1
200
5
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/971/BUSC-5914_De-Kerchove_Palmiers.pdf
f79330541afcb6871f77e2faaea72208
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
palmiers (Les) : histoire iconographique : géographie, paléontologie, botanique, description, culture, emploi, etc. , avec index général des noms et synonymes des espèces connues / Oswald de Kerchove de Denterghem ; ouvrage orné de 228 vignettes et de 40 chromolithographies dessinées d'après Nature par P. de Pannemaker
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
De Kerchove de Denterghem, Oswald (1844-1906). Auteur
De Pannemaker, P. (18..-1...). Illustrateur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille) cote BUSC 5914
Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (Aix-en-Provence), cote 4-182
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Rothschild (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1878
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/267482221
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-5914_De-Kerchove_Palmiers_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
VIII-348 p.-40 f. de pll : ill.
in-4
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/971
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Subject
The topic of the resource
Botanique
Abstract
A summary of the resource.
Quand Oswald de Kerchove déclare faire le tour du monde des palmiers et tout nous dévoiler de cette vaste famille, on peut être septique sachant qu'il est d'abord homme politique, avocat de profession et qu'il résume, en amateur passionné de botanique, son projet : "<em>Le tour du monde est devenu de nos jours un voyage facile. Nous le ferons d'une manière instructive, attrayante peut-être, en étudiant la géographie du palmier</em>".<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Oswald_de_Kerchove_de_Denterghem.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Oswald de Kerchove de Denterghem (1844-1906)</em></div>
<br />Une géographie plus qu'exhaustive puisqu'elle intègre la paléontologie, la botanique, les plantations de palmiers, leur utilisation, leur place dans l'histoire dans quelques civilisations anciennes, etc.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/palmier_Algerie.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>palmiers, d'abord une imagerie (Algérie, 19e)</em></div>
<br />Commençant son voyage par la Méditerranée, de Kerchove ne peut éviter les images traditionnelles associées aux palmiers et à un certain imaginaire <em>exotique</em> : désert, oasis, représentations dans l'architecture égyptienne de l'époque pharaonique... Mais le tour du monde annoncé est des plus courts : l'Afrique se résume pour l'essentiel au pourtour méditerranéen, et après avoir évoqué les Seychelles, on se rend très vite en Asie pour s'échouer sur le Nouveau Monde, sans même passer par Madagascar, île pourtant immense et couverte de palmiers : l'influence française, futur colonisateur du pays, aurait-elle fait fuir notre botaniste gantois qui dédicace bien naturellement son ouvrage à sa Majesté Léopold II, roi des Belges ?<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/phoenix-sylvestris.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Phoenix sylvestris (vignette monocrome)<br /></em></div>
<br />Les continents défilent ensuite à toute allure et le tour du monde est bouclé en moins de 100 pages, pas même un cinquième de l'ouvrage ! La plus grande partie de la monographie est consacrée aux aspects historiques de ces végétaux et à leur étude botanique proprement dite, incluant le tableau de la classification des diverses familles de palmiers élaboré par M. H. Wendland, le grand spécialiste des palmiers, auteur de nombreux taxons, et directeur des Jardins Royaux de Hanovre à partir de 1870.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Hermann-Wendland_1896.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Hermann Wendland, spécialiste reconnu des palmiers (ca 1896)</em></div>
<br />L'intérêt botanique, agricole, alimentaire et utilitaire des palmiers n'exclut pas son emploi ornemental : facile à cultiver en pot, il occupe une place de choix dans les grandes serres équatoriales vitrées aux ossatures métalliques qui se multiplient dans les grandes villes européennes, sous l'impulsion de Hermann Wendland en particulier, garantissant une atmosphère exotique des plus réalistes. <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/jardin-hiver-Gand.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Jardin d'hiver (Gand, 19e), ville natale de Kerchove</em></div>
<br />Mais pas sans frais : les pays d'Europe les plus au Nord doivent chauffer les serres de leurs jardins botaniques pour assurer la survie de ces grands frileux et de Kerchove ne manque pas de détailler le système de chauffage à air chaud et à eau chaude de la <em>Serre à Palmiers du Fleuriste de la ville de Paris</em>.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/chauffage-serres_19e.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le chauffage des serres tropicales, très inspiré des thermes romains (19e)</em></div>
<br />Mais les palmiers n'ont pas que des amis : à la fin du 19e, son principal ennemi connu est le redoutable coléoptère <em>Calandre des palmiers</em> (vulg. ver palmiste). Aujourd'hui, ses deux principaux ravageurs sont le charançon rouge et le papillon du palmier. <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/calandre-palmier.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Calandre des palmiers ("coléoptère ravageur")<br /></em></div>
<br />En plus de ses 228 vignettes monochromes, on pourra trouver un intérêt supplémentaire à feuilleter l'ouvrage en découvrant les 40 <em>chromolithographies</em>, réalisées par P. De Pannemaker.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/ACANTHOPHOENIX-CRINlTA-Wendl-O.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>ACANTHOPHOENIX CRINlTA Wendl O</em></div>
<br />Des planches fidèlement et somptueusement représentées exposant des spécimens "<em>dessinés d'après nature</em>". Difficile d'en douter.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/PHENICOPIIORIUM-SECIIELLARUM-Wendl-O.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>PHENICOPIIORIUM SECIIELLARUM Wendl O</em></div>
<br />On remarquera que la plupart des spécimens représentés ici portent le nom de Wendland, le nom du célèbre botaniste ayant été attribué à de nombreuses espèces de palmiers en reconnaissance de son immense travail consacré à ces familles végétales.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/TRITHRlNAX-BRASlLIENSIS-MART.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>TRITHRlNAX BRASILIENSIS MART</em></div>
<br />Toutes ces planches confirment combien l'homme politique belge, pourtant rompu aux manifestations publiques, préférait la sérénité et l'intimité des serres chaudes, déjà entretenues et enrichies par son père, ce qui fera dire à certains commentateurs "<em>qu'aux palmes académiques, il aimerait mieux les palmes botaniques</em>"...
Description
An account of the resource
Oswald de Kerchove de Denterghem, homme politique et avocat, s'intéresse à une seule chose : les palmiers. Une passion héritée de son père qui collectionnait ces spécimens dans la grande serre équatoriale de la ville de Gand (Belgique)
Palmiers -- 19e siècle
Palmiers -- Classification -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/687/MIO-K121_Thuret_Etudes-phycologiques.pdf
dd51e3d7d15651a3043732cc0c08f430
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Etudes phycologiques : analyses d'algues marines par M. Gustave Thuret ; publiées par les soins de M. le Dr Édouard Bornet ; ouvrage accompagné de cinquante planches gravées d'après les dessins de M. Alfred Riocreux
Subject
The topic of the resource
Botanique
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Thuret, Gustave Adolphe (1817-1875). Auteur
Bornet, Edouard (1828-1911). Éditeur scientifique
Riocreux, Alfred (1820-1912). Illustrateur
Picart. Illustrateur
Publisher
An entity responsible for making the resource available
G. Masson (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1878
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252921747
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/MIO-K121_Thuret_Etudes-phycologiques_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
III-105 p., 51 f. de pl. h. t.) : ill.
46 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
dessin
drawing
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/687
Source
A related resource from which the described resource is derived
Institut méditerranéen d'océanologie (OSU Pytheas) MIO K-121
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote 7*BUSC
Abstract
A summary of the resource.
<pre style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Thuret_Gustave_1817-1875-wiki.jpg" width="166" height="261" /><br /><em>Gustave Thuret 1818-1875<br />(diplomate, biologiste et botaniste français)</em></pre>
Editée à titre posthume, l'étude de ces algues brunes et vertes a été menée entre 1846 et 1856 par Gustave Thuret, f<span class="">ondateur du jardin botanique d'Antibes. Elle</span> fait date dans l'histoire de l'étude des algues marines, notamment au niveau de la connaissance de leur mode de reproduction sexuée.<br /><br />Elle est illustrée de 51 planches gravées avec une telle précision qu'elle livre des détails de l'intérieur même des cellules végétales, une véritable prouesse compte tenu des moyens optiques disponibles à l'époque et qui n'offraient que des taux de grossissement limité. Quelques-unes de ces études avaient déjà paru dans les Recherches sur les zoospores des algues et les anthéridies des cryptogames, publiées en 1831 dans les Annales des sciences naturelles.<br />
<div><a href="https://www.mio.osupytheas.fr/fr/linstitut-mediterraneen-doceanologie" target="_blank" rel="noopener" title="MIO"><img class="logo img-responsive" src="https://www.mio.osupytheas.fr/sites/default/files/logo-mio-fr.png" alt="MIO" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" width="165" height="110" /></a>Profitant d'une opération de restauration pour le numériser, le document présenté ici, également conservé à la BU St Charles, provient des collections du M.I.O, Laboratoire de recherche en Océanologie des Universités d’Aix-Marseille, de Toulon, du CNRS et de l’IRD (intégré dans l’OSU Pytheas).</div>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Institut méditerranéen d'océanologie (MIO - OSU Pytheas - Marseille)
Description
An account of the resource
L'observation de ces algues (1846-1856) fait date dans l'histoire de l'étude des algues, en particulier leur mode de reproduction. La gravure des 51 planches est si précise qu'on distingue des détails à l'intérieur même de la cellule
Algues marines -- 19e siècle
Algues marines-- Reproduction -- 19e siècle
Floridées -- 19e siècle
Fucacées -- 19e siècle
Phycologie -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/619/RES-17209_Teissier_Histoire-commerce.pdf
a3858badd42f448f78c178ec3528af90
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Histoire du commerce de Marseille pendant vingt ans, 1855-1874
Subject
The topic of the resource
Économie
Commerce maritime
Économie coloniale
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Teissier, Octave (1825-1904). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 17209
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Guillaumin (Paris)
Librairie marseillaise (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1878
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252777158
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-17209_Teissier_Histoire-commerce_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
VIII-370 p.
In-4°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/619
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Cet ouvrage écrit par Octave Teissier, ancien archiviste de la ville de Marseille, retrace l’histoire commerciale de Marseille durant 20 ans (1855-1874). Il a été publié en 1878 et a obtenu le premier prix au concours fondé par M. Le baron Félix de Beaujour, qui récompense les mémoires concernant les moyens de prévention ou de soulagement de la misère.
Au milieu du 19e siècle, Marseille construit des milliers de logements, ouvrent des boulevards, érige des monuments, creuse des bassins, aménage des docks, inaugure des voies ferrées : une frénésie attisée par le commerce colonial, dopée par une nouvelle liberté commerciale, encouragée par l'ouverture du Canal de Suez et par la promesse d'une liaison ferrée Marseille-Calais, mais inquiète de la concurrence possible des grands ports italiens (Gênes, Livourne, Trieste)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Au milieu du 19e siècle, Marseille construit des milliers de logements, ouvre des boulevards, érige des monuments, creuse des bassins, aménage des docks, inaugure des voies ferrées : une frénésie attisée par le commerce colonial
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
Introduction (1)
Chapitre 1 - Situation actuelle. - Importance du commerce de Marseille. - Agrandissement de la Ville. - Population. – Travaux publics. - Les nouveaux Ports. - Les Docks. - Le Chemin de fer. - La Télégraphie électrique (7)
Chapitre 2 - Mouvement général de la navigation. - Commerce extérieur et cabotage. - Équipages. - Pavillons français et étrangers. - Navires à voiles et à vapeur. - Colonies. - Algérie. - Pêche à la morue. - Grand et petit cabotages. - Navigation et mouvement des marchandises. - Effectif de la marine marchande à voiles. - Navigation à vapeur. - Classement, d'après leur tonnage, des navires à voiles et à vapeur. - Classement, d'après la force de leurs chevaux, des bateaux à vapeur (25)
Chapitre 3 - Mouvement commercial du port de Marseille. – Commerce général. – Commerce spécial. - Comptes relatifs au mouvement des marchandises. - Etat actuel des principales branches du commerce et de l'industrie. - Relations commerciales du port de Marseille avec les colonies françaises et les puissances étrangères. - Transit. – Entrepôts (111)
Chapitre 4 - Résultats obtenus. - Améliorations proposées. – Progrès réalisés sous l'influence de la liberté commerciale. - Création de nouvelles voies ferrées. - Réduction des tarifs (201)
APPENDICE. - Port de Marseille. - Budget municipal. - Travaux publics. - Monographies des principales branches du commerce et de l'industrie de Marseille. - Statistique. - Documents divers. - Navigation intérieure (le Rhône et le Canal latéral) (211)
Table des matières (369)
Temporal Coverage
Temporal characteristics of the resource.
Histoire du commerce de Marseille pendant vingt ans, 1855-1874 <br />- Feuille <i>Marseille</i> ; 4d ; 1945 ; Institut géographique national (France), ISBN : 3145_4D_45. "Levé en 1902-04 ; Tirage d'octobre 1945" <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=51343" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=51343</a>
Commerce -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
Ports -- Conception et construction -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
Transports maritimes -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/506/RES-7978_Ecole-medecine_Lettre.pdf
09bf5b5c6202f937d794a042d1401bfc
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Lettre adressée à M. le Ministre de l'Instruction publique par l'Ecole de Médecine et de Pharmacie de plein exercice de Marseille à propos du Décret du 20 Juin 1878
Subject
The topic of the resource
Histoire de l'université
Médecine
Enseignement supérieur
Description
An account of the resource
Créées en 1875, les Ecoles de Médecine et de Pharmacie de plein exercice n'ont pas le droit d'organiser certains examens de fin d'année au grand regret des professeurs de l'Ecole de Marseille qui demandent une modification du décret
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Seux, Vincent (1816-1883). Rédacteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 7978
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Journal de Marseille (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1878
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245385940
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-7978_Ecole-medecine_Lettre_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
16 p.
in 4°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/506
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Abstract
A summary of the resource.
Créées par décret en 1875, les Ecoles de Médecine et de Pharmacie de plein exercice n'ont pas le droit d'organiser certains examens de fin d'année. Les professeurs de l'Ecole de Marseille qui estiment que la ville est mal récompensée et demande un modification de ce décret.
Le texte est rédigé par Vicent Seux, médecin en chef des hôpitaux de Marseille, Professeur à 'Ecole de médecine de Marseille, Président de l'Association médicale des Bouches-du-Rhône, Vice-Président de la Société impériale de médecine de Marseille, Membre correspondant de la Société médicale des hôpitaux de Paris, de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, de la Société impériale de médecine de Bordeaux, de la Société impériale de médecine de Lyon, Chevalier de la Légion d'honneur et de l'ordre de Saint-Grégoire-Le-Grand, etc.
Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
Médecine -- Étude et enseignement -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/333/RES-22984_Bedarride_Commentaire-code_1.pdf
e524d6e29216ffb6fa9888ff5b2fd340
PDF Text
Text
D R O I T COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
L IV R E
PR E M IE R
TITRE TROISIÈME
DES SOCIÉTÉS
PAR J. BEDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de,Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D EU X IÈ M E
ÉD ITIO N
REVUE , CORRIGÉE ET MISE AU COURANT DES LOIS NOUVELLES
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(2» TIRAGE)
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TOME PREMIER
PARIS
L.
LAROSE,
AIX
ACHILLE MA KAIRE , LIERAI !>,E
LI BRAI RE
2 , RUE T H IE R S , 2
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
1878
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�ÇsEt> <£LSL98'L\ j/\
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;
O ^ ïiW V
�DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE
DU
CODE
DE
COMMERCE
LIVRE I. TITRE III
DES SOCIÉTÉS
SECTION Ira
DES DIVERSES SOCIÉTÉS ET DE LEURS RÈGLES
A rt. 18.
l e contrat de société se règle par le droit civil,
par les lois particulières au commerce et par les
conventions des parties.
SOMMAIRE
4.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Importance du contrat de société.— Services qu’il a rendus à
l ’humanité.
Son appropriation au commerce, ses résultats.— Nécessités
qu’elle imposait au législateur.
Reproches adressés dans ces derniers temps au Code de com
merce.
Le droit civil continue à régir la société commerciale en tout
ce qui n ’est pas contraire aux lois et usages du commerce.
Nature des principes communs à celle-ci et à la société civile.
Définition de la société. — Conséquences à l ’égard de certains
contrats qui s’en rapprochent.
Différence entre la société et la communauté.
i
I
�DES SOCIÉTÉS
8. Suite.
9. Suite.
'10. Suite.
1 1. Suite.
12. Suite.
13. Différence entre la société et le louage d’œuvres ou d’in
dustrie.
14. Différence entre la société et le mandat.
15.
—
—
et les associations tontinières.
16.
—
—
et les assurances mutuelles.
17.
—
—
et le prêt à la grosse.
18. Première condition pour que la société puisse valablement
exister. Consentement des parties. — Conséquences.
19. Exception à la règle prohibant l’adjonction d’un associé sans
le consentement de tous.
20. La prohibition d’adjoindre un associé ne va pas jusqu’à empêcherchaqueassocié de céder une part dans son intérêt.
21. Le cessionnaire de cette part peut devenir un associé ordi
naire en rapportant le consentement de tous.—En quelle
forme doit être donné ce consentement ?
22. Quid si la cession n’avait eu pour objet que l ’avantage de la
société et si elle avait été autorisée dans le pacte social ?
23. Quel est le caractère du contrat intervenant entre l’associé et
son croupier ?— Constitue-t-il une société ?
24. Opinion de M. Duvergier pour la négative.— Réfutation.
25. Deuxième condition : objet licite.
25bis. Loi de 1862 sur les sociétés entre agents de change et
bailleurs de fonds.
2 5 ter. Son opportunité.
2 5 quatuor. Le titulaire doit être propriétaire du quart de la somme
représentant le prix de l'office et le montant du cau
tionnement. '
25 quinto. Conséquences de l ’inaliénabililé de cette part.
25sexto. Nature de la société.— Droits des associés.
25 septimo. Proposition de les déclarer indéfiniment tenus en cas
d’inexécution.— Rejet.
�25 octavo_
Rejet de celle de les soumettre à l’action directe des
tiers.— Motifs.
25 nono.
Durée de la société s’il n ’a été stipulé aucun terme.
25 deoimo- Effet de l'expiration du terme en cas contraire.
26. Quelle est la condition de ceux qui ont versé des fonds pour
l’achat d’un office de notaire, d’avoué ou d’agent de
change ? — Arrêt de Paris confirmé par la cour de cas
sation.
27. Examen critique de ces deux monuments de jurisprudence.
28. Troisième condition : Communauté de choses régie dans un
intérêt commun.— Conséquences.
29. Mise de fonds à verser par chaque associé. — En quoi elle
pèut consister.
30. L’apport qu’un commerçant ferait de son nom constitueraitil une mise de fonds suffisante ?
31. Titres divers auxquels les choses peuvent être versées dans
la société.— Conséquences dans le cas de perte. ,
31 bis. Caractère de l’article 1846 du Code civil.—Son but. '
31ter. Hypothèse qu’il prévoit et qu’il régit. — Conséquence si
des intérêts ont été distribués aux associés.
31 quatuor. Jugement du tribimal de commerce de Marseille , ad
mettant la compensation. — Arrêt contraire de la
cour d’Aix31 quinto. Appréciation.
31 sexto. Le retard peut donner lieu à des dommages-intérêts.—
Dans quels cas.
32. Les mises réunies forment le fonds capital.— Destination de
celui-ci. — Ne peut être diminué pendant la durée de la
société.
33. Le fonds capital ne peut être augmenté que du consentement
unanime des associés.
34. Conséquences de la règle que la société doit être exploitée
dans un intérêt commun.
35. Comment doit être entendue l ’égalité entre associés à l ’en
droit des bénéfices ou pertes. — Position de l'associé in
dustriel.
�DES SOCIÉTÉS
36.
La proportionnalité créée par la loi peut être modifiée.—Nul
lité de la clause affranchissant de la perte oa attribuant
la totalité des bénéfices.
37. L’associé industriel peut - il cumuler un traitement avec sa
part dans les bénéfices ?
38. Résumé.
38 bis. Dans quel cas l ’imputation faite soit par l’associé soit par
le débiteur, produirait son effet contre la société.
39. Quelle est la faute dont répondent les associés ?
39bis. Controverse parmi les auteurs. — Appréciation.
39ter. Résumé.
40. Position du croupier relativement à cette responsabilité.
41. L'associé qui s’est donné un croupier, responsable de la sol
vabilité de celui-ci, est-il tenu envers lui de l'insolvabi
lité des associés principaux ?
42. Comment se fera entre le croupier et lui le règlement de
cette insolvabilité ?
43. Position du croupier vis-à-vis des créanciers de la société
principale.
44. Préférence qu’il doit obtenir sur les créanciers personnels de
son cédant, pour la part d’intérêt qu’il lui a cédée.
45. Résumé des obligations et des droits naissant du contrat de
société.
46. Causes de dissolution de la société : 4* Expiration du terme
convenu pour sa durée.
47. Exception que cette règle comporte.
48. Faculté de proroger. — Comment elle est censée avoir été
exercée.
49. 2“ Extinction de la chose ou consommation de l'opération.—
Caractère de celle-ci.
50. Portée réelle de l’article 4867. — Différence de l ’hypothèse
qu’il prévoit d’avec celle dont s’occupe l’article 4865.
54.
Effet de l’extinction delà chose constituant la mise de fonds
d’un associé.— Quand y a-t-il seulement mise promise ?
�ART.
18.
5
52.
Quand devra-t-on considérer la mise comme effectuée ? —
Exigera-t-on qu'il y ait tradition réelle ?
53. Opinion de M. Pardessus.—Dissentiment et réfutation.
54. Objection de MM. Malepeyre et Jourdain.—Réfutation.
55. Effet de,l’extinction si la chose promise ou livrée n ’a été cé
dée que pour la jouissance.—Conséquences.
56. Véritable caractère de la dissolution dans les cas prévus par
l ’article 1867.
57. 3° Mort naturelle d ’un associé. — Motif qui a fait admettre
la dissolution.
58. Distinction que faisait le droit romain entre la clause de con
tinuation entre associés et celle avec les héritiers.— Mo
tifs qui avaient fait admettre l ’une et repousser l ’autre.
59. Notre Code les permet toutes deux.
60. Les associés peuvent, en cas de continuation de la société en
tre survivants, stipuler que les héritiers ne pourront exi
ger que la part qui leur reviendrait d’après le dernier in
ventaire.
61. Obligations que cette clause impose aux associés.— Effet de
sa violation.
61bis. De quelle nature est le droit des héritiers. — Quel paie
ment ils peuvent exiger relativement aux immeubles de
la sociétq,
61ter. Relativement aux marchandises.
61 quatuor.
—
aux créances.
61 quînto.
62.
Arrêt de la cour de Caen.— Son caractère.
Effets de la clause de continuation avec les héritiers.— Quid
si ceux-ci sont mineurs ou s’il en existe parmi eux ?
63. En l’absence de la clause de continuation , les associés peu
vent s’adjoindre les héritiers du décédé.—Nature et con
séquences de cette adjonction.
64. Effet de la mort d’un associé pour les sociétés en comman
dite ou anonymes.
65. Pour le bail à colonage ou le cheptel.
�ÉMtàëmàîâ*.....
•
.
..... .
......... -
"T*
' La mort civile,7 l ’interdiction ou la déconfiture de l ’un
\ des
associés.
' :
66 b is. Les coassociés du failli peuvent-ils contraindre la masse à
continuer la société? — Opinion de MM. Pardessus et
Troplong.—Opinion contraire de M. Delangle.
66 ter. Caractère juridique de cette dernière.
67. 5” La volonté qu’un ou plusieurs expriment de n ’être plus
en société.—Conditions exigées.
67bis. Quel est l ’effet de la mort naturelle ou civile, de l’interdic
tion ou de la déconfiture sur l ’association en participa
tion ?
Effet de la dissolution.
Comment doit s’opérer le partage. •
Ces règles générales régissent toutes les sociétés.—Comment
on est parvenu à en créer de spéciales pour les sociétés
commerciales.
Caractère de la loi commerciale.
Origine de l ’usage, sa destination.
Son utilité comme règle d’interprétation ou comme suppléant
au silence de la loi.
74. L’usage peut-il abroger la loi ?— Contradiction du droit ro• main.—Explication.
75. Solution delà question en droit français. — Conditions que
l ’usage doit réunir.
76. L ’influence de l’usage est bien plus directe en matière com
merciale qu’en matière civile.
77 i Diverses hypothèses dans lesquelles l ’usage commercial a
prévalu sur le droit commun.
78. Autres dans lesquelles il a prévalu sur la loi commerciale
elle-même.
79. Mais, de même que l’usage ordinaire, l’usage commercial ne
peut s’établir contre une loi prohibitive ou autoriser les
abus et les fraudes.— Divers exemples.
80. L’usage est général ou local.— Caractère de celui-ci.
. —
DES SOCIÉTÉS
�ART.
18
.
1
7
81.
Comment s'établissait la preave d e. usage dans notre ancien
droit.
82. Quid sou s l 'empire du Code.
83. Abus auquel a donné lieu la délivrance des parères.—Devoir
du juge.
84. L’usage ne peut être appliqué que si le jugement ou l ’arrêt
définitif n’en constate préalablement l’existence.
I.
— Un économiste moderne a dit avec raison et
vérité : Les capitaux sont comme les hommes ; unis, ils
sont puissants, divisés, ils sont sans force x. L’institu
tion ayant pour objet l’union des capitaux et des hom
mes était donc appelée à jouer un rôle important dans
la création et le développement de l’état social.
Cette institution c’est la société , et l’histoire est là
pour attester qu’elle n ’a pas failli à sa mission. Nulle
autre n’a rendu à l’humanité de plus éminents services.
C’est par elle, en effet, que l’homme, attaquant l’escla
vage dans ses effets les plus désastreux , a fini par en
triompher. C’est encore par son aide qu’après avoir
conquis l’émancipation et l’indépe'hdance, il a su se
procurer les ressources indispensables à son bien-être
et à la prospérité de sa famille.
Notre intention n’est pas de rappeler un à un les ser
vices que l’association a tour à tour rendus à l’homme,
à la famille , à l’Etat. Une pareille tâche est trop audessus de nos forces. Nous nous bornerons à les résu4 Michel Chevalier, Lettres sur l’Amérique.
�DES SOCIÉTÉS
mer par ces paroles, que nous empruntons à l’un de nos
éminents jurisconsultes :
« Le contrat de société est n é , pour ainsi dire , avec
l’homme. Obligé de lutter avec les obstacles qu’une na
ture rebelle opposait à la satisfaction de ses besoins , et
désespérant de les vaincre seul, il s’est rapproché de son
semblable pour combattre et partager ensuite avec lui
les résultats de leurs communs efforts.
» Le principe ne s’est point altéré en s’éloignant de
son origine. Il s’est développé, transformé avec elle ; ses
applications seulement ont changé. Ainsi, après avoir
emprunté à l’association les secours de sa force contre
les résistances du monde matériel, l’homme a lutté plus
tard avec elle contre les violences d’une domination bar
bare ou les inégalités d’une civilisation oppressive. Par
tout où s’élevait un obstacle supérieur à la volonté, aux
forces , à l’énergie d’un seu l, l’association a réuni en
faisceau toutes les forces éparses que leur isolement con
damnait à l’impuissance , et les a menées par des voies
lentes ou rapides , mais sûres , à la conquête d’un état
meilleur 1. »
2.
— Le commerce ne pouvait négliger ce puissant
levier. Aussi n’a-t-il pas tardé à se l’approprier si inti
mement qu’il est bientôt devenu l’âme et la vie de ses
opérations. L’étude attentive de leur développement amène à se demander si la société n’en est pas le produit
Delangle, jDes sociétés commerciales, introduction.
�ART.
18.
9
plutôt que la cause. Partout, en effet, où le commerce
puise un encouragement quelconque dans les institutions
politiques , on voit l’association grandir , se multiplier,
. se transformer même. C’est ainsi que, dès le xum0 siècle,
des négociants italiens imaginent et pratiquent sur la
plus vaste échelle cette ingénieuse fiction d’une société
des capitaux abstractivement des personnes.
La France a obéi à cette loi inévitable. Les dévelop
pements du commerce et de l’industrie ont naturelle
ment propagé l’esprit d’association. C’était là une con
séquence forcée. A mesure, en effet, que ces deux bran
ches de la prospérité publique ont pris de l’extension, il
a fallu se procurer des capitaux plus considérables, ac
quérir des procédés nouveaux. Les expéditions mariti
mes , les grands travaux d’art qu’un seul n’aurait pu
entreprendre, l’association a su les accomplir.
Le devoir du législateur était tout tracé par cet état des
choses. Il fallait non-seulem ent réglementer la société
au point de vue des principes civils, mais encore l’adap
ter aux m œ urs, aux besoins commerciaux , lui donner
une forme susceptible de se prêter aux nécessités que le
caractère des opérations commerciales fait naître. C’est
cette tâche que le législateur de 1673 entreprit C’est éga
lement l’objet que se proposent les auteurs du Code de
commerce en sanctionnant le titre que nous examinons.
3.
— Ce titre est devenu, dans ces dernières années
surtout, le point de mire de reproches exagérés, d’atta
ques passionnées ; on lui a reproché de méconnaître le
�DES SOCIÉTÉS
véritable esprit d’association, de favoriser les fraudes. De
toutes parts des réformes étaient sollicitées au nom de
l'intérêt général, qu’on indiquait comme sérieusement
menacé. Que serait-il advenu s i, préoccupé de ces alar
mes , le gouvernement avait donné suite aux mesures
qu’elles lui avaient d’abord inspirées ? Rien autre , s’il
faut en juger par le projet de loi présenté à la Chambre
des députés le 15 février 1838, qu’une législation beau
coup moins en haïmonie avec les usages du commerce,
bien moins réellement libérale que celle qu’il s’agissait
de remplacer. Heureusement, comme l’observe M. Troplong , le conflit des propositions et l’anarchie des opi
nions réformistes ont amené un résultat négatif. Tous
les projets enfantés par la fièvre de la spéculation et de
l’agiotage sont oubliés, et le Code de commerce a con
servé son intégrité, son excellente intégrité C
4,
— Mais en passant dans le Code de commerce,
la société n’a rien perdu de son caractère originel, le
droit civil n’a pas cessé d’être sa loi primordiale et n’en
continue pas moins ses règles premières et générales 3.
Ce principe, qui dictait l’article 1873 du Code civil, ex
plique également la disposition de l’article 18, aux ter
mes de laquelle le contrat de société se règle par le droit
civil, par les lois particulières au commerce et par les
conventions des parties.
4 Des sociétés, préface, p. 97.
s Rapport au Tribunat, par M. Boutteville.
�ART..
18.
11
Ainsi, le Code civil ne régira pas les sociétés commer
ciales dans les points où ses dispositions seraient con
traires aux lois et aux usages particuliers du commerce;
mais il conservera son empire partout où il n’existera
aucune incompatibilité de ce genre. Dès lo rs, la règle
tracée par l’article 18 est suffisante. Evidemment, le lé"
gislaleur commercial n’avait pas à retracer les principes
communs à l’une et à l’autre des sociétés civile et com
merciale.
Pourquoi, en effet, prescrire aux commerçants des rè
gles qu’ils sont tenus d’observer comme citoyens? Ce
qu’il importait d’exprimer, c’étaient les dérogations que
l’intérêt du commerce était dans le cas de commander,
et c’est là surtout le caractère essentiel de toute législa
tion commerciale.
Ainsi, pour la matière des sociétés, le Code civil con
tinue de former le droit commun , la règle générale ; le
Code de commerce n’est que l’exception. C’est dans ce
sens que l’avait compris le législateur de 1673, et l’exé
cution qu’il avait donnée à sa pensée n’avait jamais ex
cité ni accusation ni reproche. En l’imitant, les auteurs
du Code ne faisaient que consacrer une doctrine dont
l’expérience pratique démontrait la justesse.
5.
— Mais ce caractère exceptionnel de la législation
commerciale crée, lorsqu’on désire s’en occuper, la né
cessité de rappeler les principes généraux auxquels obéit
la matière. Se borner à retracer les dérogations que ces
principes ont dû subir serait se renfermer dans un cer-
�12
DES SOCIÉTÉS
cle incomplet et vicieux. Nous allons donc, pour obéir à
celte nécessité , tracer'un résumé succinct et rapide des
dispositions du Code civil auxquelles il n’a pas été dé
rogé, et qui continuent conséquemmeni de régir les so
ciétés commerciales.
Ces dispositions présentent des définitions générales,
règlent les engagements des associés entre eux, détermi
nent les différentes manières dont la société finit et les
suites de la dissolution.
Les définitions générales expliquent ce qu’est la so
ciété, les conditions qui lui sont essentielles, et indiquent
par cela même les personnes qui peuvent la contracter.
6.
— La société, dit l’article 1832 du Code civil, est
un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes con
viennent de mettre quelque chose en commun, dans la
vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter. L’ar
ticle 1833 ajoute : Toute société doit avoir un objet li
cite et être contractée dans l’intérêt commun des parties.
Chaque associé doit y apporter ou de l’argent, ou d’au
tres biens, ou son industrie.
La société ne peut donc exister que si le contrat a été
librement et volontairement consenti ; que si son objet
est licite ; que s’il résulte du contrat une communauté
de choses, dans un intérêt commun.
Quelques contrats présentent quelques - unes de ces
conditions. Ce n’est donc que par leur ensemble qu’on
pourra reconnaître la société et la distinguer de la com
munauté , du contrat de louage d’œuvres, de celui de
�ART.
18
.
13
mandat, des tontines, des assurances mutuelles, du prêt
à la grosse.
.
7
— La communauté est le plus souvent acciden
telle ou légale. Dans l’un et l’autre cas elle diffère es
sentiellement de la société, n’existant et ne pouvant exis
ter que par la volonté et le consentement libres des par
ties; mais cette différence ne se réalise pas toujours. La
communauté peut résulter également d’une convention;
c’est ce qui arrive, notamment lorsque, aux termes de
l’article 815 du Code civil, deux ou plusieurs personnes
prorogent l’indivision existant entre elles.
Il faut donc chercher ailleurs le signe propre à distin
guer , dans tous les cas , la communauté de la société.
Ce signe général nous le trouvons dans l’absence , pour
la première, de la plupart des conditions que nous ve
nons d’indiquer, et surtout dans celle de toute confusion
d’intérêts. Il ne suffit p a s , en effet, d’avoir une chose
ou un droit indivis avec quelqu’un pour être associés;
il faut encore que cette indivision ait été dans l’origine,
et continue d’être dans son développement, déterminée
par une pensée d’en répartir proportionnellement les
produits et de l’exploiter dans un intérêt commun. Socii
non dicuntur qui sunt consortes ejusdem n eg o tii, sed
qui prœterea aliquid de suo afférant ad communem utilitatem.
De là, M. Troplong induit, avec juste raison , que la
communauté est un état passif, tandis que la société se
sert de la communauté comme moyen pour faire un bé-
�DES SOCIÉTÉS
néfice et le partager. Ainsi, les communistes ne sont te
nus à rien faire l’un pour l’autre. Comme leurs rapports
sont déterminés par la copropriété plutôt que par la
considération des personnes, ou par la poursuite d’un
but commun, ils sont maîtres de ne suivre que leur in
térêt individuel. Ce n’est pas dans un intérêt collectif
que la chose reste indivise entre eux , c’est pour leur
commodité et leur utilité particulière. Chacun peut donc
se borner à travailler pour so i, et non pour son consort. Au contraire , dans la société , c’est l’utilité com
mune qui est le point de vue dominant ; c’est vers ce
résultat que doivent sans cesse tourner tous les efforts
des associés ; c’est pour l’obtenir que l’un a apporté sa
chose, l’autre son industrie h
8.
—• Cette différence dans le principe , nous allons
la retrouver à un degré énergique dans les effets. Ainsi,
aux termes des articles 1848 et 1849 du Code civil,
lorsque l’associé e s t, pour son compte particulier, cré
ancier d’une somme exigible d’une personne qui se trou
ve aussi devoir à la société une somme également exi
gible , l’imputation de ce qu’il reçoit de ce débiteur doit
se faire sur la créance de la société et sur la sienne dans
la proportion des deux créances , encore qu’il e û t, par
sa quittance, dirigé l’imputation intégrale, sur sa créance
particulière ; lorsque l’associé a reçu sa part entière de
la créance commune, et que le débiteur est depuis de-
Troplong, Des sociétés, art. 1832, n°
�venu insolvable, çet associé est tenu de rapporter* à la
masse commune .ee qu’il a reçu , encore qu’il eût spé
cialement donné quittance pour sa part.
Aucune de ces obligations n’incombe au communiste.
Tout ce qu’il retirerait de sa créance personnelle ou in
divise lui serait irrévocablement acquis. Il n’a pas à
s’enquérir de ce que fait son communiste, et moins en
core à lui tenir compte du soin et de la vigilance qu’il
i
a mis à surveiller et à protéger ses propres intérêts.
9. — La société donne naissance à un être moral,
collectif, qu'on distingue des associés pris individuelle
ment , fonctionnant comme tierce personne , ayant des
actions, des obligations et des droits. La communauté
offre bien cette circonstance que la possession d’un com
muniste empêche la prescription en faveur des autres;
mais elle ne saurait Jamais être considérée comme un
être moral ; elle renferme autant de personnes distinctes
qu’il y a d’intéressés ; aucun d’eux ne la représente que
pour sa part et portion. L’associé qui vend, achète, s’o
blige, intente une action ou y défend au nom de la so
ciété , engage de plein droit ses associés, à moins que
l’acte de société ne lui ait interdit le pouvoir de le faire.
Le communiste, agissant dans les mêmes circonstances
au nom de la communauté, n’obligerait que lui seul.
10. — La communauté , prolongeant l’indivision,
place les biens dans un état d’indisponibilité contraire
aux intentions de la lo i, dangereux pour l’intérêt privé
lui-même. Aussi est-elle considérée avec défaveur par
�46
DES SOCIÉTÉS
le législateur, limitant à cinq ans la durée de la conven
tion qui interdit le partage. La société, au contraire, a
toutes les sympathies de la loi. L’action et le progrès
sont dans sa nature. Sa durée ne reçoit d’autres limites
que celles qu’il plaît aux parties de lui assigner.
11. — La mort d’un associé dissout de plein droit
la société, à moins d’une stipulation contraire. La com
munauté n’est nullement atteinte par le décès du com
muniste. L’intérêt des héritiers se substitue de plein droit
et naturellement à celui de leur auteur , et la commu
nauté reste avec eux ce qu’elle était avec celui-ci.
Le communiste n’a que l’action en partage ; la so
ciété , indépendamment de cette action , engendre celle
pro socio, qui en diffère par sa nature autant que par
ses effets.
1 2. — Enfin, une dernière différence, qui n’est pas
certes la moins notable, doit'encore être relevée. Dans
la société, si la chose apportée par un des associés vient
à périr , cette porte est pour le compte de l’être moral,
et ne s’oppose en rien à ce que l’ancien propriétaire con
serve son droit aux avantages produits par l’excédant
du fonds capital. Dans certains cas même il pourra, lors
de la dissolution, en répéter le prix, comme si la société
l’avait aliénée d’une manière profitable pour elle. Le
contraire forme le droit commun de la communauté.
Ainsi, si deux propriétaires o n t, dans des convenances
particulières, réuni leur propriété dans une exploitation
unique, la perle de l’une d’elles demeure pour le compte
�exclusif de celui à qui elle n’a pas cessé d’appartenir,
et la communauté se trouverait dissoute sans que l’autre
eût à supporter aucune charge ou à payer aucune in
demnité.
Ces effets divers indiquent suffisamment de quel puis
sant intérêt peut être la détermination du véritable ca
ractère du contrat, et combien il importe de ne pas con
fondre la société avec la communauté.
Or , des différences que nous venons de rappeler , il
faut conclure, avec M. Troplong, que toute société sup
pose une communauté , mais que toute communauté
n’est pas une société. La communauté est le genre , la
société une espèce, espèce très-notable et très-importan
te, et qui, par cela même,laisse mieux apprécier en quoi
la simple communauté reste éloignée d’elle1.
.
15
— Le louage d’œuvres revêt quelquefois certains
caractères de la société. C’est ce qui se réalise notam
ment lorsqu’un commis reçoit à titre de salaire, ou pour
supplément de salaire, une part quelconque dans les bé
néfices de la maison.
La jurisprudence a refusé de voir dans cette conven
tion le contrat de société , et il faut avouer que ce n’est
pas sans raison; elle n’offre pas, en effet, cette commu
nauté de choses que nous avons vu former l’élément es
sentiel de toute société. Le patron demeure le maître ex
clusif de la marchandise dont la vente doit produire le
i Des sociétés, art, 1832, n° 20.
I
2
�DES SOCIÉTÉS
bénéfice ; il reste le seul arbitre de l’opportunité de cette
vente et des conditions dans lesquelles elle doit se réa
liser.
D’autre part , le commis , complètement étranger à
l’administration, demeure également étranger aux det
tes. Les créanciers n’ont aucune action contre lui. Son
droit se borne à recevoir sa part dans les bénéfices ac
quis. Il n ’est donc pas un associé dans l’acception ordi
naire de ce mot. Il reste un conducteur de services sous
condition aléatoire L
1 4 . — L’individu qui confie à un autre des objets
avec mission de les vendre, sous promesse de lui aban
donner tout ou partie de la portion du prix excédant
une somme déterminée , contracte-t-il une société ? On
dit pour l’affirmative que , dans cette hypothèse , l’un
fournit le capital social, l’autre son industrie; qu’il y a
donc une vraie association. Mais il pouvait en être ainsi
sous l’empire du droit romain, alors que le mandat sa
larié n’étant pas admis, il convenait de trouver un nom
au contrat dont nous nous occupons. Cette solution
n’est plus admissible aujourd’hui. Le propriétaire de
l’objet n ’est pas présumé en avoir conféré la copropriété
à celui qui l’a reçu avec mission de le vendre. Or, sans
cette copropriété, il ne saurait exister de communauté et
partant de société. On ne saurait donc admettre celleci, à moins que l’intention de la contracter ne résultât
Voy. notre
Commentaire
sur l’art. 14, n° 293,
�ART.
18.
49
clairement de la convention ou des circonstances et des
faits spéciaux. Dans le doute, l’opération doit être con
sidérée comme ne constituant qu’un mandat salarié,
ou, pour parler le langage commercial, qu’une commis
sion par l’effet de laquelle celui qui donne ses soins et
son entremise pour opérer la vente n’obtient un salaire
qu’éventuellement et sous une chance aléatoire \
1 5. — Les associations tontinières, c’est-à-dire la
réunion de créanciers de rentes perpétuelles ou viagè
res, formée sous la condition que les rentes des prédé
cédés accroîtront aux survivants , soit en totalité , soit
jusqu’à concurrence d’une quotité déterminée , ne doi
vent pas être confondues avec les sociétés civiles ou com
merciales.
Une seule objection a pu être faite contre cette solu
tion ; elle était tirée de ce que les tontines ne peuvent
exister sans l’autorisation du gouvernement. Mais cette
formalité n’est pas prescrite par exécution de l’article 37
du Code de commerce , elle a été spécialement imposée
par un avis duconseil d’Etat du 25 mars 1809, approuvé
par l’Empereur le 1er avril suivant.
Or, loin d’assimiler les tontines aux sociétés, le rap
porteur , M. d’Hauterive, faisait ressortir les différences
radicales qui les séparent.
« Dans une tontine, disait-il, la somme des capitaux,
une fois déterminée, reste toujours la même. Ils ne sont
l Pardessus, t. 4, n° 969.
I
�20
DES SOCIÉTÉS
sujets à aucune chance , ni susceptibles d’aucune amé
lioration ; et l’industrie, le temps et la fortune ne peu
vent rien changer à leur mesure.
» Une tontine ne présente ni travail, ni produit, ni
concurrence ; c’est une simple convention par laquelle
les sociétaires s’engagent à souffrir , au détriment de
leurs héritiers naturels , le partage de leur intérêt dans
l’association entre ceux de leurs coassociés qui sont des
tinés à leur survivre ; et ce partage est en même temps
la seule opération des personnes qui sont chargées d’ad
ministrer l’association. Il est difficile de comprendre
comment l’existence de cette société pourrait être rap
portée à la législation commerciale, qui a pour objet de
soumettre l’industrie à des lois particulières, de favoriser
ses accroissements, de déterminer ses droits et de régler
sa concurrence. »
Entrant ici dans le parallèle des sociétés anonymes et
des tontines, le rapporteur en signale les différences ra
dicales ; il finit en ces termes :
« Enfin , la différence qui mérite le plus d’être prise
en considération est celle-ci :
» Les sociétés anonymes créent un intérêt nouveau,
non-seulement pour les associés, mais encore pour l’Etat
lui-même ; elles répandent et multiplient l’action vivi
fiante du travail ; elles forment des capitaux q u i, mis
en œuvre par leur féconde et toujours active industrie,
produisent eux-mêmes de nouvelles propriétés produc
tives.
» Les tontines ne produisent ni mouvement, ni ca
�p ital, ni industrie ; on ne saurait donc leur appliquer
les règles que la loi a tracées pour les sociétés anony
mes. »
En réalité donc , les tontines n’ont aucun des carac
tères essentiels des sociétés ; elles sont de pures associa
tions de survie. Les profits qu’elles sont dans le cas de
produire, loin de provenir du travail des communistes,
sont le résultat de chances fort indépendantes de la vo
lonté et des efforts humains.
•»
16. — Sans offrir un caractère identique, les assu
rances mutuelles, soit qu’elles se proposent de garantir
la conservation des biens, soit qu’elles aient pour objet
celle de leurs produits, ne sauraient non plus être con
fondues avec les sociétés. Il y a même pour le décider
ainsi cette raison décisive que, dans les associations de
ce genre, il n’y a jamais pour les parties aucune chance
de profit. Chacune d’elles pourra y puiser une indem
nité de la perte qu’elle est dans le cas d’éprouver; mais,
loin de réaliser un gain quelconque , elle contribuera
elle-même à la perte pour une proportion déterminée.
Une entreprise de cette nature ne met en commun que
la chance de perte , et l’dbligation de la supporter cha
cun pour sa part.
17. — Enfin , le prêt à la grosse rend commun au
prêteur l’intérêt que l’emprunteur peut avoir au succès
du voyage du navire ou de la marchandise. Ce n’est,
en effet, que par leur heureuse arrivée au port de des
tination qu’il sera remboursé de son capital et des in -
�22
DES SOCIÉTÉS
térêts au taux stipulé. Mais le profit qu’il retirera par
l’excédant du taux légal n’est pas le résultat d’une par
ticipation au bénéfice de l’expédition ; il est exclusive
ment dû à la chance qu’il a courue de perdre son ca
pital lui-même , aussi ses droits à le percevoir sont-ils
indépendants de l'issue de l’opération. Il suffit que le
navire sujet ou porteur du risque soit arrivé à bon port
pour que l’emprunteur soit tenu de désintéresser le prê
teur en capital et intérêts, alors même que sa spécula
tion lui offrît personnellement une perte.
Il n’y a donc, en réalité, dans le prêt à la grosse , ni
communauté de choses, ni communauté d’intérêts. Or,
cette dernière est à tel point de l’essence de la société,
que son absence en fait disparaître toute possibilité. C’est
ce que la cour de cassation a plusieurs fois décidé.
Ainsi, elle a jugé, le 4 juillet 1826, que la convention
par laquelle divers négociants mettent en commun un
capital, pour en jouir alternativement pendant trois
m ois, en l’appliquant à leur commerce particulier , ne
constituait pas une société l.
Un autre arrêt du 5 janvier 1842 décide qu’il n’y a
pas société lorsque les possesseurs d’une usine convien
nent que chacun d’eux l’exploitera à son tour, pour son
compte personnel, pendant un certain temps2.
Chacun des contrats que nous venons de parcourir a
quelques points de contact avec la société, et offre quel-
1 D. P ., 26, I, 403.
2 D. P ., 42, 4, 58.
•
�ART.
18
.
23
ques-uns de ses caractères. Mais l’absence des autres ne
permet pas de le confondre avec elle; car , ainsi que
nous le disions tout à l’heure , la société n’existe et ne
peut exister que du moment où , par l’effet d’un con
sentement spontané et libre , les parties ont déterminé
l’objet de la société , l’apport de chacune d’elles et la
quotité de leur intérêt respectif. En d’autres termes , il
ne peut y avoir société si le but et la ^volonté des parties
n’ont pas été de réunir dans un intérêt commun les di
verses mises sociales, de les exploiter aux risques et pé
rils de tous , et d’attribuer à chacune d’elles une part
déterminée dans les gains et dans les pertes. Repre
nons maintenant les conditions exigées pour la validité
du contrat.
18. — P r e m iè r e c o n d i t i o n : Consentement des par
ties. — L’association ne peut être le produit du hasard.
Les rapports de confiance réciproque qu’elle exige , les
sentiments quasi fraternels qui en font la base, la ren
daient un contrat essentiellement, éminemment consen
suel.
De là cette première conséquence que la société serait
nulle, si le consentement d’une des parties manquait
d’une des conditions exigées pour sa validité , s’il avait
été donné par erreur, extorqué par la violence , surpris
par le. dol ou la fraude.
Mais, ainsi que nous l’avons dit ailleurs ', le vice en-
1 Voy. notre Traité du dol et de la f raude, t. 2, n° 'i 060 et suiv.
�24
DES SOCIÉTÉS
tachant le consentement n’empêche pas que la société
ait existé de fait jusqu’au moment où son annulation
sera prononcée. Il faut donc pourvoir au règlement des
opérations qui en ont été la conséquence. Or , il n’est
pas douteux que le demandeur en nullité est lui-même
tenu vis-à-vis des tiers pour tous les engagements so
ciaux ; mais il a naturellement sa garantie contre l’au
teur de l’erreur, déjà violence, du dol ou de la fraude
dont il a été la victime.
Une seconde conséquence de la nécessité du consen
tement et qu’aucun associé ne peut contraindre ses co
associés à recevoir la personne qu’il se serait subtituée,
ou le nouvel associé qu’il se serait adjoint. L’adjonction
d’un associé , à quelque époque qu’elle se réalise, ne
peut être que l’effef de la volonté unanime des intéres
sés. La majorité ne pourrait l’ordonner malgré la mino
rité , quand même celui ou ceux qui la composent ne
voudraient donner aucun motif de leur refus. C’est ce
qui s’induit explicitement de la disposition de l’article
1861 du Code civil.
1 9.
— Mais cette règle, qui convient parfaitement
aux sociétés entre personnes limitées , reçoit une excep
tion forcée. Le capital social divisé en actions rend , en
quelque sorte, la personne des associés indifférente.
D’ailleurs, ces actions, ainsi que nous le verrons plus
tard, peuvent n’avoir pas été intégralement placées au
moment où la société commence à fonctionner. Le gé
rant, ayant le devoir d’en opérer ultérieurement le p la-
�ART.
18.
25
cernent, est donc libre d’introduire légalement dans la
société de nouveaux associés. Il en serait de même si
les actions ayant été divisées en séries ne devaient être
placées qu’à des époques déterminées , ou si les besoins
de la société appelaient des émissions nouvelles et suc
cessives.
Ordinairement encore les actions sont au porteur, ou
tout au moins tran'smissibles par la voie de l’endosse
ment. Dans l’un et l’autre cas, il est évident que l’asso
cié primitif peut céder ses droits et se substituer la per
sonne qui lui convient, sans recourir au consentement
de ses coassociés ; lequel,d’ailleurs, résulterait suffisam
ment de l’adhésion donnée dans l’acte social à la transmissibilité des actions.
La dérogation à la règle de l’article 1861 est donc
plutôt conventionnelle que légale. Voulût-on lui recon
naître ce dernier caractère , elle se justifierait pafaitement par la nature de la société. Il est évident, en effet,
que, dans les sociétés de ce genre , ce qui importe par
dessus to u t, c’est le capital. Il est donc fort indifférent
qu’il provienne de tel ou de tel ; il suffit qu’il soit ré
alisé.
Au contraire, dans la société entre personnes détermi
nées, c’est plutôt en considération de la personne qu’en
vue du capital qu’on a traité. Chaque associé a compté
sur la position commerciale ou sociale , sur les qualités
morales, sur le caractère même de celui qu’il s’est asso
cié. Il n’est donc pas possible qu’après le contrat u n
d’eux puisse se substituer une autre personne, ni in tr o
�.
26
DES SOCIÉTÉS
duire dans la société un nouvel intéressé pouvant ne
pas offrir toutes les garanties que les associés auraient
exigées.
.
20
— Mais cette prohibition ne va pas cependant
jusqu’à interdire à l’associé de négocier de son intérêt
social. Il peut donc en disposer, l’aliéner en tout ou en
partie. Rien n’empêcherait que, de lui à son cession
naire, cette aliénation reçût tous les effets dont elle est
susceptible ; mais elle ne saurait en produire aucun à
l’endroit de la société. A insi, même après une cession
totale , le cessionnaire n’aurait pas acquis le droit de
s’immiscer dans les affaires sociales, ou de prendre part
aux délibérations. De son côté , le cédant demeurerait
personnellement tenu de toutes ses obligations, comme
il jouirait de tous ses droits. Légalement, il n’a pas cessé
d’être le seul, l’unique associé.
Si la cession est partielle , l’effet, quant à la société,
est le même. Elle est sans obligations et sans droits visà-vis du cessionnaire. Mais, de celui-ci au cédant, il se
forme une nouvelle société, entée sur la première, et les
obligeant réciproquement dans la mesure de leurs
droits.
C’est ce qui a été reconnu et admis dans tous les
temps. Le droit romain s’en était formellement expli
qué. Qui admittitur socius, disait Ulpien , ei tantum
socius est qui adm ittit, et recte. Cum enim societas consensu contrahalur, socius mihi esse non potest quem
ego socium esse nolui. Quid ergo si socius meus eum ad-
�ART.
18.
27
misit ? Ei soli socius est, nam socii mei socius, meus
socius non e st l.
Cette doctrine avait été suivie dans notre ancien
droit. On désignait le cessionnaire par le nom de crou
pier, qualification fort exacte , dit M. Troplong , car il
chevauche sur son partner , et ne se distingue pas de
lui.
L’article 4861 du Code civil confirme cette règle. Au
jourd’hui, comme anciennement, l’associé de mon as
socié n’est pas le mien. Il reste le croupier de celui qui
l’a admis à participer à son intérêt.
21.
— Au reste , l’adjonction d’un nouvel associé
n’a rien qui répugne au contrat de société. L’article
1861 ne la prohibe qu’en tant qu’on prétendrait la ré
aliser sans le consentement de tous les associés. Consé
quemment , si l’appel à une tierce personne , fait par
l’un d’eux , avait reçu l’assentiment de tous les autres,
celle-ci serait un véritable associé, et participerait com
me tel, à toutes les prérogatives, à tous les droits, à tou- .
tes les obligations attachés à cette qualité.
En quelle forme doit être donné le consentement des
associés ? Doit-il être exprès ? Ne peut-il pas résulter
implicitement des faits et des circonstances?
Ces questions, à notre avis, ne peuvent soulever de
grandes difficultés. La loi exige le consentement des as
sociés , mais elle garde le plus complet silence sur la
>h. 49, et 20 ff. Pro socio.
�28
DES SOCIÉTÉS
manière dont il doit être exprimé. Il est dès lors évi
dent que la recherche de son existence rentre dans le
droit commun en matière d’acquiescement. Conséquemtnent, si les associés ont connu la cession, s’ils ont souf
fert que le cessionnaire administrât la société, s’ils l’ont
admis dans les délibérations , s’ils l’ont consulté ., s’ils
lui ont donné dans certaines circonstances le titre d’as
socié, ils ont consenti à ce qu’il le devînt ; ils ne pour
raient donc plus tard lui contester cette qualité.
La validité du consentement tacite était admise par
l’école italienne. Casaregis l’enseigne d’une manière ex
presse. Voici à quelle occasion.
On discutait la question de savoir si le participe d’un
associé était redevable à demander au gérant de la so
ciété la restitution de son capital et de sa part dans les
bénéfices. Au nom du premier, on soutenait que le se
cond n’avait pu ignorer la cession ; que non-seulement
il l’avait connue, mais qu’il lui avait donné la plus com
plète adhésion , ce qu’on faisait résulter de la corres
pondance qu’il n’avait pas cessé d’entretenir avec le
cessionnaire.
C’est en faveur de celui-ci que se prononce Casaregis,
quia quando quis assumptus est in socium alicujus negotiationis, ab aliquo socio , cum consensu consocii
( q u i c o u s e i k s u s esc s o l a s e i e u t i a © t
p a t i e n t i a e d u e l t u r ) , consideratur novus
socius admissus, tanquam si a principio primorum sociorum socius fuisset, quapropter ei negari nequit actio
convemendi socium principalem qui adm inistravit, ut
�ART. 18.
29
sibi administrations ratio reddatur, cum restitutione
sui capitalis et fructuum l.
On le voit, cette doctrine est claire et précise. Ajou
tons que son caractère juridique ne saurait être contesté.
Le consentement peut résulter de la conduite des asso
ciés aussi énergiquement que d’une déclaration écrite,
lorsque cette conduite n’est que la ratification tacite
d’un acte émané de l’un d’eux. Comment, en effet,ceux
qui connaissant la cession sont entrés en relation avec
le cessionnaire, lui ont permis de s’immiscer dans les
opérations sociales, lui ont donné l’accès dans les bu
reaux , lui ont permis d’administrer , lui ont constam
ment prêté leur concours ou requis le sien, pourraientils raisonnablement prétendre ne pas l’avoir accepté pour
coassocié ? Les faits démentiraient ici trop énergique
ment leur allégation tardive pour qu’elle pût être favo
rablement accueillie.
22» •— L’existence du consentement serait également
admise, si la cession d’intérêt n’avait été faite que pour
l’utilité de la société , et en exécution d’une clause for
melle du pacte social. Nousfivons été consulté dans une
espèce offrant cette double circonstance. Une société,
ayant pour objet l’exploitation d’une machine pour net
toyer les grains, avait été formée à Paris. 11 avait été
convenu qu’il serait créé à Marseille un établissement,
et, à cet effet, l’un des associés était autorisé, sur la part
1 Disc. 433, n°» 8 et 9.—Voy. autorités invoquées à l’appui.
�mm
30
DES SOCIÉTÉS
lui revenant, à intéresser un tiers qui gérerait cet éta
blissement. La question était de savoir si ce gérant était
l’associé de tous les membres de la société ou simple
ment le croupier de son cédant.
Nous ne pouvions voir dans l’adjonction du gérant
pour Marseille que l’exécution d’une obligation récipro
quement imposée et acceptée dans le pacte social ; et
dans l’existence de la clause de celui-ci que le consen
tement formel de tous les associés. Nous avons donc
pensé que le gérant à Marseille était membre de la so
ciété primitive, son élection étant d’ailleurs indispensa
ble au succès de l’opération.
2 3 . — Quel est, en dehors de tout consentement des
coassociés, le caractère de la cession d’un intérêt social
entre le cédant et le cessionnaire ? La solution de celte
difficulté est importante , surtout pour la détermination
de la juridiction appelée à connaître les contestations
dont cette cession peut être l’objet. >
Or, si on s’arrête aux expressions littérales de la loi,
on est conduit à décider qu’une cession de ce genre est
une véritable société. C’est» ainsi que la qualifient le
texte du droit romain et celui de l’article 1861.
Si on s’en réfère à la nature des choses, on arrive à
la même conclusion, car on se trouve en présence d’une
communauté fondée par le concours des deux parties,
puisque le cessionnaire ne paie un prix que pour deve
nir propriétaire d’une partie de l’intérêt social de son
cédant, que pour constituer un fonds social par la réu-
�nion de cette partie à celle restant à ce dernier , et que
ce fonds social doit être exploité dans un intérêt com
mun. Nous retrouvons donc dans lé contrat les trois éléments constitutifs de la société, à savoir une indivision
respectivement consentie, un apport réciproque, et une
communion d’intérêts devant offrir pour chaque partie
une chance de gain ou de perte.
Aussi la doctrine de toutes les époques était-elle una
nime. Partout et toujours, la cession d’un intérêt social
avait paru créer une société entre le cédant et le ces
sionnaire.
2 4. — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Duvergier. Pour cet honorable jurisconsulte, ce contrat
n’est rien autre chose qu’une simple communauté lL
L’unanimité que nous venons de signaler dans la lé'
gislation et dans la doctrine rend cette opinion peu vrai
semblable. « En effet, à ce compte , dit M. Troplong,
les lois rom aines, le Code civil, les interprètes grands
ou obscurs, la jurisprudence toute entière auraient vécu
jusqu’à ce jour dans une profonde erreur ; car , sans
cesse, dans la théorie comme dans la pratique la plus
invétérée, le nom d’associé a été donné au croupier. Or,
il peut bien arriver que la science se trompe une fois,
vingt fois ; mais se tromper toujours ! est-ce possible ?
est-ce croyable ? 2 »
1 Des sociétés, n° 375.
2
Art. \ 864, n°757.
�i 12
DÈS SOCIÉTÉS
Il y a là, il faut l’avouer, un terrible préjugé contre
l 'opinion de M. Duvergier. Voyons maintenant si les
i notifs sur lesquels il la fonde viennent lui donner rais on contre l’impossibilité et l’invraisemblance signalées
p ar M. Troplong.
« Dans la cession à titre onéreux, dit M. Duvergier,
il n ’y a point d’apport fourni par chacun des contrac
ta nts et point de chose commune formée par leur réu
ni on , cela parait incontestable , car la somme d’argent
qi le paye le cessionnaire entre dans la caisse du cédant,
devient sa propriété personnelle; elle n ’est donc pas la
milse du cessionnaire. »
Non, sans doute, le prix de la cession n ’a jamais for
mé l’apport social du cessionnaire ; mais, au moyen de
ce jftrix, celui-ci a acquis une partie de l’intérêt que le
céd ant a dans la société principale, et c’est cette partie,
désormais sa propriété, qui va constituer sa mise soci
ale ; c’est la réunion de cette partie à celle restant au cédant qui forme le fonds commun.
M. Duvergier nierait-il la société dans l’hypothèse sui
vante? Un négociant possède une usine, il en vend la
moitié à un tiers, et, cette vente consommée, l’usine est
mise en commun pour être exploitée dans l’intérêt des
deux propriétaires actuels. Quelle différence y a-t-il en
tre cette hypothèse et celle qui nous occupe ? Aucune
autre , si ce n’est que dans celle-ci l’objet cédé est un
droit incorporel au lieu d’être un immeuble. Mais cette
différence est fort indifférente, puisque l’un est au même
titre que l’autre suscptible de possession et de transmis
sion.
�ART.
18.
33
Ce qui est donc incontestable dans notre espèce, c’est
qu’a près la cession il y a une chose commune fournie
par chaque associé. La prétendue absence de cette com
munauté de choses est surtout remarquable dans la
bouche de M. Duvergier. Est-ce à cause de cette ab
sence qu’il soutient que le contrat n’est qu’une simple
communauté ?
Ce premier argument n’a donc aucune portée ni en
fait ni en droit; c’est ce que M. Duvergier est lui-même
amené à reconnaître. « Mais, continue-t-il, en admet
tant qu'il y ait chose commune et mise de fonds réci
proque , on ne retrouve pas dans les conséquences du
contrat les effets ordinaires d’une société. D’abord, selon
le droit commun et à moins de convention contraire,
chaque associé a l’administration des choses composant
le fonds social ; or, le cessionnaire, qu’on voudrait con
vertir en associé, doit rester complètement étranger à la
gestion. En outre , il ne peut pas user comme associé
des choses qui dépendent de la société. Enfin , sa mort
ou sa déconfiture ne mettrait pas fin aux rapports éta
blis entre lui et son cédant ; car celui-ci ne pourrait être
contraint à rendre tout ou partie du prix qu’il aurait
reçu , encore moins faire un partage qui est impossible
tant que dure la société principale. »
Ces nouvelles objections ne sont pas plus décisives que
la première. D’abord, il n’est pas exact que le croupier
ne puisse administrer. Le plus souvent, au contraire,
comme le remarque M. Troplong, l’associé ne s’en doni
3
�34
DES SOCIÉTÉS
nera un que pour se décharger sur lui d’une adminis
tration devenue trop lourde pour ses seules forces.
D’ailleurs, la loi ne statue rien sur la gérance et l’ad
ministration des sociétés ; elle se borne à consacrer ce
que les parties ont elles-même décidé. La faculté de co
opérer à l’une ou à l’autre est si peu de l’essence de la
société , qu’elle peut être interdite même à l'associé en
nom collectif; qu’elle est de plein droit prohibée à l’as
socié commanditaire ; ce qui n’empêche pas l’un et l’au
tre d’être évidemment associés.
Ainsi et alors même que le croupier ne pourrait ad
ministrer, ce serait là un effet spécial de la société qu’il
est appelé à contracter. Il demeurerait à l’instar du
commanditaire, et ne pourrait, pas plus que lui, répu
dier , sous ce prétexte , une qualité qu’il aurait sciem
ment et volontairement assumée.
Maintenant, est-il vrai qu’il ne puisse y avoir ni dis
solution, ni partage de la société incidente , avant la
dissolution et le partage de la société principale ? Il est
permis d’en douter. Le contraire était bien positivement
admis en droit romain , ainsi que l’enseigne Gaïus :
Item certum est nihil vetare prius inter eum qui admiserit, et eum qui admissus fu e r it, societatis judicio
agi, quam agi incipiat inter cœleros et eum qui adm iserit \ Par quels motifs admettrait-on le contraire en
droit français ?
1 L, 22, ff. P ro tocio.
�ART.
18.
35
Fallût il décider autrement que ne le faisait le droit
romain , tout ce qui en résulterait serait qu’il faudrait
reconnaître à la société entre le cédant et le cessionnaire
certains caractères spéciaux , dérogeant aux règles de la
société ordinaire. Ainsi, de sa nature, elle ne serait pas
dissoute par la mort de l’associé, et elle ne serait pas la
seule à offrir ce caractère. Nous verrons tout à l’heure
qu’il en est de même pour certaines sociétés civiles ou
commerciales, notamment pour les sociétés en comman
dite ou anonymes.
Il y aurait même une raison plus déterminante pour
le décider ainsi dans celle entre cédant et cessionnaire.
On pourrait, en effet, la considérer comme ayant pour
objet une seule, une unique opération, à savoir le par
tage de la part d’intérêt que produira la liquidation de
la société principale. Il en serait donc de cette société
comme de celles dont parle Casaregis, lesquelles devaient
continuer post mortem socii, donec, dimissis creditoribus negocii, fieri possit capitalium atque lucrorum
divisio \
Ainsi, les différences signalées par M. Duvergier, nonseulement ne portent pas sur des conditions essentielles
à la société , mais elles ne sont que les conséquences
forcées de l’espèce de celle se réalisant entre le cédant
et le cessionnaire. Celui qui prend une part dans l’in
térêt d’un associé consent, par cela même, à subordon-
' Disc. 146, n° 31.
�DES SOCIÉTÉS
ner son action en dissolution et en partage à l’événe
ment seul susceptible de déterminer la chose à partager.
Celte association sera plutôt une participation devant
continuer jusqu’à achèvement , malgré la mort du coparlicipe, qu’une société ordinaire. Mais, comme la par
ticipation elle-même , elle n ’en constituera pas moins
une véritable société.
2 5. — D e u x iè m e c o n d i t i o n : Objet licite. = Com
me tous les contrats , la société est destinée à créer des
obligations et des droits. L’exécution des premières , la
poursuite des seconds peuvent devenir l’origine d’une
action. La condition essentielle de la recevabilité de celleci, c’est qu’il s’agisse d’un objet pouvant en devenir la
matière.
Pour qu’il en soit ainsi en matière de société, il faut
que le but que se sont proposé les associés n’ait rien de
contraire à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Dans le cas contraire , la société , atteinte d’un vice ra
dical , se trouverait frappée d’une nullité viscérale , et
n’aurait pu créer un lien obligatoire quelconque. Traditur rerum inhonestarum nullam esse societalem ï .
Or, notre droit considère comme illicite la société for
mée pour l’exploitation d’une charge d’avoué, de notai
re, d’agent de change3. Quels seront les effets du con
trat souscrit dans ce but ?
1 L. 57, ff. Pro socio.
2 Cass., 24 août 4841 ; J du P., 42, 1, 209.
�r.r ,'
a.r t .
18.
37
La nullité résultant de la violation de la loi est radi
cale et absolue. Quels qu’en soient les termes, l’acte ne
saurait créer ni obligation ni droits. Conséquemment, la
personne qui aurait promis une mise de fonds, mais qui
ne l’aurait pas encore versée, ne pourrait être judiciai
rement contrainte à la réaliser.
2ti bis. — Cette doctrine a cessé d’être vraie en ce
qui concerne les agents de change. En effet, la loi des
21-4 juillet 1862, modifiant les articles 74 , 75 et 90
du Code de commerce , permet aux agents de change
près des bourses pourvues d’un parquet, de s’adjoindre
des bailleurs de fonds intéressés, participant aux béné
fices et aux pertes de l’exploitation de l’office et de la
liquidation de sa valeur. Ces bailleurs de fonds , ajoute
la lo i, ne seront passibles des pertes que jusqu’à con
currence des capitaux qu’ils auront engagés.
La loi , on le vo it, évite avec soin de prononcer le
mot associés. Il est néanmoins évident qu’elle crée et
consacre une société nouvelle que le droit commun, loin
de reconnaître, proscrivait formellement.
Cette société n’est ni en nom collectif, ni en comman
dite, ni une société anonyme ou en participation. Aussi
répugnait-on à l’admettre, parce qu’on ne pouvait con
cevoir une société innomée.
Mais , répondait le rapporteur , nous ne voyons pas
que ce puisse être là un reproche. Sans doute la société
ne rentre pas dans le cadre des trois ou quatre sociétés
définies et réglées par le Code de commerce. Mais la loi
�38
DES SOCIÉTÉS
peut toujours, suivant le besoin, créer des sociétés nou
velles. Celle-ci sera une société sui generis , spéciale,
pour un objet spécial. Elle aura ses règles propres qui
seront avouées par la raison et l’expérience.
2 5 ter. — C’est donc une véritable société que la loi
organise. Celte société était-elle opportune : quelles en
seront les conditions et les règles ? C’est ce que sa spé
cialité commande de rechercher.
L’opportunité résulte invinciblement de cette circons
tance, que la loi est venue mettre un terme à une illé
galité qui puisait dans sa nécessité même, le courage de
braver les enseignements formels de la jurisprudence.
Chaque jour des sociétés entre agents de change et bailleus de fonds se produisaient , et ne pouvaient pas ne
pas se produire , vu le prix auquel les charges s’élaient
élevées.
A Paris , ce prix était de un million cinq cent mille
à deux millions de francs. Outre ce prix, il y avait à
pourvoir au cautionnement de cent vingt-cinq mille francs
et au versement de cent mille francs au fonds de ga
rantie, et à se procurer un fonds de roulement de trois
cent mille francs. C’était donc deux millions ou deux
millions cinq cent mille francs que devait verser l’ache
teur.
Or, il est évident que celui qui aurait possédé un pa
reil capital n ’aurait pas été assez insensé pour l’exposer
aux chances de l’exploitation d’un office et se jeter luimême dans les soucis, les difficultés et les embarras in
séparables de cette exploitation.
�ART.
18.
39
Ce qui résultait de là , c’est qu’aucune transmission
de charge d’agent de change ne se réalisait, sans que le
titulaire nouveau n’eût auprès de lui des bailleurs de
fonds plus ou moins nombreux, qui se trouvaient ainsi
constituer une association que la loi n’avait ni reconnue
ni consacrée.
Cette violation permanente de la loi devait avoir un
terme. Comme moyen d’aboutir à ce résultat^ on propo
sait de proclamer la liberté absolue des fonctions d’agent
de change, qui coupait court, en effet, à toute transac
tion et remédiait radicalement à toute exagération dans
le prix.
Mais cette liberté ne pouvait être admise sans qu’on
fût obligé d’indemniser les titulaires actuels,ce qui impo
sait au Trésor une charge passablement lourde.
Puis, il fallait tenir compte de ce q u i, dans les fonc
tions d’agent de change , excédait le mandat purement
commercial : par exemple , la certification de l’identité
des personnes et de la sincérité de la signature pour le
transfert des effets publics ; la constatation officielle du
cours des valeurs cotées. O r, pouvait-il être que , sans
danger pour le crédit public, on abandonnât ces actes
au premier venu , on renonçât à la garantie qui , à ce
double point de vue, résultait de l’état actuel des choses?
L’exposé des motifs relevait avec raison qu’au point
de vue purement commercial , cet état actuel offrait au
public une garantie non moins précieuse dans la valeur
de la charge, dans le cautionnement, dans le fonds de
roulement, dans le fonds de garantie qui avait atteint le
�46
DES SOCIÉTÉS
chiffre de six millions, et que le syndicat employait,
pour couvrir certaines dettes que son insolvabilité ne
permettait pas à l’agent de change d’acquitter. Etait-il
donc prudent et sage de renoncer à toutes ces garanties
et de leur substituer l’inconnu ?
Le système de liberté écarté, restait la nécessité de
mettre un terme à la violation incessante de la loi, et
le moyen le plus énergique était de la modifier dans le
sens d’une expérience qui durait depuis plus de cin
quante ans, et de permettre ce qu’il était impossible de
prohiber. L’opportunité et l’utilité de la loi de 18621, à
ce point de vue, ne sauraient être contestées.
_ ^ l’avenir , donc , le titulaire d’une
charge d’agent de change, ou celui qui prétend le deve
nir , pourra s’associer des bailleurs de fonds et se pro
curer ainsi les ressources q u ’il ne pourrait trouver dans
sa fortune. Toutefois cette faculté ne saurait s’étendre
jusqu’à permettre-que le titulaire ne fût en réalité qu’un
prête nom, que le bouc émissaire sur lequel tomberait
la responsabilité d’opérations d’autant plus hasardeuses
que les véritables intéressés seraient plus à couvert des
conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter.
De là la disposition exigeant que le titulaire soit tou
jours, en son nom personnel , propriétaire du quart au
moins de la somme représentant le prix de l’office et le
montant du cautionnement.
2 5 quatuor.
_ . Les termes de la loi s’entendaient né
cessairement en ce sens que, tant que le titulaire exerce
2 5 quinto.
�ART.
18.
41
ses fonctions , il ne saurait ni directement ni indirecte
ment aliéner cette part de propriété. La cession qu’il en
aurait consentie serait donc frappée d’une nullité radi
cale.
Que le cessionnaire puisse se prévaloir de cette nul
lité pour se dispenser d’exécuter la cession et d’en payer
le prix , on ne saurait le contester. Mais si la cession a
été exécutée et le prix payé, pourra-t-il se faire intégra
lement restituer celui-ci?
Le tribunal de commerce de Paris saisi de la ques
tion, avait déclaré la demande irrecevable, attendu qu’urî
contrat illicite ne saurait fournir aux contractants la base
d’une action en justice; qu’on ne saurait,dans l’espèce,
admettre une communauté de fait1, et en ordonner la li
quidation sur les bases convenues par les parties , qu’à
la condition de sanctionner un acte interdit par la loi et
de lui faire produire ses effets.
Mais sur l’appel, la cour de Paris reconnaît qu’il a
existé une communauté de fait qui doit être liquidée, et
déclare que tout ce que le cessionnaire peut réclamer
c’est sa part dans l’actif restant après le paiement des
créanciers de la communauté.Cet arrêt est frappé d’un pourvoi à l’appui duquel on
soutient que la nullité devait avoir pour résultat et pour
effet la restitution pure et simple du prix de la cession;
que ce prix n’étant jamais entré légalement en la pos
session de l’agent de change, n’avait pu être affecté aux
créanciers de la charge; que la cession ayant été inopé
rante , elle n’avait pu produire , ni en fait ni en droit,
une société.
�42
DES SOCIÉTÉS
Mais ce système est repoussé par la cour de cassation
qui , par arrêt du 31 mars 1869 , rejette le pourvoi et
sanctionne la doctrine de la cour de Paris x.
25 sexto. _ La nature exceptionnelle et spéciale de
la société autorisée par la loi du 4 juillet 1842 , a été
nettement précisée par l’exposé des motifs : L’office pu
blic, le privilège qui en résulte, les fondions qui en sont
l’objet, les devoirs qu’il impose , rien de cela ne peut
tomber dans le domaine d’une société. Tout cela doit
rester exclusivement personnel au titulaire de la charge,
dont aucune combinaison financière ne saurait atténuer
la situation officielle soit vis-à-vis du public , soit visà-vis de l’autorité disciplinaire, soit vis-à-vis de l’admi
nistration publique,
Mais la finance de l’office, l’exploitation de l’élément
commercial qu’il comporte , le profit des courtages, la
valeur vénale résultant du droit de présentation, et ré
ciproquement la formation du capital d’achat, de garan
tie et d’exploitation, toutes ces choses n’ont rien qui soit
contradictoire avec les idées et le but qui président ha
bituellement à l’association des capitaux.
La position des bailleurs de fonds vis-à-vis de la so
ciété est donc nettement tranchée. Ils ne peuvent inter
venir dans les fonctions du titulaire de l’office, ni se li
vrer à aucun des actes que ces fonctions comportent. Ils
n ’ont qu’un droit, celui de se faire rendre annuellement
�ART. 18.
43
compte des profits de la charge, de se répartir entre eux
et le titulaire ces profits , et eri cas de liquidation de se
partager le prix de la chargeet ses autres ressources pé
cuniaires proportionnellement à leur intérêt.
25
septim o.
— De ce que ]es bailleurs de fonds ne
sont passibles des pertes que jusqu’il concurrence des
capitaux qu’ils auront engagé, on a voulu induire qu’ils
étaient des associés commanditaires, qu’en conséquence
on devait les déclarer indéfiniment responsables en cas
d’immixtion dans la gérance de la société.
Cette proposition avait le tort de prévoir et de suppo
ser l'impossible. En effet, on comprend que dans les so
ciétés de commerce ordinaires l’immixtion puisse se
produire. Un associé commanditaire peut se livrer à des
actes de nature à inspirer aux tiers la croyance qu’é
tant associé en nom , il engage valablement la société.
La responsabilité indéfinie est , dans ce cas, la juste
conséquence de l’erreur dans laquelle il a jeté le public.
Mais comment s’immiscer dans des fonctions exclusi
vement dévolues à celui qui est appelé à les exercer et
que personne autre que lui ne peut remplir? Un bailleur
de fonds, quel qu'il soit, ira-t-il certifier l’identité de la
personne et la sincérité de la signature dans le transfert
des effets publics ? Pourra-t-il intervenir en quoi que
ce soit dans la constatation officielle de la valeur des ef
fets cotés ? Se présentera-t-il au parquet pour y négo
cier l’achat ou la vente de ces effets ?
Ce qu’il pourrait faire , c’est de se rendre , hors la
�DES SOCIÉTÉS
Bourse, intermédiaire dans les actes de courtage réser
vés aux agents de change. Mais, dans ce cas, il se ren
drait coupable non d’une immixtion dans les affaires de
la société, mais du délit d’usurpation de fonctions prévu
et puni par la loi du 29 ventôse an IX, et dont la cor
poration entière des agents de change pourrait lui de
mander compte.
Que si le bailleur de fonds accepte les fonctions de
commis ou de caissier de l’agent de change dont il est
l’associé, il ne s’immisce ni dans les fonctions de celuici ni dans la gestion de la société. La notoriété de sa
qualité ne permet pas de craindre qu’il puisse jamais
faire illusion au public, et de même que celte qualité ne
saurait constituer le délit d’usurpation de fonctions , de
même on ne serait ni recevable ni fondé à en faire ré
sulter une immixtion pouvant entraîner la responsa
bilité.
25 octavo. — Une autre proposition qui se produisit
dans la discussion de la loi, consistait à déclarer les bail
leurs de fonds expressément soumis à l’action directe des
tiers à raison de leur apport.
La commission du corps législatif ne crut pas devoir
l’accueillir, et avec raison. Où, en effet, en était l’utilité
tant que l’agent de change était integri status, et com
ment supposer que ceux qui pouvaient se faire désinté
resser par lui iraient recourir contre les bailleurs de
fonds ?
La question d’action directe ne peut naître qu’en cas
�ART.
18.
45
de déconfiture ou de faillite, mais, dans cette hypothèse,
il importait peu que l’action directe fût ou non consa
crée par la loi. Une jurisprudence unanime en confère
l’exercice aux créanciers, comme conséquence du droit
commun en matière d ’engagements sociaux.
On pouvait donc s’en tenir au droit commun , et la
commission s’y tient d’autant mieux , disait le rappor
teur, qu’il n’y a peut-être pas lieu aux craintes de l’au
teur de l’amendement. Comment, en effet, les choses se
pratiquent-elles? L’agent de change, pour être nommé
et pour exercer, doit avoir organisé et complété ses moy
ens d’action. Il doit avoir payé le prix de l’office dont
il rapporte la quittance; il doit avoir versé le cautionne
ment dont le récépissé est à produire ; il doit verser sa
part du fonds commun à la caisse syndicale; le fonds
de roulement est variable, mis il doit en avoir un en
caisse pour marcher. Conséquemment, les bailleurs de
fonds doivent non-seulement engager, mais réaliser leurs
contingents.
Dans les sociétés de commerce ordinaires , le verse
ment immédiat de l’entier capital serait, pour la société
qui n’en aurait pas l’em ploi, une charge et un embar
ras. Aussi a-t-on le soin d’en échelonner la réalisation
et de la subordonner aux besoins que l’exploitation peut
amener.
En ce qui concerne les agents de change , la société
ne puise sa raison d’être que par la nécessité de se pro
curer les deux millions ou les deux millions cinq cent
mille francs, et comme le besoin s’en fait immédiate-
�46
DES SOCIÉTÉS
ment sentir , la réalisation doit même précéder la mise
en mouvement de la société. On ne saurait donc prévoir
et supposer ici ces retards dans le versement qu’on ne
rencontre que trop souvent dans les cociétés en com
mandite ou anonymes.
2 5 nono. — Comme dans toutes les autres sociétés,
les parties intéressées ont, dans celle-ci, le droit de dé
terminer la durée qu’elles entendent lui assigner. À dé
faut de stipulation, la société se continue forcément tant
que le titulaire gère son office.
Il est évident, en effet, qu’on ne saurait supposer
l’intention contraire. Ceux qui s’associent pour l’exploi
tation d’une charge , sont censés vouloir rester associés
pendant toute la durée de l’exploitation. Celle présomp
tion ne peut céder que devant la manifestation d’une vo
lonté contraire.
À défaut de cette manifestation , la société existe de
plein droit jusqu’à la fin de l’exploitation , et l’associé
qui voudrait s’en retirer avant, n’a d’autre moyen que
la vente ou la cession de son intérêt.
25<Jecimo, — Si un terme a été assigné, son expira
tion amène de plein droit la dissolution de la société.
Mais c’est ici que se manifeste plus ouvertement encore
l’effet de la nature spéciale de la Société.
En droit commun, la dissolution de la société amène
forcément la fin de l’opération qui en faisait l’objet. L’ê
tre moral n’existe p lu s, et tout ce qui lui appartient,
meubles, immeubles, droits incorporels, tout doit être
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ART.
18.
47
liquidé, vendu , et le prix partagé entre les ayants
droit.
Il n’en est pas de même dans la société avec un a gent de change. Ainsi que nous l’avons dit, l’office pu
blic, le privilège qui en résulte, les fonctions qui en sont
l’objet ne peuvent tomber dans le domaine de la so
ciété et restent exclusivement personnels au titulaire.
Donc, le terme de la société arrivé , les coassociés ne
peuvent contraindre le titulaire à cesser ses fonctions, à
vendre la charge. Leur unique droit est d’exiger qu’il
leur soit tenu compte des bénéfices, de la part leur affé
rant dans le fonds de roulement et de garantie, et dans
la valeur vénale de l’office , suivant l’évaluation amiablement consentie ou fixée par la chambre syndicale.
Sans doute , l’obligation de restituer celte part peut
forcer le titulaire à se démettre en lui enlevant les res
sources indispensables à son exploitation. Mais il peut
éviter ce résultat en sé procurant ce qui lui manque pour
faire face à ces restitutions , soit par l’emprunt.quelque
dangereux que soit ce moyen, soit en s’adjoignant d’as
sociés nouveaux en remplacement des anciens.
26. — Avant la loi nouvelle, la difficulté était plus
sérieuse à l’égard de ceux qui avaient versé. Evidemment
le titulaire ne pouvait se refuser au remboursement des
sommes par lui reçues. Mais ce remboursement, com
ment l’opérer en présence des créanciers ? Les ayants
droit augmentent-ils purement et simplement le nombre
de ceux-ci ? Pouvaient-ils provoquer un règlement pour
�48
DES SOCIÉTÉS
se faire attribuer une part dans les bénéfices acquis ?
Pouvait-on le provoquer contre eux à l’effet de compen
ser sur leur créance la portion des perles qu’ils devaient
supporter ?
Ces questions, envisagées sous le rapport des princi
pes, ne paraissent pas susceptibles de graves difficultés.
Participer aux bénéfices, contribuer aux pertes d’une opération est un droit et une obligation inhérents à la
qualité d’associé. En conséquence, si cette qualité illici
tement prise n’a jamais pu exister , si elle est contestée
et refusée , comment produirait-elle un effet quelcon
que ? Il n ’existe donc plus dans les personnes qui se
prétendraient associées que de bailleurs de fonds , que
des créanciers ordinaires , dont l’unique obligation est,
en cas d’insuffisance de l’actif, de subir les chances d’u
ne distribution au marc le franc de leurs créances.
Cependant un arrêt de la cour de Paris a consacré le
système contraire. Tout en déclarant les associés déchus
de tout droit au capital social , il les a soumis à sup
porter leur part dans les pertes.
« Considérant, dit cet a rrê t, en ce qui concerne les
associés, q u e , quels que soient la nature et le caractère
des conventions intervenues entre eux et Bureaux , ils
ont versé à ce dernier des fonds, mais sous des condi
tions aléatoires qui doivent être subies par eux ; qu’on
ne peut leur refuser le droit d’être admis au marc le
franc à la contribution , mais qu’ils ne peuvent y être
admis que pour ce qui restera de leurs capitaux après
règlement de leur compte avec Bureaux , et réduction
�ART.
18.
49
faite desdits capitaux proportionnellement aux pertes ré
sultant des chances qu’ils ont consenti à courir
»
27. —- La défense des associés était fort simple. Ou
nous sommes réellement associés, disaient-ils , et nous
devons participer aux dettes ; mais, dans ce cas, le fonds
capital doit être partagé'entre nous , et les créanciers
personnels de notre associé n’ont rien à prétendre sur
la part nous revenant ; ou nous n’avons jamais pu être
associés, et, dans ce cas, comment pourrions-nous être
tenus des dettes ?
Cette défense met en relief le caractère étrange de
l’arrêt. Il était difficile d’échapper au dilemme qu’elle
offrait : l’arrêt le tourne d’une manière fort inattendue ;
il annule la société tout en la maintenant. Les associés
n’ont qu’un droit de répétition de ce qu’ils ont donné,
puisque la société est nulle comme illicite ; mais ils con
tribueront aux pertes parce qu’ils sont associés.
Tel est, en effet, ce qui ressort de l’arrêt, dont l’uni
que motif est loin d’être satisfaisant. Quels que soient
la nature et le caractère des conventions intervenues
entre les parties, elles ont versé entre les mains du gé
rant des sommes, mais sous des conditions aléatoires
qui doivent être subies par elles I Mais ces conditions
étaient la conséquence de la nature du contrat. En échange , elles constituaient les bailleurs copropriétaires
du fonds social que ces sommes réunies devaient for-
1 M juillet '1836.
I
\
4
�DES SOCIÉTÉS
mer ; elles leur assuraient une part proportionnelle dans
les bénéfices ; enfin, elles leur acquéraient la qualité et
les prérogatives d’associés. Vous leur enlevez tout cela,
et vous prétendez les soumettre aux conditions qu’ils
s’étaient imposées dans cette unique intention ? Cela ne
paraît ni logique , ni juste. Ce n’est pas un jugement
que vous faites, c’est un contrat nouveau que vous sub
stituez à celui qui liait les parties , et dont la nullité,
embrassant toutes les dispositions dans leur indivisibi
lité, ne pouvait que les faire condamner toutes.
Ce qui est surprenant, c’est que cet arrêt ait reçu la
sanction de la cour suprême. Le pourvoi dont il fut l’ob
jet fut, en effet, rejeté le 24 juillet 1841.
Quelque profond que soit notre respect pour les hau
tes lumières de la cour régulatrice, nous ne pouvons être
de son avis dans la circonstance actuelle. Nous ajoutons
que ses motifs sont loin de rendre juridiquement raison
du principe qu’elle consacre.
« Attendu, dit-elle, que si les conventions contenues
audit acte avaient, d’après les lois organiques des offi
ces d’agent de change, une'cause illicite, et si, aux ter
mes de l’article 1131 du Code civil, l’obligation fondée
sur une telle cause ne peut produire d’effets, d’après la
règle qui ne permet pas qu’on s’enrichisse aux dépens
d’autrui, et qui, par cela même, veut que toute réunion
d’intérêts, même fortuite, établisse des rapports et don
ne des droits pour se provoquer à un règlement et par
tage , de Boullenois et de Noue devaient partager avec
�ART.
18.
SI
Bureaux les pertes comme les bénéfices qui provien
draient de l’office dont celui-ci était titulaire ; et ils étaient d’autant plus soumis à ce partage , à l’égard de
ses créanciers, que ceux-ci n’ayant point participé à la
société contractée ,en 1830 , la nullité de cette société ne
pouvait leur être opposée l. »
Ainsi', malgré la volonté expresse de la lo i, une so
ciété illicite devra produire les effets d’une société ordi
naire, les bénéfices seront acquis aux associés, au pré
judice des créanciers du titulaire, les pertes seront souf
fertes en commun. Mais alors pourquoi ne pas aller jus
qu’au partage du fonds social et à son attribution à
chaque associé? Pourquoi, en un mot, s’il faut en venir
à une liquidation, s’écarter du mode ordinairement pra
tiqué ?
Dans le système de la cour de cassation, ceux qui ont
contracté une société illicite ne deviennent pas des bail
leurs de fonds, ils demeurent de véritables associés avec
lesquels il faut liquider et partager ; mais, dans ce cas,
que devient la nullité radicale dont l’effet, rétroagissant
au jour de la convention, doit entraîner comme consé
quence que la société n’a jamais pu exister ?
Les seuls rapports qui aient donc lié les parties sont
ceux de capitalistes à emprunteur ; ils n’exigent donc
que le remboursement par le gérant de ce qu’il a reçu
intégralement, s’il le peut ; par contribution au marc le
�52
DES SOCIÉTÉS
franc avec tous les autres créanciers, si le passif excède
l’actif.
En quoi ce résultat blesse-t-il la règle que nul ne
peut s’enrichir au détriment d’autrui ? Les prétendus
associés ne demandent que la restitution de ce qu’ils ont
versé, ils ne s’enrichiront donc pas, alors même qu’ils
la recevraient intégralement. Les créanciers n’auront
pas à s’en plaindre si eux-mêmes sont payés en entier.
En cas d’insuffisance, les associés s’enrichiront si peu
qu’ils ne recevront pas ce qu’ils ont déboursé; réduits
au rôle de créanciers, ils ne retireront que ce que ces
derniers recevront eux-mêmes ; ils ne se seront donc pas
enrichis.
A insi, de quelque manière qu’on envisage la ques
tion, on se retrouve placé en présence du dilemme offert
par la défense devant la cour de Paris : la société existe
ou n’exisfe pas ; il ne peut y avoir une troisième solu
tion ; il ne peut pas se faire surtout qu’elle soit consi
dérée comme radicalement nulle , et qu’on lui fasse ce
pendant produire tous ses effets.
Nous repoussons donc la doctrine de l’arrêt de la
cour de cassation comme celle de la cour de Paris , et,
nous résumant, nous dirons avec M. Duvergier : La nul
lité de l’acte enlève à la convention qu’il consacre tout
effet légal, tout lien obligatoire. Il n’y a jamais eu d’as
sociés soumis aux obligations que cette qualité impose.
A quelque titre qu’un individu ait avancé de l’argent, il
n’a été qu’un simple bailleur de fonds, qu’un créancier
ordinaire, ne pouvant pas plus être obligé de contribuer
�ART.
18.
53
aux pertes, qu’il serait fondé à prétendre retenir une part
dans les bénéfices 1.
2 8 . — T r o i s i è m e c o n d i t i o n : Communauté de cho
ses régie dans un intérêt commun. — Cette condition
exige, de la part de chaque associé, à l’origine du con
trat , une participation à la constitution du capital so
cial, pendant toute la durée de la société, et à sa disso
lution, une équitable contribution aux bénéfices ou aux
pertes.
2 9 . — L’article 1833 du Code civil pourvoit à la
première , en soumettant chaque associé à fournir une
mise de fonds. Ce qu’il faut remarquer dans celle dis
position, c’est sa généralité, c’est son immense latitude.
Chaque associé doit apporter de l'argent, ou d'autres
biens, ou son industrie , ce qui comprend virtuellement
tout ce qui présente une valeur appréciable. Ainsi , la
loi n’exclut rien : choses corporelles ou incorporelles,
droits, choses futures et espérées, chances à venir, jouis
sance et fruits, qualités d’une personne, ses facultés in
tellectuelles , les inventions de son esprit, le travail de
ses mains , sa clientèle , en un mot les attributs utiles
d’une chose, sa destination vénale, peuvent devenir l’ob
jet d’une mise de fonds réelle et suffisante.
5 0 . — L’apport qu’un commerçant ferait de son
nom constituerait-il une mise de fonds telle que l’exige
i Des sociétés, n° 63.
�4
54
'
'
•
DES SOCIÉTÉS
la loi ? Il est incontestable que le crédit est, en commer
ce , d’une valeur inappréciable. Or , le crédit s’attache
surtout à la personne qui, par ses antécédents commer
ciaux , par une réputation de loyauté , de probité , de
fortune, est signalée depuis longtemps à l’estime et à la
considération de tous : mettre la société sous le patro
nage d’un nom pareil, c’est attirer sur elle cette consi
dération et cette estime ; c’est lui ménager un crédit as
suré ; c’est lui assurer immédiatement toutes les chan
ces de succès. Pourquoi donc ce nom ne constituerait-il
pas une mise sociale ? La position qu’il fait à la société
n ’est-elle pas infiniment plus précieuse que celle que lui
ferait un capital quelconque ?
Cependant, un de nos plus célèbres jurisconsultes, M.
Troplong, n’admet l’affirmative qu’à condition que l’ap
port du nom sera accompagné d’une coopération effec
tive , rendant efficace la responsabilité sur laquelle les
tiers ont compté l.
J’en demande pardon à notre illustre maître, mais le
but qu’il se propose-est atteint par la seule force des
choses, et indépendamment de toute coopération. Notons
bien, en effet, qu’un apport de la nature de celui dont
nous nous occupons ne se réalisera jamais que dans les
sociétés commerciales ; ce sera donc uniquement pour
en faire la raison sociale qu’on recherchera un nom jus
tement célèbre et honoré. Cela acquis, qu’importe que
' Des sociétés, art. 1833, n» 116 .
�ART.
18.
55
son propriétaire coopère ou non à l’administration. Par
cela seul que son nom figure dans la raison sociale, ou
forme cette raison de son consentement, sa responsabi
lité envers les tiers est engagée dans ses plus extrêmes
limites. Vainement voudrait-il la répudier , sous pré
texte qu’il est resté étranger aux opérations, on lui ré
pondrait, aux termes des articles 21 et 22 du Code de
commerce : Vous avez accepté la qualité d’associé en
nom collectif, comme tel vous êtes solidairement tenu
de tous les engagements contractés au nom de la raison
sociale.S
'
Le but que se propose la condition exigée par M.
Troplong est donc atteint de plein droit. Dès lors la
condition devient sans objet et complètement inutile.
Rien donc ne saurait empêcher de considérer , comme
une mise de fonds suffisante et réelle , l’apport pur et
simple d’un nom faisant rejaillir sur la société l’immense
crédit dont il dispose l.
51 « — Les choses versées à la société comme mise
de fonds auront été concédées à un des trois points de
vue suivants : ou quant à leur propriété , ou quant à
leur jouissance, ou seulement quant à leur destination
vénale.
Dans le premier c a s , la perte de la chose , survenue
depuis la mise en mouvement de la société, est à la char
ge exclusive de celle-ci ; elle n’est pas même dissoute,
1 Conf. Pardessus, n° 384 : Delangle, t. 1, n° 60.
�56
DES SOCIÉTÉS
à moins que la chose ne fût l’objet unique ou principal
de l’exploitation sociale.
Dans le second , la perte de la chose est pour le
•compte de l’associé qui s’en est réservé la propriété.
Mais, ainsi que nous le verrons plus bas, la société est
dissoute. La mise de fonds est censée se renouveler à
chaque époque de l’exigibilité de la jouissance; celle-ci
cessant d’une manière absolue par la perte de la chose,
l’associé ne pourrait plus fournir ultérieurement la mise
promise , et ne pourrait dès lors conserver la qualité
d’associé b
,
Lorsque la société a pour objet la destination vénale
d’une chose , il est évident qu’elle ne peut exister que
lorsque, par l’aliénation de celle-ci, on a réalisé la va
leur qui doit se partager dans les proportions conve
nues. Ulpien donne pour exemple d’une société de ce
genre l’hypothèse suivante : Vous avez trois chevaux et
moi un ; l’espoir d’en tirer un meilleur parti en les ven
dant tous quatre réunis, nous inspire la pensé de nous
associer à l’effet de les vendre pour un seul et même
prix, à répartir trois quarts pour l’un et un quart pour
l’autre. Une pareille société n’a pas pour but l’usage
commun des quatre chevaux , elle ne se propose qu’un
seul objet, à savoir, profiter de l’élévation du prix pro
duit par la vente simultanée. Nom enim habendœ qua
driges, sed vendendœ, coitam esse societatem s. Consé-
i Voy. in fr a n° 55.
3 L. 50, ff. Pro soçio.
�ART.
18.
57
quemmerit, les chevaux n’ont jamais formé entre nous
un fonds social ; ce qui devait former celui-ci c’était
uniquement le produit de la vente.
De là la conséquence que si mon cheval vient à périr
avant la vente , la perte en restera exclusivement pour
mon compte , sans que vous ayez à m’indemniser , ni
que j’aie rien à prétendre sur le prix de vos trois che
vaux. La mort du cheval a rendu toute société impossi
ble, puisque l’existence de celle-ci exigeait l’exécution
de la vente des chevaux réunis.
En réalité donc, contracter avec un tiers sur la desti
nation vénale d’un objet ne constituera, qu’une pro
messe dont l’effet sera d’empêcher chaque propriétaire
de vendre séparément la chose qu’il ne doit vendre qu’en
la réunissant à celle de l’autre. La mise de fonds sera
donc parfaitement déterminée , mais elle ne sera effec
tuée qu’au moment où l’aliénation convenue se réali
sera. Dès lo rs , cette hypothèse rentre sous l’empire de
la règle édictée par le premier paragraphe de l’article
■1867 du Code civil , et la perte de la chose , avant que
l’apport en soit effectué, dissoudra la société l.
La mise de fonds est acquise à la société du jour où
elle a commencé ses opérations. La chose la constituant
échappe à la propriété privée de chaque associé pour
devenir celle de tous. Celui qui l’a promise, soit en ar
gent , soit en meubles ou immeubles, est en demeure
i V o y . in fr a n» 5Q,
�58
DES SOCIÉTÉS
légale de l’effectuer , et faute par lui de le faire , il est,
dès ce m om ent, débiteur du capital et des intérêts ou
fruits. Dès ce moment aussi, l’associé industriel ne peut
personnellement s’appliquer les résultats de l’industrie
promise, il est tenu de rapporter à la masse tout ce qu’il
en aurait retiré. Dans l’un et l’autre cas, l’associé retar
dataire est légalement tenu de réparer le préjudice que
l’inexécution de son engagement aurait occasionné à la
société.
3|
bis. — Ces conséquences s’induisent de l’article
1846 du Code civil. Cette disposition en faisant courir
de plein droit l’intérêt de la mise promise du jour où
elle devait être versée, ne fait que rendre hommage au
principe d’égalité absolue qui doit régner entre associés.
Cette égalité serait, en effet , rompue si l’associé en
retard n’élait pas obligé de tenir compte des intérêts de
la' somme qu’il devait verser. Il ne pouvait pas être que
celui qui a le tort de n’avoir pas exactement rempli ses
obligations , y puisât le moyen de s’enrichir au détri
ment des associés qui ont fidèlement tenu leur engage
ment en versant leur mise dans la caisse sociale au mo
ment même de son échéance.
Donc, à quelque époque que l’associé en retard opère
le versement auquel il est tenu, ce qu’il devra c’est nonseulement le capital de sa mise, mais encore les intérêts
courus depuis le jour où ce versement aurait dû s’opé
rer, et à raison du six pour cent l’an. On le place ainsi
dans une situation identique à celle des coassociés dili—
�ART.
18
.
59
genls, qui s’étant exécutés au jour convenu, ont fait ex
clusivement profiter ïa société du produit dont leur mise
ont pu être l’occasion.
3 1 te r. — L’article 1846 du Code civil ne se préoc
cupe que d’une hypothèse, ne prévoit et ne régit qu’un
seul cas , à savoir , lorsque les associés qui ont versé
n’ont ni dû recevoir ni reçu des intérêts soit annuelle
ment soit semestriellement. Dans le cas contraire , à
quel titre imposerait-on au retardataire l’obligation de
verser les intérêts de sa mise ? Cette exigence blesserait
évidemment le principe d’égalité, non plus en sa faveur,
mais contre l u i , et lui créerait une position pire que
celle de ses coassociés. Or , que l’égalité soit méconnue
dans un sens ou dans l’autre, l’injustice est la même.
31 quatuor. „ Aussi le tribunal de commerce de Mar
seille , saisi de la question , la résolvait-il en faveur de
l’associé retardataire qu’il dispensait de l’obligation de
tenir compte des intérêts.
« Attendu, disait le jugement, qu’aux termes de l’ar
ticle 1846 du Code civil , l’associé tenu d’apporter une
somme dans la société , et qui ne l’a point versée , de
vient de plein droit débiteur des intérêts de cette somme
à compter du jour où elle devait être payée ;
» Attendu que celte disposition de la loi a pour objet
d’établir d’égalité qui doit exister entre les associés , en
obligeant ceux qui sont en retard d’effectuer un verse
ment à la société , de lui rapporter les intérêts qu’est
présumé produire l’argent resté dans leurs mains ;
�60
DES SOCIÉTÉS
» Attendu que l’article 1846 n’a p a s , d’ailleurs, le
caractère d’une pénalité qui ne pourrait résulter que
d’un texte formel ;
» Attendu , par suite, que les associés qui ont versé
leur mise de fonds et qui en ont retiré les intérêts de la
société, ont seulement le droit d’exiger que les associés
qui n’ont pas fait les apports d’argent dont ils étaient
tenus, les effectuent; qu’ils ne sont pas fondés à récla
mer en même temps les intérêts dont la société a pro
fité , en ce qu’elle n’a pas eu à en tenir compte aux
membres de la société en retard de fournir leurs ap
ports. »
Mais ce jugement ayant été frappé d’ap p el, était ré
formé par la cour d’Aix , le 1er mars 1869. Cette infir
mation est motivée sur ce que , aux termes de l’article
1846, l’associé qui devait apporter une somme dans la
société et qui ne l’a point fait, devient, de plein droit et
sans demande , débiteur des intérêts de cette somme à
compter du jour où elle devait être payée ; que cette
disposition est précise et absolue , et que l’obligation
qu’elle impose à l’associé est indépendante de toute
question de préjudice occasionné par le défaut de paie
ment; qu’elle ne distingue pas entre le cas où les som
mes versées donnent droit à un intérêt fixe à ceux qui
ont fait le versement, et celui où elles ne leur donnent
droit qu’à une part éventuelle dans les bénéfices K
�ART.
18.
61
31 qùînto. — De ces deux monuments de jurispru
dence, celui qui interprêle plus judicieusement et appli
que plus exactement l’article 1846 du Code civil n’est
p as, à noire avis , l’arrêt de la cour d’Aix. Sans doute,
celte disposition pose un principe général, précis et ab
solu , mais se restreignant évidemment dans les limites
dans lesquelles le législateur a entendu le renfermer.
Quelles sont donc ces limites? En supposant que le
texte ne les indique pas suffisamment, on les trouve net
tement tracées par l’esprit de la loi et par le but qu’elle
s’est proposée. Or, il n’y a d’interprétation réellement
juridique, que celle qui éclaire le texte d’une disposition
par l’esprit qui l’a dictée , par le but qu’elle s’est pro
posée.
A ce sujet, le doute est impossible. L’article 1846 n’a
entendu et voulu que ramener les associés à l’égalité abso
lue qui doit régner entre eux .L’associé retardataire n’est
tenu des intérêts que parce que si on l’en affranchissait,
il s’approprierait exclusivement le produit d’une mise
de fonds qui a cessé d’être sa propriété , pour devenir
celle de la société , et se ferait une situation meilleure
que celle des associés qui ayant versé au jour convenu,
n’ont perçu ni pu percevoir aucun intérêt de leur mise.
Donc, si cet intérêt a été perçu par eux, par suite de
la distribution que la société leur en a fait annuellement
ou semestriellement , la prescription de l’article 1846
ne serait plus qu’un effet sans cause. En retenant l’in
térêt de sa mise, le retardataire ne s’est fait que la po
sition qu’il aurait eue s’il avait versé au jour convenu,
�DÉS SOCIÉTÉS
puisque dans ce cas la société lui aurait compté cet in
térêt.
Sans doute, l’article 1846 ne distingue pas. Comment
aurait-il distingué ? Dès qu’il n’a voulu que ramener
les associés à l’égalité qu’elle prescrit, son caractère spé
cial et exclusif est démontré. Ne le violerait-on pas si
par son application on aboutissait à blesser cette égalité?
Or, n’est-ce pas ce qui se réaliserait si les associés dili
gents ayant perçu l’intérêt de leur mise de fonds , on
refusait d’en tenir compte au retardataire au moment où
il réalise son versement.
D’ailleurs, puisque le retardataire doit être replacé
au jour de l’échéance de sa mise , cet effet doit se pro
duire non-seulement pour les charges, mais encore pour
les avantages , il faudrait donc qu’après avoir reçu de
lui les intérêts de sa mise, la société lui tînt compte de
tous ceux qu’elle a payé aux autres associés. A quoi bon
cette opération , lorsqu’il est si facile et si naturel de
recourir à une compensation ?
Si l’égalité ne doit pas être méconnue en faveur des
retardataires , il ne serait ni raisonnable ni juste qu’elle
le fût à leur détriment. Or, n’est-ce pas à cela que vient
aboutir fatalement l’arrêt d’Aix ? En repoussant cette
compensation , il consacre en effet q u e , tandis que les
associés diligents ont repris à titre d’intérêt une partie
plus ou moins forte de leur ap p o rt, les retardataires
seraient condamnés à perdre cet apport intégral , puis
qu’on l’exigerait d’eux en capital et in térêt, et sans les
faire participer aux distributions antérieures.
�ART.
18.
63
Ce résultat, outre son injustice, se trouve , en prati
que , frappé d’une impossibilité matérielle , lorsque ce
qui est distribué à titre d’intérêt représente les bénéfices
réalisés. Les bénéfices , en effet, appartiennent à tous
les associés sans distinction. Ceux d’entre eux qui sont
en retard de verser leur mise n’en sont pas moins asso
ciés, et comme tels appelés à participer aux bénéfices.
Sans doute , on ne leur délivrera pas réellement la
part qui leur revient. Ce qu’on fera , c’est de réserver
cette p a r t, de l’inscrire au crédit du compte particulier
de chacun d’eux , et comme le crédit se compense de
plein droit avec le débit, il est évident que les retarda
taires, lorsqu’ils verseront, n’auront à payer que l’ex
cédant du débit, prélèvement fait du crédit. Or, que ce
crédit soit imputé sur le capital ou sur les intérêts , le
résultat est identique et les retardataires trouveront dans
ce mouvement d’écritures la faculté que l’arrêt d’Aix
leur dénie et leur refuse.
Pourquoi le résultat diffèrerait-il, lorsque, formelle
ment stipulé par les statuts, l’intérêt des mises de fonds
est dû et doit être payé , alors même qu’il n’existerait
aucun bénéfice ?
Il ne sau rait, certes , être question de payer réelle
ment des intérêts à l’associé qui n’a pas encore versé .
sa mise. Mais son compte particulier débité des intérêts
de cette mise doit être crédité des sommes distribuées
aux associés. Ainsi, il ne prendra rien à la caisse sociale,
mais il retiendra sur ce qu’il a à payer jusqu’à con
currence de ce qu’il aurait reçu s’il avait versé son ap
port au jour convenu.
�64
•
DES SOCIÉTÉS
Sur quoi pourrait-on raisonnablement étayer le rejet
de cette prétention ? On ne pourrait lui objecter , qu’en
retenant sa mise , il s’en est attribué le produit; quel
profit en aurait-il retiré, si à quelque époque qu’il s’exé
cute il doit tenir compte des intérêts courus depuis le
jour où la mise devait être versée.
L’égalité ne serait-elle pas méconnue et violée , si,
obligé de payer ces intérêts, il lui était interdit de se
faire attribuer tout ce que les autres associés ont reçu ?
Il faut donc qu’il soit autorisé à le retenir sur ce qu’il
doit en intérêt et capital.
Qu’importe , dira-t-il à ses coassociés , la manière
dont cette somme arrive en ma possession. Si j’avais
versé ma mise au jour convenu , j’aurais, comme vous
tous, reçu les intérêts qui vous ont été distribués. Donc,
en les compensant avec ce que je dois moi-même , je
ne fais que me créer la situation qui vous est faite à
vous-mêmes.
En réalité donc, comme le relève fort judicieusement
la note du Journal du Palais, la société qui reçoit après
coup les intérêts accumulés d’un apport en retard, doit
être réputée avoir touché au terme convenu la somme
promise. En conséquence, l’associé a contre elle tous les
droits qu’il aurait pu exercer s’il avait effectué exacte
ment son apport au termle convenu. Il doit être traité
rétroactivement comme l’ont étéjes autres associés , et
être replacé sur le pied de la plus complète égalité, et
pour cela retenir sur ce qu’il a à payer jusqu’à concur
rence de ce qui a été annuellement ou semestriellement
distribué aux autres associés.
�ART.
18.
65
La compensation est un mode de paiement, et l’arti
cle 1846 qui fixe l’étendue de la dette ne s’est nullement
préoccupé du mode de son extinction. Non-seulement il
autorise , mais encore il prescrit tout ce qui est de na
ture à faire régner l’égalité entre les associés. La cour
d’Àix s’est donc trompée et a méconnu la pensée du lé
gislateur en donnant à sa disposition un sens qui viole
cette égalité , non plus en faveur mais contre l’associé
en retard de verser sa mise.
Mais cet associé ne saurait jamais retenir et compen
ser au delà de ce que les autres ont reçu. Les intérêts
que l’article 1846 fait courir de plein droit c’est l’inté
rêt légal en matière de commerce , c’est-à-dire le six
pour cent. Or, ceux distribués aux associés peuvent n’a
voir été que du trois , du quatre ou du cinq pour cent,
dans ce cas il est évident que le retardataire devrait la
différence, c’est-à-dire le trois, le deux ou le un pour
cent de sa mise.
51 sexto.
— Le tribunal de commerce de Marseille
établissait en fait que, relativement aux intérêts, l’arti
cle 1846 n ’avait pas le caractère d’une pénalité. En ef
fet, s’il les attribue de plein droit à la société, c’est que
du jour où elles doivent être versées, les mises de fonds
lui appartiennent exclusivement, et que dès lors tout ce
qu’elles sont dans le cas de produire devient sa propriété
et ne peut profiter qu’à elle.
L’exactitude de cette appréciation ressort avec la der
nière évidence de la disposition finale de l’article : le
i
5
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•' V T ?■
DES SOCIÉTÉS
■: .1l
t
■
tout sans préjudice de plus amples dommages-inté
rêts.
i
Il peut se faire, en effet, que le retard dans le verse
ment des apports ait occasionné à la société un préju
dice plus ou moins grave, en lui enlevant ses ressources
naturelles, en l’empêchant ainsi de donner à ses opéra
tions le développement dont elles étaient susceptibles, et
de réaliser des bénéfices plus considérables.
Ce préjudice, s’il existe, exigeait une réparation. C’est
ce que l’article 1846 admet et consacre : le retardataire
auteur du préjudice sera tenu de le réparer et pourra
être condamné à de plus amples dommages-intérêts.
Ainsi, le retard dans le versement de la mise a pour
conséquences : ° l’obligation de tenir compte à la so
ciété des intérêts au taux légal ; ° l’obligation de répa
rer le préjudice que le retard a pu occasionner. Les in
térêts sont acquis de plein droit et sans que la société
ait à se plaindre ou à prouver un préjudice quelconque.
1
2
Il ne saurait en être ainsi des dommages-intérêts.
Pour ce qui les concerne , l’article, 1846 n’est qu’une
application éventuelle de l’article 1382. Il faudra donc,
pour que des dommages-intérêts puissent être pronon
cés , que la société prouve l’existence du préjudice dont
elle se plain t, sous peine de se voir évincée de sa de
mande.
32.
— La destination du fonds capital, que la réu
nion des mises sociales constitue , est de pourvoir aux
développements des opérations de la société , d’être af-
�fectée au paiement des créanciers de préférence aux as
sociés ou à leurs héritiers. Cette affectation est tellement
rigoureuse que ce capital ne peut être diminué pendant
la durée de la société. Ainsi la partie qui, d’un commun
accord, en aurait été retirée en temps de prospérité, de
vrait être recomblée si des revers ultérieurs laissaient les
créanciers à découvert et rendaient insuffisantes les res
sources actuelles de la société.
33.
— Mais si le fonds capital ne peut pas être di
minué, rien n’empêche de l’augmenter au fur et à me
sure des besoins de la société. A cet égard , il importe
de remarquer que cette augmentation doit être consentie
par tous les associés , sans que la majorité puisseTimposer à la minorité. Sans doute, dans la société comme
dans toutes les assemblées, la première doit avoir la plus
haute, la plus légitime influence; le succès et l’ordre sont
à ce prix ; mais cette influence doit se restreindre aux
actes d’administration et au mode qu’il convient de don
ner à celle-ci.
Délibérer une augmentation du capital, ce n’est pas
administrer , c’est changer la nature du contrat, c’est
en aggraver les charges au delà même de toute possibi
lité à l’égard de certains associés ; il n’était donc ni équitable, ni rationnel de laisser un pareil pouvoir à la
majorité.
Il est vrai que le refus de la minorité peut avoir pour
résultat de condamner la société à l’impuissance et de
la forcer à se dissoudre ; mais tout ce qui ressort de
�DES SOCIÉTÉS
cette éventualité, c’est la nécessité de la prévoir et d’y
remédier dans le pacte social lui-même. Il n’est pas
douteux que la clause conférant à la majorité la faculté
de voter un supplément de fonds ne dût être exécutée
par tous.
34.
— La société, organisée par les mises sociales
des divers membres qui la composent, doit être exploi
tée dans leur intérêt commun. Cette condition exige que
chacun d’eux prenne une part dans les bénéfices ainsi
que dans les pertes. A défaut de détermination dans
l’acte social, la loi veut qüe celte part soit proportion
née à la mise de chacun.
C’est là une règle essentielle à la société , mais sur
l’exécution de laquelle la loi s’en réfère complètement à
la libre stipulation des parties. Pourvu que chacune
d’elles reçoive son contingent de bénéfices , supporte sa
part de pertes, son but est attein t, quelle que soit la
proportion convenue, pourvu toutefois qu’elle ne fût pas
tellement illusoire qu’elle dût être considérée comme la
violation indirecte de sa volonté.
3 3 , — Il est évident, en effet, que l’égalité entre as
sociés ne pouvait être régie par les inspirations sous
l’empire desquelles se place celle entre époux communs,
celle entre cohéritiers. Le concours personnel d’un asso
cié peut être pour la société d’un prix fort au-dessus
d’une somme d’argent. Il convenait donc de permettre
que la proportion de ce qu’il devra recevoir se calculât
plutôt sur l’importance de sa coopération personnelle
�ART.
18.
69
que sur la mise de fonds qu’il a apportée dans la so
ciété.
C’est cette considération qui a fait admettre l’apport
de l’industrie comme mise de fonds suffisante. L’asso
cié industriel pourra donc recevoir dans les bénéfices
autant et même plus que l’associé qui a versé les fonds.
Dans l’un et dans l’autre cas, il ne reçoit que l’équiva
lent légitime des ressources qu’il proeure à la société.
*
3 6. — Par le même m otif, la loi qui , d’office,
crée une proportionnalité égale entre la part aux béné
fices et celle aux pertes, laisse les parties libres d’en dé
cider autrement. Ainsi, l’une d’elles pourra avoir la moi
tié dans les bénéfices, et un quart ou un tiers seulement
dans les pertes. Une convention de cette nature, tendant
à favoriser la société, n’était pas de nature à être écar
tée. La loi ne pouvait se montrer, en matière d’intérêts
privés, plus difficile, plus rigoureuse que les parties ellesmêmes. .
Mais ce qu’elle prohibe formellement, c’est que sous
un prétexte quelconque , c’est que par ruse , adresse ou
violence, l’un des associés, s’attribuant la part du lion,
puisse exclusivement profiter des bénéfices, ôu que, par
abus de sa position, il obtienne que sa mise sera affran
chie des perles. Si de pareilles stipulations avaient été
tolérées , la société serait bientôt devenue le plus inique
des contrats, iniquissima societas h
i L. 29, ff. Pro socio.
�DES
SOCIÉTÉS
Ses exigences ne pouvaient aller au delà, sans l’expo
ser à méconnaître et à violer des droits légitimes et sa
crés. Nous venons de le dire , la proportionnalité entre
associés tient à une foule de circonstances qu’il fallait
tenir en sérieuse considération. A insi, de deux associés
apportant une mise de fonds égale , l’un est complète
ment étranger aux opérations qu’ils vont entreprendre;
l’autre , au contraire , fort versé dans leur pratique, a
acquis une expérience consommée. La coopération de
celui-ci est donc beaucoup plus précieuse que celle du
premier, et c’est sur lui que, pendant un certain temps,
reposera tout le poids du commerce. L’exigence d’être
plus favorablement placé en regard des résultats n’est
donc qu’une prétention naturelle et juste. Cette exigence
est satisfaite par l’attribution d’une quotité plus forte
dans les bénéfices , ou d’une quotité moindre dans les
pertes.
3 7. — Ce sont ces aperçus qui ont dirigé le législa
teur, notamment en ce qui concerne l’associé purement
industriel : celui-ci obtient ordinairement une part dans
les bénéfices, sans être tenu de contribuer matérielle
ment aux pertes ; cela est équitable, surtout lorsque cet
associé ne reçoit aucun salaire. Alors, en effet, l’absence
de tout bénéfice rendant son industrie infructueuse , il
perd réellement ce qu’il en aurait retiré s’il l’eût louée
ailleurs.
Mais la loi permet plus encore. L’associé industriel
peut, outre une part dans les bénéfices, stipuler une re-
�ART.
18
.
71
tenue mensuelle ou annuelle , à titre d’appointements.
Mais, relativement à la société, il faut distinguer : ou le
salaire qu’il reçoit est inférieur à ce que pourrait rai
sonnablement produire son industrie , ou il comprend
tout ce qu’il pourrait s’en promettre.
Dans le premier cas. il y a société.; car, s’il y a perte,
l’associé industriel y contribuera en ce sens qu’il ne re
tirera rien de la partie de son industrie qui n’est pas
salariée.
Dans le second, il serait difficile de reconnaître une
société , puisque l’un des associés serait incontestable
ment affranchi de toute perte ; mais le contrat ne serait
pas annulé pour violation de l’article 1855, il vaudrait
pour tous les associés. Seulement, en ce qui concerne
l’associé industriel, il dégénérerait en un véritable louage
d’industrie sous condition aléatoire ; cet associé ne serait
en réalité qu’un commis intéressé dans les- bénéfices.
5 8 . — Il n’y a de société possible qu’aux trois con
ditions que nous venons d’examiner; leur ensemble fixe
donc le caractère du contrat et détermine les obligations
et les droits respectifs des associés.
La première de ces obligations est,sans contredit,celle
de réaliser la mise que chacun s’est soumis à verser.
Nous venons de le dire, l’exploitation de la société rend
cette mise à tel point exigible , q u e , de plein d ro it, les
revenus et fruits des choses la composant, que les inté
rêts de celles à verser en argent, sont acquis à la so
ciété.
�DES SOCIÉTÉS
Nous avons dit aussi que , comme conséquence des
devoirs des associés envers la société , les arlicles 1848
et 1849 règlent leurs rapports avec les débiteurs de la
société ; ils ne peuvent préférer leur propre créance à
celle de la société ; et celui d’entre eux qui aurait reçu
sa part de la dette commune est obligé d’en rendre rai
son à la masse , si l’insolvabilité ultérieure du débiteur
la laisse en souffrance.
On remarquera que l ’article 1848 du Code civil sub
ordonne l’application de sa disposition à la condition
que la créance do l’associé et celle de la société soient
également exigibles. Si une seule des créances est échue,
c’est à celle-ci que s’applique naturellement le paiement
sans qu’il pût être question de l’application de l’article
1848.
Mais il dépend toujours de l’associé de renoncer au
bénéfice que l’exigibilité de sa créance lui assurerait. Il
peut donc toujours imputer le paiement soit en totalité
soit proportionnellement sur la créance de la société,
malgré qu’elle ne fût ni exigible ni échue.
Dans ce cas, l’associé aurait sacrifié son intérêt per
sonnel à celui de la société. Ce sacrifice, il pouvait sans
doute ne pas le faire, mais après l’avoir consenti ou ac
cepté, il ne saurait être admis à y revenir si l’insolvabi
lité ultérieure du débiteur lui en inspirait le désir et lui
en faisait un besoin.
Cette conséquence qui résulte de la disposition finale
de l’article 1848 , n’entraine aucune réciprocité en fayeur de l’associé. Ainsi, si la seule créance exigible est
�ART.
18.
73
celle de la société , rien ne pourrait faire que le paie
ment fait par le débiteur ne s’y appliquât en entier et
exclusivement. L’imputation même proportionnelle que
l’associé en ferait sur sa créance personnelle serait nulle
et sans effet. Un associé peut bien préférer l’intérêf so
cial à son intérêt privé , mais il lui est absolument in
terdit d’agir en sens contraire et de favoriser celui-ci au
préjudice de celui-là.
38 bis. — Ce que l’associé ne peut faire, le débiteur
pourra-t-il l’accomplir ? L’article 1253 du Code civil
donne à celui-ci le droit de déclarer quelle est la dette
qu’il entend acquitter. Cette déclaration consignée
dans la quittance rendra-t-elle l’article 1848 inappli
cable ?
Evidemment non, si la créance sociale et celle de l’as
socié sont toutes deux non-seulement exigibles, mais en
core de même nature, de telle sorte qu’en réalité le dé
biteur n'a ni raison ni intérêt à éteindre l’une plutôt
que l’autre. Admettre qu’il en fût autrem ent, ce serait
rayer l’article 1848 de la loi, ou tout au moins en aban
donner l’application à la discrétion purement arbitraire
de l’associé.
M. Pardessus pense le contraire , et , toutes choses
égales, n’admet l’imputation proportionnelle que si le
débiteur n’a pas, conformément à son droit, déclaré im
puter le paiement entier sur la dette personnelle de l’as
socié. Celui-ci, en effet, n’est présumé avoir préféré son
�SES SOCIÉTÉS
intérêt à celui de la société que s’il a lui-même dirigé
l’imputation L
Mais, dans quelles circonstances, à quelles conditions
convaincra-t-on l’associé d’avoir dirigé l’imputation ?
L’obligation de faire cette preuve équivaudrait pour la
société à l ’impossibilité de se prévaloir de l’article 1848
qui passerait ainsi à l’état de lettre morte et sans effet.
Il n’y avait qu’un seul moyen d’en rendre la dispo
sition efficace, à savoir, d’admettre comme dirigée par
l’associé l’imputation du paiement sur sa créance per
sonnelle , alors que celle de la société était également
exigible et d’une nature identique.
« Dans ce cas, dit fort judicieusement M. Duvergier,
il n’est guères présumable que le débiteur à qui il est
indifférent de payer l’associé ou la société , s’opiniâtre
sans raison à s’acquitter envers l’un plutôt qu’envers
l’autre. On a donc à craindre que la préférence n’ait
été sollicitée par l’associé ; qu’il se soit entendu avec le
débiteur pour obtenir de lui cette affectation à sa créance
personnelle des sommes versées en ses m ains2. »
« Et quand bien même , dit de son côté M. Duranton, la quittance porterait expressément que c’est le dé
biteur qui a voulu que l’imputation se fit en entier sur
le créance de l’associé, ainsi qu’il en avait le droit (art.
1253), cette imputation aurait bien sans doute pour effet
1No 1016.
2 Des sociétés, n° 336.
�de libérer de toute la somme payée le débiteur envers
l’associé ; mais la disposition de l’article 4 848 ne serait
pas moins applicable à cet associé vis-à-vis de ses co
associés, autrement rien ne serait plus facile à l’associé
que d’éluder la loi, soit en faisant quelque réduction au
débiteur , soit même par pure complaisance de celui-ci
envers lu i, et la société aurait ainsi à courir seule la
chance de l’insolvabilité actuelle ou future du débi
teur 1. y>
On comprend que plus on pourrait douter de la sol
vabilité du débiteur, plus l’associé mettrait d’empresse
ment à obtenir de lui l’imputation qui sauverait aussi
efficacement son intérêt personnel. Cette même imputa
tion à laquelle on n’avait pas même songé au moment
du paiement, l’intérêt d’un côté,la complaisance de l’au-.
tre ne la feraient-ils pas demander et consentir après
coup ?
Plus la fraude était imminente et prochaine, et plus
difficile en était la constatation , plus il convenait de la
prévenir en lui refusant tout effet. Ce que le législateur
a fait dans tous les cas de cette nature, il ne pouvait pas
omettre de le faire dans l’hypothèse de l’article 1848.
Ainsi, si les deux créances également exigibles sont
en outre d’une même nature , l’imputation proportion
nelle est de d ro it, quelles que soient d’ailleurs les indi
cations de la quittance relativement à l’intention du dé-
�DES
SOCIÉTÉS
biteur et de l’usage qu’il a entendu faire du droit que
lui donne l’article 1253 du Code civil.
Il doit en être et il en est tout autrement si les deux
créances exigibles et échues sont de nature différente. Il
est évident , dans ce cas -, que le débiteur a un intérêt
sérieux à éleipdre celle qui est la plus onéreuse pour
lui, et qu’il n’a fait qu’un usage légitime de la faculté
que lui donnait la loi d’en faire l’objet exclusif de l’im
putation du paiement.
Impossible, dès lors, pour la société de prétendre que
cette imputation n’est que le résultat des sollicitations
intéressées de l’associé , ou de la complaisance fraudu
leuse du débiteur. L’application de l’article 1848 ne se
rait donc plus qu’un effet sans cause , qu’une criante
injustice pour l’associé , d’autant plus irréprochable à
l’endroit de l’imputation que , faute par le débiteur de
l’avoir exigée, la loi la consacrait d’office par son arti
cle 1256.
D’ailleurs, ce qui, dans le cas où toutes choses éga
les, modifie la rigueur du principe qui repousse toute
imputation conventionnnelle en faveur de l’associé, c’est
qu’en définitive, en échange de ce que perd celui-ci, il
reçoit de la société une part de droits semblables aux
siens , aussi avantageux, aussi facilement recouvrables.
Or, si la créance de l’associé était par sa nature dans
des conditions meilleures que la créance de la société,
celle-ci ne donnerait plus le juste équivalent de ce qu’elle
prétendrait recevoir. En réalité donc , elle exigerait que
l’associé fit le sacrifice de son intérêt privé, ce que la loi
n’a nulle part ni admis ni autorisé.
�ART.
18.,
77
Aussi, M. Troplong n’hésite—t-il pas à se prononcer
pour l’inapplicabilité de l’article 1848 , toutes les fois
que les créances étant de nature différente le débiteur a
légitimement imputé le paiement sur celle qu’il avait le
plus d’intérêt d’acquitter.
« Entre les deux créances, dit l’éminent jurisconsulte,
celle de l’associé produit des intérêts , tandis que celle
de la société n’en produit pas; ou bien elle a pour sanc
tion une hypothèque , une caution ; au contraire , celle
de la société n’offre, aucune de ces garanties. Dans tous
ces cas, le débiteur a un intérêt évident à payer la cré
ance privée plutôt que la créance sociale , et l’imputa
tion qu’il fait sur la première est un acte légal que la
société doit subir. Ira-t-elle s’en prendre à l’associé qui
a reçu son paiement? Aura-t-elle quelque reproche à
lui adresser? Si elle demande à partager avec lui , lui
rendra-t-elle, en échange de ce qu’elle recevra , une
créance protégée par une hypothèque , par un caution
nement? Et si elle ne le peut, serait-il juste qu’elle exi
geât dans son intérêt un véritable sacrifice de l’intérêt
privé ? L’associé a-t-il promis d’abandonner ses droits
pour ceux de la société ? La réponse à toutes ces ques
tions est facile à faire , et' il n’est pas besoin d’insister
plus longtemps pour démontrer que l’article 1848 est
inapplicable L »
Le caractère éminemment juridique de cette doctrine
i
Des sociétés,
fl° 3 5 9 .
�78
DES SOCIÉTÉS
ne saurait être méconnu. Aussi est-elle' généralement
enseignée par les auteurs. MM. Duvergier et Delangle
lui rendent le plus éclatant hommage.
Est-il vrai que M. Duranton soit d’un avis contraire?
M. Troplong l’indique , mais cette indication est le ré
sultat d’une erreur.
Nous venons de voir M. Duranton enseigner que lors
que tout est égal entre les deux créances, l’imputation
que ferait le débiteur n’empêcherait pas l’application de
l’article 1848, et cela par le motif que si la solution
contraire était admise , l’associé aurait trop de facilités
pour éluder la loi et rejeter sur la société seule la chance
de l’insolvabilité du débiteur.
Donc, pour M. Duranton, la raison déterminante de
l’application de l’article 1848 est la présomption de
fraude qui pèse sur l’associé. Or, est-ce que celte pré
somption est possible lorsque l’une des deux dettes étant
plus onéreuse que l’autre , le débiteur a le plus grand
intérêt à l’éteindre de préférence. Dès lors, si la fraude
ne peut exister, comment admettre l’effet ?
M. Duranton ne pouvait ni concevoir, ni enseigner
une pareille énormité , et il ne l’a pas fait. S’il estime
qu’on nedoit tenir aucun comptede l’imputation faite par
le débiteur, qu’elle ne doit pas être acceptée alors même
qu’elle porterait sur la dette la plus onéreuse, c’est qu’il
se place dans une hypothèse bien différente de celle sur
laquelle raisonne M. Troplong.
« Dans le cas, dit M. Duranton, où la créance parti
culière de l’associé n’était point exigible au jour du paiey. ..
'
'
' '•-&;> V
'ts
A
s
�ART.
18.
79
m ent, et que celle de la société l’é tait, l’imputation de
la totalité de ce que paye le débiteur devrait se faire sur
la créance de la société, nonobstant toute déclaration
contraire faite dans la quittance par l’associé, ou même
par le débiteur.
» Et il faudrait le décider ainsi, encore que le débi
teur eût pu avoir plus d’intérêt à acquitter sa dette en
vers l’associé que celle qu’il devait à la société, nonobs
tant le terme dont il avait à jouir à l’égard de la pre
mière ; par exemple , parce que cette dette entraînait la
contrainte par corps , qu’elle était avec une stipulation
pénale , produisait intérêt, était avec cautionnement ou
hypothèque ; tandis que celle envers la société était sans
ces charges. L’article 4848 ne s’est attaché qu’à l’exigi
bilité , et c’est aussi la circonstance que le Code a fait
prédominer , quant à l’imputation légale dans l’article
1256. Aussi, dans le cas où la créance de l’associé se
rait exigible lors du paiem ent, l’imputation, si celle de
la société ne l'était pas, dirigée sur celle de l’associé soit
par celui-ci, soit par le débiteur produirait tout son ef
fet même entre les associés, encore que la créance de la
société fût réellement plus onéreuse pour le débiteur que
celle de l’associé à raison de l’une des circonstances énoncées ci-dessus h »
En réalité donc , la solution de M. Duranton diffère
de celle de M. Troplong, et n ’en est pas moins juridique
�DES SOCIÉTÉS
que celle-ci. Ce qui le justifie, c’est la différence des
espèces, c’est l’exigibilité des deux créances dans un
c a s , l’exigibilité d’une seule dans l’autre. Paiement est
dû à celle-ci de préférence à l’autre, et cette préférence
ne saurait être subordonnée à la qualité et à la nature
de la créance. L’associé qui s’applique le profit du paie
ment alors que la créance de la société étant exigible la
sienne ne l’est pas encore, viole tous ses devoirs, com
met une faute lourde dont la société a le droit de lui de
mander compte.
En résumé, lorsque l’associé est personnellement cré
ancier d’une personne qui se trouve aussi devoir à la
société, le paiement s’impute exclusivement sur celle des
deux créances qui est exigible.
Si elles le sont toutes les deux , l’imputation a lieu
proportionnellement sur l’une et sur l’autre , s i , outre
leur commune exigibilité, elles sont d’une égale et mê
me nature.
Si cette nature diffère , si l’une des créances est plus
onéreuse que l’autre, c’est celle-ci qui profite exclusive
ment du paiement. Peu importe que l’autre soit égale
ment exigible; rien ne saurait faire que le débiteur n’ap
plique le paiement à celle qui a le plus d’intérêt à étein
dre. _
Si celle-ci est due à l’associé , la société n’est ni re
cevable ni fondée à contester l’imputation et à prétendre
en récuser l’effet, parce que, dit M. Delangle :
« 1° L’imputation est indivisible : du moment où
elle éteint la créance , elle fait au créancier et au débi
teur la même condition ;
s
�ART.
18.
81
» 2° Elle résulte non de la volonté de l’associé mais
de la lo i, et qu’en s’associant, le créancier ne renonce
pas aux conséquences nécessaires des titres qu’il peut
avoir personnellement contre les tiers ;
» 3° Enfin, parceque la division proportionnelle de la
somme payée ne pourrait avoir lieu qu’au tant que l’as
socié conserverait la partie non acquittée de sa créance,
ce qui est légalement impossible, ou qu’on y substitue
rait une partie équivalente de la créance de la société,
ce qui est absurde , puisqu’un titre commercial, hypo
thécaire ou garanti par un cautionnement serait rem
placé par un titre civil, chirographaire et n ’ayant dès
lors d’autre garantie que la solvabilité personnelle du
débiteur , garantie dont le défaut de paiement à l’éché
ance ne prouve que trop l’inanité \ »
39. — Enfin, l’article 1850 déclare les associés res
ponsables de leur faute, et tenus à des dommages-inté
rêts en réparation du préjudice qu’ils auraient occa
sionné à la société. Dans aucun c a s , ils ne pourraient
compenser ces dommages-intérêts avec les profits qu’ils
auraient procurés dans d’autres affaires.
La faute dont l’associé répond est la faute même lé
gère; cependant l’appréciation de sa conduite doit être
assez équitable pour qu’on ne lui fasse pas un tort de
ce qui ne serait qu’une erreur d’appréciation , comme,
par exemple , s i , de bonne foi , il s’était abstenu d’une
1 Des sociétés, n° 468.
x
6
�82
DES SOCIÉTÉS
opération qui aurait procuré des bénéfices, ou s’il en
avait entrepris une dont il serait résulté une perte. Ce
n’est pas par l’événement qu’on doit juger des choses,
car le commerce ne voit pas toujours se réaliser les pré
visions de celui qui l’exerce.
D’ailleurs l’associé ne peut être responsable que dans
les limites de sa capacité et de son intelligence. rem
plit son devoir lorsqu’il consacre aux affaires sociales le
zèle et le soin qu’il met à diriger les siennes propres.
On ne saurait donc lui faire un reproche de ne s’être
pas conduit comme aurait pu le faire un homme plus
habile.
Mais la faute relativement acquise , la nécessité d’en
réparer les conséquences ne saurait êire méconnue, pas
même en considération des bénéfices que l’associé au
rait , dans d’autres circonstances , procuré à la société.
Il n’a fait en cela qu’accomplir un devoir, et cet accom
plissement ne peut jamais devenir l’excuse de la faute.
11
59 bis.
— En n’exigeant de l’associé que les soins
d’un bon père de famille, nous résolvons négativement
la question de savoir si sa responsabilité s’étend à la faute
très-légère. A notre avis, en effet, l’article 1850 du Code
civil ne comporte pas une pareille étendue.
Mais cette question divise encore les auteurs et est
l’objet d’une vive controverse.
M. Delangle , entre au tres, se prononce pour l’affir
mative. « De quelque faute que le gérant soit coupa
ble , enseigne-t-il, grave , légère ou très-légère , il est
�ART. 18.
83
responsable. Aucune distinction n’est permise, car la loi
ne restreint, par aucune exception , l’application du
principe qu’elle a posé. Lorsquelle a voulu modérer la
règle, elle l’a expressément déclaré. Ainsi, l’article 1992
du Code civil dispose que si le mandat est gratuit, la
responsabilité s’applique moins rigoureusement que s’il
est salarié.
» La doctrine qui tend à subordonner la responsa
bilité à une appréciation des aptitudes et de la diligence
habituelle du gérant, conduirait aux plus absurdes con
séquences. Ainsi, un gérant qui laisserait à l’abandon sa
fortune personnelle , pourrait impunément négliger les
affaires sociales ! Système déraisonnable ; car personne
n’est forcé d’être gérant d’une société ; et quiconque ac
cepte celte tâche en accepte les embarras et les devoirs.
Ce n’est pas neuf fois sur dix qu’il faut être attentif et
soigneux, mais toujours ; toute négligence est punissa
ble ; les associés qui se sont dépouillés des droits inhé
rents à leur qualité pour centraliser la gestion, et éviter
les tiraillements et le désordre qu’amène le défaut d’u
nité, n’ont en réalité d’autre garantie que la responsa
bilité indéfinie de l’associé géran t1. »
Mais exonérer celui-ci de la faute très-légère, ce n’est
pas porter atteinte à la garantie que sa responsabilité
offre à sés coassociés. Cette faute consiste uniquement à
ne pas avoir déployé l’exacte vigilance , la sollicitude
1 Des s o c ié t é s , n° 4 63.
�84
DES SOCIÉTÉS
qu’un e x c e l l e n t père de famille apporte à ses
propres affaires. Quelle justice y aurait-il à punir le
gérant qui s’étant toujours comporté en bon père de fa
mille , n’avait pas en lui l’étoffe d’un père de famille
excellent ?
Ce point de vue paraît avoir préoccupé M. Delangle,
puisque après avoir admis que le principe était absolu,
il arrive à en subordonner l’application à l’arbitrage du
juge. « Toutefois, conclut-il, les circonstances doivent
grandement influer sur la solution ; c’est aux tribunaux
d’en tenir compte et d’appliquer équitablement le prin
cipe. »
M. Troplong, lui n’hésite pas à adopter l’opinion con
traire. Dans la théorie des fautes qu’il a opposée à celle
de Toullier, il exclut la faute très-légère en matière ci
vile. C’est cette exclusion qu’il étend à la matière com
merciale en faveur de l’associé.
« Le Code civil, enseigne-t-il, n’a pas pour principe
de sévir contre les fau es très-légères commises dans
l’exécution des contrats. La haute prévoyance qui seule
en met à l’abri est trop au dessus de l’aptitude moyenne
de l’homme ; elle exige trop d’efforts sur soi-même ; elle
commande une attention trop près de l’infaillibilité,
pour que le législateur l’impose de plein droit dans l’ac
complissement des obligations conventionnelles; il se
contente de la prudence d’un bon père de famille, terme
moyen entre une organisation extraordinaire et l’homme
insouciant qui se laisse aller à l’oubli des affaires. Le
bon père de famille est le type de la vertu civile que le
�Code place, avec Aristote, dans la médiocrité. Nul n’est
tenu de faire plus que lui ; on n ’exige pas la perfection.
Nul n’est autorisé à faire moins que lu i, à moins que
la loi ou la convention ne limite expressément la mesure
ordinaire de la responsabilité.
» Or, l’article 1850 du Code civil contient-il une de
ces restrictions ? Nullement. En rendant l’associé res
ponsable des dommages-intérêts causés par sa faute , il
se sert d’une formule faite exprès pour placer l’associé
sous l’empire des principes généraux relatifs à l’imputa
tion. Quand est-il en faute? Est-ce dans le cas des plus
simples omissions ? Ou bien ne serait-ce pas quand il
s’exempte des soins du pè're de famille diligent ? L’article
1850 affecte de laisser intactes ces questions décidées
dans une autre partie du Code civil h »
M. Troplong arrive donc à cette conclusion : l’associé
répond non-seulement de la faute lourde , mais encore
de la faute légère ; il n’y a que la faute très-légère pour
laquelle on ne saurait le rechercher. '
MM. Delamarre et Lepoitvin se rangent à l’opinion
de M. Troplong, mais au point de vue purement civil.
Ils estiment, en conséquence, qu’on doit être plus sévère
en matière de cemmerce.
« L’esprit des lois commerciales, disent-ils, diffère es
sentiellement de l’esprit des lois civiles.Que celles-ci tran
sigent avec l’insouciance trop ordinaire au commun des
i Des sociétés, n° S76.
�86
DES SOCIÉTÉS
hommes,, on le conçoit; c’est même une nécessité. Il
n’en peut être ainsi des obligations commerciales.
Si la doctrine de M. Toullier ne s’accorde pas bien avec
les dispositions du Code civil, elle s’adapte parfaitement
à la gestion commerciale; là, en effet, « le débiteur ré» pond de la faute la plus légère, pourvu qu’elle puisse
» lui être imputée. Quoique les fautes ne soient pas é» gales en morale ni aux yeux de la loi lorsqu’il s’agit
» de les punir, toutes sont égales lorsqu’il ne s’agit que
» de réparer le dommage qu’elles ont occasionné. Quel» que légère que soit la faute, elle n’est pas une raison
» suffisante pour appauvrir le prochain h »
Il est fort probable que , do’minés par leur matière,
MM. Delamarre et Lepoitvin ont fait d’un principe que
cette matière comporte fort bien , la règle générale du
commerce. Ainsi, .si, d’après ces honorables jurisconsul
tes, le commissionnaire est tenu de la faute même trèslégère, c’est que : « toujours certain de gagner , quelle
» que soit pour le commettant l’issue de l’opération , il
» doit à la chose commise non-seulement les soins
» qu’il apporte à ses propres affaires, mais les soins que
» la loi romaine exige de l’emprunteur à usage : exac» tissimam diligentiam custodiendœ rei prœstare com» pellitur, nec sufficit in eamdem diligentiom adhi» bere quam suis rebus a dhibet, si alius diligentior
» custodire potuerit ; c’est qu’il faut qu’il soit l’homme
1 D es
c o m m is s io n n a ir e s ,
t. 2, n° 220.
�ART.
18
.
87
» aux cent yeux totus oculeus ; c’est qu’en fait de com» mission, point de fautes vénielles l. »
Appliquer à l’associé cette règle dont le commission
naire peut être justement passible, c’est vouloir généra
liser une exception, au risque de commettre, sans motif
sérieux, une énorme injustice.
L’associé, en effet, n’est pas et ne doit pas être l’hom
me aux cent yeux. A la différence du commissionnaire,
il ne dispose que de la chose commune , et ne promet
que du zèle , du dévouement, et ne s’engage qu’à en
faire sa chose propre et à l’administrer comme il ferait
de celle-ci.
Donc, placer l’associé sur la même ligne que le com
missionnaire relativement à la responsabilité , unique
ment parce qu’ils sont commerçants l’un et l’autre, vou
loir, à l’endroit des fautes, créer une théorie différente
selon qu’il s’agit du droit civil ou du droit commercial,
c’est créer une distinction que rien ne justifie , que les
auteurs condamnent, que la raison écrite proscrit.
Slraccha , qui ne s’occupe que du droit commercial,
proclame ce principe : secundum contractuum généra
veniunt culparum généra, et c’est au droit romain qu’il
se réfère pour les conséquences à donner à ces fautes.
Or, la loi romaine, loin de se montrer plus sévère à
l’égard des associés , se départ au contraire singulière
ment de sa rigueur. Nous venons de voir ses exigences
i Ibidem.
�88
DES SOCIÉTÉS
à l’égard de l’emprunteur à usage, auquel MM. Delamarre et Lepoitvin assimilent le commissionnaire. Voici
ses dispositions relativement aux associés :
Culpa non ad exactimmam diligentiam redigenda
est. Sufficit enim talem diligentiam communibus rebus
abhibere qualem suis rebus adhibere solet; quia qui
parum diligentem sibi socium adquiril de se queri
debet1.
En dispensant l’associé de la diligentia exactissima,
la loi l’affrachit de la responsabilité de la faute trèslégère q u i, nous venons de le dire , consiste à n ’avoir
pas déployé cette vigilance qu’on rencontre chez le plus
excellent père de famille. Dans tous les cas , nous dé
fions bien qu’on puisse , assimilant l’associé à l’em
prunteur à usage , lui appliquer les règles imposées il
celui-ci.
On ne saurait donc, de ce que le commissionnaire est
tenu de la faute très-légère , conclure qu’il doit en être
de même de l’associé.
Notre ancien droit avait suivi les errements du droit
romain à ce sujet. Chacun des associés, enseignait Po
thier , n ’est tenu que de la faute ordinaire et non de la
faute la plus légère. On ne peut exiger de lui que le
soin dont il est capable et qu’il apporte à ses propres
affaires. S’il n ’a pas la même prévoyance qu’ont dans
leurs affaires les plus habiles pères de famille, ses asso-
1 L. 22, ff.
P r o soeio,
— Jnstit. Just.,
D e so c ie t.,
§ 9.
�ART.
18.
89
ciés ne peuvent pas Iqi imputer ce défaut, mais plutôt
s’imputer à eux-mêmes de s’être associés avec lu ix.
Ces inspirations, notre Code civil loin de les répudier
les a lui-même consacrées. Ainsi que le prouvait tout à
l’heure M. Troplong, l’article 1850 exclut la responsa
bilité de la faute très-légère.
Comment, dès lors, l’imposer à l’associé commercial?
Est-ce qu’on peut contester l’application de l’article 1850
à celui-ci comme à l’associé civil ? L’article 18 du Code
de commerce résout la question. Le contrat de société
se règle par le droit civil, par les lois particulières au
commerce, et par les conventions des parties.
Aussi cherche-t-on vainement, soit dans le Code de
commerce soit dans les lois commerciales particulières,
des dispositions réglant les obligations et la responsabi
lité des associés entre eux. La détermination de celle-ci
ne se trouve que dans l’article 1850 du Code civil.
Donc, la distinction que font MM. Delamarre et Lepoitvin entre l’esprit des lois civiles et l’esprit des lois
commerciales n’a aucune raison d’être en ce qui con
cerne les associés ; et puisque, quant à leur responsa
bilité, ceux-ci n’ont d’autre règle, d’autre loi que l’arti
cle 1850 , faut-il bien en suivre les dispositions et res
pecter les limites qu’elles tracent.
Maintenant nous convenons que le motif allégué par
Justinien, par Gaius, par Pothier lui-même n’est guères
1 D es
sociétés,
n° 124.
�90
DES SOCIÉTÉS
concluant, et ce n’est pas sans raison que MM. Delangle
et Duvergier en signalent les conséquences inaccepta
bles. « S i, dit ce dernier , lorsque les associés repro» chent à l’un d’eux son incurie, son incapacité, celui» ci peut leur répondre : vous me connaissiez ou deviez
» me connaître ; prenez-vous-en à vous-mêmes de
» m’avoir accepté pour associé ; vous ne pouviez pas
» attendre de moi une activité et une intelligence supé» rieures à celles que je montrais pour mes intérêts
» personnels. J ’ait fait pour la société comme pour moi,
» vous n’avez pas à vous plaindre ; ce n’est pas seule» ment l’irresponsabilité de la faute très-légère , c’est
» l’impunité pour les fautes les plus lourdes1. »
Ces honorables jurisconsultes ont raison en signalant
l’étrangeté à laquelle aboutit la règle qui subordonne
rait la responsabilité des fautes à une appréciation des
aptitudes et de la diligence habituelle de l’associé , et
tellement raison , qu’il est impossible d’admettre que
cette étrangeté ait pu échapper à des maîtres tels que
Justinien, Gaius, Pothier.
A notre avis , donc , il ne faut pas , ic i, prendre les
expressions trop à la lettre, et la pensée qui en découle
est uniquement celle ci : si ceux qui s’associent ne doi
vent pas rencontrer dans chacun d’eux cette intelligence
supérieure , cette capacité hors ligne qui ne sont l’a
panage que du petit nombre, ils sont en droit de comp-
1 D es
sociétés,
n» 326.
�ART. 18.
91
ter sur les diligences, sur les soins qui constituent ordi
nairement le bon père de famille. Ils doivent donc les
présumer de droif , et on ne saurait leur reprocher de
n’en avoir pas vérifié l’existence.
Ce qui justifie cette interprétation , c’est que Pothier
examinant si l’associé pourrait s’excuser de sa négligence
crasse, s’il était constant qu’il apporte celle négligence
à ses propres affaires , se prononce pour la négative.
« Si, dit-il, on n’exige pas d’un associé, pour les affai» res de la société , le soin le plus exact qu’ont dans
» leurs affaires les plus habiles pères de famille , c’est
» qu’il peut n’être pas capable de ce soin. Mais chacun
» est présumé capable du soin ordinaire qu’apportent à
» leurs affaires les personnes les moins intelligentes, et
» lorsqu’il n’apporte pas ce soin, on présume que c’est
» par une paresse volontaire et condamnable, dont à la
» vérité il n’est comptable à personne pour ses propres
» affaires ; mais dont il est comptable à ses associés
» lorsqu’il a eu cette paresse pour les affaires commu» nés h »
Si l'expression peut paraître impropre et pécher par
sa généralité , l’idée est essentiellement raisonnable et
juste. En prenant pour type l’administration personnelle
de l’associé , nos vénérés maîtres ont raisonné dans
l’hypothèse d’un homme diligent et soigneux, d’un bon
père de famille.
1 Ses
sociétés,
n° <124.
�92
DES SOCIÉTÉS
Pouvait-il en être autrement? Les lois ne doivent et
ne peuvent régir que les cas généraux ; elles ne sauraient
se préoccuper des exceptions. Or, un individu qui n’ap
porte pas à ses affaires propres la vigilance et les soins
d’un bon père de famille, est une exception , et ce n’est
pas évidemment à cette exception qu’on s’en est référé,
lorsqu’on a pris pour type de la gestion des associés, la
conduite qu’ils tiennent dans l’administration de leur
fortune personnelle.
59 ter.
dernière analyse, si l’associé ne répond
pas de la faute très-légère, il répond incontestablement
des actes qui s’écartent de la prévoyance, de la vigilance
d’un bon père de famille. De quelque manière qu’il gère
ses affaires propres , il doit à la société cette vigilance,
cette prévoyance. On exigera qu’il soit non pas ce qu’il
peut être réellement, mais ce qu’il devrait être.
—
En
Si les associés ne peuvent pas se plaindre de ce que
l’un d’eux n’a pas déployée celte exactissima diligentia
exigée de l’emprunteur à usage,on ne saurait leur con
tester le droit de demander compte d’une négligence,
d’une incapacité qui ne se suppose chez personne.
En contractant une société, les intéressés n’ont pas à
ouvrir une enquête sur la conduite privée de chacun
d’eux, à rechercher le caractère et la nature de sa ges
tion pour ses affaires propres. Chacun d’eux promet à
la chose commune tous les soins dont elle est suscep
tible , et s’engage à lui consacrer une intelligence , une
capacité ordinaire. Celui qui ne tient pas cette.promesse,
�ART.
18.
93
qui manque à cet engagement doit répondre des consé
quences de cette conduite, et il n’est que juste qu’il ré
pare le préjudice qui en serait résulté. On ne saurait ad
mettre qu’il pût s’excuser de ce tort par le tort plus
grave encore qu’il a de négliger ses propres affaires.
Justinien, Gaius, Pothier n’ont dit et n’ont voulu dire
que cela , et dès lors leur doctrine ne saurait produire
les conséquences contre lesquelles s’élèvent justement
MM. Delangle et Duvergier.
Bornée à ces limites , cette doctrine est éminemment
rationnelle et juste. Celui qui ne sait ou ne peut admi
nistrer ses affaires personnelles ne doit pas se charger
d’administrer celles d’une société. Comme l’enseigne avec raison M. Delangle, celui qui se charge volontaire
ment de cette tâche, s’engage par cela seul à se montrer
vigilant, à ne rien faire de téméraire, à ne rien négliger
de ce qui prépare le succès.
Se dire intelligent et capable, lorsqu’on sait n’être ni
l’un ni l’autre, c’est tromper sciemment et mériter d’être
puni. Autant il est juste de ne pas exiger de l’associé
celte haute prévoyance qui est trop au dessus de l’apti
tude moyenne de l’homme, qui exige trop d’efforts sur
soi-même , qui commande une attention trop près de
l’infaillibilité \ autant il serait injuste de le laisser im
puni, lorsqu’il n’a rien fait de ce qu’un bon père de fa
mille aurait accompli.
1 Troplong, loco cüato.
�94
DES SOCIÉTÉS
•40. — Nous avons dit tout à l’heure qu’un associé
peut toujours , sans le consentement de ses coassociés,
admettre un tiers à la participation de son intérêt. Du
cédant au cessionnaire, avons-nous d it, il y a une vé
ritable société. Chacun
d’eux est dès lors tenu envers
\
l’autre de la même manière que le sont les associés en
tre eux.
Mais du croupier aux associés principaux, il n’y a au
cun lien , et conséquemment ni obligation ni action.
Dès lors , s i , appelé à administrer la chose sociale , le
croupier parvient par son industrie à réaliser des béné
fices, il n’en doit compte qu’à son propre associé.
Les associés principaux o n t, il est v ra i, une action
pour faire rapporter à la masse tout ce que la chose
commune a produit ; mais cette action , ils ne peuvent
l’intenter que contre leur associé. Le croupier leur est
resté complètement étranger ; ils ne seraient donc pas
recevables à le rechercher , si ce n’est comme exerçant
les droits du cédant lui-même.
Si, dans la même hypothèse, le croupier a mal admi
nistré ; s’il a commis une faute ; s i , touchant des pro
duits sociaux et devenu insolvable , il ne peut les resti
tuer , c’est encore au cédant qu’incombe la responsabi
lité à l’égard de ses associés : cette responsabilité n’est
que la conséquence de la faute qu’il aurait personnel
lement commise en choisissant mal son associé, et sur
tout en lui confiant une administration dont il était in
digne.
De son côté, le croupier n’a personnellement rien à
�ART.
18.
95
réclamer aux associés de son cédant ; celui-ci seul est
responsable envers lu i, soit des bénéfices réalisés dans
la société principale, soit des conséquences ou fautes sus
ceptibles de diminuer ou d’absorber ces bénéfices \
Notons bien que dans toutes ces hypothèses l’action
refusée soit aux associés principaux , soit au croupier,
est l’action directe pro socio ; on ne saurait leur refuser
de s’actionner mutuellement , eu vertu de l’article 1166
du Code civil, et comme exerçant les droits de leur dé
biteur ; mais, dans ce cas, ils subiraient les conséquen'ces de cette action, celle notamment d’être repoussés par
les exceptions opposables au débiteur lui-même. À plus
forte raison le pourraient-ils si le demandeur attaquait
l’acte comme fait en fraude de ses droits.
41.
— Nous venons de voir que l’associé qui s’est
donné un croupier répondait de l’insolvabilité de celuici envers ses associés principaux. Est-il également tenu
de l’insolvabilité de ces derniers en faveur de son ces
sionnaire ?
Un grave dissentiment s’est élevé en doctrine sur cette
question. L’affirmative est enseignée par M. Merlin8.
MM. Duvergier et Troplong enseignent l’opinion con
traire 3.
L'obligation du cédant vis-à-vis de ses associés primi-
1 L. 22,
2
ff.
P ro soeio;
—
Pothier, Des sociétés, n° 93.
Questions d e droit, v° Croupier.
Des sociétés,
n» 380 : — Sur l’article 4861, n° 762.
�if!;A
Èi
I
II
' s 11
mitifs repose sur un fondement juridique. Il a commis
une faute en se donnant un associé insolvable, en lui
confiant l’administration de choses appartenant à la so
ciété. Conséquence de cette faute, sa responsabilité n’est
que l’application de l’article 1850. Il ne serait pas juste
que les associés vissent leur position s’aggraver par un
acte auquel ils sont restés étrangers , et qu’ils n’ont pu
empêcher.
La même raison existe t-elle du croupier au cédant?
Le premier peut-il dire au second : Vous avez seul choisi
vos associés; répondez donc du tort que vous avez eu
de mal placer votre confiance ? Evidemment, non ; car,
lorsqu’il a traité, il a nécessairement connu le personnel
de la société à laquelle il a consenti à s’adjoindre ; et
l’acceptation d’une part d’intérêt, en l’état de cette con
naissance , implique , lorsqu’il n’a rien stipulé sur l’in
solvabilité des associés principaux , sa soumission à ac
cepter la société telle qu’elle est constituée avec ses élé
ments préexistants de prospérité et d’infortune. Il s’est
donc volontairement soumis à toutes les chances de l’administration, telle que l’avait faite le contrat primitif.
Quelle est, d’ailleurs,, l’obligation que contracte l’as
socié qui se donne un croupier? Uniquement celle de
partager avec lui tout ce qu’il retirera de la société dont
il est membre. Quidquid fueril de socielate nostra
consecutus, cum Mo qui eum assumpsit communicabis.
Or , quelle est la part que reçoit le cédant lorsque les
bénéfices sont absorbés par l’insolvabilité de ses asso
ciés ? Une créance sur eux ; et puisqu’il n’est tenu que
�ART.
18.
97
de partager ce qu’il reçoit, il remplit son obligation en
abandonnant une part de cette créance. C’était là une
des chances de la société : le croupier a pu et dû la pré
voir ; il pouvait en empêcher les effets, en soumettant
son cédant à l’en garantir. Il ne peut donc se plaindre
si, négligeant ce soin, il est forcé de la subir.
42.
— Faut-il conclure de là, comme paraît le faire
M. Merlin , que le cédant pourra contraindre son crou
pier à contribuer à toute la perte qu’il éprouvera luimême, par suite de l’insolvabilité de ses associés ? C’est
ce que nous ne pouvons admettre, c’est ce qui ne pour
rait être admis sans aboutir à une iniquité. Ainsi, sup
posez qu’en vertu de la solidarité commerciale le cédant
soit obligé de payer l’intégralité du passif de la société
première, par suite de l’insolvabilité de ses associés, estce qu’il pourrait dire à son croupier : Je suis en perle
de toutes les sommes que j’ai payées, indemnisez-moi
sur cette proportion , jusqu’à concurrence de l’intérêt
que je vous ai cédé ? Consacrer l’affirmative serait, nous
le répétons , aboutir à une flagrante iniquité ; car on
arriverait ainsi à mettre à la charge du croupier la moi
tié de la perte de la société principale.
Or , quoi qu’il arrive , cette perte ne peut être à sa
charge que pour la quotité d’intérêt qu’il a prise, et re
lativement à la portion que son cédant devait supporter.
On devra donc, dans tous les cas, liquider cette portion,
et la répartir entre le cédant et le cessionnaire , dans la
proportion indiquée par la cession. Que si le premier est
i
7
�DES SOCIÉTÉS
obligé, indépendamment de cette portion, de payer celle
de ses coassociés insolvables , il ne pourra se faire res
tituer par son croupier, devant, par sa position, rester
tout à fait étranger à ces mêmes portions.
Ainsi, de quelque manière que la perte se réalise, le
croupier doit supporter celle qui échoit à son associé.
Vainement excip.erait-il de l’insolvabilité des associés
principaux , inutilement prétendrait-il qu’au lieu d’une
perte il y aurait un bénéfice si ceux-ci avaient pu s’exé
cuter. Son cédant lui répondrait avec raison : Donnez
votre part de ce que j’ai à payer ; je ne vous ai pas ga
ranti la solvabilité de mes associés. Tout ce que je dois
faire, c’est de vous céder proportionnellement la créance
que j ’aurai contre eux.
Mais cette même prétention serait irrecevable pour la
perte que le cédant n’était pas appelé naturellement à
supporter. Ainsi, s i , débiteur solidaire , il paye la part
de ses codébiteurs, il ne peut avoir de recours, quant à
ce, que contre les codébiteurs eux-mêmes , et jamais
contre son croupier , qui, en droit et en fait, ne s’y est
jamais soumis.
Nous verrons , sous l’article 22 , quelle est la nature
des engagements des associés envers les tiers. Nous nous
bornons ici à l’examen de la position du croupier visà-vis des créanciers de la société principale , et de ceux
personnels de son cédant.
4 3.
— Le croupier, n’ayant jamais fait partie de la
société principale , n’a contracté aucune obligation en-
�A .R T .
18.
99
vers les créanciers de celle-ci. Il ne pourrait donc, sous
aucun prétexte , être directement actionné par eux. Ils
ne sauraient l’atteindre qu’en exerçant l’action de l’ar
ticle 1166.
De là il résulte qu’ils ne pourraient jamais demander
et obtenir plus que ce que leur débiteur pourrait exiger
lui-même. Tout se réduirait donc à la part déterminée
dans l’acte de cession. Le croupier, pouvant leur oppo
ser toutes les exceptions opposables au cédant, il serait
admis à se prévaloir contre eux de l’acte de dissolution
intervenue entre celui-ci et lui, avant les pertes à l’oc
casion desquelles il serait poursuivi L Si cet acte était
sous seing privé , les créanciers ne pourraient en récu
ser l’autorité que par l’action de l’article 1167, et par
la preuve qu’il a été fait en fraude de leurs droits.
44.
— Le croupier a, sur la part d’intérêt qui lui a
été cédée, un droit de préférence sur les créanciers per
sonnels de son cédant. Le contrat intervenant entre eux
à ce sujet est plutôt une vente qu’un transport. Le crou
pier est donc, par l’effet de cet acte, de plein droit saisi
de la propriété qui lui a été transférée, et qui, dès cette
époque, lui a été définitivement acquise. Mais, pour que
la vente puisse être opposée aux créanciers saisissants,
il faut qu’elle soit constatée.
De ce caractère du contrat, M. Troplong a induit, avec juste raison,que le croupier n'est pas tenu de signi-
1 Cass., 8 prairial an x m
W: ■
�1T)0
DES SOCIÉTÉS
fier son titre à la société. En effet, l’article 1690 du
Code civil n’est fait que pour la transmission des droits
incorporels, et ne saurait régir la mise en société d’une
chose quelconque. En réalité, d’ailleurs, le croupier ne
peut devenir membre de la société principale, qui ne le
connaît pas, qui ne deviendrait pas son obligée par l’ef
fet de la signification , puisque le contraire est subor
donné au consentement de ses membres, sans lequel le
croupier lui reste absolument étranger. La signification
serait donc inutile , car , après comme av an t, la société
n’aurait pas admis que son auteur fût au lieu et place
de son cédant ; qu’elle ne dût avoir affaire qu’à lui ; ni
qu’il eût assumé sur sa personne le titre établissant des
rapports entre elle et celui-cil.
Le croupier est donc, de plein droit, saisi de la pro
priété de la part lui revenant dans les objets corporels,
les deniers, les meubles ou titres au porteur. Les uns et
les autres lui sont acquis par la seule force de son titre,
et à l’exclusion de tous créanciers personnels du cédant.
Mais si celui-ci avait, dans le partage de la société, des
titres de créances ordinaires, et qu’il en cédât une quo
tité quelconque au croupier , celui-ci ne serait définiti
vement saisi contre les tiers que du jour de la significa
tion au débiteur cédé. L’article 1690 reprendrait ici son
pire.
l ’article 1861, n° 765. — Conf. Duranton , t. 17, n° 445 ; Du, n°« 378, 379.
�18.
101
45.
— Après avoir établi les obligations des asso
ciés, la loi détermine les droits afférant à chacun d’eux
contre la société. Tel est l’objet des articles 1852 et
1859 du Code civil.
En résumé , l’état de société impose aux associés les
obligations suivantes :
1° Apport de la mise convenue, qui devient, du jour
de la mise en mouvement de la société, la chose de tous,
soit qu’elle doive se réaliser en espèces, en effets mobi
liers ou immobiliers, ou seulement en industrie;
2° Nécessité de se tenir respectivement compte de ce
qui a été perçu des débiteurs de la société ;
3° Réparation du dommage résultant de la faute,
même légère ;
4° Enfin contribution aux pertes, dans les propor
tions réglées par le contrat, et à défaut par la lo ix.
De son, côté la société est tenue :
1° De contribuer aux dépenses communes : chaque
associé a donc le droit de contraindre les autres à faire
avec lui celles qui sont nécessaires pour la conservation
des choses sociales ;
2° De rendre l’associé indemne , non-seulement à
raison des sommes qu’il a déboursées pour elle , mais
encore à raison des obligations qu’il a contractées de
bonne foi pour les affaires de la société , et des risques
inséparables de sa gestion ;
V oy articles 1845, 1846,
4
847, 4 848, 4 849 et
4 8,50
du Code c iv il.
% Mi
�m
DES SOCIÉTÉS
3° Enfin, de départir à chaque associé une part dans
les bénéfices l.
4 6 . — Ces règles, relatives à la constitution de la
société et à son administration, ainsi tracées, le législa
teur s’est occupé des causes qui peuvent et doivent en
amener la dissolution. Ces causes proviennent : les unes
de l’acte social lui-même, las autres d’un fait particu
lier à un associé , les autres enfin , d’une circonstance
fortuite et indépendante de la volonté humaine. Nous
allons les examiner dans Tordre même dans lequel elles
sont énumérées dans l’article 1865 du Code civil.
P r e m iè r e c a u s e : Expiration du terme convenu pour
la durée de la société. = La société étant un contrat
consensuel ne saurait exister sans la volonté bien pro
noncée de tous ceux qui sont appelés à en faire partie.
En conséquence, si, dans son expression , cette volonté
a formellement déterminé les limites de sa durée, il est
évident qu’elle ne peut survivre à l’échéance du terme
convenu , et que celle-ci se réalisant, le contrat est par
cela même épuisé ; chaque partie peut donc se considé
rer comme légalement déchargée de ses engagements.
Aucune difficulté sérieuse ne saurait s’élever à cet égard.
4 7 . s — Il est une seule hypothèse dans laquelle l’ex
piration du terme n’entraînerait pas la dissolution im
médiate de la société ; à savoir , si les parties, ayant
1 V oy. articles 1852, 1853, 1854 et 1859 du Code civil.
�calculé la durée probable de ses opérations , en avaient
approximativement fixé le terme. Dans ce cas, en effet,
ce que les parties se sont proposé, c’est l’achèvement des
opérations. Le terme n’a été calculé qu’en prévision de
cet achèvement, et que parce qu’on a cru que celui
qu’on adoptait serait suffisant. Il importe donc peu
qu’il y ait eu erreur de leur p a rt, leur véritable inten
tion ne saurait être douteuse , et quels que soient les
termes dans lesquels elles l’aient annoncée, la société ne
finira qu’avec l’achèvement de ses opérations.
48.
— La dissolution par l’expiration du terme
n’est pas tellement absolue, qu’elle soit inévitable pour
les associés. De même qu’ils pourraient contracter une
société nouvelle, de même ils auraient la faculté de pro
roger celle qui vient d’expirer.
D’associé à associé, cette prorogation ne pourrait être
admise que s’il était établi que chacun d’eux l’a con
sentie. Ce consentement, aux termes dé l’article 1866,,
devrait être établi par écrit, puisque la prorogation est
soumise au mode de preuve exigé pour la constitution
de la société elle-même par l’article 1834 du Code civil.
Cependant.il ne faudrait pas donner à cette disposi
tion le sens restrictif qu’elle paraît comporter. Remar
quons, en effet, que quant aux sociétés civiles, le légis
lateur, en exigeant la preuve écrite, ne prescrit rien sur
la forme de l’instrument dont cette preuve doit résulter.
De plus , le commencement de preuve par écrit ferait
admettre la preuve testimoniale. Ainsi, l’existence d elà
�DES SOCIÉTÉS
société n’exige pas celle d’un contrat authentique ou
formel. La preuve pourrait en être fournie par tout écrit
émané de celui qui la conteste, notamment de sa c o r'
respondance ; il en serait de même pour la proroga
tion.
Des associés aux tiers, la prorogation résulte de la
continuation des opérations sociales au vu et su et sans
réclamation de la part des associés ; il ne peut pas être,
en effet, que par une coupable collusion , les associés
puissent, en faisant disparaître les traces de la proro
gation, soustraire quelques-uns d’entre eux aux consé
quences d’engagements qu’ils avaient autorisés, et occa
sionner ainsi un grave préjudice aux tiers de bonne foi.
Nous verrons plus tard les modifications que les pres
criptions de la loi commerciale peuvent faire subir à
cette règle K
49 . — Deuxième
cause : Extinction de la chose,
ou consommation de l’opération. = Nous venons de
voir que l’échéance du terme entraînait la dissolution
de la société ; ce terme n’a pas toujours besoin d’être
stipulé , il résulte quelquefois de la nature même de la
société, comme si deux ou plusieurs personnes s’étaient
réunies pour se livrer à une opération déterminée. La
durée delà société est forcément indiquée, elle subsis
tera tant que l’opération ne sera pas achevée ; la fin
de celle-ci dissoudra l’autre, car, du moment de sa li-
Voy. in fr a article 46.
�A .M .
18.
105
quidation , la société n’a plus ni matière , ni objet, ni
but.
Ainsi, nous nous associons pour la construction d’un
monument, pour la confection d’une partie de travaux
publics dont nous rapportons l’adjudication , pour spé
culer sur la récolte de vin ou d’amandes de l’année cou
rante. Toutes ces associations sont régies par le deuxiè
me paragraphe de l’article 1865. La consommation de
l’opération amène naturellement et forcément leur dis
solution.
50.
— L’article 1867 du Code civil développe le
principe posé par l’article 1865, relativement à l’extinc
tion de la chose; sa rédaction donne naissance à une
foule de reproches sur son peu de précision et de clarté.
Essayons d’en fixer la portée réelle
Notons d’abord une différence essentielle entre ces
deux articles. L’article 1867 s’occupe exclusivement de
la mise de fonds des associés , l’article 1865 dispose en
général pour le fonds capital lui-même ; il est évident
que la perte complète, absolue de celui-ci dissoudrait la
société : avec quoi, en effet, continuerait-elle ses opé
rations ? elle a perdu ce qui devait en faire l’aliment
unique. Comprendrait-on , d’ailleurs, une société en
l’absence d’une communauté de choses? Aussi Ulpien l,
après avoir rappelé que la perte de la chose amenait la
dissolution de la société, s’écriait-il : Res vero cum aut
1 L . 6 3 , § 1 0 , ff.
Pro socio.
�DES SOCIÉTÉS
nullœ relinquantur aut condüionem mutaverint :
neque enim ejus rei, quœ jam nulla s it, quisquam
socius est.
Il est regrettable que notre législateur n’ait pas éga
lement précisé sa pensée; mais la raison supplée au
défaut d’expression. Il est évident que l’article 1865 n’a
entendu parler que du fonds social, dont la perte est
nécessairement, inévitablement une cause de dissolu
tion . Peu importe , dès lors , que les propriétaires qui
l'ont formé aient transmis la propriété ou seulement la
jouissance des choses qu’ils y ont apportées. Dans l’un
comme dans l’autre cas , la société n’en a pas moins
perdu son patrimoine commun , n’est pas moins privée
de base et d’objet, e t , par conséquent, pas moins im
possible. Dans ce sens, l’article 1865 ne renferme ni équivoque, ni obscurité.
Mais il fallait prévoir le cas où , sans porter sur le
fonds capital en intégralité , la perte atteindrait une des
mises sociales. C’est cette hypothèse dont s’occupe l’ar
ticle 1867 , et nous allons voir que sa disposition ne
mérite peut-être pas tous les reproches qu’on lui a a~
dressés.
51.
— Relativement à la mise des associés , la loi
distingue : bu elle n’est encore que promise, ou elle est
déjà effectuée.
La mise n’est, que promise , lorsque l’acte de société
étant signé et l’apport de chacun des associés convenu,
on a fixé l’époque à laquelle devra commencer la so-
�ART.
18.
407
ciété. Jusque-là, en effet, cette société n’est qu’un projet
définitif, qui ne se convertira en acte que du jour où
elle se livrera aux opérations qu’elle s’est proposée pour
objet. Conséquemment, si la chose promise vient à périr
avant, cette perte est pour le com pte exclusif deceluiqu
s’était engagé à la verser, par cette raison décisive que
la société n’existant pas encore ne pouvait en avoir la
propriété, et que la chose périt pour son propriétaire.
Que si la société fonctionne déjà, il n’y aura égale
ment que mise promise, si le versement de l’apport a été
subordonné à l’expiration d’un délai ou à la réalisation
d’une condition ou d’un événement futur.
Ainsi, j’adhère à une société déjà existante, et je pro
mets de verser pour mise de fonds une chose détermi
née; m ais, n’ayant pas au moment où je m’engage la
libre disposition de cette chose, je stipule que je ne la
livrerai que dans le délai d’un ou de plusieurs mois.
Ou bien la chose que je promets ne sera en ma pos
session que plus tard, et je ne prends l’obligation de la
livrer qu’après que je l’aurai reçue moi-même. Suppo
sez que je me sois engagé à verser une marchandise qui
m’est expédiée sur un navire désigné, à l’arrivée duquel
je devrai opérer le versement.
Dans l’un et l’autre cas , la société est conditionnelle
et soumise à un événement futur et incertain ; il y aura
sans doute dans le contrat un lien de d ro it, mais l’effi
cacité de ce lien sera elle-même subordonnée à la réali
sation de la condition, laquelle est nécessairement, dans
les exemples que nous avons pris, la libre disposition de
�108
DES SOCIÉTÉS
la chose à l’expiration du délai convenu, l’heureuse ar
rivée du navire porteur de la marchandise.
Conséquemment, la perte de la chose rendant cette
réalisation impossible dissout la société, ou plutôt empê
che que la société ait jamais existé autrement qu’en
promesse. D’autre part, cette perte ne saurait concerner
que l’associé, puisqu’il n’aurait perdu la propriété d elà
chose que si, au temps voulu, il avait été en mesure de
la livrer, ce qu’il n’a jamais fait, ce qu’il n’a pu faire.
52.
— Si la mise consiste dans le transfert de la
propriété et qu’elle ait été effectuée, la perte est pour le
compte de la société ; elle ne produirait pas d’autres ef
fets que toute autre perte survenue pendant la durée de
la société et dont chaque associé doit supporter sa part ;
elle ne dissoudrait donc pas la société , à moins que la
chose perdue ne fût l’objet principal de l’association.
Dans ce cas , la perte portant sur le capital social, elle
rentrerait sous l’application de l’article 1865.
Ici la difficulté ne saurait s’offrir sur l’effet de la
perle ; elle ne peut porter que sur la condition exigée
par la loi. Quand devra-t-on considérer la mise comme
effectuée? Faudra-t-il que l’obligation ait été suivie d’une
tradition effective ?
Ces questions pourraient être douteuses, si les princi
pes généraux du droit ne les avaient déjà formellement
résolues. Or, les articles 711, 1138 et 1583 sont on ne
peut plus précis. Du jour donc oit la livraison a dû
s’opérer , c'est-à-dire, dans l’espèce, du jour où la so-
�ART.
ciété
s’est
tion,
sont
18.
109
a réellement commencé ses opérations, la tradition
réalisée par le seul effet de la loi et de la conven
la propriété de toutes les mises a été acquise, elles
donc de plein droit effectuées.
53.
— M. Pardessus enseigne le contraire. « L’ar
ticle 1867, dit-il, a fait une sage exception aux princi
pes ordinaires , une concession spéciale au contrat de
société, qui, ayant un besoin essentiel de l’objet promis,
ne peut être parfait que par la tradition effective L »
Cette doctrine tend à créer une exception que rien
n’autorise, à notre avis. Le besoin qu’éprouve la société
de l’objet qui y a été versé ne peut être plus urgent que
celui du créancier ou de l’acquéreur, dans les- hypothè
ses des articles 1138 et 1583. Or, puisque, pour ceuxci , ce besoin n’a pas été pris en considération, on ne
voit pas pourquoi on déciderait le contraire pour les as
sociés.
Diâlleurs, si, en fait, le besoin était aussi urgent que
le suppose M. Pardessus , il est évident que la société
aura pris la précaution de mettre l’associé en demeure
par l’un des modes indiqués par l’article 1139 du Code
civil. Dans ce cas, la perte ultérieure demeurera pour le
compte exclusif de celui-ci. ■
En l’absence de cette précaution, le principe res périt
domino ne comporte aucune exception. Or, la société,
du jour de sa constitution définitive, est tellement pro-
1 N° 9SS.
�410
des
s o c ié t é s
priélaire de l’universalité des mises, qu’elle perçoit de
plein droit les intérêts ou les fruits de chacune d’elles.
5 4.
— « Mais, disent MM. Malepeyre et Jourdain,
si les dispositions de l’article 1138 du Code civil étaient
applicables aux sociétés , il est évident que la perte ar
rivée après la promesse, mais avant la tradition, ne dé
truirait pas la société; elle n’est rompue que parce qu’
elle n’a jamais été propriétaire , et que l’associé étant
dans l’impossibilité de remplir son obligation , la con
vention synallagmatique est brisée l. »
Cet argument est au moins étrange , car le principe
admis , et il est inconstestable , on ne voit pas le profit
qu’il y a à retirer de ces conséquences par rapport à la
difficulté que nous examinons.
Dans le cas de mise promise, la société n’est pas pro
priétaire , par l’excellente raison qu’elle n’aura d’exis
tence légale que par le complément de faits ultérieurs.
« Tantôt ce sera une simple promesse de société, sem
blable à une promesse de vente, in futurum, et inca
pable de transférer la propriété de plein droit et immé
diatement; tantôt ce sera une société conditionnelle,
dans laquelle les parties ont dû se borner à convenir
de la destination de la chose, soit parce que cette chose
n ’existait pas encore , soit parce qu’on n’en avait pas la
libre disposition2. »
/
1 Page 40.
* Troplong, Des sociétés, art. 1867, n° 031
�ART.
18.
111
Qu’y a -t-il de commun entre ces hypothèses et celle
où il s’agit de société pure et simple, parfaite et actuelle?
F audra-t-il, parce que dans les unes la société n’a ja
mais été propriétaire, décider qu’il en doit être de même
pour cette dernière ? C’est précisément ce qu’il fallait
juridiquement démontrer. Or, M. Pardessus, MM. Malepeyre et Jourdain l’admettent, mais ne le justifient en
aucune manière.
Leur doctrine est donc inadmissible , car elle aurait
pour résultat d’aller chercher dans l’article 1867 le ren
versement des principes fondamentaux du Code sur l’ef
fet de l’obligation de livrer. « Non ! dit M. Troplong,
l’article 1867 n’exige pas la tradition pour la saisine so
ciale ; non l il ne fait pas de la société un contrat par
fait par la chose ; il s’harmonise à merveille avec les rè
gles du contrat de vente, auquel l’article 1845 compare
le contrat de société L »
55.
— Enfin, l’article 1867 s’occupe de l’hypothèse
où la mise de fonds se composant de la jouissance , la
propriété des choses n’a pas cessé d’appartenir à l’asso
cié. Leur perte , faisant naturellement cesser la jouis
sance, amène naturellement et nécessairement la disso
lution de la société.
Ici il n’y a plus de distinction entre la mise promise
ou effectuée. La dissolution est encourue dans tous les
cas. Telle est la disposition formelle de l’article 1867.
1 Des sociétés, art. 1867, n« 935.
�11â
DES SOCIÉTÉS
v
Il résulte de là que le législateur a considéré la mise
de fonds consistant en jouissance comme devant se re
nouveler effectivement à chaque nouvelle perception. Dès
lors, l’associé n’est en mesure de remplir son obligation
et ne la remplit en effet qu’en tant que l’existence de la
chose laissera la possibilité de percevoir à toutes les époques. Si la chose vient à périr dans l’intervalle , l’as
socié n’a plus de mise de fonds dans l’avenir, et la so
ciété manquerait dès lors d’une de ses conditions les plus
essentielles.
Ainsi, l’associé apportant dans la communauté la
jouissance des choses dont il retient la propriété, est tenu
de l’assurer à la société pendant toute sa durée. À quel
que époque que le contraire se réalise , il n’y a plus de
mise de fonds, et, suivant les principes que nous avons
exposés, il n’y a plus de société possible.
Mais cela ne se trouve acquis que dans l’hypothèse
où la chose dont la jouissance a été mise en commu
nauté n’est pas de celles qui se détériorent par l’usage ;
car , aux termes de l’article 1 8 5 1 , s’il s’agissait d’une
chose qui se détériore en la gardant, si elle est destinée
à être vendue , ou si elle a été mise dans la société sur
une estimation portée par un inventaire, elle est aux ris
ques de la société. Conséquemment, la perte ultérieure
ment survenue étant à sa charge exclusive, n’exerce au
cune influence sur le lien social.
56.
— Le véritable motif de la dissolution, dans les
hypothèses de l’article 1167, est donc dans le défaut de
�ART.
18.
mise sociale chez l’associé dont la chose a péri. Il suit
de là, qu’elle pourrait être empêchée par l’apport d’une
autre chose équivalente. Mais il en est du remplacement
de la mise comme de sa constitution, il doit être volon
tairement accepté par tous les associés. Quelle que soit
l’offre qui serait faite , il suffit qu’un seul d’entre eux
refuse de l’accepter pour que la dissolution soit acquise.
Voilà pourquoi, contrairement à l’avis de M. Troplong,
nous considérons comme de plein droit la dissolution
s’opérant par l’extinction de la chose. Sans doute, la loi
ne s’oppose pas à ce que les intéressés y renoncent, mais
aucun d’entre eux ne saurait être contraint à le faire.
57. — Troisième
: Mort naturelle d'un des
associés. — En règle générale, les obligations contrac
tées par un individu sont destinées à lui survivre, et à
passer sur la tête de ceux que la loi ou sa volonté ap
pelle à le représenter après sa mort. Le caractère du
contrat de société commandait une exception à ce prin
cipe , non pas tant en faveur des héritiers qu’en consi
dération des associés eux-mêmes, qui ne sauraient dans
aucun cas accepter comme associés celui ou ceux avec
lesquels ils n’ont pas personnellement contracté.
c au se
D’autre p a r t, la mort d’un des associés enlevant au
contrat un des éléments indivisibles qui le composaient,
brisant les proportions qui y étaient établies, place les
associés survivants dans une position toute nouvelle,
qu’il n’était pas possible de leur imposer. Le consente
ment à s’associer pour un tiers ou pour un quart ne
i
8
�414
BES SOCIÉTÉS
pouvait être considéré comme suffisant pour devenir as
socié de la moitié ou du tiers.
Donc, la mort de l’associé est pour tous, associés ou
héritiers, une cause de dissolution,à moins que le contrat
primitif ne stipule formellement le contraire.
58.
— A cet égard . le droit romain distinguait la
clause de continuation entre les associés survivants et
celle avec les héritiers du prédécédé; la première était
obligatoire et licite, la seconde était nulle et de nul effet.
Ce qui motivait cette nullité , c’est qu’en principe la
société se formant en vue des qualités personnelles de
l’associé, il répugnait d’admettre que celui-ci pût être
inconnu et- incertain. Or, c’est ce qui ne manquait pas
d’arriver lorsque, dans l’acte, on s’était contenté d’expri
mer d’une manière générale que la société continuerait
avec l’héritier.
Cet inconvénient eût été facile à éviter en désignant,
dans l’acte, la personne de l’héritier destiné à continuer
la société ; mais la loi voyait dans cette désignation un
empêchement à la liberté illimitée de disposer de ses
biens par testament. Cette désignation était une vocation
irrévocable en faveur de celui qui en était l’objet, au
moins jusqu’à concurrence de l’intérêt social. On la con
sidérait donc comme une renonciation à la faculté de
tester, formellement condamnée par le d ro it, et frappée
conséquemment d’une nullité radicale h
Troplong, sur l ’article 1865, n» 879.
�n
ART.
18.
115
59. — Notre droit s’est beaucoup relâché de cette
sévérité. La mort de l’associé est demeurée une cause de
dissolution. Maison peut éviter celle - ci en stipulant
dans l’acte que la société continuera, soit entre les asso
ciés survivants, soit avec les héritiers du prémourant.
60. — Dans le premier cas, le droit de ceux-ci se
borne à faire liquider la part de leur auteur dans les opérations accomplies ou commencées au jour de sa mort.
Cette part liquidée et reçue, ils deviennent complètement
étrangers à la société.
Il n’est pas rare que pour éviter aux survivants les
longueurs, les frais et les dangers de cette liquidation
partielle , les chicanes dont elle peut devenir l’occasion
et l’objet, les associés règlent eux-mêmes la part que les
héritiers seront appelés à recueillir ; ils conviennent donc
que cette part sera celle que le dernier inventaire éta
blira lui-même. Cette clause, parfaitement licite, devrait
produire son "plein et entier effet.
En effet, elle est évidemment dans un intérêt commun;
car, au moment où elle est convenue, on ignore qui sur
vivra , qui prédécèdera. Dès lors , puisque la société doit
demeurer le patrimoine exclusif des premiers, il convient
de la leur conserver avec tous ses éléments de succès.
Or, la publicité résultant d’une liquidation partielle se
rait de nature à lui porter une atteinte funeste. Il est
donc sage de la lui éviter.
On ne pourrait non plus prétendre qu’une clause de
ce genre blesse l’égalité entre associés ; sans doute les
�146
DES SOCIÉTÉS
opérations faites dans l’intervalle de l’inventaire au dé
cès pourront avoir procuré un bénéfice auquel les héri
tiers ne participeront pas ; mais le résultat contraire est
également possible , et dans ce cas les héritiers seront
étrangers à la perte. Ce n’est donc là qu’une chance aléatoire qu’aucune loi ne prohibe aux associés.
61.
— La convention est donc valable, mais son
exécution est subordonnée à l’existence d’un inventaire
régulier en fin de chaque année, ou tout au moins dans
le courant de celle pendant laquelle est mort l’associé.
Cet inventaire doit être signé par tous les associés, no
tamment par celui dont la succession s’est ouverte. L’ab
sence de cette formalité laisserait i’inventaire sans au
thenticité et sans force contre les héritiers.
On ne pourrait non plus leur opposer comme obliga
toire un inventaire remontant à plusieurs années au
moment du décès de leur auteur. Une convention de la
nature de celle que nous examinons ne pourrait être étendue au delà de ses termes. L’aléa auquel les parties
se sont réciproquement soumises se restreint aux opéra
tions tentées dans l’intervalle d’un inventaire à l’autre,
intervalle que la loi elle-même a limité à un an. Les
parties se sont donc, par le fait, soumises à l’obligation
de faire un inventaire annuel, et ce ne sera qu’après a voir exécuté elles-mêmes la convention en ce qui les
concerne quelles seront recevables à en poursuivre le
bénéfice.
L’absence d’un inventaire annuel ne peut donc être
�ART.'
18.
117
suppléée par les inventaires précédents ; cependant elle
n’a pas pour effet d’annuler la convention el de per
mettre aux héritiers de poursuivre la liquidation par
tielle. Tout ce qu’ils pourront faire , c’est de demander
que l’inventaire soit actuellement réalisé , et cet inven
taire, qu’ils sont admis à suivre et à surveiller, réglerait
les droits qu’ils ont à exercer.
61 bis. — Quelle est, dans tous les cas, la nature de
ces droits ? Les héritiers ou représentants de l’associé
décédé peuvent-ils exiger que la part leur afférant leur
soit payée en argent ?
L’affirmative ne nous paraît admissible que relative
ment aux immeubles qui, indispensables à l’exploitation
de l’industrie sociale , doivent être conservés en nature
par les survivants. Il ne serait ni légal ni juste de ren
voyer le paiement de la part revenant au défunt, au jour
de la vente de ces immeubles qui ne doit s’opérer qu’à
la dissolution de la société, dont l’époque sera nécessai
rement incertaine puisque la société peut toujours être
prorogée, et pourra d’ailleurs être encore fort éloignée.
Ce qui pourrait résulter de l’obligation d’attendre jus
que-là, pourrait bien être, pour les héritiers du décédé,
une perte plus ou moins considérable. En effet, si la so
ciété continuée par les survivants venait aboutir à une
faillite , les immeubles sociaux , comme l’actif mobilier,
seraient dévolus à la masse , et toute la ressource qui
resterait aux héritiers serait de se faire admettre au pasoit nniin 1n rvnrt m u
Inuit envoif Hun
�118
DES SOCIÉTÉS
Celte chance ne saurait leur être'imposée contre leur
volonté, s’ils sont m ajeurs, à raison de leur incapacité
s’ils sont mineurs. Dès lors , de deux choses l’une : ou
les immeubles ne sont pas indispensables à la société et
peuvent être vendus ; et a lo rs fa u te par les survivants
de payer ce qui est dû aux héritiers , ceux-ci pourront
en poursuivre la vente et retirer la partie du prix qui
leur revient ;
Ou les immeubles destinés h l’exploitation de l’indus
trie sociale doivent être conservés en nature, et dans ce
cas les ayants cause du défunt ont le droit d’exiger le
paiement en argent de la part revenant à leur auteur
suivant la valeur "admise au dernier inventaire.
Ils ne pourraient provoquer la vente ou la licitation.
La clause que la société continuera entre les survivants
leur opposerait un obstacle invincible. Il est évident, en
effet, que liciter les immeubles indispensables à l’exploi
tation serait aboutir indirectement à la dissolution de la
société, et violer ainsi le pacte social. Puisque la so
ciété doit continuer , elle est de plein droit autorisée à
rester en possession de tous les éléments sans lesquels
elle, ne pourrait agir.
Cette licitation les survivants pourront-ils la réclamer
et l’imposer aux représentants de leur ancien associé ?
Oui, si n’usant pas du droit que leur confère l’acte so
cial , ils dissolvent la société , ce qu’ils sont libres de
faire , car la clause de continuation crée une faculté et
n’impose aucune obligation ;
Non , s’ils prétendent continuer la société. Dans ce
�n
ART.
18
.
119
cas, en effet, les immeubles leur sont indispensables , et
ils ne pourraient en solliciter la licitation qu’avec l’ar
rière pensée d’en rapporter l’adjudication et la presque
certitude de l’obtenir à vil prix..Pour les héritiers , en
effet, la possession d’immeubles purement industriels
pourrait n ’être et ne serait le plus souvent qu’une charge
onéreuse, sans compter que leur nombre ou leur posi
tion de fortune pourraient être tels , qu’il leur serait en
réalité impossible de se présenter aux enchères.
D’ailleurs, puisqu’il leur est interdit de provoquer la
licitation, serait-il juste qu’on les contraignit à la subir,
alors que sa poursuite par les associés survivants n’est
et ne peut être qu’un piège, qu’un calcul immoral, qu’une fraude préjudiciable pour leur intérêt ?
g | ter. — Quant au mobilier social, marchandises
ou créances, les héritiers de l’associé décédé n’ont, pour
la part leur revenant, d’autre droit que de l’exiger en
nature , s’ils ne préfèrent attendre le résultat des ventes
et rentrées.
Le paiement immédiat en argent, en ce qui concerne
les marchandises, n’offrirait pas de bien graves dangers,
puisque, au prix coté dans l’inventaire, la possession de
ces marchandises aux mains des associés survivants se
rait non-seulement une contre-valeur assurée de ce
qu’ils donneraient, mais encore l’occasion presque sûre
de réaliser un bénéfice.
Toutefois, la part à payer pourrait s’élever à un chiffre
tel que la société pourrait avoir de la peine à y pourvoir
�120
DES SOCIÉTÉS
au comptant, ou , après y avoir pourvu , éprouver un
embarras quelconque pour ses affaires courantes.
Or, puisque les survivants ont le droit de continuer
la société , ils doivent être mis à même de le faire avec
toutes les facilités dont ils jouissaient du vivant de leur
coassocié. On ne peut donc admettre que l’obligation de
désintéresser ses héritiers eût pour effet de les exposer
à une gêne qui, quelque momentanée qu’elle fût, pour
rait avoir pour eux les plus fâcheuses conséquences par
l’altération que leur crédit pourrait en souffrir.
Nous arrivons donc à cette conclusion qu’en ce qui
concerne les marchandises, les héritiers de l’associé qui
veulent être immédiatement payés ne peuvent, pour tout
ce qui est resté invendu, exiger leur part qu’en nature.
A défaut, à moins d’une entente avec les survivants, ils
doivent attendre que la vente en ait réalisé et liquidé la
valeur, et se résoudre à ne recevoir leur part qu’au fur
et à mesure des ventes.
Quel que soit le produit de celles-ci , ce qu’ils ont à
exiger et à recevoir c’est la part de la valeur portée à
l’inventaire. La hausse survenue, depuis, profiterait ex
clusivement aux survivants. En échange, ceux-ci subi
raient seuls les effets de la baisse qui aurait fait des
cendre le prix au-dessous de celui que l’inventaire cotait.
Nous avons déjà dit que ce résultat, conséquence forcée
de la clause du pacte social relativement à la part des
associés, était marqué au coin de la plus stricte légalité.
61 quatuor. — par une supériorité de raisons incon-
�ART.
18.
121
testables, il doit en être des créances comme des mar
chandises. Ici , en effet, le danger qu’un paiement im
médiat en argent ferait courir aux survivants est beau
coup plus grave et acquiert par la nature des choses une
imminence, une certitude qu’on ne saurait méconnaître.
Dans toute maison de commerce il existe trois catégories
de créances : les bonnes, les douteuses, les mauvaises.
O r, si sans égard pour ce caractère , les héritiers de
l’associé décédé pouvaient exiger en argent la part qui
leur revient dans l’ensemble des créances, tout ce qui
serait irrécouvrable, en définitive, serait pour les survi
vants une perte sèche et à leur compte exclusif, alors
qu’en d ro it, en équité et en justice une partie devait et
doit rester à la charge de l’associé décédé.
Ses héritiers ne peuvent donc s’y soustraire. Ils en
sont dès lors nécessairement réduits, ou à n’exiger et à
ne recevoir qu’en nature leur part dans chaque catégo
rie de créances ; ou laissant la société nouvelle chargée
de procéder au recouvrement, à ne recevoir cette part
qu’au fur et à mesure des rentrées.
61 quinto. — C’est ce que la cour de Caen jugeait,
par arrêt du 10 novembre 1857. Dans cette espèce, l’in
ventaire qui avait précédé la mort de l’un des associés
fixait sa part dans les créances à 77,693 francs 29 c.
En conséquence , les héritiers de cet associé deman
daient aux survivants le paiement réel et effectif de cette
somme.
Mais leur prétention est repoussée. La cour déclare
�122
_
DES SOCIÉTÉS
que le seul droit afférant aux héritiers est celui de se
faire payer non en argent, mais en valeurs d’inventaire.
« Considérant, dit l’arrêt, que l’héritier du sociétaire
décédé n’a droit qu’au partage de la société , eu égard
à la situation de cette société lors du décès , et ne par
ticipe aux droits ultérieurs qu’autant qu’ils sont une
suite nécessaire de ce qui s’est fait avant la mort de l’as
socié ;
» Que par l’article 13 des statuts, la seule dérogation
qui était faite à cette règle de justice consacrée par l’ar
ticle 1868 du Code civil, a été de prendre pour base de
la part revenant h la succession de l’associé décédé la
situation de la société, non pas à l’époque de son décès,
mais à celle du dernier inventaire qui a précédé sa
mort ;
»'Que le texte de l’article 13 n’admet pas une autre
interprétation ; que ce serait méconnaître sa lettre et son
esprit que de supposer qu’il était dans la pensée des so
ciétaires de changer la part que la succession de l’asso
cié décédé avait à prétendre dans les valeurs de toute
nature composant l’actif de la société , en une créance
qui aurait dû être payée par la société et qui aurait pu
absorber tout l’actif réel de la société , en ne laissant
aux sociétaires survivants que des valeurs dépr’éciées ou
des créances irrécouvrables ;
» Que c’est donc à tort que la succession de J.-B .
Dubourg a demandé que la société Danjou et Cie fut con
damnée à lui payer la somme de 77,693 francs 29 c.,
somme à laquelle avait été fixée la part de J.-B. Dubourg
�lors de l’inventaire arrêté le 30 juin 1855 , le dernier
avant sa mort ; que l’on doit dire au contraire que la
part revenant à la succession de J.-B . Dubourg devra
être réglée en valeurs d’inventaire, eu égard à la situa
tion de la société lors de l’inventaire arrêté le 30 juin
1855, et conformément aux articles 1872, 1873 et 826
du Code c iv il\ »
En dernière analyse, la prétention des héritiers de re
cevoir en argent leur part dans les créances, aurait pour
résultat d’affranchir leur auteur de toute contribution à
la perte que l’insolvabilité des débiteurs , même anté
rieure au décès, occasionnerait à la société. Interpréter
en ce sens la clause du pacte social réduisant les asso
ciés à la part que leur donne le dernier inventaire, serait
aller au delà de toute vérité , de toute raison , de toute
légalité même. On arriverait, en effet, quoique indirec
tement , à violer ainsi la règle prescrite par l’article
1855. On ne saurait donc qu’applaudir à la solution de
l’arrêt de la cour de Caen.
f>2. — La stipulation que la société continuera avec
les héritiers des associés , ou seulement avec ceux d’un
ou de plusieurs d’entre eux , empêche la société de se
dissoudre. La mort de celui ou de ceux désignés se réa
lisant, elle continue avec les héritiers, sans solution au
cune de continuité.
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124
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DES SOCIÉTÉS
M. Duvergier admet difficilement qu’il en soit ainsi
lorsque ces héritiers sont mineurs. « L’administration
et l’aliénation des biens des m ineurs, dit cet éminent
jurisconsulte, sont assujetties à une foule de formalités
gênantes et coûteuses. Si la société continue , de deux
choses l’une : ou les opérations sociales seront entravées
par l’accomplissement des formes applicables à l’état de
minorité, ou ces formes seront négligées , quoique des
mineurs soient intéressés aux opérations. La loi ne per
met pas d’adopter la seconde branche de cette alterna
tive ; et la première se présente avec de tels inconvé
nients , qu’il est difficile de croire que les contractants
aient eu l’inconvénient de s’y soumettre \ »
Nous ne partageons ni les scrupules ni l’opinion de
M. Duvergier sur les conséquences de l’acceÿsion à la
société d’héritiers mineurs. Nous n’admettons pas sur
tout qu’elles puissent aller jusqu’à modifier le mode
d’administration de la société. Un pareil résultat accu
serait à un tel point l’imprévoyance du législateur, qu’il
est inadmissible.
Remarquons, en effet, que la validité de la clause de
continuation de la société avec les héritiers est un droit
nouveau consacré par le Code ; et ce qui a déterminé
cette dérogation au droit romain , c’est qu’au dire des
plus éminents jurisconsultes, la prohibition de celui-ci
ne reposait sur aucune base raisonnable ou utile2. Or,
1 Des sociétés, n° 441.
V
2 Pothier, Des sociétés, n° 145.
�comment admettre cette innovation, si, possible en droit,
la continuation avec les héritiers était en fait matérielle
ment imposssible ?
Cette impossibilité, en effet, serait la conséquence for
cée de l’obligation de n’administrer la société que dans
les formes tracées à l’administration des biens des mi
neurs, si l’héritier ou quelques-uns d’eux étaient encore
en état de minorité. Se figure-t-on une société com
merciale réduite , à chaque opération , à consulter le
conseil de famille, et à rapporter quelquefois l’homolo
gation du tribunal ? Mieux valait mille fois maintenir
la prohibition que de la lever pour arriver à un pareil
résultat 1
Notons bien que l’article 1868 se tait sur la minorité
de l’héritier de l’associé. Cependant c’était là un évé
nement trop facile à prévoir pour qu’il ne se soit pas
offet à l’esprit du législateur. Que conclure de son si
lence ? Qu’il a considéré cette circonstance comme indif
férente, et qu’il a voulu que la société fût avec l’héritier
ce qu’elle était avec son auteur, son administration con
tinuant d’être exclusivement régie par le pacte social.
La garantie du mineur réside dans l’intérêt commun de
tous les associés à la prospérité de la société. Il était
donc inutile de prescrire ce surcroît de précautions
qu’exige la protection due au mineur isolé de toute au
tre personnalité, surcroît de précautions qui, loin d’être
utile dans notre hypothèse , ne pouvait que devenir fu
neste au mineur lui-même, comme à tous les associés.
Loin donc que l’incapacité du mineur se reflète sur
�DES SOCIÉTÉS
les associés de son auteur, la vérité est que la loi le fait,
en quelque sorte, participer à la capacité de ceux-ci.
Toute autre interprétation de l’article 1868 blesserait la
raison et conduirait à l’absurde par la plus anormale de
toutes les contradictions entre le droit et le fait L
63.
— Nous aurons plus tard à examiner les con
séquences de la mort de l’associé , relativement aux
tiers2. Disons seulement q u e , nonobstant le défaut de
stipulation à ce su jet, les survivants peuvent toujours
s’adjoindre les héritiers du prédécédé, et continuer avec
eux l’ancien commerce.
Mais celle adjonction constituerait une nouvelle so
ciété. De là plusieurs conséquences importantes :
1° La minorité des héritiers serait un obstacle à toute
nouvelle société, à moins cependant qu’ils n’eussent été
autorisés, ou qu’ils ne se fissent régulièrement autoriser
à exercer le commerce ;
2° Les héritiers adjoints ne pourraient être tenus,
comme associés, des dettes de l’ancienne société. Les
tiers créanciers ne pourraient donc exiger que leur part
et portion héréditaire, comme représentant leur auteur,
seul associé. Le contraire se réalise lorsque la continua
tion de la société a été convenue dans l’acte :. alors , en
effet, la société n’a pas cessé d’exister, elle n’a subi au-
i Conf. Duranton , t. 17, n° 472; — Troplong , sur l’article 1 868,
n° 9S4.
s Voy. infra article 46.
�ART.
18.
\n
cime solution de continuité , et les héritiers du prédé-r
cédé sont considérés comme ayant toujours été associés.
Ils sont donc, en celte qualité, tenus des dettes tant an
térieures que postérieures au décès de leur auteur.
64.
— Il est d.es sociétés qui ne se dissolvent pas
par le décès d’un de leurs membres. Telles sont, en ma
tière commerciale , les sociétés anonymes ou en com
mandite. Les unes et les autres comportent un tel nom
bre d’associés , que si la mort d’un seul en opérait la
dissolution , cet état serait dans le cas de se renouveler
si souvent, qu’il deviendrait bientôt la position normale
de la société. Elle ne se créerait donc le plus souvent
que pour se dissoudre après quelques mois.
Une pareille conséquence ferait malheureusement dis
paraître une des plus précieuses ressources du commerce
et de l’industrie : on ne pouvait donc la consacrer. On
devait d’autant moins le faire, que la commandite, com
me la société anonyme , laisse la personne en dehors ;
que les commanditaires , comme les actionnaires , ne
peuvent administrer; que leur unique obligation étant
de payer le capital promis, leur droit de retirer le pro
rata du bénéfice, ils sont parfaitement représentés pour
l’une et pour l’autre par la personne qui leur succède.
Mais il n’en serait pas de même du décès du gérant
ou de l’administrateur. Les qualités personnelles de l’un
ou de l’autre, leur capacité ont pu seules déterminer le
lien social. Nul ne saurait être contraint de donner sa
confiance à tout autre qui ne serait pas de son choix.
�128
DES SOCIÉTÉS
En conséquence, la mort du gérant ou de l’adminis
trateur dissoudrait la société, à moins que Tacte de so
ciété n ’eût, dans la prévision de cet événement, prescrit
la continuation et les mesures à prendre pour pourvoir
à son remplacement. L’exécution de’ces mesures, obli
gatoires pourtous, laisserait donc la société se continuer
sous la direction du gérant ou de l’administrateur nou
veau.
<
6 5 . — En matière civile , une société formée pour
l’exploitation d’une propriété foncière pour le bail à co
lonage, celle de cheptel , n’est pas dissoute par la mort
du propriétaire ou du bailleur. Cet événement n’est pas
de nature à contrarier l’opération , et à exercer dès lors
une influence quelconque sur le contratl .
6 6. — Q u a t r iè m e c a u s e : La mort civile , l'in
terdiction ou la déconfiture de l'un des associés. =
La mort civile étant, sous le rapport du droit, assimilée
à la mort naturelle ,. devait en produire tous les effets à ,
l’endroit de la société. Les considérations que nous ve
nons d’exposer recevraient donc leur entière application,
au cas où cette peine atteindrait l’un des associés. Ainsi,
dès le jour où elle serait irrévocablement encourue, ses
héritiers feraient partie de la société , si l’acte stipulait
leur concours ; dans le cas contraire , la société serait
dissoute, à moins qu’il ne s’agit d’un commanditaire ou
d’un actionnaire.
i Troplong, D u louage, n°s 647 et 1186
�ART.
18.
129
L’interdiction , enlevant toute capacité à celui qui en
est l’objet, est en fait une sorte de mort civile. Ayant
d’ailleurs pour effet inévitable de substituer le tuteur à
l’interdit, elle introduirait dans la société une personne
nouvelle, étrangère au c o n tra t, et avec laquelle , peutêtre, les autres parties auraient refusé de contracter. En
fin , le tuteur lui - même , tenu à une administration
spéciale, n’a pas qualité pour engager l’interdit dans les
chances d’une société quelconque ; il excéderait donc
ses pouvoirs s’il consentait à prolonger la société.
L’interdiction dissout donc la société d’une manière
absolue ; toute continuation serait illégale et impossible.
La déconfiture d’un associé laisse les autres sans ga
rantie aucune contre la perte future ; elle aggrave donc
leur position en mettant à leur charge la totalité de cette
perte, dont l’associé insolvable sera dans l’impossibilité
de supporter la part lui afférant; la loi d’égalité se trouve
donc rompue, et cela suffit pour que la société puisse et
doive se dissoudre.
La déconfiture commerciale que la loi appelle faillite,
produit des effets bien autrement graves que la décon
fiture civile. Celle-ci, en effet, laisse le débiteur en pleine
possession de ses biens. Il les administre et en perçoit
les revenus tant que des saisies-exécutions ne sont pas
venues les placer sous les mains de la justice.
La faillite, au contraire, à dater du jour du jugement
déclaratif, désinvestit de plein droit le débiteur de son
actif mobilier et immobilier, de ses actions tant actives
que faillites; la personnalité du failli disparait et s’efface,
i
9
�430
DES SOCIÉTÉS
Ce sont les syndics qui peuvent seuls administrer l’ac
tif, poursuivre en justice les actions qu’il aurait à exer
cer , ou défendre à celles que des tiers auraient inten
tées ou intenteraient.
Aucun doute ne pouvait, donc, exister sur les consé
quences de la faillite relativement au sort de la société,
plus énergiquement encore que la déconfiture civile, la
faillite de l’un des associés met fin à la société , et en
entraîne la liquidation.
66 bis. — Les associés non faillis peuvent-ils empê
cher ce résultat ? Sont-ils recevables et fondés à imposer
la continuation de la société à la masse des créanciers
de l’associé déclaré en faillite qui en demanderait la dis
solution ?
Il semble, à ne consulter que le texte de l’article 4865
du Code civil, que la négative ne saurait donner lieu à
un doute quelconque. Aux termes de sa disposition , la
société finit.........; 3° par la mort naturelle de quel
qu’un des associés ; 4° par la mort civile, l’interdiction
ou la déconfiture de l’un d’eux.........
Ainsi la loi ne distingue pas entre la déconfiture et la
mort naturelle. Elle les place sur la même ligne et leur
attribue un effet identique. Est-ce que les coassociés du
mort naturel ou civil, de l’interdit pourraient obliger ses
ayants droit à continuer la société malgré leur volonté
contraire ? Ce droit ne leur a été jamais reconnu ou at
tribué par personne. Mais alors à quel titre le revendi
queraient-ils contre les créanciers du débiteur failli? Sur
�ART.
18.
quelle disposition de loi étayeraient-ils cette revendi
cation ?
C’est cependant en leur faveur que se prononce M.
Pardessus. « La faillite, enseigne-t-il, n’est pas , com» me la mort, un événement à la fois nécessaire et na» turel ; elle est un fait de celui qui s’en trouve frappé,
» qui ne peut jamais être pour lui ni pour ceux qui
» sont à ses droits, un moyen de se dégager de ses o~
» bligations. En général, la masse d’un failli le repré» sente, est tenue de ses charges, n’a pas d’autres droits
» que les siens. Que les associés d’un failli puissent dé» clarer qu’ils ne veulent plus avoir des rapports so» ciaux et solidaires avec celui qui ne leur présente plus
» la sûreté réelle et morale sur laquelle ils ont compté
» lorsqu’ils ont contracté avec l u i , rien de plus juste,
» rien de plus conforme aux véritables principes; mais
» qu’un associé ou, ce qui est la même chose, ses cré» anciers qui ne sont que ses représentants, se fondent
» sur l’état d’insolvabilité dans lequel il est tombé pour
» prétendre dissoudre la société dont il était membre,
» c’est, dans notre opinion, ce que ni les principes du
» droit, ni l’équité n’autorisentl. »
Cette opinion est celle que M. Troplong adopte et en
seigne. « Lorsque , dit-il , se réalise la déconfiture de
» l’un des associés, il arrive Souvent que la société con» tinue avec les autres associés, malgré le retranchement
1 N“ -1066.
�132
DES SOCIÉTÉS
» de l’insolvable. Il y a alors société nouvelle , nova
» videtur incipere societas, dit Justinien dans ses Ins» litutes.
» Il arrive aussi quelquefois que les associés , pour
» prévenir une dissolution, n’excluent pas l’associé mal» heureux, et gardent avec lui leur société. Ils en sont
» les maîtres. C’est la même société qui subsiste ; mais
» ils doivent supporter sans murmurer l'intervention
» des créanciers de l’insolvable.
» Je dis qu’ils en sont les maîtres, et j’ajoute que les
» créanciers personnels du failli ne pourraient pas les
» forcer à se séparer. C’est à eux qu’il appartient de
» voir s’il leur convient de conserver leur société ou de
» la dissoudre. Les tiers n’ont pas à se plaindre, pourvu
» que la société les fasse jouir des droits de celui qu’ils
» représentent!. »
Cette doctrine peut, jusqu’à un certain point, paraî
tre favorable aux coassociés du failli, mais elle est dans
le cas d’occasionner un préjudice énorme à ses créan
ciers. Equitable pour les uns, elle dégénérerait pour les
autres en une véritable iniquité.
Aussi a-t-elle trouvé en M. Delangle un éloquent
contradicteur , qui , s’étayant de ce caractère, ne l’ad
mettrait que si elle découlait expressément de la loi. Or,
bien loin de l’autoriser , la loi la condamne de la ma
nière la plus formelle, et voici comment le prouve M.
Delangle :
i Des sociétés, n°* 906, 907.
�b
art.
18.
133
« La loi a divisé en deux classes les causes qui peu» vent mettre un terme aux sociétés avant l’expiration
» du terme fixé pour leur durée : d’une part, celles qui,
» de plein droit, éteignent le contrat; de l’autre, celles
» qui exigent une manifestation de la part des parties
» associées. Or, les premières sont énumérées avec soin,
» et dans l’énumération figure la faillite ; ce n’est que
» pour les secondes que la loi, après avoir posé le prin» cipe , en abandonne l’application à la conscience du
» juge.
» La dissolution des sociétés à terme , porte l’article
» 1871 du Code civil , ne peut être demandée par l’un
» des associés avant le terme convenu , qu’autant qu’il
» y en a de justes motifs , comme , lorsqu’un associé
» manque à ses engagements, ou qu’une infirmité habi» tuelle le rend inhabile aux affaires de la société, ou
» autres cas semblables dont la gravité et la légitimité
» sont laissées à l’arbitrage du juge.
» Il n’y a pas de terme moyen : ou la dissolution est
)> de plein d roit, ou elle est fondée sur des motifs dont
» l’appréciation appartient au juge. La loi ne reconnait
» pas de causes mixtes, de ces causes qu’une des par» ties intéressées peut invoquer si bon lui semble , et
» qui doit être accueillie dès qu’elle est proposée, l’office
» du juge se bornant à vérifier le fait dont elle résulte.
» Or, nous le répétons, la faillite est expressément in » diquée comme un des faits qui entraînent de plein
» droit la fin des sociétés. La loi ne distingue point en» tre ce cas et le décès de l’un des associés, par exem-
�134
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
pie ; elle les place sur la même ligne pour en tirer les
mêmes conséquences. Comment.ee qui est vrai quand
il s’agit de la mort naturelle ou civile de l’un des associés, cesserait-il de l’être quand il s’agit de la faillite?
» M. Pardessus allègue que la faillite n’est pas.comme la mort, un événement tout à la fois nécessaire et
naturel ; cela est vrai ; mais qu’importe si la loi, sans
se préoccuper de la différence qui sépare ces accidents, en a tiré des conséquences analogues ? Si elle
a voulu que la faillite et le décès eussent le même effet? Or, le doute n’est pas permis en présence du texte:
la société fin it.........par la déconfiture de l’un des
associés. Il n’y a rien là de facultatif ; le sens est absolu. La société ne survit donc point à la faillite de
l’un des associés. Dès que cet événement arrive , elle
finit pour tout le monde.
» Avec le système que nous combattons, il n’y a pas
de raison pour que la société finisse par la mort naturelle, par la mort civile, par l’interdiction d’un des
associés, plutôt que par la faillite. La loi ne s’exprime
pas autrement dans tous les cas : La société f i n i t .. ..
3° par la mort naturelle de quelqu’un des associés ;
4° par la mort civile, l'interdiction ou la dèconfture de l'un d'eux. Les survivants seront donc fondés
dans tous les cas à repousser la dissolution , s’ils y
voient du danger ; dans tous les cas, ils pourront dire
qu’on ne peut équitablement invoquer contre eux un
fait indépendant de leur volonté, et que s’ils jugent à
�ART.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
18.
135
propos de prolonger l’existence de la convention,c’est
un droit qui leur appartient, et cependant ce langage
ne serait point admis. La loi ne souffre pas de controverse. La société finit de droit par la mort natuturelle ou par la mort civile. Pourquoi donc , encore
une fois, ne finirait-elle pas par la faillite, espèce de
mort commerciale que l’article 1865 du Code civil assimile aux faits qui ne permettent plus à l’associé
d’exécuter la convention.
» Il ne faut pas, d’ailleurs , oublier ce que M. Par» dessus a maintes fois rappelé, que, à moins de dispo» sitions contraires , la situation des parties est égale ,
» et qu’il doit exister entre elles une complète récipro» cité de droits et de devoirs. Pourquoi, dès lors, quand
» la loi se borne à exprimer que la société finit par la
» faillite, les associés du failli auraient-ils une préroga» tive que n’auraient pas ses créanciers ?
» Que dans les cas prévus par l’article 1871 du Code
» civil, le juge, arbitre souverain des faits , puisse faire
» aux associés une position différente, dissoudre sur la
» provocation d’un seul la société dans laquelle celui-ci
» n’a pas trouvé les garanties qui lui étaient promises,
» ou, si les faits ne lui semblent pas vérifiés, repousser
» la demande, c’est une chose toute naturelle, toute sim» pie; la loi ne caractérise pas ces faits, elle ne leur as» signe pas des résultats déterminés ; le juge les peut
» apprécier à son gré. Mais pour ceux que mentionnent
» les quatre premiers paragraphes de l’article 1865,
» c’est tout autre chose. Rien n’est laissé à l’arbitraire;
�136
DES SOCIÉTÉS
» la loi tire elle même la conséquence des événements
» qu’elle énumère, et celte conséquence invariable c’est
» la fin de la sociétéL »
6 6 ter. — M. Delangle a raison. La doctrine de MM.
Pardessus et Troplong est inadmissible. Elle est repous
sée par le texte de l’article 1865, en contradiction mani
feste avec son esprit, inconciliable avec les principes de
la législation spéciale des faillites.
Les prescriptions de l’article 1865, relativement aux
effets , sur la société , de la mort naturelle ou civile , de
l’interdiction et de la déconfiture , étaient en quelque
sorte imposées par le caractère spécial du contrat. On ne
saurait le comprendre sans les sentiments d’estime réci
proque , sans la certitude de sentiments d’amitié et de
concorde si indispensables à son développement. Or,
cette entente précieuse l’obtiendra-t-on des héritiers ou
ayants droit de l’associé mort ou interdit? N’avait-on
pas à craindre de voir s’introduire dans la société, avec
une profonde inintelligence des affaires, des prétentions
de nature à en entraver la marche , à en rendre l’ex
ploitation impossible ou ruineuse.
Or, est-ce que tout cela n’est pas à redouter bien plus
encore dans le cas de faillite que dans l’hypothèse de la
mori naturelle ou civile, de l’interdiction ? Les héritiers,
dans ces cas, seront le plus souvent fort peu nombreux,
tandis que c’est par centaines que se compteront les in-
1
Des sociétés , n° 661 .
�AUT.
18.
téressés que la faillite appelle à représenter le débiteur,
et introduirait ainsi dans la société. En effet, si celle-ci
se continue avec la masse , chaque créancier s’y trouve
directement et personnellement intéressé ; on ne saurait
donc lui contester le droit de vérifier , de contrôler, de
surveiller les opérations. Aussi, M. Troplong enseignet-il que les coassociés doivent, dans ce cas , supporter
sans murmurer l’inconvénient de l’intervention des cré
anciers.
Le législateur avait, dès lors, de bien plus fortes rai
sons de vouloir, dans le cas de faillite, ce qu’il prescrit
dans l’hypothèse de la mort naturelle ou civile ou de
l’interdiction. Comment donc admettre qu’il ait consa
cré le contraire, sans l’accuser de la plus déplorable in
conséquence ?
Vainement, M. Pardessus objecle-t-il que la faillite
n’est pas, comme la mort, un fait tout à la fois naturel
et nécessaire , il est évident que le législateur ne s’est
nullement préoccupé de ce caractère et ne lui a attribué
aucune influence. La preuve , c’est qu’il a mis sur la
même ligne la mort naturelle, la mort civile, l’interdic
tion, et qu’il leur reconnaît un effet identique.
Or, est-ce que la démence est un événement tout à la
fois naturel et nécessaire ? Est-il permis de donner ce
double attribut au fait qui a entraîné la mort civile?
Est-il possible d’imaginer un acte plus accidentel, plus
exclusivement personnel ? P ourtant, l’interdiction , la
mort civile entraîne la fin de la société. Pourquoi donc
�DES SOCIÉTÉS
la faillite, dans les mêmes conditions, n ’aboutirait-elle
pas an même résultat ?
11 n’y a donc pas à hésiter. La parfaite assimilation
que l’article 1865 du Code civil établit entre les divers
cas qu’il énumère, repousse l’argument de M.Pardessus;
et puisque, malgré que la mort civile et que l’état habi
tuel de démence ne soient pas des faits tout à la fois na
turels et nécessaires, les coassociés ne sont ni recevables
ni fondés à exiger la continuation de la société par les
ayants cause de l’associé mort civilement ou interdit,
on ne saurait leur en attribuer le droit contre les créananciers de l’associé failli.
Les principes spéciaux à la matière des faillites y op
posent un obstacle invincible. On ne peut, à notre avis,
avancer, comme le fait M. Pardessus, que les créanciers
du failli ne sont que les représentants , que les ayants
cause de celui-ci, ne pouvant exercer d’autres droits que
ceux que le failli pouvait faire valoir lui-même. Cette
doctrine est inconciliable avec les effets que la loi atta
che à la faillite relativement aux biens.
Le jugement déclaratif désinvestit de plein droit le
failli. Tout son actif mobilier et immobilier passe aux
mains des syndics chargés de le réaliser et de l’affecter
au paiement tel quel des dettes que la faillite a rendues
exigibles. On ne saurait opposer à la masse les actes du
failli qui auraient pour résultat de paralyser le droit qui
lui appartient non-seulement d’appréhender toutes les
ressources du failli , mais encore d’exiger le rapport de
tout ce qui en aurait été distrait à son préjudice.
�AKT.
18.
Les créanciers poursuivant au moyen de la dissolution
de la société, la réalisation de la part du failli, exercent
donc un droit propre et personnel. La résistance que
les associés de celui-ci opposeraient à la dissolution
n’aurait d’autre objet, d’autre résultat que de retenir et
de conserver une administration que la loi défère exclu
sivement aux syndics.
Et si la part du failli dans la société constitue tout l’actif
delà faillite, faudra-t-il que la massedes créanciers atten
de, pour la réaliser et la partager,le bon vouloir des coas
sociés ou l’échéance du terme fixé à la société, échéance
qui peut être fort éloignée encore? Faudra-t-il que,
soumise malgré ses désirs et sa volonté aux chances aléa
toires du commerce, elle se résigne au péril de voir cette
part disparaître dans un nouveau sinistre et à perdre
ainsi non-seulement une partie, mais encore la totalité
de ce qui leur était dû ? Seront - ils de plus , comme le
failli l’aurait été , solidairement tenus des actes de la
gérance , soit qu’elle ait été exercée par les coassociés,
soit qu’elle ait été déférée aux syndics ?
Chose étrange 1 on veut que les créanciers du failli
qui ne peuvent qu’exceptionnellement continuer le com
merce de^celui-ci , soient obligés de subir une société
dans laquelle ils exposeraient non-seulement leurs cré
ances, mais encore une partie de leur avoir personnel.
Une pareille contrainte n’est certainement jamais entrée
dans les prévisions du législateur.
r>Mais , objecte-t-on , il est fâcheux pour les associés
�DES SOCIÉTÉS
qu’un accident imprévu arrête dans son cours une so
ciété qui prospère.
Nous répondons que, jusqu’à présent, la nécessité de
se séparer du failli a paru si peu fâcheuse à ses coasso
ciés , qu’il n’est peut - être pas d’exemple que ceux-ci
aient jamais résisté ou hésité à en prendre l’initiative,
et cela se comprend.
Continuer la société avec la masse , c’est donner aux
syndics , à chaque créancier personnellement le droit,
sinon de gérer et d’administrer, du moins de surveiller
les opérations, de les contrôler, de consulter les livres et
écritures. Une pareille ingérence ne pourrait produire
que des compétitions incessantes, que des difficultés sans
nombre et sans fins. On ne se résignerait à en courir
la chance que pour obéir à un intérêt aussi urgent que
considérable.
Or, d’intérêt il n’en existe aucun pour les coassociés
du failli. La dissolution , en effet, brisera bien le lien
qui les unissait à celui-ci ; mais en ce qui les concerne,
elle ne met fin à la société que s’ils n’en jugent la con
tinuation ni opportune, ni avantageuse.
On avait prétendu que , dans tous les cas prévus par
l’article 4865 du Code civil, la dissolution de la société
s’imposait à tous, et qu’aucuns des associés n’avaient le
pouvoir de s’y soustraire. Mais c’était là donner à la loi
une extension qu’elle ne comportait pas , que le droit
romain avail expressément condamnée. Aussi, la cour
de cassation , par arrêt du 47 février 4830, juge-t elle :
que si la société finit par la mort naturelle ou civile,
�ou par la déconfiture de quelqu'un des associés , elle ne
cesse pas d'exister à l'égard de ceux auxquels il a plu
de la continuer.
Ainsi, rien ne force les coassociés du failli à subir les
effets de la dissolution. Ils peuvent continuer la société
entre eux, et ils le feront d’autant plus que la société se
trouvera dans un état plus prospère. Ce qu’ils ont alors
à faire , c’est de déterminer la part du failli ce qui est
l’affaire d’un inventaire ; c’est de payer immédiatement
ce qui est susceptible de l’être, et de renvoyer le règle
ment des opérations en cours d’exécution et des créances
actives au jour de la liquidation ou de la rentrée.
Rien, donc, ne saurait légitimer la doctrine de MM.
Pardessus et Troplong. Les coassociés du failli ne sont
maîtres que d’une seule chose, continuer la société pour
leur compte, à leurs risques et périls s’ils le jugent con
venable. Mais forcer la masse des créanciers du failli à
s’associer a cette continuation, à en subir les chances aléatoires, c’est un droit que la loi ne leur a pas reconuu,
qu’elle ne pouvait pas leur reconnaître.
(
67. — C in q u i è m e c a u s e : La volonté qu'un seul
ou plusieurs expriment de n’êlre plus en société. =
L’article 1865 semble méconnaître ce principe de droit
commun, à savoir que les contrats légalement interve
nus ne peuvent se résoudre que du consentement com
mua de toutes les parties ; mais il est facile de le purger
de ce reproche en se référant aux articles 1869 et sui
vants, déterminant le sens et la portée des prescriptions
qu’il renferme.
�U2
DES SOCIÉTÉS
Ainsi , la dissolution de la société par la volonté de
l’une des parties ne s’applique qu’aux sociétés dont la
durée est illimitée : il ne doit point exister d’engage
ments éternels. Le contrat de société était celui de tous
qui répugnait le plus à un pareil caractère. Comment se
flatter, en effet, que les sentiments de confiance illimitée
et réciproque se conserveront sans atteinte, et comment
surtout consacrer que les effets dussent survivre à la
cause ?
La loi a reculé devant cette énormité. En conséquen
ce, tout associé pourra poursuivre la rupture des liens,
lorsque aucun terme précis ou implicite n’a été d’abord
stipulé.
Toutefois, et même dans cette hypothèse, ce droit ne
saurait favoriser le caprice et moins encore la fraude.
Son exercice n’est toléré que si ia renonciation de l’as
socié a été faite de bonne foi et en temps opportun.
L’article 1870 détermine les circonstances pouvant ex
clure la bonne foi ou faire considérer la renonciation
comme faite à contre-temps.
A insi, l’absence d'un terme à la durée de la société
rend la dissolution possible à toutes les époques , aux
seules conditions que nous venons de rappeler.
Si la durée de la société a été limitée, soit qu’un ter
me ait été formellement stipulé , soit qu’il résulte de la
nature même de la société , la dissolution ne peut être
demandée et obtenue avant l’échéance du terme ou la
consommation de l’opératioîr ; à moins cependant que
cette mesure ne fût motivée par des raisons graves, par
�ART.
18.
143
le dol ou la fraude de quelques-uns des associés, ou sur
l’inexécution des engagements réciproques \
67 bis.
— Quelle est l’influence sur l’association en
participation, des causes de rupture du lien social énu
mérées par l’article 1865 du Code civil, notamment de
la mort naturelle ou civile, de l’interdiction ou de la dé
confiture ?
Quoique restreinte dans son objet, la participation
n’en est pas moins, à l’égard des parties intéressées, une
véritable société. Comme toutes les autres, elle repose
sur des sentiments réciproques d’amitié , d’estime et de
confiance. Ces sentiments ne se suppléent pas et ne pas
sent pas facilement de l’un à l’autre.
Donc , la mort naturelle ou civile , l’interdiction de
l’un des associés faisant disparaître la personnalité con
venue et acceptée, doit nécessairement produire pour la
participation le même effet que pour les sociétés ordi
naires. Où serait la raison de décider autrement ? L’in
tention de continuer la société avec l’héritier ne peut
résulter que d’une clause expresse de l’acte social. S’il
n’existe aucun acte , ou si celui qui régit les parties est
muet à cet égard, chaque intéressé a suffisamment mon
tré qu’il entendait restreindre ses rapports à la person
ne de son coparlicipe. Celle-ci disparaissant, le contrat
l Voy., sur la société, notre Traité du dol et de la fraude, t. S , ch
2, sect. 5, page 383
�\ 44
DES SOCIÉTÉS
perd une des conditions qui en faisaient l’essence, et ne
peut par conséquent continuer d’exister.
Puis, que de difficultés, que d’embarras, que d’entra
ves à la marche de l’association. Le nombre des héri
tiers ou ayants droit peut rendre l’entente très-difficile
sinon impossible. Leur minorité sera une source inces
sante d’obstacles à la prompte expédition des affaires.
Pourquoi imposerait-on à la participation ces difficultés,
ces embarras, ces entraves dont on affranchit les sociétés
ordinaires ?
Aucune raison plausible n’autoriserait ce résultat.
Aussi , M. Delangle n’admet-il pas que la règle édictée
par l’article 1865 du Code civil soit inapplicable à l’as
sociation en participation. Toutefois, il croit devoir faire
quelques réserves et en subordonner l’application au ca
ractère et à la nature de l’association.
« Dans les sociétés en participation, dit-il, comme la
» loi n’en a pas tracé les règles et que les parties peu» vent faire toutes les stipulations qu’elles jugent à pro» pos. C’est dans l’ensemble de ces stipulations, dans la
» nature de l’entreprise, dans le but où tendait le con» trat qu’il faut puiser la solution. Les participants
» sont-ils convenus qu’ils travailleraient de concert à la
» chose commune, et que jusqu’à la réalisation du pro» jet qui les a réunis ils y donneraient et leur temps et
» leurs soins ? La mort de l’un d’entre eux met fin à
» l’association. C’est sur la confiance que chacun avait
» dans l’industrie de l’autre que le contrat est fondé ; il
» doit cesser avec la cause dont il est né.
�ART.
18.
» Que s i , au contraire , comme il arrive ordinaire» ment, un seul est chargé de l’opération, sauf à ren» dre compte à son associé, la mort n’y met pas fin ; le
» contrat est réel plutôt quo. personnel. Supposons, par
» exemple , qu’une association se soit formée entre un
# entrepreneur de bâtiments et un tiers pour édifier une
» maison et la vendre ensuite ; si le rôle du tiers se
» borne à faire les fonds , sa mort arrivée soit avant
» l’achèvement de la construction , soit avant la vente,
» ne rompt pas le contrat. L’entrepreneur ne serait pas
» écouté, si, pour s’attribuer le profit de l’opération, il
» disait qu’au moment où la société s’est formée son
» consentement a eu pour cause la considération de la
» personne , car il est évident que le véritable motif a
» été l’engagement pris par l’associé décédé d’avancer
» tout l’argent que la construction réclamerait. Un tel
» contrat est moins une société proprement dite que le
» prêt aléatoire d’un capital soumis, selon événements,
» à des chances d’augmentation ou de diminution. Les
» héritiers de l’associé mort peuvent, comme l’associé
» survivant, exiger que la convention s’accomplisse U »
L’hypothèse sur laquelle raisonne M. Delangle n’est
guères concluante en faveur de sa thèse. Si, dans ce cas,
le contrat doit être maintenu , c’est précisément par la
raison qu’il donne lui-même, qu’il s’y agit moins d’une
société que d’un prêt aléatoire, et que l’obligation que
1 B es sociétés, n° 645.
i
�446
DES SOCIÉTÉS
contracte le tiers constitue en réalité l’ouverture d’un
crédit.
M. Delangle se place d’ailleurs dans l’hypothèse où
l’associé décédé a y an t, ayant sa m o rt, rempli tous ses
engagements , ses héritiers n’ont plus qu’à attendre
le résultat d’une liquidation qui ne peut utilement s’o
pérer que par l’achèvement ou la vente de la maison
qu’ils sont en droit de contraindre.
Mais supposez qu’il s’agisse d’une société et que le
tiers n’ait versé qu’une partie des fonds qu’il a promis.
Comment le coparticipe contraindra-t-il au versement du
solde les héritiers du décédé? Pourra-t-on forcer ces
héritiers à s’associer malgré eux et à courir les chanches de pertes qu’ils n’entendent pas subir ? Le pourrat-on si ces héritiers sont mineurs ?
La société doit donc se dissoudre et sans que l’associé
survivant ait à se plaindre. L’article 1865 du Code civil
le prévenait du danger auquel le décès de son coassocié
exposait la société, danger qu’il pouvait conjurer en sti
pulant que la société continuerait avec l’héritier. S i, en
réalité, celte continuation est entrée dans ses prévisions,
il a eu le tort de négliger de s’en expliquer , et il n ’y a
que justice à laisser à sa charge les conséquences de ce
tort.
Nous croyons donc que l’association en participation
finit par la>mort naturelle ou civile, par l’interdiction de
quelqu’un des associés, à l’instar des autres sociétés.
Qu’en est-il de la déconfiture ? Au point de vue des
coparticipes entre eux , cette question doit se résoudre
�ART.
18.
147
par une distinction. Il est évident que si l’associé qui
tombe en déconfiture n’est pas le directeur de l’opéra
tion, et qu’il ait réellement versé tout ce qu’il avait pro
mis, sa déconfiture resterait sans influence sur le sort de
la sociélé qui devrait suivre son cours.
L’opposition que la masse des créanciers pourrait y
faire ne devrait pas être accuillie. S i, tout à l’heure,
nous soutenions le contraire , c’est qu’il s’agissait de
sociétés ordinaires ayant pour objet une ou plusieurs
branches do commerce et comportant une série d’opé
rations diveses et successives.
Mais la participation n’aura le plus souvent pour ob
jet qu’une opération isolée, et c’est dans cette hypothèse
que nous nous plaçons. Il n’y a alors qu’à liquider
cette opération quelle ^ait été ou soit déjà exécutée en
tout ou en partie.
Pourquoi la masse prétendrait-elle se soustraire à la
nécessité de cette liquidation ? N’aurait-elle pas à la su
bir , si elle faisait judiciairement prononcer la dissolu
tion de la société? Dès lors, il vaut essentiellement mieux,
dans son in té rê t, que la liquidation soit aimablement
opérée par le directeur de l’opération.
