution.
643. — Nous avons déjà dit que, sous l’ancienne
législation, les billets au porteur avaient succédé aux
billets en blanc, dont la suppression avait été ordonnée
en 1611 et 1621. Evidemment le billet au porteur n’etait que le billet en blanc lui-même ; et sa substitution
à celui-ci prouverait que loin de répugner au commerce
ce mode d’engagement, véritable monnaie, plus encore
que la lettre de change et le billet à ordre, était appelé
à rendre des services réels.
Ce qui complète cette preuve, c’est la pratique qui fit
maintenir, qui maintient encore l’usage des billets au
�5G 2
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur, malgré les répugnances, malgré les réclama
tions qu’il souleva et qui l’accueillirent.
En effet, on ne voyait en lui que le billet en blanc et
on le jugeait comme on avait fait de celui-ci. L’usage
des billets au porteur, disait Jousse, est dangereux pour
le commerce. C’est, en effet, ce que pensait le Parle
ment de Paris, lorque, par un arrêt de règlement du
16 mai 1850, il le proscrivait.
Cette doctrine, bientôt consacrée et renouvelée par la
déclaration royale du 9 janvier 1664, ne parait pas
avoir été suivie. En 1673, nous trouvons le billet au
porteur tellement en usage, que le nouveau législateur
croit devoir l’adopter, en décernant la contrainte par
corps contre les signataires l.
Plus tard et en 1716, un édit du régent le supprime
de nouveau. Le motif apparent de cette suppression se
trouve consigné dans le préambule. Après avoir rappelé
l’abolition des billets en blanc et les raisons qui durent
la faire consacrer, ce préambule ajoute : Le même es
prit de fraude et d’usure, ayant ensuite imaginé les bil
lets au porteur, qui, sous un autre nom, étant en effet
la même chose que les billets en blanc, consacrent les
mêmes abus, et plusieurs plaintes en ayant été portées
ennotreParlement.il rendit, sur la requête de notre pro
cureur général, le 16 mai 1850, un nouvel arrêt de rè
glement, par lequel, après avoir entendu les juges con-
i Ordonnance de 1673, tit. vu, art. 1er.
�art.
178, 188.
365
suis et les anciens marchands de notre bonne ville de
Paris, il fut fait défense, etc......
A ces causes, l’édit renouvelle cette défense et abolit
de nouveau l’usage des billets au porteur. Nous disons
que les raisons invoquées dans le préambule ne sont
qu’apparentes, et, en effet, le but que se proposait l’édit
était tout autre. En 1746, la fameuse banque de Law
venait d’êtie autorisée. On ne se contentait pas de la
fièvre de spéculation qu’elle avait suscitée, on voulait
en outre appeler à elle tous les capitaux en tarissant les
autres sources de la circulation.
Sans doute, les billets au porteur pouvaient offrir des
inconvénients, mais ils avaient, surtout à cette époque,
l’incontestable avantage d’attirer dans le commerce les
capitaux de ceux qui, par position ou par leur qualité,
devaient rester inconnus. Comment douter d’ailleurs de
leur utilité réelle en présence de l’usage persistant mal
gré la prohibition ; de leur rétablissement formel d’a
bord par l’ordonnance de 1673, ensuite par une décla
ration du roi du 26 février 1692.
C’est encore cette utilité qui fera rétracter l’édit de
1716, et avant de citer l’ordonnance de rétractation,
citons le témoignage de l’illustre d’Aguesseau. Dans une
lettre qu’il écrivait sur la matière, le 8 septembre 1747,
il disait : on a senti en France, et surtout à Paris où il
y a des gens de différents états extrêmement riches,
combien l’Etat était intéressé à leur procurer les moyens
de faire circuler leurs fonds sans être connus ; et c’est
par cette raison que les billets au porteur, abrogés en
�364-
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mai 1716, ont été rétablis par la déclaration du roi du
mois de janvier 1731.
Le préambule de celte déclaration n ’en fait pas d’ail
leurs mystère. Il rappelle l’édit de 1716, il ajoute : Mais
des négociants nous ont fait représenter, aussi bien que
ceux qui sont intéressés dans nos affaires, que rien n’é
tant plus important pour le bien du commerce et pour
le soutien de nos finances que de ranimer la circulation
de l’argent, il n’y avait pas de moyen plus prompt pour
y parvenir, l’expérience ayant fait connaître qu’un grand
nombre de personnes se portent plus facilement à prê
ter leur argent par cette voie que par une autre.
6 4 3 . — C’est sous l’empire de cette législation que
se trouvaient les billets au porteur, lorsque éclata la ré
volution de 1789. Nous avons déjà dit que les caisses
des directoires des départements avaient créé des billets
dits patriotiques et de confiance, payables au porteur,
mais que ces billets avaient dû être prohibés dans l’in
térêt de la circulation des diverses monnaies de l’Etat.
Aussi, par décret de la Convention, du 8 novembre
1792, il fut fait défense de souscrire ou d’émettre au
cun billet au porteur, sous quelque dénomination que
ce fût, sous peine d’être poursuivi et puni comme faux
mn nayeurs.
Des doutes s’étant élevés sur la portée de ce décret,
sur son application aux billets au porteur de simples
particuliers, le législateur crut devoir s’expliquer luimême. Une loi du 25 thermidor an m déclara donc
�art.
187, 188.
365
que la prohibition de souscrire et d’émettre des effets et
billets au porteur ne concernait pas ceux qui n’avaient
pas pour objet de remplacer ou de suppléer la mon
naie ; qu’en conséquence, il était permis de souscrire et
de meitre en circulation, de gré à gré, comme par le
passé, lesdits billets et effets au porteur.
A. cette loi, autorisant expressément les billets au por
teur, il faut ajouter celle du 15 germinal an vi, sur la
contrainte par corps, qui en consacre implicitement
l’usage. C’est en cet état que parut le Code de com
merce.
© 44. — Le silence qu’il garde sur les billets au
porteur a d’abord préoccupé les esprits. Ce silence ren
fermait-il une abrogation et fallait-il en faire résulter
l’abolition de ces titres ? La négative a prévalu en doc
trine et en jurisprudence. Le silence d’une législation
nouvelle laisse l’ancienne en vigueur, si d’ailleurs la
première ne contient aucune disposition antipathique
ou inconciliable avec celle-ci. D’ailleurs, observe Merlin,
n’est-ce pas une obligation licite, d’après le droit natu
rel, que celle prise par le débiteur de payer une somme
déterminée à celui qui, de la main à la main, lui re
mettra le litre matériel renfermant la preuve de la dette.
L’effet d’une pareille obligation ne saurait être paraly
sée que par une loi qui la prohiberait formellementl.
Dès lors le Code ne les prohibant pas, les a par cela
i Quest. de droit, v° Billets au porteur, n° 4.
�366
D E LA LETTHE
DE
CHANGE
même maintenues. Aucun doute ne s’élève aujourd'hui
à cet égard.
Le billet au porteur est donc valable, et dès lors le
billet en blanc le serait également. Il faut bien le recon
naître, en effet, ce dernier n’est pas autre chose qu’un
billet au porteur, puisqu’il dépend de celui-ci de se cons
tituer créancier en remplissant de son nom le blanc que
présente le billet. N’est-ce pas d’ailleurs pour qu’on
puisse se le transmettre de la main à la main qu’on
omet d’en désigner le bénéficiaire ? Dès lors, comment
distinguer entre ces deux titres.
645. — Aucune forme spéciale n’ayant été indi
quée par le Code de commerce, celle des billets au por
teur se trouve encore régie par la loi de 1721. C’est ce
qui a fait décider que, conformément à ses dispositions,
le billet au porteur doit faire mention de la manière
dont la valeur a été fournie, si c’est en argent, en mar
chandises, en compte ou de tout autre manière l.
Cette doctrine était également admise sous l’empire
de l’ordonnance, et c’est ce que Savary et Jousse ensei
gnent formellement. Mais ces jurisconsultes ajoutent
que, sous la même peine de nullité, le billet au porteur
devait indiquer le nom de celui qui en avait fourni la
valeur2.
Mais il est fort difficile d’assigner à cette opinion un
Contrat de Change, 4 4 0 . N o u g u ie r , t. 1 ,
Parère 7 7 , J o u s s e , su r l ’a r tic le 3 4 , t it . v .
1 P a rd essu s,
2
Savary,
p.
541.
�ART.
187, 188.
367
fondement législatif, cependant, et puisqu’il s’agit de
nullité, frudrait-il au moins en puiser l’origine dans la
loi elle-même. Or, la déclaration de 1721 est muette
sur ce point.
A quoi bon d’ailleurs l’indication du donneur des
fonds ? Est-ce qu’il ne demeure pas étranger à la négo
ciation ? Quel qu’il soit, ce n’est pas envers lui que le
débiteur prend l’obligation de rembourser. L’indication
de son nom serait donc, dans tous les cas, fort indiffé
rente. Cela explique suffisamment pourquoi elle n’a pas
été exigée, et pourquoi son omission ne pourrait entraî
ner la nullité du billetL
646. — Le billet au portenr se transmettant ordi
nairement de la main à la main, sa négociation se réa
lise aux risques et périls du cessionnaire. Le cédant
n’est et ne saurait jamais être tenu d’en garantir le
payement. En l’acceptant, le preneur a par cela même
consenti à n’avoir pour débiteur unique que le sous
cripteur, et renoncé à toute recherche contre toute autre
personne, sous quelque prétexte que ce soit.
Cependant le contraire peut être convenu entre les
parties. Dans ce cas, la promesse de garantie sera réa
lisée soit par écrit séparé, soit par un endossement sur
le billet même.
641
?. — Transmissible de la main à la main, le
1 P o th ie r ,
Change,
n° 2 8 4 , M e r lin ,
Rép.
v.
Billet au porteur.
�568
DE LA
LETTRE DE CHANGE
billet au porteur le serait bien mieux encore par un en
dossement.
Mais un endossement pur et simple, et dans la forme
ordinaire, pourrait avoir pour résultat d’enlever au bil
let son caractère de transmissibilité de la main à la
main. Comment concevoir en effet que le bénéficiaire
de cet endossement pût transférer la propriété du titre
sans consentir une cession expresse.
Il peut donc se faire que l’endossement d’un billet au
porteur ne consiste que dans la signature isolément mise
au dos du billet, et destinée à profiter à tous les por
teurs ultérieurs.
— Mais cette prévision a soulevé la question
de savoir quel serait l’effet de cette signature. Devraiton en faire résulter une promesse de garantie ?
L’affirmative a été consacrée par un arrêt de la cour
de Pau, du 20 mars 1838 l.
C’est cette solution que recommandait l’ancienne doc
trine. La raison en est, disait Denisart, que la signa
ture au dos d’un billet au porteur étant inutile pour le
transfert de la propriété, cette signature ne peut avoir
été mise que pour un autre objet, celui de garantir.
C’est aussi ce que nous enseigne Jousse, en se fondant
sur un arrêt rendu dans ce sens par la grand’chambre
du Parlement de Paris, du mois de septembre 1703.
648.
�art .
187, 188.
369
— Merlin combat cette doctrine et ses consé
quences. La signature, dit-il, peut avoir été apposée,
non pour garantir le payement, mais pour certifier la
signature du souscripteur, en même temps que l’exis
tence légale de l’obligation. Dans le doute, l’interpréta
tion doit avoir lieu dans le sens le moins onéreux aux
signataires. D’ailleurs, aujourd’hui une simple signature
mise au bas d’un billet ne constitue pas un endosse
ment si elle n’est précédée des énonciations voulues, et
ne valant que comme simple procuration, elle consti
tuerait le cessionnaire du billet au porteur le procureur
in rem suam du cédant, à l’effet de recevoir le mon
tant du billet 1.
•
649.
— Nous en demandons pardon à ce grand
maître, mais son opinion est loin de répondre à la grave
considération invoquée par Denisart et par Jousse. Elle
déplace la question sans la résoudre.
Sans doute l’apposition de la signature peut avoir l’un
des buts indiqués par Merlin. Mais est-ce qu’il est d’u
sage en matière de billets au porteur de garantir la si
gnature du souscripteur, l’existence légale de la créance?
C’est là au contraire un acte tellement en dehors des
habitudes commerciales que peut-être personne n’y a
jamais songé. Or, plus cet acte est extraordinaire et plus
il ne conviendra de l ’admettre que s’il est formellement
et expressément formulé.
650.
i
Quest. de droit,
v.
Billet au porteur,
n° 6 .
n —- 24
�370
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
Donc une signature isolée ne saurait jamais avoir
cette signification, et les conséquences que l’on indui
sait tout à l’heure de son inutilité, à l’égard du transfert
de la propriété, restent dans toute leur force.
Nous n’admettrions même le doute que si les stipu
lations indiquées par Merlin étaient dans les habitudes
commerciales. Dans tous les cas, nous n’interpréterions
pas ce doute comme il le fait lui-même. Nous dirions
avec le principe général que c’est à celui qui contracte
un engagement à en déterminer la nature, à en préci
ser le caractère ; que s’il manque à ce devoir, que s’il
laisse planer sur ses intentions l’incertitude et le doute,
c’est contre lui qu’on doit se prononcer.
L’argument puisé dans l’irrégularité de l’endossement
ne saurait être sérieusement accepté. Il vaudrait plus
ou moins si l’existence de la signature était invoquée
comme opérant le transfert de la propriété. Mais, dans
l’espèce, ce transfert est de plein droit résulté de la tra
dition manuelle du titre. Ce n’est donc pas comme en
dossement que la signature est apposée. Ce qu'on veut
en faire résulter c’est qu’elle n’est qu’une promesse de
garantie, précisément parce qu’elle ne devait ni ne pou
vait dans aucun cas être un endossement. La raison dé
cisive est ici l’inutilité de celui-ci.
Nous faisions nous-même remarquer tout à l’heure,
en matière de simples billets, qu’un endossement régu
lier, et à plus furie raison une signature isolée ne pour
rait créer une garantie quelconque si elle n’était formel-
�art.
Ig ? , ^88.
371
lement stipulée l. Cette différence, qu’on serait peut être
tenté de nous reprocher comme u ;e contradiction, s’ex
plique naturellement par le caractère spécial des deux
titres.
L’endossement, étant indispensable pour le transfert
du billet simple, ne saurait avoir d’autre signification
que celle d’opérer ce transfert lui-même. On ne saurait
donc admettre une obligation plus étendue que si elle
résultait des termes mêmes de l’endossement. De son
côté, la signature isolée ne pourrait renfermer ce qui
n’est pas même virtuellement compris dans l’endosse
ment, elle ne serait qu’un endossement irrégulier.
Le billet au porteur n’exigeant aucun endossement,
on ne pourrait considérer comme tel la signature iso
lée, et comme le dit la cour de Pau, comme avant l’en
seignaient Denisart et Jousse, elle ne pourrait être en
réalité qu’une promesse de garantie.
©51. — Mais quelle serait l’étendue de cette ga
rantie ? La cour de Pau l’a fixée en décidant que l’ap
position de la signature sur un billet au porteur ne doit
être considérée que comme une simple garantie du
payement. Elle renfermerait donc la stipulation exigée
par l’article 1695 du Code civil. Dès lors, elle n’entraî
nerait ni compétence commerciale, ni solidarité, ni con
trainte par corps.
i Supra, n» 63 t.
�1
'
'
'*
- v l ■'
372
D E LA LETTRE D E CHANGE.
6 5 3 . — On s’est, en effet, de tout temps demandé
s’il fallait assimiler le billet au porteur au billet à or
dre. La solution négative, admise sous l’empire de l’or
donnance de 4673, devenait en quelque sorte plus im
périeuse depuis le Code de commerce. Celui-ci, en effet,
restreint l’application des conditions exigées pour les
lettres de change, et des conséquences qu’elles entraî
nent, aux seuls billets à ordre nommément, de plus,
il exige pour la validité de ceux-ci des formes que la
nature du billet au porteur exclut forcément. Il est donc
impossible de les placer indistinctement sur une seule et
même ligne l.
Donc, conclut M. Pardessus, les billets au porteur
étant différents des billets à ordre, ils ne peuvent jouir
d’aucune des prérogatives que la loi confère à ces der
niers. Cette régie n’a pas cessé de recevoir son applica
tion en doctrine et en jurisprudence.
Ainsi, la Cour de cassation jugeait, le 5 décembre
1837, qu’en cas de perte d’un billet au porteur, il n ’y
avait pas lieu d’appliquer les dispositions des articles
151 et 152 du Code de commerce2.
Ainsi, MM. Pardessus et Merlin enseignent que les
billets au porteur ne se prescrivent que par trente ans,
quelle qu’en soit la cause. Comment déciderait-on au
trement, lorsque, sous l’empire de l’ordonnance de
1 J o u s s e , su r l ’a r tic le x x x i , t it. v . P a r d e ss u s ,
C a ss., 2 0 j a n v ie r 1 8 3 6 .
s
J. du
1 \ , 2, 1837, 561.
Droit comm.,
n° 483.
�ART.
187, 188.
375
1673, le Parlement de Paris appliquait ce principe aux
billets au porteur, alors même qu’ils avaient été créés
par des commerçants et pour des faits de commerce.
Enfin, nous venons de voir la cour de Paris décider
que ceux qui se soumettent à garantir le payement du
billet au porteur sont régis, pour l’exécution de leur en
gagement, par les règles tracées par le Code civil.
653. — Il résulte de ce qui précède, que le billet
au porteur n’a aujourd’hui aucun caractère commer
cial ; que dès lors le tribunal de commerce serait incom
pétent, alors même que les signataires seraient com
merçants, excepté qu’il eût été souscrit pour un fait de
commerce, et sauf, en ce qui les concerne, la présomp
tion de l’article 638.
L’ordonnance de 1721 consacrait le contraire. Non
seulement elle déférait aux juges consulaires la connais
sance des billets au porteur, mais de plus elle en décla
rait les signataires, quels qu’ils fussent, contraignables
par corps.
C’est précisément ces dispositions dont on s’est pré
valu pour combattre l’incompétence actuelle de cette ju
ridiction. La législation de 1721, a-t-on dit, n’a pas
été abrogée, elle règle encore sans contestation la forme
des billets au porteur, elle doit donc également en régir
les effets.
A cette objetion, il a été répondu que, d’après la dis
position finale du Code de commerce, toutes les ancien
nes lois touchant les matières commerciales sur lesquel-
�374
DE
LA
LETTRE DE CHANGE,
les il est statué par ce Code sont abrogées ; que si le
Code ne s’exprime pas sur les billets au porteur, il con*
tient un titre spécial qui détermine, et par cela même
limite les matières commerciales dont la connaissance
est déférée aux tribunaux de commerce ; que les billets
au porteur ne se trouvant point compris dans l’énumé
ration qu’il renferme à cet égard, sont de plein droit
abandonnés à la juridiction ordinaire ; telle est notam
ment la doctrine de la cour de Pau, dans son arrêt du
29 mars 4838.
On a voulu alors arriver au même résultat par l ’ap
plication de l’article 637. L’existence des signatures de
commerçants sur les billets au porteur, a-t-o n dit, ren
tre dans la disposition de cet article et attribue juridic
tion au tribunal de commerce, même pour les non
cornai rçants. Mais, dans son arrêt, la Cour de cassa
tion répond : que l’article 637 ne s’applique qu’aux
billets à ordre et aux lettres de change réputées simples
promesses, tels qu’ils sont définis et réglés par le Code
de commerce, et non aux billets au porteur l.
Reste l’article 638. Le commerçant qui fait un billet
au porteur pour les besoins de son commerce, fait acte
de commerce et se rend passible de la juridiction con
sulaire. C’est l’existence de cet acte de commerce que
l’article 638 induit de la qualité de commerçant, et il
est d’autant moins possible de ne pas admettre cette
présomption en matière de billets au porteur, qu’on
i 20 janvier 4836.
�ART.
187, 188.
575
l’applique sans difficulté à un simple billet, à une obli
gation notariée et authentique.
Mais cette présomption cède lorsqu’une autre cause
est exprimée. Or, sur ce point, l’insuffisance du titre
peut être suppléée par les documents, par les faits et cir
constances du procès. C’est ce que la Cour suprême a
maintes fois décidé, c’est ce qu’elle juge notamment
dans cet arrêt du 20 janvier 1836, que nous venons
de citer.
654L. — En résumé, le billet au porteur n’a par
lui-même, et quelle que soit la qualité des signataires,
aucun caractère commercial. De là, la conséquence que
le tribunal de commerce est absolument incompétent
pour en connaître, relativement aux non négociants.
Il n’est compétent à l’endroit des négociants, que si
une autre cause n’est pas exprimée dans le billet, et cette
autre cause peut être prouvée par les faits et circons
tances.
Enfin, si la cause du billet constituait un acte de
commerce, la compétence consulaire serait incontesta
ble, quel qu’en fût le souscripteur.
655. — C’est ce qui se réaliserait, notamment dans
le cas où le billet souscrit dans une localité serait paya
ble dans une autre. Remarquons, en effet, que la for
me au porteur s’adapte à la lettre de change elle-même.
Ainsi, celui qui dit valablement : je payerai au porteur,
peut très bien confier cette mission à un tiers auquel il
�376
D E LA LETTRE DE CHANGE
mande: payez au porteur. L’ordonnance de 1673 re
connaissait formellement les lettres de change au por
teur l.
M. Pardessus en admet également l’existence légale
depuis le Code. Mais cela est plus difficile à établir.
Sans doute, l’article 110 n’exige pas que le nom du
preneur soit exprimé. Il se contente de dire que la let
tre de change sera à l’ordre d’un tiers. Mais il veut bien
certainement cet ordre qui est de l’essence de la lettre
de change. Or, cette condition emporte nécessairement
l’idée d’une désignation personnelle.
Quoi qu’il en soit, régulière ou non en la forme, la
lettre de change au porteur, si elle renfermait le contrat
de change , la remise d’argent de place en place, cons
tituerait un véritable acte de commerce. La connais
sance en appartiendrait donc au tribunal de commerce,
qui pourrait prononcer la contrainte par corps contre le
souscripteur.
0 5 6 . — On a agité la question de savoir si une
obligation notariée, payable au porteur, était régulière
et valable ? L’affirmative a été consacrée par la Cour de
cassation, par arrêt du 21 février 1838. Le tribunal de
Dieppe et la cour de Rouen s’étaient prononcés dans ce
sens, considérant qu’aucune disposition de la loi ne
i V, art xvm et xix.
�ART. 187, 188.
377
s’opposant à ce que, dans une obligation notariée et em
portant hypothèque, on puisse stipuler qu’elle sera paya
ble au porteur, on doit regarder une telle stipulation
comme valable.
Par application de cette règle, on consacre également
que l’hypotbèque conférée par le titre est valable, et
que si des billets à ordre avaient été souscrits en même
temps que l’obligation, ils seraient considérés comme ne
faisant avec elle qu’un seul et même acte ; et ils de
vraient, quoique transportés par la voie de l’endosse
ment et sans signification, entraîner au profit des por
teurs les avantages attachés aux diverses fractions de
l’obligation, c’est-à-dire la garantie hypothécaire qui y
est stipulée l.
Un arrêt de la cour de Bordeaux, du 22 janvier
1839, tirait comme conséquence du principe de la vali
dité de l’obligation notariée au porteur, cette autre rè
gle que celui qui en était propriétaire à l’échéance était
en droit d’agir contre le débiteur par voie d’exécution 2.
6 5 9 . — L’effet au porteur, quelle que soit d’ail
leurs la forme qu’il affecte, se place dans la catégorie
des choses susceptibles d’être revendiquées, aux termes
de l’article 2279 du Code civil, en cas de perte ou de
vol.
Mais la maxime qu’en fait de meubles la possession
1 J. du P.,
1838 , 496 .
2 J. du P., %
, 4 844 , 360 .
�578
DE LA LETTRE DE CHANGE,
vaut titre, s’applique essentiellement à l’effet au porteur.
Celui-là donc qui l’a entre les mains en est présumé
le propriétaire sérieux et légitime. Nul ne serait admis
à le revendiquer, qu’en prouvant qu’on le lui a volé,
ou qu’il l’a perdu, ou qu’il a été trouvé par le por
teur. C’est ce que la jurisprudence a de tout temps con
sacré 1.
Ce qu’on induisait de l’obligation de prouver faite au
revendiquant, c’est que le porteur n’avait aucune justi
fication à faire, aucune explication à donner ; pas mê
me à indiquer le nom de celui de qui il tenait l’effet.
Telle était la jurisprudence du Parlement de Paris, at
testée notamment par les arrêts des 10 décembre 1717
et 7 juillet 17303.
Sans doute on n’admettra jamais qu’on puisse venir
demander compte au porteur de sa possession, sous pré
texte de perte ou de vol, alors que rien ne recommande
cette allégation, alors qu’aucune circonstance n’en fait
présumer, non pas certes la vérité, mais la vraisem
blance : alors surtout qu’il ne serait pas établi, dès à
présent, que dans un temps quelconque le réclamant
a été réellement en possession de l’effet qu’il reven
dique.
Mais, si cette possession étant acquise on pouvait pré
sumer qu’elle n’a cessé que par un fait indépendant du
possesseur, si des faits pertinents et graves faisaient déjà
1 Cass., 2 nivôse an xu.
2 Merlin, V. Billet au porteur, n° 2.
�art.
187, 188.
379
suspecter la bonne foi du porteur, le silence qu’il gar
derait sur celui qui lui a transmis l’effet ferait naître de
tels soupçons, qu’il y aurait lieu de prendre une me
sure contre lui.
Dans une remarquable espèce qui s’offrait à son ap
préciation, la cour de Paris a jugé que cette mesure ne
pouvait être la nullité du billet ; que seulement le por
teur pourrait être, en l’état, déclaré sans qualité et sans
titre, et par conséquent non recevable à en exiger le
payementl.
6 5 8 . — Nous arrivons au billet à ordre, à celui
que la loi a placé dans ses dispositions parallèlement à
la lettre de change, et qui méritait bien cette place par
les importants services qu’il est appelé à rendre au com
merce, et dont l’exposé sortait naguères de la bouche de
l’orateur du tribunat.
Nous l’avons déjà relevé, le billet à ordre est destiné
à tenir lieu de monnaie. 11 agit donc de la même ma
nière que la lettre de change, quoique dans une sphère
plus restreinte. Ainsi, le but forcé de la lettre de change
est de faire trouver, là où le besoin s’en fait sentir, des
fonds qu’il faudrait sans son secours aller chercher au
loin, et faire voyager d’un lieu à un autre. Au contraire,
le billet à ordre, et c’est, là en quoi il diffère essentielle
ment de la lettre de change, sera payé dans le lieu
même où il est souscrit. La. lettre de change, dit avec
i 5 juillet 4811.
dj
�380
DE LA LETTRE DE CHANGE
infiniment de raison M. Nouguier, est cosmopolite ; elle
liquide les transactions de ville en ville, de pays en
pays ; le billet à ordre est en quelque sorte sédentaire,
au lieu de servir d’instrument au commerce de l’uni
vers, il concentre ses effets dans l’intérieur d’une lo
calité.
6 5 9. — Cette différence dans le but en créait de
notables dans la forme constitutive de l’acte, dans son
caractère, dans ses effets.
La lettre de change n’est pas destinée à être payée
par celui qui l’a souscrite. L’argent qu’il reçoit est tou
jours payable ailleurs qu’à son domicile, et on ne pou
vait ni présumer, ni moins encore exiger que, délais
sant son commerce et ses affaires, il se transportât de
sa personne au lieu du payement pour opérer person
nellement celui-ci.
Le concours d’un tiers était donc inévitable, et c’est
pour la réalisation de ce concours que la lettre change
est souscrite. Payez à tel ou à son ordre, dit-elle à celui
qu’elle désigne pour cet office. De là, la nécessité de
trois personnes dans la lettre de change : un tireur, un
preneur, un tiré; de là, encore, l’obligation d’une pro
vision devant mettre le mandataire en mesure de réali
ser le payement dont il est chargé ; de là, enfin, la fa
culté de contraindre à faire cette provision avant l’é
chéance, par le protêt faute d’acceptation.
Le billet à ordre se concentre entre le preneur et le
souscripteur. Je payerai, déclare celui-ci, et en effet,
�art.
187,
188.
381
nul autre que lui ne pourrait être valablement inter
pellé de faire ce payement que seul il a promis de réa
liser.
Les conséquences de cet état de choses étaient évi
dentes. Tout ce qui concerne la provision et l’accepta
tion restait focément étranger aux billets à ordre. Aussi,
l’article 187 omet-il de mentionner l’une et l’autre dans
la nomenclature des dispositions qu’il déclare commu
nes à la lettre de change et au billet à ordre.
Il résulte encore de là que, dans l’application de ces
dispositions communes, quelques-unes d’entre elles re
çoivent des modifications nécessaires. Le protêt, par
exemple, pour ce qui concerne le billet à ordre, ne peut
être fait qu’au domicile du souscripteur, sauf les besoins
que les endosseurs auraient indiqués et au domicile
desquels l’huissier devrait se présenter.
« 6 0 . — L’objet réciproque de la lettre de change
et du billet à ordre influe d’une manière décisive sur
leur caractère respectif. La lettre de change est essen
tiellement commerciale au fond comme dans la for
me. Ce qui la constitue est la remise d’argent de place
en place, c’est-à-dire une opération de change. Aussi,
la loi ne se contente pas de qualifier cette opération
d’acte de commerce, elle a voulu de plus s’expliquer
tant sur la lettre de change que sur la remise de place
en place. Sont réputées acte de commerce entre toutes
personnes, les lettres de change ou remises d’argent fai
tes de place en place ï.
i Art. 632.
�382
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quelle que soit donc la qualité des signataires, la
création d’une lettre de change est un fait attributif de
juridiction. Les difficultés que son exécution peut susci
ter ne peuvent être appréciées que par le tribunal de
commerce. Cette exécution entraîne la contrainte par
corps.
Le billet à ordre n’est pas par lui-même et nécessai
rement un acte de commerce. Il n’a réellement de com
merçant que la forme. Il ne contracte au fond ce carac
tère que s’il émane d’individus commerçants, que si la
cause en est une opération de commerce.
C’est surtout celle-ci qui fournit le motif déterminant
de décision. En effet, si la loi fait résulter le caractère
commercial du billet à ordre de la qualité du signataire,
c’est qu’elle présume que ce n’est que pour les besoins
du commerce de celui-ci qu’il a été créé. Aussi, ce ca
ractère disparait-il, malgré celte qualité, si le billet ex
primait une cause purement civile.
6 6 1 . — Ce double caractère du billet à ordre ex
plique les divers effets qu’il produit. Commercial en la
forme, la loi l’assimilera, quant à ce, à la lettre de
change, en lui en imposant la forme.
Mais elle continuera à les distinguer au fond. Ainsi,
le tribunal de commerce ne sera compétent que si la
cause du billet est un acte de commerce, ou que si tous
les signataires, ou quelques-uns d’entre eux, sont comcommerçants.
Dans ce dernier cas, le tribunal de commerce est
�art.
187, 188.
383
compétent même pour les non commerçants, mais les
premiers engagent leurs biens et leur liberté, les se
conds n’engagent que leurs biens. Dès lors, disait l’ora
teur du tribunal, comme dans une matière indivisible,
il fallait donner à une autorité unique le droit de juger,
il était juste de déférer aux tribunaux de commerce la
connaissance de ce genre de différends, car l’objet le
plus grave entraîne celui qui l’est moins.
Tel est, en effet, le système que l’article 637 a con
sacré. Mais pour éviter tout équivoque, le législateur a
cru devoir en même temps interdire aux tribunaux de
commerce le pouvoir de prononcer la contrainte par
corps contre les non négociants.
G63. — Dans l’usage le plus général, le plus ré
pandu, le billet à ordre est fait sous seing privé, mais,
comme la lettre de change elle-même, il peut être ré
digé pardevant notaire et dans la forme authentique.
Cette règle ne rencontre plus aucun contradicteur en
doctrine et en jurisprudence, seulement on admet que
l’acte est alors régi par les lois notariales et soumis aux
mêmes formalités que les autres actes authentiques ;
que notamment il doit être enregistré dans le délai or
dinaire l.
Mais le billet authentique ne cessant pas d ’être trans
missible par voie d’endossement, il en résulte d’abord
1 C a ss., 1 8
1835.
novembre 1 8 3 3 , 10 fé v r ie r 1 8 3 4 , 2 8 ja n v ie r e t 2 9 ju in
�384
DE LA LETTRE DE CHANGE.
qu’on ne pourrait opposer au porteur l’exception, soit
de payement, soit de compensation, dont le titre ne fe
rait aucune mention.
Ensuite que le profit de l’hypothèque qui lui a été af
fectée en garantie est acquis au porteur auquel il a été
régulièrement négocié, de manière que celui-ci, ayant
obtenu jugement, tant contre l’endosseur que contre le
tireur, peut seul exercer dans l’ordre le droit attaché
à l’hypothèque, à l’exclusion du preneur, au nom du
quel l’hypothèque a été prise, et de ses autres créan
ciers i.
663. — Le billet à ordre souscrit sous seing-privé
est-il régi par la disposition de l’article 1326 du Code
civil ? Oui, à moins que la cause n’en fût commerciale,
ainsi que nous l’avons déjà indiqué2.
Ajoutons que dans le cas même où la cause du billet
serait purement civile, la qualité des parties pourrait les
dispenser du bon et approuvé prescrit par cet article.
Indépendamment du caractère commercial que la qua
lité de commerçant imprimerait au titre, elle placerait
celui qui en serait revêtu dans l’exception prévue par
l’article 1326 lui-même.
664. — La nécessité du bon ou approuvé existant
pour les femmes et les filles, en matière de lettres de
1 C a s s ., 41 j u i l l e t 1 8 3 9 .
2 Supra, n° 44.
J. du
P„
2, 1839, 428.
�change, existe à plus forte raison pour les billets à or
dre, sans parler de l’autorisation que devrait indispen
sablement rapporter la femme mariée.
Mais la femme marchande publique serait dispensée
de se conformer sur ce point à l’article 1326, alors mê
me qu’elle serait mariée. Elle est alors habile à faire,
sans l’autorisation de son mari, tous les actes ressortis
sants de son commerce, et les billets à ordre par elle
souscrits se placeraient incontestablement dans cette ca
tégorie, sauf la preuve contraire. Elle pourrait dès lors,
d’autant moins exciper de l’absence du bon et approu
vé, que par sa qualité seule elle en est affranchie.
G 6 5 . — En serait-il de même de la femme unie à
un commerçant et qui détaillerait les marchandises de
celui-ci. Le billet à ordre, par elle souscrit concurrem
ment avec son mari et en vertu de son autorisation se
rait-il valable à défaut du bon ou approuvé ?
L’affirmative avait été consacrée par la cour de Douai,
le 16 août 1813. Elle se fondait pour le décider ainsi,
sur ce que la femme d ’un artisan devait être rangée
dans la classe des artisans, comme la femme d’un mar
chand dans celle des marchands, quoiqu’il n’arrive pas
toujours qu’elles exercent la même profession. Raison
ner autrement, ajoutait l’arrêt, ce serait prétendre que
la loi a été faite pour les hommes et non pour les fem
mes, et obliger celles-ci à une formalité dont les maris
se trouveraient dispensés.
Sur le pourvoi dont cet arrêt devint l’objet, on faisait
n —
25
�386
DE LA LETTRE DE CHANGE
remarquer la confusion dans laquelle était tombée la
cour de Douai. Il est incontestable, disait-on, que la
femme suit la condition de son mari, mais ici c’est de
la profession et non pas de la condition qu’il s’agit.
Sans doute, la femme d’un Français ou d’un étranger,
d’un noble ou d’un plébéien, participera, sous le rap
port de ces qualités, à la condition de son mari ; mais
il n’en est pas de même de la profession. Ne serait-il
pas, en effet, ridicule de considérer la femme d’un avo
cat, d’un médecin, d’un apothicaire, comme exerçant la
même profession que son mari ?
Il était difficile de méconnaître la force d’une pareille
considération. Aussi, le défendeur au pourvoi soutenaitil l’inapplication de l’article 1326 aux obligations soli
daires. Il prétendait que cet article ne disposait que
relativement aux billets par lesquels une seule personne
s’engage envers une autre ; enfin, il excipait du carac
tère commercial du billet à ordre.
Aucune de ces raisons ne parut devoir être admise.
La Cour de cassation les rejette toutes, et, en consé
quence, elle prononce la cassation de l’arrêt de la cour
de D ouai l.
Le caractère juridique de la doctrine de la Cour su
prême ne saurait être méconnu. Il en résulte sans doute,
pour la femme de l’artisan, du marchand, du cultiva
teur, etc..., une protection encore plus étroite que celle
accordée au mari, mais pourrait-on s’en étonner ? N’esti 6 mai 4 816 et autorités en note.
�art.
187, 188.
387
ce pas là la conséquence légitime, naturelle de la fai
blesse du sexe et de l’imminence de l’abus d’autorité
que le mari pourrait se permettre ?
666 . — Le billet à ordre régulièrement créé est,
pour toutes les dispositions concernant l’échéance, l’en
dossement, la solidarité, l’aval, le payement, le paye
ment par intervention, le protêt, les devoirs et droits du
porteur, le rechange ou les intérêts, sur la même ligne
que la lettre de change. Telle est la disposition expresse
de l’article 187, et cette disposition, due uniquement à
la forme du billet à ordre, était indispensable pour at
teindre le but que se proposait le législateur, celui d’a
broger toutes les différences existant dans la législation
précédente, entre le billet à ordre et les lettres de
change.
Sous l’ordonnance de 1673, le porteur de la lettre de
change était tenu de la faire protester, et aucun acte ne
pouvait suppléer au protêt, ni le remplacer. Le porteur
d’un billet à ordre était seulement tenu de faire diligence
contre le débiteur, devoir qui était réputé accompli par
une sommation extrajudiciaire ou par toute autre pour
suite K
Les intérêts de la lettre de change étaient dus à par
tir du protêt, ceux du billet à ordre ne couraient que
du jour de la demande en justice.
Tout cela n’existe plus aujourd’hui, l’article 187 a
' Jousse, sur l’art. 31, tit. v.
�388
DE LA LETTRE DE CHANGE
fait cesser toutes différences. Sauf la cause commerciale,
les billets à ordre et les lettres de change se proposant
un but identique, obéissant à une même forme, impo
sent les mêmes obligations relativement à leur circula
tion et à leur extinction.
Nous n ’aurions donc qu’à revenir sur les principes
que nous avons exposés en nous occupant de la lettre
de change. Ce serait là une répétition d’autant plus inu
tile, qu’en traitant les divers paragraphes de la pre
mière section, nous avons indiqué sur chacun d’eux les
modifications que le billet à ordre pouvait leur faire su
bir. Nous devons donc nous borner à renvoyer à nos
précédentes observations.
(■69. — Cependant il importe de remarquer que
l’article 187 omet, dans la catégorie des dispositions dé
clarées communes aux billets à ordre et aux lettres de
change, celles des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article
110. Nous avons déjà expliqué le motif de cette omis
sion relativement aux trois dernières, traitant de la pro
vision et de l’acceptation.
Le motif qui a déterminé l’omission de celle du pre
mier paragraphe, c’est que les indications de l’article
110 ne pouvaient toutes convenir au billet à ordre, que
quelques-unes d’entre elles sont incompatibles avec sa
nature. Il fallait donc choisir celles que le billet à ordre
devait réunir, c’est là l’objet de l’article 188.
La première de ces indications est la date. Cette exi
gence de la loi a ici le double objet qu’elle se propose
�ART. 187, 188.
389
dans l’article 110, à savoir : la détermination de la ca
pacité des parties ; celle de l’échéance, lorsque le billet
est payable à un ou plusieurs jours, mois ou usances
de date. On peut consulter les développements dans les
quels nous sommes entrés à cet égard.
C 6 8 . — Le défaut de date n’annulerait pas l’obli
gation, s’il était d’ailleurs certain qu’au moment de sa
création les parties étaient capables de contracter. Seu
lement, le billet à ordre ne serait plus qu’un engage
ment purement civil, dont les conditions et les effets se
trouveraient exclusivement régis par les règles du droit
commun.
L’inexactitude dans la date équivaudrait à l’omission
et en produirait les effets. On a même prétendu trou
ver dans cette inexactitude le crime de faux , mais cette
prétention n’a pas été consacrée par la jurisprudence L
Mais si elle ne constitue pas nécessairement le faux,
cette inexactitude constitue le crime de banqueroute
frauduleuse, si le billet postérieur à la faillite n’avait
pour objet que de supposer une créance et une dette à
la charge du passif. Le porteur, qui malgré la fausse
date présenterait le titre à l’affirmation, se constituerait
en état de complicité dans cette banqueroute fraudu
leuse.
L’allégation de l’inexactitude de la date peut donc ac-
i Rennes, 30 juillet 1817.
�490
DE LA LETTRE DE CHANGE
quérir une immense gravité. La preuve peut en être
faite par témoins et par présomptions.
669. — La seconde condition exigée pour la vali
dité du billet à ordre, est l’indication de la somme à
payer, cette indication est d’autant plus utile qu’elle
constitue l’obligation elle-même. Que serait, en effet, le
billet à ordre qui l’aurait omise ?
Nous avons dit, en parlant de la lettre de change,
que cette indication se plaçait d’abord en chiffres au
côté droit et en tête de la lettre ; qu’elle était ensuite
répétée en toutes lettres dans le corps de l’acte. C’est ce
qui se réalise également pour le billet à ordre, mais,
pour celui-ci, comme pour celle-là, il n’y a aucune
forme obligatoire. Que l’indication soit en chiffres, puis
en toutes lettres ; qu’elle soit seulement en chiffres dans
le corps du billet, il suffît qu’elle existe pour que le
vœu de l’article 188 soit exécuté, et qu’aucune contesta
tion ne puisse s’élever sur la régularité du titre.
Nous nous sommes déjà expliqués sur la nécessité du
bon ou approuvé de la part du débiteur qui n ’a pas
écrit le corps du billet. Il est inutile, si la cause de ce
lui-ci est une opération commerciale, ou si le signa
taire est commerçant, artisan, etc. Dans ce dernier cas,
l’exception est écrite dans l’article 1326 lui-même.
— Le billet énonce
le nom de celui à l’ordre de qui il est souscrit.
Le billet à ordre est destiné à circuler, il faut donc
ôSO . —
T r o is iè m e
c o n d it io n .
�art.
187, 188.
391
qu’il puisse se prêter à ce but. Comment pourrait-il en
être ainsi si personne ne recevait nominativement la fa
culté de négocier. Si le billet n’était pas à ordre, il ne
constituerait qu’un titre non transmissible commerciale
ment ; si, étant à ordre, il ne mentionnait aucun nom,
il ne serait plus qu’un billet au porteur.
L’article 110 permet de rédiger la lettre de change à
l’ordre du tireur lui-même. Le silence gardé à cet égard
par l’article 1S8 semble la négation de cette faculté. Je
payerai à mon ordre est une formule pouvant paraître
singulière, il est peu naturel de se promettre un paye
ment à soi-même.
Cependant le billet à ordre tiré à l’ordre du souscrip
teur ne serait ni irrégulier, ni moins encore frappé de
nullité. Dans ce cas, il recevrait sa perfection de l’en
dossement qui en serait consenti en faveur d’un tiers,
et l’indication de celui-ci satisferait au vœu de l’arti
cle 183.
©Sfl. — Q u a t r iè m e c o n d it io n . — Le billet énonce
l’époque à laquelle le payement doit être fait.
Cette exigence était une conséquence forcée de l’obli
gation de faire protester, imposée au porteur du billet à
ordre, le protêt devant être requis le lendemain de l’é
chéance, sous peine de perdre tout recours contre les
endosseurs. Or, comment appliquer cette peine, si au
cune échéance précise n’a été indiquée. Les endosseurs
seraient indéfiniment tenus, et c’est ce que la loi n’a
pas voulu admettre.
�392
DE LA LETTRE DE CHANGE.
En effet, en l’absence de toute indication, il n’y aura
d’autre échéance que celle qu’il conviendra au porteur
d’adopter. L’esprit de la loi comme son texte répugne à
un pareil effet. La jurisprudence n’a pas cessé de le
proscrire ; quelles que soient les expressions dont on
s’est servi, le billet n’est régulier que lorsqu’il en res
sort la détermination d’une échéance précise.
6 9 2 . — Le billet à ordre peut être stipulé payable
à vue. Cette indication satisfait pleinement à l’article
488. Il en serait de même de toutes les expressions qui
tendraient au même résultat, notamment de celles-ci :
à -présentation, ou à volonté, je payerai, etc.
La clause : Je payerai toutes fois et quand, est-elle
un équipollent juste et légitime ? Le billet à ordre qui
la renferme est-il régulier ?
La cour de Paris a jugé la négative en déclarant que
la disposition de l’article 4 88 n’était pas suffisamment
obéie x.
Cet arrêt nous paraît renfermer une appréciation par
trop sévère. Sans doute, dire : Je payerai toutes fois et
quand, c’est employer une locution imparfaite, mais
que le bon sens complète naturellement. La seule signi
fication qu’elle puisse raisonnablement avoir est celleci : Je payerai toutes fois et quand j ’e n s e r a i r e q u i s .
En d’autres termes, je payerai à volonté, à réquisition,
�art.
187, 188.
393
à présentation, expressions dont la régularité ne saurait
être contestée.
Ce qui explique jusqu’à un certain point la doctrine
de l’arrêt de Paris, c’est que dans l’espèce le billet à or
dre était querellé sous un autre rapport. La valeur y
était seulement exprimée de la manière que voici : va
leur 'prêtée à mon besoin, et l’on soutenait qu’on avait
ainsi violé l’obligation résultant de la condition finale
de l’article 166. Ce reproche, il faut le reconnaître,
était juste et fondé, il frappait le billet à ordre d’irrégu
larité.
On comprend dès lors que l’attention ne se soit pas
reposée sur le premier reproche, car, quelle que fut la
décision en ce qui le concernait, le résultat ne pouvait
être autre que celui admis par l’arrêt. La solution eûtelle été la même si ce reproche eût été isolé ? C’est ce
dont il est très justement permis de douter.
6 Ï 3 . — Dans l’usage le plus ordinaire, les billets à
ordre sont indiqués payables à un certain délai de leur
présentation, huit jours, quinze jours, un mois au plus.
Le souscripteur se met ainsi à l’abri de l’inconvénient
d’avoir dans un moment de crise à réaliser des rem
boursements nombreux et imprévus, et se ménage le
moyen de se mettre en mesure d’y pourvoir.
Ici encore la loi n’a tracé aucune formule obligatoire,
ni sacramentellement admis telles ou telles expressions.
Toute locution qui, rendant la pensée des parties évi-
�594.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dente, précise ls moment de l’échéance, remplit suffi
samment la condition exigée.
A ce point de vue il nous paraît impossible de dire
avec la cour de Colmar qu’un billet à ordre, stipulé
payable après un avertissement de trois mois, ne précise
pas l’époque à laquelle le payement doit s’effectuer, et
n’est pas dès lors conforme à ce qu’exige l’article 188 l.
Mais, de bonne foi, peut-on équivoquer sur la portée
de pareille expression ? Dire je payerai après un aver
tissement de trois mois, n’est-ce pas promettre de se
libérer trois mois après la date de l’avertissement cons
tituant la réquisition de la part du créancier ?
Douterait-on de la régularité du billet fixant le paye
ment à trois mois de vue ? Comment donc décider le
contraire lorsqu’au lieu de trois mois de vue, on aura
indiqué trois mois de l’avertissement. Sans doute les
mots sont différents, mais la chose est évidemment la
même, on ne saurait donc admettre une solution diffé
rente. Il en serait au reste de l’avertissement comme de
la réquisition, comme de la présentation du billet à vue.
Il devrait être constaté soit par le visa du débiteur, soit
par un acte extrajudiciaire.
Toutes les fois que le payement du billet n’est pas à
jour fixe et déterminé ; toutes les fois qu’il est subor
donné à une présentation préalable du titre, l’article 160
est obligatoire pour le porteur, il doit donc opérer la
présentation ou réaliser la condition de l’exigibilité dans
i 24 janvier 1842. J. du P., 2, 1842, 512,
�art.
187, 188.
598
les délais qui y sont indiqués, sous peine de déchéance
à l’égard des endosseurs. Les termes de l’article 187 ne
laissent aucun doute à cet égard.
6 ij 3 bis. — Nous avons dit plus haut que la lettre
de change ne comportait d’autre indication de payement
que celle d’un payement pur et simple, et que la clause
qui subordonnerait ce payement à une condition quel
conque lui enlèverait son caractère et la rendrait une
simple promesse 1.
Il ne saurait en être autrement du billet à ordre. A
son égard, le langage de l’article 188 du Code de com
merce, quant à l’indication de l’époque du payement,
est exactement celui que l’article 110 tient pour la lettre
de change. Donc, le résultat ne saurait être différent.
L’indication d’un payement conditionnel rendrait le bil
let à ordre un engagement purement civil et exclurait
la compétence commerciale à l’égard des signataires
non commerçants.
Le principe ne comporte ni controverse ni doute. La
seule difficulté qu’il est permis d’entrevoir est celle qui
pourrait surgir sur le caractère de la clause. A ce sujet,
il est évident que les stipulations qui vicieraient la let—
lettre de change produiraient un effet identique sur le
billet à ordre.
G ïater. _ Un arrêt récent de la Cour de cassai Supra, n° 78.
�396
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion vient de trancher cette difficulté dans l’espèce que
voici :
Le 10 avril 1870, le baron Corbineau, qui avait reçu
de M. Morel-Chanteau des avances considérables pour
lesquelles il lui avait consenti une hypothèque pour
52.000 fr. et une délégation de 61,262 fr., lui sous
crit pour 65,000 fr. de billets à ordre ainsi conçus :
« Au 10 juillet prochain, je payerai à l’ordre de
M. Morel-Chanteau la .somme de...... valeur reçue en
espèces versées pour mon compte. Le présent ne fait
qu’une seule et même chose avec la délégation que
M. Morel-Chanteau a acceptée et que je lui ai donnée le
30 mars dernier, pour toucher, jusqu’à concurrence de
65.000 fr., les sommes qui me sont attribuées dans
l’ordre ouvert à Cognac pour l’exploitation de MoineTarteau. Le présent billet sera nul si, comme je suis
fondé à le croire, M. Morel-Chanteau touche, avant son
échéance, le montant de ladite délégation. »
Le lendemain nouvelle création de 90,000 fr. de
billets conçus dans ces termes : « Au 10 juillet, etc.....
le présent ne faisant ni novation, ni dérogation aux ar
rangements et engagements antérieurs pris entre nous. »
Ces billets n’ayant pas été payés à l’échéance, le sieur
Richelot, à qui Morel-Chanteau les avait transmis, cite
en payement devant le tribunal de commerce de Ren
nes tant ledit Morel-Chanteau que le sieur Corbineau.
Celui-ci décline la compétence du tribunal sur le motif
que l’indication d’un payement conditionnel rendait les
billets de purs engagements civils.
�ART. 187, 188.
397
La cour de Rennes, saisie de la question, repousse
l’exception. « Considérant, dit l’arrêt, que la loi n’éta
blit aucune distinction entre le cas où le non commer
çant est souscripteur ou simple endosseur du billet ;
qu’il serait d’ailleurs difficile de justifier cette distinc
tion, puisque le non commerçant qui souscrit un billet
à ordre, sait qu’il pourra être endossé au profit de com
merçants et donner naissance entre eux à des opérations
commerciales, ce qui a lieu dans le procès dont est cas,
puisque Morel-Chanteau, possesseur d’une délégation de
Corbineau, lui garantissant sa créance, ce dernier a
consenti à lui souscrire des billets qui ne pouvaient
avoir d’autre but que de procurer des fonds à MorelChanteau par suite de négociations toutes commerciales;
« Considérant, d’un autre côté, que le but de l’arti
cle 637 du Code de commerce étant de faciliter le re
cours en garantie devant le même tribunal, serait man
qué si la juridiction commerciale devenait incompétente
à l’égard du souscripteur non commerçant ;
« Considérant que les billets souscrits par Corbineau
à l’ordre de Morel-Chanteau ont incontestablement une
cause non commerciale, mais qu’ils ont été endossés
par Morel-Chanteau, commerçant, valeur en compte
au profit de Richelot, commerçant lui-même ; qu’ils
portent donc des signatures de commerçants et de non
commerçants et que Richelot actionnant le souscripteur
et le bénéficiaire devant le tribunal de commerce, ce
lui-ci se trouve compétent à l’égard des deux défen
deurs.
�398
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Au fond, )a Cour condamne Corbineau par le mo
tif que les mentions insérées aux billets dont est procès,
ne peuvent être opposées à Richelot, lequel doit être
considéré comme un porteur sérieux et de bonne foi,
et qu’en recevant lesdits billets de Morel-Chanteau il en
a fourni la contre-valeur l. »
Nous en demandons pardon à la cour de Rennes.
Les mentions des billets étaient parfaitement opposa
bles au cessionnaire précisément parce qu’elles y étaient
inscrites et qu’en acceptant ces billets il se soumettait
sciemment et volontairement à la chance qu’elles fai
saient entrevoir. En conséquence, si ces mentions ren
daient le payement conditionnel, les billets à ordre
manquant d’un de leurs éléments constitutifs, l’article
637 devenait inapplicable.
La question était donc de savoir si le payement était
conditionnel ou non. Cette question, que la cour de
Rennes n’avait pas résolue, s’imposait à la Cour de cas
sation, et voici en quels termes elle la résolvait :
« Attendu que les billets souscrits par Corbinean ren
fermant toutes les énonciations exigées par l’article 188
du Code de commerce, pour la validité et l’efficacité des
billets à ordre ; qu’ils sont datés, qu’ils énoncent la
somme à payer, le nom de celui à l’ordre de qui ils
sont souscrits, l’époque à laquelle le payement doit s’ef
fectuer et la valeur fournie en espèces versées pour le
compte du souscripteur ;
�ART. 187, 188.
599
« Attendu que si ces billets font la réserve d ’arrange
ments antérieurs, ou s’ils portent qu’ils ne font qu’une
seule et même chose avec la délégation que Corbineau,
leur souscripteur, a consentie à Morel-Chanteau, leur
bénéficiaire, et qu’ils seront nuis si Morel-Chanteau
touche avant leur échéance le montant de cette déléga
tion, ces mentions, qui n’avaient d’autre but que d’em
pêcher que ces billets ne fissent double emploi avec les
obligations ou arrangements antérieurs, n ’empêchaient
pas qu’ils ne fussent négociables conformément à la
clause à ordre qui y était insérée et qu’elles ne portent
d’ailleurs auçune atteinte aux énonciations essentielles à
la constitution des billets à ordre K
G 73 quatuor. _ L’honorable professeur à la Faculté
de Droit de Nancy critique fort vivement cet arrêt. Il
lui reproche d’avoir reconnu le caractère de billet à or
dre à un titre dont le payement était subordonné à une
condition, contrairement à ce que jusqu’à ce jour avait
enseigné la doctrine, consacré la jurisprudence.
Ce reproche est-il fondé ? L’engagement de payer
était-il réellement conditionnel ? Il nous paraît impos
sible de l’admettre. Les termes : au 10 juillet prochain
je payerai, sont clairs et précis, l’engagement est pur et
simple.
Mais le souscripteur venait d’affecter à sa dette une
hypothèque de 521,000 fr., de consentir pour surcroit
i ld., ibid.
�400
DE LA LETTRE DE CHANGE
de garantie une délégation de 65,000 fr., et s’il se prê
tait en outre à une création de billets pour pareille
somme, ce ne pouvait être qu’en vue de mettre le créan
cier à même de se procurer des fonds par leur négo
ciation. Dès lors, il ne pouvait pas rendre impossible la
réalisation de ce but en délivrant des titres que leur
imperfection n’aurait pas permis de négocier.
Cette négociation était si bien dans ses prévisions
qu’elle motivait seule la clause insérée dans les billets.
En effet, dès que les 65,000 fr. de billets faisaient dou
ble emploi avec les 65,000 fr. de la délégation, il est
évident que le payement des uns éteignait la dette et an
nulait soit les billets à ordre, soit la délégation suivant
que ce payement avait été reçu en vertu de celle-ci ou
de celle-là.
Or, du débiteur au créancier, cette conséquence ne
pouvait faire l’objet d’une difficulté ou d’un doute. Elle
découlait forcément, nécessairement de ce fait que les
titres donnés faisaient double emploi. Elle aurait été ac
quise de plein droit et sans qu’on eût besoin de la
stipuler
Mais ce qui dans l’espèce importait au débiteur, c’é
tait de se précautionner contre les tiers porteurs. C’est
précisément parce qu’il livrait des titres négociables et
qu’il savait devoir être négociés qu’il pouvait prévoir
qu’il se trouverait en présence de ces tiers porteurs et
qu’il serait tenu de les payer alors même que le paye
ment de la délégation eût éteint sa dette. Si rien n ’était
venu leur indiquer la nature de l’opération.
�art.
187,
401
188.
Ce danger était conjuré par la clause insérée dans les
billets que les tiers porteurs dussent en être payés à l’é
chéance du 10 juillet, c’est ce qui ne saurait être con
testé. Mais sans la clause ils étaient fondés à exiger ce
payement tant au souscripteur qu’à leur cédant. Avec
la clause ils n’auraient pu les poursuivre cumulative
ment si la délégation n’avait pas produit son effet.
Si elle avait été payée, le cédant seul aurait dû solder
les billets. A l’attaque dont il aurait été l’objet, le sous
cripteur aurait répondu avec raison : vous n’êles pas,
vous ne pouvez pas être le porteur de bonne foi que la
loi a entendu protéger. Le titre lui-même vous avertis
sait de la chance que vous couriez, et puisque vous l’a
vez sciemment, volontairement acceptée, subissez-en les
conséquences.
La Cour de cassation appréciait donc sainement, sa
gement le véritable caractère des titres et décidait avec
raison que leur nature n’était nullement altérée par les
mentions qu’ils renfermaient et qui avaient pour uni
que but d’empêcher qu’ils ne fissent double emploi avec
les obligations ou arrangement antérieurs, et que le dé
biteur pût être tenu de payer deux fois ce qu’il ne de
vait qu’une fois.
G 9 4 . — C in q u iè m e c o n d it io n . — Le billet à ordre
doit énoncer la valeur qui a été fournie en espèces, en
marchandises, en compte ou de toute autre manière.
Nous avons vu, sous l’article 110, quels étaient les
motifs de cette exigence pour ce qui concerne les lettres
h
—
26
�4-02
DE LA LETTRE DE CHANGE.
de change. Celui tiré de la nécessité de juger si la va
leur pouvait ou non créer le contrat de change ne peut
évidemment s’appliquer au billet à ordre, qui n’est
qu’exceplionnellement destiné à réaliser ce contrat.
Sous l’ancienne législation, l’expression de la valeur
et de sa nature trouvait son utilité dans l’appréciation
qu’elle permettait de faire du caractère commercial que
cette valeur pouvait donner au billet. On a soutenu,
en effet, que ce caractère était indispensable pour la né
gociation de ce billet, dont l’ordonnance n’autorisait la
transmissibilité par endossement qu’à cette condition.
Mais celte doctrine, fondée sur le silence de l’ordon
nance, n’a pas été admise. La Cour de cassation a con
sacré le contraire l.
©'SS. — Aujourd’hui, l’indication de la nature de
la valeur n’a et ne peut avoir aucune influence sur le
mode de transmission du billet. Celui-ci n’a de com
mercial que la forme, et celle-ci réside dans l’obligation
d’en opérer le payement au preneur ou à son ordre.
L’existence de cette obligation suffit pour que le billet
soit transmissible par endossement.
Cependant la nature de la valeur est d’une impor
tance incontestable. Son indication donne au billet à or
dre une cause dont on peut apprécier la légitimité ; elle
détermine le caractère de l’obligation, non seulement
pour le souscripteur non commerçant, mais encore
�art.
187, 188.
405
pour le commerçant et pour tous les endosseurs succes
sifs ; elle fixe ainsi la juridiction qui doit en connaître
et le mode d’exécution qu’elle pourra et devra sanc
tionner.
Ces considérations justifient la disposition de l’article
188. Elles arrivent à cette conséquence incontestable,
la cause de l’obligation est sans influence sur la trans
missibilité du titre, dès l’instant que celui-ci est payable
au bénéficiaire ou à son ordre ; dès qu’il est conforme
à ce que l’article 188 exige ; dès qu’il énonce une va
leur certaine et suffisante, il jouit de tous les privilèges
de la circulation commerciale et en subit toutes les con
séquences, alors même que la cause en serait purement
civile. C’est ainsi qu’on l’a décidé pour le billet causé
valeur en contractant à l'effet de la vente notariée
d'un tel jour, ou valeur en quittance du prix d'un
immeuble ; ou valeur en compte sur le prix d'une
vente ; ou valeur en vente d'un office d'huissier, etc.
Seulement, dans ces deux derniers cas, les billets à
ordre seraient déclarés nuis si la vente venait à être
annulée, ou si le souscripteur n ’était pas investi de la
charge l.
Cette doctrine, indépendamment de son caractère ju
ridique, a un fondement rationnel évident. Sans doute
chacune des causes que nous venons d ’indiquer est pu
rement civile, même pour le commerçant. Mais la vente
i Bruxelles, 23 juillet 4817. Paris 13 février 4847.7. du P., 4,
�4.04
DE LA LETTRE DE CHANGE.
du billet pour se procurer de l’argent, le fait surtout de
celui qui l’achète pour le revendre, constitue et peut
constituer un acte de commerce justifiant l’endossement
dont le billet devient l’objet, et expliquant sa transmis
sion par la voie commerciale.
« ¥ © . — Le billet à ordre doit donc énoncer la va
leur et exprimer sa nature. Comme exemple de locu
tions ne remplissant pas cette condition, nous citerons
les suivantes : valeur prêtée en mon besoin1 ; valeur
en contractant3; valeur reçue3 ; valent reçue à ma
satisfaction4 ; valeur entendue et entre nous connue5.
Il n’y a dans ces diverses formules ni énonciation d’une
valeur, ni indication de sa nature.
6 'S 'î. — L’article 188 permet d’exprimer la valeur
non seulement par l’indication qu’elle a été fournie en
argent, en marchandises, en compte, mais encore de
toute autre manière. Dans ces expressions, M. Locré
voit avec raison la consécration des billets de change
dont l’ancienne législation s’occupait expressément, et
qu’on ne trouve nulle part désignés dans le Code de
commerce.
1 Paris, 29 avril 1829.
2 Caen, 15 janvier 1813.
3 Toulouse, 17 novembre 1828. Aix, 1er mars 1839. J. du P., 1,
1839, 639.
4 Liège, 28 mai 1824.
&Metz, 18 janvier 1833.
�ART. 187, 188.
408
Il est évident, en effet, que le billet à ordre causé va
leur reçue en lettres de change fournies, ou en lettres
de change à fournir remplirait le vœu de l’article 188
et exprimerait suffisamment la valeur et sa nature.
Cette doctrine explique les paroles que M. Duveyrier
prononçait au nom du tribunat, lorsque, s’occupant des
billets de change, il s’écriait : Le Code de commerce n’en
fait pas mention, et son silence, qui n’indique point la
volonté de les exclure et de les proscrire, n ’aura d’autre
effet que de ranger ces sortes de billets dans la classe
des promesses et billets ordinaires, dont la force et les
effets sont déterminés par la forme dans laquelle ils sont
rédigés.
6 9 8 . — Il semblerait que l’absence ou l’insuffisance
de l’expression de la valeur dût faire prononcer la nul
lité de l’acte et celle de l’obligation elle-même. Il n’en
est rien cependant, à moins que l’une et l’autre ne tien
nent à un défaut absolu de valeur.
Mais, quoique non exprimée, la valeur peut n’en
exister pas moins, et la preuve de cette existence de
vrait justement prévaloir sur l’omission d’une formalité,
mais entre parties contractantes seulement.
Ainsi, le preneur ou le porteur, comme son subrogé,
pourra établir, par des preuves autres que le titre luimême, contre le souscripteur, que l’obligation est sé
rieuse, que la valeur en a été fournie. Cette preuve peut
résulter notamment des énonciations des livres l.
i Angers, 2 août 4816.
�4.06
DE LA LETTItE DE CHANGE
Mais, relativement aux tiers, le défaut d’indication
de la nature ne peut être suppléé par des preuves ex
trinsèques. Nous entendons par tiers les endossseurs
qui ont successivement accédé au titre. Pour ce qui les
concerne, l’effet de cette irrégularité est définitivement
acquis, par cela seul que le titre est muet sur la valeur
et sur sa nature.
Mais quel est cet effet ? Nous venons de le dire, le
billet n’est pas nul. Ainsi, disait la cour d’Aix, dans son
arrêt du 1er mars 1829, le billet à ordre qui n’énonce
point la valeur fournie, nul comme effet commercial,
vaut comme obligation civile dont le payement peut
être poursuivi par la voie ordinaire h
© t® . — Cet effet ne va pas même jusqu’à annuler
celui de l’endossement successivement consenti en faveur
de divers porteurs. Nous avons vu que les simples bil
lets peuvent être transmis par cette voie. Or, le billet à
ordre dépourvu de l’indication de valeur devient un
simple billet, il a donc pu être valablement transmis
par endossement.
Mais, conformément à ce que nous disions tout à
l’heure, cet endossement n’est plus qu’un transport,
qu’une cession ordinaire. Dès lors le bénéficiaire n’est
saisi envers les tiers, envers le débiteur cédé lui-mêmg
que par la notification ou l’acceptation de la cession.
D’autre part, la garantie due par les cédants n’obéit
1 Supra, nos 99 et suiv.
�ART.
187, 188.
407
plus qu’aux règles du droit commun, notamment à cel
les édictées par les articles 1693, 1694, du Code civil.
Chacun d’eux ne répond donc de la solvabilité future
du débiteur, que s’il en a pris l’engagement formel.
Le contraire avait été jugé par la cour de Lyon. Dans
une espèce où le billet à ordre avait été déclaré simple
promesse, elle avait considéré l’endosseur comme tenu
de payer, faute par le souscripteur de le faire, et l’avait
en conséquence condamné à désintéresser le porteur.
Mais cette décision, déférée à la Cour suprême, fut par
elle cassée pour violation des articles 1693, 1694,1695
du Code civil L
« 8 ® . — La transformation du billet à ordre en bil
let simple produit encore d’autres conséquences. Ainsi,
dans le cas où les endosseurs auraient formellement
garanti le payement et la solvabilité du débiteur, cha
cun d’eux ne serait tenu que pour sa part et portion.
La solidarité entre eux ne pourrait être admise que si
elle avait été expressément stipulée.
Ainsi, encore, le souscripteur peut opposer au por
teur, quel qu’il soit, toutes les exceptions qu’il serait re
cevable à invoquer contre le créancier originaire, jus
qu’au jour de la notification de la cession 3.
La tardiveté du protêt et le défaut de diligences du
1 17 février 1817.
2 Caen, 15 janvier 1813,
�408
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur, dans les délais prescrits par l’article 165, ne
créent contre lui aucune déchéance l.
Les droits du porteur et les obligations des débiteurs
ne se prescrivent que par trente a n s s.
© 81. — Enfin, la connaissance des difficultés que
l’exécution ferait surgir appartiendrait, en ce qui con
cerne les non commerçants, aux tribunaux ordinaires
exclusivement.
Cette règle a été contestée. On a voulu fonder le con
traire sur l’article 637 du Code de commerce, mais le
caractère de cet article repousse cette prétention. L’arti
cle 637, en effet, établit une véritable exception au prin
cipe suivant lequel nul ne peut être distrait de ses juges
naturels. La faveur due au commerce, qui a motivé
celte exception, peut la légitimer.
Mais, ce qui n’est pas moins certain, c’est que ce ca
ractère exceptionnel conduit à cette conséquence que la
disposition de l’article 637 doit être restreinte dans les
limites qu’elle s’est d’ailleurs tracées elle-même. Or, re
marquons qu’elle ne dispose que pour les billets à or
dre. Donc, elle devient inapplicable lorsque, au lieu de
celui-ci, on se trouve en présence d’une simple pro
messe.
Le silence que le Code garde dans ce cas est d’autant
plus décisif, que la loi n’a pas cru devoir se l’imposer
1 Trêves, 4er février.
2 Àix, 4cr mars 4839 ci-dessus indiqué.
�art.
i
187, 188.
409
pour la lettre de change. Ainsi, elle prévoit le cas où
celle-ci n’étant que simple promesse est cependant re
vêtue de signatures de commerçants ; elle en défère la
connaissance aux tribunaux de commerce. Pourquoi,
s’il devait en être de même pour les billets à ordre ré
putés simples promesses, ne s’en serait-elle pas expli
quée ?
La différence que nous indiquons entre la lettre de
change et le billet à ordre s’explique d’ailleurs d’une
manière fort rationnelle. La lettre de change irrégulière
comme telle, par exemple, pour défaut de remise de
place en place, peut réunir toutes les formes d’un billet
à ordre, et offrir comme tel un certain caractère com
mercial. Le billet à ordre, au contraire, ne réunissant
pas les conditions de l’article 188, n’est plus qu’un ti
tre purement civil, et par conséquent absolument étran
ger à la juridiction commerciale.
D’ailleurs, pour que, dans l’hypothèse de l’article
637, la signature d’un commerçant sur un billet à or
dre attribue juridiction à l’autorité consulaire, même à
l’égard du non commerçant, il faut que le premier soit
réellement obligé, de telle sorte que l’action en paye
ment, quoique non actuellement exercée contre lui, ait
pu ou puisse encore l’être l.
.(
Or, nous venons de le voir, l’endossement d’une sim
ple promesse n’est, dans tous les cas, qu’un cautionne
ment ordinaire ne pouvant sortir à effet que dans les
i Bordeaux, 19 novembre 1827. Bastia, 4 janvier 1832.
�MO
DE LA LETTRE DE CHANGE
limites déterminées par la convention elle-même. Or,
comme la loi ne dispose que pour ce qui se réalise le
plus souvent, et qu’en notre matière l’endossement sera
ordinairement pur et simple, on peut admettre que
l’endosseur commerçant, se plaçant sous l’empire des
articles 1693, 1694, 1695 du Code civil, ou ne sera
pas obligé, ou ne le sera que d’une manière fort acces
soire. Comment dès lors admettre qu’au lieu de suivre
le sort de l’obligation principale, on subordonne celleci à l’obligation accessoire ?
Il faut donc le reconnaître. Le souscripteur non com
merçant d’un billet à ordre, déclaré simple promesse,'
ne peut être actionné que devant la juridiction civile,
alors même que par suite de transmissions successives
ce billet offrirait des signatures de commerçants 1.
Il en est autrement lorsque le souscripteur du billet
est commerçant. Simple promesse ou non, les obliga
tions souscrites par un négociant sont censées l’être
pour son commerce et offrir dès lors un caractère essen
tiellement commercial. L’inobservation de l’article 188
n ’a rien d’inconciliable avec cette présomption, elle ne
saurait donc l’exclure.
Le tribunal de commerce est donc seul compétent
pour en connaître, à une condition seulement, à savoir:
que l’effet n ’aura pas réellement une cause autre que
celle que la loi présume. Dans le cas où le billet exprime
i Emile Vincent, t. 2, p. 371. Fayard/v° jB ille ts à o r d r e , n° 5. Cass.,
6 août 48i 1. Rouen, 20 juin 4822. Colmar, 23 mars 4814.
�art.
187, 188.
Ml
la cause civile, comme par exemple l’achat d’un im
meuble, ou celui d’un meuble pour l’usage personnel,
le tribunal de commerce ne saurait être valablement in
vesti.
Ou le billet est muet sur la cause, et la juridiction
consulaire est compétemment investie. Mais elle serait
tenue de se désinvestir si le défendeur établissait que
son obligation n ’a qu’une cause civile, ce qu’il est tou
jours recevable à justifier.
© 88. — La détermination de la cause du billet à
ordre est donc importante au point de vue du droit
commercial et civil, et, dans l’intérêt des divers signa
taires, elle ne l’est pas moins en droit criminel. Par une
considération facile à justifier, la loi punit le faux en
écriture de commerce beaucoup plus sévèrement que
celui qui s’exerce en matière ordinaire. Dans quelle ca
tégorie faut-il placer le faux à l’occasion d’un billet à
ordre ?
La Cour de cassation
a uniformément résolu cette
«>
question. Le faux ne peut exister en matière commer
ciale qu’autant que le titre contrefait est un titre com
mercial. Or, si le billet à ordre n ’a pas par lui-même
ce caractère, il le reçoit ou de la qualité du signataire,
ou de la nature de l’opération. La Cour de cassation
exige donc, pour qu’il y ait faux en écriture de com
merce, que le billet à ordre émane de commerçants, ou
que la cause constitue une opération commerciale l.
1 -15 octobre 4825, 9 mars 4827, 44 juin 4832, 2 avril 4835.
�412
DE
LA LETTRE D E
CHANGE.
Mais la signature du commerçant n’imprime le ca
ractère commercial au billet à ordre que parce que,
censé fait pour le commerce, la cause en est présumée
commerciale. La certitude du contraire donnant au titre
un caractère purement civil, ne permettrait pas de voir
dans sa contrefaçon un faux en écriture de commerce.
Le faussaire peut donc discuter la cause de l’obligation,
alors même que la signature par lui contrefaite serait
celle d’un commerçant.
De ce principe résulte encore que le billet réputé sim
ple promesse perdant son caractère commercial, on ne
saurait raisonnablement soutenir que la contrefaçon ou
son altération constitue le crime de faux en écriture de
commerce l.
683. — A qui appartient le droit de décider la
question de savoir s’il y a ou non faux en écriture de
commerce ?
La Cour de cassation avait d’abord vu dans cette
question une difficulté de droit plutôt que de fait. Elle
avait en conséquence décidé que la cour d’assises pou
vait seule y statuer en appliquant la loi au fait déclaré
constant par le jury.
C’était là une erreur. Le fait que le faux, s’étant
exercé en écriture de commerce entraînait une peine
plus forte, rendait ce fait une véritable circonstance ag
gravante sur laquelle le jury devait être consulté, et
i Nouguier, p. 506.
�art.
187, 188.
413
que seul il pouvait admettre ou rejeter. L’économie de
notre législation criminelle rendait indispensable de de
mander au jury si l’accusé était coupable, non d’un
crime de faux en général, mais de tel faux prévu et dé
terminé.
C’est ce que la Cour de cassation n ’a pas tardé de re
connaître et de consacrer. Une foule d’arrêts remontant
au 26 janvier 1827 n’ont pas cessé de décider qu’au
jury seul il appartient de rechercher si le faux a été
commis en écriture de commerce ou en écriture privée,
et par suite de contrôler la nature de la pièce arguée.
©84. — En résumé, le billet à ordre, le plus ordi
nairement payable dans le lieu où il a été souscrit, n’est
pas en lui-même un effet commercial lorsqu’il émane
d’un non commerçant.
Mais il acquiert ce caractère envers et contre tous, s’il
a pour cause une opération ou un acte de commerce.
Cette cause est toujours présumée à l’égard des sous
cripteurs commerçants. Donc, et par rapport à eux, le
billet est commercial, soit qu’ils l’aient directement
souscrit, soit qu’ils aient concouru à sa circulation par
leurs endossements successifs. L’existence de leur signa
ture est attributive de juridiction, et le tribunal de com
merce, valablement investi en ce qui le concerne, l’est
également vis-à-vis des souscripteurs non commerçants,
seulement il ne peut les soumettre à la contrainte par
corps.
Le billet à ordre affectant dans tous les cas la forme
�4-14-
D E LA LETTRE D E CHANGE
commerciale, son endossement est soumis aux mêmes
conditions et produit les mêmes effets que celui de la
lettre de change. C’est ainsi que le cédant, même non
commerçant, est soumis à la garantie du payement et à
la solidarité avec tous les autres signataires. L’article
487 ne permet aucun doute à cet égard. Mais cette ga
rantie et cette solidarité, le porteur en serait déchu s’il
ne faisait pas protester le lendemain de l’échéance, et si
dans la quinzaine il n’avait pas fait notifier le protêt
avec citation en justice.
Mais tout cela suppose a 'priori l’existence d’un billet
à ordre régulier, réunissant notamment toutes les con
ditions exigées par l’article 488, à défaut il n’y a plus
qu’une simple promesse, qu’une obligation civile dont
la transmission et les effets se trouvent exclusivement
régis par les principes du droit commun.
Dans la même hypothèse, les signataires non com
merçants ne pourraient, sous aucun prétexte, être ap
pelés devant le tribunal de commerce, la compétence
consulaire extraordinairement appliquée aux non com
merçants, n’existant, aux termes de l’article 637, que
lorsque les signatures de commerçants et de non com
merçants figurent cumulativement sur un billet à ordre
régulier.
© 85. — L’application de l’article 637 a fait surgir
une grave difficulté. Lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre
régulier, portant la signature de commerçants et de
non commerçants, ceux-ci ne peuvent-ils être traduits
�ART.
18/,
188.
415
devant le tribunal de commerce que cumulativement et
conjointement avec les premiers? Ce tribunal est-il, au
contraire, valablement saisi, lorsque le non commerçant
est seul mis en cause ?
La négative a été consacrée notamment par les cours
de Colmar et de Limoges. L’article 637, dit la première,
suppose qu’un porteur d’effets a actionné devant le tri
bunal de commerce plusieurs souscripteurs, soit d’une
lettre de change, soit d ’un billet à ordre, ou endosseurs
dont les uns sont négociants et les autres non.
Le principe de la solidarité ne permettant pas qu’on
divise l’action, la loi a voulu, pour ce cas, que les uns
et les autres soient justiciables du tribunal de commerce,
mais en lui interdisant la faculté de prononcer la con
trainte par corps contre les non négociants.
Mais cela ne saurait être admis lorsque, comme dans
l’espèce, l’effet ayant fait retour, le porteur a attaqué
isolément le débiteur non commerçant qui ne pouvait
dès lors être traduit que devant ses juges naturels l.
Attendu, dit à son tour la cour de Limoges, que l’ar
ticle 637 du Code de commerce n’a déclaré les tribu
naux de commerce compétents pour connaître d’un bil
let à ordre, lorsque ce billet à ordre se trouvait tout à la
fois revêtu de signatures d’individus commerçants et non
commerçants, que dans l’intérêt du commerce et pour
le favoriser ; que ce motif n’existe plus lorsque les com
merçants souscripteurs du billet à ordre ont été désinté-
�416
DE
LA
LETTRE DE
CHANGE,
ressés, ne sont point parties dans la contestation à la
quelle le payement de ce billet donne lieu, et que les
poursuites sont faites directement contre le non com
merçant qui l’a consentiL
Ce système, que la cour de Paris avait d’abord adop
té, mais qu’elle a abandonné depuis, repose, on le voit,
sur cette idée : la compétence est subordonnée à la
poursuite elle-même. On n’a pas voulu deux procès :
l’un devant la juridiction commerciale, l’autre devant
la juridiction civile, il fallait choisir, et si la première
l’a emporté, c’est uniquement dans l’intérêt du com
merce.
Mais, si la nécessité de faire ce choix n’a jamais
existé, si le non commerçant seul est actionné, il n'y a
plus motifs, et par conséquent lieu à le distraire de ses
juges naturels.
Le système adverse repose, au contraire, sur ce prin
cipe : que la compétence commerciale résulte invin
ciblement du mélange de signatures de commerçants et
de non commerçants. Ce fait se réalisant, le droit du
porteur de l’investir est définitivement acquis, aucune
circonstance ultérieure ne peut le lui faire perdre.
Ce principe, nous le trouvons développé dans les ar
rêts contraires à ceux de Colmar et de Limoges. Voici,
entre autres, comment s’en explique celui rendu par la
cour d’Amiens, le 7 mars 1837 :
« Attendu qu’aux termes de l’article 637, les tribui 30 décembre 4 825.
�art .
187, 188.
417
naux de commerce doivent connaître des billets à ordre
portant à la fois des signatures d’individus négociants
et non négociants ; que cette disposition, conçue en ter
mes généraux, attribue aux tribunaux de commerce,
par opposition au cas prévu par l’article 636, la con
naissance de tous effets qui, étant revêtus d’une forme
commerciale, sont susceptibles d’en conserver le privi
lège d’une manière immuable ;
« Que dès lors il est indifférent que l’individu non
négociant, signataire du billet, soit seul actionné en
payement, parce que cette circonstance n’est pas de na
ture à anéantir la juridiction commerciale ; irrévocable
ment acquise par le fait de la signature d ’individus
commerçants ;
« Qu’il faut reconnaître que le non négociant a ac
cepté d’avance cette juridiction, lorsque, pour satisfaire
à une obligation purement civile, il a recours aux for
mes commerciales, et notamment au billet à ordre •
parce que, en le souscrivant, il s’est soumis aux consé
quences qui pourraient en résulter, si son billet, mis en
circulation, se trouvait ensuite revêtu des signatures
d’individus commercants 1. »
Cette doctrine parait plus juridique que celle des ar
rêts de Colmar et de Limoges. Si le législateur eût en
tendu restreindre la compétence consulaire au cas seu
lement d’une poursuite collective, il n ’eût pas manqué
de s’en expliquer. L’absence de toute restriction de ce
»
i Sirey, 37, 2, 309.
h
— 27
�418
DE LA LETTRE D E CHANGE
genre donne bien à la disposition de l’article 637 le
caractère indiqué par l'arrêt d’Amiens, et justifie les
conséquences qu’il en tire. C’est à ce système que se
sont tour à tour rangées les cours de Caen, Bourges,
Montpellier, Grenoble et Paris.
© 8 6 . — Les divers souscripteurs du billet à ordre
peuvent dispenser le porteur de la nécessité de remplir
les obligations qui lui sont imposées à l’endroit du pro
têt, la notification et la citation en justice. Nous avons
vu que ces formalités n’étaient pas d’ordre public et
qu’on pouvait à leur égard déroger à la loi, ce qui est
vrai pour la lettre de change ne pouvait pas ne pas
l’être pour les billets à ordre.
Mais cette faculté s’étend-elle jusqu’à conférer au
souscripteur du billet à ordre le droit de déroger aux ef
fets ordinaires de la négociation ? L’indication inscrite
dans le billet, que sa transmission ne créerait aucune
garantie de la part des endosseurs, profiterait-elle à
ceux-ci ?
«
La cour de Paris a eu à examiner et à résoudre cette
question dans la liquidation de la maison Gouin et Cie,
dont les bons de caisse portaient cette clause : Trans
missibles sans garantie.
Cette question a déterminé une controverse au sein
de la cour de Paris. Trois arrêts de la seconde chambre,
en date des 29 août et 12 octobre 1 848 et 23 août
4849, consacrent l’invalidité de la clause. Un arrêt de
�art .
187,
188*
419
la première chambre, du 7 juillet 1849, se prononce
en sens contraire K
Quel est le système qui doit prévaloir ? Cette question
doit se résoudre par l’appréciation des motifs que cha
que opinion invoque, et qui lui servent de fondements.
On arrive par cette appréciation à déterminer de quel
côté se trouvent la vérité et le droit.
Or, l’arrêt de la première chambre se fonde d’abord
sur ce que celui qui crée un billet à ordre a le droit
d’y apposer toutes les conditions qu’il croit utiles ou
convenables, pourvu qu’elles ne soient pas contraires à
la loi.
Cela est incontestable. Mais dans son exercice, ce
droit se réduit à ce qui est personnel à ce souscripteur.
Ainsi, il est évident qu’en admettant leur légalité, tou
tes les conditions qu’il aurait mises à son engagement
seraient obligatoires pour les preneurs successifs, qui se
seraient soumis à les exécuter par cela seul qu’ils au
raient accepté le billet.
Mais, comment le souscripteur pourra-t-il modifier
des droits qui lui ont été, qui lui seront toujours étran
gers ? Ainsi, la loi a elle-même tracé les effets de l’en
dossement, le cédant doit garantie au cessionnaire. Sans
doute celte garantie peut devenir la matière d’une con
vention spéciale ; on peut er. répudier le bénéfice. Mais,
comment admettre la possibilité de cette répudiation de
l J. du P., 2, 1749, 17, 260. D. P., 49, 2, 5.
�4 .2 0
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
la part d!une personne autre que celle au profit de la
quelle ce bénéfice a été créé ?
Mais, dit l’arrêt que nous examinons, celui qui> ayant
connu la condition apposée au titre, y acquiesce et se
l’approprie en acceptant ce titre. Il ne peut donc se
plaindre, si on lui impose la responsabilité d’un acte
qu’il a volontairement et sciemment consenti.
D’abord, il n’est pas toujours vrai, en matière com
merciale surtout, que celui qui traite avec un autre que
le souscripteur d’un billet à ordre, en vérifie minutieu
sement les énonciations ; le plus souvent, au contraire,
comme il ne connaît que son cédant, qu’il n’a foi qu’en
lui, il se contente de vérifier l’endossement.
Mais, au fond, il y a une autre raison péremptoire.
Le cessionnaire, connaissant le billet, sait également fort
bien que la stipulation de non garantie ne peut vala
blement émaner que de celui que cette garantie peut et
doit atteindre. Il considérera donc les énonciations du
billet comme la mise en demeure pour le cédant de se
prononcer. Si, au lieu de déclarer qu’il veut en profiter,
celui-ci garde le plus complet silence, comment inter
préter ce silence autrement que comme la renonciation
à s’en prévaloir.
En d’autres termes, le souscripteur, traitant en cette
matière d’un droit appartenant à autrui, n’aura vala
blement agi que si le bénéficiaire de ce droit ratifie ex
pressément. C’est ce que le tribunal de commerce de la
Seine relevait fort à propos, lorsqu’il décidait que la
mention : transmissible sans garantie, mise par Goin et
�art .
187, 188.
421
Cie, souscripteur, n’a pu délier tous les endosseurs sub
séquents, inconnus lors de la création du titre, de la
responsabilité solidaire qui, aux termes de la loi, pèse
sur tous les endosseurs d’un effet de commerce, à moins
qu’ils n’aient accepté, par une mention spéciale, cette
dérogation au droit commun.
Cette acceptation, ajoute à son tour la seconde cham
bre de la cour d’appel de Paris, ne peut résulter de la
clause existant dans la formule imprimée du billet,
clause insérée par le souscripteur, sans que l’attention
du tiers ait été appelée sur l’importance de celte men
tion ; sans même qu’il ait pu connaître dans quel inté
rêt elle a été ajoutée au texte, et sans que l’endosseur
l’ait reproduite dans son endossement.
Cette dernière considération nous parait surtout déci
sive. Décider en sens contraire, ce serait multiplier pour
les uns les occasions de se tromper, ouvrir pour les
autres une large voie à la fraude. Souvent, en effet, le
cessionnaire ne connaîtra la vérité, que l’endossement
ne lui permettrait pas même de soupçonner, qu’après
la consommation de la négociation, et se trouverait
ainsi avoir traité à des conditions qu’il n’eût pas ac
ceptées, s’il avait pu en soupçonner l’existence. La se
conde chambre de la cour de Paris, s’écrie donc avec
raison que la loyauté commerciale, que l’intérêt du com
merce font un devoir de tarir cette source d’erreurs pré
judiciables.
Nous considérons donc la mention de transmissibilité
sans garantie, de la part du souscripteur du billet à or-
�im
DE
LA LETTRE
DE
CHANGE.
dre, comme une proposition à l’adresse des endosseurs
futurs. Ses effets ne pourront être revendiqués que par
celui qui, l’ayant formellement acceptée, l’aura repro
duite dans l’endossement par lui consenti.
6 8 » . — Nous n’avons jusqu’à présent considéré le
billet à ordre qu’au point de vue spécial de l’objet qu’il
se propose le plus ordinairement, à savoir : le service
des besoins commerciaux d’une localité. En réalité, ce
pendant il peut avoir un autre but, celui que la lettre
de change est toujours appelée à réaliser, la remise d’ar
gent de place en place, soit que le souscripteur, prenant
de l’argent dans une localité étrangère, s’oblige à le res
tituer à son propre domicile, soit que, recevant une
somme ou une valeur dans celui-ci, il ait pris l’engage
ment de les compter ailleurs. Dans l’un et l’autre
cas, le billet reçoit la qualification de billet à domi
cile.
Au témoignage de Pothier, non seulement ce billet
était connu, mais encore d’un grand usage dans le com
merce, depuis l’ordonnance de 1673. Pothier le définit
un billet par lequel je m’oblige de vous payer, ou à ce
lui qui aura ordre de vous, une certaine somme, dans
un certain lieu, par le ministère de mon correspondant,
à la place de celle, ou de la valeur que j’ai reçue ici de
vous, ou que je dois recevoir.
Il résulte de cette définition, ajoute Pothier, que
ce billet renferme le contrat de change, de même
�art.
187, 188.
423
que la lettre de change, et qu’il est de même nature l.
Ce caractère est encore aujourd’hui celui du billet à
domicile qui, touchant au billet à ordre et à la lettre de
change, diffère cependant de l’un et de l’autre.
— Ce qui distingue le billet à ordre du billet
à domicile, c’est que le premier est toujours payable
dans le lieu même où il est souscrit. L’autre, au con
traire, suppose nécessairement que la valeur en ayant
été prise dans une localité, sera restituée dans une au
tre, et à un domicile indiqué. Comme nous le remar
quions tout à l’heure, le domicile peut être celui du
souscripteur lui-même, pourvu que le montant du bil
let ait été touché ailleurs. Ainsi, le Lyonnais qui prend
à Paris de l’argent qu’il rembourse dans son domicile,
a Lyon, consent un véritable billet à domicile.
© 88.
©89. — Le billet à domicile diffère de la lettre de
change en ce que le payement de celle-ci étant ccnfié à
un tiers, il devient indispensable de l’indiquer nommé
ment, soit pour pouvoir requérir le payement lui-même,
soit pour s’assurer si la provision a été faite et pour en
contraindre la réalisation.
Dans le billet à domicile, quel que soit le lieu du
payement, c’est le souscripteur qui est exclusivement
chargé de l’opérer. Celui au domicile duquel ce payement
i C h a n g e , n° 21S
�424
DE LA LETTRE DE CHANGE
est indiqué n’a donc jamais à intervenir personnellement.
De là, l’inutilité de toute autre désignation autre que
celle du domicile lui-même ; de là, surtout, l’impossi
bilité de recourir aux formalités concernant la provision
ou l’acceptation. C’est surtout cette dernière circons
tance qui a fait dire qu’en réalité le billet à domicile
était une lettre de change non acceptable.
690. — Si tel est, en effet, le caractère du billet à
domicile, si comme le dit Pothier, et comme il n’est pas
permis d’en douter, il est de même nature que la lettre
de change, il est évident qu’il produira tous les au
tres effets dérivant de celle-ci ; que notamment les
signataires , commerçants ou non , seront justicia
bles du tribunal de commerce et contraignables par
corpsL
La jurisprudence arrive à ce résultat, en se fondant
sur ce que l’engagement concernant l’argent pris dans
un lieu, pour être payé dans un autre, constitue une
opération de banque et de change, renferme en réalité
la remise de place en place ; que chacune de ces opéra
tions étant expressément réputées actes de commerce, le
titre qui les réalise est par sa nature essentiellement
commercial, quelle que soit la qualité du souscripteur ;
que cette qualité ne saurait dès lors influer en rien, ni
i V. pour les arrêts à l’appui Rép. du Journal du Palais, v» Billet
à domicile, n°s 14 etsuiv.
�ART. 187, 188.
42b
sur la compétence, ni sur les effets qu’entraîne celle de
la juridiction consulaire 1.
©91. — Le principe et ses conséquences sont trop
évidemment incontestables pour qu’ils devinssent ma
tière à contradiction. Aussi la controverse ne s’est-elle
établie que sur le caractère du titre. On a soutenu que
le billet à domicile, bien qu’il soit payable dans un au
tre lieu que celui où la valeur a été reçue par le sous
cripteur, ne soumet pas celui-ci à la contrainte par
corps, s’il n ’est pas commerçant; il n’y a pas là, a-t-on
dit, la remise de place en place dans le sens de la loi.
La cour de Bordeaux qui le décide ainsi, le 22 jan
vier 1836, signale d’abord les différents qui existent en
tre le billet à domicile et la lettre de change ; elle ajoute :
Attendu que c’est se méprendre sur le sens des termes,
que de supposer qu’il y a remise de place en place parce
que le payement d’une somme comptée dans une ville
doit être effectué dans une autre ; car il est possible que
la même valeur reçue serve à acquiter le billet ; la
somme aura été transportée, mais il n’y aura pas eu
remise de place en place, ainsi que cela se pratique
pour le contrat de change ; que ces principes se trou
vent au surplus confirmés par les discussions qui eurent
lieu au conseil d’Etat lors de la présentation des articles
188 et 631 du Code de commerce.
i Lyon, 30 août <838. Cass., 4 janvier, et Bordeaux, 26 mai 1843.
J. du P „ 1.1843, 662 et 563, 2,1843,169.
�426
D E LA LETTRE DE CHANGE
Un arrêt rendu dans le même sens par la cour de
Besançon résume le système d’une manière plus éner
gique : Attendu, dit-il, que les billets à ordre dont s’agit
ne peuvent être réputés effets de commerce puisqu’ils ne
contiennent ni remise de place en place, ni opération
de banque, mais une simple indication de payement
dans un lieu désigné, tandis que la souscription des
billets avait été faite dans un autre ; que d’ailleurs ni
celui qui avait souscrit ces billets, ni celui au profit de
qui ils étaient faits ne sont pas négociants ; qu’on ne
peut les assimiler à une lettre de change qui suppose
l’intervention de trois personnes, parmi lesquelles une
est chargée d’intervenir au contrat et de payer au nom
du tireur, tandis que dans l’espèce c’est le même indi
vidu qui les a souscrits qui devait payer les trois billets,
en opérer le payement U
G®3. — Cette doctrine, consacrée d’ailleurs
par
d’autres arrêts, ne serait à notre avis admissible que
dans un seul cas, à savoir : si en fait on constatait une
supposition soit du lieu d’où le billet est prétendu sous
crit, soit du lieu dans lequel se trouve le domicile où le
payement est indiqué. Alors, en effet, la remise de place
en place n’existe pas et le billet ne saurait revêtir un
caractère commercial que par la qualité des parties.