Si la participation a pour objet une série d’opérations,
par exemple : l’achat et la revente de la récolte annuelle
du blé, du vin ou des olives, la mort de l’un des parti
cipes met fin à la sociélé pour l’avenir et amène la liqui
dation forcée du passé. Le même effet résulterait de la
déconfiture.
Si la mise de fonds des coparticipes a été fournie non
4
�148
.jfp p S -
Jü
DES SOCIÉTÉS
«
en numéraire mais en valeurs commerciales tirées ou
endossées , ou bien en acceptations de traites fournies
dans l’intérêt de l’association , la déconfiture de quel
qu’un d’eux arrivée avant l’échéance des traites ou va
leurs, mettrait fin à la société , puisque leur paiement
ultérieur serait impossible.
En conséquence, la dissolution demandée par les au
tres copàrticipes devrait être accueillie. L’associé qu’elle
aurait pour but d’évincer pourrait-il s’y soustraire, en
offrant de donner caution pour la garantie du paiement
à l’échéance.
La question était négativement résolue par le tribunal
de commerce de Marseille, le 10 septembre 1861. Il est
vrai que , dans cette espèce , les faits particuliers com
mandaient cette solution. Mais si le jugement tient compte
de ces faits, il n’en est pas moins précis; il indique suf
fisamment que, s’il eût à prononcer en pur droit, la so
lution eût été la même.
« Attendu, y est-il dit, que la suspension des paie—
» ments a pour effet, d'après l’article 444 du Code de
» commerce, de rendre immédiatement exigibles les det» tes passives non échues; qu’ainsî le sieur Paglianp
» de Mathieu , qui avait contracté vis-à-vis de Balzac,
» Helbig et Cie l’obligation de payer ,1 e 8 a o û t, les
» 26,000 fr. de traites acceptées, devait, en droit rigou» reux', dès le 6 juin , en effectuer immédiatement et
» intégralement, aux mains des porteurs, le rembour» sement;
*> Que, vu le changement de position par lui éprouvé,
�ART.
18.
c’était le seul moyen que la loi mît à sa disposition
pour remplir ses engagements au regard de ses cocon
tractants , soumis, comme tireurs des traites , à en
cautionner eux-mêmes le paiement à l’échéance, à
moins de payer immédiatement ;
» Que l’article sus visé ne permettait pas même au
défendeur de leur proposer une caution quelque sol
vable qu’elle fût, comme moyen de maintenir les ac
cords; que sans doute les sieurs Balzac , Helbig et
Cie auraient pu ne pas exiger , suivant la rigueur
stricte du d ro it, d’être immédiatement remboursés
des sommes dont ils s’étaient mis à découvert, et ac
cepter , au contraire , une caution suivant Poffre qui
leur était faite ; mais que celte offre aurait dû être
proposée sans retard d’une manière sérieuse et com
plète ;
» Attendu qu’il n’en a pas été ainsi ; qu’indiquer
purement et simplement l’intention de donner caution
ne pouvait en aucun cas suffire , et être considéré
comme l’équivalent d’une caution sérieuse désignée
et offerte lors de la suspension, et réunissant enfin les
conditions de garantie nécessaires pour l’exécution u l
térieure d’un contrat qu’une des parties n’était plus
en mesure de remplir elle-même ;
» Que cette absence de toute garantie réelle , depuis
le moment de la suspension de paiements, a fait pe
ser uniquement sur les sieurs Balzac , Helbig et Cie
toutes les chances de l’opération et toutes obligations
auxquelles aurait dû concourir le sieur Pagliano de
�150
DES SOCIÉTÉS
» Mathieu; que la désignation d’une caution faite en
» barre a été en effet tardive et par suite non accepta» ble b »
On était alors en septembre, et à quoi pouvait servir
un cautionnement, puisque les traites échéant en août
avaient dû nécessairement être remboursées par Balzac,
Helbig et Cie. C’était donc la restitution, de ce qu’ils avaient payé en capital et intérêts qui aurait dû être of
ferte.
Àu reste, on remarquera que tout en relevant la tardiveté de l’offre, le tribunal ne dit pas que, si elle avait
eu sérieusement lieu au moment de la suspension , elle
eût suffi pour empêcher la dissolution de la société. Il
reconnaît, au contraire , que l’acceptation n’eût été que
facultative. Donc, pour le tribunal , la déconfiture d’un
des coparticipes met fin à la société, alors même qu’une
caution sérieuse et solvable viendrait garantir l’exécu
tion des engagements qu’il a pris envers l’association,
cette solution pourrait être taxée de sévérité : nous la
croyons fondée en droit. Les coparticipes n’ont accepté
l’association qu’à la condition que chacun d’eux appor
terait dans l’accomplissement de ses obligations la plus
grande exactitude. Si cette exactitude est devenue im
possible , le contrat est atteint dans son essence. Est-ce
qu’une caution peut remplacer le numéraire dont la so
ciété peut avoir besoin ? Ce numéraire, les associés m -
i Jo u rn a l de, M arseille, 62, 1, 81.
�ART.
18
.
tegri status sont obligés de l’avancer, et à quel titre
l’insolvable ou ses représentants leur imposeraient-ils
l’obligation de faire ces avances, au risque de les per
dre, les chances du commerce pouvant faire disparaître
la garantie qu’offrait la caution ?
Au reste, dans tous les cas prévus par l’article 1865
du Code civil, il en est pour la participation comme pour
toutes les autres sociétés. Elle est dissoute pour l’avenir
sans rétroactivité sur tout ce qui a été accompli jusqu’au
jour de la mort naturelle ou civile , de l’interdiction ou
de la déconfiture. A dater de ce jour , aucune opération
nouvelle ne peut être mise au compte de l’associé mort,
interdit ou en faillite ; mais les opérations encore en
cours d’exécution restent aux risques et périls de tous,
et suivant l’effet de la liquidation chaque associé reçoit
sa part du profit et contribue à la perte.
68.
— La dissolution de la société entraîne de plein
droit la révocation du mandat que les associés se sont
donné ou sont censés s’être mutuellement donné. Mais
cette règle n’est absolue que pour les opérations nou
velles qu’il s’agirait d’entreprendre. Quant à celles qui
sont en cours d’exécution , elles doivent être achevées,
puisque le partage , qui est l’objet essentiel de la disso
lution, ne pourra se faire qu’après le règlement intégral
et la liquidation générale des intérêts sociaux. Aussi le
droit d’opérer l’un et l’autre a-t-il toujours été reconnu
et admis. Quamvis sit finita societas, suus tamen
durât effectus, douée pertinentia ad illam term i-
�■ • '
■. ■■■ ■
- " " ■ . V
I
DES SOCIÉTÉS
nentur, finianturque 1. La raison en est: quia , ut
ibi dicitur, in reliquis connexis et dependentibus a
negotiis jam inchoatis, nulla ratio habenda est terri'
poris quo sint perficienda, quurn jam societas est
dissoluta , sed temporis quo sunt inchoata perinde
ac si constaret adhuc societas ; adeoque res ita sunt
exigendœ, ut constante socielate se kabebant.
L’administration continue donc jusqu’à apurement
effectif ; mais celui qui en est chargé reçoit, dans noire
droit la qualification de liquidateur. Nous verrons plus
bas qui peut être revêtu de celte qualité, quelles en sont
les prérogatives et les obligations3.
69.
La liquidation achevée , le partage s’opère,
si déjà il n’en a pas été fait de partiel. Ce partage obéi!
aux règles tracées par la loi ou par le contrat, c’est-àdire que les bénéfices et les pertes doivent se répartir
dans les proportions légales ou convenues. Si celles-ci
ont excédé le fonds capital, les associés contribuent dans
les mêmes proportions à éteindre le passif social.
70. — Tels sont les principes généraux dominant la
matière des sociétés et devant les régir , quel que soit
leur caractère. Mais, nous l’avons dit ailleurs, le com
merce a ses nécessités et ses exigences. Signalées par
l’expérience pratique , on ne pouvait les méconnaître et
1 Casaregis t Disc. 428, n° 4.
2'Voy. article 64.
�ART. 18.
les négliger sans s’exposer à créer des obstacles de nature
à empêcher tout progrès.
Tant que le commerce fut dans l’enfance, l’incompa
tibilité entre certains principes du droit civil et ceux que
comporlaient la rapidité de ses opérations, la bonne foi
et la confiance, qui en font la base, ne se manifestaient
que dans des proportions assez peu sensibles, et la so
ciété commerciale notamment put trouver dans le droit
commun des règles suffisantes et sûres. Mais la marche
progressive des affaires , leur développement, vinrent
successivement signaler des besoins nouveaux que ce
droit ne pouvait satisfaire. Dès lors, aussi, surgirent ces
usages que chaque localité convertit en statuts particu
liers et que l’assentiment'de tous fît plus tard élever à là
hauteur de lois générales.
71,
— Ce caractère de la législation commerciale
mérite d’être remarqué. C’est pas à pas qu’elle s’est
formée, et chacune de ses dispositions , conquête d’une
pratique plus ou moins longue, régissait de fait le com
merce avant de le régir de droit ; à l’épreuve de l’expé
rience , elle réunissait les lumières
de la science. Sitôt,
*
en effet , qu’un usage surgissait, la controverse doctri
nale qui ne manquait pas de l’accueillir servait en quel
que sorte de phare éclairant la marche de la pratique
et en écartant les écueils et les dangers.
Ainsi, la société commerciale rencontra, dans le désir
et le besoin de raffermir et d’étendre le crédit public,
une occasion de s’écarter du droit commun, auquel elle
�154
SE S SOCIÉTÉS
avait jusque-là obéi. On demanda que, par une excep
tion formelle, l’obligation de l’associé réfléchît sur la so
ciété tout entière. Straccha atteste que, de son temps, la
controverse que cette réflexion avait fait naître était la
seule difficulté dont on se préoccupât.
La conséquence de cette controverse fut 1# création,
pour les sociétés commerciales, d’une raison sociale per
sonnifiant la société , et dont l’emploi par un de ses
membres les obligeait tous.
Plus tard, d’autres difficultés s’offrirent dans la pra
tique. Le développement de la commandite , la nature
des actions , la publicité des sociétés , les pouvoirs des
liquidateurs ; toutes ces questions , sur lesquelles l’école
italienne a répandu tant et de si vives lumières, furent
législativement tranchées , et leur solution forme la loi
commerciale à laquelle l’article 18 fait appel.
À vrai dire , donc, cette loi n’est que la consécration
des usages que les besoins du commerce avaient inspirés
et fait admettre. Mais, à côté de ces usages, il en existe
une foule d’autres à l’état de tradition seulement, mais
dont l’autorité n’est pas moins certaine, pas moins re
commandée par le législateur. L’article 1873 du Code
civil place en effet sur une même ligne les lois et les usages du commerce.
7 2. — De tout temps, l’usage a joué un très-grand
rôle en matière de législation. Ce n’est là , au reste,
qu’un fait normal, qu’une déduction logique du carac
tère de la mission du législateur et du devoir qu’il a
à remplir.
�ART. 18.
155
La loi se contente et devait se contenter de consacrer
les principes généraux. Etrangère à leur exécution , elle
devait laisser leur interprétation aux éléments spéciaux
à chaque espèce, placée qu’elle était dans l’impossibilité
absolue de prévoir et de résoudre toutes les difficultés.
D’autre p a r t, la législation doit refléter les mœurs et
les habitudes de la nation qu’elle est destinée à régir.
Or , les mœurs se modifient, les habitudes s’altèrent et
changent. L’harmonie serait donc détruite,si la législation
ne subissait pas le contre-coup de ces modifications, de
ces altérations, de ces changements. Mais rien de stable
n’existerait jamais , si la loi changeait au gré des fluc
tuations de l’opinion publique. Il était donc nécessaire
et sage que le législateur ne se prononçât qu’après qu’
une épreuve décisive aurait témoigné de la réalité du
besoin qu’il aurait à satisfaire.
Cette double considération , en justifiant l’utilité de
l’usage, rend raison de la légitime influence qu’il a ex
ercée chez tous les peuples ; il est la loi orale et tradi
tionnelle q u i , placée à côté de la loi écrite , est destinée
à la maintenir sans cesse à la hauteur des besoins que
le temps dévoile, que le progrès fait naître. Sine scripto
jus venit quod usus approbavit, nam diuturni mo
res , consensu utentium comprobati, legem im itantur 1.
Ce fondement de l’usage en explique la destination.
1Instit., liv. 1, tit. 3, S 7.
�156
DES SOCIÉTÉS
Elle a pour objet d’interpréter la loi, d’ajouter à ses dis
positions, de les corriger ou de les abolir.
75.
■
— Comme règle d’interprétation, l’usage a tou
jours joui de la plus juste, de la plus incontestable au
torité. Si de interpretatione legis quœratur, in primis inspicicndum est quo jure civitas rétro in ejusmodi casibus usa fuisset. Optima enim est legum
interpres consueludo
Ainsi, dans le doute sur la véritable signification, de
la loi, c’est la pratique qu’on doit consulter. C’est dans
le sens qu’elle adopte qu’il convient de se prononcer.
L'assentiment commun dont elle est l’expression amène
inévitablement à ceüe conclusion. Ce qui se réalise dans
l’hypothèse où la loi est douteuse doit également se réa
liser lorsqu’elle ne s’est pas expliquée. En cas de silence
de la part du législateur , l’nsage doit prévaloir. De
quibus causis scripjis legibus non u tim u r , id eustodiri oportet quod moribus et consuetudine inductum e st2.
Celte règle n’a jamais soulevé ni doute ni contradic
tion. Notre Code civil la sanctionne lui-même expressé
ment , en s’en référant à l’usage dans plusieurs de ses
dispositions3.
74. — La question de savoir si l’usage peut abroger
1 h . 37, ff. D cleg .
2 L. 32, ff. De leg.
3 V. article 4135, 1159, 1160 et 1873.
�la loi a soulevé et soulève encore plus de difficultés. L'a
controverse , à cet égard , est surtout née de la contra
diction flagrante dans laquelle paraît être tombé le droit
romain. En effet, tandis que le Digeste enseigne que :
rectissime eliarn aliud receptum est, ut leges, non
solum sufjragio legislatoris, sed etiani tacito consensu omnium, per desuetudinem abrogentur, le Code
adopte l’opinion contraire , en proclamant que , quelle
que soit l’autorité de l’usage anciennement pratiqué, cet
usage ne peut vaincre la loi : Consuetudinis ususque
longœvi non vilis auctoritas est Verurn non usque
adeo sui valitura momento ? ut aut rationem , aut
legem vincat b
Si nous étions chargés de concilier les efforts tentés
par les commentateurs pour marquer la contradiction
entre ces deux textes, nous nous rangerions, sans hési
ter, à l’avis de Perezius. dont les explications paraissent
beaucoup plus plausibles, et partant plus acceptables.
Suivant lu i, en effet, le Code ne dit pas que la loi" ne
puisse pas être abrogée par l’usage contraire. L’hypo
thèse qu’il prévoit est celle d’un usage en concours avec
une loi que le législateur veut maintenir ou remettre en
vigueur. Dans ce cas, la volonté du législateur l’empor
te, quelque ancien que soit l’usage. A"plus forte raison
si cet usage est irrationnel ou abusif.
Diverse, sunt vincere et abrogare ; nam abroga-
1 L. 32, fl. De k g . ; —Cod., L. 2, Q uœ sit longa consuelndo.
�458
DES SOCIÉTÉS
tïo efficere potest longa consuetudine legi contraria,
ut lex in usu esse desinat. Non tamen eam vincere
potest, id est non ita potest legislatoris potestatem
consuetudo infringere , quia possit lege nova certiori et cequiori ratione slabilita, vitiosam consuetudinem tollere aut emendare, aut legern consuetu
dine obliteratam in usurn revocare l.
Ce qu’on pourrait opposer à cette explication , c’est
que le cas qu’elle prévoit est si n atu rel, qu’il n’avait
pas besoin d’être prévu. Le législateur, pouvant abroger
la l o i , p e u t, sans contredit, abroger l’usage qui n’est
qu’une loi tacite. Ecrit ou n o n , son droit à cet égard
était incontestable , de même que les conséquences de
l’exercice qu’il en ferait. L’usage, formellement et légis
lativement révoqué, ne saurait conserver la moindre
autorité.
7 5 . — Quoi qu’il en so it, il est certain que , dans
notre ancien d ro it, l’abrogation de la loi par désuétude
fut généralement admise. On distinguait, toutefois, les
lois simplement impératives des lois prohibitives : cellesci, excluant tout usage contraire, l’empêchaient de naî
tre et de se form er2.
Sous l’empire du Code civil, la controverse a conti
nué. Mais, entre l’affirmative et la négative absolues, il
1 Perezius, A d Cod., L. 8, tit. 53, n» 11.
2 Dunod, Prescript., part. 1re, chap. 13.
�ART.
18
.
y a un tempérament, signalé par Merlin , qui d o it, en
définitive, triompher.
Ainsi, l’usage abusif, c’est-à-dire celui qui blesserait
les mœurs, la décence, la liberté publique ; qui préjudi
cierait, de quelque manière que ce soit, à la société ou
q u i, sans être nuisible , serait simplement absurde ou
déraisonnable, ne peut jamais l’emporter sur la lo i, et
l’on doit, dans tous les temps, en secouer le joug.
Par la raison contraire, une loi qui renfermerait quel
qu’un de ces inconvénients tomberait aisément en dé
suétude. Que cette supposition puisse se rencontrer, c’est
ce qui est insoutestable ; car, comme le disait l’immor
tel d’Aguesseau, dans sa lettre du 2 septembre 1692, il
y a bien des choses qu’on a conservées dans la rédac
tion ou dans la réformation des coutumes, par respect
ou par prévention pour d’anciennes traditions , qui ne
doivent plus tirer à conséquence depuis que la législa
tion s’est perfectionnée, et qui sont censées abrogées par
l’esprit général des lois, par l’usage commun de toute la
France, qui en est le plus sûr interprète.
Ainsi, ajoutait l’éminent chancelier , l’article 634 de
la coutume de Bretagne porte que les faux monnayeurs
seront bouillis, puis pendus. Or, existe-t-il un magis
trat qui osât aujourd’hui prononcer une pareille peine ?
L’usage est toujours abusif lorsque la coutume le con
stituant a été formellement prohibée par la loi, soit dans
un intérêt public, soit comme devant produire des in
convénients et des fraudes ; il devrait donc être condam
né et s’effacer devant la loi. Il importerait peu que dans
�\ 60
DES SOCIÉTÉS
l’espèce à apprécier il n’exislàt aucune fraude ; il suffit
qu’en général la fraude fût possible, pour faire repous
ser l’usage alors même qu’il n’en aurait été commis
aucune. C’est ce que Casaregis enseigne en termes ex
près : Lex seu statutum providens in genere ad evitandas fraudes babel eliarn locum in casibus in
quibus committi polerant, licel commisses non :fue~
vint b
L’usage peut donc abroger la lo i, à condition cepen
dant qu’il ne soit ni irrationnel, ni abusif, ni formelle
ment prohibé. Mais , dans ces termes même , on ne lui
reconnaîtra cet effet que s’il réunit les caractères sui
vants : 1° la publicité; %° l’uniformité; 3° une prati
que reposant sur des faits multipliés; 4° l’approbation
et le concours de la généralité des habitants ; 5° l’exé
cution réitérée pendant un long espace de temps ; 6° h
tolérance constante du législateur2.
76.
— L’influence de l’usage sur la loi acquiert de
bien plus vastes prooortions dans la matière commer
ciale. Nous avons déjà dit qu’en ce qui concerne celleci, la législation n’est autre chose que le recueil d’usages
que'la pratique avait fait naître et d’avance signalés à
l’attention du législateur. Nous avons dit, de plus, qu’o
béissant essentiellement à une pensée de progrès, la loi
commerciale n’avait voulu poser aucune règle absolue,
1 Delamarre et Lepoitvin, C ontrat de commiss., 1 . 1, n° 363.
2 Merlin, R ip erl
v° Usage, § 1.
�AKT. 18.
161
de crainte de se placer en opposition avec le but qu’elle
se proposait. Il est évident que la conséquence de ce dou
ble caractère était d’appeler les usages au secours de la
loi, comme éléments essentiels des modifications qu’elle
serait dans le cas de subir.
Aussi voyons-nous l’usage commercial prévaloir d’a
bord sur le droit commun. Les exemples se présentent
en foule. Nous nous contenterons d’en citer quelquesuns.
77.
— Aux termes de l’article 1141 du Code civil,
la vente n’est parfaite , à l’égard du second acquéreur,
que si le premier a obtenu la tradition réelle de la chose
mobilière qui lui a été vendue. En commerce, cette tra
dition n’influe en rien sur la vente précédemment faite.
Qu’elle ait été ou non réalisée, l’acheteur n’est pas moins
considéré comme propriétaire de la chose par lui ac
quise.
L’article 1154 prohibe l’intérêt des intérêts, à moins
que ceux-ci ne soient dus depuis un an. En .commerce,
l’usage a admis le règlement trimestriel du compte, et,
conséquemment, la faculté d’exiger l’intérêt des intérêts
chaque trois mois.
En matière de vente de denrées et effets mobiliers,
l’article 1627 du Code civil dispose que la résolution de
la vente a lieu de plein droit et sans sommation, au
profit du vendeur , par la seule échéance du terme fixé
pour la livraison. Entre commerçants, au contraire,
aucune vente n’est résiliée si l’acheteur n’a été pré-
W
�162
DES SOCIÉTÉS
alablement mis en demeure de retirer ses marchan
dises l.
Enfin , la loi de 1807 proscrit, dans les prêts d’ar
gent , tout autre profit que l’intérêt légal ; cependant
l’usage, aujourd’hui constant, permet aux banquiers de
prélever , concurremment avec cet intérêt, un droit de
commission, d’escompte ou de change.
78.
— L’usage commercial déroge même à la loi
spéciale au commerce. Nous en puisons de notables
preuves dans la pratique suivie sous l’ordonnance de
1673.
Ainsi, par une disposition expresse, cette ordonnance
voulait que les livres des marchands fussent soumis à
des formalités déterminées. Cependant, la doctrine et
la jurisprudence n’avaient tenu aucun compte de cette
disposition, et les livres des marchands, quels qu’ils fus
sent, n ’étaient pas moins admis à faire foi en justice.
La même ordonnance, soumettant les sociétés à être
publiées et enregistrées , punissait la violation de cette
obligation en déclarant la société nulle, non-seulement
entre associés, mais encore à l’égard des tiers ; mais celte
pénalité n’avait jamais été sanctionnée par les tribu
naux. La validité de la société non publiée, surtout visà-vis des tiers, était universellement admise et consa
crée.
L’influence de l’usage, en matière de commerce , ne
1 Delamarre et Lepoitvin, Contrat de commise., t. 1. n° 363,
�ART. 18.
saurait donc être méconnue. Elle est la conséquence lo
gique de la législation qu’elle est destinée à maintenir à
la hauteur des besoins et à diriger sans cesse dans la
voie du progrès.
79.
— Mais l’usage commercial lui-même s’arrête
devant le principe que nous rappelions tout à l’heure, à
savoir : l’impossibilité de faire triompher un abus con
damné par la loi, ou de prévaloir sur l’intérêt public.
Nous avons parlé, dans notre Traité du dol et de
la fraude, d’un usage qu’on prétendait s’être établi sur
la place de Lyon. Les commissionnaires étaient dans
l’habitude de coter les marchandises achetées pour leurs
commettants à un prix supérieur à celui qu’ils en a vaient réellement payé ; la différence s’ajoutait à la com
mission et augmentait d’autant le salaire qu’ils se fai
saient attribuer.
Un de ces commissionnaires, s’étant juridiquement
prévalu de cet usage contre son commettant, vit sa pré
tention condamnée par arrêt de la cour de Lyon du 23
août 1831. Un usage de ce genre, dit l’arrêt, constitue
rait une fraude ; il ne saurait donc prévaloir sur la loi
qui les prohibe toutes.
Un autre usage abusif, auquel se laissent facilement
aller les commissionnaires, est justement signalé par
MM. Delamarre et Lepoitvin. Chargés d’acheter pour
compte d’autrui, ils envoient de leurs propres marchan
dises , tout en exigeant de leurs commettants un droit
de commission comme s’ils les eussent acheiées pour
remplir la commission.
�164
DES SOCIÉTÉS
Un pareil usage ne pourrait être toléré. Il ne peut pas
être que celui qui vend sa propre marchandise s’attri
bue un salaire pour la vendre. Or , le commissionnaire
qui remplit un ordre au moyen des marchandises qu’il
a en sa possession devient le vendeur direct ; il serait
dès lors anormal de lui attribuer une rétribution pour
des peines et soins qu’il n’aurait réellement pris que s’il
eût effectivement acheté à un tiers les marchandises qu’il
expédie.
Nous puisons un autre exemple , à l’appui de notre
thèse , dans la disposition de l’article 347 du Code de
commerce. Dans un but facile à saisir, le législateur a
porté toute sa sollicitude sur l’assurance maritime. Il a
notamment compris que la laisser dégénérer en gageure
c’était l’exposer à une ruine inévitable , d’autant plus
déplorable que le commerce maritime , privé de cet in
dispensable auxiliaire , ne pourrait bientôt suffire à la
mission qu’il est appelé à remplir. De là, la prohibition
d’assurer le profit espéré , et le fret des marchandises
existant à bord.
Dons l’usage, cependant, la prohibition en ce qui
concerne celui-ci n’est pas religieusement observée. Mais
quelque nombreuses que fussent les infractions, quelque
générales et répétées qu’on les supposât, elles ne par
viendraient jamais à créer un usage obligatoire. La pro
hibition de la loi proteste sans cesse contre l’abus , et
c’est ainsi qu’on qualifierait justement un fait n’ayant
pas d’autre objet que de violer un ordre formel. Non
valet consuetudo quando lex expresse damnai con~
�ART. 18.
165
meludinem, quia lex semper loquitur. . . . non valet
consuetudo contra legem inductam ad tollendas
fraudesl.
8 0. — L’usage est général ou local. Nous avons vu
quelles conditions exige le premier. Le second, indépen
damment de la fréquence des actes , de leur pratique
pendant un nombre d’années dont la détermination est
laissée à la prudence du juge , ne peut être admis que
s’il a été réellement observé par la généralité des habi
tants : quod in regione frequentatur.
Il ne suffirait donc p a s, même pour établir l’usage
commercial, que le fait allégué eût été pratiqué par un
certain nombre de commerçants. L’usage, n’étant qu’une
convention tacite, ne peut résulter que d’un assentiment
commun. Comment donc reconnaître celui-ci, si, pen
dant que les uns agissent d’une manière , les autres se
livrent publiquement à la pratique contraire ?
81. — L’existence de l’usage s’établissait autrefois
par des actes de notoriété, n’ayant eux-mêmes d’autre
fondement qu’un usage que l’ordonnance de 1667, abo
lissant les enquêtes par turbes, avait fait naître. Ces
actes émanaient des corps de judicature constatant la
pratique suivie dans leur siège. Ils étaient, en général,
rendus en vertu d’une sentence du juge supérieur, con
tradictoirement et après que les magistrats avaient, de
i Delamavre et Lepoilvm, C o n tra t de commiss., t.
4,
n° 363
�166
DES SOCIÉTÉS
vive voix et à l’audience, pris l’avis du ministère public,
des avocats, des procureurs ou autres praticiens du
siège.
8 2 . — Ces formes ne sont plus compatibles avec
nos lois nouvelles. Les tribunaux ne peuvent, aujour
d’hui, délivrer des attestations. Mais les jugements dans
lesquels l’existence de l’usage aurait été reconnue, quoi
que étrangers aux parties, ne seraient pas moins utile
ment invoqués.
Dans tous les cas, la preuve de l’usage pourrait res
sortir de tous documents de nature à le justifier ; elle
pourrait même être fournie par témoins et par présomp
tions. Toutefois, la forme ordinaire des enquêtes offri
rait des difficultés, et surtout occasionnerait des frais énormes, par les immenses proportions que revêtirait le
fait interloqué, par exemple, l’usage général. On y sup
plée donc par des 'parères, signés par les chambres de
commerce, ou par les principaux négociants des diver
ses places du royaume ; par la chambre de commerce ou
par les négociants de la localité, s’il s’agit d’un usage
particulier.
8 3 . — La délivrace de ces parères a donné nais
sance à un abus destiné à leur faire perdre toute autorité
si on ne se ravise. Il n’est pas de commerçant qui n’ait
la prétention de prouver que sa pratique est conforme
à l’usage de la place ; qui ne trouve des amis complai
sants pour l’attester ainsi. Comme son adversaire a in
térêt à prouver le contraire, et qu'il compte à son tour
�ART.
18.
167
quelques amis, il est peut-être sans exemple qu’un pa
rère quelconque ait été produit, sans qu’un autre soit
venu certifier le contraire.
Notre pratique personnelle nous a démontré la vérité
de cette observation. Devant la cour d’Aix , nous avons
eu bien souvent l’occasion de nous convaincre que ces
attestations, recueillies à la Bourse, étaient accordées a vec tant de légèreté et d’irréflexion, que des signatures,
attestant l’affirmative , se retrouvaient au bas du parère
soutenant la négative et réciproquement.
En présence d’attestations contradictoires , le juge doit
rester dans le droit commun. L’usage ne doit être substi
tué à la loi que lorsqu’il est établi avec une certitude in
contestable. Dans le doute, la loi doit recevoir son en
tière exécution.
Au reste, l’usage étant un fait, sa constatation est abandonnée à l’arbitrage souverain des juges. Ils peu
vent, dans tous les cas, le repousser ou l’admettre. Mais
dans cette dernière hypothèse, lorsqu’il s’agit surtout de
déroger au droit commun, l’usage ne peut être appliqué
qu’autant que son existence a été préalablement recon
nue et constatée en fait.
84.
— Quelle que soit la décision du premier de
gré , le second peut toujours la réformer comme consti
tuant un mal jugé ; mais l’absence de cette constata
tion préalable, dans le jugement ou arrêt définitif, don
nerait infailliblement ouverture à cassation, alors même
que devant la cour suprême l’usage appliqué, mais non
■«
J
�DES SOCIÉTÉS
constaté, serait prouvé par des documents dignes de foi.
C’est ce que la cour de cassation a formellement consa
cré par arrêt du 5 janvier 1812.1
A rt. 49.
La loi reconnaît trois especes de sociétés com
merciales :
La société en nom collectif ;
La société en commandite ;
La société anonyme.
SOMMAIRE
85.
86.
87.
88.
89.
90.
91.
92.
93.
Différences et points de contact entre la société civile et la
société commerciale.
Définition de celle-ci.
Doute que certains actes peuvent laisser sur leur véritable
caractère.
La société pour acheter et revendre des immeubles est ci
vile.— Critique d’un arrêt qui a décidé le contraire,
Doctrine et jurisprudence.
Regret et vœu exprimés parM. Troplong. — Dangers qui
résulteraient du système qu’il indique.
Avantages du morcellement de la propriété. — Ses consé
quences pour le développement de l ’agriculture.— Ser
vices qu’il rend à l ’ordre public.
Les parties peuvent-elles donner à une association de cette
nature la forme et le caractère commerciaux ?
Arrêt de la cour de cassation pour la négative.
1 S., 1812, 1, 113. — V oy. loi du 13 juin 1866.
�AKT.
94.
97.
98.
99.
100 .
101
.
102.
103.
104.
103,
106.
107.
108.
109.
110 .
111.
19.
Quel esl le caractère de la société organisée pour l’exploita
tion d’une mine entre concessionnaires ?
Quid si la société est anonyme ou en commandite ?
Motifs invoqués pour ne lui attribuer , même dans ce cas,
qu’un caractère civil.
Justification de l’opinion contraire.-— Incompatibilité entre
les sociétés anonymes ou en commandite et les sociétés
civiles.
Conséquences qu’il faut en tirer.
L’exploitation d’une mine n’est un acte civil que par un
privilège auquel le çonces'sionnaire peut renoncer.
De quels actes doit on induire cette renonciation ?
Doctrine et jurisprudence tendant à la faire résulter de l ’a
doption de la forme commerciale donnée à la société.
Inconvénients que ce système a pour but de proscrire.
Quel est le caractère de la société pour la découverte et
l’ouverture d'une mine.
De celle pour la location et l ’exploitation.
La loi de 1810 est inapplicable aux carrières.—Conséquen
ces quant aux propriétaires et aux locataires.
Sociétés dont le caractère est commercial ou non , suivant
la qualité du fondateur.
L’obligation de construire un marché, une église, un théâ
tre , n’est pas un acte de commerce pour des non-com
merçants.— Leur société serait donc civile-.
Opinion contraire de M. Pardessus.—Examen et réfutation.
Secus si les contractants étaient des entrepreneurs de tra
vaux publics.
Le caractère commercial peut résulter de la destination af
fectée à la chose entreprise. — Exemples divers^puisés
dans la jurisprudence.
Ce qui est admis pour la construction d’un chemin de fer,
avec concession de la jouissance , devrait l ’être pour la
construction d’un canal , dans les mêmes circonstances.
�\
413.
144.
119.
420.
121.
122
.
123.
124.
125.
126.
DES SOCIÉTÉS
Quid de la société pour la perception du droit de péage sur
un pont.
L’article 632 , déclarant actes de commerce les assurances
maritimes, régit-il les assurances terrestres ?
L'identité d’opérations doit faire consacrer l'affirmative
pour toutes les assurances à prime.
Jurisprudence conforme.
Examen de trois arrêts indiqués comme ayant consacré le
contraire.
Réfutation de celui rendu par la cour de Montpellier.
La masse formée par divers pères de famille contre les chan
ces du sort que courent leurs enfants n ’est pas même
une société.
Caractère essentiel que doivent offrir les assurances mu
tuelles pour ne pas être rangées dans la catégorie des
sociétés commerciales.
Caractère des associations pour la préservation , l ’assainis
sement, le dessèchement et l’arrosage des propriétés.
La qualification donnée à une société n’en change pas la
nature.— Exemple dans un arrêt de la cour de cassation
sur une banque territoriale.
Les associés civils qui ont faussement pris la forme com
merciale ne pourraient faire prononcer la résiliation sous
prétexte d’erreur de droit, et resteraient soumis à l ’o
bligation que leur impose l ’article 1863 du Code civil.
Opinion contraire de M. Dalloz.—Réfutation.
Division des sociétés par le Code de commerce, puisée dans
l ’usage admis par l ’ordonnance.
Attaques dont elle fut l ’objet au conseil d’Etat.
Son adoption définitive.
85.
— Le Code civil distingue deux espèces de so
ciétés : la société universelle, la société particulière. C’est
dans cette dernière catégorie qu’il place la société com
merciale.
�AKT. 19.
171
La société commerciale a une foule de points de con
tact avec la société civile , mais elle en diffère sous plu
sieurs rapports. Ainsi que nous venons de le voir, l’une
et l’autre sont régies par des principes communs relati
vement à la mise de fonds que chaque associé doit four
nir; à la contribution égale ou proportionnelle dans les
bénéfices ou pertes ; aux devoirs réciproques des asso
ciés ; à leur obligation de se consacrer à la chose com
mune; à la responsabilité de la faute; enfin, aux causes
pouvant ou devant entraîner la dissolution.
Mais une différence notable et importante se fait re
marquer dans les formes constitutives de chacune d’el
les ; dans l’habitude d’opérer avec les tiers, sous une rai
son sociale; dans certaines attributions du gérant ; dans
l’étendue de la responsabilité solidaire dans les sociétés
commerciales, solidarité d’où résulte que la personne
morale , quoique distincte des associés , s’incarne , en
quelque sorte, au regard des tiers, dans chaque associé,
et arrive à un plus haut degré d’biomogéniélé ; dans les
formes de la liquidation ; dans le jugement des contes
tations entre associés h
Une différence non moins essentielle se fait remarquer
dans la juridiction appelée à prononcer entre les asso
ciés et les tiers ; dans les effets des jugements entraînant
la contrainte par corps dans les sociétés commerciales2.
1 Troplong, n° 173.
2 La contrainte par corps est aujourd’hui abolie. Nous le rappelons
ici, et l ’on s’en souviendra toutes les fois qu’il en sera question.
�DES SOCIÉTÉS
En présence de ce dernier résultat, surtout, il peut
être du plus haut intérêt de déterminer le véritable ca
ractère de la société. Nous devons donc, avant tout, re
chercher ce qu’est la société commerciale , et à quelles
conditions on devra la reconnaître.
8 6. — La société commerciale est celle qui a pour
objet de faire le commerce, soit par l’exploitation d’une
branche d’industrie déterminée, soit par l’exercice habi
tuel d’actes de commerce.
Aucune difficulté ne saurait donc sérieusement naître
pour les sociétés dont le but est de se livrer à un ou à
plusieurs des actes que les articles 6321 et 633 du Code
de commerce qualifient d’actes de commerce. Ce but les
caractériserait suffisamment, elles seraient essentielle
ment commerciales.
8 7 . — Mais il n’est pas toujours facile d’arriver à
une détermination précise. Certains actes peuvent laisser
du doute sur leur nature réelle, et ce doute réfléchit né
cessairement sur le caractère de la société qui a pour
but de les. accomplir. C’est alors dans l’usage , dans la
doctrine , dans la jurisprudence , qu’il convient de pui
ser les éléments de décision.
8 8 . —- Une première difficulté s’est offerte relative
ment à l’achat d’immeubles pour les revendre. L’achat
pour revendre n’est rangé par la loi dans la catégorie
des actes de commerce , qu’en tant qu’il a pour objet
des denrées ou marchandises. Sous ce rapport, donc, il
�ART. 19.
semble qu’on ne devrait pas hésiter, un immeuble n’é
tant évidemment ni une denrée , ni une marchandise.
La société qui a pour but de les acheter pour les reven
dre ne présente rien de commercial ni en la forme , ni
au fond.
Le contraire a été cependant consacré par la cour de
cassation, dans un arrêt du 10 mars 1818. Cet arrêt est
approuvé par les auteurs du Répertoire du journal du
Palais. Sans doute , disent-ils, les immeubles ne sont
pas habituellement l’objet de transactions commercia
les ; cependant l’importance de l’opération ou la nature
des choses achetées pour être revendues n’ont pas été
tellement déterminées par la loi qu’on doive refuser le
caractère commercial à toute opération ayant des im
meubles pour objet1.
L’objection est singulière en présence du texte de l’ar
ticle 632. Non, la loi ne s’est nullement préoccupée de
l’importance de l’achat ou de la revente , mais il n’en
est pas de même de la nature des choses en faisant la
matière. La loi la détermine en exigeant que ce soient
des denrées ou marchandises. Elle exclut donc, par cela
même, les immeubles qu’on ne peut évidemment classer
dans l’une ou l’autre de ces catégories.
Voyez où conduirait le système que nous combattons.
Il est incontestable qu’un seul fait d’achat de denrées ou
marchandises pour les revendre constitue , même de la
1 Rép., v° Société, n° <108
�174
DES SOCIÉTÉS
part d’un non-négociant, un acte de commerce pour le
quel il est soumis à la juridiction consulaire, et passible
de la contrainte par corps. Il faudrait donc, pour'être
logique, consacrer le même résultat contre celui qui au
rait acheté un seul immeuble pour le revendre. En ef
fet, la multiplicité des opérations n’est à considérer que
lorsqu’il s’agit de l’acquisition de la qualité de commer
çant par l’exercice habituel des actes de commerce. Or,
nous le demandons, une telle conséquence peut-elle en
trer dans les prévisions de qui que ce soit ? N’arriveraitelle pas à la plus monstrueuse anomalie, puisque ce se
rait par la revente qu’on pourrait juger de la nature de
l’opération , et que l’achat d’un immeuble , contracté
sans intention de le revendre , deviendrait un acte de
commerce par cela seul q ue, pour profiter d’une occa
sion favorable et pour réaliser un bénéfice inespéré, on
aurait consenti cette revente.
Sans doute, dans ces derniers temps, les achats d’im
meubles pour revendre se sont multipliés, ont acquis des
développements importants ; mais qu’importe , s i , par
lui-même, le fait n’a rien de commercial ? Une société
qui se le proposera pour objet et pour but ne pourra
être qu’une société civile, à moins d’admettre que la ré
pétition, que la fréquence d’un acte quelconque doit lui
attribuer le caractère commercial, quoiqu’en lui-même
et pris isolément il exclue toute idée de ce genre.
Il faudrait donc, pour décider que l’association pour
acheter et revendre des immeubles est une société com
merciale, soutenir que le fait en lui-même constitue un
�ART.
19.
175
acte de commerce rendant l’acheteur , quel qu’il soit,
justiciable de la juridiction consulaire et passible de la
contrainte par corps. Si la proposition contraire est la
seule admissible , la seule vraie , il faudra en conclure
que la société se proposant cet achat et cette revente,
quelle que soit son importance , ne saurait jamais être
qu’une société civile.
89.
— C’est ce que la cour de cassation avait ellemême décidé, par arrêt du 28 brumaire an X I I I , dé
clarant que la société pour acquérir et revendre des im
meubles serait une société extraordinaire, qui ne pour
rait être assimilée à une société commerciale. C’est dans
ce sens que se s o n t, en majorité , prononcées les cours
d’appel ’.
Le même système peut invoquer la majorité dans la
doctrine. La plupart des auteurs enseignent, en effet,
que les choses mobilières sont les seules dont les achats
pour revendre constituent des négociations commercia
les. Ainsi , on ne peut donner celte qualification à des
achats d’immeubles pour les diviser et les revendre par
portions, quand même cette vente pourrait être ou au
rait été effectuée avec bénéfice2.
1 Voy. notamment Metz, 18 juin 1 8 1 2 ;— Paris, 8 octobre 1830 et 28
août 1841.—J du P ., 41, 2, 412.
2 Pardessus, t. 1, n° 8 ; — Merlin, Quest. de droit. v° Actes de corn.,
S 5;— Malepeyre et Jourdain, Sociétés com., p 9;— Delangle, ibidem,
n° 28.
�DES SOCIÉTÉS
90.
— M. Troplong se range lui-même à cette opi
nion. Cependant, tout en reconnaissant que l’achat
d’immeubles pour les revendre ne rentre pas dans l’ap
plication de l’article 632, ce savant jurisconsulte déclare
le regretter. Assurément, d it- il, c’est une lacune ; on
ne verrait pas pourquoi on hésiterait à traiter comme
commerçants ceux qui traitent la propriété foncière com
me une marchandise.
Aussi arrive-t-il à conclure que , bien que par ellemême une société de ce genre n’ait rien de commercial,
les parties peuvent cependant, par une expression ma
nifeste de leur volonté , lui imprimer ce caractère. Il
désire que la jurisprudence se prononce dans ce sensl.
Nous ne pouvons partager ni ce regret, ni ce vœu.
L’un et l’autre ne tendent qu’à entraver et à restreindre
des opérations dignes d’être hautement encouragées.
Dans un pays comme la France, et sous l’empire des
institutions politiques qui nous régissent , le morcelle
ment de la propriété est désirable, parce qu’il est avan
tageux sous plus d’un rapport.
9 4 . — Il intéresse d’abord la prospérité publique
par le développement qu’il imprime à l’agriculture, en
multipliant les terrains productifs. Une propriété consi
dérable languit dans une seule main; la dépense que
son exploitatian coûterait la fait bientôt négliger et res
treindre. Nous connaissons dans notre pays des terres
1
Des sociétés,
n°s 319 et 320.
�ART.
19.
177
qui, soumises à un seul tènement, ne produisaient qu’
une ferme de vingt cinq mille francs, et q u i, par leur
division en plusieurs fermes et par leur exploitation par
divers ferm iers, ont atteint aujourd’hui un revenu de
soixante-douze mille francs.
Que sera-Cè donc si à l’intérêt d’un simple fermier
vous substituez celui d’un propriétaire, recherchant l’a
mélioration foncière qui doit augmenter non-seulement
ses revenus , mais encore son capital ? Comme élément
de culture et de mise en production, le morcellement de
la propriété est donc avantageux non-seulement aux ci
toyens mais à l’Etat lui-même, puisque, en augmentant
le bien-être des uns, il concourt efficacement à la pros
périté de l’autre.
Sous un autre rapport, ce morcellement est appelé à
rendre d’importants services. En divisant la propriété,
en la multipliant, il rattache plus fortement le cultiva
teur au s o l, inspire naturellement des idées de conser
vation, répand sur une vaste échelle l’intérêt qui s’atta
che au d ro it, et qui devient à son tour la plus énergi
que garantie de l’ordre et de la sécurité publique. Beau
coup de gens consentiraient volontiers à partager ce que
le voisin possède , mais ils n’ont pas assez de malédic
tions contre ceux qui proposeraient de partager ce qui
leur appartient personnellement.
11 ne faut donc pas trop se gendarmer contre ceux
dont les efforts tendent à de pareils résultats. Il importe
peu que leurs actes n’aient pour but que la spéculation,
que leur intérêt particulier soit le mobile de leur coni
12
�178
DES SOCIÉTÉS
duite ; ils suffit que leurs efforts tournent à l’avantage
du bien public pour qu’on ne les place pas, au moins,
hors du droit commun. Or. quoi qu’on dise, et quelque
multipliées que soient les transactions sur les immeu
bles,celui-ci ne permettra pas d’assimiler ces immeubles
à des denrées ou marchandises. La raison et le bon sens
répugneront sans cesse à mettre sur la même ligne deux
choses si essentiellement distinctes, non-seulement par
leur nature , mais encore par la forme de leur trans
mission.
9 2 . — Cela donné et le caractère matériellement
civil de la société établi , comment pourrait-il être que
la volonté des parties pût lui imprimer le caractère com
mercial ? Les conséquences qui résulteraient d’une telle
stipulation en démontrent suffisamment l’impossibilité.
Ainsi , il est de principe que nul ne peut déroger à des
lois d’ordre public ; que nul ne peut se soumettre à la
contrainte par corps hors des cas formellement prévus.
Or, donner à une société civile un caractère commer
cial , c’est changer l’ordre des juridictions et déférer au
tribunal de commerce ce qui appartient exclusivement
aux tribunaux ordinaires ; c’est se soumettre aux règles
régissant la faillite; c’e s t, dans tous les cas , se rendre
passible de la contrainte par corps ; c’est donc, sous un
triple rapport, faire ce que la loi prohibe formellement.
Au lieu , donc, de valider une telle convention , les
tribunaux auraient à l’anéantir. Leur devoir serait de
dire, avec M. Delangle , que la loi restant au-dessus des
�ART.
19.
accords des parties, c’est à elle qu’il faut exclusivement
demander la détermination de l’acte et ses conséquen
ces légales; qu’ainsi, « s’il s’agit d’un fait qui ne ren» tre pas dans les prévisions du Code de commerce, la
» société dont il est la base est, en dépit des stipulations
» contraires, une société civile l. »
S3. — Cette règle , faisant résulter le caractère de
l’acte du fait lui-même et non de l’intention des par
ties, a été, dans maintes circonstances, sanctionnée par
la cour de cassation. Nous la trouvons notamment re
commandée en ces termes dans un de ses arrêts rendu
le 10 août 1842, en matière de société, précisément :
« Bien qu’un acte porte la qualification d’une so
ciété en commandite par actions, avec indication d'un
gérant responsable, d’une raison sociale, et du président
du tribunal de commerce pour nommer des arbitres, en
cas de différends entre associés , si d’autres clauses de
cet acte n’assurent aux souscripteurs d’actions que les
intérêts au cinq pour cent , en attribuant au gérant la
faculté de rembourser ces actions de ses deniers , et de
mettre fin à la société même avant le terme fixé , et en
réservant au gérant seul la propriété de l’immeuble so
cial, lequel demeure seulement hypothéqué à la sûreté
du remboursement des actions ; on doit décider qu’un
tel acte est dépourvu des caractères constitutifs d’une so
ciété commerciale, et n’est qu’une convention purement
i Delang’e, loco cüato,
�180
DES SOCIÉTÉS
civile, qui ne peut rendre le gérant passible de la con
trainte par corps à l’égard des tiers qui ont contracté avec lui, ou sujet à être déclaré en état de faillite.
» Un acte contenant des clauses incompatibles avec
la nature de la société en commandite, dont toutefois il
porte la qualification, n’acquiert pas ce caractère , visà-vis des tiers , par la publication qui en est faite par
extrait, conformément à l’article 42 du Code de com
merce; alors même que cet extrait ne rappelle que des
clauses constitutives d’une société commerciale , sans
parler de celles qui font dégénérer le contrat en conven
tion civile et ordinaire. Par suite, les tiers qui ont traité
de bonne foi avec l’individu désigné comme gérant res
ponsable de la société ne peuvent prétendre qu’à leur
égard, d’après les termes de l’extrait, l’engagement doit
être réputé contracté par une véritable société commer
ciale, soumise, pour son exécution, aux dispositions re
latives à la faillite et à la contrainte par corps.
» Les dispositions relatives à la faillite et à la con
trainte par corps sont d’ordre public, et ne peuvent être
étendues hors des cas prévusl. »
Il s’agissait, dans cette espèce , de la construction
d’une salle de spectacle. L’intention de la rendre la
matière d’une société commerciale résultait de l’acte adoptant la forme de la commandite , de la nomination
d’un gérant responsable , de l’indication d’une raison
�ART.
19.
181
sociale, de l’appel à la juridiction arbitrale entre asso
ciés , enfin , de la publication de l’acte dans les formes
prescrites par l’article 42 du Code de commerce ; cette
intention est cependant considérée comme impuissante,
comme ne pouvant prévaloir sur la nature du fa it, et
comme celui-ci n’a en lui-même rien de commercial, la
cour supérieure, négligeant l’intention , repousse toute
idée de société commerciale, et cela contre les tiers trom
pés par la publication.
Ce qui la détermine, c’est que convertir un acte civil
en opération commerciale , c’est se soumettre volontai
rement à la contrainte par corps et aux formes de la
faillite ; c’est formellement déroger à la loi d’ordre pu
blic qui le prohibe. Or, n’est-ce pas là ce qui se réalise
rait pour les associés donnant le caractère commercial à
l’achart d’immeubles pour les revendre? Ce .qui est illélégal dans une hypothèse ne le serait pas moins dans
celle-ci, et cette illégalité suffit pour rendre l’opinion de
M. Troplong inadmissible , et pour faire repousser ses
voe'ux , tant que le législateur ne les aura pas formelle
ment consacrés.
94.
— La loi du 21 avril 1810 sur les mines dis
pose que leur exploitation n’est pas considérée comme
un commerce. Le propriétaire ou concessionnaire de la
mine est à l’instar de tout autre propriétaire disposant
du produit de ses biens. Il jouit de la mine comme ce
dernier de sa propriété. Il n’est donc pas possible devoir
en lui un commerçant.
�\
82
DES SOCIÉTÉS
Mais l’ouveriure et la mise en produit d’une mine
exigent, en général, des avances considérables ; l’écou
lement d;s produits n’est pas toujours immédiat ; il faut
se créer des débouchés, e t , en attendant, les dépenses
ne s’arrêtent pas. Peu de capitalistes, donc, pourraient
y consacrer avec prudence leur fortune entière, leur res
ponsabilité indéfinie ; tandis qu’elles sont sûrement et
promptement réalisées par une réunion d’actionnaires,
dont chacun ne risque qu’une somme médiocre. L’in
térêt public est évidemment de favoriser un mode d’en
treprise avec lequel s’exécutent des travaux utiles qu’on
ne pourrait tenter d’aucune autre manière , et par le
bienfait desquels la mauvaise réussite elle-même ne ren
verserait aucune fortune. Aussi voyons-nous la loi en
courager des sociétés de ce genre, en les appelant à de
mander et à obtenir des concessions.
Quel sera le caractère de ces sociétés ? Aucun doute
ne saurait s’élever lorsque, contractées avant la conces
sion, elles ont été déclarées elles-mêmes concessionnai
res, ou, lorsqu’après concession, celui qui l’a obtenue
s’associe des personnes déterminées , ou enfin , lorsque
divers concessionnaires se réunissant conviennent d’ex
ploiter en commun. Dans tous ces c a s , la société n’a
pas d’autre objet que l’exploitation matérielle, laquelle,
étant déclarée par la loi purement civile, ne saurait re
cevoir le type commercial de l’existence d’une société
ordinaire. C’est ce qui a été admis en jurisprudence 1;
4 Cass., 7 février 1826; 24 juin 1 8 29; 15 avril 1834; 10 mars
�ART.
19.
183
c’est ce qui a été consacré par le conseil d’Etat, refusant
de soumettre à la patente une société formée entre con
cessionnaires de mines l.
95. — Mais la difficulté surgit lorsque les conces
sionnaires faisant un appel au public, font de leur ex
ploitation la matière d’une société en commandite ou anonyme. L’une et l’autre, appartenant exclusivement au
commerce, le choix de l’une d’elles imprimera-t-il à
l’exploitation le caractère commercial ?
96. — Pour la négative, on a invoqué le principe
que nous rappelions tout à l’heure , à savoir que c’est
non par la forme qu’elle reçoit, mais uniquement par
l’objet qu’elle se propose qu’il faut apprécier le carac
tère de la société. M. Duvergier, soutenant cette opi
nion , rappelle une consultation dans laquelle il l’avait
développée , et à laquelle M. Philippe Dupin donnait
l’adhésion suivante : Il est établi que l’exploitation d’u
ne mine ne constitue nullement une opération commer
ciale. Cela posé , il n’apparaît pas que la forme de la
commandite, adoptée pour la réunion des capitaux des
tinés à cette exploitation, puisse imprimer à l’opération
un caractère commercial qu’elle n’a point elle-même.
C’est la nature même de l’opération qu’il faut appré-
1844; — D . P . 34, 1, 9 5 ; 45, 4, 358. — Rennes , 43 juin 4033 ;
Aix, 4 2 mars 4 840.
1 Ordonnance du 7 juin 4836; D. P ., 37, 2, 435.
�BES SOCIÉTÉS
cier. Si elle était commerciale , elle resterait telle , quel
que fût le mode adopté pour sa mise en action ; ne l’é
tant pas, elle demeure opération civile, quels que soient
le nom qu’on lui donne et la forme dont on la revêtL
À son tour , M. Troplong s’écrie : En principe , rien
n’est plus faux que de s’attacher à la forme. La société
civile n’a pas été emprisonnée dans telle ou telle orga
nisation sacramentelle. Des statuts particuliers peuvent
former sa constitution de tous les pactes qui ne sont
pas illicites ; et rien n’empêche d’importer dans la so
ciété ciyile quelques-unes des formes et des obligations
qui distinguent plus particulièrement les sociétés com
merciales. De tels emprunts ne changent pas la nature
des choses 8.
97.
— C’est là, à notre avis, résoudre la question,
mais non la discuter. Cependant, les objections produi
tes à l’appui de l’opinion contraire méritaient une réfu
tation quelconque, mais surtout un sérieux examen.
On a fait remarquer d’abord que la loi ne reconnaît
que deux espèces de sociétés civiles : la société générale
ou la société particulière. La société anonyme ou en
commandite, indépendamment de ce qu’elle est expres
sément qualifiée de commerciale , ne constitue ni une
société générale , ni une société particulière ; elle exclut
donc, par cela seul, toute idée d’un caractère civil. Sans
1 Duvergier, Des sociétés, n° 48ü.
2 Sur les articles 1841, 1842, n° 328.
�\
ART, 19.
185
doute ce serait là une vaine chicane , si à l’opposition
dans les mots ne venait se joindre une différence éner
gique dans les effets : les associés civils ne répondent
pas solidairement des dettes sociales, mais chacun d’eux
est tenu de plein droit de sa portion virile. Or, n’est-ce
pas annuler cette obligation que de la restreindre, dans
tous les cas, au montant de l’action ou de la mise ?
Dira-t-on que cette restriction est autorisée par l’ar
ticle 1863 du Code civil? Mais on ne saurait équivoquer
sur la nature de cette disposition. Elle permet bien de
stipuler dans Pacte qu’un des associés , ayant dans la
société une part moindre , ne contribuera aux dettes
qu’à concurrence de celle part ; mais dans cette hypo
thèse , ce que celui-ci aura à payer en moins se répar
tira en plus sur les autres associés. Le créancier rece
vra donc , même dans celte hypothèse , l’intégralité de
ce qui lui est dû , sauf une proportionnalité différente
entre ses débiteurs.
Mais , dans la société anonyme chaque actionnaire
n’est tenu que du montant de ses actions. Si leur en
semble est insuffisant pour le paiement intégral des det
tes , la perte sera pour les créanciers, puisque , 'par le
paiement de leur action, chaque associé se trouvera in
tégralement libéré. Est-ce là , nous le demandons, un
résultat que l’article 1863 ait voulu consacrer ?
Un pareil résu ltat, d’ailleurs, peut se concevoir par
la possibilité de faire déclarer la faillite, et d’obliger par
là tous les créanciers à supporter leur part dans la perte.
Mais la société civile ne peut être déclarée en état de
�186
DES SOCIÉTÉS
faillite, et ce qui naîtra de cet état de choses, c’est que
les uns recevront tout ce qui leur est dû , et les autres
rien ; c’est que des fraudes nombreuses pourront impu
nément se commettre; que les créanciers éloignés se
ront nécessairement sacrifiés; c’est qu’enfin la préfé
rence que les administrateurs voudront témoigner pourra
seule présider au paiement des dettes.
En présence d’une pareille éventualité, il n'y a pas à
hésiter , il faut nécessairement conclure que la société
anonyme est incompatible avec la société civile. Elle of
fre, en effet, pour gage aux créanciers une mise de fonds
déterminée , qui peut être insuffisante ou non , et au
delà de laquelle c’est le créancier qui subit la perte saris
avoir rien à réclamer de personne. Le contraire est de
l’essence de la société civile. Elle oblige chaque associé,
quoique sans solidarité, à sa part de la dette. Cette obli
gation est indéfinie en sommes, s’étend à tous les biens
de l’associé et le rend passible , dans les limites posées
par l’acte social, de tout appel de fonds, de toute perle
indépendante de sa première mise, ou de la valeur ori
ginaire de son intérêt. Comment donc concevoir l’exis
tence simultanée de deux sociétés dont les effets s’ex
cluent mutuellement ?
N’est-ce pas cette différence si décisive qui a déter
miné le législateur à qualifier exclusivement de com
merciale la société anonyme ou en commandite ? On a
voulu expliquer le silence qu’il garde sur l’une et sur
l’autre en matière civile. Dans la société commerciale,
a-t-on dit, la solidarité est de droit commun. L’intention
�ART. 19.
du législateur éiant de l’exclure dans la commandite et
dans la société anonyme , il était nécessaire qu’il s’en
expliquât. Mais cette objection esi évidemment sans por
tée, car la nécessité qu’elle suppose n’existait pas moins
à l’endroit de la société civile. En effet, si les associés
ne sont pas dans celle-ci déclarés solidaires, ils ne sont
pas moins formellement soumis à leur portion virile
dans la dette. En conséquence, si le législateur avait pré
vu et admis une exception à celte obligation , il aurait
dû s’en expliquer. Or, cette exception , nous l’avons dit,
résulterait de l’adoption de la forme de la société ano
nyme ou en commandite. Le silence du législateur est
donc l’exclusion de celle-ci en matière civile.
98.
— Maintenant faut-il conclure de là que la for
me doit l’emporter sur le fond, et que toute société, qua
lifiée mal à propos de commandite ou d’anonyme, sera
nécessairement commerciale ? Non, évidemment , car la
forme ne pourra jamais prévaloir sur la nature des cho
ses, et rendre commercial ce qui n’a jamais été suscep
tible de l’être. C’est ce que nous venons d’enseigner pour
l’achat et la revente des immeubles. Qu’une société de
ce genre ait été qualifiée d’anonyme ou de commandite,
elle n’en restera pas moins civile , elle n’en sera pas
moins régie par les règles et les effets de celle-ci. On ne
pourrait, en effet, lui appliquer les principes commer
ciaux, sans admettre qu’on a pu volontairement se sou
mettre à la juridiction consulaire , à la contrainte par
corps, à la faillite, ce qui est expressément prohibé par
la loi.
�188
DES SOCIÉTÉS
99.
— A insi, lorsque l’acte que se propose la so
ciété répugne au caractère commercial , quelle que soit
la dénomination qu’elle ait reçue , cette société restera
purement civile. Peut - on ranger dans cette catégorie
l’acte consistant à exploiter une mine ? Non, sans doute,
car se procurer à plus ou moins de frais des produits
destinés à être vendus avec bénéfice , c’est évidemment
se livrer à un fait offrant l’idée et les caractères du
commerce. C’est ainsi qu’avant la loi de 1810, l’exploi
tation d’une mine était considérée comme une opéra
tion commerciale.
Qu’a voulu faire le législateur de celte époque ? Mé
connaître la véritable nature de l’opération ? Non ; mais
créer un privilège de nature à encourager des entrepri
ses qu’il importait de favoriser. L’exploitation des mines
se lie intimement à la prospérité publique ; il convenait
donc d’appeler les capitaux vers cette destination. On
n’a pas voulu assimiler à des marchands des hommes
assez hardis pour ne pas reculer devant des entreprises
si coûteuses, et qui, bravant la chance d’une ruine com
plète, auraient peut-être reculé s’il eût fallu joindre à
cette chance celle d’une déclaration de faillite , celle de
la privation de leur liberté. Ce privilège, ajoute M. Delangle , s’harmonisait d’ailleurs fort bien avec le carac
tère que la loi imprime à la concession. La mine est
un immeuble distinct de la surface, susceptible d’hypo
thèque, et soumis, quant à sa transmission, aux formes
du droit civil. Le concessionnaire devait donc être assi
milé, quant aux produits qu’il retire, à tout autre pro
priétaire percevant les récoltes de ses immeubles.
�ART.
18
.
189
Mais rien n’empêche ce dernier de faire de ces récol
tes mêmes l’objet d’un commerce. Celui dont les vigno
bles produisent une grande quantité de vin , celui qui
possède de vastes forêts , peut devenir, dans toute l’ac
ception du m o t, marchand de vin ou de bois; et lors
que , pour s’ouvrir de plus amples débouchés, il a pu
bliquement pris et exercé cette qualité, sera-t-il receva
ble à en décliner les conséquences , sous prétexte qu’il
ne vend , en réalité , que le produit de ses propres ré
coltes ?
(
Pourquoi n’en serait-il pas de même du concession
naire d’une mine? Il n’est pas légalement commerçant,
mais il est libre de prendre cette qualité , dès que son
intérêt lui en fait un devoir ou un besoin. Son indus
trie se rapproche si fort du commerce, qu’aucune des
objections opposables à l’acheteur d’immeubles pour les
revendre ne saurait lui être opposée. Qu’on nous per
mette ces expressions : dans ce cas , il y a une incom
pétence ratione materiœ. Pour le concessionnaire, l’in
compétence n’est plus que personnelle ; or, chacun peut
renoncer à celle-ci , qui n’est qu’un bénéfice dont on
peut vouloir ne pas profiler.
100.
— Or, cette intention nous la faisons résulter,
de plein droit, de l’appel que le concessionnaire fait au
public, de la forme commerciale qu’il donne à la réu
nion des capitaux qu’il crée. Son exploitation particu
lière disparait et s’efface par le transfert de la propriété
de la mine en faveur de la société; celle-ci, dès lors,
1
�190
DES SOCIÉTÉS
doit être considérée comme achetant en bloc des pro
duits mobiliers, qu’elle revendra en détail. Elle fait donc
véritablement une opération purement commerciale.
M. Troplong reconnaît à la loi de 1810 le caractère
que nous lui donnons , et eu admet toutes les consé
quences. Si les concessionnaires, dit-il, en se réunissant
en société, déclarent, par une manifestation expresse de
volonté , que leur société est commerciale et non civile,
celte volonté est légale , elle doit sortir à effets ; on ne
serait pas reçu à soutenir , après coup , que la société
n’a pu être dépouillée de son caractère civil. La loi de
1810 a fait pour les concessionnaires de mines ce que
l’article 638 du Code de commerce a fait pour les pro
priétaires d’immeubles ; donc , il n’est pas plus interdit
à ceux-là qu’à ceux-ci de recourir à la qualité de com
merçant, pour donner une base plus large à leur crédit
et à leurs opérationsl.
Cela posé, la difficulté se résumerait dans la détermi
nation des caractères que doit offrir l’addition de la
qualité de commerçant. Faudra-t-il qu’elle soit expresse?
Pourra-t-on l’induire de l’acte même ? Nous n ’hésitons
pas à nous prononcer dans ce dernier sens. A nos yeux,
il ne saurait exister une renonciation au privilège du
concessionnaire plus énergique que l’adoption de la for
me commerciale. Cette adoption résulte manifestement
de la création d’une société anonyme ou en comman-
�ÀBT.
19.
191
dite, car l’une ei l’autre sont déclarées par la loi socié
tés de commerce.
1 0 !. — Cette doctrine, enseignée notamment par
MM'. Emile Vincent et Delangle 1, parait devoir être con
sacrée par la jurisprudence. Les magistrats qui consi
dèrent comme civile la société contractée entre person
nes déterminées, pour l’exploitation d'une mine, repous
sent ce caractère à l’endroit de celle qui revêt la forme
de la commandite ou de l’anonyme. L’article 321 de la
loi du 29 avril 1810 , dit notamment la cour de cassa
tion dans un arrêt du 30 avril 1828 , est sans applica
tion, ne s’agissant pas d’une exploitation qui doive avoir
lieu sous la direction et pour le compte des concession
naires, mais d’une spéculation de commerce ayant pour
objet une réunion d’actionnaires. C’est ce qui a été éga
lement décidé : par la cour de Bordeaux , le 22 juin
1833; par la cour de Caen, le 26 janvier 1836; parla
cour de Paris, le 19 août 1841 ; par la cour de Dijon,
le 26 avril même année ; par la cour d’Angers , le 5
février 1 8 4 2 .2
102.
— En résumé, donc, la société pour l’exploi
tation des mines n’est pas par elle-même une société
commerciale ; mais elle prend ce caractère lorsque, fai
sant appel aux capitaux du public, elle se révèle sous la
1 Législ. comm , t. 4, liv. 4, n° 4 9 .— Des sociétés, t. 4, n° 36.
2 D . P .,4 0 , 2, 222 ; 44, 2, 246 et 24 7 ; 42. 2, 36.
�192
DES SOCIÉTÉS
forme d’une société anonyme ou en commandite. Alors,
en effet, elle devient une véritable société de commerce
en la forme et au fond.
En la forme, puisqu’elle en a tout l’appareil, et que
les conditions imposées pour la validité des conventions
de cette nature ont été remplies.
Au fond , puisque l’objet de ses spéculations est es
sentiellement commercial , c’est-à-dire mobilier , d’un
transfert facile, et ne réclamant pas l’application des rè
gles du droit civil.
Cette solution, parfaitement justifiée en droit, se re
commande en morale et en équité. Les inconvénients
du système contraire seraient nombreux , les fraudes
qu’il créerait, faciles et graves. Nous dirons donc, avec
M. Delangle , qu’on ne doit pas hésiter à le proscrire,
parce qu’il ne faut pas :
1° Que le public , qui a vu se former régulièrement
un être collectif, qui l’a vu se personnifier dans des gé
rants, contracter sous un nom social et ne spéculer que
sur des choses qui s’approprient aux combinaisons com
merciales, soit trompé dans ses espérances, et, par une
transformation inattendue, privé des garanties attachées
à la forme de la société ;
2° Que les actionnaires, qui n’ont entendu s’engager
que jusqu’à concurrence d’une certaine somme , et qui
l’ont versée dans la caisse sociale, soient exposés à sup
porter les conséquences d’une gestion, que la constitu
tion même de la société ne leur permet pas de sur
veiller ;
�ART. 19.
193
3° Que les gérants puissent, enfin, en déposant leur
qualité comme on dépose un masque , échapper à la
nécessité de payer les dettes sociales, aut in œre, aut
in cute.
Certes, nous sommes loin de contester les services
que la commandite ou l’anonyme est appelée à rendre
à la société purement civile. Les vastes entreprises qu’elle
peut avoir pour objet exigent également des ressources
auxquelles l’association seule peut faire face. Il serait
donc à désirer qu’elle p û t, comme la société commer
ciale, disposer du levier puissant que celle-ci peut em
ployer. Mais , comme l’observe très-judicieusement M.
Vincent, le contraire, actuellement certain , signale une
regrettable lacune dans notre législation. Qu’on y pour
voie donc par une loi nouvelle , rien .de plus raisonna
ble; mais , jusque-là , faudra-t-il bien se courber sous
l’autorité de celle qui nous régit.
103.
— L’assimilation entre le concessionnaire de
mines et un propriétaire ordinaire a fait surgir la ques
tion de savoir si la société, dans le but d’opérer la re
cherche et l’ouverture d’une m ine, pour en demander
plus tard la concession, était commerciale ou civile.
1 l’appui du caractère commercial , on a dit : Tant
que la concession n’a pas eu lieu, ceux qui se proposent
de l’obtenir agissent sur la propriété d’autrui. Les pro
duits qu’ils obtiennent pour les revendre sont donc cen
sés achetés par eux, car on ne sau rait, en l’absence de
tout droit de propriété, les considérer comme exploitant
ï
13
�194
DES SOCIÉTÉS
leurs propres fonds. Leur société n’offre donc pas la
condition exigée pour qu’elle ne fût qu’une société ci
vile.
Mais la cour de Nancy, saisie de la question, a, par
arrêt du 28 novembre 1840, adopté l’opinion contraire.
« Attendu , dit-elle, que la société pour l’exploitation
d’une mine est subordonnée à l’éventualité d’une con
cession à obtenir du Gouvernement; que l’article 13 de
la loi de 1810 offre aux individus réunis en société,
tout aussi bien qu’à ceux qui agissent isolément, le droit
de demander et la possibilité d’obtenir une concession
de mines; que l’article 32 de la même loi porte : que
l’exploitation des mines n’est pas considérée comme un
commerce ; que peu importe que les travaux aient été
exécutés avant l’obtention de la concession demandée
au nom des associés, et que le terrain sur lequel les
fouilles ont été pratiquées n’appartienne pas aux socié
taires ; que ceux - ci ne peuvent tirer avantage de ces
faits , dont des tiers seuls seraient aptes à se préva
loir 1. »
Cet arrêt fait une nouvelle et saine application du
principe que c’est par le but qu’elle se propose qu’il
faut juger du caractère de la société. Dans l’espèce, ce
but n’étant que l’exploitation légale d’une mine, exploi
tation déclarée civile par la loi, comment reconnaître à
l’association le caractère commercial ?
�ART.
19.
195
D’autre part, il conclut , avec raison , de l’appel fait
par la loi aux sociétés, qu’on ne saurait, sans se placer
en contradiction avec l’esprit du législateur, restreindre
les occasions dans lesquelles elles sont appelées à se
former, en les soumettant à la juridiction consulaire, à
la contrainte par corps , à une déclaration de faillite,
pour des travaux que la loi considère comme un préa
lable indispensable. Ce n’est, en effet, qu’après leur exé
cution , qu’après que la richesse de la mine, qu’ils ont
pour objet de faire connaître , sera appréciée , que la
concession pourra être accordée. Il serait d’ailleurs fort
irrationnel d’obliger ces sociétés à traverser la forme
commerciale, pour aboutir à une société purement civile.
Ainsi, quelle que soit la position de la société, son but
n’étant que de parvenir à une exploitation régulière d’u
ne mine, elle demeure civile , alors même que la con
cession ne lui aurait pas été accordée. Les travaux par
elle exécutés jusque- là sont caractérisés par leur objet ;
ils n’ont rien de commercial , soit d’associé à associé,
soit vis-à-vis de leurs créanciers, personne autre que le
propriétaire de la surface n’étant recevable à exciper de
l’absence de la propriété du fonds sur lequel ces travaux
ont été entrepris.
Si la concession a été accordée, son obtention rétroagit au jour des premières recherches pour découvrir la
mine. Les travaux, dans leur ensemble, constituent l’ex
ploitation , sans distinction aucune entre ceux qui l’ont
précédée et ceux qui l’ont suivie. Les uns et les autres
ont été exécutés dans la même intention , dans un but
�496
DES SOCIÉTÉ?
unique, et ce but n’a rien de commercial, par une dis
position expresse de la loi.
1 0 4 , — Le fermier d’un bien rural exploite au mê
me titre que le propriétaire auquel il se trouve substi
tué; il ne saurait en être autrement pour le locataire
d’une mine. Conséquemment, les personnes qui auraient
contracté une société, à l’effet de cette location, ne fe
raient que se livrer à une opération civile.
Mais ce qui arrive pour le concessionnaire lui-même
se réaliserait pour les locataires. Conséquemment, si la
société a pris la forme d’une société commerciale, si elle
est en commandite ou anonyme, les locataires sont cen
sés avoir volontairement renoncé au caractère civil, et
leur société demeure régie par les principes commer
ciaux.
1 0 5 . — La loi de 1810 , spéciale aux m ines, ne
reçoit aucune application aux carrières ; celles-ci cons
tituent une propriété ordinaire. Conséquemment, celui
qui les exploite dans son propre fonds et pour son
compte personnel ne fait que percevoir les produits de
sa propriété ; il ne fait donc pas acte de commerce.
Mais il n’en est plus ainsi, si l’exploitation de la car
rière est le fait d’une société organisée pour la revente
de ses produits. L’opération devient alors commerciale,
même à l’égard du propriétaire, s’il fait lui-même partie
de la société.
Ainsi, il a été jugé que le propriétaire d’une carrière
qui en loue l’exploitation et qui s’associe au locataire
�ART.
19.
197
contracte , par cela même , une société commerciale,
puisque , de la part de celui qui loue une carrière pour
en revendre les produits , l’opération est essentiellement
commerciale l.
Toutefois, ainsi que l’observe M. Troplong, il faut, à
l’égard du propriétaire, apprécier la nature de la société
qu’il contracte et son objet. Si celui-ci a été exclusive
ment de se créer des moyens pour sa propre exploita
tion , on ne devrait pas déclarer cette société commer
ciale. S i, par exemple , je m’associe des ouvriers mi
neurs pour extraire la pierre , et un voiturier pour la
transporter à un dépôt dans un bourg voisin, que faisje autre chose , dit ce savant jurisconsulte , sinon tirer
parti de mon immeuble et en vendre les produits ? Or,
pourquoi l’association qui me vient en aide transforme
rait-elle en un acte de commerce un fait.qui serait acte
de propriétaire, s’il était fait par moi seul
Il est évident que , pour que cette transformation
puisse s’opérer, il faut, d’une part, que la nouvelle en
treprise puisse constituer, de la part de ses auteurs , un
acte de commerce; de l’autre, que l’intention des par
ties soit certaine, qu’elle résulte de la nature des choses
ou de la forme donnée à la société. Ainsi, M. Troplong
l’admet lui-même , lorsque le propriétaire confond ses
intérêts dans une association ayant pour but la location
et l’exploitation de la carrière.
?3
1 Bordeaux, 29 février 1832 : — Caen, 26 janvier 1 836
5 Art.
1844, 4842,
n° 337.
�198
DES SOCIÉTÉS
Dans l’hypothèse qu'il suppose, nous ne rencontrons
aucun de ces caractères. A vrai dire, il n’existe pas mê
me une véritable société. Le contrat intervenu entre les
ouvriers , le voiturier et le propriétaire de la carrière,
est plutôt un louage d’œuves et d’industrie, avec parti
cipation dans les bénéfices ; il ne constitue qu’un acces
soire de l’exploitation.
106.
— Il est des sociétés dont le caractère se dé
termine tantôt par la qualité des personnes , tantôt par
la destination de la chose. Au nombre des premières se
placent les entreprises de travaux publics ; dans les se
condes , l’achat d’un théâtre pour l’exploiter , la cons
truction d’un chemin de fer pour y opérer le transport
pendant un temps déterminé.
807. — Contracter l’obligation de construire un
marché, une église, un théâtre, ce n’est pas faire un acte
de commerce , l’association dont cette obligation devient
la matière ne constitue donc qu’une société civile l. La
même décision a été consacrée par arrêt de Taris du28
août 1851 , en faveur d’une société formée pour l’ou
verture et l’agrandissement d’une nouvelle rue.
Dans ces diverses espèces , c’étaient des particuliers
non commerçants qui avaient contracté ces diverses so
ciétés ; ils n’exerçaient donc pas un acte de leur indus-
1 Cass., 30 avril 1832; — P aris, 11 décembre 1 8 30; — Pau, 31 jan
vier 1834; — Angers, 5 février 1842. — J. du P ., 44, 1, 789.
�ART.
19.
trie. Sans doute , dans chacune d’elles, les fondateurs
s’étaient proposé un bénéfice ; mais la réalisation de
celui-ci est également de l’essence de la société civile.
N’est-elle pas définie par l’article 1832 du Code civil,
un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes met
tent quelque chose en commun , dans la vue de parta
ger le bénéfice qui pourra en résulter ?
Dans l’espèce de l’arrêt du 31 janvier 1834, la qua
lité des parties pouvait offrir plus de difficultés : la so
ciété avait été contractée entre un tailleur de pierres et
un charpentier, à l’effet de construire une église, ce qui
rentrait dans l’exercice habituel de leur industrie.
La cour de Pau n’hésita pas cependant à la déclarer
purement civile. Elle considère, en effet, que de simples
ouvriers ne sont ni commerçants ni marchands ; que
l’achat et la revente des matériaux nécessaires à la bâ
tisse, en supposant que les matériaux pussent être ran
gés dans la classe des denrées et marchandises , ne se
raient actes de commerce qu’autant qu’ils sont l’acte
principal et non le moyen accessoire ; que ce n’était pas
non plus une entreprise de fournitures , car la société
n’avait pour objet que la délivrance d’un bâtiment après
construction ; qu’enfin , les entreprises de construction
ne rentrent dans la classe des opérations de commerce
qu’autant qu’il s’agit de bâtiments destinés à la naviga
tion intérieure ou extérieure.
108.
— M. Pardessus penche cependant vers l’opi
nion contraire. Les entreprises de travaux , d it-il, im -
�200
DES SOCIÉTÉS
posent des obligations consistant dans le service d'une
multitude d’animaux et d’instruments de transport;
dans l’achat, ou peut-être la fabrication, pour diminuer
le prix d’achat, d’une quantité considérable de matières
et de matériaux ; en un mot, dans la combinaison d’en
treprises de fournitures de tout genre l. C’est dans ce
sens que s’est prononcée la cour de Bastia, dans un ar
rêt du avril 1834.
8
Il n’est aucun des actes indiqués par M. Pardessus
qui soit nécessairement commercial , indépendamment
de la qualité de la personne qui s’y livre et du but qu’
elle se propose. Ainsi, qu’un propriétaire loue une plus
ou moins grande quantité d’animaux ou de moyens de
transport; qu’il achète ou fabrique, par le moyen d’ou
vriers qu’il paye, plus ou moins de matériaux, il ne fe
rait acie de commerce que s’il fournissait lui-m êm e à
d’autres ces moyens de transport ou ces matériaux, car,
alors seulement, il deviendrait un véritable entrepre
neur, c’est-à-dire un commerçant dans le sens de l’ar
ticle 633 du Code de commerce.
C’est ce que M. Pardessus reconnaît lui-même; car,
après les paroles que nous venons de transcrire, et qui
tendent à faire considérer le constructeur comme se li
vrant à des actes commerciaux , il ajoute immédiate
ment : « Non pas en ce sens que celui qui exécute son
marché, par l’emploi de ces moyens, se rende entrepre-
�ART.
19.
neur de fournitures envers d’autres , mais en ce sens
qu’il fait avec tous ceux qui l’aident des marchés par
lesquels ils entreprennent d’exéculer à sa décharge tout
ou partie des travaux qu’il a lui-même promis, et de lui
faire les fournitures dont il a besoin pour atteindre ce
but. »
Mais comment le louage d’œuvres ou d’industrie,
comment l’achat de matériaux, faits par un propriétaire
sans aucun but de les rendre un objet de spéculation,
pour les besoins seuls d’une construction dont il s’est
chargé , pourraient-ils constituer lin acte commercial?
Qu’importe que de la part de ceux avec qui ce proprié
taire traitera, le contrat constitue un acte de commerce?
N’est-ce pas là ce qui se réalise pour le commerçant
traitant avec un non négociant ? Or, est-il jamais venu
dans la pensée de qui que ce soit de considérer ce der
nier comme commerçant, quelque répétés, quelque nom
breux , quelque importants que soient les achats qu’il
peut faire ou les ventes qu’il consent ?
Ainsi , celui qui se charge de construire un édifice
quelconque , qui se rend adjudicataire de travaux pu
blics ne se livre pas à une entreprise commerciale de
fournitures ; donc, la société dont cette construction se
rait l’objet resterait purement civile. Perdrait-elle ce ca
ractère, parce que les associés auraient sous-traité pour
se procurer , soit la main d’œuvre , soit les matériaux
nécessaires ? Nous ne pouvons l'admettre. Dans le pre
mier cas, nous ne voyons qu’un louage d’œuvres et d’industrie'sans intention d’en faire un sujet de spéculation
�202
DES SOCIÉTÉS
et de trafic ; dans le second, nous dirions, avec la cour
de Pau , qu’en admettant qu’on dût assimiler les maté
riaux pour construire aux denrées et marchandises dont
parle l’article 63.2 , l’achat pour revendre n’est acte de
commerce qu’autant qu’il est l’objet principal de la spé
culation, et non un moyen accessoire à une autre opé
ration.
L’opinion contraire amènerait à cette singulière con
séquence : que l’opération serait civile si celui qui l’a
entreprise pouvait y pourvoir par ses propres moyens;
commerciale si n’en possédant que peu ou point, il était
obligé de les demander à d’autres. Mais, à ce titre , il
est peu de personnes q u i, construisant pour leur pro
pre compte , ne dussent être considérées comme com
merçantes. Il est fort rare, en effet, que celui qui bâtit
ait en sa possession les matériaux de tout genre , et
qu’il ne soit pas obligé de se les procurer. Or, le noncommerçant qui se charge de bâtir pour autrui ne fait
pas autre chose que s’il le faisait pour lui-même ; donc
ce qui n’est pas commercial dans ce cas ne saurait le
devenir dans l’autre.
C’est ce que nous avons vu consacrer par les cours
de Paris, de Pau, d’Angers , par la cour de cassation
elle-même. Nous avons déjà rappelé son dernier arrêt
du 30 avril 1842, par lequel il est jugé : que la société
contractée par un architecte chargé de construire un
théâtre, quoique revêtue des formes commerciales et pu
bliée conformément à l’article 42 du Code de commerce,
ne laissait pas d’être une société purement civile.
�ART. 19.
Enfin, et alors môme que certains actes pussent être
considérés comme commerciaux, on arriverait au mê
me résultat. La société civile peut, comme toute person
ne ordinaire, faire des actes pour lesquels elle sera pas
sible de la juridiction consulaire et contraignable par
corps. Mais cette circonstance accidentelle ne lui fera
pas perdre son caractère. On doit continuer de l’appré
cier par le but qu’elle se propose principalement, et ce
but n’étant dans notre espèce que la livraison d’un édi
fice après construction, et ne constituant dès lors qu’une
opération ordinaire, la société ne saurait être commer
ciale.
109. — Mais il en serait autrement si la confection
des travaux a été prise ou confiée par ou à des entre
preneurs de profession. Ceux-ci sont de véritables com
merçants. Ils ne contractent des marchés que pour exer
cer l’industrie pour laquelle ils sont patentés ; ils n’a
gissent que dans une pensée de spéculation et de trafic.
Quelle que soit donc la forme de ces marchés , ils sont
par rapport à eux de véritables actés de commerce , et
conséquemment la société dont ils deviendraient l’objet
serait également commerciale. C’est dans ce sens, dit M.
Troplong, que la cour de Paris l’a décidé, par arrêt du
H février 1837.
110. — Voilà donc des sociétés qui, non commer
ciales par le fa it, le deviennent par la qualité de leur
fondateur. En voici d’autres auxquelles la destination
�204
DES SOCIÉTÉS
de l’objet qu’elles se proposent imprime le même carac
tère.
L’achat d’un théâtre ne constitue qu’une opération
civile ordinaire ; mais la loi réputé acte de commerce
toute entreprise de théâtre public. Dès lors l’achat d’un
théâtre pour l’exploiter devient un fait commercial. Cette
exploitation étant le but principal, l’achat n’est plus que
le moyen d’y parvenir ; comme accessoire, il suit le sort
du principal. La société formée dans ce double objet est
donc une société commerciale.
1
11 en
serait de même de la création d’un établisse
ment industriel. Ainsi, la cour de Paris a jugé, le 9 avril 4347, que la société formée pour la construction
d’une villa sanitaire , destinée à recevoir des malades
qui doivent y être traités par le magnétisme, a un ca
ractère commercial soumettant ses fondateurs à la juri
diction consulaire 2.
L’établissement d’un chemin de fer , à la charge de
l’exploiter pendant un temps plus ou moins long, cons
titue une entreprise de transport, classée par la loi dans
la catégorie des actes de commerce. La société contrac
tée dans ce but est donc essentiellement commerciale.
Par application de cette règle, il a été jugé :
1° Que les compagnies qui ont pris de pareilles en
treprises sont des sociétés commerciales , pouvant être
1 Cass., 30 avril 1822.
2 J. du P ,, 47, 1, 490,
�ART.
19.
205
assignées devant le tribunal du siège de la société, et en
la personne de l’associé chargé de répondre aux actions
qui sont intentées à la compagnie ;
1
2° Qu’une société formée en vue de la concession
d’un chemin de fer, donl elle n’esi pas restée adjudica
taire, n’en est pas moins une société commerciale, dont
les contestations doivent être soumises aux arbitres
juges2.
111. — Les mêmes motifs s’appliqueraient à la
construction d’un canal , sous condition de la conces
sion de la jouissance. De quelque manière qu’elle doive
s’effectuer, l’entreprise de transport est un acte de com
merce. La seule différence existant entre un chemin de
fer et un canal, c’est que dans l’un le transport s’opère
par terre , et dans l’autre par eau. La société formée
dans ce dernier but devrait donc être considérée de la
même manière que dans le premier.
«
112. — On a voulu assimiler à une entreprise de
transport la société dans le but d’exploiter la concession
du péage d’un pont. Une pareille société, a-t-o n dit,
est commerciale , car elle a un objet commercial. Le
pont, en effet, destiné au passage de la rivière , sert au
transport des personnes et des marchandises. Le tarif
imposé à la perception du droit ne saurait être un obs-
1 Rouen, 19 juin 1836 ; J du P ., 36, 2, 337.
3 Paris, 19 mai 18 4 8 ; J. du P ., 48, 2, 224.
�206
DES SOCIÉTÉS
tacle, car la même circonstance se réalise pour les che
mins de fer, pour les canaux, ce qui n’empêche pas les
compagnies qui les exploitent d’être considérées comme
des sociétés commerciales.
Mais, répondait le tribunal de commerce de Lyon, la
société pour percevoir le péage d’un pont n’a pour ob
jet aucune opération commerciale. Elle ne se propose
aucune entreprise de transport ; elle se borne à la jou
issance , à la perception , à la répartition du péage qui
lui a été concédé. Elle ne peut, dès lors, être classée, à
raison de son objet, que parmi les sociétés civiles.
Cette décision, déférée à la cour de Lyon, fut par elle
confirmée par arrêt du 15 décembre 1848. Attaqué par
un pourvoi, cet arrêt reçut à son tour la sanction de la
cour régulatrice b
113.
— L’article 632 du Code de commerce réputé
actes de commerce les assurances maritimes. Ce qui ca
ractérise ce contrat , c’est que , moyennant une prime
convenue, les assureurs se chargent de tous les risques
de la navigation , de toutes les fortunes de mer. Le gain
de cette prime, en cas que le voyage se réalise sans en
combre, constitue le bénéfice sur lequel spécule l’assu
reur, et qui se trouve, dès lors, acquis à la société con
tractante.
Le législateur considère donc comme commercial le
contrat qui a pour objet ce bénéfice éventuel, en com-
i Cass., 23 août 1820.
�ART
19
pensalion duquel la partie court la chance de perle que
le sort incertain d elà navigation peut déterminer. Tel
est essentiellement le caractère de l’assurance terrrestre.
Mais l’article 632 se taisant sur celle-ci , faut-il consi
dérer ce silence, comme devant la laisser dans la caté
gorie des opérations civiles ?
114.
— L’affirmative ne saurait être raisonnable
ment soutenue. En effet, nous venons de le dire , c’est
par la nature même de l’acte que doit être apprécié son
caractère , et conséquemment celui de la société qui se
l'est proposé. Si cet acte est commercial, rien ne saurait
l’empêcher d’être considéré comme tel , et de produire
les effets inhérents à ce caractère.
Or , que se proposent les compagnies d’assurances
terrestres ordinaires ? Uniquement la chance aléatoire
de prendre pour leur compte le sinistre réalisé par suite
d’événements imprévus et de force majeure ; le prix de
cette responsabilité, c’est une prime déterminée qu’elles
reçoivent dans tous les cas , et qui peut devenir un bé
néfice n e t, si la chose assurée reste à l’abri de tout dom
mage. En d’autres termes, l’assurance terrestre a le mê
me but, le même objet que l’assurance maritime ; elle
emploie les mêmes moyens, court les mêmes chances :
seulement, celle-ci garantit contre les périls de la mer,
celle - là garantit l’incendie , la grêle , la vie humaine
même.
Comment donc se ferait-il qu’un acte identique puisse
être commercial dans un cas, civil dans l’autre ? Est-ce
�208
DES SOCIÉTÉS
donc que la loi fait dépendre la commercialité de l’acte
de la nature des périls ? Nul ne saurait le soutenir. Ce
qui constitue cette commercialité pour les assurances
maritimes, c’est la chance de gain ou de perte , faisant
de l’opération une véritable spéculation ayant , comme
tout commerce , ses éventualités heureuses et malheu
reuses. Qu’importe donc si le fait est en lui-même com
mercial, que le risque soit couru sur terre ou sur mer?
Le fait change-t-il de nature ?
Ce qui explique le silence de l’article 632, c’est qu’en
1807 les assurances terrestres étaient, en quelque sorte,
une exception imperceptible. Ce n ’est que depuis qu’el
les ont pris ce développement qu’elles ont de nos jours.
Qu’importe, d’ailleurs, ce silence en regard du principe
généralement admis en doctrine et en jurisprudence,
que les articles 632 et 633 ne sont qu’énonciatif; qu’il
suffit qu’un fait rentre dans une des catégories qui y
sont démonstrativement énoncées , pour qu’on doive
le réputer acte de commerce ? O r, nous venons de le
d ire , entre les assurances terrestres et les assurances
maritimes, il y a mieux qu’une assimilation , il y
a identité d’objet. Conséquemment , ce qui est com
mercial dans un cas ne saurait pas ne pas l’être dans
l’autre.
1 15- — Aussi a-t-il été jugé que les compagnies
d’assurances à prime contre l’incendie constituaient des
sociétés commerciales, justiciables des tribunaux de
commerce , et soumises , en cas de cessation de paie-
�ART.
19.
209
ment, aux règles prescrites pour les faillite K Par iden
tité de motifs, on devrait le décider également pour les
compagnies d ’assurances à prime contre la grêle , ou
sur la vie humaine, etc.
La cour de Bordeaux a sanctionné la même solution
à l’endroit des compagnies assurant les jeunes gens
contre les chances de tirage au sort pour le recrute
ment. De pareilles sociétés, dit l’arrêt, rentrent dans la
catégorie des assurances à prime : dans l’espèce, d’ail
leurs, les sociétaires ont stipulé qu’ils feraient une sorte
de courtage pour autrui, et par des intermédiaires; dès
lors, leur société doit être envisagée sous le rapport
d’une entreprise d’agence et bureau d’affaires et cour
tage, ce qui place ses négociations au nombre des actes
de commerce énoncés en l’article 632 du Code de com
merce 2.
116.
— Les arrêtistent citent, comme ayant décidé
le contraire , trois arrêts rendus en 1830 : le premier,
par la cour de Paris, le 1er avril ; le second, par la cour
de Montpellier , le 27 mai , et le troisième par la cour
d’Aix, le 5 novembre.
Mais l’arrêt de Paris ne décide qu’une seule chose, à
savoir : « qu’un tribunal de commerce est incompé
tent pour connaître des contestations que fait naître un
1 Paris, 23 jum 1825; — Cass.. 8 avril 1828.
3 27 août 1822. — Conf. Grenoble, 19 juillet 1 8 30; — Colmar , 18
février 1839 ; — J. dü'P., 30, 1, 526.
i
U
�210
DES SOCIÉTÉS
billet à ordre ayant pour objet le prix d’un remplace
ment militaire, surtout lorsque la juridiction civile
a déjà été saisie. »
Le Journal du palais ne faisant pas connaître l’es
pèce sur laquelle l’arrêt intervient, ni la qualité des par
ties contondantes, nous ignorons si le litige s’agitait en
tre le signataire du billet à ordre et la compagnie d’as
surances , ou bien entre le signataire , la compagnie et
un tiers porteur auquel celle-ci aurait négocié le billet.
Dans le premier cas, l’arrêt serait irréprochable, car
en admettant la nature commerciale de la compagnie,
la compétence consulaire ne pouvait être appréciée que
relativement au signataire. Or , évidemment, celui qui
traite de son propre remplacement ne fait pas un acte
de commerce ; le billet à ordre qu’il souscrit ne l’enlève
pas à ses juges naturels , c’est-à-dire à la juridiction
ordinaire.
Dans le second , le billet endossé par la compagnie,
portant dès lors la signature d’un commerçant, rendait
le tribunal compétent, même vis-à-vis du non-commer
çant. Mais en admettant que cette hypothèse fût celle de
l’a rrê t, il faut reconnaître que cet arrêt ne préjuge pas
noire question, puisque le renvoi devant le tribunal ci
vil est surtout motivé sur la litispendance reconnue exis
ter, et que dès lors la cour ne faisait qu’user d’une fa
culté que lui laissait la loi.
A son tour , l’arrêt d’Aix n’a pas résolu la question.
Dans celui-ci, c’était la compagnie qui agissait directetement contre le remplacé qu’elle poursuivait commer-
�ART.
19.
211
cialement , parce que son engagement résultait d’une
lettre de change.
Ce que décide la cour, c’est qu’il n’y a que simple
promesse dans une lettre de change souscrite, à l’occa
sion d’un remplacement militaire , par le remplacé, à
l’ordre de celui qui a procuré le remplacement, lors
qu’il est constant que cette lettre de change n’a pas eu
d’autre cause que le prix du remplacement.
Dans cet arrêt, comme dans celui de Paris, il ne s’a
gissait donc pas de déterminer la nature des engage
ments pris par une compagnie de remplacements. Dans
l’une comme dans l’autre espèce, c’était elle qui deman
dait au contraire l’exécution d’obligations souscrites par
les remplacés en sa faveur. Or, que ceux-ci en s’enga
geant ne fassent pas acte de commerce, c’est ce qui est
évident et certain.
C’est uniquement ce que décide la cour de Paris lors
que l’obligation n ’est qu’un simple billet à ordre. C’est
ce que décide, avec non moins de raison, la cour d’Aix,
lorsque les parties ont adopté la forme de la lettre de
change. Comment, en effet, trouver dans une pareille
opération ce contrat de change , c’est-à-dire l’argent
compté dans un lieu pour être rendu dans un autre,
sans lequel il ne saurait exister de lettre de change ? Ces
deux arrêts ne peuvent donc exercer une influence quel
conque sur la question de savoir si la société de rem
placement est commerciale ou civile.
117. — Reste l’arrêt de Montpellier. Celui-là tran-
�25125
DES SOCIÉTÉS
che nettement la question, dans un sens diamétralement
contraire à celui admis par les cours de Bordeaux , de
Grenoble et de Colmar. Les tribunaux de commerce, dit
l’arrêt, sont incompétents pour connaître des contesta
tions auxquelles donnent lieu des engagements pris par
des associations non autorisées pour le remplacement.
La cour de Montpellier apprécie mal, à notre avis, les
conséquences du défaut d’autorisation. Tout ce qui peut
en résulter, c’est que la compagnie ne pourra, vis-à-vis
de l’autorité, se substituer à celui qu’il s’agit de rempla
cer ; et c’est en effet ce qui se réalise chaque jour. Ainsi,
c’est le remplacé qui seul agit dans les actes divers contituant le remplacement, c’est lui qui présente le rem
plaçant , qui le fait agréer , qui signe le procès-verbal.
L’autorité militaire ne connaît que lui, ne s’adresse qu’à
lui , et n’adm et, dans aucun cas , l’intervention de la
compagnie non autorisée.
Mais à côté des exigences de l’autorité publique aux
quelles elle ne pourra jamais satisfaire , la société se
trouve placée vis-à-vis des tiers avec lesquels elle a trai
té. Or, ses engagements par rapport à eux constituent,
comme le dit la cour de Bordeaux, une véritable entre
prise d’agence d’affaires , de courtage , ne se trouvant
soumise à aucune autorisation. Conséquemment , d’elle
à eux , la nature de l’opération restera ce que la font
l’objet qu’elle se propose, l’intention des parties ; c’està-dire un contrat d’entremise moyennant un bénéfice
éventuel, une véritable assurance à prime, et dès lors un
acte essentiellement commercial.
�ART.
19.
La cour de Montpellier ajoute que la bonne compo
sition de l’armée, intéressant l’ordre public, ne peut pas
être conférée à des agents particuliers. Mais la cour ou
blie que le remplaçant ne peut être agréé que par le con
seil de révision ; que devant ce conseil c’est le remplacé
qui doit présenter et qui présente celui qu’il veut faire
admettre à son lieu et place ; que l’obligation que prend
la compagnie n’est pas de faire accepter tel ou tel rem
plaçant, mais d’en fournir un qui puisse légalement et
régulièrement l’être. Comment donc une pareille obli
gation pourrait-elle exercer une influence quelconque
sur la composition de l’armée ? En quoi tend-elle à désinvestir l’autorité" militaire du droit et des devoirs qui
lui sont exclusivement dévolus ? L’objection de l’arrêt
n’a donc aucune portée réelle.
Concluons donc que sa doctrine est inadmissible;
que l’avis contraire doit prévaloir ; enfin que, soit com
me entreprise d’agence et de courtage, soit comme as
surances à prime, les sociétés pour affranchir les jeunes
gens des chances du tirage au sort sont de véritables
sociétés commerciales.
118.
— Mais on ne saurait attribuer ce caractère à
la convention par laquelle plusieurs pères de famille,
déposant une somme déterminée , conviennent que la
totalité appartiendra à celui ou à ceux de leurs enfants
que le sort appellera à faire partie du contingent. C’est
bien là, en quelque sorte , une assurance ; mais ce qui
la distingue des compagnies dont nous venons de par-
�214
DES SOCIÉTÉS
1er, c’est que, loin de percevoir une prime, chaque as
sureur est également assuré ; que le capital qu’ils créent
est plutôt une donation réciproque conditionnelle qu’une
mise de fonds destinée à produire des bénéfices ; c’est
que chacun rentre dans l’intégralité de ses fonds si le
sort a également favorisé tous les participants; c’est que
celui ou ceux qui ont eu la mauvaise chance sont seuls
chargés des démarches nécessaires pour se procurer des
remplaçants ; c'est enfin que, seuls, ils sont chargés de
compléter la somme exigée par celui-ci, s i , par la ré
partition de la masse commune, il n’est échu à chacun
d’eux qu’une somme insuffisante. Comment, dès lors,
trouver une société commerciale dans ce qui n ’est pas
même une société.
Tout ce qu’une convention de ce genre pourrait con
stituer, c’est une sorte d’assurance mutuelle; or, cellesci, nous l’avons déjà dit, diffèrent essentiellement de la
société. En effet, le but unique de l’association est, pour
chaque membre , la possibilité de perdre moins par la
contribution proportionnelle qu’il prendra dans la bourse
des autres : mais aucun d’eux ne réalisera jamais de
bénéfice; or, la poursuite de ce bénéfice,et son partage,
sont précisément l’objet essentiel de toute société.
119.
— Ce qui, au reste , caractérise la mutualité,
c’est que les membres de l’association ne sont jamais obligés de payer autre chose que leur part proportion
nelle dans le sinistre réalisé. Leur cotisation est donc
essentiellement variable. S’il en était autrement ; si, par
�ART.
19.
un abonnement quelconque , ils étaient soumis à payer
annuellement une somme déterminée et fixe, le contrat
perdrait son caractère essentiel, et les administrateurs
deviendraient de véritables assureurs à prime. En effet,
ils se chargeraient, au moyen de la somme déterminée,
de tous les risques que la société pourrait offrir. Si l’en
semble des sinistres éprouvés dans l’année n’atteignait
pas celui sur lequel étaient basées les prévisions, l’excé
dant sur la cotisation resterait leur propriété exclusive;
dans le cas contraire, la différence resterait à leur charge
unique. On retrouve donc , dans l’hypothèse , ces élé
ments aléatoires de profit et de perte caractérisant les
assurances à prime , et les rendant, par leur nature,
non-seulement de véritables sociétés , mais encore des
sociétés commerciales.
Aussi devrait-on la ranger sur la même ligne et lui
faire produire les mêmes effets , malgré la qualification
de mutuelle qu’elle aurait reçue. C’est ce qui a été fort
judicieusement établi par la cour de cassation , consa
crant , par arrêt du 30 décembre 1848, que , bien que
qualifiée mutuelle, une compagnie d’assurances est ré
ellement une société à prime (attendu, par exemple, que
la seule obligation qui pèse sur les assurés consiste dans
le paiement d’une prime fixe et invariable), constituant
une société commerciale , soumise à la juridiction des
tribunaux de commerce et aux règles de compétence de
l’article 420 du Code de procédure civile l.
1 J. du P., 47, 1, 374.
�216
DES SOCIÉTÉS
1 2 0 . — Sur plusieurs points de la France se trou
vent organisées des associations ayant pour objet de
protéger les propriétés contre les inondations, de les as
sainir, de les dessécher ou de les arroser. Ces associa
tions ne sont p a s , à proprement parler , de véritables
sociétés. Dût-on -les considérer autrement, qu’elles res
teraient des sociétés purement civiles ; leur but exclusif
étant l’intérêt de l’agriculture et ses développements, el
les demeurent étrangères à toute idée de spéculation
commerciale1.
121. — En résumé, c’est par l’objet qu’elles se pro
posent que le caractère des sociétés doit être apprécié
et déterminé. C’est surtout dans cette matière que les sti
pulations des parties ne sauraient influer sur la nature
de l’acte et le dépouiller des attributs inhérents à son
essence. Il importe donc peu qu’elles aient qualifié de
commercial ce qui est civil, ou civil ce qui est commer
cial. Elles doivent sans cesse être ramenées à la vérité
des choses qu’il ne leur est pas donné de défigurer ni
en la forme ni au fond.
Nous en trouvons un dernier et remarquable exemple
dans un arrêt rendu par la cour de cassation , le 21
mars 1808. Dans l’espèce, des banquiers avaient formé
une société dont le but était de prêter de l’argent aux
propriétaires ou agriculteurs. Les fonds n’étaient livrés
qu’en échange et comme prix de ventes d’immeubles à
i Troplong, sur les articles 1841 et 1842, n° 343
�ART.
19.
réméré que la société se faisait consentir. C’est ce qui
avait fait donner à l’association le nom de Banque ter
ritoriale.
La justice, malgré toutes ces précautions, ne prit pas
le change. Des difficultés étant survenues, la société fut
appelée devant la juridiction consulaire ; et non-seule
ment le tribunal de commerce de la Seine se déclara
compétent, mais il n’hésita pas à condamner les asso
ciés avec contrainte par corps, considérant que la vente
d’immeubles, garantie de la créance, n’était qu’un ac
cessoire, et que le but principal delà société, consistant
en des opérations de banque, était essentiellement com
mercial aux yeux de la loi. Telle fut également l’ap
préciation de la cour de Paris sur l’appel qui lui fut
déféré.
Saisie à son tour , la cour régulatrice adopte et con
firme la même doctrine. « Considérant, dit son arrêt,
que la loi du 15 germinal an VI autorise la contrainte
par corps contre les banquiers pour faits de leur com
merce ; que l’établissement dont il s’agit a été formé
sous le titre de banque ; que, si on considère ses statuts
et règlements, on y voit que toutes ses opérations ont
une analogie parfaite avec celles des banquiers ordinai
res; que la différence qu’on veut induire de ce qu’elle
était qualifiée de territoriale, et de ce que ses effets
étaient hypothécaires , n’en peut produire aucune en
droit, ni rien changer à sa nature de banque, parce, que
la garantie de la valeur comme de la consistance des
effets qu’elle mettait dans la circulation ne résidait,
�218
DES SOCIÉTÉS
comme pour les autres effets de commerce , que dans
les signatures et acceptations de ses agents. »
122.
— Quel serait le sort de la société civile faus
sement qualifiée de commerciale et en ayant pris les
formes ? Les associés sont-ils recevables , sous prétexte
d’erreur de droit, à en poursuivre et à en faire pronon
cer la nullité ?
L'affirmative ne pourrait être admise qu’à une con
dition, à savoir : que la demande en nullité précédât la
mise en mouvement de la société et fût conséquemment
formée pendant que les choses seraient encore en état de
projet, quoique définitif. Si la société avait commencé
scs opérations, si chaque associé avait partiellement exé
cuté ses obligations, la demande en nullité ne serait pas
non-seulement irrecevable ; elle devrait encore être re
poussée comme mal fondée.
Non recevable ! car l’effet de la nullité ne serait admis
que pour l’avenir. Elle ne pourrait ni rélroargir sur le
passé, ni empêcher l’exécution des obligations contrac
tées jusque-là. Pourquoi , en effet , laisserait-on à la
charge exclusive des uns ce qui n’a été réalisé qu’au
nom et avec le concours de tous ? Sans doute , les de
mandeurs en nullité pourraient, tout en acceptant leur
part de responsabilité dans le passé , prétendre arrêter
immédiatement les opérations de la société et en de
mander la liquidation. Mais celle - ci pourrait avoir de
graves inconvénients et offrir des résultats désastreux
qu’il est d’une bonne justice de prévenir et d’empêcher.
�ART.
19.
219
Ce devoir trouve sa justification dans le second caractère
de la demande.
Nous avons dit, de plus, qu’elle ne serait pas fondée.
Remarquons, en effet, qu’elle ne peut invoquer qu’une
erreur de droit. Sans doute , la doctrine et la jurispru
dence tendent à placer sur la même ligne l’erreur de
droit et l’erreur de fait. Mais si ce résultat doit être iden
tique, les conditions doivent l’être également. Or, ce qui
n’est pas contesté, c’est que l’erreur ne motive la nullité
de la convention que si elle a porté sur ^sa substance
même. Dans notre espèce , l’erreur de droit n’a atteint
que la forme dont la convention a été revêtue, c’est-àdire un des accessoires du contrat. Elle n’est donc pas
dans le cas de le faire annuler.
C’est dans ce sens que s’est formellement prononcée
la cour de Rouen , par arrêt du 19 février 1840 , con
firmé par la cour de cassation le 9 juin 1841. Il s’agis
sait d’une société pour l’achat et la revente d’immeubles,
à laquelle on avait donné la forme de la commandite.
Quelques-uns des associés en demandaient la nullité.
Mais la cour de Rouen repousse cette demande :
.
« Attendu qu’en supposant qu’il ne fût pas licite de
donner à une société , constituée pour l’achat et la re
vente des terrains, la forme et les effets d’une associa
tion commerciale en commandite, cette erreur dans l’es
pèce aurait été partagée par tous les actionnaires ; que
les uns ne pourraient s’en prévaloir au préjudice des au
tres, et faire subir à ceux-ci les conséquences d’obliga-
�220
DES SOCIÉTÉS
tions prises au nom de tous ; que les choses ne sont
plus entières; que des acquisitions considérables ont été
faites pour le compte de la société ; que des engage
ments ont été contractés vis-à-vis des tiers; que les a p
pelants eux-mêmes , comme les autres sociétaires , ont
versé à la caisse sociale le quart de leur mise , et ont
ainsi exécuté, au moins en partie, l’acte social ; qu’après l’accomplissement de faits irrévocablement con
sommés, les sociétaires se trouveraient dans la nécessité
d’achever, dans l’intérêt commun, les opérations com
mencées ; que l’annulation ou la résiliation de l’acte so
cial, si elle pouvait être prononcée, n’aurait pas la puis
sance de rétroagir sur le passé, et d’effacer ce qui a été
fait dans l’intérêt commun et pour le compte de tous ;
que dans la même hypothèse une liquidation précipitée
serait désastreuse pour la masse ; que ni les règles de
droit, ni les principes de l’équité ne pourraient s’oppo
ser à ce que la liquidation se fit dans des circonstances
favorables ;
?
» Attendu, au surplus, que l’erreur de droit signalée
par les appelants ne p o u rrait, en admettant même son
existence , être une cause d’annulation de l’acte dont il
s’agit ; qu’en effet, l’erreur de droit ne produit un pa
reil résultat que lorsqu’elle porte sur la substance mê
me de la convention, et qu’elle a été le fondement uni
que du consentement ; que dans l’espèce, l’erreur n’af
fecterait que la forme de l’acte, ou, tout au plus, certai
nes stipulations purement accessoires, et laisserait sub-
�ART.
19.
sister dans foute sa force la volonté des parties sur l’ob
jet même du contratl. »
123.
— Dans la noie dont il accompagne cet arrêt,
M. Dalloz s’écrie : « Il est essentiel de remarquer qu’on
n’a pas décidé en même temps que les associés se trou
vaient désormais obligés d’après les règles relatives aux
sociétés civiles. Et, en effet, nous ne pensons pas qu’on
pût ainsi étendre leurs obligations , même à l’égard des
tiers qui n’ont pu compter sur celte extension ; si on ad
mettait une autre doctrine , il serait vrai de dire alors
que le contrat en ce point est substantiellement vicié pour
défaut de consentement.
La cour de Rouen ne s’est pas expliquée sur la posi
tion des associés à l’égard des tiers, parce qu’elle n’a
vait pas à le faire. Le litige qui lui était soumis s’agi
tant uniquement entre associés, elle n’avait à examiner
et à juger que la difficulté qu’il offrait.
Est-il vrai cependant que ceux q u i, dans une société
civile , ont pris la qualité de commanditaires, et ne se
sont conséquemment obligés que jusqu’à concurrence de
leur mise, ne puissent être tenus au delà , lorsque leur
société est reconnue n’être qu’une société civile ?
Nous sommes sur ce point d’une opinion diamétra
lement opposée à celle de M. Dalloz. La question ne
nous paraît pas même douteuse. Autant voudrait, en
effet, se demander si une société civile doit, au lieu des
1 D. P., 40, 2, <37; 41, 1, 260.
mm
�2122
DES SOCIÉTÉS
effets qui lui sont propres, produire ceux de la société
commerciale ?
Or, poser cette question, c’est la résoudre. Déjà nous
avons vu que les associés ne peuvent, par leurs stipula
tions , opérer cette interversion dans la nature des cho
ses ,. car ce serait leur permettre de déroger à une loi
d’ordre et d’intérêt général.
En ce qui concerne les tiers , celte solution est con
forme à la plus exacte justice. Leur intérêt doit d’autant
plus l’emporter sur celui des associés que leur absence
forcée à l'acte social les met dans l’impossibilité de se
protéger eux-mêmes. Jugeant, par l’objet même de la
société , qu’ils traitaient avec une société civile , ils ont
su que chaque membre était tenu pour sa part et por
tion virile, On peut d’autant moins leur opposer les sti
pulations contraires de l’acte social, qu’ils n’avaient pas
même à y recourir, qu’ils n’avaient aucun moyen de le
faire, puisque la loi n ’en prescrivant pas la publication,
ils ne pouvaient deviner ni soupçonner l’existence de
cette formalité, alors même qu’elle a été accomplie.
Pourraient-ils, eux, en vertu de l’acte social, contrain
dre par corps les retardataires, faire déclarer la société
en faillite, imposer au gérant une responsabilité indéfi
nie ? Mais on leur opposerait avec succès que ces effets
de la société commerciale répugnent tellement à la so
ciété civile , que les parties contractantes n’étaient pas
libres de les stipuler valablement. Comment les tiers qui
ne pourraient invoquer le caractère commercial contre
les associés , sur le fondement même de leurs stipula-
�ART.
19.
223
lions, seraient-ils forcés de le subir, lorsqu’il serait in
voqué par les associés eux -mêmes ?
Comment, d’ailleurs, comprendre , dans le système
de M. Dalloz, la nécessité, l’éventualité d’un litige?
Quel intérêt auraient les associés à exiper d’une erreur
quelconque , si , dans aucun cas , on ne peut leur de
mander autre chose que ce qui a fait la matière de leur
engagement? N’est-ce pas, au contraire, parce que la
reconnaissance du caractère civil de leur société change
et aggrave leur obligation , qu’ils seront amenés à vou
loir se dégager du lien qu’ils se sont imposé?
L’erreur dont ils exciperont serait-elle substantielle,
dût-elle entraîner la nullité de l’acte, que leur position
ne serait nullement changée à l’endroit des droits acquis
jusqu’au moment de la demande. On ne contestera pas,
en effet, que la résiliation de l’acte.ne saurait effacer le
passé. Conséquemment, les dettes existantes devraient
être payées par chaque associé pour sa part et portion.
L’effet de la résiliation ne concernerait que l’avenir.
Mais cette erreur est-elle, en effet, substantielle, com
me, dans l’hypothèse, l’admettrait M. Dalloz? Nous ne
saurions le croire. Pour que l’erreur viciât le consente
ment, il faudrait que celui qui s’en prévaut pût soutenir
qu’il n’a jamais eu la pensée de contracter une société ;
qu’il n’a été amené à le faire que parce qu’il s’est trom
pé en droit ou en fait sur la nature de l'acte. C’est évi
demment ce qu’on ne pourrait soutenir dans l’espèce.
L’acte qu’on a volontairement, qu’on a sciemment sous-
�DES SOCIÉTÉS
crit, était bien une société. L’erreur n’a donc pas po.lé
sur la substance du contrat.
Ce qui est vrai,c’est qu’on s’est trompé sur l’étendue
et les conséquences de l’obligation, c’est-à-dire sur des
circonstances évidemment accessoires. La cour de Rouen
a donc eu raison de le dire : une erreur de ce genre ne
saurait réfléchir sur le consentement. Rien n’est moins
certain, en effet, que la prétention qu’on élèverait, à sa
voir, que l’appréciation exacte du caractère de l’acte en
aurait empêché la consommation. On ne s’associe guère
que dans l’espérance de réaliser un bénéfice , et parce
que cette espérance, que l’avenir dissipera peut-être, pa
rait, à celte époque, une réalité. Dans une préoccupa
tion de ce genre , il est peu probable qu’on fasse de la
prévision d’une perte la question d’existence du consen
tement.
Quoi qu’il en soit, celui qui souscrit une société civile
doit en connaître les conséquences ; il est à même de
les apprécier. Croire qu’on pourra s’y soustraire, qu’on
pourra échapper à l’application de l’article 1863 du Code
civil, en adoptant la forme commerciale, ce n’est pas se
tromper sur le d ro it, c’est le méconnaître ouvertement.
Dans tous les c a s , l’erreur ne portant que sur une des
qualités accessoires du contrat, elle ne saurait devenir
une cause de résiliation ou d’annulation.
124.
— L’article 19 distingue-trois espèces de socié
tés commerciales : la société en nom collectif,
la société
«
en commandite, la société anonyme. L’article 47 ajoute
�ART. 19.
225
à cette nomenclature l’association commerciale en par
ticipation.
L’ordonnance de 1673 ne renfermait aucune classi
fication de ce genre ; mais, de fait, cette division résul
tait de l’usage, de la doctrine et de la jurisprudence.
Ainsi, on reconnaissait: 1° la société générale ou
ordinaire, c’est-à-dire celle qui se contractait entre deux
ou plusieurs personnes, et dans laquelle les associés ap
portaient également leur argent et leurs soins. Tous les
actes de cette société se passent sous les noms des asso
ciés, soit que ces noms soient exprimés chacun en parti
culier, soit qu’on les exprime collectivement, verbi gra
tta sous le nom d’un tel et compagnie ;
2° La société en commandite ; elle se fait entre plu
sieurs associés, dont l’un ne fournit que son argent, et
les autres donnent leur argent et leur travail, ou leur
travail seulement ;
3° La société anonyme , c’est-à-dire celle qui ne se
fait sous aucun nom l.
i
125.
— Sauf les différences qu’il a introduites dans
leur constitution, et que nous indiquerons en examinant
chacune de ces sociétés, le Code s’était donc conformé,
dans la division qu’il adopte, à ce qui était généralement
pratiqué sous l’empire de la législation précédente.
Cependant cette division devint le sujet de diverses at-
1 Jousse, Savary, sur le titre 4 de l’oidonnance de 4673.
i
45
�m
DES SOCIÉTÉS
taques dans le sein du conseil d’Etat. Merlin, entre au
tres , soutenait qu’il n’existait que deux espèces de so
ciétés : la société collective, qui unit plusieurs associés
sous un nom social ; la société anonyme , qui ne porte
qu’un nom unique, et dans laquelle rentre la société en
commandite.
C’était là une erreur évidente et palpable. La com
mandite , sous l’empire de l’ordonnance surtout, était
essentiellement distincte de la société anonyme. Celle-ci
n’était pas alors ce qu’elle est devenue sous le Code ;
elle ne comprenait, à vrai dire, que des opérations con
stituant une participation plutôt qu’une véritable so
ciété ‘.
Telle que le Code la constituait, la société anonyme
a avec la commandite des différences telles, qu’il est im
possible de les confondre. L’opinion de Merlin n’était
donc exacte ni dans le passé ni pour l’avenir. Aussi futelle repoussée sur les observations de M. Regnaud de
Saint-Jean-d’Angély , faisant ressortir les effets distincts
de ces deux institutions.
Alors surgit une proposition nouvelle : on voulait
qualifier chaque société d’un nom qui en rappelât les
effets. On proposait donc les qualifications suivantes :
la société solidaire, la société mixte, la société sans nom.
M. Cretet répondait : Il n’y a aucun avantage à re
pousser les dénominations usitées et parfaitement en
tendues.
1 Voy. in fra article 29.
�AB T.
19.
227
Si l’on veut changer les choses, il y a plus d’incon
vénients encore. La société en commandite n ’existe qu’en
France ; elle n’est pas usitée en Angleterre , et on l’y
désire généralement. C’est une combinaison utile et in
génieuse pour associer à nne entreprise les capitaux de
ceux qui ne veulent pas en partager indéfiniment les
chances.
— La rédaction définitive de l’article
que que cette nouvelle proposition n’eut pas de
Examinons donc les diverses sociétés qui y sont
quées, et les développements que chacune d’elles a
126.
A
rt.
19 indi
suite.
indi
reçus.
20.
La société cil nom collectif est celle que con
tractent deux personnes , ou un plus grand
nombre , et qui a pour objet de faire le com
merce sous une raison sociale.
A rt. 21.
Les noms des associés peuvent seuls faire
partie «le la raison sociale.
A rt. 22.
Les associés en nom collectif , indiqués d a n s
l’acte de société, sont solidaires pour tous les
engagements de la société, encore qu’un s e u l
des associés ait signé, pourvu que ce soit de
la raison sociale.
�m
DES SOCIÉTÉS
SOMMAIRE
127.
128.
129.
130.
131.
132.
133.
134.
135.
136.
137.
438.
139.
140.
141.
142.
Définition de la société en nom collectif; nécessité d’une
raison sociale.
Un nom unique , suivi de ces mots : et compagnie , peut
être la raison sociale d'une société collective.
Effet de l ’omission dans l ’acte de la détermination d’un
nom social.
Difficulté que cette omission peut faire naître , dans le cas
d’une société de fait, sur le caractère de la société.
Idée qu'entraîne l’existence d’une société en participation.
L’appréciation de la nature de la société est laissée à l’ar
bitrage des juges.
Comment s'établirait le nom social en l ’absence de toute
stipulation.
Influence de ce nom sur l ’avenir et le crédit de la société.
Conséquences.
Disposition de l’article 21 ; son o b jet, ses effets quant aux
associés.
Ses effets à l ’égard de celui dont on aurait emprunté le
nom.
Arrêt rendu par la cour d’Aix , déchargeant de toute res
ponsabilité l ’associé dont le nom avait continué , après
sa retraite, de figurer dans la raison sociale.
Critique en droit.
Critique en fait.
Caractère du nom social. — Conséquences en cas de disso
lution de la société. — Différence entre ce nom et celui
donné à rétablissement.
Le droit d’administrer est de l ’essence de la société en nom
collectif, mais les parties peuvent y déroger.
Peut-on confier l’administration de la société en nom col
lectif à un tiers non associé ? — Négative enseigné par
MM. Malepeyre et Jourdain.
�ART.
145
146
147
148.
149
150
151
152
153
154
155
156
157
158.
159,
160.
161.
20, 2 1 , 22.
229
Dissentiment et discussion. — Véritable nature du mandat
que le tiers gérant a reçu.
Réponse à l ’objection que les tiers pourraient être trompés.
— Distinction suivant que l’acte social a été ou non
publié.
Arrêt de la eour de Paris, invoqué par M. Delangîe, qui se
réfère à cette seconde hypothèse.
Conclusion.
Effets des engagements régulièrement contractés par le
gérant, à l ’égard des associés.
Modifications que l'article 22 a introduites dans le texte de
l’ordonnance de 1671 .—Conséquences.
Jurisprudence de la cour de cassation en niatière d’engage
ments souscrits par un associé en son propre et privé
nom.
Conséquences de cette jurisprudence à l ’endroit de la signa
ture sociale.
Caractère que doit avoir la preuve offerte par les tiers qu’un
engagement ne portant pas cette signature doit être mis
à la charge de la société.
En principe , l’engagement souscrit de la raison sociale est
, à la charge de la société, alors même que le gérant au
rait abusé.
Exceptions dont cette règle est susceptible.
1° Défaut de pouvoir de la part du signataire.
2° Obligation postérieure à la dissolution.
Condition commune à l ’une et à l ’autre.
Différence entre elles à ce point de vue.
3° En cas de dol ou de fraude.—Quand doit-on l ’admettre?
L’application que le gérant fait de la signature sociale à ses
propres dettes devrait laisser le créancier acceptant sans
action contre la société.
Doctrine contraire de la cour de cassation.
Critique et réfutation.
�230
DES SOCIÉTÉS
162.
Opinion de Pothier, conforme à celle de Casaregis et d’Ansaldus.
163. Conclusion.
164. Arrêt de la cour d’Aix préjugeant dans le sens de notre
opinion.
165 Conséquences de la solidarité passive des associés.
165 bis. Application aux sociétés commerciales de l ’article 1864
du Code civil.
166. La solidarité passive n ’existe pas d’associé à associé.
167. Quid de l ’associé qui a traité comme tierce personne avec
la société ?
168. Les associés ont-ils la solidarité active contre les débiteurs
de la société ?
169. Effet de la dissolution à l’endroit de la solidarité passive ou
active.
127.
— La société en nom collectif est restée, sous
le Code de commerce, ce qu’elle était avant. L’article 20
la définit : celle qui est contractée par deux ou plusieurs
personnes , et qui a pour objet de faire le commerce
sous un nom social.
La nécessité d’un nom social ressortait de la nature
des choses. La société, celle en nom collectif principale
ment , est un être moral essentiellement distinct de la
personne des associés, ayant des obligations et des droits
spéciaux. Elle constitue une individualité véritable , à
laquelle il fallait , pour éviter toute confusion entre son
intérêt et celui des associés, donner un nom dont l’em
ploi indiquât immédiatement pour compte de qui était
réalisée l’opération.
Le choix d’une raison sociale est donc de l’essence de
la société en nom collectif. Ce choix est laissé à la vo-
�ART.
20, 21, 22.
231
lonté exclusive des intéressés ; il peut comprendre le
nom de tous les associés, ou de quelques-uns seulement,
ou même de l’un d’eux , qu’on fait suivre , dans cette
hypothèse , comme dans la seconde , de ces mots : et
Compagnie.
1 2 8 . — Ces mots : et Compagnie, ajoutés à un nom
unique, peuvent-ils désigner une société en nom collec
tif ? En l’état de la discussion du conseil d’E ta t, l’affir
mative ne saurait être douteuse ; elle est aujourd’hui
admise sans aucune difficulté. Mais M. Fremery pense
qu’il en était autrement dans l’origine; que les mots :
tel et Compagnie , dénonçaient l’existence d’une com
mandite; que ce n’est que par une extension successive
qu’on les a appliqués à la société en nom collectif.
Cette proposition peut avoir son utilité historique;
aussi M. Troplong l’a -t-il très-sérieusement discutée.
Dans l’application , la proposition de M. Fremery n’a
plus d’intérêt réel , puisque, de droit commun, la pro
position contraire est admise par tous.
129. — Pierre et Cie constitue donc aujourd’hui un
nom social pour une société collective, et ce nom com
prend virtuellement tous ceux qui ont pris dans l’acte
la qualité d’associés, et les oblige comme tels, alors mê
me qu’aucune stipulation ne l’eût expressément auto
risé, M. Troplong observe avec raison que l’obligation
de créer un nom social n’est pas d’une nature telle que
son inexécution ne puisse être suppléée par les faits et
circonstances de la cause. Ainsi une société non consta
tée par écrit, nulle par conséquent entre associés, n’en
�232
DES SOCIÉTÉS
produirait pas moins tous ses effets en faveur des tiers
qui auraient traité avec elle. Le nom que le gérant de
fait aurait employé pour les opérations le concernant,
au vu et su de ses associés, serait de plein droit consi
déré comme la signature sociale devant les obliger tous.
Les tiers , pouvant prouver une société non écrite,
pourront donc, à plus forte raison, prouver que, mal
gré l’absence de toute stipulation à cet égard , le nom
employé par le gérant a été tacitement adopté comme
constituant celui de l’être m oral, dont l’existence , dès
lors certaine , entraînait la nécessité d’une qualification
quelconque. On ne pourrait le décider autrement sans
ouvrir une large porte à la fraude. S’il suffit d’omettre
la désignation de la raison sociale pour échapper aux
conséquences de son em ploi, cette omission se ferait
bientôt remarquer dans tous les actes de société.
Ainsi , qu’il s’agisse d’une société de fa it, ou d’une
société écrite, l’omission de désignation de sa raison so
ciale peut toujours être suppléée ; les tiers sont toujours
recevables à justifier que la signature qu’ils ont reçue
constituait cette raison. Leur allégation aurait un fon
dement légitime dans l’usage pratiqué par les associés,
dans les antécédents , dans la participation donnée par
tous les intéressés aux opérations réalisées sous cette
même signature.
.
1 5 0 — Il y a cependant entre ces deux hypothèses
cette notable différence, à savoir que, lorsque la société
est constatée par écrit, son caractère ressortira facile-
�ART.
20, 21, 22.
ment des clauses de l’acte. Dans la société de fa it, au
contraire , ce caractère ne sera le plus souvent déter
miné que par l’objet même que les associés se sont pro
posé. Au lieu d’une société en nom collectif, on sou
tiendra qu’il n’existe, qu’il n’a jamais existé qu’une as
sociation en participation.
La question ainsi posée , sa solution est importante
au point de vue des effets qu’elle devra entraîner, et qui
diffèrent si essentiellement, suivant qu’il s’agira de celleci ou d’une société collective. Le doute ne peut être
tranché que par une exacte appréciation de l’associa
tion en participation , pour laquelle nous renvoyons à
l’examen que nous en faisons sous l’article 47.
Nous nous bornons en ce moment à rappeler qu’il
ne s’agit pas seulement de qualifier un acte de partici
pation pour qu'on l’admette comme te l, il faut encore
que l’opération qui en fait l’objet n’ait rien qui répugne
à ce caractère.
1 5 1 , — Or, l’idée d’une participation enlraine celle
d’une opération déterminée, renfermée dans des limites
certaines, restreintes quant à sa durée. Ce sont ces con
ditions qui, sous l’empire de l’ordonnance , lui avaient
mérité le nom de société momentanée. On ne saurait
donc, en principe , en admettre l’existence , lorsque le
but que les intéressés ont eu en vue porte sur une géné
ralité d’opérations embrassant une branche de commerce
même déterminée.
Ainsi il a été jugé : qu’une société ayant pour objet
�234
BES SOCIÉTÉS
toutes les affaires qui peuvent se présenter dans une
certaine industrie , comme le commerce d’une espèce
d’animaux , constitue une société en nom collectif, et
non une association en participation ; qu’une société
pour le commerce des bestiaux doit, à l’égard des tiers,
être considérée non comme une simple participation,
mais comme une société en nom collectif, bien qu’on ne
lui connaisse aucune raison sociale et qu’elle n ’ait pas
été publiée 1.
'132. — Au reste, dans toutes les hypothèses, la dé
termination du caractère de la société étant une ques
tion de pur fait, est laissée à l’arbitrage souverain des
deux degrés de juridiction, sans que la solution puisse
jamais encourir la censure de la cour de cassation
Les juges ont donc, dans chaque espèce, à se prononcer
d’après les circonstances qu’elle présente. Retenons seu
lement , en ce qui concerne la raison sociale , que son
existence exclut de plein droit toute idée de participa
tion.
1 3 3 . — Il en serait de même si, en l’absence d’une
raison sociale, les engagementseont été pris au nom de
tous les associés , ou si chacun d’eux a participé à la
gestion. A défaut même de cette circonstance, l’absence
1 Bordeaux, 5 mai 1829 ; — Colmar, 18 janvier 1841.— J. du R., 41,
2, 690.
s Casssation, 8 janvier1840; J. du P., 40, 1, 168.
�A.RT 20
21
22
d’un nom social ne suffit pas pour faire admettre l’as
sociation en participation. En effet, si, par la nature de
l’opération , on était amené à reconnaître une société
collective , on considérerait comme social le nom sous
lequel on aurait habituellement administré cette opéraration.
■I3 4 . — La raison sociale est donc l’expression la
plus significative de la société qu’elle personnifie. Ajou
tons que , dans bien des cas , elle en est la principale
ressource, en devenant pour elle une chance assurée de
confiance et de crédit.
C’est ce qui se réalise notamment lorsque cette raison
se compose de noms honorablement cités dans le com
merce, ou notoirement connus par leur expérience, leur
probité ou leur fortune. Comment le public hésiterait-il
à traiter avec une société revendiquant un pareil patro
nage ?
Une confiance entière était ici la conséquence telle
ment directe de la raison sociale, que le législateur a dû
se préoccuper d’une hypothèse qui aurait pu être exploi
tée s’il n’y avait pourvu, à savoir, l’emprunt qu’une so
ciété ferait d’un nom ne lui appartenant pas. La mo
ralité commerciale exigeait que la raison sociale ne fût
pas une enseigne menteuse , un appât offert à la con
fiance publique, un piège au moyen duquel on trompe
rait impunément les tiers. C’est cependant ce qui serait
résulté si un nom étranger aux associés avait pu consti-
,
.................................
�236
DES SOCIÉTÉS
sés n’auraient pas manqué de le prendre tel qu’il devait
le mieux assurer le crédit de l’opération. Puis la décon
fiture arrivant, les créanciers se trouveraient n’avoir ja
mais eu ces garanties sur la foi desquelles ils avaient
confié leurs fonds à la société.
!5 5 . — L’article 21 a pour objet de rendre cette
fraude impossible. Les noms des associés peuvent seuls
faire partie de la raison sociale ; mais cette prescription
n’a pas dans la loi de sanction pénale. Il convient donc
de rechercher quels sont les effets de sa violation.
Par rapport aux associés , prenant un nom qui ne
leur appartient pas , il ne saurait exister aucun doute,
ils ont commis une véritable escroquerie. La raison so
ciale qu’ils ont adoptée malgré la prohibition formelle
de la loi constitue en ce qui les concerne , non-seule
ment l’usage d’un faux nom, mais encore une manœu
vre frauduleuse pour persuader l’existence d’un crédit
imaginaire. A ce double titre ils rentrent sous l’applica
tion de l’article 405 du Code pénal.
136.
— Il y a plus de difficultés pour celui dont le
nom a été emprunté. Cependant, il ne saurait en exister
aucune si le tiers a autorisé expressément l’emprunt.
M. Pardessus enseigne avec raison' qu’il pourrait être
justement condamné à acquitter les engagements so
ciaux, puisqu’on a pu traiter avec la société sur la foi
de son crédit à lui, dont le nom figurait dans la raison
sociale, et que tout fait même non coupable , qui cause
�237
un tort à autrui , oblige à réparer les suites de ce tort.
Il invoquerait vainement les clauses de l’acte dans les
quelles il aurait donné l’autorisation sous la réserve de
n’êire pas tenu des dettes. Il est douteux que même
dans le cas où cette réserve aurait été rendue publique
en la forme ordinaire, il pût éviter les condamnations
au profit des tiers '.
Mais le doute peut-il naître lorsque le tiers dont le
nom figure mal à propos dans la raison sociale , sans
qu’il y ait consenti formellement, tolère cet abus en
s’abstenant de réclamer? Si cette question devait être
résolue sous l’empire du droit commun, la négative de
vrait être hardiment accueillie. L’inaction de celui qui
voit son nom servir de voile trompeur à l'insignifiance
de certains autres, et qui s’associe ainsi, du moins taci
tement , à un mensonge dont le public doit être néces
sairement victime, est plus qu’une faute; n’y eût-il que
cela, que l’article 1382 ne l’obligerait pas moins à ré
parer le préjudice qui en serait résulté. Or, on ne sau
rait sans mentir à la vérité soutenir que le nom social
n’a exercé aucune influence sur le crédit accordé à la
société.
Celui qui se tait est présumé consentir, cette présomp
tion acquiert ici d’autant plus de force qu’il n’est pas
vraisemblable qu’on se permette de disposer du nom
d’autrui, alors surtout que la connaissance forcée de cet
1 N» 978
�m
DES SOCIÉTÉS
abus en signalerait l’existence dès les premières opéra
tions , et exposerait aux conséquences d’une poursuite
correctionnelle; il faut donc que, pour en agir ainsi, on
ait au moins la certitude d’une complaisance sinon in
téressée, au moins coupable.
La conclusion à tirer de ces prémisses serait donc,
pour celui qui a permis ou toléré que son nom figurât
dans la raison sociale, la nécessité d’être considéré com
me associé et d’être tenu de toutes les obligations con
tractées sous cette raison. Cette conséquence parait sur
tout juste pour celui qui, ayant réellement eu cette qua
lité , s’est retiré de la société dans laquelle il a laissé
son nom figurer.
137.
— Cependant un arrêt rendu par la cour
d’Aix, le 46 janvier 1840, a consacré le contraire. Cet
arrêt décide : d’une p a rt, que celui dont le nom figure
dans une raison de commerce, lorsque, d’ailleurs, il n’y
est pas intéressé, n’est pas, par ce seul fait, légalement
présumé associé , et comme tel solidairement responsa
ble des engagements contractés sous cette raison ; d’au
tre part, qu’en l’absence de toute disposition pénale qui
accompagne la prohibition établie par l’article 21 du
Code de commerce , de faire figurer dans la raison de
commerce d’une société d’autres noms que ceux des as
sociés , les conséquences qui doivent résulter de l’in
fraction à cette prohibition sont abandonnées à l’examen
et à l’appréciation des tribunaux 1.
1 J. du P., 40, 1, 463.
�ART.
20, 21, 22.
2139
138.
— Nous n’admettons aucune de ces proposi
tions ; la première donnerait naissance à une fraude
trop redoutable , pour qu’on n’en proscrive pas toute
possibilité. L’intérêt du tiers dont on emprunte le nom
peut exister quoique l’acte n’en désigne aucun. Punirat-on les créanciers de la position que ce silence concerté
leur aura faite ? Les rendra-t-on victimes de l’impossi
bilité dans laquelle ils seront de prouver ce concert frau
duleux , la nature et l’existence de l’intérêt dans lequel
on a agi ? qu’a-t-on à leur reprocher ? N’ont-ils pas
eu foi en la raison sociale ? ne savent-ils pas que l’ap
port de son nom constitue une mise sociale ? 1 L’article
21 ne leur dit-il pas que les noms inscrits dans la rai
son sociale appartiennent nécessairement à des asso
ciés ?
Mais, dit-on, cet article n’a pas de sanction pénale.
Cette proposition peut-elle être sérieusement accueillie ?
La sanction pénale est évidemment dans la conséquence
qui se déduit logiquement de sa disposition. En effet,
puisque la raison sociale ne peut comprendre que le
nom des associés, on doit réputer tel celui qui laisse son
nom y figurer.
La loi elle-même va nous en fournir la preuve déci
sive. L’article 23 dispose que le nom du commanditaire
ne peut faire partie de la raison sociale. La conséquence
du contraire aura, de l’aveu de tous, pour effet d’enle-
l Voy. supra n° 30.
�m
DES SOCIÉTÉS
ver le bénéfice de la qualité d’associé commanditaire,
et de conférer celle d’associé solidaire. Cependant, nous
remarquons que l’article 25 n’a pas plus que l’article 21
de sanction pénale. Ce silence est d’autant plus remar
quable que nous allons voir sous un autre rapport la
loi s’expliquer formellement. Ainsi , l’article 27 défend
au commanditaire de faire aucun acte de gestion, d’être
employé pour les affaires de la société , même en vertu
de procuration, et l’article 28 ajoute aussitôt, en cas de
contravention à la prohibition de l’article précédenl,
l’associé commanditaire est obligé solidairement avec les
associés en nom collectif pour toutes les dettes et enga
gements de la société.
Ce rapprochement indique avec une précision ma
thématique la pensée du législateur. Il n’a édicté une
sanction pénale que dans le cas où le doute pouvait naî
tre de l’absence d’une disposition précise. Ainsi , la loi
n’a dit nulle part que la gestion , même par procura
tion, ne pouvait être faite qu,e par les associés. Voulant
l’interdire au commanditaire , elle ne pouvait le faire
sans s’expliquer sur l’effet de la violation de sa prohi
bition. Mais, par cela seul que le nom des associés so
lidaires pouvait composer la raison sociale , elle n’avait
pas à s’expliquer davantage. Tous les associés , tous les
noms que nous trouverons dans cette raison seront so
lidaires ou appartiendront à des associés solidaires.
Or , à cet égard , il n’y a aucune distinction à faire
entre l’associé en commandite et le tiers étranger à la
société. Les motifs de la prohibition sont les mêmes dans
�art.
20, 21, 22.
241
l’an et l’autre cas. La loi ne veut pas que le public soit
trompé, en accordant sa confiance à un nom qui , en
définitive , ne serait obligé en rien , ou ne le serait que
dans des proportions restreintes. On doit donc , sans
hésiter, dire du tiers étranger ce que l’école italienne di
sait, et ce que notre Code a admis pour le commandi
taire : Limita tamen si aliquts ex accomandantibus
passas fuerit, vel permiserit, aut expresse voluerit
nomen suum ab accomandatario eliam expendi ;
quia tamen sine dubio insolidum ultra capitalia
cum eodem accomandatario teneretur \
Ainsi le tiers étranger à la société, non pas seulement
qui a expressément voulu ou permis, mais encore qui a
souffert que son nom figurât dans la raison sociale, doit
être par cela même réputé associé solidaire, et comme
tel tenu de tous les engagements contractés par celle-ci.
On ne pourrait admettre le contraire sans méconnaître
la protection dont la loi a constamment entouré le pu
blic , sans ouvrir la porte à des fraudes nombreuses,
sans nuire à la rapidité des opérations commerciales ;
enfin , sans compromettre l’avenir et les progrès de la
société elle-même.
159. — Il est vrai toutefois qu’une hypothèse com
me celle que nous examinons offrira aux tribunaux l’oc
casion d’une appréciation de fait. Il serait, en effet, sou
verainement inique d’obliger , comme associé solidaire,
i Casaregis, Disc. 29, n° 27.—-Ansaldus, Disc., 98, n° 60.
i
16
�m
DES SOCIÉTÉS
celui dont on aurait pris le nom à son insu, et qui l’au
rait complètement ignoré. Conséquemment, la preuve
de ces deux circonstances pourra toujours être offerte et
admise. L’appréciation des éléments dont on voudra
la faire résulter ne présentera plus qu’une question de
fait souverainement abandonnée à la conscience du
juge.
Réduit à ces limites , l’arrêt d’Aix serait très-juridi
que. Mais, dans ce cas même, nous avouons que nous
aurions apprécié les faits autrement qu’il ne le fait.
Le public ne doit pas être induit en erreur : il résulte
de cette règle que celui dont le nom a figuré dans la
raison sociale ne peut être délié envers lui que si, ayant
absolument ignoré l’abus, il a été dans l’impossibilité de
l’empêcher. Or, pour être admise, l’ignorance doit d’a
bord être vraisemblable ; et comment admettre cette
vraisemblance , si le domicile de la société est celui du
tiers dont on a emprunté le nom? si des relations de
parenté, d’intimité existent entre lui et les associés ?
C’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce de
l’arrêt de la cour d’Aix. M. Pierre Arnaud cadet avait
créé à Marseille un commerce ayant atteint un très-haut
degré de prospérité. Associé avec son fils et son gendre,
cette société avait adopté pour raison sociale Pierre Ar
naud cadet et Cie.
Le 31 janvier 1833 , le père se retire de la société.
L’acte de dissolution confie la liquidation au fils et au
gendre, qui signeront désormais Pierre Arnaud cadet et
Cie en liquidation. Mais dès le lendemain , 1er février,
�a rt .
20,
21, 22.
243
nouvel acte de société entre le fils et le gendre , stipu
lant la continuation de l’ancienne raison sociale.
Le concours de ces deux actes donnait à l’opération
un caractère d’arrangement de famille admettant forcé
ment le concours du père. D’ailleurs, la publication de
la société nouvelle ne permettait pas d’admettre que son
existence eût pu être ignorée par lui.
Il est vrai que cette société nouvelle s’était à son tour
modifiée par la retraite du fils. Mais les relations entre
le père et le gendre ayant conservé seul la raison so
ciale primitive pouvaient-elles permettre de croire que
cette modification eût été constamment ignorée du pre
mier ?
Il y avait donc là une invraisemblance choquante,
une impossibilité matérielle et morale , dont l’effet de
vait êlre de faire repousser la prétention du père. Il élait évident que , connaissant toute la valeur commer
ciale de son nom , il avait voulu assurer à ses enfants
après lui l’avantage du crédit qui s’y était depuis long
temps attaché. I/arrêt constate , il est v ra i, qu’il s’était
retiré à la campagne ; mais cette retraite ne pouvait êlre
tellement absolue qu’on dût et pût en induire une com
plète ignorance.
L’arrêt ajoute que toutes les modifications avaient
été publiées au greffe , insérées dans les journaux , an
noncées par des circulaires aux correspondants. Mais
qu’importait ce fait en présence de l’acte contradictoire
qui s’en était suivi. Le 31 janvier annonçait la retraite
du père ; mais l’acte du lendemain venait indiquer qu’il
�244
DES SOCIÉTÉS
avait accepté la qualité d’associé , en laissant son nom
figurer dans la raison sociale. D’autre part , les rela
tions commerciales augmentent et se modifient, de nou
veaux correspondants succèdent aux anciens ; et com
ment ceux qui n’avaient reçu aucune circulaire auraientils pu se douter que celui avec qui ils traitaient nomina
lement avaient cessé de faire partie de la société ?
Sans doute, il ne faut pas qu’un individu soit inopi
nément ruiné. Mais il n’y a pas à hésiter lorsque sciem
ment il s’est fait l’artisan de sa ruine , en tolérant que
son nom soit exposé au public, et devienne pour lui un
véritable piège. Son in térêt, l’honnêteté publique , lui
commandaient défaire cesser un indigne et coupable
abus. En ne réclamant pas, il s’est associé à la fraude,
il a violé un devoir positif, il doit en justice en suppor
ter les conséquences.
Ce devoir est bien plus étroit encore pour l’associé se
retirant d’une société que son nom, sa capacité, sa for
tune avaient fait prospérer. Sa retraite fait perdre au
commerce une grande partie de ses ressources, et dimi
nue tellement les garanties matérielles et morales, qu’il
importe qu’elle soit non-seulement annoncée au public,
mais encore littéralement exécutée par le retrait de son
nom de la raison sociale. Laisser celle-ci continuer com
me par le passé ,f c’est dissimuler un fait qu’il importe
au public de savoir , un fait grave qu’il a tout intérêt à
connaître ; c’est violer la loi en faisant ce qu’elle a voulu
surtout prohiber, c’est-à-dire en tendant un piège à la
confiance; c’est s’associer à une fraude des conséquen-
�art.
20, 21,
22.
245
ces de laquelle ou ne saurait être affranchi que si ou
prouve d’une manière évidente et positive qu’ignorant
absolument l’abus , on a été dans l’impossibilité de le
faire cesser.
Dans l’espèce jugée par la cour , l’ignorance était de
la plus grande invraisemblance. Du moins est-ce ainsi
que nous l’aurions décidé.
140.
— Quel que soit le nom social adopté , il de
vient, dès la mise en mouvement de la société , la pro
priété commune de tous les associés. En effet, n’appar
tenant à aucun d’eux privativemenl, il les désigne tous
en personnifiant leur réunion.
De là cette conséquence , que la dissolution de celleci, faisant disparaître la personne, éteint par cela même
le nom qui la désignait. L’un ne peut survivre à l’au
tre, et de même que nul ne peut vendre ou concéder le
droit de porter son nom, de même une société ne pour
rait conférer la faculté de se servir du nom social.
Ses successeurs ne pourraient donc prétendre qu’en
achetant l’établissement qu’elle exploitait, ils ont im
plicitement acheté son nom , ni par conséquent s’en
servir.
Mais, à son tour , cet établissement peut avoir une
qualification le distinguant des autres établissements du
même genre. Cette qualification n’est qu’un accessoire
désignant l’établissement à la confiance ou aux besoins
du public. Non-seulement il peut être cédé ou vendu,
�246
DES SOCIÉTÉS
mais il l’est de plein droit par la vente ou la cession de
l’établissement lui-m êm e1.
141. — Il est de l’essence de la société en nom col
lectif que l’administration puisse être exercée par tous
les associés. L’acte le plus significatif de cette adminis
tration est sans contredit l’emploi du nom sous lequel
la société doit exclusivement agir.
Mais cette faculté est subordonnée à la volonté libre
des parties. L’acte de société peut non-seulement con
férer la signature sociale à un ou plusieurs des associés,
mais encore l’interdire formellement à tel ou tel autre.
La validité de ces clauses ne saurait être contestée. Le
droit de chaque associé à administrer la chose commune
ne peut sortir à effet qu’à défaut de stipulation contrai
re. Chacun, en effet, est libre de renoncer à un béné
fice purement personnel, et c’est ce que fait l’associé
qui s’interdit la disposition de la signature sociale. Nous
examinerons plus lard les conséquences de la violation
de cette interdiction vis-à-vis des associés et à l’égard
des tiers s.
142. — Peut-on, dans une société en nom collec
tif, priver tous les associés du droit de gérer, et le con
férer exclusivement à un tiers étranger à la société ? La
négative est enseignée par MM. Malepeyre et Jourdain.
i Pardessus, n° 378.
i Voy. infra articles 42 et 43.
�A.RT.
20, 21, 22.
247
« Il est évident, disent ces estimables jurisconsultes, que
le gérant entre les mains duquel se trouve concentrée
l’administration de la société, qui a le pouvoir exécutif,
doit être nécessairement un des membres de la so
ciété L »
145. — Mais cette nécessité est loin d’être démon
trée. En droit, chacun peut déléguer à un tiers les actes
qu’il est capable de faire par lui - même. Nous venons
de dire que, pour la société en particulier, ce droit n ’est
pas contestable. Chaque associé peut renoncer à l’ad
ministration , tous doivent donc jouir de la même fa
culté. Quel serait le motif pouvant contraindre un ou
plusieurs d’entre eux à s’imposer une tâche qu’ils con
sidéreraient comme excédant leur capacité ou leur force.
D’ailleurs, la société n’est réellement administrée que
par la raison sociale. Qu’importe, dès lors, la personne
autorisée à en disposer , s i , par le fait de cette disposi
tion , tous les membres de la société sont réellement et
valablement engagés ? Que pourrait exiger de plus le
public traitant avec la société ?
L’opinion de MM. Malepeyre et Jourdain repose sur
cette considération : que le gérant serait exposé aux per
tes et que les bénéfices seraient exclusivement acquis aux
associés ; qu’ainsi se trouverait violée une des règles les
plus essentielles de la société.
Cette opinion suppose donc que le gérant, quoique é-
Chap. 5, sect. 2,
, page 124
�248
DES SOCIÉTÉS
tranger à la société , serait tenu des dettes contractées
par lui sous la raison sociale. En effet, MM. Malepeyre
et Jourdain reconnaissent que les associés peuvent se
choisir un mandataire. « Mais , disent-ils , celui-ci ne
pourra signer qu’en indiquant qu’il agit par procura
tion de tel ou de tel. » À défaut de cette indication, il
pourrait être poursuivi par les tiers comme associé res
ponsable, parce qu’il les aurait induits en erreur. Telle
est aussi la doctrine enseignée par M. Delangle.
Ces honorables jurisconsultes ont raison. Celui qui
n’administre que comme mandataire du ou des gérants
ne peut agir qu’en faisant précéder ou suivre sa signa
ture de l’indication de sa qualité et de la personne dont
il la tient. En effet, il n’a pas la signature sociale et ne
peut valablement l’apposer. S’il se borne à signer son
propre nom , l’opération ne concernera que lui , et seul
conséquemment il aura à en répondre.
Mais il ne s’agit nullement de cette hypothèse dans
l’espèce que nous supposons. Dans celle-ci, en effet, le
gérant n’est le mandataire d’aucun associé , car aucun
d’eux n’a pu lui déléguer une adminislralion qu’il s’est
formellement interdite. Seul il a reçu la disposition du
nom social, comment donc lui en interdire l’usage. Aussi
nous admettons qu’il est d’autant moins dans la néces
sité de faire suivre la signature des mots : par procura
tion, que, dans les affaires de la société, il n’agira ja
mais en son nom personnel; qu’il ne signera jamais
que la raison sociale elle-même. Faut-il bien, en effet,
puisque la société en nom collectif doit agir sous la rai-
�art.
20, 21, 22.
249
son qu’elle s’est donnée , et que tous les associés s’en
sont interdit la disposition, que quelqu’un puisse la pro
duire dans le monde commercial.
M. Delangle parait oublier ici ce qu’il a si bien dit luimême, à savoir que la signature sociale est la formule
du mandat que les associés se donnent mutuellement.
Dès lors, il doit en être du tiers comme de l’associé. Pour
lui, la signature sociale sera la formule du mandat de
gérer qu’il a reçu, et dont l’emploi aura pour effet d’en
gager solidairement tous les associés.
Donc le gérant étranger, signant la raison sociale, ne
fait qu’exécuter le mandat qu’il a reçu. Il ne peut donc
jamais être considéré comme associé , à moins que son
nom ne figurât dans la raison sociale.
En d’autres termes, le mandat que le gérant a reçu
est celui de signer la raison sociale, tandis que le man
dataire d’-un associé, chargé de le représenter, doit, lors
qu’il agit, indiquer sa qualité, sans quoi l’opération lui
demeurerait personnelle. Il commettrait d’ailleurs un
véritable faux s’il empruntait la signature de son man
dant, dont il n’a pas reçu le pouvoir de se servir. Celte
différence entre le mandataire ordinaire et le préposé à
une gestion sociale se rencontre bien souvent dans la
pratique commerciale. Ainsi un commis, agissant pour
compte et ordre de son patron, donne en son nom quit
tance des sommes qu’il reçoit, en mentionnant qu’il agit par procuration. Mais qu’un commerçant, pour ré
compenser le zèle, le dévouement d’un commis, lui con
fie la signature de la maison , c’est désormais celle-ci
�250
DKS SOCIÉTÉS
que le commis emploiera, et cet emploi obligera la m ai
son au même titre que si le patron avait signé lui-mê
me. Il n’y a aucune raison plausible pour empêcher une
société de faire ce que tout commerçant peut personnel
lement faire.
1 4 4 . — Mais, dit-on, les tiers pourront être trom
pés. En quoi ? Ils ont entendu traiter avec une société,
et cette société est réellement obligée envers eux. Pré
tendront-ils qu’ils ont dû croire que celui qui disposait
de la signature sociale était associé , et qu’ils devaient
compter sur les garanties qu’il offrait personnellement?
Ici une distinction est nécessaire. L’objection pourra
avoir une immense portée s’il s’agit d’une société de
f a it, ou si l’acte existant n’a pas reçu la publicité re
quise. Dans chacune de ces hypothèses , les tiers pour
ront avoir cru de bonne foi ce qu’ils affirment. Il n’est
pas naturel, en effet, que la société soit gérée et admi
nistrée par un étranger. En voyant donc celui avec qui
ils traitent disposer de la raison sociale, les tiers ont pu
légitimement le considérer comme associé, quoique son
nom ne figurât pas dans la raison sociale. Ils savaient,
en effet, qu’il n’est pas nécessaire que celle-ci compren
ne le nom de tous les associés.
Vainement leur objecterait-on qu’on doit connaître la
condition de celui avec qui on traite : en matière de so
ciété, c’est à l’enregistrement, c’est au greffe du tribunal
de commerce qu’on est obligé de rechercher la position
de la société avec laquelle on contracte. Si les associés
�ART. 20, 2 t , 22.
251
ont négligé ou omis d’y déposer les éléments de celte re
cherche, ils sont en faute, et ils ne pourraient évidem
ment en exciper contre les tiers. Le gérant, ayant par
tagé la faute des associés, en subirait également les ef
fets ; il pourrait donc , quoique nudus institor , être
solidairement tenu, non pas cependant à titre d’associé,
mais comme réparation du préjudice qu’il aurait occa
sionné en laissant aux tiers la possibilité de le croire
tel.
Mais si la société a été légalement constatée et régu
lièrement publiée, les qualités restent inébranlablement
fixées telles que l’acte les a déterminées. Les associés et
le gérant préposé ont fait tout ce qu’ils devaient faire
pour empêcher une erreur. Par cela seul que les tiers
ont pu connaître que ce dernier n’avait aucun intérêt
personnel dans la société , ils sont censés avoir dû le
connaître , ils ne sauraient donc prétendre avoir été
trompés , et faire peser une responsabilité quelconque
sur l’institeur.
ILS. — L’arrêt de la cour de Paris que M. Delangle invoque, loin de contrarier notre doctrine, va en tous
points la confirmer. Dans l’espèce de cet arrêt , la so
ciété Poupart de Neuflize avait placé le sieur de l’Horme
à la tête de sa maison de Paris ; elle s’était contentée
de l’annoncer au public , par une circulaire conçue en
ces termes : Le sieur de l’Horme prend la direction de
la maison de Paris, et il aura désormais la signature.
Après la faillite de la société Poupart de Neuflize,
�m
DES SOCIÉTÉS
quelques créanciers q u i, ayant traité avec de l’Horme,
avaient reçu de lui la signature sociale, soutiennent qu’ils
l’ont considéré comme associé , qu’ils n’ont traité que
sous la foi des garanties qu’il leur offrait personnelle
ment ; ils demandent qu’il soit en conséquence tenu so
lidairement au remboursement de ce qui leur est dû.
Le tribunal de commerce repousse cette demande.
Attendu, en droit, qu’aucune loi ne défend au mandant
d’autoriser son mandataire à signer de son nom; que
le contraire a lieu tous les jours dans le commerce ;
qu’en fait, la position de de l’Hoïme a reçu une publi
cité suffisante pour que les tiers n’aient pu être induits
en erreur.
La cour de Paris, investie par l’appel, va-t-elle dé
cider le point de droit ou contester la pratique constante
du commerce ? Non certes, car elle reconnaît et procla
me que de l’Horme n’a jamais été associé.
Mais, attendu qu’aux termes de l’article 1382 du Code
civil, chacun est responsable du dommage qu’il a causé
par sa faute, sa négligence ou son imprudence ; attendu
que de l’Horme, en recevant de Poupart de Neufïize le
pouvoir de signer Poupart de Neufïize et Ci0, n'a point
fait connaître au public sa qualité de mandataire ;
la cour, après avoir fait ressortir l’insuffisance de la pu
blicité des documents et faits de la cause , déclare que
de l’Horme a induit les tiers en erreur, et le condamne
à réparer le préjudice qu’il a ainsi occasionné.
La cour reconnaît donc en droit que le mandat de
�ART.
20, 21, 22.
253
signer la raison sociale est valable , mais à condition
d’être publié dans les formes prescrites par le Code de
commerce; qu’à défaut de publicité, le mandataire peut
être tenu de l’usage qu’il a fait de son pouvoir , mais
qu’il ne saurait jamais être réputé associé si, d’ailleurs,
il ne l’est pas ; que cette responsabilité n’est encou
rue que par application de la règle consacrée par l’ar
ticle 1382.
C’est en se plaçant sous son empire que la cour de
Paris condamne de l’H orm e, et si l’arrêt que nous ve
nons de retracer pouvait laisser quelques doutes , ces
doutes se dissiperaient devant le second arrêt que la
cour fut appelée à rendre dans cette affaire.
En effet, ainsi condamné , de l’Horme se constitua
en état de faillite; mais cette faculté lui fut contestée
par les bénéficiaires de la condamnation. On revint
devant la cour qui , par arrêt du 3 mars 1831 , dé
bouta de l’Horme de ses prétentions sur les motifs sui
vants :
Considérant que nul ne peut être constitué en état de
faillite s’il n’est négociant, et qu’il est reconnu que de
l’Horme n’a pas cette qualité; qu’il résulte de l’arrêt
précédemment rendu par la cour, qu’il n’était pas l’as
socié de la maison Poupart de Neuflize et Cie ; et que,
si, par cet arrêt, il a été condamné à payer les billets
par lui revêtus de la signature sociale , c’est que , par
son imprudence , il a autorisé les bénéficiaires à croire
qu’il faisait partie de la société ; d’où il suit que c’est à
�254
DES SOCIÉTÉS
raison d’un fait n’ayant aucun caractère commercial
qu’il a encouru cette condamnation l.
146.
— Nous avons donc raison de le dire, la dis
position du nom social peut être déléguée à un tiers
(ranger à la société. L’effet de cette délégation n ’est pas
pour lui autre que pou r l’associé gérant ; donc en si
gnant de ce nom , il a d’autant moins besoin de le faire
suivre des mots : par procuration, que la signature so
ciale est elle-même l’indication en même temps que la
formule du mandat. On ne saurait donc , dans aucune
circonstance, le considérer comme associé , alors même
qu’il serait dans le cas d’encourir une responsabilité
quelconque.
Cette responsabilité ne peut exister qu’en tant que
l’acte de délégation, soit qu’il résulte du contrat de so
ciété lui-même , soit qu’il ait été consenti postérieure
ment, n’a pas reçu la publicité prescrite par les articles
42 et 43 du Code de commerce, l’omission de cette for
malité l’expose à être déclaré comme ayant induit le
public en erreur, et à être tenu de la réparation du pré
judice. Cette omission est une faute dont il doit subir
la responsabilité.
Si les formalités prescrites par les articles 42 et 43 du
Code de commerce ont été exactement accomplies, il n’y
a plus d’erreur possible à alléguer. La faute passe du
côté des tiers qui ont eu la faculté de s’éclairer , et qui
1 D. P., 3 t, 2, 99
�ART.
20, 21, 22.
255
ne peuvent dès lors recourir que contre les membres de
la société.
147.
— Quel que soit le géran t, associé ou non,'
ses actes légalement et régulièrement accomplis , réflé
chissent contre la société , et en obligent tous les mem
bres. En consentant à lui confier la direction de l’opé
ration, ceux-ci ont, par cela même , consenti à prendre
à leur charge les effets de son administration , et à en
garantir solidairement l’exécution. Ce mandat résulte
expressément de l’adoption d’une raison sociale , qui en
est, nous le disions tout à l’heure , la formule la plus
expressive.
C’est ce que nos maîtres, en cette matière, avaient de
tout temps enseigné. Dicimus quod per creationem
et deputationem complimentarii, intelligitur ei attributa facultos subscribendi nomen sociorum ralionis cantantis, et sic omnes socii rémanent ob illius
adminislrationem et negotiorum gestionem in solidun obligati h
C’est la même règle que nous retrouvons dans la doc
trine moderne. Tutti gli associati sono tenuti solidariamente per i debiti délia societa quand anche
questi fossero contratti da un solo di quegli sotto
■il nome de quali corre il negozio 3.
L’ordonnance de 1673 ne pouvait méconnaitre une
1 Casaregis, D isc. 39. n»,24.— Ansaldus, Disc. 45, n° 3 .
2 Àzuni, D ict. du commerce , v° C om m andita .
V
�DES SOCIÉTÉS
règle aussi rationnelle. Nous la retrouvons expressément
consacrée dans cette disposition de l’article 7 du titre 4:
Tous associés seront obligés solidairement aux dettes de
la société , encore qu’il n’y en ait qu’un qui ait signé,
au cas qu’il ait signé, pour la compagnie et non autre
ment. Ce que nous relevons dans cette prescription,
c’est d’abord ces termes obligés aux dettes, c’est en
suite ceux-ci, et non autrem ent, d’où on concluait
qu’un associé qui avait souscrit un billet ou lettre de
change signée de lui seul, sans avoir indiqué qu’il agit
pour la compagnie, n’engageait que lui seul, et était alors censé avoir souscrit le billet pour son compte per
sonnel l.
148.
— A son tour, le Code de commerce s’est ap
proprié un principe, qu’on retrouve d’ailleurs dans la'
législation de toutes les nations commerçantes. L’article
n’est, à proprement parler, que la répétition de l’ar
ticle 7, titre 4 de l’ordonnance, sauf la double modifi
cation suivante : ° la substitution de ces m o ts, tous
les engagements de la société , à ceux de , toutes les
dettes d elà société; ° l’omission de la condition, et
22
1
2
non autrement.
La première de ces modifications fut indiquée par les
sections réunies du Tribunat. On pensa que le mot en
gagement présentait une idée plus générale et exprimait
1 Jousse, titre 4, article 7.
�ART,
20, 21. 22.
par cela même beaucoup mieux la pensée du législa
teur.
La seconde conduit à des conséquences importantes.
L’ordonnance semblait faire de la signature sociale la
condition sine qua non de l’obligation solidaire des
associés. Aujourd’hui cette signature entraîne de plein
droit celte obligation , mais son absence n’est pas un
obstacle invincible à ce qu’on en reconnaisse l’existence.
En ce point, nous en sommes revenus à la doctrine
de l’école italienne. Celle-ci , en effet, admettait que le
défaut de la signature sociale pouvait être suppléé par
les circonstances de la cause : Socius socium non o bligat, nisi in contrahendo expressum fuerit nomen sociale, vel saltern ex facti circumstanliis aut
subjecta materia illud argui p o te r itl.
149.
— Par application de cette règle, la jurispru
dence a admis que les associés peuvent être solidaire
ment tenus de l’engagement contracté par un seul d’en
tre eux , sous son nom propre et personnel, alors qu’il
paraît certain que la société en a réellement profité , et
qu’il n’a été contracté que dans cette intention et pour
son compte. C’est ce que la cour de cassation a formel
lement consacré par arrêts des 28 août 1828 et 17 no
vembre 1835.
Elle a, par un autre arrêt du 47 mars 1834, appli-
1 Casaregis, Disc. 39, n° 13.
1
�DES SOCIÉTÉS
qué cette règle à une société commerciale non publiée,
en jugeant que s i , en thèse générale , lorsque, dans ce
c a s , l’associé a souscrit des billets en son nom indivi
duel , et sans aucune mention indiquant que l’engage
ment a lieu pour le compte de la société, ces billets n’o
bligent pas solidairement les autres associés ; il doit en
être autrement si le porteur prouvait que les deniers
prêtés ont tourné au profit de la société.
*
Ce que la cour de cassation consacre contre les asso
ciés, elle l’admet également à leur profit. Ainsi elle a,
par arrêt du 19 août 1846 , décidé que , bien qu’en
principe le gérant d’une société, lorsqu’il traite seul
dans un acte , soit censé avoir contracté en son nom
propre, néanmoins, dans les difficultés qui s’élèvent en
tre la société et les tiers, on doit rechercher si l’acte émane du gérant agissant dans son intérêt, ou dans ce
lui de la société ; que spécialement l’acquisition d’une
maison par le gérant d’une société , sans énonciation
qu’elle est effectuée pour la société, peut cependant être
réputée faite pour le compte de celle-ci, lorsque l’im
meuble a été immédiatement livré à la société , appro
prié à ses besoins , et payé des deniers sociaux ; qu’en
conséquence la femme du gérant ne peut prétendre droit
à une hypothèque sur cet immeuble x.
Au reste , cette jurisprudence de la cour suprême se
comprend d’autant mieux depuis le Code, qu’elle avait
�ART.
20, 21, 22.
259
été par elle adoptée sous l’empire de l’ordonnance, mal
gré la restriction, et non autrement. C’est ce qui résulte
de plusieurs arrêts sur des espèces régies par cette légis
lation l .
150.
— Il suit de l’interprétation que cette juris
prudence fait de l’article
, que, quelque substantielle
que soit la raison sociale à l’endroit des obligations de
vant rester à la charge de la société , son absence n ’est
pas tellement décisive qu’on doive en libérer les asso
ciés, ou leur refuser l’avantage que l’exécution du traité
pourrait leur offrir. La différence qui sépare ces deux
hypothèses est celle-ci : l’existence de la signature sociale
détermine irrévocablement la nature de l’opération. Pro
fitable ou onéreuse , elle demeure pour le compte de la
société, sans qu’on puisse prétendre et moins encore
prouver le contraire.
22
L’absence de cette signature fait présumer que l’as
socié qui a traité en son seul nom a agi pour son
compte propre et personnel. Mais cette présomption cède
devant la preuve contraire recevable dans tous les cas.
Cette preuve ressortirait de toutes circonstances de na
ture à établir que l’opération a été réellement exécutée
pour la société ; telles , par exemple , lorsque les asso
ciés le prétendent a in si, que celles relevées par l’arrêt
de la cour de cassation du 19 août 1846.
i Cassation , 41 nivôse an X : 23 frimaire an XIII ; 30 juillet 4810;
1. août 1841.
�DES SOCIÉTÉS
151.
— Lorsque les tiers poursuivent contre la so
ciété l’exécution de l’engagement souscrit par un des
associés sous son propre nom, la preuve contraire à la
quelle ils sont tenus doit expressément établir non-seu
lement que la société a profité de ces engagements, mais
encore que le signataire n’a agi que par son ordre et
dans son intérêt. La société, en effet, peut avoir réelle
ment touché les sommes empruntées par un de ses
membres, mais à fin titre légitime et irréprochable,
comme si celui-ci ne les lui a remises que pour acquit
ter la dette qu’il avait contractée envers elle. La cour
de cassation, par arrêt du 13 mai 1835, l’a ainsi re
connu et consacré dans une hypothèse où l’associé em
prunteur avait versé les deniers par lui reçus pour com
pléter sa mise de fonds. Elle ju g e , en conséquence,
que la société ne saurait être tenue envers le prêteur,
quoiqu’elle eût en fait profité de la somme par lui
fournie.
Il serait par trop extraordinaire, en effet, que la so
ciété , ne recevant que ce qui lui est légitimement dû,
fût obligée de s’enquérir de l’origine des deniers qui lui
sont remis à titre de paiement, et que, faute par l’asso
cié de satisfaire à l’obligation qu’il a personnellement
contractée à l’effet de ce paiement, elle fût tenue de dé
sintéresser le créancier qui n’a jamais été le sien. Dans
la vérité des choses, elle a profité des fonds , mais ces
fonds n’ont été empruntés ni de son ordre ni pour son
compte. Le contrat reste donc exclusivement personnel à
celui qui l’a souscrit.
�ART. 20, 21, 22.
261
152.
— Nous venons de le dire , les engagements
souscrits du nom social sont de plein droit à la charge
de la société ; ils obligent solidairement tous les associés
alors même que le signataire s’en fût exclusivement
réservé le bénéfice , ou qu’il eût abusé de la signature
sociale en l’appliquant à des affaires étrangères à la so
ciété.
Cet abus, établi et constant, ne modifierait en rien la
position des tiers qui, faisant confiance à la société, au
raient traité avec celui qui leur était indiqué comme son
administrateur. Si quelqu’un , en effet, doit pâtir des
méfaits du gérant, c’est incontestablement celui qui lui
a conféré une qualité dont il n’était pas digne; qui,
par une confiance imprudente et imméritée, la mis en
position de les commettre. En conséquence, les associés
ne pourraient, sous aucun prétexte, se soustraire à l’ac
tion solidaire des tiers , sauf leur recours contre leur
mandataire infidèle.
155.
— Mais cette règle n’exclut pas absolument
toute exception. Son application suppose, en effet, que
le tiers alléguant la confiance qu’il a faite à la société
ait pu réellement, et de bonne foi, avoir cette conviction.
Le contraire constitue donc tout autant d’exceptions au
principe que nous venons de rappeler.
154. — Or, le tiers ne pourrait prétendre avoir fait
confiance à la société, s’il a traité avec un associé n’ay
ant pas la disposition de la signature sociale. Nous a vons dit que les associés peuvent réciproquement s’in-
�m
DES SOCIÉTÉS
terdire la faculté d’administrer. Il est bien évident que
tout ce qui se réaliserait au mépris de cette prohibition
ne saurait lier la société. En conséquence, les tiers qui
se seraient associés à sa violation n’auraient acquis con
tre la société aucun droit sérieux et réel.
1 5 5. — La dissolution de la société entraîne, en
quelque sorte, la mort de l’être moral. Par cela même,
le nom le personnifiant se trouve désormais éteint. Il
ne peut à l’avenir continuer que pour la liquidation du
passé. S’en servir pour des opérations nouvelles , c’est
commettre un véritable faux. Or, les droits des tiers qui
auraient une pareille origine ne pourraient évidemment
produire le moindre effet.
156. — La rationalité de ces deux exceptions ne
saurait être méconnue. Mais dans leur application elles
auraient pu devenir l’occasion de débats nombreux et
de difficultés diverses. En effet, à quelles conditions de
vaient-elles être admises ? Quand convenait-il de consi
dérer les tiers comme ayant connu , soit la prohibition
d’administrer, soit l'existence de la dissolution ?
Heureusement la loi y a pourvu. Les articles 42 et
43 sont de nature à faire disparaître toute équivoque,
tout doute. Si l’acte social, si la dissolution ont été pu
bliés dans les formes prescrites, les tiers sont de mau
vaise foi , sinon de fa it, du moins légalement. Vaine
ment diraient-ils qu’ils n’ont pas connu la publication ;
ils devaient, ils pouvaient la connaître. Imprudence ou
négligence, ils ont une faute à se reprocher; ils doiven
�ART.
20, 21, 22.
263
en subir les conséquences : ils n’ont aucun recours con
tre la société.
Mais si aucune publicité n’a été donnée à l’acte so
cial , si la dissolution n’a pas été à son tour légalement
annoncée, les tiers sont présumés de bonne foi ; et quel
que qualification que mérite l’acte de l’administrateur
ou de celui qui s’est constitué tel, tous les associés n’en
sont pas moins solidairement tenus l.
Cependant, et dans ce dernier cas , il importe de ne
pas oublier que la présomption est fondée sur l’igno
rance réelle dans laquelle les tiers ont pu être sur la
prohibition d’administrer ou sur la dissolution de la so
ciété. La loi a voulu protéger la bonne foi et non pas
favoriser un odieux calcul. Conséquemment, si, à défaut
de publication, il était prouvé que le créancier qui ré
clame a personnellement connu ce qu’il prétend avoir
ignoré, la conséquence de cette preuve serait de le placer
dans la même position que si la prohibition ou la disso
lution avait été régulièrement publiée.
157.
— H y a donc, entre cette seconde hypothèse
et la première , cette différence que le défaut de publi
cation permet de prouver contre l’ignorance alléguée,
tandis que l’exécution des articles 42 et 43 crée une pré
somption n’admettant pas la preuve contraire. Cela est
absolument vrai pour la dissolution. Quant à l’interdic
tion de gérer, on pourrait soutenir que l’acte, depuis sa
1 Pardessus, n° d088 : Delangle, n° 224.
�m
DES SOCIÉTÉS
publication, a été modifié , et que , malgré la prohibi
tion qu’il renferme, la faculté de signer le nom social a
été reconnue et concédée à l’associé qui l’a employé. La
preuve que cet emploi a été fait au vu et su des asso
ciés . celle que la société s’est appliquée le bénéfice de
plusieurs opérations réalisées de cette manière , feraient
admettre l’existence de la modification qui , quoique
non publiée , n’en serait pas moins obligatoire pour la
société.
158.
— Une troisième exception s’induirait natu
rellement du dol ou de la fraude imputable aux tiers.
On ne pourrait autoriser celui qui en serait convaincu à
revendiquer un bénéfice que la loi attribue exclusive
ment à lâ loyauté et à la bonne foi.
Aucune difficulté ne saurait s’élever en principe. Mais
ce qui peut en soulever, c’est la détermination des faits
caractérisant, en cette matière, le dol ou la fraude. Une
appréciation de ce genre, abandonnée souverainement à
la conscience du juge, ne saurait obéir à des règles fixes
et absolues. Disons cependant qu’on devrait conclure à
l’une ou à l’autre , toutes les fois que , s’agissant de la
signature sociale, le tiers s’est volontairement et sciem
ment prêté à l’acte de l’associé.
Nous disions tout à l’heure que signer de la raison
sociale, après la dissolution de la société, c'est commet
tre un véritable faux* Ce caractère indique bien que pour
faire réussir un pareil acte, on aura recours à l’antidate
pour essayer de le colorer. Le tiers qui, traitant à cette
�a r t
.
20, 21, 22.
265
époque , se. serait volontairement et sciemment prêté à
cette antidate , pourrait-il légitimement prétendre avoir
ignoré la dissolution ? Non, évidemment, et dès lors on
ne devrait pas hésiter à repousser sa réclamation, com
me entachée de dol et de fraude.
159.
— Appliquer la signature sociale au paiement
de ses propres dettes est, de la part du gérant, un abus
révoltant de sa qualité. Cet abus est évidemment partagé
par le créancier consentant à en profiter. Quelle sera
donc sa position à l’endroit de la société ? Pourra-t-il
en contraindre solidairement les membres à le désinté
resser ?
La négative semble dictée par la doctrine que nous
venons d’exposer. Evidemment, l’acte du gérant, met
tant à la charge de la société un passif ne la concer
nant en aucune manière, est une fraude. Incontestable
ment encore le créancier , s’associant à cette substitu
tion, se rend complice de cette fraude. Il est impossible,
en effet, de l’admettre à parler d’ignorance et de bonne
foi, lorsque l’acte auquel il se livre est exclusif de toute
idée de l’une et de l’autre.
160.
— C’est cependant le contraire que la cour de
cassation a consacré. Elle a , en effet, par arrêt du 11
mai 1836 , décidé que l’associé ayant la signature so
ciale engage la société pas l’emploi qu’il en fait ; qu’il
peut en disposer à l’égard des tiersf pour éteindre ses
propres dettes, sauf à en tenir compte à la société ; que
�266
DES SOCIÉTÉS
s’il abuse de la signature sociale , c’est aux associés à
s’imputer d’avoir mal placé leur confiance; d’ailleurs,
ajoute la cour de cassation, dans l’espèce , le jugement
de première instance , dont les motifs ont été adoptés
par la cour , déclare le défendeur créancier sérieux du
gérant, et décide qu’il a reçu de bonne foi les effets de
commerce souscrits de la raison sociale en paiement de
sa créance.
161.
— Une pareille doctrine nous parait être une
erreur échappée à la haute sagacité de la cour régula
trice. Elle e s t, en effet, fort difficile à justifier en droit
et équité, et en morale. Il répugne à l’honnêteté publi
que que le créancier d’une personne puisse sciemment
prendre dans la bourse d’autrui un paiement que son
débiteur ne peut opérer, ou se donner une caution con
tre la volonté de celui qui est destiné à le devenir.
N’est-ce pas cependant ce qui se réalise lorsque le
gérant, abusant de ses pouvoirs , applique la signature
sociale à remplacer ses propres obligations? Est-ce dans
un pareil but que cette signature lui a été confiée ?
Non, répond l’arrêt, il y aura abus ; mais , dans ce
c a s , c’est aux associés à s’imputer d’avoir mal placé
leur confiance. Cette règle , toute sévère qu’elle soit,
n’en est pas moins juste. Ce n’est donc pas le principe
que nous contestons. Mais ce que nous ne saurions ad
mettre, c’est l’application qui en est faite à notre hypo
thèse.
Cette application ne p e u t, en effet, se réaliser qu’à
�ART.
20, 21, 22.
267
une condition , à savoir que l’abus commis par le gé
rant ait été ignoré de celui qui est appelé à en profiter.
Ainsi, qu’un gérant négocie une valeur sociale ; qu’il
s’attribue les fonds en provenant, ou qu’il les applique
à ses dettes personnelles, évidemment il aura solidaire
ment engagé ses associés ; car celui qui a reçu la négo
ciation a voulu traiter, et a réellement traité avec la so
ciété. On ne pourrait raisonnablement lui reprocher de
ne pas avoir surveillé l’emploi des fonds qu’il a remis.
Pourquoi aurait-il soupçonné l’homme que les associés
ont investi de toute leur confiance ?
D’autre p a rt, le créancier personnel de l’associé qui
le paye en espèces n’a pas à s’enquérir de l’origine de
celles-ci. Porteur d’une obligation exigible , il la pré
sente à son débiteur, qui l’acquitte. Il n’y a là rien que
de naturel, qu’un acte trop légitime pour que le créan
cier puisse encourir un reproche quelconque. Dans l’un
et l’autre cas, il est évident qu’on peut et qu’on doit avec justice dire que, s’il y a abus de la part du gérant,
c’est aux associés à en supporter la responsabilité , car
ce qui l’a déterminé , c’est uniquement la confiance
qu’ils lui ont si imprudemment accordée ?
Peut-on appliquer la même règle lorsque celui qui a
traité personnellement avec le gérant, et reçu son obli
gation, échange celle-ci contre un litre revêtu de la si
gnature sociale? Est-ce que l’article 22 peut autoriser
un pareil résultat ?
A notre avis, le porteur de l’engagement substitué au
titre personnel du gérant ne saurait invoquer la dispo-
�268
DES SOCIÉTÉS
sitiun de cet article. Nous venons d’indiquer les fonde
ments de la règle qui y est consacrée. Dans l’intérêt du
public , dans l’intérêt des sociétés elles-mêmes , on ne
pouvait permettre que celui qui a voulu traiter avec la
société , q u i, réalisant cette intention, a livré ses fonds
en échange de la signature sociale, fût exposé à voir ses
droits contestés , sous prétexte que celui qui a apposé
cette signature s’est personnellement appliqué les fonds
qu’il devait verser dans la caisse sociale. Cet abus, il ne
pouvait ni le prévoir ni l’empêcher. Il demeure donc
créancier sérieux de celle-ci, par cela seul qu’on ne sau
rait dénier le mandat de celui avec qui il a traité.
Or, ce mandat résulte invinciblement de l’autorisation
de signer la raison sociale, de l’association elle-même ;
c a r , ainsi que l’observe M. Troplong , par ce fait seul,
les associés sont censés s'être constitués mandataires et
institeurs les uns des autres ; s’être réciproquement don
né le pouvoir de s’obliger solidairement et indéfiniment
pour toutes les fins légitimes de leur société l. Voilà
pourquoi l’article
fait résulter l’obligation solidaire
de l’emploi de la signature sociale , constituant la for
mule du mandat de l’associé.
22
Que conclure de là ? Uniquement ceci : Que toutes
les fois que le tiers, porteur de la signature sociale, pour
ra prétendre, d’une manière plausible, qu’il a fait con
fiance à la société, il n’y a pas à hésiter entre lui et les
I Sur l ’article 4864, n° 809.
�art .
20, 21, 22.
269
associés, quelque grayo, quelque certain que soit l’abus
imputé au gérant.
Mais faut il le décider de même lorsque celui-ci, dé
passant les limites de son m andat, sortant des fins lé
gitimes de la société, entreprend de mettre à la char
ge de celle-ci un passif qui lui est étranger ? Lorsque
cet abus, parfaitement connu du tiers, ne se réalise qu’a
vec le concours et la participation de celui-ci ? Que dans
son intérêt et à son profit ? Nous l’avons déjà d i t , la
morale proteste contre un pareil résultat, qui ne tend à
rien moins qu’à récompenser une fraude évidente.
O ui, nous soutenons que le créancier personnel du
gérant, acceptant , en échange de son titre , une valeur
souscrite du nom social, ne peut être de bonne foi, Il ne
peut ignorer qu’il n’a jamais rien prêté à la société; que
conséquemment elle ne lui a jamais rien dû. Il sait que
l’échange qu’il accepte est un véritable abus de confian
ce, une violation du mandat , un dol incontestable au
quel il s’associe , et qui dès lors ne saurait créer en sa
faveur un droit quelconque.
162.
— Cette doctrine a été de tout temps celle des
jurisconsultes les plus distingués. « Lorsque la dette,
» dit Pothier, a été contractée au nom de la société, elle
» oblige tous les associés , quand même elle n’aurait
» aucunement tourné au profit de la société : par exem» pie , si un des associés a emprunté une somme au
» nom de la société, quoiqu’il ait employé cette somme
» à ses affaires et non à celles de la société, le créancier
�270
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
qui a son billet signé et compagnie peut en demarider le paiement à tous les associés, car le créancier
qui a prêté la somme ne pouvait prévoir l’emploi
qu’il en ferait. Les associés doivent s’imputer de s’êlre
associés avec un associé infidèle, de même qu’en pareil cas , on doit s’imputer d’avoir préposé à ses affaires une personne infidèle. »
Voilà le principe invoqué par la cour de cassation et
son application. On n’accusera pas Pothier de mécon
naître l’un ou de reculer devant l’autre. Or , voici la
conséquence qu’il signale immédiatement :
« Mais si par les clauses du contrat que j’ai fait avec
» une personne qui était en société de commerce avec
» d’autres , il paraissait que l’objet du contrat ne con» cernait pas les affaires de la société , quoiqu’elle ait
» signé à ce marché et compagnie, cette dette ne sera
» pas réputée pour cela une dette de la société, comme
» si ce contrat était un marché pour des ouvrages à
» faire à une maison qu’elle possédait hors la société
» paraissant, par ce qui en faisait l’objet, qu’elle ne
» concerne pas les affaires de la société L »
Cette doctrine de Pothier est irréprochable à l’endroit
des principes du mandat commercial lui-même. Celuici, en effet, ne diffère du mandat civil que dans les for
mes de sa constitution , et nullement dans ses effets.
Donc , le mandataire excédant son mandat n’obligera
i Des sociétés, n° \ 01.
�ART.
20, 21, 22.
271
pas son mandant envers le tiers qui a pu connaître l’ex
cès. Or, le mandat résultant de l’autorisation de signer
le nom social se restreint dans les fins légitimes de
la société. Aller au delà, c’est excéder le mandai, c’est
ne créer aucune obligation pour le mandant. Voilà ce
que Pothier enseigne expressément. Voilà ce qu’avant
lui avait admis l’école italienne, même en matière de so
ciété commerciale.
Et sim iliter, disait Casaregis, consocii non réma
nent obligati ex contracta alterius socii, in ili su
per re aut negotio ad societatem minime expectante.
Prœpositus, disait Ansaldus, vel socius contrahens su
per re non expectante ad societatem, illam non obligat, l i c e t c o n t r a x e r i t n o m i n e s o
c i a l ! L.
Le mandat de l’associé réduit ainsi dans ses limites
naturelles et justes, notre question ne saurait être dou
teuse. Sa solution, en effet, dépend exclusivement de ce
point défait : celui qui a traité avec lui a-t-il connu ou
ignoré qu’il excédait son mandat ? Créancier sérieux de
la société s’il l’a ignoré, il n’a aucun titre contre elle s’il
l’a connu ; or, est-il possible de ne pas ranger dans cette
dernière catégorie le créancier du gérant, qui substitue
au litre signé de lui un autre revêtu de la signature sociala ?
Ainsi, la solution de la cour de cassation est repous-
1 Disc. 39, n° 42 — Disc. 46, n° 43.
�272
DES SOCIÉTÉS
sée par les règles applicables à la complicité dans le dol
et la fraude, et par les principes du mandat. Cependant,
de nouveau mise en demeure de se prononcer, la cour,
par arrêt du 25 avril 1845, a confirmé la jurisprudence
qu’elle avait adoptée en 1836.
Dans ce second a rrê t, néanm oins, la cour reconnaît
que le mandat réciproque que se donnent les associés
n’a pour objet que les affaires de la société ; mais elle
ajoute que les associés étant investis du droit d’obliger
la société, chacun d’eux est présumé, hors le cas de dol
et de fraude, avoir fait, en donnant la signature sociale,
une affaire qui intéressait la société , même en traitant
avec ses créanciers personnels 1.
Ruiner la société , en mettant à sa charge un passif
considérable, auquel elle est absolument étrangère, c’est
là une singulière manière d’agir dans son in té rê t, et ce
n’est pas sans raison que les associés se refuseront à
l’admettre.
Mais ce qui doit surtout étonner, c’est la réserve que
l’arrêt fait du cas de dol ou de fraude. Mais qu’est-ce
donc que l’acte de l’associé faisant supporter à la société
ses dettes propres ? Ecoutons , à cet égard , la cour de
cassation elle-même.
Dans une espèce de la nature de celle que nous exa
minons, les faits d’abus reprochés au gérant étaient, de
la part des associés, l’objet d’une plainte en faux. La
�cour avait donc à qualifier ces actes, et voici comment
elle s’expliquait :
« Considérant que l’abus criminel que l’associé pour
rait avoir fait de la signature sociale, pendant l’existence
de la société , pour parvenir à éteindre des dettes pure
ment personnelles ou pour grever de toute autre ma
nière la société , ne peut caractériser le crime de faux ;
que cet abus et les escroqueries qui peuvent en avoir été
le résultat auraient été exclusivement de la compétence
correctionnelle , tant à l’égard de l’associé qu’à l’égard
de ses complices. »
Merlin, qui rapporte cet arrêt, s’exprimait de la mê
me manière dans son réquisitoire. Si le gérant, disaitil, a réellement fait ce qu’on lui impute, il s’est évidem
ment rendu coupable de dol envers ses associés , en se
servant de leur nom pour les grever de dettes qui ne les
regardaient pas. Il a évidemment commis autant de
mensonges qu’il a de fois employé la signature sociale
dans des actes absolument étrangers à la société. Mais
quoiqu’il y ait toujours dol et mensonge dans le crime de
faux . ce n’est pas à dire pour cela qu’il y ait toujours
crime de faux dans le mensonge et le dol. Dumoulin l’a
dit il y a longtemps : Aliud merum falsum, aliud simulatio \
Uti'iiü
S
- ;i j;
; '!H i;
■,; s
163.
— Ainsi, l’application de la signature sociale
aux dettes personnelles de celui qui l’emploie ne consti. 1 J:
' Répert., v° F a u x , sect t , § 5.
I
L
18
1 tî!
�%n
DES SOCIÉTÉS
tue pas le crime de faux ; mais elle constitue évidem
ment un dol contre la société ; comment dès lors présu
mer qu’elle a été faite dans son intérêt.
O r , il n’y a pas de dol qui ne soit frauduleux , et
comme l’acte que nous examinons suppose nécessaire
ment le concours du créancier ; comme celui-ci ne peut
ignorer que la société ne lui doit rien, il devient néces
sairement , pour la part qu’il prend au préjudice qu’on
veut causer à la société, complice du dol et de la fraude
du gérant. On ne saurait donc les autoriser, l’un et l’au
tre, à exciper de leur propre turpitude , et consommer
judiciairement leur mauvaise action. Nous le répétons,
le créancier personnel ne peut être admis à exciper de
sa bonne foi. La certitude qu’il n’a jamais traité avec la
société, la tentative qu’il fait de se faire payer par d’au
tres que par son débiteur, exclut toute idée de ce genre.
Ajoutons que décider le contraire, c’est ouvrir la plus
large part à la fraude, c’est sacrifier injustement les as
sociés , c’est compromettre l’avenir et le succès d’une
institution si essentielle au développement de la pros
périté publique. Qui osera contracter une société , si,
indépendamment de la responsabilité de la fraude ex
clusive du gérant, on lui impose celle de la fraude que
celui-ci aurait concertée avec les tiers ?
Cette considération n’a pas échappé à un éminent
jurisconsulte, qui, en présence de la doctrine de la cour
de cassation, s’écrie : « Rien n’est plus dangereux, plus
faux, plus contraire à la loi réglant les rapports des as
sociés avec les tiers, que cette jurisprudence. » Oui,
�a r t
.
2 0 ,
21,
2 2 .
275
par cela seul que la raison sociale est le symbole de la
société personnifiée, et que l’associé, auquel la conven
tion attribue le droit de l’employer, se constitue le man
dataire des autres associés, elle ne peut servir qu’aux
affaires sociales. Il est légalement impossible qu’un man
dataire, en s’entendant avec ses créanciers , leur trans
mette valablement la fortune de ses commettants!.
î6 4 . — Un arrêt de la cour d’Aix , du 29 avril
1852, vient donner un éclatant appui à la doctrine que
nous soutenons. On sait que le porteur d’un effet de
commerce endossé en blanc a le pouvoir de le négocier,
et que la propriété en est régulièrement transmise au
tiers qui, en fournissant la valeur, remplit directement
en son nom l’endossement. Il importe peu que cette
valeur ait été ou non transmise au signataire de l’en
dossement , le tiers ne pouvant répondre de l’infidélité
du mandataire que ce signataire s’est choisis.
Dans l’espèce tranchée par l’arrêt que nous indi
quons , il s’agissait d’une opération de ce genre. Mais,
au lieu d’avoir fourni la valeur en espèces ou marchan
dises, le tiers porteur l’avait compensée avec une cré
ance qui lui était personnellement due par le manda
taire.
On soutenait dès lors qu’il n’avait pas acquis légiti
mement la propriété de l’effet ; que l’application que le
' Delangle, Des sociétés commerciales, t. 1, n° 249.
s Vov Cass., \\ février <1833
�276
DES SOCIÉTÉS
mandataire en avait faite à ses propres affaires consti
tuait une violation du m andat, à laquelle il s’était luimême associé , et qui devait faire prononcer la nullité
de la négociation.
Cette nullité fut effectivement prononcée par le tribu
nal de commerce de Marseille. Les motifs de ce juge
ment rendent hommage au principe que nous rappelions
tout à l’heure , à savoir que la régularité de l’opération
ne saurait être contestée si la valeur de la négociation
avait été réellement fournie par le tiers ; mais attendu
que, dans l’espèce, la contre-valeur ne consistait qu’au
paiement de la dette propre du mandataire ; que dès
lors le prêteur, s’étant associé à l’abus de confiance reprochable à celui-ci, ne pouvait profiter de la fraude à
laquelle il avait participé.
Ce jugement, frappé d’appel, fut purement et simple
ment confirmé, avec adoption des motifs.
L’espèce, on le voit, est identique , quoiqu’il ne s’a
gisse pas d’associé. C’est un mandataire infidèle, appli
quant à son profil ce qui lui a été confié pour une au
tre destination ; c’est un tiers q u i, ne pouvant ignorer
l’abus , se prête à sa consommation et prétend en pro
fiter. Tout cela se réalise dans l’hypothèse dont nous
nous occupons. Donc la décision ne saurait être diffé
rente. Celle donnée par la cour d’Àix est seule juste,
seule conforme aux véritables principes.
1 6 5 . — L’emploi régulier de la signature sociale
crée, ipso facto, pour tous les associés une obligation
�ART.
20, 21, 22.
277
solidaire. Les droits du porteur de l’engagement peuvent
donc s’exercer contre chacun d’eux.
Cependant il convient de distinguer entre la poursuite
et l’exécution. La première ne peut être judiciairement
intentée que contre la raison sociale. Lorsque le titre
n’est pas exécutoire par lui-même, le véritable débiteur
étant l’être moral et non tel ou tel associé, c’est contre
le premier que la condamnation doit être sollicitée.
Mais cette condamnation obtenue, comme dans le cas
où il s’agirait d’un titre authentique, le porteur est libre
de diriger l’exécution contre celui des associés qu’il lui
plaît de choisir. Les règles applicables au codébiteur so
lidaire les régissent désormais. La condamnation pro
noncée contre l’être moral les atteint tous collectivement
et personnellement.
565 bis. — Il est incontestable que l’article 1864 du
Code civil doit recevoir son application dans les sociétés
commerciales. Il importerait donc peu que le titre pro
duit par un créancier ne portât que la signature du gé
rant en son nom personnel. Tous les associés seraient
solidairement tenus, si les choses fournies par ce créan
cier ont réellement tourné au profit de la société.
Le fondement de cette disposition législative puise sa
raison d ’être dans ce principe, que nul ne peut et ne
doit s’enrichir au détriment d’autrui. Or, n’est-ce pas
ce qui se réaliserait, si les associés pouvaient se dispen
ser de rembourser des sommes qui, entrées dans la caisse
sociale, ont augmenté l’actif de la société, facilité ses o-
�278
DES SOCIÉTÉS
pérations et contribué aux bénéfices. Autoriser un pareil
état des choses serait consacrer une immoralité et une
injustice.
Il est donc admis en principe que le créancier por
teur d’un titre souscrit par la gérant même en son nom
personnel, est recevable à recourir contre la société, et
à agir contre chacun de ses membres individuellement.
Mais une pareille action ne saurait être accueillie et con
sacrée que si le poursuivant prouve que les choses ou
les sommes par lui fournies ont profité à la société.
Cette preuve résultera de tous les documents tendant
à établir la destination qu’ont reçues les fournitures ou
avances dont la restitution ou le remboursement est ré
clamé ; et principalement des indications des livres et
écritures de la société. Il est vrai que le créancier ne
saurait réclamer la communication de ces livres et écri
tures , mais il est toujours recevable et fondé à deman
der qu’ils soient vérifiés pour en extraire ce qui con
cerne le différend l.
Toutefois , l’application matérielle des choses ou des
fonds à l’actif social ne suffit pas pour remplir la con
dition de l’article 1864. Ce qui est à apprécier, c’est le
titre auquel cette application s’est réalisée , si cette ap
plication n’a en rien augmenté cet actif ; si la société
n’a reçu que ce qu’elle était en droit d’exiger et de re
cevoir, les associés sont à l’abri de toute recherche si le
titre ne porte pas la signature sociale.
l Article 15 du Code ds commerce.
�ART. 2 0 , 2 t , 2 2 .
279
La question s’est posée dans une espèce oii le gérant
ayant emprunté en son nom personnel cinq mille deux
cents livres sterling, les avait réellement versées dans la
caisse sociale.
Le prêteur actionnait en conséquence tous les asso
ciés et demandait qu’ils fussent solidairement condam
nés au paiement de sa créance qu’il soutenait leur avoir
profité.
Les associés répondaient qu’en versant la somme em
pruntée dans la caisse sociale , le gérant s’était acquitté
de la mise de fonds dont il était tenu, qu’en conséquence
la société n’avait reçu que ce qui lui était dû ; qu’elle
n’avait pas à se préoccuper de la manière dont les fonds
étaient arrivés en la possession du gérant, et moins en
core à en garantir la restitution.
Le tribunal consulaire à Alexandrie, sans se préoccu
per de cette objection , déboute le créancier de sa de
mande contre les associés , parce que des circonstances
et des documents de la cause résultait la certitude d’une
part que le gérant n’avait contracté qu’un engagement
purement personnel ; et que d’autre part le prêteur n’a
vait exigé rien au delà, et entendu traiter qu’avec le
gérant. Mais la cour d’Aix saisie du litige et confirmant
les motifs du jugement, ajoutait, dans son arrêt du 24
mai 1868 : « Attendu, en outre, que si les valeurs prê» tées par Baseri à Ilallay en son nom personnel, ont
» été versées dans la caisse sociale, elles ne l’ont été que
» pour acquitter les dettes dudit Hallay envers la so» ciété dont il était le gérant, et notamment pour réa-
�280
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
liser une partie de la mise de fonds à laquelle il était
tenu en sa qualité d’associé ; qu’il en résulte que la
société n’a pas profité des titres dont il s’agit dans le
sens de l’article 1864 du Code civil. »
Cette interprétation fut dénoncée à la cour suprême
comme violant la disposition de cet article 1864. Mais,
par arrêt du juin 1869, la chambre des requêtes re
jette le pourvoi :
« Attendu que si l’arrêt reconnaît que la somme prê» tée par Baseri a été versée dans la caisse de la so» ciété, il constate en même temps que ce versement a
» eu lieu pour acquitter les dettes d’Hallag envers la
» société , et notamment pour réaliser une partie de la
» mise de fonds à laquelle il était tenu en sa qualité
» d’associé ; qu’en décidant, par suite , que la société
» n’en avait pas profilé dans le sens de l’article 1864,
» l’arrêt n’a fait qu’une juste application de cet ar» ticle 1. »
8
La rationalité de cet article n’a pas besoin d’être dé
montrée. Personne, en effet, ne prétendra que ceux qui
ont fourni aux associés ordinaires les moyens de verser
leur mise de fonds, peuvent, en se prévalant de l’article
1864 , recourir contre la société. Pourquoi en serait-il
autrement de ceux qui prêtant au gérant pour le même
objet, lui ont exclusivement fait confiance au point de
ne pas même exiger la signature sociale ?
1 J. du P. 09, I, 100.
I.
�ART. 2 0 , 2 1 , 2 2 .
281
On ne saurait donc méconnaître ou contester le ca
ractère juridique de l’interprétation que la cour d’Aix et
la cour de cassation font de l’article 1864 du Code civil.
166.
— La solidarité passive n’existe pas d’associé
à associé. Débiteurs en cette qualité envers les tiers , ils
rentrent, pour ce qui concerne leurs rapports mutuels,
sous l’application des principes ordinaires en matière de
solidarité. Conséquemment, celui qui aurait fait des a vances à la société, ou qui aurait acquitté intégralement
une dette sociale, ne pourrait demander à chaque asso
cié que sa part et portion, et celle pour laquelle il pour
rait être contraint de concourir en cas d'insolvabilité de
quelques-uns d’entre eux.
167.
— Cependant il importe de remarquer que la
personne des associés restant distincte de l’être moral et
collectif, chacun d’eux peut, comme tout autre person
ne, avoir des relations avec celui-ci, à l’égard desquel
les il doit être considéré comme un véritable tiers. Con
séquemment , la règle que nous retraçons ci-dessus ne
saurait s’appliquer à ces relations. Les engagements
que la société aurait pris dans leur développement en
vers l’associé engageraient solidairement tous les asso
ciés.
Pourrait-on, dans ce cas, lui retenir la part et por
tion le concernant? Non, tant que la société fonction
nant , son actif est suffisant pour faire face aux dettes.
Ce n’est, en effet, que par le règlement définitif que se
�282
DES SOCIÉTÉS
déterminera la portion à payer par chaque associé sur
le passif pouvant excéder l’actif. Mais si la demande de
l’associé, ayant agi comme tierce personne, était posté
rieure à ce réglement, l’imputation de ce qu’il doit payer
pour sa part devrait être faite, ce qui n’empêcherait pas
qu’il pût demander solidairement, contre ses associés,
le paiement de ce qui lui resterait dû.
168.
— r.es associés ont-ils la solidarité active con
tre les tiers débiteurs de la société ? La solution de cette
question dépend uniquement des stipulations sociales à
l’endroit de l’administration. Il n’y a, en effet, que ceux
qui ont la disposition de la raison sociale qui puissent
faire valoir les actions de la société , et chacun d’eux le
peut à un titre incontestable. Donc, la demande que l’un
ou l’autre ferait au nom de la société , ne saurait être
utilement combattue par celui qui en serait l’objet.
L’unique objection péremptoire à opposer serait celle
de la demande déjà pendante à la requête d’un autre
associé administrateur, ou la quittance concédée par
lui. La société étant satisfaite , aucun des gérants ne
pourrait agir désormais, alors même que la société n’au
rait pas profité de la libération valablement concédée en
son nom.
169.
— Les règles relatives à la solidarité passive
ne reçoivent aucune atteinte de la dissolution de la so
ciété. Ainsi , il est certain que , malgré la nomination
d’un liquidateur, les créanciers sociaux pourraient pour
suivre personnellement et individuellement les associés;
�ART. 2 0 , 2 1 , 2 2 .
283
qu’ils pourraient même les traduire tous en justice, sans
que les non-liquidateurs fussent fondés à demander
leur mise hors d’instance '.
Il n’en est pas de même de la solidarité active. La
dissolution de la société fait cesser de plein droit le man
dat des gérants. Elle lui substitue celui du liquidateur,
qui, quoique pris hors des associés, a désormais seul les
actions actives de l’ancienne société. En conséquence,
les tiers actionnés par tout autre que par lui, non-seu
lement pourraient mais devraient même résister à la de
mande dont ils seraient l’objet.
A
rt.
23.
L a s o c ié té e n c o m m a n d ite se c o n tr a c te e n t r e
eau o n p lu s ie u r s a s s o c ié s re s p o n s a b le s e t s o li
d a ire s , e t u n e t p liis ic u i's a s s o c ié s , s im p le s
R a ille u rs d e fo n d s , q u e l ’o n n o m m e c o m m a n d i
ta ire s o u a s s o c ié s e n c o m m a n d ite .
E lle e s t r é g ie s o u s u n n o m s o c ia l , q u i d o it
ê tre n é c e s s a ir e m e n t c e lu i d ’u n o u d e p lu s ie u r s
des a s s o c ié s re s p o n s a b le s e t s o lid a ir e s .
A
rt.
24.
L o rs q u ’i l y a p lu s ie u r s a s s o c ié s s o lid a ir e s e t
ca» n o m , s o it q u e Sous g è r e n t e n s e m b le , s o it
«j i s ’ i i u o u p lu s ie u r s g è r e n t p o u r to u s , la s o c ié té
est à la fo is s o c ié té e n n o m c o lle c t if à le u r é 1 Bordeaux, 19 août 1841
J. du P., 42, 1, 337.
�284
DES SOCIÉTÉS
g a rd , et société en commandite à l’égard des
simples bailleurs de fonds.
A
rt.
25 .
Le nom d’nu associé commanditaire ne peut
faire partie de la raison sociale.
SOMMAI RE
170.
171.
172.
173.
174.
175.
176.
177.
178.
179.
180.
181.
182.
4
Discussion que la qualification de la commandite souleva
dans le sein du conseil d’Etat.—Son adoption.
Avantages de cette société—Son origine.
Comment la définit Casaregis.
Comment faut-il entendre cette proposition que le gérant
agissait sans mandat exprès ni tacite.
Ce mandat existait à l'endroit des mises fournies ou à four
nir. — Doctrine d’Ansaldus. — Décisions de la rote ne
Florence.
L’école italienne confondait - elle la commandite avec la
participation ?—Dissentiment avec MM. Creps et Troplong.
Ce que fut la commandite sous l’empire de l’ordonnance
de 1673.
Définition qu’en donnait Savary.
Singulier exemple que cet auteur donne de la commandite
dans la première formule des actes de ce genre.
Comment peut-on expliquer la contradiction entre sa doc
trine et cette formule.
Organisation que le Code de commerce a donnée à la com
mandite. — Importance de la prescription d’une raison
sociale.—Ses effets.
Opposition que faisait M. Merlin à cette prescription.—Ses
motifs.
L’usage du commerce avait devancé la lo i, et indiquait la
nécessité de la disposition attaquée par M. Merlin.
�art.
183.
184.
183.
186.
187.
188.
189.
190.
191.
192.
23, 24, 25.
285
Seconde modification aux législations précédentes ; néces
sité de faire enregister et publier les sociétés en com
mandite.—Effets de cette double formalité.
Economie des dispositions du Code sur cette matière. —
Résultats qu’il s’est proposé.
Inaction imposée aux commanditaires.— Abus qui pouvait
naître de laisser le nom des commanditaires figurer dans
la raison sociale.
La société en commandite n’étant qu’une exception, on ne
saurait en admettre l’existence que si elle résulte for
mellement et expressément des accords.
Difficultés que l’application de cette règle peut présenter
pour les sociétés. — Opinion de MM. Malepeyre et Jour
dain.
Dissentiment et réfutation.
Opinion conforme de Meriin.—Jurisprudence.
Conclusion.
Lorsque l ’acte de société est produit, c’est par l ’ensemble
de ses clauses qu’on doit se décider, et non par la qua
lification donnée à la société.
Exemples d’application de cette règle puisés dans la juris
prudence de la cour de cassation , sous l ’ordonnance de
1673.
193. On devrait le décider ainsi depuis la promulgation du Code.
194. Q uid si la réserve du droit d’administrer était condition
nelle ?
195. L'interdiction d ’administrer que l ’acte ferait à tels ou tels
associés ne pourrait à elle seule faire admettre une com
mandite.
196. Q uid de la limitation de la perle ?
197. Celui qui s’est soumis à perdre au delà de sa mise devrait
être déclaré associé pur et simple.
198. L’appréciation du caractère de la société peut , suivant les
circonstances, constituer une violation de la loi.
199. Il ne saurait y avoir société en commandite,sans le concours
d’associés ordinaires.—Conséquences.
�286
DES SOCIÉTÉS
200. Exception en matière d'armements en course.
201. Le nombre d’associés ordinaires n ’est pas limité.— Qualifi
cation qu’on doit leur donner suivant qu’il en existe un
ou plusieurs.
202. Position du gérant de la commandite.—Sa mission.—Déro
gation dont elle est susceptible.
203. Peut-il transiger et compromettre? — Négative soutenue
par M. Delangle.
204. Réfutation.
205 Limites de son pouvoir.— Il ne peut aller jusqu’à modifier
la position des associés.—Arrêts conformes de la cour de
cassation et de celle de Lyon.
206. Conclusion.
207. Q u id du droit de vendre ou d’hypolhéquer les immeubles
de la commandite ?
208. Peut-il consentir la conversion d’une expropriation forcée
en vente volontaire ?
209. Responsabilité du gérant à l ’endroit des abus commis dans
ses fonctions.
210. L’application qu’il fait à ses besoins personnels des fonds
de la société constitue-t-elle l ’abus de confiance puni
par l ’article 408?—Arrêt de cassation pour la négative.
211. Arrêt contraire de la cour de Rouen.
212. C’est dans ce sens que se prononce M. Delangle.
213. Dissentiment et réfutation.
I 70. — Lors de la discussion que le Code de com
merce subit dans le sein du conseil d’Etat, la qualifica
tion de société en commandite fit naître quelques diffi
cultés. Nous avons déjà dit qu’on proposa de lui substi
tuer celle de société mixte.
M. Cretet combattit énergiquement cette proposition.
« Il n’y a aucun avantage,disait-il, à changer les déno-
�art.
23, 24, 2 5 .
287
r) miaations usitées et parfaitement entendues. Si l’on
» veut changer les choses.il y a plus d’inconvénients en» core. La commandite est une combinaison utile et in » génieuse pour associer à une entreprise les capitaux de
» ceux qui ne veulent pas en partager indéfiniment les
» chances. » La commandite conserva donc la dénomi
nation qu’elle avait reçue dès son origine.
171.
— L’avantage de cette institution se manifeste
surtout à l’endroit des capitaux q u i, sans elle, demeu
raient forcément étrangers au commerce. De tout temps,
en effet, des préjuges absurdes, des raisons de haute
convenance, ont tenu certaines classes de la société éloi
gnées de toute immixtion dans les opérations commer
ciales. C’est ce qui s’est réalisé dans les temps anciens
pour la noblesse ; c’est ce qui se réalise encore aujour
d’hui pour le clergé, pour la magistrature, pour le bar
reau, pour certains fonctionnaires. La commandite lais
sant la personne en dehors, ne faisant appel qu’aux ca
pitaux, devenait un énergique lévier, dont la puissance
ne pouvait être méconnue.
Sur ce point, ce n’est plus aux conjectures que nous
eu sommes réduits.* L’histoire du passé est l’enseigne
ment le plus concluant pour l’avenir. Rappelons-nous
que c’est dans la commandite que le commerce italien
avait puisé cet immense développement, cette supréma
tie incontestable sur toutes les nations , qu’elle exerçait
dès le XHme siècle.
Sans doute le contrat de commande é ta it, comme
�288
DES SOCIÉTÉS
l’observe M. Troplong , fort anciennement pratiqué en
France, et notamment par le commerce maritime de la
Provence et du Languedoc ; mais c’est là encore un em
prunt fait à l’Italie. Les statuts de Marseille et de Mont
pellier sont de beaucoup postérieurs à ceux de Florence
et de Pise , qui organisaient la commande dès l’année
1160.
Ajoutons que cet emprunt fut pendant longtemps as
sez timide. La commande française était plutôt le con
trat de pacotille , comme la qualifie le Guidon de la
mer. Elle n’était usitée que dans les expéditions mari
times; tandis qu’à Florence, qu’à Pise, qu’à Gênes, elle
avait une large part dans le commerce terrestre et ordi
naire.
On a donc pu, avec raison , dire que la commandite
a pris naissance en Italie; qu’il faut dès lors en re
chercher les règles dans sa doctrine et dans sa jurispru
dence, si l’on veut juger des progrès que le Code lui a
imprimés comparativement à ce qu’elle était autrefois.
Ecoutons donc Casaregis ;
172.
— Accomandita , sive societas mita, per
viam accomanditœ, quœ multum solet practicari
Florentiœ, nihil proprie aliud est, quam communis
negotiatio inter accomandantes et accomandalarium
pro capitalibus respective ab eis in negotio expositis, in qua non expenditur nomen accomandantium
sed accomandatarii duntaxat, et sic jus formate ipsius negotii re'sidet penes accomandatarium qui ha-
�art.
23, 24, 25.
289
bet totale exercitium et administrationem, et proprio nomine contraint et distrahit, et accomandans
habet tantum, interesse pro rata capitalis immissi,
non vero per proprielatem in jure formali ipsius
negotii, ita ut dici nequeat quod te l ex mandato
expresso, vel tacito accomandanlium, contrahentes
cum negolio sequuntur fidem et personam dictorum
accomandantium \
173.
— Dans sa consultation pour les commandi
taires de Loubon, l’honorable M. Creps a voulu tirer de
ces paroles de Casarégis la preuve que le gérant n’avait
aucun mandat pour engager la mise des commanditai
res ; nous n’admettons pas cette conséquence. De ce que
les créanciers ne peuvent prétendre avoir suivi la foi et
la personne des commanditaires , il s’ensuivra que le
gérant n’avait pas mandat pour les engager personnel
lement au delà de ce que chacun d’eux a pris l’obliga
tion de faire. Mais on ne peut raisonnablement en con
clure qu’il n’avait pas celui d’engager la mise formant
la chose commune ; et ce qui le prouve, c’est que Casa
régis va lui-même conclure dans ce sens : Hujusmodi
enim accomandantes seu participes in accomandita
non obliganlur erga creditores accomanditœ, ultra
capitalia per eos respective in negotio exposita.
174. — Tel était donc le caractère de la comman-
1 Casarégis, V ise. 29, n° 4.
I
�290
DES SOCIÉTÉS
dite en Italie. Sans mandai exprès ni tacite pour obliger
les personnes, le gérant avait, de plein droit, celui d’o
bliger les mises. Ce dernier est tellement de l’essence de
la commandite, que nous le trouvons dans l’étymologie
de ce mot. Commandite vient de commendat , vieux
terme dont se servaient les coutumes pour exprimer la
charge qu’on donne d’acheter , de vendre ou de négo
cier quelque chose, commissœ rei gerendœ polestasl.
Ce caractère ressort avec netteté et évidemment de
ces paroles d’Ansaldus : Ubi quod tam ex legs accomanditœ quam ex dispositione statuli Florenlini,
quoties accomandantes non sint nominati, creditores
dici nequeunt contraxisse cum accomandantibus non
nominalis, sed solum cum ipsa ratione te l personis
nominati s. Ideoque non possunt accomandantes in
hoc casu teneri ergo eosdem creditores, nisi ratione
r e i , seu illius lim itali capilalis cum quo contribuerunt ad efformandam illam rationem ac personam formaient ac intelleclualem, et cum qua cre
ditores tantummodo contrahunt3.
Ainsi, la commandite était en Italie ce qu’elle est de
meurée sous l’empire du Code , une société de capitaux
plutôt qu’une société de personnes. Les commanditaires
n’avaient qu’à payer la mise qu’ils s’étaient engagés à
verser. Leur personne n’était jamais obligée, car ce n’est
1 De Boutaric, sur l'O rdonnance du commerce, p. 30
à Ansaldus, Disc. 98, n° 59.
�art.
23, 24, 28.
pas avec elle qu’on avait traité. C’est ce que la rote in
diquait énergiquement dans cette disposition. Qui contrahit cum administratore seu complimentario polius crédit ipso negotio quam accomandantibusl.
On ne pouvait donc contester au gérant le mandat
d’engager les mises des commanditaires ; c’est, au reste,
ce qui était formellement décidé par la rote de Florence:
Complimenlarius babel quidem facullatem socios
accomondantes obligandi in solidum , sed pro rata
capitalis immissi. Comment nier le mandat en pré
sence de la solidarité de l’obligation entre le gérant et
le commanditaire.
175.
— Il est vrai que les auteurs italiens quali
fient quelquefois les commanditaires de participes in
accomandita ; M. Creps, et après lui M. Troplong, a
cherché dans cette qualification la preuve que la société
en commandite était assimilée à la participation ; et l’un
et l’autre en "ont conclu que la commandite n’étaitq u’une branche de la société anonyme.
Nous croyons fermement que c’est là une erreur. Que
la commandite se rapproche par ses résultats de la par
ticipation, c’est ce qui est indubitable. Le commaditaire
n’est pas tenu au delà de sa mise, tout comme les par
ticipants : Participes non teneanlur, nisi ad ratam
capitalis per quod participant in negotio. C’est ce
4 J. Urceoli, Decisiones in c ly tœ rotœ F lo r e n tin i , déc. 47, n°s \
e
�292
DES SOCIÉTÉS
rapprochement auquel Casarégis fait allusion , lorsqu’il
rappelle que le commanditaire habet tantum interesse
per participationem pro rata capitalis immissi.
A l’endroit des tiers,les commanditaires se distinguent
des associés en nom , des gérants seuls tenus indéfini
ment et solidairement. Ce qui motive la différence de
leurs obligations, c’est qu’en réalité les premiers ne sont
pas des associés ordinaires , negue in jure formali
negotii considerantur condomini, sed solum sunl
participes. C’est dans le même sens et dans la même
intention que Jorio s’exprime dans les mêmes termes.
Mais à côté de ces points de contact existent des dif
férences notables. Le commanditaire est un associé;
partout cette qualification lui est donnée. Nous venons
de voir la rote de Florence les qualifier de socios accomandanles. Les participes, au contraire , ne peuvent
être considérés comme tels. C’est Casaregis qui nous
l’apprend : Farliceps vere socius non est.
Comme conséquence de cette position, le commandi
taire est, dans certaines limites , tenu envers les créan
ciers : Non obligantur erga creditores ultra capitalia. Le parliceps n’est jamais obligé envers les créan
ciers auxquels il demeure complètement étranger.
Aussi les créanciers pourront-ils attaquer les comman
ditaires , même après la dissolution et le partage de la
société h Tandis qu’ils sont sans action contre les par%
i Casaregis , Disc. 29, n° 39.
�ART.
23, 24r 25.
293
ticipants, ne pouvant agir contre les débiteurs de la so
ciété : Nequennt conveniri a creditoribus socielalis.
Comment donc confondre ces dpux classes d’intéres
sés? Si, dans l’une et dans l’autre, l’obligation se trouve
limitée à un capital certain, les différences existant dans
le caractère de l’opération, dans les effets en résultant,
ne permettent pas cette confusion.
MM. Creps et Troplong invoquent l’autorité du car
dinal Deluca. Nous faisons remarquer que cet éminent
jurisconsulte s’est borné à l’examen de ia société civile,
ne traitant la matière commerciale , à laquelle il était
étranger par sa position et sa qualité , que d’une ma
nière assez superficielle. Son autorité ne saurait donc
sur ce point prévaloir sur celle de Casaregis.d’Ànsaldus,
écrivains spéciaux dans le droit commercial.
Nous dirons ensuite qu’en pariant d’un autre point
de vue, Deluca va cependant arriver au même résultat,
à savoir que l’admission d’un individu dans une entre
prise n’est pas une société ; car, alivd est societas, aliud vero admissio alicujus ad participationem,
dum particeps vere socius non est, quodque admis
sio dicti marchionis ad islud paiticulare negotium
imporiaret simplicem parlicipationem , non autem
societatem2.
Dans l’espèce sur laquelle le cardinal Deluca était
consulté, il s’agissait d’un gentilhomme qui, en échange
1 De credito, D isc. 89, n° 8.
�294
DES SOCIÉTÉS
d’une somme d’argent par lui donnée , avait été inté
ressé dans les bénéfices d’une opération depuis long
temps en cours d’exécution. Son nom n’avait jamais
paru avant, et depuis son admission, il ne s’était jamais
ingéré dans l’administration; évidemment ce n’était pas
là une société quelconque, mais uniquement une simple
association en participation, comme la qualifie Deluca.
Dans son discours 27, De locato, le même auteur,
examinant une espèce analogue, résume ainsi la diffi
culté : Hujus autem assumpti probatio pendebat a
puncto, an admissio ad dictam participationem importaret necne societatem ? La négative est encore
admise, et toute action est par lui refusée aux créanciers
contre les participants.
Faut-il conclure de là que la commandite se confon
dait avec la participation ? Mais le contraire ne serait-il
pas la conséquence logique de ce que la première a tou
jours été qualifiée de société, tandis que la seconde ne
saurait en constituer aucune.
Nous n’admettons donc pas que , sous l’empire du
droit italien , la commandite ne fut qu’une branche de
la société anonyme. Quoique atteignant dans ses résul
tats un effet identique à celui de la participation , la
commandite obéit à des règles spéciales, crée des devoirs
et des obligations distincts , et constitue une véritable
société : société de capitaux plutôt que de personnes,
car si celles-ci ne sont obligées à rien, les capitaux ver
sés ou promis se trouvent engagés en faveur des créan
ciers. Nous verrons l’importance de cette conclusion
�a r t
.
23, 24, 25.
295
lorsqu’il s’agira de l’action directe de ces créanciers
contre les commanditaires.
176.
— C’est en cet état que l’ordonnance de 1673
trouva la commandite. Ici le doute sur la question pré
cédente ne saurait même se produire. L’ordonnance,
en effet, ne consacre que deux espèces de sociétés : celle
en nom collectif, celle en commandite. La société ano
nyme , dont on continua à se servir dans la pratique,
ne parut pas digne de cette qualification ; on ne la con
sidéra que comme une pure association , avec laquelle
on ne pouvait confondre la commandite , qui , comme
l’observe M. Troplong, prit depuis celle époque plus de
consistance , et compta parmi les associations ayant
le droit de se revêtir du nom de sociétés proprement
dites '.
Cependant l’ordonnance ne donne aucune définition
de la commandite. Il faut donc , pour en exprimer le
caractère et les effets, s’en référer aux doctrines que
l’usage commercial avait fait se produire. Or, cet usage
différait peu des règles que recommandait l’école ita
lienne.
Ainsi, le commanditaire devait rester ignoré du pu
blic, surtout lorsque, par sa qualité ou par sa position
sociale , le commerce lui était interdit. C’est surtout
pour obtenir les capitaux de ceux-ci que la comman
dite a été créée, et c’est cette mission que l’ordonnance
i Sur les articles 1841, <1842, n° 384
�296
DES SOCIÉTÉS
de 4673 lui continue. Aussi voyons-nous que, tout en
prescrivant la publicité des sociétés en commandite,
elle en restreint la nécessité à celles contractées entre
commerçants.
Mais à côté de cette prescription , l’ordonnance veut
que la société soit constatée par écrit. La conséquence
qui se déduit de cette volonté, c’est que désormais le
commanditaire ne restera pas absolument inconnu.
Sans doute, son existence ne se révélera pas par la pu
blication , lorsqu’il ne sera pas commerçant ; mais son
nom figurant dans l’acte de société , la représentation
de celui-ci permettra aux créanciers de le connaître et
d’exiger de lui l’accomplissement de ses obligations.
177.
— Au demeurant, la doctrine née de l’ordon
nance définissait avec exactitude et précision la nature
et l’effet de la commandite. Voici ce que disait Savary :
« La société en commandite est celle que Pierre et
» François font ensemble pour faire le commerce, dont
» François porte son argent sans agir ni apporter son
» industrie dans la société , et Pierre , outre l’argent
» qu’il porte dans la société , y met encore son indus» trie, et tout le commerce se fait en son nom , et est
» le seul complémentaire de la société,c’est-à-dire qu’il
» signe lui seul tous les actes d’icelle société. C’est pour» quoi il n’y a que lui qui s’oblige; et il n’oblige son
» associé que jusqu’à concurrence du fonds capital qu’il
» a apporté dans la société
»
i Parère 23.
�art.
23, 24, 25.
297
Ce sont bien là, en effet, les principaux caractères de
la commandite : inaction complèle du commanditaire.
En échange , privilège pour lui de ne jamais perdre au
delà des sommes qu’il a pris l’engagement de verser.
C’est sur quoi Savary insiste, notamment dans les pa
rères 52 et 65.
178.
— Comment se fait-il donc qu’oubliant la con
dition dont la restriction dans les pertes est la juste con
séquence. Savary va nous présenter , comme formules
de la société en commandite, des stipulations permettant
à tous les associés d’agir en leur propre nom , et d’ad
ministrer simultanément l’opération sociale ?
Il suppose, en effet, que Fournier, marchand à Pa
ris, Langlois frères, marchands à Lyon , et Delamarre,
fabricant, contractent une société pour la fabrication et
la vente des draps d’or, d’argent et de soie , qui se fa
briquent à Lyon. Le siège de la société sera dans cette
ville, et c’est Delamarre qui dirigera la manufacture.
Les frères Langlois achèteront sous leur nom, en Ita
lie, les soies , l’or et l’argent filés nécessaires à la con
fection des étoffes. Fournier sera chargé seul , et sous
son nom, de la vente, à Paris, des produits fabriqués.
Une pareille société n’est rien moins qu’une comman
dite. Où est, en effet, le commanditaire inactif, tel que
l’exigeait le droit italien , tel que le dépeignait tout à
l’heure Savary lui-même ? Ce qu’on voit, ce sont trois
associés complémentaires, gérant en leur nom et chacun
dans sa sphère l’opération commune , ayant une part
�298
DES SOCIÉTÉS
égale dans les bénéfices et pertes, et en conséquence de
vant être obligés solidairement et indéfiniment.
179.
— Ce qui expliquerait peut-être l’anomalie
que nous signalons, c’est la distinction que fait l’ordon
nance entre la commandite de commerçant à commer
çant et celle de commerçant à simples particuliers. La
première devant être publiée, et par conséquent répan
dre dans le public le nom des commanditaires. Savary
aura mal à propos induit de cette publicité une déroga
tion aux règles déterminant la position des associés com
manditaires. Ce qui est certain, c’est que, à l’endroit de
la seconde, Savary en revient aux principes purs de la
commandite. La formule qu’il donne d’une société de ce
genre constate que l’associé simple particulier n’agit pas,
ne gère pas, ne donne pas son industrie, et qu’il ne peut
jamais perdre au delà de sa mise.
La coexistence de ces deux formules prouve bien la
reconnaissance de deux espèces de sociétés en comman
dite. Mais la première, sans précédents aucuns dans l’é
cole italienne , se trouve absolument proscrite depuis la
promulgation du Code de commerce.
180. — Celui-ci, en effet, a imprimé une dernière
et plus forte organisation à la commandite. La position
des associés y est nettement tranchée : les uns, respon
sables et solidaires, les autres, simples bailleurs de fonds,
ne cessant pas cependant d’être considérés comme de
véritables associés.
Mais l’innovation la plus importante et la plus déci-
�iRT
23
24
25
sive résulte de l’exigence d’un nom social pour la com
mandite. Ainsi se trouve complété l’être moral, que rien
jusque-là ne personnifiait d’une manière précise aux
yeux du public.
L’importance de celle innovation n’a pas besoin d’ê
tre démontrée : elle résulte clairement de la nature des
choses.
Un nom social est pour le public l’indication qu’à
côté de celui avec qui il traite existent d’autres ressour
ces, d’autres garanties, sur lesquelles il lui est donné de
compter, de la nature desquelles il lui est d’ailleurs per
mis de s’assurer, puisque la loi actuelle exige l’enregis
trement et la publication des sociétés en commandite,
quel qu’en soit le personnel.
D’associé à associé , la création d’une raison sociale,
la faculté d’en disposer, est un énergique mandat d’ad
ministrer le fonds commun dans l’intérêt de tous, d’o
bliger tous les associés dans les limites de leurs obliga
tions respectives.
Cela n’est ni contestable ni contesté pour la société
en nom collectif ; comment pourrait-il l’être pour la
commandite ? L’exigence de la loi étant la même , les
motifs ne sauraient être différents, les conséquences di
amétralement opposées : la même cause doit produire
les mêmes effets.
Il n’est donc plus possible de dire aujourd’hui, com
me sous les précédentes législations, que le gérant agit
seul sous son propre et privé nom, qu’il n’a ni mandat
exprès ni mandai tacite de ses associés. Si le nom so-
�300
DES SOCIÉTÉS
cial laisse la personne et les biens des commanditaires
en dehors de l’obligation solidaire , la vérité est qu’il
représente leur mise , dont la réunion constitue la so
ciété elle-même. Conférer au gérant la faculté de signer
ce nom , c’est donc lui attribuer forcément le droit de
disposer de ces mises.
181.
— Telles devaient être si bien les conséquen
ces d’une raison sociale , que M. Merlin, qui ne voyait
dans la commandite qu’une société anonyme, la repous
sait comme inconciliable avec celte société. « Il ne peut
» pas, disait-il, y avoir une société en commandite en» tre deux personnes, dont une gère sous un nom so» cial , car ce nom annonce au public une société col» lective ; et par cela seul qu’un négociant signe un tel
» et compagnie, il manifeste au public qu’il a au moins
» un associé non commanditaire. On sait bien que dans
» quelques places de commerce, on s’est habitué à l’em» ploi d’un nom social, alors même qu'il n’existe qu’u» ne société en commandite entre deux personnes ; mais
» cet usage est une source de surprises, qu’on ne peut
» prévenir qu’en le proscrivant, caron ne les prévien» drait pas en ordonnant que la société en commandite
» sera enregistrée. Elle ne doit pas l’être; et l’ordon» nance de 1673 ne l’exigeait pas, parce qu’il faut lais» serau commanditaire la facilité de demeurer ignoré.»
« Le public ne peut pas être trompé par l’usage
» qu’on fait du nom social, répondait M. Bégouen; ce» lui qui forme une entreprise est toujours obligé de
�art .
»
»
»
»
»
23, 24, 25.
301
faire enregistrer la société. Si les associés sont soli—
daires , il le déclare ; s’il a un ou plusieurs associés
commanditaires, il ne les nomme pas, mais il déclare
quelle est leur mise , et cette déclaration est la seule
chose qui importe au public et forme sa garantie 1. »
182.
— La nécessité d’un nom social dans la com
mandite prévalut donc. Il était même difficile qu’il en
fût autrement, puisque sa consécration était en quelque
sorte commandée par l’initiative que le commerce avait
pris. L’usage signalé par Merlin lui-même ne laisse au
cun doute. Ainsi, malgré le silence de la loi, la société
en commandite avait adopté une raison sociale, et cette
pratique était fort ancienne. En effet, Ansaldus parle
d’une commandite chantant sous le nom de Titius Sempronius et Cie.
Cet usage est plus explicitement rappelé par M. Crétet. On a demandé , disait celui-ci , comment signerait
le marchand qui n’aurait pour associé qu’un seul com
manditaire. Il signera : tel et Cie, et le public entendra
très-bien une formule à laquelle il est habitué, et dont
le sens est fixé par l’usage.
En réalité donc , la disposition de notre Code innove
en droit, mais non dans les habitudes commerciales.
Le législateur n’a fait que céder à la loi impérieuse qui
domine la matière , à savoir, l’obligation de consacrer
' Locré, t. 17, p. 184 et suiv.
�302
DES SOCIÉTÉS
pour l’avenir les usages auxquels un assentiment una
nime a donné une incontestable autorité.
1 8 3 . — A l’obligation d’adopter un nom social le
Code a joint la nécessité de l’enregistrement et de la pu
blication des sociétés en commandite. Nous aurons
bientôt à faire ressortir les caractères et les effets de
cette double formalité. Nous nous bornons en ce mo
ment à constater que c’est là tout autant de moyens
d’éviter toute fraude sur le véritable caractère de l’acte,
et d’assurer en faveur du public l’exécution loyale et
complète des obligations contractées par les* commandi
taires l.
Voilà donc, dit M. Troplong, la société en comman
dite largement et fortement constituée; le législateur a
plutôt sous les yeux les grandes tentatives d’associations
faites sous Louis XIV que la commandite au moyen
âge2.
184. — L’économie de notre législation, en effet, se
résume dans ces simples idées : dissiper le doute que
l’emploi du nom , personnel au g é ra n t, pouvait faire
naître sur les effets des engagements par lui souscrits à
l’encontre des commanditaires. Toute difficulté est im
possible aujourd’h u i, puisque c’est le nom social qui
contracte, et que ce nom représente les mises des com-
1 Voy. in f r a articles 42 et 43.
9 Troplong, sur les articles 1841 et 1842, n° 401
�manditaires autant que la personne des associés soli
daires;
Prévenir à tout jamais la fraude qu’on a eu de tout
temps à combattre, à savoir celle consistant à présenter
l’associé comme un prêteur ordinaire, et à le faire con
courir avec les créanciers à la distribution de l’actif de
la société. C’est dans ce but surtout que l’enregistre
ment de l’acte et sa publication ont une incontestable
efficacité. La position des parties qui y ont concouru étant ainsi fixée, aucune d’elles ne sera tentée, la faillite
arrivant, d’intervertir sa qualité, parce qu’une pareille
prétention n ’a plus aucune chance de succès.
S85. — Il est une condition à laquelle le Code est
loin de déroger : l’inaction que les législations précé
dentes imposaient aux commanditaires est énergique
ment et absolument recommandée. Comme conséquence
immédiate de celte règle , l’article 25 exclut leur nom
de la raison sociale.
Nous l'avons déjà d it, le nom social est un des élé
ments de succès les plus décisifs. Le crédit public , les
sympathies du commerce sont ordinairement acquis aux
personnes recommandables par leur expérience, par une
réputation dès longtemps acquise, de capacité, de pro
bité ou de fortune. Un commanditaire placé dans ces
conditions devenait pour la société’une ressource trop
précieuse pour qu’on la négligeât ; on n’aurait donc pas
manqué d’insérer son nom dans la raison sociale.
Ce qui devait résulter de là, c’est que le public, croy-
�304
DES SOCIÉTÉS
ant traiter avec des personnes de la plus haute solva
bilité, serait victime de sa confiance. La faillite arrivant,
la garantie se serait évanouie devant la certitude de la
qualité de commanditaire, que n’aurait pas manqué de
faire valoir celui dont le nom avait provoqué celte con
fiance.
Sans doute , les tiers ont le moyen de connaître la
position réelle des divers intéressés , puisque la société
doit être enregistrée et publiée; mais, il faut le dire,
une pareille investigation est peu compatible avec la ra
pidité des opérations commerciales. D’ailleurs , si elle
est praticable et facile pour ceux qui habitent sur les
lieux mêmes ou dans des localités voisines du siège de
la société, il n’en est pas ainsi lorsque les opérations se
réalisent à des distances considérables. Il était donc plus
rationnel et plus juste de prévenir toute possibilité d’er
reur par une mesure générale , destinée à protéger le
public , et qui n’a rien de bien rigoureux pour ceux
qu’elle concerne.
De quoi, en effet, se plaindraient les commanditaires?
Leur nom ne peut faire partie de la raison sociale, mais
en échange ils ne perdront jamais au delà de leur mise;
l’infériorité de leur position est bien plus que rachetée
par cette restriction dans leur obligation. Combien d’as
sociés solidaires qui ont payé de leur fortune entière,
de leur honneur , de leur liberté même le stérile avan
tage d’avoir vu leur nom composer la raison sociale !
Nous avons déjà dit que l’article 25 n’avait pas de
sanction pénale ; cependant le doute ne saurait être per
�art.
23, 24, 25.
305
mis. Le commanditaire qui aurait laissé son nom figu
rer dans le nom social, qui l’aurait exigé ou seulement
toléré, deviendrait par cela seul associé ordinaire, soli
dairement et indéfiniment tenu des dettes de la société.
186.
— La société en commandite n’étant qu’une
exception au droit commun en matière de sociétés, on
ne doit en admettre l’existence que si elle résulte ex
pressément et formellement des accords des parties.
L’importance de cette règle est considérable. L’im
mense avantage que l’associé trouve dans la qualité de
commanditaire dans le cas de faillite de la société, l’in
térêt contraire des tiers créanciers, affectent un trèshaut degré de gravité à tout ce qui se rattache à la dé
termination du véritable caractère de la société. Il con
vient donc d’examiner les règles devant servir à résou
dre les difficultés que cette détermination peut faire
surgir.
187.
— Ces difficultés sont surtout sérieuses lors
que la société n’a pas même été contractée par écrit.
Peut-on , dans cette hypothèse , reconnaître et procla
mer l’existence d’une commandite ?
L’affirmative est soutenue par MM. Malepeyre et
Jourdain. S’il résulte, disent-ils, des circonstances ou
des stipulations de l’acte, que quelques-uns des associés
n’ont entendu être que commanditaires ; s’ils n’ont rien
fait qui puisse accréditer dans le public l’opinion qu’ils
étaient associés responsables ; s’ils n’ont participé en
i
20
�306
DKS SOCIÉTÉS
quoi que ce soit à l’administration ; s’ils sont restés
ignorés des tiers qui ont contracté avec la société, nous
pensons que , tout en proclamant le fait de la société,
les magistrats pourront aussi déclarer que la société a
été seulement en commandite à l’égard des simples bail
leurs de fonds \
188.
— Mais ils ont le tort de mettre sur la même
ligne deux hypothèses essentiellement distinctes, à savoir
celle où la société n’a pas été rédigée par é crit, et celle
où l’acte la constatant est déclaré nul en la forme ou
pour absence de publication.
Dans cette dernière, les indications de l’acte pourront,
malgré la nullité de celui-ci, être consultées avec fruit;
et si rien n’est -venu contredire la qualification de la
société ; si, en fait, les commanditaires ont observé l’in
action absolue à laquelle les soumet la lo i, les tribu
naux pourront les déclarer commanditaires, à l’encontre
des tiers. Toutefois, nous restreignons celte solution au
cas où l’acte serait authentique , ou aurait acquis date
certaine. Dans le cas contraire , l’acte , pouvant n’avoir
été rédigé qu’après coup et dans un intérêt de fraude,
devrait être considéré comme n’existant pas.
Mais toutes les fois que la société existe de fait et
sans écrit, nous n’admettons pas la faculté que MM.
Malepeyre et Jourdain reconnaissent aux juges. L’exer
cice de ce pouvoir constituerait la violation flagrante du
1 Page 218.
�art.
23, 24, 25.
307
principe généralement admis , à savoir que le privilège
de l’associé commanditaire n’étant qu’une exception , il
faut, pour que les parties en puissent réclamer l’appli
cation, non-seulement qu’elles aient expressément ma
nifesté la volonté de contracter une société de cette n a
ture, mais encore que les stipulations du contrat soient
d’accord avec sa qualification 1.
L’exercice de ce pouvoir amènerait souvent à ce dé
plorable résultat de favoriser une fraude, de récompen
ser les parties d’avoir violé les prescriptions de la loi, alors peut-être que cette violation n’aurait pour objet
qu’une indigne spéculation. Bientôt, en effet, on s’asso
cierait sans écrit, on partagerait lés bénéfices, tant qu’il
y en aurait ; mais la faillite arrivant, on exciperait du
caractère occulte de la société, on se prétendrait simple
commanditaire , alors que la qualité d’associé ne pour
rait plus être récusée.
La facilité , l’imminence de cette fraude doit en faire
aisément soupçonner l’existence. Le seul moyen de la
prévenir et de l’empêcher est de s’en tenir rigoureuse
ment au principe que nous venons de rappeler. Vouloir
n’être que commanditaire et omettre de le constater par
écrit serait une imprudence tellement incroyable, que la
responsabilité qu’on en ferait peser sur son auteur ne
saurait être justetnent querellée par lui.
Comment, d’ailleurs , en l’absence de tout écrit, ap-
2 Delangle, n° 270.
�308
DES SOCIÉTÉS
précier les prétentions des associés et reconnaître leur
intention de n’être que commanditaires ? Diront-ils que
le public , qui ne les connaissait p a s , n’a pu compter
sur leurs ressources? Mais les tiers , traitant avec une
société, font nécessairement foi à tous les associés con
nus ou inconnus. Ces derniers peuvent seulement con
tester la qualité qu’on leur donne; mais la preuve, faite
à leur charge , les constitue associés ordinaires , et les
oblige solidairement et indéfiniment. À eux donc à prou
ver l’exception dont ils excipent, et cette preuve d’où
résultera-t-elle ?
De ce qu’ils n’ont pas administré ! de ce qu’ils n’ont
pas accrédité l’opinion qu’ils étaient associés responsa
bles en s’abstenant de prendre part à aucune des opé
rations du gérant ! Mais cette conduite n’est que la con
séquence du caractère occulte qu’ils ont donné à la so
ciété, et dont ils profitent pour nier, s’ils le jugent con
venable, le fait de la société. D’ailleurs, l’abstention dont
ils se. prévaudraient n’est pas inconciliable avec la qua
lité d’associé solidaire, pouvant s’interdire le droit d’ad
ministrer. Aussi, comme l’oberve M. Troplong, il n’y a
pas d’associé ordinaire, non gérant, qui ne puisse dire
que les tiers ne l’ont pas connu; qu’ils n’ont suivi que
la foi du gérant et non la sienne, et, dès lors, les socié
tés ordinaires, qui sont de droit commun, seraient tou
tes transformées en sociétés en commandite , qui sont
l’exception l.
1 Delangle, n° 44 6
�ART.
23,
24, 25.
309
189. — Merlin , ayant occasion de s’expliquer sur
celte question dans un de ses réquisitoires , n’hésitait
pas à lia trancher dans le sens que nous indiquons. Il
rappelait un arrêt du parlement de Bretagne, du 4 août
1746, décidant, dans une espèce où la société avait été
annoncée par la raison sociale N. et Cie, que l’associé
non désigné qui n’avait pas pris la précaution de res
treindre la responsabilité à sa mise était tenu solidaire
ment, encore bien qu’il n’eût pas administré, et que les
tiers ne l’eussent pas personnellement connu.
Un autre arrêt de la cour de cassation , du 28 mai
1806, consacre la même doctrine.
Conséquemment, sous l’ordonnance de 1673, la ques
tion avait été juridiquement tranchée dans le sens que
nous soutenons. A plus forte raison devrait-on le faire
sous l’empire du Code, puisque les conditions de la com
mandite sont aujourd’hui parfaitement déterminées , et
qu’à défaut d’acte écrit, il est impossible de s’assurer de
leur existence.
190. — Concluons donc qu’en pareille m atière, et
par rapport aux tiers, il n’est pas permis de s’écarter de
la règle suivant laquelle la société en nom collectif est
le droit commun , et la commandite l’exception ; celui
qui en réclame le bénéfice d o it, dès lors,, en prouver
l’existence. L’absence de tout écrit rendant cette preuve
impossible, la prétention devrait être repoussée.
191. — L’existence de la commandite est bien plus
facile à reconnaître lorsque , la société étant constatée
�31 0
DES SOCIÉTÉS
par écrit, l’acte peut devenir l’élément de sa recherche.
Faisons remarquer que la loi n’a tracé aucune forme,
aucune expression sacramentelle, pas même celle de so
ciété en commandite. Il suffit que , dans son ensemble,
le pacte n’ait rien d’incompatible avec les devoirs que
la loi impose aux commanditaires, pour que la société
puisse et doive être considérée comme une commandite
certaine. '
C’est donc par l’ensemble des clauses stipulées, et non
par la qualification que l’acte donnerait à la société,
que doit se résoudre la question de savoir si elle cons
titue ou non une commandite ; vainement donc exciperait-on de cette qualification, si, tout en déclarant leur
intention de ne rester que commanditaires , les parties
avaient stipulé en leur faveur des droits incompatibles
avec cette qualité.
192.
— La cour de cassation le décidait ainsi, sous
l’empire de l’ordonnance de 1673. Ainsi , elle jugeait,
par un premier arrêt du 16 germinal an XI, que si un
individu formait une société, avec la clause qu’il admi
nistrera, tout en déclarant qu’il ne veut être que com
manditaire, celte déclaration ne l’empêcherait pas d’être
associé solidaire, car elle serait détruite par l’acte mê
me, sa qualité d’administrateur étant incompatible avec
celle de commanditaire.
Par un autre arrêt du 27 floréal an XIII, elle décide
également que les membres d’une société , qualifiée de
commandite, qui se sont réservé par les actes constitu-
�art.
23, 24, 25.
311
tifs de la société le pouvoir de concourir individuelle
ment à son administration, sont réputés, au regard des
tiers , associés purs et simples ; qu’en conséquence , ils
sont personnellement et solidairement tenus de tous les
engagements sociaux l.
193. — Cette doctrine n’est pas contestable depuis
la promulgation du Code de commerce. En effet, ce
qui, avant l u i , n’était que la conséquence d’une inter
prétation rationnelle a acquis aujourd’hui l’autorité d’u
ne loi formelle. L’incompatibilité entre la qualité de
commanditaire et le droit d’administrer est textuellement
prescrite par ses dispositions. Se réserver celui-ci , c’est
donc renoncer à celle-là.
194. — Nous admettons toutefois que si cette ré
serve , au lieu d’être pure et simple , n’était que condi
tionnelle , on devrait décider autrement. Nous pensons
donc , avec MM. Malepeyre et Jourdain , que la clause
par laquelle le commanditaire se réserve le droit de de
venir associé solidaire et de participer à l’administra
tion, en notifiant sa volonté à ses coassociés, n’entraî
nerait pas la perte de sa qualité de commanditaire, tant
que cette notification n’aurait pas été réalisée.
Mais du jour où , usant de son droit, l’associé aurait
dénoncé sa volonté , sa qualité d’associé solidaire serait
définitivement acquise. Il importerait peu qu’il eût par-
1 Conf. Paris, 16 mai 1808 .
�312
DES SOCIÉTÉS
ticipé réellement ou non à l’administration ; il en aurait
désormais le d ro it, et cela suffit pour qu’il ne puisse
plus se prétendre commanditaire.
Dans cette hypothèse , du reste , le doute ne saurait
s’élever sur l’effet de la notification. La difficulté qui
s’offrira le plus souvent sera de savoir si cette notifica
tion a été ou non réalisée. Remarquons, à cet endroit,
que cette difficulté n’en serait pas une , si le comman
ditaire, usant de son droit dans toute sa latitude, avait,
en fait, administré. L’immixtion , les conséquences qui
en découlent, rendraient sans intérêt le point de savoir
s’il y a eu notification ou non. L’exercice du droit d’ad
ministrer en serait une preuve évidente. N’eût-elle pas
eu lieu, d’ailleurs, que, par cet exercice, le commandi
taire n’en aurait pas moins perdu sa qualité.
Mais la difficulté revêt un caractère sérieux, lorsque,
sans qu'il ait administré, il est articulé que le comman
ditaire a définitivement usé de l’option qui lui était lais
sée, et accepté la qualité d’associé ordinaire. Il pourrait
se faire, en effet, que la notification ait été verbale, ou
que , résultant d’une lettre ou d’une déclaration sous
seing privé , l’une ou l’autre eût été anéantie par une
collusion facile, entre associés.
Cette hypothèse , constituant une fraude contre les
tiers, ne peut être résolue que par les principes ordinai
res. Ainsi, l’action des créanciers est toujours recevable,
et la preuve orale admissible. D’autre p a rt, s’agissant
de l’appréciation d’un fa it, de constater les résultats
d’une preuve , des inductions à tirer de présomptions,
�art.
23, 24, 25.
313
la conscience du juge est souveraine, et ne reconnaît ni
limites ni règles précises ou absolues.
195.
— L’interdiction que l’acte ferait du droit
d’administrer à tels ou tels des associés constitueraitelle pour eux la qualité de commanditaires ?
L’affirmative ne saurait être admise que si , par la
qualification donnée à la société , ou par le rapproche
ment d’autres clauses de l’acte, on devait rattacher cette
interdiction à la qualité de ceux qui en sont l’objet. Par
exemple, notamment si, ces associés ayant une mise de
fonds déterminée, il était déclaré qu’ils ne seront tenus
qu’à concurrence de leur mise. Il importerait peu , en
effet, que la qualification de commandite ne figurât pas
dans l'acte, la chose y serait, et l’on connaît la règle :
plus valet quod actum quant quod scriplum.
Mais l’interdiction d’administrer pure et simple ne
permettrait pas cette solution ; ne pas administrer est
bien un des caractères essentiels de la commandite, mais
il ne lui est pas exclusif. Nous avons déjà remarqué
qu’il se concilie très-bien avec la société en nom collec
tif : l’interdiction de ce d ro it, isolée de toute autre sti
pulation , n’aurait donc rien de décisif ; elle pourrait
créer un doute, mais, dans le doute, le droit commun
reprend son empire ; or , dans notre matière , le droit
commun est la société ordinaire , la commandite n’est
que l’exception.
196.
— Le privilège de la commandite est de n’être
tenu des dettes que jusqu’à concurrence de la mise ; la
�314
DES SOCIÉTÉS
clause de l’acte social qui renfermerait cette limitation
dans les pertes paraîtrait devoir établir l’existence de la
qualité de commanditaire. Nous venons de dire que la
simultanéité de cette clause et l’interdiction d’adminis
trer la ferait facilement admettre.
Mais il en est de la perte limitée comme du droit
d’administrer. Si elle se trouve dans l’acte sans que
d’autres clauses viennent en fixer le sens, elle ne suffi
rait pas pour conférer la qualitéde commanditaire; l’as
socié ordinaire peut stipuler qu’il ne sera tenu des per
tes que pour une quotité déterminée. Il est vrai qu’en
ce qui concerne le public , cette clause est censée non
écrite ; mais sa validité ne saurait être révoquée en doute
à l’égard des associés entre eux , à moins qu’elle ne
constituât le pacte léonin '. Il est dès lors évident que
par elle seule la perte limitée ne saurait être une preuve
suffisante, ni caractériser une société en commandite.
197.
— Il n’en est pas du privilège du commandi
taire comme de tout autre privilège. En thèse ordinaire,
chacun peut renoncer à un droit uniquement créé en sa
faveur ; ici, au contraire, on ne saurait consentir à être
tenu de la perte au delà de la mise , sans aliéner par
cela même sa qualité de commanditaire , alors même
que le renonçant se serait abstenu de tout acte d’cdministration. C’est ce que la cour de Pau a très-juridique
ment consacré, par arrêt du 7 février 1827.
i Voy. su p ra n os 35 et suiv.
�art.
23, 24, 25.
315
Dans l’espèce de cet a rrê t, l’associé , réclamant la
qualité de commanditaire, s’était soumis à supporter le
quart de la perte que la société éprouverait; on lui op
posait cette stipulation comme exclusive d’une société
en commandite, avec laquelle elle était inconciliable.
Cette objection fui adoptée par la cour, qui a déclaré
l’associé associé pur et simple , considérant qu’il est de
l’essence de la commandite que le commanditaire ne
puisse rien perdre au delà des fonds par lui versés ou à
verser dans la société ; qu’en conséquence on doit réputer associé en nom collectif l’associé se disant comman
ditaire qui s’est soumis à supporter les pertes de la so
ciété à concurrence d’une quotité déterminée et non à
concurrence de sa mise de fonds ; qu’il importe peu que
son nom ne fasse point partie de la raison sociale , et
qu’il n’ait ni la signature ni aucune part à la gestion de
la sociétél.
198.
L’appréciation du caractère de la société
est du domaine exclusif des tribunaux ; c’est ce que la
cour de cassation a jugé , le 2 février , sur les conclu
sions conformes de M. Merlin.
M. Delangle , en rapportant cette jurisprudence , fait
avec raison observer que celte règle ne doit pas être en
tendue dans un sens trop absolu ; que son application
soit rationnelle lorsque les clauses de l’acte sont ambi
guës, susceptibles de plus d’un sens, et indifféremment
JD. P . , '27, 2, 444.
�316
DES SOCIÉTÉS
applicables à la société en nom collectif ou à la société
en commandite , personne ne sera tenté de le con
tester.
Mais on ne saurait l’admettre si les stipulations liti
gieuses , appliquées à une société en commandite, se
trouvaient en opposition directe avec la loi qui la régit;
comme si , par exemple , l’acte permettait au prétendu
commanditaire d’administrer, ou le rendait passible des
pertes au delà de la mise. Consacrer dans ces hypothè
ses l’existence de la commandite, ce serait, non pas dé
cider en fait, mais méconnaître et violer ouvertement la
loi. Un arrêt, ajoute M. Delangle , qui refuserait de re
connaître une vente dans un contrat constatant l’accord
des parties et sur la chose et sur le prix violerait la loi
définissant la vente et n’éviterait pas la cassation. Un
arrêt qui , après avoir constaté l’existence des clauses
exclusivement applicables à la société collective , n’y
verrait qu’une commandite, ne l’éviterait pas davan
tage U
199.
— Il ne saurait y avoir de société en com
mandite sans l’existence d’associés solidaires ou respon
sables ; c’est ce qui s’induit non-seulement de la défini
tion que la loi en donne, mais encore de la nécessité de
la régir sous un nom social. Or , comme ce nom doit
être forcément celui d’un ou de plusieurs des associés
responsables ou solidaires, la volonté de la loi serait in1 Tomé 1, n° 274
�art.
23, 24, 25.
317
exécutable, si tous les membres de la société étaient com
manditaires.
Ainsi, la société en commandite serait sans nom ; de
plus elle serait sans gérant possible , puisque le com
manditaire ne peut l’être sous aucun prétexte. Or, cette
interdiction va , sans contredit , jusqu’à défendre à ces
associés de se choisir un mandataire ordinaire , chargé
d’administrer pour leur compte; le seul mandat qu’ils
puissent consentir est celui que la loi fait résulter du
fait de leur association en faveur de l’associé responsa
ble. Vainement donc , en l’absence de celui-ci, vou
draient-ils confier la gestion sociale à un mandataire;
ils seraient censés administrer personnellement, en vertu
de la maxime : qui mandat ipse fecisse videtur.
C’est une société de ce genre dont Casaregis recher
che le caractère, et qu’il déclare une société ordinaire :
quia rati casu accomandita non posset sustineri ,
nisi pro ver a ac propria societate, inita inter prœponentes ; et accomandatarius diceretur merus institor ejusdem negotii, licet nomen proprium et non
accomandantium in eo expenderetl.
Il ne saurait donc exister légalement une comman
dite se composant exclusivement et uniquement d’asso
ciés commanditaires.
200. — Cette règle reçoit cependant une exception
pour les armements en course. L’arrêté du 2 prairial
1 Disc. 29, n° 28.
�DES SOCIÉTÉS
an XI déclare que les sociétés contractées dans cet objet,
s’il n’y a convention contraire, seront réputées en com
mandite , qu’elles soient par quotités fixes ou par ac
tions.
La course est un de ces vestiges des temps barbares,
où la guerre d’une nation était celle de tous ses mem
bres ; le souverain ordonnait de courre sus à l’enne
mi, et chaque sujet devenait l’ennemi personnel de cha
cun des membres de la nation contre laquelle on se
mettait en guerre. De là des combats atroces , qui ne
se terminaient que par l’entière destruction de l’une des
nations belligérantes.
Mais depuis que, par l’usage général des nations po
licées , les hostilités ne sont plus admises que de gou
vernement à gouvernement, depuis qu’on a proclamé,
dans tous les cas , le respect de la propriété privée , et
que le pillage n’est que la conséquence exceptionnelle
d’une prise d’assaut, ces captures de navires marchands,
incapables de se défendre, ces violences exercées contre
de neutres , condamnées par la raison , contraires à la
justice, auraient dû être effacées du Code des peuples
civilisés.
La France l’a noblement compris , et dans diverses
circonstances elle a pris une généreuse initiative, en pro
posant aux nations voisines la suppression de la course.
Mais ses efforts ayant échoué, il ne lui restait plus, dans
l’intérêt de son commerce , et à titre de réprésailles,
qu’à se lancer à son tour dans cette voie qu’on lui im
posait , et à se procurer ainsi l’indemnité des pertes
qu’elle est dans le cas de subir.
�art.
23, 24, 25.
319
Il fallait dès lors encourager ces entreprises, si hasar
deuses par elles-mêmes. C’est à ce titre que , par une
dérogation au droit commun , la loi a donné la qualité
de commanditaires à tous ceux qui s’associent dans cet
objet ; ainsi l’armateur, le propriétaire du navire, com
me tous les intéressés, ne perdra que l’intérêt qu’il s’est
réservé dans l’expédition '.
201.
— Le nombre des associés solidaires devant
concourir à former la commandite n’est pas limité ;
l’existence d’un seul suffit pour la régularité de cette opération. Dans cette hypothèse , c’est le nom de cet as
socié qui devient forcément la raison sociale, c”est à lui
qu’appartient exclusivement le droit de gérer et d’admi
nistrer.
C’est dans cette prévision que l’article 23 a ajouté le
mot responsable à celui de solidaire ; ce dernier, en ef
fet, devenait impropre, car, en réalité , il n’y a aucune
solidarité possible dans une société de cette nature. Le
gérant est seul tenu indéfiniment ; il est donc en réalité
responsable de l’intégralité des dettes envers les créanciers.
Il n’en est pas de même lorsque, à côté des comman
ditaires, se placent plusieurs associés en nom, soit qu’ils
gèrent tous, soit que ce droit ait élé délégué à l’un d’eux
seulement. La responsabilité du gérant n’est sans doute
pas effacée, mais elle réfléchit nécessairement sur les
1 On sait que le traité de \ 856 avec la Russie a aboli la course par des
corsaires.
�m
DES SOCIÉTÉS
associés ordinaires , qui en sont solidairement atteints,
et pour lesquels la société est en nom collectif.
Celle - ci peut donc exister concurremment avec la
commandite ; chacune d’elles produit ses effets ordinai
res. Conséquemment, les associés collectifs sont indéfi
niment et solidairement tenus, les commanditaires ne le
sont que jusqu’à concurrence de leur mise. Dans ce cas
encore, il peut n’y avoir qu’un seul gérant, dont les ac
tes réfléchissent contre tous les intéressés, dans les limi
tes que nous venons de rappeler.
202.
— Le gérant est la représentation la plus
exacte de la société ; il en a tous les droits, il en exerce
toutes les actions, il peut donc accomplir toutes les opé
rations que l’objet de la société nécessite et amène. Ce
pendant il n’est pas prohibé aux associés d’apporter à
ce pouvoir telles restrictions qu’ils jugent convenables ;
mais ces restrictions ne peuvent être opposables aux tiers
que si les stipulations de l’acte social, en ce qui les con
cerne, ont été publiées dans la forme voulue l.
Cette faculté, illimitée pour les associés en nom col
lectif , a des bornes étroites à l’égard des commanditai
res ; ceux-ci ne pourraient, sous prétexte de restrictions,
se réserver un moyen indirect de se mêler de l’adminis
tration, qui leur est interdite. Nous aurons bientôt à
examiner quelles sont les stipulations qui leur sont per
mises ou prohibées2.
1 Paris, 26 juin 1841 ; J. du P.. 41, 2, 185.
2 Yoy. i n f r a article 36.
�art.
23, 24, 28.
321
2 0 3 . — Un arrêt delà cour de Rouen, du 19 août
1841, a décidé que le gérant d’une commandite ne pou
vait pas être assimilé à un simple mandataire , qu’il a,
en conséquence, le pouvoir de transiger et de compro
mettre dans les affaires concernant la société L
Cette doctrine est contestée par M. Delangle. Pour
transiger, dit cet éminent magistrat, il faut avoir la ca
pacité de disposer des objets compris dans la transac
tion ; on ne peut compromettre que sur les droits dont
on a la libre disposition. Le gérant ne pourrait donc
exercer l’un ou l’autre de ces droits que s’il y avait été
spécialement autorisé par l’açte socials.
2 0 4 , — La'solution de la cour de Rouen nous pa
rait préférable, plus conforme aux principes et à la na
ture des choses.
Le gérant, en effet, est le maître unique du commer
ce , il en a la libre et entière administration : comment
lui refuser dès lors la disposition des marchandises et
effets dont ce commerce se compose ? Or, si ce droit lui
appartient, il a évidemment celui de compromettre et
de transiger, aux termes des articles 2045 du Code civil
et 1003 du Code de procédure civile.
En fait, la décision contraire pourrait avoir de singu
lières conséquences pour les commanditaires ; ils de
vraient donc autoriser spécialement la transaction et le
1 J. du P., 42, 2, 126.
1 Tome 1. nos 316 et 317.
�322
DES SOCIÉTÉS
compromis toutes les fois que ce pouvoir n’aurait pas
été donné dans l’acte social; mais cette autorisation
constituerait un acte d’immixtion dans l’administration,
et pourrait faire perdre à ses auteurs la qualité qu’ils
avaient choisie.
Faudra-t-il en conclure qu’à défaut d’expression dans
l’acte social, la société ne pourra, dans aucun cas, tran
siger ou compromettre ? Mais ce serait là la priver d’un
droit utile, et lui retirer sans raison les avantages qu’elle
peut trouver à l’un ou à l’autre.
En réalité donc le gérant trouve dans sa qualité un
pouvoir suffisant pour transiger ou compromettre sur
les facultés de la société; pouvant les aliéner, on ne
saurait lui refuser le droit de faire , dans l’intérêt de la
société, tous les actes que leur disposition lui parait né
cessiter. Lui prohiber de transiger ou de compromettre,
ce serait souvent entraver l’administration qui lui est
exclusivement conférée.
205.
— Mais ce droit ne peut aller jusqu’à modi
fier l’acte social lui-même, ou dispenser quelques-uns
des associés des obligations qui leur sont imposées. Nous
approuvons donc , avec M. Delangle, l’arrêt rendu par
la cour de cassation le 12 avril 1842.
Dans l’espèce , le gérant de la commandite , effrayé
des poursuites exercées contre lui par deux commandi
taires , avait transigé avec eux et consenti à leur resti—
tituer les sommes par eux versées , et à les libérer de
toute obligation pour l’avenir; cette transaction avait
été immédiatement exécutée.
�a r t
.
23, 24, 25.
323
Mais après la fuite du gérant, les tiers actionnèrent
ces deux associés en paiement de leur mise. Sur l’objeciion de ceux-ci que la transaction les avait définiti
vement libérés, ils soutinrent que le gérant n’avait pas
eu qualité pour la consentir, et en demandèrent en con
séquence l’annulation.
La cour de Lyon avait accueilli celte demande par un
arrêt, dont les motifs ne peuvent utilement être invo
qués contre la thèse que nous soutenions tout à l’heure.
La cour, en effet, ne conteste pas au gérant le droit de
transiger sur les affaires sociales ; elle se borne à dé
cider que ce droit ne saurait dépasser de certaines li
mites.
« Attendu, dit-elle, que le contrat formé entre le gé
rant delà commandite et les actionnaires qui en avaient
ultérieurement sollicité la nullité n’avait pu être rompu
par la volonté seule du gérant ;
» Que la transaction faite avec celui-ci n’était point
opposable aux tiers, pas plus qu’aux associés, parce que
les faits à l’occasion desquels elle avait eu lieu n’étaient
pas imputés à la société ;
» Qu’il ne s’agissait pas d’actes émanés du gérant
comme gérant traitant pour la société, au nom et dans
l’intérêt de la société, mais d’actes personnels au gérant,
et dont il était responsable. »
Il eût été étrange qu’une décision aussi éminemment
juridique pût encourir la censure de la cour de cassa
tion. Aussi le pourvoi dont elle avait été frappée fut-il
�324
DES SOCIÉTÉS
dès l’abord repoussé , sur les conclusions conformes de
M. Delangle 1.
2 0 6 . — Peut-on induire de ces monuments de ju
risprudence quelques préjugés contre le droit de transi
ger et de compromettre que nous reconnaissons au gé
rant pour les matières sociales ? Si peu , évidemment,
que nous pourrions les invoquer à l’appui de notre
thèse. Si la cour de Lyon annule la transaction , c’est
parce qu’elle était intervenue sur des actes n’émanant
pas du gérant comme gérant traitant pour la société,
au nom et dans l’intérêt de la société ; conséquemment,
si le contraire s’était réalisé, la transaction eût été main
tenue. Or, c’est précisément dans cette catégorie que se
plaçaient les faits dans l’espèce jugée par la cour de
Rouen ; donc la cour de Lyon et la cour de cassation
n ’émettent pas une autre doctrine que celle-ci.
Concluons donc qu’on ne sau rait, sous aucun pré
texte , invalider la transaction ou le compromis inter
venu entre le gérant et un tiers débiteur ou créancier
de la société sur des droits acquis par elle ou contre
elle. L’un et l’autre ne sauraient, dans cette hypothèse,
être considérés que comme des actes d’administration
ou de disposition, uniquement et exclusivement réservés
au gérant.
2 0 7 . — Doit-il en être de même de la faculté d’ali—
i Cass., 4 2 avril 4 842; — D. P., 42, 4, 246
�art .
23, 24, 25.
325
éner ou d’hypothéquer les immeubles de la comman
dite ?
En principe, a-t-on dit pour l’affirmative, toute so
ciété peut s’obliger, emprunter, vendre et hypothéquer
ses immeubles. La société en commandite, ne pouvant
exercer ses droits, comme société , que par l’organe de
son gérant, ne doit pas être présumée avoir renoncé au
droit d’hypothèque, par cela seul qu’une clause spéciale
ne donne pas au gérant des pouvoirs exprès à cet égard;
car on n’est pas présumé vouloir se condamner à l’i
nertie et se frapper d’une incapacité , pouvant devenir
une source de ruine ; il résulte, au contraire, de la na
ture de la société en commandite que, dès l’instant que
l’acte social est muet sur les pouvoirs du gérant en fait
de vente ou d’hypothèque, ces pouvoirs sont censés lui
appartenir. En effet, dans une pareille société, le silence
doit toujours être interprété en faveur de la conserva
tion pour le gérant du droit d’agir dans toute son éten
due; ces principes sont également conformes au droit et
à la raison , car on ne comprendrait pas qu’alors que
le gérant a le pouvoir d’acheter, de s’obliger pour la so
ciété, de souscrire en son nom des effets de commerce,
on lui refusât celui de contracter un emprunt la veille
d’une échéance , et de consentir une hypothèque , si
l’emprunt ne peut être réalisé autrement. La responsa
bilité indéfinie du gérant offre toute'garantie aux asso
ciés ; donc ce qui n’est pas interdit au gérant dans l’acte
de société doit être réputé lui avoir été accordé.
Ces raisons ne manquent pas d’une certaine gravité,
�326
DES SOCIÉTÉS
à l’endroit de l’hypothèque principalement. Il est évi
dent, en effet, que le gérant a le droit de la conférer in
directement , puisque la condamnation, poursuivie par
les porteurs des billets souscrits par lui, grèvera incon
testablement les immeubles de la société. Pourquoi donc
refuser le droit de faire directement ce qu’on peut ac
complir d’une manière indirecte? N’y aurait-il pas dans
la solution contraire économie et avantage pous la so
ciété elle-même ?
Mais ces considérations manquent, en droit, de fon
dements solides. En effet, la présomption sur laquelle
on les fonde , à savoir que, dès l’instant que l’acte so
cial est muet sur les pouvoirs du gérant en fait de vente
ou d’hypothèque, ces pouvoirs sont censés lui apparte
nir, est inadmissible ; que le gérant soit de plein droit,
et sans stipulations précises, autorisé à faire tout ce que
le commerce exige habituellement, c’est ce qui ne sau
rait être contesté. Mais l’hypothèque , la vente de l’im
meuble dont l’exploitation constitue l’industrie sociale
s’écarte trop des moyens ordinaires du commerce pour
qu’on la considère comme comprise dans la mission
confiée au gérant.
. Il est vrai que par la réalisation de l’une ou de l’au
tre celui-ci trouvera l’occasion de prolonger la durée
de la société ; mais cette prolongation deviendra oné
reuse pour les associés qui l’achèteront au prix de leur
capital; il vaut mieux pour eux que leur opération,
compromise au point de ne pouvoir se soutenir par les
voies ordinaires,au lieu de braver les chances de discrédit
�résultant d’une hypothèque ou d’une vente, soit arrêtée
et liquidée. Ce ne sera peut-être que parce qu’ils l’ont
ainsi compris , ainsi voulu , que l’acte social a gardé le
silence sur le pouvoir d’aliéner ou d’hypothéquer. Dans
cette hypothèse, on voit combien la présomption invo
quée s’écarterait de la vérité.
On doit donc reconnaître que , par cela seul que le
droit d’hypothéquer ou de vendre est un droit exception
nel en matière de commandite , son exercice ne pour
rait être égal que si le gérant a été formellement auto
risé à s’y livrer. Tout ce qui dépasse le commerce, dans
l’acception usuelle de ce mot, excède la capacité du gé
rant ; ses actes , sous ce rapport, rentrent donc sous
l’empire des principes généraux et du droit commun.
C’est ce que la cour de Douai avait consacré; son ar
rêt fut déféré à la cour suprême, et attaqué par les mo
tifs que nous avons déjà transcrits.
Mais ces motifs ne furent point accueillis. L’arrêt de
la cour de Douai reçut la plus éclatante confirmation.
« Attendu, en droit, dit la cour de cassation, qu’au
cun article du Code de commerce ne donne expressé
ment au gérant d’une société en commandite le pouvoir
de vendre ou d’hypothéquer les immeubles de la société;
que les articles 24, 27 et 28, invoqués p ir les deman
deurs, ne parlent que de l’interdiction pour le comman
ditaire d’administrer, et non des pouvoirs du gérant;
» Attendu q u e , dans le silence de la loi spéciale , il
faut recourir à la loi générale ;
» Attendu que les articles 1988 et 2124 du Code ci-
�328
DES SOCIÉTÉS
vil ne donnent le droit d’aliéner et d’hypothéquer que
lorsqu’on est investi d’un mandat spécial à cet effet ;
» Attendu, en fait, que, dans l’espèce , l’acte de so
ciété formé pour l’exploitation de la fabrique de sucre
de Wambrachies ne donne en aucune façon au gérant
le pouvoir d’aliéner ou d’hypothéquer celte fabrique L»
Cette doctrine est d’autant plus irréprochable que les
inconvénients qu’on veut en faire découler sont faciles à
prévenir. L’acte de société doit s’expliquer à l’endroit de
la faculté d’aliéner et d’hypolhèquer ; le gérant doit,
comme principal intéressé , provoquer lui-même cette
explication. Si les associés y consentent, toutes les diffi
cultés disparaissent ; mais ce consentement ne peut res
sortir que de l’insertion d’une clause expresse dans l’acte
social. Si cet acte est muet, le refus du droit est de plein
droit et irrévocablement présumé.
208.
— Le gérant d’une commandite n’est pas censé
aliéner lorsque, les immeubles de la société se trouvant
placés sous le coup d’une saisie réelle, il consent la con
version de l’expropriation en vente volontaire. Dans cette
hypothèse, en effet, l’aliénation ne provient pas de son
fait, elle est indépendante de sa volonté, elle doit s’ac
complir sans son concours par la seule force de la loi,
et en vertu de droits régulièrement acquis par des tiers.
L’expropriation, si elle suit son cours, peut entraîner
les conséquences les plus onéreuses pour la société. In-
�a rt .
23, 24, 25.
329
dépendamment des frais occasionnés par les formalités
nombreuses qu’elle nécessite, elle peut entrainer la dé
préciation des immeubles et déterminer leur vente pour
un prix inférieur à leur valeur réelle, si le jour de l’ad
judication il ne se trouve pas d’enchérisseurs.
La vente volontaire atténue ces inconvénients, si elle
ne les fait pas disparaître. Vouloir empêcher le gérant
de substituer celle-ci à l’expropriation , ce serait tour
ner contre la société une précaution ordonnée dans son
intérêt exclusif. Le gérant en consentant cette conver
sion , fait donc un acte de loyale et bonne administra
tion, auquel la justice ne saurait refuser son approba
tion. C’est dans ce sens que l’a formellement jugé la
cour de cassation, par arrêt du 23 août 4836 l.
209.
— Le gérant de la commandite pure peut,
plus facilement encore que celui de la société collective,
abuser de ses fonctions. L’inaction forcée des associés
enlève à la première ce contrôle actif que la seconde •
trouve dans les associés ordinaires , alors même qu’ils
sont privés du droit d’administrer. La responsabilité du
gérant, admise dans celle-ci, doit donc être plus sévè
rement appliquée dans celle-là.
210. — C’est à ce point de vue qu’on s’est souvent
placé dans la recherche des conséquences que devaient
produire les abus dont le gérant de la commandite s’est
�DES SOCIÉTÉS
rendu coupable. Ainsi a-t-o n notamment soutenu que
le fait d’avoir appliqué les fonds sociaux à ses affaires
propres et personnelles constituait la violation du man
dat prévue par l’article 408 du Code pénal , et devait
conséquemment être poursuivi et puni correctionnelle
ment.
La jurisprudence est divisée à cet égard. En voici jus
qu’à présent les errements.
La cour de Paris avait condamné , comme coupable
d’abus de confiance , et par application de l’article 408
du Code pénal , un gérant convaincu de s’être person
nellement appliqué les fonds de la commandite ; mais
son arrêt , déféré à la cour suprême , fut cassé pour
fausse application de la loi.
Dans le système de la cour de Paris, le gérant d’une
commandite n’est qu’un mandataire ordinaire ; c’est ce
que n’admet pas la cour de cassation, et ajoutons-le avec la vérité des choses. Voici donc sur ce point ses mo
tifs : « Attendu que l’associé gérant d’une société en
commandite ne peut être considéré légalement comme
un mandataire ; qu’en effet ses pouvoirs , établis par
l’acte de société, font partie des conventions réciproques
sur la foi desquelles l’association s’est formée , qu’ils ne
peuvent être révoqués que pour cause légitime ; qu’ils
ne sont pas exercés au nom du mandant , et dans un
intérêt étranger à celui qui les exerce ; que sous tous les
rapports ils diffèrent essentiellement des pouvoirs qui
résultent du contrat de mandat. »
�art .
23, 24, 25.
331
211. — Il semble difficile de contester la rigoureuse
exactitude et la justesse de ces considérations. Cepen
dant la cour de Rouen, devant laquelle la cause fut ren
voyée, prononça dans le même sens que la cour de Pa
ris. Elle déclara qu’en droit le gérant était un simple
mandataire , et comme tel passible des peines portées
par l’article 408 ; qu’en fait, le délit reproché au gérant
n’était pas prouvé. En conséquence, elle le décharge de
l’accusation , et cet acquittement explique comment la
cour de cassation ne fut pas appelée à se prononcer une
seconde fois sur la question x.
2 1 2 . — M. Delangle, qui déjà refuse au gérant de
la commandite le droit de transiger et de compromettre
parce qu’il ne le considère que comme un simple man
dataire , ne pouvait hésiter entre la cour de cassation
et les cours de Paris et de Rouen. Aussi déclare-t-il la
doctrine de celles-ci conforme au texte de la loi pénale,
aux principes de la société en commandite , nécessaire
à la protection des associés commanditaires.
« Eh quoi ! s’écrie-t-il , un mandataire ordinaire
qui, chargé du recouvrement d’un billet, s’en approprie
la moindre part est condamné correctionnellement, et
un gérant de société , après avoir dissipé , volé les mil
lions confiés à sa foi , ne sera exposé qu’à une action
civile ! Après son jugement constatant son infidélité, il
n’encourra que la contrainte par corps, qui s’attache à
i Voy. cos deux arrêts. J. du P., 42, 2, 125.
�332
DES SOCIÉTÉS
toutes les dettes commerciales I Non , encore une fois
non , la loi n’autorise pas ces distinctions ; ce n’est pas
la forme qu’il faut voir , il faut aller au fond des cho
ses , et comme au fond le gérant n’est qu’un manda
taire , il doit expier ses fraudes par l’application de la
loi pénale »
.1
2 1 5 . — Nous en demandons pardon à cet éminent
maître, mais ce n’est pas avec les sentiments qu’on ré
sout les questions de droit, de droit criminel surtout.
En principe, en effet, tout le monde est d’accord : les
lois pénales ne peuvent jamais être , sous prétexte d’a
nalogie , étendues d’un cas à un autre ; elles sont au
contraire essentiellement limitatives et restrictives; elles
n’atteignent et ne peuvent atteindre que les faits qu’el
les ont expressément prévus ; il faut donc, pour justifier
dans l’espèce l’application de l’article 408 , démontrer
que le législateur a compris le fait du gérant dans le
nombre des délits qui y sont énumérés.
À ce propos, remarquons que la violation du mandat
n’a été elle-même un délit que depuis la refonte de no
tre Code pénal, en 1832 ; jusque là tout ce qui pouvait
en résulter, c’était l’application de l’article 1996 du Code
civil : Le mandataire doit l'intérêt des sommes qu'il
a employées à son usage du jour de cet emploi.
Il faut donc rechercher dans l’esprit de la loi de 1832
la nature et le caractère de ce nouveau délit ; or, à cet
l Delangle, Des sociétés commerciales, t. 1, nos 322 et suiv
�art .
23, 24, 25.
333
égard , nul doute n’est permis. Le mandat dont la vio
lation sera correctionnellement punie est celui que l’ar
ticle 1984 du Code civil caractérise en ces termes :
« L’acte par lequel une personne donne à une autre le
pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en
son nom. »
Ainsi donc,ce que prévoit l’article 408,ce n'est pas l’a
bus d’un mandat quelconque, c’est taxativement de celui
qui n’a été accepté que pour être exercé au nom et pour
le compte exclusif du mandant.
Rencontrera-t-on ces conditions dans l’opération se
réalisant entre les commanditaires et le gérant ? Le
mandat de celui-ci, résultant du fait et de la nature de
l'association, est plutôt légal que conventionnel ; il ne
constitue pas le pouvoir d’agir au nom des mandants,
car ce serait les engager indéfiniment, ce que le gérant
n’a aucune capacité de faire ; il ne consiste pas à agir
dans leur intérêt, puisque le gérant a lui-même, comme
associé responsable, un intérêt bien plus grave que celui
des commanditaires ; enfin la chose qu’il s’agit d’admi
nistrer appartient au gérant comme à ses associés, dont
les mises réunies ne sont plus leur propriété privée et
deviennent le fonds commun , auquel le gérant a un
droit incontestable.
C’est surtout cette copropriété qui fait évanouir toute
idée de mandat ordinaire ; aussi M. Delangle va-t-il es
sayer de l’écarter.
« Pothier, dit-il, enseigne que si l’affaire qui ne con
cerne que le seul intérêt du mandataire ne peut être
.
�334
BES SOCIÉTÉS
l’objet d’un mandat, il en est autrement si l’affaire con
cerne tout à la fois le mandataire , le mandant ou des
tiers, car cela suffit pour que le mandataire qui s’en est
chargé soit tenu de rendre compte. »
Pothier a raison ; mais en empruntant sa doctrine,
M. Delangle ne tient pas assez compte de l’espèce et
des conséquences qui se réaliseront. En fait, il y a deux
intérêts parfaitement distincts : celui du mandataire, ce
lui du mandant. En disposant de ce qui le concerne, le
premier ne peut en rien affecter les droits de ce dernier,
que s’il en a reçu le pouvoir exprès d’en disposer au
nom et dans l’intérêt du mandant ; aussi, tout en trai
tant personnellement en ce qui le touche, le mandataire
devra-t-il agir en sa qualité, et justifier de ses pouvoirs
pour engager valablement son mandant. Evidemment
donc, et en regard de celui-ci, le contrat prévu par l’ar
ticle 1984 se réalise dans toute son étendue, et dès lors
sa violation se trouverait sous le coup de l’article 408.
Où donc est, dans l’hypothèse d’une société en com
mandite , l’intérêt distinct, ou la qualité différente ? Le
gérant ne liera-t-il ses commanditaires qu’en décla
rant , en ce qui le concerne , n’agir que comme leur
mandataire ? La solution de ces questions est facile , et
la différence entre cette hypothèse et celle de Pothier est
trop saillante pour qu’on doive, pour qu’on puisse ar
river à un résultat identique.
M. Delangle ajoute que ce qui caractérise le mandat,
c’est la nécessité de rendre compte ; mais cette nécessité
établit-elle toujours le mandat, dont la violation est cor-
�art .
23, 24, 25.
335
rectionnellement punie ? Or, a-t-on soutenu jamais que
le tuteur , que le communiste , doit subir l’application
de l’article 408, s’il est reconnu reliquataire ? L’obliga
tion de rendre compte ne saurait donc influer sur le
caractère du contrat, ni empêcher que celui que le gé
rant puise dans sa qualité ne soit pas un mandat ex
ceptionnel, ainsi que nous venons de le prouver.
C’e s t, au reste , ce que la cour de cassation a décidé
en plusieurs circonstances ; c’est ce que la cour de Rouen
avait elle-même jugé dans l’arrêt du 19 août, que nous
empruntions tout à l’heure. Appelée à décider si le gé
rant avait eu ou non le droit de transiger , la cour se
prononce pour l’affirmative , attendu que le gérant de
la commandite agit autant dans son intérêt que dans
celui de ses associés; qu’il ne peut donc être assimilé à
un simple mandataire , dont les droits sont expressé
ment limités par la loi civile. Comment, dès lors, se li
vrer à cette assimilation, en présence d’une disposition
exceptionnelle et pénale.
De tout cela nous concluons, contrairement à ce que
fait M. Delangle, que les cours de Paris et de Rouen se
sont trompées sur la difficulté qui nous occupe ; que
seule la cour de cassation a proclamé les véritables prin
cipes et donné à la matière la solution qu’elle comporte
juridiquement.
En réalité donc , l’abus que le gérant commet dans
la disposition qu’il fait des fonds sociaux, en les appli
quant à ses besoins personnels , n’est pas atteint par
l’article 408 du Code pénal. Le gérant ne saurait être
�336
'
DES SOCIÉTÉS
un mandataire , parce qu’il est copropriétaire de ces
fonds , parce qu’il trouve dans sa qualité le droit de
transiger et de compromettre , parce qu’enfin il n’est
pas appelé à les administrer au nom et dans l’intérêt
exclusif des commanditaires. Sans doute , l’acte qu’il
commet n’en est pas moins blâmable aux yeux de la
morale et de la loi, et s’il n’est pas un délit, il constitue
évidemment un dol civil, il en produit toutes les con
séquences.
L’associé commanditaire n’est passible des
pertes que jusqu’à concurrence des fonds qu’il
a mis ou dû mettre dans la société.
L’associé commanditaire ne peut faire aucun
acte de gestion, ni être employé pour les af
faires de la société, même en vertu de procu
ration.
En cas de contravention à la prohibition
mentionnée dans l’article précédent, l’associe
commanditaire est obligé solidairement, avec
les associés en nom collectif, pour toutes les
dettes et engagements de la société.
�art.
26, 27, 28.
SOMMAIRE
214.
215.
216.
217.
218.
219.
220.
221.
222.
223.
224.
225.
226.
227.
228.
229.
230.
Caractère et objet de l’article 26.
Conditions pour que le paiement de la mise opère la libé
ration de l ’associé.
Valeur de la contre-lettre que le signataire de l’acte social
obtiendrait du gérant.
Caractère juridique de la nullité , au point de vue des pou
voirs du gérant.—Exemples tirés de la jurisprudence.
Pourrait-on compenser la mise avec une dette due par le
gérant en son nom propre et privé.
Solution remarquable donnée par la cour d’Aix ; arrêt con
forme de la cour de cassation.
Mais la mise peut être valablement fournie en marchandi
ses, en valeurs commerciales, et même par la cession de
créances ordinaires.
Impossibilité , pour les associés, de retirer tout ou partie
de leur mise pendant la durée de la société.— Exemples
d'application de cette règle.
Le droit de contraindre au rapport de la mise mal à propos
retirée appartient aux commanditaires eux-mêmes.
On peut stipuler que la mise produira un intérêt.
Conséquences de cette clause dans le cas de perles par la
société.
Les intérêts perçus en cet état doivent-ils être recomblés?
Quid, pour les bénéfices distribués? — Controverse entre
la cour de cassation et les cours de Rouen et de Paris.
—Opinion de M. Persil fils.
Motifs devant la faire repousser.
Opinion de MM. Duvergier et Pardessus.
Comment cette dernière se concilie ayec celle de MM. Troplong, Delvincourt, Delangle, Malepeyre et Jourdain.
A quelles conditions devra-t-on admettre que les comman
ditaires ont reçu de bonne foi ?
i
*
22
�DES SOCIÉTÉS
231.
Quid, si le gérant avait produit un inventaire faux et men
songer ?
232. Résumé.
233. Le commanditaire qui s’est borné à faire porter les intérêts
et bénéfices au crédit de son compte peut-il les prélever
au moment de la liquidation , ou s’en prétendre créan
cier dans la faillite ?
234. Arrêt, pour l ’affirmative, delà cour de Rouen. — Opinion
conforme de M. Delangle.
233. Dissentiment et réfutation.
236. Faculté pour le gérant de poursuivre le paiement de la
mise. — Nature de son action ou de celle des créanciers
agissant en vertu de l ’article 1166 du Code civil.
237. Après la faillite , les syndics, représentant les créanciers,
ont-ils l’action directe contre les associés? Renvoi.
238. Réfutation de quelques arguments de M. Delangle.
2 3 9 . Caractère et effet de la clause portant que, faute de réaliser
les paiements convenus, les commanditaires seront dé
chus et perdront tout ce qu’ils auraient déjà payé.
240. Résumé.
241. Les commanditaires sont contraignables par corps pour le
paiement de leur mise.
242. Nature de l’article 27 du Code de commerce.
243. Débats que la lédaction souleva.
244. Réfutation de la critique qu’en fait M. Frémery.
244 bis. Loi du 9 mai 1863.—Son origine, son but, ses motifs.
244ter. Conséquences de l ’abrogation de la prohibition d’être
employé pour les affaires de la société.
244 quatuor_ Difficultés que présente la détermination des actes
de gestion.— Conséquences.
244quinto_ Modifications à la disposition de l'article 28 à l ’égard
de la responsabilité.
244 sexto. Son caractère.
244 septimo. Droit des commanditaires quant aux avis et conseils
et aux actes de contrôle et de surveillance.
�a r t
.
26, 27, 28.
Nature de ce droit à l ’égard du gérant.
245. Justification du droit pour le commanditaire d’assister aux
assemblées et d’y délibérer.
246. La nature du concours permis aux commanditaires et ses
effets sont abandonnés à l’arbitrage des tribunaux.
247. Exemples tirés de la jurisprudence en ce qui concerne la
surveillance.
248. Dans quelles limites doit-on les circonscrire ?
249. Les délibérations prises par les commanditaires lient-elles
le gérant à leur égard ?—Opinion de M. Pardessus.
250. Réfutation.
251. Droits des commanditaires en cas de mort ou de démission
des gérants, ou de liquidation de la société.—Arrêt à ce
sujet
252. Résumé.
253. Avis de conseil d’Etat sur l’application des articles 27 et
28. — Conséquences quant au commanditaire commis
sionnaire.
254. Les commis ou facteurs peuvent-ils être considérés comme
s’étant immiscés.
2S4bis. Solution consacrée par la loi de 1863.
254ter. Pouvoirs des tribunaux dans l’appréciation des actes de
gestion imputés au commanditaire.
255. Droit des commanditaires commerçants d’établir des rela
tions avec la société.
256. Mais ils ne peuvent compenser le crédit de leur compte avec
ce qu’ils doivent encore de leur mise.
257. L’immixtion peut être prouvée par témoins et par présomp
tions.
258. Première difficulté qu’a fait naître l ’article 28 : étendue de
la responsabilité du commanditaire qui s’est immiscé.
259. Deuxième difficulté : ce commanditaire a-t-il un recours
contre le gérant pour tout ce qui est obligé de payer au
delà de sa mise ?—Opinion affirmative de MM. Pardessus
et Troplong.
2 4 4 oetavoi
�340
260.
26t.
262.
DES SOCIÉTÉS
Discussion et rejet de cette opinion.
Opinion et restriction que M. Delangle enseigne.—A quel
les conditions devrait-on admettre celle-ci?
Troisième difficulté : le commanditaire qui s’est immiscé
peut-il être déclaré en état de faillite ?
2 1 4 . — Le caractère exceptionnel de la société en
commandite se révèle avec éclat dans l’article 26 ; le
commanditaire peut participer aux bénéfices dans des
proportions égales avec l’associé en nom collectif. Mais
quelque fâcheux que soient les résultats du commerce,
alors même que la fortune entière de celui-ci serait ab
sorbée sans que le passif fût couvert, le commanditaire
est quitte envers tout le monde par l’abandon de sa
mise.
Cette inégalité de position, quelque choquante qu’elle
puisse paraître , n’est pas un droit nouvellement créé
par le Code. Elle a été de tout temps la conséquence in
contestée de la société en commandite , l’effet direct et
forcé du but qu’elle se proposait. Cette institution , en
effet, créée dans l’intérêt du commerce , n’a eu d’autre
objet que d’appeler, à l’aide de ses opérations, les capi
taux de ceux auxquels leur position sociale rendait cette
carrière impossible, et de ceux qui ne voulaient ou ne
pouvaient en courir les chances indéterminées, dans la
crainte de compromettre leur patrimoine et la fortune
de leur famille.
Pour atteindre ce résultat, pour dissiper ces justes
craintes, il fallait matérialiser en quelque sorte les effets
de la commandite , afin de la rendre accessible à tous.
�a rt .
26, 27, 28.
341
Il fallait surtout déterminer un maximum de pertes ne
devant et ne pouvant jamais être dépassé. Or , ce ma
ximum était naturellement indiqué, c’était la mise que
chaque associé s’engageait à fournir. Il est évident que
celui qui expose une somme quelconque, qu’il est libre
de fixer à sa convenance, a par cela même prouvé que
l’idée de la perdre n’a rien de bien compromettant pour
lui. Ces errements des législations anciennes ont été ad
mis et consacrés par notre article 26.
Donc le commanditaire est parfaitement libre de sui
vre , dans la détermination de son intérêt social, ce
Iqu’exigent ses convenances et sa position de fortune. Il
ne sera jamais tenu au delà de ce qu’il a promis. Le
paiement de sa mise le libérera tant envers ses coasso
ciés que vis-à-vis des créanciers, sans être exposé à au
cune recherche à raison de la société.
21 S. — Mais plus l’effet du paiement devait être
décisif, et plus on devait veiller à sa sincérité. Les cré
anciers, sans action pour en quereller les conséquences,
doivent donc être reçus à en discuter les caractères ; il
ne sera réellement libératoire que s’il a été réel et ef
fectif. La première des exceptions qu’ils pourront faire
valoir est sans contredit celle tirée de la simulation de
la quittance. La preuve que cette quittance a été con
cédée sans que rien eût été reçu en échange en ferait
prononcer l’annulation, et laisserait le porteur dans l’o
bligation de payer sa mise.
216. — Le commanditaire pourrait- il se prévaloir
�342
DES SOCIÉTÉS
de la contre-lettre signée par le g éran t, et constatant
que , quoiqu’il ait adhéré à l’acte social, la vérité est
qu’il n’a jamais été associé ?
La négative ne nous paraît pas susceptible du moin
dre doute. Celui qui ne veut pas être associé , a une
chose fort simple à faire : ne pas signer le pacte social.
Quel peut être , en effet, la raison d’une conduite con
traire ? Le résultat de la complaisance ; mais la loi ne
saurait se contenter d’une pareille excuse. Dans cette
occurrence, la complaisance pour le gérant devient une
fraude évidente contre les coassociés, contre les tiers.
En effet, signer un acte de société et obtenir une con
tre-lettre rendant cette signature sans valeur ne peut
être interprété que dans le sens d’une des trois hypo
thèses suivantes :
Ou se servir d’un nom recommandable par son ex
périence ou sa fortune, pour capter la confiance publi
que et obtenir des adhésions qui n’auraient pas été don
nées sans l’existence de cette signature ;
Ou tendre un piège aux tiers , en leur inspirant la
fausse persuasion de l’existence de garanties et de res
sources n’ayant rien de réel ;
Ou compléter le nombre des signatures exigées par
les statuts, pour que la société soit définitivement con
stituée.
Dans l’un comme dans l’autre de ces c a s , la fraude
existe , elle ne saurait être ni méconnue ni contestée.
Pourrait-on permettre à ses auteurs de s’en prévaloir et
surtout d’en profiter, alors qu’il s’agit de majeurs capa-
�a rt .
26, 27, 28.
343
blés et tenus d’apprécier les conséquences de l’acte qu’on
leur demandait et qu’ils ont accompli ?
La raison et la loi protestent également contre toute
solution affirmative : en conséquence , proscrire une
pareille excuse , condamner comme associé celui qui a
ostensiblement et expressément pris cette qualité est pour
les tribunaux, non-seulement un droit, mais encore un
devoir.
#
217. — Ce résultat juridique , au point de vue des
principes régissant la fraude, ne l’est pas moins à l’en
droit des principes spéciaux applicables au gérant. Nous
l’avons déjà dit, celui-ci n’engage la société que lors
qu’il traite sur des matières sociales rentrant dans ses
attributions. Telle n’est pas la transaction qu’il consen
tirait dans l’objet de dispenser quelques associés de leurs
engagements, notamment de celui de verser leur mise,
ou de retirer ce qu’ils ont déjà payé l.
Or, en réalité, la contre-lettre, à l’effet de faire consi
dérer la signature d’un associé comme n’existant pas,
constituerait une transaction de ce genre, et ne pour
rait, sous ce rapport encore, échapper à la nullité 2.
2 1 8 . — Ainsi le paiement est dû par tous les signa
taires de l’acte, sans exception possible, et ce paiement
doit être effectif et réel. Pourrait-on reconnaître ce dou-
i Voy. supra n° 205.
3 Cass , 4 2 avril 1842 ; Paris, 19 août 4845 et décembre 1846 ; —
J. du P ., 42, 4, 545; 45. 2, 4 6 ; 47, 1, 114.
�344
DES SOCIÉTÉS
ble caractère dans le paiement consistant en la compen
sation de la mise du commanditaire avec la créance
qui lui était due par le gérant en son propre et privé
nom ?
L'affirmative ne pourrait être accueillie que dans cette
seule hypothèse, à savoir si, la compensation formelle
ment stipulée dans l'acte , cette clause avait été légale
ment publiée. Cette formalité est une indication de la
nature des valeurs fournies et A fournir ; elle indique
aux tiers le caractère des ressources que présente la so
ciété ; ils seront donc à même de juger de la confiance
qu’ils doivent faire.
Mais si, au lieu de publier cette clause , l’extrait dé
posé au greffe énonce seulement que chaque associé
s’oblige à verser une somme déterminée , les tiers ont
dû compter sur la réalisation de cette promesse et me
suré leur confiance sur son importance ; il faut donc
que chaque somme soit réellement entrée dans la caisse
sociale. Tout mode n’ayant pas déterminé ce résultat,
et conséquemment la compensation entre la mise et ce
qui est privativement et personnellement dû par le gé
rant, ne saurait avoir pour effet de libérer le comman
ditaire de son obligation. Comment pourrait-on tolérer
qu’on fit luire aux yeux du public un avoir offrant des
garanties certaines, alors qu’en fait cet avoir se trouve
rait absorbé par le passif antérieur du gérant.
Il est légalement et loyalement impossible que les com
manditaires puissent directement ou indirectement con
courir à tromper les tiers. Ceux-là donc d’entre eux
�a rt .
26, 27, 28.
345
qui voudront compenser leur mise avec leurs créances
doivent non-seulement le stipuler expréssément, mais en
core veiller à ce que cette stipulation reçoive toute la pu
blicité requise ; à défaut de celle-ci , ils seraient con
traints, malgré toute compensation, à verser réellement
leur mise. Ce qui doit le faire décider ainsi , c’est que
la dette étant due à la société, et la créance par la per
sonne privée du gérant, il n’y a pas identité de person
nes entre le créancier et le débiteur, ce qui empêche lé
galement toute compensation.
219.
— La cour”d’Aix a fait une remarquable ap
plication de cette doctrine dans l’espèce suivante, qu’elle
a eu à juger en 1844.
Un raffineur de sucre de Marseille , s’étant trouvé
gêné dans son commerce, réunit ses créanciers ; un ar
rangement amiable intervient, aux termes duquel cha
que créancier réduit sa créance à cinquante pour cent,
les autres cinquante pour cent devant rester aux mains
du débiteur à titre de commandite.
Cette société est publiée, et l’extrait indique, non pas
cette mise de cinquante pour cent des créances ancien
nes , mais que chaque commanditaire s’est engagé à
verser une somme déterminée.
Quelques mois s'écoulent, et comme une société de
ce genre ne pouvait offrir des ressources à une exploi
tation, car elle étaifpurement négative, le commerçant
qui l'avait-formée est déclaré en faillite , en sa qaulité
de gérant,
�346
DES SOCIÉTÉS
Les créanciers nouveaux actionnent les commandi
taires en versement de leur mise individuelle : ceux-ci
excipent de l’arrangement amiable, et prétendrent s’être
libérés par l’abandon convenu de cinquante pour cent;
mais les créanciers répondent que le silence gardé sur
ce point , lors de la publication de l’acte , constituerait
une fraude dont il leur serait dû réparation ; que c’est
parce qu’ils ont cru à l’apport des sommes énoncées
qu’ils ont traité avec un commerçant notoirement in
solvable avant la société ; qu’ils ne lui auraient certai
nement pas fait confiance, s’ils avaient pu se douter que
l’actif qu’on faisait connaître ne consistait que dans le
passif de l’ancien commerce.
Il était difficile de combattre ce système ; aussi fut-il
successivement consacré par le tribunal de commerce de
Marseille et par la cour d’Aix. Les commanditaires fu
rent condamnés au paiement de leur mise.
C’est ce que la cour de cassation avait déjà admis, par
arrêt du 14 février 1838. Cet arrêt décide que l’associé
commanditaire ne s’étant libéré qu’au moyen d’un trans
port de créance , et le débiteur cédé ayant compensé la
dette avec une créance qu’il avait lui-même sur l’asso
cié responsable personnellement, le transport opéré par
le commanditaire n’a pu équivaloir au versement effec
tif auquel il était tenu envers les tiers par l’acte de so
ciété l.
2 2 0 . — Il résulte de cette jurisprudence que le com-
�ART. 26, 27, 28.
347
manditaire n’est libéré envers les tiers que par la preuve
que sa mise est réellement entrée dans la caisse sociale.
ne faudrait pas certes conclure de là qu’il ne puisse
payer, soit en marchandises, soit par un transfert de
valeurs commerciales ou par transport de créances or
dinaires. Dans ce dernier cas seulement le paiement ne
serait pas libératoire si , par une circonstance quelcon
que, par compensation avec la dette personnelle au gé
rant , ou par l’insolvabilité des débiteurs , les créances
cédées n’avaient nullement profité à la société l.
11
221.
— La mise réalisée n’appartient plus à celui
qui l’a versée , elle devient la propriété commune de
tous les associés , et le gage exclusif des créanciers. En
conséquence, elle ne peut valablement être retirée en
tout ou en partie qu’après paiement intégral de ces der
niers.
Les exemples d’application de cette règle sont nom
breux en jurisprudence. Nous nous contenterons d’en
emprunter quelques-uns.
Ainsi, il a été jugé par la cour de Paris , le 22 mai
1841 , que l’associé commanditaire qui, après la disso
lution de la société , et avant l’établissement d’aucun
compte de liquidation régulier , s’est fait remettre sa
commandite, est responsable envers les créanciers de la
société non désintéressés du montant de sa commandite,
et des intérêts qu’il en a retirés indûm ent ;
2
1 Voy. consultation de M. Dalloz aîné.—D. P., 33, 2, 244.
2 J. du P ., 41, 2, 45,
�348
DES SOCIÉTÉS
Par la cour d’Angers, le 18 février 1843, que la mise
du commandilaire étant, ainsi que les intérêts et les bé
néfices qu’elle a pu produire, et qui, chaque année, sont
venus la grossir du consentement du commanditaire,
affectée au paiement des dettes de la société, celui-ci ne
peut en opérer le retirement, même après la dissolution
de la société, que sauf l’acquittement des dettes socia
les ;
Par la cour de Douai, enfin , le 14 décembre 1843,
que le con$tnanditaire qui veut obtenir du gérant la res
titution de la mise qu’il a versée ne peut le faire , visà-vis des créanciers de la société , qu’après liquidation
régulière de celle-ci ; dès lors doit être considérée com
me nulle et non avenue, à l’endroit de ceux-ci, l’obli
gation, qu’avant toute liquidation, le gérant, à la veille
de faillir , aurait souscrite au profit du commanditaire
pour le rembourser de sa m ise2.
Le caractère juridique de cette jurisprudence n’a ja
mais été ni pu être contesté ; il n’y a pas à hésiter entre
l’associé et les créanciers toutes les fois qu’il s’agit de la
répartition de la perte; il serait immoral et inique de
la laisser à la change de ceux-ci, parce qu’il aurait con
venu à l’associé de se hâter de prendre des mesures pour
sauver du naufrage la mise jusqu’à concurrence de la
quelle il est tenu. Qu’on ne puisse donc rien lui deman*
der au delà , c’est la loi qui le veut ainsi ; mais qu’on
1
1 J. du P., 43, 2, 166.
2 J. du P .. 44, 1, 212.
�ART. 2 3 , 2 4 , 2 5 .
349
lui permette de la retenir , parce qu’il en aura obtenu
la restitution, ce serait méconnaître la raison et le droit.
Il doit donc rapporter tout ce qu’il en a louché. Vai
nement exciperait-ii de ce qu’à l’époque où il en a ac
cepté le remboursement, la société était integri status,
on lui répondrait que cette preuve ne pouvait résulter
que d’une liquidation régulière que sa retraite de la so
ciété rendait indispensable et du paiement réel des cré
anciers ; que si la mise avait été remboursée après dis
solution de la société, la preuve contraire à l’allégation
serait acquise par cela seul qu’il existerait des créan
ciers en souffrance.
222.
— Le droit de contraindre au rapport de la
mise mal à propos retirée appartient non-seulement aux
créanciers, mais encore à tous les autres commanditaires
s’ils y ont intérêt ; or, cet intérêt est incontestable, lors
que , la perle étant inférieure au capital , il s’agit pour
chacun d’eux d’y contribuer proportionnellement. Il est
évident que la proportion sera d’autant moindre qu’il
y aura un plus grand nombre d ’obligés.
La certitude de l’intérêt engendre celle de l’action ;
donc , au moment de la liquidation , les associés com
manditaires seront fondés à exiger que toutes les mises
participent au paiement de la perle, et à obtenir que la
base proportionnelle pour chacun d’eux soit calculée
sur leur ensemble. Chacun d’eux pourrait se faire rem
bourser ce qu’il aurait payé au delà de ce qu’il devait
réellement.
�350
DES SOCIÉTÉS
La seule différence entre les associés et les tiers, c’est
que la demande des uns pourrait être l’objet de fins de
non-recevoir , tirée de la participation qu’ils auraient
prise , ou de l’approbation qu’ils auraient donnée à la
retraite de l’associé, tandis que celle des tiers ne saurait
jamais être contestée sous ce rapport.
Aussi, le répétons-nous, en ce qui les concerne, l’ac
tion en recomblement de tout ce qui aurait été distrait
de la mise n’a jamais pu être contestée ; mais il n’en
a pas été ainsi des produits de cette mise. Le com
manditaire est-il tenu de restituer les intérêts et béné
fices qui lui ont été périodiquement distribués ? Exami
nons ce qu’il doit en être des intérêts, nous nous occu
perons ensuite des bénéfices.
223.
— Le paiement des intérêts de la mise doit
être stipulé dans l’acte social. A défaut d’une clause ex
presse, il n’en serait dû aucun ; ce qui aurait été tou
ché à ce titre ne serait plus qu’un bénéfice déguisé.
Le caractère licite de la stipulation d?’un intérêt en fa
veur des commanditaires ne saurait être révoqué en
doute. Une pareille clause n’est que l’exercice de la fa
culté qui leur est laissée de ne jamais courir d’autres
risques que ceux qu'ils ont bien voulu s’imposer. Elle
constitue une condition sans laquelle ils n’auraient pas
engagé le capital. Elle est donc valable à l’endroit des
tiers comme des associés eux-mêmes L
i Rouen, 30 mars 1841 ; J du P ., 41, 1, 473.
�art.
26, 27, 28.
351
D’ailleurs, assurer aux commanditaires l’intérêt an
nuel ou semestriel de leurs fonds, c’est, en réalité, leur
concéder une plus grande part dans les bénéfices. Or,
comme le droit qu’ils ont de participer à ceux-ci n’a
reçu aucune limite, il est évident qu’on n’aurait aucun
motif plausible pour faire révoquer celte concession.
224.
— Faut-il conclure de là , comme l’a fait la
cour de Rouen, que les tiers doivent subir le prélève
ment de ces intérêts, lors même qu’au moment où il a
été distribué, il était évident qu’au lieu d’avoir un bé
néfice , la société était en perte ? L’admettre ain si, c’est
reconnaître à l’associé une qualité ne pouvant lui ap
partenir , celle de bailleur de fonds. Il ne sau rait, en
effet, exister simultanément un contrat de société et un
contrat d’emprunt : la qualité d’associé exclut celle de
prêteur. Aussi, nous venons de le dire , le commandi
taire stipulant l’intérêt de sa mise exige un bénéfice
supplémentaire bien plutôt qu’un intérêt proprement
dit.
Ce qui détermine surtout ce caractère de la stipula
tion , c’est que les mises sont devenues la propriété de
la société. Il serait donc contraire à la nature des cho
ses que celle-ci payât un loyer quelconque de choses lui
appartenant : elle ne doit donc pas d’intérêt. Celui au
quel elle s’est engagée ne peut donc consister que dans
le prélèvement d’une partie du produit de ces mises,
c’est-à-dire du bénéfice qui en sera résulté.
Vainement objecterait-on que les tiers ne peuvent,
�358
DES SOCIÉTÉS
dans aucun cas,quereller un droit dont l’existence leur a
été dénoncée par la publication de l’acte de société. Nous
répondrons , qu’en ce qui les concerne, la clause por
tant intérêt ne peut avoir un autre sens que celui que
nous venons d’indiquer, à laquelle, dès lors, ils ne de
vaient ni ne pouvaient attacher une grande importance,
puisqu’ils sont naturellement étrangers à la répartition
des bénéfices.
Conséquemment, prétendre les obliger à l’accepter et
à la subir, en ce sens qu’on pourra, à son aide, modi
fier, diminuer , anéantir même le capital, c’est mécon
naître la volonté expresse de la loi , leur retirer d’une
main ce qu’on semble leur accorder de l’autre. En cas
de perte , en effet, ils ne pourraient plus compter sur
l’intégralité de ce capital, que l’article
a voulu ce- ,
pendant leur assurer.
86
En dernière analyse , les tiers ont du comprendre et
savoir que l’associé pourrait annuellement disposer des
revenus, des produits de sa mise. L’affectation spéciale
que la société a consentie de cette partie de ses bénéfices
est obligatoire pour eux. Ils doivent donc la respecter
lorsqu’elle a été loyalement exécutée. Mais on ne pour
rait en exciper contre eux lorsque , en réalité , la mise
n’a procuré ni revenus ni produits ; on dénaturerait la
convention si on voulait les contraindre à admettre que
l’intérêt devait être payé aux dépens du capitall.
1 Delangle, n°* 365 et suiv
�.
ri
-r-'
a rt .
26, 27, 28.
353
Ainsi donc , ce qui a été touché comme intérêt n’est
pas sujet à répétition, à condition néanmoins qu’au mo
ment oii la distribution s’est opérée la société fût en bé
néfices. Or, la vérité sera facilement établie, car les écri
tures permettront de constater à chaque période l’état
réel des affaires.
225.
— S’il résulte de cet examen qu’au lieu d’un
bénéfice réalisé la société n’avait éprouvé qu’une perte,
les commanditaires seront-ils par cela seul tenus de re
combler ?
La cour de cassation a , par arrêt du 19 mai 1847,
adopté la négative , et jugé qu’il suffisait que l’intérêt
eût été reçu de bonne fo i, pour que le commanditaire
fût à l’abri de toute recherche h
Cette décision nous parait empreinte d’une équitable
sagesse. Le commanditaire , exclu de la gestion , n ’est
pas initié au secret des affaires ; il peut donc , de trèsbonne fo i, en ignorer l’étal ré e l, et en cet état recevoir
l’intérêt que le gérant lui paie.
Il est vrai qu’il pourrait s’en assurer par la vérifica
tion des écritures. Nous verrons même que pour la ré
partition des bénéfices, l’omission de cette formalité con
stitue les commanditaires en mauvaise foi ; mais on ne
pouvait, quant à ce, mettre sur la même ligne l’intérêt
et le bénéfice. Le paiement de l’un est en quelque sorte
l’accomplissement d’une obligation imposée par l’acte
�354
DES SOCIÉTÉS
social, tandis que la répartition de l’autre n’est qu’un
droit dont l’exercice légal est nécessairement subordonné
à la certitude de son existence, D’ailleurs, l’intérêt peut
être semestriellement exigible, ou s’il est annuel, il peut
échoir à une époque antérieure à celle indiquée pour
l’inventaire. La loi s’en est donc reposée sur le gérant ;
elle devait, dès lors , présumer la bonne foi des com
manditaires.
Mais cette présomption céderait facilement devant des
circonstances de nature à établir que le commanditaire
n’ignorait pas ou ne pouvait ignorer que la société étant
en perte , le prétendu intérêt qu’il recevait était prélevé
sur le capital. C’est là une appréciation de fa it, souve
rainement déférée à la conscience des tribunaux.
226.
— Les principes régissant le rapport de l’in
térêt doivent, sauf quelques modifications , résoudre la
difficulté à l’endroit des bénéfices. Ainsi, le commandi
taire pourra retenir les dividendes qui lui ont été distri
bués, et qu’il a acceptés de bonne foi. Nous verrons tout
à l’heure en quoi consiste celle-ci, dans quel cas elle
peut être admise.
La proposition contraire, c’est-à-dire la nécessité ab
solue de rapporter les bénéfices perçus pendant la durée
de la société, avait été consacrée par la cour de Rouen,
le 14 décembre 1807. Son a r r ê t, déféré à la cour su
prême, fut cassé le 14 février 1810 ; m a is, sur le ren
voi , la cour de P a ris, saisie de la question , la résolut
dans le sens que celle de Rouen avait adoptée.
\
�art .
26, 27, 28.
355
M. Persil fils approuve hautement cette solution, il la
déclare conforme à l’équité et à la loi, c’est-à-dire à l’or
donnance de 1673 , sous l’empire de laquelle le litige
était placé 1.
La doctrine condamnée par la cour de cassation se
fonde sur ce que le bénéfice ne peut être certain qu’à la
dissolution de la société et à sa liquidation. Jusque-là
il n’y a que des chances incertaines ; car le gain d’au
jourd’hui peut être plus qu’absorbé par la perte de de
main. Qu’arriverait-il cependant si , le cas échéant, le
commanditaire retenait ce qu’il a perçu? C’est que
contrairement à la loi il ne perdrait pas l’intégralité de
la mise qu’il avait versée , et qui se trouverait ainsi
partiellement ou totalement remboursée, ce qui est con
traire à la volonté bien formelle du législateur. D’ail
leurs,'comme accessoires de la mise, les bénéfices doi
vent suivre le sort de celle-ci, comme l’enseignait Straccha. Si coita sit societas inter plures ad certum
tempus, quemadmodum sors ipsa, nisi finita societate, invitis sociis, diminui non p o test, ita pecunia quœ sorti accrevit, hoc est ipsum lucrum. Idem
enim ju ris e s t , in eo quod accrevit , quod et in
sorte est:
227.
— Mais est-il bien certain que, dans ce pas
sage, Straccha ait eu en vue l’hypothèse que nous exa
minons ? Il est permis d’en douter. La perception des
Des sociétés, art. 26, n« 3.
�DES SOCIÉTÉS
bénéfices qu’il condamne est celle qui se serait opérée
invitis sociis. Celle que nous supposons, au contraire,
ne sera jamais que l'exécution d’une clause de l’acte so
cial ; elle se fera donc avec le consentement et le con
cours de tous les associés.
Quoi qu’il en s o it, il ne paraît pas que la doctrine
de Straccha, dans le sens qu’on veut lui donner, ait été
jamais suivie , soit av an t, soit depuis l’ordonnance de
1673. Aucun auteur ne la rappelle , aucun monument
de jurisprudence ne la consacre ; et cependant l’occasion
ne devait pas manquer ; car le prélèvement d’une som
me annuelle était ordinairement stipulé dans le contrat
même ; nous en puisons la preuve dans les formules des
sociétés que nous a léguées Savary.
Ce silence absolu de la doctrine et de la jurispru
dence prouve donc que ce prélèvement était considéré
comme un d ro it, et cet usage nous est attesté par les
auteurs du Code lui-même.
II était même impossible qu’il en fût autrement. M.
Delangle l’établit d’une manière péremptoire, en faisant
très-judicieusement remarquer que cet usage était seul
en parfaite harmonie avec l’idée sous l’influence de la
quelle s’est développée la commandite. « Le but que
celle-ci s’était proposé en 1673 était d’attirer dans le
commerce les capitaux d’une noblesse fastueuse et pro
digue ; on voulait que, sans se mêler de négoce et sans
déroger, elle pût recueillir des gains supérieurs à l’em
ploi permis de l’argent; il fallait donc que des bénéfi
ces réalisables à des époques rapprochées , au fur et à
�a r t
.
26, 27, 28.
357
mesure des opérations, pour ainsi dire, vinssent, en lui
donnant un aliment certain, encourager l’esprit de spé
culation. Quel attrait aurait pu avoir la perspective d’un
gain dont la réalisation , reportée dans l’avenir , n’au
rait , d’ailleurs , été définitive qu’après une liquidation
longue , embarrassée , soumise à toutes les fatalités du
commerce ? À des hommes étrangers par goût et par
position aux affaires commerciales il faut des certitudes,
il faut qu’ils ne soient pas enchaînés aux résultats d’o
pérations dont ils n’ont pas la direction ; et qu’exposés
à perdre le capital dont ils ont fait l’avance, ils ne cou
rent pas d’autres dangers ; il faut surtout qu’ils ne puis
sent jamais être forcés de rapporter les fruits qu’ils ont
reçus de bonne foi et consommés. Leur fortune pourrait
succomber à ces retours imprévus »
.1
Il n’y a rien à ajouter à ces considérations ; elles é ta
blissent , avec la plus évidente certitude , qu’en prêtant
à l’ordonnance un sens contraire , les cours de Rouen
et de Paris en ont méconnu la portée et l’esprit.
La cour de Paris va plus loin encore : elle ne se con
tente pas d’interpréter la législation qu’elle avait à ap
pliquer , elle prétend que la solution est conforme au
nouveau Code de commerce, et qu’on doit la suivre sous
son empire.
Ici l’erreur n’est plus seulement la conséquence de
considérations décisives; elle e s t, en outre , expressé-
1 Delangle, t. 1 , n° 348
�DES SOCIÉTÉS
ment prouvée par la discussion que le Code subit au
conseil d’Etat.
En effet, la proposition de forcer les associés com
manditaires à rapporter, en cas de faillite, les dividen
des qu’ils auraient reçus , fut mise en délibération. On
faisait observer que l’autorisation de retenir ces bénéfi
ces équivalait à celle de retenir la mise elle-même , ce
qui était contraire à la disposition de l’article 26.
On répondait :
1° Que les bénéfices passés sont réputés consommés;
2° Qu’adopter la proposition , ce serait changer la
condition du commanditaire, laquelle consiste essentiel
lement à ne pouvoir perdre plus que les fonds qu’il a
mis dans la société ;
3° Qu’on dégoûterait les capitalistes des sociétés en
commandite, parce qu’aucun d’eux ne voudrait s’expo
ser à rapporter , peut-être après dix ans , le dividende
qui a servi à. pourvoir à ses dépenses journalières, à ses
besoins ;
4° Que le système de l’article existait déjà , et que
néanmoins les sociétés en commandite obtenaient du
crédit.
Sur ces observations, la proposition fut retirée h
Comment donc la cour de Paris a-t-elle pu prêter au
législateur du Code l’intention de faire aux commandi
taires l’obligation de restituer les bénéfices perçus ? Est-
Locré, Esprit du Code de commerce, art. 26.
�art .
2 6 , 2 7 , 28.
359
ce pour arriver à ce résultat qu’il a rejeté la proposition
qui le demandait ainsi ?
L’assertion de l’arrêt n’a donc aucun fondement lé
gal, et sa doctrine n’a rien de juridique. Ajoutons qu’au
point de vue de l’équité, cette doctrine n’est rien moins
que fondée. Sans doute il ne faut pas que les tiers de
viennent les victimes de trompeuses, de fallacieuses pro
messes. Mais si, en réalité, chaque commanditaire perd
le capital par lui versé , comment exiger davantage ?
S’est-il engagé à ajouter à ce capital les fruits et reve
nus qu’il est susceptible de produire ? L’article 26 , dit
M. Troplong, est décisif. En limitant la perte aux fonds
que chaque actionnaire a versés ou doit verser, il exclut
celle des bénéfices qu’on a stipulé devoir être annuelle
ment distribués. Or, ce qui, dans la commandite , doit
rester in tact, c’est le capital, parce que là est le gage
inaltérable des créanciers. Mais les bénéfices périodi
ques sont faits pour être distribués et consommés ; telle
est leur destination , à moins que l’acte de société n ’en
dispose autrement; et les créanciers n’ont pas dû s’at
tendre à les trouver capitalisés pour augmenter le fonds
social. Qu’ils se plaignent de fraude dans la répartition;
qu’ils accusent les calculs de mauvaise foi ou d’erreur ;
qu’ils prouvent que ce qui a été coloré du nom de bé
néfice n’était qu’une soustraction du capital, c’est leur
droit : ils seront écoutés ; mais ils échoueront toutes les
fois que les livres démontreront que les distributions,
aux époques convenues ou usuelles , n’ont entamé que
�360
DES SOCIÉTÉS
les bénéfices , c’est-à-dire ce qui reste libre quand les
pertes ont été couvertes1.
Ainsi, la censure que la cour de cassation a faite du
système des cours de Rouen et de Paris est justifiée en
droit par le texte et l’esprit de l’article 26 ; elle réunit
presque l’unanimité de la doctrine , et à l’autorité de
M. Persil fils , nous opposons MM. Locré , Troplong,
Delangle , auxquels viennent se joindre MM. Delvincourt, Malepeyre et Jourdain.
228.
— Il est vrai que M. Duvergier embrasse l’o
pinion que la restitution est d u e , mais il n’accorde le
droit de l’exiger qu’aux créanciers antérieurs à la ré
partition. Ce moyen terme est inadmissible. Les créan
ciers d’une société, quelle que soit la date de leur titre,
ont un droit égal à l’intégralité des ressources sociales
indiquées par l’acte de société. La diminution illégale
du fonds social depuis la constitution de celle-ci ne sau
rait leur être opposée , et cette diminution ne devient
obligatoire que si elle a été rendue publique avant qu’ils
aient traité avec le gérant. À défaut de cette formalité,
la dette contractée le dernier jour de l’existence de la
société confère les mêmes droits, jouit des mêmes préro
gatives que celle contractée le premier jour.
Quant à M. Pardessus, il ne formule aucune opinion
bien précise ; il n’admet pas formellement le rapport,
mais il ne l’exclut pas. Il ne se dissimule pas la gravité
1 Troplong, n° 846.
�a rt .
26, 27, 28.
361
des raisons qu’on fait valoir en faveur des commandi
taires, mais il ne les croit pas sans réplique. Aussi con
clut-il qu’en pareille matière , il ne saurait y avoir de
règle absolue ; que c’est donc d’après les circonstances,
les clauses rendues publiques et la bonne foi des opé
rations que les tribunaux pourront se décider dans cette
question si délicate l.
229.
— M. Pardessus a raison : la constitution du
bénéfice peut donner lieu à beaucoup de fraude. Ainsi,
on considérera comme actif de première valeur des cré
ances douteuses ou verreuses ; on dissimulera une par
tie du passif, et ces fraudes ne sauraient produire au
cun lien obligatoire contre les créanciers. Mais cela per
sonne ne le conteste , et les honorables jurisconsultes
que nous avons cités, moins que qui que ce soit.
*
Ne se réunissent-ils pas, en effet, pour enseigner que
la dispense du rapport ne peut être que la conséquence
de la bonne foi ? Cette bonne foi , à quelles conditions
l’admettent-ils ?
Déjà nous avons vu M. Troplong exiger, pour que la
demande des créanciers soit repoussée, que les livres de
la société justifient et prouvent que ce qui a été distri
bué était réellement un bénéfice , c’est-à-dire , ce qui
restait libre toutes dettes payées. Admettre les tiers à
provoquer cette vérification, c’est assez reconnaître qu’ils
ne doivent être victimes d’aucune fraude.
i N° 1035
�__________
362
230.
— A quels caractères, dit à son tour
langle, se reconnaît la bonne foi ?
Il y a bonne foi si , au moment où les dividendes
ont été distribués, le bénéfice était réel ; c’est-à-dire, si,
balance faite de l’actif et du passif, l’actif certain, réa
lisé, excédait le passif de la somme dont les associés
commanditaires ont profité ; car , en ce cas seulement,
il y a bénéfica. Toutes les fois que la différence de l’ac
tif sur le passif n’est pas encore encaissée , et qu’il y a
des recouvrements à faire, quelque rassurantes que
soient les apparences, ce n ’est qu’une espérance , et la
plus légitime espérance n’autorise point un prélève
ment l.
Une pareille doctrine, on le voit, n’autorise et ne to
lère aucune fraude. Nous avons donc raison de le dire,
il n’y a, entre M. Pardessus et ces auteurs, contradic
tion, que dans la forme pour ainsi dire.
I?» J' .V r?îtf
Donc le commanditaire qui voudra retenir ce qu’il a
reçu devra prouver sa bonne fo i, et celle-ci ne peut ré
sulter que de l’existence certaine d’un bénéfice, au mo
ment de la répartition. De là on arrivait forcément aux
conséquences suivantes.
Il ne suffit pas que le gérant ait annoncé que la so
ciété était en bénéfice. L’excuse du commanditaire , qui
devait croire à la parole du gérant, n’est pas admissi
ble. En ajoutant une foi entière aux déclarations de ce-
�On comprend , en effet, que le commanditaire ajou
tera volontiers toute créance à une assertion qui se ré
sout en sa faveur par le paiement d’une somme quel
conque. Loin de la contester, il la créerait lui-même, si
cela lui était possible. Les tiers ne pouvaient donc être
liés par cette conduite.
Aussi ne le seront-ils que si l’assertion est vraie ; c’est
ce caractère dont le commanditaire devait se préoccuper
et vérifier l’existence en se livrant à des recherches , à
des investigations de nature à éclairer et à contrôler les
déclarations du gérant.
Sans doute, observe M. Delangle, on ne saurait exi
ger d’un commanditaire, étranger quelquefois aux opé
rations commerciales , peu versé dans la tenue des li
vres, le dépouillement complet des écritures. Mais il est
un livre destiné à constater la situation de la société, ce
lui des inventaires. L’omission de sa vérification consti
tuerait une grave imprudence, une faute lourde, excluant
toute bonne foi.
231,
— Les commanditaires pourraient-ils se pré
valoir de la fraude que le gérant aurait commise en
fournissant, à l’appui de sa déclaration, des inventaires
inexacts et mensongers ? La négative ne nous parait
pas contestable. En pareille occurrence; et lorsqu’il s’a
git des conséquences de l’infidélité du gérant, il n’y a
�364
BES SOCIÉTÉS
pas à hésiter entre les associés et les tiers ; ceux-ci n’ont
rien à se reprocher, pas même une participation quel
conque dans l’institution du gérant. Les associés , au
contraire, ont d’abord à s’imputer d’avoir confié leurs
intérêts à un agent capable de les tromper ; ils ont en
suite le tort de n’avoir pas opéré ou fait opérer des vé
rifications devant prouver les omissions et le mensonge
de l’inventaire.
Il est, d’ailleurs, de principe que la fraude du man
dataire ne saurait nuire ni profiter au mandant. Dans
l’espèce, il n’a pas dépendu du gérant, en trompant ses
associés, de leur conférer un droit irrévocable ; ce droit
n’est pas seulement subordonné à telle ou telle supposi
tion , à une opinion fausse , ou seulement erronée ; il
n’est acquis que par la certitude qu’au moment où il
s’exercait il existait un bénéfice.
232.
— En résumé donc , le commanditaire n’est
dispensé du rapport de ce qu’il a touché que par la
preuve de sa bonne foi ; celle-ci ne peut être invoquée
et admise que si, au moment de la répartition, balance
faite de l’actif et du passif, il existait dans le premier un
excédant réalisé et disponible. Quelle que soit la forme
adoptée, quelque qualification qu’elle ait reçue , la ré
partition n’a jamais pu entamer le capital. La certitude
acquise que le dividende a été emprunté à celui-ci en
traînerait l’obligation de le restituer, alors même que le
gérant aurait trompé ses associés par des inventaires
frauduleusement préparés.
�art.
26, 27, 28.
365
Les conséquences du système contraire entraîneraient
les plus odieuses déceptions pour les tiers. Le gérant
pourrait toujours, en présentant des chiffres que la cu
pidité des commanditaires se garderait bien de contrô
ler, sacrifier l’intérêt des créanciers , soit à la coupable
vanité de faire montre d’une habileté que les faits mieux
connus démentiraient, soit au désir, plus coupable en
core, de s’emparer, sous forme de bénéfices, du capital
social b
L’article 10 de la loi du £54 juillet 1867 a tranché
toute controverse à ce sujet. Il dispose, en effet : « Au» cune répétition de dividendes ne peut être exercée
» contre les actionnaires , si ce n’est dans le cas où la
» distribution en aurait été faite en l’absence de tout in» ventaire, ou en dehors des résultats constatés par
» l'inventaire.
» L’action en répétition , dans le cas où elle est ou» verte , se prescrit par cinq ans à partir du jour fixé
» pour la distribution du dividende. »
En commentant cette disposition , nous avons été a menés à conclure que tout en paraissant autoriser l’ac
tion en répétition des dividendes fictifs , elle la suppri
mait en la subordonnant à des conditions qui ne se ré
aliseront jamais. Quelle apparence, en effet, qu’un gé
rant propose et distribue des dividendes en l’absence de
tout inventaire, ou lorsque, au lieu de présenter un bé-
1 Delangle, n° 368.
�366
DES SOCIÉTÉS
néfice, l’inventaire produit se soldera par une perte ou
par l’absence de tout bénéfice L
Puisqu’à l’avenir il suffit, pour mettre les actionnai
res à couvert de toute répétition , d’un inventaire indi
quant l’opportunité d’une distribution , cet inventaire
fût-il le résultat de la fraude et du mensonge, cette dis
position ne sera-t-elle pas un encouragement pour le
gérant de substituer l’apparence à ta réalité ; pour les
actionnaires de s’abstenir de toute vérification , de tout
contrôle ?
Il est possible que cette disposition atteigne le but
qu’elle s’est proposée , à savoir, favoriser les actionnai
res et en appeler ainsi un plus grand nombre.
Mais si sous ce rapport elle encourage les associations,
elle en écarte évidemment leur élément v ital, la con
fiance du public. Menacé de voir ce capital revenir aux
mains des actionnaires à l’aide de dividendes frauduleux
et fictifs, on ne se résoudra que fort difficilement à s’ex
poser à ce danger, à braver cette chance de perte sèche
pour les créanciers.
233.
— Le privilège que nous reconnaissons au
commanditaire de n’être pas tenu au rapport des inté
rêts ou bénéfices par lui perçus de bonne foi est fondé
sur la nature des choses. Les uns et les autres , distri
bués à des époques périodiques convenues, entrant dans
1 Notre Comm entaire de la loi du 24ju ille t 1867 , art. 10 , n»>1
et suiv.
�art.
26, 2 7 , 2 8 .
367
les dépenses , destinés à suffire aux besoins journaliers
du réceptionnaire, sont présumés consommés, par cela
seul qu’ils ont été perçus. C’est devant le fait accompli
que la loi s’est principalement arrêtée.
Si la vérité contraire est acquise ; s i , au lieu de les
percevoir annuellement, l’associé les laisse accumuler en
se contentant de les faire inscrire à son crédit, pourrat-il, en cas de liquidation, les retirer avant le paiement
effectif des dettes sociales existant à cette époque? Pourrat-il, en cas de faillite, se faire reconnaître créancier jus
qu’à due concurrence, et admettre au passif en concours
avec les créanciers sociaux ?
234.
— L’affirmative a été consacrée, le 30 mars
1841, par arrêt de la cour de Rouen. Cet arrêt consi
dère comme payés les intérêts portés au crédit du com
manditaire, dont elle admet, dès lors, la créance comme
ne pouvant être contestée par la masse L
M. Delangle trouve cette solution fort juridique. La
stipulation d’intérêts, enseigne-t-il, est licite en elle-mê
me, et doit être exécutée quand il y a des bénéfices ré
alisés ; de même si , au lieu de recevoir les écus mis à
sa disposition, l ’associé les a mis dans la caisse sociale,
et que son compte courant ait été crédité d’autant, il ac
quiert une créance certaine contre la société ; sa con
dition est la même que si , après avoir retiré la somme
à lui due, il l’avait prêtée à la société.
1 J .d u P ., 44, 1, 473.
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DES SOCIÉTÉS
2 5 5 . — Résoudre ainsi la question, c’est violer les
principes ordinaires, méconnaître le texte et l’esprit de
la loi spéciale.
En effet, que le commanditaire ne puisse rien rece
voir de sa mise avant le paiement des dettes sociales,
c’est ce qui n’est contesté par personne. Cette mise n’a
pas d’autre destination que celle d’opérer le paiement
des dettes. Comment donc admettre que lorsque l’inté
gralité est impuissante à le réaliser en entier , le com
manditaire puisse venir en concours avec les créanciers
ordinaires, s’en faire attribuer une portion quelconque?
Il ne demandera , dit-on , que l’intérêt du capital !
Mais cet intérêt n’est qu’un accessoire , et l’affectation
grevant le principal grèvera également tous les acces
soires, intérêts ou bénéfices. Rappelons-nous ces paro
les de Straccha : Idem ju ris est in eo quod accrevit, quod et in sorte est.
Yoilà le droit commun , et si on avait dû obéir à ses
inspirations, il n’est pas douteux que l’obligation du
commanditaire de rapporter tout ce qu’il a reçu était
une conséquence forcée ; mais, par des motifs bien en
tendus, le législateur a cru, dans cette circonstance, de
voir tolérer ou créer une exception ; sa volonté doit être
respectée. Mais il en sera de cette exception comme de
toutes les autres ; son application devra être restreinte
dans les conditions rigoureuses qui lui sont tracées.
Dans l’espèce , cette condition est que le commandi
taire ait réellement perçu, soit les intérêts, soit les béné
fices. C’est cette perception qui, les faisant réputer con-
�a r t
.
26, 27, 28.
369
sommés , les met à l’abri de toutes recherches ultériétires ; c’est, comme nous venons de le dire, le fait accom
pli que la loi a voulu définitivement accepter.
Mais le commanditaire autorisé à retenir n’a pas, par
cela même , le droit de prendre ce qu’il n’a pas voûlu
recevoir, ce qu’il n’a pas reçu. Alors l’accessoire est resté
uni et incorporé au principal, et le principe de droit
ordinaire reprend son empire. En d’autres termes, Com
me le disait M. Troplong, les créanciers n ’ont pas dû
s’attendre à trouver les intérêts et les bénéfices capitali
sés avec la mise, et ils n’ont pas à se plaindre de la di
vision qu’on a faite entre le principal et les accessoires.
Mais si celte capitalisation existe par le fait même du
commanditaire, comment les empêcherait-on d’en pro
fiter ? En vertu de quelle loi les contraindrait- ' ôtï â
payer, comme intérêt ou bénéfice, une part quelconque
d’une mise dont l’intégralité ne suffira pas à les exoné
rer de la perte qu’ils éprouvent ?
Ainsi, le commanditaire est libre de percevoir les di
videndes qui sont périodiquement distribués. Cette ré
ception réalisée , il ne peut être actionné en restitution
que s’il n’a pas été de bonne foi. Mais s’il s’abstient de
toucher réellement ce qui lui reviendrait, s’il ne les a
pas consommés , il a volontairement répudié un droit
qu’il pouvait exercer, et qu’il a perdu par sa faute. La
perte, succédant au bénéfice, ne lui permet plus de rien
prétendre jusqu’après paiement de toutes les dettes.
Vainement objecte-t-on qu’en consentant à être cré
dité de sa part et portion, l’associé a acquis fine Créance
i
24
�DES SOCIÉTÉS
certaine; qu’il est dans la même situation que si, après
l’avoir retirée, il l’eût prêtée à la société. Nous répon
dons que l’associé ne p e u t, à raison de sa mise , être
considéré comme un prêteur ordinaire. En fa it, il ne
prête rien ; il se contente de ne pas recevoir. Comment
donc pourrait-il, en cet é ta t, revendiquer un privilège
que la loi ne défère qu’à celui qui a réellement touché,
et qui est présumé, par cela même, avoir consommé ?
On ne peut donc assimiler l’associé à un créancier
ordinaire, lorsque les sommes qu’il réclame proviennent
uniquement de sa mise, et ne sont dues qu'à raison de
celle-ci. L’affectation spéciale de celle-ci s’étend à tout
ce qu’elle a produit, en tant cependant que ce produit
existe encore au moment où la perte se réalisant , l’af
fectation doit sortir à effet vis-à-vis des créanciers.
C’est ce que nous avons vu la cour d’Angers décider,
par son arrêt du 18 février 1843. Dans cette espèce,
l’associé commanditaire avait été annuellement crédité
des intérêts et des bénéfices ; il les avait retirés en bloc
avec sa mise, au moment de la dissolution de la société.
Mais, actionné par les créanciers non payés, il fut con
damné à restituer non-seulement sa mise, mais encore
les intérêts et les bénéfices accumulés, attendu qu’ayant
consenti à les réunir à celle-ci, il ne pouvait plus les
retirer qu’après paiement de toutes les dettes L
Cet arrêt est plus juridique que celui de la cour de
�a r t
.
26, 27, 28.
371
Rouen ; il est, nous venons de le démontrer, plus con
forme à l’esprit et au texte de la loi ; il doit donc être
préféré.
236.
— Le gérant a , sans contredit, la faculté de
poursuivre, par toutes les voies de droit, l’associé refu
sant ou retardant le paiement de sa mise. Ce droit lui
est même exclusif pendant la durée de la société, en ce
sens que les créanciers qui voudraient l’exercer, en cas
de négligence ou de mauvaise volonté de sa p a r t, ne
pourraient le faire qu’en son nom , et comme exer
çant ses actions aux termes de l’article 1166 du Code
civil.
De là cette conséquence que l’associé poursuivi pour
rait opposer aux créanciers toutes les exceptions qu’il
pourrait faire valoir contre le gérant.
Mais cette règle ne peut s’entendre que des exceptions
opposables au gérant en cette qualité , et non de celles
qui s’adresseraient à sa personne privée ; telles, par
exemple , qu’une compensation de la mise avec la dette
personnelle du gérant ; l’arrangement particulier sur la
qualité d’associé , la contre-lettre que le gérant aurait
souscrite.
Nous avons déjà dit que, dans des actes de cette na
ture , le gérant n ’engage pas , ne peut pas engager la
société , parce qu’il n’a aucun pouvoir de les consentir
en son nom , de les rendre obligatoires pour elle. On
ne pourrait les opposer au gérant lui-même agissant
en sa qualité ; à plus forte raison ne saurait-on les faire
�372
DES SOCIÉTÉS
valoir contre les créanciers procédant en vertu de l’ar
ticle 1166, comme substitués au g éran t1.
Les difficultés entre l’associé et le gérant, ou les cré
anciers exerçant ses droits, relativement à la mise, cons
titueraient un litige social ; elles devaient donc autre
fois être déférées à la juridiction arbitrale.
237.
— Après la faillite de la société , les syndics
représentant le gérant peuvent, comme celui-ci le pou
vait pendant la durée de la société, poursuivre le paie
ment des mises non encore effectué. Mais les syndics re
présentent également les créanciers. Sont-ils recevables
en cette qualité à attaquer directement les associés com
manditaires?
Un fort remarquable mémoire versé par M. Creps,
professeur distingué de droit commercial à la Faculté
d’Aix, dans l’affaire des commanditaires Loubon, a sou
tenu la négative. Ecrivant dans le même procès, nous
avons enseigné le contraire. C’est dans ce sens que ,se
sont prononcées les cours de Grenoble et d’Aix, en con
sacrant l’action directe 2.
Ces arrêts furent déférés à la cour de cassation ; tout
ce qu’il était possible de dire à l’appui du pourvoi fut
exposé avec une rare méthode et avec beaucoup de ta
lent , par l’honorable Me Fabre , chargé de le soutenir;
m a is, malgré son habile plaidoirie , la cour de cassa-
1 Lyon, 34 janvier 1840
J. du P ., 40, 2, 48.
2 Voir notre Com m entaire sur les fa illite s, art. 484, n° 372.
�a r t
.
26, 27, 28.
373
tion, après un délibéré de sept heures, rejeta les pour
vois l.
Dans l’intervalle, deux éminents jurisconsultes avaient
pris part à la controverse que la question avait fait naî
tre, chacun d’eux soutenait une opinion contraire. M.
Troplong admettait l’action directe ; M. Delangle la dé
niait.
238.
— Nous n’avons pas à rentrer dans les détails
des arguments que nous avons si longuement exposés,
dans notre commentaire de l’article 484 de la loi de
1838 sur les faillites. Nous nous bornerons à répondre
à celui tiré de la différence du texte de l’article de
l’ordonnance de 1673, et celui des articles 23 et 26 du
Code de commerce.
Cette différence, dit M. Delangle, est tellement déci
sive , que Merlin , qui avait sous Pordunnance professé
l’action directe, n ’a pas hésité à abandonner cette opi
nion sous l’empire du Code. C’est ce qu’il a formelle
ment déclaré dans son adhésion à la consultation en
faveur de M. Peregaux.
En effet, l’article de l’ordonnance disposait que les
commanditaires étaient obligés aux dettes , tandis que
l’article 23 les qualifie de simples bailleurs de fonds,
et que l’article 2 6,les reconnaît seulement passibles des
pertes, jusqu’à concurrence de leur misse.
Que le commanditaire soit aujourd’hui un véritable
8
8
�374
DES SOCIÉTÉS
associé , c’est ce dont il n’est pas permis de douter , en
présence des modifications que le Code a fait subir à la
commandite ; en présence de la nécessité d’une raison
sociale , de l’obligation de publier la société ; en pré
sence enfin du texte de l’article 26 lui-même le décla
rant tel.
Oui, une différence existe dans les textes, et cet arti
cle 26 a répudié la locution employée par l’article 8 de
l’ordonnance ; o u i , cette différence doit en entraîner
une dans les effets. Mais cela ne peut se réaliser que
dans la forme , car la différence des textes est plutôt
dans la forme qu’au fond. En effet, en déclarant les
commanditaires obligés aux dettes, l’ordonnance les dé
clarait tenus envers les créanciers. N’est - ce pas une
conséquence identique , qui résulte de l’article 26 du
Code de commerce. Envers qui peut-on être passible
d’une perte, si ce n’est à l’endroit du créancier per
dant ?
Maintenant quelle était dans l’application la déduc
tion logique de l’article 8 de l’ordonnance ? Le com
manditaire étant obligé aux dettes , il suffisait qu’il en
existât une quelconque pour que le créancier pût inter
venir et poursuivre directement le paiement de ce qui
lui était dû, non-seulement contre le gérant , mais en
core contre le commanditaire lui-même. C’est ce que la
cour d’Aix a expressément consacré par arrêt du 10
mars 1820.
Le législateur nouveau, précisément parce qu’il orga
nisait plus énergiquement la commandite , a compris
�art.
26, 27, 28.
375
qu’une pareille faculté était une véritable pierre d’achop
pement , une source de difficultés, d’embarras pour la
gestion elle-même. L’être moral étant plus fortement
établi, on ne pouvait sans inconséquence, tant que son
existence était certaine , permettre de rechercher tout
autre que celui qui, préposé à sa direction, en avait ex
clusivement les actions, tant passives qu’actives. Le cré
ancier social n’était pas celui de tel ou tel membre de
la société , il était celui de l’être moral , et il était juste
qu’il ne pût s’adresser qu’à celui qui en était la per
sonnification.
Voilà ce qui résulte de l’article 26 ; désormais les
tiers ne pourront agir directement que dans l’hypothèse
d’une perte certaine et incontestable; or, l’existence de
dettes plus ou moins considérables ne créera jamais
cette hypothèse ; les dettes ne constituent qu’un passif.
Il n’est pas un commerçant , même des plus solvables,
qui n’ait le sien à côté de son actif, et il n’est pas en
perte pour cela.
Mais la déclaration de faillite modifie cet état des
choses, alors le passif est évidemment une perte, et dès
lors, en poursuivant les commanditaires, les tiers s’a
dressent à leurs véritables débiteurs, à ceux que la loi
déclare passibles envers eux.
Ainsi toute la différence résultant de la locution con
sacrée est celle-ci : sous l’empire de l’ordonnance l’exis
tence d’une dette donnait au créancier le droit d’action
ner le commanditaire , alors même que la société était
encore debout et faisait face à ses affaires. Sous le Code,
�DES SOCIÉTÉS
ce droit est subordonné à la certitude de la perte , et
comme cette certitude est la conséquence invincible d’u
ne faillite , la constatation judiciaire de celle-ci rend
l’exercice de ce droit réellement incontestable.
C’est à tort qu’on prétend que notre opinion prête à
la faillite un effet qu’elle ne saurait produire. L’action
directe ne naît pas de celle-ci, elle existe au moment de
l’obligation et avec l’obligation elle - même , mais son
exercice est suspendu pendant que la société existe et
fonctionne régulièrement. Pourquoi attaquer le com
manditaire si le gérant peut satisfaire les créanciers? et
il doit être en position de le faire, sous peine de faillir;
la faillite ne crée donc pas le d ro it, elle donne seule
ment ouverture à son exercice.
Nous ne voyons pas en quoi l’article 38 que M. Delangle invoque pourrait modifier ce résultat. Sans doute
le nom du porteur actuel de l’action peut être inconnu,
mais le premier qui l’est devenu est responsable aux
yeux des tiers : c’est donc lui qu’on attaquera et qui
sera tenu de payer ou d’indiquer celui à qui il a négo
cié son action ; on arrivera par ce moyen au porteur
actuel, qui sera forcé de remplir ses engagements.
Enfin, M. Delangle invoquait encore, comme préjugé
contre l’action directe des créanciers, un arrêt de la cour
de cassation du 14 juillet 1838; mais l’espèce sur la
quelle cet arrêt était intervenu lui enlevait toute signi
fication daus ce sens. Le syndic d’une faillite avait ac
tionné un commanditaire devant arbitres. Sur l’appel
de la sentence arbitrale , l’associé soutenait que le syn-
�a r t
.
26, 27, 28.
377
die ne pouvait l’actionner que par la voie directe, et de
mandait conséquemment la nullité de la poursuite pour
incompétence des arbitres. L’arrêt qui intervint repoussa
cette exception, et c’est cet arrêt que la cour de cassa
tion maintenait en 1838.
Il n’y a là aucun préjugé contre l’action directe. Le
syndic ayant une double qualité a évidemment deux
actions. Il est appelé à opter entre l’une ou l’autre ;
m ais, cette option réalisée , le défendeur doit en subir
les conséquences, et ne p e u t, sous aucun prétexte , le
contraindre à agir autrement qu’il a jugé convenable de
le faire.
Au reste, l’arrêt du 28 février 1844 aurait tranché la
question en faveur de l’action directe, et cette jurispru
dence paraît être universellement accueillie. >
,
Un arrêt de la cour de cassation, du 25 août 1869,
vient de déclarer que , même après faillite et concordat
par abandon d’actif, l’associé a le droit de contraindre
ses coassociés à compléter le paiement de leur mise. Il
juge, en effet, que « lorsque, au cas d’une société qui
)> devait être formée de mises égales, les associés pour
» désintéresser leurs créanciers leur ont abandonné
» l’actif social avant que quelques-unes des mises aient
» été entièrement versées, l’associé q u i , ayant versé
» l’intégralité de sa mise , a contribué pour une plus
» forte part à la formation de l’actif, peut recourir à
» raison de cette différence contre ses coassociés en re» tard de versement, si l’acte d’abandon n’a pas détruit
�378
DES SOCIÉTÉS
» le droit que chacun des associés avait d’obliger les
» autres à parfaire leur part sociale.1 »
A notre avis , cet arrêt s’écarte des principes et mé
connaît l’effet légal du concordat par abandon d’actif.
Le tribunal de commerce et après lui la cour de Paris
déclarent que si l’abandon fait par la société à ses cré
anciers l’a libérée vis-à-vis de ceux-ci , cet abandon
n ’a rien changé aux situations respectives des associés
entre eux , et n’a pas détruit le droit que chacun pou
vait avoir d’obliger les autres à parfaire leur mise so
ciale pour rétablir l’égalité dont le principe avait été
posé dans le pacte social.
La cour suprême voit là une déclaration de fait sou
verainement appréciée par les deux degrés de juridic
tion, qu’il ne lui est pas permis de censurer, et c’est sur
cette base qu’elle fonde le rejet du pourvoi.
Or, à notre avis, cette déclaration n’est que la néga
tion du caractère de l’abandon de l’actif, et la mécon
naissance la plus explicite de l’effet que la loi lui atta
che.
D’abord, on ne rencontrera jamais dans l’acte d’a
bandon la clause que l’arrêt exige, destiné à régler ex
clusivement la position des associés vis-à-vis des créan
ciers ; il n’a pas à s’occuper des droits et des obligations
des associés entre eux. Tout cela a péri dans le nau
frage de la société, si tant est qu’il ait jamais existé des
�art.
26, 27, 28.
379
obligations et des droits d’associé à associé personnel
lement.
En effet, il n’est pas douteux que chaque associé est
débiteur de la mise qu’il s’est engagé de verser. Mais
cette dette existe , non en faveur de l’associé, mais visà-vis de l’être moral, la société. L’article 1845 du Code
civil est précis et formel à cet égard , et ne permet ni
controverse ni doute.
Donc , la mise non encore versée constitue une cré
ance de la société , et comme toutes les autres créances
se trouve comprise dans son actif. Dès lors elle est né
cessairement attribuée aux créanciers auxquels cet actif
est abandonné. À eux seuls le droit de la réaliser et de
la liquider comme toutes les autres, et s’ils croient de
voir y renoncer , ils consentent évidemment une remise
de dette qui ne peut profiter à personne autre qu’au
débiteur lui-même.
Il y avait d’autant moins à hésiter dans l’espèce, que
les associés avaient fait abandon à leurs créanciers de
tout l’actif social sans en rien excepter , si ce n’est leur
mobilier personnel, et sous la condition que, même en
cas d’insuffisance de cet actif pour satisfaire intégrale
ment les créanciers , ils seraient complètement libérés
envers leurs créanciers, quel que fût le résultat de la
liquidation.
Ainsi l’abandon avait porté sur toutes les ressources
des associés, sauf leur mobilier personnel, et en échange
de leur libération complète et absolue. Cette libération
ne pouvait se concilier avec l’obligation pour l’un de ces
�380
DES SOCIÉTÉS
associés de payer à l’autre une somme quelconque.Donc
en consacrant cette obligation , l’arrêt avait privé celui
qu’il condamnait du bénéfice que l’abandon lui avait
acquis.
D’ailleurs, on comprend qu’un associé demande
compte des paiements qu’il a pu faire pour le compte
et à la décharge de son coassocié. Mais en versant l’in
tégralité de sa mise, l’associé n’a fait que payer sa pro
pre dette ; à quel titre donc viendrait-il en réclamer une
part quelconque à ses associés.
Sans doute, l’égalité doit régner entre associés. Mais
la faillite est dans le cas de briser cette égalité. Les cré
anciers, en effet, libres de n’accorder de concordat qu’à
tel ou te! associé, sont seuls appelés à percevoir ce qui
est dû à la société , et nul ne saurait trouver à redire à
la remise qu’ils auraient explicitement ou implicitement
consentie à l’un d’eux du solde qu’il devait encore sur
sa mise de fonds.
À notre avis, le système de l’arrêt ne serait juridique
que si l’actif autre que les sommes dues par les associés
avait suffi pour désintéresser les créanciers intégrale
ment. Alors, en effet, ces sommes seraient restées le pa
trimoine de la société à répartir entre les associés. Cha
cun d’eux serait, dès lors, recevable et fondé à en de
mander le partage et à réclamer la part qui pourrait lui
revenir.
Notre opinion peut invoquer deux arrêts de la cour
de Rennes des §4 février 1808 et 5 avril 1809. Voici
les motifs du dernier :
�art . 2 6 ,
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
27,
28.
381
« Considérant qu’on ne voit dans l’acte d’abandon
général fait par J .... et C..., le 1 7 floréal an XIII, de
leurs biens à leurs créanciers , aucune réserve de la
part de l’un d’eux du droit d’action envers ses coassociés; que J .... en réclamant vers C.... une partie
de ce qu’il a abandonné, contrevient à la loi de ce
contrat ; que si en fait il a payé plus que C..., il n’a
néanmoins payé que sa propre dette et non celle de
C...., q u i, comme l u i , a racheté sa liberté par l’a —
bandon de tout son avoir ; qu’il est prouvé que les
créanciers, loin d’être remplis de leur créance ont, de
leur part, fait de grands sacrifices ; d’où il résulte évidemment que J .... n ’ayant aucun principe d’action
envers C..., le jugement doit être confirmé. »
En comparant ces arrêts avec celui de Paris et celui
de la cour de cassation,7 on ne saurait hésiter à leur reconnaître le caractère juridique à l’exclusion de ceux-ci.
m
2 39.
— Les actes de société en commandite stipu
lent souvent que la mise sera payable par fractions à
des époques déterminées, avec la condition que le refus
ou le retard de faire face aux diverses échéances entraî
nera la déchéance avec perte de ce qui a déjà été payé.
Cette clause est-elle opposable aux tiers ? L’est-elle sur
tout après la faillite de la société ?
Si l’on considère les conséquences que la solution af
firmative entraînerait, on est tout de suite tenté de la
repousser. En effet, on ne pourrait ajouter aucune con
fiance à une commandite de ce genre , dont le capital
�382
DES SOCIÉTÉS
serait purement nominal ; il s’évanouirait au gré de la
volonté ou de l’intérêt des commanditaires. Chacun d’eux
retarderait, autant que possible, le paiement , certains
qu’en cas de faillite ils ne pourraient être poursuivis,
puisqu’il suffirait qu’ils déclarassent user du bénéfice de
l’acte social.
La raison, l’intérêt public lui-même protestaient con
tre un pareil résultat. Aussi ne pourrait-on l’autoriser
sans les méconnaître l’une et l’autre.
C’est ce que le tribunal de commerce de Lyon a par
faitement com pris, dans une espèce où une clause de
cette nature était opposée par l’associé aux tiers créan
ciers. Les motifs de cette remarquable décision se résu
ment dans ceux-ci : une pareille stipulation n’est qu’u
ne clause pénale exclusivement relative aux associés en
tre eux ; la société peut bien devenir propriétaire des
versements faits par les associés, qui n ’effectueraient pas
les suivants , et dans les cas prévus ; mais à la charge
par elle de faire elle-même les versements subséquents
dans la caisse sociale , attendu qu’elle ne peut avoir le
droit d’anéantir le gage des tiers, ni de libérer les asso
ciés de leurs engagements envers ceux-ci.
Dès lors et puisque la société a à consulter sa conve
nance avant de faire sortir à effet la clause pénale, il est
naturel qu’on ne saurait jamais la contraindre à exercer
le droit qui lui appartient, et qu’elle doit rester libre de
s’en prévaloir ou de demander l’exécution de l’engage
ment primitivement souscrit. Il pourrait se faire qu’elle
ne fût pas en mesure d’opérer elle-même ce versement;
�art .
26, 27, 28.
383
et, dans ce cas, on ne saurait, sans injustice, la placer
dans la nécessité de le faire. Cette doctrine n’a rien de
rigoureux ni en équité ni en droit , car elle repose sur
cette idée juridique que nul ne saurait être admis à se
prévaloir d’une clause pénale édictée contre lui.
Mais ce qui ne saurait soulever la moindre difficulté,
c’est qu’une clause de cette nature ne saurait être oppo
sée aux tiers , alors même qu’elle aurait été régulière
ment publiée. Admettre le contraire , disait la cour de
Lyon, en confirmant, le 31 janvier 1840 , le jugement
du tribunal de commerce dont nous venons de parler,
ce serait tomber dans l’absurde, puisqu’il faudrait re
connaître que ceux des actionnaires qui, comme l’appe
lant, payèrent partiellement le capital de leur action
pendant l’existence de la société, mais qui ne firent que
des paiements proportionnels beaucoup moindres que
les siens, n ’auraient aujourd’hui rien à y ajouter, mal
gré la faillite du gérant; ou, en d’autres termes, que le
capital à fournir par chaque action soumissionnée, quoi
que fixée par les statuts sociaux, et devant être le même
pour tous, aurait pu, après la faillite, être amoindri ar
bitrairement au gré de chaque actionnaire ; tandis qu’il
est manifeste , au contraire, que tous se .trouvaient in
distinctement obligés envers les créanciers de la société
jusqu’à concurrence de l’entier capital des actions par
eux soumissionnées l.
�BES SOCIÉTÉS
Un pareil effet n’aurait d’autre résultat que celui de
fouler aux pieds la disposition de l’article 26, et de sub
stituer à l’obligation qu’elle prescrit une obligation aban
donnée à l’arbitraire des associés commanditaires. La
loi ne pouvait consacrer une pareille dérogation ; dès
lors, et en admettant que telle serait la portée de cette
clause, on doit reconnaître qu’elle doit être censée non
écrite vis-à-vis des tiers ; qu’on ne saurait dans aucun
cas en exciper contre eux , pour leur enlever le bénéfice
que leur confère irrévocablement l’article 26.
2 4 0 . — En résumé , donc , le montant de la mise
doit être intégralement versé par chaque commanditaire,
aucun d’eux ne peut répudier cette obligation ; tout ce
qui aurait été fait dans ce sens est nul et non avenu en
vers les tiers, sauf le recours des associés entre eux.
Le versement de la mise ne p e u t, pendant la durée
de la société, être poursuivi que par le gérant ou par les
créanciers, comme exerçant ses droits en vertu de l’arti
cle 1166 du Code civil.
Après la faillite , les syndics représentant les créan
ciers peuvent agir par l’action directe et s’adresser à la
juridiction ordinaire.
2 4 1 . — Les commanditaires sont-ils contraignables
par corps au versement de leur mise ? L’affirmative a
été consacrée par la”cour de cassation , dans son arrêt
du 28 février 1844. La critique que M. Delangle fait
de cette doctrine ne nous parait reposer sur aucun fon
dement juridique.
�art.
26, 27, 28.
^385
Sans doutede commanditaire, s’il n’est pas •commer
çant , ne ie.devient pas par son1accession: ià la^sooiélé,
mais le non-commerçant est légalement eonlraignable
par corps , pour les actes fde commerce qu’il peut faire,
par l’endossement d’une lettre de change, par exemple.
Trouvera^t-on un acte plus essentiellement commercial
que celui de signer une société commerciale ?
On craint que la contrainte par corps n’éloigne’ les
commanditaires. Mais comment prendre*’efettej crainte
au sérieux, en présence des résultats? Le commanditaire
ne peut jamais rien perdre au delà de saumise ; dl cst
absolument libéré par le versement qu’il en fait. Or,
cette mise, c’est lui qui en détermine la quotité suivant
sa convenance et ses ressources. Il est donc.au moment
de l’engagement surtout, présumé en état de la verser ;
qu’il réalise ce versement, et il se met à l’abri de toute
contrainte par corps. Celle-ci ne peut donc effrayer que
ceux qui ne deviennent commanditaires qu’avec l’inten. tion de ne pas tenir leurs engagements. Les écarter par
la crainte de voir leur liberté compromise, c’est attein
dre un résultat dont le public n’aura qu’à s’applaudir.
242.
•— ; L’article 27 est le complément de la pensée
qui avait déjà dicté l’article 2 5 , la condition essentielle
et absolue du privilégé conféré par l’article 26. Le com
manditaire doit bien se garder de tout acte.de nature à
signaler sa personne à la confiance du public.: S’il sort
delà réserve qui lui est imposée ; s’il gère les affaires
sociales, fût-ce en vertu d’un pouvoir spécial, l’article
28 le déclare tenu solidairement et indéfiniment.
i
25
�386
DES SOCIÉTÉS
Il est cependant des actes que l’intérêt des comman
ditaires exige si évidemment, qu’on n’aurait pu sans in
justice , sans préjudice grave pour l’institution elle-mê
me, leur interdire le droit de les accomplir. C’est à dis
tinguer ceux-ci des actes de gestion que consiste la dif
ficulté soulevée par l’article 27, difficulté grave et sé
rieuse, puisque de sa solution dépendent l’honneur et la
fortune des commanditaires.
Nous devons donc, pour en préparer la saine appré
ciation , exposer les diverses phases ayant précédé l’a
doption définitive de l’article 27.
243.
— Dans le projet primitif, cet article avait été
rédigé en ces termes : « L’associé commanditaire ne
peut concourir comme gérant aux achats, ventes, obli
gations et engagements concernant la société. »
Cette rédaction communiquée aux cours et tribunaux,
aux tribunaux, chambres et conseils de commerce,sou
leva une foule de réclamations et d’observations contra
dictoires. Ainsi, tandis que la cour et le conseil de com
merce de Bruxelles demandaient qu’on étendît le cercle
des prohibitions ; tandis que la cour de cassation vou
lait qu’on y comprit nommément l’interdiction , pour
les commanditaires, d’assister aux assemblées et de pren
dre part aux délibérations ; les tribunaux de commerce
de .Lyon, de Genève et de Toulouse sollicitaient la sup
pression de l’article; les cours d’Orléans et de Douai, les
tribunaux de commerce de Clermont-Ferrand, du Hâvre, de Marseille et de Strasbourg proposaient d’autori
ser la gestion en vertu d’un mandat spécial.
�art . 2 6 ,
27, 28.
387
L’article 17 (aujourd’hui 27) disait notamment le
tribunal de Genève, entraîne des conséquences fâcheu
ses , en ce qu’elles priveraient les associés gérants des
secours les plus naturels et les plus à leur portée. En
cas de maladie, voyage et autres circonstances extraor
dinaires , par quelles personnes pourraient-ils se faire
aider ou remplacer avec plus de confiance que par leurs
associés en commandite ? N’ont-ils pas tous un même
intérêt au succès de la chose ? Ne sont-ils pas censés a voir déjà une connaissance particulière de la nature des
affaires? Les commanditaires ne sont-ils pas le plus sou
vent d’anciens chefs de maisons qui facilitent de cette
manière l’établissement de leurs successeurs ?
L’ensemble de ces observations signalait au législa
teur la position du commanditaire à un double point de
vue : immixtion dans la gérance , droit d’assister aux
réunions et d’y délibérer.
La première fut absolument et sévèrement proscrite,
et en cela le législateur ne fit qu’obéir aux vœux de la
majorité des cours et tribunaux ; le seul résultat qu’ob
tinrent les observations contraires fut de signaler la la
cune que le projet laissait en ce qui concernait l’admi
nistration , en vertu d’un mandat spécial, lacune qu'a
parfaitement remplie la rédaction définitive.
244.
— M. Fremery a vivement critiqué le parti
auquel s’est arrêté le législateur. L’article 27, dit-il, fait
violence à la raison et consacre une injustice.
Sans doute et en thèse ordinaire, agir sous le nom
�388
DES SOCIÉTÉS
d’autrui et en qualité de mandataire, ce n ’est pas appe
ler la confiance sur sa propre personne, et on ne saurait
faire raisonnablement réfléchir sur le mandataire les
conséquences des actes faits au nom et pour le compte
du mandant. La prohibition qui est faite au comman
ditaire n’a pas son fondement dans la négation de cette
règle, que le législateur n’a jamais entendu méconnaître
ou violer.
Ce que la loi a voulu prévenir c’est que, sous prétexte
d’une procuration , dont l’existence aurait été une des
conditions tacites du co n trat, le commanditaire devint
le gérant unique de la société, son administrateur réel,
en se couvrant du nom du gérant nominal comme d’un
plastron , pour échapper aux conséquences d’un revers
qu’il aurait préparé et déterminé. Voilà ce que M. Fremery devait d’autant moins oublier, que les précautions
du législateur à cet égard étaient loin d’être chiméri
ques , et que la fraude qu’elles avaient pour objet de
prévenir lui était énergiquement signalée de toute part.
Voici en effet comment la majorité des cours et tribu
naux considérait le principe consacré par l’article 27 :
« Cet article est destiné à mettre un frein à ces asso
ciations qui n’ont aucun caractère , à ces entreprises de
spéculations , régies sous le nom d’un v alet, dont on a
si étrangement abusé.
» Combien n’a-t-o n pas vu, pendant le cours de la
révolution, de ces compagnies dont les intéressés, alter
nativement commanditaires et gérants, n’étaient connus
que lorsqu’il y avait des profits à partager , at n ’étaient
plus associés quand il y avait des créanciers à payer ?
�art . 2 6 ,
27, 28.
389
» Combien n’a-t-on pas vu de ces faillites de spécu
lation, qui ne déshonoraient qu’un nom obscur et équi
voque, tandis que les véritables débiteurs se jouaient de
leurs créanciers au moyen de cette sorte d’association
incertaine, qui leur permettait de prendre et de quitter
leur responsabilité ?
» En fixant les droits et les devoirs des commandi
taires , en déclarant qu’ils ne peuvent gérer ni admi
nistrer pour le compte de la société, on a déterminé leur
véritable caractère. En effet, si on ne maintient pas cette
disposition, quelque sévère qu’elle paraisse, les associés
commanditaires pourraient abuser de leur qualité, sans
s’exposer aux moindres dangers ; cette espèce de société
deviendrait un moyen de fraude : nous allons le prou
ver par un exemple.
» En admettant qu’un commanditaire puisse gérer et
administrer , même en vertu d’une procuration , sans
perdre son caractère , celui qui voudra en abuser en
trouvera facilement les moyens.
» Il versera vingt mille francs dans la société en com
mandite ; il ne peut être garant d’une plus forte somme,
et il n'est solidaire que jusqu’à concurrence.
» Il gère le commerce ; il achète et vend pour le
compte de la société ; ses entreprises sont d’autant plus
hardies, d’autant plus hasardeuses, qu’en cas de faillite
sa fortune et sa réputation ne seront pas compromises.
Aussi, que lui importent les hasards et les chances du
commerce ? Ils sont tous pour lui, il les brave tous ; s’il
réussit, il en partage les profits; s’il échoue, il ne per-
�.
■
DES SOCIÉTÉS
dra que sa mise de fonds, et se croira quitte envers les
créanciers, même envers l’honneur.1 »
Voilà ce que l’usage regretté par M. Frémery avait
produit dans le passé ; voilà ce qu’il promettait d’être
dans l’avenir. C’est pour y avoir remédié qu’on blâme
rait le législateur, qu’on l’accuserait d’avoir fait violence
à la raison et à la loi? Heureuse détermination, dirionsnous dans tous les c a s , car son résultat ne peut que
produire un bien immense. Heureuse détermination, di
sons-nous , car , loin d’être la négation d ’un principe
certain , elle n ’a été inspirée qu’à titre d’exception à .ce
principe, et dans le but louable de réprimer une fraude
dangereuse. Ajoutons que les espérances qu’on avait fon
dées sur la disposition de l’article 27 se s o n t, en trèsgrande partie, réalisées. On ne peut donc qu’applaudir
au courage que le législateur a eu à le sanctionner, et à
la persévérance qu’il a mise à le maintenir.
2 4 4 bis. — Cinquante ans du régime inauguré par
l’article 27 avaient nécessairement déraciné la pratique
frauduleuse que cet article avait voulu proscrire et affai
bli le danger qu’elle offrait pour le public. On pouvait
donc se relâcher de la sévérité de ses dispositions et en
modifier la rigueur , non pas certes au point de vue de
la commandite simple qui s’accomodait fort bien de l’u
ne et de l’a u tre , mais à l’endroit de ce que paraissait
exiger la commandite^par actions.
Analyse des observations des tribunaux, p. 22 et 23.
�art.
26, 27, 28.
394
On sait par quels scandales, par quels abus celle -ci
avait nécessité et motivé la loi de 1856. Or, la gêne
que celle loi apportait à la constitution des sociétés ren
dant plus difficiles sinon impossibles ces sociétés frau
duleuses qui n’avaient pour objet et pour but que de
dépouiller les malheureux actionnaires, devait nécessai
rement influer et avait en effet considérablement influé
sur le nombre des sociétés. Ainsi , tandis que du 1er
juillet 1852 au 30 juin 1855 les sociétés formées à Pa
ris roulaient sur un capital de neuf cent soixante-huit
millions, ce capital était descendu à cent dix-sept mil
lions de 1859 à 1860 et n’était plus que de quatre-vingtun millions de 1861 à 1862.
On s’effraya d’un résultat qu’on signalait comme at
taquant l’esprit d’association dans son essence et mena
çant de le tarir bientôt dans ses sources, et chacun de
s’ingénier à chercher les causes du mal et à indiquer le
remède à employer M. le président du tribunal de com
merce de Paris , M. Denières , et M. Blanche , avocat
général à la cour de cassation, s’en prenaient au prin
cipe même de la commandite créant deux catégories dis
tinctes d’associés n’ayant ni les mêmes droits ni la mê
me responsabilité.
« Il faut reconnaître, disait-on, que les abus prati—
» qués au préjudice des actionnaires et l’impossibilité,
» pour eu x , de surveiller efficacement, leurs intérêts,
» ont commencé à détourner les capitaux de ce genre
» de placement. Rien ne peut les y ramener davantage
» que la possibilité pour les intéressés de participer à
�392,
DES SOCIÉTÉS
» l'administration, .des sociétés, sans encourir les res» ponsabilités indéfinies qui atteignent les gérants. »
Déterminé à entrer dans cette voie, le Gouvernement
proposa et fit .adopter les lois des 9 et 23 mai 4863, la
première modifiant les articles 27 et 28 du Code de com
merce , la seconde créant les sociétés à responsabilité
limitée.
2 4 4 ter. — La modification de l’article 27 se borne
à l’abrogation de l’interdiction pour les commanditaires
d’être employés pour les affaires de la société. Il est évi
dent qu’on ne pouvait pas vouloir faire renaître la frau
de que l’article 27 avait entendu réprimer. L’on eût in
failliblement atteint ce résultat, si l’on eût permis aux
commanditaires de se livrer à des actes de gestion, même
en vertu de procuration.
On aurait,, en effet, bientôt revu ces associations dans
lesquelles le gérant nominal n’était qu’un plastron der
rière lequel s’abritaient les commanditaires qui, sous le
nom d’un valet, géraient seuls la société, et en cas de
faillite sauvaient leur nom du déshonneur et leur fortune
de là responsabilité indéfinie qui frappe les gérants.
Aujourd’hui donc comme autrefois, les commandi
taires ne peuvent faire aucun acte de gestion même en
vertu de procuration, et c’est juste.
Mais là prohibition d’être employé pour les affaires
de la société était-elle réellement commandée par la na
ture des- choses et pouvait-elle se légitimer par la né
cessité de prévenir une erreur pouvant préjudicier aux
tiers ?
�ART. 26:; 2 7 , 2 8 .
393'
M. Troplong a beau dire, l’article 27 n’interdisait pas
seulement la participation aux actes de gestion. Il pro
hibait également aux commanditaires d’être employés
pour les affaires de la société , et c’est à bon droit que
M. Pardessas en avait conclu que ces commanditaires
ne pouvaient être les facteurs ou commis de la société.
M. Delangle qui partage cette opinion, la fait reposer
sur ce que le commis participe nécessairement à la ges
tion : qu’il est un des instruments, des bras dont use
le gérant ; qu’il peut être chargé des achats, des négo
ciations , des ventes, de ce qu’il y a de plus essentiel
dans l’exploitation sociale ; qu’il en peut devenir le mo
dérateur et le chef h
Mais le Code de commerce ne prohibait et ne punis
sait l’immixtion, que parce que l’acte qui la constituait
pouvait faire croire au public que le commanditaire était
associé en nom. Or , quelque large qu’on suppose la
part que le commis prend dans le commerce de son pa
tron , la notoriété acquise à sa qualité de commis rend
toute confusion impossible. La prohibition n’avait donc
aucune raison d’être , et ce qui prouve qu’elle dépassait
le b u t , c’est la répugnance qu’on mettait à l’appliquer.
Ainsi, malgré les termes formels de l’article , la cour de
cassation avait-elle décidé que le commanditaire qui
n’avait agi qu’en qualité de commis ne pouvait être ré
puté s’être immiscé dans les affaires de la société2.
1 Des sociétés, n° 400.
2 Voy. notamment 15 mars 1847 ; D. P., 47, 1, 155.
�394
DES SOCIÉTÉS
M. Delangle accuse cette jurisprudence de mettre l’ar
bitraire à la place de la l o i, et il faut convenir que ce
reproche n’est pas sans quelque fondement. Il convenait
donc do se prononcer nettement dans un sens ou dans
l’autre pour trancher toute difficulté , tout doute. Ce
n’est pas ce que le Gouvernement avait fa it, car , dans
le projet qu’il avait présenté, il reproduisait l’article 27
tel qu’il existait dans le Code de commerce.
Mais la commission du Corps législatif s’inspirant de
la jurisprudence , crut que la loi devait en consacrer la
doctrine. En conséquence, elle proposa, et fit admettre
par le conseil d’Etat un amendement tendant à faire
disparaître de l’article 27 la disposition qui prohibait
aux commanditaires d’être employés pour les affaires de
la société.
« Des usages commerciaux résultant de la nécessité
» même , disait le rapporteur , ont depuis longtemps
» créé un état de choses contraire h cette disposition.
» Un employé est d’autant plus exact, d’autant plus la» borieux , d’autant plus fidèle , d’autant plus dévoué,
» qu’il est personnellement intéressé dans l’entreprise
» pour laquelle il travaille ; presque toujours, l’obliga» tion de prendre une part d’intérêt est devenue, pour
» les employés , une condition d’admission dans toute
» affaire commerciale. Cet usage , en soi excellent, ne
» présente aucun inconvénient particulier en matière
» de sociétés en commandite , et il n’existait aucune
» raison de maintenir dans la loi une prohibition sur» année, inutile et partout méconnue, »
�ART.
26, 27, 28.
395
A l’avenir, donc, les commanditaires pourront être
employés pour les affaires de la société. Comme l’ensei
gnait M. Troplong , dans une imprimerie organisée en
commandite, des ouvriers commanditaires pourront être
occupés comme compositeurs, proies, etc. Dans une en
treprise de messageries, un commanditaire peut être at
titré comme facteur, conducteur, etc. Dans une maison
de banque , rien n’empêche un commanditaire d’être
commis aux écritures, teneur des livres ou caissier , etc.
Ce sont là, en effet, tout autant d’emplois que le gérant
est obligé de confier en d’autres mains que les siennes;
qui n’ont rien de commun dans leur sphère spéciale
avec la gérance de la société, et qui renfermées dans
leurs limites naturelles, ne peuvent donner le change à
personne.
Mais il ne faudrait pas pourtant que sous la qualifi
cation de commis un associé commanditaire pût éluder
la prohibition de faire aucun acte de gestion même en
vertu de procuration. Or, n’est-ce pas ce que ferait le
commanditaire commis qui porteur de la procuration
du gérant le représenterait soit dans une catégorie spé
ciale d’affaires, soit dans toutes les opérations de la so
ciété ? On pourrait et on devrait, dans l’un et l’autre
cas, le considérer comme s’élant immiscé dans la ges
tion et le déclarer solidairement responsable dans les
limites du nouvel article 28.1
l Voy. in f r a n°
�396
DES SOCIÉTÉS
2 4 4 quatuor. — Au reste( la détermination de la li
mite où cesse le droit et commence l’abus est fort délicate; etJa discussion législative n’est pas dans le cas de
trancher la difficulté qu’elle offre.
En effet, M. Javal ayant demandé si un propriétaire
d’actions, .employé, dans la société, serait rendu solidai
rement responsable, si , par exemple , il contractait un
marché dans l’intérêt de la société, M. Duvergier, com
missaire du Gouvernement, répondait :
« Un associé, un commis se présentera ayant un in» térêt dans la société, et ira faire au nom de son pa~
» tron certaines opérations qui seront de véritables actes
» de gestion, se comprometlra-t-il? D’abord il faut dis» finguer un véritable associé commanditaire d’un sim» pie commis intéressé. Tous les écrivains qui ont traité
» cette matière, ont fait une distinction entre le commis
» intéressé et le véritable associé commanditaire. Celui
» qui ne sera qu’un commis intéressé, qui n’a que cette
» qualité, qui n’a pas la qualité de véritable comman>> ditaire (la nuance est délicate, c’est l’affaire des tri—
» bunaux et des jurisconsultes de bien distinguer ces
» deux situations qui sont très-différentes), celui qui ne
» sera qu’un commis intéressé, agira sans compromet» tre sa qualité. Celui qui sera commanditaire fera-t-il
» des actes de gestion, si, en vertu d’une procuration se
» présentant aux tiers comme implicitement ou explici» tement autorisé, il leur dit : je suis mandataire, c’est
» en mon. nom commanditaire de ceux que je repré» sente que je contracte envers vous un engagement,
.
�a r t
»
»
»
»
»
.
26, 27, 28.
que je signe en vertu' de ma' qualité ‘des obligations
envers vous et envers la société ? À' cela , messieurs,
je réponds que cette situation de mandataire ’ ressort
bien des actes qu’il fait; si c’est bien1un acte social
qu’il fait, il sera compromis. ’»
Cette réponse ne résolvait pas en définitive la ques
tion posée par- M. laval. Celte question ne comportait
en aucune manière la distinction entre le comihis inté
ressé et l’associé commanditaire. Cé sOnt là deux situa
tions tellement différentes, qu’il est impossible de les
confondre.
Dans la pratique , le commis intéressé est Celui qui,
en échange de ses services, reçoit outre un traitement
déterminé, une quote-part dans les bénéfices de la mai
son. Le plus ordinairement il ne verse rien, ou s’il verse
une somme quelconque, c’est à titre de cautionnement
qui demeure sa propriété et est affranchi de toute con
tribution à la perte.
Le propriétaire d’actions employé aux affaires de la
société n’est pas , ne saurait être un commis intéressé.
S’il reçoit une part dans les bénéfices, c’est, non-en con
sidération des services personnels qu’il peut rendre,
mais en échange du capital qu’il a versé et qui est sou
mis à toutes les éventualités du commerce et perdu en
cas d’insuccès. Il a donc deux qualités : celle de com
mis d’une part, celle de véritable associé commanditaire
de l’autre , au même titre que tous les autres action
naires. Ce n’est même qu’eu égard à cette dernière qua
lité que peut surgir la question de responsabilité , car
�398
DES SOCIÉTÉS
nul n’a jamais prétendu , nul ne prétendra jamais que
le simple commis intéressé puisse, dans aucun c a s, ré
pondre solidairement avec le patron.
Or, cette question de responsabilité du commis com
manditaire, M. Duvergier, p arle fait, la résout négati
vement. En effet, si le contraire n’est admis que lorsque
ce commis aura dit : je suis mandataire ; c'est en
mon nom , commanditaire de ceux que je repré
sente, que je souscris envers vous un engagement ;
je signe, en vertu de ma qualité, des obligations
envers vous et envers la société, on peut d’avance
prévoir et affirmer que toute poursuite en responsabilité
sera impossible. Une pareille déclaration supposerait,
en effet, chez son auteur , le plus ardent d ésir, la vo
lonté la plus étrange d’aller au devant de cette respon
sabilité , dont ordinairement on cherche à se garantir
même au prix d’une fraude.
La responsabilité est donc indépendaute de toute dé
claration. Elle résultera de l’acte reproché, de sa nature,
de ses conséquences au regard des tiers, tant que le
commis n’aura agi qu’en celte qualité, que comme un
intermédiaire entre le public et le patron, il n’encourra
aucune responsabilité pas plus s’il est commanditaire
que s’il ne l’était pas.
2 4 4 quinto. — (]ette responsabilité , le nouvel article
218 l’a modifiée dans son étendue. Le Code de commer
ce, on le sait, était absolu et ne faisait aucune distinc
tion. Un acte de gestion sans importance , sans consé-
�art .
26, 27, 28.
399
quences nuisibles, complètement isolé, fût-il l’effet d’un
zèle irréfléchi ou d’une inexpérience bien constatée, cré
ait la responsabilité solidaire et indéfinie tout autant que
des actes nombreux, graves, prémédités, accomplis dans
l’intention frauduleuse de s’emparer de la gérance, tout
en prétendant se réserver le bénéfice de l’irresponsa
bilité.
Cette règle inflexible s'imposait aux tribunaux qui ne
pouvaient en tempérer les effets suivant les inspirations
de leur conscience. Ce qui en était résulté, c’est, comme
le constate l’exposé des motifs de la loi nouvelle , que
dans plus d’une occasion on hésitait à l’appliquer , et
que sa rigueur pouvait quelquefois fournir des armes à
la fraude par la crainte qu’elle inspirait.
Ce résultat était réellement déplorable ; et ce qui a
lieu de surprendre , c’est qu’on soit resté plus de cin
quante ans sans s’en appercevoir. Enfin vaut mieux tard
que jamais , et on ne peut qu’applaudir au nouvel arti
cle 28 qui, corrigeant ce que l’ancien avait de trop sé
vère, de trop absolu, permet de proportionner la peine
à la nature et à la gravité de la faute.
2 M se x to . — Désormais donc le commanditaire qui
se sera immiscé, ne répondra solidairement avec les as
sociés en nom collectif que pour les dettes et engage
ments de la société , dérivant des actes de gestion qu’il
s’est permis. Mais restreinte dans celte limite, la res
ponsabilité est obligatoire, et les tribunaux ne sauraient
ni la modifier, ni se refuser à la prononcer.
�DES SOCIÉTÉS
Ce caractère obligatoire n’avait pas paru.acceptable à
la commission du Corps législatif. Elle avait î pensé que
réduire le pouvoir du juge à la simpleconstatation d’un
acte de gestion , c’était enchaîner sa conscience; que
c’était l’exposer à rendre des décisions dont la rigueur
irait parfois jusqu’à l’injustice, que de lui refuser l’ap
préciation des faits qui ont précédé et accompagné l’acte
de gestion ; qu’en matière d’immixtion, les questions
sont délicates , hérissées de difficultés ; qu’ici plus que
partout ailleurs, il faut s’en rapporter à la prudence du
magistrat, et lui laisser le droit de juger dans quelle
mesure il y a lieu à responsabilité ; qu’une disposition
aussi dure que la responsabilité forcée figurait mal dans
une loi dont le but déclaré est de tempérer les sévérités
du Code de commerce ; qu’enfin il était convenable d’é
tendre à tous les cas le pouvoir discrétionnaire que le
projet de loi n’acceptait que pour certains cas , les rai
sons de décider étant partout les mêmes.
En conséquence, elle proposait la rédaction suivante:
En cas de contravention à la prohibition mentionnée
dans l’article précédent, l’associé commanditaire qui a
fait un ou plusieurs actes de gestion p e u t, suivant le
nombre ou la gravité de ces actes, être déclaré solidai
rement obligé , avec les associés' en nom'collectif, pour
tous les engagements delà société oü'pbur'quelques-uns
seulement.
Cet amendement qui rendait la responsabilité facul
tative dans tous les cas; ne fut pas admis par le conseil
d’Etat. Ce refus- s’éfayait de ptihcipe que nul ne doit
�art . 2 6 ,
27, 28.
401
pouvoir se soustraire aux conséquences de ses actes ; que
tout homme qui, par un acte illicite, a causé un préju
dice à autrui est tenu de le réparer.
Or, le commanditaire qui s’est immiscé dans la ges
tion , a évidemment commis un acte illicite: il devra
donc , si son immixtion a été préjudiciable à un tiers,
être déclaré responsable, solidairement avec le gérant et
les associés en nom collectif, des suites de son acte d ’im
mixtion. Il n’y a là , en raison , en morale, en équité,
rien de rigoureux, rien de trop sévère, rien d’injuste.
La crainte que cette obligation n’enchaîne la cons
cience du juge et ne vienne aboutir à une injustice était
évidemment chimérique. La mission des tribunaux,
comme le déclarait le rapport, est non-seulement de
constater l'existence de l’acte d’immixtion , mais encore
de rechercher si le tiers a été lésé et si cette lésion est
la conséquence directe de l’immixtion. Il y a là de quoi
rassurer la conscience la plus timorée, car le doute seul
sur la réalité d’une de ces circonstances autorisera et
légitimera le renvoi pur et simple du commanditaire
poursuivi.
Que si, au contraire, il est acquis que ce commandi
taire s’est immiscé dans la gestion ; que cette immixtion
a causé un préjudice aux tiers ; que ce préjudice en a
été la conséquence directe , l’injustice ne serait-elle pas
dans la décision qui refuserait de reconnaître et de con
sacrer la responsabilité ? Quel est le juge qui voudrait
rendre une pareille décision ?
Evidemment, en rendant la responsabilité obligatoire
�402
DES
SOCIÉTÉS
dans ces circonstances, le législateur ne fait que consa
crer en droit une pratique que les tribunaux n’auraient
pas manqué de sanctionner en fait.
Ainsi, l’obligation pour le commanditaire de répon
dre solidairement avec les associés en nom du préjudice
que son immixtion a occasionné au tiers, est absolu et
ne saurait être déclinée ni méconnue. Mais la respon
sabilité devait être nécessairement plus étendue, lorsque
au lieu d’un ou de quelques actes de gestion on se trou
verait en présence d’une série faisant supposer l’inten
tion de s’emparer de la gérance , ou tout au moins de
nature à inspirer au public la croyance qu’il se trouvait
en présence d’un associé en nom collectif.
La responsabilité, dès lors, pouvait et devait s’éten
dre à toutes les dettes, à tous les engagements de la so
ciété. Mais ce que la loi ne pouvait faire, c’était de dé
terminer le nombre d’actes qui constitueraient cette sé
rie et légitimeraient la responsabilité indéfinie.
Elle a donc dù se borner, en consacrant cette respon
sabilité en principe , à la déclarer purement facultative
et à rendre ainsi les tribunaux arbitres souverains de la
convenance et de l’opportunité de son application.
A ce sujet, comme dans toutes les questions de fait,
le juge n’est soumis à aucune règle et son appréciation
ne comporte d’autres éléments que les inspirations de
sa conscience. Il peut donc, quel que soit le nombre des
actes de gestion accomplis, repousser ou admettre la
responsabilité indéfinie.
�2 4 4 septimo, — a ces prescriptions le nouvel article
28 ajoute cette dernière : les avis et conseils , les actes
de contrôle et de surveillance n’engagent pas l’associé
commanditaire.
Le défaut de détermination des actes que les com
manditaires pouvaient faire sans se rendre coupable
d’immixtion, les plaçait dans une position fort délicate
et leur faisait en quelque sorte un devoir de s’abtenir
d’une manière absolue.
Il est vrai que la doctrine et la jurisprudence recon
naissaient leur droit à donner des avis, des conseils, à
se livrer à des actes de contrôle et de surveillance. Mais
l’autorité de la doctrine ne s’imposait pas aux tribunaux
et la jurisprudence avait quelquefois varié. Il n’y avait
donc pas là ces garanties qui en rassurant les comman
ditaires pou vaie, les favoriser e. encourager à apporter
leurs fonds dans les sociétés.
Il était donc naturel qu’une loi destinée à développer
l’essor des sociétés comblât la lacune que le Code de
commerce offrait à ce sujet, et c’est ce qui dé ermina la
commission du Corps législatif à inscrire dans la loi la
disposition finale de l’article 28.
« Il était bon, di ait le rapporteur, de proclamer lé» gislalivement ce principe qui rassurera les capitaux
» effrayés, et qui déter inera tant de gens qui aujour» d’hui se tiennent à l’écart, à accepter le rôle de com» manditaire avec la certitude de pouvoir surveiller
» l’emploi de leurs fonds , vérifier les livres , la caisse,
» le porte-feuille , les valeurs de la société , éclairer les
11
�404
DES SOCIÉTÉS
» résolutions du gérant de leurs lumières et de leurs
» conseils, sans pour cela encourir aucune déchéance
» et sans devenir solidaires avec le gérant et les associés
» en nom collectif. Au surplus, en proposant de formu» 1er en un texte de loi la distinction entre les actes de
» contrôle qui ne font encourir au commanditaire au» cune responsabilité et les actes de gestion qui seuls
» pourraient lui faire subir une déchéance, voire com» mission n’a fait qu’accepter les errements de la doc» trine et de la jurisprudence enseignant que le com» manditaire a le droit d’inspecter les livres, decontrô» 1er les écritures et d’exercer sur les actes du gérant
» une surveillance assidue; qu’il a le droit de concou» rir aux délibérations, alors même qu’elles ont pour
» but d’approuver les opérations ou d’autoriser les en» gagements de la société. Ce q u i, dit avec justesse M.
» Pardessus, doit distinguer ce cas de celui d’un cou» cours à l’administration qui est la chose interdite,
» c’est que les délibérations ne forment de liens qu’en» tre le commandité et les commanditaires , qu’elles
» n’empêchent pas le commandité d’agir avec les tiers
» d’une manière opposée à ces délibérations et d’obliger
» valablement la société ; qu’un commanditaire ne se» rait pas recevable à attaquer les conventions du com» mandité avec des tiers sur le fondement qu’elles se» raient contraires aux délibérations antérieures , sauf
» son action en dommages-intérêts contre son associé.
» Nous n’avons pas demandé davantage , nous gar» dant bien de toucher à l’omnipotence du gérant qui,
�art .
26, 27, 28.
405
» responsable dans sa fortune et dans son honneur, doit
» être maître absolu de la direction de la sociélé. Il est
»- libre de suivre ou de rejeter les avis et les conseils
» que le commanditaire est autorisé à lui donner; par
» conséquent il ne lui est pas plus permis de décliner
» la responsabilité de ses actes, qu’il n’est permis aux
» tiers de la répartir sur le commanditaire , sous pré» texte de contrainte , lorsqu’il n’y a pas de la part de
» ce dernier acte d’immixtion. Selon nous , l’interven» lion officieuse du commanditaire prête des formes au
» commandité sans gêner ses mouvements ; elle est un
» avertissement, un stimulant ou un frein selon les cir» constances , quelquefois un cri d’alarme; elle n’est
» jamais un ordre. »
Ce rapport, expose si nettement les motifs de la dis
position nouvelle , il en fixe si clairement le sens et la
portée que tout autre commentaire serait superflu et
inutile.
est le caractère des avis et con
seils que la loi nouvelle autorise? Sont-ils obligatoires
pour le gérant, ou bien celui-ci peut-il les négliger sans
engager sa responsabilité ?
2 4 4 octavo. —
Q Uel
/
La jurisprudence et la doctrine qui , avant la loi de
1S63, étaient d’accord sur le principe que les comman
ditaires pouvaient, sans être taxés d’immixtion, donner
des avis et des conseils, différaient sur les conséquences
que l’inobservation des uns et des'?autres avait Jpour le
gérant. La cour de cassation refusait aux délibérations
�des commanditaires tout effet quelconque tant à l’égard
du gérant que vis-à-vis des tiers. Des auteurs , notam
ment M. Pardessus , enseignaient que l’inexécution des
délibérations pouvait donner lieu à une allocation de
dommages-intérêts contre le gérant en faveur du com
manditaire \
Pour justifier le droit de contrôle, de conseil et d’a
vis qu’il s’agissait de reconnaître aux commanditaires,
le rapporteur de la loi s’étayait de l’autorité de M. Par
dessus. Mais s’il en admet l’opinion sur le principe, il
la repousse expressément quant à ses conséquences. En
preuve ce passage : « La commission s’est bien gardée de
» toucher à l’omnipotence du gérant q u i, responsable
» dans sa fortune et dans son honneur, doit être maî» tre absolu de la direction de la société. Il est libre de
» suivre ou de rejeter les avis et les conseils que le
» commanditaire est autorisé à lui donner. Selon nous,
» l’intervention officieuse du commanditaire prête des
» forces au commandité sans gêner ses mouvements ;
» elle est un avertissement, un stimulant ou un frein
» selon les circonstances, quelquefois un cri d’alarme ;
» elle n’est jamais un ordre. »
I8MI8Ê
Or, si, comme l’enseigne M. Pardessus, le gérant est
tenu à des dommages-intérêts envers les commanditai
res dont il a négligé les avis et les conseils , son omni
potence n ’existe plus ; ces avis et conseils sont des or-
�ART. 2 6 ,
27,
28.
407
dres qu’il n’est pas libre de rejeter, puisque ce rejet peut
avoir pour conséquence des condamnations pécuniaires.
C’en est fait de son indépendance ; il n’est plus qu’un
instrument dans la main des commanditaires , qu’un
simple commis contraint de suivre l’impulsion et d’obéir
aux instigations de ses maîtres.
Il y aurait là une inconciliabilité profonde avec les
exigences des articles 27 et 28. Il n’y a donc pas à en
douter ; les avis et les conseils, les actes de contrôle et
de surveillance n’engagent point l’associé commandi
taire, précisément parce qu’ils ne s’imposent au gérant
dans aucun cas; parce que celui-ci est libre de les sui
vre ou de les rejeter sans avoir à rendre raison de sa
conduite à qui que ce soit, et sans engager sa respon
sabilité envers ses commanditaires. En le décidant ainsi
la cour de cassation a donné à la loi la seule interpré
tation qu’elle comporte 1.
245.
— L’inaction des commanditaires , dans les
rapports de la société avec les tiers , a donc prévalu ;
mais cette inaction devait-elle aller, comme le voulait la
cour de cassation, jusqu’à les exclure des assemblées et
à les priver du droit de délibérer ? Devait-on considé
rer comme immixtion , même les mesures de surveil
lance qui, se bornant à l’intérieur, ne pouvaient jamais
faire illusion aux tiers ?
L’affirmative eût été réellement contraire à la raison
Voy. infra nos 249 et suiv
�408
DES SOCIÉTÉS
et au droit. Elle devait, en effet , faire aux commandi
taires , à la société elle-même , une position dangereuse
et fausse.
Quoi ! à très juste titre , vous rendez les commandi
taires responsables de l’abus que le gérant fera de sa
mission , du dol et de la fraude qu’il commettra , no
tamment en matière de répartition des bénéfices, et vous
leur interdiriez tout moyen de s’éclairer , de se sous
traire à une administration abusive ; vous les condam
neriez à ne pas même contrôler la fidélité du gérant !
Quoi 1 la société peut être contrainte , sous peine de
périr, de faire un nouvel appel de fonds, de contracter
un emprunt hypothécaire , d’aliéner un de ses immeu
bles, et l’incapacité du gérant serait un obstacle invin
cible ! Et les commanditaires ne pourraient être ni con
sultés , ni mis en mesure d’autoriser cet acte indispen
sable, et en sauvant la société, de sauver les mises qu’ils
ont déjà versées !
Comment la conduite contraire pourrait-elle tromper
le public? L’acte d’autorisation, la délibération, n’indi
queront-ils pas la qualité des associés, et le tiers qui
traitera avec le gérant puurra-t-il équivoquer ?
Ces considérations sont graves et décisives; cependant
elles avaient été méconnues au conseil d’Etat. La haine
de la fraude avait prévalu sur la raison elle-même. Le
droit d’assister aux assemblées et de délibérer avait été
refusé aux commanditaires; mais le Tribunal émit l’o
pinion contraire. Un des droits du commanditaire, di
saient les sections réunies, est de participer aux délibé-
�art.
26, 27, 28.
409
rations générales de la société , et ces délibérations ont
souvent pour objet ou d’en approuver les opérations, ou
d’en autoriser les engagements ; de sorte que , sous ce
rapport, le commanditaire y concourt , et doit y con
courir au moins par son consentementL Cette opinion,
adoptée par le conseil d’Etat, détermina la rédaction de
l’article 27, telle qu’elle se trouve dans le Code.
246.
— La loi ne prohibe donc pas toute espèce de
concours. Comme intéressés à l’avenir de la société, les
commanditaires ont le droit de surveiller la gestion, de
faire entendre des conseils, d’émettre des vœux, d’auto
riser ou d’approuver les actes que le gérant ne pourrait
accomplir par lui-même. Mais, dans ces limites mêmes,
la question de savoir si ces droits ont été ou non excé
dés peut offrir des difficultés sérieuses et réelles.
En général, c’est surtout dans les rapports des com
manditaires avec les tiers que consistent les actes d’im
mixtion. Dans cette hypothèse, l’objet, la nature, le ca
ractère de ces rapports devient un élément précieux de
décision. Mais l’immixtion peut également résulter de la
part que les commanditaires se sont réservée ou ont
prise à l’administration intérieure; et il n’est pas tou
jours-facile de fixer nettement le caractère de la réserve
ou du fait.
La loi ne pouvait donc que s’en référer à l’arbitrage
des tribunaux. Elle leur laisse le droit de déterminer
i Locré, E s p r i t d u C o d e d e c o m m er ce, art. 27,
�410
DES SOCIÉTÉS
souverainement la nature du fait ou de l’acte, et les con
séquences qu’il doit entraîner.
247.
— Or, il est facile de se convaincre que, dans
la recherche dont elle est ainsi chargée, la jurisprudence
s’est conformée à cette règle tracée par la cour de cassa
tion, à savoir : que l’immixtion peut résulter des actes
de gestion même non autorisés, mais qu’elle ne saurait
être constituée par les mesures de surveillance , autori
sées ou non par l’acte social, règle qui a reçu l’assenti
ment de la doctrine 1.
Ainsi , un arrêt de la cour de Colmar , du 4 février
1819 , décide que la réserve du droit de prendre part
aux délibérations, d’inspecter les livres, ateliers et maga
sins de la société , et d’avoir un commis de son choix
dans l’établissement social, n’est pas incompatible avec
la simple qualité de commanditaire.
Ainsi encore, la cour de Bordeaux jugeait, le 29 août
1838, que l’associé commanditaire peut, sans s’exposer
à perdre sa qualité , surveiller la conduite de l’associé
gérant, vérifier l’emploi des fonds sociaux , et s’assurer
de la bonne fabrication des marchandises, surtout si la
surveillance ne se manifeste pas par des actes extérieurs
propres à induire en erreur les tiers appelés à traiter avec la société2.
1 Pardessus , nos1034et suiv,; — Troplong, D es so ciétés , n° 427 ; —
Delangle, art. 27.
2 J du P., 39, 4, 215. — Voy. Cass., 25 juin 1846 ; — J. du P.,
46, 2, 484.
�art.
26, 27, 28.
411
Mais ce droit de surveillance ne saurait dégénérer en
participation à la gestion. Ainsi, les membres d’une so
ciété , qualifiée en commandite , qui se seraient réservé
le pouvoir de concourir individuellement à son admi
nistration , ou qui seraient chargés de l’administration
intérieure , ou de celle de la caisse , de l’inspection des
livres et de la partie commerciale de la manufacture ;
et auraient, en outre, stipulé que les associés se surveil
leront réciproquement, et ne feront rien que du con
sentement de tous , seraient, à l’égard des tiers, de vé
ritables associés solidaires. Les mêmes actes , quoique
non réservés dans l’acte social, entraîneraient la même
conséquence contre le commanditaire qui se les serait
permis l.
248.
— Ce qui , dans ces hypothèses , est surtout
incompatible avec la qualité de commanditaire est le
droit de consentir chaque opération. La nécessité de
n’agir que du consentement de tous investit les com
manditaires de la gestion et les appelle à une partici
pation directe et effective. Le gérant n’est plus que l’exé
cuteur passif de la volonté des commanditaires, qui de
viennent ainsi les seuls gérants.
Vainement donc exciperait-on du droit d’assister aux
assemblées et de participer aux délibérations ; ce que le
Tribunat revendiquait pour les commanditaires n’est
1 Cass., 27 floréal an X III; 16 germinal an XI ; — Paris , 16 mai
1808.
�DES SOCIÉTÉS
pas et ne pouvait pas être la faculté de peser sur la
gestion , d’en permettre ou d’en prohiber les actes di
vers et successifs ; ce qu’il voulait , c’est qu’ils pussent
être consultés dans les cas extraordinaires, émettre leur
avis, exprimer leurs vœux , donner même des conseils,
sauf le droit du gérant à agir comme il le jugerait con
venable. C’est dans ce sens que s’est prononcée la cour
de cassation , en jugeant que l’approbation donnée par
les commanditaires aux actes de gestion du g érant, et
les délibérations par eux prises dans le but d’éclairer
cette gestion, et spécialement d’exprimer des vœux sur
certains actes ( emprunts ou autres ) , ne peuvent être
considérées comme des actes d’immixtion , alors d’ail
leurs que ces délibérations, qui n’étaient pas légalement
obligatoires pour le gérant, ont été purement intérieu
res, et n’ont été accompagnées d’aucun acte extérieur
qui ait mis les commanditaires en contact avec les tiers
et ait pu tromper ceux-ci sur leur véritable qualité x.
Telles sont les limites rationnelles dans lesquelles doit
être circonscrit le droit d’assister aux assemblées et de
prendre part aux délibérations ; confondre ce droit avec
celui d’être consulté sur chaque opération, subordonner
celle-ci au consentement formel des commanditaires,
c’est en réalité leur conférer la gérance et les constituer
dès lors associés solidaires.
La cour de cassation considère les délibé-
�art.
26, 27, 28.
413
rations prises par les commanditaires comme non léga
lement obligatoires pour le gérant. Celte absence d’obli
gation ne peut évidemment s’entendre que de celui-ci à
ses associés , car elle n’a jamais pu être mise eu doute
pour ce qui concerne les tiers.
M. Pardessus enseigne le contraire. Il pense que les
délibérations engagent la responsabilité du gérant visà-vis des commanditaires. M.Troplong, qui adopte cette
opinion, considère leur violation cùmme donnant lieu,
soit à une adjudication de dommages-intérêts, soit à une
poursuite en destitution contre le gérant.
f 2 5 0 . — Le système de la cour de cassation nous
paraît plus rationnel et plus légal , et surtout plus con
forme à l’esprit du Code. Le gérant est seul responsa
ble, seul indéfiniment tenu des conséquences de la ges
tion. Le péril auquel il est exposé est un gage de la
prudence qu’il mettra dans les opérations qu’il est char
gé d’entreprendre et d’exécuter.
Concevrait-on, dès lors, que les commanditaires pus
sent lui dicter la conduite qu’il doit tenir, enchaîner sa
liberté, violer son indépendance? Mais alors ce seraient
les commanditaires qui administreraient, et le gérant
ne serait plus qu’un instrument dans leurs mains. Alors
on verrait reparaître ces associations dirigées par un
valet, et se renouveler cette fraude qu’on a voulu pros
crire , en prohibant la faculté de gérer même en vertu
d’un mandat spécial.
Dans l’opinion de MM. Pardessus et Troplong , les
�AU
DES SOCIÉTÉS
commanditaires ne surveillent plus, ils agissent. Ce ne
sont plus des vœux ou des conseils qu’ils émettent ou
qu’ils donnent, ce sont des ordres qu’ils dictent. Est-ce
là, nous le demandons, une faculté qu’on ait voulu leur
reconnaître ?
Comment, d’ailleurs, concilier ces ordres avec la po
sition que la loi leur fait ? Ils sont étrangers au com
merce , ils ne peuvent s’immiscer dans les opérations.
Seront-ils à même d’apprécier mieux que le gérant ce
qui est plus convenable et plus utile ?
Comment enfin forcer le gérant, sous peine de dom
mages-intérêts et de destitution , à exécuœr des opéra
tions qu’il désapprouve ? Comment enfin le contraindre
à courir des chances qu’il trouve trop hasardeuses. Les
choses ne sont pas égales : les commanditaires ne per
dront jamais que leur mise, le gérant expose sa fortune
et son honneur. Cette différence est trop importante,
trop décisive , pour qu’elle ne mérite f.as une sérieuse
considération.
Les conséquences logiques, le législateur les a lui-mê
me déduites. Au gérant , la direction supérieure et ex
clusive des affaires; aux commanditaires, la faculté de
donner des conseils, d’émettre des vœux. Or, refuser de
se rendre aux uns comme aux autres n’a jamais pu
constituer un acte punissable aux yeux de la loi. En se
conduisant a in si, le gérant ne fait qu’user de la préro
gative qu’on ne saurait lui contester en présence du
texte et de l’esprit de notre législation.
m
�a r t
.
26, 27, 28.
415
2 5 1 . — Des circonstances extraordinaires, la dé
mission ou la mori du gérant, la dissolution et la liqui
dation de la société peuvent agrandir le cercle des attri
butions des commanditaires , et les appeler à prendre,
en quelque sorte, une part plus active à la direction des
affaires. Les mesures auxquelles ils peuvent concourir
dans ces diverses hypothèses ne sauraient constituer
l’immixtion.
Ainsi il a été jugé :
Que la délibération ayant pour objet d’accepter la
démission du gérant, et d’investir le collègue de celuici du droit de gérer seul , ne constitue pas , de la part
des commanditaires qui y ont concouru avec les direc
teurs et les créanciers de la société , un acte d’immix
tion qui leur fasse encourir la responsabilité de l’article
§18. Cette délibération , destinée à régler les conditions
de l’existence de l’entreprise , ne porte aucune atteinte
aux droits des tiers 1 :
Que lorsque le gérant unique d’une société a donné
sa démission, les commanditaires peuvent nommer des
commissaires , ou un gérant provisoire , pour régler les
comptes du démissionnaire , et administrer provisoire
ment les fonds sociaux , sans être réputés avoir fait un
acte d’immixtion qui les rende solidairement respon
sables , alors même que le gérant provisoire aurait
fait une transaction avec un fournisseur de la société,
1 Paris, 5 mai 1 844 ; — J. du P ., 41, 1, 699.
�DES SOCIÉTÉS
dans le but d’éviter à celle-ci une perle plus considé
rable 1 ;
Que lorsque, à la suite de la liquidation d’une socié
té, prononcée en assemblée générale, des commanditai
res, nommés, dans l’intérêt commun, liquidateurs,avec
mandai de continuer certaines opérations, ont agi con
stamment en cette qualité et de bonne foi, et qu’en ou
tre leur qualité de liquidateurs était ou devait être no
toirement connue de ceux avec qui ils ont traité , une
cour d’appel a pu ne pas déclarer ces commanditaires
solidairement responsables par suite d’immixtion dans
la gestion 2.
2 5 2 . — En résumé, les commanditaires ne peuvent
s’immiscer directement ou indirectement dans la gestion
des affaires sociales, mais ils ont le droit d’assister et
de délibérer dans les assemblées générales ; d’entendre
et d’approuver le compte des opérations du gérant; de
se réserver ou d’exercer tous moyens de surveillance ;
d’autoriser un appel de fonds, une émission nouvelle
d’actions, un emprunt hypothécaire ou la vente de l’im
meuble social; d’accepter la démission du gérant; de
pourvoir à son remplacement, même provisoire. Aucun
de ces actes ne constituerait l’immixtion prévue et pu
nie par l’article 28, pourvu toutefois qu’à leur occasion
1 Cass , 22 décembre 1 8 45; 3. du P ., 46, 1, 308. — V oy Paris, 23
3 février 1829, et Cassation, 26 décembre 1842 ; J . d u P , 43 1, 628
2 Casssation, 17 avril 1843 ; — J. du P., 43, 2, 253
�art.
26, 27, 28.
417
le commanditaire n’ait pas directement traité avec les
tiers, et ne leur ait ainsi inspiré une opinion trompeuse
sur sa qualité.
2 5 5 . — Les articles 27 et 28 avaient inspiré un
doute assez grave sur les rapports que les commandi
taires pouvaient avoir avec la société. Le conseil d’Etat
crut devoir se prononcer , et par décision du 29 avril
1809, approuvée le 17 mai et insérée au Bulletin des
lois, il décida que les articles 27 et 28 étaient inappli
cables aux relations que chaque commanditaire aurait
en son nom propre avec la société, qu’ils ne se rappor
taient qu’aux actes que l’associé ferait en représentant,
comme gérant, la maison commanditée, même par pro
curation.
Celte interprétation laissait encore un doute à l’en
droit du commissionnaire. Celui-ci, en effet, est un vé
ritable mandataire ; les achats et ventes qu’il opère pour
la société sont bien des actes de gestion. Fallait-il donc
prohiber au commissionnaire l’exercice de sa profession
vis-à-vis de la maison qu’il a commanditée ?
On a, avec juste raison, adopté la négative ; elle s’in
duisait naturellement des termes mêmes de l’avis du
conseil d’Etat. Que le commissionnaire représente celui
sur l’ordre duquel il a g it, c’est ce qui est incontestable
de l’un à l’autre ; c’est ce qu’on ne peut admettre re
lativement aux tiers. En effet, pour ce qui les concerne,
\e commissionnaire agit en son propre et privé nom. Il
n’est pas tenu de faire connaître son m andant, contre
i
27
�DES SOCIÉTÉS
lequel les tiers n’acquièrent aucun droit direct. Com
ment donc pourraient-ils prétendre avoir été induits en
erreur? Dans quel objet d’ailleurs le feraient-ils? Est-ce
que le commissionnaire n’est pas déjà engagé envers
eux ? Il est leur seul débiteur.
Mais il est évident que si le commissionnaire n ’avait
pas agi en cette qualité; si, au lieu de traiter en son
nom, il l’avait fait comme mandataire, en vertu d ’une
procuration, il deviendrait un véritable préposé, et, com
me tel, passible de la peine réservée à l’immixtion ; car
il aurait formellement contrevenu à la disposition de
l’article 27 du Code de commerce.
2 5 4 . — Que doit-on décider des facteurs et com
mis ? M. Pardessus et M. Delangle soutiennent que ces
emplois ne peuvent être remplis par des commanditai
res, sous peine d’immixtion. Le contraire est enseigné
en ces termes par M. Troplong :
« Sans aucun doute, il y aurait immixtion de la part
du commanditaire q u i, dans une société d’assurances,
exercerait les fonctions d’agent dans un port ; il y au
rait immixtion de la part du commanditaire qui , dans
une société de messageries, serait le préposé, le repré
sentant de la société dans une ville. Ceux-là , en effet,
font acte de gestion ; ils remplacent le gérant, ils trai
tent avec les tiers, ils s’emploient à augmenter le crédit
de la société par leurs recommandations, par leur tra
vail extérieur. Mais le commis inconnu qui lient les écritures , mais l’agent occupé loin des tiers d’une ma-
�art.
26, 27, 28.
419
nière quelconque, mais l’auxiliaire préposé à des fonc
tions qui ne sont pas et ne peuvent pas être celles du
gérant ! Tous ceux-là ne s’immiscent pas ; on ne peut
pas dire qu’ils soient employés à ces affaires de la so
ciété dont le maniement constitue la gestion sociale l. »
L’opinion de M. Troplong paraît plus équitable et
plus rationnelle ; elle répond mieux à la vérité des cho
ses. Est-il venu jamais à la pensée de personne de pré
tendre qu’on a ajouté foi à la solvabilité du commis ve
nant encaisser les fonds de la maison , ou du facteur
portant le bagage des voyageurs de leur domicile au bu
reau , ou du bureau à leur domicile ; enfin , du con
ducteur chargé de surveiller le voyage d’un lieu à un
autre? Comment donc les considérer comme associés
solidaires, si, cédant à une nécessité qui leur est impo
sée, ils ont dû , à titre de cautionnement, prendre la
qualité de commanditaire?
Les tentatives faites dans ce sens jusqu’à ce jour n’ont
pas été heureuses. La justice les a constamment repous
sées. A insi, la cour de Paris a jugé , le 5 mai 1841,
qu’on ne doit pas considérer comme faisant acte d’im
mixtion dans la gérance les agents préposés, dans cha
que département, au placement des marchandises so
ciales , et qui sont devenus commanditaires en souscri
vant des actions à titre de cautionnement. La même rè
gle était consacrée par la cour de cassation, le 15 mars
i Pardessus , n° 1030 : — Delangle , n°» 398 et suiv ; — Troplong,
n°436.
�DES SOCIÉTÉS
1847, en ces termes : Les articles 27 et 28 du Code de
commerce, qui interdisent aux associés commanditaires
de faire aucun acte de gestion, sous peine d’être obligés
solidairement, ne s’appliquent qu’aux actes qu’un asso
cié aurait fait comme gérant représentant la maison
commanditée, ou dont il résulterait la preuve qu’il s’at
tribuait cette qualité ; ils ne s’étendent pas à l’associé
qui n’a agi ni de son chef ni comme représentant la
société , mais comme commis du gérant , et qui a fait
connaître cette qualité à tous ceux avec lesquels il a
traité l.
Mais, dit M. Delangle, il peut se faire que le commis
ait une véritable intelligence des affaires , que par son
habileté il attire à lui la gestion entière, ou qu’au moins
il obtienne une large part d’influence l Qu’importe ? di
rons-nous avec les arrêts précédents , pourvu que cette
influence se soit renfermée soigneusement dans l’inté
rieur, et qu’à l’endroit des tiers le commis ne soit jamais
sorti de sa position.
D’ailleurs, il en est du commis comme de tout autre
commanditaire. La preuve qu’il aurait agi comme gé
rant , ou qu’il se serait attribué cette qualité , le ferait
déclarer associé solidaire et indéfiniment tenu. La réali
sation de l’hypothèse que redoute M. Delangle ne reste
rait donc pas impunie. Les créanciers intéressés sont
toujours admissibles à discuter la nature des actes, et à
�art.
26, 27, 28.
421
établir qu’en fait le commis a excédé ses fonctions. C’est
ce qui serait incontestablement admis pour celui qui,
ayant reçu l’autorisation de disposer de la signature so
ciale, s’en serait servi dans ses rapports avec les tiers.
2 5 4 bis. — Nous venons de voir que la loi du 9
mai 1863 a tranché la question. Elle a sanctionné la
doctrine enseignée par M. Troplong , consacrée par la
cour de cassation, en proclamant que l’associé comman
ditaire peut-être employé pour les affaires de la société.
Quelle est l’étendue de cette faculté ? Où commence,
où cesse le droit du commanditaire? Quels sont les actes
qu’il peut accomplir; quels sont ceux qui lui demeurent
interdits ?
Nous avons à ce sujet fait remarquer que la discus
sion législative n’était que d’un très-faible secours et ne
donnait aucune solution précise. Mais de l’esprit général
de la loi on peut déduire cette solution et résoudre la
difficulté.
Il est hors de doute que l'associé commanditaire ne
saurait se permettre des actes de gestion sans engager
sa responsabilité. Ainsi, il ne peut se substituer au gé
rant d’une manière générale et permanente , même en
vertu d’une procuration.
Bientôt, en effet, cette procuration deviendrait la con
dition de l’accession du commanditaire , se réservant
ainsi la haute direction de la société, sans encourir la
responsabilité indéfinie que la gérance entraîne. On re
tombait ainsi dans l’inconvénient que le législateur de
�422
DES SOCIÉTÉS
1807 avait entendu proscrire, celui de ces sociétés frau
duleuses sous le nom d’un laquais et dans lesquelles les
véritables intéressés arrivaient, sous le manteau d’une
procuration , à gérer souverainement sans autre risque
que celui de perdre leur mise.
La prohibition d’agirmêmeen vertu d’une procuration,
si elle n’était renfermée dans de certaines limites,aboutirait
à retirer d’une main ce que le nouvel article 27 a concédé.
Le commanditaire employé comme commis doit néces
sairement être apte à tous les actes ressortissant de ces
fonctions, sans s’exposer à être considéré comme s’étant
immiscé dans la gestion, et ayant encouru la responsa
bilité que produit l’immixtion.
Or, ces fonctions comportent le pouvoir de remplacer
le gérant absent momentanément de la maison , lors
qu’on vient soit contracter un ach a t, soit acquitter une
facture ; le pouvoir d’acquitter les valeurs à l’encaisse
ment desquelles le commis est chargé de procéder, etc....
Ce sont là, sans doute, des actes 'de gestion, mais la qua
lité notoire de celui dont ils émanent empêche qui que
ce soit de se tromper sur leur valeur réelle.
Qu’importe que ce commis soit un commanditaire ?
À quel titre voudrait-on lui interdire les actes qu’un
commis ordinaire accomplit légalement ? Le pourrait on
d’ailleurs sans en revenir à la prohibition que le légis
lateur de 1863 a entendu effacer ?
Lorsqu’on proclame un principe, il faut en subir les
conséquences immédiates. Vous voulez , et vous avez
raison, que le commanditaire puisse être employé aux
�art .
26, 27, 28.
423
affaires de la société , vous voulez en faire un commis,
vous êtes dès lors obligés de lui reconnaître le droit de
faire tout ce que fait ou ferait un commis ordinaire. S’il
ne peut accomplir, quels qu’ils soient, les actes qui sont
dans les pouvoirs de celui-ci, sans s’exposer à être pour
suivi comme s’étant immiscé dans la gestion , votre loi
ne serait plus pour lui qu’un piège qu’il devrait éviter
avec soin.
Qui veut la fin veut les moyens. Le commanditaire
pouvant être employé pour les affaires de la société, la
règle générale doit être pour lui l’immunité la plus com
plète au point de vue de la responsabilité indéfinie et
solidaire. Celle responsabilité ne peut et ne doit être
qu’une exception dans le cas où excédant évidemment
les pouvoirs d’un simple commis, le commanditaire s’est
substitué au gérant d’une manière permanente en vertu
d’une procuration ; ou s’est livré à des actes que l’usage
interdit aux commis ; ou a tenu la conduite et le langage
que supposait M. Duvergier en réponse à M. Javal L
2 5 4 ter. — La loi n’a ni déterminé , ni défini les
actes de gestion qu’elle interdit aux commanditaires.Elle
s’en réfère à ce sujet à l’appréciation des magistrats ar
bitres souverains du caractère de l’acte. Nous avons cité
divers exemples de cette appréciation.
Aux arrêts que nous avons indiqué, nous en ajoutons
un autre rendu par la cour de Bordeaux le 1er juillet
i Voy. supra n» 244 quatuor.
�424
SE S SOCIÉTÉS
•
1864. Le tribunal de commerce de Nontron avait décidé
que ne fait pas acte de gestion l’associé commanditaire
qui tient transitoirement les livres de la société ;
Qui transcrit sur le çopie des lettres de celle-ci, des
lettres écrites à des correspondants;
Qui lui fournit des fonds soit pour retirer des traites
en souffrance, soit pour tout autre de ses besoins ;
Qui fait pour le compte de la société des achats de
matières premières qui même sont déposées momenta
nément chez lui ;
Qui fait personnellement à la société certaines four
nitures.
Dans cette espèce, outre l’immixtion dans la tenue des
livres et écritures de la société, les enquêtes avaient éta
bli à la charge du commanditaire : 1° des achats de
houille pour l’usine; 2° des achats de chaux; 3° des
achats de paille ; 4° des achats de bœufs ; S° des achats
de bois ; 6° des paiements de matières achetés ; 7° l’in
tervention du commanditaire pour l’achat des machines;
8° des gratifications par lui données aux ouvriers ; 9° son
installation fréquente à l’usine ; 10° la direction géné
rale des affaires prise par lui.
Le tribunal examine chacun de ces faits et en appré
cie le caractère. Il repousse l’accusation d’immixtion,
« Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède , que les
» circonstances relevées par le poursuivant n ’ont pas
» le,caractère d’ingérence de la part de l’associé com» manditaire ;
» Qu’elles prouvent seulement que ce dernier surveil-
�art.
26, 27, 28.
425
» lait ses droits sans prendre en mains la direction des
» affaires;
» Qu’il serait dès lors plus que rigoureux de tourner
» au détriment de sa fortune les soins même qu’il met» tait à la protéger.1 »
La cour de Bordeaux saisie du litige adopte l’appré
ciation des faits et les conséquences qu’en tire le tribu
nal. En conséquence, elle confirme le jugement.
En définitive , les litiges de cette nature se résument
tous à ces termes : L’associé commanditaire s’est-il ou
non immiscé dans la gestion ? Les actes auxquels il s’est
livré ont-ils pu induire les tiers en erreur et leur ins
pirer la fausse croyance qu’ils traitaient avec un associé
solidaire.
Comme la solution de toutes les questions de fait, celle
de cette question ést souverainement laissée à l’arbitrage
des deux degrés de juridiction. Leur décision pourrait
bien constituer un mal jugé, mais jamais une violation
de la loi.
255.
— Ce qui résulte bien évidemment de l’avis
du conseil d’Etat du 29 avril 1809, c’est que les trans
actions et opérations commerciales ique le commanditaire
ferait, en son nom et pour son compte, avec la maison
commanditée, ne constitueraient jamais des actes d’im
mixtion. L’être moral que constitue la société est un
commerçant ordinaire , avec lequel chacun est libre
i Journal de Marseille, 65, 2, 16,
�m
DES SOCIÉTÉS
de traiter , ccmme il le ferait avec tout autre commer
çant.
Ainsi, le commanditaire peut acheter de la société ou
lui vendre les marchandises de son commerce; lui con
sentir des avances ou en recevoir; correspondre avec la
société , encaisser sur place les billets qu’on lui envoie
ou lui transmettre les valeurs dont il dispose ; avoir en
fin avec elle un compte courant pour toutes opérations.
256.
— Mais le résultat de celles-ci reste distinct
de l’obligation qu’il a contractée de payer sa mise. En
conséquence , dans le cas de faillite de la société , il ne
pourrait compenser le crédit- de son compte courant avec
ce qu’il devrait encore de cette mise. C’est au public que
cclle-ci est due. La compensation que ce commanditaire
voudrait établir la détournerait de la destination qui lui
est affectée. Elle lui profiterait exclusivement, en dimi
nuant d’autant la perte qu’il est appelé à subir. La
masse des créanciers serait -ai nsi frustrée de la part lui
revenant sur le capital social.
La raison indique qu’il ne saurait en être ainsi. Le
droit n’en proteste pas moins contre la solution con
traire. La compensation ne peut s’opérer que lorsque
deux personnes sont débitrices l'une envers l’autre en
une seule et même qualité. Or, dans l’espèce , le com
manditaire est créancier en son propre et privé nom, il
est débiteur en qualité d’associé; ce qu’il doit comme tel
ne saurait être compensé avec ce qui lui est dû. person
nellement. C’est ce que la cour de cassation a consacré
dans l’affaire Loubon, par son arrêt du 28 février^ 844.
�art.
26, 27, 28.
427
257.
— L’immixtion a de trop grandes conséquen
ces pour les commanditaires pour qu’ils n’essayent pas
de la dissimuler de tout leur pouvoir. De là celte con
séquence qu’on ne saurait bien souvent l’établir sans le
secours de la preuve testimoniale. Dans celte prévision,
on proposait au conseil d’Etat de déclarer cette preuve
admissible suivant les circonstances.
Mais cette proposition fut repoussée comme inutile.
En effet, le principe qu’elle tendait à établir résultait
d’une manière plus générale , plus explicite encore des
principes du droit ordinaire et de ceux du droit com
mercial lui-même.
En matières commerciales, en effet, la preuve testi
moniale est de droit commun ; elle ne peut donc être
refusée qu’autant qu’elle a été prohibée par une dispo
sition formelle. Il est vrai que cette prohibition subsiste
pour ce qui concerne les sociétés , mais à l’endroit des
associés seulement. Les tiers , pouvant l’invoquer pour
établir le fait de l’association, sont également admis à y
recourir pour en rechercher les caractères et la nature.
Dans le droit ordinaire, la nécessité d’une preuve lit
térale subit des exceptions , notamment dans les cas de
dol et de fiaude. Or, l’immixtion est une fraude à la loi
elle-même. Ce caractère rend la preuve testimoniale
forcément admissible , résultat que l’article 1348 justi
fierait d’ailleurs, puisque les tiers n’auraient jamais été
en position de se procurer une preuve écrite du fait dont
ils se plaignent.
La preuve testimoniale ne saurait donc , sous aucun
�DES SOCIÉTÉS
rapport, être refusée à ceux qui l'invoquent pour établir
l’immixtion. Sa recevabilité absolue entraîne dès lors,
pour les tribunaux, la faculté de se décider par les pré
somptions actuellement acquises.
2 5 8 . — L’article 28 édicte la peine réservée au com
manditaire qui s’immisce. Cette disposition, toute clai
re, toute positive qu’elle soit, n’en a pas moins fait sur
gir quelques difficultés.
: Elle était relative à l’étendue
de la responsabilité encourue : comprend-elle le passif
antérieur à l’immixtion comme celui qui lui est posté
rieur ?
L’affirmative a été universellement admise ; il était
difficile qu’il en fût autrement. Devenu associé en nom
collectif, le commanditaire était, par cela même, tenu
de payer, sans distinction, toutes les dettes sociales con
stituant la perte.
P r e m iè r e
d if f ic u l t é
2 5 9 . — D e u x iè m e d i f f i c u l t é : Le commanditaire
déchu de sa qualité relativement aux tiers la conservet-il vis-à-vis du g érant, et a-t-il dès lors le droit de
répéter contre lui tout ce qu’il a payé au delà de sa
mise ?
M. Pardessus enseigne l’affirmative; il se fonde sur
ce que la peine édictée par l’article 28 l’est principale
ment en faveur des créanciers. Ce sont des dommagesintérêts qu’on leur accorde contre la tentative de trom
perie qu’oa a réalisée à leur encontre. Conséquemment,
donner au gérant le droit d’exciper de la peine pro
�art.
26, 27, 28.
noncée contre le commanditaire , ce serait lui accorder
des dommages-intérêts pour une action qui n’a pu lui
nuire , qui , d’ailleurs , n’a pu avoir lieu que de son
consentement, et dont il serait complice si elle était blâ mable l.
2 6 0 . — Envisagée à ce point de vue, la solution de
M. Pardessus pourrait paraître rationnelle ; mais est-ce
bien de cette manière que la question doit être traitée?
Nous ne le croyons pas.
L’immixtion est un fait personnel ; elle a été sciem
ment et librement accomplie. Le commanditaire qui se
l’est permise doit naturellement en assumer toute la
responsabilité. Il pouvait conserver la position qu’il s’é
tait d’abord faite ; il lui a plu d'en prendre une autre.
Ne suffît—il pas que sa détermination ait été spontanée
et volontaire pour qu’il ne puisse en répudier les con
séquences ou les faire rejaillir sur autrui ?
Les stipulations de l’acte social ne participent pas du
caractère des stipulations matrimoniales ; elles peuvent,
à toute époque, être modifiées et changées. Or, suppo
sez que celui qui y a d’abord figuré comme commandi
taire prenne plus tard la qualité d’associé en nom col
lectif; p o u rra it-il prétendre se faire indemniser des
obligations qui en résulteraient pour lui, et exercer un
recours contre le gérant pour tout ce qu’il serait tenu
de payer au delà de sa mise ?
1 N° 4038. — Conf. Troplong, n° 440 .
�430
DES SOCIÉTÉS
La négative ne saurait être contestée. Mais alors pour
quoi admettre le contraire lorsqu’au lieu d’une conven
tion, c’est-à-dire d’un consentement exprès, on se trou
vera en présence d’un consentement non moins formel
quoique tacite?
Mais, dit M. Pardessus, le gérant a consenti , et est
ainsi devenu complice de l’immixtion 1 Est-ce que dans
l’hypothèse que nous invoquons le gérant n’aura pas également consenti? Dès lors, si, dans ce dernier cas, ce
consentement ne produit et ne peut produire aucun effet
contre le géran t, pourquoi en serait-il autrement dans
celui que nous examinons? Le consentement tacite du
gérant peut-il produire des conséquences autres que cel
les devant s’induire de son consentement exprès?
M. Troplong, pour échappera cet argument, soutient
que le commanditaire qui s’immisce ne prend pas la
qualité d’associé en nom collectif. La preuve, dit-il, c’est
que l’article 28 , tout en le déclarant solidairement et
indéfiniment tenu, ne cesse pas de le qualifier d’associé
commanditaire.
Cette expression de l’article 28 s’explique par la ré
daction que cet article a reçue ; mais est-il possible d’équivoquer sur sa portée ?
L’associé commanditaire ne peut jamais être tenu au
delà de sa mise. Ce privilège est à tel point constitutif
de celte qualité , que nous avons vu la jurisprudence
considérer comme associé' en nom collectif celui qui,
s’étant qualifié de commanditaire et abstenu de tout acte
de gestion, s’est cependant soumis à supporter une quo-
�art.
26, 27, 28.
434
tifé déterminée de la perle1. Quelle est donc la portée
réelle de l’article US, soumettant l'associé à toute la per
te, le déclarant solidairement et indéfiniment obligé?
C’est ce que M. Troplong va nous apprendre lui-mê
me dans son numéro 420 : La loi défend au com
manditaire de faire aucun acte de gestion et d'être
employé pour les affaires de la société , même en
vertu de simple procuration ; sinon il devient obligé
solidaire , e t e s t r é p u t é a s s o c i é e n
n o m . c o l l e c t i f . Tous les engagements de la
société réfléchissent sur lui.
Donc, l’objection que nous examinons n’a aucun fon
dement sérieux. La preuve que l’article 28 enlève à celui
qui s’immisce la qualité d’associé commanditaire, c’est
qu’il le déclare solidairement et indéfiniment tenu , ce
qui ne peut être que pour l’associé en nom collectif.
2 6 1 . — Cette doctrine , que nous n’hésitons pas à
adopter dans son sens le plus absolu, est également pro
fessée par M. Delangle ; mais ce savant jurisconsulte
excepte de son application le cas où le commanditaire
ne se serait immiscé dans la gestion que du consente
ment du gérant et ù son instigation 2.
Nous admettrions cette exception, mais à une condi
tion, à savoir : que les actes imputables au gérant con
stituassent un dol ou une fraude.
1 Voy. supra n° 197.
2 ]\o s
44 g et suiv.
�DES SOCIÉTÉS
En effet, le consentement du gérant par lui-même ne
saurait l’obliger à rien ; nous l’avons déjà dit. C’est ce
qu’on reconnaît sans difficulté dans le cas où postérieu
rement à l’acte social, le commanditaire a pris, par une
convention expresse, la qualité d’associé solidaire.
Dans la supposition même où l’immixtion, qui est le
fait exclusif du commanditaire , a été sollicitée 'et pro
voquée par l u i , le consentement du gérant n’est que la
conséquence forcée de sa position. L’administration lui
est exclusivement dévolue. Comment concevoir un par
tage de celle-ci sans qu’il y ait formellement ou tacite
ment consenti ? Quelquefois même ce consentement
n’aura été , de sa p a rt, qu’une concesion dans l’intérêt
de la société ; il y aurait donc plus que sévérité à lui
en imputer la responsabilité.
Quant aux instigations dont on exciperait, leur exis
tence devrait non-seulement être établie, mais il faudrait
encore justifier qu’elles ont offert un caractère tel qu’el
les ont dû faire illusion à celui qui en a été l’objet. On
ne peut se dissimuler qu’en se plaignant à cet endroit le
commanditaire excipe d’une véritable fraude ; qu’il doit
dès lors en prouver les caractères constitutifs. Des con
seils , des exhortations qu’il était libre de suivre ou de
rejeter ne lui donneraient aucun droit à une indemnité
quelconque.
En dernière analyse , le commanditaire, comme tout
majeur, subit les conséquenees de tous ses actes. Il n’a
de recours à exercer que lorsque , victime de manœu
vres déloyales, il a, en quelque sorte, obéi à une erreur
�art.
26, 27, 28.
433
qu’il n ’a pas été libre de calculer , et a été entraîné à
faire ce qu’il n’aurait pas fait sans l’existence de ces ma
nœuvres.
Qu’on lui accorde un recours contre le gérant dans
cette hypothèse, c’est de la légalité et de la justice. Ce
recours, en l’absence de toute fraude, est difficile à con
cevoir, impossible à justifier en raison et en droit.
2 6 2 . — T r o i s i è m e d i f f i c u l t é : Le commanditaire
qui s’est immiscé peut-il être déclaré en état de faillite
si la société l’est elle-même ?
La solution que nous avons adoptée sur la précédente
question indique celle que nous adoptons sur la ques
tion actuelle. Puisque le commanditaire devient un vé
ritable associé en nom collectif, sa déconfiture est celle
d’un commerçant, et n’a pas d’autre issue possible qu’
une faillite.
'MM. pardessus et Troplong, en enseignant la négative
sur celte question, sont conséquents avec ce qu’ils sou
tenaient tout à l’heure ; ils ne pouvaient admettre les
effets en contestant la cause.
Ainsi, dit M. Pardessus, si le commanditaire, au mo
ment de la faillite de la société, n’a encore rien payé de
sa mise, pourrait-on, s’il ne voulait ou ne pouvait ré
aliser ce paiem ent, le faire déclarer en état de faillite ?
Pourquoi donc accorderait-on la faculté de le faire dans
le cas d’immixtion ? quelle autre différence y a-t-il en-
�DES SOCIÉTÉS
tre l’une et l’autre de ces hypothèses, sinon que dans la
première l’obligation du commanditaire est limitée , et
que dans la seconde elle est indéfinie ?
Quelle autre différence ! mais en trouverez-vous ja
mais une plus grave, plus décisive ? Le commanditaire
non commerçant fait, en prenant cette qualité, un acte
de commerce, et cet acte ne peut avoir pour lui que les
conséquences dérivant de ce caractère. Il peut donc,
comme le serait le signataire d’une lettre de change, être
contraint par corps à raison de ce , mais non être dé
claré en faillite, parce qu’un acte de commerce ne con
stitue pas le commerçant.
Le commanditaire qui s’immisce devient un associé
en nom collectif. Hésiterait-on à le déclarer en état de
faillite, quelle que fût d’ailleurs sa profession , si l’acte
de société le déclarait tel? Ce serait difficile,en présence
de l’article 438 du Code de commerce. O r, qu’im
porte que la qualité d’associé en nom collectif résulte
du pacte ou de la loi elle-même. Dans l’un comme
dans l’autre cas , les conséquences doivent être identi
ques.
Ainsi, la différence entre le commanditaire demeuré
tel et celui qui s’est immiscé est capitale : l’un est resté
ce qu’il était au moment de l’acte, l’autre a pris la qua
lité de commerçant. La faillite, impossible pour le pre
mier , est devenue inévitable pour l’autre , du moment
où l’immixtion est acquise.
Dans l’opinion que nous combattons, on se préoccupe
�art.
26, 27, 28.
435
beaucoup de la femme et des créanciers ordinaires du
commanditaire , pas assez de ses créanciers commer
ciaux. Ceux qui traitent avec un non commerçant , la
femme qui l’épouse , ne peuvent avoir la prétention
d’enchaîner son indépendance et de l’empêcher de se
faire commerçant ; s’il l’est devenu, ils devront en subir
les conséquences , quelles qu’aient été leurs espérances
et leurs prévisions.
Les créanciers qui ont traité avec un associé qu’ils
voyaient administrer la société ont compté et dû comp
ter sur les garanties que leur offrait sa fortune ; leur
conviction était commandée par la loi elle-même. Or,
qui veut la fin veut les moyens, et déclarer la faillite
impossible c’est refuser ceux-ci en paraissant les ac
corder.
En effet, à la veille de la déconfiture, le commandi
taire aura le soin de mettre sa fortune à l’abri à l’aide
d’hypothèques simulées. Ces hypothèques peuvent mê
me n’être qu’une précaution exécutée au moment où la
pensée de s’immiscer a été conçue, et pour se prémunir
contre toute espèce de chances.
Une pareille supposition , et elle n ’a rien de bien té
méraire , rendrait le remède de la faillite d’une haute
moralité, de la plus incontestable justice, avec d’autant
plus de raison qu’il ne pourrait nuire qu’à la fraude,
car les droits'sérieusement acquis, et à une époque non
suspecte, n’en souffriront aucune atteinte.
En résumé, le commanditaire qui s’immisce est de-
�436
DES SOCIÉTÉS
venu associé en nom collectif ; comme tel il est com
mercant en fait et en droit ; dès lo rs , en cas de défaut
ou d’impuissance de faire face à ses obligations, on doit
le déclarer en faillite l.
1 Conf. Delangle, nos4 0 6 e ts u iv .;— Malepeyre et Jourdain, p 166.
FIN DU PREMIER VOLUME
��
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/333/RES-22984_Bedarride_Commentaire-code_2.pdf
ac6d886512397eee3f1210cb8fe5e28a
PDF Text
Text
D R O I T COMMERCIAL
C O M M E N TA IR E DU CODE DE C OM M ERCE'
L IV R E
PR E M IE R
TITRE TROISIÈME
DES SOCIÉTÉS
Tome 2
PAR J. BEDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D EU X IÈM E
ÉD ITIO N
REVUE, CORRIGÉE ET MISE AU COURANT DES LOIS NOUVELLE»
(2* TIRAGE)
TOME DEUXIÈME
PARIS
L .
L ARO SE ,
AIX
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
LIBRAIRE
2 , RUE T H IE R S , 2
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
1878
JkX ko O <2-92,2)
�Res 2.2-33^1*23
dbA f
V
^ WL /
�LIVRE I. TITRE III
DES SOCIETES
SECTION Ire
DES DIVERSES SOCIÉTÉS ET DE LEURS RÈGLES
(Suite)
A rt. 2 9 .
La société anonyme n’existe point sons un
nom social ; elle n’est désignée par le nom
d’aucun des associés.
A rt . 3 0 .
Elle est qualifiée par la désignation de l’ob
je t de son entreprise.
SOMMAIRE
263.
Caractère de la société anonyme pratiquée sous l’ordon
nance de 4673.—Différence d'avec celle organisée par le
Code.
il
\
te:
' :
V
�2
DES SOCIÉTÉS
264.
265.
266.
267.
268.
269.
270.
271.
272.
273.
274.
275.
Cependant et malgré le silence de l’ordonnance, cette der
nière était connue et pratiquée en France.—Exemples.
Motifs de ce silence de l ’ordonnance de 1673.
Avantages de la société anonyme. — Motifs qui la rendent
préférable à la commandite.
Conséquences de l ’absence de toute obligation personnelle.
Les articles 29 et 30 sont obligatoires et impératifs.— Con
séquences de leur violation.
La société anonyme est essentiellement commerciale.—Uti
lité de sa détermination.
Obligation pour chaque actionnaire de payer le montant de
ses actions.
À qui appartient le droit de contraindre à ce paiement. —
Quelle est la juridiction compétente ?
L’actionnaire encourt-il la contrainte par corps ?
L’actionnaire poursuivi peut-il se libérer par l ’abandon de
la qualité d’associé et le sacrifice de ce qu’il a versé ?
Comment et pour quelles causes s’opère la dissolution de
la société anonyme ?
Les articles 1869 et 1870 du Code civil sont-ils applicables?
263.
— L’ordonnance de 1673 n’admettait que
deux espèces de sociétés : la société en nom collectif,
celle en commandite. Dans la pratique, cependant, ainsi
que l’atteste la doctrine, on reconnaissait une troisième
société, qu’on qualifiait de société anonyme.
Mais cette société n’avait de commun que le nom avec celle que le Code organise sous cette qualification.
Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler les caractè
res qui lui avaient été assignés.
La société anonyme , disait Jousse , est ainsi appelée,
�ART.
29, 30.
3
parce qu’elle se fait sous aucun nom. Ceux qui font en
semble cette société travaillent chacun de leur côté, sous
leur nom particulier , et ils se rendent réciproquement
compte , les uns aux autres , des profits et des pertes
qu’ils ont faits et qu’ils partagent ou supportent en com
mun. Ces sociétés sont le plus souvent verbales; et com
me elles n’ont quelquefois pour objet qu’une seule en
treprise, elles ne durent que le temps qu’il faut pour
faire l’achat et la vente ou le partage, ce qui fait qu’on
les appelle aussi sociétés momentanéesl.
Savary s’exprime dans les mêmes termes, et après avoir ainsi défini la société anonyme, il cite des exemples
des quatre espèces dans lesquelles il la subdivise. Cha
cun de ces exemples ne permet ni équivoque ni doute
sur le véritable caractère de cette société ; elle ne consti
tuait qu’une véritable participation.
264.
— Il est donc certain que l’ordonnance avait
gardé le silence sur la société anonyme telle que nous
la trouvons aujourd’hui consacrée par le Code. Elle ne
l’admettait pas au nombre des sociétés usuelles ; il ne
faudrait pas cependant en conclure qu’elle avait été igno
rée du législateur. La vérité est qu’avant comme depuis
l’ordonnance elle avait été non-seulement connue mais
encore pratiquée en France comme dans les autres pays
voisins.
1 Sur l’Ordonnance de 4673,titre 4.
�4
DES SOCIÉTÉS
Cette pratique n’était qu’une conséquence de la na
ture de cette institution et des services qu’elle est appe
lée à rendre au commerce. La société anonyme devait
naître du progrès et du développement des opérations
commerciales dont elle est un des plus énergiques élé
ments.
Il est, en effet, des entreprises tellement vastes, telle
ment colossales, qu’elles dépassent même les ressources
de l’association ordinaire ; il faudrait, pour les exécuter,
en étendre tellement le cercle, qu’on risquerait de n’é
chapper à l’impuissance que pour tomber dans la con
fusion. L’idée de pareilles entreprises devait donc faire
naturellement surgir l’institution qui seule pouvait les
amener à bonne fin.
Aussi et lorsque les Hollandais instituèrent, en 1602,
leur compagnie des Indes Orientales , on les voit re
courir à la société anonyme et accomplir à son aide
cette magnifique opération , qui imprima au commerce
et à leur prospérité nationale celte si vive et si heureuse
impulsion.
Le succès éclatant qui récompensa leurs efforts devint,
pour les nations voisines, pour la France notamment,
un encouragement et un exemple. C’est le témoignage
que notre législateur en donne lui-même. L’édit de
1664, créant la compagnie française des Indes Orienta
les , s’écrie : Le succès est démontré certain par le
raisonnement ordinaire et naturel, et par l'expé
rience des nations voisines. Le profit surpasse infi,-
�art.
29, 30.
5
niment la peine et le travail qu'on prend à péné
trer dans des pays si éloignés ; ce qui, de plus, est
conforme au génie et à la gloire de notre nation,
et à l'avantage qu'elle a par-dessus toutes les au
tres de réussir avec facilité dans tout ce qu'elle
veut entreprendre.
La même année vit naître la compagnie des Indes
Occidentales ; plus tard , on institua celle du Sénégal ;
enfin on créa celle d’Occident. Ces quatre compagnies
ne furent jamais que des sociétés anonymes.
Qu’on parcoure, en effet, les statuts qui durent les ré
gir , et on y retrouvera en application toutes les règles
et conditions que le Code a depuis consacrées. Le capi
tal social est divisé en parts , qui ne durent pas être
moindres de mille francs ; on appelle non-seulement
les capitaux français , mais encore ceux des étrangers
auxquels on offre toute garantie contre les éventualités
d’une guerre; l’association doit être régie par vingt un
directeurs élus par les intéressés ; ces directeurs , ainsi
que les simples associés,ne peuvent être tenus,pour quel
que cause et sous quelque prétexte que ce soit, de four
nir aucune somme au delà de celle pour laquelle ils se
seront obligés ; les directeurs ne pourront être inquiétés
ni contraints en leur personne et biens pour raison des
affaires de la compagnie ; les effets de celle-ci ne pour
ront être saisis par les créanciers personnels des inté
ressés; enfin, la société était perpétuelle et indissoluble,
chaque associé ne pouvant se retirer qu’en vendant son
intérêt.
�6
DES SOCIÉTÉS
265.
— Ainsi, avant comme après l’ordonnance de
1673, la société anonyme, dans sa véritable acception,
était connue et pratiquée en France. Quel est donc le
motif qui porte le législateur à se taire sur une institu
tion aussi précieuse ? M. Troplong pense que , comme
le Gouvernement intervenait toujours dans sa constitu
tion, on la considérait comme l’œuvre de la puissance
publique , plutôt que comme l’ouvrage libre de la vo
lonté des particuliers. On ne l’avait donc pas classée
au nombre des sociétés laissées à la disposition du
public.
Ce motif n’explique pas suffisamment, à notre avis,
le silence de l’ordonnance. Sans doute, le Gouvernement
ne devait ni ne pouvait se dépouiller du droit d’inter
venir dans la création de pareilles sociétés, surtout lors
qu’il avait, comme dans celles que nous venons de rap
peler, à concéder tant et de si grands privilèges. Mais,
l’exemple du Code l’a prouvé , il y avait moyen de
maintenir ce droit, tout en rendant la société anonyme
ce qu’elle doit être, c’est-à-dire facultative pour les ci
toyens.
Ce qu’il est permis de supposer, c’est qu’uniquement
préoccupé de ces grandes entreprises qu’il favorisait, le
législateur de cette époque n’avait pas assez réfléchi aux
avantages que le commerce intérieur et ordinaire pou
vait recevoir de la société anonyme. Il s’en était à cet
égard un peu trop rapporté à la commandite, qu’il croyait pouvoir suffire à toutes les exigences. Celte pensée
se décèle dans l’édit de 1686 créant la compagnie d’as-
�surances maritimes. Quelque important que fût un pa
reil objet, le législateur ne croit pas devoir aller jusqu’à
l’institution d’une société anonyme ; il se borne à miti
ger quelques-unes des règles de la commandite.
266.
— Le côté qui avait échappé au législateur de
4673 saisit, au contraire, vivement les auteurs du Code
de commerce. L’appréciation exacte des services que la
société anonyme peut rendre au commerce et à l’indus
trie les détermina à en laisser au moins l’initiative à
l’intérêt qui en éprouverait le besoin. Grâce à cette
détermination , cette société a rendu les plus impor
tants, les plus incontestables services. C’est par elle, en
effet, que se sont organisées ces vastes entreprises aux
quelles on doit les constructions de ponts , de canaux,
de chemins de fer ; c’est par elle que s’exploitent ces
grandes concessions de mines ; c’est par elle , en un
m o t, que se développent tous les germes de prospérité
publique.
On ne pourrait, sans doute, sans ingratitude mécon
naître les services importants que la commandite est à
son tour appelée à rendre. Mais nous l’avons déjà dit,
il est des entreprises qui exigent de telles ressources,
qu’on ne saurait raisonnablement les demander à
celle-ci.
De plus , il y a dans les règles qui lui sont propres
deux conditions qui nuiront sans cesse à ses développe
ments : nous voulons parler de la défense faite aux com
manditaires de s’immiscer dans la gestion, et de l’obli
gation indéfinie qui pèse sur les gérants.
�DES SOCIÉTÉS
La première rend en quelque sorte l’associé étranger
à la société. Il n’a qu’à y verser sa mise ; et réduit à ac
cepter aveuglément la foi du g éran t, il ne peut suivre
et encore moins prescrire l’emploi de ses fonds. Cette
nécessité s’écarte trop des habitudes prudentes d’un bon
père de famille pour qu’elle ne devienne pas, dans bien
des c a s , un obstacle invincible à toute participation à
une société de ce genre.
Combien plus grave est l’inconvénient résultant de
l’obligation indéfinie et solidaire des gérants 1 Un de ses
plus inévitables effets, c’est d’éloigner de l’administra
tion ceux dont l’accession serait, pour la société ellemême , une chance assurée de succès. Comment veuton, en effet, qu’un homme favorablement placé sous le
rapport de la probité , de la capacité , de la fortune,
consente à exposer son honneur , son avenir , celui de
sa famille , en prenant la responsabilité d’un capital
qu’il ne parviendra pas toujours à réaliser intégrale
ment ?
Cet inconvénient acquiert des proportions d’autant
plus vastes que l’opération, étant plus importante , exi
gera un capital plus considérable. Celui qui consentirait
à répondre de quelques centaines de mille francs ne re
culera-t-il pas devant la responsabilité des millions que
devront fournir une foule d’individus ?
La société anonyme n ’offre aucun de ces dangers.
Tout associé peut devenir administrateur sans être tenu
au delà du montant des actions qu’il a souscrites ; la
nécessité d’une confiance illimitée ne retiendra donc
personne.
�ART. 29, 30.
9
•
/
Le choix des .administrateurs, étant déféré aux action
naires eux-mêmes, tombera sur les plus capables et les
plus dignes; l’absence pouç-eux de toute obligation per
sonnelle,la possibilité même de recevoir un salaire em
pêcheront qui que ce soit de récuser un mandat; qui
n’offre plus de périls.
Enfin , l’autorisation du Gouvernement ajoutera à ce
double avantage la certitude que l’objet que se propo
sent les fondateurs est sérieux et réel. Elle devient par
cela même une garantie, que la confiance publique es
comptera avec faveur.
Sous tous ces rapports, la société anonyme l’emporte
sur la commandite , dont elle est destinée à corriger
les inconvénients et les dangers. A son tour , cette des
tination rend suffisamment raison du caractère que la
loi lui reconnaît et des conditions qu’elle impose à son
organisation.
267.
— L’exclusion de toute obligation personnelle
est de l’essence de la société anonyme. De là cette con
séquence que cette société est non une personne mais
une chose ; celui qui se met en relation avec elle traite
non pas avec tel ou tel, mais avec une caisse composée
du montant intégral des actions, et qui est seule obligée
à le désintéresser.
Ce caractère de la société anonyme devait s’annoncer
hautement et publiquement, et c’est pour en arriver là
qu’en pareille matière la loi exclut non-seulement l’em
ploi d’une raison sociale , mais encore tout autre nom
�10
DES SOCIÉTÉS
•
personnel. Il ne fallait pas qu’en se manifestant au pu
blic la société pût laisser un doute , pût donner nais
sance à une erreur sur l’existence d’une obligation per
sonnelle ; pouvait-on plus heureusement atteindre ce
résultat qu’en refusant à la société anonyme toute autre
qualification que celle de la chose même faisant l’objet
de l’entreprise ?
268.
— Les termes de ces deux prescriptions léga
les pourraient autoriser un doute sur leur portée réelle.
Ils semblent, en effet, renfermer plutôt un avertissement
qu’une obligation formelle ; mais il n’en est pas ainsi
au fond. Le but que s’est proposé le législateur, et que
nous venons d’indiquer, ne permet pas d’hésiter sur le
caractère impératif de ses dispositions.
Il est vrai que nos articles manquent de sanction pé
nale. Mais ce qui explique cette absence , c’est que le
Gouvernement, appelé à autoriser les statuts sociaux, est
chargé de veiller à ce que les volontés de la loi soient
strictement et fidèlement exécutées. Il saurait donc bien
les imposer à ceux qui s’en seraient écartés.
D’ailleurs , qu’était-il besoin d’une sanction pénale,
en présence des conséquences qu’entraînerait la viola
tion des articles 29 et 30 ? Celui qui agirait au nom
d’une société sous une raison; sociale, ou sous tout au
tre nom personnel, donnerait immédiatement l’idée d’u
ne société ordinaire, soit en nom collectif, soit en com
mandite ; il induirait donc les tiers en erreur , et leur
causerait ainsi un préjudice qu’il serait personnellement
�ART. 2 9 , 3 0.
11
tenu de réparer. Vainement exciperait-il du caractère
réel de la société, on répondrait avec raison que si com
me associé anonyme il échappe à toute responsabilité,
il est comme partie tenu de sa faute, laquelle, dans l’es
pèce, consisterait à s’être associé à la violation de la loi;
que cette faute ayant causé un préjudice en inspirant
l’espérance d’une garantie sur laquelle les tiers ont dû
compter, il ne saurait échapper à la nécessité d’une ré
paration, en force du principe consacré par l’article 1382
du Code civil.
En d’autres termes, la société anonyme doit être re
connue telle au premier coup d’œil; sa qualification
doit être en rapport avec sa nature. N’étant qu’une cho
se, elle doit prendre son nom de cette chose même , de
manière que les tiers traitant avec elle ne puissent igno
rer qu’ils n’auront rien à prétendre contre qui que ce
soit.
C’est ce qui explique la pratique constante en cette
matière. Ainsi, avant même que la société anonyme eût
été législativement organisée , elle ne se manifestait au
public que par le nom .de la chose qui en faisait l’objet.
Elle était alors la compagnie des Indes Orientales ou
Occidentales, du Sénégal, etc., comme elle a été depuis
la Banque de France , la Compagnie Générale contre
l’incendie, la Caisse Hypothécaire, etc... En réalité donc,
le Code n’a pas introduit un droit nouveau ; il n’a fait
que consacrer par ses dispositions un usage dont le fon
dement justifiait parfaitement l’application.
�DES SOCIÉTÉS
269.
— L’article 19 met la société anonyme au
nombre des sociétés commerciales ; l’absence de toute
obligation personnelle commandait d’ailleurs cette solu
tion. Comment, en effet, en faire une société civile, lors
que l’obligation personnelle des associés est formellement
consacrée par la loi régissant celle-ci ? Cette antinomie
manifeste ne permettait donc pas de donner le caractère
civil à la société anonyme.
Il est cependant évident que cette société se prête mer
veilleusement à toutes sortes d’opérations, même à celles
qui n’ont rien de commercial. Nous nommions tout à
l’heure la Caisse Hypothécaire ; or, ses actes n’ont rien
de ce qui constitue la commercialité, pas plus que ceux
des institutions de crédit public, qui s’organisent actuel
lement dans plusieurs de nos départements.
Ajoutons que l’industrie agricole n’a pas négligé ellemême les secours de la société anonyme. C’est ainsi que
se sont organisées des compagnies de dessèchements ;
c’est ainsi que s’était formée dans nos contrées cette com
pagnie de la Basse Camargue, dont l’unique objet était
la mise en culture et l’exploitation du château d’Avignon
et d’autres immeubles.
En l’état donc de celte pratique constante , la ques
tion de savoir si la société anonyme est ou non com
merciale pourrait paraître oiseuse , avec d’autant plus
de raison que l’absence de toute obligation personnelle,
laissant les créanciers en présence d’une chose , enlève
à la juridiction consulaire son effet le plus énergique,
�art.
29, 30.
13
la contrainte par corps. Comment, en effet, et de quelle
manière pourrait-on l’exercer ?
Mais l’utilité réelle de la solution de la difficulté est
incontestable à l’endroit de l’obligation des actionnaires
de réaliser le paiement des actions qu’ils ont souscrites,
paiement qui peut leur être réclamé par les gérants ou
par les créanciers, à l’endroit des contestations qui peu
vent s’élever entre les associés.
270.
— L’obligation pour chaque actionnaire de
payer son action ne saurait être révoquée en doute, pas
plus dans la société anonyme que dans la commandite.
La loi ne prohibe l’obligation personnelle dans la pre
mière , qu’en tant que l’actionnaire s’est intégralement
exécuté. Alors seulement il est quitte envers tout le
monde, et il ne peut être recherché à raison des enga
gements sociaux, quand même il aurait géré ou admi
nistré. L’actionnaire ne doit jamais que les sommes
pour lesquelles il a souscrit ; mais il doit jusqu’à con
currence, et l’obligation personnelle ne saurait être con
testée à cet égard. Comprendrait-on que la loi qui crée
la dette eût refusé tout moyen d’en exiger et d’en pour
suivre le remboursement ?
271.
— Il existe donc une action pour contraindre
le versement de la mise. Pendant la durée de la société,
cette action ne peut être exercée que par les adminis
trateurs. La société étant commerciale, le litige s’élevant
à ce propos doit être déféré à des arbitres , conformé-
�1 4
DES SOCIÉTÉS
ment à l’article 51 du Code de commerce. Les créan
ciers agissant en vertu de l’article 1166 et exerçant les
droits des administrateurs seraient soumis à cette juri
diction 1.
La société tombée en état de faillite, les créanciers ont
le droit de poursuivre directement les actionnaires en
retard de payer le prix de leur action. La conséquence
de ce droit est la faculté de s’adresser à la justice ordi
naire , c’est donc devant le tribunal de commerce qu’ils
pourraient porter leur demandes.
272.
— Cela n’est contesté par personne ; mais il
n ’en est pas de même des conséquences de l’action. Le
tribunal de commerce, le tribunal arbitral, peut-il con
damner l’actionnaire avec contrainte par corps ?
La négative est soutenue par M. Delangle. Cet hono
rable jurisconsulte enseigne cependant que la société ano
nyme est essentiellement commerciale, et que la juridic
tion arbitrale est seule compétente pour l’appréciation
des difficultés entre associés3.
M. Pardessus distingue. Les administrateurs de la so
ciété anonyme, dit-il, sont passibles de la contrainte par
corps au profit des actionnaires qui obtiennent des con
damnations contre e u x , soit pour la restitution de la
1 Ne pas oublier que l ’arbitrage forcé et la contrainte par corps n ’exis
tent plus.
2 Paris, 27 février 1847 ; D. P., 47, 2, 51.
3 N-» 424 et 453.
�art.
29, 30.
45
mise, soit pour le paiement de leur part dans les béné
fices. Mais la nature des choses ne permet pas qu’un
actionnaire soit tenu par cette voie pour le versement
du montant de l’action qu’il a soumissionnée 1.
L’opinion que MM. Pardessus et Delangle adoptent
sur notre question était en quelque sorte forcée ; elle
n’était que la conséquence de celle qu’ils avaient ensei
gnée à l’endroit des commanditaires. Comment, en ef
fet, après avoir refusé la contrainte par corps contre
ceux-ci, auraient-ils pu l’admettre contre les actionnai
res d’une société anonyme ? C’est aussi ce que nous fe
rons remarquer à l’endroit de M. Louis Nouguier.qui se
réunit à MM. Pardessus et Delangle 2.
Mais l’opinion contraire , pour ce qui concerne les
commanditaires, est aujourd’hui consacrée par la juris
prudence. Nous avons vu la cour de cassation se pro
noncer pour la contrainte par corps dans l’affaire Loubon , et depuis , plusieurs autres cours ont accueilli la
même doctrine.
Cette jurisprudence ruine l’opinion que MM. Pardes
sus, Delangle et Nouguier professent. En effet, les mo
tifs sur lesquels ils s’étayent ne sont pas autres que ceux
qui leur faisaient repousser la contrainte par corps con
tre les commanditaires. La position étant la même, ces
motifs, reconnus insuffisants à l’endroit de ceux-ci, ne
sauraient suffire vis-à-vis des actionnaires ; ce qui ne
1 N» 1510
s Des tribun, de comm., t. 1, p. 365.
�DES SOCIÉTÉS
saurait exonérer les uns de la contrainte par corps ne
pourrait en exonérer les autres.
Nous disons que la position est la même; nous pour
rions dire même que la prohibition de s’immiscer dans
l’administration place le commanditaire sous un jour
plus favorable encore. Mais la société en commandite est
un acte de commerce à raison duquel le signataire est
soumis aux conséquences de ces actes.
Or, la société anonyme est une société commerciale :
ce caractère lui est reconnu par MM. Pardessus, Delangle et Nouguier. Dès lo r s , celui qui y participe fait un
acte de commerce, et devient par cela même contraignable par corps. Cette conséquence ne se déduit pas de la
qualité de la partie, mais de la nature de l’acte.
Ainsi, l’actionnaire non négociant ne le devient pas
par la souscription d’actions dans une société anonyme.
Mais cette souscription est un acte de commerce ; il est
donc soumis, pour l’exécution de cet acte, notamment à
la contrainte par corps , au même titre que le serait le
non négociant qui aurait souscrit une lettre de change
ou tout autre titre commercial b
Nous retrouvons ici l’argument dont on se prévalait
naguère en faveur des commanditaires : la contrainte
par corps éloignera les capitalistes. M ais, répond avec
juste raison l’arrêt de Paris du 27 février 4 847, c’est le
contraire qui se réalisera à l’avantage du public. En ef-
l Voy. supra n° 241.
�ART.
29, 30.
17
fet, en donnant au commerce sérieux plus de garanties,
la loi appelle dans les entreprises industrielles les pro
priétaires possesseurs de capitaux réels, qui ne contrac
tent d ’engagements que pour les remplir et parce qu’ils
savent qu’ils pourront les remplir ; elle écarte seulement
ceux qui entreraient dans les sociétés sans capitaux, et
sans avoir l’intention d’en verser; dans la seule vue de
prélever les primes et les bénéfices , sans avoir chance
d ’aucune perle, et contre lesquels les tiers n’auraient
aucun recours utile s’ils ne pouvaient exercer la con
trainte par corps.
Si tel doit être l’effet de la doctrine que nous soute
nons , il faut évidemment s’empresser de l’accueillir. Il
ne faudrait regretter qu’une chose, à savoir que la con
trainte par corps n ’ait pas suffi jusqu’à présent pour écarter ces hommes audacieux , dont l’insolvabilité brave
même cette voie d’exécution ; qui sont une véritable peste
pour le public et pour leurs associés ; qui auraient de
puis longtemps tué l’institution, si elle avait pu l’être.
273.
— Les actionnaires poursuivis en paiement du
solde de leurs actions pourront-ils renoncer à leur qua
lité, en se prévalant de la clause des statuts suivant la
quelle les associés en retard de payer aux termes con
venus seront déchus , avec perte de tout ce qu’ils au
raient précédemment payé ?
Nous avons déjà examiné cette question à l’endroit
des commanditaires, et nous l’avons résolue par la né
gative. Nous ne saurions, en ce qui concerne les aclionh
2
�18
DES SOCIÉTÉS
naires, admettre une solution différente , car les motifs
sont identiques dans les deux hypothèses. Quelle que soit
la nature de la société , le caractère d’une clause de ce
genre n’en est pas modifié ; elle ne cesse , dans aucun
cas, de constituer une peine contre les associés en faveur
de la société. Celle-ci seule est donc recevable à s’en
prévaloir. On ne saurait la contraindre à en retirer le
bénéfice, alors qu’elle ne juge pas convenable de le
faire.
Les raisons d’intérêt public que nous avons exposées
déjà existent pour les actionnaires comme pour les com
manditaires ; nous nous en référons donc à nos précé
dentes observations l.
274.
— Le caractère exceptionnel de la société ano
nyme la plaçait forcément dans une position spéciale à
l’endroit de sa dissolution. Ainsi la mort d’un associé
ne saurait entraîner celle-ci ni la motiver. Le nombre
des associés , nécessairement fort considérable , rendait
ce résultat inévitable, sous peine de voir toute société de
ce genre impossible.
Pour elle donc, il n’y a, abstraction faite de la décon
fiture entraînant forcément la faillite , d’autres causes
de dissolution que celles résultant de l’expiration du ter
me convenu, de l'achèvement intégral de l’opération en
vue de laquelle elle était formée, de la réalisation d’une
condition stipulée dans les statuts sociaux.
I Voy. supra n» “239.
�ART. 29, 30.
49
Bien souvent, en effet, l’acte porte que la société sera
dissoute et liquidée dès que le dernier inventaire cons
tatera la perle d’une quotité déterminée du capital, le
quart, le tiers, la moitié. Cette condition se réalisant, il
n’est pas douteux que chaque actionnaire est recevable
à poursuivre la dissolution.
Ce droit répond à un intérêt évident. La liquidation,
en cet é tat, promet de faire rentrer chaque actionnaire
dans une partie de ses fonds, tandis que la continuation
de la société menace de tout engloutir. Son exercice est
même avantageux au public, puisqu’il amènera le paie
ment intégral des créanciers, qu’une prolongation com
promettrait. Aussi, aucun obstacle ne pourrait-il l’en
traver ou le suspendre. La délibération contraire de la
majorité n’aurait rien de valable et d’obligatoire. Il s’a
git, en effet, de l’exécution littérale des statuts, et, com
me nous le dirons bientôt, en pareille matière, la majo
rité est forcément impuissante.
275.
— Mais un actionnaire pourrait-il, lorsque la
société est illimitée , demander la dissolution en signi
fiant sa volonté de ne plus en faire partie ? En d’autres
termes, l’article 4869 du Code civil est-il applicable aux
sociétés anonymes ?
En droit.il ne saurait exister de communion éternelle;
toute convention contraire serait réputée non écrite et
considérée comme nulle. Quia, disait le président Favre,
nulla socielalis, aut alterius convenlionis, in œter-
�DES SOCIÉTÉS
m m coitio est, propter discordias quas materia communionis excitare so letl.
Notre loi s’est approprié cette règle. Les articles 815
et 1869 du Code civil n’ont pas d’autres fondements, et
déjà nous en avons fait connaître l’opportunité et la pré
voyante sagesse2.
Mais, il faut le reconnaître, la société anonyme n’of
fre aucun des inconvénients que ces dispositions ont eu
pour objet de prévenir. Les associés, affranchis de toute
obligation personnelle au delà du paiement de leur mi
se, ne se trouvent exposés à aucun danger par les actes
des gérants. Se plaindraient-ils de la marche adoptée
par eux , de leur imprudence , de leur négligence , de
leurs malversations ? Mais l’assemblée générale peut, à
toutes les époques , modifier l’administration , en pres
crire le mode, destituer, remplacer, suspendre les admi
nistrateurs, et mettre ainsi un terme à toute crainte fon
dée. D’ailleurs , la discorde entre associés est moins à
redouter que dans les sociétés ordinaires , puisqu’en
définitive c’est la majorité qui imposera la loi.
De plus et en fa it, la société anonyme ne constitue
aucune communauté proprement dite. Elle offre, en ef
fet, cette circonstance si à propos relevée par M. Troplong , qu’à côté de la propriété sociale elle organise le
droit des associés, considérés ut singuli. Par cette
1 Sur la L. 14, ff. Prosocio.
2 Voy. supra n» 67.
�ART.
29, 30.
21
combinaison, ces deux droits ont été tellement différen
ciés, la propriété sociale a été si nettement dessinée hors
du cadre de l’intérêt des associés, que , tandis que la
société est propriétaire d’immeubles, les actions délivrées
aux sociétaires sont de purs meubles.
La conclusion que M. Troplong tire de ces prémisses,
c’est que les associés, tant que dure la société, ne peu
vent pas se dire copropriétaires de la chose ; c’est sur la
tête de la société que repose l’actif social indivis ; ils ne
sont propriétaires que des actions qu’ils ont consenti à
recevoir en échange de leurs mises ; ils ont vendu leur
apport à la société, et ont reçu pour prix des actions, à
la charge qu’à la dissolution de la société l’actif social
leur fera retour. Il y a donc, au moyen de la délivrance
de ces actions, une division, un partage entre associés.
A la vérité, ce partage laisse subsister l’intégrité en masse
des biens dévolus à la société ; mais il n’importe. Les
associés ne sont pas propriétaires de ces biens, qui ap
partiennent à la personne civile ; ils ne sont propriétai
res que de leurs actions, et, dès lors, ils ne peuvent pas
dire que le capital social est indivis. Il n’y a indivision
que lorsqu’il y a plusieurs propriétaires ; et ic i, la so
ciété seule , être m o ral, capable des droits les plus re
levés , a été investie de la propriété ; elle la possède
dans un état d’unité , et non pas dans un état d’in
division J.
Cet aperçu juridique et vrai résout notre question.
1 N» 971.
�2â
DES SOCIÉTÉS
Comment, en effet, appliquer les articles 815 et 1869 à
une opération qui ne crée aucune communauté , qui,
par conséquent, ne saurait offrir aucun des dangers que
la loi a voulu prévenir ?
La société anonyme est donc indissoluble par la vo
lonté d’un seul. Cette conséquence n’est pas seulement
légale, elle est encore dictée par la raison. La proposi
tion contraire conduisait, dans bien des cas, à une ini
quité ou à une impossibilité.
A une iniquité, si, au gré de son caprice, un action
naire pouvait tout à coup interrompre une florissante
entreprise et briser les plus heureuses chances, au grand
préjudice d’un grand nombre d’intéressés.
A une impossibilité, si, par sa nature , l’objet que se
propose la société était perpétuel et indivisible. Com
ment, par exemple, dissoudre et partager une exploita
tion de mines concédées à perpétuité ? 1
La loi devait d’autant moins hésiter qu’en réalité la
société anonyme n’est jamais perpétuelle pour ses mem
bres. Chaque actionnaire est libre de vendre son action,
et cette vente est pour lui une véritable dissolution, puis
que désormais il demeure étranger à la société.
La transmissibilité des actions est donc une circons
tance décisive. Celui qui entre dans une société de cette
nature en accepte la conséquence, et cette conséquence
ne saurait être que la renonciation à demander la dis-
�ART.
29, 30.
23
solution effective. C’est ce qu’exprimaient formellement
les statuts régissant les vastes compagnies organisées
sous Louis XIV, en disposant que nul intéressé ne pour
rait se retirer qu’en vendant son action ; nul doute qu’il
en soit de même aujourd’hui. En codifiant la société anonyme, le législateur a entendu lui conserver son ca
ractère et ses conditions.
On objecte que si l’associé veut sortir de la société par
la vente de son action et qu’il ne trouve pas d’acheteur,
il sera contraint à rester indéfiniment dans la société ;
ce qui serait violer la maxime : Nul n'est associé qui
ne veut. Voici la réponse de M. Troplong :
« D’une part, cet obstacle n’opère pas d’une manière
absolue ; il peut n’être que momentané et n’apporter
qu’un simple retard au lieu d’un empêchement défini
tif. D’autre part, on ne saurait mettre sur la même li
gne une renonciation entière au droit de sortir d’une
société illimitée, et une convention de n’en sortir qu’à
certaines conditions. Dans ce dernier cas , il n’y a pas
d’abandon compromettant de sa liberté; on restreint son
droit, on n’en fait pas le sacrifice ; autre chose est l’a
liéner, autre chose est le subordonner à certaines éven
tualités \. »
La doctrine de ce grand maître a été consacrée par
la cour de cassation, qui a fait résulter la renonciation
à se pourvoir en dissolution de la clause permettant la
�-
DES SOCIÉTÉS
vente de l’intérêt social. Voici l’espèce sur laquelle a
prononcé la cour suprême :
Plusieurs personnes s’associent, en 184 8, pour l’ac
quisition et l’exploitation du moulin de Bellerive. Le ca
pital social se composait de vingt-quatre actions de cinq
mille francs chacune, L’article 7 de la convention por
tait que, si quelqu’un des sociétaires veut vendre ses ac
tions, il sera tenu d’en prévenir la société et de lui con
sentir , si elle le désire , la vente, par préférence à tous
autres , aux prix et conditions que les tiers lui auront
offerts.
Après vingt ans d’exploitation , les époux Rose, por
teurs d’actions , se fondant sur l’article 1S69 du Code
civil, demandent la dissolution et le partage. Leurs so
ciétaires opposent l’article 7 du contrat, d’où ils font ré
sulter une renonciation à toute dissolution ; ils soutien
nent que le seul moyen, pour les associés, de sortir de
l’association était la vente de leurs actions.
Ce système ayant été successivement consacré par le
tribunai de Montauban et par la cour de Toulouse , les
époux Rose se pourvoient en cassation pour violation des
articles 815, 1865, 1869 et 1872 du Code civil.
Mais le pourvoi, d’abord admis, fut définitivement re
jeté par la chambre civile, par arrêt du 6 décembre 1843.
« Attendu,dit la cour régulatrice,que l’arrêt attaqué,par
appréciation de l’intention des parties et des clauses con
stitutives de la société qu’elles ont consenties , décide
formellement qu’elles ont renoncé à la faculté accordée
par la loi à chaque associé d’une société dont la durée
�ART. 29, 30.
25
est illimitée, d’en opérer la dissolution par la seule ma
nifestation de la volonté de cesser d’en faire partie , et
que le droit de vendre les actions qui en représentent le
capital a remplacé , pour chacune d’elles, celui de ré
clamer cette disssolution ;
» Attendu que,si la loi,afin de ne pas perpétuer l’en
gagement contracté entre les membres d’une société illi
mitée dans son cours , les a admis à la faire dissoudre
par le seul effet de leur volonté, exprimée de bonne foi
et en temps opportun, la faculté qu’elle leur accorde ne
peut s’exercer lorsqu’ils ont consenti dans les stipula
tions de la convention sociale à substituer à ce moyen
légal d’autres moyens de s’affranchir des obligations qui
leur étaient imposées ; que c’est en effet la prolongation
indéfinie de l’association et les dangers qui peuvent en
résulter pour les associés que le législateur a voulu pré
venir ; et que , dès lors , les motifs qui l’ont déterminé
ne trouvent plus d’application lorsqu’il a été pourvu à
ce danger par la convention des parties b »
Cette décision est d ’autant plus remarquable qu’il s’a
gissait d’une société civile ; que la transmissibilité des
actions ne résultait que de l’engagement de les vendre
par préférence à la société elle-même.
Comment donc hésiter en matière de société anony
me ? 11 n’est pas de statuts qui ne déclarent les actions
transmissibles, ou qui ne règlent le mode de leur trans
missibilité. En l’absence de toute convention à cet é1 D. P., 44, 1, 'Ht.
S
�26
DES SOCIÉTÉS
gard.la loi elle-même proclamant cette transmissibilité,
il est évident que celui qui adhère à cette société renonce
formellement au droit de demander la dissolution et
consent h ne cesser d’appartenir à la société que par la
vente de ses actions. Toute prétention contraire serait
non recevable et mal fondée.
A rt. 3 1 .
Elle est ad m inistrée par des m andataires à
tem ps , révocables , associés ou non associés ,
salariés ou gratu its.
A rt. 3 2 .
Les ad m in istrateu rs ne sont responsables que
de l’exécution du m andat qu’ils ont reçu.
Ils ne contractent, à raison de leu r gestion,
aucune obligation personnelle ni solid aire re
lativem ent aux engagem ents de la société.
A rt. 3 5 .
Les associés ne sont passibles que de la perte
du m ontant de leu r in térêt dans la société. 1
SOMMAIRE
276.
277.
Nature et caractère de l ’administration des sociétés ano
nymes.
Personnes dont elle exige le concours.
* Voy. la loi de 1867 sur la matière et notre commentaire
�art.
278.
279.
280.
281.
282.
283.
284.
285.
286.
287.
288.
289.
290.
291.
292.
293.
294.
295.
396.
l
31, 32, 33.
27
Qualités des administrateurs.—Conséquences.
L’institution à vie des administrateurs dans l'acte social
empêche-t-elle leur révocation ?
Responsabilité des administrateurs.
Il y aurait faute à ne pas soumettre les traités à l’approba
tion du conseil d’administration , si les statuts prescri
vent cette formalité.
Résumé des droits et des obligations des administrateurs.
Etendue de leur obligation de rendre compte.
L’administrateur poursuivi en dommages-intérêts pourraitil prétendre avec succès qu’il n’a fait qu’exécuter une
délibération de l ’assemblé générale ?
Caractère et pouvoirs du conseil de direction , de surveil
lance ou d’administration.—Conséquences.
Responsabilité pouvant l’atteindre.
Caractère obligatoire des délibérations prises en assemblée
générale.—Exceptions.
Comment doit-on décider la question de savoir si la déli
bération doit être prise à l ’unanimité ou simplement à
la majorité?
L’assemblée générale peut-elle voter un nouvel appel de
fonds ?