Or, celte appréciation de fait appartient souverainei 18 janvier 4842. J. du P ., 1, 4843, 562.
�ART.
187, 188.
427
ment aux deux degrés de juridiction. Quels que soient
les termes du billet, le souscripteur peut toujours arguer
de leur simulation, que les tribunaux peuvent dans
tous les cas admettre et consacrer. La certitude acquise
que la valeur réelle du billet n’était pas de nature à de
venir l’objet d’un change amènerait le même résultat.
Mais s’il s’agit en réalité d’une somme d’argent don
née ici pour être payée là, si les indications du billet à
cet égard sont sincères et pures de toute simulation, dire
qu’il n’y a pas remise de place en place, c’est nier l’é
vidence même.
Il est possible que la même valeur reçue serve à ac
quitter le billet, dit la cour de Bordeaux en 1836 ; dans
ce cas, la somme aura été transportée, mais il n’y aura
pas eu remise de place en place.
Cette possibilité n’existe pas plus pour le billet que
pour la lettre de change. Lorsqu’on emprunte de l’ar
gent, c’est pour le consacrer à un usage qui en rend
l’emploi immédiat nécessaire ; lorsqu’on prend de la
marchandise, c’est pour la revendre. On ne garde ni
l’un ni l’autre pour l’employer au payement. Si on pou
vait les conserver intacts et sans emploi jusqu’à l’é
chéance, on ne les eût pas pris et on serait ainsi exo
néré de la nécessité de payer un intérêt et probablement
une commission de banque.
Pourquoi d’ailleurs un fait, fort indifférent en matière
de lettres de change, deviendrait-il capital pour le bil
let à domicile ? Mais si au fond, sincèrement, réelle-
�428
D E LA LETTRE D E
CHANGE.
ment, celui-ci fait ce que la première a pour objet de
faire ?
Dans ce cas, dit la cour de Besançon, il y a indica
tion et non remise de place en place comme dans la
lettre de change, la preuve c’est que dans la lettre de
change il y a un tiré chargé de payer, tandis que dans
le billet c’est le souscripteur qui demeure exclusivement
obligé à ce payement.
Mais est-ce que le même résultat n’est pas acquis
lorsque la lettre de change n ’est pas acceptée, et lui
fait-on perdre son caractère de ce que le tireur doit dans
ce cas rembourser le porteur. L’argument n’est donc
pas exact. Dans tous les cas, le fût-il, toute la différence
que nous trouverions entre le billet à domicile et la let
tre de change est celle-ci : il y a dans le premier une
indication, celle du lieu où le payement se fera ; la se
conde en renferme deux, celle du lieu de payement,
celle de la personne qui l’effectuera. Mais cette différence
fera-t-elle jamais que l’argent pris à Marseille pour être
payé à Lyon, n’ait pas été pris dans un lieu pour être
payé dans un autre. Or, qu’est-ce que la remise d’une
place sur une autre ?
Le système que nous combattons est donc contraire à
la vérité. On doit d’autant plus le repousser, que sou
vent le billet à domicile naîtra de la convention de créer
une lettre non acceptable. Les commerçants répugnent
ordinairement à la souscription de ces lettres. Leur em
ploi peut faire supposer qu’ils tirent en l’air, et porter
ainsi atteinte au crédit du souscripteur ; le billet à do
micile excluant cet inconvénient, on l’adoptera de pré-
�art .
187, 188.
429
férence. Il sera donc en réalité une lettre de change non
acceptable, et l’on ne voudrait pas qu’il contint la re
mise de place en place.
Est-ce vrai, d’ailleurs, que la désignation d’un tiré
soit indispensable pour qu’il y ait remise de place en
place ? C’est ce qu’on ne saurait admettre sans attacher
à la forme une autorité que la loi ne reconnaît qu’au
fait lui-même.
Supposez que la lettre de change réunit toutes les
conditions exigées par la loi, notamment l’indication du
tiré, est-ce que cette régularité, est-ce que cette indica
tion empêchera la lettre de dégénérer en simple pro
messe, s’il y a supposition du lieu d’où elle est tirée ?
Supposez au contraire que la lettre de change soit
imparfaite en la forme ; par exemple, qu’elle ait omis
d’indiquer le tiré, est-ce qu’elle ne continuera pas d’ê
tre un acte de commerce, si en réalité l’opération qu’elle
a réalisée est une remise de place en place ?
C’est donc celle-ci, et celle-ci exclusivement, qui cons
titue la commercialité de l’acte. Or, il est de toute im
possibilité de subordonner le fait à la nature de l’instru
ment destiné à en prouver l’existence ; en un mot, ce
qui est réellement remise de place en place par une let
tre de change, ne saurait pas ne pas l’être par un bil
let à domicile.
Le contraire résulterait-il cependant de la discussion
législative des articles 1 88 et 631 ? Ce qui résulte uni
quement de cette discussion, c’est qu’on ne consentit
pas à distinguer le billet à domicile du billet à ordre,
�450
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’en conséquence on rejeta la disposition suivante, que
contenait le projet du Code : Le billet à ordre peut être
payable au domicile d’un tiers résidant dans un autre
lieu.
Que résulte-il de ce rejet ? La prohibition des billets
à domicile, leur invalidité absolue ? Non évidemment.
On devra seulement les assimiler aux billets à ordre.
Mais cette assimilation permettra-t-elle de refuser au
billet à domicile l’effet que produirait infailliblement le
billet à ordre lui-même ?
Or, si ces derniers avaient pour cause une opération
de commerce, hésiterait-on à soumettre le souscripteur
non commerçant à la juridiction consulaire et à la con
trainte par corps ? Pourquoi donc ne le ferait-on pas
dans la même hypothèse pour le billet à domicile.
La cause commerciale existe dans celui-ci. Ce qui la
Constitue, c’est la remise d’argent de place en place que
l’article 632 du Code de commerce réputé expressément
acte de commerce.
693. -^-Ajoutons que la dénégation qu’on veut
faire au billet à ordre, de la faculté de réaliser le con
trat de change, a toujours été repoussée par la doctrine
tant ancienne que moderne. Déjà nous avons emprunté
l’opinion de Pothier. Yoici celle qu’enseignait Dupuis de
La Serra :
« Le contrat de change a deux faces qui produisent
deux natures différentes.
« La première est la face d’entre le tireur et celui qui
�art.
187, 188.
431
donne la valeur, et c’est sur cette face qu’on examine la
nature du change. Il est sous cette face une espèce d’a
chat et vente.
« La seconde, entre le tireur et celui qui doit la payer,
de même qu’entre celui qui en donne la valeur ou ceux
qui ont droit de lui et celui qui doit la recevoir qui est
une commission x. »
Or, le billet à domicile remplit parfaitement la pre
mière face, il consomme l’achat et la vente, c’est-à-dire
le change. Qu’importe que le contrat de commission ou
de mandat ne vienne pas se réunir au change, cela
peut influer sur l’exécution que celui-ci recevra, mais
jamais sur son essence.
Donc le billet à domicile, loin d’être incompatible
avec le change, se prêle fort bien à sa réalisation. La
doctrine moderne né laisse à cet égard aucun doute.
« Le billet à domicile, dit notamment M. Frémery,
est une expression aussi nette, aussi exacte du contrat
de change que la lettre de change elle-même. Il en at
teste même bien mieux la sincérité, car on n’y trouve
point la signature d’un accepteur qui fait, pour la lettre
de change, un moyen, pour le tireur, d’user de son
crédit. Nos tribunaux consulaires sont donc bien fondés,
en l’état actuel de la législation, à se déclarer compé
tents et à prononcer la contrainte par corps contre le
confectionnais2. «
1 L 'A rt des lettres de change, chap. 3.
2 Etudes sur le droit comm., p. 98.
�432
DE
LA
LETTRE DE CHANGE.
« Cet effet, dit M. Horson, n ’est-il qu’un simple bil
let à ordre ? Il est quelque chose de plus relativement
au souscripteur. Celui-ci a reçu la valeur dans un lieu,
et il s’est obligé de la faire compter à l’échéance dans
un autre lieu. Il y a donc là opération de change, et
dès lors engagement commercial aux termes de l’article
632 ; d’où nous concluons que le souscripteur, même
non commerçant, serait, à défaut de payement, passible
de la contrainte par corps l. »
Ainsi donc la remise de place en place contenue dans
le billet à domicile ne peut être ni un simple transport,
comme le prétend la cour de Bordeaux, ni une indica
tion de payement, comme le décide la cour de Besan
çon, elle constitue une opération de change rentrant
dans la catégorie des actes que l’article 632 réputé acte
de commerce.
6 9 4 . — La cour de Lyon a toutefois subordonné
cet effet, à une condition, à savoir : que le lieu où le
billet a été souscrit et le lieu où il est payable soient
place de commerce, ce qui ne doit s’entendre que d’un
lieu où se tient la banque, où se fait le négoce d’ar
gent2.
Ce système ne nous parait pas mieux fondé que ce
lui des cours de Bordeaux et de Besançon. En cette ma’-• • i ;
.
|
■ ■.]
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- ,
' " -Il.»,■I
Jilll 1
J ïM '
1 Quest. 33 et 35. Conf., Merlin, v° Billet à ordre, § 3. Pardessus,
Droit comm., n° 531. Emile Vincent, t. 2, p. 368. Nouguier, t. 1,
p. 528.
s 21 juin 1826, 8 août 1827,12 mars 1832.
�art .
187,
453
188.
tière, il est impossible de tracer des règles absolues.
Mais évidemment on ne saurait distinguer entre la let
tre de change et le billet à domicile. Ce qui constitue la
remise pour celle-ci, doit la constituer pour celui-là,
nous renvoyons donc aux observations que nous avons
déjà présentées à cet égard l.
696. — Nous avons eu également déjà l’occasion
de nous expliquer sur l’obligation du porteur du billet
à domicile de faire protester le lendemain de l’échéance
sous peine de perdre son recours contre le souscripteur
lui-même, si le montant du billet déposé à ce domi
cile avait péri après l’échéance et sans que le billet eût
été présenté.
Nous avons ajouté que l’indication de ce domicile
équivalait à une élection pour l’exécution ; qu’en con
séquence l’assignation était régulièrement signifiée à ce
domicile ; et que le tribunal de l’arrondissement était
compétemment saisi3.
On a agité la question de savoir si on pouvait régu
lièrement signifier à ce même domicile le jugement de
condamnation et le commandement à fin de saisie im
mobilière. La cour d’Àix s’est prononcée pour l’affirma
tive quant à la signification du jugement, mais elle a
décidé que le commandement à fin de saisie immobi
lière ne pouvait être fait qu’au domicile ré e l3.
1 Supra, n°» 4S et suiv.
2 Supra, ji° 526.
3
février 1838. J. du P., 2, 1838, 316.
Il —
28
�de
434
LA LETTRE DE CHANGE.
SECTION III
DE
I.A
PRESCRIPTION
.'
ARTICLE
\ 89.
Toutes actions relatives aux lettres de change, et à
ceux des billets à ordre souscrits par des négociants,
marchands ou banquiers, ou pour faits de commerce,
se prescrivent par cinq ans, à compter du jour du pro
têt, ou de la dernière poursuite juridique, s’il n’y a eu
condamnation, ou si la dette n ’a été reconnue par acte
séparé.
Néanmoins les prétendus débiteurs seront tenus, s’ils
en sont requis, d’affirmer, sous serment, qu’ils ne sont
plus redevables ; et leurs veuves, héritiers ou ayants
cause qu’ils estiment de bonne foi qu’il n’est plus
rien dû.
SOMMAIRE
69G.
697.
Divers modes d’exlinction des obligations du commerce.
Caractère de la compensation. Comment et entre qui elle
�ART.
698.
699.
700.
701.
702.
703.
704.
705.
706.
707.
708.
709.
710.
711.
712.
713.
714.
189.
435
s’opère en matière de lettres de change et de billets â
ordre.
Nécessité de l ’exigibilité actuelle de la créance et de la
dette. Conséquences.
L ’accepteur qui n ’a pas encore payé ne peut compenser
avec les sommes liquides q u ’il doit au tireur. Arrêt de
la Cour de cassation.
La compensation se réalise-t-elle dans le cas de faillite ?
Objet de la novation. Son fondement rationnel.
Actes entraînant novation en m atière commerciale.
La déchéance prononcée par l ’article 168 n ’est que l ’effet
d ’une novation légalement présumée.
Il en serait de même du traité intervenu entre le porteur
et l ’un des signataires. Ce traité résulterait-il de la pas
sation, au débit du tireur, du montant de l’effet ?
Quid v i s - à - v i s de l ’accepteur à découvert. Arrêt de
Bruxelles repoussant la novalion.
Discussion de cet arrêt.
L’acceptation par le porteur d ’un nouveau titre signé par
les endosseurs, vaudrait-elle novation en faveur du dé
biteur principal ?
Nature de la remise de la dette. Conséquences pour celle
résultant de la faillite d ’un des débiteurs.
Elle est expresse ou tacite. Celle-ci résulterait de la resti
tution du titre.
Avantages de cette restitution.
Effets de la remise, se réglant par la qualité de celui à qui
elle est faite. Celle faite au tireur libère les endosseurs,
les donneurs d ’aval et les cautions.
Quid, si le porteur s’était fait des réserves contre les au
tres débiteurs.
Effets de la remise faite au tireur, à l'égard du tiré.
Si le tiré qui n ’a pas accepté avait provision, pourrait il
être actionné par le porteur qui aurait remis la dette
au tireur ?
�il: 1
436
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
Effets de la remise faite à l’accepteur. A qui, dans ce cas,
appartiendrait la provision. Pourrait-elle être reprise
par le tireur ?
716. L ’accepteur à découvert, à qui la dette a été remise, au
rait-il action contre le tireur, en remboursement du
montant de la dette. Droits du porteur.
Effets de la remise consentie aux donneurs d ’aval.
Quid de celle faite à l’endosseur ?
Nature de la confusion, ses effets.
Caractère et conséquences de la confusion opérée sur la
tête de l’accepteur.
721
Opportunité et avantages de la prescription, en matière
d ’effets commerciaux. Nécessité d ’en réduire la durée.
Quels sont les titres régis par l ’article 189 ?
Conséquences de sa disposition.
Son étendne, quant aux lettres de change.
L’article 189 est inapplidable à l’action de l’accepteur con
tre le tireur, pour se faire rembourser de ce qu’il a
payé. Arrêts conformes.
725bis. Arrêt contraire de la cour de Montpellier. Appréciation.
725ter. Quid de l’action du tiers qui a fourni au tiré les fonds
pour le payement.
725 quatuor. Résumé.
715.
Mm
JHgiS
m
Quid de la lettre de change réputée simple promesse ?
Caractère de la prescription quinquennale, sous l’ordon
nance de 1673.
728. — Depuis le Code de commerce.
729. Peut-elle être combattue par les présomptions contraires,
par la preuve testimoniale ? Raisons invoquées pour
l ’affirmative.
730. Réfutation.
730 bis . A rrêt récent de la Cour de cassation dans le-sens de la
négative.
731. Point de départ de la prescription. Ce qu’il faut entendre
par ces mots : du jour du protêt ?
726.
727.
if» rg 1
Mij
I
! ||
;
�ART.
732.
733.
734.
735.
736.
737.
738.
739.
740.
741.
742.
743.
744.
745.
746.
747.
189.
457
Jurisprudence de la Cour de cassation.
Quel est le point de départ de la prescription, si le dernier
acte de poursuite est une citation en justice? Doit-on
poursuivre la péremption de l ’instance.
Critique d’un arrêt de la Cour de cassation se prononçant
pour la négative.
Différence entre la suspension et l'interruption de la pres
cription.
La prescription de l’article 189 n’est suspendue ni par la
minorité, ni par l’interdiction.
L’est-elle par la faillite du commerçant, soit à l’égard de
ses créanciers, soit vis-à-vis de ses débiteurs?
Dans quel sens la force majeure suspend-elle la prescrip
tion ?
L’interruption de notre prescription ne peut être civile.
Actes qui la constituent.
Lé protêt requis dans le cours des cinq ans, interrompt-il
la prescription ?
Quid si le protêt a été suivi de citation ? Application de
l'article 2246 du Code civil. Conditions que doit réunir
la citation.
L'interruption résulte de la reconnaissance de la dette.
Conséquence de l'exigence d’un acte séparé.
Peut-on, en l ’absence de cet acte, soumettre celui qui excipe de la prescription à comparaître en personne ou à
subir un interrogatoire sur faits et articles ?
Latitude laissée aux tribunaux, sur ce qui constitue l ’acte
séparé. Exemples divers.
L’acte antérieur à l’échéance des billets ou effets commer
ciaux interromprait-il la prescription.
Effets de l ’interpellation ou de la reconnaissance du débi
teur solidaire. Celle-ci doit avoir date certaine.
Effets de l ’interruption, durée du nouveau délai, suivant
q u ’il y aura eu ou non novation dans la créance.
�438
748
749.
750.
751.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Exemples dans lesquels la novation a été e'carlée.
Q u id de l’acte notarié, conférant hypothèque pour la ga
rantie de la dette ?
Effets delà prescription. Discussion qui s’éleva sur la fa
culté de déférer le serment, nature et caractère de ce
lui-ci.
Conséquences des caractères de la prescription.
690. — Les obligations nées des titres et effets de
commerce s’éteignent de la même manière que les obli
gations purement civiles. En conséquence, les divers
modes de libération édictés par l’article \ 34 du Code
civil peuvent être invoqués contre le porteur de la lettre
de change ou du billet à ordre commercial.
Quelques-uns de ces modes, appliqués à notre ma
tière, devaient subir les modifications naissant du ca
ractère spécial du titre lui-même et des exigences com
merciales, c’est pourquoi nous avons vu le législateur
réglementer le payement, c’est pourquoi nous le voyons,
sous l’article 189, réglementer la prescription.
Son silence, à l’égard des autres, prouve qu’il s’en
est référé, pour ce qui les concerne, aux principes du
droit commun. Nous pourrions donc nous contenter de
faire appel à ces principes.
Mais la nature des titres commerciaux, la circulation
à laquelle ils sont destinés, les intérêts nombreux qui
s’y rattachent pourraient faire naître quelques difficul
tés, notamment à l’égard de la compensation, de la no
vation, de la remise de la dette, de la confusion.
�ART.
189.
439
Nous devons donc, avant d’aborder la prescription,
rappeler quelques règles de nature à éclairer ces diver
ses matières et à déterminer la consistance et la nature
des modifications dont le droit commercial peut deve
nir l’origine et la cause.
©OS. — La compensation est un véritable paye
ment s’opérant par la seule force de la loi, à l’insu mê
me des parties. Son fondement est on ne peut pas plus
rationnel. Je suis créancier et débiteur de la même per
sonne ; la créance et la dette sont également liquides et
exigibles à la même époque, ce qui arrive donc infailli
blement, c’est que, recevant d’une main, l’un de nous
payerait de l’autre. C’est cette opération que la loi tient
pour accomplie, dont elle n’a pas cru devoir prescrire
la réalisation matérielle.
En matière d’effets commerciaux, il est bien évident
que la compensation ne peut s’opérer qu’entre le débi
teur et le porteur de la lettre ou du billet, en poursui
vant le payement à l’échéance. Quelle que fût la posi
tion du premier vis-à-vis des précédents porteurs, la
négociation du titre a dépouillé ceux-ci de tous leurs
droits et les a transférés au cessionnaire, et celui-ci ne
saurait jamais être considéré comme leur ayant cause.
Mais, pour cela, il est indispensable que ce cession
naire soit un acquéreur sérieux et sincère. S’il n’était
pas de bonne foi, si, prête-nom du débiteur, il n’est in
tervenu que pour exonérer celui-ci de l’obligation de
compenser, on pourrait lui opposer la compensation, et
�440
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
prouvée que fut la mauvaise foi, les tribunaux devraient
accueillir l’exception K
Telle serait également la conséquence forcée de l’en
dossement irrégulier ou en blanc. Cet endossement ne
conférant pas la propriété de l’effet, son bénéficiaire
n ’a jamais eu des droits personnels contre le débiteur,
et s’il agit contre lui, il ne peut le faire que comme man
dataire de l’endosseur. Donc, le débiteur, qui est en
même temps créancier de celui-ci, a été libéré de plein
droit au moyen de la compensation contre laquelle le
mandataire ne saurait protester.
Là ne s’arrête pas l’effet de cette qualité. Le porteur,
en vertu d’un endossement irrégulier n’étant pas pro
priétaire de la lettre de change ou du billet, ne peut
prétendre en compenser le montant avec une somme
qu’il doit personnellement au débiteur de l’une ou de
l’au tre2.
6 9 8 . — L’exigibilité réciproque de la créance et de
la dette est une des conditions substantielles de toute
compensation. C’est surtout en matière d’effets de com
merce qu’il importe de ne pas perdre de vue cette cir
constance. En effet, leur payement ne pouvant être ef
fectué avant l’échéance, le débiteur pourrait d’autant
moins prétendre compenser avec la créance qu’il aurait
sur le porteur actuel, qu’en négociant l’effet, celui-ci ne
sera plus créancier au moment de l’échéance.
1 Cass., 11 novembre 1813.
2 C ass, 10 septembre 1812.
�ART.
189.
U1
Le tiré lui-même peut être créancier du porteur au
nom duquel l’acceptation est requise, et dont il devient
le débiteur principal par le fait même de son accepta
tion. Mais alors même que la créance serait exigible, il
ne pourrait retenir les traites acceptées à titre de com
pensation, car la preuve qu’elles ne sont pas échues s’in
duit précisément de ce qu’elles sont présentées à l’accptation.
Cependant l’accepteur peut indirectement atteindre à
ce résultat, et se ménager une compensation future.
Nous avons déjà vu qu’il est libre d’accepter pour payer
à moi-même, et que cette clause serait un obstacle
qu’on pourrait opposer avec succès aux effets ordinai
res d’une transmission ultérieure l.
0 9 9 . — Au reste, il est bien certain que l’accepta
tion qui n’a pas encore été suivie d’effets ne saurait
devenir entre l’accepteur et le tireur un prétexte à com
pensation entre ce qui est dû au premier et le montant
de l’acceptation. Celle-ci, en effet, n’est qu’une obliga
tion, qu’une promesse de payement. Comment donc li
bérer l’accepteur d’une dette certaine et positive, sur la
foi de celte promesse uniquement ? Si à l’échéance il
ne peut ou ne veut faire face à son acceptation, il
n’aura jamais été créancier, et la compensation n’au
rait jamais eu de base légale.
C’est dans cette conviction que la Cour suprême déi Supra, n° 230
�'
442
DE LA LETTHE DE CHANGE
cidait, le 20 décembre 1837, que des traites acceptées
ne deviennent, entre les mains de l’accepteur, des titres
de créances susceptibles d’être admis en compensation
avec les créances liquides du tireur, qu’autant que l’ac
cepteur les a payées en l’acquit de celui-ci ; qu’en con
séquence, le tireur peut, tant que la preuve du paye
ment des traites n’est pas faite par l’accepteur, exiger
contre lui le montant de ses créances liquides, alors
surtout qu’il offre caution pour le cas où les porteurs
viendraient à inquiéter l’accepteur l.
Remarquons que dans cette hypothèse les traites ac
ceptées étaient échues sans qu’on les eût présentées. Il
est évident, en effet, que si ces traites n’étaient pas ve
nues à échéance, la dette de l’accepteur en faveur du
tireur en constituerait la provision, dont le premier ne
pourrait être forcé de se dessaisir. Mais le défaut de
présentation à échéance suppose que le porteur a été
désintéressé sans le concours de l’accepteur. Donc, tout
ce que ce dernier peut exiger, c’est qu’on le garantisse
contre l’événement d’une recherche postérieure. L’offre
d’une caution, dans ce but, le désintéresse donc com
plètement.
tfOO. — L’intérêt d’une compensation entre la cré
ance et la dette atteint la plus haute importance, en cas
de faillite du porteur de la lettre de change ou du billet
à ordre, dont les tireurs ou souscripteurs sont créan1 J. du P ., 4, 1838, 36.
�ART.
189.
445
ciers d’autre part. La compensation, en effet, éteindrait
jusqu’à concurrence la créance et la dette. A défaut, le
tireur ou souscripteur payera le montant intégral de
l’effet, et ne prendra pour sa créance qu’un dividende
plus ou moins important.
L’intérêt est donc incontestable, mais les principes
ne changent pas. La compensation n’est possible que si
la créance et la dette étaient échues avant la faillite.
Vainement, le débiteur du failli dont la créance n’é
tait pas échue, exciperait-il de l’article 444 du Code de
commerce, rendant les dettes du failli exigibles. Cat ar
ticle, en effet, n’admet l’exigibilité qu’en ce qui con
cerne le failli qu’il prive du bénéfice du terme, on ne
saurait donc en exciper pour diminuer l’actif au préju
dice de la masse, et pour' briser celte égalité absolue
que la loi impose à tous les créanciers.
D’ailleurs, en admettant même contre la masse une
exigibilité absolue, la compensation ne saurait être ad
missible. En effet, la faillite qui ferait naître cette condi
tion de toute compensation, en enlèverait une autre non
moins essentielle, à savoir : la liquidité de la créance.
En effet, les droits du créancier, nous venons de le
dire, se réduisent au dividende que la liquidation of
frira. On ne pourrait donc compenser que jusqu’à
concurrence de ce dividende, et comment le connaître
à l’origine de la faillite ?
Ainsi donc, en supposant que la compensation fût
proposable sous le rapport de l’exigibilité, elle ne pour-
�444
DE LA LETTRE DE CHANGE
rait être accueillie, la créance et la dette n’étant plus ni
certaines, ni liquides l.
¥© 1. — La novation a pour objet, entre autres, de
substituer une nouvelle dette à l’ancienne qui se trouve
par cela même éteinte. Sous ce rapport, son existence
est d’un grave intérêt, non pas seulement en ce qui
concerne la libération des codébiteurs, mais encore au
point de vue de la prescription. Evidemment, si la dette
substituée n’offrait plus le caractère commercial dont la
première était revêtue, la seule prescription proposable
et admissible serait celle de trente ans.
Le fondement rationnel de la novation repose sur
cette considération, à savoir : que le créancier, en ac
ceptant le renouvellement du titre, de la part d’un seul
de ses débiteurs, lui a exclusivement fait confiance, s’est
contenté de sa garantie et a conséquemment renoncé à
tous droits contre les autres. Aussi, l’article 4273 du
Code civil nous dit-il que la novation ne se présume
pas, que la volonté de l’opérer doit résulter clairement
de l’acte lui-même.
3© ». — En matière commerciale, il est des actes
qui présentent ce caractère et qui dès lors constituent la
novation.
Dans cette catégorie, l’ordonnance de 1673 avait
i Cass., 12 février 1823. Notre Commentaire des faillites, n°s 370 et
suiv.
�ART.
189.
448
placé l’acceptation d’un payement partiel par le por
teur de la lettre de change ou du billet à ordre. 11 était
présumé avoir ainsi fait novation à la dette, et avoir
pris désormais le payement du solde à ses risques et
périls personnels.
L’article 156 du Code de commerce a condamné cette
doctrine dangereuse pour ceux mêmes qu’elle entendait
protéger. L’acceptation d’un payement partiel est dans
l ’intérêt évident de tous les signataires de l’effet commer
cial. Il ne saurait donc devenir, pour aucun d’eux, une
cause de libération, à une condition cependant, c’est
que le porteur fera protester pour le surplus.
L’inobservation de cette condition constitue, à vrai
dire, une véritable novation. Elle en produit tous les
effets, non seulement en faveur des endosseurs, mais
encore et éventuellement au profit du tireur ou du
souscripteur du billlet à domicile, si l’un et l’autre
prouvent que provision était faite à l’échéance pour la
totalité de la dette.
Ï 0 3 . — 11 suit de là que la déchéance édictée par
l’article 168 puise sa raison d’être dans la novation. Le
porteur qui n’a pas requis le protêt, ou qui ne l’a pas
notifié avec assignation dans la quinzaine, a fait du ti
tre son affaire propre et personnelle, s’est contenté, à ses
risques et périls, de la garantie de l’accepteur, ou du
tireur ou souscripteur. Cette conséquence s’induisant de
la seule inaction du porteur, résulterait à bien plus
�M 6
DE LA LETTRE DE CHANGE
forte raison du traité intervenu avec l’un d’eux, et dont
cette inaction ne serait que la conséquence.
9© 4L. — Aussi les effets d'un traité de cette nature
ne pourraient jamais comporter aucune difficulté sé
rieuse. La contestation ne peut se concevoir qu’à l’é
gard de l’existence réelle du traité. L’intérêt que cette
existence peut avoir pour les endosseurs et autres cau
tions peut facilement faire présumer qu’ils voudront la
faire résulter de telles ou telles circonstances.
On a notamment prétendu l’induire de ce que, après
le protêt, le porteur de l’effet en a passé le montant au
débit du tireur. Cette prétention, en ce qui concerne les
endosseurs, ne saurait créer de graves difficultés. En
effet, si la passation au compte du tireur a eu pour ré
sultat le défaut de diligence dans le délai prescrit, les
endosseurs sont définitivement libérés ; si, au contraire,
le porteur, tout en débitant le tireur, a exercé son re
cours utilement, on ne voit pas comment les endosseurs
pourraient justifier la novation dont ils exciperaient. Il
faut le reconnaître néanmoins, il y a quelque chose de
contradictoire entre le payement que se fa it. le porteur
par le crédit de son compte, et la poursuite de ce même
payement contre d’autres personnes.
Au reste, comme toutes les appréciations de fait, celleci est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
9 0 5 . — L’accepteur est placé dans une position
�art ,
189.
447
différente, il est débiteur alors même qu’il aurait accepté
à découvert. Cependant, ne peut-il pas raisonnable
ment prétendre que le porteur, ayant traité avec le ti
reur, a par cela même reconnu que l’acceptation avait
été donnée sans provision, et qu’il a dès lors libéré
l’accepteur ?
Telle était la question qui s’offrait à la cour de Bruxel
les. L’accepteur d’une lettre de change proteslée faute
de payement était poursuivi par le porteur après la fail
lite du tireur. Il opposait la novation. La substitution
d’un nouveau débiteur, disait-il, peut s’opérer à l’insu
du premier; elle est acquise dès que le porteur a ac
cepté le tireur pour débiteur unique ; dans l’espèce,
cette acceptation résulte non seulement de la passation
au débit de celui-ci du montant de la lettre de change,
mais encore de la lettre missive annonçant celte opéra
tion. Ce système fut consacré par le tribunal.
Mais, sur l’appel, la cour de Bruxelles réforme :
Attendu que la novation ne se présume pas, mais qu’elle
doit résulter clairement de l’acte ; attendu que si, dans
l’espèce, on pouvait s’en rapporter à des présomptions,
elles seraient toutes contraires à l’intimé , puisque, par
la novation prétendue faite avec le tireur, l’appelant au
rait consenti à perdre son recours contre les endosseurs
de l’effet dont il agit, qui n’avaient aucune exception à
lui opposer du chef de l’accepteur, pour s’en tenir à
une simple action résultant d’un compte courant, telle
ment que la demande en payement dudit effet devînt
susceptible de plusieurs exceptions qui, sans cette pré-
�448
DE U
LETTRE DE CHANGE.
tendue novation, n’auraient pu être opposées à une
dette claire et liquide i.
« 0 6 . — Comme appréciation consciencieuse, cet
arrêt pourrait échapper à toute critique. Il faut en con
venir, cependant, ses motifs sont quelque peu singu
liers. Sans doute, la novation ne se présume pas, la
loi veut que l’intention de l’opérer résulte clairement de
l’acte.
Cette intention pouvait-elle être douteuse dans l’es
pèce ? Evidemment non à l’égard des endosseurs contre
lesquels aucun recours n’avait été exercé, et qui se trou
vaient si complètement libérés, qu’aucune poursuite n’é
tait dirigée contre eux.
Le porteur avait donc innové quant à eux, et cette
novation faisait et devait faire présumer qu’il avait
voulu en faire autant pour l’accepteur, n’ayant d’ailleurs
reçu aucune provision.
Ce qui confirmait cette présomption, c’est que loin
de le poursuivre, le porteur avait dénaturé sa créance,
lui avait enlevé toute liquidité, toute exigibilité même.
En effet, jeter une lettre de change dans un compte
courant, c’est lui faire perdre son caractère, consentir
un nouveau crédit soumis aux éventualités du compte,
à la compensation réciproque entre les divers articles
appelés à y figurer jusqu’à règlement définitif.
Ce n’est d’ailleurs qu’au moment de ce règlement
i 18 juillet 1810,
\
�ART.
189.
449
qu’il y aura une créance et une dette. Jusque-là il n’y
a que des prêts partiels sans aucune limitation d’épo
que de remboursement, et soumis aux règles d’imputa
tion et de compensation prescrites en matière civile l.
Ajoutons qu’en cette matière les principes concernant
l’imputation légale ne reçoivent pas d’application. Ainsi,
le compte courant est indivisible, on ne peut en extraire
aucuns articles, soit pour en demander séparément le
payement actuel, soit pour les soustraire à l’imputation
qu’on prétendrait aussi faire porter exclusivement sur
d’autres articles2.
Enfin la lettre de change jetée en compte courant ne
se trouve plus régie par l’article 189. Il n’y a plus pour
la libération du souscripteur d’autre prescription que
celle applicable au solde du compte, c’est-à-dire celle de
trente a n s 3.
Comment donc ne pas voir l’intention d’innover et de
se contenter de la garantie du tireur chez le porteur
qui, non content d’avoir encouru la déchéance à l’égard
des endosseurs, non seulement ne réclame rien de l’ac
cepteur, mais encore débite le compte du tireur du mon
tant de ce qui lui est dû ? Comment surtout, lorsque,
par !a faillite de celui-ci, il s’aperçoit qu’il a mal placé
sa confiance, lui permettre de retirer de son compte
l’article qu’il y avait passé, de faire revivre un titre
1 Cass.. 3 avril 1839. J. du P., 1, 1839, 867.
2 Bordeaux, 8 avril 1842. J . du P , 1, 1844, 27.
3 Cass, 20 décembre 1842. J . du P., 1, 1843, 114
n — 29
�450
DE LA LETTRE DE CHANGE
éteint, et de revenir contre l’accepteur, alors surtout que
celui-ci n’ayant jamais reçu provision, n’a jamais rien
dû en réalité ?
Les motifs de l’arrêt de Bruxelles sont loin de répon
dre aux considérations que nous venons d’exposer.
Aussi, n’hésitons-nous pas à admettre que débiter le ti
reur en compte courant du montant de l’effet commer
cial protesté, c’est innover en fait et en droit, non seu
lement à l’égard des endosseurs, mais encore vis-à-vis
de l’accepteur et des autres cautions. Les uns et les au
tres, demeurés complètement étrangers au titre nouveau
que s’est créé le créancier, sont définitivement libérés
des effets de l’ancien.
SO5f. — L’acceptation d’un nouveau titre signé par
les endosseurs constituerait-elle une novation en faveur
du débiteur principal, tireur, accepteur ou souscrip
teur ?
La négative résulte d’abord de ce que le porteur au
rait retenu l’ancien titre, ce qui ne peut s’expliquer que
par l’intention de l’utiliser en cas de besoin. Elle résulte
encore de ce que, à cette première présomption du dé
faut d’intention d’innover, s’en joint une autre plus dé
cisive encore. Comment, en effet, supposer une inten
tion de ce genre chez celui-ci, qui n ’a pas même con
senti à sacrifier son action contre les garants.
C’est donc à bon droit que la cour de Lyon jugeait,
le 21 février 1840, que le porteur d’un billet à ordre
non payé à l’échéance et protesté n’opère pas, en accep-
�ART.
189.
451
tant un autre billet des endosseurs, novation de la cré
ance à l’égard des souscripteurs restés étrangers à la
création du nouveau billet.
Ce billet, dit l’arrêt, n’a été évidemment accepté que
dans l’intérêt des endosseurs, débiteurs solidaires du bil
let primitif, et afin de leur laisser des facilités pour ef
fectuer leur libération ; mais, en l’acceptant, le créan
cier n’entendait pas du tout éteindre sa créance envers
les souscripteurs, puisque, au contraire, c’étaient là des
titres de créance qui ne cessaient pas de demeurer en
tre ses m ains l.
SOS. — l a remise de la dette n’a pas besoin d’être
définie. Le mot seul indique ce qu’elle est et le but
qu’elle se propose.
Ce qui résulte de ce but lui-même, c’est que la remise
doit être essentiellement spontanée et volontaire. Ce
double caractère peut seul résoudre les difficultés que la
faillite d’un ou de plusieurs des signataires peut soule
ver sur les effets de la remise que cette faillite peut ren
dre nécessaire.
Aucun doute ne saurait s’élever dans l’hypothèse
d’une faillite se terminant par un contrat d’union. L’ac
ceptation du dividende produit par la liquidation n’est
pas même une remise du surplus, chaque créancier con
servant tous ses droits dans l’avenir. Dans tous les cas,
l’abandon est indépendant de leur volonté. Ils ne font
�482
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que subir la loi que leur impose l’insolvabilité de leur
débiteur.
Il en est évidemment de même pour tous ceux qui,
sans avoir signé le concordat, sont tenus de l’exécuter.
Devrait-on décider dans un autre sens à l’égard des
créanciers qui ont adhéré au traité avec le failli ?
Non, répéterons-nous, car le créancier qui concorde
ne fait également qu’obéir à une nécessité indépendante
de sa volonté. Le plus souvent même il n’agit que
parce que le refus de concorder empirerait sa position
et préjudicierait à ses garants eux-mêmes, la liquida
tion judiciaire pouvant ne pas offrir un dividende aussi
important que celui proposé par le failli l.
L’adhésion au concordat n’est donc pas la remise li
bérant les codébiteurs solidaires et les cautions. Les uns
et les autres ne sont affranchis de la poursuite du cré
ancier que jusqu’à concurrence du dividende reçu.
ÏO O . — En matière commerciale comme en matière
ordinaire, la remise volontaire de la dette n’a pas besoin
d’être expresse. Ainsi le porteur de la lettre de change
ou du billet à ordre, qui se dessaisirait de son titre et le
remettrait au débiteur, serait considéré comme ayant
renoncé à sa créance, à moins qu’il ne prouvât que ce
dessaisissement a eu lieu dans un objet déterminé et
convenu, et sous la réserve de tous ses droits.
En conséquence, le débiteur nanti du titre par lui
1 V. notre Commentaire des faillites, nos 884 et suiv.
�-3
ART.
189.
453
souscrit, acquitté ou non, se prétendrait avec juste rai
son libéré. Peu importerait qu’il convint lui-même n’a
voir pas payé sa dette, on ne saurait, en absence de
convention contraire, lui contester sa libération qu’en
justifiant ou que le titre lui a été remis par une per
sonne qui n’en avait pas la propriété, ou qu’il l’a volé
ou trouvé.
A défaut de cette justification, la remise présumée
émaner du propriétaire entraînerait la libération du dé
biteur, aux termes de l’article 4283 du Code civil, dont
l’application ne saurait faire l’objet d’un doute.
9 1 0 . — Il y a même plus. La remise résultant de
la restitution du titre est plus avantageuse, et, si l’on
peut s’exprimer ainsi, plus définitive que celle qui au
rait été expressément convenue par écrit. En effet, resté
dans cette dernière hypothèse en possession du titre, le
créancier pourrait ultérieurement le négocier, et sa
transmission entre les mains d’un tiers porteur de bonne
foi en rendrait le payement paT le débiteur inévitable,
malgré l’acte de remise.
Il est vrai que dans cette hypothèse le débiteur au
rait une action en dommages-intérêts contre le créan
cier qui aurait négocié malgré la remise. Mais où serait
l’avantage de cette action, si l’insolvabilité de ce créan
cier le mettait d’avance dans l’impossibilité de satisfaire
à une condamnation quelconque ?
Nous avons donc raison de le dire , la restitution du
m
�454
DE LA LETTRE DE CHANGE
titre au débiteur est de toutes les remises la plus éner
gique et la plus sûre.
ï l t . — L’existence de plusieurs débiteurs dans les
effets de commerce impose la nécessité de distinguer la
qualité de celui en faveur de qui la dette a été remise.
En effet, ses conséquences diffèrent essentiellement, sui
vant qu’elle a été faite au tireur, à l’accepteur, aux don
neurs d’aval, aux endosseurs.
La remise faite au tireur libère les endosseurs, les
donneurs d’aval, l’accepteur lui-même, s’il n’a pas reçu
la provision. Ce résultat nous paraît s’induire du fait
lui-même. Lorsque le porteur remet la dette au tireur,
il veut évidemment le dispenser de payer. Or, quelle se
rait en réalité la nature de cette dispense, si, se réser
vant de poursuivre l’un des codébiteurs solidaires, il le
mettait dans le cas de recourir contre le tireur et de le
contraindre au payement ?
Qui veut la fin veut les moyens. Le porteur ne peut
donc pas avoir la faculté d’annuler ainsi indirectement
le bénéfice de l’engagement qu’il a contracté, et qui est
devenu définitif par l’acceptation de la partie intéressée.
Donner et retenir ne vaut. Or, n’est-ce pas précisément
ce que ferait le porteur qui, après avoir remis la dette
au tireur, en demanderait le payement à ses cautions ?
L’honorable M. Nouguier semble professer l’opinion
contraire. Il invoque, comme ayant consacré celle-ci,
un arrêt de la Cour de cassation du 11 février 1817.
Mais cette indication du sommaire n’est pas justifiée
�par l’arrêt. D’ailleurs, l’espèce sur laquelle il a été rendu
lui enlevait, à l’égard de notre question, toute autorité
doctrinale. Il s’y agissait d’une remise par un concor
dat à la suite d’une faillite. Or, comme nous le disions
tout à l’heure, dans ce cas la remise n’est pas présu
mée volontaire.
En effet, un sieur Laganne avait souscrit des lettres
de change, successivement endossées par les sieurs Ber
trand et Yideau. Il est depuis déclaré en faillite et un
concordat lui fait remise du cinquante pour cent de sa
dette.
L’article 5 du traité contenait, en faveur des créan
ciers du failli, et chacun pour ce qui le concerne, la
réserve de tous droits et recours contre les coobligés,
soit comme tireurs , soit comme endosseurs, donneurs
d’aval, accepteurs ou à tout autre titre solidaire, n’en
tendant aucunement déroger à aucun de leurs droits et
actions, qu’ils se réservent au contraire de faire valoir
contre lesdits coobligés, jusqu’au remboursement inté
gral de leurs créances, notamment contre les sieurs Ber
trand et Yideau, sauf à ceux-ci à répéter les sommes
qu’ils seront obligés de payer contre qui et ainsi qu’ils
aviseront,
Ce concordat présenté au tribunal de commerce, ce
lui-ci en avait refusé l’homologation.
En cet état, le sieur Lassalle, porteur de traites et si
gnataire du concordat, ayant poursuivi les cédants Ber
trand et Yideau, ce dernier a excipé de la remise de la
dette faite au tireur et prétendu que cette remise l’avait
�456
DE LA LETTRE DE CHANGE.
libéré lui-même. Mais on a contesté non seulement le
caractère, mais encore le fait de la remise. Il n’en a ja
mais existé aucune, disait-on, seulement il y a eu di
vision de la dette solidaire et par conséquent applica
tion des règles prescrites pour celle-ci.
C’est ce que consacre la cour de Poitiers. L’arrêt rap
pelle d’abord les faits et conclut de l’acceptation par le
tireur de la réserve faite par l’article 5 du traité en fa
veur des endosseurs contre qui de droit pour le rem
boursement de ce qu’ils auront payé, que leur position
n’a pas été empirée.
Il ajoute : attendu que le porteur n’a fait qu’user de
l’avantage accordé, par l’article 534 du Code de com
merce, aux créanciers d’un failli qui sont porteurs d’o
bligations solidaires de participer aux dividendes jusqu’à
entier payement, et qu’aux termes des articles 1210 et
42114 du Code civil, le créancier qui reçoit sa part de
l’un des débiteurs solidaires n’en conserve pas moins
ses droits contre les autres codébiteurs. Que cela est sur
tout vrai lorsque, comme dans l’espèce, loin que sa re
mise ait eu pour objet l’extinction de la dette, le créan
cier s’est au contraire réservé de poursuivre pour le res
tant les autres codébiteurs solidaires.
La cour de Poitiers n’admet donc, ni en fait ni en
droit, l’existence de la remise, et c’est cette solution que
la Cour suprême sanctionne de son autorité.
Faut-il en conclure qu’il doit en être de même si, en
l’absence de faillite , le porteur remettait la dette pure
ment et simplement 1 Non, évidemment, car la remise
�dans ce cas porterait sur l'intégralité de la dette et ne
permettrait pas dès lors l’admission d’une division dans
la dette solidaire. La libération entière, absolue, accor
dée au débiteur principal entraînerait de plein droit celle
des endosseurs et donneurs d’aval, qui ne sont, après
tout, que des cautions.
S I S . — Nous allons plus loin encore, et nous
croyons sans hésiter que ce résultat ne saurait être chan
gé par les réserves stipulées par le porteur. Ici le fait
étant purement volontaire, la réserve ne saurait préva
loir sur son accomplissement. Il n’y avait qu’une pro
testation utile, efficace, c’était de s’abstenir de toute re
mise et de poursuivre, aux risques et périls du tireur,
les codébiteurs contre lesquels on voulait conserver ses
droits.
Vainement voudrait-on exciper de l’article 4285 du
Code civil, donnant au créancier la faculté de se réser
ver ses droits contre les codébiteurs solidaires. Cette rè
gle, applicable en matière de solidarité ordinaire entre
codébiteurs tous obligés au même titre, ne saurait être
invoquée, en matière de solidarité commerciale, entre
les endosseurs, tireurs et accepteurs. Malgré cette soli
darité, les premiers ne sont de rien tenus. Si, par suite
du refus de ces deux derniers, ils sont contraints de
payer, ils auront le droit de recourir contre eux et de
se faire rembourser, non pas une partie quelconque de
la dette, mais bien la totalité.
En réalité donc, l’accepteur, et, à défaut de provi-
�438
DE LA LETTRE DE CHANGE,
sion, le tireur, sont des débiteurs principaux eî uniques
de la lettre de change. En conséquence et aux termes
de l’article 1287, la remise de la dette qui leur est faite
décharge de plein droit les cautions, endosseurs, don
neurs d’aval ou autres. Il en serait de même de la re
mise consentie en faveur du souscripteur du billet à
ordre.
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3-13. — Quel serait, par rapport au tiré, l’effet de
la remise accordée au tireur ? La difficulté que nous
signalons, on le comprend, ne peut naître que si la
traite a été acceptée. Tant que cette formalité n ’a pas
été accomplie, le tiré ne saurait être recherché, à moins
•■
qu’il n’eùt réellement reçu provision.
Ce qui doit faire résoudre notre question, c’est la
considération que nous exposions tout à l’heure. Le por
teur remettant la dette au tireur est présumé vouloir le
dispenser du payement de la lettre de change, et renon
cer par cela même à tout ce qui, directement ou indi
rectement, s’opposerait à ce résultat. N’est-il pas évi' dent qu’une poursuite contre l’accepteur à découvert
rendrait la libération du tireur illusoire, puisque, don
nant ouverture à l’action en recours, ce dernier ne
saurait se soustraire au payement.
Donc la remise faite au tireur est ou non libératoire
pour l’accepteur, suivant que la provision existe ou
non.
Si la provision a été faite, le tireur n’est plus, en
réalité, qu’une caution. Dès lors la remise de la dette
�ART.
189.
459
en sa faveur ne libère que lui. L’accepteur, devenu le
débiteur principal, ne pourrait en exciper sans être re
poussé par l’application du deuxième paragraphe de
l’article 1287 du Code civil. Il serait d’autant plus anor
mal de le décider autrement, qu’en fait la remise de la
dette a pu n’étre que la conséquence du dépôt de la
provision et de la certitude de la retrouver entre les
mains de l’accepteur.
— Si le tiré ayant provision n’avait pas ac
cepté, pourrait-il être actionné par le porteur qui aurait
remis la dette au tireur ? L’affirmative serait difficile à
justifier. Aussi ne l’admettons-nous que si, en remettant
la dette, le porteur s’était fait expressément subroger
aux droits du tireur contre le tiré, à l’occasion de la
provision.
Si celle-ci n’avait pas été réalisée, la remise de la
dette en faveur du tireur libérerait le tiré, alors même
qu’il aurait accepté. Ainsi que nous l’avons déjà observé,
l’opinion contraire annulerait le bénéfice de la remise,
nonobstant laquelle le tireur serait tenu de payer le
montant de son obligation.
315. — C’est par la même distinction qu’on doit
régler les effets de la remise en faveur de l’accepteur.
Cette remise qui, dans tous les cas, libère les endos
seurs, produirait incontestablement le même résultat en
faveur du tireur et des autres cautions, si la provision
existait aux mains de l’accepteur.
�460
DE U
LETTRE DE CHANGE
Dans cette hypothèse, à qui appartiendrait la provi
sion ? L’accepteur à qui la dette a été remise pourraitil, se l’appliquant personnellement, refuser de la resti
tuer ?
Pothier se prononçait pour la négative. Dans ce cas,
enseigne-t-il, l’accepteur ne pouvant être censé avoir
payé aucune chose pour l’acquittement, ne saurait non
plus rien passer en mise au tireur son mandant.
Mais, répond avec raison M. Pardessus, une remise
est un don ; l’intention de gratifier, même sans motifs
rémunératoires, en est la cause légitime. Or, ce serait
en faire une application contraire à l’intention du dona
teur que d’en laisser profiter un étranger dont le sort
ne change point ; puisque, si la remise n’avait pas été
faite par le propriétaire de la lettre, la provision était
nécessairement affectée à ce payementl.
Se ferait-on le moindre doute si, par exemple, le
porteur, après avoir exigé le payement réel, restituait à
l’accepteur les espèces ou les valeurs que celui-ci lui a
remises ? Or, cette opération est celle que la remise réa
lise, mais d'une manière fictive et sans la matérialité
de la double numération des espèces. Comment donc
l’accepteur, qui en recueillerait exclusivement le béné
fice dans la première hypothèse, serait-il empêché de le
faire dans la seconde ? il ne"pourrait en être ainsi que
si, en remettant la dette, le créancier s’était formelle
ment expliqué.
i Traité des lettres de change, n° 71
�ART.
I
189.
461
S l « . — Si le tiré avait accepté à découvert, la re
mise de la dette qui lui serait faite ne lui conférerait pas
le droit de forcer le tireur à le rembourser. On devrait
dire alors avec Pothier que, n’ayant rien déboursé, il
ne pourrait rien porter au compte du tireur. D’ailleurs,
la forme donnée à la remise, pouvant être celle d’un
payement, pourrait déterminer et autoriser le recours
contre le tireur.
Dans la même hypothèse d’une acceptation à découvert, le porteur pourrait-il, après avoir remis la dette à
l’accepteur, recourir contre le tireur ? L’affirmative ne
saurait souffrir aucun doute. Mais, dans cette hypo
thèse, le porteur n’aurait pas plus de droit que n’en
aurait eu l’accepteur lui-même. Ainsi, le tireur serait
recevable à soutenir et à prouver qu’il avait réellement
fait provision. Cette preuve faite, il serait à l’abri de
toute action.
WIS. — Les donneurs d’aval sont les débiteurs
principaux vis-à-vis des endosseurs. Us ne sont que
simples cautions pour ceux pour lesquels ils se sont en
gagés.
De là cette conséquence : la remise de la dette faite
au donneur d’aval libère les endosseurs. En effet, si on
les contraignait à payer, ceux-ci auraient contre lui
leur recours de droit. Elle ne libérerait pas ceux que le
donneur d’aval a cautionnés, et cela par application
du deuxième paragraphe de l’article 1187 du Code
civil.
�462
DE LA LETTRE DE CHANGE
5 1 8 . — Enfin la remise accordée à un endosseur
libérerait tous les endosseurs dont la signature a suivi
celle de celui à qui la remise est faite. Quant aux en
dosseurs le précédant, leur position ne change nullement
par l’effet de la remise. Ils n’en seraient pas moins te
nus de rembourser le porteur, sauf à chacun d’eux son
recours contre son cédant.
51® . — Le fondement juridique de l’effet que pro
duit la confusion repose sur cette vérité incontestable,
que nul ne peut être son propre créancier ou son propre
débiteur. Dès lors cette double qualité disparaît et s’ef
face du moment qu’elle se réunit sur une seule et même
tête. Telle est la décision expresse de l’article 1300 du
Code civil.
Il en est de la confusion comme de la remise de la
dette. Les effets sont différents, suivant la qualité de ce
lui sur la tête de qui elle s’opère.
Ainsi, si cette tête est celle du débiteur principal, la
confusion libère toutes les cautions.
Celle qui s’opère dans la personne de la caution n’en
traîne point l’extinction de l’obligation du débiteur prin
cipal.
On devra donc distinguer en matière de lettres de
change entre le tireur, l’accepteur, les endosseurs, les
donneurs d’aval. L’effet de la confusion se régira, sui
vant le cas, par les règles que nous venons de rappeler
à l’occasion de la remise de la dette.
�ART.
189.
465
$3© . — Le personnel obligé de la lettre de change
devient pour la confusion un aliment qui la rend plus
facile et qui en multiplie les occasions. Ainsi, par le ré
sultat des négociations qu’elle est appelée à subir, la
lettre de change peut, avant son échéance, arriver en
tre les mains du tiré, du tireur lui-même.
Pour ce dernier, l’acquisition de son obligation per
sonnelle ne peut être considérée que comme un paye
ment anticipé. Le titre est donc réellement éteint, et sa
négociation ultérieure ne saurait faire revivre aucun des
engagements qui étaient venus se grouper autour des
obligations principales.
Ainsi, endosseurs, donneurs d’aval seraient définiti
vement libérés par la confusion. L’accepteur le serait
lui-même s’il n’avait pas reçu la provision. Dans le cas
contraire, il pourrait sans doute être actionné par le ti
reur qui, ayant payé lui-même la lettre de change, se
rait recevable et fondé à se faire restituer une provision
devenue sans objet.
La négociation de la lettre de change à l’ordre du
tiré n ’opèrerait pas la confusion. Il existerait dans ce
cas une créance, mais il n’y aurait aucune dette. Ce
n’est qu’en acceptant que le tireur se constitue débiteur.
En conséquence, tant que cette condition ne s’est pas
réalisée, la confusion manque d ’un de ses éléments es
sentiels. Aucun obstacle ne s’oppose donc à une négo
ciation ultérieure par le tiré.
Mais si au moment où la lettre de change arrive à sa
possession, le tiré avait déjà accepté, ou s’il l’accepte
�464
DE LA LETTRE DE CHANGE
pendant qu’il l’a en main, la lettre est censée payée.
Elle a produit out son effet. Il y a cumul sur une tête
unique des qualités de débiteur et de créancier, et par
conséquent extinction légale de la créance et de la dette,
par la seule force de la confusion.
Ce qui en résulte, c’est que les endosseurs se trouvent
par cela même définitivement libérés, alors même que
l’acceptation serait donnée à découvert. La négociation
ultérieure que l’accepteur ferait ne pouvant faire revi
vre leur engagement, ne conférerait aucun droit contre
eux.
Le même résultat serait acquis en faveur du tireur
originaire, sauf l’action en remboursement dont il res
terait passible, si l’acceptation avait été réalisée sans
qu’aucune provision eût été fournie l.
’SSJL. — L’admissibilité de la prescription à l’égard
des effets de commerce pouvait soulever quelques dou
tes. Ce moyen d’extinction des obligations pouvait-il,
raisonnablement, s’appliquer à une matière exclusive
ment régie par les principes de l'équité et de la bonne
foi ? Etait-il utile, était-il convenable de le consacrer ?
Sans doute il peut paraître rigoureux d’accorder au
temps la faculté d’éteindre un droit aussi certain que lé
gitime ; mais, comme l’enseigne très judicieusement
M. Troplong, la prescription n’est pas l’ouvrage de la
seule puissance du temps ; elle prend sa base dans le
i Supra, n°198.
�ART.
189.
465
fait de l’homme, dans la possession de celui qui ac
quiert, et dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige son droit.
Sous ce dernier rapport, il faut le reconnaître, la
prescription devait d’autant mieux être admise, que les
usages, les règles, les besoins du commerce ne permet
tent pas d’admettre cette négligence prolongée. Il est,
en effet, fort invraisemblable que le commerçant n’exige
pas à l’échéance ce qui lui est dû, ce dont il a peut-être
déjà disposé éventuellement. On ne pouvait surtout sup
poser que l’oubli de toute diligence au moment de l’é
chéance dût se prolonger plus ou moins longtemps après
cette époque.
Si cette considération est vraie pour le commerce en
général, ne faut-il pas lui reconnaître une importance
bien plus décisive en matière d’effets de commerce, let
tres de change ou billets à ordre ? En pareille matière,
disait Jousse, les payements doivent être sommaires, et
tout doit être bref et terminé en peu de temps.
Ajoutons que l’intérêt public venait ici prescrire une
solution conforme. Que deviendrait le commerce, si pen
dant trente ans on pouvait ruiner une maison en exi
geant subitement le payement de lettres de change ou de
billets à ordre dont on pourrait avoir même ignoré
l’existence ?
La conclusion à tirer de ces considérations était donc,
non seulement la consécration d’une prescription com
merciale en principe, mais encore une réduction nota
ble dans le temps nécessaire pour la prescription ordin — 30
�466
DE LA LETTRE DE CHANGE.
naire. La nécessité de cette conclusion unanimement
admise, les auteurs du Code adoptèrent pour la première
la période de cinq ans, déjà consacrée par l’ordonnance
de 1673.
*222. — Mais une différence notable entre celle-ci
et notre législation actuelle, c’est que, sous l’empire de
la première, la prescription de cinq ans ne régissait que
les lettres et les billets de change. Au témoignage de
Jousse, les termes de l’ordonnance étaient limitatifs et
restrictifs. En conséquence, l’action relative aux billets
à ordre, quelque commerciales qu’en fussent l’origine
et la cause, ne se prescrivait que par trente ans l.
Le Code commerce a entendu déroger à cette juris
prudence. Comme les lettres de change elles-mêmes, les
billets à ordre souscrits par des négociants, marchands
ou banquiers, ou pour faits de commerce, se prescrivent
par cinq ans.
Au demeurant, l’article 189 n’est pas moins limitatif
et restrictif que ne l’était l’ordonnance. Ainsi la pres
cription quinquennale étant une exception, ne saurait
être invoquée que dans l’hypothèse expressément pré
vue, c’est-à-dire qu’en la forme le titre doit être un bil
let à ordre ; qu’il doit être souscrit par un commerçant
et à défaut qu’il doit avoir été créé pour une opération
de commerce.
Il importerait donc peu qu’un simple billet eût été
l Jousse, sur l’art,
tit, v.
�art.
189.
467
souscrit par des commerçants ; qu’il eût pour cause un
fait de commerce. Il n’est pas un titre commercial en
la forme, et c’est à celle-ci que s’arrête exclusivement
l’article 189. Ce qui le prouve, ce sont d’abord les ter
mes si précis qu’il renferme ; c’est ensuite le rejet de la
proposition formulée par plusieurs tribunaux d’appli
quer la prescription de cinq ans à toutes les opérations
commerciales.
'923. — De ce caractère de l’article 189, il résulte
que les seuls billets à ordre régis par sa disposition sont
ceux souscrits par des commerçants ou pour un acte de
commerce. A cette condition, il importerait peu que le
billet eût successivement passé entre les mains de non
commerçants. Même à l’égard de ceux-ci, la prescrip
tion de cinq ans aurait fait disparaître toute obligation.
Par contre, si le billet à ordre a été souscrit par un
non commerçant ; s’il n’a pas pour cause un fait de
commerce, l’action en résultant ne se prescrit que par
trente ans, même vis-à-vis des commerçants qui ont
pu en devenir les porteurs successifs. Il en serait incon
testablement de même si, par la violation des prescrip
tions de l’article 188, le billet à ordre dégénérait en
simple promesse.
■*
®34. — La lettre de change, constituant par elle
seule un acte commercial, est régie, sans condition au
cune, par l’article 189. Quelle que soit dès lors la qua-
�468
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lité du souscripteur, pour quelque cause qu’elle ait été
créée, elle se prescrit par cinq ans.
La jurisprudence n’a jamais hésité à consacrer cette
conséquence. Il a donc été jugé que les droits et actions
que l’Etat est dans l’usage de se réserver contre les ad
judicataires des coupes de bois, en acceptant d’eux des
lettres de change, ne se transmettent pas par l’effet du
simple endossement aux personnes à qui les lettres sont
négociées ; que le porteur qui est resté plus de cinq
ans sans faire des poursuites contre les endosseurs ne
peut prétendre qu’en vertu des clauses particulières du
cahier des charges, il a le droit, comme étant à la place
de l’Etat, de recourir contre la caution de l’adjudica
taire pendant trente ans 1 ;
Que l’article 189 s’applique aux lettres de change que
l’adjudicataire d’une coupe de bois de l’Etat a souscri
tes à l’ordre du receveur général du département, con
formément au cahier des charges, sans qu’il y ait lieu
d’examiner s’il y a ou non novation dans la dette de
l’adjudicataire, ou si au contraire l’obligation antérieure
résultant de son adjudication subsiste toujours avec son
caractère primitif sous une forme nouvelle3.
Enfin, que les lettres de change souscrites par l’ac
quéreur d’un immeuble, au profit du vendeur, en paye
ment du prix, sont, au moins entre l’endosseur et le
tiers porteur, prescriptibles par cinq ans ; que si dès
1 Cass., 8 novembre 1825.
2 Cass., 15 décembre 1829.
�lors, en recevant des lettres de change en payement de
son prix, le vendeur a donné quittance, l’expiration du
délai de cinq ans, sans poursuites de la part du tiers
porteur, oblige le vendeur à donner main levée à l’ac
quéreur de l’inscription hypothécaire prise sur l’immeu
ble vendu, par suite du remboursement desdites lettres
de changex.
Ainsi, toutes les fois qu’une action fondée sur une
lettre de change a pour objet d’en faire ordonner l’exé
cution, la prescription de cinq ans peut être invoquée
et doit être accueillie, mais il en serait autrement si
l’action intentée n’était elle-même qu’une conséquence
de l’exécution donnée à la lettre de change.
9 9 5 . — Nous remarquions tout à l’heure que l’ac
cepteur à découvert, qui a payé à l’échéance sans avoir
reçu provision, était fondé à exiger du tireur le rem
boursement intégral de tout ce qu’il a avancé. Dans ce
cas, la lettre de change est bien l’occasion de l’action,
mais ce n’est pas comme créancier de celle-ci que l’ac
cepteur agit et peut agir. Son droit git exclusivement
dans le crédit qu’il a consenti en payant, dès lors la
prescription quinquennale ne saurait lui être opposée2.
Nous signalerons, comme application de cette règle,
un arrêt de la cour de Toulouse, jugeant que la pres1 Cass., 15 mai 1839. J. du P., 2, 1839, 257.
2 Aix, 19 juillet 1820. Conf., Savary, Parère 72. Pothier, Change
199 et 200. Pardessus, Contrat de change, 330.
�470
DE LA LETTRE DE CHANGE
cription de cinq ans ne peut être opposée au cohéritier
qui, ayant acquitté, comme negotiorum gestor, à la dé
charge de la succession, des lettres de change souscrites
par le défunt au profit d’un tiers, en réclame le rem
boursement de ses cohéritiers l.
Et un autre arrêt par lequel la cour de Rouen décide
que l’article 189 est inapplicable à l’action relative au
solde du compte courant, malgré que ce compte repose
sur des lettres de change ou des billets à ordre2.
®£5 bis. — Notre doctrine relativement à l’inappli
cabilité de l’article 189 à l’accepteur qui a payé sans
avoir provision, a été condamnée par la cour de Mont
pellier. Un arrêt rendu par elle le 21 janvier 1839 dé
cide en effet que la disposition de l’article 189 est géné
rale, absolue, et comprend toutes les actions relatives
aux lettres de change ; que, dès lors, l’action du tiré
contre le tireur en remboursement de la lettre de change
par lui payée sans provision est prescriptible par cinq
ans.
Que l’article 189 soit général, absolu et régisse tou
tes les actions relatives aux lettres de change, c’est ce
dont le texte de cet article ne permet pas de douter.
Mais qu’a entendu le législateur par l’expression relati
ves aux lettres de change ? Quelle est l’interprétation
que cette expression comporte ? Voilà ce qu’il faut re
chercher et apprécier.
1 10 juillet 1822.
2 10 novembre 1817.
�ART.
189.
471
Voici celle que la cour d’Aix adoptait dans son arrêt
du 19 juillet 1820 :
« Considérant que l’article 189 n’est relatif qu’à l’ac
tion exercée contre celui qui est directement obligé au
payement d’une lettre de change, ce que démontrent les
expressions dont le législateur s’est servi en disant :
A compter du jour du protêt ou des dernières poursui
tes juridiques, ce qui suppose que la lettre de change
existe encore ; que par conséquent la disposition dont
s’agit est inapplicable au cas où la lettre de change est
éteinte par le payement qu’en a fait l’accepteur, et s’est
convertie entre les mains de ce dernier en une simple
action en remboursement de ce qu’il a payé pour le
compte du tireur ; que la prescription de l’article 189,
étant une exception de rigueur au droit commun, doit
être restreinte au cas pour lequel elle a été spécialement
édictée. »
Voici maintenant les motifs sur lesquels la cour de
Montpellier étayait l’interprétation contraire :
« Attendu que l’article 189 du Code de commerce est
général et absolu et embrasse dans ses dispositions tou
tes les actions relatives aux lettres de change ; qu’on ne
peut méconnaître que l’action du tiré contre le tireur,
en remboursement du montant de la lettre de change
payée sans provision, ne soit naturellement et nécessai
rement relative à la lettre de change ;
« Qu’il n’y a aucun motif de ne pas soumettre le tiré
qui a payé à découvert à agir dans les cinq ans ; qu’en
matière de prescription d’un engagement, c’est au titre
�472
DE LA LETTRE DE CHANGE,
d’où l’engagement dérive qu’il faut surtout regarder ;
qu’ici l’engagement du tireur dérive de la lettre de
change ; que le mandat en résultant pour le tiré est un
mandat essentiellement commercial ; qu’il doit donc
être réglé par les règles de ce mandat et nullement par
celles du droit commun sur le mandat purement civil ;
enfin qu’on ne saurait admettre que le tiré qui a payé
la lettre de change tirée sur lui puisse , pendant trente
ans, venir dire au tireur : J ’ai payé à découvert, rem boursez-moi. Qu’un pareil système, si peu en harmonie
avec la disposition qui n’oblige à conserver les livres
que pendant dix ans, tendrait à ôter toute sécurité aux
négociants qui, pendant trente ans, auraient pu fournir
des milliers de lettres de change, sur les conséquences
desquelles le payement à l’échéance et l’absence de toute
réclamation de qui que ce soit pendant cinq ans, doi
vent pleinement les rassurer l. »
Ces motifs, à notre avis, ne sont ni concluants ni ju
ridiques. Ils font complètement abstraction du texte de
l ’article 189. La conclusion qu’en tirait la cour d’Aix
nous paraît irréfragable non pas seulement par ce qui
s’induit des expressions en elles-mêmes, mais encore,
mais surtout par cette considération : pour qu’une pres
cription puisse s’accomplir, il faut qu’elle ait un point
de départ certain, déterminé. Ainsi, pour celle qui nous
occupe, l’article 189 fixe ce point de départ au jour du
protêt ou de la dernière poursuite juridique.
l
J. du P.,
1,18i2, 155.
�ART. 189.
473
Mais si, malgré qu’il n’ait pas provision, le tiré paye
à présentation, il n ’y aura évidemment ni protêt, ni
poursuite, c’est-à-dire aucun point de départ pour la
prescription. Quand finiront donc les cinq ans s’ils n’ont
jamais commencé ?
Le payement d’une lettre de change n’a jamais été ni
pu être considéré comme un acte de commerce. Consé
quemment le mandat de l’opérer ne saurait être com
mercial. Le fût-il qu’on ne saurait soumettre à la pres
cription de cinq ans l’action du mandataire en rembour
sement de ses avances.
D’ailleurs, si le tiré a exécuté un mandat, c’est cette
exécution qui devient le fondement de son droit, et l’en
gagement du .tireur dérivant du mandat qu’il a donné,
n’a pas évidemment puisé son origine dans la lettre de
change.
Mais le tiré n’est réellement mandataire du tireur
que lorsque, ayant provision, il en dispose sur l’ordre
de celui-ci. Lorsqu’il paye sans avoir cette provision, il
accueille une prière, il acquiesce à une demande de
crédit, et c’est la réalisation de ce crédit qui crée son
droit contre le tireur et l’obligation de celui-ci envers
lui. Ce droit et cette obligation dérivent si peu de la let
tre de change qu’ils ne surgissent qu’au moment où
cette lettre a cessé d’exister. On ne saurait donc les sou
mettre à la règle tracée par l’article 189.
C’est ainsi au reste que sous l’empire de l’ordonnance
de 1673 l’enseignait un homme dont la compétence en
�474
DE LA LETTRE DE CHANGE.
matière de commerce ne saurait être ni méconnue, ni
contestée, Savary, l’auteur du Parfait négociant.
Consulté sur la question de savoir si un commettant,
sa veuve ou ses héritiers peuvent objecter la prescrip
tion de cinq ans contre le commissionnaire pour le rem
boursement par lui prétendu d’une lettre de change ti
rée sur lui et par lui acquittée suivant les ordres du
commettant, il répond par la négative.
Après avoir examiné les faits particuliers à l’espèce
sur laquelle il était consulté, Savary conclut ainsi :
« Il faut observer une chose importante pour la déci
sion du différend des parties, qui est que la lettre de
change en question ne pourrait produire l’effet de la
prescription et fin de non recevoir par les cinq ans
portés par l’ordonnance, que contre celui au profit du
quel elle a été tirée par lesdits François et Martin pour
le compte de Jacques, le commettant, si elle n’avait
point été acquittée par Pierre, le commissionnaire ; si
celui, dis-je, au profit duquel la lettre est tirée, reve
nait après les cinq ans à intenter son action contre la
veuve et héritiers dudit Jacques pour les raisons ci-des
sus alléguées. Or, en l’affaire dont il s’agit, la lettre de
change en question ne doit point être considérée à l’é
gard de Pierre, le commissionnaire, pour produire l’ef
fet de la prescription et fin de non recevoir des cinq ans
portés par l’ordonnance. Mais il faut considérer simple
ment la lettre missive écrite par Jacques, le commettant,
à Pierre, son commissionnaire, par laquelle il lui
mande d’accepter et de payer la lettre de 1000 livres
�ART. 1 8 9 .
475
qui serait tirée sur lui par François et Martin pour son
compte, et qu’il lui en tiendrait compte sur les affaires
qu’ils faisaient ensemble, parce que cette lettre missive
de Jacques est le titre de Pierre, en vertu duquel il a
payé et acquitté ladite lettre pour le compte de Jacques
et non pour le compte de François et Martin, tireurs
d’icelle, et en vertu de laquelle lettre missive Pierre a
intenté son action contre ladite veuve et héritiers de
Jacques, son commettant, car la lettre de change ne
produit d’autre effet à son égard que pour justifier par
le récépissé qui est au dos d’icelle, qu’il l’a payée au
porteur d’icelle. Or, il est constant que cette lettre mis
sive de Jacques portant promesse, doit être considérée
de même qu’un billet ou une promesse sous seing-privé
de Jacques pour raison de laquelle il a trente ans pour
intenter son action contre Jacques ou contre sa veuve
et héritiers 1. »
La pratique à laquelle celte doctrine fait allusion est
encore celle que suivent aujourd’hui les commerçants.
Celui qui tire directement ou qui ordonne de tirer une
lettre de change sur un de ses correspondants, ne man
que pas de l’en aviser, de réclamer de lui un bon ac
cueil et de s’engager à lui en tenir compte. Si le cor
respondant paye, l’engagement du tireur dérive évidem
ment non de la lettre de change, mais de cette lettre
d’avis et de la promesse qu’elle renferme. C’est donc
celle-ci qui forme le titre pour le remboursement de ce
i Parère, 72.
�476
DE LÀ LETTRE DE CHANGE.
que le tiré a payé et qui ne saurait de près ni de loin
tomber sous le coup de l’article 189 du Code de com
merce.
3 3 5 ter.
_ On a été cependant plus loin encore et
l’on a prétendu régir par sa disposition l’action du tiers
qui, ayant fourni au tiré les fonds nécessaires au paye
ment de la lettre de change, poursuit celui-ci en rem
boursement, et cette prétention avait été accueillie par le
tribunal de commerce d’Evreux, devant lequel elle se
produisait.
Vainement les demandeurs en ' remboursement fai
saient-ils remarquer que leur auteur n’avait été à au
cun titre partie au contrat de change ; qu’il avait seu
lement, comme prêteur, avancé au tiré des sommes que
celui-ci avait employées au payement des lettres de
change dont il était débiteur, et que, dans cet état des
choses, leur recours reposait sur une créance ordinaire,
à laquelle ne s’appliquait pas la prescription spéciale
établie seulement contre les actions résultant du contrat
de change. Le jugement rendu le 12 septembre 1861
n ’en admet pas moins cette prescription.
« Attendu que les demandeurs réclament le payement
de 765 fr., montant en principal de deux lettres de
change tirées sur le sieur Lebon, qu’ils prétendent avoir
été payées par leur auteur en l’acquit de celui-ci ;
« Attendu que le défendeur oppose la prescription ;
qu’en effet, aux termes de l’article 189 du Code de
commerce les actions relatives aux lettres de change
�ART,
189.
477
et aux billets à ordre se prescrivent par cinq ans.
« Attendu que les demandeurs comme leur auteur ne
peuvent avoir plus de droits que le tireur ou les endos
seurs des lettres de change. »
Nous n’avons pas à insister sur l’énormité de l’exten
sion que ce jugement donnait à l’article 189, ce qu’il
était facile de prévoir, c’est qu’il ne résisterait pas à
l’examen de la Cour de cassation.
En effet, il était cassé sur le pourvoi dont il avait été
l’objet par arrêt du 8 juillet 1863, dont voici les mo
tifs :
« Attendu que la prescription édictée par l’article 189
du Code de commerce ne s’applique qu’aux actions re
latives à des lettres de change et procédant des relations
qui ont existé entre ceux qui y ont concouru ;
« Attendu qu’aux termes de la demande et des diver
ses conclusions qui l’ont suivie, la somme réclamée par
les demandeurs en cassation a été avancée par Lemaine,
leur auteur, pour solder deux lettres de change échues,
mais non protestées, qui avaient été tirées sur le défen
deur Lebon, et dont, comme huissier, le même Le
maine était chargé d’opérer le recouvrement ; que dans
ces circonstances le payement de ces deux lettres de
change, auxquelles d’ailleurs Lemoine était resté étran
ger, doit être considéré comme ayant été fait à la dé
charge du tiré, non par un payeur intervenant, mais
par un gérant d’affaires ; que dès lors l’action qui en
résulte procède, non du contrat de change, mais tout à
la fois du contrat de prêt et d’un quasi-contrat de man-
�478
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dat, et qu’elle ne peut se prescrire, aux termes de l’ar
ticle 2121621 du Code civil, que par le laps de trente an
nées »
La différence entre ces deux hypothèses consiste en
ce que dans l’une c’est au tiré que le prêt a été fait,
que ce sont ses affaires qu’on a géré, tandis que dans
l’autre c’est le tiré qui a prêté au tireur et s’est ainsi
constitué son gérant d’affaires. Le résultat, au point de
vue de l’applicabilité de l’article 189, ne saurait diffé
rer, puisque dans l’un comme dans l’autre cas, l’ac
tion en remboursement procède non du contrat de
change, mais tout à la fois du contrat de prêt et d’un
quasi-contrat de mandat.
Il importe peu que le réclamant produise les lettres
de change restées en ses mains. Cette production ne
saurait modifier le caractère de l’action, elle n’a pour
objet que d’établir le bien fondé de la réclamation, d’en
justifier la légitimité, et, ainsi que le disait Savary, de
prouver par l’acquit dont elles sont revêtues, qu’il les a
réellement payées.
En résumé, nous croyons que l’article 189 ne vise
que les actions du porteur soit contre le tireur, soit
contre les endosseurs et les donneurs d’aval ; et celles
que les endosseurs peuvent avoir à exercer soit entre
eux, soit contre le tireur et les donneurs d’aval. Ces ac
tions sont seules relatives aux lettres de change, car el
les s’induisent de la part que tous demandeurs et dél J. du P ., 4864, 87.
�art.
189.
479
fendeurs ont pris à l’émission de la lettre de change et
de leur coopération au contrat de change. Mais la lettre
de change ne peut survivre à son payement, et toutes
les actions que ce payement peut faire naître entre celui
qui l’a effectué et celui qui devait l’effectuer ne partici
pent pas, ne peuvent pas participer au caractère exigé
par l’article 489. Comment seraient-elles relatives à la
lettre de change puisqu’elles ne naissent qu’au moment
et que du fait de son extinction.
7126. — La lettre de change n’étant soumise à la
prescription de cinq ans qu’à raison de sa nature spé
ciale, il en résulte que si elle perd cette nature par suite
de l’inobservation des conditions que la loi lui a tra
cées, le titre rentre dans la catégorie des engagements
ordinaires, et l’obligation en découlant n ’est plus pres
criptible que par trente ans. C’est un point sur lequel
la jurisprudence de tous les temps n’a pas hésité.
Ainsi la Cour de cassation a jugé que lorsqu’il est
prouvé qu’une lettre de change, souscrite sous l’empire
de l’ordonnance de 1673, contient supposition de
noms, de qualités, de domicile ou de places, comme
elle n’est plus que simple promesse, elle n’est soumise
qu’à la prescription de trente ans, et que cette exception
peut être invoquée par celui même au profit de qui la
lettre de change est tirée L
Depuis le Code, qui exige une échéance déterminée,
1 22 juin 4825, 5 juillet 4836.
�480
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous avons vu que la réserve de renouveler la lettre de
change constitue une violation de l’article 110. Il a été
dès lors également décidé que le titre renfermant cette
réserve n’étant pas une lettre de change régulière, ne
tombait pas, quant à la prescription, sous le coup de
l’article 189 1.
Nous avons déjà dit qu’au point de vue de la com
pétence consulaire et de la contrainte par corps, l’excep
tion tirée de la supposition faisant, aux termes de l’ar
ticle 112, dégénérer la lettre de change en simple pro
messe, pouvait n’offrir ni intérêt ni utilité2.
11 n’en est pas de même au point de vue de la pres
cription quinquennale. L’existence de la supposition,
enlevant au titre le caractère de lettre de change, rend
l’article 189 absolument inapplicable.
Peu importerait qu’il émanât de négociants, ou qu’il
eût pour cause une opération commerciale. Les engage
ments commerciaux, par leur nature ou par la qualité
de leurs souscripteurs, ne sont soumis, comme tous les
autres, qu’à la prescription de trente ans, sauf les ex
ceptions que la loi a édictées à cette règle.
Celle consacrée par l’article 189 est spéciale aux let
tres de change et aux billets à ordre ; elle se restreint
donc forcément aux unes et aux autres.
Or la lettre de change viciée par une des suppositions
de l’article 112 n’est plus une lettre de change. Le bil-
1 Paris, 2 février 1830.
2 V. sup., n°» 524 et suiv.
�art.
189.
481
let à ordre qui ne réunit pas les conditions exigées par
l’article 188 n’est plus un billet à ordre. Ils ne peuvent
donc être régis par l’article 189.
Aucune difficulté ne peut surgir pour le billet à or
dre imparfait, mais la lettre de change contenant une
supposition de lieu, par exemple, ne laissera pas que
d’offrir tous les caractères du billet à ordre, puisqu’elle
énoncera la somme à payer, le nom de celui à l’ordre
de qui elle est souscrite, l'époque du payement, la va
leur fournie et sa nature. On pourrait donc prétendre
que l’article 189 lui est applicable, sinon comme lettre
de change, du moins comme billet à ordre.
Mais l’article 112 repousse cette prétention, puisqu’il
réduit la lettre de change à l’état de simple promesse.
Les énonciations que nous venons d’indiquer concou
rent à la perfectibilité de celle-ci, mais ne sauraient en
rien modifier son caractère légal.
Ainsi, l’existence de l’une des suppositions prévues
par l’article 112 ferait de la lettre de change une simple
promesse. La seule prescription qui puisse désormais
l’atteindre, est celle de trente ans \
'S2'7. — Quelle est la nature de la prescription de
cinq ans ? Quel en est le fondement juridique ?
L’ordonnance de 1673 s’était formellement expliquée
à cet égard. L’article xxi du titre v disposait : les lettres
1 Cass., 22 juin 1825, Nouguier, t. 1. p. 576. Hourson, t. 2,
quest. 134.
il —
31
�482
DE LA LETTRE DE CHANGE
et billets de change seront réputés acquittés après cinq
ans, etc.
L’inaction du porteur faisait donc supposer qu’il avait
été payé, mais ce n’était là qu’une présomption simple,
pouvant céder à la preuve et même aux présomptions
contraires. Ainsi, disait Jousse, on n’est pas obligé de
s’y conformer toutes les fois que les circonstances font
cesser cette présomption de payement, c’est ce que les
Parlements avaient en effet admis.
Cependant, ce n’est pas dans ce sens que la Cour de
cassation a interprété l’ordonnance. Mise souvent en
demeure de s’expliquer à cet égard, elle a toujours dé
cidé que la présomption légale de payement consacrée
par l’ordonnance ne devait céder que devant une preuve
évidente et certaine de non payement ou devant le
refus du prétendu débiteur d’affirmer à serment qu’il
ne doit plus rien. C’est ce que pensait en effet Bornier
lorsqu’il enseignait que l'ordonnance ne réserve autre
chose, après cinq ans, que de faire jurer les débiteurs
s'ils ne sont plus redevables, et leurs veuves, héri
tiers ou ayants cause s'ils savent qu’ils le soient1.
* 2 8 . — Quoi qu’il en soit, c’est à cette doctrine
que s’est rallié le Code de commerce. Depuis sa pro
m ulgation, la prescription n ’a pas cessé de reposer sur
la présom ption de la libération du débiteur, m ais cette
présom ption est une présomption
juris et de jure, ne
�art.
189.
483
comportant d’autre genre de preuve contraire que celui
formellement édicté par l’article lui-même. Elle ne sau
rait donc être détruite par aucune de celles que l’arti
cle 1353 du Code civil abandonne aux lumières et à la
prudence des magistrats K
9 3 0 . — Mais cette solution a trouvé des contradic
teurs, surtout dans la pratique. La preuve par présomp
tions, a-t-on dit, est admissible toutes les fois que la
preuve orale peut être reçue. Or, cette recevabilité dans
la matière qui nous occupe est la conséquence de deux
considérations décisives :
1° La preuve testimoniale est de droit commun de
vant les tribunaux de commerce ;
2° L’article 189 admet la délation du serment, ce
qui ne peut avoir lieu que lorsque la preuve orale est
admissible. Dès lors, cette faculté amène à cette consé
quence que l’article 189 autorise formellement l’admis
sibilité de celle-ci ; qu’il reconnaît que la présomption
n’est pas juris et de jure, des présomptions de ce genre
excluant toute preuve contraire et devenant la loi irré
vocable et inattaquable par aucuns moyens.
9 3 0 . — Ce système a été bien souvent repoussé
par les tribunaux et devait l’être, les objections sur les—
1 Vazeilles, Des Prescrip., t. 2, p. 338. Conf., Merlin, B ip ., Prescrip., sect. 2, § 8, n° 10. Pardessus, D r. com., n° 240. Emile Vincent,
t. 2, p. 364.
�484
DE LA LETTRE DE CHANGE.
quelles il repose trouvant une réfutation décisive dans
la loi elle-même.
Sans doute, la preuve testimoniale est de droit com
mun en matière commerciale, c’est là la règle géné
rale ; mais, comme toutes les règles, celle-ci comporte
des exceptions. Nous en trouvons des exemples dans le
Code.
Ainsi, l’écriture est prescrite pour les sociétés, pour
les lettres de change, pour les polices d’assurance. En
présence de ces dispositions, on ne pourrait évidemment
recourir à la preuve testimoniale pour en établir l’exis
tence. Pourquoi déciderait-on autrement dans notre hy
pothèse, si d’ailleurs la loi ne s’en est pas moins expli
quée expressément.
Or, quel objet se proposerait la preuve testimoniale
en matière de prescription ? Evidemment celui de prou
ver que la dette a été reconnue. Mais la loi a réglé la
forme même de cette reconnaissance ; elle ne la déclare
valable qu’autant qu’elle a été faite par acte séparé. On
ne pourrait donc utilement recourir à une preuve de
vant fatalement aboutir à une reconnaissance orale que
le Code proscrit formellement.
Donc, l’article 189 crée une exception formelle à
l’admissibilité de la preuve par témoins. Il proscrit
même cette preuve par cela seul qu’il exige un acte
écrit.
Nous reconnaissons qu’en thèse la faculté d’admettre
au serment suppose l’admissibilité de la preuve testimo
niale. C’est notamment ce qui résulte de l’article 1366
�ART.
189.
485
du Code civil. Mais cet article n’est relatif qu’au ser
ment ordonné d’office par le juge, et non à celui que la
partie défère elle-même, et qui se trouve régi par les
articles 1358 et 1360 du même Code. Celui-ci peut être
exigé en toutes circonstances.
Dans quelle catégorie faut-il placer le serment dont
s’occupe l’article 189 ? La réponse ne saurait être dou
teuse. La doctrine et la jurisprudence ont depuis long
temps consacré que ce serment ne peut être demandé
que par la partie ; que le silence qu’elle garderait à cet
égard lierait les juges, qui ne peuvent jamais le déférer
d’office.
Nous avons donc raison de le dire. Le serment dont
s’occupe l’article 189 est le serment décisoire. On ne
saurait donc tenir compte de l’objection que nous réfu
tons, laquelle ne pourrait être sérieusement proposée
qu’à l’égard du serment que les juges peuvent ordonner
d’office, en le déférant indistinctement à l’une ou à l’au
tre des parties.
Reste l’argument puisé dans le caractère habituel de
la présomption légale. Il est vrai qu’en thèse celle-ci
n ’admet aucune preuve contraire ; qu’elle régit souve
rainement les parties. Mais l’article 13521 du Code civil,
tout en consacrant la règle, a expressément réservé l’ex
ception. Ainsi, il ne proscrit la preuve contraire que si
la loi ne l’a pas formellement autorisée, et sauf le ser
ment et l’aveu judiciaire.
On pourra donc agir même contre la présomption
juris et de jure, mais seulement dans l’hypothèse que
�X?
486
DE U
LETTRE DE CHANGE
la loi a elle-même réservée et par les moyens qu’elle
autorise. Cette condition se réalise précisément dans no
tre matière, puisque l’article 189 n’admet la prescrip
tion que si la dette n’a pas été reconnue par acte sé
paré, et à la charge par le débiteur de prêter serment
s’il en est requis.
Le système que nous combattons n’a donc aucun
fondement sérieux. Il faut dès lors s’en référer à la doc
trine de Yazeilles, Merlin, Pardessus et Vincent, doc
trine sanctionnée d’ailleurs par la jurisprudence l.
La prescription de l’article 189 est donc fondée sur
une présomption de libération. Cette présomption est
juris et de jure. Elle ne peut être détruite que par
les seuls moyens expressément autorisés par l’article
1 8 9 3.
—. c ’est ce que la Cour de cassation consa
crait expressément encore le 9 mars 1868.
Saisi de la demande en payement d’une lettre de
change échue depuis plus de cinq ans et à laquelle on
opposait la prescription, le tribunal de commerce de
Montpellier avait, par un premier jugement, admis le
porteur à prouver que les héritiers du tireur avaient re
connu leur dette, demandé un délai pour le payement
>ï3 © b is.
1 Cass., 14 janvier et 16 juin 1818; 18 janvier 1821. Grenoble. 13
décembre 1828. Cass., 15 décembre 1829, 18 février 1851 et 16 janvier
1854. D. P., 51, 1, 17, 54, 1, 13.
2 V. infra, n° 740,
�art.
189.
487
du capital et servi exactement les intérêts jusqu’en
1862.
« Attendu, disait ce jugement, que la lettre de chan
ge dont s’agit est échue depuis plus de cinq ans, mais
que Théron offre de prouver que la dette a été reconnue
par un acte séparé en payant les intérêts jusques il y a
deux ans ;
« Attendu que ce n’est pas, dans l’espèce, une pré
somption de non payement qu’on invoque, mais un
fait certain ; que, s’il était constaté par écrit, il ne lais
serait aucun doute sur la véracité de non payement,
et serait bien l’acte séparé dont parle l’article 189 ;
« Attendu qu’en matière commerciale, la preuve tes
timoniale étant admise, supplée à la preuve écrit et de
vient alors l’acte séparé exigé par l ’article 189. »
Par un second jugement du 31 janvier, le tribunal
condamne les défendeurs au payement de la lettre de
change : « Attendu que la demande des héritiers Théron
est basée sur un billet souscrit par feu Yallas père le
22 avril 1854, payable le 22 août 1855 ;
« Attendu que les héritiers Yallas ont opposé la pres
cription de ce billet, mais que les frères Théron ont été
admis par le jugement du tribunal du 3 janvier courant
à une preuve qui devait être faite devant M. Bagette ;
« Attendu que les héritiers Vallas ont refusé de com
paraître devant ce magistrat, et que ce refus de compa
raître indique suffisamment que la preuve offerte par
les héritiers Théron est redoutée par les héritiers Vallas
et tenue faite par eux ;
�4 88
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Attendu qu’il résulte, d’ailleurs, de tous les actes,
faits et circonstances de la cause, que le billet dont s’a
git n’a pas été payé. »
Mais les héritiers Vallas s’étant pourvus, la Cour de
cassation cassait ces deux jugements.
« Attendu qu’aux termes de l’article 189 du Code de
commerce, toutes actions relatives aux effets de com
merce se prescrivent par cinq ans à compter du jour du
protêt ou de la dernière poursuite juridique, s’il n’y a
condamnation, ou s’il n’y a dette reconnue par acte sé
paré, ou si les prétendus débiteurs requis d’affirmer
qu’ils ne sont plus débiteurs n’ont pas refusé le serment
qui leur était déféré ;
« Attendu que cette disposition est absolue et limita
tive, et qu’en dehors des trois cas d’exception qu’elle
énonce, il est interdit au juge de rechercher dans d’au
tres éléments, la preuve de non payement ou de la re
connaissance de la dette ;
« Attendu, en fait, qu’à la demande formée contre
eux par les héritiers Théron le 26 octobre 4864, devant
le tribunal de commerce de Montpellier, à fin de paye
ment d’une traite de 1000 fr., souscrite par Vallas père,
échue le 22 août 1855 et non protestée, les héritiers de
ce dernier ont opposé la prescription établie par l’arti
cle 189 du Code de commerce ;
« Attendu qu’il s’était écoulé plus de cinq ans entre
l’échéance du billet dont s’agit et la demande des héri
tiers Théron ;
« Attendu cependant que des deux jugements atta-
�ART.
189.
489
qués, le premier a admis, à défaut d’un acte séparé de
reconnaissance de la prétendue dette, la preuve par té
moins de cette reconnaissance, et que le second s’est
fondé sur de simples présomptions pour constater le non
payement de l’effet et condamner les héritiers Yallas à
en acquitter le montant ;
« Attendu qu’en statuant ainsi le tribunal de com
merce de Montpellier a formellement violé l’article 189
du Code de commerce h »
9 3 1 . — Aux termes du même article, le délai de
cinq ans commence à courir du jour du protêt ou de la
dernière poursuite juridique. Ces expressions avaient fait
surgir une difficulté. Le délai de cinq ans courait-il du
jour seulement où le protêt a été réellement fait, ou
bien du jour où il aurait dû l’être, c’est-à-dire du len
demain de l’échéance ?
Cette difficulté pouvait avoir entre autres conséquen
ces celle d’annuler l ’article 189 lui-même. Décider en
effet qu’un protêt était indispensable pour faire courir
la prescription, c’était laisser les choses sous l’empire
du droit commun ; c’était même aller au-delà. En effet,
le porteur aurait pu ne faire protester que dans le cours
de la trentième année, et il se serait ainsi ménagé un
nouveau délai de cinq ans.
L’esprit de la loi repoussait manifestement un pareil
résultat. Ce qu’elle a voulu, c’est, comme le disait
1 J. du P., 1868, 38S.
�490
DE LA LETTRE DE CHANGE
*
Jousse, qu’en matière de lettres de change tout fût ré
glé et terminé en peu de temps. Cette intention, incon
ciliable avec la solution que nous signalons, devait donc
la faire absolument rejeter.