Quid de la ratification que l’assemblée ferait des actes des
gérants ou du conseil d’administration exécutés en de
hors de leurs pouvoirs ?
La société anonyme cessant ses paiements doit être déclarée
en état de faillite.—Pourquoi ?
Doit-on, dans ce cas, exécuter les prescriptions des articles
516 et 519 , aujourd’hui 506 et 507 du Code de com
merce ?
Jugement du tribunal de commerce de la Seine décidant la
négative.
Arrêt contraire de la cour de Paris.
Réfutation.
■hf
La société anonyme peut-elle concorder ?
�28
297.
298.
299.
300.
301.
302.
DBS SOCIÉTÉS
Obligations de l'actionnaire d’nne société anonyme.
Effets de la négociation des actions sur l’obligation du sou
scripteur primitif.
Le droit de la société contre celui-ci peut-il créer un obsta
cle à ce qu’elle poursuive directement le cessionnaire ?
Dans quels cas l ’actionnaire peut-il retenir les bénéfices
qui lui ont été annuellement répartis ?
Mode des poursuites en recomblement.—Moyen de les sim
plifier.
Q u id de la répartition faite sans avoir prélevé d’abord la
retenue devant constituer le fonds de réserve ?
276.
— La nature et les caractères constitutifs de la
société anonyme indiquaient nettement le mode d’admi
nistration dont elle était susceptible. Puisque, sans com
munion aucune entre les personnes, elle ne crée qu'une
chose intéressant chaque souscripteur dans des propor
tions déterminées , le droit de l’administrer appartenait
incontestablement à la masse de ces souscripteurs. Mais
comment concevoir l’exercice de ce. droit autrement que
par délégation ? Pouvait-on raisonnablement admettre
une administration collective par des milliers de sous
cripteurs?
Les prescriptions consacrées par le législateur étaient
donc nécessairement dictées par la force des choses.
Pour que la société anonyme pût se mouvoir et agir, il
fallait qu’elle fût administrée par des mandataires choi
sis par les intéressés.
Ce qui est confié à ces mandataires, c’est le détail des
opérations, c’est la direction effective et journalière des
affaires. Aux actionnaires seuls appartient le droit de
�art
3 1 , 3 2 , 33.
29
déterminer le mode de gestion , soit par les statuts so
ciaux, soit par des délibérations prises en assemblée gé
nérale.
2 7 7 . — L’administration des sociétés anonymes exi
ge donc le concours des actionnaires et des administra
teurs. Bien souvent un troisième élément intervient d’u
ne manière utile et active, nous voulons parler du con
seil de surveillance ou d’administration. Quelles sont
les prérogatives de ces diverses personnalités; quels sont
leurs obligations et leurs droits ? C’est ce qu’il importe
de bien constater.
2 7 8 . — Les administrateurs ou gérants sont de sim
ples préposés au détail de l’administration ; ils n’ont
d’autres pouvoirs que ceux qui leur sont nommément
et expressément conférés.
Aussi l’article 31 ne se contente-t-il pas de les qua
lifier de mandataires. Il les déclare en outre essentielle
ment révocables, leur appliquant sans hésiter les prin
cipes du droit commun en matière de mandat.
Il résulte de là qu’en général les gérants n’ont que
les pouvoirs d’un mandataire ordinaire ; dès lors ils ne
peuvent ni grever ni aliéner les immeubles sociaux , à
moins qu'ils n’en aient formellement reçu la faculté.
En outre et quoiqu’ils aient les actions de la société, soit
en demandant, soit en défendant, ils ne peuvent ni com
promettre ni transiger.
279. — La faculté de révocation écrite dans Parti-
�30
DES SOCIÉTÉS
cle 31 n’a jamais fait difficulté toutes les fois que la no
mination des administrateurs procède dans l’origine de
la délibération des actionnaires. Mais on s’est demandé
s’il ne devait pas en être autrement lorsque l’acte social
offert aux souscripteurs et par eux accueilli , portant la
désignation des administrateurs, les déclare nommés pour
toute la durée de la société ?
Une pareille clause est la violation la plus expresse de
l’article 31. Aussi convient-on généralement que le Gou
vernement en prescrit le retranchement comme condi
tion de son autorisation. Cette exigence de l’autorité,
commandée par le respect dû à la loi, est de plus con
forme aux véritables principes de la matière.
Le droit ne reconnaît pas le mandat éternellement
obligatoire. Il serait immoral de permettre , qu’abusant
d ’un moment d’entrainem ent, le mandataire pût con
traindre le mandant à lui continuer une confiance dont
il s’est montré indigne. Or , puisque la délégation des
fonctions d’administrateurs ne constitue qu’un mandat
ordinaire , on doit considérer la renonciation au droit
de révoquer comme contraire à la liberté individuelle,
et conséquemment comme nulle et de nul effet.
On objecte que cette exception est valable dans les so
ciétés collectives et en commandite, dans la société civile
elle-même. Cette objection n'a rien de grave , car elle
tend à assimiler des hypothèses qui n’ont rien de sem
blable.
Le gérant de la société ordinaire , comme celui de la
commandite , est nommé pour toute la durée de la so-
�V
art.
3 1 , 3 2 , 3 3.
31
ciélé , par la raison que s’obligeant personnellement et
solidairement, on ne saurait l’assimiler à un mandataire
ordinaire. Il administre réellement sa chose propre, et
l’on comprend que , sous ce rapport, il ne puisse être
privé de son droit arbitrairement et sans des motifs gra
ves et légitimes.
Dans la société civile, la solidarité indéfinie n’existe
pas ; aussi, et malgré l’obligation personnelle que con
tracte le gérant, on aurait pu soutenir que ses pouvoirs,
même conférés dans l’acte de société, étaient révocables,
si le contraire n’avait été formellement admis par l’ar
ticle 1856 du Code civil.
Or, dans la société anonyme, il n’y a ni solidarité ni
même obligation personnelle. La loi se tait sur la ma
nière dont l’administrateur est nommé. Elle le déclare
en général mandataire à temps, révocable ; l’absence de
la distinction que consacre l’article 1856 ne permet donc
pas d’en appliquer les effets.
Ce qui prouve mieux encore le caractère que nous
reconnaissons à l’article 31, c’est sa dernière disposi
tion. L’administrateur peut être étranger à la société,
recevoir un salaire. Comprendrait-on que cet étranger
pût se maintenir dans l’administration malgré les socié
taires , qu’il pût les contraindre à lui continuer un sa
laire qu’ils ne voudraient plus payer ?
L’énormité de ce résultat a ému M. Pardessus ; aussi
n’admet-il l’irrévocabilité que si l’administrateur nom
mé dans l’acte appartient à la société. Mais dans ces
termes mêmes son opinion nous paraît inacceptable. La
�32
DES SOCIÉTÉS
qualité d’associé n’ayant aucune influence sur la res
ponsabilité de l’administrateur ne saurait devenir pour
lui un privilège de nature à le soustraire à l’application
de la règle si formellement écrite dans notre article 31.
Nous n’hésitons donc pas à admettre que l’adminis
trateur nommé dans et par l’acte social lui-même n’en
est pas moins révocable, nonobstant la clause qui l’ins
tituerait à vie; cette clause, contraire à la loi, contraire
à la morale, serait censée non écrite 1.
280.
— Nous venons de le dire, les gérants d’une
société anonyme peuvent cumuler cette qualité avec celle
d’associé. Ces deux qualités ne se confondent jamais ;
chacune d’elles produit des effets spéciaux.
Ainsi, comme associé, le gérant n’est jamais tenu au
delà des sommes qu’il s’est engagé de verser. Il ne ré
pond ni personnellement ni solidairement des engage
ments qu’il a contractés lui-même au nom et dans l’in
térêt de la société. Il n’a donc comme administrateur,
aucune responsabilité à redouter.
Conséquence du caractère de sa mission , cette solu
tion tient à une condition, à savoir qu’il aura agi dans
la limite des pouvoirs qui lui sont conférés; il se trouve
dès lors régi par les principes ordinaires du mandat;
il a donc obligé son mandant sans s’obliger lui même 2.
Ainsi il a été jugé que le gérant d’une société ano-
i Conf. Delangle, n 05 426 et suiv.;—Malepeyre et Jourdain, p. 321.
a Voy. articles 1991 et suiv. du Code civil.
�art.
3 1 j 3 2, 33.
33
nyme qui charge un avoué d’occuper pour cetle société
ne fait qu’un simple acte de gestion, n’entrainant de sa
part aucune obligation ni solidaire ni personnelle ; qu’il
ne pourrait être tenu des frais réclamés par l’avoué
qu’autant qu’en statuant sur le fond, la cour aurait mis
les dépens de l’instance à sa charge personnellementl.
En conséquence, les tiers porteurs d’engagements so
ciaux, à quelque titre que ce soit, ne peuvent poursui
vre que la société elle-même ; ils ne pourraient faire
condamner personnellement les administrateurs , si ce
n’est pour dol, fraude ou faute grave, et à titre de dom
mages-intérêts 2.
Or, il y a faute grave toutes les fois que le gérant
contracte au delà des pouvoirs qui lui sont confiés. La
responsabilité ne saurait donc, en cas d’excès, être con
testée, pas plus que l’obligation personnelle. La loi ne
les exclut qu’à l’endroit des engagements sociaux ; et
ceux-là seuls revêtent ce caractère qui peuvent être léga
lement opposés à la société. Conséquemment, le tiers à
q u i, pour cause d’excès de pouvoir , toute action serait
refusée contre celle-ci aurait un recours légitime contre
l’administrateur ayant souscrit l’engagement3.
Cetle responsabilité ne pourrait être répudiée que si
le gérant prouvait avoir, aux termes de l’article 1997 du
Code civil, donné une connaissance suffisante de ses
1 Cass., 6 mai 1835.
* Pardessus, n° 1043.
3 Douai, 13 mai 1844; — J d u 'P ., 45, 1, 252.
Il
3
�DES SOCIÉTÉS
pouvoirs. Or, cette formalité est moins facile à admettre
en matière commerciale qu’en matière ordinaire.
En droit commun , en effet, celui qui traite avec un
mandataire exige d’abord la justification de sa qualité.
Cette légitime exigence entraîne forcément l’exhibition
de la procuration. Il est donc facile de s’assurer si l’en
gagement auquel il va être procédé est ou non autorisé
par celle-ci.
La qualité d’administrateur d’une société anonyme se
justifie par son exercice habituel et notoire. Les tiers
doivent supposer, cette qualité étant acquise , que celui
qui traite avec eux a les pouvoirs suffisants et néces
saires. En pareille occurrence, l’habitude n’est pas de se
faire représenter à chaque affaire l’acte de société et les
délibérations de l’assemblée générale qui ont pu le mo
difier. Il n’y a donc pas à hésiter entre les tiers con
fiants et de bonne foi et le gérant coupable d’avoir sciem
ment excédé ses pouvoirs. La responsabilité qui en est
la conséquence est en même temps la juste peine de sa
faute et la sanction du devoir qui lui est imposé.
281.
— Il y aurait faute de la part du g éran t, et
conséquemment lieu à le déclarer responsable , s i , les
statuts sociaux soumettant les traités passés par lui à
l’approbation du conseil d’administration ou de surveil
lance , il avait négligé de requérir cette approbation.
L’absence de celle-ci laisserait le créancier sans droit
contre la société. Il serait dès lors recevable à se pour
voir contre le gérant personnellement.
�35
2 8 2 . — En résumé , les droits et les devoirs des
administrateurs d’une société anonyme, qu’ils soient ou
non associés , sont ceux d’un mandataire ordinaire. Ils
ne sauraient être recherchés ni par leurs madants ni par
les tiers toutes les fois que, se renfermant dans la limite
de leurs pouvoirs , ils n’ont fait que ce qu’ils devaient
et pouvaient faire. M ais, tenus de leur dol et de leur
fraude, ils répondent envers leurs mandants de l’inexé
cution du mandat, de leur faute ; envers les tiers, de
tous engagements pris en dehors de leur mandat.
2 8 3 . — En leur qualité de comptables , les admi
nistrateurs de la société anonyme sont tenus de rendre
compte de leur gestion. Cette obligation est due person
nellement à chaque actionnaire, qui peut en poursuivre
et en obtenir la réalisation. Il importerait peu que l’acte
social disposât que le compte serait rendu en assemblée
générale. Une clause de cette nature ne saurait avoir
aucune influence sur le droit de chaque intéressé de
provoquer la reddition, sauf à l’effectuer dans les formes
prescrites par les statuts sociaux.
Mais le droit individuel^ n’existe qu’autant qu’il n’a
encore été rendu aucun compte. Dès lors, si, conformé
ment au pacte social, les actionnaires ont été convoqués,
et qu’en assemblée générale le compte ait été rendu,
tout est consommé quant à ce , et toute demande ulté
rieure en reddition serait non recevable.
Le droit de chaque actionnaire se bornerait, dans ce
cas, à débattre le compte rendu et à faire admettre tels
�DES SOCIÉTÉS
redressements dont il justifierait la nécessité. L’agré
ment que l’assemblée aurait donné au compte ne crée
rait aucun obstacle à l’exercice de ce droit. En effet, ceux
qui ont apuré et admis le compte n’ont pu le faire que
dans leur intérêt, et chacun pour la part lui revenant.
Leur approbation obligatoire pour eux ne saurait être
opposée à ceux qui ont refusé de s’y associer. En pa
reille matière, la majorité ne saurait engager la mino
rité l.
284.
— Le gérant poursuivi en responsabilité pour
avoir souscrit un acte dérogeant aux statuts sociaux, en
violation de l’ordonnance d’autorisation, pourrait-il ob
tenir son relax d’instance en prouvant qu’il n ’a fait
qu’exécuter une délibération de l’assemblée générale ?
La doctrine et la jurisprudence ont distingué. S’il a
été dérogé à un objet d’ordre public ou d’intérêt géné
ral , l’exception du gérant doit être repoussée. Quoique
tenu d’exécuter les délibérations de l’assemblé générale,
il doit savoir que cette obligation a des bornes, et ces
bornes sont naturellement celles devant lesquelles la loi
a prescrit de s’arrêter. A insi, nul ne peut violer la loi,
déroger à des prescriptions d’ordre public et d’intérêt
général. Le mandant qui exécuterait une illégalité de
vient complice de la violation de la loi, et conséquem
ment responsable du préjudice qui en résulte2.
1 Lyon, 4 9 août 4 826.
2 Casssation, 46 ju illet 4838 ; 9 mars 4 844 ; — D. P., 3 8, 4, 328;
44, 4, 454.
�ART.
31, 32, 33.
37
Si l’objet sur lequel il a été délibéré ne concernait
qu’un intérêt privé , l’exécution que le gérant a donnée
à la délibération ne saurait engager sa responsabilité,
quelque préjudice qu’elle ait occasionné. C’est ce que la
cour de Paris a jugé, le 20 décembre 1839 , dans l’es
pèce suivante :
La société anonyme du Creuzot avait donné au syn
dicat des receveurs généraux une hypothèque sur les
usines qu’elle exploitait, soit au Creuzot, soit à Charenton. Cette hypothèque était déclarée prise , non-seule
ment sur la propriété des usines, mais encore sur tout
le matériel de l’exploitation, et notamment sur les ma
chines incorporées aux fonds.
Plus tard , la société ayant concentré sa fabrication
au Creuzot, l’assemblée générale décida que la machine
à vapeur de l’usine de Charenton en serait séparée et
vendue, ce qui fut exécuté par les administrateurs.
Après la faillite de la société , les receveurs généraux
. attaquent les administrateurs comme personnellement
responsables pour une somme équivalente à la valeur
de la partie du gage dont ils les avaient frustrés en sé
parant la machine de l’immeuble et en la vendant.
Les administrateurs répondent qu’ils n ’ont fait autre
chose qu’exécuter la délibération prise par l’assemblée
générale des actionnaires ; que cette assemblée avait
prescrit de fermer l’usine de Charenton et ordonné la
mobilisation et la vente de la machine ; qu’ils ne pou
vaient être responsables d’un fait dont ils n’étaient pas
les auteurs ; que tout au plus ils seraient coupables d’o-
�38
DES SOCIÉTÉS
béissance, d’un fait purement passif. L’arrêt qui inter
vint consacra ces prétentions.
M. Delangle, en rapportant cet arrêt, en fait ressortir
Je caractère légal et juridique. Est-ce que, dit-il, le man
dataire d’un simple particulier qui aurait accepté et ac
compli le mandat consistant à séparer d’un immeuble
réel des immeubles fictifs et à les vendre ensuite pour
rait être utilement attaqué par le créancier hypothécaire
dont la garantie se trouverait ainsi compromise ? Est-ce
que la connaissance qu’il aurait eue de l’hypothèque
aggraverait sa condition? Est-ce que , selon toutes les
règles de droit, en prouvant le mandat, il n’échapperait
pas à toute action ?
Il y a p lu s, ajoute M. Delangle , dans le cas même
où les mandants et les mandataires auraient dû être
confondus et porter également la responsabilité des faits
dénoncés par les receveurs généraux, aucune condam
nation n’était possible. En effet, une société anonyme,
comme un particulier, peut disposer de son patrimoine,
et tant qu’elle respecte les conditions essentielles de ses
statuts, en ce qui intéresse l’ordre public et les tiers, son
indépendance est entière. Or, qu’un particulier diminue
d’une façon quelconque le gage hypothécaire qu’il a
donné, qu’en résulte-t-il ? Qu’il sera passible de dom
mages-intérêts ? Non; mais qu’aux termes de l’article
2131 du Code civil, le créancier pourra poursuivre son
remboursement immédiat ou réclamer un supplément
d’hypothèque. Les créanciers d’une société anonyme ne
pourraient donc avoir d’autres droits, ni obtenir une
�ART.
31, 32, 33.
39
condamnation personnelle, pas plus contre les manda
taires que contre les mandants 1.
M. Delangle a raison. Il serait irrationnel de deman
der une condamnation personnelle contre le mandataire
pour un acte que le mandant avait pouvoir d’exécuter,
sauf les réclamations du créancier lésé et sans autre obligation que de donner un supplément de garantie ou
de payer. Or, le fait du mandataire, n’enlevant au cré
ancier ni l’une ni l’autre de ces ressources, ne saurait
changer son droit ni lui ouvrir un recours contre le
mandataire lui-même.
Ainsi donc, l’exécution que les administrateurs d’une
société anonyme feraient des délibérations de l’assem
blée générale ne serait qu’un acte licite, incapable d’en
gager leur responsabilité. La seule exception à cette rè
gle , c’est le cas où la délibération aurait pour objet de
déroger à l’ordre public ou à l’intérêt des tiers en por
tant atteinte aux garanties qui leur étaient assurées, soit
par la loi, soit par les statuts et par l’ordonnance d’ap
probation.
285.
— Un second élément de l’administration des
sociétés anonymes, c’est le conseil de direction, de sur
veillance ou d’administration. Ce conseil, ainsique l’in
dique sa qualification, est tour à tour chargé de diriger
l’administration, de la surveiller, d’en conseiller ou d’en
autoriser les actes.
i Tome 2, n° 447,
�DES SOCIÉTÉS
Il en est des membres du conseil comme des admi
nistrateurs eux-mêmes, ils ne sont dans la mission qui
leur est confiée que des mandataires spéciaux , n ’ayant
d’autres pouvoirs que ceux qui leur sont expressément
conférés par la délibération les instituant. La cour de
cassation a même jugé que les pouvoirs donnés en ter
mes généraux se restreignaient aux actes de pure admi
nistration ; qu’ainsi la faculté de plaider , de transiger,
ne pouvait en résulter , parce qu’elle excède les bornes
d’une simple gestion l.
Le conseil d’administration ne saurait donc autoriser
les administrateurs à compromettre, plaider ou transiger
sur les droits de la société. Tout ce qui aurait été exé
cuté dans ce sens ne pourrait être valablement opposé à
la société , mais engagerait la responsabilité des mem
bres du conseil et celle du gérant qui aurait consommé
leur délibération illégale.
Par un à fortiori incontestable doit-on admettre que
le conseil d’administration n’a pas capacité pour auto
riser de vendre ou d’hypothéquer les immeubles sociaux?
Le mandataire ne peut aliéner les biens de son man
dant qu’en vertu d’une autorisation expresse. O r, nous
venons de le dire, les membres du conseil d’administra
tion ne sont que des mandataires.
Cette règle, consacrée par la jurisprudence2, est éga
lement enseignée par la doctrine ; c’est celle que pro1 1er avril <844.
2 Voy notamment Douai, 4 3 mai 4 844;
�ART. 3 1 ,
3 2 , 33.
41
fessent MM. Duvergier, Delangle, Malepeyre et Jour
dain.
M. Troplong l’admet également, mais pour les em
prunts considérables seulement. Quant aux emprunts
pour sommes modiques , les membres du conseil d’ad
ministration, dit-il, peuvent les autoriser ; le gérant peut
même valablement les contracter.
Cette distinction , que M. Troplong puise dans l’an
cienne jurisprudence, ne nous paraît pas admissible au
jourd’hui. Bien entendu que nous ne nous occupons
que des emprunts hypothécaires, car les emprunts cou
rants, par acte sous seing privé, peuvent être bien sou
vent considérés comme des actes de gestion inévitables.
Mais un emprunt hypothécaire ne peut se placer dans
cette catégorie. Quelque modique qu’en soit le montant,
il n’en constituerait pas moins l’aliénation de l’immeu
ble affecté. Or comment, en présence des principes, re
connaître au simple mandataire la capacité d’aliéner ?
286.
— Les membres du conseil d’administration
assimilés au gérant, quant à l’étendue et au caractère
des pouvoirs qu’ils reçoivent, doivent être placés sur la
même ligne à l’endroit des conséquences de leur gestion.
Ainsi ils ne sauraient être recherchés , lorsque , se ren
fermant strictement dans les limites de leur mandat, ils
n’ont fait que ce qu’ils pouvaient et devaient faire.
Mais ils répondent non-seulement de leur dol et de
leur fraude , mais encore de leur faute. La négligence
qu’ils mettraient à remplir leur devoir, l’excès dans le-
�42
DES SOCIÉTÉS
quel ils tomberaient engageraient leur responsabilité per
sonnelle. Nous l’avons déjà dit : les tiers, qui ne peu
vent recourir contre la société à cause du vice du titre
dont ils sont porteurs , peuvent légitimement s’adresser
à celui ou à ceux dont le titre émane. Dans l’espèce, le
conseil d’administration approuvant ou ordonnant sans
en avoir le droit devient l’auteur du préjudice, et est par
conséquent tenu de le réparer.
Dans la même hypothèse, le gérant qui aurait exécuté
la délibération illicite pourrait également être poursuivi.
La responsabilité du conseil n’efface pas la sienne, car
le gérant est en faute toutes les fois qu’il fait ce qu’il
n ’a pas le droit de faire.
Vainement prétendrait-il qu’il devait obéir au conseil
d’administration ; cette excuse n ’est admissible que lors
que ce conseil s’est renfermé dans son droit. Lorsqu’il
va au delà, il est du devoir du gérant de ne pas obéir,
car, en réalité, l’ordre qu’il reçoit étant illégal doit être
comme s’il n’avait jamais existé. Or, la question de sa
voir si le conseil a ou non excédé ses pouvoirs ne sau
rait être douteuse pour le gérant.
287.
— Au-dessus des gérants et du conseil d’ad
ministration se place l’assemblée générale des actionnai
res. La masse de ceux-ci est l’arbitre suprême de l’actif
constituant le fonds social et de la disposition qu’il doit
recevoir.
Les délibérations prises dans la forme indiquée par
le statut social sont obligatoires, à moins qu’elles n’eus-
�art.
31, 32, 33.
43
sent pour objet de déroger aux statuts sociaux et de se
soustraire aux conditions exigées par l’ordonnance d’au
torisation. Dans l’un comme dans l’autre cas , la déli
bération serait nulle. Nous avons même fait oberver que
le gérant qui l’aurait exécutée engagerait sa responsa
bilité.
Au demeurant, il en est des délibérations des action
naires d’une société anonyme comme de celles de tout
autre corps. La majorité oblige la minorité. Il n’y a
d’administration possible qu’à cette condition.
Cependant cette règle reçoit des exceptions ; il est des
cas où la majorité ne lie qu’elle. Nous avons déjà vu
qu’il en est ainsi pour l’apurement du compte de ges
tion. L’approbation donnée par le plus grand nombre
n’empêche pas ceux qui ont refusé de la souscrire de
discuter le compte et de le faire modifier L
288.
— Nous allons indiquer quelques autres hy
pothèses offrant un résultat analogue. Mais avant il est
utile de poser le principe général dont l’application doit
résoudre les difficultés que le caractère et l’effet des dé
cisions prises à la majorité peuvent faire naître.
La constitution de la société est précédée de la signa
ture des statuts. Ceux-ci renferment les conditions de
l’association et les clauses concernant la position, les obligations et les droits des associés. Les statuts sont en
suite soumis au Gouvernement pour qu’il ait à autoriser
la société.
i Voy. supra n° 283.
�44
DES SOCIÉTÉS
Ce qui détermine l’autorisation , c’est la teneur des
statuts ; aussi deviennent -ils définitifs dès que l’autorité
leur a donné son assentiment.
Ils sont donc désormais acquis aux tiers et aux asso
ciés eux-mêmes. Par rapport aux premiers, toute déro
gation est nulle ; par rapport aux seconds, il peut y a voir dérogation valable aux clauses concernant l’intérêt
privé, mais cette validité n’est acquise que par l’assen
timent et l’aveu de tous.
On comprend l’impuissance dans laquelle se trouve
à cet égard la majorité. Chaque associé peut dire avec
raison que les conditions qu’on veut anéantir ont déter
miné son consentement ; que sans la certitude d’être
constamment régi par elles, il n ’aurait pas accepté la
qualité d’associé.
En réalité donc , vouloir les modifier et les détruire
c’est porter une grave atteinte au contrat, en altérer
l ’essence , enlever à l’association sa raison d’être. Un
pareil pouvoir ne saurait être reconnu à la majorité
Dans une hypothèse de ce genre , comme l’observe M.
troplong, il faut rester dans les termes du contrat ou se
dissoudre2.
Faut-il donc ne reconnaître à la majorité le droit de
délibérer obligatoirement que dans les hypothèses for
mellement prévues par l’acte social? Non, car dans bien
1 Cass , \ 0 mars 1841 ; J. du P ., 41, 1, 487.
2 N» 724. — Conf. Pardessus , n° 980 ; Duvergier , n° 287 ; Delan,-
�ART. 3 1 , 3 2 ,
33.
45
des cas cet acte peut avoir gardé le silence, et interpré
ter ce silence comme un refus absolu ce serait créer un
obstacle invincible à l’exécution sincère de l’acte luimême et rendre impossible le but que la société s’est
proposé.
Suppléer au silence de l’acte ce n ’est pas agir contre
sa teneur , et c’est dans ces hypothèses surtout que se
décèle l’utilité d’une délibération. Il suffit donc que celle
prise dans ce cas par la majorité ait un caractère d’uti
lité réelle et rentre dans les prévisions d’une adminis
tration intelligente pour qu’elle soit obligatoire pour
tous, si d’ailleurs en la forme elle a été prise conformé
ment aux statuts.
En réalité donc, la question de savoir si la majorité
a pu ou non valablement délibérer doit être appréciée
par l’objet sur lequel il a été statué.
S’agit-il de revenir contre une clause expresse du pacte
social, de la modifier ou de la détruire , la délibéra
tion n’est valable que si elle réunit l’unanimité des ac
tionnaires.
Ainsi la cour de Toulouse a jugé que la majorité des
actionnaires d’une société formée pour la construction
d’un pont, moyennant la concession d’un péage à per
cevoir, ne p e u t, malgré l’opposition formelle de la mi
norité, réduire le tarif du péage au-dessous des bases
fixées par l’ordonnance de concession K
1 22 juillet 4844 ; — J . du P .,42. 4, 447.
�46
DES SOCIÉTÉS
S’a g it-il, au contraire, de prendre, dans l’intérêt de
la société , une mesure que l’acte social n’autorise pas,
mais qui n’y est pas prohibée ! la majorité engage la
minorité. Suppléer au silence des statuts, ce n’est pas
déroger à leur teneur. Ce qui doit s’induire de ce silence,
c’est qu’on a voulu précisément s’en référer à la société
elle-même pour régler ce que telle circonstance impré
vue pourrait exiger.
Un exemple va préciser la règle que nous invoquons
et en fixer la portée réelle.
Il est évident qu’une société anonyme , légalement
constituée, a sur les immeubles qui composent son actif
tous les droits de la propriété; elle peut donc, dans un
cas donné , être à même de les hypothéquer ou de les
vendre.
Si l’acte social n’interdit ni l’hypothèque ni la vente,
la délibération prise par la majorité est exécutoire par
la minorité elle-même 1 ; mais si l’emprunt et la vente
sont formellement prohibés par l’acte , la majorité ne
saurait obliger la minorité. Dans ce cas, l’opération ne
peut être légalement consentie que par l’universalité des
actionnaires2.
C’est par l’application de cette règle que doit se ré
soudre la question de savoir si la majorité peut voter de
i Bordeaux, 21 décembre 1840; Cassation, 7 mai 1844 — J. d u P .,
41, 1, 365 ; 45, 1, 131.
* Troplong, n» 182.
�art.
31, 32, 33.
47
nouveaux appels de fonds au delà du capital social porté
au contrat.
289.
— S’il est quelque chose d’important dans les
statuts des sociétés anonymes, c’est la détermination du
capital social. Sa division en actions fixe le prix de cel
les-ci et indique à chacun le chiffre du risque qu’il prend
par sa souscription.
On ne saurait certes nier que c’est surtout le prix de
l’action qui appelle les adhésions. Tel ne devient ac
tionnaire que parce qu’il n ’aura à débourser qu’une
somme entrant dans ses convenances, tel autre a pris
plusieurs actions qui n ’en aurait pris qu’un nombre
moindre s’il avait pu soupçonner l’obligation d’ajouter
dans l’avenir de nouveaux fonds à ceux qu’il a déjà
versés.
Comment donc admettre que la majorité puisse après
coup aggraver les obligations de l’un et de l’autre et les
placer même dans l’impossibilité de faire face à des exi
gences qu’ils n ’ont pu prévoir ?
Non, dit M. Delangle, ce pouvoir n’appartient pas aux
assemblées générales. Quand le capital social a été fixé,
s’il ne suffit pas à l’exécution des projets en vue des
quels a été organisé la société , la majorité ne peut im
poser à la minorité des sacrifices nouveaux. Le seul
moyen légal de mettre un terme à des relations qui
semblent devoir être stériles , c’est la dissolution. Quel
ne serait pas le danger si la majorité pouvait , à peine
de déchéance , imposer à la minorité des obligations en
�V
48
DES SOCIÉTÉS
dehors des termes des statuts ? Aujourd’h u i , l’utilité
commune serait la cause des délibérations ; demain elle
n’en serait plus que le prétexte ; le caprice se substitue
rait à la règle et les droits les plus certains se trouve
raient compromis. Il n’en peut être ain si1.
Non, il n’en peut être a in si, car décider le contraire
autant vaudrait déchirer l’article 33. L’actionnaire ne
jouirait plus du privilège de n’être passible que de la
perte de l’intérêt qu’il a pris ; qui sait si d’appel de fonds
en appel de fonds il ne se verrait pas obligé au delà de
toute possibilité, au lieu de cette perte limitée sur la
quelle il a pu compter ?
Mais , dit-on , cette crainte est chimérique , puisque
l’actionnaire pourra toujours se libérer de l’obligation
de répondre aux appels de fonds en abandonnant sa
mise primitive.
Mais cette option est-elle équitable et juste ? Qu’on y
prenne garde. L’utilité de la société anonyme , c’est de
permettre à la médiocrité, à la pauvreté même de cou
rir les chances commerciales. Or , dans le système que
nous combattons, cette destination ne sera plus qu’un
piège odieux. L’impossibilité de faire face à des verse
ments nouveaux enlèvera à l’actionnaire non-seulement
toute espérance de bénéfices, mais encore lui fera per
dre toute participation aux choses déjà acquises. On
pourrait donc prendre l’obole du pauvre et le mettre
1 Tome 2 n° 442.
�à la porte , parce que pauvre I un système qui condui
rait à de telles conséquences est définitivement jugé par
cela même.*
On l’a soutenu cependant, en essayant de l’étayer
sur un arrêt de la cour de Nîmes du 3 fructidor an XIII.
Mais, ainsi que le fait justement remarquer M. Delangle, cet arrêt est antérieur au Code de commerce, qui le
premier a organisé la société anonyme ; de plus, la so
ciété dont il s’agissait dans l’espèce était une société or
dinaire ; enfin ce qui détermine la cour, c’est la ratifi
cation de l’acte de la majorité par ceux-là mêmes qui le
é querellaient.
Tenons donc pour certain que les assemblées géné
rales n’ont pas le pouvoir de modifier l’acte social et de
rendre obligatoires des appels de fonds non prévus et
non autorisés. Disons avec M. Delangle que , quelque
nécessaire que soit la dépense votée par la majorité , à
quelque danger que la société soit exposée , il n’est pas
permis de changer les conditions sous la foi desquelles
s’est organisé le contrat. La résistance d’un seul est plus
puissante que l’assentiment du grand nombre , parce
que le grand nombre , qui peut disposer à son gré des
éléments sociaux , n’en peut créer aucun ; il ne peut
augmenter le capital social, et, sous prétexte de gestion,
frapper de contributions les actionnaires voulant rester
dans la situation que le contrat leur a faite.
Il en serait autrement si cette augmentation avait été
prévue dans le contrat. Dans ce cas, en effet, c’est conérer à l’assemblée la faculté de juger de son opporlun
4
�50
il:
DES SOCIÉTÉS
nité, de sa nécessité ; c’est conséquemment se soumettre
à la majorité. L’appel de fonds n’est plus alors que la
réalisation d’une éventualité prévue , et à laquelle cha
que actionnaire s’est implicitement soumis, il est donc
p ru d en t, pour obvier à tous les inconvénients graves
que l'insuffisance du capital social peut entraîner , de
réserver dans l’acte , soit la faculté de créer de nouvel
les actions, soit d’exiger un supplément aux fonds sou
scrits.
2 9 0 . — L’assemblée générale peut ratifier ce qui
aurait été fait par le gérant ou par le conseil d’admi
nistration au delà des limites de leurs pouvoirs respec
tifs. Mais la ratification est soumise à la règle que nous
venons d’exposer. Elle devra donc être votée à l’unani
mité ou simplement à la majorité, suivant que l’opéra
tion aura été prohibée par l’acte , ou seulement non
prévue l.
2 9 1 . — Comme tout établissement commercial, la
société anonyme qui cesse ses paiements doit être dé
clarée en état de faillite. Cette règle amène à ce résultat
singulier : une faillite sans failli ; il semble donc que,
dans l’impossibilité de prendre, aucune des mesures re
latives à la personne , dans l’impossibité surtout de de
mander compte à personne du délit ou du crime de ban
queroute, on eût pu se contenter d’ordonner une liqui-
i Douai, 13 mai 1844; J. du P , 48, 1, 252,
1
�ART.
31, 32, 33.
51
dation ordinaire, et éviter ainsi les frais des formalités
naissant de la faillite.
C’est probablement ce que le législateur aurait admis,
s’il n’avait eu à se préoccuper que de la position des
créanciers vis-à-vis de la société. Mais il fallait veiller
aux rapports que la faillite crée de créancier à créan
cier. Ainsi il importait d’assurer la sincérité du passif,
la juste constitution de l’actif et son égale distribution ;
d’empêcher les avantages illicites , de faire rapporter à
la masse tout ce qui en a été illégalement distrait, soit
par la forme , soit par l’époque du paiement ; de faire
disparaître enfin toute affectation hypothécaire ou pri
vilégiée irrégulièrement obtenue. Or , tout cela devant
nécessairement résulter de la déclaration de faillite , il
convenait d’autoriser cette déclaration.
2 9 2 . — Il n’en est pas moins vrai que la position
spéciale d’une société anonyme doit influer sur le déve
loppement des formalités accompagnant la faillite. Des
difficultés sont même nées, dans lesquelles il s’est agi de
décider si tels articles étaient applicables. C’est ce qui
est notamment arrivé pour les articles 516 et 517 du
Code de commerce, aujourd’hui 505 et 506.
2 9 3 . — Le tribunal de commerce de la Seine, saisi
de la question, l’avait résolue négativement ; voici les
motifs sur lesquels il s’étayait : •
« Attendu que, par jugement de ce tribunal, en date
du 1er avril 1836 , la société du chemin de fer de la
�52
DES SOCIÉTÉS
Loire a été déclarée en état de faillite ; que par l’effet de
ce jugement ladite société s’est trouvée sans administra;
teur pour la représenter vis-à-vis des tiers, puisque les
administrateurs d’une société anonyme ne sont que des
mandataires, et que les pouvoirs du mandataire finis
sent par la faillite du mandant ;
» Que , dans l’espèce , non-seulement ces pouvoirs
ont pris fin , mais avec eux les moyens de les renouve
ler, puisque les statuts en vertu desquels ils étaient don
nés ne sauraient régir la société après sa dissolution ;
» Qu’en l’état, tout ce qui intéresse la société ano
nyme dont s’agit ne peut être réglé que par les pres
criptions du Code de commerce concernant les faillites;
que si parmi ces prescriptions les unes, relatives aux
biens du failli, peuvent s’appliquer à toute espèce de so
ciété , il en est d’autres relatives à la personne même
du failli qu’il est impossible d’appliquer aux sociétés a nonymes ; qu’en effet, dans les sociétés anonymes , il y
a une agrégation de capitaux et un être de raison, mais
pas de personne faillie ; qu’en conséquence il y a im
possibilité réelle à exécuter dans l’espèce les articles 516
et 517 du Code de commerce, qui décident que le failli
sera appelé, présent en personne ou valablement repré
senté , et qu’il sera entendu , car celui-là ne peut être
présent qui n’existe pas, ni celui-là reprenté qui ne peut
plus donner de mandat.
» Attendu que , sans rien préjuger sur le mérite des
propositions qui pourraient être faites dans l’assemblée
des créanciers , il aurait fallu avant tout trouver une
�ART. 3 1 ,
3 2 , 33.
53
personne qui eût caractère légal pour présenter ces pro
positions, qui consentit à prendre sous sa responsabilité
leur accomplissement, et qui fût moralement intéressée
à les accomplir, pour avoir droit au bénéfice de l’excusabilité et de la réhabilitation que la l o i, dans sa pro
tection éclairée, offre en perspctive au failli loyal et mal
heureux , toutes choses qui ne se rencontrent pas dans
l’espèce. »
294.
— Mais ce jugem ent, déféré à la cour , a été
réformé par arrêt du 29 décembre 1838. Cet arrêt se
fonde sur les motifs suivants :
« Considérant qu’avant sa faillite l’assemblée géné
rale avait déclaré la société dissoute et nommé un li
quidateur, avec tous pouvoirs nécessaires pour accom
plir sa mission , sous la surveillance et avec l’autorisa
tion d’un conseil de liquidation composé de trois action
naires ;
» Que si, après la délaration de faillite, les pouvoirs
du liquidateur ont dû s’effacer devant ceux que la loi
confère aux syndics, ils n ’ont pas cependant été anéan
tis ; que le liquidateur est resté le représentant de la
société pour exercer en son nom le droit que la loi ré
serve au failli ;
» Considérant que le droit réservé à celui-ci par les
articles 516 et 517 du Code de commerce appartient
aux sociétés anonymes comme à tout autre failli ; qu’el
les doivent donc être appelées dans la personne de leurs
administrateurs pour être entendues, par leur organe,
�DES SOCIÉTÉS
dans les explications qu’elles peuvent avoir à donner
aux créanciers pour obtenir un concordatl. »
295.
— Nous l’avouons sans hésiter. De ces deux
monuments de jurisprudence celui qu’on doit préférer
n’est pas l’arrêt. La cour de Paris ne répond rien aux
motifs si juridiques , si décisifs que le tribunal invoque
et qui étayent si puissamment la doctrine qu’il con
sacre.
Il y a même plus : les motifs de décision invoqués
par l’arrêt sont repoussés par les principes du droit
commun autant que par le droit commercial lui-même.
Ils méconnaissent un fait dont la matérialité est évi
dente ; nous voulons parler de la différence entre les
sociétés anonymes et les autres sociétés à l’endroit des
articles 516 ei 517.
La preuve que ces articles ne sont pas applicables
aux premières, c’est qu’en ce qui les concerne leurs dis
positions sont inexécutables. C’est le failli en personne
qui doit être appelé et comparaître ; par exception au
droit commun , il ne peut se faire représenter qu’avec
l’approbation du juge commissaire. Or, pour être failli,
il faut être d’abord débiteur personnel, ensuite débiteur
insolvable. Quel est l’actionnaire d’une société anonyme
réunissant cette double qualité ?
Il n’y a donc pas de failli pouvant être appelé. C’est
l’opération seule qui se trouve en déconfiture , et qui
1 J. du P,, 39, 1, 72.
�ART. 3 1 , 3 2 , 3 3.
{55
désormais n’appartient plus qu’à la masse. Ce motif de
l’arrêt pêche donc en fait.
Comment ensuite admettre avec la cour que les pou
voirs du liquidateur, ayant dû s’effacer devant ceux
que la loi confère aux syndics, n’ont pas cependant été
anéantis. C’est là nier un des effets les plus ordinaires
de la faillite. Comprend-on , après son ouverture , la
présence d’un liquidateur ? Mais n’est-ce pas précisé
ment pour opérer cette liquidation que la loi députe les
syndics ?
Qu’est-ce d’ailleurs que nommer un liquidateur, si
non conférer un mandat à celui qu’on revêt de cette
qualité ? Or, le mandat n’est-il pas absolument révoqué
par la faillite ? Cette révocation est d’autant plus éner
gique en matière de société anonyme, qu’ainsi que l’ob
serve le tribunal de commerce, la faillite fait disparaî
tre tout moyen pour la société de conférer un nouveau
mandat.
Enfin, à quoi bon appeler les administrateurs d’une
société anonyme ? Ils n’ont pas même qualité pour
consentir un concordat ; leur mission , pendant la du
rée de la société , se borne à la gestion. Pourra-t-elle,
après la faillite , leur permettre d’obliger la société en
vers les créanciers ? Or, concorder ce n’est pas adminis
trer. Quel serait donc le sort du concordat qu’ils au
raient obtenu et souscrit ? Une remise de la dette est un
avantage pour le débiteur ; mais l’actionnaire ayant
versé l’intégralité de sa souscription ne doit plus rien.
Quel profit retirerait-il du concordat ? Pourrait-on seu-
�5f?
DES SOCIÉTÉS
lemoni le lui opposer, si son exécution devait entraîner
pour lui l’obligation de payer quelque chose en sus de
son intérêt ?
l e concordat serait donc impuissant et nul. Il n’y a
plus après la faillite d’administrateur qui ait qualité et
droit d’agir au nom des actionnaires. C’est pour arriver
là qu’on l’appellerait aux assemblées prescrites par les
articles 516 et 517. On imposerait aux créanciers une
formalité ne pouvant aboutir utilement pour eux. Celte
étrangeté seule doit décider la question et faire repous
ser la doctrine de la cour de Paris,
296.
— Il résulte des observations auxquelles nous
venons de nous livrer qu’un concordat en matière de
société anonyme est la chose la plus difficile , la plus
inutile.
Difficile l car il ne saurait être réellement obligatoire
que s’il était signé par l’unanimité des actionnaires.
Chacun d’eux ne pouvant traiter que pour ce qui le con
cerne , les engagements qu’il aurait souscrits n’oblige
raient que lui I
Inutile ! cela est incontestable à l’endroit des effets
que le concordat produit à l’égard du failli personnelle
ment. L’excusabilité, la réhabilitation, ces deux impor
tantes mesures restent sans portée aucune dans les so
ciétés anonymes, puisqu’il n’y a aucun failli intéressé à
en obtenir le bénéfice.
Relativement aux créanciers, le concordat ne saurait
leur procurer autre chose que ce qu’ils ont déjà , à sa-
�ART. 3 1 , 3 2 ,
33.
57
voir : l’actif de la société , le droit d’exiger de chaque
actionnaire le complément de la mise souscrite. Nous
venons de le dire, tout accord tendant à obliger les ac
tionnaires à payer au delà, n’obligerait que les parties
l’ayant consenti. Or, on ne concorde pas ordinairement
pour n’avoir que ce qui vous est déjà concédé.
Le concordat est donc inutile, ou , pour mieux dire,
il est de droit dans les faillites des sociétés anonymes.
En effet, l’issue par contrat d’union est impossible,
puisqu’il n’y a aucun obligé personnel, et qu’au moyen
de la répartition des ressources que la société pré
sente, les créanciers n’ont plus rien à exiger de qui que
ce soit.
Est-ce à dire pourtant qu’aucun traité ne pourra ja
mais intervenir entre les créanciers et les actionnaires ?
Non ; car il peut se faire qu’ils aient intérêt à le faire,
soit relativement aux mises non encore versées, soit à la
liquidation de la société. A insi, les créanciers peuvent
modifier leur droit dans le premier cas , consentir un
sacrifice , le céder complètement dans le second ; mais
ce ne serait pas là un concordat ; ce qu’ils feraient se
rait une transaction ou une vente. L’acte devrait donc
être revêtu , non des formes prescrites pour le concor
dat, mais de celles exigées par les articles 487, 535 et
570 du Code de commerce ; il ne serait obligatoire que
pour ceux qui y auraient été parties.
Les cessionnaires de la liquidation peuvent être des
actionnaires ; mais, dans cette hypothèse et relativement
à l’exécution de la cession, ils ne sauraient exciper de
�58
DES SOCIÉTÉS
leur qualité ; ils sont tous personnellement tenus du
prix, avec solidarité même, à moins de stipulation con
traire.
297.
— L’actionnaire d’une société anonyme, nous
l’avons déjà d it, n’est jamais tenu au delà du montant
des actions par lui souscrites. Il e s t, à cet égard , sur
la même ligne que le commanditaire, sans être néan
moins astreint aux prohibitions dont celui-ci est l’objet.
Quoi qu’il arrive , l’actionnaire ayant opéré son entier
versement ne peut plus être recherché à raison de la
société.
M ais, ainsi que nous l’avons fait observer pour le
commanditaire , rien ne peut exonérer l’actionnaire du
devoir d’opérer ce versement d’une manière effective et
certaine. En conséquence , la signature de l’acte sous
contre lettre , ou avec une condition contraire à sa te
neur’; la quittance fictive donnée par le gérant ; la dé
rogation qu’il aurait consentie aux accords, rien ne
pourrait être opposé à la société , et surtout aux tiers.
Toutes les exceptions dont nous avons dit que les com
manditaires étaient passibles1 atteindraient d’autant
plus les actionnaires , que , réduit au rôle de simple
mandataire, le gérant de la société anonyme a des pou
voirs bien moins étendus que le gérant de la com
mandite.
2 9 8 . — La régularité du versement peut faire sur
i Voy. supra n°s 215 et suiv.
�art.
3 1 , 3 2 , 3 3.
59
gir des difficultés dans le cas d’une transmission d’ac
tions. En effet, l’actionnaire qui les négocie transmet,
avec les actions elles-mêmes, toutes les obligations et les
droits qui en découlent ; cela est évident du cédant au
cessionnaire.
Qu’en est-il à l’égard de la société ? Le cédant est-il
valablement libéré envers elle par la négociation de ses
titres ?
Cette question dépend beaucoup de la forme dans la
quelle les statuts règlent la transmission, de la manière
dont elle a été accomplie.
S i , par exemple , il était stipulé que la négociation
était subordonnée à la substitution sur le livre à sou
che du nom de l’acheteur à celui du vendeur , il est
évident que cette substitution régulièrement opérée libé
rerait le souscripteur prim itif, à moins que des réser
ves expresses n’indiquassent l’intention d’écarter toute
novation.
Il est même une hypothèse où ces réserves naissent
du fait lui-même, et n’ont pas besoin d’être exprimées.
Supposez que le souscripteur, en payant une partie de
ses actions , ait fait des billets pour le solde ; il négocie
plus tard ses actions ; mais l’administrateur, en opérant
la substitution sur le livre à souche , retient dans ses
mains les obligations dont il est déjà en possession. Cette
rétention ne pouvant s’interpréter autrement que par
l’intention de conserver la garantie de la société contre
le souscripteur , celui-ci ne pourrait exciper d’une no
vation expresse , quoique la substitution eût été opérée
sans réserves.
�60
DES SOCIÉTÉS
Si les actions sont déclarées purement et simplement
transmissibles par endossement, leur négociation n’exi
geant aucun concours de la part de l’administration, il
serait impossible d’en faire résulter une novation ayant
libéré le cédant. On n’admettrait donc celle-ci que si
elle était expressément ou tacitement consentie. Ce con
sentement tacite s’induirait de tout fait établissant que
le souscripteur primitif a été libéré. Ainsi, dans l’hypo
thèse que nous avons posée , le g éran t, instruit de la
négociation , restitue les billets souscrits par le cédant,
et accepte en échange ceux du cessionnaire. Cette resti
tution ayant pour objet d’éteindre toute action contre le
souscripteur , et de reconnaître comme débiteur le ces
sionnaire, opère une véritable novation C
En principe donc le souscripteur de l’acte social est
obligé au versement des actions qu’il a prises , même
après qu’il les a négociées. Il répond de celui qu’il s’est
substitué , à moins que les gérants aient consenti à le
délier de son obligation par la novation. Sans contre
dit, les gérants ont pouvoir de consentir celle-ci expres
sément ou tacitement. Mais l’exercice qu’ils font de ce
pouvoir, pouvant constituer une faute , engagerait leur
responsabilité. C’est ce qui se réaliserait notamment si
la novation avait eu pour résultat de donner à la so
ciété un débiteur notoirement insolvable. Le gérant
ne pourrait dans ce cas se soustraire à l’obligation
} Pardessus, n° 4043 ; — Delangle , n° 454,
�de réparer le préjudice auquel il aurait exposé la so
ciété.
2 9 9 . — Le droit de la société à se pourvoir contre
le souscripteur primitif n’est jamais un obstacle à ce
qu’elle s’adresse personnellement au porteur actuel de
l’action. La possession du titre détermine l’obligation de
payer tout ce qui est encore dû à la société. L’action
pour en contraindre l’exécution est donc recevable et
fondée.
Vainement le détenteur de l’action prétendrait-il avoir
intégralement payé son cédant ; vainement le justifie
rait-il 1 il n’en serait pas moins tenu envers la société.
Celui qui achète des actions doit tout d’abord s’assurer
si son cédant est libéré envers la société. S’il le paye
sans remplir ce devoir , il commet une faute dont il ne
peut récuser la responsabilité et les conséquences. Il se
rait donc obligé de désintéresser la société de ce qui lui
est dû, sauf son recours contre son cédant.
3 0 0 . — L’obligation de consacrer l’intégralité du
capital social au paiement des créanciers est encore plus
étroite dans la société anonyme que. dans la comman
dite. Les ressources de celle-ci peuvent s’accroître de la
fortune des associés solidaires et responsables, tandis
que celles de l’autre ne consistent jamais que dans le
fonds capital lui-même.
Cependant le but que se propose le plus ordinaire
ment la société anonyme est la répartition annuelle des
bénéfices. Cette répartition est légale. Elle a pour objet
�6â
DES SOCIÉTÉS
de conférer définitivement à chaque actionnaire la pro
priété des sommes qui sont ainsi réparties.
Mais il faut répéter ici ce que nous disions naguère
pour les commanditaires. L’action en restitution des
sommes perçues n’est irrecevable que si, au moment de
la répartition, la société était réellement en bénéfice.
En conséquence , si celui qu’on a distribué n’existait
réellement pas ; si les livres prouvent soit qu’il a été
supposé par des gains chimériques , soit qu’on ait e s
compté les chances favorables qui s’offraient, ou consi
déré comme réalisés des recouvrements fu tu rs, la ré
partition est irrégulière et les prétendus bénéfices n’é
tant que le capital lui-même, chaque actionnaire devrait
être tenu de restituer la fraction qu’il a retirée. On doit
d’autant plus le décider ainsi , que ce sont les action
naires eux-mêmes qui décident en assemblée générale
l’opportunité et la quotité de la répartition. A quels
dangers ne seraient donc pas exposés les tiers, si les ac
tionnaires pouvaient, sans inconvénients pour eux, sub
stituer des illusions intéressées aux calculs rigoureux de
la comptabilité commerciale ! 1
301.
— On s’est beaucoup préoccupé de la difficulté
de fait que peut offrir la poursuite en recomblement.
La mobilité du personnel des sociétés anonymes est
telle , a-t-on d i t , qu’il sera très-souvent difficile de re
connaître l’actionnaire. Serait-il juste d’ailleurs d’exiger
1 Delangle,n° 456. — Voy. su pra nos 226 et suiv.;—loi du 24 juil
let 1870, et notre commentaire.
�le rapport de celui qui, n’étant devenu porteur de l’ac
tion que postérieurement à la répartition, n’a réellement
rien reçu ?
Non , sans doute , il est évident que l’obligation de
recombler ne peut incomber qu’à celui qui a réellement
mais illégalement perçu. Quant à lui , les difficultés de
fait ne sauraient évidemment influer sur la solution en
principe.
D’ailleurs ne s’est-on' pas singulièrement exagéré la
difficulté ? Qu’il ne soit pas aisé de connaître le porteur
actuel de l’action , alors que la négociation s’en opère
sans la participation et le concours de la société, nous
l’admettons sans peine. Mais on connaîtra toujours ce
lui qui a touché un dividende et coopéré à une répar
tition, puisque sa signature se trouvera ou sur la quit
tance qu'il en aura délivrée , ou sur l’état de répar
tition.
Vainement le signataire prétendrait-il qu’il n ’est plus
actionnaire. L’action dont il serait l’objet ne tire son
fondement ni de l’état présent, ni de l’état à venir. Elle
a pour effet de rétroagir sur le passé. Il suffit donc de
prouver que celui qui est poursuivi était actionnaire au
moment de la distribution ; qu’il a en cette qualité lou
ché ce qu’il ne devait pas recevoir. L’obligation de re
combler est la conséquence de l’un et de l’autre.
Or, celte double preuve résulte de la quittance ou de
l’état de répartition. La difficulté ne serait donc sérieuse
que si ces pièces n’étaient pas représentées ; mais leur
disparition , pouvant constituer une faute ou un dol de
�64
DES SOCIÉTÉS
la part des administrateurs,serait dans le cas de les faire
personnellement condamner à réparer le préjudice au
quel l’absence de ces pièces exposerait les intéressés.
5 0 2 . — Le plus ordinairement, les statuts dispo
sent qu’il sera établi un fonds de réserve, par une re
tenue sur les bénéfices à répartir. La destination de ce
fonds de réserve est de pourvoir aux pertes imprévues
qu’on ne peut combler par de nouveaux appels de fonds
et de ramener le capital social à son point de départ.
L’exécution de cette prescription est donc du plus
grand intérêt pour les tiers. Dès lors il n’est pas dou
teux qu’ils soient recevables et fondés à demander
compte de sa violation. La décision prise , même par
l’universalité des actionnaires, de la considérer com
me nulle à l’avenir, ne pourrait produire un effet quel
conque.
En conséquence , toute répartition de bénéfices sur
lesquel on n ’aurait pas d’abord exercé la retenue pres
crite serait irrégulière et nulle , au moins jusqu’à con
currence de la quotité réservée. L’action en recomble
ment de cette quotité ne saurait être écartée.
A rt. 3 4 .
Le capital de la
société
anonym e se divise
en actions et m êm e en coupons d’action d’une
valeur égale.
�art.
34, 35, 36.
A rt. 3 5 .
L’action peut être établie sous la form e d’un
titre au porteur.
Dans ce cas, la cession s’opère p a r la tr a d i
tion du titre.
A rt. 3 6 ,
La prop riété
des
actions
peut
être
établie
par une in scrip tio n su r les registres de la so
ciété.
Dans ce cas, la cession s’opère par une décla
ration de tra n sfe rt in scrite su r les registres et
signée de c e lu i qui fait le
tran sfert on
d’un
fondé de pouvoirs.
SOMMAIRE
303.
304.
303.
306.
307.
308.
309.
310.
311.
312.
Objets de la division en actions du capital des sociétés ano
nymes.
Origine de cette disposition.
Nomenclature des actions reconnues dans la pratique.
Caractère et effets des actions de capital.
Actions industrielles, leur nature, droit qu’elles confèrent.
Précautions prises par le législateur en les autorisant dans
la société anonyme..
L’action industrielle peut donner droit à la distribution du
capital—Quand doit-on l ’admettre ainsi I
Nature et effets des actions de jouissance.
Les associés ou les tiers pourront-ils exiger du porteur de
l’action de jouissance le recomblcment de ce qu’il a
reçu ?
En quoi consistent les actions de prime. — Droit qu’elles
confèrent.
ii
5
�66
313.
314.
315.
316.
317.
318.
319.
DES SOCIÉTÉS
Actions de fondation. — Ce qu’elles doivent être dans les
sociétés anonymes.
Les actions sont meubles par destination de la loi. — Difificultés qu’a fait naître l ’article 529 du Code civil.
Modification que le Gouvernement a fait subir à ce prin
cipe en faveur des actions de la Banque de France.
Comment s'opère et se rétracte l ’immobilisation.
But et objet de la division des actions en coupons d’une va
leur égale. — Avantages et inconvénients pouvant en
naître.
Mode de transmission des actions suivant qu’elles sont no
minatives ou au porteur.
Effet de la cession à l'endroit du porteur primitif vis-à-vis
de la société.
305,
— La société anonyme, nous l’avons déjà dit,
est appelée à tenter les plus vastes entreprises. Elle a
donc besoin de réunir des capitaux si considérables
qu’elle ne peut guère les obtenir que de la multitude
des intéressés.
De là la nécessité de la division du capital en actions,
c’est-à dire en portions d’une valeur déterminée , et
dont la quotité est assez modique pour permettre à tou
tes les fortunes d’intervenir pour la formation du capi
tal et pour profiter des chances heureuses que l’opéra
tion peut offrir.
3 0 4 , — La pensée de cette division a dû naître avec
la société elle-même, dont elle était d’ailleurs une con
séquence inévitable ; la création des actions remonte
rait donc pour la France au xvnme siècle. Mais M. Tro-
�ART
34, 35, 36.
67
plong nous apprend , dans sa préface du Traité des
Sociétés, que le système de la division du capital par
actions était connu et pratiqué bien avant, et il le prouve
par des faits historiques aussi curieux que décisifs.
Les recherches de M. Troplong l’amènent à conclure:
1° que s’il est vrai que l’aclion industrielle ne se soit
classée distinctement dans le nombre des valeurs en cir
culation, et n’ait définitivement pris les caractères d’une
monnaie courante qu’au xvnme siècle , son existence à
des époques plus lointaines ne saurait être contestée ;
2° qu’elle avait été appliquée à des opérations civiles,
puisque le plus ancien exemple que l’on en rencontre
est une société purement civile.
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la so
ciété anonyme du Code ne peut se former que par la
division de son capital en actions. Sans cette division,
en effet, il est évident que les règles et les effets qui
lui sont imposés deviendraient impossibles et irréali
sables.
3 0 5 . — Dans la pensée du législateur, il n’y a d’ac
tions que celles q u i, constituant une partie du capital,
sont destinées à être payées soit en arg en t, soit en va
leurs. La pratique a singulièrement étendu le cercle qui
lui était ouvert. Aujourd’hui il existe des actions de
toute sorte, dont l’agiotage a su avidement s’emparer.
Il importe de bien fixer la nature et les effets de cel
les qu’un usage constant a consacrées. Ces actions sont:
1° les actions de capital; 2° les actions industrielles;
�68
des
so ciétés
3° les actions de jouissance ; 4° les actions de prime ;
5° enfin les actions de fondation.
306.
— Les actions de capital sont celles qui, payées
en numéraire ou en valeurs, sont destinées à entrer dans
la caisse sociale, à alimenter les opérations, et à faire
face aux dépenses ; aussi donnent-elles droit non-seu
lement à concourir à la répartition des bénéfices , mais
encore à recevoir une part proportionnelle du capital
lui-même , s i , au moment de la dissolution et toutes
dettes payées, il reste un solde à partager.
307.
— Les actions industrielles représentent le
capital formé par l’industrie dont la valeur a été four
nie par l’apport de l’industrie des travailleurs1. Ce ca
pital se distingue éminemment du capital monétaire et
foncier qu’il est destiné à exploiter ; les actions indus
trielles n’acquièrent aucun droit dans celui-ci, à la dis
tribution duquel elles demeurent étrangères le cas échéant.
Mais de la réunion de l’argent et du travail naît l’ex
ploitation sociale, et conséquemment le bénéfice que les
divers associés se sont promis. Ce bénéfice appartient
donc à tous indistinctement, car il est le produit com
mun.
Aussi les actions industrielles concourent-elles à la
répartition du bénéfice total ou partiel. Il arrive queli Troplong, art. 1833, n° 133,
�quefois, en effet, que les bénéfices nets sont divisés en
deux parties : on fait la première égale au quatre ou au
cinq pour cent du capital versé, et on l’attribue par pré
lèvement aux actions payantes, pour représenter l’inté
rêt de leurs mises , qui ne se paye pas autrement. La
deuxième partie est le dividende commun entre les ac
tions payantes et les actions industrielles.
308.
— On voit donc que celles-ci ne donnent que
des droits éventuels et totalement incertains. Elles sont
une pure chance, et il n’est pas douteux que leur circu
lation anticipée ne soit un commerce de valeurs en quel
que sorte idéales, très-propres aux déceptions et à l’a
giotage 1.
Aussi n’est-ce qu’avec regret qu’on en a admis l’exis
tence dans la société anonyme. Ce qui les a fait auto
riser, c’est que dans cette société il fallait, comme dans
les autres, concevoir des apports profitables , quelque
fois même d’une utilité fondamentale, sans que de leur
nature ils soient appréciables en argent. Un pareil ap
port n'étant ni vénal ni transmissible ne pouvait faire
partie du fonds social. Celui-ci, remplaçant seul toutes
les garanties personnelles des autres sociétés, ne peu
se composer que de valeurs telles qu’un créancier puisse
les atteindre ; de valeurs palpables, saisissables et sus
ceptibles d’être mises en vente , s’il y avait des dettes à
payer. M. Emile Yincens donne pour exemple de ces
1 Emile Vincens, Des sociétés p a r actions, p. 42
�70
DES SOCIÉTÉS
valeurs extraordinaires le talent spécial d’un artiste dans
certaines exploitations.
Donc le législateur, admettant dans ces hypothèses
des actions industrielles , n’a fait que se rendre à une
nécessité de raison et de justice ; m a is, tout en le re
connaissant, il s’est efforcé de corriger l’abus que signale
M. Emile Vincens. Comme l’observe M.Troplong, pres
que toujours on exige que les actions industrielles res
tent déposées pendant toute la durée de la société. Cette
condition a un double avantage : \° elle prévient tout
agiotage ; 2° elle devient une garantie efficace contre
le refus que feraient ceux qui les ont obtenues, de con
tinuer leur concours à la société.
5 0 9 . — En principe donc, les actions industrielles
ne donnent droit qu’à participer aux bénéfices, mais il
peut en être autrement : l’importance du travail qu’elles
rémunèrent peut être telle pour la société , qu’elle peut
engager les intéressés à leur accorder simultanément
une part proportionnelle au capital lui-même. Comme
le concours des associés à la répartition de celui-ci n’est
possible qu’après le paiement intégral des dettes, le droit
d’y être appelé ne peut jamais nuire au tiers. La loi a
dû s’en reposer sur l’intérêt des associés.
Mais la concession d’un droit quelconque sur le ca
pital doit être prouvée soit par l’acte , soit par un écrit
séparé. Nous ne dirons pas avec M. Troplong que par
cela seul que les statuts distinguent les actions de capi
tal et les actions industrielles , il y a exclusion de toute
�art.
34, 35, 35.
74
concession de ce genre. Cette distinction est forcée dans
tous les c as, car les actions industrielles n’étant pas
payées en argent ne peuvent servir à constituer le ca
pital qui devient l’unique garantie des tiers. En consé
quence, les assimiler aux actions de capital, les confon
dre avec elles , ce serait augmenter le nombre des ac
tions payantes contrairement à la vérité ; e t , dès lors,
les tiers induits en erreur pourraient très-bien contrain
dre au versement même des actions qui ne seraient au
fond que des actions industrielles.
La distinction que feraient les statuts n’aurait donc
rien de décisif. "Seulement son existence ferait présumer
qu’on a voulu réduire les actions industrielles à la par
ticipation aux bénéfices ; et cette présomption ne céde
rait que devant la preuve écrite du contraire.
310.
— Les actions de jouissance sont celles qui re
présentent les actions payantes après qu’elles ont été
remboursées intégralement.
Ce remboursement peut être opéré de deux manières:
ou au moyen du fonds de réserve qui, dépassant le chif
fre prévu, a été consacré à l’amortissement des actions;
ou par l’application du fonds spécialement affecté à cet
amortissement.
Il arrive fort souvent, en effet, que les statuts réser
vent une portion déterminée des bénéfices à la création
de ce fonds, dont la répartition partielle, dirigée par le
so rt, vient, à de certaines époques et à titre de prime,
désintéresser les actionnaires désignés.
�72
DES SOCIÉTÉS
De quelque manière qu’il se soit accompli, le rem
boursement n’enlève pas à celui qui le reçoit sa qualité
d’associé , il n’est que la réalisation d’une chance que
chaque intéressé a couru en s’associant, et dont le bé
néfice lui est incontestablement acquis. Mais l’action est
éteinte , et pour constater cette extinction , autant que
pour éviter tout double emploi dans le remboursement,
on lui substitue un autre titre qu’on appelle action de
jouissance. Celte action assure au porteur non-seule
ment la participation aux bénéfices , mais encore un
droit sur le capital. Toutefois, ce droit ne s’exerce que
sur ce qui reste après le remboursement intégral des
actions de capital, non encore amorties au moment de
la liquidation. La substitution est surtout utile pour ap
prendre aux tiers la vérité sur ce dernier point. Sans la
différence du titre, en effet, ils auraient pu se tromper
ou être trompés sur le véritable caractère de l’action
qu’ils achètent.
L’amortissement des actions ne peut être l’objet d'une
difficulté, tant que la société est dans un état prospère;
mais cette prospérité peut cesser, et loin de réaliser des
bénéfices, la société peut voir , par un de ces revire
ments si fréquents dans le commerce, son capital dispa
raître , et se trouver en présence d’un passif plus' ou
moins im portant, ou tout au moins d’une impossibilité
de rembourser les actions de capital non amorties.
311.
— Les créanciers dans le premier cas, les as
sociés dans le second * pourront-ils poursuivre le por-
�art.
34, 35, 36.
73.
leur de l’action de jouissance en remboursement de ce
qu’il a reçu ?
La négative doit être adoptée sans hésitation. Il est
vrai que dans les sociétés anonymes, les actionnaires
doivent contribuer aux pertes à concurrence ou aü pro
rata de leur mise , et que celui qui l’a intégralement
retirée ne perdra rien. Mais à côté de ce principe nous
en rencontrons un autre , à savoir que la distribution
annuelle des bénéfices est légale , et que tout ce qui a
été reçu à ce titre est irrévocablement acquis et ne doit
pas être recomblé.
Or, la société est l’arbitré souveraine de la disposition
que les bénéfices doivent recevoir. Les tiers ne sauraient
jamais éprouver un préjudice de sa décision à cet égard.
Que leur importe en effet qu’ils soient retirés cumulati
vement par un se u l, ou proportionnellement par tous
les associés ?
Il suffit donc que la somme donnée et reçue provînt
de bénéfices réels et Certains ; qu’au moment où l’opé
ration s’est accomplie, la société eût son capital sans at
teinte , pour que les créanciers ne puissent dorénavant
et dans aucune circonstance revenir sur ce qui s’est ainsi
très-régulièrement accompli.
Quant aux associés, il est évident qu’en consentant à
ce que tout ou partie des bénéfices fussent appliqués à
l’amortissement des actions : à ce que cet amortissement
eût lieu par la voie du s o r t, ils se sont interdit d’élever
plus tard toute réclamation. Chacun d’eux a pris l’en
gagement formel de respecter une préférence dont il es-
�74
DES SOCIÉTÉS
pérait être l’objet, et des conséquences de laquelle il se
rait injuste de l’exonérer.
3 1 2 . — Les actions de prime sont celles que les
fondateurs d’une société délivrent gratuitement à des
individus qui ont aidé la société, ou qui ont promis de
concourir à en développer le succès. Ces actions partici
pent donc forcément de la nature de celles qui sont dé
livrées aux fondateurs, et donnent ù leurs porteurs tous
les droits attachés à ces dernières.
3 1 3 . — Enfin, nous rencontrons les actions de fon
dation , ainsi que le nom l’indique ; ce sont celles que
l’on attribue aux fondateurs de la société , en échange
des apports que chacun d’eux réalise.
On a abusé et on abuse encore des actions de fonda
tion. En effet , elles ne sont pas toujours le prix d’un
apport sérieux et réel. Les faiseurs de projet se les at
tribuent en paiement de l’idée qu’ils ont eue de créer la
société, des démarches qu’ils ont faites , et des peines
qu’ils se sont données pour arriver à ce résultat. Cet
abus du moins est impossible dans les sociétés anony
mes. En effet, le Gouvernement n’admet ni actions sans
mise, ni distinction, ni récompense de peines et soins ;
les actions de fondation ne sont et ne peuvent être
que l’éqùivalent d’un apport d’une valeur, ceriaine et
positive.
Cette valeur elle-même pourrait être exagérée à des
sein d’augmenter le nombre des actions. Cette exagéra-
�art.
34, 35, 36.
75
tion, qui n’offre aucun danger sérieux dans les sociétés
collectives et en commandite, donnant comme gage la
fortune entière des associés responsables et solidaires,
pourrait devenir dans la société anonyme très-préjudi
ciable aux tiers. Leur unique garantie étant le fonds
capital, il est évident que donner à ce fonds une valeur
qu’il n’a pas, c’est les exposer, en cas de revers, à per
dre le gage sous la foi duquel ils se sont décidés à trai
ter avec la société.
Il ne s’agit donc pas , dans l’évaluation des mises,
d’un décompte entre associés. L’intérêt public exige que
ces m ises, si elles ne sont pas en argent, soient d’une
nature tellement équivalente qu’elles puissent se réa
liser en espèces. La mise, dit M. Emile Vincens, est la
garantie légale due au public ; vous lui annoncez un
million pour tout capital ; il faut que ce million soit
réel, ou en argent, ou en valeurs égalesl.
Préoccupé de cette juste nécessité , le Gouvernement
s’est réservé le droit de contrôler l’estimation des objets
mobiliers ou immobiliers formant l’apport; il ne l’ad
met qu’après une expertise , et sur lavis des préfets.
Malheureusement ces précautions sont insuffisantes.
Dans bien des cas, aux premiers revers, ces objets, fort
régulièrement expertisés, se sont trouvés sans valeur.
Quoi qu’il en soit, il est certain que, dans la société
anonyme , les actions de fondation ne sont et ne peu-
‘ Des sociétés p a r actions, p. 44.
�76
DES SOCIÉTÉS
vent être que l'équivalent d’un apport quelconque. Ces
actions se rangent donc dans la catégorie des actions de
capital, et en confèrent toutes les prérogatives.
3 1 4 . — Les actions des société industrielles et com
merciales sont déclarées meubles par la loi à l’égard des
associés , et tant que dure la société , alors même que
l’actif de celle-ci consisterait pour la totalité , ou pour
une partie plus ou moins grande, en immeubles l. Dès
lors leur transmission, quoique dénuée de toute forma
lité , quoique dispensée de transcription et de purge,
n ’en est pas moins translative et acquisitive de la co
propriété de ces immeubles pour le jour de la disso
lution.
Ce résultat a été contesté par l’enregistrement, non
pas quant aux effets, mais quant à la nature de la ces
sion d’actions, L’article 529, disait l’administration, ne
peut présenter d’équivoque ; il en résulte manifestement
qu’à l’égard de tous autres que les associés , et., par
exemple, qu’à l’égard des tiers, la vente d’actions d’une
société qui possède des immeubles a un caractère im
mobilier, et doit supporter le droit d’enregistrement que
celui-ci détermine. Mais ce système a été constamment
repoussé par la cour suprême 2.
3 1 5 . — A insi, tant que dure la société , l’action,
i Article 529 du Code civil.
3 Voy. notamment arrêt du 14 avril 1824.
�art.
34, 35, 36.
77
dans quelque main qu’elle se trouve , conserve un ca
ractère de meuble , tant à l’égard des associés primitifs
qu’à l’endroit de ceux qui ont acquis cette qualité par
un transfert de l’action. Ce principe est absolu ; mais le
Gouvernement peut le modifier, et permettre l’immobi
lisation de l’action.
C’est ce qui a eu lieu , le 16 janvier 1806 , pour les
actions de la Banque de France. Cette mesure étant si
gnalée comme devant concourir à la prospérité de l’éta
blissement fut immédiatement consacrée en reconnais
sance des éminents services que l’institution était appe
lée à rendre au pays.
3 1 6 . — L’immobilisation s’opère par une déclara
tion sur les registres, dans la forme de celles des trans
ferts. L’accomplissement de cette formalité rend l’action
un véritable immeuble, susceptible d’affectation hypo
thécaire ou privilégiée, et la soumet , en cas de vente,
aux formalités de la transcription et de la purge.
L’immobilisation peut être rétractée; dans ce cas,
l’action redevient meuble ; mais à partir du jour de la
rétractation , et pour l’avenir seulement, la loi du 17
mai 1834 règle les formes prescrites pour cette rétrac
tation.
3 1 7 . — Le Code a non-seulement ordonné la divi
sion en actions du capital de la société anonyme, mais
encore il autorise celle des actions elles-mêmes en cou
pons d’une valeur égale , la moitié , le tie rs, le quart,
etc.... Cette opération est dans l’esprit de l’institution.
�78
DES SOCIÉTÉS
Nous avons déjà fait remarquer que la société anonyme
s’adresse à toutes les fortunes, à la médiocrité, à la pau
vreté même. Il est évident que ce but est surtout atteint
par le fractionnement réduisant la part d’intérêt à une
valeur très-minime.
Dans l’esprit des fondateurs, cette mesure peut avoir
un autre objet. L’administration des sociétés anonymes
est loin d’être sans inconvénient. Nécessairement élec
tive , variable et révocable , elle n’assure pas toujours
l’unité de vues si nécessaire aux grandes exploitations.
En conséquence, diminuer le nombre des votants, c’est
affaiblir les hasards des majorités, et rendre le vote fa
cile et plus sûr en le concentrant.
C’est ce qui doit nécessairement résulter de la divi
sion des actions. Car, en admettant que le droit de vo
ter soit attaché à la possession d’une seule action , ce
qui n’est pas toujours , on ne trouverait peut-être pas
d’exemple que ce droit ait pu être exercé par le porteur
d’un coupon.
On peut donc ainsi profiter de l’argent d’une multi
tude de souscripteurs , en évitant la confusion que leur
trop grand nombre pourrait introduire dans les délibé
rations. Là peut-être le bon côté de la m esure, qui
peut, d’autre p a rt, devenir nuisible au succès de la so
ciété.
On dira , en effet, qu’on pouvait fixer les actions à
une valeur telle que leur fractionnement devînt inutile;
que ce fractionnement n’a eu pour objet que de créer
une véritable aristocratie, en rendant l’acquisition d’une
�abt .
34, 35, 36.
79
action difficile et onéreuse ; qu’on a donc bien voulu
recevoir l’argent, mais non les personnes de beaucoup
de gens, qui doivent dès lors à leur dignité de s’abs
tenir.
Voilà ce qui peut arriver. C’est aux fondateurs à pe
ser mûrement les inconvénients et les avantages de la
mesure, et à ne se prononcer qu’après mûre réflexion.
5 1 8 . — Les actions étant nécessairement transmis
sibles, puisque leur aliénation est la seule manière de
sortir de la société , la loi a dû s’occuper du mode sui
vant lequel la transmission peut s’opérer.
L’action est nominative ou au porteur. Dans ce der
nier cas , son transport s’opère par la tradition manu
elle. Les titres au porteur sont une véritable monnaie
courante , dont on use sans avoir aucune formalité à
remplir.
L’action nominative se transmet par l’endossement
régulier. Elle est à l’instar d’une lettre de change ou
d’un billet. Elle subit les mêmes règles de négociation.
Ce mode serait impossible à suivre si l’action ne con
siste que dans l’inscription sur les registres de la so
ciété. Elle ne peut être cédée, dans celle hypothèse, que
par la substitution, sur les registres, du nom de l’ache
teur au nom du vendeur. Cette substitution résulte d’une
déclaration de transfert, inscrite sur les registres et si
gnée par le cédant ou par son fondé de pouvoirs.
5 1 9 . — Mais, comme nous l’avons déjà dit, la ces-
�80
DES SOCIÉTÉS
sion de l’action n’est pas en général un obstacle à ce
que la société obtienne le paiement qui lui est dû du
porteur primitif. Dans les deux dernières hypothèses, ce
porteur est parfaitement connu et peut être facilement
actionné.
Il n’en est pas de même lorsque l’action revêt la for
me d’un titre au porteur. La délivrance même de l’ac
tion peut n’avoir laissé aucune trace sur la personnalité
de l’actionnaire primitif. Comment donc le traduire en
justice ?
Mais ces difficultés, dont on s’est beaucoup préoccupé
en théorie, disparaissent dans la pratique. En effet, en
pareille matière , on se trouvera nécessairement placé
dans une de ces hypothèses :
Ou la délivrance de l’action au porteur aura été pré
cédée de la signature à l’acte de société ; ou seule elle
aura constitué la prise de la qualité d’associé.
Dans le premier c a s , et c’est celui qui se réalisera le
plus souvent , la signature apposée à l’acte social indi
quera naturellement le premier porteur et permettra
d’exiger de lui l’exécution intégrale de l’engagement
qu’il avait contracté, ce qu’on ne saurait demander qu’à
lui, le porteur actuel étant inconnu.
Nous disons que ce cas sera le plus usuel. En effet,
la société anonyme doit être autorisée, et cette autorisa
tion n’est accordée que sur la preuve que le capital est
souscrit. L’accomplissement de cette formalité suppose
donc la souscription de l’acte préalablement à la déli
vrance des actions.
�art .
34, 35, 36.
81
Dans le second cas, la connaissance du porteur pri
mitif, comme celle du porteur actuel, est non-seulement
difficile , mais encore presque impossible. Mais celte
connaissance est inutile, car l’action, lancée dans la cir
culation, ne devra plus rien à la société.
Quel est en effet le gérant qui délivrerait l’action,
sans exiger ou un paiement intégral , ou un dépôt de
valeurs, ou le règlement personnel de l’actionnaire ? Ce
gérant se rencontra-t-il qu’il ne pourrait le faire , car
le Gouvernement lui prescrirait formellement le con
traire. Agir ainsi serait en effet compromettre grave
ment l’intérêt du public. Où serait, en effet, pour lui
la garantie de la réalisation du capital qu’on lui a an
noncé î
Ainsi, la délivrance de l’action au porteur ne sera
que la conséquence du paiement, ou des garanties des
tinées à l’assurer en cas de besoin. A quoi bon dès lors
se préoccuper des difficultés de reconnaître, soit le por
teur prim itif, soit le porteur actuel. En fa it, ces diffi
cultés sont réelles ; m ais, dans la pratique , elles ne
sauraient produire aucun des effets qu’on a voulu leur
attacher.
A rt. 3 7 .
La société anonym e
ne peut exister qu’avec
l’autorisation du r o i , et avec son approbation
pour l’acte qui la constitue. Cette approbation
doit être donnée dans la form e prescrite pour
les règlem ents d’adm inistration publique.
n
6
�82
DES SOCIÉTÉS
SOMMAIRE
320.
321.
322.
323.
324.
325.
326.
327.
328.
329.
330.
331.
332.
333.
334.
335.
336.
337.
Motifs qui firent soumettre l’existence de la société anony
me à l’approbation du Gouvernement.
Nature de l ’intervention de celui-ci.—Conséquences quant
à la propriété du commerce concédé.
Sanction que l'utilité de cette intervention a recueillie dans
la pratique.
Abrogation de l’article 37 par la loi du 24 juillet 1867.
Quelles causes ont amené cette abrogation.
Son caractère.
Appréciation de ses motifs.
Considérations que faisait valoir le rapporteur du Corps
législatif.
Leur caractère relativement à l’exposé des motifs.
Etendue du devoir imposé au législateur.— Garanties qu’il
doit concéder.
Conséquences que l ’autorisation avait entraînées pour les
actionnaires et les tiers.
Réponse à l’argument tiré du droit de refus qui s'induisait
de celui d’accorder l’autorisation.
A celui tiré de la perte de temps que la nécessité de se
pourvoir de l’autorisation occasionnait.
Les précautions de la loi suppléeront-elles à la garantie
qu’offrait l ’autorisation?
Caractère de ces précautions.—A quel résultat elles pour
ront aboutir.
Reproches dirigés contre l’article 37.
Appréciation et réfutation.
Opinion de M. Ernest Picard.
320.
— La codification des règles auxquelles devait
obéir la société anonyme amenait nécessairement la
question de savoir si cette société devait être laissée à
�ART.
37
la libre stipulation des parties, ou bien s’il convenait de
la soumettre à la surveillance du Gouvernement et à .
son approbation. C’est dans ce dernier sens que la ques
tion fut résolue.
Les motifs qui le firent ainsi admettre sont remar
quables de raison et empreints d’une haute sagesse.
« Les grandes entreprises commerciales, disait la com
mission chargée de rédiger le projet du Code de com
merce , ne sont avantageuses au commerce que lors
qu’elles ajoutent à ses ressources de nouveaux moyens
de circulation et de crédit ; lorsqu’elles ont pour objet
un commerce nouveau ou éloigné et hors la portée des
commerçants. Elles sont dangereuses si elles établissent
un commerce sur des objets que tous les commerçants
peuvent atteindre, en ce qu’elles favorisent un monopole
funeste au commerce et à la société.
» C’est à l’administration publique qu’il appartient
de juger les avantages et les dangers de ces sortes d’as
sociations ; elle est plus à même d’en calculer les effets.
Nous avons cru qu’elle seule pouvait ou les permettre
ou lès proscrire , et qu’il était avantageux qu’elles ne
pussent se former sans son assentiment et son autori
sation.
» Une autre considération nous a déterminés. Les
grands établissements doivent offrir une garantie suffi
sante pour assurer leur indépendance et leur crédit. Il
peut être nécessaire qu’on y établisse une surveillance
qui rassure le public et le commerce sur l’intégrité des
administrateurs oui les régissent. »
�84
DES SOCIÉTÉS
Ces idées furent pleinement adoptées, d’abord par la
section du conseil d’Etat. « Les sociétés anonymes, di
sait en son nom le rapporteur Regnaud de Saint-Jeand’Angely, ont dû aussi fixer l’attention des rédacteurs du
Code. Elles sont un moyen efficace de favoriser les gran
des entreprises, d’appeler en France les fonds étran
gers ; d’associer la médiocrité, la pauvreté même aux avantages des grandes spéculations ; d’ajouter au crédit
public et à la masse circulant dans le commerce. Mais
trop souvent des associations, mal combinées dans l’o
rigine, ou mal gérées dans leurs opérations , ont com
promis la fortune des actionnaires , altéré momentané
ment le crédit général, mis en péril la tranquillité pu
blique. Il a donc été reconnu que l’intervention du Gou
vernement était nécessaire pour vérifier d’avance sur
quelles bases on voulait faire reposer les opérations de
la société et quelles pouvaient en être les conséquen
ces. » L’adoption des mesures proposées à cet effet
prouve que le conseil d’Etat partagea les idées et les vues
de sa section.
L’intervention du Gouvernement et son autorisation
procèdent donc d’une pensée d’ordre public. Elles ont
pour objet de protéger le commerce contre le monopole,
de veiller à l’intérêt du public, en vérifiant et reconnais
sant la sincérité et la réalité du gage qui lui est offert ;
enfin, d’empêcher que les associés ne soient eux-mêmes
victimes, en contrôlant la possibilité et les chances pro
bables de l’entreprise.
�ART.
37.
85
321.
— Ce triple caractère fixe la nature de la part
réelle laissée au Gouvernement dans la constitution des
sociétés anonymes. Aussi, lorsqu’on s’est demandé si
l’autorisation royale avait pour résultat de conférer un
privilège sur le commerce que la société autorisée va
exploiter , la négative a été énergiquement proclamée
par le Gouvernement lui-même. « Sa Majesté , disait
une instruction ministérielle du 22 octobre 1817, ne
concède à personne le droit ou le privilège d’exploiter
telle ou telle branche de commerce. Cette concession
serait contradictoire avec la liberté légale assurée à l’in
dustrie.
» Les ordonnances autorisant la formation et l’exis
tence d’une société qui se propose de faire un certain
commerce ou une certaine entreprise n’ont donc pas
pour objet d’accorder aux sociétaires rien qui ressem
ble à une propriété sur cette entreprise ou ce com
merce. »
Après avoir rappelé les considérations qui dirigent
l’exercice du pouvoir conféré au Gouvernement, le mi
nistre conclut ; il résulte de ces principes :
1° Que l’autorisation n’est point un privilège ; qu’elle
se donne à cause de la forme de la société anonyme,
et non de la branche de commerce qu’elle se propose
d’exploiter ;
2° Qu’en vertu de la liberté commune, plusieurs so
ciétés pourraient être concurremment autorisées pour
un même commerce ;
3° Que le but de l’autorisation est purement et sim-
�86
DES SOCIÉTÉS
plement de certifier au public , d’abord la vérification
des bases sociales et l’existence des moyens annoncés,
moyens reconnus être en rapport avec l’entreprise ; en
second lieu , qu’un examen attentif a été fait de la mo
ralité et de la convenance de l’administration sociale ;
4° Qu’en conséquence, le Gouvernement n’admet point
de simples projets, et n’autorise point dans l’intérêt d’un
inventeur ou d’un spéculateur qui recherche des action
naires ; il n’attache son approbation qu’à des sociétés
réelles, formées par des actes publics , et par lesquelles
une masse suffisante de souscripteurs ont déjà engagé et
assuré leur mise.
322.
— L’utilité de l’intervention du Gouvernement
ainsi étayée est donc incontestablement prouvée. Cette
conséquence puise une autorité irréfragable dans la pra
tique de ces derniers temps. La preuve de l’efficacité
de l’intervention du Gouvernement, c’est que les spécu
lateurs nombreux qui ne recherchaient que les moyens
d’agioter et de s’enrichir au détriment d’autrui n’ont
pas osé l’appeler à examiner leur projet, malgré les re
lations intimes que ces projets avaient avec la société
anonyme. C’est sous la forme de la commandite que se
sont tour à tour produites ces caisses, banques, compa
gnies, sociétés, alliances, salamandres, minotaure, res
taurants portatifs , toutes ces entreprises , en un mot,
qui n’ont eu d’autre durée que celle de l’agiotage effréné
qu’elles venaient alimenter ; or, ne pas recourir à l’au
torisation , c’est avouer hautement qu’elle n’aurait pas
�m . 37.
87
été accordée , et convenir par cela même de son utilité
et de son efficacité.
323.
— La loi du 24 juillet 1867 vient, après une
pratique de soixante a n s , d’abroger purement et sim
plement cette disposition. Désormais la constitution
d’une société anonyme est aussi libre que celle de toute
autre société, elle est affranchie de toute intervention et
de toute surveillance de la part de l’Etat.
Tout en réclamant cette mesure si grave , si considé
rable , l’exposé des motifs de la loi de 1867 rendait uii
éclatant hommage aux avantages que l’autorisation du
Gouvernement entraînait avec elle. Longtemps, disait-il,
on a cru que la société anonyme, telle que l’organisait
le Code de commerce , conciliait tous les droits et tous
les intérêts ; que l’autorisation et la surveillance du Gou
vernement donnaient aux capitaux une entière sécurité
et offraient aux tiers les meilleures garanties.
»
»
»
»
»
« Nous sommes loin de dire que l’intervention de
l’autorité ait été sans utilité pour la formation des
sociétés anonymes , et qu’elle n ^it pas contribué à
leur bonne administration. Il est constant, au contraire, qu’elle a produit sous ces deux rapports d’excellents effets. »
C’est que ces effets étaient réellement indéniables.
Une pratique de soixante ans les faisait ressortir avec la
plus éclatante évidence. Des sociétés nombreuses s’é
taient formées, des capitaux immenses avaient été enga
gés , et pendant que sa voisine la commandite par ac-
�38
DES SOCIÉTÉS
tions se signalait par les plus odieux scandales et semait
sur ses pas les déceptions et la ruine, la société anony
me menait à bonne fin les entreprises les plus considé
rables au grand avantage du public et de ses action
naires.
324.
— Comment s’est-on décidé à sacrifier une
institution qui avait produit de si favorables résultats ?
S’il faut en croire l’exposé des motifs , un changement
notable s’était récemment opéré dans les esprits ; on se
montrait moins touché des garanties qu’offrait l’inter
vention de l’aurorité publique que des difficultés et des
lenteurs qu’elle pouvait faire naître.
Comment expliquer ce revirement subit et cette illu
mination qui transformait en inconvénient ce qui avait
paru, ce qui avait été jusque là une garantie sérieuse et
efficace ? Par l’intérêt de certains financiers unique
ment. Dans ce siècle de tripotages boursiers, certaines
gens trouvaient que la - commandite par actions pouvait
être un embarras et un obstacle par la responsabilité
indéfinie qu’elle faisait peser sur les fondateurs. Quel
que peu onéreuse qu’on fût parvenu à la rendre , ce
n’en était pas moins une gêne pour certaines spécula
tions. Et comme ceux qui étaient intéressés à la faire
disparaitre disposaient de certains journaux, soit qu’ils
en fussent propriétaires, soit qu’ils les eussent achetés, il
ne leur avait pas été difficile de créer une certaine agi
tation à laquelle le Gouvernement avait eu le tort de
céder.
�ART.
37.
89
325.
— La preuve que cette agitation devait n’exer
cer aucune influence ressort du caractère même des
motifs qu’on invoque en faveur de la modification qu’
elle avait pour but. L’exposé de ces motifs proclame luimême l’utilité de l’autorisation dont il propose d’affran
chir la société anonyme.
V a-t-on du moins remplacer par une garantie of
frant la même certitude , la même efficacité que celle
qu’on supprime ? Non , ce qu’on substitue ce sont des
formalités plus ou moins faciles et dont l’exacte obser
vation elle-même est loin de garantir l’efficacité.
« On peut, dit en effet l’exposé des motifs, rempla» cer les garanties qui résultent de l’étude des disposi—
» fions statutaires , en traçant des règles générales sur
» lesquelles doivent être en quelque sorte calquées tous
» les contrats de société.
o
» Quant aux investigations sur les choses qui for» ment le fonds social, elles peuvent sans doute réussir
» à déjouer les spéculations dolosives, à repousser des
» entreprises mal conçues. Mais l’expérience a plus
» d’une fois montré qu’elles ne peuvent pas toujours
» pénétrer les mystères dont, avec des intentions diver» ses, cherchent à s’envelopper les demandeurs en au» torisation.
» Ainsi, en premier lieu, lorsque la nature ou la va» leur des apports présente quelque incertitude, les
» précautions prescrites par le projet doivent, si elles
» sont bien observées, faire aisément découvrir l’er» reur ou la fraude.
�K
.
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
» En second lieu, sur les questions de personnes , la
prudence la plus vulgaire commandait de s’enquérir
de la condition, de la moralité et de la solvabilité des
gens avec qui on traite , et chaque partie intéressée
est, sous ce rapport, au moins aussi bien placée que
l’administration pour obtenir des renseignements
exacts.
» Les intérêts n’ont pas à se plaindre lorsque la loi,
par de sages dispositions, trace la marche qu’ils ont
à suivre, indique les moyens qu’ils doivent employer
pour se protéger et se défendre , et lorsque les effets
de l’initiative individuelle peuvent tout autant que
l’action de l’autorité publique. »
5 2 6 . — Ces motifs sont loin de justifier une me
sure aussi radicale , aussi considérable que la suppres
sion de la nécessité de l’autorisation. Ils ne substituent
rien de sérieusement efficace à la garantie qui en ré
sultait , et ont de plus le tort grave de méconnaître la
haute mission que l’importance du commerce et de
l’industrie, et le caractère de leurs opérations imposent
au législateur.
Sans doute il est convenable de laisser à l’initiative
individuelle toute la liberté , toute la latitude possible,
mais à la condition qu’il s’agira d’intérêts purement
privés. En matière d’intérêts publics, la liberté laissée
à l’un pourrait bien être la servitude et l’oppression
pour l’autre. A qui donc sinon au législateur incombe
la charge et le devoir d’imposer une limite de nature
�ART.
37.
91
à sauvegarder tous les droits, à concilier tous les in
térêts.
Nous soutenons qu’en matière de sociétés par actions,
l’initiative individuelle ne saurait aboutir à ce double
résultat . La loi le reconnaît elle-même puisqu’elle im
pose des règles à suivre, des formalités à remplir.
À quoi bon les unes et les autres, si l’initiative indi
viduelle peut se suffire ? C’est précisément ce qu’objec
taient les partisans de la liberté absolue. Si l’initiative
individuelle peut se suffire , elle le doit, disaient-ils, et
le législateur n’a d’autre droit que de proclamer pour
les sociétés ce qu’il proclame pour les autres contrats,
pour le contrat de mariage notamment, à savoir :
que les intéressés peuvent faire toutes les conventions
qu’ils jugent convenables, pourvu qu’elles n’eient rien
de contraire à la lo i, à l’ordre public , aux bonnes
mœurs.
C’était là répondre par une confusion à la confusion
du projet de loi sur le caractère des sociétés et ses con
séquences. C’est ce que le rapporteur du Corps législatif
faisait avec raison remarquer.
»
»
»
»
»
327. — « Il ne faut pas oublier, disait-il, que le
projet est limité aux sociétés par actions nominatives ou au porteur , c’est-à-dire à des conventions
qui, par leur mode de formation , leur nature , leur
objet, diffèrent essentiellement des conventions ordinaires.
» Quand un vendeur et un acheteur se rencontrent,
�DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
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»
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»
»
»
»
»
»
»
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»
»
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»
»
»
»
»
»
on peut s’en remettre exclusivement à eux du soin
de débattre librement les conditions du contrat; il y
a là deux intérêts privés directement en lutte; c’est un
débat sur des prétentions contradictoires nettement
précisées; la vigilance des deux parties est en éveil,
chacun est éclairé sur les questions à résoudre, et si
l’erreur, le dol ou la fraude peuvent se glisser dans
le contrat et le vicier , c’est là une exception , et la
loi ouvre, par l’action en nullité ou en rescision, un
utile et suffisant recours à la partie lésée.
» Les conventions matrimoniales, loin de différer
des autres en cela , offrent autant et plus de garanties peut-être. Qui ne sait avec quel soin , quelle
ardeur , quelle âpreté parfois se discutent entre les
deux familles, ou leurs conseils, les moindres clauses d’un contrat de mariage , et comment y pourrait-on redouter, en général , des surprises et des
pièges ?
» Le contrat de société ne s’éloigne pas toujours de
cette espèce de droit commun des conventions. Les
sociétés civiles , les sociétés en nom collectif, la société en commandite simple elle-même, créées en vue
des personnes autant et plus que des capitaux , mettent les intérêts face a face et provoquent entre eux
une discussion sérieuse, loyale, contradictoire. Aussi
nul ne songe à modifier les règles simples sous l’empire desquelles elles ont vécu. Trois articles du Code
de commerce , en dehors de ceux qui ont trait à la
publicité , suffisent avec les principes du droit fcom-
�ART.
37.
93
» mun à la réglementation de la société en nom collec» tif. Il en est de même de la commandite.
»
»
»
»
»
»
»
»
» Mais les sociétés par actions sont loin d’offrir ce
caractère. Créations, pour ainsi dire , artificielles de
la lo i, aggrégations de capitaux sans responsabilité
personnelle dans la société anonyme , avec une responsabilité isolée et affaiblie dans la commandite, elles n’offrent ni aux tiers , ni aux intéressés eux-mêmes , les garanties des conventions ordinaires soit
dans leur mode de formation , soit dans leur fonctionnement.
» A part les fondateurs, est-ce que les intéressés dé» battent et discutent les statuts ? est-ce qu’ils les con» naissent et les lisent même ? Ils le pourraient sans
» doute et le devraient, et s’ils ne le font p a s , on peut
» dire qu’ils sont coupables envers eux-mêmes et n’ont
» point à s’en prendre à la loi de leur imprévoyance.
» Mais le législateur ne peut envisager les choses à ce
» point de vue théorique et absolu. Il doit tenir compte
» des faits et de l’expérience. Or l’expérience enseigne
» que, attirés par un prospectus, les actionnaires sous» crivent, et que , du pacte social, ils connaissent une
» seule chose : le bulletin de souscription au pied d u» quel ils apposent leur signature. Relativement aux
» stipulations de l’acte de société, ils so n t, en fa it, la
» plupart du temps, de véritables tiers.
» Quant aux tiers proprement d its, au public avec
» lequel la société est destinée à entrer en relations, à
�94
»
»
»
»
»
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»
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«
«
«
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
négocier , à contracter , sans doute la publicité leur
révèle , à l’origine , les conditions sans lesquelles
l’être m o ral, la société entre dans le monde des affaires, et les garanties que ces conditions présentent,
soit au point de vue du capital, soit au point de vue
du personnel des gérants ou administrateurs. Sans
doute le projet actuel propose d’améliorer cette publicité , de la rendre effective , incessante pour ainsi
dire , et il offre aux tiers, sous ce rapport, et des fa cilités et des sécurités nouvelles. Mais ce qui est vrai
c’est que la rapidité et le nombre des affaires, la
bonne foi qui en est l’âme, la multiplicité des points
sur lesquels la société opère en dehors de son centre,
ne permettent pas d’étudier , à l’occasion de chaque
opération, les stipulations sociales, comme cela se fait
quand on traite avec une femme dotale une affaire
isolée. Il est facile de dire : « Eh bien ! quand on
voudra entrer dans une société ou contracter avec
elle , on devra s’informer , se renseigner , examiner
s’il y a ou non danger à le faire. » La nature des
choses résiste à ce qu’il en soit ainsi. La liberté ne
la modifierait pas.
» Il faut donc que la loi, prévoyante pour des inté—
rêts que la force des choses pousse et condamne à
une imprévoyance inévitable, stipule, à l’occasion de
chaque espèce de sociétés, le minimum de garanties
dont l’expérience enseigne la nécessité. Le projet ne
fait pas autre chose. Il écarte les rigueurs inutiles,
les précautions extrêmes ; il concilie en un mot la
�ART.
37.
95
» liberté des conventions avec la protection des inté» rêts, protection que le législateur ne pouvait négli
ge» ger en cette matière sans abdiquer son rôle et son
» devoir. »
5 2 8 . — Ces considérations l’archichancelier Cam
bacérès les résum ait, dans la discussion du Code de
commerce, dans cette proposition : Si le législateur n’a
pas à intervenir dans les sociétés travaillant avec leurs
propres fonds , il le peut et le doit dans celles dont le
capital est formé d’actions émises sur la place, qui s’a
dressent ainsi à la crédulité des citoyens , et q u i, sou
vent mal combinées dans leur origine ou mal gérées
dans leurs opérations , sont dans le cas de compromet
tre la fortune des actionnaires et des tiers, d’altérer le
crédit général, de mettre en péril la tranquillité pu
blique.
En répondant aux partisans de la liberté absolue , le
rapporteur répondait non moins péremptoirement à
l’exposé des motifs. Celui-ci veut, en effet, qu’on s’in
forme , qu’on se renseigne , qu’on examine s’iL y a ou
non danger à traiter avec la société, et c’est précisément
sur l’impossibilité que la nature de choses crée à ce
qu’il en soit ainsi que le rapporteur étaie et justifie le
devoir du législateur d’intervenir.
5 2 9 . — Mais ce devoir reconnu et adm is, nous ne
saurions admettre qu’il se borne à assurer à chaque es
pèce de société un minimum de garanties. Puisque les
�96
DES SOCIÉTÉS
sociétés mal combinées et à plus forte raison dolosive
ment combinées, peuvent altérer le crédit général et met
tre en péril la tranquillité publique , l’intervention de
l’Etat reposait non-seulement sur l’intérêt privé mais
encore sur un intérêt public, et la protection due à l’un
et à l’autre devait être entière, absolue, si on ne voulait
l’exposer à rester sans efficacité.
' C’est à dire que le législateur devait faire lui-même
ce que les citoyens sont individuellement dans l’impos
sibilité matérielle et morale d’accomplir. Rappelonsnous cet aveu de l’exposé des motifs : que les investiga
tions de l’Etat ne pouvaient pas toujours pénétrer les
mystères dont, avec des intentions diverses, cherchent à
s’envelopper les fondateurs des sociétés. Or , si l’Etat
qui a à ses ordres les parquets de première instance et
d’ap p el, les préfets , les sous-préfets , les maires , les
commissaires de police , était plus ou moins souvent
trompé , qu’en sera-t-il des simples citoyens réduits à
leur seule initiative , et n’est-ce pas avancer le plus étrange paradoxe que de prétendre qu’ils sont aussi bien
placés que l’administration pour obtenir des renseigne
ments exacts et complets ?
350.
— Nous comprenons que lorsqu’il s’agit de
créer de nouvelles restrictions à la liberté , on ne sau
rait déployer trop de circonspection et de prudence. Mais
pourquoi en apporterait-on moins lorsqu’il s’agit d’in
novations ayant pour objet de retirer à de nombreux
intéressés les garanties qui leur avaient été assurées jus
que là ?
�ART.
37.
97
Or, la nécessité de l’autorisation pour les sociétés a nonytnes était contemporaine de leur introduction dans
le Code de commerce. Avait-elle réellement le tort de
contrarier l’essor du commerce et de l’industrie,de nuire
à leur développement ?
L’expérience répondait avec la plus éclatante certi
tude. En 1867, il existait encore trois cent cinquanteune sociétés anonymes au capital de deux milliards.
Elles avaient accompli les entreprises les plus considéra
bles au grand avantage du public et de leurs actionnai
res eux-mêmes, sans jamais offrir l’affligeant, le scan
daleux spectacle qui faisait la règle générale des com
mandites par actions.
C’était là le résultat heureux de la législation. La né
cessité seule de se pourvoir de l’autorisation écartait ces
projets insensés uniquement destinés à exploiter la cré
dulité publique , à favoriser les plus odieuses spécula
tions et garantissait le caractère sérieux de l’opération,
en même temps que la moralité et la solvabilité de ses
fondateurs. Etait-il dès lors utile et prudent d’effacer de
nos lois une pareille institution ?
351.
— Encore si cette résolution reposait sur des
motifs graves et méritant réellement d’être pris en con
sidération 1 Mais en examinant ceux qu’on invoquait,
on ne tarde pas à se convaincre qu’ils manquaient ab
solument de ce caractère.
Sans doute, appelé à donner son autorisation l’Etat
pouvait la refuser , et ce refu s, objectait-on , oppoxi
7
�98
DES SOCIÉTÉS
sait un obstacle injuste à l’essor de l’initiative indivi
duelle.
Mais cet obstacle n’était pas invincible , et ceux qui
n ’auraient pu faire une société anonyme pouvaient
exploiter leur idée , en organisant soit une société
en nom collectif, soit une commandite simple ou par
actions.
D’ailleurs, justifiait-on de l’abus que l’Etat aurait
fait de son droit ? Citait-on un seul exemple de société
réellement utile à qui l’autorisation eût été refusée ?
Le passé répondait donc de l’avenir, et si en défini
tive l’Etat n’avait repoussé que les sociétés mal combi
nées ou viciées de spéculations dolosives, loin de s’en
plaindre il faudrait hautement s’en applaudir, et lui
confirmer un droit dont il aurait fait un usage si re
commandable.
3 3 2 . — La nécessité de se pourvoir de l’autorisa
tion , objectait-on encore , amène une perte de temps,
entraîne des longueurs pouvant avoir la plus funeste in
fluence sur la prospérité de la société. Bien souvent, en
effet, une affaire importante ne peut s’engager qu’à la
condition d’une conclusion immédiate.
Cela peut être, cela est vrai, pour les opérations ordi
naires et courantes du commerce. Il est certain que l’a
chat ou la vente d’une partie de marchandises, qu’un
marché de fournitures, etc......peut trouver dans le dé
lai le plus court un obstacle qui en lui enlevant toute
opportunité en rend la conclusion impossible.
�ART.
37.
99
Mais admettre que le môme inconvénient puisse se
produire pour une société anonyme, c’est supposer une
hypothèse aussi invraisemblable que contraire à la na
ture des choses. Ce qui fait l’objet des sociétés anony
mes sont des entreprises si importantes , si considéra
bles , d’une durée telle , qu’elles ne sauraient souffrir
d’un retard quelconque dans leur fonctionnement.
Qu’importe qu’une compagnie de chemin de fer com
mence ses travaux, que la construction .d’une cité, que
l’exploitation de hauts fourneaux ou d’une mine puisse
se réaliser aujourd’hui, ou dans quelques semaines, ou
au bout de quelques mois? Quel sera le préjudice que
pourra occasionner le retard ?
Est-ce que d’ailleurs sous l’empire de la loi nouvelle
on évitera les longueurs et la perte de temps ? N’exiget-elle pas, pour que la société puisse se constituer, que
le capital soit en entier souscrit ? Or, la société placerat-elle ses actions du jour au lendemain ? Ne sera-t-elle
pas obligée d’attendre non plus des mois, mais des an
nées entières ?
Car en s’en référant à l’initiative individuelle , et en
imposant à chacun le devoir de s’enquérir de la condi
tion, de la moralité, de la solvabilité des fondateurs, la
loi substitue à l’enquête unique de l’Etat une masse
d’enquêtes particulières , et centuple le délai au lieu de
l’amoindrir. Or, si la société peut attendre sans incon
vénient et sans danger la fin de ces enquêtes, en quoi
pouvait lui nuire le délai qu’exigeait celle qui devait
précéder l’autorisation.
�100
DES SOCIÉTÉS
Rien donc, à notre avis, ne commandait de renoncer
à la nécessité de l’autorisation, et ne légitimait le parti
d’enlever aux actionnaires et aux tiers les garanties ré
elles, efficaces et sérieuses qu’ils y puisaient.
3 3 3 . — Mais ces garanties seront supplées par les
précautions sanctionnées par la loi si elles sont bien
observées, s’empresse d’ajouter l’exposé des motifs !
Tout dépendrait donc dans tous les cas de l’exécution
donnée à la loi. Or, trop d’intérêts sont engagés à faire
échouer ces précautions, pour qu’on se flatte de voir se
réaliser la condition à laquelle tient leur efficacité.
En effet, ceux qui, en style pratique, lancent une af
faire , commencent par s’octroyer un certain nombre
d’actions. Vient ensuite leur entourage qu’il faut satis
faire et qui a toujours une part plus ou moins large à
la curée. Ce que les uns et les autres veulent c’est la
constitution de la société qui leur permettra de se dé
faire de leurs actions, et d’en passer la charge aux ache
teurs, en encaissant la prime qu’ils auront pu réaliser.
On peut donc être convaincu qu’ils ne négligeront rien
pour arriver à cette constitution , et faire ainsi aboutir
leur coupable spéculation. Ils pèseront donc de leur
nombre , de leur importance , de leur position, de la
gravité apparente de leur in térêt, sur les délibérations
et entraîneront par leur exemple et leurs manœuvres
les souscripteurs sérieux qui ont été assez crédules ,
assez
pour croire aux promesses du prospectus.
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�ÀKT.
37.
101
Tout cela s’est vu. Mon Dieu ! la loi de 1856 ne pé
chait pas par faute de précautions, elle les poussait si
loin que la loi de 1867 a prétendu en adoucir la sévé
rité. A quoi cependant avaient abouti toutes ces pré
cautions , et quel a été le sort des sociétés contractées
sous leur empire ?
354.
— Ce qui -s’est vu se verra peut-être encore.
En réalité la loi nouvelle n’a fait que déplacer le mal.
Ce qui faisait le danger , ce qui avait rendu si funeste
les sociétés en commandite, c’est précisément la liberté
d’en constituer le capital en actions. Or , du jour où
cette liberté a été conférée à la société anonyme , il est
permis de craindre les mêmes abus, les mêmes ré
sultats.
Il est de toute certitude que les faiseurs se réfugie
ront dans cette forme qui les affranchît de toute respon
sabilité indéfinie et ne les engage que jusqu’à concur
rence de leur mise.
N’est-ce pas ce qui s’est déjà réalisé sous l’empire de
la loi de 1863, autorisant les sociétés à responsabilité
limitée , qui n’était en réalité qu’une société anonyme
dispensée de l’autorisation? De 1863 à 1 8 6 5 , dans
l’espace de moins de deux ans il s’était formé cin
quante-deux sociétés de ce genre au capital de quatrevingt millions. De l’aveu même du ministre du com
merce il s’en serait créé un nombre bien plus grand si
la loi n’avait pas limité à vingt millions le capital de
chacune de ces sociétés.
�102
DES SOCIÉTÉS
La loi de 1867 a anéanti cette limite. Désormais, à
quelque chiffre que s’élève le capital, la société anonyme
affranchie de toute intervention et de toute surveillance
du Gouvernement jouit de la même liberté que les au
tres formes de société.
Aussi qu’est-il arrivé ? Depuis sa promulgation il
s’est créé et il se crée encore chaque jour de nombreu
ses sociétés, et dans le nombre il serait difficile sinon
impossible d’en citer une seule qui ait adopté la forme
de la commandite par actions.
Les précautions exigées en échange de l’autorisation
pourraient bien créer quelques embarras, quelques ob
stacles. Mais la fraude est bien adroite, bien habile;
elle a tant de moyens qu’elle saura bien avoir raison
de ceux-ci comme elle l’a su de tant d’autres ; et qu’au
ront gagné les actionnaires et les tiers si, au lieu d’être
exploités par la commandite par actions, ils le sont par
l’anonyme ?
On doit craindre , en effet, que la spéculation dolo
sive profite de la voie qu’on lui ouvre imprudemment.
Elle n ’avait fait son instrument de la commandite par
actions qu’à contre cœur, que parce que ses projets ne
pouvaient braver l’examen, et que l’autorisation leur eût
été infailliblement refusée.
Débarrassée aujourd’hui de cet obstacle, elle se réfu
giera dans l’anonyme qui a surtout l’avantage de sup
primer cette responsabilité illimitée qu’on n’acceptait
que parce qu’on ne pouvait faire autrement. Voilà peutêtre ce qu’on aura gagné à la loi du 24 juillet.
�ART. 37.
103
5 3 5 . — L’avenir prononcera et puisse-t-il réaliser
les espérances dont on s’est flatté. Pour n o u s, dussent
ces espérances se justifier, que nous n’en considérerions
pas moins l’acte du législateur comme une imprudence.
Avoir en mains une garantie sérieuse , dont une prati
que de soixante ans établissait l’efficacité, et l’abandon
ner non avec la certitude , mais avec l’espoir que celle
qu’on lui substitue réunira ce caractère , c’est un parti
difficile à justifier , c’est sacrifier la proie à l’ombre,
c’est une entreprise qui ne pourrait se justifier que
par la gravité des motifs qui l’auraient déterminée.
Or, nous venons de voir le caractère de ceux sur
lesquels s’appuyait principalement le législateur , et
nous avons facilement établi qu’ils n’avaient rien de
sérieux.
Etait - on mieux dans la vérité lorsqu’on réclamait
l’abrogation de l’article 37 comme un hommage à la
liberté des conventions? Lorsque dénaturant le caractère
de l’autorisation, on s’écriait qu’il ne fallait pas de pri
vilège qui s’accorde souvent à faux et engage la respon
sabilité de celui qui l’accorde ; pas d’entraves qui para
lysent l’intelligence et l’activité des individus ; pas d’i
nutile tutelle, pas de contrôle fictif qui, en réduisant les
associés à l’état de mineurs et en leur inspirant une
trompeuse sécurité , empêche l’intéressé de conjurer sa
ruine.
536. — Qu’un intérêt malsain désappointé de ne
pouvoir assez facilement exploiter la crédulité publique
�104
DES SOCIÉTÉS
eût fait entendre de pareilles énormités, on le comprend.
Mais ce dont on ne saurait se rendre raison , c’est que
le Gouvernement s’en soit ému et les ait jugées dignes
d’être prises en considération.
L’autorisation, un privilège l Mais le commerce ou
l’industrie que la société avait pour but d’exploiter n’é
tait-il pas libre après comme av an t, et était-il jamais
venu à la pensée de personne de prohiber à qui que
ce soit d’entreprendre les mêmes opérations que la
société ?
L’autorisation , une entrave à l’intelligence et à l’ac
tivité ! Mais qu’on cite dans les soixante ans qui se sont
écoulés une seule entreprise réellement utile qui ait été
empêchée de se réaliser. Ce que l’autorisation entravait
ce sont ces projets insensés pour la plupart œuvres
de dol et de fraude , objets de scandale et de ruine.
Or , loin de le regretter, il n’y avait 'q u ’à s’en ap
plaudir.
L’autorisation , une inutile tutelle empêchant les in
téressés de conjurer leur ruine l Mais quand donc les
actionnaires et les tiers se sont-ils plaint qu’on les pro
tégeait trop , qu’on les traitait injustement comme des
mineurs ? Où sont les intéressés ruinés par la société
anonyme ?
Vaines clam eurs, mensonges que tout cela , et l’ex
posé des motifs de la loi de 1867 lui-même en faisait
bonne justice lorsque reconnaissant les services rendus
par la société anonyme telle que l’organisait le Code de
commerce, il ajoutait •' il est constant qu’elle a produit
�ART. 37.
405
d’excellents effets sous le double rapport de la formation
des sociétés et de leur bonne administration.
Resterait donc à expliquer pourquoi il n’en eût pas
été de même aujourd’hui et dans l’avenir. Or , nous
l’avouons avec franchise, ce pourquoi nous l’avons
cherché dans la discussion de la loi nouvelle et nous
n’avons pas su le rencontrer.
557. — Les voix intéressées qui ont appelé et pro
voqué la loi de 1867 ne manqueront pas de nous trai
ter d’esprit rétrograde, réfractaire à tout progrès. Mais
pour justifier ce reproche, il faudrait d’abord prou
ver que l’abrogation de l’article 37 du Code de com
merce est un progrès, et l’entreprise n’est pas des plus
faciles.
Dans tous les cas, nous pouvons nous consoler de ce
reproche en nous trouvant en communauté d’idées avec
un homme qu’on n’accusera pas de tendances rétrogra
des. Voici en effet comment, au Corps législatif, s’expri
mait M. Ernest Picard :
« On vous demande de déclarer que toutes les con» vendons sont possibles , à moins qu’elles ne soient
» contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. On
» cherche une assimilation dans les contrais de m a» riage et l’on dit : de même que les conventions sont
» libres entre les époux , de même elles doivent être
» libres entre les associés.
» Mais je nie les prémisses d’abord. Si je me reporte
» à notre législation civile , j’y trouve les articles 1387
�J 06
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
et suivants qui mettent un terme à la liberté des
contractants , et il y en a un qui domine tout le
monde et qui est la plus forte que nous ayons :
c’est l’irrévocabilité et l’immutabilité même des convendons.
« Voilà déjà un point où le système est en désaccord
» avec celui qu’on nous propose pour les sociétés. Mais
# si nous prenons les faits et si nous leur faisons subir
» l’épreuve de l’application , le système qu’on nous
» propose serait-il de nature à être adopté par vous ?
» Je ne demanderais qu’à lui faire subir cette épreuve, ,
» et je dirais : Voulez-vous le juger ? Attendez la fin de
» la discussion , et quad chacun dans son individualité
» aura révélé ici les dangers que courent les actionnai» res, la nécessité de les prévenir, alors voyez le système
» et acceptez-le si vous l’osez.
» Mais ce système même qui est le système qui s’ap» pelle en économie politique le système du laissez faire
» et du laissez passer, qui pleure sur les vaincus et ne
» les relève pas, ce système est-ce qu’on prétendrait le
» pousser jusqu’à ses conséquences extrêmes? Il y a
» en matière de sociétés une disposition prohibitive
» dans un cas qui est bien connu : c’est celle qui con» cerne la société léonine. Je ne puis pas faire une so
ft ciété avec une personne en m’affranchissant des per» tes, et en gardant pour moi seul les bénéfices. La so» ciété léonine est le vœu de bien des ambitions, et le
» Code a eu raison de la proscrire.
» Est-ce que les auteurs du système de la liberté des
�ART.
37.
» conventions vont permettre la société léonine ? Non.
» Ils s’arrêteront là ; ils diront, faisons une loi.
» Ah 1 je les attends là 1 Eh bien, si vous voulez faire
» une loi, faisons-là ensemble, n’y introduisons pas de
» réglementation inutile. Je suis là-dessus d’accord a » vec vous. Mais ce qui est contraire aux principes de
» l’ordre public ei qui a besoin, comme tel, d’être dé» fini par un texte de lo i, meitons-le dans la loi ; ne
b permettons pas la société léonine , car nous ne som» mes pas à l’âge d’or , à moins que l’âge d'or ne soit
» revenu pour ceux qui aimenL à faire des sociétés léo» nines ; n’admettons pas les conventions qui renfer» nieraient des clauses contraires à toutes les prévoy» ances des législateurs , car , messieurs, légiférer c’est
» prévoir. Ainsi , sans introduire de réglementations
» êxagérées, mettons dans la loi tout ce qui est néces» saire pour protéger la crédulité toujours persistante
» des tiers et des actionnaires.
» Je ne peux donc pas me ranger à ce système ; je
» le peux d’autant moins que si j’examine quel est le
» fondement des sociétés en commandite par actions
« et des sociétés anonymes, je suis obligé de reconnai» tre que ce sont là des créations artificielles, des créa» fions de la loi, car le véritable mouvement commer» cial et industriel ne s’accomplit heureusement que
» quand il a pour contre-poids et pour équilibre la
» responsabilité personnelle de celui qui le dirige. Mais
» quand vous formez des agglomérations de capitaux
. » assemblés à grands soins, quand vous préposez à la
�^ 08
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
tête de ces puissances redoutables des administrateurs
irresponsables, des membres des conseils d’administration qui veillent plutôt qu’ils ne surveillent, il a rrive en définitive que vous avez des forces et pas de
responsabilité. Or, des forces de cette nature sans responsabilité introduites dans le monde financier et industriel sont dangereuses.............................
» Eh bien ! le jour où vous décrétez ici la liberté de
» l’anonymat, ce jour-là vous dites à l’actionnaire, plus
» de protection K »
C’est là ce que nous pensons et ce qui excite notre
défiance et nos craintes pour l’avenir. Puisse l’expé
rience , nous le répétons , nous donner tort et justifier
l’espoir du législateur.
A rt.
38.
Le capital des sociétés en com m andite pourra
être au ssi divisé en action s, sans aucune antre
dérogation aux règles établies pour ce genre de
société.
SOMMAIRE
338.
339.
340.
341.
342.
Caractère de cette disposition.—Position des actionnaires.
Difficulté qu’elle a soulevée au regard des actions au por
teur. Solution.
Appréciation.
Inconvénients de la faculté donnée par l’article 38.
Ses conséquences.
J Moniteur du 28 mai 1867.
�ART.
38.
109
5 3 8 . — Cet article n’est pas susceptible de dévelop
pements. La société en commandite, dont le capital est
divisé en actions , participe de la société anonyme à
l’endroit des devoirs et des droits des actionnaires.
Mais les uns et les autres se modifient par les règles
spéciales de la commandite dont la loi n’a pas entendu
se départir.
Ainsi les actionnaires de la commandite sont soumis
à toutes les prohibitions faites aux commanditaires or
dinaires. Ils ne peuvent notamment s’immiscer dans la
gestion, même à titres de mandataires du g é ra n t, sans
devenir solidairement et indéfiniment tenus de toutes les
dettes sociales.
359.
— La seule difficulté sérieuse que l’article 38
ait fait naître est celle de savoir si les actions de la com
mandite peuvent être au porteur. Cette question a été
l’objet d’une discussion approfondie dans l’affaire Ar
mand Lecomte. Une savante consultation de MM. Du
pin aîné et Persil soutenait la négative ; mais l’opinion
contraire , développée d’une manière remarquable par
M. Devaux (du Cher), prévalut. Elle fut consacrée par
la cour de Paris, le 17 février 1832 l.
Depuis, M.Troplong a énergiquement appuyé la doc
trine de l’arrêt, dont le caractère juridique ne rencontre
plus de sérieuses objections.
�HO
DES SOCIÉTÉS
3 4 0 . — Il faut le reconnaître néanmoins , on a
victorieusement répondu à certains arguments de l’opi
nion contraire, mais il en est un qui n’a pas encore
été complètement réfuté. L’action au porteur , a-t-on
dit, rend illusoire la prohibition d’administrer faite aux
commanditaires, en lui enlevant toute sanction pénale.
La négociation de l’action, sa possession même ne lais
sant aucune trace, comment savoir si l’administrateur
est ou n’est pas actionnaire ? Comment surtout le con
vaincre?
Cet argument ne serait exact, dit M. Troplong , que
s’il était prouvé que l’immixtion échappe nécessaire
ment aux recherches des tiers ; or , il est impossible de
soutenir une proposition aussi exagérée; on a pour soi
tous les moyens de justification autorisés par la loi : les
livres, la correspondance, la notoriété publique, les aveux, le serment, la participation aux bénéfices , la ré
ception des intérêts.
Nous n’oserions dire qu’en niant, non pas l’impossi
bilité de prouver l’immixtion, mais celle de justifier que
celui qui en est convaincu fût un actionnaire, M. Troplong nie l’évidence, mais nous constatons qu’il ne peut
taxer cette proposition d’exagération , qu’en exagérant
lui-même l’etficacité du remède qu’il indique. Que prou
veront les livres, la correspondance, la notoriété publi
que, les aveux? Que la personne attaquée a réellement
administré? Oui. Qu’elle a été en possession d’une ou
de plusieurs actions ? Peut-être. Mais pourront-ils fixer
le moment de la négociation et prouver, contrairement
�ART.
38.
144
à l’assertion qui en sera faite, qu’elle a été postérieure
à l’immixtion ? Non , évidemment, peut-on répondre
sans crainte.
Le serment I II est bien rare que celui qui soutient
devant la justice un système quelconque recule devant
le serment qui lui est demandé ; ce n’est pas d’aujour
d’hui qu’on le pratique ainsi, témoin cet adage univer
sellement répandu : Qui nie jurera.
Nous reconnaissons que la participation aux bénéfi
ces et la réception des intérêts seraient décisives contre
l’actionnaire. Aussi peul-on , par cela même , hardi
ment admettre que loin de pouvoir être invoquées con
tre lui, ces deux circonstances le seront pour lui. Il est
évident qu’en s’immisçant dans la gestion, ce qui le rend
débiteur solidaire , il a trop d’intérêt à dissimuler sa
qualité pour qu’il aille la divulguer et la prouver par
écrit. En conséquence , les intérêts et les bénéfices lui
revenant seront quittancés par un prête-nom chargé de
les lui remettre , et cette fraude, tout en lui assurant le
profit, lui donnera le moyen de soutenir qu’il n’était
pas ou qu’il n’était plus associé au moment où il s’est
mêlé de la gestion.
La difficulté, disons mieux, l’impossibilité de prouver
est donc réelle. Au demeurant, ajoute M. Troplong, et
quoi qu’il en s o it, tant pis pour les tiers ; ils o n t, en
traitant avec la société , accepté cette difficulté ; ont-ils
donc le droit de se plaindre de ne ne pas se trouver un
peu plus à leur aise ?
Mais quand même ils n’auraient pas ce d ro it. leur
�m
DES SOCIÉTÉS
contesterait - on celui d’accuser le législateur d’avoir
manqué à un devoir essentiel ? Ce n’est pas tout de
réprimer et de punir la fraude , il vaut encore mieux
la prévenir et l’empêcher, surtout dans le cas où la fa
cilité qu’elle a de se produire la rend imminente et pro
chaine.
C’est là un devoir auquel le législateur a bien rare
ment manqué. C’est à lui qu’il obéissait naguère lors
qu’il prohibait aux commanditaires d’agir comme man
dataires. On aurait pu cependant , dans cette circons
tance, s’écrier : Tant pis pour les tiers 1 en traitant avec
la société ils ont accepté le fait dont ils ne sont plus ad
missibles à se plaindre.
C’est pourtant la prohibition absolue qui a prévalu,
et M. Troplong lui-même a applaudi à cette prescrip
tion. Ce qui serait résulté du contraire, c’est, nous di
sait-il , que, se réduisant au rôle apparent d’actionnai
res , les véritables intéressés mettraient à la gérance un
homme de paille, un valet, sous le nom duquel ils au
raient administré eux - mêmes comme mandataires.
Amoindris en apparence derrière un mandat trompeur,
ils auraient eu en réalité la haute main sur l’adminis
tration , ils en auraient réglé l’ensemble et les détails ;
ils auraient mis leur industrie au service de leurs capi
taux ; p u is , le désastre a rriv a n t, ils auraient prétendu
avoir cédé depuis longtemps leurs actions ; ils se se
raient retirés laissant les créanciers se débattre avec un
éditeur responsable sans responsabilité réelle C
�ART.
38.
113
Il n’est pas un de ces inconvénients qui ne soit
mille fois plus facile, mille fois plus à craindre dès lors,
avec les actions au porteur. Il est donc fort extraordi
naire qu’on ne recule pas devant la contradiction ma
nifeste dans laquelle on jette la loi. En effet, on lui fait
permettre , par le moyen des actions au porteur , ce
qu elle a formellement prohibé dans l’hypothèse du
mandat.
Nous avons raison de le dire, l’argument n’a pas été
encore victorieusement répondu. La porte ouverte à la
fraude est beaucoup trop large pour que celle-ci ne soit
pas tentée d’en profiter. On aurait dû, on devrait donc
ne pas lui laisser celte issue.
,
541. — Au reste, ce que nous regrettons , ce n’est
pas seulement l’introduction des actions au porteur,
mais encore la permission de diviser, dans la comman
dite , le capital en actions. Ce qui peut en résulter était
formellement prévu par le prince archichancelier, s’é
criant : On formera une société prétendue en com
mandite ; une seule personne paraîtra ; cependant
on divisera l'intérêt entre des personnes qui se
présenteront, et auxquelles on donnera facilement
le nom de commanditaires. Ainsi , la société sera
vraiment anonyme ; elle pourra cependant exister
sans l'autorisation du Gouvernement.
M. Troplong trouve ces idées confuses. La société ne
sera pas anonyme, car il y aura un gérant responsable
et solidaire. Nous pouvons, sans trop de témérité, supn
8
�414
DES SOCIÉTÉS
poser que Cambacérès ne l’ignorait pas ; mais ce qui le
préoccupait, c’était moins l’existence d’un de ces gé
rants responsables sans responsabilité réelle , comme le
dit si bien M. Troplong , que le danger de voir toutes
sortes de sociétés s’établir en dehors du contrôle si jus
tement réservé au Gouvernement. Sur ce point, il faut
avouer que la pratique est venue justifier d’une manière
puissante les prévisions de l’archichancelier. Tous les
industriels qui ont voulu spéculer sur la crédulité pu
blique, et s’enrichir aux dépens de leurs dupes, se sont
bien gardés de recourir à la société anonyme; leurs pro
jets n’auraient pas supporté les regards et les investiga
tions de l’autorité : ils ont recouru à la commandite
par actions, sans trop s’effrayer de la responsabilité in
définie à laquelle ils s’exposaient, et dont ils avaient
d’avance le moyen de se dégager en arrêtant la société
comme impraticable,dès qu’ils avaient avantageusement
vendu leurs actions.
Ce qui est véritablement effrayant, c’est la progres
sion énorme de ces funestes spéculations. Une statisti
que officielle nous apprend qu’en 1826 il existait trentedeux sociétés en commandite par actions , embrassant
un capital de cinquante-six millions trois cent quatrevingt-sept mille francs. Douze ans ap rès, c’est-à-dire
en 1838 , il en existait m i l l e t r e n t e - n e u f , repré
sentant un fonds d’*#»* m i l l i a r t l h u i t m i l l i o n s
v i n g t - n e u f m i l l e t r o is c e n t s f r a n c s , divisé en
q u in z e
cen t
h u it
v i n g t - s i x a c t io n s !
m ille
siæ
cen t
q u a tre-
�ART.
38.
415
Presque toutes ces sociétés, observe M. Delangle, étaient une œuvre d’escroquerie et de fraude ; c’est pour
tromper les actionnaires, pour les dépouiller, et se fai
re, à leurs dépens, d’insolentes fortunes, qu’elles étaient
imaginées. Des immeubles sans valeur, et d’une exploi
tation commercialement impossible , ont été apportés à
des sociétés naissantes , et pour des sommes immenses.
Des brevets d’invention, d’un produit incertain ou nul,
ont servi de bases à des associations de plusieurs mil
lions. Des pièges de tout genre ont été tendus à la cré
dulité ; et les actionnaires, dépravés par le funeste exem
ple de fortunes rapidement acquises, se sont abandon
nés à la passion du jeu. On n’a pas acheté des actions
pour profiter des gains honnêtes du commerce , mais
pour agioter. La contagion alors a gagné tout le mon
de, la corruption a gagné tous les cœurs \
Qu’elle a donc été la cause de ce désordre ? L’article
38 du Code de commerce et la faculté qu’il confère.
Cambacérès avait donc raison de le combattre ; et si
son opinion eût prévalu, il est à peu près certain que,
des mille trente-neuf sociétés existant en 1838 , il y en
aurait eu à peine cent qui eussent été autorisées. Que
de scandales, que d’immoralités de moins l Combien de
ruines évitées ! que de victimes sauvées ! Tout au moins
peut-on regretter qu’il en ait été autrem ent, sans être,
1 N° 506. — Faut-il rappeler que les journaux nous annonçaient na
guère que pour empêcher les femmes d’aller agioter à la Bourse, la po
lice de Paris a été obligée d’en arrêter quelques-unes ! ! !
�416
DES SOCIÉTÉS
ni paraître aussi déraisonnable que veut bien l’admettre
M. Troplong.
3 4 2 . — En résumé ,' l’article 38 du Code de com
merce est l’abrogation implicite des articles 27 et 28 ;
il rend à peu près illusoire la prescription de l’article
37. Ce dernier effet est d’autant plus regrettable , qu’il
fait disparaître le bénéfice des précautions sagement pri
ses dans l’intérêt public.
Rien ne garantit plus la réalité des moyens sociaux
annoncés, la possibilité de l’exploitation , le caractère
sérieux de l’entreprise.
Le fondateur de la société peut donner à l’objet qu’il
offre, comme la matière de la société, la valeur qu’il ju
ge convenable à ses intérêts. Sans doute, et par rapport
aux tiers , la responsabilité indéfinie à laquelle il est
tenu affectant toute sa fortune, cette évaluation exagérée
n’aurait aucun fâcheux résultat, si, par une dissimula
tion frauduleuse, il ne fait pas passer ses ressources sur
la tête d’un autre. D’ailleurs, cette manœuvre sera plu
tôt dirigée contre les actionnaires que contre les tiers
aux poursuites desquels il y a convenance de se sous
traire. Voici, en effet, ce qui arrivera :
Un propriétaire achète un immeuble cent mille francs;
il le met en société pour un million, divisé en mille ac
tions de mille francs; il souscrit lui - même pour cent
actions.
Il est possible que l’immeuble pût valoir un million,
si son exploitation était organisée et prospère ; mais le
�art. 38.
447
fondateur, qui, par des manœuvres adroites, est parvenu
à placer les neuf cents actions restant, et à encaisser
ainsi neuf cent mille francs, s’arrête et déclare que l’é
tablissement ne peut marcher. On liquide la société, on
vend l’immeuble cent mille francs , ce qui donne pour
chaque actionnaire le dixième de sa mise ; mais le pro
priétaire se retire avec neuf cent mille francs, au lieu
de l’immeuble de cent mille francs qu’il possédait avant
la société h
Aucun contrôle n’étant exercé sur la nature des ac
tions, le fondateur les prodiguera ; non-seulement il en
créera d’industrielles sans mise aucune, mais encore de
rémunératoires pour les peines et soins qu’il prétendra
avoir pris, et pour attacher plus fortement à la société
ceux dont le concours peut utilement servir sa spécula
tion. De telle sorte que le capital se bornant aux ver
sements des actions payantes , les bénéfices se divise
ront en des proportions telles qu’ils en deviendront illu
soires.
On n’aurait donc pas dû permettre la division en ac
tions du capital de la commandite. Sans doute , cette
division favorise le développement des opérations com
merciales ; mais cet effet, la société anonyme le donnait
d’une manière plus légitime , et en offrant au public
toutes les garanties désirables. D’ailleurs, après l’expé-
1 Fréméry,
E tu d e s s u r le d r o it c o m m e r cia l,
p 62.
�118
DES SOCIÉTÉS
rieuce de ces derniers temps, la question devrait être
tranchée. L’article 38 devrait être purement et simple
ment abrogé.
A rt.
59.
Les sociétés en nom collectif on en com m an
dite doivent être constatées par des actes pu
blics on sons sign ature p r iv é e , eu se confor
m ant, dans ce dernier cas, à l ’article 13 2 5 du
Code civil.
A rt. 4 0 .
Les sociétés anonym es ne peuvent être for
m ées que par des actes publics.
A rt.
4 JL
Aucune preuve par tém oins ne peut être ad
m ise contre et ontre le contcnn dans les actes
de so ciété, ni su r ce qui serait allégué avoir
été d it avant l ’acte , lors de l’acte ou depuis,
encore qu’il s’agisse
d’une somme
au-dessous
de cent cinquante francs.
SOMMAIRE
343.
Importance de la preuve de l’existence de la société. Ce que
voulaient à cet égard le droit romain et notre ancien droit
français.
344. Edit de 1579 spécial contre les étrangers. — Son applica- *
tion aux nationaux par l ’ordonnance de 1623.
345. Ordonnance de 1673.
�art.
39, 40, 4 1 .
419
346.
Pouvait-on , sous son empire , prouver l ’acte de société
par témoins, en se fondant sur un commencement de
preuve ?
347. Q uid, sous le droit actuel ?
348. Depuis le Code , la société anonyme doit être constatée par
acte public seulement.
349. Les sociétés en nom collectif ou en commandite peuvent
l'être également par acte sous seing privé. — Forme de
celui-ci.
350. Conséquences de l’application de l’article 1325 du Code ci
vil aux actes de société.
350bis. Exception à la faculté de rédiger l’acte de société sous
seing privé.
351. Effets des modifications dans les dispositions de l’acte de
société à l ’égard des tiers.
352. D’associé à associé.
353. Les dispositions de nos articles ne concernent que les asso
ciés, elles ne sont pas opposables aux tiers.
354. Conditions rendant ces derniers admissibles à faire, par té
moins, la preuve de la société.
3 4 3 . — L’existence de la société est bien souvent
pour les associés, mais surtout pour les tiers, d’une im
portance capitale. Celle importance grandissant à me
sure que le commerce recevait des développements nou
veaux , le législateur se trouva en mesure de la régle
menter.
En droit civil, soit à Rome, soit en France, le contrat
de société était considéré comme un contrat consen
suel. Le consentement suffisait à sa perfection , quelle
que fût la forme que lui donnaient les parties. Societatem coire et re et verbis, et per nuntium posse
�---------------------- —
------------------------------------- —
—
DES SOCIÉTÉS
nos, dubium non est \ ce qui signifie, disait le prési
dent Favre, qu'il est permis de prouver la société
par tous les moyens de preuve , par l'écriture so
lennelle on non solennelle, par les paroles et mê
me par les faits s a c ie ta ti c o n g o n a n tib u s .
Pendant longtemps, la société commerciale n ’eut pas
d ’autres règles. En Italie, elle pouvait être tacite ; au
témoignage de Straccha s, elle ne reposait que sur la
parole des contractants et sur les caractères de leurs li
vres. Cependant, sur certaines places de commerce, l’u
sage de la rédiger par écrit avait prévalu , sans cepen
dant qu’aucune sanction pénale en recommandât l’ob
servation .
5 4 4 . — Le premier monument législatif prescrivant
de rédiger par écrit les actes de société et de les publier
est l’ordonnance de Blois de 1579. Mais comme, à cette
époque , le commerce français était presque en entier
entre les mains d’étrangers, d’Italiens notamment, c’ejst
pour eux seuls que dispose l’é d it, dont le but était
de protéger les nationaux contre leur avidité et leurs
fraudes.
Aussi l’article 357 leur défend-il de lever banque
sans qu'au préalable ils ayent baillé caution rescéanle et solvable de la somme de quinze cents écus
sol, laquelle, si besoin est, ils seroul tenus de re
1 L. 4, ff. Pro socto.
* Decis. rotce Genvæ, 31, n» g.
�nouveler de trois ans en trois ans. À cette disposi
tion , empruntée à l’article 38 de l’édit de Roussillon,
de janvier 1563 , l’ordonnance ajoute : Voulons que
toutes compagnies ja faites ou qui se feront cy après entre les dits étrangers estant en notre roy
aume soient inscrites et enregistrées aux registres
des bailliages, sènèchaiissèes et hostels communs des
villes , où ils seront tenus de nommer et déclarer
tous leurs partisans ou associés sous peine de faux.
Celte précaution qu’on prenait contre les étrangers
devint bientôt nécessaire contre les régnicoles. Ceux-ci,
en empruntant aux premiers l’exercice du commerce,
les copiaient dans leurs fraudes. Dans maintes circons
tances , le défaut de traces de la société permettait aux
associés, non-seulement de ne pas contribuer aux per
tes, mais encore de venir , comme créanciers , prendre
part à la distribution de l’actif social.
Les plaintes qui avaient retenti contre les étrangers
se firent entendre contre le commerce français avec un
ensemble et une gravité tels que le législateur crut de
voir les accueillir. L’ordonnance de janvier 1629, con
nue sous le nom de Code Michaud, article 414, disposa:
Voulons que l'article 357 de l'ordonnance de Blois,
touchant la publication des associations entre mar
chands et désistement d'icelles , ait lieu entre nos
sujets, ainsi qu'il est ordonné pour les étrangers.
Mais on sait les difficultés que cette ordonnance sou
leva, et la résistance que les Parlements mirent à l’en
registrer. Ce qui résulta de ces longs débats, c’est que,
�—
m
DES SOCIÉTÉS
profondément atteinte dans son autorité , l’ordonnance
demeura bientôt une lettre morte, même dans cette dis
position dont l’utilité surgissait, des réclamations unanymes l’ayant provoquée.
54-5. — Au reste, une fois signalé, le principe exi
geant une preuve écrite pour les sociétés devait fixer
l’attention du législateur ; aussi le retrouvons-nous dans
la célèbre ordonnance de 1673.
Jusque-là l’acte écrit n’était qu’une conséquence for
cée de la nécessité de le faire enregistrer. A partir de
1673, cet acte fut littéralement prescrit. L’article 1or du
titre 4 ne se contente pas de l’exiger , il proscrit, en
outre, toute preuve par témoins contre et outre le con
tenu en l’acte , ni sur ce qui serait allégué avoir été dit
a v an t, lors ou depuis. L’article 2 prescrit ensuite que
l’extrait de l’acte soit registré au greffe de la juridiction
consulaire , mais pour des sociétés entre marchands
seulement.
5 4 6 . — La nécessité de cet enregistrement indiquait
que ces sociétés ne pouvaient être établies que par un
acte écrit et formel. En était il de même pour les so
ciétés dispensées de l’enregistrement et du dépôt ? L’ar
ticle 1er s’opposait il à l’admission de la preuve orale,
si , à défaut d’acte , il existait un commencement de
preuve par écrit ?
La négative avait été sanctionnée par la doctrine et
la jurisprudence. L’article 1er, disait Merlin, ne dit que
�art.
39, 40, 41.
123
ce que disait avant lui l’article 2 du litre 20 de l’ordon
nance de 1669 , pour les contrats en général. O r, les
dispositions des lois antérieures, non contraires aux lois
postérieures, sont censées se retrouver dans celles-ci, et
doivent y être sous-entendues. Dès lors , l’article 3 de
l’ordonnance de 1669, titre 20, qui veut que la preuve
testimoniale dans les matières où elle est défendue par
l’article 2 , et conséquemment dans les sociétés dont
l’objet est au-dessus de cent livres , soit admise à l’aide
d'un commencement de preuve par écrit, n’est pas con
traire à l’article 1er du titre 4 de l’ordonnance de 1673,
qui veut que les sociétés ne puissent pas être prouvées
par témoins. Il faut donc nécessairement adapter <4 cet
article l’exception que l’ordonnance de 1667 met par
son article 3 à son article 2 . 1
3 4 7 . — Le Code de commerce a suivi les errements
de l’ordonnance de 1673. Les articles 39 et 41 établis
sent la nécessité de l’acte écrit. L’article 42 en exige
le dépôt, quelle que soit la qualité des parties contrac
tantes.
Les termes de l’article 39 diffèrent quelque peu de
ceux de l’article 1er du titre 4 de l’ordonnance. Toutes
sociétés en nom collectif ou en commandite , dit le lé
gislateur nouveau, doivent être constatées par des actes
publics ou sous signature privée. Cette disposition , dit
Merlin , est plus impérieuse dans le Code qu’elle ne
i Voy, Delaugle, n° 508.
�DES SOCIÉTÉS
l’était dans l’ordonnance. En conséquence, sous son
empire, rien ne peut, pour les associés entre eux, tenir
lieu de l'acte de sociétél. Telle est également l’opinion
de M. Pardessus ; telle est la doctrine de la cour de
cassation2.
De là, on a conclu que le commencement de preuve
par écrit, que l’aveu même de la partie ne pourrait être
invoqué pour établir l’existence de la société.
Celte conclusion serait irréfragable s’il s’agissait, à
l’aide d’une preuve orale , fondée sur un commence
ment de preuve par é crit, de faire maintenir la société
pour l’avenir. Mais, dans cette hypothèse même , nous
n’admettons pas la doctrine de MM. Merlin et Pardes
sus, de la cour de cassation. Nous croyons, en effet, que
ce qui était admis sous l’empire de l’ordonnance ne sau
rait être repoussé sous le Code. A. son tour , l’article 39
ne dit pas autre chose que ce qui est consacré par l’ar
ticle 1341 du Code civil. On doit donc adapter à sa dis
position l’exception consacrée par l’article 1347. Puisqu’en toute matière le commencement de preuve par
écrit rend la preuve orale admissible, pourquoi ferait-on
exception pour les sociétés?
Ce qui devrait faire repousser la preuve orale dans
notre hypothèse serait donc, non pas son irrecevabilité,
mais son inefficacité. En effet, la validité de la société
1 Reperl., v<> Sociétés, sect 3, $ 2, art. 2.
3 12 décembre 1815; 18 décembre 1828. — D. P ., 26, 1, 102; 29,
1, 69,
�A.RT 39
40
41
dans 'avenir ne tient pas seulement à l’existence de
l’acte ou du fait de l’association , il faut encore que cet
acte ait reçu la publicité exigée par l’article 42 , sous
peine de nullité. Or , le commencement de preuve par
écrit ne saurait faire que cette publicité eût existé. A
quoi bon, dit l’ordonnance, la preuve d’une société qui,
prouvée qu’elle fût, n’en devrait pas moins cesser d’ex
ister ? Frustra probalur , quod probatum non re
levât.
Mais repousser la preuve orale malgré le commence
ment de preuve , lorsque , la nullité de la société dans
l’avenir étant admise , il ne s’agit plus que de fixer la
nature des relations ayant existé jusque-là entre les
parties, nous paraît une énormité. Quelles peuvent être,
en effet , dans celle hypothèse , les conséquences de la
preuve orale? De constituer une créance , de créer une
obligation , un d ro it, d’établir une libération ? Mais la
loi civile elle-même ne répugne à aucun de ces résul
tats ; elle les consacre même lorsqu’il existe un com
mencement de preuve.
Pourquoi donc déciderait-on le contraire sous l’em
pire de la loi commerciale ? Pourquoi le commerçant
actionné en remboursement d’une somme quelconque
ne pourrait-il pas prouver qu’il ne l’a reçue qu’à titre
de mise sociale, et qu’il ne doit dès lors la restituer que
prélèvement fait de la contribution aux dettes sociales ?
Comment l’éconduire, surtout si son allégation repose
sur un commencement de preuve par écrit ?
Les termes de l’article 39 ne sauraient justifier une
�426
DES SOCIÉTÉS
pareille détermination ; et ce qui le prouve, c’est ce qui
est admis en matière de sociétés civiles.
On a eu pour celle-ci à se demander si la preuve
testimoniale était admissible dans le cas d’un commen
cement de preuve. Ceux qui soutenaient la négative ne
manquaient pas de s’étayer des termes de l’article 1834
du Code civil; conçu dans des termes identiques à ceux
de l’article 39. Puisque cet article , disaient-ils, veut
que toute société dont l’objet excède cent cinquante francs
soit rédigée par é c rit, c’est qu’il a voulu exclure tout
autre mode de constatation, et conséquemment la preuve
orale qu’il y ait ou non un commencement de preuve
par écrit. Mais cette doctrine, d’abord repoussée par la
cour de Toulouse, le fut également par la cour de cas
sation, par arrêt du 1 2 décembre 1825. 1
Donc , et nonobstant l’article 1834 , la société civile
peut, à défaut d’un acte écrit, être prouvée par témoins,
s’il existe un commencement de preuve. Dès lors l’ar
ticle 39 , qui ne fait en quelque sorte que répéter la
disposition de l’article 1834 , ne ?saurait prescrire un
résultat différent. On ne pourrait admettre le contraire
sans tomber dans cette étrange contradiction , qu’on
tolérerait la preuve testimoniale en matière civile , dans
laquelle elle est prohibée, et qu'on la repousserait en
matière commerciale, où elle est de droit commun.
Nous distinguons donc. S’agit-il de faire maintenir
�art.
39, 40, 41.
427
la société pour l’avenir ; la preuve testimoniale, ne pou
vant jamais suppléer aux formalités prescrites pour la
publicité , est inutile , et doit être repoussée dans tous
les cas. S’agit-il, au contraire, du règlement du passé,
de fixer la nature des rapports entre les parties jusqu’au
moment de l’insiance en nullité , la preuve orale obéit
aux principes ordinaires, et le commencement de preuve
la rend admissible l .
5 4 8 . — La société doit donc être constatée par écrit.
Quant à la forme de l’acte, la loi distingue.
Les sociétés anonymes ne peuvent être constituées
que par acte public. « L’acte des sociétés anonymes,
dit M. Locré , n’étant pas signé par les actionnaires,
mais par ceux qui forment l’entreprise, il eût été trèsdangereux de permettre à ces derniers de ne faire que
des actes sous seing privé ; on leur eût donné la faci
lité de changer la condition de tous les porteurs d’ac
tions. »
Dans son désir de trouver une raison plausible à la
disposition de l’article 40 , M. Locré ne s’aperçoit pas
que celle qu’il donne est inadmissible. Si la substitution
dont il parait se préoccuper est impossible quelque part,
c’est sans contredit dans la société anonyme. Le projet
d’acte n’est-il pas déposé à la chancellerie? communi
qué au conseil d’Etat ? Il n’y a d’acte de société que
l Conf. Delanglè , n° 511 - — Paris, 27 janvier 1825 ; D. P., 25, 2,
150.— Douai, 11 décembre 1845 ; J. du P., 46, 1, 455
�428
DES SOCIÉTÉS
celui qui est approuvé, et celui-là est inséré au Bulletin
des lois concurremment avec l’ordonnance d’autorisa
tion. Comment donc, en cet état, se préoccuper de mo
difications ou d’altérations ?
En réalité, la disposition de l’article 40 ne répond à
aucun besoin. Cependant il est certain que la société
anonyme qui s’annoncerait par un acte sous seing privé
serait éconduite par le Gouvernement1.
349.
Les sociétés en nom collectif ou en com
mandite peuvent être rédigées par actes authentiques
ou sous seing privé. Dans ce dernier cas seulement, les
parties doivent se conformer aux dispositions de l’article
4325 du Code civil.
Ainsi l’acte qui n’aurait pas été fait, ou qui ne men
tionnerait pas qu’il a été fait en autant d’originaux qu’il
y a d’intérêts distincts, pourrait être annulé sur la ré
quisition d’une des parties.
L’exception d’invalidité de l’acte n’est pas opposable
aux tiers. D’ailleurs elle ne saurait jamais avoir d’autre
résultat que d'entraîner la dissolution de la société,
c’est-à-dire de grever l’avenir. Quant au passé , l’exis
tence inattaquéede la société la rendrait obligatoire pour
tous.
Ce passé pourrait même assurer l’avenir social, si
l’acte, revêtu d’ailleurs de toutes les formalités et publié
Voy. article 24 de la loi du 24 juillet 4867.
�conformément à la lo i, avait été exécuté par celui qui
l’attaque ; cette exécution créerait contre cette attaque
une fin de non-recevoir péremptoire , aux termes de
l’article 1325 lui-même.
550. — L'application de l’article 1325 aux actes
de société conduit inévitablement à ces conséquences :
1° Cet article n’exigeant un original que pour cha
que partie ayant un intérêt distinct , le même original
suffit à toutes les parties ayant le même intérêt. Cha
cune d’elles aura sans doute un intérêt particulier et
personnel , mais ce caractère n’a pas paru devoir en
traîner la nécessité d’un original spécial.
Ainsi la cour de cassation a jugé que dans les com
mandites il n’y avait que deux intérêts distincts : celui
du gérant, celui des commanditaires ; en conséquence,
quelque nombreux que soient ceux-ci, l’acte de société
fait à double original seulement est parfaitement régu
lier l.
2° Dans tous les cas, il n’est pas nécessaire que l’acte
relate exactement le nombre d’originaux. Il suffit qu’il
exprime que l’acte est fait en autant d’originaux qu’il y
a de parties ayant un intérêt distinct, ou même qu’il
y a de parties intéressées2.
3° Que jusqu’à l’enregistrement de l’acte, l’associé
qui en est dépositaire peut le compléter en y ajoutant la
il®Sf
"
�130
DES SOCIÉTÉS
mention exigée par l’article 1325. Signer un acte de
société , en rendre un des signataires dépositaire , avec
la charge de remplir les formalités voulues par la loi,
c’est conférer à celui-ci le mandat formel de faire tout
ce que la régularité de l’acte exigeï.
5 5 0 bis. — La faculté de rédiger les contrats de so
ciété par acte sous seing privé reçoit-elle exception dans
l’hypothèse de l’article 854 du Code civil ? On connaît
cette disposition : il n’est pas dû rapport pour les asso
ciations faites sans fraude entre le défunt et l’un de ses
héritiers, lorsque les conditions en ont été réglées par
un acte authentique. Cette exigence rend-elle la forme
authentique substantielle ? Permet-elle d’y suppléer no
tamment par l’enregistrement de l’acte sous seing privé,
par son dépôt au greffe du tribunal de commerce et son
insertion dans les journaux ?
Un grand nombre d’auteurs se sont prononcés dans
ce dernier sens3. Leur opinion se fonde : 1° sur l’ab
sence dans l’article d’une clause pénale ; 2 ° sur l’esprit
de la loi ; 3° enfin sur les articles 39 et 42 du Code de
commerce.
En présence de si nombreuses et de si graves autori
tés , il semble que toute contradiction devient impossi-
1 Grenoble, 11 avril 1840.
2 Malleville et Chabot sur l’article ; — Toullier, t. 4, n» 477 ; — Malpel, p . 384, 583; —>D uranton, t. 7, n» 339 ; — Poujol , Des swccess.,
art. 854 , n» 3 ; — Dalloz , Répert., 1re édition, t. 12, p. 422 ; — Marcadé, sur l’article 854, n° 339.
�art.
3 9, 4 0 , 4 1 .
131
ble. Mais cette contradiction existe en doctrine. MM.
Delvincourt et Delangle, le premier sur l’article 854,
celui-ci sur l’article 39 du Code de commerce, adoptent
et enseignent l’opinion contraire.
C’est pour la substantialité de la forme authentique
que nous nous prononçons avec ces deux éminents ju
risconsultes. A notre avis , les raisons sur lesquelles on
appuie le contraire ne sont ni concluantes ni admissi
bles.
1® Absence de clause pénale. Nous ne rencontrons
là qu’une conséquence directe du caractère de l’article.
En matière de successions , le principe général, posé
d’ailleurs par l’article 843 du Code civil, est l’obligation
pour chaque successible de rapporter tout ce qu’il a
reçu directement ou indirectement de la part du défunt.
Ce principe comportait des exceptions. La première
et la plus naturelle naissait de l’exercice de la faculté
laissée à l’auteur de disposer du rapport jusqu’à con^currence de la quotité disponible.
Puis s’offrait la double hypothèse régie par les arti
cles 853 et 854. Un père peut être amené à contracter
avec ses enfants, à s’associer l’un d’eux. Les profits de
ces conventions ne sont pas soumis à rap p o rt, mais à
condition que la vente, le bail, etc., ne présentaient au
cun avantage indirect lorsqu’on les consentait ; que la
société faite sans fraude ait été réglée par un acte au
thentique.
A la mort du p ère, ces exceptions seront réclamées
par le fils qui est en mesure d’en invoquer le bénéfice.
�432
DÈS SOCIÉTÉS
Ainsi, lorsqu’il s’agira d’une association , celui qui ré
sistera à la demande en rapport des profits invoquera
l’article 854 et voudra se placer sous son égide , mais
il ne pourra le faire que s’il se trouve dans les condi
tions que cet article exige, notamment si les conditions
de l’association ont été réglées par un acte authen
tique.
A défaut, ses cohéritiers lui diront avec raison : Com
ment vous admettrait - on à vous retrancher derrière
une disposition spéciale et limitative. Vous ne pourriez
réclamer le bénéfice de l’exception que si vous aviez
vous-même accompli les devoirs que la loi vous impo
sait. Subissez donc le sort que vous vous êtes fait vousmême.
Voilà la véritable sanction pénale de l’article 854 , il
n ’avait pas à en consacrer une autre. Les successibles
tenus au rapport doivent justifier l’exception dans la
quelle ils veulent se placer. Celui qui se prévaudra de
celle consacrée par l’article 854 ne sera admissible et
recevable que s’il remplit les conditions auxquelles cet
article attache exclusivement l’exception.
Il faut donc de toute nécessité un acte authentique, et
il n’y a de tel que celui qui réunit les conditions pres
crites par l’article 1317 du Code civil.
On a voulu qu’on pût suppléer à cet acte par l’enre
gistrement du sous seing privé ; ceci nous amène à exa
miner la seconde objection que les partisans de l’opi
nion que nous combattons tirent de l’esprit de la loi.
Ce que l’article 854 a voulu prévenir, disent-ils, c’est
�art.
39, 40, 41.
133
le préjudice qui pourrait résulter pour les cohéritiers
par une association après coup, antidatée , et convenue
postérieurement aux bénéfices acquis. Dès lors si l’acte
de société sous seing privé a été enregistré , déposé au
greffe et publié, toute crainte de ce genre disparaissant,
l’application de l’article 854 devient réellement sans
objet.
Que les dangers résultant de l’incertitude de la date
soient entrés dans les prévisions du législateur, c’est ce
qui ne saurait être raisonnablement contesté ; mais que
tel ait été son but unique, c’est ce que nous ne pouvons
admettre. S’il en était ainsi, il s’en fût nettement expli
qué , en faisant suivre les mots « acte authentique »
de ceux-ci : « ou ayant acquis date certaine. » L’ab
sence de cette locution prouve que l’article a voulu au
tre chose.
L’acte sous seing privé peut être rédigé par le fils,
signé par le père sans le lire, cédant ainsi à l’entraîne
ment ou à une surprise. Les conditions de l’association seront ainsi le fait unique de la partie intéressée
qui n’aura pas manqué de se les rendre exclusivement
favorables.
Le concours de l’officier public est une garantie con
tre ce grave inconvénient. De plus, ce concours attestera
la liberté, la spontanéité du consentement du père. Tout
celâ valait la peine d’être recherché.
N’est ce pas un motif de ce genre qui a fait consa
crer l’article 931 au titre des donations. Pourquoi n’au
rait-on pas voulu pour la société ce qu’on exigeait pour
�434
DES SOCIÉTÉS
la donation la plus minime ? L’association est bien plus
dangereuse pour la famille que la donation elle-même;
celle-ci portera toujours sur un objet certain , sur une
somme déterminée. L’association s’étend à la fortune
entière de l’auteur commun, et elle produira souvent cet
effet que par une collusion facile à supposer, cette for
tune passera sur la tête de l’associé.
La facilité de cette fraude devait éveiller toute la sol
licitude du législateur ; elle lui prescrivait de veiller au
moins à ce que le consentement du père fût certain,
spontané, et non le résultat de l’irréflexion, de l’entrai
nement ou de la surprise. Or , où puiser cette certi
tude, sinon dans le concours de l’officier public et dans
la solennité de l’acte ?
Contester ces motifs, c’est, à notre avis, méconnaitre
l’évidence, c’est s’arrêter à l’écorce et négliger l’essence;
c’est enfin inexactement interpréter les termes si formels
et si positifs de l’article 854.
On excipe enfin des articles 3 9 , 42 et suivants du
Code de commerce , on veut que le premier ait abrogé
l’article 854 , et l’on prétend que l’exécution des der
niers a rendu authentique l’acte sous seing privé.
Sans doute, au moment où l’on discutait l’article 854
on était censé ignorer les dispositions futures du Code
de commerce. Mais à cette époque, le droit commun des
sociétés était ce qu’il a été depuis. La faculté de les ré
diger par acte sous seing privé était formellement con
sacrée par l’ordonnance de 4673. Donc, en dérogeant
à cette faculté , l’article 854 dérogeait à toute disposi-
�ART.
39, 40, 41.
135
lion de la même nature que l’avenir pouvait faire sanc
tionner.
Notons la place que l’article 854 occupe dans nos
Codes; il est au titre des successions à la section des
rapports. La société dont il parle n’est pas la société
civile exclusivement, mais encore la société commerciale
essentiellement, puisque le rapport est dû à la succes
sion d’un commerçant comme à celle de toute autre per
sonne. Pourquoi donc en refuser l’application à cette
dernière société ?
Parce que, dit-on, l’article 1107 dispose que les rè
gles particulières aux transactions commerciales sont
établies par les lois relatives au commerce. Nous conve
nons que s’il s’agissait d’une transaction commerciale,
nous ne pourrions chercher les raisons de décider que
dans ces lois ; mais qu’ont de commun avec le com
merce les rapports à une succession ? N’est-ce pas là
une matière essentiellement civile, et sur laquelle le lé
gislateur commercial n’a jamais eu ni juridiction ni
compétence ?
Que la société même commerciale reste soumise, sous
certains rapports , à la législation civile; comment en
douter , en présence de l’article 18 du Code de com
merce lui-même ? C’est bien la société commerciale que
cet article a en vue, et tout aussitôt et avant de l’orga
niser le législateur nous apprend que cette société se
règle par 1 © d r o i t c i v i l , par les lois par
ticulières au commerce et par les conventions des
parties.
�'136
DES SOCIÉTÉS
La combinaison des articles 1 107 du Code civil et 18
du Code de commerce nous amène donc à cette dis
tinction : que les rapports que la société crée entre les
associés entre eux et à l’endroit du public seront réglés
exclusivement par la loi commerciale. Ce sont ces rap
ports que les articles 39 , 42 et suivants établissent et
régissent. Mais quant aux effets purement civils que
cette société peut faire naître, c’est par le droit commun
qu’ils doivent être exclusivement arrêtés.
En conséquence , la matière des successions n’étant
jamais entrée dans le domaine du législateur commer
cial ne saurait obéir à ses prescriptions. Les articles 39
et suivants du Code de commerce n’ont donc jamais pu
abroger l’article 854. Celui-ci est resté la règle unique
des rapports entre cohéritiers, et cela en vertu de l’ar
ticle 18 du Code de commerce lui-même.
Quant à la prétention de faire résulter l’authenticité
de l’acte sous seing privé de l’enregistrement > du dépôt
et de la publication de l’extrait, avons-nous besoin d’y
répondre ? L’enregistrement, le dépôt sont le fait d’une
des parties et quelquefois d’un tiers étranger à l’acte.
De manière que l’officier public qui reçoit l’un ou l’au
tre n’est pas même en position de garantir la véracité
des signatures apposées, soit sur l’acte , soit au bas de
l’extrait.
Aussi qu’arrivera-bil ? Supposez que celui à qui on
oppose un acte sous seing privé enregistré et publié ré
gulièrement dénie sa signature, sera-t-il obligé de s’in
scrire en faux ? On n’oserait pas même le soutenir. Ce-
�ART. 39, 40, 41.
137
pendant cette inscription serait indispensable si l’acte
était devenu authentique.
Comprendrail-on d’ailleurs que l’authênticicité pût
résulter d’une formalité qui ne créerait pas même un
commencement de preuve par écrit, autorisant la preuve
testimoniale si ce litre venait à se perdre.
Voyez , en effet, l’article 1336 du Code civil; si le
titre authentique ne peut être représenté, la transcrip
tion sur un registre public pourra bien servir de com
mencement de preuve , mais à la condition : 1 ° qu’il
soit constant que toutes les minutes du notaire de l’an
née dans laquelle l’acte paraît avoir été fait soient per
dues , ou que l’on prouve que la perte de la minute de
cet acte a été faite par un accident particulier ; 2 ° qu’il
existe un répertoire en règle du notaire qui constate
que l’acte a été fait à la même date.
Or, ces conditions ne pouvant se réaliser pour l’acte
sous seing privé, sa transcription sur un registre public
ne pourra jamais constituer lecommencementde preuve.
Comment concilier ce résultat avec b’authenlicité qu’on
prétend en induire ?
Evidemment donc aucune des formalités que l’acte
sous seing privé peut s u b ir, dans l’objet d’en constater
l’existence, d’en répandre la connaissance, ne saurait en
changer le caractère et le rendre authentique. En con
séquence , l’association entre successibles par un acte
sous seing privé , même enregistré et publié , ne pré
sentera pas la condition requise par l’article 854 , et
�DES SOCIÉTÉS
rendra l’associé non recevable à en revendiquer le bé
néfice.
Cette doctrine, enseignée par MM. Delvincourt et Delangle , a été consacrée par la jurisprudence. Ainsi la
cour de Montpellier s’étant prononée dans le sens con
traire >, son arrêt a été formellement cassé par la cour
suprême , comme violant les articles 854 et 1317 du
Code civill.
Depuis, la question s’étant représentée devant le tri
bunal de Paris y a reçu une décision analogue. Ce juge
ment ayant été déféré à la cour de Paris fut par elle
confirmé le 28 décembre 1854.3
Jusqu’à présent donc, la jurisprudence est uniforme;
et comme nous la croyons dans le vrai, on peut prévoir
qu’elle ne changera pas.
351. — L’acte de société devient, du jour de la
mise en activité de celle-ci, la loi défintive de toutes les
parties. C’est ce qui résulte de l’article 41 , prohibant
toute preuve par témoins contre et outre le contenu
en l’acte, ou de ce qui aurait été dit av an t, lors ou
depuis.
Résulte t-il de là que l’acte pourrait être modifié, si
la modification était établie par écrit, ou si un commen
cement de preuve venait rendre la preuve testimoniale
admissible ?
1 Cass , 26 janvier 1842 ; — D .P ., 42, 1, 121
î Journal des notaires, 1855, p. 155.
�139
Cette question doit être résolue par le caractère spé
cial de l’acte de société. Cet acte intéresse non-seule
ment les contractants, mais encore le public devant se
conformer aux dispositions qui y sont contenues. Mais
pour qu’un pareil effet pût se produire , il fallait bien
que le public connût l’acte, et nous allons voir les for
malités que la loi a prescrites à cet effet.
Il est donc évident qu’on ne saurait, d’une manière
ou d’autre , le placer dans une autre position. Ce dont
on peut uniquement se prévaloir contre lui, c’est l’acte
apparent. Toute modification , fût-elle établie par écrit,
ne serait qu’une contre-lettre sans valeur, nulle pour le
passé , sans effets pour l’avenir , si elle n’avait reçu la
publicité prescrite par les articles 42 et 46.
352.
— D’associé à associé, les modifications à l’acte
social dont la preuve écrite serait rapportée devraient
sortir à effet. Elles constitueraient des engagements or
dinaires , qu’aucun motif raisonnable ne saurait faire
méconnaître et surtout annuler.
Mais ces modifications n’obligent que l’associé , et
non pas la société. L’exécution n’en peut être poursuivie
que contre le signataire personnellement, alors même
que ce signataire serait le gérant. L’em ploi, dans celte
hypothèse, de la raison sociale ne serait qu’un abus in
capable de créer une obligation ou un droit. La mission
du gérant ne va jamais jusqu’au pouvoir d’aliéner les
, prérogatives que chaque associé puise dans sa qualité
personnelle.
�140
DES SOCIÉTÉS
353.
— Les conditions de l’article 39 et les dispo
sitions de l’article 41 ne concernent que les associés en
tre eux. Les tiers ne pourraient être victimes d’une né
gligence qui ne peut leur être imputable. Ils sont donc
recevables, lorsqu’ils y ont intérêt, à prouver la société
avec laquelle ils prétendent avoir contracté , même par
témoins et par présomptions. Ce principe est tellement
équitable et juste, qu’il avait été admis et consacré sous
l’empire de l’ordonnance de 1673, quoique tout son
texte rendit les tiers responsables de l’inobservation des
formes qu’elle prescrivait.
554. — Suffit-il aux tiers d’alléguer l’existence d’u
ne société ? Doit-on , au contraire , exiger que le titre
dont ils sont porteurs indique par son contexte un en
gagement social ?
Se prononcer dans le premier sens, ce serait, dit M.
Delangle, pousser l’application du principe hors de toute
limite ; ce serait faire’ supporter à la société la dette
personnelle du commerçant, et conférer au créancier
des garanties sur lesquelles il n’avait pas compté en
traitant.
Il faut donc se prononcer pour le second terme de la
question , et exiger que le titre soit souscrit d’un nom
social, ou que de sa teneur il résulte qu’il concerne une
société T.
Nous ne craignons pas de le d ire, une pareille solu-
�art.
3 9, 4 0 . 4 1 .
141
tion rend irréalisable la faculté qu’on reconnaît aux
tiers. Cette faculté répond surtout à la prévision d’une
fraude ayant pour objet de dissimuler l’existence de la
société dans l’intérêt de certains associés. Cette fraude
se réalisant , comment veut-on que le titre soit signé
d’un nom social, ou que son contexte divulgue cette
société qu’on a tant d’intérêt à cacher ?
C’est cependant dans cette hypothèse que les tiers au
ront intérêt à recourir à la preuve testimoniale. La leur
refuser, comme le fait M. Delangle, c’est singulièrement
interpréter la loi.
Est-ce à dire cependant qu’il suffira d’alléguer l’exis
tence d’une société pour être admis à la prouver par
témoins ? Les principes généraux répondent à cette ob
jection. Pour que la preuve testimoniale soit ordonnée
dans les cas où elle est recevable, les magistrats exigent
avec raison qu’on articule des faits précis et concor
dants, donnant dés à présent au fait à prouver un ca
ractère de vraisemblance qu’il serait injuste de négliger.
Celui-là donc qui alléguera l’existence de la société co
tera les faits dont il entend la faire résulter. La perti
nence de ces faits est abandonnée à l’arbitrage du juge,
et du résultat de cette appréciation dépendra la déci
sion à rendre sur l’admission ou le rejet de la preuve
offerte.
En pareille matière donc il est impossible de se réfé
rer à une règle précise et absolue. Ce qui est certain,
c’est que dans aucun cas on se bornera à alléguer pu
rement et simplement la société ; qu’on voudra la faire
�DES SOCIÉTÉS
résulter de certaines circonstances. Or , il en est de ces
circonstances comme du résultat de la preuve. Les juges
apprécieront. Sans doute on n’admettra pas que Paul
est associé , parce qu’il a plu à Pierre de signer Pierre
et Paul. Mais vouloir tracer à ce sujet des règles quel
conque , c’est quelque peu empiéter sur la conscience
du ju g e , qui n’a qu’à suivre dans chaque espèce ses
propres inspirations.
A rt. 4 2 .
L’extrait des actes de société en nom collec
tif ou en com m andite doit être rem is dans la
quinzaine de
leu r date an greffe du trib u n al
de com m erce de l ’arrondissem ent dans lequel
est établie la m aison dn com m erce social, pour
être tra n scrit su r le registre et affiché pendant
tro is m ois dans la salle des audiences.
Si la soeiété a plu sieu rs m aisons de com m erce
situées dans divers arrondissem ents, la rem ise,
la
tran scription
et
l ’affiche
sero n t faites
an
greffe du trib u n a l de com m erce de chaque ar
rondissem ent.
Ges form alités seront observées , à peine de
nullité, h l ’égard des intéressés ; m ais le défaut
d’aucune d’elles ne pourra être opposé à des
tiers
par les associés.
�SOMMAIRE
355.
Origine de la disposition prescrivant la publication des so
ciétés.—Ordonnances de 1579 et de 1623.
356. Ordonnance de 1673. — Causes qui la firent tomber pres
que aussitôt en désuétude.
357. Système du Code de commerce. — Loi du 2 i juillet 1867.
Modifications qu’elle introduit à ce système.
3 5 7 bis. pièces qui doivent être déposées avec l'acte de société.
357ter. Où doit être fait le dépôt.
358. Insertion au journal ; discussion au Corps législatif.
358 b‘s. En quoi consiste cette insertion.
359. Comment il en est justifié. — Effet du défaut d’enregistre
ment du numéro du journal.
360. Délai dans lequel toutes ces formalités doivent être rem
plies.—Son point de départ.
361. Son expiration rend-elle leur accomplissement impossible?
361 b‘s. Q u id du délai pour l’enregistrement du journal ?
362. Conséquences du défaut ou de l ’irrégularité de la publica
tion.—Qui peut s’en prévaloir ?
3 6 2 b»s. Controverse sur la portée des termes : à l’é g a r d d e s in
té r e s s é s .
362 ter. Effets de la nullité à l’égard des tiers.
363. A l’égard des associés.
364. La nullité affecte-t-elle les clauses se référant à la rupture
de la société ?
365. Notamment celle portant un dédit ?
366. Résumé.
367. Caractère de la nullité entre associés.—Conséquence.
368. Les tiers se prévalant de l’acte nul peuvent-ils accepter
certaines clauses et repousser les autres ?
369. Le défaut de publicité ne saurait être suppléé par la noto
riété de la société.
370. Conséquences quant aux créanciers personnels des associés.
Ils sont de véritables tiers.
�444
DES SOCIÉTÉS
355.
— Nous avons déjà dit que l’édit de Blois de
4579 s’était le premier occupé de la publicité des so
ciétés, en soumettant à l’enregistrement et au dépôt cel
les qui existaient, ou qui existeraient par la suite.
Nous avons fait remarquer que cette disposition était
prise exclusivement pour les étrangers, qui étaient alors
en possession de presque tout le commerce ; qu’elle était
une précaution en faveur des nationaux , qu’on voulait
défendre contre les fraudes que la clandestinité des so
ciétés rendait faciles.
Nous avons d i t , enfin , que les développements du
commerce amenèrent chez les nationaux les fraudes aux
quelles on s’était trouvé exposé de la part des étran
gers, ce qui fit invoquer contre les uns le remède qu’on
avait appliqué aux autres. Sur les réclamations les plus
réitérées, l’ordonnance de juin 4623 rendit obligatoires
pour les Français l’enregistrement et le dépôt des actes
de société.
Chose remarquable , cette disposition ne reçut au
cune exécution sérieuse. Ceux-là même qui avaient le
plus ardemment réclamé n’en tinrent aucun compte.
Aussi, et bien avant 4673, était- elle tombée en désué
tude complète.
356.
— Le législateur de cette dernière époque ,
convaincu de l’utilité de la mesure , en renouvela la
prescription, en la réduisant toutefois aux sociétés entre
marchands ; mais il ne fut pas plus heureux que son
prédécesseur. Quelques années s’étaient à peine écou-
�ART. 4 £ .
44,S
lées, qu'eu témoignage de la docjrine et de'la jurispru
dence son œuvre était généralement délaissée.
Ce résultat déplorable était, il faut le dire , la consé
quence de la manière dont la disposition avait été for
mulée , et qui la rendajt mauvaise et injuste. N’attei
gnant pas même le but sur un point essentiel, elle le
dépassait considérablement sur un autre.
En effet , elle ne soumettait à l’enregistrement et au
dépôt que les sociétés entre marchands, c’est-à-dire et le
plus généralement, les sociétés en nom collectif. Elle en
exemptait celles entre marchands et non marchands,
c’est-à-dire les sociétés en commandite.
Or , ce qui est évident, c’est que les premières de
vaient nécessairement laisser après elle des traces saisissableç , soit dans le fait d’une exploitation dans un
intérêt commun, soit dans les livres et écritures des di
vers associés. Ces traces et le droit des tiers de prouver
par témoins l’existence de la société amoindrissaient
l’inconvénient du défaut de publicité.
Il n’en était pas ainsi dans la commandite ; rien
dans celle-ci ne pouvait suppléer à cette publicité. En
effet, comme l’observe Savary.le commerçant comman
dité ne porte pas sur son livre comme fonds capital la
somme de deniers à fournir par le commanditaire , il
se borne à en créditer celui-ci, auquel il a ouvert un
compte courant, comme son créancier ; de sorte que s’il
arrive que le marchand tombe en faillite, l’associé, pa
raissant créancier, entre dans le contrat d’accommode
ment avec les autres créanciers, ou bien il partage avec
ii
to
�4 46
DES SOCIÉTÉS
eux au sol la livre les effets du failli. Cependant, si les
tiers avaient connaissance de l’acte par son enregistre
ment, cette fraude serait impossible ; l’associé se verrait
contraint de participer aux dettes dans la proportion
exigée par l’article 8 du titre 4 de l’ordonnance. La dis
pense de l’enregistrement de l’acte a donc pour effet de
rendre cet article illusoire l.
Savary, qui s’exprimait ainsi, était cependant un des
auteurs de l’ordonnance. Il agissait donc en connais
sance de cause, lorsqu’il admettait la dispense ; et cer
tes il dut éclairer ceux qui agissaient avec lui. Le lé
gislateur de cette époque serait donc sans excuse s’il
n ’en trouvait une dans les mœurs du moment. Les pré
jugés nobiliaires exigeaient que la commandite demeu
rât ensevelie dans le plus profond secret , et c’est à ce
préjugé qu’on sacrifiait, en la dispensant de toute for
malité. On laissait ainsi subsister un inconvénient gra
ve ; mais , en admettant le contraire , on risquait de
sacrifier l’institution ; on ne crut donc pas devoir hé
siter.
Mais ce qui ne se conçoit p a s , c’est la malheureuse
pensée de rendre les tiers victimes de la négligence et
de la faute des associés. En effet, comme sanction de ses
dispositions , l’article 2 frappait la société de nullité,
tant entre les associés qu’à l’endroit de leurs créanciers
ou ayants cause. Une pareille peine ne pouvait avoir
Parfait négociant, 1 4, liv 4 ; — Z>es sociétés, p. 24.
�qu’un seul résultat : rendre les tiers responsables d’une
fraude dirigée contre eux , et qu’ils n’ont jamais eu la
faculté d’empêcher. Or , c’était là blesser l’équité et la
morale. Aussi ne doit-on pas s’étonner que la conscien
ce publique eût repoussé énergiquement une pareille
énormité. C’est ce qui explique comment, peu après sa
promulgation, l’ordonnance était déjà tombée en désué
tude à cet égard 1.
357.
— Les auteurs du Code de commerce profitè
rent de la leçon, convaincus de la haute utilité et de
l’indispensable nécessité de la publicité des sociétés
la prescrivirent dans toutes les sociétés commerciales et
en firent la condition sine qua non de leur validité.
Mais obéissant à un sentiment de justice , ils proclamè
rent que la nullité résultant du défaut de publication,
ou d’une publication irrégulière ou insuffisante, ne
pourrait, en aucun cas, être opposée aux tiers.
C’étaient là des modifications heureuses. Mais quoi
que améliorant la législation sur la matière , ces modi
fications étaient loin d’assurer au public ces garanties
efficaces qu’il était en droit d’attendre et d’exiger. Dans
le système de l’article 42, tout se passait entre l’associé
et le greffier du tribunal de commerce , l’un déposant,
l’autre recevant l’extrait de l’acte de société, qu’il tran
scrivait sur un registre spécial. Il est vrai que cet ex
trait devait rester , pendant trois m ois, affiché dans la
�148
DES SOCIÉTÉS
salle d’audience du tribunal. Mais le public qui fré
quente cette salle est rarement celui qui aurait intérêt
à connaître les conditions de la société. Sans compter
que la place que l’affiche occupait et le grillage qui la
protégeait en rendait la lecture difficile sinon impossi
ble. Il fallait donc se transporter au greffe , compulser
le registre et consacrer à cette recherche un temps qu’on
préférait consacrer à ses affaires. .
On l’avait si bien senti que dans l’objet d’établir un
moyen de publicité plus facile, un décret du 18 février
1814 prescrivait l’insertion dans un journal de l ’extrait
de l’acte social.
Mais la constitutionnalité de ce décret avait été l’objet
de nombreuses contestations. La cour de cassation qui
s’était d’abord prononcée pour le décret, finit par en
consacrer l’inconstitulionnalité, par un arrêt des cham
bres réunies du 3 mars 1 8 3 2 .1
C’en était fait de l’insertion au journal malgré que,
comme moyen de vulgarisation, elle l’emportât sur tou
tes les autres formalités. Une loi qui suivit immédiate
ment l’arrêt de la cour de cassation , mais que la clô
ture de la session ne permit de discuter qu’en 1833 et
qui fut promulguée le 31 mars de cette même année,
vint la prescrire, et cette fois très-légalement.
Tout le système de publicité du Code de commerce
consistait donc dans le dépôt au greffe du tribunal de
�commerce d’un extrait de l’acte de société ; dans la tran
scription de cet extrait dans un registre spécial, dans
son affiche pendant trois mois dans la salle d’audience,
et par son insertion dans le journal que le tribunal de
commerce désignait annuellement pour recevoir ces in
sertions.
On sait les vives attaques et les nombreuses réclama
tions dont ce système avait été l’objet. Cependant le
projet de loi de 1867, tout, en le modifiant pour les so
ciétés en commandites par actions, anonymes ou à ca
pital variable , le maintenait pour les sociétés en nom
collectif ou en commandite simple.
Mais la commission du Corps législatif ne crut ni avantageux ni convenable d’admettre divers modes de
publication variant suivant la nature de la société. Frap
pée de ce que , dans l’enquête commerciale , une foule
d’hommes spéciaux avaient fortement insisté sur la né
cessité de simplifier la publicité des sociétés, de la ren
dre en même temps plus efficace et moins coûteuse,
elle crut devoir satisfaire à ce vœu , et saisissant l’occa
sion qui s’offrait dans ce sens, elle arrêta une série de
dispositions q u i, accueillies par le conseil d’Etat et le
Corps législatif sont devenues le titre 4 de la loi du 24
juillet 1867.
Aux dispositions de l’article 42, cette loi substitue les
prescriptions suivantes :
« Ar t ic le 55.
» Dans le mois de la constitution de toute société
�1 50
DES SOCIÉTÉS
» commerciale , un double de l’acte constitutif s’il est
» sous seing privé , ou une expédition s’il est notarié,
» est déposé aux greffes de la justice de paix et du tri—
» bunal de commerce du lieu dans lequel est située la
» société.
» A l’acte constitutif des sociétés en commandite par
» actions et des sociétés anonymes sont annexées :
» 1 0 une expédition de l’acte notarié constatant la souy> scription du capital social et le versement du quart ;
» 2 ° une copie certifiée des délibérations prises par
» l’assemblée générale dans les cas prévus par les arti» clés 4 et 24.
» En outre , lorsque la société est anonyme , on doit
» annexer à l’acte constitutif la liste nominative , due» ment certifiée, des souscripteurs contenant les noms,
» prénoms, qualité, demeure et le nombre d’actions de
» chacun d’eux.
» A r t i c l e 56.
» Dans le même délai d’un mois, un extrait de l’acte
» constitutif et des pièces annexées est publié dans l’un
» des journaux désignés pour recevoir les annonces lé» gales.
» Il sera justifié de l’insertion par un exemplaire du
�art.
42.
451
» journal certifié par l’imprimeur, légalisé par le maire
» et enregistré dans les trois mois de sa date.
» Les formalités prescrites par l’article précédent et
» par le présent article seront observées à peine de nul» lité à l’égard des intéressés ; mais le défaut d’aucune
» d’elles ne pourra être opposé aux tiers par les asso» ciés. »
Ces dispositions constituent évidemment un progrès
et consacrent quelques nouvelles mesures excellentes.
Donneront-elles enfin au public cette garantie efficace
qu’on a cherché à lui assurer ? Il faudrait pour le croire
qu’elles eussent modifié ce qui est peu modifiable, la
nature des choses. '
Quelque précautions qu’on prenne on ne parviendra
jamais à faire de la publicité des sociétés une vérité ab
solue. La rapidité inévitable des opérations commercia
les , leur caractère , l’éloignement des parties contrac
tantes, restreindront nécessairement cette publicité dans
un cercle assez étroit, à l’exclusion , bien souvent, des
personnes qui y auraient le plus grand intérêt.
« Si les formalités prescrites pour la publication des
» actes de société , disait le second exposé des motifs
» de la loi de 1867, les faisaient, en effet, connaître
» de tous ceux qui sont intéressés à savoir ce qu’ils
» contiennent ; ou même s’il était possible à chacun,
» au moment où il contracte avec une société, de s’en» quérir des stipulations insérées dans les statuts, on
�ib â
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
devrait moins se préoccuper des intérêts qui seraient
en mesure de se protéger eux-mêmes. Mais, d’une
part, il y aura toujours, quoi qu’on puisse faire, entre la publicité de droit et la publicité de fa it, une
différence qu’il ne faut ni méconnaître ni oublier ;
d’un autre côté, au milieu des transactions si rapides
et si nombreuses du commerce , personne ne peut
parvenir à connaître les combinaisons si variées des
actes de société et à se prémunir contre leurs effets. »
Sans doute , il y a entre la publicité de droit et la
publicité de fait une différence qu’on ne parviendra pas
à faire disparaître. Celte différence, toutefois, ne git pas
dans l’impuissance de connaître la nature et les condi
tions de la société avec laquelle on traite. Ce qui la dé1
termine , c’est le manque de tem ps, c’est le défaut de
moyens pour réaliser les démarches et les recherches
auxquelles il faudrait se livrer.
Comment, en effet, les précautions prises au siège de
la société pourraient - elles être de quelque efficacité
pour ceux qui demeurent à cinquante, à cent lieues de
ce siège? Comment un négociant lisant aujourd’hui
dans son journal l’annonce d’une société,aura-t-il dans
six mois, dans un a n , assez présentes à l’esprit la date
du numéro du journal et la teneur dé l'annonce ? Fau
dra-t-il, avant de conclure une opération , se transpor
ter, quelle que soit la distance, soit au greffe du tribu
nal de Commerce du ressort, soit au grfeffe de la justice
de paix du cardon ? Sera-t-on fondé à reprocher de
�ART.
42.
153
s’en être abstenu , à celui qui ayant traité par courtier
ou agent de change, n’a connu l’opération qu’après l’o
pération conclue et définitivement arrêtée ? .
L’efficacité absolue de la publicité des sociétés est
donc une véritable chimère, Cependant tout en l’admet
tant ainsi, le législateur ne pouvait pas laisser cette pu
blicité sans effets. S’il était impuissant à faire que tout
le monde sut, il devait mettre tout le monde à même de
savoir, et prendre des mesures pour que ceux qui au
raient la volonté et le temps de se livrer à des recher
ches pussent y parvenir le plus facilement et à moins de
frais possible.
3 5 7 bis. — Dans ce but, au lieu de l’extrait qu’exi
geait l’article 42 du Code de commerce , la loi nouvelle
prescrit le dépôt de l’acte lui-même , en original s’il est
sous seing privé, en une expédition s’il a été reçu par
un notaire,
On pourra donc, à l’avenir, consulter le pacte social
dans son entier, en vérifier toutes les clauses, en péné
trer les arcanes, en apprécier les conditions. Entre au
tres avantages, cette prescription a celui de rendre tout
malentendu impossible , de mettre un terme aux diffi
cultés et au procès auxquels avait donné lieu la ques
tion de savoir si telle ou telle clause de l’acte devait ou
non être publiée.
Dans les sociétés en nom collectif ou en commandite
simple, il n’y a à déposer qu’une seule pièce : l’acte de
société. Du jour, en effet, que cet acte est agréé et si-»
�154
DES SOCIÉTÉS
gné par les intéressés, la société est définitivement con
stituée , et sa mise en mouvement n’est subordonnée à
aucune autre formalité.
Dans les sociétés en commandite par actions ou ano
nymes , la constitution de la société exige d’abord une
déclaration notariée pa-r le gérant ou les fondateurs,
que l’entier capital a été souscrit et le versement du quart
du montant de chaque action opéré.
De plus, si des apports en nature ont été fait ou des
avantages particuliers stipulés , une première assemblée
générale nomme une commission qui apprécie les uns
et les autres, et sur son rapport une seconde assemblée
générale approuve ou non les apports ou les avantages
particuliers h
L’accomplissement de ces formalités régularise seul la
constititulion de la société. Aussi la loi exige-t-elle qu’à
l’acte de société soient annexées : une expédition de la
déclaration notariée, et, s’il y a lieu, une copie certifiée
des délibérations sur les apports en nature et les avan
tages particuliers.
Le législateur nouveau a donc voulu que les tiers fus
sent mis à même de s’assurer de la régularité de la
constitution de la société. On pourrait se demander où
en était la nécessité , puisque la nullité résultant de
l’irrégularité ne peut jamais leur être opposée.
Mais à côté des associés existent les créanciers per-
1 Voir notre Commentaire de la lo i du M ju ille t 1867, art. 4 et 24.
�art.
42 .
455
sonnels de chacun d’eux, et ce que les premiers ne sau
raient faire , ceux-ci sont admis à s’en prévaloir. Les
créanciers personnels, en effet, sont des tiers que la so
ciété lèse plus ou moins , car ce que leur débiteur y a
versé devient par privilège affecté aux créanciers so
ciaux. Ils sont donc exposés à perdre une partie de
leur gage, et par conséquent fondés à prétendre ne de
voir subir cette perte que si la société a été régulièrement
constituée.
Donc , la régularité de la constitution de la société
intéresse à un haut degré tous ceux qui sont appelés à
traiter ave elle. Ce n’est qu’à cette condition que sera
acquis leur privilège sur l’actif de la société. Il était
donc convenable et juste de les mettre à même d’appré
cier celte régularité , et de refuser de traiter si l’inac—
complissement de la loi leur faisait craindre d’être obli
gés de venir seulement en concours avec les créanciers
personnels des associés.
Enfin, si la société est anonyme, on doit encore an
nexer à l’acte la liste nominative, dûment certifiée, des
souscripteurs, contenant les nom s, prénoms , qualités,
demeure et le nombre d’actions de chacun d’eux.
Ici l’intérêt est évident. La société anonyme est une
société de capitaux et non de personnes ; il n’y a pas de
responsabilité indéfinie, et, comme tous les autres asso
ciés, les administrateurs ne sont tenus que jusqu’à con
currence de leur mise. Il est donc rationnel que le pu
blic, qui n’a d’autre gage, d’autre garantie que le capi
tal déclaré, soit mis à même de vérifier si les souscrip-
�156
DES SOCIÉTÉS
teuvs sont sérieux et solvables , et dispensé > le cas échéani, de se livrer à des recherches plus ou moins fa
ciles.
Il est vrai que, quoique sur une échelle moindre, le
même intérêt existe dans la commandite. Mais il est de
l’essence de celle société que le ncm des commanditaires
restent ignorés et inconnus du public. La responsabilité
solidaire et indéfinie du gérant est d’ailleurs une garan
tie , car il ne pourrait, sans en être victime , favoriser
quelques-uns de ses associés et amoindrir ou dénaturer
leurs engagements.
Les commanditaires ne pouvant être directement pour
suivis qu’en cas de faillite de la société, les tiers créan
ciers ne sont intéressés à les connaître qu’à cette épo
que. Or , la loi y a pourvu en exigeant le dépôt d’un
double de l’acte, et en prescrivant d’annexer la liste des
souscripteurs à la déclaration notariée à faire par le gé
rant, de la souscription de l’entier capital et du verse
ment du quart au moins des actions. Le ministère forcé
du notaire et le dépôt de l’annexe dans ses minutes
sont une suffisante garantie contre toutes modifications
ou altérations ultérieures.
3 5 7 ter. — L’acte et, s’il y a lieu , les annexes sont
déposés non-seulement au greffe du tribunal de com
merce du ressort, mais encore au greffe de la justice de
paix du lieu dans lequel est établie la société. Le dépôt
au greffe de la justice de paix atténue singulièrement
l’inconvénient que peuvent présenter l’incertitude du
�<*
ART.
42.
157
tribunal dont ressort la société et l’éloignement de ce
tribunal. On n’aura désormais qu’à se rendre au cheflieu du canton qui sera toujours connu et fort à portée
d’un certain public, et on y trouvera les renseignements
qu’on n’aurait pas même recherché si un voyage, quel
que court qu’il fût, avait été nécessaire.
En rendant les recherches plus simples et plus faciles
on les encourage. Ce but que la loi nouvelle s’est pro
posée, ses dispositions sont de nature à l’atteindre.
Si la société a plusieurs maisons de commerce , le
dépôt prescrit doit être effectué dans chacun des divers
arrondissements où existent ces maisons. Celle prescrip
tion que l’article 42 du Code de commerce consacrait,
avait donné lieu à rechercher ce qu’il fallait entendre
par maison de commerce. Par exemple , fa u t-il, dans
les sociétés pour entreprise de travaux, considérer com
me un établissement distinct le lieu où s’exécutent les
travaux et où la société a des ouvriers et des agents
pour l’exécution et la direction de ces travaux , ou la
perception des produits en vue desquels ils ont été en
trepris et exécutés ?
Un arrêt de la cour de Paris, du 24 décembre 1842,
se prononce pour la négative. M. Delangle approuve
fort celte solution. « Ce serait, dit-il, pousser les cho» ses à l’excès que d’imposer la nécessité des publica» tions partout où la société a des rapports avec les
» tiers et se livre aux travaux qui doivent la conduire
» à son but. Il faut encore, pour que la loi soit appli» cable, qu’il y ait un domicile social, une maison de
�DES SOCIÉTÉS
» commerce. On ne peut pas entendre par une maison
» de commerce le lieu où les travaux s’exécutent. 1 »
Nous sommes de l’avis de M. Delangle , e t , comme
lui , nous croyons irréfutable la doctrine de l’arrêt de
Paris. On doit donc l’appliquer encore sans hésiter , la
loi nouvelle n’ayant rien modifié en ce point à l’article
42 du Code de commerce, et laissant aux termes mai
son de commerce l’acception qu’ils avaient reçue sous
l’empire de celui-ci.
De même que l’article 42 du Code de commerce, l’ar
ticle 59 de la loi nouvelle suppose non des rapporis
plus ou moins fréquents avec les tiers , pas même des
opérations plus ou moins nombreuses, mais des établis
sements permanents, tenant magasins ou bureaux, s’an
nonçant au public par une enseigne portant la raison
sociale , en d’autres termes , des succursales régulière
ment organisées et faisant, dans les localités où elles
sont établies , tout ce que la maison mère fait au siège
de la société.
Dès lors, les raisons d’utilité et d’intérêt publics qui
faisaient prescrire la publication de la société à ce siège
exigeaient celle publication dans chacune des localités
où fonctionnent les succursales , et l’on comprend trèsbien que le législateur de 4S67 ait reproduit et se soit
approprié la disposition du Code dejcommerce à ce
sujet.
1 Des sociétés, n° 529.
�ART.
42.
159
Dans le premier paragraphe de l’article 59 , le mot
arrondissement est pris dans l’acception qu’on lui attri
bue dans le langage judiciaire : il désigne donc le res
sort assigné aux tribunaux de première instance. Le dé
partement des Bouches-du-Rhône , par exemple , a
trois arrondissements : Marseille, Aix, Arles. La société
qui aurait des maisons de commerce dans chacune de
ces villes, ou dans des localités en ressortissant, devrait
opérer le dépôt prescrit au greffe du tribunal de com
merce de l’arrondissement et au greffe de la justice de
paix du canton.
Le second paragraphe du même article 59 emploie
encore le terme arrondissement, mais dans une accep
tion fort différente. La division d'une ville en arrondis
sements ne se rencontre guères que pour Paris et Lyon.
Partout ailleurs les villes , quelle que soit leur impor
tance , se divisent par cantons dont chacun est desservi
par une justice de paix spéciale. C’est à cette division
que se réfère l’article 59.
Fallait-il, dès qu’une société avait des maisons dans
des quartiers situés dans des cantons différents , l’obli
ger à déposer Pacte de société et, s’il y a lieu , ses an
nexes, au greffe de la justice de paix de ces divers can
tons ? On ne l’a pas pensé , et avec juste raison. On ne
voit pas, en effet, l’utilité de cette multiplicité de dépôts
dans une même ville.
Il suffit donc , dans ce cas , d’un dépôt au greffe de
la justice de paix du principal établissement, et l’on
�460
DES SOCIÉTÉS
considérera comme tel celui que l’extrait inséré au jour
nal désignera comme siège de la société.
358.
— Nous avons déjà dit que , de même que le
législateur du 34 mars 4 8 3 3 , le législateur de 4 8 6 7
prescrivait, outre le dépôt dont nous venons de parler,
l’annonce de la société dans les journaux.
Cette exigence souleva une controverse au Corps lé
gislatif, non sur le principe en lui-même que tous con
sidéraient comme utile et nécessaire, mais sur le mode
d’exécution qu’il convenait de lui donner.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« Est-ce que, disait M. Jules Sim on, quand on veut
imposer la publication aux sociétés, c’est afin qu’elles soient connues du plus grand nombre de personnés, et qu’elles trouvent un plus grand nombre d’adbérents ? Est-ce que c’est afin que leurs affaires s’étendent? Ce n’est pas cela du tout; c’est afin que
personne ne puisse être trompé , et que ceux qui
ont besoin de savoir quels sont les statuts de la société , le sachent parfaitement sans la moindre difficulté.
» Eh bien 1 pour cela que faut-il ? Il faut qu’on
puisse trouver ces renseignements dans le même lieu,
e t , pour ainsi d ire , à la même place. Vous n’avez
pas besoin pour cela d’un journal répandu , tout au
contraire ; le renseignement qu’il vous faut sera noyé
dans un pareil journal ; on l’y trouvera difficilement,
après de longues et fastidieuses recherches que tout
le monde ne peut pas faire. Il est mille fois préféra-
�AKT.
42.
161
» ble d’avoir un répertoire unique où tous les éléments
» réunis et méthodiquement classés rendent les recher» ches et les comparaisons faciles. »
En conséquence , M. Jules Simon proposait la créa
tion d’un bulletin unique destiné à recevoir et à centra
liser l’annonce de toutes les sociétés qui se créeraient sur
tous les points de la France.
Ce système localisait en quelque sorte les recherches,
mais ne les rendait pas plus faciles , surtout pour ceux
qui résidaient loin du lieu où se publiait le bulletin.
Aussi la commission lui préférait - elle , avec raison,
l'emploi des journaux de la localité. Mais elle deman
dait que parmi ceux désignés pour recevoir les annonces
légales , on en indiquât un spécialement et exclusive
ment chargé de l’insertion des annonces relatives aux
sociétés. « La liberté du choix, disait-elle, pourra faire
» que les insertions pour la même société soient adres» sées à différents journaux , tandis qu’avec un seul
» journal devant concentrer toutes les annonces, les re» cherches sont aussi faciles , aussi sim ples, aussi peu
» coûteuses que possible. »
Cette proposition repoussée par le conseil d’E tat, fut
combattue, au Corps législatif, par le ministre du com
merce comme créant, sans nécessité, une dérogation au
droit commun.
« Remarquez, disait le ministre, que les publications
» des sociétés , quelque intéressantes que soient les so» ciétés, ne sont pas plus importantes que les publica11
h
�—
i 62
»
»
»
»
»
»
»
—
DES SOCIÉTÉS
tions qui touchent à l’intérêt des mineurs, à l’intérêt
des interdits , aux divers intérêts auxquels s’applique
la publicité légale. Pourquoi donc vouloir une publicité spéciale pour les sociétés ? pourquoi vouloir des
garanties que le droit commun n’exige pas pour les
autres sortes de publications ? Nous n’en avons pas
apperçu le motif. »
Ce motif était cependant assez visible. Ce que la com
mission demandait n’était ni une publicité spéciale , ni
de garanties autres que celles que le droit commun ac
corde aux autres publications légales. Son but unique
était de rendre les recherches plus simples et plus faci
les, ce qu’exigeait impérieusement le caractère des trans
actions commerciales. C’est en cette matière surtout
qu’on peut dire que le temps est de l’argent , et celui
qu’on perdrait en feuilletant divers journaux , sans in
convénient lorsqu’il s’agit de mineurs, d’interdits, de
femmes mariées , pourrait exercer la plus fâcheuse in
fluence sur l’opération projetée , et même la rendre in
utile ou impossible.
Quoiqu’il en soit, la majorité du Corps législatif sui
vant docilement l’avis du ministre , repoussa la propo
sition de M. Jules Simon et l’amendement de sa com
mission. En conséquence, dans les localités où plusieurs
journaux ont été désignés pour recevoir les annonces
légales, les intéressés ont la liberté de choisir l’un d’eux
à leur gré, pour toutes les insertions exigées par la so
ciété.
A.u reste, cette liberté sera bientôt illimitée. Le systô-
�ART.
42.
463
me de désignation des journaux par l’administration n’a
jamais été qu’une mesure politique, et il est à peu près
certain qu’il tombera avec l’odieux régime qui nous l’a
vait imposé.
358 bis. — Si l’insertion au journal avait dû com
prendre l’acte de société et ses annexes, la mesure eût
été fort coûteuse : aussi la loi se contente-t-elle d’exiger
un extrait de l’un et des autres.
Nous allons bientôt voir les indications que doit con
tenir l’extrait de l’acte de société.
Quant à l’extrait des sociétés anonymes, la loi garde
le plus complet silence : elle s’en remet donc à ce sujet
à l'appréciation des associés qui font l’insertion.
Ce que doit être celle-ci, la nature de l’anonyme
l’indique suffisamment. Ce qui importe aux tiers c’est
de savoir, non dans quelle forme il a été procédé, mais
uniquement si les conditions tracées par la loi ont été
remplies.
En conséquence, il suffira de mentionner cet accom
plissement , et cette mention résultera des indications
suivantes :
Par acte d u , notaire M '. . . , enregistré, M. . . . ,
gérant ou MM. . . . , fondateurs de la société , ont dé
claré que le capital social avait été en entier souscrit, et
le versement du quart des actions opéré ;
Par délibérations des. . . , l’assemblée générale a fait
apprécier et approuver les apports en nature faits par
�164
DES SOCIÉTÉS
M. . • ., ou les avantages particuliers stipulés en faveur
de. . . •
Quant à la liste nominative des souscripteurs que la
loi exige dans l’anonyme , il est évident qu’elle n’est
pas susceptible d’extrait. Dès lors la loi ne demandant
qu’un ex trait, il est évident que cette liste ne doit pas
figurer dans l’insertion.
5 5 9 . — Cette insertion est prouvée par la produc
tion d’un exemplaire du journal certifié par l’itpprimeur
et légalisé par le maire.
Il semble que cette double formalité devait suffire,
car en supposant qu’on eût surpris la signature du
maire sur un exemplaire fabriqué après coup , l’exem
plaire qu’on a dû déposer au parquet ferait facilement
découvrir la fausseté de la daté et établirait la certitude
de la fraude.
Cependant la loi ne s’en est pas contentée : elle veut
en outre que le numéro du journal soit enregistré dans
le.i trois mois de sa date.
Nous ne voyons pas ce que cet enregistrement peut
ajouter à la publicité de la société ; cependant il résulte
de la discussion de la loi qu’il a été prescrit, non dans
un but de fiscalité , mais pour assurer aux actes de so
ciété une publicité loyale et sincère. D’où la jurispru
dence a conclu que le défaut d’enregistrement entraînait
la nullité de l’actfe , alors même que l’insertion aurait
eu lieu ; et que cette nullité étant d’ordre public, ne se-
�!
a.rt .
42.
i
165
t
rait pas couverte par l'exécution que la société aurait
reçue 1.
Cette jurisprudence est sévère. On pourrait peut-être
lui reprocher de confondre l’absence de publicité avec
le défaut des moyens tendant à la justifier ; de faire
produire à ce défaut un effet qui ne devrait résulter que
de l’absence de publicité ; l’enregistrement n’étant qu’un
moyen de prouver que la publicité a été donnée à la
société , et ne constituant pas lui-même cette publicité,
n’est-ce pas par trop rigoureux qu’il ne puisse être sup
pléé par rien ? N’est-ce pas d’autre part pousser jus
qu’à ses dernières limites l’idolâtrie de la forme que
d’annuler l’acte, alors que , de l’aveu de tous , l’inser
tion a eu lieu dans le délai voulu ? A quelle nécessité
répond alors cette nullité ?
Ces considérations ne manquent pas de gravité, et il
eût été à désirer qu’en révisant notre système de pu
blicité, le législateur de 1867 les eût examinées, et jugé
des conséquences qu’elles devaient entraîner. Comme
les documents législatifs sont muets à cet égard , de ce
silence il s’induit qu’en s’appropriant la disposition de
l’article 42 du Code de commerce, la loi nouvelle laisse
toute son autorité à la doctrine des cours de cassation
et de Bordeaux.
»
360. — Le délai de quinze jours que le Code de
1 Cass., 30 janvier 1839 ; Bordeaux , 5 février 1841 ; — D. P., 31,
1, 90; 41, 2, 18b.
�166
DES SOCIÉTÉS
commerce accordait pour le dépôt et l’insertion au jour
nal , a ét^ porté à un mois par la loi nouvelle , et ce
mois court, non plus de la date de l’acte, mais du jour
de la constitution de la société.
Le Code de commerce avait pu prendre la date de
l’acte pour point de départ du délai, car, sous son em
pire, dès que cet acte était parfait, la société était con
stituée , et cela non-seulement pour la société en nom
collectif et en commandite simple , mais encore pour
la commandite par actions , à moins que , dans cette
dernière, l’acte ne stipulât que la société ne serait
constituée que lorsque un nombre d’actions serait sou
scrit.
Dans ce c a s , à ne consulter que les termes de l’ar
ticle 42, c’était encore de la date de l’acte que devait
partir le délai. Mais cette interprétation juridique bles% sait la raison. À quoi bon en effet publier une société
qui n’était encore qu’un projet, qui pouvait ne pas re
cevoir la condition sine qua non de son existence ?
Aussi la jurisprudence avait-elle admis non-seulement
que le délai ne court que du jour de la constitution de
la société , mais encore que la publication faite avant
l’événement de la condition devait être renouvelée après
sous peine de nullité de la société.
Un arrêt de la cour de cassation, du 4 août 1847,
juge que lorsqu’un associé stipule pour ses coassociés,
sans présenter leurs pouvoirs et seulement avec pro
messe de fournir leur ratification, la société n’est défi
nitivement constituée au regard des tiers que lorsque la
�ART.
42.
167
ratification est donnée, et que la publicité donnée à la
société avant la ratification ne produit aucun effet.
« Attendu, porte l’arrêt, que c’est seulement du jour
où l’acte de société est devenu définitif par l’approbation ou la ratification de ceux dont le consentement est nécessaire pour la validité de la société, que
court le délai de quinzaine pour sa publication;
» Qu’en conséquence la publication et le dépôt au
» greffe antérieurement aux ratifications restent dé» pourvues d’efficacité , en ce qu’ils se rattachent à un
» acte imparfait, et jusqu’à la publication régulière de
» l’acte ainsi ratifié et ainsi complété , les associés de» meurent personnellement propriétaires des immeu» blés apportés par eux en société, et dès lors capables
» de les hypothéquer. 1 »
»
»
»
»
L’honorable M. Duvergier avait délibéré , en faveur
de l’opinion contraire, une consultation dans laquelle
il soutenait que la ratification, ayant eu un effet rétro
actif , avait rendu la société définitive à l’origine de
l’acte , e t , par conséquent, donné toute efficacité à sa
publication ; qu’on devait d’autant plus le décider ainsi
que les droits du créancier n’avaient été acquis qu’a près la ratification qui avait rendu toute nouvelle publi
cation inutile.
Mais la cour de cassation,répond : « Que la règle
» qui assimile la ratification au m andat, quoique ap-
1 1. du P., 47, 2, 567.
�468
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
plicable aux associés qui ont traité en connaissance
de cause et en acceptant les éventualités de la promesse de ratification , n’empêche pas que , jusqu’à
cette ratification, l’acte de société n’ait pour le public
qu’une existence incertaine et subordonnée à un consentement qu’on peut donner ou refuser; que tant
que ce consentement n’est pas intervenu, la publication des actes de société en exécution de l’article 42
du Code de commerce n’ajoute aucune force à cet
acte , et le laisse dans l’état d’imperfection où il s’est
trouvé au moment de sa confection. »
La loi nouvelle tranche toute controverse et exclut
tout doute. Elle ne fait courir le délai de la publication
que du jour de la constitution de la société. Sous son
empire, donc, on doit de plus fort se ranger à la doc
trine de la cour de cassation. La publication d’une so
ciété dont l’existence serait subordonnée à une condi
tion quelconque, avant l’événement de la condition se
rait sans efficacité , et la société serait nulle à l’égard
des tiers si la publication n ’en avait été renouvelée dans
le mois de cet événement.
Or, les sociétés en commandite par actions ou ano
nymes ou à capital variable étant soumise par la loi à
des formalités spéciales , ne sont constituées définitive
ment qu’a près l’accomplissement de ces formalités , et
c’est de ce jour seulement que court le délai d’un mois
accordé pour la publication. La publicité que la société
aurait reçue avant, quelque complète qu’elle eût ,été, ne
�ART.
42.
169
mettrait pas la société à l’abri de l’action en nullité soit
de la part des associés, soit de la part des tiers.
361.
— Le délai d’un mois est-il fatal ? Son expi
ration est-elle un obstacle à toute publication ultérieure,
de telle sorte que malgré cette publication on pût tou
jours demander et faire prononcer la nullité de la so
ciété? En d’âutres termes , le retard équivaut-il au dé
faut de publication ; en produit-il les effets ?
L’affirmative a trouvé des partisans et des défenseurs
En cette matière, a-t-on dit, la nullité est d’ordre pu
blic ; elle est acquise par le seul fait de l’expiration du
délai. Comment donc admettre qué l’acte d’un des as
sociés en fait perdre le bénéfice aux autres , alors que
ceux-ci ne pourraient valablement renoncer à s’en pré
valoir ?
.
Ces considérations sont décisives dans l’hypothèse
d’une demande en nullité introduite en l’état de l’ab
sence de toute publication, ou d’une publication incom
plète, Dans ce cas , en effet , et tant que cet état dure,
chaque associé est en droit de faire prononcer la nul
lité , et il a été jugé , avec raison , qu’aucune fin de
non-recevoir contre sa demande ne saurait résulter de
l’exécution qu’il aurait personnellement donnée à la
société L
Cela se conçoit facilement. La publication des socié-
1 Toulouse, 22 mars 1837 ; Rennes, 22 juin 1837. — D. P., 37, 2,
164.
f
�170
DES SOCIÉTÉS
tés est exigée dans un intérêt public et général. On a
voulu éviter les fraudes qui pourraient après coup être
tentées soit contre certains associés, soit contre les tiers.
Or , tant que celte publication n’a pas été réalisée , la
désobéissance à la loi est flagrante, ses conséquences en
sont acquises, et il ne saurait être qu’un fait postérieur
à la demande judiciairement intentée pût en arrêter
l’effet.
Mais il n’en est plus ainsi lorsque , quoique tardive
ment , la loi a été obéie et toutes ses prescriptions rem
plies avant qu’une poursuite en nullité ait été intentée.
Alors, en effet, le danger en vue duquel la publicité a
été prescrite , n’existe plus ni dans l’avenir ni même
pour le passé. La publicité que l’acte reçoit détermine
la position de tous les intéressés et régularise cette po
sition vis-à-vis des tiers. En d’autres termes, le but que
se propose la publication des sociétés est de leur assu
rer une notoriété telle qu’aucun doute ne puisse surgir
ni sur leur existence, ni sur leurs conditions. Or, ce but
n ’est-il pas atteint dès que toutes les formalités prescri
tes ont été remplies ?
Qu’importe qu’elles l’aient été après le mois de la
constitution de la société ? Le sont-elles moins pour celà ? Le public en est-il moins suffisamment éclairé ? La
nullité serait donc en réalité un effet sans cause. Sans
doute le droit de la faire prononcer jusque-là était in
contestable. Mais le silence qui a permis que la société
fût enfin publiée, a dû et doit être considéré comme une
renonciation à l’exercer.
�ART.
42.
171
La pensée du législateur à ce sujet se manifeste dans
la discussion législative de l’article 42 du Code'de com
merce, dont la disposition relativement au délai n’a été
modifiée par la loi nouvelle que pour ce qui concerne
sa durée. Cette discussion, en effet, prouve qu’on s’était
beaucoup plus préoccupé des formalités en elles même,
que du délai dans lequel elles devaient être accomplies.
Cependant il fallait déterminer ce délai pour remédier
à un abus que l’ordonnance de 1673 avait autorisé. Du
silence qu’elle gardait à ce su jet, on avait conclu que
les formalités pouvaient être utilement remplies à toute
époque , même après l’introduction de l’action en nul
lité, qui devait dès lors être repoussée.
Celte fin de non recevoir ainsi née après coup parut
inique, et c’est uniquement pour la proscrire qu’on pro
posât et qu’on admit le délai de quinzaine. En réalité
donc , l’article 42 ne consacrait que ceci : Le délai de
quinzaine expiré sans que l’acte eût été publié, le droit
de faire prononcer la nullité était acquis aux intéressés
et ne pouvait être modifié par une exécution de la loi
postérieure à son exercice. Mais de là à conclure que
cet exercice pouvait encore avoir lieu nonobstant la pu
blication qui l’avait précédé, la distance est énorme , et
la doctrine n’a pas cru devoir la franchir.
« Ainsi, dit M. Delangle, dès qu’il s’est écoulé quinze
» jours de la date de la société sans que#i publication
» ait eu lieu, les associés sont en faute, et chacun d’eux
» est maître de rompre le contrat. Mais s i , dans l’ori» gine, ils gardent le silence , et qu’au moment où la
�m
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
plainte se fait entendre toutes les négligences aient
été réparées , la nullité n’existe plus. L’inobservation
du délai n’était' qu’une chose purement secondaire;
elle n’empêche pas que le jour où le débat s’engage
il y ait une société régulière au fonds comme en la
forme, valable, inattaquable. 1 »
Cette doctrine fondée en raison interprète sainement
la pensée du législateur , à laquelle la loi de 1867 n’a
ni voulu ni pu rien changer. Désormais donc , l’expiratipn du délai d’un mois à partir de la constitution de
la société ouvre aux intéressés l’action en nullité. Mais
si cette action n’est exercée que plus tard et qu’après
que la société a été régulièrement publiée , celte publi
cation quoique faite hors le d élai, n’en crée pas moins
une fin de non recevoir contre la demande.
361 bis. — Ce qui est vrai pour le délai de la pu
blication ne saurait pas ne pas l’être pour celui donné
pour l’enregistrement du numéro du journal dans le
quel l’extrait prescrit a été inséré. Ainsi, si trois mois se
sont écoulés depuis la date du journal sans qu’il ait été
procédé à son enregistrement, chaque intéressé a le
droit de se pourvoir en nullité , et l’exercice actuel de
ce droit aboutirait fatalement à cette nullité.
Mais, si au moment de cet exercice le numéro a été
enregistré , la demande en nullité est non recevable et
devrait être repoussée.
s
l Des sociétés, n° 537..
�ART
42
est vrai qu'en iscsy e iri» 4 i, les cours üe cassa
tion et de Bordeaux ont déclaré que la nullité résul
tant du défaut d’enregistrement dans les trois mois était
d’ordre public, et n’était pas couverte par l’exécution
que la société a reçue l.
Mais ce qu’il faut remarquer, c’est que dans l’une et
l’autre espèce il s’agissait non d’un retard dans l’enre
gistrement mais d’un défaut absolu , que cette formalité
n’avait été remplie ni avant ni depuis la demande , et.
c’est dès lors très-juridiquement qu’il était déclaré que
l’exécution donnée à la société n’avait pu suppléer à
cette formalité ni couvrir la nullité.
Qu’aurait-on décidé s i , après les trois mois mais a vant l’introduction de l’instance , l’enregistrement avait
été requis et réalisé ?
Nous ne pouvons, en ce qui concerne la cour de cas
sation , que nous livrer aux conjectures qu’autorise la
doctrine qne nous venons d’exposer. Quant à la cour de
Bordeaux , il apparait de son arrêt qu’elle aurait re
poussé la nullité.
En effet, nous lisons dans cet arrêt : « Attendu que
» le numéro du journal n ’a pas été enregistré dans las
» trois mois de sa date; qu’on ne rapporte pas non
» plus la preuve de cet enregistrement avant la deman» de en nullité. » N’est-il pas évident que si cette der
nière preuve avait été rapportée , la cour de Bordeaux,
i Voy. supra n° 69
i
�DES SOCIÉTÉS
au lieu d’accueillir la demande l’aurait repoussée ? Il
nous parait impossible d’interpréter autrement ce motif
de son arrêt.
Loin donc de repousser notre doctrine , l’arrêt de
Bordeaux la confirme implicitement.
3G2, — Les prescriptions de la loi relativement aux
diverses formalités qui, dans leur ensemble, constituent
la publicité légale, devaient se recommander aux inté
ressés par la gravité et l'énergie de la sanction pénale
attachée à leur inobservation. Or , celle qui s’offrait
naturellement à l’esprit était la nullité de la société ,
c’est celle que consacra l’article 42 du Code de com
merce.
La nullité est attachée non pas seulement au défaut
de publication , mais encore à la publication insuffi
sante ou incomplète. Chacune des formalités qui cons
tituent celte publication est recommandée au même ti
tre et doit être observée sous la même peine.
La loi de 1867 a laissé, à cet égard, les choses sur le
pied où les avait mises l’article 42, ce qui, sous l’em
pire de celui-ci, faisait encourir la nullité, l’entraîne
rait encore depuis et sous la loi nouvelle.
La nullité n’a non plus rien perdu de son caractère.
Elle continue à n’être la conséquence de l’inobservation
des formalités qu’à l’égard des associés. Le défaut d’au
cune d’elles ne peut être opposé aux tie rs, et c’était
juste.
En effet, la responsabilité d’une faute ne peut peser
�*
art.
42.
175
que sur ceux à qui cette faute est imputable. Or, com
ment reprocher aux tiers le défaut de publication régu
lière? Esl-ce qu’ils ont le devoir d’en remplir les for
malités ? Est-ce qu’ils sont en position de le faire V
La publication de la société ne peut être réalisée que
par les associés. Eux seuls doivent donc subir les con
séquences de son omission.
3 6 2 Ws. — Ces termes: à peine de nullité à l'ègctid des intéressés, avaient suscité une controverse.
Signifiaient-ils que la nullité pouvait être invoquée par
les associés entre eux , ou bien que l’acte valable entre
associés n’était, dans aucun cas, opposable aux tiers?
M.Delvincourt s’était prononcé dans ce dernier sens.
La nullité , disait i l , est prononcée, non pas en faveur
des associés, mais contre eux. On n’aurait pu faire au
trement sans blesser la raison. La nullité n’étant dès
lors que le résultat d’une faute générale et commune,
ne doit dans aucun cas profiter aux auteurs de la
faute.
Cette doctrine é ta it, dès le Si juillet 1817, expressé
ment condamnée par la cour de cassation. Elle n’a, de
puis, trouvé aucun défenseur ni en doctrine ni en juris
prudence.
Ce qui est universellement adm is, c’est que l’acte de
société nul pour défaut de publication, ne saurait pro
duire aucun effet , pas plus entre associés qu’à l’égard
des tiers. Sans doute la faute est générale et commune,
et imputable aux associés sans distinction. Mais la nul-
�.
176
DES SOCIÉTÉS
lité qui en résulte étant d’ordre public , tout le monde,
y compris les auteurs de la faute, peuvent s’en prévaloir,
parce qu’il n’a jamais appartenu à personne d’autoriser
ce que la loi prohibe, et que ISs nullités de cette nature
ne sont susceptibles ni de reconnaissance , ni de ratifi
cation, ni de convention.
3 6 2 ter. — L’effet de la nullité à l’égard des tiers
ne saurait créer aucune difficulté. La société , si leurs
intérêts l’exige, aura , pour ce qui les concerne , existé
valablement. Dans le cas contraire, ils la feront consi
dérer comme n’ayant jamais eu d’existence , et n’ayant
pu imposer à certains droits les modifications que leur
aurait fait subir une société régulière.
Ainsi nous venons de voir que, par arrêt du 4 août
1847, la cour de cassation déclarait valable l’hypothè
que concédée sur l’immeuble mis en société par le pro
priétaire même postérieurement à la mise en société, si
cette société n’a pas été régulièrement publiée l.
Ainsi encore les créanciers personnels des associés
sont admis à exercer leurs droits sur l’apport de leur
débiteur et sur la part qu’il peut avoir à prendre sur
l’actif social. La nullité de la société laissant sans effets
possibles le privilège que la régularité de la société au
rait permis aux créanciers sociaux d’exercer sur l’un et
sur l’autre.
i Voy. su pra n0 360.
�ART.
42 .
477
3 6 3 . — Quels seront, entre associés, les effets de la
nullité pour défaut de-publication régulière? M. Locré
répond : On jugera comme s’il n’y avait pas de société,
c’est-à-dire qu’il n’y aura pour le passé comme pour
l’avenir ni solidarité active entre les. associés , ni com
munauté de pertes et de gains \
Mais il en est de cette opinion comme de celle de M.
Delvincourt sur l’exception de nullité par les associés
entre eux, elle n’est soutenue par personne. Le fait est
ici d’une puissance décisive. Rien ne saurait faire qu’il
n’y ait eu société jusqu’à la constatation de sa nullité,
et par conséquent, en ce qui concerne le passé, solida
rité active et passive entre associés , communauté de
pertes et de gains.
Tout ce qui peut résulter du défaut de publication
régulière , c’est , pour chaque associé , la faculté et le
droit de revenir sur l’adhésion qu’il avait donnée à la
société, de faire annuler l’acte, et de se dégager pour
, l’avenir de l’obligation de l’exécuter. Mais l’acte n ’est
que l’instrument destiné à prouver l’existence de la so
ciété qui est légalement résultée du consentement des in
téressés , et qui a été parfaite dès que ce consentement
est régulièrement intervenu , et tant qu’on n’en a ni
poursuivi ni obtenu la rétractation.
« La nullité dont le défaut de publication frappe la
société ne saurait rétroagir ; les actes n ’en conservent
i Esprit du Code de commerce, art. 42.
il
12
�478
DES SOCIÉTÉS
pas moins leur nature d’actes de société pour tous les
faits accomplis au cours de la communauté d’intérêts et
avant la demande en nullité.1 »
r
'
Il résulte de là que la liquidation doit se réaliser
conformément aux stipulations de l’acte de société ; que
notamment les bénéfices doivent être partagés et les
pertes supportées dans les proportions déterminées , à
moins que ces proportions ne constituassent le pacte
léonin sévèrement proscrit par la loi.
3 6 4 . — Au reste, le respect des stipulations du con
trat se restreint aux dispositions concernant les faits ir
révocablement accomplis avant la demande. Toutes les
clauses se référant à des mesures à prendre au moment
de la dissolution, ou à des droits puisant leur origine
dans le fait de la dissolution , tombent avec l’acte luimême. Leur observation donnerait à l’acte une autorité
que la nullité lui a de plein droit retirée.
La cour de Rennes méconnaissant cette règle avait
jugé que la nullité de l’acte ne faisait pas obstacle à ce
que la clause par laquelle les parties avaient déclaré
que les arbitres jugeraient en dernier ressort, reçut son
exécution. Mais son arrêt ayant été frappé de pourvoi,
était cassé le 24 juin 1844 par les considérations sui
vantes :
« Attendu que si on peut dire qu’une société com-
i Cassation, 13 juin 483*
�ART.
42.
479
»
»
»
»
»
»
merciale exécutée e st, par la nécessité des choses, un
fait accompli dont les conséquences doivent être , en
vertu de la disposition de l’article 51 du Code de
commerce, jugées par des arbitres, il est de droit que
le jugement arbitral soit sujet à l’appel si la renonciation n’a pas été stipulée ;
» Attendu qu’à la vérité l’acte souscrit par les par» ties porte à son article 6 : que les différends qui
» pourront survenir concernant les affaires de la sob ciété seront jugés par les arbitres sans appel ; mais,
» qu’à moins de rendre illusoire et vaine la lettre exb presse de la lo i, on ne saurait attribuer à un acte
b frappé de nullité le pouvoir de créer une juridiction
b sans appel.1 »
La cour d’Angers à laquelle la cour de cassation avait
renvoyé le litige , à l’exemple de celle-ci a déclaré que
la nullité de l’acte entraînait la chute de la clause au
torisant les arbitres à prononcer en dernier ressort2.
5 6 5 . — Ce qui a été jugé pour le choix et le ca
ractère de la juridiction , 'doit être également consacré
pour toutes les stipulations accessoires que l’éventualité
de la rupture du lien social peut avoir inspirées. Par
exemple, la clause qu’en cas de dissolution avant le
terme convenu, celui des associés qui l’aura requise
paiera à l’autre une somme convenue.
1 D. P., 44, 4, *76.
3 Ibidem, 42, 2, 98.
�480
DES SOCIÉTÉS
Dans cette hypothèse, ce n’est plus seulement la règle
de droit commercial qui légitime l’invalidité de la clau
se, c’est encore la disposition formelle de l’article 1227
du Code civil. Une stipulation de cette nature consti
tue une clause pénale. Or, aux termes de cet article,
sa nullité est la conséquence forcée de la nullité de
l’acte.
La cour de Lyon méconnaissait donc tous les princi
pes lorsque , par arrêt du 27 février 1828 , elle jugeait
que la nullité de l’acte de société pour défaut de pu
blication ne s’opposait, en aucune façon , à ce que la
promesse d’indemnité reçût sa pleine et entière exé
cution.
Cette doctrine, si elle pouvait prévaloir, aboutirait à
rendre à peu près irréalisable la poursuite en nullité
pour défaut de publication et à permettre d’éluder les
prescriptions de la loi à ce sujet. B ientôt, en effet, la
clause d’une indemnité en cas de rupture deviendrait
de style dans les actes de société, et celte indemnité se
rait portée à un chiffre tel, que l’obligation de la payer
opposerait un obstacle invincible à une poursuite que la
loi appelle dans un intérêt public.
La cour de Lyon déclare que le défaut de publication
étant imputable aux deux associés, l’un d’eux ne peut
pas se prévaloir de cette irrégularité au préjudice de
l ’autre.
Sans doute, l’imputabilité de la faute contre la partie
qui réclame peut devenir l’origine d’une fin de non re-
�ART.
42.
181
cevoir et faire repousser la réclamation. Nemo auditur
turpitudinem suam allegans.
Mais cette règle reçoit exception jians les matières
intéressant l’ordre public. Lorsqu’il s’agit d’une nullité
de ce caractère , celui-là même qui a concouru à l’acte
qui en est atteint est recevable et fondé à s’en prévaloir.
Sa réclamation, dans ce cas, n’est que l’exercice d’un
droit formellement reconnu par la loi, et comment l’ex
ercice d’un droit pourrait-il devenir l’origine d’une al
location de dommages-intérêts ?
D’ailleurs , en proclamant que dès que la faute était
commune l’un des associés ne pouvait s’en prévaloir au
préjudice de l’autre, la cour de Lyon condamnait expli
citement la conclusion qu’elle va consacrer. Que l’un
des associés ne pût exciper de sa faute pour se libérer,
soit. Mais alors pourquoi permettre à l’autre de puiser
dans sa propre faute le moyen d’acquérir ? Dès que la
faute est commune , il ne saurait exister de différence,
et si l’un n’est pas admissible à s’en prévaloir , l’autre
ne saurait l’être. La même fin de non recevoir les écarte
également.
C’est ce qu’un arrêt de la cour de Paris, du 23 dé
cembre 4831, établit et consacre fort juridiquement.
Dans cette espèce, une clause de l’acte de société por
tait qu’un dédit de dix mille francs serait payé par la
partie qui voudrait se retirer de la société avant le terme
convenu.
Cet acte n’ayant reçu aucune publicité, l’un des asso
ciés en poursuit et en fait prononcer la nullité. L’autre,
�DES SOCIÉTÉS
alors prétendant que le cas prévu dans la stipulation
s’est réalisé, demande le paiement du dédit de dix mille
francs.
Cette contestation est soumise à MM. Vivien et Bethm ont, arbitres choisis par les parties. Ces honorables
jurisconsultes la repoussent par les considérations sui
vantes :
« Attendu que le seul fait de l’exercice d’un droit ne
» saurait donner lieu contre son auteur, à une aclion
» en dommages-intérêts ; que d’ailleurs le dédit de dix
» mille francs stipulé ne peut être réclamé en vertu
» d’un acte nul pour défaut de publicité , puisque le
» dédit devait être payé par celui qui se retirait de la
* société avant le terme convenu , ce qui suppose une
» société ayant une existence légale et non une société
» radicalement nulle qu’il ne s’agit pas de dissoudre
» prématurément, mais d’anéantir.
» Que, la société annulée, les conventions accessoi» res sont nulles par le fait même que le lien de droit
» résultant du contrat ne subsiste plus ; et que dès lors
» aucune des parties ne peut se prévaloir de conven» tions annulées , pour réclamer des dommages-inté» rê ts , en se fondant sur le fait unique de l’inexécu» tion. »
Cette sentence fut vainement frappée d’appel. La cour
de Paris n’hésite pas à s’en approprier les motifs et à
la confirmer purement et simplement.
Des deux monuments de jurisprudence que nous ve
nons de rappeler , celui qui émane de la cour de Paris
�ART. *2.
<83
est seul légal , seul juridique. La solution admise par
l’arrêt de Lyon blesse la raison non moins que le droit.
Comment, en effet, comprendre qu’un contrat déclaré
ne contenir aucun lien obligatoire s’impose néanmoins
aux parties pour les conventions qui y sont accessoire
ment stipulées? Comment admettre que l’inexécution
d’un acte nul de plein droit puisse donner lieu à une
allocation de dommages-intérêts contre l’un et en faveur
de l’autre des intéressés ?
Le caractère de la nullité proteste de plus fort contre
un pareil résultat. Elle est d’ordre public , et par con
séquent en dehors de toute convention. Nul ne peut di
rectement en faire la matière d’une transaction, renon
cer à s’en prévaloir. Or, s’interdire en quelque sorte de
l’invoquer en attachant à son exercice l’obligation de
payer des dommages-intérêts, ne serait-ce pas faire in
directement ce qu’on ne peut faire directement.
Si sortant des principes spéciaux des sociétés , nous
nous en référons au droit commun, nous aboutissons à
un résultat identique. En thèse, l’exercice d’un droit ne
peut devenir l’élément d’une condamnation à des dom
mages-intérêts. Sans doute on peut s’engager sous une
clause pénale à ne pas user d’un droit ; mais un pareil
engagement n’est valablement contracté que s’il s’agit
d’un droit privé, purement personnel et auquel le cré
ancier est libre de renoncer. Or , la nullité de l’obliga
tion principale entraîne celle de la clause pénale1. Si
l Article VSS7 du Code civil,
�m
DES SOCIÉTÉS
donc la renonciation s’appliquant à une matière d’ordre
public doit être infirmée, on ne saurait faire sortir à ef
fet la clause pénale sans rendre illusoire^ vaine la lettre
expresse de la loi.
Un autre principe non moins certain c’est qu’il n’est
dû aucune indemnité à celui qui se prétend lésé, si le
fait dont il se plaint lui est directement imputable et le
constitue personnellement en faute. Or, le défaut de pu
blication de la société est la faute commune de tous les
associés. En punir l’un en faveur de l’autre serait ré
compenser l’autre et lui rendre sa faute profitable , ce
qui ne serait ni raisonnable ni juste.
3 6 6 . — En résumé , celui qui poursuit la nullité
d’une société non publiée, exerce un droit que la loi lui
confère expressément et qui intéressant l’ordre public ne
peut devenir la matière d’une transaction.
L’interdiction d’en user ne saurait s’induire de la
clause de l’acte de société, par laquelle les associés au
raient stipulé une peine en cas de rupture de la société
avant le terme convenu.
La nullité de cette clause est la conséquence rigou
reuse et forcée de la nullité de l’acte lui-même qui,
dès lors atteint dans toutes ses parties, ne saurait pro
duire le moindre effet.
La société nulle pour défaut de publication n’a ja
mais légalement existé. En faire prononcer la nullité, ce
n’est donc pas sortir delà société avant terme.
Si l’acte nul régit le passé, c’est qu’une société de
�aut.
42.
485
fait est indéniable ; que son existence est le fait commun
de tous les associés qui doivent dès lors suivre les règles
qu’ils s’étaient eux-mêmes tracées.
5 6 7 . — La nullité delà société pour défaut de pu
blication est, entre associés et pour ce qui les concerne,
viscérale et absolue. Il était indispensable qu’il en fût
ainsi, pour que la sanction pénale sous la garantie de
laquelle la loi a placé ses prescriptions, eût ce caractère
énergique qu’il convenait de lui assurer. Voici en effet
la position que la nullité fait aux associés.
Pour ce qui les concerne , la société n’a qu’une exis
tence au jour le jour. Chacun d’eux a le droit de la
faire dissoudre, et cela à toute époque et malgré le pré
judice qui pourrait naître de l’interruption forcée des
opérations en cours d’exécution.
Relativement aux tiers , ils ne pourront jamais leur
opposer l’acte de société et se prévaloir contre eux des
avantages que la régularité de la société leur eût as
surés.
Ainsi, par exemple, l’article 1872 du Code civil ap
plique au partage entre associés les règles des partages
de successions et lui en rend les effets communs. Dès
lors, aux termes de l’article 883 du même Code, l’asso
cié qui reçoit dans son lot ou qui se fait adjuger un im
meuble de la société , étant censé l’avoir toujours pos
sédé, cet immeuble se trouve en ses mains franc et quitte
de toutes les charges qui pourraient le grever du chef
de l’ancien propriétaire.
�18 6
DES SOCIÉTÉS
Cet avantage la nullité de la société ne permet pas de
s’en prévaloir. Cette société non publiée n’ayant jamais
existé légalement, chaque associé est resté personnelle
ment propriétaire des immeubles qu’il apporte dans la
société, et qui restent par conséquent affectés aux char
ges dont il les a grevés, même après leur mise en so
ciété K
Les créanciers personnels des associés ne peuvent sai
sir exécuter les choses que leur débiteur a apportées à
la société et qui sont tombées dans l’actif social. Mais
à la demande en main levée de la saisie ils opposeront
l’irrégularité de la société, irrégularité qui fera inévita
blement repousser cette demande. Les exécutions ne
pourraient en effet être annulées, que si la société ré
gulièrement publiée avait légalement existé2.
Enfin, ceux qui ont traité avec la société sont receva
bles et fondés à se prévaloir des stipulations de l’acte.
En effet, la nullité n’existe que s’ils l’invoquent. Quant
à la faculté de la leur opposer , la loi la refuse expres
sément.
Ainsi, les associés ne peuvent exciper de la nullité
contre personne autre que leurs coassociés, et empêcher
que tous ceux qui y ont intérêt ne la leur opposent.
C’est-à-dire qu’exposés à subir toutes les charges de
l’état social, ils ne peuvent en revendiquer les avan
tages.
i C assation, 3 mars 1825 ; 4 août 1847
Voy. supra n* 360.
* Poitiers, 4 mars 1840; — D. P,, 40, 2, 143.
�ART.
42.
Ils ont donc le plus grand intérêt à l’observation ri
goureuse des prescriptions de la loi qui en donnant à
leur société une existence régulière leur permettront de
jouir de ceux-ci en compensation de celles-là.
368.
— Les tiers qui invoquent l’acte de société
pour établir qu’un tel est associé , devront-ils accepter
l’acte dans son entier ou bien le diviser et refuser d’ad
mettre la qualité de commanditaire que ce même indi
vidu aurait reçue ?
La question d’indivisibilité ou de divisibilité de l’acte
invoqué malgré sa nullité doit être diversement résolue
suivant la nature des stipulations qu’on prétendrait re
pousser.
Ainsi, il est certain que quoique un acte de société
ait été annulé pour défaut de publicité, il peut être con
sulté pour savoir si l’individu poursuivi comme tel était
réellement associé. Mais, dans ce c a s, l’acte est indivi
sible, et l’on ne pourrait faire considérer comme associé
pur et simple celui que cet acte déclarerait associé com
manditaire seulementl.
Mais, pas plus que les associés solidaires, le comman
ditaire ne pourrait se prévaloir des dérogations au droit
commun que l’acte stipulerait en sa faveur, et ne sau
rait prétendre qu’en invoquant l’acte pour établir la
qualité d’associé le créancier doit le subir sans divisibi—
Paris, Î3 juillet 1828.
�m
DES SOCIÉTÉS
lité. Accueillir cette prétention serait porter atteinte à
l’un des deux principes qui, en cette matière, s’imposent
à la justice elle-même.