Il faut donc le reconnaître, l’article 189, en détermi
nant le jour du protêt comme point de départ de la
prescription quinquennale, s’en est référé purement et
simplement à l’article 1621, qui exige le protêt le lende
main de l’échéance. C’est de ce jour que doit courir la
prescription, car la mise en demeure d’exiger le paye
ment est désormais acquise.
* 8 8 . — La Cour de cassation va plus loin encore ;
elle refuse à l’acte requis postérieurement à l’époque
indiquée par l’article 162 le caractère de protêt, et n’ad
met pas qu’il puisse même interrompre la prescription
commencée, un tel acte ne pouvant ni produire les ef
fets d’un protêt formé en temps utile, ni être assimilé à
une poursuite juridique dans le sens de l’article 2244
du Code civil. Admettre le contraire, dit un arrêt du 28
avril 1846, ce serait étendre un délai qui est de rigueur
à l’égard de tous les souscripteurs et en outre mécon
naître l’esprit des lois commerciales qui, dans l’intérêt
d’une prompte libération, n’ont rien voulu laisser à l’ar
bitraire du créancier l.
Au reste, la jurisprudence est aujourd’hui définitive
ment fixée, on ne saurait hésiter. La prescription corn-
�ART.
189.
491
mence du lendemain de l’échéance, alors même qu’il
n’y aurait pas de protêt. Nous examinerons tout à
l’heure la question de savoir si le protêt requis dans
le cours de cinq ans interrompt ou non la prescription.
¥ 3 * . — Si le protêt est régulièrement intervenu,
c’est de sa date que courent les cinq ans ; s’il a été suivi
de poursuites, le délai ne commence de courir que du
jour du dernier acte de cette poursuite.
Si ce dernier acte est une citation en justice, les droits
du demandeur ne sont-ils pas conservés et à l’abri de
toute prescription tant que l’instance n’a pas été pé
rimée ?
La cour de Paris jugeait, le 13 décembre 1813, que
la prescription interrompue par une citation en justice
ne peut plus courir tant que la péremption de l’instance
n’a été ni demandée ni ordonnée. C’est cette doctrine
que M. Horson enseigne également. Mais le contraire a
été consacré par la Cour de cassation. L’article 189, dit
l’arrêt, fixe expressément le point de départ de la pres
cription au jour de la dernière poursuite judiciaire ; le
législateur, sans examiner si l’instance judiciaire à la
quelle se rattache cette poursuite est ou non périmée,
veut que ce soit à partir de la dernière poursuite que la
prescription commence à courir.
Il est vrai, ajoute l’arrêt, que la péremption d’ins
tance n’étant pas acquise de plein droit, l’instance pour
rait être considérée comme encore subsistante, lors
même que le temps de cette prescription spéciale serait
�492
DE LA LETTRE DE CHANGE
expiré. Mais la prescription et la péremption de procé
dure ayant chacune leurs règles particulières et spécia
les, ces règles doivent être appliquées indépendamment
les unes des autres l.
®34. — Ces motifs sont loin»de justifier le système
auquel la Cour suprême a cru devoir s’arrêter. Us ne
répondent en aucune manière à l’objection que ce sys
tème soulève naturellement.
La prescription suppose à 'priori l’abandon du droit
qu’elle a pour objet d’anéantir, de la part de celui qui
avait intérêt à le conserver. La perte de ce droit n’est
que la conséquence de cet abandon, que la peine de la
négligence inconcevable du créancier.
Or, comment admettre l’un ou l’autre lorsque dans
les délais de rigueur le porteur de l’effet de commerce a
fait protester et citer ses débiteurs en justice. L’ajour
nement donné, il n’a plus rien à faire. Ses diligences
sont épuisées. Seulement, s’il néglige d’en poursuivre
l’effet pendant plus de trois ans, il s’expose à en per
dre le bénéfice par la péremption de l’instance que les
défendeurs sont recevables à faire prononcer.
La charge d’agir passe alors du créancier au débi
teur. Faute par celui-ci de requérir la péremption, l’ins
tance existe. Le jugement qui interviendrait serait ré
gulièrement obvenu et sortirait à exécution. Com-
i 27 novembre 1848. J. du P., 1, 1849, 38.
�art.
189.
493
ment donc concilier ces effets avec l’idée de la prescrip
tion ?
En droit donc il est certain que la citation en justice
n ’est pas u n obstacle invincible à la prescription. Elle
pourra donb s’accomplir, m ais à une double condition,
à savoir : q u ’étant restée im poursuivie pendant plus de
trois ans, l’instance sera de fait périmée ; que cette pé
rem ption aura été demandée et prononcée par lo juge.
Cette pérem ption ferait perdre toute l’utilité de la cita
tion réputée non-avenue. En conséquence, le point de
départ de la prescription se trouverait reporté à l’acte
l’ayant précédée. Et si, depuis, un laps de cinq ans s’é
tait écoulé, la prescription serait incontestablem ent ac
quise. La citation périmée n ’aurait pas même servi à
l’interrom pre.
7 3 5 . — En effet, toute prescription est susceptible
d’être interrom pue ou suspendue. Le Code civil désigne
avec soin les causes pouvant légitimer l ’un ou l’autre de
ces résultats.
La différence distinguant la suspension de l ’interrup
tion est facile à saisir : la prem ière, due à un obstacle
temporaire, empêche la prescription de courir ; mais
cet obstacle levé, la prescription reprend non seule
ment son cours, m ais se compose encore du temps
qui était acquis au m om ent où s’est réalisé le fait sus
pensif.
L’interruption, au contraire, a pour effet de faire dis
paraître, d ’anéantir le bénéfice du délai expiré jusqu’au
�494
DE
LA LETTRE D E
CHANGE.
jour de son accomplissement ; la prescription pourra
reprendre après l’acte interruptif ; mais quel que soit le
délai requis, il n’aura commencé que de la date de cet
acte.
* 3 6 . — Le fondement juridique de la suspension
est cette condition d’équité : Contra non valentem
agere non currit prescriptio. Aussi remarque-t-on
que ses causes sont exclusivement puisées dans la qua
lité de la personne du créancier. Les principales de ces
causes sont la minorité, l’interdiction.
Fallait-il, en matière d’effets de commerce, suivre les
errements du droit commun ? Notre ancienne législation
ne l’avait pas pensé. Aussi faisait-elle courir la prescrip
tion de cinq ans tant contre les mineurs que contre les
absents l.
C’est dans le même sens que le décide le Code de
commerce, obéissant en cela à un esprit qui avait déjà
dominé la discussion des prescriptions ordinaires. Quel
que respectable que soit la position du mineur, celle de
l ’interdit, on ne pouvait pas cependant lui permettre de
prolonger indéfiniment les prescriptions qui ne pou
vaient l’être sans inconvénient. Cette pensée dictait l’ar
ticle 2278 du Code civil.
Or, les raisons militant dans cette hypothèse acqué
raient une importance bien plus évidente encore en ma
tière de billets et effets commerciaux. Ici, en effet, ce
i Art,
x x ii,
tit. v. Ordonnance de 4 673.
�ART.
189.
495
n’élait pas l’intérêt privé seul qu’il s’agit de protéger,
c’était le commerce en général ; c’était le crédit public
qui s’opposait à ce que l’incapacité personnelle du cré
ancier suspendit, quelquefois indéfiniment, les opéra
tions commerciales dont le titre avait été ou était encore
l’instrument l.
La prescription de l’article 189 court donc contre le
mineur et l’interdit. Il est vrai que le Code ne l’a pas
formellement établi comme l’avait fait l’ordonnance de
1673, mais la doctrine et la jurisprudence ont reconnu
que cela résultait implicitement des termes de notre ar
ticle. Toutes actions...... sont prescrites. Le législateur
interdit donc l’action à tous en général, sans excep
tion aucune, puisqu’il s’est décidé à poser une règle
absolue, après avoir balancé l’exemption ou faveur
due à certaines personnes, avec l’intérêt général du
commerce s’opposant à des recherches de longue du
rée pour des effets destinés à faire fonction de mon
naie 2.
#
9 3 9 . — La faillite d’un commerçant suspend-elle
la prescription ? La solution de celte question ne saurait
être douteuse à l’égard des débiteurs de la faillite.
Sans doute la déclaration régulière de celle-ci a des
saisi le commerçant de ses actions, et l’a par conséquent
mis dans l’impossibilité de poursuivre en justice le paye1 Locr.3, E sprit du Code de commerce, art. 489.
2 Riom, 26 juillet 4826. Paris, 23 avril 4836<
�496
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment de ce qui lui est dû. Mais le jugement qui pro
duit cet effet substitue l’administration des syndics à
celle du failli, et impose aux premiers le devoir que le
second ne peut plus remplir, devoir qu’ils ne peuvent
négliger sans engager leur responsabilité.
La faillite n’est donc pas une cause de suspension de
la prescription à l’égard des débiteurs du commerçant
failli. Quid des créanciers relativement à la masse ?
Ici le doute nait précisément du caractère de la pres
cription. Ce qui la détermine, c’est la présomption de
payement. Or, comment admettre cette présomption,
lorsque, par sa position de failli, il y a à peu près cer
titude que le débiteur a été dans l’impossibilité de
payer ?
Mais cette impossibilité n’est pas en fait aussi abso
lue qu’elle le paraît en droit. D’ailleurs le créancier
peut avoir été désintéressé avant la faillite. Ce qui ren
drait celle supposition vraisemblable, c’est qu’il n’aurait
pas été appelé à la faillite, ou que, mis en demeure de
s’y présenter, il n’aurait pas jugé convenable de le
faire. Comment, en effet, expliquer l’une de ces circons
tances.
Cette considération d’une part ; de l’autre le carac
tère absolu de la règle tracée par l’article 189 ont paru
à la Cour de cassation devoir faire admettre que la fail
lite ne suspendait pas le cours de la prescription pour
les créanciers qui n’avaient ni requis ni obtenu leur
admission au passif1.
i U février 4833.
�ART.
189.
497
Ï 3 8 . — Nous avons déjà dit que la force majeure
pouvait relever de l’obligation de faire le protêt dans les
vingt-quatre heures de l’échéance, et de celle de le no
tifier et d’ajourner dans la quinzaine. Nous avons dit
également que l’état de guerre, que le défaut absolu de
communication d’un pays à l’autre pouvait constituer
cette force majeure.
Dans ce sens, mais dans ce sens seulement, il sera
vrai de dire que celle-ci suspend la prescription en re
culant son point de départ, qui se place alors naturelle
ment au jour de la cessation de la force majeure. C’est
ce que la cour de Paris d’abord, et la Cour de cassation
ensuite, ont formellement consacré l.
Mais cette force majeure, qui empêche la prescrip
tion de courir le lendemain de l’échéance, ne suffirait
pas pour en suspendre les effets si elle avait commencé
à courir. Il importerait donc peu que dans l’intervalle
des cinq ans, à une ou à plusieurs reprises la force
majeure se fût réalisée. Le Code civil n’en fait pas
lui-même une cause suspensive de la prescription or
dinaire. A plus forte raison devrait-on la considérer
de même au point de vue de la prescription de l’arti
cle 189.
S 3 9 . — L’interruption de la prescription est natu
relle ou civile, dit l’article 2242 du Code civil. Le ca
ractère de l’interruption naturelle l’exclut absolument
i Cass, 10 avril 1818.
h
—
32
�498
DE LA LETTRE DE CHANGE.
de notre matière. La prescription de l’article 189 ne
comporte donc d’autre interruption que l’interruption
civile que l’article 2244 du Code civil fait résulter
d’une citation en justice, d’un commandement ou d’une
saisie.
Ce développement de la pensée du législateur et son
caractère restrictif ne doivent pas être perdus de vue.
Ils déterminent la solution d’une difficulté que nous
avons déjà fait entrevoir, et qu’il est temps d’examiner.
Le protêt requis dans le cours des cinq années inter
rompt-il la prescription ?
¥ 4 0 . — On a soutenu l’affirmative. On s’est fondé
d’abord sur les termes de l’article 189, faisant courir la
prescription à compter du jour du protêt. Sans doute,
a-t-o n dit, lorsqu’aucun protêt n’a été requis, le point
de départ de la prescription se place au lendemain de
l’échéance. Il faudrait autrement admettre que cette
prescription n’a jamais couru.
Mais lorsque le protêt a été fait à une époque quel
conque de la période des cinq ans depuis l’échéance,
c’est de sa date que doit partir la prescription. L’acte est
une diligence de la part du créancier, il indique que le
payement n’a pas eu lieu jusque-là, il est donc exclusif
de la présomption sur laquelle est fondée la prescription
quinquennale.
A l’objection tirée de l’article 2244 du Code civil qui
limite les actes interruptifs,.et de ce que le protêt n’est
ni une citation en justice, ni un commandement, ni une
�ART.
18!).
49 9
saisie, on répondait : Qu’il ne fallait pas chercher dans
cet article des principes inapplicables à une matière
pour laquelle il existait une législation spéciale ; que
d’ailleurs l’article 189 aurait ajouté à l’article 2344,
puisqu’il fait expressément partir la prescription à
compter du protêt ; que ces termes ne peuvent sans
faire violence à la loi, et sans en torturer le sens, être
dans tous les cas remplacés par ceux-ci : à partir du
jour où le protêt doit être fait ; que l’acte qui cons
tate le refus de payement d’un effet de commerce exi
gible n’en est pas moins un protêt, quoiqu’il soit tardif,
et qu’il ne produise pas les effets qu’il aurait eu à l’é
gard des endosseurs s’il eût été fait en temps utile ; que
si le protêt fixe le point de départ de la prescription
dans l’un de ces deux cas, il doit également le fixer
dans l’autre, car l’article 189 renferme une disposition
générale en présence de laquelle toute distinction serait
arbitraire.
Ces considérations, appuyées d’ailleurs sur un arrêt
formel de la Cour de cassation, du 13 avril 1818,
avaient été consacrées par la cour d’Amiens. Un arrêt
du 20 août 1839 avait en conséquence décidé que le
protêt fait avant l’expiration des cinq ans avait inter
rompu la prescription.
Le débiteur condamné, s’étant pourvu en cassation,
demandait l’annulation de l’arrêt, notamment pour vio
lation des articles 189 du Code de commerce et 2244
du Code civil, en ce qu’il avait attribué l’effet d’inter
rompre la prescription à un acte qui, en réalité, ne
�5 00
DE LÀ LETTRE DE CHANGE.
constituait ni un véritable protêt, ni une poursuite ju
ridique, ni un commandement ; qui n’était et ne pou
vait être qu’une simple sommation. C’est ce que la Cour
suprême admit en effet expressément par les motifs sui
vants :
« Attendu qu’aux termes de l’article 189 du Code de
commerce, toutes actions relatives aux billets à ordre se
prescrivent par cinq ans, à l’égard des souscripteurs, à
dater du jour du protêt ou de la dernière poursuite ju
ridique ; que le jour du protêt est donc le point de dé
part de la prescription dont s’agit ; que l’article 162 du
Code de commerce détermine nettement ce qu’il faut en
tendre par ces paroles : le jour du protêt-, qu’en ef
fet il résulte de cet article que le refus de payement
doit être constaté le lendemain du jour de l’échéance
par un acte que l’on nomme protêt faute de payement ; d’où il suit que le lendemain du jour de l’éché
ance est le seul et véritable jour du protêt, à moins que
ce jour ne soit férié légal, auquel cas le protêt doit être
fait le jour suivant ;
« Attendu que tout acte destiné à constater le refus
de payement d’un effet de commerce dressé à une au
tre époque ne saurait constituer un protêt ou devenir le
point de départ de la prescription établie par l’article
189 du Code de commerce, puisque cette prescription,
établie conformément à l’esprit des lois commerciales
dans l’intérêt d’une prompte libération, serait indéfini
ment prolongée si elle ne commençait à courir qu’à
partir d’une époque indéterminée et abandonnée à l’ar-
�ART.
198.
501
bitraire du créancier ; qu’un tel acte ne constitue tout
au plus qu’une sommation de payement qui, n’ayant
ni le caractère d’une poursuite juridique, puisqu’il
n ’est pas la conséquence d’un titre exécutoire, ni le ca
ractère d’un protêt, ne saurait interrompre la pres
cription 1. »
Cet arrêt diffère essentiellement de celui que la même
Cour rendait le 13 avril 1818. Dans celui-ci, en effet,
la Cour de cassation admettait que si, à une époque
quelconque des cinq ans, la prescription avait été inter
rompue par un protêt ou autres poursuites juridiques,
elle recommençait son cours quinquennal à dater, soit
du jour où le protêt avait été fait, soit du jour de la
dernière poursuite.
Mais l’espèce sur laquelle cet arrêt est intervenu n’of
frait pas à examiner notre question. En effet, les cinq
ans s’étaient écoulés sans aucun acte de protêt, sans au
cune poursuite, ce qui n’avait pas empêché le tribunal
de commerce de Bois-le-Duc d’écarter la prescription,
sous prétexte qu’aux termes de l’article 189 elle ne
pouvait courir que du jour du protêt ; qu’elle n’avait
donc jamais couru, puisqu’il n ’avait été fait de protêt
à aucune époque.
Voilà la doctrine que la Cour de cassation avait à
apprécier et qu’elle censurait avec juste raison. Il se
rait donc difficile de voir dans son arrêt un précédent
1 1er juin 1842, J. du P„ 2,1842, 3S1. V. Supra, n°731.
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
sur le caractère et les effets du protêt dressé dans les
cinq ans.
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’elle au
rait déserté sa propre jurisprudence dans la décision de
1842, que nous venons de reproduire, et dans laquelle
elle n’a pas cessé de persister l.
S 4 1 . — Si le protêt fait dans le cours des cinq ans
a été suivi d’une citation en justice avant leur expira
tion, la prescription est régulièrement interrompue, si
non par le protêt, au moins par l’ajournement auquel
on ne saurait contester le caractère de poursuite juridi
que. Il importerait même peu qu’il eût été donné de
vant un juge incompétent. L’application de l’article
2246 du Code civil à notre matière ne saurait souffrir le
moindre doute. Mais l’utilité de cette interprétation est
subordonnée aux conditions de l’article 2247 du même
Code. Ainsi, si l’assignation est nulle pour défaut de
formes, si le demandeur se désiste de sa demande, s’il
laisse périmer l’instance, ou si la demande est rejetée,
l’interruption est censée n’avoir jamais existé.
Par application, la Cour de cassation jugeait, le 29
juin 1846, que l’endosseur d’une lettre de change au
quel le tireur actionné en paiement oppose la prescrip
tion quinquennale ne peut invoquer, comme interrup
tion de la prescription, les poursuites judiciaires faites
par le porteur, alors que ces poursuites ont été suivies
1 28 avril et 4 novembre 1846.
J . du P .,
1, 1846, 682, 2, 1846, 863.
�ART.
189.
805
soit de jugements par défaut tombés en péremption, soit
de jugements contradictoires non attaqués, déclarant le
demandeur non recevable dans sa demande K
La citation en justice interrompt donc la prescription,
mais l’interruption n’est efficace que si, régulière en la
forme, elle a produit au fond les effets dont elle était
susceptible. Si elle a été délaissée par son auteur, si les
décisions judiciaires dont elle était devenue l’occasion
ont péri faute d’exécution, elle n’est plus qu’une tenta
tive non suivie d’effet, n’ayant pu dès lors créer un
droit quelconque.
Ï 4 3 . — L’interruption la plus énergique est sans
contredit celle qui résulterait de la reconnaissance de la
dette par le débiteur. Cette reconnaissance enlève à la
prescription toute raison d’être, puisqu’elle est la preuve
irrécusable que la dette n’a jamais été payée.
Mais l’article 189, en admettant l’effet de la recon
naissance, en a prescrit la forme, elle doit résulter d’un
acte séparé. Déjà nous avons tiré les conséquences de
sa disposition 2. L’offre de prouver l’existence de cette
reconnaissance serait irrecevable et inadmissible : Frus
tra probatur quod probatum non relevât. Or, en sup
posant qu’on justifiât d’une reconnaissance orale, la pres
cription n’en serait pas moins acquise, la loi n’admet
tant d’autre reconnaissance que celle qui résulterait d’un
acte formel.
1 J . d u P . , 2,1846, 402.
i Supra , n<» 729 et suiv.
�504
DE LA LETTRE DE CHANGE
Une dernière preuve du rejet absolu de la preuve tes
timoniale de la reconnaissance, résulte du rapproche
ment de notre article 189 avec l’article 2148 du Code
civil. En matière ordinaire, la preuve testimoniale est
proscrite par l’article 1341 du même Code. Aussi l’ar
ticle 2248 se contente-t-il de disposer que la pres
cription est interrompue par la reconnaissance que le
débiteur fait du droit de celui contre lequel il pres
crivait.
Ces simples expressions, sans inconvénients possibles
en matière ordinaire, ne pouvaient passer dans la légis
lation commerciale sans donner immédiatement ouver
ture à la preuve testimoniale qui est de droit commun,
précisément ce que le législateur ne voulait pas, et c’est
pour manifester cette volonté que l’article 189 ne re
pousse la prescription que si la dette a été reconnue par
acte séparé.
On ne peut donc équivoquer. Toute reconnaissance
autre que celle prcuvée par écrit n’interrompt pas la
prescription. L’offre d’en prouver l’existence devrait
donc être écartée. La seule exception que recevrait cette
règle serait la preuve que la reconnaissance par écrit a
été souscrite par le débiteur ; qu’elle a été, depuis, per
due ou volée.
« 4 * . — De l’inadmissibilité de la preuve testimo
niale, on a conclu avec raison que le débiteur excipant
de la prescription ne pouvait être contraint à compa
raître en personne, ni soumis à un interrogatoire sur
�ART.
189.
505
faits et articles. Quel serait le but de ces mesures ? D’ar
river à un commencement de preuves de la reconnais
sance alléguée ? De tirer de la comparution ou des ré
ponses des présomptions plus ou moins graves à l’appui
de cette allégation ? Mais tout cela ne saurait remplacer
la reconnaissance par acte séparé, seule admise contre
la présomption juris et de jure, sur laquelle repose la
prescription.
« Une partie qui a en sa faveur une présomption ju
ris et de jure, dit Merlin, ne peut être forcée de ré
pondre à un interrogatoire sur faits et articles qu’on
voudrait lui faire subir relativement aux choses qui font
l’objet de cette présomption.
« On doit aussi remarquer que la confession extra
judiciaire et purement verbale ne peut pas produire à
cet égard les mêmes effets que si elle était faite en jus
tice ; parce qu’il faudrait, en cas de dénégation, la vé
rifier par témoins, ce que ne permet pas ce grand prin
cipe : qu’une présomption juris et de jure n’admet
point de preuve contraire 1. »
Cette doctrine est celle que M. Troplong enseigne lors
que, interprétant l’article 2275 du Code civil, il est
amené à s’expliquer sur la nature et le caractère des
prescriptions édictées par les articles 2271 et suivants
du même Code.
« Ces présomptions, dit-il reposent sur une présomp
tion de payement. Mais cette présomption n’est pas tel—
Ilcp
Prcsompt
�506
DE LA LETTRE DE CHANGE,
lement certaine, que la loi refuse au créancier tout
moyen de l’ébranler ; elle l’autorise, en conséquence, à
déférer à l’adversaire qui se retranche dans la prescrip
tion abrégée, le serment décisoire sur la question de sa
voir s’il a réellement payé.
« Mais je crois que le créancier ne serait pas fondé à
demander que le débiteur fût interrogé sur faits et arti
cles, si sa seule défense se puisait dans la prescription.
C’est ainsi que la cour de Lyon le décidait le 13 janvier
1836 L »
L’analogie entre l’article 22I75 du Code civil et l’a r
ticle 189 du Code de commerce est trop évidente pour
que la règle à suivre dans un cas ne s’impose pas égale
ment à l’autre. Il est dès lors certain que M. Troplong
ne comprend pas autrement que M. Merlin la difficulté
que nous examinons.
Concluons donc que la seule reconnaissance inter
ruptive de la prescription quinquennale est celle qui a
été faite par acte séparé. Les juges n’ont aucune lati
tude à cet égard. L’article 189 est impératif et limi
tatif.
S4 4 . — Mais il n’en est pas de même de la nature
et de la consistance de l’acte séparé prescrit par la loi.
En ce qui le concerne, les tribunaux ont la souveraineté
d’appréciation qui ne saurait leur être contestée. Ils
peuvent considérer comme tel, toute déclaration émanée
1 D e s p r e s c r i p t i o n s , nos 294 et suiv.
�art.
189.
507
du débiteur, soit au moment du protêt, soit en plaidant
devant la justice, celle même contenue dans une lettre
missive et renfermant l’aveu de la dette. Il suffit, dans
tous les cas, que la déclaration soit inconciliable avec
l’idée de la prescription.
Ainsi, il a été jugé que le débiteur qui, en même
temps qu’il oppose la prescription à la demande en
payement de la lettre de change, réclame par des con
clusions principales la subrogation au cessionnaire de
la créance qu’il prétend litigieuse, reconnaît par là que
la dette n’est pas acquittée, et cet aveu implicite détruit
l’effet de l’exception de prescription. Cette prescription,
dit l’arrêt, est fondée sur une présomption de payement.
Or, demander à exercer la subrogation légale, aux termer de l’article 1699 du Code civil, c’était offrir vir
tuellement de payer la dette, si non au taux de la som
me exprimée en l’effet, au moins au taux de la somme
pour laquelle cet effet avait passé du créancier primitif
au créancier actuel. Cette offre, écartant la présomption
de payement, doit dès lors faire repousser la prescrip
tion. Cette appréciation de la cour de Riom fut vaine
ment attaquée devant la Cour suprême. Le pourvoi
dont elle avait été l’objet fut rejeté par arrêt du 18 jan
vier 18â1.
Dans une autre circonstance, la Cour de cassation a
également décidé que la reconnaissance en justice de
payements partiels que le créancier avait lui-même
inscrit au dos de la lettre de change, faite par le débi
teur poursuivi en payement du solde, constituait la
�308
DE U
LETTRE DE CHANGE
reconnaissance exigée par l’article 189, et en consé
quence rendait irrecevable l’exception de prescription L
Enfin, on a considéré comme légalement interruptive
d elà prescription, la déclaration du débiteur qu’il re
fuse de payer, vu les oppositions existantes en ses mains;
la renonciation à opposer le défaut de dénonciation du
protêt dans le délai légal ; la demande d’un terme pour
opérer le payement ; enfin, la mention des effets à son
passif, faite par le débiteur dans son b ilan s.
9 4 5 . — Les tribunaux pourraient-ils voir la recon
naissance interruptive de la prescription dans un acte
antérieur à la création des lettres de change ou des bil
lets à ordre ? L’affirmative a été admise par la cour de
Paris, le 9 octobre. 1817.
« De graves motifs, dit M. Nouguier, pourraient être
articulés contre cette solution. Toute prescription est
fondée sur un double principe. D’une part, l’inaction
du créancier pendant un long espace de temps fait pré
sumer ou qu’il a été désintéressé, ou qu’inspiré par son
affection pour le débiteur, il lui a consenti remise de
la dette. D’autre part, si la supposition de la loi se
trouve erronée en fait, on arrive néanmoins au même
résultat par un autre principe, et alors la libération du
1 Cass. <16 décembre 1828.
2 Paris, 7 janvier 1815 ; Cass., 14 février 1826 ; Bordeaux, 22 août
1832 ; Cass,, 1er mars 1837; Bordeaux. 19 août 1840. J . du P ., 1,
1837, 587 ; 2. 1840, 717.
s-
■
êb
�ART. 1 8 9 .
809
débiteur est une peine infligée au créancier pour son in
qualifiable oubli.
« Pour qu’il soit possible de rentrer dans cette dou
ble hypothèse, et d’accomplir le vœu de la loi, il semble
donc nécessaire que la reconnaissance ait été la suite
du refus de payement.
« Remarquons, en outre, que la prescription n’est
évitée qu’autant que la dette a été reconnue : or, tant
que la lettre de change n’est pas échue, il n’y a point
de dette, et partant il y a impossibilité de reconnaître
une dette qui n’existe pas. Qui a terme , ne doit
rien 1. »
Ces considérations feraient supposer chez M. Nouguier une opinion contraire à celle de la cour de Paris.
Mais, généraliser cette question dans l’espèce jugée par
celle-ci, c’est, en la posant, s’exposer à la résoudre
inexactement.
Nous croyons, quant à nous, qu’il convient de dis
tinguer le caractère et la nature de la reconnaissance
qui a précédé l’échéance de l’effet de commerce contre
lequel on excipe de la prescription.
S’agit-il d’une reconnaissance pure et simple, com
ment pourrait-on s’y arrêter ? Elle serait sans efficacité,
en vertu des principes régissant l’interruption et ses con
séquences. Celles-ci, nous le verrons bientôt, ne con
sistent qu’à effacer le temps qui a couru jusqu’au jour
de l’interruption. La prescription recommence de ce
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE.
jour, à moins que la reconnaissance, ayant fait nova
tion, ait substitué la prescription trentenaire à celle de
cinq ans.
Nous avons donc raison de le dire, la simple recon
naissance de la dette avant l'échéance ne saurait empê
cher le délai de cinq ans de courir du lendemain de
celle-ci. Comprendrait-on d’ailleurs qu’une prescription
pût être interrompue avant d’avoir commencé ?
Ce qu'on pourrait vouloir faire à cette époque, ce se
rait renoncer à se prévaloir jamais de la prescription,
dispenser en conséquence le porteur de l’obligation de
poursuivre, même pendant le cours des cinq années.
Dans ce sens, nous nous rendons parfaitement raison
d’une déclaration même antérieure à l’échéance, même
contemporaine à la création des effets de commerce.
Mais cette déclaration serait-elle valable en droit ? On
pourrait le contester en se fondant sur la disposition de
l’article 2220 du Code civil, prohibant de renoncer à
une prescription non acquise. A cet égard, il faudrait
d’abord établir que cette prohibition est applicable à
notre matière. Nous ne le pensons pas, car la prescrip
tion de l’article 189 n’est pas une prescription d’ordre
public. Non seulement les juges ne peuvent la suppléer,
mais la partie elle-même peut en répudier le bénéfice
par le refus du serment. Elle est plutôt une déchéance
qu’une véritable prescription. Pourquoi donc, le débi
teur, qui peut renoncer à celle résultant du défaut de
protêt, à celle de l’absence des poursuites dans la quin
zaine, serait-il dans l’impossibilité de répudier le béné-
�art.
189.
SU
fice de celle-ci, en prenant d’avance l’engagement de
ne pas en exciper ?
Nous pensons donc que dans cette seconde hypothèse
l’obligation contractée d’avance de déroger à l’article
489 devrait recevoir son entière exécution. Elle n ’aurait
pu interrompre la prescription non commencée, mais
elle l’aurait empêchée de courir.
Reste une troisième hypothèse, celle jugée par la cour
de Paris, dans l’arrêt cité par M. Nouguier. Dans cette
espèce, une dette de 5000 fr. avait été contractée d’a
bord par une obligation ordinaire. Plus tard, et pour
la commodité des parties, deux lettres de change avaient
été souscrites. Protestées faute de payement, plus de
cinq ans s’étaient écoulés sans nouvelles poursuites.
Actionné en payement, le débiteur soutenait que la
prescription était acquise. On lui opposait le titre ori
ginaire comme constituant la reconnaissance de la dette.
Il répondait que l’article 189 n ’a entendu parler que
d’un acte de reconnaissance postérieur à la lettre de
change, car alors il y a novation dans la dette, par la
substitution du nouveau titre qui annule en quelque
sorte la lettre de change. Mais, ajoutait-il, quand l’acte
séparé est antérieur aux lettres de change, la créance en
résultant est effacée par la création de celles-ci, et il ne
reste plus au créancier qu’à s’en prévaloir avec tous les
avantages et les inconvénients qu’elles comportent par
elles-mêmes.
La vraie, l’unique difficulté de ce procès consistait à
décider si la création des lettres de change avait opéré
�S I2
DE LA LETTRE DE CHANGE.
novation, si elle avait eu pour effet d’annuler le titre
primordial. Leur substitution matérielle ne suffisait pas,
car la novation ne peut se présumer et doit être ex
presse. La cour de Paris pouvait donc refuser de l’ad
mettre par interprétation de l’intention des parties, et
déclarer dès lors l’article 189 du Code de commerce
inapplicable. Sa décision dans ce sens était irrépro
chable.
Ce n’est pas cependant ce qu’elle crut devoir faire.
Elle repousse bien l’exception de prescription, mais en
se fondant en fait sur ce qu’il existait une reconnais
sance de la dette par acte séparé, reconnaissance qu’elle
fait résulter du titre primordial.
Cette constatation de fait a pu soustraire l’arrêt à la
censure de la Cour de cassation \ mais elle ne saurait
échapper aux reproches que M. Nouguier lui adresse
avec juste raison.
Ainsi, l’acte antérieur à l’échéance des effets de com
merce affectera nécessairement ou la forme d’une recon
naissance pure et simple, ou celle d’une renonciation à
exciper de la prescription, ou celle d’une substitution
d’un titre à un autre. Dans le premier et le dernier cas,
tout dépend de la question de savoir s’il y a eu novation
ou non ; dans le second, la prescription n ’a jamais
couru et n’a pu dès lors être acquise.
5 4 6 . — Aux termes de l’article Ü5ÜÎ49 du Code civil,
i 2 février 4819.
�art.
189.
513
l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires ou sa
reconnaissance interrompt la prescription contre tous
les autres, même contre leurs héritiers. Cette règle n ’est
applicable aux effets commerciaux que dans une certaine
limite.
Ainsi, les endosseurs sont bien débiteurs solidaires du
porteur. Mais cette solidarité, comme le principe de leur
obligation, est subordonnée aux diligences prescrites
pour prévenir la déchéance de ce dernier. En ce qui les
concerne donc, la loi a formellement dérogé à l’article
2249 du Code civil. L’interpellation faite au tireur, à
l’accepteur ou à l’un des endosseurs ou leur reconnais
sance ne saurait être opposée à ceux qu’on aurait né
gligé d’interpeller.
Il en serait autrement des cautions ayant purement
et simplement garanti, soit le tireur, soit l’accepteur,
soit l’endosseur. Dans cette hypothèse, l’interpellation
faite au tireur, à l’endosseur, rejaillirait contre la cau
tion de chacun d’eux, envers laquelle la prescription se
rait interrompue. C’est ce qui a été jugé, notamment
pour les donneurs d’aval h
L’interpellation et la reconnaissance de la dette se
trouvent, quant à leurs effets, sur une ligne identique.
Il y a cependant entre elles cette différence que la pre
mière s’opérant par un acte extrajudiciaire, aura une
date certaine et non contestable. La seconde, au con
traire, pouvant se réaliser par acte privé, est dans le
l Paris, 43 décembre 4813. Riom, 2S janvier 4829.
n — 33
�814
DE LA LETTRE DE CHANGE.
cas de devenir un instrument de fraude. Il serait fa
cile, en effet, en en reculant la date, de priver les cau
tions du bénéfice d’une prescription dès longtemps ac
quise.
Aussi doit-on décider que pour être utilement invo
quée contre les cautions, la reconnaissance sous seing
privé doit avoir acquis date certaine par un des moyens
indiqués par la loi. A défaut, celui qui en exciperait
après le délai de cinq ans de l’échéance du titre devrait
voir sa prétention échouer contre tout autre que le si
gnataire lui-même.
Quel est l’effet de l’interruption régulière et légale ?
Nous l’avons déjà dit, d’enlever au débiteur le béné
fice du temps écoulé jusqu’au jour de l’interruption, de
donner naissance à une prescription nouvelle dont le
point de départ est la date de l’acte interruptif ou de la
dernière poursuite.
Quelle sera la durée du nouveau délai ? La réponse
est dictée par le caractère et la nature de l’acte inter
ruptif. Cet acte a-t-il eu pour résultat de substituer un
titre à un autre, d’opérer novation, la prescription or
dinaire devient la seule qu’on puisse désormais invo
quer ; n’a -t-il fait, au contraire, que confirmer le titre
primitif, c’est l’article 489 qui continuera de régir les
parties.
Par exemple, la prescription a été interrompue par
une citation en justice. Cette citation a été suivie d’un
jugement de condamnation qui a acquis l’autorité de la
chose jugée. Evidemment, il n’y a plus entre les parties
�ART. 1 8 9 .
S IS
d’autre titre que ce jugement lui-même, des effets du
quel le débiteur ne pourra se libérer par aucune autre
prescription que la prescription trentenaire.
Supposez, au contraire, qu’après avoir cité en justice,
le créancier néglige de poursuivre, ou qu’ayant obtenu
un jugement par défaut, il le laisse périmer faute d’exé
cution dans les six mois, il n’y aura rien de changé dans
sa position, son titre unique n’a pas cessé d’être la let
tre de change ou le billet à ordre, il restera donc sou
mis à la prescription quinquennale, qui aura recom
mencé son cours du jour de l’acte interruptif.
Le même effet est produit dans le cas d’interruption
de la prescription par la reconnaissance de la dette.
Pour que la prescription de trente ans se trouve substi
tuée à celle de cinq ans, il faut que l’acte renfermant
cette reconnaissance constitue un titre nouveau et non
un acte additionnel laissant subsister le titre ancien 1.
La question de savoir quelle a été la véritable inten
tion des parties, le caractère réel du nouvel acte, est
donc d’une haute importance puisque, suivant la solu
tion, la prescription sera ou non acquise, et le droit du
créancier anéanti ou non. Cette importance la signale à
toute la sollicitude des juges, à l’arbitrage souverain
desquels elle est exclusivement déférée2.
* 4 8 . — Dans les arrêts que nous indiquons, la
1 Cass., 6 novembre 1832, 14 mars 1838. J. du P , 1, 1838, 862
2 Cass, 9 août et 28 novembre 1831.
�516
DE
LA
LETTRE DE CHANGE.
Cour suprême décide qu’une lettre missive, écrite avant
l’échéance par un débiteur d’une lettre de change à ce
lui qui en est le porteur, pour le remercier des facilités
accordées à raison du payement, ne peut empêcher la
prescription de cinq ans, si d’ailleurs cette lettre ne
renferme aucune expression qui indique l’intention de
donner un nouvean titre au créancier ;
Que l’acte par lequel les débiteurs, obtenant une pro
longation du terme à l’échéance, promettent de payer à
une époque fixée et consentent des intérêts, doit être
considéré non comme une reconnaissance de la dette
dans le sens de l’article 189, mais comme un acte ad
ditionnel de la lettre de change avec laquelle il ne fait
qu’un seul et même titre ; que dès lors l’action en paye
ment est soumise à la prescription de cinq ans, à par
tir de l’échéance du délai accordé.
La même solution a été consacrée : 1° à l’égard de
la promesse de tenir compte du montant d’une lettre de
change dont on constate la remise, alors surtout que le
créancier a implicitement reconnu le caractère commer
cial de l’engagement, en portant la demande afin de
payement devant le tribunal de commerce, et en con
cluant à la contrainte par corps1 ;
21° A l’égard d’une lettre missive dans laquelle le dé
biteur d’un effet commercial se borne à demander à son
créancier une prorogation de délai2 ;
1 Cass., 40 décembre 1834.
2 Riom, 42 mars 4838. J. du P., 2,4838, 439.
�art.
189.
517
4° A l’égard de la mention de la lettre de change
faite par le débiteur sur son bilan \
L’acte notarié par lequel le débiteur consent pure
ment et simplement une hypothèque en garantie des
sommes qu’il doit par titres commerciaux, n'opère pas
novation dans le titre, dès lors la dette demeure pres
criptible par cinq ans de l’échéance de la lettre de
change ou du billet à ordre, si l’affectation hypothécaire
est antérieure, de la date de celle-ci si elle est posté
rieure.
— Mais l’acte notarié qui renferme la recon
naissance expresse de la dette constitue un titre nou
veau, se substituant à l’ancien. L’effet de cette novation
est de rendre impossible à l’avenir la prescription quin
quennale 2.
En définitive donc, la novation devient le dernier mot
de notre matière. Si elle n’existe pas, l’interruption n’a
pas d’autre effet que de rendre la dette prescriptible
par cinq ans à dater de l’acte interruptif ; si la nova
tion s’est réalisée, la prescription trentenaire se trouve
substituée à la prescription quinquennale, tout comme
celle-ci remplacerait la première, si le titre primordial,
purement civil, avait été converti en un titre commer
cial. Cette conclusion, que la jurisprudence consacre,
est également enseignée par la .doctrine3.
1 Bordeaux, 19 août 1840. J. du P., 2, 1840, 717.
2 Paris, 14 janvier 1825.
/
3 Pardessus, Dr. com., n°s 220 et 240. Troplong, Presc. nos 75 et s.
�S18
DE LA LETTRE DE CHANGE.
So©. — L’effet de la prescription régulièrement
acquise est d’éteindre la dette. Le débiteur est présumé
s’être acquitté de ce qu’il devait. Il est donc libéré.
Cependant, comme après tout ce n’est là qu’une pré
somption, le législateur n’a pas reculé devant un moyen
destiné à lui faire acquérir le plus de certitude possible.
Les débiteurs seront tenus, s’ils en sont requis, d’affir
mer sous serment qu’ils ne sont plus redevables. On
pourra même exiger de leurs veuves, héritiers ou ayants
cause le serment qu’ils estiment de bonne foi qu’il n’est
plus rien dû.
Cette disposition de l’article 189 est empruntée à l’or
donnance de 1673. Son existence dans cette loi trouve
une explication naturelle dans ce fait, que la prescrip
tion de payement formant la base de la prescription
n’était pas juris et de jure. Nous avons déjà rappelé la
doctrine de Jousse, enseignant qu’on ne devait pas l’ad
mettre toutes les fois que les circonstances venaient à en
faire suspecter la sincérité.
Dès lors, comment défendre au créancier de déférer
le serment, lorsqu’on lui permettait de relever et d’éta
blir les circonstances rendant le payement invraisem
blable ?
Aussi la commission primitive du Code de commerce,
voulant déroger à l’ordonnance et donner à la pres
cription un caractère légal et absolu, avait-elle refusé
d’admettre la faculté de déférer le serment. Elle la con
sidérait comme inconciliable avec ce caractère.
Mais son rétablissement fut sollicité par un grand
�art,
189.
519
nombre de cours et tribunaux. On soutenait que per
mettre la délation du serment, ce n’était pas autoriser le
créancier à combattre la prescription par les circons
tances ; que c’était purement et simplement rentrer
dans le droit commun déjà consacré par le Code civil,
et qui ne subordonnant pas l’effet de la prescription à la
preuve que le créancier pourra faire, et en lui donnant
la force absolue qu’elle doit avoir, permet cependant
d’exiger du débiteur l’affirmation, comme juge de sa
bonne foi. Cette opinion prévalut au conseil d’Etat et
détermina la rédaction actuelle de l’article 189.
La délation du serment est purement facultative pour
le créancier. Nous avons déjà dit que les tribunaux ne
pourraient l’ordonner d’office. Par contre, à quelque
époque qu’elle se réalise, fût-ce en cause d’appel pour
la première fois, les juges ne peuvent se dispenser de la
consacrer.
À son tour, le débiteur, dont le serment est exigé, ne
saurait directement ni indirectement décliner l’obligation
de le prêter. Le refus qu’il en ferait rendrait inadmissi
ble l’exception de prescription et motiverait sa condam
nation au payement du montant de l’effet par lui sous
crit.
Ï51. — L’obligation du serment imposée au débi
teur précise le caractère de la prescription autorisée par
l’article 189. Cette prescription a pour fondement uni
que la présomption de libération, puisque cette libéra-
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion doit être affirmée sous serment, et que le refus de
le prêter opposerait un obstacle invincible à la consé
cration de la prescription.
La conclusion qu’en ont tirée la doctrine et la juris
prudence, c’est que l’exception de prescription ne sau
rait être accueillie lorsque la certitude de la non libé
ration est évidente et acquise. L’allégation contraire
n’est plus qu’un acte de mauvaise foi. Le serment qui
serait donné à l’appui serait un mensonge que la mo
rale commandait de prévenir.
Mais à quelles conditions pourra-t-on considérer
comme certain le défaut de libération ? La Cour de cas
sation jugeait, le 13 décembre 18ÜÎ9, que la présomp
tion de l’article 189 ne pouvait être détruite par de
simples inductions ; que la prescription devait être ac
cueillie lorsque le créancier ne justifiait d’aucun aveu,
affirmation ou consentement du débiteur, d’où l’on
peut induire le non payement.
Il faut donc le reconnaître, lorsque le débiteur pour
suivi plus de cinq ans après l’échéance se bornera à op
poser la prescription, il sera difficile, pour ne pas dire
impossible, de repousser l’exception sans méconnaître
et violer l’article 189.
Que si, au contraire, tout en se prévalant de la pres
cription, le débiteur soutient au principal et par voie
subsidiaire un système dont il entend induire sa libéra
tion, le rejet de ce système peut être l’exclusion de cette
libération, et par conséquent faire écarter la prescrip
tion. Le moyen mal à propos soutenu devient simple-
�ART.
189.
521
ment l’aveu, l'affirmation, lé consentement exigé par la
Cour de cassation. L’un eM’autre doivent s’entendre de
toutes articulations qui, repoussées, rendent le paye
ment invraisemblable ou improbable.
La jurisprudence offre de nombreux exemples d’ap
plication de cette règle. Ainsi la cour de Caen avait re
poussé la prescription, dans une espèce qui lui était
soumise, par le motif que des faits et pièces, que de la
reconnaissance des héritiers présomptifs, que le débiteur
avait quitté la France avant l'échéance de la lettre de
change et était absent depuis lors, il résultait la certi
tude qu’il n ’y avait jamais eu payement.
Le 25 août 4813, la Cour de cassation rejetait le
pourvoi dont l’arrêt de la cour de Caen avait été l’objet,
attendu que le défaut de poursuites pendant cinq ans
n ’établit qu’une présomption de payement, et que cette
présomption s’évanouit s’il existe preuve que le paye
ment n ’a pas été fait.
Le 18 janvier 4820, la Cour suprême juge qu’un dé
biteur qui, en même temps qu’il oppose la prescription
à la demande de payement d’une lettre de change, ré
clame, par des conclusions principales, la subrogation
au cessionnaire de la créance qu’il soutient être litigieu
se, reconnaît par là que la dette n’est pas acquittée, et
cet aveu implicite détruit l’effet de l’exception de pres
cription.
« Attendu, dit l’arrêt, que si de la prescription de
cinq ans il résulte une présomption légale de payement,
celte présomption néanmoins peut être détruite par une
�522
DE LA LETTRE DE CHANGE.
preuve ou une présomption légale contraire ; que l’arrêt
attaqué constate que les conclusions principales des de
manderesses en cassation tendaient obtenir la subroga
tion au créancier cessionnaire, d’où résulte par une
conséquence nécessaire l’aveu que la dette n’avait pas
été payée, et qu’en écartant à l’appui de cet aveu la
prescription quinquennale, la cour de Riom n’a violé
aucune loi. »
Cette doctrine est consacrée par la cour d’Amiens, le
10 janvier 18216. Dans l’espèce, le débiteur soutenait
que la lettre de change avait été payée par compensa
tion ; il excipait en même temps de la prescription.
Mais la Cour, repoussant le moyen de la compensation
et considérant dès lors qu’il n’y avait jamais eu paye
ment, déclare l’exception de prescription non recevable.
Un troisième arrêt de la Cour de cassation, du 1er dé
cembre 1829, décide que la prescription de l’article 189
ne peut être invoquée par celui qui prétend en même
temps n’êlre pas tenu du payement de la lettre de chan
ge, en ce qu’il ne l’aurait endossée que comme manda
taire du premier endosseur.
Comment admettre, en effet, que celui qui soutient
n’avoir jamais rien dû, ait cependant payé. La consé
quence logique de cette prétention est qu’il ne. l’a pas
fait, et dès lors la présomption de libération est vaincue
par la preuve contraire.
La cour d’Aix est en ce moment saisie de la question
dans les circonstances suivantes :
Le débiteur d’une lettre de change tombe en faillite,
�ART.
189.
523
un contrat d’union a lieu, et, après liquidation, chaque
créancier rentre dans l’exercice de ses actions indivi
duelles.
Plus de cinq ans s’écoulent. Le porteur de la lettre
de change en poursuit le payement. Devant le tribunal,
le débiteur soutient que, par accord intervenu avec le
mandataire du créancier, il s’est intégralement libéré
moyennant le huit pour cent de la créance en sus de ce
qui avait été touché dans sa faillite.
Sur la dénégation du créancier, jugement qui ordonne
le payement.
Devant la Cour, le débiteur renouvelle son système de
payement. Il invoque, dans tous les cas, la prescription.
On oppose que la faillite a rendu à tout jamais l’ar
ticle 189 inapplicable, ce qui était une évidente erreur.
En effet, la déclaration de faillite suspend la prescrip
tion. Si elle rend les dettes exigibles, elle enlève aux
créanciers leurs action individuelles. On ne saurait donc,
en cet état, faire courir contre eux aucune prescription.
Si la faillite se termine par concordat, il s’opère une
véritable novation. Le droit des créanciers n’a plus
d’autre fondement que le concordat lui-même. Il n ’est
donc prescriptible que par trente ans, du jour où il a
pu être valablement exercé l.
Si union, la suspension se prolonge jusqu’à liquida
tion. Mais celle-ci faisant rentrer les créanciers dans
l’exercice de leurs actions individuelles, leur droit déi Aix, 19 juillet 1880.
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
coule des titres dont ils sont porteurs ; et s’il s’agit de
lettres de change, le défaut de poursuites pendant cinq
ans les soumet à la règle de l’article 489 l.
On pouvait donc, dans l’espèce, opposer la prescrip
tion. liais l’exception ne devait pas être accueilie par
application de la règle que nous venons d’indiquer. En
effet, puisque le débiteur soutenait n’avoir payé que le
huit pour cent, il avouait lui-même n’avoir jamais in
tégralement payé, et cet aveu ne laissait plus de place à
la présomption de libération, unique fondement de la
prescription de cinq ans.
L’arrêt de la Cour, rendu le 40 janvier 4864, l’a
ainsi décidé. Il déclare dans ses motifs que la faillite
s’étant terminée par un contrat d’union, il ne s’était
opéré aucune novation dans les titres des créanciers ;
que la clôture de l’union leur ayant rendu l’exercice de
leurs droits individuels, les avait mis en demeure d’a
gir , que dès lors là prescription avait recommencé de
courir pour les lettres de change et s’était accomplie par
le défaut de poursuites pendant cinq ans.
Mais attendu, en droit, que cette prescription est fon
dée sur la présomption de payement qui s’évanouit
quand la preuve certaine existe que le payement n’a
pas été fait ;
Attendu, en fait, que Liautaud s’est d’abord défendu
par une exception démontrant qu’il n’a pas payé
Isoard, et qu’il s’est rendu par là non recevable à invo
quer la prescription ;
1 Cass., 17 avril 1857, D. P , 57,1, 362.
�ART.
189.
525
Attendu qu’il y a même renoncé d’une manière ta
cite en faisant plaider principalement, en première ins
tance et en appel, qu’il avait donné le huit pour cent à
Isoard comme à ses autres créanciers ;
Qu’en effet, il a formellement reconnu par là ne pas
l’avoir payé intégralement, et que cette reconnaissance
judiciaire de sa dette a emporté renonciation à la pres
cription ;
Attendu que cette renonciation s’induit de toutes les
circonstances de la cause et ne permet pas d’accueillir
les conclusions subsidiaires, formulées pour la première
fois devant la Cour comme un moyen désespéré ;
La Cour repousse l’exception de prescription et con
firme le jugement.
OBSERVATION
Il est souvent question de la contrainte par corps
dans le cours de l’ouvrage. Nous avons cru inutile de
rappeler à chaque mention qu’elle avait été abolie par
la loi du 22 juillet 1867. Cet avertissement nous a paru
suffisant.
��TABLE DES MATIÈRES
DU
SECOND
VOLUME
Section P e. — D e la le ttr e d e c h a n g e .
§ IX. — D u p a y e m e n t ....................................
§ X. — D u p a y e m e n t p a r i n t e r v e n t i o n . . .
§ XI. — D es d r o it s e t d e v o ir s d u p o r t e u r .
§ XII. — D es p r o t ê t s .......................................
§ XIII. — D u r e c h a n g e .................................. .
Section II. — D u b ill e t à o r d r e ............
S ection III. — D e la p r e s c r i p t i o n ..........
Observation sur la contrainte par corps............
��TABLE ALPHABÉTIQUE
D ES M A T I È R E S
L e c h iffr e in d iq u e le n u m é ro d 'o r d r e des s o m m a ire s
A c c e p ta tio n . — Effets de l’acceptation quant à la preuve de
la provision, 157. — Droit du porteur contre le tiré refusant
l’acceptation, 166. — Caractère et nature de l’acceptaiion.
Reproches adressés à l’article 118, 167 et suiv. — L ’obliga
tion de procurer l’acceptation est-elle suppléée par la dation
d ’un aval de garantie, 171 ? Position du tireur d ’ordre et
pour compte de tiers, 172. — Le porteur est libre de requé
rir ou non l’acceptaiion. Exception que cette règle com
porte, 173 et suiv. — A quel domicile doit être requise l’ac
ceptation, 179 ? — Le tiré est libre de ne pas accepter,
alors même q u ’il serait débiteur du tireur. Exception, 181.
— Conséquences du refus d ’acceptation, 182. — Peut-on
revenir contre l ’acceptation et biffer celle q u ’on adonnée,
183 et suiv.? — Droits que le refus d ’acceptation confère au
porteur, 186 et suiv. — Forme et objet de l’action q u ’il
peut intenter, 188 et suiv. — Effets de l ’acceptation, à l’é
gard du tireur et des tiers, sous l ’ordonnance de 1673 et de
puis le Code, 193 et suiv. — Forme de l ’acceptation, 207 et
suiv. — La signature isolée constituerait-elle une accepta
tion ? Doit-elle être précédée du bon ou approuvé prescrit
par l’article 1326 du Code civil, 209 et suiv. — L ’accepta
tion est ordinairement exprimée par le mot accepté, mais
h
—
34
�I
530
'• r
TABLE ALPHABÉTIQUE
cette expression admet des équipollents, 212 et suiv. — Le
mot vu, suivi de la signature et sans autre indication, cons
titu e-t-il une acceptation, 214 ? — L’acceptation ne peut
être donnée par lettre missive, 215 et suiv. — Dans quels
cas la lettre missive peut-elle renfermer l’obligation de payer,
217 ? — L ’acceptation ne peut être conditionnelle. Sagesse
de cette prohibition, 226 et suiv. — Caractère de l’accepta
tion pour payer à moi-même, 230 et suiv. — De celle pour
payer à qui sera dit par justice, 234. — L ’acceptation
peut être restreinte quant à la somme. Conséquences, 235
et suiv. — Quel est le sort de l’acceptation conditionnelle ?
Portée de la nullité dont elle est atteinte, 237 et suiv. —
Délai dans lequel doit être donnée l'acceptation, 240 et
suiv.
A c c e p ta tio n p a r in t e r v e n t io n . — Son caractère. Ses
effets, 244 et suiv. — Doit être pure et simple, signée, mais
on peut la restreindre quant à la somme, 247. — Peut être
donnée par le tiré lui-même qui a refusé d’accepter pour le
compte du tireur, 248. — Le tiré peut-il intervenir sans
protêt pour compte du donneur d’ordre, lorsque la lettre est
tirée pour compte d ’autrui, 249 et suiv. — L ’acceptation par
intervention peut être faite par celui qui a été indiqué au be
soin et par le porteur lui-m êm e, 253. — Comment procèdet-o n , lorsque plusieurs intervenants se présentent, 254. —
Obligation pour l’intervenant de notifier son intervention à
celui pour compte de qui il l’a réalisée. Forme et délai de
cette notification, 255 et suiv. — Nature de l ’acceptation
par intervention. Conséquences pour le porteur, pour celui
pour compte de qui elle a été donnée et pour l ’intervenant
lui-même, 257 et suiv.
A c cep teu r. —■ Caractère absolu de l’obligation de l ’accepteur,
195. — Il ne peut exciper ni de l’irrégularité de la lettre de
change, ni de celle de l ’endossement, 196. — Il peut soute
nir que le porteur n’est pas de bonne foi, 197. — Consé-
�DES M
ATIÈRES.
531
quences du caractère de débiteur principal que lui confère
l ’acceptation, 198.— Il ne peut être relevé de son obligation
vis-à-vis des tiers. Exception que cette règle admet, 199 et
suiv.— Peut-il se faire relever de son acceptation si, depuis,
il a découvert la fausseté de la lettre de change, 378. —
Quid, s ’il a payé sur la contrefaçon de sa propre signature,
380. — Sa position, s’il a payé sur un faux acquit, 395 et
suiv. Voy. Acceptation, F a u x , Lettre de change , Paye
m ent , Tiré.
A c t i o n . — Nature de l’action naissant du refus d ’acceptation,
188 et suiv. — De celle à laquelle donne naissance le refus
de payement, voy. Déchéance, Endosseur, Porteur. Carac
tère de l’action donnée contre le tiré qui n ’a ni payé, ni ac
cepté, malgré q u ’il eût provision, 527, voy. Prescription,
Remise de la dette.
A g e n ts d e c h a n g e . — Voy. Incompatibilité. — Nature de
l’aval, que l’arrêté du 27 prairial an x les autorise à apposer
sur les effets de commerce, 33. — Le compte de retour doit
être certifié par un agent de change.Caractère de cette cer
tification, 603. — Il en est de même du cours du change,
lorsque la retraite est faite sur un endosseur, 604.
A n tid a te. — Il est défendu d ’antidater les ordres sous peine
de faux. Débats que souleva l’article 139, 336 et suiv.— La
fraude peut résulter du fait de l ’antidate, 339. — Doit-on, en
celte m atière, procéder par l'inscription de faux, 340 ?
A v a l. — Définition et objet de l’aval, 350. — Peut-il être
donné par le tiré, par celui indiqué au besoin, par le por
teu r, 351 ? — Quid, du m ineur, des interdits, des femmes
mariées, des agents de change et courtiers, 353. — Modifi
cations et restrictions dont il est susceptible, 355. — L ’aval
par acte séparé n ’était pas admis sous l'ordonnance de 1673.
Débats dont il fut l’objet au conseil d’E tat, 356. — L ’aval
ne peut être prouvé que par éciit. Conséquences, 357. —
�532
TABLE ALPHABÉTIQUE
Mais il n ’est soumis à aucune forme sacramentelle, 358 et
suiv. — L'aval résulte de la seule signature. Difficulté dans
le cas où elle a été apposée au dos de l ’effet, 360. — Pour
quelles personnes cette signature doit-elle être précédée du
bon ou approuvé prescrit par l ’article 1326, 361 et suiv.? —
La cession de l ’offet transfère le bénéfice de l’aval, Excep
tion, 363. — Peut-on donner un aval à des traites non en
core créées, mais à créer pour l’exécution d’un crédit ouvert,
364 et suiv. — Effet de l’aval. En quoi il diffère du caution
nement ordinaire, 368. — C’est par sa teneur q u ’on juge de
la nature de l’aval, 371. — Juridiction appelée à connaître
de l’aval. Différence suivant qu'il s’agit d’effets commerciaux
ou non, 372. — Quid, lorsque l’application de l’aval aux ef
fets dont le payement est réclamé, est contestée, 373 ?
A vis. — Valeur des expressions : Payez sur avec ou sans
avis, 113.
O
B ille t. — Diverses espèces de billets admis par l’ordonnance de
1673 et jusqu’en 1807, 622 et suiv. — Catégories reconnues
par le Code de commerce, 624. — Les conditions exigées
par l ’article 1108 du Code civil régissent tous les billets, 625.
— Les billets simples se placent sous l ’application de l’arti
cle 1326 du même Code. Exception à cette régie, 627. — Le
billet simple ne doit énoncer ni sa valeur, ni sa nature. Ca
ractère de l’obligation des débiteurs et des cautions, 627 et
suiv. — Conséquences de l’endossement du billet simple visà-vis du cédant, des tiers, du débiteur cédé lui-m êm e. For
me et effets de la notification, 629 et suiv. — Autres consé
quences relativement au cédant, aux endosseurs et à la dé
chéance, 631.
�DES M
ATIÈRES.
853
Billet, à dom icile. — Son caractère et son objet, 6 8 7 .—
En quoi il diffère du billet à ordre et de la lettre de change,
688 et suiv. — Ses effets, 690. — Controverse à son égard
et solution, 691 et suiv. — Où doit être fait le protêt, où
la signification du jugem ent et celle du commandement,
695 ?
Ballet à o rd re . — Sa nature. Utilité du billet à ordre. 621.
— Différence entre lui et la lettre de change. Leur spécialité
respective, 658 et suiv. — Son influence sur la juridiction
qui doit en connaître, 661.— Peut être fait par acte notarié,
662. — L’article 1326 du Code civil est-il applicable, 663 et
suiv.? — Le billet à"ordre est régi par la plupart des règles
de la lettre de change. Dérogation que l’article 187 a intro
duite à l ’ancien droit, 666. — Le billet à ordre doit être
daté. Effets de l’omission ou de l ’inexactitude de la date, 667
et suiv. — Il énonce la somme à payer. Expressions rem
plissant ou non cet objet, 669. — Il indique le nom de celui
à l’ordre de qui il est souscrit, 670. — L ’époque à laquelle
il doit être payé. Modes divers d’échéances, 671 et suiv. —
La nature de la valeur reçue. Importance de cette condition,
674 et suiv. — Effets de sa violation, 678. — Conséquences
de la transformation du billet à ordre en simple promesse,
679 et suiv. — Difficultés sur la compétence, 681. — Im
portance au point dé vue du droit criminel. Détermination
du caractère du billet à ordre. A qui appartient cette déter
m ination, 682 et suiv. — La connaissance des difficultés,
nées à l ’occasion d’un billet à ordre souscrit par des com
m erçants et non commerçants, appartient au tribunal de
commerce, même lorsque ces derniers sont seuls poursui
vis, 685.
B ille ts a n p o r t e n t * . — Origine du billet au porteur, lois
diverses qui l'ont successivement proscrit et rétabli, 642 et
suiv. — Effets du silence gardé par le Code à cet égard, 644.
— Sa forme est encore régie par l ’édit de 1721, conséquen-
�834
TABLE ALPHABÉTIQUE
ces, 645. — Le billet au porteur se transmettant de la main
à la main, le cédant n ’est soumis à aucune garantie. Le con
traire peut être stipulé, 646.— I l peut également être trans
mis par la voie de l'endossement, conséquences pour la ga
rantie, 647. — La signature isolée au dos du billet consti
tuerait-elle la promesse de garantie ; quelle serait dans tous
les cas l ’étendue de celle-ci ? 648 et suiv. — Le billet au
porteur ne peut être assimilé au billet à ordre, conséquences,
652. — Incompétence du tribunal de commerce à l ’endroit
des billets au porteur, 653 et suiv. — L ’effet au porteur
peut être revendiqué dans les cas de l'article 2279 du Code
civil. Obligation du revendiquant, 657.
B ille t d e c h a n g e . — Ancien droit sur ces billets, 37. —
Silence gardé par le Code, quelles en sont les conséquences,
38. — Effe t d’un billet promettant de créer des lettres de
change.
O
C a u tio n . — Obligation des tire u rs et endosseurs de donner
caution à la suite du protêt faute d’acceptation, 190. — Le
propriétaire d’une lettre de change perdue, qui veut en ob
tenir payement, doit donner caution, 416 et suiv. — Forme
et effets de celle prescrite par l ’article 152. D roit d'en de
mander le remplacement si elle devient insolvable, 423. —
Durée de ce cautionnement, motifs qui l ’ont fait réduire à
trois ans, 439. — Condition exigée par le Code, 440 et suiv.
— Nature de la prescription résultant de l ’expiration de trois
ans, art. 443.
C a u tio n n e m e n t s im p le . — Le simple cautionnement don
né à des effets de commerce par un non commerçant n ’en-
�DES MATIÈRES.
335
traîne ni la solidarité, ni la contrainte par corps, à moins de
stipulation contraire, 368.
C h a n g e. — E n quoi il consistait avant la découverte de la let
tre de change, ce qu’il a été depuis, 13 et suiv., voy. Con
trat de change. — On appelle également change l ’indem
nité payée ou retenue par le banquier opérant une vente
d’argent, 1 5 * — Diverses espèces de change admises par le
droit italien et par l ’ancien droit français, 16 et suiv. — Lé
galité de chacune d’elles, 18.— Dans quelle catégorie doiton placer celui que les Italiens qualifiaient cambio con la r i-
corsa? 19. — Le Code n’admet pas toutes ces distinctions,
20. — Le change peut-il constituer l ’usure ? 21.
C o m p e n s a tio n . — Caractère de la compensation, comment
et entre qui elle s’opère en matière d’effets commerciaux,
697. — Nécessité de l ’exigibilité actuelle de la créance et de
la dette, conséquences, 698. — L ’accepteur qui n ’a pas en
core payé ne peut compenser avec les sommes liquides qu’il
doit au tireur, 699.— L ’exigibilité occasionnée par la faillite
permet-elle la compensation, 700.
C o m p te d e r e t o u r . — Son objet, sa nature, 594 et suiv.
— Sommes qu’il peut comprendre, 596 et suiv. — Doit
énoncer le taux du change entre la place d’où il est fourni et
celle su r laquelle il est fourni, le nom de celui sur qui la re
traite est tirée, 601. — Pièces justificatives dont il doit être
accompagné, leur objet, 602.— Par qui est certifié le compte
1 de retour. A quoi s’applique l ’attestation de l ’agent de chan
ge et à défaut des commerçants, 603. — Second certificat
exigé lorsque le compte de retour est fourni sur l ’endosseur.
Abus auquel ce certificat a donné naissance, 604 et suiv.
— Caractère du compte de retour isolé des pièces justifica
tives. Effets de celles-ci, 606 et suiv. — I l ne peut être fait
qu’un seul compte de retour. Par qui doit-il être payé, 608 ?
C o n fu s io n . — Nature et effets de la confusion, 719. — Ca-
�856
table
a lp h a b é t iq u e
ractère et conséquences de celle opérée su r la tête de l ’ac
cepteur, 720.
C o n tr a in te p a r c o r p s , voy. Femmes, Filles. — Le don
neur d’aval peut stipuler qu’il ne sera pas soumis à la con
trainte par corps, 355. — L'aval souscrit à une lettre de
change ou à un billet à ordre, réputé simple promesse, ne
soumet pas le non commerçant à la contrainte par corps,
6 3 1 ,6 7 9 . V. la note à la suite du n° 751 et dernier.
C o n tra t «le c h a n g e . — Caractère de ce contrat sous l ’école
italienne. Câsaregis, Scaccia, A zuni, de Luca , 22. — Le
principe et ses conséquences furent admis par notre ancien
droit, 23. — Droit actuel. MM. Pardessus, Frém ery, Tro p long, Nouguier, 24. — A quelles conditions pourra-t-il être
querellé d’usure, 25 ? — Peut devenir la matière d’un prêt.
Conséquences, 26. — E s t- il vrai que le contrat de change
participe de plusieùrs autres contrats, 2 7 .— Nécessité de ne
pas lu i donner les attributs de la lettre de change, 28. — Le
contrat de change doit, pour sa validité, réunir les conditions
exigées par l ’article 1108 du Code civil, 29. — Le contrat de
change est surtout constaté par la lettre de change, 40 —
Qu\d, du billet à domicile, 691 et suiv.?
C op ie. — La lettre de change peut être négociée par copie.
Différence entre celle-ci et les duplicata, 109. — Ce que
doit être la copie de la lettre de change, 110. — Comment
doit procéder l ’auteur de la copie, s ’il a déjà endossé l ’origi
nal, 111 et suiv. — Obligations pour l ’officier instrumentaire
de laisser copie exacte du protêt, 573.— Où doit être laissée
la copie du billet à domicile, 695.
C o u r tie r d e c o m m e r c e , voy. agent de change, Incompa
tibilité.
�DES MATIÈRES.
537
D a te . — L ’exigence de la date dans la lettre de change est une
innovation au droit ancien, 58. — E n quoi consiste la date
de la lettre de change, 29. — Effets de son omission, 60 et
suiv. — Les dispositions de l ’article 1328 du Code civil ré
gissent-elles la lettre de change, 62. — La simulation de la
date peut être prouvée par témoins, 63. — Place que l ’usage
a consacrée à la date, 6 6.— La date est-elle nécessaire dans
l ’acceptation, 220 ? — Celle qui lu i est donnée fait-elle foi
contre les tiers, 221. — Effe ts de son omission, lorsque la
lettre est à un certain temps de vue, 222. — Doit-elle; lo rs
qu’elle est requise, être de la même main que celle qui a
écrit l ’acceptation, 223 et suiv.? — La date est également
exigée pour la validité de l'endossement. Motifs, 304. — La
date ne comporte pas d’équipollents. Les expressions fait,
u t supra, u t rétro, ne sauraient constituer la date, 305 et
suiv. — L ’omission de la date ne serait suppléée ni par un
aval de garantie donné à l ’endossement, ni par un protêt
faute d’acceptation, 307. — La date est encore exigée dans
le billet à ordre, 667 et suiv., voy. Acceptation , Billet à or
dre, Endossement. Lettre de change.
D é c h é a n c e . — La déchéance du porteur est la peine de la vio
lation des devoirs qui lu i sont imposés. Convenance de sa
consécration, 516 et suiv.— Son caractère, 519. — Doit-on
l ’opposer in limine litis, 520 ? — Ses effets, 521 et s u iv .—
Obligation imposée au tireur qui l ’invoque de prouver l ’exis
tence de la provision. Son caractère. Conséquences de la
faillite du tiré avant l ’échéance, 523 et suiv. — Quid, des
donneurs d’aval garantissant le tire u r, 525. — La déchéan-
�S58
TABLE ALPHABÉTIQUE
ce peut-elle être invoquée par le souscripteur d’un billet à
domicile, 526 ? — Le signataire de la lettre de change, quel
qu’il fû t, qui aurait repris la provision, serait irrecevable à
exciper de la déchéance, 528. — La certitude de la fausseté
de la lettre de change relèverait-elle le porteur de la néces
sité de faire les diligences prescrites et empêcherait-elle la
déchéance, 534?
D é la i. — Quel est le délai pour la présentation de la lettre de
change payable à un certain temps de vue et tirée de France
sur l'étranger et réciproquement, 469. — Les parties peu
vent déroger à cette disposition légale et la modifier, 472.—
Quel est le délai pendant lequel ces mêmes lettres doivent
être protestées, 457 et suiv. — Comment se calcule le délai
de quinzaine de l ’article 162, dans le cas de poursuites col
lectives, 509 et suiv. — De quel moment court le délai pour
l ’endosseur qui a remboursé, 525 ?
D é la i d e g râ c e . — Disposition à cet égard de l ’ordonnance
de 1673, abrogée par le Code, 279. — Caractère de la dispo
sition du Code. Nature delà prohibition, 280 et suiv.— Cette
prohibition peut être levée par le gouvernement, 282, 448
et suiv.
D o n n e u r d ’a v a l. — Ses obligations, voy. Aval Dans le
doute, on doit se prononcer contre lu i, 359. — On n ’a plus,
comme l’exigeait l ’ordonnance de 1673, à lu i notifier le pro
têt dans la quinzaine, 369. — Obligations et droits du don
neur d’aval, selon qu’il a cautionné le tire u r, l ’accepteur ou
l ’endosseur, 370.
D o n ia eu r d e v a le u r ; voy. Porteur.
D u b lic a ta . — La lettre de change peut peut être faite par
première, deuxième, troisième, etc. Motifs, 104 et suiv. —
Conséquence de l ’omission du numéro d’ordre sur les divers
exemplaires de la lettre de change, 106. — Dans l ’usage, on
mande de ne payer le duplicata qu’à défaut du payement de
�DES MATIERES.
339
la première. Conséquences de celte clause, 107. — Mode du
payement à défaut de cette stipulation, 108. — Conditions
pour être payé sur duplicata en cas de perte de la lettre de
change, 413 et suiv. — Comment on le crée. Devoir des
endosseurs, 430 et suiv. — Destination qu'il peut rece
voir, 437.
E c h é a n c e . — La lettre de change doit indiquer l'époque de
son échéance. Caractère et effet de cette indication, 77. —
Conséquences d'une échéance conditionnelle ou indétermi
née; 78. — L'omission de l ’époque de l ’échéance ne serait
pas réparée pour le passé par la détermination qu’en ferait
plus tard l ’accepteur, 79, voy. Payement. — U tili'é de la
fixation de l ’échéance, 261 et suiv. — Pourrait-on la subor
donner à celle d’un événement quelconque ou de l'accom
plissement d’un fait, 263 ? — Caractère de celle à vue, 265
et suiv. — Effe ts de l ’échéance fixe et déterminée, 268. —
Différence entre l ’échéance à un certain temps de vue et
celle à un certain temps de date. Conséquence, 269 et suiv.
— Effets de l'échéance fixée en foire, 272. — Quia, si l ’é
chéance tombe à un jo u r férié légal, 277 et suiv. — Condi
tions de l ’échéance pour les billets à ordre, 671 et suiv., voy.
Billet à ordre.
E n d o s s e m e n t. — Importance de l ’endossement, lorsque la
lettre de change est fournie à l ’ordre du tireur lui-même.
Conditions qu’il doit ré unir, 101 et suiv — Effe ts de l ’en
dossement en général sur la propriété du titre commercial,
283 et suiv. — Quid, à l’endroit du billet à ordre souscrit
par des non commerçants, ou dont la cause n ’est pas com-
�540
TABLE ALPHABÉTIQUE
merciale, et à l ’endroit de la lettre de change réputée simple
promesse, 286 et suiv. — Caractère de l ’endossement par
acte séparé. Ses effets, 288 et suiv. — L'endossement est-il
régi par l ’article 1326 du Code civil, 290 ? — Les endosse
ments exislant sur le duplicata profitent tons au propriétaire
définitif du titre, 2 9 i . — Capacité requise pour pouvoir va
lablement endosser. Conséquence, 292. — Quid, de celui
souscrit aux approches de la faillite ou après sa déclaration,
293 et suiv. — Caractère de celui souscrit en faveur d’une
maison déjà en faillite, 295. — Peut-on valablement endos
ser un effet après son échéance, 296 et suiv.? — Peut-on
effacer l’endossement déjà inscrit, 299? — Un endossement
peut ne constituer qu’un nantissement ou qu’un m andat,
300 et suiv. — L ’endossement doit être daté. Cette date
peut-elle être suppléée par des ëquipollents, 304 et suiv.?
— L’endossement, pour celui qui a fourni à son ordre pro
pre, doit avoir une date spéciale, 30.6. — La date ne serait
remplacée ni par un aval de garantie en faveur de l ’endos
seur, ni par un protêt faute d ’acceptation, 307. — L ’endos
sement doit exprim er la valeur fournie. Conséquences, 308
et suiv. — La valeur est suffisamment exprimée par ces ex
pressions : Valeur en solde, valeur en bons offices, 314. —
L ’omission de la valeur dans les effets de commerce ne sau
rait être suppléée, 315. — L ’endossement doit mentionner
le nom du preneur, 316. — Effets de l’endossement régulier,
quant aux garanties hypothécaires attachées au titre négo
cié, 317. — Quid , lorsque l’hypothèque a été donnée pour
sûreté d ’un crédit ouvert, 318. — L ’endossement à forfait
et sans garantie peut être fait valablement par acte séparé,
346.
E n d ossem en t
c m b la n c . — Effet q u ’il produirait dans
l’hypothèse d’une lettre de change fournie à l ’ordre du ti
reur, 103. — Caractère de l’endossement en blanc. Consé
quences de la faculté de le remplir, 329 et suiv.— Exception
�DES M
ATIÈRES.
541
que cette faculté comporte, 332. — Effets de l ’endossement
en blanc vis-à-vis des divers intéressés, 333 et suiv., voy.
Endossement irrégulier.
E m lo ssc u ie n ft i r r é g u l i e r . — Caractère et conséquences
de l’endossement irrégulier, 319. — Contre qui pourra se
faire la preuve que le porteur de l ’endossement en a réelle
ment fourni la valeur, 320 et suiv. — Caractère de l ’action
du porteur contre les tiers, 222. — L'endossement irrégu
lier vaut pouvoir de négocier l ’effet. Responsabilité qu’en
court le porteur, si cette négociation est réalisée par lui
par un endossement régulier, 323, voy. Endossement en
blanc.
E n d o s s e u r . — L ’endosseur est, comme le tireur, obligé de
procurer l ’acceptation. Difficulté que souleva cette assimi
lation, 1 7 0 . — Peut-il, à cet effet, indiquer un besoin obli
gatoire pour le porteur, 176. — Les endosseurs seraient li
bérés par l ’assentiment du porteur au biffement de l ’accepta
tion, 184. — Ils pourraient form er tierce opposition au
jugem ent intervenu a raison de ce en tre le porteur et l’ac
cepteur, 185. — Obligations naissant pour eux du protêt
faute d ’acceptation, 187. — Caractère de la solidarité à la
quelle ils sont soumis, 342. — Les endosseurs profilent jus
q u ’à concurrence du payement partiel, 446. — Effet par
rapport à eux du payement par intervention, 463. — L ’en
dosseur qui a remboursé est subrogé à toutes les obligations
du porteur, 5 1 5 .— Il encourt la même déchéance, s ’il n’a
pas fait ses diligences en temps utile, 530. — L’endosseur,
déchu aux termes de l’article 169, ne pourrait agir contre
ses garants du chef du porteur et comme lui étant subrogé,
532. — Position de l’endosseur qui a remboursé le porteur,
malgré la déchéance, vis-à-vis de celui-ci et des autres en
dosseurs, 532. — Obligation pour les endosseurs d ’indiquer
leur cédant, alors même q u ’ils auraient négocié la lettre sans
�542
TABLE ALPHABÉTIQUE
la signer, 535. — L’endosseur qui a remboursé peut-il at
taquer l’huissier dans le cas de nullité du protêt pour vice de
forme, 571 et suiv.? — L’endosseur peut se rem bourser par
voie de retraite, 582.
F
Faillite. — La faillite du tiré avant l ’échéance délrqit-elle la
provision, 165. — A qui appartient la provision dans le cas
où le tireur vient à faillir avant l’échéance, 160. — Effets de
l’antériorité de la faillite à l ’endroit de l ’accepteur et de la
masse, 206. — La faillite du porteur autorise l ’opposition au
payement de la lettre de change. Motifs et conséquences,
408 et suiv. — La faillite du tiré ne dispense pas le porteur
de l ’obligation de protester le lendemain de l ’échéance, 483.
— Nature et effet de la faculté accordée en cas de faillite de
l’accepteur, 484, — Peut être exercée dès la cessation de
payement et avant le jugem ent déclaratif, 485. — La pres
cription de cinq ans est-elle suspendue en faveur ou contre
le commerçant déclaré en état de faillite, 737.
Fanx. — Caractère des divers faux dont la lettre de change et
le billet à ordre sont susceptibles, leurs effets, voy. Tiré. A
qui incombe la charge de proùver le faux, 382, voy. Paye
ment. — La certitude de la fausseté du titre relèverait-elle
le porteur de la déchéance résultant du défaut de protêt en
temps requis, 535.
Fcniinc. — Les femmes ou filles non marchandes publiques ne
peuvent signer valablement des lettres de change, celle-ci ne
vaut à leur égard que comme simple promesse. Motifs, 129.
— Quid, pour la femme mariée pourvue de l'autorisation
maritale, 130. — Effets du refus fait par la loi d’attribuer le
�DES MATIÈRES.
S43
caractère commercial à la lettre de change tirée par une
femme ou une fille, 131. — Quid, par rapport à la compé
tence du tribunal de commerce et à la contrainte par corps,
632 et suiv. — Conditions requises pour l ’application de l’ar
ticle 113 du Code de commerce, 136. — La femme du com
m erçant est-elle comme son mari dispensée, lorsqu’elle signe
un billet à ordre, d'approuver la somme, 655.
Filles, voy. Femmes.
F o r c e m a j e u r e . — Suspend le cours de la déchéance pour
défaut de protêt. Ancienne législation à cet égard, 486. —
Discussion au conseil d’E tat, 487. — Mission des tribunaux
quant aux faits constitutifs d e là force majeure. Exemples
divers, 488 et suiv. — Peut-on assimiler à la force majeure
le retard du courrier, 491. — Dans quel sens la force ma
jeure suspend-elle le prescription quinquennale, 738.
G a r a n t ie . — Quelle est la garantie encourue par celui qui a
endossé un billet non commercial ou une lettre de change
réputée simple promesse, 631, 679. — La signature isolé
ment apposée au dos du billet au porteur constituerait-elle
une promesse de garantie. Dans tous les cas quelle en serait
l’étendue? 648 et suiv. — Effet pour les endosseurs de la
clause de transmissibilité sans garantie stipulée par le sous
cripteur de l ’effet, 686, voy. Accepteur , Aval, endosse
ment, Lettre de change, Tiré, Tireur.
�SM
TABLE ALPHABÉTIQUE
11
H nissicr. — Est-il obligé de se transporter au domicile des
besoins indiqués par les endosseurs, 549 et suiv. — Où doitil procéder, si à l ’échéance le tiré avait quitté le domicile in
diqué dans la lettre de change, 556. — Sa responsabilité à
l'endroit de l’exactitude des indications du protêt, 561. —
Nature de celle qu'il encourt en cas d’invalidité du protêt.
Qui peut s’en prévaloir? 566 et suiv. — L’huissier qui n ’a
fait que se conformer à l’ordre qu’il a reçu ne répond pas de
l ’erreur dans les indications par lui reçues, 569. — L ’endos
seur qui a remboursé peut-il demander compte à l’huissier
de la nullité du protêt, 571 et suiv. — Obligations de l’huis
sier de laisser copie exacte du protêt, où doit-il la laisser,
57S et suiv. — Objet et forme de la transcription du protêt
sur un registre spècial, effet de l’inexécution, 575 et suiv.,
voy. Protêt.
H y p o th è q u e. — Effets de l’endossement régulier à l’endroit
de l’hypothèque donnée en garantie de l’effet endossé, 317.
— Comment se transm et l’hypothèque attachée à une obliga
tion notariée au porteur, 656.
X
in c o m p a t ib ilit é . — Conséquences de l ’incompatibilité de cer
taines professions avec le commerce à l ’endroit des lettres
de change, 30. — Nature de la prohibition faite aux agents
de change et courtiers. Conséquences, 32. — Effets de la
violation, 34, voy. Agent de change, Aval.
�DES MATIÈRES.
545
I n t e r d i c t i o n . — Ne suspend pas la prescription quinquen
nale, 736.
I n te r d it. — Ne peut valablement concourir au contrat de
change, 29. — Ni signer un aval, 353.
I n té r ê t. — L’intérêt du principal de la lettre de change pro
testée court du jour du protêt, 616.— Celui des frais du pro
têt, rechange, etc., n ’est dû que du jour de la demande en
justice, 617.
I n te r v e n a n t, voy. Acceptation et Payement par inter
vention.
Jtogirs d e fa v e u r . — Le Code de commerce les prohibe, et
a par conséquent abrogé sur ce point l ’ordonnance de 1673,
279.
J o u r s f é r i é s . — Ancienneté de leur institution, 273. — Dé
termination de ceux qui sont obligatoires, 274, voy. éché
ance , Protêt. — Avis du Conseil classant dans celte catégo
rie le premier jour de l ’an, 375 et suiv.
L e t t r e d e e S ia n g c .. — Son im portance, sa mission, besoin
qu’elle a à satisfaire, 1 et suiv. — Ce qu’elle fut d ’abord, 4.
— Modification q u ’elle subit par l’adjonction de l'ordre. In
fluence de cette clause sur sa circulation, 5. — Personnes
diverses dont elle appelle forcément le concours, 6. — Elle
devint bientôt une véritable marchandise, 7 .— Effet qu'elle
produisit sur le principe qui prohibait le prêt à intérêt, 12.
— Nécessité, pour bien apprécier la lettre de change, de se
former une idée exacte du change, 13, voy. Change et Con
trat de change. — Nature et caractère de la lettre de cliann —
35
�846
TABLE ALPHABÉTIQUE
ge, 41. — Doit être signée, 42. — Pourrait-on en prouver
l ’existence par témoins, 43. — N’est pas régie par l’article
1326 du Code civil, 44. — Peut être reçue pardevant no
taire, conséquences quant au transfert de la propriété et des
garanties, 45 et suiv. — La lettre de change notariée doit
être enregistrée dans le délai prescrit pour les actes authenthiques, 47. — La lettre de change n ’existe que si elle con
tient remise de place en place, et que si elle l ’exprime, 48 et
suiv., voy. Remise déplacé en place. — Elle doit être da
tée, 58, voy Date. — Elle énonce la somme à payer, motifs
et forme de cette condition, 65 et suiv. — Elle désigne celui
qui doit la payer, appréciation dont la loi charge les tribu
naux, 68 et suiv. — Conséquences de l'erreur dans la dési
gnation, 72.— Le tireur peut-il être indiqué comme devant
effectuer le payement, 73. — Elle doit déterminer l ’époque
du payement, et le lieu où il doit s’effeetuer, 77 et suiv. —
Elle énonce la valeur et en quoi elle a été fournie, 81, voy.
Valeur. — Elle est à l ’ordre d ’un tiers ou à l’ordre du tireur
lui-m êm e, 96. — Elle énonce si elle est par première,
deuxième, troisième, etc., 101. — Elle peut être négociée
par copie, 109. — Modèle de lettre de change, 114. — Doiton considérer comme lettre de change l’effet tiré sur un in
dividu domicilié dans le lieu où la lettre de change est sous
crite, mais qui est payable dans un autre lieu, 115. — La
lettre de change peut être tirée par ordre et pour compte
d’un tiers, 116. — La lettre de change perdue ou volée peut
être revendiquée pendant trois ans. 458. — Dans quel délai
doivent être présentées les lettres de change payables à un
certain temps de vue ou tirées de France sur les pays étran
gers et réciproquem ent, 467 et suiv. — La lettre de change
peut être au porteur. Conséquences quant à la juridiction
consulaire,' 655.
Lettre de change im parfaite. — Caractère de la lettre
de change qui ne contient pas remise de place en place ou
�DES MATIÈRES.
54 7
qui ne l’exprime pas, ses effets, 49. — Doit-on considérer
comme une lettre de change l ’effet souscrit à l’ordre du ti
reur, négocié par lui et protesté ensuite en son nom, 55. —
Effets de la lettre de change qui n ’est pas datée, 60. — Effet
de celle qui ne détermine aucune échéance, ou dont l ’éché
ance est conditionnelle, 78 et suiv. — Effets de l ’absence ou
de l’insuffisance de l’expression de la valeur ou de sa nature,
90 et suiv. — La lettre de change qui contient une supposi
tion, soit de nom, soit de qualité, soit de domicile, soit des
lieux d’où elle est tirée ou dans lesquels elle est payable,
n ’est q u ’une simple promesse, 117, voy. Supposition . —
Celle souscrite par une femme ou une fille ne vaut à leur
égard que comme simple promesse, 129. — Par quels prin
cipes doit-on régir la garantie des endosseurs, lorsque la let
tre ne vaut que comme simple promesse, 631, 679.
t r l j f c d e c r é d i t . — Sa définition, double objet q u ’elle se
propose, 633. — Son caractère s’oppose à ce q u ’elle soit né
gociée, 634. — Sa délivrance, son emploi, son accueil sont
purement facultatifs. Cas dans lequel elle ne pourrait être
rétractée, 635 et suiv. — Conséquences de la lettre de cré
dit, droits et obligations réciproques du créditant, du crédité
et du créditeur, 637. — Nature de l ’obligation résultant
d’une lettre créditant un négociant auprès d ’un autre. D’où
pourrait s ’induire l’exécution, 638 et suiv. — Pourrait-on
appliquer le crédit à la dette antérieure à son ouverture,
640. — Faculté pour le créditant de stipuler qu’il ne sera
soumis ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps, 641.
t . d < r e m i s s i v e — L ’acceptation peut-elle être donnée par
lettre missive, difficulté qui pourra en surgir, 215 et suiv.
— On peut aussi donner un aval par lettre, 356 et suiv. —
La dénonciation du protêt par lettre missive seulement, em
pêcherait-elle la déchéance, 506. — La reconnaissance de la
dette par lettre missive interrom prait la prescription, 743 et
suiv.
�548
TABLE ALPHABÉTIQUE
M
Marchandises. — A quels titres peuvent être livrées les
marchandises destinées à former la provision, conséquences,
145 et suiv., voy. Provision.
M in e u r . — Incapacité du mineur à l’endroit des lettres de
change, 137. — Caractère de la nullité dont les titres sous
crits par lui sont frappés, 138. — Ses effets relativement à
la compétence du tribunal de commerce, 139. — Ne peut
signer valablement un cautionnement quelconque, 353.
M in o r it é . — Ne suspend pas la prescription quinquennale,
736.
N
N o ta ir e , voy. Huissier, Protêt.
N o v a tio n . — Objet de la novation, son fondement juridique,
701. — Actes entraînant novation en matière commerciale,
702. — La déchéance de l’article 168 n ’est que l'effet d’une
novation légalem ent présumée, 703. — Quid, du traité in
tervenu entre le porteur et l’un des débiteurs, par exemple,
si le premier avait débité le tireur du m ontant de l’effet,
704. — Qu’en serait-il dans ce cas vis-à-vis de l’accepteur à
découvert, 705 et suiv. — L ’acceptation par le porteur d’un
nouveau titre signé par les endosseurs vaudrait-elle nova
tion en faveur du débiteur principal, tireu r ou accepteur,
707. — Importance de la novation pour juger si la pres
cription trentenaire a été substituée à la prescription quin
quennale. Diverses appréciations de la jurisprudence, 747 et
suiv.
�DES M ATIERES.
549
O b lig a t io n n o t a r i é e . — L ’obligation notariée payable au
porteur est valable. Conséquence à l’endroit des hypothè
ques, 656.
O p p o s it io n . — Aucune opposition ne peut être faite au paye
ment des effets commerciaux, caractère de] cette règle, 406
et suiv. — Exceptions q u ’elle comporte, leur nature, leurs
effets, 409. — Forme de l’opposition, 410.
O r d o n n a n c e d n j u g e . — Le payement sur duplicata d’une
lettre de change perdue, si elle a été acceptée, ne peut avoir
lieu que sur ordonnance du juge. Caractère et forme de
cette ordonnance, 315. — En quoi elle diffère de celle exi
gée par l'article 152 du Code de commerce, 418. — Celleci doit-elle précéder l ’acte de protestation, 426.
O r d r e . — Influence que l ’invention de la clause à ordre a
exercée sur la circulation de la lettre de change, 5. — Né
cessité sous le Code de l ’insertion de cette clause, 97 et suiv.
— Ces mots à l'ordre ne sont pas sacramentels, équipollents
admis ou rejetés par la jurisprudence, 99. — Importance de
l ’endossement lorsque la lettre de change est à l ’ordre du
tireu r lui-même, 101 et suiv., voy. Endossement. Une let
tre de change peut être tirée par ordre d ’un tiers. Position
et obligations de celui-ci, 116.
P a y e m e n t . — Nécessité d ’indiquer le lieu où doit se faire le
le payement, 80, voy. Echéance, Lettre de change .— A qui
doit être fait le payement, 375. — P ar qui est dû celui de
de la lettre de change, 376. — Le payement doit être réalisé
dans la monnaie convenue. Quid, s ’il s’agit d ’une monnaie
étrangère, 385 et suiv. — A défaut de stipulation, le paye-
�850
TABLE ALPHABÉTIQUE
ment doit être fait en monnaie ou en papiers ayant cours lé
gal et obligatoire au lieu de payement, 285.— Effet du paye
m ent en valeurs pour le preneur et le tiers, 386. — A quel
domicile doit-on réclamer le payement, 387.— Faculté pour
le débiteur de consigner à défaut de réclamation dans les
trois jours, 388. — Le payement ne peut être exigé qu’à
l’échéance. Exception en cas de faillite du tireur ou du sous
cripteur du billet à ordre, 389 et suiv. — Quelle est, relati
vement au payement, la conséquence de la faillite de l’ac
cepteur, ou de l’un des endosseurs, 391 et suiv. — Faculté
pour le débiteur de payer avant l ’échéance, danger qu’il
court, 393 et suiv. — Quia du payement réalisé sur faux
acquit, 375 et suiv. — Le porteur ne peut être contraint à
recevoir payement avant l’échcance, 398. — Comment doiton payer les duplicata de la lettre de change, 399 et suiv.
— Devoir de celui qui a accepté, restitution de l'exemplaire
accepté, droits du porteur de celui-ci, M l et suiv. — Posi
tion de l ’accepteur qui a négligé ce devoir vis-à-vis du ti
reur, 404. — Contre qui peut-il exiger le remboursement
du second payement, 405. — Comment se prescrit le paye
ment de l’effet perdu ou soustrait, 411 et suiv. — Effets du
payement, 444.
Payem ent p a r intervention. — Objet de l’intervention
pour payer, à quelle époque elle est recevable, 450 et suiv.
— Forme de sa constatation. Nécessité de la signature de
l’intervenant, 452. — Le payement par intervention ne sau
rait être refusé, 453. — Qui peut l’opérer, 454. — Intérêt à
déclarer en faveur de qui on intervient, 455. — Comment se
règle la préférence si plusieurs se présentent, soit pour le
même signataire, soit pour des signataires différents, 456 et
suiv. — Effets du payement par intervention, subrogation
aux droits du porteur, conséquences, 458 et suiv. — Le
porteur, garant de son fait personnel, est-il tenu de rem
bourser si la signature pour laquelle on est intervenu était
�DES MATIÈRES.