: On ne peut pas déroger à ce qui
est de l’essence du contrat. L’associé en nom collectif,
les gérants de la commandite, par exemple, sont de plein
droit responsables et solidairement tenus envers les cré
anciers sociaux. C’est là un effet qui se produit par la
seule force de la loi, et qui est tellement inhérent à leur
qualité qu’on ne saurait concevoir celle-ci sans celuilà. Aussi toute clause par laquelle le gérant aurait sti
pulé qu’il ne serait pas solidairement responsable, celle
par laquelle les associés en nom collectif auraient dé
claré que le préposé à l’administration serait seul tenu
des engagements par lui souscrits, et que les tiers n’au
raient action que contre lui et contre le fonds social, se
rait radicalement et de plein d ro it, nulle et sans effets,
censée non écrite alors même qu’elle eût été publiée
conformément à la loi L
Il en serait de même de celle qui dispenserait l’asso
cié commanditaire de toutes ou de quelques-unes des
obligations attachées à sa qualité.
P remier
pr in c ipe
: Aucune dérogation au droit
conamun , lorsqu’elle est licite par elle-même, ne sau
rait être opposée aux tiers si elle n’a été publiée dans
les formes prescrites par la loi. Comme exemple de ces
D euxième
pr in c ipe
1 Delangle, Des sociétés, n»! 228 et suiv.
�I
art.
42.
189
dérogations, nous citerons la clause par laquelle les as
sociés en nom collectif conviennent que les engagements
à contracter ne lieront la société que s’ils sont signés
par eux tous ; celle par laquelle les commanditaires se
réservent le droit de payer leur mise par une compensa
tion totale ou partielle avec ce qui leur est du par le
gérant.
La publicité régulière que ces stipulations auraient
reçue les rendrait incontestablement obligatoires pour
les tiers eux-mêmes qui seraient censés en avoir eu une
suffisante connaissance, à défaut elles seraient non ave
nues; elles ne sauraient profiter à leurs bénéficiaires
qui ne seraient ni recevables ni fondés à s’en prévaloir
contre les tiers.
Peu importe qu’elles soient expressément écrites dans
l’acte. Cela pourrait bien les rendre obligatoires pour
tous ceux qui ont concouru à cet acte. Mais pour qu’el
les fussent opposables aux tiers la loi exigeait autre
chose : leur publication.
Donc le tiers qui invoque l’acte nul pour établir la
qualité d’associé , ne saurait être obligé d’accepter cet
acte dans les clauses qui dérogent aux obligations inhé
rentes à cette qualité. Le défaut de publicité de ces clau
ses les fait considérer par rapport à lui comme non
écrites.
369.
— La nullité résultant du défaut de publica
tion est acquise par cela seul que toutes les formalités
prescrites n’ont pas été remplies. Les associés ne pour-
�490
DES SOCIÉTÉS
raient s’y soustraire en offrant de prouver que celui
qui l’invoque avait une parfaite connaissance de la so
ciété.
Cetie exception interdite aux associés , ne l’est pas
moins aux créanciers sociaux qui pourraient être tentés
de l’opposer aux créanciers personnels des associés.
Ainsi la cour de Paris jugeait avec raison , le 4 mars
1840 , que les créanciers d’une société qui n’a pas été
publiée suivant les formalités prescrites, ne sont pas re
cevables à opposer à la femme d’un des associés, récla
mant la reprise de ses droits sur l’actif social, la con
naissance qu’elle avait de l’association contractée par
son m a ril.
Celte doctrine s’induit logiquement du texte et de l’es
prit de la loi. Dès l’instant que le défaut de publication
régulière annule la société , il n’est pas possible que
cette nullité ne fût pas également acquise à tous ceux
qui y ont intérêt. On ne comprendrait pas qu’une so
ciété non existante pour l’un , fût censée exister pour
l’autre. D’ailleurs que de difficultés, que de longueurs,
que de frais, si l’exception qu’on a connu l’existence de
la société pouvait être proposée et accueillie.
370.
— Il est vrai que le défaut de publicité n’est
pas imputable aux créanciers sociaux. Mais ces créan
ciers opposant la société aux créanciers personnels des
1 J. du P ., 40, 1, 385.— Conf. Rouen, 5 avril 4839 ; —
J du P .,
39,
�ART.
42.
191
associés, réclament, en réalité un privilège sur l’actif
social. Or , en ce qui concerne les tiers , un privilège
n’est admissible que s’il est établi par la loi, que s’il ré
unit toutes les conditions auxquelles cette loi subordonne
son existence.
Que les créanciers personnels des associés soient des
tiers vis-à-vis des créanciers sociaux , c’est ce qui ne
saurait être contesté. On ne pourrait dès lors leur refu
ser le droit de discuter le privilège que ceux-ci récla
ment, et de le faire rejeter si la nullité de la société lui
enlève tout fondement.
Qu’importe qu’ils aient connu la société, et qu’ils aient
gardé le silence pendant un temps plus ou moins long.
D’abord celle connaissance et ce silence n’ont pu faire
que les formalités qui pouvaient seule vivifier le privi
lège aient été remplies. Ensuite pourquoi auraient-ils
réclamé ? Ne leur suffisait-il pas de savoir que la so
ciété non régulièrement publiée ne leur était pas oppo*
sable et ne pouvait en rien leur nuire ?
Vainement encore prétendrait-on que les créanciers
personnels exercent lés droits de leurs débiteurs et ne
peuvent se prévaloir d’une nullité que ceux-ci sont non
recevables à opposer. En distrayant de son actif parti
culier les sommes ou les choses qu’il verse dans la so
ciété , l’associé a diminué , peut-être même anéanti.le
gage de ses créanciers personnels. Donc l’action de ceuxci cherchant à ressaisir ce gage repose sur un droit per
sonnel qu’il n’a jamais été permis au débiteur d’engager
et dont il n’a jamais pu disposer.
�192
DES SOCIÉTÉS
Donc , que les créanciers personnels aient ou non
connu la société , si cette société n’a pas élé régulière
ment publiée leur droit sur tout l’actif de leur débiteur
n’a reçu aucune atteinte. Us sont, par rapport aux cré
anciers sociaux, de véritables tiers, et tout ce que peu
vent ceux-ci c’est de venir en concours avec eux dans
la distrjbution de cet actifl.
A rt . 4 3 .
L'extrait doit contenir :
Les noms , prénoms , qualités
des
associés
autres
qne
les
et
dem eures
actionnaires
on
com m anditaires ;
La raison de commerce de la société ;
La désignation de ceux des associés autorisés
à gérer, ad m inistrer et signer pour la société;
Le m ontant des valeurs fo u rn ies on à fou r
n ir par actions on en com m andite :
L’époque où la
société
doit
co m m en cer, et
celle où elle doit finir.
SOMMAI RE
370bis. Abrogation de cet article par la loi de juillet 1867. —
Dispositions qui lui ont été substituées.
371. Leur caractère.
372. Utilité de l’énonciation des noms, prénoms et qualités des
associés ordinaires.
Voy, notre
T r a i t é d u d o l et de l a f r a u d e ,
n° 520.
�ART.
43.
373. Précautions que prend la loi pour assurer l’identité.
373 bis. Effet du silence gardé par la loi nouvelle sur les pré
noms, qualités et demeure des associés.
374. Nécessité de la divulgation de la raison sociale.
375. Ses effets par rapport aux tiers.
376. Par rapport aux associés.
376bis. La mention de la raison sociale ou de la dénomination
adoptée par la société est désormais de rigueur.
377. Obligation de désigner ceux des associés autorisés à gérer,
administrer et signer pour la société— Conséquences de
cette indication.
378. Effets de son inobservation.
379. Enonciations accessoires que le mode d’administration peut
nécessiter.
Position
exceptionnelle de la commandite suivant qu’il y a
380.
un ou plusieurs gérants.
381. Nécessité de déclarer les sommes versées ou à verser. —
Objet de cette prescription.
382. Son caractère.
382 bis. Ainsi que l’indication du capital social.
383. Son inobservation prive-t-elle l’associé de la qualité de
commanditaire?—Dissentiment avecM. Delangle.
3S4. Examen d’un arrêt de la cour de Douai du 8 janvier 1814.
385. Obligation d ’indiquer l’époque où la société commence et
celle où elle finit.—Objet et conséquences de celte indi
cation.
;
386. Effet de l ’inobservation.
387. Exceptions que peut recevoir la règle obligeant les as
sociés.
388. Effet de l ’antidate des obligations.
388 bis. Ainsi que la date du dépôt fait aux greffes de la justice
de paix et du tribunal de commerce de chaque arrondissement.
388ter. Ainsi que la nature de la société.
a
.
13
�494
DES SOCIÉTÉS
3 7 0 bis. — L’article 43 est abrogé, la loi du 24
juillet 4 8 6 7 lui substitue les dispositions suivantes :
« A r t ic l e 5 7 .
» L’extrait doit contenir :
* Les noms des associés autres que les actionnaires
» ou commanditaires ;
» La raison de commerce ou la dénomination adop» tée par la société et l’indication du siège social ;
» La désignation des associés autorisés à gérer, ad » ministrer et signer pour la société ;
» Le montant du capital social et le montant des
» valeurs fournies ou à fournir par les actionnaires ou
» commanditaires;
» L’époque où la société commence, celle où elle doit
» finir, et la date du dépôt fait aux greffes de la jus» tice de paix et du tribunal de commerce.
» A r t ic l e 58.
» L’extrait doit énoncer que la société est en nom
» collectif ou en commandite simple , ou en comman» dite par actions, ou anonyme ou à capital variable.
* Si la société est anonyme, l’extrait doit énoncer le
» montant du capital social en numéraire et en autres
�ART. 4 3 .
19 5
& objets, la quotité à préléver sur les bénéfices pour
» composer le fonds de réserve.
» Enfin si la société est à capital variable , l’extrait
» doit contenir l’indication de la somme au dessous de
» laquelle le capital social ne peut être réduit.
» A r t i c l e 59.
» Si la société a plusieurs maisons de commerce si» tuées dans divers arrondissements, le dépôt prescrit
» par l’article 55 et la publication prescrite par l’article
» 56 ont lieu dans chacun des arrondissements où exis-
» lent les maisons de commerce.
» Dans les villes divisées en plusieurs arrondisse» m ents, le dépôt sera fait seulement au greffe de la
» justice de paix du principal établissement. »
En rapprochant les anciennes dispositions des nou
velles, on arrive facilement à se convaincre qu’il s’agit
non d’abrogation , mais de modification. L’utilité in
contestable des formalités prescrites par le Code de com
merce les recommandait au nouveau législateur, et ce
lui-ci qui n’avait en vue que d’améliorer la publicité
devait, non les repousser , mais les compléter en com
blant certaines lacunes regrettables.
3 7 1 . — Les exigences du législateur relativement
aux énonciations de l’extrait étaient en quelque sorte
�496
DES SOCIÉTÉS
imposées par le but qu’il se proposait. La publication
des actes de société est surtout dans l’intérêt du public
qui doit être mis à même d’apprécier les ressources de
l’être moral qui fait appel à sa confiance, de calculer le
crédit qu’il doit accorder. Il est dès lors évident que
cette publication devait indiquer tout ce qui pouvait sa
tisfaire à cette nécessité.
A ce titre on ne saurait méconnaître que les indica
tions prescrites réunissent celle qualité et sont de nature
à pourvoir à ce besoin. Il est facile de s’en convaincre
en les examinant successivement, et en recherchant l’ob
jet réel de chacune d’elles.
5 7 2 . — En premier lieu, l’extrait doit contenir les
noms, prénoms, qualités et demeures des associés.
La première chose, en effet, que doit faire une so
ciété se révélant au public est de faire connaître sa
composition. C’est par les noms de ceux qui en font
partie qu’on jugera d’abord de la nature probable de
son administration, de la moralité de ses rapports, des
chances heureuses qu’elle est dans le cas de puiser dans
les antécédents et la capacité commerciale de ses mem
bres.
Cette première exigence de la loi a un autre but.
L’associé ordinaire répond sur tous ses biens des dettes
et engagements sociaux. La connaissance personnelle
des associés met donc sur-le-champ le public à même
d’apprécier la solvabilité de l’association. La notoriété
publique indiquera, en effet, la position de fortune de
�ART.
43 .
chacun de ceux qui seront nommés, et les garanties de
la société, consistant dans la réunion de toutes ces for
tunes particulières se trouvent ainsi nettement déter
minées.
Ce but explique pourquoi la loi restreint l’obligation
de nommer aux associés ordinaires , tels que les mem
bres d’une société en nom collectif ou les gérants d ’une
commandite. Les commanditaires ou actionnaires ne
sont jamais tenus que dans des proportions détermi
nées ; dès lors la connaissance de leurs personnes et de
leur fortune présumable resterait sans efficacité réelle.
D’ailleurs , il fallait nécessairement se préoccuper
d’une hypothèse dans laquelle l'exécution de la loi au
rait été impossible. Par exemple , celle où le capital de
la commandite aurait été divisé par actions. Comment
publier les noms lorsque la négociation des actions in
troduit dans les intéressés de si nombreux et de si ra
pides changements? Comment surtout le faire lorsque
les actions auraient été créées au porteur ?
Aucun intérêt réel ne s’attachait donc à la divulga
tion des noms des commanditaires ; ce qui importait,
c’était la connaissance des valeurs que chacun d’eux a vail fourni ou devait fournir à la société , et nous ver
rons bientôt que le législateur ne l’a pas négligée L
L’obligation de faire connaître tous les associés or
dinaires , outre qu’elle est indicative des ressources de
Voy.
in fra
n» 381.
�198
DKS SOCIÉTÉS
la société , a encore cet avantage de diriger les exécu
tions des créanciers contre les véritables débiteurs. Au
point de départ de la société , on ne saurait supposer
une dissimulation frauduleuse ; tandis que l’insolvabi
lité arrivant, une collusion intéressée pourrait faire
omettre d’indiquer l’associé peut-être le mieux en po
sition de répondre des engagements sociaux ; c’est ce
danger que l’observation littérale de l’article 43 tend à
prévenir.
5 7 3 . — Mais cette observation pouvait offrir un
danger d’un autre genre. Dans le commerce , un nom
est une richesse, une chance assurée de succès. Le mê
me nom peut cependant appartenir à plusieurs per
sonnes. Il pouvait donc devenir d’une part un objet de
spéculation , de l’autre une occasion de confusion et.
d’erreur. C’est contre celte éventualité que le législateur
a exigé que Dénonciation des noms et prénoms fût sui
vie de l’indication de la qualité et de la demeure des
associés.
Ici le but de la loi fixe la portée de sa disposition.
Ce qu’elle entend par demeure , c’est le lieu réellement
habité par l’associé et sa famille. Se borner, en effet, à
déclarer qu’il demeure dans telle ville, ce n’est pas em
pêcher la confusion qu’il importait d’éviter. L’indication
de la demeure ne peut donc s’entendre que de la dési
gnation de la rue et du numéro de la maison réelle
ment occupée. Avec de tels renseignements, comment
confondre les personnes sans se déclarer coupable de la
�ABT-
43.
plus incroyable négligence ? Là devait s’arrêter la vigi
lance du législateur, qu’il n’était pas d’ailleurs possible
de pousser plus loin.
3 7 3 bis. — La loi nouvelle ne reproduit plus les exi
gences de l’article 43 du Code de commerce relativement
aux prénoms, qualités et demeure des asssociés. Elle se
contente de prescrire l’indication des noms.
Faut-il en conclure que la publication serait régu
lière et inattaquable, si l’extrait se bornait à mention
ner les noms sans autre moyen de constater l’identité ?
L’affirmative ne nous parait pas admissible. Le ré
sultat auquel elle aboutirait offirirait un danger qui ne
peut être entré dans la pensée du législateur.
Nous venons de le dire , il n’est pas rare de trouver
dans une ville une foule de gens portant le même nom,
quelques-uns de ces noms renommés par leur fortune
ou ayant acquis une imposante notoriété dans le com
merce ou l’industrie sont dans le cas de faire la fortune
d’une maison qui se fonde.
Aussi arrive-t-il souvent que dans l’impossibilité de
s’en assurer le concours, on s’associe avec des homony
mes, véritables hommes de paille qui ne sont rêcherchés
que pour profiler de la confusion qu’on espère créer à
l’aide de la conformité de noms.
Comment le public se garantira-t-il de ce piège , si,
en donnant le nom , l’extrait ne pvésente pas des indi
cations suffisantes pour établir l’identité ? On ne peut
admettre que le législateur de 1867 n’ait pris aucune
�200
DES SOCIÉTÉS
précaution contre ce danger. Une pareille négligence
serait inconciliable avec son intention , avec sa volonté
bien arrêtée de rendre la publication des sociétés plus
efficace.
Quels que soient les termes employés , ce que la loi
veut en réalité c’est que l’extrait fasse connaître les as
sociés , et par conséquent indique tout ce qui est indis
pensable pour arriver à cette connaissance. Ce but se
rait manqué si au nom on n’ajoutait pas les prénoms,
qualités et demeure. L’exigence de ces indications si
elle n’est pas explicitement exprimée dans le nouvel ar
ticle s’y trouve* implicitement.
3 7 4 . — En deuxième lieu, l’extrait doit indiquer la
raison sociale.
La société est un être m o ral, distinct des associés,
qu’elle personnifie cependant, puisque c’est pour leur
compte qu’elle opère ; cette réunion , cet ensemble doit
avoir un nom particulier, distinctif, dont l’emploi in
diquera par lui-même le caractère de l’opération. Ce
nom, nous l’avons déjà dit, c’est la raison sociale.
Donc la société se manifestant au public, après avoir
fait connaître le personnel dont elle se compose , doit
indiquer le nom sous lequel elle exploitera son com
merce et son industrie, Comment, sans cette précau
tion, les tiers ayant traité avec elle pourraient-ils exiger
que leur titre en fournît la preuve ?
Il n’y a donc pas de publicité réelle si l’extrait ne
mentionne pas la raison sociale. La disposition de I’ar-
�iR T .
43.
ticle 43 exigeant cette mention était donc indiquée par
la force des choses. Elle se recommande au double
point de vue de l’intérêt des tiers, de celui des associés
eux-mêmes.
5 7 5 . — Le titre, délivré sous la raison sociale , oblige de plein droit la société. Il constitue un engage
ment dont tous les associés ordinaires sont solidairement
tenus. L’absence de cette raison rend le titre personnel
au souscripteur, sauf la preuve à faire par le créancier
que la société a réellement profilé de la chose faisant la
matière de l’engagement.
Ceux-là donc qui traitent avec la société et qui veu
lent échapper à l’obligation de cette preuve doivent exi
ger la signature sociale. Or, pour qu’ils puissent le faire,
on devait les mettre à même de la connaître.
376. — Pour les associés, l’exécution de l’article 43
a cet avantage que tout ce qui n’est pas revêtu de la
signature sociale est présumé ne les concerner en rien.
Vainement le créancier prétendrait - il avoir ignoré le
nom social , ou avoir été trompé , on lui répondrait
qu’en traitant avec un individu il devait s’assurer de
sa condition et surtout de son nom ; qu’il pouvait se
renseigner suffisamment au greffe du tribunal de com
merce ; qu’il doit donc seul répondre des conséquences
de la négligence qu’il a mise dans l’exécution de ce
devoir.
Les coassociés tiouvent donc , dans la publicité don-
�202
DES SOCIÉTÉS
née à la raison sociale , le moyen assuré de ne pas ré
pondre des dettes personnelles au gérant. Cette forma
lité, nous avons raison de le dire , est surtout dans leur
intérêt. Comment en douter d’ailleurs , en présence des
conséquences que son omission entraînerait.
Dans ce cas, en effet, il n’y aurait pas de raison so
ciale vis-à-vis des tiers , autre que la signature que
chacun d’eux aurait pu croire ou aurait cru telle. Vai
nement exciperait-on de la clause de l’acte social dési
gnant celte raison. Sur ce point l’acte ne serait obliga
toire contre les tiers que s’il avait reçu la publicité que
prescrit l’article 43. On n’est, pas obligé de consulter
l’acte. Ce que le public doit subir, ce sont exclusivement
les indications renfermées dans l’extrait qui doit être
déposé et affiché. Conséquemment, si, contrairement à
la loi, cet extrait ne fait nulle mention de la raison so
ciale , c’est comme s’il n’en existait aucune , ou plutôt
elle est dans la signature que les tiers ont reçue et dont
ils n’ont pu contrôler la sincérité.
Ainsi la prescription de l’article 43 est plutôt dans
l’intérêt des associés que des tiers. Ces derniers ne peu
vent jamais éprouver aucun préjudice , tandis que les
coassociés se trouveront exposés à répondre des dettes
pouvant être personnelles au gérant, sans pouvoir exi
ger la preuve que les sommes réclamées ont profité à
la société.
3 7 6 bis, — La loi nouvelle exige de plus que l’ar
ticle 43 du Code de commerce , que l'extrait énonce, à
�*
A.RT. 43.
203
défaut de raison sociale , la dénomination adoptée par
la société, et indique le siège social.
On sait que la société anonyme n’a d’autre raison
sociale que la désignation de l’objet de son entreprise.
Evidemment, en ce qui la concerne, l’obligation d’indi
quer sa dénomination résultait suffisamment de ce que
celte dénomination constituait la raison sociale.
Mais la société anonyme n’est pas la seule qui puisse
se manifester par la désignation de son objet. La so
ciété en nom collectif elle-même peut faire de cette dé
signation sa raison sociale. Ce qui est en effet exploita
ble par une société anonyme , peut parfaitement être
exploité par une société en nom collectif.
Dans cette hypothèse et malgré le silence gardé par
l’article 43, l’extrait devait mentionner la dénomination
adoptée par la société , puisque, comme pour la société
anonyme, celte dénomination devenait la raison sociale.
L’extrait qui n’aurait contenu ni l’une ni l’autre eût été
évidemment 'irrégulier.
Quoi qu’il en so it, la loi nouvelle a cru devoir s’en
expliquer et prescrire la mention de la raison sociale ou
de la dénomination adoptée par la société.
L’indication d’une dénomination et l’absence d’une
raison sociale pourraient tromper sur le caractère de la
société et faire croire à une société anonyme , aujour
d’hui surtout qu’une ordonnance d’autorisation n’étant
plus nécessaire, les prescriptions de l’article 45 du Code
de commerce relatives à l’affiche de l’ordonnance se
trouvent abrogées.
�DES SOCIÉTÉS
Dans la prévision de la possibilité de cette erreur et
pour la prévenir , l’article 58 de la loi nouvelle prescrit
d’annoncer dans l’extrait si la société est en nom collec
tif, en commandite simple, ou en commandite par ac
tions, ou anonyme, ou à capital variable L
L’exigence de l’indication du siège social est une in
novation heureuse et comble une lacune regrettable
qu’on pouvait reprocher au Code de commerce.
En effet, c’est devant le tribunal de ce siège que doi
vent être portées les actions contre la société. Aucun
doute ne pouvait naître lorsqu’il n’existait qu’une seule
maison. Mais lorsque la société avait des établissements
dans des localités différentes, la difficulté de déterminer
quel était le principal , exposait à perdre beaucoup de
temps et occasionnait beaucoup de frais inutiles. Témoins
les nombreux procès que cette difficulté avait fait naître
et les fréquentes demandes en règlement de juges pour
savoir devant quel tribunal devaient s’acccomplir les
opérations de la faillite.
Prévenir ces difficultés , empêcher ces procès était
aussi nécessaire qu’utile, et on ne peut qu’applaudir au
législateur d’y avoir pourvu. L’indication du siège social
dans l’extrait inséré au journal s’impose au tiers com
me à la société elle-même, et indique le juge devant le
quel on doit se pourvoir avec une certitude que personne
ne peut rn méconnaître ni contester.
1 Voy. in f r a n° 391.
�am .
4-3.
§05
5 7 7 . — En troisième lieu , l'extrait doit contenir la
désignation de ceux des associés autorisés à gérer , ad
ministrer et signer pour la société.
Contracter une société commerciale, c’est se constituer
réciproquement mandataires les uns des autres , c’est
recevoir et donner le pouvoir de gérer la chose com
mune, de l’engager vis-à-vis des tiers.
Le droit d’administrer est donc la conséquence im
médiate du fait de l’association ; il appartient à un mê
me titre à tous les associés. Mais il en est de ce droit
comme de toutes les dispositions introduites dans un
intérêt privé. Les bénéficiaires peuvent le répudier ex
pressément ou tacitement.
Cette répudiation est expresse lorsque l’acte de so
ciété interdit formellement à tels associés le droit d’ad
ministrer. Eile est tacite lorsque l’acte se borne à
conférer exclusivement ce droit aux associés qu’il dé
signe.
Dans l’un et l’autre cas l’effet est le même. Ainsi,
les associés exclus de l’administration n’obligent pas
la société si , violant leur devoir , ils s’immiscent dans
l’administration ; et cela quand bien même ils auraient
traité au nom de la société , et signé de la raison so
ciale. S’il en était autrement, les sociétés commerciales
pourraient être ruinées par l’infidélité ou l’incapacité
de certains de leurs membres, malgré toutes leurs pré
cautions.
Mais pour que les tiers qui auraient traité avec eux
subissent l’application de cette règle, il faut qu’on les
�206
DES SOCIÉTÉS
ait mis en position de connaître la prohibition de gé
rer , et son acceptation par les associés qu’elle atteint^
Or, cette connaissance, ils ne sont légalement présumés
l’avoir que si l’extrait déposé et publié fait connaître les
associés autorisés à gérer, administrer et signer pour la
société. Indiquer nommément ceux-ci, c’est exclure
tous les autres , c’est avertir conséquemment les tiers
qu’ils n’auront réellement contracté avec la société que
lorsqu’ils auront traité avec les associés désignés. Dès
lors celui qui, malgré cette publicité, aurait traité avec
un autre , resterait sans aucun droit contre la société,
eût-il reçu la signature sociale.
378.
— La sanction de ces prescriptions se trouve
dans les conséquences que leur violation entraîne. Le
défaut d ’indication des associés autorisés à gérer, admi
nistrer et à signer pour la société , laisserait les choses
sous l’empire du droit commun. Il suffirait que celui
qui a traité avec les tiers fût associé , qu’il eût signé de
la raison sociale, pour que la société fût réellement en
gagée , alors même que l’acte social eût formellement
prohibé à cet associé de s’en servir. Il est donc du plus
haut intérêt pour les associés solidaires de veiller à
l’exacte observation de la loi. Ils pourraient sans cela
se trouver ruinés par le fait de celui-là même dont l’in
capacité avait été un motif de lui retirer le droit d’ad
ministrer.
379.
— A.u reste, l’extrait doit contenir non-seule
ment le nom des associés autorisés à gérer, mais encore
�art.
4S.
207
les conditions qui doivent accompagner l’exercice de ce
droit, s’il en a été stipulé quelques unes.
Ainsi, il arrive quelquefois que les gérants étant au
nombre de deux ou de trois, il est stipulé qu’ils devront
agir collectivement, et qu’il n’y aura d’obligatoires pour
la société que les engagements portant leurs signatures
réunies. Cette clause esi régulière et valable. Sans nul
doute, elle serait obligatoire pour les tiers, si elle a été
publiée au désir de la loi. Dès lors, le porteur d’un ti
tre non signé par tous les gérants ne pourrait légale
ment agir contre la société. Il en serait autrement si
cette clause de l’acte n’avait reçu aucune publicité.
En résultat donc l’acte de société règle les rapports
d’associés à associés. M ais, pour ce qui concerne les
tiers, cet acte n’a par lui-même aucune force, son effi
cacité se trouvant subordonnée à la publication ; les
tiers ne connaissent légalement que ce que l’extrait
déposé et publié leur a fait connaître. Tout ce qui ne
s’y trouve pas inséré est comme s’il n’avait jamais
existé.
380.
— L’indication des associés autorisés à gérer,
à administrer et à signer pour la société, est surtout
.utile dans les sociétés en nom collectif, où , à défaut de
conventions contraires, chaque associé a qualité et droit
pour traiter au nom de la société et pour l’engager. Il
est évident que s’il s’agissait d’une commandite n’ayant
qu’un seul associé responsable, la désignation de celuici comme gérant équivaudra à la mention exigée par la
�208
DES SOCIÉTÉS
loi. On sait très bien, en effet, que les commanditaires
sont de droit exclus de toute gestion.
Cependant, comme dans la commandite , il peut y
avoir plusieurs associés solidaires ; l’extrait devrait con
tenir la désignation des gérants , si tous n’avaient pas
reçu cette faculté. 11 n’y a plus à distinguer alors; car
la société est en nom collectif à l’égard des associés res
ponsables et solidaires1.
381.
— En quatrième lieu, l’extrait doit contenir le
montant des valeurs fournies ou à fournir par actions
ou en commandite.
«
Nous l’avons déjà dit : dans les sociétés en nom col
lectif, le public n ’a aucun intérêt à savoir quel est le ca
pital social, et dans quelle proportion chaque associé est
tenu d’y contribuer. La responsabilité indéfinie que
chaque associé encourt l’oblige sur sa fortune tout en
tière , qui devient le gage des engagements sociaux. Ce
qu’il importe dès lors de connaître , c’est l’importance
de cette fortune ; et c’est pour faciliter cette connais
sance que la loi a prescrit de publier les noms, prénoms,
qualités et demeures de ces associés.
Mais quelle que soit leur fortune, les commanditaires
et les actionnaires ne sont jamais tenus au delà d’une
somme déterminée. La réunion de toutes ces sommes
forme le capital social destiné à faciliter les opérations
I Article 24 du Code de commerce.
�ART.
43.
209
sociales, et à éteindre le passif pouvant en résulter. En
cet é tat, nommer les commanditaires ou actionnaires,
en le supposant possible , c’était ne rien faire d’utile,
c’était même exposer le public à un danger , celui de
confondre ces associés avec les associés ordinaires , et
de considérer leur fortune entière comme la garantie
des dettes.
D’ailleurs, dans les commandites, la confiance s’at
tache sans doute à la personne du géran t, qu’on sait
être indéfiniment responsable, mais elle est surtout ac
quise au capital social dont le gérant va disposer. Fon
der une commandite, c’est reconnaître l’insuffisance de
ses propres ressources , c’est indiquer que les dévelop
pements de l’industrie tiennent à l’importance des fonds
qu’on va réaliser dans cette intention. En conséquence,
ce qui devait appeler sur la société nouvelle la con
fiance et le crédit, c’était la quotité de ces fonds , et
c'est aussi ce qui a motivé l’obligation de l’indiquer
dans l’extrait.
382.
— Toutefois, il y avait dans cette indication
un danger à prévenir , une fraude à prévoir. Bien sou
vent le capital annoncé n’est souscrit que pour une
fraction minime. Il n’est pas rare non plus que , pour
augmenter le nombre des souscripteurs, on divise les
paiements en des termes plus ou moins rapprochés, de
telle sorte que, dans l’intervalle d’un paiement à l’au
tre , beaucoup d’actionnaires, perdant toute confiance,
se refuseront à solder les termes échus de leurs actions,
n
14
�210
DES SOCIÉTÉS
<*
Dans l’un comme dans l’autre c a s , les tiers, trompés
par l’extrait qui leur annonçait un capital certain , ne
trouveraient que déceptions et procès, au lieu du gage
sur lequel ils devaient compter.
C’est pour éviter ce mécompte que notre article fait
un devoir d’indiquer tant les valeurs fournies que celles
à fournir. Ainsi, si un certain nombre d’actions sont
actuellement souscrites, l’extrait doit le faire connaître.
Si les souscriptions ont été payées en partie , et que
terme ait été accordé pour le reste , l’extrait doit égale
ment le mentionner. La chance d’un paiement futur
pouvant tourner contre la société, il est juste que le pu
blic puisse la faire entrer dans ses prévisions, lorsqu’il
est mis en demeure de traiter avec la société.
Ainsi, ce qui doit être porté à la connaissance du
public , c’est l’état réel des choses au moment de la
mise en activité de la société ; c’est le chiffre du capital,
la quotité et le prix des actions, le nombre de celles
qui sont actuellement souscrites, les paiements qui ont
dû être réalisés comptant, les divers termes dans les
quels les autres devront s’opérer. Tout cela forme des
éléments d’appréciation dont on ne saurait équitable
ment priver le public..
Les précautions ordonnées par la loi de 1856 d’a
bord, par celle de 1867 en dernier lieu, ont affaibli ce
danger. La société ne pouvant être constituée qu’après
la souscription du capital entier et le versement du
quart, la déclaration qu’il a été satisfait à ces conditions
indique les garanties sur lesquelles les tiers doivent
�ART.
43.
211
compter et qui ne sauraient leur échapper à moins de
supposer des souscriptions signées par des hommes de
paille, sans solvabilité et sans garantie.
3 8 2 bis. — Au reste la loi nouvelle a effacé toute dis
tinction. Elle exige que l’extrait mentionne non-seule
ment les valeurs fournies ou à fournir , mais encore le
capital social ; et comme elle dispose pour toutes les so
ciétés commerciales sans distinction, il n’est pas permis
de douter de l’applicabilité de la prescription à la so
ciété en nom collectif, comme à la commandite soit sim
ple soit par actions, et à l’anonyme.
Le Code de commerce avait eu raison de ne pas l’exi
ger. Est-ce que dans ces trois dernières sociétés l’indi
cation des valeurs fournies ou à fournir ne faisait pas
connaître suffisamment le capital social ? Est-ce que
cette connaissance était de quelque utilité possible dans
la société en nom collectif?
Sans doute le capital social est un élément du crédit
à faire à la société. Mais dans la société en nom collectif
ce qui le provoque et le détermine c’est la fortune des
associés, qui, suppléant à l’insuffisance du capital, con
stitue elle-même en réalité ce capital.
Le législateur ne pouvait se faire illusion à ce sujet,
et probablement aurait-il gardé le silence sur l’indica
tion du capital, si les remaniements dont la comman
dite par actions et la société anonyme avaient été l’ob
jet en 1856 d’abord, en 1867 en dernier lieu, l’avaient
permis.
�.
212
DES SOCIÉTÉS
Nous avons déjà dit qu’on a voulu mettre le public
à même d’apprécier la régularité de la constitution de
la société l. Or cette régularité exigeant que le taux des
actions variât suivant que le capital était inférieur ou
supérieur à deux cent mille francs , la mention du ca
pital apprenait si les proportions prescrites avaient été
observées.
Sans doute on aurait pu ne la prescrire que dans la
commandite par actions et dans l’anonyme. Mais la vo
lonté bien arrêtée de créer un mode de publicité uniforme
devait l’emporter avec d’autant plus de raison,que si dans
la société en nom collectif cette mention ne fait aucun
bien, il ne saurait évidemment en résulter aucun mal.
Ce qui abonde ne nuit’ p a s2.
383.
— Quelle sera la conséquence de la violation
de cette prescription de l’article 43 ? M. Delangle résout
cette question en enseignant que l’associé commandi
taire serait déchu de sa qualité , et tenu solidairement
de toutes les dettes3.
Cette décision nous parait beaucoup trop sévère. Elle
fait peser sur la tête du commanditaire une responsa
bilité n’ayant aucune base équitable. Sans doute , le
commanditaire , intéressé à ce que l’acte de société soit
i Voy. s u p r a n° 357 bis.
5 Voir notre C o m m en ta ire de la lo i d u 24 j u i l l e t 1867, n°598, pour
ce qui concerne la conversion des actions.
3 N» 559.
�ART.
243
43.
régulièrement publié, doit veiller à ce que les forma
lités soient exactement accomplies. Mais enfin on ne
doit pas oublier qu’il doit rester complètement étranger
à la publication. Il ne pourrait même la rectifier. Se
rait-il donc juste de le rendre dans tous les cas victime
d’une omission , pouvant même n’être qu’une fraude
contre lui ?
Déjà nous avons rappelé que la jurisprudence a ad
mis qu’à défaut de publicité les juges peuvent avoir égard aux énonciations de l’acte non publié , lorsqu’il
s’agit de la qualité réelle de celui qu’on poursuit com
me associé solidaire 1. Pourquoi donc, dans l’hypothèse
actuelle , ne laisserait-on pas à la conscience du juge à
déterminer la nature des torts imputables au comman
ditaire, et la gravité des conséquences qu’ils doivent en
traîner ?
384.
— Ainsi, l’omission dans l’extrait de l’indica
tion des sommes fournies ou à fournir n’entraîne pas
de plein droit la perte de la qualité de commanditaire.
Nous serions donc tout disposé à approuver l’arrêt
rendu dans ce sens par la cour de Douai, le 8 janvier
4844.
Mais , il faut en convenir , cet arrêt n’a de juridique
que le résultat, en tant cependant qu’on la séparerait
des motifs de décision sur lesquels il se fonde , et qui
sont inadmissibles. Ainsi nous ne saurions admettre en
i Voy,
su pra
n° 368 .
&
�DES SOCIÉTÉS
doctrine que la violation de l’article 42 ne puisse jamais
avoir pour résultat la privation de la qualité de com
manditaire.
Nous ajoutons que si le contraire est admissible dans
certains c as, il devait l’être dans l’espèce jugée par la
cour de Douai. Là , en effet, l’extrait déposé portait la
signature du commanditaire.ee qui était de sa part une
usurpation des fonctions réservées aux associés solidai
res. Que cette usurpation restât sans effet si les tiers
n’avaient pu se méprendre, on pourrait l’admettre.
Mais, loin qu’il en fût ain si, l’extrait ne mentionnait
pas les sommes fournies ou à fournir. Rien donc ne
venait inspirer l’idée d’une commandite. Il y avait, dès
lo rs , d’autant moins à hésiter , que le prétendu com
manditaire ayant directement agi avait personnellement
induit les tiers en erreur.
385.
— En cinquième lieu, enfin, l’extrait doit in
diquer l’époque où la société doit commencer et celle
où elle doit finir.
La société constituant un être moral distinct des as
sociés n’existe légalement que dans l’intervalle séparant
la constitution de la dissolution. Il n’y a donc d’enga
gements valables que ceux qui se sont réalisés dans cet
intervalle même.
L’utilité d’une détermination de cette double époque
ne saurait être ni méconnue ni contestée. Elle empê
chera les tiers de traiter avec la société avant qu’elle
commence ou après qu’elle a pris fin. L’acceptation
�ART. 43.
SI 5
qu’ils feraient de la signature sociale, contrairement
aux indications de l’extrait, ne leur conférerait aucun
droit contre les associés futurs , ou contre les anciens
associés.
Pour les associés, l’exécution de ce paragraphe de
l’article 43 aura pour effet de les mettre à couvert de
l’abus de confiance du gérant qui pourrait devançant
sa mission ou la prolongeant au delà de son terme, les
rendre responsables des engagements qu’il contrac
terait.
5 8 6 . — L’inobservation de la loi aurait infaillible
ment ce résultat. Ainsi, taire au public le moment où
la société commence et celle où elle fin it, c’est placer
les tiers dans l’impossibilité de juger de la légalité de
l’emploi de la raison sociale, et conséquemment les au
toriser à l’accepter avec toutes ses conséquences ordi
naires.
Les associés seraient donc solidairement tenus alors
même qu’en fait , l’emploi de la raison sociale aurait
précédé la constitution de la société ou suivi sa dissolu
tion. Ils ne pourraient même, pour échapper à la res
ponsabilité, exciper de la connaissance que le tiers au
rait eue de la vérité des choses.
.
587. — Cependant cette règle ne peut être absolue,
car elle pourrait conduire à un résultat absurde. Ainsi,
l’acte du gérant faisant survivre ses pouvoirs à la société
elle-même est de nature à constituer un délit punissa
ble aux yeux de la loi criminelle. Il est donc évident que
�216
DES SOCIÉTÉS
le tiers qui aurait sciemment assumé la complicité de ce
délit ne saurait s’en faire un tilre contre ceux qui doi
vent en être les victimes.
Ainsi, comme le fait observer M. Delangle , la con
naissance légale seule oblige. La notoriété de fait n’est
rien. On doit penser, quand l’époque où la société doit
finir est omise dans la publication, qu’après avoir fait
une convention à cet égard , les associés l’ont aban
donnée.
Mais cette présomption cède devant la preuve du con
traire. L’offre de justifier que le tiers a colludé avec le
gérant pour faire revivre une société qu’il savait être
dissoute serait toujours recevable , et cette preuve rap
portée , l’engagement demeurerait sans effets contre les
anciens associés au préjudiçe desquels il aurait été frau
duleusement préparé.
3 8 8 . — Au reste, cette même fraude peut être ten
tée par un autre moyen beaucoup plus facile, par l’an
tidate de l’obligation. Cette fraude n’est jamais présu
mée, et foi étant due au titre, la date apparente est or
dinairement admise. Mais les intéressés sont recevables
à en prouver la fausseté, même par témoins! Cette preu
ve peut résulter des livres de la société, sur lesquels, à
moins d’une insertion après coup , l’opération ne sera
pas indiquée à la date qui lui a été donnée. La convic
tion du juge acquise, l’engagement devra être annulé à
l’égard des anciens associés. Dans l’espèce,la complicité
du tiers résulterait de l’antidate elle-même. Celui qui
�art.
43.
217
fait une opération légitime ne la dissimule pas sous
l’apparence d’un titre mensonger.
Ainsi, la règle que la connaissance de fait ne sau
rait prévaloir sur le défaut de publicité reçoit des ex
ceptions , dans tous les cas de dol et de fraude notam
ment l.
On sait que l’article 1844 du Code civil dispose qu’à
défaut de convention sur la durée de la société, elle est
censée contractée pour toute la vie des associés. Cette
disposition est - elle applicable aux sociétés commer
ciales ?
On pourrait, pour l'affirmative, exciper de l’article 18
du Code de commerce et soutenir que puisque, en cette
matière, le contrat se règle par le droit civil, c’est à ce
droit qu’on doit recourir lorsque la loi spéciale est
muette.
Mais la disposition de l’article 18 doit se restreindre
dans de justes limites. On ne saurait notamment s’en
prévaloir , lorsque la loi commerciale fait de la forma
lité qu’il s’agirait de suppléer une condition substan
tielle du contrat. Or, c’est ce qui se réalise pour l’indi
cation de la durée de la société.
Ainsi, l’article 56 de la loi de 1867 prescrit la pu
blication de l’extrait à peine de nullité , et cet extrait
n’est régulier que s’il réunit les conditions exigées par
l’article 58. A défaut, l’article 56 n’est pas obéi et la
peine de nullité est acquise aux intéressés.
Voy.
su pra
n°s 155 et suiv.
�2118
DES SOCIÉTÉS
D’ailleurs, on comprend une société à vie entre asso
ciés civils, puisque le jour où l’un des associés voudra y
mettre fin , il n’aura , aux termes de l’article 1869 du
Code civil, qu’à notifier sa volonté. Mais en commerce
cette faculté n’existant pas, enchaîner les associés pour
toute leur vie, serait méconnaître le caractère des socié
tés et imposer leur continuation alors que les dissenti
ments et la discorde auraient remplacé les sentiments
d’union et les convenances qui les ont motivées.
C’est donc avec juste raison que la cour de Lyon vient
de juger que le refus d’exécuter un acte de société qui
n ’énonçait pas la durée de celle-ci ne pouvait donner
lieu à des dommages-intérêts ; qu’un pareil acte ne con
tient, en effet, ni un pacte de société obligatoire, ni une
promesse de société valable, ni même une obligation de
faire.
« Attendu, dit l’arrêt, qu’en matière de société com» merciale, la durée de la société est un élément essen» tiel du contrat ; qu’elle doit être fixée par la volonté
» des parties ; que le législateur en cette matière n’a
» pas, comme il l’a fait en matière de société civile par
» l’article 1844 du Code civil, donné à la société une
» durée'légale, à défaut de la convention, et que le ju » ge, en cette matière, n ’a pas reçu non plus de la loi
» le pouvoir de’compléter un contrat que les parties
» ont volontairement laissé imparfaitï. »
Or, si l’omission de l’indication de la durée de la so-
�ART.
43.
219
ciélé dispense le signataire de l’acte de l’obligation de
réaliser la société, et annulle de plein droit le projet de
la constituer, on ne saurait distinguer. La nullité incon
testable avant cette constitution ne saurait être contes
tée après, et devrait être prononcée dès qu’elle est re
quise par un des associés.
D’ailleurs, si l’article 1844 du Code civil était appli
cable, l’article 1869 le serait également, et la demande
de l’associé équivalant à la manifestation de la volonté
de dissoudre la société, cette dissolution ne pourrait être
refusée que si elle était demandée de mauvaise foi et
à contre-temps.
388 bis. — La loi de 1867 ajoutant aux prescrip
tions de l’article 43 du Code de commerce , exige que
l’extrait contienne la date des dépôts faits aux greffes
de la justice de paix et du tribunal de commerce.
Cette date était fort indifférente lorsque ce qui devait
être déposé était seulement un extrait identique à celui
qui était inséré au journal. Quel besoin avait-on d’aller
au greffe du tribunal de commerce et qu’avait-on à y
faire, lorsqu’on était assuré de n’y trouver autre chose
que ce qu’on avait dans la main et sous les yeux. Per
sonne ne pouvait être tenté de se livrer à une démar
che sans résultat possible et ne pouvant qu’entraîner
une perte de temps fort inutile.
.
Aujourd’h u i, ce qui est déposé c’est l’acte dans son
entier, en un original s’il est sous seing privé , en une
expédition s’il a été reçu par un notaire ; ce sont les
�220
DES SOCIÉTÉS
pièces importantes que la loi prescrit d’y annexer. Leur
vérification promet et donne des conditions de l’asso
ciation une connaissance bien autrement complète que
celle qu’on reçoit de l’extrait inséré au journal. Dès
lors on pouvait facilement supposer la pensée et le be
soin de se livrer à cette vérification , et dans cette sup
position , il convenait d’en faciliter les moyens , de la
rendre aussi prompte, aussi facile que l’exigeaient les
nécessités commerciales.
L’indication de la date du dépôt arrive à ce résultat.
Elle dispense, en effet, de la nécessité de fouiller des
registres, de compulser des archives , c’est-à-dire de
perdre un temps plus ou moins long, ce qui surtout ré
pugne au commerce.
Lorsque la société ayant des maisons de commerce
situées dans divers arrondissements , le dépôt et l’an
nonce dans les journaux doivent être réalisés dans cha
cun de ces arrondissements, il est peu probable que le
dépôt puisse avoir lieu partout le même jour. On peut
donc se trouver en présence de dates différentes.
Faudra-t-il que l’extrait les mentionne toutes ? Nous
ne le croyons pas. Quelle apparence, en effet, que celui
qui peut trouver l’objet de ses recherches à la justice
de paix ou au tribunal de commerce de son arrondis
sement , aille se livrer à ces recherches dans un autre
arrondissement. Le but de la loi est donc rempli par l’in
dication de la date du dépôt fait dans l’arrondissement
et dans le journal duquel a lieu l’insertion de l’extrait.
C'est là, en effet et non ailleurs, que ceux qui ont traité
�ART.
43.
avec la maison située dans l’arrondissement peuvent
être tentés de se livrer à des recherches.
3 8 8 ter. — L’obligation d’indiquer dans l’extrait si
la société est en nom collectif, en commandite simple ou
par actions , anonyme ou à capital variable e st, nous
l’avons déjà dit, motivée par le désir légitime d’empê
cher toute confusion, lorsque la société en nom collectif
n’ayant d’autre raison sociale que la dénomination par
elle adoptée, la publication de cette dénomination pour
rait faire croire à une société anonyme. Elle a en outre
cet avantage de prévenir toute difficulté sur le carac
tère de la société soit de la part des tiers , soit entre les
associés.
La déclaration de ce caractère suffit si la société est
en nom collectif ou en commandite soit simple, soit par
actions. Il n’en est plus ainsi, si elle est anonyme ou à
capital variable.
Dans le premier cas, l’indication du caractère de la
société doit être suivie de la mention du capital social
en numéraire et en autres objets, et de celle de la quo
tité à prélever sur les bénéfices pour composer le fonds
de réserve.
Si la société est à capital variable , il faut ajouter la
mention de la somme au dessous de laquelle le capital
social ne peut être réduitl.
\
3 Voy. notre Commentaire de la loi de 4867, art. 58, n°603 et suiv.
�\
222
DES SOCIÉTÉS
A rt . 4 4 .
L’e xtrait des actes de société est signé, pour
les actes publics, par les notaires, et pour les
actes sous seing privé , par tons les associés,
si la société est en nom collectif , et
par
les
associés solidaires ou gérants, si la société est
en com m andite ,' soit qu’elle se
divise ou ne
se divise pas en actions.
A rt . 4 5 .
L’ordonnance du roi qui autorise les sociétés
anonymes devra être affichée avec l’acte d’as
sociation et pendant le même temps.
.
A rt. 4 6 .
Toute continuation de société, après son ter
me expiré, sera constatée par une déclaration
des coassociés.
Cette déclaration , et tous actes portant dis
solution de société avant le term e fixé pour sa
durée par l’acte qui l ’établit, to u t changement
ou retraite d’associés * toutes nouvelles stipu
lations ou clauses, tou t changem ent à la raison
de la société sont soum is aux form alités pres
crites par les articles 4 2 , 43 et 44.
En cas d’om ission de ces form alités, i l y aura
lieu à l’application des dispositions pénales de
l ’article 4 2 , troisièm e alinéa.
�art. 4 4 ,
45, 46.
SOMMAIRE
389.
390.
391.
392.
393.
394.
395.
396.
397.
398.
399.
400.
401.
402.
403.
404
405
406.
Dispositions cffle la loi de 1867 a substituées à ces ar
ticles.
Ce que doit être la publication lorsque la société a plu
sieurs maisons de commerce dans différentes localités.
Par qui doit être signé l ’ex trait, si l ’acte est authentique.
Observations à ce sujet.
Si l ’acte est sous seing' privé.
Q u id si la société est en commandite ou anonyme.
Effet de l’inobservation des prescriptions de la loi relative
ment à la signature.
Caractère de l’article 46 ; sa division.
Circonstances pouvant motiver la continuation de la so
ciété après l’expiration du terme.
Motifs qui ont fait exiger que cette continuation fût cons
tatée par écrit et publiée dans les formes voulues par
l ’article 42.
Effet de l’inobservation de l’article 46 entre associés.
Effets envers les tiers.
La preuve de la continuation de la société pourra-t-elle , à
défaut de publicité, modifier la position des associés ?
Les créanciers sociaux sont non recevables à prouver par
témoins la continuation de la société , à l ’endroit des
créanciers personnels des associés.
Nécessité de publier la dissolution avant le terme stipulé
pour la durée de la société.
Doit-on publier la dissolution si elle n ’est que le résultat
de la mort naturelle ou civile , de l’interdiction dp l’as
socié ?
Opinion de M. Troplong.—Appréciation.
Doctrine de la cour de cassation. — Arrêts des 16 juillet
1843, 10 juillet 1844 et 10 novembre 1847.
Conclusion.
�224
DES SOCIÉTÉS
407.
Effet du défaut de publicité de la dissolution convention
nelle entre associés.
408. Effets par rapport aux tiers.
409. La connaissance de la dissolution supplérait-elle à la pu
blicité requise?
410. Effet du changement de la raison sociale.
411. Hypothèse dans laquelle la dissolution par l’échéance du
terme est forcée.
412. Motifs de [l’obligation de publier le changement ou la re
traite d’un associé.
413. Effet de cette publication.
414. Effet du défaut de publication.
415. Obligation de l ’associé sortant dans le cas du maintien de la
raison sociale.
416. Distinction entre la retraite d’un associé et la démission
qu’il donne de ses fonctions.—Effet de celle-ci.
417. Quelles sont les clauses ou stipulations nouvelles dont l’ar
ticle 46 ordonne la publication ?
418. Importance qui s’attache aux modifications de la raison so
ciale.—Intérêt des tiers à les connaître.
419. Effet du défaut de publicité.
420. Caractère de l ’article 61 de la loi de 1867. — Formalités
qu’il ajoute à celles du Code de commerce.
420 bis. Effet de l’inobservation de ses prescriptions.
421. L’article 46 est applicable au cas d’une société non publiée.
3 8 9 . — Ces articles, dans le Code de commerce,
complétaient le système de publicité que ce code avait
cru devoir adopter. Leurs dispositions en ce qu’elles a vaient de réellement utile , pouvaient et devaient être
respectées.
Mais l’article 45 devait disparaître. La liberté absolue
de l’anonymat, consacrée et proclamée par la loi nouv
�ART. 4 4 ,
45, 46.
225
v elle, a r r iv a it f o r c é m e n t à c ette c o n s é q u e n c e . D ès l ’in s
ta n t q u e
la so c ié té a n o n y m e n ’a v a it p lu s à ê tre l ’o b je t
d ’u n e o r d o n n a n c e d ’a u to r is a tio n , to u te s les d is p o s itio n s
re la tiv e s à la
p u b lic ité d e ce lte o r d o n n a n c e d e v e n a ie n t
v a in e s et in u tile s .
L e lé g is la te u r d e 1 8 6 7 to u t en c o n s e r v a n t le s o b lig a
tio n s im p o s é e s p a r les a r tic le s 4 4 el 4 6 , a
p ro f ité d e
la r e f o n te d u s y s tè m e d e p u b lic ité d e s so c ié té s, p o u r a jo u te r a u x g a r a n tie s
q u e ces a r tic le s
p o u v a ie n t o ffrir
celles q u e n é c e s s ita it la r é a lis a tio n d u
b u t q u ’il s ’é ta it
p ro p o s é : r e n d r e la p u b lic ité p lu s e ffic a ce et m o in s c o û
te u se . V oici d o n c les
d is p o s itio n s q u i r e m p la c e n t
ces
d e u x a rtic le s .
«
A r t ic l e 5 9 .
» S i la so c ié té a p lu s ie u r s m a is o n s d e c o m m e rc e s i » tu é e s d a n s d iv e rs a r r o n d is s e m e n ts , le d é p ô t
p r e s c r it
» p a r l ’a r tic le 5 5 e t la p u b lic a tio n p r e s c r ite p a r l ’a r t i —
» cle 5 6 a u r o n t lie u d a n s c h a c u n d e s a r r o n d is s e m e n ts
» où e x is te n t les m a is o n s d e c o m m e r c e .
» D ans
le s v ille s d iv isé e s e n p lu s ie u r s
» m e n t s , le d é p ô t s e r a fa it s e u le m e n t
a rro n d is s e -
a u g reffe d e la
» ju s tic e d e p a ix d u p r in c ip a l é ta b lis s e m e n t.
» A r t ic l e 6 0 .
-
>> L ’e x tr a it d e s a c te s e t p iè c e s d é p o s é s est s ig n é : p o u r
» les a c te s p u b l i c s , p a r le n o ta ir e , e t , p o u r le s^ a c le s
�226
DES SOCIÉTÉS
»
» sous seing privé , par les associés en nom collectif,
.» par les gérants des sociétés en commandite ou par les
» administrateurs des sociétés anonymes.
» A r t ic l e 6 1 .
» Sont soumis aux formalités et aux pénalités pres» crites par les articles 35 et 56 :
» Tous actes et délibérations ayant pour objet la mo» dificalion des statuts, la continuation de la société
» au delà du terme fixé pour sa durée , la dissolution
» avant ce terme et le mode de liquidation, tout chan» gement ou retraite d’associés et tout changement de
» raison sociale.
» Sont également soumises aux dispositions des ar» ticles 55 et 56 , les délibérations prises dans les cas
» prévus par les articles 19 , 3 7 , 46 , 4 7 et 49 ci» dessus. »
590.
— La disposition de l’article 59 est emprun
tée à l’article 42 du Code de commerce, et cet emprunt
s’explique et se justifie par la nature des prescriptions
qui y sont édictées.
Ceux qui traitent, dans une localité, avec une société
commerciale qui y a maison ouverte , peuvent ignorer
et ne sont pas obligés de savoir que cette société a des
maisons et même son siège principal dans d’autres lo
�a rt .
44, 48, 46.
227
calités. Donc, lorsqu’ils éprouveront le besoin de se ren
seigner sur le caractère et les conditions de cette société,
ils se rendront naturellement au greffe soit de la justice
de paix , soit du tribunal de commerce du lieu où ils
sont appelés à contracter , ou dans lequel ils ont traité
avec elle.
Il était donc nécessaire et juste qu’ils pussent y trou
ver les documents qu’ils viennent y consulter, à moins
de leur interdire toute possibilité de s’éclairer dans l’im
puissance où ils seraient de deviner en quel lieu ces do
cuments ont été déposés.
Nous avons déjà indiqué ce qu’il fallait entendre par
maisons de commerce relativement à la nécessité du
dépôt. Y revenir, serait nous livrer à une répétition in
utile. Nous renvoyons donc à nos précédentes observa
tions L
L’insertion de l’extrait dans un des journaux de cha
que localité où la société exploite des maisons de com
merce était la conséquence de ce qui était prescrit pour
le dépôt. Les motifs qui militaient en faveur de celuici, légitimaient évidemment celle-là. A quels journaux
se seraient adressés ceux qui ignoreraient que la société
a d’autres maisons que celle avec laquelle ils sont ou
vont se mettre en rapport ?
L’identité de motifs commandait un résultat identi
que, ce qui rend raison de la prescription de l’article 42
1 Voy.
su p ra
n° 3571
�228
DES SOCIÉTÉS
\
du Code de commerce, et de celle de la loi de 1867 re
lativement à la nécessité d’opérer le dépôt et l’insertion
au journal dans chaque localité où la société a des mai
sons de commerce.
591.
— L’article 60 de la loi nouvelle n’est également
que la répétition de l’article 44 du Code de commerce.
Seulement il le complète en réglant ce qui doit se réa
liser pour les sociétés anonymes.
Le Code de commerce n’avait pas à s’en préoccuper.
Sous son empire, en effet, l’autorisation du gouverne
ment, sans laquelle la société anonyme ne pouvait exis
ter , avait donné naissance à une publicité spéciale que
prescrivait l’article 45.
$
L’abrogation des articles 37 et 45 du Code de com
merce rangeant désormais la société anonyme dans la
catégorie des autres sociétés commerciales , la soumet
tait aux mêmes formalités de publication , et c’est ce
que consacre l’article 60 , quant à la signature de l’ex
trait.
Si l’acte de société est authentique, l’extrait doit être
signé par le notaire. Cette disposition fort rationnelle et
qui avait une légitime raison d’être sous l’empire du
Code de commerce , a quelque peu perdu de ce carac
tère depuis la loi nouvelle.
On comprend , en effet, que lorsqu’il ne devait être
déposé au greffe du tribunal de commerce qu’un extrait
de l’acte de société , on eût pris toutes les précautions
qui devaient garantir la sincérité et l’exactitude des in
�art.
44, 45, 46.
229
dications de cet extrait. A ce titre la signature du no
taire était de nature à rassurer tous les intérêts.
Aujourd’hui ce qu’il faut déposer, c’est l’acte lui-mê
me, en une expédition s’il est authentique , et cette ex
pédition sera nécessairement signée par le notaire. La
rédaction d’un extrait n’a d’autre but que son insertion
au journal ; et en quoi cette formalité intéresse-t-elle le
notaire ? Evidemment la délivrance de l’expédition a épuisé le rôle de l’officier public qui se trouve même
dans l’impossibilité de remplir toutes les prescriptions
de la loi à cet égard.
Remarquons, en effet, que la loi exige non-seulement
l’extrait de l’acte , mais encore celui des pièces qu’elle
ordonne d’y annexer. Or , ces pièces ne sont pas en la
possession du notaire , et si les associés ne veulent pas
les publier, s’ils s’opposent à l’insertion au journal mê
me de l’extrait de l’acte , quels moyens aura le notaire
pour les contraindre ?
Cependant c’est lui qu’on punirait, car si la rédaction
de l’extrait est pour lui un devoir et s’il ne le remplit
p a s , il commet une faute dont les conséquences seront
de l’obliger à réparer le préjudice que le défaut de pu
blication de l’extrait aura pu occasionner.
Ainsi,là cour de Douai jugeait, le 21 novembre 1840,
que le notaire qui, dans l’extrait de l’acte d’une société
commerciale publié conformément à l’article 42 du Code
de commerce, a omis d’énoncer la clause restrictive de
la signature sociale, est responsable des obligations plus
étendues dont la société se trouve chargée , contre son
�DES SOCIÉTÉS
vœu, envers les tiers qui ont contracté avec les associés
dans l’ignorance de cette clause.
Dans l’espèce, une clause de l’acte social portait que
la société ne serait tenue des engagements pris en son
nom que s’ils portaient la signature des deux associés.
C’est cette clause que le notaire avait omis de mention
ner dans l’extrait. Après faillite de la société, plusieurs
créanciers porteurs d’effets souscrits de la raison so
ciale, mais signés par l’un des associés seulement, ayant
dû être admis au passif de la faillite , le syndic pour
suit le notaire pour le faire condamner au rembourse
ment de tous ces effets. Cette demande repoussée, com
me non recevable, par le tribunal de Cambrai, est, sur
l’appel, accueillie et consacrée par la cour de Douail.
.
Responsable d’une simple omission , le notaire l’au
rait été à plus forte raison du défaut absolu de l’extrait.
La faute dans ce cas eût été bien plus lourde que dans
le premier.
Mais si, comme l’avait admis la doctrine, le concours
du notaire n’était requis que pour certifier par sa si
gnature la sincérité des énonciations de l’extrait, il faut
convenir que la loi nouvelle exigeant le dépôt de l’acte
en expédition régulière , ce concours n’a plus la même
raison d’être. Aujourd’hui, il faut distinguer le dépôt de
l’insertion au jo u rn al, ce que le Code ne pouvait pas
faire, puisque une pièce unique, l’extrait de l’acte était
�art .
44, 45, 46.
231
la matière du dépôt et de l’insertion, et s’il est vrai que
l’office du notaire ne cesse qu’au moment où les actes
qu’il a reçus sont extérieurement à l’abri des attaques,
cette condition n’est-elle pas remplie par la délivrance
régulière de l’expédition ?
A notre avis, on devait d’autant plus dispenser le no
taire d’intervenir à l’extrait, qu’on ne saurait exiger de
lui le dépôt prescrit. En effet, il ne pourrait jamais dé
poser autre chose qu’une expédition , et cela ne suffit
pas. Nous venons de voir les pièces qui doivent y être
annexées , et ces pièces comment les obtiendra-t-il, si,
reculant devant la publicité, les associés refusent à leurs
risques et périls de remplir les formalités qu’exige cette
publicité ?
Tout cela, certes, méritait d’être pris en sérieuse con
sidération , et pouvait, en ce qui concerne le notaire,
motiver une modification dans les termes de l’article.
Mais en l’état et en l’absence de toute modification , il
est permis de douter qu’on pût décider aujourd’hui au
trement que sous l’empire du Code.
592.
— Si l’acte de société est sous seing privé,
l’extrait doit être signé par tous les associés, disait l’ar
ticle 44 du Code de commerce, par les associés en nom
collectif, porte l’article 60 actuel. La suppression du
mot tous n’innove en rien à ce qui devait se pratiquer
sous le Code. Seulement ce qui était explicitement expri
mé par celui-ci, se trouve implicitement dans l’arti
cle 60. En effet, en exigeant que l’extrait soit signé par
�232
DES SOCIÉTÉS
les associés , cet article n’excepte aucun d’eux et les
comprend tous. S’il eût entendu le contraire , il n’eût
pas manqué d’ajouter ou par l’un d’eux, ce qu’il ne
fait pas.
Toutefois , ce qui n’est pas dans la loi peut se trou
ver dans la convention. La clause de l’acte qui charge
rait spécialement un ou plusieurs des associés du soin
et du devoir de rédiger et de publier l’extrait requis, se
rait incontestablement régulière et légale.
Il y a mieux encore, le mandat tacite serait, en pa
reille matière, facilement présumé. Ceux qui contractent
une société sont censés vouloir la rendre régulière et
vouloir qu’elle sorte à effet, par conséquent autoriser
toutes les mesures qui peuvent déterminer ce résultat.
'La preuve testimoniale étant de droit commun en ma
tière commerciale, l’existence du mandat tacite pourrait
s’induire des présomptions, notamment de l’exécution
donnée à la société par celui ou ceux qui n’auraient
pas signé l’extrait.
S’il en était autrem ent, si l’absence de quelques si
gnatures au bas de l’extrait entraînait fatalement la nul
lité de la société, il faudrait admettre que la loi a en
tendu livrer le sort de la société au caprice des intéres
sés. Celui d’entre eux, en effet, qui voudrait revenir sur
ses engagements, n’aurait qu’à refuser sa signature , à
empêcher ainsi tout extrait régulier, ce qui détermine
rait infailliblement la rupture du contrat. Nous ne sau
rions admettre qu’un pareil résultat soit entré dans les
prévisions du législateur.
�art.
44, 45, 46.
233
593.
— Si la société est en commandite ou anony
me, l’extrait est signé par les gérants ou par les admi
nistrateurs. Sans doute ceux-ci ne sont ni responsables
indéfiniment ni solidaires. Mais des associés de ce gepre
il n’en existe aucun dans les sociétés anonymes , et
comme cependant il fallait que quelqu’un signât l’ex
trait, on était naturellement amené à confier ce soin et
ce devoir aux administrateurs.
L’interdiction faite aux commanditaires de signer l’ex
tra it, tient à la volonté de leur conserver l’incognito
plus ou moins apparent qui les abrite , et de sauvegar
der les tiers contre l’erreur de croire associé en nom ce
lui qui n’est que commanditaire. Aussi le commandi
taire qui, en signant l’extrait, rendrait cette erreur pos
sible, serait exposé à perdre les immunités résultant de
sa qualité.
/
Tout ce qui pourrait advenir de la signature qu’un
associé actionnaire dans une société anonyme apposerait
sur l’extrait, serait de le faire considérer comme admi
nistrateur. Comme tel il ne serait pas tenu au delà de
sa mise , mais on pourrait le déclarer responsable aux
termes de l’article 44 de la loi de 1867 soit des infrac
tions aux dispositions de la loi , soit des fautes qu’on
pourrait lui imputer l.
594.
— Aucune sanction pénale n’est attachée à
l’injonction de la loi relativement à la signature de l’ex-
l Notre Commentaire de la lo i de 1867, article 44.
�DES SOCIETES
trait. Quelles que soient les omissions qu’on pourrait
signaler dans ces signatures,elles ne pourraient ni moti
ver, ni faire admettre une demande en nullité, si un ex
trait a été réellement publié et s’il renferme toutes les
indications exigées.
Par qui d’ailleurs serait poursuivie cette nullité ? Par
les tiers ? Mais quel préjudice pourraient-ils alléguer ?
En ce qui les concerne , la publicité ne laisse en réalité
rien à désirer , car l’absence de la signature de tels ou
de tels ne les empêchera pas de les poursuivre et d’obte
nir contre eux une condamnation de ce qui peut leur
être dû ;
Les associés ? De quoi se plaindraient-ils ? Leurs in
térêts sont réglés par le pacte social , et les termes de
l’extrait ne peuvent ni les altérer ni les modifier.
D’ailleurs , en excipant du défaut de leur signature
sur l’extrait, ne se prévalent-ils pas de leur faute per
sonnelle peut-être calculée et préméditée, et pourraientils être recevables à prétendre en recueillir un profit
quelconque ?
Enfin quis mandat ipse fecisse videtur. Et s’il est
v ra i, comme nous venons de le dire , qu’en cette ma
tière le mandat verbal soit facilement présumé , la fin
de non recevoir qui repousse les associés serait de plus
fort évidente.
En dernière analyse , si l’extrait publié est conforme
à la loi et contient toutes les indications prescrites, l’ab
sence de quelques signatures ne saurait donner ouver-
�ART.
44, 45, 4G.
235
ture ni à une action en nullité, ni à une poursuite en
dommages-intérêts.
3 9 5 . — Les prescriptions de l’article 46 étaient na
turellement amenées par celles déjà consacrées aux ar
ticles précédents. Le système de précautions que le ca
ractère exceptionnel du contrat de société avait inspiré
voulait être suivi jusqu'au b o u t, sous peine de devenir
complètement illusoire. A quoi bon, en effet, prescrire
la publication des statuts sociaux à l’origine de la so
ciété, si, pendant sa durée, des conventions affranchies
de cette publicité pouvaient en altérer , en modifier les
dispositions les plus essentielles et faire ainsi disparaî
tre, une à une, toutes les garanties d’abord offertes au
public ?
Le devoir qui naissait d’une considération de ce genre
était tout tracé ; il fallait que les obligations imposées
au moment de la constitution de la société l’accompa
gnassent dans toutes les phases de son existence ; que
l’efficacité de tous accords nouveaux , ayant pour objet
de changer les clauses de l’acte primitif, fût soumise et
subordonnée à la publicité prescrite pour cet acte luimême. C’est ce que l’article 46 a entendu et voulu con
sacrer.
Cet article est donc le complément naturel des dispo
sitions précédentes, en même temps qu’une nouvelle et
énergique sanction de ce principe de publicité sans le
quel les sociétés ne seraient plus que de vastes, d’odieures déceptions,
�236
DKS SOCIÉTÉS
L ’a r tic le 4 6 e n v is a g e d ’a b o r d les m o d if ic a tio n s q u e la
so c ié té p e u t f a ir e s u b i r d a n s s a d u r é e : sa c o n tin u a tio n
a p r è s le te r m e e x p iré , sa d is s o lu tio n a v a n t c ette e x p ir a
tio n ; il s ’o c c u p e e n s u ite d e s c o n v e n tio n s p ris e s p e n d a n t
l a d u r é e d e la so c ié té , se r é f é r a n t a u c h a n g e m e n t o u à
l a r e tr a ite d ’u n a sso c ié , à l ’a d o p tio n d e c la u s e s a b r o
g e a n t celles d e l ’a c te p r i m i t i f , e n f in a u x m o d if ic a tio n s
q u e s u b it la r a is o n s o c ia le . E x a m in o n s
chacun
de
ces
f a its , d é te r m in o n s - e n la n a tu r e .
596, —
1 ° C o n tin u a tio n a p r è s le te r m e e x p iré .
L a so c ié té f in it n a tu r e lle m e n t et d e p le in d r o it p a r l ’é
c h é a n c e d u te r m e s tip u lé p o u r sa d u r é e . C ette é c h é a n c e
se r é a l i s a n t , l ’a c te a p r o d u it to u s ses effets , il n e r e n
f e r m e p lu s a u c u n
lie n o b lig a to ir e , c h a q u e p a r tie r e
p r e n d to u te s a lib e r té .
V o ilà e n d r o it le s c o n s é q u e n c e s d e l ’e x p ir a tio n d u
te r m e ; m a is e n f a it e t e n d r o it é g a l e m e n t , le s a sso c ié s
n e s o n t p a s o b lig é s d e les s u b ir . L a c o n tin u a tio n d e s
r e la tio n s a n c ie n n e s p e u t ê tr e c o m m a n d é e p a r les c o n
v e n a n c e s d e s p a r tie s , p a r les r é s u lta ts a v a n ta g e u x d é jà
o b t e n u s , p a r l ’in té r ê t m ê m e d e
to u s les a sso c ié s. E n
e f f e t , le te r m e p e u t e x p i r e r .a u m ilie u d ’u n e c ris e c o m
m e r c ia le , o u d a n s u n m o m e n t o ù la so c ié té e s t e n g a
g ée d a n s d e n ô m b r e u s e s e t im p o r ta n te s o p é r a tio n s , d e
te lle so rte q u ’u n e liq u id a tio n effectiv e e t im m é d ia te n e
s a u r a it ê tr e p o u r s u iv ie q u ’a u p r ix d e s p lu s g r a n d s s a
c rific e s.
L a loi
n e p o u v a it m é c o n n a îtr e
n i ces c o n v e n a n c e s ,
�art. 4 4 ,
45,
46.
237
ni cet intérêt. A quel titre, d’ailleurs, eût-elle contraint
à la dissolution ? Les parties pouvant contracter une
société nouvelle , peuvent évidemment continuer celle
qu’ils ont déjà fondée ; on ne pouvait le méconnaître
sans violer le grand principe de la liberté des conven
tions.
La continuation est donc laissée à l’appréciation sou
veraine et absolue des associés eux - mêmes. Tout ce
qu’exige la loi c’est que son existence soit constatée par
une déclaration des associés , et que cette déclaration
soit déposée et publiée dans les formes et les délais vou
lus par l’article 42.
3 9 7 . — Celte double exigence s’explique parfaite
ment. L’acte écrit I la continuation de la société n’est
pas la constitution d’une société nouvelle , mais l’acte
qui la constate n’en est pas moins pour l’avenir un acte
social. Pourquoi donc n’aurait-on pas fait pour lui ce
qu’on faisait pour celui-ci ?
La publicité 1 sa nécessité ressortait avec éclat des ef
fets que la continuation de société produit contre les
tiers. L’expiration du terme d’abord adopté mettant fin
à la société, il s’opère dans la condition des associés et
dans la nature de leurs droits un changement capital.
A l’être moral distinct des associés , ayant ses droits et
ses actions à p a r t, succède une communauté simple,
une indivision ordinaire. La personne civile a complè
tement disparu, il n’y a plus que des communistes. C’est
ce qui s’induit explicitement des articles 529 et 1872
du Code civil.
�m
DES SOCIÉTÉS
Dès lors loute liberté est rendue non-seulement aux
associés , mais encore à leurs créanciers même person
nels. Ceux-ci peuvent désormais former des oppositions,
intervenir dans les opérations du partage , assister aux
licitations , e t , selon l’événement, se faire attribuer la
chose q u i, tombant dans le lot de leur débiteur , est
censée lui avoir toujours appartenu, ou la soulte qui la
remplace l.
Tout cela est rendu impossible par la continuation de
la société. Il était, dès lo rs , naturel et juste de subor
donner cet effet à la publicité qu’elle reçoit ; on ne pou
vait dépouiller les tiers clandestinement et sans les avoir
mis en demeure de prendre les mesures que leur inté
rêt exigera.
5 9 8 . — Les exigences de l’article 46 sont donc
marquées au coin de la justice et de la raison. Quel sera
l’effet de leur inobservation ?
D’associé à associé , la nullité complète de tout ce
qui aurait été convenu. Ainsi, vainement la continua
tion de la société aurait-elle été consentie , vainement
aurait-elle été exécutée. Chaque associé peut même, après cette exécution, poursuivre la nullité de l’acte non
publié , et obtenir ainsi la liquidation immédiate de la
société.
5 9 9 , — Mais cette nullité ne pourrait être opposée
aux tiers, auxquels on ne saurait reprocher le défaut
1 Troplong, n° 1004. — Delangle, n° 571,
�art.
44, 45, 46.
239
de publicité. Cette prescription de l’article 42 reçoit ici
son entière application par une identité de raisons in
contestable.
Il en résulte que les tiers , ayant intérêt à ce que la
société ait continué , peuvent en prouver la prorogation
tant par témoins que par présomptions. Il faut même
convenir que son existence éprouvera moins de diffi
cultés que celle d’une société. Lorsqu’il s’ag it, en effet,
non plus d’établir des rapports entre personnes jusquelà étrangères les unes aux autres , mais de constater la.
continuation de relations existant depuis plusieurs an
nées , la présomption devient plus facile. D’ailleurs , la
nature des opérations accomplies depuis l’échéance du
terme, l’absence de toute liquidation matérielle devien
nent tout autant d’éléments précieux pour la conscience
du juge.
400.
— Pourrait-on faire résulter de la continua
tion de la société, sans publicité, une modification dans
la qualité des parties ? En d’autres term es, serait-on
recevable à soutenir que le commanditaire a par cela
seul pris la qualité d’associé solidaire et responsable ?
L’affirmative a été soutenue ; on la fondait sur ce
principe, que la commandite n’étant qu’une exception
doit être prouvée par écrit. Or, l’acte non publié étant
nul, cette preuve n’existe pas; il n’y a plus qu’une so
ciété de fa it, dont les effets sont souverainement régis
par le droit commun.
Nous avons déjà dit que la jurisprudence avait mo-
�240
DES SOCIÉTÉS
difié la rigueur du principe l. En fût-il autrement, qu’on
ne devrait pas hésiter à le déclarer inapplicable dans
notre hypothèse.
De deux choses l’u n e , en effet : ou les tiers soutien
dront que la société s’est continuée , et que c’esf avec
elle qu’ils ont traité; mais alors pourront-ils seulement
alléguer qu’ils ont été trompés sur la qualité des par
ties ? Est-ce que les relations antérieures ne sont pas
là pour déterminer la position de chacun ?
- Ou ils soutiendront qu’il s’est formé une société nou
velle. Dans celte hypothèse, ils seront obligés de prou
ver leur prétention. Or, comment rapporter cette preu
ve , si en fait la société n’a fait que suivre ses anciens
errements, si chaque associé a absolument gardé la po
sition que l’acte primitif lui faisait ?
En l’absence de cette preuve, on se retrouverait donc
en présence d’une continuation pure et simple ; or, on
ne pourrait donner à l’inobservation de l’article 46 l’ef
fet de modifier l’ancien état des choses. Cet article , en
effet, n’a édicté d’autre peine, contre son inobservation,
que l’application du troisième alinéa de l’article 42. Il
n’a fait, disait la cour de Paris, aucune distinction en
tre la société en commandite et la société en nom col
lectif , qui changerait la nature de l’une ou de l’autre,
et la position respective et individuelle des associés visà-vis des tiers. Il suppose donc que la société se conti-
1 V oy. supra n° 368.
�ART. 44, 45, 46.
241
nue dans sa spécialité originelle, à moins de circonstan
ces qui en modifieraient la nature l .
Ainsi, l’absence de publicité pour la continuation
n’empêchera pas les tiers de se prévaloir de sa réalité et
d’en prouver l’existence ; ils pourront même prouver
que les associés ont modifié leur position, notamment
que le commanditaire s’est immiscé; si cette preuve
n’est pas articulée, si elle n’est pas rapportée, il pourra
y avoir continuation de la société. Mais l’inobservation
de l’article 46 n’aura jamais pour effet de modifier l’é
tat des personnes et des choses.
401.
— Le droit des tiers de prouver par témoins
la continuation de la société concerne exclusivement les
associés, il ne pourrait être exercé contre leurs créan
ciers personnels.
Nous l’avons déjà d it, les créanciers personnels de
l’associé sont de véritables tiers dans le sens de l’ar
ticle 42 , auxquels on ne saurait opposer une société
irrégulièrement contractée3. Il en serait de même de
sa continuation ; ils ne devraient en subir les effets que
si elle avait été revêtue des formes exigées par l’ar
ticle 46. La preuve que les créanciers sociaux préten
draient faire d’une continuation de fait serait donc écartée : ne pouvant jamais avoir aucune efficacité, elle
117 avril 1839 ; — D .P ., 39, 2, 126.
2 Voy.
su pra
Il
n» 370.
16
�\
242
DES SOCIÉTÉS
serait inutile, Frustra probatur, quod probatum non
relevât.
4 0 2 . — 2° Dissolution avant terme.
L’intérêt que les tiers ont à connaître l’instant où la
société cesse d’exister est incontestable. Cette connais
sance est acquise lorsque la dissolution est amenée par
l’échéance du terme. La publication régulière de la so
ciété eu a expressément déterminé la durée. Les tiers
sont donc dûment prévenus; tout ce qu’ils peuvent exi
ger , c’est d’être instruits de la prorogation si celle-ci
est consentie.
Mais de même que les associés peuvent adopter cette
prorogation , de même ils peuvent dissoudre , avant le
terme par eux fixé. Indépendamment de la mobilité de
la volonté humaine , indépendamment de la cessation
des sentiments de confiance sans lesquels il ne saurait
exister de société, la dissolution avant terme peut avoir
un motif loyal et hautement avouable : l’insuffisance
du capital , conséquence des pertes déjà éprouvées, le
désir de ne pas compromettre les tiers en risquant de
perdre ce qui reste.
Quel qu’en soit d’ailleurs le motif, la dissolution con
ventionnelle n’est opposable aux tiers que si elle est
prouvée par écrit, et que si l’acte en a été publiée dans
les formes voulues par l’article 42.
4 0 3 . — Doit-on assimiler à la dissolution conven
tionnelle celle que la loi fait résulter de la mort civile
�ART.
44, 45, 46.
US
ou naturelle d’un associé, de son interdiction ou de sa
faillite ?
Il est évident qu’aucun de ces faits ne s’accomplit
sans acquérir une notoriété, une publicité certaine. Les
gens de la localité ne sauraient les ignorer. Quant à
ceux qui habitent au loin , il est difficile d’admellre
qu’ils ne les aient pas connus, soit s’ils étaient déjà en
relation avec la société par une annonce directe ou in
directe , soit par les renseignements qu’ils ont dû re
cueillir si leurs relations n’ont commencé que postérieu
rement.
Celle présomption admise, la question que nous avons
posée doit se résoudre par la négative , et c’est dans ce
sens qu’elle l’a été généralement.
404,
— Cependant la présomption de connaissance
n’est pas admise par tous les auteurs, le célèbre M. Troplong veut que cette connaissance soit prouvée ; à dé
faut de cette preuve et en l’absence de toute publication,
M. Troplong veut que les héritiers , même mineurs de
l’associé décédé, soient tenus solidairement des dettes
contractées depuis le décès.
Celle conclusion , dit M. Troplong, peut être sévère,
mais elle ne manque pas de points d’appui. Ainsi et
malgré la faveur dont il avait entouré le m in eu r, le
droit romain l’avait consacrée. Sed si pupillus heres
extilerit ei qui prœposuerat, œquissimum erit p upillum teneri quamdiu prœpositus manet. Removendus enim fu it à tutoribus, si nollent opéra
�2H
DES SOCIÉTÉS
ejus uti 1. Déjà la même règle avait été enseignée par
le jurisconsulte Paul : Si impuber patri habenli in stitores hœres e x tite r it, deinde cum his contrac
tion fuerit, dicendum est in pupillum dari actionem propter utilitatem promiscui usus 3.
Telles sont les règles par lesquelles les Romains don
naient protection à leur commerce; nous ne sommes
pas moins accessibles que ce peuple à ces grandes rai
sons d’utilité et de loyauté. Pourquoi donc consacrerionsnous le contraire ?
M. Troplong trouve la justification de son système
dans un principe incontestable en matière de mandat.
Les obligations contractées par le mandataire, dans l’i
gnorance du décès du m andant, obligent les héritiers
même mineurs. Or, l’application de ce principe à la so
ciété n’a jamais été contestée entre associés, mandatai
res les uns des autres ; les opérations que quelques-uns
d’eux feraient, de bonne foi et dans l’ignorance du décès
de l’autre, lieraient les héritiers de celui-ci, mineurs ou
m ajeurs, sans distinction ; Tune eadem distinctione
utemur quam in m andato, et si quidem ignota
fuerit mors alterius, valeat socielas. Si nota, non
valeat3.
Dans ce cas là, donc, l’ignorance produira les mêmes
effets que dans le m andat, la société est censée durer
1 L. 14, ff. De inslil. ad..
s L. 24, $ 1, ff. De minorib.
3 L. 65, S 10, ff. Pro socio.
�àrt.
44, 45, 46.
245
malgré le décès. Par la même raison , elle doit se con
tinuer fictivement à l’égard des tiers qui ont contracté
avec elle dans l’ignorance de la dissolution. Il n’est pas
possible de trouver un motif de différence entre les deux
situations ; les raisons de conformité sont, au contraire,
nombreuses et palpablesx.
M. Troplong conclut que la mort civile ou naturelle,
l’interdiction ou la faillite doit être publiée. Cependant,
le défaut de publication ne saurait empêcher qu’on prou
vât que le tiers en avait connaissance; car , à son avis,
la connaissance de fait équivaut ici à la connaissance
légale , et doit faire repousser toutes prétentions contre
les héritiers mineurs.
Quoi qu’en dise M. Dalloz, l’argument que M. Troplong puise dans les principes du mandat est puissant.
S’il est vrai que le texte de la loi romaine se réfère uni
quement à l’hypothèse du mandataire agissant dans l’i
gnorance de la mort du m andant, le même effet n’en
pourra^ pas moins être réclamé par les tiers ayant agi
dans la même ignorance. C’est, au reste, ce qu’il n’est
pas permis de révoquer en doute en présence de l’arti
cle 2009 du Code civil.
Le système de M. Troplong puise dans ce rapproche
ment une grave autorité. Nous ajoutons que, à l’endroit
du crédit public, ce système se recommande par de for
tes considérations; avec le système contraire, les héri—
i Troplong, Des sociétés, art. 1865, n°903.
�246
Des
sociétés
tiers se conduiront uniquement aii gré de leurs intérêts;
associés, s’il y a des bénéfices, ils répudieront cette qua
lité dans le cas de perte.
f
405.
— C’est cependant ce dernier que la cour de
cassation a consacré. Et ic i, qu’il nous soit permis de
nous étonner que dans un autre de ses excellents ouvra
ges M. Troplong ait écrit que la cour de cassation a
consacré son opinion L
Des deux arrêts que M. Troplong invoque, le pre
mier, celui du 26 juillet 1843, pourrait aller à son système. Il juge en effet qu’une société commerciale, dont
la dissolution par décès de l’un des associés n’a pas été
publiée conformément à la lo i, est réputée subsister à
l’égard des tiers , alors que nonobstant ce décès l’éta
blissement social a continué à marcher dans l’intérêt
des associés ou de leurs représentants , et qu’il n’a été
procédé à aucune liquidation 2.
Mais ce qu'il faut remarquer , c’est que devant la
cour suprême les parties contendantes étaient d’une
part un créancier social d’avant le décès , de l’autre
des créanciers sociaux, d’après le décès. Les héritiers
mineurs qui avaient figuré devant la cour d’appel n’é
taient plus en cause. Leur pourvoi était déclaré non re
cevable.
On comprend dès lors la solution de l’arrêt. Le cré-
l Du mandai, art. 2009, n° 824.
«D. P., 44, 1, 434.
�ancier ne pouvait exciper d’une exception personnelle
aux héritiers mineurs. Pour lui donc , à l’endroit des
nouveaux créanciers, la dissolution ne pouvait résulter
que de sa publication ou de sa réalisation de fait. Or,
l’arrêt constate l’absence de l’une et de l’autre , rele
vant avec soin que l’établissement n’avait pas cessé de
marcher dans l’intérêt des associés ou de leurs repré
sentants.
Qu’aurait fait la cour si les héritiers mineurs en cause
devant elle eussent de leur chef demandé la nullité de
la continuation de la société ? La réponse est facile , et
c’est la cour elle-même qui va nous la fournir dans son
arrêt dans l’affaire Thivolier et Martin.
Dans cette espèce , la cour de Grenoble avait jugé
que, même à l’encontre des héritiers mineurs, la disso
lution amenée par le décès de l’associé devait être pu
bliée conformément à l’article 46 ; qu’à défaut la société
s’était valablement constituée. Cet arrêt fut dénoncé à la
cour régulatrice.
Or, par décision du 10 juillet 1844 , celle-ci casse
l’arrêt de la cour de Grenoble , et décide en consé
quence que l’obligation de publier les faits qui modi
fient les sociétés commerciales ne s’applique qu’aux
faits de l’homme , ou , en d’autres termes , aux seules
modifications qui sont l’œuvre de la volonté des par
ties; qu’en conséquence la dissolution d’une société
commerciale, par le décès de l’un des associés , n’est
pas soumise aux formalités de publication exigées par
l’article 46 du Code de commerce. Par suite , en cas de
�248
DES SOCIÉTÉS
cessation de paiements de l’associé survivant, c’est lui
(ou la société formée par les survivants) et non la so
ciété dont l’associé prédécédé faisait partie qui doit seul
être mis en faillite 1.
L’antinomie entre ces deux décisions est certes com
plète. Différence dans les principes , différence dans les
conséquences. Le premier, en effet, décide que la dis
solution par décès doit être publiée , et qu’à défaut, la
déconfiture arrivant, c’est la société dont le prédécédé
faisait partie et qui s’est légalement continuée, qui doit
'être déclarée en faillite. Le second, au contraire, déclare
la société dissoute de plein droit et sans publication par
le décès de l’associé , et refuse conséquemment le droit
de la déclarer en faillite. Comme on le voit, la contra
diction ne saurait être plus absolue.
A nos yeux , la raison de cette contradiction existe
dans la différence de la qualité des parties dans les deux
espèces. La dissolution par suite du décès n’est que dans
l’intérêt des héritiers ; eux seuls peuvent donc s’en pré
valoir, avec d’autant plus de raison, que l’impossibilité
de continuation, fondée sur l’incapacité des parties, con
stitue une nullité purement relative.
Sans doute, les créanciers antérieurs au décès peuvent
avoir intérêt à la dissolution et soutenir qu’elle a eu
lieu, mais tout au moins devraient-ils le prouver. Donc,
la meilleure manière d’écarter leur prétention sera de
�art.
44, 45, 46.
249
constater que, loin de se dissoudre, la société a continué
en fait. Telle était l’espèce du premier arrêt.
Peut-être voudra-t-on voir dans cette dernière cir
constance une raison pour expliquer la différence entre
les deux arrêts. En fait, dira-t-on, la cour de Grenoble
ne constate pas la continuation qui est avec soin relevée
dans l’arrêt de 1844. La cour de cassation a donc obéi
à cette différence de faits.
Cette explication, quelque plausible qu’elle pût paraî
tre, n’est pas admissible ; en voici la raison : l’arrêt de
Grenoble étant cassé, parties et matières sont renvoyées
devant la cour d’Aix. Celle-ci, sur ma plaidoirie , juge
le 9 mai 1845 qu’en fait la société a continué, ce qu’elle
induit d’une série de faits, des opérations réalisées après
le décès, des livres et écritures.
La cour évite de se prononcer sur l’application de
l’article 46. Elle ne se met donc pas en contradiction
de droit avec la cour de cassation. Cependant les mi
neurs Thivolier s’étant de nouveau pourvus, l’arrêt d’Aix
est à son tour cassé, attendu, dit la cour de cassation,
qu’à l’endroit de l’article 1868 du Code civil, les hé
ritiers mineurs, d’un associé décédé ne peuvent être
liés que par une stipulation formelle de continuation
faite par leur auteur ; qu'en l'absence d'une pa
reille stipulation, les tribunaux ne peuvent faire
résulter la continuation de la société des faits et
des circonstances.
Ce pouvoir d'appréciation ne
�250
DES SOCIÉTÉS
leur appartient que lorsqu'il s'agit d'héritiers ma
jeurs l.
Voilà donc la pensée de la cour de cassation claire
ment et nettement énoncée. Par le décès de l’associé
tout est définitivement rompu par rapport à ses héri
tiers, sauf le droit de ceux-ci de renoncer à la dissolu
tion et d’opter pour la continuation. Cette option peut
être expresse ou tacite , mais son efficacité , dans tous
les c a s , dépend exclusivement de la capacité légale des
héritiers. Le mineur est incapable, sous un double rap
port. Non-seulement il ne peut contracter ni s’engager,
mais encore exercer un commerce quelconque sans y
avoir été préalablement autorisé. Or, nous avons vu sous
l’article 2 du Gode de commerce que rien ne peut sup
pléer à cette autorisation ; qu’elle ne peut être tacite ni
résulter de faits nombreux accomplis par le mineur. Ce
sont ces principes que la cour de cassation admet en
matière de continuation de société.
L’héritier majeur pouvant librement contracter peut
expressément continuer la société. Cette volonté peut
même s’induire des faits qui lui sont personnels ou aux
quels il a participé. La cour de cassation, qui le décide
ainsi dans le dernier a rrê t, l’avait déjà consacré par
décision du 16 mars 183S.S On a voulu à tort trouver
dans ce dernier arrêt une contradiction au principe de
1 Cass , 10 novembre 1847 ; — J du P., 48, \, 16.
2 J. du P., 38, 1, 413.
�art.
44, 45, 46.
251
celui de 1847. Ce qui les explique parfaitement, c’est
que l’héritier qui dans l’espèce de celui-ci était mineur
avait dans l’autre agi en pleine majorité ; la différence
dans les résultats se trouve par cela seul pleinement
justifiée.
406.
— Donc et relativement à l’héritier mineur,
la cour de cassation n’admet pas la règle enseignée par
M. Troplong. En droit pur, elle considère la dissolution
comme définitivement acquise par le décès , quelle que
soit d’ailleurs la conduite des héritiers , quelle que soit
la bonne foi des tiers, quelque absolue qu’ait été leur
ignorance.
Est-ce là méconnaître le principe qui se tire de la
législation sur le mandat ? Nous ne croyons pas que telle
ait été l’intention de la cour de cassation. Sa doctrine
nous paraît au contraire se fonder sur la connaissance
qu’on a dû avoir des événements entraînant la disso
lution. La mort naturelle est assez publique pour n’être
ignorée de personne sur la localité, et pour peu qu’elle
soit de nature à intéresser le commerce , les négociants
ne manqueront pas d’en avertir leurs correspondants.
L’interdiction exige des débats publics, l’affiche du nom
de l’interdit chez les notaires ; enfin la mort civile et la
faillite sont annoncées par des placards et des affiches :
comment donc , en présence de pareils moyens de pu blicité, admettre une ignorance absolue ?
Fallût - il voir dans la doctrine de la cour le refus
d’appliquer à la société les règles du mandat, que ce
�)
252
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DES SOCIÉTÉS
refus s’expliquerait par l’incapacité du mineur , par le
respect dû aux dispositions de l’article 2 du Code de
commerce, par l’adhésion aux considérations qui l’ont
fait consacrer. Faudrait-il blâmer la cour suprême d’a
voir cédé à ces scrupules? Nous oserions d’autant moins
le faire que la pratique commerciale n’a pas jusqu’ici
signalé de trop graves inconvéniens au système auquel
elle s’est arrêtée.
407.
— Ainsi il n’y a que les dissolutions conven
tionnelles qui soient soumises aux formalités prescrites
par l’article 46.1 Quel sera l’effet de l’omission de ces
formalités ?
D’associé à associé l’acte de dissolution est n u l, aux
termes de l’article 42. En conséquence , tout droit ré
clamé, en vertu de cet acte pourra être contesté ou refusé
sur le motif de sa nullité.
Mais il faut pour cela que toutes choses soient en
core intactes et que l’acte de dissolution soit l’unique
fait accompli. Il est évident que si, indépendamment de
l’acte, une dissolution matérielle s’est réalisée, s’il a été
procédé à la liquidation, au partage de l’actif, si l’éta
blissement avait cessé d’être exploité, les associés ayant
exécuté la dissolution ne pourraient plus se prévaloir du
défaut de publicité2.
Il faut observer encore qu’entre associés la nullité
1 Delangle, n° 580
3 Pardessus, n » 1 0 7 l. — Cass., 5 ju in 4834.
�art.
44, 45, 46.
253
n’est acquise que par l’absence complète de publicité au
moment où cette nullité est judiciairement poursuivie.
Ainsi, un retard ayant laissé expirer le délai de quizaine
ne devrait pas faire prononcer cette nullité. Il suffirait
que les formalités eussent été remplies avant l’action in
tentée par l’associél .
408.
— Par rapport aux tiers l’inobservation de
l’article 46 produit un effet radical et absolu. La dis
solution ne peut leur être opposée. Quelles que soient
les circonstances de fait, il suffit que le tiers qui a traité
avec la société ait obtenu la signature sociale pour que
la dette soit due solidairement par tous les associés, eus
sent-ils en réalité rompu la société3.
La cour de cassation adoptant le principe n’a pas hé
sité à en consacrer les conséquences les plus extrêmes.
Ainsi elle a jugé , le 29 janvier 1838 , que la société
dont la dissolution n’a pas été publiée dans les formes
légales ne cesse pas de subsister en droit vis-à-vis des
tiers , alors même qu’en fait une nouvelle société lui
aurait succédé avec une nouvelle raison sociale ; et les
membres de l’ancienne société , quelle que soit leur
bonne fo i, n’en restent pas moins responsables des
engagements souscrits sous la nouvelle raison sociale,
si ces engagements ont réellement profité à leur so
ciété 3.
1 Voy. supra n° 358.
2 Paris, 22 juillet 1828
Cass., 9 juillet 1833
3 J. du P., 38, 1, 499 ; — D. P., 38, 1, 94.
�§54
DES SOCIÉTÉS
Dans l’espèce de cet a rrê t, la bonne foi des anciens
associés était d’autant plus certaine que les formalités
voulues par la loi avaient été remplies. Mais le tribunal
au greffe duquel le dépôt avait été opéré n’étant pas ce
lui appelé à le recevoir , la publication avait été décla
rée insuffisante et nulle.
4 0 9 . — La cour de Dijon , dont l’arrêt recevait la
sanction de la cour suprême , paraît admettre que la
connaissance que le tiers aurait eu de la dissolution
remplacerait la publicité ordonnée par la loi et le ren
drait bon recevable à prétendre que la société s’est con
tinuée. C’est là un principe que nous sommes loin d’ad
mettre et qui nous paraît répudié par le texte et par
l’esprit de l’article 4§. Les associés ne peuvent repous
ser les tiers qu’en justifiant de l’accomplissement de la
publicité requise. Or , soutenir que le tiers a connu la
dissolution, est-ce prouver que cet accomplissement s’est
réalisé ? 1 Le moindre inconvénient de ce principe est
de substituer une appréciation difficile et arbitraire à la
règle simple et positive que la loi a tracée.
Quoi qu’il en so it, dans l’espèce , on voulait induire
cette connaissance de l’existence de la nouvelle raison
sociale et de l’acceptation d’un engagement signé de
celle-ci. Mais cette prétention est repoussée.
4 1 0 . — fl faut l’avouer cependant, le changement
1 Voy. cependant supra n»369.
�art.
44, 45, 46.
de la raison sociale est un fait grave , dont il est im
possible de se dissimuler la portée. C’est une nouvelle
personne qui se présente, et comment la confondre avec
une autre ? Néanmoins, il faut le reconnaître, la même
société peut exister sous une autre raison sociale, l’ar
ticle 46 le reconnaît expressément. Dès lors , celui qui
a traité avec la nouvelle raison sociale peut soutenir qu’il
a entendu et voulu traiter avec l’ancienne société. Mais
il sera obligé de prouver sa prétention, et ainsi on tient
compte du changement de raison sociale. Si l’engage
ment était signé de l’ancienne , le porteur n’aurait rien
à prouver : les associés seraient tenus de plein droit.
L’emploi de la nouvelle fait présumer que l’engagement
est étranger à l’ancienne société. Mais cette présomption
cède devant la preuve contraire. Or, celle-ci résulte de
la justification que l’engagement a réellement profilé à
la société.
411.
— Nous finirons ce qui se rapporte à la du
rée de la société par une observation qu’inspire l’en
semble des règles que nous venons d’exposer. Dans son
arrêt du 10 novembre 1847, la cour de cassation re
connaît que l’insertion dans l’acte social de la clause
que la société continuera avec les héritiers empêche
toute dissolution , le décès se réalisant. La société se
trouve légalement constituée avec les héritiers majeurs
ou mineurs, sans distinction.
Mais si, postérieurement au décès , le terme conven
tionnellement stipulé pour la durée de la société vient
�256
DES SOCIÉTÉS
à expirer, la société sera forcément tenue de se dissou
dre si les héritiers de l’ancien associé sont encore mi
neurs. En effet, le mineur étant en droit incapable de
contracter une société , l’est par celajmême à l’endroit
de la continuation de celle dont il a été accidentelle
ment appelé à faire partie. En conséquence , la proro
gation défait que cette société recevrait ne produirait,
pour les associés mineurs, d’autres effets que ceux indi
qués par la cour de cassation, dans l’hypothèse d’une
continuation de la société après décès de l’un des asso
ciés , en l’absence de toute clause de ce genre ; c’est-àdire que tout ce qui aurait été fait ne pourrait ni en
gager ni lier l’associé mineur , toujours recevable à ré
pudier la responsabilité des engagements contractés de
puis l’expiration du terme.
4 1 2 . — 3° Tout changement ou retraite d’associés.
Ce qui ressort de l’ensemble de l’article 46, c’est que
la loi considère l’acte déposé et publié comme la loi su
prême de toutes les parties. C’est par ses énonciations
que doivent se résoudre toutes les difficultés, et comme
la publicité légale l’a en quelque sorte consacré contra
dictoirement avec le public , aucune modification ne
sera opposable à celui-ci, si la même publicité n’est ve
nue en consacrer l’autorité.
Or, nous l’avons déjà dit, les convenances, les intérêts
des associés peuvent exiger de nouveaux accords, moti
ver même une dissolution. Nous venons de dire com
ment il fallait procéder dans ce cas.
�ART. 44, 45, 46.
257
Souvent, au lieu d’une dissolution, on se contentera
du changement ou de la retraite d’un associé. Il est ra
tionnel que celui qui cesse d’appartenir à la société ne
réponde plus des engagements que celle-ci peut contrac
ter. Ce résultat la loi le subordonne à la publication de
ce changement ou de cette retraite, publication dont elle
a tracé la forme dans l’article 42.
4 1 5 . — Ainsi l’acte social indique Pierre comme
un des associés solidaires. Cette indication a pu attirer
la confiance des tiers. Pierre sera donc obligé jusqu’au
moment où, en annonçant publiquement sa retraite, il
mettra le public à même de continuer ou de cesser des
relations qui peuvent n’avoir d’autre base que la con
fiance qu’il inspirait.
L’associé qui se retire a donc le plus haut intérêt à
l’exacte observation des prescriptions de l’article 46.
Par elle, en effet, il est désormais à l’abri de toute res
ponsabilité quant aux dettes que la société pourrait con
tracter.
Toutefois cette immunité ne concerne que l’avenir.
Pour ce qui concerne le passé , l’associé ne cesse pas
d’être responsable jusqu’au jour de la publication de sa
retraite. Les créanciers pourraient donc l’attaquer, quels
que fussent les accords qu’il aurait pris soit avec son
successeur, soit avec les associés continuateurs.
Cependant et relativement à ces dettes , il est bon
d’observer que l’associé qui s’est retiré pourrait invo
quer la prescription de l’article 64 du Code de commern
17
�m
DES SOCIÉTÉS
ce. Le point de départ des cinq ans qu’elle exige serait
incontestablement le jour où la publicité de la retraite
a été complète par l’accomplissement des formalités lé
gales.
4 1 4 . — L’inobservation de l’article 46 en ce qui
concerne le changement ou la retraite d’associés produit
des effets qu’il convient d’examiner sous un double point
de vue.
Si le changement ou la retraite s’opère pendant la
durée de la société , il n’y a aucun doute possible. Le
défaut de publicité enlève à l’un ou à l’autre toute effi
cacité. L’associé reste soumis à l’action des tiers pour
toutes les dettes contractées depuis comme avant le chan
gement ou la retraite.
Que faut-il statuer lorsque le changement ou la re
traite s’opère parce que le terme de la société échéant,
l’associé refuse de consentir à la continuation que les
autres associés réalisent ? M. Delangle pense que dans
ce cas l’associé est affranchi de toute responsabilité ul
térieure. En effet, la dissolution s’opère de plein droit,
les tiers n’ont plus besoin d’être avertis. Il importe
donc peu que la société ait continué même sous la rai
son sociale primitive. L’associé n’est pas tenu des enga
gements contractés dans la période de continuation.
C’est ainsi que l’a jugé la cour de Colmar par arrêt du
2 août 1817.
Cette décision est équitable , mais l’inaction qu’elle
conseille à l’associé sortant nous paraît dangereuse.
�*
ART.
44, 45, 46.
269
Sans doute, et par l’échéance du terme, la société a été
de plein droit dissoute ; mais à cette allégation les tiers
répondront que les associés ont pu la continuer, qu’en
fait ils l’ont continuée. Comment donc l’associé prou
vera-t-il qu’il n’a pas pris part à cette continuation,
alors surtout que la société a conservé l’ancienne raison
sociale ?
Dans tous les cas , c’est un procès que l’associé aura
à subir , dont l’issue est exclusivement subordonnée à
une appréciation de fait. N’est-ce donc pas plus sûr de
publier le changement ou la retraite de l’associé.
Sans doute si les autres associés publient légalement
la continuation, l’associé sortant n’a plus aucun risque
à courir. Il lui suffit en effet d’être étranger à la décla
ration signée par ses coassociés pour que sa retraite soit
un fait légalement constaté. Mais si les continuateurs de
la société ne se conforment pas à l’article 46 , il est à
craindre que les tiers ne veuillent soutenir que la con
tinuation s’est opérée sans modification , chose que les
tribunaux pourraient bien consacrer.
'
4 1 5 . — La prudence commande donc à l’associé
de donner la plus grande publicité à sa retraite, alors
même qu’elle s’accomplit à la suite d’une dissolution
par l’échéance du terme, si en fait la société est conti
nuée par ses coassociés ; si surtout l’ancienne raison so
ciale est conservée.
Ici nous avons une distinction à faire. Si la raison
sociale ne renferme pas le nom de l’associé qui se re-
�260
DES SOCIÉTÉS
tire , on ne saurait voir là , en ce qui le concerne , un
grief quelconque à lui opposer. A-t-il pu jamais en ef
fet empêcher que les associés, dont les noms forment la
raison sociale, continuassent à agir comme ils l’ont fait
par le passé ? On ne saurait donc lui opposer l’emploi
de la même raison sociale, surtout si sa retraite avait été
légalement publiée.
Si, au contraire, la raison sociale comprend son nom,
la tolérance qu’il mettrait à ce qu’on la continuât serait
un obstacle invincible à ce que la retraite , eût-elle été
publiée , l’exonérât de la responsabilité pour les dettes
ultérieurement contractées. Nous nous contentons de
nous en référer aux raisons déjà exposées par nous, qui
devraient faire consacrer ce résultatl.
4 1 6 . — Enfin , lorsqu’il s’agit de la retraite d’un
associé , il faut bien distinguer entre la qualité et les
fonctions qu’on peut être appelé à remplir. Se démettre
de la fonction , ce n’est pas abjurer la première. Le ti
tulaire de celle-ci resterait donc soumis à toutes les con
séquences qu’elle est dans le cas d’entraîner.
Ainsi il a été jugé que la démission donnée par le
gérant d’une commandite ne saurait avoir , pour les
tiers, l’effet de dégager l’associé de toute responsabilité
future ; qu’il fallait admettre le contraire, la démission
1 Voy. supra n6S 137 et suiv.
�ART.
44, 45, 46.
m
de la gérance laissant subsister la qualité d’associé soli
daire 1.
Les prescriptions de l’article 46 ne concernent que
les associés en nom ou ordinaires. Elles ne sauraient
notamment s’appliquer aux actionnaires, la négociation
de l’action suffit par elle seule pour opérer le change
ment d’associé, la loi n’exige aucune autre formalité.
Pourquoi eût-elle agi autrement ? Les tiers ne peu
vent demander que le montant de l’action , et nous a vons dit comment le paiement pouvait en être obtenu.
Aucun intérêt réel ne s’attache donc à la mutation des
porteurs d’actions. Cette mutation se trouve dès lors
par cela même dispensée de l’obligation imposée par
l’article 46.
•417. — 4° Stipulations ou clauses nouvelles.
Le caractère de l’article 46 , tel que nous venons de
l’établir , explique tout de suite quelles sont les clauses
ou stipulations nouvelles devant être publiées. Ce sont
exclusivement celles qui pourraient avoir pour résultat
d’altérer ou de modifier les droits des tiers.
En conséquence, si les nouveaux accords ne sont re
latifs qu’aux associés entre e u x , s’ils ne règlent, par
exemple, que le taux des salaires alloués au gérant, l’é
poque des répartitions du bénéfice , la proportion dans
1 Paris, 26 mars 4840; — Cass , 1 « juillet 1841. — D. P , 41, 1,
290.
�2 6 â
DES
S O C IÉ T É S
laquelle chaque associé y prendra p a rt, etc..., ils sont
évidemment dispensés de toute publicité.
Au reste , ce qu’il importe de remarquer , c’est que
les stipulations de l’acte primitif sur ces divers points
sont dispensées de toute publicité. En effet, l’article 43
ne les met pas au nombre des faits que l’extrait doit
mentionner , pourquoi se montrerait-on plus exigeant
pour les stipulations modificatives des premières V
C’est donc avec juste raison que dans une espèce de
ce genre la cour de cassation consacre qu’il n’existe au
cun motif de penser que l’article 46 ait voulu prescrire
ce dont on est dispensé par l’article 43.1
De son côté , la cour de Paris jugeait, le 17 novem
bre 1859 , que la modification apportée à un acte de
société commerciale ne peut être déclarée nulle pour dé
faut de publications , qu’autant qu’elle porte sur une
des clauses principales contenues aux extraits dont la
publication est exigée par la loi.
Dans l’espèce, l’acte de société portait qu’il serait fait
deux inventaires par an , l’un au 30 juin l’autre au 30
décembre. Mais les associés appréciant bientôt les incon
vénients de ce double inventaire , convinrent par acte
sous seing privé de s’en tenir à celui de fin d’année.
Cette modification ne fut pas publiée.
Après la mort de l’un des associés son héritier exi
geait la représentation de l’inventaire qui aurait dû être
1 Cassation, 21 février 1832 ; — D .P ., 32, 1, 110
�art.
44, 45, 46.
263
rédigé le 30 juin de l’année du décès; et à l’exception
tirée de l’acte qui avait réduit les inventaires à un seul,
il répondait par la demande en nullité de cet acte pour
défaut de publication.
Mais le tribunal de commerce de la Seine e t , sur
l’appel , la cour de Paris repoussent cette demande :
« Attendu que la modification que l’acte introduisait
» au pacte social, ne portait sur aucune des clauses
» principales contenues aux extraits dont la publication
» est exigée par la loi ; qu’en conséquence le défaut de
» publicité ne pouvait la rendre nulle.2 »
4 1 8 . — 5° Changements à la raison sociale.
Ces changements sont indispensables à connaître. La
raison sociale constitue la personne civile avec laquelle
on contracte ; elle est le nom sous lequel elle se mani
feste au public ; il faut donc de toute nécessité que ce
lui-ci soit tenu au courant des modifications que ce
nom peut subir ; comment sans cela s’assurer de l’iden
tité de la société qui sollicite la confiance.
4 1 9 . — L’inobservation de ce devoir laisse subsis
ter la raison sociale telle qu’elle a été établie à la con
stitution de la société. Les engagements souscrits par
celle-ci sont donc solidairement dus par tous les as
sociés.
Au reste nous venons de voir qu’en l’absence de pu-
1 J. du P., 60, 1, 46.
�264
DES SOCIÉTÉS
blication la signature d’une nouvelle raison sociale ne
prive pas le créancier du recours qu’il a à exercer con
tre la société qui aurait en réalité profité de l’engage
ment dont il est porteur.
420.
— L’article 61 de la loi du 24 juillet 1867
explique et complète l’article 46 du Code de commerce.
Au lieu des termes généraux : toutes nouvelles stipu
lations ou clauses , il soumet à la publication nom
mément : tous actes ou délibérations ayant pour
objet la modification des statuts. Bien entendu qu’il •
s’agit encore ici non de modifications intérieures et se
référant uniquement aux rapports des associés entre
eux, mais de modifications portant sur des clauses pou
vant affecter l’intérêt des tiers, et qu’il était dès lors né
cessaire de rendre publiques.
Le complément que l’article 61 apporte à l’article 42
est l’exigence , en cas de dissolution avant terme , de
publier le mode de liquidation. Que faut-il entendre
par là ? Nous avouons qu’une explication est néces
saire.
Publier que la société est ou sera dissoute à partir de
telle époque , c’est en même temps annoncer sa liqui
dation forcément déterminée par la dissolution. Or,
cette liquidation ne comporte qu’un mode unique : ré
aliser l’actif, éteindre le passif, partager le solde entre
les ayants droit.
Le public ne saurait, dans aucun cas, s’y tromper et
confondre une société en liquidation avec une société en
�art.
44, 45, 46.
‘
265
cours d’exercice. D’abord parce que la liquidation est la
conséquence immédiate et forcée de la dissolution qu’on
lui annonce, ensuite parce que cette liquidation se ma
nifeste par chacun des actes auxquels elle donne lieu.
Ainsi, si elle est confiée à un tiers, la qualité de liqui
dateur se lira invariablement à la suite de la signature
de ce tiers; si le préposé choisi est un associé autorisé
à employer la raison sociale , cette raison sociale sera
aussi invariablement accompagnée de ces mots : en l i
quidation. Il est donc difficile d’admettre qu’un seul
de ceux qui ont traité , dans ces circonstances , même
avec le dernier , puisse prétendre avoir cru contracter
avec une société en cours d’exercice.
Le public est intéressé à connaître, non pas tant le
mode de liquidation, que la personne à qui est délégué
le soin de l’opérer, que le nom de celui ou de ceux des
associés chargés de la réaliser. Cela est si évident que
quoique le Code ne commerce n’eût rien prescrit à ce
sujet, on ne trouverait pas une annonce de dissolution
qui ne contînt cette indication.
Aussi croyons-nous que la loi de 1867 n’a entendu
et voulu faire qu’une obligation de cette pratique, et que
ce qu’elle entend par mode de liquidation c’est l’indi
cation du ou des liquidateurs, des restrictions ou des
conditions qu’on aurait imposées au mandat, et du droit
ou de la prohibition d’user de la raison sociale.
A défaut de désignation d’un liquidateur , le public
pourrait croire que la liquidation a été confiée à tous
les associés, et les opérations faites avec l’un d’eux, qui
�266
DES SOCIÉTÉS
se serait qualifié de liquidateur sans l’être , lieraient la
société.
La loi de 1867 exige encore la publication des déli
bérations ayant pour objet la conversion en sociétés anonymes dans les termes de la loi nouvelle : 1° des
sociétés en commandite par actions ; 2° des sociétés anonymes organisées sous l’empire du Code.de commer
ce ; 3° des sociétés à responsabilité limitée ; 4° enfin
de la délibération qui décide la continuation de la so
ciété malgré la perte de trois quarts du capital social.Nous avons exposé les motifs de cette exigence dans no
tre Commentaire de la loi de 1867 auquel nous ren
voyons b
Les sociétés en commandite par actions , anonymes
ou à capital variable sont en cuire soumises à des con
ditions spéciales de publicité. Nous les avons examinées
dans notre Commentaire des articles 62, 63 et 64
de la loi de 1867. Nous nous en référons donc aux
observations qu’elles nous ont suggérées 2.
4 2 0 bis. — Rappelons en terminant que^l’observation des formalités prescrites aujourd’hui par l’article 61
de la loi du 24 juillet est placée sous la garantie de la
sanction pénale édictée par l’article 57 ; de plus , l’ar
ticle 61 renvoyant aussi à l’article 56, il en résulte que
les actes et délibérations sujets à être publiés doivent
1 N01 620 et suiv.
2 N°* 628 et suiv,
�art.
44, 45, 46.
267
non-seulement être annoncés par l’insertion au journalmais encore déposés aux greffes de la justice de paix et
du tribunal de commerce.
Peu importerait qu’une de ces formalités eût été rem
plie. Si l’autre ne l’a pas été simultanément, la nullité
des actes ou délibérations serait inévitablement acquise,
à moins, comme nous l’avons dit plus haut, qu’au mo
ment où la demande en serait formée, l’oubli ou la né
gligence eût été réparé K
Mais il en est de cette nullité comme de celle de la
société non publiée. Elle n’existe que pour les associés
entre eux , et ne saurait jamais être opposée aux tiers.
En punir ceux-ci en les en rendant responsables, ne se
rait pas plus juste dans un cas que dans l’autre. Aussi
l’appel pur et simple que l’article 61 fait à l’article 57
prouve qu’il s’est approprié toutes les dispositions de
celui-ci sans distinction ni exception.
421.
— Nous terminerons notre commentaire de
de l’article 46 par une observation générale qu’il im
porte de ne pas négliger. Cet article s’applique à l’hy
pothèse d’une société non publiée. La cour de cassation
remarque , avec infiniment de raison , que la relation
de l’article 46 à l’article 42 ne suffit pas pour donner
au premier un sens restrictif; qu’il n’est pas permis de
conclure de ce que l’article 46 est applicable aux socié
tés publiées en exécution de l’article 42 , qu’il ne doit
i Voy.
su p ra
n° 361.
�268
DES SOCIÉTÉS
pas être également appliqué aux sociétés non publiées ;
que ce serait autoriser les associés , déjà coupables de
l’inexécution de l’article 42 , à induire encore les tiers
en erreur en n’exécutant pas l’article 46. 1
La solution contraire eût blessé non-seulement le
d ro it, mais encore la raison. Que résulte-t-il en effet
du défaut de publicité de l’acte social ? Que ses stipula
tions ne peuvent être opposées aux tiers ; que par rap
port à ceux-ci les associés restent exclusivement soumis
au droit commun.
De sorte que c’est l’application de ce droit commun
qu’on peut réclamer contre l’associé ; vainement celuici opposerait-il les termes de l’acte ; l’absence de publi
cité enlève à celui-ci toute autorité.
Serait-il donc rationnel d’admettre le contraire pour
les faits dont s’occupe l’article 46 ? Si les mêmes con
ventions se trouvaient dans l’acte, les associés ne pour
raient en exciper, et on leur permettra de le faire parce
qu’il s’agira de conventions arrêtées après coup et pen
dant la durée de la société ! Cela se comprendrait si ces
conventions nouvelles avaient été publiées légalement;
dans le cas contraire , elles ne peuvent pas même être
invoquées contre les tiers.
En dernier résultat, l’inexécution de l’article 46, lors
que l’acte de société a été publié, laisse cet acte le seul
régulateur des droits de tous. Cette inexécution, dans le
l Cassation, 9 juillet 1833,
�art.
44, 45,
46.
269
cas où l’acte n’a pas été publié , laisse de plein droit
les associés sous l’empire du droit commun. Celui-ci
peut être modifié comme le pourrait être l’acte luimême, mais c’est aux mêmes conditions. Donc , l’arti
cle 46 , obligatoire dans un cas , l’est également dans
l’autre.
Il y a même plus , et dans la seconde hypothèse les
formalités exigées par l’article 46 doivent être remplies
pour que la dissolution par l’échéance du terme soit
acquise aux associés. En effet, si l’article 46 ne régit
pas nommément ce cas de dissolution, s’il l’excepte mê
me de ses dispositions, c’est que l’acte ayant été publié,
le public a connu quelle devait être la durée de la so
ciété , et que , celle-ci expirée , il était inutile de faire
une nouvelle publication.
Mais si l’acte n’a pas été publié , les tiers n’ont rien
pu savoir, n’ont rien su sur la durée de la société. L’é
chéance du terme ne peut arriver là où aucun terme
n’est stipulé. Conséquemment, si cette échéance étant
accomplie pour les associés, ceux-ci veulent la rendre
commune aux tiers , ils ne peuvent le faire qu’en pu
bliant cette échéance et la dissolution qui en est la con
séquence.
A rt . 4 7 .
Indépendam m ent des tro is espèces de société
ci-dessns, la loi reconnaît les associations com
m erciales en participation.
�270
DES
S O C IÉ T É S
A rt . 4 8 .
\
Ces associations sont relatives à une on plu
sieu rs operations de commerce ; elles ont lieu
pour les objets dans les formes, avec les pro
portions d’in térét et aux conditions convenues
en tre les participants.
SOMMAI RE
422.
423.
424.
425.
426.
427.
428.
429.
430.
431.
432.
433.
434.
Utilité de la participation.— Intérêt qu’il y a à la bien dé
terminer.
Ce qu'elle fut en France sous l ’ordonnance dè 1673. — Sa
définition et ses effets.
Caractères en résultant.
Doctrine de l ’école italienne.
Origine que Straccha prête à la participation. — Consé
quences.
Diverses espèces que Savary en indique.
Conséquences qu’on a voulu en tirer sous l ’empire du Code
à l’égard des caractères que cette association doit offrir.
Appréciation de ces conséquences.—Reproches qu’on peut
leur adresser.
Leur effet a été de diviser la jurisprudence. — Arrêts
divers.
Caractères indiqués par M. Troplong.—<• La participation
doit être occulte.
Critique d’un arrêt de la cour de Poitiers du 11 mai 1825.
— Réfutation de l’approbation que lui donne M. Delangle.
2“ la participation ne doit avoir ni fonds commun ni capi
tal social.— Importance de cette condition.
La participation n ’étant pas un être m oral, les créanciers
sociaux n ’ont aucun privilège sur les créanciers person
nels des associés.
�art.
435.
47, 48.
271
Opinion contraire de MM. Pardessus et Merlin. — Fonde
ments de cette opinion.
436. Réfutation.
437. Arrêt de Paris dans le sens de MM. Pardessus et Merlin.—
Contradiction dans la jurisprudence des diverses cham
bres de cette cour.
438. Arrêts en sens contraire de la cour de cassation.
439. Difficulté en fait de rencontrer des créanciers sociaux dans
la participation.—Ce que seront ces créanciers.
440. Conclusion.
444. Les participants peuvent-ils être solidairement tenus des
dettes contractées par le gérant ?
442. Q u id , dans l ’hypothèse où les participants ont notoirement
agi comme tels, et que l ’objet de l ’obligation a profité à
la société ?
442bis. Application de ces principes.
443. Conséquences de la nature de la participation. — Position
des créanciers personnels dans le cas où le gérant a acheté et payé l’objet faisant la matière de l’association.
444. Dans le cas où le paiement a été fait au moyen des mises
de fonds des associés.
445. Hypothèse dans laquelle les tiers excluent les associés.
446. Résumé.
447. Comment doit être entendu le principe que la participation
ne confond pas les apports lorsqu’ils sont mobiliers ?
448. Q uid lorsqu’ils sont immobiliers ?
449. Droit du gérant de négocier les valeurs qu’il peut recevoir.
450. L ’achat pour partager en nature constitue-t-il une partici
pation ?
454 . Liberté laissée aux participants relativement aux clauses
de leur association.—Ses limites.
452. Proportions dans lesquelles chacun d’eux concourt au bé
néfice ou à la perte à défaut de stipulation.
453. L’obligation proportionnelle de supporter la perte est indé
terminée.
�%u
DES
S O C IÉ T É S
422.
— Le Code de commerce a législativement re
connu une association que la pratique commerciale a vait depuis longtemps appelée à multiplier les opéra
tions en les facilitant. En effet, quoique reléguée sur un
plan inférieur, la participation comme les autres socié
tés est un puissant auxiliaire et peut rendre d’utiles, de
signalés services. Ce qui la recommande , c’est qu’elle
supplée aux sociétés ordinaires là oit la nature de l’opé
ration et son urgence ne permettent pas d’appeler le se
cours de celles-ci. Elle perm et, en allégeant le fardeau
qu’elle divise , de mener à bonne fin des entreprises
qu’un commerçant, réduit à ses seules forces, n’eût pas
même osé entreprendre.
C’est donc là un instrument précieux que le com
merce d’ailleurs n’a jamais négligé. Si nous remontons
en effet aux temps les plus reculés , nous verrons les
Italiens lui demander les moyens de faire de grandes
ohoses. Emule de la commandite , la participation a p
pelait dans le commerce les capitaux les plus considé
rables.
Un intérêt réel s’attache donc à cette association. Il
importe dès lors d’en étudier les véritables caractères,
d’en déterminer les effets. L’intérêt des participants
exige qu’on ne confonde pas leur opération avec la socié té en nom collectif; l’intérêt du public ne permet pas
de convertir celle-ci en une participation. Cette erreur
facile , on parviendra à l’éviter en se pénétrant bien
des conditions auxquelles on doit reconnaître cette der
nière.
�ÀSÎ. 47, 48.
'273
423.
— Le moyen le plus sûr d’apprécier saine
ment la participation et ce qu’elle est aujourd’hui est de
rechercher ce qu’elle fut autrefois. A cet égard, nous ne
saurions rencontrer un guide plus sûr que la doctrine
que fit naître l’ordonnance de 1673.
La participation était à cette époque qualifiée de so
ciété anonyme. Ce qui lui valait cette appellation était,
disait Savary, qu'elle était sans nom ; qu'elle n ’était
connue de personne , comme n'important en façon
quelconque au public. C’est ce qu’enseignent tous les
jurisconsultes de l’époque.
Celte définition est surtout remarquable par l’indica
tion que la participation n’importe en façon quelcon
que au public. Nous verrons bientôt les conséquences
de ce principe.
Savary ajoute : « Tout ce qui se fait en la négocia» tion tant en l’achat qu’en la vente de la marchandise
» ne regarde que les associés chacun en droit soi ; de
» sorte que celui des associés qui achète est celui qui
» s’oblige et qui paye au vendeur ; celui qui vend re» çoit de l’acheteur. Ils ne s’obligent point tous deux
» ensemble envers une tierce personne, il n’y a que
» celui qui agit qui est le seul obligé ; ils le sont seule» ment l’un envers l’autre en ce qui regarde la société.
» Il y en a qui sont verbales , d’autres par é c rit, et la
» plupart se font par lettres missives que les marchands
» s’écrivent respectivement l'un à l’autre. Les condi» lions en sont souvent brèves, n’y ayant qu’un seul et
n
18
�274
DES SOCIÉTÉS
» unique article, et elles finissent quelquefois le même
» jour qu’elles sont faites.1 »
^
Voilà donc quelle était la participation sous l’ordon
nance de 1673 : son objet, une opération déterminée;
sa durée, éphémère et nécessairement subordonnée à la
nature de l’opération. Le même jour pouvait la voir
naître et se dissoudre. Aussi lui donnait-on également
le nom de société momentanée2.
424.
— D’associé à associé obligation respective de
se faire raison de l’achat et de la revente de la mar
chandise , de partager les bénéfices ou de contribuer à
la perte dans les proportions convenues; en consé
quence , action pour contraindre à rendre compte , à
restituer la part des bénéfices ou à payer la perte. Donc
entre associés il existait une société réelle et incontes
table.
Des participants aux tiers, rien de ce qui résulte d’u
ne société ordinaire. Notamment absence complète d’o
bligations et surtout de solidarité active ou passive.
Ainsi le vendeur de la marchandise ne connaissait que
l’acheteur , ne pouvait demander qu’à lui seul le paie
ment du prix, n ’intenter que contre lui toute autre ac
tion relative à l’existence, aux conditions du marché, à
son exécution. De son côté , l’acheteur n’avait à faire
1 P a r f a i t n é g o c ia n t, t. 1, liv. 4, ch. 4; — D e s
2 Bornier, sur l’ordonnance de 4673, p. 483.
sociétés,
p. 28
�art.
47, 48.
275
qu’à son vendeur, ne pouvait être actionné que par lui,
se libérait valablement entre ses mains.
En réalité donc, dans ses rapports avec les tiers , la
participation ne constituait pas une société. Cette con
séquence était surtout due à ce qu’elle n'en avait pas
l’apparence. Chaque participe traitant , en son nom et
personnellement, les tiers ne pouvaient prétendre avoir
été induits en erreur, ou avoir compté sur des garanties
autres que celles offertes par celui avec qui ils avaient
traité.
Les tiers ne pouvaient donc, sous aucun prétexte,
rechercher les participants , mais ils ne pouvaient réci
proquement être jamais atteints ou écartés par eux.
Ainsi, supposez que la marchandise faisant l’objet de
la participation, ayant été achetée^ ait été confiée à un
des participants à l’effet de la vendre , et que celui-ci,
après l’avoir vendue, mais avant tout règlement avec
son associé, tombe en état de faillite, le prix de la mar
chandise s’étant confondu avec l’avoir personnel du
failli, son coparticipe n’aura à prétendre aucun privi
lège pour la part lui revenant ; il ne sera considéré que
comme un créancier pur et simple, et, en cette qualité,
appelé à prendre part à la répartition de l’actif avec
tous les autres créanciers personnels du failli. C’est ce
que Savary fait très - bien ressortir dans l’exemple
qu’il donne de la première espèce de société en partici
pation.
4 2 5 . — Au reste, toute cette doctrine se conformait
�DES SOCIÉTÉS
276
scrupuleusement à celle de l’école italienne. En effet, et
par rapport aux tiers, celle-ci n’avait pas cessé de tenir
qu’il ne pouvait y avoir rien de commun entre eux et
les participants.
disait Casarégis, i n t e r so-
M axim a est d if f e r e n lia ,
cium e t p a r t i c i p e n t , e t sic d i v e r s i in j u r e p r o d u c u n tu r effectus, quorum p r œ c i p u i sunt
ut p a r tic i
p es non te n e a n tu r , n is i ad r a l a m c a p i t a l is p r o quo
pa rticip a n t
i n n e g o tio .
N eque
ip si
c o n tra d e b ito r e s s o c ie ta tis , n e q u e
a g e re
p ossu nt
c o n v e n ir i v a le n t
a c re d ito rib u sl.
Ce dernier effet est surtout celui sur lequel insiste le
cardinal de Luca : C o n tra p a r t i c i p e m n u l l a d a t u r
a c tio , neque i n t r e t r é g u la u t
o b l i g a ti o
c o n tr a c ta
p e r socium officiât consoctum .
C red ito ri
u l i a non
d a t u r a c tio , n i s i
d irecti d éb ito n s,
ejusque j u r a
o b liq u a
ex p e r s o n a p r o p r i a
cu jus d i c i t u r le g a lis
ac
p ro cu ra to r,
e x e r c e r e p o t e s t , e t p r o u t ip si d e b i -
t o r i com petu n t ; secus
a u te m
si
non c o m p e t a t 2.
La jurisprudence italienne a pu varier sur la ques
tion de savoir si les participants en Ire eux devaient ou
non être considérés comme associés plutôt que comme
des créanciers bailleurs de fonds , mais elle n’a jamais
cessé de proclamer qu’en ce qui concerne les tiers ils
1 Disc. 39, n°! 30, 31 et 32. —* Voy. Ansaldus, D e co m m ., dise. 73,
n° 8.
2 D e creà,., dise. 88, n°s 4 et 11. — Voy. dise. 27, D e lo ca io , n°s 4
�art .
4 7 , 48.
277
ne pouvaient être engagés que par le fait de leur asso
cié. On refusait donc à ces tiers tout recours contre
eux. Les actions données aux tiers contre de vrais asso
ciés , décide la rote de Gênes , ne doivent pas leur être
attribuées contre les participants qui n’ont pas la pro
priété et la direction de l’affaire, dont les droits ne com
mencent à naître que quand l’opération est finie, et se
bornent à exiger un compte de profits et pertes l.
42G. — Telle était la participation telle qu’elle était
pratiquée dans les temps les plus reculés. Or, la valeur,
- l’autorité de cette pratique est toute-puissante par l’ex
cellente raison qu’elle avait seule créé la participation.
P a rtic ip e n t v e r o so la i n l r o d u x i t p r a x is , dit, en effet,
Straccha. Il faudra donc, dans le doute, recourir à ce
que l’usage avait sanctionné. Le Code de commerce n’a
rien inventé sur ce point; il s’est contenté de consacrer
l’association en participation admise et consacrée sinon
par la législation , du moins par la pratique commer
ciale.
427.
— Savary poursuivant son examen distinguait
quatre sortes de sociétés en participation :
1° Le compte en participation. — Il est arrivé au
port de Marseille un navire chargé de toute espèce de
marchandises. Un négociant de Marseille l’annonce à
un commerçant de P aris, et lui propose de participer
�2 7 3
DES
S O C IÉ T É S
»
avec lui à l’achat qu’il compte eu faire. Le commerçant
de Paris accepte la proposition et fixe la quotité pour
laquelle il entend participer, comme la moitié, le tiers,
le quart, etc.
2° Achat de marchandises dans les foires et mar
chés. — Les marchands qui vont en foire pour acheter
de la marchandise conviennent souvent de s’associer,
soit tous , soit plusieurs d’entre eux , de ne pas se faire
concurrence, d’acheter chacun de son côté et de parta
ger ensuite les marchandises dans les proportions con
venues d’avance.
3° Vente concertée entre les marchands. — Cette as
sociation est ordinairement contractée par les plus puis
sants marchands, qui, ayant accaparé et acheté dans le
pays, des autres petits marchands, toutes leurs marchan
dises pour les porter aux foires et marchés, y mettent le
prix qu’ils veulent , et par ce moyen il faut bien que
ceux qui veulent acheter passent par leurs mains , à
moins de s’en retourner sans rien acheter.
4° Introduction sur un marché d’une denrée achetée
au loin. — Des négociants voyant qu’en France les blés
sont extrêmement chers à cause de la mauvaise récolte
qui sera arrivée pendant deux ou trois années , ce qui
en produit la disette , et qu’à Dantzick ou autre part il
y en aura une grande abondance, ils s’associent trois ou
quatre pour y aller acheter et ensuite les faire venir en
France l.
i P a r f a it n é g o c ia n t, l i v . \ , c h . 4 .
—
D e s so ciétés, p . 2 7 .
�art .
47, 48.
428.
— Ces diverses hypothèses constitueraient en
core aujourd’hui de vraies participations , sauf la troi
sième, dont l’exécution pourrait être entravée par l’ar
ticle 419 du Code pénal. Chacune d’elles offre ce carac
tère précis, durée déterminée , unité de l’opération. De
là on a voulu conclure que ce double caractère était
essentiel à la participation et devait la faire recon
naître.
Ainsi M. Locré nous apprend que l’association en
participation n’est qu’un marché d’un moment, relatif
à quelque opération passagère, et qui en cela diffère de
la société , dont le lien 'te plus durable forme entre les
associés une communauté d’intérêts continus K
A leur tour , MM. Malepeyre et Jourdain enseignent
que ce qui caractérise ce genre d’association, c’est qu’il
faut qu’elle soit relative à une ou plusieurs opérations
isolées, sans continuité d’intérêt, sans succession d’opé
rations, sans suite ; car si la société avait pour but de
se livrer à des opérations successives, fussent-elles dis
continues, il y aurait société ordinaire3.
Enfin M. Pardessus exige, pour reconnaître une par
ticipation , qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs affaires
déterminées, dont l’objet existe au moment de la con
vention. Dans le cas ,|au contraire , où ce n’est pas
telle ou telle opération isolée ou déterminée qui a été
1 E s p r i t d u C o d e d e com m erce, a r t . 4 7 .
2 Page 260.
�280
DBS SOCIÉTÉS
le but de la réunion, mais une série d’affaires qui n’é
taient point nées, ou qui ne pouvaient être prévues alors ; en un m o t, s i , au lieu d’opérations certaines et
envisagées par les parties, elles ont projeté de se livrer,
soit pendant un temps déterminé , soit jusqu’à ce qu’il
plaise à l’une d’elles de se retirer, aux opérations qui
se présenteraient pendant le temps de leur réunion, on
peut en conclure qu’une société ordinaire a été con
tractée
429.
— Toutes ces données pouvaient être exactes
sous l’empire de l’ordonnance de 1673. Elles le sont
beaucoup moins depuis le Code. L’article 48 n’exige
ni la durée déterminée , ni l’unité de l’opération , il
autorise la participation à entreprendre une ou plu
sieurs opérations de commerce , sans distinguer si ces
opérations sont distinctes ou bien si elles se lient entre
elles, si elles sont contemporaines ou bien succes
sives.
De p lu s , ces indications méritent un double repro
che. D’abord elles s’arrêtent à l’écorce et ne reposent
sur aucune base certaine et exclusive. Qui empêche en
effet que les opérations dont nos auteurs s’occupent de
viennent l’objet d’une société en nom collectif.
En second lieu , elles laissent subsister L’incertitude
et le doute. Comment le juge appréciera-t-il le carac
tère de l’opération ? c’est ce dont on ne parait guère se
préoccuper.
î N® 4046
�àrt.
4T, 48.
281
430.
— Aussi ce qui est résulté de l’application de
la doctrine que nous examinons, c’est la plus déplora
ble divergence , ce sont les contradictions les plus ma
nifestes dans les monuments de la jurisprudence.
Ainsi il a été jugé :
Par la cour de Colmar, le 21 mai 1813, que la so
ciété ayant pour objet l’achat et la revente des biensfonds n’était qu’une participation ;
Par la cour de Poitiers , le 11 mai 1825 , qu’il n’y
avait qu’une simple participation dans une société entre
ouvriers, n’ayant pour objet qu’une seule opération dé
terminée ; par exemple, la fabrication et la vente d’une
pompe propre à soutirer le vin, dans le cas où un bre
vet d’invention serait obtenu, bien qu’elle soit régie sous
une raison sociale ;
Par la cour de cassation, le 5 juillet 1825 , qu’il en
est de même de la société faite sans forme régulière
pour l’exploitation d’un établissement de bains ;
Par la cour supérieure de Bruxelles, le 27 novembre
1830, qu’il y a simple participation dans l’acte par le
quel deux individus s’associent pour trois ans pour faire
le commerce de svins, et conviennent que l’un fournira
les vins et les prendra sur les lieux, et que l’autre four
nira les magasins, paiera les droits, moyennant partage
des bénéfices ;
Par la même cour , le 30 novembre 1831 , que la
convention par laquelle deux individus, sans adopter
une raison sociale,s’unissent pour faire le commerce des
charbons ensemble, et fournir en commun à leurs pra-
�DES SOCIÉTÉS
tiques respectives, ne constituait qu’une association en
participation ;
Par la cour de Bordeaux , le 14 mai 1841 , qu’il en
était de même de l’achat en commun d’un bateau à va
peur , soit pour le revendre ultérieurement si la vente
offrait un bénéfice, soit pour le faire naviguer 1 ;
Enfin par la cour de Rouen, le 19 janvier 1844, que
la société pour l’exploitation d’un brevet et l’achat des
matières premières nécessaires à cette exploitation était
une participation ®.
Mais d’autre part il a été décidé :
Par la cour de Bordeaux , le 25 mai 1829 , qu’une
société ayant pour objet toutes les affaires qui peuvent
se présenter dans une certaine industrie , comme le
commerce d’une espèce d’animaux , était en nom col
lectif ;
Par la cour de Colmar, le 25 février 1840 , qu’il ne
saurait y avoir participation dans la société ayant pour
objet l’exploitation, pendant plusieurs années, d’un com
merce de bestiaux , bien qu’aucune raison sociale n'ait
été adoptée3 ;
Par la cour de Paris , le 29 janvier 1841, qù’on ne
peut considérer comme participation la société contrac
tée pour l’exploitation d’un privilège théâtral4.
1 J. du P., 41, 2, 540,
2 Ib id e m , 44, 2, 495.
3 Ib id e m , 40, 2, 336.
* I b id e m , 41, 1, 294,
�a rt .
47, 48.
m
431.
- - En présence de pareils résultats on éprouve
le besoin de rencontrer des caractères moins transpa
rents, plus certains, plus décisifs ; or, ces caractères sont
fort judicieusement indiqués par M. Troplong.
« L’association en participation doit être occulte, es
sentiellement occulte. Quel que soit son objet, si elle se
manifeste au public, elle n’est pas une participation mo
mentanée ou prolongée, embrassant une affaire née ou
une affaire à naître , une opération simple ou des opé
rations successives; dès l’instant qu’elle ne reste pas
concentrée dans des rapports intérieurs, elle est une so
ciété collective; le nom de participation est menteur, il
ne lui appartient p a s l. »
La justesse de cette condition ne saurait être contes
tée , elle s’induit de la nature même de la participation ;
ce qui fait qu’elle n’est pas une société à l’endroit du
public , c’est que dans les traités la concernant, rien
n’en indique, n’en fait présumer l’existence. Or , l’em
ploi d’un nom social caractérise une société, en démon
tre la constitution ; donc cet emploi est exclusif de toute
idée d’une simple participation. Nous ne pouvons donc
qu’applaudir aux monuments de jurisprudence qui l’ont
ainci consacré3.
432.
— Par la même raison nous ne saurions ap
prouver l’arrêt de Poitiers, du 11 mai 1825, que nous
1 Troplong, n° 499.
2 Bruxelles, 3 mai 1823 ; — Bordeaux, S mai 1829 ; — Nancy; 22
mars 1834.
�284
DES SOCIÉTÉS
indiquions tout à l’heure. La réunion d’ouvriers dont il
s’y agit ayant adopté une raison sociale, leur société était réellement en nom collectif.
Ce qui a droit d’étonner, c’est l’approbation que lui
donne M. Delangle. Cette décision est sage , enseignet-il ; la convention n’ayant qu’un objet passager, ne se
proposant qu’une opération déterminée , unique , ne
pouvait être regardée que comme une participation ; les
dénominations ne peuvent l’emporter sur le fond des
choses l.
M. Delangle a uaison ; si on avait qualifié de société
en nom collectif ce qui ne serait en réalité qu’une par
ticipation , le mot ne devrait pas l’emporter sur la
chose.
Mais il ne s’agissait pas de cela dans l’espèce do l’ar
rêt de Poitiers. Ce qu’elle présentait à juger, c’était la
nature de la société au fond. Or , à cet égard , c’est ne
rien dire d’utile que de faire ressortir que cette société
n ’avait qu’un objet passager , ne se proposait qu’une
opération déterminée , unique. Un objet passager , une
opération unique peuvent devenir la matière d’une so
ciété en nom collectif. Leur existence ne sera donc pas
par elle seule constitutive d’une participation.
Dès lors , lorsque non-seulement il n’y aura pas
d’autres circonstancés à l’appui de celle - ci , mais au
contraire qu’il se rencontrera un caractère incompati-
1 N° 610.
�_______
art.
47, 48.
285
ble avec cette association , tel qu’une raison sociale , il
n’y aura pas hésiter ; on se trouvera en présence d’une
société en nom collectif.
4 5 3 . — Le second caractère essentiel de la partici
pation relevé par M. Troplong est qu’elle ne confond
pas la propriété des mises; que les parties ne sont pas
associées pour former un capital social , un fonds ap
partenant à la société ; qu’en se réunissant elles retien
nent la propriété de leur apport ; que leur association
ne leur donne des droits respectifs que pour entrer en
compte des profits et pertes, et qu’avant ce temps il
n’y a pas de fusion d’intérêts , de vie commune , d’ac
tion simultanée. Tout est individuel , propriété et in
dustrie b
Ce second caractère est, comme le premier , la con
séquence directe et logique de la nature même de la
participation. Celui qui est appelé à en diriger les opé
rations agit en son propre et privé nom, il s’oblige seul,
et les tiers ne peuvent jamais actionner que lui. Tout
cela ne serait plus vrai , deviendrait même impossible
s’il existait un fonds commun, un capital social En ef
fet, le gérant en aurait forcément la disposition, il agi
rait dans son intérêt et pour son compte, il l’obligerait
infailliblement envers ceux avec qui il contracte. Dès
lors et par voie de conséquence il engagerait tous les
cointéressés à ce capital social. Or , s’il devait en être
i Troplong, n° 500.
�DES SOCIÉTÉS
ainsi, pourquoi aurait-on placé la participation en de
hors des sociétés ordinaires ?
Nous dirons donc avec le célèbre jurisconsulte dont
nous venons d’emprunter les paroles , avec M. Emile
Vincens , que ce second caractère est surtout décisif. Il
fixe les véritables conditions de la participation. La rote
de Gènes nous l’enseignait tout à l’heure. Les droits
des associés ne commencent à naître que quand l’opé
ration est finie. Jusque-là donc l’associé qui opère n’est
et ne doit être en quelque sorte qu’un commissionnaire
commercial, agissant pour des commettants inconnus à
ceux avec qui il traite.
C’est donc très - juridiquement que le tribunal de
commerce de Marseille n’a vu qu’une société en partici
pation dans l’association formée par deux négociants
pour le commerce d’exportation et d’importation dans
laquelle l’un devait fournir les marchandises, et l’autre
un navire destiné à les transporter.
« Attendu, dit le jugement rendu le 28 juillet 1869,
» que les parties n ’ont pas qualifié leur association,
» mais que sauf la répartition convenue des bénéfices
» proportionnellement aux apports, chacun d’eux a
» contracté des obligations et stipulé des droits distincts;
» qu’ainsi le sieur Bellissen devait fournir quatre-vingt» dix mille francs de marchandises payées par l u i , et
» Roussier un navire; que ces marchandises et ce na» vire n’ont pas formé une masse commune adminis» trée par un gérant ou par les associés conjointe» ment; que le navire devait devenir la propriété du
�art .
47, 48.
m
»
»
»
»
»
»
»
sieur Bellissen moyennant paiement du sieur Roussier sur les retours ; que Roussier l’expédiait comme
sa propriété personnelle ; que les connaissements des
marchandises appartenant au sieur Bellissen étaient
faits sous le nom de Roussier comme garantie ; que
chaque partie percevait des commissions sur les achats et les ventes qu’elle effectuait. »
La conclusion que le tribunal induit de ces'faits, c’est
qu’on ne saurait voir dans l’association une société en
■nom collectif; qu’en effet elle n’a pas formé un être
moral avec un capital qui lui appartint et une raison
qui le dénommât; que les intérêts des parties sont res
tés aussi distincts que possible ; qu’il ne devait y avoir
entre elles qu’un règlement de compte , sans que rien
manifestât aux tiers l’existence d’une société ; qu’on ne
saurait dès lors voir dans l’opération'autre chose qu’une
association en participation K
Cette conclusion résultait invinciblement des faits et
de la nature des accords qui liaient les parties. On ne
saurait donc méconnaître ni contester le caractère émi
nemment juridique du jugement.
Il n’en est pas de même de celui que le même tri
bunal rendait le 14 février 1869, et qui ne voit qu’une
participation dans une société contractée dans les cir
constances suivantes :
Les sieurs Lombard et Zunino form ent, le 19 mars
1Journal de M arseille, 69, 1, 265.
�288
DES SOCIÉTÉS
1864 , une société ayant pour objet la construction de
compte à demi d’une ou de plusieurs maisons, l'acqui
sition d’un ou de plusieurs terrains destinés ou non à
des constructions, et la revente de terrains bâtis ou non
bâtis. La durée de la société est fixée à dix ans; chaque
associé s’oblige à fournir , au fur et à mesure des be
soins , les fonds nécessaires et à donner tout son temps
aux opérations communes ; ils se constituent récipro
quement mandataires l’un de l’autre pour lès actes
d’administration, ceux qui excéderaient cette limite de
vant être faits en commun ; enfin il est convenu que
chaque opération serait réglée dès qu’elle serait ter
minée.
Le 24 décembre 1868, Zunino considérant l’associa
tion comme une société en nom collectif, en demande
judiciairement la nullité pour défaut de publication.
Mais sa demande est repoussée par la raison que les as
sociations en participation sont dispensées de toute pu
blicité, et que ce n’est qu’une association de cette nature
qui existe entre les parties.
Voici comment le tribunal arrive à cette apprécia
tion, et comment il la justifie :
« Attendu que les sieurs Zunino et Lombard n’ont
» pas établi leur société avec une raison de commerce,
» un siège social, un capital déterminé, caractères dis—
» tinctifs des sociétés en nom collectif ;
» Que si leur association peut s’appliquer à un nom» bre indéterminé d’opérations, ce n’est pas le nombre
» d’opérations qui fixe le caractère d’une société :
�» Que dans l’espèce chaque opération exigeant, dans
son origine, le consentement des deux associés, et se
réglant entre eux à son terme , formait entre eux
aussi une participation distincte ; qu’il devait donc y
avoir entre eux autant de participations que d’opéralions de constructions, d’achat et de revente de terrains;
» Attendu que des commerçants peuvent ainsi pré» voir , même pour un certain nombre d’années , une
» série de participations et en régler les conditions,
» sans que cette durée transforme un simple compte à
» demi ignoré des tiers, en une société en nom collec» tif1.
»
»
»
»
»
»
Nous convenons avec le tribunal qu’en thèse absolue,
ce n’est pas le nombre d’opérations qui fixe le caractère
d’une société ; que rien n’empêche des commerçants de
prévoir même pour un certain nombre d’années une
série de participations , sans transformer en société en
nom collectif ce qui ne serait réellement qu’une partici
pation .
Ainsi que dans nos contrées deux négociants convien
nent que, pendant cinq ou dix a n s , ils exploiteront de
compte à demi la récolte annuelle du blé, ou d’aman
des, ou de raisins, ou d’olives , on ne saurait voir là
qu’une simple participation se renouvelant autant de
fois que d’années, pourvu que chacun d’eux agissant
i Journal de M arseille, 69, 1, 120
II
49
�2590
DES SOCIÉTÉS
de son côté et sous son nom personnel tout se borne à
se faire mutuellement compte et à se rendre raison des
résultats de ces divers agissements.
En était-il ainsi dans l’espèce du jugement que nous
examinons ? Non évidemment. La convention entre Zunino et Lombard avait pour objet des opérations qui,
bien que déterminées quant à la nature des choses qui
devaient en faire la matière , étaient illimitées quant à
leur nombre et à leur importance pendant une période
de temps convenue , et nous allons voir que , pour le
tribunal de commerce de Marseille lui-même, cette cir
constance excluait l’idée d’une participation, et cela mal
gré l’absence d’une raison sociale.
Ainsi, Dubois et Mooser s’étant associés pour l’achat
et la vente , péndant trois a n s , des matières propres à
la fabrication de la colle , et des difficultés s’étant éle
vées après un an, le tribunal de commerce de Marseille
par jugement du 21 janvier 1870 déclare que la société
n’est pas une participation , et l’annulle faute d’avoir
reçu la publication légale.
« Attendu , porte le jugem ent, que ce n’est pas une
» association qui a été formée entre les sieurs Dubois et
» Mooser ; qu’il est au contraire certain qu’ils ont for» mé entre eux une véritable société en nom collectif,
» puisque leurs opérations, bien que déterminées quant
» à la nature de la -marchandise à exploiter , devaient
» être illimitées quant à leur nombre et à leur impor » tance pendant une période de trois ans convenue ;
» Qu’il y a là essentiellement le caractère d’une so-
�art.
47, 48.
291
» ciété en nom collectif bien <jue les associés n'aient
» pas adopté une raison sociale particulière. 1 »
Est-ce que entre Lombard et Zunino les opérations à
faire pendant dix ans n’élaient pas illimitées quant au
nombre et à l’importance, et si malgré l’absence d’une
raison sociale cette circonstance caractérisait la société
en nom collectif entre Dubois et Mooser, elle devait agir
de même entre Zunino et Lombard.
L’absence de raison sociale d’ailleurs se concilie trèsbien , dans certaines circonstances , avec la société en
nom collectif. On en comprend la nécessité et l’utilité
alors que la société étant gérée par un seul, il s’agit de
faire refluer sur tous les autres associés l’effet des en
gagements souscrits par le gérant. Mais où est cette uti
lité, où cette nécessité , lorsque tous les associés gèrent
et administrent en commun et que les engagements
sont souscrits par eux tous ?
Or, c’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce
Lombard et Zunino. Le jugement constate lui - même
que chaque opération exigeait, à l’origine, le consente
ment de chaque associé ; que dans ce but ils s’étaient
constitués réciproquement mandataires l’un de l’autre
pour les actes d’administration avec stipulation que les
actes excédant cette administration seraient faits en
commun. Dès lors , le mandat ou la participation per
sonnelle aux opérations n’entraînait-il pas la solidarité
i Journal de M arseille, 70, 4, 69.
�292
DES SOCIÉTÉS
contre les associés ? Qu’aurait fait de plus une raison
sociale ?
L’exécution de cette clause manifestait clairement aux
tiers l’existence de la société et ne permettait pas de la
considérer comme une participation q u i, par essence,
doit rester ignorée et inconnue. A cette dérogation au
droit commun de la matière s’en joignait une autre
dans l’espèce, l’existence d’un fonds social et commun.
Est-ce que les terrains, est-ce que les matériaux pour
la construction achetés en commun et payés des deniers
de chaque associé n’étaient pas la chose de l’un et de
l’autre au même titre et dans d’égales proportions ? Estce que les créanciers personnels de l’un d’eux auraient
pu élever la moindre prétention sur la totalité de la
chose ?
C’est là ce qui ne se présentera jamais dans la par
ticipation , parce que le gérant achetant seul et sous son
nom, la chose est censée lui appartenir exclusivement,
en faveur de ceux qui ont traité avec lui ou qui sont de
venus ses créanciers.
Non-seulement il y avait dans l’espèce un fonds so
cial et commun, mais encore mandat formel de l’admi
nistrer au nom de tous les associés , ce qui n’est pas
moins antipathique à la participation.
Qu’importait que chaque opération dût être réglée
dès qu’elle était terminée. Est-ce que le caractère de la
société se détermine par le mode d’après lequel doivent
se régler les opérations ? Est-ce que quelque chose s’op
pose à ce que les associés en nom collectif conviennent
�art.
47, 48.
293
de réglements isolés, successifs ? Il n’y a donc dans une
convention de cette nature rien qui puisse imprimer à
une société le caractère d’une participation.
Les trois décisions du tribunal de commerce de Mar
seille que nous venons de rappeler sont en contradic
tion formelle entre elles. Nous croyons que celle du 14
février 1869 a mal apprécié les faits , et nous ne sau
rions, en l’état des stipulations du pacte social, admet
tre qu’on ait pu déclarer une simple participation la so
ciété existant entre Lombard et Zunino.
4 3 4 . — De la nature de la participation ainsi fixée
par le texte et l’esprit de la lo i, par le droit italien et
par la jurisprudence sous l’empire de l’ordonnance de
1673 , il semblerait résulter qu’aucun dissentiment n’a
jamais pu s’élever sur les questions de savoir si la par
ticipation constitue un être m oral, et si en consé
quence les créanciers sociaux doivent être préférés aux
créanciers personnels des coparticipants? si ces cré
anciers peuvent poursuivre ces derniers et leur de
mander solidairement le paiement de ce qui leur
est dû ?
La participation un être moral l Mais nous venons
de le voir , elle n’est pas, même une société au regard
des tiers , et cette doctrine est inébranlablement assise
sur le droit et la raison.
En droit, en effet, un être moral ne peut exister sans
qu’il ait des droits donnant naissance à des obligations
et à des actions , sans une propriété déterminée dont il
�294
DES SOCIÉTÉS
a l’unique direction , la pleine et entière administra
tion ; enfin , sans un nom qui le personnifie et mani
feste publiquement son existence. Ainsi, dans les socié
tés commerciales ordinaires , nous rencontrons un ca
pital social q u i, formé des mises réalisées par les as
sociés, n’appartient plus à aucun d’entre eux, est devenu
la propriété exclusive de la société , personne distincte
s’appelant tel et compagnie ou telle chose. Dès lors, ceux
qui traitent avec ce nom ou avec cette chose font évi
demment confiance à ceux dont la société se compose,
les ont directement pour obligés, bien qu’un seul d’entre
eux ait contracté.
Esl-ce que rien de tout cela se réalise dans la parti
cipation ? Où est le fonds commun , le capital social ?
S’il existait, nous venons de le voir , il n’y aurait plus
de participation.
Est-ce que les coparticipes ont jamais établi une com
munauté indivise, un droit de copropriété quelconque ?
Mais leur but n’a été que le partage des bénéfices , et
ceux-ci ne pouvant résulter que de la liquidation de
la société , faut-il bien reconnaître que l’indivision ne
naîtra réellement qu’après que l’association aura été
rompue.
Il importe peu que l’achat de l’objet ayant fait la
matière de l’opération ait été contracté et payé au moyen
de sommes versées par chacun des coparticipes ! La ré
ception de ces sommes de la part de l’associé le consti
tue débiteur jusqu’à due concurrence , avec obligation
de restituer, sauf la portion des bénéfices à ajouter, ou
�art.
47, 48.
295
celle dans les pertes à retrancher ; mais après comme
avant cette réception, le participant n’agira-t-il pas sous
son propre et privé nom ? Est-ce qu’il est tenu d’indi
quer en rien qu’il contracte également dans l’intérêt et
pour le compte d’autrui ?
Donc, clandestinité de l’association , absence de tout
nom social, de tout capital commun ; dès lo rs , im
possibilité de rencontrer dans la participation cet être
moral que nous offrent les autres sociétés commer
ciales.
4 5 5 , — Cependant le contraire a été enseigné, et
par d’éminents jurisconsultes. Une consultation signée
de M. Pardessus et acquiescée par M. Merlin soutenait
la doctrine opposée dans l’affaire Mouroutt. C’est d’ail
leurs ce que M. Pardessus enseigne dans son Cours de
droit commerciall.
En d ro it, le système de la consultation répose tout
entier sur cet argument : la participation est une vérita
ble société, donc elle constitue un être moral distinct des
associés. Voici d’ailleurs comment MM. Merlin et Par
dessus justifient leur première proposition.
C’est d’abord par les termes de l’article 47, qui, selon
l’expression de l’orateur du Tribunat, impliquent la re
connaissance d’une autre espèce de société qu’on ap
pelle association en participation ; c’est ensuite l’article
50, qui déclare celle-ci exempte des formalités prescri-
i N°» 1048 et suiv. — Conf. Malepeyre et Jourdain, p. 264.
�296
DES SOCIÉTÉS
tes pour les autres sociétés. Ils concluent de là que,
dans le langage de la loi , les associations commer
ciales en participation sont de véritables sociétés. Les
expressions autres sociétés n’auraient point de sens,
s i , aux yeux de la lo i, ces associations ne constituaient
pas des sociétés proprement dites. Pourquoi donc ne
constitueraient-elles pas un être moral, distinct des as
sociés ?
436.
— C’est là fonder un système sur des bases
bien fragiles, d’avance détruites par les principes admis
sous l’ordonnance de 1673, et avant elle par la doctrine
et la jurisprudence italiennes. Des participants aux tiers
il n’existait pas de société : comment, dès lors, recon
naître un être moral dans leur association ?
Le Code de commerce a-t-il consacré le contraire,
a-t-il admis d’autres principes ? Nous pourrions nous
borner à faire observer que l’article 47 refuse à la par
ticipation le nom de société ; il ne lui donne que celui
d’association. Pouvait-on établir entre elle et les autres
espèces de sociétés une différence plus absolue, plus
tranchée ?
Qu’on ne dise pas que la rédaction de l’article 47
soit l’effet du hasard. La différence entre les mots : so
ciété et association a été , au contraire , parfaitement
calculée. Les procès-verbaux du conseil d’Etat le prou
vent explicitement. En voici l’analyse qu’en fait M.
Locré :
« On a demandé pourquoi ces associations n’avaient
�art.
47, 48.
297
pas été comprises comme une quatrième espèce de so
ciété dans l’article 19, et l’on a reconnu qu’il y en avait
une juste raison.
» C’est que l’association en participation n’est qu’un
marché d’un moment, relatif à quelques opérations pas
sagères, et qu’en cela elle diffère de la société , dont le
lien plus durable forme entre les associés une commu
nauté d’intérêts communs.
» Elle ne repose donc pas sur les mêmes b ases, et
ne peut avoir les mêmes résultats que les trois autres
espèces d’association ; elle est d’une nature tellement
différente, que deux sociétés permanentes peuvent con
tracter ensemble une société en participation sans se
fondre l’une dans l’autre.1 »
C’est donc sciemment, intentionnellement, qu’on a
refusé à la participation le nom de société. N’aurait-on
agi ainsi que pour admettre que cette participation con
stitue une véritable société ? On ne le concevrait pas ;
c’esi cependant ce qui résulterait de la doctrine que
nous repoussons.
Ajoutons que la qualification d’association est heu
reusement consacrée, car elle est exactement conforme
à la vérité des choses. La participation est une associa
tion, car, d ’associé à associé , il y a un lien légal , une
obligation, celle de rendre compte et d’attribuer à cha
cun sa part dans les bénéfices ; elle n’est pas une so-
i Esprit du Code de commerce, art. 47.
�298
DES SOCIÉTÉS
ciété, car des associés au public il n’y a ni lien ni obli
gation , car les tiers ne connaissent et ne peuvent con
naître que celui avec qui ils contractent ; c a r , ainsi
que l’observait M. Regnaud de S ain t-Jean d’Angely,
il n’y a même pas une communauté d’intérêts quel
conque.
Donc la doctrine de MM. Pardessus et Merlin est in
soutenable. Il n’est pas exact de dire que la participa
tion soit une société, et qu’en conséquence elle constitue
un être moral,.distinct des associés.
La consultation invoque comme conforme un arrêt
rendu par la cour de cassation , le 2 8 mars 1 8 1 8 ;
mais il est facile de reconnaître que cet arrêt reste sans
application possible à la question que nous examinons.
Dans l’espèce sur laquelle il est intervenu , le litige
s’agitait d’associé à associé, et avait pour objet de sa
voir devant qui devait être portée l’action en révision
de comptes autorisée par l’article 5 4 1 du Code de pro
cédure civile. La cour de Bordeaux ayant déclaré que
la connaissance en appartenait aux tribunaux, son arrêt
fut cassé , d’abord parce q u e , s’agissant de difficultés
entre associés , il fallait recourir à la juridiction arbi
trale ; en second lieu, parce que les comptes ayant été,
en fa it, arrêtés par arbitres, eux seuls étaient compé
tents pour connaître de leur révision , aux termes de
l’article 5 4 1 lui-même. En conséquence , tout ce qui
résulte de cet arrêt, c’est que, entre participants, il existe
une société , ce qui n’est pas et ne peut être contesté
dans les limites que nous avons indiquées. Il n’y a
�a.kt
47, 48.
299
donc rien à en conclure quant au caractère de l’asso
ciation relativement aux tiers.
437.
— Il n’en est pas de même de l’arrêt rendu
par la cour de Paris le 9 août 1831, postérieurement à
la consultation. Celui-ci, en effet, décide formellement
que la participation constitue un être moral , distinct
des individus qui la composent ; qu’en conséquence les
choses mises dans la société cessent d’être leur pro
priété particulière , pour devenir la propriété com
mune de l’association , à l’exclusion des créanciers per
sonnels de chaque associé, même de l’associé gérant.
Ceux-ci ne peuvent exercer des droits sur le fonds social
qu’après que les créanciers de l’association ont été dés
intéressés h
Cet arrêt ne donne pas d’autres raisons que celles que
nous avons rencontrées dans la consultation de MM.
Pardessus et Merlin. Notre réfutation devient donc com
mune à l’arrêt lui-même.
La seule particularité à relever est la constatation de
cette circonstance , à savoir que notre question a pro
fondément divisé la cour de Paris. L’arrêt que nous
venons de citer est rendu par la seconde chambre. Or,
par arrêt du 9 avril de la même année 1831 , la troi
sième chambre avait consacré l’opinion contraire ,
malgré la consultation de MM. Pardessus et Merlin,
�300
DES SOCIÉTÉS
délibérée à l’occasion du procès pendant devant
elle l.
438.
— Maintenant ce qui s’est réalisé depuis, c’est
que l’arrêt de la deuxième chambre , du 6 août 1831,
ayant été déféré à la cour suprême , a été cassé le 2
juin 1834. La cour régulatrice a donc condamné la
doctrine de la consultation de MM. Pardessus et Merlin,
après une imposante discussion et un délibéré en cham
bre de conseil2.
Après cet arrêt, la première chambre de la cour de
Paris, ayant été investie de la question, l’a résolue com
me la deuxième chambre l’avait fait le 7 août 1831 ; ce
nouvel arrêt, rendu le 22 novembre 1834,3 a appelé
une seconde fois l’attention de la cour suprême. L’arrêt
de la première chambre a été cassé , comme l’avait été
celui de la seconde. Voici les motifs sur lesquels cette
nouvelle cassation est intervenue :
« Vu les articles 1873 du Code civil et les articles
48, 49, 50 du Code de commerce;
» Attendu que si l’on peut considérer comme des
êtres moraux les sociétés commerciales comprises dans
l’article 19 du Code de commerce, sous les noms de
sociétés en nom collectif, sociétés en commandite et so
ciétés anonymes, c’est parce qu’elles sont accompagnées
1 D. P., 31, 2, 127.
* D. P ., 34, 1, 202.
3 D. P ., 35, 2, 77.
�Mr
art.
47, 48.
301
de formalités qui les font connaître au public , et sont
représentées par une raison sociale, au nom et pour le
compte de laquelle se font tous les actes ;
» Qu’il ne peut en être de même des associations en
participation , qui , d’après les usages du commerce et
l’ordonnance de 1673 , auxquels il n’a pas été innové,
n’ont aucune espèce de publicité , et dont la chose so
ciale, relativement aux tiers, est légalement la propriété
de l’associé administrateur ;
» Qu’en effet il résulte de l’ensemble des dispositions
législatives ayant cette espèce d’association pour objet,
qu’elle est essentiellement représentée vis-à-vis des tiers
par l’associé administrateur , qui traite avec eux en son
propre et privé nom et devient leur débiteur direct;
» Qu’il suit que l’arrêt attaqué , en jugeant le con
traire, a expressément violé les lois citées.1 »
Remarquons en passant que la cour suprême relève
avec soin les deux caractères dont M. Troplong fait
dépendre la décision sur la nature de la société. D’a
bord la participation est occulte , ensuite elle n’a pas
de fonds social ; d ’où la conclusion qu’elle ne saurait
constituer un être moral. Cette doctrine et cette con
clusion reçoivent l’approbation la plus entière de M.
Delangle *.
4 3 9 . — La participation n’étant pas un être moral,
M 9 mars 1838 ; — D .P ., 38, 1, 10*.
» N«* 899 et 600.
�302
DES SOCIÉTÉS
il e n r é s u lte q u e n u l p riv ilè g e n e s a u r a it ê tr e a c q u is à
d e s c r é a n c ie r s s o c ia u x ; e n fa it , il e st m ê m e f o r t d iffi
c ile d ’a d m e ttr e d e p a re ils c r é a n c ie r s là o ù le s tie rs n e
tr a ite n t q u ’a v e c u n a sso c ié et n ’o n t ja m a is d ’a u tr e o b lig é
q u e lu i. I l n e p e u t y e n a v o ir d ’a u tr e s , o b se rv e M .T r o p lo n g , q u e les p a r tic ip a n ts e u x -m ê m e s , q u i
s o u te n ir q u ’ils o n t d e s r e p r is e s à
v ie n n e n t
e x e rc e r c o n tr e c ette
so c ié té , m y s té rie u s e p o u r to u t le m o n d e , e x c e p té p o u r
e u x , q u i l ’o n t fo rm é e ; m a is p u i s q u ’e n d o n n a n t u n e
o r g a n is a tio n à le u r o p é r a tio n ils o n t p ré fé ré u n e p a r t i
c ip a tio n , n é c e s s a ir e m e n t o c c u lte p o u r le s tie rs , a u x a u
tre s s o c ié té s , d o n t la n a t u r e e s t d e se ré v é le r , p e u v e n tils o p p o s e r à ces tie r s d e s in té r ê ts s o c ia u x d o n t ils o n t
affecté d e le u r la is s e r ig n o r e r l’e x iste n c e ? O ù s e r a it la
ju s tic e ? o ù s e r a it la r é c ip r o c ité ? C o m m e n t 1 le s tie rs
n ’a u r a i e n t a u c u n e a c tio n c o n tr e la
c ié té e n
so c ié té , et la
so
a u r a i t u n e c o n tr e eu x , e t e lle v ie n d r a it le u r
e n le v e r u n g a g e q u i a
é té d o n n é c o m m e g a g e p riv é ,
in d é p e n d a n t d e to u te so c ié té 1 R ie n d e c e la n ’e st a d
m is s ib le l .
440. —
D e to u t ce q u i p r é c è d e n o u s in d u is o n s q u e ,
p o u r ê tr e d a n s le v r a i, il f a u t te n ir q u e la p a r tic ip a tio n
n ’est p a s u n ê t r e m o r a l d is tin c t d e s in d iv id u s ;
ne peut en
q u ’il
r é a lité e x is te r d e s c r é a n c ie r s s o c ia u x d a n s
u n e a s s o c ia tio n q u i n ’a n i r a is o n s o c ia le , n i c a p ita l so
c ia l , e t d o n t le g é r a n t c o n tr a c te e n s o n s e u l e t p riv é
1 N» 864.
�art.
47, 48.
303
nom; qu’en existât-il, rien ne les distinguerait des
créanciers personnels ; qu’ils ne sauraient donc pré
tendre à un privilège , à une préférence quelconque,
même sur ce qu’ils soutiendraient être la matière de la
société.
4 4 |. — Cette solution préjuge celle qu’il faut ad
mettre sur la question de solidarité vis-à-vis des parti
cipants.
Les proçès - verbaux des délibérations du conseil
d’Etat nous apprennent que , lors de la discussion de
la lo i, quelques orateurs , et notamment M. Merlin,
pensaient que les participants devaient être soumis à
la solidarité ; mais comment le décider ainsi, alors que
pour obéir au véritable caractère de la participation,
on devait refuser tout recours contre les participants
de la part des tiers ? Ce refus, disait M. Regnaud de
Saint-Jean d’Angely, ne saurait tromper la foi publi
que , puisque le vendeur n’a connu que celui avec qui
il a traité directement, et n’a pas compté sur une autre
garantie r.
Pouvait-il y avoir obligation solidaire là où , par
rapport aux tiers , il n’y avait pas même de société..?
C’est ce que la cour de cassation s’est toujours refusée à
admettre3.
1 Séance du 15 janvier 1807.—Locré, t. 47, p. 495.
* 9 janvier 4824 ; 7 janvier 4827 ; 8 janvier 4840. — D. P., 40,
4, 52.
�304
DES SOCIÉTÉS
442,
— Mais cette solidarité existerait-elle dans
l’hypothèse prévue par M. Pardessus, à savoir si le cré
ancier prouvait l’existence de la participation et l’appli
cation des fonds par lui fournis à l’opération faisant la
matière de l’association ? 1
L’affirmative, enseignée par M. Pardessus, a été éga
lement consacrée par un arrêt de la cour de Limoges
du 19 juillet 1839. Cet arrêt décide, en effet, que si en
principe la solidarité entre les associés en participation
n ’existe pas sans stipulation expresse de leur p a rt, il y
a dérogation à cette règle lorsque les coparticipants ont
notoirement et publiquement opéré comme solidaires, et
que les tiers qui ont contracté avec l’un d’eux prouvent
que les objets fournis ont été employés au profit com
mun de la société3.
En droit pur, cette décision est difficile à justifier. Le
principe est là ; ceux qui traitent avec le gérant con
tractent avec lui seul, n’ont pas d’autre garantie à pré
tendre ; leur accorder cette garantie, c’est faire une con
cession subversive des véritables principes, comme l’ob
servait M. Regnaud de Saint-Jean d’Angely.
Sous le rapport de l’équité , on pourra dire qu’il est
juste que , l’objet de sa créance ayant tourné au profit
de l’association, le créancier soit indemnisé par tous les
membres, puisque tous en auront réellement profité ;
1 N» 1049.
�art.
47, 48.
305
mais que peut raisonnablement prétendre le créancier?
D’être payé sur et par la chose. Mais nous avons dit
qu’il peut la saisir dans les mains de son débiteur.
Aussi, en thèse ordinaire, serait-il non recevable à offrir
la preuve que la chose par lui fournie a été appliquée
à l’association.
Le deviendra-t-il parce que publiquement , ostensi
blement , les associés ont manifesté leur qualité et leur
intérêt ? Nous ne le pensons pas. Comment, même dans
cette hypothèse , le tiers prétendrait-il avoir compté
sur leur solvabilité et leur garantie ? Il doit bien sa
voir qu’en traitant avec l’un d’eux, il n’a que celui-ci
d’obligé. Si donc , connaissant les associés , il a tenu à
les avoir tous pour engagés, il devait exiger la signature
de chacun d’eux ; à défaut, il faut en revenir aux vrais
principes ï.
Or, ces principes sont que, dans la participation , la
solidarité ne résulte pas de la loi , qu’elle ne pourrait
donc résulter que d’une convention expresse. Le con
cours plus ou moins public à l’opération n’est pas, ne
peut pas être cette convention.
Ce qui la constituerait serait la signature que les co
participes donneraient personnellement à l’engagement
du gérant. Il est en effet généralement admis qu’une
opération commerciale faite sans division par plusieurs
eatraiue une obligation solidaire. Dans cette hypothèse,
i Voy. infra n» 463.
il
20
�DES SOCIÉTÉS
le créancier a dû compter sur la solvabilité de tous
ceux avec lesquels il a traité ; il a de plus le droit d’exi
ger que la dette soit acquittée comme elle a été contrac
tée, c’est-à-dire sans division l.
4 4 2 bis. — Le tribunal de commerce de Marseille
appliquait ces principes en jugeant, le 4 septembre
1857, que les associés en participation qui gèrent col
lectivement l’association vis-à-vis des tiers , sont tenus
solidairement des engagements par eux contractés.
Dans l’espèce, deux individus s’étant associés pour
construire des maisons, avaient, tantôt tous deux, tantôt
l’un ou l’autre , fait des commandes à des fournisseurs
d’articles de maçonnerie. Poursuivis tous les deux pour
des articles commandés et livrés à l’un d’eux , l’autre
soutenait qu’en sa qualité d’associé en participation, la
demande en paiement n’était à son égard ni recevable
ni fondée.
Mais le tribunal de commerce écarte cette prétention
et prononce la condamnation solidairement, parce qu’en
fait les deux coparlicipes avaient cumulativement et in
distinctement traité avec les tiers pour le compte de la
société , et qu’ayant ainsi géré cette société , ils répon
daient solidairement des engagements pris pour son
compte.
La conséquence était logique, rationnelle et confor
me à la jurisprudence. C’est en effet dans ce sens que
i Cassation, 12 novembre 4829.
�s’étaient prononcées la cour de Bordeaux, les 19 juillet
1830 et 31 août 1831 , et la cour de cassation, le 18
novembre 1829.1
Ces solutions sont éminemment juridiques. Si la par
ticipation exclut toute solidarité entre les co-intéressés,
c’est qu’elle ne se manifeste en aucune façon au public;
c’est que celui qui traite pour elle agit en son nom pro
pre et personnel ; qu’il est seul connu des tiers d’au
tant moins recevables à prétendre avoir fait confiance
aux autres associés , qu’ils ne les ont pas connus et ne
pouvaient pas les connaître.
S’il en est autrement, si tous les associés ou plusieurs
d’entre eux traitent collectivement avec les tiers ; s’ils
divulguent l’existence de la société et leur qualité d’as
socié , la dispense de la solidarité n’a plus aucune rai
son d’être , et le tiers doit nécessairement avoir pour
débiteurs au même titre tous ceux avec qui il a traité et
auxquels il a fait confiance
C’est ce que la cour de Bordeaux et la cour de cas
sation consacrent. C’est ce que le tribunal de commerce
de Marseille étaye des considérations suivantes :
« Attendu, en droit, que la participation n’ayant pas
» d’effets à l’égard des tiers , celui'des participants qui
» n’a pas traité n’a envers eux aucun engagement ;
» mais que, d’autre part, celui qui gère une affaire en
» assume toutes les obligations , et que si la gestion est
» le fait de deux coparticipes, tous deux sont égale-
�308
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
ment obligés comme associés, sans qu’ils puissent
opposer le caractère de leur association , de même
que les tiers ne pourraient pas se prévaloir de son
existence à l’égard du participant qui n’aurait pas
contracté avec eux ;
» Que ce caractère essentiel de la participation de ne
» pas exister pour les tiers fait que , pour eux , ou il
» n’y a pas d’association quand un seul participant se
» fait connaître, ou l’action commune de deux ou plu» sieurs personnes liées par un intérêt commun a pour
» eux les mêmes conséquences que la gestion d’une
» société en nom collectif, ou même d’une société en
» commandite quand le commanditaire s’y est im » miscé;
» Qu’entre ces cas , il n’y a pour les tiers d’autre
» différence que la publicité exigée dans les sociétés
» en nom collectif et en commandite ; mais que la pu» blicité , ordonnée pour protéger leurs intérêts , est
» une circonstance indifférente quand il s’a g it, pour
» eux, d’atteindre les associés gérants ;
» Que les principes des sociétés civiles ne sont pas
» applicables en matière commerciale, d’après l’énon» ciation expresse de l’article 1862 du Code civil; et
» que la loi commerciale en faisant une exception pour
» la société anonyme, a placé sous une obligation com» mune de solidarité ceux qui gèrent dans tous les au» très genres de société de commerce.1 »
i J o u r n a l de M a r s e ille , 58, 1, 109.
�ART.
47, 48.
309
Ces considérations repoussent victorieusement les ar
guments invoqués par le système contraire et justifient
pleinement les conséquences que le tribunal en déduit,
et qui nous paraissent rationnellement et juridiquement
seules admissibles.
C’est cependant en sens contraire que la cour supé
rieure de Bruxelles se prononçait le 12 janvier 1822.
Mais il ne parait pas que la question de solidarité eût
été posée devant elle. Le litige se réduisait à savoir si
l’individu poursuivi était l’associé en participation ou le
commis de la maison à laquelle avaient été faites les
fournitures réclamées.
La cour se prononce pour l’association, et comme les
deux associés avaient cumulativement et indifféremment
traité , elle les condamne tous les deux à payer , mais
chacun d’eux personnellement pour sa part et portion,
« la solidarité , dit l’a r r ê t, ne résultant, dans l’espèce,
ni de la stipulation des parties, ni de la nature de l’as
sociation en participation.
Mais n’avaient-ils pas dérogé aux principes spéciaux
de la participation , les associés qui avaient conjointe
ment et cumulativement fait et reçu les commandes,
manifesté ainsi publiquement leur association et l’a
vaient indifféremment gérée ? Pouvait-on , devait-on
leur accorder les immunités résultant de la nature de
, leur association , lorsqu’ils avaient foulé aux pieds la
condition sine qua non de ces immunités ?
Il ne parait pas que la cour de Bruxelles se fût pré
occupée de ces questions. Dans tous les cas, la doctrine
�310
DES SOCIÉTÉS
du tribunal de Marseille nous parait préférable, et nous
disons sans hésiter , avec la cour de Bordeaux : « La
solidarité ne peut pas être contestée par les participants,
lorsqu’ils ont acheté et se sont obligés en commun , et
sans que l’acte d’achat contienne aucune division entre
eux de la marchandise et du prix. »
D’ailleurs si, dans ce cas, la solidarité était repoussée
par la nature de la participation, elle se justifierait par
faitement par ce principe incontestable : qu’une opéra
tion commerciale faite sans division par plusieurs en
traîne pour tous une obligation solidaire.
443.
— Les conséquences de la participation , telle
que nous venons de la caractériser , sont faciles à sai
sir. Les tiers créanciers personnels des associés n’au
ront jamais que l’action oblique. Ils ne pourront donc
jamais demander à celui ou à ceux avec qui ils n’ont
pas traité que ce que leur débiteur pourrait exiger luimême.
Ici une double hypothèse se présente :
1° Celui qui a opéré a acheté en fournissant luimême les fonds. — Dans ce cas, cet associé reste pro
priétaire exclusif jusqu’à concurrence de l’effet acquis,
s’il est enlre ses mains. Les créanciers du coïntéressé :
qui n’a pas déboursé sa mise ne peuvent réclamer sa
part, sous prétexte que le prix qu’il en doit à son asso
cié est une créance de celui-ci, n’empêchant pas la co
propriété de la chose achetée pour compte commun. Si
la marchandise a passé au pouvoir de l’intéressé qui ne
�art.
47, 48.
314
l’a pas payée, celui qui a déboursé , toujours proprié
taire , conserve au contraire , même vis-à-vis des tiers
créanciers , le droit et le privilège de la revendiquer,
comme l’expéditeur est admis , en général, à le faire
chez un dépositaire ou commissionnaire, et même d’en
réclamer le prix, si l’effet, ayant été vendu par l’asso
cié n’est pas encore payé par l’acheteur. En un mot,
celui qui a fait l’avance n’a rien aliéné à l’intéressé qui
n’a pas fait sa mise , même en lui confiant les effets et
le soin de la revente. Ce n’e st, en ce cas , que pour le
profit ou la perte finale, et non pour la propriété qu’ils
sont associés h
Celte doctrine que nous empruntons à M. Emile Vincens, n’est susceptible d’application que dans certains
cas et pour certaines associations spéciales. Comment,
en effet, admettre que le coparticipe qui a acheté de ses
deniers et expédié au gérant les marchandises trouvées
dans les magasins de celui-ci, après faillite, puisse les
revendiquer, alors que ce droit est formellement refusé
au vendeur ordinaire dès que les objets par lui vendus
sont entrés dans les magasins du failli ?
Ainsi, pour qu’une pareille différence soit possible,
il faut de toute nécessité que le coparticipe ait agi à un
autre titre que celui de vendeur , et qu’en se dépouil
lant de la marchandise il n’en ait pas aliéné la pro
priété. C’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce
i Emile Vincens,
D e s so ciétés p a r a c tio n s ,
1 .1, p. 379, n»4
�31 2
DES SOCIÉTÉS
de l’arrêt de la cour de cassation du 7 août 1838 , sur
lequel s’étaie la doctrine de M. Emile Vincens.
Gleize, Raffin et Ci0, de Toulouse, avaient expédié une
grande quantité de farines à Saint-Lary, à Marseille,
pour être vendues par lui de compte à demi. SaintLary étant tombé en faillite, la douane à laquelle il de
vait des sommes considérables, fît saisir dans ses maga
sins les marchandises qui s’y trouvaient, et dans leur
nombre les farines expédiées par la maison de Tou
louse. Celle-ci ayant revendiqué ces farines , la douane
prétend qu’elles ont été vendues à Saint-Lary ; que dans
tous les cas celui-ci en serait devenu copropriétaire en
vertu de l’association en participation existant entre lui
et les sieurs Gleize, Raffîn et Cie.
Le tribunal civil de Marseille statuant en appel d’une
sentence du juge de paix, repousse les prétentions de la
douane et accueille la revendication. Ce jugement se
fonde sur ce que l’association n’ayant pour objet que le
profit ou la perte à provenir de la vente des farines,
celles-ci n’ont jamais cessé d’être la propriété exclusive
des revendiquants.
La douane se pourvoit en cassation. Elle soutient
qu’entre Gleize , Raffin et Cie et Saint-Lary , il y a eu
vente, et en tire la preuve de ce que les premiers ont
débité Saint-Lary du prix des marchandises dont celuici les a crédité ; elle insiste d’ailleurs sur la copropriété
qui serait résultée de la participation.
Un arrêt du 7 août 1838 rejette le pourvoi par les
considératioiks suivantes :
�art .
47, 48.
313
« A tte n d u q u e d ’a p r è s l ’a r tic le 4 8 d u C ode d e c o m » m e r c e , le s a s s o c ia tio n s c o m m e r c ia le s e n p a r tic ip a tio n
» o n t lie u p o u r le s o b je ts , d a n s le s fo rm e s , a v e c les
» p r o p o r tio n s d ’in té rê t, et a u x c o n d itio n s c o n v e n u e s e n » tr e les p a r t i c i p a n t s ; q u e , d ’a p r è s l 'a r t i c l e 4 9 , ces
» a s s o c ia tio n s p e u v e n t ê tr e c o n s ta té e s p a r la r e p r é s e n » ta tio n d e s l i v r e s , d e la c o r r e s p o n d a n c e , o u
p a r la
» p re u v e te s tim o n ia le , si le t r i b u n a l ju g e q u ’e lle p e u t
» ê tre a d m is e ;
» Attendu que c’est eri appréciant ces éléments lé» gaux de preuve et notamment la correspondance qui
» a été produite , et en y cherchant quelles ont été les
» intentions et les conventions des parties, que le juge» ment attaqué décide en fait : — 1° que l’opération
» qui a eu. lieu entre Gleize et Ralïin de Toulouse et
» Saint-Cary de Marseille , n’avait pour unique objet
» que la vente de compte à demi, sur la place de Mar» seille, des farines expédiées par Gleize, RatDn et Cie;
» qu’elle ne doit donc point se juger par les règles du
» contrat de vente invoquées par l’administration, mais
» par celles de la législation sur les contrats de société
» commerciale en participation; — 2° que d’après
» les usages du commerce en matière de participation,
» le débit et le crédit sur les livres mutuels ne consti» terit pas nécessairement une vente, mais une mention
» tendant à régulariser les écritures , à constater les a » vances de l’expéditeur, et à servir ainsi de base pour
» le calcul des bénéfices et dos pertes qui peuvent ré» sulter ultérieurement de la vente ; — 3° qu’en s’ap-
�314
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
puyant sur la correspondance le jugement décide
encore qu’il n’est nullement démontré que SaintLary fut le gérant et l’administrateur de la partici—
pation dont Gleize et Raffin ont toujours soutenu avoir conservé la direction supérieure et définitive s’agissant d’objets produits et fournis par eux seuls ;
» Qu’en ne considérant, par suite , Saint-Lary que
comme un préposé intéressé à la vente, et en déclarant que Gleize et Raffin de Toulouse ne s’étaient
point dessaisis de la propriété des farines expédiées
par eux de Toulouse à Saint-Lary de Marseille , et
qui ont été trouvées en nature, et munies de leur estampille dans les magasins de Saint-Lary lors de sa
faillite, le jugement attaqué n’a fait qu’une appréciation, de faits et d’intention , qui est dans le domaine
des tribunaux.1 »
On le voit, cette décision est un a rrê t, non de doc
trine , mais d’espèce. Son influence ne saurait se faire
sentir que lorsque des faits et circonstances on arrive à
celte conclusion que la participation laissant en dehors
la propriété des choses, le gérant n’a été qu’un préposé
à la vente n’ayant d’autre obligation et d’autre droit
que de supporter la perte , et de participer au bénéfice
dans une proportion convenue.
Après avoir cité une hypothèse dans laquelle la re
vendication a été admise , citons-en une dans laquelle
�art .
47, 48.
315
cette revendication a été jugée non recevable. En com
parant les faits, on sera à même d’apprécier les inspi
rations qui doivent faire consacrer ou rejeter la doctrine
de M. Emile Vincens.
Un sieur Eanglet , possesseur d’une distillerie , con
tracte une association en participation avec les sieurs
Chapman et Miège frères. Le but de cette association
est la distillation des riz et la vente des trois-six en pro
venant. Les riz doivent être fournis par Chapman tant
pour lui-même que pour Miège frères.
Le sieur Langlet tombé en déconfiture convoque ses
créanciers et leur abandonne tous ses biens pour être
vendus en direction. Il est à remarquer que Chapman
se présente en qualité de créancier , et qu’il est nommé
au nombre des commissaires chargés de surveiller la
liquidation.
Plus tard il revendique comme sa propriété les riz et
les trois-six qui existaient encore en magasin. Mais le
tribunal de commerce de Dieppe d’abord et la cour de
Rennes ensuite repoussent cette prétention.
Après avoir rappelé les faits, le jugement, que l’arrêt
confirme avec adoption des motifs, considère :
« Que l’association en participation , qui est de sa
» nature occulte, n’a point d’existence pour les tiers ;
» Que ceux-ci n’ont par conséquent aucune action
» contre la société , parce qu’ils n’ont suivi la foi que
» de celui avec lequel ils ont contracté, seul garant des
» engagements par lui pris ;
» Que , par la même raison , l’associé gérant et ad-
�DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
ministrateur est, à leur égard, légalement propriétaire
des choses fournies pour la participation,d’où la conséquence que le coparticipe ne peut, à leur préjudice,
en exercer la reprise ;
» Que ces principes sont consacrés par les auteurs
les plus recommandables et par la jurisprudence;
» Qu’admettre un système contraire, ce serait porter
atteinte aux droits légitimes des créanciers , en leur
enlevant un actif qui a pu les déterminer à contracter , et sur lequel ils ont dû naturellement compter
pour la garantie de leur créance ;
» Que Langlet était chargé de la distillation des riz
et de la livraison des trois-six en provenant, et qu’au
regard du public il était le seul gérant de l’usine où
se faisait cette distillation ;
» Que de là il suit que ses créanciers n’ont point à
rechercher d’où proviennent les riz ou autres m archandises qui sont en sa possession ;
» Que du moment où ces objets sont entrés dans
ses magasins , ils sont devenus le gage commun de
ses créanciers et ne peuvent plus être revendiqués par
ceux qui les ont délivrés.1 »
Il est évident que dans cette dernière espèce on ne
pouvait pas dire que Langlet n ’avait pas versé les fonds
pour lesquels il devait contribuer à l’achat des riz, puis
qu’il devait rester absolument étranger à cet achat. Qu’on
i
J o u r n a l dé M a r se ille ,
89, 2, 18,
�art.
47, 48.
317
ne pouvait pas non plus ne voir en lui qu’un préposé
intéressé à la vente , puisqu’il ne les recevait que pour
les dénaturer et les convertir en alcool.
De Langlet à Chapman il pouvait exister des relations
d’associés. Mais pour le public, ce dernier n’était et ne
pouvait être qu’un fournisseur. Il n’aurait donc pu re
vendiquer ses fournitures que dans les cas où l’action
est concédée par la loi sur les faillites , et encore eût-il
dû justifier de sa qualité de vendeur non payé.
Il n’y a donc pas à hésiter sur le caractère essentiel
lement juridique du jugement du tribunal de commerce
de Dieppe et de l’arrêt de la cour de Rennes , et leur
comparaison avec le jugement du tribunal civil de Mar
seille et l’arrêt de la cour de cassation permet de fixer
le véritable caractère de la doctrine de M. Emile Vincens et de décider si elle peut et doit ou non être ap
pliquée.
On remarquera que dans l’affaire entre Gleize-Raffin
et la douane, le tribunal civil de Marseille et la cour de
cassation refusent de voir une vente dans ce fait qu’un
prix avait été fixé aux farines expédiées et que les par
ties s’étaient mutuellement débitées et créditées de la
moitié de ce prix.
Est-ce qu’il peut-en être autrement dans une partici
pation ayant pour objet la vente de compte à demi de
marchandises expédiées par l’un , reçues par l’autre?
L’association, dans ce cas, a pour but unique le partage
du profit ou de la perte. Or, il n’y aura profit ou perte
que si le taux de la vente est supérieur ou inférieur au
�31 8
DES SOCIÉTÉS
prix de revient. Faut-il bien dès-lors, afin d’éviter toute
discussion ultérieure, que ce prix soit arrêté et convenu
entre les parties.
Aussi le tribunal de commerce de Marseille jugeait-il
de son côté, le 5 octobre 1863 , que lorsqu’une mar
chandise est expédiée par un fabricant à un autre négo
ciant pour être vendue de compte à d em i, la fixation
d’un prix par l’expéditeur ne peut changer la nature du
contrat d’association en participation et constituer le
réceptionnaire acheteur de la demie de la marchandise
au prix convenu ; qu’en conséquence si la marchandise
n ’a pu trouver acheteur à ce prix , il y a lieu d’en or
donner la vente aux enchères et de faire supporter la
perte par égales portions par chacun des associés 1.
444.
— 2° L’achat a été fait au moyen de la mise
de fonds fournie par chaque intéressé.
Le résultat quant à la propriété est le même , c’està-dire qu’elle repose toute entière sur la tête de l’ache
teur. Le versement opéré par les coassociés les constitue
créanciers de celui-ci jusqu’à concurrence , et cette
créance, loin de conférer un droit de copropriété , est
elle-n)ême subordonnée à la liquidation de l’opération.
Elle doit, en effet, varier dans sa quotité , suivant qu’il
y aura bénéfice ou perle. Conséquemment, les créan
ciers personnels de l’associé acheteur, trouvant l’effet en
ses m ains, seraient bien fondés à le saisir sans que les
i Journal de M arseille, 63, 4, 294.
�art.
47, 48.
349
coassociés pussent exercer d’autres droits que ceux de
créanciers ordinaires , venant au marc le franc dans la
contribution qui suivra la saisie.
445.
— Il y a même une hypothèse où les tiers
seront préférés aux coassociés , à savoir lorsque le gé
rant leur aura spécialement affecté la chose faisant la
matière de l’association. M. Troplong propose l’exemple
suivant : Pierre, commandant le navire l’Aigle, et inté
ressé aux corps et facultés, cède pour six mille francs de
son intérêt à Primus et pour quatre mille francs à Secundus. Yoilà entre ces trois individus une association
en participation. Plus tard , Pierre , directeur de l’opé
ration,dont les profits doivent être communs, emprunte
à la grosse diverses sommes. Le navire part pour les
Indes et retourne. Procès entre les prêteurs, réclamant
leur privilège, et les participants, qui le contestent. La
prétention de ceux-ci devrait être repoussée. La préfé
rence appartient aux prêteurs à la grosse , ils ont traité
avec le maître de l’opération ; ils n’avaient pas à s’en
quérir s’il existait ou non des participants. Ceux-ci,
d’ailleurs, en confiant la direction de l’affaire à leur
coassocié, ont aveuglément suivi sa foi.
Il est vrai que , dans cette espèce , l’influence des
principes du droit maritime ne serait pas étrangère au
résultat; mais il en serait de même, en droit commun,
pour tous les privilèges que la chose comporterait.
Ainsi, le créancier gagiste serait incontestablement pré
féré aux coassociés, alors même que le gage n ’au-
�320
DES SOCIÉTÉS
rail été fait que dans l’intérêt personnel du gé
rant.
446.
— En résumé donc , les coparticipes ayant
fourni les sommes correspondantes à leur intérêt dans
l’association n’ont pas acquis la copropriété des choses
achetées et payées au moyen de ces sommes ; cette
propriété appartient exclusivement à l’associé qui a ré
alisé l’achat , et dont ils deviennent créanciers pour le
montant des sommes respectivement versées.
De là cette double conséquence : 1° cette créance
n’est exigible qu’après la liquidation. Seule , en effet,
celle-ci la rendra liquide en déterminant la quotité des
bénéfices qu’il conviendra d’y ajoufer , ou celle de la
perte qu’il faudra en déduire; — 12° les coassociés ne
pourront jamais demander le partage en nature des ef
fets prétendus sociaux. Le seul droit leur compétant est
celui de faire ordonner la liquidation de l’opération et
d’arriver ainsi à un compte définitif; leurs créanciers,
n ’ayant que l’action oblique et ne pouvant agir qu’en
vertu de l’article 1166 du Code civil , ne seraient pas
recevables à demander autre chose.
Nous trouvons un remarquable exemple d’applica
tion de ces principes, dans un arrêt de la cour de Bor
deaux du 5 juin 1861.
La maison Pereyra frères de Bordeaux avait fait con
struire quatre navires : le S '- G e r m a in , le G ustave-H en
r i e t t e , le D a v id , le N a b a d . 11 résultait des écritures et
de la correspondance qu’elle avait cédé aux sieurs Emile
et Isaac Pereire un intérêt de trente-trois pour cent
�art.
47, 48.
321
dans les deux prem iers, de douze pour cent dans le
troisième, de quatorze pour cent dans le quatrième , et
que ceux-ci avaient fait les fonds de cette cession.
Pereyra frères étant tombés en déconfiture furent dé
clarés en faillite. Un concordat par abandon d’actif étant intervenu, les syndics des créanciers firent procéder
à la vente des quatre navires.
Alors Emile et Isaac Pereire interviennent et reven
diquent le prix de la vente jusqu’à concurrence de l’in
térêt qui leur appartenait dans chacun de ces navires ;
ils fondent cette demande sur leur qualité de copro
priétaire , et au besoin sur celle d’associés en partici
pation.
Cette prétention est repoussée par le tribunal de com
merce de Bordeaux qui la déclare non recevable et mal
fondée. Après avoir établi que si la copropriété en fait
ne saurait être contestée à l’égard de Pereyra frères in
bonis, en droit et vis-à-vis des tiers, elle n’ast pas jus
tifiée , qu’elle ne saurait en effet résulter à leur égard
que de la constatation légale d’une construction faite en
commun, ou d’une acquisition partielle, ce qui ne res
sort d’aucun des faits du procès, le tribunal ajoute :
« Attendu que l’association sur laquelle , en dernier
» lieu, Emile et Isaac Pereire ont cherché à établir leur
» droit de copropriété , ne pourrait être classée que
» comme société en participation ; que la société en
» participation , comme ils l’ont plaidé eux-mêmes à
» un autre point de vue et d’accord en cela avec les
» auteurs, constitue le partage des résultats, et non
ii
21
�ââÜ
Î)ES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
point la copropriété de l’actif ; qu’ainsi en justifiant
en droit d’une association en participation,ils ne font
que la justification du droit qu’ils ont au partage du
résultat des opérations des navires , mais non point
celle de leur droit de copropriété. »
Emile et Isaac Pereire émettent appel de ce jugment,
et invoquent devant la cour les moyens tant principaux
que subsidiaires qu’ils avaient fait valoir devant les
premiers juges. Mais la cour les repousse les uns et les
autres par les considérations suivantes :
« Attendu, au fond, que tous les traités relatifs à la
» construction des divers navires sur lesquels Emile et
» Isaac Pereire prétendent avoir une part de copro» priété, ont été passés par Pereyra frères, en leur nom
» seu l, avec les constructeurs ; que le fait n’est pas
» contesté par Emile et Isaac Pereire, et qu’au surplus
» il résulte des documents mêmes dont ils se servent
» pour établir leur droit de copropriété , c’est-à-dire de
» la correspondance qu’ils ont entretenue avec Pereyra
» frères ; ................. ......................................................
»
»
»
»
»
»
»
» Attendu qu’il n’est pas douteux non plus que la
possession , révélée par des actes extérieurs et appare n ts, ait été tout entière entre les mains de Pereyra
frères , qui ont seuls payé les constructeurs , présidé
à l’armement des navires, et dont le nom figurait
seul sur les actes de francisation ;
» Attendu qu’en de telles circonstances, la construction de ces navires n’a pu en faire acquérir la propriété qu’à ceux par l’initiative et au nom desquels
�art .
»
»
»
»
»
#
»
»
»
47, 48.
323
elle s’est accomplie ; que résidant ain si, dès le principe , sur la tête Jle Pereyra frères , la propriété des
navires , achevés ou non , n’a pu être transférée à
d’autres, si ce n’est au moyen d’une vente ou tout au
moins d’une convention qui, pour la part aliénée,
emporte avec elle les caractères essentiels de la vente;
qu’à ce titre donc, pour être efficace , il faut que la
translation de propriété ait été faite conformément à
la loi;
» Attendu qu’aux termes de l’article 195 du Code de
» commerce , la vente des navires doit être faite par
» écrit; qu’à la vérité , l’acte exigé pour la constater
» peut être fait sous signature privée aussi bien qu’en
» forme authentique ; qu’ainsi les dispositions de la loi
» sont précises; qu’en cette matière spéciale , un acte
» exprès de vente est nécessaire , et qu’il ne peut pas y
» être suppléé par les documents qui suffiraient pour
» faire preuve par ailleurs en matière commerciale ;
» Attendu que ces règles doivent recevoir leur ap» plication rigoureuse, particulièrement dans le cas où
» la question de propriété du navire s’agite, non entre
» le vendeur et l’acheteur , mais entre ce dernier et les
» créanciers du vendeur ; que ces créanciers, en pré» sence de l’acheteur qui cherche à se faire une posi» tion privilégiée, peuvent justement lui reprocher d’a» voir méconnu les exigences de la loi , et négligé de
» remplir les conditions d’où elle faisait dépendre la
' » validité du droit qu’on veut leur opposer ; qu’ils pui» sent eux-mêmes alors dans les termes formels de
�324
des sociétés
» l’article 195, un droit qui leur est propre ; que , s’il
en était autrem ent, les dispositions de la lo i, qui a
soumis , dans tous les temps , à des règles sévères la
transmission de propriété des navires, perdraient leur
» principale utilité ;
» Attendu qu’Emile et Isaac Pereire ne produisent
point d’actes de vente soit publics, soit même sous si» gnature privée , concernant les navires dont il s'agit
» au procès; qu’ils se prévalent simplement de leur
» correspondance avec Pereyra frères, des livres et des
comptes de ceux-ci ; mais qu’il ne résulte de ces do» cuments aucune preuve d’une vente régulière au
» profit d’Emile et Isaac Pereire, qui se trouvent, par
» suite , réduits à de simples droits de créance qu’ils
» peuvent faire valoir en concours avec les autres cré» anciers chirographaires de la faillite Pereyra frè—
» res ;
» Attendu que l’association en participation qui s’é—
» tait formée entre Emile et Isaac Pereire d’une part,
» et d’autre part Pereyra frères , au sujet des navires,
ne saurait avoir pour conséquence de conduire à des
résultats différents ; qu’en effet, comme cela a été
précédemment établi, ce n’est pas la société , mais
Pereyra frères seuls qui ont fait construire lesdits na
vires; d’où suit que, dès le principe , la propriété en
a résidé sur leur tête, et quelle n’a pu être transférée
partiellement à d’autres qu’en conformité de la loi ;
qu’ainsi la société , pour avoir l’effet d’emporter une
aliénation opposable aux créanciers de la faillite, au-
�ART. 47, 48.
325
» rait dû être constatée par écrit, selon l’article 195
» du Code de commerce ;
» Attendu d’ailleurs qu’il s’agissait d’une simple as» socialion en participation ; qu’il est de principe que
» ces sortes de sociétés ne forment pas un être moral
» et n’ont pas de valeur qui leur soit propre ; qu’elles
» ’ ne peuvent donc pas , par elles -mêmes , avoir pour
» effet de modifier la propriété de la chose mise en so» ciété ; que Pereyra frères , gérants de la société , ont
» conservé, au moins quant à leurs créanciers, la pro» priété des navires qui leur appartenaient dans l’ori» rigine et dont aucun acte régulier ne les a dépouil—
» lés; qu’en réalité donc l’exploitation de ces navires
» est la seule chose qui soit devenue l’objet de la parti-
»
»
»
»
cipation, et qu’elle se résout simplement en un compte de profits et p ertes, sans qu’Emile et Isaac Pereire y puissent trouver le principe d’un droit propre
à justifier leur prétention.1 »
Ici, comme dans l’exemple cité par M. Troplong, le
droit maritime a nécessairement influé sur la question
de propriété. Mais supposez qu’au lieu d’un navire il se
fût agi d’une marchandise ordinaire. Le résultat eût été
le même par application des principes que nous avons
plus haut rappelés8.
.
4 4 7 . — Le principe que la participation ne confond
1 Journal de M arseille, 61, 2, 114
2 Voy. supra n« 443.
�326
DES SOCIÉTÉS
pas les apports des cointéressés doit être rationnelle
ment entendu. Ainsi, si cet apport est mobilier , celui
qui s’est engagé à le réaliser est maître d’en disposer
autrement tant qu’il en est nanti. La société n’a encore
aucun droit, elle ne pourrait donc le revendiquer. Mais
ce droit de disposition cesse naturellement avec la pos
session des choses ; celles-ci , arrivées entre les mains
de l’associé directeur , deviennent sa propriété unique,
sauf l’obligation de les restituer avec la quotité des bé
néfices due à chaque intéressé.
La possession de l’associé directeur est une circons
tance décisive contre tous , contre les tiers notamment.
De quoi se plaindraient ces derniers ; est-ce qu’ils ont
pu être induits en erreur sur la nature des droits qu’on
leur conférait sur une chose dont leur débiteur n ’avait
plus la possession ? En acceptant ces droits , ils se sont
substitués à leur débiteur par rapport à la chose ; ils ne
pourront jamais exercer d’autre action que celle que
celui-ci pourrait intenter. Nous venons de voir en quoi
elle consistait.
Cette solution semblait contrarier ce que M. Vincens
disait tout à l'heure sur la faculté que l’acheteur de la
marchandise a de revendiquer cette marchandise ellemême ou le prix encore,dû. Mais remarquons que,
dans ces deux c a s , la remise n’est pas faite au même
titre. L’associé qui verse sa mise de fonds exécute une
obligation que le contrat lui impose , et en échange de
laquelle il n ’acquiert d’autre droit que celui de retirer
une part dans les bénéfices, Celui, au contraire, qui,
�art.
47. 48.
327
acheteur de la marchandise, en confie la revente à son
coassocié n’agit en réalité que comme un mandant.
L’associé qui se charge de ce soin n’est qu’un manda
taire , un commissionnaire ordinaire. Dès lors , la dé
tention de la chose ne lui en confère pas la propriété,
qui n’a jamais cessé d’appartenir à l’acheteur primitif.
Cette différence dans la qualité explique celle que
nous avons admise dans la détermination des droits de
l’associé dans l’une et l’autre de ces hypothèses.
4 4 8 . — Si la mise de fonds était un immeuble , la
propriété n’en resterait pas moins sur la tête de l’asso
cié qui l’aurait mis en société, si le transfert n’en avait
été régulièrement opéré par un acte translatif de la pro
priété. Conséquemment, les hypothèques dont il le grè
verait produiraient tous leurs effets, de préférence aux
droits non inscrits des coparticipes, il en serait de mê
me de la vente. Les coassociés ne pourraient apporter
le moindre obstacle à son exécution, ni prétendre rete
nir l’immeuble. Leur droit se bornerait à poursuivre,
contre leur associé, une adjudication de dommages-in
térêts, pour le préjudice que la privation de l’immeuble
occasionnerait à l’association.
449.
Il résulte de ce qui précède que l’associé
directeur n’a pas la disposition des mises immobilières^
mais qu’il a tout pouvoir sur les mises mobilières.
Celles-ci deviennent en quelque sorte sa propriété , dès
qu’elles arrivent en ses mains. Seul il en dispose, ainsi
�328
DES SOCIÉTÉS
que de toutes les valeurs que la marche de l’opération
peut faire surgir. La question de savoir s’il peut né
gocier les billets et lettres de change qu’il obtient de
ceux avec qui il traite ne saurait en être une. Ces valeurs étant en son nom ou à son ordre , comment se
rait-il possible de l’empêcher de les négocier ?
M. Delangle suppose le cas où les lettres et billets
auraient été souscrits en faveur de tous les associés no
minalement indiqués. Il se demande si le gérant pour
rait les négocier.
Non, évidemment, à moins d’avoir une procuration
spéciale de tous les intéressés. Nous l’avons déjà dit,
des tiers aux participants il n’y a pas société. Ceux qui
traitent avec le gérant ne traitent qu’avec lui. Il est dès
lors évident qu’ils ne peuvent régulièrement tenir de lui
des droits appartenant évidemment à d’autres.
Un jugement du tribunal de commerce de Clamecy a
décidé qu’en pareille occurrence la négociation ne vau
drait que jusqu’à concurrence de la portion afférente
au gérant dans le montant du billet ou de la lettre de
change. Cette décision apprécie sainement le fait et le
droit.
4 5 0 . — Nous avons à diverses reprises insisté sur
ce que la participation n’avait,qu’un seul but, à savoir
le partage des bénéfices. Or, pour procurer celui-ci, il
faut de toute nécessité liquider l’opération , car ce ne
sera qu’en comparant le produit de la marchandise a vec son prix d’a ch a t, défalcation faite des frais , qu’on
�àrt.
47, 48.
329
arrivera à constater le bénéfice. Il semblerait donc que,
pour reconnaître une participation , on devrait exiger
que l’association se proposât cumulativement l’achat et
la revente; qu’on ne saurait donc l’admettre , lorsque
l’achat doit être immédiatement suivi du partage en
nature.
C’est ce qu’enseignent MM. Malepeyre et Jourdain.
Sans doute ces honorables auteurs sont frappés de la
fréquence des achats communs, soit en foire, soit dans
les ventes publiques ; mais ils n’admettent la participa
tion que lorsque les achats en commun composant une
masse, celle-ci est divisée en plusieurs lois, délivrés au
plus offrant des associés , qui seuls peuvent prendre
part à l’adjudication. La différence entre le prix de celleci et celui de l’achat forme dans ce cas le bénéfice à
partager l.
Cette doctrine n’est pas celle qu’on avait admise sous
l’empire de l’ordonnance. Nous avons vu Savary, énu
mérant les diverses espèces de participation acccepter
comme tel l’achat devant être suivi du partage.
Cette doctrine est également condamnée sous le Code
par le plus grand nombre d’auteurs. M. Troplong fait
même remarquer que cette participation, déjà en usage
du temps de Pothier , est fort usuelle parmi les re
vendeurs de meubles qui se trouvent aux encans.
Cette pratique n’est pas seulement celle de Paris ,
1 Pages 26SS, 263.
�330
DES SOCIÉTÉS
elle est à peu près suivie sur tous les points de la
France h.
Cette dernière opinion est celle que la cour de cassa
tion a consacrée, en jugeant, le 4 décembre 1839, que
la convention intervenue entre plusieurs individus, d’a
cheter en commun certains objets , constitue une asso
ciation en participation , soit que les participants aient
dû revendre aussi en commun les objets achetés , soit
qu’ils aient dû seulement les partager en nature9.
Pourquoi d’ailleurs en serait-il autrement? Est-ce
que le partage en nature n’attribuera pas à chacun des
copartageants un bénéfice certain, par la différence en
tre le prix auquel il revendra le lot à lui advenu et le
prix qu’il en a supporté à l’achat ? Toute la différence
entre cette hypothèse et celle de la revente en commun
est donc que, dans celle-ci, la part du bénéficiaire est
retirée en argent, tandis que dans l’autre elle est donnée
en nature.
Ce qui peut résulter de là , c’est que chaque partie
ne relire pas un bénéfice ég al, l’une pouvant revendre
plus facilement et plus avantageusement ; mais c’est là
une chance aléatoire que les associés ont pu accepter, et
il suffit que l’attribution des lots ait été librement con
sentie ou déterminée par le sort, pour que personne soit
admis à s’en plaindre. L’achat pour partager en nature
* N° 487.—Merlin, v° Société, ' 2, art. 4, n° 1.—Pardessus, n» 1046
Vincens, t. 1, p. 380.
2 J. du P„ 39, 2, 569.
�art.
47, 48.
331
offre donc la condition essentielle de toute participation:
la réalisation d’un bénéfice. On doit donc le ranger dans
cette catégorie.
451. — Il en est de la participation comme des
autres sociétés. Les intéressés sont libres de convenir
des stipulations qu’ils jugent convenables ou utiles ; de
déterminer les proportions dans lesquelles chacun d’eux
contribuera à la perle ou profitera des bénéfices ; d’éta
blir même une inégalité entre la quotité de ces propor
tions et celle de l’intérêt réellement souscrit.
Mais cette liberté s’arrête devant ces clauses essentiel
lement lésives , qui enlèvent à la société son principal
caractère. Ainsi la convention qui donnerait à l’un tout
le bénéfice , ou qui mettrait à sa charge toute la perte,
non-seulement ne devrait pas sortir à effet, mais encore
devrait faire annuler l’association.
4 5 2 . — À défaut de stipulation, la proportion dans
les bénéfices ou dans la perte se calcule sur la quotité
de l’intérêt pris dans l’opération. Celui qui a pris une
moitié, un tiers, un quart, retirera les bénéfices ou sup
portera la perte à concurrence de celle moitié , de ce
tiers, de ce quart, etc.
4 5 3 . — La perte est donc indéterminée comme le
bénéfice. C’est ce qui distingue les participants des com
manditaires et actionnaires, ceux-ci ne pouvant jamais
perdre au delà d’une somme déterminée.
Cette différence est la conseéquence de la nature des
�\
332
DES SOCIÉTÉS
choses. Ce qui est promis dans la commandite ou la
société anonyme , c’est uniquement une somme d’ar
gent. Dans la participation, au contraire, la loi'n’admet
qu’une proportion d’intérêt; à tel point que si le parti
cipant donnait en réalité une somme d’argent, son droit
ne serait déterminé que sur la proportion de celle-ci
avec le capital de l’opération. Donc , ce que le par
ticipant perd ou gagne , c’est la proportion de son in
térêt.
Il est douteux qu’il en fût ainsi en Italie. Le contrai
re paraîtrait résulter de ces paroles de Casarégis : Par
ticipes non teneantur, nisi ad ratam capitalis pro
quo participant in negotio ; et de la maxime de la
rote de Gênes : Participes non teneantur , nisi pro
summa quam exposuerunt in socielate.
Ce qui est certain, c’est qu’en droit français il n’en a
jamais été autrement. Le privilège de la commandite
ou de l’anonyme ne reçoit aucune application à la par
ticipation ; ce que l’associé perd dans celle-ci, c’est l’in
térêt qu’il a pris. D onc, à quelque chiffre que la perte
atteigne , le participant la supportera dans les mêmes
proportions L
1 Pothier, De? sociétés, n« 63, 40î et 403.
�ART. 49, 50.
333
A rt. 4 9 .
Les associations en participation peuvent être
constatées par la représentation des livres, de
la correspondance, ou
par la preuve testim o
niale, si le trib u n al ju ge qu'elle peu t être ad
mise.
A rt . d û .
Les associations com m erciales en
participa
tion ne sont pas su jettes au x form alités pres
crites pour les au tres sociétés.
SOMMAI RE
454.
Nature de ces deux dispositions.
455.
456.
Etendue de la dispense consacrée par l’article 50.
Première preuve admise : Représentation des livres. Son
utilité.
Conséquences du refus de les représenter.
Les livres doivent-ils être régulièrement tenus ?
Deuxième preuve : Production de la coirespondance.
L’acceptation d’un intérêt dans les bénéfices emporte celle
d ’un intérêt égal dans les pertes, quoiqu’on ne s’en soit
pas expliqué.
Troisième preuve : Audition des témoins. — Discussion au
conseil d’Etat sur le commencement de preuve par
écrit.
Les tiers pourront-ils être admis à faire d’eux - mêmes
cette preuve ?—Caractère des arrêts qui ont admis l ’af
firmative.
457.
458.
459.
460.
461.
462.
�334
463.
464.
465.
466.
467.
468.
469.
DES SOCIÉTÉS
Dans quel cas la négative devra-t-elle subir une excep
tion?—Arrêt de Nancy. Son caractère.
,
Critique de quelques-uns de ses motifs.
Nature de la latitude laissée aux tribunaux quant à l ’ad
mission de la preuve.
La participation peut être établie par écrit.—Canséquences
pour la validité de la société.
Lorsque la participation doit durer plusieurs années , les
associés peuvent-ils renvoyer à la liquidation définitive
l ’obligation de se faire raison des pertes ?
Devant quel juge les tiers peuvent assigner les coparti
cipes.
Quel est le tribunal compétent pour statuer sur les contes
tations entre les coparticipes.
454.
— Les articles 49 et 50 étaient en quelque
sorte commandés par la nature même des choses. D’une
part, en effet, la participation ne constitue pas une so
ciété au regard des tiers. A quoi bon, dès lors, la sou
mettre à une publicité quelconque ? celle-ci n’intéresse
que le public. Or , suivant l’expression de Savary , la
participation ne lui importe en façon quelconque.
D’autre part, il est essentiel que l’association soit oc«
culte, essentiellement occulte. Si elle se manifeste au
public, elle n’est pas une participation. Exiger celte ma
nifestation par le moyen de la publication était donc
méconnaître le caractère de cette société , et lui enlever
un de ses attributs les plus indispensables.
On comprend dès lors l’article 50, dispensant la par
ticipation de toutes les formalités prescrites pour les au
tres sociétés.
�art.
49, 50.
335
4 5 5 . — Cette dispense s’étend à la disposition des
articles 39 et 40 du Code de commerce. Il n’est donc
pas nécessaire que l’association soit constatée par écrit.
C’était là encore ce que la pratique commerciale ne per
mettait pas d’exiger.
La participation , en effet, ne se forme bien souvent
que par la correspondance. D’autres fois elle ne ré
sultera que de l’exécution que les parties lui ont don
née , ou des renseignements qu’on puisera dans la
preuve testimoniale. C’est sur ces prévisions que le lé
gislateur a calculé les éléments de preuve sur lesquels il
autorise de se fonder pour établir l’existencede la parti
cipation.
4 5 6 . — C’est en première ligne la représentation
des livres. Entre commerçants d ’une même place , la
participation n’aura souvent d’autres preuves que leurs
écritures respectives. En mentionnant l’opération sur
leurs livres , ils ne manqueront pas d’en indiquer la
nature et la part qui revient à l’autre ou aux autres as
sociés. De plus , il est à peu près certain que l’exécu
tion de l’opération donnera lieu à l’ouverture d’un
compte co urant, dans lequel chaque partie établira sa
position et celle de son coparticipant. La représenta
tion des livres est donc de nature à prouver la parti
cipation.
4 5 7 . — Cette représentation ne pourrait être refu
sée, soit qu’elle fût requise par la partie, soit qu’elle fût
�DES SOCIÉTÉS
ordonnée d’office par le tribunal. L’obligation de tenir
des livres implique celle non moins légale de les repré
senter, dans le mode qui est établi par la loi. La partie
qui refuserait de le faire s’exposerait à être condamnée
sur les livres que son adversaire produirait.
458.
— Au reste , il n’est pas douteux que , lors
qu’il s’agit de prouver la participation par la produc
tion des livres , il n’est pas nécessaire que ces livres
soient tenus dans la forme légale. Il est évident, en ef
fet, que dans cet objet la loi n’a entendu exclure aucune
preuve ; on doit donc admettre tout ce qui est de nature
à établir la vérité, et conséquemment les livres princi
paux, quoique non légalement tenus, et les livres auxi
liaires, quoique non ordonnés par la lo il.
Toutefois cette règle ne saurait être absolue et doit se
concilier avec l’article 13 du Code de commerce aux ter
mes duquel les livres irréguliers ne pourront être re
présentés ni faire foi en justice au profil de celui qui
les a tenus. On pourra et on devra l’appliquer lorsque
la preuve de la participation résultera des livres respec
tivement tenus par les divers associés. Dans ce c a s , en
effet, les livres feront foi , non au profit, mais contre
chacun de ceux qui les auront tenus , ce qui n’a rien
d’inconciliable avec l’article 13.
Si un seul des coparticipes a des livres , soit que les
autres n’étant pas commerçants ne soient pas obligés
1 Aix, 1” mai 4848.
�ART.
49, 50.
337
d’en avoir, soit que , dans le cas contraire , les livres
qu’ils ont tenus soient muets sur l’association , l’ar
ticle 13 reprend tout son empire , car on ne pourrait
induire des livres produits la preuve de la participation
sans admettre ces livres à faire foi en faveur de celui
qui les a tenus.
M ais, à son tour , ce principe ne saurait être ab
solu. Ce que cet article prohibe , c’est qu’à défaut de
toutes autres preuves ou présomption on s’en remettra
exclusivement aux livres pour décider de la contes
tation.
Que si le juge n’en appelle aux livres qu’à titre de
considération venant appuyer et confirmer les autres
présomptions que fournissent les circonstances et les
autres documents soumis à son appréciation , cet appel
est légitime , alors même que les livres ne réuniraient
aucune des conditions prescrites pour leur régularité.
C’est ce que la cour de cassation a taxativemenl consa
cré par arrêt du 11 mai 1859.
La cour de Metz chargée d’apprécier si une société
en participation avait réellement existé entre les parties,
se prononçait pour l’affirmative, le 24 août 1858. Cet
arrêt avait été précédé d’une interlocutoire, et considé
rait : « que les enquêtes auxquelles il avait été procédé
» avaient dissipé toutes les incertitudes ; qu’en présence
» des nouvelles plaidoiries, non-seulement les pré» somptions relevées lors de l’interlocutoire ont con» servé toute leur force, mais que les témoignages ont
22
ii
�333
DES SOCIÉTÉS
» donné à ces présomptions un caractère de preuve ju« ridique. »
Après avoir résumé les résultats des enquêtes, l’arrêt
ajoute : « Attendu que les livres de Vassal mention» nent constamment la société Cauchy-Nunez ou la
» maison Cauchy pour les avances faites à l’usine du
» Theux ; qu’à la vérité ces livres ne sont pas cotés et
» paraphés conformément à l’article 11 du Code de
» commerce, mais que les explications données sur leur
» tenue par le procès-verbal de M. le juge de paix
» Lam bert, montrent que ces livres méritent une cer» taine confiance , quoiqu’ils n’aient pas toute l’auto» rilé légale que l’article 12 du même code attache aux
» livres parfaitement réguliers. »
On se pourvut en cassation contre cet arrêt. Entre
autres griefs on lui reprochait d’avoir méconnu et violé
les articles 12 et 13 du Code de commerce, en ce qu’il
aurait basé en partie sa décision sur des livres de com
merce irréguliers.
Mais la cour régulatrice rejette le pourvoi et répond
à ce moyen de la manière suivante :
»
»
»
»
»
»
« Attendu que si l’arrêt attaqué mentionne, dans la
récapitulation qu’il fait des éléments de sa conviction,
les livres de Vassal qui , n ’ayant pas été cotés et paraphés régulièrement , ne pouvaient ni être produits
en justice ni faire foi à son p ro fit, celte mention se
trouve expliquée et limitée par le rapprochement du
seul des motifs de l’arrêt auquel elle se rapporte ;
�ART.
49, 50.
339
» Attendu que ce motif se borne à déclarer que les
» livres de Vassal mentionnent constamment la société
» Cauchy-Nunez ou la maison Cauchy pour les avances
» faites à l’usine du Theux; que cette considération,
» évidemment surérogatoire, se trouve au milieu d’une
» longue série de motifs dans lesquels la cour, appré» ciant les enquêtes et la jurisprudence, déclare qu’elles
» ont dissipé toutes les incertitudes et donné aux pré» somptions qui avaient justifié l’arrêt préparatoire un
» caractère de preuve juridique ;
» Attendu que , dans cet état et en écartant l’argu» ment tiré des livres irréguliers de Vassal , l’arrêt
» trouve dans les autres considérations de fait par
» lui adm ises, une justification suffisante de sa déci—
» sion l. »
Plus tard et le 3 janvier 1860 , la cour de cassation
déclarait de nouveau que s’il est de principe que les li
vres de commerce qui n’ont pas été visés et paraphés
conformément à la loi ne peuvent être représentés ni
faire foi en justice au profit de ceux qui les ont tenus,
il n’en résulte pas que, lorsque ces livres sont produits,
les juges ne puissent en comparer les énonciations à
celles des autres pièces justificatives régulièrement four
nies au procès , et trouver dans la concordance de ces
énonciations une de ces présomptions abandonnées par
la loi aux lumières et à la prudence du magistrat2.
1 J. du P., 4 860, p. 373.
2 Ibidem, 4860, p. 8.
�340
DES SOCIÉTÉS
Ainsi, de quelque manière que les livres aient été
tenus, on pourra les produire et les invoquer. Seule
ment s’ils ont été cotés et parapüés, ils peuvent devenir
la base unique de la décision. Daqs le cas contraire, on
ne pourra légalement les prendre en considération que
si des documents versés au procès, ou des présomptions
nées des faits et circonstances viennent en étayer et en
justifier les énonciations.
4 5 9 . — Dans d’autres hypothèses, la correspon
dance à laquelle le législateur permet de se référer ne
sera pas moins utile , pas moins décisive. Entre mar
chands ou négociants habitant, des localités différentes,
une participation sera le plus souvent proposé par l’un,
acceptée par l’autre. La lettre d’annonce d’une p art, la
réponse affirmative de l’autre, deviendront la preuve la
plus certaine de la participation.
4 6 0 . — Une espèce jugée par la cour de Bordeaux,
le 9 janvier 1826 , offrait cette singularité , que le cor
respondant à qui on avait proposé un tiers d’intérêt
dans une opération déterminée , et qui avait répondu
accepter ce tiers dans les bénéfices , soutenait qu’il n’y
avait pas participation, parce què sa lettre ne s’expliquait
pas sur la perte.
Inutile d’observer que cette prétention fut repoussée;
elle devait l’être , en effet, car elle était énergiquement
condamnée par la raison et le droit. Il est évident que
celui qui prend un intérêt d’un tiers dans les bénéfices
�àkt.
49, 80.
341
d’une opération prend cet intérêt dans l’opération ellemême. Dès*lors , si , au lieu du bénéfice espéré , cette
opération solde par une perte , la proportion dans la
quelle l’intéressé devra la supporter n’a pas besoin d’ê
tre exprimée. Elle est invinciblement déterminée par
celle qu’il avait prise dans les bénéfices ; c’est ce que le
droit a de tout temps enseigné : Illud expedilum est,
si in una causa pars fuerit expressa, veluti in solo
lucro vel in solo danino, et altéra vero omissa, in
eo quoque quod prœtermissum est eamdem partem
serv a ril.
461.
— Enfin , à défaut de livres et de correspon
dance , la participation peut être établie par la preuve
testimoniale. Il faut en convenir, cette preuve sera sou
vent la seule qui pourra être invoquée, soit par la po
sition des parties , incapables d’avoir des écritures et
dans l’impossibilité de trouver les moyens d’en avoir,
soit par la nature de l’opération. Dans les travaux pu
blics , par exemple , nous avons vu souvent des entren e u rs, qui se sont rendus à l’adjudication , convenir
d’une société séance tenante, et sans avoir le temps ni
quelquefois la possibilité de la constater par écrit. C’est
dans des occasions de ce genre que la preuve testimo
niale peut et doit seule découvrir la vérité.
Sous l’ordonnance de 1673 , la preuve testimoniale
i Institutes, De sociel., § -3
�342
DES SOCIÉTÉS
des sociétés ordinaires avait été expressément prohibée.
Sous l’empire de celte législation, on se refusait à l’ad
mettre pour la participation, s’il n’existait déjà un com
mencement de preuve par écrit.
Mais les prescriptions de l'ordonnance sur la preuve
écrite des sociétés ordinaires étant tombées en désué
tude, la preuve testimoniale admise pour établir cellesci ne pouvait plus faire question à l’endroit de la parti
cipation.
Notre Code renouvelant pour les sociétés ordinai
res l’obligation d’une preuve littérale , que devait-on
faire pour la participation ? Fallait-il imiter la juris
prudence contemporaine de l’ordonnance ? C’est ce que
pensait M. Treilhard. En conséquence, il proposait,
dans la discussion de notre article , de subordonner la
preuve testimoniale à un commencement de preuve par
écrit.
« On objecta que les sociétés en participation ne se
formaient pas toujours entre des négociants ayant des
livres , ni par corrrespondance ; souvent la convention
n’est que verbale ; c’est a in si, par exemple, qu’on
en use communément dans les foires , pour l’ap
provisionnement de la capitale ; dans les marchés
des départements et dans ceux de Poissi et de
Sceaux , on a vu des conventions du plus grand
intérêt entre personnes dont aucune ne savait écri
re. Comment alors décider si ce n’est ex œquo et
bono , à moins qu’on ne prenne le parti de sacrifier
�ART. 49, 50.
343
l’un des contractants , ce qui serait d’une injustice
criante.1 ».
Sur ces objections , l’article fut rédigé tel qu’il se
trouve dans le Code , et la preuve par témoins admise,
sans condition , en ce qui concerne les associés euxmêmes.
4 0 2 . — Les tiers pourront-ils également faire cette
preuve? L'affirmative a été admise par un assez grand
nombre d’arrêts,, égarés , nous osons le dire , par les
principes en matière de sociétés ordinaires et par l’in
terprétation donnée au droit ancien.
0 Dans les sociétés ordinaires, il n’est pas douteux que
les tiers ne soient recevables à prouver par témoins
l’existence de la société. Cette faculté leur est même ex
clusive. Les associés ne pouvant jamais invoquer que
la preuve littérale , il a donc paru étrange de la refu
ser aux tiers dans une hypothèse où on l’accorde aux
associés.
Sans doute ce serait étrange si la différence dans la
nature des sociétés ne venait donner à ce refus un ca
ractère de rationnalité incontestable. Dans les sociétés
ordinaires, les tiers ont, en traitant avec la raison so
ciale , de plein droit contracté avec tous ceux qu’elle
comprend , personnes ou mises. Ils ont donc compté
sur la solvabilité de tous. On ne saurait dès lors, en les
privant de la preuve testimoniale , alors qu’ils ont été
E s p r i t d u C o d e de com m erce, a r t . 4 9 .
�344
DES SOCIÉTÉS
dans l’impossibilité de s’en procurer une écrite, les ex
poser à voir leur échapper les garanties que la société
leur offrait. Aussi ces sociétés doivent-elles être publi
ques , sous peine d’être toutes considérées comme en
nom collectif.
La participation, au contraire, est occulte , essentiel
lement occulte , nous l’avons dit ; l’associé la dirigeant
traite en son seul et privé nom , n’engage que sa pro
pre responsabilité, sans que les tiers aient pu se douter
de l’existence de la société , qui même par rapport à
eux est censée ne pas exister. Sans action contre les
coparticipants , quel intérêt ont-ils à les faire déclarer
tels ? Ne doit-on pas en cet état , à la demande en
preuve, opposer cette maxime : Frustra probatur quod,
probatum non relevât ?
La jurisprudence que nous combattons a cru se con
former à ce qui se pratiquait sous l’ordonnance de
1673. La vérité est que la cour de cassation a décidé,
le 28 germinal an X I I , que les tiers pouvaient, sous
son empire , prouver la participation. Cet arrêt a été
rendu sur le réquisitoire de Merlin , e t , il faut le dire,
ce réquisitoire fait une confusion pouvant seule rendre
raison de sa doctrine.
En effet, c’est uniquement sur les articles 7 et 8 de
l’ordonnance que se fonde M. Merlin; il prouve fort
bien que leurs dispositions comprennent les associés
commanditaires. De ce que ceux-ci sont obligés , le ré
quisitoire conclut que les participants le sont au même
�ART.
49, 50.
345
titre. M aintenant, dit-il , que nous voilà bien fixés
sur le sens de l'article 8, qu'importe, relativement
à nptre objet, qu’on soit associé anonyme (c’est-àdire participant ) ou associé commanditaire ? qu'on
prénne l’une ou l'autre qualité , la question est
toujours la même.
Cette conclusion était-elle logique , ce raisonnement
était-il exact sous l’ordonnance de 1673? Nous en dou
tons , car nous avons vu que la doctrine de l’époque
n’admettait pas comme une société, à l’égard des tiers,
l’association en participation. Le participant n’élait
donc associé que relativement à ses coinléressés , con
séquemment lié envers eux seulement ; c’est ce qui ex
plique pourquoi on n’avait donné aux tiers que l’action
oblique.
Quoi qu’il en so it, ce qui est certain, c’est que sous
l’empire du Code la doctrine du réquisitoire est inadmis
sible. Notre législateur a refusé à la participation le
nom de société ; elle n’est pas un être m oral, elle reste
dépourvue de toute publicité ; on devrait donc décider
aujourd’hui le contraire de ce qu’on décidait a lo rs, si
l’on veut être conséquent.
Concluons donc que les tiers ne peuvent être admis à
prouver l’existence d’une société en participation, parce
qu’ils ne peuvent jamais prétendre avoir traité avec elle,
parce que, par rapport à eux, elle est censée n’avoir ja
mais existé.
/
4 6 3 . — Mais cette règle, comme toutes les autres,
�0
346
DES SOCIÉTÉS
comporte des exceptions. Ainsi un arrêt rendu par la
cour de Nancy , le 3 février 1848 , juge qu’en principe
la participation , étant essentiellement occulte , n’oblige
vis-à-vis des tiers que celui qui est chargé d’agir dans
l’intérêt de l’association ; mais il admet que si les co
participants ont pris une part active dans les opéra
tions , s’ils se sont immiscés dans les actes de gestion
de manière à induire les tiers en erreur , et à
les engager à traiter dans la confiance qui s'at
tache à plusieurs associés en nom collectif, ils doi
vent être solidairement tenus des engagements de la
société l.
Cet arrêt est juridique. Ce qui lui assigne ce carac- ’
tère, c’est la constatation de certains points de fait jus
tifiant cette conséquence , à savoir que les tiers ont été
induits en erreur sur le caractère de la société, et qu’ils
ont dû croire à l’existence d’une société en nom collec
tif. Ainsi l’arrêt relève avec raison que l’associé pour
suivi engageait les ouvriers, présidait à leur paiement,
les congédiait; que, sans cesse sur le chantier , il diri
geait activement les opérations; qu'il disait aux ouvriers
paraissant douter de la solvabilité de l’autre participant
qu’ils pouvaient être sans inquiétude, qu’ils avaient af
faire à lui; enfin qu’en parlant il employait toujours
ces locutions : nos travaux , nos ateliers , toutes choses
devant faire supposer une société.
1 J, du P., 49, 1, 688.
�àbt .
49, 50.
347
Loin de méconnaître le caractère de la participation,
l’arrêt en fait la plus juste , la plus saine appréciation.
S’il déclare le participant obligé , c’est parce qu’il est
sorti du rôle qu’il devait garder , qu’il a manifesté au
public la société qui devait rester cachée à tous les yeux,
et qu’ayant par sa faute inspiré une fausse croyance, il
n’y avait pas à hésiter entre lui et les tiers qu’il avait
trompés. Cela, nous le répétons, est fort rationnel et fort
juridique.
i»
464.
— Ce que nous ne pouvons approuver , c’est
l’assimilation que l’arrêt fait dans quelques-uns de ses
motifs du participant au commanditaire , et l’applica
tion au premier des articles 27 et 28 du Code de com
merce. Ce qui condamne cette doctrine , c’est que le
commanditaire qui s’est immiscé, n’eût-il agi que com
me employé ou mandataire du g éran t, n’en sera pas
moins solidairement tenu , tandis que le participant
peut prendre l’une ou l’autre de ces qualités impuné
ment , que sa responsabilité ne sera pas la conséquence
de l’une ou de l’autre; elle ne sera engagée que si son
intervention a eu pour résultat de tromper les tiers et
de faire croire à l’existence d’une société en nom col
lectif.
C’est ce que l’arrêt enseigne lui-même; « attendu que
l’association en participation , placée en quelque sorte
sur les limites des sociétés en nom collectif et en com
mandite, ne consacre le privilège important de n’enga
ger, au regard des tiers, que l’associé qui agit, qu’à la
�348
DES SOCIÉTÉS
condition que les participants ne viennent pas, par une
intervention active, par des actes d’immixtion et de col
laboration, tromper les tiers et leur présenter en appa
rence les garanties de la solidarité qui pèse sur les as
sociés en nom collectif. »
Ailleurs, l’arrêt rappelle encore que ce n’est pas la
connaissance que les étrangers pourraient acquérir de
l’existence de la participation qui ferait perdre à cette
association le caractère et le privilège que la loi lui ac
corde ; que la perte de l’un ou de l’autre ne serait ac
quise que par les actes de nature à tromper les tiers,
en les engageant à traiter avec la confiance qui s’atta
che à plusieurs associés en nom collectif.
Nous le répétons, dans cette spécialité l’arrêt est ju
ridique. Mais appliquer aux participants les articles 27
et 28 du Code de commerce, c’est précisément en sortir,
c’est se jeter dans la généralité que M. Pardessus professe
et que nous combattions tout à l’heure 1.