551
fausse, 460 et suiv. — Libération que le payement opère,
ordre dans lequel elle se réalise, 463.
Payement partiel. — Effet de ce payement sous l ’ancien
droit, abrogation par le Code, 445 et suiv. — Ses effets à
l’égard de celui qui le reçoit, 447.
P erq u isitio n (Procès-verbal de). — Dans quelles circonstan
ces est-il nécessaire de rédiger un procès-verbal de perqui
sition, 554. — Nature de cet acte. Forme de la signification,
555.
Perte de la lettre de change. — Conditions exigées
pour obtenir payement de la lettre de change perdue, 411 et
suiv. — Mode de procéder dans le cas où il n ’existe qu’un
exemplaire, 417 et suiv.— Devoir du juge d ’exiger la preuve
de la propriété et la dation d’une caution. Forme et effets de
celle-ci, 423. — Comment se conserve le recours contre les
endosseurs en cas de perte de la lettre de change, 424. —
— Comment doit-on interpréter l’article 153 du Code de
commerce, 425. — Formalités à remplir pour se procurer
un duplicata de la lettre de change. Devoir des endosseurs,
430.
P o rteu r. — Rôle qu’il est appelé à jouer dans la création d’une
lettre de change, 6. — Droits et devoirs du porteur relative
m ent à l ’acceptation, 173, voy. Acceptation. — Ses droits
en cas de refus. Nature et objet de l ’action qu’il peut inten
ter contre les divers signataires, 186 — Ses devoirs à l’en
droit du payement, 464 et suiv. — Importance de ce devoir
pour les lettres payables à un certain temps de vue.— Délai
pour leur présentation, 467 et suiv. — Réclamations sur le
silence gardé d’abord sur les lettres de change tirées de
France sur les pays étrangers. Loi du 19 mars 1817, 470 et
suiv. — On peut renoncer au bénéfice de l’article 160 du
Code de commerce, 472. — Effets de sa violation, 473. —
Le porteur doit exiger payement le jour de l’échéance et re
quérir protêt le lendemain, 474 et suiv. — Quid, si l’éché-
*
�S52
TABLE ALPHABÉTIQUE
arice ou le lendemain se trouve un jour férié légal, 476. —
Quel jour doit être rédigé le protêt d’une lettre payable à vue,
477. — Le porteur n ’est dispensé de le requérir, ni par le
protêt faute d ’acceptation, ni par la mort ou la faillite du
tiré, 481 et suiv. — Nature de la faculté qui lui est accordée
en cas de faillite de l’accepteur, 484 et suiv. — Le porteur
dispensé de toute diligence par la clause de retour sans frais
doit-il, sous peine de déchéance, avertir les intéressés du dé
faut de payement. Dans quels délais, 487. — Droits que le
refus de payement confère au porteur, 498. — Son recours
contre le tireur, l ’accepteur, les donneurs d ’aval, les endos
seurs, 499 et suiv. — A quelle époque peut-il être exercé,
503. — Sa forme. Doit être précédé de la notification du
protêt, et d ’une citation en justice, 506 et suiv. — Délais de
ces actes suivant q u ’il y a une distance de plus de cinq m yriamètres. Quid, de la fraction excédant, 509. — Délais
pour les lettres payables ailleurs qu’en France, 510. — E f
fets de la citation donnée devant un juge incompétent, 511.
— La citation doit-elle être suivie d ’un jugem ent, 512. —
Le porteur peut être dispensé de ces formalités, 513. — Ses
obligations en cas de poursuite collective, 514.
P r e s c r i p t i o n . — Convenance d'une courte prescription en
matière d ’effets de commerce, 7 2 6 .— Quels sont les titres
soumis à la prescription de cinq ans, édictée par l’article 189
du Code de commerce. Conséquences, 722 et suiv. — L ’ar
ticle 182 est inapplicable à l ’action de l ’accepteur réclamant
au tireur le montant de ce qu’il a payé à découvert, 725. —
Quid d elà lettre de change réputée simple promesse, 726.
— Caractère de la présomption. Peut-elle être combattue
par des présomptions ou par la preuve orale q u ’il n ’y a pas
eu payement, 727 et suiv.— Point de départ de la prescrip
tion, 731. — Quid si le dernier acte de poursuite est une ci
tation en justice, 733 et suiv. — Différence entre la suspen
sion et l ’interruption, 735. — La prescription de l ’article
189 du Code de commerce est-elle suspendue par la mino-
�*
_•
DES MATIÈRES.
555
rité, l’interdiction, la faillite, la force m ajeure, 736 et suiv.
— Actes constituant l ’interruption, 739. — Quid du protêt
rédigé dans le cours des cinq ans, 740. — A quelles condi
tions la citation en justice interrom pt-elle la prescription,
741. — L ’interruption par reconnaissance de la dette
n ’existe que si cette reconnaissance a été faite par acte sé
paré. Conséquences, 742.— Peut-on forcer le débiteur excipant de la prescription à comparaître en personne, ou à prê
ter un interrogatoire sur fait et articles, 743. — Latitude
laissée aux tribunaux sur ce qui constitue l ’acte séparé, 744.
— Pourrait-on adm ettre comme tel l ’acte antérieur h l’é
chéance des lettres de change, 745. — Effets de la recon
naissance de la dette par le codébiteur solidaire, 746. — Ef
fets de l’interruption, 747 et suiv. — Effets de la prescrip
tion, 750.
P r ê t à in t é r ê t . — Effet de la lettre de change sur le prin
cipe prohibitif du p rêt à intérêt, 12.
P ren ve testim oniale. — Est recevable pour établir l ’exis
tence du contrat de change, 35. — Ne saurait être invoquée
pour établir la forme de la lettre de change, alors même que
la lettre non signée par le tireur serait écrite de sa main,
42. — On peut prouver par témoins la simulation de la
date, 63. — Il en est de même des suppositions ‘d ont la let
tre serait entachée, 126. — La preuve testimoniale est inad
missible pour prouver l ’existence d ’un aval, 375. — La
preuve orale est admissible pour prouver que le porteur a
été dispensé du protêt, 422 et suiv. — Peut-on l’invoquer
pour empêcher la prescription en prouvant qu’il n’y a jamais
eu payement, 727 et suiv.
Protestation (Acte de). — L ’acte de protestation exigé du
porteur qui a perdu la lettre de change, doit-il être précédé
de l'ordonnance du juge, 426 et suiv.
P r o t ê t . — Nature du protêt, différence dans l’obligation de le
ffcidtT’1 ’ __.
�854
TABLE ALPHABÉTIQUE
requérir suivant q u ’il s’agit de l’acceptation ou du payement,
544. — Forme du protêt avant 1664 et depuis, 545. — Qui
peut le requérir, 546. — Où doit-il être fait, 548. — Le
transport de l'officier instrumentaire au domicile des besoins
indiqués par les endosseurs est-il obligatoire, 549, et suiv.
— Les divers accédits sont constatés par un seul et même
acte, 453. — Où doit se transporter l'huissier ou le notaire,
si à l ’échéance le tiré n ’a plus le domicile indiqué dans la
lettre de change, 556. — Ce que doit contenir le protêt. Mo
tifs qui ont fait exiger la transcription du titre, 5 7 7 .—
Comment il est procédé en l ’absence du tiré, 558.— Distinc
tion entre l’indication des motifs du refus de payer et des
motifs du refus ou de l’impuissance de signer, 559. — Foi
due aux énonciations du protêt. Quid, s'il renfermait la re
connaissance de la dette, 560. — L’omission des formalités
prescrites entraîne-t-elle la nullité du protêt, 563. — Le
protêt ne peut être suppléé par aucun acte. Nature de cette
règle, 564 et suiv., voy. Huissier.
Protêt faute d’acceptation. — La loi exige que le refus
d’acceptation soit constaté par un protêt. Motifs, 1 8 2 .—
Droits que ce protêt confère au porteur contre les signatai
res de la lettre de change, 186 et suiv., voy , Acceptation,
H uissier , Protêt.
Protêt faute de payement. — Doit être fait le lendemain
de l'échéance, 475 et suiv^ — Peut-il légalement être requis
le lendemain seulement de l ’expiration des délais de l’article
160 du Code de commerce, 477 et suiv. — Exception si le
lendemain de l’échéance est un jour férié. Système con
traire à l'ordonnance de 1673, 480. — Le protêt faute d’ac
ceptation, la mort ou la faillite du tiré ne dispensent pas de
l’obligation de requérir le protêt, 481 et suiv. — Autre ex
ception. Force majeure. Pouvoirs des tribunaux, 486 et
suiv. — L ’obligation de protester le lendemain peut être
abrogée par les parties. Cette convention pourrait être prou-
�DES MATIÈRES.
555
vée par témoins, 492 et suiv. — Effet de la clause retour
sans frais lorsqu’elle émane du tireur et qu’elle fait partie
intégrante de la lettre de change, 494. — Conséquence pour
le tireur du défaut de protêt, 503 et suiv. — Le protêt doit
être notifié. Cette notification serait-elle régulièrement faite
par lettre missive, 506, voy. Déchéance, Endosseurs, Huis
sier, Protêt.
P r o v i s i o n . — Sa nature. Comment elle s’effectue, 1 4 0 .—
E lle existe lorsque le tiré est débiteur du tireur d’une som
me au moins égale au montant de la lettre de change 141.
— Faut-il que cette dette soit exigible à l ’échéance de la let
tre de change, 142 et suiv. — E lle peut être faite en mar
chandises. A quel titre , 145 et su iv.— Dans quels cas fautil qu’il y ait affectation spéciale consentie par le tireur et
acceptée par le tiré, 148. — A quelle époque les marchan
dises doivent-elles être arrivées en possession du tiré, 150.
— Les marchandises déposées ou consignées pour être ven
dues périssent pour le compte du tire u r, sauf le cas de né
gligence, 151. — La provision peut être faite en effets com
merciaux. De quel jour existera-t-elle dans ce cas, 152. —
E lle peut se faire en compte courant. Importance de cette
opération dans le cas d’une lettre de change tirée pour
compte de tiers, 153 et suiv. — Où doit être faite la provi
sion lorsque la traite est payable à un antre domicile que ce
lui du tiré, 155. — La provision est-elle détruite par la fail
lite du tiré avant l ’échéance, 156. — Comment se prouve
la provision, 157 et suiv. — A qui appartient la provision
en cas de faillite du tire u r, 160 et suiv. — Le tireur a droit
de disposer de la provision tant qu'il n’y a pas acceptation,
164. — Comment se répartit la provision lorsque plusieurs
lettres de change sont tirées sur le même individu, 165. —
A quelle époque le tire u r peut-il substituer la provision ré
sultant de sa créance à celle fournie d’abord, 529.
�356
TABLE ALPHABÉTIQUE
R
R e c h a n g e . — Caractère du rechange. Sens que le Code atta
che à ce mot, 577. — Son fondement, son origine, ses con
ditions, 578 et suiv. — Le porteur usant de la voie de la re
traite est-il dispensé de toutes autres diligences,5 8 1 .—L ’en
dosseur qui a remboursé peut se pourvoir par une retraite,58‘2 .
La retraite suppose la remise de place en place. Conséquence,
583. — Quid lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre, 584. —
Signification du mot rechange dans l'article 179 du Code de
commerce. — A quelles conditions pourra-t-on l ’exiger,
586. — A quelle époque a-t-on dû en régler les proportions
entre le tire u r et les endosseurs, 587. — Système suivi en
France avantet depuis l ’ordonnance de 1673.— Raisons qui le
firent maintenir par le conseil d’E ta t, 588 et suiv. — Posi
tion que l ’article 179 fait aux intéressés. — Reproche que
lu i adresse M. Frém ery, 592 et suiv. — Exception que l ’or
donnance admettait à la règle prohibant le cumul des re
changes. Conséquences, 610 et suiv. — Cette prohibition,
aujourd’hui d’ordre public, n’en comporte aucune, 612 et
suiv. — 11 n ’est dû aucun rechange si le compte de retour
n ’est pas accompagné des certificats exigés. Pourrait-on
produire ces certificats après coup, 618 et suiv.
R e m i s e d e l a d e t t e . — Nature de cette remise. Consé
quence pour celle subie après la faillite du codébiteur, 708.
— La remise de la dette est expresse ou tacite. De quels ac
tes s ’induirait celle-ci, 709 et suiv.— Ses effets selon qu’elle
a été consentie au tire u r, à l ’accepteur ou à l ’endosseur.
Conséquences dans le premier cas, 711. — Quid si cette re
mise était accompagnée de réserves contre les autres co
obligés, 712. — Effet de la remise faite au tire u r, à l ’égard
du tiré ou de l ’accepteur, 713. — S i le tiré avait provision,
pourrait-il être actionné par le porteur qui aurait remis la
dette au tire u r, 714. — E ffe t de la remise en faveur de l ’ac-
�DES MATIÈRES.
587
cepteur. A qui dans ce cas appartient la provision, 715. —
S i l ’acceptation avait été donnée à découvert, l ’accepteur qui
a obtenu la remise de la dette pourrait-il se faire livre r la
provision, 716. — Effets de la remise consentie en faveur du
donneur d’aval, ou de l ’endosseur, 717 et suiv.
R e m i s e d e p l a c e e n p la c e . — Origine de cette condition
indispensable pour la régularité de la lettre de change. S i
lence de l ’ordonnance, 48. — Débats qu'elle fit naître au
conseil d’Eta t, 50.— I l n’est pas nécessaire pour son accom
plissement que la lettre soit tirée d'une place de commerce
sur une autre, 5 1 . — Pouvoir des tribunaux en cette ma
tière, 52 et suiv. — Y a -t-il remise de place en place lors
que l ’accepteur a indiqué pour le payement le lieu même
d’où la lettre est tirée, 54. — Comment apprécie-t-on cette
condition, lorsqu’il s ’agit d’une lettre à l ’ordre du tire u r lu imême, 55 et suiv., voy. Lettre de change.
R e s c r i p t i o n . — Nature et effets des rescriptions. Conséquen
ces, 632.
R e t o u r s a n s f r a i s . — Effe t de la clause de retour sans frais
émanant du tire u r et faisant partie intégrante de la lettre de
change, 494. — Chaque endosseur peut y déroger. Consé
quence, 495. — A le droit d’en requérir le bénéfice, 496.—
Le porteur, ainsi dispensé de toute diligence, doit-il, sous
peine de déchéance, prévenir les signataires du refus ou du
défaut de payement, 427.
R e t r a i t e , voy. Rechange.
S
S a i s i e . — Faculté pour le porteur d’un effet protesté de saisir
conservatoirement les effets mobiliers des tireurs, accepteur
et endosseurs, 536. — Rigueur de cette mesure à l ’endroit
des endosseurs. Formalités à remplir, 537 et suiv. — Quel
�558
TABLE ALPHABÉTIQUE
est le juge appelé à permettre la saisie’ Conséquence de
l ’attribution déférée au président du tribunal de commerce,
539 et suiv. — Formes de la permission. Recours dont elle
est susceptible, 542. — La saisie ne peut jamais suppléer
aux diligences imposées au porteur. Conséquences, 543.
S e r m e n t . — Nature et caractère du serment que l ’article 189
du Code de commerce permet d'exiger du débiteur, sa veuve,
héritiers ou ayants cause, 750.
S o l i d a r i t é . — De tout temps admise en matière de lettres de
change. Son caractère et ses effets depuis le Code de com
merce, 341 et suiv. — Exceptions diverses que la qualité
des parties, la faveur de la loi ou la convention des parties
peuvent faire subir à celte règle, 343. — La convention est
expresse, lorsque la cession a été consentie et acceptée à for
fait et sans garantie, 346. — Dans quel cas est-elle tacite,
347. — Qu\d, si le cédant n ’a agi que comme mandataire,
348. — La disposition de l ’article 2037 du Code civil s’ap
plique-t-elle à la solidarité pour lettres de change et billets
à ordre, 349. — Le donneur d’aval peut stipuler qu’il ne
sera pas obligé solidairement, 355. — La solidarité ne ré
sulte pas du simple cautionnement donné à des effets de
commerce par un non commerçant, à moins de stipulation
contraire, 368. — N i de l ’endossement d’un billet à ordre
ou d’une lettre de change dégénérant en simple promesse,
6 3 1 ,6 7 9 .
S n t i i ’o g s ttio n . — Effet de la subrogation relativement à l ’hy
pothèque donnée pour garantie d’un crédit ouvert, 318. —
Celui qui paye par intervention est subrogé aux droits du
porteur. Ses devoirs, 458 et s u iv .— L ’endosseur qui a rem
boursé le porteur subrogé à ses droits, l ’est également à tou
tes ses obligations, 515.
S u p p o s i t io n . — Nature des suppositions pouvant vicier la let
tre de change, 117. — Conséquences du silence gardé par
�DES MATIÈRES.
859
la loi sur la supposition de valeur, 119. — Supposition de
nom. Comment elle peut se réaliser, 120. — Supposition de
qualité. Son caractère, 121.— Supposition de domicile ou de
place. Sa fréquence, 122. — Effe ts des suppositions, 123 et
suiv. — La preuve testimoniale et celle par présomption
sont admissibles pour en prouver l’existence, 126. — Par
qui et contre qui peuvent-elles être invoquées, 127 et suiv.
T
T i e r s p o r t e u r . — Peut-on lu i opposer l ’irrégularité résul
tant du cumul des qualités de tire u r et de tiré , 76. — E f
fets par rapport à lu i de la clause valeur en compte. On ne
saurait, s’il est de bonne foi, lu i opposer k s irrégularités et
les suppositions dont le titre peut être entaché, 129.
T i r é . — Rôle qu’il est appelé à jouer dans l ’exécution de la
lettre de change. Nécessité de sa désignation, 6, voy. Accep
tation, Lettre de change.— Le tiré qui a payé divers exem
plaires de la même lettre de change peut-il se faire rem
bourser par le tireur, 106. — Quid, s’il a payé sur une si
gnature faussement attribuée à celui-ci; 377.— P e u t-il être
relevé de son acceptation, si après, mais avant l ’échéance il
découvre le faux, 378. — Quid, si le faux consiste dans
l ’emprunt d’une signature fait au premier venu, 379 — Po
sition du tiré qui a payé sur une fausse acceptation qu’il s’est
mal à propos attribuée, 380. — Ou dans le cas d’une alté
ration de la somme, 381.— E s t - il forcé d'accepter, lorsq u’il
est débiteur du tiré , voy. Acceptation.
T i r e u r . — Sa position lors de la confection de la lettre de
change, 6. — Peut tire r à son ordre, 35 et suiv. — Peut-il
cumuler sa qualité et celle de tiré, 73 ? — Peut-il fo u rn ir
sur son commissionnaire, sur sa propre maison, 74 ? — Ca
ractère de la traite sur la femme ou sur le commis du tireur,
�TABLE ALPHABÉTIQUE
560
75. — E s t - il recevable à opposer au tiers le cumul des deux
qualités, 76 ? — Recours du tireur contre le tiré ayant pro
vision. Conditions de son exercice, 614 et suiv. — Ses obli
gations et ses droits, voy. Acceptation, Déchéance, Paye
m ent , Protêt, Provision.
T i r e u r d ’o r d r e e t p o u r c o m p t e d ’a u t r u i . — Sa po
sition à l ’endroit de l ’acceptation, 172.
T r i b u n a l d e c o m m e r c e . — E s t incompétent pour con
naître des billets au porteur, 653 et suiv. — Quid, en ma
tière des billets à ordre réputés simples promesses, 679 ? —
Peut-il connaître du litige, lorsqu’un billet à ordre portant
des signatures de commerçants et de non commerçants, ces
derniers sont seuls poursuivis, 685, voy. B illets , Lettres de
change.
V
V a le u r . — La lettre de change énonce la valeur fournie et sa
nature, 81.— Les expressions valeur en compte ont été ad
mises comme remplissant le vœu de la loi. Conséquence et
effets, 82 et suiv. — Valeurs pouvant ou non devenir la ma
tière d’une lettre de change, 86 et suiv. — Exemples d’ex
pressions n ’énonçant pas suffisamment la valeur, 88 et suiv.
— E ffe t du défaut d’indication, de la fausse indication ou de
l ’indication insuffisante, 90 et suiv, — Ces irrégularités se
raient-elles corrigées par un endossement régulier, 94 et
suiv.?
Vu. — Le mot vu, suivi de la signature sans autre indication,
conslitue-l-il une acceptation, 214?
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE
��
Dublin Core
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire du Code du commerce. Livre premier, titre huitième, De la lettre de change, des billets à ordre et de la prescription
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-22981/1-2
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234481544
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22981_Bedarride_Lettre-change-_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vol.
566, 560 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/329
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 effectué par Jassuda Bédarride. Celle-ci porte sur la lettre de change, les billets à ordre et la prescription.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier poursuit son commentaire du Code de commerce dans ces ouvrages. Après un court historique, il entreprend de commenter les dispositions du Code portant sur la lettre de change, un outil essentiel au commerce. Il s’attarde dans ces deux tomes sur le Titre huitième du livre Ier du Code, consacré à la lettre de change, aux billets à ordre et à la prescription.
Le tome premier porte sur les observations préliminaires du titre qui explique la forme que doit revêtir la lettre de change et les différents contrats dont elle est l’objet. Le second tome commente les trois sections du Titre VIII, concernant la lettre de change (son paiement, les droits et devoirs du porteur, les protêts et le rechange), le billet à ordre et la prescription.
2e édition, revue, corrigée et augmentée
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
2e édition, revue, corrigée et augmentée du commentaire du Code de commerce de 1807 portant sur lettre de change, les billets à ordre et la prescription.
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la lettre de change, des billets à ordre et de la prescription
Billets à ordre -- France -- 19e siècle
Documents commerciaux -- France -- 19e siècle
Lettres de change -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/365/RES-AIX-T-101_Pinot_Femme.pdf
b46cdeeebff2c5bfa2194518423a0078
PDF Text
Text
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
1Ô1
LA FEMME.
DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS LA FAMILLE
AUX DIVERSES ÉPOQUES
DU DROIT ROMAIN E1' DU DR.OIT FRANÇAIS.
THÈSE POUR LE DOCTORAT
SOUTE NU E
Devant la Faculté de droit d'Aix, le
· mars t877
Par OCTAVE PINOT,,
Do Candé (Maine-et-Loire).
ANGERS
IMPRIMERIE P. L~CHÊSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU
13, Chaussée Saint-Pierre, i3·.
1877
�FACULTÉ DE DROIT D'AIX.
MM. CARLES, doyen, professeur de droit civil.
GRELLAUD,
PISON,
JOURDAN, professeur de droit romain.
LAURLN, professeur de droit commercial.
NAQUET, professeur de procédure civile.
GAUTIER, agrégé, chargé d'un cours de droit administratif.
BRY, agrégé, chargé d'un cours de droit romain.
DE PITTI FERRj\_NDI, agrégé, chargé d'un cours cle
législation criminelle.
CARBONEL, secrétaire, agent comptable.
.
�A MON PÈRE·
A MA MÈRE .
•
��0
A M. DOLEE.AU
L '0xcclle 11t a mi de in a
famill0 et l e n'lien,
HOMMAGE D'AFFECTION ET DE RECONNAISSANCE.
�•
'
�INTRODUCTION.
La condition de la femme dans la société, au
double point de vue de g ..Personn.e et de ses
biens, soulève des questions délicates dont la
scilirti"on a, dans tous les temps., préoccupé les
jurisconsultes et les législateurs. On peut dire
que c'est un des problèmes les plus intéressants,
mais aussi un des plus difficiles à résoudre que
présente la vie sociale : nu.l changement ne s'est e.n.
effet accompli dans la condition p_articuliè:r;_e_de_lg.
femmesansréagir-aussitôt-s~r la cons1ituti9.n de
la société toQt entière ~ Individl!,J~miU.ê...9Jl_natLo.ll,
l'homm~J_twj.o.w: SJlhL J'..influenc.e souv..eraine
de la femme et ceJJX_ qaj, comme Lycurgue et
Platon, n'ont pas su discerner ce qu'il y avait de
légitime dans son empire, n'ont pu, malgré leur
génie, aboutir ~ans les réformes législatives qu'ils
1 .
�-2ont proposées ou tentées, qu'à des conceptions
parfois brillantes, mais toujours fausses, d'une
désastreuse application. C'est en effet par l'action
de la femme dans la famille et dans la cité que
les ~7P~s:pù'êilt- ou périssent : s i le patron
peut former un ouvrier, le professeur un savant,
la mère seule peut former un homme, et il est
{vrai de dire que le _degré de civilisation d'un
peuple se mesure au respect qu'il professe pour
' la femme.
En parcourant les diverses législations de l'antiquité, on est étonné de la variété des systèmes
qui se sont produits sur la condition de la femme,
et il n'est guère de théorie, si étran ge et si invraisemblable qu'elle paraisse, qui n'ait été formuléé à cet égard et parfois législativement consacrée. Ici, la femme est traitée en esclave, là,
elle est l'objet du respect de tous. Quelle que
soit la raison, assez difficile à déterminer, de ces
divergences 1 , nous devons dire qu'elles n'ont pas
eu dans la pratique les conséquences qu'on pour' rait logiquement leur attribuer. Libre ou asservie,
la femme a toujours et partout fait sentir son
\ influence. En vain a-t-on essayé de la reléguer
dans l'ombre du foyer domestique, et l1a-t-on
J M. Gide, dans son r emarquable ouvrage sur la Femme et le
sénatus-consulte Velleien, qui nous a été d'un puissant secours dans
nos recherches, parait les attribuer, et il a peut-être raison, à la
violence des passions qui portent les sexes l'un vers l'autre et à la
(!ilîé re n ~e de température des diverses régions.
�-3-
exclue de la vie politique, son _influence s'est )
néanmoins répandue dans la société et l'historien
attentif en découvre aisément la trace dans tous
les grands événements de la vie des peuples. En
général, !es législations ancien~s n'accordent à
la femme qu'un rôle subalterne dans la famille et
dans l'État, ce qui s'explique à la fois par les tendance~ matérialistes d~~ganisme et ar l'org~
Qisation même des sociétés primitives.
Si nous nous reportons par la-Pènsée à l'époque
où les peuples plongés encore dans @ bgrbarie
n'avaient aucune notion des principes d'équité et
de justice, nous voyons que le courage, la force,
les armes sont les seuls moyens dont on dispose
pour faire respecter ses droits. Ceux qui ne peuvent combattre, les enfants, lés vieillards, les
femmes, ont besoin d'un protecteur. Ces dernières le trouvèrent naturellement dans le père
et dans l'époux, mais, comme elles n'avaient
d'autre sauvegarde que le bras d'un. guerrier,
celui-ci eut tout pouvoir sur ~Iles . Obligé de les
défendre comme il défendait sa maison, ses troupeaux et ses biens, il s'habitua à les considérer
comme~ 9hos~ A cet état primitif où l'homme
regardait l'homme comme l'ennemi né de son
semblable, succédèrent bientôt des temps plus
policés : les hommes se réunirent e~j;é_,Jes
sentiments de la famille se développèrent, les
mœurs s'adoucirent, la puissance paternelle et la
•
�-4-
•
puissance maritale perdirent leurs priviléges
exorbitants : la condition de la femme s'améliora.
Le Illariage est une sociét~ de perso.nnes et de
biel};s; il faut un chef, un administrateur. A tous
les âges, dans toutes les législations, nous trouvons écritle principe de la suprématie de l'homme,
principe aussi ancien que la création elle-même,
car nous voyons, dans l~enèseJ Dieu dire à la
femme : cc Tu seras soumise à la puissance de
ton mari et il te dominera. >> Mais cette puissance
s'exerce, suivant les pays et suivant les ép.oques,
cle bien des manières différentes. Dans l'Orient
règnent le despotisme et la polygamie; la femme
y est considérée comme un simple instrument de
reproduction et de plaisir; dans ~ ..ê.gandinavie
et dans la . Germanie l'homme honore· déjà dans
sa compagne la mère de· ses enfqnts. Chez les
peuples de l'ant~quité, la procréation des ~n~nts
est c~nsidérée comme le seul but du mariage :
c< Une épouse, nous dit Démosthènes 1, n'est destinée qu'à veiller à l'intérieur de la _maison et
qu'à perpétuer le nom d'une famille en donnant
des enfants à la République. » La stérilité est,
même chez_ les HéJ:!r.e.u.x., dont la législation était
cependant particulièrement favorable à la femme,
une cause de divorce. Un tel principe devait évi·
'Barthélemy, Voyage du jeune Anachai·sis, ch. xx.
�demrrient altérer le caractère sacré de l'union
conjugale et ravaler la dignité de la femme; ce
n'est qu'.avec le_christia~~~_me que furent reconnues et proclamées les véritables règles qui doivent présider aux rapports des époux.
Si nous jetons rapidement un coup d'œil général sur les .deux législations de l'antiquité qui
nous sont les mieux connues et qui ont laissé le
plus de traces dans le droit moderne, la législation grecque et la législation romaine, nous trouvons sur la condition de la femme, au siècle de
Périclès, deux systèmes bien différents.
~ _Athènes, les lois_proté.gè.r.ent touj.om::sla per- ,,t.,..._
sonne et les biens de_la femme. Le mari n'a pas
le droit de vie et de mort sur son épouse; la fille
pauvre est dotée aux frais de l'État. L'incapacité
de la femme est édictée dans son intérêt, et, si
elle est toujours sous la dépendance de son père
ou de son~ épo'ux, elle trouve dans les institutions
de son pays, notamment dans la monogamie et
dans la dot, les garanties les plus sérieuses. Mais
si les lois étaient douces pour la femme, les
mœurs, bientôt corrompues par une civilisation
trop rapide, étaient dures pour elle. L'Athénien,
spirituel, léger, bavard intarissable, passe la majeure partie de son existence à l'Agora à discuter
sur la politique et les affairei::; pub~iques. Pendant
ce temps, la femme délaissée dans le gynécée
est privée de tous les agréments, de toutes les
_..._
�-6-
distractions qui peuvent faire le charme de la
vie. La jeune fille grecque ne reçoit presq.ue aucune instruction; à peine lui enseigne-t-on la
danse et le chant pour qu'elle puisse prendre
part aux rares fêtes religieuses qui lui sont accessibles . La femme est considérée comme un être
inférieu-;;Fl~o°ii n.ous dit d ans son - Timée que
les hommes lâches et faibles deviendront femmes
dans l'autre vie. Une seule classe de femmes est
libre : c'est celle des hétaïres qui accapare toute
l'influence que doit nécessairement exercer la
femme dans une société policée. Aussi les rares
noms de femmes grecques qui sont parvenus
jusqu'à nous, à travers les âges, appartiennent-ils
à des courtisanes : ce sont des Aspasie, des
Phryné et des Laïs non moins connues par leurs
scandaleuses fortunes que par le charme de leur
esprit et de leur conversation recherchée même
par les philosophes les plus austères de cette
époque.
Bien_diffé.r..ente noui?_ ap~rait à Rome la condition de 1ue1:mru~_;_ livrée _sans limite au ~o
tisme de son père ou de son époux, elle n'y
échappe que pour tomber sous la dépendance de
ses agnats. Mais le rigorisme des lois n'était point
passé dans les mœurs et, si nous faisons abstraction du point de vue juridique, nous voyons la
femme romaine occuper dans la famille une
place plus considérable et dans la société, un
�- 7rang plus honoré que la femme grecque à
Athènes. Elle peut -paraître dans les fêtes publiques, au théâtre, dans les réunions; les hommes,
les magistrats eux-mêmes lui laissent le passage
avec honneur, et, bien que'les lois lui interdisent
l'accès· du forum et s'efforcent de l'exclure de la
vie politique, son influence s'y reconnaît aisément : c'est Véturie, la mère de Coriolan, dont
les larmes, apaisant la colère de son fils, sauvent
Rome menacée par les Volsques; c'.est Lucrèce,
la chaste épouse de Collatin, dont la pudeur outragée amène u~e révolution suivie de l'expulsion
des Tarquins; c'est Cornélie, la mère des Gracques,
si fière de ses enfants, qui prépare, par une éducation virile, des défenseurs à la démocratie opprimée. Toutes ces figures historiques de l'ancienne Rome n'éveillent {Joint , comme les
courtisanes de la Grèce, des idées de volupté,
de plaisir, elles ne doivent leur grandeur qu'à
leur attachement aux· modestes devoirs de leur
sexe : ce sont de graves et austères matrones,
« lani(zcœ >> ayant bien filé la laine, comme disent
les textes. En un mot, autant la femme grecque
est protégée par les lois et abaissée par les
' mœurs, autant la· femme romaine est abaissée
par les lois et relevée par les mœurs.
Nous n'avons pas la prétention d'étudier la condition de la femme chez le~ peuples anciens et
modernes, · d'examiner les modifications succes-
J
�-8-
(
sives qui se sont produites dans · celte partie si
intéressante de la législation et d'en rechercher
les causes et les conséquences. Ce serait une
œuvre au-dessus de nos forces, exigeant une érudition et un talent qui nous font défaut. Nous
nous bornerons à l'étude des législations romaine
et française. De nombreux ouvrages ont déjà été
publiés sur la condition de la femme et, si nous
nous sommes décidé à aborder de nouveau ce sujet,
c'est que nous avons espéré, en donnant à nos
recherches une direction particulière, parvenir à
présenter à nos juges un travail intéressant et utile .
Nous essaierons de déterminer les diverses phases
par lesquelles a passé l'état social de la femme
depuis l'époque presque fabuleuse des premiers
rois de Rome jusqu'à l'époque contemporaine,
d'en apprécier le caractère, les résultats et de
montrer les progrès successifs qui furent apportés
par les mœurs, les lois et la civilisation.
En droit romain, après avoir rapidement expliqué
l'organisation de la famille dans l'antiq~e Rome,·
nous rechercherons quelle était, dans cette société primitive, la condition de la femme comme
fille et comme épouse. Après avoir donné quelques renseignements indispensables sur la tutelle agnatique et la conventio in manum, nous
verrons, en continuant notre étude, les liens de
famille s'affaiblir graduellement, les institutions
et les mœ'urs s'altérer et la, corruption la ~lus
�-9-
profonde succéder à l'antique austérité. Nous assisterons à la chute de la tutelle et à la disparition de la manus qui en furent les conséquences
et, après avoir étudié les impuissants efforts
d' Auguste et de ses successeurs pour ramener
sous le joug la femme trop émancipée, nous terminerons en montrant combi:en une régénération
sociale était nécessaire et comment le christianisme l'opéra.
Poursuivant notre étude en droit français, nous
examinerons quelle était, dans l'antique Gaule,
la condition de la femme sous le droit germanique et sous le droit féodal. Nous verrons ensuite comment les travaux des jurisconsultes, les
ordonnances de nos rois et la jurisprudence des
parlements parvinrent à fondre ensemble les
éléments divers dont se compose notre droit
actuel et à préparer ce magnifique monument de
nos codes que la main puissante du Premier
Consul devait enfin pa:venir à édifier. Arrivant \ f J
au code civil, nous y trouverons la femme con- 1 ~
sidérée comme l'égale de l'homme, partageant
ses honneurs et ses prérogatives. Nous expliquerons comment les nécessités sociales ont cependant fait refuser à la femme mariée une capacité
complète et nous essaierons de déterminer sa
condition juridique et civile soµs les divers régimes matrimoniaux.
J'fous achèverons notre travail en poµs deman-
�iO -
dant si les lois actuelles sont en harmonie complète avec les mœurs du peuple qu'elles régissent,
et quelles modifications pourraient être désirées .
Tel est le cercle, encore bien vaste, que nous
nous sommes tracé, puissions-nous ne pas être
trop inférieur à notre tâche !
•
�DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS LA FAMILLE
AUX DIVERSES ÉPOQUES
DU DROIT ROMAIN ET DU DROIT FRANÇAIS.
PREMIÊRE PARTIE.
La Femme
Romain e.
CHAPITRE I.
Organisation de la famille dans l'antique Rome.
Si nous en croyons la tradition, le berceau de Rome
fut un repaire de brigands ; r,'est à une réunion
d'hommes étrangers:-P oui:7'âlnsi dire, à toute~ les lois
divines et humaines, qu'est due la fondation de cette
ville destinée à devenir la maîtresse du monde entier.
Cette origine est, à elle seule, une excellente explication du rigorlsJ.!l~~cessif de la législa_Qol!_ p!imitive
des Romains. Pour ces hommes durs, ·grossiers, barbai::es, ne connaissant guère que le droit du plus fort ,
que la suprématie acquise par la hasta, il fallait des
•
�-
i2 -
, lois sévères sanctionnées par des pénalités terribles,
suffisantes pour en assurer la rigoureuse exécution.
Nous sommes bien loin à cette époque de ces admi~
rables commentaires des lois, monuments éternels de
la science juridique, qui furent l'œuvre des études patientes des jurisconsultes et de la sagesse des Préteurs. Pendant longtemps on ne connaîtra que le
droit strict (strictum jus), la -formule dont les termes
sacramentels lient invinciblement le Magistrat, quelles
que soient d'ailleurs les considérations d'équité -qui
paraissent devoir modifier la sentence.
On a dit souvent, avec raison, que les lois qui ré(; { gissent un peuple sont l'image fidèle de son gouver\ \\ nement et de sa civilisation. Les quelques observations
que nous venons de faire t'n commençant, nous permettent donc déjà d'affirmer que, dans les temps primitifs, le gouvernement de Rome devait nécessairement
être autoritaire et despotique. Telle est d'ailleurs la
forme de gouvernement qui préside généralement à
la naissance et au développement d'une nation, et, en
parcourant l'histoire des peuples, on en trouverait
~ssurément bien peu débutant sur la scène du monde
avec une organisation démocratique. C'est qu'en effet
la force est le premier besoin qui se .fasse sentir à
une société naissante, et c'est par la concentration de
tous les pouvoirs dans les mains d'un seul que l'on
parvient le mieux à lui donner satisfaction. Les fondateurs de Rome avaient parfaitement compris cette
nécessité plus impérieuse pour eux que pour les autres
chefs d'État, vu les hommes qu'ils devaient réunir et
policer. Aussi, non contents d'établir, .avec la forme
monarchique, l'absolutisme du pouvoir, Hs soumirent
�-
'13 -
rorganisatio n de la famille à de Lels principes que le
paterfamilias devint bientôt lui-même un véritable
souverain dans sa maison.
A côté de la famille naturelle fondée sur les liens de
parenté, et qui préexiste à toute organisation sociale,
les législateurs de Rome imaginèrent une famille spéciale, régie par des lois particulières, et qui fut appelée famille civile ou agnatig:ue. Elle comprend tous
ceux qui sont sous la puissance d'un auteur commun
ou qui y seraient si ce chef vivait encore. Le père de
famille exerce la puissance paternelle non-seulem ent
sur ses enfants, maiS encore sur ses petits enfants, à
quelque degré qu'ils soient, pourvu qu'ils descendent
de lui par les mâles. Cette puissance donne à celui
qui en est investi des prérogative s terribles. Il a le
droit de vie et de moTt sur ses enfants, il peut les
vendre, les donner en gage et même les abandonner
en réparation du préjudice qu'ils auraient causé à un
tiers. Le fondement de la famille à Rome ne réside
pas dans le mariage, mais dans la puissance pater•
nelle.
Les Romains étaient très-fiers de cette puissance
paternelle; ils n~ l'accordaient pas aux étrangers. Gai us
nous dit formellement : «Jus potestatis quod in libe1
cc ros habemus, proprium est civium romanoruin • »
En fait, il ne serait pas exact de considérer l'omnipotence du père de famille coinmCUrî eèréation arbitraire ae la'loi romaine, ~·est la base et le rinci e du
régime -eattiarcfil et tout peuple remontant à ses origines en découvrirait aisément le.s traces. Ce qui est
1
Gaius, Corn. r, § 55 .
\
�-U-
• 1
particulier à Rome, ce qui imprime à cette puissance
paternelle un caractère spécial, c'est que cette institution qui ne se rencontre guère que dans les sociétés
primitives, persista pendant de longs siècles et au .milieu d'une civilisation déjà avancée. Hâtons-nous de
dire que cette barbar.ie législative était réprouvée par
les mœurs et que ce serait se faire une idée inexacte
de la famille romaine que de se la représenter sous
une forme oppressive et brutale. Sans doute le paterfamilias absorbe à lui seul la personne et les biens de
ses enfants : ceux-ci ne sont pas néanmoins dans une
situation aussi inférieure qu'on po~rait le croire tout
d'abord; ils sont considérés comme co-propriétaires
des biens patrimoniaux, aussi, à la mort du père de
famille, dit-on dans la langue juridique qu'ils se suc.cèdent à eux-mêmes, chacun est héritier sien (hœ1·es
suus). En laissant de côté cette dureté, plus apparente
que réelle, de la législation, on ne peut s'empêcher
d'admirer cette belle conception de la famille romaine
où le père, à la fois souverain et pontife, nous apparaît revêtu d'i.fne indéniable majesté.
A côté des institutions patriarcales que nous venons
d'esquissêr rapidement, se conservèrent longtemps
des mœurs pures et sévères; aussi, jamais les liens
de famille ne furent plus étroits et plus indissolubles,
jamais' la piété filiaie ne fut plus vive qu'à une époque
où le père pouvait impunément tuer ou vendre ses
enfants, jamais les conventions ne furent plus fidèlement observées que sous dès lois qui permettaient,
ordorinaient même l'absolution du . défendeur· pour
une simple erreur ou omission dans les termes sacramenlels de la formule,
�-
,15 -
Telle était, ~n résumé, l'organisatio n politique qui
devait conduire Rome à un si haut · degré de prospérité et de grandeur. Pour apprécier sainement quelle
était dans cette société primitive la condition de la.
femme et pour exposer avec ordre notre sujet, il importe de considérer trois situa~ions :
0
i La femme peut être dans sa famille paternelle au
rang de filiafamz'lias: elle est alors alienijurz's et sous
la puissance de son père.
2° Elle peut être suiju1·1·s par son émancipatio n, par
la mort de son père ,ou quelqu'une des autres causes
qui mettent fin à la puissance paternelle, comme la
perte de la cité ou de la liberté par le chef de famille. ()
La femme est alors soumise à une tutelle spéciale et •
perpétuelle.
3° Elle peut être mariée.
Étudions successivement chacune d'elles.
CHAPITRE II.
La femme dans la famille paternelle.
La fille de famille est, comme le fils lui-même, soli·
mise à toute l~rigueur de la pui(:lsance p.aternelle.. :
elle peut être tuée, vendue, abandonnée noxalement .
Il paraît même probable, au moins à l'époque de la j
loi des XII Tables, que le père avait droit de la marier
sans son consenteme nt. Ces pouvoirs exorbitants du
chef de famille qui, sans doute, ne furentjamai s exer~
cés dans li;iurs dernières limites, ne tardèrent pas à
subir ae sages restrictions sous la double influence
�·16
-~
des . mceurs ~~ d!l§....institulions prélorlennes. L'abandon noxal tomba d'abord en désuétude et le père
de famille ne put marier, ni même fiancer sa fille
( sans qu'elle y consentît, ainsi que . nous le prouve
ce texte de Julien : « Et sicut nuptiis, ita sponsalibus
cc filiamfamilias oportet consentire 1 • »
C'était là un important adoucissement dans la condition de la filiafamilias, néanmoins le père conserva,
jusqu'à l'époque de l'empereur Antonin, le droit de
dissoudre le mariage de sa fille en envoyant le repudium à son gendre. Le consentement paternel est
r eqcls, à peine de nullité~our Ïa \Ta.1ii:Iffédu mariage
èt le jurisconsulte Paul décide que si une fille de fa.:.
mille s'est mariée à l'insu de son père, l'enfant, même
né après la mort de celui-ci, n'est pas légitime s'il a
été conçu de son vivanti. D'ailleurs, le père ne peut
injustement <:ondamner sa fille à un célibat absolu et
s'il refuse méchamment (i"njuria) son ~onsentement,
le président de la province peut autoriser la fille à
passer outre; de même, si le père de famille ne peut
consentir parce qu'il est en démence, prisonnier chez
l'ennemi, ou absent, des constitutions impériales ont
successivement permis dans tous ces cas à la filiafamilias de contracter mariage.
Au point de vu~~c~al, la fil~~ille est
traitée comme le filiusfamilias; nous ne trouvons pas
à Ïlome cesprlviléges de masculinité et de primogéniture que nous aurons à signaler en étudip.nt en
France le droit féodal. Nous devons toutefois indiquer
• Dig., lih.
1
xxm, tit.
1, LiiL
Div., lib. I, tit. V, 1. H.
�-
17 -
quelques différences qui, toutes, trouvent leur explication dans l'organisation spéciale de la famille romaine. Les Romains voyaient dans leurs enfants
mâles ceux qui devaient perpétuer leur nom et les
traditions de la famille et continuer l'exercice des
sacra. Aussi veillaient-ils avec un soin jaloux à la
transmission de leur patrimoine comme le prouve la
règle célèbre dont on reconnait l'influence · dans
maintes institutions du droit romain : « Nemini in<< vito agnascitur suus hreres. » La fille devait, par
son mariage, aller dans une famille étrangère et les
enfants dont elle serait mère n'auraient aucun lien
d'agnation avec la famille maternelle. C'est là ce qu·
nous explique comment, dans certains cas, la puissance paternelle semble se relâcher en faveur de la
fùle; ainsi, même dans le très-ancien droit, on permettait à la fille du Furiosus de se marier sans le consentemerit paternel, tandis qu'après de longues hésitations,- n'est q~e sous Justinien que le fils obtint
enfin la même faveur 1 • De même , une seule mançipation suffit au père de famille pour épui'Sër son dr~t
de puissance. sur sa fille, tandis que ce n'est qu'après
trois ventes successives que le filiusfamilias se trouve
libéré de la puissance paternelle. C'est encore pour le
même motif que le consentement de l'aïeul était suffisant pour le mariage de la filiàf'amilias, tandis qne le
fils devait obtenir en outre le consentement de son
père, et que l'exhérédation inter cœtei·os, valable pour
les fùles, était i~sante pour les fils. L'omission de
la filiafamilias dans un testament n'en entraînait pas
w
t
L. 25, C, de Nuptiis,
�-
'18 -
la nufüté comme celle d'un filius!'amilias. La sU:ùctioo
étriit ici moins énergique. Les textes qui nous sonl
connus sur cette question sont d'ailleurs fort obscurs
et ont donné lieu à de vives controverses. Voici en
effet ce que dit Gaius 1 : «Valet lestamentum, sed prre« teritre istre personre scriplis heredibus in partem
« adcrescunt : si sui instituti sint in virilem, si extra« nei in dimidiam. » Quelle est l'étendue de cette part
vfrile qui doit revenir aux filles omises ? est-ce une
part virile pour toutes, ou une pour chacune d'elles?
Comment partager la succession, si le testateur a institué à la fois des héritiers siens et des étrangers et à
omis sa fille? Divers systèmes ont été proposés sur
cette question; nous pouvons dire qu'aucun d ' en~
n'est complètement satisfaisant, car il a été impossible de concilier entre eux les textes souvent altérés
qui nous sont parvenus. Ce qui est certain, c'est que
la fille omise avait le jus acci·escendi ; on la considérait
comme fictivement instituée, sans doute en vertu de
celte règle que personne ne peut avoir à la fois des
héritiers testamentaires et des héritiers ab intestat,
et elle participait proportionnellement à sa part au
paiem~nt des legs et des dettes, de la succession.
Le droit prétorien apporta bientôt d'ailleurs aux
filles omises dans le testament paternel un recours
plus efficace que le droit d'accroissement; ce fut la pos·
session de biens contm tabulas testamentz·, par laquelle
les étrangers furent toujours écartés de l'hérédité.
Ainsi, à mesure que la condition personnelle de la
fille de famille s'améliore, le préteur multiplie les
1 Coin. 1r, §
124 .
�-- 19 -
fictions légales pour assurer à la filiafamilias ses
droits successoraux. De là l'invention de la possessien
de biens unde lzbei·i qui appelle à l'hérédité paternelle
même les enfants sortis de la famille par émancipation, la création de la plainte d'inofficiosité, et, bientôt après, de la quarte légitime.
La fille de famille est absolument incapable de tester, par ce motif bien simple que, placée sous la puissa"Ilce de son père, elle ne possède rien en propre. Il
ne peut être question pour elle de l'hérédité maternelle car, ou sa mère est in manu mai·iti, et alors sa
personne et ses biens sont absorbés par l'omnipotence maritale, ou elle est restée dans sa famille paternelle, et alors il n'y a aucun lien d'agnation · entre
elle et sa fille et partant, pas de droits de succession,
ou enfin, la mère est libérée à la fois de la puissance
pl'/.ternelle et de la puissance maritale et alors, dans le
droit strict, elle est caput et finis familùe et sa fille ne
lui succède pas parce qu'il n'existe entre elles qu'une
cognation dont la loi ne tient nul compte .dans les
rapports réels. Ce système, déjà profondément modifié par les sénatus-consultes Tertullien et Orphitien
qui établissent des droits réciproques de succession
entre la mère et ses enfants, disgarut avec Justinien_
qui, dans les Novelles 118 et 127 justement célèbres,
refondit les successions ab intestat en substituant la
parenté naturelle à la parenté civile, achevant ainsi
la révolution commencée par les préteurs.
· Lorsque, dans le dernier chapitre de ce travail, nous
étudierons l'influence du christianisme sur les ainé~
liorations successives de la condition de la femme,
nous donnerons quelques détails plus circonstanciés
}
�-
20 -
sur la chule de !'agnation el sur ces imporlanles modifications qui attribuèrent à la femme, dans l'ordre
de succession, des droits égaux à ceux de l'homme.
En même temps dispa1;ut la prohibition de tester; du
moment qu'elle eut des biens en pleine propriété, la
filiafamilias obtint, par voie de conséquence, la fac1ùté
d'en disposer sous la seule réserve de la légitime due
aux ascendants 1 •
~ La capacité de la fille de famille, au point de vue
des actes civils, a subi les mêmes vicissitudes que sa
confütioiïëiîe-même. Dans les premiers temps où tous
les actes étaient 'solennels et ne pouvaient s'accomplir
que dans les comices, ou suivant les anciennes formalités des Quirites, la femme, exclue du Forum, élait
entièrement incapable. C'est ainsi que la faculté de
tester était refusée aux femmes parce que le testament se faisait calatis comitiis et qu'elles ne pouvaient
être adrogées parce que l'adrogalion exigeait une loi
curiale. Quant aux obligations, nous savons que les
enfants du père de famille n'étaient pour celui-ci que
des instruments d'acquisition, mais déjà, dans le trèsancien droit, on reconnut que le · filiusfamilias était
par ses contrats obligé civilement, c'était même une
des différences caractéristiques qui le distinguaient
de l'esclave. Cependant des difficultés se sont élevées
sur le point de ~oir si la filiafamilias pouvait elle
ê:ussi s'obliger par contrat. Neus n'entrerons pas dans
la discussion de cette question de peur d'être entraîné,
par des développements indispensables, au delà des
limites que nous nous sommes tracées, nous propo1
Nov. Ho, ch. rv,
�- 21
sant de démontrer oralement, en soutenant une de
nos positions, la capacité de la fille de famille.
D'ailleurs, à mesure que les mœurs s'adoucirent , le
rigorisme et le formalisme de l'ancien droit fléchirent
peu à peu ; les préteurs imaginèrent mille moyens 1
d'éluder les prescription s surannées de la loi sur la /
forme des actes, et toutes ces solennités emblêmatiques, exigées jadis sous peine de nullité, tombèrent
en désuétude. La condition de la fille de famille en
ressentit naturelleme nt un contre-coup favorable.
Enfm, quand les terribles prérogatives de la puissance
paternell~ furent abolies une à une, la füiafamilias
conquit plus d'indépendance et, sauf quelques restrictions apportées par des lois spéciales dont nous
aurons à parler ultérieurem ent, elle devint entièrement capable sous les em ~ur~ chrétiens pourvu_
q~1'elle possède_des_biens et ait atteint l'âge de puberté. Sa position est même, dans certains cas, préférable à celle du fùs de famille puisqu'elle peut tester dès l'âge de douze ans et que le droit d'agir sans ,
curateur (venia œtatis) peut lui être octroyé par les J
empereurs dès l'âge de dix-huit ans 1 •
En résumé, les institutions, les mœurs, l'influence
du christianism e améliorèren t succêssivem entla condition de la fille et la rendirent aussi bonne qu'elle
peut et doit être. Aussi, est-elle aujourd'hui encore à
peu près ce qu'elle était à l'époque de Justinien.
1 L.
2, C. lib. II, tit. XL V.
�-
22 -
CHAPITRE III.
La femme sous la tutelle perpétuelle.
Lorsque la femme, libérée de la puissance de ses
ascendants ou du mari sous la manus duquel elle se
trouvait, devenait suijuris, elle n'était guère plus libre
qu'auparavant, .car les lois la soumettaient alors à une
tutelle perpétuelle que l'on peut justement considérer
comme l'une des institutions les plus originrtles et les
plus singulières du droit romain. Les auteurs en
donnent pour motif la fragilité du ~ (fragilitas
sexûs), la légèr~té de l'~.IJrit (levüas animi) et l'ignorance des a!f~res (re1-um forensium ignomntz'a). Gaius
trouve ces motifs plus spécieux qqe réels et déclare
ingénûment que la tutelle perpétuelle des femmes
n'a aucune raison sérieuse d'exister : c< nulla pretiosa
c< ratio suasisse videtur 1 .» Deux explications ont été
proposées : la première voit dans la tutelle perpétuelle une mesure de défiance à l'égard des femmes.
Autant les anciens Romains respectaient l'épouse, la
mère de famille, ~utant ils redoutaient son influence
. dans la société. Ils ont donc voulu la rendre incapable pour l'empêcher de paraître sur la scène sociale
et assurer aux hommes le gouvernement de la cité.
Nous préférons la deuxième qui considère la tutell~
perpétuelle comme une règle dérivant naturellement
de la constitution même de la famille civilé.La femme
' Gaius, Corn. r, § 1.90,
�- 23avait, nous le savons, dans la famille de son père, les
mêmes droits de succession que les mâles, mais elle
ne pouvait rien transmettre , même à ses propres enfants. A sa mort ses biens devaient revenir à la ligne
masculine , aux agnats. Les Romains craignirent
qu'en laissant à la femme une liberté d'agir pleine et
entière, elle n'en abusât pour diminuer le patrimoine
de la famille par des générosités irréfléchies. Celte
idée app~raîtra clairement dans les quelques développements que nous allons donner et nous verrons que
le~table but_dtl_a tJJ.t~lle perpétuelle est bien_ ph~s
la conservation des biens dans la famille agnatique
que la protection due à la prétendue faiblesse de la
femme.
La tutelle à laquelle pouvait être soumise la femme
sui J°ui·is était de di verses espèces. D'abord le père -de
famille avait le droit de nommer à sa fille devenant
libre à sa mort, un tuteur testamegtair e. Le même
droit était accordéâü mari pour son épouse in manu.
Dans ces deux cas le testateur concédait souvent à la
femme le choix du tuteur (optio tutoi·is). L'option était
dite plena lorsque la femme pouvait changer de tuteur à volonté, angttsta lorsque son exercice était limité à un nombre déterminé . Quand il n'y avait pas
eu de tuteur nommé par le père ou par l'époux, la
femme tombait sous la: tutelle de ses agnats, qualifiée
de tutelle légitime_, Cette tutelle poii"Vàlt appartenir
à un impubère, à un sourd ou à un muet t et l'agnat qui
en était revêtu avait le droit de la céder à un tiers qui
prenait le nom de tutor cessicius. Celui-ci n'avait d'ail1
Gaius, Com. r, § 178, 180, - Ulp., tit. XI, § 20, 2i.
�~
24 -
leurs que l'exercice du pouvoir qui continuait de résjder en la personne du cédant. Aussi tout événement
de nature à faire perdre la tutelle au cédant l'enlevait
aussi au cessionnairi;i. Ce droit bizarre de cessibilité distingue profondément la tutelle agnatique de la
tutelle des mineurs. Gaius l'explique par la nécessité
de ne pas imposer indéfinii;rient à un individu une
charge pénible et onéreuse : car la tutelle des femmes
ne finit qu'avec leur mort 1• M. Accarias fait remarquer, avec raison, que si tel était le véritabie motif
de la cessibilité il eût fallu étendre cette faculté à tout
tuteur d'une femme pubère alors qu'elle paraît avoir
été toujours restreinte aux tuteurs légitimes. Aussi
l'expliquerons-nous avec cet éminent auteur en disant
que la tutelle agnatique, établie dans l'intérêt des tuteurs eux-mêmes, était considérée comme un droit de
famiµe, comme une véritable pr.Q1niété.
A défaut d'agnats, la femme était obligée, pour valider ses actes , de demander un tuteur au préteur
urbain.
.- MentionnonSêncore la tutelle fiduciaire à la<illelle est soumise la fille émancipée piir son père on
affranchie par celui sous le manczpium ou la manus duquel elle se trouvait. Nous aurons occasion d'en reparler et de dire le singulier usage que les femmes
en firent dans la suite.
Si nous recherchons quelle. était, sous la tutelle
perpétuelle, la condition de la femme, il faut nécessairement, pour bien saisir le système de la loi romaine, partir de cette idée, déjà plusieurs fois signat Gaius, Com. I, § 168. C'est d'ailleurs le motif qui a fait restreindre d·ans notre droit à dix années la tutelle de l'interdit. Code
civil, art. 508.
�-
25 -
lée, que c~t~i~ une_instililtion_aristocratique
ayant pour but essentiel de maintenir les biens dans
la famille agnatique. De là cette première conséquence
que le tuteur n'a as à gouverner la personne de sa
pupille, ni par suite à surveiller sa conduite et ses
mœurs o à intervenir dans le choix d'un_époux. Jusqu'à l'époque impériale la femme suijuris n'eut besoin
du consentement de personne pour pouvoir se marier.
La femme pubère n'est ni une mineure, ni une insensée, aussi adminisLre-t-~le elle-m_~m~ ses ~iens t.
mais, pour que ses actes soient valables, il lui faut
l'auctoritas de son tuteur dans tin certain nombre de
cas qu'Ul ien nous énumère 1 et qui sont au nombre
de cinq : procès dont la forme est réglée par le droit
civil, obligati2!1, acte civil, autorisation accordée à
une affranchie de vivre dans le contuberniu m d'un
esclave, aliénation de re2....!!!:.ancil!.z'· Au fond, sauf le
droit de disposition qui lui appartenait sur ses biens
nec manâpz", considérés d'ailleurs comme de peu d'importance, la femme n'était guère plus capable que le
pupille sorti de l'z'nfantz'a, car elle ne pouvait faire sa
condition pire, puisqu'il lui fallait pour s'obliger l'autorisation de son tuteur. On a beaucoup discuté sur
le point de savoir quel était le motif qui avait déterminé le législateur romain à interdire à la femme. les
actes que nous venons d'énumérer. Les auteurs qui
considèrent la ·tutelle perpétuelle comme instituée
pour subvenir spécialement à la faiblesse et à l'ignodans le caractère
rance de la femme, croient le trouver ..__
1
___
1
Ulp., fr. XI, § 27.
�-
26 -
solennel de ces actes qui, · généralement accomplis
devant le magistrat ou devant des témoins représentant le peuple romain, ne devaient pas être permis
aux femmes exclues des comices et du forum. Cette
opinfon ne nous paraît pas acceptable, car, non-seulement il est certains actes interdits à la femme qui ne
présentent aucune solennité, mais il en est plusieurs
qui sont solennels et qu'elle peut cependant faire
seule. Il paraît plus exact de dire que les cinq actes
précités ont été interdits à la femme parce qu'ils peuvent renfermer une aliénation et par suite entamer
le patrimoine, et peu importe qu'en fait ils n'en renferment point. La loi a dû s'en tenir à la forme de
l'acte et exiger dans tous les ca.s l'autorisation du tuteur.
En fait cette tutelle ne fut pas longlemps un obstacle sérieux à l'indépendance des femmes. La faculté
d'oplion, le droit de cessibilité, les arguties des jurisconsultes ne tardèrent pas à en faire un pouvoir plutôt nominal qu'effectif. Du reste le tuteur ne pouvait,
par son mauvais vouloir, paralyser l'action de la
femme: s'il refusait son auctoritas, le préteur intervenait pour le contraindre à la donner; nous devons en
conclure que l'autorisation ne fut bientôt qu'une ·
simple condition e 1Ûrme 1 • Nous en avons d'ailleurs
la preuve dans le§ Ides fragments du Vatican. Nous
y voyons que la vente d'une chose mancipi consentie
.---
1 Ce qui prouve surabondamment que cette tutelle dut à toute
époque être assez illusoire, c'est l'absence totale de sanction : la
femme pouvant en effet contraindre judiciairement son tuteur à
donner l'aucto1·itas ne peut avoir contre lui aucune action pour
mauvaise administration. C'est d'ailleurs ce que dit Gaius, Com. 1,
§ 191.
�t
-
27 -
par la femme sans autorisation du tuteur n'est pas
nulle lors même que l'acheteur avait connu l'incapacité de la contractante. Celui-ci possédera d'ores et
déja pi·o emptore et fera les fruits siens parce qu'il les
perçoit du plein gré de la propriétaire, cette dernière
conserve seulement le droit, tant que l'usucapion n'est
pas accomplie, de reprendre sa chose en restituant le
prix.
Il est cependant un acte pour lequel la rigueur du
droit primitif se maintint longtemps : c'est le testament. Jusqu'à: un rescrit de l'empere ur Adrien, la
femm.e en tutelle ne put tester que sous la double
condition de l'autorisation de son tuteur et d'une diminution dé tête préalable. Cette règle s'explique
aisément avec le système que nous avons adopté : le
testament a une importance exceptionnelle, car il permet au testateur de dépouiller sa famille du patrimoine . sur lequel elle comptait légitimement. Le législateur a voulu assurer le retour aux agnats des
biens possédés par la femme, aussi ne lui atcorde-t-il
la facullé de tester que quand elle n'a plus de famille
par suite de la mz"nima capz"tz"s minutio et, sans doute, avec
ce secret espoir qu'elle en usera en faveur de ses anciens agnats.
Contraire au droit nl!turel, la tutelle des femmes )
devaif nécessairement disparaître avec l'esprit aristocratique qui l'avait fait établir. Nous avons déjà fait
connaître les causes multiples qui précipitèrent sa
décadence ; toutefois il en- fut de cette institution
oomme d'un grand nombre d'autres du vieux droit
romain : elle tomba en désuétude longtemps avant
d'être législativern.ent abolie ët disparut peu à _peq
-
�-
28 -
comme toutes les lois qui jurent trop ouvertement
avee les mœurs et les idées publiques. Nous aurons
bientôt occasion de montrer combien elle était inefficace à l'époque de ·Cicéron, et, cependant, ce n'est que
sous le règne de l'empereur Claude- tant était grand
le respect des Romains pour leurs antiques institutions - que nous voyons prononcer l'abolition de la
tulelle agnatique, mais la réaction fut alors poussée
à l'excès puisqu'on alla jusqu'à décider, par interprétation de la lex Claudia, que les femmes ne pourraient
jamais avoir pour tuteurs leur frère ou leur oncle.1 •
Quant à la tutelle des ascendants et à celle des patrons , elle se maintint longtemps encore et on
en cherche vainement l'abrogation dans les textes du
droit romain. Diverses constitutions de Constantin
permettent de penser que ce prince effaça les derniers
vestiges de la tutelle des femmes ; ·ce qui cl.ans tous les
cas paraît certain, c'est qu'elle avait entièreme:i;i.t disparu ll:V!n~! ~stinien. qui n'en :parle pas dans ses immenses compilations et ne s'occupe que de la tutelle
des impubères.
CHAPITRE IV.
La. femme dans le mariage.
L'union des sexes à Rome commence par l'enlèvement des Sabines. On conçoit aisément quesrnune
épûüSe- conqqise ainsi de vive force le Romain doit
1
Gai us, Com. r,. § 1.57.
�-
29 -
avoir les droits les plus éLendus, tous ceux que confèrent les armes au guerrier vicLorieux, eL notamment
le jus vitm et necz's, le droit de vie et de mort. Les législateurs de Rome, redoutant l'influence de la femme
dans une société naissante, non-seulement l'avaient
complétement exclue de la vie politiq.ue, mais encore
l'avaient placéèSôÜs la dépendance absolue de son
époux et de son pèrê ou, à leur défaut, sous la tutelle
de ses agnats. Nous savons déjà que les mœurs
avaient été beaucoup plus favorabl~s que lei? lois à1;femme romaine. Elle régnait en maîtresse au foyer '
domestique, dirigeant les travaux des esclaves et
l'éducation des enfants. Le lieu où _elle résidait, ,
l'atrium, était considéré comme sacré; en un mot, la)
femme était véritablement associée à la vie de son
mari et les paroles sacramentelles que prononçait la
nouvelle épouse, en entrant dans la maison conju-.
gale : Ubi tu gaius ibi ego gaia ; » là où tu seras le
maître, je serai la maîtresse, n'étaient point une vaine
formule. Nous ne trouvons pas, dans l'antique Rome,
ce que nous voyons dans diverses législations primitives, notamment chez les peuples de l'Orient, la
polygamie et l'esclavage de la femme. Celle-ci est
sans doute soumise à la puissance illimitée et terrible
de son mari, mais elle n'est pas pour lui u:g~ esclavfh
Elle lui tient lieu de fille, loco filùe . Ce terme si doux
nous indique la véritabiê nature de la protection dont
l'épol~x entoure la femme et est pour elle un sûr
garant d'indépendance et de bonheur. Les liens du
ma~g~ étaient considérés à Rome comme sacrés,
leur indissolubiliLé était un principe si essentiel que,
-· établirent le mariage inférieu ~
quand les Romains
(<
-----
•
�30 -
r..onnù sous le nom ùe concubù1atus, ils le soumirent à
la loi de la monogamie~-divorce était permis pour
.certains cas spécialement prévus et rigoureusement
limités, et les mœurs étaient si pures que, pendant
cinq siècles, au dire de tous les historiens, jusqu'à
Carvilius Ruga, on n'en vit pas un seul-exemple. Nous
n'hésitons donc nullement à adopter l'opinion dont
M. Gide s'est fait l'éloquent défenseur et qui soutient
qu'avec les deux caractères de monogamie et d'indissolubilité, il est impossible que la puissànce maritale,
la man.us pom.· l'appeler par son nom, ait été à Rome
la plus odieuse et la plus révoltante des tyrannies.
En recherchant quelle était, sous celte union avec
manus qni , pendant plusieurs siècles, fut presque
exclusivement pratiquée à Rome, la condition de la
femme, nous entrerons dans quelques détails sur
cette curieuse institution et essaierons d'en déterminer
le véritable caractère.
SECTION J.
MANUS.
La manus est une institution du droit civil par
laquelle la femme, rompant tous les liens d'agnation
qui l'unissent à la famille paternelle, passe, avec tous
ses biens, sous la pnissance de son mari. Elle a été
évidemment formée sur le modèle de la patria potes~
tas. Disons tout d'abord qu'elle n'est qu'une modalité
du mariage. L'opinion émise pur Pothier que, même
dans le plus ancien droit romain, il pouvait y avoir
Justœ nuptiœ sans conventi'o in manum, a été pleinement
confirmée par la découverte des Institutes de Gains.
�- 31 11 est certain que, même à une époque antérieure à la
loi des XII Tables, le mariage pouvait être légalement
célébré et produisait tous ses effets sans l'addition de
la manus. Ce qui prouve suffisamment en effet i'existence, dès cette époque, de cette espèce dJ!.nlon qualifiée
libre ou non rigoureuse, c'est que les Décemvirs, dans
leurs lois, déclarent que le fait par la femme d'avoir
chaque année découché pendant trois nuits consécu~--d'éviter la manus de · son mari.
tives, lui permettra
C'est ce qu'on a appelé la t1·z'noctii usuipatio. Diverses
interprétations ont été données à cette disposition.
On a prétendu que c'était une innovation des Décemvirs faite dans un esprit aristocratique pour empêcher
que la patricienne, épouse d'un plébéien, ne tombât
sous la puissance de celui-ci. Il est difficile de se prononcer dans une matière où les textes font souvent
défaut et que de longs siècles ont enveloppée d'obscurité : toutefois, si nous remarquons que, dans une loi
postérieure, les Décemvirs prohibèrent complétement
les unions entre patriciens et plébéiens, ce qui n'.e:i;npêcha pas l'usus de subsister comme mode d'acquisition de la manus, nous sommes porté à. croire qu'en
inscrivant dans leurs tables la tn'noctii usu1patio, ils
n'ont fait que consacrer une coutume qu'ils trouvèrent
établie avant eux.
Mariage avec manus, mariage libre, telles sont lès
deux formes d'union reconnues dans l'antique Rome.
Recherchons quelle était, sous chacune d'elles, la
·
condition de la femme.
A notre avis, la différence essentielle, caractérisA
tique, qui distingue le mariage avec manus de l'union
libre, c'est que le premier seul entraîne une diminu•
�-
32
tion de tête (minutio capitis minima) 1 • La femme quitte
la famille paternelle pour entrer dans celle de son
mari : or, après ce que nous avons dit sur l'organisation de la famille agnatique à Rome, on comprend
toute l'importance, toute la gravité d'une semblable
conséquence. Si le paterfamilias vit encore, il perd
toute puissance sur sa fille pa:r; la conventio in manum;
s'il est mort, les agnats qui l'ont remplacé perdent
cette tutelle et ces droits de succession auxquels ils
attachaient un si grand prix. Aussi les tuteurs légitimes qui n'avaient jamais à s'occuper du mariage de
leur pupille, devaient-ils donner leur consentement.à
la conventio in manum <t. Remarquons d'ailleurs que si
la fiancée était filiafamilias, les agnats avaient tout
intérêt à ce mode de mariage, car, par suite du changement de famille qui en était la conséquence naturelle et nécessaire, ï1: équivalait à une renonciation de
successj~m. Ne possédant rien ·en propre-:- la fi.UT
romaine sous la puissance de son père ne pouvait
rien apporter à êOn mari, mais, d'après un ancien
usage attesté par Sulpicius et Varron, le futur époux,
au jour des fiançailles, stipulait du père, dans la forme
solennelle de la sponsio, une somme déterminée qui
devait lui être remise le jour du mariage.
La femme in manu suit la condition de ~on époux.
Si celui-ci est fils de famille, elle sera sous la puissance
de son beau-père qui pourr.a disposer d'elle comme
de ses autres enfants, sous la seule réserve de ne pas
Ulp., Rey. XI, i3.
'Divers auteurs ont même voulu attribuer à• l'opposition des
tuteurs à consentir la conventio in manum, l'introduction du mariage libri::.
1
�-
33 -
la séparer de son époux. Ce dernier est le seigneur et)
maître devant la majesté duquel la femme doit s'incliner, c'est ce qni fait dire à une jeune épouse dans
.
une comédie de Plaute :
..... Pudicitia est, pater,
Eos magnificare qui nos socias sumpserun t sibi.
De nombreu x textes nous font connaître la véritable
situation de la femme in manu : vis-à-vis de son mari,
elle est loco filù.e : de là résultent des conséquences
juridique s importan tes. Le mari ayant sur la femme
un droit analogue à la puissanc e paternell e 'peut lui
donner un tuteur testamen taire. La femme succède à
son mari comme hmres sua et a une part d'enfant : des
liens d'agnatio n naissent entreëll e et la famille de
son conjoint. Eri réalité, la rnanus n'était pas pour la
femme un changem ent d'état. Celle-ci devait ou rester
dans la famille de son père pour être soumise à la
puissanc e de ce dernier, ou passer dans la famille de
son époux pour y occuper une position analogue . Il
était bien plus naturel de prendre ce dernier parti,
autremen t tout ce qu'elle pouvait acquérir, continuait,
bien qu'elle fût mariée, à grossir la fortune de son
père sous la dépendance duquel elle restait et qui
pouvait rompre son mariage et l'éloigne r malgré elle
de son époux. C'est en vain qu'on objectera que la
personna lité de la femme se trouve compléte ment
absorbée par la majestas du mari ; il en est ainsi dans
toutes les législations de l'antiqui té et il faut arriver
à l'époque du christia_:i~me_J>our y trouv'"èfla femrp.e
considérée enfin comme l'égale de l'homme et deve~
nue véritable ment la compagn e de son mari. Nous
~
,,
�-Mvoyons, au contraire, que ~haquc sacrifice fall par la
_...,. femme i·n manu est payé par un droit correspondant.
Si sa fortune personnelle se confond et disparaît dans
la masse unique de l'avoir conjugal, un droit de succession s'ouvre pour elle et compense cette confusion;
si elle doit être soumise comme une fille à son mari,
J celui-ci de son côté ne peut la répudier sans motifs;
enfin, si juridiquement elle est traitée comme une
chose, si elle peut être acquise par cette usucapion si
critiquée qui forme le troisième ,mode d'acquisition
de la manus, il est juste de dire aussi que la monogamie, l'indissolubilité certaine à cette époque des liens
.._ matrimoniaux, rendent égale li!. situation des époux.
Le mariage avec manus fut, pendant de longues
années, presque exclusivement pratiqué par les Romains ; on ne vit que peu d'exemples de mariage
. libre. Les _mœurs répugnaient à la division de la maison conjugale et la logique voulait que la fille, ·une
• fois mariée, fùt libérée de la puissance paternelle et
soumise, quant à sa personne et à ses biens, à la
puissance de son mari. En outre, le mariage avec
manus était une institution du droit civil; aussi les
anciens Romains le considéraient comme plus digne,
plus honorable ; la femme ùi manu avait seule le titre
respectable de matei'familias et une certaine commu~
nauté d'intérêts avec son mari.
C'est donc en vain que nous cherchons dans les
textes l'explication de cette dureLé, de cette barbarie
dont on s'est plu si souvent à revêtir le manus . En
ê~aminant de près, on y trouve plutôt un r! gime matrimonial, une sorte de communauté à tilre universel
- cront la femme ëst copropriétaire au m ême titre que
�ses enfants. C'est le mode d'union le plus conforme
au droit naturel, celui auquel aurait pu vraimen t
s'appliqn er la magnifiq ue définition du mariage donnée par Modestin : c< Conjunctio maris et feminre,
« eonsortiu m omnis vitre, divini et humani juris corn« municati o ; » et Columelle nous dit avec raison en
parlant de ces anciennes unions : « Nihil conspicieba« tur in domo dividuum,' nihil quod aut maritus aut
« femina proprium esse juris sui diceret. » (De re
Rustica, xn.) On objecte que la femme étant la fille de
son mari, celui-ci ~cquiert sur elle la puissanc e paternelle qui compren d , comme nous l'avons dit, les
droits les plus étendus. On s'indigne de voir l'enlèvement de la femme considéré comme un vol et l'outrage falt à sa personne atteindre son mari. Cependant, dans le double intérêt de l'ordre public et de la
dignité de la femme , la pat1'z'a potestas appliquée à
l'épouse Sübit d'import antes modifications. Remarquons d'abord que la plupart des prérogéJ,tives accordées au mari dérivent du mariage lui-mêm e, et non
de la manus, noLamment le jus vz'tœ et necis. Pline
raconte en effet qu'une femme ayant été surprise au
moment où elle ouvrait le sac qui contenai t les clefs
de la cave fut condamn ée par le tribunal domestiq ue
à mourir de faim. Il la désigne par le mot de ma~ spécialem ent réservé à la femme mariée s~
manus. D'ailleurs, outre qu'il ne paraît pas avoir été
fréquem ment exercé, ce droit exorbita nt n 'était autorisé que dans certains cas et sous certaines conditions.
L'adultèr e flagrant de la femme ou des habitude s
d'ivrogn erie paraissen t avoir été les seules causes
autorisan t l'époux à prononc er contre sa femme la
1
�'
-
36 -
peine de mor~, et, encore devait-il obtenir l'assentribunal clomestiqp.e,
timent d'un tribunal spécial, dit .._
composé de sept membres agnats et cognats, et sur
lequel nous n'avons que des renseignements trèsincertains, attendu que créé par les mœurs et non par
les lois, il ne nous· est révélé par aucun texte juridique. « Le .mari assemblait les parents de la femme,
nous dit Montesquieu, et la jugeait devant eux. Cc
tribunal maintenaiL les mœurs clans la République,
mais ces mêmes mœurs maintenaient ce tribunal. Il
devait juger non-seulement de la violation des lois,
mais aussi de la violation des mœurs·. >> Quand il s'agissait de sévir contre la femme mariée sans manus,
c'était ~-père ayant consêrvé l'exercice de la puissance qui réunissait le tribunal domeslique, et le mari
y était appelé.
Faut-il dire que le mari avait, sous la manus, le
droit de v~ impunément sa femme et de l:abandonner noxalement? Assurément il n'eut jamais ces
"""·
priviléges exorbitants sous le mariage libre, car ils ne
peuvent s'expliquer que par un droiL de propriélé
accordé à l'époux sur la personne de son conjoint.
Les auteurs sont extrêmement divisés sur ceLLe question. D'une part Gaius nous dit formellement 1 que le
mari n'a pas sur sa femme in manu une puissance
aussi absolue que le père sur ses enfants, parce qu'il
ne la possède pas, mais ce jurisconsulte nous diL
aussi, dans un autre passage de· ses commentaires 2 ,
que la femme in manu peut être mancipée comme un
filiusfamilias. La difficulté est encore augmentée par
--- -
1
Com.
u, § 90 .
t
Cum.
1,
§ -117, :!18.
�-
37 - .
un passage singulier de Lucain 1 où le poète nous
raco~te, dans ee style élégant mais un peu emphatique qui lui est propre, que Caton le jeune sollicité
par son ami Hortensius, lui céda sa femme Marcia,
quoiqu'il l'aimât et qu'elle fùt enceinte, et qu'après la
mort d'Horten sius auquel elle avait donné des
enfants, elle revint chez Caton qui consenti t à la
reprendr e. Cette cession n'est sans doute point .analogue à une ~nte et à une répudiati on ; était-ce un
fait juridique ment autorisé et habituell ement exercé?
un des droits que conférait la manus? l'\ous en
Est-ce
·
sommes réduit aux hypothès es. Ce qui est certain;
c'est qu'en admettan t què le droit de vente ou d'abandon noxal fùt jamais accordé au mari, il dut disparaître de bonne heure, sans doute, comme dit M. Troplong qui ne_croit pas que le mari ait jamais pu vendre
sa femme, par une raison morale de pudeur publique,
L'honneu r et le respect dont nous voyons les Romains
entourer leurs épouses dès l'époque la plus reçulée,
ne permet guère de supposer un exercice habiluel do
droits si monstru eux. Signalons cependan t, à l'avantage du ~iag~liQ!e, ce fait que, sous cette union,
e pouvait, aussi bien que le mari, user d_e_ la
la fe
répuèliâtion, tandis que, sous le mariage
de
faculté
avec manus, le mari seul pouvait divorcer. D'ailleurs,
des précautio ns multipliées avaient été prises pour
rendre indissoluble l'union conjugal e : une ancienne
loi de Romulus rapporté e par Plutarqu e prononça it
contre le mari qui ;répudiait sa femme sans cause
légitime, confiscation des biens dont la moitié était
1 Pharsale,
u.
1
l ,_
.
'-
�-
38 -
donnée à l'épouse répudiée et l'autre moilié à Cérès.
Plus tard, l'homme qui divorçait était déshonoré par
le blâme du censeur et excommunié par le pontife.
Valère Maxime nous dit même que la déconsidération
qui suivait le mari ayant divorcé était assez grande
pour l'empêcher de parvenir aux fonctions publiques.
<c Censores·L. Antoninum senatu moverunt quod quam
cc virginem in matrimoninm duxerat repudiasset nullo
« amicorum in consilium adhibito . » Si on ajoute que
pendant cinq siècles il n'y eut pas à Rome un seul
divorce, on reconnaîtra que l'avantage accordé à la
femme sous le mariage libre étaiL bien illusoire à
l'époque que nous étudions. ·
7 C'est ùonc bien plutôt ~J.~~ !]!pport.s :t:éels des
~oux que dans leurs rapports personnels qu'il faut
chercher les différences du mariage libre el de la
manits et, à cet égard, la manus nous apparaît comme
bii n supérieure au mariage libre : elle identifie les
intérêts des époux, intéresse la femme à la prospérité
du ménage en lui accordant sur l'avoir commun des
droits de succession égaux à ceux des enfants. Notre
opinion apparaîtra plus plausible encore quand nous
aurons achevé l'étude que nous allons entreprendre
sur le mariage libre et que nous aurons vu les causes
peu honorables qui favorisèrent son développement.
Il est donc impossible de considérer la manus comme
l'oppression et la brutalité 4ans le mariage. Mais, si
nous sommes complélement d'accord sur ce point
avec M. Gide, nous ne saurions aller aussi loin que ce
savant professeur et.prétendre que la manus ne règle
en définitive que les rapports pécuniaires des époux.
Il nous semble que cette union solennelle, consacrée
�-
3!) -
par des formes symboliques et religieuses , mettait
l'homme et la femme dans une situation toute particulière qui ne se retrouve pas dans le mariage libre :
le mari nous apparaît comme le chef de la maison, le
protecteur et le père de sa femme, cl?.argé de tout
diriger avec sagesse et bienveillance en songeant
toujours qu'au point de vue moral, comme au point
de vue puremen t pécuniaire, son épouse est loco
filz'œ. C'est lui en effet qui remplace le père dont les
pouvoirs sont anéantis, c'est Jui qui doit veiller à
l'honneur de sa maison, c'est lui qui convoquera et
présidera, s'il y a lieu, le tribunal domestiqué. Sous
cette union avec manus, la femme eue aussi est entourée d'une considération toute spéciale qu'indique
déjà bien le litre de mate1'famihas et nous la voyons,
assise dans l'atrium, surveillant et dirigeant.son intérieur avec une autorité incontestée et pour ainsi dire
· sans limites. Ces remarqu es, et mille autres qu'il
serait aisé de faire, n'ont, je Je veux, qu'une importance juridique restreinte, mai:'s il importe néanmoins
de les prendre en considération si on veut avçiir une
idée exacte de la condition de la femme aux diverses
époques du droit romain, et quand nous verrons, tout
à l'heure, sous quel aspect le foyer domestique, au moment où fl.eurit le mariage libre, nous est dépeint par
les poètes, les historiens et les auteurs de cette époque,
nous reconnaîtrons mieux encore l'influence morale
de la manus sur ]a vie de famille, influence qu'il nous
paraît impossible d'attribuer à la confusion seule des
intérêts pécuniaires des époux.
�-
40 -
SECTION Il.
MARIAGE LIBRE.
Le mariage libre est une importation de la Grèce :
nous avons déjà dit qu'il était sanctionné iar la loi
des Xll Tables et émis l'opinion qu'il avait dû être
consacré par la coutume avant de l'être par la législation. Ce qui est certain, c'est que pendant les premiers
siècles de Rome, on ne vit guère d'unions conjugales
sans conventio in manum et qu'il fallut l'affaiblissement des liens de famille, suite naturelle de la corruption qu'engendrent toujours les conquêtes, pour
amener le développement du mariage libre. Deux
motifs contribuèrent prineipalement à faire adopter ce
nouveau régime matrimonial. La femme, sous le mariage libre, trouvait le moyen de jouir à son gré, et
hors de la puissance cle son mari, clu patrimoine qui
pouvait lui échoir dans sa famille; en outre, et c'était
un immense avantage à une époque où la dépravation toujoms croissante faisait du mariage une inslitulion passagère, elle avait le.droit cle r~p~~n qui
lui était refusé sous le régime cle la manus; aussi dès
que les divorces se multiplièrent, le mariage libre se
développa rapidement. A l'époque de Cicéron les deux
formes de mariage se partageaient déjà le nombre
. des unions : cc Genus enim est uxor, nous dit ee grand
« orateur , ejus dure formre, una malrumfamilias
cc earum qure in manum convenerant, allera earum qure
cc tantummodo uxores habentur.)) Les progrès du mariage libre furent si rapides que Gaius qui vivait sous
Marc-Aurèle nous parle de la manus comme d'une ins~-
--
;· , . 1
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.....
··,.,
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.
litution depuis longtemps tombée en désuétude et
Tacite nous raconte que, sous le règne de Tibère, on
cherchait déjà vainement, pour nommer un flamine ,
trois enfants patriciens nés d'un mariage par confari·eatio, de sorte qu'on dut décider, pour ne rien changer aux anciens usélges, que la femme du flamine
serait toujours sous la puissance du mari pour les
choses sacrées, mais que pour le reste, elle suivrait le
droit commun.
Le mariage libre envahit clone la société conjugale;
mais, quand le droit primitif eut été a~nsi modifié,
qnand le divorce arbitraire remplaça la répudiation
pour cause rigoureusement déterminée, les jurisconsulles durent venir en aide à l'épouse dont le mari eùt
conservé le patrimoine en la renvoyant. La séparation éventuelle des biens dut être organisée 'en prévision de la séparation évenLuelle des époux. Telle est
l'origine du ~e dotal. Le mari n'ayant plus aucun
droit sur les biens de sa femme, l'usage se répandit
de lui donner une dot pour l'aider à subvenir aux
charges du mariage. Cet usage devint si impérieux
qu'il paraît probable qu'en dehors du mariage avec
manus, il n'y avait pas justœ nuptiœ sans constitution
de dot. C'était même là, nous dit Pothier, un des criterium auxquels on distinguait le concubinat de l'union légitime : cc Concubina non habet civile uxoris
cc nomen, thori et mensre particeps duntaxat, non
cc etiam titulorum ac dignitatum viri inde est pariter
cc quod talis conjunctio dotem non habeat 1 • » Cette
opinion a été d'ailleurs combattue par M. Troplong
dans la préface de son Tmz'lé du contrat de mai·iar;e,
t
Dig., ad Lit. de Concubinis.
�•
-
1
42 -
mais les textes qu'il cite, empruntés pour la plupart
à Plaute dont l'autorité juridique est restreinte , ne
paraissent pas décisifs, surtout si l'on songe que, chez
les Grecs déjà, la dot était cogsid_~~é_e comme le signe _
clistigetif servant à séparer l'épouse de la C_Qncubine.
- On peut dire que l'invention du r égime dotal porta
le dernier coup à la manus en dénaturant complétement la puissance maritale. La femme restait, en
effet, dans la famille de son père et cèlui-ci demeurait
toujours libre de rompre à son gré l'union contractée.
En outre, quelle autorité pouvait avoir un mari que
sa femme menaçait toujours du divorce et de la restituLion de la dot? Aussi _peut-on dire que l'époux infortuné n'avait qu'à céder à toutes les exigences de la
femme et à s'écrier, comme dans la comédie de Plaute :
Argeutum accepi , dote imperium vendidi.
Caton, dans son discours sur la loi Voconia, dont
nous aurons bientôt à nous occup er, nous montre la
femme dotale prêtant de l'argent à son mari, le fatiguant ensuite de ses exigences, le faisant même poursuivre au besoin par un esclave extra dotal : <c Nobis
«roulier magnam clotem attulit, tum magnam pecu<c niam recipit quam in viri poteslatem non committit.
« Eam pecuniam viro dat mutuam postea, ubi irata
<c facta est, servum receptitium sectari atque flagitare
<c virum jubet. »
Tyrannie insupportable au foyer domestique et que
Juvénal caractérise ainsi clans sa sixième satire ;
Nil uuquam invita donab1~ conjuge : vendes
Hac abstante nihil : nihil hœc si uolet emetur. ·
Hœc dabit affectus : ille excludetur amicus
Jam senior, cujus barbam tua janua vidit.
�-
43 -
Si on ajoute à celte situalion singulière les · avantages considérables que les innovalions du préteur
avaient faits aux femmes pour leur admission au droit
de succéder, on verra combien les prérogatives dont
elles jouissaient éLaient exorbitantes et on ne s'étonnera plus qu'on ait songé à les restreindre. Non-seulement, en effet, les femmes avaient, conformément
au droit primitif, leur part dans la succession paternelle et dans tonl~ les suëëessions qui faisaient retour
ITafamille, mais, de plus, le préteur avait admis par
l~Unde c<}_gnati que, dans le cas où les agnats viendraient à faire défaut, les cognats, c'est-à-dire les parents de la ligne férn,inine, succéderaient jusqu'au
sixième degré à la place des gentiles appelés par la loi
des Douze Tables. Elles pouvaient d'ailleurs recevoir
sans obstacle toutes les institulions testamentaires et
les legs faits à leur profit, même par un étranger.
On comprend que par suite de leur fortune et de la
funeste indépendance que leur donnait le mâriage
libre, l~femmes menaçaient d'acquérir la prépondérance, sinon en droit, du moins en fait, dans la cité
romaine. On objectera que la puissance paternelle et
la Lulelle agnatiqu~ étaient des obstacles suffisants
pour empêcher la femme de franchir des limites que
la nalure et la loi lui refusent également, mais à l'époque où nous sommes arrivé, ces deux institutions
Lombent en décadence.
Fondée sur la nature même, la puissance paternelle
ne pouvait disparaître complétement; nous devons
même reconnaître qu'en ce qui concerne les rapports
des personnes, le pouvoir du père conserva, jusqu'aux
empereurs, prèsque Lout son caraclère de sévéfi.té;
�•
,
-
44 -
mais, en fait, surtout pour la fille mariée habitant avec
son époux hors cle la maison paternelle, ce pouvoir
n'était guère qu'une fiction légale. Au contraire, quant
aux rapports réels, les lois apportèrent de grandes
modifications aux pouvoirs absolus dn chef cle famille .
de disposer de ses biens. Citons cl' abord ~ ~ 9ncia
qùi mettait une borne aux donations, la loi Cor~ia
et la loi Furia qui imposaient une restriction aux cautionnements et aux legs, enfin et surtout les modifications introduites clans les successions testamentaires
par l'institution de la plainte d'inofficiosité et les possessions cle biens prétoriennes. Le droit de disposer de
ses biens qui est la véritable sanction de la puissance
paternelle avait donc reçu d'étroites limites et le pou~
voir du chef de famille en avait été d'autant diminué.
Quant à la tutelle agnatique, elle était, avecle temps,
devenue tout à fait illusoire et c'est ce qui devait nécessairement arriver pour une institution urement
civile "et contraire au droit naturel. Les fem~s
essayèrent d'abord d'éluder la loi, etlesjurisconsu ltes
inventèrent diverses subtilités pour atténuer les effets
de la tutelle. La plus usitée ~tait la coemptio fiduciaire;
les femmes, d'accord avec l'agnat tuteur, se donnaient
in mancijJio à quelqu'un avec qui elles avaient auparavant passé un contrat de fiducie; une fois la formalité
remplie, le coemplionnate ur l'affranchissait par la
vindicte et, dans ce nouvel é,tat, la femme était censée
sous la tutelle clu patron affranchissant, mais, en fait,
sous celle d'un ami complaisant qui abdiquait immédiatement ses pouvoirs et elle échappait ainsi à la tutelle des agnats. Ces derniers ne s'y opposèrent pas,
car ils n'avaient plus aucun intérêt à contrôler les
.
'
J
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Ml-
actes de la femme et la tutelle n'était plus qu'une
charge au lieu d'être un privilége de famille . Aussi,
longtemp s avant d'avoir été législativ ement abolies,
les' dispositions de la loi sur la tutelle agnatiqu e étaient
tombées à l'état de lettre morte et Cicéron déploran t
l'atteinte portée aux vieille's coutume s nous dit ironiquement que les juriscons ultes de son temps ont
trouvé le moyen de placer les tuteurs sous la dépendance des femmes dont la surveillance leur a été confiée. cc Mulieres cnmes propter infirmita tem consilii
cc majores nostri in potestate virorum esse voluerun t,
(( hi inveneru nt genera tutorum qui potestate muliecc rum continer entur. »
Telles furent les causes diverses qui &ngendrèrent
cette ~ancipation exagérée de la femme, cette fortune, ce luxe et, par suite, cetle corruptio n auxquels
il fallut bientôt chercher des remèdes énergiqu es.
Pendant la guerre punique, le tribun Oppius fü passer une loi destinée à réprimerÎè luxe êfeSfemm es,
défendant qu'aucun e d'elles cc ne pût posséder plus
d'un demi-once d'or, ou un vêtemen t de diverses couleurs, ou se faire traîner en voiture dans la ville, sinon
à l'occasion des fêtes religieus es.» Mais peu après, en
l'an 559, ce_tte loi Oppia fut violemm ent attaquée par
la noblesse romaine et surtout par les femmes qui,
réunlëS en foule sur le Forum, rédamai.e nt à grands
cris qu'en présence de la prospéri té de la République, .
on leur permît de revenir à leur luxe antérieu r. C'est
en vain que l'austère Caton·pron,onça à cette occasion
un superbe discours que Tite-Live nous a conservé,
c'est en vain qu'il montra les dangers toujouts crois·
sauts du luxe, vanta la simplicité des anciennes ma:
�~
46
~
trones et pronostiqua les désordres et les vices qui
résulteraient infailliblement de l'émulation des femmes
pour la parure 1 • Caton ne fut pas heureux dans cette
circonstance, les femmes se répandirent dans les rues
et à force d'importunités, .forcèrent les tribuns opposants à lever leur veto. La loi 0 ia fut abrogée,
Rome eut-elle à s'en repentir? Elle était sur une pente
fatale qu'il fallait descendre et ce n'est pas une disposition législative qui pouvait l'arrêter , car que
.._Eeuvent les lois sans les mœurs? Vanœ leges sine mo1·ibus. D'ailleurs l'infatigable Caton ne se découragea
pas, et, en 585, malgré ses 75 ans, n'ayant pu réussir
à réprimer le luxe des femmes, il tenta d'en tarir la
source en faisant présenter la loi Voconia qui liplitait
les dispositions testamentaires permisesen leur faveU:--Cette loi avait pou:n but de rail'ermir l'aristocraÙe patricienne eri empêchant les plus opulentes successions de passer par les femmes dans des familles
( étrangères, et surtout de fortifier le gouvernement
domestique et relever la puissance maritale qu'avaient
presque annihilée les institutions testamentaires et la
grandeur des legs qui se multipliaient en faveur des
~Molière ·ans sa comédie de l'Ecole des ma?'is, s'est heureusement inspiré de la célèbre harangue de Caton dans les vers sui·
vants :
Oh, trois et quatre fois béni soit cet édit
Par qui des vêtements le luxe est interdit!