En principe donc , les tiers , étant sans action contre
les participants , avec lesquels ils n’ont pas contracté,
ne peuvent être admis à prouver l’existence de l’asso
ciation. Cette preuve ne saurait leur conférer un recours
quelconque , elle est donc inutile et frustratoire. Il en
serait autrement lorsque la preuve' demandée aurait
pour résultat d’iétablir que les participants ont par leur
conduite trompé le public et fait supposer une société
i Voy.
su pra
a0 44?,
�art . 4 9 ,
50.
349
en nom collectif. Le préjudice qui en serait résulté
pour les tiers donnant lieu à une réparation , la de
mande en preuve serait recevable et fondée. Il en serait
de même dans l’hypothèse où les tiers, agissant en vertu
de l’article 1166, exercerait les actions de l’associé son
débiteur.
465.
— L’article 49 laisse le tribunal libre d’ad
mettre ou de refuser la preuve testimoniale. Cela ne si
gnifie pas qu’en droit le tribunal peut déclarer la preuve
recevable ou non. Tout ce qui en résulte, c’est que l’ap
préciation des faits est laissée à l’arbitrage souverain du
juge.
En effet, il en est de l’hypothèse de l’article 49 com
me de toutes celles où la preuve par témoins est auto
risée. Quelque recevable qu’elle s o it, son admissibilité
n’est jamais un devoir pour le magistrat ; il ne doit au
contraire l’ordonner que lorsque les faits cotés sont gra
ves et pertinents. C’est ce que l’article 49 a voulu con
sacrer.
Il résulte de là que le demandeur en preuve devra
articuler les faits dont il entend induire l’existence de
l’association ; que ces faits doivent être graves, précis et
concordants, et rendre cette association présumable ; ils
ne doivent pas surtout être , dès à présent, démontrés
faux ou invraisemblables.
Pour que la preuve soit pertinente, il faut que l’exis
tence de l’association en soit la conséquence directe.
�350
DES SOCIÉTÉS
Au reste, sur ce point comme sur la valeur de la preuve
offerte , c’est la conscience du juge qui prononce sou
verainement.
466.
— L’article 49, en indiquant par quels moyens
on peut prouver la participation, est bien loin d’exclure
la preuve littérale. C’est donc mal à propos qu’on a
prétendu trouver dans l’acte écrit une manifestation de
la société qui devrait dès lors perdre le caractère de
participation.
Les intéressés sont donc libres de constater leur as
sociation par écrit; mais dans cette hypothèse , la règle
que nous rappelions tout à l’heure, à savoir que les dé
nominations ne sauraient l’emporter sur le fond des
choses, reçoit son application. En conséquence , quelle
que soit la qualification donnée à la société par la con
vention , c’est par ses clauses que le caractère de celte
société doit être apprécié.
C’est ainsi , et par application de cette règle, qu’il a
été jugé que lorsqu’un contrat de société , qualifiée as
sociation , contient des clauses qui ne peuvent s’ap
pliquer qu’à l’existence d’une société anonyme , et qui
excluent celle en participation , les parties doivent être
régies par les dispositions relatives aux sociétés anony
mes, nonobstant la qualification par elles donnée à l’acte.
En conséquence, aucun associé ne peut être tenu au delà
de son action l .
i Toulouse , 4 6 juillet 4 836.
�art.
47, 48.
351
Il en serait de même si les clauses de l’acte s’appli
quaient à une société en nom collectif , ou à une com
mandite. Vainement lui a u ra it-o n donné le nom de
participation ; ce nom et les effets qui en résultent dis
paraîtraient devant la vérité des choses.
Mais dans chacune de ces hypothèses, s’agissant d’u
ne société ordinaire, sa validité serait subordonnée à la
publicité que l’acte aurait reçue ; si aucune ne lui a été
donnée , l’acte est nul , et la société ne saurait exister.
Conséquemment, elle devrait cesser pour l’avenir, si déjà
elle fonctionnait ; elle ne devrait produire aucun effet,
s i , n’ayant pas encore reçu son exécution , il s’agissait
de contraindre la partie à remplir ses engagements , il
n’y aurait pas légalement société.
467.
— Nous terminerons nos observations sur la
participation par l’examen d’une question qui ne man
que pas d’importance , celle de savoir s i , lorsque la
participation doit durer plusieurs années , le réglement
des pertes doit être renvoyé à la fin de l’opération , ou
bien si l’un des coparticipants a le droit d’exiger qu’on
s’en tienne respectivement compte, sans qu’il soit besoin
d’attendre l’expiration du terme.
Dans une consultation produite devant la cour de
Rouen, M. Philippe Dupin soutenait qu’il ne pouvait y
avoir réglement de la perte qu’après la liquidation défi
nitive de l’opération. A l’appui de cette doctrine, il in
voquait l’opinion de Savary, qualifiant la participation
de compte courant.
�DES SOCIÉTÉS
« Cette dénomination caractéristique et si vraie , di
sait la consultation, donnée autrefois à ce genre d’asso
ciation, s’est maintenue dans les usages et dans la lan
gue du commerce ; elle doit avoir pour conséquence
que tant que l’association n’est pas arrivée à sa fin, le
compte des parties reste en suspens , ne peut être ar
rêté. Jusque-là, en effet, il ne peut y avoir que des a perçus auxquels chaque jour apporte des changements.
En un m o t, ce n ’est que par l'apurement du compte
que la position des parties peut devenir liquide et cer
taine ; et cet apurement ne peut avoir lieu qu’au mo
ment où la participation prendra fin , soit par la cessa
tion des opérations qui en font l’objet, soit par l’éché
ance du terme. »
Le résultat le plus immédiat de cette doctrine est de
laisser la position des parties douteuse et incertaine pen
dant la durée de l’opération , quelque longue qu’elle
doive être. Ce résultat, funeste pour les parties ellesmêmes , contraire aux vœux de la législation , en op
position avec les habitudes commerciales, loin d’être
approuvé, est formellement condamné par la pra
tique.
Il n’est pas de société quelque peu soigneuse de son
avenir , quelque peu jalouse de ses véritables inté
rêts , qui ne règle et n’arrête annuellement sa po
sition ; et c’est dans ce but que la loi exige un inven
taire qui devient chaque année l’élément de ce ré
glement ; c’est ici une mesure toute d’intérieur , et
�art.
49 , 50.
353
qui reste complètement étrangère au public. Les as
sociés perçoivent les bénéfices, se font mutuellement
raison des pertes, soit réellement et en espèces, soit
par une passation au crédit ou au débit de leur compte
courant.
Pourquoi ce qui se pratique entre les associés ordi
naires ne se réaliserait-il pas dans la participation ?
Par rapport aux participants , l’association , ainsi que
nous l’avons dit, constitue une véritable société. Ils sont
donc des associés , e t , comme tels , leur intérêt à voir
clair dans leur position, à la régler à de certaines épo
ques, ne saurait être contesté.
Sans doute la participation exclut l’idée de ces régle
ments périodiques, lorsqu’elle n’a pour objet qu’une opération unique, déterminée, dont la durée est toujours
plus ou moins bornée ; mais elle les comporte très-bien
lorsque la durée doit se prolonger , elle les commande
même dans certaines hypothèses. Ainsi, nous nous as
socions pendant dix ans pour spéculer chaque année
sur l’achat et la revente de la récolte du blé, du vin, de
l’huile ou des amandes. Il est évident qu’à chaque fin
d’année nous réglerons le résultat de notre opération,
malgré la durée de notre association. En réalité , dans
cette hypothèse il y aura autant de participation qu’il
y aura d’achats et de reventes distincts, et il serait ri
dicule d’en renvoyer le réglement jusqu’à l’expiration
du terme convenu.
Sans doute le même fait ne se réalise pas dans l’hyii
23
�DES SOCIÉTÉS
pothèse où la participation se propose une seule opéra
tion se renouvelant sans cesse et successivement ; mais
dans ce cas même on doit séparer, et la pratique séparç
l’exploitation par périodes se réalisant d’un inventaire
à l’autre, et le réglement de ce qui s’est fait dans l’in
tervalle s’accomplit d’autant plus facilement qu’il ne
saurait en résulter aucun inconvénient. En effet, si un
seul réglement a lieu à la fin de la société , et que les
bénéfices et les pertes se balancent, les associés n’au
ront rien retiré, et ils n’auront rien à payer ; que si, au
contraire , l’associé a contribué à la perte dans un ré
glement partiel, il emboursera le bénéfice dans l’autre:
on arrivera donc par des voies différentes à un résultat
identique.
Ce réglement identique non-seulement ne présente
aucun inconvénient, mais il a, au contraire, ce double
avantage d’éclairer les associés sur leur véritable posi
tion, sur la convenance qu’il y a à donner suite à l’o
pération , à ne pas laisser jusqu’au règlement définitif,
à la charge exclusive du directeur de l’entreprise , un
fardeau pouvant devenir beaucoup trop lourd,ce qui,on
le comprend, ne serait pas un encouragement à accep
ter ces fonctions.
Nous dirons donc avec la cour de Rouen que lors
qu’une société en participation a été formée pour plu
sieurs années, l’un des participants peut exiger qu’on
se tienne réciproquement compte des pertes pendant la
durée de l’association, et sans qu’il soit besoin d’atten
dre la liquidation définitive. Une sentence arbitrale
�ART.
49, 50.
355
l'ayant ainsi jugé était déférée à la justice supérieure de
la cour. Mais, par arrêt du 31 juiîlet 1845, cette sen
tence fut confirmée avec adoption de motifs. Le carac
tère éminemment juridique de ces motifs leur méritait
cet honneur. Les voici :
« Attendu que la participation , sauf les dispositions
des articles 49 et 50 du Code de commerce , reste sou
mise à toutes les prescriptions résultant des principes
généraux du droit sur les sociétés, toutes les fois que la
convention ou l’usage n’y a pas dérogé ; qu’il est de
principe comme d’usage , dans les sociétés commercia
les, que les bénéfices ou les pertes constatées par les in
ventaires se répartissent chaque année entre les asso
ciés ; que si la participation relative à une opération
unique , momentanée, implique d’ordinaire pour les
participants l’obligation de ne se faire compte qu’après
la liquidation de l’affaire, cette exception, qui se justifie
par la nature du compte à demi, ne peut être invoquée
avec raison lorsqu’il s’agit, comme dans l’espèce, d’o
pérations répétées pendant le cours de plusieurs an
nées ; que s’il est rationnel d’attendre le résultat d’une
affaire pour en partager les bénéfices et les pertes, il
est aussi d’une nécessité impérieuse que les associés,
dans des opérations de la nature et de l’importance de
celle dont il s’a g it, se tiennent réciproquement compte
à des époques déterminées, soit par la convention, soit
par l’usage, des résultats accomplis ; que dès que la loi
et la jurisprudence reconnaissent la validité de partici
pations aussi considérables, il faut bien les admettre a -
�356
des sociétés
yec toutes les conséquences que commandent les néces
sités du commerce ;
» Attendu que renvoyer le remboursement des per
tes à l’époque de la liquidation serait opérer contraire
ment à tous les errements suivis, contrairement à la
prudence la plus vulgaire, et faire supporter à l’un des
associés seulement un découvert qui doit peser sur
tous, etc...............
468.
— L’article 59 du Code de procédure civile
aux termes duquel le défendeur doit être assigné en
matière de société, tant qu’elle existe, devant le juge du
lieu où elle est établie , ne saurait recevoir aucune ap
plication dans l’hypothèse d’une association en partici
pation. A l’égard des tiers cette inapplicabilité résulte de
la nature même des choses. La participation est essen
tiellement occulte ; les tiers ne connaissent donc que ce
lui avec qui ils traitent et qui agissant personnellement
et en son nom seul ne permet pas même de soupçon
ner l’existence d’une société. Comment dès lors pour
rait-on les astreindre à s’adresser au juge du lieu où
cette société est établie ?
Ils ne le pourraient d’ailleurs, alors même qu’ils au
raient connu l’association, et su qu’ils traitaient avec
elle par l’intermédiaire de celui avec qui ils ont eu af
faire. Nous venons de le dire, un des caractères consti-
■m i
,
5
�ART. 4 9 , 5 0 .
tutifs de la participation est l’absence de siège social,
c’est qu’elle ne constitue pas un être moral distinct des
individus qui la composent et ayant son domicile par
ticulier.
C’est donc à ces individus qu’il faut s’adresser , et
comme l’action est pure , personnelle , c’est au tribunal
du domicile du défendeur qu’elle doit être portée , sauf
les règles de compétence édictées par l’article 420 du
Code de procédure civile. Tout ce que pourrait faire le
créancier qui prétendrait avoir traité avec tous les as
sociés , les avoir tous pour débiteurs solidaires , serait
de les citer tous au domicile de l’un d’eux à son choix,
à la charge par lui d’établir et de prouver cette soli
darité.
Après avoir établi les conséquences de la règle tracée
par l’article 59 du Code de procédure civile , M. Par
dessus ajoute : « On ne peut appliquer ces principes
» aux associations en participation qui , n’étant point
» rendues publiques , n’ont et ne font point connaître
» de domicile social. Le créancier , si tous les associés
» se sont engagés envers l u i , peut les traduire devant
» le tribunal du domicile de l’un d’eux à son choix ;
» s’il n’a traité qu’avec l’un des participants , il peut
» assigner devant le tribunal du domicile de cet indi—
» vidu ceux qu’il prétend être solidaires avec lu i, sauf
» à eux à contester l’existence de la participation ou la
» solidarité qu’on veut faire peser sur e u x .1 »
1 N» 1357
�358
DES SOCIÉTÉS
469.
— Pour les coparticipes entre eux, il est évi
dent qu’ils connaîtront parfaitement l’existence de la
société. Mais cette connaissance ne peut faire que la so
ciété soit un être moral et ait un siège social. L’absence
de celui-ci rend pour eux , comme pour les tiers , les
prescriptions de l’article 59 du Code de procédure ci
vile inapplicables. Ils sont donc obligés , pour les con
testations qui s’élèveraient entre eux , de s’adresser au
juge du domicile du défendeur , ou du coassocié qu’il
leur conviendrait d’actionner.
Ce principe est enseigné par la doctrine et admis par
la jurisprudence L La cour d’Orléans le consacrait en
core le 16 décembre 1859.
Dans cette espèce , c’éiait à Orléans que l’association
avait eu ses principaux intérêts et que les parties s’é
taient réunies pour en opérer le réglement. En consé
quence on soutenait que c’était à son tribunal que la
contestation avait dû être déférée, et c’est ce que le ju
gement avait décidé.
Mais sur l’appel, la cour infirmait ce jugement :
« Attendu que la communauté d’intérêts qui a existé
» entre les parties et un sieur Guien-Girautte, n’est au» tre qu’une société en participation, et qu’une telle as-
1 Pardessus, loco cilato ; — Vincens, t. 1, p. 378 ;— Nouguier, t. 2,
p. 284; — Chauveau sur Carré, quest. 2 6 1 .— Cassation, 4 mars 1810;
28 mai 1817 ; — Riom , 17 août 1822; — Cass , 28 mai 1827; —
Nancy , 5 décembre 1828 ; — Paris , 31 août 1836; 14 juillet 1840 ;
— .1 du P., 40, 2, 771.
0
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»
sociation étant réputée ne pas avoir de siège social,
on ne saurait trouver , dans le seul fait de son existence , la preuve que le tribunal de commerce d’Orléans était compétent ; qu’au procès il ne s’agit pas
de contestations relatives à des livraisons ou à des
paiements de marchandises qui donneraient lieu à
l’application de l’article 420 du Code de procédure
civile , mais bien de discussions entre associés ayant
des domiciles différents ; que pour faire exception aux
règles de la compétence on ne saurait davantage
s’appuyer sur ces considérations ; que c’est à Orléans
que l’association aurait eu ses principaux intérêts, et
que ce serait là que les parties se seraient réunies
pour en effectuer le réglement, puisque la loi n’en a
pas fait l’objet d’une exception ; d’où il suit que
le tribnnal de commerce d’Orléans était incompéte n t.1 »
L’espèce suivante offre un nouvel et remarquable
exemple d’application du principe. Les sieurs Laponge,
demeurant à Narbonne , et Desmarais , demeurant à
Bordeaux, avaient contracté une association ayant pour
objet le commerce des vins qui devaient être achetés à
Narbonne et revendus à Bordeaux avec part égale dans
les bénéfices ou la perte. Les associés avaient respecti
vement énoncé à tout droit de commission à raison des
opérations qui leur étaient confiées.
�360
DES SOCIÉTÉS
Plus tard Desmarais ayant refusé de prendre livrai
son de vins achetés par Laponge, celui-ci le cite devant
le tribunal de commerce de Narbonne en condamnation
d’une somme qu’il prétend lui être due.
Desmarais décline la compétence du tribunal de Nar
bonne , mais ce déclinatoire est repoussé en première
instance et en appel par la cour de Montpellier. L’arrêt
considère : « que Desmarais ayant rompu toute rela» tion d’associé avec Laponge en refusant de retirer à
» Narbonne. la demie des huit cents hectolitres vins a» chetés par Laponge , celui-ci n’agissait plus alors
» que comme commissionnaire pour le montant de
» ses avances, et qu’à bon droit il avait saisi le tribu—
» nal de son propre domicile de la connaissance du
» litige ; que s’il joint à sa demande principale une
» demande en dommages-intérêts , celte dernière par» tie des conclusions n’étant qu’un accessoire de la
» première devait être portée devant la même juridic» tion. »
Cet arrêt ayant été déféré à la cour suprême , était
cassé le 4 juin 1860 pour fausse application de l’article
420 et violation de l’article 59 du Code de procédure
civile.
« Attendu, dit la cour de cassation, que les associa» tions en participation n’ayant pas de siège social pro» premenl dit, les contestations relatives à ces associa» tions doivent être portées devant le tribunal du do» micile du défendeur selon la règle générale de l’arti» cle 59 du Code de procédure civile ;
�ART. 4 9 , 50.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
361
» Attendu que l’arrêt attaqué a reconnu lui-même
ce principe, et que, s’il n’en a pas fait l’application
à la cause, c’est par l’unique raison qu’il s’agissait,
non d’une association en participation ,_ mais d’un
contrat de mandat ou de commission q u i, aux termes de l’article 420 du même Code , laisse au
demandeur l’option d’assigner devant le tribunal
de son propre domicile pour obtenir le remboursement de sas avances ; qu’il y a lieu , dès lors,
d’apprécier le caractère légal du contrat intervenu entre les parties pour déterminer la compétence du tribunal qui devait statuer sur leurs contestâtions;
» Attendu , à cet égard, qu’il résulte de l’arrêt atta» qué et des documents de la cause, que les parties a » vaient formé entre elles une véritable société en par» ticipalion pour le commerce des vins ; que les condi» tions de cette société et notamment le partage par é» gales portions des bénéfices et des pertes, sont for» mellement rappelés dans tous les actes, que si l’un des
» associés était chargé d’acheter les vins dans une lo» calité et l’autre associé de les revendre dans une
» localité différente, c’était là une des conditions essen» belles de l’association , et q u i, loin d’en dénaturer le
» caractère , ne faisait au contraire que le confirmer ;
» d’autant plus que les associés avaient expressément
» renoncé à réclamer un droit de commission quel» conque soit pour les achats, soit pour les yente§
�362
DES SOCIÉTÉS
» qui faisaient l’objet de leur association en participa—
» lion ;
» Attendu qu’en déniant ce caractère au contrat in » tervenu entre les parties et en le réduisant à un
»
»
»
»
»
simple contrat de mandat ou de commission, en décidant, par suite , que le défendeur pouvait être
valablement assigné devant le tribunal du domicile du demandeur , l’arrêt attaqué a faussement
appliqué l’article 420 du Code de procédure, ci-
» vile , et expressément violé l’article 59 du même
» code.1 »
Ainsi la cour de cassation a constamment suivi et
pratiqué la jurisprudence qu’elle avait inauguré le 14
mars 1810. Aussi n’avons-nous trouvé aucune déci
sion contraire ni dans la doctrine , ni dans la jurispru
dence.
Le répertoire du Journal du Palais cite un arrêt
d’Aix à la date du 14 janvier 1835 , comme ayant dé
cidé que lorsque une société en participation relative à
des marchandises expédiées pour être vendues, est de
venue parfaite par le consentement de l’associé chargé
de vendre , le lieu du domicile de cet associé est celui
de la formation de l’association , et par conséquent le
tribunal de ce lieu est exclusivement compétent pour
connaître de l’existence de l’association , particulière—
l J. du P., 1860, p, 702.
�ART. 4 9 , 5 0 .
36°>
ment dans le cas où la vente des marchandises sociales
y a été opérée. Mais cette indication est erronée. Cette
proposition ne se trouve que dans le jugement. Devant
le tribunal, en effet, on proposait l’incompétence à rai
son de la matière , indépendamment de l’incompétence
à raison du domicile. Le tribunal repousse celle-ci par
le motif indiqué au sommaire , et quant à la seconde
fondée sur ce que s’agissant de contestations entre as
sociés, c’était à des arbitres à en connaître ; le tribunal
l’écarte en refusant la qualité d’associé à celui qui s’en
prévalait.
Il ne paraît pas que devant la cour on se soit occupé
de l’incompétence à raison du domicile , car l’arrêt
n’examine que le moyen tiré de la matière , et recon
naissant l’existence de la société et la qualité d’associé,
il infirme le jugement et renyoit devant arbitres pour
être dit droit.
Dans tous les cas, la thèse du tribunal de commerce
sur le lieu de la formation de la société est insoute
nable. Il n’y a en cette matière et quant à la compé
tence d’autre règle que celle que nous venons de rap
peler.
Qu’on nous permette comme résumé de notre discus
sion de transcrire les considérations que M. Nouguier
rappelle à ce sujet.
A la question si les associés en participation peuvent,
comme les mpqibres des autres sociétés commerciales,
�364
DES SOCIÉTÉS
être distraits des juges de leur domicile personnel, cet
honorable jurisconsulte répond :
« Cette question ne peut guères souffrir de difficul» tés. En effet, les membres des sociétés commerciales
» ne peuvent être distraits des juges de leur domicile
» que pour être traduits devant le juge du lieu où est
» établie la maison du commerce social. Ce lieu est en
b général facile à connaître, car les sociétés en nom
collectif, en commandite et anonymes reçoivent une
b
publicité assez étendue. Ces sociétés ont un centre où
» viennent aboutir tous les rapports sociaux ; elles forb ment un faisceau d’intérêts communs réunis à un
b
b
siège qui est le domicile de la maison. Nous ve-
» nons de voir que lorsque , par la dissolution , l’être
b moral s’est évanoui, l’exception cesse d’être admis» sible.
b Les associations en participation , au contraire,
b sont dispensées de toutes formalités ; elles n’ont ni
b
b
assiette, ni raison sociale, ni lien commun qui rende
les participants obligés solidaires des tiers. Ici l’être
» moral n’a pas été dissous, car il n’a jamais existé,
» du moins en ce sens. Si l’on admettait le principe
b
que les participants peuvent être cités au tribunal du
b lieu où est établie la société , on serait en vérité fort
b embarrassé pour le mettre en pratique , car la so~
ciélé n’est établie nulle part comme être m o ral, tout
?> au plus pourrait-on , à l’égard de chaque associé , la
b
�^Ær*v ■ *
art.
»
»
»
»
»
49, 50.
365
considérer comme existant en son domicile personnel. Or, dans ce cas , on ferait retour aux règles ordinaires, et l’on serait obligé, comme on le décide du
reste, de traduire le participant défendeur devant ses
juges naturels.1 »
1 D es
tr ib u n , d e c o m m .,
t. 2, p. 384.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/333/RES-22984_Bedarride_Commentaire-code_3.pdf
761772444225d1b43aa858c991e54336
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Text
D R O I T COMMERCIAL
C O M M E N T A I R E DU CODE DE C O M M E R C E
LIVRE
PREMIER
TITRE TROISIÈME
DES SOCIÉTÉS
Tome 3
PAR J. BEDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D EU XIÈM E
ÉD IT IO N
R K V üE , CORRIGÉE ET MISE AU COURANT DES LOIS NOUVELLES
(3« TIRAGE)
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PARIS
LABOSE ,
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TOME TROISIÈME
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AIX
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
LIBRAIRE
2 , RUE THIERS, 2
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
1878
:
cso
�D R O I T COMMERCIAL
C O M M E N T A I R E DU CODE DE C O M M E R C E
LIVRE
PREMIER
TITRE TROISIÈME
DES SOCIÉTÉS
PAR J. BEDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D EU XIÈM E
ÉD IT IO N
R K V üE , CORRIGÉE ET MISE AU COURANT DES LOIS NOUVELLES
(3« TIRAGE)
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PARIS
LABOSE ,
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TOME TROISIÈME
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AIX
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
LIBRAIRE
2 , RUE THIERS, 2
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
1878
:
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��SECTION II
« E S C O N TESTA TIO N S E N T R E A S S O C IÉ S
ET DE LA MANIÈRE DE LES DÉCIDER
Tonte
contestation
entre
associés
raison de la société sera jugée par
et
pour
des arb i
tres.
A rt. 52.
Il y aura lieu à l ’appel
tra l ou au pourvoi en
du
ju gem en t
cassation
si
arb i
la renon
ciation n’a pas été stipulée. I#’appcllation sera
portée devant la cour d’appel.
A rt . 53.
La nom ination des arb itres se fait :
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A
•'-O
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V
vï •-■rîV.'**•
- I V,. v d v , >K
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2
DES SOCIÉTÉS
P ar un acte soin» seing privé,
P a r acte notarié,
Par acte extrajudiciaire,
Par un consentem ent donné en ju stice.
A rt. 54.
Le délai pour le ju gem ent est
fixé par les
parties lors de la nom ination des arbitres; et,
s'ils ne sont pas d’accord su r ce délai, il sera
réglé par les juges.
A rt . 55.
En cas de refus de l’un ou de p lu sieu rs des
associés de nom m er des arbitres, les arbitres
sont nomm és d’oilice par le trib u n a l de com
merce.
Art. 56.
Les
parties
rem ettent leurs
pièces
et m é
m oires aux arbitres, sans aucune form alité de
justice.
A rt . 57.
L’associé en retard de rem ettre les pièces et
m ém oires est sommé de le faire dans les dix
jours.
A rt. 58.
Les arbitres p e u ve n t, suivant
l ’exigence des
cas, proroger le délai pour la production des
pièces.
�Le ju gem en t a r b itr a l est m otivé ;
Il est déposé au greffe du
trib u n a l de com
merce ;
Il est rendu exécutoire sans aucune modifi
cation , et tra n scrit sur les registres en vertu
d’une ordonnance du président du tribu nal, le
quel est tenu de la rendre pure et sim ple, et
dans le délai de trois jo u rs du dépôt au greffe.
A r t . 62.
Les dispositions
ci - dessus
sont communes
aux v e u v e s, h éritiers ou ayants cause des as
sociés.
A rt . 63.
Si des m in eurs sont in téressés dans une con-
�4
DES SOCIÉTÉS
testation pour raison
d’une
société
com m er
ciale, le tuteur ne pourra renoncer h la faculté
d’appeler du jugem ent arb itral.
SOMMAIRE
470.
Abrogation des articles 51 à 63.— Dispositions qui les ont
remplacés.
471.
472.
47 3.
474.
475.
Dans quel but l’arbitrage avait été imaginé.—Son origine.
Son caractère et ses effets en droit romain et en Italie.
Pratique suivie en France.—Ordonnance de 1510.
Dispositions de l ’ordonnance de 1560.
Celle d’août 1560 rendit l’arbitrage forcé entre marchands
pour fait de marchandises.—Son caractère.
Ordonnance de 1673. — Ses dispositions à l ’égard des as
sociés-.
Discussion au conseil d’Etat en 1807. — Objections de M.
Corvetto.—Réponse qui leur fut faite.
Maintien de l’arbitrage forcé entre associés.—Ses effets.
Examen de l’opportunité de ce maintien.
Réclamations contre l ’arbitrage forcé. — Projet pour son
abrogation.—Contre-projet deM. Busson-Billaut.
Son caractère.—Motifs qui le firent repousser.
Reproches adressés à la juridiction consulaire. — Appré
ciation.
476.
477.
478.
479.
480.
481.
482.
483. Faculté pour les associés de s’en référer à arbitres.
484. Nécessité d’ur. compromis.—Comment il est constaté.
485. Le mineur ne peut compromettre.
486. Effets du décès d’un des compromettants si parmi ses hé
ritiers il y a des mineurs.
487. Le mineur qui aurait compromis doit-il attendre pour se
pourvoir en nullité que les arbitres aient prononcé ?
488. La partie capable peut-elle exciper de la nullité ?
489. Arrêt de Grenoble pour l ’affirmative.
�ART,
51
A
63.
5
490. Examen et réfutation.
491. Le tuteur ne peut compromettre même avec l ’autorisation
du conseil do famille.
492. Quid du mineur émancipé?
493. Application de l’article 1013 du Code de procédure civile
aux associés.—Conséquences.
494. Faut-il que le procès-verbal des arbitres énonçant le com
promis soit signé par les parties, ou soit fait par acte
séparé ?—Avis de MM. Goujet et Merger et Boitard.
495. Appréciation.
496. Arrêts de la cour de Rouen et delà cour de cassation.
497. Conclusion.
498. Le notaire peut-il recevoir Je compromis qui le nomme ar
bitre?
499. Le compromis sous seing privé doit être fait en autant
d'originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt dis
tinct.
500. Comment et par quels faits la nullité serait couverte.
501. Comment se prouvent les faits d’exécution faut-il que la
sentence qui les mentionne soit signée par les parties ?
502. Distinction que fait M. Chauveau.—Sa valeur.
503. Caractère énonciatif de l ’article 1005.—Conséquence.
504. Mention que doit contenir le compromis. — Nullité de la
clause compromissoire.
505. C’est par le compromis seul que se règlent le mode d’ins
truction et l ’étendue des pouvoirs des arbitres.
506. Délai pour le jugement.Comment il est déterminé.
507. Point de départ de celui de trois mois accordé par l’article
1007 du Code de procédure civile.
508. Faculté pour les parties de le proroger.
509. Pendant le délai les arbitres ne peuvent être révoqués que
du consentement unanime des parties.
510. La révocation est expresse ou tacite. — D’où résulterait
celle-ci.
�DES SOCIÉTÉS
511.
512.
513.
5 14.
515.
516.
517.
518.
519.
520.
521.
522.
523.
524.
525.
526.
527.
528.
529.
530.
531.
532.
La révocation expresse peut être faite par lettre missive.
Peut-on révoquer les arbitres nommés par le juge ?
Quel est l’effet de la révocation postérieure à la prononcia
tion de la sentence?
Droit de récusation.—Quand peut-il être exercé ?
Dans quelle forme doit-il l’être ?
Dans quel délai ?
Qui doit apprécier et juger la récusation ?
Forme de l ’instruction et du jugement.
Voies de recours contre le jugement. Qui peut les exercer?
Procédure sur l ’appel.
Lorsque la récusation ayant été admise l’adversaire du ré
cusant émet appel, doit-il intimer celui-ci?
Défense aux arbitres de se déporter après le commence
ment des opérations,
N
Exceptions que cette règle comporte.
Formes de l’instruction devant les arbitres.
Quand peut être rendue la sentence ?
Dans quel délai elle doit l ’être.
La voix de chacun des arbitres nommés par des associés
ayant le même intérêt compte pour un suffrage. Consé
quence.
La sentence doit être délibérée en commun par tous les
arbitres.—Jurisprudence delà cour de cassation.
Arrêt contraire de la cour de Metz. — Examen et réfu
tation.
Comment se prouve l ’observation de cette formalité ?
Effet quant à ce de la signature donnée à des dates diffé
rentes.—Arrêt de la cour de Grenoble.
Quid si les signatures données à la même date , l'un des
arbitres fait précéder la sienne de la déclaration qu’il
n ’y a pas eu délibération commune ?
La qualité d’amiable compositeur ne dispense pas de l ’obli
gation de délibérer.
�ART.
583.
534.
535.
536.
537.
538.
539.
540.
541.
542.
543.
544.
545.
546.
547.
548.
549.
550.
551.
552.
553.
554.
51 A 63.
7
Par qui doit être signée la sentence. — Effet du refus de
l’un des arbitres. Comment il est constaté.
Ses effets s’il n’y a que deux arbitres.
Teneur de la sentence, doit mentionner la qualité des par
ties.
Leurs conclusions. Equipollents. — Dispense de les rap
porter.
Doit être motivée si les parties n’en ont pas dispensé.
Doit avoir un dispositif.—Quel peut en être le caractère ?
Importance de la date.
Conséquence de son omission. — Comment pourrait-on la
suppléer ?
La sentence fait foi de la date et de tous les faits person
nels aux arbitres jusqu’à inscription de faux.
Comment elle est rendue exécutoire.—A quel greffe se fait
le dépôt.
Dans quel délai doit-il être effectué?
Le président peut-il refuser l ’ordonnance A’exéqm tur.
Conséquences de l’attribution que la loi fait au président
du tribunal.
Effet du discord d’opinion entre les arbitres.—La nomina
tion du tiers peut être déférée aux arbitres.
S’ils ne s’entendent pas la nomination doit être faite par le
président du tribunal.
De quelle manière les arbitres doivent l’opérer ?
A quelles conditions le tiers pourra et devra intervenir ?
Délai dans lequel il doit prononcer.
Doit conférer avec les arbitres prorogation de plein droit
des pouvoirs de ceux-ci.
Arrêt contraire de la cour de Paris. Cassation.
Conséquence du refus de se réunir d’un ou de plusieurs
des arbitres.—Comment il s’établit?
Comment se prouve la réunion spontanée et volontaire des
arbitres et du tiers ?
�DES-SOCIÉTÉS
564.
565.
566.
567.
568.
569.
570.
574.
572.
573.
574.
§75.
Caractère de la conférence.
Faculté pour les arbitres de revenir de leur opinion.
Opinion de M. Chauveau en sens contraire.—Réfutation.
Résumé.
Influence sur la sentence de l ’exécution de l’article 4018.
Faculté pour les parties de dispenser de l ’observation de
l’article 1018 du Code de procédure civile.
En cas de silence gardé par elles à ce su je t, procédure à
suivre.
L’un des arbitres refusant , le tiers peut conférer avec
l’autre.
Fondement de l ’obligation imposée au tiers jugeant seul
d’adopter l’un ou l ’autre avis.
Son caractère.
Quid si le partage a été déclaré sur plusieurs chefs ?
Comment doit procéder le tiers s’il adopte alternativement
l’un et l’autre avis.
L’article 1018 en ce point ne s’applique pas aux motifs,—
Conséquence.
Le tiers peut-il relever les erreurs de calcul ?
La sentence rendue par le tiers seul ou avec le concours
des arbitres est le seul jugement. — Conséquence au
point de vue de l ’article 441 du Code de procédure
civile.
Où doit-elle être déposée ?—Renvoi.
Les tiers ne peuvent faire tierce opposition à la sentence
arbitrale.
Les codébiteurs ou les cautions le pourraient-ils ?
Application à l ’arbitrage entre associés de l ’article 1028
du Code de procédure civile.—Conséquence,
Comme établirait-on que les arbitres ont prononcé sans
compromis, ou hors des termes du compromis, ou sur
compromis expiré ?
Effet de la sentence prononcée sur compromis nul.
�ABT. 6 1
576.
577.
578.
580.
581.
A 63
9
Recevabilité de l’opposition à l ’ordonnance si le jugement
n ’a pas été rendu par tous les arbitres ;
Ou sans que le tiers ait conféré avec les arbitres.
S’il a été prononcé sur choses non demandées.
Validité de la clause déférant aux arbitres toutes les diffi
cultés que peut soulever la liquidation.
Résumé.
Où doit être déposée la sentence arbitrale rendue entre as
socie.
583. Voies de recours coi?tre la sentence.
583. Les parties peuvent-elios y renoncer?
583bis. La renonciation résulterait-elle de la qualité d’amiables
compositeurs donnée aux arbitres?
584. Caractère de la difficulté que fait surgir la demande en dis
solution de la société.
585. Effets de la dissolution.
586. Origine de la liquidation.—Son utilité.
587. Ses effets quant à la continuation de la société.
588. Résumé.
589. Rejet de la proposition de lui consacrer'un titre spécial. —
Son caractère.
590. Elle est purement facultative.
591. Par qui est nommé le liquidateur.
592. Devoirs du liquidateur. Ses pouvoirs.— Exception à l ’arti
cle 1988 du Code civil.
593. Peut-il vendre en bloc et à forfait les facultés de la société?
Jugement de Marseille pour l’affirmative.
594. Examen et réfutation.
595. L’étendue des pouvoirs du liquidateur ne peut être déter
minée que par l’unanimité des intéressés.
596. Arrêt de la cour d’Aix conférant au liquidateur le droit
d’exercer les actions de la société.—Conséquence.
597. Les tiers ne sont pas obligés d’agir contre le liquidateur ;
Peuvent actionner les anciens associés, ,
�DES SOCIÉTÉS
598. Arrêt de Toulouse dans ce sens.
599. Jugement conforme de Marseille.
600. Le liquidateur ne peut ni compromettre ni transiger.
601. Opinion contraire de MM. Horson , Vincens et Pardessus.
Discussion.
602. Peut-il créer des effets commerciaux et négocier les valeurs
du portefeuille ?
603. M. Fremery soutient la négative. Ses motifs.
604. Celte opinion est embrassée par MM. Troplong et Horson.
605. Réfutation.
606. Etat de la jurisprudence.
607. Véritable position du liquidateur. Dérogations que les usa
ges du commerce ont imposées aux règles ordinaires du
mandat.
608. Conséquences quant à la nature de celui résultant de la li
quidation.
609.
Le liquidateur ne peut ni vendre ni hypothéquer les im
meubles sans un mandat spécial.
610. Celui qui lui aurait été donné avant la liquidation ne serait'
pas révoqué par celle-ci.
611. Résumé.
612. Le liquidateur est-il révocable ?
613. Par qui peut-il être révoqué ?
614. Arrêt de la.cour de Rennes exigeant le concours de tous
ceux qui ont pris part à la nomination.
615. Reproches que lui adressait le pourvoi.
616. Arrêt de la cour de cassation.
617. Objet de la liquidation à l'égard des associés. — Droits du
liquidateur.
618. Composition de la masse à partager.
619. Mode du partage.—1" modification à l ’article 1872 du Code
civil.—Dispense d’apposer les scellés.
620. 2mo modification : Inapplicabilité de l ’article 815.
621 ! 3“e modification : Inapplicabilité de l ’article 840.
�ART.
51
A
63.
11
622. 4"' modification : Inapplicabilité de l ’article 882.
623. 5”’ modification : Exception à l ’article 832.
624. Après la composition de la masse il est procédé aux prélè
vements.
623. Peut-on prélever la mise de fonds ?
626. Comment il est ensuite procédé au partage.
627. Distinction quant au partage éntre le mobilier et les mar
chandises.
628. Jugement de Marseille repoussant le partage en nature
pour celles-ci.—Son caractère juridique.
629. Doit-on comprendre dans les valeurs à partager l’exploita
tion d ’un brevet dont le titulaire s’est réservé la pro
priété.
630. Jugement de Marseille pour l’affirmative.—Appréciation.
631. Premier effet du partage : Garantie entre associés. Privilège
pour la soulte.
632. Deuxième effet : Le partage est déclaratif et non attributif.
Opinion de MM. Duvergier et Delangle.
633. Opinion contraire de M. Troplong.
634. Doit être adoptée.
635. Peut être rescindé pour lésion de plus d’un quart.— Com
ment se calcule la lésion.
636. Distinction entre le partage et l’attribution de parts.
637. Effets du dol, de la fraude, de la violence et de l’erreur.—
Différence d’avec la lésion relativement à la fin de non
recevoir de l ’article 892 du Code civil.
638. Choses qui ne sont pas susceptibles d’être partagées. —
Mesures à prendre.
639. Droits et devoirs du liquidateur à la fin de la liquidation.
640. Compétence pour les actions naissant pendant la liquida
tion entre associés.
641. Effet du réglement de compte amiable entre associés rela
tivement à la compétence.
642. Effet du réglement par le juge.
�DES SOCIÉTÉS
643.
644,
Compétence pour les actions intentées par le liquidateur
contre les associés.
Quid des associés contre le liquidateur.
' ' ■■
470.
— Des quatorze articles que renfermait la sec
tion 2 du titre 3 du Code de commerce , un seul, l’ar
ticle 64 est encore debout, et conserve son autorité et
son caractère obligatoire. Les treize autres ont disparu
du Code. L’abrogation de l’article 51 , qui consacrait
l’arbitrage forcé pour toute contestation entre associés et
pour raison de la société, amenait forcément celle des
articles suivants réglant la nomination des arbitres et la
. forme en laquelle ceux-ci devaient procéder , et déter
minant à quelle autorité devait être demandée l’ordon
nance d’exécution de la sentence.
Ces treize articles se trouvent aujourd’hui remplacés
par la loi des 17-23 juillet 1856, qui dispose :
» A r t ic l e
1".
» Les articles 51 à 63 du Code de commerce sont
» abrogés.
« Article 2.
» L’article 631 du même Code est modifié ainsi qu’il
* » suit :
». Art. 651. — Les tribunaux de commerce con» naîtront : 1° des contestations relatives aux enga» gements et transactions entre négociants, marchands
�ART. 51 A 63.
13
» et banquiers ; 2° des " contestations entre associés
» pour raison d’une société de commerce ; 3° de eel» les relatives aux actes de commerce, entre toutes per» sonnes.
» Article 3.
» Les procédures commencées avant la promulga» tion de la présente loi continueront à être instruites
» et jugées suivant la loi ancienne. »
471.
— Cette loi accueille enfin les réclamations
que , depuis si longtemps , le commerce faisait enten
dre, et les vœux de ses organes les plus autorisés. Elle
efface de nos lois une institution qui avait failli à tou
tes ses promesses, et trompé les espérances qui en a vaient déterminé la consécration. Si l’ordonnance de
1560 avait cru devoir imposer l’arbitrage forcé aux
commerçants en général, si celle de 1673 l’avait main
tenu entre associés et pour les contestations relatives à
la société, c’était uniquement dans l’intérêt du com
merce.
»
»
»
»
»
o Cette disposition , disait Jousse , a été sagement
établie pour le bien du commerce , parce que , par
ce moyen, les contestations se règlent promptement et sans frais, au lieu que si ces sortes de différends s’instruisaient et se jugeaient dans les tribunaux ordinaires , les fiais seraient beaucoup plus
�14
DES SOCIÉTÉS
» considérables, et les affaires n’y seraient pas sitôt
» terminées.1 »
Ces espérances semblaient sérieusement s’induire de
la nature même de l’arbitrage. Il est en effet certain
qu’avant l’institution des tribunaux , il était la juridic
tion naturellement appelée à décider des contestations
qui naissaient des rapports que la vie commune pou
vait faire naitre. « Chacun s ai t , dit M. Goubeau de la
» Bitennerie, que ces deux mots : le tien , le mien,
» ont dû jeter la pomme de discorde entre les pre» miers hommes civilisés, et que de là est venue la né» cessité de médiateurs pour calmer les passions et
» rendre la justice , car toute espèce de violence est
» contraire à l’esprit de cette sociabilité à laquelle la
» cause première a destiné le genre humain.2 »
On a donc pu conclure que l’origine de l’arbitrage se
perdait dans les siècles de barbarie comme la plupart
des institutions humaines, et que, antérieurement à tout
essai d’organisation judiciaire , ceux qui remplissaient
les fonctions d’arbitres devaient prononcer sommaire^
ment et sans frais. C’est même à ce préjugé que l’arbi
trage a dû le respect des divers législateurs, qui tous
l’autorisaient s’ils ne le prescrivaient pas.
472.
— En Italie, par exemple, non-seulement les
parties étaient libres de se soumettre à arbitres, mais
4 Sur l’Ordonnance de 1673, titre 4, article 9.
2 De l'arbitrage , page 5.
�ART. 81 A 63.
15
encore et dans le cas où les difficultés étaient de nature
à ne pouvoir pas être jugées dans un court d élai, les
juges pouvaient les renvoyer à la décision souveraine
de marchands faisant le même commerce l.
Le droit romain avait reconnu et consacré l’arbitrage,
compromissum ad simililudinem judiciorum redigitur et ad jiniendas lites p e rlin el2. Mais son carac
tère purement volontaire atténuait singulièrement les
effets que la sentence devait produire.
Ex compromùso, disait Ulpien, placet cxceptionem
non nasci, sed pœnœ petitionem 3:
Ex sententia a r b itr i, ex compromisso , disait de
son côté l’empereur Antonin, jure perfecto aditi appellari non posse sœpe rescriptum est , quia nec
judicati actio inde prwstari po test4.
Ainsi, disait Pothier, la sentence rendue par les arbi
tres ne produit ni l’action du jugé , ni l’exception de
chose jugée. Son effet se borne à faire encourir la peine
stipulée dans le compromis à celui qui refuse de l’exé
cuter. Jure pandectarum sententiœ ab arbitrio compromissario dictœ , is soins effectus e st, u t , si ei
paritum non esset, committeretur pœna compromissa ; cœterum nec actionem judicati nec exceptionem
rei judicati p a r it5.
1 Fréméry, Etudes sur le droit commercial, p 65.
.
2 L. 1, fï. Derecept. qui arbit. recepe.
3 L. 2, fiF. ejusd. lit.
1 L. 1 , Cod. De recep, arbitris.
s Pandect Just., 1. 3, tit. 8, sect. 4, art. 3.
�DES SOCIÉTÉS
La peine stipulée était donc l’unique sanction pou
vant garantir et assumer l’exécution de la sentence ar
bitrale. D’où la conséquence que la stipulation d’une
peine était de rigueur et la condition essentielle de la
validité du compromis que les Pandectes définissaient :
une convention par laquelle les plaideurs se soumet
taient, sous certaine peine, à exécuter le jugement rendu
par celui qui a accepté les fonctions d’arbitre.
475.
— En F rance, on suivait les errements du
droit romain quant au caractère de la sentence et à ses
effets, quant à la nécessité de stipuler dans le compro
mis la peine qu’encourrait celle des parties qui refuse
rait d’exécuter la sentence. Celle-ci continua à être con
sidérée comme ne créant ni l’action du jugé ni l’excep
tion de chose jugée. Mais l’ordonnance de juin 1510,
sur la réformation de la justice , lui assigna un tout
autre caractère.
Elle disposa dans son article 34 :
« Que toutes parties qui compromettront en arbitres,
» arbitrateurs ou amiables compositeurs, et chacun
» d’eux avec adjection de peines, après que la sentence
» sera donnée par lesdits arbitres, arbitrateurs ou a » miables compositeurs, la partie prétendant être gre» vée pourra recourir ou appeler au juge ordinaire ; et
» si, par le juge ordinaire, la sentence desdits arbitres,
» arbitrateurs ou amiables compositeurs est confirmée,
» en ce cas ne sera reçue partie à appeler de ladite sen» tence sinon en payant préalablement la peine appo-
�» sée en l’arbitrage, sauf toutefois à icelle peine recou» vrer s’il est dit en fin de cause. »
4 7 4 . — Le but de cette ordonnance , comme nous
l’apprend son préambule, était de rendre la justice plus
prompte et moins coûteuse. Mais il faut avouer que le
moyen qu’elle prenait était singulièrement choisi. La
sentence arbitrale , qui jusque là n’étant pas considérée
comme un jugem ent, ne pouvait être déférée aux juges
ordinaires, était déclarée susceptible de révision par le
juge ordinaire et d’appel. C’est à dire qu’au lieu de
deux degrés de juridiction on en créait tro is, car le
paiement provisoire de la peine ne pouvait être un ob
stacle de nature à empêcher la partie condamnée de se
pourvoir par appel soit qu’elle se crût lésée, soit qu’elle
eût à cet appel un intérêt quelconque, ne fût-ce que ce
lui de gagner du temps.
Aussi, loin d’aboutir au résultat qu’on s’en était pro
mis, l’ordonnance de juin 1510 n’avait rendu la justice
ni plus prompte ni moins coûteuse. L’ordonnance d’août
1560 le constate. « Laquelle ordonnance (celle de 1510)
» a esté faite pour abréviation des procez , toutes
» fois par la malice des hommes l'effect a été du
» tout contraire à l’intention de la dite ordon« nance qui n’apporte que plus grande longueur de
» procez et au lieu d'une appellation en faire
» deux.
» Pour c e , continue le nouveau législateur , que
» nous désirant singulièrement oster et abréger les
2
m
�18
DES SOCIÉTÉS
»
» procez, la longueur desquels ruyne et destruit
» nos subjets, avons par notre édict confirmé et
» authorisé , confirmons et authorisons tous juge» mens donnez sur les compromis, n'y eust aucune
» peine apposée, voulant qu'ils ayent telle force et
» vertu que les sentences donneez par nos juges, et
» que, contre iceux nul soit receu appelant, que
» préalablement ils ne soient entièrement exécutéz
» tant en principal et despens qu’en la peine , si
» peine y aurait été apposée , sans espérance d'i» celle peine recouvrer , ores que la sentence fusl
» infirmée en tout ou en partie, et sera le dit ap» pel des dits arbitres ou arbitrateurs relevé en
» nos cours souveraines, si non qu'il fust question
» de choses dont les juges présidiaux peuvent juger
» en dernier ressort, auquel cas sera ledit appel
» relevé pardevant eux. »
On voit par cette ordonnance que la stipulation d’une
peine n’était plus la condition essentielle de la validité
du- compromis, qu’elle était devenue une faculté. Or, il
est évident que la crainte de la perdre sans espoir de la
recouvrer en cas d’appel devait porter les parties à s’ab
stenir d’user de cette faculté.
Restait l’obligation d’exécuter provisoirement la sen
tence, et cette obligation pouvant dans certain cas ren
dre l’appel illusoire par l’insolvabilité de la partie, était
de nature à en empêcher la réalisation.
47S. — Jusque là il ne s’agissait que de l’arbitrage
�volontaire auquel les parties étaient entièrement libres
de recourir ou non , et qui ne pouvait résulter que de
leur entente et de leur commun consentement. Mais une
seconde ordonnance du même mois d’août 1560, le dé
clara obligatoire entre marchands pour faits de mar
chandises.
« Que.doresnavant nuis marchands ne 'pourront
» tirer par procèz les uns les autres pour fa it de
» marchandise pardevant nos juges ou autres, ains
» seront contraints eslire et s’accorder de trois
» personnages, ou plus grand nombre , en nombre
» impair, si le cas le requiert, marchands ou d’au» tre qualité, et se rapporter à eux de leurs diffé» rens, et ce qui sera par eux jugé et arbitré tien» dra comme transaction ou jugement souverain,
» sans qu’il soit loisible contrevenir à icelle par
» approximation ou appellation ou autrem ent, et
» seront tenus nos juges à la requeste des parties,
» mettre ou faire mettre à exécution sommairement
» et de plain sans figure de procez, comme s’ils es» taient donnéz par eux.
» Et où lesdiles parties ne pourraient ny vou» draient convenir des dits personnages, en ce cas
» le juge ordinaire des lieux les y contraindra, et
» au refus ou délay de les nommer, les choisira et
» nommera, sans que les parties soyent reçues à ap» peler de ladite nomination. »
Cette fois c’était bien l’arbitrage forcé imposé à tous
les négocians sans distinction et pour toute difficulté
�20
DES SOCIÉTÉS
de commerce. Mais antérieure à la création et à l’orga
nisation de la juridiction consulaire , cette ordonnance
ne devait pas leur survivre. Qu’auraient eu, en effet, à
juger les tribunaux de commerce si toutes les contesta
tions entre marchands pour fait de marchandises avaient
dû. être déférées à des arbitres ?
Aussi l’édit de novembre \ 593 qui institue le tribu
nal de commerce de Paris, lui attribue-t-il nommément
et expressément la connaissance de tous procès et
différends qui seront cy après mûs entre marchands
pour fait de marchandises seulement, leurs veuves
marchandes publiques, leurs facteurs serviteurs, et
comme estant tous marchands, soit que les dits dif
férends procèdent d’obligations, cédules, recepissez,
lettres de change ou créd it, réponses, assurances,
transport de dettes et novation d’icelles, comptes,
calculs ou erreurs en iceux, compagnies, sociétés
ou associations déjà faites, ou qui seront faites cy
après.
Les édits et ordonnances qui étendirent successive
ment à toute la France l’institution de la juridiction
consulaire , lui attribuent partout les mêmes pouvoirs,
la même compétence, et il ne put plus être question de
l’arbitrage forcé même entre associés. Mais en fait et
dans la pratique, c’est par les arbitres que les associés
faisaient juger leurs différends, la clause compromis
soire devint de style dans les actes de société.
4 7 6 . — C’est en présence de cette pratique que se
�ART.
51
A
65.
21
trouva le législateur de 1673; il se crut dès lors obligé de
consacrer l’usage qu’il devait considérer comme répondant
à une nécessité commerciale. En conséquence l’ordonnance, titre 4, article 9, dispose : << Toute société contiendra
» la clause de se soumettre aux arbitres pour les con» lestations qui surviendront entre les associés ; et en» core que la clause fût omise, un des associés en pour» ra nom m er, ce que les autres seront tenus de faire,
» si non en sera nommé par le juge pour ceux qui en
» feront refus. »
De ce jour l’arbitrage devint la loi absolue et forcée
entre les associés, et aucune autre juridiction ne put être
investie de la connaissance des différends à raison de la
société. Quelle était l’étendue du pouvoir des arbitres ?
leur sentence était-elle susceptible d’appel ? Le doute ne
pouvait exister ei l’affirmative était enseignée par Jousse,
mais dans les conditions prescrites par la précédente
ordonnance , c’est-à-dire après exécution provisoire et
avec perte définitive de la peine, si une peine avait été
stipulée dans le compromis.
Il paraît toutefois que l’usage n’avait pas admis ces
conditions, et c’est Jousse qui s’en plaint. « Il est fâ
cheux, nous dit-il, que cette loi soit si souvent violée
dans l’usage.1 »
Nous croyons que l’usage avait raison contre Jousse.
L’ordonnance qu’il invoque ne faisait que modifier
1 Sur l’article 13, titre 4.
�22
DES SOCIÉTÉS
celle de 1510 , et comme celle - ci ne se référait qu'à
l’arbitrage volontaire. Or , cet arbitrage , précisément
parce qu’il était volontaire , pouvait être soumis à des
règles plus ou moins sévères , puisque ceux à qui ces
règles auraient déplu pouvaient s’y soustraire en refu
sant de compromettre.
Mais dès qu’on faisait de l’arbitrage le premier degré
de juridiction en matière de société, on était obligé de
rentrer dans le droit commun quant au caractère et aux
effets de la sentence.Véritable jugement, elle était de toute
justice soumise à un recours à la juridiction supérieure.
En arbitrage volontaire, on pouvait présumer qu’en si
gnant le compromis les parties avaient implicitement
renoncé à l’appel. En arbitrage forcé , cette renoncia
tion n’était admissible que si elle avait été formellement
stipulée soit dans l’acte social, soit dans le compromis
qui nommait les arbitres.
477,
— Les rédacteurs du Code de commerce eu
rent à se demander s’il convenait de maintenir cette ju
ridiction. Le projet préparé par le Gouvernement non seulement se prononçait pour l’affirmative, mais encore
n’autorisait l’appel ou le recours en cassation que si les
parties les avaient formellement réservés.
Mais la pratique postérieure à l’ordonnance de 1673,
bien différente de celle qui l’avait précédée , était loin
d’avoir réalisé les espérances dont on s’était bercé. La
mauvaise foi n’avait pas tardé à découvrir les côtés fai
bles de l’arbitrage forcé, et était parvenue, en exploitant
�ART.
51
A
63.
23
t
les incidents auxquels il donnait forcément naissance,
à multiplier outre mesure les longueurs et les frais.
Aussi, le projet communiqué aux cours , tribunaux,
chambres et conseils de commerce souleva-t-il une
vive opposition. Au premier rang des adversaires de
l’arbitrage forcé se plaçaient le tribunal et le conseil de
commerce de Bruxelles, le conseil de commerce de
Rouen, celui de Lyon, les tribunaux de commerce d’A
jaccio , de Nancy, de Bordeaux. L'arbitrage forcé,
disait ce dernier, est une ancienne erreur contre la
quelle l'expérience nous a prémuni et qu’il faut
détruire.
Cette opinion eut de l’écho dahs le sein du conseil
d’Etat, et trouva un intelligent et habile interprète. A
l’exemple de ce philosophe devant qui on niait le mou
vement et qui se mit à m archer, M. Corvetto répon
dant à l’argument que l’arbitrage économisait le temps,
énumérait les causes de longueurs et de retard inhéren
tes à l’institution.
« 1° Disait-il, l’une des parties peut vouloir se réser» ver la voie de l’appel ou du pourvoi en cassation,
» pendant que l’autre s’y refuse.
» Il faut une règle là dessus.
» Mais si les parties se réservent le droit d’appel et
» de cassation , ce qui dans un compromis n’est que
» trop probable, où est la célérité ?
» 2° Le refus de nommer des arbitres exige l’inter—
» vention du tribunal.
» Ce tribunal aura-t-il le droit de réserver l’appel ?
�DES SOCIÉTÉS
» La partie qui n’aura point fait sa nomination , per» dra-t-elle le droit de faire cette réserve ? Il faut sta~
» tuer. »
A ces deux objections il fut répondu par l’article 52
du Code de commerce qui admet l’appel et le pourvoi
s’il n’y a convention contraire , ce qui ne fait que dé
placer l’objection, car au lieu de différer sur la réserve
de l’appel et du pourvoi les parties différeront sur la re
nonciation à l’un ou à l’autre.
D’ailleurs, si la faculté d’appeler ou de se pourvoir
existe, on peut demander , avec M. Corvetto , où donc
est la célérité ?
« 3° Un des arbitres peut décéder ou tomber en
» faillite,
» Il faut recommencer.
» 4° Un arbitre peut par de nouveaux motifs, par
» des alliances qu’il aurait contractées, devenir suspect
» à l’une des parties.
» Continuera-t-il ses fonctions.
» 5® Il y a refus d’accepter, il y a partage.
» Voilà de nouveaux délais.
» 6° Les parties ou les arbitres ne s’accordent pas
» sur la nomination d’un surarbitre.
» Le tribunal intervient, nouveau délai.
a 7° Les arbitres ne prononcent pas dans le délai fixé
» pour le jugement,
» Il faut recommencer.
» 8° Même dans le cas où il n’y aurait point de voie
» d’appel et de cassation, et où les arbitres auraient jugé
�ART.
51
A
63.
25
» dans le délai, leur jugement est susceptible de réfor» me et d’annulation :
» Si les arbitres ont jugé après l’expiration des dé» lais ;
o Ou jugé sur des objets différents de ceux qui leur
» leur avaient été soumis ;
» Ou entre des personnes qui n’étaient point com» prises dans l’arbitrage ;
» Et voilà encore des délais.
» Le procès dans ce dernier cas s’agrandit, parce
» qu’il faut d’abord annuler le jugement arbitral, puis
» recommencer un second arbitrage.
» L’inconvénient est encore plus sensible dans le
» cas où l’appel et le pourvoi en cassation sont réser» vés. »
La démonstration avait toute l’autorité d’un chiffre
et justifiait la conclusion qu’en déduisait M. Corvetto, à
savoir : « que la loi ne devrait pas imposer la néces» sité d’un arbitrage , qu'il suffisait de permettre cette
» voie amicale ; que les associés bien intentionnés en
» useraient avec avantage ; que ceux qui ne le seraient
» pas en abuseront, et les procès dont la loi veut accé» lérer la fin n’en deviendraient que plus longs et plus
» compliqués. »
La réponse n’était pas facile, car le caractère sérieux
de l’objection était d’une éclatante évidence. Ce qui le dé
montre, c’est que M. Reynaud de S‘-Jean d’Àngely d’a
bord, le grave et savant archichancelier ensuite ne trou
vent rien de mieux que cet argument : l'usage du ren-
�26
DES SOCIÉTÉS
voi devant arbitres est si ancien, qu'il devient dif
ficile de l'abroger \
Mais si comme le disait le tribunal de commerce de
Bordeaux, l’arbitrage forcé était une erreur, son ancien
neté ne prouvait qu’une chose : la nécessité de le faire
disparaître et de mettre un terme aux inconvénients oné
reux que les intéressés signalaient.
478.
— L’arbitrage forcé dut donc à son ancienneté
de trouver place dans le Code de commerce. Mais en
le conservant le législateur n’en changeait pas le carac
tère , n’en modifiait pas les inconvénients. Aussi restat-il depuis le Code ce qu’il était avant, un moyen, non
de mettre un terme promptement et à peu de frais aux
litiges entre associés, mais d’en rendre l’instruction et le
jugement plus longs et plus coûteux. Aux inconvénients
inhérents à sa nature , au mode de nomination des ar
bitres et à leur fonctionnement s’ajoutait celui non
moins grave qui découlait de la personnalité de ceux
qui étaient appelés à agir en cette qualité. Le plus sou
vent , en effet, les arbitres se considéraient bien plutôt
comme les défenseurs obligés de ceux qui les avaient él u s , que comme leurs juges. De là ces complaisances
pour toutes les mesures que l’intérêt ou le caprice des
parties exigeait, quelque entrave qu’il dût en résulter
pour l’instruction de l’affaire, et ce parti pris qui venait
fatalement aboutir à un partage.
i Locré, Législ. civ., comm et crim., 1 . 17, pag. 204 et suiv.
�ART.
51
A
63.
27
C’est ici que se manifestait plus clairement encore le
vice de l’institution. Le tiers arbitre n’avait ni initiative
ni liberté ; il était obligé d’adopter l’une des deux opi
nions, eût-il été convaincu qu’elles étaient aussi injus
tes l’une que l’autre , et il le fallait sous peine d’avoir
trois opinions et non un jugement qui ne peut être
que le résultat de la majorité des voix qui y ont con
couru.
Quant aux frais, c’était bien autre chose. Pour peu
que l’affaire fût importante et exigeât un travail appro
fondi , les honoraires que réclamaient et que s’allou
aient les arbitres , allaient bien au delà de ce qu’il en
eût coûté devant le tribunal de commerce.
Il est hors de doute que dans la pensée et dans l’in
tention du législateur, l’arbitrage devait être gratuit, et
la cour de cassation n ’a jamais admis qu’il pût en être
autrement. Mais cette jurisprudence ne pouvait préva
loir, car elle ne pouvait en définitive aboutir qu’à ren
dre impossible l’acceptation de la qualité d’arbitre.
Etait-il juste, en effet, d’interdire toute réclamation de
salaire à celui qu’on distrait de ses affaires personnel
les, à qui on impose l’obligation de consacrer ses soins
et un temps plus ou moins considérable à des intérêts
qui lui sont étrangers , qui doit vérifier de nombreux
documents, dépouiller des écritures le plus souvent fort
incorrectes , constater les résultats d’opérations qui se
sont succédées pendant un certain nombre d’années ?
Et si on lui refuse tout honoraire , ne préférera-t-il pas
donner son temps et ses soins à ses propres affaires ?
�aS
DES SOCIÉTÉS
Aussi qu’était-il arrivé ? Les fonctions d’arbitre de
commerce étaient devenues une profession sur les places
importantes, et pour se soustraire aux effets de la ju
risprudence de la cour de cassation, ceux qui étaient
appelés à prononcer entre associés avaient soin de
faire consigner préalablement en leurs mains la
somme qu’ils estimaient nécessaire pour leur rémuné
ration.
En réalité donc, sous le rapport des longueurs et des
frais , comme au point de vue de la moralité , de l’in
telligence et de l’impartialité , l’arbitrage a tous les in
convénients de la justice ordinaire, sans aucun de ses
avantages.
479.
— Pourquoi donc l’imposer obligatoirement
aux associés ? Cette obligation pouvait se comprendre,
lorsque les différends commerciaux ne pouvaient être
déférés qu’aux juges ordinaires, étrangers au commer
ce, à ses opérations, à son langage , à la tenue des li
vres. Elle avait évidemment perdu toute raison d’être
depuis l’institution de la juridiction consulaire Où trou
ver en effet, sous le rapport des connaissances spé
ciales , de l’impartialité et du zèle , des garanties éga
les à celles qu’offrent les juges des tribunaux de com
merce ?
Qu’importe que certaines contestations , celles par
exemple que la dissolution de la société fait naître pour
le réglement des droits de chaque associé , ne puissent
être instruites à l’audience et sur plaidoiries ? Dans ce
�ART.
51 A 63.
29
cas, le tribunal déléguera un arbitre rapporteur chargé
d’entendre les parties, de dépouiller les écritures, d’ar
rêter les comptes , et de donner son avis sur les divers
chefs en litige. Cet avis écrit et déposé au greffe et qui
n’est pas obligatoire pour les juges, a le grand avantage
de localiser en quelque sorte les débats , d’offrir aux
parties un sûr moyen de discuter leurs droits, au tri
bunal les éléments de sa décision.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« L’arbitrage , dit M. Troplong, est une manière de
juger si défectueuse, si dépourvue de garanties, qu’on
aurait dû laisser les parties maîtresses d’y recourir
ou de le répudier, suivant les occasions. Quant à
à m oi, qui ai été arbitre quelquefois , je déclare par
expérience que , dans un procès de quelque gravité,
je ne conseillerais à personne de se faire juger par
des arbitres : un tribunal qui se croit le droit d’être
plus équitable que les lois les plus équitables du
monde , me paraît ne devoir s’adapter qu’à un petit
nombre de questions de fait et à des intérêts médiocres. Le mouvement des sociétés de commerce soulève des débats trop importants pour que la connaissance ait dû en être forcément enlevée aux tribunaux.1 »
« La division du capital des commandites, ou des
» sociétés anonymes, en actions, dit M. Fréméry, don» ne lieu à un fort grand nombre d’associés. Il en ré-
1 Des sociétés , n° 520.
�'
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
suite une combinaison quelquefois très-compliquée
d’intérêts divers, inégalement divisés sur les différents
chefs d’une même contestation , et l’impossibilité
d’admettre que chaque associé , ou même chaque
groupe d’associés ayant le même intérêt, puisse nommer un arbitre.
» Si les législateurs de 1673 eussent laissé au com» merce son entière liberté, sans doute les associés eus» sent conservé la clause là où elle était vraiment utile;
» ils l’aureient supprimée là où ils en auraient prévu
y> sa difficile exécution.
» Aussi quand le projet du Code de commerce pa» r u t , avec la règle de l’arbitrage forcé en matière de
» société , les commerçants des premières villes de
» France s’élevèrent àvec force contre cette proposi» tion.1 »
480.
— Unissant notre faible voix à celle des or
ganes les plus autorisés du commerce , nous avions
dans notre première édition sollicité l’abrogation de
l’article 51 du Code de commerce. Ce vœu a été enfin
accueilli, et la loi de juillet 1856 a prononcé cette abrogation.
Ce n’est pas que le Corps législatif fut unanime sur
î’opportunité et la convenance de cette mesure. Quel
ques-uns de ses membres pensaient que cette institu
tion pouvait encore rendre des services, et qu’il suffi-
i Etudes de droit commercial, p. 67.
�ART.
51
A
63.
31
rait de lui faire subir les modifications que l’expérience
indiquait et recommandait.
Interprète et organe de cette pensée, M. Busson-Billau avait rédigé et déposé un contre-projet qui main
tenait l’arbitrage forcé pour toutes les sociétés autres
que les sociétés anonymes ou en commandite par ac
tions. Suivant ce projet, le tribunal arbitral devait êtr >
composé de trois juges nommés par les parties , et , à
défaut d’accord, par le tribunal de commerce; le pou
voir des arbitres se continuait indéfiniment et jusqu’à
la solution du litige ; il leur était interdit de se déporter
sans motifs graves, à peine de dommages-intérêts ; ils
étaient autorisés à ordonner des mesures interlocutoi
res ; soumis à la taxe en cas de contestation sur le
chiffre de leurs honoraires ; enfin les cas et les voies de
recours contre la sentence étaient précisés et déter
minés.
%
4 81.
— On dirait qu’ayant sous les yeux les objec
tions de M. Corvetto , M. Busson-Billaut voulait remé
dier aux inconvénients que ces objections signalaient.
Mais ces inconvénients écartés , il en existait encore
beaucoup d’autres. Ainsi que le reconnaissait le rap
porteur du Corps législatif, ce contre-projet améliorait
jusqu’à un certain point l’arbitrage forcé , mais ne le
purgeait pas de tous les vices qu’on était en droit de lui
reprocher. Aussi la commission n’avait pas cru devoir
l’adopter. Appelée à se prononcer entre le système des
modifications et celui de la suppression, elle avait opté
�32
DES SOCIÉTÉS
pour celui-ci. « On veut pour les associés une justice
» paternelle , éclairée , prompte et économique , disait
» le rapporteur ; n’est-elle pas toute trouvée dans la
» composition ordinaire des tribunaux de commerce ?
» Là aussi se rencontrent des juges capables , probes,
» désintéressés, animés au besoin de l’esprit de paix et
» de conciliation , et cherchant assez souvent à faire
» terminer les différends par des transactions plutôt
» que par des décisions judiciaires. »
L’avis de la commission prévalut, et le Corps législa
tif consacrant l’abrogation de l’arbitrage forcé , déféra
aux tribunaux de commerce la connaissance des con
testations entre associés pour raison de la société.
4-82. — De tous les reproches qu’on adressait à cet
appel à la juridiction consulaire , un seul avait quelque
chose de spécieux. Il est certain que lorsque la dissolu
tion d’une société , ayant eu une certaine durée , étant
prononcée, il s’agira de statuer soit sur les prétentions
respectives des associés, soit sur les difficultés auxquel
les la liquidation donnera lieu , il sera à peu près im
possible de prononcer dé piano à l’audience et sur
plaidoiries. Il sera donc aussi nécessaire pour la vérifi
cation de documents plus ou moins nombreux , que
pour le dépouillement des livres et écritures, que le tri
bunal usant de la faculté que lui confère l’article 429 du
Code de procédure civile, renvoie les parties devant ar
bitres rapporteurs, chargés de les entendre, de les con
cilier si faire se peut, sinon donner leur avis.
�art.
51 a 63.
33
Or, disait-on, ce mode substitue l’opinion du rappor
teur à celle des arbitres , car les juges , s’en référant à
celui qu’ils ont jugé digne de leur confiance , seront
portés à en adopter les appréciations dont ils n’auront
pas toujours le moyen de vérifier et de contrôler l’exac
titude.
On nous permettra de croire et de dire que le danger
qu’on signalait n’avait pas de fondements bien sérieux.
L’avis de l’arbitre rapporteur ne lie jamais le tribunal.
L’avantage qu’il présente est de substituer le langage de
la raison impartiale à l’appréciation passionnée de l’in
térêt personnel ; de préciser les difficultés, de détermi
ner les points à résoudre , et d’indiquer les raisons de
décider.
Sans doute les juges n’auront pas les moyens de se
livrer à l’examen approfondi des documents et écritu
res que la vérification et le contrôle de l’appréciation
de l’expert arbitre exigeraient. Mais ce que le tribunal
ne peut faire, les parties ont le devoir et le pouvoir de
l’accomplir, et il est hors de doute que chacune d’elles,
à côté des griefs qu’elle relèvera dans le rapport, indi
quera les raisons et les documents qui militent contre
la conclusion de ce rapport.
En réalité donc, le tribunal prononcera sur un rap
port contradictoirement vérifié , contrôlé et discuté , et
quel reproche pourrait-on lui adresser d’en adopter les
appréciations , si les débats qu’il a subis devant lui
n’ont ni montré ni justifié les erreurs de fait ou de droit
alléguées par les parties ?
ni
3
�34
DES SOCIÉTÉS
On remarquera d’ailleurs que l’article 429 du Code
de procédure civile autorise le tribunal à nommer trois
experts arbitres , et c’est ce qui se réalisera infaillible
ment dans les contestations auxquelles donneront lieu
la dissolution des sociétés et leur liquidation. Voilà donc
les parties en l’état que leur faisait l’arbitrage forcé, a vec cette différence que tandis que les arbitres juges
prononçaient en premier ressort, les arbitres rappor
teurs ne donnent qu’un avis dont le tribunal de com
merce apprécie le mérite et dont il peut modifier ou
rejeter les conclusions. Il y a donc en ce cas trois de
grés de juridiction : les arbitres rapporteurs, le tribunal
de commerce , la cour d’appel, c’est-à-dire que loin
d’affaiblir les garanties offertes aux plaideurs, l’abroga
tion de l’arbitrage forcé et le retour à la juridiction con
sulaire les multiplient.
483.
— Toutefois rien n’oblige les associés à subir
cette juridiction. On pouvait bien décréter qu’ils ne se
raient pas soumis à des arbitres contre leur volonté,
mais non leur interdire de recourir à leur ministère
lorsqu’ils le jugent utile ou convenable. Cette faculté
qui est de droit commun et dont chacun peut user de
vait d’autant plus leur être reconnue , que, pour ce qui
les concerne , il pouvait exister des raisons spéciales de
se soustraire à la publicité des audiences du tribunal de
commerce. Cette publicité , en effet, pourrait avoir le
grave inconvénient de livrer à des concurrents ou à des
rivaux des procédés de fabrique ou le secret de certaines
relations.
�L’arbitrage volontaire, à l’opposé de l’arbitrage forcé,
peut réellement économiser les lenteurs et amener plus
promptement la fin des procès. Lorsque tous s’accor
dent pour recourir à celte juridiction, c’est que tous éprouvent le besoin d’avoir la solution la plus prompte
et la moins coûteuse possible. On n’a donc pas à re
douter ces retards calculés , ces chicanes auxquels la
mauvaise foi a recours pour gagner du temps et fatiguer
ses adversaires.
On ne compromet pas pour le seul plaisir de com
promettre et avec l’intention d’empêcher le compromis
de sortir à effet. Or , ainsi que nous allons le voir , le
déport d’un arbitre , l’expiration du délai , un partage
d’opinion annulerait le compromis et forcerait à s’a
dresser à la justice ordinaire. On peut donc admettre
que ceux qui se sont entendus pour éviter celle-ci ne
feront rien de ce qui pourrait les y ramener.
Rien n ’empêche donc les associés de soumettre à des
arbitres les contestations qui peuvent s’élever entre eux
à raison de leur qualité et des rapports que le lien so
cial a déterminés. Mais l’abrogation de l’article 51 du
Code de commerce qui leur en imposait l’obligation, a
eu pour effet immédiat de les soumettre aux règles édic
tées pour l’arbitrage volontaire et aux conditions aux
quelles sa validité est subordonnée.
484.
— Il faut donc que la volonté des associés se
manifeste par un compromis qui , conformément aux
presciptions de l’article 1005 du Code de procédure ci•
-,
.
�36
DES SOCIÉTÉS
vile doit être constaté par un procès-verbal des arbitres
choisis, ou par acte devant notaire , ou sous signature
privée.
Dès lors et puisqu’il s’agit d’une convention à arrê
ter , on retombe sous l’empire du droit commun relati
vement aux conditions auxquelles est subordonnée la
validité des contrats. Or, on sait qu’aux termes de l’ar
ticle 1108 du Code civil la capacité des parties est une
de ces conditions.
En ce qui concerne spécialement le compromis , le
législateur a cru devoir définir les conditions auxquelles
on pourrait le consentir. Toutes personnes , dit l’article
1003 du Code de procédure civile , peuvent compro
mettre sur les droits dont elles ont la libre disposition.
On ne peut compromettre , ajoute l’article 1004 , sur
aucune des contestations qui seraient sujettes à commu
nication au ministère public.
485.
— De là cette conséquence, que les mineurs
sont incapables de compromettre à un double titre :
d’abord parce qu’ils n’ont pas la libre disposition de
leurs droits; ensuite parce que les causes dans lesquel
les ils sont intéressés sont sujettes à communication au
ministère public.
Cette conséquence toutefois n’atteint pas le mineur
qui, autorisé à faire le commerce, aurait régulièrement
contracté une société. Celle-ci venant à se dissoudre avant qu’il eût atteint sa majorité , sa capacité pour dé
férer à arbitres les contestations que cette dissolution
�ART.
51
A
63.
37
fera naîlre , serait incontestable. Le mineur commer
çant est en effet réputé majeur pour tous les faits se
référant à son commerce. Or, on ne saurait refuser ce
caractère aux conséquences que peut et doit entraîner
la dissolution de la société dont il est membre.
486.
— S,i cette dissolution est amenée par le dé
cès d’un des associés , les principes ordinaires repren
nent leur autorité. Il n’y a de compromis possible que
si tous les héritiers sont majeurs. La minorité d’un seul
d’entre eux suffirait pour rendre nécessaire et forcé le
recours à la justice ordinaire.
Il en était autrement sous l’empire de l’arbitrage
forcé. L’article 62 du Code de commerce déclarait les
dispositions des articles 51 et suivants communes aux
veuves , héritiers ou ayants cause des associés. Tout ce
qui résultait de l’état de minorité de ces héritiers était
la prohibition que l’article 63 faisait au tuteur de re
noncer à l’appel.
L’abrogation de l’arbitrage forcé rendant le compro
mis purement volontaire , ce sont les articles 1003 et
1001 du Code de procédure qui sont devenus la loi
unique et exclusive des associés eux-mêmes. Dès lors,
tout compromis serait rendu impossible par l’état de
minorité de tous les héritiers de l’associé, et même d’un
seul d’entre eux.
487.
— Le mineur qui contrairement aux disposi
tions de la loi aurait consenti à un arbitrage , serait-il
�38
DES SOCIÉTÉS
recevable à demander la nullité du compromis avant la
sentence , ou devrait-il attendre pour agir que celle-ci
eût été prononcée ?
La raison de douter on voulait l’induire du principe
même qui sert de fondement à l’action du mineur.
Restituilur minor non tanquam minor , sed tanquam Icesus. Or, le compromis ne peut arriver à une
lésion que dans ses conséquences , c’est à dire que par
la sentence , si elle condamne les prétentions du mi
neur.
Pourrait-on donc lui dire : vous ne pouvez vous
plaindre que d’un préjudice , et la sentence seule peut
vous nuire ; attendez-en le résultat ; si elle vous lèse,
vous l’attaquerez , vous la ferez annuler. Dans le cas
contraire , où serait l’intérêt de votre action ; ne de
manderiez-vous pas le maintien de la sentence pour
vous attribuer les avantages qu’elle vous concéde
rait ?
Nous ne croyons pas qu’une pareille prétention pût
être accueillie par la justice. L’incapacité du mineur est
absolue en ce qui le concerne, et quel que soit l’enga
gement par lui contracté , on ne saurait lui faire pro
duire un effet quelconque, parce qu’il ne réunit pas les
conditions essentielles pour sa validité.
Comprendrait-on, d’ailleurs, qu’un mineur fût obli
gé à suivre lui-même le procès , à comparaître devant
les arbitres , à s’y défendre , à pourvoir aux frais que
l’instruction peut nécessiter , et à satisfaire aux divers
incidents auxquels cette instruction peut donner lieu ?
�39
ART. 51 A 63.
/
Est-ce que tout cela est conciliable avec la position que
lui fait la loi ?
On ne saurait donc lui en imposer l’obligation , et il
n’est pas probable que ceux qui auraient compromis avec le mineur, aient la pensée de résister à l’action en
nullité du compromis à quelque époque que ce mineur
la réalisât. Ils savent fort bien que la sentence ne sor
tira à effet que si elle leur est contraire. Comment dès
lors leur supposer l’intention de contraindre le mineur
à attendre cette sentence, et à subir ainsi la chance d’un
événement auquel ils ne peuvent que perdre ?
488.
—■- Aussi est-ce vainement qu’on chercherait
un exemple dans la jurisprudence. Ce qui s’est produit
c’est la prétention diamétralement contraire. Ainsi on a
soutenu que la nullité du compromis intervenu avec un
mineur était radicale et absolue, et pouvait être opposée
par le majeur lui-même.
Mais pour l’admettre ainsi il eût fallu que l’article
1125 n’eût pas été inscrit dans le Code civil. Cet arti
cle, en effet, non-seulement proclame le caractère relatif
de la nullité tirée de l’incapacité des mineurs, des inter
dits, de la femme mariée, mais encore refuse aux person
nes capables qui ont traité avec l’un d’eux le droit de
s’en prévaloir. Or, celle disposition est générale, absolue
et ne comporte aucune exception. Donc il doit en être
dans l’hypothèse d’un compromis, ce qu’il en serait dans
celle de tout autre contrat.
Aussi la prétention contraire a-t-elle été repoussée à
�DES SOCIÉTÉS
peu près unanimement par la jurisprudence. Condam
née par la cour de cassation les 21 nivôse an X I , 1er
mai 1811 , 26 août 1812 , elle l’a été par la cour de
Paris les 13 avril 1810 et 1er mai 1828 ; par la cour
de Poitiers le 22 juillet 1819 ; par la cour de Riom le
26 novembre 1828 ; par la cour de Pau le 18 juillet
1834 ; par la cour de Toulouse le 18 juin 1 8 3 7 .1
489.
— Seule la cour de Grenoble s’est prononcée
en sens contraire. Par arrêt du 25 avril 1831, elle con
firmait un jugement du tribunal civil de Valence an
nulant un compromis souscrit par un mineur , sur
la poursuite du majeur. Le tribunal déclare que la
nullité du compromis est absolue , et voici par quels
motifs :
« Attendu que le pouvoir du juge est une délégation
» de la puissance souveraine qui ne peut s’exercer que
» dans les limites et sous les conditions tracées par la
» loi ; qu’il résulte de là que le juge devant lequel est
» portée une contestation, dont il ne doit pas connaî» tre, est tenu de déclarer, même d’office, son incom» pétence;
à » Attendu dès lors que des arbitres ne peuvent être
» contitués hors des cas portés par la lo i, puisque alors
» n’ayant plus aucune délégation ils ne sauraient de» mander aux dépositaires de la puissance publique de
» faire exécuter leur sentence ;
�ART.
»
»
»
»
»
»
»
»
51
A
63.
41
» Attendu qu’aux termes de l’article 1004 du Code
de procédure civile, les causes de nature à être communiquées au ministère public ne peuvent être jugées
par des arbitres ; que dès lors il y a pour ceux qui
seraient nommés, défaut de puissance, et par conséquent nullité absolue de tout ce qu’ils feraient;
» Attendu que la théorie des nullités substantielles
d’ordonnance absolue ou relative n’est applicable
qu’aux contrats et nullement aux actes de la puissance
publique. »
49 0.
— Cette doctrine est en contradiction flagrante
non-seulement avec l’article 1125 du Code civil, mais
encore avec les principes spéciaux de l’arbitrage et avec
l’article 1028 du Code de procédure civile.
On a pu considérer comme des juges les arbitres for
cés , parce que choisis par les parties ils étaient insti
tués par la loi elle-même. Mais ce caractère n’a été dans
aucun temps et dans aucune circonstance attribué aux
arbitres volontaires; ceux-ci n’ont jamais été que de sim
ples citoyens choisis pour statuer sur des intérêts pure
ment privés et auxquels on n ’a même pu déléguer une
parcelle quelconque de la puissance souveraine.
Aussi leur sentence est plutôt un avis qu’un véritable
jugement. Non-seulement elle ne peut sortir à effet
qu’en force de l’ordonnance d’exécution , mais encore
elle est dans le cas d’être soumise à l’appréciation du
tribunal par opposition à cette ordonnance dans les
hypothèses prévues par l’article 1028.
1 ■V
�DES SOCIÉTÉS
Or, les arbitres sont régulièrement institués dès qu’il
existe un compromis , et leur compétence est parfaite
ment déterminée par les pouvoirs que ce compromis
leur donne. Que ce compromis soit valable ou non ils
n’ont pas à s’en occuper, d’abord parce qu’ils n’ont ni
droit ni qualité pour y statuer , précisément parce que
le compromis ne leur en donne pas le pouvoir ; ensuite
parce que loin de leur reconnaître ce pouvoir la loi le
leur refuse expressément. En effet, aux termes de l’ar
ticle 1028 du Code de procédure civile, les arbitres
peuvent non-seulement prononcer sur compromis soit
nul soit expiré , mais encore en l’absence de tout com
promis. Tout ce qui en résulte c’est la faculté pour les
parties de s’opposer à l’ordonnance d'exécution dont la
rétractation fait tomber la sentence et lui enlève tout
effet possible.
C’est aussi sans doute par opposition à l’ordonnance
que le tribunal de Valence avait été investi. Dès lors
tout ce qu’il avait à apprécier c’était , non la légalité
de la sentence au point de vue de la compétence des ar
bitres, mais si ces arbitres avaient réellement prononcé
sur compromis nul.
A ce point de vue ils se trouvaient en présence de
l’article 1125 du Code civil. C’était la partie capable
qui excipait de la nullité , et par rapport à elle cette
nullité n’existait pas , et l’incapable ne réclamant pas,
la nullité n’existait pour personne ; car le compromis
consenti par le mineur ou par la femme mariée n’est
pas nul de plein droit. Il est dans le cas d’être rescindé
�ART.
51
A
63.
43
sur la poursuite de l’un ou de l’autre ; et tant que cette
poursuite n’est pas réalisé, tant qu’une décision de jus
tice ne l’a pas consacrée , le compromis tient et doit
produire tous ses effets.
Dans l’espèce de l’arrêt de Toulouse , de 1837, c’é
tait le tribunal d’Albi qui avait déclaré le majeur non
recevable dans sa demande en nullité du compromis,
et voici en quels termes il motivait cette irrecevabi
lité :
« Sur la question de savoir si la nullité est absolue
» ou relative , considérant que les exceptions au droit
» commun devant se restreindre aux cas prévus , c’est
» sans aucun fondement que les majeurs qui compro» mettent avec des mineurs voudraient s’autoriser d’u » ne disposition législative qui leur est étrangère , et
» qui n’a eu même pour objet que de prévenir les abus
» et les surprises dont ils pourraient eux-mêmes se
» rendre coupables à l’égard des mineurs ; que la cir—
» constance que le compromis est attributif de juridic—
» tion, et que les juridictions sont de droit public, n’est
» pas un motif suffisant pour enlever à cet acte l’effet
» qu’il doit produire à l’égard des majeurs , car à l’é» gard de ces derniers la loi elle-même a fait dispa—
» raitre tout obstacle en permettant aux majeurs de
» compromettre sur leurs droits et de choisir les arbi» très auxquels ils entendaient soumettre leurs diffé—
» rends ; qu’il résulte bien de là que la convention qui
» est valable à l’égard de Tune des parties, ne Test pas
» à l’égard de l’autre , mais que cette irrégularité en
�44
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
droit se retrouve dans tous les actes passés entre un
majeur et un mineur, comme on le voit par les dis—
positions de l’article 1125 du Code civil qui n’est
lui-même que le renouvellement des anciennes dis—
positions du droit romain quant à ces sortes d’actes. »
Là et là seulement est la vérité juridique, et il n’est
pas permis d’en douter en présence des décisions de la
cour de cassation. Si le compromis souscrit par un mi
neur était frappé d’une nullité d’ordre public comme
tout ce qui se rattache à la juridiction, on ne compren
drait que cette cour souveraine chargée d’assurer le
respect de la loi et des principes eût par trois fois dé
claré le caractère purement relatif de la nullité.
491.
— Le tuteur est aussi incapable de compro
mettre pour le mineur que le mineur lui-même. Les
motifs sont évidemment les mêmes. Le tuteur n’a pas
la libre disposition des droits de son pupille. La cause
intéressant celui-ci est sujette à communication : il y a
donc un double obstacle à tout compromis.
Cette incapacité du tuteur ne pouvait faire l’objet
d’un doute. On s’est demandé seulement si elle était
tellement absolue qu’elle ne comportât aucune excep
tion. Ainsi, a-t-on dit, le tuteur peut transiger pour le
mineur sur l’avis de trois jurisconsultes désignés par le
procureur de la république près le tribunal du ressort,
et l’autorisation du conseil, à la condition que la trans
action sera homologuée par le tribunal. A urait-il le
�droit de compromette dans les mêmes circonstances et
aux mêmes conditions ?
Il y a sans doute dans ces formalités des garanties
sérieuses, en tant cependant que leur utilité, leur con
venance et surtout leur résultat peuvent être sainement
appréciés et contrôlés , et c’est ce qui se réalise dans le
cas d’une transaction.
En effet, l’objet de celle-ci est parfaitement détermi
né, ses conditions sont précisées , et l’on peut prévoir
avec certitude la position qu’elle fait au mineui".
Il en est tout autrement pour le compromis. Ce qui
sera soumis aux trois jurisconsultes, à l’appréciation du
conseil de famille , à l’homologation du tribunal, c’est
et ce ne peui être que le compromis lui - même. On
ignore forcément encore dans quel sens prononcera la
sentence , et nul ne saurait apprécier quelles en seront
les conséquences pour le mineur. Donc, les trois juris
consultes , le conseil de famille , le tribunal lui-même
devraient agir de confiance, les yeux fermés et prendre
pour unique base des prévisions , des espérances que
l’événement pourrait cruellement tromper. N’est-ce pas
pour tenir compte de cette énorme différence que le lé
gislateur a écrit dans l’article 1989 du Code civil que
le pouvoir de transiger ne renferme pas celui de com
promettre ?
De ce que le tuteur peut transiger dans les formes
prescrites, on ne saurait donc en conclure qu’il a le
droit de transiger en observant les mêmes formali-
�46
DES SOCIÉTÉS
tés. Loin de l’autoriser , la loi l’interdit explicitement
dans les articles 1003 et 1004 du Code de procédure
civile.
Ce qui s’en induit, c’est que toutes les fois qu’ün mi
neur sera intéressé dans une contestation, l’intervention
de la justice ordinaire est inévitable et forcée. A l’objec
tion que cette nécessité serait préjudiciable au mineur
en l’empêchant d’économiser les frais , le président du
conseil d’Etat répondait que « quelques frais de plus
» seraient un inconvénient qu’on ne doit pas racheter
» au prix de l’inconvénient bien plus grand de laisser
» les intérêts des mineurs à la discrétion de leur fa» mille. »
Notre conclusion a reçu l’assentiment de la presque
unanimité des auteurs qui ont écrit sur la matière. En
effet, si elle est combattue par MM. Demiau-Crouzilhac
et Boucher, elle est adoptée et enseignée par MM. Boi
tard , Berriat S-Prix , Carré et Chauveau , Mongalvy,
Goubeau de la Bilennerie, de Vatimesnil.
Quant à la jurisprudence elle se borne à deux arrêts:
un de la cour de Turin du 19 ventôse an XI , l’autre
de la cour de cassation du 4 fructidor an XII. Cette
pénurie d’espèce préjuge en faveur de l’opinion que
nous soutenons qu’on dirait ainsi avoir réuni l’assenti
ment commun.
Quoi qu’il en soit, l’arrêt de Turin semble admettre
l’opinion contraire. Nous disons semble, car bien qu’il
valide un compromis passé par une mère tutrice, il ne
le fait que parce que le compromis portait sur un objet
�ART.
51
A
63.
47
dont la tutrice avait la libre disposition , et ensuite
parce que la nullité était poursuivie par la partie capable
de contracter.
En effet, après avoir établi qu’il ne s’agissait que de
la détermination de l’indemnité due pour prix des fruits
et denrées appartenant aux mère et fils Gariglio , et
pour paiement des travaux faits au profit des biens
fonds de la maitairie dont la veuve Gariglio faisait l’a
bandon au sieur Gay, l’arrêt ajoute : « qu’à supposer
» même que la veuve Gariglio eût excédé ses pouvoirs
» de tutrice en confiant aux arbitres la fixation de l’in» demnité susdite , il est toujours certain qu’une telle
» difficulté ne pourrait être élevée par Gay , attendu
» qu’il serait absurde qu’il pût réclamer à son profit
» le droit de la partie; que dans l’espèce il parait que
» la veuve Gariglio a très-bien ménagé les intérêts de
» ses administrés , et les plaintes de la partie démon» trent évidemment que ceux-ci, bien loin de réclamer
» aucun abus de pouvoir contre leur mère , n’invo» quent que l’exécution du jugement arbitral dont il
» s’agit. »
C’est donc à tort qu’on indique cet arrêt comme re
connaissant au tuteur la faculté de compromettre au
nom des mineurs. Ce qui détermine la cour et rend
son arrêt juridique, c’est que la nullité était poursuivie
par celui qui avait traité avec la tutrice, et qui, comme
nous venons de le voir, était dès lors non recevable, la
nullité n’existant qu’au profit des mineurs.
Dans l’espèce de l’arrêt de la cour de cassation c’était
�DES SOCIÉTÉS
le mineur lui-même qui, ayant atteint sa majorité, de
mandait la nullité du compromis souscrit par son tu
teur. Sa demande avait été repoussée par la cour de
Bruxelles : « Attendu que la loi du 24 août 1790 éta—
» blit indéfiniment le droit de se faire juger par des
» arbitres; que les mineurs ne sont pas indistinctement
» restitués comme m ineurs, mais seulement lorsqu’ils
» sont lésés par l’effet de leur imprudence ou de celle
» des personnes qui agissent en leur nom, ou par l’effet
» du dol ; q u e , dans l’espèce particulière , il n’a été
» compromis qu’avec les précautions de prudence que
» pouvait commander l’intérêt du mineur; qu’un con» seil de famille avait autorisé la voie de l’arbitrage, et
» que l’intérêt du mineur se trouvait lié à celui de ses
» deux cohéritiers. »
Cet arrêt était on ne peut pas plus précis. Il recon
naissait au conseil de famille le pouvoir d’habiliter le
tuteur à compromettre au nom des mineurs. Mais sur
le pourvoi dont il fut l’objet, il était purement et sim
plement cassé comme violant l’article 3 de la loi du 24
août 1790.
Nul ne mettra en doute l’autorité actuelle de cet ar
rêt, car les articles 1003 et 1004 du Code de procédure
civile n’ont fait que consacrer et renforcer le principe
de la loi de 1790.
492.
— Qu’en est-il du mineur émancipé? Aucun
doute n’est possible pour les actes à l’égard desquels il
est assimilé au mineur ordinaire. Il n’a ni capacité , ni
�art
81
a
63.
49
droits plus étendus que ceux que ce dernier peut re
vendiquer.
Mais pourra-t-il compromettre sur les actes de pure
administration ? Cette question est controversée, cepen
dant le plus grand nombre des auteurs se prononcent
pour l’affirmative.
Nous n’avons pas à intervenir dans cette discussion,
parce que déférer à arbitres les contestations que la dis
solution d’une société peut faire naître , ce n ’est pas
compromettre sur des actes de pure administration,
c’est éventuellement consentir une aliénation soit mobi
lière soit immobilière.
Dans tous les cas, le ministère public devant être en
tendu même dans les causes qui intéressent le mineur
émancipé, la faculté de compromettre se .concilie diffi
cilement avec la disposition de l’article 1004 du Code
de procédure civile
41)3. — L’abrogation de l’article 81 rendant au
jourd’hui l’arbitrage purement volontaire a produit cet
autre effet, que la disposition de l’article 1013 du Code
de procédure civile est devenue la loi commune, même
en matière de société. Ainsi le décès d’un associé sur
venu après le compromis, mais avant que les arbitres
aient prononcé, met fin au compromis si un seul des
héritiers est encore mineur.
Si les arbitres ont prononcé, la clause du compromis
par laquelle ils étaient autorisés à juger en dernier resni
4
�60
DES SOCIÉTÉS
s o rt, s’opposerait-elle à ce que les héritiers mineurs émissent appel ?
Dans une consultation fortement motivée M. Pardes
sus soutenait la négative, même sous l’empire de l’arti
cle 51 du Code de commerce. Cet article, disait-il, im
pose aux associés l’obligation de recourir à des arbi
tres, mais non de renoncer à l’appel. Cette renonciation
est donc purement volontaire et constitue le compro
mis en vue duquel dispose l’article 4013.
La cour de cassation repousse ce système, par ces
considérations entre autres: « que l’article 1013 du
» Code de procédure civile n’était applicable qu’en ma» tière d’arbitrage volontaire , c’est-à-dire lorsqu’il y a
» convention par laquelle des parties compromettant sur
» leurs droits ainsi que les y autorise l’article 1003 du
» même Code, enlèvent la connaissance de leurs contes» tâtions aux juges ordinaires pour les soumettre à des
» juges de leur choix, à des arbitres volontaires ;
» Que dans le cas d’arbitrage forcé, au contraire, les
» associés qui renoncent au droit d’appel restent sou» mis aux juges que la loi leur a imposés et dont ils
» prorogent seulement la juridiction, en usant du pou» voir que leur confère l’article 52 du Code de com» merce ;
» Qu’en jugeant donc que la minorité d’un des hé» ritiers ne donnait pas aux demandeurs le droit d’ap» peler de la sentence arbitrale rendue sur une con» testation sociale et entre associés qui avaient consenti
à ce que les arbitres prononçassent en dernier res-
�ART.
»
»
»
»
51
A
63.
51
so rt, l’arrêt attaqué loin de violer les articles 1122
et 1134 du Code civil, 63 du Code de commerce et
1003 du Code de procédure , en a fait une juste application.1»
Il résulte bien de cet arrêt que, dans l’arbitrage vo
lontaire , la renonciation à l’appel que contiendrait le
compromis, n’est pas opposable à l’héritier mineur. On
pourrait s’en étonner, car en renonçant à l’appel dans
un compromis régulier les parties n’ont fait qu’user du
droit que leur conférait l’article 1010 du Code de pro
cédure civile. Dès lors leur convention étant légale, de
vient leur loi commune aux termes de l’article 1134 du
Code civil, et devrait également lier leurs héritiers ma
jeurs ou mineurs.
C’est en se plaçant à ce point de vue que M. Bellot
des Minières enseigne qu’il ne saurait en être autrement
dans l’arbitrage volontaire que dans l’arbitrage forcé,
et que la clause de renonciation à l’appel obligatoire
pour les héritiers mineurs dans celui-ci ne l’est pas
moins dans celui-là3.
Nous sommes d’un avis contraire. L’article 1134
pouvait comporter exception en ce qui concerne les hé
ritiers des parties, et la spécialité de la matière de l’ar
bitrage a fait inscrire cette exception dans l’article 1013
du Code de procédure civile.
1 8 mai 1837; — J. d u P ., 37, 1, 419.
2 De l’arbitrage , tome 3, page 21.
�32
DES SOCIÉTÉS
Impossible en effet de refuser à cette disposition le
caractère exceptionnel, car le compromis régulier n’est
lui-même qu’une convention légalement formée, et non
obstant la disposition de l’article 1134 du Code civil le
décès de l’un des signataires l’annulle et le fait dispa
raître si tous les héritiers ne sont pas majeurs. Comment
donc pourrait-il en être , pour les clauses accessoires,
autrement que pour le compromis lui-même , et com
prendrait-on que là où celui-ci a p é r i, les autres eus
sent survécu ?
D’ailleurs la fin de non recevoir contre l’appel n ’a
d’autre fondement que la clause de renonciation écrite
dans le compromis. En en excipant, la partie se prévaut
donc de celui-ci et prétend le faire exécuter. Or, si aux
termes de l’article 1013, le compromis, en ce qui con
cerne l’héritier mineur, a pris fin par le décès de son
au teu r, comment pourrait-on accueillir cette préten
tion et faire produire son effet à un acte qui a cessé
d’exister.
Pour appuyer son opinion, M. Bellot des Minières est
obligé d’enseigner « que si, en passant le compromis,
» les parties stipulent qu’elles entendent quelaconiesta» tion soit jugée par des arbitres , lors même que ceux
» qu’on vient de chosir se déporteraient ou que tout
» autre événement les empêcherait de rendre une
» sentence , le décès de l’une des parties n’empêche» rait pas de rester soumise à la voie de l’arbitrage,
» quand même cette partie laisserait des enfants m i»
n e u rs. »
�M. Bellot pose en fait ce qui est en discussion , car
ce qu’il admet comme certain ne se concilie en aucune
manière avec la disposition de l’article 1013. La clause
qu’il imagine ne serait qu’une dérogation à cette dispo
sition. O r, à notre av is, l’article 1013 est d’ordre pu
blic et n’en comporte aucune.
Nous pensons donc que le décès de l’un des com
promettants se réalisant, l’autre ne peut opposer aux
héritiers mineurs aucun des droits que confère le com
promis ; que celui-ci ayant cessé d’exister, aucune des
clauses accessoires n’a pu lui survivre ; qu’en consé
quence , si l’héritier mineur est encore dans les délais
de l’appel, il est recevable à se pourvoir nonobstant la
clause de renonciation.
494.
— La loi autorise les arbitres choisis à cons
tater eux-mêmes le compromis qui a amené leur no
mination. En quelle forme doit être rédigé le procèsverbal? Faut-il qu’il le soit séparément de la sentence?
Doit-il être signé par toutes les parties ?
Il semble difficile de résoudre négativement cette
question , ce qui impliquerait un procès-verbal signé
immédiatement et par conséquent bien avant que la sen
tence puisse être prononcée. Si les arbitres attendaient
d’avoir jugé pour requérir cette signature , il serait
fort à craindre que la partie condamnée refusât la
sienne pour faire tomber le compromis et tout ce qui
l’a suivi, si cette signature est nécessaire pour sa va
lidité.
�54
DES SOCIÉTÉS
Cetle nécessilé est enseignée par MM. Goujet et Merger. « Autrement, disent-ils, les arbitres constateraient
» leur propre nomination ; ils donneraient force pço» bante à un acte qu’ils n ’avaient mission de rédiger
» qu’autant que leur qualité d’arbitres est certifiée
» de manière à ne laisser aucun doute sur le con» sentement des parties. Ainsi la simple remise des ac» tes et la mention faite dans la sentence arbitrale d’un
» compromis verbal ne seraient pas suffisantes.1 »
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
» Le procès-verbal rédigé par les arbitres choisis, dit
M. Boitard, ne peut être qu’un acte sous seing privé.
Donc il est soumis à la signature des deux parties,
et l’absence de cette signature n’est pas couverte,
comme dans l’acte notarié , par la mention faite par
le rédacteur que la partie a dit ne savoir ou ne pouvoir signer. L’arbitre ne peut pas, par sa déclaration
et sa signature , imprimer à l’acte qu’il rédige le caractère d’authenticité. D’ailleurs en supposant même,
ce qui est inadmissible , que la loi imprimât aux arbitres une sorte de caractère public, nous nous trouverions encore dans un cercle vicieux , car le premier point serait de savoir si le rédacteur de l’acte
est véritablement un arbitre, et la partie qui n’aurait
pas signé l’acte , la partie qui soutiendrait n’avoir
pas pris part à la nomination ne pourrait être liée
1 N° 54. — Conf. Bioche , Dictionnaire de procédure, v° arbitres,
n» 125,
�ART.
»
»
»
»
»
»
51
A
63.
55
par la déclaration d’un particulier qui lui est étrartger. Il est donc incontestable à nos yeux que le procès-verbal dont parle d’abord l’article 1005 du Code
de procédure civile n’est qu’un acte sous seing privé
impérieusement soumis à la signature des deux parties.1 »
495.
— Que les arbitres appelés à constater la vo
lonté des parties de leur soumettre leurs différends et à
rédiger le compromis, en dressent un acte spécial et
aient le soin d’y faire apposer la signature de toutes les
parties, c’est ce que leur conseillent la prudence la plus
vulgaire et l’intérêt même de ces parties. Ils prévien
dront ainsi toute attaque de la part de celle dont la sen
tence aurait repoussé les prétentions, et feront ainsi évi
ter des difficultés que la mauvaise foi voudrait susciter,
des longueurs et des frais.
Sans aucun doute, l’absence de signature de la part
des parties sur le procès-verbal contenant leurs accords
et la nomination des arbitres, laisse planer un doute
sur la déclaration qu’en feraient les arbitres soit dans
un écrit séparé, soit dans la sentence, et ce doute pour
rait faire annuler le compromis , et par voie de consé
quence la sentence elle-même. Mais que cette annula
tion soit forcée, inévitable, dans tous les cas c’est ce que
nous ne saurions admettre.
Cette conséquence ne serait juridique que si l’acte
1 Procédure civile , t. 2, Tl» 386.
�86
DES SOCIÉTÉS
écrit était de l’essence du compromis. Or, on est assez
généralement d’accord que ce n’est pas là ce qu’on doit
induire de la disposition de l’article 1005 du Code de
procédure civile.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
M. Boitard professe lui-même cette opinion. « Les
formes du compromis indiquées dans l’article 1005,
enseigne-t-il, ne font pas du compromis un contrat
solennel, comme le sont les donations entre vifs, les
contrats de mariage, les constitutions d’hypothèques;
mais la nécessité de l'écriture posée comme principe
par l’article 1005 , me parait avoir pour but d’exdure , dans toute espèce de cause et pour la valeur
la plus minime, l’admission de la preuve testimoniale
à l’effet de constater le compromis. Si, donc, soit par
l’aveu , soit par le serment des parties on arrive à
établir l’existence du compromis, le nom des arbitres
et l’objet du compromis , conditions exigées par l’a rticle 1006, on ne voit aucune raison pour ne pas appliquer les articles 1108 et 1134 du Code civil. La
convention fait la loi des parties. C’est en ce sens
qu’il faut entendre l’article 1 0 0 5 .1 »
Est-il bien certain que l’article 1005 pose comme
principe la nécessité de l’écriture? On pourrait en dou
ter en présence de son texte : le compromis pourra
être fait, etc...........Bien autre est le langage de la
loi lorsqu’elle a entendu prescrire cette nécessité. On
�ART.
51
A
63.
57
peut consulter à ce sujet, outre les dispositions relatives
aux donations entre vifs et aux testaments , les articles
1834 du Code civil et 332 du Code de commerce.
L’interprétalion que M. Boitard fait dans tous les cas
de l’article 1005 , est adoptée par Chauveau. « Les
» conditions de la validité de tout contrat, enseigne-t-il,
» sont énumérées dans l’article 1108 du Code civil , et
» l’écriture n’est prescrite, comme l’atteste la rubrique
» du chapitre 6 , titre 3 , livre 3 du même Code , que
» pour attester l’existence des obligations. C’est ainsi
» que l’article 1582 du Code civil disposant que la vente
» peut être faite par acte authentique ou sous seing
» privé , n’entend dire autre chose sinon que la vente
» ne pourra être prouvée que par l’un de ces moyens ;
» car pour sa validité intrinsèque elle dépend du sim» pie consentement des parties, comme le déclare l’a r» ticle 1583. Il n’y a pas de raison pour qu’en m a» tière de compromis il en soit autrement, et que, con» trairement aux règles générales du d ro it, la validité
» de cet acte dépende d’un écrit, comme celle de quel» ques contrats solennels tels qu’hypothèques, donations
» et testaments.
» Quant à l’objection prise de ce que l’article' 1006
» exige, à peine de nullité, que le compromis indique
» le nom des arbitres et l’objet du compromis , il est
» facile de répondre que celte disposition s’applique
» uniquement au cas oh le compromis est rédigé par
» écrit, et que d’ailleurs elle n’a jamais été entendue à
» la rigueur, puisque l’on convient que son inobserva-
�58
DES SOCIÉTÉS
» tion est couverte par l’exécution mutuelle qui sup» pose et démontre un accord verbal préexistant.1 »
Ainsi en l’absence d’un écrit qui en constate l’exis
tence, le compromis ne pourrait être établi par la preuve
testimoniale , en tant cependant que rien ne viendrait
en faire supposer la réalité. Or cette supposition peut
s’induire du fait qu’une sentence est intervenue. Quelle
apparence en effet que ceux dont elle émane aient, con
trairement à la vérité, pris la qualité d’arbitres, et men
songèrement affirmé qu’elle leur avait été conférée par
les parties !
M. Boitard considère comme efficace l’aveu de la
partie. Mais est-ce que cet aveu devra toujours être
formel et explicite ? Est-ce qu’il ne doit pas s’induire
implicitement de tous les faits émanés de cette partie et
qui ne comportent pas une autre signification ?
Suivant nous la remise des titres, la comparution
devant les arbitres , le dépôt de conclusions renferment
la reconnaissance de l’existence du compromis, et doi
vent par conséquent suppléer à l’écrit ou à l’absence de
signature sur le procès-verbal des arbitres.
496.
— Dans une espèce qui était soumise à la
cour de Rouen , on demandait la nullité de la sentence
arbitrale sur le motif qu’elle avait été rendue sans pou
voirs, ses bénéficiaires ne représentant aucun compro
mis, mais par arrêt du 9 juin 1819 la cour repousse la
l Lois de la procédure civile , quest. 3270.
�demande , et déclare que la preuve du compromis ré
sulte de sa transcription dans la sentence arbitrale et de
son enregistrement.
On dénonce cet arrêt à la cour de cassation comme
violant l’article 1005 du Code de procédure civile, mais
sans succès. Un arrêt du 3 janvier 1821 rejette le pour
voi : « Attendu que ni l’article 1005 du Code de pro» cédure civile, ni aucune autre disposition dudit Code
» n’exigent la représentation matérielle du compromis
» lors de l’ordonnance d'exéqualur ; que dans l’espèce
» l’existence d’un compromis résulte tant de sa trans» cription au jugement arbitral que de la présence des
» parties et des conclusions par elles prises devant les
» arbitres ; que cette dernière circonstance et celle de
» l’enregistrement dudit compromis justifient suffisam» ment que ledit compromis était signé des parties, et
» ainsi l’observation des dispositions du Code de pro» cédure. »
Plus tard la question est de nouveau soumise à la
cour de cassation. Dans cette espèce la cour de Paris
avait jugé que la preuve d’un compromis régulier fait par
procès-verbal devant des arbitres choisis peut résulter
de la sentence arbitrale elle-même ; qu’il n ’est pas né
cessaire que celte sentence soit précédée d’un acte dis
tinct et séparé ; qu’il en doit être de même relativement
à la désignation des objets en litige ; qu’enfin lorsque
les conclusions des parties sont énoncées dans la sen
tence arbitrale, il n’est pas nécessaire d’en faire le dé
pôt au greffe.
�60
DES SOCIÉTÉS
A l’appui du pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet,
on disait : « aux termes de l’article 1005 du Code de
» procédure civile le compromis peut se faire par un
» procès-verbal devant les arbitres choisis. Dans ce cas
» il n’y a véritablement compromis qu’autant que le
» procès verbal constate l’acceptation des arbitres et a
» été signé par eux; cela résulte clairement de l’article
» 1006 qui veut, à peine de nullité, que l’acte de com» promis désigne le nom des arbitres. La mention du
» nom des arbitres dans la sentence arbitrale et leur
» signature apposée lors de la clôture de cette sentence
» ne sauraient être considérées comme un équivalent;
» la sentence n’est que la conséquence du compromis ;
» elle ne vaut qu’autant que le compromis vaut lui—
» même. Or, une condition de validité du compromis
» c’est qu’il désigne le nom des arbitres. Il s’en suit
» donc qu’en dehors de la sentence et préalablement à
» cette sentence , il doit être rédigé un procès-verbal
» distinct constatant le compromis et renfermant les
» désignations prescrites par la loi.
» Dans l’espèce , il n’y a pas eu de procès-verbal
» distinct et séparé. Ainsi il n’y a pas eu réellement de
» compromis régulier. La sentence arbitrale n’aurait
» donc pas dû être prononcée ; par conséquent elle est
» nulle.
» De plus , l’article 1006 veut encore , à peine de
» nullité, que le compromis désigne les objets en litige.
» Or, il n’en a pas été ainsi dans l’espèce. Vainement
» l’arrêt attaqué déclare-t-il que les parties o n t, par
�»
»
»
»
»
»
des conclusions postérieures; expliqué et précisé les
termes du compromis. Le compromis est comme nous
le disions tout à l’heure distinct de la sentence arbitraie, l’acte qui le constate doit donc contenir toutes
les formalités de l’observation desquelles la loi fait dépendre sa validité.
» Enfin les conclusions des parties auraient dû être
» déposées au greffe avec la sentence qui a prononcé
» sur leur contenu. »
Rien ne tout cela ne fut admis par la cour de cassa
tion, Son arrêt du 17 mai 1836 rejette le pourvoi et est
ainsi motivé :
« Attendu que l’arbitrage entre les parties fut régu» lièrement formé et expressément convenu dans l’acte
» synallagmatique entre eux , portant transmission au
« défendeur de l’office d’avoué du demandeur;
» Attendu que le tribunal arbitral composé des mem» bres de la chambre des avoués du tribunal du dé» partement de la Seine, en nombre compétent, légale» ment constitué conformément à l’acte de son élection
» par les parties, s’est trouvé régulièrement saisi par le
» consentement, la comparution des parties en person» ne et par leurs conclusions respectives, de toutes les
» contestations entre elles sur l’exécution du traité de
» transmission de l’office d’avoué au défendeur éven» tuel ;
» Attendu qu’après avoir entendu les parties les a r» bitres n’ont statué que sur des faits relatifs à l’inexé—
» cution du traité et aux infractions qui y avaient été
�62
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
apportées, faits résultant tous des termes du traité et
explicitement renfermés dans l’objet de l’action formée par le défendeur éventuel devant le tribunal arbitral, d’où il y a lieu de conclure que les reproches
du demandeur à la sentence arbitrale de prononcer
en l’absence d’un compromis régulier ou hors des
termes du compromis, ou sur choses non précisées
et demandées , se trouvaient également repoussés en
fait comme en droit, ainsi que l’a justement reconnu
l’arrêt attaqué;
» Attendu qu’il suffit de l’énonciation des dires et
» conclusions des parties dans le jugement arbitral,
» même pour sa régularité, sans qu’il fût besoin de leur
>» dépôt préalable ou de leur production séparée au
» greffe avec celle de la semence.1 »
497.
— La doctrine qui s’induit de la jurisprudence
de la cour de cassation nous paraît aussi juridique que
rationnelle. Elle se résume dans ces termes : le procèsverbal des arbitres constatant le compromis ne prouve
par lui-même l’existence de ce compromis que s’il a été
signé par les parties, soit qu’il ait été rédigé par un acte
séparé , soit qu’il ne fasse qu’un avec la sentence. La
déclaration des arbitres à ce sujet ne peut suppléer à
cette signature , et par conséquent prouver le compro
mis.
Mais cette preuve peut et doit s’induire non-seule-
�ART.
81 A 63.
63
ment de l’aveu et du serment de la partie, mais encore
de tous les faits qui ne pourraient se concilier avec l’ab
sence d’un compromis. Est-ce que la comparution des
parties, la remise des pièces et écritures, le dépôt de
conclusions peuvent laisser du doute sur la qualité de
ceux devant lesquels on a comparu et aux mains des
quels on a remis les titres, déposé les conclûsions ? Ceux
qui ont été l’objet de pareils actes ne sont donc point
des particuliers étrangers à la partie énonçant
l’existence d’un compromis ; ce sont des juges délé
gués par les parties, reconnus tels et dont les déclara
tions présumées exactes doivent l’être du moins jusqu’à
preuve contraire.
Cette preuve contraire est toujours recevable. La loi
l’autorise formellement, en effet, puisque l'article \ 028
permet l’opposition à l’ordonnance d’exéquatur lors
qu’il a été jugé sans compromis. La conséquence logi
que est le droit d’user de tous les moyens de nature à
établir le bien fondé de l’opposition.
Faudra-t-il donc pour l’exercice de ce droit s’inscrire
en faux contre la sentence arbitrale. Nous allons tout à
l’heure examiner cette question en principel. Dans
l’hypothèse que nous examinons, nous croyons qu’il
faut se prononcer pour la négative. La sentence arbi
trale ne peut être assimilée à un jugement que lorsque
la qualité d’arbitres chez ceux qui l’ont rendue est ac1 Voy. infra n° 501.
�64
DES SOCIÉTÉS
quise et établie. Or prétendre qu’il n’existait aucun
compromis, c’est soutenir que la sentence a été rendue
par de simples particuliers qui n’avaient ni droit ni
mission pour statuer. Donc, tant qu’il n’a pas été pro
noncé sur cette prétention , on ne peut assigner à la
sentence le caractère de jugement, exigeant l’inscription
de faux pour la recevabilité de la preuve contraire à ses
dispositions.
498.
— Aucun doute sérieux ne saurait s’élever
sur l’existence du compromis et sur sa régularité , lors
que les parties ont requis et employé le ministère dq
notaire. Le caractère d’authenticité que le notaire impri
me aux faits qu’il est appelé à constater inspire et com
mande la confiance. Vainement donc exciperait-on de
l’absence de signature la déclaration régulière du no
taire que les parties ont déclaré ne savoir ou ne pou
voir signer, équivaudrait à cette signature et en tiendrait
lieu.
La seule difficulté que l’intervention du notaire ait
fait naître est celle qu’offrait la question de savoir s'il
pouvait recevoir lui-même l’acte qui lui confère la qua
lité d’arbitre. On sait que la loi de ventôse an XI dé
fend aux notaires de recevoir les actes dans lesquels ils
seraient intéressés. On comprend par les motifs même
qui légitiment cette prohibition quel est l’intérêt dont
la loi s’est préoccupé.
Cet intérêt existe-t-il lorsque l’acte que le notaire re
çoit a pour objet unique de lui conférer le mandat de
�AM. 51
a
. 63.
63
prononcer comme arbitre, et devrait-on dès lors annu
ler cet acte par application de la loi de l’an XI ?
Les cours de Toulouse et de Lyon se sont prononcées
pour la négative, la première les 17 juillet 1826 et 18
août 1837, la seconde le 9 février 1836. Ces arrêts ad
mettent avec raison que le notaire n’est pas partie con
tractante dans l'acte qui lui confère la qualité d’arbitre;
et n’y stipule point pour son intérêt personnel ; que
d’ailleurs les nullités ne peuvent être prononcées que
lorsque elles sont expressément établies par la loi et
qu’aucun texte n’autorise celle qu’on fait résulter de la
réception par le notaire de l’acte qui le nomme arbi
tre h
Mais en recevant lui-même cet acte, le notaire contracle l’obligation de ne réclamer et de ne recevoir au
cun honoraire, car s’il devait retirer un profit quelcon
que de sa mission, son intérêt à l’acte serait évident et
son incompétence certaine.
499,
— Le compromis, s’il est rédigé par acte sous
seing privé , tombe sous l’empire de l’article 1325 du
du Code civil. Il doit donc être fait en autant d’origi
naux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, et
chaque original doit contenir la mention du nombre des
originaux qui en ont été faits.
Il est évident que chaque associé en nom collectif
peut avoir à la contestation un intérêt propre et person1 J du P., 37, 1, 387 ; 37, 2, 817.
III
5
�66
DES SOCIÉTÉS
nel distinct de celui de ses coassociés. Mais on ne sau
rait admettre l’existence de cet intérêt distinct ni chez
les commanditaires , ni chez les actionnaires d’une so
ciété anonyme. En conséquence, si dans la commandite
il n’y a qu’un seul associé gérant et solidaire , il suffira
d’un double original. Il en serait de même dans l’ano
nyme où il ne peut exister que deux intérêts , celui des
administrateurs, celui des actionnaires.
La disposition de l’article 1325 a eu pour but uni
que de placer les parties dans une égalité parfaite quant
aux effets que le titre peut être appelé à produire.
« S’il n'y a qu’une copie de l’acte , disait M. Bigot de
» Préameneu, elle ne peut servir de titre qu’à la partie
» qui en est saisie. Les autres parties sont comme si
» elles n’avaient pas de droit, puisqu’elles n’ont aucun
» titre pour l’exercer. Mais lorsqu’elles n’ont pas un
» droit qu’elles puissent réaliser, l’engagement doit être
» considéré comme s’il n ’était pas réciproque, et dès
» lors être annulé. »
Ce qui s’induit de cet esprit de la loi, c’est que toutes
les fois que l’écrit non fait double est réellement à la
disposition des parties, que chacune d’elles peut, le cas
échéant s’en prévaloir et en contraindre l’exécution,
l’application de la pénalité prononcée par l’article 13&5
doit être repoussée , elle ne serait plus qu’un effet sans
cause.
Ainsi, dans notre matière , il a été jugé par la cour
de Florence, le 3 juin 1811, que lorsque après une pre
mière prorogation de compromis faite en double origi-
�ART. 51 A 63.
67
ginal, les parties en ont souscrit une seconde, mais seu
lement sur l’un des originaux restés entre les mains des
arbitres, cette dernière prorogation n ’est pas nulle pour
inobservation de l’article 13215.
La cour de Grenoble saisie de la question la résol
vait dans le même sens le 16 avril 1852. « Attendu,
» porte l’arrêt, que la formalité du double ou du triple
» original n’est exigée, par le nouveau d ro it, que peur
» rendre égale la position de chacune des parties , et
» empêcher que l’une n’ait entre ses mains, contre son
» adversaire, un titre dont celui-ci serait privé , et que
» l’un des contractants ne soit ainsi maître d’annihiler
» ou d’exécuter à son gré la convention ; mais que ce
» danger ne peut exister quand l’acte sous seing privé
» prorogeant l’arbitrage est reçu par l’un des arbitres
» mandataire de toutes les parties, et qu’il n’a jamais
» cessé de rester en la possession des arbitres jusqu’à
» ce qu’il ait été déposé avec leur sentence au greffe du
» tribunal.1 »
Nous4croyons que le caractère juridique de cet arrêt
est incontestable. L’esprit de la loi en légitime expres
sément la conclusion , qui au point de vue de l’exécu
tion aurait un fondement sérieux dans le texte même.
500.
— Ainsi Touiller n’hésite pas à voir dans la
remise, ou dans le consentement à la remise aux mains
i J. du P., 43, 1, 717.
�68
DES SOCIÉTÉS
d’un tiers du compromis irrégulier, une exécution de
l’engagement couvrant la nullité aux termes même de
l’article 1325.
»
»
»
»
»
»
« Si les deux parties, dit ce grand jurisconsulte, confiaient le compromis ou un autre acte non fait double à une tierce personne chargée de le remettre aux
arbitres nommés ou à un notaire, pour en délivrer
des expéditions, et que la remise eût été effectuée,
aucune d’elles ne pourrait plus le critiquer pour n’avoir pas été fait double.1 »
Touiller va plus loin encore. Dans le numéro 339 il
estime que : « si le compromis non fait double n’avait
» été remis aux arbitres que par l’une des parties , il
» est bien difficile que celte remise ne soit pas consi» dérée comme un fait d’exécution de la part même de
» l’autre partie ; car le compromis était destiné à être
» remis aux arbitres ; et celui des compromettants qui
» a eu assez de confiance pour le laisser aux mains de
» l’autre est censé lui avoir donné le mandat tacite de
» le remettre à sa destination. »
En supposant que cette dernière solution puisse être
contestée , la première ne saurait l’être. Aussi a-t-elle
été consacrée par la cour de Paris le 19 juin 1828 ; par
la cour d’Àix le 6 mars 1829 ; par la cour de cassation
le 1er mars 1830.
Dans le principe, la rédaction équivoque de l’article
1 Tome 8, n° 340
�ART.
51
A
63.
69
1325 avait laissé quelque doute sur la portée et l’éten
due de sa disposition. De ces termes : néanmoins le
défaut de mention que les originaux ont été faits
doubles, triples, etc. . . . , ne peut être opposé par celui
qui a exécuté de sa part la convention portée dans
l'acte, on avait conclu que l’exécution n’éteignait pas
l’action en nullité fondée sur ce que l’acte n ’avait pas
été fait en autant d’originaux qu’il y avait de parties
ayant un intérêt distinct. L’article 1325, disait-on, énumère deux causes d’invalidité , et puisqu’il ne fait de
l’exécution une fin de non recevoir que contre la der
nière, il laisse cette exécution sans influence à l’égard
de la première. Qui dicit de uno de altero negat.
C’est ce que la première chambre de la cour de Gê
nes jugeait le 12 décembre 1810 , en annulant malgré
l’exécution qui lui avait été donnée, un compromis qui
n’avait été fait qu’en un seul original. Mais quelques
mois après, le 15 février 1811, la seconde chambre de
la même cour saisie de la question la résolvait en sens
contraire.
Ces deux arrêts furent déférés à la cour de cassation
qui se prononça en faveur du système de ce dernier ar
rêt. Elle rejetait le pourvoi dont il avait été l’objet le
13 février 1812 , tandis que par arrêt du 15 février
1814 elle cassait l’arrêt de la première chambre b
Aujourd’hui le doute n’est plus permis. La doctrine
i Sirey, 1814, 1, 154, 155.
/
�et la jurisprudence sont unanimes. L’exécution couvre
non-seulement la nullité qui résulte du défaut de men
tion que l’acte a été fait en double ou triple , etc.. . . ,
mais encore celle tirée de ce qu’il n’a été réellement fait
qu’en un seul original.
Il ne pouvait pas être que cette fin de non recevoir
ne fût pas admise en matière de compromis. La seule
difficulté que cette application pouvait faire naître était
la détermination des actes d’où devait s’induire l’exé
cution.
Dans ce sens il a été jugé :
Par la cour de cassation, le 12 janvier 1812, que la
nullité était couverte par la comparution volontaire des
parties devant les arbitres ;
Par la cour de Grenoble, le 17 janvier 1822, que le
même effet résultait de la communication des titres aux
arbitres ;
Par la cour de Pau, le 19 juin 1828, et par la cour
d’Aix , le 6 mars 1827, qu’il en était de même de la
remise du compromis ;
Par la cour de Bourges, le 14 juillet 1830 , et par la
cour de cassation, le 5 juillet 1832, que la signature à
l’acte de prorogation de l’arbitrage rendait non receva
ble l’exception de nullité résultant de l’inobservation de
l’article 1325 du Code civil ;
Enfin par la cour de Bordeaux, le 22 mai 1832, que
la nullité d’un compromis sous seing privé résultant de
ce qu’il n’a pas été fait en autant d’originaux qu’il y
a de parties ayant un intérêt distinct, ne peut être pro-
�posée par celui qui a remis ses pièces aux arbitres et
comparu devant eux.
504.
— L’effet de l’exécution ne peut donc pas être
douteux. Mais d’où résultera la preuve du fait constitu
tif de cette exécution , par exemple la comparution vo
lontaire des parties, la remise du compromis, la com
munication des titres ? Il n’est pas d’usage de faire con
stater ces faits par les parties elles-même. On se con
tente de les mentionner dans la sentence. Cette men
tion suffira—t—elle pour qu’on ne soit pas reçu à offrir
la preuve contraire , tout au moins devra-t-on subor
donner cette preuve à une inscription de faux ?
Touiller se prononce pour la nécessité de l’inscrip
tion de faux. « Il faut rem arquer, d it-il, que si la
» preuve de l’exécution ne peut résulter de l’acte seul
» qui contient une convention synallagmatique, la
» preuve de l’exécution d’un compromis peut résulter
» du jugement arbitral ou du procès-verbal des arbi» très qui réfèrent la comparution des parties devant
» eux , la remise du compromis, des pièces et mémoi» res, e t c . . . . , car en autorisant les arbitrages pour
» juger les procès élevés ou près de s’élever entre les
» particuliers, la loi confère par cela même aux arbi» très une sorte de caractère public qui donne aux ac» tes qu’ils font, dans leurs fonctions d’arbitres , l’au » theriticité nécessaire pour faire pleine foi de ce qui s’y
» trouve contenu.1 »
�72
DES SOCIÉTÉS
Cela était absolument vrai pour l’arbitrage forcé,
parce que si les arbitres étaient choisis et nommés par
les parties, ils étaient institués par la loi. Mais en arbi
trage volontaire la loi permet plutôt que de prescrire et
n’intervient que pour régler l’instruction que les arbitres
devront suivre.
Aussi la plus grande divergence règne-t-elle à ce su
jet en doctrine et en jurisprudence. On peut voir dans
les lois de la procédure civile de Carré par Chauveau
les diverses opinions qui se sont produites et les arrêts
en sens contraire qui ont été rendusl.
Ainsi M. Favard de Langlade admet que la nullité
n’est pas couverte par l’exécution , si cette exécution
n’est prouvée que par le témoignage des arbitres. Il
exige l’aveu de tous les intéressés, et on a été dans ce
sens jusqu’à décider que les indications de la sentence
relativement aux actes d’exécution ne faisaient foi que
si la sentence était revêtue de la signature des parties.
Subordonner l’effet de la sentence à la signature des
parties serait admettre que cet effet dépend uniquement
du mauvais vouloir ou du caprice de la partie. Com
ment se flatter que celle qui a été condamnée consente
à donner sa signature, ratifiant ainsi en quelque sorte
sa condamnation, et se rendant non recevable à contre
dire les indications de la sentence ?
Si la nécessité de la signature était consacrée, autant
1 Article 116, quest. 3337 bis.
�ART.
51
A
63.
73
et mieux vaudrait abolir purement et simplement l’ar
bitrage , puisqu’il serait loisible aux parties en refusant
cette signature de se ménager le moyen de former op
position à l’ordonnance d’exécution. Ainsi le tribunal
ordinaire serait toujours appelé à juger en premier res
sort , et l’intervention des arbitres n’aurait s^rvi qu’à
retarder la solution et à multiplier les frais.
Maintenir l’arbitrage c’est s’obliger à en mettre les
résultats à l’abri des attaques qu’un intérêt blessé est
toujours porté à prodiguer. Or, on ne peut y parvenir
qu’en considérant la sentence comme un jugement , et
en exigeant pour les faits qu’elle constate la foi pleine
et entière qu’on accorde à celui-ci.
502.
— Dans l’origine le fait que les arbitres n’ont
qu’un caractère privé , avait paru devoir permettre de
contredire les indications de la sentence sans être obligé
de s’inscrire préalablement en faux. Cette opinion s’est
beaucoup modifiée , mais elle a encore ses partisans en
doctrine et en jurisprudence.
C’est pour concilier les deux systèmes que M. Chau
veau a imaginé une distinction. « T,a sentence arbi» traie, dit-il, est-elle infectée de l’un de ces vices qui
» en entraînent la nullité? Résulte-t-il par exemple de
» sa contexture qu’elle a été rendue hors des termes ou
» après les délais du compromis ? Ou bien le compro» mis n’a-t-il pas été fait en autant d’originaux qu’il y
» a de parties , est-il dépourvu de l’une des formes
» prescrites par l’article \ 005 à peine de nullité ? . , . .
�74
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
Les arbitres sont sans pouvoirs , sans titre qui rende
leurs déclarations authentiques , et il ne dépend pas
d’eux de donner ou de rendre à leur sentence le caractère qui lui manque. Il ne suffit donc pas qu’ils
affirment l’existence des faits qui couvriraient la nullité dont il s’agit ici ; la prorogation de leurs pouvoirs dans le premier cas, l’exécution volontaire des
parties dans le second ; ils ne seront crus sur ces divers points que lorsque l’aveu de toutes les parties
ou des preuves irrésistibles viendront confirmer leurs
dires, dénués par eux-mêmes d’authenticité.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
» Mais lorsque la sentence arbitrale n’est pas infectée de ces vices , que sa contexture et celle du compromis établissent les pouvoirs des arbitres , il ne
servirait de rien aux parties d’alléguer, par exemple,
qu’ils ont mis une fausse date à leur décision , rendue , d’après elles , hors des termes du compromis,
ou qu’ils ont supposé ou dénaturé certains faits pour
rendre la sentence inattaquable, car, la présomption
étant ici en faveur de l’acte , valable en lui-même,
les arbitres se trouvent revêtus d’un caractère de ju ges , et on doit par conséquent les croire dans toutes
leurs affirmations jusqu’à inscription de faux.1 »
Nous admettons en principe la distinction de M. Chau
veau. Il est évident, en effet, qu’on ne peut reconnaître
à la sentence des arbitres l’autorité et la force d’un ju~
i Question 3337 bis.
�ART.
51
A
63.
75
gement, que lorsque la qualité de ceux qui l’ont rendue
était à cette époque certaine et non contestée. Dans le
cas contraire , et si le défaut de qualité était acquis,
l’acte qualifié de jugement arbitral, émanant en réalité
de particuliers sans caractère, ne saurait ni inspirer ni
commander la confiance.
Or, à notre avis , ce cas ne se réalise et ne peut se
réaliser que lorsqu’il a été jugé sans compromis. Nous
ne saurions l’admettre dans l’hypothèse d’une pronon
ciation sur compromis nul ou expiré, ou en dehors des
termes du compromis.
Le vice dont le compromis peut être atteint et qui en
déterminera la nullité ne l’empêche pas de valoir et de
produire son effet, tant que cette nullité n’est ni pro
noncée ni demandée. Donc, ceux que le compromis ir
régulier et nul désigne comme arbitres ont réellement
cette qualité , tant que la constatation de la nullité ne
sera pas venue la leur faire perdre; et si cette constata
tion n’est même demandée qu’après la sentence , celleci aura été en réalité rendue par des personnes inves
ties du droit de la rendre , et devra être assimilée à un
jugement quant à la foi due à ses énonciations.
Le reproche d’avoir prononcé sur compromis expiré
est de nature à être matériellement justifiée par la sen
tence elle-même. Sa date rapprochée des dispositions
du compromis quant au délai de l’arbitrage indiquera
forcément si elle a été rendue en dedans ou en dehors
du délai.
Dans le premier cas le reproche ne peut être établi
�------------------ S--------------------------------------------------------
DES SOCIÉTÉS
qu’après une inscription de faux. C’est ce que la juris
prudence n’a pas cessé de consacrer1.
Dans le second c a s , la sentence rendue réellement
hors du délai est nulle sans qu’il soit besoin de s’ins
crire en faux , puisque le reproche est prouvé par la
sentence elle-même. Vainement se prévaudrait-on de la
déclaration des arbitres que les parties ont prorogé leurs
pouvoirs. Le jour où le délai du compromis était ex
piré, les arbitres avaient de plein droit perdu tous leurs
pouvoirs. Ils n’étaient plus juges , et ne peuvent placer
leurs déclarations sous la protection résultant de cette
qualité. Pouvant obtenir la preuve écrite de la proro
gation, ils devaient l’exiger. En l’absence de cette preuve
ils ont en réalité prononcé sans compromis, et n’ont
pu par conséquent donner à leurs déclarations une au
thenticité quelconque.
Le reproche d’avoir prononcé hors des termes du
compromis résultera ou non du rapprochement du dis
positif de la sentence des indications du compromis ; si
oui la sentence est nulle En dehors des termes du com
promis , il n’y avait plus de compromis , partant plus
d’arbitres, et les déclarations de la sentence pour justi
fier l’excès de pouvoirs émanant de simples particuliers
1 Cassation, 15 therm idor an X I; 31 mai 1809; 15 janvier 1812; —
Paris, 11 ju illet 1809 ; 28 mai 1810 , et 12 juin 1816; •— Grenoble,
31 août 1818, et 7 décembre 1824; — Bordeaux, 13 juillet 1830 ; —
Lyon, 20 août 1823.
�art.
51
a
63.
77
on ne saurait subordonner la preuve contraire à une
inscription de faux.
En somme, il n’est pas d’arbitrage qui ne puisse de
venir l’origine et la source de nombreux procès relati
vement à la sincérité et à l’effet des déclarations consiP
gnées dans la sentence. Mais les arbitres sont en posi
tion de les prévenir , et ils le doivent dans l’intérêt des
parties comme dans cejui de leur dignité. Ce résultat
ils l’atteindront en exigeant la signature des parties sur
le procès-verbal servant de compromis ou constatant la
remise en leurs mains de celui qui les institue. Si la
comparution personnelle ne comporte aucune constata
tion matérielle du fait des parties , on peut y suppléer
en imposant à ces parties l’obligation de rédiger par écrit
et de signer leurs dires et conclusions. La possession
aux mains des arbitres de ces documents ferait bonne
et prompte justice des attaques que la mauvaise foi ou
le dépit pourrait vouloir élever contre les indications de
la sentence sur l’exécution dont le compromis a été
l’objet.
5 03.
— Quel est le caractère de l’article 1005 du
Code de procédure civile ? N’autorise-t-il que les trois
modes qu’il indique? S’oppose-t-il notamment à ce
que le juge de paix puisse , dans un procès-verbal de
conciliation , constater valablement le compromis en
l’absence de la signature des parties ?
On l’a ainsi prétendu , mais sans succès. La doc
trine est à peu près unanime en faveur de l’opinion
�DES SOCIÉTÉS
contraire qui a également été consacrée par la jurispru
dence l.
La cour de Limoges devant laquelle on soutenait la
nullité du compromis faute par les parties de l’avoir re
vêtu de leur signature , déclarait cette demande mal
fondée, « parce que l’article 54 du Code de procédure
» civile voulant que les conventions des parties insérées
» au procès-verbal de conciliation aient force d’obli—
» gation privée , et l’article 1 005 permettant de com» promettre par acte sous signature privée, il en résul» tait que le compromis dont on poursuivait l’annula» tion était régulier. »
Devant la cour de cassation on reprochait à cet arrêt
d’appliquer fausement l’article 54 et les articles 4318
du Code civil et 1005 du Code de procédure civile. « Si
» l’article54 du Code de procédure civile, disait-on,
» veut que les conventions insérées au procès-verbal
» aient force d’obligations privées, cette disposition con» çue en termes généraux ne saurait s’appliquer au cas
» particulier qui doit être régi par la disposition spé» ciale de l’article 1005 relatif à la forme du compro» mis, et aux personnes auxquelles le droit exclusif de
» les recevoir est attribué. Les juges de paix n’ont point
» un caractère à cet effet. Aux termes de l’article 4318
» du Code civil, l’acte qui renferme le compromis man» quant d’authenticité par l’incompétence de ce magis-
i Chauveau sur Carré, quest, 3271.
�ART.
»
»
»
»
51
A
63.
79
trat, pourrait valoir néanmoins comme écriture pri—
vée , s’il avait été signé par les parties intéressées ;
mais n’ayant pas été revêtu de leurs signatures , il
doit être sans effet à leur égard. »
Mais par arrêt du 41 février 1824 le pourvoi est re
jeté. La cour suprême établit qu’un juge de paix est
tenu de constater dans son procès-verbal les dires et
prétentions des parties ; que , dans l’espèce , le juge de
paix a donc dû relater dans le procès-verbal qu’il a
dressé le compromis convenu entre les parties.
Ainsi l’article 1005 n’a rien de restrictif , et c’est en
force de ce principe qu’il a été jugé qu’on peut valable
ment compromettre devant le juge ordinaire, et que le
jugement ou l’arrêt concédant acte aux parties de leur
intention et du choix qu’elles font de leur arbitre, tient
lieu de compromis et lie obligatoirement les parties.
50 4,
— Le compromis, quelle qu’en soit la forme,
n’est valable que si, outre le nom des arbitres, il dési
gne les objets en litige. En acceptant sur ce double point
la doc rine de la loi romaine , l’article 1006 a voulu
comme celle-ci que la mission des arbitres fût nette
ment tracée , pour prévenir tout excès de pouvoir de
leur part. Ita ut ejus fines egredi non lic e a tl.
Avant l’abrogation de l’article 51, la disposition de
l’article 1006 était inapplicable aux associés à raison
1 L. 32, §§ 11 et 4 b, ff. Derecept.
�80
DES SOCIÉTÉS
des contestations sociales. La clause qui en prévision de
ces contestations déclarait qu’elles seraient soumises à
des arbitres, sans désignation de leur objet ni du nom
des arbitres, était d’autant plus valable que, dans le si
lence de l’acte social, les associés ne pouvaient soumet
tre leurs différends qu’à la juridiction arbitrale.
> En l’état de l’abrogation de l’article 51 , l’arbitrage
entre associés ne pouvant plus être que volontaire , la
clause de l’acte de société qui stipulerait le renvoi à ar
bitres en cas de contestations ne constituerait plus qu’u
ne promesse d’arbitrer , qu’une clause compromissoire
dont l’invalidité n’est aujourd’hui ni contestable ni con
testée en matière ordinaire.
Bien qu’en déclarant l’article 1006 applicable aux
associés elle proclamât implicitement cette invalidité , la
loi nouvelle a cru devoir s’en expliquer, et voici en quels
termes le rapporteur de la commission justifiait la né
cessité de placer les associés sous l’empire du droit com
mun à ce sujet :
« Il nous a paru que la voie de l’arbitrage volon» taire restant toujours ouverte aux parties, leurs véri» tables intérêts étaient suffisamment satisfaits par la
» faculté de compromettre. A notre sen s, la juridiction
» arbitrale n’est bonne qu’autant qu’elle est réellement
» amiable et volontaire,alors que les parties choisissent
» librement et sans contrainte leurs juges pour un liti» ge né et actuel, au jugement duquel elles pourront
» appliquer des aptitudes spéciales. Mais autoriser les
» associés à s’engager par avance , e t, le plus souvent,
�»
»
»
»
»
sans réflexion , à faire juger par des arbitres inconnus des contestations ignorées , c’était permettre de
rétablir, par convention, l’arbitrage forcé désormais
effacé de la loi, et nous ne pouvions pas nous rendre
coupables d’une pareille inconséquence. »
La commission avait raison. Rendre la clause com
promissoire obligatoire entre associés c’était retomber
dans l’arbitrage forcé. On ne déserte pas en un jour les
errements d’une pratique plus que séculaire, et la clause
de s’en référer à arbitres sera encore de style dans les
actes de société comme elle l’a été jusqu’à présent.
D’ailleurs les associés, lorsqu’ils organisent leur asso
ciation n’entrevoient l’avenir qu’à travers leurs senti menis actuels. Ils se persuadent facilement que cette
confiance et cette estime réciproque qui motivent leur
association n’auront d’autre terme que celui fixé à la
société. A peine osent-ils entrevoir la possibilité d’une
difficulté , et l’intervention d’amis communs paraît si
naturelle qu’on s’empresse de s’en faire une loi.
Puis lorsque ces beaux sentiments se sont évanouis,
lorsque la discorde a remplacé la confiance, l’irritation
est d’autant plus vive que la déception a été plus pro
fonde , et si l’on est forcé de subir cet arbitrage qu’on
appelait naguères de tous ses vœux, il n ’est sorte d’in
cidents qu’on ne soulève pour en embarrasser et en re
tarder la marche , quoi qu’il doive en coûter. C’est ce
qui s’était réalisé sous l’empire de l’arbitrage forcé , et
c’est ce qui serait inévitablement résulté de la validité
de la clause compromissoire.
-
�82
DES SOCIÉTÉS
Pourquoi d’ailleurs proclamer licite entre associés,
ce qu’on déclare illicite pour tous les citoyens ? L’abro
gation de l’article 51 effaçant toute distinction entre
eux, les met sur la même ligne, leur fait une loi com
mune , les soumet tous aux mêmes principes. Ainsi a lors même que les débats législatifs n’eussent rien prévu
à ce sujet, l’invalidité de la clause compromissoire en
tre associés ne pouvait soulever le moindre doute.
Quels que soient donc les termes de l’acte de société,
et alors même qu’une clause spéciale ferait éventuelle
ment appel à la juridiction arbitrale , chaque associé
n’en conserve pas moins le droit de recourir à la jus
tice ordinaire. Il ne perd ce droit que s i , ratifiant la
promesse de l’acte social et la réalisant au moment où
le différend est né, il signe un compromis dont la vali
dité est subordonnée à l’accomplissement des conditions
de l’article 1006, c’est-à-dire à la désignàtion de l’ob
jet du litige et du nom des arbitres.
505.
— De là cette conséquence : le compromis
nouvellement convenu et arrêté devient la seule loi des
parties. Il règle seul le mode d’instruction, les pouvoirs
des arbitres.
Supposez que l’acte social ait ajouté à la clause com
promissoire que les arbitres jugeront en dernier res
sort, sans appel ni recours en cassation ; ou bien com
me amiables compositeurs dispensés de toutes formali
tés. Rien de cela ne survivrait à la clause compromis
soire, alors même que les parties s’imposeraient la ju -
�art.
51
a
63.
83
ridiction arbitrale. Il ne resterait de ces clauses acces
soires que ce que le nouveau compromis s’approprie
rait. S’il ne stipulait rien sur l’étendue des pouvoirs
des arbitres, sur la dispense des formes, sur les voies de
recours contre la sentence , c’est par le droit commun
de la matière , c’est-à-dire par les articles 1007 et sui
vants du Code de procédure civile que seraient régies
parties et matière.
506.
— L’arbitrage ayant sa raison d’être dans
l’intention de terminer les litiges dans le plus bref dé
lai, il était nécessaire de déterminer celui dans lequel les
arbitres devraient prononcer.
Ce soin appartenait souverainement aux parties ellesmêmes. L’intérêt qu’elles ont à être promptement ju
gées est une garantie contre l’excès, et donne la certitude
que cette détermination n’aura d’autre base que la na
ture même du procès et la durée présumée qu’exigera
son instruction.
C’est donc uniquement aux parties à s’entendre à ce
sujet. Le défaut d’entente à cet égard rendrait tout com
promis impossible et contraindrait les parties à s’adres
ser à la justice ordinaire.
Il n’en était pas , il ne pouvait pas en être ainsi en
arbitage forcé. Celui-ci constituant le premier degré de
juridiction , il ne pouvait dépendre des parties de ren
dre son fonctionnement impossible en refusant de s’en
tendre sur le délai dans lequel les arbitres seraient
�84
DES SOCIÉTÉS
le juge de régler ce délai à défaut d’accord entre les
parties.
C’est aussi au juge ordinaire que les associés devaient
demander la détermination du délai, si leur compromis
ou l’acte en tenant lieu avait omis de s’expliquer à ce
sujet. Le motif qui avait porté le Code de commerce à
ne pas imposer dans ce cas un délai légal, c’est que les
différends à régler en cas de dissolution de sociétés, ne
comportaient pas un délai uniforme ; qu’il fallait avoir
égard à la durée qu’avait eue la société , à son impor
tance , au plus ou moins de régularité des écritures,
toutes choses dont le juge pouvait et devait tenir
compte.
Il n’en est plus de même aujourd’hui. L’article 1007
du Code de procédure civile étant applicable aux asso
ciés, le délai dans lequel les arbitres doivent prononcer,
si rien n’a été stipulé à cet égard, est de trois mois du
jour du compromis.
Ce délai , on peut le prévoir , sera insuffisant dans
bien de cas de dissolution de société , et peut-être que
si le législateur de 1856 y eût réfléchi, aurait-il modi
fié quant à ce l’article 1007. C’est là sans doute un in
convénient, mais il n’a qu’une gravité relative puisqu’il
dépend toujours des parties de le prévenir, soit en dé
terminant un plus long délai dans le compromis même,
soit en prorogeant celui qui expirerait avant que les ar
bitres fussent en mesure de prononcer.
5 0 7 . — On remarquera que l’article 1007 fixe le
�ART.
51 A 63.
85
point de départ du délai au jour du compromis. Cette
disposition tranche les doutes qui s’étaient élevés sur
ce point de départ. C’est donc du jour du compromis et
non du jour de l’acceptation des arbitres, et encore moins
de celui de la remise des pièces que les trois mois com
mencent à courir.
Le but de cette disposition est manifeste. Le législa
teur ne s’est pas dissimulé que bien souvent l’accepta
tion des arbitres exigerait un certain temps qui serait
autant de retranché sur les trois mois qu’elle accorde.
« Mais , dit M. Chauveau , elle n’a pas voulu , que
» les arbitres , par des préliminaires sans importance,
» éternisassent le procès qui leur est soumis. Elle
» laisse d’ailleurs toute latitude aux parties pour
» fixer le délai qu’elles jugent convenable et le pro» roger s’il y a lieu. Mais s’il s’est écoulé un temps
» plus ou moins considérable, pendant lequel la négli» que chacun des plaideurs puisse se désister.1 »
La disposition de l’article 1007 quant au point de
départ du délai est absolue et ne comporte aucune ex
ception. Ainsi la cour de cassation déclarait, le 10 no
vembre 1829 , qu’elle doit recevoir sa pleine et entière
exécution, alors même que les arbitres désignés par le
compromis s’étant départis ou ayant refusé d’accepter,
il a fallu en nommer d’autres.
^Question 3281 bis.
�86
DES SOCIÉTÉS
Cette doctrine peut aboutir, dans un cas donné, à la
conséquence de placer les nouveaux arbitres dans l’im
possibilité de prononcer en temps utile, par exemple, si
le déport des premiers se réalise la veille de l’expiration
ou quelques jours seulement avant l’expiration des trois
mois.
508.
— Ici encore l ’inconvénient n’est que relatif,
et trouve un correctif dans cette circonstance : qu’en
cas de déport des arbitres il ne peut en être nommé
de nouveaux que du libre consentement de tous les
intéressés. L’intervention des parties étant ainsi in
dispensable , leur consentement fait supposer qu’el
les persistent à recourir à la juridiction arbitrale ;
qu’en conséquence elles ne manqueront pas de mettre
les nouveaux arbitres en mesure de prononcer utile
ment en prorogeant le délai dans lequel ils devront le
faire.
D’ailleurs , la faculté de proroger ne se borne pas à
augmenter le délai soit conventionnel, soit légal. Elle
s’applique à en'changer le point de départ,ce qui n’est en
réalité qu’une véritable augmentation de sa durée. Ainsi,
que le délai soit d’un , de trois , de six mois , la clause
du compromis qui ne le ferait courir que du jour de
l’acceptation des arbitres , ou de la comparution des
parties, ou de la remise des pièces, serait parfaitement
légale et obligerait le juge comme les parties elles-mê
mes. La loi n’a en rien entendu méconnaître ou entra
ver la libre initiative des parties ; elle n’intervient que
�art.
51 a 63.
87
si, sciemment ou involontairement, elles ont omis d’ex
primer leur volonté.
509.
— L’acceptation par les arbitres de la mission
qui leur est confiée, dénoncée aux parties sans qu’elles
fassent entendre ni réclamations ni protestations, rend
cette mission définitive. Le tribunal arbitral est consti
tué et dès lors acquis à toutes les parties. Aussi aux ter
mes de l’article 1 008 les arbitres ne peuyent, pendant
la durée de l’arbitrage, être révoqués que du consente
ment unanime des parties.
La loi du 17 août 1790 consacrait le contraire. L’ar
ticle 3 du titre 1 déclarait que chaque partie était libre
de faire cesser l’arbitrage par sa seule volonté quoique
l’instruction fût déjà commencée. C’était là méconnaître
l’un des principes les plus élémentaires en matière de
contrat, celui que consacre l’article 1134 du Code civil;
et les auteurs de nos codes qui venaient de sanctionner
celui-ci, ne pouvaient, à l’exemple de leurs prédéces
seurs, en permettre la violation.
Ainsi aux yeux de la loi, comme à ceux de la raison,
le compromis régulièrement intervenu constituant un
contrat synallagmatique , devient dans chacune de ses
dispositions la loi commune des parties, et aucune d’el
les ne saurait en perdre le bénéfice que si elle y con
sent.
510.
— La révocation n’a pas besoin d’être expres
se. Elle peut être tacite. Celle-ci s’induit de tout acte
inconciliable avec la volonté de persister à se soumettre
�88
DES SOCIÉTÉS
à l'arbitrage. Comment en effet admettre cette inten
tion , si , par une transaction convenue entre elles, les
parties ont terminé le litige qu’elles avaient déféré aux
arbitres ?
Pourrait- on également hésiter si , comme dans une
espèce soumise à la cour de Bruxelles, les parties qui
avaient compromis avaient plus tard comparu devant le
juge de paix sur la citation en conciliation sur la pré
tention qui faisait la matière de l’arbitrage ?
511.
— La révocation expresse résulterait-elle lé
galement d’une lettre missive? Un arrêt de la cour de
cassation, du 23 pluviôse an XII, consacre l’affirmative.
Comment eût-elle jugé le contraire sous l’empire de la
loi de 1790 ? Puisque chacune des parties pouvait en
tout état de cause faire cesser l’arbitrage par sa seule
volonté, l’expression de celle-ci dans une lettre missive
reçue et lue par les arbitres ne pouvait offrir le moindre
doute et devait nécessairement produire son effet.
En serait-il de même aujourd’hui ? M. Goubeau se
prononce pour l’affirmative, et pense que la cour su
prême persisterait dans sa jurisprudence h Nous le
croyons comme lui, mais à la condition ou que la let
tre missive serait signée par toutes les parties , ou que
celle qui ne l’aurait pas signée l’aurait acceptée et exé
cutée en portant devant la justice ordinaire le litige sur
lequel les arbitres étaient chargés de prononcer.
1 Tome 8, page 223.
�ART.
51
A
63.
89
C’est ce qui se réalisait dans l’espèce de l’arrêt
de l’an XII , et la cour de cassation induisait de
cette conduite l’approbation formelle de la révocation.
Or cet arrêt étant rendu sous l’empire de la loi de
1790, la partie qui n’avait pas écrit n’était pas libre
d’agir autrement et n’avait pas même à discuter la va
lidité de la révocation qui n’était que l’exercice d’un
droit de la part de l’autre partie.
Depuis le Code de procédure civile , la révocation ne
pouvant s’opérer que du consentement unanime des
parties, celle qui est étrangère à la lettre missive n’est
pas obligée de l’accepter : elle est libre de repousser la
révocation. Dès lors , si au lieu d’user de son droit et
de persister dans l’arbitrage, elle déférait à la justice le
litige sur lequel le compromis était intervenu. Il est évi
dent que la cour de cassation consacrerait de plus fort
la doctrine qu’elle sanctionnait en l’an XII. '
512.
— On s’est demandé si le droit conféré aux
parties par l’article 1008 pouvait s’exercer dans le cas
où les arbitres auraient été nommés par justice. Cette
question s’étant présentée en arbitrage forcé avait été
résolue négativement par la cour de cassation. Cette so
lution s’induisait forcément du caractère des arbitres
•
forcés, et c’est sur ce caractère que s’étayait la cour su
prême. Il est évident que remplaçant le premier degré
de juridiction, ces arbitres étaient des juges, et dès lors
de même que pour les juges ordinaires les parties n’a
vaient qu’un droit unique, celui de récusation.
�90
DES SOCIÉTÉS
Mais en arbitrage volontaire le nom des arbitres
doit, à peine de nullité , être indiqué dans le compro
mis, et s’il existait un dissentiment à ce sujet, la justice
n’aurait pas à intervenir. Le refus de signer le compro
mis dispenserait de nommer des arbitres par l’excel
lente raison quil rendrait tout arbitrage impossible.
Cependant les parties pouvant déléguer à un tiers le
choix des arbitres, ou convenir que si ceux qu’elles dé
signent refusaient d’accepter, la nomination de leurs
successeurs serait faite soit par le juge de paix, soit par
un des membres du tribunal civil ou du tribunal de
commerce , soit par l’un ou par l’autre de ces tribu
naux , la question pourrait s’offrir même dans l’arbi
trage volontaire.
Dans ce cas, la faculté de révoquer par consentement
unanime les arbitres nommés , ne nous paraît pas de
voir être contestée. Quel que soit le juge qui a procédé
à la nomination , il n’a agi et pu agir qu’en vertu du
mandat qu’il a reçu. Or quis mandat ipse fecisse videtur. Dès lors la nomination est censée le fait des par
ties qui peuvent évidemment user de la faculté que leur
donne l’article 1008.
513.
— Si les parties ignorant que les arbitres ont
prononcé leur sentence ont procédé à leur révocation
postérieurement à cette sentence , quel sera l’effet de
cette révocation ?
Carré rapportant l’opinion de M. Merson pense avec
lui et comme lui que la question doit être résolue par
�la règle édictée par l’article 2056 du Code civil ; qu’en
conséquence la révocation sera nulle si la sentence est
en dernier ressort, valable si elle est susceptible d’appel.
C’est ce qu’enseignent également MM. de Vatimesnil,
Bellot et Devilleneuve et Massé1.
Il est évident qu’il ne pourrait en être autrement si
les parties terminaient par une transaction le différend
qui avait été déféré aux arbitres. Elles se trouveraient
alors dans l’hypothèse prévue par l’article 2056 , et
c’est par sa disposition qu’elles seraient souverainement
régies.
Mais comment recourir à cet article, si sans transi
ger, si sans terminer le litige les parties ont purement
et simplement révoqué les arbitres, soit pour en nom
mer d’autres, soit pour investir la juridiction ordinaire.
Les pouvoirs des arbitres ont cessé de plein droit par la
prononciation du jugement. Or comment révoquer ce
qui n’existe plus ?
C’est ce qu’enseigne M. Goubeau de la Bilennerie qui
se prononce contre l’opinion de MM. Carré et Merson.
»
»
»
»
»
» S’il pouvait en être ainsi que ceux-ci l’indiquent,
dit cet honorable jurisconsulte , les parties sous le
prétexte d’ignorance pourraient souvent rendre illusoire, par la simple formalité d’une révocation, ce que
la loi a consacré , ce que la cour suprême regarde
comme un lien ex jure de ces mêmes parties ; sa-
1 Page 621 ; — tome 2, p, 1S1 ; — v” q rb ilr., n°. 49.
�92
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
voir que quand une sentence arbitrale définitive est
datée et signée par les arbitres, elle a une existence légale ; que dès ce moment les arbitres ont
rempli la mission donnée par le compromis; que,
par conséquent , leurs pouvoirs ont cessé de plein
droit ; que tout est terminé, que le compromis a pris
fin, qu’il n’y a plus de d élai, et que l’article 1008
n’a plus d’objet.
» Quelle que soit l’ignorance alléguée par les parties
» sur l’existence du jugement au jour il leur a plu de
» révoquer les pouvoirs de leurs juges, cette ignorance
» ne peut empêcher que ce jugement ne soit un fait
» ré e l, qui n’a eu lieu que parce que les arbitres ne
» connaissaient pas le changement de volonté de ceux
» qui les ont institués. D’après cela , la révocation ne
» peut avoir un effet rétroactif, en ce sens qu’elle puisse
» annuler des pouvoirs qui n’existent plus.
» Il est vrai que , dans toutes les circonstances de
» l’arbitrage, les parties, si elles sont toutes d'accord,
» sont libres d’anéantir le compromis, derévoquer leurs
» arbitres, ou de ne pas tenir au jugement définitif que
» ceux-ci auraient rendu ; mais dans ce cas encore, la
» révocation dont parle M. Merson ne peut avoir l’effet
» qu’il lui attribue. Cette voie a un but inutile dès que
» le jugement se trouve rendu.
» Elle est tellement inutile , selon nous, que si l’une
» des parties , apprenant l’existence du jugement après
» avoir donné son consentement à la révocation, vou» lait profiter des avantages que lui présenterait la dé-
�»
»
»
»
»
»
cision, elle pourrait soutenir qu’elle n’est pas liée par
ce consentement puisqu’ était sans objet alors qu’elle l’a accordé ; qu’elle ne pouvait coopérer à détruire ce qui n’existait plus , et que l’obligation est
sans cause ou sur une fausse cause (article 1131 du
Code civil).
»
»
»
»
» Cette partie pourrait en outre justifier que , si elle
a consenti à révoquer les pouvoirs des arbitres, c’était
dans la croyance que ceux-ci n’avaient pas encore
accompli leur m andat, et que leurs opérations n’a vaient pas cessé.1 »
Le caractère juridique de ces considérations ne sau
rait être ni méconnu ni contesté , et n’a pas probable
ment peu contribué à déterminer M. Chauveau à se sé
parer de M. Carré , et à professer un avis diamétrale
ment opposé au sien.
»
»
»
»
»
»
»
M. Chauveau se demande : « Quel effet produirait
une révocation proprement dite postérieure à la sentence arbitrale ? Les règles tracées par l’article 2056
sont-elles applicables dans cette hypothèse ? Nous ne
le pensons pas, » répond-il.
« Il est de principe qu’une sentence , du moment
qu’elle est datée et signée des juges qui l’ont rendue
doit produire son effets. Nul doute que les parties ne
puissent y renoncer, soit en transigeant, so it, sans
1 De Varbit., t. 4, p. 26.
2 Voy. Cassation, 47 mars 4806, et 3 juin 4846.
�DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
même avoir besoin de transiger, par une simple manifestation de leur volonté. Mais cette renonciation
ne résulte pas de la révocation des arbitres ; que le
jugement soit ou non susceptible d’appel,que les p arties aient ou non connu son existence , il importe
peu ; en transigeant elles substituent leurs conven^tions à celles des juges qu’elles ont choisis ; en révoquant des arbitres dont le pouvoir n’existe plus elles
font un acte inutile et sans objet. La sentence rendue
produit ses résultats légaux à moins qu’une convention expresse ou implicite ne les annulle.1»
Nous ne croyons pas qu’on puisse hésiter. La solu
tion de la question dépend de la nature de l’acte con
senti par les parties. S’agit-il d’une révocation pure et
simple des arbitres pour déférer le procès soit à d’autres
arbitres, soit à la juridiction ordinaire ? L’acte posté
rieur à la sentence est nul et ne saurait empêcher celleci de produire son effet.
Les parties ont-elles, au contraire, transigé et terminé
le procès sur lequel elles avaient compromis, on appli
querait l’article 2056 du Code civil. Nulle si la sentence
a force de chose jugée , la transaction sera valable si la
voie de l’appel était ouverte. La nullité dans le premier
cas ne serait couverte que par la preuve que celui qui
s’en prévaut connaissait la sentence. Alors , en effet , il
en aurait en transigeant répudié le bénéfice , ce qu’on
est toujours libre de faire.
Question 3286, — Conf. Thomines-Desmazure, t. 2, p. 660.
�ART.
51 A 63.
95
514.
— Si les parties ne peuvent isolément révo
quer les arbitres , il ne s’ensuit pas que celle d’entre
elles qui aurait juste motif de douter de leur indépen
dance ou de leur impartialité dût se soumettre à leur
décision. Une pareille obligation eût été injuste et ne
pouvait par conséquent entrer dans les prévisions du
législateur. De là la faculté de récusation accordée à
chacune des parties.
L’article 1014 du Code de procédure civile qui con
cède le d ro it, est muet sur les causes qui peuvent en
motiver l’exercice. Fallait-il conclure de ce silence que,
moins exigeant pour les arbitres que pour les juges, le
législateur abandonnait l’appréciation de ces causes, en
ce qui concerne les premiers, à l’arbitrage souverain des
tribunaux ? C’était inadmissible et de là l’opinion uni
versellement admise qu’il fallait pour ceux-ci comme
pour ceux-là s’en référer aux dispositions du Code de
procédure.
Mais ces dispositions établissent des règles diverses
selon qu’il s’agit de la récusation des experts, des juges
de paix ou des magistrats ordinaires. L’accord qui exis
tait sur le principe a cessé quand il s’est agi de son
application. Mais l’opinion qu’on devait recourir aux
règles édictées par l’article 378 du Code de procédure
civile a été le plus généralement adoptée. Les arbitres
ne sont en définitive ni des experts ni des juges de paix.
Chargés de statuer sur un litige, ils sont, quant à ce, des
juges. Il convenait donc de les placer , dans l’excercice
�96
DES SOCIÉTÉS
de leurs fonctions , sous la protection des garanties as
surées aux juges ordinaires.
Mais la circonstance que les arbitres volontaires sont
nommés par les parties appelait une modification. Les
parties en signant le compromis et en acceptant les ar
bitres respectivement choisis, sont censés les avoir nom
més l’un et l’autre. On ne pouvait donc leur permet
tre de revenir contre leur consentement, et d’invoquer
pour la récusation des arbitres des causes qui , malgré
qu’elles existassent antérieurement au compromis,
ne les avaient pas empêché de les choisir ou de les ac
cepter.
Aussi l’article 1014 du Code de procédure civile ne
permet-il la récusation des arbitres que pour causes
survenues depuis le compromis. Mais faut-il que ces
causes aient non-seulement existé, mais encore qu’elles
fussent connues , ou suffit-il qu’elles existassent anté
rieurement ?
L’opinion de M. Carré dans ce dernier sens n’a pas
rencontré grand accueil dans la doctrine. Il semble en
effet que la portée de l’article 1014 est nettement indi
quée par son esprit. Son fondement est qu’en nommant
ou qu’en acceptant les arbitres qui étaient déjà dans le
cas d’être récusés, les parties sont censées avoir renoncé
à se prévaloir de la cause qui les plaçait dans cette po
sition.
Or, comment admettre une renonciation si ces par
ties ont ignoré cette position et le droit qui en naissait
pour elles ? On ne peut aliéner un droit que si on en
�a.bt.
51 a 63.
97
connaît l’existence , que si par cette connaissance on
sait qu’on peut l’exercer. N’est-ce pas ainsi que la loi
l’a entendu , lorsque dans l’article 1109 du Code civil
elle déclare non valable le consentement qui serait le
fruit de l’erreur , de la surprise ou du dol. Or , dans
notre espèce , n’y aurait-il pas outre l’erreur, surprise
ou d o l, si l’arbitre n’avait pas déclaré la position dans
laquelle il se trouvait, ou si la partie connaissant cette
position ne l’avait pas révélée à l’autre ?
L’article 1014 suppose donc que les causes-antérieures au compromis dont il défend de se prévaloir étaient
connues des parties au moment du compromis. En
conséquence, si la découverte n’en a eu lieu qu’après le
compromis, elles peuvent être utilement invoquées et
devraient, si elles sont justifiées, faire admettre la récu
sation 1.
515.
— Dans quelle forme doit être réalisée la ré
cusation ? Doit-on suivre les prescriptions des articles
384 et suivants du Code de procédure civile ? Suffit-il,
au contraire, de la signification à la personne de l’ar
bitre ?
Ici encore le silence de la loi spéciale a motivé la
controverse. MM. Carré , Merson, Montgalvy, Goubeau
se prononcent pour la signification à personne. Ils ne
pensent pas que les considérations révérentielles qui ont
i Boitard, t. 3, p. 443 ; — Thomines D esm azures, t. 3, p. 669 ; _
Goubeau, 1 . 1, p. 232 ; — Chauveau, quest. 3346.
m
7
�93
DES SOCIÉTÉS
fait promulguer les articles 384 et suivants puissent
être invoquées en faveur cbs arbitres volontaires ; et
estiment que la suppression des greffiers des arbitrages
a rendu impossible de satisfaire à leurs exigences.
« Puisque, dit M. Goubeau, l’institution des greffiers
» des arbitrages n’existe p lu s, il faut nécessairement
» recourir, pour la récusation des arbitres, à d’autres
» formes, lesquelles puissent en même temps se conei» lier avec celles prescrites pour la récusation des juges
» ordinaires , et offrir le caractère et la régularité con» venable; autrement le tribunal ne serait pas tenu de
» s’arrêter à une récusation irrégulière d’après ce qu’a
» décidé la cour de cassation le 15 brumaire an XII.
» A défaut donc de règles spéciales , il y a nécessité
» de se conformer à celles qui donnent aux actes foi et
» date certaines, et qui conduisent au but que s’est
» proposé le législateur. En conséquence, la récusation
» des arbitres doit être proposée par un acte extrajudi» claire, notifié à l’arbitre par le ministère d’un huis» sier, et comme cet officier devra se reporter aux dis» positions des articles 45 et 384 du Code de procé» dure civile , pour ce qui constitue l’acte de récusa
is tion d’un juge, il y reconnaîtra que son exploit doit
» contenir les motifs de la partie pour récuser l’arbi» tre, et que cet acte doit être signé, sur l’original et la
» copie, par cette partie ou par son fondé de procura» tion authentique et spéciale, laquelle doit y demeurer
» annexée.1 »
�art.
51
a
63.
99
M. de Vatismenil, avec grande hésitation d’ailleurs,
voudrait que la notification fut faite par l’intermédiaire
du greffier du tribunal dont le président revêt la sen
tence arbitrale de l’ordonnance d’exéquatur, et dans les
formes prescrites par l’article 385 du Code de procédure
civile.
M. Chauveau n’hésite p a s , lui. Il déclare carrément
que c’est là la seule solution juridique que comporte la
question, parce que les arbitres étant assimilés aux ju
ges, ce qui est prescrit pour ceux-ci s’applique naturel
lement à ceux-là L
Nous ne poussons pas l’assimilation à ce point, et
nous ne saurions admettre que la loi ait vu du même
œil les magistrats qu’elle a elle-même institués, et les
arbitres, surtout les arbitres volontaires qui tiennent
leur autorité des parties exclusivement.
Sans doute ceux-ci sont juges quant au litige sur le
quel ils doivent prononcer. Mais après qu’ils auront
rendu leur sentence , et quelquefois même avant par la
seule expiration du délai ou par tout autre des événe
ments prévus par l’article 1012 , ils perdent cette qua
lité , redeviennent de simples citoyens sans avoir rien à
redouter d’une récusation qui, dirigée contre le juge, a
laissé parfaitement intacte l’honorabilité du citoyen.
Il n’en est pas de même du magistrat. Le scandale
d’une poursuite qui porterait atteinte à son caractère,
Question 3318.
�DES SOCIÉTÉS
compromettrait sa dignité , affaiblirait le prestige dont
ses fonctions doivent être entourées,et le respect dont elles
ne sauraient se passer, exigeait, dans un intérêt public,
qu’on ne lui permit d’arriver jusqu’à celui qui en serait
l’objet qu’après qu’au jugement de ses pairs son admis
sibilité aurait été reconnue et consacrée.
Gomment d’ailleurs oublier que le législateur a posi
tivement refusé ce que M. Chauveau prétend induire de
ses dispositions ? En effet, la section de législation prorposait de constater dans la loi que la récusation des
arbitres aurait lieu dans la même forme que celle
des magistrats ordinaires ; mais cette proposition fut
écartée.
M. Chauveau en conclut que l’intention de l’admettre
ainsi résulte de la reconnaissance du caractère du juge
chez l’arbitre. Mais nous venons d’indiquer la distance
qui sépare ce juge de hasard et si éphémère du juge
véritable, et l’on ne comprendrait pas le refus du con
seil d’Etat d’exprimer l’intention que lui prête M. Chau
veau, si réellement cette intention était la sienne.
Dans l’opinion de M. Chauveau, on devra suivre la
marche tracée par l’article 385, c’est-à-dire que sur la
communication de l’acte de récusation et sur le rapport
du président le tribunal jugera si la récusation est ou
non admissible. Evidemment ce rapport et ce jugement
prendront pour bases les explications officieuses du ma
gistrat récusé. Comment le président se ferait-il autre
ment une opinion ? Comment le tribunal pourrait-il
�ART.
51
A
63.
101
sainement apprécier le caractère de la demande à dé
faut de ces explications.
Or , tout cela facile dans le cas de récusation d’un
juge présent sur les lieux et ayant forcément des rela
tions journalières avec le président, avec ses collègues,
le sera-t-il dans le cas de récusation d’un arbitre? Ce
lui-ci peut résider à dix lieues du siège du tribunal. In
vité par le président à venir lui donner des explications,
il pourra être dans l’impossibilité de le faire : faudrat-il que le président se transporte au domicile de l’ar
bitre ? devra-t-il se livrer à une enquête ? sera-t-il ré
duit à se former une opinion sur les apparences, et le
tribunal jugera-Uil au hasard et en aveugle ?
Ainsi, à la différence dans les positions viennent s’a
jouter les difficultés et les embarras que soulèverait
l’exécution de la loi ; difficultés et embarras qui expli
queraient et justifieraient le rejet de la proposition de
la section de législation du tribunat.
M. Chauveau cite comme préjugeant en faveur de son
opinion un arrêt de la cour de Montpellier, du 26 juin
1834. Or , cet arrêt est la condamnation expresse de
cette opinion.
Dans l’espèce, la récusation avait été signifiée direc
tement à l’arbitre par exploit d’huissier ; mais cet ex
ploit n’était signé du récusant ni sur l’original ni sur la
copie.
Si la cour de Montpellier avait été de l’avis de M.
Chauveau , elle n’eût pas manqué d’annuler la récusa
tion pour n’avoir pas été faite par la voie du greffe. Il
�102
DES SOCIÉTÉS
n’en est rien cependant et c’est sur le défaut de signature
qu’elle fonde la nullité.
Donc, si l’exploit avait été signé la récusation aurait
été déclarée valable. Or, est-ce là ce que M. Chauveau
enseigne ? Ce que la cour consacre c’e s t, non l’opinion
de M. Chauveau , mais celle de M. Goubeau que nous
transcrivions tout-à-l’heure et qui est en définitive celle
qui a prévalu dans la pratique.
516.
— La question de savoir dans quel délai doit
être réalisée la récusation des arbitres, soit forcés soit
volontaires, a été diversement appréciée. M. Pardessus
se fondant sur ce qui est prescrit pour les experts, n’ac
corde que trois jours à partir de celui où la nomination
a été notifiée.
M. Merson et avec lui M. Carré trouvent ce délai par
trop court. La récusation ne pouvant avoir lieu que
pour des causes graves , et la demande devant être ap
puyée d’une preuve par écrit, ou tout au moins d’un
commencement de preuve, la partie est forcée de se li
vrer à des recherches qu’il lui serait souvent impossible
de réaliser dans trois jours. En conséquence, ils sont
d’avis que le délai doit être porté à quinze jours , par
analogie avec ce que prescrivait l’article 6 du décret du
2 octobre 1793 relatif aux arbitres chargés de statuer
sur les contestations des communes.
Nous comprenons que la question ait pu s’agiter dans
l’hypothèse d’arbitres forcés nommés par les juges. Mais
à ce point de vue elle a perdu tout in térêt, et il serait
�ART.
51 A 63.
103
oiseux de s’en occuper. Quant à se présenter dans
l’arbitrage amiable , nous n’en voyons guères la possi
bilité.
On ne saurait admettre qu’un tribunal puisse impo
ser la juridiction arbitrale à celui qui n’en voudrait
pas, et nommer d’office les arbitres. S’il fait cette nomi
nation ce ne sera que parce que le compromis lui en
déléguera le soin , et nous le disions tout à l’heure , la
nomination sera censée émaner de la partie quis man
dat, ipse fecisse videtur.
D’ailleurs comment concilier l’idée d’un délai quel
conque avec la disposition de l’article 1014 n’admettant
la récusation que pour causes survenues depuis le com
promis, ou , avons-nous ajouté , découvertes postérieu
rement ? Qu’adviendrait-il, en effet, dans l’hypothèse
d’un délai de trois ou de quinze jours , si la cause ne
survenait ou n’élait découverte que dans un temps plus
ou moins long après son expiration ? Eaudrait-il décla
rer la partie déchue faute d’avoir exercé un droit qui
n’était pas même né ?
Donc s'il fallait imposer un délai, ce ne pourrait être
que celui déterminé par l’article 382 du Code de pro
cédure civile. Sans doute il importe que des difficultés
de cette nature , qui mettent en suspicion le caractère
du juge et suspendent ses pouvoirs, soient jugées le plus
promptement possible. Mais la diligence s’impose d’ellemême aux parties, puisque certains actes ou faits posté
rieurs à la connaissance de la cause de récusation , tels
qu’une comparution, ou la remise des pièces, etc., empor-
�104
DES SOCIÉTÉS
feraient renonciation à s’en prévaloir, et feraient repous
ser la récusation. On peut donc s’en reposer sur l’inté
rêt que la partie a d’agir immédiatement pour éviter de
se voir opposer une fin de non recevoir devant laquelle
viendrait échouer son action quelque fondée, quelque
juste qu’elle fût d’ailleurs.
S i 7. — La juridiction arbitrale étant essentielle
ment exceptionnelle, les arbitres n’ont d’autres pouvoirs
que ceux que leur confère expressément le compromis.
C’est pour assurer l’exécution de cette règle qu’on a
exigé que le compromis indiquât les objets en litige à
peine de nullité.
Or, quel que soit cet objet, la récusation des arbitres
ne s’y réfère ni-principalement ni accessoirement. Elle
reste en dehors du compromis, précisément parce qu’elle *
ne peut s’agiter que postérieurement à ce compromis.
Donc les arbitres n ’ont ni droit ni qualité pour l’appré
cier et y statuer.
Les parties peuvent-elles déroger à cette règle, et
dans la prévision d’une récusation charger les arbitres
de prononcer sur son admissibilité ? On a voulu fonder
la négative sur cette considération que c’est là déroger
à l’ordre des juridictions , et que cette matière étant
d’ordre public , il n’était pas donné aux parties d’en
modifier les règles; mais cette opinion n’a pas été ad
mise. Il est vrai que la récusation est un litige, non en
réalité entre les parties , mais entre le récusant et l’ar
bitre récusé. Mais le consentement de celui-ci à être
�jugé par ses pairs résulte de son acceptation en l’état
d’un compromis qui autorise cette juridiction. Une
convention et un engagement de ce genre n’ont rien
de contraire à la l o i, aux bonnes mœurs , à l’ordre
public.
Ce qui présenterait ce caractère c’est la clause qui
constituant les arbitres juges et parties, les autoriserait
à prononcer sur leur propre récusation. Aussi le pou
voir de juger la récusation que donnerait le compromis
ne s’adresserait qu’aux arbitres non récusés, et ne sau
rait être ni revendiqué ni exercé par celui qui serait
l’objet de la récusation.
En conséquence , supposez une récusation en masse
du tribunal arbitral, l’appréciation de ses fondements
serait forcément dévolue au tribunal qui devrait connaî
tre des récusations isolées, si le compromis ne les défé
rait pas aux arbitres, et ce tribunal serait celui qui au
rait connu du litige , si les parties n’avaient pas com
promis.
Vainement exciperait-on de ce que le compromis
donnerait pouvoir aux arbitres de juger les récusations.
Les tribunaux civils ordinaires ont la plénitude de juri
diction, et leurs membres présentent au moins les mê
mes garanties de désintéressement et d ’impartialité que
les arbitres. Cependant dans le cas d’une récusation en
masse, la loi les désinvestit de la connaissance de la ré
cusation et l’attribue à la cour d’appel. Pourquoi donc
reconnaîtrait-elle aux arbitres un droit qu’elle refuse
aux tribunaux de première instance ?
�m
DES SOCIÉTÉS
Ce qui pourrait résulter de la nécessité de recourir
au tribunal compétent serait l’impossibilité pour les ar
bitres de remplir légalement et utilement la mission qui
leur avait été donnée. On sait que l’expiration du délai
conventionnel ou légal met fin au compromis. Or, la ré
cusation soit personnelle soit en masse peut être faite
dans un moment si voisin de cette expiration, que quel
que diligence qu’on y mette , il ne pourra y être statué
qu’après cette expiration , et l’on comprend que c’est
précisément ce moment que choisira la partie qui a
lieu de craindre une condamnation , pour lancer une
récusation qui n’aura d’autre fondement et d’autre but
que le désir d’échapper à cette condamnation.
Il est regrettable que cette prévision qui n’a pu échap
per au législateur, ne l’ait pas déterminé à faire, pour
la récusation, ce que l’article 1015 fait pour l’inscrip
tion de faux, et à consacrer la suspension du délai pen
dant l’instruction et jusqu’au jugement définitif.
Ce qui en résulterait, en effet, serait de rendre vai
nes les précautions prises pour empêcher que le sort de
l’arbitrage fût livré au caprice des parties. Vainement
l’article 1008 aurait subordonné la révocation des ar
bitres au consentement unanime des parties. Celle d’en
tre elles qui voudrait obtenir cette révocation y arrive
rait indirectement par une récusation en réalité sans
fondement , exercée à un moment où , par l’expiration
prochaine du délai, aucune sentence ne pourrait inter
venir en temps utile.
Or une pareille inconséquence n’a pu entrer dans
�ART.
51
A
63.
407
l’esprit du législateur. Cette conviction portait la cour
de Bordeaux à juger , le 23 avril 4833 : « Qu’il n’est
» pas interdit aux arbitres, lorsque l’instruction est
» complète, ou lorsque les délais du compromis sont
» prêts d’expirer , ou lorsqu’il y a urgente nécessité de
» terminer l’arbitrage, de passer outre au jugement du
» fond malgré la récusation, surtout lorsque les motifs
» allégués ne portent pas sur des faits survenus posté» rieurement au compromis ;
» Que passer outre ou refuser de surseoir jusqu’au
» jugement de la récusation, ce n’est pas juger la récu» sation, et ce passé outre ne fait pas obstacle à ce
» que le jugement de la récusation soit déféré aux juges
» qui doivent en connaître , et, au cas d’admission, à
» ce que la sentence arbitrale soit considérée comme
» non avenue. »
Cet arrêt fut déféré à la cour de cassation et le pour
voi admis par la chambre des requêtes ; mais devant
la chambre civile M. l’avocat général Laplagne-Barris
concluait au rejet.
Admettant le principe que les arbitres ne peuvent
juger la récusation formée contre eux , M. l’avocat gé
néral faisait remarquer que , dans l’espèce, les arbitres
n’avaient pas déclaré la récusation mal fondée , mais
seulement décidé qu’il y avait lieu de passer outre.
« Or, ajoutait-il, passer outre ou refuser de surseoir
» ce n’est pas juger la récusation ; ce n’est donc pas
» statuer hors des termes du compromis. D’ailleurs
» s'il était possible d’admettre que les arbitres doivent,
�\ 08
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
dans tous les cas, s’arrêter devant une récusation , il
en résulterait qu’au moyen d’une récusation fondée
sur des motifs même absurdes, on pourrait suspendre
indéfiniment l’exécution d’un arbitrage. En effet, aucune règle n’est tracée par la législation, aucun délai n ’est imparti pour le jugement des récusations
contre les arbitres. Une fois la récusation notifiée,
la partie pourrait donc ne faire aucune diligence
pour la faire juger, et, dans cet état, la contestatiorf
soumise aux arbitres attendrait vainement une solution.
» On invoque, poursuit M. l’avocat général, les rè» gles suivies en matière de récusation soit d’un juge
» de paix, soit de tout autre juge. Mais on oublie que,
» même dans ce c a s , le juge ne cesse pas d’être juge
» et de connaître de l’affaire à l’instant même où il est
» récusé ; il ne cesse de pouvoir en connaître qu’à par» tir du jugement qui ordonne que la récusation lui
» sera communiquée. Si le système du demandeur en
» cassation était ad m is, il en résulterait que la notifi» cation de la récusation aux arbitres suffirait pour les
» dépouiller de la connaissance de l’affaire, tandis qu’il
» faut un jugement pour que le juge ordinaire soit
» provisoirement obligé de s’abstenir ; d’où la consé» quence que les garanties offertes aux parties par les
» formalités de la récusation d’un juge n’existeraient
» pas lorsqu’il s’agit de la récusation d’arbitres, ce qui
» présenterait les plus graves inconvénients. Il faut
» donc conclure que les arbitres ne sont pas tenus , à
�art.
B1 a 63.
409
» peine de nullité , de surseoir , en cas de récusation,
» au jugement de la contestation qui fait l’objet du
» compromis........... Il faut d’ailleurs remarquer qu’il
» n’y a aucun inconvénient à ce que les arbitres, sans
» avoir égard à la récusation, passent outre et statuent
» sur le litige, car la récusation peut être toujours,
» nonobstant la sentence arbitrale , portée devant les
» juges compétents ; e t , si la récusation est admise, le
» jugement arbitral tombera ; si elle est rejetée , il sera
» maintenu, de sorte qu’aucune partie n’aura à souffrir
f> du retard qu’un sursis aurait pu entraîner. »
M. Chauveau ne fera pas à ce réquisitoire le repro
che qu’il croit devoir adresser à l’arrêt de la cour de
Bordeaux, à savoir : 1° de supposer qu’il existe un dé
lai dans lequel les parties doivent, à peine de déché
ance, proposer leurs moyens de récusation ; 2° d’accor
der aux arbitres le droit de décider que ces moyens sont
tardivement proposés ; 3° de sembler leur permettre de
déclarer les motifs de la récusation frivoles et sans im
portance. Rien de tout cela ne se trouve ni dans la
pensée ni dans les paroles de M, Laplagne-Barris. Ce
dont il se préoccupe exclusivement c’est d’examiner si
les arbitres peuvent passer outre, ou sont tenus de sur
seoir sous peine de nullité de la sentence, et la solution
qu’il adopte est de tous points irréprochable.
En droit, en effet, une nullité ne peut être admise
que si elle est édictée par une disposition de loi, ou que
si elle s’induit delà violation d’un commandement po
sitif. Or, où est le texte qui frappe de nullité la sentence
�140
DES SOCIÉTÉS
que les arbitres rendraient sans avoir égard à la récu
sation qui leur est notifiée ? Où la disposition qui leur
fait un devoir de s’abstenir et de surseoir devant cette
récusation ?
Voudra-t-on l’induire de l’article 387 du Code de
procédure civile ? Le réquisitoire répond à cette pré
tention, et nous ne saurions rien ajouter à cette réponse
si péremptoire.
Prétendra-t-on recourir par analogie à Partiel 101 S?
Mais le devoir de s’abstenir dans ce cas nait de ce fait,
que le délai de l’arbitrage est suspendu jusqu’au juge
ment. Or, si au point de vue de cette suspension l’arti
cle n’est pas applicable à la récusation , pourquoi l’y
appliquerait-on quant à l’obligation de surseoir ?
D’ailleurs cette obligation n’existe, en cas d’inscrip
tion de faux ou d’incident criminel , qu’en force de la
disposition formelle de cet article 1015. Donc , si cette
disposition ne figurait pas dans le Code , il n’y aurait
nécessité de surseoir ni dans le cas d’inscription de faux,
ni dans celui d’incident criminel.
Donc , si la loi eût voulu , pour la récusation , ce
qu’elle exige dans l’un ou l’autre cas , elle s’en fût ex
primée, et son silence ne peut avoir pour celle-ci d’au
tre conséquence que celle qu’il créerait pour ceux-ci.
Le caractère éminemment juridique des considéra
tions invoquées par M. l’avocat général ne pouvait man
quer d’impressionner la cour suprême. Aussi est-ce par
ces considérations qu’elle motive le rejet du pourvoi
qu’elle prononçait le 4Wfévrier 4837.
�ART.
51 A 63.
411
518.
— Dès qu’il s’agit de soumettre la récusation
au tribunal qui doit y statuer, l’instruction soit en pre
mière instance , soit sur l’appel est celle que prescri
vent les articles 389 et suivants du Code de procédure
civile. Il ne saurait y avoir à ce sujet ni difficulés ni
doutes.
Le récusant n’a pas à mettre en cause ses adversaires
dans l’instance arbitrale , mais chacun d’eux est libre
d’y intervenir et d’y prendre qualité. Leur intérêt à voir
la récusation écartée est incontestable, surtout en arbi
trage volontaire , et il n’en existe pas d’autre aujour
d’hui. L’admission de la récusation désorganise le tri
bunal arbitral, et met fin au compromis à moins d’une
nouvelle entente entre toutes les parties , et occasionne
ainsi une perte de temps et des frais exposés jusque-là.
Cet intérêt serait surtout et bien plus encore évident,
si les arbitres ayant passé outre malgré la récusation,
sa consécration aurait pour conséquence nécessaire et
forcée la nullité de la sentence.
L’arbitre récusé lui - même n ’est pas nécessairement
partie dans l’instance et ne doit pas non plus y être
appelé : son rôle se borne à fournir ses explications sur
les causes alléguées, soit à la suite et en réponse à la
notification qui lui en a été faite , soit par acte au
greffe si un jugement déclarant la récusation admissible
a prescrit ces explications. Ce rôle purement passif s’ex
plique et se comprend. Il s’agit de savoir si l’arbitre
pourra ou non faire fonctions de juge. Or pourrait-il
les remplir , si descendant dans l’arène judiciaire il se
�112
DES SOCIÉTÉS
faisait l’adversaire de celui qu’il prétend juger ? Il faut
donc qu’il attende à l’écart la décision du tribunal.
Mais lui aussi est libre de prendre qualité , et il le
doit si arguant d’un préjudice matériel ou moral, il de
mande des dommages-intérêts contre le récusant. On
remarquera, en effet, que l’article 390 du Code de pro
cédure civile déclare celui-ci, en cas de rejet de la de
mande, passible non-seulement d’une amende qui ne
peut être moindre de cent francs, mais encore de dom
mages-intérêts envers le récusé. Il va sans dire que l’ar
bitre en exerçant cette action se récuserait lui-même et
se mettrait dans l’impossibilité de juger désormais.
La demande en récusation n'a donc aucun contradic
teur nécessaire et forcé ; mais elle doit, au moment mê
me où elle se produit en justice, être étayée d’une preuve
par écrit ou d’un commencement de preuve. A défaut,
elle peut être rejetée sur la simple déclaration de l’ar
bitre récusé. Par arrêt du 16 novembre 1825 , la cour
de cassation déclarait que l’arrêt qui, en cet é ta t, refu
sait d’admettre la preuve des faits allégués ne tombait
pas sous le coup de sa censure.
De ce que l’article 389 n’ajoute pas les mots p a r écrit
à ceux de commencement de preuve, Pigeau concluait
que le commencement de preuve pouvait être établi de
toute autre manière. Mais c’était là une erreur que la
doctrine a repoussée. Le commencement de preuve que
la loi admet est exclusivement le commencement de
preuve par écrit ; les fermes de l’article 1347 du Code
civil ne permettent même pas le doute.
�ART.
51 A 63.
413
Si le commencement de preuve par écrit existe , le
juge pourra ordonner la preuve testimoniale. Dans ce
cas l’enquête a lieu devant un juge commis , mais sous
les formes ordinaires, à moins que par suite d’une in
tervention , soit de la partie soit de l’arbitre récusé,
l’instance soit devenue contradictoire.
519.
— Tout jugement sur récusation , même sur
les matières où le tribunal de première instance juge
en dernier ressort, sera susceptible d’appel.
Celte disposition de l’article 391 du Code de procé
dure civile a donné naissance a quelques questions et
soulevé des controverses. Quelques auteurs et notam
ment M. Demiau-Crousilhac \ enseignent que la voie
d’opposition est ouverte soit à l’adversaire du récusant,
soit au juge récusé lui-même.
Cette opinion, outre qu’elle est condamnée par le si
lence de l’article 391 sur l’opposition, se trouve en op
position avec les principes les plus élémentaires sur
cette voie de recours contre les jugements et arrêts.
Le silence de l’article 391 est d’autant plus signifi
catif , que l’article 26 du titre 24 de l’ordonnance de
1667 portait: les jugements rendus sur récusation
seront exécutés nonobstant o p p o s i t i o n s ou
appellations. En retranchant le mot opposition, le
nouveau législateur n’a-t-il pas suffisamment fait con
naître son intention, et peut-on logiquement conclure
1 Page 286.
III
8
�114
DES SOCIÉTÉS
qu’il n’a fait ce retranchement que pour maintenir cette
voie de recours ?
Si l’article 391 ne consacre pas le droit d’opposition,
c’est qu’il ne devait pas et ne pouvait pas le consacrer.
L’exercice de ce droit suppose nécessaire un jugement
de défaut, et chacun sait en quoi consistent ces juge
ments et les conditions dans lesquelles ils peuvent in
tervenir.
Or , dans les jugements sur récusation , l’adversaire
du récusant et le juge récusé non-seulement n’ont pas
été appelés , mais encore n’ont pas dû l’être. Comment
dès lors les considérer comme prononcés par défaut, et
par conséquent susceptibles d’opposition ? Comment ac
corder cette voie à ceux qui n’avaient pas même le
droit à être partie au procès et qui ne l’ont pas été.
Mais l’adversaire du récusant et le juge récusé pour
ront-ils émettre appel du jugement qui admet la récu
sation ? Nous avons vu que le premier peut avoir inté
rêt à ce que l’arbitre reste juge ; que l’honneur ou la
moralité du second peut avoir à souffrir du retrait de sa
qualité. Mais cet intérêt ne donne à l’un ou à l’autre
que le droit d’intervenir dans l’instance , et si celte in
tervention a été réalisée, le droit d’appeler du jugement
qui a refusé d’y faire droit ne saurait être contesté.
A défaut d’intervention ils ne sauraient revendiquer
la faculté d’émettre appel. Celte faculté n’appartient
qu’à ceux qui ont été parties dans l’instance sur la
quelle le jugement est intervenu, et l’adversaire du ré
cusant et le juge récusé ne l’ont été ni l’un ni l’autre.
�art.
51
A
63.
415
Vainement M. Chauveau objecte-t-il que la récusa
tion n’est qu’un incident survenu dans la contestation
principale ; que la partie non récusante est toujours en
cause; que la récusation se lie avec le fond. Mais si
cette objection avait un fondement sérieux , les arbitres
seraient de droit juges delà récusation. En effet, le tri
bunal compétent $our statuer sur le fond est naturelle
ment appelé à prononcer sur les incidents.
D’ailleurs l’incident quel qu’il soit ne doit-il pas être
vidé contradictoirement avec les parties au procès ? Ce
lui qui le soulève n’est-il pas tenu de les mettre à mê
me de le discuter, de se défendre ? M. Chauveau n’irait
pas certes jusqu’à soutenir qu’il doit en être ainsi pour
le récusant.
Sans doute la récusation peut suspendre la marche
du procès principal ; des opérations urgentes peuvent
être nécessaires ; la partie adverse a donc intérêt à être
présente à la procédure de la récusation. Mais si cet
intérêt existe elle y interviendra , comme elle en a le
droit ; si elle n’use pas de ce d roit, c’est qu’elle ne s’y
croit pas intéressée. Et pourquoi la loi dirait-elle pour
elle oui, lorsqu’elle dit elle-même non ? 1
Il n’y a donc pas à hésiter. Le droit d’appel ne peut
être exercé que par ceux qui ont été parties au procès.
Dans la récusation, ni l’adversaire du récusant, ni le
juge récusé ne sont parties dans le sens de la loi ; ils
1 Cassation, 14 avril 1829.
�116
DES SOCIÉTÉS
ne le deviennent que s’ils sont intervenus : donc à dé
faut d’intervention ils ne sont ni recevables ni fondés à
appeler du jugement.
La seule partie apte à le faire dans ce cas est le ré
cusant lui-même ; mais on comprend qu’elle n’usera
de son droit que si la récusation est rejetée. Pourquoi
attaquerait-elle le jugement, si ce quelle demandait lui
était accordé ? Il est dès lors évident que dans ce der
nier cas le jugement qu’il se gardera bien d’attaquer,
ne pouvant l’être par personne autre, deviendra forcé
ment définitif.
520.
— Il ne sera l’objet d’un appel que s i , par
une intervention régulière , la partie adverse ou le juge
a pris qualité dans la poursuite. Dans ce cas quelle sera
la forme de cet appel? Devra-t on suivre uniquement
les prescriptions des articles 39â et suivants du Code de
procédure civile ? L’appelant devra-t-il au contraire in
timer soit le récusant, soit l’adversaire, soit le juge, se
lon que l’appel sera émis par l’un ou par l’autre ?
La question s’étant présentée à la cour de Rouen,
c’est dans le premier sens qu’elle avait été résolue.
A la suite d’un arbitrage convenu entre les sieurs Rapilly et Lamiot, les arbitres s’étant trouvés partagés d’o
pinion avaient choisi M. Clouet pour tiers arbitre chargé
de les départager. Mais le sieur Rapilly prétendant avoir
contre lui des motifs légitimes de récusation, lui signifia
de s’abstenir.
Sur cette signification , Lamiot, prenant l’initiative,
�ART.
51 A 63.
117
assigne Clouet et Rapilly devant le tribunal de première
instance pour voir dire que la récusation proposée ne
serait pas admise, et que Clouet serait tenu de pronon
cer la sentence.
Le tribunal d’Evreux ayant repoussé cette demande
et admis la récusation, Lamiot se pourvoit par appel et
cette fois sans intimer ni Rapilly ni Clouet.
Le 25 avril 1836 , arrêt de la cour de Rouen , qui,
faisant droit à l’appel, infirme le jugement, repousse la
récusation et condamne Rapilly à cent francs de dom
mages-intérêts.
Celui-ci attaque l’arrêt par la voie de la tierce-oppo
sition; mais un second arrêt du 31 mai 1836 repousse
cette tierce-opposition comme non recevable. '
Rapilly se pourvoit en cassation contre ces deux ar
rêts. Il reproche à la cour de Rouen :
1° D’avoir violé les principes relatifs à l’appel et
excédé ses pouvoirs en admettant l’appel de Lamiot,
bien qu’il ne fût pas partie nécessaire au procès , l’ins
tance en récusation n’intéressant directement que le ré
cusant et le récusé ;
2° D’avoir violé l’article 394 du Code de procédure
civile en ce qu’elle avait suivi la procédure spéciale in
troduite pour le cas de récusation d’un juge , et pro
noncé sans appeler Clouet ni Rapilly, tandis que le Code
ne traçant aucune règle particulière pour la récusation
des arbitres , elle aurait dû s’en référer aux principes
généraux de la procédure ;
3° D’avoir violé l’article 474 du Code de procédure
m m
�118
DES SOCIÉTÉS
civile en déclarant non recevable la tierce opposition
formée par lui contre l’arrêt du 25 avril 1836 , quoi
que cet arrêt préjudiciât à ses d roits, et qu’il n’y eût
point été appelé.
Mais par arrêt du 28 février 1838, la cour rejette le
pourvoi, après avoir, dans un premier m otif, constaté
que le droit d’appel appartient à tous ceux qui ont été
parties au jugement, la cour suprême ajoute :
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« Sur le deuxième moyen, considérant que si le Code
ne contient aucune disposition formelle relativement
au mode et aux formes de récusation en matière d’arbitrage , l’arrêt en appliquant les règles qu’il a tracées quant à la récusation des juges, a pu et dû, par
une saine interprétation , suppléer au silence de la
loi ;
» Sur le troisième moyen, considérant qu’en matière
de récusation de juges , le Code a tracé une forme
particulière, qui, dans l’intérêt public, exclut la présence de la partie qui a proposé des motifs de récusation ; qu’ainsi les principes sur la tierce opposition
ne peuvent recevoir d’application à l’espèce.1 »
Nous convenons que tous ceux qui ont été parties au
jugement sont recevables à en appeler* que dans le si
lence de la loi sur la procédure à suivre pour la récu
sation des arbitres, on doit s’en référer à celle prescrite
pour la récusation des juges. Ce en quoi nous différons
�ART
51 A 63.
avec la cour de Rouen et la cour de cassation, c’est
sur la nécessité d’appliquer , dans tous les cas , la dis
pense d’appeler les parties édictée par l’article 394 du
Code de procédure civile.
Si, ce qui est incontestable, la loi a tracé une procé
dure spéciale en matière de récusation, c’est qu’elle s’e'st
placée dans une hypothèse exceptionnelle et spéciale,
celle d’une action s’agitant entre le récusant et le récusé
exclusivement.
Ce caractère résulte invinciblement, quant à la procé
dure en première instance des articles 352 et suivants
du Code de procédure civile , on remarquera que cha
cun d’eux est consacré à indiquer la forme de la récu
sation et les conditions que doit remplir le récusant,
jusqu’à l’article 390 qui va prévoir une issue unique de
la poursuite : le rejet de la demande.
Or, il est évident que l’article 391 se lie intimément
avec le précédent, et que le jugement qu’il déclare sus
ceptible d’appel est celui dont parle l’article 390 et qui
a rejeté la récusation comme non admissible ou non
recevable. Ce qui le prouve , c’est la dernière disposi
tion de l’article 391 confiant le droit de désigner un
juge pour accomplir l’opération urgente au tribunal
qtti a r e p o u s s é t a r é c u s a t io n .
Ce qui le prouve mieux encore , c’est la disposition
de l’article 396 exigeant que , dans le mois du jour
du jugement qui a rejeté la récusation, l’appelant
fasse signifier aux parties le jugement sur l’appel, ou
un certificat du greffier de la cour constatant que l’ap -
�120
DES SOCIÉTÉS
pel n’est pas jugé et indiquant le jour déterminé par la
cour ; et qui ajoute : sinon le jugement qui a u r a
r e j e t é la récusation sera exécuté par provi
sion.
Il n’y a donc pas le moindre doute. L’appel que
prévoit la loi et dont elle règle la forme et les conditions
est uniquement et exclusivement celui émis contre le
jugement qui a déclaré la récusation non admissible ou
non recevable, et qui ne peut l’être que par le récusant.
On comprend dès lors que celui-ci qui n’a dû mettre
en cause en première instance ni son adversaire, ni le
juge récusé, soit dispensé de les appeler devant la cour,
sauf à eux à intervenir en cause d’appel comme ils l’a
vaient fait en première instance.
Au point de vue auquel elle s’est exclusivement pla
cée , la loi n ’a ni prévu ni pu prévoir l’hypothèse d’un
appel contre un jugement ayant admis la récusation.
Cette hypothèse ne peut en effet se réaliser que si , par
l'intervention de l’adversaire du récusant, on a substi
tué une instance ordinaire, contradictoire , à l’instance
exceptionnelle qui s’agite entre le récusant et le récusé,
et dans laquelle il n’y a en réalité qu’une seule partie,
le récusant.
Que celui qui est intervenu et a pris qualité dans
l’instance ait le droit d’émettre appel du jugement qui
condamne ses prétentions, rien de plus juste. Mais que
ce droit aille jusqu’à lui permettre de se présenter seul
devant la cour et de faire prononcer sur la récusation
�ART.
51
A
63.
sans même appeler le récusant, c’est ce que nous ne
saurions admettre.
C’est ce que l’article 390 du Code de procédure civile
nous parait explicitement repousser. En effet si la récusalion est condamnée , le récusant est forcément et de
plein droit passible d’une amende discrétionnaire et des
dépens ; et dans l’espèce la cour de Rouen n’avait pas
manqué de se conformer à cette prespription de la loi.
Or, conçoit-on une personne condamnée sans avoir été
ni entendue, ni appelée à l’être ? N’est-ce pas là le ren
versement de tous les principes et la violation du plus
sacré d’entre eux, celui de la libre défense ?
Objectera-t-on qu’en matière de récusation il ne sau
rait y avoir de débat oral ? Ce qui en résultera , c’est
que la défense aura lieu par écrit, que chaque partie
remettra ses notes et observations soit au conseiller
rapporteur, soit directement à la cour. Mais conclure
de ce que le débat ne peut être o ra l, que le récusant
peut être condamné même sans avoir été appelé à se
défendre , c’est ce qu’on aurait de la peine à justifier
au point de vue de la logique , de la raison et de la
justice.
En résumé, nous ne croyons pas que devant quelque
juridiction que ce soit on puisse statuer sur la récusa
tion en l’absence du récusant ; qu’on est donc obligé de
le mettre en cause. Nous pensons, en conséquence, que
la cour de cassation s’est trompée, et que si elle était de
nouveau interrogée elle répondrait tout autrement que
dans son arrêt du 28 février 1838,
�m
DES SOCIÉTÉS
5 2 * . — La prohibition faite à chacune des parties
de révoquer les arbitres h sa seule volonté , a pour co
rollaire l’interdiction pour ceux-ci de se départir , si
leurs opérations sont commencées , édictée par l’article
1014 du Code de procédure civile. La loi a , avec juste
raison , refusé de laisser le sort de l’arbitrage au mau
vais vouloir , au caprice ou à la connivence d’un ar
bitre.
La loi ne prohibe le déport qu’après que les opéra
tions sont commencées. L’acceptation des fonctions d’ar
bitre ne saurait être tacite. Peu importerait donc que,
sur la notification qui lui aurait été faite de sa nomina
tion, l’arbitre désigné n’eût pas immédiatement refusé.
Le silence qu’il aurait gardé pourrait être considéré
comme une hésitation, mais ne saurait être une accep
tation.
Mais celle-ci n’est plus douteuse dès que les opé
rations ont commencé. Dès lors l’obligation d’aller jus
qu’au bout est acquise contre l’arbitre. Nul n’est forcé
d’accepter cette qualité, et celui à qui on la propose est
libre de la refuser. Mais voluntatis est susciper'e mandatum, necessitalis consumere 1. En conséquence, ce
lui qui a accepté est lié envers les parties, et tenu d’ac
complir sa mission en son entier.
Mais on comprend l’impossibilité de contraindre à
juger celui qui s’y refuserait. Aussi est-il admis que,
1 L. 15, ff.
q u i a r b it r . recep.
�art.
5t
a
63.
123
comme toutes les obligations de faire , celle de l’arbitre
qui se déporterait illégalement se résoudrait en des dom
mages-intérêts.
522.
— On ne pouvait pas toutefois faire du prin
cipe de l’article 1014 une règle tellement absolue qu’elle
ne comportât aucune excplion. Il est sans doute regret
table que le déport inopiné d’un arbitre vienne mettre
fin au compromis l. Mais comment s’en plaindre si l’ar
bitre ne cède en définitive qu’à une véritable nécessité,
qu’à une force majeure pour ainsi dire.
Le déport est donc possible en tout état de causes, à
condition qu’il reposera sur des motifs graves et légiti
mes. Mais doit-on avec M. Carré admettre que toutes
les causes qui motivent la récusation motivent égale
ment le déport ?
Il nous semble qu’une distinction est nécessaire. La
récusation est toujours purement facultative, et la par
tie qui pourrait s’en prévaloir , libre d’en répudier le
bénéfice. Pourquoi donc les parties qui s’abstiendraient
d’invoquer telle ou telle cause de récusation , seraientelles forcées de subir le déport pour ces mêmes causes?
Il semble donc que dès qu’une des causes prévues
par l’article 378 du Code de procédure civile vient à
naître, l’arbitre est libre de proposer son déport. Mais
il ne doit pouvoir l’effectuer si les parties mises au cou
rant de la situation refusent de l’accepter.
1 Article
�124
DES SOCIÉTÉS
Il est des causes qui se référant à la personnalité de
l’arbitre lui donnent ipso facto le droit de se dépor
ter. M. Pardessus admet comme ayant ce caractère celle
tirée : 1° de ce que le compromis serait nul ou vicieux;
2° de ce que l’arbitre aurait été injurié ou diffamé par
les parties ou l’une d’elles ; 3° de la survenance d’une
inimitié capitale entre lui et l’une des parties ; 4° de ce
que l’arbitre aurait été atteint d’une maladie ou d’une
infirmité grave ; 5° de ce que ses propres affaires exi
geraient impérieusement tous ses soins ; 6° enfin de ce
qu’un emploi public auquel il serait appelé réclamerait
tous ses moments1.
Nous ne différons avec M. Pardessus que sur un seul
point. Nous n’admettons pas le déport sous prétexte
que le compromis serait nul ou vicieux. Cette cause peut
bien motiver le refus de la qualité d’arbitre , mais non
permettre de revenir sur l’acceptation qui en est faite.
Il est évident que dans l’esprit de la loi les causes de
déport doivent naître postérieurement à l’acceptation,
car celles qui n’auraient pas empêché celle-ci ne peu
vent pas plus autoriser le déport qu’elles n’autoriseraient
la récusation.
D’ailleurs la nullité du compromis n’est jamais de
plein droit. Les parties seules peuvent en exciper, et si
elles renoncent à le faire, à quel titre s’en prévaudraient
les arbitres qui n’ont, d’ailleurs, ni mission ni qualité
pour la rechercher et la constater ?
�51 A 63.
123
523.
— Le tribunal arbitral régulièrement et défi
nitivement constitué , il est procédé à l’instruction de
l’affaire. Aux termes de l’article 1009 du Code de pro
cédure civile cette instruction a lieu dans les formes et
les délais établis pour les tribunaux si les parties n ’en
sont autrement convenues.
Les parties ont donc le droit et le pouvoir de dis
penser les arbitres de l’observation de toutes formes, de
tout délai. Mais ce droit trouve une limite dans le ca
ractère spécial de la juridiction arbitrale qui ne pro
nonce compétemment que dans les termes du compro
mis. Ainsi, si le compromis a déterminé un d élai, les
parties ne peuvent autoriser les arbitres à prononcer après l’expiration soit de ce délai , soit de celui de trois
mois que la loi fixe lorsque le compromis est muet à ce
sujet. Nous verrons tout à l’heure que la sentence ren
due hors de ce délai, à moins que les parties ne l’aient
expressément prorogé, serait atteinte d’une nullité radi
cale qui l'empêcherait de produire son effet, et mettrait,
de plein droit, fin au compromis.
On a agité la question de savoir si les arbitres sont
obligés de se conformer aux règles prescrites pour les
justices de paix , ou pour les tribunaux civils, ou pour
les tribunaux de commerce suivant que, par sa nature,
le litige qui leur est déféré était de la compétence de
l’une ou l’autre de ces juridictions ?
11 semble que l’article 1009, par cela seul qu’il dis
pose en matière d’arbitrage volontaire , n’a en vue que
les tribunaux ordinaires. En effet, excepté dans l’arbi-
�126
DES SOCIÉTÉS
trage forcé qui n’existe plus , quelque commerciale que
pût en être la cause , le litige perdait ce caractère , dès
que les parties en déféraient le jugement à une juridic
tion essentiellement civile.
Quoi qu’il en soit et sans insister à ce sujet, nous di
sons avec M. Chauveau, les arbitres ne sont ni juges de
paix , ni tribunal civil, ni tribunal de commerce ; ils
sont arbitres. On peut admettre qu’ils doivent se guider
par la pratique suivie devant les autres tribunaux, mais
uniquement et exclusivement pour ce qui se concilie avec les exigences réelles de leur juridiction. Il ne faut
pas , en effet, que les parties qui ne l’invoquent que
dans le but d’économiser le temps et les frais, y rencon
trent les mêmes formalités longues et coûteuses aux
quelles elles ont voulu se soustraire.
Aussi, dès le 15 février 1 8 1 0 , la cour de Gênes dé
cidait-elle que pour tout ce qui concerne la procédure
de l’instance proprement dite les règles ordinaires sont
inapplicables ; mais que quant aux actes d’instruction,
moyens de preuve, comme enquêtes, interrogatoires sur
faits et articles, rapports d’experts, les formes du Code
de procédure doivent être suivies.
Cette distinction a été unanimement adoptée. Ainsi,
point d’ajournement devant réunir les conditions exi
gées par l’article 61 , point de constitution d’avoué,
point de signification de défenses écrites ainsi que l’exi
gent les articles 77 et suivants. Il suffit qu’ap rès, ou
même sans sommation, les parties se présentent devant
les arbitres soit en personne soit par fondé de pouvoirs,
�ART.
51
A
63.
127
et remettent en leurs mains les pièces et actes dont elles
entendent se prévaloir ; que cette remise soit faite
quinzaine au moins avant l’expiration du délai soit
conventionnel soit légal.
Quant aux enquêtes, interrogatoires sur faits et arti
cles, rapports d’experts, l’obligation de suivre les règles
ordinaires se trouve naturellement modifiée par la na
ture même des choses , par les dispositions de la loi
elle-même. Ainsi en matière ordinaire , c’est un juge
commis qui préside aux enquêtes , procède à l’interro
gatoire sur faits et articles, reçoit le serment des experts.
L’article 1011 du Code de procédure civile exige au
contraire que chacun de ces actes soient faits par tous
les arbitres réunis, si le compromis ne les autorise pas
à déléguer l’un d’eux.
D’autre p a rt, comment appliquer la disposition qui
fait courir le délai de l’enquête du jour de la significa
tion à avoué ? Que pour l’assignation des tém oins, leur
audition , la proposition et l’admission des reproches,
on s’en réfère aux dispositions du Code de procédure,
on le comprend ; encore faut-il ne pas oublier que les
arbitres n’ont pour prononcer qu’un délai déterminé et
qu’on ne saurait exiger d’eux qu’ils le laissent se con
sommer dans des formalités plus ou moins utiles.
Prononcer dans le délai doit être leur principale pré
occupation ; et quant à la procédure , nous dirons avec
MM. Thomines-Desmazure et Devilleneuve et Massé,
que les arbitres sont maîtres de la resserrer , d’en éla-
, *
�428
DES SOCIÉTÉS
guer les formes qui leur paraîtraient trop dispendieuses
et sans importance réelle.
5 2 4 . — La cause étant instruite
les arbitres doi»
vent prononcer leur sentence , mais ils ne peuvent y
procéder que dans la dernière quinzaine du délai du
compromis. C’est là la conséquence forcée de la dispo
sition de l’article 4046.
En effet, les arbitres ne peuvent juger qu’après avoir
examiné et apprécié les pièces et actes des parties. Dans
l’accomplissement de l’obligation d’en faire la remise,
chacune d’elles a incontestablement le droit de jouir du
délai qui lui est accordé. Or, l’article 4 016 permettant
de différer cette remise jusqu’à quinzaine au moins avant l’expiration du d élai, il s’ensuit qu’il ne saurait
intervenir de décision tant que la partie est dans son
délai. Ce n ’est que si elle a dépassé cette quinzaine, que
les arbitres sont autorisés à juger sur ce qui aura été
produit.
En arbitrage forcé , les arbitres pouvaient toujours
proroger le délai de la remise des pièces. Cette faculté
n’existe p lu s, car elle ne pourrait se concilier avec les
exigences de la loi relativement au prononcé de la sen
tence. Les quinze jours réservés à cette prononciation
suffiront à peine. Aussi la loi déclarant les arbitres
t e n u s de prononcer sur ce qui a été produit, indi
que par cela même qu’elle n’autorise aucune proro
gation.
Une autre conséquence de l’article 4046 est d’appor-
�art.
51
a
63.
429
ter un obstacle invincible à tout jugement de défaut.
Vainement donc la partie sommée de comparaître de
vant les arbitres aurait-elle refusé d’obéir à la somma
tion. Tant qu’elle est dans le délai pour la remise des
pièces, sa non comparution est l’exercice d’un droit, et
tout jugement rendu contre elle en cet état serait frappé
d’une nullité absolue pour violation de l’article 1046.
525.
— L’obligation de prononcer dans le délai
qui leur est imparti s’imposait aux arbitres forcés euxmêmes. Leur sentence ne pouvait valoir que si elle avait
été rendue dans le cours de ce délai et avant son ex
piration. Si une prorogation était nécessaire , c’était
aux parties qu’il fallait la demander. Sur leur refus, le
tribunal de commerce pouvait l’accorder. Les motifs qui
lui avaient fait déférer la détermination du délai dans
le silence gardé à ce sujet par les parties, exigeaient
qu’on lui reconnût le pouvoir de le proroger s’il y avait
lieu. Il ne pouvait pas être , l’arbitrage constituant le
premier degré de juridiction, que le mauvais vouloir ou
le caprice de la partie en retardât la solution, et impo
sât la nécessité de tout recommencer. C’était là, en effet,
tout ce que pouvait produire l’expiration du délai sans
que la sentence fût intervenue.
Une première conséquence de l’abrogation de l’arbi
trage forcé a été de laisser la prorogation du délai com
me sa détermination à la volonté souveraine et exclu
sive des parties. Tout recours à la justice , toute inter
vention des juges est désormais impossible. Le refus
�430
DES SOCIÉTÉS
d’une seule d’entre elles serait un obstacle invincible et
mettrait fin au compromis.
Une seconde conséquence de la loi de 1856 a été de
changer radicalement le caractère de la nullité dont la
sentence rendue après l’expiration du délai est atteinte,
du moins quant à ses conséquences.
En arbitrage forcé , la sentence rendue hors du délai
était bien viciée d’une nullité absolue, en ce sens qu’elle
ne pouvait recevoir aucune exécution, comme ayant été
rendue par des juges sans qualité. Mais tout cela n’a
boutissait en définitive qu’à l’obligation de reconstituer
le tribunal arbitral et à procéder sur nouveaux frais.
Aujourd’hui ce n’est pas seulement la sentence pro
noncée hors des délais qui serait nulle, ce serait encore
le compromis intervenu entre associés. Chacun d’eux
rentrerait dans le droit de s’adresser à la justice ordi
naire, droit dont il avait momentanément répudié l’exer
cice en consentant à compromettre. Tout nouveau com
promis ne pourrait intervenir que du libre consentement
de tous les intéressés sans exception.
526.
— L’inconvénient de laisser plusieurs associés
n’ayant en réalité qu’un seul et même intérêt, nommer
chacun un arbitre, se révèle énergiquement au moment
du jugement: comme toute décision judiciaire, celui-ci se
forme à la majorité des voix, dont l’intérêt qui en com
pterait un plus grand nombre serait d’avance assuré de
triompher.
Aussi a-t-on voulu soutenir que , dans cette hypo-
�ART.
81
A
63.
131
thèse, les divers arbitres nommés par les parties ayant
le même intérêt, ne devaient compter que pour un suf
frage; mais cette prétention a été repoussée. En pré
sence des embarras sans nombre et des difficultés que
pouvait créer le fractionnement des voix , lorsque, par
exemple, ces divers arbitres auraient embrassé une opi
nion différente , les tribunaux se sont attachés à cette
idée : que les arbitres sont, non point les représentants
des parties, mais leurs juges , et qu’une fois acceptés
par toutes les parties, on ne devait pas s’enquérir de
celles qui les ont nommés 1.
Cette doctrine avait été depuis longtemps sanctionnée
par la cour de cassation. Elle jugeait, en conséquence,
le 23 novembre 1824, que lorsque les arbitres des par
ties ayant le même intérêt diffèrent d’opinion avec celui
de la partie ayant un intérêt contraire, il n’y a pas lieu
de nommer un tiers pour les départager ; qu’il suffit
que les arbitres aient été deux contre un pour que le
jugement de la majorité ait dû produire tous ses effets.
Si les arbitres ne se considéraient réellement que
comme des juges, s’ils apportaient dans l’appréciation
l’indépendance et l’impartialité qu’on rencontre dans
les magistrats, l’inconvénient d’en admettre plusieurs
pour un seul et même intérêt ne serait ni fort grave, ni
fort redoutable ; mais il n’en est pas ainsi. Le plus sou-
4 Pardessus, n° 4 4-12 ;— Mongalvy, n° 387 -Toulouse, 9 août 1833
1er mars 1834;—Lyon, 21 mars 1838 ; — J. d u P ., 38, 2, 444.
�132
DES SOCIÉTÉS
vent les arbitres se croient obligés de juger en faveur de
ceux qui les ont nommés, ce qui explique ces nombreux
tiraillements et ces partages qui semblent l’issue natu
relle de tout arbitrage.
Au reste, un des avantages de la loi de 1856 est de
rendre cet inconvénient impossible , si ce n’est du con
sentement de celui qui aurait à s’en plaindre. L’arbi
trage ne pouvant être que volontaire, l’associé à qui on
proposerait de nommer un arbitre , tandis que ses co
associés quoique ayant le même intérêt en nommeraient
plusieurs, refuserait de compromettre sur cette base , et
s’il acceptait il n’aurait qu’à imputer à lui-même le
préjudice qui pourrait en résulter pour lui.
527.
— La sentence que les arbitres sont appelés
à rendre, soit sur l’instruction soit sur le fond, doit être
délibérée en commun par tous les arbitres. L’absence
d’un des arbitres, alors même qu’il aurait perdu ou ré
pudié cette qualité, n’autoriserait pas les autres à déli
bérer. En conséquence la sentence qu’ils auraient ren
due serait de plein droit nulle et sans effet.
Cette solution s’induit forcément du paragraphe 3 de
l’article 4028. Il est évident, en effet, que le jugement
rendu après une délibération entre quelques arbitres
n’est que le fait de ceux-ci. Or, la faculté de juger don
née aux arbitres s’adresse à tous indistinctement. Le
déport, l’empêchement, la démission , l’absence de l’un
d’eux décomplète le tribunal et lui enlève toute existence
légale. Il y a donc chez ceux qui délibèrent et jugent
�ART.
51 À 63.
en cet état excès de pouvoirs , usurpation de fonctions,
qui condamnent leur œuvre à rester sans effet. Le con
traire ne serait admis que si prévoyant le cas d’absence
d’un des arbitres, quel qu’en fût le m otif, les par
ties avaient expressément autorisé les autres à passer
outre.
La jurisprudence nous offre de nombreux exemples
d’application de cette règle. La cour de cassation n’a
pas cessé de la maintenir dans toute sa rigueur. Elle a
jugé que des décisions séparées émanées de chaque ar
bitre ne pouvaient former un jugement arbitral ; que
lorsque trois arbitres ont été volontairement nommés,
et que l’un d’eux ne se présente pas ou refuse de se
présenter, le jugement rendu par les deux autres, sans
que l’arbitre absent ait été remplacé , est nul ; enfin
qu’un jugement arbitral rendu et signé par la majorité
des arbitres en l’absence de l’un d’eux n’est pas valable
lorsqu’il n’est pas constant que l’arbitre absent ait par
ticipé à la délibération l.
528.
— La cour de Metz semble avoir admis le
contraire en jugeant, le 20 novembre 1821 , que lors
que l’arbitre de l’une des parties remet aux deux autres
arbitres un mémoire en faveur de cette partie et en sa
présence , en déclarant qu'il ne se mêlera plus de l’af
faire , et que ses coarbitres pourront décider sans lui,
1 18 germinal an IV ; — 18 frimaire an VII : — 2 septembre 1811 ;
— 4 mai 1809.
�134
DES SOCIÉTÉS
ceux-ci sont autorisés à juger en son absence , et que
leur sentence ainsi rendue est valable.
En droit cette décision est injustifiable. Pour qu’une
sentence puisse valoir, il faut qu’elle émane d’un tribu
nal régulièrement constitué au moment où elle est pro
noncée. Or , dès que les arbitres ont été nommés au
nombre de trois , la réunion de tous est indispensable ;
l’absence de l’un d’eux atteint le tribunal dans son es
sence, lui enlève toute existence légale et le met dans
l’impossibilité de statuer valablement.
La cour de Metz ne méconnaît pas ce principe. Elle
refuse de l’appliquer en se fondant sur les faits parti
culiers du procès. « Attendu, dit l’arrêt, que le défaut
» de concours de l’arbitre nommé par Douzet , au ju » gement arbitral, n’a rien de relevant dans l’espèce ;
» qu’en effet cet arbitre après avoir , le 10 décembre,
» remis aux deux autres un mémoire rédigé en faveur
» de Douzet, aurait déclaré, en présence de celui-ci et
» indubitablement de concert avec lui,qu’il ne se mêle» rait plus de l’affaire et qu’ils pouvaient la décider sans
» lui; qu’il est donc évident que Douzet lui-même a
» consenti qu’il en fût ainsi , et conséquemment les
» deux arbitres de qui le jugement est émané étaient
» suffisamment autorisés en l’absence de l’autre. »
Ces considérations, à notre avis, n’ont aucune portée
sérieuse. Il est bien vrai qu’aux termes de l’article 1028
n* 3, les arbitres peuvent être autorisés à juger en l’ab
sence les uns des autres, mais cette autorisation ne peut
résulter que d’une clause expresse du compromis ou
�art.
51
a
63.
135
d’une convention postérieure formelle ; elle n’est régu
lière qu’autant qu’elle émane de toutes les parties. Nous
l’avons déjà dit : le tribunal arbitral définitivement con
stitué est acquis à toutes les parties et il n’est plus au
pouvoir de personne, parties ou arbitres, de priver l’u
ne d’elles du bénéfice de cette constitution. N’esl-ce pas
dans cet objet que la loi défend aux parties de révoquer
les arbitres si ce n’est d’un consentement unanime ; aux
arbitres , de se déporter dès que leurs opérations sont
commencées.
Il est donc évident que l’autorisation pour un arbi
tre de s’abstenir, pour les autres de juger seuls , ne se
rait régulière qu’autant qu’elle émanerait de toutes les
parties. Sans cela l’abstention de l’un , la sentence des
autres serait mal obvenue et frappée d’une nullité radi
cale et absolue , parce que le refus que fait l’arbitre de
continuer ses fonctions mettant fin au compromis , mê
me à l’insu des parties \ les autres n’ont plus la qua
lité de juges et ne prononcent que comme simples par
ticuliers.
C’est donc avec raison que la cour d’Agen jugeait, le
8 janvier 1812 , que lorsqu’un arbitre refuse de conti
nuer les opérations commencées , son refus n’autorise
pas les deux autres à juger en son absence si les parties
n’y ont pas formellement consenti.
Or, dans l’espèce de l’arrêt de Metz, le refus de l’a r-
i Cass., 24 décembre 4847.
�136
DES SOCIÉTÉS
bitre avait eu lieu en présence seulement de la partie
qui l’avait nommé. Mais les autres parties n’étaient
pas présentes. Elles n’auraient pu être liées par le con
sentement exprès qu’aurait donné la première , et le
compromis ayant de droit pris fin en ce qui les concer
nait, ne pouvait continuer de valoir contre celle-ci.
D’ailleurs, est-ce que le silence de la partie présente
à la déclaration de l’arbitre pouvait être l’autorisation
exigée par la loi ? Qu’avait-elle à faire ou à dire en
présence de cette déclaration , surtout si, comme l’ad
mettait la cour de Metz, elle s’était concertée avec
l’arbitre. Si ce concert était indubitable, la conclusion
qu’en tire la cour de Metz est évidemment erronée. Estce, en effet, pour être jugé par les arbitres du choix de
ses adversaires, que Douzet aurait obtenu de l’arbitre
qu’il avait lui-même nommé de s’abstenir de juger ?
Evidement il ne pouvait avoir qu’un b u t, celui de ren
dre tout jugement impossible. Admettre qu'il avait au
torisé les autres à juger, c’était donc prendre le contrepied de la vérité.
Dans tous les cas, cette autorisation ne pouvait résul
ter que d’un accord commun entre toutes les parlies. A
défaut l’ordre de la loi de délibérer en commun doit être
exécuté sous peine de nullité.
5 2 9 . — Comment et par quelle preuve justifierat-on que cette prescription de la loi a été obéie ? Par
les énonciations de la sentence elle-même, par celles du
procès-verbal dressé par les arbitres, notamment par la
�art.
51 k 63.
137
déclaration expresse que la sentence n’a été prononcée
qu’après en avoir mûrement et dûment délibéré.
Il serait difficile d’exiger une preuve autre que cette
mention faite par la sentence , les délibérations n’étant
pas ne pouvant pas être constatées par des écrits dis
tincts émanés des arbitres. D’ailleurs comme nous al
lons le v o ir, la sentence doit être signée par tous ceux
qui y ont concouru , et celte signature couvre toutes les
mentions qui s’y trouvent consignées, et en garantit la
sincérité.
Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que les signatu
res aient été données le même jour , par conséquent à
la même date. Une différence dans cette date pourrait
faire exclure le fait d’une délibération collective. C’est
dans ce sens et pour cette exclusion que la cour de Gre
noble se prononçait le 14 août 1834.
530. — Dans cette espèce , la cour eut à apprécier
une circonstance qu’il importe de relever pour la solu
tion d’une question que nous allons examiner , savoir,
si les énonciations de la sentence peuvent être combat
tues et infirmées par des déclarations privées des arbi
tres. Cette
circonstance la voici :
\
Le jugement arbitral attaqué portait : Ainsi jugé,
statué et prononcé par n o u s, Auguste A rc h ier,
Charles Archinard et Etienne Chaine, en qualité
d'arbitres amiables compositeurs, à Vienne , dans
le cabinet de M. Chaine l'un de n o u s, ce 9 août
�138
DES SOCIÉTÉS
1833, et avons signé. — Signé : Charles Ârchinard
et Etienne Chaine.
La signature Àrchier ne figurait sur la sentence qu’à
la date du 24 du même mois d’août. Elle avait donc
été donnée quinze jours après les deux autres. Elle était
de plus précédée de la déclaration suivante :
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« En signant le présent jugement, je me crois obligé
de faire connaître qu’il est contraire à mon opinion
personnelle. Je déclare aussi, pour rendre hommage
à la vérité, que , quoique nous nous soyons réunis
plusieurs fois pour examiner les comptes des parties,
nous n’avons pas délibéré sur les difficultés qu’ils
présentaient, et sur les résultats qu’ils devaient avoir;
enfin que le jugement n’a pas été arrêté en commun,
et que ce n’est qu’aujourd’hui qu’il m’a été présenté
tout rédigé par M. Archinard, l’un des arbitres , que
j’en ai eu connaissance. L’autre arbitre , M. Chaine,
ne m’a jamais manifesté son opinion. »
Sur cette déclaration on se pourvut , par opposition
à l’ordonnance d'exequatur en nullité de la sentence.
Contre cette poursuite on excipait de ce que la signature
de deux des arbitres faisait foi que le jugement avait été
délibéré en commun et prononcé le 9 août 1833 ; et
de ce qu’il ne pouvait être permis à l’un des arbitres
d’enlever aux parties le bénéfice d’un jugement qui leur
était acquis.
Il faut avouer que ces déclarations contradictoires étaient dans le cas de faire naître certaine perplexité
�dans l’esprit des juges. Où était la vérité? Chez ceux
qui affirmaient, ou chez celui qui niait?
Le tribunal civil de Vienne d’abord, la cour de Gre
noble ensuite, ne résolvent pas cette question. S’ils re
poussent l’affirmation de la majorité des arbitres c’est,
non en se fondant sur la dénégation du troisième, mais
sur ce que la sentence elle-même n’établit pas qu’il y
ait eu réellement délibération commune.
« Attendu,—dit le jugement que l’arrêt confirme pu» rement et simplement, — que tout jugement doit être
» délibéré en commun et rendu simultanément par tous
» ceux qui y ont concouru ; que dans l’espèce rien ne
» prouve que le jugement arbitral ait été délibéré en
» commun par les trois arbitres nommés par les par» lies ; qu’il est établi par le jugement lui-même qu’il
» n’a pas été rendu par tous les arbitres réunis , puis» qu’un jugement arbitral n’a d’existence légale que par
» la signature des arbitres, et que le jugement dont il
» s’agit a été signé à des dates différentes. »
Ainsi on s’arrête au fait matériel de la différence dans
les dates, et on en conclut qu’il n’y a pas eu délibéra
tion commune. C’est là une appréciation que les magis
trats avaient le droit de faire souverainement. Le prin
cipe admis, la conséquence ne pouvait être douteuse, la
sentence intervenue en l’état du défaut de délibération
en commun était frappée d’une nullité absolue.
551,
— Que devrait-on décider si les signatures
étant données le même jour, l’une d’elles était précédée
�DES SOCIÉTÉS
r ’•*'
d’une déclaration déniant le fait d’une délibération
commune? Devrait-on s’en référant à l’uniformité de la
date repousser purement et simplement la déclaration ?
La question nous paraît extrêmement délicate. Sa so
lution offre, dans tous les sens, des inconvénients et des
dangers.
Admettre la déclaration déniant la délibération en
commun , c’est donner à la minorité la préférence sur
la majorité , c’est enlever à la partie le bénéfice d’un
jugement acquis, et peut-être contre la vérité, car ce que
les deux arbitres dont il émane ont pu considérer com
me une délibération a pu ne pas paraître tel au troi
sième.
D’autre part, en supposant que le jugement n’ait pas
été délibéré en commun , comment le constater autre
ment que par la déclaration de l’arbitre qui n’a pas
pris part à la délibération ? Peut-on exiger de cet arbi
tre la déclaration immédiate du défaut de délibération ?
Dira-t-on qu’il doit refuser de signer ? Mais ce refus
constaté par les autres arbitres laissera le jugement pro
duire tout son effet.
Peut-être qu’il conviendrait qu’en refusant de signer
l’arbitre motivât son refus par un acte exlrajudiciaire
qui lui assignerait pour cause l’absence d’une délibéra
tion en commun, et détruirait d’avance la cause que le
jugement lui attribuerait. Mais la loi ne prescrivant rien
à ce sujet, on ne saurait se montrer plus exigeant qu’elle
ne l’a été elle-même.
La solution de la question n’a donc et ne peut avoir
�d’autre base que la conscience du juge. Quelque auto
rité qu’on doive accorder à la signature donnée le mê
me jour, elle n’aura pas pour résultat forcé d’établir
l’existence d’une délibération en commun. La déclara
tion contraire par laquelle un des arbitres a fait précé
der la sienne pourra être considérée comme la vérité, et
accueillie par la justice.
Mais la signature donnée à la même date par tous
les arbitres sans protestations ni réserves, rend la sen
tence inattaquable pour défaut de délibération. Vaine
ment pour établir ce défaut produirait-on une attestation
d’un ou de plusieurs arbitres. La conduite du signataire
aurait d’avance donné le plus énergique démenti au
certificat. Si le fait attesté avait été vrai on devait s’en
expliquer dans la sentence et ne la signer que sous pro
testation. Sans cette formalité, l’apposition delà signa
ture exclut non-seulement la possibilité du fait, mais
encore sa vraisemblance. D’ailleurs il serait immoral de
permettre aux arbitres d’annuler après coup et par des
attestations de complaisance le jugement auquel ils ont
librement et volontairement concouru.
Quelle que soit la teneur du certificat ultérieurement
délivré par un arbitre, ce certificat ne saurait prévaloir
sur le jugement : on devrait donc n’en tenir absolument
aucun compte.
532. — Ce que nous devons encore relever dans
l’arrêt de Grenoble , c’est que les arbitres avaient été
institués amiables compositeurs. Cette qualité dispense
�442
DES SOCIÉTÉS
les arbitres de toutes les formalités et de toutes les règles
de la procédure. Pourrait-elle donc dispenser de la dé
libération en commun et autoriser les arbitres à pro
noncer en l’absence les uns des autres ?
La cour de Grenoble en annulant la sentence résout
négativement ces questions. Elle n’admet pas que l’o
bligation de délibérer en commun et de ne prononcer
que réunis puisse être confondue avec les simples règles
de la procédure auxquelles les amiables compositeurs
ne sont pas tenus de se conformer.
La cour de Grenoble a raison. Les amiables compo
siteurs sont dispensés de toutes les formalités , mais ils
doivent rendre un jugement. Or il n’y a de jugement
que celui qui est rendu par tous les arbitres après une
délibération commune. Cette délibération est une con
dition substantielle , à défaut de laquelle il n’y a que
des opinions personnelles ne pouvant offrir aucune des
garanties que la loi fait résulter d’une légitime et sé
rieuse discussion. La nécessité de délibérer et de juger
tous ensemble ne peut donc céder que devant la dis
pense que les parties en auraient expressément con
senti.
5 3 5 . — La sentence arbitrale doit être signée par
tous les arbitres, le même jour et sans trait de temps.
Comme tout autre acte, le jugement arbitral n’existe
que par la signature des arbitres. Nous venons de voir
que l’apposition de la signature à des dates différentes
pouvait faire annuler la sentence.
�art.
51 a 63.
143
Ayant le Code de procédure on avait agité et décidé
en sens contraire la question de savoir si le refus d’un
des arbitres de signer la sentence en entraînait la nul
lité. Les rédacteurs du Code pensèrent avec raison qu’il
ne pouvait pas dépendre d’un arbitre dont l’opinion est
repoussée de rendre toulesolution impossible en refusant
de signer.
De là l’article 1016 autorisant la majorité des arbi
tres de mentionner le refus de signer que ferait la mi
norité, et déclarant que cette mention équivaudrait à la
signature et en produirait les effets quant à la validité
du jugement.
Conformément à cette prescription, la cour de cassa
tion jugeait, le 5 juillet 1832 , que le défaut de signa
ture d’un jugement arbitral par l’un des arbitres, n ’en
traîne point nullité, lorsque l’absence de cette signature
se trouve justifiée par la déclaration des autres arbitres
constatant l’infirmité qui a empêché le troisième arbitre
de pouvoir signer ; que l’autorité de cette mention des
arbitres ne peut être combattue par un procès-verbal
dressé par deux notaires, dans lequel il est déclaré que
l’arbitre non signataire n’aurait point pris part à l’ar
bitrage l.
De la disposition de l’article 1016 sur la faculté pour
la majorité de suppléer à la signature de la minorité
en expliquant la cause de son absence, on a voulu con-
i Voy. Cassation, 6 ju illet 4840 ; — J du P., 40, S, 542.
�144
DES SOCIÉTÉS
dure que la même faculté devait être concédée relative
ment à la délibération en commun. Pourquoi a-t-on
d i t , n’en serait-il pas du refus de délibérer comme de
celui de signer? Ne pas permettre de suppléer au pre
mier n’est-ce pas remettre le sort de l’arbitrage au ca
price de la minorité et tomber dans l’inconvénient qu’on
a voulu éviter dans le cas du refus de signer ?
Sans doute le refus de délibérer de la part d’un ar
bitre entraînera la chute de l’arbitrage. Mais comment
assimiler ce refus à celui de signer après délibération et
prononciation du résultat ?
La délibération est un préalable inévitable, et aucune
cause ne saurait motiver le refus d’y prendre part. Si
ce refus provient d’une infirmité , d’une maladie , il y
aura empêchement légitime, et la chute du compromis
sera l’effet de la force majeure ; s’il est le résultat du
mauvais vouloir, du caprice, la loi n’offre aucun moyen
de contrainte. Il y a déport, et faute de motifs légiti
mes , la fin de l’arbitrage pourra fonder contre l’arbi
tre une allocation de dommages-intérêts.
Mais lorsque le jugement a été régulièrement rendu,
il ne peut appartenir à personne d’en empêcher l’effet.
La rétractation formelle que les arbitres voudraient en
faire ne serait ni régulière ni valable. Pouvait-on dès
lors reconnaître à chacun d’eux la faculté de faire in
directement ce qu’on leur interdit directement à tous.
Le refus de signer fera-t-il que l’arbitre dont il éma
ne n’ait pas délibéré et concouru au jugement ? La si
gnature d’ailleurs ne constitue pas celui-ci, elle en con-
�art.
51
a
63.
145
state seulement l’existence, et justifie qu’elle a été con
venue et arrêtée. Dès lors si la majorité l’atteste et ex
plique la cause qui a empêché la minorité de signer, il
n’élait ni possible ni juste de faire du refus de celle-ci,
surtout de la nécessité matérielle de s’abstenir une cause
de nullité du jugement.
Ainsi il y a entre le refus de délibérer et celui de si
gner cette différence, que le premier dissout le tribunal
arbitral, puisque les arbitres n’ont la qualité de juger
que par la réunion de tous ceux que les parties ont ap
pelé à connaître de l’affaire.
Dans l’hypothèse du second , au contraire , le juge
ment est régulièrement rendu. Il ne s’agit plus que de
son existence que la majorité avait le droit d’attester,
et qu’on ne pouvait rationnellement laisser au caprice
de chaque arbitre.
554. — On remarquera les termes de l’article 1016.
La faculté de suppléer à l’absençe de signature n’est
accordée que dans le cas où il y aurait plus de deux ar
bitres, et par conséquent lorsque l’explication du refus
émanera d’une majorité.
Cette majorité serait impossible s’il n’y avait que deux
arbitres. Conséquemment, le refus de signer que ferait
l’un d’eux rendrait tout jugement impossible, et comme
l’arbitrage n’est plus que volontaire; annulerait le com
promis.
Ce refus, en effet, proviendrait ou de ce que l’arbitre
refusant ne serait pas de l’avis de l’autre, et en ce cas il
m
10
�146
DES SOCIÉTÉS
y aurait lieu à déclarer partage ; ou de ce que cet arbi
tre se refuserait à remplir sa mission , et dans ce cas il
y aurait déport. Or, partage ou déport, l’effet est le mê
me. L’article 1012 les met sur la même ligne quant à
leur influence sur le compromis.
Mais le déport après le commencement des opérations
est illégal et peut donner lieu à des dommages-intérêts.
La déclaration de partage p e u t, de son côté , avoir un
grave intérêt pour les parties , si , prévoyant le cas , le
compromis a donné pouvoirs aux arbitres de prendre
un tiers arbitre, et son absence pourrait également don
ner lieu à une allocation de dommages-intérêts. Il im
porte donc que l’arbitre explique son refus et en fasse
connaître les motifs. Mais comment obtenir de lui ces
explications ?
M. Carré veut que dons le doute on assigne l’arbitre
devant le tribunal pour qu’il s’explique , et qu’il soit
ultérieurement agi suivant ses déclarations. M. Chauveau
approuve cette doctrine, et indique comme l’ayant adop
tée MM. de Yatimesnil et Mongalvy l.
La procédure indiquée par ces honorables juriscon
sultes a le tort d’être absolument illusoire, puisque son
résultat dépend uniquement de l’arbitre. MM. Carré,
Chauveau, Mongalvy, de Yatimesnil reconnaissent euxmêmes que l’arbitre ne peut pas être contraint à donner
les motifs de sa conduite. 11 est donc fort inutile de
1 Question 3339.
�ART. 51
A
63.
U7
l’appeler en justice ; bien plus inutile encore , comme
l’indique M. Bellot, si les délais du compromis étaient
expirés.
A notre avis on ne saurait comprendre que s’il y a
eu seulement opinion contraire, l’arbitre se soit abstenu
de le déclarer et de rédiger l’acte que la loi exigeait de
lui en pareil cas. On doit donc considérer son silence
et son refus de signer comme un déport hors les cas
prévus. On doit donc le citer en justice, non pour qu’il
ait à s’expliquer, mais pour se voir condamné à indem
niser les parties du préjudice qu’il leur cause en dé
terminant la rupture de l’arbitrage et la fin du com
promis.
535.
— De ce qui précède il résulte que le juge
ment doit être rendu par tous les arbitres réunis, déli
béré et arrêté en commun ; qu’il doit être revêtu de la
signature de tous ; que rien ne peut suppléer l’absence
de délibération, et que l’affirmation qu’elle a eu lieu de
la part de la majorité ne l’établit pas obligatoirement
pour les tribunaux ; qu’il n’en est pas de même de la
signature que la constatation par la majorité du refus
ou de l’empêchement de la donner en tient lieu , et
donne au jugement toute son autorité, toute sa force.
L’article
du Code de procédure civile exige que
les jugements des tribunaux ordinaires mentionnent en
tre autres les nom s, profession et demeure des parties ;
leurs conclusions; l’exposition sommaire des points de
fait et de droit ; les motifs et le dispositif.
�148
DES SOCIÉTÉS
Ces conditions s’imposent dans une certaine mesure
aux arbitres non dispensés des formes, et même malgré
cette dispense. Comment, par exemple, la sentence pour
rait-elle omettre les noms des parties ?
Mais comme elle comprend ordinairement le compro
mis ou l’acte de nomination des arbitres qui en tient
lieu , les n o m s, profession et demeure des parties se
trouveront dans l’un ou dans l’autre. L’omission de les
indiquer dans le corps de la sentence , ne constituerait
pas l’inobservation de l’article 141 sur ce point.
536.
— Les arbitres devront-ils constater les con
clusions des parties ? L’affirmative parait s’induire de
cette circonstance que le tribunal arbitral n’est compé
tent que pour statuer sur les prétentions respectives des
parties. De plus , l’article 1028 admet comme cause
d’opposition à l’ordonnance à’exéquatur le reproche
qu’il a été jugé sur choses non demandées. Or il est
certain que rapporter les conclusions des parties , c’est
permettre d’apprécier ce reproche par le rapprochement
de la sentence avec ces conclusions et avec le compro
mis lui-même.
Enfin il ne suffit pas que la sentence se soit exacte
ment renfermée dans les griefs relevés dans les conclu
sions ; il faut encore que ces griefs se réfèrent directe
ment au litige qui a fait l’objet du compromis. Dans le
cas contraire, il aurait été prononcé hors des termes du
compromis , et la voie de l’opposition à l’ordonnance
serait ouverte.
�ART. 51 A 63*
149
Ce sont là sans doute des raisons qui militeraient en
faveur d’une solution affirmative de notre question.
Mais comment ne pas tenir compte de la nature de la
juridiction arbitrale et de ses exigences.
Faire aux arbitres une obligation d’observer l’article
141 à l’endroit des conclusions sous peine de nullité,
ne serait-ce pas se montrer fort exigeant ? Cette obser
vation laissée aux avoués devant les tribunaux permet
tait de l’exiger ainsi ; mais bien des fois, en matière
d’arbitrage , parties et juges se douteront fort peu de
l’article 141,et on ne pourra soutenir qu’ils l’ont connu,
qu’en vertu de la maxime que nul n’est censé ignorer
la loi.
Il pourrait donc arriver que la sentence fût fatale
ment condamnée à être comme non avenue pour inob
servation de l’article 141 à l’endroit des conclusions. Ce
résultat méconnaissait ce que commande la nature de
la juridiction arbitrale, et tendait à en enlever le béné
fice sans nécessité, sans motifs réels. Aussi la jurispru
dence n’a-t-elle pas hésité. Elle a considéré le vœu de
la loi comme suffisamment rempli toutes les fois que,
de quelque façon que ce soit, on peut constater que les
arbitres n’ont pas statué sur choses non demandées.
On a donc jugé que la sentence était régulière si,
sans contenir les conclusions des parties, elle mentionne
qu’elles ont été annexées à la minute et déposées avec
elle1 ;
1 Cassation, 29 mars 1832.
�150
DES SOCIÉTÉS
I
Que la condition de relater les conclusions dans le
jugement était remplie lorsque les arbitres avaient ex
posé les prétentions respectives des partiesl.
M. de Yatimesnil approuve hautement cette jurispru
dence , et en conséquence estime et enseigne qu’on de
vrait juger de même, si, le jugement gardant le silence,
un procès-verbal régulièrement tenu constate les quali
tés des parties et leurs conclusions. Ce procès - verbal
remplit', sous ce rap p o rt, les règles prescrites par l’ar
ticle 141 du Code de procédure civile. La sentence avec
laquelle ce procès-verbal est déposé et qui ne contient
ni les noms des parties, ni leurs conclusions , n’en doit
pas moins être déclarée valable3.
Enfin la cour de Colmar jugeait encore , le 4 avril
1841 , qu’il suffit pour la régularité d’une sentence
d’arbitres forcés qu’elle soit motivée, sans que l’absence
des conclusions puisse être considérée comme une cause
de nullité , alors surtout que les faits y .sont suffisam
ment exposés3. La cour se fonde sur ce que l’article 61
du Code de commerce exige seulement que la sentence
soit motivée, ce qui semble la dispenser de toute autre
formalité.
Les dispositions du Code de commerce sont désor
mais étrangères à la matière des arbitrages : il faut
i Colmar, 8 janvier 1829.
9 E n c y c lo p é d ie
d u d r o it ,
v°
a r b it r .,
n° 263.
�ART. 51 à 63.
151
donc s’en référer aux règles tracées à ce sujet par les
articles 1003 et suivants du Code de procédure civile.
Or, comme aucune de ces dispositions n’indique les for
mes de la sentence , il faut nécessairement recourir à
l’article 141 du même Code établissant le droit commun
en matière de jugement.
Il est donc fort douteux que le silence gardé sur les
conclusions des parties ne dût pas être considéré com
me une cause de nullité. M ais, ainsi que nous venons
de le voir , il peut être suppléé à ce silence , et on de
vrait ne pas s’y arrêter toutes les fois qu’il est possible
de constater que les arbitres n’ont pas jugé sur choses
non demandées.
Les prescriptions relatives aux conclusions des parties
se référant à des formalités de procédure , les parties
peuvent dispenser les arbitres de leur observation. On
ne saurait donc exciper de leür inexécution , lorsque le
compromis autorise les arbitres à juger sans s’astrein
dre aux formes de la procédure \ La qualité d’amiables
compositeurs renfermant implicitement cette autorisa
tion, l’omission que la sentence rendue par les arbitres
institués tels ferait des conclusions, ne saurait devenir
un moyen d’attaque contre elle.
Dans tous les c a s , les arbitres agiront prudemment
en exigeant non-seulement le dépôt de conclusions, mais
encore que ces conclusions soient revêtues de la signa-
i Bordeaux, 22 mai 1832.
ÿàm
M
it
�m
DES SOCIÉTÉS
ture des parties. Ils assureront ainsi l’effet de leur juge
ment et préviendront non-seulement toute attaque fon
dée sur ce qu’il aurait été statué sur choses non deman
dées, mais encore toute action en nullité pour irrégula
rité du compromis en établissant qu’il a été exécuté.
537.
— Le jugement arbitral doit être motivé ; mais
de même que pour ce qui concerne la mention des
conclusions, la jurisprudence s’est montrée large en ce
qui concerne les motifs.
En conséquence, il a été jugé qu’une sentence arbi
trale rendue sur des comptes peut paraître suffisamment
motivée si elle contient le détail des articles de recettes
et de dépenses dont les arbitres ont formé un résultat
Qu’une sentence arbitrale qui rejette une demande
basée sur un compulsoire est suffisamment motivée lors
que , sans désigner le compulsoire, elle en réfute tous
les prétendus résultatss.
En d’autres termes, l’arbitrage est incompatible avec
cette sévérité dans les formes qu’il est utile de suivre
devant les tribunaux ordinaires composés de magistrats
versés dans la connaissance des lois, et où tout se pra
tique par l’intermédiaire d’officiers ministériels capables
et instruits. En arbitrage il convient que tout soit inter
prété de bonne foi et dans le sens de la validité de la
sentence. Le choix des parties, en commerce surtout, se
i Colmar, 8 janvier <820.
* Cassation, 13 janvier 1836.
�art.
51
a
63.
153
basera sur l’aptitude relativement au litige sur lequel il
s’agit de prononcer , et le plus souvent les hommes de
la spécialité sont d’assez mauvais praticiens et de mé
diocres rédacteurs. A combien de nullités ne s’expose
rait-on pas si on les plaçait au point de vue des formes
de la procédure sur la même ligne que les juges ordi
naires et les avoués ?
Une pareille éventualité était bien faite pour éveiller
la sollicitude du législateur, et pour lui inspirer la pen
sée si heureusement saisie et si raisonnablement appli
quée par la jurisprudence dans les divers exemples que
nous venons de lui emprunter.
Il en est des motifs comme des conclusions. Les par
ties peuvent dispenser les arbitres de l’obligation d’en
donner à l’appui de leur decision. La cour de Paris le
jugeait ainsi le 18 avril 1809 , sous l’empire de la loi
du 20 septembre 1792, il est vrai ; mais il n’existe dans
nos codes actuels aucune disposition dont on puisse
ou dont on doive induire le contraire.
La dispense , ainsi que nous venons de le dire , n’a
pas besoin d’être expresse ; elle résulterait de l’autori
sation de juger sans se conformer aux règles ordinai
res, et de plein droit de la qualité d’amiables composi
teurs.
558. — Le jugement arbitral doit avoir un dispo
sitif. C’est là, on en conviendra, la chose essentielle, car
l’arbitrage, lui aussi, n’a d’autre but que de dire droit
sur les prétentions des parties, ce qui ne saurait se ren
contrer que dans le dispositif de la sentence.
�DES SOCIÉTÉS
Eh bien ! l’indulgence que nous signalions tout-àl’heure sur l’application à l’arbitrage des autres condi
tions exigées par l’article 141 du Code de procédure ci
vile, a été également adoptée pour ce qui concerne le
dispositif. Fallait-il bien , en effet, puisqu’on mainte
nait l’abitrage , se résoudre à accepter les arbitres tels
qu’ils sont, sans trop se préoccuper de ce qu’ils devraient
être.
On a donc admis que des arbitres nommés pour sta
tuer sur un compte peuvent, au lieu d’établir le compte
eux-mêmes , s’en référer à celui qui a été fixé dans un
jugement rendu antérieurement entre les mêmes parties,
et se borner à en ordonner l’exécution 1 ;
Qu’il y a un dispositif suffisant dans l’acte par lequel
les arbitres, arrêtant le réliquat du compte social à cer
taine somme, terminent par ces mots : fait, jugé et ter
miné en présence des parties2 ;
Enfin que , lorsque le tiers arbitre a déclaré adopter
l’opinion contraire au défendeur et adjuger les conclu
sions du demandeur , la sentence ainsi rendue ne peut
être attaquée de nullité comme dépourvue de dispositif
portant condamnation3.
5 5 9 . — Le Code de procédure civile ne prescrit
nulle part de dater les jugements de la juridiction ordi-
1 Bourges, 4 août 1831.
* Colmar, 24 juillet 1810.
3 Bordeaux, 30 décembre 1841 ; — J. du P ., 42, 4, 385
�naire. Cependant la doctrine et la jurisprudence sont
unanimes pour conseiller de remplir cette formalité.
Il faut néanmoins le reconnaître, l’absence de dispo
sition législative ne permet pas d’assigner à cette forma
lité un caractère essentiel et de lui subordonner la vali
dité des jugements. D’ailleurs où serait le motif ration
nel de la nullité ? Les tribunaux ordinaires ne sont nul
lement tenus de prononcer aujourd’hui plutôt que de
main, et comme leurs décisions sont inévitablement en
registrées, il n’y aurait nul inconvénient à considérer la
date de cet enregistrement comme celle du jugement.
Il n’en est pas de même en matière d’arbitrage.
Malgré qu’en ce qui le concerne la loi né soit pas plus
explicite que pour les tribunaux ordinaires, la nécessité
de la date ressort ici du caractère même de la juri
diction.
Les arbitres, en effet, doivent prononcer dans le délai
légal ou conventionnel ; la sentence rendue hors ce délai
est radicalement nulle, et puisque sa validité dépend du
moment où elle a été prononcée , c’est aux arbitres et
aux arbitres seuls à justifier qu’ils se sont conformés aux
prescriptions de la loi. Or , comment faire cette jus
tification à défaut de date, surtout si l’enregistrement et
le dépôt de la sentence étaient postérieurs à l’expiration
du délai ? L’impossibilité d’apprécier, par le rapproche
ment de la sentence avec le compromis, si le vœu de la
loi a été ou non rem pli, étant imputable aux arbitres
eux-mêmes, ne permettait pas de se prononcer pour
l’affirmative.
�456
DES SOCIÉTÉS
540.
— Toutefois l’omission ne détermine la nullité
de la sentence que si les faits qui ont suivi le prononcé
ne viennent pas suppléer à cette omission , et prouver
que le délai a été observé et respecté.
O r, cette preuve résulterait invinciblement de ce que
la sentence aurait été enregistrée ou déposée au greffe
avant l’expiration du délai. Dès lors, en lui donnant la
date de l’un ou de l’autre elle aurait été régulièrement
et utilement rendue. Où serait donc le motif qui en fe
rait prononcer la nullité ?
Il en serait de même si l’un des arbitres signataires
de la sentence était mort depuis, et que sa mort se fût
réalisée dans le cours du délai et avant son expiration ;
ou bien si s’agissant de fixer la date du procès-verbal
de partage.il est établi que le tiers arbitre a été nommé,
a délibéré avec les arbitres, ou a lui-même prononcé
avant l’expiration du d élail.
Des faits de cette nature n ’établissent pas seulement
de simples présomptions. Ils constituent la preuve ma
térielle et irrécusable que tout a été légalement accom
pli : la date n’était plus qu’une justification surabon
dante dont l’omission ne saurait en rien atteindre l’au
torité du jugement.
Que si aucun de ces faits ne se réalise , si l’enregis
trement et le dépôt de la sentence sont postérieurs à
l’expiration du délai imparti aux arbitres , la nullité de
i Cassation, 31 janvier 1840 ; — i . du P., 40, 1, 551.
�ART.
Kl
A
63.
157
la sentence sera la conséquence de l’ondission de la date.
L’offre de la prouver par témoins serait irrecevable , et
la sentence est censée rendue hors du délai par cela seul
qu’elle n’établit pas le contraire.
541.
— Quid si la sentence enregistrée et déposée
après l’expiratjon du délai porte une date antérieure à
cette expiration ?
Sa régularité et par conséquent sa validité ne pour
ront être contestées. L’époque du dépôt et de l’enregis
trement importent peu. Tout ce que la loi exige , c’est
que les arbitres prononcent dans le délai qui leur est
fixé. Or , à ce sujet, les arbitres sont seuls en position
de constater qu’ils se sont conformés au vœu de la loi,
et ils ne peuvent le faire que par la date qu’ils donnent
à leur sentence.
Il est certain qu’en procédant à la mission qui leur
est confiée les arbitres agissent comme juges. Ce carac
tère ne saurait leur être dénié, car s’ils ne sont institués
et choisis que par les parties, la loi ratifiant cette insti
tution et ce choix réglemente la misssion qu’ils ont à
remplir et consacre ainsi expressément leur autorité.
Les arbitres régulièrement institués sont donc de vé
ritables juges. Dès lors ils sont à l’endroit de leur juge
ment placé sur la même ligne que le tribunal q u i, à
leur défaut, eût été appelé à vider le litige.
De là cette conséquence que toutes les fois qu’il s’agit
d’un fait ou d’un acte qui leur est personnel, la men
tion qui en est faite dans le jugement les constate
�458
DES SOCIÉTÉS
légalement, et doit être crue jusqu’à inscription de
faux.
Il est évident que la loi a entendu qu’il en fût ainsi,
puisqu’elle n’a exigé pour la date d’autre preuve que
celle qui résulte du jugement lui - même. Cependant la
chose était bien facile, et le moyen de contrôle péremp
toire. On n’avait qu’à exiger que l’enregistrement et le
dépôt fussent réalisés dans le cours du délai et avant
son expiration. Or, cette exigence n’est pas dans la loi.
Elle s’est donc contentée de l’indication de la sen
tence et l’accepte comme liant les parties. Cette sentence
fait foi de la date au même titre que le ferait un juge
ment ordinaire. Sa sincérité ne peut donc être contestée
qu’au moyen d’une inscription de faux, c’est ce que la
doctrine et la jurisprudence avaient admis et consacré
sous l’empire de la loi du 24 août 4790 ; c’est ce qu’el
les ont continué d’enseigner et de sanctionner depuis la
promulgation de nos codes L
La date donnée à la sentence fait foi contre les arbi
tres eux-mêmes. De ce jour ils ont perdu leur qualité
et leurs pouvoirs. Non-seulement ils doivent s’abstenir
désormais, mais encore tout ce qu’ils tenteraient de faire
resterait impuissant et frappé d’une nullité radicale. Tel
serait le sort notamment de l’acte, qualifié de sentence,
par lequel ils déclareraient que la date apposée au ju
gement n’était pas véritable8.
i Voy. R é p e r l. d u J . d u P . , v° a r b i t r a g e , n « 576 et suiv.
Cassation, I er nivôse an IX.
�art.
51
a
63.
459
542.
— Nous venons d’examiner et d’indiquer les
formalités que les arbitres ont à observer dans la rédac
tion de leur jugement. Nous en avons déterminé le ca
ractère, et indiqué les conséquences de leur inobserva
tion. Leur accomplissement assure la régularité et la
validité de la sentence , et la rend non exécutoire ipso
facto, mais susceptible de le devenir. Elle ne reçoit ce
caractère que de l’ordonnance d’exéquatur qui doit émaner du président du tribunal civil qui eût été investi
de la connaissance du litige.
Le premier acte de la procédure à suivre pour obte
nir cette ordonnance est le dépôt de la sentence au
greffe du tribunal du président duquel elle doit émaner.
Il est à cet effet procédé conformément à ce qui est
prescrit par l’article 1020 du Code de procédure civile.
Les modifications que l’article 61 du Code de commerce
avait introduites à cet article ont cessé d’exister avec
l’arbitrage forcé dont elles étaient les conséquences.
Ainsi et quelle que soit la nature du litige, qu’il fût
commercial ou non, qu’il se soit agité entre associés, le
greffe où doit être déposée la sentence est le greffe du
tribunal civil du ressort.
545. — Ce dépôt doit être fait par les arbitres ou
l’un d’eux dans les trois jours de la prononciation de
la sentence. L’article 1020 a le soin d’ajouter que les
poursuites pour les frais du dépôt et les droits d’en
registrement ne pourront être faites que contre les
parties.
�160
DES SOCIÉTÉS
Cette prescription était une garantie de l’exécution
des obligations imposées aux arbitres. Si le dépôt de la
sentence les avait rendu responsables des frais et des
droits qui en résultent, ils ne l’auraient réalisé qu’après
en avoir obtenu la consignation, ce qui pouvait entraî
ner une perle de temps plus ou moins considérable.
Dégagés de toute inquiétude , de toute crainte à ce
sujet, les arbitres n’auraient aucun motif pour expliquer
et justifier l’inobservation de l’obligation qui leur est
imposée.
Quelle serait pour les parties la conséquence de cette
inobservation ? Devrait-on déclarer nulle la sentence
qui n’aurait été déposée qu’après plus ou moins long
temps depuis l’expiration des trois jours ?
L’article 1020 , on le remarquera, n’a pas attaché à
son inobservation la peine de nullité , et il n’y avait
nulle raison de le faire. La solution négative de la ques
tion , adoptée par la doctrine et la jurisprudence , ré
pondait dès lors seule aux principes de droit commun,
à la nature des choses, au but que s’est proposée l’exi
gence du dépôt.
La régularité et la validité de la sentence sont com
plètement indépendantes du dépôt. Il suffit que les ar
bitres n’aient transgressé aucune des formalités qu’ils
doivent observer, notamment qu’ils aient prononcé dans
le cours du délai et avant son expiration. Cela acquis,
aucun fait postérieur ne saurait rien ajouter à la valeur
de la sentence , rien en retrancher, elle est légalement
acquise aux parties.
�Seulement et quelque parfaite qu’elle soit, elle n’est
pas encore exécutoire. Emanée de juges sans caractère
public , elle doit recevoir une sanction de l’autorité ju
diciaire, et l’obtention de cette sanction est un des buts
qui ont fait prescrire le dépôt.
Donc le retard mis à l’effectuer ne peut avoir d’autre
effet que de laisser la sentence sans exécution possible.
La peine de nullité qu’on attacherait à ce retard serait
d’autant plus irrationnelle, qu’on rendrait les parties
responsables d’une négligence qu’elles n’ont aucun
moyen de prévoir et de prévenir.
Pourvu que la sentence ait été prononcée dans le dé
lai , elle pourra être utilement déposée à quelque épo
que que ce soit.
L’exigence du dépôt a un autre but. Les arbitres rem
plaçant les juges, leur sentence est destinée à lier les
parties dans l’avenir comme dans le présent, à faire la
loi en faveur et contre leurs héritiers , représentants ou
ayants cause. Il convenait donc de prendre des mesures
pour empêcher que l’original ne vînt à s’adirer ou se per
dre. Il fallait pour cela que cet original vînt se placer dans
un dépôt public, sous la garde d’un officier compétent
pour en délivrer expédition. Le greffe du tribunal était dès
lors naturellement indiqué. A ce point de vue pas plus
qu’au précédent, la nullité pour retard n ’avait de
raison d’être.
Ainsi à quelque époque que la sentence soit déposée
sa validité ne pourrait être contestée , et revêtue qu’elle
41
�m
DE3 SOCIÉTÉS
soit de l’ordonnance d’exéquatur elle produirait SOn
plein et entier effet, comme si elle avait été déposée dans
le délai prescrit par l’article 1 0 2 0 .1
544.
— En arbitrage forcé il était de principe que
le président du tribunal de commerce était obligé de
donner l’ordonnance d’exéqualur dans les trois jours
du dépôt *. Mais en arbitrage volontaire on avait conclu
des termes des articles 1021 et 1022 que le président
pouvait refuser de rendre la sentence exécutoire si elle
renfermait des dispositions contraires aux lois, à l’ordre
public , aux bonnes m œ urs, à l’intérêt des personnes
spécialement placées sous la protection de la justice.
Cette opinion enseignée par M. de Yatimesnil est
combattue par M. Pardessus. Le président, dit ce der
nier , ne peut refuser l’ordonnance ni sur le fondement
de l’opposition de l’une des parties, ni sous prétexte de
mal jugé3.
M. Pardessus à raison. Réduite à ces deux hypothè
ses son opinion ne rencontre aucun contradicteur. La
loi autorise bien l’opposition à l’ordonnance, mais seu
lement après qu’elle a été rendue et dans les cas expres
sément indiqués par elle. Mais la faculté de mettre obs
tacle à ce que le président rende l’ordonnance n’a dans
1 Voy. nombreuses autorités de doctrine et de jurisprudence dans ce
sens.— R é p . d u J . d u P . , v° a r b i t r a g e , n°* 875 et suiv.
2 Article 64 du Code de commerce.
*
3 N» 1405
�art.
Kl
a
63.
463
la loi aucun fondement ; elle est même inconciliable a rec la nature du pouvoir que le président est appelé à
exercer. On ne saurait donc ni la concéder , ni l’ac
cueillir.
Le mal jugé est une cause de réformation des juge
ments ; mais il n’appartient qu’au degré supérieur au
quel l’appel doit être déféré. Or, le président n ’est pas
ce degré , et ce n’est pas comme juge d’appel qu’il est
appelé à rendre la sentence exécutoire : il n’a donc pas,
il ne peut pas avoir à rechercher s’il a été bien ou mal
jugé.
Cette recherche d’ailleurs exigerait que les parties fussent entendues ; que les pièces et documents respectifs
fussent examinés et appréciés. En d’autres termes , il
faudrait une instruction que la loi n’autorise pas, que le
président n’a ni pouvoir ni qualité pour ordonner.
Mais de ce que le président ne peut refuser l’ordon
nance d’exéquatur ni sur le fondement d’une opposi
tion de l’une des parties, ni sous prétexte de mal jugé,
s’ensuit-il qu’il ne pourra la refuser dans aucun cas ?
Qu’ainsi il sera tenu de rendre exécutoire une sentence
intervenue sur une matière d’ordre public pour laquelle
la loi défend expressément de compromettre, par exem
ple , sur une séparation de corps , sur la nullité d’un
mariage ? Poser cette question c’est la résoudre , car
c’est en réalité se demander si le président doit s’asso
cier à la violation de la loi, et donner autorité à ce qui
a été fait contrairement à ses prescriptions ?
La cour de cassation jugeant il est vrai sous l’empire
�164
DES SOCIÉTÉS
de la loi du 24 août 1790, s’est nettement prononcée à
ce sujet. Deux époux ayant compromis sur la validité
de leur mariage, les arbitres avaient rendu une sentence
que le président du tribunal avait revêtue de l’ordon
nance d'exèquatur.
Cette conduite du président fut d’office déférée à la
cour de cassation. Le réquisitoire du procureur général
qualifiait l’ordonnance un excès monstrueux de pou
voir.
Faisant droit à ce réquisitoire la cour en prononce
la cassation. L’arrêt rendu le 6 pluviôse an XI, rappelle
d’abord que le litige ne pouvait devenir l’objet d’un
compromis ; il ajoute : « qu’ainsi le prétendu jugement
» arbitral qui annulle l’acte civil de mariage passé en» tre les parties y dénommées est subversif de tout
» principe , de tout ordre , incompétent, attentatoire ;
» et que l'ordonnance d’e x © q u . a t u.x* mise au
» b a s , renferme l'excès de pouvoir le plus carac» térisé. »
Les règles concernant l’ordre public , les bonnes
mœurs, le respect de la loi, sont aujourd’hui ce qu’elles
étaient en 1790 , et les matières qui s’y réfèrent ne
peuvent pas plus qu’alors faire l’objet d’un compromis.
Dès lors le rôle du président auquel on demanderait de
rendre exécutoire une sentence rendue contrairement à
cette prohibition est tout tracé : non-seulement il peut,
mais encore il doit s’y refuser sous peine de se rendre
coupable d’un excès de pouvoir et d’encourir la censure
de la cour suprême.
�ART.
51 A 63.
165
545.
— La loi ayant nommément investi le pré
sident du tribunal du droit de rendre l’ordonnance
à'exéquatur, on en a déduit les conséquences sui
vantes :
1° Si l’ordonnance est signée par un juge, il ne suf
fit pas de mentionner que ce juge remplit les fonctions
de président, il faut en outre indiquer que c’est en l’ab
sence ou en empêchement du titulaire et des juges plus
anciens : a défaut de ces mentions l’ordonnance ainsi
rendue est nulle et de nul effet1 ;
2° Si le président a refusé de rendre l’ordonnance et
si sa décision légalement attaquée a été réformée , la
cour ne pourrait confier à son président le soin de ren
dre l’ordonnance ; elle doit renvoyer au tribunal au
greffe duquel la sentence a été déposée. Seulement com
me le président s’est déjà expliqué , elle doit déléguer
un vice-président s’il y en a, et à défaut de juge le plus
ancien suivant l’ordre du tableau.
La faculté d’attaquer par appel le refus que le prési
dent ferait de rendre la sentence exécutoire a été uni
versellement admise. On a assimilé ce refus à une or
donnance de référé, susceptible des voies de recours ou
vertes contre celle-ci. Mais le rôle de la cour se borne à
confirmer ou à réformer la décision du président. Dans
ce dernier cas elle d o it, ainsi que nous venons de le
dire, renvoyer au tribunal.
1 Poitiers, 9 mars 1830.
�166
DES SOCIÉTÉS
546.
— Il en est des sentences arbitrales comme
de tous les jugements des tribunaux ordinaires : elles
n ’existent légalement que si elles sont le fait d’une ma
jorité. Or, comme le plus souvent les arbitres ne sont
qu’au nombre de deux , c’est l’unanimité seule qui fait
la sentence , et cette unanimité est difficile à obtenir,
chacun des arbitres cédant volontairement ou involon
tairement au désir de faire pencher la balance en faveur
de celui qui l’a élu.
Le discord se réalisant il y a non pas une décision,
mais partage d’opinion.
En arbitrage forcé ce partage devait être nécessaire
ment vidé ; puisque les arbitres constituaient le premier
degré de juridiction , l’intervention d’un tiers devenait
donc une nécessité. Aussi, aux termes de l’article 60 du
Code de commerce, si les parties n ’avaient pas ellesmêmes désigné le tiers , la nomination en appartenait
aux arbitres, et s’ils ne pouvaient s’entendre sur le
choix, cette nomination était déférée au tribunal de
commerce.
La loi de 1856 a changé cet état des choses et placé
les associés sous l’empire du droit commun en matière
d’arbitrage. De même que pour le choix des arbitres, la
nomination du tiers ne peut émaner que du libre con
sentement des parties qui peuvent, dans la prévision
d’un partage entre les arbitres, ou indiquer ce tiers dans
le compromis lui-même , ou donner aux arbitres le
pouvoir de le choisir.
Ainsi, dans le cas où le compromis n ’aurait ni dési-
�»
art.
51 k 63.
167
gné le tiers, ni autorisé les arbitres à le choisir, le par
tage d’opinion met fin au compromis , tout comme le
décès, le refus , le déport ou l’empêchement d’un des
arbitres, ou l’expiration du délai dans lequel les arbitres
et le tiers doivent prononcer.
547.
— Si les arbitres ont été autorisés à choisir le
tiers qui doit les départager, ils useront de cette faculté,
et leur choix s’imposera obligatoirement aux parties.
S’ils ne peuvent s’entendre à ce sujet, la nomination
appartient au président du tribunal qui doit rendre l’or
donnance d’exéquatur.
L’intervention de ce magistrat que l’article 1017 con
sacre est la conséquence de l’intention manifestée par
les parties de voir aboutir l ’arbitrage. Il ne saurait être
que cette intention restât sans effet faute par ceux qui
sont chargés de l’exécuter de se mettre d’accord. En
leur confiant cette exécution les parties sont censées ap
peler le juge à vider le différend sur lequel ils ne peu
vent s’entendre.
548.
— Le procès-verbal qui constate le partage
doit ou indiquer le tiers choisi par les arbitres, ou con
stater qu’ils n’ont pu s’accorder. C’est ensuite à la par
tie la plus diligente à provoquer , dans ce dernier cas,
l’intervention du président du tribunal. Tout autre mode
adopté pour sortir d’embarras serait illégal, notamment
si les arbitres s’en référaient au hasard du sort.
Dans une espèce où ils étaient autorisés à désigner
�468
DES SOCIÉTÉS
le tiers, les arbitres ne pouvant se mettre d’accord avaient chacun écrit un nom sur un morceau de papier
déposé dans un chapeau, et avaient accepté comme tiers
celui dont le nom s’était trouvé sur le billet extrait du
chapeau.
Mais par arrêt du 2 août 4826, la cour d ’Àix annule
la sentence arbitrale. Elle déclare qu’en procédant ainsi
les arbitres ne se sont pas conformés à la loi ; que le
tiers n’ayant été nommé ni par eux, ni par le président
du tribunal, ils s’étaient écartés de la volonté des par
ties et avaient violé l’article 4047 du Code de procédure
civile.
Ainsi dans le cas où les arbitres sont autorisés à
nommer le tiers , ils doivent se mettre d’accord. A dé
faut d’entente sur un nom, la désignation appartient de
droit et exclusivement au président du tribunal qui sera
appelé à rendre la sentence exécutoire.
549.
— L’intervention du tiers n’est régulière qu’en
cas de partage légalement constaté. Or cette constata
tion n’est acquise que si, aux termes de l’article 4017,
chaque arbitre a rédigé un avis distinct et motivé , soit
dans le même procès-verbal, soit dans des procès-ver
baux séparés.
L’article 60 du Code de commerce ne disait rien de
semblable , et la jurisprudence en avait conclu que les
arbitres forcés n ’étaient pas tenus de rédiger par écrit
des avis distincts ; qu’il suffisait que leur opinion indi
viduelle fût constatée d’une manière authentique et qu’il
�ne fut pas douteux qu’elle eût été connue par le tiers et
que celui-ci se fût rangé à l’une d’elles.
Les arbitres ne pouvant plus être que volontaires,
l’article 1017 est devenu la loi générale et s’impose aux
associés comme à tous les autres citoyens. Les arbitres
doivent se conformer à sa dernière disposition quelle
que soit la nature du litige sur lequel ils ont à pro
noncer.
Il est vrai que l’article n’attache pas la peine de nul
lité au défaut de rédaction d’un avis distinct et motivé.
Mais cette nullité s’induit forcément de ce que tant que
le partage n’est pas légalement constaté, le tiers ne sau
rait intervenir et n ’a ni qualité ni pouvoir. Dès lors la
sentence qu’il aurait rendue serait forcément nulle et
sans effetsl.
La cour de Toulouse jugeait, le 5 mars 1829, que le
partage n’est pas légalement établi lorsque l’un des ar
bitres a constaté son avis de la manière prescrite par la
loi, et que l’autre s’est borné à déclarer , devant le tiers
arbitre , qu’il était d’avis que les parties prorogeassent
l’arbitrage pour en venir à un arrangement ; que , par
suite, la sentence que le tiers arbitre rend en cet état
est nulle, encore que les arbitres et le tiers arbitre aient
été autorisés à statuer comme amiables compositeurs,
sans observer les formalités prescrites par le Code de
procédure.
i Rennes, 11 décembre 1810 ; — Orléans, 13 juillet 1817; — Agen,
20 janvier 1832.
�DES SOCIÉTÉS
Dans le même sens, la cour de Bourges jugeait, le 21
novembre 1827, que lorsque un des deux arbitres a ré
digé son avis, et que l’autre a déclaré n’ayoir rédigé
qu’une note et n’avoir pas encore fixé son opinion , il
n ’existe pas encore partage, et qu’en pareil cas la déci
sion rendue par le tiers arbitre est nullel.
La conséquence à peu près inévitable de cette juris
prudence est de laisser le sort de l’arbitrage au caprice
ou au mauvais vouloir d’un des arbitres. Comment, en
effet, obtenir qu’il rédige son avis s’il refuse de le faire?
Il est donc libre de neutraliser les efforts tentés jusquelà, et d’empêcher l’arbitrage d’aboutir en rendant im
possible l’intervention d’un tiers.
Aussi a -t-o n imaginé divers expédients dans le but
de remédier à ce qu’un pareil pouvoir offre d’exorbi
tant. La cour de cassation est allée jusqu’à juger que le
refus d’un des deux arbitres de rédiger et déposer son
avis motivé ainsi que l’a fait son collègue, ne peut em
pêcher le tiers arbitre de prononcer , quand il résulte
d’ailleurs des pièces et circonstances de la cause qu’il
existait entre les deux arbitres un discord véritable
sur la question du procès d’où découlaient toutes les
autres.
Les motifs visés par la cour de cassation sont : « que
» des faits de la cause constatés par les pièces du pro» cès, il résulte qu’il existait un véritable discord entre
�ART. 51 A
» les deux arbitres Rousset et Dufour, de manière qu’il
» n’a pu dépendre de celui-ci (après conférences suc» sessives entre ces deux arbitres et le tiers arbitre le
» sieur Recoules), par le refus de rédiger et de dépo
li) ser son avis motivé , ainsi que l’avait fait l’arbitre
» Rousset, malgré sommation de le faire, de paralyser
» l’arbitrage et d’empêcher le tiers arbitre de pronon» cer son avis, de manière à ce qu’il y eût, d’après le
» vœu de la loi et l’intention des parties, un jugement
» qui terminât la contestation soumise à l’arbitrage.1 »
Cet arrêt est-il bien juridique ? Nous nous permettons
d’en douter. Il semble en effet que l’article 1017 ne
comporte aucun tempérament ; qu’il n’admet l’interven
tion d’un tiers que dans le cas de partage , et que ce
partage n’est légalement acquis que lorsque chaque ar
bitre a rédigé son avis motivé.
Sans doute il est aussi regrettable que fâcheux qu’un
arbitre, par une obstination irrationnelle ou par un ca
price injustifiable, paralyse l’arbitrage et l’empêche d’a
boutir. Mais cet inconvénient n’est pas exclusif au refus
de rédiger et de déposer l’avis motivé. Il se réalise lors
que un arbitre se déporte sans cause légitime après les
opérations commencées, ou lorsque après avoir délibéré
et jugé avec l’autre arbitre il refuse de signer la sen
tence.
^
Or que ferait-on dans l’un et l’autre cas ? Pourrait-
i 10 février 1835.
�m
DES SOCIÉTÉS
on empêcher que l’arbitrage ne fût paralysé et dans
l’impossibilité d’aboutir ? Non évidemment. La seule
ressource que la loi autorise est l’action en dommagesintérêts contre l’arbitre qui détermine ce résultat. Pour
quoi en serait-il autrement dans l’hypothèse que nous
examinons. Le refus de rédiger et de déposer un avis
motivé n ’est ni plus ni moins dommageable que le dé
port illégal, que le refus de signer la sentence lorsqu’il
n'y a que deux arbitres. Le résultat étant identique, les
conséquences ne sauraient différer.
550.
— La question de savoir si la disposition de
l’article 1018 quant au délai dans lequel le tiers arbitre
doit prononcer était applicable à l’arbitrage forcé , était
diversement appréciée. Nous l’avions nous-même réso
lue pour la négative. Toute controverse à ce sujet n’au
rait plus qu’un intérêt rétrospectif. L’arbitrage ne pou
vant plus être que volontaire, l’applicabilité de l’article
1018 ne saurait désormais faire question même en ar
bitrage entre associés et pour contestations relatives à la
société.
' Le tiers régulièrement élu doit prononcer dans le
mois de son acceptation. On remarquera que la loi ne
fait plus courir le délai du jour de la déclaration de
partage ou de la nomination du tiers; et cela se com
prend. Le délai d’un mois était assez court pour qu’on
ne courût pas la chance de l’écourter encore de tout le
temps qui peut naturellement s’écouler entre la nomi
nation et l’acceptation. Il était donc aussi rationnel
�art.
81
a
63.
473
que sage de prendre celle-ci pour point de départ du
mois.
Le délai d’un mois calculé sur les exigences d’un li
tige ordinaire sera le plus souvent insuffisant dans l’ar
bitrage ayant pour objet de constater les résultats de la
société et le réglement des comptes des associés. Mais
la délégation d’un tiers qui ne peut être que volontaire
indique l’intention de tous les intéressés de voir l’arbi
trage aboutir. On peut donc croire qu’ils fixeront un
délai suffisant, ou qu’ils n’hésiteront pas à consentir
une prorogation si elle était nécessaire.
Au reste, il en est du délai d’un mois comme de celui
de trois mois ; il est fatal et son expiration enlèverait
au tiers toute qualité et mettrait fin au compromis , à
moins d’une prorogation. Cette prorogation ne peut
s’obtenir que de la volonté libre de toutes les parties.
Le refus qu’une seule d’entre elles ferait d’y consentir
remettrait la cause en l’état où elle était avant le com
promis, et rendrait inévitable et forcée la juridiction or
dinaire.
551.
— Le tiers arbitre régulièrement institué ne
peut prononcer qu’après avoir conféré avec les arbitres,
qui seront sommés de se réunir à cet effet. Avant de
rechercher le caractère et les effets de cette conférence,
examinons les conséquences qu’entraîne l’obligation
qu’en fait le législateur.
Ce qu’il importe de remarquer tout d’abord , c’est
que l’article 1018 ne fait pas dépendre la réunion de
�m
DES SOCIÉTÉS
la condition que les arbitres auront conservé leur qua
lité ; qu’il ne se préoccupe en aucune manière de l’ex
piration du délai soit conventionnel soit légal ; qu’il n’en
exige pas la prorogation.
Cependant il était facile de prévoir cette expiration.
En effet les arbitres, nous venons de le voir, ne peuvent
statuer que dans la dernière quinzaine du délai, et ces
quinze jours s’écoulent le plus souvent avant qu’on ait
eu le temps de délibérer, d’examiner les pièces, de pro
céder à la déclaration de partage, à sa constatation, à la
nomination du tiers et son acceptation.
Ce qu’on a conclu du laconisme du législateur , c’est
que par la déclaration de partage, les pouvoirs des ar
bitres se trouvent de plein droit prorogés pour toute la
durée du délai accordé au tiers. Cette conclusion se jus
tifie fort bien en droit. Les parties sont libres, dans
l’hypothèse d’un partage, d’empêcher l’arbitrage d’a
boutir , en refusant de nommer le tiers. Si elles le choi
sissent ou si elles donnent aux arbitres le pouvoir de
le déléguer , elles consentent par cela même à tout ce
qu’exige la mission de ce tiers , et comme elles ne
peuvent ignorer qu’il aura à conférer avec les arbi
tres , elles prorogent implicitement les pouvoirs de ces
derniers.
Vainement dirait-on que les réunions et conférences
exigées par l’article 1018 n’impliquent pas nécessaire
ment le maintien de la qualité de juges chez les arbi
tres. Ce serait là méconnaître la nature des choses et
�art.
51
a
63.
175
la véritable pensée du législateur. La loi n’a pu exiger
des arbitres qu’ils se réunissenf et conférassent avec le
tiers que parce que arbitres, et que si voluntatis est suscipere mandalum, necessitatis consumere. A quel titre
leur ordonnerait-elle si ayant perdu cette qualité ils étaient devenus absolument étrangers aux parties ? D’ail
leurs, dans l’acception que lui donne l’article 1018,
conférer c’est raisonner ensemble d’une affaire, se ren
dre mutuellement compte des faits et circonstances, dis
cuter les avis respectifs , et les arbitres ne peuvent être
tenus de le faire que pour compléter l’exécution du
mandat qu’ils ont accepté.
552.
— C’est ce que la cour de cassation a expressé
ment consacré. La cour de Paris avait jugé, le 22 mai
1826,que les pouvoirs des arbitres étaient épuisés par la
déclaration de partage et la nomination du tiers arbitre;
que dès lors ils avaient été irrévocablement dépouillés
de la qualité de juges. Mais sur le pourvoi dont il fut
l’objet, son arrêt fut cassé comme violant expressément
l’article 1018.
« Considérant, —dit la cour régulatrice,— que, dans
» l’espèce , les deux arbitres , après avoir prononcé à
» l’unanimité sur plusieurs points de la contestation,
» se sont trouvés partagés sur la quotité des domma» ges-intérêts ; que les arbitres nommés par les parties
» conservent leur caractère jusqu’au jugement définitif,
» puisque, aux termes de l’article 1018, le tiers arbitre
» ne pouvait prononcer sans avoir conféré avec les a r-
�176
DES SOCIÉTÉS
» bilres divisés ; que la juridiction de ces arbitres se
» trouvait donc prorogée.1 »
La cour suprême n’hésite donc pas sur le sens de
l’article 1018 et sur son fondement juridique. Les ar
bitres étant juges, leurs pouvoirs sont épuisés par le
jugement définitif dans les délais du compromis ; la dé
claration de partage n’est pas ce jugement définitif ; elle
le subordonne au concours d’un tiers qui se trouve
ainsi appelé à faire partie du tribunal arbitral..Ne se
rait-il pas étrange qu’au moment où celui-ci acquiert
la qualité déjugé, les premiers arbitres avec lesquels il
lui est enjoint de conférer se trouvassent dépouillés de
cette qualité.
Sans doute le refus que les arbitres feraient de se ré
unir et de conférer malgré la sommation qui leur en
serait faite, rendrait impossible le but que s’est proposé
le législateur , et n’empêcherait pas le tiers de pronon
cer. Mais cette éventualité n’était qu’une exception qu’il
était sage de prévenir et de régler. Comme règle géné
rale on devait admettre et on a admis que tous les ar
bitres se feraient un devoir d’obéir à la lo i, en consé
quence de se réunir pour développer et soutenir l’opi
nion à laquelle chacun d’eux a cru devoir s’arrêter.
Si, comme le soutiennent plusieurs auteurs dans leur
réunion avec le tiers, les arbitres peuvent modifier leur
avis et se rallier à celui que le tiers émettrait, on devrait
1 Cassation, 16 décembre 4828.
�art.
51
a
63.
177
d’autant plus se ranger à l’opinion que nous soutenons.
O r, quoi qu’en pense M. Chauveau , l’avis de ces au
teurs trouve un fondement juridique dans l’article 1018.
Le tiers ne juge seul que si les arbitres refusent de se
réunir et de conférer. S’ils acceptent, il n’a pu être
dans la pensée de la loi de les empêcher d’être éclairés
par la conférence et obligés de persister dans ce qui leur
serait démontré être une erreur. Les juges qui se re
pentent, dit M. chauveau, ne peuvent se rétracter. Oui,
mais parce qu’ils ont rendu un jugement, vouloir trou
ver ce jugement dans les procès-verbaux de partage
rédigés par les arbitres , c’est évidemment donner à
ces procès-verbaux un caractère et une portée qu’ils
ne comportent en aucune manière. O r , tant que le
juge n’a pas dit son dernier m o t, il est libre de chan
ger d’avis et d’adopter celui qu’il avait d’abord re
poussé l.
Nous pensons donc avec M. Pardessus que dans le
cas où tous les arbitres se réunissent au tiers, ils ren
dent tous un seul jugement à la pluralité des voix. Fallùt-il admettre le contraire , que la doctrine de la pro
rogation des pouvoirs des arbitres n’en devrait pas
moins être adoptée. Ainsi que l’enseigne avec raison
M. de Vatimesnil, il ne suffit pas qu’il y ait deux avis
distincts, il faut encore que les deux arbitres qui les
ont émis existent ; et s’il n’est pas indispensable qu’ils
1 Chauveau snr Carré, quest, 3346.
III
�478
DES SOCIÉTÉS
soutiennent leur avis devant le tiers arbitré , il l’est au
moins qu’ils puissent le faire L
553.
— L’article 1018 n’admet qu’une seule ex
ception à l’obligation pour le tiers de se réunir et de
conférer avec les arbitres divisés, à savoir, le refus que
tous ou quelques-uns de ceux-ci opposeraient. Il est
évident, d’une part, que la loi n’avait aucun moyen de
contraindre matériellement les arbitres à se réunir et à
conférer ; d’autre p a r t, que dans l’éventualité d’un re
fus , il convenait d’y pourvoir afin d’empêcher qu’il ne
devint un obstacle invincible à toute solution. Voilà
pourquoi l’article 1018 autorise le tiers à juger seul après une sommation de se réunir adressée aux arbitres,
et restée sans succès.
Ainsi, ou les arbitres acceptent la réunion et dans ce
cas toute Sommation devient inutile ; ou ils s’y refusent,
et une sommation vient les mettre légalement en de
meure, et s’ils persistent à refuser les tiers jugera seul.
Toutefois, pour que la sentence rendue dans ce cas
soit régulière , il faut que le refus des arbitres soit éta
bli malgré l’appel qui leur a été fait. Il faut donc que
l’original de la sommation soit produit et représenté.
Rien ne saurait suppléer cette production à défaut de
laquelle la sentence rendue par le tiers arbitre seul se
rait irrégulière pour absence de mise en demeure des
arbitres.
1 E n c y c l o p . des lois, v° a r b i t r e s , n° 224
�ART.
51
A
63.
179
La sommation doit être faite , non à la requête du
tiers arbitre, mais à celle de la partie la plus diligente.
A cet effet, un comparant est adressé au tiers arbitre
pour qu’il ait à fixer les jour , lieu et heure de la réu
nion. Ce comparant dûment appointé est signifié aux
arbitres avec invitation et au besoin sommation de se
rendre aux jour, lieu et heure indiqués.
554.
— Comment prouvera-t-on la réunion spon
tanée des arbitres et du tiers ? Aucun doute ne serait
possible si la sentence ou le procès - verbal indiquant
le fait était revêtu de la signature de tous. Il en serait
de même si le procès-verbal mentionnant que la ré
union a eu lieu en présence des parties était signé par
elles.
Mais si la réunion reste sans résultat, le tiers arbitre
juge seul et signe seul la sentence. Dans cette hypo
thèse il est évident que la seule preuve qu’on puisse
rapporter est la sentence elle-même et la mention qu’elle
fera du fait de la réunion. La loi ne pouvait exiger et
n’a nulle part exigé que les énonciations de la sentence
fussent appuyées de pièces justificatives : c’est ce que la
jurisprudence a consacré.
En principe le tiers arbitre a , dès sa nomination,
qualité pour constater les faits relatifs à l’exercice de sa
mission , et pour leur imprimer un caractère légal de
confiance \ les conséquences de ce principe en quelque
l Agen, 10 juillet 1833.
�180
DES SOCIÉTÉS
sorte forcées étaient : que la déclaration de la sentence
que le tiers arbitre avait conféré avec les arbitres divi
sés faisait foi jusqu’à inscription de faux 1 ; que la mê
me foi était due au procès-verbal du tiers arbitre énon
çant qu’il avait conféré avec les arbitres, quoique ceuxci ne l’eussent pas signé3.
On a voulu équivoquer sur le caractère de la confé
rence que la loi prescrit. Ainsi, dans une espèce où le
tiers arbitre avait déclaré que les arbitres s’étaient ré
unis à lui, chacun d’eux s’était contenté de'lire son avis
et de s’y référer , la cour de Rennes annulait la sen
tence que ce tiers avait rendue à la suite , sur le motif
qu’il n’y avait pas réellement conférence ; qu’en effet
en imposant l’obligation de conférer , la loi avait en
tendu soumettre les arbitres et le tiers à examiner de
nouveau l’affaire , à se livrer à de nouvelles communi
cations ou discussions sur les différents points du litige
et les questions qu’il offre à résoudre ; que la déclara
tion des arbitres de se référer à leur avis après l’avoir
lu ne pouvait donc être légalement l’équivalent de la
conférence exigée par la loi.
La loi n’a pu vouloir qu’une seule chose : la réunion
des arbitres avec le tiers. Elle assigne il est vrai le but
de cette réunion , mais elle ne détermine rien sur la
manière dont ce but doit être atteint, et cela parce qu’il
i Rennes, 28 avril 1817.
9 Cassation, 23 mai 1817 ; — J du P., 37, 1, 422.
�ART.
51
A
63.
184
n’était pas en son pouvoir de contraindre l’exécution de
ses prescriptions à ce sujet. Comment en effet forcer les
arbitres à se livrer à un nouvel examen, à des commu
nications ou des discussions nouvelles, s’il est de leur
bon plaisir de s’en référer à leur avis.
Cependant dans le système de la cour de Rennes il
suffirait de cette volonté pour que le tiers arbitre fût
dans l’impossibilité de prononcer, et sans pouvoir, sans
moyen de vaincre leur résistance, il perdrait sa qualité
et devrait se désinvestir. A insi, si les arbitres refusent
de se réunir , le tiers après sommation jugera seu l, et
s’ils se réunissent leur refus de discuter à nouveau pa
ralysera fatalement l’arbitrage et l’empêchera d’aboutir.
Est-ce que ce résultat peut se concilier avec l’économie
générale de la loi sur la matière ?
Qu’on donne en effet au mot conférer le sens que lui
reconnaît la cour de Rennes, nous l’admettons. Mais si
les arbitres s’obstinent à s’en référer à leur avis , il y
aura de leur part refus réel de conférer. O r, comment
ce refus produirait-il un effet diamétralement contraire
à celui qui se déduit du refus de se réunir , c’est ce qui
est réellement inadmissible.
L’arrêt de la cour de Rennes méconnaissait donc
l’esprit de la loi et en violait le texte. Aussi, sur le
pourvoi dont il fut l’objet, était-il cassé le 4 décembre
1839.1
i J. du P., 39, 2, 538.
�482
DES SOCIÉTÉS
555.
— L’article 4 018 exigeant la réunion de tous
les arbitres, il en résulte qu’il faut que cette réunion et
la conférence qui en est la suite aient lieu entre eux et
le ti’rs arbitre simultanément. M. Pardessus enseigne
cependant l’opinion contraire, mais cette opinion a été
condamnée par la jurisprudence.
Ainsi un arrêt de la cour d’Amiens, du 17 mai 4836,
déclare qu’encore bien que le tiers arbitre eût conféré
successivement avec les deux arbitres, le vœu de la loi
n’avait point été rempli puisque ceux-ci n ’avaient pas
été sommés régulièrement de se réunir conformément
aux dispositions de l’article 1018.
Cet arrêt fut vainement déféré à la cour de cassation
comme interprétant faussement l’article 4018. Par ar
rêt du 4 avril 1838 la cour suprême rejette le pour
voi \
Cependant la loi n’ayant sien statué sur les condi
tions constitutives de la conférence, telle qu’elle l’en
tend , on ne doit pas mettre trop de sévérité dans leur
appréciation , et s’il y a doute , décider que le vœu de
l’article 1018 a été régulièrement rempli.
Ainsi l’arrêt de la cour de cassation du 4 décembre
1839 , qui casse l’arrêt de la cour de R ennes, décidet-il que s i , les arbitres s’étant ré u n is, le tiers cons
tate : 1° que les arbitres ont déclaré se référer à leur
avis distinct et motivé dont ils ont donné lecture ; et
�art.
51
a
63.
483
2° qu’il a ainsi conféré avec eux, la sentence est régu
lière.
Ainsi encore la cour de Paris jugeait, le 15 novembre
1814, que la déclaration que fait le tiers arbitre , qu’il
a entendu les arbitres divisés, renfermait une mention
suffisante qu’il a conféré avec eux simultanément.
556.
— Quel est le caractère de la conférence pres
crite par la loi ? La délibération qu’elle détermine estelle générale , absolue , indépendante de l’opinion déjà
exprimée par les arbitres? Ceux-ci peuvent-ils en
changer et en adopter une nouvelle , quelle qu’elle fût
d’ailleurs ?
Cette question a soulevé une vive discussion. MM.
Carré, Favard, Mongalvy, de Yatimesnil, Bellot, de Vil
leneuve et Massé, Rodière , se prononcent pour l’affir
mative. La négative est soutenue par MM. Locré et
Boitard. C’est à leur opinion que se range M. Chau
veau 1.
En d roit, chacun reconnaît que nulle part la loi n’a
expressément résolu ces questions. Mais cette solution
n’est-elle pas implicitement dans les exigences de l’arti
cle 1018 du Code de procédure civile?
A notre avis, elle résulte de l’obligation imposée aux
arbitres et au tiers de se réunir et conférer simultané
ment. Pourquoi cette réunion et cette conférence si ir-
1 Question 3344.
�184
DES SOCIÉTÉS
révocablement enchaînés par l’opinion qu’ils ont déjà
adoptée, les arbitres ne peuvent qu’y persister. Dans ce
cas il suffirait des procès-verbaux constatant les avis
distincts , et l’on ne comprendrait pas que la loi eût
exigé autre chose.
Donc si elle prescrit non-seulement la réunion mais
encore la conférence entre le tiers et tous les arbitres
simultanément, c’est qu’elle a compris et admis que la
déclaration de partage modifiait profondément la con
stitution du tribunal arbitral ; que par l’accession du
tiers arbitre, la majorité, impossible tant que les arbi
tres n’étaient que deux, pouvait se former, et c’est pour
arriver à ce résultat qu’elle entend que le premier acte
du tribunal nouveau soit une réunion générale , et une
conférence pouvant convaincre et éclairer ceux qui y
prennent part.
Ne serait-il pas étrange que cette double obligation
n ’eût été imposée qu’à la condition que les arbitres
resteraient sourds à tous les arguments, fermeraient les
yeux à la lumière, et persisteraient dans une opinion
qu’ils reconnaîtraient eux-mêmes n’être qu’une évidente
erreur ? Ce serait là une absurdité qu’on ne saurait rai
sonnablement prêter à notre législateur.
Les arbitres ont donc le droit de revenir de leur opi
nion. Ce droit ils le puisent dans la raison et dans l’ar
ticle 118 du Code de procédure civile. Pourquoi en ef
fet leur refuserait-on une faculté que cet article accorde
aux juges ordinaires? Ne les remplacent-ils pas pour le
litige sur lequel ils ont à prononcer ? Or la réunion et
�art.
Kl
a
63.
185
la conférence avec le tiers ne sont que le moyen de vider
le partage , puisque celui que prescrit l’article 118 est
irréalisable dans l’arbitrage.
Enfin cela ne ressort-il pas des termes de l’article
1018? Si les arbitres ne peuvent revenir de leur opi
nion , c’est le tiers arbitre qui sera forcément le seul
juge. Or la loi lui confère bien le pouvoir de juger seul,
mais dans le cas seulement où tous les arbitres ne se
réunissent pas. Donc, si la réunion générale a lieu , le
pouvoir n’existe pas. Pourquoi cela ? Evidemment parce
que dans le premier cas le tribunal n’étant pas complet,
la discussion ne serait que partielle , et dès lors toute
délibération nouvelle serait impossible. Dans le second,
au contraire , le tribunal est au complet : tous peuvent
prendre part à la discussion et concourir à son résul
tat ; tous peuvent juger par cela seul que la loi ne per
met pas au tiers arbitre de juger seul.
557.
— Pour échapper à ces considérations décisi
ves, M. Chauveau ne trouve rien de mieux que de nier
qu’on puisse les invoquer. « L’intention du législa» teur,— dit-il,— n’a pas été d’autoriser les arbitres à
» revenir de leur opinion : la preuve c'est qu’en cas de
» discord il les oblige de rédiger un procès-verbal dis—
» tinct et motivé. À quoi bon ces procès-verbaux s’ils
» ne lient pas les arbitres ? A. éclairer , dira-t-on , le
» tiers départiteur en l’absence des arbitres ? Mais si
» les arbitres défèrent à son invitation, s’ils entrent en
» conférence avec l u i , ce qui n’est pas moins exprès-
�m
DES SOCIÉTÉS
» sèment prescrit, qu’est-ce que cette expression im» puissante et muette d’une volonté que rien n’en» chaîne ? »
L’objection n’est pas sérieuse. M. Chauveau raisonne
dans une seule hypothèse , celle où tous les arbitres se
rendront à la réunion. Mais si tous ou quelques-uns
d’entre eux seulement s’y refusent, l’utilité des procèsverbaux distincts et motivés n’est plus contestable. Or,
c’est principalement ce cas que la loi a prévu et dû pré
voir.
Evidente dans cette hypothèse , l’utilité des procèsverbaux ne l’est pas moins dans celle de la réunion.
En effet , de ce que les arbitres peuvent changer d’opi
nion, il ne s’en suit pas qu’ils doivent le faire. Suppo
sez que chacun d’eux persiste dans celle qu’il a d’abord
émise, c’est pour l’une d’elles que le tiers devra se pro
noncer. Or, comment appréciera-t-on s’il s’est ou non
conformé à cette prescription de la loi si chaque
opinion n’est pas constatée par écrit de manière à
ne pouvoir écarter tout doute, défier toute contradic
tion ?
Ainsi l’obligation de rédiger les avis distincts et mo
tivés tient à cette double considération : incertitude de
savoir si les arbitres se réuniront ou non avec le tiers
chargé de les départager ; nécessité , en cas qu’ils per
sistent dans leur opinion après s’être réuni , de se mé
nager une preuve certaine, sans équivoque, que le tiers
a réellement adopté l’une des deux opinions. Ajoutons
que les procès-verbaux contenant l’opinion des arbitres
�ART.
51
A
63.
187
ont encore un autre objet, à savoir, la constatation du
partage, et la nécessité de l’intervention du tiers.
M. Chauveau ne se borne pas à cette objection si fa
cilement répondue ; il ajoute : « En déclarant le par» tage , les arbitres ont épuisé leurs pouvoirs ; ils ont
» jugé autant qu’il était en eux de le faire ; la preuve
» c’est qu’après la proclamation du partage , les arbi» très ne peuvent se passer du tiers départiteur et ren» dre la sentence d’un commun accord. »
Mais les juges ordinaires ont également épuisé leurs
pouvoirs lorsqu’ils ont prononcé. Est-ce qu’on a jamais
prétendu trouver cette prononciation dans le jugement
déclarant partage ? Cependant les juges qui l’ont rendu
ne peuvent plus juger sans la présence et le concours
des magistrats appelés à les départager. Donc cette rai
son qui n’en est pas une pour ce qui les concerne , ne
saurait avoir plus de signification à l’égard des arbitres
qui sont de véritables juges relativement au litige sur le
quel ils sont appelés à prononcer.
D’ailleurs de ce que les arbitres ne peuvent se passer
du tiers départiteur , s’ensuit-il que, lorsque se réunis
sant à lui ils conféreront et délibéreront, il leur soit in
terdit d’adopter une opinion autre que celle qu’ils avaient
d’abord embrassée ?
Pour soutenir l’affirmative , M. Chauveau est obligé
de se ranger à la doctrine de l’arrêt de Paris du 26
août 1826. Mais cet a rrê t, ainsi que nous l’avons dit,
encourut la censure de la cour de cassation, qui consa
cre que loin d’épuiser les pouvoirs des arbitres , la dé-
�18 8
DES SOCIÉTÉS
claration de partage les proroge pendant tout le délai
accordé au tiers.
La cour suprême condamne donc l’opinion de M.
Chauveau , et cette condamnation ne saurait être plus
énergique. Si la déclaration de partage épuise les pou
voirs des arbitres, il s’ensuivra naturellement qu’on ne
pourra plus les récuser. A quoi bon en effet récuser
celui qui a irrévocablement perdu la qualité de juge et
le pouvoir de juger ? Or, la cour régulatrice admet la
récusation après déclaration de partage comme avant.
Dans le même système , le déport ou le décès d’un
arbitre survenu après le partage ne pourrait exercer au
cune influence sur le sort de l’arbitrage et apporter au
cun obstacle à la mission du tiers. C’est cependant le
contraire que la cour de Paris elle-même décidait en
jugeant, le 14 janvier 1808, que, lorsqu’après un par
tage d’opinion entre des arbitres un tiers arbitre a été
nommé, et que postérieurement un des arbitres s’est dé
porté et a été remplacé , la nomination du tiers arbitre
se trouve prématurée et sans effet, et son intervention
irrégulière et nulle.
Ce sont là, nous l’avons déjà dit, des inductions logi
ques de l’obligation de se réunir et de conférer ; et c’est
ce que consacre très-juridiquement la cour de cassa
tion l.
M. Chauveau se demande si, de ce que l’article 1018
1 Voy. tupra n« 654, 85î.
�art.
51
a
63.
489
n’autorise le tiers arbitre à juger seul qu'en cas de refus
de se réunir de la part des arbitres, il faut conclure que
lorsque les arbitres entrent en conférence avec lui, tout
est à recommencer ? Non répond-il ; le but de la con
férence n’est pas autre que de mieux instruire le tiers.
S’il en était autrem ent, la loi ne laisserait pas tant de
latitude aux arbitres pour refuser leur concours à cette
réunion ; elle renouvellerait la disposition relative à leur
déport.
Cet argument ne saurait prévaloir sur les raisons
décisives qui justifient la conclusion que repousse M.
Chauveau. Il n’a d’ailleurs rien de décisif. Autre chose
en effet est le déport, autre chose le refus de se réunir, et
il n’était pas possible d’assimiler celui-ci à celui-là quant
à leurs conséquences.
Le déport est le refus de remplir la mission qu’on
avait d’abord acceptée. Et si la loi le prohibe après les
opérations commencées, c’est qu’aux termes de l’article
1012, il met fin au compromis, et qu'il n’était ni rai
sonnable ni juste de permettre à un arbitre de se déro
ber au devoir qu’il s’était bien volontairement imposé
sans s’inquiéter du préjudice qui pourrait en résulter
pour les parties.
Le refus de se réunir n’a aucune influence sur le sort
de l’arbitrage. Tout ce qu’on peut en déduire c’est que
l’arbitre entend persister dans l’opinion qu’il a émise,
ce qu’il a évidemment le droit de faire. L’auteur de ce
refus manque aux convenances, il oublie ce qui est dû
�190
DES SOCIÉTÉS
au vœu de la loi ; mais il ne fait en définitive qu’user
d’une faculté qu’on ne saurait lui contester.
La loi n’approuve le refus de se réunir pas plus que
le déport. Elle le prévoit et elle était naturellement ap
pelée à le faire ; mais il n’y avait ni possibilité ni utitilité de l’interdire. Quel préjudice en effet en éprou
vent les parties, puisqu’il n’empêche pas l’arbitrage de
sortir à effet. Il ne pouvait donc en résulter que la con
séquence qu’en déduit la loi ; la faculté pour le tiers
de juger seul et d’opter pour l’un des deux avis qui lui
sont soumis.
L’objection de M. Chauveau n’a donc aucun fonde
ment, et n’affaiblit en rien l’autorité de l’argument à
contrario que nous avons tiré de l’article 1018.
« Mais,— ajoute M. Chauveau,— si les arbitres peu» vent se déjuger , ils devraient être tenus de signer la
» sentence du tiers. L’ancienne législation rendait cette
» signature obligatoire ; le projet du Code l’exigeait.
» Donc en repoussant cette proposition, le législateur a,
» par cela même, condamné la doctrine que nous com» battons. »
O u i, notre loi actuelle dispense les arbitres de signer
la sentence du tiers , et il n’était guères possible d’exi
ger qu’il en fût autrement. Fallait-il subordonner la
validité de cette sentence à la signature de l’arbitre qui
avait refusé de se réunir et de conférer , ou qui voyait
son avis abandonné et condamné par le tiers.
Ainsi, toutes les fois que soit après conférence, soit à
défaut de réunion , le tiers aura prononcé seul et opté
�ART.
51
A
63.
191
pour l’un des deux avis , sa signature suffit, car c’est
bien de lui et de lui seul qu’émane la sentence.
Mais si après conférence il se forme une opinion nou
velle , la sentence n’est plus la sentence du tiers : elle
est celle de la majorité qui l’a adoptée , et il n’est pas
douteux qu’aux termes de l’article 1016 elle ne dût être
signée de tous ceux qui y ont pris part.
Cette nouvelle objection de M. Chauveau n’a donc
pas plus de force que les précédentes. Elle confond la
sentence rendue par la majorité de la conférence avec
celle qui émanerait du tiers arbitre seul, et étend mal à
propos à la première la dispense de signer qui est ex
clusive à celle-ci.
Abordant enfin le chapitre des considérations, M.
Chauveau repousse les conséquences auxquelles notre
doctrine pourrait aboutir.
« Si les arbitres,— dit-il,— sont maîtres de modifier
» leur avis, ils pourraient se rallier à l’un de ceux qu’ils
» ont consigné séparément dans le procès-verbal : et
» quelle serait alors la position du tiers? Ils seraient
» même en droit de lui imposer une opinion toute
» nouvelle, et à quoi servirait le procès-verbal ? »
Nous ne voyons aucun inconvénient réel dans cha
cune de ces hypothèses. Si la loi a voulu que la ré
union et la conférence qu’elle prescrit amenassent une
discussion nouvelle, un examen plus approfondi, elle a
par cela même accepté les conséquences qui peuvent
en résulter : notamment l’obligation pour la minorité
de subir la loi de la majorité. Il n’y a pas à se préoc-
�198
DES SOCIÉTÉS
cuper de la position faite au tiers. Même dans ce cas sa
mission n’aurait pas été stérile , puisque en rouvrant
le débat elle aurait abouti à constituer cette majorité,
c’est-à-dire atteint le but que le législateur s’est pro
posé en exigeant la réunion et la conférence simultanées
de tous les arbitres avec le tiers.
Nous en dirons autant de la seconde hypothèse. Du
choc des opinions jaillit la vérité, et aucune considéra
tion ne saurait empêcher celle-ci de se produire. Qu’im
porte qu’elle n’ait été prévue ni par l’un ni par l’autre
arbitre si la discussion les y amène. Il est vrai que dans
ce cas les avis distincts et motivés deviennent inutiles.
Mais la loi n’en a exigé la rédaction que pour le cas où
les arbitres ne se réuniraient pas ou persisteraient dans
leur opinion. Cette hypothèse ne s’est pas réalisée, mais
elle pouvait se produire , et cette possibilité justifie et
légitime les prescriptions de la loi.
558.
— En résumé , l’opinion de M. Chauveau ne
considère que le tiers dans le tribunal arbitral après dé
claration de partage. Cette appréciation méconnaît la
loi et blesse la raison. Pourquoi en effet, s’il devait en
être ainsi, prescrire une réunion et une conférence alors
que ce tiers a ou doit avoir sous les yeux l’avis motivé
de chaque arbitre, et le moyen de se prononcer en con
naissance de cause ? Pourquoi ne l’autoriser à juger seul
que si les arbitres ou l’un d’eux s’y refusant, il n’y a
ni réunion ni conférence ?
Cette restriction dans l’article 1018 amène invinci-
�art.
5i
a
63.
493
blement à cette conséquence, que la réünion s’opérant
et la conférence ayant lieu, le tiers arbitre délibère avec
les arbitres , s’inspire de leur idée ou les amène à son
avis, et ne constitue pas plus à lui seul le tribunal ar
bitral , que les arbitres ne le composent de leur côté ;
que ce tribunal se forme de leur réunion q u i, ainsi
que le consacre la cour de Lyon, n’a été ordonnée que
pour que les arbitres et le tiers, en conférant, délibéras
sent en commun sur la contestation à juger, et parvin
ssent ainsi à s’éclairer respectivement, à épurer, modi
fier , changer leur opinion soumise à une discussion
nouvelle , et à donner ainsi plus de garanties au juge
ment qui doit en être le résultat L
559.
— Le tiers arbitre ne prononce et ne peut pro
noncer seul que si les arbitres s’étant réunis ont per
sisté dans leur opinion,ou si dûment sommés de se ré
unir ils ont refusé d’obéir à la sommation. Mais si le
droit existe , son exercice n’est pas forcé. Ainsi la cour
de cassation, par arrêt du 29 mars 1829, déclarait que
l’article 1018 suppose que les deux arbitres ont égale
ment refusé de se réunir, qu’en conséquence si le refus
n’émane que d’un se u l, le tiers arbitre n’est pas tenu
de juger seul et hors la présence de l’autre arbitré.
Mais nous l’avons déjà d it, la preuve légale du refus
ne peut résulter que de l’original de la sommation. Si
le tiers arbitre avait jugé sans conférer avec lëS- arbitres
i Lyon, 44 juillet 48218.
III
�194
DES SOCIÉTÉS
et s’il ne justifiait les avoir appelés par la production
de cet original, la sentence par lui rendue serait irrégu
lière et nulle, sans effets possibles.
De nombreux arrêts rendus sous l’empire de notre
ancien droit s’étaient prononcés dans ce sens. Toutefois
la nullité n’était pas de plein droit, et la sentence devait
être exécutée tant que la partie n’en avait pas poursuivi
et atteint l’infirmation. L’article 1018 en s’appropriant
le principe n’en a nullement modifié le caractère. La
sentence quelque annulable qu’elle fût lierait les parties
tant qu’elle n’aurait pas été annulée.
En arbitrage forcé l’inobservation de l’article 1018
n ’occasionnait en réalité qu’un retard .^puisque on de
vait procéder à la nomination d’un tiers chargé à nou
veau de départager les arbitres. Aujourd’hui cette in
observation aurait une bien autre conséquence, même
dans les contestations entre associés et pour raison de
la société. Elle mettrait fin au compromis, à moins que
les parties ne convinssent de nommer un nouveau tiers
arbitre et de poursuivre une décision définitive.
560.
— Ce serait là une renonciation à se prévaloir
de la nullité , et les parties le peuvent d’autant mieux
qu’elles sont autorisées à dispenser le tiers d’exécuter les
prescriptions de l’article 1018.
Le caractère purement relatif de la nullité amenait
forcément à cette conséquence. Aussi a-t-o n essayé de
lui en donner un autre , et prétendu que cette dispense
constituait une transaction sur le droit de se défendre
�qui est d’ordre public. Mais en consentant à ce que le
tiers ne confère pas avec les arbitres, les parties n’ont
ni aliéné ni modifié le droit qui leur appartient de com
paraître en personne devant le tiers, et de lui remettre
toutes les notes et observations qu’elles jugent utiles ou
convenables. On a donc jugé qu’on ne saurait contester
la légalité de la clause par laquelle les parties ont au
torisé le tiers à prononcer sur le vu des procès-verbaux
et sans autre formalité.
La jurisprudence est allée plus loin : elle a admis que
l’autorisation de ne pas se conformer à l’article 1018
n’avait pas besoin d’être expresse ; qu’elle pouvait im
plicitement résulter des clauses du compromis. Elle l’a
donc déduite notamment de la clause instituant les ar
bitres amiables compositeurs dispensés de toute espèce
de formes l.
Un arrêt de la cour de cassation , du 17 juin 1840,
décide que le moyen tiré du défaut de conférence du
tiers avec les arbitres est couvert par la renonciation à
tout recours que les parties auraient consenti dans le
compromis2.
Les parties peuvent donc, soit expressément, soit
tacitement , dispenser de l’observation de l’article
1018. Si elles n’ont rien statué à cet égard , le tiers
doit en observer régulièrement toutes les prescriptions
1 Paris, 10 août 4809 ;
2 J. du P., 40, 2, 502.
Cass., 18 décembre 1816.
�DES SOCIÉTÉS
dont l’inexécution frapperait la sentence d’une nullité
absolue.
5 6 1 . — Ainsi il est tenu d’appeler les arbitres à se
réunir à lui. Si cette invitation reste sans effet, si les
arbitres ne se rendent pas à cet ap p el, ils doivent être
sommés par acte extra-judiciaire. Nous avons dit que
cette sommation doit être faite par la partie la plus di
ligente. Mais comme il ne peut pas dépendre des parties
de paralyser la mission du tiers, il est évident qu’en cas
de négligence de leur part ce tiers serait bien obligé d’a
gir lui-même avant l’expiration du délai dans lequel il
doit statuer.
Si les arbitres ou un seul d’entre eux n’obéissent pas
à la sommation , le tiers juge seul. Le législateur n’a
vait pas d’autre résolution à consacrer. Quel que fût le
prix qu’il attachait à la réunion des arbitres, il a com
pris qu’il n’avait aucun moyen de la contraindre maté
riellement. D’autre part il n’était pas possible que le
mauvais vouloir, que le caprice des arbitres mît fatale
ment fin à l’arbitrage. Le seul parti à prendre était donc
celui que l’article 1018 consacre, le droit pour le tiers
arbitre de juger seul.
5 6 2 . — Mais pourra-t-il avant de prononcer con
férer avec l’arbitre qui a accepté la réunion ?
Nous avons vu que par arrêt du 29 mars 1827, la
cour de cassation juge que lorsque l’un des arbitres re
fuse de se réunir au tiers arbitre, celui-ci n ’est pas tenu
de juger seul et hors la présence de l’autre arbitre. Ce
�qui était à remarquer dans l’espèce , c’est qu’en adop
tant l’avis de ce dernier, le tiers l’avait modifié ; qu’il y
avait donc eu une délibération malgré que le tribunal
fût incomplet par l’absence d’un des arbitres, ce qui est
évidemment contraire au principe.
Mais si la cour suprême tolère cette dérogation, c’est
qu’elle déclare le demandeur en cassation non recevable
à en exciper. En effet, la modification à l’avis de l’ar
bitre était dans l’intérêt de ce demandeur qui n’avait
pas dès lois à s’en plaindre, parce que, dit l’arrêt, l’in
térêt est le seul motif des actions, et qu’il n’y a point
de nullité sans grief.
Supposez l’absence de toute fin de non recevoir con
tre l’action, elle eût dû être accueillie et la sentence a n
nulée, non pas parce que le tiers avait conféré avec l’un
des arbitres seulement, mais parce qu’en adoptant l’un
des deux avis, il l’avait modifié.
En effet rieû n’empêche que le tiers confère avec l’ar
bitre qui s’est réuni avec lu i, qu’il se renseigne sur les
faits et circonstances qui ont pu le déterminer ; mais ce
qui n’est ni légal ni permis, c’est de délibérer de nou
veau et d’arriver à un résultat autre que celui adopté
par l’un ou, par l’autre arbitre. C’est ce que la cour de
Paris consacrait très-juridiquement le 2! janvier 1834.
« Attendu, —dit l’arrêt,— que l’article 1018 a seule» ment ordonné que , quand tous les arbitres ne se» raient pas ré u n is, le tiers arbitre prononcerait seul,
» c’est-à-dire que les arbitres seuls présents ne pour» raient entre eux former un nouvel avis et rendre en-
�198
DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
»
semble une sentence ; mais que la loi n’interdit pas
au tiers arbitre la faculté de conférer avec celui des
arbitres qui répond à la sommation ; qu’alors seulement le tiers arbitre n’a d’autre office que de partager les arbitres divisés en optant pour l’un de leurs
avis, et de consacrer ainsi l’un des avis rédigés. »
Ainsi le tiers arbitre peut conférer avec un arbitre
lorsque l’autre refuse de se réunir. Mais cette conférence
n’est plus qu’officieuse, et ne peut produire aucun des
résultats que la loi attache à la réunion générale des
arbitres. L’opinion que chacun de ceux-ci a adoptée
reste invariablement telle qu’elle a été consignée dans
le procès-verbal de partage; le tiers jugeant seul, doit,
à peine de nullité , se ranger sans modification à l’une
ou à l’autre.
563.
— L’obligation pour le tiers de se prononcer
dans ce sens parait étrange au premier coup d’œil. Il
peut se faire , en effet, que chacune des deux opinions
s’écarte de la vérité sur un ou plusieurs points. Pour
quoi donc interdire au tiers de les ramener à cette vé
rité soit en les modifiant l’une par l’autre , soit en re
tranchant ce qui lui parait erroné et susceptible d’êlre
modifié.
Mais la réflexion conduit bientôt non-seulement à
purger la loi de tout reproche, mais encore à donner la
plus entière, la plus complète approbation à son exi
gence. Le tiers n ’est appelé que pour vider le partage,
et donner le caractère de jugement qui n’appartient
encore ni à l’un ni à l’autre avis.
�ART.
B1
A
63.
199
Or, un jugement n’est que l’opinion de la majorité
de ceux qui sont appelés à le rendre. Cette majorité
n’est possible que par l’intervention du tiers portant à
trois le nombre des juges ; et elle sera acquise pour l’a
vis que ce tiers adoptera et qui aura ainsi deux voix sur
trois.
Qu’on permette au tiers de n’accepter ni l’un ni l’au
tre des avis émis par les arbitres , on aboutira à avoir
trois opinions au lieu de deux , et point de majorité en
faveur d’aucune d’elles, par conséquent point de juge
ment.
Voilà pourquoi la loi oblige le tiers, lorsqu’à défaut
de réunion de tous les arbitres, il juge seu l, à opter
pour l’un des deux avis exprimés. Cette obligation est
absolue et ne comporte ni tempérament ni modifica
tion. Ce que la cour de cassation en a induit, c’est que
te tiers arbitre jugeant seul n’a pas le droit de statuer
sur les conclusions nouvelles que les parties prendraient
devant lu il.
564.
— La doctrine et la jurisprudence n’ont guère
varié sur la portée de l’article 1018 à ce sujet. Le tiers
est tenu d’opter pour l’une ou pour l’autre opinion dans
son intégrité , lorsque les arbitres s’en réfèrent pure
ment et simplement à leur a v is, ou refusent de se ré
unir et de conférer avec lui. Ainsi M. Carré poussait
l’application du principe jusqu’à soutenir que la sen-
i Cassation, 47 novembre 4836 ; — J. du P ., 37, 4, 49.
�200
DES SOCIÉTÉS
tence était nulle lorsque le tiers alloue quatre-vingts
francs de dommages-intérêts dans une espèce où l’un
des arbitres allouait quatre cent quarante francs et l’au
tre n ’en adjugeait aucun *.
Par application du principe , la cour de Caen déci
dait, le 9 juin 1837, que lorsque s’agissant de l’étendue
d’un droit de passage , l’un des arbitres l’accorde avec
charrues et charrettes, et l’autre pour gens à pied seu
lement , le tiers arbitre ne pouvait, sans excéder ses
pouvoirs, l’ordonner pour gens à pied et à chevals.
Nous pourrions multiplier les exemples. Nous croyons
que ceux que nous venons d’indiquer suffisent pour
bien faire saisir le caractère du principe posé par l’ar
ticle 1018 et la nature de ses conséquences.
565.
— Mais ce qu’il importe de noter, c’est que la
doctrine que nous venons d’indiquer suppose que le par
tage n’a été déclaré que sur un point unique , soit que
ce point constituât tout le litige, soit que les arbitres
aient été d’accord pour résoudre les autres.
Si le procès a plusieurs chefs distincts , si le partage
a été déclaré sur tous ou seulement sur quelques-uns,
il y a autant de jugements distincts à prononcer que de
chefs à résoudre , et pour chacun d’eux le tiers est ap
pelé à exercer la faculté qu’il a d’opter pour l’une ou
l’autre des deux opinions. Il peut donc adopter alter-
l Chauveau, sur l’article 1018, qùest. 3347.
�nativement l’un ou l’autre selon qu’il le juge convena
ble : on ne saurait l’astreindre à se conformer à une
opinion sur l’ensemble des chefs.
Cette prétention n’a pas cessé d’être repoussée par la
jurisprudence. Ainsi la cour de Limoges décidait, le 15
juillet 1840 , que le tiers arbitre chargé d’établir les
trois éléments d’une créance , capital, intérêts , termes
de paiement, peut très régulièrement fixer le premier et
le troisième éléments d’après l’opinion de l’un des ar
bitres et le second d’après celle de l’autre l.
Il a été également jugé que lorsqu’il s’agit de la li
quidation d’un compte , le tiers arbitre peut diviser les
avis des arbitres sur un même chef de demande se com
posant de plusieurs articles distincts, et adopter alter
nativement sur chaque article l’avis de l’un ou de l’au
tre arbitre2.
, 566. — Cette jurisprudence approuvée par la doc
trine, arrivera souvent à ce résultat : que le reliquat du
compte arrêté par le tiers arbitre différera nécessaire
ment de celui que chaque arbitre avait adopté. En con
séquence , le dispositif de la sentence définitive ne sera
conforme ni à l’un ni à l’autre des deux avis.
Ce résultat violera-t-il la prescription de l’article
1818? l’affirmative avait été consacrée par la cour de
Paris ; non pas qu’elle pensât que le tiers arbitre n’eût
U. du P., 43, 1, 468
2 Bordeaux, 1 3 décembre 1 832 ; — Cassation, 3 juillet 1834.
�202
DES SOCIÉTÉS
pas le droit de se prononcer sur chaque article d’une
manière différente, pourvu qu’il se rangeât alternative
ment à l’opinion d’un des arbitres. Ce qu’elle lui déniait
c’était la faculté de tirer la conclusion des prémisses
qu’il avait adoptés. En pareille circonstance, disait l’ar
rêt, tout ce que peut faire le tiers c’est de se prononcer
pour l’avis se rapprochant le plus des résultats auxquels
il est arrivé lui-même.
Il était étrange, en permettant de changer et de va
rier les bases adoptées par chaque arbitre , de vouloir
prohiber les conséquences logiques de ce changement.
En matière de comptes , par exemple , ce n’est pas le
calcul définitif et total qui constitue, à proprement par
ler, le jugement. Ce jugement est surtout dans la solu
tion que reçoivent les divers éléments du compte et
dont sa balance n’est que la conséquence inévitable et
forcée.
Aussi l’arrêt de la cour de Paris eut-il le sort qu’il
était facile de prévoir. Sur le pourvoi dont il avait été
l’objet, il était cassé le 1er août 1825. Le reliquat d’un
compte, dit l’arrêt de cassation, n’est que le résumé des
premières opérations ; il ne constitue pas le jugement, il
doit nécessairement être fixé d’après les décisions por
tées sur chacun des objets en contestation ; il ne peut en
être que la conséquence ; on ne saurait donc contester
au tiers arbitre qui se range à l’avis tantôt de l’un, tan
tôt de l’autre des arbitres , le droit de fixer le reliquat
d’après les décisions qu’il a portées sur chaque chef, ni
lui imposer l’obligation d’adopter en définitive le reli
�quat s’étant le plus rapproché de son sentimentl. C’est
à cette opinion que la cour de Paris s’est rangée par ar
rêt du 5 décembre 1831.
Ainsi donc la disposition de l’article 1018 n’est pas
un obstacle insurmontable à une différence dans les
résultats. Cette différence est inattaquable , si elle n’est
due qu’à l’adoption alternative de l’opinion d’un des
arbitres sur chaque chef du procès. L’unique jugement
consistant alors dans la solution donnée à chacun de
ces chefs , le tiers arbitre a obéi à la loi et rempli son
devoir en se prononçant tour à tour pour celle des deux
opinions qui lui paraît la plus rationnelle et la plus
juste.
En dernière analyse, s’il n’y a qu’un chef de contes
tation unique, ou si, plusieurs existants, le partage n’a
été déclaré que sur un seul, le tiers arbitre est enchaîné.
Il doit se prononcer absolument pour un des deux avis
sans pouvoir ni ajouter ni retrancher ni modifier , si
sur le refus de se réunir opposé par les arbitres ou par
l’un d’eux il est appelé à juger seul.
Que si le partage a été déclaré sur plusieurs points, il
y a autant de jugements à rendre qu’il y a de chefs dis
tincts, et le tiers arbitre obéit à la loi en adoptant sur
chacun d’eux l’avis d’un des arbitres. Comme consé
quence on ne saurait lui contester le droit d’établir le
1 Voy. dans le même sens : Cassation, 11 février 1884 ; — Toulouse,
6 août 1827; — Cassation, 17 novembre 1830.
�204
DES SOCIÉTÉS
résultat définitif sur l’ensemble des décisions par lui
rendues sur chaque chef.
567.
— Devrait-on voir une différence violant l’ar
ticle 1018, dans le fait qu’en adoptant l’avis d’un arbi
tre le tiers en aurait modifié ou changé les motifs ?
La cour de Paris s’est prononcée pour la négative.
Elle jugeait, le 19 novembre 1817, qu’une légère diffé
rence entre les motifs énoncés dans l’avis du tiers arbi
tre et ceux adoptés par celui des arbitres à l’opinion
duquel le tiers déclare au surplus se référer sur tous les
points, ne suffit pas pour vicier la sentence arbitrale et
pour entraîner sa nullité.
Cette doctrine que MM. Berriat S‘-Prix et de Vatimesnil approuvent et adoptent, ne nous paraît pas suscep
tible d’un doute ni comporter la controverse. Aussi l’adoptons-nous même pour le cas où la différence serait
plus ou moins radicale. Comme M. Chauveau, nous ne
voyons pas notamment pourquoi le tiers arbitre , en se
rangeant à une opinion, ne pourrait expliquer que c’est
par des motifs différents qu’il exprimerait, car cette di
vergence ne change rien au dispositif, ni à l’exécution
de la sentence l.
Ainsi le tiers arbitre n’est pas tenu de s’astreindre
juda'iquement au texte entier de l’avis qu’il adopte. Il a
obéi aux prescriptions de l’article 1018, dès qu’il s’en
est approprié le dispositif sans y rien changer.
l Question 3347.
�568.
— L’allégation de respecter le dispositif vat-elle jusqu’à empêcher le tiers de relever les erreurs de
calcul échappées à l’arbitre doni il adopte l’opinion ?
Un arrêt de la cour de cassation, du 28 janvier 1835,
rejette le pourvoi contre un arrêt de la cour de Mont
pellier adoptant la négative. Cette solution la cour de
Montpellier la motivait « sur ce qu’il résultait de la
» sentence arbitrale que le tiers arbitre avait adopté,
» dans son entier , l’opinion de l’un des arbitres , que
» son avis était le même, qu’il avait été formé des mê» mes éléments ; qu’il n’avait fait que corriger de légè» res erreurs de calcul échappées à cet arbitre , ce qui
» n’a nullement changé le fond de l’opinion adoptée. »
M. Chauveau reproche à la cour de cassation d’avoir
dépassé la limite des pouvoirs attribués au tiers arbitre.
Si, dit-il, il est permis à celui-ci de rectifier une erreur
de calcul, pourquoi pas une erreur de fait ? Si une er
reur de fait, pourquoi pas l’avis qui en est le résultat?
D’ailleurs en accusant les arbitres de s’être trompés, le
tiers départiteur ne peut-il pas se tromper lui-même ? 1
Nous avions cru au caractère juridique de ces criti
ques , et ce qui nous déterminait c’était la disposition
de l’article 541 du Code de procédure civile. Mais la
réflexion nous a ramené. Cet article est évidemment in
applicable en matière d’arbitrage. La sentence rendue,
il n’y a plus de juges auxquels on puisse demander la
1 Ib id em .
�206
DES SOCIÉTÉS
rectification des erreurs. Faudra-t-il donc accepter ces
erreurs comme une vérité et en faire profiter celui qui
est appelé à en bénéficier.
Ce serait injuste et immoral, et la loi n’a pu l’auto
riser dans aucun cas, pas plus en arbitrage qu’en ma
tière ordinaire. Elle ne peut dès lors avoir eu la pensée
de prohiber au tiers le pouvoir de corriger les erreurs
de calcul qui se seraient glissées dans l’avis qu’il adop
te. Faudra-t-il qu’il déclare que deux et deux font
cinq ou ne font que trois ? De toute certitude l’arbitre
s’il s’en fût aperçu les aurait relevées lui-même. Donc
le tiers ne fait que ce que l’arbitre aurait fait ; et com
me le consacre la cour de Montpellier, il n’a nullement
changé le fond de l’opinion de celui ci.
Mais, objecte M. Chauveau, s’il est permis de rectifier
une erreur de calcul, pourquoi pas une erreur de fait?
Mais parce que une erreur de fait n’aura jamais la cer
titude, l’évidence d’une erreur de calcul, et qu’elle pourra
toujours être déniée ou contestée. D’ailleurs s’il y a
réellement erreur de fait, le tiers arbitre a un sûr moyen
d’y remédier, et bien certainement il n’omettra pas d’y
recourir, c’est de rejeter une opinion qui n’a pour
fondement qu’une erreur et d’adopter l’opinion con
traire.
Nous croyons donc au caractère juridique de l’arrêt
de la cour de cassation , et nous reconnaissons au tiers
le pouvoir de relever les erreurs de calcul certaines, pal
pables, évidentes qui se seraient glissées dans l’opinion
qu’il adopte.
/
�ART. 51 A 63.
207
569.
— La décision rendue par le tiers arbitre seul
ou en concours avec les arbitres divisés d’opinion est
le véritable , le seul jugement. Doit-elle dès lors réunir
toutes les conditions exigées par l’article 441 du Code
de procédure civile ?
La solution diffère suivant que la sentence a été ren
due après réunion et conférence par la majorité, ou par
le tiers arbitre seul.
Dans le premier cas , une délibération nouvelle s’é
tablissant, rien ne gène la liberté et l’indépendance des
délibérants. Les parties peuvent modifier leurs conclu
sions déjà prises, en prendre de nouvelles que les arbi
tres et le tiers réunis peuvent admettre ou repousser. Le
résultat de la délibération peut modifier l’un par l’au
tre les avis exprimés dans le procès-verbal de partage,
les rejeter l’un et l’autre pour en adopter un troisième.
Dans ce cas la sentence ne sera régulière que si elle ré
unit les conditions de l’article 441 du Code de procé
dure civile dans les limites que nous indiquions tout à
l’heure.
Dans le second cas, soit que les arbitres aient refusé
de se réunir et de conférer, soit qu’ils aient déclaré s’en
référer à leur avis, le tiers arbitre devant rigoureuse
ment opter pour un de ces a v is, sa sentence s’identifie
en quelque sorte avec l’opinion qu’elle consacre. Son
option s’applique non-seulement aux résultats, mais
encore aux motifs, s’il no croit pas devoir en donner
�208
DES SOCIÉTÉS
d’autres. Il serait dès lors dérisoire d’exiger qu’il les
répétâtl.
Il en serait de même , au besoin, du dispositif. Nous
avons déjà rappelé l’arrêt de Bordeaux , du 30 décem
bre 1841 , jugeant que la sentence du tiers déclarant
adopter l’opinion contraire au défendeur et adjuger les
conclusions du demandeur , ne pourrait être attaquée
comme dépourvue de dispositif2. Ce reproche pourrait
bien moins encore être adressé à la sentence du tiers
qui se bornerait à adopter l’opinion de tel arbitre et en
ordonnerait l’exécution.
Evidemment le procès-verbal de partage contient le
principe et les éléments de la décision. Il serait un vé
ritable jugement, n’était le defaut de majorité en faveur
d’un des avis qu’il renferme. L’option du tiers arbitre
comblant cette importante lacune lui assure ce caractère
et lui en donne la forme. Dès lors si l’opinion adoptée
relate la qualité des parties, leurs conclusions, l’exposé
sommaire du fa it, le tiers arbitre peut se dispenser de
les mentionner dans son avis.
- L’obligation de dater et de signer la sentence vidant
le partage ne saurait être ni méconnue ni déclinée. La
signature du tiers arbitre suffit, s i , en fa it, il a jugé
seul. Mais si à la suite d’une réunion et d’une délibéra
tion collective la décision intervenue modifie les deux
1 Rouen, 26 novembre 1826.
2 J. du P., 42, 4, 385.
�ART.
51 A 63.
avis ou en consacre un troisième, elle doit être, à peine
de nullité , signée par tous, sauf, en cas de refus de la
minorité , à se conformer aux prescriptions de l’article
1016 du Code de procédure civile.
La date est indispensable pour décider si la sentence
a été ou non rendue par le tiers dans le délai qui lui
était imparti.
Il pourrait être suppléé à son omission, mais par les
faits que nous indiquions en nous occupant du juge
ment rendu par les deux arbitres, à savoir la mort d’un
des signataires, la date de l’enregistrement, celle du
dépôt au greffe.
Ajoutons que pour la date qui y est énoncée, comme
pour tous les faits que le tiers a mission de constater,
la sentence par lui rendue fait foi jusqu’à inscription de
fauxl.
570.
— Il en est de la sentence vidant le partage
comme de celle que les arbitres auraient rendue à l’u
nanimité ; elle ne peut être exécuté qu’après avoir été
revêtue de l’ordonnance d’exéquatur par le président du
tribunal au greffe duquel elle a été déposée. Les forma
lités pour obtenir cette ordonnance étant identique dans
les deux cas, nous renvoyons à nos précédentes obser
vations à ce sujet2.
i Bourges, 13 août 1838 et la note,
J du P., 38, 2, 530.
s Voy. supra n°s 542 et suiv.
III
U
�210
DES SOCIÉTÉS
571.
— La sentence arbitrale rendue sans ou après
partage , dès qu’elle est revêtue de l’ordonnance d’exé
cution,constitue un véritable jugement. En conséquence,
si elle est devenue définitive elle a acquis l’autorité de la
chose jugée, et est désormais la loi absolue des parties,
leurs héritiers et ayants cause. Qu’en est-il des tiers?
Sont-ils recevables à l’attaquer par tierce opposition ?
La solution dépend de celle que doit recevoir la ques
tion de savoir si le jugement arbitral peut être opposé
aux tiers et leur nuire. Comment, en effet, s’il en était
ainsi, leur contester ou leur refuser le moyen de préve
nir le préjudice dont ce jugement pourrait devenir pour
eux l’occasion ?
Or, sous l’empire de l’ordonnance de 1667 et de la
loi du 19 juin 1793, les parties ayant le droit de se
prévaloir du jugement arbitral contre les tiers , on en
avait induit pour ceux-ci la faculté de l’attaquer par
tierce opposition L
Le Code de procédure civile a dérogé à cette pratique.
Son article 1022 dispose en effet que les jugements ar
bitraux ne pourront en aucun cas être opposés à des
tiers. En ce qui les concerne donc notre législateur ad
met que res judicata jus non facit, quia res inter
alios acta, aut judicata, aliis non nocet3.
Ce que la cour de cassation en a conclu, c’est que les
i Cassation, 5 frim aire an VIII ; — H vendémiaire an X.
3 L. 1 , Cod. De recept, re iju d ica t.
�ART.
51 A 68.
211
jugements arbitraux n’ont à l’égar.d des tiers que le ca
ractère d’une convention entre les parties qui ont com
promis, et qui absolument étrangère aux tiers ne saurait
leur être opposéel.
Le fondement juridique de l’article 1022 est surtout
le caractère de l’arbitrage. Les arbitres ne sont des ju
ges que pour ceux qui consentent à leur reconnaître
celte qualité. Il répugnerait à la raison et à la justice
que ce consentement pût avoir pour conséquence de
contraindre un tiers à se soumettre à cette juridiction ;
car si le jugement arbitral était opposable aux tiers , le
droit pour ceux-ci d’y former tierce opposition ne pour
rait être méconnu. Or , aux termes de l’article 475 du
Code de procédure civile, la tierce opposition est portée
devant le tribunal qui a rendu le jugement attaqué.
C’est donc bien la juridiction arbitrale qu’on imposerait
à ceux qui ne l’auraient ni voulue ni choisie.
D’ailleurs le pouvoir des arbitres expirant avec et par
la prononciation du jugement, comment donc exécute
rait-on l’article 475, si au moment où se produit la né
cessité de la tierce opposition, la mort ou l’absence met
tait un obstacle invincible à toute réunion des arbitres
qui ont rendu la sentence ?
L’intérêt des tiers est bien plus énergiquement sau
vegardé par l’article 1022 qu’il ne le serait par la fa
culté de former tierce opposition , puisqu’il accorde di-
1 28 janvier 1843. — J. du P ., 43, 1, 200.
�212
DES SOCIÉTÉS
rectement el de piano tout l’effet qu’on pouvait se pro_
mettre de celle-ci.
Toutefois le principe consacré par cet article n’est pas
absolu ; il comporte exception, et cette exception la loi la
consacre très-expressément. L’article 2123 du Code ci
vil dispose en effet que la sentence arbitrale revêtue de
l’ordondance d’exécution confère hypothèque. Or n’estce pas à l’encontre des tiers que celle-ci produit son
effet ?
Mais l’hypothèque n’a d’effet que par son inscription
et du jour de son inscription : elle ne saurait donc nuire
aux créanciers antérieurs en rang.
Quant à ceux qui n’acquièrent un droit hypothécaire
que postérieurement, de quoi se plaindraient-ils. La pu
blicité donnée à l’hypothèque résultant de la sentence
arbitrale les avertissait suffisamment, et si elle ne les a
pas empêché de contracter, elle créerait une fin de non
recevoir contre toute prétention de la présenter comme
consentie en fraude de leurs droits.
Les créanciers chirographaires seuls , soit antérieurs,
soit postérieurs à l’inscription pourraient être lésés par
le privilège que l’hypothèque confère sur les biens du
débiteur. Aussi leur droit à en contester la validité ne
saurait être contesté. La cour de cassation ne voyant
dans la sentence arbitrale qu’une convention entre les
compromettants, tous les intéressés ont contre elle, com
me contre tout autre contrat , la faculté d’en poursuivre
�ART. 51 A 6 3 .
213
directem ent l ’ a n n u la tio n Com m e consentie en fra ud e de
leurs droits
l.
572.
— Les tiers auxquels l’article 1022 défend
d’apposer la sentence arbitrale , comprennent les codé
biteurs et les cautions. Le compromis que le codébiteur
ou que le débiteur principal aurait signé avec le créan
cier, reste étranger aux uns et aux autres et aux termes
de l’article 1165 du Code civil ses effets ne pourraient
leur nuire.
Les auteurs du praticien auquel nous empruntons
cette solution, estiment néanmoins que le compromis
interromprait la prescription contre les codébiteurs soli
daires et les cautions. Ce compromis , enseignent-ils,
doit être assimilé aux interpellations judiciaires dont
parlent les articles 1206, 2249 et 2250 du Code civil,
et en produire les effets.
Cette opinion est généralement admise. En effet , dit
notamment M. Carré, le compromis constitue véritable
ment une poursuite de la part du créancier, et remplace
l’interpellation judiciaire qu’il aurait faite en donnant
citation.
Les codébiteurs ou cautions auxquels le jugement ar
bitral ne saurait nuire, pourront-ils en profiter si, ren
du contre le créancier , il déclare la dette acquittée ou
éteinte ?
L’affirmative ne saurait être douteuse. Elle résulte de
m
».
De Vatimesnil, n° 380.
�214
DES SOCIÉTÉS
la disposition des articles 1365 et 2036 du Code civil
notamment. D’ailleurs le créancier à qui on opposerait
le jugement rendu avec lui et contre lui pourrait-il rai
sonnablement prétendre que, pour ce qui le concerne,
le jugement constitue res inter altos judicata ? 1
5 7 5 . — L’abrogation de l’article 51 a eu pour effet
immédiat de rendre l’article 1028 du Code de procédure
civile applicable à l’arbitrage entre associés et pour con
testations relatives à la société. On sait en effet que les
arbitrés forcés étant institués par la loi, on avait consi
déré leur sentence comme de véritables jugements éma
nés de la juridiction commerciale, qui ne pouvait être
appelée à les apprécier soit par voie de nullité , soit de
toute autre manière , et qu’aux termes de l’article 52
du Code de commerce les seules voies de recours dont
elles étaient susceptibles étaient l’appel ou le pourvoi en
cassation.
Les arbitres am iables, et il n’y en a plus d’autres
aujourd’hui, n’ont aucun caractère public; ils ne tien
nent leurs pouvoirs que des parties. Ils sont donc obli
gés de se renfermer strictement dans les limites qui leur
sont tracées , et leur décision n’acquiert le caractère de
jugement que si, dans ces limites même , ils ont fidèle
ment observé toutes les conditions que les prescriptions
de la loi leur imposent.
S’ils n’ont tenu compte ni de ces limites ni de ces
i Chauveau, question 3369,
�ART, 51 A 63.
conditions , leur sentence peut avoir l’apparence d’un
jugement, mais n’en a certainement ni le caractère ni
l’autorité. Résultat d’un excès de pouvoir ou de la vio
lation de la lo i, elle ne saurait produire aucun effet,
recevoir une exécution quelconque. C’est donc à tort et
illégalement qu’elle aurait été revêtue de l’ordonnance
d’exéquatur, et c’est sa rétractation que la partie inté
ressée doit poursuivre.
En conséquence , si la sentence arbitrale entre asso
ciés et pour contestations relatives à - la société a été
rendue sans compromis, hors des termes du compromis
ou sur compromis nul ou expiré ; si elle n’a été rendue
que par quelques arbitres non autorisés à juger en l’ab
sence des autres ; par un tiers sans en avoir conféré avec les arbitres ; enfin s’il a été prononcé sur choses
non demandées , c’est par voie d’opposition à l’ordon
nance d’exéquatur qu’on doit se pourvoir. Il est à re
marquer que l’article 1028 ne concède pas seulement
une faculté , qu’il impose un devoir. Ainsi celui qui,
dans un des cas qu’il énumère, se pourvoirait par ap
pel ou par requête civile , serait inévitablement déclaré
non recevable.
574. — La question de savoir s’il a été jugé sans
compromis, hors des termes du compromis ou sur com
promis expiré, ne saurait offrir de.bien graves difficul
tés. Ce sont là tout autant de faits matériels sur lesquels
il n’est guère possible d’équivoquer.
Comment en effet douter du défaut de compromis,
�216
DES SOCIÉTÉS
s’il n’était représenté ni acte public , ni acte sous seing
privé, ni procès-verbal régulièrement dressé par les ar
bitres ? Comment en douter si la sentence elle-même
gardait le silence sur son existence et n’en mentionnait
ni la date ni la teneur ? •
La comparaison de ce qui a été jugé avec ce qui de
vait l’être aux termes du compromis, indiquerait nette
ment le bien ou mal fondé du second reproche.
Enfin le rapprochement de la date de la sentence avec
la clause du compromis relative au délai imparti aux
arbitres, trancherait nettement la question de savoir si
au moment du jugement le compromis était ou non
expiré.
5 7 5 . — L’article 1028 met sur la même ligne le
cas où il a été prononcé sur compromis expiré, et celui
où il a été prononcé syj^compromis nul. Il ne pouvait
en effet y avoir la moindre différence , car si le com
promis qui sert de base à la sentence est frappé de nul
lité, cette sentence a été réellement rendue en l’absence
de compromis.
Mais dans ce cas le sort de la sentence est inévitable
ment subordonné à la solution qui interviendra sur la
question de nullité. Or l’existence de celle-ci peut offrir
en fait et en droit des difficultés plus ou moins sé
rieuses.
Les nullités, en effet, doivent être prononcées par le
juge. Donc le tribunal devant lequel est portée l’opposi
tion à l’ordonnance d’exéquatur devra tout d’abord ap-
�art.
51
a
63.
217
précier le reproche de nullité , les faits dont on entend
l’induire, et ce n’est qu’après en avoir admis ou repoussé
la recevabilité et les fondements qu’il annulera ou main
tiendra l’ordonnance attaquée^
Nous avons indiqué les causes qui peuvent détermi
ner la nullité du compromis, l’incapacité des signataires
notamment. Donc toute attaque qui aurait pour base le
défaut de qualité et par conséquent l’incapacité des si
gnataires, est dirigée contre la validité du compromis et
donne ouverture à l’opposition à l’ordonnance d’exéquatur. On a donc jugé que c’est à ce moyen que de
vait recourir celui qui prétend que le mandataire qui a
signé le compromis en son nom n’avait pas de pou
voirs suffisants pour consentir une amiable compo
sition I.
I
f>76. — Nous avons déjà vu que pour sa régularité
le jugement exige le concours de tous les arbitres. Une
fois le tribunal arbitral constitué , ce concours est de
droit rigoureux et est acquis aux parties fondées par
conséquent à l’exiger.
Dès lors le jugement qui ne serait l’œuvre que de
quelques-uns des arbitres ne serait pas un jugement, et
ne pourrait produire un effet quelconque en faveur ou
contre .aucune des parties , à moins que ces parties
n’eussent autorisé les arbitres à juger les uns en l’ab
sence des autres.
1 Besançon, 48 décembre 4 811 ,
�218
DES SOCIÉTÉS
Comme sanction de
loi dans l’article 1028
nance d’exéquatur qui
ment irrégulier, et qui
ses prescriptions à ce sujet, la
autorise l’opposition à l’ordon
aurait été apposée, à ce juge
serait inévitablement rétractée.
C’est par l’examen de la minute de la sentence qu’on
déciderait si elle a été ou non rendue par tous les ar
bitres. Il est évident que si tous l’avaient signée aucun
d’eux ne pourrait prétendre n’y avoir pas concouru, et
le certificat dans ce sens émané de l’un d’eux ne sau
rait ni annuler ni affaiblir l’effet de la signature.
L’absence de cette signature ferait supposer'le défaut
de concours. Toutefois il ne pouvait pas être que le re
fus de signer qu’opposerait un des arbitres après avoir
pris part à la délibération en paralysât fatalement le ré
sultat. Aussi avons-nous vu que l’article 1016 n’exige
dans ce cas qu’une seule chose, la mention du refus par
la majorité.
577,
— L’inobservation du devoir imposé au tiers
départiteur de conférer avec les arbitres divisés donne
ouverture à l’opposition à l’ordonnance d’exécution.
Mais en fait il ne suffirait pas qu’aucune conférence ne
se fût réalisée pour que cette opposition dût être ac
cueillie et consacrée.
La loi ne pouvait oublier que l’observation de ses
prescriptions à ce sujet ne dépend pas exclusivement
du tiers départiteur; qu’elle exige le concours des arbi
tres. Comment conférer avec des gens qui refuseraient
de se réunir.
�ART
51
A
63.
219
Donc toutes les fois que le tiers arbitre aura jugé '
seul, et que ce fait aura motivé une opposition à l’or
donnance , la partie intéressée au maintien de la sen
tence fera inévitablement repousser cette opposition en
justifiant que les arbitres ont refusé de se réunir et de
conférer. Ainsi que nous l’avons dit , cette justification
ne peut légalement résulter que de la production de la
sommation qui leur a été faite dans ce but.
578.
— Enfin l’article 1028 ouvre et prescrit la
voie de l’opposition à l’ordonnance d’exécution , lors
qu’il a été prononcé sur choses non demandées. Ce
grief, relativement aux associés , pourra se rencontrer
dans le cas où, pendant la durée de la société, une dif
ficulté s’élevant sur un objet déterminé, les associés en
ont déféré le jugement à des arbitres. Si les arbitres
ont prononcé sur toute autre chose que cet objet même
que le compromis leur soumettait, sans qu’aucune con
clusion des parties ait sollicité leur décision sur ce
point, il y aura réellement jugement sur chose non de
mandée et ouverture à l’opposition à l’ordonnance d’exé
cution.
Mais comment supposer un pareil excès de pouvoirs
chez les arbitres , si la société se dissolvant les associés
ont autorisé les arbitres à juger toutes les difficultés que
celte dissolution et la liquidation qui en est la consé
quence pourraient faire naître ? Si une pareille clause
est légale , la compétence des arbitres pour tout ce qui
se réfère aux intérêts des associés dans la liquidation
�220
DES SOCIÉTÉS
ne saurait être contestée , et exclut le reproche d’avoir
jugé sur choses non demandées.
579.
— A notre avis, cette attribution générale
de juridiction est d’une légalité irréprochable , et n’a
rien de contraire aux prescriptions de l’article 1006 du
Code de procédure civile. Il ne faudrait p a s , en ef
fet, étendre ces prescriptions au delà de certaines limi
tes, et leur donner une signification trop absolue. C’est
à leur esprit seul qu’il faut demander l’interprétation
dont elles sont susceptibles.
Aucun doute ne saurait exister sur les motifs qui ont
fait exiger la désignation, dans le compromis, des objets
en litige. On a voulu uniquement circonscrire la mis
sion des arbitres et les empêcher de s’immiscer dans
l’appréciation de difficultés que les parties n’auraient
pas entendu leur soumettre. Aussi, enseigne avec raison
M. Mongalvy, aucune forme particulière de désignation
n ’a été prescrite, et il suffit que la pensée des parties
soit clairement manifestée l.
Or, est-ce que la pensé des associés déférant aux ar
bitres la connaissance de toutes les difficultés que la
liquidation de la société peut faire naître, n’est pas clai
rement manifestée ? Est-ce que d’ailleurs cette attribu
tion toute générale qu’elle soit ne circonscrit pas la
mission des arbitres ? Ne la réduit-elle pas aux objets
i Tome 1. n° 245,
�ART.
51
A
63.
§21
se rattachant directement ou indirectement à cette liqui
dation ?
Donc à moins de soutenir la nullité de la clause, au
point de vue de l’article 1006 , on doit avouer que la
sentence qui ne sort pas de ce cercle ne saurait être
querelée comme ayant prononcé sur choses non de
mandées.
Ainsi et dès le 3 janvier 1817, la cour d’Aix jugeait
que les arbitres peuvent, sans excéder leurs pouvoirs,
statuer sur des questions qui ne sont pas spécifiées dans
le compromis , mais qui se rattachent nécessairement à
celles qui y sont prévues, et naissent des débats respec
tivement élevés devant eux par les parties. Or, qu’estce que la clause autorisant les arbitres à statuer sur
toutes les difficultés qui pourront naître du différend
qui divise les parties , si ce n’est la mission d’apprécier
et de résoudre toutes les questions se rattachant à ce
différend et qui naîtront des débats qu’il fera surgir ?
Aussi est-ce pour sa validité que s’est prononcée la
jurisprudence. Sa légalité au point de vue de l’article
1006 du Code de procédure civile était admise et consa
crée par la cour de Turin, le 4 avril 1808 ; par la cour
de Rennes , le 12 décembre 1809 ; par la cour de Be
sançon, le 24 décembre 1812 ; par la cour de Bourges;
le 14 juillet 1830.
Depuis il a été jugé :
Par la cour de cassation , le 29 novembre 1831,
qu’en déclarant que le compromis a pour objet de ré
gler toutes les opérations de banque depuis telle époque
�«
222
DES^SOCIÉTÉS
jusqu’à telle autre , les parties ne violaient en rien l’ar
ticle 1006 du Code de procédure civile ;
Par la cour de Bordeaux, le 22 mai 1832, que l’objei du compromis est suffisamment indiqué quand les
parties défèrent aux arbitres la connaissance des con
testations qui les divisent et qui sont expliquées dans les
divers actes du procès qu’elles veulent terminer par la
voie de l’arbitrage ;
Par la cour de Colmar, le 24 août 1835 , que le ju
gement qui donne acte aux parties de leur demande
afin de renvoi devant arbitres, fixe suffisamment l’objet
du litige en déclarant qu’il s’agit de régler les comptes
existant entre elles , de fixer le réliquat de ces comptes
et de statuer sur les contestations y relatives qui s’élè
veraient ;
Enfin par la cour de cassation, le 25 juin 1845, que
le compromis qui porte que les arbitres statueront sur
les conclusions qui seront prises par les parties devant
eux et notamment sur les difficultés d’un compte en li
tige, remplit suffisamment le vœu de l’article 1006 du
Code de procédure civile sur la nécessité de désigner
l’objet litigieuxl.
580.
— En résumé donc, l’article 1006 n’exige pas
que le compromis indique et détaille un à un les divers
points sur lesquels les arbitres auront à prononcer.
Quelque générale que soit l’indication elle est régulière
1 J. du P., 46, 4, 703.
�art.
51
a
63.
223
et valable dès que la détermination d’un fait précis vient
en fixer le sens, en limiter l’étendue.
Il ne saurait dès lors y avoir ni hésitation ni doute.
La clause du compromis intervenu enire associés , qui
déférerait aux arbitres la connaissance de toutes les con
testations que la liquidation ferait surgir , est régulière
et légale. Elle indique clairement l’intention des parties
et limite la mission des arbitres.
En conséquence, on ne saurait faire considérer com
me statuant sur choses non demandées la sentence qui
statuerait sur des questions non spécifiées dans le com
promis, mais nées de la liquidation et à son occasion.
581.
— De même que la sentence des arbitres, celle
rendue par le tiers départiteur dans une contestation
entre associés et pour raison de la société, doit être d é
posée au greffe du tribunal civil de l’arrondissement, et
rendue exécutoire par le président de ce tribunal, et
c’est à ce même tribunal qu’il appartient de statuer sur
l’opposition à l’ordonnance d’exécution.
Il en était autrement en arbitrage forcé. Aux termes
de l’article 61 du Code de commerce c’était au greffe
du tribunal de commerce que devait être déposée la
sentence, et c’était à son président qu’était dévolue le
droit et le pouvoir de rendre l’ordonnance d'exèquatur.
C’était là la conséquence bien moins de la commer
cialité du litige que du caractère des arbitres qui ins
titués par la loi constituaient le premier degré de juri
diction entre associés. Leur décision remplaçait celle du
�m
DES SOCIÉTÉS
tribunal de commerce : c’était donc au greffe de celuici qu’elle devait être déposée.
,
La preuve de ce fondement de l’article 61 du Code
de commerce résulte de ce fait, que si par une conven
tion spéciale les associés modifiaient le caractère de l’ar
bitrage, les dispositions de cet article cessaient d’être ap
plicables.
Ainsi, par arrêt du 4 mai 1830, la cour de cassation
jugeait que : lorsque des associés de commerce don
naient à des arbitres de leur choix le pouvoir de pro
noncer comme amiables compositeurs , l’arbitrage qui,
entre les parties, était forcé à raison de la matière , de
venait volontaire , et que dès lors il devait être régi,
non par les dispositions du Code de commerce , mais
par celles du Code de procédure civile ; qu’on consé
quence l’ordonnance d’exéquatur de la sentence doit
être donnée par le président du tribunal civil et non
par le président du tribunal de commerce.
L’arbitrage même entre associés ne pouvant plus être
que volontaire , cette doctrine de la cour de cassation
doit être appliquée par une supériorité de raisons in
contestable. D’ailleurs la juridiction commerciale étant
exceptionnelle , elle ne peut connaître que de ce quela
loi lui attribue expressément. C’est par l’article 61 du
Code de commerce que le greffe du tribunal de com
merce était désigné comme lieu de dépôt de la sentence,
et le président de ce tribunal appelé à rendre l’ordon
nance d’exécution. L’abrogation de cet article remet les
choses sous l’empire du droit commun, et rend la juri-
�ART.
51
A
63.
225
diction commerciale absolument incompétente en ma
tière d’arbitrage, aucune disposition de loi ne la lui at
tribuant désormais. .
582.
— Les sentences arbitrales peuvent, outre
l’opposition à l’ordonnance d’exéquatur , être attaquées
par l’appel, le pourvoi en cassation et la requête civile,
dans les délais, formes et conditions dans lesquels cette
dernière voie de recours est ouverte contre les jugements
ordinaires. Mais il était évident que les parties qui au
raient dispensé les arbitres de suivre les formes ne pour
raient se faire un moyen de requête civile de leur in
observation. D’autre part le reproche d’avoir prononcé
sur choses non demandées étant un moyen d’opposition
à l’ordonnance d’exéquatur, ne pouvait donner ouver
ture à la requête civile, ce qui explique et justifie l’ar
ticle 1027 du Code de procédure civile.
Si l’arbitrage était sur appel ou sur requête civile, le
jugement, dit l’article 1010, serait définitif et sans ap
pel. L’arbitrage en effet ne peut être un moyen d’éter
niser le litige. Or n ’est-ce pas ce qui se réaliserait, si
après avoir déféré aux arbitres l’appel d’un jugement,
on pouvait appeler de nouveau de leur sentence. Il n’y
aurait pas de raison pour que ce nouvel appel ayant
fait l’objet d’un arbitrage fût suivi d’un troisième appel,
et ainsi de suite.
Les arbitres constitués en cause d’appel prononcent
comme le ferait la cour elle-même. Par conséquent leur
45
�m
DES SOCIÉTÉS
décision ne reconnaît de voie de recours que celle que
comporterait l’arrêt rendu par celle-ci.
Sans doute aussi ceux qui auraient compromis sur
requête civile ne pourraient reprendre cette requête ci
vile devant la juridiction ordinaire après que les arbitres
auraient prononcé. Mais il nous semble qu’à l’égard de
l’appel contre la sentence des arbitres, on ne saurait le
prohiber ni l’écarter comme, non recevable. Interpréter
autrement l’article 1010 du Code de procédure civile
serait lui donner un sens qu’il ne saurait comporter.
583.
— Peut-on régulièrement et légalement re
noncer aux voies de recours ouvertes contre les senten
ces arbitrales ? Aucun doute ne saurait s’élever relative- f
ment à l’appel. L’article 1010 prévoit et autorise la
convention par laquelle les parties s’interdiraient d’y
recourir ; il en serait de même du pourvoi en cassation.
Ces deux voies sont uniquement et exclusivement dans
l’intérêt particulier des parties et chacun est libre de ré
pudier l’avantage créé en sa faveur.
On remarquera d’ailleurs qu’aux termes de l’article
1028, le pourvoi en cassation n ’est admissible que con
tre les jugements rendus soit sur requête civile, soit sur
appel d’un jugement arbitral. Cette voie est donc in
terdite s’il n’y a eu ni appel ni requête civile.
La requête civile n’a pas d’autre caractère. Aussi
n’hésitons-nous pas à admettre la validité de la clause
qui renfermerait la renonciation à y recourir : validité
que la cour de cassation consacrait le 18 juin 1816.
�ART.
51 A 6 3 .
227
Plusieurs de nos honorables jurisconsultes ont voulu
distinguer et repousser la renonciation lorsque la re
quête civile serait fondée sur le dol oq la fraude de la
partie sur la production qu’elle aurait faite de pièces
faussesl. Nous ne saurions admettre cette distinction. De
toutes les causes de requête civile énumérées par l’ar
ticle 480 du Code de procédure civile, une seule inté
resserait l’ordre public, si dans le cas où la loi exige la
communication au ministère public , cette communica
tion n’a pas eu lieu , et que le jugement ait été rendu
contre celui pour qui elle était ordonnée. Or, ce cas ne
peut se rencontrer en arbitrage, d’abord parce que de
vant les arbitres il n’y a pas de ministère public ; en
suite parce que si la cause était communicable, le com
promis qui l’aurait déférée à des arbitres serait atteint
d’une nullité radicale comme violant l’article 1004 du
Code de procédure civile , et qu’on devrait nécessaire
ment se pourvoir par opposition à l’ordonnance d’exéquatur.
Toutes les autres causes admises par la loi n’ayant
alors en vue qu’un intérêt privé , c’est à celui qu’elles
léseraient à décider souverainement s’il doit ou non s’en
prévaloir. La loi le laisse libre d’agir dans le mieux de
ses intérêts, de ne consulter que ses convenances. La
renonciation à en exciper à quelque époque qu’elle in
tervienne serait donc valable et obligatoire.
Voy. Chauveau, quest
3374b‘8.
�m
DES SOCIÉTÉS
Ce caractère des causes énumérées dans l’article 480
et ses conséquences nous les admettons même pour le
dol et la fraude. Sans doute ils seront postérieurs à la
renonciation ; mais on peut et on doit en tout temps
en prévoir l’éventualité, et surtout apprécier si celui avec qui on traite est capable d’y recourir. Si lui témoi
gnant une foi aveugle et imméritée on s’est engagé à en
subir l’effet, on ne peut que s’en prendre à soi-même
si l’on vous impose de subir la chance qu’on a bien vo
lontairement courue.
La question de savoir si les parties peuvent valable
ment renoncer à se pourvoir par opposition à l’ordon
nance d’exéquatur a donné lieu à une controverse, et la
cour de cassation a elle-même varié dans sa solution.
Après avoir admis la légalité de la renonciation par ar
rêt du 31 décembre 1816 , elle la déclarait illégale et
nulle lès 8 août 1825 et 21 juin 1831. Ce dernier ar
rêt est surtout fort explicite. « Attendu,—dit la cour,—
» que les arbitres choisis par les parties pour statuer
» sur leurs différends, constituent un véritable tribunal
» reconnu par la loi, qui exerce sa juridiction dans les
» limites tracées par elle et sous les conditions qu’elle a
» prescrites ; que tout ce qui intéresse les juridictions
» est d’ordre public ; que lorsque les arbitres ne se
» conforment pas aux dispositions de l’article 1028 du
» Code de procédure civile, les actes qui émanent d’eux
» sont improprement qualifiés de sentences arbitrales ;
» qu’ils sont frappés d’une nullité absolue que ni l’or» donnance d ’exéquatur du président du tribunal civil,
�art.
51 a 63.
229
» ni le consentement des parties ne sauraient effacer ni
» couvrir. »
C’est donc sur le caractère d’ordre public de l’article
1028 que la cour de cassation appuie la nullité de la
renonciation à se prévaloir de sa disposition. Mais il
nous semble difficile de concilier ce caractère avec la
faculté que la loi donne aux parties d’autoriser les ar
bitres à juger les uns en l’absence des autres, et de dis
penser le tiers de l’obligation de conférer avec les arbi
tres. Or, que serait la renonciation à se pourvoir contre
l'ordonnance d’exécution pour l’un de ces griefs, si ce
n’est l’exercice de cette faculté, et comment prohiber de
faire indirectement ce qu’on est recevableet fondé à faire
directement.
Il est vrai que dans l’espèce de l’arrêt de cassation
du 21 juin , l’opposition était fondée sur ce que le tiers
n’avait pas conféré avec les arbitres divisés. Mais la re
nonciation était générale et absolue , et il ne pouvait
appartenir aux tribunaux d’en réduire l’effet à tel ou
tel cas. Elle était nulle parce qu’elle les comprenait
tous.
Supposez au contraire dans le compromis l’existence
de la clause suivante : Si la sentence était rendue
par quelques arbitres seulement, ou sans que le tiers
ait conféré avec les arbitres d ivisés, les parties
renoncent à se pourvoir par opposition à l'ordon
nance cTe x é q i i a t i x r , où serait le motif qui en
légitimerait l’annullation ? Evidemment une clause pa
reille ne s’attaquant ni à l’ordre public ni à l’étendue
�230
DES SOCIÉTÉS
des pouvoirs des arbitres, devrait être et serait mainte
nue et sortirait à effet.
5 8 3 bis. — En thèse la renonciation à l’une des
voies de recours autorisées par la loi étant une déroga
tion au droit commun , on ne saurait l’admettre que
lorsque aucun doute sur l’intention des parties ne peut
raisonnablement exister. Mais cette intention devraitelle s’induire de certaines conventions, de celle notam
ment qui donnerait aux arbitres la qualité d’amiables
compositeurs ?
La jurisprudence a varié sur cette question. Des ar
rêts assez nombreux ont consacré tour à tour l’affirma
tive et la négative. Mais le plus grand nombre s’est pro
noncé pour la première L
Les auteurs sont à peu près unanimes. Si Carré qui
avait d’abord embrassé l’affirmative n’était plus tard re
venu de son opinion , M. Goubeau de la Bilennerie se
rait le seul à enseigner la négative.
Quant à nous , nous avouons ne pas comprendre
qu’il puisse exister un doute sérieux. Nous avons cher
ché vainement soit dans les arrêts qui consacrent la
négative, soit dans les observations de MM. Goubeau et
Carré, les motifs qui justifieraient cette solution.
La cour de Metz , dans son arrêt du 22 juin 1818,
déclare « qu’il y a erreur manifeste dans le paradoxe
» qui tendrait à vouloir faire induire de la faculté don-
i Répert. du J . du P ., v° arbitrage, n ° 7 42.
�ART.
51
A
63.
» née aux arbitres de juger comme amiables composi» teurs une renonciation à l’appel. »
Erreur , paradoxe , c’est très-facile à dire ; mais il
ne suffit pas d’alléguer ; il faudrait prouver , et cette
preuve ne résulte certainement pas des motifs que l’arrêt
invoque :
« Attendu que la loi ne distingue pas plus dans un
» cas que dans l’autre , que son texte comme son es» prit (art. 1010, 1019, 1023 et 1026 C. pr. civ.)
» repoussent une aussi fausse interprétation , car , si
» dans un cas la violation des lois positives devient un
» grief d’appel, il y aurait aussi moyen d’appel et motif
» de réformer, si l’on avait méconnu l’équité cette pre» mière règle de d roit et dont l’application n’est ni ca» pricieuse.ni arbitraire et variable au gré des passions
» humaines , comme semblerait y conduire le système
» qui admettrait qu’il n’est pas possible de prononcer
» et de juger si les amiables compositeurs ont ou non
» prononcé équitablement.1 »
Un arrêt de la cour de Toulouse précisant ce que ce
lui de Metz peut avoir de vague relativement au texte et
à l’esprit de la l o i , estime : « que l’article 1010 du
» Code de procédure qui domine le titre de l’arbitrage,
» prouve que l’appel est admis contre toutes sentences,
» sauf celles qui sont rendues sur appel ou requête ci» vile; que ce principe ne reçoit aucune exception pour
» le cas oh les arbitres sont nommés amiables compoSirey, 4819, 2, 21.
�232
DES SOCIÉTÉS
» siteurs ; que l’article 1019 se borne à donner aux
f> amiables compositeurs plus de latitude pour tempé» rer le droit rigoureux par l’équité naturelle ; qu’il
» serait contraire au bien de la justice et à l’intérêt des
» parties , à la volonté de la loi de supprimer tout re» cours, alors que les juges, qui prononcent en premier
» ressort, reçoivent des pouvoirs plus étendus.1 »
Le bien de la justice n’a rien à redouter de la sup
pression de l’appel dans un cas donné. Tout ce qui en
résultera en effet c’est que le procès durera moins et
coûtera moins de frais , ce qui, loin de méconnaître le
bien de la justice, rentre tout à fait dans le résultat
qu’elle appelle de tous ses vœux.
L'appel est uniquement dans l’intérêt des parties.
Mais e st-ce rationnellement que la cour de Toulouse
fait appel à cet intérêt. Volenti non fit injuria. Or,
si les parties ont voulu se réserver la voie d’appel,
pourquoi ont-elles institué des amiables compositeurs ?
Qui les y forçait? Donc si elles ont bien volontaire
ment, bien librement agi, comment exciper de leur in
térêt pour les relever des conséquences de leur engage
ment.
Reste la volonté de la l o i, et certes elle serait plus
que suffisante si elle était telle que les cours de Metz
et de Toulouse la supposent. Mais loin d’être fondée,
cette supposition méconnaît et viole ouvertement le texte
et l’esprit de la loi.
1 5 mars 1825.
�art.
5t
a
63.
233
Oui , de ce que l’article 1010 du Code de procédure
ne prohibe l’appel que lorsqu’il a été compromis sur
appel ou requête civile, il suit que cette voie est ouverte
dans tous les autres cas. Mais cette règle n’est applica
ble que dans l’hypothèse d’une sentence rendue dans
des conditions ordinaires. L’article 1010 lui-même la
repousse dans celle où les parties ont renoncé à l’ap
pel. Donc l’unique question à résoudre est celle de sa
voir si cette renonciation s’induit de la clause donnant
aux arbitres la qualité d’amiables compositeurs.
Or à cet égard le doute, à notre avis, ne saurait être
permis. Evidemment cette clause n’aurait aucun sens,
ou elle signifie que les arbitres sont appelés à terminer
définitivement le litige et à rendre une décision transac
tionnelle.
Sur quoi d’ailleurs se fonderait l’appel ? Reprocherait-on aux arbitres d’avoir violé une loi positive? Mais
l’article 1009 du Code de procédure permet aux parties
de dispenser les arbitres de suivre les délais et la forme
ordinaires, et l’article 1019 les dispense de prononcer
d’après les règles du droit, par cela seul qu’ils ont reçu
mission et pouvoir de juger comme amiables composi
teurs. Donc supposez ces règles du droit non-seulement
méconnues mais encore ouvertement violées, qu’aurait
à faire, que pourrait faire la cour ? Réformerait-elle la
sentence sous prétexte de celte méconnaissance, de celte
violation ? Pourrait-elle le faire sans excéder ses pou
voirs et violer à son tour l’article 1019 ?
M. Favard a donc raison de le dire : « En nommant
�234
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
$33
.a 1
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
des arbitres amiables compositeurs, les parties les ont
autorisés à s’écarter des règles de droit et à ne suivre
que l’impulsion de leur conscience, à rendre une décision transactionnelle. Si l’on pouvait faire appel
d’un semblable jugem ent, le tribunal saisi serait rigoureusement astreint à suivre les règles du droitl.
Ils devraient donc prononcer d’après d’autres bases
que celles que les parties ont autorisé les arbitres à
adopter ; or dès qu’il ne peut se mettre sur le même
terrain que le tribunal arbitral, l’appel n’est pas possible.3 »
« Nous ne voyons pas,—dit de son côté M. de Vatimesnil,— comment des tribunaux , qui ne peuvent
statuer que d’après les règles du d ro it, pourraient
connaître de l’appel d’une sentence rendue par d’amiables compositeurs d’après les simples règles de
l’équité.3 »
Si, comme le proclame la cour de Metz, l’équité est
la première règle de droit, on ne voit pas pourquoi les
amiables compositeurs seraient tenus d’observer celle-ci
alors qu’ils sont libres de passer par-dessus toutes les
autres. A notre tour à faire remarquer que l’article
1019 est général, absolu, et ne fait aucune distinction.
I
m
!3S
1 Un a rrêt de la cour de cassation, du 30 août 1813, juge en effet que
les magistrats ordinaires ne peuvent prononcer comme amiables com
positeurs, même de l’accord de toutes les parties.
s Répert. d eju risp r., v° arbitrage.
3 Encyclop. de droit, n° 290.
�ART. 81 A 6 3 .
§35
D’ailleurs en elle-même l’équité n’est qu’une abstrac
tion sans qu’on puisse la reconnaître à telles ou telles
conditions , et qui dépend uniquement du point de vue
auquel on se place. Ce qui paraît équitable à l’un ne le
sera pas pour l’autre, et comment établir avec certitude
qu’elle est là plutôt qu’ailleurs ?
Donc en supposant que les juges d’appel pussent en
faire leur règle d’appréciation , alors même qu’elle s’é
carterait du droit rigoureux , pourraient-ils faire un
grief aux amiables compositeurs de ce qu’ils n’ont pas
envisagé la question comme ils sont portés à le faire
eux-mêmes , et où serait la garantie qui devrait faire
préférer leur appréciation à celle de la sentence qu’ils
réformeraient?
Concluons donc que la renonciation à l’appel peut
être tacite , et tenons pour certain , avec la cour d’Or
léans, « qu’elle résulte virtuellement de la qualification
» d’amiables compositeurs donnée par le compromis
» aux arbitres, et surtout du pouvoir à eux conféré de
» juger selon l’équité , sans s’astreindre aux règles du
» droit ;
» Qu’en effet, par cette convention formelle les par» ties s’interdisent nécessairement de soumettre le li» tige aux juges supérieurs, puisque ceux-ci , obligés,
» par la nature de leur institution , à ne prendre pour
» bases de leur décision que les dispositions de la loi
» positive, ne pourraient apprécier le mérite d’une sen» tence arbitrale rendue par un juge volontaire, qui,
�236
DES SOCIÉTÉS
» étant affranchi des règles strictes du droit, a pu sui» vre uniquement les inspirations de sa conscience.11>
5 8 4 . — De toutes les contestations qui peuvent
surgir entre associés , la principale, la plus importante
est celle qui ayant pour objet l’existence de la société, a
pour but d’en faire prononcer la dissolution. Tant que
l’article 51 du Code de commerce régissait les associés,
des doutes existaient sur la question de savoir quelle était la juridiction compétente pour prononcer cette dis
solution. M. Nouguier entre autres enseignait qu’elle
devait être demandée aux arbitres et prononcée par eux,
à l’exclusion du tribunal de commerce.
Il serait oiseux aujourd’hui de discuter et de recher
cher la valeur et le mérite de cette opinion. Le tribunal
arbitral ne pouvant plus être institué que du libre con
sentement des associés , rien ne s’oppose à ce que le
compromis lui défère la question de dissolution. Mais
le refus d’un seul opposant un obstacle invincible à
tout arbitrage , le droit et le pouvoir de déclarer la so
ciété dissoute appartiennent exclusivement au tribunal
de commerce.
5 8 5 . — La dissolution soit qu’elle émane de la li
bre convention des parties, soit qu’elle ait été ordonnée
par jugem ent, rompt le lien social, brise les rapports
entre associés que l'existence de la société avait fondés
�ART. 51 A 63.
237
et maintenus, anéantit et fait disparaître la personne ci
vile. En droit pur , il n’y a plus qu’une communauté
indivise, qu’une masse à partager.
La nécessité de ce partage appelait naturellement l’at
tention du législateur pour le réglement des formes qui
devaient y présider. L’article 1872 du Code civil avait
tranché la question en appliquant au partage entre as
sociés les règles du partage des successions. Mais si l’on
considère la nature de ces règles, les longues et coûteu
ses formalités auxquelles elles aboutissent, on s’explique
facilement combien elles sont inconciliables avec les exi
gences et les nécessités du commerce.
Supposez en effet l’existence de mineurs au nombre
des intéressés , Je partage judiciaire devient obligé , et
comment en observer toutes les conditions sans donner
naissance à de graves inconvénients , sans blesser tous
les intérêts même ceux des mineurs qu’on entend pro
téger ?
M. Troplong a donc raison lorsque après avoir rap
pelé et énuméré ces conditions, il ajoute : « Cette suite
» d’opérations et d’incidents , ces cascades du tribunal
» au juge commissaire, du juge commissaire au notai» re, ces allées et venues perpétuelles et ruineuses ont
» effrayé le commerce qui veut surtout de la rapidité
» et de l’économie. Une marche si compliquée aurait eu
» d’ailleurs les plus grands dangers. Pendant qu’on
» aurait fait de la procédure, plaidé, discuté, des cré» anciers se seraient présentés pour être payés à l’é» chéance de leurs billets et auraient fait déclarer en
�238
DES SOCIÉTÉS
» faillite la liquidation avec ses formes symétriques et
» compassées. »
Est-ce que d’ailleurs une société est toujours au mo
ment de sa dissolution tellement à jour , qu’un partage
effectif puisse immédiatement se réaliser ? Mais outre les
marchandises à écouler, les créances à réaliser, les det
tes à éteindre , il peut exister des marchés en cours
d’exécution, des opérations commencées qu’on ne pour
rait interrompre et arrêter sans s’exposer à un préju
dice plus ou moins considérable. Comment un partage
judiciaire résoudra-t-il tous ces problèmes ? Le tribu
nal ne sera-t-il pas forcé de nommer un administra
teur et de renvoyer tout partage jusqu’à la fin de sa
gestion ?
586.
— Cet administrateur le commerce se l’est
donné à lui-même en la personne du liquidateur. Celuici , au nom et dans l’intérêt de la société , quelquefois
même sous la raison sociale , achève ce qui était com
mencé, réalise l’actif, éteint le passif, et prépare ainsi la
masse qui sera à partager. Celte mission rien ne l’ar
rête, rien ne lui fait obstacle, pas même la minorité de
quelques-uns des intéressés.
Cet usage universellement répandu et adopté répond
à une telle nécessité qu’on est étonné qu’on n’en ait ap
précié l’utilité qu’assez tard. Ce n’est en effet qu’au
1 N» 1002
�art.
51
a
63.
â39
dix-huitième siècle qu’il aurait été imaginé et prati
qué L
Ce qui es! certain, c’est qu’on ne le trouve mentionné
nulle part dans nos anciens auteurs des siècles précé
dents. Le plus spécial d’entre eux, Savary nous apprend
que de son temps, dès que la société était dissoute,
on faisait inventaire, et les dettes payées on par
tageait en nature les marchandises restantes , on
tirait au sort les créances divisées en lots sans
aucun recours ensuite de l'un contre l'autre.
Cette pratique est également attestée par Pothier qui
nous apprend, en outre , qu’à partir de la dissolution,
tous les actes qui intervenaient dans l’intérêt récipro
que des anciens associés étaient faits en leur nom per
sonnel.
On n’en avait pas usé autrement en Italie. Suivant
Casaregis , dissoluta societate , capitalia ipso ju re
dividuntur in socios, et creditores parliculares cujuslibet socii, statim acquirunt, super portionibus
divisis, jus hypothecœ, non amplius resolubilis licet
ipsi socii cum iisdem capitalibus novam societalem
m irents.
Ce qui se réalisait dans la société ordinaire, avait également lieu dans la commandite. La société venant
à se dissoudre on procédait au partage effectif, prélève-
i Fréméry, Etudes sur le droit commercial, p 69.
3 Disc. \ 46, n° 39.
�240
DES SOCIÉTÉS
ment fait des mises et des sommes ou effets suffisants
pour désintéresser les créanciers sociaux qui restaient
sans action contre les associés s’ils avaient connu et
souffert le partage l.
C’était là au reste la conséquence du principe, que la
dissolution de la société anéantissait l’être moral, faisait
disparaître la personne civile , principe qui avait paru
ne pouvoir comporter aucune exception. Comment ad
mettre en effet que cette personne civile n’existant plus
on pût agir en son nom, dans son intérêt, et l’autoriser
à exercer un droit quelconque ?
587.
— Ces déductions étaient si logiques, si natu
relles, qu’on n’a pu substituer la liquidation au partage
que par une fiction en faveur de laquelle la société
morte à toute idée de spéculation nouvelle survit à sa
dissolution pour tout ce qui a été fait jusque là. La per
sonne civile incapable de rien entreprendre à l’avenir,
reste dans tous ses droits pour le réglement du passé.
Aussi, si dans plusieurs circonstances le liquidateur pro
cède en son nom et en sa qualité de liquidateur de
l’ancienne société tel et compagnie, il n’est pas rare de
voir la liquidation s’exercer sous la raison sociale ellemême qu’on fait suivre des mots en liquidation.
Cette fiction est considérable et a l’immense avantage
de dispenser de l’observation des longues , minutieuses
1 Disc. 29, n» 39.
�ART.
fii
A
63.
241
et coûteuses formalités qu’exige le partage des succes
sions.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« Ainsi , enseigne M. Troplong , qu’il y ait des m ineurs parmi les intéressés d’une société de commerce
ou qu’il n’y en ait pas , on n’appose pas les scellés
sur les effets de la société comme on le fait pour le
partage d’une succession indivise ; avec l’obligation
d’apposer les scellés comment aurait-on payé les créanciers qui se seraient présentés avec leurs titres à
jour ? Il aurait donc fallu pour l’honneur des principes laisser mettre la liquidation en faillite ? Non ; et
c’est pourquoi on prolonge pour ce cas la fiction de
la personne civile, on suppose que c’est plutôt la société qui possède que les associés ; on écarte l’embarras des mineurs et de l’article 819 du Gode civil.
»
»
»
»
»
» Ainsi, lorsque le liquidateur vend un immeuble de
la société, on n’a jamais prétendu que l’acquéreur
fût tenu de purger sur chacun des associés ; comment serait-ce possible dans les sociétés par actions ?
Il le faudrait cependant s’ils n’étaient que des communistes.
»
»
»
»
»
»
» De même si un mineur est intéressé dans la liqui—
dation d’une société de commerce , il n’est pas moins
certain que le partage ne doit pas être judiciaire
non obstant les articles 1872 et 838 du Code civil
combinés. Un magistrat annotateur de M. Vincens
s’est étonné de cet usage et a conseillé de ne pas s’y
confier. C’est que , dans sa logique , cet écrivain a
iu
16
�DES SOCIÉTÉS
» cru que les usages du commerce devaient rentrer
» sous le niveau commun, landis que ce sont au con» traire ces usages qui forcent le droit commun à des
» concessions ; il n’a pas vu que , d’après la coutume
» commerciale , des exceptions ont été introduites à la
» transformation de la société en communauté; et que,
» par une fiction destinée à hâter les opérations de la
>> liquidation , à en simplifier les rouages , c’est la so» ciété plutôt que les individus dont elle est composée
» qui procède ici par continuation sous le mandat du
» liquidateur.1 »
588.
—- La liquidation est donc en réalité une ex
ception au principe suivant lequel une simple indivi
sion remplace l’être moral dès que la société cesse d’exis
ter. Les conséquences rigoureuses de ce principe in
compatibles avec les besoins du commerce appelaient
cette exception qui le dispensait des longueurs et des
formalités que l ’état des intéressés pouvait rendre in
dispensables, et lui économisait les frais qu’elles entraî
nent.
Cette exception a pour effet de laisser la société sur
vivre à sa dissolution, mais seulement pour les nécessi
tés de sa liquidation. Son caractère juridique ne saurait
être méconnu , car, selon l’expression de M. Fréméry,
la dissolution ne s'opère que par la volonté des
associés. Ils sont donc maîtres de rompre seule-
1 N«» tOOBetsuiV.
�M IT .
51
a
63.
â lâ
ment une partie des liens qui les unissaient ; on
peut n’arriver que par degrés à m e complète dis
solution l. Cette convention la loi l’induit de plein droit
de la stipulation ou du fait d’une liquidation.
Ainsi et par rapport aux tiers , la liquidation conti
nue en quelque sorte la société, c’est-à-dire que tenus
d’exécuter avec le liquidateur les engagements qu’ils
auraient contracté envers la société , ils sont recevables
et fondés à exiger de lui qu’il remplisse ceux que la
société aurait pris envers eux. Il est donc à regretter
qu’on n’ait pas cru devoir en déterminer, par une dis
position législative, le caractère, la forme et les effets.
589.
— La proposition de lui consacrer un titre
spécial faite par le tribunal et le conseil de commerce
de Lyon, ne fut pas accueillie. La commission de révi
sion ne donne d’autre motif de ce rejet que celui-ci : si
l’acte de société n ’a pas déféré la liquidation à l’un des
associés, elle n’appartient de droit à aucun en particu
lier : elle est la propriété de tous.
C’est évident ; mais en quoi cela devait-il faire rejeter
la demande des organes du commerce de Lyon ? Il
nous semble au contraire que le motif invoqué était
une raison de plus de réglementer le mode à suivre,
surtout lorsque la liquidation étant la propriété de tous
il s’agit d’en confier l’exercice à un seul. Quel pouvait
1 Page 69 en note.
�244
DES SOCIÉTÉS
être d’ailleurs l’inconvénient de convertir en loi un usage
universellement admis et pratiqué ?
Ce qui prouve au reste que le législateur l’a , au
moins, implicitement consacré, c’est que l’article 64 va
bientôt s’occuper des associés liquidateurs. La généra
lité de ses termes a même fait penser que la liquidation
était forcée dans toutes les hypothèses, ce qui est une
flagrante erreur.
«
•#
590.
— Rien n’empêche de s’abstenir d’y avoir
recours. Les associés peuvent stipuler qu’à la dissolu
tion de la société , il sera immédiatement procédé entre
eux au partage en nature de toutes les facultés qui lui
appartiendront, convenir que ces facultés seront vendues
d’après un mode déterminé ; que les créances actives
seront divisées en lots et tirées au sort avec ou sans ga
rantie réciproque ; enfin arrêter toute autre manière de
division qui leur paraîtrait utile ou convenable. La lé
galité de ces accords ne pourrait être contestée , pas
plus que leur caractère obligatoire.
La liquidation est donc purement facultative. En
droit elle appartient aux associés indistinctement, car
tous y ont un égal intérêt.
Mais une liquidation commune n’est pas toujours
praticable , même lorsqu’il n’y a qu’un petit nombre
d’associés. La difficulté de se réunir et de s’entendre
pourrait élever des obstacles, devenir une source de dif
ficultés , une pierre d’achoppement qui en arrêteraient
le développement. Aussi, dans l’usage le plus universel-
/
t
�lement suivi, l’acte de société désigne celui ou ceux des
associés qui seront chargés de la liquidation.
Cette stipulation est rigoureusement obligatoire. Per
sonne autre que la personne désignée n ’est apte à re
cevoir la qualité de liquidateur , et à en réclamer les
fonctions, à moins que cette, personne ne s’en fût ren
due indigne , parce que appelée à gérer la société elle
aurait donné de telles preuves d’incapacité, ou tellement
abusé de ses fonctions, qu’on aurait été obligé de les lui
retirer.
5 9 1 . — Dans cette hypothèse , dans celle où l’acte
de société ne contiendrait aucune nomination,
dans celle
*
enfin où la personne désignée ne pourrait ou ne vou
drait accepter, il y aurait lieu d’en choisir une qui pût
et voulût se charger des fonctions de liquidateur. Par
qui cette nomination devrait-elle être faite ?
En première ligne par les associés incontestablement.
En principe le liquidateur est un mandataire , et la li
quidation entraîne avec elle des opérations telles, amène
un maniement de fonds si considérable, exige une con
fiance si illimitée, qu’il était naturel et indispensable de
s’en reposer sur les intéressés et de leur déférer le choix
de celui qu’ils entendent investir de ce mandat et de
cette confiance.
Mais pour que ce droit s’exerce il faudrait que tous
les anciens associés s’entendissent et s’accordassent sur
le choix. Or, comme l’observe M. Troplong, le moment
de la dissolution de la société est aussi le moment où
�DES SOCIETES
les discussions éclatent avec le plus de vivacité. Plus il
serait utile de voir se continuer des rapports pacifiques,
plus il est difficile de l’obtenir. On peut donc prévoir
et craindre l’impossibilité d’arriver amiablement à un
choix.
De là la nécessité de s’adresser à la justice. La liquida
tion, nous venons de le dire, étant la propriété de tous les
associés, chacun d’eux a le droit incontestable de ne la
déférer qu’à une personne de son choix. Il ne peut être
contraint à accepter le choix de ses associés, constituas
sent-ils une majorité plus ou moins forte. Son refus in
firmerait ce choix et rendrait inévitable le recours à la
justice.
Sous l’empire de l’article S1 du Code de commerce,
si la dissolution était poursuivie en justice, le tribunal
de commerce pouvait en la prononçant nommer le li
quidateur et renvoyer en cet état devant les arbitres.
S’il avait omis de le faire, ou si la dissolution amia
blement consentie il ne s’élevait des difficultés que sur
le choix du liquidateur , c’était aux arbitres à pronon
cer. C’était bien là en effet une contestation entre asso
ciés et pour raison de la société.
Aujourd’hui c’est au tribunal de commerce qu’on de
manderait , qu’on devrait demander cette nomination,
à moins que le compromis intervenu entre les anciens
associés ne l’eût expressément déférée aux arbitres.
Dans tous les cas , les juges chargés d’y procéder,
quels qu’ils soien t, ont la plus absolue liberté , la plus
grande latitude. Us peuvent choisir un associé , ou les
�ART.
81
A
63.
exclure tous , et, préposer un tiers étranger. Leur pou
voir à cet égard n’a d’autres limites que les inspirations
de leur conscience.
Sans doute, il est de convenance de préférer un asso
cié à un étranger ; de prendre parmi ceux-ci celui qui
a été gérant, et qui connaît le mieux toutes les affaires.
Mais des motifs graves peuvent commander la con
duite contraire. Où trouvera-t-on plus de garanties
d’impartialité et de bonne administration que chez celui
qui, n’ayant aucun intérêt personnel engagé, ne pourra
être mû que par l’intérêt général et commun de tous
les associés ? La désignation d’un tiers étranger répond
si bien aux susceptibilités de ces derniers, qu’elle est
souvent réclamée par tous.
592.
— Associé ou non, le liquidateur a des devoirs
à remplir. Le premier de tous est de se conformer exac
tement aux pouvoirs qui lui ont été conférés, soit dans
l’acte social, soit dans la convention qui l’a élu. Dans
le doute sur la portée et la limite du m andat, on doit
se prononcer dans le sens favorisant le mieux la liqui
dation.
En l’absence de toute stipulation expresse, quels se
ront les pouvoirs dont le liquidateur pourra disposer ?
La controverse que cette question avait d’abord soulevée
tend à s’effacer. On semble devoir s’accorder sur le prin
cipe ; mais on discute encore sur quelques conséquences
d’application.
En d ro it, le liquidateur est le mandataire des asso-
�243
DES SOCIÉTÉS
ciés. En cette qualité , il devrait subir les règles que le
droit commun impose au m andat, notamment la dis
position de l’article 4988 du Code civil.
Or, évidemment le mandat de liquider est un man
dat général. Donc il ne devrait valoir que pour les actes
de simple administration.
Mais, dans toutes circonstances, la rigueur du droit
commun s’efface devant les exignces du commerce. Or,
dans notre hypothèse , indépendamment des exigences
générales, il y avait un besoin spécial à satisfaire, celui
de la liquidation elle-même. Liquider, c’est réaliser
l’actif, éteindre le passif. L’un et l’autre exigeaient des
actes de disposition , dont le refus était la négation de
la faculté de liquider.
On a donc admis une exception à l’article 4988. En
matière de liquidation , le mandat général n’a d’autres
limites que les usages du commerce.
A insi, on a admis en jurisprudence que le liquida
teur ayant , sauf restriction spéciale dans ses pouvoirs,
le droit de prendre toutes les mesures que comman
dent les intérêts et les usages du commerce , pouvait
consentir un nantissement de marchandises au profit
d’un créancier ; qu’ainsi il peut valablement, lorsque,
dans une vente de marchandises faite à la société , un
tiers s’est porté garant de celle-ci, à condition que les
marchandises lui seraient remises en nantissement,
réaliser le gage en faveur de ce tiers , bien que les ter-
�mes de paiement de la vente ne soient pas encore é chusl.
Par application du même principe, il a été jugé que
le liquidateur peut faire traite en réglement sur les
débiteurs de la société , et que ces traites engagent
la société vis-à-vis des tiers auxquels elles sont négo
ciées a.
Les pouvoirs d’un liquidateur sont donc plus étendus
que ceux d’un mandataire général ordinaire. Pour lui
il a, en recevant sa mission, été investi du droit de faire
tout ce que celle-ci exige dans les limites des intérêts
sociaux et des usages du commerce. Ainsi, il est capa
ble d’acheter, si les besoins de la liquidation le deman
dent a in si, de vendre les marchandises, de terminer
toutes les opérations commencées ; d’exécuter les mar
chés consentis par la société, de contraindre l’exécution
de ceux contractés en sa faveur, le tout sans être obligé
de remplir aucune formalité. En un m ot, le liquida
teur ne peut plus faire activement le commerce, mais il
peut et doit prendre toutes les mesures indispensables
pour amener à bonne fin la liquidation dont il est
chargé.
SS3. — En droit commun, la vente de l’actif social
ne peut être faite qu’aux enchères avec publicité et con
currence, en détail ou par lots suivant la nature des
1 Paris, 17 mars 1849 ; ■
— J. du P., 49, 1, 611,
3 Paris, 29 août 1849 ; — J. du P, 49, 2, 174.
�250
DES SOCIÉTÉS
marchandises. Le liquidateur pourrait-il adopter un
autre mode et vendre en bloc et à forfait ?
Un pareil pouvoir excède le mandat que la loi con
fère au liquidateur : on ne saurait donc le lui reconnaî
tre que s’il l’avait formellement reçu soit dans l’acte de
nomination, soit depuis par une délibération spéciale.
Le Journal de Marseille indique comme ayant jugé
le contraire un jugement du tribunal de commerce de
Marseille du 3 mai 1858. En rapportant ce jugement le
journal en effet le fait précéder du sommaire suivant :
« Le liquidateur d’une société de commerce en com
mandite par actions a le pouvoir d’aliéner les biens de
la société ; et lorsque l’acte qui le nomme ne détermine
pas un mode particulier d’aliénation, il est libre de
choisir celui qui lui paraît le plus avantageux, notam
ment d’effectuer la vente à forfait et en bloc de l’actif
social. Une vente à forfait ainsi opérée par le liquida
teur est un acte d’administration qui n’a pas besoin
d’être autorisé ou approuvé par l’unanimité des asso
ciés comme devrait l’être, à moins de dispositions con
traires dans les statuts, un acte qui modifierait les bases
de la société. »
Ce sommaire fait dire au jugement ce qu’il ne dit pas,
ce qui serait l’erreur de droit la plus considérable , et
reconnaître au liquidateur un droit et un pouvoir in
conciliables avec sa qualité. Du liquidateur aux anciens
associés, la vente à forfait et en bloc ne saurait consti
tuer un. acte d’administration. Le silence des statuts sur
le mode de vente ne peut lui assigner ce caractère. Tout
�251
ce qui s’induit de ce silence c’est que dans l’accomplis
sement de sa mission le liquidateur doit s’astreindre aux
règles que le droit commun impose aux mandataires
conventionnels ou légaux.
Dans l’espèce du jugement il ne s’agissait nullement
d’apprécier si le liquidateur avait ou non excédé ses
pouvoirs. Il y avait bien eu vente à forfait et en bloc de
l’actif social ; mais le liquidateur n’avait pas spontané
ment adopté ce mode. Ainsi que le constate le jugement
lui-même , il avait réuni les actionnaires , et il n’avait
agi qu’en suite de l’autorisation que lui avait accordée
l’assemblée générale.
Mais un des associés non présent à cette assemblée
contestait la validité de sa décision. Il soutenait que
pour que la vente en bloc pût régulièrement être effec
tuée , il aurait fallu l’adhésion non pas seulement de la
majorité mais de l’unanimité, il refusait en conséquence
de subir les effets de cette vente.
La question à résoudre était donc celle de savoir si
l’assemblée générale avait mission et pouvoir d’imposer
un mode de vente non déterminé par l’acte de nomina
tion du liquidateur ; et si dans cette détermination la
majorité pouvait lier et liait la minorité, c’est pour l’af
firmative que se prononce le tribunal de Marseille.
« Attendu, — dit le jugement,— que l’assemblée gé» nérale extraordinaire des actionnaires a été régulière» ment convoquée et a eu à se pronconcer sur ce point
» d’exécution de la mission confiée aux liquidateurs ;
» que la délibération par elle prise et que critique le
�252
DES SOCIÉTÉS
» sieur Labadié, n’a pas eu d’autre but que celui d’in» diquer, entre les modes légaux de réalisation et non
» particulièrement prohibés par les statuts, celui qu’elle
» préférait et qu’elle entendait adopter pour terminer
» définitivement et sans retard une liquidation déjà
» ancienne, se trouvant dans des circonstances difficiles
» ,qui pouvaient en prolonger indéfiniment la durée et
» la grever de frais inutilement onéreux ; que ces motifs
» expliquaient suffisamment le choix qui a été fait d’une
» aliénation à forfait ;
» Attendu que, par cette délibération,il n’a été porté
* atteinte à aucun des statuts de la société; qu’il n’y a
» eu aucun abandon de droits au préjudice d’un ou de
» plusieurs des associés, mais seulement la fixation du
» moyen le plus approprié aux circonstances pour re» tirer des choses sociales tout ce qu’elles pouvaient
» donner ; qu’il n’y a pas eu non plus une modifica» tion de la première délibération du 22 mars 1851,
» puisque cette dernière a ordonné la liquidation, mais
» sans se prononcer sur le choix des moyens à em» ployer, ni tracé à l’avance aucune marche à suivre ;
» que c’est donc par suite de cette délibération ainsi
» ordonnée et uniquement pour arriver à son résultat
» final d’une manière complète et sans retard , qu’est
» intervenue la délibération d’aujourd’hui critiquée par
» le sieur Labadié ; que c’était là une question de bon» ne ou mauvaise administration des intérêts généraux,
» qui rentrait dans les attributions de l’assemblée géné» raie extraordinaire ;
�art.
51
a
63.
253
»
»
»
»
»
»
»
»
»
» Attendu , dès lors , que s’il est de principe certain
que la minorité ne peut être liée par la majorité lorsque les délibérations , prises par cette dernière , tendent à modifier ou à dénaturer les conventions primitives sur lesquelles la société a été basée, et si,
dans ce cas , l’unanimité des voix est nécessaire , il
n’en est pas de même dans le cas où , comme dans
l’espèce , la majorité a été appelée à décider d’une
question relative à l’opportunité de tel ou tel mode
d’administration;
»
»
»
»
»
»
»
» Attendu, au surplus, qu’en admettant même qu’il
y ait eu changement aux statuts primitifs de la société de la caisse de commerce , la délibération dont
s’agit n’en serait pas moins obligatoire pour le sieur
Labadié , puisque, d’après l’article 54 des statuts,
l’assemblée générale extraordinaire régulièrement convoquée était investie du droit de stipuler toutes modifications ou statuts nouveaux.1 »
594.
— Le tribunal de commerce aurait pu avoir
raison , si la délibération qu’il avait à apprécier ayant
été prise pendant que la société était en cours d’exer
cice , il avait eu à juger si elle avait pu suppléer aux
statuts, les modifier ou les changer.
Mais dans l’espèce un fait considérable s’était réalisé,
la dissolution de la société , et ce fait, dont le tribunal
1 Journal de Marseille, 58, 1, 27 6
�m
DES SOCIÉTÉS
parait faire abstraction avait singulièrement modifié les
choses et changé la position des personnes.
« Quand la société se dissout, enseigne M. Duvergier, ce qui était a c tif social devient chose indivise,
chaque associé se transforme en communiste l. » ,
Or, chaque communiste a sur la chose indivise un
droit é g al, et ce droit personne autre que lui ne peut
en disposer , à moins qu’il en ait concédé l’autorisa
tion et le mandat. A défaut de l’une ou de l’a u tre , il
ne saurait y avoir pour lui obligation de se conformer
à l’avis des autres quel que soit le nombre de ceux qui
ont émis cet avis.
Recourra-t-on pour le contraindre aux statuts , com
me l’admet le tribunal ? Mais après dissolution il ne
saurait être question des statuts qui destinés à régir la
société , n ’ont pu lui survivre , ne lui ont pas survécu.
Les seules dispositions qu’on pût encore invoquer sont
celles qui statueraient sur la nomination du liquidateur,
sur le mode de liquidation. S’ils sont muets à cet égard,
personne n’a le droit de suppléer à leur silence , pas
même l’assemblée générale qui aurait été investie du
droit de les modifier , de les changer pendant le cours
de la société. Il faut donc de toute nécessité recourir au
droit commun , et l’on conviendra qu’on ne saurait
pour la détermination des pouvoirs des liquidateurs pro
céder autrement que pour leur nomination.
i D es sociétés, n° 478, p, (569.
�art.
5t
a
63.
255
Or, est-ce que lorsque les statuts sont muets à cet é gard , cette nomination est laissée aux anciens associés
autrement que s’ils en conviennent tous ? Est-ce que la
majorité liera la minorité? Mais l’opposition d’un seul
suffit pour infirmer le choix de tous les autres.
« Si les liquidateurs, — disent MM. Malepeyre et
» Jourdain, — ne sont pas nommés par l’acte de so» ciété, et si cet acte ne détermine pas la manière dont
» ils doivent être nom m és, ils devront l’être par tous
» les associés. Le refus d’un seul de consentir à la no» mination des liquidateurs présentés par la majorité
» empêchera cette nomination ; car il s’agit de former
» une nouvelle convention, et le consentement de tous
» les associés est nécessaire. Ce refus qui constituerait
» une difficulté entre associés devra être porté devant
» les arbitres.1 »
« Toutes les fois,—dit M. Troplong,— que les statuts
» seront muets à cet égard , le liquidateur ne pourra
» être nommé que par l’unanimité des suffrages. De
» quoi s’agit-il en effet ? De former un nouveau con» trat. Or un contrat ne peut être que la rencontre de
» toutes les volontés sur un même point. L’opposition
» d’un seul suffit pour empêcher la nomination.2 »
595.
— S’il en est ainsi pour la nomination des
liquidateurs , comment pourrait-il en être autrement
1 Des sociétés, p. 323.
2 Det sociétés, n° 4025.
�256
DES SOCIÉTÉS
lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue de leurs pou
voirs ? Mais ce qui surtout intéresse les anciens asso
ciés c’est précisément cette détermination ; car plus ces
pouvoirs seront restreints, plus les coassociés auront
des garanties contre les abus.
Conférer aux liquidateurs le droit de vendre l’actif
social à forfait et en bloc, c’est leur donner la disposi
tion absolue de la chose commune. Quoi qu’en dise le
tribunal, ce droit est dans le cas de préjudicier aux in
téressés, et il a l’énorme inconvénient de les abandon
ner à la discrétion de leurs mandataires.
On ne comprendrait pas que la majorité qui ne peut
imposer son choix à la minorité pût lui faire la loi,
lorsqu’il s’a g it, non plus de la nomination , mais de la
mission que doivent recevoir les élus.
M. Persil fils est le seul auteur qui ait admis la pos
sibilité qu’il en fût ainsi. Or, dans le numéro que nous
venons de citer, M. Troplong termine en ces termes :
« M. E. Persil a cru que le pouvoir du liquidateur
» pouvait émaner de la majorité des associés. Cette
» proposition est trop évidemment inadmissible pour
» avoir besoin de réfutation : Contractus sunt ab inir> lio voluntatis. »
Nous n’ajouterons rien à cette énergique condamna
tion du système consacré par le tribunal de Marseille.
Nous résumons notre critique de ce système dans ces
propositions :
Quels que soient les pouvoirs conférés par les statuts
à l’assemblée générale, ces pouvoirs se trouvent de plein
�ART.
51 A 63.
droit annulés et révoqués par la dissolution de la sosociété , les statuts ne pouvant conserver eux-mêmes
une force quelconque que pour les dispositions relatives
à la nomination des liquidateurs , et au mode de liqui
dation ;
S’il n’a* rien été statué à ce su jet, sla détermination
des pouvoirs comme la nomination elle-même ne peut
avoir lieu qu’à l’unanimité. Le droit de vendre en bloc
et à forfait excède les pouvoirs non-seulement des li
quidateurs, mais encore de la majorité des anciens as
sociés ;
Si ce mode est en quelque sorte commandé par la
nature des choses et les circonstances dans lesquelles se
trouve la liquidation , la résistance qu’y opposerait un
seul des intéressés ne peut être vaincue que par une
décision judiciaire : cette décision qui rentrait autrefois
dans les attributions des arbitres ne pourrait aujourd’hui
émaner que du tribunal de commerce.
596.
— La cour d’Âix a fait une saine , une juste
application de ce même principe, en décidant, le 5 a vril 1832, que le liquidateur d’une société commerciale
nommé par jugement, a droit et qualité pour poursui
vre en son nom seul toutes les actions dè la société.
De là cette conséquence , que les jugements rendus
contre lui sont opposables aux associés, qui ne peuvent
les frapper de tierce opposition. Ainsi, lorsqu’un créan
cier d’une société de commerce a obtenu contre le li
quidateur général de cette société un jugement liqui—
m
17
�258
DES SOCIÉTÉS
dant sa créance , et en prononçant la condamnation
contre tous les associés solidairement, la signification
de ce jugement, faite au liquidateur en sa qualité, suf
fit pour faire courir les délais de l’appel contre les as
sociés solidaires auxquels le jugement n’a pas été indi
viduellement signifié1.
597.
— Si le liquidateur peut agir en justice au
nom de la société et intenter toutes les actions que celleci aurait pu exercer , on ne saurait non plus lui con
tester la capacité et le droit de défendre aux actions
que les tiers dirigeraient contre la société. Le pouvoir
de liquider, l’actif et le passif emporte nécessairement
celui de discuter et de repousser toutes les prétentions de
nature à les affecter l’un ou l’autre.
Les tiers peuvent donc diriger valablement leurs ac
tions contre le liquidateur , mais rien ne les y oblige.
Les créanciers sociaux ont une action directe contre tous
les associés solidaires, et aux termes de l’article 1203
du Code civil ils peuvent s’adresser à celui des débi
teurs qu’il leur plaît de choisir. Le droit de défendre
reconnu au liquidateur ne saurait entraver l’exercice de
cette faculté. Il est vrai que tant que la société est in
bonis cet exercice est en quelque sorte suspendu ; mais
la raison en est naturelle et simple. Où en serait l’uti-
1 Rouen, 12 avril et 26 août 1845; — J. du P., 48 , 1 , 651. —
Voy. Paris, 28 février 1809,
�art.
51
a
63.
259
lité lorsque le gérant est en état de faire face à tous les
engagements et de payer à présentation ?
La suspension est donc bien plutôt de convenance
qu’obligatoire et n’a pu avoir pour effet de modifier ou
d’anéantir le droit. Comment d’ailleurs en exciper en
cas de liquidation qui place bien souvent celui qui y
est préposé dans l’impossibilité de payer les dettes au
trement que par les rentrées qui s’effectueront plus ou
moins lentement.
Il faudrait donc que le créancier subît le retard que
pourrait occasionner cet état des choses. Or, ce retard
on ne saurait le lui imposer , car son droit est d’être
payé immédiatement. On ne saurait donc l’empêcher
de demander ce paiement immédiat à celui de ses dé
biteurs qui est en position de l’opérer.
Sans doute si le liquidateur est un ancien associé et
si sa solvabilité n ’est pas douteuse , c’est à lui qu’on
s’adressera de préférence , car à sa qualité de liquida
teur se joindra l’obligation personnelle de l’associé.
Mais on n’est pas obligé de le faire , et on le serait
d’autant moins que la solvabilité de l’associé liquidateur
serait douteuse ou que le liquidateur aurait été pris en
dehors des associés et ne pourrait être tenu qu’en sa
qualité.
598.
— Un arrêt de la cour de Toulouse, du 7
août 1834 , consacre cette doctrine et réforme un ju
gement qui avait admis le contraire. L’arrêt se fonde,
d’abord, sur les termes de l’article %% d u Code de com »
�260
DES SOCIÉTÉS
merce, et ajoute que la recevabilité de l’action du crécier est incontestable , « soit parce qu’il n ’existe dans
» le Code de commerce ni dans aucune autre loi nul
» texte qui soumette le créancier à reconnaître le liqui—
» dateur pour son obligé ; soit parce que le liquidateur
» n’étant en résultat que le mandataire des anciens as» sociés, il impliquerait qu’il fût inhibé aux créanciers
» de poursuivre le mandant, leur débiteur légal et di» r e c t, pour concentrer leur action sur le mandataire
» qui pourrait même ne pas être un des débiteurs so» lidaires ; soit parce qu’on ne saurait concevoir qu’a» près la dissolution de la société, les droits du créari» cier reçussent une modification aussi importante d’un
» fait, la dissolution, auquel il est étranger, ce qui au» rait lieu cependant si, après cçtte dissolution, un seul
» individu associé ou non pouvait être directement
» poursuivi pour obtenir le paiement d’engagements
» sociaux , tandis qu’on ne saurait méconnaître que
» pendant l’existence de la société le créancier n’ait le
» droit de poursuivre celui des associés qu’il lui plaît,
» même celui qui n’aurait pas souscrit l’effet qui forme
» son titre. »
On ne peut méconnaître le caractère essentiellement
rationnel et juridique de ces considérations : elles re
commandent au plus haut degré la solution qu’elles
motivent,
599.
— Ainsi le pensait le tribunal de commerce
d’Aix qui se prononçait pour la recevabilité de l’action
du créancier qu’il étayait sur les motifs suivants :
�art.
51 A 63.
261
« Attendu qu’en principe le liquidateur d’une société dissoute , bien qu’il ne soit que le mandataire
des associés, a cependant qualité pour recevoir et
donner en son propre nom les assignations relatives
à la liquidation ;
» Mais attendu que la mise en liquidation d’une so» ciété ne diminue en rien les droits que les tiers a » vaient contre elle ; que chacun des membres qui la
» composaient n’en demeure pas moins exposé à tou# tes les voies d’exécution auxquelles il était soumis
» pendant l’existence de la société en cas de non paie» ment des sommes dues ;
» Attendu que le liquidateur n ’est pas obligé aux
» dettes de la société dont il n ’était pas membre ; qu’il
» ne peut être l’objet d’aucune contrainte personnelle
b quant à ce , mais seulement pour les engagements
» qu’il aurait contractés en dehors de son mandat, ou
» pour la représentation des sommes appartenant à la
» liquidation;
» Attendu qu’il ne s’agit pas dans la cause d’un fait
» personnel au liquidateur , mais bien de faits nom» breux attribués aux anciens associés et relatifs à des
» actes dont la validité est formellement contestée ; que
» dans ces conditions exceptionnelles les anciens asso» ciés qui peuvent seuls répondre directement à l’ob» jection Waite par le liquidateur au sieur R .. . . , doi» vent être plus particulièrement maintenus dans l’ins» tance ; que d’ailleurs ne permettre que contre le li» quidateur l’exercice de l’action de ce dernier, ce se-
»
»
»
»
�262
DES SOCIÉTÉS
»
»
•
»
»
»
»
rait diminuer ses droits et les voies et moyens pour
parvenir à l’exécution des engagements contractés,
alors qu’aucune disposition de la loi n’interdit l’exercice simultané de l’action, et n’exonère les membres
d’une société dissoute de la contrainte personnelle à
laquelle les tient assujettis la nature des dettes contractées pendant l’existence de la société, a
Ce jugement fut frappé d’appel ; mais par arrêt du
\ 6 mai \ 864, la cour d’Aix le confirmait par adoption
des motifsl.
600.
— Voilà donc la mission du liquidateur ; il a,
en réalité, le droit d’administrer. Il peut également dis
poser du mobilier, des marchandises, et les vendre dans
l’objet et le but de réaliser l’actif et d’éteindre le passif.
La faculté d’aliéner n ’est, dans cette circonstance, qu’
une conséquence de la nature de l’opération. Elle ne se
rattache à aucune idée de propriété. Cette distinction
est décisive lorsqu’il s’agit de décider si le liquidateur a
le droit de transiger ou de compromettre.
La faculté de transiger et de compromettre suppose
le libre exercice des biens, droits et actions sur les
quels on compromet. Or, cet exercice n’étant accordé
au liquidateur que dans un but déterminé, on doit ré
soudre négativement la question que nous tenons d’in
diquer *.
i J o u r n a l d e M a r s e ille , 61, 1, 426.
3 Cassation, 45 janvier 4842 ; — Paris, 48 juin 4828.
�art.
81
a
63.
263
601.
— Cette solation de la jurisprudence est ex
pressément approuvée par M. Troplong ; mais elle est
combattue par les jurisconsultes qui se sont plus spé
cialement occupés du droit commercial, notamment par
MM. Horson , Vincent et Pardessus. Ce dernier ensei
gne que , sans le droit de compromettre et de transi
ger, la liquidation deviendrait impossible dans divers
cas. On ne peut croire, ajo u te-t-il, qu’en prenant des
mesures pour effectuer leur liquidation , les associés
aient entendu ou voulu qu’elle ne pût jamais être faite
par des voies amiablesL
Cette objection ne saurait prévaloir sur les principes
invoqués par la cour de cassation. Il peut même pa
raître fort inutile de recourir à une interprétation in
tentionnelle lorsque le fait est décisif. Les associés ont
le droit de conférer au liquidateur tous les pouvoirs dont
ils pourraient user eux-m êm es, notamment celui de
compromettre et de transiger. S’ils l’ont voulu et en
tendu ainsi , pourquoi ne s’en sont-ils pas expliqués ?
Le silence qu’ils ont gardé peut donc, sans trop de té
mérité, être considéré comme un refus.
Les auteurs que nous combattons parlent de l’usage
commercial autorisant le liquidateur à compromettre
ou transiger. Il est possible que , dans bien des cas,
les associés aient ratifié les actes du liquidateur. Mais
cette tolérance, déterminée par la bonne foi de celui-ci,
1 NM075.
i
�264
DES SOCIÉTÉS
ou par les résultats heureux qu’il a obtenus, ne saurait
constituer cet usage, qui prédomine sur la loi elle-mê
me. Il suffit que de loin en loin des réclamations se
produisent et soient accueillies , pour que la loi sur la
quelle elles se sont fondées ait conservé toute son auto
rité, et ne puisse être considérée comme tombée en dé
suétude.
602.
— Le liquidateur ne peut donc ni compro
mettre ni transiger sans pouvoirs exprès. Peut-il sous
crire ou endosser des effets de commerce ?
La création d’une valeur quelconque suppose chez
celui qui la souscrit la faculté d’emprunter. Cette créa
tion, en effet, ne sera que la preuve de l’em prunt, que
l’instrument qui en consacrera l’existence.
Or, le liquidateur n’a pas le droit d’emprunter. Dès
lo rs , les effets de commerce créés uniquement dans ce
but ne pourraient engager valablement les associés qui
ne les auraient pas autorisés.
Mais la création d’effets de commerce peut avoir un
autre motif qu’un emprunt. Nous venons de voir que le
liquidateur peut tirer en règlement sur les débiteurs de
la société. Ce tirage se fera au moyen d’effets de com
merce à l’ordre d’un tiers. Le droit d’exécuter l’opéra
tion emporte la faculté de créer les billets, dont le paie
ment pourra être poursuivi contre les associés, si, par
le refus du tiré, ils faisaient retour.
Ce qui distingue cette dernière opération de l’em
prunt , c’est que l’une est la conséquence inévitable de
�art.
51
a
63.
265
la liquidation , et rentre dès lors essentiellement dans
la mission du liquidateur ; l’autre , au contraire , n’en
tre ni directement ni indirectement dans cette mission.
Si, pour les besoins de la liquidation, le liquidateur est
dans la nécessité de se procurer d’autres ressources que
celles mises à sa disposition , il doit s’adresser aux co
associés , et obtenir d’eux soit des avances, soit l’autori
sation d’emprunter. Cette différence explique comment
les effets créés , nuis dans l’hypothèse d’un emprunt,
sont valables dans celle d’une négociation sur les débi
teurs sociaux.
Par identité de motifs il faudrait, ce semble, décider
que le liquidateur peut valablement endosser les valeurs
du portefeuille de la société. Mais ce droit est fortement
dénié.
605.
— M. Frémery le conteste , parce que , à ses
yeux, négocier un effet de commerce pour s’en procurer
la valeur, c’est emprunter sur sa signature, accompa
gnée de celle des endosseurs , tireur et accepteur ; c’est
augmenter la masse des obligations sociales, ce que le
liquidateur n ’a pas le droit de faire , même alors que
la négociation a lieu pour payer une dette sociale venue
à échéance. Tout ce qu’il a à faire dans ce cas, c’est de
prévenir les associés, pour qu’ils avisent à leur libéra
tion ; et de même qu’il ne pourrait emprunter pour la
payer, de même il ne peut négocier les valeurs socialesl.
Page 70
�266
DES SOCIÉTÉS
6 0 4 . — C’est cette opinion que M. Troplong em
brasse. Le liquidateur , enseigne-t-il, est chargé de
payer les dettes existantes, mais non pas d’en contrac
ter de nouvelles. Emprunter, c’est commencer une opé
ration ; sous un autre point de vue, c’est déplacer le
passif ; l’augmenter même très-souvent, ce n’est pas le
liquider. Quand une dette est arrivée à échéance et qu’il
n ’y a pas de valeur suffisante pour l’acquitter, le liqui
dateur n’a qu’une chose à faire : c’est d’avertir les as
sociés , pour qu’ils avisent à leur libération. S’ils ne
payent pas, les créanciers les poursuivront; mais le li
quidateur n’est pas chargé de s’interposer pour préve
nir ce résultatl.
Enfin, M. Horson adopte le même avis, parce que le
système contraire exposerait à d’immenses dangers les
anciens associés, en ce qu’il pourrait arriver que le li
quidateur endossât des valeurs douteuses , ou même se
fit souscrire par des gens peu solvables des engage
ments dont il s’approprierait le montant, après les avoir
négociéesa.
6 0 5 . — Ecartons, avant toute discussion, cette der
nière considération , ne pouvant fournir un argument
sérieux , précisément par l’étendue qu’on pourrait lui
donner. Il serait facile , en effet, de l’opposer à toutes
les opérations incontestablement confiées au Iiquida-
1 N» 404 8.
3 Q u e s t. s u r le C o d e d e com m erce,
SS 9 et 44.
�art .
51
a
68.
267
leur. Pourquoi ne lui refuserait-on pas de vendre les
marchandises , de retirer les créances ? Ne pourrait-il
pas dissimuler le prix, se l’approprier ainsi que le mon
tant des créances ?
En réalité , il n’est pas de géran t, d’administrateur,
de mandataire , qui ne soit en position de faire beau
coup de m a l, s i , désertant les errements de la loyauté
et de l’honneur, il veut abuser des fonctions qui lui sont
confiées.
Mais cet abus ne peut se présumer, car c’est à la par
tie intéressée qu’il appartient de le prévenir , en n’ac
cordant sa confiance qu’à celui qui en est réellement
digne. Le motif invoqué par M. Horson n’a donc rien
de sérieux, rien surtout de décisif.
Au fond, le système que nous combattons refuse au
liquidateur une faculté inhérente , inséparable de toute
liquidation. Le portefeuille est confié au liquidateur, les
valeurs qu’il renferme doivent être réalisées , sous sa
responsabilité. Or existe-t-il, pour les valeurs payables
dans des lieux autres que le domicile de la société , un
autre moyen de les réaliser que la négociation ?
Ce n’est pas celle-là que nous contestons , dira-t-on
peut-être. Cependant le résultat peut être le même que
dans celle faite pour payer une dette. En effet, l’argent
reçu sans affectation spéciale au moment de la négo
ciation peut avoir été employé depuis : de manière que
le retour de la traite impayée se réalisant, la caisse se
trouvera vide , et le porteur obligé de recourir contre
tous les associés.
�268
DES SOCIÉTÉS
Mais est-il vrai que la négociation anticipée constitue
un emprunt ? L’affirmative ne saurait être admise qu’en
confondant deux opérations essentiellement distinctes.
Ce qui caractérise l’emprunt, c’est que la somme , ar
rivant entre les mains de l’emprunteur, devra être res
tituée , quelle que soit l’échéance convenue. Ce rem
boursement est dans l’intention des parties, dans la
nature même des choses. Dans la négociation d’une
valeur de portefeuille, au contraire, il n’impose qu’une
obligation conditionnelle. La nécessité de rembourser
n’existera que si le débiteur cédé refuse de payer. S’il
paye, tout est fini ; la dette et la créance sont à jamais
éteintes.
En d ro it, la négociation d’un effet commercial est
un mandat donné à un tiers de toucher une somme
quelconque due au mandant. Nous verrons bien tout
à l’heure que le liquidateur ne peut s’en adjoindre un
autre , ni substituer sa mission , en tout ou en partie,
en faveur d’un tiers. Mais faire par mandataire ce qu’il
ne peut faire par lui-même , c’est un pouvoir qu’il a
incontestablement reçu lorsqu’il est entré en fonctions,
et par cela seul que ces fonctions lui ont été délé
guées.
Donc, en négociant, le liquidateur use d’un droit. Il
y a mieux : dans l’application qu’il en fait, il s’acquitte
d’un devoir. Réaliser l’actif, c’est ce qui l’a fait élire;
payer les dettes , c’est là l’unique motif qui en amène
la nécessité. Or , ce qui est dévolu à ce paiement, ce
sont toutes les ressources sociales, sans distinction. Le
�269
liquidateur qui aurait reçu le paiement d’un effet du
portefeuille hésiterait-il à en appliquer le montant au
paiement d’une dette venant à échéance? Pourquoi
donc, cette dette se présentant, ne chercherait-il pas, à
défaut de fonds disponibles, le moyen de l’éteindre par
une négociation ? N’est-ce pas dans la prévision d’une
pareille éventualité que le portefeuille a été mis à sa
disposition ? Puisque les valeurs qu’il renferme sont une
propriété commune , pourquoi ne pas les employer à
payer la dette commune ?
Parce que, dit-on, la négociation augmentera le pas
sif , parce qu’elle expose les associés à des recours rui
neux. Nous n’admettons aucunement l’exactitude de ces
objections. La négociation n’augmentera pas le passif,
car, ou le débiteur cédé paye, et tout est consommé :
loin de contracter un nouvel emprunt, le liquidateur a
été payé d’une créance ; ou le défaut de paiement occa
sionne le retour de la traite, et, dans ce cas, le liquida
teur rendra ce qu’il a reçu, sans que les associés aient
à subir aucun recours.
Si le montant de la négociation a servi à éteindre une
dette sociale et ne peut être remboursé, le recours con
tre les associés existera , mais leur position n’aura pas
changé. Le paiement qu’on leur demande après la né
gociation, ils le devaient avant. Tout ce que la négocia
tion aura occasionné, c’est de retarder les actes de pour
suites, et de mettre par ce délai les associés à même de
payer.
Ainsi, le système que nous soutenons n’a aucun des
�270
DES SOCIÉTÉS
inconvénients qu’on lui prête si généreusement. En échange, celui que nous combattons en entraîne un fort
considérable, à savoir, celui de paralyser la liquidation
en mains du liquidateur, au grand détriment des asso
ciés eux-mêmes ; car, s’ils ne peuvent payer personnel
lement, les créanciers les poursuivront. Leurs exécutions
porteront sur les effets sociaux, qu’on fera saisir et ven
dre. Que deviendra donc la liquidation ?
On veut qu’à défaut de fonds disponibles les associés
interviennent directement et personnellement. Mais com
ment obtenir cette intervention et ce concours, pour peu
Jue le personnel de la société soit nombreux et dissé
miné ? D’ailleurs , n’est-ce pas pour éviter cette inter
vention que la liquidation a été imaginée ? L’exiger,
c’est aller contre l’esprit de l’institution.
En résumé , le système que nous combattons tend à
substituer la difficulté et les périls à la marche facile et
simple que le législateur a voulu adopter. Le liquidateur
est chargé de réaliser l’actif, de payer le passif; les va
leurs de portefeuille sont à réaliser, comme la marchan
dise elle-même , comme les autres effets mobiliers. Le
liquidateur qui vendrait ceux-ci valablement pour étein
dre une dette, peut valablement, dans la même inten
tion , négocier et réaliser les premières. Il n’use pas
seulement d’un d ro it, il accomplit en outre un devoir.
Nous sommes heureux de pouvoir placer notre conclusion aus le patronage de l'éminent M. Delanglel.
�ART.
51
A
65.
606.
— Au reste , c’est dans ce sens que la juris
prudence paraît devoir se prononcer , qu’elle s’est déjà
prononcée. La doctrine que nous combattons est ré
duite à une induction qu’elle puise dans les motifs d’un
arrêt de la cour de cassation du 3 août 1819. Cet arrêt
reconnaît que le liquidateur n’a pas la capacité d’em
prunter sans mandat spécial. Ce principe, nous l’accep
tons ; ce que nous contestons , c’est que la négociation
d’une traite soit un em prunt, et l’arrêt ne dit rien de
semblable.
Comme préjugé en faveur de notre, opinion , nous
pouvons d’abord invoquer un arrêt de la cour de cas
sation du 13 juin 1831. Dans cette espèce , un associé
se prétendant liquidateur avait négocié des valeurs so
ciales. Cette négociation était querellée non pas comme
excédant les pouvoirs du liquidateur, mais parce que
l’associé qui l’avait consentie n’avait jamais eu cette
qualité. La cour de Paris, sur ce motif, avait annulé la
négociation pour tout ce qui excédait la part de l’as
socié.
La cour de cassation, saisie par un pourvoi, maintient
l'arrêt de la cour de Paris, attendu que celle-ci constate
en fait que la société s’étant dissoute sans qu’il fût nom
mé de liquidateur ; d’où il suit qu’en jugeant que l’as
socié n’avait pu agir en cette qualité , l’arrêt attaqué
s’est déterminé par une appréciation de faits apparte
nant exclusivement à la cour d’appell.
�27g
DES SOCIÉTÉS
Evidemment, si l’associé avait été liquidateur, et qu’il
eût agi en cette qualité , la négociation eût été validée.
Cette conséquence résulte des termes mêmes des arrêts
de la cour de Paris et de la cour de cassation.
Une induction plus directe et bien plus puissante en
core va nous être fournie par un autre arrêt de la cour
de cassation du 19 novembre 1835. Dans cette espèce,
en effet, on décide que les traites souscrites par le liqui
dateur d’une société en son nom personnel, sans addi
tion de la raison sociale , peuvent obliger solidairement
les autres associés , s’il résulte des faits de la cause que
la négociation de ces traites a été faite sans fraude,
dans l’intérêt et pour compte de la société \
M. Troplong répudie l’autorité de cet arrêt. Il admet
que , dans l’espèce , le liquidateur avait reçu des pou
voirs suffisants, ce qu’il induit de ce que l’arrêt cons
tate que les pouvoirs du liquidateur n ’étaient pas con
testés. Cette interprétation est repoussée par l’arrêt luimême. Il en résulte, en effet, que, si on ne contestait
pas les pouvoirs du liquidateur, ce n’était pas parce que
celui-ci avait reçu la faculté de négocier pour la so
ciété , mais seulement parce qu’on reconnaissait que
cette faculté était inhérente à ses fonctions. Voici ce
qu’on disait à l’appui du pourvoi :
« En supposant que le liquidateur, agissant en cette
qualité , ait conféré à celui avec qui il a traité une aç-
1 D.P., 35, 4, 446
�art.
61
a
63.
273
tion solidaire contre les associés , dans le cas où les
traites prouveraient par leurs contenus qu’elles avaient
été causées pour et dans l’intérêt de la société , on ne
pourrait jamais admettre que, par un acte séparé, éloi
gné , il eût valablement rendu commune à ses associés
une convention qui lui était personnelle. »
C’est dans cette supposition que la cour de cassation
trouvait avec raison la reconnaissance des pouvoirs du
liquidateur. L’autorité de l’arrêt nous est donc ac
quise , et son influence sur notre question est décisive.
Si la négociation faite par le liquidateur en son pro
pre et privé nom, de traites à son ordre, engage la so
ciété si elle a tourné à son profit , comment admet
trait-on le contraire pour la négociation faite par le
liquidateur , en sa qualité , pour payer les dettes de la
société ?
La même induction se tire de l’arrêt de Paris du 29
août 1849 , que nous citions tout à l’heure. Cet arrêt,
consacrant le droit du liquidateur de faire traite en ré
glement sur les débiteurs de la société , et de négocier
ces traites, lui reconnaît par cela même celui de négo
cier les valeurs de portefeuille.
Enfin , et par deux arrêts successifs des 12 avril et
26 août 1848 , la question , nettement posée devant la
cour de Rouen, vient d’être expressément tranchée dans
notre sens. Voici les considérations qui déterminent la
cour :
« Attendu que la liquidation d’une société consiste à
18
�274
DES SOCIÉTÉS
réaliser l’actif pour acquitter le passif ét partager en
suite le surplus entre les sociétaires ; que , pour parve
nir à ce résultat, le liquidateur , dont l’étendue du
mandat ne se trouve fixé dans aucune loi , a nécessai
rement le pouvoir de vendre les marchandises apparte
nant à la société, d’en recevoir le prix , et de toucher
toutes les sommes à elle dues ; qu’il a aussi le droit de
se faire souscrire des billets à ordre par les débiteurs
de cette société, et de les négocier, ainsi que ceux qu’il
aura trouvés en portefeuille, lors de son entrée en fonc
tions , dans le but, soit d’en faciliter le recouvrement,
soit de se procurer des fonds dont il aurait besoin en
sadite qualité; — que si, nomme on le prétend , cette
dernière faculté lui était interdite , il serait exposé à
être souvent paralysé dans sa gestion ; que l’intention
des anciens sociétaires n’est certainement pas d’appor
ter de telles entraves à des opérations que chacun d’eux
doit désirer voir terminer le plus tôt possible ; — qu’on
ne peut comprendre comment un liquidateur pressé de
solder une dette due par l’ancienne société pourrait, afin d’éviter en même temps des poursuites onéreuses,
et qu’aucune atteinte ne fût portée au crédit de la mai
son sociale, se servir, pour éteindre la dette, des fonds
provenant du prix des marchandises ou des sommes
qu’il aurait touchées directement des débiteurs , et ne
pourrait pas, dans les mêmes circonstances , faire usage
du papier qu’il aurait en portefeuille ;— que sans doute
le résultat, pour les anciens associés , pourrait n’être
pas le même dans les deux cas , s’ils avaient affaire à
�ART.
51
A
63.
un mandataire infidèle et insolvable , mais que des
tiers , qui ne sont pas chargés de surveiller les opéra
tions du liquidateur , ne peuvent supporter les consé
quences du choix de ce mandataire , auquel ils n’ont
pas participé, etc___ 1 »
Nous considérons donc la question comme ne pou
vant être résolue que dans le sens que nous indiquons.
On ne saurait le méconnaître sans se placer en contra
diction flagrante avec l’esprit de la l o i , avec la nature
des choses elles-mêmes.
607.
— A insi, à l’égard des tiers , le liquidateur
continue le gérant, en quelque sorte ; non pas qu’il ait,
comme celui-ci , la faculté de spéculer et d’entrepren
dre des opérations quelconques. Sa mission se borne à
tout terminer pour, après liquidation entière, arriver à
un partage définitif. Dans l’exécution de cette mission,
i! a capacité pour faire tous les actes qu’elle exige. Il
peut donc terminer toutes les opérations commencées,
vendre amiablement les marchandises, en acheter pour
en faciliter l’écoulement, arrêter les comptes des débi
teurs de la société , en exiger le solde soit amiablement
soit judiciairement, escompter toutes les valeurs, les né
gocier, payer toutes dettes, faire en un mot tout ce que
l'apurement de l’actif social rend nécessaire.
Sans doute de tels pouvoirs dépasssent ceux que l’ar
ticle 1988 confère. Mais ce n’est pas la première fois
�m
DES SOCIÉTÉS
que les exigences du droit commercial dérogeraient à la
rigueur des principes ordinaires. O r, ces exigences font
du mandat du liquidateur un mandat sui generis, et
cela non-seulement quant à son étendue , mais encore
à l’endroit de ses effets. Ainsi , si la liquidation exige
que l’établissement social soit exploité jusqu’à la fin, et
que le liquidateur se charge de le gérer et administrer,
il devient personnellement responsable, et solidairement
tenu des engagements qu’il a pu contracter à cette oc
casion 1.
C’est là une dérogation énorme aux règles du mandat
ordinaire. Dans celui-ci, en effet, le mandataire , se
renfermant dans les limites de ses pouvoirs, n’oblige
que son mandant. Or , même en consentant à gérer
l’établissement social jusqu’à la vente , ou jusqu’à en
tière liquidation, le liquidateur n’agira jamais que pour
le compte d’autrui, et cependant, fût-il étranger à l’an
cienne société, on n’hésitera pas, dans ce cas, à le ren
dre directement tenu de sa gestion.
En mandat ordinaire, le mandataire peut s’adjoindre
ou se substituer une autre personne, à la charge de ré
pondre de ses actes. Le liquidateur ne peut faire ni
l’un ni l’autre sans le consentement exprès des intéres
sés. Les fonctions de liquidateur ne peuvent être con
férées que par les associés , ou par jugement. Il ne
i Paris, 26 mars 1840, et 28 avril 1841 ; — J. du P ., 40, 1, 669;
�ART. 51 A 63.
277
peut donc pas être que celui qui a été choisi transmette
à un autre un titre de confiance qui lui est tout per
sonnel. Les opérations et le maniement de fonds qu’une
liquidation entraîne justifient cette dérogation au droit
commun \
Comme conséquence on décidera, dans le cas où, au
mépris de ses obligations , le liquidateur se serait ad
joint ou substitué un tiers, que celui-ci n’a aucune ac
tion contre les associés pour répétition des avances et
frais qu’il a pu faire. Il ne pourrait recourir contre eux
qu’en vertu de l’article 1166 du Code civil, et comme
exerçant les droits du liquidateur. Mais , dans ce cas,
on pourra l’écarter par toutes les exceptions opposables
à celui-ci.,
Enfin, la jurisprudence a consacré une autre modifi
cation. En principe ordinaire , le dol ou la fraude du
mandataire ne peut ni profiter ni nuire au mandant.
Celui-ci n ’est jamais responsable des actes revêtant l’un
ou l’autre caractère. Le contraire a été admis pour le
liquidateur. On déclare les associés responsables du
choix qu’ils en ont fait; on leur refuse en conséquence
le droit d’invoquer l’article 1988 , pour répudier les ef
fets du dol ou de la fraude , et les rejeter sur les tiers
de bonne foi victimes de ces machinations.
Ainsi, la cour de cassation a jugé que les associés
sont responsables de la fraude pratiqué par le liquida-
1 Aix, 11 janvier 1828.
�278
DES SOCIÉTÉS
teur envers une compagnie d’assurances contre l’incen
die , soit en exagérant sciemment le montant du sinis
tre, soit en supposant détruits par le feu des objets non
existants au moment de ce sinistre. Comme conséquen
ce, elle consacre la nullité de l’assuranc, et prive la so
ciété de la juste indemnité qui lui était due, parce qu’il
avait plu au liquidateur d’en exagérer frauduleusement
les proportionsl.
6 0 8 . — Nous avons donc raison de le dire , la li
quidation qst un mandat sui genens, obéissant tour à
tour aux règles du droit commun et aux usages du
commerce. Il faut surtout que le but qu’elle se propose
soit atteint. Elle doit donc être considérée comme at
tributive du pouvoir de réaliser les actes indispensables
pour atteindre à ce résultat. C’est cette idée qui doit sans
cesse dominer l’appréciation des actes de disposition que
le liquidateur a pu faire des mobilier, argent, marchan
dises, créances, sans distinction.
6 0 9 . — Quant aux immeubles, il n’est pas douteux
que leur aliénation ne rentre dans les pouvoirs du li
quidateur , leur réalisation pouvant être indispensable
pour arriver soit au paiement intégral des dettes, soit à
un partage définitif. Le liquidateur a donc le droit de
faire vendre les immeubles, mais judiciairement. La
vente tractative , comme l’affectation hypothécaire , ne
i Cassation, 14 ju in 1847. — J. du P .. 48, 1, 43.
�ART. 51 A 6 3 .
saurait être valable que si les associés ont formellement
autorisé l’une ou l’autre.
Ce principe , que la cour de cassation consacrait le 2
juin 1836 , elle l’avait formellement reconnu le 3 août
1819, en jugeant qu’à défaut d’un pouvoir spécial , la
vente immobilière amiablement consentie par le liqui
dateur ne valait que pour la part que celui-ci avait à
prétendre sur l’immeuble.
610.
— A côté de cette règle , ce dernier arrêt en
consacre une autre qui ne manque pas d’importance. Si
le liquidateur d’aujourd’hui est le gérant d’autrefois, et
qu’en cette qualité il ait reçu le pouvoir de vendre les
immeubles de la part de ses coassociés , ce pouvoir
suffirait pour l’autoriser à les vendre comme liquida
teur. La dissolution de la société n’a aucune influence
sur le mandat consenti, lorsque celui qui l’a reçu com
me gérant devient liquidateur. On doit d’autant plus le
décider ainsi , que bien souvent le mandat n’aura été
donné qu’en vue de la dissolution , et pour faciliter la
liquidation. Il vaut donc jusqu’à révocation expresse,
et la vente faite avant celle - ci doit être respectée et
maintenue.
Nous trouvons un nouvel exemple d’application de
notre doctrine dans un arrêt de la cour de cassation du
13 mars 1866. Cet arrêt juge, en effet, « que le liqui» dateur d’une société commerciale ne peut aliéner les
» immeubles de la société qu’en vertu d’un mandat é» mané de tous les communistes ; qu’il ne lui suffirait
�DES SOCIÉTÉS
»
»
»
»
»
pas d’un mandat à lui conféré dans une assemblée
générale à laquelle quelques-uns des associés n’auraient été ni présents ni représentés ; que la vente
faite en vertu d’un pareil mandat est donc nulle
comme vente de la chose d’autrui.1 »
Il est vrai que, dans l’espèce, la société n’ayant ja
mais été régulièrement constituée , n’avait pu créer un
être moral, distinct de la personne des associés, et n’a
vait été qu’une collection d ’individus réunis dans une
communauté de fait. Mais c’est précisément sur celte
communauté de fait que se fondait la cour de Nîmes
pour déclarer la vente nulle non-seulement comme vente
de la chose d’a u tru i, mais encore comme n’ayant pas
été faite dans les formes qu’exigeait la minorité de quel
ques-uns des communistes.
Se fût-il agi d’une société légale et régulière , qu’il
n’aurait pu en être autrement. Nous avons déjà dit, en
effet, que la détermination des pouvoirs du liquidateur,
à moins qu’elle n’eût été réglée par le pacte social, ne
pouvait émaner que de l’unanimité des intéressés3. Or
la faculté de vendre tractativement les immeubles so
ciaux , excédant les pouvoirs ordinaires du liquidateur,
ne saurait être valable que si elle est consentie par tous
les associés indistinctement.
La conséquence qui découle de cette règle, c’est que,
1 J. du P., 1867, p. 88Î.
3 Voy. supra n» 486 bit.
�dans un cas donné , la vente judiciaire ne pourra être
évitée. Supposez, en effet, qu’au nombre des intéressés
figurent des mineurs; ceux-ci ne pouvant valablement
prendre part aux délibérations des assemblées généra
les sont radicalement incapables de consentir une dé
rogation aux formes sous la garantie desquelles la loi a
placé leurs intérêts ; ce qui , indépendamment de l’im
possibilité de réunir l’unanimité exigée, aurait pour ré
sultat la nullité absolue de la vente faite en dehors de
ces formes.
Y a-t-il pour les associés moyen de se soustraire à
celte nécessité ? Par exemple, la clause de l’acte de so
ciété qui, en cas de mort de l’un des associés, autorise
rait les survivants ou le liquidateur à vendre traciativement les immeubles, serait-elle valable , et devrait-elle
recevoir son exécution malgré la minorité des héritiers?
Un arrêt de la cour de Rouen , du â6 juin 1806,
préjuge l’affirmative. Appelée à décider si la clause de
l'acte, social portant qu’en cas de dissolution les immeu
bles et objets de la société seront licités entre les asso
ciés seulement , était obligatoire pour les héritiers mi
neurs de l’associé décédé , celte cour se prononce pour
la négative, par le motif que les dispositions qui règlent
la vente ou la licitation des biens appartenant à des
mineurs ne sont inapplicables qu’autant qu’il y a été
dérogé formellement par l’acte de société.
Donc , si au lieu de régler le mode de licitation dans
l’hypothèse de la dissolution on l’avait étendu au cas
du décès d’un des associés, la clause eût produit et dû
�DES SOCIÉTÉS
produire son effet à l’égard des héritiers quels qu’ils
fussent. A plus forte raison la cour de Rouen auraitelle validé la stipulation qu’en cas de décès les immeu
bles seraient vendus tractativement.
M. Delangle n’admet pas qu’il puisse en être ainsi,
et dénie toute force obligatoire à une clause de ce gen
re , parce que, d it- il, l’article 1872 qui renvoie aux
articles 815 et suivants du Code civil n’en retranche
pas les dispositions relatives au cas de minorité ; que
ces dispositions qui protègent l’intérêt des mineurs sont
d’ordre public, et que des associés ne peuvent, par des
conventions, si formelles qu’elles soient, paralyser l’ap
plication des lois qui tiennent à l’étal des personnes.
Toutes les stipulations du monde , ajoute M. Delangle,
ne peuvent faire qu’un mineur ne soit pas mineur, et
que , lorsqu’il s’agit de liciter des immeubles dont il est
copropriétaire , on n’observe pas les formalités que la
procédure exige, car elles sont inséparables de l’état de
minorité 1.
M. Delangle invoque un arrêt de la cour de cassa
tion qui aurait jugé, le 29 mars 1836, que lorsque des
mineurs succédaient à un majeur , ils n’étaient pas liés
par la clause compromissoire autorisant les arbitres à
juger en dernier ressort, et que la voie de l’appel leur
était ouverte.
Nous avons vainement cherché cet arrêt à l’endroit
1 Des sociétés, n° 704.
�art.
51
a
63.
283
indiqué : nous n’avons donc pu en apprécier le carac
tère. Nous serions assez porté à croire qu’il a été rendu
en matière civile , et qu’il n’est qu’une application du
principe édicté par l’article 1013 du Code de procédure
civile.
Ce qui nous-confirme dans cette idée , c’est que la
cour de cassation , statuant en matière commerciale a
formellement jugé, le 8 mars 1837, que la clause d’un
acte de société commerciale par laquelle les associés ont
consenti que les contestations qui surviendraient entre
eux fussent jugées en dernier ressort par les arbitres
forcés, était obligatoire pour leurs héritiers mineurs.
»
»
»
»
»
»
»
»
« Celte renonciation , dit la cour régulatrice , faite
par les parties capables de s’obliger constitue une
convention légalement formée, et qui, aux termes des
articles 1134 et 1122 du Code civil, tient lieu de loi
à ceux qui l’ont faite et à leurs héritiers ou ayants
cause; la minorité des héritiers de l’un ou l’autre
des contractants n’apporte point de modifications à
la convention et n’altère en aucune manière les principes posés par les articles précités du Code civil.1 »
Cet arrêt est d’autant plus significatif qu’il a été ren
du contre une remarquable consultation dans laquelle
M. Pardessus cherchait à établir que la clause de re
nonciation à l’appel n’étant pas exigée par l’ancien ar
ticle 51 , constituait un véritable compromis tombant
�284
DES SOCIÉTÉS
sous l’empire de l’article 1013 du Code de procédure,
et auquel par conséquent mettait fin la minorité des
héritiers.
Donc, l’arrêt de 1837 détruit l’argument que M. Delangle puisait dans celui de 1836. Le préjugé qui en
résulte est, en effet, non pas en faveur, mais contre l’o
pinion de M. Delangle et pour la validité de la clause
dont il refuse d’admettre la légalité.
Sans doute, en pur droit civil, une convention qui
aurait pour objet de déroger à ce qu’exige la minorité
des personnes , pourrait être considérée comme con
traire à la loi , et annulée par application de l’article
1131 du Code civil.
Mais il ne saurait en être ainsi en matière de sociétés
commerciales. La faveur que l’intérêt public a appelée
sur leur développement devait modifier et a modifié en
ce qui les concerce la rigueur de certains principes.
Certes, la clause qu’en cas de décès d’un des associés
la société se continuera avec ses héritiers , ne pourra
faire que ses héritiers ne soient pas mineurs s’ils le sont
en effet ; cependant ils en subiraient les conséquences.
Je sais bien que M. Delangle n ’en admet la validité
que sous certaines restrictions. Mais Pothier, mais Par
dessus, mais Troplong repoussent toutes restrictions , et
il faut bien avouer que l’article 1868 du Code civil leur
donne complètement raison \
1 Voy. Liège, 26 ju illet 1827 ; — Cassation, 10 novembre 1847 ; —
Bordeaux, 29 juillet 1862. — J . d u P . , 48, 1, 16; 63, 1, 863.
�Aux termes de cet article , les héritiers même mi
neurs devront subir l’effet de la clause qui bornerait la
continuation de la société entre les survivants. Dans ce
cas comme dans celui où il aurait été stipulé que leurs
droits seraient fixés par le dernier inventaire, ils seront
bien obligés de se contenter de l’estimation donnée aux
immeubles h
Pourquoi donc pourraient-ils se refuser à exécuter la
clause de l’acte de société donnant aux survivants ou au
liquidateur le pouvoir de vendre tractativement ces im
meubles ? Parce que celte exécution pourrait devenir
pour eux l’occasion d’un préjudice? Mais sauf le cas de
dol et de fraude qui n’est pas à supposer et qui se pla
cerait dans une position exceptionnelle, toute crainte de
ce genre doit disparaître devant celte considération, que
les survivants ayant comme le mineur intérêt à ce que
le prix soit le plus élevé possible, ne négligeront rien de
ce qui pourra aboutir à ce résultat, et que bien souvent
ce résultat serait plus satisfaisant que celui qu’on ob
tiendrait par la licitation judiciaire, qui, outre les frais
considérables qu’elle est dans le cas d’occasionner , est
une cause de dépréciation, chacun visant au bon mar
ché.
D’ailleurs, est-ce que lorsque les mineurs sont obli
gés de s’en référer à l’estimation donnée aux immeu
bles , ils ne sont pas exposés à un préjudice ? Est-ce
i Caen, -10 novembre 48S7 ; — J. du P ., 57, 2, 779.
�286
DES SOCIÉTÉS
que l’imminence de ce préjudice n’existe pas dans une
plus large proportion , lorsque obligés de continuer la
société ils peuvent voir leur part tomber dans le gouffre
de la faillite ?
Or, si dans ces deux hypothèses on ne s’est pas ar
rêté devant la possibilité d’un préjudice, devrait-on la
prendre en considération dans l’hypothèse que nous ex
aminons ? Nous ne saurions imaginer la raison cjui lé
gitimerait une solution affirmative.
Nous tenons donc pour certain que la clause de l’acte
social portant qu’en cas de décès d’un des associés, les
survivants ou le liquidateur vendraient tractalivement
les immeubles sociaux , s’imposerait obligatoirement
aux héritiers du décédé, et devrait être exécutée malgré
leur minorité.
6 L1. — En résumé , l’acte social, ou celui de no
mination , peut conférer aux liquidateurs les pouvoirs
les plus étendus. A cet égard , les droits des intéressés
n’ont d’autres limites que leur propre capacité ; ils peu
vent faire faire pour eux tout ce qu’ils pourraient faire
eux-mêmes directement.
Si l’acte est m u e t, les pouvoirs du liquidateur sont
régis par la nature même de la mission qui lui est con
fiée. Tous les actes ayant pour résultat de réaliser l’ac
tif et d’éteindre le passif peuvent être également ac
complis par l u i , mais par les voies ordinaires seule
ment.
Ainsi, il ne peut ni compromettre ni transiger. Corol-
�1
art.
61
a
63.
* '
287
laires du droit de propriété , ces deux facultés ne sont
pas d’ailleurs de l’essence de la liquidation.
Il ne peut emprunter ni vendre tractativement les
immeubles, moins encore les grever d’hypothèque, sans
un pouvoir spécial et exprès.
Mais il peut vendre les marchandises , réaliser les
créances, payer les dettes, négocier les effets; car, à ces
conditions seulement, la liquidation est possible. D’ail
leurs , l'intérêt des tiers devant avoir des relations avec
le liquidateur l’exigeait ainsi pour pouvoir agir avec
quelque certitude.
612.
— Leiliquidateur est-il révocable? Dans quel
les conditions et par qui peut-il être révoqué ?
La qualité de mandataire en laquelle agit le liquida
teur répond à la première question. Bien que d’une na
ture spéciale , la mission du liquidateur n’en constitue
pas moins un mandat. Or , le mandat puise sa raison
d’être dans la confiance qu’inspirent l’intelligence , la
capacité et la probité de celui à qui il est déféré. Il ne
saurait donc survivre à cette confiance. Aussi notre
droit civil consacre-t-il le principe : que le mandant
peut révoquer sa procuration quand bon lui semble.
Toutefois, la nature spéciale de la mission du liqui
dateur et les circonstances dans lesquelles elle a été dé
férée, peuvent modifier cette règle. Ainsi, M. Troplong
enseigne que lorsque l’associé liquidateur a été nommé
par l’acte de société , il est irrévocable à moins de sti
pulation contraire. Le motif c’est que c’est là une clause
�288
DES SOCIÉTÉS
du contrat sans laquelle cet associé né serait peut-être
pas entré en société. On ne peut donc défaire sans sa
volonté une convention de cette nature q u i, à raison
des circonstances dans lesquelles elle est intervenue, n’a
rien du caractère ambulatoire du mandat ordinairel.
Mais cette irrévocabilité n’existe que relativement à la
faculté conférée au mandant de révoquer ad nutum sa
procuration. Il ne saurait êire, en effet, qu’un liquida
teur qui aurait trahi la confiance qu’on avait en lui,
donné des preuves d’incapacité ou d’improbité , pût se
perpétuer dans sa mission contre la volonté et au dé
triment des intéressés : une pareille conséquence serait
inique. Aussi M. Troplong admet-il que, dans ce cas,
la révocation pourrait être poursuivie en justice et pro
noncée par les tribunaux.
Reste que le liquidateur étranger à la société, ou pris
parmi les associés sans avoir été désigné dans le pacte
social, est soumis à l’empire de la règle édictée par l’ar
ticle 2004 du Code civil et peut être révoqué ad nu
tum .,
613.
— Par qui peut être prononcée cette révoca
tion ? Evidemment par ceux qui avaient concouru à la
nomination. Mais faudra-t-il que tous y consentent, ou
bien suffira-t-il de la majorité?
Casaregis se prononçait dans le premier sens. Il en
seignait que : ministrum removeri non posse , sine
1 Des sociétés, n° 1034.
�ART.
51 A
consensu •omnium sociorum et intéresse habentium l.
Telle paraît avoir été la pensée de notre législateur.
L’article 2004 , en effet, ne confère la faculté de révo
quer qu’au mandant. Or , lorsque le liquidateur a été
nommé par une réunion d’intéressés, le mandant c’est
cette réunion qui dès lors peut seule retirer les pouvoirs
qu’elle avait donné.
M ais, en matière de société , le choix du liquidateur
offre ce caractère , que l’être moral ayant disparu , ce
liquidateur n’est plus que le mandataire des associés :
chacun d’eux lui délègue le droit que sa qualité lui don
nait à la liquidation. A ussi, dans la constitution du
mandat, la majorité ne lie pas la minorité ; elle ne peut
valablement résulter que de l’unanimité. Cette règle ad
mise par la doctrine et la jurisprudence ne date pas
d’aujourd’hui. Casaregis l’enseignait comme un théorè
me de droit incontestable : omnes actus qui sunt a
pluribus personis peragendi , tune accesse fit ab
omnibus conjunctim , cum interventu et consensu
eorumdem.
De là cette conséquence que chaque associé est re
cevable et fondé à révoquer le mandat pour ce qui le
concerne. La majorité qui ne peut imposer son choix à
la minorité ne saurait non plus contraindre cette mino
rité , quelque infime qu’elle so it, à continuer sa con
fiance à celui auquel elle l’a retirée.
i Disc. 81, n°* 7 et suiY.; — Disc. 428, n» 9.
lll
�290
DES SOCIÉTÉS
Mais quelle sera la position du liquidateur révoqué
par les uns, maintenu par les autres ? À qui entendre
dans ce choc de volontés divergentes ? L’administration
devra-t-elle être suspendue au risque du danger que
cette suspension peut offrir , et si ceux qui n’ont pas
révoqué le liquidateur persistent à ne pas vouloir le
remplacer ?
La difficulté serait inextricable s i , en définitive , la
justice n’était pas là pour la trancher ; car , de même
qu’en cas de discord sur la nomination, c’est aux juges
qu’il appartient d ’y pourvoir , de même on ne saurait
leur méconnaître et leur contester le droit de statuer
sur le maintien voulu par les uns, sur le remplacement
poursuivi par les autres.
La justice peut être indifféremment saisie par les uns
ou par les autres. Si ceux qui veulent le maintien du
liquidateur doivent mettre en cause tous ceux qui pour
suivent sa révocation, il n’est pas douteux que si ceuxci prennent l’initiative de la poursuite ils ne soient obli
gés d’appeler dans l’instance tous ceux qui ayant con
couru à la nomination , et ne s’étant pas associés à la
demande en révocation sont présumés s’opposer au rem
placement.
614.
— A insi, un arrêt de la cour de R ennes, du
7 juin 4865 , juge que le mandat donné en commun
par les actionnaires , les créanciers et le premier liqui
dateur d’une société en commandite, à l’effet d’achever
la liquidation de cette société, ne peut être révoqué que
�■*
art.
51
a
63.
291
de l’adhésion de tous ceux qui y ont concouru ; qu’en
conséquence , si la révocation est poursuivie en justice,
il est nécessaire que tous les mandants soient mis en
cause.
« Considérant,—dit la cour, — que les appelants de» mandent tant pour eux que pour les autres créan» ciers, la révocation de Morel, son remplacement et
» par suite un compte général de sa gestion à son rem» plaçant;
» Considérant qu’à raison du grand nombre des cré» anciers et des difficultés que présentait la liquidation,
» tout morcellement des opérations était impossible, et
» qu’il était nécessaire de les soumettre à une direction
» unique , que le liquidateur ne pouvait rester en butte
» à l’action des mécontentements individuels ou des in» térêts froissés de ses mandants, de manière que cha» cun eût le droit de provoquer des décisions qui n’o» bligeraient pas les autres créanciers, et de changer
» la liquidation en un dédale inextricable de procès ;
» Considérant qu’en consentant à la nomination d’un
» liquidateur à la suite des conditions mises par le
» conseil général de la Sarthe à la continuation du cré» dit ouvert au Comptoir national d’escompte pour fa» ciliter la liquidation , les créanciers ont aliéné et
» voulu aliéner une partie de leur liberté d’action au
» profit commun , et que , dès lors, ils se sont interdit
» Le droit de réclamer individuellement, hors la pré» sence de tous les créanciers, la révocation du liqui» dateur;
�592
»
»
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»
DES SOCIÉTÉS
» Considérant que les appelants argumentent en vain
de la difficulté de mettre en cause un nombre considérable de créanciers ; que celte difficulté n’autorise
pas à s’écarter du principe, et qu’elle donnerait lieu à
la difficulté plus grande, ou même à l’impossibilité de
faire bonne justice en l’absence du plus grand nombre des créanciers, ou au danger de prendre une mesure contraire à l’intérêt général à l’instigation d’un
intérêt particulier; qu’il en doit être surtout ainsi
lorsque, au lieu de l’absence de quelques créanciers
isolés, dont les intérêts seraient conformes à ceux qui
sont déjà en cause, on signale celle des créanciers les
plus importants ; lorsque les appelants ont négligé
de mettre en cause devant la cour Trouvé-Chauvet et
le Comptoir national d’escompte , contre lesquels ils
prenaient en première instance des conclusions corrélatives ou même indivisibles de celles qui subsistent
aujourd’hui contre Morel ;
» Considérant qu’il n’y a aucune assimilation à faire
entre l’action des appelants et celle que peut exercer
un créancier unique en vertu de l’article 467 du Code
de commerce ; que cet article édicte une règle spéciale qui ne peut être étendue à des cas autres que
celui qu’il prévoit ; que si un syndic nommé par un
tribunal de commerce peut être révoqué par lui, Mor e l, nommé en vertu d’une délibération prise par
tous les créanciers, ne peut être révoqué qu’a près que
tous auront été. mis en demeure de conclure sur ce
chef ; que de plus les créanciers d’une faillite for-
�art.
51
a
63.
293
»
»
»
»
ment, d’après la loi, une masse suffisamment représentée dans le débat qu’un seul créancier porterait
devant le tribunal de commerce , tandis qu’il en est
tout autrement dans l’espèce.1 »
Le résultat auquel l’arrêt aboutit par ses motifs et
par ceux du jugement attaqué est peut-être regrettable.
Il arrive, en effet, à imposer des longueurs intermina
bles et une masse de frais effrayants. Ainsi, dans l’es
pèce, outre les actionnaires, le premier liquidateur et le
Comptoir d’escompte, les créanciers étaient au nombre
de seize cent vingt-huit. Se figure-t-on ce que doit être
une mise en cause d’environ deux mille parties.
Mais un principe ne saurait être subordonné aux
embarras, aux difficultés que son application serait dans
le cas de soulever. Or, l’arrêt de la cour de Rennes a vait un fondement juridique dans la loi ; aussi la cour
de cassation n’hésitait-elle pas à rejeter le pourvoi dont
il avait été l’objet.
615.
— Les reproches que ce pourvoi faisait à l’ar
rêt étaient ainsi formulés :
» En premier lieu, les créanciers de la Cfiisse de la
» Sarthe pouvaient, en vertu de l’article 4166 du Code
» civil, prendre en mains les droits et actions de leur
» débiteur et provoquer la révocation , par la justice,
» d’un gérant qui agissait en fraude de leurs droits ;
» En second lieu et en adm ettant, avec l’arrêt atta—
1 J. du P , 1865, p. 1246.
�294
BES SOCIÉTÉS
» q u é , que le sieur Morel ait reçu des créanciers un
r> mandat direct, faut-il en conclure que ce mandat ne
» puisse être révoqué que par tous les créanciers réu» nis? D’abord, tous les créanciers n’assistaienl pas à
» la réunion dans laquelle on prétend que le mandat
» aurait été constitué : sur seize cent vingt-huit qui a» vaient été convoqués , sept cent quatre-vingt-deux
» seulement étaient présents soit en personne , soit par
» mandataires : les absents ont donc été représentés
» par, les présents; les négligents ont été représentés
» par les vigilants. Pourquoi n’en serait-il pas de même
» le jour où il s’agit de révoquer le mandataire infi—
» dèle ? Puisque la nomination n’a pas été faite par
» tous , pourquoi exigerait-on aujourd’hui que la ré» vocation fût provoquée par tous ? Les créanciers ne
» sont-ils pas mandataires , ou , si l’on v eu t, gérants
» d’affaires les uns des autres? Quand ils agissent dans
» l’intérêt de tous ne font-ils pas l’affaire commune ? ;
» En troisième lieu on n’a pas hésité à appliquer
» dans la cause aux créanciers, pour la nomination
» d’un liquidateur , le principe posé par l’article 507
» du Code de commerce; pourquoi refuse-t-on au» jourd’hui , quand il s’agit de sa révocation , de leur
» appliquer le principe posé par l’article 467 du même
» Code, d’après lequel un seul créancier peut provoquer
» la révocation d’un syndic de faillite? De quoi s’agit-il
» en effet ? De mettre en mouvement l’action de la jus» tice et d’appeler son examen sur des faits de malver» sation , de dol et de fraude. Si la doctrine de l’arrêt
�art.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
51 a 63.
295
attaqué est admise , le sieur Morel est inviolable ;
l’impossibilité de réunir tous les créanciers en si
grand nombre ne permet pas de l’atteindre ; il a un
brevet absolu d’impunité ; l’autorité judiciaire que la
cour de cassation a déclarée compétente, par son arrêt du 6 août 1862, ne peut faire aucun usage de
cette compétence, quoi qu’il arrive, quel que soit l’abus que le sieur Morel fasse de ses pouvoirs, elle est
obligée de fermer les yeux : situation inouïe , monstrueuse, et dont le privilège n ’appartient à aucun gérant même statutaire;
» Enfin et s i , malgré les considérations qui précè» d e n t, on ne reconnaît pas aux demandeurs le droit
» de représenter leurs créanciers dans l’intérêt com» mun , et de poursuivre la révocation du liquidateur
» au nom de tous, comment l’arrêt a-t-il pu leur re» fuser le droit d’agir au moins dans leur intérêt indi—
» viduel ? S’il est vrai' que le mandat donné par plu» sieurs pour une affaire commune se décompose en
» autant de mandats distincts qu’il y a de mandants,
» la conséquence juridique est que du moins chacun,
» en ce qui le concerne, a le droit de révoquer le man» dat : c’est ce que reconnaissent tous les auteurs. »
Il n’est aucune de ces théories qui e û t, en droit et
en fait un fondement sérieux. L’exercice de la faculté
conférée par l’article 1166 du Code civil est subordonné
à une condition sine qua non, à savoir : que l’action
qu’on prétend intenter au nom du débiteur lui appar
tienne, et puisse être poursuivie par lui.
�296
DES SOCIÉTÉS
Or, cette condition manquait dans l’espèce. Le débi
teur ne pouvait être ni recevable ni fondé à demander
la révocation du liquidateur, dès l’instant que ce liqui
dateur avait été nommé par les créanciers ; et si ayant
lui-même participé à cette nomination, il était recevable
à en demander la rétractation , il eût bien été obligé
d’intenter sa demande contre tous ceux q u i , avec lui,
avaient concouru à la nomination.
Les créanciers prétendant agir en vertu de l’article
4166 ne pouvaient évidemment réclamer des droits plus
étendus que ceux que le débiteur aurait eu à réclamer.
Ils ne pouvaient, par conséquent, agir que contre tous
ceux de qui était émané le choix du liquidateur , com
me le débiteur aurait été forcé de le faire lui-même.
Qu’importait que la délibération instituant le liquida
teur n’émanât que de sept cent quatre-vingt-deux cré
anciers sur seize cent vingt-huit ? Ceux qui volontaire
ment ou non ne s’étaient pas présentés, étaient présu
més s’en être référé à ceux qui répondraient à la con
vocation, et le défaut de protestation de leur part con
tre le résultat de la délibération prouvait qu’ils avaient
accepté et s’étaient approprié ce résultat.
Pourquoi d’ailleurs ne les avait-on pas convoqués et
réunis. Certes si les demandeurs en révocation s’étaient
présentés avec une délibération adhérant à cette de
mande, ne fût-elle l’œuvre que de sept cent créanciers,
peut-être que la poursuite aurait eu une autre issue.
Mais venir au nombre de dix ou de vingt défaire ce que
huit cents avaient fait, c’était tenter l’impossible.
�art.
81
a
63.
297
Quant à la prétention de représenter les seize cent
vingt-huit créanciers, d’être leurs m andataires, leurs
gérants d’affaires, elle était si manifestement contraire à
tous les principes qu’on n ’avait pas à la discuter. Estce qu’on pourrait prohiber à celui dont le jugement lé
serait l’intérêt, de former tierce opposition à ce juge
ment? Quant à la communauté d’intérêts comment
l’admettre, tant qu’elle n’est qu’alléguée par une infime
minorité , et que cette allégation est en quelque sorte
démentie par l’inaction et le silence du plus grand nom
bre?
Le reproche de n’avoir pas appliqué l’article 467 du
Code de commerce n’était pas mieux fondé. Il est évi
dent par le mode même de procédure organisé par cet
article qu’il ne saurait ni être invoqué ni être appliqué
là où il n’y a ni faillite ni juge commissaire.
D’ailleurs l’arrêt ne refusait pas aux demandeurs le
droit de poursuivre la révocation quel que fût leur
nombre. Ce droit il le reconnaissait implicitement, puis
qu’il ne mettait à son exercice qu’une seule condition :
l’appel en cause de tous les intéressés.
Il était bien tard pour se plaindre devant la cour de
cassation de ce que l’arrêt n’avait pas accueilli la révo
cation en ce qui concernait les demandeurs individuel
lement. Pour que ce reproche d’ailleurs fût fondé il au
rait fallu que cette révocation particulière eût été récla
mée, et elle ne l’avait pas été. Le jugement faisait même
un grief du silence gardé à ce sujet, et malgré cette mise
en demeure, on persistait à ne demander devant la cour
�29S
DES SOCIÉTÉS
que la révocation générale , absolue du liquidateur et
son remplacement.
D’ailleurs s’il ne s’était agi que d’une révocation par
ticulière et pour ce qui concernait les réclamants indi
viduellement, ce n’eût été là, comme l’observait le ju
gement que l’exercice de la faculté de révoquer ad nu
tum qui appartient au mandant, et l’intervention de la
justice n’eût été nécessaire que pour contraindre le
mandataire révoqué à rendre compte de sa gestion.
616.
— Ainsi donc, aucun des griefs invoqués par
le pourvoi n’avait rien de ce qui pouvait faire réussir
ce pourvoi. Aussi était-il rejeté par arrêt du 7 janvier
1868, et par les motifs suivants :
« Sur la première branche du moyen tiré de la violation de l’article 1166 du Code civil , attendu que
Morel, liquidateur, dont Thoury , Abot et consorts
demandaient la révocation , n’avait pas été nommé
par la Société de la Sarthe tombée en liquidation,
mais tenait ses pouvoirs de tous les créanciers de ladite société; que les demandeurs en cassation , qui
ne représentaient pas la masse des créanciers, mais
qui agissaient comme exerçant les droits de la société, ne pouvaient trouver dans l’article 1166 la base
d’une action qui n’appartenait pas à leur débiteur;
d’où il suit que ledit article étant sans application à
la cause, n’a pu être violé par l’arrêt attaqué ;
» Sur la deuxième branche tirée de la prétendue
» violation de l’article 467 du Code de commerce, at-
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
�»
»
»
»
»
»
»
»
»
tendu que l’article 467 du Code de commerce est spécial en matière de faillite, et ne saurait être étendu à
des espèces qui ne comportent ni les formes ni les
garanties particulières à la faillite ; que notamment,
dans l’espèce , la Caisse de la Sarthe n’étant pas en
faillite, mais seulement en liquidation , il ne saurait
y avoir de juge commissaire sur le rapport duquel
l’article 467 veut que soit appréciée la demande en
révocation d’un syndic,
» Sur la troisième branche tirée de la violation pré» tendue des articles 2003 et 2004 du Code civil , a t» tendu qu’il est déclaré souverainement et en fait, par
» l’arrêt attaqué , que chacun des créanciers qui ont
» concouru à la nomination du liquidateur avait en» tendu renoncer au droit de révoquer le mandat sans
» l’assistance et le concours des autres ; que cette con» vention , impérieusement commandée par le nombre
» considérable des créanciers, n’a , d’ailleurs rien de
» contraire à l’ordre public.1 »
617.
— Relativement aux associés, la liquidation a
pour objet de déterminer les droits de la société vis-àvis de chacun d’eux, et de les contraindre à l’exécution
stricte de leurs engagements. Or, cette détermination,
c’est le liquidateur qui doit l’opérer; cette exécution, c’est
lui qui doit la poursuivre par toutes les voies, même
par contrainte judiciaire.
l J. du P., 1868, p. 399.
�300
DES SOCIÉTÉS
C’est ici que se manifeste avec la plus grande certi
tude cette conséquence que nous indiquions tout à
l’heure , à savoir que l’existence d’une liquidation fait
exception à la règle suivant laquelle la dissolution en
traîne la disparition de l’être moral. La preuve que la
liquidation le conserve uniquement pour ses propres
besoins , c’est qu’en réalité le liquidateur le représente,
en est le mandataire. Concevrait-on autrement les obli
gations qui lui sont imposées à l’endroit des associés ?
P ourrait-il, s’il était leur m andataire, plaider contre
eux, les faire condamner, les contraindre au paiement ?
C’est donc réeilement la société qui se survit dans la
personne du liquidateur. Cela explique sa position à
l’égard des tiers , ses droits vis-à-vis des associés, qui,
responsables de la gestion dont ils ont pu être chargés,
qui, tenus des engagements qu’ils ont souscrits, ne sau
raient lui contester le droit de les contraindre à se libé
rer ou à rendre compte en ses mains.
Le liquidateur a donc, en ce qui concerne les asso
ciés, la mission d’accomplir , avec ou contre eux , tout
ce qui doit préparer et amener le partage , dernière et
suprême opération de toute société. Or, la composition
de la masse active est un préalable indispensable.
618.
— Cette masse comprend tous les meubles,
effets mobiliers, marchandises restant invendues, l’ar
gent en caisse, le prix encore dû des objets vendus , les
créances réalisées, celles existant encore en portefeuille.
Elle se compose, en outre, des immeubles en nature et
du prix de ceux qui ont été aliénés.
�ART.
51 A 63.
301
A côté de ces éléments principaux figurent les dettes
personnellement dues par chaque associé, et dont le li
quidateur a opéré les règlements. Ces dettes peuvent
se rapporter à la mise de fonds à fournir par chacun
d’eux.