Les peines des maris ne seront plus si grandes
Et les femmes auront un frein à leurs demandes.
Oh! que je sais au roi bon gré de ces décris
Et que, pour le repos de ces mêmes maris,
Je voudrais bien qu'on fit de la coquetterie
Comme de la guipur!J et de la broderie J
�femmes. La loi Voconia avait deux disposÎLÎons fondamentales : l'une, relalive à l'insliLulion d'héritier, défendait à tous les citoyens inscrits au cens dans ]a
première classe, c'eskà-dire possédant plus de 100,000
as, d'instituer une femill:e comme héritière, même
leur fille ou leur épouse; l'aulre, relative au legs, défendait aussi aux citoyens inscrits dans la première '
classe de léguer à une femme au delà de la portion
légalement déterminée. Cette portion paraît avoir été 1
fixée d'une manière générale au quart des biens, car
Dion Cassius nous apprend qu'Auguste, pour laisser à
Livie le tiers de sa fortune, dut demander au Sénat
l'autorisation de léguer au delà ~e la portion permise
par la loi Voconia.
La prohibition du legs au delà d'une certaine
somme pour les citoyens de la première classe était
moins absolue que celle de l'institution d'héritie r;
elle souffrait exception en faveur de la fille unique
du testateur qui pouvait recevoir par legs la moitié
de la fortune palernelle. Telle est du moins l'opinion
qui nous paraît la mieux fondée, car de vives controverses se sont élevées sur la quotité dont on pouvait
disposer en faveur de la femme et surtout de la fille
unique. Les textes, en effet, présente nt une certaine
obscurité qui tient à deux motifs : d'abord le manus ~
crit de Tite-Live qui a fourni sur cotte question déli~
cate les renseign ements les plus précieux se ,trouve
malheur eusemen t altéré au passage traitant des dis ~
positions de la loi Voconia. En outre, la plupart des
auteurs romains qui nous indiquen t le taux précis que
les libéralités en faveur des femmes ne pouvaient dé·
passer se serven.t d'expressions désignant les diverses
•
•
�•
-18 -
•
rrtonnaîes de l'époque; lanLôt ils parlent de seslerces,
tantôt de deniers d'argent, tantôt d'as et de quadrans
et la valeur comparative des monnaies est fort difficile à établir d'une manière précise à cause des diverses
modifications qu'a ·subies, ~plusieurs reprises, le système monétaire romain.
M. de Savigny a soutenu, dans son commentaire
sur la loi Voconia, que la femme pouvait être instituée
comme héritière chaque fois qu'à défaut de testament
elle eût été appelée à l'hérédité ab intestat. Les textes
que nous possédons sont tout à fait contraires à cette
opinion. Saint Augustin parlant de la loi Voconia dans
la Cùé de Dieu dit textuellement: «Lala est lex Voconia
« ne quis heredem feminam faceret nec unicam fi'' liam. » Gaius n'est pas moins formel dans ses Commentaires : " Mulier ab eo qui census est, dit-il, per
" legem Voconiam institui non potest. » (Il. § 274. )
' Ajoutons d'ailleurs que la loi Vo.conia ne paraît pas
s'être occupée du tout des hérédités ab intes~at qui
étaient exceptionnelles à Rome où tout citoyen pubère
et sui juris s'empressait de faire son testament.
Telle fut, dans celles de ses dispositions qui nous
intéressent spécialement, cette loi Voconia destinée à
diminuer l'influence croissante des femmes, en limi~
tant leur fortune, remède impuissant et inefficace en
présence du mal qu'il s'agissait de guérir. Les femmes
ne tardèrent pas à trouver des moyens indirects d'éluder la loi. On employa le fidéicommis secret dont
l'usage commençait alors à se répandre ; on confia sa
succession à l'honneur d'un ami pour la faire parvenir entiè:re à sa femme ou à sa fille. L'op~nion déclara
infâmes ceux qui abusaient de pareils dépôts et il en
�-
4U -
résulLa que la condition des femmes ne se trouva
guère modifiée ..
En présence des adultères et des divorces de plus
en plus fréquents, en présence des excès du mariage
libre et de la triste. situation faite aux maris, l~ m~
riage étaiL tombé dans un complet discrédit. On trouvait quTI éLait plus avantageux de vivre seul que de
subvenir .aux besoins d'une famille·; en outre, les
célibataires étaient entourés de soins et de prévenances
par les nombreux amis et parents avides de recueillir
leur succession. C'était là un symptôme effrayant de
décadence ; il amenait le dépérissement cl.e la population déjà épuisée par les proscriptions .et les guerres
civiles et étrangères. Le pouvoir s'en inquiéta à juste
titre, et nous allons assister aux _ ~fforls d'Augusle et
de ses successeurs pour ramener dans Rome les vertus domestiques. Mais, avant d'étudier cette partie de
la législation romaine, avec laquelle va s'ouvrir une
ère nouvelle, il importe de dire quelques mots du concubinal.
SECTION III.
DU
CONCUBI NAT.
A côté de ces deux formes de mariages comprises
sous le nom de justœ nuptiœ, les Romains avaient
reconnu plusieurs espèces d'union déclarées licites
par la loi, mais inférieures aux justes noces et produisant, au point de vue juridique, des effets trèscfüférents : ce sont le concubinat, le mariage du droit
des gens et le contuperiüqm.
---
•
�-
t:iO -
Le concubinat est une conséquence naturelle de
l'orgtÏcisa~ociale ùe Rome. Pendant de longues
années, Rome fut une puissante aristocralie : les
patriciens y formaient une classe à laquelle il élail
défel).du de frayer avec les plébéiens : entre les deux
castes n'existait pas cette condition de connubium impérativement exigée pour les justœ niptiœ; mais les
lo~s de la nature et de la raison sont plus fortes et
plus pq.issantes que celles arbitrairement édictées par
les hommes. En fait, les unions ne tardèrent pas à se
multiplier entre patriciens et plébéiens et le législateur fut amené à déclarer qùe, sans procurer à la
femme la dignité de matei·familias, elles produiraient
certains effets juridiques qui les distingueraient des
relations passagères nées de la débauche. Telle fut
évidemment l'origine du concubinat, mais celte institution eût bientôt disparu si elle n'avait eu d'autre
utilité que de légitimer, clans une certaine mesure, les
alliances entre patriciens et plébéiens, car, dès ran
309 de Rome, un plébiscite connu sous le nom de loi
Canuleia vint autoriser le mariage entre les deux
ordres. Elle se maintint en fait par suite des préjugés
aristocratiques qui, pendant de longs siècle~, ne per·
mirent pas aux patriciens d'élever les femmes d'une
classe inférieure, et notamment les affranchies, à la
dignité d'épouses légitimes.
Le concubinat présente absolument l'image des
j'Ustœ nuptiœ; les quelques textes, très-rares, que nous
possédons sur cette matière nous disent qu'il ne s'en
distingue que par l'intention des parties. C'était donc
une question de fait. En règle générale, toute femme
unie à un homme d'une condition supérieure à la
-
•
�- 01 sienne on n'ayant pas apporlé de dot à son époux,
élail répulée n'êlre qu'une c9ncubine, situatioq, au
point de vue social, infiniment moins honorable et
moins considérée que celle de l'épouse. Bien q11e le
concubinat fût, comme le mariage iui-même, soumis
à la condition de la monogam
.__. ie, les enfants issus
et ne
d'une telle union étaient des enfants naturels
..
passaient point.sous la puissance de leur père; toutefois, lorsque furent rendues les lois caducaires dont
nous aurons bientôt à parler, le concubinat fut considéré comme suffisant pour écarter les peines du
célibat. Cette union inférieure, qui paraît avoir été
réglementée plutôt par les mœurs que par les lois,
devint inutile quand Justinien eut aboli tout empêchement de mariage provenan t du rang de la fortune
ou de la condition sociale, aussi fut-elle législativement
abrogée par l'empere ur Léon comme manifestement
contraire aux idées chrétiennes.
Nous trouvons encore à Rome deux catégories de
personnes non autorisées à. contracter le mariage
romain, ce sont les étrang'e rs et les esclaves. Pour les
premiers fut créé le mariage du droit des gens ou
matrimonium non legitimum, certainem ent inférieur aux
justœ nuptiœ, mais supérieu r au concubinat. Le législateur qui imagina cette union comme compensation
aux rigueurs qu'il avait montrées envers les femmes
exclues_du gjron de la cité, ne paraît pas s'être beau·
coup préoccupé des garantie s à accorder à la ,femme
étrangèr e, mais il est probable que là encore les
moours avaient suppléé à l'üîSuffisance de la loi et lui
assuraient la prolection à laquelle elle avait droit.
Remarquons d'ailleurs que la loi avait multiplié le~
-
�-
52 -
moyens cle transformer en y'ustœ nuptiœ le mariage du
droil des gens (causœ jJi•obatio, en·oi·is causœ probatio,
concession du fus civitatis). Cette union perdit presque
toute raison d'être quand l'empereur Caracalla eut
accordé le droit de cité à tous les sujets de l'empire el
elle disparut définitivement avec les réformes de Justinien abolissant les deux classes des latins· juniens et
des déclitices.
Quant au contubei·ni·um, seul mode d'union des
esclaves, il ~itë;;'"nsicléré que comme un simple
rapprochement entre personnes de sexes différents ;
soumis au caprice des maitres, il n'était réglemenlé
par aucune loi. Nous savons seulement que. diverses
dispositions législatives de Claude et de Constanli.n
l'avaient rigoureusement interdit, sous les peines les
plus sévères, aux femmes libres.
CHAPITRE V.
La femme sou's la législation d'Auguste et de ses
successeurs.
Les lois primitives de Rome, rudes et simples, suffisaient à régir un peuple dans l'enfance, mais elles
devaient devenir insuffisantes quand il s'agit d~ maintenir dans l'ordre les maîtres du monde. Pendant plusieurs siècles, la force même des premières instilutions, le rigorisme étroit des pontifes, le respect des
liens de famille préservèrent Rome de la corruplion
qu'entralnent généralement les conquêtes, mais la
puissance romaine s'étendant toujours rencontra la
;
�1
/\
~
53 -
civilisation grecque, brillante et avancée, mais raffinée et corrompue. Les historiens nous signalent tous
la déplorabie influence de la Grèce sur les mŒurs
romaines et Pline appelîë mêînë les Grecs les pères de
tous les vices : « Grœci vitiorum omnium genitores. »
Cette opinion paraît exagérée; Les soldats qu'on
envoyait guerroyer an loin, qu'on laissait pendant
plusieurs campagnes dans les pays conquis, perdaient
peu à peu l'esprit de citoyens ,et ne rapportaient à
Rome que les vices de$ populations trop souvent
dégénérées qu'ils a,vaient eu à dompter, de sorte que
l'on peut dire avec vérité que ce fn! la grandeur même
de l'État qui pèrclit la République. A partir de cett~
epoque lëS goùts de luxe et la soif de l'or apportent
dans les liens de famille, aussi bien que clans les rap.'..
ports politiques, les spéculations· de l'avarice. C'est ce
que nous dit fort bien Montesquieu : cc La grandeur. de
l'État fit la grandeur des fortunes particulières. Mais
comme l'opulence est dans les mœurs et non dans les
richesses, celle des Romains qui ne laissait pas d'avoir
des bornes produisit un luxe et des profusions qui
n'en avaient point. Ceux qui avaient d'abord été corrompus par leurs richesses le furent ensuite par leur
pauvreté. Avec des biens au-dessus d'une condition
privée il fut difficile d' être un bon citoyen; avec les
désirs et les regrets d'une grande fortune ruinée on
fut prêt à tous les attentats, et, comme dit Salluste,
~ on vit une génération de gens qui ne pouvaient avoir
de patrimoine ni souffrir que d'autres en eussent 1• »
Les suffrages populaires achetés clans les comices, les
1
Gr. et déc. des Romains, ch. x.
�.'
-
54 -
is-
pillages organisés dans les provinces par des adrnin
trateurs cupides dont Verrès est demeuré le type inoubliable, tout, jusqu'à la fureur du divorce ·qui désola
Rome à la fin de la République, a l'argent pour mo( bile. C'est par l'appât des dots que les femmes parvienne~t à séduire les maris devenus rares, c'ést par
la crainte d'un divorce entraînant la restitution qu'elles
retiennent sous le joug le malheureux enchaîné. Les
guerres civiles amenées par l'ambition et la rivalit6
des généraux et suivies de sanglantes proscriptions
ajoutent encore à la tristesse de, celte déplorable
époque et achèvent d'expliquer la désag;régation totale
de la société. L'ancienne oligarchie patricienne esl
vaincue avec Pompée à la mémorable bataille de
Pharsale qui prépare la démocratie des Césars, la
Hépublique s'écroule, et, sur les ruines des mœurs et
des insLituLions, Auguste installe le despotisme impérial. L'affranchissement des anciens pouvoirs domestiques fut la conséquence naturelle de la chute des
institutions aristocratiques. La manus et la tutelle
agnatique n'existent plus que de nom et les femmes
n'étant plus retenues par ces divers liens jouirent
d'une très-grande liberté dont, il faut le dire, elles ne
surent pas se montrer dignes. La vaste conjuralion
des Bacchanales, découverte en 568 par les déÙonciations de l'affranchie Hispala Fecennia, conjuration qui
devait anéantir les principes les plus sacrés de la
famille, nous montre suffisamment quelle était déjà,
à cette époque, la dépravation des mœurs chez les
femmes romaines. Quant aux, conséquences de celle
corruption, M. Gide les expose parfaitement dans les
·
.
lignes suiva~
�•
-
5~
-
« Dès que les femmes pour qui les devoirs domes-
tiques composaient la vie tout entière eurent perdu
cc la pudeur, elles devinrent capables de tous les
'' crimes. Le foyer domestique ne fut pas le se1ù
cc théâtre de leurs débordements, elles semèren t dans
(( toute la République l'agitation et le désordre. Grâce
cc à l'indépendance que leur faisaient ' les lois, on les
cc vit répandre le tumulte dans la ville, assiéger de
cc leurs clameurs les tribunau x et les portes du sénat,
cc fomenter les conjurations, dicter les proscriptions,
cc souffler le feu des discordes civiles : en un mot elles
cc furenL aussi puissantes par leurs vices que les
" héroïnes des premiers âges l'avaient été par leurs
(( vertus 1 • >i
Aussi, n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que les trois
fléaux dont nous signalions, dans notre précédent
chapitre, l'intensité toujours croissante, l'adultère, le
divorce, le célibat, aient pris à Rome de telles proportions que l'on éprouvât des craintes sérieuses pour
l'existence même de l'Jl;tat. Voyons ce que fit Auguste
pourra mener dans son empire les vertus domestiques,
et quel fut le résultat de ses réformes législatives.
Dès avant Jules César, le pouvoir censorial, chargé
de surveiller les mœurs, avait essayé quelques me- )
sures conLre les célibaLaires. Où avait introduit certaines peines contre eux, notamm ent une amende ou
rétribution qu'on appelait œs uxoi·z·um. En même
temps, on attribuait des récompenses et on réservait
certains honneur s aux pères d'une nombreuse famille.
Jules César alla même jusqu'à partager tout le sol de .
cc
-1
De la femine et en pa1·ticulie1· du sénatus-consulte Velléien, p. 147.
�•
-
56 -
la Campanie entre vingt mille citoyens, Lous pères de
lrois enfants au moins. Ces mesures étaient insuffisantes en présence du mal toujours croissant. Auguste,
devenu empereur, en adopta de plus énergiquës et fit
rendre trois lois connues sous les noms de Julia de
adulteriis, Julia de man'tandz's 01'dinz'bus et Papia Poppœa,
qui modifièrent êonsidérableme.nt les institutions jusqu'alors en vigueur. L'étude complète des lois caducaires exigerait, à elle seule, des développements que
ne comporte pas notre travail : nous ·contentant donc
d'un aperçu général sur les réformes qu'elles introduisirent dans la matière des teslamenls et des legs,
nous insisterons plus particulièrement sur l'influence
qu'elles eurent sur la société romaine et sur la situalion faite à la femme, quant à ses biens, par l'organisation du régime dotal.
Aug,uste connaissait ~ien les hommes de son temps;
sachant qu'ils n'étaient guère sensibles qu'à ce qui
louchait leur intérèt personnel, ce .fut en intéressant
leur cupidité et leur avarice qu'il tenla de remetlre en
honneur le mariage discrédi lé. La loi Julia de adultenïs édicta d'abord des peines très-sévères contre ceux
qui, engagés clans les liens du mariage, commettaient
des adultères, ou mème qui, hors du mariage, entreti'êiïëlfaiëiït'des relations cl e concubinage avec les
femmes, filles ou veuves qui, par leur for lune ou leur
con~ition, pouvaient aspirer au mari.age. Les peines
portées par cette loi n'étaient rien moins que la rélégation dans une île, la perte d'une portion de la fortune et peut-ètre la mort, ainsi qu'il semble résulter
d'un passage des Institutes : « Temeratores alienarum
« nuptiarum gladio ex hac lege puniuntur 1 • >> La
1
Inst. § 4, de Jud. pub.
�-
57
femme adultère, de son côté, devient passible d'un
jugement public, tandis qu'aupara vant elle ne subissait que Io jugement domestique qui, dans ce cas, était
rendu par le mari seul, sans l'assistance du tribunal
Je famille . Ce dernier mode subsiste quand il ~e se
trouve pas d'accusateur publiç.
La loi Julia de marüandis onlinibus et la loi Papia
Poppœa dans laquelle elle fut presque entièreme nt
refondue, décidèrent, dans le but de mettre un tel"me
aux déplorables conséquences d'une liberté illimitée
de répudiation et de détourner les citoyens du célibat,
que les célibataires et les veufs sans enfants seraient \
incapables de recueillir, en tout ou en partie, soit les
legs, soit les hérédités testamentaires qui leur sera~enl 1
dévolus et que leurs parts seraient attribuées aux/
pères de famille inscrits dans le même testament. Il
nous suffira d'énumére r les personnes atteintes par
ces lois pour voir qu'elles sont essentiellement hostiles
au célibat et à la viduité, essentiellement favorables
aux premiers et aux seconds mariages.
Sont frappés de l'incapacité de recueillir l'héréclilé :
1° Les cœlibes, et on entend par célibataires nonseulement ceux qui ne sont pas mariés, mais encore
les personnes veuves ou divorcées qui n'ont point
contracté une seconde union dans les cent jours
depuis l'ouverlur e des tablettes du testament, s'il
s'agit d'un homme, dans les dix-hüit mois du divorce
ou après deux années de viduité, s'il s'agit d'une
femme;
2° Les oi·bi, c'êst-à-dire ceux qui, étant mariés, n'ont
point encore d'enfants. Toutefoi::; la loi, plus indul~
..
�-
..
58 -
gente pour eux que pour les cœlibes, ne leur enlève
que la moitié de la succession à laquelle ils auraient
eu droit;
3° La femme qui n'avait pas obtenu le jus libe1·01·um.
Cette. prérogalive n'était accordée qu'aux femmes
ayant Lrois enfanls s'il s'agissait <l'une ingénue, quatre
s'il s'agissait d'une affranchie, mais le fait d'une triple
ou d'une quadruple parturition suffisait à l'exempter
des peines du célibat et de l'oi·bz"tas et il n'élait pas
nécessaire que les enfants fussent vivants.
Non contentes d'enlever aux 01·bi' et aux cœlzbes le
bénéfice des institutions et des legs faits en leur faveur,
les lois. caducaires attribuent leurs parts aux patres.
Quelques auteurs ont soutenu que les femmes ayant
obtenu le jus libei·oi·um, avaient, comme les patres, le
jus caduca vindicandi; nous n'avons pas cru devoir
adopter cette opinion que nous nous proposons de
combattre oralement en soutenant l'une de nos positions.
D'autres iiriviléges furent accordés aux mères de
famille par les lois caducaires : celles ayant obtenu le
J·us libei·oi·um étaient · libéréf)s de la tutelle de leurs
agnats ou de leurs patrons et recouvraient ainsi la
libre disposition de leur fortune et le droit de tester.
Mentionnons encore l'institution des décimes dont la
théorie nous est exposée par le -jurisconsulte Ulpien
(Reg. xv) et en vertu de laquelle la quotité disponible
entre époux augmente proportionnellement au nombre
des enfants. En principe, le mari et la femme pouvaient, mati·imonii nomine , se faire donation d'un
dixième.' Quand les conjoints ont des enfants, ils
peuvent recevoir un dixième de plus par chaque
•
�-
59 -
enfant, et on compte dans le calcul même les enfants
nés d'une précédente union, pourvu qu'ils soient
encore vivants, tandis que les enfants communs con·tinuent à comp ter, même après leur décès. Il en
résulte quo les époux ont le plus grand intérêt à se
remarier quand le premier mariage vient à se dissoudre et, là encore, l'esprit de la loi apparaît net~
te ment.
Enfin, la plus importante des réformes d'Auguste,
et cello sur laquelle nous insisterons davantage, consiste dans l'organisation du régime dotal (loi Julia çle
adultenïs).
Nous avons vu qu'à une ·époque déjà très-ancienne,
sous le régime même de la manus, une stipulation
spéciale intervenait généralement entre le beau-père
et son futur gendre au sujet des biens que la femme
devait apporter à ce dernier pour l'aider à subvenir
aux charges du mariage. Ces biens qui, dès l'époque
de Cicéron, étaient connus sous le nom générique de
dot, devenaient, en l'absence de conventions spéciales,
la propriété définitive et incommutable du mari. La
nécessité d'une dot devint encore bien plus impérieuse
avec le développement du mariage libre sous lequel
les intérêts des époux restaient absolument distincts.
Il eût été évidemment injuste que le mari supportât
seul toutes les charges de l'union conjugale, de là
découla bientôt la nécessité d'une dot constituée soit
par la femme elle-même si elle était suz'juris, soit par
celui sous la.puissance duquel elle se trouvait si elle
était encore alieni jui is à l'époque du mariage. La
propriété reconnue au mari sur les biens dotaux présenlait ce clouble avantage cle faire parliciper la femmo
0
�-
-
60 -
à l'entretien de la maison conjugale el de faire passer
.
une partie de la fortune
entre les rriains des enfants
cle leur mère qu'ils retrouvaient dans l'hérédité paternelle. Mais quand, à la suite de la démoralisation
générale dont nous venons d'esquisser le tableau, les
adultères et les divorces se muHiplièrent, on trouva
inique que le mari conservât, après la dissolution du
mariage, les biens apportés en dot par son épouse.
Les clauses de restitution de dot devinrent de plus en
plus fréquentes et la cautio rei uxoi·ùB qui fut en fait la
base du régime dotal, devint presque universelle. On
reconnut cl'ab.ord 0au père constituant le .droit de
reprendre, en l'absence de toule convention, les biens ·
qu'il aurait donnés à sa fille inorte pendant le mariage, et Pomponius nous donne de · ce privilége un
motif bien extraordinaire qui nous prouve quelle était
alors l'avarice romaine : « Jure succursum est patri
cc ut, filia amissa, solatii loco cederet si rcdderetur dos
cc ab ipso profecta ne et filire amissre et pecunire clamcc num sentiret. i> (Loi 6. Dig., de Ritu nuptiarum.)
Même dans ce cas, le père devait laisser au mari une
portion de la dot proportionnelle au nombre des
enfants et sur la quotité de ~aquelle les jurisconsultes
sont loin d'être d'accord. Ulpien nous dit en effet que
le droit de rétention du mari sur la dot est d'un cinquième par enfant : cc Quintis in singulos liberos in
cc infinitum relictis 1 » et ces termes n'ont pas un sens
défini et précis.
Le préteur fit bientôt un pas r.le plus : en l'absence
de conventions, il accorde à la femme, pour la resti1 Reg.,
fü, VI, 1. 4.
�-
6'1 -
tulion de sa dot, une action · de bonne foi, dite ?·ei
u.xoriœ, qui, resLreinLe d'abord au cas de divôrce, fut
plus' fard étendue au cas de dissolution du mariage
par la mort du mari. Cette action ne passait pas
d'ailleurs aux héritiers de la femme, à moins que le
mari n'ait été mis en demeure après la dissolution du
mariage. Par une dérogation singulière aux principes
généraux de la puissance paternelle , si la femme était
fi.liafamilz'as, le père ne pouvait intenter l'action rei
uxo1·ùe 1 ni toucher les valeurs dotales, qu;avec le concours de sa fille, dérogation qui. vient évidemme nt de
ce que la dot, aux yeux des Romains, était essentiellement destinée à procurer à la femme un nouvel
établissem ent matrimoni al.
Le droit pour la femme de reprendre ses apports,
venant ainsi s'implante r à côté du droit absolu et irrévocable que la manus conférait au mari, donna naissance tout d'abord à une législation dont on aperçoit
aisément l'incohére nce et les dangers. Nous allons voir à présent l'unité et l'harmoni e s'introduir e peu à
peu. ~e droit §e propriété du mari sur les biens dotaux
sera_ de plus en plus restreint au profit de la fe~me
dQnt les priviléges vont au contraire être augmenté s
chaque jour. Ces résultats contenus en germe dans la
législation d'Augusté se développè rent sous ses successeurs et aboutirent sous Justinien à faire du mari
un simple administr ateur des biens dotaux.
La constitutio n de dot peut être faite par le père çle
famille ou par la fille elle-même quand elle est sui
ju1·is : dans le premier cas 1 elle est dite p1·ofectù:e,
adventice dans le second. Enfin, elle est qualifiée de
receptz'ce, quand le constituan t est un tiers qui s'est
�-
(i".2
-~
réservé le droit de retour ù la dissolution du mariage.
La loi Julia introduisit un principe trè&-important en
statuant que le père de famille pourrait être obligé cle
fownir à sa fille une clot convenable 1 • Celle atteinte
considérable portée à l'omnipotence du père de
famille était nécessaire en présence cles lois caducaires
qui prononçaient des peines contre le célibat, et elle
s'explique par la nécessité qui s'imposait alors au
législateur de favoriser les mariages. La dot, nous clit
Ulpien, pouvait se constituer de trois rqanières différentes : « Dos aut datur, aut dicitur, aut promitti« tur i . » La dation était le seul mocle qui transférât
directement au mari la propriété quiritaire si le tradens était propriétaire et employait une des formes cle
translation reconnues p~r le clroi t civil, et le domaine
bonitaire si le constituant se contentait de faire tradi•
tion cl'une res mancipi. La dictio et la pi·omissio ne donnaient au mari qu'un simple droit de créance. La
constitution de la dot pq,uvait avoir lieu avant le mariage, soit même pendant le mariage 3• Mais, comme
la dol suppose le mariage, le constituant qui aurait
fait tradition des bi\'.}nS dotaux, pourrait, clans le cas
où l'union projetée ne se réaliser it pas, les revendi·
quer par une condictio sine causa.
Le mari était Jlr.opriétai~e absolu des biens dotaux;
Dig ., 1. XIX, de Ritu nuptiai·um.
Reg., tit. VI, § 1. - La dictio dotis sur laquelle nous n'avons
rjue peu de renseignements, était un mode spécial d'en gagemenL
sans recourir aux form alités ordinaires de la stipulation. La femm e,
son débiteur délégué et son ascendanL mûle paternel pouvaient
seuls employer ce rpode de consLitution. - La dotis pronûssio n'est
qu 'un e. stipulation ordinaire .
# ?11ul. 1 lih . ll 1 tit. Xll.
t
ii
�-
63
il était sans doute soumis à une aclion en restitution
qui pouvait s'ouvrit' à tout moment par la dissolution
du mariage, mais, en attendant, il avait le droit d'en
disposer à son gré, de les vendre, les donner, le dissiper et on conçoit combien devait être illusoire, clans
de semblables conditions, la garantie que la femme
LrouvaiL dam son action en restitution . Ajoutons que
la dol adventice restait la propriété du mari si la
femme venait à mourir pendant le mariage. Nous
trouvons clone ici une situation singuhere : le mari
dispose à son gré des biens dotaux et cependant la
femme ou le constituan t a droit à la restitution ; aussi
voyons-nous les jurisconsu ltes romains eux-même s
Re demander quel est le véritable propriétai re de la
dot : « Quamvis in bonis mariti dos sit, dit Tryphoni·
« nus, mulieris tamen est. » Remarquo ns d'ailleurs
que toute controver se cesse et que la propriété du
mari est définitive quand il s'agit de choses fongibles
. ou de corps certains estimés. Il y a d'ailleurs toujours
intérêt à distinguer si les biens dotaux ont été ou non
estimés. Dans le premier cas, le 'mari est acheteur;
s'il n'a reçu que la possessi·o ad usucapiendum (parce que
le tradens n'était pas propriétai re) il usucape pro
empto1·e et non pi·o dote; c'est par conséquen t sur sa
tête que reposent les chances d'augmen tation et de
détériorat ion; en cas d'éviction, il intent~ contre le
constituan t l'action pi•o emptore et enfin ne doit jamais
rendre, à l'époque de la restitution , que le montant
de l'évaluatio n. Si, au contraire, aucune estimation
n 'a été faite, le mari usucapant pi·o dote ne supporte
pas los risques et, s'il vient à aliéner le fonds dotal 1
doit restituer tout le prix qu'il en a retiré. Les lois
�-
(il~ -
·Julia et Papia ont apporlé de très-imporlantes modifications dans le gouvernement de la dot pendant le
mariage et les modes de restitution en cas de dissolution.
La disposition fondamentale"que:nous trouvons dans
la loi Julia est celle qui prohibe l'aliénation des immëubles dotaux s~:ns le consenlement de la femme et,
même avec ce consentement, la constitution d'hypothèque : cc ne maritus fundum italicum dotalem uxore
'
« vel invita alienaret, nec consentiente ea obligaret. »
(Dig. 3, X.XIII, v.) Cette double prohibition a pour fondement l'intérêt de la femme et se rattache toujours à
l'ensemble du système suivi par les lois caducaires
qui veulent favoriser, autant que possible, les ç,hances
d'une seconde union. C'.e st dans ce sens que le jurisconsulte Paul disait : cc Reipublicre interest dotes mucc lierum salvas esse propter quas nubere possint. »
La loi Julia ne dit rien des meubles dotaux, il faut
donc conclure qu'à leur égard les anciennes règles
subsistent et que le mari co.n tinue à en disposer propriétairement 1 • Cette interprélation est d'ailleurs confirm~e par un texte du Digestè qui autorise spécialement le mari à affranchir les esclaves dotaux.
(40, I, 23.)
La nouvelle législation d'Auguste autorise l'aliénation des biens dotaux avec le consentement de la
femme : il en résulte que l'aliénation sera valable
chaque fois qu'elle aura été amenée par des causes
1 Remarquons d'ailleurs que la fortune mobilière était loin d'avoir
ncquis; à Rome, l'importance que nous 'lui voyons aujourd'hui et
qu'on s'en tenait encore à l'ancienne maxime : ?·es mobi.l:is, ?·es ·
vilis.
�-
65 -
indépendantes de la volonté du mari, comme à la
suite d'une demande en partage intentée contre lui ou
d'un envoi en possessicm du voisin pour défaut de
cautio damni infecti.Les aliénations universelles, celles
qui sont faites, par exemple, par voie de succession
ou à la suite d'une adrogation, échappaient encore à
la prohibition de la loi Julia; mais celui à qui est faite
cette transmission universelle recueille le bien dotal
frappé d'inaliénabilité. L'héritier est d'ailleurs tenu de
l'action en restitution dès le moment où son droit s'est
ouvert.
Supposons que le mari eftt illégalement aliéné le
fonds dotal : qui pouvait invoquer la nullité de l'aliénation, et à quelle époque ? La charge de restitution
qui pesait sur le mari ne créait à la femme qu'uff droit
de ·créance, et ne constituait pour celui-ci qu'une
obligatioI). personnelle sanctionnée par une action
purement personnelle. Si l'action ?'ez' uxorù.e s'étant
ouverte dans la personne de la femme, celle-ci venait
à mourir après avoir mis en demeure le mari ou ses
héritiers, les héritiers de la femme .Pouvaient bien
exercer l'action rez' uxoriœ, mais ils ne pouvaient pas
faire tomber l'aliénation que le mari ou ses héritiers
auraient consentie après le décès de la femme. Tel
paraît du moins être le sens qu'il convient de donner
à un texte de Paul qui a été diversement interprété :
« Toties non potest alienari fundus quotiens mulieri
« actio de dote competit, aut omnimodo competitu ra
« est.» (JJzg., lib. III, § 1, JJe fundo dotalz'.)
Le mari qui, sans le consentement de sa femme,
avait aliéné le fonds dotal, pouvait-il attaquer luimême, comme illégal, l'acte qu'il avait consenti? Trois
5
�-
66 -
systèmes se sont produits sur cette question. Le premier s'appuyant sur ce que la loi Julia a édicté l'inaliénabfüté de ila d0t dans l'intérêt de la femme, enseigne que celle-ci seule a le droit d'invoquer la
nullité de l'aliénation faite au mépris de cette loi et
doit rester juge de l'opportunité qu'il peut y avoir à
profiter de la protection qui lui est accordée. Nous repoussons cette opinion, car la prohibition de la loi
Julia n'empêcha pas le mari d'être propriétaire du
fonds dotal, dominus dotis, et nous ne voy0ns pas
comment la femme pourrait revendiquer un immeuble
qui ne lui appartient pas, puisque aucun droit n'est
encore ouvert à son profit.
D'après un second système, toute revendication
serait interdite au mari et à la femme : au mari, parce
qu'il n'est plus propriétaire; à la femme, parce qu'·elle
ne l'est pas encore. Nous repoussons encore cette
opinion comme la précédente : l'aliénation consentie
par le mari n'est pas valable, puisqu'en vertu de la loi
Julia, son droit de propriété était limité par la défense
qui lui était fai~e d'aliéner. Nous adopterons donc le
troisième système qui reconnaît au mari le droit de
revendiqu.er le bien illégalement aliéné, sauf, bien entendu, le cas où il deviendrait propriétaire de la dot
par la mort de la femme dans le mariage, car « quem
cc de evictione tenet actio eumdem agentem repellit
« exceptio." C'est ainsi que s'explique la loi il.7 au Digeste, de Fundo dotali, qui paraît inconciliable avec
l'opinion à laquelle nous nous sommes rallié 1 •
..
1 « Fundum dotalem maritus vendidit et tradidit. Si in matri" monio mulier decesserit, et dos lucro mariti cessit, fundu.s emp""
" tori avelli non potest. ,,
�-
67 -
Nous avons dit tout à l'heure que la loi Julia contenait deux dispositions distinctes : l'une prohibant i'aliénaûi:on du bien dotal sans le consentement de la
femme, l'autre prohib,ant l'hypothèque du même bien,
même avec ce consentement. Il paraît rationnel que
le législateur romain ait songé à protéger plus énergiquement la femme contre les dangers qui ne sont
ni très-apparents, nî immédiats d'une constitution
d'hypothèque, que contre ceux .d'une aliénation directe que discerne aisément l'esprit même le moins
familiari~é avec les arguties juridiques. Il importe cependant de ine:ntionner ici une théorie nouvelle, formulée depuis quelques années seulement, d'après
laqùelle la disposition dont nous venons de parler,
relative à l'hypothèque, n'aurait été édictée que postérieurement à la loi Julia et se rattacherait aux prohibitions prononcées plus tard par le sénatus-consulte
Velléien. Les partisans de cette nouvelle opinion font
remarquer que l'hypothèque n'a été réellement con1me et pratiquée en Italie que plus d'un siècle après
la ~oi Julia et que les textes autres que celui de Justinien, rappôrtant les dispositions de cette loi , ne
parlent que de l'interdiction d'aliéner, d'où cette conclusion que Justinien a . modifié les termes de la loi
Julia pour les mettre en harmonie avec les règles suivies de son temps. Le système adverse invoque un
texte de Paul qui paraît décisif 1 • Quoi qu'il en soit,
même en supposant qu'après la loi Julia, la femme
ait pu consentir à laisser mettre en gage un immeuble
dotal, il est certain que cet état de choses dura peu :
1Dig.,1. 4, de Fundo dotali .
�-
68 -
la combinaison de la loi Julia et du_ sénatus-con.sulte
Velléien met le mâri dans l'impossibilité d'engager le
fonds dotal 'dans son propre intérêt, même avec le
concours de sa femme. .
11 est certain d'ailleurs qu'à partir d'Auguste les
/
garanties accordées aux femmes pour la garantie de
leurs dots iront toujours en augmentant. C'est encore cette préoccupation du législateur romain de
conserver intactes les dots des femmes qui fait interd· aau_m_ari toute restitution avant la dissolution
·du mariage. De fa découle cette double règle que
la femme ne pouvait réclamer la restitution de sa
dot pendant le mariage t, et que le mari, en la restituant indûment, n'était pas valablement libéré. La
défense de restituer fa dot n'était pas toutefois
absolue et elle fléchissait en présence des intérêts
supérieurs de la femme elle-même et de la famille.
Les divers cas autorisant une restitution anticipée
de la dot sont énumérés dans la loi 73, au Digeste,
de Ju1'e dotium et on ne peut qu'approuver ces dérogations fort équitables, à la rigueur des principes.
La dot ne devait donc être restituée qu'à la dissolu( tion du mariage et, suivant les cas, cette restitution
se faisait au père, à la femme elle-même ou au tiers
constituant. Le mari jouissait d'ailleurs toujour·s du
bénéfice de . compétence, c'est-à-dire qu'il ne devait
être poursuivi que dans la mesure de ce qu'il pouvait
payer : « Rei uxoriœ actio 'dotis exactionem polliceba· t Cependant, dans le cas où le désordre du mari compromettait
· gravement la fortune de la femme, le préteur pouvait accorder à
celle-ci une action i·ei uxoriœ (ictice, comme s'il y avait eu divorce .
Ulp. Dig., 1. 24, Soluto matrimonio.
�-
69 -
tut, non in solidum, sed in quantum maritus facere
« potest, si non dolo malo suam deminuerit substan« tiam. >> (L: 1, §vu, C. JJe i·ei uxoriœ actione.) Les corps
certains, meubles ou immeubles, devaient être restituéSimmédiatement, tandis que le mari avait, pour
la restffution des clJ.9ses fongibles, trois termes· d'une
année chacun. Le mari avait, dans certains cas, le
droit d'exercer des retenues sur les biens dotaux. Nous
allons mentionner rapidement ces cas qui sont au
nombre de cinq.
1~ Proptei· liberos. - En cas de divorce provoqué
par la femme ou son. patei·familias, le mari a le droit
d'opérer sur la dot une retenue d'un sixième par enfant sans jamais pouvoir dépasser trois sixièmes. Ce
droit ne pouvait s'exercer gue par voie de rétention
!'Il non par voie d'action et disparaissait totalement si
le divorce était imputable au mari.
2° Pi·optei· m01·es. - L'inconduite de la femme la
prive du droit de réclamer la totalité de sa dot. Le
mari peut faire une retenue d'un sixième en cas d'adultère : cc .ob graviores mores; '' d'un huitième pour
toutes autres fautes : cc ob leviores moret). ''
3° Proptei· impensas. - C'est le droit, fondé sur une
considération d'équi!é, qu'a le mari de retenir en totalité le montant des dépenses nécessaires qu'il a faites
pour l'amélioration ou l'entretien des biens dotaux.
Si les dépenses faites ont été seulement utiles, le mari
n'a droit qu'à la plus-value; enfin, il n'a droit à rien,
si elles sont purement voluptµaires, à moins qu'il n'ait
reçu de la femme mandat p·our les faire exécuter.
4° Pi·opter res donatas. - Les donations entre époux
étant prohibées, le mari a le droit de retenir toutes
«
-
�-
70 -
les choses qu'il aurait, pendant le mariage , données
à son épouse au mépris de cette prohibition.
5° Pi·opte1' i~es amotas. - De mari a le droit de retenir un.e valeur égale à celle que lai femme , en vue du
divorce, aurait pu détourner à son préjudice. Cette
retenue a principalement pour bµt d'éviter au mari
d'intenter contre sa femme une action i·el'um amotai·um.
Telles étaient les règles édictées pour la restitution
de la dot quand le mari était poursuivi par l'action
i·ei uxoTiœ. Mais il arrivait souvent que des convention.s particulières avaient été foq:nées au mome:nt d!3
la constitution de dot et alors la femme agissait contre
son mari par une action beaucoup plus rigoureuse,
de droit strict, ex stzipulatu. Dans ce cas, le mari ne
jolùt plus du bénéfice de compétence, ne peut exercer aucune rétention sur les biens dotaux qu'il doit
restituer immédiatement, sans distinction entre les
choses fongibles et les corps certains. Disons encore
que les héritiers de la femme pouvaient exercer l'action ex stzpulatu , tandis qu'ils ne bénéficiai~nt de l'action i·ei uxoi-z"œ qu'autant que le mari avait été mis en
demeure de restituer par la femme. Enfin celle-ci p0uvait cumuler la disposition de dernière volonté faite
à son profit par son mari avec l'action ex st~pulatu,
tandis qu'elle devait opter entre l'action i·ei uxorùe et
le bénéfice de cette disposition. (Edit. De alte1'Ut1·0, l. I,
§ rn, C. D~ i·ei uxoi·iœ actz"one:)
La restitution des biens d©taux était encore garantie par la prohibition des donations entre époux. Cette
prohibibo:n remonte à une époque qu'oniïëpèüt préciser exactement, mais eerta1:nement antérieure au~
�-
71 -
réformes d'Auguste, si nous en croyons Ulpien qui
l'attribue à un antique usage : « Moribai apud nos
« ueceptum est ne inter virum et uxorem donationes
« valerent. » (L. 1, .Dzg., .Dedon. i·ntei· virum etuxoi·em.)
Elle est,. en tous cas, assurément antérieure à l'année
550 de Rome, puisque la loi Cincia qui ·date de cette
époque s'occupe de réglementer ces donations. Absolue à l'origine, cette règle de l'interdiction des donations entre époux fut gravement modifiée par un sénatus-consulte rendu sous Caracalla ou sous Septimes~~ qui décida que la d~-faite par l'un des
époux à l'autre demeurerait valable si le donateur
mourait sans l'iwoir révoquée. La révocation pouvait
d'ailleurs n'être point expresse : elle résultait suffisamment de certains actes ou de certaines circonstances indiquant clairement l'intention de révoquer.
A côté des donations entre époux et de la constitution de la dot, apparaît à l'époque de Théodose et de
Valentinien la donation ante niptias, que nous nous
contentons d'indiquer ici et dont nous dirons quelques
mots en étudiant les réformes de Justinien ..
Tous les biens àe la femme ne sont pas toujours
dotaux; elle en possède souvent d'autres sur lesquels
elle conserve, même pendant le mariage, · tous ses
droits de propriété : ce sont les ara hernaux. Le
mari n'avait aucun pouvoir sur ces biens, et, sil a
femme lui en avait confié l'administration et la jouissanee, il était responsable vis-à-vis d'elle comme tout
d~positaire ou .t out administrateur et passible des
actions depositi et mandati'. En un mot, nous ne trouvons, à Rome, rien qui soit ana:logueà Pineapacité'
qui frappe, d_àiÏs notre droit français, la femme ma-
�-
72 -
riée, même à l'égard de ses propres, rien qui rappelle
notre-autÔrisation maritale.
En général, la femme qui possédait des paraphernaux, en dressait un inventaire particulier pour éviter
leur confusion avec les autres biens appartenant aux
époux. Si d'ailleurs, à l'époque de la restitution, le
mari élevait quelques difficultés, la femme pouvait le
poursuivre, suivant les cas, par une action ?'e1'um
amotamm, ou simplement . une action ad exhibendum.
, Propriétaire et maîtresse souveraine de ses biens
extra-dotaux, la femme en disposait librement et son
droit ne subissait qu'une seule limitation : l'impossfbilité d'en gratifier son mari par suite de la prohibition des donations entre époux.
Avec la loi Julia; on peut considérer le régime dotal
qui jusqu'alors avait principalement été régi par la
coutume, comme définitivement organisé. Ce que
nous venons de dire de la condition de la femme {lst
loin d'ailleurs d'être le dernier mot du droit romain.
L'idée de la protection à accorder aux femmes pour la
restitution de leurs biens va continuer à se développer sous les empereurs qui restreindront toujours les
JlOUVOirs du mari sur la dot et la capacité de la femme.
Mais, avant de continuer cette étude spéciale, reprenons rapidement, pour mieux l'apprécier dans son
·
ensemble, la législation d'Auguste.
Nous venons de voir que c'est en accordant des
primes aux maris, en donn~nt des garanties pécuniaires 'aux femmes que cet .empereur, réformateùr
des mœurs publiques, tente de remettre le mariage
en honneur dans ses États 1 • Étrange système qui
1 La préoccupation d'Auguste de faire fleurir la vertu dans son
empire ne l'empêchait pas d'ailleurs de veiller soigneusement à ses
�•_ • 73 -
prouve ·surabonda mment à quel degré de décadence
était arrivée la nation romaine ! Les lois caducaires
ne furent jamais populaires chez un peuple dont elles
tentaient d'entraver la dépravatio n et les plaisirs. On
rie tarda pas à chercher des moyens pour les éluder,
et jurisconsu ltes et préteurs s'appliquè rent à en restreindre l'application. On trouva bientôt odieuse la
limitation à la liberté de tester apportée par la loi
Papia et, dès l'origine, on dut se montrer très-large
dans les cas d'application des lois caducaires.
Au point de vue pratique, quel fut le résultat des
réformes d'Auguste ? Tous les historiens' s'accorden t
à le proclamer entièreme nt négatif : Auguste ne put
même empêcher la prostitutio n de souiller son palais
impérial et d'envahir sa propre famille. Il n'en pouvait être autrement , car les lois caducaires, partant
d'un faux principe, donnaient pour base l'égoïsme et
l'avarice à une union gui doit être pure et désintéressée, et rabaissaie nt encore la dignité déjà si amoindrie
du mariage. Mais, si les lois caducaires ne produisirent point, quant à l'épuration des mœurs, les résultats qu'en attendaien t ses auteurs, elles _ne restèrent
pas cependant stériles, et bien gue par leur nature
même et le but qui les avait inspirées, .elles ne
pussent avoir qu'une durée éphémère, on peut dire
qu'il en est sorti un principe d'une haute portée morale, politique et sociale qui, se propagean t lentement ,
mais sûrement, devait ultérieure !fient amener une
réforme presque complète de la législation. Nous
intérêts personnels. Le fisc était appelé par les lois caducaires à
toutes les successions que des cœlibes seuls se présenta;ient ponr
recueillir : " fiscus parens omnium. » Les nouvelles lois· avaient
donc le double avantage d'encourager le mariage et les bonnes
mœurs, et ... de remplir les .coffres impériaux.
�-
..
74 -
voulons parler de la situation nouvelle faite à la mèi·e.
Auguste avait aecordé de nombreuses récompenses à
la maternité ; la femme mère était relevée de presque
toutes les incapacités qui la frappaient à raison de
son sexe. Mère de trois enfants, elle profitait pleinement des dispositions écrites en sa faveur et pouvait
recueillir même une hérédité supérieure à cent
mille as, se trouvant ainsi affranchie de la prohibition
de la loi Voconia. Si le but que poursuivait l'empereur, la réhabilitation du mariage, ne fut pas atteint
par les motifs que nous avons déjà exposés, les
réformes qu'il tenta firent enfin comprendre que,
dans l'intérêt de la société même, il importe que la
mère ait dans la famille une place honorable et y
occupe un rang prépondérant. Sous le régime de la
manus, la mère était complétement absorbée par
l'omnipotence du mari pour qui elle n'était qu'une
fille; sous le mariage libre, le désordre des mœurs,
l'égoïsme et l'avarice avaient rendu presque étrangers les uns aux autres les membres d'une même
famille. Les successeurs d'Auguste, suivan.t en cela
les tendances que les progrès de la civilisation et de
l'esprit philosophique faisaient déjà pénétrer dans les
populations, se préoccupèrent cle donner à la mère,
au point de vue social, une place déterminée près de
son époux et de ses enfants. Nous allons donc trouver
dans le droit romain un nouvel élément empnmté
cette fois au droit naturel. Il peut paraît11e ét:r:ange
que l'on ait côi:iilliencéITenir compte à Rome des
affections naturelles à une époque où leur force et
leu pureté s'étaient singulièrement amoindries, mais
ce fait s'explique par l'écroulement successif des
-
�· -
75 -
anciennes institutions : la famille obligée de se reconstituer sur une base nouvelle, ne pouvait la trouver
qlJ.e dans le droit naturel.
Nous avons déjà vu que sauf le cas où, devenue par
suite de la manus, la fille de son mari, la femme avait
droit à une part d'enfant dans la succession agnatique, elle était, au point de vue successoral, absolument étrangère à son ép.oux et à ses enfants. Le préteur tenta d'adoucir les rigueurs du droit primitif
appelant, à défaut d'agnats, la mère à la succession
de ses enfants au rang des cognats par la bonorum
possessio µnde cognati, remède trop souvent inefficace
et même négatif dans la plupart des ca~. n faut arriver jusqu'aux successeurs d'Augusta, jusqu'à l'époque
où l'importance du rôle de la mère dans la famille et
dans la société commence à être sainement appréciée,
p_our trouver des dispositions législatives plus en harmonie avec les lois de la nature. Le sénatus-consulte
Tertullien rendu sous Adrien, ou, plus probablement,
sous Antonin le Pieux, fait un pas déjà décisif,
quoique encore insuffisant, dans une voie nouvelle.
La femme ingénue, mèr13 de trois enfants, et la femine
affranchie, mère de quatre enfan;ts, sont appelées à la
succession de leurs enfants au rang d'agnates en concours avec les sœurs, elles ne sont primées que par
le père, les enfants et les frères du de cujus. Elles ont
la hono1'U'ln possessio unde legitùni. On a prétendu que le
sénatus-consulte Tertullien n'avait point eu pour but
de relever la mère dans la famille et de suivre le droit
naturel, mais simplement d-'encourager la procréation
de sorte qu'il ne serait guère qu'un complément des
lois caducaires dicté par les mêmes motifs. Nous
en)'
-
-
�-
76 -
repoussons cette opinion : quelques dispositions du
sénatus-consulte nous permettent de distinguer la
véritable pensée de la loi qui est d'honorer la mère.
Po!1r la première fois, la loi appelle la mère, à défaut
du mari, à l'exercice de la puissance paternelle, elle
lui ordonne de veiller sur son enfant pendant l'impuberté, de provoquer dans l'année la nomination d'un
tuteur ou le remplacement de celui exclu ou excusé.
Ce n'est qu'en satisfaisant à ces devoirs que la mère
bénéficie des dispositions successorales édictées en sa
faveur 1 •
Avec le sénatus-consulte Tertullien une grande
réforme avait été accomplie : le premier coup était
porté à la succession . agnatique, à cette hiérarchie
domestique si puissamment organisée et conservée
avec ·un soin jaloux pendant tant de siècles, malgré
les guerres civiles et étrangères, au milieu des proscriptions et des révolutions. Peu de temps après, sous
Marc-Aurèle, une nouvelle disposition législative,
corollaire naturel de celle que nous venons d'étudier,
le sénatus-consulte Orphitien appela les enfants à la
succession de lem mère avant les agnats et parents
consanguins de la défunte.
Ces dispositions étaient sans doute encore · bien
incomplètes ; ainsi, elles exigeaient chez la femme
une triple ou une quadruple parturition et n'étaient
pas applicables aux aïeules et aux petits-enfants, mais
elles indiquent clairement le nouveau courant d'idées
qui commence à se faire jour. Ces idées vont se propager avec rapidité et finiront par amener la chute
1
lnst., lib. VI De S. C. Te1·tulliano .
�-
77 -
totale de ['agnation et la reconnaissance des principes
du droit naturel. La lutte sera longue encore entre
l'ancien régime et le . système nouveau, mais le
triomphe définitif sera assuré par la puissante impulsion d'un nouvel élément qui va apparaître et qui est
destiné à régénérer le monde : le Christianisme.
CHAPITRE VI.
La femme sous les empereurs chrétiens et sous
Justinien.
A l'époque où nous sommes parvenu, la conditüm
de la femme avait déjà passé par diverses phases qui,
en l'améliorant progressivement, avaient peu à peu
préparé l'égalité de l'homme et de la femme dans la
fa!!lil:Tu. Nous sommes loin à présent de cette sujétion
absolue à laquelle la femme était soumise, soit dans
la famille paternelle, soit sous la manus de son mari.
La puissance paternelle n'a en apparence rien perdu
de ses prérogatives, :ip.ais en fait, l'adoucissement
apporté dans les mœurs par la civilisation a singulièrêiiient atténué la rigueur du droit p"i-imitif. L'empereur Trajan force un père à émanciper son fils
cc quem male contra pietatem adficiebat. » Ce fils étant
venu à mourir peu après, le père est privé de sa succession 1• De même, Adrien prononce la peine de la
déportation contre un père qui avait tué à la chasse
son fils, coupable cependant d'adultère avec sa beïlet
Dig., 1. 5, Si a pannte qui manumissus sit.
�.,.
mère 1 • Antonin Caracalla proclame que le père qui
vend ses enfants commet une action illicite, déshonnête 2 • Le terrain est ""clone préparé à la dbctrine qui
bientôt enseignera que ia puissance paternelle est
essentiellement une mission ë tendresse et de dévouement, et que la femme dès lors doit y être associée.
Quant à la femme mariée, si des précautions vigilantes ont été prises pour assurer la conservation du
patrimoine qu'elle apporte .à son époux, elle a conquis, avec le mariage libre et l'institution de la dot,
une indépendance qui n'a pas tardé à être fatale à ses
mœÛrs : le divorce et l'adultè~e ont avili l';nion conjugale : de ce côté une importante réforme est nécessaire et nous venons d'assister aux stériles efforts
tentés par Auguste.
C'est alors que la religion prêchée par le Christ, en
Galilée, commença à se répandre et à se propager en
dépit des persécutions. Elle devait changer la face
du monde et co~tribuer puissamment à relever la
·femme. Les principes « de paix et de vérité » prêchés par le Christ, la douceur que respiraient ses
enseignements ne pouvaient manquer de produire un
grand effet sur les femmes : aussi, est-ce par elles
que la religion nouvelle pénétra dans le monde paï®
et arriva au foyer domestique; ses détracteurs lui
reprochent amèrement de s'appuyer surtout sur les
femmes « muli'en"bus credulis a. n
Le pouvoir législatif est' concentré tout entier dans
les mains du prince : le christianisme cllerche à s'ap1
Dig., 1. 5, De lege Pompeia de pa1·ricidiis.
!C., 1. 1., De liberali causa.
'Troplong, De l'lnfl. du Chr istianisme.
�-
79 -
procher du trône. Le paganisme essaie vainement. de
lutter en appelant Ja barbarie et les supplices à son
aide. Les idées nouvelles se propagent avec une force
irrésistible. Déjà Septime-Sévère confie au chrétien
Procu1us l'éducation de son fùs, Alexandre-Sévère
admire les maximes du christianisme qui enfin, avec
Constantin, arrive à l'empire. A partir de ce moment,
îës réformes vont se succéder avec une étonnante
rapidité. Nous avons déjà _eu occasion de remarquer
que les Romains étaient extrêmement attachés à
Jeurs antiques institutions, et que nombre d'entre
elles avaient été successivement battues en brèche ou
étaient tombées en désuétude sans avoir été législativement abolies, tant était grand le respect professé
pour les lois des ancêtres. Le christianisme n'a pas
de ces ménagements : il s'inquiète peu de la loi des
XII Tables et de la vénération due aux lois édictées
par les quirites : il a immédiatement la prétention de
renouveler la qJ.orale et la législation, de devenir
universel et, dès qu'il se sent en possession du pouvoir, il porte une main hardie et heureuse sur toutes
les prescriptions du droit qui ne sont pas en harmonie
avec ses théories et ses principes. De cette précipitation même résulte dans les réformes une certaine
incohérence et, pour bien comprendre et saisir le
nouvel état de choses, il faudra aller jusqu'à la coordination effectuée par Justinien qui, sur les ruines du
monde ancien, érige un nouvel édifice sur les bases
du droit nouveau.
Le droit de la famille fut naturellement le premier
renouvelé : le christianisme g_hercha tout d'abord à
détruire la famille -civile, création arbitraire du droit
�-
80 -
romain, -pour y substituer la famille naturelle, et il
tourne tous ses efforts vers la réhabilitation du mariage et l'élévation morale et sociale des femmes. De
îa femme vierge et martyre d'abord, il fait, en proscrivant la polygamie et le divorce, l'inséparable compagl).e de l'homme : cc Duo erunt in carne una » et son
influence amena les constitutions de Constantin et
d'Honorius qui limitèrent les causes autorisant désormais le divorce. Théodore et Valentinien semblèrent
revenir aux anciens errements et nous voyons par la
Novelle H 7 que le divorce par consentement mutuel
subsistait encore à l'époque de Justinien qui l'abolit
formellement. C:e prince détermine les motifs qui
pourront autoriser le mari et la femme à demander
le divorce et prononce des peines contre celui des
époux qui, par sa faute, aura amené r.etle séparation.
Une religion qui exaltait avant , tout la continence
et le célibat ne pouvait tolérer une législation qui,
par les récompenses accordées à la maternité, semblait les proscrire comme de véritables désordres
sociaux. Aussi Constantin ne tarda-t-il pas à abolir
toutes les peines prononcées contre les cœli'bes, les 01·bi
et les derniers vestiges des lois caducaires disparurent
avec Honorius et Théodose. Constantin fit passer la
{ mère investie ou non du jus liberorum avant tous les
agnats autres que les oncles et leurs descendants.
Quant à ceux-ci, une transaction fut faite entre le
droit ancien et les idées nouvelles. La mère u non li« beris honorata » leur enleva le tiers de la succession, mais, dans le cas où, par suite du jus liberorum,
la mère avait droit, en vertu des lois caducaires, à
�-
S·l -
toute rhérédité, elle dut leur en céder un tiers. Ces
quotités furent d'ailleurs modifiées par diverses constitutions de Valens et de Valentinien toujours de plus
en plus favorables à la femme; mais toutes ces réformes accomplies sans ensemble, présentant parfois
de choquantes contradictions, n'aboutissent qu'à une
confusion pre,,sque inextricable, qui rend de plus en
plus nécessaire la présence d'un réformateur plus ré·
solu et 'plus radical.
furent)
usqu'alors,
sifavorisésj
. Les seconds mariages,
décida
vus désormais d'un œil défavorable. Théodose
que les veuves qui se remarient avant l'expiration
d'une année ne conserveron t gue l'usufruit des biens
compris dans la donation ante nuptiale dont la. propriété sera désormais réservée aux enfants du premier lit. Les empereurs chrétiens.édictèrent, en outre,
diverses dispositions destinées à protéger les enfants
du premier lit dont les intérêts avaient été jusqu'alors
négligés. C'est ainsi qu'l~ae loi feminœ por.tée par
Théodose (C., 1. 3, de Sec. nup.) décide que la femme
qui convole à de secondes noces doit transmettre intacts aux enfants nés d'une précédente union tous les
biens qu'elle a reçus de son premier mari, à quelque
titre que ce soit. La loi flac edictali' promul.guée par
l'empereur Léon (C., 1. 6, eod. tit.) défend à l'époux
remarié de disposer en faveur de son conjoint d'une
partie de ses biens propres supérieure à _une part
d'enfant du premier lit, et, dans le cas où il y a plusieurs enfants inégalemen t gratifiés, le conjoint ne
peut recevoir plus que la part de l'enfant le moins
prenant, sauf en cas d'exhérédation pour cause .d'ingratitude. La Novelle 22 de Justinien permet de dimi6
�-
82 -
nuer la dot ou la donation p1·opter nuptias, en . cas de
seconde union, quand il existe des enfants du premier
~t. Toutes ces dispositions nous prouvent surabondamment avec quelle défaveur le christianisme voyait
· les seconds mariages : quelques Pères de l'Église
allèrent même plus loin et enseignèœnt qu'une
deuxième union n'était qu'un adultère iléguisé, mais
cette théorie ne prévalut pas et fut justement condamnée.par le concile de Nicée.
L'institution nouvelle de la donation propter nuptias
vint prouver encore la tendance de la législation à
mettre les femmes sur le pied d'égalité avec leurs
maris en faisant prévaloir l'idée que, de même que la
1
femme apporte une dot à son mari, ce dernier devait
faire à son épouse des avantages égaux. Constantin
décida même que la donation ante nuptiale subsistera
si le mariage manque par la faute du donateur, ou si
l'un dr.,c; époUx. meurt avant le mariage, mais après
que la femi;ne a d0;nné le baiser ante nuptial. (C., 1: 15
et 16 de Don. ante nuptias.) L'empereur Justin décida
que la donation faite par le mari à son épouse et qui
avait toujours nécessairement précédé le mariage; à
cause de la prohibition des donations entre époux,
pourrait.à l'avenir, à l'instar de la dot, être constituée
et augment~e pendant le mariage, d'où le nom de donation pi·optei· nuptias donné dè$ lors à cette espèce de
donation. Déjà des constitutions impériales avaient
établi la proportionnalité entre les gains de survie des
époux et décidé que la dot et la donation ante nuptiale devaient être égales; aussi Cujas . définit-il avec
raison la donation pi·optei· nuptias : « contractus quo
cc quis dotem contrariam uxori offert. »
�-
83 -
Relevée dans la famille par la nouvelle religion, la )
femme ne tarde pas à y prendre une place de plus en ·
plus considérable. Tout d'abord la puissance pater- .
nelle ne devant plus, d'après les théories nouvelles,
s'exercer que dans l'intérèt des enfants, il est nçi.turel
d'en dépouiller le père quand il s'en montre indigne,
et de l'attribuer à la mère. Les empereurs Dioclétien
et Maximien avaient déjà décidé que le juge statuerait, en cas de divorce, qui du père ou de la mère devrait conserver la garde des enfants. Justinien va plus
loin, et ordonne, dans la Nov. 1:1.7, qu'en cas de divorce imputable au mari, les enfants soient toujours
confiés à la mère. Enfin, et c'est le plus grand progrès qui ait été réalisé, la femme finit par arriver à la
tutelle jusqu'alors considérée comme un office- viril.
es empereurs Valentinien , Théodose. e~ Arcadius
promulguen t, en 390, une constitution aux termes de
laquelle la mère pourra devenir tutrice de ses enfants
en l'abseace de tuteur Lestamentaire, si elle en fait ia
demande au magistrat, qu'elle ait l'âge voulu (25 ans),
et qu'elle promette de ne pas se remarier. Justinien,
généralisant le droit accordé à la mère, lui confère de
plein droit la tutelle de ses enfants en l'absence de
tuteur testamentai re, il étend même cette prérogative à la mère naturelle et à l'aïeule, mais en prononce la déchéance par .le seul fait d'un second mariage. Il exigea seulement de la mère tntrice une\
renonciation au bénéfice du sénatus-consulte Vel-)
leien.
Dans la matière si importante du mariage de . ses
enfants, la mère fut appelée, à défaut du père, à choi-)
sir, conjointement avec le tuleur et les plus proches'
�-
84-
parents, l'époux de sa fille, par une constitution de
·( Sévère et d'Antonin. Remarquons que l'influence de
l'antique législation romaine sur les successions agnatiques retarda longtemps ençore sur ce point une. réforme complète et, qu'appelée à consentir au mariage
de sa fille, la mère n'était point consultée pour le mariage de son fùs.
L'adoption avait été longtemps prohibée aux femmes
par ce motif qu'une femme ne peut exercer la puissance paternelle. Avec la révolution que. nous venons
de signaler, cette prohibition devait nécessairement
tomber. Dès l'an 291, un rescrit des empereurs Dio/ .létien et Maximien, que Justinien confirma dans ses
lnstitutês, vint permettreauxfemm esd'adopter dans le
cas où elles auraient eu la douleur de perdre leurs
enfants : << Femirn:e ad solatium liberorum amissorum
« adoptare possunt. » L'empereur Léon supprima
cette condition de maternité, que Justinien exigeait
éncore, disant qu'il serait inique de refuser à des
femmes le droit de se donner par l'adoption des soutiens de vieillesse parce qu'elles n'auraient pas eu le
bonheur d'être mères ou auraient voulu conserver
intacte leur virginité.
Nous sommes arrivé à l'époque de Justinien, de ce
prince qui, par son zèle à augmenter les prérogatives
des femmes dans le mariage, a mérité le surnom
d' Uxorius et qui devait mettre en harmonie ce qui
restait encore du droit ancien avec les principes du
droit nouveau.
Au moment où Justinien monte sur le trône, tous
les éléments qui avaient servi de base à l'ancienne
constitution avaient peu à peu disparu" sous l'in-
r
�-
85 -
fluence de la civilisation et du christianisme. Dans
l'État, la prépondérance de certaines familles fondée
sur la distinction des classes, sur l'unité dérivant du
système d'agnation, sur la séparation établie entre
les romains et les pérégrins, avait subi de profondes atteintes. L'ancienne aristocratie avait cessé
d'exister, et avec elle s'étaient évanouies nombre
d'institutions qui n'avaient leur raison d'être que
dans l'organisation de cette société primitive. Il n'y
avait plus depuis longtemps qu'une démocratie despotiquement gouvernée par le souverain. Le système des successions agnatiques, qui avait fait la
force et la puissance de l'arist*rati e, avait été
battu en brèche et, sur les points les plus importants, avait, grâce aux _institutions prétoriennes et
aux divers sénatus-consultes dont nous avons parlé,
fait place au système basé sur les liens du sang et
l'affection présumée du défunt. La position de la)
femme, celle des enfants vis-à-vis le père de famille,
avait énormément grandi et nous nous sommes appliqué à suivre la progression du droit des femmes et
à en reconnaître les causes. La refonte entreprise par
Justinien dans la législation eut pour but de faire définitivement prévaloir cet esprit nouveau qui l'avait
pénétrée et d'élaguer tous les débds des anciennes·
institutions qui n'étaient plus en harmonie avec les
idées régnantes.
La plus considérable et la plus importante des réformes de Justinien est sans contredit celle qu'il
apporta dans la dévolution des hérédités ab intestat.
· Cet empereur fit disparaître et déclara aboli le système des successions agnatiques reposant sur l'idée
�-
86 -
Loute politique dé conserver les biens dans les familles
masculines et établit par les deuxNovelles :1.18 et 127,
un nouveau mode de succession, basé sur les liens du
sang et où toute distinction était effacée entre la ligne
masculine et la ligne féminine. Les descendants d'abord, puis · les ascendants et enfin les collatéraux,
sans distinction de sexe ni de biens, sont appelés à
succéder, et la femme recueille dès lors, sans condition et sans entrave, l'hérédité de ses enfants à l'exclusion des agnats. Et, comme les autres .incapacités
résultant pour la femme, soit de la tutelle agnatique,
soit de la loi Voconia, avaient été déjà anéanties, on
trouve que sur Ct}J,point important de recevoir des
successions et de les transmettre soit par testament,
soit ab intestat, la femme. n'avait plus vis-à-vis de
l'homme aucune infériorité. '
Justinien chercha aussi à relever le mariage, non
pas en faisant appel, comme Auguste, à l'avarice et à
la eupidité des célibataires, mais en s'inspirant des
théories chrétiennes. La règle gui empêchait une
femme dépourvue de dot de contracter le justœ nuptiœ et la plaçait par ce seul fait dans la situation inférieure du concubinat était contraire à la pensée du
' christianisme qui tendait à proclamer la dignité atta'Chée à la personne même de la femme en dehors de
tout avantage pécuniaire. Aussi plusieurs constitutions vinrent déclarer que le mariage pourrait être
légitime sans constitution de dot. Elle ne fut réputée
nécessaire que pour les ûlusti·es. (C., 1. 2, de Rep.)
ous avons parlé précédemment des garanties accordées à la dot par la législation d'Auguste, garanties qu'était venue augmenter encore-la promulgation
�-
87 -
du sénatus-consulte Velleien, défendant à la femme
d'intercéder pour autrui et même pour son , mari,
sauf le cas où elle aurait au contrat un intérêt personnel. Ce sénatus-consulte célèbre était le complément indispensable de l'inaliénabilité dotale qui n'eût
été qu'un vain mot sans l'incapacité de la femme;
aussi, malgré les controverses qui se sont élevées sur
c_e point, croyons-nous plus naturel de rattacher c~tte
disposition législative à l'ensemble des mesures protectrices des Ùbres dotaax édictées par Auguste, que
d'y voir, comme l'ont soutenu plusieurs auteurs, une
loi politique destinée à diminuer l'influence trop
grande des femmes dans la cité r01iaine.
Nous devons à Justinien un grand nombre de dis- ""-positions nouvelles destinées à assurer la conservation e1!la restitution de la dot. Cet empereur continua
à déclarer âconstitutio n -de dot obligatoire pour le
père de famille et mêm,e pour la mère, en cas d'indigence du p~re, ou à titre de peine si elle était hérétique. Il fondit ensuite ensemble les deux actions i·ez'
uxoriœ et ex stipulatu, décidant que la d9t devait être
restituée dans tous les cas quel que fût le mode de
dissolution du mariage, que les rétentions ne seraient
plus autorisées que propter irnpensas et que la nouvelle
action de dote serait une action de bonne foi. Justinien
décida en outre que les immeubles devaient être immédiatemen t restitués et que le mari jouirait pour la
restitution du .mobilier d'un délai d'un an. Enfin,
dans la constitution 30 C. de Jui·e dotz.um, il accorde à
la femme, au lieu du pn:vzïegium zntei· personales actiones qui ne lui permettait de primer que les créanciers
chirographaires, une hypothèque privilégiée sur tous
�-
88 -
les biens dotaux pour pouvoir les revendiquer même·
entre les mains des tiers aéquéreurs. Poussant bientôt
plus loin sa ·sollicitude, quant à la conservation des
biens de la femme mariée, Justinien frappe les biens
du mari d'une hypothèque légale au profit de la
femme ou du constituant et décide même dans la
célèbre constitution Assiduis (1. 12, liv. VIII, tit. XVIII)
que cette hypothèque sera privilégiée et que la femme
sera préférée même aux créanciers hypothécaires an_térieurs au mariage, disposition exorbitante et justement critiquée que nos lois ont repoussée avec rai. son.
Justinien érigea '11- règle que le mari survivànt ne
gagnerait plus la dot adventice, qu'en cas de divorce
il devrait donner à son épouse, même n'ayant pas
apporté de dot, le quart de ses biens. En cas de mauvaise administration du mari et de désordre dans ses
affaires - cc marito ·ver gente, ad inopiam n - la
femme poy~ait, même pendant le mariage, réclamer
la restitu_t10n. Enfin la gestion m ême des biens paraphernaux par le mari, se trouve garantie par la même
hypothèque que les biens dotaux.
On doit encore à Justinien une autre institution qui
témoigne de sa sollicitude pour les droits des femmes
et qui, après avoir eu longtemps sa piace dans notre
législation, a été malheureusement abandonnée par
" les rédacteurs du code civil : c'est l'établissement d'un
droit de succession en faveur de l'épouse que la mort
de son . mari pourrait réduire à l'indigence. Déjà le
préteur avait inventé la bon01'Um possessio unde VÙ' et
uxor, par laquelle, en l'absence de tous parents, il
appelait les époux à se succéder réciproquement.
�-
89 -
Mais ce remède, trop souvent inefficace, fut avantageusement remplacé par la « quarte du conjoint
pauvre ; » la femme misérable succède désormais au
quart en usufruit des biens de son mari, s'il y a des
descendants, et en pleine propriété, en présence de
tous autres parents.
Nous trouvons, dans la plupart de ces dispositions, \
la traçe évidente d'un cb.ristianisme éclairé et il est,.
certain, qu'à aucune époque, les femmes ne furent
aussi puissamment protégées sous le rapport du patrimoine, et les tendances qui se sont manifestées /
depuis ont été de restreindre plutôt :que d'augmenter ,
ces prérogatives.
Nous sommes arrivé au terme de notre étude : les
travaux de Justinien sont en effet les derniers monuments législatifs que nous ayons à étudier. Après lui,
l'l!.:mpire se démembre, les Barbares l'envahissent de
toutes parts, et, de cette grande commotion sociale
où s'engloutissent et disparaissent les derniers débris·
du monde ancien, va sortir une société nouvelle au
. pénible enfantement de laquelle nous allons assister
dans la deuxième partie de notre travail.
Si, avant de terminer, nous-jeton·s un coup ·d'œil
rapide sur cette période de plus de dix siècles, nous
voyons d'immenses progrès accomplis. La puissance )
paternelle est devenue ce qu'elle doit être, u~e~
plutôt u'un droit. Justinien, renouvelant une constitution de l'empereur Constantin, permet bien, il est
vrai , au père de vendre ses enfants nouveau - nés
(sanguinolentos), mais dans le cas seulement où il se
trouve réduit à la plus extrême misère, et il est
évident que l'empereur a eu en vue, en autorisant
-
'
�-
r
9@ -
cette vente, l'intérêt même de l'enfant : « victùs
«causa.» La femme, délivrée de la manus, de la sujétion humiliante de la tutelle des agnats, a commencé
à trouver l'indépendance dans la création de la dot.
La licence des mœurs qu'entraîna bientôt une émancipation trop hâtive, amena l'avilissement,du mariage
et le relâchement des liens de famille . .La société qu'a
vainement essayé de régénérer Augmste reprend,
sous l'influence des idées chrétiennes, une vigueur
nouvelle. Alors sont reconnus et proclamés les principes de droit naturel qui doivent servir de base à
l'organisation de la famille. L'organisation factice de'
l'ancienne Rome s'écroule peu à peu et finit par disparaître entièrement avec Justinien. Des protections
multipliées sont accordées à. la femme dans sa personne et dans ses biens, une capacité complète lui est
reconnue et nous sommes près de, l'époque où l'on
verra des femmes assises sur le trône d'Occident et
étonnant les peuples par la sagesse et la fermeté de
leur gouvernement.
Ne croyons pas toutefois que le dernier pas ait été
fait dans la voie du progrès. Justinien s'est vainement
flatté d'avoir, en réunissant ses immenses compilations, élevé un monument définitif. Le progrès qui
est la condition même de l'hùmanité, ne se peut
accomplir que lentement, et il s'en faut de beaucoup,
à l'époque de Justinien, que le christianisme ait engendré déjà tous les résultats qu'il est appelé à produire. L'observateur attenlif découvre aisément que,
par un revirement singulier, autant les mœurs étaient
autrefois supérieures aux lois, autant aujourd'hui
elles sont en arrière sur celles-ci; le niveau de la mora-
.
�-
91 -
lité est bien inférieur à celui de l'intelligence ; mettre
l'un et l'autre en harmonie sera l:œuvre péniblement
accomplie dans les siècles postérieurs.
APPEND ICE.
Notre étude ne serait pas co"mplète si nous ne
. disions quelques mots de la situation clans laquelle se
trouve la femme à Rome quand elle n'a pas le titre de
citoyenne romaine. Nous trouvons en effet, dans le
droit primitif des Romains, une conception énergique
du jus civile, c'est-à-dire du droit particulière ment
propre et réservé à ceux qui font partie de la cité,
d'où cette expression qui avait à Rome une signification si précise et si nette : Sum civis romanus. Ce
Litre de citoyen romain, dont les premiers Romains
étaient si fiers, avait imprimé à toutes leurs institutions civiles ~t sociales Ùn caractère particulier de
force et de rudesse ne tenant compte ni des liens du
sang, ni même souvent des considérations d'équité.
Les étrangers n'étaient point régis à Rome par le droit
quiritaire, il- n'y avait point d'état, de status. A côté
d'eux, les esclaves et les affranchis sont dans une
situation bien plps inférieure encore. Les nécessités
so.ciale_s engendrées par l'extension progressive de
l'État firent édicter diverses lois pour régler la condition de ces trois catégories de personnes auxquelles
n'était pas concédé le jus civitatz's. L'étude du droit
�-
92 -
spécial qui les régit présenterait aussi un grand intérêt, car c'est par les esclaves, les affranchies et les
étrangères que les principes du droit des gens et du
droit naturel pénétrèrent dans la cité romaine. Mais,
comme il est indispensable de se tracer une limite,
nous indiquerons rapidement la situation faite à chacuné d'elles, nous bornant aux détails indispensables,
car la condition de la femme citoyenne était celle qui
devait attirer plus spécialement notre attention.
I.
L'ESCLAVE.
L'esclavage est l~ produit de la guerre : son origine
se retrouve dans le droit accordé au guerrier victorieux sur la personne du vaincu prisonnier. La femme
devient donc esclave quand, par sùite de la conquête,
elle est emmenée captive et vendue comme telle, ou
quand elle naît d'une mère esclave. La dépravation
des mœurs dans les dernières années de la République
et au commencement de. l'Empire fut telle que
Claude, dans l'espoir de l'arrêter, édicta une troisième
cause de servitude. Le sénatus-consulte Claudien
'décida que toute femme libre qui vivrait dans le con tubernium d'un esclave, malgré la défense .trois fois
répétée du maître de celui-ci, serait réduite en esclavage. Triste loi, et plus triste époque !
La situation de la femme esclave est bien simple à
déterminer. Elle est' la chose de son maître qui peut
la tuer, la prostiluer, la vendre selon son bon plaisir,
et, si son maître préfère la garder, elle sert à la satisfaction de ses passions sans pouvoir .refuser, ni espé-
�-
93 -
rer aucune corp.pensation, car, . tant qu'elle est /
esclave, elle ne peut même pas -devenir sa concubine.
Elle n'a dans la société ni droit civil, ni famille. Elle
ne peut avoir d'époux, car les relations qui peuvent
être tolérées par son maître, dans le seul but de
reproduction, ne constitueront jamais qu'un contubernium. Fille, elle n'a ni père ni mère, car, par un
fait juridique que Justinien compare au droit d'accroissement, elle appartient au maître de ses parents ;
mère, elle n'a pas d'enfants,. car son part assimilé par
une législation brutale au croît des animaux, est la
propriété de son maître. L'ancilla ne peut rien posséder en propre : elle fait partie, comme 1·es mancipi, du
patrimoine de son maître, et tout ce qu'elle gagne
profite à celui-ci. En fait, l'usage fut bientôt introduit
de laisser à l'esclave quelques profits qui, constituant )
ce qu'on appelle un pécule, furent la source de l'adou- /
cissement de sa position ; il est certain que plus la
femme est habile dans l'état qu'elle exerce, plus ce
pécule doit être considérable, car l'intérêt du maître
lui commande de proportionn ~r la rémunératio n au
gain qu'il retire.
Le pouvoir du maître, absolu dans l'origine et souvent exercé avec une invraisemblable cruauté, reçut
bientôt quelques tempéramen ts. L'empereur Claude
décide que tout esclave infirme ou malade abandonné
par son maître, devien~ra libre. Diverses constitutions, sans oser restreindre le pouvoir des in.aîtres,
leur commandent, dans l'intérêt même de l'État, d'en
user avec modération de peur d'exaspérer et de pousser à la révolte les esclaves dont le nombre toujours
croissant pouvait devenir un danger public. Adrien
�-
94 -
condamne à la rélégation dans une île une dame romaine qui maltraite ses esclaves : << Quod ex levissi<< mis causis ancillas atrocissime tractasset. » . Il
ordonna même qu'une peine capitale prononcée par
le maitre contre l'esclave ne pût être exécutée qu'.après la sentence du magistrat. Gaius nous parle
encore de deux constitutions d' Antonin le Pieux, qui
apportèrent de notables adoucissements à la condition
de l'esclave. La première punit le maître qui tue son
esclave sans motifs, de la même peine que celui qui
l'esclave d'autrui (loi Cornelia, de Sican.i"s). La
tue
,
deuxième décide que les magistrats connaltront des
réclamations des esclaves, et que s'il est démontré
que le maitre use de dureté excessive à leur égard,
ils seront vendus de manière à ne jamais retomber
sous la puissance du même maître 1 •
Avec Constantin, l'influence des idées chrétiennes
se fait heureusement sentir dans la condition de l'esclave. Sans aller jusqu'à dire, avec certains auteurs,
qu'à partir de ce prince le droit de vie et- de mort du
maître fut aboli, nous. voyons que de louables efforls
sont faits pour en amener la suppression. Constanlin
décide que celui qui, sans motifs, exerce contre ses
esclaves des sévices tels qu'ils en peuvent mourir,
sera passible de la peine du meurtre etïl.h'autorise
que des châtiments modérés (l'emprisonnement et la
flagellation avec verges ou lanières) i. A cette époque
se rapporte le commencement de la transformation
de l'esclavage : Je servage prend naissance : à côté de
l'asservissement dël'homnïe à l'homme vient se pla1
t
Gaius, G. I, § 53.
G., 1. IX, tit. XIV.
�-
95 -
cer l'asservissement. de l'homme à la terre. Constantin
consacre le premier l'existence de la famille servile
en faveur des esclaves rustiques, , en défendant de
séparer les proches parents, et il prépare ainsi la
transition de l'esclavage à la servitude de la glèbe.
Cette nouvelle catégorie d'esclaves est déjà beaucoup
mieux traitée : le maître intéressé à c ue ses terres ·
soient bien cultivées, en abandonne le ·revenu à l'esclave colon, moyennant une redevance en nature et
•
en argent.
41
Nous venons de voir que, même avant le christianisme, les mœurs plus puissantes que les lois avaient
adouci la condition de l'esclave: les affranchissements
étaient fréquents, si fréquents même qu'Auguste tenta
d'en limiter le nombre par la loi Fusia Caninia. Cette
loi fut abolie par Justinien, qui chercha, au contraire,
à encourager et multiplier les affranchissements et
qui, tout en considérant l'es,clavage comme un mal
so.cial nécessaire qu'il est impossible de faire disparaître, reconnait qu'il est contraire au droit naturel 1•
Cet empereur défend au maître, obligé en vertu de la
sentence cl.u proconsul de vendre son esclave à cause
des mauvais traitements qu'il exerçait sur sa personne, de le vendre à des conditions trop dures, et il
déclare libre toute femme que son maitre aurait prostituée, alors qu'elle aurait .été achetée sous la condition qu'elle ne le ·serait pas. Nous sommes encore loin
de l'abolition de l'esclavage !
, 1
Just., § 2, De Ju?'e pei·sonai·um.
�-
96 -
Il.
L'AF1FRANCHIE.
A côté de l'esclavage les Romains avaient admis le
remède natu 1 de l'affranchissement. Dans les premiers temps de Rome, alors que la conquête n'avait
point encore amené en Italie ce nombre prodigieux
d'esclaves qui constitua à la fin de la Jlépublique un
danger permanent pour l'État, tout affranchi devenait citoyen romain. Cependant la défaveur qui s'attachait nécessairement à l'ancienne situation dans
laquelle il s'était trouvé avait fait refuser à l'affranchi
certains droits et certaines prérogatives. Ainsi, il n'y
/ a pas connubium entre l'affranchi et l'ingénu ; la femme
affranchie peut se marier, mais son union, inférieure
aux justes noces, n'est qu,'un concubinat. Elle est sans
agnats et, comme cognats, elle ne peut avoir que ses
enfants. Toutefois, une faveur spéciale peut la relever
de cette incapacité; ainsi un sénatus-consulte célèbre
vinfpermettre à l'affranchie Hispala Fecennia qui avait
révélé les mystères des ~acchanales d'épouser un ingénu; ces sortes de faveurs se multiplièrent jusqu'à
ce que la loi Julia, de Mari'tandis oi·dinibus, répondant
1
au sentiment public, vînt autoriser le maria13"e entre
les affranchies et les ingénus à l'exception. de ceux
d'entre ces derniers qui appartenaient à la classe des
illustres, dernière· restriction qui devait subsister jusqu'à Justinien. Ce prince qui avait lui-même épousé
une comédienne, la fameuse Théodora, ne pouvai~ se
montrer exigeant en matière d'union conjugale.
�-
97 -
Pour remplacer la famille civile dont les affranchis •
étaient privés, le droit romain imagina de les ratta- }
cher à la famille de leur maî.tre. Le patron qui a
affranchi un de ses esclaves, conserve sur la personne
et sur les biens de celui-ci un droit analogue à la puissance paternelle. Outre le respect et les services qui
sont dus par l'affranchie à son patron - et qui ont
pour sanction la 1·evocatio in se1·vitutem en cas d'ingratitude - elle ne peut refuser de l'épouser si l'affran- \
chissement a eu le mariage pour motif, et, une fois
mariée, elle n'a pas le droit de divorcer. La femme
affranchie restait toute sa vie sous la tutelle de son
patron et ce n'est qu'avec l'autorisation de celui-ci
qu'elle pouvait tester. Si elle mourait intestat, le patron recueillait sa succession, car ses enfants n'étant
point ses agnats n'y pouvaient prétendre. La loi Papia
releva de la tutelle l'affranchie mère de quatre .enfants, lui accordant le droit de tester et de disposer de
ses biens, en réservant seulement une part virile au
patron dans la succession testamentaire. Chose singulière : cette loi n'ayant rien dit des successioQs ab
intestat, l'ancien droit resta en vigueur de ce chef el
le patron recueillit toute la succession jusqu'à ce que
le sénatus-consulte Orphitien fût venu corrige!' cette
étrange omission.
· ~a loi lElia Sentia, sous Auguste, vint créer deux
nouvelles classes d'affranchis, les latins Juniens et
les déditices, inférieures à celle des affranchis citoyens
romains. En fait, ces modifications n'eurent pas une
grande influence sur la condition de la femme affranchie, car elles tendaient principalement à restreindre
les droits politiques des affranchis. Notons seulement
j
0
7
�-
98 -
qüe les femmes affranchies qui se trouvent dans l'une
ou l'autre de ces deux catégories ne peuvent d'a,ucune
manière disposer de leurs biens qui sont toujours à
leur décès acquis au patron «jure peculü ». Le christianisme cherche à niveler toutes ces positions diffé,,..,Fentes. Justinien donne à tous les affranchis la qualité
de citoyens romains, leur succession passe à leur postérité et le patron ne peut plus protester contre son
omission dans le testament de. son affranchi. L'affranchi ne doit plus désormais à son patrbn que les devoirs d'honneur et de respect et encore Justinien en
fait-il remise à l'affranchie qui s'est mariée avec le
consentement de son patron. A l'époque où nous
sommes arrivé le nivellement est à peu près complet
entre l'~ffranchie et la citoyenne.
III.
L'ÉTRANGÈRE.
P!3ndant longtemps la présence des étrangers à
Rome dut être une anomalie. Les Romains primitifs
uniquêment adonnés à la conquête n'avaient aucune
idé~ des relations sociales : pour eux, quiconque n'était pas civis romanus était un barbare, un ennemi
(hostis) et ils ayaiep.t formulé contre l'étra:o.ger cet
anathème politique : << Adv~rsus hostem œtei'na auc« toritas esto . » Les étrangers n'avaient aucun droit
civil; pour eux pas de connubium, pas de pati·ia potestas. Leur nombre cependant s'accroissant incessammEJnt, il fallut songer à établir pour eux une juridiction particulière puisqu'on leur refusait la protection
�-
99 -
des lois romaines. De là l'institution d'un magistrat
spécial chargé de rendre la justice aux étrangers et
appelé prœto1· peregn·nus. On imagina bientôt d'accorder le droit de cité, c'est-à-dire le privilége d'être
traité comme citoyen romain aux villes qui s'en montraient dignes ; cette faveur fut bientôt étendue au
Latium, puis à l'Italie, et à quelques provinces extérieures et enfin Antonin Caracalla l'accorde à tous les \
habitants Ile l'Empire.
L'unification se fait donc peu à peu dans la législation romaine; déjà les distinctions concernant les
femmes affranchies et les femmes étrangères ont à
peu près disparu. L'esclavage a subi, lui-même, d'importantes modifications: il va devenir territorial, pour
ainsi dire, de personnel qu'il a été jusqu'ici : n'oublions pas que cette unilé qui tend à se faire des divers
éléments de la société romaine est due en grande
partie à l'influence des femmes qui, par la fusion du
sang et des intérêts, ont préparé celle des castes et
celle de::: races.
J
..
�DEUXIÊllE PARTIE .
.
La Felllme Franç.aise.
La Gaule, la France future, est le pays privilégié
d'où doit sortir, après de }ongs sièc~es d'élaboration ,
1 l'émancipation de la femme. C'est le droit français
qui, avec les grands principes qui sont aujourd'hui la
base- de la ·société contemporaine, proclamera le premier l'égalité absolue de l'homme et de la femme.
Quelqu'admirables que fussent déjà les conceptions
auxquelles étaient arrivés les jurisconsultes romains,
nous venons de voir qu'il restait encore beaucoup à
faire et que, si le vieux monde s'écroulait de toutes
parts, le nouvel édifice préparé par les empeteurs
chrétiens, continué par Justinien, était loin d'être
achevé. Les grandes invasions se produisent, les
hordes germaniques s'implantent dans la Gaule où
elles vivent çà et là confondues avec les débris gaulois et romains, chacun conservant ses mœurs, ses
institutions et ses coutumes. Les lois, en effet, sont
tout d'abord personnelles, aussi . rencontrons-nous
�~
101
pêle-mêle les institutions romaines, les coutumes germaniques, le droit celtique. Le chaos est encore plus
inextricable quand les lois sont devenues territoriales,
car' outre la 'grande distinction de la fem~~ commune)
en biens au Nord et de la femme dotale au Midi, nous
trouvons dans la France du moyen âge autant de lois
différentes qu'il y a de petits pays ayantCo~quis une
autûnomie propre. Nous rencontrons, en outre, depuis
les premiers siècles de la Gaule jusqu'à la Révolution,
des distinctions de castes qui exercent une très-grande
influence sur la condition de la femme. Suivant, en
effet, qu'elle est noble, roturière ou s,erve, la femme
occupe dans la sociélé et dans lafamille une situation
·
différente.
divers types
ces
de
faire
de
difficile
et
long
Il serait
au
conformer
nous
une étude complète, aussi, pour
but que. nous nous sommes proposé, nous attacherons-nous spécialement, sans approfondir toutes les
institutions du droit germanique, du droit coutumier
et du droit canonique, à montrer l'amélioration prou
gressive qu s'est peu à peu effectuée dans la condition de la femme et à rechercher de quelle manière
s'est opérée la fusion de tant d'institutions diverses et
réalisée l'unification de la législation.
Nous reconnaîtrons dans le droit qui nous régit
aujourd'hui la présence de quatre éléments: l'élément
romain, l'élément germanique, le droit canonique et
.
...--- les 9rdonnances des rois.
L~s longues · et laféodal,
bèîriëùses recher'"chês des savants ne sont pas parvenues à éclaircir le point de savoir quelle part peut être
attribuée au droit celtique dans les réformes successives qui se sont accomplies et quels matériaux il au-
-
----- --
�102 -
rait apportés à l'œuvre commune. Les .seuls renseignements que- nous possédions sur la condition de la
femme dans la Gaule nous sont fournis par ~ules Cé- _
~ , dans ses Commentaires et, quelle que soit la
créance qu'il y ait lieu d'ajouter aux récits du général
historien, nous ne pouvons, avec les quelques faits
isolés qu'il nous raconte sur les mœurs et les habitudes du peuple conquis, reconstituer la législation
celtique. Il semble résulter des Comm'.entaires de César
r que les anciens Gaulois avaient droit de vie et de mort
1
sur leurs femmes et leurs enfants, absolutisme qui
s'expliquerait d'ailleurs suffisamment par la supériorité acquise au guerrier dont le bras toujours armé
est, en l'absence de lois et de civilisation, la seule ressource du faible. La polygamie paraît a oir été per( mise, au moins aux chefs, et le divorce autorisé. Nous
trouvons, dans ce dernier cas, cette règle assez singulière d'après laquelle, tandis que le mari se remariait à so:n gré, la femme devait attendre que son
( mari consentît à la reprendre ou lni désignât un
autre époux. La fidélité conjugale était gê'néralement
observée, et des pénalités rigoureuses prononcées
contre les épouses oublieuses de leurs devoirs. Signalons en passant une coutume bizarre qui prouve l'esprit superstitieux de nos ancêtres. La femme soupçonnée d'avoir introduit dans la famille im enfant
adultérin devait exposer cet enfant sur le fleuve. S'il
restait au fond, la femme était convaincue de culpabilité et mise à mort.
César, dans un passage très-connu de ses Commentaires, qui, depuis longtemps, exerce la sagacité des
inberprétateurs, nou~ dit qu'au moment du .mariage
�-
103 -
le mari doit fournir une somme égale à l'apport de sa )
femme, que les deux apports sont réunis, les fruits
capitalisés et fo tout attrcibué au survivant. Quelle que
soit l'explication que on donne à ce texte, qu'on
veuille y trouver l'origine de la communauté entre
époux, on y voit un simple gain de survie, il en ressort néanmoins que chez les Gaulois, comme chez les
Romains primitifs, la femme n'était poin't une esclave
puisqu'on prenait soin d'assurer son existence après la
dissolution du mariage. Il est même probable que malgré la dureté apparente des institutions, la femme était )
entourée de considération et de respect. Nous savons, /
en effet, que les Gaulois étaient fort attachés à leurs
croyances religieuses et que les femmes remplissaient
dans les sacrifices mystérieux offerts aux divinités un
rôle - importànt, bien différent de celui absolument
passi1 es Vestales de Rome. Tous ces faits sont malheureuseme nt enveloppés d'obscurité, mais les légendes transmises d'âge en âge sur la coupe du gui
sacré, sur les druidesses, sur "Velléda, nous prouvent
suffisamment que les femmes participaient souvent
aux fêtes religieuses, et, parfois, avec un caractère
sacré quî les faisait considérer comme des êtres supé~S.