Celui qui ne l’a pas encore effectuée est débiteur nonseulement du capital, mais encore des intérêts du jour
où il a dû en opérer le versement. En cette matière, la
loi fait courir ces intérêts de plein d ro itl, et c’était jus
tice. De ce jour-là , en effet, la mise n’appartient plus
privativement à celui qui s’est engagé à la verser. Elle
devient une chose commune dont les produits doivent
profiter à tous. Elle ne profiterait qu’au débiteur, si ce
lui-ci n ’en donnait pas de plein droit les intérêis , ce
qui serait un encouragement à en retarder le versement
le plus longtemps possible.
Chaque associé doit encore rapporter à la masse :
1° Tout ce qu’il a pris dans la caisse sociale pour
l’appliquer à son usage personnel. Dans cette hypothèse,
l’article 1846 du Code civil fait également courir l’in
térêt de plein droit du jour de l’emprunt fait à la caisse,
toujours par la raison qu’un seul associé ne saurait
profiter de la chose commune ;
2° Le solde de son compte courant avec la société ;
3° Les sommes qu’il a pu recevoir des débiteurs de
la société, soit a v an t, soit après la dissolution pour la
part afférant à ses associés.
1 Article 1846 du Code civil.
�302
DES SOCIÉTÉS
Un autre élément de l’actif social est formé par les
restitutions que les associés gérants peuvent avoir à opérer , par suite du réglement de leur compte de ges
tion ; par les dommages-intérêts dus par eux ou par
tout autre associé , en réparation du préjudice que leur
faute aurait occasionné à la société.
6 1 9 . — La masse à partager ainsi composée , il est
procédé au partage effectif entre tous les intéressés. Aux
termes de l’article 1872 du Code civil , ce partage est
assimilé à celui sur succession , astreint à ses formes,
soumis à ses effets. Mais nous allons retrouver ici les
exigences du droit et des usages du commerce , et les
modifications qu’ils ont fait subir aux règles du droit
commun.
✓
Nous en avons déjà signalé une, à savoir la dispense
de l’apposition des scellés lors de la dissolution.,, alors
même qu’il existerait des associés mineurs. Le com
merce ne peut subir ces brusques et violentes interrup
tions, qui jetteraient la société dans les plus grands pé
rils, sous prétexte de veiller à la conservation de cer
tains droits.
6 2 0 . — D euxième m odification : Inapplicabilité
de l’article 815 du Code civil. = La durée de l’in
division sociale, ses conditions, sa rupture, sont expres
sément et souverainement réglées par les articles 1865
et 1869 du Code civil. On ne peut dès lors, pour ce qui
les concerne, s’en référer à d’autres dispositions. D’ail-
�art.
51
a
63.
303
leurs, la durée même d ’une liquidation commerciale ne
saurait reconnaître des limites certaines; elle dépend
exclusivement des circonstances.
: inapplicabilité
de l'article 841 du Code civil. = La cession de tout
ou de partie de l’intérêt social est nommément autorisée
par l’article 1861 du Gode civil. Le législateur a cru
devoir, en les concentrant entre le cédant et le cession
naire , en régler les effets et les conséquences par rap
port aux autres associés. N’aurait-il ainsi agi que pour
permettre à ceux-ci de l’anéantir à leur gré ? M. Troplong enseigne la négative , avec infiniment de raison,
suivant nous.
L’opinion contraire est soutenue par M. Pardessus ;
mais cet honorable jurisconsulte résout la question et
ne la discute pas. On dirait qu’entraîné par les termes
de l’article 1872 , il lui suffit de trouver l’article 841,
au nombre de ceux auxquels renvoie le premier , pour
en admettre l’application nécessaire.
Ce résultat, que nous contesterions à l’endroit des so
ciétés civiles elles-mêmes, nous parait, à plus forte rai
son, inadmissible en matière de sociétés commerciales.
En principe , le retrait étant une mesure hautement ex
ceptionnelle , ne peut être étendu d’un cas à un autre ;
il doit être rigoureusement restreint dans la catégorie
des personnes expressément indiquées comme devant le
subir ou pouvant l’exercer.' Or , l’article 841 ne parle
que des héritiers, et l'article 1861 est muet sur le droit
prétendu des associés.
6 2 | . — T roisièm e
m odification
�304
DES SOCIÉTÉS
Le silence de ce dernier n’est pas seulement l’effet du
hasard. Les cessions d’intérêt peuvent, dans certains
cas , être d’un puissant secours pour les sociétés. C’est
dans cette prévision que le législateur a cru devoir s’en
occuper. Pouvait-il donc se faire que condamnant le
cessionnaire à courir la chance de perte , il ait voulu
lui enlever celle du bénéfice ? Il e s t, en effet, facile de
prévoir que le retrait ne sera exercé que dans cette der
nière hypothèse.
Ce résultat serait inique , surtout en matière com
merciale. Ce qui constitue le commerce , c’est Yaléa de
chaque opération. Celui-là donc qui est appelé à courir
la chance de perte ne saurait être privé de celle de pro
fiter du bénéfice. C’est ce que signifie le silence que
l ’article 1861 garde sur le retrait.
A ces raisons tirés du texte de la loi s’en réunit une
autre puisée dans son esprit. Le partage d’une succes
sion entraîne avec lui la divulgation forcée de tous les
secrets de la famille. La loi a donc agi fort sagement
lorsque , dans l’intérêt de celle-ci, elle n’a pas voulu
qu’un tiers vînt s’y initier , pour en abuser plus tard.
Dans cette circonstance, le retrait a une cause légitime
et sérieuse. Quel en serait le motif dans la liquidation
et le partage d’une société ? Le secret des opérations
commerciales ? On le comprend tant que dure la société;
mais celle-ci dissoute, il n’y a plus d’opératios, il n’y a
plus de commerce : il ne reste que des résultats bons
ou mauvais à partager. La présence d’un cessionnaire
�Aftî. 51 À 63.
m
de l’associé ne pouvait et ne devait alarmer personne.
Pourquoi donc l’écarterait-on ? 1
6 2 2 . — Q uatrième m odification : Inapplicabilité
de l'article 882. = Les créanciers ne peuvent atta
quer, comme fait en fraude de leurs droits, le partage
consommé. L’intérêt de la famille , le trouble que lui
occasionnerait la résiliation du partage, ont dicté cette
précaution au législateur.
L’attaque d’un partage social ne troublera jamais la
famille. Seuls, les associés verront compromis en leurs
mains des résultats que la fraude leur avait acquis, et
dont la perte n’aura par elle-même rien que de trèslégitime, que de très-juste.
Ce qui ne serait ni l’un ni l’autre, ce seraient les
conséquences qu’entraînerait le système contraire ; tout
acte faisant cesser l’indivision équivaut à partage. On
comprend dès lors que la nécessité d’échapper à de jus
tes réclamations se traduira entre associés par une ces
sion de droits , et qu’ainsi les créanciers auront perdu
le droit d’attaquer le partage , avant d’avoir pu l’exer
cer. N’est-ce pas surtout en vue de ce résultât que la
cour de cassation trouve q u e , prétendre que l’article
1872 a pour objet de rendre l’article 882 applicable
aux partages sociaux , c’est en blesser tout à la fois la
4 Troplong, n» 1059
m
Pardessus, n« 4085.
20
�306
DES SOCIÉTÉS
lettre et le sens. Elle se refuse, en conséquence, à sanc
tionner cette application l.
6 2 3 . — Cinquième m odification : Exception à la
règle de l'article 832. = La loi veut, en matière or
dinaire , que chaque lot comprenne , autant qu’il est
possible la même quantité de meubles, d’immeubles,
de droits ou de créances de même nature et valeur.
En matière commerciale et là où la totalité de l’actif
se compose d’un matériel et des effets en dépendant,
non-seulement on peut l’attribuer tout à un seu l, mais
encore on peut être contraint à le faire, sans indemnité
à l’autre associé.
La faculté existe lorsque, à la liquidation de la société
entre deux personnes, l’un des associés est reconnu cré
ancier de sommes importantes ; s’il demande à en être
payé au moyen du matériel de la société et des effets
mobiliers en dépendant, sa demande peut légalement
être accueillie 2.
L’attribution est forcée lorsque la société avait pour
objet l’exploitation d’une invention, devant, après dis
solution , faire retour à son auteur ; les autres associés
n ’ayant pas le droit d’exploiter ne recevraient qu’une
chose illusoire si on leur conférait une partie quelcon
que du matériel.
L’attribution est encore forcée lorsque la société,ayant
"» •
1 30 novembre 1834.
i Cassation, 89 mars 1836.
�ART.
%
51
A
63.
307
'
pouf objet un service ou une fourniture quelconque,
doit être continuée sans interruption d’aucun genre;
Or, la division d>u matériel amenant non pas seulement
une interruption , mais souvent une cessation complète,
il y a lieu de la repousser pour éviter le préjudice qui
en résulterait.
Dans une espèce jugée par la cour d’Angers , le 27
décembre 1843 , deux individus s’étaient associés pour
l’éclairage de la ville du Mans. L’un d’eux, n’ayant pas
rempli ses engagements, met l’autre dans la nécessité
de poursuivre la dissolution. Sur sa demande, les arbi
tres lui confèrent la totalité du matériel d'exploitation,
à la charge par lui de compter à son associé une som
me déterminée.
Cette sentence est frappée d’appel par celui-ci. Devant
la cour, il insiste principalement sur la nécessité d’une
liquidation effective , qui amènera la vente ou le par
tage du matériel d’exploitation ; mais l’arrêt qui inter
vint repousse cette prétention et confirme la sentence
arbitrale, attendu que, vu la nature spéciale de la so
ciété , la liquidation entraînerait indubitablement l’in
terruption du service, et placerait l’adjudicataire sous
le coup d’une condamnation ruineuse en dommagesintérêts L
Telles sont les modifications que subit le principe édicté par l’article 1872 du Code civil. On peuf donc di-
.
�308
DES SOCIÉTÉS
re, avec vérité, ce que la cour de Bruxelles constatait le
%% juin 1808, à savoir, qu’en matière de sociétés com
merciales , lorsque l’acte ne détermine pas la manière
dont se feront la liquidation et le partage, il convient de
suivre, à cet égard, l’usage du commerce plutôt que les
règles prescrites pour faire cesser l’indivision d’une
chose commune.
6 2 4 . — A part ces modifications, les règles du partage ordinaire conviennent assez à la société , et c’est
par leur application que se réalisent les opérations di
verses du partage. Ainsi la masse de l’actif composée, il
est procédé aux prélèvements dont elle est susceptible.
Ces prélèvements consistent dans ce qui peut être dû à
chaque associé, soit pour solde de son compte, soit pour
avances faites dans l’intérêt et pour compte de la so
ciété. Dans chacune de ces hypothèses , la créance de
l’associé constitue une dette que le liquidateur aurait dû
acquitter; à défaut, il doit y être pourvu par un prélè
vement.
6 2 5 . — Les associés ont-ils la faculté de prélever
leur mise de fonds? La question n’a aucun intérêt lors
que, les mises étant égales, le prélèvement devrait s’exer
cer dans les mêmes proportions pour tous les associés.
La difficulté ne peut naître que dans le cas de mises in
égales, ou de la coexistence d’associés bailleurs de fonds
et d’autres simples industriels n’ayant d’autre mise que
leur industrie même.
�En principe, ce prélèvement n’est pas dans la nature
des choses. En effet, dans les sociétés ordinaires, cha
que associé pei d la propriété de l’apport qu’il fa it, et
la réunion des mises forme le fonds capital , c’est-àdire l’objet qui va être exploité et qui est destiné à être
partagé après la dissolution de la société. Donc , cha
que associé a le droit de se le faire attribuer à propor
tion de son intérêt social. Il n’y a pas plus de raison
pour le prélèvement de la mise en faveur des associés
bailleurs de fonds, qu’il n’y en aurait en faveur des in
dustriels. Ceux-ci o n t, en réalité , une mise de fonds
qu’ils réalisent, en apportant dans la société une indus
trie qui , partout ailleurs, leur procurerait un salaire.
Ils contribuent donc , par la perte qu’ils font de ce
lui-ci.
On ne devrait donc accorder le prélèvement de la
mise que si l’acte social le stipulait : cette clause, quel
que inégalité qu’elle établisse, n’en est pas moins vala
ble; elle devrait donc être exécutée. Dans le silence du
pacte, les effets ordinaires de l’indivision demeurent obli
gatoires.
Cette règle comporte exception. Le prélèvement de la
mise, quoique non stipulé , devrait être accordé à celui
qui l’a réellement versée , si tous les autres associés
n’ont pas encore rempli leur obligation. Sans doute ces
derniers seraient, dans ce cas , débiteurs du capital et
des intérêts, et cette créance appartiendrait à ceux qui
auraient tenu leurs engagements. Mais ceux-ci peuvent
ne pas vouloir recourir à des voies d’exécution , atten-
�310
DES SOCIÉTÉS
dre un versement ultérieur plus ou moins problémati
que; ils pourront donc prélever sur l’actif une somme
égale à celle due par chaque associé , afin de rentrer
dans les voies d’égalité que la loi et la raison comman
dent sur cette matière l.
D’ailleurs , dans celte hypothèse, le prélèvement ne
serait que la conséquence de cette autre règle, à savoir,
que le rapport peut être fait en moins prenant. Or, les
associés débiteurs de leur mise de fonds, et tenus de la
rapporter, rempliraient celte obligation en recevant
moins que les autres associés non soumis à rapport.
Le prélèvement devrait encore être autorisé si le paie
ment de la mise de fonds, allégué par un associé, n’é
tait pas prouvé par lui. Ainsi, la cour de cassation dé
cidait, le 17 février 1830, que lorsque des associés gé
rants ne justifient pas de leur mise sociale , et refusent
même de produire leurs livres, le coassocié non gérant
peut, à la dissolution de la société, être autorisé à pré
lever sa mise, légalement constatée, sur le prix de vente
du fonds social, à l’exclusion des autres associés.
626.
— Les prélèvements opérés, ce qui reste de
l’actif se partage dans les proportions de l’intérêt de
chaque partie. Les marchandises restant, les meubles et
effets mobiliers invendus se divisent en lots aussi égaux
que possible , et sont attribués conventionnellement ou
par voie du sort.
i Pardessus, n° 1080.
�art.
51
a
63.
311
Les créances encore dues sont ordinairement rangées
en trois catégories : les bonnes, les douteuses, les mau
vaises. On en forme des lots comprenant une part égale
des unes et des autres, et ces lots sont attribués comme
ceux de la marchandise et des effets mobiliers.
Il arrive quelquefois que les créances douteuses et
mauvaises sont cédées à un des associés, qui s’en charge
moyennant un prix convenu; dans ce cas, elles restent,
pour la totalité, à ses risques et périls.
Quant aux immeubles, ceux qui ne sont pas suscep
tibles d’être partagés sont vendus. Ceux qui sont par
tageables se divisent en lots et sont attribués aux as
sociés.
627.
— Toutefois et pour ce qui concerne le mobi
lier , une distinction est à faire entre les meubles pro
prement dits, et les marchandises. Le partage en nature
des premiers répond à la destination qui leur est natu
rellement affectée. Ils n’ont été achetés que pour être
jouis, et cette jouissance ne perdra aucun de ses carac
tères inoffensifs de ce que au lieu d’être exercée collec
tivement et en commun , elle se divisera entre les inté
ressés , et se réduira pour chacun d’eux h la part qui
lui sera obvenue. On ne devrait donc pas s’arrêter à
l’opposition que ce partage en nature rencontrerait, il
s’impose à tous.
Il ne saurait en être de même des marchandises fai
sant l’objet du commerce que la société exploitait. L’a
chat de ces marchandises n’avait d’autre but que leur
�312
DES SOCIÉTÉS
revente, et la dissolution de la société n’a ni modifié ni
pu modifier ce but que relativement au mode et au dé
lai de cette revente Chaque associé d’ailleurs ne rece
vrait sa part que pour s’en défaire , et en attendant
qu’il pût y parvenir, la possession de ces marchandises
serait pour lui un embarras et pourrait devenir l’occa
sion d’une perte plus ou moins considérable. On ne
saurait imposer cette chance à celui ou à ceux qui ne
voudraient pas la subir.
Le partage en nature des marchandises n’est donc ad
missible que si tous les intéressés le demandent ou l’ac
ceptent; à défaut et n’y eût-il qu’une seule opposition,
il doit être repoussé et la vente ordonnée.
628.
—; Voici en quels termes le tribunal de com
merce de Marseille, qui se prononçait en ce sens le 13,
novembre 1862, motivait son jugement :
<< Attendu que la société qui a existé entre les sieurs
» Moirenc, Rossolin frères et Bartoli, et dont ce dernier
» a été nommé liquidateur, avait pour objet l’achat en
» gros et la revente au détail de marchandises di» verses;
» Qu’à des sociétés de ce genre ne sont pas applica» blés les règles du Code civil sur le partage des biens
» d’une succession entre héritiers, à raison des fins dif» férentes qu’on doit se proposer dans la liquidation
» d’une hoirie et dans celle d’une société commerciale ;
» Que la première a pour fin la transmission aux
» héritiers, suivant les droits de chacun, d’un ensemble
�ART.
51
a
63.
313
» de biens ; et l’autre l’achèvement d’un commerce qui
» n’a lieu que par la revente de toutes les marchandises
» achetées ;
» Attendu que le partage en n atu re, demandé par
» Moirenc , des marchandises restant à la société dis—
» soute , ne pourrait donc être effectué que du consen» tement des autres parties.1 »
Il y a dans ces motifs un aperçu extrêmement juste
et qui ne permet pas de douter du caractère juridique
du jugement.
La dissolution de la société doit être pour les asso
ciés comme pour l’être moral l’achèvement du commer
ce. On ne saurait admettre que ceux qui, dans le but de
renoncer aux affaires, rompent la société , pussent être
contraints de continuer pendant un temps plus ou moins
long de se livrer au commerce.
N’est-ce pas ce qui résulterait forcément du partage
en nature des marchandises ? N’est-ce pas pour les re
vendre que chaque associé en recevrait sa part. Faudrat-il qu’il tienne magasin ouvert, ou qu’il coure les foi
res et marchés ? Sera-t-il de plus condamné à voir la
marchandise en ses mains se défraîchir et se démoder,
et à courir la chance d’une perte énorme,
Sans doute il pourrait vendre en bloc , mais ici le
danger devient plus imminent encore. Les acheteurs
spéculant sur la nécessité où il se trouve de vendre et
1J o u r n a l
de M a r s e ille ,
62, 1, 319.
�314
DES SOCIÉTÉS
de vendre promptement ne lui imposeront-ils pas le
plus onéreux sacrificë ?
Donc l’associé qui pour se soustraire à cet embarras
et à ce danger repousse le partage en nature, agit dans
un intérêt réel, sérieux , légitime , exerce un droit qu’il
puise dans la nature des choses, et qu’on ne saurait re
pousser sans méconnaître la raison, l’équité et la jus
tice.
629.
— Doit-on comprendre dans les valeurs à
vendre et à partager l’exploitation d’un brevet d’inven
tion dont le titulaire s’est réservé la propriété ?
La négative ne saurait être douteuse si la société n’est
dissoute qu’à l’expiration du terme convenu. Evidem
ment l’exploitation du brevet ne lui a été concédée que
pendant sa durée ; celle-ci expirant, cette exploitation
lui redevient étrangère et rentre dans la possession ex
clusive du titulaire du brevet. Remarquons , en effet,
que ce qui constitue l’apport de celui-ci n’est pas l’ex
ploitation indéterminée , mais l’exploitation pendant
cinq , dix ou vingt ans , selon que la société doit durer
cinq , dix ou vingt ans. On ne saurait donc exiger de
lui rien autre chose.
Le doute naît dans l’hypothèse où la société, par une
cause quelconque , vient à se dissoudre avant le terme
convenu. Alors, en effet, la société n’a pas exercé son
droit en son entier. Elle est évidemment créancière de
l’exploitation pendant le temps qui restait à courir; et
pourquoi les coassociés ou les créanciers se verraientils enlever le bénéfice de cette créance ?
�ART.
5t
A
63.
315
On objecte que conférer ce bénéfice aux uns ou aux
autres, ce serait dépouiller le titulaire du brevet du pri
vilège exclusif que lui assure son titre. Ce privilège , en
effet, ne consiste ni dans le brevet en lui-même , ni
dans l’invention théoriquement envisagée; il est tout
entier dans l’exploitation qui fait produire à celle-ci les
produits dont elle est susceptible. Donc conférer, même
momentanément, cette exploitation à des tiers contre la
volonté du titulaire du brevet et malgré son opposition,
n’est-ce pas l’exproprier de son droit et méconnaître
les effets légaux du brevet ?
Il est certain que tel est le caractère du transfert à
des tiers de l’exploitation du brevet. Mais on ne saurait
envisager à ce point de vue celui que le titulaire du bre
vet consentirait lui-même. Or , n’est-ce pas ce qu’il a
fait lorsque librement et volontairement il a mis en so
ciété l’exploitation de son brevet ?
Dès ce moment, en effet, celte exploitation a consti
tué sa mise de fonds en considération de laquelle ses
coassociés ont apporté une somme d’argent plus ou
moins considérable suivant que l’exploitation était con
cédée pour un temps plus ou moins long. Or , si ces
dernières mises de fonds sont devenues la propriété de
l’être m oral, pourrait-il en être autrement de la mise
de fonds du breveté ? Lui permettre de la reprendre a vant l’expiration du terme convenu , et alors que l’ap
port des autres associés consommé ne pourrait être res
titué , ne serait-ce pas briser cette égalité absolue qui
doit régner entre associés ?
•
�316
DES SOCIÉTÉS
Aussi la cour d’Aix jugeait-elle, le 7 avril 1865, que
lorsque , de deux associés , l’un apporte en société une
somme d’argent, l’autre le droit exclusif à l’exploitation
d’un brevet, en stipulant toutefois qu’il se réserve la
propriété de ce brevet , quoi qu’il puisse arriver , cette
dernière clause ne doit pas sortir à effet en cas de dis
solution avant term e, et alors surtout que la somme
d’argent formant l’apport de l’autre associé a été em
ployée au profit de la société. Le droit à l’exploitation
du brevet étant réputé former un apport égal à la som
me versée par le coassocié , d o it, comme cette somme
elle-même , faire partie de l’actif social, et être vendu
aux enchères pour entrer dans la liquidation de cet
actif.
Le tribunal de commerce de Marseille l’avait ainsi
décidé , et voici en quels termes il avait motivé sa dé
cision :
« Attendu que la société devait durer jusqu’au 31
» décembre 1883, soit pendant vingt ans, et que c’était
» pendant tout cet espace de temps que le droit ex» clusif à l’exploitation du brevet lui était attribué ;
» Qu’en transmettant ce droit à la société pour cette
» période de temps , le sieur Charavel entendait évi—
» demment, avec l’appoint d’un matériel qu’il versait
» également dans la société pour une valeur déiermi» née, faire un apport égal à l’apport en argent de son
» coassocié ;
» Que dès lors ces deux apports ne devaient être
» réellement égaux qu’autant que la société profile-
�ART.
51
A
63.
317
» rait pendant vingt ans du droit exclusif à l’exploi» tation ;
» Attendu que , s’il était permis au sieur Charnel,
» en l’état de la dissolution survenue avant terme , et
» alors que, tout au moins, une partie considérable de
» l’argent versé par son coassocié a été employé en
» travaux sociaux , de reprendre ce droit à l’exploi—
» tation , avant la période prévue, il se trouverait en
» réalité n’avoir fait aucun apport sérieux etégal à celui
» de son coassocié ;
» Que ce résultat serait injuste, puisqu’il tendrait à
» établir une inégalité certaine et incontestable entre
» les associés, non expressément stipulée ;
» Que l’un d’eux , le sieur Flugel , serait exposé à
» voir le capital par lui engagé compromis ou perdu,
» alors que la contre valeur de ce capital, soit le droit
» à l’exploitation , resterait au sieur Charavel, lequel
» pourrait en disposer immédiatement à son gré ;
» Qu’ainsi disparaîtrait, par le fait du sieur Chara» vel, non-seulement la garantie du sieur Flugel, mais
» encore celle des créanciers de la société, dont le droit
» est d’être payés sur tous les biens matériels ou imma» tériels de cette société existant à l’ouverture de sa li» quidation et ayant une valeur ;
» Que le droit à l’exploitation est une de ces valeurs,
» et que ni le pacte social , ni l’équité, ni la loi n’au» torisent de l’en distraire au profit du sieur Chara» vel. »
Appel fut émis de ce jugem ent, et devant la cour,
�*
318
DES SOCIÉTÉS
s’étayant de la réserve de la propriété du brevet, on
soutenait que la dissolution , qui d’ailleurs causait un
grave préjudice au sieur Charavel, n’avait pu avoir pour
effet d’anéantir le bénéfice de cette réserve , ce que ce
pendant le jugement consacrait.
Mais la cour confirme le jugement. Elle considère
que : « le droit à l’exploitation exclusive d’un brevet
» peut être mis dans le commerce , et devenir l’objet
» d’une stipulation et par suite d’un apport social ;
» Qu’en cas de liquidation d’une société, les apports
» sociaux doivent être réalisés, et, quelle que soit leur
» origine, devenir la base du compte à établir d’abord
» entre les créanciers, ensuite entre les membres de la
» société;
» Que Charavel ne peut se plaindre, ni de ce que la
» réserve de la propriété du brevet est devenue com» plètement illusoire par suite de stipulations sous l’em» pire desquelles il l’a volontairement placé, ni des ef» fets d’une dissolution également préjudiciable à son
» associé, et qui aurait pu se réaliser dans telles éven» tualités où cette réserve serait sortie à effet.1 »
•
\
630.
— Ce dernier motif ne pêche pas par excès de
clarté et laisse réellement beaucoup trop à deviner, re
proche qu’on ne saurait adresser aux motifs du juge
ment. Quoi qu’il en soit , comme arrêt de principe , la
décision de la cour d’Aix nous paraît essentiellement
i Journal
de M a r s e ille ,
65, 4, 46 ;
66, 4, 47.
�ART.
51
A
63.
juridique. Est-elle également à l’abri de toute critique
sous le rapport de l’appréciation des faits ? Nous en
doutons.
La conséquence qu’il tire de la mise en société pure
et simple du droit à l’exploitation exclusive du brevet
est irréfragable. Mais comment la consacrer et l’admet
tre si le pacte social stipule le contraire ?
La légalité de la clause qui restituerait ce droit au
titulaire du brevet, à quelque époque que se réalisât la
dissolution, ne saurait faire la matière d’un doute. Cette
convention serait valable entre associés, parce que, bien
qu’il puisse en résulter une inégalité dans les apports,
cette inégalité ne va pas jusqu’à constituer la société lé
onine sévèrement proscrite par la loi ; elle lierait les
tiers si une publicité régulière l’a portée à leur connais
sance, et les a mis à même de se prémunir contre ses
effets.
Or, cette convention contraire existait dans l’espèce.
On remarquera , en effet, que le titulaire du brevet ne
s’éiait pas borné à s’en réserver la propriété. Il avait
stipulé cette réserve q u o i q u ’i l a r r i v e .
L’objet de cette réserve ne pouvait être que le droit
d’exploitation exclusive. La mise en société se bornant
au droit d’exploitation et laissant en dehors la propriété
du brevet, il ne pouvait venir à l’esprit de personne
que cette propriété pût être revendiquée par qui que ce
fût, et qu’une réserve pût être nécessaire. Evidemment
donc que sous le nom de propriété que conservait la ré-
�320
DES SOCIÉTÉS
serve stipulée, on entendait le droit à l’exploitation exclu
sive seul momentanément aliéné.
D’autre part les termes quoi qu'il arrive ne peu
vent s’entendre autrement que comme se référant à l’hy
pothèse d’une dissolution anticipée et imprévue. Que
pouvait-il arriver si la société se continuait jusqu’au
terme fixé pour sa durée ? Est-ce que ce terme expi
rant, le droit d’exploitation du brevet ne faisait pas na
turellement retour au titulaire de ce brevet ? Est-ce que
les anciens associés auraient pu élever à ce sujet la
moindre prétention ?
Il n’était donc besoin d’aucune réserve et si celle faite
dans l’acte de société n’avait pas d’autre objet, elle était
complètement inutile, et personne ne pouvait se faire la
moindre illusion à ce sujet.
En conséquence , si elle a été formulée , c’est qu’elle
avait en vue un événement qui pouvait la rendre néces
saire, et cet événement que pouvait-il être sinon une
dissolution anticipée de la société.
Nous croyons donc que si en droit la réclamation du
sieur Charavel ne pouvait être accueillie , elle était par
faitement justifiée en fa it, et qu’à ce point de vue il y
avait lieu à y faire droit.
6 5 1 . — Le partage ainsi exécuté produit entre as
sociés les mêmes effets qu’entre cohéritiers. Ainsi ils se
doivent mutuellement garantie ; celui qui serait évincé
de l’immeuble par lui reçu pourrait revenir contre ses
coassociés. L’indemnité qu’il obtiendrait constituerait
�une créance privilégiée sur les immeubles ayant appar
tenu à la société; il serait donc payé de préférence aux
créanciers personnels des coassociés L
La garantie entre associés s’applique également au
paiement de la soulle stipulée en faveur de l’un d’eux.
Cette garantie crée un privilège sur les biens partagés,
mais sa conservation est soumise aux formalités ordi
naires, et notamment à l’inscription dans les formes et
délais déterminés par l’article 2109 du Code civil.
De quel jour court ce délai ? Est-ce du jour de la
liquidation seulement, ou de celui du partage et de la
licitation ?
La cour de cassation s’est déterminée dans ce der
nier sens ; ce qui motive la solution, c’est que la liqui
dation, comme le faisait remarquer M. l’avocat général
Delangle , peut se faire attendre pendant dix ou vingt
ans ; que dès lors l’esprit de la loi, qui veut que le sort
des propriétés soit fixé promptement, qu’aucune sur
prise ne puisse exister à l’égard des tiers,serait mécon
nue et violée par le système contraire2.
Cet arrêt , intervenu en matière ordinaire , 'régit les
partages entre associés par une identité déraisons incon
testable. L’associé créancier d’une soulte doit donc in
scrire dans les soixante jours ; ce délai commence à
courir de la licitation ou du partage.
1 Cassation, 20 mai 1824.
2 Cassation, 15 juin 1842 ; — D. P., 42, 1, 26.
III
�\
322
DES SOCIÉTÉS
632.
— Le partage entre associés est régi par l’ar
ticle 883 du Code civil. Il est donc déclaratif et non
translatif de propriété ; par une conséquence naturelle,
l’associé est censé avoir toujours possédé les immeubles
qui lui sont échus par le partage.
Le principe de la rétroactivité du partage n’a été contes
té par personne ; des difficultés se sont seulement élevées
sur son étendue. M. Duvergier n’admet la rétroactivité
que jusqu’au moment de la dissolution de la société,
de même qu’en matière successorale la propriété de
l’héritier n’est censée remonter qu’au jour de l’ouver
ture de la succession.
Telle est aussi l’opinion de M. Delangle. Ce n’est qu’à
la fin de la société , dit cet éminent m agistrat, que la
communauté s’établit entre associés : comment la ré
troactivité, dès lors, dépasserait-elle cette limite ? Il n’en
faut pas davantage , au surplus, pour la conservation
des dïoits de chacun. La supposition qu’à l’instant mê
me où la dissolution s’opère, chacun est investi des
biens que lui attribue le partage , fait tomber tous les
droits réels qu’un des copartageants aurait conférés an
térieurement sur ces biens. La chose passe directe
ment de l’être moral à l’associé, quel intérêt d’aller au
delà ? 1
633.
— M. Troplong combat énergiquement cette
doctrine. Il répond que l’indivision n’existe pas seule-
i N° 707.
�ment à la dissolution de la société ; elle existe pendant
la durée de celle-ci, non pas à l’état de fiction, comme
on l’a prétendu , mais réellement et incontestablement.
La vérité est que chaque communiste est copropriétaire
dans tout et dans chaque partie; son droit est répandu
dans chaque parcelle de la chose ; mais il n’est pas pro
priétaire du tout et de chaque partie ; il. n ’est pas pro
priétaire pour le tout (in solidum j, autrement il se
rait le seul maître de la chose, il ne serait pas en com
munauté , il ne serait pas dans l’indivision , une même
chose ne peut pas appartenir pour le tout à deux maî
tres; la propriété est un droit exclusif, et aucune fiction
ne peut lui enlever ce caractère ; donc, qui dit droit in
divis dit un droit partiel, qui ne peut disposer que pour
partie de la chose sur laquelle il repose.
Il n’y a donc ici de fiction que dans les effets attribués au partage par le droit français ; cette fiction ren
verse la réalité de l’indivision L M. Troplong conclut
donc que la rétroactivité remonte jusqu’au moment de
la constitution de la société , de telle sorte que l’asso
cié, recevant un objet par le partage , est censé l’avoir
reçu directement de celui qui l ’avait apporté dans la
société.
634.
— Cette doctrine de M. Troplong paraît plus
juridique ; elle s’assortit mieux à la réalité des choses'.
Sans doute, la société, être m o ral, est distincte des in i N» 1066.
�324
DES SOCIÉTÉS
dividus , mais tant qu’elle existe , et à condition qu’elle
existe. La société dissoute, tout est anéanti ; il n’y a ja
mais eu qu’une indivision que le partage va faire ces
ser à son tour.
L’intérêt d’aller au delà de la dissolution est flagrant
et incontestable; il se décèle surtout dans l’hypothèse
suivante.
Un associé donne hypothèque , avant la dissolution,
sur un immeuble social ; celte hypothèque est inscrite
par le créancier également avant la dissolution. Plus
tard, la dissolution et le partage ont lieu, et l’immeuble
hypothéqué tombe au lot de celui qui a consenti l’hy
pothèque. Est-ce que celle-ci ne sera pas valable? Estce que, par la date de son inscription , elle ne primera
pas celle que le même associé peut avoir consenti le
même jour du partage ? On n’oserait contester l’un et
l’autre. Mais alors comment concilier cet effet avec la
doctrine que nous combattons? D’après celle-ci , l’hy
pothèque aurait été consentie par un autre que le pro
priétaire; elle aurait été inscrite avant que cette qualité
eût été acquise ; on devrait donc l’annuler. Son main
tien indique donc que l’effet déclaratif du partage remonte
plus haut que la dissolution.
Sans doute , les biens partagés seront soumis aux
charges dont la société a pu les grever. Cela s’explique
par l’excellente raison que voici : c’est que les dettes de
la société sont celles de tous les associés personnelle
ment ; que dès lors leur actif est en entier le gage de
ceux à qui elles sont dues.
�ART.
SI
A
63.
325
Il est vrai encore que les créanciers de la société au
ront sur l’actif de celle-ci un privilège sur les créanciers
personnels des associés , mais ce privilège suppose que
tout est distinct et séparé entre les intérêts sociaux et
les intérêts des sociétaires ; qu’on peut voir évidemment
deux personnes bien distinctes : la société d’une part, et
les individus sociétaires de l’autre.
En conséquence , si la dissolution est venue effacer
ces distinctions ; si le partage a fait évanouir l’actif so
cial, les réclamations des créanciers de l’ancienne so
ciété n’ont plus de privilège. Sur quoi s’exercerait-il,
en effet? Il n’y a plus d’actif social ; il s’est fondu dans
celui personnel des associés ; il ne peut donc plus y a voir qu’une seule nature de droit. C’est ce que recon
naissait la cour de Grenoble , dans une espèce où la
question de privilège était engagée l .
Il faut donc reconnaître , avec M. Troplong , que la
rétroactivité du partage va jusqu’au moment de la con
stitution de la société. La propriété du copartageant a
existé pendant la durée de la société; seulement son
droit d’en disposer était suspendu par l’engagement so
cial qu’il avait souscrit. La dissolution effaçant celui-ci
lui rend son droit de propriété dans toute son étendue,
ainsi que la faculté d’en disposer.
655.
— Le partage entre associés est régi par la
disposition de l’article 887 du Code civil. Il peut donc
.
1 1«juin 1834.
�326
Ml
Ôt«;
DES SOCIÉTÉS
t ••
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' •
•
.
être attaqué , pour cause de lésion de plus d’un quart,
et rescindé , si la lésion existe. On sait qu’aux termes
de l'article I 304 , le délai de cette action dure dix ans,
du jour du partage.
L’application rationnelle de cette règle veut qu’on
tienne compte de deux observations relatives : la pre
mière à l’existence de la lésion, la seconde au délai dans
lequel l’action doit être intentée.
La lésion ne saurait jamais naître de ce que le par
tage n'aurait pas compris l’universalité des objets à par
tager. La découverte d’objets omis donnerait lieu à un
partage supplémentaire.
En principe , est non recevable la demande en par
tage d’un objet particulier de la société , avant que la
consistance de l’actif social ait été établie, et qu’il ait été
procédé à la liquidation et au règlement des comptes.
Mais le droit en cette matière est susceptible de nom
breuses exceptions. Il arrive souvent que les dettes étant
payées , on partage partiellement ce que la liquidation
rend disponible.
S’il a été fait des partages partiels, il est évident que
la lésion ne saurait résulter que du calcul reconnaissant
pour base l’ensemble d^ ces partages. Ce n’est pas parce
qu’il a reçu moins dans tel partage qu’un associé sera
lésé , jl a pu .recevoir en plus dans un autre. Il faut
donc réunir tout ce qui lui a été attribué, et il n’y aura
lésion capable d’amener la rescision du partage, que si
cette réunion laisse la portion qu’il a reçue inférieure de
�art.
51
a
63.
327
plus du quart à celle qu’il devait recevoir ; c’est ce que
la jurisprudence a consacré l .
V
6 3 6 . — Relativement au délai, on ne doit pas con
fondre le partage ordinaire avec le règlement pouvant
surgir de l’application de l’article 1854 du Code civil.
On sait que celui-ci permet de laisser la détermination
des parts à l’arbitrage d’un associé ou d’un tiers. On
sait encore que , sauf stipulations contraires , la part
réglée pour l’apport détermine celle dans les profits et
pertes.
Or, cette détermination de part ne peut être querellée
pour cause de lésion. La loi ne permet de l’attaquer que
si elle est évidemment contraire à l’équité. Dans ce cas
même , toute attaque serait non recevable si le règle
ment avait reçu -un commencement d’exécution , ou si,
le connaissant, l’associé avait laissé écouler plus de trois
mois sans réclamer.
La rescision du partage entre associés peul également
être poursuivie pour cause de violence, de dol, de fraude
ou d’erreur. L’action est dans «ce cas souverainement
réglée, pour sa durée et son point de départ, par la dis
position de l’article 1304.
6 3 7 . — Que la rescision soit obtenue pour lésion
ou pour d o l, fraude, violence ou erreu r, le résultat est
le même ; mais il importe de les distinguer à l’endroit
. 1 Cassation, 17 avril 1841. — D. P., 41, 1, 219.
�328
DES SOCIÉTÉS
de la fin de non- recevoir , créée par l’article 892 du
Code civil.
Ainsi l’associé qui a aliéné son lot en tout ou en par
tie , depuis la cessation de la violence ou la découverte
de l’erreur, du dol ou de la fraude , ne peut plus atta
quer le partage. Cette aliénation est une exécution de
l’acte, et comme elle a été faite en connaissance de cause,
elle équivaut à une ratification expresse.
L’aliénation totale ou partielle ne saurait jamais con
stituer une fin de non-recevoir contre la demande en
rescision pour lésion. Nulle part la loi ne s’en est ex
pliquée ; ce qu’elle a fait pourtant expressément pour le
dol ou la fraude. Ce silence est une négation. En effet,
les fins de non-recevoir étant des exceptions de droit
étroit ne sauraient être suppléées l.
6 5 8 . — Il e s t, dans toutes sociétés commerciales,
des objets qui ne peuvent, qui ne doivent pas être par
tagés.
Ne doivent pas l’être les choses qui n’ont été appor
tées dans la société que pour l’usage; chaque associé
les reprend si elles existent, ou si des stipulations ex
presses n’en ont pas autrement ordonné. Par applica
tion de cette règle , il a été jugé qu’à la dissolution de
la société, chaque associé reprend l’intérêt qu’il avait
dans d’autres sociétés , et qui n’était entré dans la so-
i Bordeaux, 29 juin 1829; Cassation, 8 février 1841. — D. P,, 41,
�ciété dissoute que par suite de l’interdiction que les as
sociés s’étàient imposée de prendre part à aucune en
treprise commerciale 1.
638 bis. — Ne peuvent être partagés les livres et écritures, les marques de fabrique, les estampilles de la
marchandise.
Les livres et écritures doivent rester déposés dans les
mains d’un liquidateur, ou de tel autre associé désigné.
Chaque associé a un intérêt bien réel à les consulter ;
celui , par exemple , de faciliter la rentrée des créances
obvenues à son lot. Il est juste, dès lors, qu’ils soient à
leur disposition. En conséquence, quel qu’en soit le dé
positaire , il ne pourra jamais , et sous aucun prétexte,
leur en refuser la communication.
Les marques de fabrique et estampilles des marchan
dises sont une propriété quelquefois fort importante.
Elles sont ordinairement laissées aux associés continua
teurs de l’exploitation, qui ne peuvent, à leur tour, en
faire un usage loyal qu’après avoir indiqué la modifi
cation résultant de la dissolution.
Mais celle-ci peut n’avoir pour cause qu’un dissenti
ment , et les divers associés peuvent être dans l’inten
tion de continuer le commerce , chacun de son côté.
Dans cette hypothèse, on a recours à l’un des deux moy
ens suivants :
Ou l’on s’en remet à la décision du sort ; ou bien es-
1 Rennes, 4 février 1849.
�330
DES SOCIÉTÉS
timée à un prix déterminé , la propriété des marques et
estampilles est licitée entre associés et adjugée au plus
offrant.
Aucune difficulté ne pourrait naitre si le créateur du
commerce spécial ayant apporté ces marques et estam
pilles dans l’association s’était réservé le droit de les re
prendre. Cette clause de l’acte devrait recevoir exé
cution.
6 5 9 . — La réalisation du partage , signalant la fin
de la liquidation , impose au liquidateur le devoir de
rendre compte de sa gestion. A l’endroit de celte reddi
tion, on ne doit pas oublier que le liquidateur est assi
milé au mandataire. En conséquence, ses obligations et
ses droits sont réglés par les principes édictés pour ce
lui-ci.
La loi n’oblige pas le liquidateur à faire inventaire à
son entrée en fondions , mais la prudence le lui com
mande. L’obligation de restituer réellement tout ce qu’il
a reçu , ou d’en représenter la valeur, indique combien
il importe d’éviter toutes difficultés sur ce qui aurait été
ou non reçu. Or , l’inventaire arrive précisément à ce
résultat.
Le liquidateur répond de la faute , et cette faute est
plus sévèrement appréciée s’il est salarié que s’il ne
l’est pas. Mais, dans les deux hypothèses, il est garant
des déchéances et des prescriptions qu’il laisse acquérir
contre la société; du préjudice résultant de l’insolvabi
lité postérieure du débiteur qu’il aurait négligé de pour
suivre.
�Le liquidateur a droit d’être relevé de tout ce qu’il a
fait en cette qualité ; il doit être remboursé de 'ses sa
laires, avances et frais par les associés, qui en sont so
lidairement tenus 1.
Il y a mênqie p lu s , dans certaines circonstances les
actes du liquidateur obligent les créanciers eux-mêmes,
ils acquièrent sur eux un privilège pour le paiement de
ce qui peut lui être dû en cette qualité. C’est ce qui ne
saurait être contesté , par exemple , pour les frais faits
pour la conservation de la chose. Or, lorsque le liqui
dateur a été chargé d’exploiter l’établissement jusqu’à
la vente, tout ce qu’il fait pour cette exploitation, tous
les engagements qu’il contracte dans cette destination
sont réellement censés faits et souscrits pour la conser
vation de la chose ; il doit en être indemnisé de préfé
rence aux créanciers eux-mêmes2.
640. — Toutes les contestations auxquelles la liqui
dation et le partage peuvent donner lieu d’associé à as
socié , toutes les actions en règlement intentées contre
ceux-ci par le liquidateur constituent des contestations
sociales régies par notre article 51, et sont conséquem
ment de la compétence des arbitres.
Cette règle p a ra ît, au premier aspect, s’écarter de la
raison. La liquidation suppose que la société est dis
soute ; or il semble naturel d’admettre que l’article 51
1 Cassation, 47 juin 1833,
2 Paris, 16 décembre 184 ;
�332
DES SOCIÉTÉS
n’a disposé que pour le cas d’une société existante, et
lorsque les choses sont encore entières, et non lorsqu’il
y a eu dissolution de la société et règlement des comptes
sociaux L
644.
— Cette manière d’entendre l’article 51 es
rationnelle, en effet, et la-règle que nous invoquons est
loin de le méconnaître. Ainsi , si après la dissolution
de la société les parties procèdent amiablement au rè
glement de leurs comptes, la dette provenant de ce rè
glement n’a plus rien de social. Conséquemment, les
difficultés que le paiement poursuivi peut faire surgir
doivent être portées devant le tribunal de commerce,
quoique le défendeur excipât d’erreurs commises dans
le règlement social. Dans ce cas, dit la cour de Colmar,
il ne s’agit pas du règlement do compte entre associés,
mais bien du paiement d’une somme reconnue due par
un commerçant à un commerçant, en vertu d’un compte
arrêté.
*
L’arrêt continue : que si, malgré ce compte ainsi ar
rêté, il ys avait nécessité de renvoyer les associés devant
le juge naturel qu’ils auraient eu , si le compte n’avait
pas été réglé, il dépendrait de la résistance du débiteur
de faire cesser tout l’etfet du compte, et de faire régler
de nouveau par arbitres , bien qu’il l’ait été précédem
ment par les parties , que tel n’est point le vœu de la
4 L’abrogation de l’article
commerce.
attribue juridiction au tribunal de
�art.
51
a
63.
333
loi, qui ne prescrit le règlement par arbitres que lorsque
le compte n’a pas été réglé à l’amiable par les parties
elles-mêmes h
642. — Ainsi la société venant à se dissoudre , les
associés ont la faculté de liquider et régler aimable
ment; de suivre les voies d’une liquidation ordinaire, et
de soumettre leur règlement à des arbitres. Le choix
fait, tout retour est impossible , on ne peut invoquer
plus tard un arbitrage auquel on a légalement et trèsvolontairement renoncé. Tout est donc fini par le rè
glement amiable.
Mais choisir la voie de la liquidation ordinaire,
charger les arbitres du règlement des comptes, c’est ar
river juridiquement à deux résultats indiqués par la na
ture même des choses. La liquidation continue en quel
que sorte le lien social que la dissolution a relâché sans
le rompre. Toutes les contestations qu’elle fait naî
tre revêtent donc le double caractère exigé par l’arti
cle 51, alors même quelles seraient relatives au règle
ment qui aurait été provisoirement fait des droits de
chacun ; elles sont dès lors passibles de la juridiction
arbitrale2.
Le second résultat est que les comptes ayant été ré
glés par les arbitres, c’est devant eux que la demande
1 Colmar , 31 décembre 1839; — J. du P., 40, 1, 44b. — Voy.
Bordeaux, 23 juillet 1840 ; — J du P., 40, 2, 714.
2 Douai, 17 juillet 1837;— Cassation, 26 janvier 1841; — J. du P.,
38, 1, 106; 42, 1, 644.
�334
DES SOCIÉTÉS
en exécution devra être portée , toutes les fois que cette
demande fera naître l’exception d’erreurs ou d’omissions.
Une exception de ce genre constitue une demande en
révision de compte, tout au moins en rectification ; elle
doit dès lors être forcément déférée au juge qui a pro
cédé au règlement attaqué l.
643.
— Cela étant d’associé à associé , comment
pourrait -on soustraire à la juridiction arbitrale les ac
tions intentées contre les associés par le liquidateur?
Celui-ci , alors même qu’il demande , dans son intérêt
personnel, le remboursement de ses avances, n’agit-il
pas pour le compte de la société, à la décharge des as
sociés eux-mêmes ? Dès lors il en exerce réellement les
actions, aux termes de l’article 1166, et il se trouve sou
mis à la juridiction à laquelle eux-mêmes seraient con
traints de s’adresser.
Ainsi il a été jugé qu’il y avait contestation entre as
sociés et à raison de la société , et conséquemment lieu
à l’arbitrage forcé lorsqu’un liquidateur, même non as
socié , investi du pouvoir de poursuivre , au nom de la
société , le remboursement de toutes les sommes à elle
dues, et qui s’est chargé d’éteindre la dette sociale, pour
suit un associé en paiement soit des appels de fonds
auxquels il n’a pas satisfait, soit de sa part contributive
dans les sommes que le liquidateur a dû avancer pour
opérer la liquidation2.
i Paris, 25 février 1829.
9 Cassation, 13 avril 1841 ; — J. du P, 41, 2, 350.
�akt.
51
a
63.
335
Au reste, pour que l’action soit déférée aux arbitres,
il ne suffit pas qu’elle soit intentée par le liquidateur
contre un associé , il faut en outre que celui-ci soit
poursuivi en cette qualité et pour une action en déri
vant. Ainsi l’associé qui, commerçant, aurait eu des re
lations de commerce avec la société , serait compétemment traduit devant le tribunal de commerce, pour tou
tes les obligations contractées par suite de ces relations.
C’est ce que la cour de cassation a consacré , en déci
dant que le négociant commissionnaire, qui a été char
gé , en cette qualité , du dépôt et de la vente des pro
duits d’une société dont il fait partie, n’est point justi
ciable des arbitres forcés, à raison des contestations éle
vées par suite des opérations qui lui ont été confiées
pour le compte de la société l.
644.
— Les associés plaidant contre le liquidateur
en sa qualité et sur des prétentions relatives à la so
ciété doivent procéder conformément à l’article 51 ;
mais il n’en est plus de même lorsque l’action qu’ils in
tentent est relative aux obligations incombant person
nellement au liquidateur.
Ainsi, l’action pour le contraindre à rendre compte,
celle en paiement du reliquat, celle en dommages-inté
rêts pour les fautes commises, devraient être déférées à
la juridiction consulaire.
Au reste , cette règle reçoit exception dans le cas où
�336
DES SOCIÉTÉS
le liquidateur est un des associés ; sans doute , et à la
rigueur , on pourrait soutenir que celte qualité devrait
être sans influence sur des actions qui ne s’y réfèrent
en rien, mais dans la réalité des choses, l’associé n’est
devenu liquidateur que parce qu’il était associé ; com
me il est d’ailleurs impossible que l’issue de l’action ne
reflète pas sur sa position et ne modifie pas ses droits
sociaux, il faut assimiler la poursuite à une contestation
sociale, et la déférer aux arbitres forcés l.
A rt . 6 4 .
Toutes actions contre les associés non liqui
dateurs
et leu rs
veuve* , h éritiers ou ayants
cause, sont p rescrites cinq ans après la flu ou
la dissolution de la société, si l ’acte de société
qui en énonce la durée ou l’acte de dissolution
a été affiché et enregistré
articles 4 2 ,
conform ém ent
aux
4 3 , 44 et 4 6 , et s i , depuis cette
form alité r e m p lie , la
prescription n’a été in
terrom pue à leu r égard par aucune
poursuite
ju d icia ire.
SOMMAIRE
645.
646.
Nécessité de regler la durée de l’action des créanciers con
tre les anciens associés. — Article 64.
Caractère de sa disposition.
1 Tout ce qui se rapporte à la compétence a été modifié par l’aboli
tion de l’arbitrage forcé-
f
�ART.
64.
337
647. Discussion au conseil d'Etat.
648. Première conséquence : La prescription quinquennale a
été considérée comme d’intérêt général.
649. Deuxième conséquence : Elle ne s’applique qu'à l’action,
des créanciers contre les associés.
650. La nomination d’un liquidateur enlève l’exercice des ac
tions et l ’administration aux associés qui ne sont pas re
vêtus de ces fonctions.
651. Arrêts de la cour de cassation dans ce sens.
652. Moyens allégués à l ’appui du système contraire.
653. Examen et réfutation.
654. Motifs du rejet.
655. Quel est le caractère de la liquidation par rapport aux tiers? .
Distinction entre les créanciers et les débiteurs.
656. Tempérament et exception que la règle comporte surtout
dans les sociétés anonymes.
657. L’interruption de prescription édictée par l ’article 2249 du
Code civil n ’est pas admissible.
658. Examen d’un arrêt de Paris qui aurait jugé le contraire.
659. La nécessité d’une poursuite dans les cinq ans peut être
invoquée par le commanditaire.— Arrêt conforme de la
cour de cassation.
660. Fausse conséquence qu’on a tirée de cet arrêt, à l ’égard de
l ’action des associés entre eux.
661. Pour que l ’article 64 puisse être appliqué , il faut: 1* la
dissolution de la société et sa liquidation.
662. La retraite de l'associé réunit cette double condition.
663. Arrêt conforme de la cour de cassation.
664. Inapplicabilité de l ’art. 64, lorsqu’il n'y a pas de liquidation
665. Ou lorsque le liquidateur est étranger à la société.
666. Arrêts conformes.
667. Ou lorsque la société est en faillite.
668. Il faut : 2* que la dissolution et la liquidation aient reçu la
publicité requise.
ni
22
�338
669.
670.
671.
672.
673.
674.
675.
676.
677.
678.
679.
680.
681.
682.
683.
684.
685.
686.
687.
DES SOCIÉTÉS
Point de départ de la prescription.— Difficulté de sa déter
mination.
Arrêt de la cour de cassation.
Effet de la continuation de la société après l’expiration du
terme convenu quant à la prescription.
Nature de la prescription de l ’article 64.
Est opposable au mineur et à l ’interdit.
Les associés non liquidateurs libérés par la prescription ne
peuvent plus être déclarés en faillite si la liquidation ne
paye pas.
Quid du liquidateur ?—Distinction.
L'associé ordinaire qui est liquidateur est tenu pendant
trente ans tant par l’action personnelle que par celle
contre le comptable.
Opinion contraire de MM. Malepeyre et Jourdain.
Réfutation.
Durée du recours du liquidateur contre les associés.—Nou
velle erreur de MM. Malepeyre et Jourdain.
Opinion de M. Troplong.
Conclusion.
Le liquidateur qui a renoncé à cette qualité peut-il se pré
valoir de l’article 64 ?
Négative adopté par le tribunal de Paris.— Examen.
Arrêt contraire de la cour de Paris.
De quel jour court dans ce cas le délai de cinq ans ?
Les associés pourraient-ils refuser la démission et le rem
placement du liquidateur ?
La prescription en faveur de l ’associé qui se retire de la so
ciété ne court que du jour de l’accomplissement de for
malités de publicité.
645.
— La certitude de l’obligation grevant les as
sociés à l’endroit des dettes sociales amenait celle d’une
action en faveur des bénéficiaires de ces dettes. Celte
�ART. 64.
action participant de la nature de l’obligation , elle est,
pour les associés ordinaires et en nom collectif,solidaire
et indéfinie.
On ne pouvait en traitant des sociétés, se taire sur
la durée de cette action. Devait-elle rester après sa dis
solution ce qu’elle était avant ? Convenait-il de s’en ré
férer au droit commun , ou établir une prescription de
moindre durée ? Dans ce cas , quel devait être le point
de départ de la prescription, quelles sont les conditions
à exiger ? Telles sont les difficultés sur lesquelles l’at
tention du législateur dut se porter.
L’article 64 les a toutes résolues. Dans le cas qui se
présentera .le plus souvent, à savoir , dans l’hypothèse
d’une liquidation, la prescription est réduite à cinq ans
en faveur des associés non liquidateurs. Ces cinq ans
courront du jour de la fin de la société, si l’acte de so
ciété en indiquant le terme a été publié ; du jour de
l’accomplissement des formalités de publication pres
crites par les articles 42 et suivants, si la dissolution
se réalisant accidentellement, et avant l’échéance du
terme convenu, elle devient purement conventionnelle.
646.
— La disposition de l’article 64 est une déro
gation au droit commun. Nous avons déjà dit que la
dissolution , soit conventionnelle , soit par l’expiration
du délai stipulé dans l’acte social, ne faisait pas immé
diatement cesser la société ; elle est sans doute incapa
ble de continuer le commerce , de se livrer à de nou
velles opérations , mais elle continue d’exister jusqu’au
�340
DES SOCIÉTÉS
paiement intégral de ses dettes. Exlincla societate, societatis effectua durât, donec pertinentia sint exacta l.
C’est, au reste, ce qui résulte de l’article 64 lui-même,
n’admettant que la prescription trentenaire pour ce qui
concerne les liquidateurs.
Dès lors cet effet admis, on semblait devoir arriver à
une conséquence diamétralement contraire à celle que
l’article 64 consacre. Si la société continue, pour le
paiement des dettes, l’obligation doit rester après la dis
solution ce qu’elle était avant et n’admettre d’autre pre
scription que celle que les associés pourraient invoquer
pendant la durée de la société, c’est-à-dire la prescrip
tion trentenaire. On ne doit donc pas s’étonner des dé
bats que souleva l’article 64 dans la discussion au con
seil d’Etat.
647.
— MM. Réal, Treilhard, Bigot de Préameneu,
Ségur et Defermon s’opposaient à sa consécration; ils
en signalaient la disposition comme injuste envers les
créanciers de la société.
« Pourquoi, disaient-ils, par le seul effet de l’affiche
de l’acte qui dissout la société, diminuer, dans la main
des tiers, la durée d’une action qui , suivant le droit
commun, doit subsister trente ans ?
» Si la société n’eût pas été dissoute , ils auraient
conservé la faculté d’exercer leurs droits pendant ce laps
de temps ; et parce qu’il a plu aux associés de se sé* Straccha, décis. \, n° 7.
�ART. 64.
parer, on souffrira -qu’après cinq ans de silence, les
créanciers n ’aient plus rien à prétendre? Doit il être
permis au débiteur de changer ainsi, à son gré, la con
dition de celui envers lequel il est engagé ? Ce qu’il y a
de plus extraordinaire , c’est qu’on admet, hors du cas
de faillite , une prescription qui n’aurait pas eu lieu si
la société eût failli. Comment, lorsqu’on s’est toujours
montré aussi réservé pour admettre des déchéances,
même dans l’intérêt de l’Etat, les établirait-on aussi fa
cilement pour l’intérêt privé ?
» On n’a certainement pas calculé toutes les suites
de cette disposition ; il en résulterait que les associés
conserveraient, après la liquidation, l’action sociale les
uns contre les autres, tandis qu’après cinq a n s , leurs
créanciers n’en auraient plus contre eux ; que les asso
ciés pourraient se partager les recouvrements qu’ils fe
raient, même après cinq ans , et que cependant ils se
raient affranchis du paiement des dettes qui leur reste
raient encore ; dispenser la société d’acquitter ses dettes,
ce serait l’autoriser à faire légalement banqueroute ; en
fin comment fera-t-on lorsque , après cinq ans, le mê
me individu se trouvera à la fois créancier et débiteur
de la société ? Permettra-t-on d’écarter la compensation
par voie de prescription ?
» Il est vrai que pour atténuer l’injustice de la dis
position , d’un côté on ménage aux tiers créanciers un
recours indéfini contre le liquidateur ; de l’a u tre , on
les autorise à interrompre la prescription par des pour
suites.
�342
DES SOCIÉTÉS
» Ces moyens sont insuffisants et ne compensent
pas le tort qu’on fait aux tiers, en dégageant envers eux
les autres associés.
» En effet, le liquidateur peut être insolvable. On
ouvre même aux associés un moyen de se soustraire à
leurs engagements, car il leur suffit de charger de la
liquidation celui d’entre eux qui n’offre point de solva
bilité.
» Quant à la faculté d’interrompre la prescription
par des poursuites , elle est illusoire. Qui osera risquer
des poursuites et des frais avant que la liquidation lui
ait appris s’il existe un actif ? D’ailleurs il ne sera pas
toujours possible aux créanciers d’éviter la prescription
par des poursuites faites en temps utile, parce qu’ils ne
seront pas toujours instruits de la dissolution de la so
ciété. Des affiches, que personne ne lit, seront ineffica
ces pour répandre la connaissance du fait ; ainsi la pu
blicité de la dissolution dépend presque entièrement de
la bonne foi des associés.
» Les choses étant ainsi, il conviendrait du moins de
faire courir la prescription, non plus du jour où la so
ciété serait dissoute, mais de celui où la liquidation se
rait terminée. Ce m om ent, il n’est pas impossible de le
discerner ; il faut bien que le liquidateur achève enfin
de payer les créanciers et qu’il rende ses comptes. »
Voilà les diverses raisons invoquées contre l’article 64.
On a pu remarquer que si les uns sont graves, les au
tres, plus spécieuses que solides, étaient faciles à réfu
ter. Voici comment répondaient aux unes et aux autres
�abt.
64.
343
le prince archichancelier et MM. Regnaud de S-Jeand’Angely, Cretet, Begouen et Jaubert :
« La disposition n’est pas injuste ; elle le serait sans
doute s’il était difficile aux créanciers de s’y soustraire,
mais on leur donne le moyen d’éviter la prescription :
ainsi, lorsqu’ils en sont atteints , ils ne peuvent s’en
prendre qu’à eux-mêmes.
» II ne tient qu’à eux , en effet, d’interrompre la
prescription par des poursuites ou par des actes con
servatoires.
» Le temps qu’on leur accorde pour la prévenir est
assez long. Cinq ans suffisent aux réclamations des
tiers qui, avertis par des affiches de la dissolution de la
société , ne peuvent pas ignorer qu’on procède à la li
quidation, et s’il y avait quelque reproche à faire à l’ar
ticle, ce serait plutôt de donner aux créanciers la faci
lité de prolonger le délai au moyen des poursuites. Il
n’est pas possible que, pendant cinq ans, des créanciers
demeurent dans l’inaction et ne retirent pas des fonds
ne leur produisant aucun intérêt, qu’ils ne poursuivent
pas, si leur paiement leur est refusé, ce qui suffit pour
les sauver de l’application de l’article. Après la dissolu
tion de la société , les créanciers ne manquent pas de
prendre des précautions. S’ils sont en compte courant,
ils tirent des lettres de change ; s’ils ont des effets, ils
les présentent, et, à défaut de paiement, ils les font pro
tester ; si on doit leur délivrer des marchandises, ils les
exigent en livraison.
» Puisque les tiers ont tout le temps qui leur est né-
�344
DES SOCIÉTÉS
cessaire , peu leur importe la durée qu’on donne aux
actions des associés entre eux ; e t , au contraire , il im
porte beaucoup aux associés que leurs actions se pro
longent , parce que les recouvrements et les comptes
peuvent entraîner un laps de temps considérable. Il faut
quelquefois trente ans pour opérer les recouvrements,
dès lors la prescription entre associés ne peut être d’une
moindre durée.
» Mais les créanciers oseront - ils risquer les frais
d’une poursuite avant de savoir si l’actif suffit pour les
payer ?
» Celte considération ne peut les arrêter , puisque,
s’ils n’étaient pas payés au moment de l’échéance , il y
aurait faillite , et que s’il n’y a pas faillite , leur paie
ment est assuré.
» Les tiers ne peuvent donc se trouver en perte que
par une négligence qui est rare.
» On pourrait cependant ne faire courir le délai que
du jour où la liquidation est terminée , s’il existait un
moyen de discerner ce moment. Mais on n’a pas ce
moyen. Une liquidation se compose d’actes successifs ;
il est donc très-difficile de reconnaître si elle est entiè
rement terminée, et elle ne l’est réellement que lorsque
toutes les créances sont recouvrées ou prescrites.
» Après avoir donné aux créanciers tant de facilités
pour échapper à la prescription , l’article pourvoit en
core à leurs intérêts, lorsqu’ils l’ont encourue contre la
masse des associés , en leur offrant pour supplément
de garantie leur recours contre le liquidateur dans la
�art.
64.
345
main duquel tous les fonds de la société se trouvent ré
unis , et q u i, par celte raison, peut faire face à toutes
les dettes.
» Cette dernière circonstance justifie la différence que
l’article établit entre l’associé liquidateur et les autres
associés. Cette différence est dans la nature des choses,
le liquidateur est saisi de tous les fonds de la société , et
les tiers intéressés le savent. Les autres associés, au
contraire , sont dessaisis de tout. Il faut donc que leur
libération ait un terme.
» On objecte que le liquidateur peut être insolvable.
Les créanciers qui n’auraient pas confiance en lui peu
vent , avant l’expiration des cinq a n s , se ménager leur
recours contre les autres associés, en les mettant e/i
cause. La justice due aux tiers créanciers n’ôbligeait
donc pas de rejeter l’article.
» Au contraire, l’intérêt général du commerce exi
geait qu’on l’admît. Il est certain qu’on fuirait les so
ciétés si ceux qui s’y engagent ne pouvaient espérer de
se voir libérés qu’après trente ans, et par suite se trou
vaient jusque-là dans l’impossibilité de former aucun
établissement personnel.
» C’est cependant ce que produirait la prolongation,
pendant un semblable terme , de la solidarité entre les
associés. La propriété de chacun d’eux serait trop long
temps incertaine , et il serait exposé à voir ses biens
chargés d’inscriptions , même pour les dettes de ses co
associés. S’il devait demeurer pendant trente ans passi-
�346
DES SOCIÉTÉS
I
ble des dettes sociales, il lui serait impossible de se pro
curer du crédit.1 »
Voilà l’importante discussion que souleva l’article 64,
dans le sein du conseil d’Etat. Nous avons cru devoir la
transcrire en entier, parce que, indiquant les motifs réels
de celte disposition, elle en précise le sens et la portée,
et doit dès lors résoudre les questions qui peuvent naître
à l’endroit de l'un et de l’autre.
648.
— Ce qui en résulte d’abord, c’est que l’ex
ception que l’article consacre au droit commun en ma
tière de prescription a été surtout considérée au point
de vue de l’intérêt général. Il est certain que les incon
vénients qu’on redoutait de la prescription trentenaire
n’étaient que trop capables de se réaliser et de nuire au
développement du commerce , au succès des sociétés.
On aurait hésité à s’associer , si pendant trente ans on
avait été soumis à la responsabilité indéfinie et solidai
re, responsabilité que l’insolvabilité de certains associés
serait venue aggraver. Comment, dans cette incertitude,
se livrer à de nouvelles opérations ? Comment, si on
l’osait , se procurer ce crédit qu’un doute de cette na«
ture devrait anéantir ou tout au moins fortement com
promettre ?
La disposition de l’article 64 répond donc à une né
cessité réelle , et on doit d’autant plus l’approuver que
1 Locré, Esprit du Code de commerce, art. 64-
�ART.
64.
le préjudice qu’on craignait pour les créanciers ne peut
jamais se réaliser.
Ce n’est pas seulement par l’affiche que s’annonce la
dissolution de la société , c’est encore par des circulai
res , c’est surtout par la notoriété commerciale que ne
peuvent ignorer ceux qui sont précisément en relation
d’affaires avec la société. À côté de cette notoriété se
place celle de la solvabilité de la liquidation ; les créan
ciers sont donc à même d’apprécier ce qui leur con
vient le mieux , et s’ils optent pour un recours con
tre les associés non liquidateurs , ils ont dans le délai
de cinq ans beaucoup plus de temps qu’il ne leur en
faut ; il n’est peut-être pas d’exemple qu’un commer
çant ait laissé dormir sa créance pendant plus de cinq
ans.
649.
— Ce qui résulte encore de la discussion lé
gislative, c’est que la prescription quinquennale est ex
clusivement opposable aux tiers; d’associé à associé
l’action continue à ne reconnaître d’autre prescription
que la prescription trentenaire l.
On pourrait, à ce point de vue, taxer la loi de con
tradiction, d’inconséquence. A quoi bon affranchir les
associés d’une part , si d’une autre on les soumet à être
recherchés pendant trente ans ? Ne s’expose-t-on pas
ainsi aux inconvénients et aux dangers qu’on voulait
éviter ?
i Voy, infra n»«660 et 680,
�348
DES SOCIÉTÉS
Non, évidemment, et par plusieurs raisons décisives.
En première ligne, on ne pouvait faire un devoir à
l’associé de recourir contre son coassocié , lorsqu’il ne
serait pas lui-même atteint par une condamnation au
profit d’un tiers. Or, cette condamnation peut n’être ré
clamée qu’après l’expiration de cinq ans; en cet état,
repousser le recours contre l’associé sur le motif qu’il
est prescrit, ce serait agir avec une rigueur injuste , et
méconnaître la maxime contra non valentem agere
nan currit prœscriptio.
En second lieu , le recours entre associés ne peut
guère se réaliser après le délai de cinq ans que de la
part du liquidateur. Les autres associés libérés euxmêmes par la prescription quiquennale, et ne pouvant
être recherchés, n’auront rien à demander à leurs co
associés. Le contraire ne pourrait se réaliser qu’exceptionnellement, et dans l’hypothèse d’une interruption
de prescription contre un ou plusieurs associés non li
quidateurs.
En troisième lieu , enfin , autre chose est l’action des
tiers , autre le recours de l’associé. La première déter
mine l’obligation do payer solidairement le montant de
sa dette , quel qu’en soit le chiffre ; le second ne peut
jamais avoir pour objet que la quotité proportionnelle
fixée par la loi en matière de solidarité.
De plus, le créancier porteur d’un engagement social
ne saurait subir aucune des exceptions ou compensa
tions que les coassociés pourraient avoir à invoquer
mutuellement. Le recours de l’associé soulève toutes les-
�ART.
64.
exceptions plus ou moins péremptoires , ei qui peuvent
être de nature à faire déclarer la demande non receva
ble ou mal fondée.
Supposez un recours de la part de l’associé liquida
teur. Celui qui en sera l’objet soutiendra que le paie
ment de la dette le concernait seu l, et lui demandera
dans tous les cas et préalablement compte des ressour
ces sociales qui avaient été mises à sa disposition. Le
recours ne pourra être accueilli que si ce compte est
rendu, et que s’il justifie non-seulement de l’insuffisance
des ressources , mais encore des diligences faites pour
les réaliser. La négligence que le liquidateur aurait ap
portée dans les recouvrements, la faute, et bien mieux
encore la fraude dont il serait convaincu ferait incon
testablement repousser son recours.
Supposez qu’un associé non liquidateur, actionné après cinq ans , ait refusé ou omis d’invoquer la pres
cription ; il n’aura pas le droit de réclamer d’aucun de
ses coassociés une part quelconque de la dette qu’il au
rait intégralement soldée. Chacun d’eux lui opposerait
avec raison que la dette était éteinte ; que rien sans
doute ne l’empêchait de renoncer à la prescription,
mais que cette renonciation purement personnelle ne
pouvait faire revivre à l’encontre de ses coassociés une
dette dont ils étaient libérés ; qu’en conséquence, le
paiement qu’il en a fait doit exclusivement rester pour
son compte personnel.
On le voit, le recours de l’associé n’a ni l’importance
ni la gravité qu’offre l’action directe des tiers. D’ail-
�350
DES SOCIÉTÉS
leurs les associés fondés à demander compte au liqui
dateur des recouvrements opérés après les cinq ans doi
vent être tenus de contribuer aux paiements effectués
dans la même période. On comprend dès lors que le
législateur, déclarant l’action directe des tiers éteinte
par la prescription de cinq ans, ait laissé le recours de
l’associé sous l’empire du droit commun.
650.
— La différence que l’article 64 fait à l’en
droit de la prescription, entre l’associé liquidateur et les
non liquidateurs, et les motifs sur lesquels cette diffé
rence se fonde, déterminent parfaitement les caractères
de la liquidation pour les associés. Ils ont la plus abso
lue liberté dans le choix , ils peuvent députer plusieurs
d’entre eux. Mais la nomination faite, son premier effet
est de dépouiller chaque associé de toute action à l’en
droit de la liquidation , et de les concentrer entre les
mains du ou des liquidateurs.
L’unité dans la direction, les nécessités de l’adminis
tration , la célérité et l’ordre dans les opérations l’exi
geaient ainsi. Ce serait à ne plus s’y entendre , si cha
que associé pouvait de son côté s’immiscer dans la li
quidation et s’exposer, par des mesures particulières qui
lui paraîtraient convenables, à contrarier les mesures
d’ensemble prises par le liquidateur.
En conséquence, les associés non revêtus de ces fonc
tions doivent s’en reposer entièrement sur ceux qui les
ont obtenues et acceptées. La responsabilité qu’on leur
impose n’est équitable et juste qu’à cette condition.
�ART.
64.
Toutefois , ce résultat paraît d’abord étrange. Quoi !
vous défendez au mandant de s’immiscer personnelle
ment dans une opération qu’un tiers est chargé d’ac
complir dans son intérêt ? Le reproche serait fondé au
point de vue des principes ordinaires du mandat. Mais
ce qui ne permet pas de l’accueillir dans notre hypo
thèse , c’est que le liquidateur d’une société est moins
le mandataire des associés personnellement que celui
de la société, être moral, distinct de ceux qui la compo
sent, et qui survit à sa dissolution pour tous les besoins
de la liquidation , donec pertinentia sini exacta. La
liquidation est donc un mandat sui generis, en vertu
duquel celui qui l’a reçu peut actionner les associés ou
être actionné par eux , qui impose une responsabilité
envers les créanciers, ce qui explique comment et pour
quoi on défend aux associés de s’immiscer dans la liqui
dation.
Donc, par rapport à eux , l’existence du liquidateur
est obligatoire , et c’est contre lui qu’ils doivent agir
pour toutes les réclamations qu’ils auraient à faire va
loir contre la société.
651.
— Ainsi, un arrêt de la cour de cassation, du
27 juillet 1863 , juge que : lorsqu’une société de com
merce s’est mise en liquidation avec constitution d’un
mandataire pour opérer cette liquidation , les anciens
associés ne peuvent même proportionnellement à la part
qu’ils ont dans cette société, toucher le montant des cré
ances sociales et en donner une quittance libératoire ;
�352
DES SOCIÉTÉS
que ce droit n’appartient qu’au liquidateur seul tant
que dure l’opération qui lui est confiée.
Dans l’espèce, le liquidateur ayant vendu un immeu
ble de l’ancienne société, l’acquéreur s’était libéré d’une
partie de son prix entre les mains d’un des anciens as
sociés.
Poursuivi en paiement de cette p artie, il excipe de
la quittance qui lui a été délivrée et qu’il soutient l’a
voir valablement libéré ; subsidiairement il prétend que
l’associé qui a délivré cette quittance ayant dans la so
ciété un intérêt des quatre cinquièmes, l’action actuelle
en paiement doit se rédnire au cinquième appartenant à
celui qui l’exerce.
Le tribunal de S‘-Denis repousse cette prétention et
annulle le paiement pour le tout. Son jugement ayant
été frappé d’ap p el, est confirmé par la cour de l’Ile de
la Réunion, par les motifs suivants :
« Attendu qu’il y a lieu de reconnaître que les droits
» individuels des associés ne peuvent être confondus
» avec ceux de la société, et que celle-ci, être moral et
» distinct, doit pourvoir elle-même à l’exécution de ses
» engagements avant qu’il soit permis à ses membres
» de se mêler de ses affaires, et surtout de satisfaire
» leurs intérêts particuliers ; que par une conséquence
» logique, la société Eug. Thomas fils et Cie mise en li» quidation ne pouvait agir que par son représentant
» légal, Dupouy et Cie, et ceux-ci avaient seuls le droit
» de vendre ses immeubles, d’en recevoir le prix et d’en
» donner quittance ; que s’il en était autrement l’actif
�ART.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
64.
353
social pourrait être soustrait aux créanciers de la société pour être appliqué au paiement des créanciers
particuliers de chaque associé, et les principes les
plus rigoureux du droit et de l’équité pourraient être
souvent méconnus, qu’ainsi Àug. Thom as, malgré
son intérêt des trois cinquièmes avec celui de son
frère Louis n’a pu représenter la société mise en
liquidation et disposer valablement de ses ressources. »
6 5 2 . — Devant la cour de cassation, on reprochait
à cet arrêt d’avoir violé les articles 1872, 1220, 1239
et 1240, et faussement appliqué les articles 1849 et
1860 du Code civil, en ce qu’il avait jugé que le de
mandeur en cassation n’avait pu faire à Aug. Thomas,
qui avait dans la société Eug. Thomas et C!e un intérêt
de quatre cinquièmes , un paiement libératoire et vala
ble jusqu’à concurrence de ces quatre cinquièmes, et
celà sous prétexte que cette société, même après sa mise
en liquidation et pendant cette liquidation , subsistait
encore comme un être moral distinct des associés.
« En le disant ainsi,— disait le pourvoi, — l’arrêt a
» confondu, d’une p a rt, une société existante avec une
» société dissoute, et, d’autre part, les rapports des an» ciens associés avec les créanciers de la société. Que,
» pendant sa durée , une société commerciale ait son
» patrimoine, ses dettes, ses créances, son administra» lion, sa personnalité, en un mot, distincts du pa» trimoine et de la personne des associés, c’est ce qui
m
23
�354
DES SOCIÉTÉS
» est incontestable, et il en est ainsi à l’égard des mem» bres de l’association comme à l’égard des tiers ; mais
» une fois cette société dissoute , le contrat est rompu
» et le lien social n ’existe plus entre les anciens asso» ciés. Il n ’y a plus à leur égard d’être moral. Les
» droits qu’ils avaient dans la société et qui étaient mo» biliers pendant sa durée se convertissent en une ac» tion communi dividnndo , en un droit indivis sur
» le patrimoine social mobilier ou immobilier selon la
» nature de son objet. A cette communauté des biens
* s’appliquent toutes les règles du partage et non point
» les règles de la société. De là plusieurs conséquences:
» du jour de la dissolution chacun des copartageants
» peut provoquer la cessation de l’indivision ; de ce
» jour chacun des associés a, sur les objets faisant par» tie de la masse à partager un droit indivis qu’il peut
» aliéner et dont il peut toucher le prix. Quant aux
» créances sociales, les anciens associés peuvent bien
» conférer à un mandataire le pouvoir de les recou» vrer, mais ces créances n’en sont pas moins divisées
- » de plein droit entre eux du jour de la dissolution de
» la société , e t ,. par suite , ils n’en ont pas moins , à
» compter de ce jour, le droit d’en disposer pour leur
» part, comme aussi ils pourraient être personnelle» ment poursuivis pour les dettes sociales.
» Dans l’espèce , il est donc vrai de dire que l’im» meuble Y ounzi, du jour de la dissolution de la so» ciété , est devenu la copropriété de chacun des asso» ciés dans la mesure de leurs droits respectifs ; que du
�art.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
64.
355
jour où il a été vendu après cette dissolution, la créance du prix a été acquise , non pas à l’être moral
qui n’existait plus à l’égard des anciens associés, mais
aux copropriétaires de cet immeuble vendu , et jusqu’à concurrence de leur part; qu’enfin Eug.Thomas
n’étant intéressé dans cette créance que pour un cinquième, n’a pu, dans tous les cas, contester la validité de ce paiement pour plus d’un cinquième , son
intérêt étant la mesure de son action. »
6 5 5 , — Les principes invoqués pouvaient être ad
missibles du temps de Savary en France , et du temps
de Casaregis en Italie ; alors, en effet, la dissolution de
la société anéantissait l’être moral, et ne laissait plus en
présence que des communistes qui pouvaient et de
vaient procéder au partage de toutes les facultés que dé
laissait l’ancienne société.
Mais ce mode de procéder n’était pas sans danger
pour les créanciers sociaux alors même que suivant la
doctrine de Casaregis, on laissait entre les mains du gé
rant, et avant tout partage, des valeurs suffisantes pour
les désintéresser intégralement. Si par les chances du
commerce ces valeurs venaient à périr, ou s i , abusant
de son mandat, le gérant leur donnait une autre desti
nation , les créanciers sociaux, le gage de leur créance
n’existant plus, étaient réduits à une action personnelle
contre les anciens associés qui pouvaient ne plus offrir
la moindre solvabilité.
C’est en vue de ce danger et pour le prévenir que fut
�356
DES SOCIÉTÉS
imaginée la liquidation. C’est donc.en méconnaître le
caractère et les effets que d’en revenir à ce qui se pra
tiquait av an t, que de prétendre que les anciens asso
ciés peuvent, du jour même de la dissolution et malgré
le choix d’un liquidateur, procéder à un partage immé
diat , et disposer en maîtres de la part que leur assure
leur intérêt.
Sans doute la dissolution fait disparaître l’être moral;
mais comme le disait la cour de cassation dès le 11
vendémiaire an V II, en ce sens qu’il ne peut plus être
fait par lui ni pour lui aucune des entreprises pour les
quelles il avait été constitué. Comment, en effet, cette
dissolution pourrait-elle rétroagir sur le passé ? Pourrat-elle jamais faire que l’être moral n’ait pas existé ? qu’il
n’ait pas pris des engagements, acquis des droits, con
tracté des obligations qu’il faut de toute nécessité appurer ? Par la dissolution , disait avec raison le président
Favre, finitur societas sed non obligatio societatis,
et c’est ce que la doctrine et la jurisprudence modernes
ont unanimement proclamé.
Il n’est donc pas vrai que du jour de la dissolution
chaque associé puisse provoquer la cessation de l’indi
vision , d’autant plus qu’à cette époque il n’y a encore
en réalité ni chose'commune ni masse à partager. En
effet, ce dont les associés seront copropriétaires, ce
qu’ils auront à se partager dans la proportion de leur
intérêt, c’est ce qui restera de l’actif paiement fait de
toutes les dettes. Or, ce n’est que par la fin de la liqui
dation que ce reliquat peut être déterminé. Jusque là
�art.
64.
357
le droit de provoquer le partage est donc nécessaire
ment suspendu.
Qu’en attendant chaque ancien associé puisse aliéner
l’intérêt qu’il avait dans la société et en toucher le prix,
cela est incontestable. Comment, en effet, empêcher Primus de se substituer Secundus, si celui-ci y consent ?
Mais que vendra Primus, qu’achètera Secundus ? Uni
quement la part que le premier aura à toucher dans la
liquidation et qui n’est pas même déterminée. C’est à
dire qu’entre les parties interviendra un contrat ordi
naire , plus ou moins aléatoire , plus ou moins chan
ceux quant à ses résultats, et dont le prix qui se ressen
tira nécessairement de ce caractère peut d’autant mieux
être payé et reçu qu’il laisse intactes toutes les ressour
ces de l’ancienne société et ne diminue en rien le gage
des créanciers sociaux.
Mais conclure de là que chaque associé a le droit de
disposer de sa part dans les créances de la société , de
la vendre, de s’en approprier le prix ; de quittancer va
lablement le prix de vente des immeubles à proportion
de son intérêt, c’est soutenir en droit la plus énorme,
la plus flagrante hérésie. Avant d’appartenir aux an
ciens associés, l’actif mobilier ou immobilier de la so
ciété appartient aux créanciers dont il est le gage , et
c’est précisément pour qu’on ne pût se soustraire à cette
affectation qu’a été imaginée la liquidation qui, suivant
l’expression de M. Troplong, prolonge la fiction de la
personne civile, et suppose que c’est plutôt la société qui
possède que les associés.
IP
11
i.: p
V'
�358
DES SOCIÉTÉS
6 5 4 . — Donc, dans l’espèce, l’arrêt de la cour de
l’Ile de la Réunion était conforme aux véritables prin
cipes et parfaitement juridique. C’est ce que pensa la
cour de cassation qui n’hésita pas à rejeter le pourvoi
par les motifs suivants :
« Attendu que lorsqu’une société s’est mise en liqui» dation, avec mandat donné, soit par l’acte de société,
» soit par un acte postérieur , à un tiers ou à un des
» associés d’opérer cette liquidation , il n’est pas exact
» de prétendre, ainsi que le fait le pourvoi, que la per» sonne civile de la société a complètement disparu
» pour faire place à une communauté simple dans la» quelle chacun des anciens associés a , sur les objets
» faisant partie de la masse à partager, un droit indivis
» qu’il peut aliéner, et dont il peut toucher le prix ;
» que cette société n’est pas complètement éteinte ;
» qu’elle continue de subsister dans la mesure d’exis» tence nécessaire à l’accomplissement des actes de la
» liquidation ;
» Attendu que le liquidateur constitué par le con» sentement de tous les associés pour représenter leurs
» droits contre chacun d’eux, ne peut être révoqué par
» le seul effet de la volonté de chacun ; qu’à ce liqui» dateur seul appartient le droit de recevoir valable» ment le montant des créances actives de la société;
» que c’est donc à bon droit que l’arrêt a décidé que le
» sieur Lerestif qui avait acheté l’immeuble de Mayotte
» des mains du liquidateur de la société Eug. Thomas
» fils et Cie, n’avait pu valablement se libérer du prix
�art
.
64.
359
» de cette vente entre les mains d’Àug. Thomas, même
» pour la part de celui-ci dans les intérêts sociaux.1 »
6 5 5 . — Qu’en est-il des tiers créanciers ? Sont-ils
également obligés de poursuivre leurs droits contre le
liquidateur exclusivement ?
La solution de cette question dépend de la qualité en
laquelle le tiers agit. Elle diffère selon que ce tiers est
débiteur ou créancier.
Dans la première hypothèse, les sommes dues ne sont
pas le patrimoine de tel ou tel associé , elles appar
tiennent à l’être m o ra l, à la société ; elles constituent
les ressources d elà liquidation, et doivent dès lors être
versées dans sa caisse , pour être employées à pourvoir
à ses besoins. Le débiteur doit donc les solder entre les
mains du mandataire de l’être m o ral, du préposé à la
caisse commune, c’est-à-dire du liquidateur. Cette doc
trine , enseignée par MM. Malepeyre et Jourdain , est
adoptée par M. Troplong. Si la dissolution et la liqui
dation étaient notoires, dit cet éminent magistrat, il fau
drait décider que le paiement fait entre les mains d’un
associé non liquidateur n’est pas libératoires. La con
dition exigée par M. Troplong est incontestable. La
notoriété dont il parle est celle qui résulterait de l’ac
complissement des formalités prescrites par les articles
42, 43, 44 et 46 ; et l’on sait que sans cet accomplis-
1 J. du P , 1864,fp. <71.
8 N» 1041.
�360
DES SOCIÉTÉS
sement la société n’aurait pas cessé de continuer à l’égard
des tiers.
Dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire si le tiers est
créancier , il n’est nullement obligé de> s’adresser au li
quidateur. La dissolution n’a pu lui enlever le droit
qu’il puisait, aux termes de l’article 1203 du Code ci
vil , dans la nature de sa créance ; ce d ro it, qu’il pou
vait exercer avant la dissolution, ne saurait être mé
connu après. En réalité, le créancier social n’est pas
seulement celui de l’être m o ral, de la société. La soli
darité attachée à l’obligation le rend également le cré
ancier personnel et direct de chaque associé; il peut
donc choisir entre eux et s’adresser à celui qu’il lui plaît
de poursuivre.
Comment la présence d’un liquidateur changeraitelle cette position ? Comment ferait-elle disparaître ce
droit ? L’état de liquidation, le choix du liquidateur sont
des faits étrangers aux créanciers. Ils ne peuvent donc
en souffrir les conséquences que si la loi s’en était for
mellement expliquée, comme pour la prescription quin
quennale, par exemple.
Or, non-seulement la loi n’a rien statué sur l’obliga
tion pour les créanciers de poursuivre contre le liqui
dateur seulement, mais elle consacre le contraire en
ne se contentant pas d’autoriser la poursuite contre
les associés , en la rendant indispensable pour empê
cher la prescription. Comment, en effet, justifier
cette prescription si les créanciers n’étaient jamais re-
�art.
64.
3G1
cevables à s’adresser à un autre qu’au liquidateur lui même.
Concluons donc, avec la logique et la raison , que,
lorsqu’une société a été dissoute et qu’un liquidateur a
été nommé, le bénéficiaire d’une dette sociale n’est pas
nécessairement tenu de diriger son action contre le liqui
dateur seu ll.
»
656.
— Cependant cette règle comporte un tempé
rament et une exception. Sans doute le créancier est
libre de poursuivre tel ou tel associé, mais la condam
nation obtenue, l’effet s’en concentre sur les biens per
sonnels de l’associé condamné. Elle n’affecte pas de plein
droit l’avoir social.
Dès lo rs , le créancier qui veut grever celui-ci est o bligé de mettre en cause celui qui le détient et le repré
sente, et d’obtenir contre le liquidateur une condamna
tion solidaire , ou de le citer en exécution commune.
Voilà le tempérament, voici l’exception.
Dans les sociétés anonymes, les créanciers ne peuvent
jamais agir que contre les administrateurs de la société;
cela reste ainsi après comme avant la dissolution. Celleci ne pouvant rien changer aux droits des créanciers
dans les sociétés ordinaires, ne saurait produire cet effet
dans les sociétés anonymes.
Seulement, comme elle substitue un liquidateur à des
administrateurs, l’action devant atteindre ceux-ci sera
1 Toulouse, 7 août 1834. — Voy. t u p r a n» 487.
�362
DES SOCIÉTÉS
dirigée contre le premier. Voilà le seul effet légal de la
dissolution.
Les créanciers ne pourront donc recourir contre les
associés, qui d’ailleurs ne peuvent jamais être tenus au
delà de leur mise. La question de savoir s’ils ont rem
pli à cet égard leur obligation est une question de li
quidation qu’il convenait de laisser résoudre par l’exé
cution de celle-ci, le liquidateur ayant d ’ailleurs toute
qualité pour contraindre le versement qui serait en
core dû.
Cette solution n’offrira ni inconvénients , ni dangers
pour les créanciers. L’état de liquidation suppose que
l’actif suffît pour solder le passif. Tous les créanciers
seront dès lors satisfaits. Si le contraire se réalisait,
une déclaration de faillite confierait l’administration à
des syndics et créerait l’action directe des créanciers
pour contraindre les associés au paiement de leur
mise.
En conséquence et par exception, les créanciers d’u
ne société anonyme ne peuvent poursuivre que le li
quidateur ; il n’en est pas ainsi dans les sociétés ordi
naires. La loi s’en remet au libre arbitre des créan
ciers , autorisés à agir contre celui qu’il leur plaît de
choisir. Ils ne sont obligés de mettre en cause le liqui
dateur que lorsqu’ils désirent faire porter leurs exécu
tions sur le fonds social.
657.
— Un des plus remarquables effets de la so
lidarité est celui que sanctionne l’article 2249 du Code
�ART. 64.
civil, l’interpellation faite au débiteur solidaire, ou sa
reconnaissance , interrompt la prescription contre tous
les autres, même contre leurs héritiers. Ce principe ré
git-il les associés après la dissolution ?
La négative nous parait résulter d’abord du texte
même de l’article 64. Il est évident que le législateur
n’accepte comme interruption que la poursuite direc
tement exercée contre chaque associé pour ce qui le
concerne. Toutes actions contre les associés non liqui
dateurs , leurs veuves , héritiers ou ayants cause , sont
prescrites, si depuis cinq ans de la fin de la société ou
depuis la dissolution dûment publiée , la prescription
n’a pas été interrompue à leur égard par une poursuite
judiciaire ; ces termes sont exclusifs de l’application de
l’article 2249.
L’esprit de la loi vient à l ’appui de notre doctrine. On
n’a pas voulu laisser trop longtemps l’associé sous le
coup d’une responsabilité indéfinie. Le créancier mis
en demeure de poursuivre n ’est pas censé avoir absolu
ment aliéné son droit ; on présume qu’il a consenti à le
restreindre aux associés liquidateurs.
C’est donc une remise de la dette que l’article 64
suppose. Une pareille présomption n’a besoin que du
silence prolongé pendant cinq ans ; elle est et doit
être complètement indépendante de l’interpellation s’a
dressant à a u tru i, et de l’aveu d’un autre associé que
celui qui excipe de la prescription. Cette opinion est
celle de M. Troplong , enseignant l’inapplicabilité ab-
�364
DES SOCIÉTÉS
solue de l’article 2249 du Code civil à la matière qui
nous occupel.
Donc , pour les associés non liquidateurs , il n’y a
inierruption de la prescription que par les poursuites
dont chacun d’eux pourrait être l’objet; quelle qu’ait été
la conduite du créancier vis-à-vis des uns, elle ne sau
rait lui profiter, ni être invoquée contre ceux qu’il au
rait laissés à l’écart pendant plus de cinq ans.
658.
— Le contraire aurait pourtant été consacré
par la cour de P a ris, jugeant, le 10 novembre 1836,
que la prescription quinquennale en faveur des associés
non liquidateurs est interrompue par une action judi
ciaire formée contre les agents ou liquidateurs de la so
ciété dans les cinq années de la dissolution , bien qu’ils
n’aient été eux-mêmes personnellement l’objet d’aucune
poursuite ; mais cet avis ne saurait prévaloir sur les con
sidérations que nous venons de puiser dans le texte et
l’esprit de la loi.
D’ailleurs , les tribunaux ne sont jamais saisis d’une
pure question, abstraction faite de toute circonstance de
fait. Chaque espèce offre des particularités dont il faut
tenir compte. C’est ainsi que dans celle de l’arrêt que
nous indiquons, la solution ne pouvait être, en principe,
que celle adoptée par la cour de Paris.
« La société anonyme connue sous le nom de Com-
�ART. 64.
pagnie royale d’assurances maritimes avait été dissoute
par ordonnance du 11 février 1820.
» Les actionnaires , parmi lesquels se trouvaient les
sieurs André et Cottier , conclurent un traité à forfait
avec le sieur Olive, nommé liquidateur de la société,
qui se chargea d’opérer la liquidation à ses risques et
périls.
» Le 12 avril 1820 , les héritiers Pouilly assignent
la Compagnie royale d’assurances en la personne du
sieur Arnaud, son agent à Bordeaux, à l’effet de payer
une somme de vingt-cinq mille francs dont la société
se trouve débitrice à leur égard , par suite d’une police
d’assurance passée en 1819. Jugement qui rejette cette
demande.
» Sur l’appel, et en 1832, les héritiers Pouilly ayant
appris que le sieur Olive était l’agent liquidateur de la
Compagnie, le mettent en cause , et obtiennent, le 18
mai 1832, un arrêt qui le condamne à payer le mon
tant de la somme réclamée.
» Cet arrêt ne put être exécuté contre Olive , en état
d’insolvabilité. Les héritiers Pouilly actionnèrent alors
les sieurs André et Cottier pour les faire condamner à
satisfaire à la condamnation prononcée par l’arrêt, jus
qu’à concurrence du montant de leurs actions qu’ils
n’auraient pas versé dans la société. Ces derniers oppo
sent la prescription de cinq ans édictée par l’article 64
du Code de commerce. »
Cette prétention devait-elle, pouvait-elle être accueil
lie? Non , évidemment. Non pas que nous admettions,
�366
DES SOCIÉTÉS
avec la cour de P a ris , que les poursuites contre le li
quidateur eussent interrompu la prescription, mais uni
quement parce que la prescription n’avait pas même
commencé de courir en faveur de qui que ce fût.
En effet , non-seulement l’arrêt ne constate pas que
la dissolution et l’organisation de la liquidation eussent
été publiées conformément à la loi, mais encore il laisse
supposer le contraire , en parlant de l’ignorance dans
laquelle les héritiers Pouilly s’étaient trouvés à cet égard,
ignorance inadmissible si les formalités voulues par la
loi eussent été remplies.
Dès lors, la condition exigée par l’artice 64 pour que
la prescription fût invoquée n’yant pas été remplie , les
associés non liquidateurs n’étaient pas même recevables
à s’en prévaloir; elle n’avait pas même commencé de
co u rir, puisque la loi ne lui fixe pour point de départ
que le jour de l’accomplissement des formalités de pu
blicité prescrites par les articles 42, 43 et suivants du
Code de commerce, et que le caractère exceptionnel de
l’article 64 ne permet pas de s’écarter de la rigueur des
conditions qu’il exige.
Or, comme les arrêts n’ont de valeur que secmdum
subjectam materiam , il est permis de croire que la
cour de Paris n’a admis l’interruption de la prescrip
tion qu’à cause du défaut de publicité de la dissolution
et de la liquidation. Mais, à ce point de vue, son arrêt
serait incomplet : il ne pouvait y avoir simplement in
terruption ; il y avait absence complète de toute pres
cription .
�ar t
.
64.
367
659.
— Nous venons de dire que le principe de la
prescription quinquennale édictée par l’article 64 repo
sait sur une présomption de novation dans le débiteur,
de remise de la dette en faveur de l’associé contre le
quel aucune poursuite judiciaire n’avait été dirigée. De
là cette conséquence , que cette présomption ne le cède
qu’à la volonté contraire manifestée par des actes con
servatoires ou par une poursuite. A défaut, la pres
cription est acquise, et son effet est péremptoire et ab
solu. Elle peut être invoquée par tous les associés non
liquidateurs.
Cependant, des difficultés se sont élevées à l’endroit
des associés commanditaires. Ceux-ci, a-t-on d it, ne
peuvent, en l’absence de faillite, être poursuivis que si
l’actif est insuffisant pour éteindre les dettes. Or , cette
insuffisance ne peut résulter que de la liquidation. Com
ment donc permettre de prescrire un droit avant même
qu’il puisse être exercé.
Mais l’article 64 ne distingue pas la nature de la so
ciété. Il libère, après cinq a n s , les associés , à la seule
condition qu’ils ne soient pas liquidateurs. Donc , la
doctrine que nous venons de rappeler introduirait une
exception inadmissible , par cela seul que le législateur
ne l’a pas formellement autorisée. C’est ce que la cour
de cassation a souverainement jugé , par arrêt du
juillet 1835.
Dans cette espèce , l’associé commanditaire avait été
remboursé de sa mise ; on lui en demandait le rapport.
Sur cette poursuite, il opposait au créancier, d’une part,
�368
DES SOCIÉTÉS
que par une convention à forfait avec le liquidateur il
était dégagé de toute obligation de payer les dettes;
d’autre part, que plus de cinq années s’éiant écoulées,
avant la demande, depuis 1» dissolution légalement pu
bliée, il était à l’abri de toute poursuite.
Le créancier poursuivant répondait que l’article 64
du Code de commerce n’était point applicable an com
manditaire , parce que les tiers ne pouvant agir contre
lui qu’après épuisement de l’actif social, il fallait que la
liquidation fût terminée, et qu’il en résultât l’impossi
bilité de payer les dettes pour qu’on pût exiger ou le
versement de la mise s’il n’avait pas été fait, ou le rap
port de la somme indûment restituée à l’associé com
manditaire, ce qui excluait la disposition de l’article 64.
La cour de Montpellier n’ayant pas accueilli ce sys
tème, son arrêt fut dénoncé à la cour suprême, comme
violant les articles 64 et 26 du Code de commerce, mais
le pourvoi fut rejeté.
« Attendu , en fa it, qu’il a été constaté que la dame
Chivaud était une associée non liquidatrice , et que
l’action dirigée contre elle l’a été plus de cinq ans après
l’expiration de la société, dont l’acte avait été affiché et
publié dans les formes voulues par le Code de com
merce ;
» Attendu, en droit, que l’article 64 du Code de com
merce déclare prescrites par cinq ans toutes les actions
formées contre les associés non liquidateurs, sans établir
aucune distinction sur la nature de la société à laquelle
s’applique la liquidation ;
�art.
64.
369
» Qu’ainsi l’arrêt attaqué, en déclarant prescrite l’ac
tion du demandeur , loin d’avoir faussement appliqué
l’article 64 du Code de commerce et violé l’article 26,
n’en a fait qu’une juste application.1 »
Nous considérons la doctrine de cet arrêt comme par
faitement juridique ; l’article 64 nous p araît, en effet,
avoir voulu punir la négligence non justifiée. Nous n’hé
sitons pas à qualifier ainsi celle qui s’adresserait au
commanditaire dans la double hypothèse du versement
de la mise non encore effectuée ou du rapport de cette
mise indûment restituée.
Dans la première hypothèse, il est vrai que l’absen
ce de faillite enlève au créancier toute action directe :
mais la mise n’en demeure pas moins une créance de
la liquidation destinée à en payer les dettes. L’intérêt
que le créancier a à ce paiement l’autorise donc à agir
au nom du liquidateur , si celui-ci néglige de le faire.
Dès lors ce créancier est en demeure de poursuivre ; ej
si son inaction se prolonge pendant plus de cinq ans,
il ne pourra recourir contre le commanditaire qu’après
avoir fait condamner le liquidateur et pour la portion
afférente à ce dernier dans cette condamnation.
Dans la seconde hypothèse, la poursuite contre le
commanditaire aura le grand avantage de conserver le
droit du créancier contre lui. A insi, si celui-ci oppose
la suffisance de la liquidation , il sera sursis à statuer
�370
DES SOCIÉTÉS
jusqu’après la reddition des comptes du liquidateur;
mais la prescription se trouvera forcément suspendue
jusqu’après celle reddition.
Ainsi les créanciers ont, dans tous les cas, intérêt à
attaquer le commanditaire et ils sont recevables à le
faire. Si leur inaction s’est prolongée au delà de cinq
a n s , la prescription est acquise à ce dernier comme à
tous les associés non liquidateurs.
660.
— Nous admettons donc parfaitement la doc
trine de la cour de cassation ; ce que nous repoussons
absolument, c’est cette conséquence qu’on a voulu dé
duire de son a rrê t, à savoir que l’action du liquidateur
ou autres associés, contre les coassociés, se prescrit par
cinq ans, comme celle des créanciers. C’est le sens que
lui donne M. Dalloz dans le sommaire qu’il fait de l’ar
rêt : la prescription de cinq ans accordée par l’article
64 du Code de commerce, à l’égard des actions formées
contre les associés commanditaires, est applicable nonseulement aux actions intentées par les associés entre
eux, mais encore à celle des créanciers de la société.
Telle était, en effet, la question que l’arrêt lui-même
semble poser sur le moyen unique tiré , dit la cour de
cassation, de la fausse application de l’article 64 el de
la violation de l’article 26 du Code de commerce, en ce
que l’arrêt dénoncé a décidé que la prescription de
cinq ans s’applique à l’action qui appartient au liqui
dateur ou aux créanciers d’une société en commandite,
dirigée contre le commanditaire pour le contraindre à
�ART.
64.
371
restituer le montant de la commandite qu’il aurait re
tiré avant la liquidation de la société et le paiement des
dettes.
Mais c’est là une erreur matérielle. L’arrêt déféré à
le cour suprême ne s’occupait que de l’action directe
des tiers contre l’associé. Il se garde bien de la confon
dre avec celle du liquidateur, de laquelle il la distingue
parfaitement comme l’avait fait le tribunal lui-même.
En effet, devant ce premier degré de juridiction , il
paraît que le créancier poursuivant excipait de sa dou
ble qualité , celle de créancier lui donnant l’action di
recte, celle d’ayant cause du liquidateur lui permettant
de faire valoir les droits de celui-ci. Le tribunal écarte
la première action par application de l’article 64. Quant
à l’action indirecte, ce n’est plus dans cette disposition
que le tribunal va chercher les éléments de solution.
L’examinant au fond, il considère que le traité dont on
demande la nullité ayant été fait en 1826 , c’est-à-dire
sept ans avant la faillite de l’ancien gérant resté seul as
socié, avait été consenti à une époque où ce dernier était libre de faire tous les actes convenables à ses inté
rêts ; qu’en conséquence , valable en ce qui le concer
nait, le traité l’était également pour ses ayants cause,
ne pouvant avoir de plus grands droits que lui.
L’arrêt confirmatif du jugement en adopte les motifs
en ajoutant : « Attendu, au surplus, que le traité d’en
tre la dame Chivaud et le sieur Coptier jeune a été fait
de bonne foi. »
Nous avons donc raison de le dire, devant aucun des
�378
DfiS SOCIÉTÉS
degrés de juridiction on n’a confondu l’action du cré
ancier et celle du liquidateur. Ce n’est pas par la pres
cription de l’article 64 que cette dernière a été repous
sée, c’est par son examen et son appréciation au fond,
qu’on n’a pas même osé attaquer devant la cour de cas
sation .
Le pourvoi ne repose que sur le moyen unique de
l’application de l’article 64 à l’associé commanditaire,
application signalée comme faisant courir la prescrip
tion contre un créancier empêché légalement d’agir avant la liquidation. C’est cette unique difficulté que ré
sout la cour de cassation.
On ne peut donc trouver dans ce monument de ju
risprudence une doctrine, contraire à celle que nous avons adoptée , à savoir , que la disposition de l’article
64 se rapporte exclusivement à l’action directe des cré
anciers , et que le recours des associés entre eux dure
trente a n s l.
Ainsi donc, les associés non liquidateurs sont libérés
de l’action directe des créanciers, s’ils n’ont été person
nellement poursuivis dans les cinq ans de la dissolu
tion. C’est là une exception aux principes ordinaires en
matière de prescription. Le législateur ne se l’est pas
dissimulé, il l’a cependant formellement consacrée, cé
dant en cela à l’intérêt général du commerce, qui lui a
paru l’exiger ainsi.
1 Voy. s u p r a n° 649 ; et
in fra
n°* 679 et suiv.
�ART.
64.
661. — Ce caractère exceptionnel de l’article 64 ne
doit point être négligé. Il en résulte en effet que son
application est absolument subordonnée à la réalisation
des conditions qu’il prescrit, à savoir : la dissolution et
la liquidation de la société; la notification de l’un et de
l’autre par les moyens indiqués par les articles 42, 43,
44 et 46 du Code de commerce.
1’ Dissolution de la société et sa liquidation, =
Tant que la société existe, la responsabilité des associés
obéit au droit commun dans les limites tracées par la
loi commerciale. Ainsi les associés en nom collectif sont
indéfiniment et solidairement tenus. Les commanditai
res et les actionnaires d’une société anonyme jusques à
concurrence de leurs actions ou de leur mise , sauf le
Cas d’immixtion pour les premiers.
La fin de la société déplace les positions et les inté
rêts ; il n’y a plus alors qu’à régler les rapports entre
les associés et les créanciers. C’est à l’occasion de ce rè
glement que l’article 64 a été édicté ; il est donc évident
que sans la dissolution , en déterminant la nécessité,
l’article 64 resterait sans objet et sans but.
662. — Cependant, il n’est pas indispensable que
la société soit réellement dissoute. Il y a dissolution
toutes les fois que le personnel se modifie, et qu’un ou
plusieurs associés se retirent ; pour eux cette retraite est
la fin de la société et crée la nécessité de séparer celle
qui va suivre de celle qui a existé jusqu’alors. Le passif
auquel ils sont tenus se compose des dettes contractées
�374
DES SOCIÉTÉS
aniérïeuremenl à leur retraite et doit être payéau moyen
de l’actif social. Il y a donc dans les mesures à prendre
pour réaliser celui-ci et éteindre celui-là une véritable
dissolution, suivie d’une liquidation, dont la société nou
velle se trouve de plein droit chargée l.
Le système contraire a été cependant soutenu. « L’ar
ticle 64, a-t-o n dit, prononce que toutes actions contre
les associés non liquidateurs et leurs veuves, héritiers
ou ayants cause, sont prescrites par cinq ans après la
fin ou la dissolution de la société, si, etc.. . . . les ter
mes mêmes dans lesquels cette disposition est conçue
repoussent sous deux rapports l’application qu’on vou
drait en faire à la retraite d’un seul associé :
» \ 0 Cet article a en vue la fin ou la dissolution d’une
société, c’est-à- dire, le cas où la société cesse complè
tement d’exister , soit par l’échéance du terme que les
contractants avaient d’avance fixé pour sa durée , soit
par la séparation de la totalité des membres qui la com
posent. Or, un seul associé se retiran t, la société n’en
subsiste pas moins pour les autres associés ; il n’y a
donc ni fin, ni dissolution de la société ; l’article 64 ne
saurait, dès lors, être invoqué ;
» 2° Cet article fût-il applicable, il faudrait encore l’é
carter par la raison qu’il n’établit de prescription quin
quennale qu’en faveur des associés non liquidateurs, ce
qui suppose nécessairement qu’à côté de ceux-ci se trou-
�ART.
64.
375
vent des associés liquidateurs. Or , cette condition est
irréalisable quand , un seul associé se retiran t, la so
ciété continue et ne liquide pas.»
G63. — Tels étaient les motifs invoqués à l’appui
d’un pourvoi contre un arrêt de la cour de Montpellier
du 26 août 1829, consacrant le système contraire. Mais
ce pourvoi fut rejeté par la cour suprême, et devait l’ê
tre. C’est qu’en effet, il y a dissolution et fin de la so
ciété pour l’associé qui l’abandonne , et qui a dès lors
intérêt à s’affranchir de la responsabilité pour tout ce
qui a été fait jusque-là ; or, quelle justice y aurait-il à
prolonger cette responsabilité pendant toute la durée de
la société et cinq ans au delà.
Le reproche du défaut de liquidation et celui d’ab
sence de société nouvelle ne sont pas plus fondés l’un
que l’autre. Bien que l’ancienne société continue , il
n’y en a pas moins société nouvelle , car le personnel
n’est plus le même. La gestion de celle-ci n’est pas au
tre chose que la liquidation de la précédente , car elle
aura pour objet d’en éteindre le passif, soit par un paie
ment , soit en le confondant avec celui de la nouvelle
société1.
'
Il y a donc réellement dans la retraite d’un seul as
socié et une liquidation et une dissolution , et l’un et
l’autre, nous l’avons dit, sont une des conditions essen
tielles de l’application de l’article 64.
■X
1 Cassation, 6 juin 1830.
�376
DES SOCIÉTÉS
664: — La loi n’a nulle pari fait une obligation
de la liquidation et du choix d’un liquidateur. Elle ad
met seulement l’un et l’autre ; les associés sont donc li
bres d’en agir à leur convenance ; ils peuvent, réalisant
la liquidali'ôh , se paftàger l’actif à recouvrer, le passif
à éteindre; ou bien, Renvoyant le partage à une époque
ultérieure, déclarer que la liquidation sera en attendant
faite par eux tous.
Dans l'un et dans l’autre c a s , l’article 64 est inap
plicable. Il y aura bien dissolution, mais la liquidation
ne se sera pas réalisée. Or , c’est surtout cette dernière
que cet article suppose , en distinguant les associés li
quidateurs de ceux qui ne le sont pas ; cette distinction
est impossible dans les hypothèses que nous admettons.
Tous les associés ont réellement été liquidateurs ; au
cun d’eux ne serait, dès lors , recevable à invoquer le
bénéfice exclusivement réservé aux non-liquidateurs.
Ces raisons, puisées dans le texte de la loi, se corro
borent par son esprit. Ee qui a fait admettre la diffé
rence , si considérable dans la prescription opposable
aux divers associés, c’est que les non-liquidateurs n ’ont
en leur possession aucune des ressources sociales ; que
les livres, écritures valeurs, livres, fonds communs, sont
entre les mains des liquidateurs, tenus dès lors de faire
face aux diverses réclamations des créanciers, auxquel
les ils sont présumés être en position de satisfaire, ainsi
qu’à faire face aux 'demandes des divers créanciers.
L’absence de liquidation fait disparaître cette condi
tion; alors les ressources sociales sont réellement dans
�art.
51 a 63.
377
les mains de tous les associés. Ils s o n t, dès lors , tous
placés dans l’exception que l’article 64 accepte pour les
associés liquidateurs ; on doit en conséquence les traiter
comme tels.
Ainsi donc l’application de l’article 64 est rigoureu
sement subordonnée à l’existence d’un liquidateur. On
objectera, sans doute, que c’est là créer une nouvelle et
quatrième condition sur laquelle le législateur est com
plètement muet ; qu’en effet l’article 64 n’exige que le
concours de trois conditions : la première , que la so
ciété soit dissoute ; la seconde, que la dissolution en soit
notifiée au public; la troisième , qu’à cette notification
ait succédé un laps de cinq ans , sans poursuite judi
ciaire ; que, du moment que ce concours se réalise , la
prescription est acquise; et qu’on ne peut pas l’écarter
sous le prétexte du défaut d’une quatrième condition,
qui n’est pas expressément écrite dans la loi.
A cette objection qu’il s’adresse, Merlin répond :
« De ce que la nomination d’un liquidateur n’est
pas écrite textuellement au nombre des conditions du
concours desquelles la loi fait dépendre la prescription
quinquennale , il ne s’ensuit pas qu’elle n’y soit pas
mise implicitement; et il faut bien l’y sous-entendre,
si elle est dans la nature des choses. Or , comment ne
pas la regarder comme telle, lorsqu’on réfléchit au mo
tif de la loi, lorsqu’on fait attention qu’elle n ’accorde
aux associés le bénéfice de là prescription quinquennale
qu’autant qu’ils ne sont pas liquidateurs , e t , par con
séquent , qu’en considération de ce qu’ils sont dessai-
�378
DES SOCIÉTÉS
sis des fonds de la société ; que parce q u e , d’après les
mesures qu’ils ont prises pour se débarrasser de la li
quidation du passif so c ia l, ils ont placé ces fonds dans
les mains de l’un d ’eux ? 1 »
665.
— La nom ination d’un liquidateur est donc
dans les prévisions de la loi. Faut-il que ce liquidateur
soit un associé , pour que les autres associés soient ad
mis à invoquer le bénéfice de la prescription quinquen
nale ?
C’est là encore une question qui , en l ’absence d’une
disposition expresse de la l o i , ne peut être résolue que
par les motifs auxquels le législateur a obéi. Or , ces
motifs, tels que nous les avons déjà rappelés , amènent
à adopter l ’affirmative.
Il est d’abord à remarquer que cette solution s’in
duirait, en quelque sorte, du texte m ême de l’article 64.
F i restreignant la prescription quinquennale aux asso
ciés non liquidateurs , ne met-il pas ceux-ci en opposi
tion avec les associés liquidateurs ? Comment distinguer
entre eux si aucun des associés n ’est de fait investi de
cette qualité ?
Le m otif de la loi supposant que les uns sont abso
lum ent dessaisis, tandis que les liquidateurs sont nantis
de toutes les ressources suffisantes à l’extinction de l ’ac
tif , ne fait-il pas arriver à un résultat identique ? Si
l’application de l ’article 64 est la conséquence de cette
l Quest. de droit, v° Société, $ 11, n° 2.
�ART.
64.
379
double circonstance, ne faut-il pas reconnaître que, dans
notre hypothèse , cette application deviendrait un effet
sans cause ?
D’ailleurs, ce qui a été considéré comme une atté
nuation de la rigueur de la position que l’article 64 fait
aux tiers créanciers, c’est que s’ils perdent , après cinq
ans, tout recours contre les non liquidateurs , ils con
servent pendant trente ans leur action contre les liqui
dateurs. Or , à quoi leur servirait ce recours , si le li
quidateur .étant étranger à l’ancienne société, ne pouvait
être tenu qu’à raison de la liquidation, et jusqu’à con
currence des rentrées par lui opérées ?
Ajoutons que lorsque le liquidateur est choisi en de
hors des associés , il devient en réalité le simple man
dataire de ceux -ci : Qui mandat ipse fecisse videtur. Dans ce cas , les ressources sociales sont entre les
mains des associés. Ce sont eux qui les administrent,
qui les liquident par le moyen d’un prépesé. Ils doi
vent dès lors rester chargés de la responsabilité du
passif.
Ainsi, l’article 64 ne peut être invoqué que lorsqu’il
y a un liquidateur, et que ce liquidateur est pris parmi
les associés. Il est inapplicable dans le cas contraire,
c’est-à-dire s’il n’y a pas de liquidateur , ou si celui
qui en a reçu la qualité est étranger à l’ancienne so
ciété.
666.
— Notre doctrine sur ce point a été admise et
consacrée par deux a rrê ts, l’un de la cour de Rouen
�380
DES SOCIÉTÉS
du 24 mars 1847, l’autre de la cour de Paris du 29 mai
1856.
« Attendu, dit le premier, que la prescription de cinq
ans n’est admise par l’article 64 qu’en faveur des as
sociés non liquidateurs , et ne peut, par là même, pro
fiter aux associés liquidateurs, qui restent soumis à la
prescription de trente ans ;
» Attendu qu’il paraît donc évident que la loi a en
tendu concilier avec la faveur réclamée par le commerce
le respect dû aux droits des tiers , et que ce serait mé
connaître sa volonté que d’admettre que tous les mem
bres d’une société peuvent se soustraire à la prescrip
tion de trente ans en faisant choix de liquidateurs étrangers ;
» Attendu que des liquidateurs pris en dehors d’une
société sont de véritables mandataires , engageant leurs
mandants dans la limite du mandat qu’ils ont reçu ;
que dès lors, une société liquidée par des étrangers est
censée procéder elle-même à sa liquidation , et reste
soumise à la prescription de trente ans.1 »
« Attendu, dit le second, que le sieur Lavergne a été
nommé liquidateur de la société créée pour l’exploita
tion des fours à chaleur continue , par délibération de
l’assemblée générale de ladite société, en date du 11 dé
cembre 1848 , en remplacement des sieurs d’Yenne et
Vincent, précédemment liquidateurs démissionnaires;
�art.
81
a
63.
381
» Que ledit sieur Lavergne n’étant point sociétaire, il
en résulte que ladite société doit être considérée comme
faisant elle-même sa liquidation par l’intermédiaire de
son mandataire le sieur Lavergne ;
» Attendu , dès lors , que l’article 64 du Code de
commerce, opposé par le sieur Langlois, et qui déclare
prescrites, contre les associés non liquidateurs, leurs
veuves, héritiers ou ayants cause, toutes actions, cinq
ans après la fin ou la dissolution de la société, ne s’ap
plique pas à l’espèce, puisqu’il n’y a pas d’associé non
liquidateur.1 »
667.
™ Cet article est également sans application
au cas d’une dissolution par suite de la faillite. Cette
conséquence ressort clairement de la discussion législa
tive que nous avons rapportée. « S’il y a faillite, disait
M. Ségur , l’article cesse d ’être applicable. » Et cette
proposition trouva si peu de contradiction , que , dans
le résumé de la discussion , le prince archichancelier,
faisant remarquer que le système de l’article 64 ne
pouvait convenir au cas où il y avait faillite, ajoutait :
« Mais il est avoué que son effet cesse dans cette hypo
thèse.4 »
Il est vrai que l’archichancelier exprime le désir que
la rédaction s’en explique , et que cette rédaction ne
s’est pas conformée à ce désir. Que faut-il conclure de
1 J. du P., 1858, p. 813
3 Locré, 1.17, p. 277.
�382
DES SOCIÉTÉS
son silence ? Peut-on en tirer la conséquence que l’ar
ticle doit être appliqué malgré la faillite ? Evidemment,
non, sous peine de méconnaître les principes et de vio
ler l’esprit de la loi.
Celle-ci exige bien, pour l’application de l’article 64,
qu’il y ait dissolution et liquidation , et cela se réalise
dans le cas de faillite ; mais le caractère de l’une et de
l’autre, dans cette hypothèse, est tel qu’on ne saurait les
confondre avec la dissolution et la liquidation acciden
telles ou conventionnelles.
Ce qui distingue cette dernière , c’est qu’elle présup
pose la solvabilité de la société dont l’actif est présumé
suffisant pour éteindre et solder l’intégralité du passif.
Aussi la loi se garde-t-elle d’intervenir ; elle s’en remet
pour le mode et les formes de la liquidation , ainsi que
pour le choix du liquidateur, à la volonté libre des asso
ciés. Il y a même plus, cette présomption de suffisance
de l’actif est telle aux yeux du législateur, qu’il en lire,
comme conséquence , la responsabilité pendant trente
ans de l’associé liquidateur.
La déclaration de faillite est, au contraire, la cons
tatation légale de l’insolvabilité de la société et de son
impossibilité de faire face aux dettes. Dès lors la liqui
dation en est exclusivement réglée par la loi. Elle ne
' saurait, sous aucun prétexte . appartenir ni être exercée
par un associé ; elle n’a d’autre terminaison possible que
le concordat ou le contrat d’union.
Si concordat, la société et par conséquent ceux qui
la composent ne doivent plus rien que le dividende con-
�ar t
.
64.
388
venu ; l’excédant de la delte est éteint par la remise qui
en est consentie, et ne pourrait, dans aucun cas, deve
nir une occasion de recherche contre les associés. Il y
a donc novation dans la dette , et le paiement du divi
dende peut être demandé pendant trente ans. Le refus
de le réaliser ramènerait d’ailleurs l’état de faillite , et
annulerait le concordat.
Si contrat d’union , la liquidation est complétée par
les syndics chargés de répartir l’actif après l’avoir réa
lisé , les conséquences pour les débiteurs sont réglées
par la loi. L’article 539 leur fait une condition dif
férente , suivant qu’ils ont été déclarés excusables ou
non.
Tout cela est tellement exclusif de l’application de
l’article 64 , que si le législateur a gardé le silence sur
cette application, c’est qu’il a considéré la question com
me tranchée par l’évidence même.
Comment d’ailleurs concilier cet article avec la dé
fense faite aux créanciers d’une faillite de poursuivre
en leur nom contre le failli. Comment, en effet, les cré
anciers pourraient-ils acquérir contre le failli de plus
grands droits que ceux que leur confère la déclara
tion de faillite ? Toutes les poursuites qu’ils pourraient
diriger isolément et personnellement n’auraient donc
d’autre résultat que de multiplier fort inutilement les
frais.
La loi les a, dès lors, fort rationnellement prohibées;
mais par cela même les créanciers dispensés d’agir ne
pouvaient être contraints de le faire comme l’exige l’ar-
�t
384
DES SOCIÉTÉS
ticle 64. Nouvelle ei décisive raison de déclarer cei ar
ticle inapplicable en matière de faillite.
6 6 8 . — 2° Publicité de la dissolution et de la
liquidation. — La prescription est une véritable peine
de la négligence que le créancier met à poursuivre ses
droits. Elle n’est donc légitime et juste que lorsque cette
négligence existe, que lorsqu’elle a pu être évitée. Tout
cela n’est admissible qu’à partir du moment où le cré
ancier a été légalement mis en demeure d’agir.
La connaissance de la dissolution et de la liquidation
constitue cette mise en demeure. Elle indique aux cré
anciers la nécessité d’agir, en leur signalant la possibi
lité de l’application de l’article 64, et partant du bénéfice
de la prescription quinquennale courant contre eux au
profit des associés non liquidateurs. Elle les met donc à
même de s’y soustraire par leur diligence contre chacun
d’eux.
Or, en matière commerciale et pour ce qui concerne
les sociétés spécialement, la loi n’admet la connaissance
des tiers que par l’accomplissement des formalités
qu’elle prescrit dans les articles 42, 43 et 44 du Code
de commerce. C’est également à leur exécution qu’elle
subordonne la prescription quinquennale qu’elle édicte
dans l’article 64.
6 6 9 . — Seulement elle fait une distinction que com
mandait, ce semble, la nature des choses.
S’agit-il de la dissolution de la société par l’expira-
�ART.
64.
385
tion du terme convenu pour sa durée , les cinq ans
courront du jour de la fin de la société, si l’acte de so
ciété a été publié dans les formes légales. La société
n’existe plus dès que son terme conventionnel est échu.
Les créanciers, mis à même de connaître ce terme, n’ont
pas eu besoin d’un nouvel avertissement que l’article
46 ne prescrit que dans le cas où la société serait con
tinuée.
Que s’il s’agit d’une dissolution avant terme, son ca
ractère accidentel et imprévu exigeait que les tiers en
fussent instruits par les voies ordinaires. Aussi , nonseulement l’article 64 exige-t-il que cette dissolution soit
publiée et affichée1; mais encore il ne fait courir le délai
de la prescription que du jour de l’accomplissement des
formalités prescrites par les articles 4 2 , 4 3 , 44 et 46
du Code de commerce.
Cette interprétation de l’article 64 à l’endroit du point
de départ de la prescription a été contestée. M. Delangle, notamment, portant la parole devant la cour de
cassation , soutenait que le fait de la dissolution de la
société faisait courir la prescription. S’appuyant sur la
rédaction grammaticale de l’article 64, cet éminent ma
gistrat faisait remarquer que cette prescription avait
nécessairement pour point de départ la dissolution mê
me de la société, lorsque d’ailleurs cette dissolution avait
été rendue publique dans les formes et dans les délais
légaux.
670. — Mais après une longue et mûre délibéra
m
is
�386
DES SOCIÉTÉS
tion cette doctrine fut repoussée par la cour suprême.
L’arrêt rendu par la chambre civile , le 24 novembre
1845, consacre que la prescription ne court que du jour
de l’accomplissement des formalités de publication.Voici
les motifs que la cour invoque :
« Attendu, en droit, que la dissolution d’une so
ciété, avant le terme fixé par l’acte qui la constitue, ne
peut faire courir, contre les tiers, la prescription quin
quennale établie par l’article 64 du Code de commerce,
que si les tiers ont été.avertis de cette dissolution par
l’affiche et la publication de l’acte contenant la conv antion ;
'» Attendu , en effet, qu’une prescription ne peut
courir contre qui ne peut agir; que les tiers ne sont
pas mis légalement en demeure d’agir, en vertu d’un
acte de dissolution qui n’a point été porté à leur con
naissance par les moyens et dans les formes établis par
la loi ;
» Attendu que l’article 64 , après avoir dit que les
actions seront prescrites par cinq ans après la dissolu
tion de la société, si l’acte de dissolution a été dûment
affiché et enregistré , ajoute que c’est depuis cette for
malité remplie qu’il y a lieu de considérer si la prescrip
tion a été interrompue par une poursuite judiciaire , et
que cette dernière disposition indique suffisamment le
sens véritable de l’article entier, sens conforme aux
principes généraux sur la prescription \ »
i J. du P., 45, 8, 673.
�art.
64.
387
En d’autres termes, la cour de cassation interprète
l’article 64 par l’application rationnelle de la maxime,
contra non valentem agere non currit præscriptio.
Elle exige pour que la prescription puisse courir que les
créanciers soient mis en position , et par cela même en
demeure d’agir.
Or, cette mise en demeure ne peut résulter du fait
de la dissolution , excepté dans un seul cas , à savoir :
lorsque l’acte social ayant été publié, la dissolution ar
rive par l’expiration du terme fixé à la durée de la so
ciété. Dans tous les autres c a s, la dissolution a pu et
dû être ignorée des créanciers, mais cette présomption
d’ignorance cesse de plein droit, lorsque ce fait a reçu
la publicité légale. C’est donc celle-ci qui est la véri
table mise en demeure , et c’est du jour de son ac
complissement que le délai de la prescription doit être
calculé.
A ces considérations rationnelles, la cour de cassa
tion ajoute celle tirée du texte même de l’article 64 ;
cet article exige d’abord la publicité , il ajoute ensuite :
et si depuis cette formalité remplie , la prescription n’a
été interrompue par aucune poursuite judiciaire. N’estce pas là fixer expressément le point de départ de la
prescription au jour de l’accomplissement de la pu
blicité ?
671.
— Il résulte de ce qui précède que la pres
cription quinquennale, créée par l’article 64, a un point
de départ différent, selon qu’il s’agit de la dissolution
�338
DES SOCIÉTÉS
de la société par l’expiration du terme, ou d’une disso
lution conventionnelle et accidentelle. Dans cette der
nière hypothèse , c’est l’accomplissement des formalités
de publication qui fait courir la prescription. Dans la
première, c’est la fin de la société.
Mais l’article 64 suppose que l’expiration du terme a
réellement amené la fin de la société et sa dissolution
effective. En conséquence , si la société avait été de fait
continuée, les créanciers ne pourraient être écartés par
la prescription quinquennale. Ceux-ci ont donc le plus
grand intérêt à exciper de cette continuation , à en dé
montrer l’existence, ce qu’ils seraient recevables à faire
par la preuve testimoniale.
L’effet de cette continuation serait non-seulement d’é
carter toute application actuelle de l’article 64 , mais
encore de la subordonner dans l’avenir à la dissolution
légalement publiée. Ce qui résulte de cette continuation,
c’est que la société n’ayant pas fini avec le terme qui
lui était assigné n’en a plus aucun ; que dès lors la dis
solution ne peut plus être qu’accidentelle ; qu’en consé
quence la prescription ne commencera de courir que du
jour de l’accomplissement des formalités pour rendre la
dissolution publique1.
672.
— Telles sont les conditions auxquelles le lé
gislateur subordonne l’application de l’article 64. Leur
i Pardessus, n° 1090. — Troplong, n° 4049
�ART. 6 4 .
389
réalisation détermine la libération absolue et définitive
des associés non liquidateurs, libération à laquelle nulle
considération ne pourrait mettre obstacle.
En effet, la prescription de l’article 64 est impérative
et absolue ; elle doit être admise alors même qu’il se
rait prouvé que la dette réclamée n’est pas acquittée.
Nous l’avons déjà d i t , la présomption que cette pres
cription fait naître est non pas celle d’une libération de
l’ancien débiteur , mais celle d’une novation dans' la
dette, d’une remise consentie en faveur des non-liqui
dateurs. Cette présomption est définitivement acquise
par le seul laps de cinq ans écoulés sans poursuites; et
comme elle exclut toute preuve contraire, les tribunaux
ne pourraient légalement en refuser le bénéfice à celui
ou à ceux qui seraient fondés à le réclamer.
673.
— Dans la discussion de l’article 64 au con
seil d’Etat, M. Réal demandait si la prescription de cinq
ans courait contre les mineurs ? Le prince archichancellier répondit que , de droit commun , la prescription
était suspendue par la minorité : contra non valenlem
agere non ouvrit prœscriptio ; mais qu'il faudrait que
la rédaction fit apercevoir ce principe L
Pour la seconde fois, ce vœu n’a pas été rempli.
L’article définitivement adopté est muet sur ce qui est
relatif au mineur. Que faut-il conclure de ce silence ?
que la prescription n ’est pas opposable au mineur ?
1 Locré, t. 17, p. J7S.
�t
390
'
'
.
.
,
DES SOCIÉTÉS
C’est, en effet, ce que M. Locré enseigne dans VEsprit
du Code de commerce.
Mais cette opinion n’est pas acceptable ; elle ne pour
rait trouver un fondement quelconque dans la discus
sion législative , la demande de M. Réal et la réponse
de l’aïchichancelier ne pouvant être considérées comme
tranchant définitivement la question.
Il résulte, au contraire, de la dernière , que l’article
aurait dû s’en expliquer ; et cette observation était fort
juste, car le bénéfice réclamé pour les mineurs était une
exception au droit commercial. O r, comment admettre
qu’on puisse en consacrer aucune si la loi ne s’en ex
plique pas formellement ?
Or, il est de doctrine que toutes les fois que le Code
de commerce établit ses prescriptions en termes géné
raux , il régit les mineurs comme les majeurs ; c’est ce
que M. Locré enseigne lui-même à l’endroit de l’article
189 du Code de commerce. « Ces mots,— toutes actions,
» dit-il, en traitant de cet article,— qui excluent toute
» exception, quelle qu’elle soit, font aussi courir la pre» scription contre les mineurs non marchands et contre
» les interdits, conformément au droit établi par l’or» donnancede 1673. Il ne faut pas parce qu’une lettre
» de change ou un billet à ordre tombe, par succession
» ou autrem ent, entre les mains d’un incapable , que
» toutes les opérations commerciales dont cet effet a
» été ou est encore l’instrument soient suspendues. C’est
» ainsi que le Code civil, qui établit la règle générale
» que la prescription no court pas contre les mineurs et
�ART. 64.
»
»
»
»
»
»
391
les interdits, fait cependant cesser cette règle à l’égard
des actions dont la durée ne peut se prolonger sans
inconvénients. Il n’est donc plus d’action résultant,
soit d’une lettre de change , soit d’un billet à ordre,
quand il est effet de commeVce', qui ne tombe sous la
prescription quinquennale. »
Telle est l’opinion que professe également M. Pardes
sus. « La prescription de l’article 189, —dit-il,— court
» contre toute personne, même contre les mineurs, les
» interdits et les absents. Quoique le Code de commerce
» n’en contienne point de dispositions formelles, on ne
» saurait conclure de son silence qu’il faille appliquer,
», dans ce cas , la règle qui met ces individus à l’abri
» de la prescription. Outre que cette règle avait déjà
» reçu dans lé Code civil une première modification par
» l’article 2278 , on ne doit pas perdre de vue que ce
» même Code avait posé en principe , dans son article
» 1107, que les transactions commerciales sont assu. » jetties à des règles particulières qui sont établies par
» les lois du commerce. On peut conclure de la géné
r a l i t é des expressions de l’article 189, qu’on ne sau» rait admettre aucune exception, puisqu’il soumet à la
» prescription toutes actions, sans distinction de ceux
» à qui elles appartiennent.1 »
Voilà donc le droit commun en matière de commer
ce. Là où les expressions de la loi sont générales, s’a -
1 Des
le ttre s
de change, n» 334.
�392
DES SOCIÉTÉS
git-il d’une prescription, d’une déchéance, elle régit les
mineurs et les incapables, comme tous les autres ma
jeurs. On comprend pourquoi le prince archichancelier,
après avoir cité le principe de droit civil relatif à l’in
terruption de la prescription par la minorité, demandait
que ce principe fût rappelé dans l’article 64.
Or , non-seulement ce rappel n’a pas eu lieu , mais
encore on a conçu la disposition en termes généraux
identiques à ceux de l’article 189 : « Toutes actions
contre les associés, » dit l’article. Il faut donc, de toute
nécessité , appliquer à l’article 64 tous les effets qu’on
déduit de l’article 189. Si les mineurs et les interdits,
dit Merlin , sont compris dans la disposition de l’article
189, il n’y a ni ne peut y avoir aucune raison pour ne
pas les comprendre légalement dans la disposition de
l’article 64.1
Telle est aussi la conclusion à laquelle arrive M. Delangle. Après avoir rappelé l’unanimité de la doctrine
sur les effets de l’article 189, M. Delangle ajoute : « La
» rédaction de l’article 64 est identique à celle de l’ar» ticle 189 , elle doit donc avoir le même sens et les
» mêmes effets.
» La loi civile elle-même a posé le principe de cette
» solution dans l’article 2278 , en soumettant le mi» neur comme le majeur à la prescription, dans les cas
» où la réclamation ne pouvait sans inconvénients être
1 Ripert., v° sopfélés, sect. 6, n° 4,
�ART.
»
»
»
»
»
»
04.
ajournée au delà d^un certain tem ps, à plus forte
raison le faut-il appliquer aux sociétés commerciales, où le premier besoin est de fixer les positions,
afin q u e , dégagé de ses premiers liens , le négociant
puisse entreprendre de nouvelles affaires en toute sécurité.1 »
Il serait impossible de rien ajouter à de si nombreu
ses , de si imposantes autorités. Nous nous bornons à
conclure que la prescription court contre les mineurs et
les interdits; que le décider autrement c’était détruire
toute l’économie de la loi et en méconnaître l’esprit.
Comment admettre en effet qu’elle n’ait pas voulu lais
ser pendant trente ans les associés non liquidateurs sous
le coup de leurs engagements primitifs , s i , au moyen
de l’interruption par la minorité des créanciers succes
sifs, ce terme pouvait non-seulement être atteint , mais
même dépassé ?
,
'
.
I
*
674* — Un des plus importants effets de la pres
cription quinquennale de l’article 64 est de placer les
associés non liquidateurs à l’abri de toute déclaration
ultérieure de faillite.
En principe, les créanciers d’une société qui ne sont
pas payés peuvent provoquer sa mise en état de faillite.
Ce qui résulte de là , c’est la faillite de tous les associés
en nom collectif, que le jugement déclaratif doit nomi-
�394
DES SOCIÉTÉS
nalement comprendre , et dont la personne et les biens
sont soumis aux mesures prescrites par la loi.
Ce droit incontestable, pendant la durée de la so
ciété , ne saurait être contesté après la dissolution , c’est
ce qui a été reconnu formellement lors de la discussion
au conseil d’Etat ; c’est ce qui résulte d’ailleurs de ce
principe que la dissolution et la liquidation, n’ayant en
vers les tiers aucune force obligatoire, ne sauraient
changer leurs droits, en altérer l’essence, en modifier la
nature.
Mais une déclaration de faillite suppose, d’une part,
une dette due et non payée, de l’autre, la qualité de dé
biteur chez la personne qui en est l’objet. Or, tout cela
se réalise pour les associés non liquidateurs pendant les
cinq ans de la liquidation. Rien donc que le paiement
effectif de la dette ne saurait, pendant cette période, les
exonérer de la poursuite en faillite.
Mais les cinq ans expirés, ils sont définitivement libé
rés. La dette est éteinte, et avec elle disparaît toute obli
gation. Il n’y a donc plus aucun aliment possible à une
déclaration de faillite, qui devient dès lors à tout jamais
impossible.
Admettre qu’elle pût être requise, et que son effet pût
rejaillir sur les non liquidateurs, ce serait annuler l’ar
ticle 64 , puisque l’action directe que cet article déclare
éteinte par la presciption de cinq ans revivrait au moyen
de la faillite, et qu’ainsi on atteindrait indirectement le
but que la loi prohibe d’obtenir directement. La loi au-
�a r t .,
64.
395
rait donc retiré d’une main ce qu’elle donne de l’autre,
ce qui est inadmissible.
En conséquence , la prescription quinquennale ac
complie , les associés non liquidateurs sont définitive
ment et à tout jamais libérés. Ils sont à l’abri de tou
tes recherches ultérieures de la part des tie rs, et sur
tout d’une mise en état de faillite. Les créanciers sont
censés avoir fait novation à leurs droits , s’être conten
tés de la garantie que leur offre la liquidation. C'est
donc contre celle-ci que doivent se concentrer toutes
leurs poursuites, et conséquemment elle seule qu’ils
pourraient, s’il y avait lieu , faire déclarer en état de
faillite.
Nous disons s’il y avait lieu. En effet, pour que la
faillite du liquidateur soit possible , il faut que celui-ci
soit personnellement obligé aux dettes. Or, cette obliga
tion n’existe que si le liquidateur est un ancien associé.
Ce n’est donc que dans ce cas que la faillite pourrait
être utilement poursuivie, mais contre l’associé liquida
teur seulement.
675. — La responsabilité des liquidateurs est plus
ou moins étendue, suivant qu’ils sont ou non associés.
La liberté des associés dans le choix qu’ils sont appelés
à en faire est entière et absolue. Ils peuvent donc revê
tir de cette qualité , soit un associé ordinaire , soit un
des associés commanditaires, soit un tiers étranger à la
société.
Dans cette dernière hypothèse, le liquidateur n’est et
�396
DES SOCIÉTÉS
ne peu! êîre tenu qu’eu sa qualité de'mandataire, qu’à
raison de sa gestion. Ainsi chargé d’administrer , il est
responsable de sa faute , de sa négligence , à plus forte
raison de son dol et de sa fraude, et tenu de réparer le
préjudice en résultant, pouvant seul réaliser l’actif, per
cevoir les créances, il doit éteindre les dettes. Il est mê
me à cet effet contraignable par coçps, mais seulement
à l’endroit des sommes qu’il aurait réellement touchées.
Il ne saurait être tenu sur ses autres biens , que si,
compte fait, il était constitué reliquataire d’une somme
quelconque.
La responsabilité du liquidateur associé commandi
taire est plus étendue; mais elle est à son tour restreinte
par sa qualité même. Un associé de ce genre n ’a pas
d’autre obligation que celle de verser sa mise; ce ver
sement le soumet à l’action personnelle. Donc , s’il ne
l’a pas opéré avant ou depuis la liquidation, il pourra,
en sa qualité de liquidateur , y être contraint pendant
trente ans.
,
Mais du jour où il a complété le paiement de sa mi
se , il est à tout jamais affranchi de l’obligation person
nelle ; il ne peut être tenu à l’avenir qu’à raison de la
liquidation, et comme le serait le tiers liquidateur étran
ger à la société.
Il n’y a plus aucune distinction à faire dans le cas
d’un liquidateur, associé ordinaire. Personnellement et
solidairement tenu de toutes les dettes , il devra les
payer à toute réquisition. Seulement , comme liquida
teur , il devra payer avec les valeurs de la liquidation ;
�ART. 6 4 .
397
comme associé , il devra payer avec ses propres res
sources i
0 7 6 . — On a agité l’importante question de savoir
si le liquidateur associé ordinaire est tenu pendant
trente ans, aussi bien comme obligé personnel que com
me liquidateur, ou bien si l’obligation personnelle étant
éteinte au bout de cinq ans , il ne peut être désormais
recherché jusqu’après trente ans que par l’action du
comptable ?
Cette question parait nettement tranchée par le texte
même de l’article 64. La prescription quinquennale
qu’il crée est une évidente exception au droit commun,
d’où cette première conséquence forcée qu’elle ne pourra
être invoquée que par ceux en faveur desquels elle a été
nominativement introduite. O r, dans l’espèce , ceux-là
sont les associés non liquidateurs. Il est évident, dès lors,
que les liquidateurs ne pourront s’en prévaloir, et qu’ils
demeurent soumis à la prescription frentenaire. Us sont
irrecevables à invoquer l’article 64 , précisément parce
qu'ils ne remplissent pas la condition à laquellese trouve
subordonné le bénéfice qu’il confère.
677.
— La conséquence logique que nous en tirons
ne saurait être méconnue; aussi MM. Malepeyre et
Jourdain, qui enseignent l’extinction de l’obligation
personnelle de l’associé liquidateur, par la prescription
i Troplong, art. 1878, n® 1045.
�398
DES SOCIÉTÉS
y
de cinq a n s , n’hésitent pas à en reconnaître la jus
tesse.
« Si nous nous arrêtons seulement à la lettre de la
lo i, disent ces estimables jurisconsultes, nous voyons
qu’elle prononce la prescription seulement des actions
contre les associés non liquidateurs ; d’où il paraît ré
sulter que cette prescription n’a pas lieu à l’égard des
actions contre les associés liquidateurs.
» Mais si nous allons plus loin, si nous recherchons
l’esprit de l’article 64 du Code de commerce , dans les
motifs qui l’ont fart admettre, nous verrons que le lé
gislateur n’entendait réserver d’actions contre les asso
ciés liquidateurs qu’en leur qualité de liquidateurs , et
en raison de ce qu’ils étaient Revenus les détenteurs des
valeurs de la société, et nullement en leur qualité d’as
sociés et comme personnellement obligés.»
MM. Malepeyre et Jourdain s’eD réfèrent aux pro
cès-verbaux de la discussion de l’article au conseil d’E
tat; et après en avoir extrait diverses opinions, ils ajoutent : « Il résulte évidemment de ce qui précède
que, dans l’esprit du législateur, l’action n’est conservée
contre l’associé liquidateur que comme détenteur des
valeurs de la société.1 »
678.
— Ces arguments n’ont rien de sérieux. Qu’
importe , en effet, le silence gardé par la loi sur l’ac
tion personnelle de l’associé? Cette action, conséquence
I Page 343 .
�art .
64.
399
de l’obligation sociale , est née avec l’engagement luimême. Elle a donc préexisté à la liquidation, et ne sau
rait, dès lors, être modifiée par elle.
Le législateur n’avait donc à s’en préoccuper que s’il
voulait en subordonner l’extinction à d’autres causes et
dans un délai différent que ce que le droit commun
consacre. Cette dérogation, qu'il était utile de prévoir, a
été effectivement prévue, mais elle est exclusivement en
faveur des non liquidateurs. Serait-il possible de voir là
l’extinction de l’obligation personnelle des liquidateurs
associés ordinaires ?
Donc, en les excluant de l’exception, la loi les laisse
soumis au droit commun. Sans doute, une des raisons
qui l’ont fait ainsi admettre est que le liquidateur nanti
de tous les documents, de toutes les ressources, de tous
les fonds sociaux , est chargé de payer les créanciers,
est présumé pouvoir le faire, car l’absence de toute
poursuite en déclaration de faillite suppose la solva
bilité dé la liquidation. Mais à ce motif s’en joint un
autre. Si l’action contre les non liquidateurs se prescrit
par cinq ans, c’est que ces associés, s’étant dessaisis de
tout, sont devenus en quelque sorte étrangers à la so
ciété, et qu’on ne doit pas les tenir trop longtemps
sous l’obligation de payer ce qu’ils ont indiqué aux
liquidateurs de payer. O r, cette condition comment
pourra-t-elle jamais se réaliser pour un associé liqui
dateur ?
La détention de l’actif social, loin d ’être un motif
d’extinction de l’obligation personnelle, est, au contrai-
�400
DES SOCIÉTÉS
re, ce qui l’empêche de prescrire. Ce n’est, en effet, que
parce qu’ils y ont renoncé, que les associés non liqui
dateurs sont, après cinq ans, affranchis de toute action
de la pari des créanciers.
Le système de MM. Malepeyre et Jourdain est donc
inadmissible. Mais, loin de le croire ainsi, ces deux ho
norables jurisconsultes trouvent que seul il est en har
monie avec l’article 64.
« En effet, disent-ils, si l’action n’est conservée pen
dant trente ans , contre les associés liquidateurs , que
comme détenteurs des fonds de la société , ne pouvant
eux-mêmes être poursuivis qu’à raison des sommes
qu’ils ont reçues pour la société, ils n ’auront jamais oc
casion de recourir par action personnelle contre les au
tres associés.
» Si, au contraire, on admettait que les associés li
quidateurs pussent être poursuivis personnellement et
indéfiniment par les créanciers de la société, il faudrait
nécessairement leur reconnaître une action récursoire
contre les autres associés, car autrem ent, par la négli
gence d’un créancier , et sans avoir pu l’empêcher , ils
se trouveraient seuls obligés pour toute la dette sociale,
ce qui serait*inique. Mais ce recours ne serait autre
chose qu’une action indirecte contre les associés autres
que les liquidateurs , pour raison des engagements de
la société, ce qui détruirait la disposition de l’article 64,
qui déclare prescrites toutes actions contre les asso
ciés. »
�ART.
401
64.
679.
— MM. Malepeyre et Jourdain ne font ici que
justifier une ereur par une erreur nouvelle. En effet,
l’article G4 a bien la portée qu’ils lui refusent, c’est-àdire que les seules actions qu’il déclare prescriptibles
sont celles que les créanciers prétendraient exercer con
tre les associés non liquidateurs. Dès lors, il laisse l’ac
tion sociale à la prescription ordinaire.
Rappelons-nous la discussion au conseil d’Etat. « On
» n’a certainement pas calculé , disait M. Treilhard,
» toutes les suites de cette disposition. Il en résulterait
» que les associés conserveraient jusqu’après la liqui» dation l’action sociale les uns contre les autres, tandis
» qu’après cinq ans leurs créanciers n’en auraient plus
» contre eux. »
Voilà donc l’interprétation législative qu’on faisait de
l’article 64 , et cette interprétation était acceptée par
tous, seulement on la justifiait. « La durée de l’action
» entre associés, disait M.Regnaud de Saint-Jean d’An» gely, importe peu aux tiers. Mais il importe beau» coup aux associés que leurs actions se prolongent,
» parce que les recouvrements et les comptes peuvent
» entraîner un laps de temps considérable. Il faut quel—
» quefois plus de trente ans pour opérer les recouvre» ments ; dès lors, la prescription entre associés ne peut
» être d’une moindre durée.1 »
Il n’y a donc pas à en douter; les expressions de
1 Procès-verbal du M février 1807, n® 37 et 47.
m
26
�402
DES SOCIÉTÉS
l’articl 64, toutes actions, ne peuvent s’entendre que
des actions que les tiers voudraient exercer contre les
associés. Le terme de cinq ans , suffisant pour l’exer
cice de celles-ci, ne pouvait suffire à celui des actions
des associés entre eux , car souvent le fait donnant lieu
à l’action, c’est-à-dire la poursuite ou la condamna
tion en faveur d’un tiers , ne se réaliserait qu’après les
cinq ans , et qu’ainsi on déclarerait prescrit un droit
qui ne serait né qu’après l’accomplissement de la pres
cription. .
A ces raisons , tirées des principes généraux du droit
et de l’esprit de l’article 64, vient s’en joindre une autre
tirée de son texte. La prescription est subordonnée à la
publicité de la fin ou de la dissolution de la société. Ce
n’est même que de l’accomplissement des formalités
que cette publicité exige que le délai de cinq ans com
mence de courir. N’est-il pas évident, dès lors, que cet
article ne dispose que pour les tiers ? Est-ce que le dé
faut de publicité a jamais empêché les conventions entre
associés de produire tous leurs effets du jour même de
leur date ? 1
Le liquidateur a donc , même après l’expiration des
cinq ans, un recours contre ses coassociés pour les faire
contribuer dans le paiement des sommes qu’il a dépen
sées dans l’intérêt commun. T ous, comme ses coasso
ciés , ont le droit d’exiger de l u i, avant comme après
1 Delangle, n° 785
�ART. 64.
cette période , le partage des recouvrements par lui opérés. La doctrine que nous déduisons de l’article 64
est donc fondée sur la plus juste , la plus équitable ré
ciprocité.
.
Est-il
, comme renseignent MM. Male680
peyre et Jourdain, qu’elle détruit la disposition de l’ar
ticle 64 ? Nous avons déjà réduit ce reproche à sa juste
valeur K Qu’il nous soit permis de compléter notre dé
monstration par le rappel de la réponse qu’y fait M.
Troplong :
« J ’accorde que l’associé liquidateur , personnelle» ment recherché après cinq a n s , aura une action ré» cursoire contre ses coassociés; l’opinion qui la lui
» refuserait serait inique et absurde. Jamais les prin» cipes d’égalité en fait de société , jamais les princi» pes d’équité en fait de mandat, ne permettront d’op» poser entre associés la prescription quinquennale.
» Cette prescription n’est une arme que contre les re» cherches tardives venues du dehors. Mais de là je ne
» conclus p a s , avec MM. Malepeyre et Jourdain , que
» les associés non liquidateurs perdent le bénéfice que
» l’article 64 leur attribue ; car il y a une grande diffé» rence entre l’action directe des tiers et l’action ré» cursoire de l’associé liquidateur : l’exemption de celle» là est un bienfait ré e l, que ne détruit pas l’exercice
» de celle-ci. D’abord , les coassociés en nom collectif
i Voy. supra n° 649.
�404
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
DES SOCIÉTÉS
auraient pu être poursuivis solidairement et pour le
tout ; mais par l’effet du recours en garantie, leur coassocié ne peut plus leur demander que leur part et
portion. Nos auteurs croient-ils que ce soit là un
médiocre avantage? De plus, l’action directe les aurait obligés à payer sur-le-champ , sans objection
comme sans division. Mais sur l’action récursoire, ils
peuvent opposer à leur coassocié toutes les exceptions
personnelles qui militeront contre lui. Il n’en faut
pas davantage , dès lo rs, pour trouver à l’article 64
une grande utilité , et en mettre le sens réel d’accord
avec le sens apparent.1 »
Qu’importe maintenant que les créanciers soient re
cevables „ en vertu de l’article 1166 du Code civil, à
exercer contre les associés l’action que pourrait intenter
contre eux le liquidateur. La nature de cette action
changera-t-elle entre leurs mains ? En sera-t-elle moins
purement récursoire ? Les associés perdront-ils le droit
d’opposer toutes les exceptions qu’ils pourraient faire
valoir contre le liquidateur lui-même ?
Or, parmi ces exceptions il peut s’en rencontrer une
tellement péremptoire qu’elle est un obstacle invincible
à toute action. Il n’est pas rare, en effet, qu’au moment
d elà dissolution, l’associé acceptant la liquidation traite
avec ses coassociés, et se charge de cette liquidation à
1 N» 1051 . — Conf. Merlin, Quest.
—Pardessus, n° 1090
de d r o it,
v* so cié té s , S 11, n° 5 ;
�AKT.
64.
ses périls et risques moyennant un abandon ou un sa
crifice convenu.
Evidemment cette convention , étrangère aux tiers
créanciers, ne saurait leur être opposée ; elle n’a pu al
térer ni modifier leurs droits. En conséquence, les asso
ciés poursuivis par action directe ne pourraient se pré
valoir du contrat ; ils seraient obligés de payer , sauf
leur recours contre le liquidateur.
Mais si après la prescription de l’action directe les
fiers revenaient contre les associés en vertu de l’article
1166 , le contrat deviendrait contre eux une cause pé
remptoire d’exception. Cette exception, qui ferait écon
duire le liquidateur lui-même, produirait un effet iden
tique contre ses ayants cause.
681. — Concluons de ce qui précède :
1° Que le liquidateur qui est en même temps associé
ordinaire est obligé en sa double qualité , et que l’ac
tion née de sa mission, comme l’action personnelle qui
a préexisté à la dissolution, ne s’éteignent l’une et l’au
tre que par la prescription de trente ans;
2° Que pendant la durée de sa responsabilité, et à
quelque époque que le besoin s’en réalise , il a le droit
de recourir contre ses associés et de leur demander à
chacun d’eux la part et portion leur afférant dans les
sommes payées à la décharge de la société ;
3° Que ce recours, appartenant à l’associé liquida
teur comme au liquidateur non associé, peut être exercé
par les créanciers, en force de d’article 1166 du Code
�406
DES SOCIÉTÉS
civil. Mais, dans cette hypothèse, les créanciers simples
ayants cause du liquidateur sont passibles de toutes les
exceptions opposables à celui-ci, et doivent être écartés
par les moyens qui l’écarteraient lui-même.
6 8 2 . — Le liquidateur peut-il, en abandonnant la
liquidation et renonçant à la mission dont il s’était
d’abord chargé , s’exonérer de la responsabilité dont le
grève cette qualité ?
Cette question paraîtrait ne pouvoir souffrir aucune
difficulté. Le motif de l’obligation de l’associé liquida
teur est d’abord cette qualité même , puis la détention
matérielle des ressources de la société. Dès lors, si celui
qui en avait d’abord accepté les fonctions les résigne,
s’il restitue tout ce qu’il détient, à quel titre le consi
dérerait-on comme tenu pour l’avenir ? N’est-il pas ré
ellement devenu un associé non liquidateur , et pour
quoi lui refuserait-on le bénéfice de l’article 64 ?
6 8 3 . — Cependant cette même question a été né
gativement résolue par le tribunal de commerce de la
Seine, le 1er avril 1846. Ce jugement, toutefois, ne s’oc
cupe nullement des conséquences, il se borne à consta
ter le principe. Faisant des fonctions de liquidateur un
véritable sacerdoce, il les déclare indélébiles.
« La nomination du liquidateur dans l’acte de dis» solution,— disent les motifs, — est définitive et irré» vocable ; cet acte et cette nomination ont formé un
» contrat entre les tiers et les associés, qui ne peut
�art.
64.
407
» plus être modifié qu’avec la participation des pre» miers ;
» Vainement exciperait-on de la publicité légale que
» le remplacement aurait reçue ; cette publicité, modi» ficative du droit commun , ne peut sortir à effet que
» lorsque la loi l’a ainsi formellement décidé ; or , si
» l’article 64 a prescrit les formalités à remplir pour
» que, sans qu’il y ait lieu à appeler les tiers à la dis—
» solution, l’un des membres d’une société restant seul
» dans les conditions de tous les autres commercants,
*
» tandis que ses coassociés pourraient opposer une
» prescription exceptionnelle de cinq ans , cet article
» n’a pas prévu le cas où, après avoir accepté les fonc» fions de liquidateur , ledit liquidateur viendrait à les
» résigner.
» Dès lo rs, lié par un contrat tant avec ses coas» sociés qu’avec les tiers , il ne saurait se dégager des
» liens par lui pris que par les voies ordinaires. Ce
» remplacement consenti, seulement par les membres
» de la société dissoute , ne saurait être valablement
» opposé aux tiers qui n’y ont pas été parties. »
Ces motifs n’ont rien de grave, rien surtout de juri
dique. Ils renferment une singulière appréciation de la
nature de la liquidation et des effets de la publicité qu’
elle reçoit.
La liquidation n’a et ne peut avoir aucune influence
sur le sort des créanciers. Ils ne sont pas même obligés
de s’adresser à celui qui la dirige , si ce n’est dans le
�408
DES SOCIÉTÉS
cas où ils veulent acquérir des droits définitifs contre
l’actif social.
La publicité de la liquidation n’a donc d’autre but à
cet égard que celui d’indiquer le dépositaire de cet ac
tif , _et celui qu’il faudra actionner pour l’atteindre.
Qu’importe aux créanciers que cette personne puisse va
rier, que le liquidateur soit Pierre, Jacques ou Joseph ?
la poursuite exercée contre le titulaire n’en grèvera pas
moins l’avoir social. Il suffit donc de la publicité des
choix successifs pour que l’intérêt des tiers soit à cou
vert.
Dira-t-on que la résignation des fonctions de liqui
dateur pourra s’effectuer après cinq ans, c’est-à-dire à
une époque où les associés non liquidateurs auront ac
quis leur libération par la prescription quinquennale !
Qu’importe ? est-ce que le maintien du liquidateur em
pêchera cette libération , et s’opposera à ce que l’action
directe ne soit définitivement éteinte? De quoi se plain
draient donc les créanciers ? De ce qu’on soustrait le
liquidateur démissionnaire à l’action personnelle qu’ils
pouvaient exercer contre lui ? Mais cet effet ne se pro
duit pas hic et nunc. Pendant cinq ans encore le li
quidateur pourra être poursuivi, car pour lui la pres
cription de l’article 64 ne commencera que du jour où
sa retraite aura été publiquement annoncée dans les
formes tracées par la loi. Ce délai de cinq ans est donc
plus que suffisant pour mettre à couvert les prétentions
que lie» créanciers pourraient vouloir exercer contre le
liquidateur démissionnaire.
«
�art.
64.
409
684w — On ne doit donc pas s’étonner de la réfornjation du jugement que, sur l’appel, consacra la cour
de Paris. Il est bon de placer les motifs de l’arrêt en
regard de ceux du jugement que nous venons de trans
crire :
« Considérant qu’aux termes de l’article 64 du Code
de commerce, toutes actions contre les associés non li
quidateurs sont prescrites cinq ans après la fin ou la
dissolution de la société ; que si les créanciers conser
vent par cela même tous leurs droits contre l’associé
liquidateur qui, vis-à-vis des tiers , est le représentant
de la société, et q u i, se trouvant nanti de tout l’actif
social, est obligé en conséquence au paiement des det
tes sociales , il ne résulte cependant ni du texte , ni de
l’esprit de la lo i, que cette obligation , attachée à la
qualité d’associé liquidateur , soit absolue et indétermi
née , notamment qu’elle doive survivre au remplace
ment de l’associé liquidateur , opéré d’une manière ré
gulière et suivi de reddition de comptes , et qu’elle doi
ve , en ce cas, s’étendre au delà des limites de la pres
cription déterminées en faveur de l’associé non liqui
dateur ;
» Considérant que l’article 46 du Code de commer
ce, dans l’intérêt des tiers, soumet aux formalités d’en
registrement et de publicité prescrites par l’article 42
du Code de commerce tout changement ou retraite d’as
socié, toutes nouvelles stipulations ou clauses;
» Qu’il s’en s u it, par voie d’analogie , que l’associé
liquidateur qui a été rémplacé par son coassocié, après
�410
DES SOCIÉTÉS
s’êire conformé auxdites dispositions, avoir rendu ses
comptes, s’être dessaisi de toutes les valeurs, de tous les
livres et titres de la société, n’est plus qu’un associé non
liquidateur , et a le droit d’invoquer la prescription de
cinq ans à partir du jour de sa retraite;
» Que les créanciers de la société qui n’ont exercé
aucune action dans cet intervalle de temps seraient fon
dés, sans doute, à critiquer les comptes par lui rendus
de sa gestion ; mais qu’ils ne peuvent prétendre qu’il
est personnellement responsable , pour le passé , des
dettes de la société , pour l’avenir, des faits de gestion
du nouveau liquidateur.1 »
685.
— L’incontestable légalité de ces motifs place
l’arrêt à l’abri de tout reproche quant au principe.
L’unique observation dont il soit susceptible est sur le
point du départ de la prescription quinquennale , qu’il
semble placer au jour de la retraite de l’associé liqui
dateur.
Ainsi formulée, cette proposition nous parait erro
née. Il ne suffit p a s , en effet,' que la retraite du pre
mier liquidateur se soit réalisée , qu’elle ait même été
suivie de son remplacement effectif ; il faut encore qu’
elle ait été connue des tiers, contre lesquels on ne peut
prescrire tant qu’ils ne sont pas en demeure d’agir.
Or, dans notre hypothèse comme dans toutes les autres,
cette mise en demeure n’est légalement opérée que par
1 20 avril 1847; -
J. du P.,' 47, 1, 491,
�ART.
64.
411
la publicité donnée au fa it, dans les formes prescrites
par la loi.
En conséquence , la prescription quinquennale ne
court, en faveur de l’ancien liquidateur , que du jour
de l’accomplissement des formalités destinées à rendre
sa retraite publique et notoire. C’est là d’ailleurs une
induction logique du texte et de l’esprit de l’article 64
lui-même.
Ainsi, lorsqu’il s’agit d’une dissolution accidentelle et
avant terme, cet article ne fait partir la prescription que
du jour de l’accomplissement des formalités de publi
cation. Pourrait-il en être autrement dans le cas de la
démission de l’associé liquidateur ? N’est-elle pas un
événement imprévu et accidentel ? Les tiers ont-ils pu
la connaître avant qu’elle leur ait été légalement dénon
cée par la publicité ?
En résumé , l’associé qui a accepté les fonctions de
liquidateur n’est pas définitivement lié ; il peut s’en dé
mettre à sa convenance sans que les tiers puissent s’y
opposer, lorsque les associés y ont consenti.
Les effets de cette démission le relèvent de sa sou
mission à la prescription trentenaire. Il devient associé
non liquidateur, et en position comme tel de profiter du
bénéfice de l’article 64.
Ce bénéfice ne saurait lui être refusé :
1° Si la retraite a été enregistrée et publiée dans les
formes voulues par les articles 42, 43, 44 et 46 du
Code de commerce ;
2° Si depuis l’accomplissement de ces formalités et.
�DES SOCIÉTÉS
pendant cinq ans révolus aucune poursuite judiciaire
n ’a été exercée contre lui.
686.
— Les coassociés pourraient-ils refuser la dé
mission du liquidateur associé, et le contraindre à con
server la liquidation ?
Il est une hypothèse dans laquelle l’affirmative ne
saurait faire l’objet d’un doute, à savoir, lorsque, en ac
ceptant les fonctions de liquidateur , l’associé a traité
avec ses coïntéressés, et que, se chargeant de la liqpidation à ses périls et risques, il les a dégagés de toute obli
gation à l’endroit des dettes, dont il avait fait son af
faire propre et exclusive.
, C’est là un contrat parfaitement licite, et partant in
contestablement valable. L’abandon ou le sacrifice que
s’imposent les coassociés est l’équivalent de l’obligation
que le liquidateur contracte; la convention, rentrant
dans la catégorie des contrats aléatoires, doit sortir à
effet. Elle est régie par la disposition de l’article 1134
du Code civil. Elle ne peut être révoquée que du con
sentement mutuel de toutes les parties, ou par l’effet de
la nullité, ou de la rescision judiciairement demandée et
ordonnée.
Le liquidateur ne pourrait donc , en dehors de ces
conditions , contraindre ses coassociés à accepter sa
démission ; il serait, au contraire , tenu d’exécuter le
traité.
En l’absence de tout traité de ce genre , la nomina
tion d’une part, l’acceptation de l’autre, établissent une
�ART. 64.
413
convention dont la certitude nous ferait résoudre par
l’affirmative la question que nous nous sommes posée.
L’intérêt des coassociés ne permet pas d’admettre un ré
sultat contraire.^
Que ceux-ci soient, en effet, puissamment intéressés
à voir la liquidation entre les mains d ’un d’entre eux,
c’est ce qui ne saurait être contesté. Indépendamment
de la possibilité du traité dont nous parlions tout-àl’heure , cette condition détermine l’application de l’ar
ticle 64, c’est-à-dire la libération du non liquidateur,
par la prescription de cinq ans.
C’est là un important et considérable avantage, et on
comprend qu’on tienne à le conserver. Dès lors, il faut
reconnaître qu’on est recevable et fondé à agir dans ce
sens. En conséquence , si la démission du liquidateur
doit avoir pour résultat la substitution d’un associé à
un associé , celte démission ne devrait pas être querel
lée. La continuation de la liquidation par un associé *
maintenant leschosesdans le même état qu’elles étaient,
et ne compromettant dès lors ni le présent, ni le passé,
ni l’avenir , l’opposition des coassociés devrait être re
poussée , à moins qu’elle ne reposât sur l’insolvabilité
notoire de l’associé que le liquidateur solvable offrirait
pour son remplaçant.
S i, par le refus unanime de tous les associés , la dé
mission du liquidateur devait aboutir au choix d’un li
quidateur étranger à la société, elle pourrait et devrait
être refusée par les associés. L’existence d’un liquida
teur non associé occasionnerait une grave modification
�414
DES SOCIÉTÉS
dans leur position , rendrait l’article 64 inapplicable
pour l’avenir , de telle sorte que la prescription quin
quennale qui aurait commencé de courir ne pourrait
plus s’accomplir.
Il y a même plus, le choix d’un liquidateur non as
socié, auquel les associés non liquidateurs auraient con
couru après l’acquisition de la prescription de cinq ans,
pourrait en rendre le bénéfice contestable et en motiver
même la rétractation.
Il est incontestable , en effet, que l’acceptation des
fondions de liquidateur par un associé aurait immédia
tement pour résultat de le soumettre pendant trente ans
aux poursuites des créanciers, tant par voie personnelle,
par suite de sa qualité de débiteur, que par l’obligation
du comptable. Il importerait peu qu’au moment de son
acceptation cet associé pût invoquer la prescription quin
quennale ; il serait censé en avoir répudié le bénéfice,
et renoncé à s’en prévaloir.
Or , si les associés acceptent la démission du liqui
dateur , qu’ils le remplacent par un non associé , ne
leur opposera-t-on pas ce concours comme une renon
ciation à la prescription ? Si vous aviez vous-mêmes
accepté la liquidation , ne manquera-t-on pas de leur
objecter , cette renonciation serait incontestable. Or , le
liquidateur n’étant plus que votre mandataire pur et
simple, c’est vous tous qui liquidez en réalité , qui
mandat ipse fecisse videtur. Vous avez donc répudié
le bénéfice de la prescription, vous ne pouvez plus l’in
voquer.
�ART. 64.
415
Ce système ne laisserait pas que d’offrir pour les co
associés un danger assez sérieux et assez grave pour que
la prudence leur fit un devoir de le prévenir et de l’é
viter. Dès lors , ils devraient bien se garder d’accepter
la démission de l’associé liquidateur et de choisir un au
tre liquidateur, même après plus de cinq ans de la dis
solution régulière de la société, à moins que le nouveau
liquidateur ne fût lui-même associé.
Mais comment faire si le liquidateur persistait à se
démettre ? Pourrait-on le forcer d’agir malgré sa vo
lonté contraire ? Non, sans doute; mais le cas est par
faitement prévu ; on n’aurait donc qu’à suivre la mar
che que la loi trace.
Ainsi , on demanderait judiciairement que le liqui
dateur continuât ses fondions, et que sa démission fût
repoussée, avec dommages et intérêts ; et, faute par lui
de se soumettre et de continuer , on solliciterait la no
mination d’un tiers liquidateur chargé, comme l’unique
représentant de la partie refusante, de poursuivre les
opérations au nom et pour le compte de celle-ci.
687.
— Nous avons déjà dit que la retraite d’un as
socié, à quelque époque qu’elle se réalise, équivaut, en
ce qui le concerne, à une véritable dissolution ; qu’il est
donc fondé, si la société, continuant avec les autres as
sociés, a été naturellement chargée de la liquidation, à
se prévaloir de la prescription quinquennale autorisée
par l’article 64 du Code de commerce l.
‘SVoy. s u p r a n° 668.
�416
DES SOCIÉTÉS
Nous ajoutons q u e , pour lui comme pour le liqui
dateur démissionnaire , et par une identité de raisons
incontestable, les cinq ans ne commencent que du jour
de l’accomplissement des formalités exigées par les ar
ticles 42, 43, 44 et 46 du Code de commerce , pour
que sa retraite eût acquis une notoriété régulière et lé
gale.
FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME
«
*
�TABLE GÉNÉRALE
BS T
A L P H A B É T I Q U E DES MA TI ER ES
N O T A .— L e
chiffre indique les numméros des sommaires.
Acte authentique. — Y. Preuve.
Acte de société. — V. Publication.
*
Acte sons seing privé. — V. Preuve.
A c tio n . — Objet de la division en actions du capital des so
ciétés anonymes, son origine, 303 et suiv. — Nomenclature des
actions reconnues dans la pratique , 305. — Actions de capital,
leur caractère, leur effet, 306. — Actions industrielles, leur na
ture, droit qu’elles confèrent, 307. — Précaution du législateur
en les permettant dans la société anonyme, 308. — A quelles
conditions fait-on participer l ’action industrielle à la distribution
du capital ? 309. — Action de jouissance, sa nature et ses effets,
310. — Peut-on exiger du porteur qu’il recomble ce qu’il a re
çu? 311. — Actions de prime , en quoi elles consistent , droits
qu’elles confèrent ,312. — Actions de fondation, ce qu’elles doi
vent être dans les sociétés anonymes , 313. — Les actions sont
meubles ; exceptions pour celles de la Banque de Feance, 314 et
suiv. — Comment s’opère et se rétracte l 'immobilisation de cel
les-ci, 316. —• Les actions peuvent se diviser en coupons d’égale
ni
27
�418
DES SOGIÉTÉS
valeur, 317. — Différence dans la transmission des actions, sui
vant qu’elles sont nominatives ou aü porteur, 318. — Effet de la
cession à l ’endroit du porteur primitif, 319. — Caractère de
la vente d’actions , dans la société anonyme, avant l ’autorisa
tion, 335.
Action des créan ciers. — Sa nature, nécessité d’en
déterminer la durée contre les associés, se prescrit par cinq ans,
aux conditions de l ’article 64 du Code de commerce, 649. — Ca
ractère de cette disposition, discussion qu’elle a subie, 646 et
suiv. Y. Prescription. — L’action des créanciers contre les com
manditaires peut être directement exercée après faillite de la so
ciété, 237 et suiv. Y. Créanciers, Tiers.
Action t»r»
— Ne se prescrit entre associés que
par le laps de trente ans, 660.
s o c io .
Actionnaires. — Obligation pour chacun d’eux de payer le
montant de ses actions, 270. ~r- A qui appartient le droit de pour
suivre ce paiement, 271. — L’actionnaire encourt la contrainte
par corps , 272. — L’actionnaire poursuivi pourrait-il se libérer
par l’abandon de sa qualité , et le sacrifice de tout ce qu’il aurait
déjà versé, 273. — Effet de la négociation de l ’action sur l’obli-*
gation du souscripteur primitif ? 279 et suiv. — Le droit de la
société contre celui-ci est-il un obstacle à ce qu’elle poursuive di
rectement le cessionnaire ? 299. — Dans quels cas l’actionnaire
pourra-t-il retenir les bénéfices qui lui ont été annuellement ré
partis? 300 et suiv. Y. Société anonyme.
Adm inistrateurs. — Qualité des administrateurs d’une
société anonyme , 278. — Leur institution à vie dans l ’acte so-cial ne met aucun obstacle à leur révocation , 277. — Leur res
ponsabilité en cas de faute , 280 et suiv. — Leurs droits et leurs
obligations, 282. — Etendue de celle de rendre compte, 283. —
L’administrateur poursuivi en dommages-intérêts pourrait-il op
poser qu’il n’a fait qu’exécuter les délibérations de l ’assemblée gé
nérale, 284. V. Société anonyme.
�TABLE DES MATIÈRES
4<9
Appel. — La sentence arbitrale peut être frappe'e d'appel,
582. — Les parties peuvent-elles y renoncer, 583.
Arbitrage. — Son origine, son b u t, 471. — Ses effets en
droit romain et en Italie, 472. — Pratique suivie en France , 473
et suiv. — N’est plus que volontaire , 483. V. Arbitres , Com
promis, Tiers arbitre.
Arbitrage forcé. — Son abrogation, 470. — L’ordon
nance de 1560 l ’imposait à tous les marchands pour faits de mar
chandises , 475. — Celle de 1673 ne l ’admit qu’entre associés et
pour raison de la société, 476. — Discussion au conseil d’Etat en
1806, motifs qui le firent maintenir, 477 et suiv. — Nombreuses
réclamations contre son maintien, projet de loi pour son abroga
tion, 480, — Discussion au Corps législatif, contre-projet de M.
Busson-Billaut, motifs qui le firent repousser, 481.
A r b i t r e s . — Doivent être désignés dans le compromis, 504.
— Durée de l ’arbitrage , point de départ du délai de trois mois
imparti par l'article 1007 du Code de procédure civile, 506 et suiv.
— Ne peuvent pendant le cours du délai être révoqués que du
consentement unanime des parties, 509. — La révocation peut
être expresse ou tacite , faits dont on devrait l ’induire ,510. —
Quel serait l’effet de celle qui aurait lieu après le prononcé de la
sentence, 513. — Peuvent être récusés, quand et en quelle for
me, dans quel délai, 514. — Comment s’instruit la récusation et
devant quels ju g e s, 517 et suiv. — Yoies de recours contre le
jugement qui y a statué, 519. — Doit-on intimer le récusant sur
l’appel du jugement qui a admis la récusation , 520. — Ne peu
vent se déporter après le commencement des opérations, 521 et
suiv. — Formes de la procédure devant eux , 523. — Ne peu
vent juger que dans la dernière quinzaine du délai, 524. — L’ex
piration du délai leur enlève tout pouvoir s’il n’est pas prorogé,
525. — Chaque arbitre nommé par les parties ayant le même in
térêt compte pour un suffrage, 526. — Doivent délibérer en
commun , comment il en est justifié, 527 et suiv. — Effet à cet
�420
DES SOCIÉTÉS
égard delà signature donnée à des dates différentes, 530. —
Quid si donnée le même jour la signature est précédée d’une dé
claration portant qu’il n ’y a pas eu délibération, 534. — La qua
lité d’amiable compositeur ne dispense pas de l ’obligation de déli
bérer en commun , 532. — Effets du partage d’opinion , devoirs
qu’il impose aux. arbitres, 546. — Nomment le tiers s’ils y sont
autorisés, de quelle manière, 547 et suiv. V. Sentence, Tiers ar
bitre.
Assem blée générale. — Caractère obligatoire des déli
bérations prises par l’assemblée générale des actionnaires, excep
tions, 287. — Comment doit-on décider la question de savoir si
la délibération doit réunir l ’unanimité ou seulement la iîlajorité?
288. — L’assemblée générale peut-elle voter un nouvel appel de
fonds? 289. — Peut-elle ratifier les actés que le gérant ou le
conseil d’administration auraient faits en dehors de leurs pou
voirs ? 290. — Faculté pour les commanditaires d’y assister et
d’y délibérer, 245.
Associations tontcnières. — Différence entre ces as
sociations et la société , 1 5 . — Caractère de la masse formée par
plusieurs pères de famille contre les chances du tirage au sort par
leurs enfants, 118.
Associés. — Ne peuvent adjoindre un associé sans le con
sentement de tous, exception ,1 9 . — La prohibition ne va pas
jusqu’à empêcher chacun d’eux de céder tout ou partie de son in
té rê t, 20. •- A quelles conditions le cessionnaire deviendra-t-il
un associé ordinaire ? 21. — Quid si la cession n ’avait été faite
que dans l ’intérêt de la société , ou si elle avait été autorisée par
l’acte social, 22. V. Croupier. — L'associé qui s’est donné un
croupier répond de son insolvabilité ; lui garantit-elle celle de ses
associés ordinaires ? 41. — Les associés civils, qui auraient pris
faussement la forme commerciale, resteraient soumis à l ’obliga
tion que leur impose l ’article 1843 du Code civil, 122. — Effets
que produit contre les associés l ’inscription de leur nom dans la
raison sociale, 135 et suiv, — Leur responsabilité à l ’endroit des
�TARLE DES MATIÈRES
421
engagements régulièrement souscrits par le gérant, 147 et suiv.
— Conséquences de la solidarité passive qui grève les associés en
nom collectif, 165. V. Solidarité. — Nécessité de l ’existence
d’associés^ordinaires dans la commandite, exception unique, 199
et su v . — Leur nombre n ’est pas lim ité, comment on les qua
lifie suivant qu'il y en a un seul ou plusieurs, 201, —■Caractère
et effet de la clause par laquelle les commanditaires sont déclarés
déchus de leur qualité d’associés avec perte de ce qu’ils ont déjà
versé , faute par eux de faire les paiements ultérieurs au temps
convenu, 239. — Les associés commanditaires sont contraignables par corps pour le paiement de leur m ise, 241. — Défense
aux commanditaires de s’immiscer dans les affaires sociales, dis
cussion au conseil d ’Etat à ce sujet, 242 et suiv. — Ils ont ce
pendant le droit d’assister aux assemblées et d ’y délibérer , 245.
— Leur concours et ses effets sont abandonnés à l ’appréciation
des juges, exemples divers, 246 et suiv. — Les délibérations
lient-elles le gérant ? 249 et suiv. — Droit des associés com
manditaires en cas de mort de celui-ci ou de démission , 251. —
Effets de l ’immixtion contre les associés commanditaires. V. Im
m ixtion , Raison sociale, Société en nom collectif, anonyme ,
en commandite, coopérative.
Associé in du striel. — Sa position à l ’égard des bénéfi
ces et des pertes. 35. — Peut-il cumuler un traitement avec une
part quelconque dans les bénéfices? 37.
A ssurances m utuelles. — Différence entre ces assu
rances et la société, 16. — Caractères qu’elles doivent offrir pour
ne pas être rangées dans la catégorie des sociétés commerciales,
119.
Assurances terrestres. — L’article 43, qualifiant d’ac
tes de commerce les assurances maritimes, s’applique-t-il aux
assurances terrestres? 113.
A u t o r i s a t i o n . — Abrogation de l’article 37 du Code de
commerce , ses causes, son caractère, 323 et suiv. — Apprécia
tion, 326. — Considérations invoquées par le rapporteur du Corps
�DES SOCIÉTÉS
législatif, 327 et suiv. — Conséquences qu’elle avait produit
pour les actionnaires et les tiers, 330. — Réponse à l’argument
tiré du droit de refus et de la perte de temps occasionnée par la
nécessité de l’obtenir, 331 et suiv, — Les précautions ordonnées
suppléeront-elles aux avantages résultant de l'autorisation, 333.
— Appréciation des reproches faits à l ’article 37 du Code de com
merce, 335 et suiv.
Bénéfice. — La clause attribuant à un des associés la tota
lité des bénéfices serait nulle ,3 6 . — Dans quelles proportions
peuvent-ils être répartis ? 37 et suiv. — Les bénéfices perçus
ne doivent être raportés que s'ils l’ont été de mauvaise foi, 226 et
suiv. — Quels faits constitueront celle-ci, 230. — Quid si le
gérant avait produit des inventaires faux et mensongers ? 231.—
S i, au lieu de percevoir, le commanditaire s’était fait créditer de
sa part de bénéfices, pourrait-il en contraindre le paiement, si la
société était en perte ? 233 et suiv. — L’acceptation d’une pro
portion dans les bénéfices emporte-t-elle un intérêt égal dans la
perte? 460.
C arrières. — La loi de 1840 sur les mines est inapplicable
aux carrières, conséquences, 105.
Changem ent d’associé. — V. Retraite d’associés.
Changem ent de raison sociale. — Doit être publié
dans les formes de l ’article 42 du Code de commerce, 410. —
Importance qu’il acquiert, intérêt que les tiers ont à le connaître,
418. — Effet du défautde publication, 419
Clause. —■ Quelles sont les clauses nouvelles que l’article
46 du Code de commerce soumet à la publication ? 417.
Clause com prom issoire, — Est nulle et de nul effet
�TABLE DES MATIÈRES
entre associés, 504. — Validité de la clause déférant aux arbitres
toutes les difficultés qui naîtront de la dissolution de la société,
579.
Gode de com m erce. — Reproches qui lui ont été adres
sés dans ces derniers temps, leur mal fondé, 3.
Com m anditaires. — V. Associés, Société erîfcommanmandite. — Loi modifiant les articles 27 et 28 du Code de com
merce, 254 bis. — Abrogation de la prohibition pour les comman
ditaires d’être employés pour les affaires de la société, 254t.er. —
Pouvoir des tribunaux quant au caractère des actes de gestion,
2 5 4 quatuor. — Responsabilité que crée la loi nouvelle, son carac
tère, 254<tuint0 et suiv. — Droits qu’elle confère aux comman
ditaires , 254 septimo.
Com m is. — Le commanditaire, devenu le commis du gé
rant. s’est immiscé dans l ’administration ; conséquences, 254.
Communauté. — Différence entre la communauté et la
société, 7 et suiv.
Com m unication de pièces et m ém oires. — Est
elle obligatoire en arbitrage forcé? 595. — En quelle forme elle
a lieu , 596.
Compétence. — Quel est le juge compétent pour les ac
tions naissant depuis la dissolution entre associés, 640. — Effet
du règlement amiable du compte, de la liquidation, ou,.du règle
ment opéré par les juges, 641 et suiv. — Qui peut connaître des
actions intentées par le liquidateur contre les associés et récipro
quement, 643 et suiv.
Compromis. — Sa nécessité entre associé, 483 et suiv.—
Peut résulter du procès-verbal des arbitres ; faut-il que ce procèsverbal soit sur un acte séparé et signé par les parties, 494 et suiv.
— Le compromis nommant un notaire pour arbitre peut-il être
reçu par ce notaire, 498. - r Le compromis par acte sous seing
privé doit être fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant
un intérêt distinct, conséquence de l’inobservation, 499. — Mais
�424
PES SOCIÉTÉS
la nullité serait couverte par l'exécution , preuve de celle-ci, 500
et suiv. — L’article 1005 du Code de procédure civile est pure
ment énonciatif, conséquence, 503. — Le compromis doit énon
cer le nom des arbitres et désigner les objets du litige à peine de
nullité, 504. — Il règle seul le mode d’instruction et l’étendue
des pouvoirs des arbitres, 505. — Comment le compromis prend
fin. V. Délai, Déport, M ort, Partage d’opinion.
Conseil «l’adm inistration. — Son caractère, pouvoirs
dont il est revêtu, 285. — Responsabilité qu’il encourt, 286. V.
Société anonyme.
Conseil de direction. — V. Conseil d’administration.
C onseil d’Etat. — Avis du conseil d'Etat sur l’application
des articles 27 et 28 du Code de commerce. 253.
Conseil de surveillance. — V. Conseil d’administra
tion.
Continnation. — La continuation de la société, après l’ex
piration du terme convenu pour sa durée, devait être prévue ;
pourquoi doit-elle être constatée par écrit et régulièrement pu
bliée , 395 et suiv. — Effet de l’inobservation de cette prescrip
tion à l ’égard des associés et des tiers, 398 et suiv. — La conti
nuation irrégulière peut-elle avoir pour effet de modifier la posi
tion primitive des associés, 400. — Les créanciers sociaux sont
non recevables à prouver par témoins la continuation contre les
créanciers, personnels des associés, 401. — Différence entre la
clause de continuation entre associés et celle de continuation avec
les héritiers, droit romain à cet égard, 58. — Notre Code les au
torise l'une et l’a u tre , 59. — En cas de continuation par les as
sociés survivants, on peut stipuler que les héritiers du décédé ne
prendront leur part que conformément au dernier inventaire, con
séquences, 60. — Effet de la clause de continuation avec les hé
ritiers, 63. — A défaut de cette clause, les associés peuvent s'ad
joindre les héritiers de leur coassocié, conditions, 63.
Contrainte par eorps. — La condamnation contre les
�TABLg flES MATIÈRES
425
associés commanditaires en paiement de leur mise entraîne la con
trainte par corps, 244'. — Quid de l’actionnaire d’une société anonyme? 472. — Effet de celle qui pourrait être prononcée con
trôle liquidateur non associé, 675.
Contrat à la grosse. — Différence entre le contrat à la
grosse et la sqpiété, 47.
C ontre-lettre. — Effet de la contre-lettre souscrite par le
gérant en faveur d’un associé. V. Gérant.
Créanciers. — Position des créanciers sociaux à l ’égard
du croupier, 43. — Quid des créanciers personnels de l’associé
qui s’est donné un croupier ? 44. — Les créanciers sociaux ont
droit d’exiger des commanditaires le paiement de leur mise ; na
ture de leur action avant et après la faillite, 236 et suiv. Y. Tiers.
— Les créanciers sociaux peuvent-ils prouver par témoins la
continuation de la société contre les créanciers personnels de l’as
socié? 404. — Dans l’association en participation les créanciers
sociaux n'ont aucun privilège sur les créanciers personnels des
participants^ 434. — Peut-il y avoir dans la participation des
créanciers sociaux ? quels seront ces créanciers ? 439 et suiv. —
Position des créanciers personnels du participant, lorsque celui-ci
a acheté et payé de ses deniers la chose faisant la matière de l’as
sociation , 443. — Lorsque ce paiement a été fait au moyen des
mises de fonds, 444. — Hypothèse dans laquelle les créanciers
personnels excluront les associés, 445.
C réanciers personnels. — V. Créanciers.
C réanciers sociaux. — V. Créanciers.
Cronpier. — Quel est le caractère du contrat intervenu en
tre un associé et son croupier? 23 et suiv. — Position du crou
pier à l ’endroit de la faute dont les associés répondent, 40. —
Règlement entre l ’associé et son croupier de l ’insolvabilité des as
sociés principaux, 42. — Position du croupier vis-à-vis des cré
anciers de la société, 43. —'Il est préférable aux créanciers per
sonnels du cédant sur la part d’intérêt qu’il a acquise, 44.
�m
DES SOCIÉTÉS
r>
Déconfitnre. — La déconfiture de l’un des associés peut
devenir la cause de la dissolution de la société, 66.*
Délai. — Dans quel délai doivent être accomplies les forma
lités prescrites pour la publication des sociétés, 360. — Effet de
son expiration , 361 et suiv. — Effet s’il a été procédé irréguliè
rement, 362. — Gomment se termine le délai de l ’arbitrage, 506.
— Point de départ de celui de trois mois déterminé par l ’article
1007 du Code de procédure civile, 507. — Peut être prorogé par
qui, 508. — Existe-t-il un délai pour i ’exercice de la récusation,
516. — Délai pour la production des pièces, son effet quant au
pouvoir de juger, 524. — L’expiration du délai conventionnel ou
légal met fin au compromis, conséquence, 525. — Dans quel dé
lai doit être déposée la sentence, 543. — Délai dans lequel le tiers
arbitre doit prononcer, y .Prescription.
Délibérations. — Droit des commanditaires d’y assister,
loi de 1863, ses dispositions, 254bis et suiv. Y. Associés. — Ca
ractère obligatoire de celles prises par l ’assemblée générale des
actionnaires, 287. — Comment apprécie-t-on si la délibération
doit être prise à l ’unanimité ou à la majorité? 288. V. Assemblée
générale.
D é p o r t. — Le déport mettant fin au compromis la loi l’in
terdit après que les opérations sont commencées, 521 et suiv.
Dépôt. — Loi de 1867 réglant les pièces à déposer et les lieux
où elle doivent l ’être. Y. Publication. — Au greffe de quel tri
bunal doit être déposée la sentence arbitrale. Y. Sentence.
D issolution. — La première cause de dissolution de la so
ciété est l’expiration du terme convenu pour sa durée, 46. — Ex
ception, prorogation, dans quels cas est-elle acquise ? 47 et suiv.
V, Continuation. — Deuxième cause, extinction de la chose ou
�TABLE DES MATIÈRES
consommation de l'opération, 49 et suiv. — Effet de l’extinction
de la chose constituant la mise de fonds d ’un associé, 51, — Quid
dans le ces où cette chose n’avait été mise en société que pour la
jouissance, 55. — Véritable caractère de cette cause de dissolu
tion au point de vue de l’article 1867 du Code civil, 56. — Troi
sième cause, mort naturelle d’un associé, 57. — Distinction en
droit romain de la clause de continuation avec Ses coassociés sur
vivants ou avec les héritiers du décédé , 58. — Effets de la mort
naturelle d’un associé dans les sociétés anonymes ou en comman
dite , 64. — Quatrième cause, mort civile, interdiction ou décon
fiture d’un associé, motifs, conséquences, 66. — Cinquième cau
s e , volonté d’un ou de plusieurs associés de rompre la société,
dans quels cas peut-elle se réaliser ? 67.
Effets de la dissolu
tion, 68. — Ces règles sont applicables à toutes les sociétés, 70.
— Effets de la dissolution sur l ’action directe des tiers contre les
associés. V. Prescription. — Sur la solidarité active et passive
des associés, 169. V. Solidarité. — Droit que la dissolution con
fère aux associés commanditaires, 251. — Comment et pour qu’
elles causes s’opère la dissolution des sociétés anonymes, 274. —
Les articles 1869 et 1870 du Code civil sont-ils applicables aux
sociétés anonymes ? 275. — Nécessité de publier la dissolution
conventionnelle et avant terme, 402. — En est-il de même si la
dissolution est occasionnée par la mort d’un des associés, 403 et
suiv. — Effet du défaut de publicité à l’égard des associés et des
tiers, 407 et suiv. — La connaissance de la dissolution supplée
rait-elle à sa publicité régulière ? 409. — Hypothèse dans la
quelle la dissolution est forcée, 411. — Par qui doit être ordon
née la dissolution, ses conséquences, 512 et suiv. V. Liquidateurs
Liquidation.
D ol. — V. Rescision. — Fait exception à la règle qui rend
obligatoire pour les associés l ’engagement souscrit de la raison so
ciale; quand doit-on l ’admettre? 158.
D r o i t civil. — Continue à régir la société commerciale en
tout ce qui n'çst pas contraire aux lois et usages du commerce, 4.
�428
DES SOCIÉTÉS
E
Egalité. — Comment doit être entendue l ’égalité entre a s
sociés , à l ’endroit des bénéfices et des dettes? 35. — Les pro
portions indiquées par la loi peuvent être modifiées, mais la clause
qui donnerait à l ’un la totalité des bénéfices ou l ’affranchirait de
toute participation à la perte sertit nulle, 36.
Engagement». — Comment pourra-t-on établir que l ’en
gagement souscrit par un associé, en son nom personnel, est pour
le compte de la société ? <48 et suiv. Y. Raison et signature so
ciales. — Comment se règlent les engagements souscrits par une
société anonyme avant qu’elle ait été autorisée, 330 et suiv.
E nregistrem ent. — .La loi du 9 mai 1867 a prescrit l ’en
registrement du numéro du journal dans lequel a été inséré l’ex
trait de l'acte de société , 358. — Le défaut d ’enregistrement du
numéro du journal entraînerait la nullité de la société , 359. V.
Publication. — L’enregistrement de la sentence arbitrale peut
suppléer à l’absence de la date, pour savoir si elle a été prononcée
dans le délai de l ’arbitrage, 503.
Erreifr. — V. Rescision.
Expert. — V. E xpertise.
Expertise. — Comment il est procédé à l ’expertise ordon
née par les arbitres, où et comment doit être déposé le rapport ?
602.
Extinction de la chose. — Est une cause de dissolu
tion, à quelles conditions ? V. Dissolution.
E xtrait de l’acte. — Mentions que doit contenir l’extrait
â insérer au journal. Y. Publication.
�TABLE DES MATIÈRES
£29
F
F a c t e u r . — Le commanditaire peut être facteur dans la so
ciété, 254 bis.
F ailli. — Les associés du failli peuvent-ils forcer la masse
à continuer la société, 66b‘s.
Faillite. — La faillite d’un'des associés peut motiver la dis
solution de la société , 66. — Après la faillite les créanciers ont
une action directe contre les commanditaires, 237. — Celui qui
s’est immiscé peut-il être déclaré en état de faillite? 667. —
L’article 64 est inapplicable au cas de faillite, 262. — Les asso
ciés non liquidateurs, libérés par la prescription quinquennale, ne
peuvent plus être déclarés en faillite , 674. — Quid du liquida
teur, 675.
Faute. — Quelle est la faute dont répondent les associés?
39. V. Adm inistrateurs, Gérant, Liquidateur.
Fonds capital. — Sa destination ; ne peut être diminué
pendant la durée de la société, 32. — Ne peut être augmenté que
du consentement unanime des associés, 33. — Ne peut être com
pensé avec les créances que le commanditaire, agissant comme
tiers, aurait acquis sur la société, 256.
F r a u d e . — V. Rescision. — Fait exception à la règle ren
dant obligatoire pour les associés l ’engagement souscrit delà rai
son sociale, quand doit-on l ’admettre? 158.
Gr
/
Garantie. — Le partage entre associés les oblige à s’en ga
rantir mutuellement les effets, 631. — Les demandes en garantie
sont-elles compétemment introduites devant les arbitres ? 641.
�t
430
DES SOCIÉTÉS
Gérant. — Effet des engagements régulièrement souscrits
par le gérant d’une société en nom collectif, 147. — L’applica
tion que le gérant fait de la signature sociale à ses propres affai
res laisse-t-elle le créancier sans recours contre là société.? 159
et suiv. — Position du gérant de la commandite, dérogation que
comporte sa mission, 202. — Il ne peut ni transiger ni compro
mettre , 203 et suiv. — Ne peut modifier l ’acte de société ni la
position des divers associés, 205 et suiv. — Peut-il vendre ou
hypothéquer les immeubles sociaux? 207 et suiv. — Répond des
abus commis dans la gestion , 209. — L’application qu’il fait à
ses propres affaires des fonds sociaux constitue-t-elle l'abus de
confiance puni par l ’article 408 du Code pénal? 210 et suiv. —
Valeur de la contre-lettre qu’il aurait signée en faveur d’un as
socié ,216. — Caractère de la nullité dont elle serait atteinte,
217. — Droit du gérant d’exiger et de poursuivre le paiement de
la mise, 236. — Lé gérant est-il lié par les délibérations des
commanditaires ? 249 et suiv. — Droit que confère à ceux-ci sa
mort ou sa démission, 251. — Le gérant de la participation obli
ge-t-il les participants , 4*1 et suiv. — Quid relativement à ses
créanciers personnels ? 443 ei suiv. — Le gérant a le droit de
négocier les valeurs qu’il a reçues, 449. V. Société anonyme, en
commandite, en nom collectif.
H
H éritiers. — Le droit romain défendait la clause de conti
nuation de la société avec les héritiers de l ’associé décédé, 58.—
Cette clause est autorisée par le Code , 59. — Le droit des héri
tiers peut se réduire à ne prendre que la part attribuée à leur au
teur par le dernier inventaire, 60 et suiv. — Effet de la cause de
continuation avec eux ,6 2 . — A défaut de cette clause, les asso
ciés peuvent s’adjoindre les héritiers de leur coassocié, 63.
�TABLE DES MATIÈRES
431
I
I m m e u b l e s . — L’association pour acheter et revendre des
immeubles constitue une société civile, 88 et suiv. — Les im
meubles sociaux ne peuvent être vendus ni hypothéqués par le
gérant de la commandite, 207 et suiv. — Par exception à la rè
gle commune, les actions de la Banque de France sont réputées
immeubles. Y. Action. — Droits réciproques des créanciers et
des associés sur l’apport en immeubles dans la participation, 448.
— Le liquidateur ne peut vendre les immeubles sans un pouvoir
exprès, 609.
Im m ixtion. —• Toute immixtion dans la gestion est inter
dite aux associés commanditaires , 242 et suiv. — Avis du con
seil d’Etat sur l ’application dea articles 27 et 28 du Code de com
merce , conséquences', 253. — Le commanditaire commerçant
peut sans immixtion nouer des relations avec la société , 255. —
L’immixtion peut être prouvée par témoins et par présomptions,
257. — Etendue de la responsabilité encourue par l’immixtion,
258. — Le commanditaire qui s’est immiscé a-t-il un recours en
garantie contre le gérant pour ce qu’il est obligé de payer au delà
de sa mise? 259 et suiv. — Peut-il être déclaré en état de fail
lite? 262.
interdiction. — L’interdiction d’un associé est une cause
de dissolution de la société, 66.
Intérêts. — La mise de fonds produit de plein droit intérêts
en faveur de la société, du jour où elle a légalement existé, 31. —
— Conséquences de la régie suivant laquelle la société doit être
exploitée dans l ’intérêt commun, 34. — On peut stipuler que la
mise produira intérêt, 223. — Comment cet intérêt doit-il et
peut-il être payé ? 224. — Le paiement fait en absence de béné
fices autoriserait la demande en rapport des intérêts perçus, 225.
�432
DÉS SOCIÉTÉS
J
J u r i d i c t i o n . — Quelle est la juridiction appelée à connaî
tre de l’appel ou de la requête civile contre une sentence arbitrale?
488. — Quelle est celle qui doit connaître de la récusation des
arbitres? 517 et suiv.
L
Liquidateur. — Par qui il est nom m é, 591. — Ses de
voirs et ses droits, 592. — Peut-il vendre en bloc et à forfait les
ressources mobilières de la société , 593 et suiv. — Par qui est
déterminée l ’étendue de ses pouvoirs, 595. — Exerce les actions
de la société, 596. — Les tiers peuvent attaquer directement les
anciens associés, 597 et suiv. — Ne peut ni.transiger ni compro
mettre , 600 et suiv. — Peut-il créer des effets de commerce et
négocier les valeurs de portefeuille, 602 et suiv. — Sa véritable
position , dérogations aux règles ordinaires du m andat, 607 et
suiv. — Ne peut vendre ou hypothéquer les immeubles qu’en
vertu d’un mandat spéaial, 609. — Celui qui lui aurait été donné
dans cet objet avant la dissolution ne serait pas révoqué par sa
survenance, 610..— Le liquidateur est-il révocable, par qui
peut-il être révoqué, 612 et suiv. — Droits du liquidateur à l ’é
gard des associés ,617. — Ses droits et ses devoirs à la fin de la
liquidation , 639. — Quel est le juge des actions qu’il intente
contre les associés ou qui lui sont intentées par eux, 643 et suiv.
V. Prescription.
Liquidation. — Son origine , son utilité, 586. — Ses ef
fets quant à la continuation de la société , 587 et suiv. — Pro
position de lui consacrer un titre spécial, re je t, 589. — Est pu
rement facultative , 590. — Nature du mandat dont elle est l’o
rigine, 607 et suiv. — Son objet â l ’égard des associés, 617. V.
Prescription. — Son caractère par rapport aux tiers, 655.
�433
TABLE DES MATIÈRES
L o i c o m m e r c i a l e . — Caraclères devant la constituer;
spécialité qu’il convenait de lui imprimer, 70 et suiv.
Louage d'œuvres et d'industrie. — Différence entre
ce contrat et la société, 13.
M a n d a t. — Différence entre le mandat et la société ,14. —
Caractère du mandat que se donnent respectivement les associés
en nom collectif ,141. — Peut-on confier à un tiers non associé
le mandat de gérer la société ? 142 et suiv. — Comment doit-on
entendre la doctrine italienne enseignant que le gérant de la com
mandite agissait sans mandat exprès ni tacite de la part des com
manditaires? 172 et suiv. — Le mandat exprès existait quant
aux m ises, 174. — Qu’en est-il aujourd'hui? 180. — Nature
et conséquences du mandat que reçoit le gérant de la comman
dite, 202 et suiv. — Caractère de la mission des administrateurs
d’une société anonyme, 278 et suiv. — Caractère de celle du
conseil d ’administration, de direction ou desurveillance, 285. —
Pouvoir conféré au gérant de la participation, 441, 449. — Natu
re du mandat confié au liquidateur, exception à l ’article 1988 du
Code civil, 592 et suiv. — Ne peut vendre ni hypothéquer les
immeubles sans un mandat spécial, 609.
M ime. — Quel est le caractère de la société organisée pour
l ’exploitation de mines entre concessionnaires, 94. — Quid si on
a emprunté la forme d’une commandite ou d’une société anony
me? 95 et suiv. — L'exploitation d’une mine n ’a un caractère
civil que par un privilège auquel le concessionnaire peut renon
cer; de quels actes s’induira cette renonciation , 99 et suiv. —
Quel, est le caractère de la société pour la découverte et l ’ouver
ture d’une m ine, 103. — De celle pour en louer l’exploitation,
104.
\
isiîMciBf. — Le mineur ne peut valablement compromettre,
ni
28
�434
DES SOCIÉTÉS
485. — La minorité des héritiers du compromettant met fin au
compromis, 486. — Doit-il attendre pour se pourvoir en nullité
que les arbitres aient prononcé, 487. — La partie capable peutelle invoquer la nullité, 488 et suiv.
Mineur ém ancipé. — Peut-il compromettre? 492.
Mise de fonds. — En quoi peut consister la mise de fonds
que chaque associé doit verser , 29. — L’apport qu’un commer
çant ferait de son nom constituerait-il une mise de fonds suffi
sante? 30. — A quels titres peut-on livrer la chose formant la
mise de fonds ? conséquence dans le cas de perte, 31. — Les mi
ses de fonds réunies forment le fonds capital, 32. — Effet de la
perte de la chose lorsque la mise est seulement promise, 51. —
Faut-il, pour que la mise de fonds soit censée effectuée, qu’il y ait
eu tradition réelle? 52 et suiv. — A quelles conditions le paie
ment de la mise de fonds opère la libération de l ’associé comman
ditaire , 215. — Pourrait-on compenser la mise avec une dette
due par le gérant en son propre et privé nom? 218. — La mise
peut être valablement fournie en marchandises, en valeurs et mê
me par transport de créances ordinaires , 220. — La mise ne
peut être valablement retirée en tout ou en partie pendant la du
rée de la société , 221. — A qui appartient le droit d’en poursui
vre le rapport à la masse, 222. — On peut stipuler que la mise
produira un intérêt, conséquences , 223. - Faculté pour le gé
rant de poursuivre le versement de la mise , 236. — Droit des
créanciers avant et après la faillite, 237 et suiv. — L’obligation
de payer la mise était sanctionnée par la contrainte par corps, 241.
— Doit-on, avant partage, prélever la mise de fonds ? 625.
Mort. — Effet de la mort naturelle ou civile sur l’association
en participation, 67bis. — La mort du compromettant met fin au
compromis, dans quel cas, 486. V. Société.
Mort civile. — La mort civile d’un associé est une cause
de dissolution de la société, 66. — Quid, pour la société anonyme
ou en commandite ? V. Mort naturelle.
�TABLE DES MATIÈRES
435
Mort naturelle. — La mort naturelle d'un associé en
traîne la dissolution delà société, à moins de stipulations contrai
res, 57. — Quid dans les sociétés en commandite ou anonymes ?
64. — Dans le bail à colonage ou le cheptel, 65. — Droits que
la mort du gérant confère aux commanditaires, 251.
N o m . — L ’apport qu’un commerçant fait de son nom constitue-t-il une mise de fonds suffisante ? 30. — Effets de l ’obliga
tion souscrite par l ’associé ou par le gérant en son propre et privé
nom, !4 8 e tsu iv . — Caractère que doit avoir la preuve offerte
par le porteur, que l ’engagement doit rester pour le compte de la
société, 151.
Nom social. — Y. Raison sociale.
Notaire. — C’est le notaire qui est chargé de rédiger et de
déposer l ’extrait, si l’acte de société est authentique , sa responsa
bilité, 389. — Quid dans l’hypothèse de l ’article 46 du Code de
commerce ? 420. — Peut-il recevoir le compromis qui le nomme
arbitre, 498.
Nullité. — A qui peut être opposée la nullité pour défaut ou
irrégularité de la publication , 362 bis et suiv. — Effet de la nul
lité entre associés, 362ter. — A l ’égard des tiers, 363.—Affectet-elle les clauses stipulées en vue de la dissolution de la société,
cffle d’un dédit notamment, 364 et suiv.—Caractère de la nullité
entre associés, 367. — Les tiers se prévalant de l ’acte nul peu
vent-ils en diviser les clauses, accepter les unes, repousser les au
tres, 368. — Conséquences de la nullité à l ’égard des créanciers
personnels des associés , 370. — Le compromis consenti par un
mineur est n u l, 485. — Nature de la nullité, peut-elle être in
voquée par la partie capable, 488 et suiv. — Le compromis conenti par le tuteur même autorisé serait frappé de nullité, 491. —
�DES SOCIÉTÉS
Quid de celui signé par le mineur émancipé, 492.—Le compromis
sous seing privé est nul s’il n ’a pas été fait en autant d’originaux
qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, 499. — Mais la
nullité serait couverte par l ’exécution , comment se prouve celleci, 500 et suiv. — La sentence arbitrale rendue hors du délai est
nulle, 506. V. Arbitres, Compromis, Publication, Sentence,
Société, Tiers arbitre.
O b lig a tio n . — L’obligation souscrite de la raison sociale est
à Ja charge de la société, et due solidairement par tous les associés
ordinaires, 147, 152. — Quid de celle souscrite par un associé
gérant en son propre et privé nom ? 148 et suiv. — Exception
que subit la règle relative aux obligations signées du nom social,
153 et suiv.
O ffice. — Quelle est la position de ceux qui ont versé des
fonds ponr l’achat d’un office de notaire , d’avoué ou d'agent de
change, 26 et suiv.
Opposition. — Le jugement rendu par les arbitres sur les
pièces et mémoires d’une seule des parties n'est pas un jugement
de défaut; il ne peut donc pas être attaqué par opposition, 611.
Opposition à l’ordonnance
d W c y u a liir .
—
Application de l'article 4028 à l ’arbitrage entre associés , consé
quence, 578. — Est ouverte si les arbitres ont prononcé sans
compromis, ou sur compromis expiré, ou hors des termes du com
promis, comment il en serait justifié, 574. — Ou sur compromis
n u l, 575. — Ou si le jugement n ’a été rendu que par( quelques
arbitres non autorisés, 576. — Ou sans que le tiers ait conféré
avec les arbitres, 577. — Ou s’il a été prononcé sur choses non
demandées, 578. — P e u t-o n renoncer à se pourvoir par cette
voie, 583.
�TARLE DES MATIÈRES
437
Ordonnance A’e œ e Q iM a tu r . — Rend seule la sentence
arbitrale exécutoire, 542. — Par qui elle doit être rendue , dans
quel délai , 543. — Le président peut-il la refuser, 544 et suiv.
— Application à l’arbitrage entre associés de l ’article <028 du
Code de procédure civil, conséquence, 573 et suiv. Y. Opposition
à l'ordonnance.
P
Parères). — Abus qui s'est glissé dans leur délivrance ; de
voir du juge, 83.
Partage. — Le partage est le but de la liquidation, comment
il y est procédé, 618.—Modifications aux règles du partage ordi'naire, dérogations aux articles 1872, 815, 841, 882, 832 du Code
civil , 619 et suiv. — Après la. composition de la masse on pro
cède aux prélèvements, 624. — Doit-on prélever les mises de
fonds, 625. — Comment il est procédé au partage suivant qu’il
s’agit du mobilier ou-des marchandises, 626 et suiv. — Peut-on
exiger le partage en nature de celles-ci, 628. — Doit-on com
prendre dans les valeurs à partager l'exploitation d'un brevet dont
le titulaire s’est, réservé la propriété, 629 et suiv. — Premier ef
fet du partage , garantie entre associés, privilège pour la soulte,
631. — Deuxième effet, le partage est déclaratif et non attributif
de propriété, 632 et suiv. — Peut être rescindé pour lésion de
plus du q u art, 635. — Distinction entre le partage et l'attribu
tion de parts, 636. — Effets du d o l, de la fraude, de la violence
et de l’erreur au point de vue de l ’article 892 du Code civil, 637.
■— Choses qui ne sont pas susceptibles d’être partagées, mesures
à prendre, 638.
Partage d’opinions. — Effet du partage d’opinion chez
les arbitres, 500.
Participants. — Les participants sont-ils solidairement
tenus des”dettes contractées par le gérant ? 441. — Quiet s’ils
�438
DES SOCIÉTÉS
ont notoirement agi comme tels, et que l’objet de l'obligation ait
profité à l’association ? 442. — Leur position à l’endroit des cré
anciers , lorsque la chose faisant la matière de la spéculation a été
payée avec les deniers fournis par chacun d’e u x , 444. — Hypo
thèse dans laquelle ils sont exclus par les tie r s , 445. — Leurs
droits sur l ’apport mobilier ou immobilier qu’ils ont fait à l’assosocialion, 447 et suiv. — Liberté laissée aux participants relati
vement aux conditions de leur association , 451. — Proportion
dans laquelle chacun d’eux concourt aux bénéfices et à la perte,
à défaut de stipulation ,4 5 2 . — L’obligation de payer la perte
proportionnelle est indéterminée et pèse sur tous les biens, 453.
P a rticip a tio n .' — Effet de la mort naturelle ou civile, de
l ’interdiction ou de la déconfiture sur la participation , 67his. —
Utilité de la participation , nécessité de son exacte détermination,
422. — Ce qu’elle futen France sous l ’ordonnance de 1673 , ses
caractères, 423 et suiv. — Doctrine de l ’école italienne, 425. —
Origine que lui donne Straccha , 426. — Diverses espèces rele
vées par Savary , conséquences qu’on a voulu en tirer sous l ’em
pire du Code, 427 et suiv. — Incertitudes que ces conséquences
ont jeté dans la jurisprudence , arrêts divers et contradictoires,
430. — Le premier caractère exigé par M. Troplong c’est que la
participation soit occulte, 431 et suiv. — Le second, qu’elle n’ait
ni fonds commun, ni capital social, 433. — La participation n’est
pas un être moral, conséquences à l’endroit des créanciers préten
dus sociaux et des créanciers personnels des participants, 434.—
Quels peuvent être les créanciers sociaux dans la participation,
439. — Comment doit-on appliquer le principe suivant lequel la
participation ne confond pas les apports, 447 et suiv. — L’achat
pour partager en nature constitue-t-il une participation, 450. —
La participation peut ne pas être constatée par écrit1, 454 et suiv.
— La preuve de son existence peut être établie : 1* par les livres
et écritures, 456.—Conséquence du refus de les représenter, 457.
— Doivent-ils être régulièrement tenus, 458. — 2* Par la cor
respondance , 459. — L’acceptation d’une proportion dans les
�TABLE DES MATIÈRES
439
bénéfices, emporte celle d’un intérêt égal dans les pertes, 460.—
Admissibilité de la preuve testimoniale, 461. — Nature de la la
titude laissée aux tribunaux quant à l’admission de la preuve,
465. — La participation peut être établie par écrit , conséquen
ces, 466. — Devant quel juge les tiers pourront-ils assigner les
coparlicipes, 468. — Quel est le tribunal compétent pour statuer
entre ceux-ci, 469.
Pertes. — La clause exonérant un associé de toute partici
pation aux pertes annulerait l ’acte de société, 36. — Dans quel
les proportions doivent-elles se répartir entre associés , 37. —
L’acceptation d’une proportion dans les bénéfices comporte un in
térêt égal dans la perle, 460.
Perte de la chose. — La perte de la chose est une cause
de dissolution de la société, 49. — Effet de la perte de la chose
sur la société lorsque la mise n ’est que promise , 51 et suiv. —
Son effet si la chose n ’avait été apportée en société que pour la
jouissance, 55 et suiv.
Pourvoi en cassation. — Faculté d’y renoncer, 583.—
S’induirait implicitement de ce que les arbitres auraient reçu la
qualité d’amiables compositeurs, 583 bis.
Prescription. — Nécessité de régler la durée de l ’action
des créanciers contre les associés, article 64, son caractère, 645 et
suiv. — Discussion qu’il souleva au conseil d’Etat , 647. — La
prescription quinquennale est d’intérêt général, 648. — Elle ne
s’applique qu’à l’action des créanciers contre les associés, 649. —
La nomination d'un liquidateur enlève aux associés l ’administra
tion et les actions sociales, conséquence, 650 et suiv. — Quel est
le caractère de la liquidation par rapport aux tie rs, 655. — Ex
ceptions que la règle comporte, 656. — L’interruption édictée
par l’article 2249 du Code civil n ’est pas applicable , 657 et suiv.
— La nécessité d’une poursuite dans les cinq ans peut être invo
quée par le commanditaire , 659 et suiv. — Conditions pour que
l’aaticle 64 puisse être invoqué , 661. — La retraite de l’associé
�440
DES SOCIÉTÉS
les réuuit, 662 et suiv. — Exceptions que comporte l ’application
de l’article 64 , 664 et suiv. — Pour qu’on puisse en exciper il
faut que la dissolution et la liquidation aient été publiées dans les
formes prescrites, 668. — Point de départ de la prescription, 669
et suiv. — Effet de la continuation de la société après l’expira
tion du terme , 671. — Nature de la prescription de l ’article 64,
672. — Est opposable au mineur et à l ’interdit, 673. — Les
associés non liquidateurs libérés par la prescription ne peuvent
plus être déclarés en faillite si la liquidation ne paye pas, 674. —
■Quid du.liquidateur, 675. — L’associé ordinaire qui est liquida
teur n’est libéré que par la prescription de trente ans, 676 et suiv*
— Quelle est la durée du recours du liquidateur contre les asso
ciés, 679 — Le liquidateur qui a renoncé à cette qualité peut-il
invoquer la prescription quinquennale , 683 et suiv. — En cas
d’affirmative de quel jour le délai commence de courir? De quel
jour court ce délai en faveur de l ’associé qui se retire de la socié
té, 685 et suiv.
P r e u v e . — Importance de la preuve des sociétés, exigences
de la loi romaine et de l’ancien droit français avant et depuis l ’or
donnance de 1673, 373 et suiv. — Sous l’empire du Code les so
ciétés anonymes no peuvent être constatées que par acte authen
tique , 347 et suiv. — Les sociétés en nom collectif et en com
mandite peuvent de plus l ’être par acte sous seing privé, 349. —
Conséquences de l ’application de l ’article 1325 du Code civil, 350.
—• Effets des modifications dans les dispositions de l ’acte social à
l ’égard des associés et des tie rs, 351 et suiv. — Les articles 39,
40 et 41 du Code de commerce, sur la preuve des sociétés, ne con
cernent que les associés eux-mêmes , 353. — La preuve testi
moniale peut-elle être fournie par les tie rs, 354. V. Partici
pation.
P r e u v e o r a l e . — Y. Participation, Tiers.
Privilège. — Effet du défaut de publicité sur le privilège
des créanciers sociaux, 370. — Les créanciers de la participation
n ’ont aucun privilège sur les créanciers personnels des partici-
�TABLE DES MATIERES
441
panls, 434. — Le partage entre associés leur confère le privilège
du copartageant, 631.
Procédure. — Caractère de l ’article 1009 du Code de pro
cédure civile, 518. — A défaut de stipulation les parties et les
arbitres doivent recourir à la procédure ordinaire, 523.
Production des pièce® et m ém oires. — Dans quel
délai doit s’opérer, 524.
Prorogation. — V. Continuation de société, Délai.
P u b li c a t io n . — Origine de la disposition prescrivant la pu
blication des sociétés, ordonnances de 1579 et 1623 , 355. —
Ordonnance de 1673, causes qui la firent tomber presque aussitôt
en désuétude , 356. — Système du Code , loi du 24 juillet 1867,
son caractère, 357. — Pièces qui doivent être annexées, à l'acte
de société et déposées avee lui, où se fait le dépôt, 357 bis» —
Insertion au journal , débats au Corps législatif, en quoi elle doit
consister, 358 et suiv. — Comment se prouve l’insertion , 359’.
— Dans quel délai ces formalités doivent être remplies, effet de
son expiration , 360 P t suiv. — Délai pour l ’enregistrement du
numéro du jo u rnal, 361 bis. — Effet du défaut ou de l ’irrégu
larité de la publication, 363. V. N ullité. — Le défaut de publi
cité ne saurait être suppléé par la notoriété de la société, 369. —
Enonciations que doit contenir l ’extrait à insérer dans le journal,
373 et suiv. — Où doit se faire la publication lorsque la société
a des maisons dans différentes localités, 389 et suiv. — Par qui
doit être signé l’extrait, 391 et suiv. — Effet de l’inobservatation
de la loi quant à la signature, 394. V. Continuation de société,
Dissolution avant term e, Retraite d’associés. ' — Caractère de
l’article 61 de la loi de 1867 , formalités qu’il ajoute à celles de
l ’article 46, 420. — Effets de l ’inobservation, 420 bis.
�442
DES SOCIÉTÉS
R
R aison sociale. — Sa nécessité dans les sociétés en nom
collectif ou en commandite, 127. — Est-elle régulièrement com
posée par un nom unique suivi de ces mots et compagnie ? 125.
— Effet et conséquence de l ’omission de sa détermination, 129 et
suiv. — Comment s’établirait la raison sociale si l ’acte de société
était m uet? 133. — Influence de cette raison sur la société, con
séquences, 134. — Exigence de l’article 21 aux termes duquel
il n’y a que les noms des associés qui puissent faire partie de la
raison sociale , conséquences pour celui dont on aurait usurpé le
nom, 135 et suiv. — Quid par rapport à l’associé qui se retirant
de la société aurait laissé son nom figurer dans la raison sociale ?
137 et suiv. — Caractère de cette raison , différence entre elle et
la dénomination donnée à l’établissement, 140. — L’engagement
souscrit de la raison sociale est à la charge de la société alors mê
me que le gérant eût abusé, 152. — Exceptions à cette règle,
153 et suiv. — Effet de l’application que le gérant ferait de la
raison sociale à ses propres affaires, 159 et suiv. — Importance
de la raison sociale dans la commandite, ses effets, 180 et suiv.—
Prohibition de comprendre le nom des commanditaires dans la
raison sociale, ses motifs, 185. — La société anonyme ne peut
recevoir de raison sociale, caractère de cette prohibition, 268.
Rapport. — Les associés sont tenus de rapporter tout ce
qu’ils auraient retiré de leur mise de fonds ; Quid des intérêts et
bénéfices? V. Bénéfices, Intérêts, Mise de fonds.
R ecours contre la sentence arb itrale. — Opposi
tion à l ’ordonnance d’exéquatur, 573 et suiv. Y. Appel, Pourvoi
en cassation, Requête civile.
R e c o u r s e n t r e a s s o c i é s . — Quelle est la durée du re
cours de l'associé et de celui du liquidateur ? V, Liquidateur,
Prescription,
�TABLE DES MATIÈRES
R écusation. — Y. Arbitres.
Rem placem ent. — Comment s’opère le remplacement des
arbitres, 509 et suiv.
R e n o n c i a ti o n à l ’a p p e l. — Y. Appel.
R enonciation an pourvoi. — V. Pourvoi en cassa
tion.
R enonciation à
la requête civile. — Y. Requête
civile.
Requête civile. — La voie de la requête civile est ouverte
contre la sentence arbitrale, peut-on y renoncer, 582 et suiv.
R escision. — Le partage entre associés peut être rescindé
pour lésion de plus d’uri quart, comment se calcule la lésion,635.
—Effets du dol, de la violence et de l’erreur, 737.
.
R etraite d’un associé. — Doit être publiée dans les
formes voulues par l ’article 42 du Code de commerce, 412. —
Effet de cette publication ou de son omission , 413 et suiv. —
Obligation de l ’associé sortant dans le cas du maintien de la rai
son sociale ,415. — Distinction entre la retraite d'un associé et
la démission qu’il donne des fonctions qu’il exerce, effet de celleci , 416. — La retraite d’un associé donne ouverture à la pres
cription quinq'ennale, 662. V. Prescription.
Révocation des arbitres. — Y. Arbitres.
Sentence. — Doit être délibérée en commun par tous les
arbitres à peine de nullité , 527 et suiv. — Par qui elle est si
gnée , refus d’un arbitre, sa constatation , 533 et suiv. — Doit
relater la qualité des parties, leurs conclusions, 535 et suiv. —
Etre motivée et avoir un dispositif, 537 et suiv. — Importance
de la date , comment il pourrait être suppléé à son omission , 539
�DES SOCIÉTÉS
et suiv. — Fait foi de sa date et des faits personnels aux arbitres
jusqu’à inscription de faux, comment elle est rendue exécutoire,
542. — Où se fait le dépôt et dans quel délai, 543 et suiv. —
La sentence du tiers est le seul jugem ent, conséquence, 569. —
La sentence arbitrale n’est pas susceptible de tierce opposition,
571 et suiv.—Voies de recours dont elle est susceptible, 582. V.
Appel, Arbitres, Opposition à l’ordonnance d’exéquatur, Pour
voi en cassation, Requête civile, Tiers arbitre.
Signature sociale. — Effet de l ’engagement souscrit de
la signature sociale, 148. — Son absence n ’est pas un obstacle
invincible à ce que l'engagement soit mis à la charge de la so
ciété, à quelles conditions en serait-il ainsi? 151. V. Raison
sociale.
Société. — Importance de la société, services qu’elle a ren
du à l ’humanité, 1. — Son appropriation au commerce, ses ré
sultats, 2. — Définition de la société, 6. — Différences entre
elle et la communauté, 7 et suiv. — Entre elle et le louage d’œu
vres et d’industrie, 13. — Entre elle et le mandat, 14. — Entre
elle et les associations tontinières, 15. — Entre elle et les assu
rances mutuelles, 16. — Entre elle et le prêt à la grosse, 17.—
Conditions pour la validité des sociétés : 1° consentement des
contractants, 18. — Le contrat entre l’associé et son croupier
constitue-t-il une société? 23 et suiv. — 2° Objet licite, 25. —
3” Communauté de choses régies dans un intérêt commun , 28.
— Titres divers auxquels les choses peuvent être mises en so
ciété , 31. — Conséquences delà règle que les sociétés doivent
être exploitées dans un intérêt commun , 34. — Oligations et
droits naissant du contrat de société , 45. — Comment finit la
société. V. Dissolution.
Société anonyme. — Caractère de la société anonyme
pratiquée sous l ’empire de l’ordonnance de 1673, en quoi elle dif
férait de celle du Code, 263. — Cependant celle-ci était dès lors
connue et pratiquée , motif du silence gardé sur elle par l’ordon-
�TABLE DES MATIÈRES
443
nance, 263 et suiv. — Avantages de la société anonyme; en quoi
elle l'emporte sur la société en commandite, 266, — Conséquen
ce de l ’absence de toute obligation personnelle des associés , 267.
— Elle n’a pas de raison sociale et doit être qualifiée par l ’objet
de son entreprise, effet de la violation de ces conditions, 268. —
La société anonyme est essentiellement commerciale, 269.—Com
ment et pour quelles causes s’opère la dissolution des sociétés anonymes, 274. — Nature et caractère de l ’administration d’une
société anonyme , 276 et suiv. — La société anonyme cessant
ses paiements doit être déclarée en état de faillite, 291. — Doiton dans ce cas exécuter les articles 506 et 507 du Code de com
merce ? 292 et suiv. — La société anonyme peut-elle concor
der? 296. — Motifs qui ont subordonné les sociétés anonymes A
l’autorisation du gouvernement, nature et effet de cette autorisa
tion, 320 et suiv. V. Autorisation. — Peut-on convertir en so
ciété anonyme une société en commandite et réciproquement ?
336 et suiv.
Société civile. — Différence et. points de contact entre la
société civile et la société commerciale , 85. — La société pour
acheter et revendre des immeubles est une société civile, 88 et
suiv. — Peut-on lui donner le caractère commercial ? 92 et suiv.
— Quid d’une association pour l ’exploitation déminés entre con
cessionnaires? 94. — En. serait-il autrement si la société avait
revêtu la forme d’une société anonyme ou en commandite ? 95 et
suiv. — Conséquences, 98 et suiv. — Quel est le caractère d’u
ne société pour la découverte, l ’ouverture, la location ou l ’exploi
tation d’une m ine, 103 et suiv. — De celle pour la construction
d’un marché, d’une église, d ’un théâtre , formée par de non com
merçants, 106 et suiv. Y. Sociétés commerciales.
Sociétés com m erciales. — Définition de la société
commerciale, caractère de certains actes pouvant laisser du doute,
86 et suiv. — Peut puiser sa détermination dans la qualité des
parties, exemples, 106 et suiv. — Le caractère commercial peut
résulter de la destination de la chose entreprise ,110. — La so-
�446
DES SOCIÉTÉS
ciëté pour le creusement d’un canal moyennant la perception d’un
péage doit être régie par les règles applicables aux sociétés pour
la construction d’un chemin de fer , 111. — Q u id , de la société
pour la perception d’un péage sur un pont déjà construit, 112.—
L’article 632 du Code de commerce déclarant actes de commerce
les assurances maritimes s’applique-t-il aux assurances terres
tres ? 113etsuiv. — Caractère de l ’association de divers pères
de famille pour assurer leurs fils contre les chances du tirage au
so rt, 118. — Des assurances mutuelles, 119. — Des associa
tions pour la préservation , l’assainissement, le dessèchement ou
l ’arrosage des propriétés, 120. — La nature de la société ne sau
rait être modifiée par la qualification qui lui a été donnée, 121 .—
Les sociétés qui ont pris mal à propos la forme commerciale n’en
restent pas moins soumises à l ’article 1863 du Code civil, 122 et
suiv. — Division des sociétés commerciales , son origine , diffi
culté qu’elle a soulevée, 124 et suiv.
Société en com m andite. — Discussion que cette qua
lification souleva dans le sein du conseil d’Etat, 170. — Avanta
ges de la commandite, son origine, comment la définit Casarégis,
171 et suiv. — Comment devait-on entendre l’absence de tout
mandat ; celui-ci u’exislait-il pas relativement à la mise promise
ou versée? 173 et suiv. — L’école italienne confondait-elle la
commandite a^ec la participation ? 175. — Quelle fut la com
mandite sous l’ordonnance de 1673 ? Sa définition par Savary,
176 et suiv. — Singuliers exemples qu'il en donne dans ses for
mules de sociétés ,178 et suiv. — Organisation de la comman
dite par le Code de commerce, importance de la prescription d’u
ne raison sociale , discussion que la proposition souleva ,180 et
suiv. — Conséquences de l ’enregistrement et de la publication
de la société en commandite , 183. — Economie des nouvelles
dispositions sur la commandite, but du législateur, 184 et suiv.—
L’existence d’une commandite ne peut être admise que si elle ré
sulte clairement de l’acte, conséquences 186 et suiv. — Lorsque
l ’acte de société est produit c’est par l’ensemble de ses clauses et
�TABLE DES MATIÈRES
447
non par la qualification convenue qu’on doit juger du caractère de
la société, 191 et suiv. — L’interdiction d’administrer faite à
quelques-uns des associés ne serait pas démonstrative de la com
mandite ; Quid de la limitation de la perte ? 195 et suiv. — Ce
lui qui a consenti à perdre au delà de sa mise doit être déclaré as
socié ordinaire, 197. — L'appréciation du caractère de la société
peut suivant les circonstances constituer une violation de la loi
autorisant la cassation, 198. — La société en commandite ne
peut exister sans le concours d’associés ordinaires,exception, 199
et suiv.u -— Le capital des sociétés en commandite peut être di
visé en actions, difficultés à l ’endroit des actions au porteur, 338
et suiv. — Inconvénients de cette disposition, ses conséquences,
341 et suiv. V, Action, Associé, mise de fonds.
Société en nom collectif. — Sa définition , nécessité
d’une raison sociale, 127. — Un nom unique suivi des mots et
compagnie constitue valablement celle-ci, 128, — Le droit d’ad
ministrer est de l ’essence de la société en nom collectif, faculté
d’y renoncer. 141. — Peut-on confier l’administration à un non
associé, 142 et suiv. V. Associé, Engagement, Gérant, Raison
sociale, Solidarité.
Société entre Agents de change et haillenrs de
fonds. — Loi de 1862 qui l ’autorise , son opportunité, 25bis.
— Part dont le titulaire de la charge doit être propriétaire, con
séquence de son inaliénabilité, 2 5 quatuor et suiv. — Nature de la
société, droits des associés, 25sext0 et suiv. — Durée de la so
ciété, effet de l’expiration du terme, 25 nono et suiv.
•
Solidarité. — Conséquences de la solidarité pour les asso
ciés ordinaires, 165. — Elle n ’existe pasd’associé à associé, 166.
Quid de l ’associé qui a fait des opérations commerciales avec la
société? 167. — Les associés ont-ils la solidarité active contre
les débiteurs sociaux ? 168.
Som m ation. — En cas de refus de se réunir il doit êlre
fait sommation aux arbitres, 553.
."X
�448
DES SOCIÉTÉS
SiaffVage. — La voixdechaquearbitrenommé pardesas
sociésn’yantqu’unmême intérêtcomptepourunsuffrage,con
séquences,526.
Suspension de délai. — V. D
élai.
Syndics. — V. Faillite, Tuteur.
T
T é m o i n s . — Formalités à suivre à l’égard des témoins ap
pelés devant les arbitres, 523 et suiv.
T ie r c e o p p o s itio n . — La voie de la tierce opposition
n ’est pas ouverte contre la sentence arbitrale, 571. —
la sentence a pour objet de statuer en appel ? 582.
Q u id
si
T i e r s . — Effets des modifications des dispositions de l’acte
de société à l ’égard des tiers, 351. — Sont admissibles à prouver
par témoins l ’existence de la société, 354. — Les tiers opposant
l ’acte nul pour défaut de publication sont-ils forcés de l ’accepter
dans toutes ses énonciations? 368. — Le défaut de publicité
dans les cas légaux ne saurait être suppléé par la connaissance
que les tiers auraient du fait en lui-même , 369. — Les créan
ciers personnels de l ’associé sont des tiers dans le sens de l’arti
cle 42, leurs droits en concours avec les créanciers sociaux , 370,
— Effet pour les tiers du défaut de publicité de la continuation
de la société, 398. — Du défaut de publicité de la dissolution a, vant terme, 407 et suiv. — La connaissance personnelle que les
tiers auraient de la dissolution suppléerait-elle à la publication?
409. — Les tiers peuvent-ils établir l ’existence de la participa
tion par les preuves permises entre les participants, 462 et suiv.
T i e r s a r b i t r e . — Qui nomme le tiers arbitre, de quelle
manière doivent le faire les arbitres s’ils en ont reçu le pouvoir,
546 et suiv. — A quelles conditions le tiers peut-il intervenir,
�TABLE DES MATIÈRES
549. — Dans quel délai doit-il prononcer, 550. — Doit conférer
avec les arbitres divisés, prorogation des pouvoirs de ceux-ci, 551
et suiv. — Conséquences du refus d’un ou de plusieurs arbitres
de se réunir et de délibérer, preuve du refus , 553. — Comment
se prouve la réunion spontanée, 554. — Caractère de la confé
rence, droit des arbitres de modifier leur opinion, 555 et suiv. —
Droit du tiers arbitre de prononcer seul en cas de refus de se ré
u n ir, 559. — Les parties peuvent dispenser de l ’obligation de
conférer, conséquence de leur silence à ce sujet, 560 et suiv. —
Obligation pour le tiers d’adopter l ’un ou l’autre des avis, son
fondement, son caractère , 563 et suiv. — Quid si le partage a
été déclaré sur plusieurs chefs , 565 et suiv. — L ’obligation ne
s’étend pas aux motifs, 567. — Peut relever les erreurs de calcul,
568. — La sentence rendue par lui est le seul jugement, consé
quences, 569 et suiv. V. Sentence.
Tntenr. — Le tuteur ne peut compromettre, même avec
l’autorisation du conseil de famille , au nom et dans l ’intérêt du
mineur, 491.
a is a g e . — Origine de l’usage, sa destination , 72. — Son
utilité comme interprétant la loi ou suppléant à son silence , 73.
— L’usage peut-il abroger la loi ? Contradiction dans le droit ro
main , solution en droit français, 75. — Son influence est bien
plus directe en droit commercial qu’en droit civil, 76. — Hypo
thèses dans lesquelles l ’usage a prévalu sur la loi commerciale et
sur le droit commun , 77 et suiv. — L’usage même commercial
ne peut s’établir contre une loi prohibitive , ni autorisér des abus
et des fraudes, 80. — L’usage est général ou local, caractère de
celui-ci, 81. — Comment s’établissait l ’usage dans notre droit
ancien, et depuis sous l'empire du Code , 82 et suiv. — L’usage
n’est applicable qu’en tant que son existence est formellement et
préalablement reconnue parle jugement ou l ’arrêt, 84.
m
29
�•450
'V io la tio n
DES SOCIÉTÉS
de» sta tu ts
d ’u n e
so c ié té a n o n y m e .—
Ses effets à l’égard de l'autorité qui les a approuvés, 327. — Visà-vis des associés, 328. — A l’endroit des tiers, 329.
Violence. — V. Rescision.
V o l o n t é . — Dans quels cas et à quelles conditions la volonté
d’un ou de plusieurs associés de rompre la société devient-elle une
cause de dissolution, 67.
FIN DE LA TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES
��
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Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire du Code du commerce. Livre premier, titre troisième, Des sociétés, 2ème édition revue, corrigée et mise au courant des lois nouvelles
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-22984/1-3
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1878
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domaine public
public domain
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Format
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3 vol.
436, 365, 450 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/333
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Abstract
A summary of the resource.
Dans cet ouvrage, l’auteur prend comme point de départ les dispositions originelles du Code et en effectue un commentaire et une mise à jour lorsque c’est nécessaire.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence poursuit son commentaire du Code de commerce en développant dans ces 3 tomes le titre III sur les sociétés.
- Le premier tome porte sur la section I de ce titre, Des diverses sociétés et de leurs règles, jusqu’à l’article 28. Il aborde les questions portant sur le contrat de société : la formation du contrat, l’articulation avec le droit civil, la dissolution de la société ( les clauses fréquentes dans celui-ci), la société en nom collectif et la société en commandite..
- Le deuxième tome achève le commentaire de la section I entamé dans le précédent volume, c’est-à-dire sur les diverses sociétés. Ainsi il commente les articles relatifs à la société anonyme, la preuve des contrats de société (les formalités et les mentions devant figurer dans le contrat de société) et les associations commerciales en participation.
- Le dernier tome porte sur la section II Des contestations entre associés et de la manière de les décider. Le Code de commerce de 1807 a instauré, pour trancher les litiges entre associés, le recours forcé à l’arbitrage. Ce mécanisme a subi une longue transformation pour passer d’un arbitrage forcé ne pouvant faire l’objet d’une mesure d’exécution devant le juge à un arbitrage plus efficace et contraignant pour les parties.
2e édition, revue, corrigée et mise au courant des lois nouvelles
Résumé Morgane Dutertre
Description
An account of the resource
Partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 effectué par J. Bédarride qui prend comme point de départ les dispositions originelles du Code et en effectue un commentaire et une mise à jour lorsque c’est nécessaire.
Sociétés -- Droit -- France -- 19e siècle