,..__
--
Telles sont les vagues notions qui nous sont parvenues du droit celtique : sans nous appesantir davantage sur des recherches historiques ql'li nous entraîneraient hors des limites de· notre travail, nous allons
aborder l'étude de cette longue et ténébreuse période
du moyen âge pendant laquelle la condition cl.e la
femme subit tant d'évolutions différentes. Nous dirons
d'abord quelques mots de la condition faite à la femme
�-
104 -
dans la Germanie à l'époque· des grandes invasions,
et expliquerons comment, alors que tout semblait devoir favorisèr l'heureuse éma ipation de la femme,
le progrès fut arrêté par l'esprit de despotisme et de
violénce qui rêgne ~à l'origine de la féodalité. Nous
assisterons à la réaction q.ui s'opère bientôt à l'époque
de la chevalerie et à l'assimilation lente, mais sûre,
du droit romain et des coutumes sous l'influence du
droit canonique, des travaux des jurisconsultes et des
ordonnances royales. Tel est le plan que nous nous
proposons de suivre pour développer avec ordre les
diverses parties de notre sujet.
CHAPITRE PREMIER.
La femme sous le droit germanique.
§ I.
Fül~
de famille.
La famille chez les Germains, comme chez la plupart des peuples encore dans l'enfance, nous présente
une remarquable cohésion. 1'ous les parents mâles
sont étroitement unis pour l'aqression comme .pour
la défense, tous les membres d'une famille se considèrent comme solidaires de l'outrage fait à l'un d'eux
et participent à la vengeance (fœda) qu'on cherchera
à en tirer. Cette étroite union n'a pas seulement pour
but d'assurer la tranquillité de la famille mais encore
de maintenir la discipline domestique. Les hommes se
réunissent en conseil pour la répression · des délits
commis par un• membre de la famille. a fille est sou-
�:105 -
mise au pouvoir du chef de famille, et l'autorité qui \)
appartient à ce dernier en cette qualité porte le nom
de mundium. C'est une puissance d'une espèce toute
particulière et bien différente de la patria potestas des
Romains. Les anciens Gern:iains, chez lesquels ser reconnaît déjà ce penchant à la rêverie et à l'idéal qui
est un des caractères de la race allelfiande, professent,
dès les temps les plus reculés, un profond respect)
pour la femme, pour la vierge surtout, et ont pour
elle une sorte de vénération superstitieuse et mystique. Tacit" nous trace dans son ouvrage : De mo1·ibus
Ge1·manorum un tableau très favorable de la condition de la femme dans la Germanie. Il nous mon- \
tre les hommes écoutant les conseils de la femme
et semblant lui reconnaîlre le don d'inspiration. Peut
être y a-t-il là quelque exagération ; il est indubitable
que la femme, chez les Germains, eut, à cette époque
reculée, une situation plus honorée que celle qui lui
est généralement accordée chez les peuples barbares,
mais elle est néanmoins soumise à la puissance du
chef de famille et frappée d'une incapacité absolue et
là, comme dans la Rome antique, c'est peut-être plutôt dans les mœurs que dans les lois qu'il faut reche;ëher la véritable condition de la femme.
En fait le mundium était principalement une tutelle
de protection et lgs pouvoirs dont était investi le
mundwaldus sur la personne et sur les biens de sa
pupille n'étaient que la juste compensation du devoir
de défense qui lui incombait. La femme, chez un
peuple guerrier, a toujours besoin de protection, quel
que soit son âge, aussi le mundium se perpétue-t-il
p~ elle, alors même qu'elle a atteint sa majorité et,
�-
106 -
si son père est mort, cette tutelle appartient à l'agnat
le plus proche qui devient le chef de la famille. 'L'état
des mœurs nous fait comprendre que cett~ tutelle
était. indispensable, aussi la femme qui n'a aucun parent p'o ur l~ protéger est-elle de droit dans le mundium du roi. Elle ne pourra point être mariée malgré
elle; le roi Cl'Oiiïer9déclare même nulle toute autorisation royale Ûbtènue par surprise pour épouser contre
leur gré des jeunes filles ou des veuves. D'ailleurs, à
mesure que la royauté grandira, sa protection s'étendra davantage sur les filles et sur les femtnes. Charlemagne se déclare hautement le protecteur des
faibles; il ordonne ~ ses envoyés d'examiner avec
soin la manière dont les tuteurs s'acquittent de leurs
fonctions, disant que Dieu lui-même l'a chargé de la
défense des veuves et des orphelins : cc Quia ipse Doce minus imperator post 'Domini et sanctorum ejus vice duarum et orphanorum et protector et defensor esse
cc constitutum èst. » Une procédure spéciale fut même
organisée pour les affaires · intéressant les mineurs,
affaires qui furent appelées et jugées avant toutes les
autres.
Quoique nous ne trouvions pas écrite dans les
textes juridiques la nécessité du consentement du
père au mariage déSa fille, il paraît certain que cette
autorisation était nécessaire : le mundium est, en effet,
une propriété de la famille, un droit héréditaire qui
passe de mâle en mâle et que d'ordinaire le chef de
famille confère à son gendre moyennant une somme
d'argent : celui donc qui détourne une jeune fille de
ses devoirs et l'épouse sans l'assBntiment de ses parents est à la fois coupable de rapt et de vol, et Char-
.
(
-
�-
107 -
lemagne décide qu'il ne sera jamais permis au ravisseur de contracter avec celle qu'il aura enlevée une
union légitime. L'influence de l'Église ne devait pas)
/
tarder à relâcher encore la puissance paternelle en
protégeant les femmes et relevant leur dignité. Remarquons le droit singulier accordé aux parents de
vouer, dès leur conception, leurs enfants à la vie monastique, droit qui a pour corollaire celui de la jeruie \
fùle de se faire religieuse sans l'autorisation de son )
mundwaldus.
Ce qui nous atteste encore la sollicitude que les
Germains avaient pour les femmes, ce sont les .Péna- J
lités multipliées qu'ils prononcent contre ceux qui
leur manquent de respect. Un certain nombre de lois
pénales règlent les compositions qui sont dues en cas
de meurtre, coups et injures, et ces évaluations pécuniaires varient suivant l'importance du fait et aussi
suivant que la femme insultée est fille ou mère. Dans
la loi des Franê s, Ïe meurtre de la femme propre à la \
maternité est puni de la composition la plus élevée,
dans d'autres, celui de la jeune fille est plus sévèrement réprimé que celui de la mère. Nous voyons
donc qu'au. m01~ent où va s'ouvrir la période féodale,
la condition de la fille dans la famille paternelle parait
satisfaisante. Le mundium, tutelle de protection, se
pliera facilement à ·l'impulsion de l'idée chrétienne,
car il n'est point uniquement la consécration de la
force, mais aui;si et surtout l'indemnité de la charge
- souvent bien lourde à cette époque - qui incombe
au chef de protéger les membres les plus faibles de
l'agrégation.
Si nous exa;rninons maintenant quelle étajt la con-
l
�-
~
i08 -
dition de la fille de famille, au point de vue des biens,_
noµs en sommes à peu près réduit aux conjectures.
La législation germaine· admettait-elle les filles au
partage égal de l'hérédité 'paternelle avec les mâles,
ou reconnaissait-elle des priviléges de masculinité ?
Le doute subsiste, mais quelques dispositions dont
nous allons parler tout à l'heure, nous portent à
croire que les Germains, arrivant du premier coup
dans leur barbare simplicité à la loi successorale indiquée pâr la nature et que l'on n'est parvenu à mettre
en vigueur qu'après de' longs siècles d'études et de
/ luttes, partageaient également, en règle générale, les
biens paternels entre tous les descendants J~
tinction de sexe. Ce qui est certain, c'est que les
femmes étàient- exclues, ainsi que leur descendance,
de la succession de la ~erre sal~que - règle commune
à toutes les nations germaniques et que l'on a·élendue
par une interprétation un peu abusive à la transmission de la couronne
.....,._, - . même. Cette règle, uniquement
basée sur les nécessités politiques, ne nous permet
pas de reconstituer à coup sûr le droit successoral
qes Germains. On comprend aisément que la terre
salique, apanage donné par le chef ,conquérant au
compagnon fidèle et résultat de la conquête, ne pouvait point passer entre les mains d'une femme incapable de la défendre. L'incapacité qui frappe ici la
femme n'est donc point une mesure de défaveur prise
contre elle, mais simplement le résultat nécessaire de
l'organisation sociale, et il se~ait tout à fait inexact
de coÎisidérer la loi salique comme un mo~e successoral établi en faveur des mâles. Et en effet, dès qu'il
ne s'agit plus de cette terre salique, héritage propre
�-
i09 -
au guerrier vainqueur, les coutumes germaniques
paraissent adopter le système de l'égalité. Nous trouvons divers textes qui, dans des cas particuliers,
accordent la préférence aux filles sur les mâles. Ainsi,
les. vêtements et bijoux de la mère de famille doivent
à son décès être partagés éntre ses filles, àl'ex.clusion
de ses fils : « Ornamenta et vestimenta matronalia ad
« filias absque ullo patris frafrumque consortio perti« nebunt. » De même, quand une jeune fille venait à
mourir, la portion des bijoux et vêtements gui lui
serait revenue à la mort de sa mère était attribuée à
ses sœurs, à l'exclusion de ses frères : « Quod si nec« dum nupta puella sorores habens de hac luce tran« sierit portio ejus, post ejus mortem, ad sorores
cc suas, remuta, ut dictum est, fratrum communione,
« pertineat. >> (Lerc Bui·g., lib. I, § 3.)
En résumé, les lois germaniques, tout en conservant une certaine rudesse primitive, avaient fait à la
fille de famille, quant à sa personne et ~Jliens, ,
une situation aussi honorable et aussi indépendante
quë le pouvaient permettre l'étatd.e -la~ivilisati~n et
les institutions politiques d'une tribu conquérante. Le
terrain· paraît donc admirablement préparé pour subir
l'impulsion que le christianisme va bientôt donner à
la société, et cependant, un temps d'arrêt se produira : la. _féod2li~ va, pendant de longues années,
en. généralisant la loi salique et l'étendant à tous les
fiefs, en se préoccupant uniquement d'accroître la
puissance de la noblesse et de l'aristocratie foncière,
retarder et paralyser l'heureuse évolution que tout
semblait annoncer dans la condition de la femme.
�-HO-
§II. Femme mari'ée.
Nous n'avons pas de renseignements précis sur la
manière dont les mariages se célébraient chez les anciens Germains. Nous savons que le futur se rendait
chez le père de la jeune fille et la lui· demandait en
mariage. Il devait faire ·des cadeaux à son futur beaupère pour que celui-ci lui transférât I.e mundi"um qui
Juiappartenait sur la personne de sa fill.e, et c'est cet
usage qui a fait dire, avec une certaine raison, qu'en
Germanie l'homme achetait son épouse. Tacite nous
apprend quelle était la nature des cadeaux que le
gendre devait faire à la famille dans laquelle il désirait entrer : c'était des bœufs, un cheval bridé, des
armes de guerre ; dès que les parties étaient d'accord
sur le prix qui devait être fourni en échange du
mundium, il y avait sans aucun doute promesse çl.Jl
mariage, mais il est vraisemblable que le mariage
n'était pas réputé accompli et qu'il fallait en outre la
tradition de la femme et, probablement aussi, certaines cérémonies religieuses. La femme recevait à
son tour une d!)t de son · père ; quelques auteurs,
M. Gide entr'autres, croient même que cette dot était
exigée. D'ailleurs bientôt les cadeaux faits par le mari
·à son futur beau-père, furent remjs à la femme ellemême, et telle. fut vraisemblablement l'origine de cet
avantage fait à la femme par son mari sous le riom
de ~o~e et dont nous aurons à parler en étudiant
le droit féodal. A côté se place la curieuse institution
du moi·gengabe, ou d<im du matin, qui témo~gne à la
fois d'une charnelle sensualité chez les peuples du
�-
Hi -
Nord, et d'un sentiment délicat envers les femmes.
L'époux faisait, le lendemain de ses noces, un cadeau
à son épouse, c'était le p?YI!mium deftoratœ vii'ginitatis,
dont l'existence nous est attestée par un grand nombre
de coutumes, notamment par celle des Lombards qui
en avait fixé la quotité au quart des biens.
Le mari se trouvait, dès l'union c@njugale, investi
du mundi'um qui lui était cédé par le père. Remarquons
toutefois que la femme ne devenait pas pour cela,
comme la romaine, sous le régJme de la manus, étrangère à la famille de son père ; elle continuait à en
faire partie et à y trouver, en tant que besoin, aide et
protection. La femme mariée est sous la dépendance \
de son mari ; elle lui doit obéissance et fidélité ; lui \
seul peut la défendre en justice, jurer et témoigner
pour elle, administrer ses biens, 1poursuivre l'injure
faite à son épouse et toucher le wehrgeld que le meurtrier est condamné à payer. Le respect que les Germains professaient pour l& femme nous donne lieu
de croire que le mundium marital fut plutôt un pouvoir de protection et d'affection qu'une sujé~ion bru-/
tale. Nous voyons cependant avec étonnement dans
Tacite que les nobles peuvent avoir plusieurs épouses
et qu'ils usent de ce droit bien moins par esprit de
libertinage que pour attester l'illustration de leur
nom 1 •
La polygami~ se concilie difficilement avec l'ensemble de la législation que les Germairis paraisi;ent
il
t « Severa illic mntrimonia : nam prope soli ·barbarorum singulis
uxoribus contenti sunt, exceptis admodum paucis, qui non libidine,
sed ob nobilitatem, plurimis nuptiis ambiuntur. " De morib ,
Ge1·m., XVIII.
�-
H2-
avoir édictée sur la condition de la femme et les relations de famille, et il y a lieu de croire qu'elle ne fut
jamais pratiquée que très-~_~_tio!!._nel~.:. Le divorce ne paraît pas avoir été admis dans la légisfâtlon
g;;;rine ; les quelques documents qui semblent le
montrer en usage à l'époque germanique, doivent
être attribués au droit romain.- D'ailleurs le christianisme vient bientôt attaquer cette institution que tous
ses efforts ne sont pas parvenus à faire abolir à Rome
' et un capitulaire de Charlemagne dé°fend aux époux
divorcés de se remarier. C'était en fait abolir le
divorce et établir la séparation de corps. L'exemple
mémorable de Philippe-Auguste répudiant Ingelburge
de Danemark pour épouser Agnès de Méranie, nous
prouve l'importance attachée pa~ l'Église à l'indissolubilité des mariages.
Les seconds mariages en Germanie étaient vus avec
(
défaveur, soit à cause de la haute idée que les Germains avaient de la sainteté du lien conjugal, soit
plus probablement à cause de cette jalousie sensuelle
qui leur rendait insupportable la pensée que leur
épouse pourrait, après leur mort, appartenir à un
autre. Aussi, si les lois ne prohibaient pas formellement les secondes unions des femmes, elles frappaient
de peines sévères, telles que la perte des gains nuptiaux, la veuve qui ne restait pas fidèle à la mémoire
de son premier époux. Clovis impose à la femme qui
convole en secondes noces l'obligation d'abandonner
aux parents de son mari une partie de sa dot avec le
lit nuptial. Chez les Francs, celui qui épousait une
veuve était obligé de composer, avec les parents du
premier mari, et de leur payer le prix du mundium,
t
�-H3
~
prix fixé à trois sous et un denier et qui avait r.eçu le
nom de 1·eipus. La loi salique nous a conservé ·toute
la procédure des seconds mariages, extrêmement
curieuse et où nous voyons le 1·eipus successivement
attribué à divers parents par les femmes, dont on
cherche vainement les titres à un semblable privilége.
Sous le rapport des biens, nous voyons apparaitre
pour la . première fois l'idée d'une association entre
les époux, d'une participation de la femme aux
c l1ârges et aux bénéfices du ménage. Le système ma- )
trimonial est domine par celte idée que c'est le mari
· qui apporte une dot à sa femme . A la dissolution du
mariage, la femme survivante reçoit, · outre sa· dot et
le morgengabe, une certaine portion des acquêts et
des économies réalisées pendant le mariage. La loi
des Ripuaires lui accordait le tiers, la loi bavaroise et
la loi saxonne la moitié. Un principe de société est
donc introduit clans les rapports des époux, on y découvre aisément les premiers linéaments de la communauté ; pour en arriver là, il n'y a plus qu'à
changer le droit de survie en un droit pur ~t simple
et faire des acquêts un partage égal. Nous verrons
bientôt comment le droit coutumier réalisera ces modifications sous l'influence du christianisme.
Le mundium, doJ:1:l le mari se trouve investi,
donne l'administratio n et la jouissance des biens de
la femme et, à ce titre, il peut être justement considéré comme le fon~cmcnt de notre puissance marilale
actuelle.
--
lui)
8
�- H-i-
CHAPITRE II.
La femme sous la pér iode féodale et coutumièr e.
SECTION 1.
§ I. Coup d'œil généml sw· l'époque de la . féodalité.
Les biens conquis par le chef victorieux étaient
partagés par lui entre ses fidèles. Ces concessions qui.
portaient le nom de bénéfices étaient faites sous la
condition du service militaire et à titre viager. Les
bénéficiaires à leur tour démembrèrent les terres qui.
leur élaient ainsi octroyées et, à l'instar du roi, en
concédèrent aux hommes sous leurs ordres une certaine partie sous la même condition du service militaire : de là, la grande division des terres en deux
catégories : les terres libres o~ alleux el les bénéfices.
Les Litulaires de bénéfices ne tardèrent pas à réclarner
le droit de disposer propriétairement, et non plus à
titre viager, des biens qui l!=lur étaient concédés : les
rois résistèrent longtemps et Charlemagne, jaloux
de maintenir la puissante unité qui faisait la force de
son empire, s'y opposa constamment, mais, sous ses
faibles successeurs, dès les dernières années du règne
de Charles le Chauve, nombre de possesseurs de fiefs
étaient parvenus à conquérir le droit de transmettre
héréditairement leurs bénéfices, sous la seule charge
pour le nouveau bénéficiaire d'en faire hommage au
souverain. Les seigneurs devinrent ainsi de pelits
�-115 i-ois, régnant sans contestation sur une étendue de
terre plus ou moins considérable, y commandant, y
lovant des troupes, y rendant la juslice suivant leur
bon plaisir. Ils devinrent de plus en plus oppressifs
pour tous les paysans et cultivateurs, vilains et roturiers, comme ·on les appelait dédaigneusement, qui se
trouvaient établis près de leurs possessions. Aussi les
homrries .libres se senlant trop faibles pour résisler,
offrirent leurs alleux et leurs serfs à un seigneur . de
leur choix dont ils reconnurent la suzeraineté et qu'ils
promirent de suiyre dans les combats ; celui-ci eu
échange leur accordait sa prolection contre quiconque
. viendrait les troubler clans leur personne ou dans
leurs biens, de sorte que toutes les terres devinrent
des fiefs. Alors naquit et se constitua celte puissante
aristocralie foncière qui devait, pendant plusieurs
siècles, sous le nom de féodalité, régner despotiquement en France et 6dicler des lois. Vers le x 0 siècle,
la féodalité ·a déjà absorbé dans le Nord la totalité des
terres; dans le Midi, où l'invasion avait été moins
complèle, un certain nombre de territoires étaient
restés aux mains des précédents possesseurs et continuaient à suivre les lois romaines. Nous ne nous
occuperons actuellement que des pays du Nord, car
l'étude de la législation qui régissait les pays du
Midi serail encore en fait celle du droit romain. .
L'Église dont l'importance grandit de jour en jour à
cette époque, fut entraînée à son tour dans le tourbillon féodal. Les évêques, pour obtenir la protection
dont ils avaient besoin; concédèrent à titre de fiefs
aux seigneurs une partie de la dîme qui leur était
due; la piété alors si vive chez les populations ne
�._ Hti contribua pas peu à augmenter la puissance el la fortune du clergé, car nombre de puissants seigneurs et
de riches vassaux faisaient par dévotion hommage de
leurs fiefs à Dieu et aux saints. On conçoit aisément
que dans celte société si singulièrement constitué~,
où le droit de conquête avait été la basè première de
l'organisation politique, de sanglantes rivalités, deie
luttes intestines désolaient constamment l'intérîeur du
pays. Les seigneurs, les vassaux, les arrière-vassaux,
les églises luttaient les uns contre les autres; les serfs
qui.composaient tout le bas peuple des villes et des campagnes supportaient en définitive tout le poids des
vexations que les seigneurs exerçaient sur leurs vassaux et ceux-ci sur leurs arrière-vassaux. Les souvenirs
conservés des droits, souvent monstrueux, que s'étaient
· arrogés les seigneurs, droits que l'on a encore amplifiés et exagérés, se sont transmis d'âge en.âge, laissant
chez les populations de nos campagnes l'impression
d'une profonde terreur. L'exagération même de cc
/ systè.me aristocratique, où l'on _ne connaissait plus
que la propriété foncière, où l'homme, sans indépen( dance et sans clignilé, est asservi à la terre qui l'a vu
naître, amena sa décadence. L'idée libérale commence
à se faire jour avec l'affranchissement des serfs du
domaine royal par Louis VI le Gros en 1108 et, avec
ce prince, naît et se développe le grand mouvement
communal d'où devait sorlir celte classe nouvelle, intelligente, ennemie de la féodalité et de la noblesse,
et qui s'appelle la bourgeoisie. Les croisades, en entraînant clans l'Orient les seigneurs, les princes el les
barons et en ruinant La plupart d'entre eux, les obligèrent à chercher des ressources clans des Lrafics de
�-
H7 -
Loule espèce. Pour se procurer de l'argent, ils vendirent leurs privilé_g es féodaux: : le droit d'affranchissement aux serfs et celui d'hommage aux vassaux.
Ils en arrivèrent bientôt à vendre le plus_précieux de
tous, celui du service militaire. Le jour où les seigneurs permirent à leurs vassaux de se racheter de
l'obligation où ils étaient de les suivre dans les combats, la féodalilé fut perdue et sa chule devint facile à
prévoir. Après ces quelques renseignement s indispensables sur la féodaliLé, voyons quelle fut, pendant
cette période, la condition de la fe.rpme.
§ Il. Fz'lle de f amz'lle.
Le droit féodal se trouve en réalité renfermé dans
le xv• ou
qui le fixèrent par écrit vers
les coutumes
.
...._
le xv1• siècle et qui s_o nt très-différentes suivant les
régions. Toutefois nous constaterons parfois dans la
rédaction et dans l'esprit des coutumes l'influence des
institutions germaniques.
La conclition de la femme pendant la période féodale est constamment régie par ce principe qu'il importe avant tout de constituer et forLifler l'aristocratie
foncière, et par suite d'assurer le service des fiefs en
les confiant à des guerriers capables de les défendre.
Si donc le vassal ne laisse point d'héritier mâle et n'a
que des filles, le seigneur devra veiller à ce que cellesci fassent des· !1!.ariages convenables, de nature à
assurer la conservation et le service du fief. Voilà
comment il se fait que le mundi·urn, que-la tutelle passa.
peu à peu de la famille à l'État, de l'État aux seigneurs, et devint un attribut de la suzeraineté : c'est
�-
HS-
le point de départ de la législation féodale. Le mineur
· reste, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, sous la garde
noble de son seigneur suzerain qui' fait siens îôus fes
fruits du fief. Bientôt les propriétés t;'accroissant incessamment, le seigneur dut déléguer son droit de
garde el il le confia généralement aux · plus proches
parents de l'enfant; mais comme on craignait que
l'intérêt du parent à voïr"son pupille mourir pour hériter du fief ne lui inspirât quclrJue sinistre projet, on
sépara la garde de la personne de celle des biens; c'est
ce que nous dit fort .bien saint Louis dans ses Établissements : « Cilz qui ont le retour de la terre ne doivent pas avoir la garde des enfants, car soupçon est
qu'ils ne voulussent plus la mort des enfants que la
vie pour la terre qui leur eschoiroit. )) A côté de cette
tutelle, qui n'est en fait qu'un privilége seigneurial,
se place la garde bourgeoise, Lutelle plus sérieuse et
plus efficace à laquelle le mineur échappe dès l'âge de
quatorze ans et qui ne donne pas au tuteur le droit de
s'attribuer les revenus des biens. Notons d'ailleurs
que la fille peut être à la fois sous la garde noble pour
les fiefs-dont elle hérite et sous la garde b~~rgeoise
pour les censives ou biens roturiers qui lui appartiennent 1• On comprend aisément que la garde noble
dut être une institution oppressive pour la femme,
car ptès d'elle était placé un homme absolument
étranger à sa famille, ne songeant qu'à la conservation et à l'amélioration du fief dont il était le seigneur
et maître, sacrifiant tout à cette idée, imposant par1
• On appelle censives ou biens i·otul'iers ceux que les seigneurs ·
ou leurs vassaux donnent à bail, moyennant une redevance annuelle, aux serfs q,ffranc)lis.
�-
..
11!) -
fois à sa vassale une union détestée. Et cependant,
par un mystérieux dessein de la Providence, par
un jeu merveilleux des événements, c'est cette institution de la garde noble si contraire à la liberté
et à la dignité de la femme qui devait devenir bientôt
le plus puissant auxiliaire de son émancipation. Vofoi
comment.: La garde noble était née uniquement de la
nécessité pour le suzerain d'empêcher que les fiefs ne
passassent par le mariage clans des mains hostiles et
d'assurer les charges de la vassalité, de là découlait
naturellement l'alternative où se trouvait l'héritière
d'un fief de soumettre ses projels d'union à l'agrément de. son seigneur ou de renoncer purement et
simplement à son fief. Quand les seigneurs ruinés
accordèrent, pour se procurer des ressources, le rachat des droits féodaux, ils rendirent à la vassale le )
droit de choisir librement son époux 1, droit dont
l'importance pour.eux avait bien diminué depuis que
les vassaux pouvaient se racheter du service militaire. La femme n'ayant plus besoin ni de représentant ni de tuteur, la garde noble._ tendit J!. disparaître.
La puissance paternelle, connue sous le ' nom de J
mainboumie, appartenait au père sur ses enfants; la
mère en élait exclue et .n'avait jamais que le droit de
garile ; aussi ne jouissait-elle pas des revenus des
.
1
C'est là sans doute qu'il faut chercher l'origine de ce prétendu
droit du seigneur sur toute vassale fiancée dans ses domaines et
qui ne parnîL pas d'ailleurs avoir été Jégislativement c,onsacré par
le droit féodal. En fait, les seigneurs mettaient souvent un prix
très -élevé à l'autorisation de màriage qui leur était demandée et les
malheureuses filles qui se trouvaient hors d'état de payer étaient
obligées, sous peine de rester célibataires, de satisfaire les caprices
dQ in11îtrc et <le coni,entir au paiement ... en iui.ture qu'il exigeait.
�-
'120 -
biens de ses enfants,· car l'usufruit légal était considéré comme un attrihut de la puissance paternelle.
En fait, ce tt e puissance s'exerçait avec une grande
modération : ce qu'il y avait d'imp.ortant, d'essentiel
dans le droit de l'époque, c'était uniquement les priviléges seigneuriaux et les règles successorales établies par une société éminemment aristocratique .
C'est ce qui a fait dire - par errem d'ailleurs - à
Loysel que « dans les pays coutumiers droit de puissance paternelle n'avait lieu, » Nous savons qu'en
Germanie le père ne pouvait nommer à sa fille un
tuleur testamentaire parce que le miindittm était uno
propriété de famille, un droit héréditaire qui devait
passer nécessairement au parent le plus proche. Telle
est également la règle que nou; trouvons à l'origine
du droit féodal, mais elle fut vivement attaquée par
le clergé et, dès l'année H97, une ordonnance de
Philippe-Auguste accorda aux habitants cle Bourg le
clroil de nommer par testament un tuteur à leurs enfants .
Si nous cherchons maintenant quelle était, au point
de vue des biens, la situation de la fille de famille
clans le droiL féodal, nous la trouvons dominée à l'origine par cette règle qu'une femme ne peut succéder
à la terre salique. De là découlent naturellement les
droits d'aînesse et de masculinité, ainsi que la division des biens en propres et conquêts et le principe
de la fente en ligne collatérale exprimé par ces mols :
patcma patemis, matema maternis. Il {allait, en effet,
que le fief passât entre les mains d'une personne capable de le défendre; le droit d'aînesse assurait la
suprématie de l'aîné clans la famille et sa puissance
�•
-- 12'.l -
territoriale. En faveur du droit de masculinité, la féoclaliLé établit la renonciation des filles à la succession
paternelle par contrat de mariage en échange d'une
dot que son frère devait lui donner. Les fortunes étant
alors presque exclw;;ivement immobilières, cette dot
consistait généralement en terres pour lesquelles la
fille devait hommage à son frère aîné d'abord, puis au
suzerain. Ce fut là une des premières causes qui amenèrent le morcellement des fiefs. Les filles nobles
étaient même, dans certaines coutumes, réputées do
plein droit renonçanles à la succession paternelle par
le seul fait de constitution de dot, tandis que les filles
roturières n'étaient exclues qu'autant qu'elles avaient
. renoncé par contrat de mariage. ·
Avec le temps, ces principes se modifièrent peu à
peu; une révolu Lion complète s'accomplit dans la con-·
diLion de la femme à l'époque du xn° siècle, révolution qui va relever la femme sans mesure et lui faire
accorder des droits que toutes les législations lui
avaient jusqu'alors unanimement refusés. Le point de
départ est, comme nous venons de le dire, la nécessit~où_se trouvèrent les seigneurs d'autoriser à prix
d'argent le rachat de toutes les redevances féodales :
dès que 'le fief ne fut plus considéré comme une propriété exceptionnelle qui, accruise par la conquête,
devait être conservée par la force, dès que la femme
put délivrer son fief de l'obligation du service militaire, il n'y eut plus de raison pour qu'elle n'en conservât pas l'administratio n et la jouissance. Les croisades, en obligeant les seigneurs à confier à leurs
épouses, au moment de leur départ pour la Palestine,
l'exercice de leurs drolL::; féodaux, curent une très-
\
)
•
\
)
.•
�-
·122 -
grande influence sur l'amélioraLion de lu condilion
des femmes. En même Lemps la fe~me était chantée,
idéalisée par les troubadours et les trouvères, la che.
valeriê se développe et contribue encore à ramener
' tous les esprits au respect et à la délicatesse de senLiment qu'elle doit inspirer. Dès le commencement du
xn• siècle les fiefs ne sont plus attribués exclusivement aux mâles et l'héritage en devient accessible
aux filles. L'exemple célèbre d'Éléonore d'Aqu.ilaine 1
épouse répudiée de Louis VII le-:rëllüé portant en dot
à Henri Plantagenet le Poitou, la Guyenne, la Saintonge, est là pour nous le prouver. Nous voyons, bientôt après, la femme feudataire régnant de la manière
la plus absolue clans son fief et relevée de toutes les
incapacités dont les lois antérieures l'avaient frappée
tantôt pou~ la protéger, tantôt pour l'empêcher de
pénétre~ dans la vie politique. La loi réelle des fiefs
avait tant d'empire sur la condition des possesseurs
qu'elle fit abstraction du sexe pour l'exercice de la
justice dont la femme exerçant la juridiction seigneuriale fut désormais investie. Il semble, d'après cela,
que, par suite de la réaction qui se produisit au moyen
âge, la femme. affranchie de l'incapacité velléienne,
pouvant plaider et même rendre la justice, devait se
trouver clans une situation aussi bonne que possible.
Il n'en est rien : les progrès ne s'accomplissent jamais
qu'avec lenteur et il y a toujours certaines institutions
qui, bien que contraires aux mœurs et aux idées, se
maintienn·ent longtemps dans la législation. On croirait qu'après la chute de la féodalité sous Louis XI, le
fief ne devant plus fournir les services féodaux, les
Mritages seront naturellement vartagés entre tous
�-
'123 -
les enfanls du de clljns sans distinction de biens ou
de sexe. Mais ici, le souvenir et l'influence du droit
féodal se manifesteront pendant plusieurs siècles encore. Si la féodalité est détruite, il n'en subsiste pas
moins une noblesse puissante, jalouse de ses droits et
de ses prérogatives et qui, dans le but d'en assurer la
conservation, tendra de tons ses efforts .à la concentration de toute la fortune entre les mains de l'aîné et à
l'immobilisation des biens dans la famille . C'est ce qui
nous explique comment le droit d'aînesse et la renonciation des filles à l'héritage paternel par contrat de
mariage survécurent au naufrage de la féodalité et
comment la noblesse parvint, par l~ système des substitutions indéfinies, à empêcher le morcellement des
héritages et conserver le prestige et la puissance de
l'aristocratie foncière. Ainsi, malgré les modifications
apportées, à la chute de la féodalité, dans la condition
des femmes, la füle de famille est loin d'être traitée ·
comme son frère et il ne faudra rien moins qu'une révolution pour lui conquérir l'égalité. A côté de la fille
.noble; se trouvent dans la hiérarchie féodale deux
classes de personnes clans une situation inférieure et
dont nous allons dire quelques mots : les serfs et les
roturiers.
§ III. Fille sei·ve. - Fz'lle 1·otu1·z'ère.
L'esclavage romain s'était, dans le droit féodal,
transformé en servage, l'homme n'était plus esclave
de l'homme, mais esdave de la terre; il suivait celleci dans les mains des divers propriétaires qui s'y succédaient. Cette situation était analogue à celle de
l'esclave: le serf n'avait d'autre position que celle qu'il
�plaisait à son seigneur de lui laisser. Bienlôt l'affran~
chissement fnt vendu aux serfs par les seigneurs tou~
jours besoigneux, et tous ces hommes, devenus
libres, formèrent la classe des vilains ou roturiers
auxquels les seigneurs concédèrent des terres à
charge de fruits et de redevances annuelles. La fille
du vilain a un droit reconnu à la succession pater- '
nelle, mais tel est l'empire qu'exercent alors les idées
féodales, qu'elle ne peut en avoir sa part qu'aulant
qu'elle n'est pas sortie de la maison de son père par
mariage, à moins de permission expresse du seigneur.
C'est ce qui donna aux gens de condition servile l'habitude de marier leurs enfants par échange. Toute
personne qui mourait était censée se dessaisir de ses
biens et les remettre au seigneur propriétaire et les
héritiers n'en peuvent prendre possession qu'après
avoir payé la redevance seigneuriale.
Absolument élrangers aux idées aristocratiques
qui avaient inspiré le droit féodal, les serfs et les
vilains étaient régis par une législation qui, tout en
étant moins compliquée et moins savante que celle
dont nous venons de parler, n'en élait que meilleure
et plus conforme au droit naturel. Chez eux, ni droit
d'ainesse, ni privilége de masculinité, la fille vient à
la succession paternelle à raison de son degré de
proximité et sans distinction de sexe ni de primogéniture. C'est ce que nous dit Beaumanoir, c'est d'ailleurs ce que nous voyons dans les texles de la trèsancienne coutume de Bretagne : « 'Les enfants aux
bourgeois et autres gens de basse condition doivent
être aussi grands les uns comme les autres, tant en
weubles qu'en hérilages » (chapitre cv1).
�- 125 ---"
ciest ciohc dans la bourgeoisie, telle qu'elle sortit
du mouvement communal du xn° siècle, qu'il faut
chercher en France les institutions fondées sur les
liens du sang et sur les vrais principes qui doivent
être la base des sociétés. Tandis que la fille noble doit
se conlenter de son apanage, la roturière ou la serve
est admise, moyennant le rapport de sa dot, à concourir avec ses frères et sœurs, à l'hérédité paternelle.
SECTION IL
LA FEMME MARIÉE.
§ 1. Le man·age à l'époque féodale.
Avec la féodalité, l'union conjugale revêt un caractère qu'elle n'avait point eu jusqu'alors. Le catholicisme, qui a tant fait pour la femme, veut que la
religion imprime au mariage un sceau indélébile et
il en fait un sacrement. Dans les diverses législations
que nous avons parcourues jusqu'ici, nous avons vu
la femme mariée occuper dans la famille, suivant les
époques, une place plus ou moins consiçlérée, tantôt
courbée entièrement sous l'omnipotence maritale;
tantôt au contraire tellement indépendante qu'elle
semblait étrangère à la maison conjugale. Après \
l'avoir protégée clans sa personne, les lois l'ont proté·
gée clans ses biens et d'incontestables progrès ont été
succcsr.ivement réalisés, mais les anciens n'ont jamais considéré le mariage comme une nécessité
sociale pour assurer la perpétuité humaine ou pour
créer les biens de famille : ils ne se sontjaniais élevés
, jusqu'à cette idée essentiellement chrétienne que
�126
~
l'union conjugale est une association de l'homme et
de la femme pour supporter ensemble les joies et les
douleurs de la vie et partager une commune destinée.
Le.s jurisconsultes, il est vrai, avaient bien donné du
mariage des définilions magnifiques, Modestin avait
parlé du « consortium omnis vitre, » mais, en fait, la
femme, à Rome comme à Athènes, n'était dans la
maison de son mari qu'une enfant ou une étrangère,
et les protections exagérées qui lui étaient accordées
' pour assurer la conservation de son patrimoine la
rendaient absolument indifférente à la prospérité du
ménage. Ce sera l'éternel honneur du christianisme
d'avoir proclamé et enseigné que la femme était la
compagne, l'associée de son époux et devait participer
comme lui aux gains et bénéfices résultant de leur
commune collaboration.
Nous avons peu de renseignements sur la manière
dont les unions se célébraient clans les premiers Lemps
de la période gallo-romaine ; nous avons signalé chez
les Germains la coutume symbolique de l'aQh~t de la
fiancée et émis l'opinion que chez eux comme chez
les Gaulois, l'union conjugale ne devait pas s'accomplir sans quelque rite religieux. Le catholicisme se
répandit de très-bonne heure dans la Gaule romaine,
les conquérants ne lardèrent pas à embrasser la religion des vaincus. Nous savons qu'à Rome les mariage~
n'étaient entourés d'aucune solennité 1 : l'usus élait
le mode d'union le plus habit~el et l'intention seule
distinguait l'épouse de la concubine. Les évêques
prirent bientôt en Gaule une très-grande influence;
1 Loi 9,
C. de Nuptiis,
�dès les rois de la première race, nous les voyons
jouir &'une haute autorité. Une loi de Théodose confirmée par Justinien autorisait clans toute cause
l'arbitrage des évêques, ce fut là l'origine de la juri/
diction ecclésiastiquè qui devait d'autant plus se développer et grandir qu'elle était à l'époque un puissant
élément de civilisation. Les évêques cherchèrent immédiatement à étendre leur juridiction en élargissant
le cercle de leur compétence. Les trois grands actes
de la vie civile, naissance, mariage, décès, qui sont la
· source de tant de droils cli!férents et autour desquels
se rangent tant de questions compliquées et délicates
du droit civil, attirèrent bientôt leur attention.
Dans les premiers temps,· le culle catholique était
sobre de cérémonies extérieures et il est probable
qu'il intervenaù plulôt officieusement qu'officiellement dans les mariages, se conlentant de régler par
ses canons et decrélales l'union des époux. D'ailleurs
les rois de la première race étaient encore· plutôt des
chefs de bandes que de véritables souverains, et le
grossier liberlinage auquel s'adonnaient la plupart
cl'enlre eux n'aurait pu que difficilement se plier aux
exigences d'un sacrement. Aussi 1\1. Augustin Thierry
nous dit-il avec raison 1 que les évêques, clans la
crainle de s'aliéner l'esprit de leurs barbares néo·
phytes, acceptèrent en grande partie les coutumes
alors en vigueur. Mais avec Charlemagne, l'Église
dont l'influence et la puissance ont grandi sous la
protection de l'empereur, préside au mariage etinler· (
vient activement. Baluze nous rapporte les paroles ~
t
Histoii·e des temps mérovingiens, t. II, 5• récit,
�- ,12S pi-ononcées par les évêques loTs du mariage de
Judith, fille de Charles le Chauve, et nous voyons
qu'il s'agit véritablement.d'une bénédiction nuptiale 1 •
Toutefois le droit canonique p~raît, pendant longtemps encore, avoir recommandé la bénédiction par
l'Église comme acle purement religieux et considéré
néanmoins le mariage comme valable par le seul
consentement des parties.
Dans une société qui se poliçait et s'accroissait de
jour en jour, on ne tarda pas à reconnaître la néces-.
sité de donner au mariage une certaine publicité et
on imagina la publication des bans. L'Église s'unit
clans ce but au pouvoir civil et le concile de Latran,
en 1215, alla jusqu'à déclarer nuls et de nul effet les
mariages clandestins. Cetle rigueur ne fut d'ailleurs
point observée. Une ordonnance d'Henri II, en 1556,
Vint donner aux père et mère la faculté d'exhéréder
leurs enfants mariés clandestinement. Ce fut le concile de Tr.enle, en 1.563, qui éleva le mariage à la
hauteur d'un sacrement et déclara nul tout mariage
célébré hors de la présence du curé de l'un des mariés. Une violente opposilion se manifesta contre celte
décision et divers parlements refusèrent d'en faire
1 "Accipe annulum fidei et dilectionis siguum atque conjugalîs
ClOnjunctionis vinculum, ut non separe t quod conjunxit Deus,
Despondeo te uni vira virginem castam atque pudicam futurarù
conjugem uL sanclœ mulieres fuere viris suis Sara, B.checca, B.achel,
Esther, Judith, Anna, Naemi, favente auctore et sanctificatore
nuptiarU'm Jesu Christo. Deus qui in , mundi crescentis exordio
multiplicandœ proli benedixisti, propitiare supplicationibus nostris, et buic famulo tuo, et huic famulœ tuœ opem tuœ benedic·
tionis infoude; ut in conjugali consortib secundum beneplacilum
tuum affectn compari, mente consimili, sanctitate mutua copulentur . ., T. II, "P· 309.
�- 129 -
l'application. De vives discussions s'élevèrent à cet
égard au sein des· États de Blois, mais les idées fanatiques et la haine du protestantisme qui dominaient
alors· firent rendre, en 1579, l'ordonnance de Blois
qui, introduisânt dans les lois civiles la réaction catholique, déclara non valable le mariage célébré sans
l'assistance du clergé et, complétant l'ordonnance de
Villers-Cotterets qui avait confié au clergé la tenue
clëSregiStresa.ëî'état civil pour les baptêmes, ordonna
que les vicaires et curés en tiendraient de spéciaux
pour les ma:Piages et les apporteraient une fois par an
chez les greffiers en chef pour les faire viser et parapher.
Nous n'avons point à retracer ici les luttes sanglantes des calvinistes et des catholiques. Privés de
leur étal civil. pendant Jes hostilités, les protestants.
recouvraient à chaque suspension d'armes le droirde
se marier civilement devant les notaires, droit qui
leur fut enfin confirmé par les édits de Nantes, en
1598, et de Nîmes, en 1629, et que Louis XIV devait si
malheureusement Jeur enlever. Il ·est tout naturel
que le christianisme, pour pénétrer dans les mœurs,
ait cherché à s'introduire dans la famille en présidant aux grands actes de la vie. Cet empiétement des
lois canoniques sur les lois civiles fut d'ailleurs un
véritable bienfait pour la femme : en donnant au
mar~agc 1~10n ~u Saint ministère, en en
faisant un sacrement, l'Eglise le réhabilita et en
même temps releva la dignité de l'épouse. Le mo- /
nopole du clergé va durer jusqu'à la Révolution ...
trâllçâise et, q~and il r.essera, les mœurs et la civilisation auront assez progressé pour que la femme
9
j
�...__ 130 -
puisse trottver dans le mariage, sans l'interventiort
religieuse, toutes les garanties nécessaires.
Les premiers efforts de l'Église furent dirigés contre
/
l'institution du divorce, elle ne l'autorisa plus qu'en
cas d'adultère et frappa d'excommunication le mari
qui répudiajt sa femme sans motifs. Sous son influence, les capitulaires des rois Francs entrèrent clans
la même voie 1 et, ainsi que nous avons eu déjà occasion de let dire, dès l'époque de Charlemagne, la
s~p_arati~n de corps avait remplacé le divorce que les
coutumes prohibèrent unanimement. A• l'épocrue de
la Révolution française, le divorce fut rétabli et le
Code civil le consacra. Mais son existence ne fut qu'éphémère et une des premières lois de la Restauration
- du 8 mai 1816 - decréta de nouveau son abolition
et, quelque vives et quelqu'exactes même que soient
quelques-unes des attaques dirigées contre cette mesure, on ne peut s'empêcher de reconnaître que l'indissolubilité absolue du lien conjugal est la plus sûre
garantie du respect dû au ma_riage et de la considération due à la femme.
Les seconds mariages vus avec tant de défaveur en
Germaai.e, furent encouragés, parfois mème imposés
à l'époque féodale et-l'Église, qui s'y était montrée. si
hostile, fut obligée de se départir de son ancienne
rigueur. Le motif en est bien simple: il importait aux
seigneurs que la veuve d'un vassal convolât en
secondes noces pour assurer ~e service militaire du
t " Nullus conjugem proprlam, nisi tH sancturri Evangelium
docet, fornicationis causa, relinquat, quod si quisque uxorP,m
propriam expulerit, nulli alteri copuletur, sed aut ita permaneat,
aut propriru reconcilietur conjugi. " Capit. VJ.
�•
fief et augmenter par la procréation des enfants le
nombre des vassaux. Aussi la veuve devait-elle au
bout de l'an et jour déférer à la sommation que lui
faisait son suzerain de se remarier, sous peine de
perdre son fief, à moins qu'elle ne le possédât à titre
de douaire. Mais, quand les raisons exclusivement
féodales que nous venons d'indiquer eurent disparu
avec la féodalité, une réaction s'opéra et nous trouvons dans les coutumes nombre de dispositions qui
nous indiquent que les seconds mariages y étaient
vus avec défaveur. Le conjoint qui se remarie perd
l'usufruit légal sm les biens de ses enfants 1 ; la mère,
dans certains cas, perdait le droit de garde. Pothier
nous dit,que la veuve' remariée ne peut habiter une
des maisons dépendant de la succession de son premier époux, parce que la bienséance s'oppose à ce
qu'elle y ip.troduise son second mari. Cette réaction
amena, en 1560, l'édit des secondes noces de François II qui, rappelant et confirmant les lois romaines
feminœ et hac edictaH, avait pour but de sauvegarder
les inLérêts des enfants du premier lit. Citons enfin un
article de l'ordonnance de Blois qui prononce l'interdiction contre les veuves nobles se remariant follement à des hommes indignes. Cetle défaveur avec )
laguelle étaient vus les secon~s mariages s'est main ·
tenue, sinon dans notre législation, du moins dans
nos mœurs.
§ II. Puissance mm·itale.
Nous avons vu que le mundzum germanique, transféré par le père au mari, donnait à ce dernier sur la
1
CetLe di sposition a passé dans notre Code civil (art. 386).
)
1
J
l\
w~
�-
132
~
personhê el sur lep biens de sa femme tous les, droits
( qui avaient appartenu au chef de famille, droits qui
1 paraissent d'ailleurs avoir été exercés avec une sage
mod_éi.::_atlon. L'esprit de dureté, de grossièreté qui
règne au temps de la féodalité absolue se fit sentir
dans la condition de la femme mariée. Malgré toU:s
les efforts de l'Église qui lutte avec opiniâtreté contre
la répudiation et le divorce, contre le libertinage des
grands et des seigneurs, la dignité personnelle de la
femme s'engloutit et disparut presque dans la brutalité des mœurs de l'époque. Le mari acquérant par
suite de l'union conjugale le droit de porter le fief de
sa femme reçoit l'investiture du seigneur et il devient
le gardien, le bail, ou suivant l'expression ~e Beaumanoir, le bai·on de sa femme. On comprend quelle
doit être l'étendue de ses droits : l'auteur que nous
venons de nommer nous cite en première ligne l~droit
de correction : « Peuvent les hommes être excusés
des griefs qu'ils font à leur femme, ni ne s'en doit la
justice entœmettre car il loiL bien à l'homme à battre
sa femme sans mort et sans mehaing quand elle
meffait, si comme quand elle est en voie de faire folie
de son corp~, ou quand elle clément son mari, ou
quand elle ne veut obéir à ses resnables commandements, que prude femme doit faire. » (Lit. Lvn.) .La
femme doit donc obéissance à son mari et ce ùevoir
�-
133 -
avoir les époux cl Beaumanoir va jusqu'à nous dire
que si la femme intente un procès en séparation
contre son époux pour mauvais traitements, la rupture même d'un membre sera considérée comme peu
de chose si le mari avait des motifs légitimes d'user
de son droit de correction. La personnalité de l'épouse
parait même, dans certains cas, avoir été annihilée
complétemenl par celle de son mari déclaré responsable des actes de sa femme. D'autre part, le mari est
j,_?ge de sa f~mme, il a le droit, quand l'infidélité est
constatée, de la battre de verges devant sa famille et
de la mettre à mort. La coutume de Berry, cilée par
M. Laboulaye, nous apprend même que le père pouvait requérir son fils de l'aider en pareil cas.
Certes, nous ne doutons .point que l'affection du
mari pour son épouse, que la sagesse et la docilité de
celle-ci, n'aient fait de ces dispositions législatives des
droits inutiles et inusités; il imporLait néanmoins de
les citer pour montrer combien étaient ravalées pen~
dant cette ténébreuse et brutale période de la féodalité
la considération et la dignité l?ersonnelle de la femme
Dès que la féodalité entra en décadence, la situation del
la femme s.e modifia complétement. Les mœurs galantes de la chevalerie vinrent enseigner d'abord.aux .
nobles barons un respect pour la femme qui leur était
jusqu'alors inconnu et, après les guerres d'Italie, à la
merveilleuse époque de la Renaissance, nous voyons
la galanterie et la courtoisie françaises qui depuis sont
restées proverbiales, naître et se développer à la cour
élégante et polie des Valois. Les noms si populaires de
de
l\i.arguèrile, la spirituelle sœur de FranÇois l
D_i~ cl~ POTtiers, labelle maîtresse d'Jlenri II, de Marie
0
',
�-
134. -
SLuart la poéliqne et infortunée veuve de François II,
sont là pour nous rappeler quel éLait, dès le commencement du ~v~ siècle, le culLe _qu'on professait en
France pour la femme, culte qui depuis a survécu, eL
promet de survivre à toutes les révoluLions.
§ III. Communauté. ·
Le régime matrimonial reconnu par la plupart des
coutumes est encore, sauf queirrues modifications,
celui que nous suivons aujourd'hui el les pouvoirs
reconnus au mari sur les biens composant l'actif du
ménage sont encore la base de notre puissance maritale actuelle; nous nous trouvons obligé d'entrer
ici clans quelques détails.
Le régime matrimonial emprunte toujours le caractère du mariage-, il est libéral ou égoïsLe suivant
que le mariage l'est lui-même. Dans les sociéLés où le
mari est tout-puissant, le contrat de mariage est uniquement clans son intérêt. Trois grands systèmes se
sont produits : le premier est un système d'absorpLion, le patrimoine de la femme se confond avec celui
du mari qui demeure seul et unique propriétaire,
c'est la ~nus des Romains. Dans le second, système
de séparation, chaque époux conserve les biens qui
lui sont propres, mais la femme remet au mari, pour
acquilter sa parlicipation aux charges du ménage,
certains biens qui conslituenl CE;) qu'on appelle la dot,
dont le mari perçoit les revenµs et qui, à la dissolution du mariage, sont remis à la femme ou à ses héritiers. Les biens ·que la femme retient sont administrés par elle librement et forment ce qu'on a appelé
�~
135 -
les paraphernaux. C'esl le iJe·ime dotal. Enfin, il est
mi. troisième régime qui n'apparaft que longtemps
après les deux autres et qui est un incontestable pro8 rès. Il repose sur un princi e d'association et de
communauté, c'est le pluSëûnforme à l'jclée du manage. La femme ne se contente plus d'effectuer un
apporl, elle forme avec son mari une société de biens,
le capital une fois formé grossit et se partage à la
fin du mariage entre les époux ou leés héritiers.
Quelle fut l'origine de ce troisième· système que nom
trouvons presque universellement adoplé pendant la
période coutumière? Laissant de côté le système par
Lrop hypolhétique qui, s'appuyant uniquement sur
quelques définitions, veut faire remonter au droit romain l'origine de la communauté, nous dirons que
trois opinions sérieuses se sont produites. La première que nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer
croit trouver les premiers linéaments de la communauté dans le droit celtique, dans le gain de survie qui
est aecordé à la veuve et que nous rapporte Jules
César dans ses Commentaires. Ce texte unique ne nous
paraît' pas suffisant pour faire prévaloir cette opinion.
Il serait d'ailleurs étrange que le régime de la communauté ait mis plusieurs siècles à se propager en
France s'il avait élé le droit commun de nos ancêtres.
La seconde opinion, qui nous paraît mieux fondée,
trouve l'origine de la communauté dans le droit get:.,
manique uni à l'influence du christianisme. Elle commence par constater crans les lois- germaines le premières notions de la communauté : la loi des Ripuaires
donnait à' la femme le tiers des acquêts résultant de la
collaboration des époux, la loi bavaroise et la loi
....-- -
--
'
-
\
�-
136 -
saxonnè lui accordaient même la moitié. Il y a là
évidemment un principe cle société introduit clans le
rapport des époux. Nous avons vu que le mariauquèl
appartenait le rnundù.im sur la personne cle sa femme,
administrait la fortune cle celle-ci et disposait libre_ment du mobilier. Ces principes se retrouvent dan::;
notre communauté actuelle; c'est l'influence chrétienne qui les a développés et épurés. Le christianisme
enseignait, en effet, que les époux étaient égaux et
que la société int\me des personnes devait entraîner
celle des biens, d'où cette affirmation cle la communauté faite par le droit canonique : « Quœ lucrantur
cc vir et uxor, communiter obviunt eis. » Dès le xn°
siècle, on trouve des chartes où la communauté apparaît complète, au xm• on la constate clans le livre clc
Philippe cle Beaumanoir, au x1v• elle cl.evient le droit
commun des coutumes.
Une troisième opinion plus récente, soutenue par
IvlM. Troplong et Laboulaye, pense que la communauté est sortie des içlées d'association si fréquentes
au moyen âge et dont l'empire se fait partout .sentir :
les membres d'une famille servile se réunissent pour
acquitter la redevance seigneuriale, les moines pour
prier, les communes pour défendre leurs priviléges.
Il suffit que deux proches parents aient vécu ensemble
pendant un an, après la majorité de vingt ans, pour
qu'on suppose entre eux 1'existenc·e d'une communauté tacite. Cette opinion ne no~s paraît pas admissible; dans beaucoup de coutumes la communauté
commençait dès le jour du mariage et le mari administrait avec un pouvoir presque absolu les biens de
la commµnauté tandis que, dans ces sociétés taisibles
�-
137 -
dont parlent les coutumes, les associés avaient des
pouvoirs égaux. Remarquons en outre que, si telle
était l'origine véritable de la communauté, nous la
trouverions dans toutes les classes de la société féodale, car l'isolement des seigneurs dans leurs manoirs
devait leur inspirer l'idée d'association, comme laservitude l'avait inspirée aux serfs, et pendant longtemps
cependant le régime de la communauté ne régit guère
que les vilains et les roturiers. En fait, il est probable
que l'idée de communauté dut être en germe penclan t
longtemps clans les mœurs avant de passer dans la
pratique ; peut-êLre faut-il chercher la véritable cause
de son développement dans l'extel}sion de la fortune
mobilière . . Nous avons expliqué pour quels motifs,
chez les peuples anciens, la fortune immobilière était
si appréciée tandis que les meubles étaient regardés
comme peu de chose : ~< res mobilis, res vilis. >> Nous
avons vu les femmes exclues clans divers c'as de la
succession immobilière, tant dans le droit germanique
qu'à l'époque féodale et cette préférence pour les immeubles qui est le véritable cachet de la législation
féodale a Jaissé des traces dans le code civil lui-même.
La féodalité, qui devint plus tard la noblesse, tenait
essentiellement à assurer la splendeur du nom en
.conservant intactes les grandes propriétés foncières
et en évitant leur morcellement. Une semblàble théorie était évidemment contraire à l'idée de communauté, si contraire qu'aujourd'hui encore, après de ' \
longues et patientes études, le législateur a exclu de \
la communauté les immeubles appartenant à chaque 1
époux au jour·du mariage. Nous comprenons dès lors /
corn.ment il se fait que lil comqrnnauté se 1>oit répan ~
�-
138 -
duc infiniment plus vile chez les vilains et les roLuriers qui n'avaient jamais à partager que quelques
fruils péniblemenL récoltés, que dans les hautes classes
de la société et pourquoi, quand elle fut devenue le
droit commun par suite de l'extension des fortunes
· mobilières, le parlage se borna toujours aux meubles
et aux conquêts.
Nous avons tenu à insister un peu sur les origines
de la communauté parce que l'adoption de ce nouveau
régime matrimonial est inconleslablement le plus
grand progrès qui se soit réalisé pendant le moyen
âge dans la condition de la femme mariée et c'est de
là qu'est sortie, avec le temps, l'égalité absolue des
époux. Conforme, èn éffet,· à l'idée d'élroite et intime
union qui doit présider aux rapports des époux, le
régime de la communauté confond leurs intérêts pécuniaires et inléresse la femme ~ la prospérité du
\...ménage. Elle est véritablement la compagne de
l'homme, associée à ses succès comme à ses reve_rs et
nous ne pouvons qu'applaudir le législateur d'avoir
fait de la communauté le régime national en y soumettant tous ceux qui se marient sans contrat. Combien la communauté est sup6rieure, en eITet, au régime dotal qui, sous le fallacieux prétexte de protéger
la femme dans ses biens en Jait une élrangère dans la
maison conjugale! Que peut imporLer à l'épouse dotée la prospérité ou la ruine du ménage? assurée
contre l'adversiLé, elle retrouvera sa dot inlacte et, en
présence des créanciers 1~uinés d'un époux insolvable,
continuera à vivre dans un luxe ins11llant ! Les limites
de notre travail ne nous permettent pas d'étudier
l'organisation et la composilion de la communauLé.
�-
13() -
Nous · dirons seulement qu'au début les pouvoirs du )
1~ari étaient absolus, il était le seigneur et maître de
la communauté et en disposait à son gré sous la
seule condition d'agir sans fraude. Mais, quand les /
seigneurs, à leur retour de la Palestine, se trouvilrent absolument ruinés ou, lorsque faits prisonniers par l'ennemi, il fallut payer pour leur rançon
des sommes considérables épuisant tout l'actif da
la communauté, on comprit qu'il était indispensable
d'accorder à la femme quelques garanties. Tell'3
fut l'origine du droit de renonciation à la communauté lors de la dissolution du mariage, privilégc ·
qui, exclusivement réservé d'abord aux veuves nobles,
deviut le droit commun lors de la réformation des
coutumes vers le xv• siècle. D'ailleurs, si le mari disposait souverainement des biens de la communauté, ,
il n'avait sur les propres de sa femme qu'un simple
droit d'administration et ne pouvait les aliéner sans
/
le consentement de son épouse. Celle-ci était capable
de contracter au sujet de ces biens pourvu qu'elle y
fût autorisée par son mari. Au lieu de n'exiger, /
comme le droit romain, l'intervention du mari que
clans les affaires qui pouvaient intéresser sa puissance
maritale, les coutumes en firent une obligation absolue pour tous les actes passés par la femme commune
en biens. Édictée clans l'intérèt exclusif du mari, ré-.
•'
du mundium germanique et de la
sullat immédiat
mainbournie féodale, l'autorisation maritale a passé,
sauf quelques modifications, dans notre droit actuel
et nous aurons occasion de reparler bientôt de cette
institution qui, on peut le dire, caractérise aujour- )
d'hui la condition civile de la femme mariée,
-
�-
'140 -
§ IV. Du douaire et des ga1·anti:es accoi·dées
à la femm e mai·iée.
Si les coutumes avaient accordé au mari un droit
absolu sur les biens de la communauté qu'il dirige et
administre, elles avaient placé à côté un contre-poids
nécessaire dans l'institution du douairfl. Le douaire
est une garantie donnée à la femme sur les biens
propres de son mari et qui, en cas de dissipalion ou
de revers de celui-ci, lui assureront à elle et à ses en. fants une existence convenable et indépendante. L'origine du douaire est évidemment germanique : toutefois nous ne pensons pas,' comme certains auteurs,
que cette institution ne soit qu'une sorte de morgen.
gabe dégénéré en doiiation ante nuptiale, car diverses
coutumes nous montrent le don du matin subsistant
à côté du douaire. D'ailleurs son origine et ses motifs
sont tout auLres. Nous verrions plus volontiers clans
le douaire le prix du mundium que remettait jadis le
futur gendre à son beau-père el qui fut altribué plus
tard à la fille elle-même. Quoi qu'il en soit, l'usagè du
douaire était universel, et, bien qu'il fut tout d'abord
livré, quant à sa quotité, à l'arbitraire des familles, il
était presque sans exemple qu'un mariage eût lieu
sans constitution d'un douaire. D'ailleurs, quançl le
droit féodal eut étendu et affermi son empi:ro-,-i1 rendit le douaire obligatoire ; les coutumes le fixèrent
tantôt au tiers, antôl à la moitié des propres du mari
en l'absence de convention. Le douaire qui consistait
en un droit d'usufruit ne pouvait frapper que des
piens ne tombant pas clans la communauLé, et celte
�disposition s'explique aisément. S'il eût été constitué
sur les objets de la communauté, le douaire n'eût présenté à la femme qu'une garantie illusoire puisque le
mari, seigneur et maitre, eût pu en disposer à son
gré, tandis que les propres composant l~ douaire sont
déclarés par la loi inaliénables et imprescriptibles. La
femme peut exercer son droit alors même que les
biens ~onstitués en douaire seraient grevés de substitution entre les mains clu mari. Certaines coutumes
firent du douaire une obligation légale ; quelques-unes
exigeaient qu'il fftt stiPtllé, d'autres -ne l'accordaient
qu'aux femmes nobles, celle de l'Angoumois enfin,
par une logique rigoureuse, ne l'accordait à la femme
qu'en cas de renonciation à la communauté parce
qu'il y a lieu cle présumer clans ce cas que l 'administration clu mari a été mauvaise et cle craindre que la
femme ne se trouve dans l'indigence.
On ne peut s'empêcher . cle remarquer les ressemblances qui existent entre le douaire coutumier et la
donation pTopte?' nuptias du droit romain. L'un·_et
l'autr; constitués sur les biens propres du mari en
faveur de l'épouse rendent inaliénables et imprescriptibles les biens qu'ils frappent. Néanmoins, ce serait
une erreur de faire dériver le douair~ des institutions
romaines, nous le devons au droit germanique et
cette origine se reconnaît aisément à ce caractère que
le douaire, alors même qu'il est imposé par la cou-)
turne, demeure toujours une libéralité du mari, il est
dû même à la femme sans dot et n'est point assujetti
ù une proportionnalité quelconque avec l'apport de
l'épouse.
Lorsque les pouvoirs du mari sur les biens de la
�-
I
-l42 -
communauté eurent été sagement limités à ceux que
comportent l'exercice de la puissance maritale et unE\
large administration, on comprend que la femme
associée à la vie et aux labeurs de son mari, travaillant avec le même zèle que lui pour augmenter l'avoir
commun sur lequel elle avait des droit égaux aux
siens, ne devait plus avoir besoin d'un privilége spécial sur les propres cln mari comme garantie de la
gestion de celui-ci. Avant même que la Révolution
française, en mettant les époux sur un pied absolu
d'égalité, eût rendu inutile l'institution protectrice du
-.douaire, Montesquieu la critiquait déjà dans son
Espn"t des loi"s en disant que les femmes étaient naturellement bien assez portées au mariage sans qu'il fût
besoin de les y exc.iter encore en leur accordant des
priviléges exorbitants; Ies jurisconsultes faisaient
aussi remarquer avec raison le grave préjudice que
causait à la fortune et au crédit du mari l'établissement du douaire. Il en résulte que le jour où la femme
sera considérée comme assez intelligente pour surveiller l'administration des biens communs et s'intéresser à leur conservation et à leur accroissement elle
devra marcher sans privilége et le douaire disparaîtra:
c'est ce qui arrive à l'époque du Code civil.
A côté du douaire, citons encore dans les coutumes
deux institutions destinées aussi à préserver de . la
misère la femme veuve et survivante : les donations
mutuelles de biens à venir au profit du survivant par
contraCcle mariage et le droit de bagues et joyaux.
Cette dernière institution était un gain clé sÛrvie au
profi~ de la femme seule. Il consistait en une certaine
i;;omme d'argent que la femme recevait pour lui tenir
(
�~
·14.3 -
lien de ses bijoux quand elle ne les· reptenait pas en
nature. Dans le Forez, dans le Lyonnais, dans le
Beaujolais, ce droit n'avait pas· besoin d'être stipulé.
Il était d'un dixième de la dot entre gens notables,
d'un vingtième entre gens du commun. En revanche
les donations entre époux pendant le mariage étaient
.
formellement interdites, même par testament; une
seule exception était admise : elle concernait le don
mutuel entre vifs, sous la double condition que la
donation ne con sistât qu'en meubles ou en acquêts et
qu'il n'y eût pas d'enfants, encore les acquêts immobiliers ne pouvaient:-ils être donnés qu'en usufruit. ,
Le droit coutumier se préoccupa en outre d'assurer
la femme dans la succession de son mari une or.lion
représentant sa part dans le produit du travail commun. Si ia veuve noble ne succédait pas aux fiefs et
aux propres de son époux elle avait droit, en cas de
survie, à la moitié des acquêts, ce qui lui assurait un
veavage décent et conforme à la situation qu'elle avait
duranl le mariage occupée clans la société; c'est donc
avec raison que nos anciens jurisconsultes disaient :
« Vidua adhuc coruscat racliis mariti )) . Ainsi, aprè
la chute de la Féodalité, les coutumes s'ingénièrent
à accorder à la femme mariée des priviléges qui
eurent à la fois pour but et pour résultat de rendre f
plus étroits les liens de famille et de relever la dignité /
et la considération de la femme.
----·
à)
�-
144
CHAPITRE III.
La femme dans les pays du Midi. Fusion des divers
éléments du droit français sous l'influence dl.J. droit
canonique et des ordonnances royales.
Le droit coutumier ne fnt pas, avons-nous dit au
début de notre étude, le régime universel de la
France. Le droit romain qui, après la conquête de
la Gaule, avait été importé par les vainqueurs, s'était enraciné chez les peuples vaincus et les pays
dn Midi , où les invasions germaniques avaient
moins profondément pénétré, continuèrent à suivre
ses préceptes. Nous n'aurons donc. que bien peu
de choses à dire de la condition de la femme clans
le Midi, car, en fait, ce serait recommencer l'histoire
du droit romain à l'époque de la législation d,e Justinien. Toutefois, on comprend que la division, trèstranchée au début, des pays coutumiers au Nord, des
pays régis par le droit romain au Midi, dut s'effacer graduellement par le contact quotidien des habitants, par
les mille nécessités qu'engendre la vie sociale; aussi,
( voyons-nous bientôt le droil romain subir d'importantes modifications sous l'empire des coutumes, pendant que ceUes-ci à leur tour admettent des innovations où se reconnaît aisément l'influence des lois
romaines. Les pays de droit écrit conservèrent l'organisation autoritaire de la famille romaine et la fille
dè famille est foujours à peu près annihilée, au point
�•
-
140 -
de vnc juridique, clans sa personne comme danft ses
biew par l'omnipotencepaternelle. Nous savons que
clans les pays coutumiers, la dévolution des hérédités
était le plus souvent réglée par la loi elle -même .tandis
que le droit romain considérait presque comme déshonorant de mourir intestat. Il en résulta que ce fut
dans les dispositions testamentaires que se manifesta
d'abord l'influence du droit coutumier. Quand les
idées aristocratiques et féodales se furent propagées
chez les bourgeoisies puissantes du Midi, celles-ci
sottgèrent naturellement à emprunter au droit coutumier les institutions propres à assurer la conservation
de leur fortune et de leur rang : aussi trouvons-nous
clans divers testaments cités par d'anciens auteurs des
dispositions en faveur des mâles et des ainés et qui
ne peuvent être attribuées qu'à l'influence de la
féodalité.
Le régime .dotal, si savamment organisé par les
jurisconsultes romains et qui avait été universellement adopté dans les pays de droit écrit, subit luimême des modifications importantes dues aux idées
de communauté qui dominaient dans les pays coutumiers. Depuis Justinien, le régime dotal cherchait à
égaliser la condition pécuniaire des époux : la loi exigeait du mari, sous le nom de donation propter nuptias,
un apport égal à èelui de la femme ; un droit proportionnel et identique est établi au profit du survivant
des époux tant sur la dot que sur la donation p1·opte1·
nuptias. Les pays de droit écrit rejetèrent l'institution
de la donation propte1· nuptzas et ils la remplacèrent
par l'augment de dot, sorte de droit analogue établi
en faveur de la femme sur les biens du mari et fixé
10
�•
généralement au tiers ou à la moitié des biens dotaux.
L'augment croissait pendant le mariage dans les
mêmes proportions que la dot elle-même, mais la
femme n'y avait droit qu'autant qu'elle avait apporté
une dot à son époux. Il lui appartenait alors en pleine
propriété si le mariage demeurait stérile, pourvu que,
veuve , elle ne convolât pas en secondes noces. La
propriété de l'augment était attribuée aux enfants
qui pouvaient le cumuler avec leur légitime et y
avaient droit même en cas de renonciation à la succession paternelle. La mère ne pouvait prétendre
alors dans l'augment de dot qu'à ~me part d'enfant.
Les pays de ·droit écrit reconnurent encore à la femme
le .droit de retenir à la dissolution du mariage, les
biens du mari jusqu'à remboursement intégral de la
dot.
A côté de l'augment de dot, qui a des rapports si
frappants avec le douaire coutumier, signalons une
autre institution plus importante encore, modification
heureuse apportée à l'absolutisme primitif du régime
dotal et où se reconnaît l'influence des idées de communauté dominant dans les pays du Nord : nous
voulons parler de la société d'acquêts. La principale
objection dirigée contre le Tégimi;i dotal consistait,
avons-nous dit, à lui reprocher de faire de la femme
une étrangère dans la maison conjugale en lui refusant toute participation aux bénéfices réalisés par
la collaboration des époux et en la rendant, par suite
de la conservation certaine de sa dot, indifférente à
la prospérité ou à la ruine du ménage. Les pays de
droit écrit, tout en conservant avec un soin jaloux les
principes du régime dotal, furent frappés _de cet
�.-.:... 14.1 inconvénient, et ils le comprirent d'autant miel!x que
près d'eux les coutumes faisaient de la femme l'associée de son mari par l'organisation cl~ la communauté.
De là sortit la combinaison particulière connue sous
· Je nom de société d'acquêts et qui devint presque
universelle dans certaines provinces du Midi comme
le Languedoc et la Guienne. Tout en conservant à la \
1
femme la garantie de l'inaliénabilité du fonds dotal,
les pays du Midi imaginèrent d'associer l'épouse à son
mari pour les profits réalisés en commun pendant la
durée de l'union conjugale. Les biens du ménage se
divisent clone en deux parties bien distinctes : les
biens dotaux toujours administrés sous l'empire du
régime dotal romain qui continue à constituer le
droit commun et la société d'acquêts qui s'administre
et se partage de la même manière que la commu- ·/'
nauté et à laquelle la femme peut renoncer à la dissolution du mariage. Il ne pouvait y avoir de société
d'acquêts sans stipulations formelles à cet égard.
C'est ainsi que s'opérait insensiblement la fusion
du droit romain et du droit coutumier par la seule
force des choses et sans modification appréciable des
1-0is ou des coutumes, car il est manifeste que cette
fusion méditée et préparée pendant plusieurs siècles
s'accomplit clans les mœurs longtemps avant de s'accomplir clans les lois. La France tendit de bonne
heure à l'~, sentiment bien naturel chez des populations qui, constamment en butte aux vexations des
nobles, des seigneurs, ne pouvaient · parvenir à se
faire rendre justice au milieu de la confusion et
de l'incohérence des lois et des coutumes. Cette
idée d'unité se retrouve déjà dans l'ordonnance de
�-
11~s
-
Charles VII de 1453 qui prescrit la rédaction des coutlliÜes. On peut dire que l'unificalion de la législation
est due à trois éléments principaux : le droit canonique,. les travaux des jurisconsulles, les ordonnances
royales. Nous n'avons point à insister sur la part qui
revient à chacun d'eux et nous nous bornerons à
quelques observations générales ayant trait au sujet
qui nous ,occupe particulièrement. On' comprend aisément l'influence que l'Église, aussi puissanle au Nord
qu'au Midi, dut exercer par ses canons, ses décrélales
et ses juridiclions ecclésiastiques; jouissant d'une
égale autorité dans les pays coutumiers et dans les
pays de droit écrit elle devait naturellement contribuer à établir entre eux un courant perpétuel d'idées
et d'intérêts. Nous l'avons déjà montrée dirigeant ses
efforts vers l'atlribulion des actes de l'état civil, du
mariage surtout, et, après avoir sanctifié l'union conjugale par une bénédiction religieuse, faisant, sous
prétexte de connexité, rentrer dans la compétence de
ses tribunaux, toutes les questions intéressant la dot,
le douaire et les· conventions matrimoniales. Mais le
clergé qui constituait lui aussi une aristocratie puissante et jalouse de ses prérogatives se garda bien cle
toucher aux priviléges féodaux dont il avait sa part
et, après avoir été pendant plusieurs siècles l'im.trument le plus puissant de la civilisation et du progrès,
il devint un élément réactionnaire. Telle est l'origine
de la longue lutte qui s'.engage alors entre l'Église
et la royauté naissante. Les rois se posent en protecteurs des faibles, en redresseurs des torts et, ce
qui fera leur force et préparera leur puissance, ils
vont être les représentants clu progrès. La lutte poli-
�-
14U -
tique de l'Église et de la royaulé est à l'état aigu dès
l'époque de Philippe le Bel ; les juridictions ecclésiastiques qui donnaient un si grand pouvoir aux
évêques sont les premières attaquées et elles reçoivent
dans l'institution de l'appel comme d' bus au xrv• siècle
un coup terrible ~ dont elles ne parvinrent pas à se
relever.
A cette même époque commençait à refleurir dans
toute la France l'étude du droit romain, et ce droit
éminemment spiritualiste qui, dans toutes ses dispositions, contenait pour ainsi dire une protestation
contre le grossier préjugé des nations du Nord qui
faisait de la force une condition de capacité civile,
enseigné avec éclat à Montpellier, à Paris, à Orléans,
se répandit dans ·toute la France et contribua puissamment à élever les esprits : il est curieux de voir,
dans mainte discussion juridique, le jurisconsulte
argumenter d'une dis,Position du droit romain pour
critiquer un privilége féodal. On ne peut nier qu'une
grande part revienne aux légistes, et surtout à Cujas
et à Dumoulin clans la coordination de tous les matériaux qui constituent aujourd'hui notre droit français.
C'est à cette époque que se rattachent la décadence de
la féodalité et l'abolition des exorbitants priviléges
qui, dans la deuxième période du droH féodal, avaient
été accordés aux femmes feudataires. Remarquons
d'ailleurs que ce n'est pas à l'influence du droit romain qu'il faut rattacher l'égalité des sexes et la
cap'acité civile de la femme ; nous savons de quelles
incapacités il frappait la fille et !"épouse qu'il consi-·
dérait comme trop faibles et trop ignorantes des
affaires pou_r gérer elles-mêmes leurs l:lieJls, L~
�-
'150 -
sénatus-consulte velléien fnt même admis clans les
pays coutumiers, mais, contraire à l'ensemble de la
législation qui régissait la condition de la femme, il
u'y eut qu'une exislence éphémère; il tomba bientôt
en désuétude et fut abrogé législalivoment par un
édit d'Henri IV en 1606. En même temps les pouvoirs
exagérés du mari sur les biens de la communauté
subissaient de sages restrictions, notamment en ce
qui touche les donations à titre gratuit ; le mimdium
germanique d1wenait lui-même une espèce de tutelle
à la romaine laissant à la femme une capacité à peu
près entière sous la seule condition de l'auctoi·itas du
mari.
C'est surtout par les ordonnances royales que la
législalion marcha vers l'unilé. 1\1. Laferrièl'e clans
son intéressante Histoire du droit français les divise,
avec raison, en deux périodes, l'une . s'étendant du
xm• an xvn• siècle, la seconde du xvn• siècle à la
Révolution française. Pendant la première, la royauté
en lutte avec la féodalité et la théocratie, cherche
avant tout à saisir une souveraineté que lui disputent
les seigneurs et les évêques et, pour obtenir l'appui
rle la bourgeoisie, ne manque jamais derapp~er dans
le préambule des ordonnances l'affection du souverain
pour le pauvre peuple. Dans la seconde période, la
royauté devenue puissante marche vers l'absolutisme
et s'efforce de réaliser l'unité clans le royaume en
réglementant, complétant ou modifiant les institutions
antérieures. Malheureusement, à· è.ôté de ces nobles
travaux de la royauté, on retrouve trop souvent dans
les ordonnances les marques de cet esprit de despotisme et surtout d'intolérance religieuse q:ui signala
�-
151 -
les règnes de Louis XIV et de Louis XV, et qui, jetant
dans les familles une déplorable désunion, fut un des
motifs qui amenèrent la grande commotion sociale
de 1789.
Parmi les principales ordonnances royales qui ont
trait à la condition de la femme dans la société ou
qui ont préparé l'unification de nos lois, nol,ls citerons
les grandes ordonnances de Villers-Cotterets et de
Moi;!!ins qui ont introduit des dispositions i:p.téressantes sur la célébration des mariages et Ja tenue des
registres de l'état civil. Mentionnons ensuite le sévère
édit de Henri II qui condamnait à mort toute jeune
fille convaincue d'accouchemen t clandestin, et l'ordonnance de Blois qui prononçait la même peine
contre tout suborneur d'une fille mineure de vingt~
cinq ans, . assimilant ainsi par une confusion aussi
illogique et anti-juridique que peu grammaticale, la
séduction proprement dite et même le sentiment
naturel qui pousse les sexes l'un vers l'autre avec le
rapt accompagné de violence. Citons encore les édits
de 1556 et de 15"9 donnant au père de famille la \
l
-·faculté d'exhéréder ses enfants mariés clandestine- 1
ment (l'e:xJ1érédation fut encourue de plein droit après 1....
l'ordonnance de 1639). L'édit de 1697 permit même \
d'exhéréder les filles majeures de vingt-cinq ans qui
se marieraient sans avoir demandé l'avis ou le conseil
de leurs père et mère-. Peut-être ne faut-il pas voir là,
comme on serait porté de le croire tout d'abord, des
mesures destinées à assurer le respect de l'autorité
paternelle, mais plutôt des tràces de cet esprit aristocratique qui faisait avant tout redouter aux nobles
xvu• siècle
seigneurs la honte d'une mésallianGe.
Au
�152
'
l'esprit. féodal s'évanouit el s'élcin t : à la cour du
grand roi, au milieu des splendeurs de Versailles, le1>
souvenirs du moyen âge s'effacent, les nobles deviennent d'humbles courtisans sacrifiant leur fortune
et leur dignité à un sourire du maître, et, avec
Louis XIV, toute trace de la féodalité disparut clans
l'ordre politique. Le monarque autoritaire annonça
l'intention de codifier les lois, mais, malgré les travaux de Colbert, on ne peut dire que l'unification
législative ait fait de bien grands progrès sous son
règne, elle fut entrevue et désirée mais non réalisée.
Les remarquables ordonnances du chancelier cl'Aguesseau sur les donations, les testaments et les subslitutions nous prouvent que ce savant magistrat ne rêvait
rien tant que l'unification des couLumes et leur fusion
avec le droit romain, mais il nous explique lui-même
comment, forcé de sacrifier aux nécessités de son
temps, il est encore obligé de diviser les dispositions
de ses ordonnances en deux classes : les unes applicables dans les pays du Nord, les autres dans les pays
du Midi. Une ordonnance de '1729 rélablit enfin lo
sénatus-consulte Tertullien · que l'édit de Saint-Maur
par Charles IX, en 1567, avait abrogé, dans~ but, en
empêchant les mères de succéder à leurs enfants,
d'assurer le retour des biens dans la ligne donh ils
.étaient dérivés et leur conservation dans la même
famille.
Pour surmontet tous les obsLacles que présente
encore la constitution de la société, il ne faudra rien
moins qu'une révolution. Les sages réformes qui
auraient pu l'éviter et qui furent proposées par
Turgo t, échouèrent par suite de la faiblèsse de
�-
153 -
Louis XVI et de l'opposition mal entendue du Parlement. En résumé, à l'époque où s'ouvre la période
révolutionnaire, les esprits déjà éclairés réclament
avec insistance l'unification des lois, mais l'attachement de la noblesse à ses priviléges, le désir des rois
de conserver antour de leur trône d'illustres et puissantes familles ont rendu cette unification très-difficile. D'Aguesseau y a renoncé, Louis XVI y échoue.
La Révolution seule osera porter une main assez
hardie sur tous les vieux souvenirs du droit féodal
pour les anéar;i.tir et préparer l'égalité et l'unité dont
le besoin se fait si vivement Sêntir ~ - - -
I
CHAPITRE IV.
•
La femme sous le droit intermédiaire.
L'Assemblée constituante, après avoir aboli dans la
nuit du 4 août les priviléges féodaux, entreprit une
réforme complète des lois et coutumes de la France
pour y introduire l'es ri_L d '~~alité dont _elle était
animée et ordonna la préparation du Code civil. L'ori'anisatio'.n de la famille attira tout d'abord l'attention
des législateurs de 1789, et, le 8 avril 1790 les droits
d'aînesse et de masculinité étaient abrogés. Le système cÏe succession ab inlestat que les coutumes
avaient établi sur le droit de primogéniture , le privilége du sexe, la qualité de la terre, fut entièrement
refondu et remplacé par une égalité complète entre
le fils et la fille et le partage, sans distinction de provenance, de tous los biens composant l'hérédité pater,
/
•
�-
154 -
nelle, système qui est aujourd'hui la base du régime
succcessoral organisé ,par le Code civil.
L'Assemblée constituante rendit au mariage son
caractère véritable en sécularisant les actes de l'état
civil et, clans le but de favoriser les seconds mariages,
elle abolit l'édit des secondes noces, relevant ainsi
des incapacités qui la frappaient la veuve rema~
riée.
Un des premiers actes de l' Asse,mblée législative fut
le rétablissement du divorce qu'elle autorisa, même
pour incompatibilité d'humeur. A côté de cette mesure
évidemment malhemeuse, ·citons celle plus libérale
et plus logique de l'abolition des substitutions qui, en
défendant au père de rendre certains biens intransmissibles p~lr les assurer à la descendance de son
ûls préféré, compléta les réformes de Ja Constituante
et m:s1ua l'égalité des partages dans les familles. La
femme, considérée comme assez forte et assez intelligente pour protéger elle-même ses intérêts, voit
abolir l'institution du douaire. La renonciation des
filles à l'hérédité paternelle par contrat de mariage
fut interdite et toute disposition contraire à l'égalité
des partages considérée comme nulle et de nul effet.
La loi nouvelle autorisa même les donations entre
époux pendant le mariage, pourvu qu'elles n'-excédassent pas la moitié en usufruit des biens du donateur.
Les conventionnels de 1793 édictèrent l'étrange loi
du 17 nivôse an II qui, sons prétexte de suivre la
p.ature et de rendre la femme indépendante et libre,
n'était rien moins que la négation des principes sacrés
sur lesquels reposent la famille et la société. La puis-
�-
15?> -
)
sanre paternelle anéantie par la limitation au dixième
des biens de la quotité disponible, les scandaleuses
facilités du divorce, l'abolition de la séparation de
corps, résultat des passions anti-religieuses, l'assimi- 1
lation des en~ants naturels aux enfants légitimes, telles
sont les principales dispositions de la loi de nivô~e 1 •
La réaction commence avec~Direc~oire qui essaie
quelques réformes par la loi du i8 pluviôse an V et
abolit la rétroactivité qu'avait édictée la Convention
pour sa législation sur les enfants naturels. Enfin le
Premier Consul étant parvenu à fonder un pouvoir
fort et respecté i·eprend le grand projet qu'avaient
conçu, sans le pouvoir exécuter, l'Assemblée constituante et l'Assemblée législative : il chargea une
commission spéciale de préparer la rédaction du Code )
civil. Cet immense travail fut achevé heureusement
en 1804 et il a survécu à toutes nos crises politiques.
Il nous reste à étudier la condition faite à la femme
contemporaine par ceile législation, ce sera l'objet de
notre troisième et dernière partie.
J
1 Et, parmi les enfants naturels, la loi de nivôse plaça les enfants
a<iultérins nés d'une femme séparée de corps !
�TROISIÈHE PARTIE.
La Femme
Contemporaine.
CHAPITRE PREMIER.
La fille de famille.
\
L'égalité des sexes est aujourd'hui la base fondameûtâiëd.ufüoit francais : la fille de famille, considérée commè l'égale de son frère, jouit dans la famille
de la mème situation civile et juridique ; elle a les
mêmes droits et elle est soumise aux mêmes obligations. A- tout âge, elle doit honneur et respéct à ses
père et mère, mais ce principe tout moral édicté par
le Code ne lui enlève en rien son indépendance et sa
personnalité : la puissance paternelle est devenue
~iq_uement un pouvoir Q.e .Protection et les droits
qu'elle confère sur la personne se bornent à présent à
çleux : le droit de garde el le droit de correction. Le
père pel.ll exiger que l'enfant, jusqu'à 5aÏÏiaJorité cl
son émancipation, reste à la maison paternelle et
employer pour l'y contraindre l'assistance de la force
publiq:ue. Ce droit de gard13 13st parfait13mep.l logique
�et il est indiqué à la fois par la nature et la raison. Le
père de famille a le devoir d'élever ses enfants, il en
est responsable devant Dieu et devant la société, et ce
n'est qu'en exerçant sur eux une surveillance constante et en dirigeant vers le bien leur esprit et leur
cœur qu'il s'acquittera de la haule et noble mission
qui lui a été dévolue. Comme corollaire du droit de
garde, nos lois ont institué le droit de correction : le
père qui a de légitimes sujets de plaintes sur la conduite de ses enfants peut les faire détenir dans une
maison de correction pendant un temps qui ne peut
~céder un mois si l'enfant est mineur de seize ans,
et six mois si l'enfant a dépassé cet âge et encore,
doit-il, clans ce dernier cas, agir par voie de réquisi.tion. Quant aux droils monstrueux reconnus au père
de famille sur ses enfants par certaines législations
comme le droit de vente et le droit de vie et de mort,
ils ont disparu sans -laisser cl ans nos lois la moindre
trace et, en dehors de ces légers châtiments manuels
•
que le père le plus indulgent est parfois obligé d'infliger à son enfant pour le maintenir dans l'obéissance
et le respect, toute violence physique est absolument
interdite et sévèrement réprimée par le Code pénal.
A l'âge de vingt et un ans accomplis, ou même, dès
l'âge de quinze ans sï elle a été émancipée ou mariée,
la fille de famille est complétement libérée Q_e la yqis~
sance de ses ascendants; elle peut même, après sa
majorité, . se marier sans leur consentement, après )
avoir demandé leur avis par actes respectueux. /
Remarquons qu'ici la situation de la fille de famille
est plus favorable que celle du fils : ce n'est qu'à
vingt-cmê[ans ï·évolus que celui-ci est au point de
�-
158
~
vue matrimonial affranchi de la tutelle paternelle. Le
( législaleur a pensé avec raison qu'il y avait moins à
craindre de la part dm: jeunes filles, généralement
plus réservées et plus timides que les garÇons, des
mariages extravagants ; il s'esl en outre décidé par
cette raison qu'elles trouvent plus facilement à se
marier quand elles sont dans toute la fleur de la jeunesse.
La seule san~tion que conserve la légitime autorité
que le chef de famille doit exercer sur les siens, consiste dans la faculté de 1:_.etirer à l'enfant ingrat toute
n..art dans la quotité disponible. Le Code qui a su faire
une sage conciliation de la liberté du testateur et des
droits de la famille a abrogé la loi cl u i 7 nivôse de
l'an 11 qui, non conle:o.te de réduire à des quotités dérisoires la part de succession non réservée aux. descendants, avait interdit au père, sous prétexte de
maintenir l'égalité entre les enfants, d'en disposer en
faveur de l'up. d'eux. L'article_!H3 fixe le chiffre de la
quotité disponible proportionnellement au nombre
des enfants, sans qu'elle puisse néanmoins être jamais
inférieure au quart des biens, et l'article 919 permet
au père de famille d'en disposer en favel'irde toute
personne et notamment en faveur de ceux de ses
descendants qui, par leur affection et leur piété
filiale, se· seraient montrés dignes de cette récompense. Celle sanction, toujom"s à sa disposition, contribue puissamment à maintenir dans les familles,
après la majorité des enfants, la discipline domestique.
Le Code civil a refusé à la fille de famille toute
action contre son père pour l'établir et la doter (art.
�-
Hî9 -
204). Nous ne pouvons qu'approuver cette décision
qui s'écarte des précédents du droit romain et du droit
coutumier. Les Romains de la décadence ne considéraient guèré le mariage que comme un moyen de
vivre dans le luxe et l'opulence en jouissant de la dot
de leurs épouses; les filles non dotées ne trouvaient
point à se marier ou du moins elles n'étaient pas traitées par leur mari avec la dignité et la considération
dues à une épouse légitime. C'est donc par une véritable nécessité sociale et dans l'intérêt même de l'État
qu'on imposa aux pères à Rome l'obligation de doter
leurs filles .
Dans le droit féodal nous savons que cette obligation
s'introduisit comme une juste compensation de la
renonciation qu'on imposait aux filles, par contrat de
mariage, à la succession paternelie. Le législateur de
1804 a eu raison de ne pas faire de la constitution de
dot une obligation légale pour le père de famille et
de s'en remettre sur ce point à sa prudence et à son f .
affection : la décision opposée eut en effet été con- /
traire à la liberté individuelle qui exige que chacun
puisse disposer de ses biens suivant son bon plaisir
et les garder ou s'en défaire à son gré; elle eut en
outre porté un coup fatal à l'autorité paternelle. Car,
e!l fait, bien qu'il soit pénible d'être obligé d'avouer
ce ~entiment égoïste et mesquin, le chef de famille
conserve d'autant plus d'autorité qu'il a mieux su
garder la propriété el l'administration du patrimoine;
qu'il évite donc de se dépouiller au profit de descendants trop souvent ingrats ou dont le zèle et les soins
se ralentiront peut-être parce qu'ils n'auront plus rien
à espérer, qu'il se souvienne de celle maximé si sage
•
�•
-
•
160 -
<le l'Ecclésiaste : « Melius est ut filii tuile rogenl quam
« respicere in manus eorum » (xxxm, 22) .
Quant à la situation de ]a fille de fam,ille par rapà ses biens, nous aurons peu de choses à en
port
........
dire : elle est exactement celle du fils lui-même. Dès
que la fille est majeure. elle jouit d'une absolue et
, entière capacité; elle peut acheter, vendre, donner,
transiger, hypothéquer sans l'assistance ni l'autorisa\_ tion de personne. Seule elle a qualité pour recevoir le
· compte de tutelle et en donner décharge, seule, au
moment du mariage, elle peut discuter et régler les
_conventions matrimoniales. En un mot, déclarée
aussi intelligente, aussi capable que l'homme, la fille
a ]a libre disposilion de sa personne et de ses biens,
et nous croyons qu 'au point de vue législatif, sa situation n'appelle aucune modification. Peut-être pourrait-on faire, au point de vue social, des r emarques
bien diITérenles et constater un certain désaccord
entre l'inclépendance absolue édic tée par la loi et la
dépendance évidente ordonnée par les i~s et les
conventions sociales, mais un tel sujet nous éloignerait de notre véritable but, el nous avons hâte d'arfiver à l'exposition de l'incapacité de la femme mariée.
�CHAPITRE II.
La femme mariée.
SECTION 1.
'
SA CO!'jlllTION QUANT A SA PERSONNE.
Nous venons de voir qu'après de longs siècles de
JuLte la femme est enfin devenue dans la société et
dans la famille l'égale de l'homme. Le mariage seul
est resté pour èITëUne cause d'incapaeités particuüèrëSD:iêri.COmpensées d'aiÜeurs par la dignité Jque
lui donne le titre d'épouse. Les quelques aéveloppements qu'exige cette matière intéressante porteront
spécialement sur la condition de la femme quant à sa
perso12_nç et quant à ses biens ; nous essaierons de
caractériser les diverses incapacités qui atteignent la
femme mariée au profit de son mari, ou, pour parler
plus exactement, au profit du mariage et de la famille
et nous nous demanderons, tant au point de vue philosophique qu'a_u point de vue juridique, si elles sont
légitimes. Nous ferons, avant de commencer, cette
observation générale que la femme n'étant point tenue
de se marier accepte de son piefo gré la situation
d'épouse telle que l'a conçue et déterminée la société
e ne peut se plaindre dès lors de l'infériorité relative
dans laquelle elle se trouve. Elle demeure toujours )
en droit l'égale de l'homme et sa capacité complète
reparaît le jour où, par suite de la dissolution du
11
)
?
')
�-
{6~ -
mariage, elle est libérée de la puissance marita1e.
La femme qui se marie contracte, par le seul fait
du mariage, une triple obligation envers son· mari :
elle doit lui obéir, elle doit lui être fidèle, elle doit
il . jugera à
cohabiter ave;J.ui et le suivre partout
propl)S" cle rhicler. (Ârt. 212, 213, 214.) Le Code a dû
suivre ici l'exemple cle toutes les législations qui, par
suite d'une nécessité sociale facile à comprendre, ont
déclaré le :rrla:ri chef cle l'associalion conjugale. Le
devoir d'obéissance n'est plus d'ailleurs ce qu'il était
encore au temps cle Beaumanoir : nulle contrainte
matérielle ne peut s'exercer contre la femme qui
refuse d'exéi:uter les volontés de son mari. Ce devoir
n'a qu'une sanction, et, hàtons-nous d'ajouler qu'elle
est le plus souvent illusoire ou même tourne au profit
de la femme : le mari a le droit cle s'adresser à la justice pour vaincre la résistance de son épouse, or, l'intervenlion cln magistrat qui ne forcera certainement
la femme à céder qn'autant que les exigences clu mari
seront justes et légitimes, est en fait pour elle une
garanlie précieuse. Les tribunaux devront d'ailleurs,
clans des affaires si délicates, agir avec la plus grande
circonspection, leur mission est essenliellement une
~ssion_ .de conciliation ; ils ne devront donc pas
oublier que souvent la mésintelligence survenue entre
les époux.a été provoquée par des intérêts de famille
qu'ils tiennent à ne pas divulguer. 11 est difficile
de délimiler d'une manière préc~se le devoir d'obéissance de la femme : c'est une question d'espèces et de circonstances. Ainsi, bien que ce soit là
une vérilable atteinte portée à la liberté individuelle,
· nous pensons que le mari peut se permellre d'ouvrir
où.
�~
163 -
de sa femme. Nous n'apprécions
cortespondance
la
.
.
...___,
délicatesse de l'acte et le résultat
la
entendu
pas bien
plus ou moins heureux qu'il pourra produire quant à
la bonne harmonie du ménage, nous nous plaçons au .
point de vue juridique et nous reconnaissons ce droit
au mari parce qu'il se rattache au devoir si important
de fidélité de l'épouse. Nous pensons de même que le
mar~ sous l;-régime de la séparation de biens, peut
exiger ë[üëS'On épouse verse entl'e ses mains le tiers
aesés revenus représentant sa part' contributoire aux
chàfges du ménage : la femme conserverait autrement une indépendance contraire à la dignité et à la
puissance du mari; si ce dernier d'ailleurs est un dissipateur, la femme a toujours la ressource de se faire
accorder par la justice ie droit de dépenser elle-même
ses revenus dans l'intérêt commun. La bonne entente
et l'affection mutuelle des époux rendent d'ailleurs
bien facile à accomplir ce devoir d'obéissance qui a
perdu dans nos lois tout caractère irritant et brutal et
qui a uniquement pour but de rappeler à la femme
que son époux est le chef de l'association conjugale,
et à celui-ci, qu'étant le plus fort, il doit aide et protecLion à son épouse. Le législateur aLtache une
grande importance à tous les droits constituant la
puissance maritale et toute convention par laquelle la'
femme chercherait à se soustraire au devoir d'obéissance édicté par la loi serait nulle de droit. (Article
1488.)
.
La femme doit fidélité à son mari. Ce devoir est
réciproque mais la sanction est plus énergique
pour l'épouse par cette raison bien naturelle que la )
pudeur et la chasteté doivent être essentiellement les .
�-
164 -
qualités de la femme et surtout parce que l'oubli clé
ses devoirs aurait pour la famille et pour la société
des conséquences bien plus dangereuses. La législation si sévère de ~'antic.Œ_i~é contre l'adultère n'a point
résisté à l'adoucissement des mœurs : la morL, la tla"gellation, l'emprisonnement perpétuel dont on punissait autrefois la femme coupable sont aujourd'hui
abolis . L'adultère de l'épouse ne peut être dénoncé
que par le mari, mais il autorise ce dernier à demander la sé__paratiQn de.. corps en quelque lieu que la faute
ai.tété commise . L'adultère du mari n'est une cause
de séparation de corpsëjüe clans ic cas où le mari a
tenu sa concubine dans la maison conjugale. (Art. 306.)
L'article 336 du Code pénal prononce contre la femme
adultère "üiiëmprisonnement de trois mois au moins
et de deux ans au plus. Cette faculté concédée au mari
de poursUlvre correctionnellement son épouse n'a
pas, dans notre société actuelle, une bien grande uti·lité, il répugne à nos inœurs de réclamer l'intervention des tribunaux pour réparer le déshonneur du
foyer domestique et, trop souvent, le mari préfère la
justice sommaire de l'art. 324. Nous n'avons point à
entrer clans la discussion des questions brûlantes,
mais trop peu juridiques, que soulève l'adultère: contentons-nous de constater ici l'insuffisance de la loi.
Enfin, la femme contracte en se mariant l'obligaÙon de cohabiter avec son mari et de le suivre partout où il jugera bon de résider. C'est encore là un
droit résultant pour l'époux de la puissance maritale
el auquel il n'est point permis de déroger par contrat
de mariage ou par convention particulière . Le législateur prend en outre soin de nous dire, clans l'arti-
�-
165 -
cle :o~ c,rue la femme mariée ne peut avoir d'autre
domicile que celui de son mari. C'est là sans doute la
plus grave atteinte portée à la liberté personnelle de
la femme, mais elle était nécessaire car la vie commune seule constitue la farnifuiët,rend possible l'éducation des enfants. L'obligation imposée à la femme
de résider avec son mari est même plus étroite aujourd'hui qu'elle ne l'était dans l'ancien droit : la
fomme autrefois n'était pas obligée de suivre son
mari à l'étranger. Cette restriclion fut proposée lors 'î
de la rédaction des articles du Code, mais écartée sur
les observations· du premier Consul qui, imbu d'idées (
autoritaires, voulait constituer un pouvoir domesti- ,
que fort et indiscuté Nous pensons toutefois que la .....J
femme ne pourrait être tenue de suivre son mari hors
de France si une loi interdisait l'émigration et prononçait contre les contrevenants la perte de la qualité de Français ou quelque autre peine.
Au droit du mari d'exiger de son épouse une cohabitation perpétuelle correspond pour lui le devoir d!'l
la recevoir avec honneur clans sa Ifillison et de lui ·
fournir lout ce qui est nécessaire pour les besoins de
la vie selon ses facultés et son état: Nous n'hésitons
donc point à reconnaître à la femme le droit de refuser la cohabitation si son mari ne lui offrait pas un
logement conv<;inable et ·décent et ne la traitait pas
àVec la dignité et la considération qu'une épouse peut
exiger dans la maison conjugale. Même solution si le
mari voulait obliger sa femme à résider sous un climat contraire à sa santé : les magistrats, souverains
appréciateurs de tous ces faits, veilleront à ce que la
puissance maritale ne degénère pas en tyrannie do-
,
�-
'166 -
mestique. Nous pensons également que la femme
peut refuser d'aller habiter avec son mari si celui-ci,
au mépris d'une promesse solennelle, refuse, après
la célébration du mariage, de recevoir avec son épouse
la bénédiction re~igieuse. Quoiqu'en effet la loi ne
considère le mariage que comme un contrat civil,
l'atteinle portée à la liberté cle conscience cle la femme,
à ses croyances les plus intimes , nous paraîl de
nature à justifier le syslème que nous soutenons et
que la jurisprudence, interprète si sage et si prudente des lois, paraît avoir définitivement adopté.
Quelle est la ~anction,.. du devoir de cohabitation
imposé à l'épouse? Dans la discussion clu Code, le
Conseil d'Etat a reconnu avec raison que c'était là une
è[ûëStion cléÎicate dont la solution devait êlre subordonnée aux circonstances et qui ne pouvait être tran. chée par un texte d'une manière générale et absolue.
Le législateur s'en remettant à la prudence des magistrats, a gardé un silence complet sur les modes de
contrainte qui pourraient être employés. Tout le
monde reconnaît aujourd'hui que· le mari, pour
vaincre la résistance de sa femme, pourrait lui refuser
tout secours pécuniaire et même saisir ses revenus 1.
On s'accorde aussi à décider, contrairement à la doctrine suivie clans l'ancien droit, que le refus de cohabitation de la femme ne p·eut entrainer pour elle la
perte de sa dot ni la déchéance des avantages résultant pour elle des conventions matrimoniales el
1 Par saisi?· nous entendons séquestrer C>tr la plupart des a•1teurs enseignent, et cette opinion parait très-raisonnable, que le
mari n'a pas le droit de s'approprier les revenus de sa femme par
·
ce seul fa,it qu'elle refuse de r~sid(lr a,vec lui.
�-167 -
n'est pas une cause suffisante de séparation de corps.
Quelques auteurs enseignent cependant que le refus
de la femme de résider avec son mari constitue une
injure grave envers celui-ci et doit l'autoriser à demander la séparation de corps. Nous repoussons celte
opinion qlli donnerait un moyen trop facile à des
époux peu scrupuleux d'éluder la loi et d'arriver à
une séparation volontaire : d'ailleurs, quand il s'agit
de relâcher les liens sacrés du mariage, on ne peut,
dans une matière si grave, admettre que les causes
limitativement énumérées par le législateur.
Une grande divergence existe sur le pqint de savoir
si le mari peut recourir à la fo:i;:ce publique pour obliger son épouse à réintégrer le domicile conjugal. Les
partisans de la négative font remarquer que la liberté
individuelle est une des plus belles conquêtes de la
Révolution et qu'on ne peut déroger à ce principe
fondamental de notre droit qu'en présence d'un texte
formel. Le Code prend soin de s'en expliquer quand
il veut consacrer un droit de famille par les moyens
coercitifs de l'arrestation et de l'emprisonnem ent
(~;,..;374) ; ici il a gardé le silence et nous retombons
dès lors sous l'empire général de l'aEticle 2063 qui
défend toute contrainte pàr voie personnelle en dehors
d'une disposition spéciale. Cette mesure, ajoute-t-on,
est absolument incompatible avec la dignité de la
mère de famille et les droits généraux reconnus à la .
femme par nos lois. Le _!Ilariag~ est après tout un
contrat synalla&matigue qui, en dehors des dispositions particulières édictées- par le Code, doit suivre les
règles ordinaires des contrats. Or, celle des parties
qui refuse d'exécuter son engagement ne peut jamais
�168
•
y être contrainte par la force cc nemo cogitur ad factum » et l'ob\igation se résout en dommages-intérêts.
Il serait tout aussi inadmissible aujourd'hui de vouloir
vaincre par la force matérielle la résistanGe de la
femme que de vouloir en imposer à la liberté de
conscience par la torLure ou les supplices. Enfin,
outre que l'intervention de la gendarmerie dans l'intérieur du ménage, ne paraît guère de nature à faciliLer une réconciliation entre les époux, elle est évidemment inutile, car la femme une fois réintégrée
par force au domicile conjugal peut s'en échapper de
nouveau, et l'opinion même la plus extrême ne peut
aller jusqu'à reconnaître au mari le droit de retenir
sa femme enfermée et prisonnière. Toute coercition
physique est donc à la fois inefficace et odieuse.
- Malgré la gravité de ces raisons, et quoique, pour
• notre part, nous conseillions plutôt aux maris de se
résigner à une séparation de fait que de recourir à
de tels moyens de persuasion, nous n'hésitons pas, au
point de vue juridique, à nous prononcer pour l'affirmative. Lesjugements qui interviennent en pareille
' matière s'expriment toujours ainsi: «La femme sera
1 tenue, dans les vingt-quatre heures, de réintégrer le
domicile conjugal. » La sentence des magistrats doit
recevoir son exécution. Il n'y a pas lieu d'assimiler
la maLière toute spéciale où nous sommes avec les
obligations ordinaires qui peuvent, à défaut d'exécution, êLre évaluées en argent. Et ici, rnuf le cas exceptionnel où le mari, dans l'intérêt de ses affaires, est
obligé de prendre une domestique ou une femme de
journée pour remplacer sa femme absente, on ne
comprendrait guère qu'il demandât à la justice une
�-
169 -
indemnité pécuniaire pour le préjudice moral que lui
cause la fuite de son épouse. Ce serait là, d'ailleurs,
une source de spéculations honteuses et la jurisprudence refuse avec raison d'entrer dans cette voie. La
coercition employée ne sera peut-être pas toujours
aussi slérile que le soutient le s:ystème opposé : la
femme re~trée au domicile, sous l'influence bienfaisante de la famille, entre son époux et ses enfants,
loin des conseils funestes qui l'avaient èntraîné11 et
égarée se repentira de sa faute et sacrifiera à ses devoirs ses rancunes et ses passions. Nous ne reconnaissons pas d'ailleurs au mari le droit d'employer_ d'e,_
'[!_lano la force publique pour ramener son épouse an
domicile conjugal : nous croyons même qu'une sim:Q,le ordonnance rendue par le président du tribunal
siégeant en référé serait insuffisante. : l'emploi d'un
moyen coercitif ne peut résriller que d'un jugement.
11 faudra donc que le tribunal ait décidé, après examen des faits, que la plainte dn mari était fondée et
que la femme doit être tenue de r~intégrer le domicile conjugal : cette décision sera d'ailleurs suffisante
et il n'y aura pas lieu de statuer d'une manière spéciale sur l'emploi. de la manus rm'litan·s .
Nous disions tout à l'heure qu'au devoir de cohabitation de la femme correspondait pour elle le droit
d'ètre reçue dans la maison du mari et d) être traitée
avec l'honneur et la considération dus à l'épouse.
Nous remarquons que l'obligation du mari ne peut
recevoir une sanction aussi énergique que celle de la
femme : on ne peut le contraindre, en effet, par la
force à reèevoir sa femme dans sa maison, ce serait
porter une trop grave atteinte à sa dignité de chef de
1
�-
170 -
famille. Son obligation se tésout ici en c"!_ommages et
intérêts : les tribunaux le condamnent à servir à son
épouse p.ne pension annuelle et viagère. D'ailleurs, si
le refus du mari de recevoir sa femme dans sa maison
ne nous paraît pas autoriser de plana une demande en
séparation de corps, il constitue néanmoins un fait
d'une extrême gravité qui, joint à d'autres mauvais
procédés qu'il sera sans doute facile de prouver, sera
pris par les juges chargés d'examiner _la demande "en
s~paration de la femme, .e n sérieuse considération.
Ainsi, la femme mariée est aujourd'hui respectée
( ( dans sa personne, elle setùe règne et commande clans
la maison conjugale ; les clroils reconnus au mari ne
sont point, comme ceux que nous avons constatés à
Rome et dans l'ancien droit français, des créations
arbitraires d'un~ législation . oppressive édictée en
faveur des mâles mais simplement la conséquence
naturelle de l'état social qui exige que l'associalion
conjugale reçoive une direction ferme et uniforme
pour assurer sur des bases solides la . constitution de
la famille. La dignité et l'individualité de la femme
n'en sont aucunement atteintes : à chaque droit j.u
mari correspond un devoir pour lui. La femme lui
doit obéissâ.nce, il lui doit à son tour aide et protection. Elle demeure son égale el n'est point soumise à
tous les caprices de ·sa volonté. Nos mœurs ont d'ailleurs assez progres'Sé pour rendre aujourd'hui absolument odieuse l'hypolhèse invraisemblable d'un mari
abusant de sa force physique pour im]).oser ses ordres.
Le progrès nous paraît encore sous ce rapport à peu
près complet, il est certain que notre code a su sagement comlJiner la liberté et la personnali~é de la
�-
·171
femme avec le respect de la puissance maritale.
La femme mariée n'est pas seulement épouse, elle
peut être mère aussi. Sous ce dernier rapport, elle est,
dans notre droit, relevée de presque toutes les incapacités qui la frappent dans l'intérêt de la puissance
maritale, car faible comme femme et comme épouse,
elle ne l'est jamais comme mère. Sa force est égale à
celle de son mari et elle partage avec lui l'exercice de
la puissance paternelle. C'est ainsi que, même en présence du père, elle sait consentir à l'adoption de ses
enfants et ètre consultée quand il s'agit pour eux
d'un ~blissement matrimonial. Pendant le mariage,
la prépondérance du mari et la nécessité de donner
une direction unique à l'éducation des enfants annihilent en grande partie le pouvoir de la mère, mais
celle-ci conserve toujours le droit, si elle trouve que
son mari use de son autorité d'une manière contraire
à l'intérêt de ses enfants, par exemple s'il rie leur
donne pas une éducation en rapport avec la position
sociale qu'il occupe ou s'il les soumet à un genre de
vie capable d'altérer lem: santé, de solliciter l~t~
v~tion des tribunaux. La mission des magistrats
sera ici particulièrement délicate ; ce n'est en effet
qu'en cas de séparation de corps on d'aliénation men- ·
lale 1 du mari qu'ils peuvent ordonner la remise des
enfants à la mère et priver le père de l 'exercice de la
puissance paternelle. Nous croyons cependant qu'une
satisfaction est due à la femme car le mari, en agissant
de la sorte, a violé l'engagement solennel qu'il avait
1 Nous laissons de. côté, bien entendu, le cas où le mari aurait
subi une de ces condamnations infamantes qui entraînent privq.
lion des droits de puissance paternelle,
�-
L72 -
pris, en contractant mariage, de nourrir, élever et
entretenir ses enfants. (Art. 203.) Aux juges à chercher, dans leur sagesse, le moyen de concilier tous
'
les intérêts.
Citons encore le droit très-remarquable concédé·
à la mère par l'article 935 du Code civil d'accepter,
au nom de ses ènfants- mineurs, les donations qui
peuvent leur être faites . Les auteurs et la j urisprudence ont même reconnu à la mère, en présence de
la généralité des termes de l'arlicle, le droit d'accepter
la donation malgré l'opposition du père, sauf le
recours de celui-ci à la justice pour fairo rescinder
une acceptation qu'il considérerait comme immoralo
ou dangereuse .
Mais c'ost surtout après la dissolution du mariage
qu'apparaît, plus évidente et plus nette, la part de
puissance paternelle que le Code a dévolue à la mère.
' Elle a de plein droit la tutelle de ses enfants, et, alors
même qu'elle décline ce droit, elle n'en conserve pas
moins l'exercice de la puissance paternelle. Le père,
qui a le droit de nommer par testament un conseil à
son épouse, pour le cas où elle serait tutrice, ne peut
apporter aucune restrict~on à la puissance de la mère
sur ses enfants dans la garde de leurs personnes.
Toutefois la puissance paternelle accordée à la mère
n'est pas tout à fait aussi large, aussi étendue que
celle reconnue au père : elle subit d'importantes res·trictions quant à l'exercice du droil de correction. La
mère ne peut jamais agir que par voie de réquisition
ot encore ne peut-elle réclamer l'intervention de la
puissance publique pour faire rentrer dans le devoir
le mineur récalcitrant qu'avec le concours des deux:
--
-----
�~
17S -
plus proches parents paternels de l:enfant. La règle
est la niême soit qu'elle exerce après la dissolution
du mariage le droit dont elle est inv'estj~, soit qu'elle
agisse pendant le mariage, au nom de son époux
interdit ou absent. Le législateur a pensé, en effet,
que la mère accessible aux influences étrangères,
souvf)nt prompte à s'inqilléter, était exposée à prendre
des mesures parfois irréfléchies et qu'il était nécessaire de placer à côté de s~n autorité un pouvoir mo~ateur. L'interv!=lntion de deux parents a d'ailleurs
le double avantage de protéger l'enfant en modérant
la mère et de protéger celle-ci contre les reproches
de son enfant en faisant consacrer par la famille la
décision qu'elle a prise. A part cette restriction, la
femme, même non tutrice, conserve les prérogatives
inhérentes à la puissance paternelle; ainsi elle seule.
:eeut consentir au mariage et à l'adoption de ses-enfâirt;- et, quoique quelques controverses se soient
élevées à ce sujet, seule aussi elle peut les ém@ciper
eJ;_ ~nommer un tuteur testamen~aire. Les pouvoirs
de la mère .ne subissent de restrictions que dans le
cas de convol : nous en reparlerons plus tard quand
nous dirons quelques mots de la condition de la femme
engagée dans les lions d'un second mariage.
La femme qui aurait . à se plaindre des mauvais
traitements de son .m ari à son égard peut demander
la _séparation de. corps. Le divorce que l'ancienne
législation avait toujours prohibé et qui, réla~li par
· la Révolution, avait passé dans le Code çivil fut aboli
par la loi du 8 mai 1816 et la sépara.tian de corps est
aujourd'hui le seul mode de dissolution du mariage
inter vi'vos autorisé par la loi. Los principes qui régis- '
----
i'
•
�-
174 -
saient le divorce sont devenus, sauf ceux sur le consentement mutl!-el, applicables à la séparation de
cor~s. Les causes qui peuvent autoriser la demande en
séparation de corps sont au nombre de trois : l'adultère, les excès, sévices, et injures graves et la condamnation de l'un des époux à une peine infamante.
La loi est plus exigeante pour la femme que pour
l'homme en matière d'adultère , elle ne lui accorde,
avons-nous dit, le droit de demander la séparation pom
celte cause qu'au1ant que le mari entretient une concubine dans la maison conjugale . La loi a voulu avec
raison que le domicile conjugal fût respecté par le mari
et que l'épouse y régnât sans partage. Là en effet où
la femme est exposée à coudoyer la maîtresse de son
mari, il ne peut y avoir pour elle une situation conforme à celle qu'elle a le droit d'exiger comme épouse
et il est tout naturel qu'elle reçoive de la loi l'autorisation de quitter une maison où ses droits sonl si
gravement méconnus. Par xc domicile conjugal )) la
jurisprudence entend avec raison non - seulement
l'habilation effectivement occupée par les époux mais
encore toutes les maisons qui, étant la propriété du
mari, pourraient être habitées par eux et où la femme
serait en droit d'exiger à tout instant un logement et
une réceplion convenables. La femme peut encore
demander la séparation pour excès, sévices ou injures
graves. On entend par excès, les coups, ble; st;res et
mauvais traitements qui atteignent un individu dans
sa personne ph_ysique. Les sévices sont ces mille méchancetés qui frappent une personnè dans sa considération et dans son amour-propre et qui, sans corn·
promettre aucunement la vie, la rendent insuppor·
�-
17.i5
~
table. Quant aux injures graves, cè sont les diffamations et il!sinuations calomnieuses de nature à-porter
atteinte à l'h onneur et à la digr:Ïité de la pers<inne
contre laquelle elles sont dirigées. A cet égard, les
tribunaux ont un pouvoir souverain d'appréciation,
leur sagesse et leur modération présenteii.t à la femme
une garantie suffisante et certaine.
L'article 232 reconnaît à la femme le droit de demander la séparation de corps en cas de condamnation de son époux à une peine afflictive et infamante.
Cette décision nous paraît parfaitement logique, car .
on ne pouvait contraindre une femme qui avait cru ·
s'unir à un honnête homme à rester la compagne
d'un forçat. La loi devrait peut-ètre même aller plus
loin .et autoriser la femme à demander Ja séparation
quand elle vient à découvrir que l'homme dont elle )
avait consenti à partag·er la vie parce qu'elle le croyait
honorable, a été, antérieurement au mariage, flétri
par la justice. La jurisprudence qui a toujours repoussé dans ce cas l'annulation du mariage pour ·
erreur da~s la personne paraît incliner vers le système
que nous indiquons et plusieurs arrêts· ont, pour ce
motif, prononcé la séparation de corps en se fondant
sur l'injm'e grave faite à la femme par le silence du
mari sur ses précédentes condamnations.
Par la séparation dé corps les liens du mariage
sont relâchés, mais non disSOl!.S. La femme recouvre
la liberté de résider où bon lui semble mais les devoirs
de fidélité et d'assistance subsistent. C'est ainsi qu'elle
peut être obligée de servir à son mari malheureux
el infirme une pension alimentaire proportionnée à
ses revenus ; quant au devoir de fidélité il est sanc-
�~
-
0
176
~
tionné par l'article 312 (addition de la loi du 6 décembre 1850) qui autorise l'époux à désavouer l'enfant
quiisera né trois cents jours après l'ordonnance du
Président rendue aux termes de l'artirle 878 du Code
de procédure civile et moins de cent quatre-vingts
jours depui~ le rejet définitif de la demande ou depuis
la réconeiliation. La situation engendrée par la séparation de corps est délicate et le laconisme du Code
qui s'était particulièrement attaché à réglementer le
divorce a donné naissance à de nombreuses et vives
. controverses. On est à peu près d'accord aujourd'hui
pour repousser la doctrine qui, par argumentation
rigoureuse des termes de l'article 302, attribue toujours à celui des époux qui a obtenu la séparation de
corps, la garde des enfants. Nous pensons que lEl mariage n'étant point dissous, mais seulement relâché,
le droit commun subsiste et, qu'en l'absence de discussion à ce sujet, les enfants doivent êLre remis au
J!.ère qui seul a, pendant le mariage, l'exercice de la
puissance paternelle. 11 est d'ailleurs bien entendu
que les tribunaux, 'en cas de contestation, statueront,
pour le plus grand avantage des enfants, sur la question de savoir auquel des époux seront confiées leur
garde et leur éducation.
Nous voyons, en résumé, que la condition de la
femme mariée quant à sa personne, est aussi bonne
qu'on peut le désirer : honorée comme épouse,
écoutée comme mère, la femme a, dans la famille,
une situation égale à celle de l'homme lui-même et
bien différente de celle que, même dans le dernier
état du droit, lui avait accordée la législaLiou romaine.
�- 177 SECTION II.
SA CONDITION QUANT AUX BIENS .
La condition de la femme mariée, quant à ses
biens, varie suivant le régime matrimonial qu'elle a
adopté. Avanfêl'entrer clans u.ne étude approfondie
de l'incapacité de la femme mariée, nous allons
esquisser à grands traits les principaux régimes
reconnus par notre législation.
Le Code s'est montré extrêmement libéral en matière
de conventions matrimoniales : il déclare dans l'article 1387 que les époux peuvent faire, comme ils le
jugënt à propos, les conventions régissant l'association conjugale pourvu qu'elles ne soient pas contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. La
fille doitrégler elle-même ses conventions matrimoniales et elle reçoit clans ce but une capacité excep tionnelle. Dès le jour où elle est reconnue apte au
mari.age, c'est-à-dire dès ·l'âge de quinze ans la foi la
déclare habile à consentir toutes les conventions dont
ce contrât èst susceptible pourvu qu'elle soit assistée
dés personnes dont le consentement est requis pour
la validité du mariage; c'est ce qu'exprimait qéjà
l'ancienne maxime cc habilis ad nuptias habilis ad
pacla nuptialia. »Le Code a reconnu et consacré l'existence des deux grands régimes qui autrefois se partage~ient la France : la communauté et le régime
dotal. La lut~e fut cl'aillèlITS très-vive clans le sein de
laeommission de rédaction et ce n'est qu'après de
longues cliscussiom; et à la suite des protestations
12
--
J
�-178 -
formulées dans le pays de droil écrit que le Conseil
d'État prononça, dans l'arlicle 139·1, le mainlien du
régime dolal et lui consacra, clans le Litre du contrat
de mariage, un chapitre spécial. Le Code, pour manifester d'ailleurs ses préférences pour le régime de
la commuQanté, l'a déclaré le régime de droit commun pour tous ceux qui se marient sans contrat, et
cette décision paraît éxcellente car le régime essentiellement national de la communaulé est le plus
conforme .à l'idée d'intime union enlre les époux
qu'éveille naturellement le mariage. Il eût d'ailleurs
été bizarre de faire du régime dotal qui suppose une
dot, le régime commun des femmes qui n'en ont pas,
car ce sont généralement celles-là qui se marient sans
contrat. Mais, bien que les pouvoirs du mari sur les
biens de la communauté aient su1i quelques limitations raisonnables, ils sont encore assez étendus pour
lui permetlre de les aliéner à tilre onéreu~, sans contrôle. La femme aura sans doute à la dissolulion de
la communauté le droit de renoncer à la part qui lui
revient pour s'en• tenir à ses propres, mais, outre
qu'elle perd alors son apport mobilier, il y a lieu de
craindre qu'elle n'éprouve des perles considérables
par suite de la mauvaise administration du mari.
Reste la ressource d'une demande en séparation d~
biens, moyen qui répugne souvent à la délicatesse de
lalêmme et auquel on ne songe généralement que
lorsqu'il n'y a plus rien à sauvegarder. Aussi,.dans
les familles jouissant d'une certaine fortune, ou
lorsque la position du mari fait craindre que ses biens
ne se trouvent engagés et compromis dans des spéculations hasardeuses préfère-t-on le régime dotal
�-
179 -
qui, à côté des inconvénien ts que nous avons eu
l'occasion de signaler, a du moins l'avantage d'assurer,
par la conservation des biens dotaux l'existence de la
femme et des enfants.
Le Code, en laissant aux époux une libePté absolue
pour leurs conventions matrimonia les a, par le fait
même, ·donné le moyen de corriger les inconvénien ts
que présentent, quand ils sont pris isolément, la
communaut é et le régime dotal. Ainsi les époux
peuvent réduire aux acquêts la communaut é qui
existera entre eux pendant le mariage, et en exclure
par suite leur mobilier présent et futur, combinaison
ingénieuse et plus conforme que la communaut é
elle-même à l'idée de collaboration des époux. - Ce
qui a souvent choqué dans le régime de la communauté lel qu'il est organisé par le Code, c'est l'inégalité
des apports des époux : celui qui a une fortune toute
mobilière la voil tomber entièrement dans la commu-.
n"âüté tandis que l'époux qui ne possède que des
immeubles en conserve la propriété et ne met rien à
la masse commune dont la moitié lui sera un jour
attribuée. Les clau$es de réalisation et d'ameubliss ement permetlent de rétablir l'égalité dans les apports
des époux. Par la première, la femme peut exclure
ccrlains de ses meubles de la communaut é et se les
réserver comme propres ; par la seconde, au contraire,
elle peut y faire entrer certains de ses immeubles.
Citons encore le régime sans communaut é peu avantageux à la femme et peu usité sous lequel chacun
des époux conserve la propriété de tous ses biens
présents et futurs et la charge de ses dettes; le mari
a l'administra tion et la jouissance des biens de la
�~
1.80 -
femme et supporte les charges du ménage . Enfin les
époux peuvent se marier sous le régime de la séparation de bi_e ns : chacun d'eux, comme sous le régime
sans communauté, conserve la propriété de tous ses
biens prés~nts et futurs el la charge de ses dettes,
mais la femme conserve en outre l'administration et
la jouissance de sa fortune personnelle. Ce régime
peu conforme à l'idée d'union intime des époux et à
la dignilé du mari, n'a d'intérêt que lorsqu'un seul
des époux a de la fortune ou lorsqu'6tant l'un et
l'autre d'âge avancé ils désirent conserver des habitudes dès longtemps contractées et se réserver la
direction de leurs affaires personnelles.
Les développements que nous avons à donner sur
celte importante matière se diviseront en six paragraphes:
§ I. Fondement et légitimité de l'incapacité de la
femme mariée ;
§ Il. Étendue de l'incapacité. de la femme mariée ;
§ Ill. Influence de la séparation de biens sur l'incapacité de la femme mariée ;
§ IV. De l'autorisation exigée pour relever la femme
de son incapacité;
§V. Effets de l'incapacité de la femme mariée;
§ VI. Situation particulière de la femme marchande
publique.
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§ l. Fondement et légitimité de l'incapaci'té de la femme
m.a?'iée.
Nou s avons dit que la capacité de la femme subissait
par le fait du mariage dlmporlanles reslriclions. La
�-
"81 -
femme, soumise à la puissance de son mari, perd le
droit de gérer et d'administrer librement ses biens,
elle a besoin, pour tous les actes importants, de son
autorisâLion, tout à fait analogue ici à l'auct01·itas des
Romains et que Pothier nous définit « l'acte"par lequel
le mari habilite sa femme pour quelque acte que la
femme ne peut faire que dépendamment de lui. )) La
puissance maritale sur les biens, telle qu'elle a été
envisagée par les rédacteurs du Code, descend évi- . demment du mundium germanique. A Rome, en
efl'et, où régnait sans partage le régime dotal, le mari
n'avait point à intervenir dans la gestion des paraphernaux à l'égard desquels la femme conservait une
capacité complète. Ces théories avaient passé dans les
_pays de droit écrit et, bien que quelques tentatives
eussent été faites pour restreindre l'indépendance. des
femmes èt que l'ordonnance de 173·1 notamment ait
exig.é pour une donation faite à l'épouse, l'autorisation du mari, il est certain que ce n'est ni à Rome, ni
dans le midi de la France qu'il faut chercher l'oi:igine
de l'incapacité actuelle de la femme mariée. C'est
dans le droit coutumier el avec le régime de la communauté que s'introduisit l'autorisation maritale. Elle
n'est tout d'abord requise que dans le seul intérêt du
mari, on ne songe pas à la faiblesse du sexe qu'invoqueront plus tard les romanistes, ni à l'intérêt de la
famille, ni à celui des enfants : on veut uniquement
assurer le respect de la puissance maritale. C'est ce
que nous dit Pothier en termes excellents et précis
dans son Traité de la puissance i!:u man·, où il cherche à
expliquer par le droit naturel l'incapacité de la femme
mariée : «Le besoin qu'a lét femm!=J d~ cette autorisq.-
•
/
�-
•182 -
tion n'est pas fondé sur la faiblesse de sa raison, mais
sut 14 puissance que le mari a sur la personne de sa
femme, qui ne permet pas à sa femme de rien faire
que dépendamment de lui. »
Les anci'ens auteurs qui ont écrit sur cette question
ont été unanimes dans ce sens et ont reconnu que la
puissance maritale était le seul obstacle qui s'opposât
à la capacité de la femme : « Cette puissance, nous
dit Guy-Coquille, n'est pas empêchement essentiel et
en la même personne de la femme, mais en dehors et
par accident . La femme en soi est habile à contracter
et l'accident qui l'empêche étant ôté, son obligation
qui a pris source de sa volonté en laquelle elle était
libre, reprend sa vigueur qui était abombrée et couverte par la puissance du mari. » De cq que le respect
dû ~ la puissance du mari était considéré comme la
base unique de l'incapacité de la femme, il résultait
naturellement que la mort ou l'interdiction du mari
donnaient à l'acte passé par la femme une validité
absolue et le rendaient inattaquable. Mais bientôt
apparut un nouveau système préconisé et soutenu
par les sectateurs du droit romain qui prétendaient
retrouver dans les t~xtes du Digeste l'origine de l'autorisation rriaritaîé établie d'après eux « propter fra« gilitatem sex~s -et imbecillitatem animi » d'où cette
conséquence que l'incapacité de la femme1 étant édictée dans son intérêt, subsiste m-ê~e après la dissolution du mariage et permet à la femme d'attagge~·
l'acte qu'elle a -consenti lors même que le mari l'a
ultérieurement ratifié.
La question qui s'agite sur le fondement de l'incapacité de la femme mariée n'est donc pas purement
•
�-
183 -
théorique : elle a un intérêt pratique consiçlérable.
L'ancienne co~troverse que nous venons de sie:,naler
subsiste encore aujourd'hui et on se demande quel
est, dans- notre -droit actuel, d'après le système organisé par le Code, le véritable fondement de l'incapacité de la femme mariée. Une première opinion qui,
adoptant les idées romaines, croit le trouver dans la ~o
1
faiblesse du sexe et l'inexpérience habituelle de la
femme, s'appuie sur ëes deux considérations que le
mari mineur n'est point reconnu apte à autoriser son
épouse, parce que la loi doute de la maturité de son
jugement (art. 224) et que la femme conserve, même
après la dissolution du mariage, le droit d'attaquer
pendant dix années les actes qu'elle aura consentis au
mépris de la puissance maritale. Nous repoussons
celle doctrine évidemment contraire aux idées modernes qni reconnaissent à la femme une capacité
aussi complète que celle de l'homme. Les filles et les
veuves majeures sont déclarées assez intelligentes
pour administrer elles-mêmes leurs biens, on cherche
vainement en quoi le mariage aurait pu modifier ou
altérer celle capacité naturelle. Et d'ailleurs, comment
la loi qui reconnaît à la femme les qualités suffisantes
pour administrer en qualité de tutrice les biens de ses \
enfanls et même ceux de son mari interdit, auraitelle déclaré que le mariage la rend, par suite de sa /
faiblesse, inhabile à la gestion de ses propres affaires?
Cette théorie pouvait être exacte dans le droit romain
qui, considérant la femme comme une enfant, s'eiTorçait de la maintenir foujours en tutelle et l'avait
frappée, pour retarder son émancipation, d'incapacités arbitraires. Autre est aujourd'hui l'idée qu'on se'
�-
184 -
fait de l'intelligence et de la capacité de la femme. Le
législateur a prononcé, clans l'article 1431, l'abrogation formelle de l'incapacité velléienne destinée jadis
ilprotéger la femme contre ses propres faiblesses .
L'épouse peut à présent non-seulement cautionner
son mari, mais même contracter avec lui. Si la loi
eût eu spécialement en vue, en établissant l'autoriRation maritale, la faiblesse de la femme, aurait-elle,
clans ce cas, par une remarquable dérogation à la
règle nemo in rem suam auctor· esse potest reconnu au
mari le pouvoir de donner son autorisation?
Une deuxième opinion trouve le fondement de l'incapacité de la femme mariée dans le respect dû à la
puissance maritale. Elle soulève aussi des objections
sérieuses. CÔmmènt expliquer en effet, si le respect
clù à la puissance maritale est la base unique de l'autorisation exigée par la loi que la femme ait le droit
d'attaquer les conventions qu'elle aurait consenLies,
droit qui devrait, clans ce système, être attribué au
mari seul. dont les prérogatives ont été atteintes? Si
elle n'avait entendu protéger la femme elle-même et
sauvegarder sa fortune, clans quel but lui aurait-elle
reconnu le droit de faire annuler les actes faits sans
autorisation? En outre, comprendrait-on, avec ce
système, la disposition du Code qui décide, qu'en cas
de minorité du mari, la femme doit se faire autoriser
par la justice, car le mari, quel que soit son âge, a,
dès le jour du mariage, l'exercice de la puissance
maritale? La jurisprudence des pays coulumters qtÙ
consacrait la doctrine que nou; combattons reconnaissait effectivement au mari, même mineur, le droit
d'autoriser son épouse, mais le législateur de 1804 a
�•
Œ5
suivi un autre système. Enfin, si le mari est frappé
d'une peine afflictive et infamante, il est déchu de la
puissance maritale ; il semble dès lors que la femme
devrait recouvrer sa capacité complète. Il n'en est
rien; la loi ne veut pas, même dans ce cas, qu'elle
puisse agir s.e ule et exige l'autorisation de la justice. )
L'incapacûLé de la femme mariée survit donc à la puissance maritale, c'est dire qu'elle n'a pas dàns cette
. /
.
.
pmssance sa source umque.
Les quelques dispositions que nous venons de ciler
de notre d_roit actuel, nous prouvent que le Code a
repoussé à la fois les deux systèmes absolus qui font
de l'autorisation maritale, l'une une mesure de protection au profil de la fomme Lrop faible pour défendre
elle-même ses inLérêLs, l'autre un instrument d'autorité entre les mains du mari. Aussi, une troisième
opinion qui paraît préférable aux deux autres, sans
être entièrement satisfaisante, enseigne que le législateur a établi un système mixte el s'est préoccupé à
lafois de la faiblesse de la femme et de la nécessité
d'assurer le r~spect dû à la puissance maritale. Les
partisans de ce système font remarquer d'abord que
la femme qui, en se mariant, consent ainsi à aliéner
sa liberté et sa capacité reconnaît par le fait même
qu'elle ne se sent ni assez forte, ni assez expérimentée pour se charger de l'administration de son patrimoine. Cet argument nous touche peu, et nous doutons fort que telle soit effectivement la pensée à
laquelle obéit la jeune fille quand elle prononce à
l'autel le oui sacramentel. Mais il est vrai de dire que
le législateur, en établissant le principe de l'autorisation marilale, a ou pour but de sauvegarder tous les
•
�•
-
186 -
intérêts qui se rattachent à l'association des époux;
il a voulu à la fois sanctionner le devoir d'obéissance
imposé à la femme .e l sauvegarder, tout en garantissant les priviléges du mari, les intérêts de la famille.
Nous verrons bientôt que ce double but n'a pas été
complétement atteint et nous aurons à signaler
quelques incohérences et quelques lacunes dans notre
législation.
Les restrictions apportées par nos lois à l'indépendance de l'épouse sont-elles suffisamment justifiées
pâr les avantages qu'en retirent la société et la famille? Nous n'hésitons pas à répondre âffirmativement .: si nulle autorilé n'élait élablie pour veiller à
tous les intérêts matériels et moraux créés par l'associalion conjugale, on aboulirait à cles discussions
peri~.étuelles, à des querelles domesliques qui rendraient la vie commune impossible et insupportable
el amèneraient ces d_!pl_?rables sé:Q_,a~ations si contraires à la dignité du mariage et à l'intérêt _des
enfant&. L'État, qui ne repose après tout que sur la
réunion des familles, a le droit et le devoir d'assurer
la stabilité des mariages, et nous considérons comme
sagement édictée toute disposition prise dans ce but.
La puissance dévolue au mari conlribuera puissamment à assurer l'ordre, l'unité, l'harmonie du mariage.
Ces motifs justifient suffisamment l'incapacilé de la
femme mariée; il était naturel cle confier à l'homme,
généralement plus capable et plus e xjiérimenlé, la
gestion el la sauvegarde du palrim_pine sur lequel
l'enfant a, dès sa conception, un droit acquis.
Nous allons voir d'ailleurs, qu'en fait, l'incapacité
.de la femme est loip. d'être absolue : elle demeure
�-
187 -
chargée de veiller à la direction intérieure et aux
' soins du ménage : elle est réputée dans ce but avoir
un mandat tacite du mari, elle traite directement avec
les fournisseurs et s'occupe seule de tous les besoins
matériels de la famille.
§ Il. Étendue de l'z"ncapacité de la femme man"ée.
La nécessité de l'autorisation maritale ne s'impose
pas avec la même énergie à la femme sous tous les
régimes matrimoniaux, elle varie suivant la nature
C\l[importance de l'acte don.t il s'agit, mais, dans tous
les cas, l'incapacité civile de la femme résultant du
mariage ne commence qu'à partir de sa célébration et
cesse à sa dissolution. Il n 'en était pas ainsi dans
touLes les coutumes de l'ancien droit, certaines d'entre
elles imposaient à la femme la nécessité de l'autorisaLion maritale dès le jour des fiançailles et cette disposition était justement critiquée par Dumoulin qui
trouvait absurde une semblable exigence à une
époque où il n'était pas certain que le mariage se fit.
Ajoutons que, quelles que soient les conventions ma- )
Lrimoniales des époux, il existe, quant à l'incapacité
civile de la femme mariée, des règles communes à
tous les régimes et auxquelles il n'est pas permis de
déroger par contrat de mariage.
Ces règles sont écrites dans les articles 215 et 217
applicables même au cas de séparation de biens ; le
premier est relatif aux actes judiciaires, le second
aux actes extra-judiciaires ;_ nous allons les étudier
successivement en distinguant ceux que la femme
mariée peul faire sous tous les régimes et.ceux qu'e)lg
�-
188 -
ne peut faire sous aucun, de c:eux qui lui sont permis
sous certains régimes parliculiers.
Actes judiciaires. - L'article 215 s'exprime en ces
termes : «La femme ne peul ester en jugement sans
l'autorisation de son mari, quand même elle serait
marchande publique ou non commune, ou séparée de
biens. » La règle est générale el s'applique sous tous
les régimes matrimoniaux : le Code s'est même montré ici moins libéral que l'ancienne jurisprudence qui
accordait à la femme commerçante ou séparée de
' biens le droit d'ester en justice sans autorisation.
Celte rigueur ne paraît pas très-justifiée, au moins
quant aux femmes séparées : il eût été · tout nalurcl
de voir celles-ci qui ont la libre administration de
leurs biens e'X.ercer sans entraves les actions qui y
sont relatives : la mésintelligence règne souvent entre
//' époux judiciairement séparés : il est pénible à la
'fi.' femme de demander, dans de telles circonstances, à
son mari, une autorisaticn qu'il peut lui refuser méchamment, ce qui l'obligera à intenter contre lui une
1
procédure assez longue et assez coûteuse. (C. pr., 86'1
et 862.)
L'autorisation maritale est requise devant les tribunaux de tous 1es ordres. La femme en a besoin 'pour
paraître ën justice de paix et ~ême en conciliation,
quelle que soit la nature de l'affaire en litige. On s'est
demandé si la femme autorisée à ester en justice
peut, sans autorisation nouvelle, suivre l'instance, à
tous les degrés de juridiction et employer, contre les
décisions rendues, toutes les voi~s de recours indiquées par la loi. Que décider si l'autorisation du mari
est conçue clans des termes tellement vagues qu'il est
!\
i
~
�-
{89 -
impossible de préciser si elle est générale ou limitée
à tel ou tel degré de juridiction?
Trois systèmes sont en présence : le premier, se
fondant sur le principe cle la spécialité~ l'autorisation écrit clans la loi, exige une autorisation spéciale
pour chaque instance reiài"ive à la même action. Le
deuxième fait une distinction : la femme. est-elle intimée en appel? Elle pourra, sans nouvelle autorisation, suivre l'affaire en instance comme défenderesse.
A-t-elle succombé devant le premier degré de juridiction et veut-elle interjeter appel? une nouvelle autorisation lui sera nécessaire. Celle opinion s'appuie
par un raisonnement d'analogie, sur l'article 49 de la
loi du 18 juillet 1837, relative à l'administration municipale qui décide, qu'après tout jugement intervenu,
la commune ne peut se pourvoir devant un autre
degré de juridiction qu'en vertu d'une nouvelle autorisation du conseil de préfecture.~ Nous rejetons ces
deux systèmes : le premier comme étendant sans motifs les restrictions apportées par l'article 215 à
capacité de la femme, restrictions qu'il importe de
renfermer dans les plus étroites limites, le second,
quoique plus rationnel et plus logique, comme introduisant entre les femmes mariées et les personnes
morales une assimilation qui ne paraît pas avoir été
dans la pensée du législateur. Nous croyons préférable de considérer comme suffisante et permettant à
la femme l'accès de Lous les degrés de juridiction, .> "
l'autorisation une fois donnée par le mari pour une
affaire spéciale : celte autorisation indique suffisamment qne le mari considère comme justes et légitimes
les prétentions de sa femme et vent lui conférer la
la
�-HIO-
capacité nécessaire pour les soutenir efficacement.
L'appel et l'opposition ne constituent point d'ailleurs
une instance nouvelle et ne sont que les suites naturelles de la première 1 •
La jurisprudence après avoir sanctionné ces divers
systèmes, paraît s'être définitivement ralliée au premier. Elle exige que l'autorisation donnée par le mari
. à sa femme pour ester en justice soit renouvelée à
chaque degré de juridiction. Celte solution que nous
avons combattue s'explique par la défaveur avec
laquelle sont vus les procès et par la crainte ·de voir
les femmes s'engager à la légère dans une voie où
peuvent se trouver compromis l'honneur et la fortune
de la famill('l.
L'autorisation maritale est ·nécessaire à la femme
aussi bien quand elle agit comme défenderesse que
lorsqu'elle veut intenter elle-même l'action. Le demandeur devra alors meure en cause le mari en
même temps que la femme, lui faisant connaître clans
l'acte introductif d'instance que s'il ne comparaît pas
à l'audience indiquée, son épouse sera tenue pour
dùment autorisée. Si toutefois le ;procès avait été engagé avant le mariage et que l'affaire fût en état .au
moment où commence pour la femme l'incapacité
d'ester en justice sans aulorisation, il ne serait pas
nécessaire de mettre le mari en cause par une assignation nouvelle. Dans le cas même où l'ail'aire ne
serait pas en état, les procédures commencées pourront être valablement continuées sans autorisation
1 Nous exigerions toutefois une nouvelle autorisation s'il s'agis·
sait de voies de recours extraordinaires, comme la requête civile
et la cassation, qui constituent véritablement un litige nouveau.
�-
191 -
tant que le fait nouveau du mariage n 1auta pas été
signifié à l'adversaire de la femme : celui-ci en effet ·
n'est pas tenu de savoir qu'elle a changé d'état. La
généralité des termes de l'article 2Hi prouve.que l'auLorisation est nécessaire à la femme mêrp.e pour agir
contre son mari ou défendre à une action par lui
inLenLée. Dans ce dernier cas, la défense étant de droit
naturel, l'autorisation est toujours présumée, mais il
peut paraître singulier qu,e la femme soit obligée de
demander à son m1').ri l'auLoris:J.Lion de l'actionner
devant les tribunaux. CeLLc règle a son explication
dans le respect dû à la puissance maritale et elle
trouve son Lempérament dans l'autorisation de justice dont nous étudierons ultérieurement la nature et
les eifets. De là est n6e la question de savoir si la
femme, pour provoquer l'interdiction de son mai'i,
aurait ,besoin de l'autorisation de celui-ci . L'affirmaLive a généralement prévalu par ce double motif que
l'article 2·15, dont les termes sont absolus et formels,
n'a fait aucune distinction et que le mari dont la prodigalité ou l'aliénation mentale n'ont pas élé judiciairement reconnues ?onserve toules les prérogHtives
attachées à sa qualité. Telle est l'opinion soutenue
par MM. Demoloml.Je et Delvincourt. Quelle que soit
l'autorité de ces auteurs, nous n'hésitons pas cependant à adopter la négative : il y aurait d'abord quelque chose d'étrange, de choquant à voir un mari
autoriser sa femme à présenter une requête tendant
à le faire interdire et, en outre, quelle pourrait être,
au point de vue juridique, la valeur d'une pareille
autorisation donnée clans un intervalle plus ou moins
lucide el dont la validité par suite, pourra êlre con-
�-
Hl2 -
testée? L'article 490, au tilre spécial de l'interdiclion,
nous 'dit cl' ailleurs que tout époux est recevable à provoquer l'interdiction de son conjoint et il n'établit, à
cel égard, aucune différence enlre le mari et la femme.
Quelques auteurs font encore valoir, à l'appui du
système que nous soutenons, une dernière considération. Si le mari pouvait autoriser sa femme à ponrsui.vre son interdiction,_il provoquerait lui-même en
fait sa propre interdiction et se ~ dessaisirait volonlairemenl de la puissance maritale ce qui serait contraire
aux dispositions édictées par l"arlicle _i388 . Nous nous
eonlenlons de mentionner cet argument, sans le
développ er, parce qu'il repose essenliellcmenl sur
une opinion que nous ne partageons pas et qui refuse
à Loule personne le droit de provoquer elle- même
sa: propre interdiction. Quoi qu'il c~ soit, les divers
arguments que nous avons déjà fail valoir nous
paraissent suffisamment jnslifier le droit que nous reconnaissons à la femme de poursuivre, sans autorisation, l'inlerdiclion de son mari.
La règle posée par l'article 2i5 comporte plusieurs
exceptions : elle ne s'applique pas aux:~c;Aes ur~
menl c~nservatoires des droits de la femme qui sont
d'ailleurs, pour-la plupart, de simples conséquences
de faits"antérieurs pour lesquels elle a dû. être ~o
risée ou qu'elle a consenlis à une époque de pleine
r.apaçilé . C'est ainsi que, clès longtemps, . on a reconnu à la femme mariée le droil de faire, sans autorisation, un protêt ou une sommation, de former une
opposition et prendre inscription de son hypothèque
légale sur les biens de son mari. L'aulorisalion mar itale n 'est pas nécessaire à la femme clans toutes les
�-
·1 9::!-
affaires qui, l'inléressanl personnellement, ne sont
susceptibles d'aucune transaction, comme la sépl'J,ration de corps et la séparation de biens : la femme
l'autorisation de la
doit, dans ces deux cas, demander
.
j_us:ti.ce ; si celle du mari était suffisante, on arriverait
à rendre possibles les séparations volontaires prohibées par la loi.
Enfin l'art. 216 dispense de _l'autorisation maritale
la femme poursuivie en matière criminelle et de po- .1
lice. La raison est facile à trouver : en matière civile /
il peut être avantageux de ne pas s'engager dans un
procès et il est naturel que le mari, gardien légal des
droits de la femme, apprécie l'opportunité qu'il peut
y avoir à plaider : s'il juge que la défense ne serait
qu'un entêtement injuste, il refusera son autorisation
et la femme, réputée défaillante, sera condamnée par
défaut, ce qui vaut mieux en fait qu'une condamnation
contradictoire intervenue après un long temps perdu
et des frais considérables à supporter. Mais, en matière criminelle ou de police, la défense est un droit
S1!;_Cré, et, non-seulement nul accusé n'en peut être
privé, mais, en cas de refus, un défenseur lni est
nommé d'office : il serait donc parfaitement inutile
d'obliger la femme à demander une autorisation qui
ne peut jamais lui être refusée.
Nous venons de dire que la femme n'avait besoin
d'aucune autorisation pour défendre à l'action publique intentée contre elle, mais tout crime et tout délit
donnent ouverture à une action civile : la femme,
pour y défendre, a-t-elle besoin d'être autorisée? La
question doit se résoudre, à notre sens, par une distinction: si la partie civile agit en même temps que le
-
~
13
�-
i94 -
·tninistère public et devant le tribunal criminel, nolis
ne croyons pas que la femme ait besoin d'autorisation:
étant déclarée habile à défendre à l'action principale,
elle doit jouir du même privilége pour l'action acces-·
soire. Ce système est confirmé par l'article 359 du
Code d'instruction criminelle qui reconnaît à la partie
lésée le droit de former sa demande en dommagesintérêts jusqu'au jugement. Ce droit serait paralysé
s'il fallait, au préalable, assigner le mari en validité
de la demande formée conlre sa femme . .
La question est plus délicate si la femme est poursuivie pour délit ou co.ntravention par la parlie lésée
devant le tribunal correctionnel sans l'être par le ministère public. Plusieurs auteurs, parmi lesquels nous
citerons MM. Aubry et Rau, exigent, dans ce cas,
l'autorisation 'maritale, en faisant remarquer que . la
parlie civile a toujours la facullé d'assigner le mari
pour la validité, en argumentant de l'intérêt que peut
avoir ce dernier à éviter tout scandale judiciaire et
en invoquant les principes généraux de la matière.
Ces arguments sont loin d'être décisifs : l'art. 216
relève la femme de son incapacité d'esler en justice
quanù il s'agit d'une action intentée devant un tri·
. bunal de répression et il ne fait aucune distinction.
Le tribunal, avant d'accoi.·der les dommages-intérêts
qui lui sont demandés par la partie lésée doit constater le délit, or, cette constatation donnera au minis·
tère public le droit de conclure immédiatement à
l'application de la peine. Il faut clone accorder à la
femme le droit de se défendre, droit qui serait entravé s'il était subordonné à l'autorisation du mari.
i Lorsque la partie civile agit devant les lribunaux
--
�.__ 195 civils, la femme n'y peut défendre sans l'autorisation
du mari : nous ne sommes plus en effet dans les ter- \
mes de l'exception prévue par l'art. 216 et du moment /
qu'il ne s'agit pas de poursuites criminelles, l'art. 21[!
doit être appliqué.
Si la femme agissait comme demanderesse au criminel, nous pensons que l'autorisation maritale lui )
serait nécessaire car, si la défense esL pour elle d&
droit naturel; il n'est pas sûr qu'elle ait raison dans la
plainte qu'elle veutjudiciairement formuler.
Actes extra judt'ciaii·es. - L'incapacité de la femme
ù'ester en justice est la même sous tous les régimes
maLrimoniaux mais, en matière d'actes extra judiciaires, ell~ varie suivant fo degré de pouvoir conféré
au mari sur les biens de son épouse : il en résulte que
.
sous le régime dotal, et, surtout sous la séparation de
biens, la femme conservant des droits d'administration
pJus ou"Inoins étend.us peut faire, sans autorisation
maritale, tous les actes relatifs à leur exercice.
Etudions d'abord les principes généraux, nous verrons ensuite les exceptions. L'article 217 est ainsi
conçu : « La femme, même non commune ou séparée \
•
de biens, ne peut donner, aliéner, hypothéquer,
acquérir à titre gratuit ou onéreux sans le concours I
du mari dans l'acte, ou son consentement par écrit. ))
1° Incapacité d'aü'éner. -- Cette règle prohibant à la
femme non auLorisée touLe aliénation à titre gratuit
ou à tiLre onéreux ne s'entend que des dispositions
entre vifs mais elle s'étend à toutes les aliénations,
quelle qu'en soit la forme, vente, échange, cession de.
créance, d'usufruit, eLc. Nous verrons bientôt d'ailleurs qu'elle subit de très-importantes restrictions
-
�196
suivant la nature des conventions matrimoniales et
qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles, mais nous
croyons, et nous nous efforcerons de le démontrer,
que l'obligation contractée par la femme, même dans
la limite de sa capacité, n'est pas exécutoire sur ses
immeubles , et ne peut en amener l'aliénation.
L'art. 217 qui énumère les actes que la femme ne
peut faire sans autorisation ne mentionne pas l'obligation. Il est pourlant certain que l'obligation est une
a iénation indirecte; comment expliquer alors le silence de la loi sur ce point? M. Mourlon 1 l'explique
· par ce motif que la femme n'est pas toujours absolument incapable d'aliéner el par sui.te cle s'obliger
(art, 1449). Nous ne pensons pas que le législateur, en
omettant l'obligalion clans l'énumération cle l'art. 227
ait eu en vue les dérogations qu'apporte à l'incapacité
de la femme mariée le régime de la séparation de
biens ; la portée de l'art. 2'17 est parfaitement précisée par les textes qui suivent. L'article 220 nous dit
'°que la femme marchande publique peut, sans l'autorisation de son mari, s'obliger pour ce qui concerne
son négoce ; n'est-ce pas interdire a contra.i'io l'obligation à la femme non marchancle pùblique? L'omission de l'art. 2'17 peut encore s'expliquer historique-_
ment. Le Tribunat ayant fait remarquer , dans ses
observations, qu'il serait bon d'inscrire dans la loi
l'incapacité pour la femme de s'obligeT sans l'autorisation de son mari, on refusa cle fai:re cette addition dans
le texte de l'article dans la crainte qu'elle n'entraînàl
pour la femme l'incapacité de s'oblige~~r ses clélils.
La défense d'hypothéquer, que nous trouvons écrite
-
1
Répétitions éc1·ites, I, page 391.
�-
1ü7 -
J
dans l'arLicle 2_07 est le corollaire naturel de la défense d'aliéner et la loi y attache d'autant plus d'importance que l'hypothèque est une aliénation dont
l'effet est plus redoutable parce qu'il est éventuel.
Aussi rappelle-t-elle encore cette prohibition dans
l'arL. 2124 : cc Les hypothèques conventionnelles ne
peuveùITt.f"e consenties que par ceux qui ont la capa/
cité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent. »
2° Incapacité d'acquéi'ir. - La femme non autorisée
ne peut acquérir ni à titre onéreux, ni à titre gratuit.
A.._titre onéreux ... parce qu'une semblable acquisition
suppose nécessairement une aliénation ou une obligaLion et que ces actes sont interdits à la femme
mariée. A Litre gratuit... par un double motif. D'abord
le mari est intéressé à connaîtrè la cause des libéralités faiLes à son épouse et à savoir si elles n'ont
point une origine honteuse, ensuite parce qu'une succession ne se compose pas seulement de biens mais /
aussi de deLLes. Cette disposition a été justement critiquée ; on a fait remarquer qu'il serait plus naturel ~
de reconnaître à la femme le droit d'accepter, sans 0
auLorisation, mais sous bénéfice d'inventaire, les suc- '
cessions et legs universels qui peuvent lui échoir :
son patrimoine se trouverait ainsi sauvegardé. Quant
au rriotif tiré de la protection due aux bonnes mœurs,
il a quelque chose de grossier et de choquant vis-àvis des femmes que notre société actuelle a l'habitude
de traiter avec plus de r~spect. L'utilité de cette
prohibition e&t d'ailleurs contestable et on pourrait
sans doute l'effacer sans inconvénient de nos lois.
La femme mariée est encore frappée de l'incapacité
de compromeLtre. Cette dispo~ition résulte de la com~
(
0
�-
198 -
binaison des arll.cles 1.004 et 83 du Code de procédure.
L'article 1004 défend en elfe~ le compromis clans
toutes les affaires communicables au ministère public
et l'article 83, § 6, classe parmi ces dernières les
causes des femmes non autorisées. - Mentionnons
enfin l'incapacité de la femme de faire le commerce
sans l'autorisation de son mari: autorisation dont
nol:ls étudierons les effets spéciaux clans notre sixième
paragraphe .
.La femme mariée conserve toute la capacité qui ne
lui est pas enlevée par la loi. Elle peut donc, sans
autorisation, faire tous les actes cl'aclministralion
purement consër'vatoires de son patrimoine et nous
luïavons reconnu ce:tle capacité même clans le cas où
ces actes auraient le caractère d'actes judiciaires.
Nous pensons donc, bien que quelques controverses
se soient élevées à cet égard, que la femme, même
non autorisée, peut prendre un brevet d'invention,
• car ce n'est qu'une mesure conservatoire des droits de
l'inventeur et acquitter les frais qu'ont pu occasionner
les divers actes destinés à sauvegarder ses droits.
L'article 226 prend soin de nous dire que la femme
peut tester sans l'autorisation de son .mari. Il en
résulte que, librement aussi, elle le peut révoquer.
Cette disposition est fort raisonnable, car Îe droit de
tester est un de ces droits dont l'exercice inséparable
de la jouissance est essentiellement personnel; il ne
peut d'ailleurs porter aucune atteinte à la puissance
maritale puisque ses effets ne se feront sentir qu'après
la dissolution du mariage. Dans l'ancien droit, quelques
coutumes avaient cependant refusé à la femme la
permission de tester sa.us autorisation.
�-
199 -
Enfin, d'une manière générale, la nécessité de l'au- )
torisation ne s'applique pas aux droits que la loi confère directement à la femme par une disposition formelle. Citons, parmi les principaux, le droit de consen- tir au mariage de ses enfants (art. 148 et 149), de.
reconnaître des enfants naturels (art. 337), de requérir
li'trallsëriptiÛn des donations valablement acceptées
(art. 940), de~ révoquer celles faites à son mari pendant
le mariage (art. 1096).
Enfin la femme est tenue, indépendamment de
toute auto~isation, des obligations qui lui sont imposées par la loi, c'es~à-dire qui se forment sans
èfüivention. Ces obligations se divisent naturellemènt
en trois classes :
1° Celles qui prennent leur source dans la vei·sio in
rem, c'est-à-dire dans ce principe d'équité que nul ne
âoi.t s'enrichir aux dépens d'autrui. Chaque fois que
la femme aura augmenté sa fortune de valeurs appartenant à autrui, elle sera responsable dans la mesure
du profit qu'elle aura retiré. Cette dérogation aux
principes généraux, basée sur le droit naturel, ne
nécessite aucune explication.
2° Celles qui naissent de délits et quasi délits. Il n'y
~a pas de raison en effet d'affranchir la femme, plutôt
qu'un mineur, de la réparation du tort causé par son
dol ou sa faute (art. 1310 et 1382). Il serait d'ailleurs
injuste de laisser à la charge des tiers qui n'ont aucune faute à se reprocher un dommage dont ils n'ont
pas pu se garantir. Notons cependant que le dol de
la femme ne résulterait pas de la simple déclaration
qu'elle aurait faite dans l'acte constitutif de l'obliga ..
tion qu'elle n'est pas mariée ; le tiers qui contracte
--- -
�-
200 -
avec une femme doit s'enquérir de sa capacilé civile
et, s'il vient à éprouver un préjudice, il ne pourra
s'en prendre qu'à sa négligence, autrement il serait
trop facile d'éluder la loi.
· 3° Celles qui naissent des quasi contrats. Mais ici la
question e~t plus délicate, des distinctions sont nécessaires et nous sommes obligé d'entrer dans quelques
développements.
La femme mariée peut-elle jouer, sans autorisation,
dans un quasi-contrat de gestion d'affaires, le rôle
actif, c'est-à-dire celui de gérant, et le rôle passif,
r.'est-à-dire celui dont l'affaire a été gérée? en d'autres
termes, faut-il distinguer entre le quasi-contrat émanant du fait personnel de la femme et celui émanant
du fait d'un tiers? Un premier système, se fondant
sur les textes du Code civil qui ne semblent prévoir
que le cas de conventions expresses, enseigne que la
femme est obligée par toutes espèces de quasi-contrats sans qu'il y ait lieu de faire aucune distinction.
Il est d'abord évident, quand le quasi-contrat est le
fait d'un· tiers, que la femme est tenue de rembourser,
à celui qui a utilement géré ses affaires, le montant
des dépenses qui ont été faites dans son intérêt. Son
obligation sera régie ici par les principes généraux
de la matière des quasi-contrats et peu importera que
le profit retiré par elle de la gestion du tiers ait été
ultérieurement détruit par un cas fortuit. On ne voil
pas d'ailleurs pourquoi la femme échapperait, sous
prétexte d'incapacité, à une obligation qui, basée sur
un principe d'équité, est imposée même aux mineurs
et aux interdits.
Quand la femme a géré l'affaire d'autrui, on conçoit
�-
201. -
fort bien qu'elle ne soit point obligée envers les tien;
avec lesquels elle a contracté pour les besoins de sa
gestion, car ceux-ci sont en faute de ne s'être pas
assurés au préalable de la capacité de la partie contractante, mais pourquoi la ~emme ne serait-elle pas
obligée envers le maître dont elle a mal géré les
affaires?n est hors de discussion qu'elle devra rendre
les sommes ou valeurs qu'elle aura reçues pour le
compte du maître, sans quoi elle s'enrichirait injustement aux dépens d'autrui, mais elle devra en outre
indemniser celui-ci de tous les dommages que son
imprudente et mauvaise gestion lui aura causés parce
. qu'elle répond de ses fautes, de ses délits et de ses
quasi-délits (MM. Mondon et Valette).
Un autre systt!me, plus favorable à la femme,, el
auquel Kfitf Demolombe et Toullier prêtent l'appui de
leur autorité, distingue entre les quasi-contrats émanant du fait d'un tiers et ceux résultant du fait de la
fe~me. La capacité de la femme complète quant aux
premiers, n'existerait, quant aux seconds, que dans
la limite de la versio zn i·em, à moins que J'intervention
de la femme se soit produite dans des circonstances
telles qu'elle constitue un véritable délit. Les partisans
de cette opinion, à laquelle nous nOlï"s rallions, font
remarquer d'abord que l'obligation de rendre compte,
imposée à la femme par le premier système, peut
être fort onéreuse pour la famille ~t qu'il est injusle
de faire supporter an mari les conséquences de faits
qu'il n'a point autorisés. Il est plus équitable de les )
faire peser sur le maître dont la négligence a aulorisé,
peut-être même nécessité, la gestion de la femme.
A ces considérations morales , le second système
�-
202 -
ajoute des arguments tirés des textes mêmes du Code
civil. L'article 217 défend à la femme d'acquérir el
d'aliéner, celte règle doit logiquement s'appliquer à
tout fait entraînant une acquisition ou une aliénation.
Si on reconnaissait à la femme la capacité de s'obliger
envers le maître par ses quasi-contrats, ce serait
Î'auloriser à faire indirectement ce que la loi lui
défend de faire directement et l'exposer aux dangers
que l'autorisation maritale a eu précisément pour but
d'éviter. Enfin les arlicles 1241 et 1990 nous offrent
deux puissants arguments d'analogie contre le premier système. L'article 1241 déclare que le créancier
incapable de recevoir n'est responsable du paiement
qui a été effectué entre ses mains que jusqu'à concurrence du profit qu'il en a retiré; l'article 1990
restreint la responsabilité de la femme qu:i a accepté
un mandat, sans l'autorisation de son mari, conformément aux règles établies dans le titre du contrat
de mariage et des droits respectifs des époux.
En un mot, nous dirons, pour résumer l'opinion
que nous nous sommes formée sur cette question,
que la femme non autorisée est entièrement responsable quand l'acte générateur cle l'obligation est
l'œuvre d'un tiers, mais, que pour les quasi-contrats
' qui dérivent de son fait personnel, elle n'est tenue
que dans les limites de l'action de in i'em vei'so.
La théorie que nous venons d'exposer nous conduit
logiquement à un résultat qui paraît tout d'aborcl
biza.r re dans le quasi-contrat de paiement de l'indû.
Nous supposons -qu'une femme i:eçoit par erreur ~ne
somme d'une personne qui se croyait sa débitrice, il
est certain qu'elle devra rembourser dans la mesure de
�--:- 203
~
son cnrichisse]ll_e ut: « quatenus locupletior fac La est» ,
Mais plaçons-nous dans l'hypothèse où elle a dissipé ce ·
qu'elle a reçu. Il faudra alors distinguer si la femme
était ou non de bonne foi au moment du paiement ;
se cro)rait-elie -véritablement créancière? elle fil)vra
rembours~', car elle a inconsciemment contracté une
obligation dont le fait générateur est l'œuvre d'un tiers
et nous avons démontré que dans ce cas sa capacité
était complète. A-t-elle reçu de Iljauvaise foi? elle ne
sera point LeJ:!ue _a u remboursemen t car -elle a sciem~
ment contracté une obligation que l'autorisation maritale seule pouvait valider. Voilà où nous conduit une
déduction rigoureuse des principes que nous avons posés : est-ce donc à dire que la femme de mauvaise foi se
trouvera plus protégée que cellequi aura été debonne
foi? Nous ne le pensons pas, car, le plus souvent, le
paiement de l'indù aura été amené par des manœuvres
frauduleuses et la femme sera responf?able ex deü'cto.
Telles sont les règles générales tracées par le Code
et qui s'appliquent sous tous les régimes où la femme
ne s'est pas réservé certains droits d'administration.Mais elles subissent d'importantes modifications quand
les conventions matrimoniales ont accordé à la femme
des droits d'administration plus ou moins étendus sur
tout ou partie de sa fortune personnelle : c'est ce qui
arrive sous le régime de c2!11munaut~ conventionnelle et sous le régime exclusif de communauté quand
l~ femme s'est fait réserve de ,biens propres, sous la \
sépara lion do biens judiciaire ou contractuelle et enfin A'
sous le régime dotal quand il y a des paraphernaux
Avant d'aborder l'étude de ces dérogations au principe
de l'incapacité de la femme mariée, nous dirons
---
�-
204 -
quelques mots de la capacité de la femme en ce q_ui con·
cerne ses rapports avec son mari. Les contrats entro
époux ont, de tout temps, appelé l'attention du législa~
~Le droit romain ne les avait prohibés que dans
les cas où ils auraient violé les règles interdisant les '
donations entre époux. Notre ancien droit s'était montré
plus rigoureux et, redoutant les avantages indirects
que pourraient se faire les époux, leur avait interdit
toute convention polilvant amener une translation de
propriété. Le Code a gardé le silence et on se demande
s'il a voulu consacrer les théories du droit romain ou
celles du droit coutumier . . Nous croyons les époux
capables de contracter ensemble toutes les fois qu'une
~osition particulière ne leur a pas enlevé ce droit.
Pour soutenir cette opinion généralement adoptée,
on fait remarquer qu'il est de nombreux cas où il est
très-désirable que les époux puissent contracter ensemble et que les dangers que peuvent présenter ces
contrats ont été en grande partie écartés par le législateur qui a prohibé avec soin ceux d'entr'eux dont
les conséquences, difficiles à prévoir, pourraient ultérieurement causer préjudice à la femme. Ce système
crue les textes et l'esprit de la loi nous conduisent à
adopter nous paraît d'ailleurs très-défectueux. Il est
singulier que les rédacteurs du Code qui ont paru,
dans mainte ~irconstance, se défier avec raison de
l'influence que le mari exerce généralement sur sa
femme, aient reconnu la validité des contrats passés
entre époux : c'est ouvrir la porte à tous les abus. On
a répondu, il est vrai, à celle critique que le Code a
mulliplié les protections accordées aux femmes mariées, que le droit de prélèvèrnent qui leur est acc0rdé
----
-
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205 -
pour leurs reprises et, surtoul, l'hypothèque légale sur
les biens du mari constituent des garanties suffisantes.
Nous ne le pensons pas, car, outre que l'hypothèque légale ne présente dans certains cas qu'une garantie
illusoire, elle peut être cédée par la femme à un tiers
ou transportée par l'effet de la subrogation. Citons
toutefois l'exception qui se présente sous le régime
dotal : Ja ju}'~prudence fait de l'inaliénabilité du
fonds dotal une règle d'incapacité; d'où ces conséquences que l'obligation contractée par la femme,
même avec l'autorisation de son mari, sur les biens
dotau:;, ne peut être exécutée sur ces biens, même
après la dissolution du mariage et la cessation de la
dotalité. M:. Gide fait remarquer ici avec raison que
l'incapacité est le corollaire naturel de l'indisponibilité
et qu'en dépit des rédacteurs du Code qui se plaisent
souvent à proclamer la capacité naturelle de la femme,
~ rincipe du sénatus-consulte Velléien abrogé dans
I'arlicle 1431 s'est glissé furtivement dans nos lois
sous le manteau de !'inaliénabilité dotale.
§ III. lnfiuence de la séparation de biens sui· l'incapacité
de la femme man'ée.
Nous avons déjà indiqué l'influence que les conventions matrimoniales exercent sur l'ip.capacité de la
femme mariée. Ce que nous allons dire de la séparation de biens s'applique à tous les régimes sous
lesquels la femme s'est réservé certains droits d'administration sur sa fortune personnelle et notamment
au régime dotal, en ce qui concerne les paraphernaux.
L'article 1449 s'exprime en ces termes : ((La femme
�- 206 1
sêparée soit de corps et de biens, 'Soit de biens seule/ meut, en repr(3nd la libre administration. Elle peut
disposer de son mobilier et l'aliéner. Elle ne peut aliéner ses immeubles :;ans le consentement du mari ou
sans être autorisée de justice à son refus. »De graves
difficultés se sont élevées .sur l'interprét~tion de ces
dispositions qui paraissent en effet tout d'abord inconciliables avec celles de l'art. 217 qui nous dit formellement qlie la femme, même sépai·ée de biens, ne
peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre
gratuit ou onéreux, sans le concours clu mari clans
l'acte ou son consentement par écrit. Divers auteurs,
et notamment MM. Rodière et Pont, ont cherché à les
expliquer en établissant une distinctiqn entre la
femme séparée de biens judiciairement et la femme
séparée par contrat de mariage : la capacité de la
première serait r églée par l'art 1449, celle cle la
seconde par l'article 217. Après avoir invoqué le sens
littéral des mots employés par le législateur, les partisans de cette opinion font r emarquer qu'il est parfaitement logique d'accorder à la femme séparée
judiciairement une capacité plus étendue qu'à la
femme séparée par contrat. Car, dans le prem1er cas,
jl est certain crue l'administration du mari a été mau·
vaise et il importe de laisser à la femme une liberté
d'action assez grande pour lui permettre de rétablit
sa fortune compromise. La séparal'.ion contractuelle
au contraire n'implique aucune idée défavorable
quant à la manière d'administrer du mari et il im·
porte, dès lors, de conserver les prérogatives de la
puissance maritale. Nous repoussons ce système qui
établit cles distinctions arbitraires que la loi n'a point
�-
207 -
songé à faire et nous croyons trouver la conciliation
des articles 1449 et 2i 7 dans ce principe que la faculté
d'aliénation du mÜbilier accordée à la femme séparée
est' une conséquence du droit d'administration qui lui
est dévolu. L'article 21.7 nous pose une règle. générale: la femme mariée, qui ne s'est point réservé par
contrat de mariage l'administration de ses biens ne
peut aliéner. L'article 1449 nous indique ensuite une
exception : la femme séparée reprend la libre admi-)
nistration de ses biens, elle peut aliéner son mobilier.
La corrélation des deux idées est évidente.
De ce que la femme séparée n'a le droit d'aliéner
son mobilier, et, par suite, de s'obliger, que comme
conséquence du droit d'administrer' il résulte qu'elle
ne peut passer sans autorisation que les actes que
cette administration rend nécessaires. Quelques difficullés se sont cependant élevées sur ce point. Il ei;t
hors de doute que l'aliénation du mobilier permise à
la_femme ne peut être faite à titre gratuit : outre les
raisons de qmvenance qui s'opposent à ce que la
femme puisse faire à l'insu de son mari des libéralités
peut-être honteuses, ou tout au moins déplacées,
nous avons un texte formel, l'article 905, spécial à
la matière des donations, qui nous dit que la femme
ne peut donner entre vifs sans l'autorisation de son
mari qu de justice.
Quant à l'aliénation du mobilier à titre onéreux,
tro~ opinions, successivement consacrées par la jurisprudence, se sont produites dans la doctrine.
L~ première, argumentant des termes généraux
de l'article 1449, soutient que la femme a une capacité
entière c~aliéner son mobilier, et que peu importe
lJ
�•·"
'
-
208 -
le motif de l'aliénation. De là résulterait naturellement pour la femme une capacité complète de s'oblig~r. Quelques arrêts, déjà anciens, ont statué en ce
sens. Ce système ne nous paraît pas .acceptable : il
est d'abord contraire aux précédents : la grande majorité des coutumes, en accordant à la femme séparée
le droit d'aliéner son mobilier, avait limité cette
faculté aux besoins de son administration. Le Code,
qui s'est montré moins libéral que l'ancien droit
quant à la capacité de la femme mariée, n'a assurément pas songé à étendre le droit d'aliénation de la
femme. Pour nous, comme nous le disions tout à
l'heure, l'art. 217 est la règle, et l'art. 1449 n'1;ist
qu'une exception qu'il importe de renfermer dans les
termes où elle est indiquée.
Le second système distingue entre l'aliénation directe et l'aliénation indirecte, autrement dit, entre
la vente et l'obli~ation. La _Rremière serait toujo~s
librement permise à la femme, la seconde ne serait
autorisée que si elle était contractée pour les besoins
de l'administration. On interdirait à la femme l'acquisition d'un usufruit ou d'une •rente viagère parce que
ce sont des contrats aléatoires qui nécessitent des
aliénations de capitaux et qui ne se rattachent pas
directement à l'administration du patrimoine. On
autoriserait au contraire l'acquisition d'un immeuble,
ou même de rentes sur l'Etat, parce que ces opérations peuvent constituer des placements avantageux
et que les conséquences s'en aperçoivent aisément.
Les partisans de celte opinion rappellent qu'au point
de vue juridique l'aliénation indirecte a toujours été
consiclérée comme beaucoup plus dangereuse que
�~
209 -
l'aliénation directe : c'est ainsi qu'à Rome la loi Julia
permettait l'aliénation du fonds dotal avec le consentement de la femme, tandis que l'hypothèque de ce
mêf!le bien était absolument interdite. l)e même la
femme pouvait payer la dett~ d'un tiers, tandis que le
sénatus-consulte velleien interdisait de le cautionner.
Les motifs de ces dispositions subsistent dans foute
leur force. La femme est beaucoup moins portée à \
aliéner, à consentir un acte qui exige un dépouillement actuel et irrévocable qu'une obligation à 1
échéance éloignée sur les suites de laquelle elle se fait /
facilement illusion.
"'
Nous préférons la troisièpie O.Pinion qui, après diverses oscillations, paraît définitivement adoptée par
la jurisprudence et d'après laquelle l'aliénation du
mobilier, faite sans autorisation par la femme séparée
de biens,. ne doit être considérée comme valable que
si elle est nécessitée pàr les besoins de l'administration. Dès lors il n'y aura pas lieu de distinguer entre
l'obligation et l'aliénation ; valables l'une et l'autre
quand elles ne dépassent pas les limites d'une large
administration, elles sont nulles dans le cas contraire.
L'article H24 cite en effet parmi les personnes incapables de contracter les femmes mariées dans les
cas prévus par la loi et l'art. 217 défend à la femme
toute aliénation et par suite toute obligation, car aux
termes de l'art. 2092 « quiconque s'est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur
tous ses' biens mobiliers et immobiliers présents et à
venir.» Maintenant l'article 1449 permet par exception à la femme séparée de bfë'Ils d'aliéner son mobilier comme conséquence de la libre administratio
14
�-
2i0 -
qui lui est accordée. Nous pensons donc que les tiers
ne pourront poursuivre l'exécution des obligations
contractées par la femme même séparée de biens, en
dehors des besoins de son administratic?_n, ni sur ses
meubles, ni sur.ses immeubles.
Une question fort controversée est celle de savoir
si, obligée pour les besoins de son administration,
l'obligation ainsi contractée, toujours exécutoire sur
les meubles, l'était aussi sur les immeubles. Plusieurs
auteurs, et notamment M. Demolombë1, se prononcent pour l'affirmative en disanùiüe la loi, en accordant à la femme la libre administration de ses biens,
a dù vouloir la rendre possible, ce qui n'aurait évidemment pas lieu ·si les obligations, pleinement valables, n'étaient exécutoires sur les immeubles. Ils font
remarqùer en outre, qu'en présence' de la généralité
des termes de l'article 2092 il e§t impossible de créer
arbitrairement une catégorie particulière d'obligations n'engageant que les meubles du débiteur. Nous
adopterons le système opposé : le Code .prend soin
de nous dire, à deux ou trois reprises différentes, que
la femme ne peut aliéner ses immeubles sans l'autorisation de son mari; il prenèC soin- de l; :rappeler
spécialement pour la femme séparée de biens dans
l'article H49 ; il serait singulier qu'une persçmne incapable d'aliéner directement certains biens pût les
engager par ses obligatio'ns. L'argument tiré de
1 M. Demolombe n'a pas osé d'ailleurs accepter entièrement les
conséquences rigoureuses de son système : c'est ainsi que bien
qu'il reconnaisse à la femme le pouvoir d'engager ses immeubles
par ses obligations, il lui dénie la faculté de les hypothéquer par
une argumentation plus que subtile de l'article 21'24.
�• - 211
i'art. 2092 nous paraît sans valeur : nous reconnaissons parfaitement qu'en règle générale toute obligation est exécutoire sur les meubles et les immeubles
du débiteur, mais la question est précisément de savoir si la femme peut encontracter une semblable. La
loi quiprotége avec un soinjalouxlafortuneimmobilière, nous paraît refuser énergiquement et dans tous
les cas, quel que soit le régime matrimonial, la faculté
d'aliéner un immeuble à la femme non autorisée.
Nous pensons même que l'incapacité de la femme
d'aliéner ses immeubles sans autorisation s'appliquerait au cas où il s'agirait d!un immeuble acheté par
- ..___
elle avec les économies réalisées sur ses revenus. On
objecte que la femme qui pouvait.dissiper ses revenus
doit avoir le droit de disposer de ses économies et que
le système contraire est un encouragement à la pro:digalité. Nous répondrons que peu importe l'origine
et la nature:de l'immeuble dont il s'agit : une fois
qu'il est acquis, qu'il est entré dans le patrimoine de
la femme, il doit être régi par les mêmes règles que
tous les autres biens immobiliers.
La principale difficulté qui se présente ici est de
déterminer les actes de la femme qui, ne pouvant
être qualifiés actes d'administration, devront être
soumis al'autorisation maritale. Nous pouvons déjà
formuler deux règles certaines : 1° La.femme séparée
de biens ne peut, sans autorisation, aliéner ses immeubles, ni à titre gratuit, ni a titre onéreux ; 2~
ne peut, sans autorisation, aliéner son mobilier à 'titre
gr11tuit. Nouf;l allons maintenant passer rapidement
en revue les questions susceptibles de soulever des
controverses.
---
.
--
�- 212 La femme peut-elle acquérir, à titre onéreux, soit
un meuble, soit un immeuble pour placer un capital disponible ? Certains auteurs se fondant sm· le
silence de l'art. 1449 prétendent qu'il faut s'en référer
exclusivement à l'art. 217 qui interdit toute acquisition à la femme füariée non autorisée. Cette théorie
ne nous paraît pas admissible : l'esprit de la loi a été
de permettre à la femme séparée tous les actes n'e){.cédant pas la limite d'une large adÎninislr.ation. Les
meubles peuvent se détériorer, les capitaux rester
improductifs, ce sera un acte de sage administration
d'aliéner les uns et de disposer des autres pour acheter des rentes ou des créances : pourquoi refuserait-on
à la femme le plar,ement le plus sûr, l'acqlüsilion
d'un immeuble? C'est ce que dit fort bie;-M. Demolombe : c< Quand la femme emploie .ses créances, ses
capitaux disponibles à l'acquisition d'un immeuble,
il y a là deux choses : d'une part un placement, un
emploi, de l'autre une acquisition, mais l'une est
principale, et l'autre seulement accessoire : l'une est
le but même etl'autre le moyen . .L'opération principale, le but enfin, c'est alors l'emploi d'un capital,
c'est-à-dire un acte que la femme séparée de bÎens
( _peut f;lire seule. Or, qui veut la fin, veut les moyens,
donc en ce s.ens et dans cette limite, l'art. 1;i49 déroge à l'art. 217 en ce qui concerne la capacité d'acquérir à titre onéreux. » Traité dit mai·iage et de la
sépamtion de corps , tome II, page 165.
Nous ne reconnaissons d'ailleurs à la femme séparée le droit d'acquérir qu'autant que l'acquisition
aura le caractère d'un acte d'administration. Il résulte de là que nous ne lui permettrons pas facquisi-
�..,-- 213 -
lion d\m usufruil ou d'une rente viagère, car de tels
actes constituent en réalité non plus un placement
mais une aliénation de capital et menacent ie patrimoine de la famille.
Le bail est un acte d'administration ; toutefois,
quàn il exéfde Ia durée de neuf années, la doctrine
universellement admise le considère comme un acte
~e disposition. La femme séparée de biens pou'ITà.":""
t-elle, sans autorisation, consentir des baux excédant cette durée ? Trois solutions ont été proposées.
Le _premier système, qui nous paraît le plus ration- ·
nel et que nous adopterons, refuse à la femme séparée le droit de passer des baux excédant neuf années.
De nombreux articles refusent à des baux d'une plus
longue durée le caractère d'actes d'administration.
L'art. 1429 nous dit que les baux que le mari a faits
des biens de sa femme pour un temps qui excède
neuf ans ne sont, en cas de dissolution de la communauté, obligatoires pour la femme ou ses héritiers
que pour la période de neuf ans qui se trouve commencée. Les articles 481, 595, 1718 relatifs aux baux
passés par les mineurs émancipés, par les usufruitiers, par les tuteurs, reposent tous sur cette idée générale qu'un bail de plus de ·neuf ans est un véritable acte _de dt_sposition. Pourquoi introduire une
dérogation qui n'est éërlte nulle part en faveur de la
femme séparée de biens et qui serait d'autant plus
inutile que la femme, en se faisant autor~ser, peut
consentir des baux d'une plus longue durée?
Le second système combat cette argumentation en
faisant remarquer que les articles que nous venons
de citer et qui considèrent les bau4 de plus de ~euf
�-
2.VJ. -
ans $._omme actes cle disposiLion s'appliquenl Lous à
des ad~inistrateurs de la fortune d'autrui et qu'il
serait injuste de soumeltre · indéfiniment la femme
mariée, l'usufruitier, le mineur aux conséquences des
actes qu'ils n'auraient pas consentis. Quant à la restriction apportée par l'art. 481 à la capacité du mineur émancipé, elle s'explique suffisamment par la
méfiance qu'éprouve le législateur pour tous · les
actes que passe celui-ci sans l'assistance de son curateur. Il n'y a d'ailleurs nullement analogie entre la
capacité du mineur émancipé et celle de la femme
séparée de bl.ens : cetle dernière peut faire seule
nombre d'actes qui sont interdits al!- premier sans
l assistarfée de sûn curateur tels que l'aliénation du
mobilier, un emprunt, le placement d'un capital. Les
partisans de cette opinion ajoutent que dans cetle
matière spéciale de l'incapacité de la femme mariée,
il convient d'user toujours de l'interprétation la plus
large et de ne pas restreindre les droits déjà trop
limités de la femme.
Ces arguments sont puissants, el, quant à nous,
nous serions très-disposé à reconnaître à la $mme
Ie droit de passer des baux à long terme, mais nous
croyons que telle n'a point été la pensée du législateur qui, voulant constituer une autorité domestique
forte et respectée, a restreint, autant qu'il l'a pu;lâ
capacité de la fejllme mariée. Nous nous en tiendrons
donc au premier système, repoussant encore une !!:Qi:
sième upinion qui, dans un but de conciliation entre
les deux systèmes que nous venons d'exposer, propose comme limite à la capacité de la fel}l!lle en
tière de ba~x celle de dix-huit ans au delà de laquelle
ma-
�-
21.i) -
les baux doivent êlre transcrits. Cette opm10n qui
s'applÎie -spécialement sur la loi du 23 mars 1855,
étrangère a la malière que nous étudions en ce moment, n'a trouvé que peu de partisans.
On s'est demandé si le mari, dont la femme s'est
réservé par suite des dispositions de son contrat de
mariage l'administration et la jouissance d'une partie
de sa fortune, ne conserve pas le droit d'intervenir,
en cas de mauvaise gestion, pour arrêter les dilapidations et les prodigalités de son épouse et notamment
s'il pourrait invoquer devant les tribunaux les prérogatives de la puissance maritale pour obliger sa femme
à restreindre ses folles dépenses dans l'intérêt du ménage et des enfants On invoque pour .l'affirmative
l'int,êrêt supérieur de la famille et le respect dû à l'autorité du mari : ce dernier, en acceptant un régime
matrimonialquilaissaità sa femme un~ certaine capacité, a naturellemenl présumé qu'elle en userait d'une
manière convenable, conforme à ce que réclame sa
dignilé d'épouse et de mère de famille : il manquerait
à son deyoir si, par une faiblesse coupable ou une
regrettable indifférence, il ne se préoccupait pas avant
tout de sauver le patrimoine de ses enfants que compromettent les prodigalités de la mère.
De leur côté, les partisans de la négative font
remarquer, non sans raison, qu'accorder un sem
blable droit au mari, c'est rendre illusoire la prétendue capacité laissée à la femme et tromper la légitime
allenle de celle-ci qui n'a sans doute conseati à se
marier qu'avec l'adoption d'un régime matrimonial
réservant son indépendance. La femme est d'ailleurs
propriétaire des revenus qu'elle s'est réservés en
f\
�-
:2H3 -
.propre, elle a donc le droit de disposer librement suivant son bon plaisir et ce droit doit aller jusqu'au jus
éibüt~di. Propriétaire, la femme doit avoir tous les
attributs et toutes les prérogatives de la propriété,
or, que deviendraient-ils s'ils pouvaient être constamment paralysés par le pouvoir rival du mari? Serait-il
admissible d'ailleurs qu'un mari dont l'inconduite ou
les désordres auront souvent amené une séparation de
corps ou une séparation de biens, fût admis à venir
entraver la libre administration de sa femme ? Ces
raisons sont extrêmement sérieuses, et,· bien que l'intérêt de la famille soit ici gravement engagé, nous
inclinons à refuser au mari le droit d'intervenir dans
l'administration des propres de sa femme, sauf, bien
entendu, son recours à la justice dans le cas où les
prodigalités de la femme seraient telles qu'il y aurait
lieu de la faire interdire. Mais, en règle générale ,
nous croyons qu'il n'y a pas lieu de rèstreindre arbitrairement les droits déjà si limités de la femme el
qu'en présence d'un texte obscur ou incertain, il faul
toujours se prononcer pour l'interprétation la plus
large et la plus conforme au droit naturel. Rappelons
d'ailleurs que, quel que soit le régime matrimonial, la
femme, même non autorisée, est toujours obligée envers ceux avec qui elle a contracté jusqu'à concurrence
du bénéfice qu'elle en a retiré, car le principe que nul
ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui ne peut subir
aucune restriction.
�-
217 -
§ IV. De l'auton'sation exigée pow· ?·elev~r la femme
de son incapacité.
Sous cette rubrique, nous examinerons successive• ment deux points : 1. 0 Qui peut autoriser?- 2° A quel
moment et dans quelles formes doit se donner l'auto·
risation?
1o
Qui peut auto1·ise1· ?
En principe, l'autorisation doit émaner du mari,
mais le législateur, craignant que celui-ci n'abusât du
pouvoir qui lui était conféré, a donné aux ·.:gw le
pouvoir d'accorder à la femme, en cas de refus injuste
du mari, l'autorisation qui lui serait nécëssaire pop.r
un acte avantageux ou ulile. Dans certains cas particuliers, la justice exerce, au lieu et place du mari, le
droit d'autorisation, dans d'autres, au contraire, elle
ne peut jamais ren;iplacer l'autorisation maritale.
La justice exerce le droit d'autorisation:
1. 0 Q_uand le mari refuse d'autoriser sa femme à
ester en jugement (art. 21.8). Les termes de cet article
sont aussi généraux que possible : nous en conclu.rons que les tribunaux ont ici un pouvoir souverain
d'appréciation. C'est ce que dit très-bien ProuÇ!b.qn :
« Le mari n'est que le délégné de la loi dans l'usage
du pouvoir dont elle l'a revêtu ; la puissance publique
qui absorbe tous les pouvoirs publics peut, à plus
forte raison, les suppléer. »
2° Quand le mari est en état de déclaration, ou
même dë simple présomption d'absence, On a beaucoup , discuté sur le sens du mot « absent >> de l'article 212. On est unanime à reconnaître, en présence
•
)i
/
�-
2i8 -
de l'article 863 du Code de procédure, que la simple
présom__ption_d'absence permet à la femme de recourir
à la justice pour être autorisée, mais des conlroverses
se sont élevées relativement au cas de non présence.
Plusieurs auteurs ont refusé à la femme le droit de
s'adresser dans cette situation aux tribunaux, en •
disant que la non _présence du mari ne constilue
point l'impossibilité d' ob Lenir son autorisa lion.D'autres
au contraire, trouvent inadmissible, s'il y a urgence,
que la femme souffre cle la non présence cle son mari.
Il est certain qu'ici les textes font défaut et peut-être
serait-il sag~ cl'aclopler purement et simplement la
décision acloplée dans l'ancien droit et que Pothier
nous fait connaître en ces termes : cc Comme le mari
pourrait être trop éloigné pour donner l'autorisation
aussi promptement que le cas l'exige, nos coutumes
ont pourvu à cela en permettant en ce cas à l~ femme
de se faire autoriser par le juge. >>
3° Quand le mari est mineur ou interdit; ajoutons:
ou qu'il a été placé dans une maison d'aliénés. Rappelons ici qu'aulrefois le mari, même mineur, élail
habile à autoriser son épouse parce que la nécessité
de l'autorisation avait pour fondement unique le respect deJa puissance maritale; aujourd'hui que ce fondement repose principalmnent dans la confiance du
législateur en l'expérience et l'habileté du mari, il eût
été illogique de donner au mari mineur le pouvoir
d'autoriser sa femme pour des acles qu'il n'aurait pas
la capacité de faire lui-même.
Si le mari est majeur et la femme mineure, il l'assiste comme curateur clans tous les a-ctes où cette
assistance est nécessaire au mineur émancipé. Quant
�-
219 -
.aux actes que le mineur émancipé ne peut faire avec
la seule assistance de son curateur, la femme mineure
ne pourra les passer qu'en suivant les règles édictées en
ce cas par le Code, c'est-à-dire en demandant l'autorisation du conseil de famille et parfois l'homologation
èIUfribunal (art. 476, 482 et suiv.). Si le mari et la
~m.!!le sont mineurs le triJ?unal clési_g_ne un Cl!_r'ateur
à la femme pour l'assister dans les actes qu'elle voudra passer (art.2208), et ce curateur sera toujours
donné ad hoc, c'est-à-dire relativement à l'affaire spéciale pour laquelle il aura été nommé, car l'état de
femme mariée paraît incompatible avec l'établissement d'une curatelle perpétuelle et générale.
Si le mari est interdit ou placé clans un asile d'aliénés, le jug-e peut, en connaissance de cause, autoriser
la femme, soit pour ester en jugement, soit pour contracter (art. 222, loi du 30 juin 1838, art. 31 et suiv.).
Le Code ne prévoit pas le cas où le mari a reçu un
conseil judiciaire soit pour cause de prodigalité, soit .
pour cause de_faiblesse d'esprit. Un pr;mier système
soutient que le mari ne perd pas, clans ce cas, le droit
d~torisation, l'article 222 ne prononçant d'incapacité
que contre l'interdit. Cette opinion nous paraît inà.c~E_table : le demi-interdit est dans une situation
analogue à celle du mineur : il serait singulier de lui
reconnaître le pouvoir d'autoriser des actes qu'il serait
incapable de faire lui-même. Tout le monde est d'accord pour étendre aux individus pourvus d'un conseil
judiciaire les incapacités de l'article 442 concernant le
droit d'être tuteur ou membre d'un conseil de famille,
pourquoi restreindre ici le sens du mot interdit de
l'article 222?
�-
220 -
!I_n deu.xi~me système reconnaît au mari pourvu
d' un conseil judiciaire le droit d'autoriser sa femme
sous la condition de se aire assister de son conseil
dans tous les cas où cette assistance lui est nécessaire.
Il nous suffit de dire que le droit d'autorisation est un
droit es_sentiellement personnel au mari, inhérent à
sa personne, qui ne peut être délégué, pour montrer
que cette opinion est encore ~inad~sible que la
précédente. Nous pensons qtie le mari pourvu d'un
co,nseil judiciaire ne peut autoriser sa femme pour
tous les actes qu'il serai.t incapable de faire pour son
pr,opre compte, et cette décision nous paraît suffisamment justifiée par c~tte considération, que l'incapacité
cl' exde la femme mariée repose sur une présomption
...__
périence et d'habitude des affaires du mari. La femme
devra alors se faire autoriser par la justice.
L'article 507, par une dérogation remarquable à la
grande """i:·ègl; que les femmes sont incapables d'être
tutrices, permet au conseil de famille de nommer la
femme tutrice dé son mari interdit. On s'est demandé
si, dans cette hypothèse, la femme, pour administrer
les biens qui lui sont confiés, aura besoin de l'autorisation de la justice ou si on lui accordera les mêmes
pouvoirs qu'à un tuteur ordinaire. S'il s'agit des biens
personnels du mar~ ou dts biens de la communauté,
la femme, en les administrant, remplit le mandat que
lui a confié le conseil de famille en la nommant
tutrice ; sa capacité et ses pouvoirs ne sont point dès
lors réglés par les principes de l'autorisation maritale, mais par ceux de· la tutelle. Nous en dirons
autant pour tous les biens dont le mari avait l'admi.nistratiÜn et lajo-uissance comme chef de ïa . commu-
�-
22-l -
nauté, et .Q_Ot\r ceux dont la femme s'était réservé
l'administration par contrat de mariage. Il reste donc
àSe demander si la femme peut ester en justice et
fafre les actes qui excèdent la limite de l'administration. Plusieurs auteurs pensent que la femme peut
ester eU- justice , soit comme demanderesse , soit
·comme défenderesse, dans tous les cas où un tuteur
pourrait le faire (art. 464 et 465), c'est-à-dire pour
toutes les actions auxquelles peut donner lieu l'administration qui lui est dévolue; d'où cette conséquence
bizarre que la femme pourra exercer seule les actions
mobilières de la communauté et celles de son mari
interdit parce qu'elle est tutrice et non les siennes
propres, attendu qu'elle est mariée, et, comme telle,
a besoin d'une autorisation. Ce résultat peu logique
nous conduit à appliquer ici l'article 222 qui exige
""-que la femme ait une autorisation spéciale pour être
admise à ester en justice. Quant aux actes qui excèdent
la limite de l'administration, la femme devra se faire \
autoriser par la justice, s'il s'agit de ses biens personnels, par le consëiï de famille de l'interdit s'il s'agit 1
•
-l
des biens du mari ou de ceux de la communauté.
Enfin, la femme_ peut._ être interdite. Son m~ri,
devenu son tuteur (art. 506), la représente dans tous
les actes dela vie civile puisqu'elle a perdu, par le
fait de son intèrdiction, l'exercice de tons ses droits.
Si la tutellè de la femme avait été donnée à un tiers,
parce que lê mari en aurait été exclu, excusé ou destitué, nous pensons que ce tie~ _n'aurait nullement
besoin, pour· agir, de l'autorisation du mari; M. Demolombe fait remarquer avec raison que les règles
établies par la loi sur l'incapacité de la femme ma])iée
�-
f
222
~
ayant pour fondement le respect dû à la.puissance maritale, supposent nécessairement que celle-ci jouit de
ses facultés mentales et agit par elle-même.
4° La 'nstice exerce encore le droit d'autorisation
u lorsque le mari est frappé d'une condamnalion emportant peine afflictive ou infamante, encore qu'elle
n'ait été prononcée que par contumace » (art. 221),
mais seulement pendant la durée de la peine. Les
articles 7 et 8 du Code pénal nous énumèrent les
peines afflictives et infamanles : ce sont la mort, les
travaux forcés à perpétuité, la déportalion, les travaux
forcés à temps, la détention, la réclusion, le bannissement et la dégradation civique. L'arlicle 221 ajoute
que la déchéance du droit d'aulorisation ne frappe le
mari que pendant l.a durée de sa peine ; de là est née
la queslion de savoir si la peine de la dé.gradation civique, principale on accessoire, fait perdre au mari son
droit d'autorisation. L'affirmative a été soulenue en
présence de la g~néralité des termes de l'art. 221. qui déclarent déchu du droit d'autorisation tout mari frappé
d'une peine infamante, or, la dégradation civique est
une peine infamante. Nous nous rangerons, avec la
majorité des auleurs, à l'opinion contraire par les
motifs suivants qÜe nous développerons oralement :
1° La dégradalion civique, principale ou accessoire,
est une p_:ii~erpj_tuelle qui ne peut prendre fin que
par la réhabilitation ; or, les expressions employées
par l'article 221 indiquent clairement que la déchéance
du droit d'autorisation maritale n'a qu'une durée
limitée : ce serait donc violer ce texte de· loi que d'appliqU.ër cette déchéance en cas de condamnation à la
dégradation civique, comme peine principale.
�-
223
2° Les incapacilés et déchéances qui frappent le con· .
damné à la dégradation civique sont limitativement
énumérées dans l'article 34 du Code pénal qui ne mentionne pas le droit d'autorisation maritale.
3° Il serait illogique que le mari condamné à la (
dégradation civique accessoire recouvrât, à l'expiration de sa peine, le droit d'autorisation, tandis qu'il
en serait à jamais déchu en cas de condamnation à la
dégradation civique principale.
L'article 22i n'est pas absolument précis quand il
dit que le contumace demeure déchu du droit d'autorisation cc pendant lad urée de sa peine. » Il eût été plus
exact de dire «tant que la peine n'est pas prescrite. »
L'autorisation exigée pour relever la femme de son
incapacité ne produit pas les mèmes effets, suivant
qu'elle émane du mari lui-mème ou de la justice. L
mari, en autorisant sa femme, ne s'oblige pas luimème cc qui auctor est se non obligat, » mais si les
époux sont mariés sous le régime de la communauté,
le mari se trouvera, en fait, personnellement obligé,
puisqu'il répond de tous les engagements de la communauté et que la femme dùment autorisée a pu. valablement obliger cette dernière. Il en sera de même
chaque fois que le mari auquel le contrat de mariage
aura attribué des droits de jo-qissance sur les biens de
sa femme, autorisera un acte intéressant ces biens,
comme une vente : son usufruit sera perdu. Cette
conséquence ne se produit jamais si l'autorisation
émane de la juslice : les droits conférés aux créanciers
par les obligations de la femme ainsi autorisée ne
pourront j~mais s'exercer que sur les biens personnels de celle-ci et jamais sur ceux du mari et de la ·
�-
224
~
communàuté, et, lorsque par suité des conventions
mâtrimo~iaÎes, le mari aura lajouissanc~ des revenus
de la femme, ils ne pourront poursuivre le remboursement de leur créance que sur la nue propriété des
biens de la femme débitrice. La loi n'a pas voulu que
le mari pût, en aucun cas, avoir à souffrir des obligations résultant de contrats auxquels il est resté étranger ou qu'il a refusé d'autoriser.
Il est même. des cas où, par suite de la gravité des
conséquences qui pourraient en résulter, l'autorisation
de la justice ne peut suppléer celle du mari : la femme
. qui ne pourra obtenir l'a-ssentiment de son mari se
trouvera alors dans l'impossibilité absolue d'agir et
aucun recours ne lui sera ouvert. Ces cas sont au
nombre de quatre :
1° L'autorisation. de justice ne peut suppléer l'autorisation maritale quand il s'agit de l'aliénation des
immeubles dotaux pour l'établissemënt dès enfants
cmnmuns. Le légisiafeur a pensé que, dâns une affaire de cette importance, le mari devait décider souverainement et que nul mieux que lui n'était en état
d'apprécier sainement l'utilité de l'aliénation proposée.
Remarquons d'ailleurs que l'autorisation maritale
n'est exigée que si l'aliénation doit être faite dans
l'intérêt des enfants communs ; s'il s'agissait de l'établissement des enfants nés d'un premier mariage de
la femme, l'autorisation de justice serait suffisa'n.te
pour rendre possible l'aliénation des biens dotaux. Le
législateur a craint ici que l'affection douteuse du
beau-père pour les enfants du premier lit de sa femme
le rendît peu favorable à l'idé.e d'une aliénation faite·
en leur faveur ;
,1
�-
22~
2° ta femme ne peut compromettre qu'avec l'au torisation du mari. Le compromis en effet, acte par
lequel on confie à l'arbitrage d'un tiers la solution
d'un différend, exige beaucoup de réflexion et de maLurilé : la loi a cru devoir le subordonner à l'autorisation du ·mari (Art. 1004 et 83 6° du Code de Procédure);
3° L'autorisation de j nstice ne peut encore suppléer
l'autorisation maritale quand il s'agit pour la femme
d~ccepter les fonctions d'exécutrice tes lamentaire.
(Art. 1029.) La personne qui en est investie a une
mission délicate et pénible, et, sans toucher aucune
rétribulion, elle engage gravement sa responsabilité.
Ces raisons ont paru suffisantes pour exiger dans ce
cas l'autorisation du mari ;
4° L'autorisalion de justice est insuffisante à habiliter la femme à faire le commerce . (C . Co., art. 4.) Cette
dernière exception a été discutée et présente certaines
difficultés que nous développerons en étudiant notre
sixième paragraphe.
'
20 A quel moment, et dans quelles formes doit se donner
l'autoi·isation.
L'autorisation peut être donnée ' avant l'affaire que
la femme se propose de conclure ou au moment même
·où l'affaire se conclut. Peut-elle être donnée a:2:tjs et
produit-elle alors les mêmes effets? Plusieurs auteurs
ont soutenu l'affi;:mative en 'faisant remarquer que
l'acte passé par la femme sans autorisation n'était
point un acte nul, mais simplement un acte incomplet, vicieux, que ce vice disparaît du moment
que le mari autorise et que l'acte réunit dès lors
,15
�-
226 ~
toutes les conditions de la validité. Ce système a été
~q_t!§.§_é avec rais.on par la majQrité des auteurs : le
consentement donné par le mari postérieurement à
l'acte ne sera point sans doute dénué d'effet, mais ce
ne sera qu'une ratification et non une autorisation.
Ce n'est point u~ple question de mots : . la distinction qu'il importe de faire nous ·conduira à des
conséquences très-différentes. L'acte passé par la
femme sans autorisation donne ouverture à deux
actions en nullité : l'une au profit du mari dont la
puissance maritale a été méprisée, l'autre au profit de
la femme qui n'a point été protégée conformément
ai1.vœu de la loi. Nous comprenons très-bien que
l'?-ction en nullité qui compéLe au mari soit éteinte
par une ratification postérieurement intervenue, mai3
nous ne voyons pas pourquoi la femme se trouverait
en même temps dépouillée d'une action qui a été organisée dans son intérêt, qui est née à son profit et
dont seule elle doit pouvoir disposer. Nous savons en
effet que l'incapacité de la femme mariée n 'a pas pour
fondement unique le respect dû à la puissance mari·
t~e mais qu'elle repose ainsi sur son ~nexp~ience
habiluell13 des affaires : cette manière de voir nou8
paralt pleinement confirmée par l'art. 1304 qui accorde à la femme, pour attaquer les aeles qu'elle a
consentis sans autorisation, un délai de dix ans à parti~e la dissolution ~u mariage;-;à'n s distingu; si le
mari en a eu ou non connaiss.ance.
Le système opposé qui prétend que la ratification
postérieure du mari donne à l'acte p~ssé par la femme
une validilé complète, ei·ga omnes, s'app_:g~ d'abord
sur les travaux préparatoires. L'art. 217, dans le pro~
~
'
�- 227 jet du Code, comprenait un d'euxième _alinéa, ainsi
cOïîÇU: « Le consentement du mari, quoique postérieur à l'acte, suffit pour le valider. » L'assemblée
générale ciu Conseil d'Etat avait adopté cette rédac, Lion et si ce deuxième alinéa ne se retrouve point
dans la rédaction nouvelle que proposa la section de
législation, ce n'est pas parce qu'on a voulu abroger
la disposition qui s'y trouvait, mais parce qu'on a
craint qu'une trop large interprétation lui fùt donnée.
- Ce raisonnement nous paraît subtil et hypothétique : n'est-il pas plus naturel de penser que si cet
alinéa fut retranché, c'est que le principe qu'il consacrait ne fut pas admis?
On invoque encore l'article 183 qui déclare éteinte
l'action en nullité de mariage appartenant au fils ou
à la fille qui s'est marié sans le consentement de ses
parents, toutes les fois que le mariage a été approuvé
expressément ou tacitement par ceux dont le consen~
tement était nécessaire. Cet argument nous touche
peu ; l'analogie qu'on veut établir entre les deux cas
n'est qu'apparente : l'art. 183 constitue une règle
exceptionnelle édictée en faveur de la validité des
mariages. De même, c'est en vain que l'on dira que
la femme ayant laissé son mari ratifier l'acte qu'elle
avait consenti a, par le .fait, renoncé à exercer son
action en nullité ; l'art. 1304 que .nous avons déjà
cité, nous paraît répondre suffisamment à cette objection ; nous concluons donc qu'un acte passé par la)
femme sans autorisation ne pourra être ratifié, pendant le mariage, que par les deux époux conjointement ou, tout au moins, par la femme dûment autorisée.
�~
228
-~
On a cependant'proposé, pour les actes que l'autorisation de justice suffit à valider, une exc.e})tion qui
nous parait équitable : même ac.cordée poslérieurement à l'acte, l'autorisation de justice priverait 10
mari du droit d'intenter une action en nullité. Ce systême s'appuie sur le peu d'inlérêl qu'a généralement
le mari à faire annuler un ac.te que les magistrals ont
trouvé raisonnable et sur la situalion bizarre faite à
la femme qui, voulant faire valider l'acle qu'elle a
passé indûment, devrait d'abord le faire annuler pour
le passer de nouveau en se conformant à la loi.
L'arlic.le 223 établit la grande règle de la sR_éc.ialilé
de l'autorisation. La loi a pensé que le mari, appelé à
se prononcer sur chaque fait parlic.ulier po_u rra donner un consentement plus éclair~ et conservera ainsi
tous les droits inhérents à sa qualilé de mari qu'une
.aulorisalion générale aurait anéantis. Le principe de
la spéc.ialité serait violé si le mari aulorisaiL sa femme
à faire une série d'actes délerminés seulement par
leur nature : il faut que l'autorisation soit limitée à
des actes clairement indiqués et à une somme rigoureusement fixée. Deux exceptions existent cependant:
l'une écrite dans l'arlic.le 223 concerne l'administration cles biens de la femme : la loi autorise le mari à
donner à sa femme une autorisation générale d'aclmi~trer ses propres biens et cette dérogation est trèsraisonnable puisque les convenlions matrimoniales
peuvent réserver formellement à la femme le droit
d'administration de sa fortune personnelle 1• La
1 Le légi slateur paraît avoir confondu ici le mandat et l'autorisation. Si le mari autorise, en rlehors des sLipulations du contrat ·
�-
229 -
deuxième exception que nous ne fe~·ons qu'indiquer
ici, parce que nous aurons bientôt à y revenir plus
longuement, concerne la femme commerçante. (C. Co.,
art. 7.)
Quant à la manière dont l'autorisation maritale doit
être donnée, aucune règle spéciale n'a été tracée par
le Code. Tout le formalisme de l'ancien droit qui exigeait une autorisation expresse ëfl'emploi do mols
sacramentels a aujourd'hui disparu : l'autorisation
peul être écrite ou verbale, expresse ou tacite, donnée )
par acte aulhentique comme par acte sous-seing privé.
Cependant la doctrine et la jurisprudence refusent de
s'engager trop avant dans cette voie libérale: elles
ne reconnaissent comme suffisante, en fait d'autoris~9n tacile, riue celle résultant du concours du mari
dans l'acte. Cetle décision est rationnelle : si, en efl'el,
on est d'accord pour reconnaître que l'autorisatiou
maritale pourra, à défaut d'écrilure, être prouvée par
l'aveu el le serment, on cesse de l'êlre sur le point de
savoir si la preuve teslirrtoniale pourra être admise
conformément au droi.t commun (art. 1341 et 1347).
Il esl certain que ce sera imposer à' la. femme un embarras assez inutile que l'obliger à se munir, même
pour les actes d'une importance insignifiante, d'une
autorisation ·écrite, mais les termes précis de l'art.
217 et la cléfave~r connue avec laquelle est vue la
preuve testimoniale, nous portent à croire que le
législaleur a voulu écarter ici l'admission de la preuve
- par témoins.
de mariage, la femme à administrer ses propres biens, c'est en fnit
un manda.t qu'il lui at1ra donné et elle l'obligera sans s'obligel'
elle-même:
�-
230 -
Quant à la mapière dont se donne l'autorisation de
justice, nous en avons déjà dit quelques mots qui
nous dispensent de revenir sur ce sujet : nous nous
contenterons de citer l'art 219 qui ne présente d'ailleurs. aucune difficulté: <<Si le mari refuse d'autoriser
sa femme à passer un acte, la femme peut faire citer
son mari directement devant le tyibunal de premihe
instance de l'arrondissement du domicile commun
qui peut donner ou refuser son autorisation, après
que le mari aura été entendu ou dûment àppelé en la
chambre du conseil. » Si les époux étaient séparés de
corps ou ne demeuraient pas ensembl~, nous croyons
que le tribunal compétent serait celui du domicile de
la fem~e, car il ne s'agit point ici d'un procès à intenter contre le mari et il n'y a pas lieu d'appliquer
la règle actor sequi'tui· forum rei.
§ V. _:_.Des effets de l'i'ncapacité de la femme mai·iée.
L'incapacité de la femme mariée a pour sanclion la
n~U_g_é de l'acte qu'elle a passé sans autorisation. La
loi nous dit d'ailleurs formellement que celte nullité
n'est que relative et que la f~mme, le mari et leurs
héritiers seuls pourront l'invoquer (art. 225). Le Code
aa insi tranché une question demeurée assez obscure,
celle de savoir si, dans l'ancien droit, la nullité frappant l'acte passé par la femme non autorisée, était
absolue ou relative. Beaumanoir semble considérer
celte nullité comme relative puisqu'il déclare l'obligation valable après la dissolution du mariage, si le
mari est décédé sans l'ayoir attaquée. Cette opinion
fut critiquée par Dumoulin qui p1:oclame la nullité
�-
231 -
absolue rle l'acte fait sans autorisation et cette manière de voir fut adoptée par la coutume de Paris :
« Si la femme mariée fait un acte sans autorisation,
c.et acte est nul tant à l'égard du mari qu'à l'égard
d'elle-même. » (Art. 223.) Faut-il décider, en présence
de ce texte, que l'obligation du tiers est elle-même
frappée de nullité et que ce dernier aura qualité
pour l'allaquer ? La question est controversée : la
majorité des auteurs s'appuyant sur plusieurs passages de Pothier où cet auteur nous dit que cc le défaut de capacité rend absolument nuls les actes faits
par la femme »pense, que clans l'ancien rlroit, l'acte
passé par la femme non autorisée était frappé d'une
nullité radicale, d'où cette double conséquence qu'il
n'était susceptible d'p.ucune ratification et que toute
personne intéressée pouvait en demander la nullité 1/
Quoi qu'il en soit, la nullité édictée par le Code n'est
plus que relative : l'acte passé par la femme sans autorisation peut être ratifié soit pendant le mariage par
la femme dùment autorisée, ou par le mari en ce qui
le concerne, soit après le mariage, par la femme devenue libre. La ratification peut même être tacite :
elle résulle du silence gardé pendant dix ans par le
mari depuis le jour où il a eu conna.issance de racle
et par la femme depuis la dissolution du mariage.
L'art. 225 nous dit que l'acte passé par la femme
au mépris des dispositions de la loi sur la puissance
maritale peut être altaqué par la femme, par le mari
ou leurs héritiers.
i 0 Par la femme. - C'est là mie conséquenee de ce
principe, plusieurs fois indiqué déjà, qu~, i'incapacité
de la femme mariée repose sur un~ de protec,
�-
232 -
tioJ.1 : la femme n'a pas eu ici l'autorisation de son
Çari, elle n'a pas été protégée par son expérience et
ses eonseils, elle est clone eu droit do demander à êtro
restituée du dommage que l'acle ainsi passé pourrait
lui causer. La solution serait-elle la même si la femme
s'était présentée au tiers contraclant comme fille ou
comme veuve ? Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement, car les tiers doivent s'enquérir cle la
capacité cle la personne avec laquelle ils traitent et ils
ne pourront s'en prendre qu'à leur incurie du préjudice qu'ils éprouveront peut-ê tro nllérieurement cle
l'annulation cle l'acte. Nous mellolis évidemment à
part l'hypothèse où la femme, pour faire croire à su
complète capacité, aurait employé, vis-à-vis des tiers,
des manœuvres frauduleuses, nous savons en effet
que la femme, même mariée, demeure toujours responsable de ses délits. La même question a été posée
et on a discuté longuement - et assez inutilement à
notre avis - pour le cas où la femme qui a contracté
sans autorisation passait, aux yeux de tous, pour une
fille ou pour une veuve. On s'est demandé s'il fallait
appliquer la règle e?·ro1· communis facit jus : c'est uno
question de fait qu'il faut laisser à l'appréciation des
tribunaux : ceux-ci admettront ou rejetteront l'action
en nullité cle la femme suivant que l'erreur des Liers
aura été ou non excusable.
2° Pai· le ma1];'. - Ce droit lui appartient parce que
son autorité a été méconnue et qu'elle ne constituerait cill'un vain mot s'il n'avait aucun moyen de la
faire respecter. C'est clone un droit reposant essentiellement sur des considérations morales: nous en
tirerons cette conclusion qu'il doit"clisparaître quand,
•
�-
233 -
le mariage étant dissous, la puissance maritale a cessé
d'exister. Remarquons d'ailleurs qu'au point de vue
pécuniaire, le mari n'aurait aucun intérêt à l'annulation de l'acte puisque ses droits restent intacts,
même dans. le cas où la femme a obtenu l'autorisation
de la justice, et, a foi·tt"oTi, quand e~e a passé un acte
sans aucune autorisation.
3° Pai· les héritiei·s du mari et de la femme. - L'arLicle 225 après avoir dit que l'action en nullité peul
•
être exercée par la femme ou par le mari ajoute :
« ou par leurs héritiers ». Cette disposition présente
des difficultés : on conçoit fort bien que l'action en
nullité de la femme passe à ses héritiers, car elle
comprend un intérêt pécuniaire et fait dès lors partie
du patrimoine qui leur est éclm; mais quel titre
peuvent invoquer les héritiers du mari pour intenter
une action que leur aulcur n'aurait pu exercer si le mariage s'était dissous par la mort de la femme, action
qui d'ailleurs ne présenle qu'un intérêt moralinhérent
à la ·personne du mari? On a beaucoup cherché pour
arriver à ùonner à ces derniers mots de l'art. 225
une interp1'étation raisonnable. Quelques-uns pensent
que par ces mols « leurs héritiers ii la loi a voulu désigner les enfants communs. Même en les comprenant ainsi, ces expressions seraient inexactes car cc
n'est que comme héritiers de leur mère que les enfants COlnmuns pourraient agir. D'autres ont pensé
que le législateur avait voulu faire allusion aux cas
Lrès-rares où les héritiers du mari auraient un intérêt
pécuniaire à poursuivre la nullité : par exemple si la
femme avait refusé, sans autorisation, une succes~ion
purement mobilière deyari.t toinber clans la commq~
•
�-
234 -
naulé. Peut-être est-il plus simple de dire, avec la
majorité des auteurs, que ces mots «OU leurs héritiers,;
de l'art. 225 ne trouven.t aucune explicationpla11sibli:i
et qu'il y a lieu de les attribuer à une erre_.llr do
r~daction du 16gislateur.
L'énumération de l'article 225 parait limitative, cependant il est divers cas clans lescruels la dQctrine et
1 jurisprudence s'accordent à étendre l'application de
l'action en nullité. Nous pensons, en effet, que les
·réanciers de la femme qui se trouveraietit lésés par
l'acte qu'elle aurait consenti sans autorisation, doivent
être admis à en proposer la nullité. Le droit accordé
à la femme mariée d'attaquer les contrats qu'elle a
passés seule ne nous paraît pas être un droit exclu~ivement attaché à la personne ; il est; avant tout,
pécuniaire et, comme tel, est compris clans la généralité de ceux dont parle l'art. 1166. Au contraire, on
est presque unanime aujour 'nui à refuser à la caution de la femme l'exercice de l'action en nullité et
nous suivrons cette oplnio n qui s'appuie sur des textes
autorisant formellement le cautionnement des obligations naturelles et ne permettant à la caution
d'invoquer que les exceptions inhérentes à la dette
elle-même et non celles personnelles au débiteur principal (art. 20i2 et 2Q36).
~e donateur peut-il demander la nullité d'une donation que la femme a acceptée sans autorisation ?
Deux systèmes, s'appuyant l'un et l'~utre sur des arguments extrêmement sérieux ont été présentés. Les
partisans de l'~ffirmative invoquent d'abord l'article 938 : « La donation, dîiment acceptée, sera parfaite
par le seql consentemcl}t des parties, >i Or, une clona-
.
�-
235
~
tion que la femme accepte, sans s'être fait autoriser,
n'est pas dûment acceptée ; el{e ne lie donc pas le do·
nateur. On fait remarquer ensuite que la question de
forme a, dans la matière spéciale des donations, une
importance exceptionnelle et que la nullité prononcée
par le législateur en cas d'inobservation des règles
prescrites, est toujours ici une nullité absolue. - Nous
préférons le système _ol?_posé q_ui, ~similant le dona·
teur à tout tiers contraetant avec la femme, lui refuse
Texercice de l'action en nullité. En règle générale,
iëS-actes passés par un incapable ne sont frappés que
d'une nullité relative (art. 1125) et rien n'indique que
l'art. 934 ait voulu apporter une dérogation aux principes : ce texte nous renvoie au contraire aux articles
2'17 et 219 ; n'est-ce pas adopter, par suite, les
dispositions de l'art. 225, dispositions qui .constituent
d'ailleurs le droit commun et aux.quelles on ne doit
pouvoir déroger qu'en présence d'un texte formel?
Ne serait-ce pas autrement violer le grand principe
de l'irrévocabilité des donations?
'Notre solution serait la même dans le cas où la \
femme aurait exercé une surenchère, sans autorisa- \
tion, après la vente par autorité de justice d'un immeuble qui aurait été hypothéqué. Nous dénierons à
l'adjudicataire de l'immeuble le droit d'intenter contre
la femme une action en nullité. - Et cette manière
d'interpréter la loi doit, à notre avis, être étendue aux
actes ~uc!_iciaires. Le défaut d'autorisation ne permetlra as au~ tiers de demander la nullité des assignalions que la femme leur aura fait signifier : leur droit
se bornera à mettre le mari en cause ou â faire
déclarer la femme non recevçible tant qu'ene µ'aura
)
-
�-
236
~
pas rapporté l'autorisation de son mari ou de jus·
tice.
L'action en najlité se prescrit par dix ans : nous
avons déjà dit qu'e1le pouvait s'éleindre avant ce laps
de temps par la confirmation, la ratification régulière
et l'exécution volontaire. En tous les cas, le délai de dix
ans ne part, pour la f~mme, qu~ de la dissolution du
~age car, tant qu'eUe est sous la puissance de son
époux, elle est dans l'incapacité morale d'agir, et,
pour le mari, que du jour où il a en connaissance <le
l'acte. On a remarqué-que ces décisions, juridiques et
rationnelles, avaient le tort cle placer les tiers, le
plus souvent coupables : cl'une simple imprudence,
dans une situation bien fâcheuse. M. Valette a cherché un remède à ce mal ét indiqué un nouveau système qui nous paraît excellent. Il consiste à accorder
aux tiers qui, ayant traité avec la femme dans l'ignorance de son incapacité, en sont ultérieurement avertis, le droit de refuser d'exécuter le contrat jusqu'à
ce que la femme ait justifié de l'autorisation du mari
ou de celle de justic:e. Peut-être même faudrait-il, en
s'appuyant sur les termes de l'art H35, reconnaître
aux tiers le droit de sommer la fe~me de se faire
valablement autoriser dans un délai que fixera le
tribunal.
Si la femme intente l'action en nullité qui lui çst
accordée par nos lois, à qui incombera le fardeau de
la preuve ? est-ce à elle à prouver qu'elle n'était pas
autorisée ou au Liers à prouver qu'elle l'était valablement? Nous n'hésitons pas à exiger la J?reuve du
tiers, lWin qu'il soit défendeur : en fait, l'incapacité
f.fëla femme est la règle normale, ,c'e&tà celui qui
�-
23'1
~
prétend qu'il y a été dérogé à fournir du fait qu'il
avance une preuve convaincante. Exiger une pr:euve
de la femme, ce serait l'obliger à prouver un fait
négatif, ce qui est souvent impossible et toujours
difficile : suivons donc la maxime ordinair~ probatio
incumbit ei qui dicit non, ei qui negat.
Dne nullité peut être proposée de deux manières :
ou par voie d'action ou par voi~ d'exception: par voie
d'action si celui au profit duquel existe la nullité
, prend les devants et l'invoque ; par voie d'exc-eption
si celui au profit duquel elle existe, étant actionné en
exécution du contrat, oppose la nullité au demandeur. Le délai qui existe pour l'action en nullité est-il
le même par la voie d'exception ou faut-il observer
ici l'ancienne règle quœ tempomlia simt" ad agendum
peipetua sunt ad excipiendum ? Sous le dr:oit romain on
admettait que l'action était temporaire et l'exception
perpétuelle. L'ordonnance de 1539, dans notre ancien
droit, abrogea la maxime romaine ; si, en droit romain, l'exception de dol par exemple était perpétuelle
et l'action temporaire, cela venait de ce que l'action,
étant infamante, n'était donnée qu'à défaut de tout
autre moyen de protection, ce qui rendait nécessaire la perpétuité de l'exception. Dumoulin critiqua.
vivement les dispositions de l'ordonnance de i039 et
telle était son influence qu'on continua d'appliquer la
maxime romaine. Le Code a gardé le silence à ce
sujet ; que faut-il décider? Un premier système invoquant l'article 1304 qui ne permet pas de demander la
nÙllité après dix ans, la présomption de ratification
inséparable d'un si long silence et enfin l'ordonnance
de 153û, déclare ét~nte mèmc l'exception de nullité 1
�•
.,
à rès un délai de dix ans . Ce système n'a pas triom·
phé dans la pratique ; nous reconnaissons que le
droit.romain, pour adopter l'autre opinion à laquelle
nous nous rallions, pouvait faire valoir des raisons
qu'il nous est impossible d'invoquer, mais l'art. 1304
ne .limit~ à dix ans que l'action et non l'exception de
nullité ; en éteignant l'aétion, l'art 1304 se fonde sur
une présomption de ratification qu'on ne peut admettre chez celui qui, n'ayant jamais exécuté le contrat,
est demeuré dix ans sans l'attaquer. N'est-il pas rationnel de penser que l'action n 'a pas été intentée
parce que l'exécution n 'était pas réclamée ? Pourquoi
forcer un homme, que p.ersonne n'inquiète, à intenter, pour sauvegarder ses droits, un procès scandaleux? Ces molifs ont ·déterminé la .jurisprudence à
considérer comme perpétuelle l'exceplion de nullité.
(Tolùouse, 1•r jq.illet 1850. - Cass., décembre 1~9.)
§ VI.
~
Situation pa1·ticulière de la femme marchande
publique.
Les règles que nous venons d'exposer subissent de
graves modifications quand la femme est marchande
. publique ~ Nous trouvons la première dans l'arti~le 4
r du Code de Commerce : « La femme ne peut être marchande publkPW Sa"n s le consentement de son mari. »
Les termes sont aussi formels et aussi précis que
possible ; ils indiquent nettement la pensée du législateur de .considérer l'autorisation de justice comme
insuffi~te pour habiliter la femme à faire le corn·
merce. Cette décision s'explique : le commerce con·
siste en une série ind6finie de fails dont il est impos~
--
�- 239 sihle de prévoir exactement les conséquences et de
nature à compromettre la fortune et même l'honneur
de la famille. Il faut pour gérer les affaires commerciales de l'expérience, de la maturité, du jugement: le tribunal n'a pas les éléments nécessaires
pour vérifier si la femme possède ces qualités : le
mari seul peut décider en connaissance de cause. Ce
'SYstèÏne qui nous paraît si clairement établi par
l'art. 4 précité du Code de Commerce est encore confirmé par l'art 142~ du Code civil qui décide que lorsque là femme contracte comme marchande publique
et pour le fait de son négoce, eDe oblige la communaulé et par conséquent le mari. Or, nous avons dit
plus haut, que tel n'était jamais l'effet produit par
l'autorisation de justice dont les intérêts du mari ne
devaient en aucun cas avoir à souffrir. On a cependant soutenu que lajuslice pouvait autoriser la femme
à faire le commerce et on a invoqué, en ce sens, la
généralité des termes des articles 219 et 224. Celte
inexacte
théorie nous paraît .
_ _ ; les dangers que présente le commerce, l'injustice qu'il y aurait à laisser
le mari souffrir d'actes qu'il n'aurait point autorisés
nous déterminent à considérer ici l'autorisation de
juslice comme insuffisante ; mais nous serions assez
disposé à accepter un tempérament que d'excellents
auteurs ont proposé et qui nous paraît aussi logiqua
en théorie qu'utile au point de vue pratique. Il con~\
sisle à . accorcl~ir an juge le droit d'autorisation chaque )
fois que le mari, mineur, interdit ou absentj sera in•
capable de la donner . Les partisans de ce système
foul remarquer que l'article 4, en exigeant l'aulorisalion dt1 mari pour les aclcs commerciaux, suppose
�-
240 -
évidemment au mari la capacité de consentir. Il serait
trop rigoureux d'interdire le commerce à une femme
dont le mari serait absent ou interdit alors qu'elle
peut y trouver les ressources qui sont nécessaires à
ses besoins et à ceux de sa famille et telle n'a point
dû être certainement l'intention du législateur. Les
raisons d'équité qui 'µiilitent en faveur de ce système
nous déterminent donc à l'adopter et c'est dans ce
sens qu'a résolu la question un récent arrêt de la Cour
•
de Paris (7 juillet 1~60).
. pei..ü toujours
mari
le
Nous pensons d'ailleurs que
révoquer l'autorisation qu'il a une fois accordée
pourvu que cette révocation soit de bonne foi et non
faite à contre-temps . (Ar l. 1869.)
On s'est demandé SI l'engagement de Ja femme
dans une entreprise dramatique ou la . publication
d'œuvres littéraires cons tituent des actes commerciaux et par suite ne peuvent êlre autorisés que par
le mari seul : nous nous prononçons pour l'affir alive car, outre le caractère évidemment ~~e de
ces actes, ils présentent un intérêt moral qu'il est
j nsle de soumettre à l'approbation souveraine du
mari, saufle cas où celui-ci serait incapable.
Si le Code s'est montré difficile en matière d'autorisation pour la femme marchande publique, en revanche il accorde à celte autorisation une fois donnée
des efîe.ts plus étendus q"!le ceux qu'eJle produit ordinairement. Nos anciennes coutumes avaient déjà formulé pour la femme commerçanle des règles spéciales et lui accordaient, en ce qui concerne les acles
relatifs à son négoce, une capacité très-étendue. << La
femme, dit la Coutume de Paris, se peut obliger sans
�son mari, touchant le fàit et dépendance de la dl.te
marchandise. )) (Art. 235.) Ces principes du droit coutumier quejustifient la faveur accordée au commerce )
et la rapidité nécessaire à la conclusion des affaires
commerciales ont passé dans notre Code. (Art. 220
C. Nap., 5 et 7 C. Co.) Les termes employés par l'art.
220 ne sont pas très-;précis : il est inexact de dire que
la femme commerçante peut s'obliger sans l'autorisation de son mari ; ce qui est vrai, et c'est là qu'est
la dérogation à ia règle générale, c'est que l'autori-\
sation, une fois donnée par le mari, est valable pour I,
tous les actes commerciaux. La capacité de la femme
est alors très-étendue : elle peut s'obliger, engager,
hypothéquer, aliéner ses immeubles, sauf le respect
dû aux principes de !'inaliénabilité du fonds dotal. _,.
S'il y a communauté entre les époux, la femme marchande publique qui s'oblige oblige aussi son mari.
(Art. 1426.) Nous croyons cependant que cette règle
doit être appliquée avec modération: repoussant donc
la doctrine de l'ancien droit qui allait jusqu'à déclarer
le mari contraignable par corps quand l'obligation
souscrite par sa femme était exécutoire par celte voie,
nous pensons que la dette contractée par la femme
se partagera naturellement à la.dissolution de la communauté et que le payement de la moitié pourra seul
être réclamé au mari par les créanciers, car celui-ci
n'est en réalité engagé que comme chef de la
communauté. Ce système n'a pas été universellement ad op té ; quelques auteurs, loin de suivre
cetle opinion, enseignent même que le mari est responsable des engagements commerciaux de sa
femme sous le régime dotal quand il y a des para16
�,
- 242
phernaux : le mari étant usufruitier, di~ent-ils, pl'ofite des bénéfices que rapporte le commerce, il est
juste qu'il supporte les pertes qui en peuvent résulter. - La question revient à. savoir si les bénéfices
du commerce peuvent être considér~s comme des
fruits et ce caractère qu'on leur vent attribùer paraît
très ~ntestabJe. (Art. 1498.)
La femme commerçante n'est . pas relevée, par
l'autorisation générale de son mari, de toutes les incapacités qui la frappent en qualité de femme mariée.
Elle demeure toujours inca1)2-bl~ i;!'~ster en justice
(Art. 2<1.5) et cette décision nous paraît équitable, car
un procès n'est qu'un accident, aussi bien dans la vie
commerciale que dans la vie civile et la nécessité
d'une autorisation particulière dans cette hypothèse
ne semble pas de nature à pouvoir entraver le négoce
de la femme. L'art. 220 noùs dit d'ailleurs formellement .que si la femrrle'Peut s'obliger seule, sans l'assistance de son mari, c'est «pour ce qui concerne
son négoce ; » pour tout le reste, elle retombe sous
l'empire du droit commun. Il suit de là que, quand
op. a_!.!aq)le ~n acte souscrit ar une femme commerçante, il importe d'examiner avant tout si cet acte a
c~é ~on_gégoce La question est souvent fort
délicate : point de difficultés quand le caractère commercial sera indiqué par l'acte lui-même, par exemple,
si c'est une lettre de change, mais que décider si c'est
un acte juridique quelconque qui peut,' suivant les
circonstances, être ou non relatif au commerce·,
comme un emprunt, une hypothèque ou une vente
1
d'immeubles ? Y a-t-il ou non présomption de corn~
mercialité ?. Le fardeau de la preuve incombe·t-il à
l
.
�-
243 -
àù\
celui qui attaque l'acte comme n'étant point relatif
commerce ou à celui qui soutient la validité de cet \
acte en prétendant qu'il était commercial ? Cette question a donné lieu à de vives controverses 1 • Ceux qui
soutiennent la non commercialité de l'acte passé par
la femme font remarquer que la présomptiol;l_ de
commercialité n'a été écrite nulle part da~s nos lois
et qu'on doit d'autant moins l'admettre, en dehors
d'un texte for.mel, que la capacité de la femme marchande publique constitue une exception. L'exception ne se présume pas, c'est à celui qui l'invoque à
la prouver. Admettre la présomption de commercialité conduirait à un résultat absolument opposé à
celui qu'a poursuivi le législateur et qui est de faire
obtenir du crédit aux femmes commerçantes : les
Liers, en e.ITet, ne sachant quel parti la femme prendra ultérieurement qmmt à l'acte qu'elle aura passé
avec eux, et ne se sentant pas en sécurité, ne consentiront que difficilement à lraiter avec elle.
Nous repoussons ce système qui restreindrait singulièrement en pratique les avantages que la loi a
voulu faire à la femme commerçante et nous nous
prononçons pour la~ J?.résompgon de ~ommercialité.
A tous les arguments qu'il est 'fil.cile de déduire des
art. 220 C. Nap., 5 et 7 C. Co ., nous en ajouterons un
aulre tiré de l'art. 638 du Code de commerce. Il est
incont(jstable qu'en l'absence d'une disposition par1 Il importe de mettre en dehors de la discussion tous les actes,
même civils, que la femme aurait expressément déclarés, au moment du contrat, relatifs à son commerce . La femme étant marcl:umde publique, le tiers n'avait point à contrôler l'exactitude de
·
sa déclaration.
\Q
�~
244 -
/ ticulière la femme commerçante cloit être assimilée à
\ tout autre négociant, or, cet article 638 nous dit que
« les billets souscrits par un commerçant sont censés
souscrits pour les besoins de son commeree. » On a
voulu objecter que les présomptions légales sont de
droit étroit et qu'il faut éviter de les étendre, par
analogie,·cl'un cas à un autre. Cet argum.ent ne nous
paraît pas fondé ici , car le texte (le l'art 638, qui est
aussi général que possible, ne fait que consacrer,
dans une hypothèse spéciale, la règle de l'art. 7 du
même Code, en vertu de laquelle la femme mar/ chande publique peut aliéner et hypothéquer ses immeubles et, par suite, contracter valabltiment cles
.__ obligations. On a encore essayé de combattre l'argument que fournit, à l'appui du système de présomption de commercialité, l'article 638 du Code de commerce, en prétendant qÜe cêtarticle n'avait été die lé
que pour résoudre une pure question de compétence
et non une question ~e validité d'obligation. Nous ne
saisissons pas bien la portée de celle réponse : si la
I loi clit que tout acte passé par ;un commerçant sera
soumis, en cas de procès, à la juridiction commer{ ciale , n'est-ce pas dire formellerrl'ent que cet acte est
réputé acte de commerce?
Nous croyons donc que, jusqu'à preuve contraire,
t.Qut acte passé par une femme marchande p~b.!!_9.~
doit être réputé fait dans l'intérêt de son négoce et
nous repoussons également le système mixte proposé
par M. Toullier qui, s'appuyant uniquement sur
l'art. 638, établit une distinclion assez peu justifiée,
à notre avis, enlre les billets el tous les autres actes.
Nous n'hésitons point à dénier à la femme qui a
--
�.-
245 -
recu l'aut011>isation de faire un commerce déterminé,
le droit de se livrer à un autre genre d'affaires ; ce )
serait en effet donner aux dispositions de la loi une
extension qu'elles ne comportent pas. Des difficultés
se sont élevées sur le point de savoir si la femme commerçante pouvait s'associer des étrangers, et surtout
former avec eux ou avec son mari une société en nom
collectif. Nous ne voyons aucun motif raisonnable de
lui refuser cette faculté, pourvu bien entendu que ces
associations ne constituent pas, en réalité, un changemènt de commerce ou des modifications du contrat
de mariage ou une violation des règles édictées dans
les art. '1388 et suivants.
Telles sont les règles que nous avions à exposer sur
la condition civile de la femme mariée ; bien que nous
ayions eu à signaler çà et là, dans notre étude, quelques traces laissées dans nolre législation· par l'ancie1me théorie de la fi·agilitas sexûs, il est certain que
le respect dû à la puissance maritale est aujourd'hui
le fondement principal de l'incapacité de l'épouse. Si
nous voulons résumer cette discussion aéjà longue,
nous dirons que la femme mariée teuj ours incapable
d'aliéner sans autorisation spéciale, hors le cas où
elle est marchande publique, peut recevoir, par suite
des dispositions du contrat de mariage, des pouvoirs
d'administration plus ou moins étendus.
La loi reconnaissant à la femme une certaine capacité naturelle que l'état de mariage ne peut diminuer,
lui a refusé certaines protections que sa prétendue
faiblesse lur avait fait accorder clans certaines coutumes. Nous avons déjà signalé l'a"Qolition du douaire,
mentionnons celle du gain légal de survie :-les con~
�-
246 -
venLions matrimoniales peuventd'ailleurs reconnaître
à la femme le droit de reprendre en cas de renonciation à la communauté, son apport franc et quitte et
même stipuler un préciput en sa faveur. En fait, le
contrat de mariage contient presque toujours des do:
(
nations faites par les ascendants ou par des tiers aux
époux, ou par l'un des époux à l'autre. Le Code a dû
régler aussi cette matière des donations entre époux
par contrat de mariage, ou pendant le mariage, matière qui a subi tant de vicissitudes clans les législations précédentes. Les pays de droit écrit suivirent
le dernier état du droit romain, mais les pays coutumiers prohibèrent les donations entre époux, même
testameiÎtaires, tant ils redoutaient que l'affection mutuelle des époux ne les déterminât à dépouiller leurs
proches d'une partie de la fortune qui devait leur revenir un jour. Us n'autorisèrent que le don mutuel
,en le restreignant aux meubles et aux acquêts et sous
la condition qu'il n'y eût pas d'enfap.ts issus du mariage . La loi du 17 nivôse an li abro.gea l'ancien droit
et fit rentrer dan~ la classe commune des donations
celles faites par contrat de mariage ou pendant le
maria'ge de sorte qu'elles devinrent irrévocables: en
fait, le danger n'était pas bien grand pour la famille
puisque la quotité disponible était réduite au dixième
ou au sixième des bièns. Nous n'avons point à étudier
la législatioÏÎdu Code sur cette matière spéciale des
donations entre époux, nous nous contenterons de
dire que tout en les permettant, il les déclare e,aSfil!:_
tiellement révocables et de citer l'art. 1094 qui leur impose une sage 1imitation : cc L'époux pourra, soit par
contrat de mariage, soit pendant le mariage, et pour
---
�-
247
le cas où il ne lai:;serait point d'enfanls ni de descendants, disposer en faveur de l'autre évoux, en propriété, de tout ce dont tl pourrait disposer en faveur
d'un étranger, et, en outre, de l'usufruit de la ~ota
lité de la portion dont la loi prohibe la disposition au
préjudice des héritiers. - Et, pour le cas où l'époux
donateur laisserait des enfants ou descendants, ·il
pourra donner à 1'.autre époux ou un quart en propriéte et un autre quart en usufruit, ou la moitié de
Lous ses biens en usufruit seulement. »
Rappelons enfin que la femme n'a besoin d'aucune
autorisation pour révoquer les libéralités qu'elle a
faites à son mari pendant le mariage.
Il nous reste, pour terminer notre étude, à dire
quelques mots de la condition dans fa.quelle se trouve
la femme veuve, et des incapacités particulières qui
la frappent quand elle s'engage dans les liens d'un
nouveau mariage.
CHAPITRE III.
La femme veuve. - Incapacités particulières à la
femme remariée.
Le CodeJ avons-nous dit tout à l'heure, s'écartant
des précédents du droit romain et du droit coutu mier, a refusé à la veuve tout gain de survie ~ne
l'a appelée à la succession de son conjoint qu'en l'absence de parents- au degré successible, et ~nts
n~s. (A1~.) A Rome, nous avons Ç-éjà signalé
�-
\
248 -
sous le droit prétorien l'institution de la possession
de biens unde vù· et ·uxoi·, et, sous la législation impé1 riale, celle beaucoup plus efficace de la quarte du
conjoint pauvre. L'ancien droit; français s'était engagé
plus avant dans cette voie libérale : les pays de droit
écrit non contents d'admettre ici la quarte du dr'oit
romain inventèrent au profit du conjoint survivant
1 des gains légaux de survie : l'augment de dot per/ mettait à la veuve de prendre dans Tes biens clu mari
une part proportionnelle à l'imporlance de la dot, le
contre-argument attribuait au mari survivant sur la
dot de sa femme un droit analogue. L'institution de la
communauté et surtout celle du douaire, dans les
pays coutumiers, assuraient à la femme survivante un
veuvage décent. Le Code a aboli tous ces "Qrécéclents
et, à part quelques droits insignifiants de viduité, il
laisse les gains de survie entre époux dans le domaine des conventions et des dispositions testamentaires. Aujourd'hui la veuve, reléguée au dernier
échelon dans l'ordre ~éréditaire, après tous les parents
fegi1in1e$jusqu'àii douzième degré, après les parents
naturels, ne succède à son mari décédé que s'il est impossible de trouver à celui-ci un autre successeur que
le fisc, et ce droit, on le conçoit aisément, est le plus
s0uvent illusoire. Aussi n'est-il pas rare de voir des
femmes qui ont occupé, pendant le mariage, une situation honorée et indépendante dans la société réduites par le veuvage à la gêne et à la misère alors
que l'âge et les infirmités les mettent parfois dans
l'impossibilité de subvenir elles-mêmes à leurs besoins - résultat d'autant plus injuste que la femme
a souvent contribué, par sadili~et son économie,
�-
240 -
à grossir le pâlrimoine du ménage, que vont peul·
être se partager des collatéraux avides ou indifférents. Qu'on ne vienne pas dire que les époux, en
adoptant le régime de lq. communauté, préviendront
suffisamment ces inconvénients, car, outre que le
Code ne peut imposer ce régime matrimonial, on sait
que la renonciation est souvent le seùl droit appréciable qui reste à la femme à la dissolution de la communauté. On objecte e'hcore que le mari peut faire à
son épouse des donations entre vifs ou testamentaires
et suppléer ainsi à l'insuffisance de la ·loi : l'homme
éprouve une répugnance invincible à se dépouiller de
ses biens de son vivant et même à en régler la transmission, tant l'idée de la mort lui est insupportable,
aussi arrivera+il fréquem_m ent que la mort le surprendra avant qu'il ait pris les dispositions que depuis longtemps il avait mûries et arrêtées. D~~pro ··
testalions presque unanimes se sont élevées, depuis
plus d'un demi-siècle, contre la rigueur du législateur de 1804 enyers le conjoint survivant, rigueur
d'ailleurs contraire au principe d'après lequel les hérédités ab intestat sont transmises d'après l'affection
• présumée du défunt 1 • Aussi, dès 1851, un projet de
réforme que les événements politiques empêchèrent
dlaboutir, fut présenté par plusieurs députés à l'Assemblée législative. Le législateur moderne a sais1
avec empressement les occasions qui se sont pré1 Si l'on en croit les procès-verbaux de la discussion des articles du Code, cette extrême rigueur envers la veuve survivante
fut involontaire de la part des rédacteurs qui, par une méprise an
moins singulière, s'imaginèrent l'avoir pourvue d'un usufruit daqs
l'arLicle 754 qui se réfère à une situation toute dill'éreµte,
l
�- 250 sentées cl' entrer dans une voie nouvelle et d'améliorer
la condition de la veuve. C'est ainsi que la loi dù 14
juillet :1.866 sur la propriété artistique .et littéraire - a
'àëcordé au conjoint survivant, (( quel que soit le
régime matrimonial et indépendamment des droits
qui peuvent résulter en faveur de ce conjoint du régime de la communauté )) la jouissance pendant cin~
quante ans des droits dont l'auteun prédécéclé n'a pas
disposé par acte. entre vifs où par testament, sauf,
dans le cas où l'auteur laisse des héritiers à réserve,
réduction de cette jouissance étant alors faite suivant
les proportions et distinctions établies par les art.
913 et 9:1.5 du Code civil. Plus récemment encore, la
loi du 25 ~E :1.873, sur la condition des déportés en
NÜUvelle-Calédonie, a édicté, en faveur de la femme
du déporté, dem~urant avec lui, des dispositions nouvelles. Après avoir établi que les déportés recevront
des concessions provisoires de terres qui, au bout de
cinq ans, seront reconnues définitives, cette loi autorise la veuve, en cas de prédécès du titulaire d'une
concession provisoire, à continuer la possession et à
devenir propriétaire à l'expiration du délai qui restait~ courir. En outre, en l'absence d'enfants légitimes ou autres descendants, la veuve habitant avec
son mari succède à la moitié en propriété tant de la
concession que des autres biens que le déporlé aura
acquis dans la colonie. En cas d'existence d'enfants
légitimes ou autres descendants, le droit de la femme
est d'un tiers en usufruit. (Art. :1.1 et 13.)
( Enfin, à l'Assemblée nationale, M. ~a présenté
( un important projet de J9i tendant à accorder à
l'époux survivant la :moitié des biens laissés par son
�25L -
conjoint s'il 'exisle que des collatéraux au delà clu
sixième degré, et, clans tous les autres cas, un droit
en usufruit seulement dont la quotité varie suivant la
qualité des héritiefs appelés à recueillir la succession
du conjoint décédé 1 • Ce droit s'éteindrait naturellement par la séparalion de corps prononcée contre
l'époux et par le convol. Ce projet favorablement accueilli par la commission d'initialive parlementaire
et par la commission spéciale cfargée du rapport,
sera sans cloute repris et développé par la Chambre
des députés et il y a lieu d'espérer que cette partie incomplète de notre législation recevra bientôt une /
réforme salutaire.
Au point de vue dL1 droit civil, la femme devenue veuve reprend la capacilé complète qu'elle
avait avant son mariage et elle devient libre de ratifier les engagements qu'elle avait contractés durant
l'union conjugale sans l'autorisation de son mari.
Elle est de plein droit tutrice de-ses enfants mineurs,
et l'exercice de la puissance paternelle lui est dévolu.
Mais la situation change complétemenl en cas .de
nouveau mariage de la veuve. Nous ayons eu occa• sion de dire avec quelle défaveur étaient vues les
secondes unions à Rome et dans l'ancien droit. Le
Code civil, cherchant à garder un juste milieu., n'a
voulu ni encourager, ni proscrire les secondes noces,
1 Voici les quotités que M. Delsol, dans son projet, propose
d'altribuer en usufruit à l'époux survivant en pré ence de parents
plus proches que les collatéraux du sixième degré : la J:?Oitié s'il
n'existe pas d'enfant; un quart au moins, un e part d'enfant au plus,
R'il existe des enfants communs; une part d'enfant le moins I!renant, sans pouvoir excéder le quart, s'il exis~e des enfants issus
•
d'un précédent mariage,
�-
252 ..:-
( mais la nécessité où il s'est trouvé de prendre la dé1 fense des enfants du premier lit et de sauvegardet'
leurs intérêts l'a amené à édicter certaines incapacités
particulières dont nous dirons quelques mots. La
~pe peut d'abord se remarier qu'après l'expiration d'un délai de dix mois et cette règle n'a pas
uniquement pour but, comme on l'a prétendu, d'éviter une confusion de 'p art, car quatre mois auraient
suffi pour écartert~ute incertitude puisqu'aux termes
de l'article 312 les gestations les plus longues sont do
trois cents jours et les plus courtes de cent-quatrevingts, elle est encore fondée sur une pens~e de
décence. et de morale. Nous en conclurons que la
veuve qui accouche après le .décès de son mari n'en
est pas moins tenue d'attendre, pour se remarier, le
délai réglementaire de dix mois. La prohibition de la
loi n'est d'ailleurs plus sanctionnée, comme elle l'était
autrefois, par des déchéances pécuniaires et_par la note
d'infamie. Le mariage ainsi contracté résle valable :
l~Îficier de l'état-civil qui a consenti à le célébrer est
senl puni d'une amende de seize francs à trois cents
francs. (Code p~nal, art. 194.) Par l'effet du second mariage, la veuve _perclle droitge réclamer des aliments
à ses gendres et belles-fùles auxquels, à notre avis, elle '
continue néanmoins à en devoir. Si la loi, en effet, a
déclaré la veuve remariée déchue de la pension a1imentaire, c'est qu'elle a craint que cette pension ne fût
absorbée par le second mari, administrateur des biens
de la femme, motif qui n'existe pas pour les gendres
et les belles-filles. 'La femme remariée percl aussi
l'ex.ercice du droit d~correction sur se~ enfants. (Argl.
à contrario de l'article 381.) Le législateur a craint en.-
�-
253 -
cote que, soû!l l'influence du second mari, la femme
ne conservât pas toute son affection et toute son indépendance vis-à-vis des enfants du premier lit. Le même)
motif explique également l'art. 386 qui prive la mère remaTiée de l'usufruit légal sur les biens de ses enfants.
La loi n'a pas voulu que la veuve pùt porter dans
une autre famille les Tevenus des enfants du premier
lit et enrichir son nouvel époux à leurs dépens ; cette
crainte était d'autant plus justifiée que, sous la plupaTt
des régimes matrimoniaux, le mari a l'administration
et la jouissance des revenus de la femme. C'est encore
à cette idée de protection des enfants qu'il faut ratta- '
cher la disposition de l'article 395 qui décide que la )
mère remariée ne pourra conserver la tutelle de ses
enfants mineurs qu'avec l'assentiment du conseil de /
famille:qu'elle devra convoquer à ceteffet.1Sila femme
néglige de remplir celle formalité, elle est déchue de
la tutelle . Le conseil de famille peut retirer la tutelle
à la mère s'il craint que la faiblesse de celle-ci, en
présence de son secon~ mari, ne soit préjudiciaple
aux enfants et, s'il use de cette faculté, la mère se
trouve privée du droit de nommer à ses enfants un
tuteur testamentaire. Remarquons d'ailleurs que,
même au cas où la veuve remariée est maintenue
dans la tutelle, le droit qui lui était accordé comme
mère de nommer un tuteur testamentaire à ses en•
fanLs subit une impol'tanteres~n: la désignation
qu'elle aura faite ne sera valable qu'après avoir été
approuvée par le conseil de famille . Enfin, la loi qui
s'est défiée de l'entraînement irréfléchi qui pourrait
porter la femme à gratifier son nouveau conjoint a
sagement limité, en cas de second mariage, les clona-
-
�-
254 -
tions ent_re époux dans l'ar'ticle ·1098 : « L'homme ou
la femme qui, ayant des· enfants d'un autre lit, contractera un second ou subséquent mariage, ne pourra
donner à son nouvel époux qu'une part d'enfant
légitime le moins prenant et sans que, dans aucun
cas , ces donations puissent excéder le quart des
biens. >>
Toutes ces dispositions nous indiquent la véritable
pensée du législateur : les incapacités particulières
que nous venons de citer n'ont plus, comme autrefois, pour origine une défaveur attachée aux seconds
mariages, mais une idée de protection en faveur des
enfants du premier lit don(les intérêts pourraient
être compromis par la faiblesse d'une mère chez
laquelle l'amour µiaternel ne saurait peut-être pas
tempérer l'amour conjugal. Ce qui nous prouve encore que tel est le véritable motif qui a inspiré le législateur, ç,'est que nous le voyons précisément accorder à la femme remariée clans l'art. 1555, et dans
l'intérêt des enfants du premier lit, ~me capacité
,exceptionnelle : il l'autorise à aliéner, avec la seule
autorisation de justice, ses biens dotaux pour l'établissement des enfants qu'elle a eus d'une précédei;i.te
union. Il était à craindre, en effet, que la résistance
du beau-père à la volonté de sa femme fût le résultat
d'un calcul intéressé, il importait que la justice fût
appelée à donner un avis impartial.
En résumé, le législateur laisse aux femmes, quant
aux seconds mariages, la liberté la plus entière, il s'est
borné à édicter quelques dispositions nécessaires
quant au:s. biens et quii nous croyons avoir suffisam~
ment justifiées, et il a abandonné avec raison au do•
�maine de la c~nscience la question de moralité d 1une
~econde union.
Nous avons essayé, dans cette longue étude, de
recherche!, à t~avers les siècles, les progrès qui se
sont accomplis dans la conditi.on de la femme et qui,
après avoir amené son éma_ncipation matérielle à
Rome, son émancipation morale en France par le
christianisme, ont enfin conduit à reconnaître dans le
droit actuel, l'égalité des sexes. Absolue en ce qui
touche la fille, cette égalité a subi, quant à la femme
mariée, certaines restrictions que nous avons expliquées par le respect dû à la puissance maritale et les
besoip.s de la société . Qu'il nous soit permis, en terminant, d'émettre le vœu de voir quelques réformes
introduites dans la capacité de la femme mariée ; nous
avons signalé, au cours de ce travail, certaines prescriptions de la loi qui ne nous paraissent plus en harmonie complète avec les idées actuelles. Le Code italien, en grande partie copié sur le nôtre, est entré,
sous le rapport de l'autorisation maritale, dans une
voie de réformes heureuses et il se montre en général
moins défiant de la faiblesse de la femme, lui permet·
tant d'agir sans aucune autorisation, en cas d'incapa·
cilé du mari, et même d'aliéner ses immeubles dotaux
avec l'autorisation de la, justice.
Sans oser suivre jusqu'au bout M. Gide dans les
réformes peut-être un peu hardies quql propose, nous
dirons qu'il nous semblerait logique et équitable d'af·
franchir la femme de tonte formalité lorsque le mari
est dans une de ces siluations qui le rendent incapable
d'autoriser et de lui retirer toute aclion en nullité
quand ce dernier a ratifié, soit expressément, soit Laci-
)
�-
256 -
tement, l'acte qu'elle a passé. S'il importe de respecter
le magnifique monument de nos codes demeuré seul
debout au milieu des agitations politiques et de n'y
toucher qu'avec crainte, il ne faut pas oublier non
• plus que, depuis sa création, le monde a toujours été
en progressant et qu'il est impossible de l'arrêter clans
sa marche, car le progrès est la condition même
d'existence de la société.
(
�..
POSITIONS.
DROIT ROMAIN.
1. La filiafamilias est, à Rome, civilement obligéé
par ses contrats.
II. Le mariage nul pour défaut d'âge légal de la
jeune fille équivaut à fiançailles et en produit tous les
effets.
III. Le jus libero1·um ne donnait pas à la femme le
jus caduca vindicandz'.
IV. Ce n'est que sous Justinien que la mère acquit
le droit de succéder sans condition à ses enfants. Cette
opinion permet la conciliation de la loi 3 du Code
Théodosien, dejiwe lz'be1·01>itm, et 2 au Code de Justinien,
eodem atulo, qui paraissent contradictoires.
V. A partir de Justinien, les biens compris dans le
pécule castrens sont, à la mort du fils décédé sans
postérité, attribués au père jui·e successz'oms.
DROIT CIVIL.
l. La ratification par le mari de l'acte que la femme
a passé sans son autorisation n 'enlève pas à celle-ci
son action en nullité.
�-
258 -
II. Le donateur n'a pas qualité pour se prévaloir de
la mùlité de la donation entre vifs acceptée par la
femme sans autorisation.
III. La mère qui a refusé la tutelle légale de ses en~
fants conserve le droit de leur nommer un tuteur testamentaire.
IV. La dissolution du second mariage par la mort
du mari, ou mêmè par une déclaration de nullité, ne
fait pas revivre au profit de la mère l'usufruit légal
perdu par le convol.
V. L'action en réduction de l'art 1098 du Code civil
. he peut être exercée par les enfants communs en cas
d'inaction des enfants du premier lit.
PROCÉDURE ClVILE ET LÉGISLATION CRIMINF.LLE.
I. Celui qui est à la fois créancier et débiteur d'une
même personne peut, pour sûreté de ce qui lui est
dû, former, sur ce qu'il doit lui-même, une saisi~
arrêt entre ses propres mains.
II. L'ordonnance de référé par laquelle le président
du tribunal autorise une saisie-arrêt n'est susceptible
d'aucun ree6urs.
III. L'article 365 du Code d'instruction criminelle
s'applique devant les tribunaux correctionnels.
IV. L'admission de l'excuse légale n'empêche pas le
bénéfice des circonstances atténuanle, mais c'est à la
Cour et non au jury qu'il appartient çle se prononcer
sur leur admission.
V. Le mari condamné à une peine infamante per·
pétuelle conserve le droil d'autorisation maritale.
�-
21'i9 -
t~ .
lJllOlT AUl\llNISTHATll" .
I. Les projets, plans et devis des travaux à effectuer
sur les chemins vicinaux ordinaires doivent être approuvés par le préfet et non par la commission déparLemenlale.
II. C'est au conseil de préfecture qu'il appartient
de fafre cesser les anticipations ou usurpalions commises sur les chemins vicinaux, mais c'est au tribunal
de simple police qu'est réservé le droit de prononcer
l'amende encourue.
III. Le Procureur de la République doit être considéré comme un dépositaire de l'autorité publique rentrant clans la classe de ceux auxquels le décret de ,
1852 a reconnu le droit d'adresser aux journaux des
communiqués.
IV. Les ministres du culte ne peuvent être considérés comme des fonctionnaires publics ; les délits de
diffamation et cl'outrage commis envers eux par la
voie de la presse demeurent justiciables des tribunaux
correctionnels.
Vu:
Aix , le 22 décembre i876.
Le doyen de la Faculté, président de la thèse,
CARLES.
Permis d'imprimer :
Le Recteui· de l'Académie,
Cu. ZÉVORî,
��TABLE DES MATIÈRES.
Pa ges .
INTRODUCTION.
1
PREMIÈRE PARTIE.
La· Femme· Romaine.
Organisation de la famille dans l'antique Rome.
La femme dans la famille paternelle.
La femme sous la tutelle perpétuelle.
La femme dans le mariage.
T. Manus . . .
SECTION
SEC'flON Il. Mariage libre. . . . .
. . . .
SECTION III. Concubinat.
CHAPITB.E V. La femme sous la législation d'Auguste et de
ses successeurs.. . . . . . . . . " .
CHAPITRE VI. La femme so us les emp ereurs chrétiens et
sous Justinien.
APPENDICE I. L'esclave.
II. L'affranchi e.
III. L'étran gère.
CHAPITRE l.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPJTRE IV.
H
15
22
28
30
40
4~
52
77
92
96
98
DEUXIÈME PARTIE.
La Femme Française.
CHAPITRE
I. La femme so us le droit germunique.
§ 1. Fille de famille.
§ II. Femme mariée . . . . . .
i04
i04
1i~
�-
262 -
CHAPITRE Il . La femme sous la période féodale et coutumière. . . . . . . . . . . . . .
SECTION I. § I. Coup d'œil général sur l'époque de la
féodalité. . . . . . . .
§ II. Fille de famille . . . . ,
§ III. Fille serve, fille roturière.
SECTION 11. La femme mariée. . . . . .
§ I. Le mariage à l'époque féodale.
§ Il. Puissance maritale: . . . .
. . . . .
§ III .. Communauté.
§ IV. Du douaire et des garanties accordés
. . . . . . .
à la femme mariée.
CHAPITRE m. La femme dans les pays du fllidi. - Fusion
ùes di'lers éléments du droit français sous
l'influence du droit canonicrue et des ordonnances royales. . . . . . . .
CHAPITRE IV, La femme sous le droit intermUdiaire
tH
H'•
H7
·123
125
125
1.31
13'•
HO
141>
153
TROISIÈME PARTIE.
La Femme Contemporaine.
La fille de famille. . . • . .
La femme mariée. . . . . . .
I. Sa condition quant à sa personne.
Il .· Sa condition quant aux biens. · .
§ 1. Fondement et légitimité de l'mcapacité
de la femme mariée. . . . . . . .
§ Il. Etendue de l'incapacité de la femme
mariée.. . . . . . . . . . . . •
§ III. Inlluence ·de la séparation de biens
sur l'incapacité de la femme mariée.
§ lV. De l'autorisation exigée pour relever
la femme de $OU incapacité. . . . . .
§V. Effets de l'incapacité de la femme mariée.
§ VI. Situation particulière de la femme
marchande publique. . . . . . . .
CHAPITRE Ill. La femme veuve. - Incapacités particulières
à la femme remariée.
POSITlONS.
CHAPITRE 1.
CHAPJTRE Il.
SECTlON
SECTlON
ANGERS, H!)P, !'. LACHÈSE , BELLEUVRI! ET DOLBEAU.
Hi6
1.61
161
177
180
187
205
217
230
~38
247
257
��
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Femme (La) dans la société et dans la famille aux diverses époques du droit romain et du droit français : thèse présentée et soutenue en [mars 1877]
Subject
The topic of the resource
Droit privé
Droit romain
Description
An account of the resource
Du statut d'esclave à la pleine capacité de sa personne et de ses biens, la condition et le rôle des femmes à travers les différents systèmes juridiques depuis l'antiquité
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pinot, Octave
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-101
Publisher
An entity responsible for making the resource available
P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau (Angers)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234730307
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-101_Pinot_Femme_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
262 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/365
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1877
Notes : La thèse porte : Angers (13, Chaussée Saint-Pierre) : P. Lachèse, Belleuvre et Dolbeau, Imprimeurs, 1877
L'auteur suit un plan chronologique pour développer sa conviction : la France est "le pays privilégié" où s'est réalisée, après de longs siècles d'élaboration, l’émancipation de la femme. Désormais, "l'égalité des sexes est la base fondamentale du droit français". Les incapacités de la femme mariée sont justifiés par les avantages qu'en retire la famille et la société, et compensés par la "dignité du titre d'épouse". L'auteur exprime toutefois des réserves à l'égard de l'article 215 du Code civil et déplore que les droits successoraux de la veuve soient moindres que sous l'Ancien Régime.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Famille -- Droit -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Femmes -- Statut juridique -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Femmes -- Statut juridique (droit romain)
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/444/FR_MMSH_MDQ_DRMUS_MG_013.pdf
6b6ded9024cc636f49caea66b9e7707f
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Maghreb. 18..
Mashreq. 18..
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Perron, Nicolas (1798-1876)
Clerc, Alfred. Éditeur scientifique
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1865 (ms)
1877
Description
An account of the resource
Futur article d'une encyclopédie, cette brève histoire de l'islamisme se veut indispensable pour comprendre l'Orient et les pays musulmans où les institutions religieuses et politiques sont modelées par la religion.
V-127 p.
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
V-127 p.
17 cm
Language
A language of the resource
fre
Publisher
An entity responsible for making the resource available
E. Leroux (Paris)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/096682787
Notice du catalogue : https://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/idurl/1/16846
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/FR_MMSH_MDQ_DRMUS_MG_013_000001.jpg
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Source
A related resource from which the described resource is derived
Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (Aix-en-Provence), cote YP-263
Subject
The topic of the resource
Islam
Droit musulman
Title
A name given to the resource
islamisme : son institution, son influence et son avenir (L') / par le Dr Perron ; ouvrage posthume publié et annoté par son neveu, Alfred Clerc,...
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/444
https://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/idurl/1/16846
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
islamisme (L') : son institution, son influence et son avenir / par le Dr Perron ; ouvrage posthume publié et annoté par son neveu Alfred Clerc, interprète principal de l'armée d'Afrique
Abstract
A summary of the resource.
Appartient à la collection : Bibliothèque orientale elzévirienne, n° 15<br /><br />Initialement rédigé pour une vaste encyclopédie sur le société moderne qui ne verra jamais le jour (décès de son responsable éditorial), ce manuscrit écrit en 1865 a été publié à titre posthume par le neveu de l'auteur, Nicolas Perron en 1877, juste après la mort de son oncle l'année précédente et l'avoir découvert dans des cartions du défunt.<br /><br />Le but de N. Perron était de dresser une brève histoire de l'islamisme (primitivement, il s'agit d'un simple article), sa place dans les sociétés modernes, tel qu'il pouvait lui-même l'observer en ce milieu du 19e siècle. Après avoir passé près de 20 ans dans des pays musulmans, Perron met l'accent sur le poids de la religion dans les institutions et la politique intérieure comme extérieures dans les sociétés musulmanes.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH Aix-en-Provence)
Islam -- Étude et enseignement
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/471/BU-Rennes1-62085_Pieyre_Senatusconsulte.pdf
3de47bbaa5cc2c4bccdcb80b063bbcc7
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Du sénatusconsulte velléien en droit romain. De la constitution de dot sous le régime dotal, de sa nature et de ses effets quant à l'inaliénabilité et à l'imprescriptibilité des biens dotaux en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pieyre, Jean-Edmond-Alfred
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de Droit-Économie-Gestion (SCD - Université de Rennes 1), cote 62085
Publisher
An entity responsible for making the resource available
F. Pichon (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/242911684
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BU-Rennes1-62085_Pieyre_Senatusconsulte_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
263 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/471
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque de Droit-Économie-Gestion de Rennes 1
Subject
The topic of the resource
Droit des successions
Successions et héritages
Description
An account of the resource
Sous le régime dotal, la dot est assujettie à des règles bien particulières, notamment celle de l'inaliénabilité de la partie mobilière apportée par l'épouse lors du mariage
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la constitution de dot sous le régime dotal, de sa nature et de ses effets quant à l'inaliénabilité et à l'imprescriptibilité des biens dotaux en droit françai (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1877
Dot -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Famille -- Droit -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Sénatus-consultes (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1009/BUSC-11816_Coquand_Rapport-Faculte-med.pdf
cffcf68bbbfe91aa20115c4e054a654a
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Ville de Marseille. Rapport sur la création d'une faculté de médecine de Marseille, présenté au Conseil municipal par M. Henri Coquand. Séance du 23 mars 1877
Subject
The topic of the resource
Histoire de l'université
Médecine
Enseignement supérieur
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Coquand, Henri (1813-1881). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote BUSC 11816 (Réserve)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
impr. Gravière fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/091335043
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-11816_Coquand_Rapport-Faculte-med_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
38 p.
In-8°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1009
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Rapport signé : Marseille, le 22 mars 1877, H. Coquand, ancien professeur des Sciences à Marseille<br /><br />Tous les scientifiques ne sont pas sectaires : c'est à H. Croquant, g<span class="detail_value"><span class="detail_value">éologue et paléontologue, ancien professeur à la Faculté des sciences de Marseille (nommé en 1861) que la Commission des sciences et des arts demande de rédiger un rapport sur le projet de transformation de l'<span>É</span>cole de plein exercice en Faculté mixte de médecine et de pharmacie. Un choix peu dérangeant quand on se souvient que médecine et sciences étaient très proches à l'époque, travaillant sur des sujets communs (en lien avec la pharmacologie, ce sont les médecins qui entretiennent les serres, outils des botanistes...). <br /><br />Pourquoi un tel rapport : créées par décret en 1875, les <span>É</span>coles de Médecine et de Pharmacie de plein exercice n'ont pas le droit d'organiser certains examens de fin d'année (1). Les professeurs de l'<span>É</span>cole de Marseille qui estiment que la ville est mal récompensée de son engagement dans la santé publique et la recherche médicale demandent un modification de ce décret (la question de la création de nouvelles Facultés de médecine [en province] a déjà fait l'objet d'un débat national).<br /><br /><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/50169_Annales-Ecole-exercice_1891.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></span></span>
<div style="text-align: center;"><em>Les Annales de l'École de médecine de Marseille, subventionée par la Ville, crée en 1891 (3)<br /></em></div>
<span class="detail_value"><br />H. Croquant expose sans détour le double enjeu : financier pour la ville et scientifique pour les médecins. Et de rappeler que la France manque de professionnels de santé : 1 médecin pour 3 353 habitants. Un déficit déjà notoire (nous sommes en 1875...) avec pour effet des problèmes de santé publique et une recherche médicale insuffisante *. <br /><br />Habile, Croquant souligne que cette misère accable aussi les Facultés de Paris et de Montpellier (ses rivales bien connues !). En 1874, un rapport de Paul Bert avait déjà conclu à la nécessité de créer deux nouvelles facultés dont le siège pourrait être (ordre de préférence) à Bordeaux, Lyon, Toulouse, Lille, Nantes ou... Marseille. Toutes ces villes étant demandeuses. Non seulement Marseille arrive en dernier mais, selon le rapport, elle serait une "redoutable concurrente" à Montpellier. Après une visite bâclée, des conclusions hâtives, contradictoires et injustes destinées à ostraciser Marseille, alors que tout plaide en sa faveur (tradition médicale - notamment en anatomie, population nombreuse, bassin de recrutement et d'emplois médicaux, taille des infrastructures, une Faculté des Sciences, un Musuem d'histoire naturelle, etc.).<br /><br />Malgré ce plaidoyer de près de 40 pages, Marseille devra attendre 1930 et 70 ans de blocage financier, pour que l'<span>É</span>tat crée la Faculté de médecine qui s'installera au Palais du Pharo (643).<br /><br />1. Lettre adressée à M. le Ministre de l'Instruction publique par l'<span>É</span>cole de Médecine et de Pharmacie de plein exercice de Marseille à propos du Décret du 20 Juin 1878 - <a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/506" target="_blank" rel="noopener"><em>Odyssée</em></a> <br />* Selon la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Ministère de la Santé), la densité normalisée de médecins en France était de 318 praticiens pour 100 000 habitants en 2021 était jugée dificitaire (10 fois celle du 19e siècle)<br />2. Annales de l'École de plein exercice de médecine et de pharmacie de Marseille - <em><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/293." target="_blank" rel="noopener">Odyssée</a></em><br />3. La Faculté de Médecine Générale et Coloniale et de Pharmacie de Marseille - <em><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/643" target="_blank" rel="noopener">Odyssée</a></em><br /></span>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Description
An account of the resource
La France manque de médecins et ne fait pas assez de recherche médicale : Il faut donc créer des Facultés. Marseille ne demande que cela et répond à tous les critères. Mais tout le monde ne partage pas cet avis. De la concurrence à la désillusion...
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1020/BUSC-10868_Aoust_LeVerrier-vie-travaux.pdf
1e834674ea63b62b497926d2c315986a
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Le Verrier, sa vie, ses travaux / par M. l'abbé Aoust,... lecture faite à l'Académie (des sciences de Marseille) dans la séance du 6 décembre 1877
Subject
The topic of the resource
Astronomie
Histoire de l'université
Biographie
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Aoust, Barthélémy (1814-1885). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote BUSC 10868 (Réserve - Fonds local)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Barlatier-Feissat père et fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/09125826X
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-10868_Aoust_LeVerrier-vie-travaux_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
48 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1020
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Paris. 18..
Marseille. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Abstract
A summary of the resource.
L'Abbé Aoust n'est pas un ingrat : dans l'hommage qu'il rend à Urbain Le Verrier, l'astronome qui vient de disparaître à 71 ans, il rappelle qu'il a été son maître, son ami et son bienfaiteur. D'abord passionné de chimie, la vie de Le Verrier prend un nouveau tournant lorsqu'il est nommé répétiteur d'astronomie à l'École Polytechnique de Paris. <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Le-Verrier_1811-1877.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Urbain Jean-Joseph Le Verrier (1811-1877)</em></div>
<br />Sur les traces de Newton, ses travaux portent d'abord sur le problème des interactions réciproques qu'exercent les planètes les unes sur les autres et la question problématique de la stabilité du monde en prise avec l'attraction universelle (stabilité à laquelle Newton ne croît pas). Pour le Verrier, la solution énoncée par Laplace n'est valide que si toutes les constantes qu'elle présuppose sont numériquement calculées, ce qu'il parvient à faire en 1840, démontrant ainsi l'hypothétique stabilité.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/LeVerrier-calculs-Uranus.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Verrier - calculs de la position de Neptune (manuscrit, 1845)</em></div>
<br />Poursuivant ses travaux, il propose en 1843 de nouvelles tables de Mercure basées sur des observations plus précises, tables que le passage suivant de la planète devant le soleil confirmera. Le reste de sa vie, il continuera en tâche de fond à recalculer et rectifier la théorie et les tables des autres planètes du système solaire (Mercure, Vénus, Mars, ...).<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Uranus.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Verrier n'a jamais vu Neptune, la géante de glace (7ème planète du système solaire)</em></div>
<br />Mais le nom de Le Verrier restera attaché à sa découverte majeure annoncée en 1845 à l'Académie devant les astronomes septiques : l'existence de Neptune, sa masse et sa position dans l'espace, une prédiction qui ne doit rien aux télescopes mais aux calculs des inégalités d'Uranus (différence entre positions théoriques et positions physiques, le calcul s'appuie indirectement sur des observations). Galle, astronome à Berlin, observera bien la nouvelle planète (à l'époque, considérée aussi comme comète) à la place assignée par Le Verrier, ce qui lui vaudra d'être admiré dans le monde entier et nommé à la chaire d'astronomie créée à la Sorbonne pour ce résultat scientifique retentissant.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/James-Webb-Uranus.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Une première : les 11 anneaux de glace visibles sur les 13 observés.</em><br /><em>Image IR - Télescope spatial James Webb (ESA, 6 fév. 2023)</em></div>
<br />Le mérite de l'astronome est d'autant plus grand que ses résultats ont été parfois reçus fraichement voire ouvertement contestés (par l'astronome anglais Adams, notamment). Ce qui ne l'empêchera pas de prendre la direction de l'Observatoire National en 1854 (suite au décès de François Arago l'année précédente) et de le réorganiser profondément. On lui doit également le <em>Service des avertissements télégraphiques</em> qui délivre un bulletin météo quotidien de l'Europe très utile aux navigateurs. Pour Aoust, la science est parfois une lutte et Le Verrier était un vrai <em>soldat de la science</em>.<br /><br />En 1863, Le Verrier sélectionnera, entre plusieurs villes du Midi sur les rangs, le ciel provençal lumineux de Marseille, plus propice pour mener les observations optiques que le ciel parisien : succursale de l'Observatoire national, l'Observatoire astronomique de Longchamp était né. Reconnaissante, l'Académie des Sciences, lettres et arts de Marseille nommera à l'unanimité le grand maître de la mécanique céleste membre résidant.
Description
An account of the resource
L'Abbé Aoust, mathématicien, a de bonnes raisons de rendre hommage à Le Verrier, astronome célèbre pour ses travaux sur Neptune : Marseille lui doit son nouvel observatoire astronomique installé au Parc Longchamp.
Le Verrier, Urbain Jean Joseph (1811-1877)
Neptune (planète) -- 19e siècle
Observatoire astronomique de Marseille-Provence -- Histoire -- 19e siècle
Observatoire astronomique de Paris -- Histoire -- 19e siècle
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1040/BUSC-6398_Chavernac_Botaniste-Garridel.pdf
8df822d2dc419346100b86dd9819a589
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
botaniste Garidel et son neveu Lieutaud, médecin de Louis XVI (Le)
Subject
The topic of the resource
Botanique
Médecine
Biographie
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Chavernac, Félix (1841-1920?). Auteur
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Marius Olive (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/028882148
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-6398_Chavernac_Botaniste-Garridel_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
93 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1040
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille), cote 6398
Abstract
A summary of the resource.
Les parents de <span class="tag">Pierre-Joseph de </span><span class="tag">Garidel (1658-1737) </span>sont de bons parents : comme son père, reçu docteur en droit à l'Université d'Aix, avant d'y devenir questeur en 1607 puis recteur en 1647, il fera des études supérieures, un cursus classique, philosophie par ex. Mais le latin, le jeune Garidel, ça ne l'intéresse pas : ce qu'il aime vraiment, ce sont les plantes, la garrigue et l'épatant jardin de l'apothicaire du coin (1). Ça sert à ça, l'école buissonnière. Dans ces escapades, il rencontre le fils Tournefort, presque du même âge, qui devient le complice idéal de ses voyages d'exploration botanique.<br /><br />Cependant, les parents de Garidel n'ont pas renoncé à lui tracer une carrière : puisqu'il aime tant que ça les plantes, il n'a qu'à faire médecine. Une passion plus une raison, ça donne un boulot ! Le botaniste en herbe part alors pour Montpellier (où il y retrouve Tournefort, tiens donc !) mais là encore, les cours de l'université l'ennuient (c'est maladif) : il préfère évidemment fréquenter le Jardin des plantes (le plus ancien de France) dont il connaît l'un des suppléants et herboriser les spécimens qu'il découvre en parcourant tout le midi et au-delà : Corbières, Cévennes, Roussillon, Pyrénées, Catalogne,... Botaniste : un métier qui fait bouger ! Il termine tout de même ses études médicales et revient à Aix pour y être reçu docteur en 1682, il a alors 24 ans. Libéré des études, il peut se consacrer totalement à la botanique. Mais une science pour elle-même n'est que de la curiosité : pour qu'elle soit utile, elle doit se mettre au service des hommes, autrement de la médecine.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Aloe-vulgaris_1719.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Aloe vulgaris, une floraison spectaculaire, à peine croyable<br />(P.-J. Garidel, Histoire des plantes qui naissent en Provence, Aix, 1719)</em></div>
<br />En 1697, la chaire de botanique de l'université devient vacante mais pour obtenir le poste, il est obligatoire de passer par la dispute, une sorte de concours où il faut répondre aux questions des membres du bureau des Bourbons. Garidel s'y refuse, estimant qu'ils ne sont pas compétents en médecine (de toute façon, ils n'y connaissent rien aux plantes) et usera de ses relations (son ami le botaniste Tournefort, connu pour ses travaux de classification, célèbre à la cour et qui n'a pas réussi à convaincre son ami aixois de monter à Paris) pour y être nommé après un examen très "amical" passé à la Faculté de médecine de Montpellier sur la recommandation du premier médecin du Roi. Pistonné mais pas fumiste, Garidel travaille dur, récolte un nombre considérable de plantes et occupe tous ses loisirs à ranger son herbier. Même s'il occupe à la fin de sa carrière des chaires de médecine avec enseignement d'anatomie (mieux rémunérées), il consacre toute son énergie à la botanique et publiera sa célèbre <em>Histoire des plantes qui naissent en Provence</em>, où, fidèle à sa vraie passion, il insiste particulièrement sur l'intérêt des usages pharmaceutiques et médicaux des plantes provençales.<br /><br />Autant Charvenac a transpiré pour trouver des témoignages sur la famille Garidel, autant pour Joseph Lieutaud (<span style="font-weight: normal;"><time>1774</time>-<wbr /><time>1780)</time></span>, les archives ne manquent : plusieurs biographes se sont déjà sérieusement occupé de lui. Alors pourquoi une biographie de plus : parce que Charvenac, médecin de profession, historien par passion (2), tient à compléter son tableau des aixois célèbres et ses biographes, n'étant pas du coin, ont sûrement oublié des détails inédits. Merci à notre érudit local, que de choses nous n'aurions peut-être jamais sues sans lui !<br /><br />Mais tout d'abord, qu'est-ce que Joseph Lieutaud <span class="tag">(1703-1780) </span> vient faire ici ? Parce que Joseph est le fils de Jean-Baptiste Lieutaud, avocat au parlement d'Aix-en-Provence (tiens, comme le père de...) et de Louise de Garidel. Vous l'avez compris : Joseph n'est autre que le neveu du botaniste Pierre Joseph de Garidel (3). Lieutaud suivra les pas de son oncle et ira également à la Faculté de médecine de Montpellier (décidemment, les Facultés sont aussi des histoires de famille). Il fera lui ausssi des excursions dans la campagne cévenole et trouvera même des spécimens qui avaient échappé à Tournefort. Faits d'arme qui n'échappent pas au recteur de la prestigieuse Université de médecine de Montpellier. <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/Infirmerie_Royale_Versailles.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Plan de l'Infirmerie Royale de Versailles (1707-1722) - Source Gallica<br /></em></div>
<br />Si l'oncle a donné le goût de la botanique, il n'a pas servi de moule : ce qui intéresse surtout Lieutaud, c'est l'anatomie (il obtient son grade de docteur à l'université d'Aix-Marseille à 22 ans, en 1725). Une fois de plus, le hasard favorise la destinée : une place de praticien se libère à l'Hôpital Saint-Jacques d'Aix. Jugé le plus qualifié, il y est nommé médecin. L'occasion est trop belle et son occupation est remplacée par sa passion : il abandonne aussitôt la botanique pour l'anatomie. En plus de la connaissance de ses patients et de leurs pathologies, il pratique de nombreuses dissections de cadavres (il en fait une si grande consommation que ses détracteurs calculeront que cela équivalait à 404 ans d'autopsies !) qui l'amèneront à publier ses <em>Essais anatomiques</em> en 1742.<br /><br />Second hasard : il découvre chez un de ses clients l'ouvrage de Sénac, premier médecin du Roi, le <em>Traité de la structure du coeur, de son action, et de ses maladies</em> (1749). Et l'anatomie, ça tombe bien, c'est justement le domaine d'excellence de Lieutaud. il y décèle tout de suite des erreurs qu'il consigne et adresse à l'auteur (et évitant de commettre la petite vacherie de publier...). Sénac, grand esprit (ou lucide ?), n'en prend pas ombrage : au contraire, il reconnaît la justesse des critiques et le fait embaucher comme médecin à l'Infirmerie Royale de Versailles, infirmerie créée en 1720 par lettre patente et ouverte en 1722 pour les soins des domestiques et des gardes du Roi. C'est à donc 47 ans qu'il quitte son havre de paix aixois pour travailler à quelques pas du pouvoir royal. Il sera ensuite nommé médecin des enfants de Louis XV et finalement premier médecin de Louis XVI. Un plan de carrière impeccable ! <br /><br />Charvenac ne semble pas tirer de leçon de ces biographies mais Garidel et Lieutaud sont à l'évidence deux vies où les passions ont croisé au bon moment le hasard des circonstances.<br /><br />____________<br />1..<span class="mw-page-title-main">Pierre Joseph Garidel. - <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Joseph_Garidel" target="_blank" rel="noopener"><em>Wikipédia</em> </a></span>https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Joseph_Garidel <br />2. Charvenac, Félix. - Histoire de l'Université d'Aix : 1er fascicule. - Aix : A. Makaire, 1889. - <em><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5499789d.texteImage#" target="_blank" rel="noopener">Gallica</a><br />3. Joseph Lieutaud. - <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Lieutaud" target="_blank" rel="noopener">Wikipédia</a><br /></em>
Description
An account of the resource
Si on préfère le jardin de l'apothicaire au latin sans vouloir devenir médecin, on fait de la botanique. Si on connaît les plantes sans choisir la botanique, on fait médecine. Choix et hasards, deux biographies des 17e et 18e siècles.
Botanique -- Provence (France) -- 17e siècle
Botanique -- Provence (France) -- 18e siècle
Garidel, Pierre-Joseph de (1658-1737) -- Biographie
Lieutaud, Joseph (1703-1780) -- Biographie